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Title: Arago et sa vie scientifique
Author: Bertrand, Joseph, 1822-1900
Language: French
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by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



                                ARAGO


                        ET SA VIE SCIENTIFIQUE



                                 PAR

                             J. BERTRAND

                         MEMBRE DE L'INSTITUT



                                PARIS
                          J. HETZEL, EDITEUR
                            18, RUE JACOB

                                 1865



                    *       *       *       *       *



                                   À

                           _M. ISAAC PÉREIRE_



                 Témoignage de gratitude pour l'hommage
                     par lui rendu à la Science.


                                    _Son ami dévoué_,

                                              J. BERTRAND.



                    *       *       *       *       *


Les cimes élevées de la science sont inaccessibles au grand nombre, mais
elles ne sont pas toujours entourées de nuages, et les savants les plus
illustres, parvenus au terme de leur gloire, peuvent sans s'abaisser se
montrer à la foule et s'en faire entendre.

Tous ne l'ont pas tenté. Soit dédain, soit impuissance, on a vu de
grands génies, satisfaits d'un petit nombre de disciples, laisser au
temps le soin de faire fructifier leur oeuvre et de la répandre.
D'autres, au contraire, non moins grands et en même temps plus humains,
n'oublient jamais que la vérité est un bien commun, et dégageant pour
chacun ce qu'il en peut recevoir avec profit, ils acquièrent, en
exposant leurs propres travaux, l'autorité nécessaire pour répandre ceux
des autres et pour les juger. Leur grande voix, religieusement écoutée,
émeut alors par son éloquence et par le prestige d'un nom aimé tout
ensemble, et d'une gloire acceptée de tous.

Tel était François Arago.

Né à Estagel, le 26 février 1786, il apprit à lire à l'école primaire de
son village. Cette première éducation, complétée par quelques leçons de
musique, ne révéla ni la force ni la précocité de son esprit. Arago
n'était pas cependant un enfant ordinaire. En 1793, la haine de
l'étranger le rendait déjà patriote; l'invasion de sa province par les
Espagnols avait fait naître en lui une vive irritation. Un jour, après
une bataille perdue à Peirestortes, cinq fuyards espagnols traversaient
son village. Le jeune François, qui les vit arriver, courut bien vite
s'armer d'une lance oubliée chez lui par un soldat, et, s'embusquant au
coin d'une rue, frappa de la pointe le conducteur du peloton: c'est la
seule fois que la colère d'Arago se soit archarnée sur un ennemi vaincu;
il était alors âgé de sept ans.

Le père d'Arago, nommé trésorier de la monnaie, alla résider à Perpignan,
et le jeune François devint élève externe du collége de cette ville.
Il était fort assidu aux jeux des enfants de son âge, et ses études en
souffraient un peu. La lecture des classiques français, qui eut toujours
pour lui un irrésistible attrait, ne lui causait pas de moindres
distractions. Peu capable d'ailleurs de discipline, il négligeait
décidément les thèmes et les versions, lorsqu'il apprit par hasard qu'un
jeune homme studieux pouvait, sans aucune recommandation, entrer à l'École
polytechnique et y gagner rapidement l'épaulette. Se procurant aussitôt le
programme de l'examen, il commença à se préparer seul. Excité bien plus
qu'effrayé par la difficulté d'une telle tâche, son esprit actif et
désireux de savoir se plongea dans les études scientifiques avec autant
de plaisir que d'application et de succès. Dès qu'il eut atteint l'âge
réglementaire de seize ans, Arago partit sans crainte pour concourir à
Montpellier; mais l'examinateur, tombé malade à Toulouse, retourna à Paris
sans achever sa tournée. Le jeune candidat dut attendre l'année suivante,
et fut reçu le premier.

La science lui fit bien vite oublier le désir de devenir officier.
Conseillé par Poisson, et affectueusement accueilli par Laplace, il
quitta l'École avant la fin de la seconde année pour devenir secrétaire
du bureau des longitudes. Biot en était membre. Reconnaissant la portée
d'esprit et la puissance d'invention de son jeune collègue, il
s'empressa de s'adjoindre, dans les recherches sur la puissance
réfractive des gaz, un collaborateur de si grande espérance. Bientôt
après, et suivant le conseil de Laplace, il lui proposa de continuer en
commun les travaux géodésiques de Méchain en Espagne, et de reprendre
l'entreprise interrompue de la détermination exacte du mètre en
complétant le réseau de triangles qui devait servir à la mesure du degré
terrestre.

L'influence de Laplace écarta toutes les difficultés. Les deux jeunes
savants partirent munis d'un sauf-conduit anglais pour leurs opérations
nautiques, et accompagnés d'un savant espagnol, M. Rodriguès, que le
gouvernement de Charles IV associait à leur entreprise. Les difficultés
étaient grandes; leur prédécesseur, Méchain, était mort à la peine en
désespérant du succès. Ils ne se proposaient rien moins, en effet, que
de prolonger la méridienne jusqu'à l'île d'Iviça, qu'il fallait
rattacher au continent par un triangle dont les côtés dépasseraient
quarante lieues: rien de pareil n'avait encore été tenté. Arago, Biot et
Rodriguès se partagèrent le travail. L'astronome espagnol, installé sur
un pic désert et aride, fut chargé d'entretenir toutes les nuits
plusieurs lampes toujours allumées, pendant qu'à quarante lieues de là,
Biot et Arago, vivant rudement sous une tente dressée au _desertio de
las Palmas_, épiaient le brillant fanal pour en déterminer la direction.

La courbure de la terre, dont ils avaient calculé l'influence, ne devait
pas être un obstacle; mais la vue pouvait-elle s'étendre à une telle
distance? La science et l'habileté n'y pouvaient rien, et c'était par
conséquent le point le plus incertain de leur tâche. Leur patience
persévérante renouvela soixante nuits de suite des essais sans
résultats; l'entreprise semblait impossible; avant d'y renoncer
cependant, après deux mois de veilles et d'inquiétudes, ils firent une
dernière et heureuse tentative. Par une belle soirée de décembre,
l'absence de la lune promettant une nuit profondément obscure, ils
promenèrent lentement leur lunette le long de l'horizon de la mer,
jusqu'à ce qu'elle rencontrât les montagnes d'Iviça, et choisissant la
plus haute, la plus découverte, celle dont l'aspect et la forme
rappelaient davantage la station adoptée par Rodriguès, ils dirigèrent
vers elle la lunette en la maintenant immobile jusqu'au moment où la
nuit fut devenue tout à fait sombre; ils regardèrent alors et aperçurent
un point lumineux que son immobilité seule distinguait des étoiles de
sixième grandeur. La voie était désormais assurée; et quoiqu'il restât
encore bien des obstacles à éviter, la certitude du succès leur donna
courage et patience.

Biot retourna bientôt à Paris rapporter les premiers résultats et les
calculer, tandis que l'infatigable et ardent Arago restait à Formentera,
lieu de leur dernière station, pour recueillir les derniers chiffres et
recommencer les mesures incertaines; mais, au milieu de ces pénibles
travaux, il dirigeait plus haut ses pensées et méditait déjà des oeuvres
plus originales, sinon plus importantes et plus grandes.

Ne pouvant observer que la nuit, c'est par l'étude des théories les
plus difficiles qu'il se délassait pendant les longues heures du jour.
_L'Optique_ de Newton composait toute sa bibliothèque; il la relisait sans
cesse et, nourrissant son esprit par la méditation longue et continue de
cette belle série d'expériences, se préparait excellemment à les prendre
pour modèles; mais il détachait assez complétement les faits de toute
interprétation préconçue pour pouvoir, peu de temps après, adopter la
doctrine contraire à celle de Newton sans avoir rien à désapprendre.

