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Title: Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I.
Author: Bonaparte, Napoléon, 1769-1821
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I." ***


gallica (Bibliothèque nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.
by Robert Connal, Renald Levesque and the Online Distributed


OEUVRES DE

NAPOLÉON BONAPARTE.

TOME PREMIER.



MDCCCXXI.



NAPOLÉON BONAPARTE n'existe plus, sa vie appartient à l'histoire;
peut-être ne convient-il pas de l'écrire encore, bien des faits doivent
être appréciés, bien des passions calmées, bien des intérêts satisfaits,
beaucoup d'affections et beaucoup d'inimitiés éteintes avant que l'on
puisse parler avec impartialité et raison d'un homme aussi remarquable
dans une période d'événemens si extraordinaires.

Beaucoup de faits sont connus, sans doute, mais leur origine est loin
d'être éclaircie, et ces faits ne peuvent être jugés qu'en appréciant sa
position, qui l'a toujours commandé, la nature de son génie, qui lui a
fait produire de grandes choses et commettre des fautes.

Ce qu'il a écrit, ce qu'il a dit dans les diverses circonstances de son
existence militaire et politique, servira mieux à le faire connaître que
les discours de ses amis ou de ses ennemis.

Son génie est empreint tout entier dans ses lettres écrites durant les
campagnes d'Italie et d'Égypte: les lettres se succédaient chaque jour,
sa pensée était partout. Sa correspondance durant le consulat n'a pas
été moins active; nous y avons réuni les notes qu'il faisait alors
insérer dans les journaux, et que plusieurs guides sûrs nous ont fait
connaître.

Nous publierons ensuite ses messages durant le gouvernement impérial,
ses ordres du jour, ses proclamations, ses réponses aux députations, ses
lettres aux divers souverains, et ces bulletins écrits, sous sa dictée,
sur le champ même de bataille, un moment après la victoire.

Nous y joindrons quelques actes émanés de sa seule volonté, et qui ont
été comme les bases de son gouvernement et de sa politique intérieure,
soit pour récompenser ceux qu'il aimait, soit pour punir ceux qu'il
craignait.

Nous ferons connaître, dans la dernière partie, les détails de ses
entretiens familiers lors de sa plus grande élévation, ou dans son
exil, et nous terminerons par plusieurs morceaux qu'il écrivit à
Sainte-Hélène, et par des lettres confidentielles qui lui furent
adressées à diverses époques.

Le premier volume, qui paraîtra plus tard, fera connaître sa généalogie;
cette pièce assez étendue a été extraite des registres de San-Miniato;
elle se compose de vingt pièces, remonte jusqu'à 1268, et contient
l'histoire de tous ses ascendans, elle n'avait jamais été publiée; nous
y placerons une histoire chronologique très-détaillée de Bonaparte,
et présentant tous les faits qui lui sont personnels, sans aucune
observation critique. On pourra ainsi faire concorder les faits avec ses
lettres, ses messages et ses discours[1].

[Footnote 1: Nous espérons aussi placer dans ce premier volume un
discours que Bonaparte envoya fort jeune pour concourir à un prix
proposé par l'Académie de Besançon. On nous a donné l'assurance de nous
le faire connaître. Ce retard nous a forcé à différer la publication du
tome premier.]

Ce Recueil pourra être placé à côté des Commentaires de César, et des
oeuvres de plusieurs illustres souverains. Il rappellera aux militaires
les ordres qui ont dicté la victoire; à beaucoup d'autres personnes, les
lettres qui leur ont envoyé des faveurs et qui les ont élevées à un rang
dont elles jouissent aujourd'hui.

Sans doute sa carrière si brillante a été ternie par des actions
blâmables; mais que ceux qui seront les moins indulgens se rappellent
cette captivité si longue supportée avec dignité, et cette mort reçue
avec calme au milieu de la solitude de l'Océan; cette mort de celui
dont tous les rois et leurs cours devaient porter le deuil; qu'ils se
rappellent ces paroles du souverain qui fera plus par sa sagesse et
par le temps pour le bonheur de la France, que Napoléon ne fit par sa
rapidité et par ses armes, qui eut réellement le plus à s'en plaindre,
et qui, parlant au fils adoptif de Bonaparte, lui dit: _J'ai souvent
admiré celui que vous aimez_.



OEUVRES DE NAPOLÉON BONAPARTE



LETTRE DE M. BUONAPARTE

A M. MATTEO BUTTAFOCO,
DÉPUTÉ DE LA CORSE A L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

MONSIEUR,

Depuis Bonifacio au cap Corse, depuis Ajaccio à Bastia, ce n'est qu'un
chorus d'imprécations contre vous. Vos amis se cachent, vos parens vous
désavouent, et le sage même, qui ne se laisse jamais maîtriser par
l'opinion populaire, est entraîné cette fois par l'effervescence
générale.

Qu'avez-vous donc fait? Quels sont donc les délits qui puissent
justifier une indignation si universelle, un abandon si complet? C'est,
monsieur, ce que je me plais à rechercher, en m'éclairant avec vous.

L'histoire de votre vie, depuis au moins que vous vous êtes lancé sur le
théâtre des affaires, est connue. Ses principaux traits en sont tracés
ici en lettres de sang. Cependant, il est des détails plus ignorés: je
pourrais alors me tromper; mais je compte sur votre indulgence et espère
dans vos renseignemens.

Entré au service de France, vous revîntes voir vos parens: vous
trouvâtes les tyrans battus, le gouvernement national établi, et les
Corses, maîtrisés par les grands sentimens, concourir à l'envi, par des
sacrifices journaliers, à la prospérité de la chose publique. Vous ne
vous laissâtes pas séduire par la fermentation générale: bien loin de
là, vous ne vîtes qu'avec pitié ce bavardage de patrie, de liberté,
d'indépendance, de constitution, dont l'on avait boursouflé jusqu'à nos
derniers paysans. Une profonde méditation vous avait dès lors appris à
apprécier ces sentimens factices, qui ne se soutiennent qu'au détriment
commun. Dans le fait, le paysan doit travailler, et non pas faire le
héros, si l'on veut qu'il ne meure pas de faim, qu'il élève sa famille,
qu'il respecte l'autorité. Quant aux personnes appelées par leur rang
et leur fortune au commandement, il n'est pas possible qu'elles soient
long-temps dupes, pour sacrifier à une chimère leurs commodités, leur
considération; et qu'elles s'abaissent à courtoiser un savetier, pour
finale de faire les Brutus. Cependant, comme il entrait dans vos projets
de vous captiver M. Paoli, vous dûtes dissimuler: M. Paoli était le
centre de tous les mouvemens du corps politique. Nous ne lui refuserons
pas du talent, même un certain génie: il avait en peu de temps mis les
affaires de l'île dans un bon système: il avait fondé une université où,
la première fois peut-être depuis la création, l'on enseignait dans nos
montagnes les sciences utiles au développement de notre raison. Il
avait établi une fonderie, des moulins à poudre, des fortifications
qui augmentaient les moyens de défense: il avait ouvert des ports qui,
encourageant le commerce, perfectionnaient l'agriculture: il avait créé
une marine qui protégeait nos communications, en nuisant extrêmement aux
ennemis. Tous ces établissemens, dans leur naissance, n'étaient que
le présage de ce qu'il eût fait un jour. L'union, la paix, la liberté
étaient les avant-coureurs de la prospérité nationale, si toutefois un
gouvernement mal organisé, fondé sur de fausses bases, n'eût été un
préjugé encore plus certain des malheurs, de l'anéantissement total où
tout serait tombé.

M. Paoli avait rêvé de faire le Solon; mais il avait mal copié son
original: il avait tout mis entre les mains du peuple ou de ses
représentans, de sorte qu'on ne pouvait exister qu'en lui plaisant.
Étrange erreur! qui soumet à un brutal, à un mercenaire, l'homme qui,
par son éducation, l'illustration de sa naissance, sa fortune, est
seul fait pour gouverner. À la longue, un bouleversement de raison si
palpable ne peut manquer d'entraîner la ruine et la dissolution du corps
politique, après l'avoir tourmenté par tous les genres de maux.

Vous réussîtes à souhait. M. Paoli, sans cesse entouré d'enthousiastes
ou de têtes exaltées, ne s'imagine pas que l'on pût avoir une autre
passion que le fanatisme de la liberté et de l'indépendance.

Vous trouvant de certaines connaissances de la France, il ne daigna pas
observer de plus près que vos paroles, les principes de votre morale:
il vous fit nommer pour traiter à Versailles de l'accommodement qui
s'entamait sous la médiation de ce cabinet. M. de Choiseul vous vit et
vous connut: les âmes d'une certaine trempe sont d'abord appréciées.
Bientôt, au lieu du représentant d'un peuple libre, vous vous
transformâtes en commis d'un satrape: vous lui communiquâtes les
instructions, les projets, les secrets du cabinet de Corse.

Cette conduite, qu'ici l'on trouve basse et atroce, me paraît à moi
toute simple; mais c'est qu'en toute espèce d'affaire, il s'agit de
s'entendre et de raisonner avec flegme.

La prude juge la coquette et en est persiflée; c'est en peu de mots
votre histoire.

L'homme à principes vous juge au pire; mais vous ne croyez pas à l'homme
à principes. Le vulgaire, toujours séduit par de vertueux démagogues,
ne peut être apprécié par vous, qui ne croyez pas à la vertu. Il n'est
permis de vous condamner que par vos principes, comme un criminel par
les lois; mais ceux qui en connaissent le raffinement, ne trouvent dans
votre conduite rien que de très-simple. Cela revient donc à ce que
nous avons dit, que, dans toute espèce d'affaires, il faut d'abord
s'entendre, et puis raisonner avec flegme. Vous avez d'ailleurs par
devers vous une sous-défense non moins victorieuse, cas vous n'aspirez
pas à la réputation de Caton ou de Catinat: il vous suffit d'être comme
un certain monde; et, dans ce certain monde, il est convenu que celui
qui peut avoir de l'argent sans, en profiter est un nigaud; car l'argent
procure tous les plaisirs des sens, et les plaisirs des sens sont les
seuls. Or, M. de Choiseul, qui était très libéral, ne vous permettait
pas de lui résister, lorsque surtout votre ridicule patrie vous payait
de vos services, selon sa plaisante coutume, de l'honneur de la servir.

Le traité de Compiègne conclu, M. de Chauvelin et vingt-quatre
bataillons débarquèrent sur nos bords. M. de Choiseul, à qui la célérité
de l'expédition importait majeurement, avait des inquiétudes que, dans
ses épanchemens, il ne pouvait vous dissimuler. Vous lui suggérâtes de
vous y envoyer avec quelques millions. Comme Philippe prenait les villes
avec sa mule, vous lui promîtes de tout soumettre sans obstacle...
Aussitôt dit, aussitôt fait, et vous voici repassant la mer, jetant le
masque, l'or et le brevet à la main, entamant des négociations avec ceux
que vous jugeâtes les plus faciles.

N'imaginant pas qu'un Corse pût se préférer à la patrie, le cabinet de
Corse vous avait chargé de ses intérêts. N'imaginant pas, de votre côté,
qu'un homme pût ne pas préférer l'argent et soi à la patrie, vous vous
vendîtes, et espérâtes les acheter tous. Moraliste profond, vous saviez
ce que le fanatisme d'un chacun valait; quelques livres d'or de plus ou
de moins nuançant à vos yeux la disparité des caractères.

Vous vous trompâtes cependant: le faible fut bien ébranlé, mais fut
épouvanté par l'horrible idée de déchirer le sein de la patrie. Il
s'imagina voir le père, le frère, l'ami, qui périt en la défendant,
lever la tête de la tombe sépulcrale, pour l'accabler de malédictions.
Ces ridicules préjugés furent assez puissans pour vous arrêter dans
votre course: vous gémîtes d'avoir à faire à un peuple enfant. Mais,
monsieur, ce raffinement de sentiment n'est pas donné à la multitude;
aussi vit-elle dans la pauvreté et la misère; au lieu que l'homme bien
appris, pour peu que les circonstances le favorisent, sait bien vite
s'élever. C'est à peu près la morale de votre histoire.

En rendant compte des obstacles qui s'opposaient à la réalisation de vos
promesses, vous proposâtes de faire venir le régiment Royal-Corse. Vous
espériez que son exemple désabuserait nos trop simples et trop bons
paysans; les accoutumerait à une chose où ils trouvaient tant de
répugnance: vous fûtes encore trompé dans cette espérance. Les Rossi,
Marengo, et quelques autres fous, ne vont-ils pas enthousiasmer ce
régiment, au point que les officiers unis protestent, par un acte
authentique, de renvoyer leurs brevets, plutôt que de violer leurs
sermens, ou des devoirs plus sacrés encore?

Vous vous trouvâtes réduit à votre seul exemple. Sans vous déconcerter,
à la tête de quelques amis et d'un détachement français, vous vous
jetâtes dans Vescovato; mais le terrible Clémente [2] vous en dénicha.
Vous vous repliâtes sur Bastia avec vos compagnons d'aventure et leur
famille. Cette petite affaire vous fit peu d'honneur: votre maison et
celle de vos associés furent brûlées. En lieu de sûreté, vous vous
moquâtes de ces efforts impuissans.

[Footnote 2: Clément Paoli, frère aîné du général Paoli, bon guerrier,
excellent citoyen, vrai philosophe. Au commencement d'une action, il ne
pouvait jamais se résoudre à se battre personnellement: il donnait ses
ordres avec ce sang-froid qui caractérise le capitaine. Mais dès qu'il
avait vu tomber quelqu'un des siens, il saisissait ses armes, avec cette
convulsion d'un homme indigné, en faisait usage, en s'écriant: «hommes
injustes! pourquoi franchissez-vous les barrières de la nature? pourquoi
faut-il que vous soyez les ennemis de la patrie?»

Austère dans ses moeurs, simple dans sa vie privée, il a toujours vécu
retiré. Ce n'était que dans les grands besoins qu'il venait aussi donner
son avis, dont on s'écartait rarement.]

L'on veut ici vous imputer à défi, d'avoir voulu armer Royal-Corse
contre ses frères. L'on veut également entacher votre courage, du peu de
résistance de Vescovato. Ces accusations sont très-peu fondées; car la
première est une conséquence immédiate, c'est un moyen d'exécution de
vos projets; et comme nous avons prouvé que votre conduite était toute
simple, il s'ensuit que cette inculpation incidente est détruite. Quant
au défaut de courage, je ne vois pas que l'action de Vescovato puisse
l'arrêter: vous n'allâtes pas là pour faire sérieusement la guerre, mais
pour encourager, par votre exemple, ceux qui vacillaient dans le parti
opposé. Et puis, quel droit a-t-on d'exiger que vous eussiez risqué
le fruit de deux ans de bonne conduite, pour vous faire tuer comme un
soldat!

Mais vous deviez être ému, de voir votre maison et celles de vos amis
en proie aux flammes... Bon Dieu! quand sera-ce que les gens bornés
cesseront de vouloir tout apprécier? Laissant brûler votre maison,
vous mettiez M. de Choiseul dans la nécessité de vous indemniser.
L'expérience a prouvé la justesse de vos calculs: on vous remit bien
au-delà de l'évalué des pertes. Il est vrai que l'on se plaint que vous
gardâtes tout pour vous, ne donnant qu'une bagatelle aux misérables que
vous aviez séduits. Pour justifier si vous l'avez dû faire, il ne s'agit
que de savoir si vous l'avez pu faire avec sûreté. Or, de pauvres gens,
qui avaient si besoin de votre protection, n'étaient ni dans le cas de
réclamer, ni même dans celui de connaître bien clairement le tort qu'on
leur faisait. Ils ne pouvaient pas faire les mécontens, et se révolter
contre votre autorité: en horreur à leurs compatriotes, leur retour
n'eût pas été plus sincère. Il est donc bien naturel qu'ayant ainsi
trouvé quelques milliers d'écus, vous ne les ayez pas laissé échapper:
c'eût été une duperie.

Les Français, battus malgré leur or, leurs brevets, la discipline de
leurs nombreux bataillons, la légèreté de leurs escadrons, l'adresse de
leurs artilleurs; défaits à la Penta, à Vescovato, à Loretto, à
San-Nicolao, à Borgo, à Barbaggio, à Oletta, se retranchèrent
excessivement découragés. L'hiver, le moment de leur repos, fut pour
vous, monsieur, celui du plus grand travail; et si vous ne pûtes
triompher de l'obstination des préjugés profondément enracinés dans
l'esprit du peuple, vous parvîntes à en séduire quelques chefs, auxquels
vous réussîtes, quoique avec peine, à inculquer les bons sentimens; ce
qui, joint aux trente bataillons qu'au printemps suivant M. de Vaux
conduisît avec lui, soumit la Corse au joug, obligea Paoli et les plus
fanatiques à la retraite.

Une partie des patriotes étaient morts en défendant leur indépendance;
l'autre avait fui une terre proscrite, désormais hideux nid des tyrans.
Mais un grand nombre n'avaient dû ni mourir ni fuir: ils furent l'objet
des persécutions. Des âmes que l'on n'avait pu corrompre étaient d'une
autre trempe: l'on ne pouvait asseoir l'empire français que sur leur
anéantissement absolu. Hélas! ce plan ne fut que trop ponctuellement
exécuté. Les uns périrent victimes des crimes qu'on leur supposa; les
autres, trahis par l'hospitalité, par la confiance, expièrent sur
l'échafaud les soupirs, les larmes surprises à leur dissimulation; un
grand nombre, entassés par Narbonne-Fridzelar dans la tour de Toulon;
empoisonnés par les alimens, tourmentés par leurs chaînes; accablés par
les plus indignes traitemens; ils ne vécurent quelque temps dans leurs
soupirs, que pour voir la mort s'avancer à pas lents... Dieu, témoin de
leur innocence, comment ne te rendis-tu pas leur vengeur!

Au milieu de ce désastre général, au sein des cris et des gémissemens de
cet infortuné peuple, vous, cependant, commençâtes à jouir du fruit de
vos peines: honneurs, dignités, pensions, tout vous fut prodigué. Vos
prospérités se seraient encore plus rapidement accrues, lorsque la
Dubarri culbuta M. de Choiseul, vous priva d'un protecteur, d'un
appréciateur de vos services. Ce coup ne vous découragea pas: vous vous
tournâtes du côté des bureaux; vous sentîtes seulement la nécessité
d'être plus assidu. Ils en furent flattés: vos services étaient si
notoires! Tout vous fut accordé. Non content de l'étang de Biguglia,
vous demandâtes une partie des terres de plusieurs communautés. Pourquoi
les en vouliez-vous dépouiller, dit-on? Je demande, à mon tour, quels
égards deviez-vous avoir pour une nation que vous saviez vous détester?

Votre projet favori était de partager l'île entre dix barons. Comment!
non content d'avoir aidé à forger les chaînes où votre patrie était
retenue, vous vouliez encore l'asujétir à l'absurde régime féodal! Mais
je vous loue d'avoir fait aux Corses le plus de mal que vous pouviez:
vous étiez dans un état de guerre avec eux; et, dans l'état de guerre,
faire le mal pour son profit est un axiôme.

Mais passons sur toutes ces misères-là: arrivons au moment actuel, et
finissons une lettre qui, par son épouvantable longueur, ne peut manquer
de vous fatiguer.

L'état des affaires de France présageait des événemens extraordinaires.
Vous en craignîtes le contre-coup en Corse. Le même délire dont nous
étions possédés avant la guerre, à votre grand scandale, commença à
_ématir_ cet aimable peuple. Vous en comprîtes les conséquences; car, si
les grands sentimens maîtrisaient l'opinion, vous ne deveniez plus qu'un
traître, au lieu d'un homme de bon sens. Pis encore; si les grands
sentimens revenaient à agiter le sang de nos chauds compatriotes; si
jamais un gouvernement national s'ensuivait; que deveniez-vous? Votre
conscience alors commença à vous épouvanter: inquiet, affligé, vous ne
vous y abandonnâtes pas; vous résolûtes de jouer le tout pour le tout,
mais vous le fîtes en homme de tête. Vous vous mariâtes, pour accroître
vos appuis. Un honnête homme qui avait, sur votre parole, donné sa soeur
à votre neveu, se trouva abusé. Votre neveu, dont vous aviez englouti
le patrimoine pour accroître un héritage qui devait être le sien, s'est
trouvé réduit dans la misère avec une nombreuse famille.

Vos affaires domestiques arrangées, vous jetâtes un coup d'oeil sur le
pays: vous le vîtes fumant du sang de ses martyrs, jonché de victimes
multipliées, n'inspirer à tous pas, que des idées de vengeance. Mais
vous y vîtes l'atroce militaire, l'impertinent robin, l'avide publicain,
y régner sans contradictions, et le Corse accablé sous ses triples
chaînes, n'oser ni penser à ce qu'il fut, ni réfléchir sur ce qu'il
pouvait être encore. Vous vous dîtes, dans la joie de votre coeur: les
choses vont bien, il ne s'agit que de les maintenir; et aussitôt vous
vous liguâtes avec le militaire, le robin et le publicain. Il ne fut
plus question que de s'occuper à avoir des députés qui fussent animés
par ces sentimens; car pour vous, vous ne pouviez pas soupçonner qu'une
nation, votre ennemie, vous choisît pour la représenter. Mais vous dûtes
changer d'opinion, lorsque les lettres de convocation, par une absurdité
peut-être faite à dessein, déterminèrent que le député de la noblesse
serait nommé dans une assemblée composée seulement de vingt-deux
personnes: il ne s'agissait que d'obtenir douze suffrages, Vos
co-associés du conseil supérieur travaillèrent avec activité: menaces,
promesses, caresses, argent, tout fut mis en jeu: vous réussîtes. Les
vôtres ne furent pas si heureux dans les communes: le premier président
échoua; et deux hommes exaltés dans leurs idées, l'un fils, frère,
neveu des plus zélés défenseurs de la cause commune; l'autre avait vu
Sionville et Narbonne; en gémissant sur son impuissance, son esprit
était plein des horreurs qu'il avait vu commettre: ces deux hommes
furent proclamés, et rencontrèrent le voeu de la nation, dont ils
devinrent l'espoir. Le dépit secret, la rage que votre nomination fit
dévorer à tous, fait l'éloge de vos manoeuvres et du crédit de votre
ligue.

Arrivé Versailles, vous fûtes zélé royaliste: arrivé à Paris, vous dûtes
voir avec un sensible chagrin que le gouvernement que l'on voulait
organiser sur tant de débris, était le même que celui que l'on avait
chez nous noyé dans tant de sang.

Les efforts des méchans furent impuissans: la nouvelle constitution,
admirée de l'Europe, et devenue la sollicitude de tout être pensant; il
ne vous resta plus qu'une ressource; ce fut de faire croire que cette
constitution ne convenait pas à notre île, quand elle était exactement
la même que celle qui opéra de si bons effets, et qu'il fallut tant de
sang pour nous l'arracher.

Tous les délégués de l'ancienne administration, qui entraient
naturellement dans votre cabale, vous servirent avec toute la chaleur de
l'intérêt personnel: l'on dressa des mémoires où l'on prétendit prouver
l'avantage dont était pour nous le gouvernement actuel, et où l'on
établissait que tout changement contrarierait le voeu de la nation. Dans
ce même temps, la ville d'Ajaccio eut indice de ce qui se tramait:
elle leva le front, forma sa garde nationale, organisa son comité. Cet
incident inattendu vous alarma: la fermentation se communiquait partout.
Vous persuadâtes aux ministres, sur qui vous aviez pris de l'ascendant
pour les affaires de Corse, qu'il était éminent d'y envoyer votre
beau-père, M. Gaffory, avec un commandement; et voici M. Gaffory, digne
précurseur de M. Narbonne, qui prétend, à la tête de ses troupes,
maintenir par la force, la tyrannie que feu son père, de glorieuse
mémoire, avait combattue et confondue par son génie. Des bévues sans
nombre ne permirent pas de dissimuler la médiocrité des talens de
votre beau-père: il n'avait que l'art de se faire des ennemis. L'on se
ralliait de tous côtés contre lui. Dans ce pressant danger, vous levâtes
vos regards, et vîtes Narbonne! Narbonne, mettant à profit un moment de
faveur, avait projeté de fixer dans une île qu'il avait dévastée par des
cruautés inouies, le despotisme qui le rongeait. Vous vous concertâtes:
le projet est arrêté; cinq mille hommes ont reçu les ordres; les brevets
pour accroître d'un bataillon le régiment provincial, sont expédiés;
Narbonne est parti. Cette pauvre nation, sans armes, sans courage, est
livrée, sans espoir et sans ressource, aux mains de celui qui en fut le
bourreau.

O infortunés compatriotes! de quelle trame odieuse alliez-vous être
victimes? Vous vous en seriez aperçu, lorsqu'il n'eût plus été temps.
Quel moyen de résister, sans armes, à dix mille hommes? Vous eussiez
vous-mêmes signé l'acte de votre avilissement: l'espoir se serait enfui,
l'espérance éteinte; et des jours de malheur se seraient succédés sans
interruption. La France libre vous eût regardée avec mépris; l'Italie
affligée, avec indignation; et l'Europe étonnée de ce degré sans exemple
d'avilissement, eût effacé de ses annales, les traits qui font honneur
à votre vertu. Mais vos députés des communes pénétrèrent le projet, et
vous avertirent à temps. Un roi qui ne désira jamais que le bonheur
de ses compatriotes, éclairé par M. Lafayette, ce constant ami de la
liberté, sut dissiper les intrigues d'un ministre perfide, que la
vengeance inspira toujours à vous nuire. Ajaccio montra de la résolution
dans son adresse, où était peint, avec tant d'énergie, l'état misérable
auquel vous avait réduit le plus oppressif des gouvernemens. Bastia,
engourdie jusqu'alors, se réveilla au bruit du danger, et prit les armes
avec cette résolution qui l'a toujours distinguée. Arena vint de Paris
en Balagne, plein de ces sentimens qui portent à tout entreprendre, à
n'estimer aucun danger. Les armes d'une main, les décrets de l'assemblée
nationale de l'autre, il fit pâlir les ennemis publics. Achille Meurati,
le conquérant de Caprara, qui porta la désolation jusque dans Gênes,
à qui il ne manqua, pour être un Turenne, que des circonstances et un
théâtre plus vaste, fit ressouvenir aux compagnons de sa gloire, qu'il
était temps d'en acquérir encore; que la patrie en danger avait besoin,
non d'intrigues où il ne s'entendit jamais, mais du fer et du feu. Au
bruit d'une secousse si générale, Gaffory rentra dans le néant, d'où,
mal à propos, l'intrigue l'avait fait sortir: il trembla dans la
forteresse de Corte. Narbonne, de Lyon, courut ensevelir dans Rome,
sa honte et ses projets infernaux. Peu de jours après, la Corse est
intégrée à la France, Paoli rappelé, et dans un instant la perspective
change, et vous offre une carrière que vous n'eussiez jamais osé
espérer.

Pardonnez, monsieur, pardonnez: j'ai pris la plume pour vous défendre;
mais mon coeur s'est violemment révolté contre un système si suivi
de trahison et d'horreur. Eh quoi! fils de cette même patrie, ne
sentîtes-vous jamais rien pour elle? Eh quoi! votre coeur fut-il donc
sans mouvement à la vue des rochers, des arbres, des maisons, des sites,
théâtres des jeux de votre enfance? Arrivé au monde, elle vous porta sur
son sein, elle vous nourrit de ses fruits: arrivé à l'âge de raison,
elle mit en vous son espoir; elle vous honora de sa confiance, elle vous
dit: «Mon fils, vous voyez l'état de misère où m'a réduite l'injustice
des hommes: concentrée dans ma chaleur, je reprends des forces qui me
promettent un prompt et infaillible rétablissement: mais l'on me menace
encore? Volez, mon fils, volez à Versailles, éclairez le grand roi,
dissipez ses soupçons, demandez-lui son amitié.»

Hé bien! un peu d'or vous fit trahir sa confiance; et bientôt, pour un
peu d'or, l'on vous vit, le fer parricide à la main, entre-déchirer ses
entrailles. Ah! monsieur, je suis loin de vous désirer du mal; mais
craignez...; il est des remords vengeurs! Vos compatriotes, à qui vous
êtes en horreur, éclaireront la France. Les biens, les pensions, fruit
de vos trahisons, vous seront ôtés. Dans la décrépitude de la vieillesse
et de la misère, dans l'affreuse solitude du crime, vous vivrez assez
longtemps pour être tourmenté par votre conscience. Le père vous
montrera à son fils, le précepteur à son élève, en leur disant: «Jeunes
gens, apprenez à respecter la patrie, la vertu, la foi, l'humanité.»

Et vous, de qui l'on prostitua la jeunesse, les grâces et l'innocence,
votre coeur pur et chaste palpite donc sous une main criminelle? femme
respectable et infortunée! Dans ces momens que la nature commande à
l'amour, lorsqu'arrachés aux chimères de la vie, des plaisirs sans
mélange se succèdent rapidement; lorsque l'âme, agrandie par le feu du
sentiment, ne jouit que de faire jouir, ne sent que de faire sentir;
vous pressez contre votre coeur, vous vous identifiez à l'homme froid, à
l'égoïste qui ne se démentit jamais, et qui, dans le cours de soixante
ans, ne connut que les calculs de son intérêt, l'instinct de la
destruction, l'avidité la plus infâme, les plaisirs, les vils plaisirs
des sens! Bientôt la cohue des honneurs, les lambris de l'opulence, vont
disparaître; le mépris des hommes vous accablera. Chercherez-vous dans
le sein de celui qui en est l'auteur, une consolation indispensable à
votre âme douce et aimante? Chercherez-vous sur ses yeux, des larmes
pour mélanger aux vôtres? Votre main défaillante, placée sur son sein,
cherchera-t-elle à se retracer l'agitation du vôtre? Hélas! si vous lui
surprenez des larmes, ce seront celles du remords: si son sein s'agite,
ce sera des convulsions du méchant qui meurt en abhorrant la nature, lui
et la main qui le guide.

0 Lameth! ô Robespierre! ô Peithyon! ô Volney! ô Mirabeau! ô Barnave!
ô Bailly! ô Lafayette! voilà l'homme qui ose s'asseoir à côté de vous!
tout dégouttant du sang de ses frères, souillé par des crimes de toute
espèce, il se présente avec confiance sous une veste de général, inique
récompense de ses forfaits! il ose se dire représentant de la nation,
lui qui la vendit, et vous le souffrez! il ose lever les yeux, prêter
les oreilles à vos discours, et vous le souffrez! Si c'est la voix du
peuple, il n'eut jamais que celle de douze nobles; si c'est la voix
du peuple, Ajaccio, Bastia, et la plupart des cantons ont fait à son
effigie, ce qu'ils eussent voulu faire à sa personne.

Mais vous, que l'erreur du moment, peut-être les abus de l'instant,
portent à vous opposer aux nouveaux changemens; pourrez-vous souffrir un
traître? celui qui, sous l'extérieur froid d'un homme sensé, renferme,
cache une avidité de valet? je ne saurais l'imaginer. Vous serez les
premiers à le chasser ignominieusement, dès que l'on vous aura instruits
du tissu d'horreurs dont il a été l'artisan.

J'ai l'honneur, etc.

BUONAPARTE.



De mon cabinet de Millelli, le 23 janvier, l'an II.

TRADUCTION

_De la lettre du Président du Club patriotique d'Ajaccio._

MONSIEUR,

Le club patriotique ayant pris connaissance de l'écrit où vous dévoilez
avec autant de finesse que de force et de vérité, les menées obscures de
l'infâme Buttafoco[3], en a voté l'impression. Il m'a chargé, par une
délibération dont je vous envoie copie, de vous prier d'y donner votre
assentiment: il juge l'impression de cet écrit utile au bien public.
C'est une raison qui ne vous permet point d'excuse.

Je suis, etc. MASSÉRIA,

_Président du club patriotique._

[Footnote 3: Le club patriotique, profondément indigné de la conduite
criminelle et scandaleuse, de l'impudence sans exemple, de la calomnie
la plus atroce, que ce député de la défunte noblesse a osé afficher,
même dans la tribune de l'Assemblée nationale; considérant que
journellement, dans des brochures, il ne cesse de déchirer son pays et
tout ce qu'il a de plus précieux; a arrêté, que désormais il ne serait
plus appelé que _l'infâme Buttafoco_.

(_Extrait des procès-verbaux des séances de la Société patriotique._)]



LE SOUPER

DE BEAUCAIRE

Je me trouvais à Beaucaire le dernier jour de la foire; le hasard me fit
avoir pour convives à souper, deux négocians marseillais, un Nimois et
un fabricant de Mont-Sellier. Après plusieurs momens employés à nous
reconnaître, l'on sut que je venais d'Avignon, et que j'étais militaire.
Les esprits de mes convives, qui avaient été toute la semaine fixés sur
le cours du négoce qui accroît les fortunes, l'étaient dans ce moment
sur l'issue des événemens présens, d'où en dépend la conservation; ils
cherchaient à connaître mon opinion, pour, en la comparant à la leur,
pouvoir se rectifier et acquérir des probabilités sur l'avenir, qui nous
affectait différemment; les Marseillais surtout paraissaient être moins
pétulans: l'évacuation d'Avignon leur avait appris à douter de tout; il
ne leur restait qu'une grande sollicitude sur leur sort: la confiance
nous eut bientôt rendu babillards, et nous commençâmes un entretien à
peu près en ces termes.

LE NIMOIS.

L'armée de Cartaux est-elle forte? L'on dit qu'elle a perdu bien du
monde à l'attaque; mais s'il est vrai qu'elle ait été repoussée,
pourquoi les Marseillais ont-ils évacué Avignon?

LE MILITAIRE.

L'armée était forte de 4,000 hommes lorsqu'elle a attaqué Avignon, elle
est aujourd'hui à 6,000 hommes, elle sera avant quatre jours à 10,000
hommes; elle a perdu cinq hommes et quatre blessés; elle n'a point été
repoussée, puisqu'elle n'a fait aucune attaque en forme: elle a voltigé
autour de la place, a cherché à forcer les portes, en y attachant des
pétards; elle a tiré quelques coups de canon pour essayer la contenance
de la garnison; elle a dû ensuite se retirer dans son camp pour combiner
son attaque pour la nuit suivante. Les Marseillais étaient 3,600 hommes;
ils avaient une artillerie plus nombreuse et de plus fort calibre, et
cependant ils ont été contraints à repasser la Durance; cela vous étonne
beaucoup: mais c'est qu'il n'appartient qu'à de vieilles troupes de
résister aux incertitudes d'un siège; nous étions maîtres du Rhône, de
Villeneuve et de la campagne, nous eussions intercepté toutes leurs
communications. Ils ont dû évacuer la ville; la cavalerie les a
poursuivis dans leur retraite; ils ont eu beaucoup de prisonniers et ont
perdu deux pièces de canon.

LE MARSEILLAIS.

Ce n'est pas là la relation que l'on nous a donnée; je ne veux pas vous
le contester, puisque vous étiez présent; mais avouez que cela ne vous
conduira à rien: notre armée est à Aix, trois bons généraux sont venus
remplacer les premiers; on lève à Marseille de nouveaux bataillons, nous
avons un nouveau train d'artillerie, plusieurs pièces de 24; sous peu
de jours nous serons dans le cas de reprendre Avignon, ou du moins nous
resterons maîtres de la Durance.

LE MILITAIRE.

Voilà ce que l'on vous dit pour vous entraîner dans le précipice qui
s'approfondit à chaque instant, et qui peut-être engloutira la plus
belle ville de la France, celle qui a le plus mérité des patriotes;
mais l'on vous a dit aussi que vous traverseriez la France, que vous
donneriez le ton à la république, et vos premiers pas ont été des
échecs; l'on vous a dit qu'Avignon pouvait résister long-temps à 20,000
hommes, et une seule colonne de l'armée, sans artillerie de siège, dans
vingt-quatre heures, en a été maîtresse; l'on vous a dit que le Midi
était levé, et vous vous êtes trouvés seuls; l'on vous a dit que la
cavalerie nimoise allait écraser les Allobroges, et ceux-ci étaient déjà
au Saint-Esprit et à Villeneuve; l'on vous a dit que 4,000 Lyonnais
étaient en marche pour vous secourir, et les Lyonnais négociaient
leur accommodement; reconnaissez donc que l'on vous trompe, concevez
l'impéritie de vos meneurs, et méfiez-vous de leurs calculs; le plus
dangereux conseiller, c'est l'amour-propre: vous êtes naturellement
vifs, l'on vous conduit à votre perte par le même moyeu qui a ruiné tant
de peuples, en exaltant votre vanité, vous avez des richesses et une
population considérables, l'on vous les exagère; vous avez rendu des
services éclatans à la liberté, l'on vous les rappelle, sans faire
attention que le génie de la république était avec vous alors, au lieu
qu'il vous abandonne aujourd'hui; votre armée, dites-vous, est à Aix
avec un grand train d'artillerie et de bons généraux; eh bien, quoi
qu'elle fasse, je vous assure qu'elle sera battue; vous aviez 3,600
hommes, une bonne moitié s'est dispersée; Marseille et quelques réfugiés
du département peuvent vous offrir 4,000 hommes: cela est beaucoup;
vous aurez donc 5 à 6,000 hommes sans ensemble, sans unité, sans être
aguerris; vous avez de bons généraux; je ne les connais pas; je ne puis
donc leur contester leur habileté, mais ils seront absorbés par les
détails, ne seront pas secondés par les subalternes, ils ne pourront
rien faire qui soutienne la réputation qu'ils pourraient s'être acquise,
car il leur faudrait deux mois pour organiser passablement leur armée,
et dans quatre jours Carteaux sera au-delà de la Durance, et avec quels
soldats! avec l'excellente troupe légère des Allobroges, le vieux
régiment de Bourgogne, un bon régiment de cavalerie, le Brave bataillon
de la Côte-d'Or, qui a vu cent fois la victoire le précéder dans
les combats, et six ou sept autres corps, tous de vieilles milices,
encouragés par leurs succès aux frontières, et sur votre armée; vous
avez des pièces de 24, et de 18, et vous vous croyez inexpugnables, vous
suivez l'opinion vulgaire; mais, les gens du métier vous diront, et une
fatale expérience va vous le démontrer, que de bonnes pièces de 4 et de
8 font autant d'effet, pour la guerre de campagne, et sont préférables
sous bien des points de vue aux gros calibres; vous avez des canonniers
de nouvelle levée, et vos adversaires ont des artilleurs des régimens de
ligne, qui sont, dans leur art, les maîtres de l'Europe. Que fera votre
armée si elle se concentre à Aix? Elle est perdue: c'est un axiome dans
l'art militaire, que celui qui reste dans ses retranchemens est battu:
l'expérience et la théorie sont d'accord sur ce point, et les murailles
d'Aix ne valent pas le plus mauvais retranchement de campagne, surtout
si l'on fait attention à leur étendue, aux maisons qui les environnent
extérieurement à la portée du pistolet. Soyez donc bien sûrs que ce
parti, qui vous semble le meilleur, est le plus mauvais; comment
pourrez-vous d'ailleurs approvisionner la ville en si peu de temps de
tout ce qu'elle aurait besoin? Votre armée ira-t-elle à la rencontre des
ennemis, mais elle est moins nombreuse, mais son artillerie est moins
propre pour la campagne, elle serait rompue, dès lors défaite sans
ressource, car la cavalerie l'empêchera de se rallier; attendez-vous
donc à avoir la guerre dans le territoire de Marseille: un parti assez
nombreux y tient pour la république; ce sera le moment de l'effort;
la jonction se fera; et cette ville, le centre du commerce du Levant,
l'entrepôt du midi de l'Europe, est perdue. Souvenez-vous de l'exemple
récent de Lisle[4], et des lois barbares de la guerre. Mais quel esprit
de vertige s'est tout-à-coup emparé de votre peuple? quel aveuglement
fatal le conduit à sa perte? comment peut-il prétendre résister à la
république entière? Quand il obligerait cette armée à se replier sur
Avignon, peut-il douter que sous peu de jours de nouveaux combattans
ne viennent remplacer les premiers: la république, qui donne la loi à
l'Europe, la recevra-t-elle de Marseille?


[Footnote 4: Lisle, petite ville du département de Vaucluse, à 4 lieues
à l'_est_ Avignon, avant résisté à l'armée de Cartaux, fut emportée de
force le 26 juillet 1793.]

Unis avec Bordeaux, Lyon, Montpellier, Nîmes, Grenoble, le Jura,
l'Eure, le Calvados, vous avez entrepris une révolution, vous aviez une
probabilité de succès, vos instigateurs pouvaient être mal intentionnés,
mais vous aviez une masse imposante de forces; au contraire, aujourd'hui
que Lyon, Nîmes, Montpellier, Bordeaux, le Jura, l'Eure, Grenoble, Caen,
ont reçu la constitution, aujourd'hui qu'Avignon, Tarascon, Arles ont
plié, avouez qu'il y a dans votre opiniâtreté de la folie; c'est que
vous êtes influencés par des personnes, qui n'ayant plus rien à ménager,
vous entraînent dans leur ruine.

Votre armée sera composée de tout ce qu'il y aura de plus aisés, des
riches de votre ville, car les sans-culottes pourraient trop facilement
tourner contre vous. Vous allez donc compromettre l'élite de votre
jeunesse accoutumée à tenir la balance commerciale de la Méditerranée,
et à vous enrichir par leur économie et leurs spéculations, contre de
vieux soldats, cent fois teints du sang du furibond aristocrate ou du
féroce Prussien.

Laissez les pays pauvres se battre jusqu'à la dernière extrémité:
l'habitant du Vivarais, des Cévènes, de la Corse, s'expose sans crainte
à l'issue d'un combat: s'il gagne, il a rempli son but; s'il perd, il
se trouve comme auparavant dans le cas de faire la paix et dans la même
position... Mais vous!!... perdez une bataille, et le fruit de mille ans
de fatigues, de peines, d'économies, de bonheur, devient la proie du
soldat.

Voilà cependant les risques que l'on vous fait courir avec autant
d'inconsidération.

LE MARSEILLAIS.

Vous allez vite et vous m'effrayez; je conviens avec vous que la
circonstance est critique, peut-être vraiment ne songe-t-on pas assez à
la position où nous nous trouvons; mais avouez que nous avons encore des
ressources immenses à vous opposer.

Vous m'avez persuadé que nous ne pourrions pas résister à Aix, votre
observation du défaut de subsistance pour un siège de longue durée, est
peut-être sans réplique; mais pensez vous que toute la Provence
peut voir long-temps de sang-froid, le blocus d'Aix; elle se lèvera
spontanément, et votre armée, cernée de tout côté, se trouvera heureuse
de repasser la Durance.

LE MILITAIRE.

Que c'est mal connaître l'esprit des hommes et celui du moment; partout
il y a deux partis; dès le moment que vous serez assiégés, le parti
sectionnaire aura le dessous dans toutes les campagnes; l'exemple de
Tarascon, d'Orgon, d'Arles, doit vous en convaincre: vingt dragons ont
suffi pour rétablir les anciens administrateurs et mettre les autres en
déroute.

Désormais, tout grand mouvement en votre faveur est impossible dans
votre département, il pouvait avoir lieu lorsque l'armée était au-delà
de la Durance et que vous étiez entiers; à Toulon, les esprits sont
très-divisés, et les sectionnaires n'y ont pas la même supériorité qu'à
Marseille, il faut donc qu'ils restent dans leur ville, pour contenir
leurs adversaires... Quant au département des Basses-Alpes, vous savez
que presque la totalité a accepté la constitution.

LE MARSEILLAIS.

Nous attaquerons Carteaux dans nos montagnes où sa cavalerie ne lui sera
d'aucun secours.

LE MILITAIRE.

Comme si une armée qui protège une ville était maîtresse du point
d'attaque; d'ailleurs il est faux qu'il existe des montagnes assez
difficiles auprès de Marseille pour rendre nul l'effet de la cavalerie;
seulement, vos oliviers sont assez rapides pour rendre plus embarrassant
le service de l'artillerie et donner un grand avantage à vos ennemis.
Car, c'est dans les pays coupés, que par la vivacité des mouvemens,
l'exactitude du service et la justesse de l'élévation des distances, que
le bon artilleur a de la supériorité.

LE MARSEILLAIS.

Vous nous croyez donc sans ressources: serait-il possible qu'il fût dans
la destinée de cette ville qui résista aux Romains, conserva une partie
de ses lois sous les despotes qui les ont suivis, qu'elle devînt la
proie de quelques brigands? Quoi! l'Allobroge chargé des dépouilles de
Lisle, ferait la loi dans Marseille! quoi! Dubois de Crancé, Albitte,
seraient sans contradicteurs! ces hommes altérés de sang, que les
malheurs des circonstances ont placés au timon des affaires, seraient
les maîtres absolus! Quelle triste perspective vous m'offrez. Nos
propriétés, sous différens prétextes, seraient envahies; à chaque
instant nous serions victimes d'une soldatesque que le pillage réunit
sous les mêmes drapeaux. Nos meilleurs citoyens seraient emprisonnés et
périraient par le crime. Le club relèverait sa tête monstrueuse pour
exécuter ses projets infernaux! rien de pis que cette horrible idée;
mieux vaut-il s'exposer à vaincre que d'être victime sans alternative.

LE MILITAIRE.

Voilà ce que c'est que la guerre civile, l'on se déchire, l'on
s'abhorre, l'on se tue sans se connaître... Les Allobroges... Que
croyez-vous que ce soit? des Africains, des habitans de la Sibérie: eh!
point du tout, ce sont vos compatriotes, des Provençaux, des Dauphinois,
des Savoyards: on les croit barbares parce que leur nom est étranger.
Si l'on appelait votre phalange, la phalange phocéenne, l'on pourrait
accréditer sur son compte toute espèce de fable.

Il est vrai que vous m'avez rappelé un fait, c'est celui de Lisle, je ne
le justifie pas, mais je l'explique.

Les Lislois ont tué le trompette qu'on leur avait envoyé, ils ont
résisté sans espérance de succès, ils ont été pris d'assaut, le soldat
est entré au milieu du feu et des morts, il n'a plus été possible de le
contenir, l'indignation a fait le reste.

Ces soldats que vous appelez brigands, sont nos meilleures troupes et
nos bataillons les plus disciplinés, leur réputation est au-dessus de la
calomnie.

Dubois-Crancé et Albitte, constans amis du peuple, ils n'ont jamais
dévié de la ligne droite.... Ils sont scélérats aux yeux des mauvais.
Mais Condorcet, Brissot, Barbaroux aussi étaient scélérats lorsqu'ils
étaient purs; l'apanage des bons, sera d'être toujours mal famés chez le
méchant. Il vous semble qu'ils ne gardent aucune mesure avec vous; et au
contraire, ils vous traitent en enfans égarés........ Pensez-vous que,
s'ils eussent voulu, Marseille eût retiré les marchandises qu'elle avait
à Beaucaire? ils pouvaient les séquestrer jusqu'à l'issue de la guerre?
ils ne l'ont pas voulu faire, et, grâce à eux, vous pouvez retourner
tranquillement chez vous.

Vous appelez Carteaux un assassin: eh bien! sachez que ce général se
donne les plus grandes sollicitudes pour l'ordre et la discipline,
témoin sa conduite au Saint-Esprit et à Avignon: l'on n'a pas pris une
épingle. Il a fait emprisonner un sergent qui s'était permis d'arrêter
un Marseillais de votre armée qui était resté dans une maison, parce
qu'il avait violé l'asile du citoyen sans un ordre exprès. L'on a puni
des Avignonnais qui s'étaient permis de désigner une maison comme
aristocrate. L'on instruit le procès d'un soldat accusé de vol.....
Votre armée, au contraire, a tué, assassiné plus de trente personnes, a
violé l'asile des familles, a rempli les prisons de citoyens, sous le
prétexte vague qu'ils étaient des brigands.

Ne vous effrayez point de l'armée, elle estime Marseille, parce qu'elle
sait qu'aucune ville n'a tant fait de sacrifices à la chose publique;
vous avez dix-huit mille hommes à la frontière et vous ne vous êtes
point ménagés dans toutes les circonstances. Secouez le joug du petit
nombre d'aristocrates qui vous conduisent, reprenez des principes plus
sains, et vous n'aurez pas de plus vrais amis que le soldat.

LE MARSEILLAIS.

Ah! vos soldats ont bien dégénéré de l'armée de 1789; elle ne voulut
pas, cette armée, prendre les armes contre la nation, les vôtres
devaient imiter un si bel exemple, et ne pas tourner leurs armes contre
leurs concitoyens.

LE MILITAIRE.

Avec ces principes, la Vendée aurait aujourd'hui planté le drapeau blanc
sur les murs de la Bastille relevée, et le camp de Jalès dominerait à
Marseille.

LE MARSEILLAIS.

La Vendée veut un roi, veut une contre-révolution; la guerre de la
Vendée, du camp de Jalès est celle du fanatisme; la nôtre, au contraire,
est celle des vrais républicains, amis des lois, de l'ordre, ennemis de
l'anarchie et des scélérats. N'avons-nous pas le drapeau tricolore? Et
quel intérêt aurions-nous à vouloir l'esclavage?

LE MILITAIRE.

Je sais bien que le peuple de Marseille est bien loin de celui de la
Vendée, en fait de contre-révolution. Le peuple de la Vendée est robuste
et sain, celui de Marseille est faible et malade, il a besoin de miel
pour avaler la pilule; pour y établir la nouvelle doctrine, l'on a
besoin de le tromper; mais depuis quatre ans de révolution, après tant
de trames, de complots, de conspiration, toute la perversité humaine
s'est développée sous différens aspects, les hommes ont perfectionné
leur tact naturel; cela est si vrai, que, malgré la coalition
départementale, malgré l'habileté des chefs, le grand nombre des
ressorts de tous les ennemis de la révolution, le peuple partout s'est
réveillé au moment où on le croyait ensorcelé.

Vous avez, dites-vous, le drapeau tricolore?

Paoli aussi l'arbora en Corse pour avoir le temps de tromper le peuple,
d'écraser les vrais amis de la liberté, pour pouvoir entraîner ses
compatriotes dans ses projets ambitieux et criminels; il arbora le
drapeau tricolore, et il fit tirer contre les bâtimens de la république,
et il fit chasser nos troupes des forteresses, et il désarma celles qui
y étaient, et il fit des rassemblemens pour chasser celles qui étaient
dans l'île, et il pilla les magasins, en vendant à bas prix tout ce
qu'il y avait, afin d'avoir de l'argent pour soutenir sa révolte, et
il ravagea et confisqua les biens des familles les plus aisées, parce
qu'elles étaient attachées à l'unité de la république, et il se fit
nommer généralissime, et il déclara ennemis de la patrie, tous ceux
qui resteraient dans nos armées: il avait fait précédemment échouer
l'expédition de Sardaigne; et cependant, il avait l'impudeur de se
dire l'ami de la France et bon républicain, et cependant, il trompa la
convention qui rapporta son décret de destitution; il fit si bien enfin,
que lorsqu'il a été démasqué, par ses propres lettres, trouvées à Calvi,
il n'était plus temps, les flottes ennemies interceptaient toutes les
communications.

Ce n'est plus aux paroles qu'il faut s'en, tenir, il faut analyser les
actions; et avouez qu'en appréciant les vôtres, il est facile de vous
démontrer contre-révolutionnaires.

Quel effet a produit dans la république le mouvement que vous avez fait?
Vous l'avez conduite près de sa ruine; vous avez retardé les opérations
de nos armées; je ne sais pas si vous êtes payés par l'Espagnol et
l'Autrichien; mais certes, ils ne pouvaient pas désirer de plus fortes
diversions: que feriez,-vous de plus, si vous l'étiez? Vos succès sont
l'objet des sollicitudes de tous les aristocrates reconnus; vous avez
placé à la tête de vos sections et de vos armées, des aristocrates
avoués, un Latcurette, ci-devant colonel, un Soumise, ci-devant
lieutenant-colonel du génie., qui ont abandonné leurs corps, au moment
de la guerre, pour ne pas se battre pour la liberté des peuples.

Vos bataillons sont pleins de pareilles gens, et votre cause ne serait
pas la leur, si elle était celle de la république.

LE MARSEILLAIS.

Mais, Brissot, Barbaroux, Condorcet, Buzot, Vergniaux, sont-ils aussi
aristocrates? Qui a fondé la république? qui a renversé le tyran? qui a
enfin soutenu la patrie à l'époque périlleuse de la dernière campagne?

LE MILITAIRE

Je ne cherche pas si vraiment ces hommes qui avaient bien mérité du
peuple dans tant d'occasions, ont conspiré contre lui: ce qu'il me
suffit de savoir, c'est que la montagne, par esprit public ou par esprit
de parti, s'étant portée aux dernières extrémités contre eux, les ayant
décrétés, emprisonnés, je veux même vous le passer, les ayant calomniés,
les Brissotins étaient perdus, sans une guerre civile qui les mît dans
le cas de faire la loi à leurs ennemis. C'est donc pour eux vraiment que
votre guerre était utile: s'ils avaient mérité leur réputation première,
ils auraient jeté leurs armes à l'aspect de la constitution, ils
auraient sacrifié leurs intérêts au bien public; mais il est plus
facile de citer Decius que de l'imiter; ils se sont aujourd'hui rendus
coupables du plus grand de tous les crimes, ils ont par leur conduite
justifié leur décret... Le sang qu'ils ont fait répandre a effacé les
vrais services qu'ils avaient rendus.

LE FABRICANT DE MONTPELLIER.

Vous avez envisagé la question sous le point de vue le plus favorable à
ces messieurs; car il paraît prouvé que les Brissotins étaient vraiment
coupables; mais coupables ou non, nous ne sommes plus dans des siècles
où l'on se battait pour les personnes.

L'Angleterre a versé des torrens de sang pour les familles de Lancastre
et d'Yorck, la France pour les Lorrains et les Bourbons; serions-nous
encore à ces temps de barbarie!!!

LE NIMOIS.

Aussi, avons-nous abandonné les Marseillais, dès que nous nous sommes
aperçus qu'ils voulaient la contre-révolution, et qu'ils se battaient
pour des querelles particulières. Le masque est tombé dès qu'ils ont
refusé de publier la constitution, nous avons alors pardonné quelques
irrégularités à la montagne. Nous avons oublié Rabaud et ses jérémiades,
pour ne voir que la république naissante, environnée de la plus
monstrueuse des coalitions qui menace de l'étouffer à son berceau, pour
ne voir que la joie des aristocrates et l'Europe à vaincre.

LE MARSEILLAIS.

Vous nous avez lâchement abandonnés après nous avoir excités par des
députations éphémères.

LE NIMOIS.

Nous étions de bonne foi, et vous aviez le renard sous les aisselles;
nous voulions la république, nous avons dû accepter une constitution
républicaine. Vous étiez mécontens de la montagne et de la journée du 31
mai, vous deviez donc encore accepter la constitution pour la renvoyer,
et faire terminer sa mission.

LE MARSEILLAIS.

Nous voulons aussi la république, mais nous voulons que notre
constitution soit formée par des représentans libres dans leurs
opérations; nous voulons la liberté, mais nous voulons que ce soit des
représentans que nous estimons, qui nous la donnent; nous ne voulons pas
que notre constitution protège le pillage et l'anarchie. Notre
première condition est: point de club, point d'assemblées primaires si
fréquentes, respect aux propriétés.

LE FABRICANT DE MONTPELLIER.

Il est palpable, pour qui veut réfléchir, qu'une partie de Marseille
veut la contre-révolution, l'on avoue vouloir la république, mais c'est
un rideau que l'on rendrait tous les jours plus transparent; l'on vous
accoutumerait à voir la contre-révolution toute nue; déjà le voile qui
la couvrait n'était plus que de gaze, votre peuple était bon, mais avec
le temps on aurait perverti la masse, sans le génie de la révolution qui
veille sur elle.

Nos troupes ont bien mérité de la patrie pour avoir pris les armes
contre vous avec autant d'énergie, elles n'ont pas dû imiter l'armée
de 1789, puisque vous n'êtes pas la nation. Le centre d'unité est la
convention, c'est le vrai souverain, surtout lorsque le peuple se trouve
partagé.

Vous avez renversé toutes les lois, toutes les convenances. De quel
droit destituiez-vous votre département? Était-ce à Marseille qu'on
l'avait formé. De quel droit le bataillon de votre ville parcourt-il les
districts? De quel droit vos gardes nationales prétendaient-elles
entrer dans Avignon? Le district de cette ville était le premier
corps constitué, puisque le département était dissous? De quel droit
prétendiez-vous entrer sur le territoire de la Drôme? et pourquoi
croyez-vous que ce département n'ait pas le droit de requérir la force
publique pour le défendre? Vous avez donc confondu tous les droits,
vous avez établi l'anarchie, et puisque vous prétendez justifier vos
opérations par le droit de la force, vous êtes donc des brigands, des
anarchistes.

Vous aviez établi un gouvernement populaire, Marseille seul l'a nommé;
il est contraire à toutes les lois, ce ne peut être qu'un tribunal de
sang, puisque c'est le tribunal d'une faction; vous avez soumis par
la force, à ce tribunal, tout votre département. De quel droit? Vous
usurpez donc cette autorité, que vous reprochez injustement à Paris?
Votre comité des sections a reconnu des affiliations. Voilà donc une
coalition pareille à celle des clubs contre qui vous vous récriez; votre
comité a exercé des actes d'administration sur des communes du Var;
voilà donc la division territoriale méconnue.

Vous avez, à Avignon, emprisonné sans mandat, sans décret, sans
réquisition des corps administratifs; vous avez violé l'asyle des
familles, méconnu la liberté individuelle; vous avez, de sang-froid,
assassiné sur les places publiques; vous avez renouvelé les scènes
dont vous avez exagéré l'horreur, et qui ont affligé l'origine de la
révolution, sans informations, sans procès, sans connaître les victimes,
seulement sur la désignation de leurs ennemis; vous les avez prises,
arrachées à leurs enfans, traînées dans les rues, et les avez fait périr
sous les coups de sabre; l'on en compte jusqu'à trente que vous avez
ainsi sacrifiées; vous avez traîné la statue de la liberté dans la boue;
vous l'avez exécutée publiquement; elle a été l'objet des avanies de
toute espèce d'une jeunesse effrénée; vous l'avez lacérée à coups de
sabre, vous ne sauriez le nier; il était midi, plus de deux cents
personnes des vôtres assistaient à cette profanation criminelle; le
cortège a traversé plusieurs rues, est arrivé à la place de l'horloge,
etc., etc. J'arrête mes réflexions et mon indignation. Est-ce donc
ainsi que vous voulez la république? Vous avez retardé la marche de nos
armées, en arrêtant les convois; comment pouvoir se refuser à l'évidence
de tant de faits, et comment vous épargner le titre des ennemis de la
patrie?

LE MILITAIRE.

Il est de la dernière évidence que les Marseillais ont nui aux
opérations de nos armées, et voulaient détruire la liberté; mais ce
n'est pas ce dont il s'agit; la question est de savoir s'ils peuvent
espérer, et quel parti il leur reste à prendre?

LE MARSEILLAIS.

Nous avons moins de ressources que je ne pensais; mais l'on est bien
fort lorsqu'on est résolu à mourir, et nous le sommes plutôt que de
reprendre le joug des hommes qui gouvernent l'état; vous savez qu'un
homme qui se noie s'accroche à toutes les branches, aussi plutôt que de
nous laisser égorger, nous... Oui, nous avons tous pris part à cette
nouvelle révolution; nous nous ferions sacrifier par la vengeance. Il y
a deux mois que l'on avait conspiré pour égorger 4.000 de nos meilleurs
citoyens; jugez à quels excès on se porterait aujourd'hui... On se
ressouvient toujours de ce monstre qui était cependant un des principaux
du club; il fit lanterner un citoyen, pilla sa maison, et viola sa
femme, après lui avoir fait boire un verre du sang de son époux.

LE MILITAIRE.

Quelle horreur! mais ce fait est-il vrai? Je m'en méfie, car vous savez
que l'on ne croit plus au viol aujourd'hui...

LE MARSEILLAIS.

Oui, plutôt que de nous soumettre à de pareilles gens, nous nous
porterons à la dernière extrémité, nous nous donnerons aux ennemis, nous
appellerons les Espagnols; il n'y a point de peuple dont le caractère
soit moins compatible avec le nôtre; il n'y en a point de plus
haïssable. Jugez donc, par le sacrifice que nous ferons, de la
méchanceté des hommes que nous craignons.

LE MILITAIRE.

Vous donner aux Espagnols!!... Nous ne vous en donnerons pas le temps.

LE MARSEILLAIS.

On les signale tous les jours devant nos ports.

LE NIMOIS.

Pour voir lequel des fédérés ou de la montagne tient pour la république,
cette menace seule me suffit; la montagne a été un moment la plus
faible, la commotion paraissait générale. A-t-elle cependant jamais
parlé d'appeler les ennemis? Ne savez-vous pas que c'est un combat à
mort que celui des patriotes et des despotes de l'Europe? Si donc vous
espérez des secours de leur part, c'est que vos meneurs ont de bonnes
raisons pour en être accueillis, mais j'ai encore trop bonne opinion de
votre peuple, pour croire que vous soyez les plus forts à Marseille dans
l'exécution d'un si lâche projet.

LE MILITAIRE.

Pensez-vous que vous feriez un grand tort à la république, et que votre
menace soit bien effrayante? Évaluons-la.

Les Espagnols n'ont point de troupes de débarquement, leurs vaisseaux ne
peuvent pas entrer dans votre port: si vous appeliez les Espagnols, ça
pourrait être utile à vos meneurs pour se sauver avec une partie de leur
fortune; mais l'indignation serait générale dans toute la république;
vous auriez 60,000 hommes sur les bras avant huit jours, les Espagnols
emporteraient de Marseille ce qu'ils pourraient, et il en resterait
encore assez pour enrichir les vainqueurs.

Si les Espagnols avaient 30 ou 40,000 hommes sur leur flotte, tout prêts
à pouvoir débarquer, votre menace serait effrayante; mais, aujourd'hui,
elle n'est que ridicule, elle ne ferait que hâter votre ruine.

LE FABRICANT DE MONTPELLIER.

Si vous étiez capables d'une telle bassesse, il ne faudrait pas laisser
pierre sur pierre dans votre superbe cité, il faudrait que d'ici à un
mois le voyageur, passant sur vos ruines, vous crût détruits depuis cent
ans.

LE MILITAIRE.

Croyez-moi, Marseillais, secouez le joug du petit nombre de scélérats
qui vous conduisent à la contre-révolution; rétablissez vos autorités
constituées; acceptez la constitution; rendez la liberté aux
représentans; qu'ils aillent à Paris intercéder pour vous; vous avez été
égarés, il n'est pas nouveau que le peuple le soit par un petit
nombre de conspirateurs et d'intrigans; de tout temps la facilité et
l'ignorance de la multitude ont été la cause de la plupart des guerres
civiles.

LE MARSEILLAIS.

Eh! monsieur, qui peut faire le bien à Marseille? Seront-ce les réfugiés
qui nous arrivent de tous les côtés du département? Ils sont intéressés
à agir en désespérés. Seront-ce ceux qui nous gouvernent? Ne sont-ils
pas dans le même cas? Sera-ce le peuple? Une partie ne connaît pas sa
position, elle est aveuglée et fanatisée; l'autre partie est désarmée,
suspectée, humiliée; je vois donc, avec une profonde affliction, des
malheurs sans remède.

LE MILITAIRE.

Vous voilà enfin raisonnable; pourquoi une pareille révolution ne
s'opérerait-elle pas sur un grand nombre de vos concitoyens qui sont
trompés et de bonne foi? Alors Albitte, qui ne peut que vouloir épargner
le sang français, vous enverra quelque homme loyal et habile; l'on sera
d'accord; et, sans s'arrêter un seul moment, l'armée ira sous les murs
de Perpignan faire danser la carmagnole à l'Espagnol enorgueilli de
quelques succès, et Marseille sera toujours le centre de gravité de la
liberté, ce sera seulement quelques feuillets qu'il faudra arracher à
son histoire.

Cet heureux pronostic nous remit en humeur, le Marseillais nous paya
de bon coeur plusieurs bouteilles de vin de Champagne, qui dissipèrent
entièrement les soucis et les sollicitudes. Nous allâmes nous coucher à
deux heures du matin, nous donnant rendez-vous au déjeuner du lendemain,
où le Marseillais avait encore bien des doutes à proposer, et moi bien
des vérités intéressantes à lui apprendre.

29 juillet 1793.



GÉNÉALOGIE DE NAPOLÉON BONAPARTE.

En 1752, le grand-duc de Toscane ayant voulu réformer les abus qui
se glissaient dans l'usurpation des titres de noblesse, établit
une commission chargée de la vérification de ces titres et de leur
enregistrement.

La famille des Buonaparte, ou Bonaparte[5] déchue de son ancienne
splendeur, exilée de Florence à la suite des troubles qui agitèrent
l'Italie dans le douzième siècle, présenta une requête au chapitre de
l'ordre de Saint-Étienne, pour obtenir son classement parmi les grands
de Florence.

[Footnote 5: Dans les pièces généalogiques que l'on nous a communiquées,
et qui comprenaient quarante pages in-folio, ce nom était écrit tantôt
Bonaparte, tantôt Buonaparte, quoique tout le texte fût en italien.]

C'est cette requête, accompagnée de pièces authentiques à l'appui, qui
nous a fourni les renseignemens dont nous offrons aujourd'hui un extrait
succinct.

Le premier des membres de cette famille, dont le souvenir se soit
conservé, Nicolas Bonaparte, attaché au parti des gibellins, fut compris
dans la proscription qui les frappa, et banni de Florence en 1268, après
avoir vu confisquer tous ses biens. Il se réfugia avec ses enfans à
San-Miniato.

En 1441, un descendant du même Bonaparte, Leonardo Antonio Mocci,
également gibellin, fut arrêté a Florence, accusé de haute trahison
et décapité. Un registre déposé dans les archives de San-Miniato, et
contenant l'état des biens confisqués aux rebelles, renferme le détail
de ceux appartenant à Leonardo, et dont le tiers fut déclaré appartenir
à son fils.

Depuis cette époque, plusieurs Bonaparte ont rempli avec distinction des
fonctions élevées dans l'état militaire, la magistrature, et l'église, à
Pise, à Lucques, à Florence. L'enquête faite en août 1752, et présentée
par le capitaine Nicolas Bonaparte, tant en son nom qu'en celui de ses
enfans et de ses autres parens, nous a paru devoir occuper une place
dans ce recueil; elle renferme une analyse historique des documens sur
lesquels cette famille établissait ses prétentions. Nous en donnerons
une traduction littérale.

_Enquête pour le capitaine Bonaparte, fils et consorts._

«Illustrissimes seigneurs,

«Plusieurs raisons concluantes tendent à établir que la famille des
exposans était placée dans un rang élevé et distingué de la ville de
Florence; elle est regardée comme descendant de Buonaparte gibellin,
porté, ainsi que ses fils, (_al libro del chiodo_), avec l'emploi de
capitaine. La même famille était regardée comme jouissant du rang de
grand de Florence, et fut reconnue judiciairement pour appartenir aux
ordres nobles.

«Pour prouver qu'elle tire son origine du susdit Buonaparte, exilé avec
ses fils en 1268, comme gibellin, du territoire de notre ville, nous
employerons les raisons détaillées ci-après:

«1°. Notre premier raisonnement est que, Buonaparte gibellin, exilé en
1268 du territoire florentin, s'est réfugié avec quelques-uns de ses
fils à San-Miniato, où dominait le parti gibellin, et que de lui
sont descendus messire Jacopo, fils de messire Georgio di Jacopo de
Buonaparti, résidant à San-Miniato, quartier de Poggighiti; qu'ils
furent faits nobles, ainsi qu'il appert de l'admission des preuves par
les seigneurs illustrissimes, et considérés comme descendans dudit
messire Jacopo, fils de Giorgio, et aussi comme provenant dudit
Buonaparte gibellin.

«En admettant cette première vérité, qu'ils descendent de messire
Jacopo, fils de Giorgio, il en résulte deux conséquences: l'une, que
ladite famille descendante de Buonaparte était noble à San-Miniato;
l'autre, que cette ville était devenue sa véritable patrie. Si donc l'on
reconnaît ces deux titres dans la famille des exposans, on ne peut se
refuser à croire qu'elle était noble dès ce temps-là. Judiciairement
considérée comme la vraie famille Buonaparte, elle en tirera
l'invincible argument que les exposans proviennent de la même souche que
messire Jacopo, lequel en provient lui-même par les fils de Buonaparte
gibellin.

«L'argument ci-dessus se consolide de plus en plus en applicant au cas
présent les doctrines légales: le séjour de la famille dans un même
lieu, le même grade de noblesse et au même temps, forment un faisceau de
preuves qui servent à établir la descendance d'une même souche; vérité
qui devient plus évidente encore lorsque l'on voit Buonaparte, reconnu
comme chef, donner son nom aux descendans.

«Ajoutons que l'article _de_ qui, dans d'autres familles, précède
le nom, suivant l'opinion des antiquaires les plus érudits, ne peut
indiquer qu'une famille ordinaire devenue noble. Ainsi, devant les noms
de médecins, de bourgeois et de riches, on joint l'article _de_ à leurs
noms, à moins qu'ils ne soient de haute lignée.

«On n'a jamais mis l'article _de_ devant le nom de Achin Salviati,
peintre excellent, et d'une si grande réputation; on n'en doit pas
mettre devant le nom de notre famille, pas plus sans doute que devant le
nom de nos anciens souverains _les Médicis_.

«Pour appuyer encore ce qui vient d'être dit, nous offrons les preuves
suivantes, qui semblent sans réplique: non seulement Pierre di Gio di
Jacopo di Moccio, l'un des informans, lors de la première description
des décimes de l'année 1427, est cité _comme citoyen de Florence_, mais
son père et son aïeul sont nommés comme alliés aux trois gentilshommes
florentins Grandoni, Federighi et Ricci; de plus, ils résidèrent
constamment dans le quartier du Saint-Esprit, où ils avaient leur
habitation, et ils avaient établi leur sépulture dans l'église
principale; nous citerons la mention de leur résidence au _gonfalonier
scala_ (_gonfalone scala_) où avaient passé Buonaparte gibellin et ses
fils; ce qui prouve manifestement que Pierre, dont il vient d'être
parlé, a continué d'occuper cette même habitation, comme descendant
légitime du même nom, et le rapport du magistrat atteste qu'il était
de Florence, habitait le même gonfalonier, et la même maison que le
fondateur, M. Niccolo. Mais plus tard, au lieu d'y retourner, les
Buonaparte occupèrent San-Miniato; ce qu'il est facile de reconnaître
par la réticence que fit Pierre de son surnom dans le premier état de
division qui eut lieu de sa part, ainsi que de ses descendans après lui.
Cette omission, à laquelle on mit du mystère, donne à penser, ou
plutôt à faire connaître, que ce même rejeton descendait de Buonaparte
gibellin, dont la mémoire alors devait être odieuse à Florence, et ce
moyen était plus facile à employer que de changer d'habitation, dans
le dessein de laisser ignorer ces circonstances dans la ville. Il n'en
était pas de même à San-Miniato, où dominait le parti gibellin. L'on
voit même les auteurs, descendans et collatéraux du même Pierre, ne pas
avoir recours au même moyen, et, dans toutes les occasions, tirer leur
noblesse de Buonaparte. On voit aussi le sieur Nicolo lui-même taire
tour à tour son surnom à San-Miniato, comme les autres l'avaient fait
dans la ville de Florence, et, sans doute suivant les circonstances, le
répéter ensuite deux fois dans la même inscription. On ne peut, dans le
fait, imputer la réticence de ce nom qu'au désir de se tenir à l'abri de
la haine que le peuple avait conçue pour lui, et il n'était certainement
odieux au peuple que comme l'étaient les noms des autres grands et des
gibellins: c'est le jugement qu'en portent tous les hommes éclairés.
Il est peu de familles illustres qui n'aient été exposées aux mêmes
inconvéniens à l'époque dont nous rappelons le triste souvenir.

«En quatrième lieu, lorsque, d'après l'inspection seule de l'arbre
généalogique, nous voyons un membre de la famille parvenir aux premières
dignités de l'église de Florence, dignités qui n'ont jamais été
conférées qu'avec beaucoup de circonspection, nous pouvons en tirer
l'induction de la haute considération qu'inspirait messire Jacopo, à
cause de messire Pierre, chanoine et doyen florentin, avant le prince
successeur de Francisco Bucellaï (c'est-à-dire en 1500.)

«On voit en outre les auteurs des informans alliés aux maisons Ricci,
Federighi, Grandoni, Albizzi, Visdmnini, Alberti, Masi, Tornabuoni,
parens des Tornaquiuci de Pauzano, parens de Ricasoli, Buonacorsi,
Gaetani, Pamialichi, Attavanti, Squarcialupi et Borronaci, dont est né
un des informans.

«De là on peut, avec beaucoup de raison, conclure que l'origine de la
famille est noble, venant directement du même Buonaparte.

«Enfin, de ce que notre famille a été exclue des honneurs populaires
dont elle était en possession, on doit en tirer la conséquence qu'elle
était dévouée au parti gibellin.

«On la voit ensuite transférée à San-Miniato, et y posséder un château,
et, fidèle au parti qu'elle avait embrassé, offrir une nouvelle victime
dans la personne de Leonardo Antonio _del nostro moccio_, décapité pour
cette raison en 1441.

«Toutes ces circonstances réunies établissent d'une manière péremptoire
le dévouement de cette famille aux gibellins. Nous prouverons plus tard
qu'elle jouissait d'une grande fortune, et que, si les honneurs et les
dignités qui semblent devoir être l'apanage de ce rang, lui ont été
refusés, il ne faut en accuser que les dissensions civiles qui la
réduisirent enfin à cacher son nom.

«On ne peut tirer d'aucune archive des preuves plus fortes pour
constater l'origine des informans quant à leur auteur Buonaparte. Bien
qu'elles soient très concluantes, nous espérons que vos grandeurs
voudront bien, dans leurs principes d'équité, prendre en considération
la force de ces mêmes preuves, par l'impossibilité où se trouvent les
informans de les compléter d'une manière plus satisfaisante.

«Indépendamment de la réunion des conjectures, qui vient d'être établie
par ce qui précède, nous croyons être encore à même de prouver que
Touquin d'Oddo et ses descendans remontent sans nul doute à Buonaparte
gibellin, ainsi que nous l'avons déjà avancé plusieurs fois. Nos
conjectures sont d'autant plus fondées, que nous trouvons dans un ancien
registre de la famille des exposans, du commencement de l'année 1518,
avant l'érection de la principauté, à la page 20, une note dont copie
authentique se trouvera à la suite de la présente instruction. La vérité
qui jaillit de cette note émane d'une personne respectable; elle a eu
lieu également dans un temps non suspect; il faut donc en conclure
que ce document mérite la plus grande confiance, quoiqu'il ne soit an
surplus qu'un complément des preuves de noblesse que nous sommes en état
de donner. Il faut en conclure également que cette même noblesse est
établie et confirmée par probabilités ou vraisemblances qui peuvent être
rangées au nombre des choses légales et authentiques. Ces probabilités,
outre les raisons précédemment alléguées, dérivent incontestablement de
trouver réunis, à la même époque et dans le même grade, d'une part, le
colonel messire Jacopo di Giorgio, jusqu'à Buonaparte gibellin, et de
l'autre, notre colonel Giovanni di Jaccopo jusqu'au même Buonaparte: En
suivant même la proportion des temps, il ne paraîtrait pas impossible
que lesdits Jacopo et Gio soyent tous les deux descendans du même
Buonaparte, et cette probabilité, disons plus, cette vérité, se fortifie
par l'apparition seule des personnes, qui, ayant lieu dans le même
temps, leur fait assigner avec beaucoup de vraisemblance une origine
commune. «Mais quand même cette noble origine ne serait pas établie,
comme elle l'est, n'y a-t-il pas lieu de reconnaître, en passant a
l'examen de la seconde proposition, que la famille Buonaparte se trouve
liée aux familles les plus considérées de Florence, en ligne directe.
Son séjour ancien et habituel dans cette dernière ville, ses armoiries,
en un mot, c'est-à-dire le râteau rouge avec la fleur de lys d'or,
armoiries données aux familles nobles par le roi Charles Ier, ainsi
que la croix du peuple florentin, dont elle est depuis long-temps en
possession, sont des preuves de sa noblesse qui attestent même qu'elle
remonte au temps des gibellins. «A la vérité, les marques de noblesse
données par le peuple ne s'accordèrent qu'aux familles d'un rang élevé,
et le plus souvent, comme chacun le sait, à celles des mêmes familles
qui s'empressèrent d'abjurer le parti des gibellins pour acquérir de la
popularité. Quelques-uns des nôtres ont fait cette abjuration au moment
même où ils recevaient les armoiries,. d'autres, depuis la décapitation
du susdit Leonardi. «Privée des honneurs populaires, cette famille s'est
considérée comme déchue de sa grandeur, et fut en butte à toutes sortes
de mauvais traitemens, jusqu'à l'érection de la principauté. Alors
seulement, voulant ne pas laisser perdre une illustration justement
acquise, elle a relevé pour elle-même des faits qui avaient été tenus
secrets, non pas tant, peut-être, pour en dissiper l'odieux que pour
prouver qu'elle ne renonçait pas à ses droits, comme l'ont fait nombre
d'autres familles, en refusant les armoiries et les alliances qui les
auraient rendues agréables au peuple, en suivant l'impulsion du pays.

«Venons à l'autre point de notre exposé. Il est fondé sur ce que nous
venons de dire, qu'en 1571, le chevalier Fausto Beltramini de Siena,
voulant prendre la croix de St.-Étienne, non par grâce, mais d'après
justice, établit le quartier de noblesse de Buonaparte par Catherina sa
mère, fille de Gio, fils de notre Benedetto Buonaparte. Il prouva de
même la noblesse d'Attavanti par la mère de Catherina, et en remontant
jusqu'au premier grade de noblesse de Buonaparte à Florence, dans le
temps même de la république, preuves qui émanent des documens des
magistrats de San-Miniato depuis 1570 jusqu'à 1571, où ils s'expriment
ainsi qu'il suit, au sujet des auteurs des exposans: «_c'est bien
volontairement qu'ils s'en sont abstenus, à cause de leur droit de cité
à Florence_,» et comme l'atteste plus clairement encore le témoignage de
messire Antonio de Gucci de San-Miniato.

«_Premier témoin_. Il se rappelle avoir vu ledit Gio-Buonaparte, père de
ladite Catherina, icelle mère dudit Fausto, en qualité de gentilhomme et
homme d'armes de M.Valerio Orsini, aux appointemens de la république
de Florence. Sur ces documens généraux, a été accordé le quartier de
noblesse à Buonaparte par le conseil de Pise, avec une mention honorable
sur le rapport qui en a été fait au sérénissime grand-maître.

«Les motifs de ce rapport ont été, que la famille de Buonaparte a joui
du droit de cité à Florence et à Lucques; que plusieurs membres de cette
famille avaient rempli l'emploi de _vedut_ du collège, que d'autres ont
eu des emplois au dehors; mais comme dans le temps San-Miniato n'avait
pas de siège épiscopal, et que par conséquent ces familles ne pouvaient,
en vertu des statuts de l'ordre, être admises aux preuves judiciaires, à
l'effet de prendre l'habit, d'après le chapitre 3 du même statut,
«_le candidat doit être de la nation et né dans la ville_,» malgré
l'application de ce principe aux autres quartiers de noblesse, la
justice ne put les étendre jusqu'au quartier de Buonaparte, c'est-à-dire
à l'ancienne et noble origine de Buonaparte gibellin et à ses auteurs,
quoiqu'ils fussent dès lors considérés comme grands.

«On voit en second lieu que la jouissance des emplois des collèges
mentionnée au susdit rapport, avec l'approbation du saint ordre
militaire, qui l'admettait même comme preuve judiciaire, concession
semblable à celle faite a la famille Jeppi, ne peut s'expliquer
autrement que par les preuves fournies par la famille Buonaparte et
par Beltramini, de la possession des prérogatives du grade noble de
Florence. Or, suivant les lois réglementaires de ce corps de noblesse,
elle doit être placée au rang des patriciens.

«Mais pour éclaircir davantage ce qui vient d'être exposé, nous
donnerons l'assurance que les preuves des titres des Buonaparte, faites
par Beltramini dans la personne de Catherina di Gio di Benedetto
Buonaparte, l'auteur commun, furent faites comme de famille florentine,
sanctionnées par le saint ordre militaire. Ceci fit reconnaître
judiciairement le quartier de Buonaparte à Ridolfi, soixante-dix ans
après les preuves de Beltramini. Si tel a été l'effet des preuves de
Beltramini, à plus forte raison les Buonaparte ont le droit de demander
à être, comme les Ridolphi, reconnus nobles et de famille florentine.

«En résumant aux yeux de leurs seigneuries illustrissimes ce qui vient
d'être examiné et discuté, la famille Buonaparte a le droit d'être
classée parmi les grands ou gibellins, d'après le §10 de l'instruction
de la loi sur la noblesse, ou d'être reconnue judiciairement pour
famille florentine aux ordres nobles, suivant le §5 de la même loi. Mais
dans l'un comme dans l'autre cas, leurs seigneuries illustrissimes
ne peuvent manquer de reconnaître le droit de cette même famille au
patriciat florentin, ce qu'elle attend de leur bienveillance et de leur
justice, se faisant du reste un honneur de les avoir pour juges.»


À la suite de cette pièce, s'en trouvait une autre contenant le dessin
et la description des armoiries de Bonaparte.

«Les armes de la famille de Bonaparte sont un champ rouge avec deux
raies blanches en bandes, et deux étoiles également blanches, l'une
dessous, l'autre au-dessus des bandes. Au chef de l'écu, dans un champ
d'azur, est un rateau rouge et deux fleurs de lys d'or. Au milieu du
rateau, un champ blanc avec croix rouge.

«On voit de ces armes en beaucoup d'endroits à Florence, dans le cloître
du St.-Esprit, au lieu de leur sépulture, et dans divers endroits de
la ville de San-Miniato. Elles se trouvent aussi parmi les procédures
faites au sujet de la profession de religion de St.-Etienne, par le
chancelier Fausto Beltraroini, chevalier judiciaire de cet ordre
militaire et sacré en l'année 1671, lesquelles procédures prouvent le
quartier maternel de la famille Buonaparte.

«Les armes de la branche des Franchini de San-Miniato sont un champ
d'or, et un pin au milieu. Au chef de l'ecu, est un rateau rouge dans un
champ d'azur, avec trois fleurs de lys d'or.»

L'Arbre généalogique de la famille Buonaparte, dressé d'après les pièces
produites, venait ensuite et était suivi:

1°. De renseignemens concernant la personne de Buonaparte gibellin et de
ses fils exilés.

2°. D'autres documens concernant Leonardo d'Antonio, décapité comme
gibellin.

3°. D'un Mémoire de Jules, fils de Jean Buonaparte, extrait d'un ancien
livre de la famille des exposans.

4°. D'un document qui établit que Moccio Buonaparte est fils d'Oddo.

5°. D'un arbre des décimes de la famille.

6°. D'une attestation des gabelles et autres documens concernant les
mariages et lignées de l'une et l'autre branche des Buonaparte. 7°.
D'une attestation de l'office des traites, comme dépendance du collège
et d'autres bureaux également pour les deux susdites branches.

8°. De preuves que leurs parens, depuis 1738, se sont surnommés
Buonaparte, avec la jouissance du priorat.

9°. D'extraits de baptême des auteurs de la requête.

10°. D'un document sur le patrimoine ancien et actuel de la famille;

Sur les personnes constituées en dignités dans ladite famille;

Sur les nobles et anciens tombeaux de cette même famille dans
San-Miniato et a Florence.

11°. D'un acte de notoriété de San-Miniato pour la famille de Buonaparte
en 1571.

12°. D'une enquête sur leur famille, pour prouver judiciairement leur
quartier, à l'ordre de Saint-Etienne, comme famille florentine.

13°. Des motifs des chevaliers rapporteurs pour accorder ledit quartier.

14°. Des motifs d'autres chevaliers rapporteurs auprès des
grands-maîtres dudit ordre, pour octroyer judiciairement ledit quartier
à d'autres Buonaparte.

15°. De preuves de l'établissement dans San-Miniato de l'ancienneté de
la famille de messire Jacopo, fils de messire Giorgio Buonaparte.

Ces pièces, d'un intérêt secondaire, établissent cependant d'une manière
authentique l'ancienneté de l'origine de cet homme extraordinaire, dont
la naissance fut sans doute le moindre mérite. Il appartient tout entier
au domaine de l'histoire: l'équitable postérité établira d'une manière
invariable le rang qu'il mérite, et que ne peuvent aujourd'hui lui
assigner ni l'enthousiasme ni la haine.

PRÉCIS CHRONOLOGIQUE ET HISTORIQUE DE LA VIE DE NAPOLÉON BONAPARTE.



1769

15 _août_.--Naissance de Napoléon Bonaparte à Ajaccio, dans l'île de
Corse: son père, Charles Bonaparte; sa mère, Letitia Ramolini; son
parrain, le célèbre Paoli, dont l'exemple contribua puissamment au
développement des facultés de Napoléon.


1777.

_Septembre_.--Elevé d'abord au collège d'Autun, le jeune Bonaparte est
reçu par la protection de M. de Marboeuf, gouverneur de l'Ile de Corse,
à l'école royale militaire de Brienne en Champagne.


1784.

Bonaparte est compris dans la promotion d'élèves qui passent de Brienne
à l'école de Paris.

1787.

Après des examens brillans, il est nommé sous-lieutenant d'artillerie au
régiment de Lafère.


1788.

Il part de Paris avec Paoli pour se rendre en Corse.


1789.

Nommé lieutenant-colonel de la garde nationale d'Ajaccio, il seconde le
général Paoli et perfectionne sous lui ses études de l'art militaire.


1792.

Banni de l'île de Corse par les factieux qui se disputaient l'autorité,
Bonaparte revient en France, débarque à Marseille, et reprend presque
aussitôt un service actif dans les armées de la république.


1793 (an 1er de la république.)

26 _juillet_ (8 thermidor.)--Commandant en sa qualité de lieutenant
l'artillerie du corps d'armée du général Carteaux, qui faisait la guerre
aux Marseillais insurgés contre la convention, il reprend Avignon, dont
ceux-ci s'étaient emparés.

28 _juillet_ (10 thermidor.)--Il s'empare de Beaucaire, aussi occupée
par les Marseillais.

Employé ensuite au siège de Toulon, dans l'armée du brave général
Dugommier, Bonaparte est nommé chef de bataillon, commande l'artillerie
pendant l'absence du général Dommartin, il y est blessé; se fait
distinguer par les représentans du peuple dans toutes les affaires
qui eurent lieu durant ce siège mémorable, contribue puissamment à la
reprise de cette ville livrée aux Anglais, et jette d'une manière solide
les premiers fondemens de cette gloire militaire qui devait avoir tant
d'éclat.

1794 (an II.)

29 _avril_. (10 floréal.)--Bonaparte, envoyé après le siège de Toulon
à l'armée d'Italie, commandée par le général Dumerbion, se distingue
de nouveau à la prise de Saorgio, dans le comté de Nice. Il est nommé
général de brigade par les représentans du peuple. Devenu suspect peu
de temps après, il est le premier officier de l'armée d'Italie contre
lequel le comité de sûreté générale décerna un mandat d'arrêt. Arrêté
aux avant-postes de l'armée, il est conduit au fort carré d'Antibes.

1795(an III.)

En butte à la haine du représentant Aubry, qui dirigeait la partie
militaire dans le comité de salut public, Bonaparte est destitué,
réintégré, destitué de nouveau, puis emprisonné; ayant enfin obtenu
sa liberté et recouvré des protecteurs, il est nommé commandant de
l'artillerie en Hollande; mais retenu par Barras, il ne se rend point à
sa destination.

3 _octobre_ (11 vendémiaire an IV.)--Barras le fait nommer commandant
de l'artillerie à Paris.

5 _octobre_ (13 vendémiaire.)--Bonaparte réduit les sections insurgées
contre la convention.

10 _octobre_ (18 vendémiaire.)--Il est récompensé du service qu'il a
rendu à la convention par sa nomination au commandement en second de
l'armée de l'intérieur et de Paris.

30 _octobre_ (8 brumaire.)--Commandant en chef de la même armée en
remplacement de Barras, démissionnaire, il reçoit en outre la fonction
de veiller à la police de Paris.

1796 (an IV.)

23 _février_ (4 ventose.)--Nommé par le directoire commandant en chef de
l'armée d'Italie, en remplacement du général Schérer.

8 _mars_ (18 ventose.)--Bonaparte épouse Joséphine Tascher de la
Pagerie, veuve du vicomte de Beauharnais.

11 _mars_ (21 ventose.)--Il part de Paris pour se rendre en Italie, et
passe par Marseille pour y visiter sa famille.

20 _mars_ (30 ventose.)--Il prend à Nice le commandement de l'armée
d'Italie, qu'il trouve dans le dénuement le plus complet; en peu de
jours, elle fut par ses soins pourvue d'habillemens et de subsistances.
Bonaparte n'avait alors que 26 ans.

10 _avril_ (21 germinal.)--Il commence les hostilités contre l'armée
autrichienne, commandée par le général Beaulieu.

11 _avril_ (22 germinal.)--Bataille et victoire de Montenotte.

14 _avril_ (25 germinal.)--Bataille et victoire de Millesimo. Dans
ces deux batailles, qui avaient pour but de séparer les deux armées
piémontaise et autrichienne, le jeune général français bat complètement
deux vieux guerriers consommés, les généraux Colli et Beaulieu.

16 _avril_. (27 germinal.)--Combat de Dego.

17 _avril_. (28 germinal.)--Prise du camp retranché de Ceva.

22 _avril_ (3 floréal.)--Bataille de Mondovi. Le général Beaulieu est
défait de nouveau.

25 _avril_ (6 floréal.)--Prise de Cherasco.

28 _avril_ (9 floréal.)--Bonaparte conclut un armistice avec le général
piémontais Colli, et se fait céder les forteresses de Coni, Tortone et
Ceva.

6 _mai_ (17 floréal.) Le général Bonaparte demande au directoire des
artistes pour recueillir les monumens des arts que ses conquêtes mettent
à la disposition du gouvernement français.

7 _mai_ (18 floréal.)--Passage du Pô par l'armée française, et combat de
Fombio.

9 _mai_ (20 floréal.)--Armistice conclu entre Bonaparte et le duc de
Parme.

11 _mai_ (22 floréal.)--Passage du pont de Lodi, et déroute de l'armée
de Beaulieu.

12 _mai_ (23 floréal.)--Prise de Pizzighitone.

15 _mai_ (25 floréal.)--Entrée triomphale du général Bonaparte à Milan,
capitale de la Lombardie.

22 _mai_ (3 prairial.)--Prise de Pavie.

29 _mai_ (10 prairial.)--Passage du Mincio et victoire de Borghetto.

3 _juin_ (15 prairial.)--Prise de Vérone, où Louis XVIII se trouvait
quinze jours auparavant.

4 _juin_ (16 prairial)--Arrivée de Bonaparte devant Mantoue, et premier
investissement de cette place fameuse.

15 _juin_ (27 prairial.)--Armistice conclu par Bonaparte entre la France
et le roi de Naples.

19 _juin_ (1er messidor.)--Prise de Bologne et de Modène.

23 juin (5 messidor.)--Armistice accordé au pape par Bonaparte.

29 _juin_ (11 messidor.)--Prise de Livourne.

7 _juillet_ (19 messidor.)--Combat de la Bocchetta di Campion.

18 _juillet_ (30 messidor.)--Combat de Migliaretto.

20 _juillet_ (2 thermidor.)--Première sommation faite à Mantoue; siège
régulier de cette place.

29 _juillet_ (11 thermidor.)--Combat de Salo; le général Bonaparte
apprenant qu'une armée autrichienne, commandée par le maréchal
Wurmser, est en marche pour lui faire lever le siège de Mantoue, se
porte lui-même avec toutes ses forces à la rencontre de son nouvel
ennemi.

3 _août_ (16 thermidor.)--Bataille de Castiglione et combat de Lonato;
l'armée du général Wurmser est mise en déroute.

6 _août_ (19 thermidor.)--Combat de Peschiera.

11 _août_ (24 thermidor.)--Combat de la Corona, reprise de toutes les
lignes sur le Mincio, et continuation du siège de Mantoue.

24 _août_ (7 fructidor.)--Combat de Borgoforte et de Goveruolo.

3 _septembre_ (17 fructidor.)--Combat de Serravalle.

4 _septembre_ (18 fructidor.)--Combat de Roveredo.

5 _septembre_ (19 fructidor.)--Prise de Trente.

7 _septembre_ (21 fructidor.)--Combat de Covolo.

8 _septembre_ (22 fructidor.)--Combat de Bassano.

12 _septembre_ (26 fructidor.)--Combat de Cerca.

13 _septembre_ (27 fructidor.)--Prise de Legnago; le même jour, le
général Wurmser ne pouvant plus se maintenir en campagne, se jette dans
Mantoue pour y chercher un refuge.

14 _septembre_. (28 fructidor.)--Combat de Due-Castelli.

15 _septembre_ (29 fructidor.)--Combat de St.-Georges.

1796 (an V.)

8 _octobre_ (17 vendémiaire.)--Bonaparte se fait livrer la ville de
Modène.

19 _octobre_ (28 vendémiaire.)--Une division française commandée par le
général Gentili, et envoyée par Bonaparte, descend dans l'île de Corse,
alors occupée par les Anglais.

22 _octobre_ (1er brumaire.)--L'île de Corse, conquise par les soldats
de Bonaparte, redevient partie intégrante de la république française.

27 _octobre_(6 brumaire.)--Prise de Bergame.

6 _novembre_ (16 brumaire)--Combat sur la Brenta.

11 _novembre_ (21 brumaire.)--Combat de Caldiero.

15, 16, 17 _novembre_ (25, 26, 27 brumaire.)--Bataille d'Arcole;
une troisième armée autrichienne, envoyée par la cour de Vienne, et
commandée par le général Alvinzi, est mise en fuite.

18 _novembre_ (28 brumaire.)--Bonaparte donne son approbation à
la constitution rédigée par le sénat de Bologne pour la république
cisalpine.

1797 (an V.)

14 _janvier_ (20 nivose.)--Bataille de Rivoli; les Autrichiens sont mis
en pleine déroute, et le général Alvinzi qui les commandait parvient à
peine à se sauver.

15 _janvier_ (26 nivose.)--Combat d'Anghiari.

16 _janvier_ (27 nivose.)--Combat de St.-Georges.

26 _janvier_ (6 pluviose.)--Bonaparte stipule avec le marquis de
Manfredini l'évacuation de la Toscane. Décret qui accorde, à titre de
récompense, aux généraux Bonaparte et Augereau, les drapeaux pris par
eux à la bataille d'Arcole sur les bataillons ennemis.

26 _janvier_ (7 pluviose.)--Combat de Carpenedolo.

27 _janvier_ (8 pluviose.)--Combat de Derumbano.

30 _janvier_ (11 pluviose.)--Les gorges du Tyrol sont forcées et les
Français font leur entrée dans Trente.

1er _février_ (13 pluviose.)--Bonaparte rompt l'armistice accordé au
pape, et fait envahir la Romagne par ses troupes.

3 _février_ (15 pluviose.)--Capitulation du général Wurmser, et
reddition de Mantoue. Bonaparte, blâmé par ses généraux d'avoir accordé
à Wurmser des conditions trop avantageuses, leur fait cette réponse
mémorable: _J'ai voulu honorer en lui la vieillesse et la valeur
guerrière malheureuse_. Les rivaux de Napoléon ont mal suivi cet exemple
donné par Bonaparte.

4 _février_ (16 pluviose.)--Défaite des troupes du pape sur le Sinio.

9 _février_ (21 pluviose.)--Prise d'Ancône.

10 _février_ (22 pluviose.)--Prise de Lorette; Bonaparte s'empare de la
fameuse statue de la vierge qui y était adorée depuis des siècles, et
l'envoie au directoire.

12 _février_ (24 pluviose.)--Le pape Pie VI écrit à Bonaparte, pour
lui demander la paix; le même jour, les Français parviennent jusqu'à
Macerotte, à quarante lieues de Rome.

19 _février_ (1er ventose.)--Traité de paix conclu par Bonaparte, entre
la république française et le pape Pie VI; celui-ci renonce à toutes ses
prétentions sur Avignon et sur le comtat venaissin, cède à perpétuité à
la république française Bologne, Ferrare et la Romagne; il cède en outre
tous les objets d'art demandés par Bonaparte, tels que l'Apollon du
Belvédère, la Transfiguration de Raphaël, etc., etc., rétablit l'école
française à Rome, et paye à titre de contribution militaire treize
millions en argent ou en effets précieux.

22 _février_ (4 ventose.)--Bref du pape Pie VI au général Bonaparte,
dans lequel, entr'autres titres, il lui donne celui de _son cher fils_.

26 _février_ (2 ventose.)--Bonaparte envoie au corps législatif les
trophées de Mantoue.

2 _mars_ (12 ventose.)--Combat de Monte-di-Sover.

10 _mars_. (20 ventose.)--Combat de Bellune.

12 _mars_ (22 ventose.)--Combat de San-Salvador.

13 _mars_ (23 ventose.)--Combat de Sacile.

16 _mars_ (26 ventôse.)--Bataille du Tagliamento, entre les Autrichiens
commandés par le prince Charles, et les Français aux ordres de
Bonaparte; l'armée autrichienne est mise en déroute.

19 _mars_ (29 ventôse.)--Combat de Gradisca.

22 _mars_ (2 germinal.)--Combat et prise de Bolzen.

23 _mars_ (3 germinal.)--Prise de Trieste.

31 _mars_ (11 germinal.)--Lettre de Bonaparte à l'archi duc Charles,
dans laquelle il invite le prince autrichien à s'unir à lui pour arrêter
le fléau de la guerre.

2 _avril_ (i3 germinal.)--Combat de Neumarck.

7 _avril_(18 germinal.)--Armistice conclu à Indinbourg, entre le
général Bonaparte et le prince Charles; l'armée française n'était qu'à
trente lieues de Vienne.

13 _avril_ (24 germinal.)--Jour où expirait l'armistice, Bonaparte
enveloppe l'armée autrichienne.

15 _avril_ (26 germinal.)--Le général en chef Bonaparte, au nom de la
république française, et les généraux Belgarda et Nubbewed, au nom de
l'empereur, signent à Léoben les préliminaires de la paix.

24 _avril_ (5 floréal.)--Prise de Vérone, qui, à l'instigation des
Vénitiens, s'était révoltée contre les Français. Bonaparte fait envahir
tous les états de terre-ferme de la république de Venise.

3 _mai_ (14 floréal.)--Manifeste du général Bonaparte, dans lequel il
expose la conduite du gouvernement vénitien, et lui déclare la guerre.

11 _mai_ (22 floréal.)--L'armée française étant campée sous les murs
de Venise, la noblesse prend la fuite, le doge abdique, une horrible
anarchie s'établit dans la ville; les meilleurs citoyens appellent les
Français pour la faire cesser.

16 _mai_ (27 floréal.)--Les Français prennent possession de la ville et
des forts de Venise.

3 _juin_ (15 prairial.)--Bonaparte envoie au directoire les drapeaux
pris sur les Vénitiens.

6 _juin_ (18 prairial.)--Convention de Montebello entre le général
Bonaparte et les députés de Gènes.

9 _juillet_ (21 messidor.)--La république cisalpine est instituée sous
l'influence du général Bonaparte.

26 _juillet_ (7 thermidor,)--Bonaparte réunit la Romagne à la
république cisalpine.

22 _août_ (5 fructidor.)--Bonaparte part de Milan pour se rendre au
congrès d'Udine.

1797 (an VI.)

17 _octobre_ (26 vendémiaire.)--Traité de paix conclu et signé
a Campo-Formio par le général Bonaparte, au nom de la république
française, et les plénipotentiaires de l'empereur d'Allemagne. Par ce
traité, la république française est formellement reconnue, l'empereur
renonce à toutes ses prétentions sur les Pays-Bas et sur le territoire
de la république cisalpine, dont il reconnaît l'indépendance, etc., etc.

26 _octobre_ (5 brumaire.)--Bonaparte est nommé général en chef de
l'armée dite d'Angleterre, formée par ordre du directoire sur les côtes
de l'Océan.

31 _octobre_ (10 brumaire.)--Bonaparte envoie à Paris le général
Berthier et le savant Monge, pour présenter au directoire le traité de
paix qu'il a fait avec l'empereur.

15 _novembre_ (25 brumaire.)--Bonaparte part de Milan pour se rendre au
congrès de Rastadt et y présider la légation française.

17 _novembre_ (27 brumaire.)--Bonaparte divise la république cisalpine
eu vingt départemens.

26 _novembre_ (6 frimaire.)--Arrivée de Bonaparte à Rastadt.

1er _décembre_ (11 frimaire.)--Convention militaire signée à Rastadt
entre le général Bonaparte et le comte de Cobentzel.

5 _décembre_ (15 frimaire.)--Arrivée du général Bonaparte à Paris.
La reconnaissance et l'admiration éclatent partout où se montre le
vainqueur de l'Italie.

9 _décembre_ (19 frimaire.)--Bonaparte est de nouveau appelé au
commandement en chef de l'armée d'Angleterre.

10 _décembre_ (20 frimaire.)--Il présente au directoire, dans une
audience solennelle, le traité de Campo-Formio, ratifié par l'empereur
d'Allemagne. À cette occasion, il prononce un discours où il rappelle en
peu de mots les exploits de l'armée d'Italie, et présente un drapeau
sur lequel sont inscrites les victoires de cette même armée. Bonaparte
devient l'idole des Parisiens; on frappe des médailles en l'honneur de
ses victoires, etc., etc.

22 _décembre_ (2 nivose.)--Fête solennelle et brillante donnée à
Bonaparte par le corps-législatif.

23 _décembre_ (5 nivose.)--Bonaparte est nommé membre de l'Institut.

1798 (an VI.)

3 _janvier_ (14 nivose.)--Fête donnée à Bonaparte par le ministre des
relations extérieures, dans l'église de Saint-Sulpice.

28 février (4 ventose.)--Retour à Paris de Bonaparte d'une visite qu'il
venait de faire sur les côtes de l'Océan à l'armée d'Angleterre.

5 _mars_ (15 ventose.)--Arrêté du directoire qui charge Bonaparte
du soin de diriger le grand armement formé sur les côtes de la
Méditerranée.

2 _avril_ (13 germinal.)--Le directoire arrête que Bonaparte se rendra
sur-le-champ à Brest, pour y prendre le commandement des forces navales
qui y sont rassemblées.

12 _avril_ (23 germinal.)--Arrêté du directoire qui nomme Bonaparte
général en chef de l'armée d'Orient.

3 _mai_ (i4 floréal.)--Bonaparte se rend de Paris à Toulon.

8 _mai_ (19 floréal.)--Arrivée de Bonaparte à Toulon, et proclamation
adressée par lui à l'armée.

19 _mai_ (30 floréal.)--Départ de Bonaparte pour l'Égypte avec l'armée
qui doit en assurer la conquête.

10 _juin_ (21 prairial.)--Apparition de la flotte française devant
Malte.

9 _juin_ (22 prairial.)--Débarquement des Français dans l'île.

12 _juin_ (24 prairial.)--Capitulation de l'île de Malte; Bonaparte
s'occupe avec activité d'établir une bonne administration dans l'île.

19 _juin_ (1er messidor.)--Bonaparte quitte Malte pour se rendre à sa
destination; il emmène avec lui les bâtimens de guerre trouvés dans le
port.

1er juillet (13 messidor.)--Arrivée de la flotte française en vue
d'Alexandrie, et débarquement de l'armée.

2 juillet (14 messidor.)--Attaque et prise d'Alexandrie.

11 juillet (23 messidor.)--Combat de Damanhour.

12 juilet (24 messidor.)--Combat de Rhamanieh.

14 juillet (26 messidor.)--Combat de Chebreiss.

23 juillet (5 thermidor.)--Bataille des Pyramides. «Soldats, dit
Bonaparte, vous allez combattre aujourd'hui les dominateurs de l'Égypte
(les mameloucks); songez que du haut de ces monumens quarante siècles
vous contemplent.» Le soir de cette même journée, Bonaparte fait son
entrée solennelle au Caire, abandonné par Ibrahim-Bey.

1er _août_ (14 thermidor.)--Bataille navale d'Aboukir; Bonaparte, en
recevant la nouvelle de la destruction de sa flotte, répond avec une
apparente impassibilité: «Nous n'avons plus de flotte! hé bien, il faut
rester en ces contrées, ou en sortir grands comme les anciens.»

_5 août_ (18 thermidor.)--Combat d'El-Khanka.

_10 août_ (23 thermidor.)--Combat de Salahieb.

_12 août_ (25 thermidor.)--Combat de Remerieh.

_18 août_ (1er fructidor.)--Bonaparte préside en grande pompe à la
cérémonie de la rupture de la digue qui retient les eaux du Nil au
Caire.

_20 août_ (3 fructidor.)--Le général Bonaparte voulant se rendre
favorables les habitans du pays, fait célébrer avec tout le faste
oriental la fête du législateur d'Orient, Mahomet.

_21 août_ (4 fructidor.)--Il arrête la formation d'un institut destiné à
s'occuper des progrès et de la propagation des lumières en Égypte, de
la recherche, de l'étude et de la publication des faits naturels,
industriels, historiques de ce pays, etc., etc.

_15 septembre_ (29 fructidor.)--Combat de Caf'Schabbas-Amer.

1798 (an VII.)

_22 septembre_ (1er vendémiaire.)--Bonaparte fait célébrer au Caire
l'anniversaire de la fondation de la république française.

_29 septembre_ (8 vendémiaire.)--Combat de Mit-El-Haroun.

_4 octobre_ (13 vendémiaire.)--Combat de Matarieh.

_8 octobre_ (17 vendémiaire.)--Bataille de Sédiman.

_21 et 22 octobre_ (30 vendémiaire et 1er frimaire.)--Violente
insurrection dans la ville du Caire; les dispositions rapides et
l'énergie du général en chef rétablissent promptement l'ordre et le
calme. Cette insurrection avait pour prétexte la religion, et pour motif
réel le refus de payer les contributions.

9 _novembre_ (19 brumaire.)--Combat de Faioum. Prise de Suez.

21 _décembre_ (1er nivôse.)--Bonaparte rétablit au Caire le divan, qu'il
avait destitué après la grande insurrection.

25 _décembre_ (5 nivôse.)--Il quitte la capitale de l'Égypte pour faire
une reconnaissance à Suez, où il arrive le 27.

1799 (an VII.)

6 _février_ (18 pluviôse.)--Ouverture de la campagne de Syrie; arrivée
de l'armée expéditionnaire à Katieh.

9 _février_ (21 pluviôse.)--Prise d'El-Arich.

7 _mars_ (17 ventôse.)--Prise de Jaffa.

15 _mars_ (25 ventôse.)--Combat de Qâ'quoum.

18 _mars_ (28 ventôse.)--Commencement du siège de Saint-Jean d'Acre.

28 _mars_ (8 germinal.)--Premier assaut livré à Saint-Jean d'Acre.

3 _avril_(14 germinal.)--Combat de Sour.

6 _avril_ (17 germinal.)--Combat de Nazareth.

8 _avril_ (19 germinal.)--Combat de Loubi.

9 _avril_ (20 germinal.)--Combat de Cana.

11 _avril_(22 germinal.)--Combat de Seid-Jarra.

16 _avril_ (27 germinal.)--Bataille du Mont-Thabor, gagnée sur les
Musulmans par les généraux Bonaparte et Kléber.

4 _mai_ (15 floréal.)--Second assaut livré à Saint-Jean d'Acre.

8 _mai_ (19 floréal.)--Troisième assaut.

10 _mai_ (21 floréal.)--Quatrième assaut.

17 _mai_ (28 floréal.)--Levée du siège de Saint-Jean d'Acre.

29 _mai_ (10 prairial.)--Prise de Kosseir.

_14 juin_ (26 prairial.)--Retour de Bonaparte au Caire.

_14 juillet_ (26 messidor.)--Il quitte le Caire pour se porter à la
rencontre de l'armée turque, commandée par le grand-vizir, et débarquée
à Aboukir.

_19 juillet_ (1er thermidor.)--Il arrive à Rhamanieh.

_25 juillet_ (7 thermidor.)--Bataille d'Aboukir; l'armée musulmane est
totalement détruite.

_2 août_ (15 thermidor.)--Le petit nombre de Turcs échappés à la
bataille, et qui s'étaient réfugiés dans le fort d'Aboukir, implorent la
clémence de Bonaparte, qui les reçoit à quartier.

_18 août_ (1er fructidor.)--Bonaparte quitte le Caire pour se rendre à
Alexandrie, où il arrive le 21.

_23 août_ (5 fructidor.)--Le général en chef de l'armée d'Orient
s'embarque sur la frégate _la Muiron_, qui doit le porter en France.

1799 (an VIII.)

_1er octobre_ (10 vendémiaire.)--Il arrive à Ajaccio.

_9 octobre_ (18 vendémiaire.)--Bonaparte débarque à Fréjus; il est reçu
comme un libérateur par la population entière des départemens qu'il
traverse.

_16 octobre_ (25 vendémiaire.)--Il arrive à Paris.

_6 novembre_ (15 brumaire.)--Fête superbe donnée par le gouvernement
dans l'église Saint-Sulpice aux généraux Bonaparte et Moreau.

_9 novembre_ (18 brumaire.)--Décret du conseil des Anciens, qui met à la
disposition du général Bonaparte la garde ou corps législatif et toutes
les troupes de la dix-septième division militaire, dont Paris était le
chef-lieu.

_10 novembre_ (19 brumaire.)--Décret rendu par le conseil des Anciens,
portant l'abolition du directoire, l'expulsion de soixante membres
du conseil des Cinq-Cents, la création provisoire d'une nouvelle
magistrature destinée à exercer le pouvoir exécutif jusqu'à la
confection d'une nouvelle constitution, et la désignation de Sieyes,
Roger-Ducos et Bonaparte, pour exercer provisoirement cette nouvelle
magistrature sous le nom de consuls de la république.

_13 décembre_ (22 frimaire.)--Promulgation de la constitution de l'an
8. Le pouvoir exécutif est confié, pour dix ans, à trois consuls;
Bonaparte, premier consul; Cambacérès, deuxième, et Lebrun
troisième.--Quatre-vingts sénateurs, trente conseillers-d'état, trois
cents députés au corps-législatif et cent députés au tribunal, tels
sont les rouages de la constitution qui devait porter Bonaparte à la
puissance absolue.

_25 décembre_--(4 nivose.)--Loi qui règle le mode et la nature des
récompenses à accorder aux militaires qui se sont distingués ou se
distingueront par des actions d'éclat.

_26 décembre_ (5 nivose.)--Lettre du premier consul Bonaparte au roi
d'Angleterre, dans laquelle il lui fait part de sa nomination à la
première magistrature de la république, et de son désir de voir la
France et l'Angleterre s'unir pour amener une paix générale.

_29 décembre_ (8 nivose.)--Le premier consul Bonaparte accorde une
amnistie générale aux habitans insurgés des départemens de l'Ouest.

1800 (an VIII.)

_1er janvier_ (11 nivose.)--Installation du corps législatif et du
tribunal.

_5 janvier_ (15 nivose.)--Création d'un premier inspecteur général du
génie.

_19 janvier_ (29 nivose.)--Installation du gouvernement consulaire aux
Tuileries.

13 _janvier_ (3 pluviose.)--Établissement de la banque de France.

12 _février_ (23 pluviose,)--Soumission des chouans du département du
Morbihan.

18 _février_ (29 pluviose.)--Établissement d'un préfet pour chaque
département.

3 _mars_ (12 ventose.)--Décret ordonnant la clôture de la liste des
émigrés.

8 _mars_ (17 ventose.)--Le premier consul arrête qu'il sera formé à
Dijon une armée de réserve de soixante mille hommes.

22 _mars_ (1er germinal.)--Création de la république des sept îles
vénitiennes.

27 _mars_ (6 germinal.)--Décret pour la création d'un conseil des
prises.

2 _avril_ (12 germinal.)--Le 1er consul nomme le général Carnot pour
remplacer au ministère de la guerre le général Berthier, appelé par lui
au commandement en chef de l'armée de réserve.

18 _avril_ (28 germinal.)--Il nomme Bernadotte général en chef de
l'armée de l'Ouest.

6 _mai_ (16 floréal.)--Le premier consul quitte Paris pour aller prendre
en personne le commandement de l'armée de réserve, devenue l'armée
d'Italie.

15 _mai_ (25 floréal.)--Il nomme premier grenadier des armées de la
république le brave Latour-d'Auvergne, qui se refuse à tout avancement.

16, 17, 18 _mai_ (26, 27, 28 floréal.)--Passage du mont Saint-Bernard
par l'armée d'Italie, ayant le premier consul à sa tête.

22 _mai_ (2 prairial.)--Prise de Suze et de Verceil.

25 _mai_ (5 prairial.)--Prise de la citadelle d'Ivrée.

29 _mai_ (9 prairial.)--Reprise de Nice et passage du Tesin.

2 _juin_ (13 prairial.)--Prise de Milan. Le premier consul rétablit la
république cisalpine.

7 _juin_ (18 prairial.)--Prise de Pavie.

8 _juin_ (19 prairial.)--Combat et prise de Plaisance.

9 _juin_ (20 prairial.)--Passage du Pô et bataille de Montebello.

14 _juin_ (25 prairial.)--Bataille de Marengo; elle coûte aux
Autrichiens vingt mille hommes, quarante pièces de canon, douze
drapeaux; à la France, le général Desaix, qui avait puissamment
contribué à cette glorieuse victoire.

15 _juin_ (26 prairial.)--Convention d'Alexandrie entre le premier
consul et Mélas, commandant en chef l'armée autrichienne. Cette
convention, ou plutôt cette capitulation du général autrichien restitue
à la France toutes ses conquêtes en Italie.

18 _juin_ (29 prairial.)--Le premier consul établit à Milan _une
consulte_ chargée de réorganiser la république cisalpine.

23 _juin_. (4 messidor.)--Il rétablit l'université de Pavie.

26 _juin_ (7 messidor.)--Le premier consul fait transporter le corps de
Desaix au mont Saint-Bernard, et ordonne qu'il sera érigé en ce lieu un
monument à la mémoire de ce jeune héros.

30 _juin_ (11 messidor.)--Bonaparte ordonne la reconstruction de la
place de Bellecour à Lyon et en pose lui-même la première pierre.

3 juillet (14 messidor.)--Retour du premier consul à Paris.

28 juillet (9 thermidor.)--Il signe les préliminaires de la paix entre
la France et l'Autriche.

13 _août_ (25 thermidor.)--Il nomme le général Brune commandant en chef
de l'armée d'Italie.

25 _août_ (7 fructidor.)--Il organise le conseil-d'état et nomme les
conseillers.

3 _septembre_ (16 fructidor.)--Convention d'amitié et de commerce entre
les États-Unis et la république française.

20 _septembre_ (troisième jour complémentaire.)--Nouvel armistice
entre l'Autriche et la France. L'empereur ayant refusé de signer les
préliminaires de paix, un autre congrès est indiqué à Lunéville, et le
premier consul nomme le général Clark commandant extraordinaire de cette
place.

_Même jour_. Inauguration du prytanée de Saint-Cyr, et translation
solennelle des cendres de Turenne au temple de Mars (l'église des
Invalides).

30 _septembre_ (8 vendémiaire.)--Traité de paix entre la France et le
dey d'Alger.

6 _octobre_ (14 vendémiaire.)--Le premier consul ordonne au général
Brune de faire occuper le grand-duché de Toscane.

8 _octobre_ (16 vendémiaire.)--Il nomme le général Berthier ministre de
la guerre.

10 _octobre_ (18 vendémiaire.)--Arrestation dans les couloirs de
l'Opéra, de Demerville, Caracchi et autres, prévenus d'avoir voulu
assassiner le premier consul.

11 _octobre_ (19 vendémiaire.)--Bonaparte nomme son frère Joseph
plénipotentiaire de la république au congrès de Lunéville.

24 _décembre_ (3 nivose.)--Explosion d'une machine infernale dirigée
contre la personne du premier consul au moment où, se rendant à l'Opéra,
il passait dans la rue Saint-Nicaise; Bonaparte ne doit son salut qu'à
l'adresse de son cocher, qui tourna la charrette sur laquelle était la
machine, au lieu de faire débarrasser le passage.

1801 (an IX.)

11 _janvier_ (21 nivose.)--Création de tribunaux spéciaux: le
gouvernement pourra en créer autant que bon lui semblera.

17 _janvier_ (27 nivose.)--Rétablissement de la compagnie d'Afrique. Le
premier consul charge le général Turreau de présider au confectionnement
de la belle route d'Italie par le Simplon.

9 _février_ (20 pluviose.)--Traité de paix entre la France et l'empereur
d'Allemagne, signé à Lunéville par le comte de Cobentzel et Joseph
Bonaparte.

10 _février_ (21 pluviose.)--Arrêté des consuls qui ordonne la poursuite
judiciaire des auteurs de la machine infernale.

18 _février_ (27 pluviose.)--Armistice entre la république française et
le roi des Deux-Siciles.

4 _mars_ (13 ventose.)--Arrêté des consuls qui ordonne qu'il sera
fait chaque année, du 17 au 22 septembre, une exposition publique des
produits de l'industrie française. On peut regarder cet arrêté comme
l'une des causes qui contribuèrent le plus puissamment aux développemens
prodigieux de cette même industrie pendant tout le règne de Napoléon.

9 _mars_ (18 ventose.)--Décret portant réunion des départemens de
la Roër, de la Sarre, de Rhin et Moselle et du Mont-Tonnerre à la
république française.

19 _mars_ (28 ventose.)--Le gouvernement est autorisé par une loi à
établir des bourses de commerce.

_Même jour_--Traité entre la république française et le roi d'Espagne,
par lequel le duché de Parme est cédé à la France et la Toscane au
prince de Parme, avec le titre de roi d'Étrurie.

25 _mars_ (4 germinal.)--Le premier consul ordonne la construction de
trois nouveaux ponts sur la Seine: un devant le jardin des Plantes,
l'autre dans la Cité, le troisième devant le Louvre.

28 _mars_ (7 germinal.)--Traité de paix entre la république française
et le roi de Naples. Porto-Longone, l'île d'Elbe et la principauté de
Plombino sont cédées à la France. Ferdinand s'engage en outre à fermer
tous ses ports aux Anglais.

1er _avril_ (11 germinal.)--Le premier consul nomme le général Macdonald
ministre plénipotentiaire de la république près le roi de Danemarck.

6 _avril_ (16 germinal.)--Le Régent et Carbon, convaincus d'avoir
contribué à la confection de la machine infernale, sont décapités à
Paris.

1er _mai_ (11 floréal,)--Occupation de l'île d'Elbe par les Français.

8 _mai_ (18 floréal,)--Organisation définitive da la société de la
Charité maternelle.

21 _mai_ (1er prairial.)--L'Institut présente au premier consul son
projet de travail pour la continuation de son Dictionaire de la langue
française.

4 _juin_ (14 messidor.)--Le premier consul nomme le nègre
Toussaint-Louverture gouverneur à vie de Saint-Domingue.

15 juillet (26 messidor.)--Concordat entre le premier consul et le
pape Pie VII. Les évèques et archevèques nommés par le premier consul
recevront du pape l'institution canonique. Par ce concordat, Bonaparte
devenait réellement le restaurateur de la religion en France. Les
prêtres ne lui en ont pas gardé plus de reconnaissance.

24 _juillet_ (6 thermidor.)--Traité de paix et d'alliance entre la
république française et l'électeur de Bavière.

31 _juillet_ (12 thermidor.)--Organisation de la gendarmerie en France.

27 _août_ (9 fructidor.)--Création d'un ministère du trésor public.
Bonaparte donne le portefeuille à Barbé-Marbois.

29 _septembre_ (7 vendémiaire.)--Traité de paix signé à Madrid entre la
république française et le roi de Portugal.

1er _octobre_ (9 vendémiaire.)--Préliminaires de paix signés à Londres
entre la France et l'Angleterre.

8 _octobre_ (16 vendémiaire.)--Traité de paix signé à Paris entre la
France et la Russie.

9 _octobre_ (17 vendémiaire.)--Préliminaires de paix signés à Paris
entre la France et la Sublime-Porte.

12 _novembre_ (21 brumaire.)--Consulte législative de la république
cisalpine, indiquée à Lyon. Le premier consul est invité à assister à
ses séances.

16 _novembre_ (25 brumaire.)--Célébration à Paris de fêtes solennelles à
l'occasion de la paix.

21 _novembre_ (30 brumaire.)--Départ de Brest de l'expédition de
Saint-Domingue sous les ordres du général Leclerc, beau-frère de
Bonaparte.

1802 (an X.)

8 _janvier_ (18 nivose.)--Arrivée du premier consul à Lyon.

25 _janvier_ (5 pluviose.)--Cédant au voeu de la consulte, le premier
consul accepte le titre de président de la république italienne.

4 _mars_ (13 ventose,)--Arrêté des consuls ordonnant qu'il leur soit
présenté un tableau général des progrès et de l'état des sciences, des
lettres et des arts depuis 1789 jusqu'au 23 septembre 1802. Cet arrêté a
pour objet d'encourager par toutes sortes de secours ces trois grandes
branches de la prospérité publique et de perfectionner les méthodes
employées pour l'enseignement en France.

8 _mars_ (17 ventose.)--Traité de paix entre la France et la régence
d'Alger.

_Même jour_.--Création d'un directeur de l'administration de la guerre,
ayant rang et fonction de ministre.--Dejean est nommé directeur.

25 _mars_ (4 germinal.)--Traité de paix définitif entre la république
française, le roi d'Espagne, la république batave, d'une part, et la
Grande-Bretagne de l'autre, signé à Amiens.

3 _avril_ (13 germinal.)--Bonaparte, président de la république
italienne, convoque à Milan le corps législatif pour le 24 juin 1804.

8 _avril_ (18 germinal.)--Adoption par le corps législatif du concordat
arrêté entre le premier consul et Pie VII, pour l'organisation du culte
en France.--Le cardinal Caprara est autorisé par Bonaparte à exercer les
fonctions de légat _à latere_.--Suppression des décades.

18 _avril_ (28 germinal.)--Bonaparte et toutes les autorités constituées
de la république assistent en grande pompe au _Te Deum_ chanté à
Notre-Dame, à l'occasion du traité de paix signé à Amiens et du
rétablissement du culte catholique en France.

26 _avril_ (6 floréal.)--Loi d'amnistie en faveur de tout prévenu
d'émigration non radié; permission accordée à tout émigré de rentrer en
France, sous la condition de prêter serment de fidélité au gouvernement
et à la constitution de l'an VIII.