Les correspondances étaient alors lentes et difficiles. Arago, tout entier
à ses travaux, ne recevait que de bien rares nouvelles de sa famille
et, ne sachant rien de la situation politique, connaissait à peine les
entreprises dont l'Europe était déchirée. Cependant l'Espagne, envahie
par nos troupes, se soulevait tout entière contre l'étranger, et le
sentiment populaire s'exaltait chaque jour davantage contre tout ce
qui portait le nom de Français. L'hostilité secrète qui, sous une
apparente courtoisie, avait accueilli jusque-là ses paisibles travaux,
se changeait en une haine profonde et de plus en plus menaçante.
Tourmenté, mais non abattu par tous ces troubles, Arago continua son
travail sans se détourner ni se ralentir; recommençant même avec une
grande liberté d'esprit les observations qui lui semblaient douteuses,
et prenant diligemment ses dernières mesures, il ne songea à gagner
Barcelone, alors occupée par les Français, qu'après les avoir portées à
leur dernière perfection. Mais ses démarches étaient surveillées. Pour
se dérober aux insultes, peut-être même pour sauver sa vie, il dut
demander un refuge dans la prison de l'île. Des appréhensions cruelles
et des inquiétudes bien fondées le poursuivirent jusque dans cet asile.
La rage capricieuse de la populace se ranimait à chaque instant et,
semblable à un feu mal éteint, pouvait s'enflammer d'un moment à l'autre
et se porter aux derniers excès. Les journaux de la province annonçaient
avec une barbare indifférence la mort de trois cents Français, immolés
sur la place publique de Valence et livrés comme par spectacle à la
pique des toréadors. Peu de jours après, Arago pouvait lire la fausse
nouvelle de son propre supplice, et les dernières paroles de l'astronome
Arago, pendu comme espion de la France. Encore que le directeur de la
prison fût incapable de livrer un innocent à la populace furieuse de
l'île, il était désarmé et sans force pour la réprimer, et la vie du
prisonnier volontaire était en grand péril. Une telle situation ne
pouvait se prolonger. Arago, aimant mieux être noyé que pendu, se confia
à quelques hommes dévoués qui, sur une barque à demi pontée, le
conduisirent à Alger, d'où il put, quelques mois après, s'embarquer pour
la France; mais, dans ces tristes temps, la mer n'était sûre pour
personne: le navire fut rencontré par des corsaires espagnols et jugé de
bonne prise. Arago, conduit sur la côte d'Espagne, se garda bien
d'avouer sa qualité de Français. Après avoir bravé par son silence et
mystifié par ses réponses dérisoires les ridicules représentants de
l'autorité espagnole, il fut soumis aux plus mauvais traitements. Un
jour, des soldats armés se présentèrent devant le moulin où il était
enfermé avec ses compagnons d'infortune. Toute résistance était
impossible. Les prisonniers demandèrent ce qu'on voulait faire d'eux.

--Vous ne le verrez que trop tôt, répliqua l'officier espagnol.

«En analysant les sensations éprouvées en présence d'une mort qui
semblait si certaine et si proche, je suis arrivé, dit Arago, à me
persuader qu'un homme qu'on conduit à la mort n'est pas aussi malheureux
qu'on l'imagine». Ce qui l'émouvait le plus profondément était la vue
des Pyrénées, dont il apercevait distinctement les pics, et qu'à ce
moment suprême sa mère de l'autre côté de la chaîne, pouvait regarder
paisiblement.

Le bâtiment capturé portait heureusement deux lions envoyés par le dey
d'Alger à l'empereur des Français. L'un d'eux avait péri, et Arago
trouva moyen d'en informer le dey qui, transporté de fureur, menaça
l'Espagne de la guerre. L'Espagne avait alors trop d'embarras pour ne
pas en éviter de nouveaux; ordre fut donné de relâcher le bâtiment
et les passagers. Arago était libre enfin et ses malheurs semblaient
terminés. On fit voile vers Marseille, mais les vents contraires le
repoussèrent au moment où il apercevait la France pour le jeter le 5
décembre 1808, sur la côte de Bougie. Malgré de nombreuses difficultés
et en bravant de grands dangers, il se rendit par terre à Alger, où il
arriva le 25 décembre 1808; il ne put s'embarquer que six mois après,
le 21 juin 1809, et débarqua enfin à Marseille le 1er juillet.

Le bureau des longitudes et l'Académie des sciences apprirent avec une
grande joie son retour, que l'on n'espérait plus. Qui pourrait dire les
transports de sa mère? Arago, dans un jour de dénûment et d'extrême
besoin, s'était trouvé forcé de vendre sa montre; son père, peu de temps
après, l'avait vue entre les mains d'un officier espagnol prisonnier
qui, l'ayant achetée d'un marchand, ne put donner aucun renseignement;
sa tendresse éperdue ne donna plus de bornes à ses craintes; et madame
Arago, dans son inconsolable douleur, avait fait dire bien des messes
pour celui qu'elle n'espérait plus revoir; elle en fit dire de nouvelles
pour célébrer son retour. Arago, comme on le pense, se rendit tout
d'abord à Perpignan, mais il avait hâte aussi de revoir Paris; et après
quelques jours donnés à sa famille, il revint déposer au bureau des
longitudes et à l'Académie des sciences les observations heureusement
conservées au milieu des périls et des tribulations de sa longue
campagne.

Le succès d'une oeuvre si difficile, acheté avec une si longue patience
par tant de fatigues et de dangers, donna au nom d'Arago une juste et
précoce célébrité; la science avait contracté envers lui une dette
qu'elle ne tarda pas à acquitter.

Peu de mois après son retour, à l'âge de vingt-trois ans, Arago fut
nommé membre de l'Académie des sciences. Le célèbre géomètre Poisson,
alors âgé de vingt-huit ans et déjà professeur à l'École polytechnique,
n'obtint que quatre voix. Arago justifiait surtout, il faut l'avouer,
cette flatteuse préférence et cet honneur si précoce par la haute
opinion qu'il avait su inspirer de la force de son esprit; il fut nommé
pour les travaux qu'on attendait de lui, plus encore que pour ceux
qu'il avait accomplis. Laplace voulait faire ajourner l'élection en
réservant la place vacante pour stimuler l'ardeur des jeunes gens.
Une plaisanterie du médecin Hallé triompha de son opposition. «Vous
me rappelez, lui dit-il, un cocher qui attachait une botte de foin à
l'extrémité du timon de sa voiture; les pauvres chevaux s'épuisaient en
vains efforts pour atteindre cette proie qui fuyait toujours, et c'était
pour eux un très-mauvais régime.»

La comparaison parut juste et Laplace, se rendant enfin, vota pour Arago,
qui, sur cinquante-deux votant obtint quarante-sept suffrages. Le jeune
académicien ne tarda pas à justifier cette récompense inespérée par de
nouveaux et excellents travaux. Quoique membre du bureau des longitudes
et de la section d'astronomie, ses premières recherches semblent fort
éloignées de l'étude des astres; elles sont relatives à l'optique, et la
part qu'il a prise aux immenses progrès apportés par notre siècle à cette
branche de la science est un des titres les plus éclatants et les moins
contestés d'Arago.

Comment se forme un rayon de lumière? Quelle en est la nature et la
composition? Par quel mécanisme met-il un point lumineux en communication
avec notre oeil? Ne sont-ce pas là des questions primordiales et
irréductibles auxquelles on doit ramener les autres sans espérer de les
éclaircir elles-mêmes, et qui, dépassant les bornes de l'esprit humain,
semblent avoir le malheureux privilége d'être éternelles.

Deux théories bien différentes, recommandées par les grands noms de
Newton et de Huyghens, partageaient cependant, au commencement de ce
siècle, les physiciens et les géomètres.

Les corps lumineux, suivant Newton, envoient incessamment dans toutes
les directions, et avec une vitesse immense, des particules qui, en
pénétrant dans l'oeil, produisent le phénomène de la vision. Suivant
Huyghens, au contraire, aucun corps n'est lumineux par lui-même; il est
fait tel par les vibrations de ses molécules, et ne perd en brillant
aucune partie de sa substance; le mouvement des particules ébranlées se
communique incessamment à un fluide élastique et subtil dont les
agitations nous apportent la lumière, comme celles de l'air nous
transmettent le son. Les phénomènes de la réflexion et de la réfraction
s'expliquent également bien dans les deux théories, sans, par
conséquent, donner prise à aucune conclusion précise, et les détails les
plus minutieux sont, comme l'a souvent répété Arago, la seule et
véritable pierre de touche pour dégager une théorie exacte et définitive
des vagues et douteuses conjectures qui lui donnent naissance. Le
raisonnement doit reproduire en quelque sorte la nature en montrant,
dans la diversité infinie des effets, les conséquences d'un principe
unique, et sans s'arrêter à une ressemblance ébauchée, égaler, surpasser
même la précision des expériences les plus délicates. Aucune épreuve
n'est inutile, aucune ne doit être négligée, et le moindre désaccord qui
vient dissoudre l'harmonie peut, par une seule contradiction, ébranler
et ruiner l'édifice. Le succès des expériences les plus variées,
successivement et complétement prévues par la théorie, est la seule
marque de la vérité et le fondement de la certitude.

Le nom d'Arago est glorieusement mêlé à l'histoire des travaux qui,
depuis le commencement du siècle, ont donné à la théorie des ondulations
cette dernière et haute perfection; et son ingénieuse curiosité, en
révélant tout d'abord des phénomènes brillants et inattendus, devait
fournir l'occasion de quelques-unes des démonstrations les plus décisives.

Il n'est pas nécessaire d'être physicien pour distinguer trois choses
dans un rayon de lumière: la couleur, l'intensité et la direction dans
laquelle il se propage. Deux rayons pour lesquels ces trois éléments
sont les mêmes sont identiques pour nos yeux. Mais, quoique la vue soit
le plus clair et le plus distinct de nos sens, les véritables yeux du
sage sont, comme dit l'Écclésiaste, dans sa tête, et les physiciens,
en y regardant de plus près, sont parvenus à établir, suivant les cas,
entre ces rayons de même apparence, des différences essentielles.
Supposons, par exemple, que deux rayons se dirigent parallèlement de
haut en bas, suivant deux directions verticales; il peut se faire qu'un
même miroir, leur étant présenté à tous deux, réfléchisse le premier en
éteignant le second; qu'un même cristal parfaitement transparent laisse
passer l'un et arrête l'autre tout à coup, en devenant pour lui
complétement opaque. Le même cristal et le même miroir, présentés
autrement, donneraient des effets inverses et éteindraient le premier
rayon en laissant subsister le second; on peut voir, en effet, un même
rayon tombant sur un même miroir, avec lequel il fait constamment le
même angle, être réfléchi ou éteint suivant que le plan dans lequel
il devrait se réfléchir est situé de telle ou telle manière. Le rayon
vertical dont nous parlons pourra, par exemple, se réfléchir vers l'est
et sera brusquement éteint dès qu'on cherchera à le renvoyer vers le
nord. Il n'a pas la même manière d'être par rapport à tous les plans
que l'on peut conduire par sa direction; il est _polarisé_ suivant l'un
d'entre eux, qui est celui dans lequel il ne peut pas se réfléchir, et
il se distingue ainsi par un caractère propre et singulier de tous ceux
qui, suivant les mêmes directions, seraient polarisés dans un autre plan
ou ne le seraient pas du tout.

C'est à Malus qu'est due cette grande découverte, aperçue déjà cependant
en partie par Huyghens. Arago en avait été extrêmement frappé, et,
familiarisé comme il l'était avec les résultats de _l'Optique_ de
Newton, il fut naturellement conduit à se demander quelle modification
devait y apporter l'intervention d'une considération si nouvelle. Il
étudia dans un premier mémoire la coloration produite dans les lames
minces ou autour du point de contact de deux verres légèrement courbés,
en portant surtout son attention sur la polarisation des rayons dont on
n'avait jusque-là examiné que la couleur. Arago fait connaître dans ses
mémoires un grand nombre de faits curieux et habilement choisis; mais
n'en apercevant pas la véritable explication, le jeune académicien a
la prudence et l'excellent esprit de n'en proposer aucune. À la même
époque, sur des questions toutes semblables, son confrère Biot se montra
moins réservé et n'eut pas à s'en applaudir. Le travail d'Arago est
d'ailleurs complet et définitif sur les points qu'il a abordés, et les
faits les plus propres à éclaircir le grand problème y sont choisis avec
un tact bien remarquable et exposés avec une rare précision.

Le mémoire sur la polarisation colorée, présenté à l'Académie le 11 août
1811, contient des expériences non moins précieuses pour la théorie
qu'elles sont singulières et brillantes. La distinction entre les rayons
polarisés et ceux qui ne le sont pas semblait la seule qu'il y eût à
faire entre deux rayons de lumière blanche. Arago, dans ce nouveau
mémoire, obtient, par des expériences simples et faciles à répéter, des
rayons dont les propriétés intermédiaires les distinguent et les
rapprochent à la fois des uns et des autres. Un rayon de lumière,
préalablement polarisé par l'une des méthodes antérieurement connues,
est reçu sur une plaque de cristal de roche taillée, cela est essentiel,
perpendiculairement à l'axe du cristal. En sortant de cette lame, il ne
possède plus les propriétés de la lumière polarisée, et quelle que soit
la position d'un cristal de spath d'Islande qu'on lui présente, il donne
toujours lieu à deux rayons réfractés. Il se distingue cependant d'une
manière bien remarquable de la lumière ordinaire, car les deux images,
au lieu d'être blanches, sont colorées des plus vives couleurs, qui
varient avec la position du cristal. Si l'une des images est rouge,
l'autre est verte, et, quand on tourne le prisme, on voit les deux
teintes changer graduellement en restant toujours _complémentaires_,
jusqu'à ce que, la première devenant à son tour du plus beau vert,
l'autre soit en même temps du rouge le plus franc.

Les rayons polarisés, après avoir traversé une plaque de cristal de
roche, présentent une autre propriété bien remarquable: en se
réfléchissant sous un angle convenable sur un miroir de verre, ils
acquièrent de brillantes couleurs, qui, variables avec la position du
miroir, se succèdent dans le même ordre que celles du spectre. Cette
belle et brillante expérience ouvrait un champ nouveau aux travaux des
physiciens, et des propriétés semblables à celles du cristal de roche,
obtenues sur d'autres cristaux, sur des liquides et même sur des gaz,
ont conduit à la théorie si importante et si riche en applications de la
rotation des plans de polarisation.

Arago lui-même en fit tout d'abord une belle application en construisant
l'ingénieux instrument nommé polariscope, au moyen duquel on peut
constater dans un faisceau de lumière les moindres traces de
polarisation partielle. L'interposition d'une plaque de cristal de roche
sur le trajet d'un rayon ordinaire ne produit, en effet, aucun phénomène
de coloration, et lorsque, dans l'instrument, un rayon blanc fournit une
image colorée, c'est un indice certain de polarisation totale ou
partielle. L'utilité d'un tel caractère est considérable, et Arago
lui-même en a fait ou indiqué de nombreuses et importantes applications,
parmi lesquelles ses ingénieuses considérations sur la nature du soleil
doivent être citées au premier rang.

Arago reconnut d'abord que la lumière qui émane sous un angle suffisamment
petit de la surface d'un corps solide ou d'un liquide incandescent offre
des traces évidentes de polarisation et se décompose dans le polariscope
en deux faisceaux colorés. La lumière émise par une substance gazeuse
enflammée est toujours, au contraire, à l'état naturel.