1er _mai_ (11 floréal.)--Création des écoles primaires, secondaires et
spéciales, autrement dites lycées, aux frais du trésor public.

8 _mai_ (18 floréal.)--Le sénat conservateur nomme Bonaparte consul pour
les dix années qui suivront celles pour lesquelles il a été nommé par la
constitution.

10 _mai_ (20 floréal.)--Arrêté des consuls portant que le peuple
français sera consulté sur cette question: Napoléon Bonaparte sera-t-il
consul à vie?

19 _mai_ (29 floréal.)--Loi portant création d'une légion-d'honneur
en France; elle a pour objet de récompenser les services civils et
militaires, comme également utiles à l'état.

20 _mai_ (30 floréal.)--Traité particulier entre la république française
et le duc de Wurtemberg.

24 _mai_ (4 prairial.)--Traité par lequel le prince d'Orange renonce à
la dignité de stathouder des Provinces-Unies.

15 _juin_ (26 prairial.)--Le premier consul fonde un prix (une médaille
d'or de 3,000 fr.) pour encourager les savans à des expériences sur
l'électricité et le galvanisme; l'Institut sera juge des découvertes
faites dans ces deux parties essentielles de la physique.

25 _juin_ (6 messidor.)--Traité de paix entre la république française et
la Porte-Ottomane, qui confirme tous les traités antérieurs.

2 _juillet_ (13 messidor.)--Lucien Bonaparte, Joseph Bonaparte et le
général Kellermann, sénateurs, sont nommés membres du grand conseil de
la légion-d'honneur.

2 _août_ (14 thermidor.)--Un sénatus-consulte interprétant le voeu du
peuple français, proclame Napoléon Bonaparte premier consul à vie, et
lui donne le droit de se nommer un successeur.

4 _août_ (16 thermidor.)--Autre sénatus-consulte organique qui accorde
aux autres consuls cette même prorogation de pouvoir, et la présidence
du sénat, dont ils seront membres de droit.

_Même jour_.--Création d'un grand-juge, ministre de la justice.--Regnier
est nommé grand-juge.

21 _août_ (3 fructidor.)--Le premier consul préside pour la première
fois le sénat conservateur.

26 _août_ (8 fructidor.)--Réunion de l'île d'Elbe à la France.

2 _septembre_ (15 fructidor,)--Le sénat helvétique réclame la médiation
du premier consul.

3 _septembre_ (16 fructidor.)--Installation de la république valaisane.

11 _septembre_ (24 fructidor.)--Réunion du Piémont à la France. Il est
divisé en six départemens: le Pô, la Doire, la Sesia, la Stura, le
Tanaro et Marengo.

14 _septembre_ (27 fructidor,)--Décret qui supprime le ministère de
la police de la république, et réunit ses attributions à celles de
grand-juge.

1802 (an XI.)

4 _octobre_ (12 vendémiaire.)--Décret qui crée une garde municipale
soldée pour le service de la ville de Paris; elle consiste en deux
mille cent cinquante-quatre hommes a pied et cent quatre-vingts à
cheval.

_Même jour_.--Les diverses écoles d'artillerie et de génie sont réunies
à Metz.

18 _octobre_ (26 vendémiaire.)--Un sénatus-consulte invite les étrangers
à former en France des établissemens utiles; un an de domicile suffira
pour acquérir le titre de citoyen français, mesure éminemment libérale
et bien faite pout accroître la prospérité nationale.

12 _décembre_ (21 frimaire.)--Bonaparte, premier consul, est proclamé
restaurateur de l'indépendance du Valais.

24 _décembre_ (3 nivose.)--Formation de chambres de commerce dans les
principales villes de la république, en vertu d'un arrêté des consuls.

1803 (an XI.)

3 _janvier_ (13 nivose.)--Le premier consul nomme le général Rochambeau
commandant en chef de l'armée de St.-Domingue, et capitaine-général de
cette colonie, en remplacement de son beau-frère, le général Leclerc,
mort dans cette île.

4 _janvier_ (14 nivose.)--Sénatus-consulte qui crée trente sénatoreries,
avec une dotation de 25,000 fr. en domaines nationaux.

17 _janvier_ (21 nivose.)--Promotion au cardinalat, sur la demande du
premier consul, de MM. de Belloy, archevêque de Paris; Fesch, oncle de
Bonaparte, archevêque de Lyon; Cambacérès, frère du consul du même nom,
archevêque de Rouen; et Boisgelin, archevêque de Tours.

23 _janvier_ (3 pluviose,)--Nouvelle organisation de l'Institut de
France; il est divisé en quatre classes: première, des sciences;
deuxième, de la langue et de la littérature; troisième, d'histoire et de
littérature ancienne; quatrième, des beaux-arts.

28 _janvier_ (8 pluviose.)--Organisation d'une école spéciale militaire
établie à Fontainebleau.

19 _février_ (30 pluviose.)--Le premier consul, en sa qualité de
médiateur de la confédération helvétique, termine les différens qui
se sont élevés entre les cantons suisses. L'Helvétie est divisée en
dix-neuf cantons ayant chacun leur propre constitution.

25 _février_ (6 ventose.)--Établissement à Compiègne d'une école
spéciale des arts et métiers.

10 _mars_ (19 ventose.)--Loi sur l'exercice de la médecine.
--Rétablissement du doctorat pour les médecins et chirurgiens.

18 _avril_ (28 germinal.)--Arrêté des consuls qui fixe le diamètre des
nouvelles pièces d'or, d'argent et de cuivre.

30 _avril_ (10 floréal.)--La république française cède aux États-Unis la
Louisiane.

14 _mai_ (24 floréal.)--Communication au sénat, au corps législatif et
au tribunal, de l'ultimatum du roi d'Angleterre. Par cet ultimatum,
entièrement contraire au traité d'Amiens, le roi de la Grande-Bretagne
exigeait impérieusement la possession de l'île de Lampedosa et de Malte
pour dix ans, en outre, l'évacuation de la Hollande.

22 _mai_ (2 prairial.)--La république française déclare la guerre à
l'Angleterre.--Ordre donné d'arrêter tous les Anglais qui se trouvent en
France.

30 _mai_ (10 prairial.)--Décret portant organisation de l'administration
des monnaies.

3 _juin_ (14 prairial.)--Occupation du Hanovre par les Français; l'armée
anglaise est faite prisonnière de guerre; fuite honteuse du duc de
Cambridge, qui la commandait.

7 _juin_ (18 prairial.)--La ville de Rouen, et d'autres à son exemple,
votent la construction à ses frais d'un vaisseau de guerre, pour être
employé dans la lutte contre les Anglais.

20 _juin_ (1er messidor.)--Arrêté des consuls, portant qu'il ne sera
plus reçu dans les ports de France aucune denrée provenant des colonies
anglaises.

23 _juin_ (4 messidor.)--Le premier consul Bonaparte part de Paris pour
visiter des départemens de la ci-devant Belgique.

2 _juillet_ (13 messidor.)--Il visite Dunkerque, Anvers, etc.

22 _juillet_ (3 thermidor.)--Il arrive à Bruxelles, et y est reçu en
triomphateur.

28 _juillet_ (9 thermidor.)--Il ordonne la réunion du Rhin, de la Meuse
et de l'Escaut par un grand canal de communication.

_Même jour_. Il nomme l'amiral Truguet commandant en chef des forces
navales rassemblées à Brest.

11 _août_ (25 thermidor.)--Retour du premier consul à Paris.

19 _août_ (1er fructidor.)--L'Angleterre refuse la médiation de la
Russie, proposée par le premier consul.

21 _août_ (5 fructidor.)--Bonaparte nomme le sénateur Lacépède
grand-chancelier de la légion-d'honneur.

27 _août_(9 fructidor.)--Le vice-amiral Brueys est nommé commandant de
la flottille nationale, avec le titre d'amiral.

1803 (au XII.)

24 _septembre_ (1er vendémiaire.)--Le pont des arts, remarquable par
son élégante construction en fer, est ouvert pour la première fois au
public.--Le prytannée de Paris est converti en lycée.

27 _septembre_ (4 vendémiaire.)--Traité d'alliance entre la France et la
Suisse.

9 _octobre_ (16 vendémiaire.)--Le premier consul donne une audience
extraordinaire à l'ambassadeur de la Porte-Ottomane.

27 _octobre_ (4 brumaire.)--Publication du traité par lequel la
république française cède aux États-Unis la Louisiane, moyennant la
somme de soixante millions de francs.

3 _novembre_ (11 brumaire.)--Le premier consul part de Paris pour faire
une tournée sur les côtes et visiter les immenses travaux qu'il a
ordonnés pour une descente en Angleterre.

5 _novembre_ (13 brumaire.)--Il assiste à un combat qui a lieu à
Boulogne entre une division anglaise et la flottille française.

18 _novembre_ (26 brumaire.)--Retour de Bonaparte à Paris.

20 _décembre_ (28 frimaire.)--Sénatus-consulte qui donne une nouvelle
organisation au corps législatif. Le premier consul fera l'ouverture de
la session.

1804 (an XII.)

6 _janvier_ (15 nivose.)--Ouverture du corps législatif par Bonaparte
pour la session de l'an XII.

11 _janvier_ (20 nivose.)--Le premier consul nomme le littérateur
Fontanes président annuel du corps législatif, avec 100,000 fr.
d'émolumens.

16 _janvier_ (25 nivose.)--Il nomme le général Murat gouverneur de
Paris.

31 _janvier_ (10 pluviose.)--Le général Jourdan commande en chef l'armée
d'Italie.

15 _février_ (25 pluviose.)--Arrestation du général Moreau, accusé
d'avoir conspiré avec Pichegru et Georges Cadoudal, contre la vie du
premier consul, et pour le rétablissement des Bourbons sur le trône.

17 _février_ (27 pluviose.)--Rapport du grand-juge relativement à cette
conspiration.

28 _février_ (8 ventose.)--Arrestation de Pichegru dans la rue
Chabanais.

9 _mars_ (18 ventose.)--Arrestation de Georges Cadoudal au carrefour de
l'Odéon.

10 _mars_ (19 ventose.)--Ouverture du jubilé accordé à la France par le
pape à l'occasion du concordat.

13 _mars_ (22 ventose.)--Décret des consuls qui institue des écoles de
droit dans toutes les grandes villes de la république.

17 _mars_ (26 ventose.)--Arrestation du duc d'Enghien à Ettenheim, dans
le margraviat de Bade.

21 _mars_ (30 ventose.)--Ce jeune prince est jugé, condamné à mort par
une commission militaire, et fusillé dans les fossés du château de
Vincennes; il avait alors trente-deux ans.

_Même jour_.--Le corps législatif adopte le projet de loi concernant la
réunion des lois civiles en un seul corps de lois, sous le nom de _Code
Civil des Français_, appelé depuis _Code Napoléon_.

26 _mars_ (5 germinal.)--Loi qui organise la régie des droits-réunis et
la place dans les attributions du ministre des finances. Français de
Nantes est nommé directeur général.

4 _avril_ (14 germinal.)--Formation d'une société pour la propagation de
la vaccine.

30 _avril_ (10 floréal.)--Séance extraordinaire du tribunal, pour
entendre la motion d'un membre nommé Curée, tendant: 1° à ce que le
premier consul Bonaparte soit déclaré empereur; 2° que l'hérédité soit
dans sa famille; 3° que celles des institutions de la république qui ne
sont que tracées soient définitivement arrêtées.

2 _mai_ (12 floréal.)--Les membres du corps législatif réunis dans la
salle de la questure, émettent le voeu que Napoléon Bonaparte soit
déclaré empereur, que la dignité impériale soit héréditaire dans sa
famille, que le système représentatif soit affermi sur des bases
inébranlables. Carnot, membre du tribunal, se montre seul d'un avis
contraire; dans un discours plein de beaux traits d'éloquence et brûlant
de patriotisme, il déclare que cette dignité causera des guerres
continuelles avec toute l'Europe, amènera inévitablement la ruine de la
liberté, etc., etc.

18 _mai_ (28 floréal.)--Sénatus-consulte organique, qui défère au
premier consul Bonaparte le titre d'empereur des Français, et qui
établit l'hérédité impériale dans sa descendance directe, naturelle et
légitime, de mâles en mâles, par ordre de primogéniture, à l'exclusion
des femmes. Les collèges électoraux, la haute-cour impériale, les
grandes dignités de l'empire, sont établis par le même acte. Le même
jour, l'empereur nomme les grands officiers de la couronne: Joseph
Bonaparte, grand électeur; Louis Bonaparte, connétable; le consul
Cambacérès, archi-chancelier de l'empire; le consul Lebrun,
archi-trésorier.

19 _mai_ (29 floréal.)--L'empereur crée maréchaux de l'empire les
généraux, ses compagnons d'armes: Berthier, Murat, Moncey, Jourdan,
Masséna, Augereau, Bernadotte, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney,
Davoust, Bessières, Kellermann, Lefebvre, Pérignon et Serrurier.

10 _juin_ (21 prairial.)--Arrêt de la cour de justice criminelle
qui condamne à la peine de mort Georges Cadoudal, Bouvet de Lozier,
Russillon, Rochelle, Armand Polignac, Charles d'Hozier, de Rivière,
Louis du Corps, Picot, Lajolais, Roger dit Loiseau, Coster-St.-Victor,
Deville, Armand-Gaillard, Joyaux-Barban, Lemercier, P. J. Cadoudal et
Mirelle; à deux ans de réclusion le général Moreau, Jules de Polignac,
la fille Hezaï et Rollan: les autres prévenus sont acquittés. Napoléon
accorde la grâce à Armand de Polignac, de Rivière, Bouvet de Lozier,
Lajolais, Rochelle, Gaillard, Russillion et Charles d'Hozier; il commue
la peine du général Moreau en un exil perpétuel.

12 _juin_ (23 prairial.)--Règlement sur les inhumations.

10 _juillet_ (21 messidor.)--Décret impérial qui rétablit le ministre de
la police générale dans ses premières attributions.--Autre décret qui
règle la forme de la décoration de la légion-d'honneur.--Autre qui crée
un ministère des cultes, et nomme M. Portalis pour l'exercer.

15 _juillet_ (26 messidor.)--Napoléon se rend en grande cérémonie à
l'Hôtel militaire des Invalides, pour la première distribution de croix
de la légion-d'honneur.

16 _juillet_ (27 messidor.)--Organisation de l'école impériale
polytechnique.

18 _juillet_ (29 messidor.)--Napoléon part de Paris pour aller visiter
les côtes et inspecter les camps qu'il y a ordonnés.

1er _août_ (13 thermidor.)--Il visite celui d'Ambleteuse. Le 5 il arrive
à Calais, dont il visite le port et les fortifications. Le 9, il
visite la rade de Dunkerque, et part pour Ostende; le 15 il retourne à
Boulogne, après avoir visité Ostende, Furnes, Nieuport, etc., etc. Le
16, grande fête militaire au camp de la Tour-d'Ordre. Il reçoit le
serment des troupes, et distribue les étoiles de la légion-d'honneur.

6 _août_ (18 thermidor.)--Décret impérial qui rétablit les missions
étrangères.

25 _août_ (7 fructidor.)--Autre décret qui organise sur de nouvelles
bases le corps des ingénieurs des ponts et chaussées.

10 _septembre_(23 fructidor.)--Institution de grands prix décennaux qui
doivent être distribués de la main de Napoléon; toutes les sciences sont
admises à y concourir.

12 _octobre_ (20 vendémiaire.)--Retour de l'empereur à St.-Cloud.

17 _octobre_ (25 vendémiaire.)--Décret impérial qui convoque le corps
législatif à l'occasion du couronnement de Napoléon.

6 _novembre_ (15 brumaire.)--Sénatus-consulte qui déclare qu'après
vérification des votes, le peuple français veut l'hérédité de la dignité
impériale dans la famille de Napoléon Ier.

25 _novembre_ (4 frimaire.)--Le pape Pie VII part le 2 de Rome, arrive
à Fontainebleau où l'empereur s'était rendu au devant lui.

28 _novembre_ (7 frimaire.)--Il arrive à Paris avec Napoléon dans la
même voiture.

2 _décembre_ (11 frimaire.)--L'empereur Napoléon Ier et l'impératrice
Joséphine sont sacrés et couronnés dans l'église métropolitaine de Paris
par le pape Pie VII.

3 _décembre_ (12 frimaire.)--Distribution des aigles impériales au
Champ-de-Mars; les troupes, en les recevant, prêtent serment de fidélité
à l'empereur.

13 _décembre_ (22 frimaire.)--Le sénat conservateur donne une grande
fête, à l'occasion du couronnement.

16 _décembre_ (25 frimaire.)--Autre fête brillante et banquet superbe
donné à l'empereur et à l'impératrice par la ville de Paris.

27 _décembre_ (6 nivose.)--Napoléon fait l'ouverture du corps législatif
pour la session de l'an XIII.

1805 (an XIII.)

1er _janvier_ (11 nivose.)--Lettre de l'empereur Napoléon au roi
d'Angleterre, dans laquelle il invite ce monarque à se réunir à lui pour
procurer au monde la paix générale.

14 _janvier_ (24 nivose.)--Inauguration de la statue de Napoléon dans la
salle du corps législatif.

29 _janvier_ (9 pluviose.)--Décret qui ordonne la construction d'une
ville dans la Vendée, sous le nom de _Napoléon-Ville_.

1er _février_ (12 pluviose.)--Création de la charge de grand-amiral et
d'archi-chancelier de l'état et de l'empire; la première est conférée au
maréchal Murat, la deuxième à Eugène Beauharnais, adopté par l'empereur.

13 _mars_ (22 ventose.)--Solennelle députation des collèges électoraux
et corps constitués de la république italienne. Ils portent aux pieds du
trône de Napoléon le voeu de leur nation, et le proclament roi d'Italie.

18 _mars_ (27 ventose.)--L'empereur accepte la couronne de fer en
présence du sénat de France. Dans cette même séance, il cède à sa soeur
Elisa, en toute propriété, le duché de Piombino, et confère au mari de
cette princesse le titre de prince de l'empire.

24 _mars_ (3 germinal.)--Le fils du prince Louis-Napoléon, est baptisé
par le pape Pie VII au château de Saint-Cloud.

31 _mars_ (10 germinal.)--L'empereur et l'impératrice partent de Paris
pour se rendre en Italie, et le pape pour se rendre à Rome.

24 _avril_ (4 floréal.)--Visite faite à Turin, à Napoléon et à
Joséphine, par le pape Pie VII.

8 _mai_ (18 floréal.)--L'empereur pose sur le champ de bataille de
Marengo la première pierre du monument consacré aux braves qui y sont
morts.

_Même jour_.--Il fait son entrée à Milan.

26 _mai_ (6 prairial.)--Napoléon et Joséphine sont couronnés roi et
reine d'Italie par le cardinal Caprara, archevêque.

6 _juin_ (19 prairial.)--D'après le voeu émis par la république
ligurienne (Gênes), elle est réunie à l'empire français.

7 _juin_ (18 prairial.)--Le prince Eugène Beauharnais est nommé par
Napoléon vice-roi du royaume d'Italie.

10 _juin_ (21 prairial.)--Napoléon part de Milan pour visiter quelques
départemens du royaume d'Italie.

17 _juin_ (28 prairial.)--Il fonde l'ordre de la couronne de fer, et
organise le même jour l'Université de Turin.

23 _juin_ (4 messidor.)--Réunion de la république de Lucques à la
principauté de Piombino. Bacciochi, beau-frère de Napoléon, prend le
titre de prince de Lucques et de Piombino.

30 _juin_ (11 messidor.)--Arrivée de Napoléon et de Joséphine à Gênes,
qui leur donne une fête superbe le 2 juillet.

11 _juillet_ (22 messidor.)--Retour de l'empereur et de l'impératrice à
Fontainebleau.

21 _juillet_ (2 thermidor.)--Réunion de Parme, Plaisance et Guastalla à
la France.

2 _août_ (14 thermidor.)--Napoléon part de St.-Cloud pour Boulogne et
visite les camps qui bordent la côte.

16 _août_ (28 thermidor.)--D'après l'ordre de l'empereur, quatre-vingt
mille hommes se réunissent sur les frontières de l'Autriche.

31 _août_ (13 fructidor.)--Le prytannée de St.-Cyr est érigé en
prytannée militaire français.

2 _septembre_ (15 fructidor.)--Retour de Napoléon à Paris.

9 _septembre_ (22 fructidor.)--Sénatus-consulte qui remet en usage le
calendrier grégorien pour le 1er _janvier_ 1806.

23 _septembre_ (1er vendémiaire.)--Séance extraordinaire du sénat;
l'empereur y expose la conduite hostile de l'Autriche, et annonce qu'il
va commander ses armées en personne. Le sénat décrète une levée de
quatre-vingt mille conscrits. Un second décret ordonne la réorganisation
de la garde nationale pour la défense des côtes.

24 _septembre_ (2 vendémiaire.)--L'empereur et l'impératrice partent
pour Strasbourg.

1er _octobre_ (9 vendémiaire.)--Napoléon passe le Rhin et harangue
l'armée.

3 _octobre_ (11 vendémiaire.)--La Suède s'engage à faire la guerre avec
la France.

7 _octobre_ (15 vendémiaire.)--Combat sur le Lech.

8 _octobre_ (16 vendémiaire.)--Combat de Wertbingen.

9 _octobre_ (17 vendémiaire.)--Combat de Guntzbourg.

10 _octobre_ (18 vendémiaire.)--L'empereur établit son quartier-général
à Augsbourg.

14 _octobre_ (22 vendémiaire.)--Combat d'Elchingen.

17 _octobre_ (25 vendémiaire.)--Capitulation du général Mack dans la
ville d'Ulm. Toute l'armée autrichienne est faite prisonnière de guerre.

21 _octobre_ (29 vendémiaire.)--Prise de Munich. Décret impérial qui
ordonne que le mois écoulé depuis le 23 septembre jusqu'au 22 octobre,
soit compté pour une campagne à toute l'armée.

24 _octobre_ (2 brumaire.)--L'empereur fait son entrée dans Munich.

26 _octobre_ (4 brumaire.)--Passage de l'Inn sur plusieurs points.

29 _octobre_ (7 brumaire.)--Combat de Marienzel; l'empereur établit son
quartier-général à Braunau.

30 _octobre_ (8 brumaire.)--Combat de Mehrenbach, Prise de Salzbourg; le
même jour l'armée d'Italie bat les Autrichiens.

31 _octobre_ (8 brumaire.)--Combat de Lambach.

5 _novembre_ (13 brumaire.)--Passage de la Traun par l'armée française.

9 _novembre_ (18 brumaire.)--L'empereur établit son quartier-général à
Molck, à seize lieues de Vienne.

11 _novembre_ (20 brumaire.)--Combat de Diernstein.

13 _novembre_ (22 brumaire.)--L'armée française fait son entrée
dans Vienne; Napoléon ne veut point y pénétrer, il établit son
quartier-général à Schoenbrun.

15 _novembre_ (24 brumaire.)--Le général Clarke est nommé gouverneur
de la Haute et Basse-Autriche; le conseiller-d'état Daru intendant
général.--Combat d'Hollabrun entre les Français et l'avant-garde de
l'armée russe.

16 _novembre_ (25 brumaire.)--Défaite des Russes à Guntersdorf.

17 _novembre_ (26 brumaire.)--Invasion du Tyrol par le maréchal Ney;
combats de Clauzen et de Bautzen.

18 _novembre_ (27 brumaire.)--Entrée du prince Murat dans Brünn,
capitale de la Moravie; quartier-général de Napoléon à Porlitz;
l'empereur d'Autriche se retire à Olmutz.

22 _novembre_ (1er frimaire.)--Combat naval de Trafalgar. Les flottes
française et espagnole y sont détruites. L'amiral anglais est tué.

28 _novembre_ (7 frimaire.)--L'empereur Napoléon envoie le général
Savary complimenter l'empereur Alexandre, dont le quartier-général est
à Vischau. En même temps il donne l'ordre d'une retraite simulée pour
tromper l'ennemi.

1er _décembre_ (10 frimaire.)--Napoléon, à la vue des Russes manoeuvrant
pour le tourner, s'écrie: _demain toute cette belle armée sera à nous_.
Le soir il visite les bivouacs, et reçoit de toutes parts les preuves de
l'attachement et de l'enthousiasme qu'il communique à ses soldats.

2 _décembre_ (11 frimaire.)--Grande et mémorable bataille d'Austerlitz.
L'armée austro-russe est anéantie. Cette belle victoire met deux
empereurs à la discrétion de Napoléon, et plus généreux qu'ils ne
devaient l'être un jour à son égard, il s'abstient d'en abuser.

3 _décembre_ (12 frimaire.)--Napoléon accorde à l'empereur d'Autriche
une entrevue que celui-ci lui fait demander par le prince de
Liechtenstein.

4 _décembre_ (13 frimaire.)--Cette entrevue a lieu au bivouac de
Napoléon, auprès du village de Nasedlowitz. «_Je vous reçois dans le
seul palais que j'habite depuis deux mois_, dit l'empereur des Français
à celui d'Allemagne.»--«_Vous tirez si bon parti de votre habitation
qu'elle doit vous plaire», répond François avec un sourire qui devait
être un peu forcé.

5 _décembre_ (14 frimaire.)--Napoléon fait arrêter la marche de ses
troupes, qui déjà environnaient les débris de l'armée russe, et étaient
sur le point de prendre l'empereur Alexandre.

6 _décembre_ (15 frimaire.)--Armistice conclu entre Napoléon
et l'empereur d'Autriche. Alexandre retourne précipitamment à
St.-Pétersbourg.

7 _décembre_ (16 frimaire.)--Décret impérial en faveur des veuves et
des enfans des militaires de tout grade morts à la bataille
d'Austerlitz.--Autre décret qui ordonne que les canons russes et
autrichiens pris sur le champ de bataille d'Austerlitz seront fondus,
et serviront à l'érection sur la place Vendôme à Paris, d'une grande
colonne consacrée à la gloire de l'armée victorieuse.

13 _décembre_ (22 frimaire.)--Napoléon reçoit à Schoenbrunn la
députation des maires de Paris; il lui remet les drapeaux pris à
Austerlitz, pour être déposés dans l'église Notre-Dame.

26 _décembre_ (5 nivose.)--Traité de paix signé à Presbourg entre la
France et l'Autriche; les électeurs de Bavière et de Wurtemberg sont
élevés à la dignité de rois.--Les états vénitiens sont réunis au royaume
d'Italie.

27 _décembre_ (6 nivose.)--Entrevue à Schoenbrunn de Napoléon et du
prince Charles, frère de l'empereur d'Autriche. _Même jour_.--Napoléon
publie à Schoenbrunn une proclamation dans laquelle il déclare à
l'Europe que la dynastie de Naples a cessé de régner.

1806.[6]

[Footnote 6: Par un sénatus-consulte en date du 9 septembre, le
calendrier grégorien ayant été substitué au calendrier républicain pour
le 1er janvier 1806, nous cessons de faire mention de celui-ci.]

1er _janvier_.--Maximilien Joseph est proclamé roi de Bavière, en
présence de l'empereur et de l'impératrice.--Le tribunal, en
corps, porte au sénat quarante-cinq drapeaux pris à la bataille
d'Austerlitz.--Le pont d'Austerlitz, construit en fer vis à vis le
jardin des Plantes, est ouvert pour la première fois au public.

14 _janvier_.--Le roi de Bavière donne sa fille en mariage au prince
Eugène de Beauharnais; l'empereur et l'impératrice assistent à la
cérémonie.

_Même jour_.--La communication en est faite au sénat par
l'archi-chancelier, qui l'informe en même temps que l'empereur a adopté
pour son fils le prince Eugène, et l'appelle à lui succéder comme roi
d'Italie, à défaut de descendans naturels et légitimes de Napoléon.

19 _janvier_.--Les drapeaux pris à la bataille d'Austerlitz sont reçus
par le clergé de Notre-Dame et appendus aux voûtes de la cathédrale.

26 _janvier_.--Retour de l'empereur et de l'impératrice à Paris; ils
reçoivent les complimens des différens corps de l'état.

6 _février_.--Le sultan Sélim III reconnaît Napoléon Ier empereur des
Français.

_8 février_.--Entrée des troupes françaises dans le royaume de Naples.

_15 février_.--Le prince Joseph, frère de l'empereur, prend possession
de Naples.

_Même jour_.--Le roi de Prusse reçoit de Napoléon le Hanovre, en échange
des propriétés qu'il a cédées à la France.

_20 février_.--L'église de Sainte-Geneviève (le Panthéon) est rendue au
culte catholique; elle conservera néanmoins la destination qu'elle avait
reçue de l'assemblée constituante, d'être le lieu de sépulture des
grands hommes.

_Même jour_.--Décret de l'empereur qui ordonne la restauration de
l'église de Saint-Denis, et la consacre à la sépulture des princes de la
dynastie de Napoléon.

_28 février_.--Institution d'une chaire de belles-lettres à l'école
polytechnique. M. Andrieux est nommé professeur.

_2 mars_.--Ouverture du corps législatif par Napoléon pour la session de
1806.

_4 mars_.--Adoption par l'empereur de la princesse Stéphanie, nièce de
l'impératrice, et mariage de cette princesse avec le prince héréditaire
de Bade.

_12 mars_.--Décrets pour le rétablissement et l'ouverture de canaux et
de grandes routes.

_15 mars_.--Napoléon cède en toute propriété les duchés de Clèves et de
Berg, à son beau-frère le prince Murat, qui en prend possession, sous le
titre de duc de Berg et de Clèves.

_30 mars_.--Joseph Bonaparte est proclamé par son frère Napoléon, roi
des Deux-Siciles.--La principauté de Guastalla est transférée a la
princesse Pauline, soeur de Napoléon, sous le litre de duchesse de
Guastalla; et celle de Neufchâtel au maréchal Berthier, sous le titre de
prince de Neufchâtel.

_Même jour_.--Décret ou statut en forme de loi, qui fixe l'état des
princes et princesses de la famille impériale.

_4 avril_.--Décret de Napoléon qui ordonne que le catéchisme approuvé
par le cardinal légat, sera en usage dans toutes les églises françaises.

_7 avril_.--Cérémonies du mariage de la princesse Stéphanie Napoléon
avec le prince héréditaire de Bade.

_22 avril_.--Loi qui donne à la banque de France une organisation
définitive, et proroge à vingt-cinq ans le privilège de quinze années
qui lui avait été accordé.

_27 avril_.--Le général Lauriston prend possession de la ville et du
territoire de Raguse au nom de l'empereur des Français.

_2 mai_.--Décret qui ordonne la construction de quinze nouvelles
fontaines à Paris.

_10 mai_.--Loi qui institue l'université impériale.

_12 mai_.--Clôture du corps législatif; il adopte dans cette session le
Code de procédure civile.

_28 mai_.--L'électeur archi-chancelier d'Allemagne, le prince-primat,
nomme pour son coadjuteur et son successeur le cardinal Fesch, oncle de
Napoléon.

_30 mai_.--Décret qui invite tous les sujets de l'empire professant la
religion juive d'envoyer des députés à Paris.

_5 juin_.--Une députation solennelle des états de Hollande demande à
l'empereur son frère Louis Napoléon pour roi; l'empereur adhère au voeu
des états.

_Même jour_.--Décret impérial qui transfère à M. Talleyrand`, grand
chambellan, la principauté de Bénévent, sous le titre de prince de
Bénévent; et au maréchal d'empire Bernadotte, le titre de prince de
Ponte-Corvo.

_Même jour_.--Napoléon donne une première audience à Moubed-Effendi,
ambassadeur extraordinaire de la Porte-Ottomane.

11 _juin_,--Décret portant organisation du conseil-d'état et fixant ses
attributions.

16 _juin_.--Institution à l'école d'Alfort d'une chaire d'économie
rurale.

24 _juin_.--Suppression des maisons de jeu dans tout l'empire.

4 _juillet_.--Loi qui organise les haras dans tous les départemens, et
nomme les chefs de ces établissemens.

6 _juillet_.--Combats contre les Russes et les Monténégrins par les
Français commandés par les généraux Lauriston et Molitor.

17 _juillet_.--Un traité solennel établit la confédération du Rhin: les
rois de Bavière, de Wurtemberg, les électeurs archi-chancelier de Bade,
le duc de Berg et de Clèves, et plusieurs autres princes d'Allemagne,
composent cette confédération et se séparent à perpétuité de l'empire
germanique. L'empereur Napoléon est proclamé protecteur de cette
confédération, qui change entièrement l'état politique de l'Europe et
tend à une pacification plus durable.

20 _juillet_.--Traité de paix signé à Paris entre la France et la
Russie; mais l'empereur Alexandre, influencé par l'Angleterre, refuse de
le ratifier au terme convenu.

26 _juillet_.--Première assemblée des Juifs, convoqués à Paris par
Napoléon, d'après son décret du 30 mai, sous le nom de _Grand-Sanhédrin_
juif, et dont le but est de fixer le sort de cette nation errante et
malheureuse.

5 _août_.--Lord Lauderdale arrive à Paris en qualité d'ambassadeur,
pour remplacer M. Fox dans les négociations ouvertes entre la France et
l'Angleterre.

20 _septembre_.--L'empereur Napoléon réclame contre la Prusse, des
princes liés par la confédération du Rhin, le contingent auquel chacun
d'eux s'est obligé, dans le cas de guerre.

25 _septembre_.--L'empereur part de Saint-Cloud pour se mettre à la tête
de ses armées, et combattre la quatrième coalition formée contre la
France par la Prusse, la Russie, la Suède et l'Angleterre.

28 _septembre_.--Arrivée de Napoléon à Mayence, avec l'impératrice son
épouse.

30 _septembre_.--L'électeur de Wurtzbourg accède à la confédération du
Rhin, et prend le titre de grand-duc.

1er _octobre_.--Napoléon passe le Rhin avec son état-major.

7 _octobre_.--Message de l'empereur au sénat, dans lequel il annonce la
nécessité de recommencer la guerre, et les dispositions qu'il vient de
faire pour lui donner une issue favorable.

8 _octobre_.--L'empereur quitte Bamberg pour se porter à la tête de son
armée.

9 _octobre_.--Combat de Saalbourg, et enlèvement des magasins de
l'ennemi à Hoff.

10 _octobre_.--Combat de Saalfeldt; le prince Ferdinand de Prusse y est
tué.

14 _octobre_.--Bataille d'Iéna. L'armée prussienne essuie une déroute
complète, ou plutôt elle est anéantie, tant en hommes que sous le
rapport du matériel. Le duc de Brunswick et le prince Henri de Prusse
sont grièvement blessés; la reine n'échappe qu'avec peine à la poursuite
des vainqueurs.

16 _octobre_.--Capitulation de la place d'Erfurt. Le prince d'Orange et
le feld-maréchal Mollendorf sont faits prisonniers.

_Même jour_.--Le roi de Prusse demande un armistice, qui est refusé par
Napoléon.

17 _octobre_.--Combat de Halle. Le prince Eugène de Wurtemberg,
général de l'armée de réserve prussienne, a son corps d'année presque
entièrement détruit.

18 _octobre_.--Prise de Leipsick par le maréchal Davoust.

21 _octobre_.--Après une série de succès non interrompus, les Français
interceptent la route de Magdebourg, où les Prussiens comptaient se
rallier. Le duc de Brunswick met ses états sous la protection de
l'empereur.

24 _octobre_.--Prise de Potsdam; l'empereur y établit son
quartier-général le lendemain, visite le tombeau du grand Frédéric, et
envoie à l'Hôtel des Invalides de Paris l'épée de ce fondateur de la
monarchie prussienne.

25 _octobre_.--Capitulation de Spandau.

26 _octobre_.--Blocus de Magdebourg.

27 _octobre_.--Napoléon fait son entrée solennelle dans Berlin, Acte de
clémence de l'empereur envers la femme du prince d'Haztfeld, gouverneur
de cette capitale.

28 _octobre_.--Prise de Prentzlow. Le grand-duc de Berg fait capituler
le corps d'armée commandé par le prince de Hohenlohe.

29 _octobre_.--Prise de la forteresse de Stettin.

1er _novembre_.--Capitulation de la forteresse de Custrin.

Le maréchal Mortier s'empare de la Hesse au nom de l'empereur des
Français.

6 et 7 novembre,--Bataille de Lubeck. Après des faits d'armes inouïs,
onze généraux prussiens, à la tête desquels se trouvaient Blücher,
devenu depuis si fameux, et le prince de Brunswick-Oels, cinq cents
dix-huit officiers, quatre mille chevaux, plus de vingt mille hommes et
soixante drapeaux, sont les trophées de cette victoire. Lubeck, pris
d'assaut, devient un horrible champ de carnage.

10 _novembre_.--Suspension d'arme entre l'empereur et le roi de Prusse,
elle reste sans effet. Prise de la ville de Posen.

11 _novembre_,--Prise de la ville et forteresse de Magdebourg.

19 _novembre_.--L'empereur reçoit à Berlin une députation du sénat
d'Hambourg.--Obligation imposée à toutes les villes occupées par les
Français, de déclarer les marchandises et propriétés anglaises.

20 _novembre_.--Capitulation de la place d'Hameln.

25 _novembre_.--Capitulation de celle de Niembourg.--L'empereur rend
à Berlin le fameux décret qui déclare les îles britanniques en état de
blocus, et interdit avec elles tout commerce et toute communication.

27 _novembre_.--Napoléon, résolu de pousser avec vigueur la guerre
contre la Russie qui venait d'accourir, quoique tardivement, au secours
de la Prusse, établit son quartier-général à Posen.

28 _novembre_,--Combat de Lowiez, où le général russe Benigsen est
battu.

29 _novembre_.--Occupation de Varsovie par les Français.

2 _décembre_.--Décret impérial qui ordonne l'érection sur l'emplacement
de l'église de la Magdelaine, d'un monument à la gloire de l'armée, sous
le nom de _Temple de la gloire_, et devant porter cette inscription:
_L'empereur Napoléon aux soldats de la grande armée_.

3 _décembre_.--Capitulation de la forteresse le Glogau.

4 _décembre_.--Une levée de quatre-vingt mille conscrits est mise à la
disposition de l'empereur par le sénat conservateur.

6 _décembre_.--Passage de la Vistule par les Français, à Thorn.

11 _décembre_.--Passage du Bug à Ockecmin. Traité de paix et d'alliance
entre l'empereur Napoléon et l'électeur de Saxe, qui accède à la
confédération du Rhin, et prend le titre de roi de Saxe. Son contingent,
en cas de guerre, est de vingt mille hommes.

16 _décembre_.--L'empereur part de Posen.

19 _décembre_.--Il arrive à Varsovie, et visite les retranchemens élevés
dans le faubourg de Praga pour protéger cette ville.

23 _décembre_.--Il passe le Bug, fait jeter à l'embouchure de l'Akra,
dans cette rivière, un pont qui est achevé en deux heures, y fait passer
une division du corps d'armée du maréchal Davoust, qui met en déroute
quinze mille Russes à Czarnowo.

24 _décembre_.--Combat de Nazietzk; le général russe Kamenskoi est
défait.

25 et 26 _décembre_.--Bataille de Pulstuck, retraite de l'armée russe
après avoir perdu quatre-vingt pièces d'artillerie, tous ses caissons,
douze cents voitures, et dix à douze mille hommes.

1807.

5 _janvier_.--Capitulation de Breslau.

7 _février_.--Bataille de Preusch-Eylau; l'armée russe est de nouveau
obligée de battre en retraite.

9 _février_.--Première séance de l'Institut au palais des sciences et
des arts (le Louvre).

15 _février_.--Combat d'Ostrolenka. Le général Soworow, fils du célèbre
maréchal de ce nom, perd la vie dans cette affaire.

16 _février_.--L'empereur envoie à Paris les drapeaux pris à Eylau;
il ordonne que les canons conquis à cette bataille seront fondus pour
dresser une statue au général d'Hautpoult, commandant des cuirassiers,
qui avait été tué dans cette journée.

24 _février_.--Combat de Peterswalde.

25 _février_.--Passage de la Passarge à Liebstadt.

5 _mars_.--Le pont d'Austerlitz est ouvert au passage des voitures.

6 _mars_.--Décret impérial qui met en état de siège les ports de Brest
et d'Anvers; le premier sous les ordres du général sénateur Aboville, et
le deuxième sous ceux du général sénateur Ferino.

7 _mars_.--Combat de Guttstadt et de Willemberg.

12 _mars_.--Combat de Lignau.

7 _avril_.--Sénatus-consulte qui appelle la conscription de 1808.

18 _avril_.--Suspension d'armes signée à Schlatkow entre l'empereur et
le roi de Suède.

25 _avril_.--L'empereur établit son quartier-général à
Finkenstein.--Décret impérial concernant les théâtres de Paris: ils sont
divisés en grands théâtres et théâtres secondaires.

1er _mai_.--Capitulation de la place de Neiss, assiégée par le général
Vandamme.

_15 mai_.--Combat livré devant les murs de Dantzick, assiégé par le
maréchal Lefebvre, entre les troupes assiégeantes et le corps d'armée
russe du général Kaminski, accouru pour secourir cette place. Les Russes
sont repoussés avec perte.

_14 mai_.--Dantzick se rend au maréchal Lefebvre après cinquante-un
jours de tranchée ouverte.

_28 mai_.--Décret impérial qui confère au maréchal Lefebvre le titre de
duc de Dantzick pour le récompenser de l'activité qu'il avait déployée
pendant le siège de cette ville.

_1er juin_.--L'empereur vient visiter Dantzick.

_4 juin_.--Les négociations de paix qui avaient été entamées entre la
Russie et la France pendant que les deux armées prenaient quelque repos
dans leurs quartiers, ayant été rompues, les hostilités recommencent, et
les Russes sont battus à Spandenn, au moment où ils voulaient traverser
la Passarge.

_5 juin_.--Nouveau combat de Spandenn; les Français franchissent la
Passarge et se mettent à la poursuite des Russes.

_6 juin_.--Combat de Deppen, où les Russes sont culbutés de nouveau.

_8 juin_.--L'empereur établit son quartier-général à Deppen.

_11 juin_.--Bataille d'Heilsberg; elle reste presque sans résultat.
Seulement le lendemain l'armée russe quitte les forts tranchemens
qu'elle occupait en avant de cette ville.

_14 juin_.--Mémorable bataille de Friedland; cette fois, l'armée russe
est entièrement anéantie, et les résultats obtenus par les Français
placent cette journée a côté de celles de Marengo, d'Austerlitz et
d'Iéna. Elle décidait de la campagne, et la précipitation des Russes à
se retirer était telle, qu'ils rompaient derrière eux tous les ponts,
pour se soustraire à la vive poursuite de leurs vainqueurs.

16 _juin_.--Occupation de Koenigsberg par les Français.

19 _juin_.--L'empereur Napoléon établit son quartier-général dans
Tilsit, où, quelques jours auparavant, l'empereur de Russie et le roi de
Prusse avaient établi le leur.

21 _juin_.--Armistice conclu entre les deux empereurs et le roi de
Prusse.

25 _juin_.--Entrevue de ces trois monarques dans un bateau sur le
Niémen; Alexandre, Napoléon et le roi de Prusse passent deux heures dans
cette conférence. La moitié de la ville est déclarée neutre pour
la facilité des communications. Du 25 juin au 9 juillet, les trois
souverains se voient amicalement, et se donnent mutuellement des fêtes,
pendant que leurs ministres s'occupaient des négociations relatives à la
paix.

7 _juillet_.--Traité de paix entre les deux empereurs, déclaré commun
aux rois de Naples et de Hollande, frères de Napoléon, et par lequel
Alexandre reconnaît la confédération du Rhin, et promet sa médiation
pour engager l'Angleterre à ne plus mettre d'obstacles à une paix
générale.

9 _juillet_.--Traité de paix entre le roi de Prusse et l'empereur des
Français, basé sur les clauses du précédent. Le roi de Prusse recouvre,
de la générosité de Napoléon, toutes ses provinces, excepté celles de
Pologne, spécifiées dans le traité, et qui seront possédées en toute
souveraineté par le roi de Saxe.

13 _juillet_.--Les hostilités recommencent entre la France et la Suède.

17 _juillet_.--Napoléon rend une visite au roi de Saxe à Dresde.

24 _juillet_.--Son arrivée a Francfort.

27 _juillet_.--Son retour à Saint-Cloud.

28 _juillet_.--Il reçoit en audience solennelle et successivement les
félicitations du sénat, du tribunal, du corps législatif, de la cour
de cassation, de la cour d'appel, du clergé, de la cour de justice
criminelle, du corps municipal, etc.

9 _août_.--Berthier, prince de Neufchâtel, est élevé à la dignité de
vice-connétable, et Talleyrand, prince de Bénévent, à celle de vice
grand-électeur.

15 _août_.--Napoléon se rend en grand cortège à Notre-Dame pour y
entendre le _Te Deum_ en action de grâce, pour la paix de Tilsit.

16 _août_.--Ouverture du corps législatif par Napoléon; session de 1807.

19 _août_,--Sénatus-consulte qui supprime le tribunat, et donne au corps
législatif une nouvelle organisation plus conforme aux vues de Napoléon.

_Même jour_.--Les Français s'emparent de la ville de Stralsund.

22 _août_.--Célébration du mariage de Jérôme-Napoléon Bonaparte avec la
princesse Catherine, fille du roi de Wurtemberg.

3 _septembre_,--Décret ordonnant que le _Code civil des Français_
portera désormais le titre de _Code Napoléon_.

3 _septembre_.--Capitulation de l'île de Rugen; cette conquête complète
celle de toute la Poméranie suédoise.

8 _septembre_.--Décret qui établit la constitution du royaume de
Westphalie, et proclame Jérôme Napoléon roi de ce pays.

18 _septembre_.--Clôture du corps législatif; il adopte dans cette
session le Code de commerce.

28 _septembre_.--Décret qui institue et organise une cour des comptes.

1er _octobre_.--Décret qui réunit les diocèses de Parme et de Plaisance
à l'église gallicane.

12 _octobre_--Sénatus-consulte portant que les provisions ne seront
expédiées aux juges qu'après cinq ans d'exercice.

14 _octobre_.--Exposition au Musée des objets d'art conquis par les
armées.

27 _octobre_.--Traité signé à Fontainebleau entre la France et
l'Espagne, par lequel les deux parties contractantes résolvent de se
partager le Portugal, et le roi d'Espagne s'engage à donner le passage,
à cet effet, à vingt-cinq mille hommes d'infanterie et à trois mille
hommes de cavalerie de Napoléon.

29 _octobre_.--Décret impérial qui admet gratuitement dans les lycées
deux cents nouveaux élèves, fils de militaires et de fonctionnaires
publics.

6 _novembre_.--Le comte Tolstoï, ambassadeur de Russie, présente ses
lettres de créance à l'empereur.

8 _novembre_.--Arrivée de l'ambassadeur de Perse à Paris; il est
porteur de magnifiques présens pour l'empereur; les plus remarquables
sont les sabres de Tamerlan et de Thamas Konli-Kan.

10 _novembre_.--Dispositions relatives aux halles, marchés, et rues de
Paris.

11 _novembre_--Traité de la France et de la Hollande; la ville de
Flessingue est cédée aux Français.

16 _novembre_.--L'empereur part de Paris pour visiter ses états
d'Italie.

21 _novembre_.--Il arrive à Milan.

25 _novembre_.--Entrée triomphale à Paris des corps de la garde
impériale. Fête superbe donnée par la ville à cette élite de l'armée.

28 _novembre_,--Seconde fête donnée à la même garde par le sénat dans
son palais même.

29 _novembre_.--Napoléon arrive à Venise. Le _même jour_, le général
Junot, après avoir traversé toute l'Espagne, s'empare d'Abrantès,
première ville de Portugal.

30 _novembre_.--L'armée française prend possession de Lisbonne.

17 _décembre_,--Décret qui déclare _dénationalisé_ tout bâtiment qui
se soumettra aux dispositions de l'ordonnance rendue le 11 novembre par
le roi d'Angleterre. (Cette ordonnance mettait tous les ports de France
et ceux de ses alliés en état de blocus, et ordonnait la visite sur
mer de tous les bâtimens européens qui y seraient rencontrés par les
croisières britanniques).

20 _décembre_.--Napoléon proclame le fils du prince Eugène, prince de
Venise, et sa fille Joséphine princesse de Bologne.

26 _décembre_.--Le ministre de l'intérieur pose la première pierre
d'un grenier d'abondance à Paris, situé sur les terrains dépendans de
l'ancien arsenal.

1808.

1er _janvier_.--Retour de l'empereur dans sa capitale.

4 _janvier_.--Napoléon et Joséphine vont dans l'atelier du peintre David
voir le tableau de leur couronnement.

16 _janvier_.--Statuts définitifs de la banque de France.

27 _janvier_.--Le port de Flessingue et ses dépendances sont réunis à
l'empire français.

1er _février_.--Organisation du gouvernement provisoire du Portugal. Le
général Junot est nommé gouverneur-général.

2 _février_.--Sénatus-consulte portant création d'une nouvelle grande
dignité sous le titre de gouverneur-général des départemens au-delà des
Alpes; le prince Camille Borghèse, beau-frère de Napoléon, est nommé
gouverneur-général.

6 _février_.--Rapport fait à l'empereur par la classe des sciences
physiques et mathématiques, sur les progrès de ces sciences depuis 1789.

17 _février_.--Napoléon ordonne que les Algériens soient arrêtés dans
ses états tant que ses sujets génois seront prisonniers à Alger.

19 _février_.--Rapport de la classe d'histoire et de littérature
ancienne sur les progrès des sciences et des arts depuis 1789.

22 _février_.--Rapport de la classe de la langue et de la littérature
française, présenté à l'empereur par Chénier, sur les progrès des
lettres depuis 1789.

11 _mars_.--Sénatus-consulte qui institue des titres impériaux et
héréditaires, tels que ceux de _ducs_, _comtes_, _barons_, etc.

16 _mars_.--Création des juges auditeurs auprès des cours d'appel.

17 _mars_.--Organisation définitive donnée a l'Université, et création
d'une académie dans chaque ville où siège une cour d'appel. M. de
Fontanes est nommé grand-maître de l'Université impériale.

26 _mars_.--Lettre du roi d'Espagne, Chartes IV, à Napoléon, dans
laquelle il lui fait part de sa résolution de commander lui-même ses
forces de terre et de mer.

27 _mars_.--Bref du pape à Napoléon, où Pie VII se plaint des vexations
que lui font éprouver les agens français.

2 _avril_.--L'empereur part de Paris pour se rendre à Baïonne.

3 _avril_.--Note du ministre des relations extérieures au légat du
pape, en réponse au bref de Pie VII, et dans laquelle il déclare au
cardinal Caprara que l'empereur ne saurait reconnaître le principe que
les prélats ne sont point sujets du souverain, etc.

4 _avril_.--Napoléon fait son entrée à Bordeaux.

10 _avril_.--Arrivée de l'impératrice dans cette même ville.

15 _avril_.--L'empereur arrive a Baïonne.

18 _avril_.--Il écrit au prince des Asturies (Ferdinand VII.)

20 _avril_;--Il reçoit dans le château de Marrac le prince des Asturies
et Dom Carlos son frère.

22 _avril_.--Le général Miollis fait arrêter le gouverneur de Rome et
l'envoie à Fenestrelle.

23 _avril_.--Le grand-duc de Berg entre dans Madrid à la tête d'une
division française.

28 _avril_.--L'empereur Napoléon rend une visite au roi d'Espagne, à la
reine et au prince de la Paix, qui viennent d'arriver à Baïonne.

2 _mai_.--Insurrection à Madrid; Murat, de concert avec la junte
suprême du gouvernement espagnol, parvient à la calmer.

7 _mai_.--Il est nommé par le roi Charles IV lieutenant-général du
royaume.

8 _mai_--Traité signé à Baïonne par le roi Charles IV, dans lequel il
cède a son allié et ami, l'empereur Napoléon, tous ses droits sur
les Espagnes; adhésion de tous les enfans du roi à cet acte, qui est
officiellement annoncé au conseil suprême de Castille et à celui de
l'inquisition.

13 _mai_.--La junte du gouvernement espagnol, présidée par Murat,
demande pour roi Joseph Napoléon, frère de l'empereur.

22 _mai_.--Le roi et la reine d'Espagne se retirent en France;
Compiègne est désigné pour leur séjour; les princes sont envoyés
au château de Valençay, propriété du diplomate Talleyrand dans le
département d'Indre-et-Loire.

24 _mai_.--Sénatus-consulte qui réunit à l'empire français les duchés
de Parme et de Plaisance et le duché de Toscane.

25 _mai_.--Napoléon convoque à Baïonne une junte générale espagnole
pour le 15 juin.

6 _juin_.--L'empereur proclame son frère, Joseph Napoléon, roi des
Espagnes et des Indes, et lui garantit l'intégrité de ses états.

7 _juin_.--Le nouveau roi reçoit les hommages des grands d'Espagne, des
conseils et des diverses autorités existantes.

15 _juin_.--La junte espagnole tient sa première séance à Baïonne.

23 _juin_.--Insurrection générale en Espagne. Le maréchal Bessières
défait une armée espagnole à San-Ander.

28 _juin_.--Combat et prise de Valence par le maréchal Moncey.

3 _juillet_.--Décrets impériaux relatifs à l'institution des majorats.

5 _juillet_.--Décret de Napoléon qui défend la mendicité dans tout
l'empire français.

7 _juillet_,--L'acte constitutionnel est rédigé par la junte espagnole.
Le roi prête serment à la nation, représentée par le président.

13 _juillet_,--L'empereur approuve et adopte la constitution espagnole.
(Elle était, dans presque toutes ses dispositions, conforme à celle des
Français, dite de l'an VIII: c'était beaucoup pour les Espagnols, encore
sujets aux moines, à l'inquisition, etc.)

15 _juillet_.--Le grand-duc de Berg est proclamé par Napoléon, roi de
Naples et de Sicile.

19 _juillet_.--L'archi-chancelier de l'empire, Cambacérès, est nommé
duc de Parme, et l'archi-trésorier, Lebrun, duc de Plaisance.

_Même jour_.--Bataille de Baylen. Le général Dupont donne tête baissée
dans une embuscade, voit détruire une partie de son armée, et est obligé
de capituler pour sauver le Reste.

20 _juillet_.--Arrivée à Paris de l'ambassadeur perse Asker-Kan, avec
une suite nombreuse.

21 _juillet_.--Honteuse capitulation de Baylen. L'armée française toute
entière est prisonnière de guerre des Espagnols.

22 _juillet_.--Napoléon quitte le château de Marrac, pour retourner
dans sa capitale.

30 _juillet_.--Décret qui adjoint un très-grand nombre d'officiers
de tous grades et de soldats légionnaires aux collèges électoraux de
départemens et d'arrondissemens.

31 _juillet_.--M. Beugnot, conseiller-d'état, prend possession, au nom
de l'empereur Napoléon, du grand-duché de Berg, resté vacant par la
nomination de Murat pour occuper le trône des Deux-Siciles à la place de
Joseph, nommé roi d'Espagne.

12 _août_.--Combat de Rorissa en Portugal, entre les troupes françaises
d'occupation et l'armée anglaise, commandée par le général Wellesley.
Les Anglais sont repoussés avec perte.

13 _août_.--Décrets impériaux qui ordonnent l'ouverture d'une grande
route de Paris à Madrid, et de grands travaux publics dans plusieurs
départemens.

16 _août_.--Retour de l'empereur à St.-Cloud.

21 _août_.--Bataille de Vimeyra, entre l'armée de lord Wellesley et
celle des Français, commandés par le général Junot; les mauvaises
dispositions de celui-ci donnent la victoire aux Anglais.

20 _août_.--L'empereur reçoit en grande cérémonie le comte Tolstoï,
ambassadeur de Russie.--Exposition aux Tuileries des magnifiques
présens envoyés par l'empereur Alexandre à l'empereur Napoléon.

30 _août_.--Convention pour l'évacuation du Portugal par l'armée
française. Elle doit être reconduite en France sur des vaisseaux
anglais; juste et honteux résultat d'une entreprise injuste.

1er _septembre_.--Décrets par lesquels l'empereur ordonne des
établissemens publics en tous genres dans les départemens qui ont été le
théâtre des guerres civiles.

6 et 7 _septembre_.--Communication au sénat du rapport du ministre
des relations extérieures, Champagny, à l'empereur, et des traités qui
mettent à sa disposition la couronne d'Espagne.

8 _septembre_.--Traité signé a Paris par le prince Guillaume de Prusse
et le ministre des relations extérieures. Ce traité termine toutes
les difficultés existantes entre le gouvernement français et celui de
Prusse.

10 _septembre_.--Sénatus-consulte qui ordonne la levée de 80,000
conscrits destinés à compléter les armées d'Espagne.

11 _septembre_.--Grande revue passée aux Tuileries par l'empereur en
personne; il annonce à ses soldats qu'il va marcher avec eux en Espagne,
_où_, dit-il, _nous avons aussi des outrages à venger_.

12 _septembre_.--Séance du sénat, dans laquelle le ministre des
relations extérieures cherche à justifier les mesures prises par
l'empereur contre l'Espagne.--Compte rendu par la société d'industrie
nationale sur ses progrès en inventions et perfectionnemens.

13 _septembre_.--Décret qui convoque le corps législatif pour le 25
octobre suivant.

17 _septembre_.--Décret d'organisation de l'université impériale.

22 _septembre_.--Napoléon part de Paris pour se rendre dans les états
de la confédération du Rhin.

23 _septembre_.--Le corps municipal et le préfet de la Seine reçoivent
à la barrière le premier corps de la grande armée, commandé par le
maréchal Victor, et se rendant en Espagne.

24 _septembre_.--Décret impérial relatif au culte grec professé dans la
Dalmatie.

28 _septembre_.--Passage du sixième corps de la grande année à Paris.

1er _octobre_.--Dernier jour du passage des troupes par Paris pour se
rendre en Espagne.

6 _octobre_.--Les empereurs Napoléon et Alexandre ont une entrevue à
Erfurt. Réunion dans cette ville de presque tous les princes membres de
la confédération du Rhin. L'empereur Alexandre promet à Napoléon de ne
point apporter d'obstacle à ses projets sur l'Espagne.

14 _octobre_.--Départ d'Erfurt de LL. MM. l'empereur de Russie et
l'empereur des Français pour se rendre dans leurs états respectifs.

18 _octobre_.--Arrivée à Saint-Cloud de l'empereur Napoléon.

22 _octobre_.--L'empereur et l'impératrice visitent le musée Napoléon;
ils s'entretiennent long-temps avec les artistes français, tous présens
à cette visite.

25 _octobre_.--Ouverture du corps législatif par l'empereur Napoléon,
session de 1808.

27 _octobre_.--M. de Fontanes est nommé président du corps législatif.

29 _octobre_.--Départ de l'empereur pour se rendre à Baïonne.

2 _novembre_.--Décret portant création d'un nouveau département portant
le nom de Tarn-et-Garonne.

3 _novembre_.--Arrivée de Napoléon au château de Marrac.

5 _novembre_.--Quartier-général de l'empereur à Vittoria.

9 _novembre_.--Combat de Gamonal. Le maréchal Soult dissipe
l'avant-garde de l'armée d'Estramadure.

_Même jour_.--Quartier-général de Napoléon à Burgos.

11 _novembre_.--Bataille d'Espinosa-de-los-Monteros. L'armée du général
Blacke est entièrement détruite.

22 _novembre_.--Bataille de Tudela. L'armée du général Castanos, la
même qui avait fait capituler le général Dupont à Baylen, est mise
en déroute après avoir perdu tout son matériel et presque tous ses
drapeaux.

29 _novembre_,--L'empereur fait attaquer le défilé de Somo-Sierra,
défendu par un corps de vingt mille Espagnols, et seul passage pour
pénétrer à Madrid. L'ennemi est culbuté avec une perte immense.

1er _décembre_.--Quartier impérial de Napoléon à San-Augustino, à
quelque distance de Madrid.

3 _décembre_.--Prise de Ségovie par le maréchal Lefebvre.

4 _décembre_.--Capitulation de Madrid; l'empereur refuse d'y entrer, et
s'établit avec sa garde sur les hauteurs de Chamartin, à une lieue de la
ville.

_Même jour_.--Décret impérial qui abolit l'inquisition en Espagne, et
réduit considérablement le nombre des couvens d'hommes de ce royaume.

5 _décembre_.--Prise de la forteresse de Roses par le général
Gouvion-St.-Cyr.

7 _décembre_.--Grande promotion dans la légion-d'honneur.

15 _décembre_,--Combat de Cardadeu; le marquis de Vivès, général en chef
de l'armée espagnole de Catalogne, perd toutes ses troupes dans cette
journée, et est destitué par la junte insurrectionnelle.

23 _décembre_.--L'empereur quitte son quartier-général de Chamartin,
pour se porter à la poursuite de l'année anglaise qui était entrée en
Espagne, sous la conduite du général Moore.

25 _décembre_.--Décret impérial qui abolit tout reste de servage dans
les duchés de Clèves et de Berg.

26 _décembre_,--Combat de Benavente entre l'avant-garde de l'armée
française et l'arrière-garde de l'armée anglaise; retraite précipitée du
général Moore.

31 _décembre_.--Clôture de la session du corps législatif.

1809.

1er _janvier_,--Quartier-général de Napoléon à Astorga.

3 _janvier_.--Défaite de l'arrière-garde anglaise au défilé de
Cacabellos.

6 _janvier_.--Napoléon, instruit que l'Autriche arme contre la France,
quitte précipitamment l'armée pour se rendre à Paris.

16 _janvier_.--Bataille de la Corogne; défaite de l'armée anglaise; le
général en chef, sir John Moore, est tué.

18 _janvier_.--Prise de la Corogne par le maréchal Soult; les débris de
l'armée anglaise venaient de s'embarquer dans le port de cette ville.

23 _janvier_.--Retour de Napoléon à Paris; il reçoit successivement les
félicitations du sénat et des autres corps de l'empire.

27 _janvier_.--Prise de la place et du port du Ferrol.

1er _février_.--Décret qui nomme le cardinal Fesch archevêque de Paris.

7 _février_.--L'empereur reçoit l'Institut au château des Tuileries.

20 _février_.--Prise de Sarragosse. Cette ville est obligée de se rendre
à discrétion, après avoir donné pendant deux mois l'exemple d'une
défense héroïque et désespérée.

2 _mars_.--Le gouvernement général des départemens de la Toscane est
érigé en grand-duché par Napoléon.

4 _mars_.--Combat de Monterey; le maréchal Soult bat le général
espagnol, marquis de la Romana.

11 _mars_.--Décret et sénatus-consulte qui transfère le grand-duché
de Berg et de Clèves au jeune prince Napoléon Louis, fils du roi de
Hollande, et neveu de l'empereur. Autre décret qui confère à la soeur de
l'empereur, Elisa, le gouvernement de la Toscane.

20 _mars_.--Bataillé de Carvalko-Daeste; l'armée portugaise est mise en
déroute par le maréchal Soult.

27 _mars_.--Bataille de Ciudad-Réal; défaite du général duc de
l'Infantado par le général Sébastiani.

28 _mars_.--Bataille de Medellin; défaite du général espagnol Lacuesta.

29 _mars_.--Prise d'Oporto, seconde ville du Portugal.

2 _avril_.--Décret impérial qui institue des maisons d'éducation pour
les filles des membres de la légion-d'honneur.

8 _avril_.--Autre décret, qui établit une école de cavalerie à
St.-Germain.

9 _avril_.--Commencement des hostilités entre l'Autriche et la France.

_Même jour_.--Combat d'Amarante; défaite du général portugais Silveyra.

12 _avril_.--Napoléon part de Paris pour se rendre à son armée
d'Allemagne.

16 _avril_.--Bataille de Sacile, entre les troupes françaises commandées
par le prince Eugène, et l'armée autrichienne aux ordres de l'archiduc
Jean; celle-ci est mise en fuite.

17 _avril_.--Quartier-général de l'empereur à Donawerth.

19 _avril_.--Bataille de Tann; défaite d'une partie de l'armée
autrichienne aux ordres du prince Charles.

20 _avril_.--Bataille d'Abensberg; les Autrichiens perdent sept mille
hommes, huit drapeaux et douze pièces de canon. Dans cette bataille,
Napoléon n'avait presque que des Bavarois à ses ordres.

21 _avril_.--Combat et prise de Landshut; les Autrichiens continuent
leur retraite.

22 _avril_.--Bataille d'Eckmühl; quinze mille prisonniers, douze
drapeaux, seize pièces de canon, sont les fruits de cette victoire, qui
vaut au maréchal Davoust le titre de prince d'Eckmühl.

23 _avril_,--Bataille et prise de Ratisbonne; l'archiduc Charles opère
précipitamment sa retraite en Autriche. Napoléon fut atteint d'une
halle morte pendant cette bataille. On en reconnut la cicatrice lors de
l'ouverture de son corps à l'île de Sainte-Hélène.

24 _avril_.--Combat de Neumarck.

25 _avril_.--Le roi de Bavière rentre dans sa capitale.

3 _mai_.--Combat d'Ebersberg.

6 _mai_.--Quartier-général de l'empereur a l'abbaye de Molck. Retraite
du prince Charles en Bohème.

8 _mai_.--Bataille de la Piave, entre le prince Eugène et l'archiduc
Jean; retraite précipitée de ce dernier.

10 _mai_.--Évacuation d'Oporto par le maréchal Soult, à l'approche
d'une nombreuse armée anglaise.

_Même jour_.--La diète de Suède dépose le roi Gustave Adolphe.

11 et 12 _mai_,--Bombardement et capitulation de Vienne.

15 _mai_.--Retraite du maréchal Soult sur la Galice.

17 _mai_.--Passage du Danube par l'armée française.

19 _mai_.--Occupation du Tyrol par le maréchal Lefebvre.

20 _mai_.--Arrivée du maréchal Soult a Orenzé, première ville de
Galice.

_Même jour_.--L'empereur fait établir un pont dans l'île d'Inder-Lobau.

21 et 22 _mai_.--Bataille d'Esling; elle reste indécise, et coûte à
l'armée la perte de l'un de ses plus braves guerriers, le maréchal
Lannes, duc de Montebello.

25 _mai_.--Combat de San-Michel entre les troupes de l'armée d'Italie et
celles de l'archiduc Jean. Déroute du général Jellachich.

31 _mai_.--Jonction de l'armée d'Italie avec la grande armée française
sur les hauteurs du Sommering.

12 _juin_.--Décret ordonnant l'institution de plusieurs écoles
d'équitation.

14 _juin_.--Bataille de Raab entre l'armée d'Italie et celle de
l'archiduc Jean; nouvelle défaite de celui-ci.

17 _juin_.--Décret daté du camp impérial de Schoenbrunn, sur
l'établissement des octrois.

19 _juin_.--Prise de la forteresse de Gérone, après onze jours de
tranchée ouverte.

5 _juillet_.--Réunion de l'armée d'Italie à la grande armée dans l'île
de Lobau.

6 _juillet_.--Grande Bataille de Wagram; la disparition de l'armée
ennemie, dix-huit mille prisonniers, neuf mille blessés, quatre mille
morts, quarante pièces de canon et dix drapeaux, sont les fruits
de cette brillante victoire, qui met une troisième fois l'empereur
d'Autriche à la discrétion de l'empereur Napoléon.

11 _juillet_.--Quartier-général de l'empereur à Znaïm; armistice accordé
par Napoléon à l'armée autrichienne.

21 _juillet_.--L'empereur nomme maréchaux d'empire, les généraux
Oudinot, Marmont et Macdonald, qui s'étaient particulièrement distingués
à la bataille de Wagram.

27 _juillet_.--Bataille de Talavera de la Reyna, en Espagne,
entre l'armée française, commandée par le roi Joseph, et l'armée
anglo-espagnole aux ordres de sir Arthur Wellesley; elle reste indécise.

30 _juillet_.--Débarquement de dix-huit mille Anglais dans l'île de
Walcheren.

3 _août_.--Les Anglais investissent la ville de Flessingue.

7 _août_.--Décret concernant l'Université impériale.

8 _août_.--Combat d'Arzobispo; les Espagnols sont mis en fuite par le
maréchal Mortier.

9 _août_.--Bataille d'Almonacid; le général Sébastiani met en fuite
l'armée espagnole du général Vénégas.

11 _août_.--Combat de Dambroca en Espagne. L'ennemi perd trente-cinq
bouches à feu et cent caissons.

12 _août_.--Combat du col de Banos. Le général Robert Wilson est battu
par le général français Lorsay.

13 _août_.--Les Anglais jettent dans Flessingue des bombes et des fusées
incendiaires dites à la Congrève.

16 _août_.--Le général Monet, gouverneur de Flessingue, livre aux
Anglais, par capitulation, cette place importante. La garnison est
prisonnière de guerre et emmenée comme telle en Angleterre.

_Même jour_.--Le prince de Ponte-Corvo (Bernadotte) et le ministre de
l'administration de la guerre (Daru), sont chargés par l'empereur de la
défense d'Anvers, et arrivent dans cette ville.

18 _août_.--Suppression de tous les ordres réguliers, mendians,
monastiques, et même ceux astreints à des voeux, qui existent en
Espagne.

21 _août_.--Ouverture des négociations pour la paix entre la France et
l'Autriche.

22 _septembre_.--Décret qui nomme le maréchal Serrurier commandant
général de la garde nationale de Paris.

14 _septembre_.--Lettre de l'empereur au ministre de la guerre,
ordonnant de poursuivre le commandant de la place de Flessingue, le
général Monet.

15 _septembre_.--Décret pour l'établissement des dépôts de mendicité.

24 _septembre_.--Les Anglais, après avoir fait de vaines tentatives
contre Anvers, et avoir perdu les trois-quarts de leur monde par
les fièvres dites des _Polders_, se rembarquent pour retourner en
Angleterre.

1er _octobre_.--Décret qui crée un ordre des trois-loisons.

4 _octobre_.--Message de l'empereur au sénat, ayant pour objet
d'ériger, en faveur du prince de Neufchâtel, le château de Chambord en
principauté, sous le titre de principauté de Wagram.

12 _octobre_.--Tentative d'assassinat, faite à Schoenbrunn, sur la
personne de Napoléon, par un jeune fanatique d'Erfurt.

14 _octobre_.--Traité de paix entre la France et l'Autriche, signé à
Vienne par le prince Jean de Liechtenstein et le ministre des relations
extérieures Champagny.--Napoléon quitte Schoenbrunn pour retourner en
France.

19 _octobre_.--Décret impérial et sénatus-consulte qui met à la
disposition du gouvernement trente-six mille conscrits pris sur les
classes antérieures.

24 _octobre_.--Arrivée de l'empereur à Strasbourg.

26 _octobre_.--Son retour à Fontainebleau.

29 _octobre_.--Publication solennelle à Paris du traité de paix conclu
entre l'Autriche et la France.

1er _novembre_.--Députation du sénat de Milan, reçue par l'empereur à
Fontainebleau.--Décret qui fixe l'ouverture du corps législatif pour
l'année 1809, au 1er décembre prochain.

10 _novembre_.--Décret qui confirme l'Institut et les réglemens des
soeurs hospitalières.--Autre décret ordonnant la convocation des
collèges électoraux.

13 _novembre_.--Arrivée du roi de Saxe à Paris.

17 _novembre_.--Le sénat et toutes les autorités constituées sont admis
à complimenter l'empereur sur la paix glorieuse qu'il vient de conclure;
il reçoit aussi une députation de Rome et de Florence.

18 _novembre_.--Bataille d'Ocana entre le général espagnol Arizaga et le
général français Sébastiani. Les Espagnols complètement défaits.

20 _novembre_,--Présentation à l'empereur d'une députation du synode
grec de Dalmatie.

1er _décembre_.--Arrivée à Paris des rois de Naples, de Hollande et de
Wurtemberg.

2 _décembre_.--Célébration de l'anniversaire du couronnement de
Napoléon.--_Te Deum_ chanté en action de grâce de la paix, en présence
de LL. MM. les rois de Naples, de Hollande, de Westphalie, de Saxe et
de Wurtemberg, du sénat, et de tous les autres corps de l'état, dans
l'église Notre-Dame.

10 _décembre_.--Arrivée à Paris du prince vice-roi d'Italie.

13 _décembre_.--Décret présenté au corps législatif, et relatif à son
organisation.

16 _décembre_.--Décrets et sénatus-consultes relatifs à la dissolution
du mariage de l'empereur avec l'impératrice Joséphine; l'impératrice
conserve le titre _d'impératrice-reine_.

22 _décembre_.--Le roi et la reine de Bavière arrivent à Paris.

29 _décembre_.--Décret impérial qui établit les capacités et conditions
des aspirans aux collèges des auditeurs.

31 _décembre_.--Adresse du sénat du royaume d'Italie à
l'empereur.--Décret impérial qui proroge pour l'an 1810 l'exercice de
leurs fonctions aux députés de la cinquième série du corps législatif.

1810.

6 _janvier_.--Traité de paix entre la France et la Suède.

9 _janvier_.--L'officialité de Paris déclare par une sentence la nullité
quant aux liens spirituels du mariage de l'empereur Napoléon et de
l'impératrice Joséphine.

13 _janvier_.--Loi sur l'importation et l'exportation des marchandises.

20 _janvier_.--L'armée française, aux ordres du général Sébastiani,
franchit la Sierra-Morena, et envahit l'Andalousie.

30 _janvier_,--Fixation de la dotation de la couronne de France, du
domaine extraordinaire, du domaine privé de Napoléon, du douaire des
impératrices et des apanages des princes français.

3 _février_.--Session du corps législatif pour 1810. M. de Montesquiou
est nommé président.

5 _février_.--Décret impérial sur la direction de la librairie et
de l'imprimerie. Le nombre des imprimeurs, à Paris, est réduit à
quatre-vingts.

_Même jour_.--Occupation de Malaga en Espagne par le général Sébastiani.

17 _février_.--Sénatus-consulte qui réunit Rome et l'État romain à
l'empire français, et divise ce pays en deux départemens.

20 _février_.--Le projet du code pénal est adopté par le corps
législatif.

27 _février_.--Le prince archi-chancelier de l'empire, dans une
assemblée du sénat, donne lecture d'un message de l'empereur, qui
annonce le départ du prince de Neufchâtel pour faire la demande de la
main de l'archiduchesse Marie-Louise, fille de l'empereur d'Autriche.

28 _février_.--Décret par lequel l'empereur déclare loi générale de
l'empire, la déclaration faite par le clergé de France, en 1682, sur la
puissance ecclésiastique.

29 _février_.--Prise de Séville par le roi d'Espagne Joseph.

1er _mars_,--Le prince Eugène Beauharnais est nommé prince de Venise;
l'héritage du grand-duché de Francfort lui est assuré.

4 _mars_.--Décret impérial sur l'institution des majorats.

5 _mars_.--Le prince de Neufchâtel, ambassadeur de l'empereur, fait son
entrée solennelle à Vienne.

9 _mars_.--L'impératrice Joséphine signe sa renonciation solennelle au
titre et à ses droits d'épouse de l'empereur.

10 _mars_.--Décret sur les prisons et les prisonniers d'état.

11 _mars_.--Le prince de Neufchâtel épouse à Vienne, au nom de
l'empereur, l'archiduchesse Marie-Louise.

13 _mars_.--L'impératrice Marie-Louise part de Vienne pour venir en
France.

19 _mars_.--Décret portant que les juges de la cour de cassation
prendront le titre de conseillers, et les substituts du procureur
impérial près la cour prendront le titre d'avocats généraux.

20 _mars_.--L'empereur part de Paris pour Compiègne.

22 _mars_.--Arrivée de l'impératrice Marie-Louise à Strasbourg.

25 _mars_.--Décret impérial portant, qu'à l'occasion du mariage de
Napoléon, et pour célébrer cette époque mémorable, les prisonniers
pour dettes seront mis en liberté; six mille filles seront dotées et
épouseront des militaires; qu'il sera accordé une amnistie générale aux
déserteurs, etc.

28 _mars_.--L'impératrice Marie-Louise arrive à Compiègne.

30 _mars_.--Napoléon et Marie-Louise partent de Compiègne pour se
rendre à St.-Cloud.

1er _avril_.--Célébration du mariage civil de l'empereur et de
l'impératrice, à St.-Cloud, par le prince archi-chancelier Cambacérès.

2 _avril_.--L'empereur et l'impératrice font leur entrée dans
Paris.--Mariage religieux et solennel de LL. MM. dans une chapelle
pratiquée exprès dans le Louvre, et richement décorée; le cardinal
Fesch, grand-aumônier, donne la bénédiction nuptiale en présence de
toute la famille impériale, des cardinaux, archevêques, évêques, des
grands dignitaires de l'empire et d'une députation de tous les corps de
l'état.-- Grande fête dans Paris; emploi de tous les arts, de tous les
talens, pour célébrer ce grand jour.

3 _avril_.--Le sénat de France, le sénat d'Italie, le conseil-d'état,
le corps législatif, les ministres, les cardinaux, la cour de cassation,
etc., etc., vont féliciter l'empereur et l'impératrice, qui les
reçoivent assis sur leur trône, entourés des princes et princesses de
la famille impériale, des princes grands dignitaires de l'empire et des
grands officiers des couronnes de France et d'Italie.

5 _avril_.--L'empereur et l'impératrice partent pour Compiègne.

6 _avril_.--Le gouverneur du château de Valencay, M. Berthenay, annonce
à Foucher, ministre de la police générale, l'arrestation et l'envoi à
Paris du baron de Kolli, envoyé d'Angleterre pour enlever le prince des
Asturies.

8 _avril_.--Le prince des Asturies informe le gouverneur de Valencay de
toutes les démarches faites par le baron de Kolli, et écrit à l'empereur
qu'elles ont été faites toutes contre son gré.

10 _avril_.--Siège et prise d'Astorga en Espagne, par le duc d'Abrantès,
Junot.

21 _avril_.--Loi sur les mines.

24 _avril_.--Décret impérial et sénatus-consulte qui réunissent à la
France tous les pays situés sur la rive gauche du Rhin; une partie forme
le département des Bouches-du-Rhin, l'autre partie est réunie à d'autres
départemens.

_Même jour_.--Prise du fort de Matagordo, en Espagne.

27 _avril_.--Départ de Napoléon et de Marie-Louise du château de
Compiègne.

30 _avril_.--L'empereur et l'impératrice arrivent au palais de Laaken,
en Belgique.--Décrets impériaux pour la continuation des travaux
publics.

1er _mai_.--Napoléon et l'impératrice arrivent à Anvers.

5 _mai_.--Formation d'une société maternelle sous la protection de
Marie-Louise, pour le soulagement des mères indigentes.

6 _mai_.--L'empereur et l'impératrice partent d'Anvers.

8 _mai_.--Décrets relatifs à la ville d'Anvers, et ordonnant des travaux
de navigation intérieure.

9 _mai_.--L'empereur et l'impératrice arrivent à Middelbourg.

10 _mai_.--Napoléon va à Flessingue visiter le port et la ville.

12 _mai_.--Prise du fort d'Hostalrich en Espagne, par le maréchal duc
de Castiglione.--Plusieurs décrets impériaux relatifs à des mesures
d'administration extérieure.

13 _mai_.--Les îles de Walcheren, Sud-Beveland, Nord-Beveland, Schouwen
et Tholen, forment un département de France, sous le nom de département
des Bouches-de-l'Escaut.

14 _mai_.--Prise de Lérida en Espagne, par le général Suchet.--Napoléon
et Marie-Louise arrivent à Bruxelles.

19 _mai_.--Décret relatif à la liberté des cultes dans le département du
Haut-Rhin.

23 _mai_.--Plusieurs décrets pour les travaux des routes à terminer ou à
ouvrir.

25 _mai_.--Décret qui autorise le libre exercice du culte catholique
dans le département des Bouches-du-Rhin.

30 _mai_.--Napoléon et Marie-Louise arrivent à Rouen, après avoir visité
Dunkerque, Lille et le Hâvre.

1er _juin_.--Retour de l'empereur et de l'impératrice à Paris.

3 _juin_.--Napoléon nomme gouverneur de Rome son ancien ministre de
la police générale, Foucher. Le duc de Rovigo, Savary, est nommé pour
remplacer le premier au ministère de la police.

7 _juin_.--Décret et sénatus-consulte qui déterminent le nombre des
députés des départemens des Bouches-de-l'Escaut et des Deux-Nèthes.

8 _juin_.--Prise de la ville et du fort de Mequinenza en Espagne, par le
général Suchet.

10 _juin_.--Le général Sarrazin, officier d'état-major, déserte et
passe à l'ennemi.

_Même jour_.--La ville de Paris donne une fête brillante pour célébrer
le mariage de Napoléon et de Marie-Louise; ceux-ci honorent de leur
présence le banquet et le bal donnés à l'Hôtel-de-Ville.

14 _juin_.--La garde impériale donne au Champ-de-Mars, en son nom et
au nom de l'armée, une fête, à l'occasion du mariage de Napoléon et de
Marie-Louise.

27 _juin_.--Décret portant création d'un conseil de commerce et des
manufactures près le ministère de l'intérieur.

28 _juin_.--Décret qui ordonne la construction d'un pont devant
Bordeaux.

1er _juillet_,--L'ambassadeur d'Autriche donne une fête à l'occasion du
mariage de Marie-Louise et de Napoléon; le feu prend dans la salle de
bal; la femme de l'ambassadeur et plusieurs autres personnes périssent
dans cet incendie; l'empereur emporte lui-même l'impératrice hors de la
salle où le feu venait de se manifester.

3 _juillet_.--Louis Napoléon abdique la couronne de Hollande.

4 _juillet_.--Décret qui accorde des récompenses aux personnes qui
découvriront des plantes indigènes propres à remplacer l'indigo.

6 _juillet_,--Service solennel, et obsèques magnifiques aux Invalides,
du duc de Montebello, maréchal de l'empire; les cendres du brave Lannes
sont portées en grand cortège au Panthéon, où elles sont déposées.

9 _juillet_.--Décret portant réunion de la Hollande à l'empire
français; Amsterdam est nommée la troisième ville de l'empire.

10 _juillet_,--Prise de Ciudad-Rodrigo par le maréchal Ney.

11 _juillet_,--Décret portant la formation et l'organisation des cours
impériales.

20 _juillet_.--Décret impérial portant création de six maisons
d'éducation, dites des Orphelines, pour des filles de militaires morts
au champ d'honneur.

21 _juillet_.--Destruction du fort de la Conception par le général
Loison.

3 _août_.--Décret qui réduit le nombre des journaux à un par chaque
département autre que celui de la Seine.

5 _août_.--État des militaires mutilés qui ont reçu des dotations, en
vertu du décret impérial du 15 août 1809.

15 _août_.--Fête de l'empereur célébrée avec une grande pompe dans
Paris et dans tout l'empire.--Réception des députations du royaume de
Hollande et autres états réunis à la France.

18 _août_.--Décret impérial qui interdit aux inventeurs la vente des
remèdes secrets.--Autre décret qui fixe la valeur des pièces dites de
24, de 12 et de 6 sous, et celle des monnaies du Brabant, de Liège et de
Maëstricht, du royaume de Prusse et de Hollande.

19 _août_.--Décrets impériaux qui créent un conseil de marine et
organisent les tribunaux de première instance.

20 _août_.--Décret impérial qui règle le service des ponts et chaussées
au-delà des Alpes.

21 _août_.--Le maréchal Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, est élu par
la diète prince royal et héritier de la couronne de Suède.

22 _août_.--Décret impérial accordant une somme de 200,000 fr. pour
être répartie entre les douze établissemens qui auront fabriqué la plus
grande quantité de sucre de raisin; pour avoir droit à cette récompense,
il faudra avoir fabriqué au moins dix mille kilogrammes de sucre.

28 _août_.--Siège et prise d'Almeida par le maréchal Masséna, prince
d'Esling.

30 _août_.--L'impératrice Marie-Louise, protectrice de la société
maternelle, reçoit les dames qui composent cette pieuse société.

13 _septembre_,--Décret relatif à la réduction en francs des monnaies
évaluées précédemment en livres tournois.

17 _septembre_.--Formation d'une compagnie d'assurance contre
l'incendie.

27 _septembre_.--Formation d'écoles spéciales de marine dans les ports
de Brest et de Toulon.

_Même jour_.--Bataille de Busace en Portugal, entre l'armée
anglo-portugaise et l'armée française aux ordres du prince d'Esling.
Lord Wellington est forcé d'abandonner toutes ses positions.

30 _septembre_.--Prise de Combre par l'armée française du Portugal.

10 _octobre_.--Retraite de l'armée anglo-portugaise; lord Wellington se
retranche dans ses lignes, en avant de Lisbonne.

14 _octobre_.--L'abbé Maury, cardinal, est nommé par l'empereur
archevêque de Paris.

15 _octobre_.--Défaite des Anglais sur la côte du royaume de Grenade,
par le général Sébastiani.

18 _octobre_,--Décret qui ordonne l'établissement des cours prévôtales
des douanes.--Autre décret contenant un règlement général pour
l'organisation des départemens de la Hollande.

1er _novembre_.--Entrée solennelle à Stockholm du prince royal
héréditaire de Suède, Bernadotte, prince de Ponte-Corvo.

2 _novembre_,--Défaite des Espagnols dans le royaume de Murcie par le
général Sébastiani.

11 _novembre_.--Lettre du prince royal de Suède à Napoléon.

12 _novembre_.--Réunion de la république du Valais à l'empire français.

19 _novembre_.--Lettre du prince royal de Suède à Napoléon.

8 _décembre_.--Lettre du prince royal de Suède à Napoléon, dans laquelle
il annonce que son père adoptif, le roi Charles XIII, a déclaré la
guerre à l'Angleterre.

10 _décembre_.--Décret relatif à la réunion de la Hollande à l'empire
français.--Autre décret contenant la nomination de la cour impériale de
Paris.

11 _décembre_.--Décret qui établit une maison centrale de détention à
Limoges.--Autre pour l'établissement d'un dépôt de mendicité dans le
département de la Charente.--Autre, relatif à la fabrication et à la
vente des draps de Carcassonne.

14 _décembre_.--Message de l'empereur au sénat, relatif au motif qui
nécessite la réunion de la Hollande à l'empire français.

16 _décembre_.--Sénatus-consulte ordonnant la levée de quarante mille
conscrits pour la marine, et de douze mille pour les armées de terre.

17 _décembre_.--Lettre du prince royal de Suède à Napoléon.

18 _décembre_.--Adresse du sénat à l'empereur, en réponse au message du
14.

_Même jour_.--Décret impérial qui établit une commission de
gouvernement dans les départemens de l'Ems-Supérieur, des
Bouches-du-Weser et des Bouches-de-l'Elbe.

19 _décembre_.--Décret qui nomme des censeurs impériaux, et fixe leur
traitement.--Autre décret qui étend dans tout l'empire le bienfaisant
établissement de la société maternelle.

25 _décembre_,--Révocation en faveur des États-Unis des décrets de
Berlin et de Milan, concernant les neutres.

26 _décembre_.--Décret impérial sur l'administration générale de
l'empire.

_Même jour_.--Demande par le ministre de la marine au roi de Suède, de
deux mille marins pour compléter les équipages de la flotte de Brest.

1811.

1er _janvier_.--Siège et prise de Tortose en Espagne par le général
Suchet.

_Même jour_.--Décret concernant les débiteurs des rentes constituées en
argent, des rentes foncières et autres redevances, dans les départemens
de Rome et du Trasimène.--Autre décret concernant les grades de
docteurs en droit et en médecine, des ci-devant universités de Pise et
de Siène.-- Autre, concernant un règlement sur la compétence et le
mode de procéder dans les affaires relatives aux contributions dans
les départemens de la Hollande.--Autre, concernant l'imprimerie et la
librairie dans les mêmes départemens.

2 _janvier_.--Décrets relatifs aux rentes viagères sur l'état dont la
préjouissance est dévolue au trésor public, comme subrogé aux droits
d'un émigré.--Autre, qui crée un dépôt de mendicité pour le département
de la Haute-Loire.

3 _janvier_.--Décret augmentant de 600,000 fr, les dotations du sénat,
à raison de la nomination des sénateurs pour les départemens de l'Escaut
et des Alpes.

4 _janvier_.--Décret concernant la nomination des présidens des
collèges électoraux de plusieurs départemens.

7 _janvier_.--Adresse d'adhésion du chapitre métropolitain de Paris aux
quatre propositions de 1682.

_Même jour_.--Décret qui soumet à la régie des droits réunis
l'exploitation des tabacs dans l'empire français.

8 _janvier_.--Prise du fort Saint Philippe-de-Balaguer, en Espagne, par
le général Suchet.

_Même jour_.--Décret portant organisation du tribunal de première
instance du département de la Seine,--Autre concernant les costumes des
cours et tribunaux, des députations admises devant l'empereur, etc.

14 _janvier_.--Décret relatif à l'administration spéciale des Tabacs.

20 _janvier_.--Décret concernant les enfans dont l'éducation est
confiée à la charité publique.

22 _janvier_.--Prise d'Olivenca, en Portugal, par le général Gérard.

23 _janvier_,--Décret relatif à l'établissement d'une taxe, pour
l'entretien de la route du Mont-Cenis.

28 _janvier_,--Décret impérial qui ordonne que le bref du pape, donné à
Savonne le 30 novembre, soit rejeté comme contraire aux lois de l'empire
et à la discipline ecclésiastique.

30 _janvier_.--Décret concernant les impositions des travaux de ponts
et chaussées.

4 _février_.--Décret qui met à la disposition du ministre de la guerre
les quatre-vingt mille conscrits dont l'appel est autorisé par le
sénatus-consulte du 13 décembre 1810.

19 _février_.--Bataille de la Gébora entre l'armée française commandée
par le duc de Trévise, et l'armée espagnole aux ordres des généraux
Mendizabal, La Carrerra, et dom Caulos d'Espanna. L'ennemi est mis en
pleine déroute.

21 _février_.--Sénatus-consulte concernant les conscrits des
arrondissemens maritimes.

22 _février_.--M. de Chateaubriand est élu membre de l'Institut à la
place vacante par la mort de Chénier.

_Même jour_.--Décret concernant l'établissement des maisons des
orphelins.

4 _mars_.--Le prince d'Esling, après avoir tenu bloquée l'armée du lord
Wellington pendant près de deux mois, n'ayant pu l'engager à recevoir
bataille, est obligé de battre en retraite par la rareté des
subsistances.

5 _mars_.--Bataille de Chiclana entre l'armée anglo-espagnole du
général anglais Graham, et l'armée française aux ordres du duc de
Bellune. Cette bataille, qui avait lieu sous les murs de Cadix, alors
assiégée par les Français, délivra ceux-ci pour un temps du dangereux
voisinage des Anglais, qui, ayant beaucoup souffert dans cette journée,
furent obligés de se retrancher dans l'île de Léon.

9 _mars_.--Décret impérial concernant les emplois dans les
administrations civiles, auxquels peuvent être appelés les militaires
admis à la retraite, ou réformés par suite d'infirmités et de blessures.

11 _mars_.--Prise de Badajoz par le maréchal Mortier.

15 _mars_.--Prise de la forteresse d'Albuquerque par le duc de Trévise,
Mortier.

_Même jour_.--Décret impérial ordonnant des mesures pour obtenir
l'amélioration des races de bêtes à laines.

20 _mars_.--Naissance aux Tuileries, à neuf heures vingt minutes du
matin, de Napoléon-François-Charles-Joseph, prince impérial, roi de
Rome.

24 _mars_.--Décret impérial créant deux nouvelles places d'officiers
de l'empire; l'une sous le titre d'inspecteur-général des côtes de la
Ligunie, et l'autre sous celui d'inspecteur-général des côtes de la mer
du Nord.

25 _mars_.--Décret qui établit trois écoles pratiques de marine.

28 _mars_.--Autre décret relatif à la dotation des invalides.

12 _avril_.--Le prince d'Haztfeld complimente l'empereur sur la
naissance du roi de Rome, de la part du roi de Prusse.

22 _avril_.--La naissance du roi de Rome est célébrée à Naples et à
Milan.

25 _avril_.--Lettre de l'empereur aux évêques de l'empire, qui les
appelle à Paris pour la tenue d'un concile national, dans le but
principal de pourvoir au remplacement des évêques, notamment
d'Allemagne, et de maintenir les principes et les libertés de l'église
gallicane.

28 _avril_.--Décret concernant la formation du département de la Lippe.

5 _mai_.--Bataille de Fuentes-de-Onoro, entre l'armée anglo-portugaise
de lord Wellington, et celle du maréchal prince d'Esling. Le succès de
cette journée reste indécis.

10 _mai_.--Décret concernant le commerce de la France avec le Levant par
les provinces illyriennes.

16 _mai_.--Bataille d'Albuhera entre les troupes
anglo-portugo-espagnoles, aux ordres du maréchal Béresford, et l'armée
du duc de Dalmatie. Les deux partis font des pertes énormes, et cette
bataille reste encore indécise.

19 _mai_.--Emprunt de douze millions de francs, par le roi de Saxe,
ouvert à Paris par MM. Pérégaux, Lafitte et compagnie, avec autorisation
de l'empereur.

25 _mai_.--Décret ordonnant l'ouverture d'un canal de communication
entre la ville de Caen et la mer.

9 _juin_.--Baptême à Notre-Dame du roi de Rome, fils de l'empereur.
Grande réjouissance dans Paris.

14 _juin_.--Défaite du général espagnol Espoz-y-Mina, à Sanguesa, en
Navarre, par le général Reille.

17 _juin_.--Ouverture du corps législatif par l'empereur.

18 _juin_.--Fête donnée par le préfet et les membres du conseil
municipal de Paris, aux maires des bonnes villes de l'empire et du
royaume d'Italie, à l'occasion du baptême du roi de Rome.

_Même jour_.--L'empereur nomme son oncle, le cardinal Fesch, président
du concile national convoqué à Paris.

_Même jour_.--Levée du siège de Badajoz par les Anglo-Portugais et les
Espagnols.

20 _juin_.--Première assemblée générale du concile national.--Banquet
donné le même jour par les maires et députés des bonnes villes de
l'empire, au ministre de l'intérieur, au préfet de Paris, etc.

23 _juin_.--Fête donnée à Saint-Cloud par l'empereur aux principales
autorités constituées de l'empire.

_Même jour_.--Défaite d'une division anglaise par le général
Latour-Maubourg au combat d'Elvas.

28 _juin_.--Prise d'assaut de la ville de Tarragone, après un siège de
six semaines, par le corps d'armée aux ordres du général Suchet.

10 _juillet_.--L'empereur, pour récompenser le général Suchet de sa
belle conduite en Espagne, lui confère la dignité de maréchal d'empire.

14 _juillet_--Prise du Mont-Serrat par le maréchal Suchet.

26 _juillet_.--Décret concernant la société de la charité maternelle.

29 _juillet_.--Décret qui ordonne le prélèvement d'un million, sous le
titre de fonds spécial des embellissemens de Rome.

23 _août_.--L'empereur reçoit à St.-Cloud les dames formant le comité
central de la charité maternelle.

25 _août_.--Défaite de l'armée espagnole de Galice, sur l'Esla, par le
général Dorsenne.

28 _août_.--Décret impérial portant règlement sur l'entreprise des
convois funèbres.

3 _septembre_.--Décret qui proroge l'amnistie en faveur des Français
qui ont porté les armes contre leur patrie.

7 _octobre_.--Arrivée de l'empereur et de l'impératrice à Anvers.

13 _octobre_.--Décret sur les feuilles périodiques, journaux, annonces
qui pourront circuler dans les départemens, et désignation des villes où
ces papiers pourront être imprimés.

14 _octobre_.--Arrivée de Napoléon et de Marie-Louise à Amsterdam.

25 _octobre_.--Bataille de Sagonte entre les troupes espagnoles du
général Blake et l'armée française aux ordres du maréchal Suchet, qui
tenait assiégée la ville de Sagonte. Le général espagnol est mis en
déroute, et obligé de renoncer à l'espoir de secourir la place.

26 _octobre_.--Reddition de Sagonte au maréchal Suchet.

2 _novembre_.--Décret qui crée dans les départemens de la Hollande deux
académies impériales.--Autre qui élève la ville de La Haye au rang des
bonnes villes, dont les maires ont le droit d'assister au couronnement.

7 _novembre_.--Décret concernant les mesures relatives aux Français qui
se réfugient en France après avoir commis un crime sur le territoire
d'une puissance étrangère.--Autre sur les attributions respectives du
conseil du sceau des titres et de l'intendance générale du domaine
extraordinaire, relativement aux majorats et dotations.

28 _novembre_.--Défaite des Espagnols au camp de St.-Roch par le général
Rey.

30 _novembre_.--Décret relatif aux bains et sources minérales
d'Aix-la-Chapelle.

17 _décembre_.--Décret portant abolition de la féodalité dans les
départemens des Bouches-de-l'Elbe, des Bouches-du-Weser et de
l'Ems-supérieur.

21 _décembre_.--Sénatus-consulte qui met à la disposition du ministre de
la guerre cent vingt mille hommes de la conscription de 1812, pour le
recrutement de l'armée.

29 _décembre_.--Occupation de la ville de San-Philippe en Aragon, par le
général Delort.

1812.

2 _janvier_.--Décret impérial portant organisation du service des
états-majors des places.

4 _janvier_.--Prise de la place de Tarifa en Espagne, par le général
Leval.

10 _janvier_.--Prise de la ville de Valence, capitale du royaume du même
nom, par le maréchal Suchet.

17 _janvier_.--Décret qui établit des écoles pour la fabrication du
sucre.

22 _janvier_.--Défaite des Espagnols au combat d'Altafulla en Espagne,
par le général Decaen.

24 _janvier_.--Décret qui établit dans le royaume de Valence, conquis
par le maréchal Suchet, un capital en biens fonds de la valeur de
deux cent millions destinés à récompenser les services rendus par les
officiers-généraux, officiers et soldats de l'armée d'Aragon. Par le
même décret, Napoléon nomme le maréchal Suchet duc d'Albuhera, avec
abandon des titres et revenus attachés audit duché.

_Même jour_.--Traité d'alliance offensive et défensive, signé entre
l'empereur Napoléon et le roi de Prusse.

1er _février_.--Siège et prise du fort de Peniscola en Espagne, par le
maréchal Suchet.

1er _mars_.--Une armée française, commandée par le maréchal Davoust,
entre dans la Poméranie prussienne.

11 _mars_.--Ordre du jour du maréchal Davoust, daté du quartier-général
de Stettin, pour rappeler à tous les généraux et soldats que les
Prussiens sont les amis des Français, et que, pendant le séjour de
l'armée en Prusse, les troupes doivent observer la plus stricte
discipline, etc., etc.

13 _mars_.--Sénatus-consulte relatif à l'organisation de la garde
nationale divisée en trois bans.

14 _mars_.--Traité d'alliance entre Napoléon et l'Autriche, signé
à Paris, avec des articles séparés, par lesquels Napoléon consent
éventuellement à l'échange des provinces illyriennes contre une partie
de la Gallicie, destinée à être réunie au futur royaume de Pologne.

17 _mars_.--Sénatus-consulte qui met à la disposition du ministre de la
guerre 60.000 hommes du 1er ban de la garde nationale, et ordonne la
levée ordinaire de la conscription.

27 _mars_.--Décret impérial portant qu'il sera élevé sur la rive gauche
de la Seine, entre le pont d'Iéna et celui de la Concorde, un édifice
destiné à recevoir les archives de l'empire.

28 _mars_.--Capitulation militaire entre la France et la confédération
helvétique.

_Même jour_.--L'un des corps de l'armée française, commandé par le duc
de Regio, fait son entrée à Berlin. Le roi de Prusse, le prince royal
et autres princes de la cour passent en revue cette troupe et en font
l'éloge.

5 _mai_.--Décret relatif à la circulation des grains et farines.

8 _mai_.--Le roi de Westphalie, Jérôme, frère de Napoléon, établit son
quartier-général a Varsovie.

9 _mai_.--L'empereur, accompagné de l'impératrice, part de Paris pour
aller inspecter la grande armée réunie sur la Vistule.

11 _mai_.--Arrivée de Napoléon et de Marie-Louise à Metz.

12 _mai_.--À Mayence.

13 _mai_.--À Francfort.

17 _mai_.--À Dresde. L'empereur et l'impératrice dînent chez le roi de
Saxe. Cour de l'empereur à Dresde. Grand spectacle donné à l'Europe.
Napoléon, entouré de princes, de souverains, de rois, semble le monarque
du monde.

24 _mai_.--Napoléon nomme M. de Pradt, ancien archevêque de Malines,
ministre en Pologne.

_Même jour_.--Lettre du prince royal de Suède, Bernadotte, à Napoléon.

25 _mai_.--L'empereur permet au vieux roi d'Espagne, Charles IV, de
quitter Marseille avec sa famille, et de partir pour l'Italie, où le
climat est plus convenable à sa santé.

2 _juin_.--Napoléon fait son entrée à Posen, dans le grand-duché de
Varsovie.

5 _juin_.--Arrivée à Prague de Napoléon et de Marie-Louise.

14 _juin_.--Napoléon passe la revue du septième corps de la grande armée
à Koenigsberg.

17 _juin_.--Le roi de Westphalie établit son quartier-général à
Pulstuck, dans le grand-duché de Varsovie.

19 _juin_.--Quartier-impérial de Napoléon à Gumbinen.

22 _juin_.--Quartier-général a Wilkowiski. Proclamation de Napoléon à la
grande armée.--Ouverture de la campagne contre la Russie.

23 _juin_.--Arrivée de l'empereur à Kowno.--Passage du Niémen par
l'armée française.

28 _juin_.--Prise de Wilna; Napoléon y établit son quartier-impérial. Il
crée un gouvernement provisoire du royaume de Pologne.

30 _juin_.--Le roi de Westphalie fait son entrée à Grodno.

1er _juillet_.--Napoléon établit un gouvernement provisoire dans la
Lithuanie.

12 _juillet_.--Le roi de Saxe, grand-duc de Varsovie, adhère à la
confédération générale du royaume de Pologne.

13 _juillet_.--Passage de la Dwina par le maréchal Oudinot, près de
Dunabourg.

16 _juillet_.--L'empereur Alexandre et le général Barclay de Tolly
évacuent le camp retranché de la Drissa, menacé d'être tourné par les
corps de l'armée française.

18 _juillet_.--Combat de Sibesch entre le maréchal Oudinot et le général
russe comte de Witgenstein.--Quartier-général de l'empereur à Glubokoë.

19 _juillet_.--Retour de l'impératrice à Paris.

21 _juillet_.--Bataille de Castalla. Le général Delort taille en pièces
les troupes espagnoles du général O'Donnell.

22 _juillet_.--Bataille de Salamanque ou des Arapiles, entre l'armée
anglo-espagnole de lord Wellington et l'armée française du maréchal duc
de Raguse.

_Même jour_.--Le général de division Loison, nommé gouverneur-général de
la Prusse par l'empereur Napoléon, s'établit à Koenigsberg.

23 _juillet_.--Bataille de Mohilow, où le prince Bagration, commandant
la seconde armée russe, est battu par le maréchal Davoust.

_Même jour_.--Passage de la Dwina à Byszczykowice par le corps d'armée
aux ordres du prince vice-roi d'Italie, Eugène Beauharnais.

25 _juillet_.--Défaite à Ostrowno du corps d'armée russe aux ordres du
général Ostermann, par le général Nansouty.

27 _juillet_.--Second combat d'Ostrowno, où les Russes sont battus par
le prince vice-roi.--Retraite précipitée du général russe Barclay de
Tolly.--Entrée des Français à Witepsk.

_Même jour_.--Quartier-général du corps d'armée autrichien, allié de la
France, aux ordres du prince de Schwartzenberg, à Nieuzwiez.

30 _juillet_.--Combat de Jakubowo, où le général russe Koulniew est
battu par le général Legrand.

1er _août_.--Bataille d'Oboiarzina, entre le duc de Reggio et le général
comte de Witgenstein; la victoire, vivement disputée, reste au premier.

12 _août_.--Bataille de Gorodeczna, où le prince de Schwartzenberg,
commandant l'aile droite de la grande armée française, défait
complètement l'armée aux ordres du général Tormasow.

_Même jour_.--Prise de Madrid par l'armée anglo-portugaise.

_Même jour_.--Défaite d'un corps russe de l'armée du général Barclay de
Tolly par le maréchal Ney, à Krasnoi.

_Même jour_.--Défaite du général Witgenstein à Polotsk, par le maréchal
Oudinot.

14 _août_.--Quartier-général de l'empereur à Basasna.

16 _août_.--Défaite de l'armée du général russe Tormasow au combat de
Kobryn, par les généraux prince de Schwartzenberg et Régnier.

17 _août_.--Grande bataille de Smolensk, entre l'armée française
commandée par Napoléon en personne, et les deux armées russes aux ordres
des généraux Barclay de Tolly et prince Bagration. L'ennemi, battu sur
tous les points, est obligé encore une fois de précipiter sa retraite.

18 _août_.--Bataille de Polotsk, où le général Gouvion St.-Cyr défait
le général russe Witgenstein. La belle conduite du général Gouvion
St.-Cyr lui vaut peu de temps après le bâton de maréchal d'empire.

19 _août_.--Bataille de Valontina-Gora, entre les troupes du maréchal
Ney et le corps d'arrière-garde aux ordres du général russe Korfl, que
le général Barclay laissait en arrière pour protéger sa retraite. Les
Russes sont encore battus.

22 _août_.--Pose à Paris, par le ministre de l'intérieur, des premières
pierres du palais de l'université, des beaux-arts et de celui des
archives.

30 _août_.--Quartier-général de Napoléon à Wiasma.

7 _septembre_.--Grande et mémorable bataille de la Moskowa, livrée par
l'empereur en personne. Le général russe Kutusow, qui venait de prendre
le commandement de tous les débris des armées précédemment aux ordres
des généraux Barclay de Tolly, Bagration, Witgenstein, est battu de même
que ses prédécesseurs. Les Russes perdent soixante pièces de canon,
trente mille hommes tués ou blessés, cinq mille prisonniers, un grand
nombre de drapeaux, trente-cinq généraux mis hors de combat, deux tués,
etc., etc.

14 _septembre_.--Entrée de l'armée française à Moscow. L'empereur
s'établit au Kremlin, antique palais des czars de Russie.

16 _septembre_.--Incendie général de Moscow, attribué par les uns à
l'ambition de son gouverneur, le prince Rostopschin; par d'autres aux
conseils et à l'influence des Anglais.

5 _octobre_.--L'empereur Napoléon envoie le général Lauriston proposer
la paix à l'empereur Alexandre; mais le général Kutusow, qui voulait
la continuation de la guerre, le retient à son quartier-général, et
l'empêche de communiquer avec Alexandre.

17 _octobre_.--Combat de Wenkowo entre les troupes du roi de Naples,
Murat, et celles du général Orlow-Denisow; celles-ci sont obligées de se
retirer.

_Même jour_.--Bataille de Polotsk, entre le maréchal Gouvion-St.-Cyr et
le général Witgenstein; elle dure trois jours; les Français éprouvent de
grandes pertes.

18 _octobre_.--Défaite du général russe Tbitchagow par le général
Reynier, au combat d'Esen.

19 _octobre_.--L'empereur Napoléon voyant qu'il n'est plus d'espoir pour
la paix, se détermine à la retraite et sort de Moscow avec sa garde.

21 _octobre_.--Arrivée de Napoléon à Fomenskoi.

22 _octobre_.--Jonction des trois armées françaises en Espagne, sous
le commandement du maréchal Soult.--Levée du siège de Burgos par lord
Wellington.

23 _octobre_.--Conspiration du général Mallet pour renverser le
gouvernement impérial. Après avoir arrêté et conduit en prison le
ministre de la police Savary et le préfet de police Pasquier, il est
lui-même arrêté avec ses complices.

_Même jour_.--Le maréchal Mortier, avant de quitter Moscow, fait sauter
le Kremlin.

24 _octobre_.--Bataille de Maloiaroslawetz, entre le corps aux ordres du
prince vice-roi et celui du général Doctorow. Défaite des Russes.

3 _novembre_.--Le prince vice-roi repousse encore une fois les Russes au
combat de Wiasma. La retraite de l'armée devient très-difficile.

14 _novembre_.--L'empereur Napoléon évacue la ville de Smolensk.

16 _novembre_.--Le prince vice-roi passe sur le ventre à une partie de
l'armée de Kutusow à Korytnea, et rejoint l'empereur à Krasnoi.

17 _novembre_.--Prise par le général russe Tchitchagow de la ville de
Minsk, où se trouvaient en magasin des subsistances pour cent mille
hommes, pendant six mois.

18 _novembre_.--Combat de Krasnoi. Beau mouvement rétrograde du maréchal
Ney.

_Même jour_.--Reprise de Madrid par le maréchal Soult. L'armée
anglo-portugaise de lord Wellington est poursuivie l'épée dans les reins
jusqu'à Ciudad-Rodrigo, en Portugal.

21 _novembre_.--L'empereur arrive à Trocha.

22 _novembre_.--À Tolotchin.

24 _novembre_.--L'armée française se concentre sur les bords de la
Bérézina.

26 et 28 _novembre_.--Passage et bataille de la Bérézina. Une plume
française se refuse à retracer les désastres de ces deux terribles
journées.

29 _novembre_.--Quartier-impérial de Napoléon à Kamen.

5 _décembre_.--Napoléon arrive à Smorgori; il remet le commandement
de l'armée au roi de Naples. Jusque-là il avait partagé toutes les
privations de ses malheureux soldats.

9 _décembre_.--Arrivée de l'armée française à Wilna.

10 _décembre_.--Arrivée de l'empereur Napoléon à Varsovie.

_Même jour_.--L'armée évacue Wilna, laissant dans cette ville les
malades, qui furent presque tous massacrés par la populace russe.

14 _décembre_.--Le maréchal Ney, qui commandait l'arrière-garde, bat les
troupes de l'hetmann Platow à Kowno.

_Même jour_.--L'empereur Napoléon arrive à Dresde.

18 _décembre_.--Retour de l'empereur à Paris.

20 _décembre_.--Napoléon reçoit les félicitations de tous les corps
constitués de l'empire.

_Même jour_.--Les débris de l'armée française prennent position sur le
Niémen.

21 _décembre_.--Message de l'empereur au sénat, pour demander une levée
extraordinaire de trois cent cinquante mille hommes.

30 _décembre_.--Capitulation du général Yorcke, commandant les troupes
prussiennes auxiliaires en Russie, avec le général russe Diebitch.
Le roi de Prusse paraît d'abord désapprouver son lieutenant, mais sa
conduite subséquente prouve bientôt que Yorcke avait agi de concert avec
lui.

1813.

1er _janvier_.--Le roi de Naples, lieutenant-général de l'empereur,
fait évacuer Koenigsberg.

3 _janvier_.--Quartier-général à Elbing.

7 _janvier_.--À Marienbourg.--Proclamation du gouvernement provisoire,
établi en Pologne par Napoléon, qui appelle aux armes tous les Polonais
en état de les porter.

11 _janvier_.--Sénatus-consulte qui met à la disposition du
gouvernement une levée de trois cent cinquante mille hommes.

13 _janvier_.--Évacuation de Marienverder par les Français.

18 _janvier_.--Le roi de Naples déserte le poste qui lui avait
été confié par l'empereur, force le prince Eugène à se charger du
commandement, et quitte l'armée pour se rendre dans ses états.

_Même jour_.--Adresses du corps municipal de Paris et des cohortes de
la garde nationale à l'empereur; expression d'un dévouement qui ne fut
que trop mis à l'épreuve.

20 _janvier_.--Investissement de la place importante de Dantzick par
les armées alliées contre la France.

21 _janvier_.--Arrivée à Berlin des premières colonnes envoyées de
l'intérieur de la France pour reformer la grande armée.

23 _janvier_.--Le roi de Saxe abandonne sa capitale, en déclarant par
une proclamation, que, quels que soient les événemens, il restera fidèle
à l'alliance de l'empereur Napoléon.

24 _janvier_:--Concordat signé à Fontainebleau entre le pape et
Napoléon.

30 _janvier_.--Le roi de Saxe appelle aux armes tous les Polonais du
grand-duché de Varsovie.

2 _février_.--Sénatus-consulte rendu d'après la demande de Napoléon sur
les cas prévus par la constitution, tels que la régence de l'empire, le
couronnement de l'impératrice et celui du prince impérial, roi de Rome.

7 _février_.--L'armée française évacue la ligne de la Vistule.

12 _février_.--Le prince vice-roi fait évacuer Posen.

13 _février_.--Combat de Kalisch entre le général Reynier et le général
Wintzingerode; celui-ci est repoussé avec perte.

14 _février_.--L'empereur Napoléon fait l'ouverture du corps
législatif.

15 _février_.--Napoléon fait don à la ville d'Erfurt de son buste en
bronze.

16 _février_.--Commencement du blocus de Stettin et des autres
forteresses prussiennes occupées par les garnisons françaises.

18 _février_.--Quartier-général du prince vice-roi a Francfort; l'armée
française prend ses lignes sur l'Oder.

21 _février_.--Message de l'empereur au sénat pour lui annoncer qu'il
a érigé en principauté, sous le titre de principauté de la Moskowa, le
château de Rivoli, département du Pô, et les terres qui en dépendent, en
faveur du maréchal Ney, duc d'Elchingen, et ses descendans.

22 _février_.--Quartier-général du prince vice-roi à Koepenick.

24 _février_,--Convention signée à Paris entre la Prusse et le
gouvernement impérial sur la restitution des gages précédemment donnés
par la première puissance.

27 _février_.--Quartier-général du prince vice-roi a Schoenenberg, près
Berlin.

4 _mars_.--Évacuation de Berlin par l'armée française.

6 _mars_.--L'empereur Napoléon ordonne la levée de la conscription de
1814 en Italie.

9 _mars_,--Quartier-général du prince vice-roi à Leipzick.

10 _mars_,--Évacuation de Stralsund.

12 _mars_.--Les autorités françaises quittent Hambourg.--Schwerin
donne aux autres princes allemands l'exemple de renoncer à la
confédération du Rhin.

19 _mars_.--Le maréchal Davoust fait sauter le pont de Dresde, et se
retire sur Leipzick, laissant le général Durutte avec le septième corps
pour garder cette capitale de la Saxe.

21 _mars_,--Quartier-général du prince vice-roi à Magdebourg.
--Arrivée à Vienne du comte de Narbonne, ambassadeur de Napoléon.

22 _mars_.--Entrée des Russes et du général Blucher à Dresde.

23 _mars_,--Lettre du prince royal de Suède à Napoléon; il déclare
à celui-ci l'intention de la Suède, de faire cause commune contre la
France.

24 _mars_.--L'empereur reçoit une députation du corps législatif.

26 _mars_.--Évacuation de la nouvelle ville de Dresde par le général
Durutte.

30 _mars_.--Lettre-patente de Napoléon, qui confère la régence à
l'impératrice Marie-Louise.

1er _avril_,--Déclaration de guerre de Napoléon contre la Prusse.

_Même jour_.--L'armée française du prince vice-roi se met en ligne
derrière la Saale.

2 _avril_,--Combat de Lunebourg; le général Morand est blessé à mort,
et sa troupe, environnée de toutes parts, obligée de capituler.

3 _avril_.--Sénatus-consulte qui met à la disposition du ministre de la
guerre cent quatre-vingt mille hommes, dont dix mille gardes d'honneur,
quatre-vingt mille par un nouvel appel sur le premier ban de la garde
nationale, et quatre-vingt dix mille conscrits de 1814 destinés d'abord
à la défense des côtes.--Autre sénatus-consulte qui suspend le régime
constitutionnel dans la trente-deuxième division militaire (les villes
anséatiques).

_Même jour_.--Grande reconnaissance ordonnée par le prince vice-roi
en avant de Mockern; les troupes alliées sont culbutées sur tous les
points, et l'épouvante se répand jusqu'à Berlin, où l'on crut que les
Français ne tarderaient pas a entrer.

4 _avril_.--Nouvel engagement entre les Français et les troupes des
généraux russe et prussien Witgenstein et Bulow; les premiers sont
repoussés à leur tour.

6 _avril_.--Reprise de Lunebourg par le maréchal Davoust.

8 _avril_.--Décret impérial qui ordonne la réunion en société des
donataires auxquels ont été affectés des portions du revenu des
provinces illyriennes, et la création de cent vingt actions de deux
mille francs.

10 _avril_.--Quartier-général du prince vice-roi à Aschersleben, au
confluent de la Saale et de l'Elbe.

12 _avril_.--Prise de Villena en Espagne, par le maréchal Suchet.

13 _avril_.--Combat de Castella, où le maréchal Suchet bat les Anglais.

15 _avril_.--Napoléon quitte Saint-Cloud pour se mettre à la tête de
ses armées.

16 _avril_.--Arrivée de l'empereur à Mayence.

17 _avril_,--Défaite à Sprakensbel du général russe Doernberg par le
général Sébastiani.

_Même jour_.--Capitulation de la forteresse de Thorn.

19 _avril_.--Arrivée de la grande armée russe à Dresde.

24 _avril_.--Capitulation de la forteresse de Spandau.

26 _avril_.--Capitulation de la forteresse de Czentoschau.

25 _avril_.--Arrivée de l'empereur Napoléon à Erfurt. Quartier-général
du prince vice-roi à Naumbourg.

_Même jour_.--Combat de Weissenfels entre le maréchal Ney et le général
Lanskoi; les Français s'emparent de Weissenfels.

27 _avril_.--Jonction des armées françaises de l'Elbe et du Mein près
de Naumbourg.

29 _avril_.--Quartier-général du prince vice-roi à Mersebourg, après
avoir chassé les troupes qui défendaient cette ville.

1er _mai_.--Quartier impérial de Napoléon à Lutzen.-- Deuxième combat
de Weissenfels entre le maréchal Ney et le général Wintzingerode; les
Russes sont taillés en pièces et obligés de se retirer derrière le
Flossgraben, pour couvrir les défilés de Pagau et de Zwenkau; les
Français eurent à regretter le maréchal Bessières, duc d'Istrie, tué par
un boulet.

2 _mai_.--Bataille de Lutzen, livrée par Napoléon en personne; l'armée
alliée est mise an déroute et obligée de battre en retraite. Les Russes
et les Prussiens avaient perdu plus de vingt mille hommes, et les
vainqueurs douze mille.

3 _mai_.--L'armée victorieuse poursuit l'ennemi sur la route de Dresde.

4 _mai_.--Elle passe la Pleiss.

5 _mai_.--La Mulda.

8 _mai_.--Elle arrive devant Dresde.

9 _mai_.--L'empereur fait jeter un pont de bateaux à Priesnitz.

11 _mai_.--Reprise de Dresde par l'armée française. L'empereur écrit à
la maréchale Bessières, duchesse d'Istrie, pour l'informer de la mort
glorieuse de son mari.

12 _mai_.--Le roi de Saxe fait sa rentrée solennelle dans la capitale
de ses états; l'empereur, qui avait été à sa rencontre, se tint à cheval
à ses côtés, et le conduisit jusqu'au palais au bruit du canon, au son
des cloches et aux acclamations du peuple et des troupes.

14 _mai_.--Décret de l'empereur daté de Dresde. «Voulant donner une
preuve éclatante et signalée de notre satisfaction à notre bien-aimé
fils le prince Eugène-Napoléon, vice-roi de notre royaume d'Italie,
pour les constantes preuves d'attachement qu'il nous a données, et les
services qu'il nous a rendus, notre palais de Bologne et la terre de
Galliera, appartenant à notre domaine privé, sont érigés en duché, et
ledit duché de Galliera est donné en toute propriété à la princesse de
Bologne Joséphine-Maximilienne-Eugène-Napoléonne, fille aînée du prince
vice-roi, etc.»

16 _mai_.--L'empereur Napoléon, vainqueur à Lutzen, offre la réunion
d'un congrès à Prague pour la paix générale; son offre est refusée par
les souverains alliés.

17 _mai_.--_Te Deum_ chanté à Paris par ordre de l'impératrice régente,
en actions de grâce, pour la victoire remportée à Lutzen.

18 _mai_.--Napoléon part de Dresde pour se mettre à la tête de son
armée en Lusace.

_Même jour_.--Retour du prince vice-roi en Italie. L'empereur, qui
prévoyait la prochaine défection de l'empereur d'Autriche, avait chargé
son fils adoptif d'organiser une armée défensive en Italie.

20 _mai_.--Bataille de Bautzen, perdue par les alliés.

21 _mai_.--Bataille de Wurtchen, perdue par les alliés; l'empereur
Napoléon et l'empereur Alexandre commandaient en personne dans ces deux
journées.

_Même jour_.--Par un décret daté du champ de bataille de Wurtchen,
Napoléon ordonne l'érection d'un monument sur le Mont-Cenis, destiné à
transmettre à la postérité la plus reculée le généreux dévouement du
peuple français, dont douze cent mille enfans s'étaient levés en 1813
pour défendre les frontières de la patrie menacées par l'ennemi.
Vingt-cinq millions de francs étaient consacrés a l'érection de ce
monument.

22 _mai_.--Combat de Reichenbach, entre l'arrière-garde de l'armée
russe commandée par le général Miloradowitch, et le septième corps
de l'armée française, aux ordres du général Reynier. Les Russes sont
culbutés; mais les Français perdent le grand-maréchal du palais, Duroc,
ami fidèle et sujet dévoué de l'empereur.

23 _mai_.--Le général Reynier culbute de nouveau les Russes au combat
de Gorlitz.

26 _mai_.--Le général Maison est repoussé avec perte dans une attaque
contre la ville d'Hanau.

28 _mai_.--Combat de Sprottau, où le général Sébastiani s'empare d'un
nombreux convoi ennemi.

_Même jour_.--Le maréchal Oudinot fait fuir devant lui les alliés, au
combat de Heyerswerda.

29 _mai_.--Le comte de Schouvalow, aide-de-camp de l'empereur de
Russie, et le général prussien Kleist se rendent auprès de l'empereur
pour lui demander un armistice au nom de leurs souverains.

4 _juin_.--L'armistice demandé par l'empereur Alexandre et le roi de
Prusse est accordé jusqu'au 20 juillet par Napoléon, Il réitère son
offre d'un congrès à Prague pour une pacification générale, et
propose de s'en rapporter a la médiation de son beau-père, l'empereur
d'Autriche.

7 _juin_.--Le maréchal Davoust impose une contribution extraordinaire
de quarante-huit millions à la ville de Hambourg.

10 _juin_.--Retour de Napoléon à Dresde.

12 _juin_.--Le maréchal Suchet bat les Anglais sous les murs de
Tarragone, et les force de lever le siège de cette place.

13 _juin_.--L'impératrice-régente assiste au _Te Deum_ chanté dans
l'église Notre-Dame, à l'occasion de la victoire remportée par l'armée
française à Wurtchen.

_Même jour_.--Défaite de l'armée anglo-espagnole commandée par le
général Elio, par le maréchal Suchet, au combat de Xucar.