Or, en observant le soleil à une époque quelconque de l'année, on
n'aperçoit aucune coloration au polariscope, et par conséquent Arago
regarde la preuve comme certaine, et elle a été généralement admise; la
substance enflammée qui dessine le contour du soleil est gazeuse; la
surface tout entière l'est donc aussi, puisque chacun de ses points, par
le fait de la rotation, vient successivement se placer sur les bords.

Ces travaux attirèrent vivement l'attention des physiciens et placèrent
le jeune Arago au nombre des membres éminents de l'Académie. Accessible
et communicatif comme il le fut toujours, il devint bien vite le conseil
et le guide de tous les jeunes physiciens. Un tel rôle convenait à sa
généreuse nature. Toute idée grande et juste excitait ses
applaudissements, et, sans réserve comme sans arrière-pensée, il s'y
associait de tout coeur.

L'illustre Fresnel, alors ingénieur des ponts et chaussées à Rennes, et
complétement inconnu dans la science, vint après bien d'autres lui
confier les projets et le résultat de ses réflexions solitaires, en
s'enquérant de l'origine et des progrès récents de la théorie des
ondulations, dont son esprit sagace pressentait le prochain triomphe.

Arago comprit immédiatement l'étendue et la portée de ses conceptions et
l'importance des premières vues qui devaient être le point de départ de
tant de travaux immortels. Il devint bientôt le confident et l'ami de
Fresnel, et lui signalant seulement les belles dissertations de Thomas
Young sur le même sujet, l'encouragea de toutes ses forces à suivre ses
propres idées.

Fresnel, dans sa brillante et courte carrière, dépassa bien vite tous
ses émules. Admirateur passionné des travaux de son ami, Arago redoubla
pour lui de dévouement et de bonté. Après avoir assisté en quelque sorte
à la conception de ses mémoires, il fut chargé par l'Académie de les
examiner; non content de rendre témoignage à leur exactitude, il en
proclama avec bonheur toute l'importance. Il osa même combattre
l'opposition de Laplace, et sans se laisser ébranler par l'autorité d'un
si grand nom, opposer à sa préférence bien connue pour le système de
l'émission, des raisonnements décisifs et sans réplique. Le rapport
d'Arago, modèle de méthode et de clarté, ramena les plus récalcitrants.
Fresnel obtint le grand prix de mathématiques, et sa théorie, tenue
désormais pour exacte et définitive, lui valut les applaudissements de
tous les physiciens-géomètres.

La voix d'Arago savait se faire entendre au delà du monde académique; la
réputation de Fresnel fut bientôt, grâce à lui, égale à son mérite, et
l'administration des ponts et chaussées se hâta d'appeler à Paris un
homme qui devait être une des gloires de notre époque. Bientôt après les
portes de l'Académie s'ouvrirent pour lui à l'âge de trente-cinq ans, et
il fut nommé, le 12 mai 1823, à l'unanimité des suffrages.

L'explication des premières et belles expériences d'Arago était à la
fois une conséquence des travaux de Fresnel et l'un des fondements de
son édifice; les deux amis, sur un tel sujet, ne pouvaient manquer de
mettre leurs idées en commun. On doit à leur collaboration une des
expériences qui jettent le plus de jour sur le mécanisme des ondulations
lumineuses.

Thomas Young a fait connaître et expliqué le premier le phénomène si
étrange des interférences de deux rayons provenant d'une même source;
lorsqu'ils se rencontrent après avoir suivi des chemins différents, ils
peuvent, suivant la différence de longueur des chemins qu'ils ont
parcourus, s'ajouter en accroissant mutuellement leur éclat ou
s'éteindre au contraire l'un par l'autre en faisant naître l'obscurité
au sein même de la lumière. Les conclusions de cette expérience,
très-nette et très-facile à répéter, ne laissent subsister aucun doute.
Arago et Fresnel ayant eu l'idée de polariser les deux rayons dans des
plans différents, ils reconnurent non sans étonnement que, quelle que
soit la différence de marche, la destruction annoncée et montrée par
Thomas Young cesse alors complétement. Les mouvements de l'éther ne
pouvant plus, dans ce cas, se détruire même partiellement, il faut en
conclure, suivant Fresnel, qu'ils n'ont pas lieu dans la même direction;
l'illustre physicien osa même affirmer que les vibrations qui produisent
la lumière se font perpendiculairement au rayon et dans le plan même de
polarisation.

Arago n'admit pas immédiatement l'évidence d'une telle preuve, mais la
belle expérience lui appartient, et c'est assez pour que son nom,
attaché à celui de Fresnel, partage à jamais sa gloire.

La pile de Volta, découverte au commencement de ce siècle, avait excité
la vive et légitime admiration de tous les hommes de science. Mais,
après les beaux travaux de Davy, de Gay-Lussac et de Thénard, elle
semblait appelée à perfectionner la chimie plus encore que la physique.
Une heureuse observation vint ramener l'esprit des physiciens vers ces
grands et mystérieux phénomènes. Oersted montra, en 1820, qu'un courant
électrique attire ou repousse une aiguille aimantée avec une énergie
dont les lois fort complexes parurent d'abord enveloppées de difficultés
impénétrables. Leur recherche était un beau problème qui s'imposait aux
physiciens; beaucoup se mirent à l'oeuvre, Ampère seul atteignit le but.
Après s'être placé à coté d'Oersted par la découverte d'un fait nouveau
et important, celui de l'action mutuelle des courants, son rare et
admirable génie, soutenu et guidé par une science profonde, sut en faire
une oeuvre d'une tout autre excellence et remonter jusqu'au principe en
assignant la loi élémentaire de ces actions complexes, pour redescendre
ensuite aux conséquences les plus minutieuses et les plus précises.

La théorie des aimants se trouva rattachée elle-même à celle des
courants par des vues si plausibles et si belles que, sans être
susceptibles de preuves rigoureuses et précises, elles entraînent,
malgré leur hardiesse, une irrésistible conviction. Le mémoire d'Ampère
est l'une des plus admirables productions de la science moderne, et le
fondement de l'édifice le plus vaste et le plus achevé peut-être que la
philosophie naturelle ait produit depuis Newton.

Toute oeuvre grande et belle avait pour Arago un charme irrésistible, et
aucun sentiment d'envie n'effleura jamais sa grande âme; il éleva la
voix sans hésiter pour signaler et vanter cette nouvelle source de
découvertes et de travaux, et toujours prêt à servir la science, prêta
la main à Ampère comme il l'avait fait à Fresnel, en se montrant cette
fois encore ami dévoué, admirateur judicieux et sincère, ingénieux et
utile collaborateur. Sa rare habileté d'expérimentateur, la sagacité
ingénieuse de son esprit et la vivacité de son imagination furent mises
sans réserve et sans arrière-pensée au service de la théorie nouvelle.

C'est à Arago que l'on doit l'aimantation par les courants, origine
première de la télégraphie électrique, et la découverte si curieuse et
si inattendue du magnétisme en mouvement. Ces deux belles découvertes
sont dues à lui seul, sans qu'Ampère y ait réclamé aucune part.

Le fer, le nickel et le cobalt sont les seuls métaux qui agissent
sensiblement sur l'aiguille aimantée. Tout autre métal, le cuivre, par
exemple, ne la dévie pas d'une manière sensible. Les constructeurs de
boussoles croyaient donc, avec grande apparence de raison, pouvoir
former avec du cuivre la boîte d'un tel instrument. Cependant une
boussole à boîte de cuivre, livrée à Arago par un habile constructeur,
ne répondait pas à ses espérances. Malgré la perfection de sa monture,
elle se montrait extrêmement peu mobile, sans que les yeux exercés et
pénétrants d'Arago y pussent découvrir le moindre défaut. Il entreprit
méthodiquement une série d'épreuves, et comme beaucoup d'autres
observateurs attentifs, il trouva bientôt ce qu'il ne cherchait pas. Une
importante découverte récompensa son active et patiente curiosité.