14 _juin_.--L'armée française en Espagne, dont le roi Joseph venait de
prendre le commandement, se retire sur l'Ebre.

18 _juin_. Décret de Napoléon qui ordonne de former une liste des
absents dans la trente-deuxième division militaire.

21 _juin_.--Bataille de Vittoria entre l'armée anglo-espagnole de
lord Wellington et celle des Français du roi Joseph, commandée par le
maréchal Jourdan; elle est perdue par la faute des généraux français,
et bientôt, par ses résultats, va ouvrir le chemin de la France aux
Anglais.

23 _juin_.--Retraite de l'armée française d'Espagne sur la France.

26 _juin_.--L'empereur ordonne au maréchal Davoust d'imposer a la ville
de Lubeck une contribution extraordinaire de six millions.

27 _juin_.--L'armée française d'Espagne, après avoir passé sans être
inquiétée les gorges de Roncevaux et la vallée de Bastan, rentre sur le
territoire français.

_Même jour_.--Prise du fort de Requena en Espagne, par le général
Harispe, sur le général Elio.

30 _juin_.--Convention signée entre l'empereur Napoléon et l'empereur
d'Autriche, par laquelle celui-ci s'engage à faire prolonger l'armistice
accordé a l'empereur de Russie et au roi de Prusse jusqu'au 10 août.

1er _juillet_.--Sénatus-consulte qui ordonne que celui du 3 avril 1813,
portant suspension pendant trois mois du régime constitutionnel dans
les départemens de l'Ems-Supérieur, des Bouches du Weser et des
Bouches-de-l'Elbe, composant la trente-deuxième division militaire, est
prorogé pendant trois mois, à compter du 15 juillet courant.

12 _juillet_.--Arrivée à Baïonne du maréchal Soult, duc de Dalmatie,
avec le titre de lieutenant-général de l'empereur en Espagne.

20 _juillet_.--L'armée française d'Espagne reprend l'offensive.

25 _juillet_. Combat très-vif sous les murs de St.-Sébastien, entre les
Anglais qui assiégeaient cette ville sous les ordres du général Graham,
et la garnison commandée par le général Ney. Les Anglais sont repoussés
avec une grande perte.

26 _juillet_.--Napoléon part de Dresde pour se rendre à Mayence.

27 _juillet_,--Bataille de Cubéry, entre le duc de Dalmatie et
Wellington; le premier est obligé de battre en retraite.

28 _juillet_.--Arrivée de Napoléon à Mayence et du général Caulincourt,
duc de Vicence, ministre plénipotentiaire à Prague.

29 _juillet_.--Note présentée par les plénipotentiaires de France, le
duc de Vicence et le comte de Narbonne, tendante à ce que le congrès
pour la paix fût immédiatement ouvert à Prague pour la réunion effective
des ministres et la vérification réciproque des pouvoirs.

31 _juillet_.--Combat d'Irun entre Wellington et le duc de Dalmatie; il
reste sans résultat.

6 _août_.--Retour de Napoléon à Dresde.

10 _août_.--Le comte de Metternich, après avoir gagné du temps en
trompant par de fausses promesses les plénipotentiaires français,
déclare enfin au duc de Bassano que l'armistice étant expiré, on ne peut
plus ouvrir de congrès.

12 _août_.--Le duc de Bassano reçoit du comte de Metternich la
déclaration de guerre de l'empereur d'Autriche contre son gendre.

13 _août_.--Le prince Eugène, vice-roi d'Italie, prend le commandement
de l'armée française en Italie.

14 _août_.--Arrivée du roi de Naples, Joachim Murat.

15 _août_.--Napoléon part de Dresde pour se mettre à la tête de son
armée, en Silésie.

17 _août_.--Reprise des hostilités en Allemagne et en Italie.

18 _août_.--Quartier-général de l'empereur à Gorlitz..

_Même jour_.--Le maréchal Suchet fait sauter les fortifications de
Tarragone en Espagne.

19 _août_.--L'armée française pénètre dans la Bohême.

21 _août_.--Quartier-général de l'empereur à Lowender.--Combat de
Trébine, où le duc de Reggio culbute tous les avant-postes de l'armée du
prince royal de Suède (Bernadotte).

22 _août_.--Plusieurs combats livrés par les divers corps de l'armée
de Silésie, presque tous au désavantage des Français.--L'empereur
retourne avec sa garde à Dresde, menacé par la grande armée alliée.

23 _août_.--Combat de Golberg, où le général Lauriston repousse avec
une grande perte les troupes du général Blucher.

_Même jour_.--Combat de Gross-Beeren, entre le corps d'armée du duc de
Reggio et les troupes de Bernadotte; celui-ci reste vainqueur, et met
par cette victoire Berlin à l'abri de toute attaque.

24 _août_.--Sénatus-consulte qui met à la disposition du ministre de la
guerre trente mille hommes pris dans les classes de 1814, 1813, 1812 et
antérieures, dans vingt-quatre départemens du Midi.

25 _août_,--Quartier-général de l'empereur à Stolpen. Napoléon laisse
le commandement de son armée de Lusace au maréchal Macdonald et se rend
à Dresde.

26 _août_.--Combat livré sous les murs de Dresde, et sous les jeux de
Napoléon, entre les troupes alliées aux ordres du prince autrichien
Schwartzenberg, et celles commandées par le maréchal Gouvion St.-Cyr;
l'ennemi est repoussé avec une grande perte.

_Même jour_.--Bataille de la Katzbach, entre le maréchal Blucher,
commandant les troupes prussiennes, et l'armée de Silésie, que Napoléon
avait laissée aux ordres du maréchal Macdonald; celui-ci est complément
battu par le premier.

27 _août_.--Bataille de Dresde, livrée par l'empereur à la grande
armée alliée, commandée par l'empereur Alexandre et le prince de
Schwartzenberg. L'ennemi est battu sur tous les points; il perd quarante
mille hommes, dont dix-huit mille prisonniers, presque tous Autrichiens,
vingt-six pièces de canons, cent trente caissons et dix-huit drapeaux.
C'est dans cette journée que le général Moreau, honteusement arrivé
d'Amérique au secours des ennemis de sa patrie, fut frappé d'un boulet
qui le fit mourir quelques jours après.

30 _août_.--Bataille de Kulm; l'armée du prince de Schwartzenberg,
dans sa retraite après la bataille de Dresde, rencontre à Kulm le corps
d'armée du général Vandamme, l'environne avec des forces quadruples et
lui fait abandonner toute son artillerie, le général Vandamme ayant été
obligé de se faire jour les armes à la main, après une perte de plus de
dix mille hommes.

31 _août_.--Évacuation de la ville de St.-Sébastien en Espagne par les
Français. Les Anglais, après être entrés dans cette malheureuse cité,
y commettent des horreurs dont les annales de la guerre offrent peu
d'exemples, et dont cette nation barbare était seule capable dans un
siècle de civilisation.

1er _septembre_,--Retraite de l'armée française du maréchal Soult sur
la Bidassoa.

3 _septembre_.--L'empereur part de Dresde pour se rendre en Lusace.

6 _septembre_.--Bataille de Jutterbogk entre le prince royal de Suède
et le maréchal Ney, qui venait de remplacer le duc de Reggio. Encore
moins heureux que celui-ci, Ney se laisse battre complètement, perd dix
mille hommes, vingt-cinq pièces de canon, et est obligé de réorganiser
entièrement son corps d'armée.

9 _septembre_.--Napoléon retourne à Dresde.

14 _septembre_.--L'empereur bat les alliés au combat de Geyersberg.

15 _septembre_.--Napoléon force le général Wittgenstein à se replier
sur Kulm.

21 _septembre_.--Retour de l'empereur à Dresde.

4 _octobre_.--Message de l'empereur Napoléon au sénat, annonçant qu'il
est en guerre avec l'Autriche.

7 _octobre_.--Séance solennelle du sénat, présidée par
l'impératrice-régente; elle y prononce un discours, dont le but est
d'encourager la nation à défendre son territoire contre les ennemis
dont, dit-elle, elle connaît mieux que personne toutes les mauvaises
intentions, et finit par demander une levée de deux cent quatre-vingt
mille conscrits.

7 _octobre_.--Napoléon se porte de Dresde à la rencontre des deux
armées commandées par Blucher et le prince de Suède.

8 _octobre_.--L'armée française du maréchal Soult passe la Bidassoa.

9 _octobre_.--Capitulation de la citadelle de Saint-Sébastien.

12 _octobre_.--L'ennemi, qui s'était replié a l'approche de Napoléon,
est battu à Dessau par le prince de la Moskowa.

14 _octobre_.--Combat de Wachau, où l'empereur fait replier tous les
postes du prince de Schwartzenberg.

_Même jour_.--Sénatus-consulte qui déclare que la France ne conclura
aucun traité de paix avec la Suède, sans qu'au préalable celle-ci n'ait
renoncé à la possession de l'île française de la Guadeloupe.

16 _octobre_.--Bataille de Wachau, gagnée par Napoléon sur les troupes
alliées, commandées par le prince de Schwartzenberg, général en chef de
toutes les troupes armées contre la France.

17 et 18 _octobre_.--Bataille de Leipsick. Napoléon, environné par des
forces plus que doubles, épuise en vain toutes les ressources de son
génie pour retenir la victoire; pour la première fois, depuis qu'il
commandait les armées, elle lui échappe dans une bataille rangée. Il
faut dire cependant, à la gloire de Napoléon, et surtout des soldats
français, que, sans l'infâme trahison des troupes saxonnes, il est plus
que probable que la bataille de Leipsick eût été le complément de la
renommée militaire de l'empereur, au lieu d'être le commencement de tous
les désastres qui ont amené sa chute.

19 _octobre_.--Retraite de l'armée française.

20 _octobre_.--L'armée française arrive à Weissenfels.

21 _octobre_.--À Freybourg.

22 _octobre_.--A Ollendorff, où elle culbute les cosaques de Platow.

23 _octobre_.--Quartier-général de l'empereur à Erfurt.

25 _octobre_.--Décret de Napoléon au quartier-impérial de Goeta, qui
convoque le corps législatif pour le 2 décembre prochain.

30 _octobre_.--Bataille de Hanau. L'armée française, poursuivie par les
alliés, et arrêtée dans sa marche par l'armée de Bavière, qui venait
aussi de se déclarer contre la France, est encore obligée de livrer
bataille. Elle passe sur le ventre du général de Wrede, qui commandait
les Bavarois, lui tue six mille hommes, lui fait quatre mille
prisonniers, et continue sa retraite en bon ordre.

31 _octobre_.--Le duc de Raguse, qui formait l'arrière-garde, attaque
lui-même le général de Wrede à Hanau, le culbute encore, et l'oblige à
rétrograder.

1er _novembre_.--Le prince vice-roi, après s'être défendu avec honneur
contre les forces supérieures qui l'attaquaient en Italie, est obligé de
repasser la Brenta et l'Adige.

2 _novembre_.--L'empereur et l'armée française passent le Rhin à
Francfort.

9 _novembre_.--Arrivée de l'empereur à Paris.

11 _novembre_.--Le maréchal Gouvion Saint-Cyr capitule dans Dresde. Les
alliés ont l'infamie de rompre la capitulation, et rendent ainsi inutile
pour la France une armée de près de trente mille hommes.

15 _novembre_.--L'armée d'Italie met en fuite la gauche des Autrichiens
an combat de Caldiero.

_Même jour_.--Sénatus-consulte qui proroge les pouvoirs de la série des
députés au corps législatif qui devaient en sortir.--Autre qui donne à
Napoléon le droit de nommer le président du corps législatif.

16 _novembre_.--Sénatus-consulte qui met à la disposition du
gouvernement les trois cent mille conscrits demandés par l'impératrice,
et qui devront être pris sur les classes de 1802, 1803 et années
suivantes jusques et compris 1814.

18 _novembre_,--Les Autrichiens sont de nouveau battus au combat de
San-Michele en Italie.

_Même jour_.--Le maréchal Soult est repoussé dans ses lignes au camp de
Sarre.

27 _novembre_.--Reprise de Ferrare par le prince vice-roi sur les
Autrichiens.

5 _décembre_.--Capitulation de Stettin.

8 _décembre_.--Combat de Rovigo en Italie, où les Autrichiens sont
battus par le général Marcognet.

11 _décembre_.--Traité signé à Valençay entre Napoléon et Ferdinand
VII, par lequel celui-ci s'engage à faire évacuer l'Espagne par l'armée
britannique, et à ne persécuter aucun des Espagnols qui ont pris parti
pour le roi Joseph.

13 _décembre_.--Bataille de Saint-Pierre d'Irube perdue par le maréchal
Soult.

16 _décembre_.--Décret de Napoléon ordonnant la formation de trente
cohortes de la garde nationale pour la garde des places fortes.

19 _décembre_.--Ouverture du corps législatif par l'empereur.

21 _décembre_.--Décret communiqué au sénat et au corps législatif,
par lequel une commission extraordinaire est nommée pour prendre
communication de la négociation qui a eu lieu avec les puissances
alliées.

25 _décembre_.--Commencement du siège d'Huningue par les alliés.

26 _décembre_.--Capitulation de Torgau.

27 _décembre_.--Décret impérial qui nomme vingt sénateurs commissaires
extraordinaires dans les départemens.

29 _décembre_.--Capitulation de la ville de Dantzick après deux mois de
siège.

30 _décembre_.--L'empereur reçoit dans la salle du trône une députation
du sénat, qui lui présente une adresse de remerciement pour la
communication faite le 22.

31 _décembre_.--Napoléon, irrité du rapport fait par la commission du
corps législatif, apostrophe vivement les membres de celte commission,
et dissout le corps législatif lui-même.

1814.

1er _janvier_.--Décret impérial qui ajourne la session législative.

2 _janvier_.--Réception solennelle, dans la salle du trône, du sénat,
du corps législatif, et de toutes les autorités supérieures de l'état.

3 _janvier_.--Décret impérial en faveur des juifs de Paris.

6 _janvier_.--Les alliés, après avoir violé la neutralité de la Suisse,
commencent à pénétrer en France.

9 _janvier_.--Décret de Napoléon, qui appelle à un service actif la
garde nationale de Paris, et s'en déclare le commandant en chef.

11 _janvier_.--Joachim Murat, mu par la plus lâche ingratitude, signe
à Naples un traite d'alliance avec l'Autriche contre son bienfaiteur
Napoléon.

14 _janvier_,--Quartier-général à Lyon du maréchal Augereau, commandant
du corps d'armée française sur le Rhône.

21 _janvier_.---Décret impérial pour la formation de douze régimens de
voltigeurs et de tirailleurs de la jeune garde.

22 _janvier_.--Arrivée à Châtillon du duc de Vicence en qualité de
ministre plénipotentiaire de Napoléon.

24 _janvier_.--Lettre-patente de Napoléon, et sénatus-consulte qui
confèrent à l'impératrice Marie-Louise la régence de l'empire pendant
l'absence de son mari.

_Même jour_.--Napoléon fait ses adieux a la garde nationale de Paris
dans la personne de ses officiers, convoqués à cet effet au château des
Tuileries, et recommande avec chaleur et dignité son épouse et son fils
au courage et au dévouement des défenseurs de la capitale.

_Même jour_.--Le général Carnot écrit à l'empereur pour lui demander du
service.

25 _janvier_,--Napoléon part de Paris pour se mettre à la tète de ses
armées.

26 _janvier_.--Quartier-général de l'empereur à Vitry.

29 _janvier_.--Combat de Brienne entre l'armée française et celle
des alliés aux ordres du prince de Schwartzenberg; Napoléon remporte
l'avantage.

1er _février_.--Bataille de la Rothière entre Napoléon et les deux
armées alliées du prince de Schwartzenberg et du général Blucher; elle
est perdue par Napoléon.

3 _février_.--Retraite de l'armée française sur Troyes.

7 _février_.--Retraite de l'armée française sur Nogent.

8 _février_.--Bataille du Mincio en Italie, gagnée par le prince
vice-roi sur le général autrichien Bellegarde.

9 _février_.--Organisation de la garde nationale sédentaire de Paris.

_Même jour_.--Napoléon concentre ses forces à Sézanne.

10 _février_:--Combat de Champ-Aubert entre deux divisions de l'armée
française et le corps d'armée alliée aux ordres du général russe
Alsusiew; celui-ci est battu et fait prisonnier.

11 _février_,--Bataille de Montmirail; le général Blochet est battu à
son tour.

12 _février_.--Combat de Château-Thierry a l'avantage des Français.

_Même jour_.--Autre combat de Vaux-Champ; le général Blucher est
encore battu et obligé d'abandonner une partie de ses équipages pour
s'échapper. L'armée de Silésie, qu'il commandait, est obligé de repasser
la Marne.

14 _février_.--Combat de Soissons. Le général russe Wintzingerode
s'empare de cette ville.

15 _février_.--Les maréchaux Macdonald, Victor et Oudinot concentrent
leurs corps d'armée sur l'Hières, à cinq lieues de Paris.

16 _février_.--Napoléon, instruit des dangers que court la capitale,
arrive à marche forcée sur Guignes; au secours des maréchaux menacés par
le prince de Schwartzenberg.

_Même jour_.--Combats de Mormant et de Valzouan, perdus, le premier par
les alliés, le second par le duc de Bellune.

18 _février_.--Bataille de Montereau, gagnée par l'empereur sur la
grande armée alliée.

22 _février_.--Combat de Méry-sur-Seine, gagné par le duc de Reggio.

23 _février_.--Reprise de Troyes par l'armée française.

24 _février_.--Les souverains alliés font à Napoléon la demande d'un
armistice, et consentent enfin à nommer des plénipotentiaires pour
négocier de la paix au congrès de Châtillon.

26 _février_,--L'armée de Silésie du maréchal Blucher s'avance vers
Paris par la vallée de la Marne.

27 _février_.--Combat de Meaux, gagné par le maréchal duc de Raguse.

_Même jour_.--Combats de Bar et de la Ferté, perdus par le maréchal
Macdonald contre le prince de Schwartzenberg.

_Même jour_.--Bataille d'Orthez, perdue par le maréchal Soult.

28 _février_.--Combat de Gué-à-Trème, gagné contre le général Blucher
par les maréchaux duc de Trévise et de Raguse. Blucher est obligé de
suspendre sa marche sur Paris.

1er _mars_.--Combat de Lizy, gagné par les maréchaux Mortier et
Marmont. Blucher est obligé de battre en retraite.

2 _mars_.--Napoléon marche sur les derrières de l'armée du général
Blucher.

_Même jour_.--Combat de Bar-sur-Seine, perdu par le maréchal Macdonald.

3 _mars_.--Combat de Neuilly-Saint-Front; le maréchal Blucher, vaincu
de nouveau, précipite sa retraite.

4 _mars_.--Combat de Saint-Parre, perdu par le maréchal Macdonald.

5 _mars_.--Reprise de Reims sur les alliés par le général Corbineau.

_Même jour_.--Secret qui appelle à l'armée six mille gardes nationaux
de l'Aisne, et trois mille de la Marne.

6 et 7 _mars_.--Bataille de Craone, gagnée par l'empereur sur le
maréchal Blucher.

9 et 10 _mars_.--Bataille de Laon livrée par Napoléon avec trente mille
hommes contre cent mille; elle est perdue par lui.

11 _mars_.--Retraite de l'armée française sur Soissons.

_Même jour_.--Rupture des conférences tenues à Lusigny pour traiter
d'un armistice.

12 _mars_.--Combat de Reims; le général comte de Saint-Priest, français
qui servait dans les rangs ennemis contre sa patrie, y est tué.

_Même jour_.--Occupation de Bordeaux par les Anglo-Espagnols.

14 _mars_.--Poursuite des alliés sur Béry-au-Bac.

16 _mars_.--Retraite du maréchal Soult sur Tarbes.

17 _mars_.--L'empereur part de Reims, et fait avancer son armée sur
l'Aube.

_Même jour_.--Retraite du maréchal Macdonald sur Provins.

19 _mars_.--Combat de Fère-Champenoise, gagné par l'empereur.

_Même jour_.--Rupture du congrès de Châtillon.

20 _mars_.--Bataille d'Arcis-sur-Aube, gagnée par Napoléon.

_Même jour_.--Bataille de Limonest entre le maréchal Augereau et le
prince de Hesse-Hombourg; elle reste indécise.

21 _mars_.--Le maréchal Augereau évacue Lyon et se retire sur l'Isère.

23 _mars_.--L'empereur, avec ses principales forces, marche sur
Saint-Dizier.

25 _mars_.--Double combat de Fère-Champenoise; les maréchaux ducs de
Trévise et de Raguse sont battus.

26 _mars_.--Combat de Saint-Dizier; le général Wintzingerode est battu
par Napoléon.

_Même jour_.--Combats de Sézanne et de Chailly, perdus par les
maréchaux Mortier et Marmont.

28 _mars_.--L'impératrice Marie-Louise et le roi de Rome, suivis des
ministres, etc., quittent Paris et se retirent à Blois.

29 _mars_.--Passage de la Marne par les deux armées réunies du maréchal
Blucher et du prince de Schwartzenberg.

_Même jour_.--L'empereur part de Troyes et court en poste sur Paris.

30 _mars_.--Bataille de Paris, perdue par le duc de Raguse.

31 _mars_.--Capitulation signée par le duc de Raguse; par ce seul fait
il livre Paris et détruit le gouvernement impérial.

_Même jour_.--L'empereur apprend à la Cour-de-France la capitulation
qui livrait sa capitale à l'ennemi.

1er _avril_.--Occupation de Paris par les alliés.

3 _avril_.--Le sénat décrète la déchéance de Napoléon Bonaparte.

_Même jour_.--L'empereur fait à Fontainebleau une première abdication
en faveur de son fils sous la régence de l'impératrice Marie-Louise.

4 _avril_.--Sénatus-consulte qui délie le peuple français de son
serment de fidélité envers Napoléon.

7 _avril_.--Ridicule constitution improvisée par le sénat.

10 _avril_.--Bataille de Toulouse entre le maréchal Soult et lord
Wellington; elle reste indécise.

11 _avril_.--Traité conclu à Paris entre les puissances alliées et
l'empereur Napoléon. Celui-ci obtient la souveraineté de l'île d'Elbe et
deux millions de revenus payables par la France.

19 _avril_.--Entrevue de l'impératrice Marie-Louise et de l'empereur
d'Autriche, son père, au château du Petit-Trianon, à Versailles.

20 _avril_.--Napoléon part de Fontainebleau pour se rendre à l'île
d'Elbe.

23 _avril_.--Il arrive à Beaune.

24 _avril_.--Il rencontre près de Valence le maréchal Augereau;
celui-ci insulte grossièrement son ancien bienfaiteur.

25 _avril_.--Napoléon arrive à Orange.

26 _avril_.--Il couche près de Luc dans la campagne de sa soeur Pauline
Borghèse.

27 _avril_.--Il arrive à Fréjus.

28 _avril_.--Il s'embarque sur la frégate anglaise l'_Indomptée_.

3 _mai_.--Napoléon débarque à Porto-Ferrajo, prend possession de l'île
d'Elbe, dernier débris de sa vaste domination.

1815.

26 _février_.--Napoléon donne à sa garde l'ordre de se tenir prête à
quitter l'île d'Elbe. À huit heures du soir il s'embarque lui-même sur
le brick l'_Inconstant_, et s'écrie: _le sort en est jeté_! L'ordre est
donné de voguer vers la France.

27 _février_.--Napoléon communique à sa garde le secret de
l'expédition: _grenadiers_, leur dit-il, _nous allons en France, nous
allons à Paris_.

1er _mars_.--Napoléon et sa petite troupe débarquent au golfe Juan à
cinq heures du soir. C'est de là qu'il adresse à l'armée et au peuple
français ces deux fameuses adresses qui firent voler le drapeau
tricolore de clochers en clochers jusqu'à Notre-Dame; Napoléon y prenait
le titre d'empereur, qui lui avait été conservé par le traité de Paris.

3 _mars_.--L'empereur couche au village de Cerenon, après avoir
traversé sans obstacle Cannes et Grasse. Il avait fait, ainsi que sa
garde, vingt lieues dans cette première journée.

3 _mars_.--Il arrive à Barème.

4 _mars_.--À Digne.

5 _mars_.--À Gap. Le général Cambronne, commandant l'avant-garde,
s'empare de la forteresse de Sisteron.

_Même jour_.--La nouvelle du débarquement de Napoléon, transmise par le
télégraphe, arrive à Paris et répand la terreur et l'effroi.

6 _mars_.--L'empereur couche à Gap.

_Même jour_.--Ordonnance du roi, qui met à prix la tête de Napoléon, et
ordonne à tout Français de lui courir sus. Autre ordonnance qui
convoque extraordinairement la Chambre des pairs et celle des
députés.--Monsieur, comte d'Artois et le duc d'Orléans partent pour
Lyon.

8 _mars_.--Napoléon est reçu dans la ville de Grenoble. Un détachement
de soldats, qui gardait les approches de cette ville, avait refusé de
laisser passer son avant-garde; Napoléon marche droit au détachement,
suivi de sa garde, arme baissée: _Eh! quoi mes amis_, leur dit-il, _vous
ne me reconnaissez pas. Je suis votre empereur; s'il est parmi vous un
soldat qui veuille tuer son général, son empereur, il le peut; me voilà_
(en effaçant sa poitrine).

9 _mars_.--Napoléon couche à Bourgoin.

_Même jour_.--Ordonnance du roi qui remet en activité tous les
militaires en semestre, etc.

10 _mars_.--L'empereur est reçu à Lyon comme il l'avait été à Grenoble.

11 et 12 _mars_.--Napoléon séjourne à Lyon, et y rend plusieurs décrets
par lesquels il dissolvait les chambres du roi et sa maison militaire,
ordonnait aux émigrés rentrés à la suite du roi, de sortir de France
dans un délai donné, abolissait la noblesse et les titres féodaux,
convoquait les collèges électoraux en assemblée extraordinaire du
Champ-de-Mai, etc., etc.

13 _mars_.--Napoléon couche à Mâcon.

_Même jour_.--Le prince de la Moscowa, maréchal Ney, prend le parti de
l'empereur à Lons-le-Saulnier.

_Même jour_.--Déclaration des souverains alliés sur le retour de
Napoléon en France.

14 _mars_.--Napoléon couche à Châlons.

15 _mars_.--À Autun.

_Même jour_.--Le roi et toute la famille royale prêtent serment
de fidélité à la Charte au milieu des deux chambres convoquées
extraordinairement.

16 _mars_.--L'empereur couche à Avalon.

17 _mars_.--Il arrive à Auxerre.

19 _mars_.--Il quitte Auxerre pour se rendre a Fontainebleau.

_Même jour_,--Le roi et toute la famille royale quittent Paris au
milieu de la nuit.

20 _mars_.--L'empereur arrive le matin à Fontainebleau; le soir, à neuf
heures, il fait son entrée dans la capitale.

21 _mars_.--Napoléon passe en revue les troupes présentes à Paris, et
dans la harangue qu'il prononce dans cette circonstance, il s'attache à
flatter également le peuple et le soldat.

_Même jour_.--Il nomme les différens ministres.

21 _mars_.--L'empereur reçoit les diverses autorités: par l'effet de
cette versatilité de l'esprit, qui ne justifie que trop le mépris de
Napoléon pour les hommes, la plupart de ceux qui l'avant-veille avaient
encore juré de rester fidèles au roi, venaient féliciter l'empereur sur
son heureux retour.

24 _mars_.--Décret qui supprime la censure, les censeurs et la
direction de la librairie.

_Même jour_.--Arrivée à Paris de Joseph Bonaparte, frère de l'empereur.

25 _mars_.--Traité de Vienne, par lequel les puissances alliées
s'engagent à ne point déposer les armes tant que Napoléon serait sur le
trône de France.

_Même jour_.--Décret de Napoléon, qui ordonne aux ministres et
officiers civils et militaires de la maison du roi et de celles des
princes, ainsi qu'aux chefs des Chouans, des Vendéens et des volontaires
royaux, de s'éloigner à trente lieues de Paris.

26 _mars_.--Grande réception aux Tuileries. L'empereur prononce un
discours où l'on remarque ce passage. _Tout a la nation, et tout pour la
France; voilà ma devise_.

_Même jour_.--Déclaration du conseil-d'état, tendant à prouver la
nullité de l'abdication de Fontainebleau.

27 _mars_.--Grande revue aux Tuileries. L'empereur annonce lui-même aux
troupes que le roi et toute la famille royale ont quitté le territoire
français.

_Même jour_.--Adresse des ministres à l'empereur.

29 _mars_.--Déclaration du conseil d'état en réponse à celle des
puissances alliées du 13.

30 _mars_,--Circulaire du ministre des relations extérieures,
Caulaincourt, duc de Vicence, aux ambassadeurs, ministres, et autres
agens de France à l'extérieur.

31 _mars_.--Joachim Murat, roi de Naples, se déclare pour son
beau-frère Napoléon, et appelle les Italiens à l'indépendance.

1er _avril_.--Décrets qui annulent les ordonnances du roi, relatives
aux théâtres, au Conservatoire, à l'Hôtel des Invalides, etc.

2 _avril_.--Décret portant abolition de la traite des Nègres,
--Napoléon reçoit l'Institut aux Tuileries.

_Même jour_.--La duchesse d'Angoulême est contrainte de quitter
Bordeaux.

3 _avril_.--Le général Clausel prend possession de Bordeaux au nom de
l'empereur, et fait arborer la cocarde tricolore dans cette ville.

_Même jour_.--Lettre de l'empereur aux divers souverains d'Europe.

4 _avril_.--Lettre du ministre de la police générale à tous les préfets
de l'Empire.

7 _avril_.--Décret impérial concernant la garde nationale,--Autre,
sur une nouvelle organisation de la police générale.

8 _avril_.--Convention signée au Pont St.-Esprit, entre le duc
d'Angoulême et le général Grouchy. Le prince consent à être conduit à
Cette, pour s'y embarquer.

_Même jour_.--Décret impérial relatif à la famille des Bourbons.

10 _avril_.--Décret impérial qui élève à la dignité de maréchal
d'empire les généraux Grouchy, Bertrand, Drouot, d'Erlon, Belliard et
Gérard.

11 _avril_.--Décret qui ordonne que tout fonctionnaire civil et
militaire renouvellera le serment de fidélité à l'empereur.

15 _avril_.--Rapport du ministre des relations extérieures à l'empereur
sur les dispositions hostiles des puissances, sur la rupture des
communications entre elles et l'empire français.

16 _avril_.--Autre rapport du ministre de la police générale à
l'empereur, sur la situation intérieure de la France, et circulaire du
même aux préfets.

_Même jour_.--Décret portant que l'assemblée du Champ-de-Mai, convoquée
pour le 26 du mois suivant, sera composée des membres de tous tes
collèges électoraux des départemens et d'arrondissemens de l'empire, et
des députations nommées par tous les corps d'armée de terre et de mer.
Autre décret pour l'organisation d'un ou plusieurs corps francs par
département.--Autre, qui augmente de douze membres la classe des
beaux-arts (4° de l'Institut.)

22 _avril_.--Promulgation de l'acte additionnel aux constitutions de
l'empire.

30 _avril_.--Décret sur le renouvellement des autorités municipales.

6 _mai_,--Lettre du ministre de la guerre aux préfets.

7 _mai_.--Nouveau rapport du ministre de la policé générale sur la
situation de l'empire.

9 _mai_.--Décret de Napoléon sur le rapport ci-dessus.

10 _mai_.--Arrivée a Paris du prince Lucien Bonaparte, frère de
l'empereur.

24 _mai_.--Présentation des confédérés de Paris à l'empereur.

28 _mai_.--Pacte fédératif des Parisiens.

1er _juin_.--Solennité du Champ-de-Mai au Champ-de-Mars. L'empereur y
fait un discours et distribue les aigles impériales à l'armée et à la
garde nationale. D'après le recensement des votes émis a Paris et
dans les départemens, l'acte additionnel du 22 avril est proclamé
_constitution de l'état_.

3 _juin_.--Ouverture des deux chambres (des pairs et des représentans).
M. Lanjuinais est nommé par l'empereur président de la chambre des
représentans.

4 _juin_.--Grandes fêtes et réjouissances publiques à Paris pour
célébrer l'acceptation de l'acte additionnel aux constitutions de
l'empire.

5 _juin_.--Le président de la chambre des pairs, Cambacérès, donne
communication à la chambre des représentans du décret de l'empereur
contenant la nomination des pairs de France.

7 _juin_.--Ouverture solennelle de la session législative par
l'empereur.

10 _juin_.--Déclaration par laquelle la Suisse annonce qu'elle accède
au système de confédération des puissances contre Napoléon.

11 _juin_.--L'empereur reçoit les adresses des deux chambres des pairs
et des représentans. Dans sa réponse, il annonce son départ pour l'armée
dans la nuit suivante.

12 _juin_.--Napoléon quitte Paris à trois heures du matin.

13 _juin_.--Il arrive à Avesnes.

14 _juin_.--Proclamation de l'empereur à l'armée.

_Même jour_.--Rapport des deux chambres sur la situation de l'empire,
présenté par le ministre de l'intérieur Carnot.

15 _juin_.--Combat de Fleurus, gagné par l'armée française.

16 _juin_.--Bataille de Ligny ou des Quatre-Bras, gagnée par l'armée
française. Les Prussiens perdent 20,000 hommes.

17 _juin_.--Quartier-général de l'empereur à la ferme du Caillou, près
Planchenois.

18 _juin_.--Bataille de Mont-Saint-Jean ou de Waterloo, perdue par
l'armée française.

21 _juin_.--Retour de l'empereur à Paris. La chambre des représentans
se déclare en permanence, et exprime des sentimens hostiles contre
l'empereur.

22 _juin_.--Seconde abdication de l'empereur en faveur de son fils,
Napoléon II.

23 _juin_.--Les deux chambres nomment une commission de gouvernement,
composée de Fouché, duc d'Otrante, président; Carnot, Caulaincourt,
Quinette et le général Grenier.

25 _juin_.--Napoléon se retire a la Malmaison, ancienne résidence de sa
première épouse, Joséphine. Il adresse de là une proclamation à l'armée
devant Paris.

26 _juin_.--Fouché, président de la commission de gouvernement, sous
prétexte de protéger la sûreté de Napoléon, mais réellement pour rester
maître de sa personne, envoie à la Malmaison une garde commandée par le
général Becker.

27 _juin_.--Napoléon, apprenant l'approche des armées prussienne et
anglaise, écrit à la commission de gouvernement, et demande à servir en
sa qualité de général contre les ennemis de la patrie.

29 _juin_.--Napoléon quitte la Malmaison pour se rendre à Rochefort.

3 _juillet_.--Capitulation de Paris.

8 _juillet_.--Arrivée de Napoléon à Rochefort.

_Même jour_.--Rentrée de S. M, Louis XVIII à Paris.

13 _juillet_.--Napoléon écrit de Rochefort au prince-régent
d'Angleterre, pour le prévenir que: «_comme Thémistocle, il vient
s'asseoir aux foyers du peuple britannique_.»

15 _juillet_.--Napoléon s'embarque sur le brick l'_Épervier_, dans le
dessein de se rendre sur le vaisseau anglais le _Bellerophon_. Au
moment d'aborder, il s'aperçoit que le général Becker le suivait:
«_Retirez-vous, général_, lui dit-il, _je ne veux pas qu'on puisse
croire qu'un Français est venu me livrer à mes ennemis_.»

_16 juillet_.--Il fait voile vers l'Angleterre.

_4 août_.--Protestation de Napoléon contre la conduite de l'Angleterre à
son égard.

_8 août_.--Lord Keith apporte à Napoléon l'ordre du gouvernement anglais
de le transférer à Sainte-Hélène.

_10 août_. Napoléon est embarqué sur _le Northumberland_.

_11 août_.--Il quitte le canal de la Manche. En passant à la hauteur du
cap de la Hogue, Napoléon reconnut les côtes de France; il les salua
aussitôt, et étendant ses mains vers le rivage, il s'écria d'une voix
profondément émue: _Adieu, terre des braves! Adieu, chère France!
Quelques traîtres de moins, et tu serais encore la grande nation et
la maîtresse du monde!_ Ces adieux de Napoléon à la terre qu'il avait
illustrée devaient être les derniers.

_18 octobre_.--Napoléon débarque à l'île Sainte-Hélène[7].

[Footnote 7: Avec le comte Bertrand, le général Gourgaud, les comtes
Montholon et Las-Cases, la comtesse Montholon, la comtesse Bertrand et
les enfans de ces deux dernières.]

1816.

_11 décembre_.--Lettre de Napoléon au comte de Las-Cases, au moment où
celui-ci était forcé de quitter l'île Sainte-Hélène.

1818.

_25 juillet_.--On le prive de M. Barry E. O'Méara, médecin anglais qui
avait mérité son affection.

1821.

_15 mars_.--Napoléon tombe dangereusement malade.

_31 mars_.--Il est obligé, par sa maladie, de rester au lit.

15 _avril_.--Il fait mettre au pied de son lit le buste de son fils.

5 _mai_.--À sept heures du matin l'homme du siècle expire....... Ses
derniers mots furent: «_Mon fils! Dieu protège la France!_»

6 _mai_.--Les médecins anglais font l'ouverture du corps de Napoléon,
et déclarent que Napoléon est mort d'un cancer à l'estomac. On remarque
que le procès-verbal d'ouverture n'est pas signé du docteur Antommarchi,
médecin particulier de Napoléon.

8 _mai_.--Funérailles de Napoléon. Ses restes sont déposés dans une
petite vallée de Sainte-Hélène, au pied d'un saule et auprès d'une
source où cet illustre proscrit venait souvent se désaltérer, et sans
doute méditer sur ses grandes destinées.

26 _juillet_.--Les habitans du village de Kostheim, à une demi-lieue de
Mayence, que Napoléon avait exemptés d'impositions pendant quinze ans,
dans le temps de ses prospérités, font célébrer par leur curé un service
funèbre en l'honneur de leur bienfaiteur.



OEUVRES

DE NAPOLÉON

BONAPARTE.



PREMIÈRE CAMPAGNE D'ITALIE.


Au quartier-général à Nice, le 8 germinal an 4 (28 mars 1796).

_Bonaparte, général en chef, au directoire exécutif._

Je suis, depuis plusieurs jours, dans l'enceinte de l'armée dont j'ai
pris depuis hier le commandement.

Je dois vous rendre compte de trois choses essentielles: 1°. des
départemens de Vaucluse, des Bouches du-Rhône, du Var et des
Basses-Alpes; 2°. de la situation de l'armée, de ce que j'ai fait et de
ce que j'espère; 3°. de notre position politique avec Gênes.

Les quatre départemens de l'arrondissement de l'armée n'ont payé ni
emprunt forcé, ni contributions en grains, ni effectué le versement des
fourrages exigé par la loi du 7 vendémiaire, ni commencé à fournir le
troisième cheval. Il y a beaucoup de lenteur dans la marche de ces
administrations; je leur ai écrit, je les ai vues, et l'on m'a fait
espérer quelque activité sur des objets aussi essentiels à l'armée.

La situation administrative de l'armée est fâcheuse, mais elle n'est
pas désespérante. L'année mangera dorénavant du bon pain et aura de la
viande, et déjà elle a touché quelques avances sur son prêt arriéré.

Les étapes pour la route du Rhône et du Var sont approvisionnées, et,
depuis cinq jours, ma cavalerie, mes charrois et mon artillerie sont en
mouvement. Je marcherai sous peu de temps. Un bataillon s'est mutiné; il
n'a pas voulu partir de Nice, sous prétexte qu'il n'avait ni souliers,
ni argent; j'ai fait arrêter tous les grenadiers, j'ai fait partir
le bataillon, et, quand il a été au milieu de Nice, je lui ai envoyé
contre-ordre et je l'ai fait passer sur les derrières. Mon intention
est de congédier ce corps, et d'incorporer les soldats dans les autres
bataillons, les officiers n'ayant pas montré assez de zèle. Ce bataillon
n'est que de deux cents hommes; il est connu par son esprit de
mutinerie.

J'ai été reçu à cette armée avec confiance; j'ai particulièrement été
satisfait de l'accueil du général Schérer; il a acquis, par sa conduite
loyale et son empressement à me donner tous les renseignemens qui
peuvent m'être utiles, des droits à ma reconnaissance. Sa santé paraît
effectivement un peu délabrée. Il joint à une grande facilité de parler
des connaissances morales et militaires, qui peut-être le rendront utile
dans quelque emploi essentiel.

Notre position avec Gênes est très-critique; on se conduit très-mal,
on a trop fait ou pas assez, mais heureusement cela n'aura pas d'autre
suite.

Le gouvernement de Gênes a plus de génie et plus de force que l'on ne
croit; il n'y a que deux partis avec lui: prendre Gênes par un coup de
main prompt, mais cela est contraire à vos intentions et au droit des
gens; ou bien vivre en bonne amitié, et ne pas chercher à leur tirer
leur argent, qui est la seule chose qu'ils estiment.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice; le 9 germinal an 4 (29 mars 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Le troisième bataillon de la vingt-neuvième demi-brigade s'est rendu
coupable de désobéissance; il s'est déshonoré par son esprit de
mutinerie en refusant de marcher aux divisions actives; les officiers
se sont mal conduits; le commandant, capitaine Duverney, a montré
de mauvaises intentions. Vous voudrez bien faire arrêter le citoyen
Duverney, et le faire traduire devant un conseil militaire à Toulon,
où vous adresserez la plainte qui sera portée par le commandant de la
place.

Vous ferez traduire devant un conseil militaire, à Nice, les grenadiers
accusés d'être les auteurs de la mutinerie. Vous ferez sortir les autres
grenadiers, que vous distribuerez, cinq hommes par cinq hommes, dans les
bataillons de l'armée.

Les officiers et sous-officiers n'ayant pas donné l'exemple de partir,
et étant restés dans les rangs sans parler, sont tous coupables; ils
seront sur-le-champ licenciés et renvoyés chez eux.

Les soldats du bataillon seront incorporés à Marseille, avec la
quatre-vingt-troisième demi-brigade. La présente lettre sera mise à
l'ordre de l'armée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice, le 9 germinal an 4 (29 mars 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Je vous ai écrit ce matin relativement aux officiers du troisième
bataillon de la vingt-neuvième demi-brigade. Les officiers des
grenadiers de ce corps se sont bien conduits; je vous prie d'en faire
mention à l'ordre, de prendre, de votre côté, des renseignemens sur la
conduite générale de tous les officiers et sous-officiers de ce corps,
de vouloir me faire part du résultat de vos recherches, et de me
proposer un mode pour pouvoir placer ceux qui n'ont pris aucune part à
la mutinerie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice, le 9 germinal an 4 (29 mars 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Le général Mouret commandera depuis la rivière d'Argent à Bandole,
ensuite les limites des départemens des Basses-Alpes et du Var. Les
cantons de Colmar et d'Entrevaux, seuls, ne seront pas de sa division.
Le général Barbantane commandera depuis Bandole jusqu'au Rhône; son
commandement s'étendra dans les départemens des Bouches-du-Rhône et de
Vaucluse.

Le général Mouret aura sous ses ordres le général de brigade Gardanne.

Le général Barbantane aura sous ses ordres les généraux Serviez et
Verne.

Le général Despinois se rendra au quartier-général.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice, le 9 germinal an 4 (29 mars 1796).

_Au général chef de l'état-major._

La cavalerie sera partagée en deux divisions.

La première sera composée du premier régiment d'hussards, du dixième
de chasseurs, du vingt-deuxième de chasseurs, du vingt-cinquième de
chasseurs, du cinquième de dragons, du vingtième de dragons.

Le premier régiment d'hussards ira par Menton, Saint-Remo, Oneille,
Albenga, et se rendra à Toirano. Le dixième de chasseurs ira à Allenga;
le vingt-deuxième de chasseurs suivra les mêmes étapes; deux escadrons
se rendront à la Pietra et les deux autres iront à Loano.

Le vingt-cinquième de chasseurs prendra aussi la même route; deux
escadrons iront à Borghe et deux autres à Cariale; le cinquième de
dragons restera à Albenga; le vingtième de dragons ira à Alesio. La
seconde division sera composée du septième régiment d'hussards, qui se
rendra à la Pietra; il partira de Nice le 10 germinal; du treizième de
hussards, qui se rendra à Loano; du vingt-quatrième de chasseurs, qui
ira à Oneille; du huitième de dragons, qui ira au port Maurice; du
quinzième de dragons, qui se rendra à Ormea.

Vous ordonnerez au général de brigade Saint-Hilaire de parcourir les
villes destinées à la première division de la cavalerie, et de vous
rendre compte s'il y a des écuries en assez grand nombre pour loger les
chevaux.

Vous ordonnerez au général Serrurier d'envoyer un général de brigade
faire la visite des villages où doit loger la seconde division. Vous
recommanderez à ces généraux de mettre de la discrétion dans cette
visite, et de ne rien faire qui puisse déclarer notre projet.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice, le 10 germinal an 4 (30 mars 1796).

_Au général chef de l'état-major._

On donnera de la viande fraîche cinq fois par décade; les bataillons
qui ont pris aujourd'hui de la viande salée auront demain de la viande
fraîche, et ceux qui ont eu de la viande fraîche auront du salé.

Les administrations de l'armée et les ateliers d'ouvriers prendront la
viande tous ensemble.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice, le 21 germinal an 4 (31 mars 1796).

_Au général chef de l'état-major_

Le général en chef est instruit que plusieurs commissaires des guerres
et officiers ont, dans des caisses, des sommes provenant de différentes
ventes, des contributions et des revenus des pays conquis. Cela étant
contraire au bien du service, à l'ordre et à la constitution, il ordonne
que ces différentes sommes soient remises, sans délai, dans la caisse du
payeur de l'armée ou de ses préposés, afin qu'il en soit disposé, sur
des ordonnances de l'ordonnateur en chef, pour le bien du service et
pour procurer au soldat ce qui lui est dû.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Nice, le 12 germinal an 4 (1er avril 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Il y aura trois divisions de la côte: la première division, comprendra
depuis le Rhône à Bandole, et les départemens de Vaucluse et des
Bouches-du-Rhône; elle sera commandée par le général Barbantane.

La deuxième division sera commandée par le général Mouret, et comprendra
depuis Bandole à la rivière d'Argent.

La troisième division comprendra depuis la rivière d'Argent jusqu'à
Vintimiglia, et sera commandée par le général Casabianca.

Le général Stengel commandera la cavalerie de l'armée.

Le général Kilmaine commandera une des divisions de l'armée.

Le général Dujar commandera l'artillerie.

Le citoyen Sugny, chef de brigade d'artillerie, sera chef de
l'état-major de cette arme.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Albenga, le 16 germinal an 4 (5 avril 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Vous voudrez bien faire réunir une commission militaire pour y juger
l'émigré Moulin, pris à Ormea, et transféré à Nice par ordre du général
Serrurier.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Albenga, le 17 germinal an 4 (6 avril 1796).

_Au directoire exécutif._

J'ai transporté le quartier-général à Albenga. Le mouvement que j'ai
trouvé commencé contre Gênes a tiré l'ennemi de ses quartiers d'hiver;
il a passé le Pô, et a avancé des avant-postes à Dey, en suivant la
Bormida et la Bocchetta, laissant Gavi derrière lui. Beaulieu a publié
un manifeste, que je vous envoie, et auquel je répondrai le lendemain
de la bataille. J'ai été très-fâché et extrêmement mécontent de ce
mouvement sur Gênes, d'autant plus déplacé, qu'il a obligé cette
république à prendre une attitude hostile, et a réveillé l'ennemi que
j'aurais pris tranquille: ce sont des hommes de plus qu'il nous en
coûtera.

Le roi de Sardaigne se donne de son côté le plus grand mouvement; il a
fait une réquisition de jeunes gens depuis quinze ans.

J'ai trouvé à Oneille des marbres, qui sont évalués quelque argent; j'ai
ordonné qu'on en fit l'estimation, et qu'on les mît à l'enchère dans la
rivière de Gênes: cela pourra nous donner une somme de trente à quarante
mille livres.

La maison Flachat qui a l'entreprise des grains, et la maison Collot,
qui a la viande, se conduisent bien: ils nous donnent de très-bons
grains, et le soldat commence à avoir de la viande fraîche.

L'armée est dans un dénuement à faire peur; j'ai encore de grands
obstacles à surmonter, mais ils sont surmontables: la misère y a
autorisé l'indiscipline, et sans discipline point de victoire. J'espère
que cela s'arrangera promptement, déjà tout change de face; sous peu de
jours nous en serons aux mains.

J'ai fait faire avant-hier une reconnaissance vers Cairo; les
avant-postes des ennemis ont été culbutés, nous avons fait quelques
prisonniers.

L'armée piémontaise est forte de cinquante mille hommes d'infanterie
et de cinq mille de cavalerie; je n'ai de disponible que quarante-cinq
mille hommes, tout compris. On m'a retenu beaucoup de troupes sur les
derrières, et au-delà du Rhône.

Chauvet, ordonnateur en chef, est mort à Gênes: c'est une perte réelle
pour l'armée; il était actif, entreprenant. L'armée a donné une larme à
sa mémoire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Albenga, le 19 germinal an 4 (8 avril 1796).

_Au directoire exécutif._

J'ai reçu une lettre que m'a écrite le général Colli, qui commande
l'armée du roi de Sardaigne, j'espère que la réponse que je lui ai faite
(_Voy_. pag. 13) sera conforme à vos intentions. La trésorerie nous
envoie souvent des lettres de change, qui sont protestées: une de
162,800 liv., qui était sur Cadix, vient de l'être; ce qui augmente nos
embarras.

J'ai trouvé cette armée, non-seulement dénuée de tout, mais sans
discipline, dans une insubordination perpétuelle. Le mécontentement
était tel, que les malveillans s'en étaient emparés: l'on avait
formé une compagnie du _Dauphin_, et l'on chantait des chansons
contre-révolutionnaires. J'ai fait traduire à un conseil militaire deux
officiers prévenus d'avoir crié _Vive le roi_. Je suppose que la mission
du citoyen Moulin, comme parlementaire, était relative à des trames de
cette nature, dont je cherche le fil avec opiniâtreté. Soyez sûr que la
paix et l'ordre s'y rétabliront; tout se prépare ici. Je viens de faire
occuper la position importante de....

Lorsque vous lirez cette lettre, nous nous serons déjà battus. La
trésorerie n'a pas tenu parole: au lieu de 500,000 liv., elle n'en a
envoyé que 300,000, et nous n'avons pas entendu parler d'une somme de
600,000, qui nous était annoncée; mais, malgré tout cela, nous irons.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Lascar, le 26 germinal an 4 (15 avril 1796).

_Au directoire exécutif_.

Je vous ai rendu compte que la campagne avait été ouverte le 20 mars, et
de la victoire signalée que l'armée d'Italie a remportée aux champs de
Montenotte:[8] j'ai aujourd'hui à vous rendre compte de la bataille de
Millesime.

[Footnote 8: Cette lettre, où Bonaparte rendait compte de la bataille de
Montennote, ne s'est pas retrouvée.]

Après la bataille de Montenotte, je transportai mon quartier-général
à Lascar; j'ordonnai au général divisionnaire de se porter sur
Santa-Zello, pour menacer d'enlever les huit bataillons que l'ennemi
avait dans cette ville, et de se porter le lendemain, par une marche
cachée et rapide, dans la ville de Cairo. Le général Masséna se porta,
avec sa division, sur les hauteurs de Dego; le général divisionnaire
Augereau, qui était en marche depuis deux jours, attaqua, avec les
soixante-neuvième et trente-neuvième demi-brigades, dans la plaine de
Lascar; le général de brigade Ménard occupa les hauteurs de Biestros;
le général de brigade Joubert, avec la première brigade d'infanterie
légère, occupa la position intéressante de Sainte-Marguerite.

Le 21, à la pointe du jour, le général Augereau, avec sa division, force
les gorges de Millésimo, tandis que les généraux Ménard et Joubert
chassent l'ennemi de toutes les positions environnantes, enveloppent,
par une manoeuvre prompte et hardie, un corps de quinze cents grenadiers
autrichiens, à la tête desquels se trouvait le général Provera,
chevalier de l'ordre de Marie-Thérèse, qui, loin de poser les armes
et de se rendre prisonnier de guerre, se retira sur le sommet de la
montagne de Cossaria, et se retrancha dans les ruines d'un vieux
château, extrêmement fort par sa position.

Le général Augereau fit avancer son artillerie, on, se canonna pendant
plusieurs heures, A onze heures du matin, ennuyé de voir ma marche
arrêtée par une poignée d'hommes, je fis sommer le général Provera de se
rendre: le général Provera demanda à me parler; mais une canonnade
vive qui s'engageait vers ma droite m'engagea à m'y transporter, Il
parlementa avec le général Augereau pendant plusieurs heures; mais les
conditions qu'il voulait n'étant pas raisonnables, le général Augereau
fit former quatre colonnes, et marcha sur le château de Cossaria, Déjà
l'intrépide général Joubert, grenadier pour le courage, et bon général
par ses connaissances et ses talens militaires, avait passé avec sept
hommes dans les retranchemens ennemis; mais, blessé à la tête, il fut
renversé par terre; ses soldats le crurent mort, et le mouvement de sa
colonne se ralentit. Sa blessure n'est pas dangereuse.

La seconde colonne, commandée par le général Bonel, marchait avec un
silence morne et l'arme au bras, lorsque ce brave général fut tué au
pied des retranchemens ennemis.

La troisième colonne, commandée par l'adjudant-général Guérin, fut
également déconcertée dans sa marche, une balle ayant tué cet officier
général. Toute l'armée a vivement regretté la perte de ces deux braves
officiers.

La nuit, qui arriva sur ces entrefaites, me fit craindre que l'ennemi
ne cherchât à se faire jour l'épée à la main. Je fis réunir tous les
bataillons, et je fis faire des épaulemens en tonneaux, et des barrures
d'obusiers, à demi-portée de fusil.

Le 25, à la pointe du jour, l'armée sarde et autrichienne et l'armée
française se trouvèrent en présence; ma gauche, commandée par le général
Augereau, tenait bloqué le général Provera. Plusieurs régimens ennemis,
où se trouvait entre autres le régiment Beljioso, essayèrent de percer
mon centre. Le général de brigade Ménard les repoussa vivement, je lui
ordonnai aussitôt de se replier sur ma droite; et, avant une heure après
midi, le général Masséna déborda la gauche de l'ennemi, qui occupait,
avec de forts retranchemens et de vigoureuses batteries, le village
de Dego. Nous poussâmes nos troupes légères jusqu'au chemin de Dego a
Spino. Le général Laharpe marcha avec sa division sur trois colonnes
serrées en masse; celle de gauche, commandée par le général Causse,
passa la Bormida sous le feu de l'ennemi, ayant de l'eau jusqu'au milieu
du corps, et attaqua l'aile gauche de l'ennemi, par la droite. Le
général Servoni, à la tête de la deuxième colonne, traversa aussi la
Bormida sous la protection d'une de nos batteries, et marcha droit à
l'ennemi. La troisième colonne, commandée par l'adjudant-général Boyer,
tourna un ravin, et coupa la retraite à l'ennemi.

Tous ces travaux, secondés par l'intrépidité des troupes et les talens
des différens généraux, remplirent le but qu'on en attendait. Le
sang-froid est le résultat du courage, et le courage est l'apanage des
Français.

L'ennemi, enveloppé de tous les côtés, n'eut pas le temps de capituler;
nos colonnes y semèrent la mort, l'épouvante et la fuite.

Pendant que, sur notre droite, nous faisions les dispositions pour
l'attaque de la gauche de l'ennemi, le général Provera, avec le corps de
troupes qu'il commandait à Cossaria, se rendit prisonnier de guerre.

Nos troupes s'acharnèrent de tous les côtés a la poursuite de l'ennemi.
Le général Laharpe se mit à la tète de quatre escadrons de cavalerie, et
le poursuivit vivement.

Nous avons, dans cette journée, fait de sept à neuf mille prisonniers,
parmi lesquels un lieutenant-général, vingt ou trente colonels ou
lieutenans-colonels, et, presque entiers, les régimens suivans:

Corps francs: trois compagnies de Croates; les bataillons de Peregrine,
Stein, Vilhelm, Schroeder, Teutesch;

Quatre compagnies d'artillerie; plusieurs officiers supérieurs du génie,
au service de l'empereur; les régimens de Montferrat, de la Marine, de
Suze, et quatre compagnies de grenadiers au service du roi de Sardaigne;

Vingt-deux pièces de canon, avec les caissons et tous les attelages, et
quinze drapeaux.

L'ennemi a eu de deux mille à deux mille cinq cents hommes tués, parmi
lesquels un colonel, aide-de-camp du roi de Sardaigne.

Le citoyen Riez, aide-de-camp du général Masséna, a eu son cheval tué
sous lui, et le fils du général Laharpe a eu son cheval blessé.

Je vous ferai part, le plus tôt qu'il me sera possible, et lorsque
j'aurai reçu les rapports, des détails de cette affaire glorieuse, et
des hommes qui s'y sont particulièrement distingués.

Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen Rampon,
chef de la vingt-unième demi-brigade.

Le chef de la vingt-neuvième ayant été tué, j'ai nommé pour le remplacer
le citoyen Lannes, chef de brigade à la suite.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Carru, le 5 floréal an 4 (24 avril 1796).

_Le général en chef de l'armée d'Italie au général Colli, commandant en
chef l'armée du roi de Sardaigne._

Le directoire exécutif, monsieur, s'est réservé le droit de traiter de
la paix: il faut donc que les plénipotentiaires du roi votre maître
se rendent à Paris, ou attendent à Gènes les plénipotentiaires que le
gouvernement français pourrait y envoyer.

La position militaire et morale des deux armées rend toute suspension
pure et simple impossible. Quoique je sois en particulier convaincu que
le gouvernement accordera des conditions de paix honorables à votre
roi, je ne puis, sur des présomptions vagues, arrêter ma marche; il est
cependant un moyen de parvenir à votre but, conforme aux vrais intérêts
de votre cour, et qui épargnerait une effusion de sang inutile et dès
lors contraire à la raison et aux lois de la guerre, c'est de mettre
en mon pouvoir deux des trois forteresses de Coni, d'Alexandrie, de
Tortone, à votre choix: nous pourrons alors attendre, sans hostilités,
la fin des négociations qui pourraient s'entamer. Cette proposition est
très-modérée; les intérêts mutuels qui doivent exister entre le Piémont
et la république française me portent à désirer vivement de voir
s'éloigner de votre pays les malheurs de toute espèce qui le menacent.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Cherasco, le 7 floréal an 4 (26 avril 1796).

_Au général Latour._

J'ai reçu, monsieur, l'ordre du roi, adressé au commandant de Coni, que
vous vous êtes donné la peine de me faire passer. A l'heure qu'il est,
il sera déjà parvenu. Je serai demain ici pour attendre l'ordre pour une
des forteresses de Tortone ou d'Alexandrie. Vous savez, monsieur, que
la distance qu'il y a d'ici à une de ces deux places, fait qu'il est
nécessaire que l'ordre du roi soit expédié demain, afin, qu'il puisse
parvenir le 16 floréal (30 avril).

Une division de mon armée est déjà de ce côté-là. L'on m'assure
aujourd'hui que Beaulieu évacue votre territoire: je suis charmé, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Cherasco, le 8 floréal an 4 (27 avril 1796).

_Au général Latour._

Je reçois à l'instant, monsieur, avec votre lettre, les deux ordres du
roi pour Ceva et Tortone.

Il n'y a, dans ce moment-ci, qu'un petit détachement à Fossano, qui se
retirera incessamment. Après demain, il n'y aura plus personne à Bra, et
j'aurai l'honneur de vous en prévenir.

Je ne garderai au-delà de la Stura qu'un corps-de-garde pour le pont de
Cherasco.

Je me fais rendre compte par le général qui commande à Coni, de la
situation du magasin de Notre-Dame de Loculo. J'aurai l'honneur de vous
écrire dès que j'aurai la réponse.

Mon aide-de-camp part pour Paris. Vous avez bien voulu vous charger de
lui livrer un passe-port, et de lui faire fournir des chevaux de poste.

J'aurai besoin de mille chevaux de trait. Je désirerais en acheter
dans le Piémont; je vous serai obligé d'accepter ce que vous proposera
là-dessus le citoyen Thévenin, agent en chef des transports militaires.

Votre aide-de camp vous remettra une note des officiers prisonniers de
guerre; dès l'instant que vous m'aurez fait connaître ceux que vous
désirez avoir, j'ordonnerai qu'on les envoie, soit à Coni, soit à
Cherasco: vous me rendrez service de faire passer les nôtres à Tortone
ou à Cherasco.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Cherasco, le 9 floréal an 4 (28 avril 1796).

_Bonaparte, général en chef, au directoire exécutif._

Citoyens directeurs, Ceva, Coni et Alexandrie sont au pouvoir de votre
armée, ainsi que tous les postes du Piémont au-delà de la Stura et du
Tanaro.

Si vous ne vous accordez pas avec le roi de Sardaigne, je garderai ces
places, et je marcherai sur Turin; mon équipage de siège va filer sur
Coni, pour se rendre à Cherasco.

En attendant, je marche demain sur Beaulieu, je l'oblige à repasser le
Pô, je le passe immédiatement après; je m'empare de toute la Lombardie,
et, avant un mois, j'espère être sur les montagnes du Tyrol, trouver
l'armée du Rhin, et porter de concert la guerre dans la Bavière. Ce
projet est digne de vous, de l'armée et des destinées de la France.

Si vous n'accordez pas la paix au roi de Sardaigne, alors vous m'en
préviendrez d'avance, afin que, si je suis dans la Lombardie, je puisse
me replier et prendre des mesures.

Quant aux conditions de la paix avec la Sardaigne, vous pouvez dicter ce
qui vous convient, puisque j'ai en mon pouvoir les principales places.

Ordonnez que quinze mille hommes de l'armée des Alpes soient à mes
ordres et viennent me joindre, cela me fera alors une armée de
quarante-cinq mille hommes, dont il sera possible que j'envoie une
partie à Rome. Si vous me continuez votre confiance, et que vous
approuviez ces projets, je suis sûr de la réussite: l'Italie est à vous.

Vous ne devez pas compter sur une révolution en Piémont, cela viendra;
mais il s'en faut que l'esprit de ces peuples soit mûr à cet effet.

J'ai justifié votre confiance et l'opinion avantageuse que vous avez
conçue de moi; je chercherai constamment à vous donner des preuves du
zèle et de la bonne volonté où je suis de mériter votre estime et celle
de la patrie.

Envoyez-moi, 1°. douze compagnies d'artillerie légère, je n'en ai pas
une; 2°. de la cavalerie et un commissaire ordonnateur en chef, habile
et distingué et de génie. Je n'ai que des pygmées, qui me font mourir
de faim dans l'abondance, car je suis dans le pays le plus riche de
l'univers.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Cherasco, le 10 floréal an 4 (29 avril 1796).

_Au directoire exécutif_.

La ville de Coni vient d'être occupée par nos troupes: il y avait dedans
cinq mille hommes de garnison.

Je ne puis pas mettre en doute que vous n'approuviez ma conduite,
puisque c'est une aile d'une armée qui accorde une suspension d'armes,
pour me donner le temps de battre l'autre; c'est un roi qui se met
absolument à ma discrétion, en me donnant trois de ses plus fortes
places et la moitié la plus riche de ses états.

Vous pouvez dicter en maître la paix au roi de Sardaigne; je vous prie
de ne pas oublier la petite île de Saint-Pierre, qui nous sera plus
utile, par la suite, que la Corse et la Sardaigne réunies.

Si vous lui accordez la portion du Milanais que je vais conquérir, il
faut que ce soit à condition qu'il enverra quinze mille hommes pour nous
seconder et garder ce pays après que nous nous en serons rendus
maîtres. Pendant ce temps-là, avec votre armée, je passerai l'Adige, et
j'entrerai en Allemagne par le Tyrol. Dans cette hypothèse, il faut que
nous gardions en dépôt, jusqu'à la paix générale, les places et les
pays que nous occupons; il faut y joindre que, le jour que quinze mille
hommes piémontais passeront le Pô, il nous remettra la ville de Valence.

Mes colonnes sont en marche; Beaulieu fuit, j'espère l'attraper;
j'imposerai quelques millions de contributions au duc de Parme: il vous
fera faire des propositions de paix; ne vous pressez pas, afin que j'aie
le temps de lui faire payer les frais de la campagne, approvisionner nos
magasins, et remonter nos chariots à ses dépens.

Si vous n'acceptez pas la paix avec le roi de Sardaigne, si votre projet
est de le détrôner, il faut que vous l'amusiez quelques décades, et que
vous me préveniez de suite; je m'empare de Valence et je marche sur
Turin.

J'enverrai douze mille hommes sur Rome lorsque j'aurai battu Beaulieu,
et l'aurai obligé de repasser l'Adige, lorsque je serai sûr que vous
accorderez la paix au roi de Sardaigne, et que vous m'enverrez une
partie de l'armée des Alpes.

Quant à Gênes, je crois que vous devez lui demander quinze millions en
indemnités des frégates et bâtimens pris dans ses ports; 2°. demander
que ceux qui ont fait brûler _la Modeste_ et appelé les Autrichiens,
soient jugés comme traîtres à la patrie.

Si vous me chargez de ces objets, que vous gardiez surtout le plus grand
secret, je parviendrai à faire tout ce que vous voudrez.

Si j'ai quelques chances à courir en Lombardie, c'est à cause de la
cavalerie ennemie. Il m'arrive quarante artilleurs à cheval, qui n'ont
pas fait la guerre, et qui sont démontés. Envoyez-m'en donc douze
compagnies, et ne confiez pas l'exécution de cette mesure aux hommes
des bureaux, car il leur faut dix jours pour expédier un ordre, et ils
auront l'ineptie d'en tirer peut-être de la Hollande, afin que cela
arrive au mois d'octobre.

Nos troupes viennent à l'instant d'entrer dans la citadelle de Ceva, et
je viens de recevoir du roi de Sardaigne l'ordre de nous livrer la ville
et la citadelle de Tortone.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Cherasco, le 10 floréal an 4 (29 avril 1796).

_Au citoyen Carnot_.

La suspension d'armes conclue entre le roi de Sardaigne et nous me
permet de communiquer par Turin, c'est-à-dire d'épargner la moitié de la
route: je pourrais donc recevoir vos ordres et connaître vos intentions
pour la direction à donner à l'armée.

Je suis maître de Coni, de Ceva, de Tortone; je vais passer le Pô et
entrer dans le Milanais: en passant, je compte rançonner le duc de
Parme, et lui faire payer cher son entêtement.

Mon projet serait d'atteindre les Autrichiens, et de les battre avant
votre réponse, afin de me trouver à même de marcher sur Turin, sur
Naples, ou sur l'Autriche en passant par le Tyrol.

Si le roi de Sardaigne se doutait, avant que je ne le sache, que vous ne
voulussiez pas faire la paix, il me jouerait un mauvais tour. Si vous ne
voulez pas la paix avec la Sardaigne, faites en sorte que ce soit moi
qui le lui apprenne, afin que je sois maître de prendre mon temps, et
que ses plénipotentiaires à Paris ne s'en doutent pas.

Si vous faites la paix avec le roi de Sardaigne, ordonnez ce que l'on
doit faire vis-à-vis de Gênes, de Parme et de Rome.

Beaulieu a encore avec lui vingt-six mille hommes bien équipés; il avait
trente-huit mille hommes au commencement de la campagne. Je marche avec
vingt-huit mille hommes; il a quatre mille hommes de cavalerie, je n'en
ai que trois mille six cents, et en mauvais état.

La cour de Turin et celle de Vienne s'attendaient à des succès sûrs,
cette campagne: les armées combinées étaient de soixante-quinze mille
hommes, je les ai battues avec trente-cinq mille hommes; j'ai besoin de
secours, l'armée des Alpes peut me fournir quinze mille hommes.

Le général Châteauneuf-Randon devait me rendre les trois mille hommes
qu'il a retenus à Nîmes, destinés pour ici; avec ce renfort l'Italie est
à vous, et je puis en même temps marcher sur Naples et Mantoue, surtout
si je parviens à battre les ennemis avant peu.

Il vient d'arriver un officier du génie, je vous prie de m'envoyer de
l'artillerie légère.

Je désirerais avoir le général Baraguay-d'Hilliers, pour servir dans son
grade dans l'armée; il me l'a demandé lui-même.

BONAPARTE.



Au quartier-général d'Acqui, le 12 floréal an 4 (1er mai 1796).

_Au citoyen Faypoult._

Mon cher ministre, en vertu de la suspension d'armes que j'ai faite avec
le roi de Sardaigne, nos troupes sont entrées dans Coni et dans Ceva,
elles entrent demain dans Tortone. Nous avons trouvé à Coni, outre les
munitions de ville, tous les magasins de l'armée sarde.

Beaulieu passe le Pô, et va chercher au fond de la Lombardie refuge
contre l'armée française; il disait au roi de Sardaigne qu'il voulait ne
se débotter qu'à Lyon, il n'en prend pas le chemin.

Il n'y a pas en Piémont la première idée d'une révolution, et la France
ne voudrait pas, je pense, en faire une à ses Frais.

BONAPARTE.



Au quartier-général d'Acqui, le 12 floréal an 4 (1er mai 1796).

_Au citoyen Faypoult_.

Nous sommes arrivés à Acqui depuis hier; Beaulieu fuit si vite que nous
ne pouvons l'attraper.

Demain Laharpe sera dans Tortone, où je désire beaucoup avoir une
conférence avec vous sur des objets essentiels.

Envoyez-moi une note géographique, historique, politique et
topographique sur les fiefs impériaux qui avoisinent Gênes, afin que
j'en tire tout le parti possible.

Envoyez-moi une note sur les ducs de Parme, de Plaisance et de Modène,
les forces qu'ils ont sur pied, les places fortes qu'ils ont, et en quoi
consiste la richesse de ces pays-là; surtout envoyez-moi une note des
tableaux, statues, cabinets et curiosités qui se trouvent à Milan,
Parme, Plaisance, Modène et Bologne. Lorsque nous fîmes la paix avec
l'Espagne, le duc de Parme devait y concourir: pourquoi ne le fit-il
pas?

Faites partir de suite six mille souliers pour Tortone.

Quant au citoyen Giacomoni, laissons-le, couvert d'opprobre et
d'ignominie, voguer où il voudra. J'ai instruit le gouvernement de sa
conduite, afin qu'il ne soit plus admis à servir avec les Français.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Bosco, le 13 floréal an 4 (2 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée piémontaise_.

J'apprends, monsieur, que les Napolitains se sont emparés de Valence:
l'intérêt du roi, celui de la république, sont également d'accord et
exigent que vous chassiez promptement ces troupes de Valence.

Le courage qui anime votre année, que j'ai été à même d'apprécier, ne
me laisse pas de doute que vous ne réoccupiez promptement Valence; vous
savez d'ailleurs que c'est une des clauses de la suspension que nous
avons conclue.

Si vous êtes dans le cas d'en avoir besoin, je vous offre le secours
d'une division de l'armée que je commande.

Le général-chef de l'état-major aura l'honneur de vous faire passer
demain l'état des prisonniers piémontais que nous avons faits depuis que
nous sommes en campagne.

Je m'empresserai de vous faire passer le plus tôt possible ceux que vous
désirez avoir de préférence.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Bosco, le 14 floréal an 4 (3 mai 1796).

_Au chevalier Solar, gouverneur d'Alexandrie_.

J'ai reçu, monsieur, la lettre que vous vous êtes donné la peine de
m'écrire; je vous suis très-obligé des renseignemens que vous avez eu la
complaisance de me donner. Je vous fais mon compliment sur l'évacuation
de votre territoire par l'armée autrichienne. Je désire sincèrement
pouvoir bientôt vous apprendre qu'ils ont également évacué les états de
Sa Majesté au-delà du Pô. Incessamment une division de l'armée va se
présenter a Valence pour y passer le Pô; je vous prie de me faire
procurer les bateaux qui sont nécessaires; vous sentez qu'il est de
l'intérêt du roi que les Autrichiens fassent un court séjour sur votre
territoire.

J'aurai besoin aussi de quelques entrepreneurs pour nous procurer des
moyens de charrois. Je vous prie d'autoriser les différens sujets du roi
à passer des marchés avec l'armée.

Je suis, monsieur, avec estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Tortone, le l5 floréal an 4 (4 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée du Piémont_.

Sous peu de jours, monsieur, je serai maître des états du roi au-delà
du Pô, si le sort des armes continue d'être favorable à l'armée que je
commande. J'obligerai M. Beaulieu à évacuer ces pays, qui seront conquis
sur l'armée autrichienne et qui appartiendront de droit à la république.
Cependant, je sens combien il est dur pour le roi de voir presque tous
ses états envahis par nos troupes. Je vous propose en conséquence de
réunir une division de six mille hommes d'infanterie et quinze
cents chevaux à l'armée que je commande, pour m'aider à chasser les
Autrichiens; je les mettrai en garnison dans les états du roi au-delà du
Pô.

Cela est si urgent, monsieur, qu'il serait nécessaire que j'eusse la
réponse le plus tôt possible. L'envie que j'ai de concilier les intérêts
du roi avec ceux de la république et de l'armée me porte, monsieur,
à vous faire ces ouvertures, que vous jugerez sans doute
très-raisonnables.

Je suis avec considération, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Tortone, le 15 floréal an 4 (4 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée du roi de Sardaigne_.

Les troupes de la république ont occupé ce matin le fort de Tortone: en
conséquence, à dater d'aujourd'hui, il y a suspension d'armes entre les
deux armées; je le mets à l'ordre, et j'espère que vous trouverez les
officiers français disposés à vous donner les preuves de l'estime qu'ils
ont pour votre armée.

Je donne des ordres pour que vous occupiez les villes de Fossano et de
Bra.

J'adapterai à la ligne de démarcation tous les changemens que vous
croirez nécessaires, en suivant cependant l'esprit de la suspension que
nous avons conclue.

J'ai ordonné que l'on fasse venir quatre cents prisonniers pour échange
des quatre cents que vous avez eu la bonté de faire passer à Cherasco.

Le chef de l'état-major vous fait passer l'état des officiers de votre
armée que le sort des armes a rendus prisonniers. Je m'empresse de vous
faire passer ceux à qui vous vous intéressez.

Je suis avec la considération la plus distinguée.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Tortone, le 15 floréal an 4 (4 mai 1796).

_Au, général en chef de l'armée piémontaise_.

Le marquis de Saint-Marsan, que j'ai eu l'honneur de voir ce matin,
m'a fait part, monsieur, des inquiétudes et des plaintes que vous avez
contre différens habitans d'Albe: je vais m'en faire rendre compte, et
je vous instruirai de ce que j'aurai fait.

Je dois, à cette occasion, vous remercier de m'avoir fait connaître M.
de Saint-Marsan; il joint à des talens distingués un air prévenant qui
lui captive l'estime de ceux qui ont affaire à lui.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Tortone, le 16 floréal an 4 (5 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée du Piémont_.

Monsieur le marquis de Saint-Marsan, que j'ai eu l'honneur de voir hier,
monsieur, vous aura remis plusieurs lettres par lesquelles vous aurez vu
que tout ce que vous désirez relativement à plusieurs objets concernant
la suspension d'armes a été exécuté. J'ai ordonné que l'on donne des
sauvegardes à tous ceux qui pourraient en avoir besoin. J'autorise les
différens généraux à donner des passe-ports aux officiers de votre
armée qui désireraient se rendre dans le pays occupé par l'armée. Je me
trouverai trop heureux, dans toutes les circonstances, de pouvoir vous
donner des marques de l'estime et de la considération distinguées avec
lesquelles je suis, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Tortone, le 17 floréal an 4 (6 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée du roi de Sardaigne._

En conséquence de la suspension d'armes que le roi à conclue avec les
deux armées des Alpes et d'Italie, et des probabilités de paix dont j'ai
de nouvelles assurances, je fais filer de l'armée des Alpes dix-sept
mille hommes à l'armée d'Italie, Neuf mille passeront par le col
d'Argentières et se rendront à Coni, où ils passeront derrière la Stura
pour venir me rejoindre. Huit mille passeront le Saint-Bernard par la
vallée d'Aoste, et viendront passer le Tanaro à Alexandrie, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 17 floréal an 4 (6 mai 1796).

_Bonaparte, général en chef, au directoire exécutif._

L'armée d'Italie a pris hier possession de Tortone, où nous avons trouvé
une très-belle forteresse, qui a coûté plus de quinze millions au roi
de Sardaigne. Je vous ai annoncé, par mon aide-de-camp Murat, que nous
avions occupé Coni et Ceva, que nous avons trouvées dans un état de
défense respectable et approvisionnées de tout. Le lendemain de la
signature de la suspension d'armes, le général Laharpe marcha avec sa
division par la route de Bossogno à Acqui, le général Augereau par
Stefano, et le général Masséna par Nizza de la Paglia. Beaulieu évacua
ce pays et se réfugia dans Valence, où il passa le Pô avec toute
son armée. Le général Masséna est arrivé, avec toute sa division,
à Alexandrie, assez à temps pour s'emparer des magasins, que les
Autrichiens, ne pouvant les emporter, avaient vendus à la ville. Le 13,
l'armée allemande a repassé le Pô, a coupé les bateaux, et a brûlé ceux
qu'elle a trouvés sur le rivage.

Les Napolitains, qui ordinairement ne sont pas entreprenans, se sont
emparés de Valence.

_N.B._ Cette lettre n'a point été achevée.

Au grand quartier-général à San-Giovani, le 17 floréal an 4 (6 mai
1796).

_Du même au gouverneur du duché de Parme, à Plaisance._

Ayant à conférer avec vous, monsieur, sur des objets de la plus grande
importance, vous voudrez bien vous rendre de suite à Castel-San-Giovani.
Il serait nécessaire que vous fussiez rendu ici avant deux heures après
minuit, devant monter à cheval a cette heure-là.

BONAPARTE.



Au grand quartier-général à Plaisance, le 17 floréal an 4 (6 mai 1796).

_Du même au ministre d'Espagne à Parme._

J'ai reçu, monsieur, votre lettre. Comme il n'est pas dans mon coeur, ni
dans l'intention du peuple français, de faire mal sans but et de nuire
en rien aux peuples, je consens à suspendre toute hostilité contre le
duc de Parme et la marche de mes troupes sur Parme; mais il faut que,
dans la nuit, le duc envoie des plénipotentiaires pour conclure la
suspension.

Je fais marcher quelques régimens de cavalerie, avec une brigade, à
trois lieues de Plaisance: cela ne doit donner aucune inquiétude au duc
de Parme, dès l'instant qu'il accepte les conditions dont nous sommes
convenus. Je suis charmé que cette occasion me mette à même de vous
prouver les sentimens d'estime et de considération avec lesquels, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Plaisance, le 20 floréal an 4 (9 mai 1796).

_Du même au citoyen Carnot._

Nous avons enfin passé le Pô. La seconde campagne est commencée,
Beaulieu est déconcerté; il calcule assez mal, et il donne constamment
dans les pièges qu'on lui tend: peut-être voudra-t-il donner une
bataille, car cet homme-là a l'audace de la fureur et non celle du
génie; mais les six mille hommes que l'on a obligés hier de passer
l'Adda, et qui ont été défaits, l'affaiblissent beaucoup; encore
une victoire, et nous sommes maîtres de l'Italie. J'ai accordé une
suspension d'armes au duc de Parme; le duc de Modène m'envoie des
plénipotentiaires. Si nous avions un ordonnateur habile, nous serions
aussi bien qu'il est possible de l'imaginer. Nous allons faire établir
des magasins considérables de blé, des parcs de six cents boeufs sur le
derrière. Dès l'instant que nous arrêterons nos mouvemens, nous ferons
habiller l'armée a neuf; elle est toujours à faire peur, mais tout
engraisse; le soldat ne mange que du pain de Gonesse, bonne viande et en
quantité, bon vin, etc. La discipline se rétablit tous les jours; mais
il faut souvent fusiller, car il est des hommes intraitables qui ne
peuvent se commander.

Ce que nous avons pris a l'ennemi est incalculable. Nous avons des
effets d'hôpitaux pour quinze mille malades, plusieurs magasins de
blé, farine, etc. Plus vous m'enverrez d'hommes, plus je les nourrirai
facilement.

Je vous fais passer vingt tableaux des premiers maîtres, du Corrége et
de Michel-Ange.

Je vous dois des remercîmens particuliers pour les attentions que
vous voulez bien avoir pour ma femme, je vous la recommande; elle est
patriote sincère, et je l'aime à la folie.

J'espère que les choses vont bien, pouvant vous envoyer une douzaine de
millions à Paris; cela ne vous fera pas de mal pour l'armée du Rhin.

Envoyez-moi quatre mille cavaliers démontés, je chercherai ici à les
remonter.

Je ne vous cache pas que, depuis la mort de Stengel, je n'ai plus un
officier supérieur de cavalerie qui se batte. Je désirerais que vous me
pussiez envoyer deux ou trois adjudans-généraux sortant de la cavalerie,
qui aient du feu, et une ferme résolution de ne jamais faire de savantes
retraites.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Plaisance, le 20 floréal an 4 (9 mai 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyen président, le brave Stengel est mort de la suite de ses
blessures. J'ai envoyé à sa famille la lettre que vous lui aviez
adressée. Vous recevrez incessamment les articles de la suspension
d'armes que j'ai accordée au duc de Parme. Je vous enverrai le plus
tôt possible les plus beaux tableaux du Corrége, entre autres un Saint
Jérôme, que l'on dit être son chef-d'oeuvre, J'avoue que ce saint prend
un mauvais temps pour arriver à Paris: j'espère que vous lui accorderez
les honneurs du Muséum. Je vous réitère la demande de quelques artistes
connus, qui se chargeront du choix et des détails de transport des
choses rares que nous jugerons devoir envoyer à Paris.

Tous les arrangemens sont pris pour les renforts qui doivent venir de
l'armée des Alpes; il n'y aura aucune difficulté pour les passages.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Lodi, le 22 floréal an 4 (11 mai 1796).

_Au citoyen Carnot._ La bataille de Lodi, mon cher directeur, donne à la
république toute la Lombardie. Les ennemis ont laissé deux mille hommes
dans le château de Milan, que je vais nécessairement investir. Vous
pouvez compter dans vos calculs comme si j'étais à Milan; je n'y vais
pas demain, parce que je veux poursuivre Beaulieu et chercher à profiter
de son délire pour le battre encore une fois.

Bientôt il est possible que j'attaque Mantoue. Si j'enlève cette place,
rien ne m'arrête plus pour pénétrer dans la Bavière: dans deux décades
je puis être dans le coeur de l'Allemagne. Ne pourriez-vous pas combiner
mes mouvemens avec l'opération de ces deux armées? Je m'imagine qu'à
l'heure qu'il est, on se bat sur le Rhin; si l'armistice continuait,
l'armée d'Italie serait écrasée. Si les deux armées du Rhin entrent en
campagne, je vous prie de me faire part de leur position et ce que vous
espérez qu'elles puissent faire, afin que cela puisse me servir de règle
pour entrer dans le Tyrol, ou me borner a l'Adige. Il serait digne de la
république d'aller signer le traité de paix, les trois armées réunies,
dans le coeur de la Bavière, ou de l'Autriche étonnée. Quant à moi, s'il
entre dans vos projets que les deux armées du Rhin fassent des mouvemens
en avant, je franchirai le Tyrol avant que l'empereur ne s'en soit
sérieusement douté. S'il était possible d'avoir un bon commissaire
ordonnateur? celui qui est ici serait bon en second, mais il n'a pas
assez de feu et de tête pour être en chef.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Lodi, le 24 floréal an 4 (13 mai 1796).

_A M. Ferdinandi, ministre des affaires étrangères du duc de Parme._

J'ai reçu, monsieur, la ratification de la suspension d'armes que vous
avez acceptée de la part du duc de Parme. Je vous envoie le général
Cervoni, afin que vous puissiez régler avec lui tous les détails de
l'exécution de ladite suspension. Vous lui ferez remettre, dans la
journée de demain, les 500.000 fr. qui, aux termes de la suspension,
doivent être payés dans les cinq jours; il recevra également les
chevaux, et il prendra les mesures nécessaires pour l'exécution de
ladite suspension. Je suis charmé, monsieur, que cette circonstance me
mette à même de vous exprimer la considération, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Lodi, le 24 floréal an 4 (13 mai 1796).

_Au citoyen Faypoult, ministre de la république, à Gênes._

Je vous suis très obligé des gravures que vous m'avez envoyées, et qui
feront le plus grand plaisir à l'armée. Je vous prie d'envoyer, de ma
part, vingt-cinq louis au jeune homme qui les a faites; engagez-le à
faire graver le passage étonnant du pont de Lodi. Puisque le fief de
Montogio n'est point fief impérial, il n'est pas compris dans l'ordre
que j'ai donné pour l'imposition desdits fiefs.

Nous avons pris hier la ville de Pizzigithone, nous avons fait trois
cents prisonniers et pris trois pièces de canon. Beaulieu se sauve à
toutes jambes; Crémone est à la république.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Lodi, le 25 floréal an 4 (14 mai 1796).

_Au directoire exécutif._

Après le combat de Fiombio, nous poursuivîmes l'ennemi jusqu'à
Pizzigithone, mais nous ne pûmes passer l'Adda. Après la bataille de
Lodi, Beaulieu se retira par Pizzigithone; nous nous y rendîmes le 22;
mais il s'était déjà retiré au-delà de Crémone. Nous avons aussitôt
investi et attaqué la ville de Pizzigithone, qui, après une vive
canonnade, a été obligée de nous ouvrir ses portes; nous y avons fait
trois cents prisonniers et pris cinq pièces de canon de bronze.

Notre cavalerie s'est mise à la poursuite de l'ennemi. La ville de
Crémone a ouvert ses portes; toute la Lombardie appartient à la
république.

On dit que la suspension d'armes, au Rhin, continue toujours. J'imagine
qu'à l'heure qu'il est, vous avez porté vos regards sur un objet aussi
essentiel; il paraît même que les ennemis ont publié avec emphase,
dans leur camp, que cette suspension était pour trois mois, et qu'ils
allaient en conséquence recevoir de grands renforts.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Lodi, le 25 floréal an 4 (14 mai 1796).

_Au citoyen Carnot._

A la réception de la lettre du directoire, du 18, vos intentions étaient
remplies, et le Milanais est à nous. Je marcherai bientôt, pour exécuter
vos vues, sur Livourne et sur Rome; tout cela se fera dans peu de temps.

J'écris au directoire relativement à l'idée de diviser l'armée; je vous
jure que je n'ai vu en cela que la patrie. Au reste, vous me trouverez
toujours dans la ligne droite. Je dois à la république le sacrifice de
toutes mes idées. Si l'on cherche à me mettre mal dans votre esprit, ma
réponse est dans mon coeur et dans ma conscience.

Comme il serait possible que cette lettre, au directoire, ne fût pas
bien interprétée, et que vous m'avez témoigné de l'amitié, je prends le
parti de vous l'adresser, en vous priant d'en faire l'usage que vous
suggéreront votre prudence et votre attachement pour moi.

Kellermann commandera l'armée aussi bien que moi; car personne n'est
plus convaincu, que je ne le suis, que les victoires sont dues au
courage et à l'audace de l'armée; mais je crois que, réunir Kellermann
et moi en Italie, c'est vouloir tout perdre. Je ne puis pas servir
volontiers avec un homme qui se croit le premier général de l'Europe;
et, d'ailleurs, je crois qu'il faut plutôt un mauvais général que deux
bons. La guerre est comme le gouvernement, c'est une affaire de tact.

Je ne puis vous être utile qu'investi de la même estime que vous me
témoigniez à Paris. Que je fasse la guerre ici ou ailleurs, cela m'est
indifférent: servir la patrie, mériter de la postérité une feuille de
notre histoire, donner au gouvernement des preuves de mon attachement et
de mon dévouement, voilà toute mon ambition. Mais j'ai fort à coeur de
ne pas perdre, dans huit jours, deux mois de fatigues, de peines et de
dangers, et de ne pas me trouver entravé. J'ai commencé avec quelque
gloire, je désire continuer d'être digne de vous. Croyez, d'ailleurs,
que rien n'altérera l'estime que vous inspirez à ceux qui vous
connaissent.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Lodi, le 25 floréal an 4 (14 mai 1796).

_Au directoire exécutif._

Je reçois à l'instant le courrier parti, le 18, de Paris. Vos espérances
sont réalisées, puisqu'à l'heure qu'il est, toute la Lombardie est à la
république. Hier, j'ai fait partir une division pour cerner le château
de Milan. Beaulieu est à Mantoue avec son armée; il a inondé tout le
pays environnant; il y trouvera la mort, car c'est le plus malsain de
l'Italie.

Beaulieu a encore une armée nombreuse: il a commencé la campagne avec
des forces supérieures; l'empereur lui envoie dix mille hommes de
renfort, qui sont en marche. Je crois très-impolitique de diviser en
deux l'armée d'Italie; il est également contraire aux intérêts de la
république d'y mettre deux généraux différens.

L'expédition sur Livourne, Rome et Naples est très-peu de chose: elle
doit être faite par des divisions en échelons, de sorte que l'on puisse,
par une marche rétrograde, se trouver en force contre les Autrichiens,
et menacer de les envelopper au moindre mouvement qu'ils feraient. Il
faudra pour cela non-seulement un seul général, mais encore que rien ne
le gêne dans sa marche et dans ses opérations. J'ai fait la campagne
sans consulter personne, je n'eusse rien fait de bon s'il eût fallu me
concilier avec la manière de voir d'un autre. J'ai remporté quelques
avantages sur des forces supérieures, et dans un dénuement absolu de
tout, parce que, persuadé que votre confiance se reposait sur moi, ma
marche a été aussi prompte que ma pensée.

Si vous m'imposez des entraves de toutes espèces; s'il faut que je
réfère de tous mes pas aux commissaires du gouvernement; s'ils ont
droit de changer mes mouvemens, de m'ôter ou de m'envoyer des troupes,
n'attendez plus rien de bon.

Si vous affaiblissez vos moyens en partageant vos forces; si vous rompez
en Italie l'unité de la pensée militaire, je vous le dis avec douleur,
vous aurez perdu la plus belle occasion d'imposer des lois à l'Italie.

Dans la position des affaires de la république en Italie, il est
indispensable que vous ayez un général qui ait entièrement votre
confiance: si ce n'était pas moi, je ne m'en plaindrais pas; mais je
m'emploierais à redoubler de zèle pour mériter votre estime dans le
poste que vous me confieriez. Chacun a sa manière de faire la guerre. Le
général Kellermann a plus d'expérience et la fera mieux que moi; mais
tous les deux ensemble nous la ferons fort mal.

Je ne puis rendre à la patrie des services essentiels qu'investi
entièrement et absolument de votre confiance. Je sens qu'il faut
beaucoup de courage pour vous écrire cette lettre, il serait si facile
de m'accuser d'ambition et d'orgueil! mais je vous dois l'expression
de tous mes sentimens, à vous qui m'avez donné dans tous les temps des
témoignages d'estime que je ne dois pas oublier.

Les différentes divisions d'Italie prennent possession de la Lombardie.
Lorsque vous recevrez cette lettre, nous serons déjà en route, et votre
réponse nous trouvera probablement près de Livourne. Le parti que vous
prendrez dans cette circonstance est plus décisif pour les opérations de
la campagne, que quinze mille hommes de renfort que l'empereur enverrait
à Beaulieu.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 28 floréal an 4 (17 mai 1796).

_Au citoyen Lallement, ministre à Venise._

Je vous remercie infiniment, citoyen ministre, des détails intéressans
que vous me donnez sur la position des ennemis. Je vous envoie 6,000
liv. pour servir aux dépenses des espions à Trente, à Mantoue, et sur la
route du Tyrol, et faites-moi savoir le jour où les bâtimens de Trieste
sont partis pour Mantoue.

N'épargnez ni l'argent ni les peines, l'intérêt de la patrie le veut. Je
vous ferai exactement toucher tout ce que vous dépenserez.

Envoyez-moi une carte exacte des états de Venise, et très-détaillée.

Il y a à Milan beaucoup de dispositions pour y créer une révolution.

Si les citoyens Jacob et Alliod ne sont pas indispensables à
Venise, envoyez-les ici, je les emploierai dans le Milanais pour
l'administration de ce pays.

Vous avez dû recevoir une lettre, de Lodi, du commissaire du
gouvernement. Faites en sorte que vos lettres soient fréquentes et
instructives: c'est sur vous que je compte pour avoir des nouvelles;
établissez un prix pour les courriers, de sorte que, lorsqu'ils
arriveront avant telle heure, ils aient une gratification.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 floréal an 4 (18 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée du roi de Sardaigne._

Je viens d'ordonner, monsieur, que les deux bateaux de sel arrêtés à
Plaisance continuent leur route sur Valence.

Peut-être jugerez-vous à propos d'envoyer à Plaisance un officier ou
un préposé, qui veillera à ce que tous les bateaux et autres convois
appartenant au roi ne soient pas interceptés par l'armée. Du moment que
vous m'aurez fait connaître là-dessus vos intentions, je m'empresserai
de donner à cet officier les facilités nécessaires pour pouvoir
remplir sa mission; il pourrait également être chargé de parcourir
les différentes rives du Pô, pour vous faire restituer les effets
appartenans au roi, que nous aurions pu arrêter.

Le chef de l'état-major expédie les ordres aux troupes qui arriveront à
Casale, de partir sur-le-champ pour Milan.

Je me suis occupé des différentes réclamations relatives à la province
d'Alba. Je désire, monsieur, que vous soyez convaincu de l'empressement
que j'aurai à faire quelque chose qui vous soit agréable.

Je vous prie de m'envoyer l'état des officiers que vous désirez que je
vous renvoie en échange de ceux que vous avez eu la complaisance de
relâcher sur parole.

J'envoie à Valence un officier du génie pour choisir un emplacement
pour la construction du pont de Valence; mais comme je laisse au roi la
jouissance de ses états en deçà du Pô, que M. Beaulieu n'a évacués que
par mon passage du Pô à Plaisance, je crois qu'il serait convenable que
vous donnassiez vous-même des ordres pour la construction dudit pont,
qu'il me serait utile d'avoir avant huit jours.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 floréal an 4 (18 mai 1796).

_Au directoire exécutif._

Le duc de Parme paye sa contribution; il a déjà versé 500.000 liv., et
il s'exécute pour le reste. Faypoult aurait voulu que l'on ne fît rien
payer à ce prince; mais l'ambassadeur d'Espagne à Turin, qui est venu
me voir, est convenu que nous avions été modérés. Je ne doute pas,
cependant, que le duc de Parme ne porte plainte; mais pourquoi n'a-t-il
pas accepté la médiation de l'Espagne?

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 floréal an 4 (18 mai 1796).

_Au général en chef de l'armée du roi de Sardaigne._

Je viens d'être informé, monsieur, que les différens agens militaires,
dans le pays conquis, avaient séquestré les biens des seigneurs attachés
à la cour.

Je viens de donner des ordres pour que les séquestres soient
sur-le-champ levés, et qu'il n'y ait aucune espèce de différence
entre les sujets du roi, soit qu'ils demeurent à Turin, ou dans les
différentes villes soumises à la république.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 1er prairial an 4 (20 mai 1796).

_Au citoyen Barthelemi, ambassadeur de la république, à Bâle._

Nous sommes maîtres de la Lombardie, Les troupes de la république,
quoiqu'en petit nombre et dénuées de tout, ont surmonté tous les
obstacles; les ennemis se sont retirés à Mantoue; demain notre corps de
troupes sera ici. Je me presse de courir, et vous prie de me faire part
des mouvemens de l'armée impériale dans la Bavière et dans la Souabe.

L'empereur peut-il affaiblir son armée du Rhin pour renforcer celle
d'Italie? Quelles troupes pourrait-il encore envoyer dans le Tyrol?
Je vous prie, citoyen ministre, de me faire part, là-dessus, des
renseignemens que vous avez, et d'envoyer de tous côtés des agens, afin
que vous puissiez m'instruire, avec précision, des forces que l'on
ferait filer en Italie.

Je suis très-flatté, citoyen ministre, que cette circonstance m'ait
procuré le plaisir de vous assurer, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 prairial an 4 (21 mai 1796).

_Au ministre des finances._

L'armée d'Italie éprouve les plus grands besoins; elle est dans la plus
grande pénurie et le dénuement le plus affligeant des objets les plus
essentiels; elle se renforce tous les jours en hommes, et ses besoins
s'accroissent en proportion. Le directoire exécutif, qui m'a nommé au
commandement de cette armée, a arrêté un plan de guerre offensif qui
exige des mesures promptes et des ressources extraordinaires.

Le prêt de 2 sous en argent pour le soldat, et de 8 liv. pour les
officiers, a manqué; ce qui a mécontenté et découragé l'armée. Je vous
prie de vous faire rendre compte, et d'avoir la bonté de m'instruire si
je dois compter que la trésorerie seule subviendra à ce que le prêt
ne manque pas. De toutes les dépenses, c'est la plus sacrée: l'armée
d'Italie est la seule où le prêt ait manqué. Le ministre de la guerre
a ordonnancé, pour le service de pluviôse et d'une partie de celui de
ventôse, à différentes fois, selon le bordereau ci-joint, la somme
de....., et pour le service de l'artillerie, le 23 du mois, de 10,000
liv. en numéraire, et 500,000 liv. en assignats, et le 19 ventôse,
30,000 liv. en numéraire, et 1,500,000 liv. en assignats. On se plaint
à l'armée de n'avoir reçu qu'une très-faible portion de cette somme. Je
vous prie de vous faire rendre compte de celle qu'il reste à envoyer
d'après les ordres ci-dessus, et de m'instruire de ce que vous espérez
faire pour effectuer l'entier paiement.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 2 prairial an 4 (21 mai 1796).

_Au citoyen Bonelli, chef de bataillon._

Vous vous rendrez en Corse avec dix-huit hommes de votre choix. Le
citoyen Sapey est chargé de vous faire passer en Corse et de vous faire
porter des secours en poudre et en armes.

Il vous sera remis, à votre départ, 24,000 liv. en argent, dont vous
vous servirez pour encourager les patriotes. Le citoyen Brassini restera
à Gênes, et vous fera passer les secours dont vous pourrez avoir besoin,
et vous remettra cent fusils, trois cents paires de pistolets, six cents
livres de poudre et dix mille livres de plomb.

Dès l'instant que l'on aura des nouvelles plus sûres, on enverra
davantage, et des brevets d'officiers, pour lever des bataillons au
compte de la république française.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 2 prairial an 4 (21 mai 1796).

_Aux citoyens Braccini et Paraviccini._

Vous resterez à Gênes pour correspondre avec les patriotes corses, et
me tenir informé de tout ce qui se passe dans ce département, et lui
envoyer des secours.

Le citoyen Balbi, banquier de la république, vous remettra 15,000 liv.
Vous achèterez, avec cette somme, cent fusils, trois cents paires de
pistolets, trois mille pierres à fusil, cinq à six mille livres de
poudre, et huit à dix mille livres de plomb, que vous remettrez au
citoyen Bonelli. Je donne des ordres pour qu'on vous fasse passer de
Nice six cents fusils de chasse, que vous ferez passer successivement.

Le ministre de la république à Gènes est instruit de votre mission. Vous
vous présenterez à lui, afin qu'il vous donne tout ce dont vous pourriez
avoir besoin.

Vous jouirez de 300 fr. d'appointemens par mois tant que durera votre
mission.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 2 prairial an 4 (21 mai 1796).

_Au citoyen Sapey._

Je fais partir le citoyen Bonelli avec trente hommes et cent fusils,
trois cents paires de pistolets, six mille livres de poudre et dix mille
livres de plomb, pour secourir les patriotes de Corse.

Je charge les citoyens Braccini et Paraviccini de rester à Gênes, et de
se ménager une correspondance avec les patriotes corses.

Votre zèle m'étant connu, je vous charge de procurer au citoyen Bonelli
tous les moyens nécessaires pour passer en Corse; je vous ferai
rembourser les frais que vous ferez a ce sujet.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 2 prairial an 4 (21 mai 1796).

_Au citoyen Faypoult._

Je vous envoie ci-joint une lettre interceptée, vous y verrez que vous
avez des espions autour de vous.

La paix avec le roi de Sardaigne est faite à des conditions
très-avantageuses; elle a été signée le 26 de ce mois.

Tout est tranquille à Paris, et les révolutionnaires de 93 sont encore
mis à l'ordre et déjoués.

Vous trouverez ci-joint une proclamation à l'armée. Je préfère cette
tournure à celle d'écrire aux peuples. L'armistice avec le duc de Parme
a été approuvé; le directoire ne l'a pas trouvé assez honteux pour ce
duc.

Nous avons imposé le Milanais à 20,000,000 fr. Je vous choisirai deux
beaux chevaux parmi ceux que nous requerrons à Milan; ils serviront à
vous dissiper des ennuis et des étiquettes du pays où vous êtes. Je veux
aussi vous faite présent d'une épée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 3 prairial an 4 (22 mai 1796).

_Au directoire exécutif._

Je viens de recevoir, citoyens directeurs, le courrier qui est parti le
26 de Paris. Il nous a apporté les articles de la paix glorieuse que
vous avez conclue avec le roi de Sardaigne. Je vous prie d'en recevoir
mes complimens.

Le commissaire Salicetti vous fera passer l'état des contributions
que nous avons imposées. Vous pouvez, à cette heure, compter sur 6 à
8,000,000 argent en or ou argent, lingots ou bijoux, qui sont à votre
disposition à Gênes, chez un des premiers banquiers. Vous pouvez
disposer de cette somme, étant superflue aux besoins de l'armée. Si vous
le désirez, je ferai passer 1,000,000 à Bâle pour l'armée du Rhin.

J'ai fait passer au général Kellermann 10,000 liv. en argent, je lui
ferai passer demain 200,000 liv.

Les troupes sont satisfaites; elles touchent la moitié de leurs
appointemens en argent; le pillage est réprimé, et la discipline avec
l'abondance renaissent dans cette glorieuse armée.

Neuf mille hommes de l'armée des Alpes arriveront dans dix jours; je ne
les attendrai pas, et déjà les troupes sont en mouvement pour marcher
sur les gorges du Tyrol.

L'armée autrichienne reçoit tous les jours des renforts; mais j'imagine
que notre armée du Rhin ne permettra pas à l'empereur de trop
s'affaiblir de ce côté-là.

Vous trouverez ci-joint des lettres de la plus grande importance, entre
autres celle où il est question de l'entretien de Louis XVIII avec
plusieurs de nos postes à l'armée du Rhin.

La nouvelle de ces pourparlers se répète dans toutes les lettres
d'émigrés; je crois qu'il est urgent d'y mettre ordre.

Vous trouverez ci-joint l'état de ce que nous avons pris à Pavie: cela
est très-considérable. Nous avons des magasins à Tortone, à Coni, à Ceva
et à Mondovi.

Le duc de Parme n'ayant ni fusils, ni canons, ni places fortes, on n'a
rien pu lui demander en ce genre.

Vous trouverez ci-joint une adresse à l'armée.

Vous trouverez aussi ci-joint la suspension que j'ai accordée au duc de
Modène; vous y verrez que c'est 10,000,000 de plus pour la république.
Comme il n'a ni forteresses, ni fusils, il n'a pas été possible de lui
en demander.

BONAPARTE.

_P.S._ Parmi les lettres d'émigrés ci-jointes, vous en trouverez une
d'un prêtre qui écrit de Paris au cardinal de Zelada: quoiqu'il ne signe
pas, il sera facile de le connaître, puisqu'il dit avoir soupé avec le
général Dumuy la veille du départ de celui-ci. Une fois que le ministre
de la police connaîtra ce correspondant de monseigneur le cardinal,
il lui sera facile, en le faisant suivre pendant plusieurs jours, de
parvenir à en connaître d'autres. Vous y trouverez aussi le nom d'un
négociant de Lyon, qui fait passer des fonds aux émigrés.



Au quartier-général à Milan, le 5 prairial an 4 (24 mai 1796).

_Au citoyen Oriani._

Les sciences qui honorent l'esprit humain, les arts qui embellissent la
vie et transmettent les grandes actions à la postérité, doivent être
spécialement honorés dans les gouvernemens libres. Tous les hommes
de génie, et tous ceux qui ont obtenu un rang dans la république des
lettres, sont frères, quel que soit le pays qui les ait vus naître.

Les savans dans Milan n'y jouissaient pas de la considération qu'ils
devaient avoir. Retirés dans le fond de leurs laboratoires, ils
s'estimaient heureux que les rois et les prêtres voulussent bien ne pas
leur faire de mal. Il n'en est pas ainsi aujourd'hui, la pensée
est devenue libre dans l'Italie: il n'y a plus ni inquisition, ni
intolérance, ni despotes. J'invite les savans à se réunir et a me
proposer leurs vues sur les moyens qu'il y aurait à prendre, ou les
besoins qu'ils auraient pour donner aux sciences et aux beaux-arts une
nouvelle vie et une nouvelle existence. Tous ceux qui voudront aller en
France seront accueillis avec distinction par le gouvernement. Le peuple
français ajoute plus de prix à l'acquisition d'un savant mathématicien,
d'un peintre en réputation, d'un homme distingué, quel que soit l'état
qu'il professe, que de la ville la plus riche et la plus abondante.

Soyez donc, citoyen, l'organe de ces sentimens auprès des savans
distingués qui se trouvent dans le Milanais.

BONAPARTE.



Brescia, le 10 prairial an 4 (29 mai 1796)

_A la république de Venise._

C'est pour délivrer la plus belle contrée de l'Europe du joug de fer
de l'orgueilleuse maison d'Autriche, que l'armée française a bravé les
obstacles les plus difficiles à surmonter.

La victoire, d'accord avec la justice, a couronné ses efforts; les
débris de l'armée ennemie se sont retirés au-delà du Mincio. L'armée
française passe, pour les poursuivre, sur le territoire de la république
de Venise; mais elle n'oubliera pas qu'une longue amitié unit les deux
républiques.

La religion, le gouvernement, les usages seront respectés; la plus
sévère discipline sera maintenue; tout ce qui sera fourni à l'armée sera
exactement payé en argent.

Le général en chef engage les officiers de la république de Venise, les
magistrats et les prêtres à faire connaître ses sentimens au peuple,
afin que la confiance cimente l'amitié qui depuis long-temps unit les
deux nations.

Fidèle dans le chemin de l'honneur comme dans celui de la victoire, le
soldat français n'est terrible que pour les ennemis de la liberté et de
son gouvernement.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Peschiera, le 13 prairial an 4 (1er juin 1796).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs, Après la bataille de Lodi, Beaulieu passa l'Adige
et le Mincio. Il appuya sa droite au lac Garda, sa gauche sur la ville
de Mantoue, et plaça des batteries sur tous les points de cette ligne,
afin de défendre le passage du Mincio.

Le quartier-général arriva, le 9, à Brescia; j'ordonnai au général de
division Kilmaine de se rendre, avec quinze cents hommes de cavalerie et
huit bataillons de grenadiers, à Dezinzano. J'ordonnai au général Rosca
de se rendre, avec une demi-brigade d'infanterie légère, à Salo. Il
s'agissait de faire croire au général Beaulieu que je voulais le tourner
par le haut du lac, pour lui couper le chemin du Tyrol, en passant par
Riva. Je tins toutes les divisions de l'armée en arrière, en sorte que
la droite, par laquelle je voulais effectivement attaquer, se trouvait
à une journée et demie de marche de l'ennemi. Je la plaçai derrière la
rivière de Chenisa, où elle avait l'air d'être sur la défensive, tandis
que le général Kilmaine allait aux portes de Peschiera, et avait tous
les jours des escarmouches avec les avant-postes ennemis, dans une
desquelles fut tué le général autrichien Liptay.

Le 10, la division du général Augereau remplaça à Dezinzano celle
du général Kilmaine, qui rétrograda à Lonado, et arriva, la nuit, à
Castiglione. Le général Masséna se trouvait à Monte-Chiaro, et le
général Serrurier à Montze. A deux heures après minuit, toutes les
divisions se mirent en mouvement, toutes dirigeant leur marche sur
Borgetto, où j'avais résolu de passer le Mincio.

L'avant-garde ennemie, forte de trois à quatre mille hommes et de
dix-huit cents chevaux, défendait l'approche de Borgetto. Notre
cavalerie, flanquée par nos carabiniers et nos grenadiers, qui, rangés
en bataille, la suivaient au petit trot, chargea avec beaucoup de
bravoure, mit en déroute la cavalerie ennemie, et lui enleva une pièce
de canon. L'ennemi s'empressa de passer le pont et d'en couper une
arche: l'artillerie légère engagea aussitôt la canonnade. L'on
raccommodait avec peine le pont sous le feu de l'ennemi, lorsqu'une
cinquantaine de grenadiers, impatiens, se jettent à l'eau, tenant
leurs fusils sur leur tête, ayant de l'eau jusqu'au menton: le général
Gardanne, grenadier pour la taille et le courage, était à la tête. Les
soldats ennemis croient revoir la fameuse colonne du pont de Lodi: les
plus avancés lâchent pied; on raccommode alors le pont avec facilité,
et nos grenadiers, en un instant, passent le Mincio, et s'emparent
de Valeggio, quartier-général de Beaulieu, qui venait seulement d'en
sortir.

Cependant les ennemis, en partie en déroute, étaient rangés en bataille
entre Valeggio et Villa-Franca. Nous nous gardons bien de les suivre;
ils paraissent se rallier et prendre confiance, et déjà leurs batteries
se multiplient et se rapprochent de nous: c'était justement ce que je
voulais; j'avais peine à contenir l'impatience ou, pour mieux dire, la
fureur des grenadiers.

Le général Augereau passa, sur ces entrefaites, avec sa division; il
avait ordre de se porter, en suivant le Mincio, droit sur Peschiera,
d'envelopper cette place, et de couper les gorges du Tyrol: Beaulieu et
les débris de son armée se seraient trouvés sans retraite.

Pour empêcher les ennemis de s'apercevoir du mouvement du général
Augereau, je les fis vivement-canonner du village de Valeggio; mais
l'ennemi, instruit par ses patrouilles de cavalerie du mouvement du
général Augereau, se mit aussitôt en route pour gagner le chemin de
Castel-Nuovo: un renfort de cavalerie qui leur arriva les mit à même de
protéger leur retraite. Notre cavalerie, commandée par le général Murat,
fit des prodiges de valeur; ce général dégagea lui-même plusieurs
chasseurs que l'ennemi était sur le point de faire prisonniers. Le chef
de brigade du dixième régiment de chasseurs, Leclerc, s'est également
distingué. Le général Augereau, arrivé à Peschiera, trouva la place
évacuée par l'ennemi.

Le 12, à la pointe du jour, nous nous portâmes à Rivoli; mais déjà
l'ennemi avait passé l'Adige et enlevé presque tous les ponts, dont nous
ne pûmes prendre qu'une partie. On évalue la perte de l'ennemi, dans
cette journée, à quinze cents hommes et cinq cents chevaux, tant tués
que prisonniers. Parmi les prisonniers se trouve le prince de Couffla,
lieutenant-général des armées du roi de Naples, commandant en chef la
cavalerie napolitaine. Nous avons pris également cinq pièces de canon,
dont deux de 12, et trois de 6, avec sept ou huit caissons chargés de
munitions de guerre. Nous avons trouvé à Castel-Nuovo des magasins, dont
une partie était déjà consumée par les flammes. Le général de division
Kilmaine a eu son cheval blessé sous lui.

Voilà donc les Autrichiens entièrement expulsés de l'Italie. Nos
avant-postes sont sur les montagnes de l'Allemagne. Je ne vous citerai
pas tous les hommes qui se sont signalés par des traits de bravoure, il
faudrait nommer tous les grenadiers et carabiniers de l'avant-garde;
ils jouent et rient avec la mort. Ils sont aujourd'hui parfaitement
accoutumés avec la cavalerie, dont ils se moquent. Rien n'égale leur
intrépidité, si ce n'est la gaieté avec laquelle ils font les marches
les plus forcées. Ils servent tour à tour la patrie et l'amour.

Vous croiriez qu'arrivés au bivouac ils doivent au moins dormir? Point
du tout: chacun fait son conte ou son plan d'opérations du lendemain, et
souvent on en voit qui rencontrent très-juste. L'autre jour, je voyais
défiler une demi-brigade, un chasseur s'approcha de mon cheval:
«Général, me dit-il, il faut faire cela! Malheureux! lui dis-je, veux-tu
bien te taire.» Il disparaît à l'instant. Je l'ai fait en vain chercher;
c'était justement ce que j'avais ordonné que l'on fît.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Peschiera, le 13 prairial an 4 (1er juin 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

La république de Venise a laissé occuper par les Impériaux Peschiera,
qui est une place forte; mais, grâce à la victoire de Borgetto, nous
nous en sommes emparés, et je vous écris aujourd'hui de cette ville.

Le général Masséna occupe, avec sa division, Vérone, belle et grande
ville qui a deux ponts sur l'Adige.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roverbello, le 15 prairial an 4 (3 juin 1796).

_A monsieur le duc d'Aoste._

J'ai reçu, monsieur, votre courrier; la conduite du roi à l'occasion de
M. Bounnafier est digne de lui.

Je vais prendre des mesures pour que, pendant le peu de temps que la
police de la ville d'Alba appartiendra à l'armée, il ne se commette
aucun trouble; mais j'espère que nous hâterons, le plus que possible,
le moment de l'exécution du traité, afin de voir consolidée la paix qui
doit désormais unir les deux puissances.

J'ai ordonné au commandant de la place d'Alba de faire relâcher
différens particuliers, sujets du roi, qui avaient été arrêtés, pour je
ne sais pas trop quelle espèce de représailles.

Je me flatte que vous êtes persuadé que je n'oublierai rien de ce qui
pourra vous être agréable, me mériter votre estime, et vous convaincre
des sentimens de considération, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roverbello, le 16 prairial an 4 (4 juin 1796).

_Au ministre de la république à Venise._

Le sénat m'a envoyé deux sages du conseil; il est nécessaire que vous
lui témoigniez le mécontentement de la république de ce que Peschiera a
été livrée aux Autrichiens. Le sang français a coulé pour la reprendre.
Il ne faut pas cependant nous brouiller avec une république dont
l'alliance nous est utile.

J'ai parlé aux sages de la cocarde nationale; je crois que vous devez
fortement tenir pour que les Français la portent, et que l'injure qui a
été faite soit réparée.

Tenez-moi instruit de tout en détail. Je pars à l'instant pour Milan,
adressez-moi là vos nouvelles; ne me laissez pas ignorer ce que fait
Beaulieu et le mouvement des troupes en Bavière.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).

_Au directoire exécutif._

Par l'armistice conclu entre les deux armées française et napolitaine,
nous obtenons les résultats suivans: 1°. Nous ôtons deux mille quatre
cents hommes de cavalerie à l'armée autrichienne, et nous les plaçons
dans un lieu où ils sont à notre disposition. 2°. Nous ôtons aux Anglais
cinq vaisseaux de guerre et plusieurs frégates. 3°. Nous continuons à
mettre les coalitions en déroute.

Si vous faites la paix avec Naples, la suspension aura été utile, en ce
qu'elle aura affaibli de suite l'armée allemande. Si, au contraire, vous
ne faites pas la paix avec Naples, la suspension aura encore été utile,
en ce qu'elle me mettra à même de prendre prisonniers les deux mille
quatre cents hommes de cavalerie napolitaine, et que le roi de Naples
aura fait une démarche qui n'aura pas plu à la coalition. Cela me porte
à traiter la question militaire: pouvons-nous et devons-nous aller à
Naples?

Le siège du château de Milan, la garde du Milanais et la garnison des
places conquises, demandent quinze mille hommes.

La garde de l'Adige et des positions du Tyrol, vingt mille hommes.

Il ne reste, compris les secours qui arrivent de l'armée des Alpes, que
six mille hommes.

Mais, eussions-nous vingt mille hommes, il ne nous conviendrait pas de
faire vingt-cinq jours de marche, dans les mois de juillet et d'août,
pour chercher la maladie et la mort. Pendant ce temps-là, Beaulieu
repose son armée dans le Tyrol, la recrute, la renforce de secours qui
lui arrivent tous les jours, et nous reprendra dans l'automne ce que
nous lui avons pris dans le printemps. Moyennant cet armistice avec
Naples, nous sommes à même de dicter à Rome toutes les conditions qu'il
nous plaira; déjà, dans ce moment-ci, la cour de Rome est occupée à
faire une bulle contre ceux qui prêchent en France la guerre civile,
sous prétexte de religion.

Par la conversation que j'ai eue ce matin avec M. Azara, ministre
d'Espagne, envoyé par le pape, il m'a paru qu'il avait ordre de nous
offrir des contributions. Je serai bientôt à Bologne. Voulez-vous que
j'accepte alors, pour accorder un armistice au pape, vingt-cinq millions
de contributions en argent, cinq millions en denrées, trois cents
cadres, des statues et des manuscrits en proportion, et que je
fasse mettre en liberté tous les patriotes arrêtés pour faits de la
révolution? J'aurai au reste le temps de recevoir vos ordres là-dessus,
puisque je ne crois pas être à Bologne avant dix ou quinze jours. Alors,
si les six mille hommes que commande le général Châteauneuf-Randon
arrivent, il n'y aura pas d'inconvénient de se porter de Bologne jusqu'à
Rome. Au reste, je vous prie de rester persuadé que lorsqu'une fois vous
m'avez fait connaître positivement vos intentions, il faudrait qu'elles
fussent bien difficiles, pour que je ne puisse pas les exécuter.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).

_Au directoire exécutif._

Lorsque M. Beaulieu sut que nous marchions pour passer le Mincio, il
s'empara de la forteresse de Peschiera, qui appartient aux Vénitiens.
Cette forteresse, située sur le lac de Garda, à la naissance du Mincio,
a une enceinte bastionnée en très-bon état, et quatre-vingt pièces de
canon, qui, à la vérité, n'étaient pas montées.

M. le provéditeur général, qui était à Vérone avec deux mille hommes,
aurait donc bien pu faire en sorte que cette place ne fût pas occupée
par les Autrichiens, qui y sont entrés sans aucune espèce de résistance,
lorsque j'étais arrivé à Brescia, c'est-à-dire à une journée de-là.

Dès que j'appris que les Autrichiens étaient à Peschiera, je sentis
qu'il ne fallait pas perdre un instant à investir cette place, afin
d'ôter à l'ennemi les moyens de l'approvisionner. Quelques jours de
retard m'auraient obligé à un siège de trois mois.

Le combat de Borghetto et le passage du Mincio nous rendirent cette
place deux jours après. Le provéditeur vint à grande hâte se justifier,
je le reçus fort mal. Je lui déclarai que je marchais sur Venise porter
moi-même plainte au sénat d'une trahison aussi manifeste. Pendant le
temps que nous nous entretenions, Masséna avait ordre d'entrer à Vérone,
à quelque prix que ce fût. L'alarme à Venise a été extrême. L'archiduc
de Milan, qui y était, s'est sauvé sur-le-champ en Allemagne.

Le sénat de Venise vient de m'envoyer deux sages du conseil, pour
s'assurer définitivement où en étaient les choses. Je leur ai renouvelé
mes griefs, je leur ai parlé aussi de l'accueil fait à Monsieur; je
leur ai dit que, du reste, je vous avais rendu compte de tout, et que
j'ignorais la manière dont vous prendriez cela: que, lorsque je suis
parti de Paris, vous croyiez trouver dans la république de Venise une
alliée fidèle aux principes; que ce n'était qu'avec regret que leur
conduite à l'égard de Peschiera m'avait obligé de penser autrement; que,
du reste, je croyais que ce serait un orage qu'il serait possible à
l'envoyé du sénat de conjurer. En attendant, ils se prêtent de la
meilleure façon à nous fournir ce qui peut être nécessaire à l'armée.

Si votre projet est de tirer cinq ou six millions de Venise, je vous ai
ménagé exprès cette espèce de rupture. Vous pourriez les demander en
indemnité du combat de Borghetto, que j'ai été obligé de livrer pour
prendre cette place. Si vous avez des intentions plus prononcées, je
crois qu'il faudrait continuer ce sujet de brouillerie, m'instruire
de ce que vous voulez faire, et attendre le moment favorable, que je
saisirai suivant les circonstances: car il ne faut pas avoir affaire à
tout le monde à la fois.

La vérité de l'affaire de Peschiera est que Beaulieu les a lâchement
trompés; il leur a demandé le passage pour cinquante hommes, et il s'est
emparé de la ville. Je fais dans ce moment-ci mettre Peschiera en état
de défense, et, avant quinze jours, il faudra de l'artillerie de siège
et un siège en règle pour la prendre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).

_A M. le prince de Belmonte-Pignatelli._

L'armistice que nous avons conclu hier sera, je l'espère, le préambule
de la paix. Les négociations doivent commencer le plus tôt possible, et
dès-lors, quoique les troupes tardent à arriver à leurs cantonnemens, je
ne crois pas que ce puisse être une raison de guerre, dès l'instant que
l'ordre de S. M. le roi de Naples serait parvenu, et que le corps de
troupes serait en marche pour se rendre à sa destination.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).

_Au citoyen Faypoult, à Gênes._

Je ne vous écris pas aussi souvent que je le voudrais.

Je vous ai envoyé la relation de l'affaire de Borghetto; aujourd'hui
je vous annonce la prise du faubourg Saint-Georges de Mantoue et le
cernement de cette ville.

Je suis venu à Milan pour mettre à exécution le traité de paix avec le
roi de Sardaigne.

Je vous prie de m'instruire des affaires de Corse; je compte faire
passer à Gênes quinze cents fusils de chasse pour les y envoyer pour
soutenir l'insurrection des patriotes.

Je suis instruit que le ministre de l'empereur à Gênes excite les
paysans à la révolte, et leur fait passer de la poudre et de l'argent.
Si cela est, mon intention est de le faire arrêter dans Gênes même.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).

_Au citoyen Lallement, à Venise._

Je vois avec plaisir que vos discussions avec le sénat se sont terminées
comme elles le devaient.

Tenez-moi instruit du mouvement de Beaulieu; ne négligez rien et envoyez
de tous côtés des espions pour connaître ses opérations et les renforts
qu'il reçoit.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 prairial an 4 (8 juin 1796).

_Au citoyen Carnot.._

Je vous dois des remercîmens pour les choses honnêtes que vous me dites.
La récompense la plus douce des fatigues, des dangers, des chances de
ce métier-ci se trouve dans l'estime du petit nombre d'hommes qu'on
apprécie.

Par ma lettre au directoire, vous verrez notre position. Si les
bataillons annoncés nous joignent à temps, il nous sera facile d'aller
jusqu'à Rome. Cependant, comme les opérations d'Allemagne peuvent
changer notre position d'un moment à l'autre, je crois qu'il serait bon
qu'on me laissât la faculté de conclure l'armistice avec Rome, ou d'y
aller: dans le premier cas, me prescrire les conditions de l'armistice;
dans le second, me dire ce que je dois y faire, car nos troupes ne
pourraient pas s'y maintenir long-temps. L'espace est immense, le
fanatisme très-grand, et la grande disproportion des distances rend les
hommes hardis.

Je serai, dès l'instant que les inondations seront finies, à Livourne et
à Bologne. Je recevrai là vos ordres, et si vous acceptez l'armistice
avec Rome, je le conclurai là.

Nous sommes bientôt en juillet, où toutes les marches nous vaudront deux
cents malades.

Il est arrivé un commissaire du directoire pour les contributions. Un
million est parti pour Bâle pour l'armée du Rhin.

Vous avez à Gênes huit millions, vous pouvez compter là-dessus.

Deux millions encore partaient pour Paris; mais le commissaire m'a
assuré que votre intention est que tout aille à Gênes.

Je mériterai votre estime; je vous prie de me continuer votre amitié, et
de me croire pour la vie, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 prairial an 4 (8 juin 1796).

_Au général Clarke._

Votre jeune cousin m'est arrivé hier: il m'a l'air actif, quoique
encore un peu jeune. Je le tiendrai avec moi: il sera bientôt à même
d'affronter le péril et de se distinguer. J'espère qu'il sera digne de
vous, et que j'aurai un bon compte à vous en rendre.

Je suis bien aise de faire quelque chose qui vous soit agréable.

Ici, tout va assez bien; mais la canicule arrive au galop, et il
n'existe aucun remède contre son influence dangereuse. Misérables
humains que nous sommes, nous ne pouvons qu'observer la nature, mais non
la surmonter.

La campagne d'Italie a commencé deux mois trop tard; nous nous trouvons
obligés de rester dans le pays le plus malsain de l'Italie. Je ne vois
qu'un moyen pour ne pas être battus à l'automne, c'est de s'arranger de
manière à ne pas être obligés de s'avancer dans le sud de l'Italie.

Selon tous les renseignemens que l'on nous donne, l'empereur envoie
beaucoup de troupes à son armée d'Italie. Nous attendons ici avec
impatience des nouvelles du Rhin. Si notre armée a des succès, comme je
l'espère, il faut que l'on fasse payer à l'empereur son entêtement: en
attendant, je vous prie de croire aux sentimens de fraternité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 prairial an 4 (9 juin 1796).

_Au général Kellermann._

J'ai vu, avec le plus grand plaisir, les demi-brigades que vous nous
envoyez: elles sont en bon état et bien disciplinées. Je ne crains pas
d'abuser de votre bonté; je vous envoie un officier d'artillerie pour
pourvoir, avec les fonds nécessaires, au transport de cinq mille fusils,
que je vous prie instamment de nous faire passer, ainsi que douze
obusiers de 6 pouces, et douze de 8.

J'attends avec empressement votre réponse pour les dix-huit cents hommes
que je vous ai prié de faire mettre à Coni, afin d'en pouvoir retirer la
garnison.

Vous devez avoir reçu cent mille francs; je donnerai des ordres pour que
l'on vous en envoie cent mille autres.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 prairial an 4 (11 juin 1796).

_Au citoyen Comeiras._

Je ferai fournir trois mille quintaux de blé aux Grisons, à condition
qu'ils nous donneront des chevaux en paiement. J'ai, à votre demande,
fait détruire le fort de........ Je vous enverrai tout ce que vous
demandez. Il est nécessaire que vous ayez la plus grande surveillance du
côté de la Valteline, pour connaître les mouvemens que Beaulieu pourrait
faire, et m'en prévenir à temps.

Il me serait facile de vous faire passer quelques milliers de fusils de
chasse; mais cela serait-il bien employé dans les mains de nos amis,
et s'il est vrai que les chefs des ligues sont vendus à la maison
d'Autriche, ne serait-il pas dangereux d'accroître leurs moyens de
nuire?

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 prairial an 4 (11 juin 1796).

_Au directoire exécutif._

Le général Laharpe était du canton de Berne: les autorités de ce canton
lui ont confisqué ses biens au commencement de la révolution. Je vous
prie de vous intéresser pour les faire rendre à ses enfans.

Les Suisses nous ont fait demander la circulation de quelques milliers
de riz, nous ne leur avons accordé qu'à condition que le canton de Berne
restituerait au jeune Laharpe les biens de son père. J'espère que vous
approuverez cette mesure.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 prairial an 4 (11 juin 1796).

_Au citoyen Barthélémy, ambassadeur à Bâle._

Le canton de Berne a confisqué, au commencement de la révolution, les
biens de feu le général Laharpe; je vous prie de vous intéresser pour
les faire rendre à son fils.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 prairial an 4 (11 juin 1796).

_Au général Moreau._

Je vous fais passer un million que vous tirerez sur Bâle, des mains du
citoyen Barthélémy, ambassadeur de la république à Gênes, à qui je donne
ordre de l'adresser.

L'armée d'Italie a demandé au directoire la permission de vous faire
passer cet argent, provenant des contributions de guerre, afin de
soulager nos frères d'armes de l'armée du Rhin. Je suis flatté que cette
occasion, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Pavie, le 24 prairial an 4 (12 juin 1796).

_Au chef de l'état-major._

Vous donnerez les ordres pour que l'on établisse dans le château de
Pavie deux mille lits, avec des fournitures complètes. Le commissaire
des guerres requerra, à cet effet, de la ville, les matelas, couvertures
et draps nécessaires.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 25 prairial an 4 (13 juin 1796).

Le général en chef porte plainte à la commission militaire, contre le
seigneur d'Arcquata, M. Augustin Spinola, comme étant le chef de la
rébellion qui a eu lieu à Arcquata, où il a été assassiné plusieurs
soldats, déchiré la cocarde tricolore, pillé les effets de la
république, et arboré l'étendard impérial.

Le seigneur d'Arcquata et sa femme se sont toujours livrés à leurs
instigations perfides.

Je demande que la commission militaire le juge conformément aux lois
militaires.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 25 prairial an 4 (13 juin 1796).

_Au gouverneur d'Alexandrie._

Les officiers et soldats de la garnison de Serravalle ont pris part à la
dernière rébellion des fiefs impériaux; ils ont encouragé les paysans,
en leur fournissant des munitions de guerre.

Cette conduite est très-éloignée d'être conforme aux intentions du roi
et de M. le duc d'Aoste.

Je vous demande de faire punir sévèrement la conduite indigne de ces
militaires.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 26 prairial an 4 (14 Juin 1796).

_Au chef de l'état-major._

Vous donnerez l'ordre au vingt-deuxième régiment de chasseurs à cheval
de se rendre à Vérone, au quartier-général du général Masséna, où il
sera à sa disposition.

Vous donnerez l'ordre à toutes les compagnies de grenadiers ou
détachemens de demi-brigades qui composent la division du général
Masséna, de les rejoindre de suite.

Vous donnerez l'ordre au troisième bataillon de la deuxième demi-brigade
de rejoindre sa demi-brigade.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 26 prairial an 4 (14 juin 1796).

_Au sénat de la république de Gênes._

La ville de Gênes est le foyer d'où partent les scélérats qui infestent
les grandes routes, assassinant les Français et interceptant nos
convois, autant qu'il est en eux.

C'est de Gênes que l'on a soufflé l'esprit de rébellion dans les fiefs
impériaux. M. Girola, qui demeure dans cette ville, leur a publiquement
envoyé des munitions de guerre; il accueille tous les jours les chefs
des assassins, encore dégoûttans du sang français.

C'est sur le territoire de la république de Gênes que se commettent une
partie de ces horreurs, sans que le gouvernement prenne aucune mesure;
il paraît au contraire, par son silence et l'asile qu'il accorde,
sourire aux assassins.

Malheur aux communes qui voient avec joie et même avec indifférence
ces crimes qui se commettent sur leur territoire, et le sang français
répandu par des assassins!

Il est indispensable que ce mal ait un terme, et que les hommes qui, par
leur conduite, protègent les brigands, soient très-sévèrement punis.

Le gouverneur de Novi les protège, je demande que le gouvernement en
fasse un exemple sévère.

M. Girola, qui a fait de Gênes une place d'armes contre les Français,
doit être arrêté, ou au moins chassé de la ville de Gênes.

Ces satisfactions préalables sont dues aux mânes de mes frères d'armes,
égorgés sur votre territoire.

Pour l'avenir, je vous demande une explication catégorique. Pouvez-vous
ou non purger le territoire de la république des assassins qui le
remplissent? Si vous ne prenez pas des mesures, j'en prendrai: je
ferai brûler les villes et les villages sur lesquels il sera commis
l'assassinat d'un seul Français.

Je ferai brûler les maisons qui donneront refuge aux assassins. Je
punirai les magistrats négligens qui auraient transgressé le premier
principe de la neutralité, en accordant asile aux brigands.

L'assassinat d'un Français doit porter malheur aux communes entières qui
ne l'auraient pas protégé.

La république française sera inviolablement attachée aux principes de
la neutralité; mais que la république de Gênes ne soit pas le refuge de
tous les brigands.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 27 prairial an 4 (15 juin 1796).

_Au citoyen Faypoult, ministre à Gênes._

Je vous envoie le général Murat, mon aide-de-camp. Je désire que vous le
présentiez de suite au sénat pour lui remettre lui-même la note qu'il
vous communiquera. Si vous la présentiez, il faudrait quinze jours pour
avoir la réponse, et il est nécessaire d'établir une communication plus
prompte, qui électrise ces messieurs.

L'armée du Rhin a battu les ennemis. Le général Berthier doit vous avoir
envoyé le bulletin de Bâle.

Tout va bien; je vous embrasse. Les nouvelles de Paris sont du 19: rien
de nouveau.

J'ai fait arrêter une quinzaine de chefs de brigands qui assassinaient
nos soldats: ils seront impitoyablement fusillés. Dans ce moment-ci, une
division fait justice d'Arcquata et des fiefs impériaux.

Faites placer à Novi un gouverneur meilleur que celui qui y est. Je
n'entends pas que le sénat laisse assassiner nos soldats en détail. Je
lui tiendrai parole.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 27 prairial an 4 (15 juin 1796).

_Au même._

Nous avons établi beaucoup de batteries sur la rivière de Gênes; il
faudrait en vendre aujourd'hui les canons et les munitions aux Génois,
afin de ne pas avoir à les garder, et de pouvoir cependant les trouver
en cas de besoin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 28 prairial on 4 (16 juin 1796).

_Au gouverneur de Novi._

Vous donnez refuge aux brigands, les assassins sont protégés dans votre
territoire; il y en a aujourd'hui dans tous les villages. Je vous
requiers de faire arrêter tous les habitans des fiefs impériaux qui
se trouvent aujourd'hui sur votre territoire; vous me répondrez de
l'exécution de la présente réquisition; je ferai brûler les villes et
les maisons qui donneront refuge aux assassins ou qui ne les arrêteront
pas.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tortone, le 28 prairial an 4 (16 juin 1796).

_Au chef de l'état-major._

Tous les détachemens de troupes qui sont dans les villes différentes des
états du roi de Sardaigne rejoindront leurs corps, excepté les garnisons
de Coni, Ceva, Cherasco, Tortone, Alexandrie, Oneille et Loano.

Il est défendu aux troupes et convois de l'armée de prendre d'autre
route que par Nice, Coni, Fossano, Asti, Alexandrie, Tortone, Pavie,
Milan, Cassano, Brescia, Peschiera, ou bien Pavie, Pizzigithone,
Crémone, Casal-Major, Borgoforte, ou bien par Gênes, Novi, Tortone; ou
bien par la vallée d'Aoste.

Les troupes du roi de Sardaigne s'étant chargées d'escorter les convois,
on n'enverra qu'un ou deux hommes d'escorte.

Il ne sera plus fait de réquisitions dans les pays du roi de Sardaigne;
on évacuera tous les magasins que l'on pourrait avoir dans ces pays, sur
les places qui nous restent.

Il est expressément défendu aux commissaires des guerres d'accorder
aucune route aux soldats isolés de leurs bataillons, jusqu'à ce qu'ils
soient au nombre de vingt-cinq. A cet effet, les soldats qui se
présenteront pour rejoindre leurs corps, resteront en subsistance dans
la place jusqu'à ce qu'ils soient à ce nombre. Alors, le commissaire des
guerres fera une feuille de route jusqu'à l'endroit où ils devront se
séparer pour rejoindre chacun leurs corps.

Les commandans de place auront soin de faire armer les soldats, et
de donner le commandement de ces détachemens à un sous-officier de
garnison, s'il ne s'en trouve pas parmi ceux qui rejoignent; ce
sous-officier accompagnera le détachement jusqu'à la garnison la plus
prochaine.

Le général de division qui commande à Nice aura sous ses ordres tout le
département des Alpes maritimes; il nommera des commandans dans toutes
les étapes, afin de surveiller les soldats passagers et les étapiers.

Le général de division qui commande à Coni, aura sous sa surveillance
tout le pays compris entre le département des Alpes maritimes, la Stura,
le Tanaro, jusqu'aux états de Gênes: dès lors il commandera à Ceva et à
Cherasco; il mettra, à chaque étape, un officier, auquel s'adresseront
tous les militaires qui auront des feuilles de route, et sur le visa
duquel les commandans piémontais feront délivrer l'étape à nos soldats.

Le général de division qui commandera à Tortone, aura sous sa
surveillance tous les pays compris entre le Tanaro, la mer de Gênes, le
Pô et les états du duc de Parme; il commandera dès-lors à Alexandrie: il
nommera des officiers pour surveiller les soldats de passage dans chaque
étape. Ce ne sera que sur son visa que les agens du roi de Sardaigne
délivreront l'étape à nos soldats.

Le général commandant la Lombardie commandera; on nommera des officiers
dans chaque étape pour surveiller les étapiers, et maintenir une bonne
discipline chez les soldats de passage.

Le chef de l'état-major enverra à ces différens généraux la liste des
officiers blessés, surnuméraires ou sans emploi, qui pourraient être
employés à cet effet.

Le chef de l'état-major nommera deux officiers supérieurs pour
surveiller les routes de Cassano à Peschiera, et de Pizzigithone à
Goito: ces deux officiers se tiendront, le premier, à Chiaro, et le
deuxième, à Casale-Major; ils nommeront des officiers à chaque étape
pour surveiller les soldats et tenir la main à ce que les employés de
Venise délivrent exactement, et en bonne fourniture, les étapes aux
soldats et aux chevaux.

Chacun des officiers supérieurs aura avec lui quinze hommes de
gendarmerie à cheval et un détachement de cent cinquante hommes, qui lui
serviront à escorter les prisonniers et à se porter partout où il serait
nécessaire pour la sûreté de la route.

Le général commandant le Mantouan établira des officiers dans toutes les
étapes de son arrondissement, les généraux de division en feront autant,
chacun dans son arrondissement, et jusqu'à l'étape qui joint la grande
route.

La route de Plaisance joindra la grande communication de l'armée à
Saint-Colombar.

L'officier supérieur qui commande la place de Plaisance aura la
surveillance sur toute la route, depuis Saint-Colombar à Parme.

On mettra neuf jours pour aller de Coni à Pavie, sept de Pavie à
Peschiera, et six de Pavie à Goito.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 3 messidor an 4 (21 juin 1796).


_Au directoire exécutif._

La division du général Augereau, citoyens directeurs, a passé le Pô à
Borgoforte, le 28 prairial; il est arrivé à Bologne le 1er messidor; il
y a trouvé quatre cents soldats qui y ont été faits prisonniers.

Je suis parti de Tortone le 29 prairial; je suis arrivé le 1er messidor
à Modène, d'où j'ai envoyé l'ordre, par l'adjudant-général Vegnat, à la
garnison du château d'Urbin d'ouvrir ses portes, de poser les armes, et
de se rendre prisonnière de guerre. J'ai continué ma route pour Bologne;
je suis arrivé à minuit. Nous avons trouvé, dans le fort Urbin,
cinquante pièces de canon bien approvisionnées, cinq cents fusils de
calibre, de très-beau modèle, et des munitions de bouche pour nourrir
six mille hommes pendant deux mois. Le fort Urbin est dans un bon état
de défense; il a une enceinte bastionnée, revêtue et entourée de fossés
pleins d'eau, avec un chemin couvert nouvellement réparé. Il était
commandé par un chevalier de Malte, et trois cents hommes que nous avons
faits prisonniers.

Nous avons fait prisonniers, à Bologne, le cardinal légat, avec tous les
officiers de l'état-major, et pris quatre drapeaux. Nous avons également
fait prisonnier le cardinal légat de Ferrare avec le commandant de ce
fort, qui est un chevalier de Malte. Il y a dans le château de Ferrare
cent quatorze pièces de canon.

L'artillerie que nous avons trouvée à Modène, au fort Urbin et au
château de Ferrare, forme un équipage de siège qui nous mettra à même
d'assiéger Mantoue.

Les vingt tableaux que doit nous fournir Parme sont partis. Le célèbre
tableau de saint Jérôme est tellement estimé dans ce pays, qu'on offrait
1,000,000 pour le racheter.

Les tableaux de Modène sont également partis: le citoyen Barthelemy
s'occupe, dans ce moment-ci, à choisir les tableaux de Bologne; il
compte en prendre une cinquantaine, parmi lesquels se trouve la sainte
Cécile, qu'on dit être le chef-d'oeuvre de Michel-Ange.

Monge, Berthollet, Thouin, naturaliste, sont à Pavie, où ils s'occupent
à enrichir notre Jardin des Plantes et notre Cabinet d'histoire
naturelle. J'imagine qu'ils n'oublieront pas une collection complète de
serpens, qui m'a paru bien mériter la peine de faire le voyage. Je pense
qu'ils seront après-demain à Bologne, où ils auront aussi une abondante
récolte à faire.

J'ai vu, à Milan, le célèbre Oriani: la première fois qu'il vînt me
voir, il se trouva interdit, et ne pouvait pas répondre aux questions
que je lui faisais. Il revint enfin de son étonnement: «Pardonnez,
me dit-il, mais c'est la première fois que j'entre dans ces superbes
appartemens; mes yeux ne sont pas accoutumés....» Il ne se doutait
pas qu'il faisait, par ce peu de paroles, une critique bien amère du
gouvernement de l'archiduc. Je me suis empressé de lui faire payer ses
appointemens et de lui donner tous les encouragemens nécessaires.

Au premier courrier, je vous enverrai une copie des lettres que je lui
ai écrites, dès l'instant que j'ai reçu la recommandation que vous
m'avez envoyée pour lui.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 3 messidor an 4 (21 juin 1796).

_Bonaparte, général en chef, aux commissaires du gouvernement près
l'armée d'Italie._

Les mouvemens actuels d'une partie de l'armée de Wurmser sur la
frontière des Grisons, et les renforts que Beaulieu reçoit tous les
jours, ceux plus considérables encore qui sont en marche; l'opération
sur Livourne, que le gouvernement m'a ordonné d'entreprendre, et à
laquelle je n'ai vu aucun inconvénient militaire, comptant sur l'arrivée
de six mille hommes, que devait conduire le général Châteauneuf-Randon,
lesquels ont reçu contre-ordre et sont toujours à Nîmes; la garnison que
je serai obligé de laisser dans la place de Livourne; tout nous fait
une nécessité de faire venir, le plus promptement possible, deux
demi-brigades de l'armée des Alpes. Il serait possible d'en tirer une
des deux qui sont à Lyon, et une existante dans le département de la
Drôme. Il sera facile au général de l'armée des Alpes de remplacer
les deux demi-brigades par des colonnes mobiles, composées de garde
nationale sédentaire mise en réquisition, et je lui fais passer, à cet
effet, 150,000 liv. en numéraire, pour subvenir à leur solde.

Je vous requiers donc de prendre les mesures les plus efficaces et les
plus promptes pour que ces deux demi-brigades se rendent de suite à
Milan: le besoin que nous en avons est tellement pressant, que je crois
que l'on doit faire venir les plus près, et user de tous les moyens pour
activer leur marche et leur arrivée à Milan.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 4 messidor an 4 (22 juin 1796).

_Au citoyen Faypoult._

Je viens de recevoir votre courrier; je connais trop bien l'esprit du
perfide gouvernement génois, pour ne pas avoir prévu la réponse qu'il
aurait faite.

Je viens de recevoir, par un courrier extraordinaire du directoire,
la copie de la note que vous avez présentée lors de la prise de cinq
bâtimens.

Voilà donc deux sujets de plainte; tenez querelle ouverte sur l'un et
l'autre objet. Je vous charge spécialement de prendre les moyens les
plus efficaces pour que l'argent, les bijoux et autres objets précieux
appartenans à la république, et qui se trouvent à Gênes, soient bientôt
évacués de cette place.

Faites appeler chez vous le citoyen Suci, et envoyez-moi, par un
courrier extraordinaire, l'inventaire des effets, quels qu'ils soient,
qui se trouvent à Gênes.

Je vous prie de me tenir instruit, dans le plus grand détail, de ce qui
concerne notre position avec le sénat de Gênes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 4 messidor au 4 (22 juin 1796).

_A l'adjudant-général Leclerc._

Vous vous rendrez à Coire, capitale du pays des Grisons; vous y verrez
le citoyen Comeyras, ministre de la république; vous parcourrez le pays
jusqu'au débouché de Souabe; vous enverrez des espions prendre des
renseignemens sur la position et les mouvemens de l'ennemi, de l'autre
côté des montagnes. Vous m'instruirez de ce qui pourrait en mériter la
peine, par un courrier extraordinaire, que vous adresserez au général
Despinois à Milan.

Vous choisirez les positions que l'ennemi pourrait prendre pour
descendre des montagnes dans le Milanais, en supposant qu'il voulût le
tenter.

Vous resterez le temps nécessaire dans ce pays pour le parcourir, le
connaître et acquérir les connaissances sur l'esprit qui anime les
habitans.

BONAPARTE.



Bologne, le 4 messidor an 4 (22 juin 1796).

_Au général-chef des ligues grises._

Je vous adresse le citoyen Leclerc, adjudant-général, pour vous donner
une marque de l'amitié de la république française et du désir que j'ai
de vous être utile, comptant sur une parfaite réciprocité de votre part.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 5 messidor an 4 (23 juin 1796).

_Au ministre de la république à Venise._

Je vous prie, citoyen ministre, de mettre plus d'activité dans votre
correspondance secrète, et de pouvoir me faire passer tous les jours un
bulletin des forces et des mouvemens de l'ennemi. Vous devriez avoir des
espions à Trente, à Roveredo, à Inspruck, et avoir tous les jours des
bulletins de ces endroits: c'est ainsi que fait le citoyen Barthélémy à
Bâle, et qui, par là, rend des services majeurs à la république. Je
suis instruit, par une voie indirecte, que Venise arme, et vous ne
m'instruisez pas de quelle nature et de quelle force sont ces armemens.
Vous sentez combien il importe que je sois instruit à temps sur des
objets pareils.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 5 messidor an 4 (23 juin 1796).

_Au citoyen Miot, ministre à Florence._

Je vous envoie le citoyen Marmont, mon aide-de-camp, chef de bataillon,
pour remettre une lettre au grand-duc de Toscane; elle est sous cachet
volant, afin que vous puissiez en voir le contenu. Je désirerais que
vous le présentassiez à son Altesse Royale. Si vous voulez me parler,
écrivez ici avant demain matin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 8 messidor an 4 (26 juin 1796).

_Au citoyen Miot._

J'apprends à l'instant qu'en conséquence d'un ordre général qui a été
donné de ne rien laisser passer de ce qui se rendrait à Bologne, à
Florence, il pourrait se faire que M. Manfredini n'eût pas pu passer,
et qu'il fût encore à Bologne. Si cela était, je serais désespéré de
ce contre-temps. Je vous prie de faire mes excuses au grand-duc, et de
faire partir de suite un courrier pour Bologne avec l'ordre ci-joint.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Livourne, le 9 messidor an 4 (27 juin 1796).

Le général chef de l'état-major donnera sur-le-champ les ordres les plus
précis au chef de bataillon Hulin, commandant la place de Livourne, de
faire arrêter le gouverneur de la ville aussitôt qu'il sera informé que
la soixante-quinzième demi-brigade arrivera; que ce gouverneur soit mis
sous bonne garde dans une maison près du camp, pour le faire partir de
là pour Florence, dans une voiture qui sera escortée, lorsque le général
en chef aura déterminé l'heure du départ de cet officier, pour lequel on
aura d'ailleurs tous les égards convenables.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Livourne, le 11 messidor an 4 (29 juin 1796).

Le général Vaubois tiendra garnison à Livourne avec la
soixante-quinzième demi-brigade, une compagnie d'artillerie et un
escadron du premier régiment de hussards; il fera mettre les batteries
qui défendent l'entrée du port dans un bon état de défense, les fera
arranger de manière qu'il n'y ait que des pièces d'un ou de plus deux
calibres à chaque batterie; il fera monter des grils à boulets rouges,
et aura soin que les pièces soient approvisionnées à cent coups; il
choisira un fort de la ville, celui le plus dans le cas de se défendre,
et qui a des communications avec l'intérieur; il fera mettre ce fort en
état de défense; fera, à cet effet, les déplacemens d'artillerie qu'il
jugera nécessaires; établira un magasin où il y ait de quoi nourrir
deux mille hommes pendant quarante jours avec tous les accessoires pour
soutenir le siège.

Il n'épargnera aucun moyen pour maintenir Livourne dans une parfaite
tranquillité; il fera en sorte de s'attacher les troupes du grand-duc de
Toscane, sur lesquelles il aura toujours l'oeil; il se maintiendra en
bonne harmonie avec le gouverneur; il lui renverra toutes les affaires
de détail; lui montrera de grands égards, surtout en particulier; mais
conservera sur lui, surtout en public, une grande supériorité. S'il
y avait à Livourne des complots ou toute autre chose qui intéressât
l'existence des troupes françaises, il prendra alors toutes les mesures
nécessaires pour rétablir le calme et punir les malintentionnés. Il
n'épargnera ni les personnes, ni les propriétés, ni les maisons.

Dans toutes les affaires difficiles qui pourraient lui survenir, il
consultera le citoyen Miot, ministre de la république française à
Florence, qui sera à même de lui donner de bons renseignemens.

Il protégera le consul dans l'opération intéressante dont il est chargé:
se trouvant le premier agent de la république à Livourne, il surveillera
tous les intérêts de la république, et me rendra compte de tous les abus
qu'il ne dépendrait pas de lui de réprimer.

Il vivra d'une manière convenable; il aura souvent à sa table les
officiers du grand-duc et les consuls des puissances étrangères: il lui
sera accordé à cet effet des dépenses extra-ordinaires. Il nommera un
officier pour surveiller le port; il nommera un commandant de chaque
fort; il maintiendra les corsaires dans une sévère discipline, et
veillera à ce qu'ils respectent le pavillon neutre, et spécialement
le pavillon espagnol. Il se fera, tous les jours, rendre compte des
rapports des vigies; il me tiendra informé de tout ce qui se passe dans
le pays où il se trouve, et m'enverra le rapport de toutes les nouvelles
de Corse qui lui arriveront. Il écrira aux fiefs impériaux qui
environnent la ville, afin qu'ils reconnaissent la république, et il
me fera part du nombre de ces fiefs, et de leur population, de leur
richesse, et de l'esprit qui les anime. Il maintiendra une sévère
discipline vis-à-vis ses troupes; il tiendra la main à ce que tous les
soldats soient casernés, et que personne, depuis le général, jusqu'au
dernier employé, ne soit logé chez l'habitant. Il aura avec lui un
adjudant-général, un commissaire des guerres, un employé de chaque
partie de l'administration.

BONAPARTE.



Livourne, le 12 messidor an 4 (30 juin 1796). _Au consul de la
république à Livourne._


Le consul de la république à Livourne fera lever les scellés et dresser
les inventaires de tous les magasins appartenans à l'Angleterre et aux
négocians anglais, à l'empereur, à la czarine de Russie, et enfin aux
princes ou particuliers des états avec lesquels nous sommes en guerre.
Il fera faire toutes les démarches, et prendra toutes les mesures
nécessaires pour découvrir, faire restituer et saisir toutes les
marchandises qui auraient été mises en dépôt par les différens
particuliers chez des négocians livournais; il fera même solder à cet
effet tout ce qu'il croira nécessaire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 14 messidor an 4 (2 juillet 1796).

_Au directoire exécutif._

Dès l'instant, citoyens directeurs, que l'armée impériale fut battue
sur le Mincio, l'on vit avancer l'artillerie de siège, et, du 39 au
30 prairial, on ouvrit la tranchée devant le château de Milan. Le
9 messidor, nos batteries se dégagèrent à la fois, et, pendant
quarante-huit heures, obtinrent une telle supériorité de feu, que le
gouverneur battit la chamade, et capitula le 11 à trois heures du matin.

Nous avons trouvé dans ce fort cinq mille fusils, deux cent milliers de
poudre, cent cinquante bouches à feu, et des approvisionnemens assez
considérables. Le général Despinois a commandé ce siège. Il a reçu, le
jour de l'ouverture de la tranchée, le brevet de général de division
que vous lui avez envoyé [9]. Le citoyen Lekain, chef de bataillon, a
commandé le génie, et le citoyen Verrière, l'artillerie. Je suis bien
aise de saisir cette occasion pour témoigner la satisfaction que j'ai de
l'activité et du zèle du citoyen Chasseloup, chef de brigade, commandant
le génie de l'armée.

BONAPARTE.

[Footnote 9: Ce général Despinois est le même qui commandait Paris en
1816.]



Au quartier-général de Roveredo, le 17 messidor an 4 (5 juillet 1796).

Au directoire exécutif. Après le combat de Borghetto, citoyens
directeurs, les ennemis se sont retirés sur les hautes montagnes pour
nous défendre les issues du Tyrol; ils ont tiré des lignes, qu'ils ont
fortifiées avec beaucoup de soins, entre la tête du lac de Garda et
l'Adige. Masséna ordonna au général Joubert d'attaquer les ennemis par
la Bochetta de Campion. Le chef de bataillon Marchand se mit en marche,
tourna l'ennemi par la droite: ce fut le signal de l'attaque. Les armes
sur le bras et sans tirer un coup de fusil, nos soldats gravirent les
rochers escarpés, tuèrent cent hommes, firent deux cents prisonniers,
avec quatre cents tentes et tous les bagages. Pendant ce temps-là, le
chef de bataillon Recco, officier de la plus grande bravoure, tourna
l'ennemi par la gauche, s'empara de l'excellente position de Belone,
tua trois cents hommes, et fit soixante-dix prisonniers. L'ennemi a
abandonné des retranchemens que nous n'aurions pas construits en six
mois, tout a été culbuté; et un mois de fatigues, de peines, est perdu
en un instant.

Voilà le premier combat qui a eu lieu entre les deux armées, depuis que
le nouveau général la commande.

J'irai bientôt attaquer l'escadre autrichienne qui tient le lac de
Garda.

Voici les traits de bravoure qui ont honoré les républicains dans cette
affaire:

Claude Roche, carabinier de la deuxième compagnie de la onzième
demi-brigade d'infanterie légère, sauta le premier dans les
retranchemens ennemis, tua l'officier; et, sans s'arrêter à sa montre
qui paraissait, ni à ses dépouilles, il se saisit de son sabre nu, en
tua un Autrichien, et en fit trois prisonniers.

Jean Gerrin, de la même compagnie, tombe sur douze Autrichiens, les met
en joue: son fusil ratte, il se jette sur eux le sabre à la main, coupe
le bras au premier; les autres tombent à ses genoux et se rendent.

Ardionne, sous-lieutenant de la même compagnie, le même qui, avec une
vingtaine d'hommes, s'empara de la pièce de 13 à Borghetto, s'est
toujours présenté dans les retranchemens, à la tête des carabiniers,
auxquels son exemple fait affronter tous les dangers.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roveredo, le 17 messidor an 4 (5 juillet 1796).

_Au citoyen Faypoult, ministre de la république à Gênes._

Je préfère que les déserteurs allemands prennent plutôt du service dans
l'armée espagnole que dans l'armée vénitienne, c'est pourquoi je vous
prie de prévenir le recruteur espagnol que je l'autorise à se rendre à
Brescia, où je lui ferai passer tous les déserteurs allemands.

Je suis ici depuis hier. Le général Masséna a été chercher l'ennemi,
lui a tué quatre cents hommes, et lui a fait trois cent cinquante
prisonniers.

Je m'approcherai à mesure de vos murs.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roveredo, le 17 messidor an 4 (5 juillet 1796).

_A l'ordonnateur de la marine à Toulon,_

Il va partir de Bologne quatre-vingt voitures chargées de chanvre pour
Nice, où elles seront à votre disposition.

J'ai écrit au ministre de la marine, pour le prévenir qu'il pourrait
envoyer des commissaires à Rome pour toucher jusqu'à concurrence de
4,000,000 liv. numéraire.

Je serai toujours empressé de faire quelque chose qui puisse contribuer
à la restauration de notre marine, quoiqu'au fond il faille un ordre du
gouvernement.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Roveredo, le 18 messidor an 4 (6 juillet 1796).

_Au citoyen Carnot, membre du directoire exécutif._

Le général Berthier est furieux de la victoire imaginaire que les
gazetiers allemands font remporter à Beaulieu sur nous. Quant à moi, je
trouve que ces messieurs ont raison de chercher à se consoler par le
seul moyen qui leur reste: les rêves ont toujours été la consolation des
malheureux!

Toutes nos affaires diplomatiques en Italie, hormis Gênes et Venise,
sont terminées.

Venise, le moment n'est pas favorable; il faut auparavant prendre
Mantoue et bien battre Wurmser.

Quant à Gênes, le juste moment est arrivé. J'écris là-dessus longuement
au directoire: je suis de l'avis du citoyen Faypoult, qui est de chasser
du gouvernement une vingtaine de familles qui nous ont trahis dans tous
les temps, et de faire rappeler au contraire celles exilées qui ont
montré de l'amitié pour nous. Dès l'instant que je connaîtrai vos
intentions là-dessus, je me mettrai en devoir de les exécuter: en
attendant, je vais commencer les négociations pour les dix millions.

Tout va assez bien; l'ennemi se renforce; nous ne le chercherons pas,
à moins qu'il ne s'approche trop de l'Adige, et nous allons concentrer
tous nos moyens pour enlever Mantoue.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roveredo, le 18 messidor an 4 (6 juillet 1796).

_Le général en chef Bonaparte au directoire exécutif._

J'apprends à l'instant, citoyens directeurs, que la garnison de Mantoue
a fait une sortie; elle est rentrée plus vite qu'elle n'était sortie, en
laissant une cinquantaine de morts.

Je ferai ce soir une dernière reconnaissance pour fixer les dernières
opérations du siège; dans quatre ou cinq jours, la tranchée sera
ouverte.

Les divisions de l'armée qui sont sur les montagnes du Tyrol se portent
parfaitement bien. La division du général Serrurier, qui assiège
Mantoue, et qui est forte de sept mille hommes, commence à avoir
cinquante malades tous les jours. Il m'est impossible de tenir moins de
monde autour de Mantoue, où il y a au moins huit ou dix mille hommes
de garnison. Il y a un mois que je tiens cette place bloquée de cette
manière. L'ennemi, instruit probablement de la faiblesse des assiégeans,
a voulu souvent faire des sorties, et a été toujours battu.

Mais actuellement je suis obligé de renforcer cette division, puisque
l'ouverture de la tranchée va commencer. J'espère que nous aurons
bientôt la ville, sans quoi nous aurions bien des malades.

Wurmser commence à faire des mouvemens pour chercher à débloquer
Mantoue. J'attends avec quelque impatience les dix bataillons de l'armée
de l'Océan, que vous m'avez annoncés depuis long-temps, et dont je n'ai
pas encore eu de nouvelles.

Je ne m'occuperai des demandes à faire à Venise que lorsque l'affaire
de Gênes sera finie, Mantoue pris, et les affaires qui vont s'entamer
terminées.

On porte les renforts arrivés à l'ennemi à trente-un mille hommes, dont
dix mille Tyroliens; dix-huit mille, reste de l'armée de Beaulieu; huit
mille, garnison de Mantoue: en tout, soixante-sept mille hommes.

Voici la force de notre armée: Division de Masséna, treize mille hommes;
de Sauret, huit mille; d'Augereau, huit mille; Serrurier, sept mille;
Despinois, cinq mille; cavalerie, trois mille: en tout, quarante mille
hommes.

Vous voyez la grande supériorité qu'a sur nous l'ennemi.

Dans les quarante mille hommes dont il est question, les garnisons de
Livourne, de Milan, de Pavie, de Tortone, etc., ne sont pas comprises.

Je vous ai annoncé, dans ma dernière lettre, que j'avais demandé six
mille fusils à la république de Lucques: ils étaient déjà en chemin;
mais, n'étant pas de calibre, je les ai renvoyés.

J'ai fait séquestrer à Livourne tous les biens appartenans aux
Napolitains, vu que, par l'armistice, la suspension d'armes n'est censée
devoir commencer qu'au moment où la cavalerie napolitaine sera rendue
dans les positions qui lui sont indiquées. Je crois cependant que vous
pourrez ordonner la restitution des biens appartenans aux Napolitains,
par un article du traité de paix. J'ai ordonné que tous les inventaires
des effets appartenans aux Napolitains fussent faits devant leur consul.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roveredo, le 18 messidor an 4 (6 juillet 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai fait passer, citoyens directeurs, par mon dernier courrier,
la demande que j'avais faite au sénat de Gênes, pour qu'il chassât le
ministre de l'empereur, qui ne cessait de fomenter la rébellion dans les
fiefs impériaux, et de faire commettre des assassinats. Vous recevrez
la note que le secrétaire d'état a communiquée au citoyen Faypoult,
et qu'il m'a envoyée. Vous recevrez également une lettre du ministre
Faypoult, relativement aux affaires de Gênes; je vous prie de la prendre
en considération, et de me donner vos ordres là-dessus. Quant à moi,
je pense, comme le ministre Faypoult, qu'il faudrait chasser du
gouvernement de Gênes une vingtaine de familles qui, par la constitution
même du pays, n'ont pas le droit d'y être, vu qu'elles sont feudataires
de l'empereur ou du roi de Naples; obliger le sénat à rapporter le
décret qui bannit de Gênes huit ou dix familles nobles: ce sont celles
qui sont attachées à la France, et qui ont, il y a trois ans, empêché la
république de Gênes de se coaliser. Par ce moyen-là, le gouvernement de
Gênes se trouverait composé de nos amis, et nous pourrions d'autant plus
y compter, que les nouvelles familles bannies se retireraient chez les
coalisés, et dès-lors les nouveaux gouvernans de Gênes les craindraient,
comme nous craignons le retour des émigrés. Si vous approuvez ce
projet-là, vous n'avez qu'à m'en donner l'ordre, et je me charge des
moyens pour en assurer l'exécution.

J'attends la réponse à cette lettre dans la première décade de
thermidor.

BONAPARTE.



_Au quartier-général à Roveredo, le 18 messidor an 4 (6 juillet 1796)._

Le général en chef est instruit qu'il s'est commis des abus de toute
espèce, et que les bons habitans du duché de Mantoue sont foulés par des
réquisitions abusives: il ordonne en conséquence:

1°. Qu'il y aura trois assemblées dans le duché de Mantoue, composées
d'un député par commune, qui s'assembleront le 24 du mois.

La première assemblée se tiendra à Roverbello, et comprendra les députés
de tous les pays entre le Mincio, le Pô et les états de Venise.

La seconde assemblée se tiendra à Couraque, et comprendra les députés de
tous les pays compris au-delà du Pô.

La troisième se tiendra à Castiglione de Scrivia, et comprendra les
députés de tous les pays compris entre le Mincio, le Pô, le Bressan et
la Lombardie.

2°. Chaque député portera avec lui: 1° son acte de députation par sa
municipalité; 2° un cahier des plaintes que les habitans ont à porter
contre les différens individus de l'armée; 3° un état des contributions
en argent que le pays a fournies, et entre les mains de qui; 4° un état
des contributions en nature qui ont été fournies, et à qui données; 5°
un état de ce qui a été trouvé dans les caisses publiques; 6° un état
des impositions directes et indirectes, et ce qui est dû.

3°. Chaque assemblée sera présidée par le plus ancien d'âge; elle
s'assemblera dans un local qui sera désigné par les municipalités où
elles se réuniront.

4°. Chaque assemblée nommera trois députés pour se rendre avec tous les
cahiers de plaintes et les états ci-dessus annoncés, auprès du général
en chef. Immédiatement après, l'assemblée sera dissoute; elle ne pourra
durer plus de douze Heures.

5°. Le général en chef défend, sous les peines les plus sévères, aux
agens de services, aux commissaires des guerres, aux officiers, de faire
aucune réquisition, à moins qu'elle ne soit signée de l'ordonnateur en
chef.

BONAPARTE.



_Au quartier-général à Roveredo, le 19 messidor an 4 (7 juillet 1796)._

_À M. le provéditeur-général._

Je reçois plusieurs rapports des assassinats qui ont été commis par les
habitans du Pont de Saint-Marc contre les Français.

Je ne doute pas que vous n'y mettiez ordre le plus tôt possible, sans
quoi les villages se trouveront exposés au juste ressentiment de
l'armée, et je ferai sur eux un exemple terrible.

Je me flatte que vous ferez arrêter les coupables, et que vous
placerez de nouveaux détachemens dans cette ville pour assurer les
communications.

BONAPARTE.



_Au quartier-général à Vérone, le 20 messidor an 4 (8 juillet 1796)._

_À M. le provéditeur-général._

Il y a entre les troupes françaises et les Esclavons une animosité que
des malveillans se plaisent sans doute à cimenter. Il est indispensable,
monsieur, pour éviter de plus grands malheurs, aussi fâcheux que
contraires aux intérêts des deux républiques, que vous fassiez sortir,
demain, de Vérone, sous les prétextes les plus spécieux, les bataillons
d'Esclavons que vous avez dans cette ville.

BONAPARTE.



_Au quartier-général à Vérone, le 21 messidor an 4 (9 juillet 1796)._

_Au même._

Les circonstances actuelles de la guerre et la nécessité de défendre
Vérone, m'obligent, monsieur, à placer de l'artillerie sur les remparts
de cette ville. J'ai l'honneur de vous prévenir que j'ai donné, à cet
effet, des instructions au général d'artillerie.

BONAPARTE.



_Au quartier-général à Vérone, le 34 messidor an 4 (12 juillet 1796)._

_Au directoire exécutif._

Le général Sauret, avec trois mille hommes, défend depuis Salo, situé
sur le lac de Garda, jusqu'au lac d'Iseo.

Le général Masséna, avec douze mille hommes, défend depuis Torre jusqu'à
Rivalta sur l'Adige, et de là il défend le passage de l'Adige jusqu'à
San-Giovanni, trois milles plus bas que Vérone. La ville de Vérone a
été mise en état de défense, en se servant de l'artillerie trouvée dans
cette place.

Le général Despinois défend, avec cinq mille hommes, depuis San-Giovanni
jusqu'à Runco.

Le général Augereau, avec huit mille hommes, défend depuis Runco jusqu'à
Gastaniara; il y a des écluses par le moyen desquelles on peut inonder
tout le pays inférieur.

Le général Kilmaine, avec deux mille hommes de cavalerie et douze pièces
d'artillerie légère, est à Valeze, pour se porter partout où l'ennemi
voudrait tenter un passage.

Porto-Legnago, où il y a un pont sur l'Adige, est mis en état de
défense, en se servant de l'artillerie vénitienne trouvée dans cette
place.

Indépendamment des ponts que nous avons à Porto-Legnago et à Vérone, je
fais établir, vis-à-vis la Chiusa, un pont de bateaux, défendu par de
bonnes batteries de position.

Par le moyen de ces trois passages, l'armée passera rapidement, au
premier mouvement de l'ennemi, de la défensive à l'offensive.

L'ennemi a ses avant-postes à Alta, à Malsesena, et il pousse maintenant
des colonnes assez considérables derrière la Brenta; il a à peu près
huit mille hommes à Bassano.

Nous sommes, depuis plusieurs jours, en observation dans cette position.

Malheur à celui qui calculera mal!...

Quant à nous, nous sommes uniquement occupés au siège de Mantoue. Je
médite un coup hardi: les bateaux, les habits autrichiens, les batteries
incendiaires, tout sera prêt le 28. Les opérations ultérieures
dépendront entièrement de la réussite de ce coup de main, qui, comme
ceux de cette nature, dépend absolument du bonheur, d'un chien ou d'une
oie.

Cette position de choses m'a fait penser qu'il fallait différer de dix à
douze jours l'opération de Gênes, d'autant plus que j'aurai reçu réponse
d'une lettre que je vous ai écrite.

Vous trouverez, ci-joint, copie d'une lettre que j'ai en conséquence
écrite au ministre de la république, Faypoult. M. Cattaneo, que le sénat
de Gênes a envoyé près de moi, m'a joint ce matin, il a été, comme vous
pensez, extrêmement satisfait de ce que je lui ai dit. Les démarches que
fera Faypoult, et d'autres opérations accessoires, achèveront de nous
faire parvenir à notre but, qui est de gagner une quinzaine de jours, au
bout duquel temps notre situation en Italie sera tellement décidée, que
je suivrai, sans obstacle, de point en point, les ordres que vous me
donnerez sur Gênes et sur Venise.

Cette dernière république arme à force. Le citoyen Lallement ne
m'a point prévenu, comme il aurait dû le faire, de la nature et de
l'activité des armemens. Je vous fais passer copie de la note qu'il a
écrite au sénat, et de la réponse du sénat. Au reste, je suis maître
de toutes les places fortes de la république de Venise sur l'Adige.
Peut-être jugerez-vous à propos de commencer dès à présent une petite
querelle au ministre de Venise à Paris, pour que, après la prise de
Mantoue et que j'aurai chassé les Autrichiens de la Brenta, je puisse
trouver plus de facilité pour la demande que vous avez intention que je
leur fasse de quelques millions.

Nous commençons à avoir beaucoup de malades devant Mantoue; mais pas un
n'est encore mort. Les chaleurs sont excessives, et l'air de Mantoue
extrêmement pestilentiel.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 messidor an 4 (13 juillet 1796).

_Au citoyen Faypoult, ministre à Gênes._

Je n'ai pas encore vu M. Cattaneo, citoyen ministre: lorsque je le
verrai, il sera content de moi, et je n'oublierai rien de tout ce qui
peut l'endormir, et donner au sénat un peu plus de confiance.

Le temps de Gênes n'est pas encore venu, pour deux raisons:

1°. Parce que les Autrichiens se renforcent, et que bientôt j'aurai une
bataille. Vainqueur, j'aurai Mantoue, et alors une simple estafette à
Gênes vaudra la présence d'une armée;

2°. Les idées du directoire exécutif sur Gênes ne me paraissent pas
encore fixées.

Il m'a bien ordonné d'exiger la contribution; mais il ne m'a permis
aucune opération politique. Je lui ai expédié un courrier extraordinaire
avec votre lettre, et je lui ai demandé des ordres, que j'aurai à la
première décade du mois prochain. D'ici à ce temps-là, oubliez tous les
sujets de plainte que nous avons contre Gênes.

Faites-leur entendre que vous et moi nous ne nous en mêlons plus,
puisqu'ils ont envoyé M. Spinola à Paris. Faites-leur entendre que nous
sommes très-contens du choix, et que cela nous est garant de leurs
bonnes intentions. Dites-leur positivement que j'ai été très-satisfait
des mesures qu'ils ont prises relativement a M. Girola; enfin, n'oubliez
aucune circonstance pour faire renaître l'espérance dans le coeur du
sénat de Gênes, et l'endormir jusqu'au moment du réveil.

J'ai reçu toutes vos notes. Votre correspondance me devient extrêmement
intéressante.

Vous trouverez, ci-joint, une lettre que m'écrit M. Vincent Spinola.
Il me semble qu'il y a un territoire qui se trouve en discussion entre
Gênes et le Piémont. Donnez-moi, là-dessus, des explications. Faites-moi
savoir quel intérêt ils y mettent, et, sur la demande du sénat,
dites-leur qu'il serait possible qu'on les mît de suite en possession;
enfin, citoyen ministre, faites en sorte que nous gagnions quinze jours,
et que l'espoir renaisse, ainsi que la confiance entre vous et le
gouvernement génois, afin que, si nous étions battus, nous le trouvions
ami.

Faites passer promptement à Tortone tout ce qui se trouve chez M. Balbi.
L'intention du directoire est de réunir tout à Paris, pour faire une
grande opération de finance. J'y ferai passer trente millions.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 26 messidor an 4 (14 juillet 1796).

_Au directoire exécutif._

Toutes les troupes des divisions qui ont été employées à l'expédition de
Livourne et de Bologne ont repassé le Pô, j'ai seulement ordonné qu'on
laissât dans la citadelle de Ferrare quatre cents hommes.

La légation de Ferrare, par le traité, doit rester unie à la république
française.

Un moine, arrivé de Trente, a apporté la nouvelle dans la Romagne que
les Autrichiens avaient passé l'Adige, débloqué Mantoue, et marchaient
à grandes journées dans la Romagne. Des imprimés séditieux, des
prédicateurs fanatiques prêchèrent partout l'insurrection; ils
organisèrent en peu de jours ce qu'ils appelèrent l'armée catholique et
papale; ils établirent leur quartier-général à Lugo, gros bourg de la
légation de Ferrare, quoique enclavé dans la Romagne.

Le général Augereau donna ordre au chef de brigade Pouraillier d'aller
soumettre Lugo. Cet officier, à la tête d'un bataillon, arriva devant
cette bourgade, où le tocsin sonnait depuis plusieurs heures; il y
trouva quelques milliers de paysans. Un officier de grenadiers se porta
en avant en parlementaire: on lui fit signe d'avancer, et, un instant
après, il fut assailli d'une grêle de coups de fusil. Ces misérables,
aussi lâches que traîtres, se sauvèrent: quelques centaines sont restées
sur la place.

Depuis cet événement, qui a eu lieu le 18, tout est rentré dans l'ordre
et est parfaitement tranquille.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (31 juillet
1796).

_Au directoire exécutif._

J'ai à vous parler, citoyens directeurs, de notre position militaire,
administrative et politique à Livourne.

Les batteries contre la mer sont en bon état; nous avons réparé
une citadelle où la garnison peut se mettre à l'abri contre une
insurrection. Nous y avons deux mille huit cents hommes de garnison de
très-bonnes troupes, deux compagnies d'artillerie, et un bon officier de
génie. Si l'armée était obligée d'abandonner le nord de l'Italie, cette
garnison se retirerait par Massa et la rivière de Gênes. Le général
Vaubois, qui y commande, est un homme sage, ferme, et bon militaire.

Lors de notre entrée à Livourne, j'ai chargé le citoyen Belleville,
consul de la république dans cette place, de mettre les scellés sur tous
les magasins appartenans aux Anglais, Portugais, Russes, et à toutes les
autres puissances avec qui nous sommes en guerre, ainsi qu'aux négocians
de ces différentes nations. Je préviens le citoyen Belleville qu'il
serait personnellement responsable des dilapidations qui pourraient
avoir lieu. Cet homme est généralement estimé par sa probité. Après mon
départ, une nuée d'agioteurs génois sont venus pour s'emparer de toutes
ces richesses. Toutes les mesures que j'avais prises ont été dérangées,
et l'on a substitué à un seul responsable, des commissions, où tout le
monde dilapide en amusant son voisin. Vous trouverez ci-joint l'extrait
de deux lettres du général Vaubois: on se conduit d'une manière dure
envers les négocians livournais, on les traite avec plus de rigueur que
vous n'avez intention que l'on se conduise envers les négocians anglais
mêmes: cela alarme le commerce de toute l'Italie, et nous fait passer
à ses yeux pour des Vandales, et cela a entièrement indisposé les
négocians de la ville de Gênes; la masse du peuple de cette ville, qui
nous a toujours été favorable, est actuellement très-prononcée contre
nous.

Si notre conduite administrative à Livourne est détestable, notre
conduite politique envers la Toscane n'est pas meilleure. Je me
suis toujours gardé de faire aucune espèce de proclamation, et
j'ai expressément ordonné qu'on ne fît en apparence aucun acte de
gouvernement. La proclamation qui a été publiée vous prouvera combien
l'on fait peu de cas de ma manière de voir et des ordres que j'ai
donnés. La mesure de chasser les émigrés de Livourne et de vingt lieues
à la ronde, par une proclamation, est aussi inutile qu'impolitique. Il y
a très-peu d'émigrés dans Livourne, le grand-duc même a donné des ordres
pour les chasser. Il était bien plus simple d'en faire arrêter trois ou
quatre par les autorités même du pays: alors le peu qui reste se serait
bientôt sauvé. Cette proclamation, où l'on s'attribue une juridiction
sur vingt lieues de pays, est d'un très-mauvais effet, à moins que (ce
qui est extrêmement contraire à vos instructions), nous ne voulions
prendre le ton et la politique de l'ancienne Rome.

Les Anglais se sont emparés de Porto-Ferrajo. Maîtres de la mer comme
ils le sont, il était difficile de s'opposer à cette entreprise. Quand
nous serons maîtres de la Corse, ce qui ne doit pas tarder, il nous
deviendra possible de les chasser de cette île. Je vous envoie copie
de la lettre que m'a écrite le grand-duc de Toscane, de celle de notre
ministre à Florence, et la copie de la réponse.

Dans la position actuelle de l'Italie, il ne faut nous faire aucun
nouvel ennemi, et attendre la décision de la campagne pour prendre un
parti conforme aux vrais intérêts de la république. Vous sentirez sans
doute alors qu'il ne nous convient pas de laisser le duché de Toscane
au frère de l'empereur. Je désirerais que jusqu'alors l'on ne se permît
aucune menace, ni aucun propos à Livourne, contre la cour de Toscane.
Les moindres de mes paroles et de celles de vos commissaires sont épiées
et rapprochées avec une grande importance; mais l'on croit toujours être
ici dans les couloirs de la convention.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au directoire exécutif._

Le citoyen Comeyras, ministre de la république près les Grisons, s'est
rendu ces jours derniers au quartier-général: il aurait désiré qu'en
conséquence des capitulats qui existaient entre l'archiduc de Milan et
les ligues grises, j'eusse fait fournir du blé à ces dernières. Nous
avons même eu une petite discussion, parce qu'il prétendait que vous
aviez ordonné cette fourniture; mais, par la lecture de la lettre que le
ministre Lacroix m'a écrite, il a été convaincu que ce n'était qu'une
simple autorisation pour le faire si je le jugeais convenable. Je lui ai
dès-lors fait observer qu'il m'était impossible de fournir la quantité
de blé qu'il désirait, à moins que les ligues ne demandassent
l'exécution de cet article des capitulats; ce qui nous mettrait en
droit d'exiger le passage qui est accordé à l'archiduc de Milan, en
indemnisation de ladite fourniture.

Nous avons arrêté en conséquence qu'arrivé à Coire, il écrirait aux
chefs des ligues qu'il avait éprouvé quelques obstacles à obtenir
l'exécution de l'ordre du directoire pour la fourniture des blés, qui
ne pouvait avoir lieu qu'en me faisant connaître officiellement les
capitulats. Le commissaire Comeyras m'a demandé de l'argent pour payer
les pensions des Grisons; il croit qu'avec 60,000 francs notre parti
dans ce pays serait considérablement accru.

Si les circonstances de la guerre nous conduisaient dans le pays des
Grisons, ou si nous avions besoin d'y avoir une force pour s'opposer aux
incursions des ennemis, y aurait-il de l'inconvénient à faire un corps
de tous les Suisses qui ont été au service de France et qui sont
pensionnés: ce qui formerait un corps d'élite de 800 hommes, connaissant
parfaitement les chemins, et qui nous seraient d'un grand secours?

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au directoire exécutif._

Messieurs du sénat de Venise voulaient nous faire comme ils firent à
Charles VIII. Ils calculaient que comme lui nous nous enfoncerions dans
le fond de l'Italie, et nous attendaient probablement au retour.

Je me suis sur-le-champ emparé de la citadelle de Vérone, que j'ai armée
avec leurs canons, et en même temps j'ai envoyé un courrier au citoyen
Lallement, notre ministre à Venise, pour lui dire d'enjoindre au sénat
de cesser ses armemens. Vous avez vu les notes que je vous ai envoyées
là-dessus par mon dernier courrier, déjà l'armement a discontinué.

La république de Venise nous a déjà fourni 3,000,000 pour la nourriture
de l'armée; ce n'est pas elle qui fournit, mais un entrepreneur qu'elle
paye secrètement. J'en étais ainsi convenu avec le provéditeur-général,
en convenant cependant qu'un jour la république française paierait.

Cet entrepreneur est venu plusieurs fois me trouver pour avoir de
l'argent: je l'ai renvoyé avec des promesses, et ordre positif de
continuer à fournir: il a été trouver les commissaires du gouvernement,
qui lui ont donné une lettre de change de 300,000 liv. à prendre sur les
contributions du pape. De toutes les mesures, c'était la plus mauvaise;
aussi aujourd'hui ne veut-on plus fournir. Par cette lettre de change
de 300,000 liv., payables dans un temps où l'on sait qu'il nous revient
21,000,000, on a ôté tout espoir d'être payé, et en même temps l'on a
laissé sentir que, par l'importunité et en laissant manquer le service,
l'on tirerait de nous de l'argent; de sorte qu'aujourd'hui je suis
obligé de me fâcher contre le provéditeur, d'exagérer les assassinats
qui se commettent contre nos troupes, de me plaindre amèrement de
l'armement qu'on n'a pas fait du temps que les Impériaux étaient les
plus forts, et, par là, je les obligerai à nous fournir, pour m'apaiser,
tout ce qu'on voudra. Voilà comme il faut traiter avec ces gens-ci; ils
continueront à me fournir, moitié gré, moitié force, jusqu'à la prise de
Mantoue, et alors je leur déclarerai ouvertement qu'il faut qu'ils
me payent la contribution portée dans votre instruction, ce qui sera
facilement exécuté. Je crois qu'il serait utile que vous témoignassiez à
M. Quirini votre étonnement de l'armement des Vénitiens, qui était,
sans aucun doute, dirigé contre nous. Il n'y a pas de gouvernement plus
traître et plus lâche que celui-ci.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au citoyen Miot, ministre de la république à Florence._

J'ai reçu, citoyen ministre, vos différentes lettres relatives à
l'occupation de Porto-Ferrajo par les Anglais. Tant qu'il y avait
espoir de pouvoir résoudre le grand-duc à mettre cette place en état de
résister, vous avez bien fait de lui parler ferme; aujourd'hui je crois
comme vous que les menaces seraient impuissantes et inutiles. Je crois
qu'il faut qu'il n'en soit plus question, ne laisser transpirer aucune
marque de ressentiment, et attendre que les circonstances et les ordres
du gouvernement nous mettent à même d'agir, non pas de parler.

Je vous prie de surveiller ce qui se fait à Livourne, et de m'en donner
souvent des nouvelles. Si les circonstances s'opposent à ce que vous
vous rendiez de suite à Rome, faites-le moi savoir, afin que je prenne
d'autres mesures.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au citoyen Sapey._

Tous les Corses ont ordre de se rendre à Livourne, pour de là passer
dans l'île. Le général Gentili va s'y rendre lui-même. Préparez tous
les moyens possibles d'embarquement et de passage. J'ordonne au général
Vaubois de tenir huit milliers de poudre, quatre mille fusils de chasse,
mille paires de souliers et une certaine quantité de balles à votre
disposition, pour pouvoir en fournir aux insurgés de ce département.

Je vous autorise à prendre les mesures que vous me proposez par votre
lettre du 19 messidor. N'épargnez aucun moyen pour faire passer des
secours et avoir des nouvelles des départemens de Corse.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au citoyen Bonelli._

J'ai reçu votre lettre de Bocognano, en date du 23 juin. Je vous
félicite de votre arrivée en Corse. J'ai donné l'ordre à tous les
réfugiés de se préparer à partir pour se mettre à la tête des braves
patriotes de Corse, secouer le joug anglais, et reconquérir la liberté,
objet perpétuel des sollicitudes de nos compatriotes.

Quelle gloire pour eux, s'ils peuvent seuls chasser de la patrie ces
orgueilleux Anglais! Gloire et bonheur pour ceux qui se prononceront les
premiers! Je vous recommande de ne vous livrer à aucun esprit de parti;
que tout le passé soit oublié, hormis pour le petit nombre d'hommes
perfides qui ont égaré ce brave peuple.

Les armées de Sambre-et-Meuse et du Rhin sont dans le coeur de
l'Allemagne; tout sourit à la république. Faites en sorte de faire
parler bientôt de vous; embrassez nos bons amis, et assurez-les qu'avant
peu ils seront délivrés de la tyrannie qui les opprime.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_À l'ordonnateur en chef._

Vous mettrez 100,000 francs à la disposition du citoyen Sucy,
commissaire des guerres à Gênes, pour subvenir aux besoins des hôpitaux,
des transports d'artillerie et de l'équipage de siège qui est à Savone,
et à toutes les autres dépenses relatives aux troupes qui restent encore
dans la rivière de Gênes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au citoyen Garrau, commissaire du gouvernement._

La réquisition que vous avez faite, citoyen commissaire, au général
Vaubois, est contraire à l'instruction que m'a donnée le gouvernement.
Je vous prie de vous restreindre désormais dans les bornes des fonctions
qui vous sont prescrites par le gouvernement du directoire exécutif;
sans quoi, je me trouverais obligé de défendre, à l'ordre de l'armée,
d'obtempérer à vos réquisitions. Nous ne sommes tous que par la loi:
celui qui veut commander et usurper des fonctions qu'elle ne lui accorde
pas, n'est pas républicain.

Quand vous étiez représentant du peuple, vous aviez des pouvoirs
illimités, tout le monde se faisait un devoir de vous obéir: aujourd'hui
vous êtes commissaire du gouvernement, investi d'un très-grand
caractère; une instruction positive a réglé vos fonctions, tenez-vous y.
Je sais bien que vous répéterez le propos que je ferai comme Dumouriez:
il est clair qu'un général qui a la présomption de commander l'armée que
le gouvernement lui a confiée, et de donner des ordres sans un arrêté
des commissaires, ne peut être qu'un conspirateur.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet
1796).

_Au général Vaubois._

Je suis très-peu satisfait, général, de votre proclamation. Le
commissaire du gouvernement n'a pas le droit de vous requérir, et dans
la place importante que vous commandez, l'on est aussi coupable d'obéir
à ceux qui n'ont pas le droit de commander, que de désobéir à ses chefs
légitimes. Par l'esprit de l'instruction que je vous avais donnée, et
par tout ce que je vous avais dit de vive voix pendant mon séjour à
Livourne, il devait vous être facile de sentir que cette proclamation
n'aurait pas mon approbation.

Le citoyen Belleville a été uniquement chargé des opérations relatives
au séquestre des biens appartenans dans Livourne à nos ennemis. J'ai
appris avec étonnement le gaspillage et le désordre qui y existent.

Vous devez accorder au citoyen Belleville toute la force dont il peut
avoir besoin, et vous devez le revêtir et lui donner toute la confiance
nécessaire pour qu'il dénonce les abus, et fasse tourner au profit de la
république les marchandises que nous avons séquestrées à nos ennemis.

Pressez l'armement et l'équipement de la soixante-quinzième
demi-brigade, parce que, dès l'instant que ces braves gens seront
reposés, mon intention est de les rappeler a l'armée.

L'intention du gouvernement n'est pas qu'on fasse aucun tort aux
négocians livournais, ni aux sujets du grand-duc de Toscane. Tout en
cherchant les intérêts de la nation, on doit être généreux et juste.
J'ai été aussi affligé qu'étonné des vexations que l'on commet contre le
commerce de Livourne.

Vous voudrez bien me rendre un compte détaillé de tout ce qui a été fait
à ce sujet; vous aurez soin surtout de m'instruire par quelle autorité
le citoyen Lachaise a quitté son consulat de Gênes pour s'ingérer dans
les affaires de Livourne. Une grande quantité de réfugiés corses se
rendent à Livourne, pour de là passer dans cette île. Tenez quatre mille
fusils de chasse, un millier de paires de pistolets, six milliers de
poudre et des balles en proportion à la disposition du citoyen Sapey,
qui sera chargé de les faire passer aux patriotes insurgés de ce
département.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 3 thermidor an 4 (21 juillet
1796).

_À son éminence le cardinal secrétaire d'état à Rome._

J'ai l'honneur, monseigneur, d'envoyer auprès de Sa Sainteté le citoyen
Cacault, agent de la république française en Italie, pour qu'il puisse
s'occuper de l'exécution de l'armistice qui a été conclu entre la
république française et Sa Sainteté, sous la médiation de la cour
d'Espagne. Je vous prie de vouloir bien le reconnaître en cette qualité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 3 thermidor an 4 (21 juillet
1796).

_Au citoyen Cacault._

Vous voudrez bien, en conséquence d'une lettre adressée au cardinal
secrétaire d'état des affaires étrangères de Sa Sainteté, exiger un
ordre du pape pour le commandant d'Ancône, afin qu'il reçoive la
garnison que j'y enverrai.

Vous ferez partir les 5,000,000 qui doivent former le premier paiement;
savoir, 2,000,000 au quartier-général, dont reçu sera donné par le
payeur de l'armée, et le reste à Tortone. Il faudra que le premier
convoi se mette en marche de Rome vingt-quatre heures après votre
arrivée.

Les 500,000 qui doivent former le second paiement devront partir de Rome
peu de jours après les premiers, puisque, selon l'armistice, ils doivent
partir le 5 thermidor.

Les 5,500,000 liv. qui forment le dernier paiement, doivent partir de
Rome le 5 vendémiaire.

Les savans et artistes qui doivent faire le choix des tableaux,
manuscrits et statues, s'adresseront à vous, et vous leur donnerez la
protection nécessaire en faisant les démarches qu'il conviendra. S'il
était utile, pour les frais de transport, de donner des fonds aux
artistes, vous les feriez prendre sur les fonds provenant des
contributions du pape.

Sur 5,500,000 liv. que le pape doit nous fournir en dernier paiement,
4,000,000 sont destinés pour la marine. Le ministre de la marine doit
envoyer, à cet effet, des commissaires.

Vous préviendrez, en attendant, pour que l'on prépare des chanvres, des
bois et autres objets de construction de cette nature.

Les 1,500,000 liv. restant seront fournis en chevaux et draps pour
habiller les troupes. Vous demanderez en conséquence quatre cents
chevaux, taille de hussards; quatre cents, taille de dragons, et six
cents de charrois, qui seront transférés à Milan, où l'estimation en
sera faite entre le général Baurevoir, chargé des dépôts de l'armée,
et les experts envoyés par le pape; pour le reste, des draps bleus et
blancs pour habiller nos troupes.

Vous demanderez la liberté de tous les hommes qui sont arrêtés à Rome
pour leurs opinions, et notamment pour les personnes dénommées dans la
liste ci-jointe, ainsi que pour le citoyen Labrousse de Bordeaux.

En conséquence de la décision du directoire et de la commission,
arrêtée à Florence par M. d'Azara, le pape se trouve tenu de payer les
contributions qui avaient été imposées sur la légation de Ravenne,
montant à 1,200,000 francs en denrées et 1,200,000 francs en argent.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 4 thermidor an 4 (22 juillet
1796).

_Au directoire exécutif_.

Je vous ai instruit, citoyens directeurs, que j'ai fait passer en Corse
une vingtaine de réfugiés.

J'ai ordonné au général de division Gentili et aux généraux de Casalta
et Cervoni de se rendre à Livourne, d'où ils partiront pour se mettre
à la tête des insurgés. Le général Gentili qui se trouve avoir ce
commandement, est un homme sage, prudent, ayant l'estime des personnes
du pays et la confiance des montagnards.

J'ordonne à la gendarmerie du département de Corse, de cent
quatre-vingts hommes, tous du pays, de se rendre à Livourne, d'où je les
ferai également passer: cela joint à quatre mille fusils de chasse,
à six milliers de poudre, nous donnera tout l'intérieur du pays; dès
l'instant que tout cela sera organisé, j'y ferai passer une compagnie de
canonniers avec cinq à six pièces de montagnes, avec quoi il est facile
que l'on puisse s'emparer de Saint-Florent qui n'a aucune fortification
permanente. Ce port pris, les Anglais n'ont plus d'intérêt à tenir
les autres; d'ailleurs, les habitans d'Ajaccio et de Bastia sont
très-impatiens du joug anglais.

Je vous prie de vouloir bien me faire connaître si vous trouverez
de l'inconvénient à accorder une amnistie générale au peuple de ce
département, hormis aux principaux chefs.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 4 thermidor an 4 (22 juillet
1796).

_Au directoire exécutif._

La ville de Reggio se soulève contre le duc de Modène; des députés de
cette ville sont venus me demander protection et assistance: comme nous
avons conclu un armistice avec le duc de Modène, j'ai cru devoir les
exhorter à la tranquillité. Je ne vous rends compte de ceci que pour que
vous sachiez que les sujets du duc de Parme et de Modène sont très-peu
attachés à leur prince.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 4 thermidor an 4 (22 juillet 1796).

_Au citoyen Salicetti._

La fortune a paru nous être contraire un moment: il s'est passé tant
d'événemens depuis cinq ou six jours, et j'ai encore tant d'occupations,
qu'il m'est impossible de vous en faire une relation exacte; mais enfin,
grâce à la victoire de Lonado et aux mesures rigoureuses que j'ai
prises, les choses prendront une tournure satisfaisante. J'ai levé le
siège de Mantoue; je suis ici presque avec toute mon armée.

Je saisirai la première occasion de présenter bataille à l'ennemi: elle
décidera du sort de l'Italie; battu, je me retirerai de l'Adda; battant,
je ne m'arrêterai pas aux marais de Mantoue. Louis[10] vous dira de
bouche les détails de nos deux victoires de Lonado et de Salo.

Louis vous parlera de ma force actuelle et de celle des ennemis. Écrivez
au général Kellermann de me faire passer à doubles journées toutes les
troupes disponibles; assurez-vous que les châteaux de Milan, Tortone,
Alexandrie et Pavie sont approvisionnés. Nous sommes ici extrêmement
fatigués; cinq de mes chevaux sont crevés de fatigue. Je ne puis écrire
au directoire, je vous charge de lui annoncer en peu de mots ce que je
vous marque et ce que Louis vous dira de bouche.

BONAPARTE.

[Footnote 10: Louis Bonaparte, son frère.]



Au quartier-général de Brescia, le 15 thermidor an 4 (2 août 1796).

_Au directoire exécutif._

Nous avons essuyé des revers, citoyens directeurs, mais déjà la victoire
commence à revenir sous nos drapeaux. Si l'ennemi nous a surpris le
poste de Salo et a eu le bonheur de nous enlever celui de la Corona,
nous venons de le battre à Lonado, et de lui reprendre Salo. Je vous
envoie un de mes aides-de-camp, qui pourra vous donner de bouche des
renseignemens plus détaillés. Je vous enverrai demain une relation de
tout ce qui s'est passé pendant ces six jours.

Vous pouvez compter sur le courage et la confiance de la brave armée
d'Italie, et sur notre ferme résolution de vaincre. C'est dans cette
circonstance difficile et critique que j'ai eu lieu d'admirer le courage
et l'entier dévouement de l'armée à la gloire nationale.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 16 thermidor an 4 (3 août 1796).

_Au général Guillaume._

Vous devez avoir été témoin des batailles données à l'ennemi aujourd'hui
et ces jours derniers: nous lui avons pris 20,000 hommes, et tué un
grand nombre. L'armée ennemie est en pleine déroute, et demain ou
après nous serons dans vos murs. En attendant, quelles que soient les
circonstances, ne vous rendez qu'à la dernière extrémité. La brèche
faite, montrez la plus grande fermeté.

Salut, estime et gloire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Castiglione, le 19 thermidor an 4 (6 août 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Les événemens militaires se sont succédés avec une telle rapidité depuis
le 11, qu'il m'a été impossible de vous en rendre compte plus tôt.

Depuis plusieurs jours, les vingt mille hommes de renfort que l'armée
autrichienne du Rhin avait envoyés à l'armée d'Italie étaient arrivés;
ce qui, joint à un nombre considérable de recrues et à un grand nombre
de bataillons venus de l'intérieur de l'Autriche, rendait cette armée
extrêmement redoutable: l'opinion générale était que bientôt les
Autrichiens seraient dans Milan.

Le 11, à trois heures du matin, la division du général Masséna
est attaquée par des forces nombreuses; elle est obligée de céder
l'intéressant poste de la Corona, au même instant une division de quinze
mille Autrichiens surprend la division du général Soret à Salo, et
s'empare de ce poste important.

Le général de brigade Guieux, avec six cents hommes de la quinzième
demi-brigade d'infanterie légère, se renferme dans une grande maison de
Salo, et là brave tous les efforts de l'ennemi qui le cernait de tous
côtés. Le général de brigade Rusca a été blessé.

Tandis qu'une partie de cette division cernait le général Guieux à Salo,
une autre partie descendit sur Brescia, surprit les factionnaires
qui s'y trouvaient, fit prisonnières quatre compagnies que j'y avais
laissées, quatre-vingts hommes du vingt-cinquième régiment de chasseurs,
deux généraux et quelques officiers supérieurs qui étaient restés
malades.

La division du général Soret, qui aurait dû couvrir Brescia, fit sa
retraite sur Dezenzano. Dans cette circonstance difficile, percé par une
armée nombreuse que ces avantages devaient nécessairement enhardir, je
sentis qu'il fallait adopter un plan vaste.

L'ennemi, en descendant du Tyrol par Brescia et l'Adige, me mettait au
milieu. Si l'armée républicaine était trop faible pour faire face aux
divisions de l'ennemi, elle pouvait battre chacune d'elles séparément,
et par ma position je me trouvais entre elles. Il m'était donc possible,
en rétrogradant rapidement, d'envelopper la division ennemie descendue
de Brescia, la prendre prisonnière et la battre complètement, et de là
revenir sur le Mincio attaquer Wurmser et l'obliger à repasser dans le
Tyrol; mais pour exécuter ce projet, il fallait dans vingt-quatre heures
lever le siège de Mantoue, qui était sur le point d'être pris, car il
n'y avait pas moyen de retarder six heures. Il fallait, pour l'exécution
de ce projet, repasser sur-le-champ le Mincio, et ne pas donner le temps
aux divisions ennemies de m'envelopper. La fortune a souri à ce projet,
et le combat de Dezenzano, les deux combats de Salo, la bataille de
Lonado, celle de Castiglione en sont les résultats.

Le 12 au soir, toutes les divisions se mirent en marche sur Brescia;
cependant la division autrichienne qui s'était emparée de Brescia était
déjà arrivée à Lonado.

Le 13, j'ordonnai au général Soret de se rendre à Salo pour délivrer le
général Guieux, et au général Dallemagne, d'attaquer et de reprendre
Lonado, à quelque prix que ce fût. Soret réussit complètement à délivrer
le général Guieux, à Salo, après avoir battu l'ennemi, lui avoir pris
deux drapeaux, deux pièces de canon et deux cents prisonniers.

Le général Guieux et les troupes sous ses ordres sont restés
quarante-huit heures sans pain et se battant toujours contre les
ennemis.

Le général Dallemagne n'eut pas le temps d'attaquer les ennemis, il fut
attaqué lui-même. Un combat opiniâtre, longtemps indécis, s'engagea;
mais j'étais tranquille, la brave trente-deuxième demi-brigade était là.
En effet, l'ennemi fut complètement battu; il laissa six cents morts sur
le champ de bataille et six cents prisonniers.

Le 14 à midi, Augereau entra dans Brescia: nous y trouvâmes tous nos
magasins, que l'ennemi n'avait pas encore eu le temps de prendre, et
les malades qu'il n'avait pas eu le temps d'évacuer.

Le 15, la division du général Augereau retourna à Monte-Chiaro,
Masséna prit position à Lonado et à Ponte-San-Marco. J'avais laissé à
Castiglione le général Valette avec dix-huit cents hommes; il devait
défendre cette position importante, et par là tenir toujours la division
du général Wurmser loin de moi. Cependant le 15 au soir, le général
Valette abandonna ce village avec la moitié de ses troupes, et vint à
Monte-Chiaro porter l'alarme, en annonçant que le reste de sa troupe
était prisonnière; mais abandonnés de leur général, ces braves gens
trouvèrent des ressources dans leur courage, et opérèrent leur retraite
sur Ponte-San-Marco. J'ai sur-le-champ, et devant sa troupe, suspendu de
ses fonctions ce général, qui déjà avait montré très-peu de courage à
l'attaque de la Corona.

Le général Soret avait abandonné Salo; j'ordonnai au brave général
Guieux d'aller reprendre ce poste essentiel.

Le 16, à la pointe du jour, nous nous trouvâmes en présence: le général
Guieux, qui était à notre gauche, devait attaquer Salo; le général
Masséna était au centre et devait attaquer Lonado; le général Augereau,
qui était à la droite, devait attaquer par Castiglione. L'ennemi, au
lieu d'être attaqué, attaqua l'avant-garde de Masséna, qui était à
Lonado; déjà elle était enveloppée, et le général Pigeon prisonnier:
l'ennemi nous avait enlevé trois pièces d'artillerie à cheval. Je fis
aussitôt former la dix-huitième demi-brigade et la trente-deuxième en
colonne serrée, par bataillon; et pendant le temps qu'au pas de charge,
nous cherchions à percer l'ennemi, celui-ci s'étendait davantage pour
chercher à nous envelopper: sa manoeuvre me parut un sûr garant de la
victoire. Masséna envoya seulement quelques tirailleurs sur les ailes
des ennemis, pour retarder leur marche; la première colonne arrivée à
Lonado força les ennemis. Le quinzième régiment de dragons chargea les
houlans et reprit nos pièces.

Dans un instant l'ennemi se trouva éparpillé et disséminé. Il voulait
opérer sa retraite sur le Mincio; j'ordonnai à mon aide-de-camp, chef de
brigade, Junot, de se mettre à la tête de ma compagnie des guides,
de poursuivre l'ennemi, de le gagner de vitesse à Dezenzano, et de
l'obliger par là de se retirer sur Salo. Arrivé à Dezenzano, il
rencontra le colonel Bender avec une partie de son régiment de houlans,
qu'il chargea; mais Junot ne voulant pas s'amuser à charger la queue,
fit un détour par la droite, prit en front le régiment, blessa le
colonel qu'il voulait prendre prisonnier, lorsqu'il fut lui-même
entouré; et après en avoir tué six de sa propre main, il fut culbuté,
renversé dans un fossé, et blessé de six coups de sabre, dont on me fait
espérer qu'aucun ne sera mortel.

L'ennemi opérait sa retraite sur Salo: Salo se trouvant à nous, cette
division errante dans les montagnes a été presque toute prisonnière.
Pendant ce temps Augereau marchait sur Castiglione, s'emparait de ce
village; toute la journée il livra et soutint des combats opiniâtres
contre des forces doubles des siennes: artillerie, infanterie,
cavalerie, tout a fait parfaitement son devoir; et l'ennemi, dans cette
journée mémorable, a été complètement battu de tous les côtés.

Il a perdu dans cette journée vingt pièces de canon, deux à trois mille
hommes tués ou blessés et quatre mille prisonniers, parmi lesquels trois
généraux.

Nous avons perdu le général Beyrand. Cette perte, très-sensible à
l'armée, l'a été plus particulièrement pour moi: je faisais le plus
grand cas des qualités guerrières et morales de ce brave homme.

Le chef de la quatrième demi-brigade, Pouraillier; le chef de brigade
du premier régiment d'hussards, Bourgon; le chef de brigade du
vingt-deuxième régiment de chasseurs, Marmet, ont également été tués.

La quatrième demi-brigade, à la tête de laquelle a chargé
l'adjudant-général Verdier, s'est comblée de gloire.

Le général Dommartin, commandant l'artillerie, a montré autant de
courage que de talent.

Le 17, j'avais ordonné au général Despinois de pénétrer dans le Tyrol
par le chemin de Chieso, il devait auparavant culbuter cinq à six mille
ennemis qui se trouvaient à Gavardo. L'adjudant-général Herbin eut de
grands succès, culbuta les ennemis, en fit un grand nombre prisonniers;
mais n'ayant pas été soutenu par le reste de la division, il fut
entouré, et ne put opérer sa retraite qu'en se faisant jour au des
ennemis.

J'envoyai le général Saint-Hilaire à Salo pour se concerter avec le
général Guieux, et attaquer la colonne ennemie qui était à Gavardo, pour
avoir le chemin du Tyrol libre. Après une fusillade assez vive, nous
défîmes les ennemis, et nous leur fîmes dix-huit cents prisonniers.

Pendant toute la journée du 17, Wurmser s'occupa à rassembler les débris
de son armée, à faire arriver sa réserve, à tirer de Mantoue tout ce
qui était possible, à les ranger en bataille dans la plaine, entre le
village de Scanello, où il appuya sa droite, et la Chiesa, où il appuya
sa gauche.

Le sort de l'Italie n'était pas encore décidé. Il réunit un corps de
vingt-cinq mille hommes, une cavalerie nombreuse, et sentit pouvoir
encore balancer le destin. De mon côté, je donnai des ordres pour réunir
toutes les colonnes de l'armée.

Je me rendis moi-même à Lonado, pour voir les troupes que je pouvais en
tirer; mais quelle fut ma surprise, en entrant dans cette place, d'y
recevoir un parlementaire, qui sommait le commandant de Lonado de
se rendre, parce que, disait-il, il était cerné de tous côtés.
Effectivement, les différentes vedettes de cavalerie m'annonçaient que
plusieurs colonnes touchaient nos grand'gardes; et que déjà la route de
Brescia à Lonado était interceptée au pont San-Marco. Je sentis alors
que ce ne pouvait être que les débris de la division coupée qui, après
avoir erré et s'être réunis, cherchaient à se faire passage.

La circonstance était assez embarrassante: je n'avais à Lonado qu'à
peu près douze cents hommes; je fis venir le parlementaire, je lui fis
débander les yeux; je lui dis que si son général avait la présomption de
prendre le général en chef de l'armée d'Italie, il n'avait qu'à avancer;
qu'il devait savoir que j'étais à Lonado, puisque tout le monde savait
que l'armée républicaine y était; que tous les officiers-généraux et
officiers supérieurs de la division seraient responsables de l'insulte
personnelle qu'il m'avait faite: je lui déclarai que si sous huit
minutes, toute sa division n'avait pas posé les armes, je ne ferais
grâce à aucun.

Le parlementaire parut fort étonné de me voir là, et un instant après
toute cette colonne posa les armes. Elle était forte de quatre mille
hommes, deux pièces de canon, et cinquante hommes de cavalerie; elle
venait de Gavardo, et cherchait une issue pour se sauver: n'ayant pas pu
se faire jour le matin par Salo, elle cherchait à le faire par Lonado.

Le 18, à la pointe du jour, nous nous trouvâmes en présence; cependant
il était six heures du matin et rien ne bougeait encore. Je fis faire un
mouvement rétrograde à toute l'armée pour attirer l'ennemi à nous, du
temps que le général Serrurier, que j'attendais à chaque instant,
venait de Marcario, et dès-lors tournait toute la gauche de Wurmser.
Ce mouvement eut en partie l'effet qu'on en attendait. Wurmser se
prolongeait sur sa droite pour observer nos derrières.

Dès l'instant que nous aperçûmes la division du général Serrurier,
commandée par le général Fiorella, qui attaquait la gauche, j'ordonnai à
l'adjudant-général Verdière d'attaquer une redoute qu'avaient faite
les ennemis dans le milieu de la plaine pour soutenir leur gauche. Je
chargeai mon aide-de-camp, chef de bataillon, Marmont, de diriger vingt
pièces d'artillerie légère, et d'obliger par ce seul feu l'ennemi à nous
abandonner ce poste intéressant. Après une vive canonnade, la gauche de
l'ennemi se mit en pleine retraite.

Augereau attaqua le centre de l'ennemi, appuyé à la tour de Solférino;
Masséna attaqua la droite, l'adjudant-général Leclerc, à la tête de la
cinquième demi-brigade, marcha au secours de la quatrième demi-brigade.

Toute la cavalerie aux ordres du général Beaumont marcha sur la droite,
pour soutenir l'artillerie légère et l'infanterie. Nous fûmes partout
victorieux, partout nous obtînmes les succès les plus complets.

Nous avons pris à l'ennemi dix-huit pièces de canon, cent vingt
caissons de munitions. Sa perte va à deux mille hommes, tant tués que
prisonniers. Il a été dans une déroute complète; mais nos troupes,
harassées de fatigue, n'ont pu les poursuivre que l'espace de trois
lieues. L'adjudant-général Frontin a été tué: ce brave homme est mort en
face de l'ennemi.

Voilà donc en cinq jours une autre campagne finie. Wurmser a perdu
dans ces cinq jours soixante-dix pièces de canon de campagne, tous ses
caissons d'infanterie, douze à quinze mille prisonniers, six mille
hommes tués ou blessés, et presque toutes les troupes venant du Rhin.
Indépendamment de cela, une grande partie est encore éparpillée, et nous
les ramassons en poursuivant l'ennemi. Tous les officiers, soldats
et généraux ont déployé dans cette circonstance difficile un grand
caractère de bravoure. Je vous demande le grade de général de brigade
pour les adjudans Verdier et Vignolles: le premier a contribué aux
succès d'une manière distinguée; le second, qui est le plus ancien
adjudant-général de toute l'armée, joint à un courage sûr des talens et
une activité rares. Je vous demande le grade de chef de bataillon pour
l'adjoint Ballet, celui de général de division pour le général de
brigade Dallemagne; celui de chef de brigade d'artillerie pour le
citoyen Songis, chef de bataillon.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 21 thermidor an 4 (8 août 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs, le 19 au matin l'ennemi tenait la ligne du Mincio,
sa droite appuyée à son camp retranché à Peschiera, sa gauche à Mantoue,
et son centre à Valeggio. Augereau se posta à Borghetto, et engagea une
vive canonnade avec l'ennemi. Pendant ce temps-là, Masséna se porta à
Peschiera, attaqua l'ennemi dans le camp retranché qu'il avait fait
devant cette place, le mit en déroute, lui prit douze pièces de canon,
et lui fit sept cents prisonniers.

Le résultat de ce combat a été d'obliger l'ennemi à lever le siège de
Peschiera, et à quitter la ligne du Mincio.

Dans la journée du 20, Augereau passa le Mincio à Peschiera. La division
du général Serrurier se porta sur Vérone, où elle arriva à dix heures du
soir, dans le temps que la division du général Masséna avait repris ses
anciennes positions, fait quatre cents prisonniers, pris sept pièces
de canon. L'arrière-garde ennemie était encore dans Verone; les portes
étaient fermées et les ponts-levis levés. Le provéditeur de Venise,
sommé de les ouvrir, déclara qu'il ne le pouvait pas de deux heures.
J'ordonnai aussitôt qu'on les ouvrît à coups de canon, ce que le général
Dommartin fit exécuter sur-le-champ, et en moins d'un quart d'heure.
Nous y avons trouvé différens bagages et fait quelques centaines de
prisonniers.

Nous voilà donc retournés dans nos anciennes positions: l'ennemi fuit
au loin dans le Tyrol; les secours que vous m'avez annoncés venant des
côtes de l'Océan commencent à arriver, et tout est ici dans la situation
la plus satisfaisante.

L'armée autrichienne, qui depuis six semaines menaçait d'invasion en
Italie, a disparu comme un songe, et l'Italie qu'elle menaçait est
aujourd'hui tranquille.

Les peuples de Bologne, de Ferrare, mais surtout celui de Milan, ont,
pendant notre retraite, montré le plus grand courage et le plus grand
attachement à la liberté. À Milan, tandis que l'on disait que les
ennemis étaient à Cassano, et que nous étions en déroute, le peuple
demandait des armes, et l'on entendait dans les rues, sur les places,
dans les spectacles, l'air martial: «Allons, enfans de la patrie.»

Le général Victor, à la tête de la dix-huitième demi-brigade, a montré
la plus grande bravoure au combat de Peschiera.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 22 thermidor an 4 (9 août 1796).

_À la municipalité de Milan._

Lorsque l'armée battait en retraite, que les partisans de l'Autriche et
les ennemis de la liberté la croyaient perdue sans ressource; lorsqu'il
était impossible à vous-mêmes de soupçonner que cette retraite n'était
qu'une ruse, vous avez montré de l'attachement pour la France, de
l'amour pour la liberté; vous avez déployé un zèle et un caractère qui
vous ont mérité l'estime de l'armée, et vous mériteront celle de la
république française.

Chaque jour votre peuple se rend davantage digne de la liberté; il
acquiert chaque jour de l'énergie: il paraîtra sans doute un jour avec
gloire sur la scène du monde. Recevez le témoignage de ma satisfaction,
et du voeu sincère que fait le peuple français pour vous voir libres et
heureux.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 24 thermidor an 4 (11 août 1796).

_Au citoyen Miot._

J'ai reçu vos différentes lettres, mon cher ministre; vous recevrez
plusieurs exemplaires de la relation que vous désirez. On dit l'empereur
sur le point de mourir: cherchez à voir quelqu'un qui puisse vous
instruire du moment où cela pourrait arriver.

Vous sentez combien cela est important, et combien il est essentiel que
je sois instruit du moment où le grand-duc se mettra en chemin pour
Vienne.

Faites passer par un courrier les pièces que j'adresse au général
Vaubois et au citoyen Cacault. Instruisez-moi avec votre exactitude
ordinaire. L'intérêt du gouvernement est que l'on ne fasse rien dans
la Toscane qui puisse indisposer le grand-duc, maintenez donc la
neutralité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 25 thermidor an 4 (12 août 1796).

_À M. le chevalier d'Azara, à Rome._

J'ai reçu, monsieur, plusieurs lettres de vous, auxquelles les
circonstances et mes occupations ne m'ont pas permis de répondre aussi
promptement que j'aurais voulu.

Cacault vous remettra les deux pièces authentiques que vous m'avez
envoyées, avec une lettre de la municipalité de Ferrare: vous y verrez
que c'est une affaire arrangée.

On m'assure que la cour de Rome vous a demandé de lui prouver que la
France était érigée en république. On m'assure qu'à Rome on ne veut plus
accorder de bénédictions aux Ferrarais et aux Bolonais, mais bien à
ceux de Lugo. Joignez à cela le légat envoyé à Ferrare et le retard de
l'exécution de l'armistice, et le roi votre maître se convaincra de la
mauvaise foi d'un gouvernement dont l'imbécillité égale la faiblesse.

M. Capelletti se conduit fort mal à Bologne: c'est à vous, monsieur, à
y mettre ordre; je serais fâché de le chasser de la ville. Aussi bien,
j'ignore ce qu'il est, ce qu'il fait, et ce qu'il prétend.

S.A.R. l'archiduc de Parme s'est conduit envers l'armée française avec
la plus grande franchise et les sentimens d'amitié les plus sincères.

Je vous prie, monsieur, de croire aux sentimens, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 25 thermidor an 4 (12 août 1796).

_Au citoyen Cacault, à Rome._

Le pape a envoyé un cardinal légat à Ferrare, dans le temps qu'il
croyait sans doute les Français perdus. Cela est-il conforme au traité
d'armistice que nous avons signé? Les bourgeois de Ferrare ont refusé
de le recevoir. Je viens de donner l'ordre à ce cardinal de se rendre
sur-le-champ au quartier-général.

Vous recevrez une lettre de la municipalité de Ferrare qui paraît être
d'accord avec M. d'Azara; c'est donc une affaire finie. Je vous envoie
en conséquence les deux pièces authentiques que le ministre m'avait
envoyées.

Le premier convoi d'argent n'est pas encore arrivé: tout va bien
lentement. Il paraît qu'il y a beaucoup de mauvaise foi. Surveillez, et
instruisez-moi; envoyez des hommes affidés pour savoir ce qui se fait à
Naples et ce qui s'y est fait pendant nos opérations militaires. Je vous
enverrai des relations et des adresses qui vous feront plaisir, et vous
mettront au fait de ce qui s'est passé.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 25 thermidor an 4 (12 août 1796).

_À S.A.R. le grand-duc de Toscane._

J'ai reçu la lettre dont V.A.R. m'a honoré, en date du 13 juillet. Elle
ne m'est arrivée que fort tard, ce qui, joint aux nombreux événemens qui
viennent de se passer, a mis quelque retard dans ma réponse.

Le gouvernement a appris, avec la plus grande douleur, l'occupation de
Porto-Ferrajo par les Anglais. Il aurait été si facile à votre altesse
de défendre cette place; il lui aurait été si avantageux de se conserver
la possession de cette partie essentielle de ses états, qu'on est obligé
de penser que la trahison de votre gouverneur, pareille à celle de
Spannochi, est la cause de cet événement aussi désagréable pour la
France que pour vos sujets.

Le directoire exécutif serait autorisé, sans doute, à s'emparer,
par représailles, des états de votre altesse royale qui sont sur le
continent; mais, fidèle aux sentimens de modération, le gouvernement
français ne changera en rien et n'altérera d'aucune manière la
neutralité et la bonne harmonie qui règnent entre lui et votre altesse
royale.

Je suis avec les sentimens d'estime, etc., de votre altesse royale le
très, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (12 août 1796).

_Au sénat de Bologne_.

J'apprends, messieurs, que les ex-jésuites, les prêtres et les religieux
troublent la tranquillité publique.

Faites-leur connaître que dans le même temps que la république française
protège la religion et ses ministres, elle est inexorable envers ceux
qui, oubliant leur état, se mêlent des affaires publiques ou civiles.
Prévenez les chefs des différentes religions que la première plainte
qui me sera portée contre les religieux, j'en rendrai tout le couvent
responsable, je les chasserai de la ville, et je confisquerai leurs
biens au profit des pauvres.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).

_Bonaparte, général en chef, au directoire exécutif_.

L'ennemi, après sa retraite, occupait en force la Corona et Monte-Baldo;
il paraissait vouloir s'y soutenir. Masséna y a marché le 24 thermidor,
s'est emparé de Monte-Baldo, de la Corona, de Preaboco, a pris sept
pièces de canon et fait quatre cents prisonniers. Il se loue beaucoup de
la trente-huitième demi-brigade d'infanterie légère, de son aide-de-camp
Rey, et de son adjudant-général Chabran.

Le 25, j'ai ordonné au général Sauret et au général de brigade
Saint-Hilaire de se rendre à la Rocca d'Anfo, où l'ennemi paraissait
vouloir tenir. Cette opération a réussi; nous avons forcé la Rocca
d'Anfo, rencontré l'ennemi à Lodrone: après un léger combat, nous avons
pris ses bagages, six pièces de canon et onze cents prisonniers.

Augereau a passé l'Adige, a poussé l'ennemi sur Roveredo, et a fait
quelques centaines de prisonniers. L'ennemi a dans Mantoue quatre mille
malades; dans ce mois, les environs de cette place sont pestilentiels,
et je me borne à y placer des camps d'observation qui tiennent la
garnison dans les limites.

Si une division de l'armée du Rhin peut venir prendre position à
Inspruck et jeter l'ennemi sur la droite, je me porterai à Trieste, je
ferai sauter son port et saccager la ville.

Si l'armée de Sambre-et-Meuse arrive au Danube, que celle du Rhin puisse
être en forces à Inspruck, je marcherai sur Vienne par le chemin
de Trieste, et alors nous aurons le temps de retirer les immenses
ressources que contient cette place.

Le premier projet peut s'exécuter de suite; pour le second, il faudrait
une bonne bataille qui éparpillât le prince Charles, comme j'ai
éparpillé Wurmser, et de suite marcher tous sur Vienne.

La chaleur est excessive. J'ai quinze mille malades, peu, très-peu de
mortalités.

J'attends les secours que vous m'annoncez; il n'est encore arrivé que
très-peu de choses.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).

_Du même au directoire exécutif._

J'ai reçu avec reconnaissance, citoyens directeurs, le nouveau
témoignage d'estime que vous m'avez donné par votre lettre du 13
thermidor. Je ne sais pas ce que MM. les journalistes veulent de moi:
ils m'ont attaqué dans le même temps que les Autrichiens. Vous les avez
écrasés par la publication de votre lettre; j'ai complètement battu les
Autrichiens: ainsi, jusqu'à cette heure, ces doubles tentatives de nos
ennemis ne sont pas heureuses.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).

_Du même au directoire exécutif._

Les bijoux et diamans que l'armée a envoyés à Gênes, et qui, depuis,
étaient en route pour Paris, et que l'on a fait rétrograder à Gênes,
doivent valoir au moins deux ou trois millions; cependant on n'en a
offert à Gênes que 400,000 fr. Je crois qu'il est de l'intérêt de la
république que ces objets précieux soient transportés à Paris. Le grand
nombre d'étrangers qui sont dans cette capitale rendront la vente de ces
objets plus fructueuse; d'ailleurs, j'apprends que la compagnie Flachat
doit les prendre pour 400,000 fr. Ce serait une affaire ruineuse pour le
gouvernement.

J'avais fait mettre en séquestre les biens des Napolitains à Livourne.
Le commissaire du gouvernement, à ce que m'écrit le consul, a fait lever
ce séquestre; cependant cela aurait été un bon article du traité de
paix. Cette cour de Naples se conduit mal: les Napolitains qui sont ici
se sont très-mal conduits pendant nos événemens militaires, et je pense
qu'il serait dangereux qu'ils continuassent à y rester. M. Pignatelli
est-il à Paris? Les négociations de paix sont-elles commencées? Si
cela n'est pas, je crois que nous avons le droit de séquestrer cette
cavalerie. Il y a deux mille chevaux.

On dit que le roi de Naples s'avance sur le territoire du pape. Je lui
ai fait signifier que s'il s'avançait sur le terrain de Sa Sainteté,
l'armistice serait nul, et que je marcherais pour couvrir Rome.

La cour de Rome a cru l'armée perdue, et déjà elle avait envoyé un légat
à Ferrare. La municipalité et la garde de cette ville se sont bien
conduites et ont refusé de le recevoir. Je viens d'ordonner au cardinal
de se rendre à mon quartier-général.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).

_Du même au directoire exécutif._

Je crois utile, citoyens directeurs, de vous donner mon opinion sur les
généraux employés à cette armée. Vous verrez qu'il en est fort peu qui
peuvent me servir.

BERTHIER: talens, activité, courage, caractère, tout pour lui.

AUGEREAU: beaucoup de caractère, de courage, de fermeté, d'activité;
a l'habitude de la guerre, est aimé du soldat, heureux dans ses
opérations.

MASSÉNA: actif, infatigable, a de l'audace, du coup d'oeil et de la
promptitude à se décider.

SERRURIER: se bat en soldat, ne prend rien sur lui, ferme, n'a pas assez
bonne opinion de ses troupes; est malade.

DESPINOIS: mou, sans activité, sans audace, n'a pas l'état de la guerre,
n'est pas aimé du soldat, ne se bat pas à sa tête; a d'ailleurs de la
hauteur, de l'esprit et des principes politiques sains: bon à commander
dans l'intérieur.

SAURET: bon, très-bon soldat, pas assez éclairé pour être général, peu
heureux.

ABATTUCCI[11]: pas bon à commander cinquante hommes.

[Footnote 11: Vieux général de division, oncle du brave général
Abattucci, mort au siège d'Huningue, en 1797.]

GARNIER, MEUNIER, CASABIANCA: incapables, pas bons à commander un
bataillon dans une guerre aussi active et aussi sérieuse que celle-ci.

MACQUART: brave homme, pas de talens, vif.

GAUTHIER: bon pour un bureau, n'a jamais fait la guerre.

Vaubois et Sahuguet étaient employés dans les places, je viens de
les faire venir à l'année: j'apprendrai à les apprécier; ils se sont
très-bien acquittés de ce que je leur ai confié jusqu'ici; mais
l'exemple du général Despinois, qui était très-bien à Milan et très-mal
à la tête de sa division, m'ordonne de juger les hommes d'après leurs
actions.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Vous ordonnerez au général de brigade Murat de partir pour
Casal-Maggior, où il commandera une colonne mobile destinée à
faire exécuter les différens articles de la réquisition relative à
Casal-Maggior.

Vous lui nommerez une commission militaire qui l'accompagnera pour
faire juger ceux qui auraient assassiné les Français, ceux qui seraient
auteurs ou qui auraient excité à la révolte.

Il aura avec lui un commissaire des guerres et l'agent militaire pour
percevoir la contribution d'un million.

Il effectuera en entier le désarmement; il aura soin d'effectuer en
trois ou quatre jours les différentes dispositions de la proclamation.

Sa colonne mobile sera composée de cent hommes du vingt-unième
régiment de chasseurs, de deux pièces d'artillerie légère et de la
cinquante-unième demi-brigade.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).

_Au chef de l'état-major._

Les chefs de corps remettront aux généraux de division sous qui ils se
trouvent, la note des officiers absens, et spécialement de ceux qui se
trouveraient à Milan, Brescia et Plaisance.

2°. Ceux qui seraient à Brescia, à Milan et à Plaisance sans permission
et qui se trouvent absens depuis plus de quarante-huit heures, seront
sur-le-champ destitués par le général de division, qui en enverra à cet
effet la note au chef de l'état-major.

3°. Le général de division se fera rendre compte de ceux qui sont
absens par permission, révoquera les permissions qui ne seraient pas
indispensables au service. Il fixera dans cette révocation le jour où
l'officier doit rejoindre son corps, sous peine de destitution.

4°. Les commandans de Milan, de Brescia et de Plaisance feront publier
dans la ville et consigner aux portes, que tout militaire, quel qu'il
soit, même blessé, ait à se faire inscrire à l'état-major de la place.

5º. La municipalité n'accordera aucun billet de logement que sur le visa
du commandant de la place.

6°. La municipalité remettra, tous les cinq jours, la liste des
officiers logés dans la ville, avec le jour de leur arrivée. Les
commandans des places enverront un double de cet état à l'état-major
général.

7°. Ils feront arrêter tous les officiers qui se trouveraient dans leur
ville sans une permission des chefs de corps, visée par le général de
division.

8°. Ceux qui auraient des raisons réelles de service qui autorisassent
leur séjour dans une de ces places, auront de l'état-major de la place
un billet qui les autorisera à rester tant de jours.

9º. Tout officier qui sera surpris dans une de ces places six heures
après l'expiration de sa permission sera arrêté, et il en sera rendu
compte au général de division sous lequel se trouve son corps.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).

_Au général Kellermann._

Nous sommes dans des circonstances, mon cher général, où nous avons le
besoin le plus urgent de troupes.

Les maladies nous mettent tous les jours beaucoup de monde aux hôpitaux,
je vous prie donc de ne pas perdre un seul moment, et d'activer la
marche des troupes le plus qu'il vous sera possible. Le moindre retard
peut être dangereux et produire le plus mauvais effet.

Wurmser reçoit à chaque instant de nouveaux renforts. Je compte, mon
cher général, sur votre zèle ordinaire, et je vous prie de recevoir mes
complimens pour les peines que vous n'avez cessé de vous donner.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).

_Au directoire exécutif._

Le 28, à deux heures du matin, quinze cents hommes de la garnison de
Mantoue sortaient par la porte de Cerese, dans le même moment que trois
mille hommes sortaient par la porte de Pradella: tous nos avant-postes
se retirèrent. L'ennemi était à une portée de fusil de nos batteries,
qu'il espérait déjà enlever; mais le brave cinquième bataillon de
grenadiers était là. Les généraux Fevrilla et Dallemagne placent leurs
troupes, saisissent le moment favorable, attaquent l'ennemi, le mettent
en désordre après deux heures de combat, et le conduisent jusqu'aux
palissades de la ville. La perte de l'ennemi est de cinq à six cents
hommes.

Le 29, je comptais faire embarquer cent grenadiers, et j'espérais
pouvoir m'emparer d'une des portes de la ville; mais les eaux ayant
diminué de plus de trois pieds, il n'a pas été possible de tenter ce
coup de main.

Le 30, à onze heures du soir, le général Serrurier ordonna au général
Murat et à l'adjudant-général Vignolles, avec deux cents hommes,
d'attaquer la droite du camp retranché des ennemis, dans le temps que le
général Dallemagne, à la tête d'une bonne colonne, attaquait la gauche.
Le chef de bataillon d'artillerie Andréossy, officier du plus grand
mérite, avec cinq chaloupes canonnières qu'il avait armées, alla donner
à l'ennemi une fausse alerte; et dans le temps qu'il attirait sur
lui tous les feux de la place, les généraux Dallemagne et Murat
remplissaient leur mission, et portaient dans les rangs ennemis le
désordre et l'épouvante. Le chef de brigade du génie traça pendant ce
temps à quatre-vingts toises l'ouverture de la tranchée sous le feu
et la mitraille de l'ennemi. Au même instant les batteries de
Saint-Georges, de Pradella et de la Favorite, les deux premières
composées de six pièces de gros calibre, et à boulets rouges, de six
gros mortiers; la dernière, de huit pièces, destinée à rompre la
communication de la citadelle avec la ville, commencèrent à jouer contre
la place. Dix minutes après, le feu se communiqua de tous côtés dans la
ville. La douane, le Collorado et plusieurs couvens ont été consumés. À
la pointe du jour, la tranchée n'était que faiblement tracée; l'ennemi
réunissait une partie de ses forces et cherchait à sortir sous le feu
terrible des remparts; mais nos intrépides soldats, cachés dans des
ravins, derrière des digues, postés dans toutes les sinuosités qui
pouvaient un peu les abriter de la mitraille, les attendaient de pied
ferme sans tirer. Cette morne constance seule déconcerta l'ennemi, qui
rentra dans ses murs.

La nuit suivante, on a perfectionné la tranchée, et dans la nuit de
demain, j'espère que nos batteries seront armées et prêtes à tirer.

Je ne vous parlerai pas de la conduite de l'intrépide général Serrurier,
dont la réputation militaire est établie, et à qui nous devons, entre
autres choses, le gain de la bataille de Mondovi. Le chef de brigade
Chasseloup, le chef de bataillon Samson, et le chef de bataillon Meuron
donnent tous les jours des preuves de talens, d'activité, de courage,
qui leur acquièrent des titres à la reconnaissance de l'armée et de la
patrie.

Toutes les troupes montrent une patience, une constance et un courage
qui donnent l'audace de concevoir les entreprises les plus hardies.

Le chef de bataillon Dussot, qui commande le brave cinquième bataillon
de grenadiers, est le même qui a passé, le premier, le pont de Lodi.

Je vous enverrai incessamment la sommation que j'ai faite au gouverneur,
et la réponse qu'il m'a faite.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (25 août 1796).

_Du même au directoire exécutif._

1°. La division du général Sahuguet bloque Mantoue.

Le 7, à trois heures du matin, nous avons à la fois attaqué le pont de
Governolo et Borgo-Forte, pour faire rentrer la garnison dans ses murs.
Après une vive canonnade, le général Sahuguet, en personne, s'est emparé
du pont de Governolo, dans le temps que le général Dallemagne s'emparait
de Borgo-Forte. L'ennemi a perdu cinq cents hommes tués, blessés ou
prisonniers. La douzième demi-brigade et le citoyen Lahoz se sont
distingués.

2°. La division du général Augereau est à Verone.

3°. Celle du général Masséna est à Rivoli. Celle du général Sauret, dont
je viens de donner le commandement au général Vaubois, est à Storo, le
général Sauret étant malade.

Il a été indispensable de donner quelques jours de repos aux troupes, de
rallier les corps disséminés après un choc si violent, et de réorganiser
le service des administrations absolument en déroute: il y a de ces
messieurs qui ont fait leur retraite tout d'une traite sur le golfe de
la Spezzia.

Le commissaire des guerres Salva abandonne l'armée; l'esprit frappé, il
voit partout des ennemis; il passe le Pô et communique à tout ce qu'il
rencontre la frayeur qui l'égare, il croit les houlans à ses trousses:
c'est en vain qu'il court en poste deux jours et deux nuits, rien ne le
rassure; criant de tous côtés: _sauve qui peut_, il arrive à deux lieues
de Gênes: il meurt après vingt-quatre heures d'une fièvre violente, dans
les transports de laquelle il se croit blessé de cent coups de sabre, et
toujours par les terribles houlans. Rien n'égale cette lâcheté que la
bravoure des soldats. Beaucoup de commissaires des guerres n'ont pas été
plus braves. Tel est, citoyens directeurs, l'inconvénient de la loi qui
veut que les commissaires des guerres ne soient que des agens civils,
tandis qu'il leur faut plus de courage et d'habitudes militaires qu'aux
officiers mêmes: le courage qui leur est nécessaire doit être tout
moral; il n'est jamais le fruit que de l'habitude des dangers, J'ai donc
senti dans cette circonstance combien il est essentiel de n'admettre à
remplir les fonctions de commissaire des guerres, que des hommes qui
auraient servi dans la ligne plusieurs campagnes, et qui auraient donné
des preuves de courage. Tout homme qui estime la vie plus que la gloire
nationale et l'estime de ses camarades, ne doit pas faire partie de
l'armée française. L'on est révolté lorsqu'on entend journellement les
individus des différentes administrations avouer et se faire presque
gloire d'avoir eu peur.

Nous avons à l'armée quinze mille malades, il n'en meurt par jour que
quinze ou vingt; mais on dit que le mois de septembre est le moment où
les maladies sont plus dangereuses. Jusqu'à cette heure ce ne sont que
des fièvres légères. Je viens de visiter les hôpitaux de Milan: j'ai
été très-satisfait, ce qui est dû en partie au zèle et à l'activité du
citoyen Burisse, agent principal de cette partie.

Je n'ai encore reçu aucune troupe venant de l'Océan; l'on nous a annoncé
seulement trois mille hommes composant la sixième demi-brigade, qui
arrivent à Milan le 15.

On ne m'a annoncé aucune troupe de la division du général
Chateauneuf-Randon, seulement la dixième demi-brigade de ligne, forte de
six cents hommes, est arrivée à Nice.

Si les six mille hommes que vous m'avez annoncés du général
Chateauneuf-Randon et les treize mille hommes que l'on m'a annoncés
depuis longtemps de l'armée de l'Océan étaient arrivés, mon armée se
trouverait presque doublée, et j'aurais balayé devant moi l'armée
autrichienne. Si ces renforts arrivent dans le courant du mois, nous
continuerons à nous trouver dans une position respectable, et dans le
cas même de mettre fin à l'extravagance de Naples; mais je crains que
vos ordres sur le mouvement de ces troupes ne soient mal exécutés.

Nos demi-galères sont sorties de Peschiera, où elles ont pris dix
grosses barques et deux pièces de canon appartenants aux ennemis.

Tout est ici dans une position satisfaisante. Nous attendons la première
nouvelle du général Moreau pour nous avancer dans le Tyrol; cependant,
si cela tarde encore quelques jours, nous nous avancerons provisoirement
jusqu'à Trente. On m'assure que le général Wurmser est rappelé et
remplacé par le général Dewins.

Le roi de Sardaigne ayant licencié ses régimens provinciaux, les barbets
se sont accrus. Un chariot portant de l'argent a été pillé. Le général
Dugard allant à Nice a été tué. J'ai organisé une colonne mobile avec un
tribunal contre les barbets, pour en faire justice.

Je ne puis influer d'aucune manière sur les départemens du Var et du
Rhône; mon éloignement est tel, que je reçois les lettres beaucoup plus
tard que le ministre de la guerre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (18 août 1796).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien envoyer les ordres pour qu'il soit réuni, au village
de Tende, une colonne mobile composée de cinquante gendarmes du
département des Alpes-Maritimes; cinquante gendarmes du département du
Var; trois mille deux cents hommes pris dans la division du général
Casabianca; deux cents hommes pris à Antibes et aux îles Marguerite;
cent cinquante hommes de la garde nationale des Alpes-Maritimes; deux
cents hommes de la garde nationale du district de Grasse; deux pièces de
canon.

Cette colonne mobile sera commandée par le général Casabianca. La
commission militaire que j'ai ordonnée pour juger les barbets, tiendra
ses séances au village de Tende. Le département des Alpes-Maritimes
enverra une commission, qui restera à Tende; elle sera chargée
de recueillir tous les renseignemens que pourront lui donner les
municipalités et les habitans pour détruire ces rassemblemens et purger
le département des brigands qui l'infestent.

Les généraux, officiers supérieurs, soldats et commission, réunis à
Tende, seront payés moitié en argent et moitié en mandats, comme l'armée
active.

Le payeur de l'armée fera payer cette colonne mobile par le payeur de
Coni; elle sera nourrie de vivres de la ville de Coni, et aura une
ration de viande comme le reste de l'armée.

Les villages seront responsables des secours qu'ils donneraient aux
scélérats.

Le général Macquart et le général piémontais seront prévenus de la
formation de cette colonne mobile.

Le général Macquart aura ordre de se concerter avec le général
Casabianca, pour envoyer de son côté de gros piquets, afin de détruire
rapidement les brigands.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (25 août 1796).

_Au général chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, ordonner au général Gentili
d'organiser en compagnies tous les Corses réfugiés qui se trouvent à
Livourne, officiers, sous-officiers et soldats. Les généraux corses, les
chefs de brigade ou de bataillon réfugiés commanderont chacun une de ces
compagnies. Il leur sera distribué des fusils de ceux existans dans la
place.

Ces compagnies ne feront aucun service autre que celui relatif à
l'embarquement pour la Corse. En cas de générale ou d'alerte, le général
Gentili prendra les ordres du général de division commandant la place,
pour les postes que devront occuper lesdites compagnies. Les capitaines,
lieutenans ou sous-lieutenans faisant partie de ces compagnies devront
être armés d'un fusil.

Je vous laisse le maître de faire un règlement pour déterminer tout ce
que je n'aurais pas prévu, afin que tous les Corses réfugiés, faisant
partie desdites compagnies, puissent toucher sans confusion les rations
dues à leur grade, et qu'ils puissent, en cas d'événement, remplacer à
Livourne le bataillon de la soixante-quinzième demi-brigade que j'en ai
retiré.

Vous préviendrez le général Gentili que je lui enverrai incessamment des
instructions sur l'expédition de la Corse.

La gendarmerie de la vingt-huitième division, étant organisée, devra
concourir au service de la place. Vous autoriserez ses chefs à se
recruter parmi les réfugiés corses existans à Livourne.

BONAPARTE.



Donnez l'ordre à deux cents hommes du bataillon de la douzième
demi-brigade, qui est à Milan, de partir demain matin pour se rendre,
par le chemin le plus court, à Casal-Maggior, pour être aux ordres du
général Murat, et remplacer la cinquante-unième demi-brigade.

Donnez ordre à la cinquante-unième demi-brigade de partir aussitôt que
ces deux cents hommes seront arrivés, pour se rendre à Livourne par le
chemin le plus court.

Donnez l'ordre d'établir, sous trois fois vingt-quatre heures, dans le
château de Pavie, un hôpital de vénériens. On tiendra, dans le magasin
du château, cinq cents fusils avec pierres, cartouches, etc., afin de
pouvoir armer, en cas d'événement, les vénériens.

Donnez l'ordre au bataillon de la sixième demi-brigade, le premier
arrivé, de laisser deux cents hommes dans le château de Pavie. Aussitôt
que ces deux cents hommes seront arrivés à Pavie, donnez ordre à la
quatorzième demi-brigade de partir pour Livourne par le chemin le plus
court. Faites passer en revue la cinquante-unième demi-brigade et la
quatorzième, au moment de leur départ.

Ordonnez l'établissement d'un hôpital de cinq cents malades dans le
château de Milan. Mon intention est que l'on choisisse les hommes les
moins malades. Ordonnez qu'il y ait toujours dans le château de Milan
cinq cents fusils, avec ce qui est nécessaire, pour, en cas d'événement,
armer lesdits malades.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (25 août 1796).

_Au général de division Sauret._

La considération de votre santé m'a seule engagé à vous donner le
commandement de la réserve, et à vous remplacer dans celui de la
division actuellement sous vos ordres: cette division est encore
destinée à des mouvemens dont la vivacité est incompatible avec votre
état actuel; mais vous saurez encore vous rendre utile dans le poste où
je vous place, et qui n'est pas moins essentiel; le service qu'il doit
faire est moins rude et plus adapté à votre situation.

La réserve doit voir l'ennemi; mais elle est destinée à le joindre par
des chemins moins difficiles. Les services que vous avez rendus doivent
vous assurer que ce changement n'a rien qui doive vous affecter; il est
absolument étranger à aucune diminution dans la confiance que je dois à
votre bravoure et à votre patriotisme.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous enverrai incessamment, citoyens directeurs, deux lettres que je
reçois de Corse. Les Anglais embarquent toutes les munitions de guerre
sur des barques pour les transporter à l'île d'Elbe. Où donc est le
projet qu'ils avaient pu avoir dans le temps qu'ils nous croyaient
battus, de se porter sur Livourne, comme le pourrait faire croire une
proclamation qu'ils ont publiée.

Tous les réfugiés corses sont déjà rendus à Livourne: le commissaire
Salicetti compte partir demain.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).

_Au directoire exécutif._

J'ai commencé à entamer les négociations à Venise, je leur ai demandé
les vivres pour le besoin de l'armée. Je vous envoie la copie de la
lettre au citoyen Lallement. Dès l'instant que j'aurai balayé le Tyrol,
on entamera des négociations conformes à vos instructions; dans ce
moment-ci, cela ne réussirait pas: ces gens-ci ont une marine puissante,
et sont à l'abri de toute insulte dans leur capitale; il sera peut-être
bien difficile de leur faire mettre les séquestres sur les biens des
Anglais et sur ceux de l'empereur.

J'ai fait appeler à Milan le citoyen Faypoult. Nous sommes convenus des
mesures préparatoires à prendre pour l'exécution de vos instructions sur
Gènes.

Dès l'instant que nous serons à Trente, que l'armée du Rhin sera à
Inspruck, et qu'une partie du corps de troupes qui m'arrive de la Vendée
sera à Tortone, je me porterai à Gênes de ma personne, et votre arrêté
sera exécuté dans toute sa teneur.

Quant au grand-duc de Toscane, il faut encore dissimuler. J'ai fait un
changement de troupes dans la place de Livourne, pour détourner les
calculateurs sur le nombre, et faire un mouvement dans l'intérieur de
l'Italie, pour accroître les bruits que je fais courir pour contenir la
populace de Rome et les Napolitains.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).

_Au directoire exécutif._

Le roi de Naples, à la tête de vingt-quatre mille hommes (ce qui
pourrait bien n'aller qu'à quinze mille), s'est avancé sur les terres
du pape, menaçant de se porter sur Rome, et de là venir se joindre à
Wurmser, ou se porter sur Livourne pour, de concert avec les Anglais,
nous chasser de cette place. L'alarme était dans Rome, et le cabinet de
Sa Sainteté était dans la plus grande consternation.

J'ai écrit au citoyen Cacault de rassurer la cour de Rome, et de
signifier à celle de Naples que si le roi des Deux-Siciles s'avançait
sur les terres de Rome, je regarderais l'armistice comme nul, et que je
ferais marcher une division de mon armée pour couvrir Rome. Le citoyen
Cacault m'assure, sans en être certain, que le roi de Naples s'est
désisté de son entreprise, et qu'il est retourné de sa personne à
Naples. Cette cour est perfide et bête. Je crois que si M. Pignatelli
n'est pas encore arrivé à Paris, il convient de séquestrer les deux
mille hommes de cavalerie que nous avons en dépôt, arrêter toutes les
marchandises qui sont à Livourne, faire un manifeste bien frappé, pour
faire sentir la mauvaise foi de la cour de Naples, principalement
d'Acton; dès l'instant qu'elle sera menacée, elle deviendra humble
et soumise. Les Anglais ont fait croire au roi de Naples qu'il était
quelque chose. J'ai écrit à M. d'Azarria, à Rome; je lui ai dit que si
la cour de Naples, au mépris de l'armistice, cherche encore à se mettre
sur les rangs, je prends l'engagement, à la face de l'Europe, de
marcher contre les prétendus soixante-dix mille hommes avec six mille
grenadiers, quatre mille hommes de cavalerie et cinquante pièces de
canon. La bonne saison s'avance: d'ici à six semaines, j'espère que la
plus grande partie de nos malades seront guéris. Les secours que vous
m'annoncez arrivés, je pourrai à la fois faire le siège de Mantoue, et
tenir en respect Naples et les Autrichiens.

La cour de Rome, pendant le temps de nos désastres, ne s'est pas mieux
conduite que les autres; elle avait envoyé un légat à Ferrare, je l'ai
fait arrêter, et je le tiens en otage à Brescia: c'est le cardinal
Mattei. Le vice-légat, nommé Grena, s'était sauvé, et n'était plus qu'à
deux heures de Rome; je lui ai envoyé l'ordre de venir à Milan; il est
venu. Comme il est moins coupable, je le renverrai après l'avoir retenu
quelques jours ici.

On fait courir beaucoup de bruits sur le roi de Sardaigne; mais je
crois que tout cela est dénué de fondement. Il a vendu son équipage
d'artillerie, licencié ses régimens provinciaux; et s'il cherche à
recruter, c'est qu'il aime mieux avoir des troupes étrangères que
des régimens nationaux, dont il est peu sûr. Il serait bon que les
journalistes voulussent bien ne pas publier sur son compte des
absurdités comme celles qu'on publie tous les jours. Il est des coups de
plume écrits sur des ouï-dire, et sans mauvaise intention, qui nous font
plus de mal, plus d'ennemis, qu'une contribution dont nous tirerions
avantage. Peut-être serait-il utile qu'un journal officiel insérât un
article qui démentît ces bruits absurdes et ridicules.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).

_Au citoyen Miot, ministre de la république à Florence._

J'ai reçu toutes vos lettres. Il y a à Livourne deux mille deux cents
hommes de la soixante-quinzième demi-brigade, et six cents Corses
réfugiés que j'organise en compagnies. J'y envoie les quinzième et
quatorzième demi-brigades, soyez tranquille.

Dissimulez avec le grand-duc; s'il se conduit mal, il paiera tout à la
fois: ces gens-ci sont peu à craindre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 13 fructidor an 4 (30 août 1796).

_Au chef de l'état-major._

Il arrive quelquefois que le défaut de transport empêche le soldat de
toucher sa ration de pain de vingt-quatre onces et qu'il n'en touche que
douze: il est juste, lorsque cela arrive, de l'indemniser en lui donnant
l'équivalent en argent. En conséquence, le général en chef ordonne qu'il
sera, dans ce cas, donné un sou et demi par douze onces. L'inspecteur
des vivres de la division devra donner un certificat, qui sera visé par
le commissaire des guerres, par le chef d'état-major de la division, et
par le général commandant le camp. Le quartier-maître, à la fin de la
décade, présentera le certificat à l'ordonnateur en chef, qui le fera
solder.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Brescia, le 13 fructidor an 4 (30 août 1796).

_Aux habitans du Tyrol._

Vous sollicitez la protection de l'armée française, il faut vous en
rendre dignes: puisque la majorité d'entre vous est bien intentionnée,
contraignez ce petit nombre d'hommes opiniâtres à se soumettre, leur
conduite insensée tend à attirer sur leur patrie les fureurs de la
guerre.