L'aiguille, qui dans la boîte de cuivre semblait ne se mouvoir qu'avec
difficulté, redevenait délicate et sensible lorsque, sans changer la
monture, on la plaçait sur une table de bois, et redevenait de nouveau
paresseuse en rentrant dans son enveloppe de cuivre. Il faut donc bien
croire que le cuivre agit sur l'aiguille aimantée en mouvement. Arago
n'hésita pas à l'admettre et à en conclure qu'un disque de cuivre en
mouvement doit, par une conséquence nécessaire, agir sur l'aiguille en
repos. Cette assertion singulière et hardie, aussitôt confirmée par
l'expérience, créait une nouvelle branche de la physique, et la
révélation de ce nouveau et grand secret de la nature posait le
fondement des beaux travaux de Faraday sur l'induction.

Pendant que ces belles découvertes, admirées de l'Europe savante, en
faisaient justement attendre de plus grandes encore, le brillant
académicien, l'expérimentateur fécond et ingénieux, laissait paraître un
nouveau talent qui, chez lui, n'étonna personne. Arago était un
incomparable professeur, et les succès éclatants de son enseignement en
firent bientôt, aux yeux des gens du monde, le représentant véritable et
comme le grand prêtre de la science. À l'École polytechnique, Arago
avait professé tour à tour la géométrie, la théorie des machines,
l'astronomie et la physique, en s'astreignant sans sécheresse et sans
vaine subtilité, à la savante et solide rigueur que le jeune auditoire
peut supporter et qu'il attend de ses maîtres. Le cours d'astronomie
professé à l'Observatoire au nom du bureau des longitudes, demandait des
qualités bien différentes. Au lieu d'approfondir, il fallait effleurer.
L'entrée était libre; et si le public, quoi qu'en ait dit Voltaire,
mérite toujours d'être instruit, il rend souvent la tâche difficile à
ceux qui osent l'entreprendre: les auditeurs, pour la plupart incapables
d'une étude lente et profonde, voulaient sans fatigue et sans ennui
occuper leurs loisirs pendant une heure ou deux. Il fallait leur mesurer
en quelque sorte la vérité, sans exiger d'eux un temps qu'ils ne
pouvaient donner et une patience qui leur eût bien vite échappé.
L'esprit flexible d'Arago, également capable de descendre et de
s'élever, savait éclairer les auditeurs les moins préparés sans cesser
de satisfaire les plus doctes. C'est en se faisant toujours comprendre
qu'il se faisait toujours admirer, et son enseignement, net et lumineux
sans être dogmatique, en habituant les gens du monde aux grandes idées
scientifiques, a puissamment contribué à leur imprimer le goût des
vérités abstraites et sérieuses. Sa parole pénétrante et animée,
trouvait pour les présenter des traits si naturels et si vifs, les
montrait sous un jour si lumineux, proposait si nettement et si
distinctement les points essentiels et fondamentaux, qu'on les voyait en
quelque sorte à sa voix devenir intelligibles et sensibles à tous;
évitant avec soin les locutions trop techniques qui auraient pu causer
quelque embarras, il se gardait surtout de faire naître les difficultés
par un trop grand soin de les prévenir; montrant cependant, avec autant
de franchise que de netteté, le point délicat et le noeud de la
question, il savait exciter la curiosité de ses auditeurs par la verve
de son langage et l'énergie croissante de ses expressions. Sa parole,
dont il aurait craint d'affaiblir la vigueur par une trop scrupuleuse
correction, s'élançait, irrégulière parfois, mais toujours riche, facile
et impétueuse, et, comme irritée par un obstacle, affirmait les grandes
vérités de la science avec tant de force, les enchaînait avec tant
d'ordre; redoublant incessament ses efforts, joignait avec tant de
précision et d'abondance les affirmations les plus pressantes aux images
les plus vives et aux comparaisons les plus persuasives; montrait une
émotion si visible et si vraie; rassemblait tant de lumière autour des
régions profondes et inaccessibles, que l'auditoire ébloui, étonné,
entraîné, captivé, et enlevé à lui-même par une sorte de violence,
croyait, pour quelques instants au moins, en avoir acquis l'intelligence
et la claire vue. L'impression était produite sur tous, aussi durable
que forte. Cette exposition, superficielle en apparence, jetait de
profondes racines, et ceux qui pouvaient aller plus avant y puisaient à
la fois la confiance et l'ardeur.

Les précieuses notices dont Arago a enrichi l'_Annuaire_ du bureau des
longitudes atteignaient le même but et faisaient la science facile et
agréable à tous en la laissant exacte et profonde. Arago y révèle un
mérite tout nouveau: au grand physicien, au professeur éminent, vient se
joindre un historien scientifique du premier ordre. Il n'est pas
croyable avec quelle patience il recherche les documents les plus
cachés, avec quelle bonne foi et quelle loyauté sagace il les apprécie
et sait débrouiller les questions les plus enveloppées. Lorsque ses
conclusions sont arrêtées, sa conviction profonde justifie sur les
questions controversées la vigueur de sa polémique.

                    *       *       *       *       *

De 1812 à 1845, Arago a composé plus de vingt notices, destinées,
la plupart, à l'_Annuaire_ du bureau des longitudes: la théorie et
l'histoire des machines à vapeur, la théorie du tonnerre, la constitution
physique du soleil, la scintillation des étoiles, les puits artésiens,
ont été tour à tour le sujet de ses recherches approfondies et de ses
lumineuses explications.

Dans ces écrits, qui seront immortels, le seul but d'Arago est
d'instruire. Ce ne sont pas des mémoires qu'il compose, et peu lui
importe d'exposer ses propres découvertes. Ne cherchant que la vérité,
il la recueille partout où il la trouve; il se l'assimile pour
l'élucider, en la débarrassant de tout échafaudage technique, et
l'expose aux yeux de tous en l'éclairant des lumières de son esprit.

Mais sans chercher l'originalité, bien souvent encore Arago la
rencontre, et des aperçus ingénieux et nouveaux se présentent comme
d'eux-mêmes sous la plume. Il est inutile de citer ces écrits, dignes de
devenir classiques: tout le monde les a lus ou doit les lire, et je
n'aurais pas la hardiesse d'en esquisser ici l'analyse.

Lorsqu'en 1829 la mort de Fourier laissa vacante la place de secrétaire
perpétuel pour les sciences mathématiques, l'Académie des sciences,
d'accord avec l'opinion publique, pressa Arago de l'accepter. Il
réunissait en effet la facile et vive intelligence des travaux les plus
divers, au jugement prompt et assuré si nécessaire dans un tel emploi.
Lui seul hésita quelque temps, mais trente-neuf suffrages obtenus sur
quarante-quatre votants le rassurèrent et vainquirent sa résistance.

Arago quitta aussitôt la place de professeur à l'École polytechnique. Ni
les instances flatteuses du ministre de la guerre, ni celles des membres
les plus éminents de l'Académie n'ébranlèrent sa résolution.

Pendant vingt-deux ans, et malgré d'autres fonctions sérieusement et
activement remplies, l'Académie a trouvé en Arago un lucide et infatigable
interprète, en même temps qu'un guide sûr et désintéressé dans les voies
les plus hautes et les plus droites.