La supériorité des armes françaises est aujourd'hui constatée: les
ministres de l'empereur, achetés par l'or des Anglais, le trahissent; ce
malheureux prince ne fait pas un pas qui ne soit une faute.

Vous voulez la paix, les Français combattent pour elle: nous ne passons
sur votre territoire que pour obliger la cour de Vienne de se rendre au
voeu de l'Europe désolée, et d'entendre les cris de ses peuples. Nous ne
venons pas ici pour nous agrandir, la nature a tracé nos limites au Rhin
et aux Alpes, dans le même temps qu'elle a posé au Tyrol les limites de
la maison d'Autriche.

Tyroliens, quelle qu'ait été votre conduite, rentrez dans vos foyers;
quittez des drapeaux tant de fois battus, et impuissans pour se
défendre. Ce n'est pas quelques ennemis de plus que peuvent redouter les
vainqueurs des Alpes et d'Italie, mais c'est quelques victimes de moins
que la générosité de ma nation m'ordonne de chercher à épargner.

Nous nous sommes montrés redoutables dans les combats, mais nous sommes
les amis de ceux qui nous reçoivent avec hospitalité.

La religion, les habitudes, les propriétés des communes qui se
soumettront seront respectées.

Les communes dont les compagnies de Tyroliens ne seraient pas rentrées à
notre arrivée seront incendiées, les habitans seront pris en otages et
envoyés en France.

Lorsqu'une commune sera soumise, les syndics seront tenus de donner à
l'heure même la note des habitans qui seraient à la solde de l'empereur,
et s'ils font partie des compagnies tyroliennes, on incendiera
sur-le-champ leurs maisons et on arrêtera leurs parens jusqu'au dernier
degré, lesquels seront envoyés en ôtage en France.

Tout Tyrolien faisant partie des compagnies franches, pris les armes à
la main, sera sur-le-champ fusillé.

Les généraux de division seront chargés de la stricte exécution du
présent arrêté.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Due-Castelli, le 13 fructidor an 4 (30 août
1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai rendu compte, citoyens directeurs, dans ma dernière dépêche,
que le général Wurmser, obligé d'abandonner Bassano, s'était porté de sa
personne avec les débris de deux bataillons de grenadiers à Montebello,
entre Vicence et Verone, où il avait rejoint la division qu'il avait
fait marcher sur Verone, forte de quatre mille cinq cents hommes de
cavalerie et cinq mille d'infanterie, au premier instant qu'il avait su
que je me portais sur Trente.

Le 23, la division du général Augereau se porta sur Padoue; elle ramassa
les débris de l'armée autrichienne et quatre cents hommes qui les
escortaient: celle de Masséna se rendit à Vicence. Wurmser se trouvait
entre l'Adige et la Brenta: il lui était impossible de franchir la
Brenta, puisque deux divisions de l'armée lui en fermaient le passage;
il ne lui restait d'autre ressource que de se jeter dans Mantoue; mais
ayant prévu, à mon départ pour Trente, le mouvement que ferait le
général Wurmser, j'avais laissé dans Verone le général de division
Kilmaine, et fait garnir d'artillerie les remparts de cette place. Le
général Kilmaine, avec sa sagacité ordinaire, a su imposer à l'ennemi et
le tenir pendant quarante-huit heures en respect, le repoussant par le
feu de son artillerie toutes les fois qu'il a essayé de pénétrer. Je
n'avais pu lui laisser que des forces trop peu considérables pour
contenir une ville très-populeuse, et pour repousser un corps d'armée
qui avait autant de raisons de ne rien épargner pour se rendre maître
de cette place importante. Il se loue beaucoup du chef de bataillon
Muirond, qui y commandait l'artillerie.

Le 28 au soir, le général Wurmser apprit l'arrivée du général Masséna à
Vicence, il sentit qu'il n'avait plus un moment à perdre; il fila toute
la nuit le long de l'Adige, qu'il passa à Porto-Legnago.

Le 24 au soir, la division du général Masséna passa l'Adige à Ronco,
dans le temps que la division du général Augereau marchait de Padoue sur
Porto-Legnago, ayant bien soin d'éclairer sa gauche pour que l'ennemi ne
cherchât pas à se sauver par Castel-Basilo.

Le 25, à la pointe du jour, je donnai ordre à la division du général
Masséna de se porter à Sanguinetto, afin de barrer le passage à Wurmser;
le général Sahuguet, avec une brigade, se porta à Castellaro, et eut
ordre de couper tous les ponts sur la Molinella.



_Combat de Cerea._


Pour se rendre de Ronco à Sanguinetto, il y a deux chemins: l'un, qui
part de Ronco, passe par la gauche, en suivant l'Adige, et rencontre
le chemin de Porto-Legnago à Mantoue; le second conduit directement de
Ronco à Sanguinetto: c'était celui qu'il fallait prendre, au contraire
on prit le premier. Le général Murat, à la tête de quelques centaines de
chasseurs, arrivé à Cerea, rencontra la tête de la division de Wurmser;
il culbuta plusieurs escadrons de cavalerie. Le général Pigeon,
commandant l'avant-garde du général Masséna, sentant la cavalerie
engagée, se précipite avec son infanterie légère pour la soutenir; il
passe le village et s'empare du pont sur lequel l'ennemi devait passer:
la division du général Masséna était encore éloignée. Après un moment
d'étonnement et d'alarme donnée à la division du général Wurmser, ce
général fit ses dispositions, culbuta notre avant-garde, reprit le pont
et le village de Cerea. Je m'y étais porté au premier coup de canon que
j'avais entendu, il n'était plus temps. Il faut faire à l'ennemi un
pont d'or ou lui opposer une barrière d'acier. Il fallut se résoudre à
laisser échapper l'ennemi, qui, selon tous les calculs et toutes les
probabilités, devait être, ce jour-là, obligé de poser les armes et de
se rendre prisonnier. Nous nous contentâmes de rallier notre avant-garde
et de retourner à demi-chemin de Ronco à Cerea. Nous avons trouvé le
lendemain sur le champ de bataille plus de cent hommes tués de l'ennemi,
et nous lui avons fait deux cent cinquante prisonniers. Nous sommes
redevables au courage du huitième bataillon de grenadiers et au
sang-froid du général de brigade Victor, d'être sortis à si bon marché
d'une lutte aussi inégale.



_Combat de Castellaro_.


Wurmser fila toute la nuit du 25 au 26 sur Mantoue avec une telle
rapidité, qu'il arriva le lendemain de bonne heure à Nogara. Il apprit
que les ponts de la Molinella étaient coupés, et qu'une division
française l'attendait à Castellaro. Il sentit qu'il ne fallait pas
essayer de forcer Castellaro, puisque, dès la pointe du jour, nous nous
étions mis à sa poursuite: j'espérais encore le trouver se battant avec
le général Sahuguet; mais malheureusement celui-ci n'avait pas coupé
le pont de Villa-Impenta sur la Molinella, à une lieue de sa droite:
Wurmser avait filé par là. Dès l'instant que le général Sahuguet avait
su son passage, il avait envoyé quelques chasseurs pour le harceler
et retarder sa marche; mais il avait trop peu de monde pour pouvoir y
réussir. Le général Charton, avec trois cents hommes, fut enveloppé par
un régiment de cuirassiers. Au lieu de se poster dans les fossés, ces
braves soldats voulurent payer d'audace et charger les cuirassiers;
mais après une vigoureuse résistance ils furent enveloppés. Le général
Charton a été tué dans ce combat, et les trois cents hommes ont été
faits prisonniers, parmi lesquels le chef de brigade Dugoulot, chef de
la douzième demi-brigade d'infanterie légère.



_Prise de Porto-Legnago_.


Le général Augereau, arrivé le 21 devant Porto-Legnago, investit la
place; le général Masséna y envoya la brigade du général Victor pour
l'investir du côté de l'Adige: après quelques pourparlers, la garnison,
forte de seize cent soixante-treize hommes, se rendit prisonnière de
guerre le 27. Nous y trouvâmes vingt-deux pièces de canon de campagne,
tout attelées, ainsi que leurs caissons et les cinq cents hommes que
Wurmser nous avait fait prisonniers au combat de Cerea, et qui, par ce
moyen, furent délivrés.



_Combat de Due-Castelli_.


Le 28, la division du général Masséna partit à la pointe du jour de
Castellero, se porta sur Mantoue par la route de Due-Castelli, afin
d'engager l'ennemi à rentrer dans la place, en s'emparant du faubourg
Saint-George; le combat s'engagea à midi, il fut encore engagé trop
promptement: la cinquième demi-brigade se trompa de chemin et n'arriva
pas à temps. La nombreuse cavalerie ennemie étonna notre infanterie
légère; mais la brave trente-deuxième soutint le combat jusqu'au soir,
et nous restâmes maîtres du champ de bataille, éloignés de deux milles
du faubourg Saint-George. Le général Sahuguet, après avoir investi la
citadelle, s'est porté sur la Favorite: déjà il avait obtenu les plus
grands succès, il avait pris à l'ennemi trois pièces de canon; mais
il fut obligé de prendre une position en arrière, et d'abandonner
l'artillerie qu'il venait de prendre à l'ennemi.



_Bataille de Saint-George_.


Cependant les hulans, les hussards et les cuirassiers ennemis, fiers de
ces petits succès, inondaient la campagne; le général Masséna leur fit
tendre des embuscades, qui obtinrent un succès d'autant plus heureux,
qu'elles mirent aux prises notre infanterie légère avec eux. Nous en
tuâmes ou prîmes environ cent cinquante. Les cuirassiers ne sont pas
à l'abri de nos coups de fusil. L'ennemi a eu au moins trois cents
blessés.

C'est dans ces petits chocs que le général Masséna a montré beaucoup
de fermeté à rallier sa troupe et à la conduire au combat. Le général
Kilmaine, à la tête du vingtième de dragons, a contenu l'ennemi, et
a par là rendu un grand service. Ces combats, qui n'étaient dans la
réalité que des échauffourées, donneront beaucoup de confiance à nos
ennemis. Il fallait l'accroître par tous les moyens possibles, car nous
ne pouvions pas avoir de plus grand bonheur que de porter l'ennemi à
engager une affaire sérieuse hors de ses remparts.

Le général Masséna prit, la nuit du 28 au 29, une position en arrière.
Le lendemain, à la pointe du jour, nous apprîmes que les ennemis avaient
fait sortir presque toute leur garnison pour défendre la Favorite et
Saint-George, et par là se conserver les moyens d'avoir des fourrages
pour nourrir leur nombreuse cavalerie.

À deux heures après midi, le général Bon, commandant provisoirement
la division du général Augereau, qui est malade, arriva de Governolo,
longeant le Mincio, et attaqua l'ennemi placé en avant de Saint-George,
sur notre gauche; le général la Salcette se porta pour couper les
communications de la Favorite à la citadelle; le général Pigeon, passant
par Villa-Nova, alla pour tourner une plaine où la cavalerie ennemie
pouvait manoeuvrer, et pour couper les communications de la Favorite à
Saint-George.

Lorsque ces différentes attaques furent commencées, le général Victor,
avec la dix-huitième demi-brigade de bataille, en colonne serrée par
bataillon, et à la hauteur de division, marcha droit à l'ennemi; la
trente-deuxième demi-brigade, soutenue par le général Kilmaine à la tête
de deux régimens de cavalerie, marcha par la droite pour acculer les
ennemis, et les pousser du côté où était le général Pigeon. Le combat
s'engagea de tous côtés avec beaucoup de vivacité; le huitième bataillon
de grenadiers, placé à l'avant-garde, et conduit par l'adjudant-général
Leclerc et mon aide-de-camp Marmont, fit des prodiges de valeur.

La quatrième demi-brigade de bataille, qui avait sur la gauche commencé
le combat, avait attiré la principale attention de l'ennemi, qui se
trouvait percé par le centre: nous enlevâmes Saint-George. Un escadron
de cuirassiers chargea un bataillon de la dix-huitième, qui le reçut
baïonnette en avant, et fit prisonniers tous ceux qui survécurent à
cette charge.

Nous avons fait dans cette bataille deux mille prisonniers, parmi
lesquels un régiment entier de cuirassiers et une division de hulans.
L'ennemi doit avoir au moins deux mille cinq cents hommes tués ou
blessés; nous avons pris vingt-cinq pièces de canon avec leurs caissons
tout attelés.

Parmi nos blessés dans les journées du 28 et du 29, sont: le général
Victor, le général Berlin, le général Saint-Hilaire, le général Mayer,
blessé en allant au secours d'un soldat chargé par un cuirassier ennemi;
le général Murat, blessé légèrement; le chef de brigade Lannes; le
chef de bataillon Rolland; le chef de brigade du dixième régiment de
chasseurs à cheval, Leclerc, a été blessé en chargeant à la tête de son
régiment. À l'affaire du 28, le chef de brigade de la dix-huitième,
qui a eu son cheval tué sous lui à l'affaire de Bassano, s'est
particulièrement distingué. Suchet, chef de bataillon de la
dix-huitième, a été blessé à la journée du 25, en combattant
courageusement à la tête de son bataillon. Aucun des officiers généraux
n'est blessé grièvement, et j'espère que nous ne serons pas longtemps
privés de leurs services.

L'adjudant-général Belliard, officier de distinction, qui a eu un cheval
tué sous lui dans l'une des précédentes affaires, s'est parfaitement
bien conduit. Les adjoints aux adjudans-généraux Charles et Salkoski se
sont parfaitement conduits.

Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen Leclerc,
chef de brigade du dixième régiment de chasseurs à cheval, et de
l'avancement pour les adjoints d'Amour et Ducos qui ont été blessés.

Je demande le grade de chef d'escadron d'artillerie légère pour les
citoyens Rozet et Coindet, tous deux capitaines d'artillerie légère.

J'ai nommé adjudant-général l'ex-adjudant provisoire Roche, officier
très-distingué, qui s'est conduit parfaitement dans différentes
affaires. J'ai nommé chef de brigade au premier régiment de hussards
l'adjudant-général Picard, officier de la plus grande distinction. Le
chef de brigade du septième régiment de hussards, le citoyen Paym, a été
blessé à la tête de son régiment. Le quinzième de dragons s'est conduit,
dans toutes ces circonstances, avec le plus grand courage.

Ainsi, si la garnison de Mantoue a été renforcée à peu près par cinq
mille hommes d'infanterie, je calcule que la bataille de Saint-George
doit à peu près les lui avoir fait perdre. Quant à la cavalerie, c'est
un surcroît d'embarras et de consommation. Je ne doute plus que Wurmser
ne tente toute espèce de moyens pour sortir de Mantoue avec elle.

Depuis le 16 de ce mois nous sommes toujours nous battant, et toujours
les mêmes hommes contre des troupes nouvelles. L'armée que nous venons
presque de détruire était encore formidable; aussi il paraît qu'elle
avait des projets hostiles, nous l'avons surprise et prévenue dans le
temps qu'elle faisait son mouvement.

Je vous envoie mon aide-de-camp Marmont, porteur de vingt-deux drapeaux
pris sur les Autrichiens.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Trente, le 20 fructidor an 4 (6 septembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Nous n'avons pas d'autre chose à faire, citoyens directeurs, si nous
voulons profiter de notre position actuelle, que de marcher sur Trieste.
Nous serons à Botzen dès l'instant que l'armée du Rhin se sera avancée
sur Inspruck; mais ce plan, que nous adoptons, et qui était bon au
mois de juin, ne vaut plus rien à la fin de septembre. Les neiges vont
bientôt rétablir les barrières de la nature, le froid commence déjà à
être vif; l'ennemi, qui l'a senti, s'est jeté sur la Brenta pour couvrir
Trieste. Je marche aujourd'hui le long de la Brenta, pour attaquer
l'ennemi à Bassano, ou pour couper ses derrières s'il fait un mouvement
sur Verone. Vous sentez qu'il est impossible que je m'engage dans les
montagnes du Tyrol, lorsque toute l'armée ennemie est à Bassano et
menace mon flanc et mes derrières. Arrivé à Bassano, je bats l'ennemi:
comment voulez-vous qu'alors je le pousse par devant et que je cherche à
lui enlever Trieste? Le jour où j'aurais battu l'ennemi à Bassano, et où
l'armée du Rhin serait à Inspruck, les quatre mille hommes, débris de la
division qui gardait Trente, se retireraient, par Brixen et Lientz, sur
le Frioul: alors la communication sera vraiment établie avec l'armée du
Rhin, et j'aurai acculé l'ennemi au-delà de Trieste, point essentiel où
se nourrit l'armée ennemie. Ensuite, selon la nature des circonstances,
je me tiendrai à Trieste ou je retournerai sur l'Adige. Après avoir
détruit ce port, et selon la nature des événemens, je dicterai aux
Vénitiens les lois que vous m'avez envoyées par vos ultérieures
instructions. De là encore il sera facile, si les renforts du général
Châteauneuf-Randon arrivent, et si vous me faites fournir dix mille
hommes de l'armée des Alpes, d'envoyer une bonne armée jusqu'à Naples.
Enfin, citoyens directeurs, voulez-vous cet hiver ne pas avoir la guerre
au coeur de l'Italie? Portons-la dans le Frioul.

L'armée du Rhin, occupant Inspruck, garde mon flanc gauche; d'ici à
un mois, les neiges et les glaces le feront pour elle, et elle pourra
retourner sur le Danube. Vous sentez mieux que moi, sans doute, l'effet
que fera la prise de Trieste sur Constantinople, sur la Hongrie et sur
toute l'Italie. Au reste, citoyens directeurs, le 22 je serai à Bassano.
Si l'ennemi m'y attend, il y aura une bataille qui décidera du sort de
tout ce pays-ci; si l'ennemi se recule encore sur Trieste, je ferai ce
que les circonstances militaires me feront paraître le plus convenable;
mais j'attendrai vos ordres pour savoir si je dois, ou non, me
transporter sur Trieste.

Je crois qu'il serait nécessaire de former à Milan trois bataillons de
Milanais, qui serviraient à renforcer l'armée qui bloque Mantoue. Si
vous adoptez le projet de se porter sur Trieste, je vous prie de me
faire connaître de quelle manière vous entendez que je me conduise avec
cette ville, dans le cas où l'on jugerait à propos de l'évacuer quelque
temps après.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Trente, le 20 fructidor an 4 (6 septembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

La division du général Masséna passa l'Adige, le 26, au pont de Golo,
suivant le grand chemin du Tyrol: elle est arrivée à Ala, le 17; le même
jour, à deux heures après midi, notre cavalerie a sabré les avant-postes
ennemis, et leur a pris six chevaux.

La division du général Augereau est partie de Verone dans le même temps,
et s'est postée sur les hauteurs qui séparent les états de Venise du
Tyrol.

La division du général Vaubois est partie en même temps de Storo, à la
gauche du lac de Garda; son avant-garde est arrivée à Torbole, où elle
a été jointe par la brigade du général Guieux, qui s'était embarquée à
Salo sur le lac de Garda; son avant-garde, commandée par le général de
brigade Saint-Hilaire, a culbuté l'ennemi, qu'il a rencontré au pont de
la Sarca, et lui a fait cinquante prisonniers.

Le 17, au soir, le général Pigeon, commandant l'infanterie légère de la
division du général Masséna, me donne avis que l'ennemi tient en force
le village de Serravalle: il reçoit et exécute l'ordre d'attaquer, il
force l'ennemi, et lui fait trois cents prisonniers.

Le 18, à la pointe du jour, nous nous trouvons en présence. Une division
de l'ennemi gardait les défilés inexpugnables de Marco, une autre
division au-delà de l'Adige gardait le camp retranché de Mori. Le
général Pigeon, avec une partie de l'infanterie légère, gagne les
hauteurs à la gauche de Marco; l'adjudant Sornet, à la tête de la
dix-huitième demi-brigade d'infanterie légère, attaque l'ennemi en
tirailleurs; le général de brigade Victor, à la tête de la dix-huitième
demi-brigade d'infanterie de bataille en colonne serrée par bataillon,
perce par le grand chemin; la résistance de l'ennemi est long-temps
opiniâtre: au même instant, le général Vaubois attaque le camp retranché
de Mori; après deux heures de combat très-vif, l'ennemi plie partout. Le
citoyen Marois, mon aide-de-camp, capitaine, porte l'ordre au général
Dubois de faire avancer le premier régiment de hussards, et de
poursuivre vivement l'ennemi. Ce même général se met lui-même à la tête,
et décide de l'affaire; mais il reçoit trois balles, qui le blessent
mortellement. Un de ses aides-de-camp venait d'être tué à ses côtés.
Je trouve un instant après ce général expirant. «Je meurs pour la
république, faites que j'aie le temps de savoir si la victoire est
complette.» Il est mort.

L'ennemi se retire à Roveredo: j'ordonne au général de brigade Rampon de
passer avec la trente-deuxième entre cette ville et l'Adige; le général
Victor, pendant ce temps-là, entre au pas de charge dans la grande rue;
l'ennemi se replie encore en laissant une grande quantité de morts et
de prisonniers. Pendant ce temps-là, le général Vaubois a forcé le camp
retranché de Mori, et poursuivi l'ennemi sur l'autre rive de l'Adige;
il était une heure après-midi; l'ennemi, battu partout, profitait des
difficultés du pays, nous tenait tête à tous les défilés, et exécutait
sa retraite sur Trente. Nous n'avions encore pris que trois pièces de
canon et fait mille prisonniers.

Le général Masséna fait rallier toutes les demi-brigades, et donne un
moment de repos à sa division: pendant ce temps, nous allons, avec
deux escadrons de cavalerie, reconnaître les mouvemens de retraite de
l'ennemi; il s'est rallié en avant de Caliano, pour couvrir Trente, et
donner le temps à son quartier-général d'évacuer cette ville. S'il a
été battu pendant toute la journée devant Caliano, nulle position n'est
inexpugnable. L'Adige touche presque à des montagnes à pic, et forme une
gorge qui n'a pas quarante toises de largeur, fermée par un village, un
château élevé, une bonne muraille qui joint l'Adige à la montagne, et où
il a placé toute son artillerie. Il faut de nouvelles dispositions: le
général Dommartin fait avancer huit pièces d'artillerie légère pour
commencer la canonnade. Il trouve une bonne position, d'où il prend la
gorge en écharpe.

Le général Pigeon passe avec l'infanterie légère sur la droite; trois
cents tirailleurs se jettent sur les bords de l'Adige pour commencer la
fusillade, et trois demi-brigades en colonne serrée et par bataillon,
l'arme au bras, passent le défilé. L'ennemi, ébranlé par le feu de
l'artillerie, par la hardiesse des tirailleurs, ne résiste pas à la
masse de nos colonnes; il abandonne l'entrée de la gorge; la terreur se
communique dans toute sa ligne, notre cavalerie le poursuit.

Le citoyen Marois, mon aide-de-camp, capitaine, suivi de cinquante
hussards, veut gagner la tête et arrêter toute la colonne ennemie: il la
traverse, et est lui-même jeté par terre et blessé de plusieurs coups;
une partie de l'armée ennemie lui a marché sur le corps; il a plusieurs
blessures dont aucune n'est mortelle. Le chef de brigade du premier
régiment de hussards est tué. Le citoyen Bessières, capitaine de
ma compagnie des guides, voit deux pièces de canon sur le point de
s'échapper; il s'élance avec cinq ou six guides, et, malgré les efforts
des ennemis, arrête les pièces.

Six ou sept mille prisonniers, vingt-cinq pièces de canon, cinquante
caissons, sept drapeaux, tel est le fruit de la bataille de Roveredo,
une des plus heureuses de la campagne. La perte de l'ennemi doit avoir
été considérable.

Le 19, à huit heures du matin, le général Masséna est entré dans Trente.
Wurmser a quitté cette ville la veille, pour se réfugier du côté de
Bassano.

Le général Vaubois, avec sa division, marcha aussitôt à la poursuite
des ennemis. Son arrière-garde s'était retranchée à Lavis, derrière
la rivière de Laviso, et gardait le débouché du pont, qu'il fallait
cependant passer. Le général Dallemagne, à la tête de la vingt-cinquième
demi-brigade, passe, non sans beaucoup de peine, sous le feu de
l'ennemi, retranché dans le village, et le général Murat passe au gué à
la tête d'un détachement du dixième de chasseurs, portant un nombre égal
de fantassins pour poursuivre l'ennemi. L'adjudant-général Leclerc, avec
trois chasseurs et le citoyen Desaix, chef de brigade des Allobroges,
accompagné de douze carabiniers ou grenadiers, étaient parvenus à
tourner l'ennemi, et s'étaient embusqués à une demi-lieue en avant;
la cavalerie, se sauvant au galop, se trouve tout d'un coup arrêtée;
l'adjudant-général Leclerc est légèrement blessé de quelques coups de
sabre. Ses ennemis cherchent à s'ouvrir un passage; mais les douze
carabiniers, secondés des trois chasseurs, croisent leurs baïonnettes et
forment un rempart inexpugnable.

La nuit était déjà obscure: cent hussards ennemis sont pris, ainsi qu'un
étendard du régiment de Wurmser.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Cismone, le 22 fructidor an 4 (8 septembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte du combat de Serravalle, de la bataille de
Roveredo: j'ai à vous rendre compte du passage des gorges de la Brenta.

La division du général Augereau s'est rendue le 20 à Borgo du val de
Lugana par Martillo et Val-Laiva; la division du général Masséna s'y est
également rendue par Trente et Levico.

Le 21 au matin, l'infanterie légère faisant l'avant-garde du général
Augereau, commandée par le général Lannes, rencontra l'ennemi, qui s'est
retranché dans le village de Primolo, la gauche appuyée à la Brenta, et
la droite à des gorges à pic. Le général Augereau fait sur-le-champ
ses dispositions; la brave cinquième demi-brigade d'infanterie légère
attaque l'ennemi en tirailleurs; la quatrième demi-brigade d'infanterie
de bataille, en colonne serrée et par bataillon, marche droit à
l'ennemi, protégée par le feu de l'artillerie légère: le village est
emporté.

Mais l'ennemi se rallie dans le petit fort de Cavivo, qui barrait le
chemin, et au milieu duquel il fallait passer; la cinquième demi-brigade
légère gagne la gauche du fort et établit une vive fusillade dans le
temps où deux ou trois cents hommes passent la Brenta, gagnent les
hauteurs de droite, et menacent de tomber sur les derrières de la
colonne. Après une résistance assez vive, l'ennemi évacue ce poste; le
cinquième régiment de dragons, auquel j'ai fait restituer ses fusils,
soutenu par un détachement du dixième régiment de chasseurs, se met à sa
poursuite, atteint la tête de la colonne, qui, par ce moyen, se trouve
toute prisonnière.

Nous avons pris dix pièces de canon, quinze caissons, huit drapeaux
et fait quatre mille prisonniers. La nuit et les fatigues des marches
forcées et des combats continuels que nos troupes ont soutenus, m'ont
décidé à passer la nuit à Cismone; demain matin, nous traverserons le
reste des gorges de la Brenta.

Les citoyens Stock, capitaine au premier bataillon de la cinquième
demi-brigade d'infanterie légère; Milhaud, chef de brigade du cinquième
régiment de dragons; Lauvin, adjudant, sous-lieutenant du même régiment;
Duroc, capitaine d'artillerie, qui a eu son cheval tué sous lui; Julien,
aide-de-camp du général Saint-Hilaire; le frère du général Augereau
et son aide-de-camp, se sont particulièrement distingués. L'ardeur du
soldat est égale à celle des généraux et des officiers; il est cependant
des traits de courage qui méritent d'être recueillis par l'historien, et
que je vous ferai connaître.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bassano, le 22 fructidor an 4 (8 septembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte de la marche de l'armée d'Italie sur Trente et
du passage des gorges de la Brenta. Cette marche rapide et inattendue
de vingt lieues en deux jours, a déconcerté entièrement l'ennemi,
qui croyait que nous nous rendrions droit sur Inspruck; et avait en
conséquence envoyé une colonne sur Verone pour menacer cette place, et
nous faire craindre pour nos derrières. Wurmser voulait nous couper, et
il l'était lui-même.

Je vous ai rendu compte de notre marche et des événemens qui l'ont
accompagnée jusqu'au 21 au soir, où nous avons couché au village de
Cismone, près du débouché des gorges de la Brenta. Il ne me reste plus
qu'à vous rendre compte de la bataille de Bassano.

Le 22, à deux heures du matin, nous nous mîmes en marche: arrivés aux
débouchés des gorges, près du village de Salaqua, nous rencontrâmes
l'ennemi. Le général Augereau se porta avec sa division sur la gauche,
et envoya à sa droite la quatrième demi-brigade; j'y fis passer
également toute la division du général Masséna. Il était à peine sept
heures du matin, et le combat avait commencé. Forts de leur bonne
position, et encouragés par la présence de leurs généraux, les ennemis
tinrent quelque temps; mais grâce à l'impétuosité de nos soldats, à
la bravoure de la cinquième demi-brigade légère, de la quatrième
demi-brigade de ligne, l'ennemi fut partout mis en déroute. Le général
Murat envoya des détachemens de cavalerie à la poursuite de l'ennemi.
Nous marchâmes aussitôt sur Bassano: Wurmser et son quartier-général y
étaient encore. Le général Augereau y entrait par sa gauche, dans le
même temps que le général Masséna y entrait par sa droite, à la tête de
la quatrième demi-brigade, dont une partie à la course, une partie en
colonnes serrées, fonce sur les pièces qui défendent le pont de la
Brenta, enlève ces pièces, passe le pont et pénètre dans la ville malgré
les efforts des grenadiers, élite de l'armée autrichienne, chargés de
protéger la retraite du quartier-général.

Nous avons, dans cette journée, fait cinq mille prisonniers, pris
trente-cinq pièces de canon tout attelées, avec leurs caissons; deux
équipages de pont de trente-deux bateaux, tout attelés; plus de deux
cents fourgons également tout attelés, portant une partie des bagages de
l'armée. Nous avons pris cinq drapeaux; le chef de brigade Lannes en a
pris deux de sa main. Le général Wurmser et le trésor de l'armée n'ont
été manqués que d'un instant. Une escouade de ma compagnie des guides,
qui était à ses trousses, l'ayant poursuivi vivement, a eu deux hommes
tués; et le citoyen Guérin, lieutenant de la compagnie, blessé.

Le général Verdier, le général Saint-Hilaire; le chef de bataillon de la
quatrième demi-brigade, Frère, qui a été blessé; les citoyens Cassau et
Gros, capitaines des grenadiers de la même brigade; le citoyen Stock,
capitaine de la cinquième demi-brigade d'infanterie légère; le citoyen
Pelard, carabinier de la cinquième demi-brigade (ce brave homme traversa
trois pelotons ennemis, et arrêta l'officier général qui les commandait;
il lui a seul tué treize hommes), se sont couverts de gloire.

Nous sommes dans ce moment à la poursuite d'une division de huit mille
hommes que Wurmser avait fait marcher sur Vicence, et qui est le seul
reste de cette armée formidable qui menaçait, il y a un mois, de nous
enlever l'Italie.

En six jours, nous avons livré deux batailles et quatre combats; nous
avons pris à l'ennemi vingt-un drapeaux; nous lui avons fait seize mille
prisonniers, parmi lesquels plusieurs généraux; le reste a été tué,
blessé ou éparpillé. Nous avons, dans les six jours, toujours nous
battant dans des gorges inexpugnables, fait quarante-cinq lieues, pris
soixante-dix pièces de canon avec leurs caissons, leurs attelages, une
grande partie du grand parc de l'armée, et des magasins considérables
répandus sur toute la ligne que nous avons parcourue.

Je vous prie d'accorder le grade de général de brigade au chef de
brigade Lannes: il est le premier qui ait mis l'ennemi en déroute à
Dego, qui ait passé le Pô, le pont de Lodi, et qui soit entré dans
Bassano; à l'adjudant-général Chabran, qui s'est particulièrement
distingué à la bataille de Roveredo, comme il l'avait précédemment fait
à celle de Lonado et à la retraite de Rivoli.

Je vous demande de nommer à la place de chef de brigade de la quatrième
demi-brigade le chef de bataillon Frère, et de l'avancement pour les
officiers qui se sont distingués dans les affaires différentes dont je
vous ai rendu compte.

BONAPARTE.



De Montebello, le 24 fructidor an 4 (10 septembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Wurmser, avec quinze cents hommes de cavalerie, trois mille
d'infanterie, et tout le quartier-général, est serré entre la division
de Masséna, qui est partie ce matin de Vicence et file sur Villa-Nova,
et la division du général Augereau, qui est partie de Padoue et va sur
Porte-Legnago.

Wurmser, échappé de Bassano, s'est rendu à Citadella, de là à Vicence et
à Montebello rejoindre ses troupes, et a essayé de forcer Verone; mais
Kilmaine que j'y avais laissé, prévoyant son projet, l'a repoussé.
J'apprends à cette heure qu'il longe l'Adige et tâche de gagner Mantoue.
Il est possible que ce projet lui réussisse: alors, moyennant deux
demi-brigades de plus que je donnerai à Sahuguet, je suis maître de
l'Italie, du Tyrol et du Frioul.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 5e jour complémentaire an 4 (21
septembre 1796).

_À sa majesté le roi de Sardaigne._

Les officiers préposés par votre majesté pour commander en la partie de
ses états qui lui a été restituée par le traité de paix, voient, sinon
avec plaisir, au moins avec indifférence, les assassinats et les
brigandages qui se commettent contre les Français.

Par le traité de paix conclu entre votre majesté et la république
française, la république devait continuer à occuper la partie de ces
états qui avait été laissée à l'armée par le traité d'armistice:
croyant faire quelque chose d'agréable à votre majesté, je lui ai
rendu non-seulement le gouvernement civil, mais encore le gouvernement
militaire, avec la clause spéciale que les routes seraient gardées, et
que même nos convois seraient escortés par ses troupes.

Je prie donc votre majesté de vouloir bien ordonner que l'on tienne
un corps de troupes respectable aux villages de Limon et de Limonais,
lequel ferait des patrouilles jusqu'à Lacas, escortant les convois, et
prenant toutes les mesures nécessaires pour maintenir cette route sûre,
ainsi que Vadier, et généralement dans tous les pays voisins de Demont,
formant la communication de Coni à Barcelonnette.

Je demande également à votre majesté que les cinq individus qui ont été
arrêtés à Borgo-San-Dalmazzo par les Français, soient remis entre les
mains du commandant militaire à Coni.

Je la prie également de donner les ordres à ses différens gouverneurs,
pour qu'ils s'emploient avec loyauté à faire arrêter les brigands, dans
quelques endroits qu'ils soient trouvés.

Indépendamment de l'intérêt de l'humanité et de la justice, votre
majesté donnera, par cette conduite, une preuve de sa loyauté, et
contribuera à éteindre ces germes de discorde, qui finiraient par se
propager dans l'intérieur de ses états.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 5e jour complémentaire an 4 (21
septembre 1796).

_Au ministre des affaires étrangères du roi de Sardaigne._

Je ne suis point diplomate, Monsieur, je suis militaire: vous
pardonnerez ma franchise. Sur différens points des états de sa majesté,
les Français sont assassinés, volés. Par le traité de paix, le roi qui
est tenu de nous accorder le passage sur ses états, doit nous le donner
sûr, et ce n'est même que pour cet effet que, contre la teneur du traité
de paix, j'ai pris sur moi de restituer à sa majesté non-seulement le
gouvernement civil, mais même le gouvernement militaire dans la partie
de ses états qui lui a été restituée par la république. À Viné, à Limon,
sous les yeux de la garnison de Demont, sous ceux des corps de troupes
que M. Franchar commande à Borgo-San-Dalmazzo, l'on se porte tous les
jours à des excès qui paraissent non-seulement tolérés, mais même
encouragés par le gouvernement.

Je vous demanderai donc une explication simple:

1°. Le roi ne doit-il pas être tenu d'indemniser et de réparer les
pertes faites en conséquence des délits qui se commettent sur son
territoire contre les Français, lorsque ces délits se commettent en
plein jour et par des corps soldés de deux ou trois cents personnes?

2°. Le roi a-t-il, avec vingt-cinq mille hommes qu'il a sous les armes,
assez de forces pour contenir dans ses états des brigands, et faire
respecter les lois de la justice, de l'humanité et des traités?

On ne juge les hommes, monsieur, que par leurs actions: la loyauté du
roi est généralement connue; cependant on se trouve bien forcé de penser
qu'il est des raisons de politique qui portent à encourager, ou du moins
à tolérer des atrocités aussi révoltantes.

J'ai écrit à sa majesté elle-même, je vous prie de lui présenter
ma lettre. Le gouvernement français ne fera rien ouvertement ni
secrètement, qui tendrait à détruire ou à affaiblir l'effet du
gouvernement du roi sur ses peuples; vous n'ignorez pas, cependant,
combien cela serait facile. Le jour où vous voudrez sincèrement détruire
les brigands qui infestent notre communication de Coni à Barcelonnette,
ils n'existeront plus.

Je vous prie de me croire, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 10 vendémiaire an 5 (1er octobre 1796).

_Au chef de l'état-major._

Vous donnerez des ordres au générai Kilmaine pour le désarmement du
Mantouan, et pour qu'on restitue tous les chevaux qui ont été achetés
aux soldats. Vous ferez payer chaque cheval le prix qu'il aura coûté,
sans que cela puisse excéder cent vingt francs par cheval. Vous formerez
trois colonnes mobiles, commandées par des hommes sages et probes, qui
parcourront, la première, la partie du Mantouan comprise entre le Pô, le
Mincio et l'Oglio; la seconde, la partie comprise entre le Mincio, le Pô
et l'Adige; la troisième, tout ce qui se trouve en deçà du Pô. Je crois
que cent cinquante hommes d'infanterie et la moitié en cavalerie seront
plus que suffisans pour chacune de ces colonnes.

Chacune des colonnes se rendra aux trois chefs-lieux, Castiglione,
Roverbello et Conzague, pour procéder au désarmement, à la recherche de
tout ce qui appartiendrait aux Autrichiens, à l'arrestation des hommes
turbulens qui auraient excité les peuples à prendre les armes contre
l'armée, à la restitution des chevaux vendus par les soldats.

Je vous recommande surtout de vous faire rendre compte de la conduite
des moines de San-Benedetto; dans ce village il s'est commis des
horreurs: j'y avais ordonné une imposition extraordinaire, qu'il faudra
payer sur-le-champ. Vous demanderez au commissaire ordonnateur copie de
mon ordre.

Je vous recommande aussi de mettre un terme à ces perpétuelles
réquisitions qui désolent les pays conquis, sans presque aucun profit
pour la république.

Concertez-vous avec le commissaire ordonnateur Aubernon, pour qu'un
tas de fripons, sous prétexte de l'approvisionnement de l'armée, ne
dépouillent pas les villages à leur profit. Vous êtes dans le Mantouan
le premier agent de la république, vous devez donc porter votre
surveillance sur tout ce qui peut intéresser l'ordre public. Il y a
à Castiglione une commission administrative chargée de la levée des
impositions, prêtez-lui main-forte et tous les secours qui dépendront de
vous.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 10 vendémiaire an 5 (1er octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Après la bataille de Saint-George, nous cherchâmes à attirer Wurmser à
une seconde action, afin d'affaiblir la garnison dans une affaire _extra
muros_: nous nous gardâmes donc bien d'occuper le Sarraglio, j'espérais
qu'il s'y rendrait; nous continuâmes seulement à occuper le pont de
Governolo, afin de nous faciliter le passage du Mincio.

Le quatrième jour complémentaire, l'ennemi se porta avec quinze cents
hommes de cavalerie à Castellucio; nos grand'gardes se replièrent, comme
elles en avaient l'ordre; l'ennemi ne passa pas outre. Le 3 vendémiaire,
il se porta sur Governolo, en suivant la ligne droite du Mincio: après
une canonnade très-vive et plusieurs charges de notre infanterie, il fut
mis en déroute; il eut cent hommes faits prisonniers et cinq caissons
pris, tout attelés.

Le général Kilmaine, auquel j'ai donné le commandement des deux
divisions qui assiègent Mantoue, resta dans ses mêmes positions jusqu'au
8, espérant toujours que l'ennemi, porté par l'envie de faire entrer
des fourrages, chercherait à sortir; mais l'ennemi s'était campé à la
Chartreuse, devant la porte Pradella et la chapelle, et devant la porte
Cerese. Le général Kilmaine fit ses dispositions d'attaque, se porta par
plusieurs points sur ces deux camps, que l'ennemi évacua à son approche,
après une légère fusillade d'arrière-garde.

Nous occupons la porte Pradella et celle de Cerese, et nous bloquons la
citadelle.

Il est impossible, dans ce moment-ci, de penser au siège de Mantoue, à
cause des pluies; il ne sera faisable qu'en janvier. À cette époque,
l'empereur aura une puissante armée dans le Tyrol et dans le Frioul:
déjà il a réuni un corps de six mille hommes dans ce dernier pays, et il
a fait venir huit mille hommes à Botzen.

Rien n'égale l'activité qu'il y a dans l'Empire pour recruter l'armée
d'Italie.

Voici la force de notre armée:

J'ai dix-huit mille neuf cents hommes à l'armée d'observation, neuf
mille hommes à l'armée de siège.

Je vous laisse à penser, si je ne reçois point de secours, s'il est
possible que je résiste cet hiver à l'empereur, qui aura cinquante mille
hommes dans six semaines.

J'ai demandé au commissaire du gouvernement de me faire passer la
quarantième demi-brigade qui est à Lyon; j'ai ordonné que l'on me fasse
passer la quatre-vingt-troisième, qui est à Marseille, et le dixième
bataillon de l'Ain, qui est à Toulon, et qui doit être incorporé dans
nos cadres. Ces deux demi-brigades, si elles arrivent, forment quatre
mille cinq cents hommes.

Le général Willot a mal à propos retenu la onzième demi-brigade, forte
de quatre cents hommes, et que le général Châteauneuf-Randon envoyait
ici. Ajoutez à ce nombre le dixième bataillon de l'Ain, fort de cinq
cents hommes, qui est à Nice, cela fait neuf cents hommes des six mille
que ce général devait envoyer.

Renouvelez les ordres au général Châteauneuf-Randon; ordonnez le départ
de la quarantième, qui est à Lyon, et de la quatre-vingt-septième, qui
est à Marseille; faites-nous passer quinze mille hommes de ceux qui sont
à portée; mais calculez que, sur quatre mille hommes que vous envoyez,
il n'en arrivera que la moitié.

Songez qu'il faut que vous ayez en Italie, pour pouvoir vous soutenir
pendant l'hiver, trente-cinq mille hommes d'infanterie à l'armée
d'observation et dix-huit mille hommes d'infanterie à l'armée de
siège, pour faire face à l'empereur. Ces deux forces réunies font
cinquante-trois mille hommes, il en existe dans ce moment vingt-sept.
Supposez que la saison étant meilleure, il nous rentre trois mille
malades, quoique les pluies d'automne nous en donnent beaucoup, il
resterait vingt-trois mille hommes à nous envoyer.

J'espère avoir, avant un mois, si par des courriers extraordinaires vous
confirmez mes ordres et mes réquisitions, huit mille hommes, tirés des
garnisons du midi.

Il faut donc encore quinze mille hommes. Si vous les faites partir de
Paris ou des environs, ils pourront arriver dans le courant de décembre;
mais il faut qu'ils aient les ordres de suite. Si vous avez des dépôts,
envoyez-nous-en de même pour encadrer dans nos corps.

Il nous faudrait encore quinze cents hommes de cavalerie légère ou des
dragons: par exemple, le quatorzième régiment de chasseurs. Il faudrait
huit cents canonniers pour le siège de Mantoue, dix officiers du génie,
et quelques officiers supérieurs d'artillerie pour le même siège.

Il nous faudrait de plus quinze cents charretiers, organisés en
brigades, ayant leurs chefs; je n'ai que des Italiens qui nous volent:
deux bataillons de sapeurs et sept compagnies de mineurs.

Si la conservation de l'Italie vous est chère, citoyens directeurs,
envoyez-moi tous ces secours. Il me faudrait également vingt mille
fusils; mais il faudrait que ces envois arrivassent, et qu'il n'en soit
pas comme de tout ce que l'on annonce à cette armée, où rien n'arrive.
Nous avons une grande quantité de fusils, mais ils sont autrichiens; ils
pèsent trop, et nos soldats ne peuvent s'en servir.

Nous avons ici des fabriques de poudre, dont nous nous servons, et qui
nous rendent trente milliers par mois: cela pourra nous suffire.

Je vous recommande de donner des ordres pour que les huit mille hommes
que j'attends à la fin d'octobre arrivent: cela seul peut me mettre à
même de porter encore de grands coups aux Impériaux. Pour que les trois
mille hommes du général Châteauneuf-Randon arrivent, il faut qu'ils
partent six à sept mille.

J'essaye de faire lever ici une légion armée de fusils autrichiens, et
habillée avec l'uniforme de la garde nationale du pays: cette légion
sera composée de trois mille cinq cents hommes au complet; il est
possible que cela réussisse.

Les avant-postes du général Vaubois ont rencontré la division
autrichienne qui défend le Tyrol; il a fait à l'ennemi cent dix
prisonniers.

Quelles que soient les circonstances qui se présenteront, je vous prie
de ne pas douter un seul instant du zèle et du dévouement de l'armée
d'Italie à soutenir l'honneur des armes de la république.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Le peuple de la Lombardie se prononce chaque jour davantage; mais il est
une classe très-considérable qui désirerait, avant de jeter le gant à
l'empereur, d'y être invitée par une proclamation du gouvernement, qui
fût une espèce de garant de l'intérêt que la France prendra à ce pays-ci
à la paix générale.

Cette résolution du gouvernement, et l'arrêté qui établirait un
gouvernement régulateur, et qui reconnaîtrait dès aujourd'hui
l'indépendance de la Lombardie, avec quelques modifications pour la
durée de la guerre, vaudrait à l'armée autant qu'un secours de trois à
quatre mille hommes.

Les friponneries qui se commettent sont innombrables: au milieu de la
guerre, il ne m'a pas été possible d'y porter un coup d'oeil sévère;
mais aujourd'hui, pendant le séjour à Milan que les circonstances me
permettent, je vous promets de leur faire une guerre vive: je vous
annoncerai bientôt que le conseil en aura fait justice d'une douzaine.

Désormais le peuple de la Lombardie, plus heureux, sentira moins le
poids de l'armée, et sera moins sujet aux vexations. Il n'en est pas de
même du malheureux Mantouan: la nature frémit en pensant à la nuée de
coquins qui désolent ce pays. J'ai fait quelques dispositions pour
atténuer le mal.

Bologne et Ferrare, n'ayant pas de troupes, sont les plus heureux de
tous: on vient d'y établir des surveillans; s'ils font comme les anciens
agens militaires de la Lombardie, qui se sont pour la plupart sauvés
avec une caisse, ils porteront la désolation dans ce beau pays. Je vais
avoir soin de m'en faire rendre compte.

Reggio a fait sa révolution et a secoué le joug du duc de Modène. C'est
peut-être le pays d'Italie qui est le plus prononcé pour la liberté.

Modène avait essayé d'en faire autant; mais les quinze cents hommes de
troupes que le duc y tient en garnison ont fait feu sur le peuple et
dissipé l'attroupement. Je crois que le plus court de tout ceci serait
de déclarer l'armistice rompu, vu qu'il est encore dû cinq à six cent
mille liv., et de mettre cette place à l'instar de Bologne et de Reggio.
Ce seraient des ennemis de moins que nous aurions, car la régence ne
dissimule pas la crainte que nous lui inspirons, et la joie qu'elle
ressent des succès des ennemis. Je vous prie de vouloir bien me
prescrire vos ordres là-dessus.

Je crois qu'il ne faut pas laisser cet état dans la situation de
déchirement où il se trouve, mais déclarer au plénipotentiaire que vous
avez à Paris les négociations rompues. Au lieu d'avoir un nouvel ennemi,
nous aurions au contraire des secours et des alliés, les peuples de
Modène et de Reggio réunis. Cependant, comme la face des affaires change
tous les quinze jours dans ce pays, puisque cela suit les opérations
militaires, et qu'il ne faudrait pas que votre rupture avec Modène
arrivât dans un instant où je ne pourrais pas disposer de quinze cents
hommes pendant quelques jours, pour établir un nouvel ordre de chose
dans ce pays, vous pourriez déclarer à l'envoyé de Modène que vous
m'avez fait connaître vos intentions, et que vous me chargez de
la conclusion de la paix avec son prince. Il viendrait alors au
quartier-général, ayant soin de lui signifier qu'il y soit rendu avant
douze jours. Je lui déclarerais alors que toutes négociations sont
rompues, dans le même instant que nos troupes entreront dans Modène,
feront poser les armes à la garnison, prendront pour otages les plus
enragés aristocrates, et mettront en place les amis de la liberté de
Modène.

Vous aurez alors Modène, Reggio, Bologne et Ferrare, où la masse du
peuple se forme tous les jours pour la liberté, et où la majorité nous
regarde comme libérateurs, et notre cause comme la leur.

Les états de Modène arrivent jusqu'au Mantouan: vous sentez combien il
nous est intéressant d'y avoir, au lieu d'un gouvernement ennemi,
un gouvernement dans le genre de celui de Bologne, qui nous serait
entièrement dévoué. Nous pourrions, à la paix générale, donner le
Mantouan au duc de Parme, ce qui serait politique sous tous les
rapports; mais il serait utile que vous fissiez connaître cela à
l'ambassadeur d'Espagne, pour que cela revienne au duc de Parme; ce qui
l'engagerait à nous rendre beaucoup de services. Puisque nous sommes
alliés avec l'Espagne, il ne serait point indifférent que le duc de
Parme réunît à notre armée un de ses régimens de sept à huit cents
hommes: cela me rendrait disponible un pareil nombre de nos troupes, et
ferait que tous les habitans du duché de Parme regarderaient notre cause
comme la leur; ce qui est toujours beaucoup. J'emploierai ce corps
devant Mantoue, ou pour l'escorte des prisonniers et des convois, ce
que nos gens font très-mal: sur quatre mille prisonniers, il s'en sauve
ordinairement mille; ce qui est produit par le petit nombre d'escortes
que je peux y mettre. J'ai essayé, pour les escortes, de quatre cents
hommes Milanais, ce qui m'a parfaitement réussi; il faudrait aussi que
le duc fût obligé de nous fournir un bataillon de pionniers fort de huit
cents hommes, avec les outils.

Éloignés, comme nous sommes de la France, ce sera pour nous un bon
secours que l'alliance de ce prince, puisque ses états sont sur le
théâtre de la guerre.

Les barbets désolent nos communications: ce ne sont plus des voleurs
isolés, ce sont des corps organisés de quatre à cinq cents hommes. Le
général Garnier, à la tête d'une colonne mobile que j'ai organisée,
occupe dans ce moment-ci Tende; il en a arrêté et fait fusiller une
douzaine.

L'administration du département du Var s'est refusée à fournir deux
cents hommes que j'ai mis en réquisition pour la formation de cette
colonne mobile. Le général Willot non-seulement a refusé d'obéir à un
ordre que j'ai donné pour le départ du dixième bataillon de l'Ain,
mais encore il a retenu la onzième demi-brigade, que le général
Châteauneuf-Randon envoyait à l'armée, et un escadron du dix-huitième
régiment de dragons. Ce général a cependant huit mille hommes dans sa
division, troupes suffisantes pour conquérir le midi de la France, s'il
était en révolte.

Je tiens en respect et je fais la police dans un pays ennemi plus étendu
que toute sa division, avec huit ou neuf cents hommes. Ce général a des
idées trop exagérées, et embrasse trop les différentes opinions des
partis qui déchirent la France, pour pouvoir maintenir l'ordre dans le
Midi sans une armée puissante.

Le général Willot a servi, au commencement de la révolution, à l'armée
d'Italie; il jouit de la réputation d'un brave homme et d'un bon
militaire, mais d'un royaliste enragé. Ne le connaissant pas, et n'ayant
pas eu le temps de peser ses opérations, je suis bien loin de confirmer
ce jugement; mais, ce qui me paraît bien avéré, c'est qu'il agit dans le
Midi comme dans la Vendée, ce qui est un bon moyen pour la faire naître.

Quand on n'a égard à aucune autorité constituée, que l'on déclare en
masse tous les habitans de plusieurs départemens indignes du nom de
citoyen, on veut ou se former une armée considérable, ou faire naître
la guerre civile: je ne vois pas de parti mitoyen. Si vous laissez le
général Willot à Marseille, il faut lui donner une armée de vingt mille
hommes, ou vous attendre aux scènes les plus affligeantes.

Quand une ville est en état de siège, il me semble qu'un militaire
devient une espèce de magistrat, et doit se conduire avec la modération
et la décence qu'exigent les circonstances, et il ne doit pas être un
instrument de factions, un officier d'avant-garde. Je vous soumets
toutes ces réflexions, spécialement par la nécessité que j'ai d'avoir
des troupes.

Je vous prie aussi d'ôter de dessous mes ordres la huitième division,
parce que les principes et la conduite du général Willot ne sont pas
ceux qu'il doit avoir dans sa place, et que je me croirais déshonoré de
voir, dans un endroit où je commande, se former un ferment de trouble,
et de souffrir qu'un général sous mes ordres ne soit qu'un instrument de
factions.

Par sa désobéissance et par son insubordination, il est la cause des
horreurs qui se commettent dans ce moment dans le département des
Alpes-Maritimes. Le convoi des tableaux chefs-d'oeuvre d'Italie a été
obligé de rentrer à Coni; il eût été pris par les barbets. Si le général
Willot n'obéit pas sur-le-champ à l'ordre que je lui ai donné de faire
partir la quatre-vingt-troisième demi-brigade, mon projet est de le
suspendre de ses fonctions. Nice même, dans ce moment-ci, n'est pas en
sûreté.

Les barbets tirent leurs forces du régiment provincial de Nice, que le
roi de Sardaigne a licencié; peut-être serait-il utile de faire un corps
particulier de tous les habitans des Alpes maritimes qui se sont trouvés
engagés dans le régiment provincial et le corps franc au moment de la
guerre. On pourrait, dans ce cas, déclarer qu'ils ne reprendront leurs
droits de citoyens qu'après avoir servi deux ans sous les drapeaux de la
république.

J'ai écrit au ministre des affaires étrangères et au roi de Sardaigne
lui-même des lettres très-fortes. J'espère que tous les jours le nombre
de ces brigands sera moins redoutable.

J'ai envoyé à Turin le citoyen Poussielgue, secrétaire de la légation à
Gênes, sonder les dispositions de ce cabinet pour un traité d'alliance;
il nous faut ce prince ou la république de Gênes. J'avais même désiré
une entrevue avec le ministre des affaires étrangères du roi de
Sardaigne, mais cela n'a pu s'arranger.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

La république de Venise a peur: elle trame avec le roi de Naples et le
pape; elle se fortifie et se retranche dans Venise. De tous les peuples
de l'Italie, le Vénitien est celui qui nous hait le plus: ils sont
tous armés, et il est des cantons dont les habitans sont braves. Leur
ministre à Paris leur écrit que l'on s'arme, sans quoi tout est perdu:
on ne fera rien de tous ces gens-là si Mantoue n'est pas pris.

Le roi de Naples a soixante mille hommes sur pied, il ne peut être
attaqué et détrôné que par dix-huit mille hommes d'infanterie et trois
mille de cavalerie. Il serait possible que, de concert avec l'Autriche
et Rome, il portât un corps sur Rome et ensuite sur Bologne et Livourne:
ce corps pourrait être de quinze mille hommes, et inquiéterait beaucoup
l'armée française.

Le grand-duc de Toscane est absolument nul sous tous les rapports.

Le duc de Parme se conduit assez bien; il est nul aussi sous tous les
rapports.

Rome est forte par son fanatisme: si elle se montre contre nous, elle
peut accroître de beaucoup la force du roi de Naples, m'obliger à tenir
trois mille hommes de plus sur mes derrières, par l'inquiétude qu'elle
mettrait dans l'esprit de ces peuples: seule, sans Naples, il faudrait
deux mille hommes d'infanterie et quinze cents de cavalerie pour la
soumettre. Si elle arme, le fanatisme lui donne quelque force; il y
aurait du sang de répandu: réunie avec Naples, l'on ne peut marcher à
Rome avec moins de vingt mille hommes d'infanterie et deux mille hommes
de cavalerie; et si l'on voulait aller à Naples après avoir été à Rome,
il faudrait une armée de vingt-quatre mille hommes d'infanterie et de
trois mille cinq cents de cavalerie. Je pense que six mille hommes
d'infanterie et cinq cents de cavalerie suffiraient pour tenir les états
du pape en respect, en s'y conduisant avec adresse et caractère, une
fois que l'on s'en serait rendu maître.

Le roi de Sardaigne fomente la rébellion des barbets. Si Naples et Rome
agissent contre nous, il faudra trois mille hommes de plus dans les
places du Piémont.

Gênes. Le 16 de ce mois, le ministre Faypoult présentera une note au
sénat, et nous ferons notre opération, conformément à vos ordres; si
elle réussit, nous pourrons compter sur le gouvernement.

Si vous persistez à faire la guerre à Rome et à Naples, il faut
vingt-cinq mille hommes de renfort, qui, joints aux vingt mille,
nécessaires pour tenir tête à l'empereur, font un renfort de
quarante-cinq mille hommes qu'il faudrait. Si vous faites la paix avec
Naples, et qu'il n'y ait que Rome, il serait possible, avec les seules
forces destinées à tenir tête à l'empereur, de profiter d'un moment
favorable pour l'écraser; il faudrait compter cependant sur un surcroît
de trois mille hommes.

Je crois que vous ne pouvez faire à la fois, dans la position actuelle
de la république, la guerre à Naples et à l'empereur. La paix avec
Naples est de toute nécessité: restez avec Rome en état de négociations
ou d'armistice jusqu'au moment de marcher sur cette ville superbe.

Rome deviendrait très-forte de sa réunion avec Naples. Si nous sommes
battus sur le Rhin, il nous convient de faire la paix avec Rome et avec
Naples.

Il est une autre négociation qui devient indispensable, c'est un traité
d'alliance avec le Piémont et Gênes. Je voudrais donner Massa et
Carrara, les fiefs impériaux à Gênes, et la faire déclarer contre la
coalition.

Si vous continuez la guerre avec Naples, il me paraît nécessaire de
prendre Lucques et d'y mettre garnison: cette place est forte et bien
armée; elle couvre les états de Gênes et offre une retraite à la
garnison de Livourne.

Par cette lettre et celles que je vous enverrai incessamment, vous
connaîtrez parfaitement notre position. Je n'avais jamais compté
qu'après avoir détruit en une campagne deux armées à l'empereur, il
en aurait une plus puissante, et que les deux armées de la république
hiverneraient bien loin du Danube: le projet de Trieste et de Naples
était fondé sur des suppositions.

J'ai écrit à Vienne, et ce soir le courrier part dans le même temps que
l'armée se porte sur la Brenta.

Je fais fortifier l'Adda; mais c'est une faible barrière. Je vous le
répète, des secours prompts, car l'empereur fait déjà filer ses troupes.

La négociation avec Rome a été mal conduite: il fallait, avant de
l'entamer, qu'elle eût rempli les conditions de l'armistice; l'on
pouvait au moins attendre quelques jours, et l'on aurait facilement eu
les cinq millions du second paiement, dont une partie était déjà arrivée
à Rimini. On a montré au pape tout le traité à la fois, il fallait au
contraire préalablement l'obliger à se prononcer sur le premier article;
mais surtout on ne devait pas choisir l'instant où l'armée était dans le
Tyrol, et l'on devait avoir à l'appui un corps de troupes à Bologne, qui
se serait accru par la renommée. Cela nous coûte dix millions, cinq de
denrées, et tous les chefs-d'oeuvre d'Italie, qu'un retard de quelques
jours nous aurait donnés.

Tous ces pays-ci sont si peuplés, la situation de nos forces est
si connue, tout cela est tellement travaillé par l'empereur et par
l'Angleterre, que la scène change tous les quinze jours.

Si nous ne réussissons pas dans tout ce que nous entreprendrons, je vous
prie de croire que ce ne sera pas faute de zèle et d'assiduité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).

_À Sa Majesté l'empereur d'Allemagne, roi de Hongrie et de Bohême,
archiduc d'Autriche, etc._

Sire, l'Europe veut la paix. Cette guerre désastreuse dure depuis trop
long-temps.

J'ai l'honneur de prévenir votre majesté que si elle n'envoie pas des
plénipotentiaires à Paris pour entamer les négociations de paix, le
directoire exécutif m'ordonne de combler le port de Trieste et de ruiner
tous les établissemens de votre majesté sur l'Adriatique. Jusqu'ici
j'ai été retenu dans l'exécution de ce plan, par l'espérance de ne pas
accroître le nombre des victimes innocentes de cette guerre.

Je désire que votre majesté soit sensible aux malheurs qui menacent ses
sujets, et rende le repos et la tranquillité au monde.

Je suis avec respect, de votre majesté,

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).

_Au chef de l'état-major._

J'apprends, citoyen général, que plusieurs négocians génois, en
conséquence d'une intrigue, sont sortis avec grand fracas de Gênes, et
se sont réfugiés à Milan, laissant entrevoir qu'ils sont instruits que
les Français doivent bombarder Gênes. Vous voudrez bien leur donner
ordre de sortir sur-le-champ de la Lombardie, et de retourner à Gênes,
ayant à coeur d'ôter aux malveillans les moyens d'inquiéter le brave
peuple de Gênes, auquel l'armée d'Italie a des obligations essentielles,
tant pour les blés qu'il nous a procurés dans les momens de détresse,
que par l'amitié que, de tout temps, il a témoignée pour la république.

Dans ce moment, où ils viennent de fermer leur port aux Anglais et de
chasser le ministre de l'empereur qui avait fomenté la rébellion des
fiefs impériaux, ils ont des droits plus particuliers à la protection de
la république française.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 13 vendémiaire an 5 (4 octobre 1796).

_Au citoyen Garreau, commissaire du gouvernement._

Nous avons le plus grand besoin d'argent, soit à l'armée, soit en
France: je crois donc qu'il faudrait que vous prissiez ce soir des
mesures pour faire ramasser le plus qu'il sera possible des sommes sur
les créances de la chambre, les capitaux de l'archiduc et les créances
connues sous le nom de Rivellet: ces trois objets pourront nous être
d'une grande ressource, et vous savez que nous avons besoin de ne rien
épargner.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 14 vendémiaire an 5 (5 octobre 1796).

_Au cardinal Mattei._

Les circonstances dans lesquelles vous vous êtes trouvé, Monsieur,
étaient difficiles et nouvelles pour vous; c'est à cela que je veux bien
attribuer les fautes essentielles que vous avez commises. Les vertus
morales et chrétiennes que tout le monde s'accorde à vous donner, me
font désirer vivement que vous vous rendiez dans votre diocèse.
Assurez tous les ministres du culte et les religieux des différentes
congrégations, de la protection spéciale que je leur accorderai, toutes
les fois cependant qu'ils ne se mêleront pas des affaires politiques des
nations.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 15 vendémiaire an 5 (6 octobre 1796).

_Au souverain pontife._

J'ai l'honneur de communiquer à votre sainteté un manifeste qui circule
dans la Romagne, afin de connaître s'il est officiel, ou s'il est publié
par les ennemis de la religion et de votre sainteté.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 15 vendémiaire an 5 (6 octobre 1796).

_Au citoyen Faypoult, ministre de la république française à Gênes._

J'apprends, citoyen ministre, que le citoyen Gosselin, commissaire
ordonnateur de l'armée, se trouve à Gênes: je vous prie de le faire
arrêter et conduire à Milan.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 15 vendémiaire an 5 (6 octobre 1796).

_Au chef de l'état-major._

Vous ferez arrêter et conduire à Milan le commissaire des guerres
Flague, partout où il se trouvera. Il est accusé d'avoir vendu un
tonneau de quinquina. On présume qu'il est à Livourne.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 vendémiaire an 5 (8 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Mantoue ne pourra pas être pris avant le mois de février, je dois déjà
vous l'avoir annoncé: vous verrez par là que notre position en Italie
est incertaine, et notre système politique très-mauvais.

Nous avons entamé des négociations avec Rome lorsque l'armistice n'était
pas rempli, lorsque dix millions en tableaux et cinq millions en denrées
étaient sur le point de nous être livrés. Rome arme, fanatise les
peuples; l'on se coalise de tous côtés contre nous, l'on attend le
moment pour agir, l'on agira avec succès si l'armée de l'empereur est un
peu renforcée.

Trieste est aussi près de Vienne que Lyon l'est de Paris: en quinze
jours les troupes y arrivent. L'empereur a déjà, de ce côté-là, une
armée.

Je vous ferai passer toutes les pièces qui vous mettront à même de juger
de notre position et de la situation des esprits.

Je crois la paix avec Naples très-essentielle, et l'alliance avec Gênes,
ou la cour de Turin, nécessaire.

Faites la paix avec Parme et une déclaration qui prenne sous la
protection de la France les peuples de la Lombardie, Modène, Reggio,
Bologne et Ferrare, et par-dessus tout, envoyez des troupes. Il est de
nécessité, à la fin d'une campagne comme celle-ci, d'envoyer quinze
mille hommes de recrues. L'empereur en a envoyé trois fois pendant la
campagne.

On gâte tout en Italie, le prestige de nos forces se dissipe: l'on
nous compte. Je crois imminent, et très-imminent, que vous preniez en
considération la situation de votre armée en Italie, que vous adoptiez
un système qui puisse vous donner des amis, tant du côté des princes
que du côté des peuples. Diminuez vos ennemis. L'influence de Rome est
incalculable. On a très-mal fait de rompre avec cette puissance; tout
cela sert à son avantage. Si j'eusse été consulté sur tout cela, j'eusse
retardé la négociation de Rome comme celle de Gênes et de Venise. Toutes
les fois que votre général en Italie ne sera pas le centre de tout, vous
courrez de grands risques. On n'attribuera pas ce langage à l'ambition;
je n'ai que trop d'honneur, et ma santé est tellement délabrée, que je
crois être obligé de vous demander un successeur. Je ne peux plus monter
à cheval, il ne me reste que du courage, ce qui est insuffisant dans un
poste comme celui-ci.

Tout était prêt pour l'affaire de Gênes; mais le citoyen Faypoult a
pensé qu'il fallait retarder. Environné de peuples qui fermentent, la
prudence veut que l'on se concilie celui de Gênes jusqu'à nouvel ordre.
J'ai fait sonder par le citoyen Poussielgue la cour de Turin, elle est
décidée à une alliance. Je continue cette négociation. Des troupes, des
troupes, si vous voulez conserver l'Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 vendémiaire an 5 (8 octobre 1796).

_Au directoire exécutif_.

Cent cinquante hommes de la garnison de Mantoue étaient sortis le 8, à
dix heures du matin, de la place, avaient passé le Pô à Borgoforte
pour chercher des fourrages; cependant, à cinq heures après midi, nous
achevâmes le blocus de Mantoue en nous emparant de la porte Pradella et
de celle de Cerese, comme j'ai eu l'honneur de vous en instruire par mon
dernier courrier.

Ce détachement, se trouvant par là séparé de Mantoue, chercha à se
retirer à Florence. Arrivé à Reggio, les habitans en furent instruits,
coururent aux armes et les empêchèrent de passer, ce qui les obligea à
se retirer dans le château de Monte-Chiragolo, sur les états du duc de
Parme. Les braves habitans de Reggio les poursuivirent, les investirent
et les firent prisonniers par capitulation. Dans la fusillade qui a eu
lieu, les gardes nationales de Reggio ont eu deux hommes tués. Ce sont
les premiers qui aient versé leur sang pour la liberté de leur pays.

Les braves habitans de Reggio ont secoué le joug de la tyrannie de leur
propre mouvement, et sans même être assurés qu'ils seraient soutenus par
nous.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 vendémiaire an 5 (8 octobre 1796).

_Au directoire exécutif_.

Je vous ferai passer, citoyens directeurs, une proclamation sur Modène.
Ces petits régentaux s'avisent de conspirer, je les ai prévenus.
Pourquoi faut-il que je n'aie pas deux brigades pour en faire autant à
Rome? Mais je n'ai pas de troupes disponibles, et Naples est là qui nous
obligerait à rétrograder. L'affaire de Modène améliore un peu notre
position.

Je suis ici environné de voleurs; j'ai déjà trois commissaires des
guerres, deux administrateurs et des officiers au conseil militaire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 18 vendémiaire an 5 (9 octobre 1796).

_Au commissaire du gouvernement._

Il faudrait, je crois, réunir un congrès à Modène et à Bologne, et le
composer des députés des états de Ferrare, Bologne, Modène et Reggio;
les députés seront nommés par les différens gouvernemens, de manière que
l'assemblée soit composée d'une centaine de personnes. Vous pourriez
faire la distribution proportionnée à la population en favorisant un peu
Reggio. Il faudra avoir soin qu'il y ait parmi ces députés des nobles,
des prêtres, des cardinaux, des négocians et de tous les états,
généralement estimés patriotes. On y arrêterait, 1°. l'organisation de
la légion italienne; 2°. l'on ferait une espèce de fédération pour la
défense des communes; 3°. ils pourraient envoyer des députés à Paris
pour demander leur liberté et leur indépendance. Ce congrès ne
devrait pas être convoqué par nous, mais seulement par des lettres
particulières: cela produirait un grand effet, et serait une base
de méfiance et d'alarme pour les potentats de l'Europe, et il est
indispensable que nous ne négligions aucun moyen pour répondre au
fanatisme de Rome, pour nous faire des amis et pour assurer nos
derrières et nos flancs. Je désirerais que ce congrès fût tenu le 23 de
ce mois. Je vous prie de prendre en grande considération cet objet, je
ferai en sorte de m'y trouver pour cette époque. Nous sommes ici sans un
sou, et tout coûte. Procurez-nous de l'argent.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 vendémiaire an 5 (10 octobre 1796).

_Au chef de l'état-major_.

Vous voudrez bien, général, donner l'ordre de faire arrêter l'officier
qui commandait le poste de la Chiuza lors de l'affaire du 11 thermidor,
et le faire traduire au conseil militaire comme traître ou lâche, ayant
rendu ce poste sans raison et sans y être forcé.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 vendémiaire an 5 (11 octobre 1796).

_Au directoire exécutif_.

L'affaire de Modène, citoyens directeurs, a parfaitement réussi: ce pays
est content et heureux de se voir délivré du joug qui pesait sur lui.
Les patriotes sont nombreux et en place. Je vous enverrai différens
imprimés qui vous mettront au fait de la tournure que je donne à
l'esprit pour opposer fanatisme à fanatisme, et nous faire des amis
des peuples qui, autrement, deviendraient nos ennemis acharnés. Vous y
trouverez l'organisation de la légion lombarde. Les couleurs nationales
qu'ils ont adoptées sont le vert, le blanc et le rouge.

Parmi les officiers, il y a beaucoup de Français; les autres sont des
officiers italiens, qui, depuis plusieurs années, se battent avec nous
à l'armée d'Italie. Le chef de brigade est un nommé Lahoz, milanais: il
était aide-de-camp du général Laharpe. Je l'avais pris avec moi; il est
connu des représentans qui ont été à l'armée d'Italie, et spécialement
du citoyen Ritter.

Je vous enverrai un manuscrit de l'organisation que je compte donner à
la première légion italienne. À cet effet, j'ai écrit aux commissaires
du gouvernement pour que les gouvernans de Bologne, de Modène, de Reggio
et de Ferrare aient à se réunir en congrès: cela se fera le 23. Je
n'oublie rien de ce qui peut donner de l'énergie à cette immense
population, et tourner les esprits en notre faveur. La légion lombarde
sera soldée, habillée, équipée par les Milanais. Pour subvenir à cette
dépense, il faudra les autoriser à prendre l'argenterie des églises, ce
qui vient à peu près à 1,000,000.

Je vous enverrai différentes lettres avec différentes notes du citoyen
Cacault. Tout annonce que, d'ici à un mois, de grands coups se porteront
en Italie. D'ici à ce temps, il faudra avoir conclu une alliance avec
Gênes ou avec le roi de Sardaigne. Vous ferez peut-être aussi très-bien
de faire la paix avec le roi de Naples.

J'ai renvoyé le citoyen Poussielgue à Turin pour continuer sa
négociation; je lui ai dit de vous instruire directement de Turin, de
l'issue de cette seconde entrevue.

Faites surtout que je sois instruit de notre position actuelle avec
Naples; vous savez que j'ai deux mille quatre cents hommes de cavalerie
napolitaine, que je fais surveiller, et qu'il faudrait prévenir, si nous
avions de plus fortes raisons de nous méfier de Naples: s'ils agissent
de leur côté en même temps que les Autrichiens et les autres puissances,
cela ne laisserait pas d'être un surcroît d'embarras. Au mois de
thermidor, lorsque je me repliais sur Brescia, je pensais à les faire
arrêter, et je ne l'osai pas.

Le général Serrurier m'écrit de Livourne que le grand-duc arme aussi.

Pour peu que ma santé me le permette, croyez que je n'épargnerai rien de
ce qui sera en mon pouvoir pour conserver l'Italie.

Je vous ferai tenir une lettre du citoyen Faypoult: il me paraît,
d'après cela, qu'on négocie l'affaire de Gênes à Paris, et que nous
avons bien fait de ne pas nous en mêler. Cette conduite inspire au
gouvernement génois de la méfiance. Je reviens à mon principe, en vous
engageant à traiter avant un mois avec Gênes et Turin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 vendémiaire an 5 (11 octobre 1796).

_Au directoire exécutif_.

Des corps nombreux de l'empereur filent dans le Tyrol. Les pluies
d'automne continuent toujours à nous donner beaucoup de malades. Il
n'y a pas grand'chose à espérer du renfort des hommes aux hôpitaux,
puisqu'il y a à présumer que c'est dans un mois que l'on frappera ici
les grands coups.

Je vous enverrai incessamment la réponse que le général Châteauneuf
m'a faite par un courrier extraordinaire que je lui avais expédié: il
s'ensuit donc que je ne puis rien espérer au-delà de deux mille hommes,
et votre ordre en portait six mille. Vous m'avez prévenu, par le dernier
courrier, qu'il allait m'arriver dix mille hommes, indépendamment de ces
deux mille hommes. Vous devez me faire connaître le jour et le lieu de
leur départ, avec leur état de situation: s'il part dix mille hommes,
vous devez calculer qu'il n'en arrivera que cinq mille.

Je ne sais pas encore si le général Kellermann fait venir la quarantième
de Lyon, et si le général Willot obéit à l'ordre que je lui ai donné de
faire partir la quatre-vingt-troisième. De ces deux demi-brigades, si
elles arrivent à temps, dépend peut-être le destin de l'Italie.

Je fais fortifier Pizzighitone, Reggio, et tous les bords de l'Adda.
J'ai fait fortifier également les bords de l'Adige; enfin, dans
l'incertitude du genre de guerre que je ferai et des ennemis qui
pourront m'attaquer, je n'oublie aucune hypothèse, et je fais dès
aujourd'hui tout ce qui peut me favoriser. Je fais mettre en même temps
les châteaux de Ferrare et d'Urbin près Bologne en état de défense.

Nous avons beaucoup d'officiers d'artillerie et du génie malades.
Faites-nous partir une dizaine d'officiers de chacune de ces armes, des
hommes actifs et braves: Mantoue nous a ruiné ces deux armes. Je vous
prie de laisser le commandement de ces armes au citoyen Chasseloup et
au général Lespinasse: ce sont deux très-bons officiers. J'ai tant de
généraux de brigade blessés et malades que, malgré ceux que vous faites
tous les jours, il m'en manque encore: il est vrai qu'on m'en a envoyé
de si ineptes, que je ne puis les employer à l'armée active.

Je vous prie de nous envoyer le général Duvigneau et quelques autres
de cette trempe. Envoyez-nous plutôt des généraux de brigade que des
généraux de division. Tout ce qui nous vient de la Vendée n'est pas
accoutumé à la grande guerre; nous faisons le même reproche aux troupes,
mais elles s'aguerrissent.

Mantoue est hermétiquement bloqué, et cela avec sept mille hommes
d'infanterie, et mille cinq cents hommes de cavalerie.

Envoyez-nous des hommes qui aient servi dans la cavalerie, pour recruter
nos régimens; nous leur procurerons des chevaux: qu'ils viennent avec
leur uniforme de dragons, chasseurs ou hussards, leurs sabres et
carabines, hormis les dragons qui doivent avoir des fusils comme
l'infanterie. Il y a tant de ces anciens gendarmes qui infestent les
rues de Paris: moyennant quelques recruteurs qui courraient les rues,
en faisant ressouvenir qu'ici on paye en argent, je crois qu'il serait
possible de vous en procurer un bon nombre. Nous avons plus de mille
deux cents hommes de cavalerie malades ou blessés, et leurs chevaux sont
à ne rien faire aux dépôts. Envoyez-nous des officiers de cavalerie,
chefs de brigade, capitaines, nous trouverons ici à les placer: que ce
soit des hommes qui se battent.

Je vous prie de donner la retraite aux chefs de brigade Goudran du
vingtième de dragons, et au citoyen Sérilhac du vingt-cinquième de
chasseurs: ce sont des hommes qui sont malades la veille d'une affaire;
ces gens-là n'aiment pas le sabre. Je vous prie aussi de faire donner la
retraite au citoyen Gourgonier, chef d'escadron au premier de hussards.

Le chef du septième régiment de hussards, qui a été blessé, est un brave
homme, mais il est trop vieux, et il faut lui accorder sa retraite.
Moyennant que ces officiers supérieurs manquent, les affaires écrasent
un petit nombre de braves qui finissent par être blessés, prisonniers ou
tués; et les corps se trouvent sans chef.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 vendémiaire an 5 (12 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous enverrai l'état de ce que l'armée a dépensé. Vous y verrez
que les calomnies que l'on s'est plu mal à propos à accumuler sur
l'ordonnateur Denniée ne peuvent pas l'atteindre. C'est un bon
travailleur et un homme d'ordre, sans avoir cependant des talens
transcendans.

Vous remarquerez qu'il y a une grande différence entre le compte du
payeur de l'armée et celui des commissaires du gouvernement: cela roule
sur quatre ou cinq millions. Les commissaires du gouvernement prétendent
avoir donné cinq millions de plus au payeur, qui, de son côté, est en
règle, puisqu'il dit: présentez-moi mes bons; d'ailleurs il connaît sa
dépense. Je crois que cette différence vient de ce que les commissaires
du gouvernement ont eux-mêmes ordonnancé des fonds et fait payer des
dépenses arriérées, sans que cet argent ait été versé dans la caisse du
payeur et que l'ordonnateur l'ait ordonnancé; ce qui est subversif de
toute comptabilité et de tout ordre. Il est à ma connaissance que trois
ou quatre adjudans-généraux, ayant été faits prisonniers, ont eu, à leur
retour, 3,000 liv. de gratification accordées par les commissaires:
vous sentez bien que l'ordonnateur n'aurait pas fait solder ces
gratifications. Elles ont été accordées à de braves officiers qui les
méritaient; mais cela a produit le mauvais effet de faire naître des
prétentions chez tous les officiers supérieurs qui ont été faits
prisonniers, et malheureusement il n'y a que trop d'argent de dépensé
en indemnités pour pertes. Au moindre petit échec, chacun a perdu son
porte-manteau; les conseils d'administration signent tout ce que l'on
veut, cela m'a fait prendre le parti de ne plus faire accorder, même
gratification de campagne, sans signature du ministre; ce qui nous
économisera beaucoup.

Vous voyez donc que, depuis six mois que nous sommes en campagne, on n'a
dépensé que onze millions: il reste donc à vous expliquer pourquoi on a
dépensé si peu, c'est que, 1°. on a long-temps vécu de réquisitions;
2°, nous avons eu des denrées en nature de Modène, Parme, Ferrare et
Bologne; 3°. la république nous a fourni et nous fournit encore beaucoup
de denrées; enfin nous vivons souvent avec les magasins de l'ennemi.

Je vous prie de nous envoyer le commissaire ordonnateur Naudin; il est
un peu vieux, mais je le connais pour un homme probe et sévère, il
pourra être chargé utilement pour la république d'un des services de
cette armée; je crois même que vous feriez bien de le faire ordonnateur
des contributions, chargé de correspondre avec le ministre des finances
et la trésorerie: vos commissaires pourraient alors en avoir simplement
la surveillance comme des autres parties, ce qui les rendrait au rôle
passif qu'ils doivent avoir par vos instructions, et remédierait aux
abus sans nombre qui existent.

Je ne puis pas d'ailleurs vous dissimuler qu'il n'y a presque aucun
ordre dans les contributions. Vos commissaires ne sont pas assez
habitués aux détails de la comptabilité; il faut de plus un esprit de
suite, que leurs occupations ou le grand caractère dont ils sont revêtus
ne leur permet pas d'avoir.

Je crois donc qu'un commissaire ordonnateur, chargé en chef des
contributions, indépendant du commissaire ordonnateur en chef, qui
aurait un payeur nommé par la trésorerie, surveillerait d'une manière
efficace la compagnie Flachat, en ce qu'il aurait un détail exact, une
comptabilité sûre de tout ce qu'il aurait remis et des lettres de change
qui sont tirées.

Enfin, vos commissaires font de beaux tableaux, qui ne s'accordent ni
avec ceux du payeur, ni avec ceux de la compagnie Flachat: pourquoi?
C'est que la comptabilité est une science à part; elle exige un travail
à part et une attention réfléchie: d'ailleurs, peut-être penserez-vous
qu'il convient de ne pas donner une comptabilité de détails à des hommes
qui ont une responsabilité morale et politique. Si, suivant l'esprit de
vos instructions, vos commissaires ne doivent que surveiller, il faut
que jamais ils n'agissent; et il y a, en général, une présomption
défavorable contre ceux qui manient de l'argent.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 vendémiaire an 5 (12 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Depuis que je suis à Milan, citoyens directeurs, je m'occupe à faire la
guerre aux fripons; j'en ai fait juger et punir plusieurs: je dois vous
en dénoncer d'autres. En leur faisant une guerre ouverte, il est clair
que j'intéresse contre moi mille voix, qui vont chercher à pervertir
l'opinion. Je comprends que, s'il y a deux mois, je voulais être duc
de Milan, aujourd'hui je voudrai être roi d'Italie; mais, tant que mes
forces et votre confiance dureront, je ferai une guerre impitoyable aux
fripons et aux Autrichiens.

La compagnie Flachat n'est qu'un ramassis de fripons sans crédit réel,
sans argent et sans moralité: je ne serai pas suspect pour eux, car
je les croyais actifs, honnêtes et bien intentionnés; mais il faut se
rendre à l'évidence.

1°. Ils ont reçu quatorze millions, ils n'en ont payé que six, et ils
refusent d'acquitter les mandats donnés par la trésorerie, à moins
de quinze ou vingt pour cent. Ces honteuses négociations se font
publiquement à Gênes. La compagnie prétend qu'elle n'a pas de fonds;
mais, moyennant cet honnête profit, elle consent à solder le mandat.

2°. Ils ne fournissent aucune bonne marchandise à l'armée; les plaintes
me viennent de tous côtés; ils sont même fortement soupçonnés d'avoir
fait pour plus de quatre-vingt mille quintaux de blé en versemens
factices, en corrompant les garde-magasins.

3°. Leur marché est onéreux à la république, puisqu'un million, qui
pèse, en argent, dix mille livres, serait transporté par cinq ou six
voitures, et en poste, pour cinq à six mille francs, tandis qu'il en
coûte près de cinquante mille, la trésorerie leur ayant accordé dans son
marché cinq pour cent. Flachat et Laporte ont peu de fortune et aucun
crédit; Peregaldo et Payen sont des maisons ruinées et sans crédit;
cependant, c'est à la réunion de ces quatre noms que l'on a confié tous
les intérêts de la république en Italie. Ce ne sont pas des négocians,
mais des agioteurs, comme ceux du Palais-Royal.

4°. Peregaldo, né à Marseille, s'est désavoué d'être Français; il a
renié sa patrie et s'est fait Génois: il ne porte pas la cocarde, il est
sorti de Gênes avec sa famille, répandant l'alarme en disant que
nous allions bombarder Gênes. Je l'ai fait arrêter et chasser de
la Lombardie. Devons-nous souffrir que de pareilles gens, plus mal
intentionnées et plus aristocrates que les émigrés mêmes, viennent nous
servir d'espions, soient toujours avec le ministre de Russie à Gênes, et
s'enrichissent encore avec nous?

Le citoyen Lacheze, consul à Gênes, est un fripon: sa conduite à
Livourne, en faisant vendre des blés à Gênes à vil prix, en est la
preuve.

Les marchandises ne se vendent pas à Livourne. Je viens de donner des
ordres à Flachat de les faire vendre; mais je parie que, grâce à tous
ces fripons réunis, cela ne rendra pas deux millions: ce qui devrait en
rendre sept au moins.

Quant aux commissaires des guerres, hormis Denniée, ordonnateur en chef,
Boinod, Mazad et deux ou trois autres, le reste n'est que des fripons:
il y en a trois en jugement; ils doivent surveiller, et ils donnent les
moyens de voler, en signant tout. Il faut nous en purger, et nous en
renvoyer de probes, s'il y en a; il faudrait en trouver qui eussent déjà
de quoi vivre.

Le commissaire ordonnateur Gosselin est un fripon: il a fait des marchés
de bottes à trente-six livres, qui ont été renouvelés depuis à dix-huit
livres.

Enfin, vous dirai-je qu'un commissaire des guerres, Flack, est accusé
d'avoir vendu une caisse de quinquina que le roi d'Espagne nous
envoyait? D'autres ont vendu des matelas; mais je m'arrête, tant
d'horreurs font rougir d'être Français. La ville de Crémone a fourni
plus de cinquante mille aunes de toile fine pour les hôpitaux, que ces
fripons ont vendue: ils vendent tout.

Vous avez calculé sans doute que vos administrateurs voleraient, mais
qu'ils feraient le service et auraient un peu de pudeur: ils volent
d'une manière si ridicule et si impudente, que, si j'avais un mois de
temps, il n'y en a pas un qui ne pût être fusillé. Je ne cesse d'en
faire arrêter et d'en faire mettre au conseil de guerre; mais on achète
les juges: c'est ici une foire, tout se vend. Un employé accusé d'avoir
mis une contribution de 18,000 fr. sur Salo, n'a été condamné qu'à deux
mois de fers. Et puis comment voulez-vous prouver? ils s'étayent tous.

Destituez ou faites arrêter le commissaire ordonnateur Gosselin;
destituez les commissaires dont je vous envoie la note. Il est vrai
qu'ils ne demandent peut-être pas mieux.

Venons aux agens de l'administration.

Thevenin est un voleur, il affecte un luxe insultant: il m'a fait
présent de plusieurs très-beaux chevaux dont j'ai besoin, que j'ai pris,
et dont il n'y a pas eu moyen de lui faire accepter le prix. Faites-le
arrêter et retenir six mois en prison; il peut payer 500,000 fr. de taxe
de guerre en argent: cet homme ne fait pas son service. Les charrois
sont pleins d'émigrés, ils s'appellent _royal charrois_, et portent
le collet vert sous mes yeux; vous pensez bien que j'en fais arrêter
souvent, mais ils ne sont pas ordinairement où je me trouve.

Sonolet, agent des vivres jusqu'aujourd'hui, est un fripon: l'agence des
vivres avait raison.

Ozou est un fripon et ne fait jamais son service.

Collot fait son service avec exactitude, il a du zèle et plus d'honneur
que ces coquins-là.

Le nouvel agent qui a été envoyé par Cerf-Beer paraît meilleur que
Thevenin. Je ne vous parle ici que des grands voleurs. Diriez-vous que
l'on cherche à séduire mes secrétaires jusque dans mon antichambre? Les
agens militaires sont tous des fripons. Un nommé Valeri est en jugement
à Milan, les autres se sont sauvés.

Le citoyen Faypoult, votre ministre; Poussielgue, secrétaire; et Sucy,
commissaire ordonnateur, honnêtes hommes, sont témoins des friponneries
que commet la compagnie Flachat à Gênes; mais je suis obligé de partir
demain pour l'armée; grande joie pour tous les fripons qu'un coup d'oeil
sur l'administration m'a fait connaître.

Le payeur de l'armée est un honnête homme, un peu borné; le contrôleur
est un fripon, témoin sa conduite à Bologne.

Les dénonciations que je fais, sont des dénonciations en âme et
conscience comme jury. Vous sentez que ce n'est pas dans ma place et
avec mon caractère que je vous les dénoncerais, si j'avais le temps de
ramasser des preuves matérielles contre chacun d'eux: ils se couvrent
tous.

Desgranges, agent des vivres, est intelligent; mais il nous faudrait ici
Saint-Maime, homme de mérite et de considération: le service se ferait,
et vous épargneriez plusieurs millions: je vous prie de nous l'envoyer.
Enfin il faudrait pour agens non pas des tripoteurs d'agiotage, mais des
hommes qui eussent une grande fortune et un certain caractère. Je n'ai
que des espions. Il n'y a pas un agent de l'armée qui ne désire notre
défaite, pas un qui ne corresponde avec nos ennemis; presque tous ont
émigré sous des prétextes quelconques; ce sont eux qui disent notre
nombre et qui détruisent le prestige: aussi je me garde plus d'eux
que de Wurmser; je n'en ai jamais avec moi; je nourris pendant les
expéditions mon armée sans eux, mais cela ne les empêche pas de faire
des comptes à leur manière.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai rendu compte, citoyens directeurs, que j'avais formé une
colonne mobile à Tende contre les barbets; elle remplit parfaitement sa
tâche. Les barbets sont mis de tous côtés en déroute, plusieurs de leurs
chefs ont été fusillés. Le général Garnier, qui commande cette colonne
mobile, montre beaucoup de zèle et se donne beaucoup de mouvement.

Les maladies continuent toujours, mais jusqu'à cette heure elles n'ont
pas fait de grands ravages.

Je vous avais demandé dans ma dernière lettre vingt-cinq mille fusils;
mais en ayant trouvé soixante-quatre mille à Livourne, appartenant au
roi d'Espagne, j'en ai fait prendre vingt mille que j'ai fait conduire
à l'armée. M. Azara, à qui j'en ai demandé la permission, m'a écrit
que cela ne le regardait pas, mais qu'il n'y voyait pas un grand
inconvénient, dès l'instant qu'on les ferait remplacer.

Je vous prie de prendre avec la cour d'Espagne les arrangemens que vous
croirez bons. Si vous lui faites rendre ces fusils aux Pyrénées, elle y
gagnera, puisqu'ils auraient pu être pris par les Anglais.

Les Autrichiens ont dans ce moment-ci quatorze mille hommes dans le
Tyrol et quinze mille sur la Piave: ils attendent de nouveaux renforts.
L'attaque tardera encore probablement quelques décades. Si la
quatre-vingt-troisième est partie de Marseille comme je l'ai ordonné, et
la quarantième de Lyon, comme le général Kellermann me l'a promis,
il n'y a rien à craindre, et nous battrons encore cette fois-ci les
Autrichiens. Si la circonstance de l'évacuation de la Méditerranée par
les Anglais vous portait à ne pas vouloir faire la paix avec Naples, il
faudrait chercher à l'amuser encore quelque temps. Je ne pense pas, si
nous sommes maîtres de la mer, qu'il ose faire avancer des troupes par
ici.

Si nous devenons maîtres de la Méditerranée, je crois qu'on doit exiger
du commerce de Livourne 5 ou 6,000,000 fr. au lieu de 2 qu'il offre pour
indemniser des marchandises qu'il a aux Anglais.

Enfin, citoyens directeurs, plus vous nous enverrez d'hommes, plus
non-seulement nous les nourrirons facilement, mais encore plus nous
lèverons de contributions au profit de la république. L'armée d'Italie
a produit dans la campagne d'été 20,000,000 fr. à la république,
indépendamment de sa solde et de sa nourriture: elle peut en produire le
double pendant la campagne d'hiver, si vous nous envoyez en recrues et
en nouveaux corps une trentaine de mille hommes.

Rome et toutes ses provinces, Trieste et le Frioul, même une partie du
royaume de Naples deviendront notre proie; mais, pour se soutenir, il
faut des hommes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous ferai passer, citoyens directeurs, la lettre que je viens
de recevoir du général Gentili: il paraît, d'après cela, que la
Méditerranée va devenir libre. La Corse, restituée à la république,
offrira des ressources à notre marine, et même un moyen de recrutement à
notre infanterie légère.

Le commissaire du gouvernement, Salicetti, part ce soir pour Livourne
pour se rendre en Corse. Je vais ordonner à la huitième division de
tenir un bataillon prêt à embarquer à Toulon; je ferai également partir
un bataillon de Livourne, lesquels, joints à deux corps de gendarmerie,
suffiront pour y établir le bon ordre.

Le général Gentili va commander provisoirement cette division: je lui
donne les instructions nécessaires pour l'organisation de deux corps
de gendarmerie. Je l'autorise provisoirement à mettre en réquisition
plusieurs colonnes mobiles, pour pouvoir donner force au commissaire du
gouvernement de pouvoir occuper les forteresses jusqu'à l'arrivée des
troupes françaises. Lorsque ces troupes seront arrivées dans l'île, mon
projet est d'y envoyer le général Berruyer pour y commander: j'y envoie
un officier d'artillerie et un du génie pour y organiser la direction;
mais comme cette île contient cinq à six forteresses aussi faibles
qu'inutiles, je leur prescris de ne faire aucune dépense, mais seulement
de faire des projets pour la défense du golfe Saint-Florent: il n'y a
que ce point qui soit bien essentiel à la république, et où dès-lors il
conviendrait de concentrer toute la défense de l'île, en y établissant
une place, une fortification permanente, et en y employant pour la
construire les sommes que coûteraient la réparation et l'entretien des
forteresses inutiles de Bastia, Corte, Calvi, Ajaccio et Bonifaccio,
où il suffit d'entretenir simplement des batteries de côtes. Si nous
eussions eu une place à Saint-Florent et que nous y eussions concentré
toutes nos forces, les Anglais ne se seraient pas emparés de cette île.

Comme l'établissement de Saint-Florent est encore en l'air, je crois que
vous devriez concentrer toute l'administration militaire à Ajaccio, qui,
jusqu'à ce que Saint-Florent soit devenu quelque chose, est le point le
plus intéressant de l'île. Ce serait une grande faute que de placer à
Bastia, comme l'avait fait l'ancienne administration, le point central
de l'administration, vu que Bastia étant situé du côté de l'Italie,
communique très-difficilement avec la France. L'expulsion des Anglais de
la Méditerranée a une grande influence sur le succès de nos opérations
militaires en Italie. L'on doit exiger de Naples des conditions plus
sévères, cela fait le plus grand effet moral sur l'esprit des Italiens,
assure nos communications, et fera trembler Naples jusque dans la
Sicile.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Bologne, Modène, Reggio et Ferrare se sont réunis en congrès, en
envoyant à Modène une centaine de députés: l'enthousiasme le plus vif
et le patriotisme le plus pur les animent; déjà ils voient revivre
l'ancienne Italie: leur imagination s'enflamme, leur patriotisme se
remue, et les citoyens de toutes les classes se serrent. Je ne serais
pas étonné que ce pays-ci et la Lombardie, qui forment une population
de deux à trois millions d'hommes, ne produisissent vraiment une
grande secousse dans toute l'Italie. La révolution n'a pas ici le même
caractère qu'elle a eu chez nous: d'abord, parce qu'elle n'a pas les
mêmes obstacles à vaincre et que l'expérience a éclairé les habitans;
nous sommes bien sûrs au moins que le fanatisme ne nous fera pas de mal
dans ce pays-ci, et que Rome aura beau déclarer une guerre de religion,
elle ne fera aucun effet dans ce pays conquis.

Une légion de deux mille cinq cents hommes s'organise, habillée, soldée
et équipée aux frais de ce pays-ci et sans que nous nous en mêlions.
Voilà un commencement de force militaire, qui, réunie aux trois mille
cinq cents que fournit la Lombardie, fait à peu près six mille hommes.
Il est bien évident que si ces troupes, composées de jeunes gens qui
ont le désir de la liberté, commencent à se distinguer, cela aura
pour l'empereur et pour l'Italie des suites très-importantes. Je vous
enverrai par le prochain courrier les actes et les manifestes publiés à
cette occasion par le congrès.

J'attends avec quelque impatience les troupes que vous m'annoncez. J'ai
fait sommer Wurmser dans Mantoue, je vous ferai passer la sommation;
je n'ai pas jugé à propos de me servir de l'arrêté que vous m'envoyez,
puisque vous m'en laissez le maître: par la réponse qu'il me fera, je
verrai le ton qu'il prend. Le courrier que vous m'avez ordonné d'envoyer
à Vienne est parti il y a long-temps: il doit être arrivé à cette heure,
et j'en attends la réponse.

Dès l'instant que je saurai bien positivement que les Anglais ont passé
le détroit, et que je saurai quelles sont vos intentions sur Naples
et où en sont vos négociations, je prendrai avec Rome le ton qu'il
convient: j'espère que j'obligerai ces gaillards-là à restituer l'argent
qu'ils envoyaient pour la contribution et qu'ils ont fait retourner de
Ravenne à Rome.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).

_Au général Gentili._

Vous passerez en Corse, citoyen général, pour y commander cette
division. Arrivé dans cette île, vous donnerez le commandement
temporaire de Bastia au citoyen Ristori, chef de brigade; celui
d'Ajaccio au citoyen Regi, chef de brigade; celui de Saint-Florent au
citoyen Jean-Charles Cotoni, capitaine; celui de Corte au citoyen Collé,
chef de brigade; celui de Bonifaccio au citoyen Sabrini, capitaine, et
celui de Calvi au citoyen Mamobli, capitaine.

Vous lèverez trois compagnies dans la garde nationale de Bastia, qui
feront le service de la forteresse; vous choisirez trois capitaines
patriotes, entre autres, le citoyen Girasco.

Vous lèverez deux compagnies dans la garde nationale d'Ajaccio, qui
feront le service de la garde de la forteresse; vous nommerez capitaines
les citoyens Tornano et Levio.

Vous lèverez de même une compagnie, prise dans la garde de Bonifaccio,
de Calvi, de Saint-Florent et de Corte, pour la garde des forteresses et
des magasins de la place.

Vous ferez extraire des compagnies de gendarmerie de la vingt-huitième
division tous les officiers et soldats qui sont des départemens du
Liamone et du Golo. Vous laisserez le commandement de la gendarmerie
du département du Liamone au citoyen Gentili, avec le grade de chef de
bataillon.

Vous vous concerterez avec le commissaire du gouvernement Salicetti pour
le choix des autres emplois; vous prendrez des hommes attachés à la
république et à la liberté.

Vous organiserez trois colonnes mobiles dans le département du Golo,
fortes chacune de trois cents hommes. Vous en organiserez deux dans
le département du Liamone. Vous donnerez le commandement de l'une au
citoyen Grimaldi; vous choisirez pour les deux autres des patriotes
braves et républicains: en Balagne et dans les terres des communes, vous
choisirez, pour commander l'une des colonnes mobiles du département du
Liamone, le citoyen Bouchi, et un patriote reconnu pour le côté de la
Rogue.

Vous accorderez un pardon général à tous ceux qui n'ont été qu'égarés;
vous ferez arrêter et juger par une commission militaire les quatre
députés qui ont porté la couronne au roi d'Angleterre, les membres du
gouvernement et les meneurs de cette infâme trahison, entre autres les
citoyens Pozzo di Borgo; Bertholani, Piraldi, Stefanopoli, Tartarolo,
Filipi et l'un des chefs de bataillon qui seront convaincus d'avoir
porté les armes contre les troupes de la république.

Ainsi, la vengeance nationale n'aura à peser que sur une trentaine
d'individus, qui se seront peut-être sauvés avec les Anglais.

Vous ferez également arrêter tous les émigrés, s'il y en avait qui
eussent l'audace de continuer leur séjour dans les terres occupées par
les troupes républicaines.

Mais je vous recommande surtout de faire une prompte justice de
quiconque, par un ressentiment contraire à la loi, se serait porté à
assassiner son ennemi; enfin, citoyen général, faites ce qui dépend
de vous pour rétablir la tranquillité dans l'île, étouffer toutes les
haines, et réunir à la république ce pays si longtemps agité.

Le payeur de l'armée aura soin de fournir aux dépenses de la solde des
différens corps de troupes françaises, qui partiront de Toulon au moment
où la liberté des passages sera constatée, et qui se rendront en Corse
pour occuper les forteresses.

Vous donnerez l'ordre au général Lavoni et à l'adjudant-général
Galliazzini de se rendre à Modène, ainsi qu'à tous les officiers
supérieurs qui seraient en activité dans les demi-brigades de cette
armée, hormis ceux qui auraient été désignés comme devant remplir des
commandemens temporaires, et qui dès-lors seront remplacés à leurs
corps.

L'ordre est donné pour qu'il ne soit payé aucun traitement à un officier
hors de sa demi-brigade; engagez tous ceux qui sont avec vous à
rejoindre leurs corps, où leur présence est nécessaire, tandis qu'elle
devient inutile en Corse. Cependant, si vous croyez qu'il y en ait
quelques-uns que vous dussiez garder, vous m'en enverrez la note, afin
qu'il leur soit accordé de deux à trois décades, pour ensuite rejoindre
leurs corps; vous aurez soin aussi de n'oublier aucun moyen pour faire
passer à Livourne et de là à l'armée le plus de Corses qu'il sera
possible. À cet effet, il sera nécessaire d'établir à Livourne un dépôt
pour les habiller, les armer et leur donner leur route, à mesure qu'ils
arriveront. Le seul moyen de faire sortir de Corse tous les hommes
inquiets, ceux mêmes qui ont combattu pour les Anglais, c'est de les
envoyer à l'armée. Si vous pouvez vous emparer de l'île d'Elbe avec le
général Serrurier, auquel je donne l'ordre de vous aider dans le cas
où cette expédition serait possible, je vous autorise à en prendre
possession.

Tenez-moi souvent instruit de tout ce que vous ferez. Donnez l'ordre à
deux des députés les plus intelligens de se rendre au quartier-général,
qui sera à Bologne ou à Ferrare.

BONAPARTE.



Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).

_Au citoyen Cacault, agent de la république à Rome._

Je reçois à l'instant la nouvelle que les Anglais évacuent la
Méditerranée: ils ont déjà évacué la Corse, qui a arboré l'étendard
tricolor, et m'a envoyé des députés pour prêter serment d'obéissance.

Un courrier arrivé de Toulon m'apporte la nouvelle que notre escadre,
composée de dix-huit vaisseaux de guerre et de dix frégates, est sur le
point de mettre à la voile; qu'elle est déjà dans la grande rade, et
qu'elle a à sa suite un convoi de soixante voiles chargé de troupes de
débarquement.

Le délire étrange du pays où vous êtes ne sera pas long, il y sera
bientôt porté un prompt remède. Cette folie passera comme un rêve; ce
qui restera, ce sera la liberté de Rome et le bonheur de l'Italie.

Cent députés de Bologne, Modène, Reggio et Ferrare ont été réunis ici:
il règne dans tous ces pays un enthousiasme auquel on n'avait pas
le droit de s'attendre. La première légion de la Lombardie est déjà
organisée, la première légion italienne s'organise: c'est le général
Rusca qui commande cette légion. Vous sentez bien que j'ai mis un bon
nombre de vieux officiers accoutumés à vaincre et à commander.

Restez, toutefois, encore à Rome. L'intention du gouvernement est qu'on
mette ces gens dans leur tort.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 28 vendémiaire an 5 (19 octobre 1796).

_Au peuple de Modène._

J'ai vu avec plaisir en entrant dans votre ville l'enthousiasme qui
anime les citoyens, et la ferme résolution où ils sont de conserver leur
liberté. La constitution et votre garde nationale seront promptement
organisées; mais j'ai été affligé de voir les excès auxquels se sont
portés quelques mauvais sujets indignes d'être Bolonais.

Un peuple qui se livre à des excès est indigne de la liberté; un peuple
libre est celui qui respecte les personnes et les propriétés. L'anarchie
produit la guerre intestine et les calamités publiques. Je suis l'ennemi
des tyrans; mais avant tout je suis l'ennemi des scélérats, des brigands
qui les commandent lorsqu'ils pillent; je ferai fusiller ceux qui,
renversant l'ordre social, sont nés pour l'opprobre et le malheur du
monde.

Peuple de Bologne, voulez-vous que la république française vous protège?
voulez-vous que l'armée française vous estime et s'honore de faire votre
bonheur? voulez-vous que je me vante quelquefois de l'amitié que vous me
témoignez? Réprimez ce petit nombre de scélérats, faites que personne ne
soit opprimé: quelles que soient ses opinions, nul ne peut être opprimé
qu'en vertu de la loi...; faites surtout que les propriétés soient
respectées.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ferrare, le 50 vendémiaire an 5 (21 octobre 1796).

_À Monsieur le cardinal Mattei._

La cour de Rome a refusé d'adopter les conditions de paix que lui a
offertes le directoire; elle a rompu l'armistice; et en suspendant
l'exécution des conditions, elle arme: elle veut la guerre, elle l'aura;
mais, avant de pouvoir de sang-froid prévoir la ruine et la mort des
insensés qui voudront faire obstacle aux phalanges républicaines, je
dois à ma nation, à l'humanité, à moi-même, de tenter un dernier effort
pour ramener le pape à des sentimens plus modérés, conformes à ses vrais
intérêts, à son caractère et à la raison. Vous connaissez, monsieur le
cardinal, les forces et la puissance de l'armée que je commande: pour
détruire la puissance temporelle du pape, il ne me faudrait que le
vouloir. Allez à Rome; voyez le Saint-Père, éclairez-le sur ses vrais
intérêts; arrachez-le aux intrigans qui l'environnent, qui veulent sa
perte et celle de la cour de Rome. Le gouvernement français permet
encore que j'écoute des négociations de paix; tout pourrait s'arranger.
La guerre, si cruelle pour les peuples, a des résultats terribles pour
les vaincus; évitez de grands malheurs au pape: vous savez combien je
désire finir par la paix une lutte que la guerre terminerait pour moi
sans gloire comme sans périls.

Je vous souhaite, monsieur le cardinal, dans votre mission, le succès
que la pureté de vos intentions mérite.

BONAPARTE.



Vérone, le 3 brumaire an 5 (24 octobre 1796).

_Au citoyen Cacault._

Je vous ferai passer une lettre du ministre Delacroix. Le directoire me
prévient que vous êtes chargé de continuer les négociations avec Rome.
Vous me tiendrez exactement instruit de ce que vous ferez, afin que je
saisisse le moment favorable pour exécuter les intentions du directoire
exécutif. Vous sentez bien qu'après la paix avec Naples et avec Gênes,
la bonne harmonie qui règne avec le roi de Sardaigne, la reprise de la
Corse et notre supériorité décidée dans la Méditerranée, je n'attendrai
que le moment pour m'élancer sur Rome et y venger l'honneur national: la
grande affaire actuellement est de gagner du temps. Mon intention est,
lorsque j'entrerai sur les terres du pape, ce qui encore est éloigné,
de le faire, en conséquence de l'armistice, pour prendre possession
d'Ancône; de là, je serai plus à même d'aller plus loin, après avoir mis
en ordre mes derrières.

Enfin, le grand art actuellement est de jeter réciproquement la balle
pour tromper le vieux renard. Si vous pouviez obtenir un commencement
d'exécution de l'armistice, je crois que cela serait bon, mais
difficile, à ce que je crois.

Nos affaires reprennent aujourd'hui, et la victoire paraît revenir sous
nos drapeaux.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 5 brumaire an 5 (24 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je suis fâché, citoyens directeurs, que votre lettre du 20 vendémiaire
me soit arrivée trop tard. Je vous prie de vous reporter aux
circonstances où je me trouvais: Rome imprimant des manifestes
fanatiques; Naples faisant marcher des forces; la régence de Modène
manifestant ses mauvaises intentions et rompant l'armistice en faisant
passer des convois à Mantoue. La république française se trouvait
avilie, menacée: ce coup de vigueur, de rompre l'armistice de Modène, a
rétabli l'opinion et a réuni Bologne, Ferrare, Modène et Reggio sous
un même bonnet. Le fanatisme s'est trouvé déjoué, et les peuples,
accoutumés à trembler, ont senti que nous étions encore là: la
république avait le droit de casser un armistice qui n'était pas
exécuté. La régence même ne désavoue pas d'avoir envoyé des secours dans
Mantoue.

Modène, Reggio, Ferrare et Bologne, réunis en congrès, ont arrêté une
levée de deux mille huit cents hommes, sous le titre de _Première légion
italienne_: l'enthousiasme est très-grand; les paysans qui portaient
des vivres dans Mantoue sont venus eux-mêmes nous apprendre les routes
cachées qu'ils tenaient. La plus parfaite harmonie règne entre nous et
les peuples.

A Bologne, ville de soixante-quinze mille âmes, l'enthousiasme est
extrême: déjà même la dernière classe du peuple s'est portée à des
excès; ils ne voulaient pas reconnaître le sénat: il a fallu les laisser
organiser leur constitution et me prononcer fortement pour le sénat,
afin de rétablir l'ordre.

A Ferrare, un évêque cardinal, prince romain qui jouit de 150,000 liv.,
donne tout au peuple et est toujours dans l'église. Je l'ai envoyé
à Rome sous le prétexte de négocier, mais dans la réalité pour m'en
débarrasser: il a été content de sa mission.

La folie du pape est sans égale; mais la nouvelle de Naples et de la
Méditerranée le fera changer. Mon projet, lorsque je le pourrai, est de
me rendre à Ancône au moyen de l'armistice, et de n'être ennemi que là.

Je vous ferai passer une proclamation que j'ai faite à Bologne, et la
lettre que j'ai écrite au cardinal archevêque de Ferrare.

Je vous fais mon compliment du traité souscrit avec Gênes: il est utile
sous tous les rapports.

La vente de Livourne se fait actuellement. J'occupe, avec une petite
garnison, Ferrare. Les barbets sont battus, défaits et fusillés. Vos
ordres pour mettre les licenciés à la solde du congrès de la Lombardie
sont exécutés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5

(25 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Nous sommes en mouvement: l'ennemi paraît vouloir passer la Piave pour
s'établir sur la Brenta; je le laisse s'engager: les pluies, les mauvais
chemins, les torrens m'en rendront bon compte.

Nous verrons comme cela s'engagera. Je vous prie de me dire la conduite
que je dois tenir à Trieste, si jamais, après la saison des pluies et
une bonne victoire, j'étais obligé de porter la guerre dans le Frioul.
Si vous pouviez envoyer trois frégates dans l'Adriatique, elles seraient
utiles dans toutes les hypothèses.

La paix avec Naples et Gênes, notre situation avec les peuples, et les
troupes que vous annoncez, vous assurent l'Italie, si elles arrivent. La
vingt-neuvième demi-brigade, partie de Paris, forte de 4,000 hommes,
est arrivée ici à 1100. Si Willot ne retient que 2,000 hommes, la
quatre-vingt-troisième devrait déjà être en marche. Cette très-bonne
demi-brigade est forte de 2,500 hommes: elle se repose depuis un an;
elle devrait, selon mes ordres, être déjà à Nice. Si je l'ai avant les
grands coups, comme il paraît que j'aurai la quarantième, j'espère
non-seulement battre les Autrichiens, prendre Mantoue, mais encore
prendre Trieste, obliger Venise à faire ce que l'on voudra, et planter
nos drapeaux au Capitole.

Il sera nécessaire d'envoyer en Corse au moins 1200 hommes; il serait
bon que quelques frégates se rendissent à Ajaccio et à Saint-Florent,
pour se faire voir.

Si vous envoyez quelques frégates dans l'Adriatique, il serait bon qu'un
officier de l'équipage vînt se concerter avec moi pour choisir un point
pour les protéger et de correspondance. Il serait bon qu'une grosse
gabarre vînt à l'embouchure du Pô, je la chargerais de chanvre et de
bois de construction: elle pourrait en place nous apporter trois mille
fusils, dix mille baïonnettes, deux mille sabres de chasseurs et de
hussards, quatre mille obus de six pouces, mille boulets de 12, et six
mille boulets de 18: ce sont des choses dont nous avons toujours
besoin. Je ne vois que ce moyen pour que la marine ait bientôt des
approvisionnemens, qui sont abondans dans le Ferrarais et la Romagne.
Si l'on craint de manquer de blé au printemps, l'on peut envoyer des
bateaux à l'embouchure du Pô, je ferai filer tout le blé que l'on
voudra.

Les neiges tombent, cela n'empêche pas de se battre dans le Tyrol. Il ne
sera pas impossible que j'évacue Trente: j'en serais fâché, les habitans
nous sont très-affectionnés; je ne le ferai qu'au moment où cela sera
utile: je n'y pense pas encore.

Wurmser est à la dernière extrémité; il manque de vin, de viande et de
fourrage; il mange ses chevaux et a quinze mille malades. Il a trouvé le
moyen de faire passer à Vienne la proposition que je lui ai faite. Je
crois que nous serons bientôt aux mains ici: dans cinq décades, Mantoue
sera pris ou délivré. S'il m'arrive seulement la quatre-vingt-troisième
et la quarantième, c'est-à-dire, cinq mille hommes, je réponds de tout;
mais, une heure trop tard, ces forces ne seront plus à temps. Si j'étais
forcé de me replier, Mantoue serait secouru.

Je fais travailler à force à fortifier Pizzighitone et le château de
Tresso, sur l'Adda, ainsi que nos deux ponts sur le Pô.

Six cents matelots ou soldats faits prisonniers par les Anglais sont
arrivés de Bastia à Livourne. Lorsque vous enverrez des troupes en
Corse, je crois que vous ferez bien de ne choisir, pour y commander,
aucun général ni commandant de place, de ce pays.

On a le projet, à ce que j'apprends, de donner une amnistie générale en
Corse: il faut, à ce que je crois, en excepter: 1°. les quatre députés
qui ont porté la couronne à Londres; 2°. les membres du conseil d'état
du vice-roi, composé de six personnes; enfin les émigrés, qui étaient
portés comme tels sur les registres du département. Je crois que c'est
la seule mesure de rendre l'amnistie sûre, cela n'en exceptera que douze
ou quinze; sur tant de coupables, c'est être indulgent.

J'ai fait arrêter à Livourne le citoyen Panalieri, secrétaire de Paoli,
arrivant de Londres, et venant de nouveau intriguer.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5

(25 octobre 1796).

_Au directoire exécutif._

Il paraît, citoyens directeurs, par votre lettre de vendémiaire, que les
savans et artistes se sont plaints d'avoir manqué de quelque chose: il
serait très-ingrat de notre part de ne pas leur donner tout ce qui leur
est nécessaire, car ils servent la république avec autant de zèle que de
succès, et je vous prie de croire que, de mon côté, j'apprécie plus
que personne les secours réels que rendent à l'état les arts et les
sciences, et que je serai toujours empressé de seconder de tout mon zèle
vos intentions sur cet objet.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5

(25 octobre 1796).

_Au citoyen Poussielgue._

J'ai reçu votre lettre du 30. Les propositions ne sont pas acceptables.
Donner toute la Lombardie pour un secours de huit mille hommes,
c'est-à-dire pour 5,000, car il n'y en aura jamais davantage, c'est trop
demander aujourd'hui, que la paix avec Naples et Gênes est faite. Le
Piémont gagne beaucoup à faire une alliance avec nous; il est sûr par là
d'effacer de l'esprit de ses sujets le mépris que leur donne le dernier
traité. Ajoutez à cela: 1°. des espérances vagues d'être favorisé dans
le traité de paix; 2°. les fiefs impériaux, ou un équivalent de masse du
côté de la rivière de Gênes: cela devrait être bien suffisant.

L'article II est inadmissible; jamais la France ne garantirait rien
qu'autant que le succès permettrait de l'obtenir. Continuez toujours vos
négociations.

Tout ici va bien.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5

(25 octobre 1796).

_Aux membres du congrès d'état._

Je vous autorise, messieurs, à prendre toutes les mesures que vous
croyez utiles, en les communiquant au général commandant la Lombardie,
et obtenant son approbation.

Vous pouvez, en conséquence, accorder aux étrangers la faculté d'acheter
des biens stables dans la Lombardie, rappeler tous les absens et surtout
ceux demeurant en pays ennemi, sous peine de séquestrer leurs biens;
saisir les rentes de ceux qui servent chez des puissances ennemies;
chasser tous les prêtres et les moines qui ne sont pas natifs de la
Lombardie; accroître l'imposition directe au point de pouvoir suffire à
la solde journalière de la légion lombarde; changer les municipalités,
les préteurs et les professeurs des écoles; et pour chacune de ces
mesures il vous faudra, à chaque acte, le conseil du général commandant
la Lombardie.

Quant à la saisie de toute l'argenterie des églises, je la crois
nécessaire; mais je pense que la moitié vous suffit pour la légion
lombarde; l'autre moitié sera versée dans la caisse de l'armée, qui
éprouve des besoins réels.

J'ai renvoyé l'exécution de cette mesure essentielle aux commissaires du
gouvernement, qui nommeront un agent pour se concerter avec vous.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 7 brumaire an 5

(28 octobre 1796).

_Au citoyen Cacault._

Je vous fais passer un paragraphe que je reçois en ce moment du
directoire. Je vous prie, en conséquence, de commencer des ouvertures
avec le cardinal secrétaire d'état, ou de vous servir du cardinal
Mattei, qui pourra parler directement au pape. Dès l'instant que la cour
de Rome sera décidée à ouvrir une nouvelle négociation avec nous, vous
m'en ferez part, et vous pourriez venir avec le ministre qu'elle aura
nommé, dans une ville que je vous indiquerai, comme par exemple,
Crémone.

Vous pouvez donc signifier au pape que la réponse de Paris m'est
arrivée, que, par une suite des sentimens de modération qu'a adoptés le
gouvernement français, il m'a chargé de terminer avec Rome toute espèce
de différent, soit par les armes, soit par une nouvelle négociation.
Désirant donner au pape une marque du désir que j'ai de voir cette
guerre si longue se terminer, et les malheurs qui affligent la nature
humaine avoir un terme, je lui offre une manière honorable de sauver
encore son honneur et le chef de la religion. Vous pouvez l'assurer de
vive voix que j'ai toujours été contraire au traité qu'on lui a proposé,
et surtout à la manière de négocier; que c'est en conséquence de mes
instances particulières et réitérées, que le directoire m'a chargé
d'ouvrir la route d'une nouvelle négociation. J'ambitionne bien plus
d'être le sauveur du Saint-Siège, que d'en être le destructeur. Vous
savez vous-même que nous avons toujours eu des principes conformes, et
moyennant la faculté illimitée que m'a donnée le directoire, si l'on
veut être sage à Rome, nous en profiterons pour donner la paix à cette
belle partie du monde, et tranquilliser les consciences timorées de
beaucoup de peuples.

J'attends votre réponse par le retour du courrier.

Rien de nouveau des armées. L'armée de Sambre-et-Meuse s'avance sur le
Mein, et l'armée du Rhin a délivré Kelh et est absolument hors de tout
danger.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5

(1er novembre 1796).

_A son altesse royale le duc de Parme et de Plaisance._

J'ai reçu la lettre de votre altesse royale, le 24 octobre; je me suis
empressé de satisfaire à ce qu'elle désire. L'intention du gouvernement
français est de faire tout ce qui pourra être agréable à votre altesse
royale: elle me trouvera, dans toutes les circonstances, prêt à lui
donner les secours et les forces dont elle pourrait avoir besoin.

Si des employés de l'armée se conduisaient mal, j'invite votre altesse
royale à les faire arrêter: lorsqu'ils sont dans ses états, ils doivent
s'y comporter avec la décence et le respect qui est dû à l'autorité du
prince. Lorsque votre altesse royale voudra m'en tenir instruit, je les
ferai sévèrement punir.

La bonne intelligence qui règne entre les deux états, la bonne conduite
que votre altesse royale a tenue dans toutes les circonstances, doivent
l'assurer de l'amitié et de la protection de la république française
contre ceux qui voudraient méconnaître son autorité et transgresser les
lois établies dans ses états. Je serai toujours charmé de trouver les
occasions de témoigner à votre altesse royale les sentimens d'estime et
de considération, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5

(1er novembre 1796).

_Au commandant de Plaisance._

L'intention du gouvernement français, citoyen, est que non-seulement
la neutralité qui existe entre la république française et les états de
Parme soit respectée, mais encore que le prince soit protégé par l'armée
française toutes les fois qu'il en aurait besoin.

Vous voudrez bien vous conduire en conséquence, et punir sévèrement tout
Français qui s'écarterait de cette conduite.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5

(1er novembre 1796).

_Au général Serrurier._

Je ne reconnais pas au commissaire du gouvernement le droit de faire
des arrêtés pour requérir des généraux de division. Je vous renvoie, en
conséquence, l'arrêté des commissaires.

Quand le général Gentili, chargé de l'expédition, vous demandera quelque
chose, vous serez maître de le lui accorder lorsque vous penserez qu'il
ne pourra en résulter aucun inconvénient; mais ne m'alléguez jamais un
arrêté des commissaires, qui pour moi est absolument insignifiant: et
cette méthode est sujette à trop d'abus pour que vous ne sentiez pas
vous-même la conséquence de ne pas y donner lieu. Quand les commissaires
vous envoient un arrêté, renvoyez-le, en disant que vous ne connaissez
d'ordres que ceux de l'état-major.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5

(1er novembre 1796).

_Au général Gentili._

J'ai reçu, citoyen général, la lettre que vous m'avez écrite. J'ai vu
avec plaisir que vous ne perdiez pas de vue l'occasion de vous emparer
de l'île d'Elbe. Je n'ai pas encore sur la Corse des nouvelles assez
précises; mais du moment que nous serons maîtres de la mer, des frégates
françaises se rendront à Ajaccio, et ce ne sera qu'à leur retour que
je ferai passer des troupes en Corse. Vous devez vivre en bonne
intelligence avec le commissaire du gouvernement, sans vous croire
obligé pourtant d'obéir à tous les arrêtés qu'il pourrait prendre pour
le service militaire, qui vous regarde seul. Vous devez surtout ne
permettre aucun acte législatif, ni qu'on s'éloigne en rien des lois
constitutionnelles de la république. Il faut que la Corse soit une bonne
fois française, et il ne faut plus y entretenir ce petit tripotage de
connivences particulières, qui tendent à éloigner les amis de la France.
Je ne crois pas que l'intention du gouvernement soit d'accorder une
amnistie aux quatre citoyens qui ont eu assez de bassesse pour porter la
couronne au roi d'Angleterre, et à ceux qui étaient membres du conseil
d'état.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5

(1er novembre 1796).

_Au commissaire ordonnateur en chef._

Le sénat de Bologne a fourni au citoyen Arena plus de soixante mille
aunes de toiles, estimées trois à quatre cent mille liv. Comme cet
entrepreneur n'avait point d'ordre pour fournir des chemises, que le peu
qu'il en a présenté au magasin était défectueux, impropre au service, et
de toile grossière, vous voudrez bien ordonner à cet entrepreneur de ne
faire aucune fourniture, mais le prévenir que la valeur de ladite toile
sera portée en compte de la valeur de ses fournitures de souliers: on
m'assure qu'il lui est dû à peu près le montant de ladite toile, surtout
en faisant prendre les quarante mille paires de souliers qu'il a dans ce
moment à Milan.

Je vous prie de ne pas perdre un instant pour vous rendre à Vérone avec
le payeur, parce qu'il est instant que nous prenions des mesures pour
le service de l'armée et des opérations qui doivent avoir lieu. Quoique
vous puissiez être incommodé, votre seule présence à Vérone vous mettra
à même de diriger le commissaire qui vous remplace, et de donner de
l'unité au service. Je vous prie, avant de partir, de voir le citoyen
Flachat, pour savoir si toutes les soies et marchandises qui existaient
à Milan sont vendues, et quels sont les fonds qu'il peut fournir à
l'armée.

Voyez aussi le congrès d'état et la municipalité de Milan, pour savoir
où en sont les contributions; voyez également sur cet objet les bureaux
des commissaires du gouvernement, et qu'ils vous disent enfin clairement
les ressources qu'ils ont pour l'armée: tous ces gens-là ne pensent qu'à
voler. S'il arrivait que vous ne pussiez pas absolument venir, voyez
à charger quelqu'un de votre opération; envoyez-lui, à cet effet, les
instructions dont il aura besoin.

J'apprends avec indignation que le citoyen Auzon se retire avec les
quinze ou seize cent mille liv. qu'il a à l'armée; cette conduite est
celle d'un escroc.

Le service des charrois de l'artillerie, celui des fourrages, celui de
la viande, enfin tous les services exigent que l'on prenne un parti.

Rendez-vous donc sur-le-champ ici.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 13 brumaire an 5

(3 novembre 1796).

_Au commissaire du gouvernement._

Nous manquons entièrement d'argent; toutes nos caisses sont vides et
tous nos services entravés: le service même du prêt du soldat n'est pas
assuré. Vos bureaux, citoyen commissaire, font de très-beaux états qui
ne sont jamais d'accord avec le payeur, et, depuis trois mois que l'on
cherche à concilier vos comptes, il n'y a jamais moyen de trouver
l'emploi de trois ou quatre millions qui existent de différence.

L'ordonnateur, depuis deux mois, n'a reçu que deux millions: tout
souffre, et nous sommes en présence de l'ennemi. Vous m'aviez dit que
vous faisiez passer les vingt-mille livres de Modène à Milan, et on n'en
a fait passer que la moitié. Des trois cent mille livres qui devaient
être soldées à Ferrare, il n'a été soldé que la moitié. Quant à
Livourne, bien loin de nous présenter de l'argent, on nous offre de cinq
à six cent mille liv., portées sans aucune forme légale. La compagnie
Flachat, qui a toutes les ressources de l'armée, qui a tous les fonds,
qui fait tous ses services en promesses, est la seule qui ait les moyens
de pourvoir aux besoins urgens du moment. Faites qu'elle verse dans la
caisse du payeur général de l'armée quinze cent mille liv. Vous devez
fournir à nos besoins, et depuis deux mois, l'ordonnateur crie que tous
les services manquent.

Je vous prie donc, citoyen commissaire, de songer que toute l'armée est
en mouvement, que nous sommes en présence de l'ennemi, que le moindre
retard peut nous être funeste; occupez-vous donc à faire fournir à
l'ordonnateur l'argent qui est nécessaire: nous sommes ici à la veille
des plus grands événemens. Si la quatre-vingt-troisième demi-brigade,
aujourd'hui soixante-quinzième, était partie de Marseille, conformément
à l'ordre que j'ai donné, nous n'aurions rien à craindre, mais trois
mille hommes de bonne troupe de moins, dans des circonstances comme
celles-ci, sont pour nous un terrible malheur. La quarantième même
arrive bien tard: il paraît que tout au plus le premier bataillon
arrivera à temps; cependant, comme nous avons quelques bataillons en
route, je vous prie d'expédier un courrier au général Kellermann, pour
le requérir et le prier de faire filer ce qu'il y a de disponible.
Toutes les troupes de l'Empire sont arrivées en poste avec une célérité
surprenante; ils paraissent vraiment décidés à faire de grands
sacrifices, et nous, on nous a livrés à nous-mêmes: de belles promesses
et quelques petits corps de troupe sont tout ce qu'on nous a donné.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vérone, le 15 brumaire an 5

(5 novembre 1796).

_Au général Baraguay d'Hilliers._

Nous sommes en présence de l'ennemi, qui a passé la Piave. Vous sentez
combien nous avons besoin de troupes; activez donc la marche de tous les
dépôts et de tous les bataillons qui nous arrivent, bien entendu que
vous prendrez des mesures pour que les fusils qui sont à Crémone soient
répartis aux dépôts de Lodi et de Cassano, et que tous les soldats qui
nous viendront soient armés. Vous dirigerez les dépôts des divisions
d'Augereau et de Masséna sur Verone, où ils prendront de nouveaux ordres
à l'état-major; les dépôts de Mantoue à l'ordinaire, et les dépôts de la
division du général Vaubois, à Peschiera, où ils recevront de nouveaux
ordres. Envoyez-nous promptement les quatre-vingts hommes du cinquième
régiment de dragons que vous avez gardés à Milan; faites partir le
premier bataillon de la légion lombarde pour Verone. Vous ne nous
écrivez plus assez. Nous ne savons plus exactement ce qui arrive à
Milan: il faut que vous ayez une correspondance suivie avec le général
qui commande à Tortone, pour être instruit du jour où partent les
différens bataillons de Tortone, des jours où ils arrivent à Milan, et
l'annoncer aussitôt.

L'ennemi paraît en force: il est nécessaire d'avoir à la fois de
l'activité, de la vigilance, et de seconder de votre mieux les
opérations de l'armée, spécialement les approvisionnemens de
l'artillerie. Ayez l'oeil sur ce qui pourrait se passer du côté de
Bergame et dans les vallées de Trompir et Dider: quoique ce soit loin de
vous, cela vous intéresse trop, pour que vous ne soyez pas prévenu avant
tous les autres de ce qui pourrait arriver de ce côté-là, qui méritât
votre attention.

L'armée manque totalement de fonds, le service même du prêt est
exposé. Je vous prie de remettre la lettre que je vous fais passer au
commissaire du gouvernement, s'il y est, ou au citoyen Flachat. Voyez
également le congrès d'état et la municipalité de Milan, pour que tout
ce qui est dû soit promptement payé.

Si nous faisons des prisonniers, peut-être les ferai-je passer de
l'autre côté du Pô, pour les dépayser. J'espère que la deuxième cohorte
de la légion lombarde sera promptement organisée, ce qui vous fournira
les moyens d'escorte.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 14 brumaire an 5

(4 novembre 1796).

_Au chef de l'état-major._

Le général Masséna a évacué aujourd'hui Bassano, à cinq heures du matin,
l'ennemi se trouvant en force à Castel Franco. La soixante-quinzième
doit être arrivée, à cette heure, à Vicence. Le général Augereau est
déjà à Montebello: indépendamment des hussards du premier régiment,
ce général aura encore le vingtième de dragons, fort de trois cent
cinquante hommes. J'ai donné au général Meynier le commandement de
Verone, au général Kilmaine le commandement depuis le fort de la Chiuza
jusqu'à Rovigo, ainsi que celui de Mantoue; il se tiendra à Verone.
Picot, qui est parti à minuit de Padoue, et qui a été jusque dans les
postes ennemis, m'assure qu'ils ne sont pas plus de 8 à 9,000 hommes.
Aucune de leurs patrouilles n'a encore paru à Padoue. Arrangez-vous
bien avec le général Vaubois pour qu'il exécute comme il faut les
dispositions du plan. J'espère que cette fois nous pourrons, d'un seul
coup, donner du fil à retordre. Si cette lettre vous rencontre en
chemin, faites-en part au général Vaubois, et par Dieu recommandez-lui
de ne pas ménager les courriers. Cet adjoint peut continuer jusque chez
le général Vaubois et me renvoyer Louis. Je ne serai pas fâché que le
citoyen Junot reste jusqu'à l'attaque de demain. S'il est convenu qu'on
doive attaquer demain, qu'il fasse en sorte que j'aie des nouvelles
trois fois dans la journée.

En passant la Chiuza, donnez un petit coup d'oeil, et assurez-vous
qu'il n'y manque pas de munitions de bouche; assurez-vous aussi de la
situation du pont et de l'espèce de garde qu'on y fait, cela toutefois
autant que la nuit vous le permettra.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Vicence, le 15 brumaire an 5

(5 novembre 1796).

_Au chef de l'état-major._

Nous sommes arrivés avec la division Augereau à Vicence: celle de
Masséna était à huit milles d'ici, où elle s'est arrêtée lorsqu'elle a
su notre arrivée. L'ennemi est entré hier au soir à Bassano, où l'on dit
qu'il n'a que deux ou trois mille hommes. Le reste de ses troupes, que
l'on porte à sept ou huit mille hommes, est à Citadella, un corps léger
a même passé la Brenta à Ospidaletta da Brenta. Masséna va aller les
chasser.

Pressez par tous les moyens possibles l'arrivée des cinq pontons; il
faudrait les faire venir en poste, vous avez dû les rencontrer entre
Villa-Nova et Montebello. Si ces pontons m'arrivent, je passerai la
Brenta cette nuit; j'ai fait préparer ici trente-six chevaux pour les
conduire où j'en aurai besoin. J'avais ordonné qu'on en préparât un égal
nombre à Montebello; jusqu'à cette heure, tout se dispose très-bien ici:
si nous avons nos pontons ce soir, la journée de demain sera décisive.
Masséna n'a perdu autre chose qu'un seul homme qui avait eu la cuisse
cassée, qu'il a déposé à l'hôpital de Bassano. J'imagine que le
bataillon des grenadiers arrivera aujourd'hui à Vicence. Je vous attends
avec impatience. Je n'ai pas de nouvelles du général Lespinasse, du
général Dommartin, ni d'aucun officier du génie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 18 brumaire an 5

(8 novembre 1796).

_Au général Rusca._

J'apprends par la lettre qui m'est apportée par le citoyen....., que les
affaires de la Grafagniana sont un peu arrangées.

Trois compagnies de grenadiers et cent cinquante hommes de piquet de la
dix-neuvième sont partis pour se rendre à Modène. Le citoyen Lahoz, chef
de brigade, est parti avec deux cohortes de sa légion et deux pièces de
canon pour se rendre également à Modène. J'ai envoyé l'ordre que vous
avez dû faire passer au général commandant à Livourne, pour qu'il envoie
trois cents hommes par Massa et Carrara. Je désire qu'avec ces forces,
et les deux cohortes de Modène et de Reggio, vous vous rendiez à
Castel-Novo, que vous fassiez arrêter et fusiller six chefs, que vous
fassiez brûler la maison d'une famille de ce pays, très-connue pour être
à la tête de la rébellion, et que vous fassiez arrêter douze otages et
désarmer tous ceux qui auront pris part à cette rébellion, après quoi
vous publierez un pardon général pour le passé. Vous mettrez dans le
château de Monte-Alfonso une garnison de cinquante hommes de la cohorte
de Modène; après quoi, vous donnerez l'ordre au citoyen Lahoz de se
rendre, avec ses deux cohortes et celles de Modène et de Reggio, six
pièces de canon et quatre-vingts hommes de cavalerie, à Livourne, pour y
tenir garnison sous les ordres du général commandant.

Vous donnerez l'ordre sur-le-champ à la cohorte de Bologne et à celle de
Ferrare de se rendre à Crémone. Je donne ordre au général Ménard, qui y
commande, de compléter leur armement.

Quant aux grenadiers et au piquet de la dix-neuvième, si vous croyez ne
pas en avoir besoin pour la Grafagniana, vous les retiendrez à Modène
jusqu'à ce que vos opérations soient finies, et immédiatement après vous
les renverrez à Milan.

J'oubliais de vous dire qu'il faudra faire prêter au gouvernement de
Modène, à la petite ville de Castel-Novo, et à tous les villages qui ont
pris part à la révolte, un nouveau serment d'obéissance à la république
française.

Mettez de l'éclat, dépêchez-vous, et punissez sévèrement les coupables,
afin que l'envie ne leur prenne pas de se révolter lorsque nous
pourrions être occupés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 24 brumaire an 5

(14 novembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous dois compte des opérations qui se sont passées depuis le 21 de
ce mois: s'il n'est pas satisfaisant, vous n'en attribuerez pas la faute
à l'armée: son infériorité, et l'épuisement où elle est des hommes les
plus braves me font tout craindre pour elle. Peut-être sommes-nous à la
veille de perdre l'Italie. Aucun des secours attendus n'est arrivé; la
quatre-vingt-troisième demi-brigade ne part pas; tous les secours venant
des départemens sont arrêtés à Lyon et surtout à Marseille. On croit
qu'il est indifférent de les arrêter huit ou dix jours, on ne songe pas
que les destinées de l'Italie et de l'Europe se décident ici pendant ce
temps-là. Tout l'empire a été en mouvement et y est encore. L'activité
de notre gouvernement, au commencement de la guerre, peut seule donner
une idée de la manière dont on se conduit à Vienne. Il n'est pas de jour
où il n'arrive cinq mille hommes; et, depuis deux mois qu'il est évident
qu'il faut des secours ici, il n'est encore arrivé qu'un bataillon de la
quarantième, mauvaise troupe et non accoutumée au feu, tandis que toutes
nos vieilles milices de l'armée d'Italie languissent en repos dans la
huitième division. Je fais mon devoir, l'armée fait le sien: mon âme est
déchirée, mais ma conscience est en repos. Des secours, envoyez-moi
des secours; mais il ne faut plus s'en faire un jeu: il faut, non de
l'effectif, mais du présent sous les armes. Annoncez-vous six mille
hommes, le ministre de la guerre annonce six mille hommes effectifs et
trois mille hommes présens sous les armes; arrivés à Milan, ils sont
réduits à quinze cents hommes: ce n'est donc que quinze cents hommes que
reçoit l'armée.

Je fus informé, le 10, qu'un corps de deux mille cinq cents Autrichiens
s'avançait de la Goricie, et déjà était campé sur la Piave; j'envoyai
aussitôt le général Masséna, avec un corps d'observation, à Bassano sur
la Brenta, avec ordre de se retirer à Vicence du moment que l'ennemi
aurait passé la Piave. J'ordonnai au général Vaubois d'attaquer les
postes ennemis dans le Trentin, et surtout de le chasser de ses
positions entre le Lawis et la Brenta. L'attaque eut lieu le 12, la
résistance fut vive. Le général Guieux emporta Saint-Michel et brûla
les ponts des ennemis; mais ceux-ci rendirent notre attaque nulle sur
Segonzano, et la quatre-vingt-cinquième demi-brigade y fut maltraitée
malgré sa valeur. Nous avons eu trois cents blessés, cent hommes tués et
deux cent cinquante prisonniers; nous avons fait cinq cents prisonniers,
et tué beaucoup de monde à l'ennemi.

Le 13, j'ordonnai que l'on recommençât l'attaque sur Segonzano, qu'il
fallait avoir; et en même temps instruit que l'ennemi a passé la Piave,
je pars avec la division du général Augereau. Nous nous joignons à
Vicence avec la division Masséna, et nous marchons, le 15, au-devant de
l'ennemi, qui avait passé la Brenta. Il fallait étonner comme la foudre,
et balayer, dès son premier pas, l'ennemi. La journée fut vive, chaude
et sanglante: l'avantage fut à nous, l'ennemi repassa la Brenta, et le
champ de bataille nous resta. Nous fîmes cinq cent dix-huit prisonniers,
et tuâmes considérablement de monde; nous enlevâmes une pièce de canon.
Le général Lanusse a été blessé d'un coup de sabre. Toutes les troupes
se sont couvertes de gloire.

Cependant le 13, l'ennemi avait attaqué le général Vaubois sur plusieurs
points et menaçait de le tourner, ce qui obligea ce général à faire sa
retraite sur la Pietra, sa droite adossée à des montagnes, sa gauche à
Mori. Le 16, l'ennemi ne se présenta point; mais, le 17, le combat fut
des plus opiniâtres. Déjà nous avions enlevé deux pièces de canon et
fait treize cents prisonniers, lorsque, à l'entrée de la nuit, une
terreur panique s'empara de nos troupes; la déroute devint complète:
nous abandonnâmes six pièces de canon.

La division prit, le 18, sa position à Rivoli et à la Corona par un pont
que j'avais fait jeter exprès. Nous avons perdu, dans cette retraite,
outre six pièces de canon, trois mille hommes tués, blessés ou
prisonniers. La perte de l'ennemi doit avoir été considérable.

Ayant appris une partie de ce qui se passait dans le Tyrol, je
m'empressai de partir le 17, à la pointe du jour, et nous arrivâmes le
18, à la pointe du jour, à Verone.

Le 21, à trois heures après midi, ayant appris que l'ennemi était parti
de Montebello et avait campé à Villa-Nova, nous partîmes de Verone. Nous
rencontrâmes son avant-garde à Saint-Martin. Augereau l'attaqua, la mit
en déroute, et la poursuivit trois milles: la nuit la sauva.

Le 22, à la pointe du jour, nous nous trouvâmes en présence. Il fallait
battre l'ennemi de suite; nous l'attaquâmes avec intelligence et
bravoure. La division Masséna attaqua la gauche, le général Augereau la
droite. Le succès était complet; le général Augereau s'était emparé
du village de Caldero, et avait fait deux cents prisonniers; Masséna
s'était emparé de la hauteur qui tournait l'ennemi, et avait pris
cinq pièces de canon; mais la pluie, qui tombait à seaux, se change
brusquement en une petite grelasse froide, qu'un vent violent portait au
visage de nos soldats, et favorise l'ennemi; ce qui, joint à un corps de
réserve qui ne s'était pas encore battu, lui fait reprendre la hauteur.
J'envoie la soixante-quinzième demi-brigade, qui était restée en
réserve, et tout se maintint jusqu'à la nuit; mais l'ennemi reste maître
de la position. Nous avons eu six cents blessés, deux cents morts et
cent cinquante prisonniers, parmi lesquels le général de brigade Launai,
le chef de brigade Dupuis, qui a été blessé pour la seconde fois.
L'ennemi doit avoir perdu davantage.

Le temps continue à être mauvais. Toute l'armée est excédée de fatigue
et sans souliers: je l'ai reconduite à Verone, où elle vient d'arriver.

Une colonne ennemie, commandée par Laudon, s'avance sur Brescia, une
autre sur Chiuza, pour faire sa jonction avec le corps d'armée. Pour
résister à tout cela, je n'ai que dix-huit mille hommes.

L'ennemi a au moins cinquante mille hommes, composés: 1°. d'un corps
autrichien venant du Rhin; 2°. de toutes les garnisons de la Pologne
et des frontières de la Turquie; 3°. du reste de son armée d'Italie,
recrutée de dix mille hommes.

Aujourd'hui, 24 brumaire, repos aux troupes; demain, selon les mouvemens
de l'ennemi, nous agirons. Je désespère d'empêcher la levée du blocus de
Mantoue, qui dans huit jours était à nous. Si ce malheur arrive, nous
serons bientôt derrière l'Adda, et plus loin s'il n'arrive pas de
troupes.

Les blessés sont l'élite de l'armée: tous nos officiers sapeurs, tous
nos généraux d'élite sont hors de combat; tout ce qui m'arrive est si
inepte! et ils n'ont pas la confiance du soldat. L'armée d'Italie,
réduite à une poignée de monde, est épuisée. Les héros de Lodi, de
Millesimo, de Castiglione et de Bassano sont morts pour leur patrie ou
sont à l'hôpital; il ne reste plus aux corps que leur réputation et
leur orgueil. Joubert, Lannes, Lanusse, Victor, Murat, Charlot, Dupuis,
Rampon, Pigeon, Menard, Chabran, sont blessés; nous sommes abandonnés
au fond de l'Italie. La présomption de mes forces nous était utile; on
publie à Paris, dans des discours officiels, que nous ne sommes que
trente mille hommes.

J'ai perdu dans cette guerre peu de monde, mais tous des hommes d'élite
qu'il est impossible de remplacer. Ce qui me reste de braves voit la
mort infaillible, au milieu de chances si continuelles et avec des
forces si inférieures. Peut-être l'heure du brave Augereau, de
l'intrépide Masséna, de Berthier, de..... est près de sonner: alors!
alors! que deviendront ces braves gens? Cette idée me rend réservé; je
n'ose plus affronter la mort, qui serait un sujet de découragement et de
malheur pour qui est l'objet de mes sollicitudes.

Sous peu de jours, nous essaierons un dernier effort: si la fortune nous
sourit, Mantoue sera pris, et avec lui l'Italie. Renforcé par mon armée
de siège, il n'est rien que je ne puisse tenter. Si j'avais reçu la
quatre-vingt-troisième, forte de trois mille cinq cents hommes connus
à l'armée, j'eusse répondu de tout! Peut-être, sous peu de jours, ne
sera-ce pas assez de quarante mille hommes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Modène, le 25 brumaire an 5 (15 novembre 1796).

_Au commissaire du gouvernement._

La compagnie Flachat n'a fait encore aucune vente; cependant elle a des
soies et autres marchandises assez importantes dans la Lombardie et à
Tortone. Les rentes qu'elle fait à Livourne se font par devant elle, il
est indispensable d'y faire intervenir le consul de la république.
Cette compagnie, qui a reçu quatorze à quinze millions, ne paye pas les
mandats, sous le prétexte qu'elle n'a pas d'argent, mais effectivement
pour les faire négocier par main tierce, à quinze ou vingt pour cent de
perte. Faites-vous remettre l'état des mandats qu'elle a aujourd'hui
acquittés; ordonnez-lui: 1°. d'afficher, sous vingt-quatre heures, la
vente de toutes les marchandises qu'elle a, pour être faite ensuite
conformément à votre arrêté; 2°. que tout l'argent provenant des
marchandises soit, vingt-quatre heures après, versé dans la caisse
centrale, sans que, sous quelque prétexte que ce soit, cette compagnie
puisse retenir cet argent; 3°. qu'elle vous remette l'état des versemens
en grains qu'elle a faits à l'armée depuis le commencement de la
campagne; car elle est fortement prévenue d'avoir fait des versemens
factices pour quatre-vingt mille quintaux.

Je vous engage à porter sur cette compagnie un oeil sévère. De tous
côtés, on réclame contre elle; tous ses agens sont d'un incivisme si
marqué, que je suis fondé à croire qu'une grande partie sert d'espions à
l'ennemi. Je vous prie de prévenir cette compagnie que, si M. Paragallo,
Français assez indigne pour avoir désavoué le caractère national, vient
en Lombardie, je le ferai mettre en prison. J'ai de fortes raisons pour
croire que cet homme a des liaisons avec le ministre de Russie à Gênes,
et je suis instruit d'ailleurs que je suis environné d'espions; les
employés qu'elle a à Livourne sont en grande partie des émigrés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).

_Au commissaire du gouvernement_.

L'armée est sans souliers, sans prêt, sans habits; les hôpitaux manquent
de tout; nos blessés sont sur le carreau et dans le dénûment le plus
horrible; tout cela provient du défaut d'argent, et c'est au moment où
nous venons d'acquérir 4,000,000 à Livourne, et où les marchandises
que nous avons à Tortone et à Milan nous offrent encore une ressource
réelle. Modène devait aussi nous donner 1,800,000 fr., et Ferrare des
contributions assez fortes; mais il n'y a ni ordre ni ensemble dans la
partie des contributions dont vous êtes spécialement chargé. Le mal est
si grand, qu'il faut un remède. Je vous prie de me répondre dans la
journée si vous pouvez pourvoir aux besoins de l'armée; dans le cas
contraire, je vous prie d'ordonner au citoyen Haller, fripon qui n'est
venu dans ce pays-ci que pour voler, et qui s'est érigé intendant des
finances des pays conquis, qu'il rende ses comptes à l'ordonnateur en
chef qui est à Milan, et en même temps de leur laisser prendre les
mesures pour procurer à l'armée ce qui lui manque. L'intention du
gouvernement est que ses commissaires s'occupent spécialement des
besoins de l'armée, et je vois avec peine que vous ne vous en occupez
pas, et que vous laissez ce soin à un étranger dont le caractère et les
intentions sont très-suspectes.

Le citoyen Salicetti fait des arrêtés d'un côté, vous de l'autre; et le
résultat de tout cela est que l'on ne s'entend pas et que l'on n'a
pas d'argent. Les quinze cents hommes que nous tenons à Livourne
nous coûtent plus qu'une armée; enfin nous sommes, grâce à tous ces
inconvéniens-là, sur le point de manquer des choses indispensables. Nos
soldats manquent déjà de ce qu'ils ne devraient pas manquer dans un pays
aussi riche, et après les succès qu'ils obtiennent.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je suis si harassé de fatigue, citoyens directeurs, qu'il ne m'est pas
possible de vous faire connaître tous les mouvemens militaires qui ont
précédé la bataille d'Arcole, qui vient de décider du sort de l'Italie.

Informé que le feld-maréchal Alvinzi, commandant l'armée de l'empereur,
s'approchait de Verone, afin d'opérer sa jonction avec les divisions de
son armée qui sont dans le Tyrol, je filai le long de l'Adige avec les
divisions Augereau et Masséna; je fis jeter, dans la nuit du 24 au 25,
un pont de bateaux à Ronco, où nous passâmes cette rivière: j'espérais
arriver dans la matinée à Villa-Nova, et par là enlever les parcs
d'artillerie de l'ennemi, ses bagages, et attaquer l'armée ennemie par
le flanc et ses derrières. Le quartier-général du général Alvinzi était
à Caldero; cependant, l'ennemi, qui avait eu avis de quelques mouvemens,
avait envoyé un régiment de Croates et quelques régimens hongrois dans
le village d'Arcole, extrêmement fort par sa position, au milieu de
marais et de canaux.

Ce village arrêta l'avant-garde de l'armée pendant toute la journée. Ce
fut en vain que les généraux, sentant toute l'importance du temps, se
jetèrent à la tête pour obliger nos colonnes de passer le petit pont
d'Arcole: trop de courage nuisit; ils furent presque tous blessés:
les généraux Verdier, Bon, Verne, Lannes furent mis hors de combat,
Augereau, saisissant un drapeau, le porta au-delà du pont; il resta
là plusieurs minutes sans produire aucun effet. Cependant, il fallait
passer ce pont, ou faire un détour de plusieurs lieues, qui nous aurait
fait manquer toute notre opération: je m'y portai moi-même, je demandai
aux soldats s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi; ma présence
produisit sur les troupes un mouvement qui me décida encore à tenter le
passage. Le général Lannes, blessé déjà de deux coups de feu, retourna
et reçut une troisième blessure plus dangereuse; le général Vignolle fut
également blessé. Il fallut renoncer à forcer de front ce village, et
attendre qu'une colonne commandée par le général Guieux, que j'avais
envoyée par Albaretto, fût arrivée. Elle n'arriva qu'à la nuit, s'empara
du village, prit quatre pièces de canon et fit quelques centaines de
prisonniers. Pendant ce temps-là, le général Masséna attaquait une
division que l'ennemi faisait filer sur notre gauche; il la culbuta et
la mit dans une déroute complète.

On avait jugé à propos d'évacuer le village d'Arcole, et nous nous
attendions, à la pointe du jour, à être attaqués par toute l'armée
ennemie, qui se trouvait avoir eu le temps de faire filer ses bagages et
ses parcs d'artillerie, et de se porter en arrière pour nous recevoir.

À la petite pointe du jour, le combat s'engagea partout avec la plus
grande vivacité. Masséna, qui était sur la gauche, mit en déroute
l'ennemi et le poursuivit jusqu'aux postes de Caldero. Le général
Robert, qui était sur la chaussée du centre, avec la soixante-cinquième,
culbuta l'ennemi à la baïonnette et couvrit le champ de bataille de
cadavres. J'ordonnai à l'adjudant Vial de longer l'Adige avec une
demi-brigade, pour tourner toute la gauche de l'ennemi; mais ce
pays offre des obstacles invincibles; c'est en vain que ce brave
adjudant-général se précipite dans l'eau jusqu'au cou, il ne peut pas
faire une diversion suffisante. Je fis, pendant la nuit du 26 au 27,
jeter des ponts sur les canaux et les marais, le général Augereau y
passa avec sa division. À dix heures du matin, nous fûmes en présence:
le général Masséna à la gauche, le général Robert au centre, le général
Augereau à la droite. L'ennemi attaqua vigoureusement le centre, qu'il
fit plier. Je retirai alors la trente-deuxième de la gauche, je la
plaçai en embuscade dans les bois, et au moment où l'ennemi, poussant
vigoureusement le centre, était sur le point de tourner notre droite, le
général Gardanne sortit de son embuscade, prit l'ennemi en flanc et en
fit un carnage horrible. La gauche de l'ennemi, étant appuyée à des
marais et par la supériorité du nombre, imposait à notre droite:
j'ordonnai au citoyen Hercule, officier de mes guides, de choisir 25
hommes dans sa compagnie, de longer l'Adige d'une demi-lieue, de tourner
tous les marais qui appuyaient la gauche des ennemis, et de tomber
ensuite au grand galop sur le dos de l'ennemi en faisant sonner
plusieurs trompettes. Cette manoeuvre réussit parfaitement; l'infanterie
ennemie se trouva ébranlée, le général Augereau sut profiter du moment.
Cependant, elle résiste encore quoiqu'en battant en retraite, lorsqu'une
petite colonne de huit à neuf cents hommes, avec quatre pièces de canon
que j'avais fait filer par Porto-Legnago pour prendre une position en
arrière de l'ennemi et lui tomber sur le dos, acheva de la mettre en
déroute. Le général Masséna, qui s'est reporté au centre, marcha droit
au village d'Arcole, dont il s'empara, et poursuivit l'ennemi jusqu'au
village de San-Bonifacio; mais la nuit nous empêcha d'aller plus avant.

Le fruit de la bataille d'Arcole est: quatre à cinq mille prisonniers,
quatre drapeaux, dix-huit pièces de canon. L'ennemi a perdu au moins
quatre mille morts et autant de blessés.

Outre les généraux que j'ai nommés, les généraux Robert et Gardanne ont
été blessés. L'adjudant-général Vaudelin a été tué. J'ai eu deux de mes
aides-de-camp tués, les citoyens Elliot et Muiron, officiers de la plus
grande distinction; jeunes encore, ils promettaient d'arriver un jour
avec gloire aux premiers postes militaires. Notre perte, quoique très
peu considérable, a été très-sensible, en ce que ce sont presque tous
nos officiers de distinction.

Cependant le général Vaubois a été attaqué et forcé à Rivoli, position
importante gui mettait à découvert le blocus de Mantoue. Nous partîmes,
à la pointe du jour, d'Arcole. J'envoyai la cavalerie sur Vicence à la
poursuite des ennemis, et je me rendis à Verone, où j'avais laissé le
général Kilmaine avec trois mille hommes.

Dans ce moment-ci, j'ai rallié la division Vaubois, je l'ai renforcée,
et elle est à Castel-Novo. Augereau est à Verone, Masséna sur
Villa-Nova.

Demain, j'attaque la division qui a battu Vaubois, je la poursuis jusque
dans le Tyrol, et j'attendrai alors la reddition de Mantoue, qui ne doit
pas tarder quinze jours. L'artillerie s'est comblée de gloire.

Les généraux et officiers de l'état-major ont montré une activité et
une bravoure sans exemple, douze ou quinze ont été tués; c'était
véritablement un combat à mort: pas un d'eux qui n'ait ses habits
criblés de balles.

Je vous enverrai les drapeaux pris sur l'ennemi.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).

_Au citoyen Carnot, membre du directoire._

Les destinées de l'Italie commencent à s'éclaircir; encore une victoire
demain, qui ne me semble pas douteuse, et j'espère, avant dix jours,
vous écrire du quartier-général de Mantoue. Jamais champ de bataille n'a
été aussi disputé que celui d'Arcole; je n'ai presque plus de généraux,
leur dévouement et leur courage sont sans exemple. Le général de brigade
Lannes est venu au champ de bataille, n'étant pas encore guéri de la
blessure qu'il a reçue à Governolo. Il fut blessé deux fois pendant
la première journée de la bataille; il était, à trois heures
après-midi, étendu sur son lit, souffrant, lorsqu'il apprend que je me
porte moi-même à la tête de la colonne; il se jette à bas de son lit,
monte à cheval et revient me trouver. Comme il ne pouvait pas être à
pied, il fut obligé de rester; il reçut; à la tête du pont d'Arcole, un
coup qui l'étendit sans connaissance. Je vous assure qu'il fallait
tout cela pour vaincre; les ennemis étaient nombreux et acharnés, les
généraux à leur tête: nous en avons tué plusieurs.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).

_Au général Clarke._

Votre neveu Elliot a été tué sur le champ de bataille d'Arcole. Ce jeune
homme s'était familiarisé avec les armes, il a plusieurs fois marché à
la tête des colonnes; il aurait été un officier estimable; il est mort
avec gloire et en face de l'ennemi, il n'a pas souffert un instant. Quel
est l'homme raisonnable qui n'envierait pas une telle mort? Quel est
celui qui, dans les vicissitudes de la vie, ne s'estimerait point
heureux de sortir de cette manière d'un monde si souvent méprisable?
Quel est celui d'entre nous qui n'a pas regretté cent fois de ne pas
être ainsi soustrait aux effets puissans de la calomnie, de l'envie,
et de toutes les passions haineuses qui semblent presque exclusivement
diriger la conduite des hommes?

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 5 frimaire an 5

(23 novembre 1796).

_Au citoyen Miot._

Je reçois, citoyen ministre, la lettre que vous m'avez écrite avant de
partir pour la Corse. La mission que vous avez à remplir est extrêmement
difficile; ce ne sera que lorsque toutes les affaires seront arrangées,
qu'il sera permis de faire passer des troupes en Corse. Vous y trouverez
le général Gentili, qui commande cette division. C'est un honnête homme,
généralement estimé dans ce pays.

Le Corse est un peuple extrêmement difficile à connaître; ayant
l'imagination très-vive, il a les passions extrêmement actives.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 3 brumaire an 5

(24 novembre 1796).

_A monsieur Paul Greppi._

J'ai reçu, monsieur, la lettre que vous vous êtes donné la peine de
m'écrire de Milan, en date du 6 brumaire dernier.

J'y ai vu avec indignation le détail de la scène anarchique et
licencieuse dont vous avez failli être la victime. Tant que les armées
françaises seront à Milan, je ne souffrirai jamais que les propriétés
soient insultées, non plus que les personnes. Je désire qu'après avoir
fait votre tournée en Toscane, vous retourniez dans votre patrie à
Milan; et soyez sûr qu'on réprimera cette poignée de brigands, presque
tous étrangers à Milan, qui croient que la liberté est le droit
d'assassiner, qui ne pensent pas à imiter le peuple français dans ses
momens de courage et dans les élans de vertus qui ont étonné l'Europe,
mais qui chercheraient à renouveler ces scènes horribles produites par
le crime, et dont les auteurs seront l'objet éternel de la haine et du
mépris du peuple français, même de l'Europe et de la postérité. Soyez
donc sans inquiétude; et persuadez-vous que le peuple français et
l'armée que je commande, ne laisseront jamais asseoir sur les ruines de
la liberté la hideuse et dégoûtante anarchie: nous avons des baïonnettes
pour exterminer les tyrans, mais avant tout le crime.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 4 frimaire an 5

(24 novembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai instruit, citoyens directeurs, par ma dernière lettre, que le
général Vaubois avait été obligé d'abandonner la position de Rivoli, et
que l'ennemi était déjà arrivé à Castel-Novo: je profitai de la déroute
de l'ennemi à Arcole pour faire repasser sur-le-champ l'Adige à la
division du général Masséna, qui opéra sa jonction à Villa-Franca avec
celle du général Vaubois, et, réunies, elles marchèrent à Castel-Novo,
le 1er frimaire, tandis que la division du général Augereau se portait
sur les hauteurs de Sainte-Anne, afin de couper la vallée de l'Adige à
Dolce, et par ce moyen couper la retraite de l'ennemi.

Le général Joubert, commandant l'avant-garde des divisions Masséna et
Vaubois réunies, atteignit l'ennemi sur les hauteurs de Campora;
après un combat assez léger, nous parvînmes à entourer un corps de
l'arrière-garde ennemie, lui faire douze cents prisonniers, parmi
lesquels le colonel du régiment de Berberek. Un corps de trois à quatre
cents hommes ennemi, voulant se sauver, se noya dans l'Adige.

Nous ne nous contentâmes pas d'avoir repris la position de Rivoli et de
la Corona, nous poursuivîmes l'ennemi à Preabano. Augereau, pendant
ce temps-là, avait rencontré un corps ennemi sur les hauteurs
de Sainte-Anne, et l'avait dispersé, lui avait fait trois cents
prisonniers, était arrivé à Dolce, avait brûlé deux équipages de
pontons, leurs haquets, et enlevé quelques bagages.

Le général Wurmser a fait une sortie sur Mantoue hier, 3, à sept heures
du matin; la canonnade a duré toute la journée. Le général Kilmaine l'a
fait rentrer comme à l'ordinaire, plus vite qu'il n'était sorti, et lui
a fait deux cents prisonniers, pris un obusier et deux pièces de canon.
Wurmser était en personne à cette sortie. Voilà la troisième fois,
m'écrit le général Kilmaine, que Wurmser tente de faire des sorties,
toutes les fois avec aussi peu de succès. Wurmser n'est heureux que dans
les journaux que les ennemis de la république soldent à Paris.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 14 frimaire an 5

(4 décembre 1796).

_Au général Rusca._

Il est essentiel, citoyen général, d'occuper le fort de Grafagniana
et de faire terminer les troubles qui altèrent la tranquillité de ce
pays-là; je n'ai pas de renseignemens assez positifs pour déterminer le
parti qu'il convient de prendre, je vous prie de me faire un détail de
ce que je dois penser à ce sujet.

Je vous autorise à ordonner aux otages qui ont été la cause du trouble,
de se rendre à Milan, si vous le jugez nécessaire.

Faites arrêter et conduire à Milan le général du pape, qui est à Modène.

Ayez la plus grande surveillance, et instruisez-moi de ce qui se trame;
faites courir le bruit que je fais passer six mille hommes à Modène,
cela imposera.

Ordonnez sur-le-champ qu'il y ait deux députés de la Grafagniana au
congrès de Modène, je vous autorise à les nommer.

J'attends, par le retour de l'ordonnance, des renseignemens précis, qui
me mettent à même de prendre un parti.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 14 frimaire an 5

(4 décembre 1796).

_Au citoyen Faypoult._

La compagnie Flachat était à la fois receveur de l'argent provenant des
contributions et fournisseur de l'armée. La compagnie Flachat devait
naturellement entrer dans les dépenses de l'armée, et dès lors soldées
par le payeur; cependant la maison Flachat à Gênes, dans les comptes
qu'elle vous a présentés, porte cinq millions en compensation. Il est
indispensable d'exiger, par tous les moyens possibles, la prompte
rentrée des cinq millions, dont une partie pourra servir à solder le
reste des mandats, spécialement celui de la marine et de l'armée des
Alpes. Les besoins de l'armée sont si urgens, que nous avons besoin de
compter sur la ressource de l'autre partie, pour pouvoir fournir au
service. Je vous engage donc à prendre les moyens que vous croirez les
plus expéditifs pour faire rentrer promptement lesdits cinq millions
dans la caisse de la république.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 16 frimaire an 5

(6 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Le citoyen Denniée est un brave homme, bon comme ordonnateur ordinaire,
mais n'ayant point assez de caractère ni de talens pour être en chef. Je
désirerais que vous m'envoyassiez le commissaire ordonnateur Wilmanzi,
dont tout le monde dit beaucoup de bien.

J'ai fait arrêter le citoyen Auzou, agent en chef des fourrages de
l'armée; il a reçu 1,700,000 fr. depuis la campagne, et il laisse
manquer son service partout: je vais le faire juger par un conseil
militaire. Il faudrait quelque grand exemple; malheureusement il y a
beaucoup de tripotage dans ces conseils, qui ne sont pas assez sévères.

Un nommé Lemosse, que l'opinion publique dénonce et qui me l'a été plus
spécialement par les moines d'un couvent, où il a proposé de recevoir
deux cents sequins pour ne pas y établir un hôpital, a été élargi par le
conseil militaire pendant mon absence: je viens d'ordonner qu'il serait
destitué et chassé de l'armée, mais cette punition est bien faible.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 16 frimaire an 5

(6 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Le général Clarke est arrivé depuis quelques jours; j'ai écrit le même
soir à M. le maréchal Alvinzi. Le général Clarke a pensé, avec raison,
devoir écrire une lettre à l'empereur même, laquelle est partie avec une
lettre pour M. Alvinzi.

Le général Clarke m'a communiqué l'objet de sa mission.

Si l'on n'eût considéré que la situation de cette armée, il eût été à
désirer que l'on eût attendu la prise de Mantoue, car je crains qu'un
armistice sans Mantoue ne soit pas un acheminement à la paix, et soit
tout à l'avantage de Vienne et de Rome.

Je vous ferai passer trois notes relatives à l'objet important dont est
chargé le général Clarke. J'espère qu'avant peu de jours nous recevrons
la réponse de Vienne, et que ce général se rendra à sa destination pour
y remplir vos intentions.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 16 frimaire an 5

(6 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Le gouvernement de Venise a très-bien traité l'armée autrichienne; il y
avait auprès de M. d'Alvinzi des provéditeurs et des approvisionnemens.

Les Allemands, en s'en allant, ont commis toutes espèces d'horreurs,
coupé les arbres fruitiers, brûlé les maisons et pillé les villages.
Dans ce moment-ci, les ennemis sont à Trente et sur la Brenta. Nous
sommes sur l'Adige, et nous occupons la ligne de Montebaldo; il paraît
qu'ils se renforcent considérablement dans le Tyrol, où est dans ce
moment-ci M. Alvinzi.

Il ne nous est encore rien arrivé, et il ne nous est rien annoncé des
dix mille hommes du Rhin, ni des dix mille hommes de l'Océan: ces deux
renforts nous sont bien nécessaires.

Si la campagne prochaine a lieu, il faut tourner tous nos efforts du
côté du Frioul, et pour cela avoir deux armées en Italie: une dans le
Tyrol, qui occupera Trente et qui attaquerait les ennemis; l'autre,
dans le Frioul, se porterait à Trieste, et s'emparerait de tous les
établissemens des ennemis dans cette mer-là.

Si vous pouviez faire passer trente mille hommes ici, l'on pourrait
les nourrir et les payer, et envahir tout le Frioul; l'empereur serait
obligé: 1°. de retirer trente mille hommes du côté du Rhin; 2°, de
retenir au moins vingt mille hommes pour seconde ligne, puisque, sans
cela, une bataille heureuse compromettrait Vienne: alors on ne ferait
presque pas de guerre sur le Rhin, et le théâtre se trouverait très
éloigné de chez nous.

Il n'y a à ce projet qu'une objection, ce sont les maladies que nos
troupes gagnent en été en Italie; mais cette assertion est fausse: nous
avons eu à cette armée vingt mille malades, sur lesquels quatre mille
blessés; des seize mille autres, quatorze mille sont de Mantoue, et deux
mille sont du reste de l'armée: ce n'est pas la proportion ordinaire.

Envoyez-nous donc dix mille hommes du Rhin et dix mille de l'Océan,
joignez-y quinze cents hommes de cavalerie, quelques compagnies
d'artillerie, et je vous promets, avant le mois de mai, de dégager le
Rhin, de forcer l'empereur à une guerre d'autant plus désastreuse,
qu'elle sera à ses dépens sur son territoire.

Mon armée actuelle, renforcée par les dix mille hommes du Rhin et les
dix mille de l'Océan que vous m'avez annoncés, est suffisante pour le
Tyrol et l'Italie.

Les dix mille hommes qui assiègent Mantoue, qui seront bientôt douze
mille, avec les vingt mille hommes que je vous demande, formeront
l'armée du Frioul: avec ces deux armées j'irai à Vienne, ou du moins
je me maintiendrai toute la campagne prochaine dans les états de
l'empereur, vivant à ses dépens, ruinant ses sujets, en portant la
guerre de l'insurrection en Hongrie.

Enfin, citoyens directeurs, je crois que du prompt départ des dix mille
hommes du Rhin peut dépendre le sort de l'Italie; mais que si vous en
tirez dix mille autres, et que vous y joigniez dix à quinze mille hommes
de l'Océan, vous aurez le droit d'attendre des millions, des succès
et une bonne paix. De Trieste à Vienne il y a cent lieues sans places
fortes, sans plan de défense arrêté: ce pays-là n'a jamais été le
théâtre de la guerre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 18 frimaire an 5

(8 décembre 1796).

_Au citoyen Auzou._

J'ai reçu, citoyen, les deux lettres que vous m'avez écrites. Si je ne
vous ai pas encore fait dire la raison pour laquelle je vous ai fait
arrêter, c'est que j'attendais les installations des nouveaux conseils
militaires, qui, étant composés d'officiers, vous donneront des juges
plus éclairés et plus dans le cas de vous entendre.

Je me plains de vous, parce que votre service n'a jamais été organisé
dans l'armée et ne s'y est jamais fait; parce que Peschiera n'a jamais
été approvisionné; parce que vous n'avez jamais fourni les moyens
nécessaires à vos sous-traitans; parce qu'enfin vous avez laissé tomber
le service à plat dans un moment critique pour l'armée; enfin parce que
vous ne vous êtes jamais trouvé au quartier-général, toutes les fois que
votre présence y était nécessaire, c'est-à-dire lorsque l'ennemi était
sur le point de nous attaquer.

C'est par votre coupable négligence que nous avons perdu plusieurs
centaines de chevaux, que le service de l'artillerie a considérablement
souffert, et que la cavalerie, obligée de courir les champs et de
fouiller les fermes pour assurer sa subsistance, s'est souvent portée
à des excès propres à nous aliéner l'esprit des habitans; tout cela
cependant lorsque votre service a reçu depuis le commencement de
la campagne dix-sept à dix-huit cent mille liv., dont vous n'avez
certainement pas dépensé le tiers.

Je vous prie de m'envoyer: 1°. un état des consommations journalières
des fourrages dans l'armée, ou un relevé des bons pour un des mois
passés; 2°. un état de l'emploi que vous avez fait de l'argent qui vous
a été remis; 3°. un état exact de ce que vous avez remis à chacun de vos
sous-traitans; 4°. enfin s'il arrivait qu'il y en eût parmi eux qui,
par leur conduite ou leur incapacité, et quoique ayant reçu des fonds,
eussent fait manquer le service, de me les dénoncer.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 18 frimaire an 5

(8 décembre 1796).

_Au provéditeur-général de la république de Venise._

Je n'ai pas reconnu, monsieur, dans la note que vous m'ayez fait passer,
la conduite des troupes françaises sur le territoire de la république
de Venise, mais bien celle des troupes de sa majesté l'empereur, qui
partout où elles ont passé, se sont portées à des horreurs qui font
frémir.

Le style de cinq pages, sur les six que contient la note qu'on vous a
envoyée de Verone, est d'un mauvais écolier de rhétorique, auquel on a
donné pour thèse de faire une amplification. Eh! bon Dieu, monsieur le
provéditeur, les maux inséparables d'un pays qui est le théâtre de la
guerre, produits par le choc des passions et des intérêts, sont déjà
si grands et si affligeans pour l'humanité, que ce n'est pas, je vous
assure, la peine de les augmenter au centuple, et d'y broder des contes
de fées, sinon rédigés avec motifs, au moins extrêmement ridicules.

Je donne un démenti formel à celui qui oserait dire qu'il y a eu dans
les états de Venise une seule femme violée par les troupes françaises.
Ne dirait-on pas, à la lecture de la note ridicule qui m'a été envoyée,
que toutes les propriétés sont perdues, qu'il n'existe plus une église
et une femme respectées dans le Véronais et le Brescian? La ville de
Verone, celle de Brescia, celle de Vicence, de Bassano, en un mot toute
la terre ferme de l'état de Venise, souffrent beaucoup de cette longue
lutte; mais à qui la faute? C'est celle d'un gouvernement égoïste, qui
concentre dans les îles de Venise toute sa sollicitude et ses soins,
sacrifie ses intérêts à ses préjugés et à sa passion, et le bien de la
nation vénitienne entière à quelques caquetages de coteries. Certes, si
le sénat eût été mu par l'intérêt du bien public, il eût senti que
le moment était venu de fermer à jamais son territoire aux armées
indisciplinées de l'Autriche, et par là de protéger ses sujets et de les
garantir à jamais du théâtre de la guerre.

On me menace de faire naître des troubles et de faire soulever les
villes contre l'armée française: les peuples de Vicenzia et de Bassano
savent à qui ils doivent s'en prendre des malheurs de la guerre, et
savent distinguer notre conduite de celle des armées autrichiennes.

Il me paraît qu'on nous jette le gant. Êtes-vous, dans cette démarche,
autorisé par votre gouvernement? La république de Venise veut-elle aussi
se déclarer contre nous? Déjà je sais que la plus tendre sollicitude l'a
animée pour l'armée du général Alvinzi: vivres, secours, argent, tout
lui a été prodigué; mais, grâce au courage de mes soldats et à la
prévoyance du gouvernement français, je suis en mesure, et contre la
perfidie, et contre les ennemis déclarés de la république française.

L'armée française respectera les propriétés, les moeurs et la religion;
mais malheur aux hommes perfides qui voudraient lui susciter de nouveaux
ennemis! C'est sans doute par leur influence qu'on assassine tous les
jours sur le territoire de Bergame et de Brescia. Mais puisqu'il est
des hommes que les malheurs que leur inconduite pourrait attirer sur
la terre-ferme ne touchent pas, qu'ils apprennent que nous avons des
escadres: certes, ce ne sera pas au moment où le gouvernement français a
généreusement accordé la paix au roi de Naples, où il vient de resserrer
les liens qui l'unissaient à la république de Gênes et au roi sarde,
qu'on pourra l'accuser de chercher de nouveaux ennemis; mais ceux qui
voudraient méconnaître sa puissance, assassiner ses citoyens et menacer
ses armées, seront dupes de leurs perfidies et confondus par la même
armée qui, jusqu'à cette heure, et non encore renforcée, a triomphé de
ses plus grands ennemis.

Je vous prie du reste, monsieur le provéditeur, de croire, pour ce qui
vous concerne personnellement, aux sentimens d'estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 18 frimaire an 5 (8 décembre 1796).

_Au citoyen Lallemant, à Venise_.

Des mouvemens insurrectionnels qui sont entièrement apaisés ont eu lieu
dans la partie du ci-devant duché de Modène appelé la Grafagniana; ils
sont attribués en grande partie au nommé Frater-Zoccolente Magesi,
cordelier du couvent de Castel-Nuovo, à la Grafagniana. On m'assure que
ce scélérat s'est retiré à Venise: il pourrait se trouver, soit auprès
du duc, soit dans le couvent des cordeliers de cette ville.

Je vous prie d'adresser au gouvernement de Venise une note pour demander
son arrestation, et de me faire part du fruit de vos démarches.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 frimaire an 5 (10 décembre 1796).

_À monsieur le provéditeur-général de la république de Venise, à
Brescia_.

Si j'ai été surpris, monsieur, du ton de la dernière note que l'on m'a
envoyée à Verone, c'est que, comme son extrême exagération est
évidente à tous les yeux, j'ai pensé qu'elle pouvait être le fait d'un
commencement de système: la conduite tenue envers l'armée de M. Alvinzi
m'en fournissait une preuve assez naturelle. Quoi qu'il en soit,
monsieur, l'armée française suivra la ligne qu'elle a tenue depuis
le principe de la campagne, et l'on n'oubliera jamais de punir
exemplairement les soldats qui pourraient s'éloigner des règles d'une
sévère discipline.

Je vous demande seulement, monsieur, que vous vouliez bien engager les
gouverneurs qui sont sous vos ordres, lorsqu'ils auront des plaintes à
me faire, à m'indiquer simplement ce qu'ils voudraient que l'on fît,
sans les noyer dans un tas de fables. Vous me trouverez au reste
toujours disposé à vous donner des preuves des sentimens, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 frimaire an 5 (10 décembre 1796).

_Au congrès d'état_.

Je ne vois aucun inconvénient, citoyens, à ce que vous envoyiez des
députés à la fédération de Reggio: l'union des patriotes fait leur
force. Je suis bien aise de saisir ces circonstances pour détruire des
bruits répandus par la malveillance. Si l'Italie veut être libre, qui
pourrait désormais l'en empêcher? Ce n'est pas assez que les différens
états se réunissent, il faut, avant tout, resserrer les liens de
fraternité entre les différentes classes de l'état; réprimer surtout le
petit nombre d'hommes qui n'aiment la liberté que pour arriver à une
révolution: ils sont ses plus grands ennemis, et ils prennent toute
espèce de figures pour remplir leurs desseins perfides.

L'armée française ne souffrira jamais que la liberté en Italie soit
couverte de crimes. Vous pouvez, vous devez être libres sans révolution,
sans courir les chances et sans éprouver les malheurs qu'a éprouvés le
peuple français. Protégez les propriétés et les personnes, et inspirez
à vos compatriotes l'amour et le respect des lois et des vertus
guerrières, qui défendent et protégent les républiques et la liberté.
La scène que plusieurs mauvais sujets se sont permise envers le citoyen
Greppi, a jeté des craintes et inspiré une terreur que vous devez vous
efforcer de dissiper. Comprimez les malveillans, mais n'accoutumez pas
un petit nombre de personnes à s'intituler le peuple et à commettre des
crimes en son nom.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au citoyen Lavalette, aide-de-camp du général en chef._

Vous vous rendrez à Plaisance, vous y passerez toute la journée de
demain; vous me rendrez compte de la situation des deux têtes de
pont, de celle de l'artillerie qui les défend, et vous m'en enverrez
l'inventaire, ainsi que l'état de situation de la garnison de Plaisance.
Vous m'enverrez l'état nominatif de tous les Français qui sont à
Plaisance, avec des notes sur ce qu'ils font, et depuis quel temps ils
y sont; vous visiterez les hôpitaux, vous m'en enverrez l'état de
situation avec des observations sur la tenue, et un résumé de quelles
demi brigades sont les malades, avec l'état nominatif des officiers qui
y seraient; vous visiterez tous les magasins et vous m'enverrez les
inventaires; vous partirez demain, dans la nuit, de Plaisance, vous
arriverez le 3 au matin à Parme; vous vous rendrez chez son Altesse
Royale, vous la complimenterez de ma part sur le traité de paix qui
vient d'unir les deux états.

Vous vous ferez remettre l'état de tous les Français qui sont à Parme,
vous ferez arrêter ceux qui y sont sans raison, surtout, si vous pouvez
le rencontrer, un aventurier qui s'est dit long-temps mon aide-de-camp,
s'appelant Lemarais, et de me l'envoyer sous bonne escorte à Milan,
ainsi qu'un commissaire nommé Fleuri.

Je vous ferai passer une lettre pour le premier ministre du duc. Je le
prie de faire confectionner deux mille paires de bottes, dont il faudra
que vous emportiez un échantillon, que vous demanderez au général
Beaurevoir, et, au défaut d'échantillon, un modèle, et vingt-cinq mille
paires de souliers.

Vous m'écrirez de Parme sur tous ces objets; vous partirez dans la nuit
du 3 au 4, pour vous rendre à Reggio et a Modène. Vous m'enverrez de
chacune de ces deux villes la liste des Français qui s'y trouvent, soit
officiers, ou soldats, ou employés; vous me ferez connaître tout ce qui
pourrait vous frapper, qui pourrait caractériser l'esprit des habitans
de ces deux villes, surtout pour ce qui regarde leur légion.

De Modène vous irez joindre le général Rusca; vous m'écrirez sur la
situation actuelle de la Grafagniana, sur la manière dont se sont
comportées les légions italiennes, sur les exemples que l'on a faits,
ainsi qu'à Carrara; de là vous vous rendrez à Livourne.

Vous m'enverrez l'état nominatif de tous les Français qui sont dans
cette place, ne faisant pas partie de la garnison.

Vous m'écrirez le plus souvent possible pour m'instruire de l'état
des choses, et vous ne reviendrez que lorsque je vous en aurai donné
l'ordre, à moins qu'il n'y ait quelque chose de fort intéressant qui
nécessitât votre retour.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au général Rusca._

Le général Vaubois me rend compte, citoyen général, que, le 16 de ce
mois, il y a eu une révolte dans la ville de Carrara: mon intention est
qu'après avoir exécuté mes ordres à la lettre à Castel-Novo, vous vous
transportiez à Carrara, et que vous fassiez fusiller trois des chefs,
brûler la maison du plus apparent de ceux qui ont pris part à la
rébellion, et que vous preniez six otages, que vous enverrez au château
de Milan; ils ont fait couper le bois de Levinzo: mon intention est que
mon ordre, tant pour Castel-Novo que pour Carrara, soit promptement
exécuté. Il faut ôter au peuple l'envie de se révolter et de se laisser
égarer par les malveillans.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

_Au général Vaubois._

Vous voudrez bien, citoyen général, me faire rendre compte de l'ordre
qui portait de couper le bois de Levinzo. C'est toujours par des
exactions faites par le commissaire du gouvernement, qu'on excite le
peuple à se révolter; il faut que la punition des chefs principaux de
la révolte soit éclatante. Je donne l'ordre au général Rusca de s'y
transporter de Castel-Novo, d'en faire fusiller trois et d'en arrêter
six en otage, et de brûler dans la ville de Carrara la maison la plus
apparente d'un de ceux qui ont pris part à la rébellion. Vous voudrez
bien organiser les trois demi-brigades que vous avez à Livourne, et
en former deux bataillons de la soixante-neuvième, et le troisième
bataillon sera formé par les troupes qui arrivent de l'Océan. Les
quatre-vingts hommes de cavalerie, les sept cents hommes de la légion
italienne et les neuf cents de la légion lombarde, avec six pièces de
canon qui doivent vous arriver, vous mettront à même de chasser les
Anglais de la côte et d'imposer aux malveillans.

Rendez-moi compte de la conduite qu'ont tenue les agens militaires du
côté de Massa et de Carrara.

Sous quelque prétexte que ce soit et sur quelque ordre que ce puisse
être, ne laissez rien sortir de Livourne. Toutes les ressources qui
peuvent y être, sont absolument nécessaires pour l'armée, qui manque
de tout, et dont les finances sont dans le plus mauvais état. Le
commissaire ordonnateur a dû donner les ordres pour la vente de tous les
objets que vous demandez. Quant aux habillemens pour les demi-brigades
que vous avez sous vos ordres à Livourne, l'essai qu'on en a fait sur
la soixante-quinzième a si mal réussi, qu'il est impossible de penser à
leur en faire fournir dans cette ville; mais on en fera faire à Milan.

BONAPARTE.



Au quartier-général 4 Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au sénat de Bologne._

L'imposition appelée _imposta_ pèse sur le peuple des campagnes de
Bologne.

L'impôt appelé _casuel_, que retirent les curés des paroisses a un but
d'utilité réelle, puisqu'il doit suppléer à l'entretien des ministres du
culte; mais il n'est pas moins onéreux pour le peuple, qui est obligé de
payer pour recevoir les sacremens: vous avez bien des moyens pour abolir
ces deux impositions et améliorer le sort de vos concitoyens.

Moyennant l'ordre que vous avez donné pour expulser les moines qui ne
sont pas Bolonais, vous avez économisé l'entretien de trois ou quatre
cents personnes; il faut que ce soit le peuple qui jouisse de l'avantage
que la sagesse de vos mesures a procuré à votre république.

Ordonnez qu'il n'y ait dans l'état de Bologne qu'un seul couvent du
même ordre, supprimez tous ceux qui auraient moins de quinze religieux;
resserrez les couvens de religieux, et servez-vous des ressources
considérables que cela vous donnera, pour remplacer dans votre trésor
public le déficit qu'y produirait la suppression de la taxe dite
_imposta_, et indemniser les curés et vicaires du déficit que leur
procurera la suppression du _casuel_.

Je vous prie de faire exécuter l'ordre que je vous envoie sur les
commandeurs de Malte. Je n'ai pas voulu l'étendre aux moines, parce que
j'ai pensé que vous en profiteriez pour soulager le peuple.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au sénat de Bologne et au gouvernement provisoire de Modène et de
Ferrare._

Vous voudrez bien commander à tous les commandeurs et autres bénéficiers
ou fermiers de l'ordre de Malte de verser dans la caisse du sénat, dans
le courant de nivose, une année de leurs revenus, sous peine d'être
déchus de leurs bénéfices ou fermes. Les receveurs du sénat et des
gouvernemens de Ferrare et de Modène en tiendront compte à la caisse du
payeur de l'armée, et, pour cet effet, correspondront avec l'ordonnateur
en chef.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au citoyen Fréville, secrétaire d'ambassade à Florence._

J'avais déjà reçu, citoyen, par le général commandant à Livourne le
procès-verbal fait par l'officier commandant le détachement français
qui a passé à Sienne. J'y ai vu avec la plus vive satisfaction que la
conduite du gouverneur, commandant pour son altesse royale le grand-duc
de Toscane, avait été conforme aux principes de neutralité de ce prince
avec la république française. De mauvais sujets de la ville de Sienne se
sont portés à quelques excès injurieux pour l'armée française, le temps
n'est pas éloigné où nous verrons si les habitans de Sienne soutiendront
ce caractère de mépris qu'ils paraissent manifester chez eux contre
l'armée française; ils ont insulté un détachement de deux cents hommes;
ils sont les seuls du brave peuple toscan qui se soient éloignés des
sentimens d'estime qu'on professe assez généralement pour la république
française.

N'entretenez pas la cour de Toscane de ces vétilles, dès l'instant
qu'il est prouvé que le gouverneur a fait ce qui dépendait de lui pour
réprimer ces malintentionnés.

Lorsque le moment sera venu, j'ordonnerai à un général français
d'apprendre aux habitans de Sienne qu'on n'insulte pas en vain l'armée
française, et que tôt ou tard on la trouve dans son sein, en bon nombre
et lorsque l'on s'y attend le moins. Il ne sera plus temps alors de se
repentir.


BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au citoyen Rusca._

Je vous prie, général, de témoigner ma satisfaction aux municipalités de
la Mirandole et de Saint-Felsa sur la conduite qu'elles ont tenue. Vous
voudrez bien sur-le-champ faire constater que les cinq rebelles arrêtés
à Concordia ont continué à frapper ceux qui avaient la cocarde nationale
et à détruire l'arbre de la liberté: après quoi, vous les ferez fusiller
tous les cinq, au milieu de la place publique de Modène, par la légion
modénaise. Vous ferez partir les deux otages pour le château de Milan,
où ils seront sévèrement gardés. J'approuve fort la conduite que vous
avez tenue dans cette affaire délicate: c'est à votre promptitude qu'est
due la bonne issue de votre opération.

J'attends avec quelque intérêt les nouvelles que vous allez me donner
de votre expédition sur Castel-Novo et Carrara; j'espère que vous aurez
ponctuellement exécuté les ordres que je vous ai donnés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5

(11 décembre 1796).

_Au général Rusca._

Je vous ferai tenir, citoyen général, le procès-verbal de ce qui s'est
passé à Carrara. Mon intention est que vous fassiez arrêter tous ceux
qui sont dénoncés comme ayant participé à la révolte; s'ils étaient
sauvés, vous feriez brûler leurs maisons, sans cependant qu'il y en ait
plus d'une de brûlée par village qui s'est mal comporté: tous les otages
que vous croirez pouvoir assurer la tranquillité seront arrêtés et
envoyés à Milan. Ce n'est pas qu'il y ait quelque chose à craindre
tant que nous serons vainqueurs; mais, à la moindre vicissitude, ils
pourraient remuer, ce qui serait un mauvais exemple pour les fiefs
impériaux et pour les habitans des montagnes de l'Apennin.

Faites transporter à Livourne les pièces de canon qui se trouvent du
côté de Carrara, lorsque la tranquillité y sera parfaitement rétablie;
lorsque vous aurez mis les patriotes en place, faites tout ce qui
pourrait être nécessaire pour effrayer les malveillans et contenter les
peuples; jetez un coup d'oeil sur les fiefs impériaux, et faites-moi
connaître ce que l'on pourrait faire pour nous attacher les habitans.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 frimaire an 5

(13 décembre 1796).

_Aux citoyens Peregallo, Flachat et compagnie._

Vous avez, messieurs, reçu l'argent destiné à l'entretien de l'armée, et
elle éprouve les besoins les plus pressans: le prêt manque depuis
deux décades; ce service doit être fait sous la responsabilité de la
trésorerie, avec laquelle vous avez un marché qui y affecte spécialement
le produit de toutes les contributions et des marchandises provenant
des conquêtes de l'armée d'Italie. Il est notoire que vous avez reçu
5,000,000 dont vous n'avez rendu aucun compte. J'aime à croire que vous
solderez sur-le-champ 600,000 liv. nécessaires au payeur de l'armée, et
je vous préviens qu'il a en conséquence tiré sur vous des lettres de
change pour 600,000 fr.

Si, par une mauvaise foi inconcevable, vous aviez l'imprudence d'éluder
l'escompte de ladite lettre de change, vous seriez responsable des
événemens qui pourraient survenir, du tort que cela ferait à l'armée,
et je requiers le citoyen Faypoult de vous considérer comme des
banqueroutiers et de vous traiter comme tels.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 24 frimaire an 5

(14 décembre 1796).

_Au citoyen Faypoult._

Le citoyen Regnier vous communiquera un arrêté des commissaires du
gouvernement, qui tire 600,000 liv. sur la maison Flachat et Peregallo,
sur les 5,000,000 qu'ils ont, provenant des contributions de l'armée,
et qu'ils auraient dû verser dans la caisse du payeur. Cette somme est
destinée à solder le prêt, qui manque à l'armée depuis deux décades.
S'ils n'acceptent pas les lettres de change, je vous requiers de
faire mettre le scellé sur la maison Flachat, Castelli, Peregallo et
compagnie, et de chercher à procurer cet argent au payeur de l'armée.
Des opérations de la plus grande conséquence peuvent tenir à l'exécution
de cette mesure.

J'ai ordonné au général Baraguay d'Hilliers de faire mettre les scellés
sur les papiers du correspondant de cette maison à Milan.

L'armée manque de tout, le prêt est arriéré de deux décades; nous
n'avons plus de ressources que dans les 5,000,000 et les 2,000,000 qui
doivent nous rentrer d'après la convention, les ratifications ayant été
échangées à Paris. Le payeur va tirer pour 2,000,000 pour ce dernier
objet.

Vous devez avoir, outre les sept caisses venant de Bologne, quatre
ou cinq caisses venant de Milan, qui ont été estimées, je crois, 8 à
9,000,000 fr. Gardez-les bien précieusement, car il viendra un temps où
nous pourrons avoir besoin de nous en servir pour nourrir l'armée, en
empruntant dessus.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 24 frimaire an 5

(14 décembre 1796).

_Au général Baraguay d'Hilliers._

Vous voudrez bien, citoyen général, faire venir chez vous le citoyen
Rouillet, agent en chef de la compagnie Flachat, le sommer de verser
dans la caisse du payeur les 4 ou 5,000,000 qu'il a, provenant des
contributions, et, sur son refus, le faire mettre en état d'arrestation
et les scellés sur ses papiers.

BONAPARTE.



Au quartier général à Verone, le 1er nivose an 5

(20 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie onze drapeaux pris sur l'ennemi aux batailles de Rivoli
et de la Favorite. Le citoyen Bessières, commandant des guides, qui les
porte, est un officier distingué par sa valeur et sa bravoure, et par
l'honneur mérité qu'il a de commander une compagnie de braves gens qui
ont toujours vu fuir l'ennemi devant eux, et qui, par leur intrépidité,
nous ont rendu, dans la campagne, des services très essentiels.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 6 nivose an 5

(28 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Il y a dans ce moment-ci en Lombardie trois partis: 1°. celui qui se
laisse conduire par les Français; 2°. celui qui voudrait la liberté,
et montre même son désir avec quelque impatience; 3°. le parti ami des
Autrichiens, et ennemi des Français. Je soutiens et j'encourage le
premier, je contiens le second, et je réprime le troisième.

Il est faux que j'aie augmenté la contribution de la Lombardie de huit
millions, et le parti qui vous a remis un mémoire basé sur ce fait,
ferait beaucoup mieux de payer les cinq millions que lui et ses associés
doivent à la république, et ont volé à l'armée, que de parler d'un pays
où sa compagnie s'est fait universellement mépriser par les coquineries
de toutes espèces qu'elle a commises.

Les républiques cispadanes sont divisées en trois partis: 1°. les amis
de leur ancien gouvernement; 2°. les partisans d'une constitution
indépendante, mais un peu aristocratique; 3°. les partisans de la
constitution française ou de la pure démocratie. Je comprime le premier,
je soutiens le second et je modère le troisième.

Je soutiens le second et je modère le troisième, parce que le parti
des seconds est celui des riches propriétaires et des prêtres, qui en
dernière analyse finiraient par gagner la masse du peuple, qu'il est
essentiel de rallier autour du parti français.

Le dernier parti est composé de jeunes gens, d'écrivains, et d'hommes
qui, comme en France et dans tous les pays, ne changent de gouvernement,
n'aiment la liberté que pour faire une révolution.

Les Allemands et le pape réunissent leur crédit pour insurger les
Apennins; leurs efforts sont inutiles: une partie de la Grafagniana
s'était cependant révoltée, ainsi que la petite ville de Carrara. J'ai
envoyé une petite colonne mobile pour mettre ces gens-là à la raison, et
faire des exemples terribles, qui apprennent à ces montagnards à ne pas
jouer avec nous. La révolte des Apennins, si elle se faisait au moment
où nous aurions affaire à l'ennemi, nous donnerait beaucoup d'embarras.
Ces montagnes arrivant jusqu'à Tortone, leurs habitans pourraient gêner
les communications: aussi j'y ai perpétuellement les yeux.

Dans ce moment-ci, les républiques cispadanes sont réunies dans un
congrès qu'elles tiennent à Reggio.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 8 nivose an 5

(28 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Je vous enverrai la lettre écrite par le général Alvinzi et la réponse
du général Berthier: en conséquence le baron Vincent et le général
Clarke se réunissent à Vicence, le 13 de ce mois. Mon opinion est que,
quelque chose que l'on puisse stipuler pour le _statu quo_ de Mantoue,
l'exécution en sera toujours impossible. Si l'empereur consent à
conclure l'armistice sans le pape, l'avantage de pouvoir retirer trente
millions, cet hiver, d'Italie, et de pouvoir en donner quinze aux armées
de Sambre-et-Meuse et du Rhin, est une considération telle, qu'elle nous
permet d'ouvrir la campagne prochaine avec avantage.

Mais si l'empereur veut y comprendre le pape, l'armistice nous fera
perdre Mantoue, l'argent de Rome, et donnera le le temps au pape
d'organiser une force militaire avec des officiers autrichiens: cela
mettrait toutes les chances contre nous pour la campagne prochaine.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 nivose an 5

(28 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Les Vénitiens ayant accablé de soins l'armée du général Alvinzi, j'ai
cru devoir prendre une nouvelle précaution, en m'emparant du château
de Bergame, qui domine la ville de ce nom et empêcherait les partisans
ennemis de venir gêner notre communication entre l'Adda et l'Adige.

De toutes les provinces de l'État de Venise, celle de Bergame est la
plus mal intentionnée à notre égard. Il y avait dans la ville de ce nom
un comité chargé de répandre les nouvelles les plus ridicules sur le
compte de l'armée; c'est sur le territoire de cette province que l'on a
le plus assassiné de nos soldats, et c'est de là que l'on favorisait la
désertion des prisonniers autrichiens. Quoique la prise de la citadelle
de Bergame ne soit pas une opération militaire, il n'en a pas moins
fallu de la dextérité et de la fermeté: le général Baraguay d'Hilliers,
que j'en avais chargé, s'est dans cette occasion parfaitement conduit;
je vais lui donner le commandement d'une brigade, et j'espère qu'aux
premières affaires il méritera sur le champ de bataille le grade de
général de division.

Je vous ferai passer plusieurs pièces de ma correspondance avec le duc
de Parme, bonnes à communiquer à notre ambassadeur en Espagne, pour s'en
faire un mérite près la cour de Madrid.

J'ai eu une entrevue avec M. Manfredini, qui, comme vous le savez, a été
gouverneur de l'empereur, du prince Charles et du grand duc de Toscane;
je suis convenu avec lui, après deux heures de pourparlers et de
finesses diplomatiques, que, moyennant deux millions, j'évacuerais
Livourne: il a beaucoup pleuré misère. J'attends la réponse du grand duc
sous quelques jours.

Les Napolitains m'ont fait signifier la paix et m'ont demandé la
permission de s'en retourner à Naples, je leur ai répondu que le
gouvernement ne m'avait pas encore signifié la paix, que j'allais vous
expédier un courrier, que j'attendrais des ordres. Je vous prie de me
faire connaître vos intentions à ce sujet. Je désirerais cependant,
auparavant de les laisser s'en aller, avoir terminé quelque chose avec
Rome: car cette cavalerie m'est un gage que le roi de Naples s'en
tiendra à la paix et se conduira comme il faut.

Quant à Rome, le pape a dans ce moment réuni toutes ses forces à Faïenza
et dans les autres villes de la Romagne, où il a près de six mille
hommes. Comme cela fait très peur aux Bolonais et pourrait servir à
favoriser l'évasion de Wurmser de la place de Mantoue, conformément à un
article de l'armistice, je ferai arrêter des otages dans les différens
pays, conformément à l'usage de toutes les nations, et ces otages seront
les citoyens les plus attachés au pape et les plus grands ennemis du
parti français: par ce moyen, le pays s'organisera de lui-même comme
Bologne. Je séquestrerai tous les revenus de la Romagne et de la Marche,
pour me tenir lieu de paiement des quinze millions, conformément à
l'armistice. Je mettrai à Ancône les quinze cents hommes que je tiens à
Livourne, et par ce moyen j'éloignerai ce corps d'ennemis qui paraît se
combiner avec la position d'Alvinzi à Padoue et l'ordre que l'empereur
vient de donner à Wurmser; et je trouverai de l'argent pour l'année.

Si je tarde quelques jours dans l'exécution de ce projet, c'est 1°.
qu'il faut laisser passer quelques jours pour que l'impression faite sur
les Vénitiens par l'occupation de Bergame soit entièrement détruite; 2°.
qu'il faut que je m'assure que les secours que vous m'annoncez sont en
route et arrivent véritablement. Vous sentez bien qu'il me faut au moins
trois mille hommes pour aller jusqu'à Ancône, qui est à quarante lieues
de Bologne. Si les dix mille hommes de secours de l'Océan et les dix
mille du Rhin que vous m'annoncez depuis longtemps arrivent enfin, je
prendrai six mille hommes pour aller à Rome. Vous sentez combien, dans
toutes ces hypothèses, il est essentiel d'avoir toujours en otages les
trois mille Napolitains, qui tiendront en respect la cour de Naples, qui
d'ailleurs, à ce qu'on m'assure, commence déjà à désarmer. Cela aussi
est une raison pour laquelle je retarde de quelques jours mon opération.

Le citoyen Poussielgue vous a rendu compte en détail de l'issue de
la négociation avec Turin. Il paraît que ces gens-là ne peuvent pas
s'accoutumer au nouvel état de choses. Le nouveau roi met de l'ordre
dans ses finances, se captive ses sujets, et je ne doute pas qu'il
n'espère, par la continuation de la guerre, pouvoir jouer de nouveau un
rôle. Je crois que notre politique à l'égard de ce prince doit consister
à maintenir toujours chez lui un ferment de mécontentement, et surtout à
bien s'assurer de la destruction des places du côté des Alpes.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

Le citoyen Muiron a servi, depuis les premiers jours de la révolution,
dans le corps de l'artillerie; il s'est spécialement distingué au siège
de Toulon, où il fut blessé en entrant par une embrasure dans la célèbre
redoute anglaise.

Son père était alors arrêté comme fermier-général: le jeune Muiron se
présente à la convention nationale, au comité révolutionnaire de sa
section, couvert du sang qu'il venait de répandre pour la patrie; il
obtint la libération de son père.

Au 13 vendémiaire, il commandait une des divisions d'artillerie qui
défendaient la convention; il fut sourd aux séductions d'un grand nombre
de ses connaissances et des personnes de sa société. Je lui demandai
si le gouvernement pouvait compter sur lui: «Oui, me dit il, j'ai fait
serment de soutenir la république, je fais partie de la force armée,
j'obéirai en obéissant à mes chefs; je suis d'ailleurs, par ma manière
de voir, ennemi de tous les révolutionnaires, et tout autant de ceux qui
n'en adoptent les maximes et la marche que pour rétablir un trône, que
de ceux qui voudraient rétablir ce régime cruel où mon père et mes
parens ont si longtemps souffert.» Il s'y comporta effectivement en
brave homme, et fut très utile dans cette journée, qui a sauvé la
liberté.

Depuis le commencement de la campagne d'Italie, j'avais pris le citoyen
Muiron pour mon aide de-camp: il a rendu dans presque toutes les
affaires des services essentiels; enfin il est mort glorieusement sur le
champ de bataille d'Arcole, laissant une jeune veuve enceinte de huit
mois.

Je vous demande, en considération des services rendus dans les
différentes campagnes de cette guerre par le citoyen Muiron, que la
citoyenne veuve Berault Courville, sa belle-mère, soit rayée de la liste
des émigrés, sur laquelle elle a été inscrite, quoiqu'elle n'ait jamais
émigré, ainsi que le citoyen Charles Marie Berault Courville, son beau
frère. Ce jeune homme avait quatorze ans lorsqu'il a été mis sur la
liste des émigrés, étant en pays étranger pour son éducation.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

_Au directoire exécutif._

L'armée du général Alvinzi est sur la Brenta et dans le Tyrol; l'armée
de la république est le long de l'Adige, et occupe la ligne de
Montebaldo, Corona, Rivoli. Nous avons une avant-garde en avant de
Porto-Legnago.

Mantoue est cerné avec le plus grand soin, Le 2 de ce mois, le général
Dumas surprit un espion qui entrait dans la ville; c'est un cadet
autrichien qui avait été expédié de Trente par Alvinzi. Après de grandes
façons, il avoua qu'il était porteur de dépêches, et, effectivement, il
rendit, vingt-quatre heures après (allant à la garde-robe), un petit
cylindre où était renfermée la lettre de l'empereur que je vous ferai
passer. Si cette méthode de faire avaler les dépêches n'était pas
parfaitement connue, je vous enverrais les détails, afin que cela soit
envoyé à nos généraux, parce que les Autrichiens se servent souvent de
cette méthode. Ordinairement les espions gardent cela dans le corps
pendant plusieurs jours; s'ils ont l'estomac dérangé, ils ont soin de
reprendre le petit cylindre, de le tremper dans de l'élixir et de le
réavaler. Ce cylindre est trempé dans de la cire d'Espagne, déliée dans
du vinaigre.

Vous verrez, par la lettre de l'empereur, que Wurmser doit effectivement
être à toute extrémité; la garnison ne se nourrit que de _poulenta_ et
de viande de cheval; cependant il est possible que sa réduction tarde
encore: les Autrichiens mettent tant d'espérance dans cette place, qu'il
n'est pas étonnant qu'ils souffrent toutes les extrémités avant de la
rendre.

Le parti qu'ordonne l'empereur n'est pas bien dangereux.

Le corps franc des volontaires de Vienne, fort de quatre mille hommes,
est arrivé à Trente; il y a un caporal qui est chambellan: c'est une
garde nationale. Trois mille hommes sont déjà arrivés à Trente, venant
du Rhin, et quatre mille recrues de Hongrie. Les chemins sont chargés
de troupes. Nous, au contraire, nous en sommes toujours au premier des
renforts annoncés au commencement de la campagne, qui n'arrivent pas
encore.

L'état de situation que vous m'avez envoyé est plein de doubles emplois
et de fautes. Je suis entré en campagne avec un corps d'armée de
vingt-quatre mille hommes d'infanterie, une division du col de Tende et
de Fenestre, et les garnisons des Alpes-Maritimes de huit mille hommes,
dont six mille m'ont rejoint après la bataille de Mondovi, en descendant
le col de Tende. J'ai donc eu trente mille hommes de la ci-devant armée
d'Italie dans les plaines du Piémont.

L'armée des Alpes m'a fourni huit mille cinq cents hommes, qui ne
doivent pas être considérés comme renfort, puisque l'armée des Alpes
défendait les frontières d'Italie.

On peut donc considérer l'armée d'Italie proprement dite comme ayant été
primitivement de trente-huit mille cinq cents hommes d'infanterie.

Le gouvernement l'a renforcée de deux mille six cents hommes venant
du général Châteauneuf-Randon, et des trente-troisième, sixième,
quarantième et cinquante-huitième demi-brigades, venant de la Vendée, et
de la quatorzième, venant de Paris, faisant en tout dix mille hommes.

Si donc l'armée n'avait perdu personne, elle aurait cinquante-un mille
cent hommes d'infanterie, mais sur lesquels quatre mille hommes ont été
tués sur le champ de bataille, comme vous le verrez par l'état que je
vous ferai passer; mille blessés hors de service; deux mille morts aux
hôpitaux: en tout sept mille.

On a donc perdu sept mille hommes, dont mille cavaliers, pionniers ou
artilleurs: reste ainsi quarante-cinq mille cent hommes d'infanterie,
dont elle est composée.

Vous voyez donc, citoyens directeurs, que votre armée a reçu, non pas
cinquante-sept mille hommes de renfort, mais seulement douze mille six
cents hommes, dans une campagne où il y a eu tant de batailles, et où
les mêmes hommes ont détruit l'armée sarde et l'armée de Beaulieu,
fortes de soixante-treize mille hommes: l'armée de Beaulieu, renforcée
de vingt mille hommes du Rhin, commandés par Wurmser; l'armée de
Wurmser, renforcée de dix-huit mille hommes tirés de la Pologne, six
mille du Rhin et douze mille recrues, commandés par Alvinzi; et nous
sommes à la veille d'avoir affaire aux débris de toutes ces armées,
renforcés par quatre mille volontaires de Vienne, trois mille hommes du
Rhin, trois mille recrues déjà arrivées, quinze cents que l'on m'assure
que les ennemis attendent dans le courant de janvier, plus, les recrues
qui arrivent de tous les côtés.

Il a fallu du bonheur et du bien joué pour vaincre Alvinzi. Comment
espérer vaincre, avec les mêmes troupes, Alvinzi, renforcé de trente à
trente-cinq mille hommes, tandis que nous n'avons encore reçu que trois
mille hommes?

La guérison de nos malades est sûrement un avantage; mais les malades de
Wurmser se guérissent aussi dans Mantoue.

Vous m'annoncez dix mille hommes de l'Océan et dix mille du Rhin, mais
rien de cela n'arrive; il y a cependant six décades de votre annonce. On
dit même que la tête de cette colonne de l'Océan a rétrogradé.

Il paraît, d'après la lettre de l'empereur, qu'une lutte se prépare pour
janvier; faites au moins que les secours qui devaient arriver contre
Alvinzi, et dont la victoire d'Arcole nous a mis à même de nous passer,
arrivent actuellement: sans quoi, vous sacrifiez l'armée la plus
attachée à la constitution, et qui, quels que soient les mouvemens que
se donnent les ennemis de la patrie, sera attachée au gouvernement et
à la liberté avec le même zèle et la même intrépidité qu'elle a mis à
conserver l'Italie à la république.

Je le dis avec une vraie satisfaction, il n'est point d'armée qui désire
davantage la conservation de la constitution sacrée, seul refuge de
la liberté et du peuple français. L'on hait ici et l'on est prêt à
combattre les nouveaux révolutionnaires, quel que soit leur but. Plus de
révolution, c'est l'espoir le plus cher du soldat: il ne demande pas la
paix, qu'il désire intérieurement, parce qu'il sait que c'est le
seul moyen de ne la pas obtenir, et que ceux qui ne la désirent pas
l'appellent bien haut pour qu'elle n'arrive pas. Le soldat se prépare
à de nouvelles batailles, et s'il jette quelquefois un coup d'oeil sur
l'esprit qui anime plusieurs villes dans l'intérieur, son regret est de
voir les déserteurs accueillis, protégés, et les lois sans force dans un
moment où il s'agit de décider du sort du peuple français.

Enfin, citoyens directeurs, l'ennemi retire ses troupes du Rhin pour les
envoyer en Italie; faites de même, secourez-nous: il n'y aura jamais que
la disproportion trop marquée des ennemis, qui pourra nous vaincre. Nous
ne vous demandons que des hommes, nous nous procurerons le reste avec
d'autant plus de facilité, que nous serons plus nombreux.

Je vous envoie une pétition des officiers de la cinquante-septième, qui
réclament le citoyen Maçon, leur chef de brigade, arrêté par ordre du
général Willot.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

_Au commissaire ordonnateur en chef._

Il se fait un très-grand abus, citoyen ordonnateur: il n'y a aucune
espèce d'ordre dans la dépense du payeur, il n'y en a pas non plus dans
la livraison de vos ordonnances. Mes intentions sont que vous donniez
les instructions nécessaires au payeur, pour qu'il y ait un mode de
comptabilité qui nous mette à même de connaître, chaque jour, la
situation où nous nous trouvons.

Le payeur de l'armée ne paiera, sur les fonds qui sont mis dans sa
caisse pour la solde des troupes, que le prêt des demi-brigades, de
l'artillerie, des sapeurs, des mineurs et de la cavalerie, ainsi que les
appointemens des officiers de l'armée et des commissaires des guerres.

Il y aura chaque mois 150,000 fr. à votre disposition, sur lesquels,
conformément à l'ordre du ministre, du 11 nivose an 4, vous sera
remboursé ce qui est nécessaire au pansement, aux médicamens et ferrage
des chevaux, c'est-à-dire, trois francs par mois par cheval: il faudra
donc que vous envoyiez une ordonnance à chaque conseil d'administration
en prévenant le payeur que vous y affecterez une somme sur les 150,000
liv.

Vous ferez également solder, sur cette somme, la gratification d'entrée
en campagne, les indemnités de pertes d'équipages; les frais de bureaux
pour toute l'armée seront compris dans un état général que vous
présentera le chef de l'état-major.

Les frais de poste pour toute l'armée et les dépenses extraordinaires
seront soldés par le chef de l'état-major. Vous lui remettrez, à cet
effet, au commencement de chaque mois, 50,000 liv. sur les 160,000 qui
sont à votre disposition, et il devra, à la fin de chaque mois, vous
présenter l'état des frais de bureaux de toute l'armée et des frais de
poste.

Sous quelque prétexte que ce soit, vous ne pourrez jamais dépenser plus
de 100,000 fr. par mois pour les objets dont il est ci-dessus
question, et 50,000 pour les deux articles dont est chargé le chef de
l'état-major.

Lorsque des circonstances extraordinaires nécessiteront une augmentation
de fonds, il faudra, auparavant, que vous donniez une ordonnance au
payeur, afin que les fonds mis à votre disposition soient approuvés.

Les appointemens des médecins et autres administrateurs des hôpitaux
seront payés sur les fonds mis à votre disposition, et vous vous
arrangerez avec le payeur; mais il faut que, sous quelque prétexte que
ce soit, l'on ne détourne point pour une autre destination les fonds
destinés à la solde des troupes.

Pour le mois de nivose, l'on a fait des fonds pour le prêt, et l'on a
mis 100,000 liv. à votre disposition; je vais ordonner qu'on en remette
50,000 en exécution du présent ordre. Je vous prie de me faire connaître
les sommes qui vous sont nécessaires pour la solde des officiers de
santé.

Je vous prie d'envoyer copie de la présente lettre au payeur de l'armée.

BONAPARTE.



_Note donnée par le général Bonaparte au général divisionnaire
Clarke[12]._

[Footnote 12: Cette note, sans date, nous a paru appartenir à la même
époque que la lettre précédente.]

Mantoue est bloqué depuis plusieurs mois: il y a au moins dix mille
malades qui sont sans viande et sans médicamens; il y a six à sept mille
hommes de garnison qui sont à la demi-ration de pain, à la viande de
cheval et sans vin; le bois même est rare. Il y avait dans Mantoue six
mille chevaux de cavalerie et trois mille d'artillerie: ils en tuent
cinquante par jour, ils en ont salé six cents; beaucoup sont morts faute
de fourrage; il en reste encore dix-huit cents de cavalerie, qui se
détruisent tous les jours: il est probable que dans un mois Mantoue sera
à nous. Pour accélérer cette reddition, je fais préparer de quoi servir
trois batteries incendiaires, qui commenceront à jouer le 25 de ce mois.

L'armée, qui était venue avec tant de forces au secours de Mantoue,
est battue: elle pourra être renforcée dans quinze jours, mais il nous
arrive des secours; d'ailleurs le général Clarke ne peut pas entamer ses
négociations avant douze jours, et à cette époque, si la cour de Vienne
conclut l'armistice, c'est que l'on ne serait pas dans le cas de se
présenter avec quelque espoir de succès. Dans le cas contraire, la cour
de Vienne attendrait l'issue de ses derniers efforts avant de rien
conclure.

Maîtres de Mantoue, l'on sera trop heureux de nous accorder les limites
du Rhin.

Rome n'est point en armistice avec la république française, elle est
en guerre; elle ne veut payer aucune contribution, la prise de Mantoue
seule peut lui faire changer de conduite.

Nous perdrions donc par l'armistice:

1°. Mantoue jusqu'en mai, et, à cette époque, nous le trouverions
parfaitement approvisionné, quelque arrangement que l'on fasse; et les
chaleurs le rendraient imprenable à la fin de l'armistice.

2°. Nous perdrions l'argent de Rome, que nous ne pouvons avoir sans
Mantoue: l'État de l'église est inabordable en été.

3°. L'empereur, étant plus près, ayant plus de moyens de recruter, aura
en mai une armée plus nombreuse que la nôtre; car, quelque chose que
l'on fasse, dès que l'on ne se battra plus, tout le monde s'en ira. Dix
à quinze jours de repos feront du bien à l'armée d'Italie, trois mois la
perdront.

4°. La Lombardie est épuisée: nous ne pouvons nourrir l'armée d'Italie
qu'avec l'argent du pape ou de Trieste. Nous nous trouverions
très-embarrassés à l'ouverture de la campagne qui suivrait l'armistice.

5°. Maîtres de Mantoue, l'on sera dans le cas de ne pas comprendre le
pape dans l'armistice; l'armée d'Italie aura une telle prépondérance,
que l'on se trouvera heureux à Vienne de pouvoir la paralyser pendant
quelques mois.

6°. Si, après l'armistice, on doit recommencer une nouvelle campagne,
l'armistice nous sera très-préjudiciable; si l'armistice doit être
le préliminaire de la paix, il ne faut le faire qu'après la prise
de Mantoue: il y aura le double de chances pour qu'il soit bon et
profitable.

7°. Conclure l'armistice actuellement, c'est s'ôter les moyens et les
probabilités de faire une bonne paix dans un mois.

Tout se résume à attendre la prise de Mantoue, à renforcer cette armée
de tous les moyens possibles, afin d'avoir de l'argent pour la campagne
prochaine, non-seulement pour l'Italie, mais même pour le Rhin, et afin
de pouvoir prendre une offensive si déterminée et si alarmante pour
l'empereur, que la paix se conclue sans difficulté et avec gloire,
honneur et profit.

Si l'on veut renforcer l'armée d'Italie de vingt mille hommes, y compris
les dix mille que l'on nous annonce du Rhin, et de quinze cents hommes
de cavalerie, l'on peut promettre, avant le mois d'avril, 30,000,000
fr. aux armées du Rhin et de Sambre et Meuse, et obliger l'empereur à
tourner tous ses efforts du côté du Frioul.

BONAPARTE.



_Note remise au général Clarke par le général Bonaparte[13]._

[Footnote 13: Cette deuxième note, aussi sans date, appartient encore à
l'époque précitée.]

Après y avoir songé long-temps, je ne vois pas de condition raisonnable
que l'on puisse établir pour le _statu quo_ de Mantoue.

Il y a trois choses:

1°. Les fourrages pour la cavalerie;

2°. Les vivres pour la garnison et les habitans;

3°. Les remèdes pour les malades.

Quelque chose que l'on fasse et que l'on établisse, nous verrons nous
échapper Mantoue, si l'on conclut l'armistice avant la prise de cette
place, et, sans cette place, nous n'obtiendrons pas de paix raisonnable.

Je le répète, l'armistice, soit qu'on le considère comme les
préliminaires de la paix, soit comme devant nous servir pour les
préparatifs de la campagne prochaine, sera utile et conforme aux
intérêts de la république lorsque nous aurons Mantoue. Je crois qu'il
n'y a qu'un moyen de retarder la paix de l'Europe, c'est de conclure un
armistice sans avoir Mantoue; c'est un sûr moyen de faire une nouvelle
campagne, pour le succès de laquelle on aura rendu nuls tous les succès
obtenus dans celle-ci. Que l'on n'oublie pas qu'une démarche prématurée
en ce genre peut tout perdre.

Les limites que l'on devrait désigner sont:

Les troupes impériales ne pourraient pas passer la Brenta;

Les troupes françaises, l'Adige.

Du côté du nord, les troupes impériales ne pourront passer Alla, Mori,
Torbole, Thion jusqu'à Lodrone, sans pouvoir de ce côté entrer dans les
états vénitiens;

Les troupes françaises, la Chiuza, Rivoli, Torri, Salo, Brescia,
Bergame.

Le reste de l'Italie, soit qu'il ait appartenu à l'empereur, soit au duc
de Modène ou à l'archiduchesse de Milan, demeurerait _in statu quo_.

Bologne, Ferrare, Ancône _in statu quo_, conformément à l'exécution de
l'armistice avec le pape; mais comme l'armistice doit être exécuté en
thermidor et en brumaire, et que cette époque est passée, on pourra lui
accorder un mois, au plus, à compter du jour où se signera le traité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 nivose an 5 (1er janvier 1797)

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien faire traduire devant le conseil militaire de la
Lombardie les citoyens Bockty, Chevilly et Descriveur, employés à
différentes administrations de l'armée, pour avoir volé et compromis
l'armée et les opérations les plus importantes de la guerre. C'est par
cette dilapidation infâme, le rachat des bons et les versemens factices,
qu'ils ont compromis mon opération et ont été la cause de la perte d'un
grand nombre de nos camarades; enfin ce sont de pareilles friponneries
qu'il faut réprimer par des exemples sévères, pour empêcher qu'au milieu
de l'Italie, c'est-à-dire la contrée la plus fertile de l'Europe, le
soldat ne manque du nécessaire, comme cela est arrivé plusieurs fois.

J'accuse M. Bockty d'avoir porté la corruption parmi nos agens, et de
n'être venu à l'armée que pour faire manquer mon opération en faisant
des versemens factices.

J'accuse le citoyen Chevilly d'être un des points d'appui de tout ce
manège, et d'avoir gagné des sommes considérables au détriment du
soldat.

Le citoyen Descriveur, garde-magasin à Crémone, a offert à M. Bockty dix
mille pintes de vin de versement factice: il est connu depuis longtemps
pour faire cet infâme commerce.

Je demande en conséquence que ces trois employés soient condamnés à la
peine de mort, ne devant pas être considérés comme de simples voleurs,
mais comme des hommes qui tous les jours atténuent les moyens de l'armée
et font manquer les opérations les mieux concertées, ou du moins n'en
permettent la réussite qu'après une expansion de sang français, qui
est trop précieux pour qu'on ne prenne pas toutes les mesures capables
d'épouvanter leurs complices, trop nombreux dans l'armée d'Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 nivose an 5 (1er janvier 1797)

_Au citoyen président du congrès cispadan._

J'ai appris avec le plus vif intérêt, par votre lettre du 30 décembre,
que les républiques cispadanes s'étaient réunies en une seule, et que,
prenant pour symbole un carquois, elles étaient convaincues que leur
force est dans l'unité et l'indivisibilité. La misérable Italie est
depuis longtemps effacée du tableau des puissances de l'Europe. Si les
Italiens d'aujourd'hui sont dignes de recouvrer leurs droits et de se
donner un gouvernement libre, l'on verra un jour leur patrie figurer
glorieusement parmi les puissances du globe; mais n'oubliez pas que les
lois ne sont rien sans la force. Votre premier regard doit se porter sur
votre organisation militaire. La nature vous a tout donné, et,
après l'unité et la sagesse que l'on remarque dans vos différentes
délibérations, il ne vous manque plus, pour atteindre au but, que
d'avoir des bataillons aguerris et animés du feu sacré de la patrie.

Vous êtes dans une position plus heureuse que le peuple français, vous
pouvez arriver à la liberté sans la révolution et ses crimes. Les
malheurs qui ont affligé la France avant l'établissement de la
constitution ne se verront jamais au milieu de vous. L'unité qui lie les
diverses parties de la république cispadane, sera le modèle constamment
suivi de l'union qui régnera entre toutes les classes de ses citoyens;
et le fruit de la correspondance de vos principes et de vos sentimens
soutenus par le courage, sera la liberté, la république et la
prospérité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 nivose an 5 (1er janvier 1797).

_À M. Bataglia, provéditeur de la république de Venise à Brescia._

Je reçois à l'instant, monsieur, la lettre que vous vous êtes donné
la peine de m'écrire. Les troupes françaises ont occupé Bergame pour
prévenir l'ennemi, qui avait l'intention d'occuper ce poste essentiel.
Je vous avouerai franchement que j'ai été bien aise de saisir cette
circonstance pour chasser de cette ville la grande quantité d'émigrés
qui s'y étaient réfugiés, et châtier un peu les libellistes, qui y sont
en grand nombre, et qui, depuis le commencement de la campagne, ne
cessent de prêcher l'assassinat contre les troupes françaises, et qui
ont, jusqu'à un certain point, produit cet effet, puisqu'il est constant
que les Bergamasques ont plus assassiné de Français, que le reste de
l'Italie ensemble.

La conduite de M. le provéditeur de Bergame a toujours été très partiale
en faveur des Autrichiens, et il ne s'est jamais donné la peine de
dissimuler, tant par sa correspondance que par ses propos et par ses
actions, la haine qui l'anime contre l'armée française. Je ne suis point
son juge, ni celui d'aucun sujet de la sérénissime république de
Venise; cependant, lorsque, contre les intentions bien connues de leur
gouvernement, il est des personnes qui transgressent les principes de la
neutralité et se conduisent en ennemis, le droit naturel m'autoriserait
aussi à me servir de représailles.

Engagez, je vous prie, M. le provéditeur de Bergame, qui est votre
subordonné, à être un peu plus modeste, plus réservé et un peu moins
fanfaron lorsque les troupes françaises sont éloignées de lui.
Engagez-le à être un peu moins pusillanime, à se laisser moins dominer
par la peur à la vue des premiers pelotons français. Si ce sentiment,
qui est celui peut-être d'un châtiment qu'il savait avoir mérité par sa
conduite passée à l'égard des Français, ne l'avait prédominé, le château
de Bergame n'aurait point été évacué par les troupes vénitiennes, mais
on s'y serait conduit comme à Brescia et à Verone.

Immédiatement après le reçu de votre lettre, j'ai pris en considération
la position de la ville de Bergame, que j'ai fait évacuer par une partie
des troupes qui y étaient. J'ai donné l'ordre au général Baraguay
d'Hilliers de restituer le château à la garnison vénitienne et de faire
le service ensemble. Quant à la tranquillité de Bergame, vos intentions,
celle du gouvernement de Venise et la bonté de ce peuple m'en sont un
sûr garant. Je connais le petit nombre d'hommes mal intentionnés, qui,
depuis six mois, ne cessent de prêcher la croisade contre les Français.
Malheur à eux, s'ils s'écartent des sentimens de modération et d'amitié
qui unissent les deux gouvernemens!

C'est avec plaisir que je saisis cette occasion, monsieur, pour rendre
justice au désir de la tranquillité publique que montrent M. l'évêque de
Bergame et son respectable clergé. Je me convaincs tous les jours d'une
vérité bien démontrée à mes yeux, c'est que si le clergé de France eût
été aussi sage, aussi modéré, aussi attaché aux principes de l'Évangile,
la religion romaine n'aurait subi aucun changement en France; mais la
corruption de la monarchie avait infecté jusqu'à la classe des ministres
de la religion: l'on n'y voyait plus des hommes d'une vie exemplaire et
d'une morale pure, tels que le cardinal Mattei, le cardinal archevêque
de Bologne, l'évêque de Modène, l'évêque de Pavie, l'archevêque de Pise;
il m'a paru quelquefois, discourant avec ces personnages respectables,
me retrouver aux premiers siècles de l'Église.

Je vous prie de croire, monsieur, aux sentimens d'estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 nivose an 5 (6 janvier 1797).

_Au directoire exécutif._

Plus j'approfondis, dans mes momens de loisir, les plaies incurables
des administrations de l'armée d'Italie, plus je me convaincs de la
nécessité d'y porter un remède prompt et infaillible.

La comptabilité de l'armée est, chez le payeur, dans un désordre
frappant; on ne peut avoir compte de rien, et à la réputation de
friponner bien constatée du contrôleur se joint l'ineptie des autres
employés. Tout se vend. L'armée consomme cinq fois ce qui lui est
nécessaire, parce que les gardes-magasins font de faux bons, et sont de
moitié avec les commissaires des guerres.

Les principales actrices de l'Italie sont entretenues par les employés
de l'armée française; le luxe, la dépravation et la malversation sont à
leur comble. Les lois sont insuffisantes: il n'y a qu'un seul remède; il
est à la fois analogue à l'expérience, à l'histoire et à la nature du
gouvernement républicain: c'est une syndicature, magistrature qui serait
composée d'une ou de trois personnes, dont l'autorité durerait seulement
trois ou cinq jours, et qui, pendant ce court espace, aurait le droit
de faire fusiller un administrateur quelconque de l'armée. Cette
magistrature, envoyée tous les ans aux armées, ferait que tout le monde
ménagerait l'opinion publique, et garderait une certaine décence,
non-seulement dans les moeurs et dans la dépense, mais encore dans le
service journalier.

Le maréchal de Herwick fit pendre l'intendant de l'armée, parce qu'il
manqua de vivres; et nous, au milieu de l'Italie, ayant tout en
abondance, dépensant dans un mois cinq fois ce qu'il nous faudrait, nous
manquons souvent. Ne croyez pas cependant que je sois mou, et que je
trahisse la patrie dans cette portion essentielle de mes fonctions.
Je fais arrêter tous les jours des employés, je fais examiner leurs
papiers, visiter les caisses; mais je ne suis secondé par personne,
et les lois n'accordent pas une assez grande autorité au général
pour pouvoir imprimer une terreur salutaire à cette nuée de fripons.
Cependant le mal diminue, et, à force de gronder, de punir et de me
fâcher, les choses, je l'espère, se feront avec un peu plus de décence;
mais songez, je vous le répète, à l'idée que je vous donne d'une
syndicature.

Je vous ferai passer incessamment le procès-verbal qu'on m'apporte
de l'interrogatoire d'un fournisseur arrêté par mes ordres: par ce
procès-verbal, vous verrez combien le mal est porté à son comble et a
besoin d'un remède puissant.

La compagnie Flachat a donné à l'Italie l'exemple des rachats. Le
commissaire ordonnateur Sucy, qui avait connaissance de tous ces
tripotages, m'en a parlé avec quelques détails lors de son dernier
voyage à Milan.

Ces gens-là ont peut-être gagné trois millions par des versemens
factices. Cette compagnie doit cinq millions à l'armée, provenant des
contributions; le payeur de l'armée a tiré, sur sa maison à Gênes, pour
six cent mille livres de traites pour le prêt, elle a eu l'impudeur de
les laisser protester. J'ai regardé la compagnie comme banqueroutière,
et j'ai fait mettre les scellés sur ses maisons de Livourne et de Gênes.
Je vous prie de donner des ordres pour faire arrêter à Paris les agens
de cette compagnie: ce sont les plus grands escrocs de l'Europe; ils
nous ont mis ici dans une situation bien embarrassante. J'ai voulu
faire arrêter Flachat et son beau-frère, agent de la compagnie à Milan,
jusqu'à ce qu'ils eussent payé; mais ces fripons s'étaient sauvés.

En vous parlant des friponneries qui se commettent, je ne dois pas
manquer de rendre justice aux employés qui se conduisent bien et avec
décence.

Je suis très-content du citoyen Pesillicot, agent de la compagnie
Cerfbeer. Si cette compagnie nous avait envoyé un homme comme celui-là
au commencement de la campagne, elle eût gagné plusieurs millions, et
l'armée encore davantage.

Je suis également content de l'agent des vivres-viandes, Collot: c'est
un administrateur, il soutient son service.

Parmi les commissaires des guerres, la probité du citoyen Boinot est
particulièrement distinguée et reconnue par toute l'armée. S'il y avait
à l'armée une quinzaine de commissaires des guerres comme celui-là, vous
pourriez leur faire présent de cent mille écus à chaque, et nous aurions
encore gagné une quinzaine de millions. Je vous prie de donner à ces
différens administrateurs des marques de votre satisfaction.

Je vous enverrai une dénonciation du commissaire des guerres Boinot
contre l'ancien agent de la compagnie Cerfbeer, Thévenin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 24 nivose an 5 (12 février 1797)

_À M. le prince Belmonte Pignatelli, ministre de S-M. le roi des
Deux-Siciles._

Le directoire exécutif m'a envoyé dans le temps, monsieur, les notes que
vous lui avez remises, exprimant le désir que le roi votre maître
avait que l'armistice conclu entre la république française et le pape
continuât à avoir lieu et pût servir à un accommodement définitif.

J'ai en conséquence réitéré dès-lors auprès de la cour de Rome mes
instances pour l'exécution des conditions de l'armistice, et pour y
ouvrir des négociations de paix, comme vous le verrez par les pièces
que je vous ferai passer. Mais la cour de Rome, livrée à l'esprit de
vertige, a préféré le hasard des armes: la guerre est devenue
dès-lors inévitable; mais, fidèle au système de modération qui dirige
exclusivement les opérations du directoire exécutif, et envieux
de donner à sa majesté le roi des Deux-Siciles une preuve de la
considération qu'a pour lui la république française, après la première
conférence que j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous, j'ai écrit la lettre
que je vous ai communiquée à M. le cardinal Mattei. Je ne doute point
que le directoire exécutif de la république française ne soit charmé,
dans toutes les circonstances, de saisir les occasions d'affermir la
paix qui l'unit à sa majesté le roi des Deux-Siciles, et de montrer sa
modération au milieu des succès éclatans que vient d'obtenir l'armée
d'Italie, par les défaites de l'armée autrichienne et la prise de
Mantoue, comme elle a montré à l'Europe sa fermeté dans tout ce qui
tendait à soutenir la dignité de la république et la gloire des armes
françaises.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 24 nivose an 5 (13 janvier 1797)

_Au général Joubert._

Je vous prie de me faire connaître le plus tôt possible si vous
croyez que l'ennemi a devant vous plus de neuf mille hommes. Il est
très-nécessaire que je sache si l'attaque que l'on vous fait est une
attaque réelle, égale ou supérieure à vos forces, ou si c'est une
attaque secondaire et pour donner le change.

L'ennemi nous présente sur Verone à peu près six mille hommes, que je
donne ordre d'attaquer dans le moment. Si vous avez neuf ou dix mille
hommes devant vous, ce qui doit réellement être pour oser faire une
attaque véritable, il s'ensuivrait qu'il n'aurait pas du côté de Legnago
plus de neuf à dix mille hommes; si cela était, et que votre attaque et
celle que je fais faire ici réussissent ce soir comme il faut, je serai
bien loin d'avoir à craindre qu'ils ne passent l'Adige.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Villa-Franca, le 26 nivose an 5 (15 janvier 1797).

_Au général Joubert._

Je vous apprends avec plaisir, mon cher général, que le général Augereau
a attaqué hier l'ennemi, lui a pris quelques hommes, douze pièces de
canon, lui a brûlé ses ponts, etc.

Vous avez bien fait de garder la soixante-quinzième; la victoire ne sera
pas douteuse, et le succès de ce matin est d'un bon augure. Mantoue fait
dans ce moment-ci une sortie qui ne paraît pas lui réussir.

J'envoie la dix-huitième demi-brigade, qui arrive à son secours.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roverbello, le 26 nivose an 5 (15 janvier 1797).

_Au général Joubert._

La dix-huitième et la cinquante-septième sont ici. L'ennemi, après avoir
passé l'Adige, s'est divisé en deux corps: le premier s'est mis en
marche vers Mantoue, le second est resté à Anghuiara pour défendre le
pont de l'Adige. Les généraux de division Guieux et Augereau ont attaqué
ce corps, auquel ils ont fait deux mille prisonniers, pris plusieurs
pièces de canon, et brûlé tous ses ponts sur l'Adige.

Le premier corps s'est présenté à midi à Saint-George: le général
Miollis, qu'il a sommé de se rendre, lui a répondu à coups de canon.
Après une fusillade très-opiniâtre, l'ennemi n'a point pu forcer ce
poste essentiel; il est dans ce moment-ci entre Saint-George et le
Mincio, au village de Valdagno, où il cherche à communiquer par le lac
avec la garnison de Mantoue. Je fais reconnaître dans ce moment sa
position; j'attends quelques rapports sur les reconnaissances que j'ai
fait faire de la Molinella, après quoi je chercherai à le battre. Si le
général Augereau, comme je pense, se porte sur Castellara à la suite
de cette colonne qui lui a échappé, vous sentez que nous vaincrons
facilement. La trente-deuxième vient d'arriver à Franca, cela nous
mettra à même de finir bientôt cette lutte sanglante et vive, qui est,
je crois, une des plus actives de la campagne. J'attends avant minuit un
petit billet de votre part, de la Corona.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 28 nivose an 5 (17 janvier 1797).

_Au général Joubert._

Nous voilà donc aux mêmes positions où nous étions, M. Alvinzi ne peut
pas en dire autant: il s'agit actuellement de savoir en profiter. Je
vous prie de me faire passer votre état de situation, et de veiller à
ce qu'il soit exact. Je viens d'ordonner qu'on vous envoie le
vingt-quatrième régiment de chasseurs en place du vingt-deuxième: si
cet arrangement ne vous convenait pas, il faut que vous m'en préveniez
sur-le-champ.

Je viens d'ordonner au général d'artillerie de fournir à votre division
douze pièces d'artillerie prêtes à marcher, et trois pièces d'artillerie
de montagne. Il ne peut vous manquer pour marcher que des souliers et
des vivres. Faites vérifier dans vos magasins, et faites transporter à
Rivoli trente mille rations de biscuit, et assurez-vous qu'il existe
dans vos magasins tout ce qui est nécessaire pour avoir, le 30 au soir,
trente mille rations de pain: cela fait des vivres pour votre division
pendant quatre jours.

Il paraît encore vous manquer de souliers: faites-moi connaître dans
la nuit, au juste et sans exagération, combien il vous en faut.
Renvoyez-moi la carte que j'ai laissée chez vous, de la ligne entre
Rivoli et l'Adige.

Je vous préviens que vous vous mettrez en mouvement dans la nuit du 30
nivose au 1er pluviose.

Faites-moi passer le plus tôt possible une relation des deux journées de
la Corona, du combat de Rivoli, le nom des hommes qui se sont distingués
et l'avancement qu'on pourrait leur donner.

Vous voilà avec deux seuls généraux de brigade, Baraguay d'Hilliers et
Vial; je viens de donner les ordres pour que le général Dugoulot se
rende sous vos ordres; je ferai demain donner des ordres à un quatrième.

Je n'ai point vu le chef de brigade de la quatorzième de ligne à
la bataille de Rivoli: mon intention est que les chefs de brigade
commandant restent toujours à leurs corps, et que les membres du conseil
militaire, quel que soit leur grade, se trouvent à leurs drapeaux à
toutes les affaires générales.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roverbello, le 28 nivose an 5 (17 janvier 1797).

_Au directoire exécutif._

Il s'est passé depuis le 23 des opérations d'une importance telle,
et qui ont si fort multiplié les actions militaires, qu'il m'est
impossible, avant demain, de vous en faire un détail circonstancié. Je
me contente aujourd'hui de vous les annoncer.

Le 23 nivose, l'ennemi est venu attaquer la division du général Masséna
devant Verone, ce qui a donné lieu au combat de Saint-Michel, où nous
l'avons battu complètement. Nous lui avons fait six cents prisonniers et
pris trois pièces de canon. Le même jour, il attaqua la tête de notre
ligne de Montebello, et donna lieu au combat de la Corona, où il a été
repoussé. Nous lui avons fait cent dix prisonniers.

Le 24, à minuit, la division de l'armée ennemie, qui depuis le 19 était
établie à Bevilaqua, où elle avait fait replier l'avant-garde du
général Augereau, jeta rapidement un pont sur l'Adige, à une lieue de
Porto-Legnago, vis-à-vis Anghiari.

Le 24, au matin, l'ennemi fit filer une colonne très-forte par Montagna
et Caprino, et par là obligea la division du général Joubert à évacuer
la Corona et à se concentrer à Rivoli. J'avais prévu le mouvement, je
m'y portai dans la nuit, et cela donna lieu à la bataille de Rivoli, que
nous avons gagnée le 25 et le 26, après une résistance opiniâtre, et
où nous avons fait à l'ennemi treize mille prisonniers, pris plusieurs
drapeaux et plusieurs pièces de canon. Le général Alvinzi, presque seul,
a eu beaucoup de peine à se sauver.

Le 25, le général Guieux attaqua l'ennemi à Anghiari, pour chercher à le
culbuter avant qu'il eût entièrement effectué son passage. Il ne réussit
pas dans son objet, mais il fit trois cents prisonniers.

Le 26, le général Augereau attaqua l'ennemi à Anghiari, ce qui donna
lieu au second combat d'Anghiari. Il lui fit deux mille prisonniers,
s'empara de seize pièces de canon, et brûla tous les ponts sur l'Adige;
mais l'ennemi, profitant de la nuit, défila sur Mantoue. Il était déjà
arrivé à une portée de canon de cette place; il attaqua Saint-George,
faubourg que nous avions retranché avec soin, et ne put l'emporter.
J'arrivai dans la nuit avec des renforts, ce qui donna lieu à la
bataille de la Favorite, sur le champ de bataille de laquelle je vous
écris. Le fruit de cette bataille est sept mille prisonniers, des
drapeaux, des canons, tous les bagages de l'armée, un régiment de
hussards, et un convoi considérable de grains et de boeufs que l'ennemi
prétendait faire entrer dans Mantoue. Wurmser a voulu faire une sortie
pour attaquer l'aile gauche de notre armée; mais il a été reçu comme
d'ordinaire et obligé de rentrer. Voilà donc, en trois ou quatre jours,
la cinquième armée de l'empereur entièrement détruite.

Nous avons fait vingt-trois mille prisonniers, parmi lesquels un
lieutenant-général, deux généraux, six mille hommes tués ou blessés,
soixante pièces de canon, et environ vingt-quatre drapeaux. Tous les
bataillons de volontaires de Vienne ont été faits prisonniers: leurs
drapeaux sont brodés des mains de l'impératrice.

L'armée du général Alvinzi était de près de cinquante mille hommes, dont
une partie était arrivée en poste de l'intérieur de l'Autriche.

Du moment que je serai de retour au quartier-général, je vous ferai
passer une relation détaillée, pour vous faire connaître les mouvemens
militaires qui ont eu lieu, ainsi que les corps et les individus qui se
sont distingués. Nous n'avons eu dans toutes ces affaires que sept
cents hommes tués et environ douze cents blessés. L'armée est animée du
meilleur esprit et dans les meilleures dispositions.

Vous m'avez annoncé, depuis plus de trois mois, dix mille hommes
venant de l'Océan; il n'est encore arrivé que la soixante-quatrième
demi-brigade, forte de dix-huit cents hommes.

L'empereur aura réorganisé une nouvelle armée en Italie, avant que je
n'aie reçu ces dix mille hommes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 29 nivose an 5 (18 janvier 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je m'étais rendu à Bologne avec deux mille hommes, afin de chercher, par
ma proximité, à en imposer à la cour de Rome, et lui faire adopter un
système pacifique, dont cette cour parait s'éloigner de plus en plus
depuis quelque temps.

J'avais aussi une négociation entamée avec le grand-duc de Toscane,
relativement à la garnison de Livourne, que ma présence à Bologne
terminerait infailliblement.

Mais, le 18 nivose, la division ennemie qui était à Padoue se mit en
mouvement; le 19, elle attaqua l'avant-garde du général Augereau qui
était à Bevilaqua, en avant de Porto-Legnago; après une escarmouche
assez vive, l'adjudant-général Dufour qui commandait cette avant-garde,
se retira à San-Zeno, et le lendemain à Porto-Legnago, après avoir eu
le temps, par sa résistance, de prévenir toute la ligne de la marche de
l'ennemi.

Je fis passer aussitôt sur l'Adige les deux mille hommes que j'avais
avec moi à Bologne, et je partis immédiatement après pour Verone.

Le 23, à six heures du matin, les ennemis se présentèrent devant Verone,
et attaquèrent l'avant-garde du général Masséna, placée au village
de Saint-Michel: ce général sortit de Verone, rangea sa division en
bataille, et marcha droit à l'ennemi, qu'il mit en déroute, lui enleva
trois pièces de canon, et lui fit six cents prisonniers. Les grenadiers
de la soixante-quinzième enlevèrent les pièces à la baïonnette; ils
avaient à leur tête le général Brune, qui a eu ses habits percés de sept
balles.

Le même jour et à la même heure, l'ennemi attaquait la tête de notre
ligne de Montebaldo, défendue par l'infanterie légère du général
Joubert: le combat fut vif et opiniâtre, l'ennemi s'était emparé de
la première redoute; mais Joubert se précipita à la tête de ses
carabiniers, chassa l'ennemi, qu'il mit en déroute complète, et lui fit
cent dix prisonniers.

Le 24, l'ennemi jeta brusquement un pont à Anghiari, et y fit passer
son avant-garde, à une lieue de Porto-Legnago; en même temps le général
Joubert m'instruisit qu'une colonne assez considérable filait par
Montagna, et menaçait de tourner son avant-garde à la Corona. Différens
indices me firent connaître le véritable projet de l'ennemi, et je ne
doutai plus qu'il n'eût envie d'attaquer, avec ses principales forces,
ma ligne de Rivoli, et par là arriver à Mantoue: je fis partir dans la
nuit la plus grande partie de la division du général Masséna, et je me
rendis moi-même à Rivoli, où j'arrivai à deux heures après minuit.

Je fis aussitôt reprendre au général Joubert la position intéressante
de San-Marco; je fis garnir le plateau de Rivoli d'artillerie, et je
disposai le tout, afin de prendre, à la pointe du jour, une offensive
redoutable, et de marcher moi-même à l'ennemi.

À la pointe du jour, notre aile droite et l'aile gauche de l'ennemi se
rencontrèrent sur les hauteurs de San-Marco: le combat fut terrible et
opiniâtre.

Le général Joubert, à la tête de la trente-troisième, soutenait son
infanterie légère que commandait le général Vial.

Cependant, M. Alvinzi, qui avait fait ses dispositions, le 24, pour
enfermer toute la division du général Joubert, continuait d'exécuter son
même projet; il ne se doutait pas que pendant la nuit j'y étais arrivé
avec des renforts assez considérables pour rendre son opération
non-seulement impossible, mais encore désastreuse pour lui. Notre gauche
fut vivement attaquée; elle plia, et l'ennemi se porta sur le centre.

La quatorzième demi-brigade soutint le choc avec la plus grande
bravoure. Le général Berthier, chef de l'état-major, que j'y avais
laissé, déploya dans cette occasion la bravoure dont il a fait si
souvent preuve dans cette campagne.

Les Autrichiens, encouragés par leur nombre, redoublaient d'efforts
pour enlever les canons placés devant cette demi-brigade: un capitaine
s'élance au devant de l'ennemi, en criant: quatorzième, laisserez-vous
prendre vos pièces? En même temps la trente-unième, que j'avais envoyée
pour rallier la gauche, paraît, reprend toutes les positions perdues,
et, conduite par son général de division Masséna, rétablit entièrement
les affaires.

Cependant, il y avait déjà trois heures que l'on se battait, et l'ennemi
ne nous avait pas encore présenté toutes ses forces; une colonne ennemie
qui avait longé l'Adige, sous la protection d'un grand nombre de pièces,
marche droit au plateau de Rivoli pour l'enlever, et par là menace de
tourner la droite et le centre. J'ordonnai au général de cavalerie
Leclerc de se porter pour charger l'ennemi, s'il parvenait à s'emparer
du plateau de Rivoli, et j'envoyai le chef d'escadron Lasalle, avec
cinquante dragons, prendre en flanc l'infanterie ennemie qui attaquait
le centre, et la charger vigoureusement. Au même instant, le général
Joubert avait fait descendre des hauteurs de San-Marco quelques
bataillons qui plongeaient le plateau de Rivoli. L'ennemi, qui avait
déjà pénétré sur le plateau, attaqué vivement et de tous côtés, laisse
un grand nombre de morts, une partie de son artillerie, et rentre dans
la vallée de l'Adige. À peu près au même moment, la colonne ennemie qui
était déjà depuis long-temps en marche pour nous tourner et nous couper
toute retraite, se rangea en bataille sur des pitons derrière nous.
J'avais laissé la soixante-quinzième en réserve, qui non-seulement tint
cette colonne en respect, mais encore en attaqua la gauche qui, s'était
avancée, et la mit sur-le-champ en déroute. La dix-huitième demi-brigade
arriva sur ces entrefaites, dans le temps que le général Rey avait pris
position derrière la colonne qui nous tournait; je fis aussitôt canonner
l'ennemi avec quelques pièces de 12; j'ordonnai l'attaque, et, en moins
d'un quart d'heure, toute cette colonne, composée de plus de quatre
mille hommes, fut faite prisonnière.

L'ennemi, partout en déroute, fut partout poursuivi, et pendant toute la
nuit on nous amena des prisonniers. Quinze cents hommes qui se sauvaient
par Guarda furent arrêtés par cinquante hommes de la dix-huitième, qui,
du moment qu'ils les eurent reconnus, marchèrent sur eux avec confiance
et leur ordonnèrent de poser les armes.

L'ennemi était encore maître de la Corona, mais ne pouvait plus être
dangereux. Il fallait s'empresser de marcher contre la division de M.
le général Provera, qui avait passé l'Adige, le 24, à Anghiari; je fis
filer le général Victor avec la brave cinquante-septième, et rétrograder
le général Masséna, qui, avec une partie de sa division, arriva à
Roverbello, le 25.