Le succès de son enseignement public renaissait chaque semaine dans la
lecture et le dénombrement exact des travaux adressés à l'Académie. Tout
était examiné, analysé, discuté avec autant de science et de sérieuse
attention que de vivacité et d'éclat. Dans l'abondance et la diversité
de ces pièces, sa perspicacité savait discerner les faits inutiles et
les réflexions vagues et superficielles, en s'attachant avec une prompte
sagacité à conserver les résultats, les documents et les phrases même
dignes d'intéresser l'Académie. Son intelligence, toujours prête et
capable d'éclairer par elle-même, savait également réfléchir une lumière
empruntée et se montrer à l'occasion des moindres travaux. Juste et
bienveillant pour tous, sans partialité et sans acception de personne,
sa parole hardie et colorée peignait à grands traits les idées d'autrui,
et dans le détail des occasions les plus communes, on retrouvait
l'esprit subtil et perçant, le coeur libéral et généreux qui avait su
apprécier si vite et exalter si haut les travaux, les découvertes et les
brillantes conceptions de Fresnel et d'Ampère. Apercevant souvent bien
des taches, sans y arrêter son attention, il aimait à découvrir les
mérites enveloppés et cachés sous une rédaction incomplète ou
maladroite, pour leur prêter, avec sa vive intelligence des questions
les plus obscures, la lumière, l'autorité et la force de sa parole. Ses
comptes rendus, considérés comme de véritables jugements, étaient une
précieuse récompense pour les savants sérieux qu'il savait animer et
soutenir, même en les redressant, sans les décourager jamais. Ami dévoué
et protecteur libéral du plus grand nombre, adversaire loyal de
quelques-uns, il ne fermait les yeux à aucune lumière; regardant chaque
belle découverte avec une égale complaisance, toute idée brillante et
nouvelle devenait, quel qu'en fût l'auteur, l'objet de son étude et de
son admiration; oubliant tout alors et docile aux seules impressions de
la vérité, son émotion lui inspirait des accents que la complaisance ne
saurait imiter et dont les inimitiés les plus ardentes n'arrêtèrent
jamais l'explosion. Arago, dans ces circonstances, avait d'autant plus
de mérite que, par nature très-sensible aux critiques, il souffrait avec
impatience les moindres attaques et savait rendre sa colère redoutable à
ceux qui osaient l'exciter. Lorsque, ému par une insinuation blessante
ou par une contradiction importune, il tournait son attention contre un
adversaire, s'il le trouvait sans compétence ou sans autorité, il ne
craignait ni de le dire ni de le prouver, dans les termes les plus forts
et les plus catégoriques.

Une conscience scientifique devait être bien irrépréhensible pour
affronter sans imprudence son regard sûr et pénétrant et son habileté à
faire toucher du doigt les erreurs, en les montrant d'autant moins
excusables qu'il les rendait plus évidentes. Plus d'un sont restés
stigmatisés devant l'opinion par le tour énergique de ses jugements,
sévères, piquants, amers, discourtois même, quand la colère s'en mêle,
et pourtant sans appel.

La plus cruelle et la mieux réussie de ces représailles auxquelles Arago
se laissait parfois emporter, est la lettre adressée à M. de Humboldt
sur un savant dont les attaques l'avaient heurté, et qui, après avoir
bien mérité de la science par de longs et patients travaux, avait osé
aborder, dans un traité d'astronomie et de mécanique céleste, des
questions difficiles et variées sans les avoir peut-être suffisamment
approfondies.

L'impitoyable Arago, sévère jusqu'à la minutie, saisit cet avantage en
signalant et démontrant chaque erreur avec une verve écrasante et une
irréfutable précision. «En parcourant, dit-il, le premier chapitre du
_Précis d'Astronomie_ de M. X..., je faisais une corne à chaque feuillet
où je voyais plusieurs grosses erreurs. Ne voilà-t-il pas que tous les
feuillets sans exception ont deux cornes, une pour le verso, l'autre
pour le recto. Il faut donc que je m'arrête, sauf à reprendre cet
inépuisable sujet si les circonstances l'exigent.» Et dans un autre
passage, par une saillie non moins injurieuse que spirituelle, après
avoir relevé une erreur grave que, dit-il, nos élèves des écoles
primaires ne commettraient plus aujourd'hui, il ajoute malicieusement en
note: «La ville de Paris vient de fonder une excellente école supérieure
dirigée par M. Goubaux: _on y est reçu à tout âge_.»

Chaque lundi, Arago se rendait à l'Institut plusieurs heures avant la
séance pour entendre, sur les points restés obscurs, les auteurs des
mémoires qu'il devait analyser. Presque tous profitaient avec
empressement du libre accès qu'il leur accordait. Il les recevait avec
une aimable et familière simplicité. Rien de plus prévenant que ses
manières, de plus affable que son accueil. Sans roideur et sans gravité
inutile, il savait écouter avant de répondre, s'accommodant à tous les
esprits et parlant à chacun son langage. Il disait sans hésiter sa
première et presque toujours droite impression, en s'appuyant sur de
solides et judicieuses remarques. Toujours prêt à traiter à fond les
questions les plus délicates, il satisfaisait dans le moment même à
toutes les difficultés, et sans chercher à étaler sa science ou à mettre
les gens à l'étroit en les rangeant sous sa dépendance, il laissait
chacun marcher dans sa voie, en dirigeant par quelques avis succincts,
mais très-importants, les pas incertains ou inexpérimentés.

L'Académie, qu'il animait par son influence, ne se lassait pas de
l'entendre. Lorsque, après ses brillantes expositions de chaque semaine,
il consentait à se charger d'un rapport écrit et officiel, c'était à la
fois un honneur pour le savant qui en était l'objet et une joie pour
l'Académie. Nos comptes rendus contiennent de lui des rapports qui sont
des chefs-d'oeuvre et des modèles. Les questions sur lesquelles il
aimait à s'étendre étaient surtout celles qui touchent à la météorologie
et à la physique du globe. Les instructions rédigées par lui pour les
voyageurs et les rapports sur le résultat de leurs missions forment un
des volumes les plus intéressants de ses oeuvres.

La préface placée en tête de ses travaux divers montre assez bien, avec
ses qualités et ses défauts, le ton qui lui était très-habituel, et le
genre des tours ingénieux qu'il a souvent employés.

«J'ai lu quelque part que certain personnage se lamentait un jour devant
d'Alembert de ce que l'_Encyclopédie_ avait acquis une si vaste étendue.
Vous auriez été bien plus à plaindre, repartit le philosophe, si nous
avions rédigé une Encyclopédie négative (une Encyclopédie contenant la
simple indication des choses que nous ignorons); dans ce cas, cent
volumes in-folio n'auraient certainement pas suffi.

«La réponse, je l'avouerai, m'avait paru jusqu'ici plus piquante que
juste. Les progrès des connaissances humaines nous montrent, chaque
jour, il est vrai, combien nos prédécesseurs étaient ignorants, combien
à notre tour nous le paraîtrons à ceux qui doivent nous remplacer; mais
la plupart des grandes découvertes arrivent spontanément, sans qu'il ait
été donné à personne de les prévoir, de les soupçonner. Ainsi, pour
citer seulement trois ou quatre exemples, l'Encyclopédie négative de
d'Alembert n'aurait pas même renfermé l'allusion la plus éloignée à
cette branche de la physique moderne déjà si importante, si développée,
si féconde, qui est connue aujourd'hui sous le nom de _galvanisme_ ou
plus convenablement encore sous celui d'_électricité voltaïque_. Ainsi
ce monde de phénomènes, auxquels la polarisation de la lumière donne
naissance, quand on l'envisage dans ses rapports avec la réflexion, avec
la réfraction ordinaire et avec l'action des lames cristallisées, n'y
serait pas seulement indiqué; ainsi cette théorie des interférences
lumineuses, où l'étrangeté des résultats le dispute à leur variété
infinie, n'y aurait pas occupé une seule ligne, etc.