Je laissai l'ordre, en partant, au général Joubert d'attaquer, à la
pointe du jour, l'ennemi s'il était assez téméraire pour rester encore à
la Corona.

Le général Murat avait marché toute la nuit avec une demi-brigade
d'infanterie légère et devait paraître, dans la matinée, sur les
hauteurs de Montebaldo, qui dominent la Corona: effectivement, après
une résistance assez vive, l'ennemi fut mis en déroute, et ce qui était
échappé à la journée de la veille fut fait prisonnier: la cavalerie
ne put se sauver qu'en traversant l'Adige à la nage et il s'en noya
beaucoup.

Nous avons fait, dans les deux journées de Rivoli, treize mille
prisonniers, et pris neuf pièces de canon: les généraux Sandos et Meyer
ont été blessés en combattant vaillamment à la tête des troupes.


_Combat de Saint-George._


M. le général Provera, à la tête de six mille hommes, arriva le 26,
à midi, au faubourg de Saint-George; il l'attaqua pendant toute la
journée, mais inutilement: le général de brigade Miollis défendait ce
faubourg; le chef de bataillon du génie Samson, l'avait fait retrancher
avec soin; le général Miollis, aussi actif qu'intrépide, loin d'être
intimidé des menaces de l'ennemi, lui répondit avec du canon, et gagna
ainsi la nuit du 26 au 27, pendant laquelle j'ordonnai au général
Serrurier d'occuper la Favorite avec la cinquante-septième et la
dix-huitième demi-brigade de ligne et toutes les forces disponibles
que l'on put tirer des divisions du blocus; mais, avant de vous rendre
compte de la bataille de la Favorite, qui a eu lieu le 27, je dois vous
parler des deux combats d'Anghiari.


_Premier combat d'Anghiari._


La division du général Provera, forte de dix mille hommes, avait forcé
le passage d'Anghiari; le général de division Guieux avait aussitôt
réuni toutes les forces qu'il avait trouvées, et avait marché à
l'ennemi: n'ayant que quinze cents hommes, il ne put parvenir à faire
repasser la rivière à l'ennemi; mais il l'arrêta une partie de la
journée et lui fit trois cents prisonniers.


_Deuxième combat d'Anghiari._


Le général Provera ne perdit pas un instant et fila sur-le-champ
sur Castellara. Le général Augereau tomba sur l'arrière-garde de sa
division, et après un combat assez vif, enleva toute l'arrière-garde
de l'ennemi, lui prit seize pièces de canon, et lui fit deux mille
prisonniers. L'adjudant-général Duphot s'y est particulièrement
distingué par son courage. Les neuvième et dix-huitième régimens
de dragons et le vingt-cinquième régiment de chasseurs s'y sont
parfaitement conduits. Le commandant des hulans se présente devant
un escadron du neuvième régiment de dragons, et, par une de ces
fanfaronnades communes aux Autrichiens: Rendez-vous! crie-t-il au
régiment. Le citoyen Duvivier fait arrêter son escadron: Si tu es
brave, viens me prendre, crie-t-il au commandant ennemi. Les deux corps
s'arrêtent, et les deux chefs donnèrent un exemple de ces combats que
nous décrit avec tant d'agrément Le Tasse. Le commandant des hulans fut
blessé de deux coups de sabre: ces troupes alors se chargèrent, et les
hulans furent faits prisonniers.

Le général Provera fila toute la nuit, arriva, comme j'ai eu l'honneur
de vous le dire, à Saint-George, et l'attaqua le 26; n'ayant pas pu
y entrer, il projeta de forcer la Favorite, de percer les lignes du
blocus, et, secondé par une sortie que devait faire Wurmser, de se jeter
dans Mantoue.


_Bataille de la Favorite._


Le 27, à une heure avant le jour, les ennemis attaquèrent la Favorite,
dans le temps que Wurmser fit une sortie, et attaqua les lignes
du blocus par Saint-Antoine; le général Victor, à la tête de la
cinquante-septième demi-brigade, culbuta tout ce qui se trouva devant
lui. Wurmser fut obligé de rentrer dans Mantoue presque aussitôt qu'il
en était sorti, et laissa le champ de bataille couvert de morts et de
prisonniers de guerre. Serrurier fit avancer alors le général Victor
avec la cinquante-septième demi-brigade, afin d'acculer Provera au
faubourg de Saint-George, et par là le tenir bloqué. Effectivement la
confusion et le désordre étaient dans les rangs ennemis; cavalerie,
infanterie, artillerie, tout était pêle-mêle; la terrible
cinquante-septième demi-brigade n'était arrêtée par rien; d'un côté
elle prenait trois pièces de canon, d'un autre elle mettait à pied le
régiment des hussards de Herdendy. Dans ce moment le respectable général
Provera demanda à capituler; il compta sur notre générosité, et ne se
trompa pas. Nous lui accordâmes le capitulation dont je vous enverrai
les articles: six mille prisonniers, parmi lesquels tous les volontaires
de Vienne, vingt pièces de canon, furent le fruit de cette journée
mémorable.

L'armée de la république a donc, en quatre jours, gagné deux batailles
rangées et six combats, fait près de vingt-cinq mille prisonniers,
parmi lesquels un lieutenant-général et deux généraux, douze à quinze
colonels, etc.; pris vingt drapeaux, soixante pièces de canon, et tué ou
blessé au moins six mille hommes.

Je vous demande le grade de général de division pour le général Victor,
celui de général de brigade pour l'adjudant-général Vaux; toutes
les demi-brigades se sont couvertes de gloire, et spécialement les
trente-deuxième, cinquante-septième et dix-huitième de ligne, que
commandait le général Masséna, et qui, en trois jours, ont battu
l'ennemi à Saint-Michel, à Rivoli et à Roverbello. Les légions romaines
faisaient, dit-on, vingt-quatre milles par jour; nos brigades en font
trente, et se battent dans l'intervalle.

Les citoyens Desaix, chef de la quatrième demi-brigade d'infanterie
légère; Marquis, chef de la dix-neuvième; Fournesy, chef de la
dix-septième, ont été blessés. Les généraux de brigade Vial, Brune, Bon,
et l'adjudant-général Argod se sont particulièrement distingués.

Les traits particuliers de bravoure sont trop nombreux pour être tous
cités ici.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 1er pluviose an 5 (20 janvier 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous envoie onze drapeaux pris sur l'ennemi aux batailles de Rivoli
et de la Favorite. Le citoyen Bessières, commandant des guides, qui les
porte, est un officier distingué par sa valeur et sa bravoure, et par
l'honneur qu'il a de commander une compagnie de braves gens qui ont
toujours vu fuir la cavalerie ennemie devant eux, et qui, par
leur intrépidité, nous ont rendu, dans la campagne, des services
très-essentiels.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 1er pluviose an 5 (20 janvier 1797)

_Au directoire exécutif._

Je vous ferai passer, citoyens directeurs, des lettres interceptées,
qui sont extrêmement intéressantes, en ce que vous y verrez l'opiniâtre
mauvaise foi de la cour de Rome, et le refus que paraît faire le cabinet
de Vienne d'accepter l'alliance de Rome; ce qui ne peut provenir que du
désir qu'il peut avoir de ne pas mettre d'entraves à la paix générale.

J'ai fait imprimer ces lettres dans les gazettes de Bologne et de Milan,
afin de convaincre toute l'Italie de l'imbécile radotage de ces vieux
cardinaux.

Je fais demain passer le Pô, près de Ferrare, à cinq mille hommes, qui
marcheront droit sur Rome.

On entend beaucoup de bruit dans Mantoue, ce qui fait penser que les
assiégés, conformément aux instructions de l'empereur, brisent les
affûts et les trains d'artillerie: cela n'est qu'une conjecture; mais
ce qui n'en est pas une, c'est qu'ils sont depuis long-temps à la
demi-ration de pain, à la viande de cheval, sans vin ni eau-de-vie.

Nous sommes aujourd'hui en mouvement pour occuper Vicence et Padoue,
où nous aurons de meilleurs cantonnemens. Si les renforts que vous
m'annoncez de l'armée du Rhin arrivent, nous ne tarderons pas à avoir
ici de grands événemens; mais j'ai vu un état que l'on m'a envoyé, où
l'on calcule les demi-brigades à deux mille quatre cents hommes. Je
tiens pour impossible que les demi-brigades, après une campagne comme
l'a faite l'armée du Rhin, puissent être de ce nombre. Je crois que
c'est beaucoup que de les évaluer à deux mille; il y en aura encore tant
qui s'échapperont en route!

Le neuvième régiment de dragons n'a ici qu'un escadron, ainsi que le
cinquième de cavalerie et le dix-huitième de dragons; je vous prie de
vouloir bien ordonner que ces régimens soient en entier réunis à l'armée
d'Italie, sans quoi vous perdrez de très-bons corps; ce sera d'ailleurs
un bon renfort de cavalerie que vous nous donnerez; spécifiez dans votre
ordre que les hommes qui composent ces régimens doivent rejoindre leurs
corps à Milan, soit à pied, soit à cheval. Le dépôt du premier régiment
de cavalerie est à Lille, je vous prie d'ordonner qu'il se mette en
marche pour se rendre à Milan.

Nous avons besoin ici d'un renfort de cavalerie, le quinzième régiment
de chasseurs ne suffit pas. On dit qu'aux autres armées l'on ne se sert
pas de la grosse cavalerie, moi je l'estime et m'en sers beaucoup; je
désirerais que vous pussiez m'en envoyer un millier d'hommes, ce qui,
joint à un autre régiment de dragons, ferait à peu près deux à trois
mille hommes de cavalerie de renfort, qui nous suffiraient.

Nous n'avons que deux bataillons de pionniers réduits à rien, je vous
prie de nous en envoyer deux autres.

Je vous prie surtout d'ordonner que tous les régimens de cavalerie que
l'on m'enverra aient leurs armes, sabres et mousquetons, et les dragons
leurs fusils.

Il nous faudrait encore trois ou quatre compagnies d'artillerie légère,
et cinq à six cents hommes d'artillerie à pied, et quelques bons
officiers de cette arme; car, excepté les citoyens Chasseloup et Samson,
les autres ne sont pas en état de tracer une flèche, et ne font que
des bêtises. Tous ceux que vous annoncez ne viennent pas: il ne manque
cependant pas d'officiers de génie et d'artillerie; mais ce sont des
officiers de paix et de bureau, qui ne voient jamais le feu, de sorte
qu'excepté les deux que je vous ai nommés, le reste est sans expérience:
aussi se plaint-on généralement dans l'armée des ouvrages que fait le
génie.

Le commissaire ordonnateur Denniée a peu de santé; Villemansy ne vient
pas, ni Naudin, ni Eyssautier: tous ces messieurs font ce qui leur
convient; cependant, il est de plus en plus urgent que la partie
administrative soit organisée.

Je vous enverrai la liste des officiers-généraux qui, par leur peu de
talens, sont incapables de commander, et que je vous prie de retirer de
l'armée.

Si vous m'envoyez des généraux, ou des adjudans-généraux, je vous prie
de ne pas m'envoyer de ceux qui ont servi dans la Vendée, parce qu'ils
n'entendent rien à la guerre. Si Chasset n'était plus utile à Paris,
ainsi que les adjudans-généraux Sherlock, Doulcet et Beauvais, je vous
prie de me les envoyer. Je désirerais aussi avoir l'adjudant-général
Espagne et Camin: je crois que ce dernier n'est plus employé; mais c'est
un officier de la plus grande distinction.

Quant à des généraux de division, à moins que ce ne soient des officiers
distingués, je vous prie de ne m'en pas envoyer; car notre manière de
faire la guerre ici est si différente des autres, que je ne peux pas
confier une division sans avoir éprouvé, par deux ou trois affaires, le
général qui doit la commander.

Je vous prie d'envoyer ici l'adjudant-général Saint-Martin, le chef de
brigade d'artillerie Gueriau, actuellement directeur du parc de l'armée
des Alpes, le chef de bataillon d'artillerie Allix, le chef de bataillon
du génie Laroche. Il est très-essentiel pour l'armée et pour la
république de m'envoyer ici des jeunes gens qui apprennent à faire
la guerre de mouvement et de manoeuvres; c'est celle qui nous a fait
obtenir de grands succès dans cette armée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 3 pluviose an 5 (22 janvier 1797).

_Au citoyen Cacault._

Vous aurez la complaisance, citoyen ministre, de partir de Rome six
heures après la réception de cette lettre, et vous viendrez à Bologne.
On vous a abreuvé d'humiliations à Rome, et on a mis tout en usage pour
vous en faire sortir; aujourd'hui, résistez à toutes les instances,
partez.

Je serai charmé de vous voir et de vous assurer des sentimens d'estime
et de considération avec lesquels je suis.

BONAPARTE.



_Lettre au cardinal Mathei incluse dans la précédente._

Les étrangers qui influencent la cour de Rome ont voulu et veulent
encore perdre ce beau pays; les paroles de paix que je vous avais chargé
de porter au Saint-Père, ont été étouffées par ces hommes pour qui la
gloire de Rome n'est rien, mais qui sont entièrement vendus aux cours
qui les emploient; nous touchons au dénouement de cette ridicule
comédie. Vous êtes témoin du prix que j'attachais à la paix, et du désir
que j'avais de vous épargner les horreurs de la guerre. Les lettres que
je vous fais passer, et dont j'ai les originaux entre les mains, vous
convaincront de la perfidie, de l'aveuglement et de l'étourderie de ceux
qui dirigent actuellement la cour de Rome. Quelque chose qui puisse
arriver, je vous prie, monsieur le cardinal, d'assurer Sa Sainteté
qu'elle peut rester à Rome sans aucune espèce d'inquiétude. Premier
ministre de la religion, il trouvera, à ce titre, protection pour lui
et pour l'église. Assurez également tous les habitans de Rome qu'ils
trouveront dans l'armée française des amis qui ne se féliciteront de
la victoire, qu'autant qu'elle pourra améliorer le sort du peuple, et
affranchir l'Italie de la domination des étrangers; mon soin particulier
sera de ne point souffrir qu'on apporte aucun changement à la religion
de nos pères.

Je vous prie, monsieur le cardinal, d'être assuré que, dans mon
particulier, je me ferai un devoir de vous donner, dans toutes les
circonstances, la marque de l'estime et de l'attachement avec lesquels
je suis.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 9 pluviose an 5 (28 janvier 1797).

_Au directoire exécutif._

La division du général Augereau s'est rendue à Padoue, de là elle a
passé la Brenta, et s'est rendue à Citadella, où elle a rencontré
l'ennemi, qui a fui à son approche.

Le général Masséna s'est rendu a Vicence, de là à Bassano, et a
poursuivi l'ennemi qui s'est retiré au-delà de la Piave et dans
les gorges de la Brenta: il a envoyé le brave général Mesnard à sa
poursuite, celui-ci l'a atteint à Carpenedolo, et lui a fait huit
cents prisonniers après un combat assez vif. Les grenadiers de la
vingt-cinquième demi-brigade ont passé le pont de la Brenta à la
baïonnette, et ont fait une boucherie horrible de ce qui s'est opposé à
leur passage.

La division du général Joubert est en marche pour suivre l'ennemi dans
les gorges du Tyrol, que la mauvaise saison rend difficiles; il a
rencontré hier à Avio l'arrière-garde de l'ennemi, et lui a fait trois
cents prisonniers après un léger combat.

La division Rey a accompagné les prisonniers. Rien de nouveau au blocus
de Mantoue.

J'ai écrit au citoyen Cacault de sortir de Rome trois heures après la
réception du courrier que je lui ai expédié à cet effet.

Le temps est horrible, il pleut à seaux depuis quarante-huit heures.

Je donne ordre au citoyen Leroux de prendre les fonctions d'ordonnateur
en chef; j'engage le citoyen Denniée à rester à l'armée comme
ordonnateur de division, nous n'en avons pas trop. Le commissaire Naudin
est arrivé.

Si le citoyen Villemansy doit venir en Italie, qu'il se dépêche, parce
qu'une fois la campagne commencée, il ne pourra plus reprendre le fil de
nos opérations.

Il n'est encore arrivé aucune des troupes des dix mille hommes de
l'Océan, que les dix-huit cents hommes de la soixante-quatrième
demi-brigade.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 9 pluviose an 5 (28 janvier 1797).

_Au citoyen Carnot, membre du directoire exécutif._

J'ai reçu votre lettre, mon cher directeur, sur le champ de bataille de
Rivoli. J'ai vu dans le temps avec pitié tout ce que l'on débite sur mon
compte. L'on me fait parler chacun suivant sa passion. Je crois que vous
me connaissez trop pour imaginer que je puisse être influencé par qui
que ce soit. J'ai toujours eu à me louer des marques d'amitié que vous
m'avez données à moi et aux miens, et je vous en conserverai toujours
une vraie reconnaissance; il est des hommes pour qui la haine est un
besoin, et qui, ne pouvant pas bouleverser la république, s'en consolent
en semant la dissension et la discorde partout où ils peuvent arriver.
Quant à moi, quelque chose qu'ils disent, ils ne m'atteignent plus:
l'estime d'un petit nombre de personnes comme vous, celle de mes
camarades et du soldat, quelquefois aussi l'opinion de la postérité, et
par-dessus tout le sentiment de ma conscience et la prospérité de ma
patrie, m'intéressent uniquement.

Deux divisions de l'armée sont aujourd'hui à Bassano; l'ennemi, à ce
qu'on m'assure, évacue Trente; Mantoue est toujours strictement bloqué.
Le baron de Saint-Vincent est parti le 4 de Trente pour Vienne. Le
15, nous bombardons Mantoue. Colli, celui qui commandait l'armée
autrichienne en Piémont, est débarqué à Ancône avec quelques officiers
et sous-officiers autrichiens; il a déjà passé en revue l'armée papale.
Quand vous aurez reçu cette lettre, une de nos divisions aura déjà
attaqué cette armée. J'ai écrit au citoyen Cacault pour qu'il eût
sur-le-champ à évacuer Rome: on n'a pas d'idée des mauvais traitemens
que cette prêtraille lui a fait essuyer.

J'attends toujours avec impatience Villemansi; Denniée ne va plus,
Leroux va exercer ses fonctions en attendant.

Tous les officiers autrichiens, généraux et autres, auxquels j'ai fait
part de la bêtise de la cour de Vienne, qui, dans les entrevues avec le
général Clarke, a paru ne pas reconnaître la république, ont beaucoup
crié. L'opinion publique, à Vienne, est très-contraire à Thugut. J'ai
dit à Manfredini, la dernière fois que je l'ai vu, que si l'empereur
voulait avoir la preuve que Thugut s'était vendu à la France dans le
temps de son ambassade à Constantinople, il serait facile de la lui
procurer. Je vous prie de presser Truguet pour l'envoi de quelques
frégates dans l'Adriatique.

La tête des troupes que vous annoncez venant du Rhin, n'est pas encore
arrivée à Lyon; de Lyon à Verone il y a vingt-huit jours de marche; nous
sommes aujourd'hui au 9 pluviose: ainsi il n'y a pas d'espoir qu'avant
le 9 ventose nous puissions avoir ici un seul bataillon des colonnes
venant du Rhin. Des dix mille hommes de l'Océan annoncés depuis tant
de temps, il n'y a encore que dix-huit cents hommes, formant la
soixante-quatrième demi-brigade, qui soient arrivés. De Vienne à Trente,
il n'y a que trente jours de marche; de Vienne à la Piave, c'est-à-dire,
près de Bassano, il y a encore moins. J'ai écrit à la trésorerie
relativement à son indécente conduite avec la compagnie Flachat. Ces
gens-là nous ont infiniment nui en emportant cinq millions, et par là
nous ont mis dans la situation la plus critique. Quant à moi, s'ils
viennent dans l'arrondissement de l'armée, je les ferai mettre en
prison, jusqu'à ce qu'ils aient rendu à l'armée les cinq millions qu'ils
lui ont enlevés. Non-seulement la trésorerie ne pense pas à faire payer
le prêt à l'armée et à lui fournir ce dont elle a besoin, mais encore
elle protège les fripons qui viennent à l'armée pour s'engraisser. Je
crains bien que ces gens-là ne soient plus ennemis de la république que
les cours de Vienne et de Londres.

Vous verrez, par la lettre que j'ai écrite au directoire, que nous
venons encore de faire onze cents prisonniers aux deux combats de
Carpenedolo et d'Avio. Nous serons sous peu à Trente. Je compte garder
cette partie du Tyrol et la Piave jusqu'à l'arrivée des forces que vous
m'annoncez. Dès l'instant qu'elles seront arrivées, je serai bientôt à
Trieste, à Clagenfurth et à Brixen; mais il faut pour ces opérations que
les trente mille hommes que vous m'annoncez arrivent.

Je vous serai obligé, par le premier courrier, de me donner des
nouvelles de l'expédition d'Irlande, surtout s'il y en a de mauvaises:
car, pour peu que nous ayons quelque désavantage, on ne manquera pas
d'exagérer au centuple.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 13 pluviose an 5 (1er février 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, la lettre que m'a écrite M.
le maréchal Wurmser: je lui ai répondu que je ne pouvais accorder la
capitulation qu'il me demandait, et que par égard pour lui, je lui
permettrais de sortir avec cinq cents hommes à son choix, à condition
qu'ils ne serviraient pas pendant trois mois contre la république, mais
que tout le reste devait être prisonnier. J'ai laissé mes instructions
au général Serrurier, et je suis parti pour Bologne.

Le général Serrurier vient de m'instruire qu'il vient de recevoir un
nouveau parlementaire, par lequel il lui offre sa place, à condition
qu'il sortira avec sa garnison, et qu'il s'engagera à ne pas servir
pendant un an contre la république française. Je vais répondre au
général Serrurier que je m'en tiens à ma première proposition, et que si
le général Wurmser n'y a pas accédé avant le 15, je me rétracte, et ne
lui accorde pas d'autre capitulation que d'être prisonnier de guerre
avec sa garnison.

J'ai fait partir ce matin la division du général Victor, qui s'est
portée à Imola, première ville des États du pape. Je vous enverrai ma
proclamation et d'autres pièces imprimées à cette occasion.

Ne pourrait-on pas, si nous allions jusqu'à Rome, réunir le Modénois, le
Ferrarois et la Romagne, et en faire une république, qui serait assez
puissante? Ne pourrait-on pas donner Rome à l'Espagne, à condition
qu'elle garantirait l'indépendance de la nouvelle république? Alors nous
pourrions restituer à l'empereur le Milanez, le Mantouan, et lui donner
le duché de Parme, en cas que nous fussions obligés de passer par
là, afin d'accélérer la paix, dont nous avons besoin. L'empereur n'y
perdrait rien, l'Espagne y gagnerait beaucoup, et nous y gagnerions
plus encore; nous aurions un allié naturel en Italie, qui deviendrait
puissant, et avec lequel nous correspondrions par Massa-Carrara et
l'Adriatique.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 13 pluviose an 5 (1er février 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte, par mon dernier courrier, des combats d'Avio et
de Carpenedolo. Les ennemis se retirent sur Morri et Torbole, appuyant
leur droite au lac, et la gauche à l'Adige; le général Murat s'embarqua
avec deux cents hommes, et vint débarquer à Torbole.

Le général de brigade Vial, à la tête de l'infanterie légère, après
avoir fait une marche très-longue dans les neiges et dans les montagnes
les plus escarpées, tourna la position des ennemis, et obligea un
corps de quatre cent cinquante hommes et douze officiers à se rendre
prisonniers. On ne saurait donner trop d'éloges aux quatrième et
dix-septième demi-brigades d'infanterie légère que conduisait ce brave
général: rien ne les arrêtait; la nature semblait être d'accord avec nos
ennemis; le temps était horrible, mais l'infanterie légère de l'armée
d'Italie n'a pas encore rencontré d'obstacle qu'elle n'ait vaincu.

Le général Joubert entra à Roveredo; l'ennemi, qui avait retranché avec
le plus grand soin la gorge de Calliane, célèbre par la victoire que
nous y avons remportée lors de notre première entrée dans le Tyrol,
parut vouloir lui disputer l'entrée de Trente.

Le général Belliard chercha à tourner l'ennemi par la droite, dans le
temps que le général de brigade Vial, continuant à marcher sur la rive
droite de l'Adige, le culbuta, lui fit trois cents prisonniers, et
arriva à Trente, où il trouva dans les hôpitaux de l'ennemi deux mille
malades ou blessés, qu'il a recommandés à notre humanité en fuyant: nous
y avons pris quelques magasins.

Dans le même temps, le général Masséna avait fait marcher deux
demi-brigades pour attaquer l'ennemi qui occupait le château de Scala,
entre Feltro et Primolazo. L'ennemi a fui à son approche, et s'est
retiré au-delà de la Prado, en laissant une partie de ses bagages.

Le général Augereau s'est approché de Treviso; le chef d'escadron
Duvivier a culbuté la cavalerie ennemie, après lui avoir enlevé
plusieurs postes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Mantoue, le 14 pluviose an 5 (2 février 1797).

_Au ministre de la guerre._

Je réponds, citoyen ministre, à votre lettre relative à la demande que
vous me faites sur la situation militaire actuelle de l'île de Corse.

Le général de brigade Casalta, que j'envoyai en Corse, débarqua à
la tête de la gendarmerie de ce département et de plusieurs autres
réfugiés, et acheva de chasser les Anglais de cette île.

Le général Gentili ne tarda pas à y passer avec tous les réfugiés corses
qui se trouvaient à l'armée d'Italie, et qui, par leurs liaisons dans
le pays, achèveront de consolider notre établissement. Je fis passer
également cent canonniers avec plusieurs officiers d'artillerie et du
génie, pour armer les différens forts. Le général Gentili a, par mon
ordre, créé, dans les départemens du Golo et du Liamone, un bon corps de
gendarmerie, et cinq colonnes mobiles composées de trois cents hommes,
tant pour veiller à la défense de la côte, que pour comprimer nos
ennemis intérieurs.

La garde des forts d'Ajaccio, Bonifaccio et Bastia est confiée à des
corps de gardes nationales d'une fidélité et d'un patriotisme reconnus.

Le commissaire ordonnateur de l'armée a passé des marchés et fait
approvisionner les différentes places de l'île de tout ce qui leur
était nécessaire, en même temps qu'il a pourvu à la solde de tous ces
différens corps.

Depuis que les deux départemens qui composent l'île de Corse sont
rentrés sous la domination de la république, il n'y a eu aucun
assassinat ni attentat aux propriétés; jamais pays n'a été plus
tranquille, et jamais révolution ne s'est faite avec aussi peu de
commotion.

Je n'ai pas fait passer de troupes en Corse: nous avons l'habitude d'y
tenir cinq mille hommes de garnison, et mes troupes m'étaient trop
nécessaires en Italie pour pouvoir en distraire la moindre partie pour
la Corse, dont la tranquillité d'ailleurs a été mieux assurée par les
mesures de police intérieure que j'ai prises, et par l'argent que j'ai
fait passer, que par un corps de quatre mille hommes. Cependant, lorsque
les affaires de Rome seront terminées, et que les Anglais auront évacué
Porto-Ferrajo, je ferai passer six cents hommes dans le fort de Bastia,
et quatre cents dans celui d'Ajaccio.

Vous pouvez être, citoyen ministre, sans aucune inquiétude sur la
tranquillité intérieure et extérieure de l'île de Corse. Il n'y a, je
crois, qu'un ennemi de la patrie qui puisse exiger que l'on ait affaibli
les corps de l'armée d'Italie pour envoyer en Corse des troupes à peu
près inutiles. Si le directoire continue à me laisser le maître de
faire ce qu'il conviendra, j'enverrai des troupes en Corse dès que
la situation de l'armée me le permettra, ou que les circonstances
l'exigeront.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Faenza, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte hier de l'arrivée de nos troupes à Trente: le
général Joubert, arrivé dans cette ville, envoya aussitôt à la poursuite
de l'ennemi.

Le général Vial, à la tête de l'infanterie légère, occupa la ligne du
Lawis; les débris de l'armée autrichienne étaient de l'autre côté. Le
général Vial passa le Lawis à pied, à la tête de la vingt-neuvième
demi-brigade, poussa l'ennemi jusqu'à Saint-Michel, lui fit huit cents
prisonniers, et joncha la terre de morts. La jonction des généraux
Masséna et Joubert est faite, et ce dernier général occupe la ligne du
Lawis qui couvre Trente.

L'aide-de-camp Lambert, l'adjudant Cansillon se sont particulièrement
distingués.

Je me suis attaché à montrer la générosité française vis-à-vis de
Wurmser, général âgé de soixante-dix ans, envers qui la fortune a été,
cette campagne-ci, très-cruelle, mais qui n'a pas cessé de montrer une
connaissance et un courage que l'histoire remarquera. Enveloppé de tous
côtés après la bataille de Bassano, perdant d'un seul coup une partie du
Tyrol et son armée, il ose espérer de pouvoir se réfugier dans Mantoue,
dont il est éloigné de quatre à cinq journées, passe l'Adige, culbute
une de nos avant-gardes à Cerca, traverse la Molinella et arrive dans
Mantoue. Enfermé dans cette ville, il a fait deux ou trois sorties,
toutes lui ont été malheureuses, et à toutes il était à la tête. Mais,
outre les obstacles très-considérables que lui présentaient nos lignes
de circonvallation, hérissées de pièces de campagne, qu'il était obligé
de surmonter, il ne pouvait agir qu'avec des soldats découragés par tant
de défaites, et affaiblis par les maladies pestilentielles de Mantoue.
Ce grand nombre d'hommes qui s'attachent toujours à calomnier le
malheur, ne manqueront pas de chercher à persécuter Wurmser.

Le général Serrurier et le général Wurmser ont dû avoir hier une
conférence pour fixer le jour de l'exécution de la capitulation, et
s'accorder sur les différens qu'il y a entre l'accordé et le proposé.

La division du général Victor a couché le 13 à Imola, première ville de
l'état papal. L'armée de Sa Sainteté avait coupé les ponts, et s'était
retranchée avec le plus grand soin sur la rivière de Senio, qu'elle
avait bordée de canons. Le général Lannes, commandant l'avant-garde,
aperçut les ennemis qui commençaient à le canonner: il ordonna aussitôt
aux éclaireurs de la légion lombarde d'attaquer les tirailleurs
papistes; le chef de brigade Lahoz, commandant cette légion, réunit
ses grenadiers, qu'il fit former en colonne serrée, pour enlever, la
baïonnette au bout du fusil, les batteries ennemies. Cette légion, qui
voit le feu pour la première fois, s'est couverte de gloire; elle a
enlevé quatorze pièces de canon sous le feu de trois à quatre mille
hommes retranchés. Pendant que le feu durait, plusieurs prêtres, un
crucifix à la main, prêchaient ces malheureuses troupes. Nous avons
pris à l'ennemi quatorze pièces de canon, huit drapeaux, quatre mille
prisonniers, et tué quatre ou cinq cents hommes. Le chef de brigade
Lahoz a été légèrement blessé. Nous avons eu quarante hommes tués ou
blessés.

Nos troupes se portèrent aussitôt sur Faenza, elles en trouvèrent les
portes fermées; toutes les cloches sonnaient le tocsin, et une populace
égarée prétendait en défendre l'issue. Tous les chefs, notamment
l'évêque, s'étaient sauvés: deux ou trois coups de canon enfoncèrent les
portes, et nos gens entrèrent au pas de charge. Les lois de la guerre
m'autorisaient à mettre cette ville infortunée au pillage; mais comment
se résoudre à punir aussi sévèrement toute une ville pour le crime de
quelques prêtres? J'ai envoyé chez eux cinquante officiers que j'avais
faits prisonniers, pour qu'ils allassent éclairer leurs compatriotes, et
leur faire sentir les dangers qu'une extravagance pareille à celle-ci
leur ferait courir. J'ai fait, ce matin, venir tous les moines, tous les
prêtres; je les ai rappelés aux principes de l'Évangile, et j'ai employé
toute l'influence que peuvent avoir la raison et la nécessité, pour les
engager à se bien conduire: ils m'ont paru animés de bons principes;
j'ai envoyé à Ravennes le général des camaldules, pour éclairer cette
ville, et éviter les malheurs qu'un plus long aveuglement pourrait
produire; j'ai envoyé à Cézène, patrie du pape actuel, le P. don
Ignacio, prieur des bénédictins.

Le général Victor continua hier sa route, et se rendit maître de Forti;
je lui ai donné l'ordre de se porter aujourd'hui à Cézène. Je vous ai
envoyé différentes pièces qui convaincront l'Europe entière de la folie
de ceux qui conduisent la cour de Rome. Je vous enverrai aussi deux
autres affiches, qui vous convaincront de la démence de ces gens-ci; il
est déplorable de penser que cet aveuglement coûte le sang des pauvres
peuples, innocens instrumens et de tout temps victimes des théologiens.
Plusieurs prêtres, et entre autres un capucin, qui prêchaient l'armée
des catholiques, ont été tués sur le champ de bataille.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Forti, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, le mémoire que m'envoie le
citoyen Faypoult; vous frémirez d'indignation, lorsque vous y verrez
avec quelle impudence on vole la république. Je donne les ordres pour
que l'on arrête le citoyen Legros, contrôleur de la trésorerie, et le
commissaire des guerres Lequeue; j'engage le citoyen Faypoult à faire
arrêter à Gênes les citoyens Paillaud et Peregaldo. Vous ne souffrirez
pas, sans doute, que les voleurs de l'armée d'Italie trouvent leur
refuge à Paris. Pendant que je me battais et que j'étais éloigné de
Milan, le citoyen Flachat s'en est allé, emportant cinq à six millions
à l'armée, et nous a laissés dans le plus grand embarras. Si l'on ne
trouve pas de moyens d'atteindre la friponnerie manifestement reconnue
de ces gens-là, il faut renoncer au règne de l'ordre, à l'amélioration
de nos finances et à maintenir une armée aussi considérable en Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 18 pluviose an 5 (6 février 1797).

_Proclamation._

L'armée française va entrer sur le territoire du pape; elle protégera la
religion et le peuple.

Le soldat français porte d'une main la baïonnette, sûr garant de la
victoire, et offre, de l'autre, aux différentes villes et villages paix,
protection et sûreté... Malheur à ceux qui la dédaigneraient, et qui,
de gaîté de coeur, séduits par des hommes profondément hypocrites et
scélérats, attireraient dans leurs maisons la guerre et ses horreurs,
et la vengeance d'une armée qui a, dans six mois, fait cent mille
prisonniers des meilleures troupes de l'empereur, pris quatre cents
pièces de canon, cent dix drapeaux, et détruit cinq armées.

ART. 1er. Tout village ou ville, où, à l'approche de l'armée française,
on sonnera le tocsin, sera sur-le-champ brûlé, et les municipaux seront
fusillés.

II. La commune sur le territoire de laquelle sera assassiné un Français
sera sur-le-champ déclarée en état de guerre; une colonne mobile y sera
envoyée; il y sera pris des otages, et il y sera levé une contribution
extraordinaire.

III. Tous les prêtres, religieux et ministres de la religion, sous
quelques noms que ce soit, seront protégés et maintenus dans leur état
actuel, s'ils se conduisent selon les principes de l'Évangile, et, s'ils
sont les premiers à le transgresser, ils seront traités militairement,
et plus sévèrement que les autres citoyens.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Pezaro, le 19 pluviose an 5 (7 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Le général Bernadotte m'écrit de Metz pour m'annoncer que les six
demi-brigades venant de l'armée de Sambre-et-Meuse, qui, au compte du
général Moreau, devaient être de deux mille quatre cents hommes chacune,
ce qui devrait faire quatorze mille quatre cents hommes, n'en font que
douze mille huit cents. En supposant que les six demi-brigades envoyées
par le général Moreau soient d'égale force, cela ferait vingt-cinq mille
hommes: pour avoir trente mille hommes, il faudrait donc encore ordonner
le départ de deux demi-brigades; vous pourriez nous en envoyer deux de
l'armée de l'Océan.

Ces corps perdront nécessairement en route du monde; le moins qu'ils
puissent perdre, c'est cinq cents hommes chacun, ce qui réduirait le
secours de trente mille hommes annoncés pour l'armée à dix-neuf mille
hommes; je crois donc qu'il serait nécessaire que vous nous envoyassiez
encore trois demi-brigades, en les tirant, soit de l'armée des
départemens de l'intérieur, soit des deux armées du Rhin. Avec ces cinq
demi-brigades de renfort, le secours extraordinaire envoyé serait de
dix-sept demi-brigades: c'est beaucoup les calculer, si on les porte,
arrivées à Milan, à quinze cents hommes, surtout les demi-brigades
d'infanterie légère, qui ne sont guère, dans toutes les armées, que la
moitié des autres; ces demi-brigades feraient donc vingt-cinq mille cinq
cents hommes. Le secours serait donc encore inférieur de cinq mille
hommes aux trente mille que votre intention est d'envoyer à l'armée
d'Italie.

Le général Kellermann vous fait un double emploi quand il compte la
quarantième, qui nous a été envoyée il y a deux mois, et qui a été
portée sur un autre envoi. Nous n'avons donc véritablement reçu, des
dix mille hommes annoncés, que la soixante-quatrième et la treizième,
formant en tout moins de quatre mille hommes.

Il m'est annoncé quatre régimens de troupes à cheval des deux armées,
et le quinzième de chasseurs venant de Bourges. Je vous ai demandé deux
escadrons, restés à Bordeaux et à Marseille, du dix-huitième de dragons;
deux escadrons du cinquième de cavalerie et du neuvième de dragons
restés à Lyon, et les différens petits détachemens de la cavalerie de
l'armée qui sont restés dans la huitième division, et qu'il est instant
de rallier à leurs corps. Si vous pouvez m'envoyer six cents hommes de
grosse cavalerie, six cents dragons et sept à huit cents hommes des
différentes armes de la cavalerie, à pied et armés, et que nous
chercherons à monter avec les chevaux que nous pourrons trouver, je me
trouverai suffisamment fort en cavalerie.

De l'annonce faite, au commencement de la campagne, par le ministre,
de l'artillerie légère, il nous manque quatre compagnies, qui ne sont
jamais venues; nous en avons le plus grand besoin.

Je compte mettre en ligne contre les Allemands la légion lombarde, qui
se bat assez bien; mais elle n'est pas à quinze cents hommes. La légion
polonaise qu'on lève fournira à peu près quinze cents hommes, qui, avec
la légion cispadane, serviront à garder l'Italie inférieure.

Je vous prie d'envoyer à l'armée le citoyen Champeaux, ci-devant chef de
brigade du dixième de chasseurs, et que j'ai nommé chef de brigade du
septième de hussards, qui est très-pillard, mais que Champeaux remettra
à l'ordre.

Je vous recommande de nous envoyer deux mille charretiers pour
l'artillerie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 22 pluviose an 5 (10 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Nous avons beaucoup à nous plaindre, citoyens directeurs, de la conduite
des baillis suisses. Je n'ai fait mettre les barques canonnières sur
le lac de Lugano que pour empêcher la contrebande qui se faisait, et
arrêter la désertion des prisonniers autrichiens, protégés par les
Suisses. Nous avions droit de mettre ces barques sur le lac, puisqu'une
bonne partie du rivage nous appartient; d'ailleurs, si les baillis
suisses continuent à se mal conduire, je ne leur accorderai plus de blé,
et s'ils se permettent des voies de fait, je ferai brûler les villages
qui se seront mal comportés. Les Suisses d'aujourd'hui ne sont plus les
hommes du quatorzième siècle: ils ne sont fiers que lorsqu'on les cajole
trop; ils sont humbles et bas lorsqu'on leur fait sentir qu'on n'a pas
besoin d'eux: si nous ne les secourions pas du côté du Milanez, ils
mourraient de faim; nous avons donc le droit d'exiger qu'ils se
conduisent avec égard.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 22 pluviose an 5 (10 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Nous avons conquis en peu de jours la Romagne, le duché d'Urbin et la
marche d'Ancône. Nous avons fait à Ancône douze cents prisonniers de
l'armée du pape; ils s'étaient postés habilement sur des hauteurs en
avant d'Ancône. Le général Victor les a enveloppés, et les a tous pris
sans tirer un coup de fusil. L'empereur venait d'envoyer au pape trois
mille beaux fusils, que nous avons trouvés dans la forteresse
d'Ancône avec près de cent vingt pièces de canon de gros calibre; une
cinquantaine d'officiers que nous avons faits prisonniers ont été
renvoyés, avec le serment de ne plus servir le pape. La ville d'Ancône
est le seul port qui existe, depuis Venise, sur l'Adriatique; il est,
sous tous les points de vue, très-essentiel pour notre correspondance de
Constantinople: en vingt-quatre heures on va d'ici en Macédoine. Aucun
gouvernement n'était aussi méprisé par les peuples mêmes qui lui
obéissent, que celui-ci. Au premier sentiment de frayeur que cause
l'entrée d'une armée ennemie, a succédé la joie d'être délivré du plus
ridicule des gouvernemens.

Le 22, à six heures du soir.

_P.S._ Nous sommes maîtres de Notre-Dame-de-Lorette.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 23 pluviose an 5 (11 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ferai passer la capitulation de Mantoue; nos troupes ont occupé
la citadelle le 15 et, aujourd'hui, la ville est entièrement évacuée par
les Autrichiens. Je vous enverrai les inventaires de l'artillerie et
du génie et la revue de la garnison, dès l'instant qu'ils me seront
parvenus. C'est le général Serrurier qui a assiégé la première fois
Mantoue; le général Kilmaine, qui a établi le deuxième blocus, a
rendu de grands services; c'est lui qui a ordonné que l'on fortifiât
Saint-George, qui nous a si bien servis depuis. La garnison de Mantoue a
mangé cinq mille chevaux, ce qui fait que nous en avons fort peu
trouvé. Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen
Chasseloup, commandant du génie de l'armée. Il a assiégé le château de
Milan, la ville de Mantoue, et on en était déjà aux batteries de brèche,
lorsque j'ordonnai qu'on levât le siège; il a, dans cette campagne, fait
fortifier Peschiera, Legnago et Pizzighitone. Je vous demande le grade
de chef de brigade pour les citoyens Samson et Maubert; ils l'ont
mérité, en rendant des services dans plus de quarante combats, et en
faisant des reconnaissances dangereuses et utiles. Je vous ai demandé le
grade de général de division d'artillerie pour le général Lespinasse. Je
vous prie aussi d'employer le général Dommartin dans l'armée d'Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 25 pluviose an 5 (13 février 1797).

_À Monsieur le cardinal Mattei._

J'ai reconnu, dans la lettre que vous vous êtes donné la peine de
m'écrire, monsieur le cardinal, cette simplicité de moeurs qui vous
caractérise. Vous verrez, par l'imprimé que je vous envoie, les raisons
qui m'ont engagé à rompre l'armistice conclu entre la république
française et Sa Sainteté.

Personne n'est plus convaincu du désir que la république française avait
de faire la paix, que le cardinal Busca, comme il l'avoue dans sa lettre
à M. Albani, qui a été imprimée et dont j'ai l'original dans les mains.

On s'est rallié aux ennemis de la France lorsque les premières
puissances de l'Europe s'empressaient de reconnaître la république et de
désirer la paix avec elle; on s'est longtemps bercé de vaines chimères
et on n'a rien oublié pour consommer la destruction de ce beau pays.
Je n'entendrai jamais à aucune proposition qui tendrait à terminer les
hostilités entre la république française et Sa Sainteté, qu'au préalable
on n'ait ordonné le licenciement des régimens créés après l'armistice;
secondement, que l'on n'ait ôté par notification publique le commandant
de l'armée de Sa Sainteté aux officiers-généraux envoyés par l'empereur.
Ces clauses remplies, il reste encore à Sa Sainteté un espoir de
sauver ses états en prenant plus de confiance dans la générosité de la
république française, et en se livrant toute entière et promptement à
des négociations pacifiques.

Je sais que Sa Sainteté a été trompée: je veux bien encore prouver à
l'Europe entière la modération du directoire exécutif de la république
française, en lui accordant cinq jours pour envoyer un négociateur muni
de pleins pouvoirs, qui se rendra à Foligno, où je me trouverai et où
je désire de pouvoir contribuer en mon particulier à donner une preuve
éclatante de la considération que j'ai pour le Saint-Siège.

Quelque chose qu'il arrive, monsieur le cardinal, je vous prie d'être
persuadé de l'estime distinguée avec laquelle je suis, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Macereta, le 27 pluviose an 5 (15 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, 1°. la copie d'une lettre que
m'a écrite le cardinal Mattei.

2°. La copie d'une note qui m'a été remise par le prince de Belmonte
Pignatelli, envoyé près de moi par sa cour.

Il m'a dit confidentiellement et m'a montré des articles de son
instruction, aussi très-confidentiellement et non officiellement, où
le roi son maître prenait un tel intérêt aux affaires de Rome, qu'il
faisait marcher un corps de troupes pour appuyer ses représentations sur
Rome.

Je lui ai répondu très-confidentiellement que, si je n'avais point
abattu l'orgueil du pape, il y a trois mois, c'est que je ne doutais pas
que le roi de Naples voulait se mêler, contre le droit des gens et la
teneur du traité, de cette affaire-là, et que véritablement alors je
n'avais pas le moyen de lui répondre; mais qu'aujourd'hui j'avais de
disponibles les trente mille hommes qui étaient devant Mantoue, et les
quarante mille hommes qui me venaient de l'intérieur; que si le roi son
maître me jetait le gant, je le ramasserais; que la république donnerait
au roi de Naples toutes les satisfactions compatibles avec sa dignité et
son intérêt: il a, en reprenant le ton officiel, désavoué ce qui avait
été dit en confidence.

J'ai répondu au cardinal Mattei la lettre que je vous envoie, au prince
Belmonte Pignatelli la note que je vous envoie également.

Je vous fais tenir la mesure que j'ai adoptée à Ancône pour
l'organisation de l'administration, le parti que j'ai pris ici
relativement à l'organisation de la province, ainsi qu'un ordre que j'ai
donné en faveur des prêtres réfractaires. Cet ordre n'est pas contraire
à la loi; il est conforme à nos intérêts et à la bonne politique: car
ces prêtres nous sont fort attachés et beaucoup moins fanatiques que les
Romains. Ils sont accoutumés à ce que les prêtres ne gouvernent pas, et
c'est déjà beaucoup: ils sont très-misérables; les trois quarts pleurent
quand ils voient un Français: d'ailleurs, à force d'en faire des
battues, ou les oblige à se réfugier en France. Comme ici nous ne
touchons en aucune manière à la religion, il vaut beaucoup mieux qu'ils
y restent; si vous approuvez cette mesure et qu'elle ne contrarie pas
les principes généraux, je tirerai de ces gens-là un grand parti en
Italie.

Ancône est un très-bon port, on va delà en vingt-quatre heures en
Macédoine, et en dix jours à Constantinople. Mon projet est d'y ramasser
tous les juifs possible; je fais mettre dans le meilleur état de défense
la forteresse; il faut que nous conservions le port d'Ancône à la paix
générale, et qu'il reste toujours français: cela nous donnera une
grande influence sur la Porte Ottomane et nous rendra maîtres de la
mer Adriatique, comme nous le sommes, par Marseille, l'île de Corse et
Saint-Pierre, de la Méditerranée. Quinze cents hommes de garnison, et 2
à 300,000 liv. pour fortifier un monticule voisin, et cette ville sera
susceptible de soutenir un très-long siège.

Loretto contenait un trésor à peu près de 3,000,000 liv. tournois, ils
nous ont laissé à peu près pour un million sur les sept; je vous envoie
de plus la madone avec toutes les reliques. Cette caisse vous sera
directement adressée, et vous en ferez l'usage que vous jugerez
convenable; la madone est de bois.

La province de Macereta, connue plus communément sous le nom de Marche
d'Ancône, est une des plus belles et sans contredit la plus riche des
états du pape. Nos troupes seront, j'espère, ce soir à Foligno, et
passeront la journée de demain à se réunir au deuxième bataillon de la
soixante-troisième qui était à Livourne, et que j'ai fait venir. Voici
ce que je compte faire:

J'accorderai la paix au pape, moyennant qu'il cédera en toute propriété
à la république la légation de Bologne, la légation de Ferrare, la
légation de Romagne, le duché d'Urbin et la Marche d'Ancône, et qu'il
nous paiera, 1°. les 3,000,000 valeur du trésor de Loretto; 2°. les
15,000,000 valeur de ce qui reste dû pour l'armistice; il donnera tous
les chevaux de cavalerie, tous les chevaux de son artillerie; qu'il
chassera Colli et tous les Autrichiens, et nous donnera les armes de
tous les nouveaux régimens créés depuis l'armistice. Si cela n'est pas
accepté, j'irai à Rome.

Je préfère l'accommodement à aller à Rome, 1°. parce que cela m'évitera
une discussion qui peut être très-sérieuse avec le roi de Naples; 2°.
parce que le pape et tous les princes se sauvant de Rome, je ne pourrai
jamais en tirer ce que je demande; 3°. parce que Rome ne peut pas
exister long-temps dépouillée de ses belles provinces: une révolution
s'y fera toute seule. 4°. Enfin la cour de Rome nous cédant tous ses
droits sur ce pays, on ne pourra pas, à la paix générale, regarder cela
comme un succès momentané, puisque ce sera une chose très-finie; et
enfin cela nous donnera la division qui est ici, disponible tout de
suite pour les opérations du Frioul, et me donnera le temps, avant
d'être entré en lutte avec les Autrichiens, de conclure quelque article
secret avec le sénat de Venise.

Je vous enverrai incessamment la seconde lettre que vient de m'écrire le
cardinal Mattei.

Rien de nouveau, de bien intéressant dans le Tyrol, ni sur la Piave,
si ce n'est des escarmouches, dont l'état-major vous fait passer le
bulletin.

Je vous enverrai l'inventaire de l'artillerie trouvée à Mantoue, Ancône
et autres places.

J'attends toujours Villemansy avec la plus grande impatience. Nous avons
besoin d'un homme qui ait le sens commun dans cette place: tous ceux que
j'ai vus depuis le commencement de la campagne, sont à peine bons pour
être commissaires dans une place.

Verninac est arrivé à Naples, je lui répondrai du moment que le chemin
sera libre, pour lui indiquer la route qu'il doit tenir.

BONAPARTE



Au quartier-général à Tolentino, le 29 pluviose an 5 (17 février 1797).

_Au général Joubert._

Vous avez dû recevoir, citoyen général, la onzième demi-brigade et la
cinquième: la vingt-sixième d'infanterie légère doit être, à l'heure
qu'il est, à Verone; elle a ordre de suivre la cinquième, devant être
de la même division avec ces dernières brigades. J'avais pensé que le
quartier-général de cette division devait être à Borgo de Val-Sugano;
cependant, si vous croyez qu'il serait mieux placé à Levico ou à
Pergine, je vous autorise à donner des ordres en conséquence.

J'ai reçu votre lettre du 21 pluviose, je vous engage à réfléchir et à
observer davantage les localités; car je ne conçois pas que, votre ligne
du Lawis forcée, et votre mouvement de retraite exécuté pendant la nuit,
vous n'ayez pas une position intermédiaire la plus rapprochée possible
de cette première, où vous puissiez vous tenir toute la journée,
remettre ensemble vos troupes, et recevoir les hommes éparpillés ou les
corps qui n'auraient pas pu rejoindre dans la nuit; la nuit suivante,
vous remettre en marche, s'il le faut, et reprendre la ligne de Mori
et de Torbole, et là tenir en échec l'ennemi plusieurs jours; enfin,
arriver à la Corona, au camp retranché de Castel-Novo, et enfin sous les
murs de Mantoue ou de Verone: agir autrement, ce ne serait pas faire
la guerre, dont l'art ne consiste qu'à gagner du temps lorsqu'on a des
forces inférieures. Pour empêcher l'ennemi d'attaquer d'abord Torbole et
Mori, le moyen qui m'a paru le plus clair était de faire construire un
pont sur l'Adige et d'en retrancher la tête: ce pont devrait être situé
entre Roveredo et Trente. Par ce moyen, l'ennemi ne peut rien tenter
sur Mori et Torbole, même après avoir forcé le général Rey, qui doit
toujours exécuter sa retraite sur Torbole.

Je vous prie de me répondre positivement à cette question: Y a-t-il,
de Torbole à Mori, une bonne ligne? Elle servirait par le lac et par
l'Adige, et j'avais ordonné: 1°. que l'on ferait à cette ligne tous les
travaux nécessaires; 2°. qu'on y construirait dans l'endroit le plus
favorable une redoute avec des coupures de chemins, de manière que cela
fît la même position que la Chiusa et Rivoli, à l'exception que l'ennemi
n'étant pas sur la rive du côté de Mori, on n'a pas besoin d'autant de
forces pour défendre ce point, que pour le plateau de Rivoli.

Je vous prie de relire l'instruction que je vous ai fait passer
au moment de votre entrée à Trente, et d'en faire strictement les
préparatifs, cela tenant à un système général de guerre pour la campagne
dans laquelle nous allons entrer, me reposant entièrement sur vous et
sur le commandant du génie, auquel j'ai donné ordre de se rendre à
Trente; sur les positions à tenir et sur l'application des idées
générales contenues dans mon instruction.

Mon principe pour la défense du Tyrol est, dès l'instant que vous êtes
obligé d'évacuer Trente, de vous rallier en avant de Roveredo, occupant,
avec toute la division Rey, les hauteurs de Mori: rallié là pendant
toute une journée, passer l'Adige et placer les trois divisions entre
l'Adige, Mori et Torbole, plaçant seulement quelques pièces de canon et
quelques détachemens dans les endroits les plus étroits entre Mori et
Rivoli, pour empêcher l'ennemi de pouvoir se porter sur Ala, et même y
construire, dans l'endroit le plus favorable, une bonne redoute, ayant
soin de pratiquer des coupures de tous les côtés, et vis-à-vis de
laquelle on doit avoir un pont avec une tête très-bien retranchée. Qui
est maître d'une rive de l'Adige et a un pont, est maître des deux
rives. Lorsqu'ensuite l'occupation de la ligne de Torbole et Mori par
suite des événemens qui peuvent arriver aux autres divisions de l'armée,
deviendrait inutile, alors Mantoue, Peschiera, ou une place quelconque,
offrent une protection à la division.

La ligne de Rivoli ne peut donc plus me servir de rien, à moins que ce
ne soit comme ligne de passage pour gagner quelques jours de temps:
cette ligue est trop éloignée des gorges de la Brenta, pour que le corps
d'armée puisse jamais être secouru par un mouvement de flanc sur Trente:
au lieu que celle de Mori, avec un pont qui permet de passer de l'autre
côté, aide aux divisions, qui, par un mouvement rétrograde, enfileraient
les gorges de la Brenta, pour se porter sur les flancs de l'ennemi à
Trente. En voilà assez, je crois, pour vous faire sentir l'importance
de la position de Mori; il faut que l'art y seconde la nature. S'il
arrivait une circonstance où vous puissiez être forcé dans la ligne de
Torbole, plus tôt que dix jours après l'avoir été au Lawis, la campagne
serait manquée.

Sous peu de jours, je serai de retour à l'armée, où je sens que ma
présence devient nécessaire. L'armée est à trois jours de Rome, je suis
en traité avec cette prêtraille, et, pour cette fois-ci, le Saint-Père
sauvera encore sa capitale, en nous cédant ses plus beaux états et de
l'argent, et, par ce moyen, nous sommes en mesure pour exécuter la
grande tâche de la campagne prochaine.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tolentino, le 30 pluviose an 5 (18 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Nos troupes se sont emparées de l'Ombrie et du pays de Perrugia; nous
sommes maîtres aussi de la petite province de Camerino.

Je rencontre ici le cardinal Mattei, le neveu du pape, le marquis
Massimo, et monsieur Galeppi, qui viennent avec des pleins pouvoirs du
pape pour traiter.

On m'a écrit de Venise que le prince Charles est arrivé à Trieste,
et que, de tous côtés, les troupes autrichiennes sont en marche pour
renforcer l'armée ennemie.

Je vous ai instruit, par ma dernière dépêche, que les douze
demi-brigades que vous m'envoyez, ne faisaient pas dix-neuf mille
hommes. Le ministre de la guerre vient d'écrire au général Kellermann de
garder deux mille hommes et de faire retourner un régiment de cavalerie
à l'armée du Rhin. Voilà donc les trente mille hommes que vous
m'annonciez rendus à dix-sept mille hommes: c'est un très-beau renfort
pour l'armée d'Italie! mais cela me rend trop faible pour pouvoir me
diviser en deux corps d'armée, et exécuter le plan de campagne que je
m'étais proposé.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tolentino, le 1er ventose an 5 (19 février 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, le rapport du citoyen Monge,
que j'ai envoyé à Saint-Marin, avec le discours qu'il a prononcé lorsque
les douze drapeaux pris sur le pape et cinq drapeaux autrichiens, reste
de ceux pris aux dernières affaires, ont été apportés.

Le général Bernadotte est arrivé, et sa division se réunit à Padoue;
le calcul que j'avais fait, de porter les demi-brigades à quinze cents
hommes, l'une portant l'autre, se vérifie.

Je vous demande le grade de général de brigade pour l'adjudant-général
Duphot, qui a eu, dans ces différentes affaires, cinq chevaux tués sous
lui: c'est un de nos plus braves officiers.

Le pape a ratifié le traité de paix conclu à Tolentino; dès que j'en
aurai l'original, je vous l'expédierai.

Le roi de Sardaigne a approuvé le traité d'alliance offensive et
défensive conclu par le général Clarke, qui, dans des lettres
très-détaillées, vous expose les différentes démarches qu'il a faites
pour arriver à des négociations de paix. Il nous a paru que l'on ne
pouvait pas à la fois entamer une négociation de paix séparée avec
Vienne, et prêter l'oreille à la proposition qui serait faite à
l'ouverture d'un congrès: tant que la cour de Vienne aura l'espoir
d'obtenir de nous l'ouverture d'un congrès, elle n'entendra jamais des
propositions de paix séparée.

Nous ne porterons jamais la cour de Vienne à entrer en négociation avec
nous, qu'en nous prononçant décidément contre l'ouverture d'un congrès,
qui, par la lenteur des formes, ne pourrait pas éviter la campagne
qui va s'ouvrir, et qu'un esprit d'humanité et de philosophie, qui,
malheureusement, n'est pas partagé par l'empereur, vous fait désirer
d'éviter.

Je fais travailler à l'armement et aux approvisionnemens de Mantoue,
dans le même temps que je fais travailler aux mines pour la détruire.
Notre position en Italie me paraît fort satisfaisante.

Je n'ai pas été à Milan depuis la prise de Mantoue, parce que les
habitans de la Lombardie attendent mon arrivée, et espèrent que je vais
leur permettre la réunion de leurs assemblées primaires.

Le moment d'exécuter vos ordres pour Venise n'est pas encore arrivé; il
faut, avant, ôter toute incertitude sur le sort des combats que les deux
armées vont avoir à se livrer; je désirerais même que la flottille que
le ministre de la marine me promet, fût arrivée dans l'Adriatique.

J'ai nommé le citoyen Meuron, qui nous a rendu des services sur le
lac de Garda, consul de la république à Ancône: je vous prie de le
confirmer.

J'espère, avant quinze jours, indépendamment de la corvette _la Brune_,
qui est arrivée dans l'Adriatique, avoir une vingtaine de corsaires à
Ancône; ce qui nous rendra maîtres du commerce de l'Adriatique.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Tolentino, le 1er ventôse an 5 (19 février 1797).

_À Sa Sainteté le Pape Pie VI._

Je dois remercier Votre Sainteté des choses obligeantes contenues dans
la lettre qu'elle s'est donné la peine de m'écrire.

La paix entre la république française et Votre Sainteté vient d'être
signée, je me félicite d'avoir pu contribuer à son repos particulier.

J'engage Votre Sainteté à se méfier des personnes qui sont à
Rome, vendues aux cours ennemies de la France, ou qui se laissent
exclusivement guider par les passions haineuses, qui entraînent toujours
la perte des états.

Toute l'Europe connaît les inclinations pacifiques et les vertus
conciliatrices de Votre Sainteté. La république française sera,
j'espère, une des amies les plus vraies de Rome.

J'envoie mon aide-de-camp, chef de brigade, pour exprimer à Votre
Sainteté l'estime et la vénération parfaites que j'ai pour sa personne,
et je la prie de croire au désir que j'ai de lui donner, dans toutes les
occasions, les preuves de respect et de vénération avec lesquels j'ai
l'honneur d'être, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bassano, le 20 ventose an 5 (10 mars 1797).

_Aux soldats de l'armée d'Italie._

La prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des
titres éternels à la reconnaissance de la patrie.

Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et
soixante-dix combats; vous avez fait plus de cent mille prisonniers,
pris à l'ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de
gros calibre, quatre équipages de pont.

Les contributions mises sur les pays que vous avez conquis ont nourri,
entretenu, soldé l'armée pendant toute la campagne; vous avez en outre
envoyé trente millions au ministre des finances pour le soulagement du
trésor public.

Vous avez enrichi le Muséum de Paris de plus de trois cents objets,
chefs-d'oeuvre de l'ancienne et nouvelle Italie, et qu'il a fallu trente
siècles pour produire.

Vous avez conquis à la république les plus belles contrées de l'Europe;
les républiques Lombarde et Cispadane vous doivent leur liberté; les
couleurs françaises flottent pour la première fois sur les bords
de l'Adriatique, en face et à vingt-quatre heures de navigation de
l'ancienne Macédoine; les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc
de Parme se sont détachés de la coalition de nos ennemis, et ont brigué
notre amitié; vous avez chassé les Anglais de Livourne, de Gênes, de la
Corse...; mais vous n'avez pas encore tout achevé, une grande destinée
vous est réservée: c'est en vous que la patrie met ses plus chères
espérances, vous continuerez à en être dignes.

De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer la république, à sa
naissance, l'empereur seul reste devant nous. Se dégradant lui-même
du rang d'une grande puissance, ce prince s'est mis à la solde des
marchands de Londres; il n'a plus de politique, de volonté que celle
de ces insulaires perfides, qui, étrangers aux malheurs de la guerre,
sourient avec plaisir aux maux du continent.

Le directoire exécutif n'a rien épargné pour donner la paix à l'Europe;
la modération de ses propositions ne se ressentait pas de la force de
ses armées: il n'avait pas consulté votre courage, mais l'humanité et
l'envie de vous faire rentrer dans vos familles; il n'a pas été écouté
à Vienne; il n'est donc plus d'espérances pour la paix, qu'en allant la
chercher dans le coeur des états héréditaires de la maison d'Autriche.
Vous y trouverez un brave peuple accablé par la guerre qu'il a eue
contre les Turcs, et par la guerre actuelle. Les habitans de Vienne et
des États de l'Autriche gémissent sur l'aveuglement et l'arbitraire de
leur gouvernement; il n'en est pas un qui ne soit convaincu que l'or de
l'Angleterre a corrompu les ministres de l'empereur. Vous respecterez
leur religion et leurs moeurs, vous protégerez leurs propriétés; c'est
la liberté que vous apporterez à la brave nation hongroise.

La maison d'Autriche, qui, depuis trois siècles, va perdant à chaque
guerre une partie de sa puissance, qui mécontente ses peuples, en les
dépouillant de leurs privilèges, se trouvera réduite, à la fin de cette
sixième campagne (puisqu'elle nous contraint à la faire) à accepter la
paix que nous lui accorderons, et à descendre, dans la réalité, au rang
des puissances secondaires, où elle s'est déjà placée en se mettant aux
gages et à la disposition de l'Angleterre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bassano, le 20 ventose an 5 (10 mars 1797).

_À M. Bataglia, provéditeur-général de la république de Venise à
Verone._


J'ai été douloureusement affecté en apprenant que la tranquillité
publique est troublée à Brescia. J'espère que, moyennant la sagesse des
mesures que vous prendrez, il n'y aura pas de sang de répandu. Vous
savez que, dans la position actuelle des esprits en Europe, les
persécutions ne feraient qu'autoriser les mécontens contre le
gouvernement.

Dans la plupart des villes de l'état vénitien, il y a des personnes qui
montrent à chaque instant leur partialité pour les Autrichiens, qui
ne cessent de maudire et de se montrer très-indisposées contre les
Français. Quelques-unes, mais en petit nombre, paraissent préférer les
moeurs et l'affabilité des Français à la rudesse des Allemands. Il
serait injuste de punir ces derniers et de leur faire un crime de la
partialité que l'on ne trouve pas mauvaise en faveur des Allemands.

Le sénat de Venise ne peut avoir aucune espèce d'inquiétude, devant être
bien persuadé de la loyauté du gouvernement français, et du désir que
nous avons de vivre en bonne amitié avec votre république; mais je ne
voudrais pas que, sous prétexte de conspiration, l'on jetât sous les
plombs du palais de Saint-Marc tous ceux qui ne sont pas ennemis
déclarés de l'armée française, et qui nous auront, dans le cours de
cette campagne, rendu quelques services.

Désirant pouvoir contribuer à rétablir la tranquillité et ôter toute
espèce de méfiance entre les deux républiques, je vous prie, monsieur,
de me faire connaître le lieu où je pourrai avoir l'honneur de vous
voir, ainsi que de croire aux sentimens d'estime et de considération,
etc.

BONAPARTE.



Sacile, le 25 ventose an 5 (15 mars 1797).

_Instruction pour la conduite à tenir dans le Tyrol._

ART. 1er. Confirmer par une proclamation toutes les lois et tous les
magistrats existans.

2. Ordonner, par une proclamation, que l'on continue, comme à
l'ordinaire, l'exercice public du culte de la religion.

3. Beaucoup cajoler les prêtres, et chercher à se faire un parti parmi
les moines, en ayant soin de bien distinguer les théologiens et les
autres savans qui peuvent exister parmi eux.

4. Parler en bien de l'empereur, dire beaucoup de mal de ses ministres
et de ceux qui le conseillent.

5. Donner un ordre pour que tous les Tyroliens qui ont été au service
de l'empereur rentrent chez eux, et leur assurer la protection et la
sauve-garde de la république.

6. Dès l'instant qu'on serait maître de Brixen et de tous les pays en
deçà des hautes montagnes, y établir une commission de gouvernement, à
laquelle vous donnerez le nom et l'organisation consacrés dans le
pays, que vous chargerez de percevoir toutes les impositions qui se
percevaient pour le compte de l'empereur, et qu'elle versera, sous sa
responsabilité, dans la caisse de l'armée.

7. Ne prendre ni les monts-de-piété, ni les caisses qui appartiendront
aux villes, mais seulement les caisses et magasins appartenant à
l'empereur; enfin, avoir beaucoup d'aménité et chercher à se concilier
les habitans.

8. À ces mesures on joindra celle d'exécuter avec rigueur le
désarmement, de prendre des otages dans les endroits où on le croirait
nécessaire, et de mettre des impositions en forme de contributions
sur les villages qui se conduiraient mal, et où il y aurait eu de nos
soldats assassinés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Valdasone, le 27 ventose an 5 (17 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Depuis la bataille de Rivoli, l'armée d'Italie occupait les bords de
la Piave et du Lawis; l'armée de l'empereur, commandée par le prince
Charles, occupait l'autre rive de la Piave, avait son centre placé
derrière le Cordevole, et appuyait sa droite à l'Adige du côté de
Bellune.

Le 20, au matin, la division du général Masséna se rend à Feltre:
l'ennemi, à son approche, évacue la ligne de Cordevole et se porte sur
Bellune.

La division du général Serrurier se porte à Asolo, elle est assaillie
par un temps horrible; mais le vent et la pluie, à la veille d'une
bataille, ont toujours été pour l'armée d'Italie un présage de bonheur.

Le 23, à la pointe du jour, la division passe la Piave vis-à-vis le
village de Vidor: malgré la rapidité et la profondeur de l'eau, nous ne
perdons qu'un jeune tambour. Le chef d'escadron Lasalle, à la tête d'un
détachement de cavalerie, et l'adjudant général Leclerc, à la tête de
la vingt-unième demi-brigade d'infanterie légère, culbutent le corps
ennemi, qui voulait s'opposer à notre passage, et se portent rapidement
à San-Salvador. Mais l'ennemi, au premier avis du passage, a craint
d'être cerné, et a évacué son camp de Capanna.

Le général Guieux, à deux heures après midi, passe la Piave à
Ospedalleto, et arrive le soir à Conegliano: un soldat entraîné par
le courant est sur le point de se noyer; une femme attachée à la
cinquante-unième se jette à la nage et le sauve; je lui ai fait présent
d'un collier d'or, auquel sera suspendue une couronne civique avec le
nom du soldat qu'elle a sauvé.

Notre cavalerie, dans cette journée, rencontre plusieurs fois celle de
l'ennemi, et a toujours l'avantage; nous prenons quatre-vingts hussards.

Le 23, le général Guieux, avec sa division, arrive à Sacile, tombe sur
l'arrière-garde ennemie, et, malgré l'obscurité de la nuit, lui fait
cent prisonniers. Un corps de hulans demande à capituler; le citoyen
Sciebeck, chef d'escadron, s'avance et reste mort; le général Dugua,
commandant la réserve, est légèrement blessé.

Cependant, la division du général Masséna arrive à Bellune,
poursuit l'ennemi qui s'est retiré du côté de Cadore, enveloppe son
arrière-garde, fait sept cents prisonniers, parmi lesquels cent
hussards, un colonel, et le général Lusignan, qui commandait tout le
centre. Le dixième de chasseurs se distingue comme à son ordinaire.
M. de Lusignan s'est couvert d'opprobre par la conduite qu'il tint à
Brescia envers nos malades; j'ordonne qu'il soit conduit en France sans
pouvoir être échangé.

Le 26, la division du général Guieux part de Pardenone, à cinq heures
du matin; celle du général Bernadotte part de Sacile, à trois heures du
matin; celle du général Serrurier part de Sassiano, à quatre heures du
matin: tous se dirigent sur Valvasone.

La division du général Guieux dépasse Valvasone et arrive sur le bord du
Tagliamento, à onze heures du matin. L'armée ennemie est retranchée de
l'autre côté de la rivière, dont elle prétend nous disputer le passage.
Mon aide-de-camp, chef d'escadron Croisier, va, à la tête de vingt-cinq
guides, à la reconnaissance jusqu'aux retranchemens; il est accueilli
par la mitraille.

La division du général Bernadotte arrive à midi: j'ordonne sur-le-champ
au général Guieux de se porter sur la gauche pour passer la rivière à
la droite des retranchemens ennemis, sous la protection de douze pièces
d'artillerie. Le général Bernadotte doit la passer sur la droite; l'une
et l'autre de ces divisions forment leurs bataillons de grenadiers, se
rangent en bataille, ayant chacune une demi-brigade d'infanterie légère
en avant, soutenue par deux bataillons de grenadiers, et flanquée par
la cavalerie. L'infanterie légère se met en tirailleurs; le général
Dommartin, à la gauche, et le général Lespinasse à la droite, font
avancer leur artillerie, et la canonnade s'engage avec la plus grande
vivacité; j'ordonne que chaque demi-brigade ploie, en colonne serrée sur
les ailes de son second bataillon, ses premier et troisième bataillons.

Le général Duphot, à la tête de la vingt-septième d'infanterie légère,
se jette dans la rivière; il est bientôt de l'autre côté. Le général Bon
le soutient avec les grenadiers de la division du général Guieux. Le
général Murat fait le même mouvement sur la droite, et est également
soutenu par les grenadiers de la division Bernadotte. Toute la ligne
se met en mouvement, chaque demi-brigade par échelon, des escadrons
de cavalerie en arrière des intervalles. La cavalerie ennemie veut,
plusieurs fois, charger notre infanterie, mais sans succès; la rivière
est passée et l'ennemi est partout en déroute. Il cherche à déborder
notre droite avec sa cavalerie, et notre gauche avec son infanterie,
j'envoie le général Dugua et l'adjudant-général Kellermann à la tête
de la cavalerie de réserve: aidés par notre infanterie, commandée par
l'adjudant-général Mireur, ils culbutent la cavalerie ennemie, et font
prisonnier le général qui la commande.

Le général Guieux fait attaquer le village de Gradisca, et malgré
les ombres de la nuit, s'en empare, et met l'ennemi dans une déroute
complète; le prince Charles n'a que le temps de se sauver.

La division du général Serrurier, à mesure qu'elle arrive, passe la
rivière, et se met en bataille pour servir de réserve.

Nous avons pris à l'ennemi, dans cette journée, six pièces de canon, un
général, plusieurs officiers supérieurs, et fait quatre ou cinq cents
prisonniers.

La promptitude de notre déploiement et de notre manoeuvre, la
supériorité de notre artillerie épouvantèrent tellement l'armée ennemie,
qu'elle ne tint pas et profita de la auit pour fuir.

L'adjudant-général Kellermann a reçu plusieurs coups de sabre en
chargeant, à la tête de la cavalerie, avec son courage ordinaire.

Je vais m'occuper de récompenser les officiers qui se sont distingués
dans ces différentes affaires.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Gradisca, le 30 ventose an 5 (20 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte du passage de la Piave, des combats de Longara,
de Sacile, et de la journée du Tagliamento.

Le 28, la division du général Bernadotte part à trois heures du matin,
dépasse Palma-Nova, et prend position sur le torrent de la Torre, où les
hussards se rencontrent.

La division du général Serrurier prend position sur la droite, celle
du général Guieux sur la gauche; j'envoie le citoyen Lasalle, avec le
vingt-quatrième de chasseurs, à Voine.

L'ennemi, à notre approche, évacue Palma-Nova, où nous trouvons trente
mille rations de pain et mille quintaux de farine en magasin: il y
avait dix jours que le prince Charles s'était emparé de cette place,
appartenant aux Vénitiens; il voulait l'occuper, mais il n'avait pas eu
le temps de s'y établir.

Le général Masséna arrive à Saint-Daniel, à Osopo, à Gemona, et pousse
son avant-garde dans les gorges.

Le 29, le général Bernadotte s'avance et bloque Gradisca; le général
Serrurier se porte vis-à-vis San-Pietro pour passer l'Isonzo; l'ennemi a
plusieurs pièces de canon et quelques bataillons de l'autre côté pour en
défendre le passage.

J'ordonne différentes manoeuvres, qui épouvantent l'ennemi, et le
passage s'exécute sans opposition. Je ne dois pas oublier le trait de
courage du citoyen Andréossy, chef de brigade d'artillerie, que je
charge de reconnaître si la rivière est guéable; il se précipite
lui-même dans l'eau, et la passe et la repasse à pied. Cet officier est
d'ailleurs distingué par ses talens et ses connaissances étendues.

_Passage de l'Isonzo et prise de Gradisca._

Le général Serrurier se porte sur Gradisca en suivant les crêtes
supérieures qui dominent cette ville.

Pour amuser pendant ce temps-là l'ennemi et l'empêcher de s'apercevoir
de sa manoeuvre, le général Bernadotte fait attaquer, par des
tirailleurs, les retranchemens ennemis; mais nos soldats, emportés par
leur ardeur naturelle, s'avancent, la baïonnette en avant, jusque sous
les murs de Gradisca. Ils sont reçus par une forte fusillade et de la
mitraille. Le général Bernadotte, obligé de les soutenir, fait avancer
quatre pièces de canon pour enfoncer les portes; mais elles sont
couvertes par une flèche bien retranchée.

Cependant le général Serrurier arrive sur les hauteurs qui maîtrisent
Gradisca, rend toute retraite impossible à la garnison; l'ennemi n'a
donc plus ni probabilité de se défendre, ni espoir de s'échapper; le
général Bernadotte lui fait la sommation que je vous envoie, et il
capitule.

Trois mille prisonniers, l'élite de l'armée du prince Charles, dix
pièces de canon, huit drapeaux sont le fruit de cette manoeuvre. Nous
avons en même temps passé l'Isonzo et pris Gradisca.

La division du général Bernadotte s'est conduite avec un courage qui
nous est un garant de nos succès à venir. Le général Bernadotte, ses
aides-de-camp, ses généraux ont bravé tous les dangers. Je vous demande
le grade de général de brigade pour l'adjudant-général Mireur.

Le général Bernadotte se loue beaucoup du général Murat, commandant son
avant-garde, du général Friand, de l'adjudant-général Mireur, du
citoyen Campredon, commandant du génie; du citoyen Zaillot, commandant
l'artillerie; du citoyen Lahure, chef de la quinzième demi-brigade
d'infanterie légère; du citoyen Marin, et des deux frères Conroux.
Le citoyen Duroc, mon aide-de-camp, capitaine, s'est conduit avec la
bravoure qui caractérise l'état major de l'armée d'Italie.

Le citoyen Miquet, chef de la quatre-vingt-huitième demi-brigade, a été
blessé.

_Combat de Casasola._

La division du général Masséna s'empare du fort de la Chiusa, rencontre
l'ennemi, qui veut lui disputer le passage du pont de Casasola. Ses
tirailleurs font replier ceux de l'ennemi, et un instant après les
grenadiers des trente-deuxième et cinquante-septième demi-brigades,
en colonne serrée, forcent ce pont, culbutent l'ennemi malgré ses
retranchemens et ses chevaux de frise, le poursuivent jusqu'à la
Ponteba, et lui font six cents prisonniers, tous des régimens
nouvellement venus du Rhin; tous les magasins que l'ennemi avait de ce
côté tombent en notre pouvoir.

Les chasseurs du dixième régiment, le sabre à la main, foncent dans les
retranchemens ennemis, et acquièrent un nouveau titre à l'estime de
l'armée.

BONAPARTE.



_Au quartier-général à Goritz, le 2 germinal an 5 (22 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Nous sommes entrés hier dans Goritz: l'armée ennemie a effectué sa
retraite avec tant de précipitation, qu'elle a laissé dans nos mains
quatre hôpitaux contenant quinze cents malades, et tous les magasins de
vivres et de munitions de guerre, dont je vous ferai passer l'état par
le premier courrier.

La division du général Bernadotte s'est rendue hier à Camiza, son
avant-garde et l'arrière-garde ennemie se sont rencontrées à Caminia; le
dix-neuvième régiment de chasseurs à cheval a chargé l'ennemi avec une
telle impétuosité, qu'il lui a fait cinquante hussards prisonniers,
avec leurs chevaux. Le général Masséna a poursuivi l'ennemi jusqu'à la
Ponteba.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous fais passer l'état des objets que nous avons trouvés à Goritz.
Je vous enverrai par le prochain courrier l'état de ce que nous avons
trouvé à Trieste.

Nous sommes maîtres des célèbres mines d'Idria; nous y avons trouvé des
matières préparées pour deux millions, on va s'occuper à les charroyer.
Si cette opération se fait sans accident, elle sera fort utile à nos
finances.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Le général Guieux, avec sa division, se rendit, le 2, de Cividal à
Caporeto; il rencontra l'ennemi retranché à Pufero, l'attaqua, lui prit
deux pièces de canon, et lui fit une centaine de prisonniers, et le
poursuivit dans les gorges de Caporeto à la Chiusa autrichienne, en
laissant le champ de bataille couvert d'Autrichiens.

Cependant le général Masséna, avec sa division, est à Tarwis; j'ai donc
lieu d'espérer que les deux mille hommes que le général Guieux a poussés
devant lui tomberont dans les mains de la division Masséna.

Le général de division Dugua est entré hier soir dans Trieste.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

M. Pezar, sage grand de la république de Venise, a été envoyé ici,
accompagné d'un sage de terre-ferme; il est revenu relativement aux
événemens de Brescia et de Bergame. Les peuples de ces deux villes
ont désarmé la garnison vénitienne, et chassé les provéditeurs de la
république de Venise. Un germe d'insurrection gagne toutes les têtes
de cette république. Je vous envoie une lettre que m'avait écrite
précédemment M. Battaglia, provéditeur de la république de Venise, et
la réponse que je lui ai faite. Ma conduite avec M. Pezaro était assez
délicate: ce n'est pas dans un moment où Palma-Nova n'est pas encore
approvisionné et armé, où nous avons besoin de tous les secours du
Frioul, et de toute la bonne volonté des gouvernemens vénitiens pour
nous approvisionner dans les défilés de l'Allemagne, qu'il fallait nous
brouiller. Il ne fallait pas non plus qu'ils pussent envoyer quatre ou
cinq mille hommes, et écraser les personnes qui, à Brescia et à Bergame,
nous sont attachées, quoique je n'approuve pas leur conduite, et que je
croie que leur insurrection nous est, dans le moment, très-nuisible;
mais le parti ennemi de la France est, dans ces différentes villes, si
acharné contre nous, que, s'il prenait le dessus, il faudrait être en
guerre ouverte avec toute la population. J'ai dit à M. Pezaro que le
directoire exécutif n'oubliait pas que la république de Venise était
l'ancienne alliée de la France; que nous avions un désir bien formé de
la protéger de tout notre pouvoir. J'ai demandé seulement d'épargner
l'effusion du sang, et de ne pas faire un crime aux citoyens vénitiens
qui avaient plus d'inclination pour l'armée française que pour l'armée
impériale; que nous ne soutenions pas les insurgés, qu'au contraire
je favoriserais les démarches que ferait le gouvernement; mais que
je croyais que, comme ils avaient envoyé un courrier au directoire
exécutif, il serait bon peut-être d'en attendre le retour, parce que
je croyais que la seule intervention de la France dans ces affaires
pourrait ramener les esprits sans avoir besoin de recourir aux armes.
Nous nous sommes quittés bons amis, il m'a paru fort content. Le grand
point, dans tout ceci, est de gagner du temps. Je vous prie, pour ma
règle, de me donner une instruction détaillée.

Les villes d'Ancone, du duché d'Urbin, de la province de Macerata,
m'accablent de députations pour me demander à ne pas retourner sous
l'autorité papale. La révolution gagne véritablement toutes les têtes en
Italie; mais il faudrait encore bien du temps pour que les peuples de
ces pays pussent devenir guerriers et offrir un spectacle sérieux.

Je vous envoie un exemplaire de la constitution de la république
cispadane.

Les Lombards sont très-impatiens; ils voudraient qu'on déclarât leur
liberté, et qu'on leur permît également de se faire une constitution;
ils soudoient, dans ce moment, quinze cents Polonais et deux mille
hommes de la légion lombarde. L'un et l'autre de ces corps commencent à
s'organiser assez Bien.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Goritz, le 5 germinal an 5 (25 mars 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte, par mon dernier courrier, qu'une colonne de
l'armée du prince Charles était cernée entre la division du général
Masséna, qui était à Tarwis, et celle du général Guieux, qui, arrivé à
Caporeto, le poussait devant lui dans les gorges.

_Combat de Tarwis._

Le général Masséna, arrivé à Tarwis, fut attaqué par une division
ennemie, partie de Clagenfurth, et qui venait au secours de la division
qui était cernée. Après un combat extrêmement opiniâtre, il la mit en
déroute, lui fit une grande quantité de prisonniers, parmi lesquels
trois généraux. Les cuirassiers de l'empereur, arrivant du Rhin, ont
extrêmement souffert.

_Affaire de la Chiusa.--Prise de ce poste._

Cependant le général Guieux poussa la colonne qu'il avait battue à
Pufero, jusqu'à la Chiusa autrichienne, poste extrêmement retranché,
mais qui fut enlevé de vive force, après un combat très-opiniâtre, où
se sont particulièrement distingués les généraux Bon, Verdier, et la
quatrième demi-brigade, ainsi que la quarante-troisième. Le général
Kablès défendait lui-même la Chiusa avec cinq cents grenadiers: par le
droit de la guerre, les cinq cents hommes devaient être passés au fil de
l'épée; mais ce droit barbare a toujours été méconnu et jamais pratiqué
par l'armée française.

La colonne ennemie, voyant la Chiusa prise, activa sa marche, et tomba
au milieu de la division du général Masséna, qui, après un léger combat,
la fit toute prisonnière: trente pièces de canon, quatre cents chariots
portant les bagages de l'armée, cinq mille hommes, quatre généraux, sont
tombés en notre pouvoir.

Je m'empresse de vous faire part de cet événement, parce que, dans les
circonstances actuelles, il est indispensable que vous soyez prévenu de
tout sans retard. Je me réserve de vous rendre un compte plus détaillé
de tous ces événemens dès l'instant que j'aurai recueilli tous les
rapports, et que les momens seront moins pressans.

La chaîne des Alpes qui sépare la France et la Suisse de l'Italie,
sépare le Tyrol italien du Tyrol allemand, les états de Venise des états
de l'empereur, et la Carinthie du comté de Goritz et de Gradisca. La
division Masséna a traversé les Alpes italiques, et est venue occuper le
débouché des Alpes nordiques. Nos ennemis ont eu la maladresse d'engager
tous leurs bagages et une partie de leur armée par les Alpes nordiques,
qui dès lors se sont trouvés pris.

Le combat de Tarwis s'est donné au-dessus des nuages, sur une sommité
qui domine l'Allemagne et la Dalmatie; dans plusieurs endroits où notre
ligne s'étendait, il y avait trois pieds de neige, et la cavalerie,
chargeant sur la glace, a essuyé des accidens dont les résultats ont été
extrêmement funestes à la cavalerie ennemie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Clagenfurth, le 12 germinal an 5 (1er avril 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai rendu compte, dans ma dernière dépêche, des combats de
Trévise et de la Chiusa. Le 8, trois divisions de l'armée se trouvaient
avoir traversé les gorges qui, de l'état vénitien, conduisent en
Allemagne, et campaient à Villach, sur les Lords de la Drave.

Le 9, le général Masséna se mit en marche avec sa division; il
rencontra, à une lieue de Clagenfurth, l'armée ennemie, et il s'engagea
un combat, où l'ennemi perdit deux pièces de canon et deux cents
prisonniers. Nous entrâmes le même soir à Clagenfurth, qui est la
capitale de la Haute et Basse-Carinthie. Le prince Charles, avec les
débris de son armée extrêmement découragée, fuit devant nous.

Notre avant-garde est aujourd'hui entre Saint-Veit et Freisach. La
division du général Bernadotte est à Laubach, capitale de la Carniole.
J'ai envoyé le général polonais Zajonseck, à la tête d'un corps de
cavalerie, pour suivre la vallée de la Drave, arriver à Lintz et opérer
ma jonction avec le général Joubert, qui est à Brixen; elle doit être
faite à l'heure qu'il est.

Depuis le commencement de cette campagne, le prince Charles a perdu près
de vingt mille hommes de ses troupes, qui sont nos prisonniers. Les
habitans de la Carniole et de la Carinthie ont pour le ministère de
Vienne et d'Angleterre un mépris qui ne se conçoit pas; la nation
anglaise accapare tellement la haine et l'exécration du continent, que
je crois que, si la guerre dure encore quelque temps, les Anglais seront
réellement exécrés, qu'ils ne seront plus reçus nulle part.

Voilà donc les ennemis entièrement chassés des états de Venise; la Haute
et Basse-Carniole, la Carinthie, le district de Trieste, et tout le
Tyrol, soumis aux armes de la république.

Nous avons trouvé, près de Villach, un magasin de fer coulé, de
cartouches et de poudre, de mine de plomb, d'acier, de fer et de cuivre.
Nous avons trouvé, près de Clagenfurth, des manufactures d'armes et de
drap.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Clagenfurth, le 12 germinal an 5 (1er avril 1797).

_Au directoire exécutif._

_Combat du Lavis._

Les divisions des généraux Joubert, Baraguey d'Hilliers et Delmas se
sont mises en mouvement le 30 ventose; elles ont enveloppé les corps
ennemis qui se trouvaient sur le Lavis. Après un combat extrêmement
opiniâtre, nous avons fait quatre mille prisonniers, pris trois pièces
de canon, deux drapeaux, et tué près de deux mille hommes, dont une
grande partie de chasseurs tyroliens.

_Combat de Tramin._

Cependant l'ennemi s'était retiré sur la rive droite de l'Adige, et
paraissait vouloir tenir encore. Le 2 germinal, le général Joubert,
commandant les trois divisions, se porta à Salurn; le général Vial
s'empara du pont de Neumark, et passa la rivière pour empêcher l'ennemi
de se retirer sur Botzen. La fusillade s'engagea avec la plus grande
force. Le combat paraissait incertain, lorsque le général de division
Dumas, commandant la cavalerie, se précipita dans le village de Tramin,
fit six cents prisonniers, et prit deux pièces de canon: par ce moyen,
les débris de la colonne ennemie, commandée par le général Laudon, n'ont
pas pu arriver à Botzen, et errent dans les montagnes.

_Combat de Clausen._

Nous sommes entrés dans la ville de Botzen: le général Joubert ne s'y
arrêta pas; il y laissa une force suffisante pour suivre le général
Laudon, et marcha droit à Clausen. L'ennemi, profitant de la défense
qu'offrait le pays, avait fait les meilleures dispositions. L'attaque
fut vive et bien concertée, et le succès long-temps incertain.
L'infanterie légère grimpa des rochers inaccessibles; les onzième et
trente-troisième demi-brigades d'infanterie de bataille, en colonne
serrée, et commandées par le général Joubert, en personne, surmontèrent
tous les obstacles; l'ennemi, percé par le centre, a été obligé de
céder, et la déroute est devenue générale. Nous avons fait à l'ennemi
quinze cents prisonniers.

Le général Joubert arriva à Brixen, toujours poursuivant l'ennemi; le
général Dumas, à la tête de la cavalerie, a tué, de sa propre main
plusieurs cavaliers ennemis; il à été blessé légèrement de deux coups
de sabre; son aide-de-camp Dermoncourt a été blessé dangereusement;
ce général a, pendant plusieurs minutes, arrêté seul, sur un pont, un
escadron de cavalerie ennemie qui voulait passer, et a donné le temps
aux siens de le rejoindre.

Nous avons trouvé à Brixen, Botzen et dans divers autres endroits, des
magasins de toutes espèces, entr'autres trente mille quintaux de farine.

Partout l'ennemi, tant dans le Tyrol que dans la Carinthie et la
Carniole, nous a laissé des hôpitaux; je laisse au chef de l'état-major
et au commissaire ordonnateur eu chef le soin d'envoyer au ministre de
la guerre les états des effets qu'on y a trouvés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Clagenfurth, le 12 germinal an 5 (1er avril 1797).

_Au peuple de la Carinthie._

L'armée française ne vient pas dans votre pays pour le conquérir, ni
pour porter aucun changement à votre religion, à vos moeurs, à vos
coutumes; elle est l'amie de toutes les nations, et particulièrement des
braves peuples de Germanie.

Le directoire exécutif de la république française n'a rien épargné pour
terminer les calamités qui désolent le continent. Il s'était décidé à
faire le premier pas et à envoyer le général Clarke à Vienne, comme
plénipotentiaire, pour entamer des négociations de paix; mais la cour
de Vienne a refusé de l'entendre; elle a même déclaré à Vicence, par
l'organe de M. de Saint Vincent, qu'elle ne reconnaissait pas de
république française. Le général Clarke a demandé un passeport pour
aller lui-même parler à l'empereur; mais les ministres de la cour de
Vienne ont craint, avec raison, que la modération des propositions qu'il
était chargé de faire, ne décidât l'empereur à la paix. Ces ministres,
corrompus par l'or de l'Angleterre, trahissent l'Allemagne et leur
prince, et n'ont plus de volonté que celle de ces insulaires perfides,
l'horreur de l'Europe entière.

Habitans de la Carinthie, je le sais, vous détestez autant que nous, et
les Anglais, qui seuls gagnent à la guerre actuelle, et votre ministère,
qui lui est vendu. Si nous sommes en guerre depuis six ans, c'est contre
le voeu des braves Hongrois et des citoyens éclairés de Vienne, et des
simples et bons habitans de la Carinthie.

Eh bien! malgré l'Angleterre et les ministres de la cour de Vienne,
soyons amis; la république française a sur vous les droits de conquête,
qu'ils disparaissent devant un contrat qui nous lie réciproquement, Vous
ne vous mêlerez pas d'une guerre qui n'a pas votre aveu. Vous fournirez
les vivres dont nous pouvons avoir besoin. De mon côté, je protégerai
votre religion, vos moeurs et vos propriétés; je ne tirerai de vous
aucune contribution. La guerre n'est-elle pas par elle-même assez
horrible? Ne souffrez vous pas, déjà trop, vous, innocentes victimes des
sottises des autres? Toutes les impositions que vous avez coutume de
payer à l'empereur serviront à indemniser des dégâts inséparables de la
marche d'une armée, et à payer les vivres que vous nous aurez fournis.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Clagenfurth, le 12 germinal an 6 (1er avril
1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous fais tenir la copie de la lettre que j'ai envoyée, par mon
aide-de-camp, au prince Charles.

BONAPARTE.



_Copie de la lettre écrite par le général en chef de l'armée d'Italie, à
son altesse royale M le prince Charles._

Du 11 germinal an 5 (31 mars 1797).

M. le général en chef,

Les braves militaires font la guerre et désirent la paix! celle-ci ne
dure-t-elle pas depuis six ans? Avons-nous assez tué de monde et
commis assez de maux à la triste humanité? Elle réclame de tous côtés.
L'Europe, qui avait pris les armes contre la république française, les a
posées; votre nation reste seule, et cependant le sang va couler encore
plus que jamais. Cette sixième campagne s'annonce par des présages
sinistres; quelle qu'en soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre
quelques milliers d'hommes de plus, et il faudra bien que l'on finisse
par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses.

Le directoire exécutif de la république française avait fait connaître
à sa majesté l'empereur le dessein de mettre fin à la guerre qui désole
les deux peuples, l'intervention de la cour de Londres s'y est opposée:
n'y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre? Et faut-il, pour les
intérêts ou les passions d'une nation étrangère aux maux de la guerre,
que nous continuions à nous entr'égorger? Vous, M. le général en chef,
qui, par votre naissance, approchez si près du trône et êtes au-dessus
de toutes les petites passions qui animent souvent les ministres et les
gouvernemens, êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfaiteur de
l'humanité entière, et de vrai sauveur de l'Allemagne? Ne croyez pas, M.
le général en chef, que j'entende par là qu'il ne soit pas possible de
la sauver par la force des armes; mais, dans la supposition que les
chances de la guerre nous deviennent favorables, l'Allemagne n'en sera
pas moins ravagée. Quant à moi, M. le général en chef, si l'ouverture
que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je
m'estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverai avoir
méritée, que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires.

Je vous prie de croire, M. le général en chef, aux sentimens d'estime et
de considération distingués avec lesquels je suis, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

_Combat de Burk._

Citoyens directeurs,

Le général Joubert a attaqué, le 8, la gorge d'Inspruck: les bataillons
fraîchement arrivés du Rhin voulaient la défendre; après une canonnade
de quelques instans, le général Joubert a décidé l'affaire en marchant
droit à la tête de la quatre-vingt-cinquième demi-brigade, en colonne
serrée par bataillon: l'ennemi a été culbuté en laissant cent morts, six
cents prisonniers, deux pièces de canon, tous les équipages et vingt
dragons.

Le général Dumas, qui a chargé, à la tête de la cavalerie, dès l'instant
que l'infanterie eut percé, a eu son cheval tué sous lui. Le général de
brigade Belliard, qui commandait la quatre-vingt-cinquième; le brave
Gaspard Lavisé, chef de cette demi-brigade, et l'aide-de-camp Lambert,
se sont particulièrement distingués. Je vous demande, pour le général
Dumas, qui, avec son cheval, a perdu une paire de pistolets, une paire
de pistolets de la manufacture de Versailles.

BONAPARTE.



Au quartier général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

_Combat des gorges de Neumarck._

Citoyens directeurs,

L'armée s'est mise en marche le 12. La division du général Masséna,
formant l'avant-garde, a rencontré l'ennemi dans les gorges qui se
trouvent entre Freisach et Neumarck. L'arrière-garde ennemie a été
culbutée dans toutes les positions qu'elle a voulu disputer, et nos
troupes s'acharnèrent à la poursuivre avec une telle vitesse, que le
prince Charles fut obligé de faire revenir, de son corps de bataille,
les huit bataillons de grenadiers, les mêmes qui ont pris Kelh et qui
sont en ce moment l'espoir de l'armée autrichienne; mais la deuxième
d'infanterie légère, qui s'est distinguée depuis son arrivée par son
courage, ne ralentit pas son courage un seul instant, se jeta sur les
flancs de droite et de gauche, dans le temps que le général Masséna,
pour fouler la gorge, faisait mettre en colonne les grenadiers de la
dix-huitième et de la trente-deuxième. Le combat s'engagea avec fureur:
c'était l'élite de l'armée autrichienne qui venait lutter contre nos
vieux soldats d'Italie. L'ennemi avait une position superbe, qu'il avait
hérissée de canons; mais elle ne fit que retarder de peu de temps la
défaite de l'arrière-garde ennemie. Les grenadiers ennemis furent mis
dans une complète déroute, laissèrent le champ de bataille couvert de
morts, et cinq à six cents prisonniers.

L'ennemi profita de toute la nuit pour filer. À la pointe du jour, nous
entrâmes dans Neumark. Le quartier-général fut, ce jour-là, à Freisack.

Nous avons trouvé à Freisack quatre mille quintaux de farine, une grande
quantité d'eau-de-vie et d'avoine. Ce n'était qu'une faible partie des
magasins qui y existaient, l'ennemi avait brûlé le reste: nous en avons
trouvé autant à Neumarck.

_Combat de Hundelmarck._

Le 14, le quartier-général se porta à Scheifling. L'avant-garde, sur le
point d'arriver à Hundelmarck, rencontra l'arrière-garde de l'ennemi,
qui voulait lui disputer sa couchée.

La deuxième d'infanterie légère était encore d'avant-garde. Après
une heure de combat, l'arrière-garde ennemie, qui, ce jour-là, était
composée de quatre régimens venant du Rhin, fut encore mise en déroute,
et nous laissa six cents prisonniers, et au moins trois cents morts sur
le champ de bataille. Notre avant-garde mangea encore, ce jour-là, le
pain et but l'eau-de-vie préparés pour l'armée autrichienne.

Notre perte, dans ces deux combats, a été de fort peu de chose: le chef
de brigade Carere, officier du plus grand courage, et qui nous a rendu,
dans la campagne les plus grands services, a été tué d'un boulet. C'est
le seul officier que nous ayons perdu: il est vivement regretté.

Aujourd'hui nous occupons Kintenfeld, Murau et Jundenburg. L'ennemi
paraît s'être décidé à une retraite plus précipitée, et à ne plus
engager de combat partiel.

J'ai fait poursuivre, par la division du général Guieux, la division du
général autrichien Spork, qui voulait faire sa jonction par la vallée
de la Marche, et dont l'avant-garde était déjà arrivée à Murau. Notre
arrivée prompte à Scheifling a rendu cette jonction impossible:
désormais elle ne peut plus se faire qu'au de-là des montagnes qui
avoisinent Vienne.

Je vous envoie la réponse que m'a faite le prince Charles à ma lettre du
10, avant le combat du 13; deux heures après avoir envoyé cette réponse,
comme nous marchions sur Freisack, il a fait demander, par un de ses
aides-de-camp, une suspension de quatre heures, proposition entièrement
inadmissible. Il voulait, en gagnant quatre heures, gagner la journée,
et par là avoir le temps de faire sa jonction avec le général Spork:
c'était précisément la raison qui me faisait marcher jour et nuit.

Depuis le commencement de la campagne, le citoyen Ordonner, chef de
brigade du dixième régiment de chasseurs, montre un courage qui lui
captive l'estime de l'armée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).

_À M. Pesaro, sage grand de la république de Venise._

Les affaires militaires, monsieur, qui se sont succédé avec la plus
grande rapidité, m'ont empêché de répondre à la lettre que vous vous
êtes donné la peine de m'écrire.

De tous les points du territoire de la république de Venise, il me vient
des plaintes sur la conduite des agens de cette république à l'égard de
l'armée française. À Verone, on affiche tous les jours des placards pour
exciter la haine du peuple contre nous, et effectivement les assassinats
commencent et deviennent fréquens sur la route de Verone à la Piave.

Un vaisseau de guerre vénitien a tiré des coups de canon sur la frégate
_la Brune_, et l'a empêchée de mouiller dans le golfe, tandis qu'un
convoi autrichien y mouillait.

La maison du consul de Zante a été pillée et brûlée, et votre
gouvernement l'a laissé faire.

Toutes les personnes qui sont soupçonnées d'avoir prêté secours à
l'armée française sont ouvertement persécutées, dans le temps qu'on
encourage de nombreux agens que la maison d'Autriche a dans Verone et
autres lieux des états de Venise.

La république française, ne se mêle pas, monsieur, des affaires
intérieures de la république de Venise; mais la nécessité de veiller à
la sûreté de l'armée me fait un devoir de prévenir les entreprises que
l'on pourrait faire contre elle.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).

_À la municipalité de Brescia et à celle de Bergame._

J'ai reçu, citoyens, la lettre que vous vous êtes donné la peine de
m'écrire: il ne m'appartient pas d'être juge entre le peuple de votre
province et le sénat de Venise; mon intention cependant est qu'il n'y
ait aucune espèce de trouble ni de mouvement de guerre, et je prendrai
toutes les mesures pour maintenir la tranquillité sur les derrières de
l'armée.

Les troupes françaises continueront de vivre avec le peuple de Brescia
dans le même esprit de neutralité et de bonne intelligence, et je
désire, dans toutes les occasions, pouvoir vous donner des preuves de
l'estime que j'ai pour vous.

BONAPARTE.



Ay quartier général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).

_À M. Pesaro, sage grand de la république de Venise._

Le duc de Modène, monsieur, doit plus de 30,000,000 à l'état de Modène:
en conséquence, je vous requiers de faire mettre en séquestre, soit
l'argent qu'il a dans la banque de Venise, soit le trésor qui se
trouve dans le palais où il demeure, et dès aujourd'hui je regarde le
gouvernement vénitien comme répondant de ladite somme.

Je vous prie de croire aux sentimens d'estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Indenburg, le 19 germinal an 5 (8 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

J'ai eu l'honneur de vous envoyer la lettre que j'avais écrite au prince
Charles, et sa réponse.

Je vous fais passer:

1°. Copie de la lettre qu'il m'a écrite de nouveau, en date du 6 avril;

2°. La note qui m'a été remise par MM. les généraux Bellegarde et
Meerveldt;

3°. La réponse que je leur ai faite;

4°. Une seconde lettre du prince Charles, et enfin les conditions de
la suspension d'armes de cinq jours, que nous avons conclue. Vous y
remarquerez, par la ligne de démarcation, que nous nous trouvons avoir
occupé Gratz, Bruck, et Rotenmann, que nous n'occupions pas encore.

D'ailleurs, mon intention était de faire reposer deux ou trois jours
l'armée; cette suspension dérange donc fort peu les opérations
militaires.

Ces généraux sont sur-le-champ repartis pour Vienne, et le
plénipotentiaire de S. M. l'empereur doit être arrivé au
quartier-général avec des pleins pouvoirs pour une paix séparée, avant
l'expiration de la suspension d'armes, que j'ai fait grande difficulté
de leur accorder, mais qu'ils ont jugée indispensable.

Je leur ai dit que toute clause préliminaire à la négociation de paix
devait être la cession jusqu'au Rhin; ils m'ont demandé une explication
sur l'Italie, à laquelle je me suis refusé: ils m'ont, de leur côté,
déclaré que, si S. M. l'empereur devait tout perdre, elle sortirait de
Vienne, et s'exposerait à toutes les chances; je leur ai observé que,
lorsque je m'expliquais d'une manière définitive sur les limites du
Rhin, et que je me taisais sur l'Italie, c'était faire entendre qu'on
admettait la discussion sur cette clause essentielle.

On m'a paru ne pas approuver les principes de Thugut, et que même
l'empereur commençait à s'en apercevoir.

Nos armées n'ont pas encore passé le Rhin, et nous sommes déjà à vingt
lieues de Vienne. L'armée d'Italie est donc seule exposée aux efforts
d'une des premières puissances de l'Europe.

Les Vénitiens arment tous leurs paysans, mettent en campagne tous
leurs prêtres, et secouent avec fureur tons les ressorts de leur vieux
gouvernement, pour écraser Bergame et Brescia. Le gouvernement vénitien
a en ce moment vingt mille hommes armés sur mes derrières.

Dans les états du pape même, des rassemblemens considérables de paysans
descendent des montagnes, et menacent d'envahir toute la Romagne.

Les différens peuples d'Italie, réunis par l'esprit de liberté, et
agités en différens sens par les passions les plus actives, ont besoin
d'être contenus et surveillés.

Je vous enverrai la situation des troupes que j'ai avec moi, et de
celles que j'ai en Italie.

Tout me porte à penser que le moment de la paix est arrivé, et que nous
devons la faire dans un moment où nous pouvons dicter les conditions,
pourvu qu'elles soient raisonnables.

Si l'empereur nous cède ce qui lui appartient du côté de la rive gauche
du Rhin, comme prince de la maison d'Autriche, et si, comme chef de
l'empire, il reconnaît les limites de la république au Rhin; s'il cède à
la république cispadane le duché de Modène et Carrare; s'il nous donne
Mayence, dans l'état où elle se trouve, en échange contre Mantoue, je
crois que nous aurons fait une paix beaucoup plus avantageuse que ne le
portent les instructions du général Clarke. Nous restituerons, il est
vrai, toute la Lombardie et tous les pays que nous occupons dans ce
moment-ci; mais n'aurons-nous pas tiré de nos succès tout le parti
possible, lorsque nous aurons le Rhin pour limite, et que nous aurons
institué dans le coeur de l'Italie une république de deux millions
d'habitans, qui, par Carrare, se trouvera près de nous, nous donnera le
commerce du Pô, de l'Adriatique, et s'agrandira à mesure que le pape se
détruira.

Je viens d'expédier un courrier au général Clarke pour que, de Turin, il
se rende en toute diligence ici: il est porteur de vos instructions,
et a des pleins pouvoirs pour finir cette négociation; j'espère qu'il
arrivera à temps, pour ne pas faire perdre le moment, qui est tout dans
les négociations de cette nature.

Si, contre mon attente, la négociation ne réussissait pas, je me
trouverais embarrassé sur le parti que j'aurais à prendre; je
chercherais néanmoins à attirer l'ennemi dans une affaire, à le battre,
à obliger l'empereur à abandonner Vienne: après quoi je serais obligé de
rentrer en Italie, si les armées du Rhin restaient dans l'inaction où
elles se trouvent encore.

J'espère, quelque parti que je me trouve obligé de prendre, mériter
votre approbation. Je me suis trouvé, depuis le commencement de la
campagne, passer, à chaque pas, dans une position neuve, et j'ai
toujours eu le bonheur de voir la conduite que j'ai tenue répondre à vos
intentions.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).

_Au général Kilmaine._

Dès l'instant que votre aide-de-camp est arrivé, j'ai pris en grande
considération la dépêche dont il était porteur. Je vous envoie:

1'o. Une lettre au doge de Venise, et une à Lallemant, qu'il doit
présenter en forme de note. Vous verrez, par ces deux lettres, que Junot
porte à Venise et dont il doit avoir réponse sous vingt-quatre heures,
quel est le remède qu'il faut porter à tout ce tripotage.

Si Junot reçoit une réponse satisfaisante, il vous en préviendra à son
départ de Venise; s'il ne reçoit pas de réponse satisfaisante, il se
rendra près de vous à Mantoue.

La division du général Victor doit être arrivée a Padoue: vous ferez
sur-le-champ désarmer la division de Padoue, prendre les officiers et le
gouverneur, que vous enverrez prisonniers à Milan; vous en ferez autant
à Treviso, Bassano et Verone, et si le sénat avait remis garnison à
Brescia et à Bergame, vous en feriez autant. Vous ferez imprimer et
répandre la proclamation que je vous envoie, et vous en feriez d'autres,
conformes aux circonstances. Vous ferez marcher la colonne mobile, que
vous avez réunie avec votre prudence ordinaire, à Crema, pour punir les
montagnards qui ont assassiné nos gens et pour les désarmer.

Pour faire la guerre aux différentes vallées, il faut dissoudre le
rassemblement en menaçant leurs villages, et tomber inopinément sur un
village où ils ne sont pas en force et le brûler.

À Bergame, à Brescia, à Verone, à Padoue, à Treviso, à Bassano, vous
organiserez une municipalité choisie parmi les principaux citoyens, avec
une garde qu'ils seront autorisés à se composer parmi les meilleurs
patriotes, pour leur police: après quoi, vous me renverrez le plus tôt
possible la division du général Victor. Je crois qu'il est essentiel
que vous veilliez à ce que votre communication du Frioul ne soit pas
interrompue.

Je vous envoie des ordres de l'état-major qui vous donnent le
commandement de tout le Mantouan, de la division Victor et de tous les
états vénitiens.

J'imagine que vous avez une carte du Frioul.

Vous aurez soin de faire arrêter tous les nobles vénitiens et tous les
hommes les plus attachés au sénat, pour que leur tête réponde de ce qui
sera fait à Venise aux personnes qui nous étaient attachées et qu'on a
arrêtées.

Vous aurez bien soin de ne vous laisser arrêter par aucune espèce de
considération. Si dans vingt-quatre heures la réponse n'est pas faite,
que tout se mette en marche à la fois, et que sous vingt-quatre heures
il n'existe pas un soldat vénitien sur le continent. Vous préviendrez
sur-le-champ le commandant d'Ancône et celui de Trieste de faire courir
nos corsaires sur les bannières vénitiennes.

Vous sentez combien il serait dangereux de laisser aux troupes
vénitiennes le temps de se réunir. Quant aux soldats vénitiens que vous
ferez prisonniers, vous les ferez escorter par les soldats lombards, et
vous les enverrez à Bologne et à Milan pour être gardés par les gardes
nationales de ces deux villes. Ayez soin de vous emparer de la cavalerie
vénitienne pour monter vos dépôts.

Tout va ici fort bien, et si l'affaire de Venise est bien menée, comme
tout ce que vous faites, ces gaillards-là se repentiront, mais trop
tard, de leur perfidie. Le gouvernement de Venise, concentré dans sa
petite île, ne serait pas, comme vous pensez bien, de longue durée.

Je pense donc qu'il faut que vous partiez sur-le-champ pour Mantoue, et
même pour Porto-Legnago et Peschiera. Entrer dans toutes les places,
désarmer toutes leurs garnisons, faire prisonniers tous les nobles de
terre-ferme: cela ne doit être qu'une seule opération et qui, au plus
tard, doit être faite vingt-quatre heures après que Junot sera parti de
Venise.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal au 5 (9 avril 1797).

_Au peuple de la terre-ferme de la république de Venise._

Le sénat de Venise a, depuis le commencement de cette guerre, concentré
toutes ses sollicitudes dans les lagunes; indifférent aux maux de la
terre-ferme, il l'a livrée aux armées ennemies qui guerroyaient dans vos
contrées. Le gouvernement du sénat de Venise n'offre protection ni pour
vos personnes ni pour vos propriétés; il vient, par suite de ce système
qui le rend indifférent à votre sort, de s'attirer l'indignation de la
république française.

Je sais que, n'ayant aucune part à son gouvernement, je dois vous
distinguer dans les différens châtimens que je dois infliger aux
coupables. L'armée française protégera votre religion, vos personnes et
vos propriétés; vous avez été vexés par ce petit nombre d'hommes qui se
sont, depuis les temps de barbarie, emparés du gouvernement. Si le sénat
de Venise a sur vous le droit de conquête, je vous en affranchirai; s'il
a sur vous le droit d'usurpation, je vous restituerai vos droits. Quant
aux insensés qui, conseillés par des hommes perfides, voudraient
prendre part, et attirer sur leurs villes les maux de la guerre, je les
plaindrai, et les punirai de manière a servir d'exemple aux autres, et à
les faire repentir de leur folie.

BONAPARTE.



Au quartier général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).

_Au sérénissime Doge de la république de Venise._

Toute la terre ferme de la sérénissime république de Venise est en
armes. De tous les côtés, le cri de ralliement des paysans que vous
avez armés est: _Mort aux Français_! Plusieurs centaines de soldats de
l'armée d'Italie en ont déjà été les victimes. Vous désavouez vainement
des rassemblemens que vous avez organisés: croiriez-vous que dans un
moment où je suis au coeur de l'Allemagne, je sois impuissant pour faire
respecter le premier peuple de l'univers? Croyez-vous que les légions
d'Italie souffriront le massacre que vous excitez? Le sang de mes frères
d'armes sera vengé, et il n'est aucun des bataillons français qui,
chargé d'un si noble ministère, ne sente redoubler son courage et
tripler ses moyens. Le sénat de Venise a répondu par la perfidie la plus
noire aux procédés généreux que nous avons toujours eus avec lui. Je
vous envoie mon premier aide-de-camp, pour être porteur de la présente
lettre. La guerre ou la paix. Si vous ne prenez pas sur-le-champ les
moyens de dissiper les rassemblemens; si vous ne faites pas arrêter
et livrer en mes mains les auteurs des assassinats qui viennent de se
commettre, la guerre est déclarée. Le Turc n'est pas sur vos frontières,
aucun ennemi ne vous menace; vous avez fait à dessein naître des
prétextes, pour avoir l'air de justifier un rassemblement dirigé contre
l'armée: il sera dissous dans vingt-quatre heures. Nous ne sommes
plus au temps de Charles VIII. Si, contre le voeu bien manifesté du
gouvernement français, vous me réduisez au parti de faire la guerre, ne
pensez pas cependant, qu'à l'exemple des soldats que vous avez armés,
les soldats français ravagent les campagnes du peuple innocent et
infortuné de la terre-ferme; je le protégerai, et il bénira un jour
jusqu'aux crimes qui auront obligé l'armée française à le soustraire à
votre gouvernement tyrannique.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).

_Au citoyen Lallemant, ministre de la république française à Venise_.

Enfin, nous n'en pouvons plus douter, citoyen ministre, le but de
l'armement des Vénitiens est de couper les derrières de l'armée
française. Certes, il m'était difficile de concevoir comment Bergame,
qui, de toutes les villes de l'état de Venise, est celle qui était le
plus aveuglément dévouée au sénat, ait été la première à s'ameuter
contre lui; il est encore plus difficile de concevoir comment, pour
apaiser cette légère émeute, on a besoin de vingt-cinq mille hommes,
et pourquoi M. Pesaro, lors de notre conférence à Goritzia, a refusé
l'offre que je lui faisais de la médiation de la république pour faire
rentrer ces places dans l'ordre.

Tous les procès-verbaux qui ont été faits par les différens provéditeurs
de Brescia, de Bergame et de Crema, où ils attribuent l'insurrection de
ces pays aux Français, sont une série d'impostures dont le but serait
inexplicable, si ce n'était de justifier aux yeux de l'Europe la
perfidie du sénat de Venise.

On a habilement profité du temps où l'on pensait que j'étais embarrassé
dans les gorges de la Carinthie, ayant en tête l'armée du prince
Charles, pour faire cette perfidie sans exemple, si l'histoire ne nous
avait transmis celle contre Charles VIII et les Vêpres siciliennes. On a
été plus habile que Rome, en saisissant un moment où l'armée était
plus occupée; mais sera-t-on plus heureux? Le génie de la république
française, qui a lutté contre l'Europe entière, serait-il venu échouer
dans les lagunes de Venise?

1°. Un vaisseau de guerre vénitien a attaqué et maltraité la frégate _la
Brune_, en prenant sous sa protection un convoi autrichien.

2°. La maison du consul de Zante a été brûlée; le gouvernement a vu avec
plaisir insulter l'agent de la république française.

3°. Dix mille paysans armés et soudoyés par le sénat ont assassiné plus
de cinquante Français sur la route de Milan à Bergame.

4°. La ville de Verone, celles de Venise et de Padoue sont pleines
de troupes; on s'arme de tous côtés, contre ce que m'avait promis M.
Pesaro, sage grand de la république de Venise.

5°. Tout homme qui a prêté assistance à la France est arrêté et
emprisonné. Les agens de l'empereur sont fêtés et sont à la tête des
assassinats.

6°. Le cri de ralliement de tous côtés est: _mort aux Français_; de tous
côtés, les prédicateurs, qui ne prêchent que ce que le sénat veut, font
retentir des cris de fureur contre la république française.

7°. Nous sommes donc dans le fait en état de guerre avec la république
de Venise, qui le sait si bien, qu'elle n'a trouvé d'autre moyen pour
masquer son mouvement, que de désavouer en apparence des paysans qu'elle
arme et solde réellement.

En conséquence, vous demanderez au sénat de Venise:

1°. Une explication catégorique, sous douze heures; savoir, si nous
sommes en paix ou en guerre; et dans le dernier cas, vous quitterez
sur-le-champ Venise; dans le second, vous exigerez:

1°. Que tous les hommes arrêtés pour opinions, et qui ne sont nullement
coupables que d'avoir montré de l'attachement pour la France, soient
sur-le-champ mis en liberté;

2°. Que toutes les troupes, hormis les garnisons ordinaires qui
existaient il y a cinq mois dans les places de la terre-ferme, évacuent
la terre-ferme;

3°. Que tous les paysans soient désarmés comme ils l'étaient il y a un
mois.

4°. Que le sénat prenne des mesures pour maintenir la tranquillité dans
la terre-ferme, et ne pas concentrer toute sa sollicitude dans les
lagunes;

5°. Quant aux troubles de Bergame et de Brescia, j'offre, comme je l'ai
déjà fait à M. Pesaro, la médiation de la république française, pour
tout faire rentrer dans l'état habituel;

6°. Que les auteurs de l'incendie de la maison du consul de Zante soient
punis, et sa maison rétablie aux frais de la république;

7°. Que le capitaine de vaisseau qui a tiré sur la frégate _la Brune_
soit puni, et que la valeur du convoi que, contre la neutralité, il a
protégé, soit remboursée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).

_Au directoire exécutif_.

Mon courrier partait lorsqu'un aide-de-camp du général Kilmaine
m'apporte la nouvelle de l'insurrection presque générale des paysans
vénitiens contre nous.

J'ai sur-le-champ expédié mon aide-de-camp Junot, avec ordre de porter
lui-même: 1°. au doge de Venise une lettre dont je vous envoie la copie;

2°. Au citoyen Lallemant, notre ministre à Venise, deux lettres dont je
vous envoie également les copies.

3°. Au général Kilmaine un ordre dont je vous envoie aussi copie.

Enfin, j'ai donné à ce général le commandement de tous les états
vénitiens et d'une partie de la division du général Victor, qui était de
retour de Rome.

Quand vous lirez cette lettre, nous serons maîtres de tous les états de
terre-ferme, ou bien tout sera rentré dans l'ordre, et vos instructions
exécutées. Si je n'avais pas pris une mesure aussi prompte, et que
j'eusse donné à tout cela le temps de se consolider, cela aurait pu être
de la plus grande conséquence.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Léoben, le 27 germinal an 5 (16 avril 1797).

_Au directoire exécutif_.

En conséquence de la suspension d'armes que je vous ai envoyée par mon
dernier courrier, la division du général Serrurier a occupé Gratz, ville
contenant quarante mille habitans, et estimée une des plus considérables
de l'état de l'empereur.

Les généraux Joubert, Delmas et Baraguay d'Hilliers ont eu, à Balzano
et à Milback, différens combats, desquels ils sont toujours sortis
vainqueurs. Ils sont parvenus à traverser le Tyrol, à faire, dans les
différens combats, huit mille prisonniers, et à se joindre avec la
grande armée par la vallée de la Drave. Par ce moyen, toute l'armée est
réunie. Notre ligne s'étend depuis la vallée de la Drave, du côté de
Spital à Rotenmann, le long de la Muhr, Brutz, Gratz, et jusqu'auprès de
Fiume.

Je vous envoie une note des officiers qui se sont particulièrement
distingués dans les affaires du Tyrol, et auxquels j'ai accordé de
l'avancement.

Vous trouverez aussi l'organisation que j'ai donnée à la Styrie et à la
Carniole.

Vous trouverez également une proclamation du général Bernadotte, ainsi
qu'un mandement de l'évêque de Liebach.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Léoben le 27 germinal an 5 (16 avril 1797).

_Au directoire exécutif_.

Je vous envoie, par l'adjudant-général Leclerc, des dépêches
très-intéressantes sur la situation de l'armée et sur les négociations
entamées; il vous donnera de vive voix tous les détails que je pourrais
avoir oubliés. En traversant l'Allemagne, il sera à même de voir les
différens mouvemens des troupes ennemies, et d'en instruire les généraux
Hoche et Moreau, à son arrivée sur le Rhin. Je vous prie de me le
renvoyer de suite. Tous les officiers que j'envoie à Paris y restent
trop long-temps: ils dépensent leur argent et se perdent dans les
plaisirs.

Je vous envoie, par un capitaine de hussards, qui a quatre-vingts ans de
service, plusieurs drapeaux pris sur l'ennemi.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Léoben, le 27 germinal an 5 (16 avril 1797).

_Au directoire exécutif_.

Le général Meerveldt est venu me trouver à Léoben, le 24, à neuf heures
du matin: après avoir pris connaissance de son plein pouvoir pour
traiter de la paix, nous sommes convenus d'une prolongation de
suspension d'armes jusqu'au 20 avril soir (8 floréal prochain). Ces
pleins pouvoirs étaient pour lui et pour M. le marquis de Gallo,
ministre de Naples à Vienne; j'ai refusé d'abord de l'admettre comme
plénipotentiaire de l'empereur, étant, à mes yeux, revêtu de la qualité
d'ambassadeur d'une puissance amie, qui se trouve incompatible avec
l'autre. M. Gallo est arrivé lui-même le 25. Je n'ai pas cru devoir
insister dans cette opposition, parce que cela aurait apporté beaucoup
de lenteurs, et parce qu'il paraît revêtu d'une grande confiance de
l'empereur; enfin, parce que les Autrichiens et les Hongrois sont
très-irrités de voir les étrangers jouer le principal rôle dans une
affaire aussi importante, et que, si nous rompons, ce sera un moyen
très-considérable d'exciter le mécontentement contre le gouvernement de
Vienne. La première opération dont il a été question, a été une promesse
réciproque de ne rien divulguer de ce qui serait dit: on l'avait
rédigée, mais ces messieurs tiennent beaucoup à l'étiquette, ils
voulaient toujours mettre l'empereur avant la république, et j'ai refusé
net.

Nous sommes à l'article de la reconnaissance. Je leur ai dit que la
république française ne voulait point être reconnue; elle est en Europe
ce qu'est le soleil sur l'horizon: tant pis pour qui ne veut pas la voir
et ne veut pas en profiter.

Ils m'ont dit que, quand même les négociations se rompraient,
l'empereur, dès aujourd'hui, reconnaissait la république française,
à condition que celle-ci conserverait avec S.M. l'empereur la même
étiquette que ci-devant le roi de France. Je leur ai répondu que, comme
nous étions fort indifférens sur tout ce qui est étiquette, nous ne
serions pas éloignés d'adopter cet article. Nous avons, après cela,
beaucoup parlé dans tous les sens et de toutes les manières.