«Avouons-le cependant; à côté des grandes et rares découvertes qui,
de temps à autre, viennent tout à coup, ou du moins sans préparation
visible, renouveler certaines faces des sciences, il y a des questions
importantes, bien définies, bien caractérisées et qu'on peut avec
confiance recommander aux observateurs.»

La réputation et la popularité de l'éloquent secrétaire s'accrurent
encore par la lecture solennelle des biographies auxquelles il refusa
toujours le nom d'éloges, qui répugnait à sa droiture. Loin de se faire
le panégyriste aveugle des hommes éminents dont il avait à raconter
l'histoire, Arago ne s'astreignait qu'à dire sincèrement la vérité sans
exagération et sans déguisement. La mesure des louanges qu'il accorde
est celle de son admiration, et tous ses jugements sans exception sont
fortement et consciencieusement motivés. La première de ces notices fut
consacrée à son illustre collaborateur et ami bien regretté Fresnel.
L'illustre physicien, dans sa courte carrière, n'avait vécu que pour la
science, et sa biographie est une des plus sévères et la plus
scientifique sans contredit qu'Arago ait prononcée. Jamais questions
plus hautes et plus délicates n'ont été présentées plus distinctement et
traitées d'une manière plus savante et plus claire. L'intelligence de
raisonnements si nouveaux et si subtils, qui semble impossible à des
esprits non préparés, devient simple et facile, au contraire, à la
lecture de ces pages brillantes et solides.

L'émotion était plus profonde et l'effet produit bien plus grand encore,
lorsqu'à l'intérêt scientifique, rehaussé par l'élévation des pensées et
des sentiments, Arago ajoutait le charme d'une admirable et émouvante
diction.

Il avait tous les talents et les qualités extérieures d'un grand
orateur. Sa mâle physionomie, sa mine relevée, son air d'autorité, ses
yeux altiers, sa tête admirablement belle et brillante d'intelligence
exprimaient, avec une égale énergie, l'amour du beau et du bien,
l'indignation contre le mal et la majesté intérieure d'une irréprochable
conscience. Sa voix était vibrante, son geste, spontané et impérieux,
commandait l'attention et accroissait encore la clarté de sa parole,
qui, simple et élevée tour à tour, restait toujours lumineuse et colorée.

Arago, dès la première épreuve se plaça parmi les plus grands maîtres
du genre; il obtint en même temps un succès d'une autre nature, qu'il
n'avait pas cherché cette fois et qu'il n'attendait pas. La séance avait
lieu le 26 juillet 1830. Arago venait de lire dans le _Moniteur_ les
ordonnances qui firent éclater la révolution; il comprit à l'instant
les conséquences d'un tel acte, et, les considérant comme un malheur
national, il avait résolu de ne prendre aucune part à la solennité pour
laquelle le public était convoqué, il se proposait d'annoncer sa
résolution dans ces lignes, qu'il communiqua à quelques confrères:

«Si vous avez lu le _Moniteur_, vos pensées doivent sans doute être
empreintes d'une profonde tristesse, et vous ne devez pas être étonnés
que moi-même je n'aie pas assez de tranquillité d'esprit pour vouloir
prendre part à cette cérémonie.»

Mais des difficultés s'élevèrent de toutes parts; à la suite d'un tel
éclat, l'Institut, lui disait-on, pouvait être supprimé; avait-il le
droit de provoquer une telle catastrophe? Il céda aux instances de ses
confrères, mais sans consentir à supprimer une ligne de l'éloge qui, la
veille, avait paru irréprochable et qui, dans toute autre circonstance,
devait l'être aux yeux des plus intolérants.

«Fresnel, disait-il en racontant la jeunesse de son ami, s'associa
vivement aux espérances que le retour des Bourbons faisait naître en
1814. La charte exécutée sans arrière-pensée lui paraissait renfermer
tous les germes d'une sage liberté.»

Et plus loin, à l'occasion d'une place refusée à Fresnel, qui s'était
montré trop indépendant dans ses opinions:

«Lorsqu'un ministre se croit, disait-il, obligé à demander à un
examinateur en matière de sciences, non des preuves d'incorruptibilité
et de savoir, mais l'assurance que, s'il devenait député, il n'irait pas
s'asseoir à côté de Camille Jordan, un bon citoyen pouvait craindre que
notre avenir ne fût pas exempt d'orages.»

L'intention et la portée des frénétiques applaudissements qui
accueillirent ces passages ne pouvaient échapper à personne.

«Dieu veuille, dit le duc de Raguse au jeune secrétaire perpétuel, que
je n'aie pas demain à aller chercher de vos nouvelles à Vincennes!»

Marmont, le lendemain, avait bien autre chose à faire, et, trois jours
après, la révolution appelait au pouvoir des amis intimes et dévoués
d'Arago. Il était connu et aimé du nouveau roi. Pour obtenir les plus
hautes faveurs et s'élever aux premiers honneurs, il lui eût suffi de ne
pas s'y refuser; mais Arago ne désirait que la pure gloire de savant. Le
titre d'académicien avait été sa seule ambition; il aurait aimé à n'en
pas accepter d'autres. Désireux cependant d'être utile, il sollicita
et obtint bien aisément les fonctions gratuites de député des
Pyrénées-Orientales et de conseiller municipal de la ville de Paris. Je
n'ai pas à raconter le rôle important qu'il a joué dans cette nouvelle
carrière. L'esprit d'Arago était de ceux qui peuvent briller dans les
assemblées les plus diverses. Il retrouva plus d'une fois à la tribune
les applaudissements chaleureux qui suivaient partout sa voix. Son
opposition, souvent très-vive, fut toujours loyale, et ses adversaires,
en redoutant l'éclat de sa parole et l'autorité de son nom, ont toujours
honoré en lui le désintéressement le plus absolu et la plus
incorruptible droiture.

                    *       *       *       *       *

En entrant dans ce nouveau monde, Arago regarda d'abord en observateur
curieux ce mouvement, cet empressement, cet orgueil, ces vanités, ces
bassesses et ces passions qui, grandissant sans cesse, font tout
oublier, jusqu'au bien public qui les a fait naître.

                    *       *       *       *       *

Le rôle de spectateur ne pouvait convenir longtemps à sa nature ardente.
Arago se mêla activement de toutes les affaires publiques; _ce breuvage
charmé qui enivre les plus sobres_ lui devint bientôt nécessaire, et,
malgré bien des dégoûts, il n'y voulut plus renoncer. La faveur
populaire fut pour lui sans inconstance; mais, en cédant à ces
séductions et en se laissant conduire à cet attrait, il ne permettait
pas à son esprit de s'y attacher tout entier. Il savait au besoin s'en
déprendre et s'élever au-dessus de ces intérêts passagers, en prodiguant
de tous côtés son travail sans en être jamais accablé. Les brillantes
qualités de son esprit ne donnaient l'exclusion à aucun genre de mérite.
Libre des empressements et des songes inquiets de l'ambition, quel que
fût le tumulte et l'embarras des affaires, ses devoirs de député ne lui
firent jamais négliger ceux de secrétaire perpétuel. Son activité
suffisait à tout, et la multiplicité des travaux obligatoires ne pouvait
même éteindre le feu naturel de son esprit inventif. Il trouvait moyen
de ménager le temps nécessaire pour suivre d'importantes expériences. La
puissance d'inventeur était restée chez lui abondante et forte comme aux
jours de sa jeunesse. Son esprit actif et fécond formait d'admirables
projets d'expérience; de grandes découvertes étaient entrevues pour être
non pas abandonnées, mais différées. N'ayant jamais connu ni la fatigue
ni l'insuccès, il croyait à la réalisation prochaine de ces travaux et
se plaisait à la préparer, jusqu'au jour où ses forces abattues lui
firent comprendre qu'il n'en pourrait plus supporter la fatigue, et que
l'état de sa vue, en y apportant un dernier et irrémédiable empêchement,
ne permettait plus au savant d'oublier dans le travail les chagrins et
les déceptions de l'homme politique. La conduite d'Arago fut alors,
comme dans toutes les circonstances de sa vie, aussi simple que droite
et généreuse.

Vers le milieu de 1838, à l'occasion d'une candidature, en faisant
valoir avec son ardeur habituelle les titres éminents de l'illustre
physicien anglais Wheatstone, il avait insisté sur l'originalité et
l'importance de l'ingénieux appareil au moyen duquel, à l'aide d'un
miroir tournant, on peut déterminer la vitesse de l'électricité.

Le miroir de M. Wheatstone faisait huit cents tours par seconde; en lui
faisant réfléchir trois étincelles excitées en trois points différents
d'un long circuit replié sur lui-même, leurs images dans ce miroir
devaient former la même figure que leurs positions véritables, ou une
figure toute différente, suivant que leur émission simultanée les fait
réfléchir à un même instant sur une seule et même position du miroir, ou
à des intervalles, si petits qu'ils soient, pour lesquels le miroir,
dans sa rapide rotation, a dû prendre des positions différentes.
L'expérience est disposée de telle sorte que, dans le cas d'une
propagation infiniment rapide, les trois images doivent former, comme
les étincelles elles-mêmes, une ligne droite verticale, dont la
déviation et la déformation sont liées à la vitesse de propagation et
doivent servir à l'apprécier.

Arago, vivement frappé par cette méthode ingénieuse, en avait prévu,
avec sa pénétration habituelle, les grandes et importantes applications.
Peu de semaines après, et comme pour justifier les louanges accordées au
nouveau principe, Arago démontrait à l'Académie la possibilité de
l'utiliser par une expérience d'optique décisive dans la lutte entre la
théorie de l'émission et celle des ondulations. Dans l'une en effet,
celle de l'émission, l'explication du phénomène de la réfraction exige
que la lumière se meuve plus rapidement dans le milieu le plus
réfringent, et le rapport des vitesses est celui des indices de
réfraction; le contraire est nécessaire dans la théorie des ondulations,
et le rapport doit être renversé, en sorte que, si la première théorie
est exacte, la vitesse de la lumière dans l'air est les trois quarts de
la vitesse dans l'eau, et la théorie des ondulations exige au contraire
qu'elle en soit les quatre tiers.

Un rayon de lumière est-il accéléré ou retardé, quand il traverse, en
moins d'un dix-millionième de seconde, une colonne d'eau de quelques
mètres de longueur? Ne semble-t-il pas que la solution directe d'une
telle question surpasse les forces humaines, et qu'il faudrait, pour la
résoudre nettement, porter l'habileté jusqu'au miracle.

Tel est cependant le projet qu'Arago eut la hardiesse de concevoir.
«Supposons, dit-il, qu'une ligne verticale lumineuse brille
instantanément et envoie des rayons à un miroir tournant. Si
l'expérience est disposée de telle sorte que les rayons issus de la
partie supérieure de la ligne cheminent librement à travers l'air,
tandis que ceux de la partie inférieure ont à traverser une colonne
d'eau de vingt-huit mètres de longueur, selon que l'une ou l'autre
théorie est exacte, ceux-ci seront accélérés ou retardés et viendront
frapper le miroir un quarante-millionième de seconde environ avant ou
après les autres. Mais la déviation de celui-ci, égale dans ce temps à
une demi-minute de degré, déplace alors leur image en produisant une
déformation dont le sens indiquera, par un signe clair et visible, si le
passage des rayons à travers le liquide les retarde ou les accélère.»

L'idée était aussi ingénieuse que neuve, aussi simple que hardie, mais
les difficultés de réalisation pouvaient sembler insurmontables. M.
Bréguet, ami d'Arago et son confrère au bureau des longitudes, avait
pris beaucoup de peine et déployé une grande habileté pour construire un
miroir tournant qui faisait régulièrement les mille tours par seconde
qu'Arago avait désirés. L'appareil était monté, on avait tenté
l'expérience, mais les observateurs n'avaient rien vu. Le trait
lumineux, dont l'image, divisée en deux parties, devait servir à tout
décider, ne devait, dans la méthode d'Arago, durer qu'un instant
inappréciable, et une étincelle électrique excitée entre deux
conducteurs était chargée de le produire. C'est sur le hasard qu'il
comptait pour amener, en ce moment même, le miroir dans la position
propre à renvoyer le rayon vers la lunette braquée pour le recevoir.
Mais, loin de distinguer les deux parties de l'image, on ne parvenait
pas même à les entrevoir; la probabilité d'un tel concours était trop
petite; bien des journées d'essais infructueux n'amenaient que des
mécomptes. Les amis qui aidaient Arago se décourageaient peu à peu. Seul
il ne perdait pas l'espoir; mais l'état de sa vue et de sa santé ne lui
permettait plus de se livrer à un travail assidu, ni de diriger celui
des autres. L'instrument restait abandonné, et malgré la netteté des
explications, beaucoup de physiciens ne regardaient plus le projet que
comme une ingénieuse et brillante chimère. D'autres, plus confiants et
plus perspicaces, nourrissaient la ferme espérance de l'accomplir, en
hésitant toutefois à suivre une idée dont l'auteur n'avait pas dit son
dernier mot. Toujours libéral et heureux d'exciter les découvertes
d'autrui, Arago, instruit de ces projets, vint à l'Académie, avec cet
esprit d'abnégation qu'il porta dans toute sa carrière, les encourager
publiquement en leur donnant son plein assentiment. «Je ne peux,
disait-il, dans l'état actuel de ma vue, qu'accompagner de mes voeux les
expérimentateurs qui veulent suivre mes idées.»

Dans la séance suivante, l'expérience était faite. M. Foucault avait
écarté toutes les difficultés et surmonté tous les empêchements. Une
disposition ingénieuse et très-simple lui permettait de substituer à la
lumière instantanée, demandée par Arago, une source continue de lumière,
et de renvoyer les images dans une direction fixe, indépendante de la
position du miroir tournant. L'expérience, exécutée avec une admirable
perfection, faisait naître la déviation dans le sens si audacieusement
prévu, et pouvait la montrer à tous les yeux. La colonne d'eau interposée
retarde donc la marche du rayon qui la traverse. Les prévisions de
l'illustre physicien étaient pleinement confirmées, et le système des
ondulations recevait, après tant d'autres preuves théoriques, une
confirmation décisive et presque directe.

La joie pure et sans arrière-pensée que causa à Arago le succès de cette
grande expérience fut une des dernières qui lui aient été accordées. Sa
santé était profondément altérée, et l'affaiblissement continuel de sa
vue le menaçait d'une cécité complète. Ses jambes pouvaient à peine le
soutenir. Lorsque les médecins l'envoyèrent chercher dans le repos et
dans l'influence de l'air natal un soulagement à des maux pour lesquels
ils n'espéraient pas de guérison, Arago, en cédant à leurs instances, ne
se faisait aucune illusion. Il se laissa traîner dans ces belles
contrées avec une courageuse résignation. Mais, sentant bientôt après
ses forces défaillir de plus en plus, il voulut revenir à Paris, revoir
encore l'Académie des sciences, et lui faire lui-même ses adieux. Le 22
août 1853, il remplit pour la dernière fois les fonctions de secrétaire;
le 2 octobre suivant, en se réunissant, l'Académie apprit qu'il avait
succombé le matin même. Ce jour-là elle ne tint pas séance. On se sépara
en silence et spontanément, sans qu'aucune proposition eût été faite ou
acceptée. La perte qui affligeait la France entière était pour
l'Académie un véritable deuil de famille.


          PARIS.--J. CLAYE, IMPRIMEUR, RUE SAINT-BENOIT, 7.





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