Le 26, M. Gallo est venu chez moi à huit heures du matin; il m'a dit
qu'il désirait neutraliser un endroit où nous pussions continuer nos
conférences en règle. On a choisi un jardin, au milieu duquel est un
pavillon; nous l'avons déclaré neutre, farce à laquelle j'ai bien voulu
me prêter pour ménager la puérile vanité de ces gens-ci. Ce prétendu
point neutre est environné de tous côtés par l'armée française; et au
milieu des bivouacs de nos divisions: cela eût été fort juste et fort
bon s'il se fût trouvé au milieu des deux armées. Arrivés dans la
campagne neutre, l'on a entamé les négociations. Voici ce qui en est
résulté:

1°. La cession de la Belgique, et la reconnaissance des limites de la
république française conformément au décret de la convention; mais ils
demandent des compensations qu'ils veulent nécessairement en Italie.

2°. Ils demandent la restitution du Milanez; de sorte qu'ils auraient
voulu, en conséquence de ce premier article, le Milanez et une portion
quelconque des états de Venise ou des légations: si j'eusse voulu
consentir à cette proposition, ils avaient le pouvoir de signer
sur-le-champ. Cet arrangement ne m'a pas paru possible.

S.M. l'empereur a déclaré ne vouloir aucune compensation en Allemagne.
Je leur ai offert, pour le premier article, la restitution du Milanez et
de la Lombardie, ils n'ont pas voulu: de sorte que nous avons fini par
trois projets qu'ils ont expédiés, par un courrier extraordinaire, à
Vienne, et dont ils auront la réponse dans deux ou trois jours.

PREMIER PROJET.

Art 1er. La cession de la Belgique, les limites constitutionnelles de la
France.

2. À la paix avec l'empire, l'on fixera tout ce qui est relatif an pays
qu'occupe la France jusqu'au Rhin.

3. Les deux puissances s'arrangeront ensemble pour donner à l'empereur
tous les pays du territoire vénitien, compris entre le Mincio, le Pô et
les états d'Autriche.

4. On donnera au duc de Modène les pays de Brescia compris entre l'Oglio
et le Mincio.

5. Le Bergamasque et tous les pays des états de Venise compris entre
l'Oglio et le Milanez, ainsi que le Milanez, formeraient une république;
Modène, Bologne, Ferrare, la Romagne formeraient une république.

6. La ville de Venise continuerait à rester indépendante, ainsi que
l'Archipel.

DEUXIÈME PROJET.

Les articles 1 et 2 sont les mêmes que les précédens.

3. L'évacuation du Milanez et de la Lombardie.

TROISIÈME PROJET.

Les deux premiers articles comme dans les précédens.

3. La renonciation par S. M. l'empereur de tous ses droits an Milanez et
à la Lombardie.

4. La France s'engagerait à donner à S. M. l'empereur des compensations
proportionnées au Milanez et au duché de Modène, qui seront l'objet
d'une négociation, et dont il devrait être en possession au plus tard
dans trois mois.

Si l'un de ces trois projets est accepté à Vienne, les préliminaires de
la paix se trouveraient signés le 20 avril (8 floréal), sans quoi,
vu que les armées du Rhin n'ont fait encore aucun mouvement, je leur
proposerais un armistice pur et simple pour les trois armées, et pour
trois mois, pendant lesquels on ouvrira des négociations de paix.
Pendant ce temps, on fortifierait Clagenfurth et Gratz, on ferait venir
toutes les munitions de guerre de ce côté-ci, l'armée s'organiserait
parfaitement, et vous auriez le temps d'y faire passer quarante mille
hommes de l'armée du Rhin: moyennant quoi vous auriez une armée
extrêmement considérable, dont la seule vue obligerait l'empereur à
faire de plus grands sacrifices.

Si rien de tout cela n'est accepté, nous nous battrons, et si l'armée
de Sambre-et-Meuse s'est mise en marche le 20, elle pourrait, dans les
premiers jours du mois prochain, avoir frappé de grands coups et se
trouver sur la Reidnitz. Les meilleurs généraux et les meilleures
troupes sont devant moi. Quand on a bonne volonté d'entrer en campagne,
il n'y a rien qui arrête, et jamais, depuis que l'histoire nous retraça
des opérations militaires, une rivière n'a pu être un obstacle réel. Si
Moreau veut passer le Rhin, il le passera; et s'il l'avait déjà passé,
nous serions dans un état à pouvoir dicter les conditions de la paix
d'une manière impérieuse et sans courir aucune chance; mais qui craint
de perdre sa gloire est sûr de la perdre. J'ai passé les Alpes juliennes
et les Alpes nordiques sur trois pieds de glace; j'ai fait passer mon
artillerie par des chemins où jamais chariots n'avaient passé, et
tout le monde croyait la chose impossible. Si je n'eusse vu que la
tranquillité de l'armée et mon intérêt particulier, je me serais arrêté
au-delà de l'Isonzo. Je me suis précipité dans l'Allemagne pour dégager
les armées du Rhin et empêcher l'ennemi d'y prendre l'offensive. Je suis
aux portes de Vienne, et cette cour insolente et orgueilleuse a ses
plénipotentiaires à mon quartier-général. Il faut que les armées du Rhin
n'aient point de sang dans les veines: si elles me laissent seul, alors
je m'en retournerai en Italie. L'Europe entière jugera la différence de
conduite des deux armées: elles auront ensuite sur le corps toutes les
forces de l'empereur, elles en seront accablées, et ce sera leur faute.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Léoben, le 30 germinal an 5 (19 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai envoyé, par l'adjudant-général Leclerc, plusieurs projets
d'arrangement qui avaient été envoyés à Vienne, et sur lesquels
les plénipotentiaires attendaient des instructions. M. de Vincent,
aide-de-camp de S. M. l'empereur, est arrivé sur ces entrefaites, les
plénipotentiaires sont revenus chez moi pour reprendre le cours de la
négociation; après deux jours, nous sommes convenus et nous avons signé
les préliminaires de la paix, dont je vous envoie les articles.

Tout ce qui a été déclaré département par la loi de la convention
restera à la république.

La république lombarde se trouve non-seulement confirmée, mais encore
accrue de tout le Bergamasque et de tout le Crémasque, qui lui sont déjà
réunis dans ce moment par l'insurrection de ces deux pays. La partie
du Mantouan qui est sur la rive droite de l'Oglio et du Pô s'y trouve
également incorporée; le duché de Modène et de Reggio, qui, par la
principauté de Massa et de Carrara, touche à la Méditerranée, et par
la partie du Mantouan touche au Pô et au Milanez, s'y trouve également
compris. Nous aurons donc dans le coeur de l'Italie une république avec
laquelle nous communiquerons par les états de Gênes et par la mer;
ce qui nous donnera, dans toutes les guerres futures en Italie, une
correspondance assurée. Le roi de Sardaigne se trouve désormais être
entièrement à notre disposition.

La place de Pizzighitone, qui est aujourd'hui véritablement plus forte
que Mantoue; la place de Bergame et celle de Crema, que l'on rétablira,
garantiront la nouvelle république contre les incursions de l'empereur,
et nous donneront toujours le temps d'y arriver. Du côté de Modène, il y
a également plusieurs positions faciles à fortifier, et pour lesquelles
on emploiera une partie de l'immense artillerie que nous avons dans
ce moment en Italie. Quant à la renonciation de nos droits sur les
provinces de Bologne, Ferrare et sur la Romagne, en échange des états de
Venise, elles restent toujours en notre pouvoir. Lorsque l'empereur et
nous, de concert, nous aurons réussi à faire consentir le sénat à
cet échange, il est évident que la république de Venise se trouvera
influencée par la république lombarde et à notre disposition. Si cet
échange ne s'effectue pas, et que l'empereur entre en possession d'une
partie des états de Venise sans que le sénat veuille reprendre une
compensation qui est inconvenante et insuffisante, les trois légations
restent toujours en notre pouvoir, et nous réunirons Bologne et Ferrare
à la république lombarde. Le gouvernement de Venise est le plus absurde
et le plus tyrannique des gouvernemens; il est d'ailleurs hors de
doute qu'il voulait profiter du moment où nous étions dans le coeur de
l'Allemagne pour nous assassiner. Notre république n'a pas d'ennemi plus
acharné; Son influence se trouve considérablement diminuée, et cela est
tout à notre avantage: cela d'ailleurs lie l'empereur et la France et
obligera ce prince, pendant les premiers temps de notre paix, à faire
tout ce qui pourra nous être agréable. Cet intérêt commun que nous avons
avec l'empereur nous remet la balance dans la main; nous nous trouvons
par là placés entre la Prusse et la maison d'Autriche, ayant des
intérêts majeurs à arranger avec l'une et l'autre. D'ailleurs, nous ne
devons pas nous dissimuler que, quoique notre position militaire soit
brillante, nous n'avons point dicté les conditions. La cour avait évacué
Vienne; le prince Charles et son armée se repliaient sur celle du Rhin;
le peuple de la Hongrie et de toutes les parties des états héréditaires
se levait en masse, et même, dans ce moment-ci, leur tête est déjà sur
nos flancs. Le Rhin n'était pas passé, l'empereur n'attendait que ce
moment pour quitter Vienne et se porter à la tête de son armée. S'ils
eussent fait la bêtise de m'attendre, je les aurais battus; mais ils se
seraient toujours repliés devant nous, se seraient réunis à une partie
de leurs forces du Rhin et m'auraient accablé. Alors la retraite
devenait difficile, et la perte de l'armée d'Italie pouvait entraîner
celle de la république; aussi étais-je bien résolu à essayer de lever
une contribution dans les faubourgs de Vienne et à ne plus faire un pas.
Je me trouve ne pas avoir quatre mille hommes de cavalerie, et, au lieu
de quarante mille hommes que je vous avais demandés, il n'en est pas
arrivé vingt mille.

Si je me fusse, au commencement de la campagne, obstiné à aller à Turin,
je n'aurais jamais passé le Pô; si je m'étais obstiné à aller à Rome,
j'aurais perdu Milan; si je m'étais obstiné à aller à Vienne, peut-être
aurais je perdu la république. Le vrai plan de campagne pour détruire
l'empereur était celui que j'ai fait, mais avec six mille hommes de
cavalerie et vingt mille hommes de plus d'infanterie; ou bien si, avec
les forces que j'avais, on eût passé le Rhin dans le temps que je
passais le Tagliamento, comme je l'avais pensé, puisque deux courriers
de suite m'ont ordonné d'ouvrir la campagne. Dès l'instant que j'ai
prévu que les négociations s'ouvraient sérieusement, j'ai expédié
un courrier au général Clarke qui, chargé plus spécialement de vos
instructions dans un objet aussi essentiel, s'en serait mieux acquitté
que moi; mais lorsque, après dix jours, j'ai vu qu'il n'était pas
arrivé, et que le moment commençait à presser, j'ai dû laisser tout
scrupule et j'ai signé. Vous m'avez donné plein pouvoir sur toutes
les opérations diplomatiques; et, dans la position des choses, les
préliminaires de la paix même avec l'empereur, sont devenus une
opération militaire. Cela sera un monument de la gloire de la république
française, et un présage infaillible, qu'elle peut, en deux campagnes,
soumettre le continent de l'Europe, si elle organise ses armées avec
force, et surtout l'arme de la cavalerie.

Je n'ai pas, en Allemagne, levé une seule contribution; il n'y a pas eu
une seule plainte contre nous. J'agirai de même en évacuant, et, sans
être prophète, je sens que le temps viendra où nous tirerons parti de
cette sage conduite; elle germera dans toute la Hongrie, et sera plus
fatale au trône de Vienne que les victoires qui ont illustré la guerre
de la liberté.

D'ici à trois jours, je vous enverrai la ratification de l'empereur; je
placerai alors mon armée dans tout le pays vénitien, où je la nourrirai
et entretiendrai jusqu'à ce que vous m'ayez fait passer vos ordres.
Quant à moi, je vous demande du repos. J'ai justifié la confiance dont
vous m'avez investi; je ne me suis jamais considéré pour rien dans
toutes mes opérations, et je me suis lancé aujourd'hui sur Vienne,
ayant acquis plus de gloire qu'il n'en faut pour être heureux, et ayant
derrière moi les superbes plaines de l'Italie, comme j'avais fait au
commencement de la campagne dernière, en cherchant du pain pour l'armée
que la république ne pouvait plus nourrir.

La calomnie s'efforcera en vain de me prêter des intentions perfides:
ma carrière civile sera comme ma carrière militaire, une et simple.
Cependant vous devez sentir que je dois sortir de l'Italie, et je
vous demande avec instance de renvoyer, avec la ratification des
préliminaires de paix, des ordres sur la première direction à donner aux
affaires d'Italie, et un congé pour me rendre en France.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Trieste, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

Je suis parti, il y a deux jours, de Gratz, après avoir conféré avec M.
de Gallo, qui, étant de retour de Vienne, m'a montré les préliminaires
de paix que nous avons faits, ratifiés par l'empereur dans la forme
ordinaire.

Il m'a dit: 1°. que l'empereur éloignerait les émigrés et le corps de
Condé, qui ne seraient plus à sa solde.

2°. Que l'empereur désirait traiter sa paix particulière, le plus tôt
possible, et en Italie. Nous avons choisi Brescia pour le lieu des
conférences.

3°. Que la paix de l'empire pouvait se traiter à Constance ou dans
quelque autre ville de ce genre.

4°. Qu'à la seule paix de l'empire on appellerait les alliés, qui ne
seront point appelés à la paix particulière.

5°. Que l'empereur avait déjà donné des pouvoirs pour traiter de la paix
définitive, et M. Gallo m'a sur ce interpellé pour savoir si le général
Clarke avait des pouvoirs. J'ai dit qu'il fallait, avant tout, attendre
vos ordres.

6°. Enfin que la cour de Vienne est de bonne foi et désire serrer de
toutes les manières son système politique avec celui de la France, et
que le directoire exécutif trouverait avec l'empereur un cabinet de
bonne foi et qui marche droit. Le ministre d'Angleterre à Vienne s'est
fortement fâché avec M. Thugut, il paraît que les Anglais le prennent
fort haut, et taxent l'empereur de mauvaise foi.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Palma-Nova, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).

_Au citoyen Lallemant, ministre de la république française à Venise._

Le sang français a coulé dans Venise, et vous y êtes encore!
attendez-vous donc qu'on vous en chasse? Les Français ne peuvent plus
se promener dans les rues, ils sont accablés d'injures et de mauvais
traitemens; et vous restez simple spectateur! Depuis que l'armée est
en Allemagne, on a, en terre-ferme, assassiné plus de quatre cents
Français; on a assiégé la forteresse de Verone, qui n'a été dégagée
qu'après un combat sanglant, et, malgré tout cela, vous restez à Venise!
Quant à moi, j'ai refusé d'entendre les députés du sénat, parce qu'ils
sont tout dégoûtans du sang de Laugier, et je ne les verrai jamais qu'au
préalable ils n'aient fait arrêter l'amiral et les inquisiteurs qui ont
ordonné ce massacre, et ne les aient remis entre mes mains. Je sais bien
qu'ils chercheront à faire tomber la vengeance de la république sur
quelques misérables exécuteurs de leurs atrocités; mais nous ne
prendrons pas le change.

Faites une note concise et digne de la grandeur de la nation que vous
représentez, et des outrages qu'elle a reçus: après quoi, partez de
Venise, et venez me joindre à Mantoue.

Ils n'ont rien exécuté de ce que je leur ai demandé: ce sont tous les
prisonniers qu'ils ont faits depuis que l'armée française est en Italie,
qu'ils devaient relâcher, et non pas un seulement, ainsi qu'ils l'ont
fait.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Palma-Nova, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).

_À messieurs les envoyés du sénat de Venise._

Je n'ai lu qu'avec indignation, messieurs, la lettre que vous m'avez
écrite relativement à l'assassinat de Laugier. Vous avez aggravé
l'atrocité de cet événement sans exemple dans les annales des nations
modernes, par le tissu de mensonges que votre gouvernement a fabriqués
pour chercher à se justifier.

Je ne puis point, messieurs, vous recevoir. Vous et votre sénat êtes
dégoûtans du sang français. Lorsque vous aurez fait remettre entre mes
mains l'amiral qui a donné l'ordre de faire feu, le commandant de la
tour, et les inquisiteurs qui dirigent la police de Venise, j'écouterai
vos justifications. Vous voudrez bien évacuer dans le plus court délai
le continent de l'Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Trieste, 11 floréal an 5 (30 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

Les Vénitiens se conduisent tous les jours de plus mal en plus mal; la
guerre est ici déclarée de fait: le massacre qu'ils viennent de faire du
citoyen Laugier, commandant l'aviso _le Libérateur de l'Italie_, est la
chose la plus atroce du siècle.

Le citoyen Laugier sortait de Trieste; il fut rencontré par la flottille
de l'empereur, composée de huit à dix chaloupes canonnières: il se
battit une partie de la journée avec elles, après quoi il chercha à se
réfugier sous le canon de Venise; il y fut reçu par la mitraille du
fort. Il ordonna à son équipage de se mettre à fond de cale, et lui,
avec sa troupe, demanda pourquoi on le traitait en ennemi; mais au même
instant il reçoit une balle qui le jette sur le tillac, roide mort. Un
matelot qui se sauvait à la nage fut poursuivi par les Esclavons, et tué
à coups de rames. Cet événement n'est qu'un échantillon de tout ce qui
se passe tous les jours dans la terre-ferme. Lorsque vous lirez cette
lettre, la terre-ferme sera à nous, et j'y ferai des exemples dont on se
souviendra. Quant à Venise, j'ai ordonné que tous les bâtimens de Venise
qui se trouvent à Trieste et à Ancône soient sur-le-champ séquestrés: il
y en a ici plusieurs frétés, pour l'Amérique, qu'on évalue fort haut,
indépendamment d'une cinquantaine d'ordinaires. Je ne crois pas que
Lallemant trouve de sa dignité de rester à Venise, tout comme M. Quirini
a Paris.

Si le sang français doit être respecté en Europe; si vous voulez qu'on
ne s'en joue pas, il faut que l'exemple sur Venise soit terrible; il
nous faut du sang; il faut que le noble amiral vénitien qui a présidé à
cet assassinat soit publiquement justicié.

M. Quirini cherchera à intriguer à Paris; mais les faits et la trahison
infâme des Vénitiens, qui voulaient assassiner les derrières de l'armée
pendant que nous étions en Allemagne, sont trop notoires.

Je compte qu'ils ont en ce moment-ci assassiné plus de quatre cents de
nos soldats; et cependant il n'y a jamais eu en terre-ferme plus de
troupes vénitiennes, et cependant ils l'ont inondée de leurs Esclavons.
Ils ont essayé de s'emparer de la citadelle de Verone, qui encore dans
ce moment-ci se canonne avec la ville.

Le sénat m'a envoyé à Gratz une députation, je l'ai traitée comme elle
le méritait. Ils m'ont demandé ce que je voulais, je leur ai dit de
mettre en liberté tous ceux qu'ils avaient arrêtés: ce sont les plus
riches de la terre-ferme, qu'ils suspectent être nos amis, parce qu'ils
nous ont bien accueillis; de désarmer tous les paysans, de congédier
une partie de leurs Esclavons, puisqu'un armement extraordinaire est
inutile; de chasser le ministre de l'Angleterre, qui a fomenté tous les
troubles, et qui est le premier à se promener, le lion de Saint-Marc
sur sa gondole, et la cocarde vénitienne qu'il porte depuis qu'ils nous
assassinent; de remettre dans nos mains la succession de Thiéry, qui
est évaluée à vingt millions; de nous remettre toutes les marchandises
appartenant aux Anglais: leur port en est plein; de faire arrêter ceux
qui ont assassiné les Français ou du moins les plus marquans des nobles
vénitiens.

Tout à l'heure je pars pour Palma-Nova, de là pour Trévise, et de là
pour Padoue. J'aurai tous les renseignemens de tout ce qui a été commis
pendant que nous étions en Allemagne; je recevrai également les rapports
de Lallemant sur l'assassinat de Laugier.

Je prendrai des mesures générales pour toute la terre-ferme, et je ferai
punir d'une manière si éclatante, qu'on s'en souviendra une autre fois.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Trieste, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

Il m'aurait fallu trois mois pour dégrader les moles du port de Trieste,
encore ne l'aurais-je pas détruit, car ce port n'est simplement qu'une
rade.

Mantoue n'est pas fort par l'art, mais seulement par sa position; il n'y
a rien ou peu de chose à détruire, et que les ennemis auraient rétabli
en peu de temps et avec très-peu de travail.

Ayant un équipage de siège en Italie, nous prendrons Mantoue, tant que
nous voudrons, dans vingt jours de tranchée. Lorsque Wurmser m'obligea à
en lever le siège, nous étions aux batteries de brèche et sur le point
d'y entrer. Pendant le blocus, nous avons, avec sept mille hommes,
bloqué vingt mille hommes: vous voyez donc que cette place n'est pas
aussi essentielle qu'on se l'imagine; mais j'avais un seul avantage,
c'est que l'équipage de siège de l'ennemi était fort loin, et que je
comptais mettre dedans la ville deux ou trois mille Français, et le
reste des Italiens: ce qui, avec les nouveaux ouvrages que j'avais fait
faire, me faisait espérer de tenir en échec une armée autrichienne.

D'après le nouvel ordre de choses, nous aurions donc pour frontières
l'Oglio et un rang de places fortes, telles que Pizzighitone, Crema et
Bergame.

Pizzighitone vaut mieux que Mantoue.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Trieste, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).

_Au directoire exécutif._

Je ne suis pas étonné que l'on ait fait courir le bruit que nous avons
été battus dans le Tyrol: il n'a jamais entré dans mon projet de percer
par deux endroits à la fois, ce qui m'aurait obligé de garder deux
communications au lieu d'une.

J'ai dû percer par le Tyrol et par la Carinthie, parce qu'il fallait
que, jusqu'à ce que l'offensive fût décidément à notre avantage, être
en état de la soutenir; parce qu'il fallait empêcher l'ennemi de
nous couper: mais lorsque j'ai été à Clagenfurth et à Freysach, que
l'offensive a été déterminée, j'ai voulu sur-le-champ porter toutes
mes forces à ma droite et refuser constamment ma gauche, qui était
suffisamment assurée par le camp retranché de Castel-Novo, de Peschiera
et de Mantoue. Pendant ce temps-là, toutes mes forces étant concentrées
sur ma droite, j'aurais marché à Salzbourg; l'ennemi eût été obligé
d'évacuer Inspruck; de là j'aurais traversé les gorges de l'Inn et
marché dans la Bavière. J'aurais auparavant levé des contributions sur
le faubourg de Vienne.

Ce plan a totalement manqué par l'inaction de l'armée du Rhin. Si Moreau
avait voulu marcher, nous eussions fait la campagne la plus étonnante,
et bouleversé la situation de l'Europe. Au lieu de cela, il s'est rendu
à Paris, n'a voulu rien faire; et quand j'ai vu par vos lettres mêmes
que vous n'aviez d'autre espérance qu'en faisant mouvoir Hoche seul,
j'ai cru la campagne perdue, et je n'ai pas douté que nous ne fussions
battus les uns après les autres.

Quant à moi, je me suis jeté sans aucune espèce de considération au
milieu de l'Allemagne; j'ai fait plus de vingt-quatre mille prisonniers,
obligé l'empereur d'évacuer Vienne, et j'ai fait conclure la paix à
mon quartier-général. Les conditions de cette paix sans doute sont
avantageuses à la France et a l'empereur: c'est ce qui fait sa bonté.
Elle nous ôte l'influence de la Prusse, et nous met à même de tenir la
balance dans l'Europe.

Il est vrai que cette paix n'a pas été comme celle du Pape et du roi de
Sardaigne; mais c'est que l'empereur est aussi puissant que nous, qu'on
se levait de tous côtés en masse, et que partout, en Hongrie et dans le
Tyrol, on était sous les armes, qu'il ne restait rien à faire, puisque
Vienne était évacuée par la maison impériale, et qu'en portant la guerre
dans la Bavière, j'aurais été tout seul. C'était améliorer la situation
de l'empereur, que de rester sans rien faire dans les positions que
j'occupais, puisque cela mettait ses états dans une tension énergique,
qui lui aurait donné, dans vingt jours, une foule de combattans. Nous
nous sommes bien conduits en Allemagne, mais l'armée du Rhin s'était
mal conduite l'année dernière; l'impression qu'elle avait faite durait
encore, de sorte que la manière dont nous nous conduisions n'avait pas
le temps d'arriver jusqu'aux différens peuples prévenus.

La paix, au contraire, a remis tout en Allemagne dans l'état naturel. En
évacuant ce pays, je garde véritablement tout ce que j'avais pris, en
conservant la Ponteba et les hauteurs de la Carinthie, qui, dans une
marche, me mettent en Allemagne, et j'ôte aux peuples de la Hongrie,
de l'Autriche et de Venise les raisons de s'armer et de se croire en
danger. Si les hostilités doivent recommencer, il faut, avant tout,
prendre un parti pour Venise: sans quoi, il me faudrait une armée pour
les contenir. Je sais que le seul parti qu'on puisse prendre, c'est
de détruire ce gouvernement atroce et sanguinaire: par ce moyen nous
tirerons des secours de toute espèce d'un pays que, sans cela, il faudra
garder plus que le pays ennemi.

Il est impossible de prendre plus de précautions que je n'en ai pris
contre les Vénitiens, dont je connais la profonde duplicité. Je suis
maître de toutes leurs forteresses, et à l'heure où vous lirez cette
lettre, je le serai tellement de toute la terre-ferme, qu'il n'y aura
d'autre chose à faire que de prendre un parti.

Pendant l'armistice, il y a eu une escarmouche fort vive entre le chef
de brigade Dagobert et la levée en masse de la Croatie.

Les ennemis étaient parvenus à Trente, que je n'ai jamais gardé
sérieusement, parce que, par sa position, il est hors du système de la
guerre; mais tout a été rétabli dans l'état ordinaire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Palma-Nova, le 12 floréal an 5 (1er mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je reçois à l'instant des nouvelles de la république cispadane. Les
choix ont été fort mauvais. Les prêtres ont influencé toutes les
élections, des cardinaux et des évêques sont venus exprès de Rome pour
diriger les choix du peuple; ils voient bien que leur salut ne dépend
plus que de leur influence dans le corps législatif.

La république cispadane, comme la Lombardie, a besoin d'un gouvernement
provisoire pendant trois ou quatre ans, pendant lesquels on cherchera à
diminuer l'influence des prêtres: sans quoi, vous n'auriez rien fait en
leur donnant la liberté. Dans les villages, ils dictent des listes et
influencent toutes les élections; mais, conformément à vos ordres et
aux traités, je vais commencer par réunir sous un même gouvernement
provisoire la Lombardie et la Cispadane: après quoi, je prendrai les
mesures qui se concilient avec leurs moeurs, pour y diminuer l'influence
des prêtres et éclairer l'opinion.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Palma-Nova, le 13 floréal an 5 (2 mai 1797).

_Au chef de l'état-major._

Je vous fais passer, citoyen général, un manifeste relatif aux
Vénitiens; vous voudrez bien faire en sorte qu'il y en ait mille
exemplaires imprimés dans la nuit: vous en enverrez une copie à la
congrégation de Milan, pour qu'elle le fasse traduire en italien et
qu'elle le fasse imprimer et répandre partout.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Palma-Nova, le 15 floréal an 5 (2 mai 1797).

_Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie._

MANIFESTE.

Pendant que l'armée française est engagée dans les gorges de la Styrie
et laisse loin derrière elle l'Italie et les principaux établissemens
de l'armée, où il ne reste qu'un petit nombre de bataillons, voici la
conduite que tient le gouvernement de Venise:

1°. Il profite de la semaine sainte pour armer quarante mille paysans, y
joint dix régimens d'Esclavons, les organise en différens corps d'armée
et les poste aux différens points, pour intercepter toute communication
entre l'armée et ses derrières.

2°. Des commissaires extraordinaires, des fusils, des munitions de
toute espèce, une grande quantité de canons sortent de Venise même pour
achever l'organisation des différens corps d'armée.

3°. On fait arrêter en terre-ferme ceux qui nous ont accueillis; on
comble de bienfaits et de toute la confiance du gouvernement tous
ceux en qui on connaît une haine furibonde contre le nom français, et
spécialement les quatorze conspirateurs de Verone que le provéditeur
Prioli avait fait arrêter il y a trois mois, comme ayant médité
l'égorgement des Français.

4°. Sur les places, dans les cafés et autres lieux publics de Venise,
on insulte et on accable de mauvais traitemens tous les Français, les
dénommant du nom injurieux de jacobins, de régicides, d'athées: les
Français doivent sortir de Venise, et peu après il leur est même défendu
d'y entrer.

5°. On ordonne au peuple de Padoue, de Vicence, de Verone, de courir aux
armes, de seconder les différens corps d'armée et de commencer enfin
ces nouvelles Vêpres siciliennes. Il appartient au Lion de Saint-Marc,
disent les officiers vénitiens, de vérifier le proverbe, que l'_Italie
est le tombeau des Français_.

6°. Les prêtres en chaire prêchent la croisade, et les prêtres, dans
l'état de Venise, ne disent jamais que ce que veut le gouvernement.
Des pamphlets, des proclamations perfides, des lettres anonymes sont
imprimés dans les différentes villes et commencent à faire fermenter
toutes les têtes; et dans un état où la liberté de la presse n'est pas
permise, dans un gouvernement aussi craint que secrètement abhorré, les
imprimeurs n'impriment, les auteurs ne composent que ce que veut le
sénat.

7°. Tout sourit d'abord aux projets perfides du gouvernement; le sang
français coule de toutes parts; sur toutes les routes on intercepte nos
convois, nos courriers et tout ce qui tient à l'armée.

8°. À Padoue, un chef de bataillon et deux autres Français sont
assassinés. À Castiglione de Mori, nos soldats sont désarmés et
assassinés. Sur toutes les grandes routes de Mantoue à Legnago, de
Cassano à Verone, nous avons plus de deux cents hommes assassinés.

9°. Deux bataillons français, voulant rejoindre l'armée, rencontrent à
Chiari une division de l'armée vénitienne, qui veut s'opposer à leur
passage; un combat s'engage et nos braves soldats se font passage en
mettant en déroute ces perfides ennemis.

10°. À Valeggio il y a un autre combat; à Dezenzano, il faut encore se
battre: les Français sont partout peu nombreux; mais ils savent bien
qu'on ne compte pas le nombre des bataillons ennemis lorsqu'ils ne sont
composés que d'assassins.

11°. La seconde fête de Pâques, au son de la cloche, tous les Français
sont assassinés dans Verone. On ne respecte ni les malades dans les
hôpitaux, ni ceux qui, en convalescence, se promènent dans les rues, et
qui sont jetés dans l'Adige, ou meurent percés de mille coups de stylet:
plus de quatre cents Français sont assassinés.

12°. Pendant huit jours, l'armée vénitienne assiège les trois châteaux
de Verone: les canons qu'ils mettent en batterie leur sont enlevés à
la baïonnette; le feu est mis dans la ville, et la colonne mobile qui
arrive sur ces entrefaites, met ces lâches dans une déroute complète,
en faisant trois mille hommes de troupe de ligne prisonniers, parmi
lesquels plusieurs généraux vénitiens.

13°. La maison du consul français de Zante est brûlée dans la Dalmatie.

14°. Un vaisseau de guerre vénitien prend sous sa protection un convoi
autrichien, et tire plusieurs boulets contre la corvette _la Brune_.

15° _Le Libérateur de l'Italie_, bâtiment de la république, ne portant
que trois à quatre petites pièces de canon, et n'ayant que quarante
hommes d'équipage, est coulé à fond dans le port même de Venise et par
les ordres du sénat. Le jeune et intéressant Laugier, lieutenant de
vaisseau, commandant ce bâtiment, dès qu'il se voit attaqué par le feu
du fort et de la galère amirale, n'étant éloigné de l'un et de l'autre
que d'une portée de pistolet, ordonne à son équipage de se mettre à
fond de cale: lui seul, il monte sur le tillac au milieu d'une grêle de
mitraille, et cherche, par ses discours, à désarmer la fureur de ces
assassins, mais il tombe roide mort; son équipage se jette à la nage et
est poursuivi par six chaloupes montées par des troupes soldées par la
république de Venise, qui tuent à coups de hache plusieurs de ceux qui
cherchaient leur salut dans la haute-mer. Un contre-maître, blessé de
plusieurs coups, affaibli, faisant sang de tous côtés, a le bonheur de
prendre terre à un morceau de bois touchant au château du port; mais le
commandant lui-même lui coupe le poignet d'un coup de hache.

Vu les griefs ci-dessus, et autorisé par le titre 12, art. 328 de la
constitution de la république, et vu l'urgence des circonstances:

Le général en chef requiert le ministre de France près la république
de Venise de sortir de ladite ville; ordonne aux différens agens de la
république de Venise dans la Lombardie et dans la terre-ferme vénitienne
de l'évacuer sous vingt-quatre heures.

Ordonne aux différens généraux de division de traiter en ennemi les
troupes de la république de Venise, de faire abattre dans toutes les
villes de la terre-ferme le Lion de Saint-Marc. Chacun recevra, à
l'ordre du jour de demain, une instruction particulière pour les
opérations militaires ultérieures.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Palma-Nova, le 14 floréal an 5 (3 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je reçois dans l'instant des nouvelles de Verone. Je vous envoie les
rapports du général de division Balland, du général Kilmaine et du chef
de brigade Beaupoil. Dès l'instant que j'eus passé les gorges de la
Carinthie, les Vénitiens crurent que j'étais enfourné en Allemagne, et
ce lâche gouvernement médita des Vêpres siciliennes. Dans la ville
de Venise et dans toute la terre-ferme on courut aux armes. Le sénat
exhorta les prédicateurs, déjà assez portés par eux-mêmes à prêcher
la croisade contre nous. Une nuée d'Esclavons, une grande quantité de
canons, et plus de cent cinquante mille fusils furent envoyés dans la
terre-ferme; des commissaires extraordinaires, avec de l'argent, furent
envoyés de tous côtés pour enrégimenter les paysans. Cependant M.
Pezaro, sage grand, me fut envoyé à Goritzia, afin de chercher à me
donner le change sur tous ces armemens. J'avais des raisons de me méfier
de leur atroce politique, que j'avais assez appris à connaître; je
déclarai que si cet armement n'avait pour but que de faire rentrer des
villes dans l'ordre, il pouvait cesser, parce que je me chargeais de
faire rentrer les villes dans l'ordre, moyennant qu'ils me demanderaient
la médiation de la république: il me promit tout, et ne tint rien.
Il resta à Goritzia et à Udine assez de temps pour être persuadé par
lui-même que j'étais passé en Allemagne, et que les marches rapides que
je faisais tous les jours donneraient le temps d'exécuter les projets
qu'on avait en vue.

Le 30 germinal, des corps de troupes vénitiennes considérables,
augmentés par une grande quantité de paysans, interceptèrent les
communications de Verone à Porto-Legnago. Plusieurs de mes courriers
furent sur-le-champ égorgés et les dépêches portées à Venise. Plus
de deux mille hommes furent arrêtés dans différentes villes de la
terre-ferme et précipités sous les plombs de Saint-Marc: c'étaient tous
ceux que la farouche jalousie des inquisiteurs soupçonnait de nous être
favorables. Ils défendirent à Venise que le canal où ils ont coutume de
noyer les criminels fût nettoyé. Eh! qui peut calculer le nombre des
Vénitiens que ces monstres ont sacrifiés?

Cependant, au premier vent que j'eus de ce qui se tramait, j'en sentis
la conséquence; je donnai au général Kilmaine le commandement de toute
l'Italie. J'ordonnai au général Victor de se porter avec sa division, à
marches forcées, dans le pays vénitien. Les divisions du Tyrol s'étant
portées sur l'armée active, cette partie devenait plus découverte;
j'y envoyai sur-le-champ le général Baraguey d'Hilliers. Cependant le
général Kilmaine réunit des colonnes mobiles de Polonais, de Lombards et
de Français qu'il avait à ses ordres, et qu'il avait remis sous ceux des
généraux Chabran et Lahoz. À Padoue, à Vicence et sur toute la route,
les Français étaient impitoyablement assassinés. J'ai plus de cent
procès-verbaux, qui tous démontrent la scélératesse du gouvernement
vénitien.

J'ai envoyé à Venise mon aide-de-camp Junot, et j'ai écrit au sénat la
lettre dont je vous ai envoyé copie.

Pendant ce temps, ils étaient parvenus à rassembler à Verone quarante
mille Esclavons, paysans, ou compagnies de citadins, qu'ils avaient
armés, et au signal de plusieurs coups de la grosse cloche de Verone et
de sifflets, on court sur tous les Français, qu'on assassine: les uns
furent jetés dans l'Adige; les autres, blessés et tout sanglans, se
sauvèrent dans les forteresses, que j'avais depuis long-temps eu soin de
réparer et de munir d'une nombreuse artillerie.

Je vous envoie le rapport du général Balland; vous y verrez que les
soldats de l'armée d'Italie, toujours dignes d'eux, se sont, dans cette
circonstance comme dans toutes les autres, couverts de gloire. Enfin,
après six jours de siège, ils furent dégagés par les mesures que prit
le général Kilmaine après les combats de Dezenzano, de Valeggio et de
Verone. Nous avons fait trois mille cinq cents prisonniers et avons
enlevé tous leurs canons. À Venise, pendant ce temps, on assassinait
Laugier, on maltraitait tous les Français, et on les obligeait à quitter
la ville. Tant d'outrages, tant d'assassinats ne resteront pas impunis:
mais c'est à vous surtout et au corps législatif qu'il appartient de
venger le nom français d'une manière éclatante. Après une trahison aussi
horrible, je ne vois plus d'autre parti que celui d'effacer le nom
vénitien de dessus la surface du globe. Il faut le sang de tous les
nobles vénitiens pour apaiser les mânes des Français qu'ils ont fait
égorger.

J'ai écrit à des députés que m'a envoyés le sénat la lettre que je vous
fais passer; j'ai écrit au citoyen Lallemant la lettre que je vous
envoie également. Dès l'instant où je serai arrivé à Trévise,
j'empêcherai qu'aucun Vénitien ne vienne en terre-ferme, et je ferai
travailler à des radeaux, afin de pouvoir forcer les lagunes, et chasser
de Venise même ces nobles, nos ennemis irréconciliables et les plus vils
de tous les hommes. Je vous écris à la hâte; mais dès l'instant que
j'aurai recueilli tous les matériaux, je ne manquerai pas de vous faire
passer dans le plus grand détail l'histoire de ces conspirations aussi
perfides que les Vêpres siciliennes.

L'évêque de Verone a prêché, la Semaine Sainte et le jour de Pâques,
que c'était une chose méritoire et agréable à Dieu, que de tuer les
Français. Si je l'attrape, je le punirai exemplairement.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Il y a eu des troubles dans la division de la Corse, occasionnés par
l'insurrection de la gendarmerie, qui n'était pas payée.

Ce défaut de fonds est produit par la dilapidation qui a été faite des
fonds envoyés. Depuis que la Corse est restituée à la France, nous y
avons fait passer 700,000 fr., outre une grande quantité de blé et
d'autres approvisionnemens.

Je vous envoie les lettres que j'ai écrites au général Gentili et à
l'ordonnateur en chef. Je crois que l'on doit tenir à faire un exemple
sur le commissaire des guerres et le commissaire faisant les fonctions
de payeur, qui devaient, avant tout, solder la troupe.

Le général Vaubois et le général Lafont, qui y vont commander, mettront,
j'espère, plus d'économie, et j'engage l'ordonnateur en chef à y faire
passer promptement un autre commissaire. La dix-neuvième demi-brigade,
forte de douze cents hommes, et qui était à Livourne, va s'embarquer
pour se rendre en Corse.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).

_Au général Gentili._

Je ne puis vous dissimuler mon mécontentement sur le mauvais emploi des
sommes qui ont été envoyées en Corse pour le service de la division.
Plus de la moitié a été dilapidée ou dépensée à des choses inutiles,
tandis que tout devait être uniquement consacré au service de la force
armée.

1°. Il est inutile que vous envoyiez des adjoints à Paris.

2°. Les commissaires du gouvernement ne devaient pas être payés sur les
fonds des soldats.

3°. Vous n'aviez pas le droit de faire donner 1000 francs à
l'adjudant-général Franceschi.

4°. Vous ne deviez rien faire donner aux officiers isolés, à qui, il y a
trois mois, j'avais ordonné de rejoindre.

De plus grands abus ont eu lieu encore dans la distribution de 4 à
500,000 fr. que vous avez précédemment reçus: aucun article ne sera
porté au compte à l'ordonnateur et au payeur, ils s'arrangeront ensemble
pour les faire rembourser à la république.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).

_Au commissaire ordonnateur en chef._

Des troubles sont nés en Corse par le défaut d'argent, cela pourrait
même devenir extrêmement sérieux; il est donc indispensable que vous
fassiez passer le plus promptement possible 100,000 fr. à Ajaccio,
uniquement destinés pour payer la gendarmerie de ces deux départemens.
Il est aussi nécessaire que vous vous fassiez rendre un compte exact
de l'emploi des sommes que vous y avez envoyées; que vous rappeliez
sur-le-champ l'ordonnateur, et que vous y envoyiez un homme probe et
intelligent, que vous rendrez responsable de l'emploi des fonds.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).

_À M. l'évêque de Côme._

J'ai reçu, monsieur l'évêque, la lettre que vous vous êtes donné la
peine de m'écrire, avec les deux imprimés; j'ai vu avec déplaisir la
devise qu'un zèle malentendu de patriotisme a fait mettre au-dessus d'un
de vos imprimés. Les ministres de la religion ne doivent, comme vous
l'observez fort bien, jamais s'émanciper dans les affaires civiles;
ils doivent porter la teinte de leur caractère, qui, selon l'esprit de
l'Évangile, doit être pacifique, tolérant et conciliant. Vous pouvez
être persuadé qu'en continuant à professer ces principes, la république
française ne souffrira pas qu'il soit porté aucun trouble au culte de la
religion et à la paix de ses ministres.

Jetez de l'eau et jamais de l'huile sur les passions des hommes;
dissipez les préjugés et combattez avec ardeur les faux prêtres, qui
ont dégradé la religion en en faisant l'instrument de l'ambition des
puissans et des rois. La morale de l'Évangile est celle de l'égalité, et
dès-lors elle est la plus favorable au gouvernement républicain, que va
désormais avoir votre patrie.

Je vous prie, monsieur l'évêque, de croire aux sentimens, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous donnerez ordre, citoyen général, que tous les soldats vénitiens qui
ont été faits prisonniers soient transférés en France, et que tous
les officiers soient mis; savoir, les généraux, colonels,
lieutenans-colonels et capitaines au château de Milan, et les lieutenans
et sous-lieutenans, cadets, etc., au château de Pavie.

Vous chargerez un officier supérieur de les interroger; ils doivent être
considérés comme assassins, et non comme avoués par leur prince. Vous me
rendrez compte de leur interrogatoire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 floréal en 5 (6 mai 1797).

Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, arrête:

ART. 1er. La ville de Verone paiera une imposition de cent vingt mille
sequins, qui sera affectée aux dépenses de l'armée.

2. Elle paiera, en outre, une contribution de cinquante mille sequins,
qui sera distribuée entre tous les soldats et officiers qui se sont
trouvés assiégés dans les châteaux, et ceux qui formaient la colonne
mobile qui s'est emparée de la ville.

3. Tous les effets qui sont au mont-de-piété et qui ont une valeur
moindre de 50 fr. seront rendus au peuple. Tous les effets d'une valeur
supérieure seront séquestrés au profit de la république.

4. Verone n'étant point la route de l'armée, ni le séjour d'aucun dépôt,
il est expressément défendu de rien payer sous prétexte d'effets perdus,
soit aux administrateurs, soit aux militaires; il ne sera admis, soit
dans la comptabilité en argent, soit dans celle en matières, aucun
déficit justifié par des pertes faites à Verone.

5. Le commissaire ordonnateur en chef fera dresser un état des pertes
qui auront été faites par les personnes formant la garnison des forts
qui se trouvaient aux hôpitaux, et il sera frappé une troisième
contribution sur la seule ville et territoire de Verone, du montant de
ladite indemnité.

6. Tous les chevaux de voiture et de selle qui se trouveront à Verone
seront affectés aux charrois d'artillerie ou à la cavalerie.

7. La ville de Verone fournira, dans le plus court délai, des cuirs pour
faire quarante mille paires de souliers et deux mille paires de bottes;
du drap pour faire douze mille paires de culottes, douze mille vestes et
quatre mille habits; des toiles pour faire douze mille chemises et douze
mille paires de guêtres; douze mille chapeaux et douze mille paires de
bas; une partie desdits effets sera destinée pour l'habillement de la
division du général Joubert.

8. Toute l'argenterie existante dans les églises ou autres bâtimens
publics, ainsi que tout ce qui appartiendrait au gouvernement, sera
confisqué au profit de la république.

9. Il sera réuni sur-le-champ une commission militaire qui,
quarante-huit heures après la réception du présent ordre, déclarera
ennemis de l'humanité et assassins les cinquante principaux coupables
auteurs de l'assassinat qui a eu lieu le jour de la seconde fête de
Pâques; lesdits coupables seront arrêtés et envoyés garottés à Toulon
pour être de là transférés à la Guiane: si cependant parmi ces cinquante
il s'en trouvait de nobles Vénitiens, ou de ceux qui furent arrêtés il
y a plusieurs mois, envoyés à Venise comme coupables de conspiration
contre la république française, et qui depuis ont été relâchés, ils
seront condamnés à être fusillés; les séquestres seront mis sur-le-champ
sur tous les biens, meubles et immeubles desdits condamnés, et leurs
biens fonds seront confisqués et affectés à faire rebâtir les maisons du
peuple qui ont été brûlées pendant le siège, et à indemniser les autres
personnes de la ville qui se trouveraient avoir perdu.

10. On fera un désarmement général dans tout le Véronais, et quiconque
sera trouvé avoir désobéi à l'ordre du désarmement, sera condamné à être
envoyé pour six ans de fers à Toulon.

11. Tous les tableaux, collections de plantes, de coquillages, etc.,
qui appartiendraient, soit à la ville, soit aux particuliers, seront
confisqués au profit de la république; les particuliers qui seront dans
le cas d'être indemnisés, le seront sur les biens des condamnés.

12. Le général chef de l'état-major, le général divisionnaire Augereau,
et le commissaire ordonnateur en chef prendront toutes les mesures pour
l'exécution du présent ordre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 19 floréal an 5 (8 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, la ratification du grand-duc
de Toscane, que j'ai oublié de vous envoyer. Les Anglais ayant évacué
Porto-Ferrajo, j'ordonne que l'on évacue également Livourne.

BONAPARTE.

_P. S._ Je vous fais tenir également une note explicative, remise par
les plénipotentiaires de l'empereur.



Au quartier-général à Milan, le 19 floréal an 5 (8 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je suis parti, le 12 floréal, de Palma-Nova, et je me suis rendu à
Mestre. J'ai fait occuper par les divisions des généraux Victor et
Baraguay d'Hilliers toutes les extrémités des lagunes. Je ne suis
éloigné actuellement que d'une petite lieue de Venise, et je fais les
préparatifs pour pouvoir y entrer de force, si les choses ne s'arrangent
pas. J'ai chassé de la terre-ferme tous les Vénitiens, et nous en sommes
en ce moment exclusivement les maîtres. Le peuple montre une grande joie
d'être délivré de l'aristocratie vénitienne: il n'existe plus de Lion de
Saint-Marc.

Comme j'étais sur les bords des lagunes, sont arrivés trois députés du
grand conseil, qui me croyaient encore en Allemagne et qui venaient avec
des pleins pouvoirs du même conseil, pour finir tous les différens. Ils
m'ont remis la note que je vous envoie. En conséquence, je leur ai fait
répondre par le général Berthier la lettre que je vous fais tenir; je
viens de recevoir une nouvelle députation, qui m'a remis la note que je
vous envoie.

Les inquisiteurs sont arrêtés; le commandant du fort de Lido, qui a tué
Laugier, est arrêté; tout le corps du gouvernement a été destitué par le
grand conseil; et celui-ci lui-même a déclaré qu'il allait abdiquer sa
souveraineté et établir la forme du gouvernement qui me paraîtrait la
plus convenable. Je compte d'après cela y faire établir une démocratie,
et même faire entrer dans Venise trois ou quatre mille hommes de
troupes. Je crois qu'il devient indispensable que vous renvoyiez M.
Quirini.

Depuis que j'ai appris le passage du Rhin par Hoche et Moreau, je
regrette bien qu'il n'ait pas eu lieu quinze jours plus tôt, on que du
moins Moreau n'ait pas dit qu'il était dans le cas de l'effectuer. Notre
position militaire est tout aussi bonne aujourd'hui qu'il y a quinze
jours; j'occupe encore Clagenfurth, Goritzia et Trieste. Tous les
paysans vénitiens sont désarmés; dans toutes les villes, ceux qui nous
étaient opposés sont arrêtés; nos amis sont partout en place, et toute
la terre-ferme est municipalisée. On travaille tous les jours sans
relâche aux fortifications de Palma-Nova.

Je vous prie de désigner le Frioul pour le lieu où les Autrichiens
doivent nous faire passer les prisonniers français. Nous ne leur en
restituerons qu'à mesure qu'ils nous restitueront les nôtres.

Le choix des membres qui composent le directoire de la Cisalpine est
assez mauvais; il s'est fait pendant mon absence, et a été absolument
influencé par les prêtres; mais comme Modène et Bologne ne doivent
faire qu'une seule république avec Milan, je suspens l'activité du
gouvernement, et je fais rédiger ici par quatre comités différens toutes
les lois militaires, civiles, financières et administratives qui doivent
accompagner la constitution. Je ferai, pour la première fois, tous les
choix, et j'espère que d'ici à vingt jours toute la nouvelle république
italienne sera parfaitement organisée et pourra marcher toute seule.

Mon premier acte a été de rappeler tous les hommes qui s'étaient
éloignés, craignant les suites de la guerre. J'ai engagé
l'administration à concilier tous les citoyens et à détruire toute
espèce de haine qui pourrait exister. Je refroidis les têtes chaudes et
j'échauffe les froides. J'espère que le bien inestimable de la liberté
donnera à ce peuple une énergie nouvelle et le mettra dans le cas
d'aider puissamment la république française dans les guerres futures que
nous pourrions avoir.

BONAPARTE.



Milan, le 20 floréal an 5 (9 mai 1797).

Le général en chef voit avec indignation les vols que commettent
plusieurs agens français, qui, sous différens prétextes, s'introduisent
dans les monts-de-piété des villes vénitiennes, y mettent les scellés
pour y voler tout ce qui est à leur convenance.

En conséquence, il ordonne:

1°. Aux généraux de division de faire lever tous les scellés des
monts-de-piété et de les restituer à leurs administrateurs, et, en
attendant, qu'il ne soit porté aucun changement auxdites administrations
(hormis celui de la ville de Verone).

2°. De faire vérifier par les administrateurs et les membres des
municipalités ce qui manque aux monts-de-piété et autres établissemens
publics, depuis l'apposition des scellés, et de faire arrêter
sur-le-champ les agens ou commissaires qui auraient mis les scellés ou
qui seraient coupables de dilapidations, et de les faire traduire devant
le conseil militaire de sa division.

3°. Les municipalités de la terre-ferme vénitienne enverront
sur-le-champ au général en chef une note de tout ce qui aurait été pris
et qui serait à leur connaissance.

4°. La propriété des villes et des habitans de la terre-ferme vénitienne
est sous la responsabilité des généraux de division qui y commandent:
ils prendront toutes les mesures possibles pour faire arrêter les
coupables, réprimer les abus, et garantir ce pays des ravages de cette
nuée de voleurs qui semble s'y être donné rendez-vous.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 floréal an 5 (9 mai 1797).

_Au général chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, conformément au traité d'alliance
qui existe entre la république française et sa majesté le roi de
Sardaigne, ordonner que tous les déserteurs des troupes sardes soient
sur-le-champ rendus, et défendre aux différens chefs de corps, soit
français, soit milanais, de recevoir aucun déserteur sarde.

Vous voudrez bien donner l'ordre aux commandans de la Lombardie pour
qu'ils prennent les mesures afin qu'il existe une sévère discipline sur
les frontières du Piémont, et s'opposent à tout ce qui pourrait troubler
la tranquillité des états du roi de Sardaigne.

Vous voudrez bien également ordonner au commandant de Tortone de faire
tout ce qui dépendra de lui pour maintenir la tranquillité dans les
états du roi de Sardaigne, s'opposer à la contrebande du blé et des
bestiaux, et enfin avoir pour sa majesté le roi de Sardaigne les
sentimens que notre position actuelle doit lui assurer.

Vous le préviendrez également que l'évêque de Tortone va prendre
possession de son évêché, et qu'il ait pour lui tous les égards qui sont
dus à son caractère.

Vous voudrez bien ordonner au général Casabianca de faire ôter l'arbre
de la liberté de la ville de Ceva, et de faire tout son possible pour
maintenir le bon ordre dans les états de sa majesté le roi de Sardaigne.

Vous donnerez les ordres pour que les nommés Viniatteri, Rozetti et
Strovengo, chefs de la conspiration qui a eu lieu pour assassiner le roi
de Sardaigne, soient arrêtés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 24 floréal an 5 (13 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Le dernier courrier que j'ai reçu de vous est du 3 floréal, et je ne
connais pas encore vos intentions relativement aux préliminaires de la
paix: cela ne laisse pas que de m'embarrasser dans la direction à donner
aux différentes affaires actuelles.

Je vous ai rendu compte, par mon dernier courrier, du terme où en était
la négociation de Venise. Les négociateurs et le citoyen Lallemant sont
ici; mais, pendant ce temps-là, les affaires marchent à grands pas dans
Venise même, où l'emprisonnement des inquisiteurs et l'effervescence
populaire rendent les propriétés incertaines, sans la présence d'une
force française.

Je vous envoie une lettre du citoyen Villetard, secrétaire de la
légation française à Venise.

J'ai donné ordre au général Baraguay d'Hilliers d'y entrer avec cinq
mille hommes.

J'ai envoyé ordre au citoyen Bourdé, commandant la flottille de
l'Adriatique, de s'y rendre également.

Vous ordonnerez au général Lahoz d'éloigner de Milan les citoyens
Lerese, Anisette et Barnabitte, et de les employer hors de cette ville,
les engageant à ne rien faire qui trouble la tranquillité des états du
roi de Sardaigne.

Il est probable, quoiqu'il ne soit cependant pas sûr, que lorsque vous
lirez cette lettre, vous serez maîtres de Venise et de son arsenal.

La république cispadane paraît vouloir se réunir avec Venise, si cette
ville accepte le gouvernement représentatif, plutôt que de se réunir
avec le Milanez.

La république lombarde serait alors composée des pays compris entre le
Tesin, le Pô, l'Oglio et le Modénais; ce qui ferait deux millions de
population.

La république de Venise démocrate serait composée, 1°. du Trévisan, deux
cent mille habitans; 2°. du Dogodo, cent mille; 3°. de la Polésine, de
Rovigo et d'Adria, quatre-vingt mille; 4° de la ville de Venise, cent
cinquante mille; 5°. des îles du Levant, deux cent mille; 6°. de la
Cispadane, six cent mille; 7°. de la Romagne, trois cent mille: en tout,
un million six cent mille habitans.

Les deux républiques concluraient une alliance offensive et défensive
avec la France contre les Anglais.

Nous trouverons dans l'arsenal de Venise quelques ressources pour
notre marine, et quelques vaisseaux de guerre, s'ils sont d'une bonne
construction.

J'ai fait partir de Trieste pour Toulon six bâtimens chargés de blé et
d'acier.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 floréal an 5 (14 mai 1797).

_Extrait d'une lettre au directoire exécutif._

Je vous envoie une lettre du citoyen Villetard, une autre du général
Baraguay d'Hilliers, et enfin la délibération du grand-conseil, qui a
abdiqué. Je crains fort que cette pauvre ville de Venise ne soit en
partie pillée par les Esclavons, à l'heure où je vous écris.

J'ai envoyé, par un courrier extraordinaire, au doge la proclamation que
je vous fais passer, afin de chercher à y rétablir la tranquillité.

Demain, je conclurai un traité avec les députés vénitiens: j'espère que
cette affaire s'achèvera heureusement, et que, si nous ne sommes pas, à
l'heure qu'il est, dans Venise, nous ne tarderons pas à y être.

La marine pourra y gagner quatre ou cinq vaisseaux de guerre, trois ou
quatre frégates, pour 3 ou 4,000,000 de cordages, de bois et d'autres
objets qui lui sont nécessaires.

J'ai envoyé des courriers a Gênes et à Livourne, pour qu'on me fasse
passer en toute diligence tous les matelots français ou corses qui s'y
trouveraient; je prendrai ceux des lacs de Mantoue et de Garda, et je
diminuerai le nombre de ceux que j'ai sur la flottille.

Je vous prie de m'envoyer en poste un contre-amiral, un major d'escadre,
etc.

J'aurais aussi besoin de quatre ou cinq cents matelots, qui pourraient
se rendre à Gênes, d'où ils viendraient à Tortoue, où ils recevront,
du commandant de la place, les ordres, et trouveront les moyens de
s'embarquer sur le Pô jusqu'à Venise.

J'espère, si tout réussit conformément à mes espérances, avoir:

Quatre bâtimens de guerre, tout équipés et approvisionnés pour six mois;
trois frégates françaises, compris _la Brune_; deux corvettes françaises
et quinze chaloupes canonnières.

Ces vingt-quatre bâtimens seront prêts, j'espère, à mettre à la voile
avant l'arrivée du contre-amiral.

Je trouverai les bâtimens et les frégates vénitiennes prêtes à mettre à
la voile, parce qu'elles viennent de croiser dans l'Archipel.

BONAPARTE.



_Traité de paix entre la république française et la république de
Venise._

Le directoire exécutif de la république française et le grand-conseil de
la république de Venise, voulant rétablir sans délai l'harmonie et la
bonne intelligence qui régnaient ci-devant entre elles, conviennent des
articles suivans:

ART 1. Il y aura paix et amitié entre la république française et la
république de Venise; toutes les hostilités cesseront dès à présent.

2. Le grand-conseil de Venise, ayant à coeur le bien de sa patrie et le
bonheur de ses concitoyens, et voulant que les scènes qui ont eu lieu
contre les Français ne puissent plus se renouveler, renonce à ses droits
de souveraineté; ordonne l'abdication de l'aristocratie héréditaire,
et reconnaît la souveraineté de l'état dans la réunion de tous les
citoyens, sous la condition cependant que le gouvernement garantira la
dette publique nationale, l'entretien des pauvres gentilshommes qui ne
possèdent aucun bien fonds, et les pensions viagères accordées sous le
titre de provisions.

3. La république française, sur la demande qui lui en a été faite,
voulant contribuer, autant qu'il est en elle, à la tranquillité de la
ville de Venise et au bonheur de ses habitans accorde une division de
troupes françaises pour y maintenir l'ordre et la sûreté des personnes
et des propriétés, et seconder les premiers pas du gouvernement dans
toutes les parties de son administration.

4. La station des troupes françaises à Venise n'ayant pour but que la
protection des citoyens, elles se retireront aussitôt que le nouveau
gouvernement sera établi, ou qu'il déclarera n'avoir plus besoin de
leur assistance. Les autres divisions de l'armée française évacueront
également toutes les parties du territoire vénitien qu'elles occuperont
dans la terre ferme, lors de la conclusion de la paix continentale.

5. Le premier soin du gouvernement provisoire sera de faire terminer
le procès des inquisiteurs et du commandant du fort de Lido, prévenus
d'être les auteurs et instigateurs des Pâques vénitiennes et de
l'assassinat commis dans le port de Venise; il désavouera d'ailleurs ces
faits de la manière la plus convenable et la plus satisfaisante pour le
gouvernement français.

6. Le directoire exécutif, de son côté, par l'organe du général en chef
de l'armée, accorde pardon et amnistie générale pour tous les autres
Vénitiens qui seraient accusés d'avoir pris part à toute conspiration
contre l'armée française; et tous les prisonniers seront mis en liberté
après la ratification.

Ainsi a été arrêté et convenu, savoir: au nom de la république
française, par les citoyens Bonaparte, général en chef de l'armée
d'Italie; et Lallemant, ministre plénipotentiaire de la république
française près celle de Venise; et, au nom du grand conseil vénitien,
par MM. François Dona, Léonard Justiani et Louis Moncenigo, députés
munis de pleins pouvoirs, dont l'original est annexé aux présentes,
lesquelles devront être ratifiées par les hautes puissances
contractantes, dans le plus court délai possible, pour sortir leur
entière exécution.

Fait à Milan, le 27 floréal an 5 de la république française (16 mai
1797).

_Signé_ BONAPARTE, etc.



_Articles secrets faisant suite et partie du traité de paix conclu
cejourd'hui 27 floréal an 5 de la république française (16 mai 1797),
entre la république française et telle de Venise._

ART Ier. La république française et la république de Venise s'entendront
entre elles pour l'échange des différens territoires.

2. La république de Venise versera dans la caisse du payeur de l'armée
d'Italie trois millions tournois en numéraire; savoir, un million
dans le mois de prairial prochain, un second million dans le mois de
messidor, et le troisième million lorsque le gouvernement provisoire
sera entièrement organisé.

3. La république de Venise fournira pour la valeur de trois autres
millions tournois en chanvres, cordages, agrès et autres objets
nécessaires à la marine, sur la réquisition des commissaires qui seront
nommés par le général en chef de l'armée, et en tant que ces objets
existeront réellement dans les magasins ou dépôts de l'arsenal.

4. La république de Venise fournira en outre trois vaisseaux de ligne et
deux frégates en bon état, armés et équipés de tout le nécessaire, sans
comprendre l'équipage, et au choix du général en chef, qui, de son côté,
promet au gouvernement vénitien la médiation de la république française
pour terminer promptement les différens survenus entre celle de Venise
et la régence d'Alger.

5. La république de Venise remettra enfin aux commissaires à ce destinés
vingt tableaux et cinq cents manuscrits au choix du général en chef.

Les cinq articles ci-dessus, quoique convenus et transcrits séparément,
sont néanmoins essentiellement inhérens au traité ostensible conclu
cejourd'hui entre les deux républiques, et n'en sont de fait que la
continuation: en sorte que la non exécution d'un seul desdits articles
secrets rendrait le traité en entier nul et non stipulé.

Ainsi a été arrêté et convenu; savoir, au nom de la république
française, par le citoyen Bonaparte, général en chef de l'armée
d'Italie, et par le citoyen Lallemant, ministre plénipotentiaire de
la république française près celle de Venise, et au nom du directoire
exécutif.

Et au nom du grand conseil vénitien, par MM. François Dona, Léonard
Justiniani et Louis Moncenigo, députés munis de pleins pouvoirs, dont
l'original est annexé au traité ostensible de ce jour.

Fait et signé à Milan, le 27 floréal an 5 de la république française (16
mai 1797).

_Signé_ BONAPARTE, etc.



Milan, le 25 floréal an 5 (14 mai 1797).

_Aux citoyens de Venise._

Les citoyens de la ville de Venise sont sous la protection de la
république française: en conséquence, je déclare que je traiterai en
ennemi de la république française tout homme qui porterait la moindre
atteinte aux personnes et aux propriétés des habitans de Venise.

Si, vingt-quatre heures après la publication du présent ordre, les
Esclavons n'ont pas, conformément à l'ordre qui leur a été donné par les
magistrats de Venise, quitté cette ville pour se rendre en Dalmatie, les
officiers et les aumôniers des différentes compagnies d'Esclavons
seront arrêtés, traités comme rebelles, et leurs biens, en Dalmatie,
confisqués. Le général en chef fera, à cet effet, marcher une division
de l'armée en Dalmatie, et ils seront la cause de ce que la guerre et
ses horreurs seront transplantés au milieu de leurs foyers.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 floréal an 5. (14 mai 1797).

_Au directoire exécutif[14]._

[Footnote 14: Cette lettre, relatée déjà en partie par extrait, se
trouve complète ici.]

J'organise la république cisalpine: j'ai à cet effet quatre comités qui
travaillent sans relâche à la confection des lois organiques qui doivent
accompagner la publication de la constitution.

Le citoyen Serbelloni, par la réputation dont il jouit dans ce pays-ci,
et par l'ascendant que donne la fortune, est propre à remplir avec
succès une place de membre du directoire exécutif; il est d'ailleurs
tellement compromis avec les Autrichiens, que c'est une des personnes de
l'opinion de laquelle nous devons être les plus sûrs: je l'ai donc fait
prévenir par l'administration de la Lombardie qu'il était nommé à la
place de directeur; je vous prie de faire en sorte qu'il parte de suite
pour Milan.

Je vous envoie une lettre du citoyen Villetard, une autre du général
Baraguay d'Hilliers, et enfin la délibération du grand conseil, qui a
abdiqué; je crains fort que cette pauvre ville de Venise ne soit en
partie pillée par les Esclavons à l'heure où je vous écris.

J'ai envoyé, par un courrier extraordinaire, au doge la proclamation que
je vous fais passer, afin de chercher à y rétablir la tranquillité.

Demain, je conclurai un traité avec les députés vénitiens; j'espère que
cette affaire s'achèvera heureusement, et que si nous ne sommes pas à
l'heure qu'il est dans Venise, nous ne tarderons pas à y être.

La marine pourra y gagner quatre ou cinq vaisseaux de guerre, trois ou
quatre frégates, pour trois ou quatre millions de cordages, de bois et
d'autres objets nécessaires à la marine.

J'ai envoyé des courriers à Gênes et à Livourne, pour qu'on me fasse
passer en toute diligence tous les matelots français ou corses qui s'y
trouveraient; je prendrai ceux des lacs de Mantoue et de Garda, et je
diminuerai le nombre de ceux que j'ai sur la flottille.

Je vous prie de m'envoyer en poste un contre-amiral, un major d'escadre,
etc.

J'aurais aussi besoin de quatre ou cinq cents matelots, qui pourraient
se rendre à Gênes, d'où ils viendraient à Tortone, où ils recevront,
du commandant de la place, les ordres et trouveront les moyens de
s'embarquer sur le Pô jusqu'à Venise.

J'espère, si tout réussit conformément à mes espérances, avoir quatre
bâtimens de guerre tout équipés et approvisionnés pour six mois; trois
frégates françaises, compris _la Brune_; deux corvettes françaises et
quinze chaloupes canonnières.

Ces vingt-quatre bâtimens seront prêts, j'espère, à mettre à la voile
avant l'arrivée du contre-amiral.

Je trouverai les bâtimens et frégates prêtes à mettre à la voile, parce
qu'elles viennent de croiser dans l'Archipel.

Le million pour Toulon, que je vous ai annoncé, part demain; un autre
million, dont cinq cent mille francs en or et autant en argent, part
après demain 27 pour Paris; il pourra servir à vivifier notre marine à
Brest.

Les deux millions que le ministre des finances a tirés sur le citoyen
André, négociant, seront acquittés en marchandises ou en terres; ce qui,
joint à un million pour l'armée de Sambre-et-Meuse, autant pour celle du
Rhin, et cinq cent mille francs pour celle des Alpes, cinq cent mille
francs que nous coûte la Corse, formera la somme de cinq millions que
l'armée d'Italie aura fournis depuis la nouvelle campagne.

Vingt-cinq mille quintaux de blé, et pour cent mille francs de chanvre
avec de l'acier, sont partis de Trieste pour Toulon.

Le pape nous a donné huit millions de diamans, qui, à l'évaluation de
Modène, ne valent pas davantage que quatre millions cinq cent mille
francs.

Le service de l'armée est assuré pour prairial, messidor, thermidor et
fructidor.

Treize ou quatorze millions d'arriéré, que nous avions à l'armée, vont
être payés en biens nationaux du pays.

Les objets de Rome se réunissent tous à Livourne: il serait urgent
que le ministre de la marine envoyât le prendre par trois ou quatre
frégates, afin de les mettre à l'abri de tous risques.

Une soixantaine de citoyens de différentes villes du midi se sont
présentés à moi pour avoir des secours; je les ai distribués dans toute
l'Italie pour y être employés chacun son métier. Le chef de l'état-major
enverra au ministre de la police générale les noms, âge, demeure,
profession de ces citoyens.

J'ai chargé Comeyras de se rendre à Sion, peur chercher à ouvrir une
négociation avec le Valais, afin de conclure un traité au nom de la
France et de la république cisalpine, qui nous accorde le passage depuis
le lac de Genève au lac Majeur, en suivant la vallée du Rhône. J'ai
envoyé un excellent ingénieur des ponts et chaussées pour savoir ce que
coûterait cette route à établir: elle irait de Versois à Bouveret par le
lac, quinze lieues; de Bouveret à Sion, dix lieues; de Sion à Brigge,
huit lieues; de Brigge à Dossola, huit lieues; de Dossola au lac Majeur,
huit lieues; du lac Majeur à Milan, douze lieues: ce qui ferait soixante
et une lieues de Versois à Milan, ou cent soixante de Milan à Paris: sur
ces soixante et une lieues, les quinze du lac et les vingt de Dossola
à Milan, c'est-à-dire trente-cinq, sont en grande route; il reste donc
vingt-six lieues à faire, dont se chargerait le Milanez.

J'ai chargé le même ingénieur d'aller jusqu'au pont de... et de voir
ce qu'il faudrait pour faire sauter le rocher dans lequel s'enfuit le
Rhône, et par-là rendre possible l'exploitation des bois du Valais et de
la Savoie, bois immenses et qui peuvent seuls relever notre marine.
On m'assure qu'il ne faut pas plus de 2 ou 300,000 fr. pour cette
opération.

La Toscane et les Grisons vont conclure un traité d'alliance avec la
nouvelle république cisalpine: il faudrait obtenir des Suisses les
bailliages italiens, qui n'ont qu'une population de quarante mille âmes;
nous pourrions leur donner le Freythal, et, s'il était nécessaire, la
nouvelle république s'obligerait à fournir tous les ans une certaine
quantité de riz et de blé.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 floréal an 5 (14 mai 1797).

_À M. le général-major comte de Meerveldt, ministre de S. M.
l'empereur._

J'ai l'honneur de vous prévenir, Monsieur le général, que je viens de
recevoir à l'instant du directoire exécutif de la république française
la ratification des préliminaires que nous avons signés à Léoben.

Je me rendrai dans la ville que vous voudrez bien indiquer, afin de
procéder aux échanges.

Je vous prie de faire passer le courrier que vous m'enverrez, par
Trévise, où il s'adressera au général Gauthier, qui lui indiquera
l'endroit où je pourrai me trouver.

J'ai également l'honneur de vous faire part, comme j'ai eu l'honneur
d'en prévenir M. le marquis de Gallo par l'envoi de mon aide-de-camp,
que le directoire exécutif de la république française a bien voulu munir
de ses pleins pouvoirs pour traiter de la paix définitive, le général
Clarke et moi; je vous prie de le faire connaître à S. M. l'empereur,
afin que les plénipotentiaires qu'elle voudra envoyer se réunissent le
plus promptement possible dans la ville de Brescia, comme nous en étions
convenus, ou dans toute autre qui paraîtra plus convenable.

Je vous prie de vouloir bien donner des ordres pour qu'à Trieste on se
hâte de payer le reste de la contribution, afin de me mettre dans le
cas, comme nous en étions convenus, de l'évacuer.

L'évacuation de Clagenfurth a souffert quelque retard par celui qu'a mis
l'administration de cette ville à fournir les chariots nécessaires au
transport des effets militaires.

Je vous prie de donner aussi des ordres à cet égard, et de croire aux
sentimens d'estime et de considération avec lesquels, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 26 floréal an 5 (15 mai 1797).

_Au citoyen Faypoult, ministre de la république française, à Gênes._

Je réponds à votre lettre du 21 floréal, citoyen ministre. Je pense,
comme vous, que la chute entière de Venise amène celle de l'aristocratie
de Gênes; mais il faut pour cela encore quinze jours pour que les
affaires de Venise soient bien complètement terminées.

Il est hors de doute qu'il faut laisser Gênes république indépendante;
mais il n'est pas moins vrai qu'en réunissant à Gênes tous les fiefs
impériaux, il faudrait chercher à avoir le golfe de la Spezzia pour la
nouvelle république. Cette seconde pensée s'exécuterait naturellement
lorsque le gouvernement aristocratique serait dissous, et le corps de
l'état en fusion: alors nous serions toujours sûrs d'avoir avec nous
Gênes ou la Spezzia.

Je vous salue et vous prie de m'écrire un peu plus souvent relativement
à l'idée que vous avez:

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 30 floréal an 5 (19 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai envoyé le traité que j'ai conclu avec Venise, en conséquence
duquel cinq à six mille hommes sous les ordres du général Baraguay
d'Hilliers ont dû prendre, le 27, possession de la ville. J'ai eu
plusieurs buts en concluant ce traité.

1°. D'entrer dans la ville sans difficultés: avoir l'arsenal et tout
en notre possession, et pouvoir en tirer ce qui nous convient, sous le
prétexte de l'exécution des articles secrets.

2°. De nous trouver à même, si le traité de paix avec l'empereur ne
s'exécutait pas, de rallier à nous et de faire tourner à notre avantage
tous les efforts du territoire vénitien.

3°. De ne pas attirer sur nous l'espèce d'odieux de la violation des
préliminaires relatifs au territoire vénitien, et en même temps de
donner des prétextes et de faciliter leur exécution.

4°. Et enfin de calmer tout ce qu'on pourrait dire en Europe, puisqu'il
est constaté que notre garnison de Venise n'est qu'une opération
momentanée, et un acte de protection sollicité par Venise même.

Le pape est très-malade et a quatre-vingt-trois ans. Sur la première
nouvelle que j'en ai eue, j'ai fait réunir tous mes Polonais à Bologne,
d'où je les pousserai jusqu'à Ancône. Quelle conduite dois-je tenir si
le pape meurt?

Gênes demande à grands cris la démocratie, le sénat m'envoie des députés
pour sonder là-dessus mes intentions. Il est très possible qu'avant dix
ou douze jours l'aristocratie de Gênes subisse le même sort que celle de
Venise.

Il y aurait alors en Italie trois républiques démocratiques, qui, pour
le moment, ne pourraient être que difficilement réunies, vu les coupures
qu'y produisent les états intermédiaires de Parme et de l'empereur, et
vu d'ailleurs l'enfance dans laquelle sont encore les Italiens; mais, et
la liberté de la presse, et les événemens futurs ne manqueront pas de
réunir ces trois républiques en une seule.

1°. La république cisalpine comprenant la Lombardie, le Bergamasque, le
Crémasque, le Modénois, Massa-Carara, la Graffiniana, le golfe de
la Spezzia, forme une population de dix-huit à dix-neuf cent mille
habitans.

2°. La république cispadane, comprenant le Bolonais, le Ferrarois,
la Romagne, Venise, Rovigo, et une partie du Trévisan et les îles
de l'Archipel, forme une population de seize à dix-huit cent mille
habitans.

3°. La république ligurienne, comprenant les fiefs impériaux, Gênes et
les états de Gênes, hormis le golfe de la Spezzia.

Les états du duc de Parme et ceux du roi de Sardaigne ne tarderont pas à
s'insurger; je fais cependant ce qui est possible pour soutenir le duc
de Parme et le roi de Sardaigne.

La république cisalpine et cispadane se réuniront difficilement, de
sorte que si l'empereur s'arrange à laisser la Marche trévisane et
la Polésine de Rovigo, il sera possible de laisser Venise avec la
république cispadane.

Si, au contraire, il ne voulait pas, l'on réunirait ces deux républiques
en une, parce qu'alors il est bien prouvé que la république cispadane ne
serait pas assez forte pour maintenir la ville de Venise, comme ville de
province.

En attendant, je laisse subsister la Cispadane organisée séparément,
puisque sa réunion avec la Lombardie mécontenterait beaucoup de monde,
et pourrait être regardée par l'empereur comme une violation des
préliminaires, et que d'ailleurs la capitale à Bologne nous permettra
d'avoir une grande influence sur toutes les affaires de Rome.

Je vous envoie donc l'ordre que je donne aujourd'hui pour la réunion
de la Romagne à la république cispadane. Je profiterai de cette
circonstance pour leur faire renommer un autre directoire, celui qu'ils
ont nommé étant assez mal composé.

Quand ensuite la paix définitive avec l'empereur sera faite, je prendrai
des mesures pour réunir ces deux républiques; mais en attendant il faut
que je profile des momens de repos pour organiser parfaitement l'une
et l'autre, afin que si les choses se brouillent avec l'empereur, nous
puissions être sûrs que nos derrières soient tranquilles, et que si
les affaires de Rome viennent à se brouiller par la mort du pape, l'on
puisse partir de là pour faire toutes les opérations qui deviendraient
nécessaires.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 30 floréal an 5 (19 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie, citoyens directeurs, plusieurs lettres relatives à la
conduite des Vénitiens:

1°. Plusieurs lettres du général de division Kilmaine.

2°. Un échantillon des manifestes, et autres lettres anonymes que l'on
fait imprimer dans l'état de Venise pour exciter le peuple contre les
Français.

3°. Plusieurs lettres du général commandant à Verone, et du général
commandant à Mantoue.

4°. Une lettre du citoyen Lallemant.

Vous y verrez que toutes sont extrêmement alarmantes sur les intentions
des Vénitiens, et ont dû m'obliger à prendre un parti.

Je vous envoie également quelques lettres interceptées sur un courrier
de Naples, qui vous donneront quelques renseignemens sur les mouvemens
extraordinaires qui se passaient à Vienne.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 30 floréal an 5 (19 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie, citoyens directeurs, une convention militaire faite avec
un officier de l'état-major du roi de Sardaigne, pour régler différens
objets de police relativement à ses troupes. Je ne vous l'ai pas
envoyée, parce que j'ai attaché fort peu d'importance à cette
transaction, qui n'est qu'une opération purement militaire. Les troupes
sont toujours restées à Novare; elles ne sont jamais sorties des états
du roi, et tout est encore, jusqu'à cette heure, _in statu quo_. Il est
cependant nécessaire de ménager le roi de Sardaigne, afin que si jamais
la négociation traîne en longueur, on puisse se servir de ses troupes
pour donner une inquiétude de plus à l'empereur. Ce roi est au reste
fort peu de chose, et, dès l'instant que Gênes, la France et le Milanez
seront gouvernés par les mêmes principes, il sera très-difficile que ce
trône puisse continuer à subsister; mais il s'écroulera sans nous, et
par le seul poids des événemens et des choses.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 1er prairial an 5 (20 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Le général Baraguay d'Hilliers a pris possession de la ville de Venise,
de tous les forts, de toutes les îles qui en dépendent.

Cette malheureuse ville était en proie à l'anarchie et à la guerre
civile. Les Français y ont été reçus aux acclamations de tout le peuple,
et chacun, depuis l'instant qu'ils sont entrés, tient sa personne et sa
propriété comme sûres.

La confiance que les différens peuples qui ont vu de près l'armée
d'Italie, ont dans sa bonne discipline et l'esprit de justice qui anime
les officiers et les soldats, est un des fruits les plus doux d'une
bonne conduite, qui leur assure un titre plus sûr à la reconnaissance de
l'humanité, que les victoires qu'ils ont remportées.

Je vous fais passer deux proclamations du gouvernement provisoire de
Venise.

Je vous ferai tenir deux lettres du secrétaire de légation à Venise,
qui vous donneront quelques détails sur les derniers événemens qui ont
précédé l'entrée des Français.

Les ministres d'Angleterre, de Russie et M. d'Entraigues s'étaient
sauvés de la ville.

J'attends avec impatience un contre-amiral, des matelots et quelques
capitaines de vaisseaux, pour pouvoir promptement équiper une escadre à
Venise.

J'attends, sous deux ou trois jours, M. de Gallo, pour l'échange des
ratifications.

Je vous prie de ne pas perdre un instant à me donner et à m'envoyer des
instructions sur la conduite à tenir envers Rome; le Pape a une mauvaise
santé, il peut mourir d'un instant à l'autre: il y a d'ailleurs beaucoup
de fermentation à Rome.

Je vous ai déjà rendu compte que l'aristocratie est agonisante à Gênes.

Toutes les marchandises appartenant aux Anglais, aux Russes et aux
Portugais, à Venise, sont confisquées.

Je vous enverrai, par le prochain courrier, un recueil de toutes les
pièces que j'ai fait imprimer, relatives aux affaires de Venise.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Montebello, le 2 prairial an 5 (21 mai 1797).

_Au général Baraguay d'Hilliers._

Le citoyen Haller vous aura remis une lettre, dans laquelle je vous
parlais de la nécessité de ne pas mécontenter le commerce de Venise, et
de ne faire aucune démarche ostensible qui pût servir de prétexte aux
puissances étrangères de réclamer contre vous. Il faut maintenir
la police dans la ville, veiller à la sûreté de vos troupes et des
positions que vous occupez, et ne vous mêler en aucune manière du
gouvernement de la ville. La position actuelle de Venise est extrêmement
critique. Je préfère que le gouvernement provisoire ou le citoyen
Lallemant fassent les démarches ostensibles. Il est extrêmement
nécessaire que vous paraissiez le moins possible. Procurez à la ville
toutes les facilités qui seront en votre pouvoir, soit pour les
subsistances, soit pour ce qui pourrait dépendre de vous; ne laissez
cependant rien sortir, et ne souffrez pas qu'on touche à ce qui est dans
l'arsenal ou dans les magasins d'armes.

Exigez que l'on rappelle le plus promptement possible l'escadre qui
est à Corfou, et faites qu'on envoie les troupes italiennes qui sont
à Venise, pour remplacer les Esclavons dans Corfou et les îles de
l'Adriatique.

BONAPARTE.



NOTE DES PLÉNIPOTENTIAIRES.

_Articles convenus dans la séance du 24 mai 1797 (5 prairial an 5 de la
république française), entre les plénipotentiaires de S. M. l'empereur
et roi, et ceux de la république française._

ART. 1er. Les négociations pour la paix définitive entre S. M.
l'empereur et roi et la république française seront ouvertes demain 15
mai 1797 (6 prairial an 5 de la république française), à Montebello,
entre S. Exc. monsieur le marquis de Gallo, plénipotentiaire de S. M.
l'empereur et roi; les citoyens Bonaparte, général en chef de l'armée
française en Italie, et Clarke, général de division des armées de la
république française, plénipotentiaires de ladite république.

2. Le traité de cette paix définitive devra être conclu et notifié par
S. M. l'empereur et roi et par le directoire exécutif de la république
française, avant l'ouverture des négociations pour la paix de l'empire.
Il sera tenu secret, et ne sera soumis à la ratification du corps
législatif de France qu'au moment dont les deux puissances contractantes
conviendront.

3. Les négociations pour la paix définitive entre l'empire germanique et
la république française auront lieu a Rastadt; elles commenceront le 1er
juillet 1797 (3 messidor an 5 de la république).

3. Aucune puissance étrangère ne sera admise à ces négociations; mais
S. M, l'empereur et roi offrira par un des articles du traité définitif
entre elle et la république française, sa médiation pour la paix à
conclure entre ladite république et les alliés de S. M. impériale et
royale. Cette médiation sera acceptée dans le même article, pour la
république française.

4. Si dans quinze jours le plénipotentiaire de S. M. impériale préfère,
au lieu de la condition stipulée dans les articles précédens, que
les puissances alliées soient appelées au congrès de Rastadt, S. M.
l'empereur et roi et le directoire de la république française se
chargeront, chacun de son côté, d'y inviter leurs alliés respectifs;
et il sera donné des passeports de part et d'autre pour les
plénipotentiaires des alliés invités.

Fait à Montebello, le 24 mai 1797 (5 prairial an 5 de la république
française une et indivisible).

_Signé_ DE GALLO, BONAPARTE, etc.



Au quartier-général à Montebello, le 6 prairial an 5 (25 mai 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, prendre les mesures et donner
les ordres pour la réunion d'une colonne mobile, qui sera sous le
commandement du général de brigade Lasnes, et qui sera composée de la
treizième demi-brigade de ligne, de six pièces d'artillerie, savoir:
deux pièces de 3, deux pièces de 12, deux obusiers et cinq caissons
d'infanterie; un caisson d'outils tranchans, douze cents haches, avec
une compagnie de pionniers.

Vous donnerez les ordres sur-le-champ, par un courrier extraordinaire,
pour faire partir demain de Mantoue la quarante-neuvième demi-brigade.

Vous donnerez l'ordre à la onzième et à la neuvième demi-brigade
d'infanterie légère de se rendre sur-le-champ à Mantoue pour y tenir
garnison.

Le général de brigade Lasnes passera demain la revue, à huit heures du
matin, de la treizième demi-brigade, de la partie de la vingt-deuxième
qui est à Milan, de l'artillerie et des caissons. L'escadron du
vingt-deuxième régiment de chasseurs qui est à Mantoue, et le
neuvième, qui est aussi dans cette ville, auront ordre de se rendre à
Pizzighitone, où ils recevront de nouveaux ordres. Demain, après la
revue, le général Lasnes viendra me rendre compte de la situation dans
laquelle se trouve sa troupe.

Le huitième de dragons recevra l'ordre de se rendre à Milan, et
laissera, en passant, vingt-cinq hommes de ceux qui sont le plus en état
à Mantoue.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 6 prairial an 5 (25 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je profite, citoyens directeurs, du retour d'un courrier, pour vous
faire part de l'ouverture des négociations pour la paix définitive.

Je vous envoie copie des articles que nous avons arrêtés hier; je vous
enverrai, par un courrier extraordinaire que j'expédierai demain matin,
l'échange des ratifications.

Je vous envoie aussi copie d'une lettre que je reçois du citoyen
Faypoult. Il parait que le parti qui se disait patriote s'est
extrêmement mal conduit, et qu'il a, par ses sottises et par son
imprudence, donné gain de cause aux aristocrates.

Si les patriotes avaient voulu être quinze jours tranquilles,
l'aristocratie était perdue, et mourait d'elle-même.

J'attends des renseignemens ultérieurs pour connaître le parti à
prendre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 7 prairial an 5 (26 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, le traité préliminaire et la
ratification de l'empereur. Le plénipotentiaire de l'empereur aurait
désiré que ce traité eût été transcrit sur du parchemin, et que les
sceaux eussent été plus volumineux. Je crois effectivement que la
première observation est juste, et peut-être trouverez-vous utile de
l'appliquer désormais à des transactions dont le souvenir doit se
conserver long-temps.

Je vous envoie l'espèce de protestation qu'il a faite à ce sujet: je
l'ai reçue purement et simplement sans même lui en accuser la réception.

Il paraît qu'en traitant avec le Roi de France, l'empereur ne donnait
point l'initiative: cela est pour ce prince d'une importance singulière;
ses plénipotentiaires allèguent que le roi de Prusse agirait comme agira
la France, et que l'empereur serait dégradé de son rang et déshonoré.

Comme l'empereur met à cela autant d'importance qu'au traité du Rhin, je
vous prie de me marquer l'importance que vous y mettrez vous-mêmes.

Peut-être serait-ce une sottise de notre part d'insister sur une pure
formalité qui nous maintiendrait en Europe au rang où nous étions,
contre des avantages réels.

J'aimerais beaucoup mieux que l'on continuât à agir dans toutes les
transactions comme a agi le roi de France, et ensuite, d'ici à deux
ou trois ans, lorsque la circonstance se présentera de passer une
transaction nécessaire à l'empereur, déclarer, au nom du corps
législatif, que les peuples sont indépendans et égaux en droits; que la
France reconnaît pour ses égaux tous les souverains qu'elle a conquis,
et qu'elle n'en reconnaît point de supérieur. Cette manière de faire
tomber une étiquette qui s'écroule d'elle-même par sa vétusté, me paraît
plus digne de nous et surtout plus conforme à nos intérêts dans le
moment actuel: car, s'il est prouvé que l'empereur veut plutôt persister
dans cette étiquette, que de nous empêcher d'avoir deux ou trois
villages, ce serait un mauvais calcul que de s'y refuser.

Je vous ai expédié hier, par un courrier d'occasion, la tournure
que nous prétendions donner à la négociation: vous avez dû recevoir
l'original, je vous en envoie une copie.

M. de Gallo est à la fois le favori de l'impératrice, de l'empereur et
de Thugut, dont il est le vieil ami: il paraît jouir d'un grand crédit à
Vienne.

Nous avons eu aujourd'hui la première conférence sur le traité
définitif. Nous nous sommes résumés et nous sommes convenus d'écrire
réciproquement pour présenter les projets suivans:

1°. La ligne du Rhin à la France; 2°. Salzbourg, Passau, à l'empereur;
3°. au roi de Prusse, l'équivalent du duché de Clèves en Allemagne, et,
en cas qu'il ne voulût pas de cet arrangement, la restitution du duché
de Clèves; 4°. le maintien du corps germanique, aux changemens ci-dessus
près; 5°. la garantie réciproque desdits articles.

_Pour l'Italie_: 1°. Venise à l'empereur; 2°. Mantoue, Brescia, jusqu'à
l'Adige, à la nouvelle république.

L'empereur paraît désirer des indemnités pour le duc de Modène: cela
n'est pas facile à arranger, à moins qu'on ne lui donne et qu'il ne se
contente de l'île de Zante.

Aucun de ces articles n'est convenu, et c'est seulement ce qui m'a paru
le plus raisonnable de part et d'autre: c'est d'ailleurs dans ce sens
que M. de Gallo a écrit à Vienne.

Dans quinze jours, la négociation prendra véritablement une tournure
sérieuse; car jusqu'à cette heure le cabinet de Vienne a été conduit par
un seul homme, qui paraît être fort peu habile, pas du tout prévoyant,
et divaguant sur tout; il est même sans système, flottant au milieu des
intrigues de toute l'Europe, et n'ayant, en dernière analyse, qu'une
idée, que je crois de bonne foi, c'est de ne plus renouveler la guerre.

Il m'a paru aussi que c'était moins à nous accorder les limites du Rhin
que l'on avait répugnance, qu'à faire aucun changement qui accrût la
puissance du roi de Prusse, ou qui culbuterait entièrement le corps
germanique.

Nous avons besoin: 1°. des articles secrets faits avec le roi de Prusse;
2°. de connaître si vous adoptez le système posé pour la limite du
Rhin, c'est-à-dire le faire garantir par l'empereur; garantir le corps
germanique, en lui accordant Salzbourg et Passau; offrir au roi de
Prusse une compensation à ce qu'il a sur la rive gauche du Rhin,
et même, s'il veut s'en servir de prétexte pour se fâcher, le lui
restituer. Culbuter le corps d'Allemagne, c'est perdre l'avantage de la
Belgique, de la limite du Rhin: car c'est mettre dix ou douze millions
d'habitans dans la main de deux puissances dont nous nous soucions
également.

Si le corps germanique n'existait pas, il faudrait le créer tout exprès
pour nos convenances.

Approuvez-vous notre système pour l'Italie?

Venise, qui va en décadence depuis la découverte du cap de
Bonne-Espérance et la naissance de Trieste et d'Ancône, peut
difficilement survivre aux coups que nous venons de lui porter.
Population inepte, lâche et nullement faite pour la liberté; sans terre,
sans eau, il paraît naturel qu'elle soit laissée à ceux à qui nous
donnons le continent.

Nous prendrons les vaisseaux, nous dépouillerons l'arsenal, nous
enlèverons tous les canons, nous détruirons la banque, et nous garderons
Corfou et Ancône. Le premier sera stipulé dans le traité; le second,
que nous avons, devient tous les jours plus redoutable, et nous le
conserverons jusqu'à ce que les nouvelles affaires de Rome nous le
donnent sans retour.

On dira que l'empereur va devenir puissance maritime; mais il lui faudra
bien des années, il dépensera beaucoup d'argent, ne sera jamais que du
troisième ordre, et il aura effectivement diminué sa puissance.

Si l'on persiste, à Vienne, à s'en tenir aux préliminaires, alors nous
réunirons tout en une seule république; en cas de guerre, nous filerons
derrière le Pô par les états de Modène et de Ferrare; nous nous
porterons à Venise, et nous attaquerons le Frioul et la Carinthie sans
nous embarrasser ni de Mantoue, ni de l'Adige, ni de la Brenta.

Il me faudrait tous les décrets de la convention relatifs aux pays
réunis. Je désirerais encore que vous m'envoyassiez en poste quelqu'un
qui connût jusqu'aux villages et aux moindres circonstances des
nouvelles frontières que nous accepterions, si l'on en adoptait d'autres
que celle du Rhin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 7 prairial an 5 (26 mai 1797).

_Au ministre des relations extérieures._

J'ai reçu, citoyen ministre, toutes les lettres que vous m'avez écrites;
comme j'écris aujourd'hui au directoire sur l'objet qui regarde les
négociations, je me dispense de vous répéter les mêmes détails. Je crois
qu'il est très-essentiel que vous m'envoyiez les descriptions que vous
avez fait faire du pays entre Meuse et Rhin; je demande aussi que vous
m'envoyiez les traités secrets conclus avec le roi de Prusse.

Je crois qu'il faut que nous gardions l'île de Corfou, nous trouverons à
avoir l'île d'Elbe, lors de l'héritage du pape, qui est moribond. Le Roi
de Naples m'a même déjà fait faire des propositions d'arrangement: sa
majesté ne voudrait avoir rien moins que la Marche d'Ancône; mais il
faut bien se garder de donner un aussi bel accroissement à un prince
aussi mal intentionné et si évidemment notre ennemi le plus acharné.

Je vous remercie, citoyen ministre, de la promotion de mon frère au
ministère, à Rome.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 7 prairial an 5 (26 mai 1797).

_Au général de division Gentili._

L'état-major a dû vous donner, citoyen général, des ordres pour vous
rendre à Venise.

Le général Baraguay d'Hilliers mettra à votre disposition deux
bataillons de la soixante-dix-neuvième demi-brigade, cinquante
canonniers, quatre pièces de campagne, un officier du génie et cent
cinquante mille cartouches.

Vous trouverez à Venise cinq frégates commandées par le citoyen Bourdet;
vous vous embarquerez avec votre troupe sur ces frégates et sur quelques
autres bâtimens de transport, s'il est nécessaire; et vous partirez le
plus promptement et le plus secrètement possible, pour vous rendre à
Corfou et vous emparer de tous les établissemens vénitiens au Levant.

Vous aurez soin de n'agir que comme auxiliaire de la république de
Venise, et de concert avec les commissaires que le nouveau gouvernement
aurait envoyés; enfin, de faire l'impossible pour nous captiver les
peuples, ayant besoin de vous maintenir le maître, afin que, quel que
soit le parti que vous preniez pour ces îles, nous soyons dans le cas de
l'exécuter.

Mon intention est également que l'on fasse partir de Venise avec vous
deux ou trois frégates vénitiennes ou corvettes, avec six cents soldats
italiens vénitiens: par ce moyen, votre petite escadre sera renforcée,
et vous vous trouverez commander plus de deux mille hommes.

À Corfou ou en mer, vous vous emparerez, si cela est possible, de tous
les vaisseaux de guerre vénitiens qui seraient encore incertains du
parti qu'ils veulent prendre.

Vous écrirez, dès l'instant que vous serez arrivé à Corfou, à notre
ambassadeur à Constantinople, Aubert-Dubayet; vous lui ferez part de la
situation des affaires en Italie avec Venise, et si vous vous trouviez
avoir besoin de secours, n'importe de quelle espèce, vous vous
adresseriez à lui. Si les habitans du pays étaient portés à
l'indépendance, vous flatteriez leur goût, et vous ne manqueriez pas,
dans les différentes proclamations que vous ferez, de parler de la
Grèce, d'Athènes et de Sparte.

Vous m'instruirez de tout ce que vous ferez et de la situation des
choses. Je tiens, à Ancône, mille hommes prêts à partir dès l'instant
que vous le croirez nécessaire et que les circonstances exigeront que
vous soyez secondé. Vous correspondrez avec moi par Ancône, en adressant
vos lettres au général commandant à Ancône, et par Venise.

Dès l'instant que l'escadre ne vous sera pas d'une indispensable
nécessité, vous la renverrez à Venise.

Le citoyen Darbois, officier distingué, vous accompagnera dans cette
mission; vous vous ferez accompagner également par cinq ou six officiers
du département de Corse, qui sont accoutumés au manège des insulaires et
à la langue du pays, et que vous pourrez même, dans l'occasion, mettre
à la tête des colonnes mobiles du pays, que vous jugerez à propos
d'organiser, ou des troupes vénitiennes, que je suppose commandées par
des officiers pusillanimes et peu accoutumés à la guerre.

Le citoyen Arnault, homme de lettres distingué, suivra l'expédition,
avec les rations et le traitement de chef de brigade; il observera ces
îles, tiendra avec moi une correspondance suivie de tout ce qu'il verra,
vous aidera dans la confection des manifestes, et vous pourrez même,
s'il est nécessaire, le mettre à la tête de l'administration du pays.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 7 prairial an 5. (26 mai 1797).

_À la municipalité de Venise._

Conformément à vos désirs, citoyen, j'ai ordonné aux municipalités
de Padoue et de Trévise de laisser passer les vivres nécessaires à
l'approvisionnement de la ville de Venise.

J'ai également ordonné l'expédition de différentes troupes, de Venise et
d'Ancône, pour vos îles du Levant, afin de seconder les commissaires que
vous y avez envoyés, et empêcher que les ennemis de leur patrie et de la
liberté ne profitent des circonstances pour s'emparer des îles et les
soumettre à l'esclavage de quelque puissance étrangère.

Je vous engage également à réunir tous vos efforts et à envoyer dans
lesdites îles, indépendamment des troupes que vous y avez déjà, sept ou
huit cents hommes avec quelques bâtimens armés.

Si vous avez besoin d'officiers français pour l'organisation de vos
troupes, j'autorise le général Baraguay d'Hilliers à vous accorder tous
ceux qui voudront prendre du service dans vos troupes.

Le traité qui a été conclu à Milan avec les députés du grand-conseil,
peut être, en attendant, ratifié par la municipalité, et les articles
secrets par un comité de trois membres. Dans toutes les circonstances,
je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous donner des preuves
du désir que j'ai de voir se consolider votre liberté, et de voir la
misérable Italie se placer enfin avec gloire, libre et indépendante des
étrangers, sur la scène du monde, et reprendre parmi les grandes nations
le rang auquel l'appellent la nature, sa position et le destin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 7 prairial an 5 (26 mai 1797).

_Au général Baraguay d'Hilliers._

Mon intention, citoyen général, est, conformément à ce que vous aura
mandé l'état-major, que les deux bataillons de la soixante-dix-neuvième,
cinquante canonniers, quatre pièces d'artillerie de campagne que vous
prendrez dans l'arsenal de Venise, et un officier du génie, se rendent
à Corfou le plus tôt possible, sous les ordres du général Gentili.
Vous vous concerterez avec le citoyen Lallemant pour faire sentir à la
municipalité, que ce n'est qu'en conséquence de sa demande que je me
suis déterminé à leur offrir les secours qui leur seraient nécessaires
pour que les îles du Levant ne se détachent pas de la mère-patrie.

Vous ferez sentir au gouvernement qu'il est indispensable qu'il fasse
partir sur-le-champ les bâtimens armés qui peuvent être disponibles,
avec des commissaires énergiques, et au moins sept ou huit cents hommes
de leurs troupes vénitiennes italiennes.

Le général Gentili commandera le tout et agira de concert avec leurs
commissaires.

Le citoyen Bourdet, qui doit être actuellement à Venise avec toute son
escadre, commandera également la marine des deux républiques réunies; il
amènera avec lui toutes les frégates qu'il a sous ses ordres, s'il le
juge nécessaire; je serais cependant fort aise qu'il laissât une des
nôtres à Venise.

J'espère que, moyennant la promptitude que vous mettrez dans cette
affaire, toute l'expédition sera partie trois jours au plus tard après
la réception du présent ordre.

Si, par un cas imprévu, la flottille n'était pas encore arrivée à
Venise, vous enverriez un courrier extraordinaire à Trieste et à Ancône,
pour qu'elle s'y rendît sur-le-champ, et en attendant vous prépareriez
toujours le tout.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 7 prairial an 5. (26 mai 1797).

_Au directoire exécutif._

Le pape, citoyens directeurs, continue à se mal porter. Je vous prie de
m'envoyer, pour faire passer dans l'occasion au ministre de France à
Rome, de nouveaux pouvoirs auprès du conclave, et de tracer la conduite
à tenir dans une circonstance aussi délicate. Nous avons le droit
d'exclure un cardinal: cette exclusion doit tomber sur le cardinal
Albani, s'il était sur les rangs.

Le marquis de Gallo désirerait fort la Marche d'Ancône pour Naples.
Comme vous voyez, cela n'est pas maladroit, mais c'est la chose du monde
à laquelle nous devons le moins consentir.

Dans la position actuelle des choses, je crois qu'il serait bien
essentiel que le roi d'Espagne voulût bien envoyer quatre ou cinq mille
Espagnols à Parme, de sorte qu'aux moindres circonstances à Rome, je
mêlerais ces Espagnols avec nos troupes; ce qui ne laisserait pas d'en
imposer singulièrement au roi de Naples, et nous mettrait à même
de placer le duc de Parme du côté de Rome, et de joindre Parme aux
nouvelles républiques. Cinq mille hommes d'infanterie et douze cents
hommes de cavalerie feraient un très-bon effet pour cet objet. Dans
la position actuelle du duc de Parme, ses troupes serviraient même à
maintenir la tranquillité dans ses états.

L'Espagne ayant, par sa marine, une prépondérance décidée sur Naples, il
est indispensable de les entremêler un peu dans les affaires d'Italie.
L'empereur et le roi de Naples visent évidemment à l'héritage du pape.
Je crois donc qu'il serait préférable qu'on fût obligé de donner à
l'Espagne contre le Portugal cinq mille hommes de plus, et d'avoir cinq
mille Espagnols à Parme.

J'envoie le général Gentili avec quinze cents hommes, cinq ou six cents
Vénitiens, et une partie de nos flottilles, pour s'emparer de Corfou,
de Zante et de Céphalonie. Pour Corfou, je crois que nous devons
irrévocablement le garder.

Le général Vaubois, avec quinze cents hommes, est arrivé en Corse, où
tout paraît être parfaitement tranquille aujourd'hui.

L'île de Malte est pour nous d'un intérêt majeur. Le grand-maître est
mourant, il paraît que ce sera un Allemand qui sera son successeur. Il
faudrait 5 ou 600,000 fr. pour faire faire grand-maître un Espagnol.

(Note: _N.B._ Cette lettre n'est point terminée dans le manuscrit.)



Au quartier-général à Montebello, le 8 prairial an 5 (27 mai 1797).

_Au citoyen Faypoult, envoyé de la république à Gênes._

Je vous envoie, citoyen ministre, la lettre que j'écris au sénat. Je ne
puis pas vous dissimuler que vous avez eu tort d'empêcher notre escadre
d'entrer dans Gênes, et votre conduite a une faiblesse qui ne sied pas à
l'intérêt de la république, ni à sa dignité. Les puissances d'Italie
se joueront-elles donc toujours de notre sang? Je vous requiers si,
vingt-quatre heures après que mon aide-de-camp aura lu la présente
lettre au doge, les conditions n'en sont point remplies dans tous les
détails, de sortir sur-le-champ de Gênes et de vous rendre à Tortone. Je
crois qu'il est nécessaire de prévenir les Français établis à Gênes,
qui auraient des craintes, de chercher à se mettre en sûreté. Puisque
l'aristocratie veut nous faire la guerre, il vaut mieux qu'elle la
déclare actuellement que dans toute autre circonstance; elle ne vivra
pas dix jours.

Si le sénat a à coeur de maintenir l'amitié entre les deux républiques
après qu'il aura rempli les préliminaires ci-dessus, vous vous rendrez
à Milan avec les députés du sénat, pour aviser à prendre les moyens
nécessaires pour établir pour toujours la tranquillité dans Gênes, et
pourvoir aux réparations dues à la république pour les crimes commis
envers les citoyens français.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 8 prairial an 5 (27 mai 1797).

_Au doge de la république de Gênes._

J'ai reçu la lettre que votre sérénité s'est donné la peine de m'écrire.
J'ai tardé à y répondre jusqu'à ce que j'aie reçu des renseignemens
sur ce qui s'était passé à Gênes, dont votre sérénité m'a donné les
premières nouvelles.

Je suis sensiblement affecté des malheurs qui ont menacé et menacent
encore la république de Gênes. Indifférente à vos discussions
intérieures, la république française ne peut pas l'être aux assassinats,
aux voies de fait de toutes espèces qui viennent de se commettre dans
vos murs contre les Français.

La république de Gênes intéresse sous tant de rapports la république
française et l'armée d'Italie, que je me trouve obligé de prendre des
mesures promptes et efficaces pour y maintenir la tranquillité, y
protéger les propriétés, y conserver les communications et assurer les
nombreux magasins qu'elle contient.

Une populace effrénée et suscitée par les mêmes hommes qui ont fait
brûler _la Modeste_, aveuglée par un délire qui serait inconcevable, si
l'on ne savait que l'orgueil et les préjugés ne raisonnent pas, après
s'être assouvie du sang français, continue encore à maltraiter les
citoyens français qui portent la cocarde nationale.

Si, vingt-quatre heures après la réception de la présente lettre que
je vous envoie par un de mes aides-de-camp, vous n'avez pas mis à la
disposition de la France tous les Français qui sont dans vos prisons; si
vous n'avez pas fait arrêter les hommes qui excitent le peuple de Gênes
contre les Français; si enfin vous ne désarmez pas cette populace, qui
sera la première à se tourner contre vous lorsqu'elle connaîtra les
conséquences terribles qui en résulteront pour elle, l'égarement où vous
l'avez entraînée, le ministre de la république française sortira de
Gênes, et l'aristocratie aura existé.

Les têtes des sénateurs me répondront de la sûreté de tous les Français
qui sont à Gênes, comme les états entiers de la république me répondront
de leurs propriétés.

Je vous prie, du reste, de croire aux sentimens d'estime et de
considération distinguée que j'ai pour la personne de votre sérénité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 13 prairial an 5 (1er juin 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous fais passer, citoyens directeurs, copie de la note que nous
vous avons présentée relativement à M. de la Fayette. Vous y trouverez
également copie d'une note que m'a présentée M. de Gallo pour le duc de
Modène.

M. le marquis de Gallo m'a montré ses pleins pouvoirs de S.M. le roi
des Deux-Siciles, et m'a fait la proposition officielle de l'échange de
l'île d'Elbe contre la province de terre-ferme et la Marche d'Ancône, y
compris la ville et le port. Je lui ai répondu que nous ne pouvions
pas disposer de ce qui n'était pas à nous; il répliqua que le roi des
Deux-Siciles s'arrangerait avec le pape pour en obtenir le consentement.

La cour de Naples arme toujours, quoiqu'elle soit aux expédiens pour
vivre.

Il n'y a pas de cour plus furibonde et plus profondément décidée contre
la république; il faut donc bien nous garder de jamais consentir à ce
qu'elle obtienne aucune espèce d'accroissement.

Ceux qui possèdent la Sicile et le port de Naples, s'ils devenaient
une grande puissance, seraient les ennemis nés et redoutables de notre
commerce.

Si le pape meurt, ou s'il y a quelque révolution à Rome, je ne doute pas
que le roi de Naples ne fasse marcher dix mille hommes à Rome.

Les deux républiques italiennes réunies n'ont aucune puissance
militaire, puisqu'elles n'ont, à elles deux, qu'à peu près deux cents
hommes de très-mauvais chasseurs, cinq mille Polonais, et quatre mille
Italiens. Je pense donc qu'il serait fort bien, comme je vous l'ai déjà
demandé, de chercher à avoir encore de quatre à cinq mille Espagnols à
Parme, afin de tenir en respect la cour de Naples.

Les Polonais inquiètent beaucoup l'empereur: effectivement, il vient
du fond de la Pologne beaucoup d'officiers, et les soldats voient leur
uniforme polonais avec un plaisir qui redouble leurs moyens.

M. de Gallo m'a communiqué que S.M. l'empereur, en même temps qu'elle
donnerait une preuve de son désir de procurer et de contribuer à la
tranquillité intérieure de la république, en licenciant le corps
d'émigrés français, s'attendait à la réciprocité, de notre part, à
l'égard des Polonais, sinon à un entier licenciement, du moins à des
modifications pour son exécution.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 13 prairial an 5 (1er juin 1797).

_Au ministre de la marine._

Il existe, citoyen ministre, dans les chantiers de Venise cinq vaisseaux
de 74, trois de 70 et un de 64.

Selon le rapport qu'on m'a fait, il faudrait deux ou trois mois de
travaux pour terminer ces bâtimens.

Il y a, outre cela, trois vaisseaux de 74 armés et équipés, qui étaient
en mer lors de la révolution, et que j'ai eu beaucoup de peine à faire
rentrer. J'ai ordonné qu'on mît à bord des troupes françaises, et qu'on
y répartît le peu d'officiers de marine que nous avions sur les lacs et
dans les différentes petites embarcations; je leur ai fait donner les
noms suivans: _le Stengel_, _le Laharpe_, _le Beraud_ et _le Robert_.
J'ai fait nommer les deux frégates: _la Muiron_, _la Carrère_.

J'ai fait ramasser tous les bois, chanvres et cordages: cela sera
embarqué pour être, sous l'escorte des frégates et de différens
vaisseaux de guerre, conduit à Toulon.

Je suis très-fâché de ne pas avoir ici le contre-amiral que je vous ai
demandé, il y a plus de quinze jours. Si vous voulez que cette escadre
puisse arriver à Toulon, et si vous voulez tirer profit des événemens de
Venise, dépêchez-vous de nous envoyer en poste au moins une soixantaine
d'hommes; savoir, un contre-amiral pour Venise, un commandant d'armes
pour Venise, un contre-amiral pour commander l'escadre, cinq ou six
capitaines de vaisseau, dix-huit ou vingt officiers, soixante ou
quatre-vingts contre-maîtres, chefs d'artillerie des vaisseaux, et
autres officiers qui puissent surveiller, diriger les équipages
italiens, et nous assurer qu'au moins, au lieu d'aller à Toulon,
l'équipage ne conduise pas l'escadre à Londres.

Cela, joint aux matelots, aux troupes que j'y mettrai, pourra nous
assurer de cette escadre. Si vous pouvez m'envoyer un millier de
matelots, faites-le.

J'ai peur que les Anglais ne viennent nous bloquer, c'est pourquoi je
désirerais que cinq ou six vaisseaux de ligne de Toulon vinssent à
Venise: en répartissant alors également les équipages étrangers sur tous
les vaisseaux, cette escadre pourrait monter à dix ou douze vaisseaux,
et partir de Venise pour la destination que vous lui donneriez, sans
être obligée d'aller à Toulon.

Je ferai donner ici à votre escadre des vivres, des objets de rechange
et de l'argent pour autant de mois que vous voudrez.

Je le répète, je vous recommande surtout de m'envoyer en poste (je ferai
payer ici les frais) la centaine d'hommes que je vous ai demandée, et
qui, s'ils n'arrivent dans huit ou dix jours, me feront tout perdre.
Envoyez aussi le chef des constructeurs de Toulon, et des constructeurs
entendus, afin qu'ils voient ce qu'ils veulent faire des vaisseaux qui
sont sur les chantiers.

Je n'ai pas avec moi un seul officier de marine qui soit entendu; tous
les hommes qui sont sur les frégates ou sur les chaloupes canonnières
sont incapables de faire un rapport.

J'ai nommé à la place d'ordonnateur de la marine de Venise le citoyen
Ricard, ancien ordonnateur de Toulon, et je lui ai ordonné de
correspondre avec vous.

L'ordonnateur de la marine à Toulon doit, à l'heure qu'il est, avoir
touché le million que je vous ai annoncé: je vous en ai envoyé un
autre à Paris en or et en argent, qui doit être arrivé. Envoyez-nous
promptement des hommes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 15 prairial an 5 (3 juin 1797).

_Au directoire exécutif._

Citoyens directeurs,

Je vous envoie, par le général de division Serrurier, vingt-deux
drapeaux pris dans les dernières affaires qui ont eu lieu en Allemagne,
ou sur les Vénitiens.

Le général Serrurier a, dans les deux dernières campagnes, déployé
autant de talens que de bravoure et de civisme. C'est sa division qui a
remporté la bataille de Mondovi; qui a si puissamment contribué à celle
de Castiglione, a pris Mantoue, et s'est distinguée au passage du
Tagliamento, de l'Isonzo, et spécialement à la prise de Gradisca.

Le général Serrurier est extrêmement sévère pour lui-même, il l'est
quelquefois pour les autres. Ami rigide de la discipline, de l'ordre et
des vertus les plus nécessaires au maintien de la société, il dédaigne
l'intrigue et les intrigans; ce qui lui a quelquefois fait des ennemis
parmi ces hommes qui sont toujours prêts à accuser d'incivisme ceux qui
veulent que l'on soit soumis aux lois et aux ordres de ses supérieurs.

Je crois qu'il serait très-propre à commander les troupes de la
république cisalpine; je vous prie donc de le renvoyer le plus tôt
possible à son poste.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 16 prairial an 5 (4 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous ordonnerez, citoyen général, que M. d'Entraigues soit logé dans le
château d'une manière à ce qu'il puisse avoir avec lui sa femme et qu'il
ait les commodités que paraît nécessiter sa santé. Si le château n'offre
point ces commodités, il pourra choisir un logement en ville, où il sera
mis sous bonne garde.

Vous lui enverrez tous ses papiers, hormis les trois ou quatre pièces
qui seront relatives aux objets politiques.

Vous ordonnerez au médecin Moucati de lui donner ses soins.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 17 prairial an 5 (5 juin 1797).

_Au général Baraguay d'Hilliers._

D'après les explications que vous m'avez données, citoyen général,
j'approuve le départ de deux vaisseaux de 64 pour l'expédition de
Corfou; mais j'exige absolument à bord de l'un, pour commander, le
citoyen Lallemant, et à bord de l'autre le citoyen Bourdet, qui fera les
fonctions de contre-amiral.

Faites que sur ces deux vaisseaux la moitié des matelots soient
français, et que la garnison soit française. Je ne vois aucune espèce de
nécessité à faire marcher avec ces deux vaisseaux, comme vous vous le
proposez, quatre ou cinq bâtimens armés par des Français; je préférerais
de bien s'assurer des deux vaisseaux de guerre, et de laisser monter les
autres par des Vénitiens, en leur laissant arborer dessus leur pavillon.

Il doit y avoir un troisième bâtiment dans le port de Venise prêt à
partir. Si vous pouviez y mettre la moitié de l'équipage, en Français,
un bon commandant, et garnison française, il n'y aurait point
d'inconvénient que ce bâtiment partît.

Ces deux, ou même trois bâtimens, si cela est possible, avec deux
frégates, un des deux bricks que commande Bourdet, et plusieurs bricks
vénitiens montés par des Vénitiens, seraient suffisans; de sorte qu'il
resterait à Venise la corvette _la Brune_ et un des deux bricks. Ces
trois vaisseaux de guerre s'appelleront, le premier _le Laharpe_, le
deuxième, _le Stengel_, le troisième, _le Beraud_.

Ils pourront dès aujourd'hui être considérés comme faisant partie de la
marine française. Faites-moi connaître dans quelle année les vaisseaux
ont été construits, s'ils sont bons.

Comme je ne veux mettre aucun retard dans le départ du courrier, vous
communiquerez cette lettre au citoyen Bourdet et au général Gentili.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 17 prairial an 5 (3 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, donner les ordres au général Brune,
qui commande le Padouan, de faire arrêter et traduire devant un conseil
militaire, le citoyen Arnoult, commandant de la place de Padoue, comme
accusé:

1°. De s'être emparé des sels de la Chiuza, et d'en avoir vendu à
différens particuliers.

2°. D'avoir refusé de les remettre à la disposition des autorités du
pays, conformément à mon ordre et à la réquisition qui lui en a été
faite par des agens administratifs de l'armée.

3°. D'avoir manqué à l'ordonnateur en chef.

4°. D'avoir, sans ordre supérieur, ordonné la vente desdits sels, et par
là déconcerté l'administration du pays, et fait le plus grand tort à la
république.

Je vous envoie les pièces relatives à ces faits.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 19 prairial an 5 (5 juin 1797).

_Au sérénissime Doge de la république de Gênes._

Les députés que le petit conseil de la république de Gênes a bien voulu
envoyer près de moi, ont été satisfaits des sentimens de bienveillance
que la république française conserve pour la république de Gênes.

Bien loin de vouloir démembrer votre territoire, la république française
aidera de toute son influence à l'accroissement et à la prospérité de
la république de Gênes, désormais libre et gouvernée par ces principes
sacrés, fondemens de la grandeur et du bonheur des peuples.

Votre sérénité trouvera ci-dessous la note des personnes que,
conformément à la convention que nous avons faite, j'ai cru convenable
de choisir comme les plus propres à former le gouvernement provisoire.

Je me servirai de tous les moyens et de toute la force que la république
française a mis dans mes mains pour le faire respecter, et protéger la
sûreté des personnes et des propriétés des différens citoyens de la
république de Gênes.

J'ai pensé qu'il était utile de choisir des personnes de différens
rangs, des citoyens connus des différentes villes des états de la
république, qui, désormais, ne formera qu'une même famille, afin
d'étouffer les haines et de réunir tous les citoyens.

Le vif intérêt que la république française prend au peuple de Gênes,
est encore augmenté par la nécessité où je me trouve d'exiger que les
derrières de l'armée et les principaux dépôts soient tranquilles et
exempts de troubles.

(_Ici se trouve la liste des membres qui doivent composer le
gouvernement provisoire de la république de Gênes_).

Je prie votre sérénité de vouloir bien faire réunir lesdits citoyens,
les faire installer comme gouvernement provisoire, le 14 du présent
mois de juin, leur faire prêter serment d'obéissance par tous les corps
militaires, et rétablir promptement la tranquillité dans la ville de
Gênes. La république française et l'armée d'Italie, qui prend tant
d'intérêt à ladite tranquillité, aura une reconnaissance particulière
pour votre sérénité.

Je la prie de croire aux sentimens d'estime et de considération
distinguée avec lesquels je suis, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 16 prairial an 5 (6 juin 1797).

_Au ministre de l'intérieur._

On m'assure que le célèbre manuscrit de Joseph de la Bibliothèque
ambroisienne, qui a été envoyé de Milan à Paris, n'y est pas parvenu.
Comme ce manuscrit est peut-être le seul sur papier papyrus, et qu'il
est très-intéressant qu'il ne se perde pas, je vous prie de m'apprendre
s'il est arrivé a la Bibliothèque nationale.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 19 prairial an 5 (7 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien faire interroger le comte d'Entraigues, et lui faire
demander de qui est un mémoire intitulé: _Des intérêts de la Prusse dans
la guerre actuelle_?

Où étaient tous les papiers sur la guerre de la Vendée?

Comment un ministre de l'empereur de Russie se trouvait chargé de
fomenter la guerre de la Vendée, et de faire des instructions pour les
agens de Louis XVIII?

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 22 prairial an 5 (10 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous donnerez l'ordre, général, que le citoyen Liotaud, entrepreneur des
transports militaires, casa Coalli à Milan, soit arrêté; que le général
Vignolles lui-même mette les scellés sur ses papiers, et qu'après il
l'interroge pour savoir pourquoi des soldats français, débauchés de
leurs corps et enrégimentés pour faire les brigands, s'adressent à lui,
lui écrivent, et comment il les connaît.

Vous ferez également arrêter et mettre les scellés sur les papiers
des personnes auxquelles les trois lettres que je vous envoie étaient
adressées: après quoi, et dans la journée de demain, le général
Vignolles me fera un rapport sur cette affaire; il appellera, pour
interroger, le général Lahoz et le comité militaire de Milan, si cela
est nécessaire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 22 prairial an 5 (10 juin 1797).

_À son altesse royale le duc de Parme._

Son altesse royale verra par l'ordre dont je lui envoie une copie, que
j'ai pris en considération les objets sur lesquels elle m'a écrit.

J'ai fait part à M. le comte de Politi de l'arrangement qu'il y aurait
à faire pour déterminer ce que doivent devenir les biens des moines
supprimés.

Je prendrai en considération la recommandation que V.A.R. me fait au
sujet de la ville de Casalmaggiore.

Je la prie de croire aux sentimens d'estime et à la considération, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 23 prairial an 5 (11 juin 1797).

_Au directoire exécutif._

M. le marquis de Gallo, immédiatement après avoir signé les quatre
articles que je vous ai envoyés, les expédia par un courrier à Vienne:
il en a reçu la réponse. Son gouvernement tient pour la réunion d'un
congrès; il attend une réponse au second courrier, qui portait 1°.
l'échange des ratifications; 2°. les bases de l'arrangement général de
la paix particulière, tant pour l'Italie que pour l'Allemagne: il attend
sans doute ce second courrier, pour nous faire une note officielle sur
ces deux objets.

Nous persistons dans l'idée de conclure la paix sans congrès: il faudra
bien qu'ils en passent par là.

Nous attendons avec impatience les détails relatifs à l'expulsion de
Pitt du ministère de Saint-James.

Vous ne devez pas calculer que la paix puisse être signée avec
l'empereur, si elle l'est, avant deux mois. Ces gens-ci sont longs, et
il faut sept jours pour aller à Vienne.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 25 prairial an 5 (13 juin 1797).

_Au chef de division commandant la marine française dans le golfe
Adriatique._

Vous vous rendrez, citoyen général, dans le plus court délai, à Venise,
avec tous les officiers sous vos ordres.

L'ordonnateur Aubernon fera solder à vous et à chacun de vos officiers
les frais de poste de Milan à Venise, conformément à ce qui est pratiqué
pour les troupes de terre.

La marine de l'Adriatique se divise: 1°. dans les forces navales qui
sont parties pour l'expédition du Levant; 2°. dans les forces navales
vénitiennes qui se trouvent à Corfou; 3°. dans ce qui se trouve au port
d'Ancône; 4°. dans ce qui se trouve sur les chantiers ou dans la rade de
Venise.

Vous ferez partir un chef de division avec douze ou quinze officiers
pour aller rejoindre les vaisseaux qui doivent être partis depuis
plusieurs jours pour le Levant, et vous donnerez pour instructions à ce
chef de division, dès l'instant qu'il aura rejoint notre escadre, qui va
au Levant, de prendre le commandement du tout, et, dès l'instant qu'il
aura rencontré les autres vaisseaux vénitiens qui sont à Corfou, de se
concerter avec le général Gentili, pour s'assurer desdits vaisseaux, y
mettre des officiers et une garnison française, et faire en sorte que
ces vaisseaux ne puissent pas nous échapper.

Vous enverrez également un commissaire de la marine à Corfou pour être
attaché à l'arsenal de cette place.

Vous resterez à Venise, afin d'y organiser la marine, et, dès l'instant
que les matelots et autres officiers que j'attends seront arrivés,
pouvoir, s'il est nécessaire, vous rendre avec tous les vaisseaux qui
seront prêts à Venise, et tous les moyens nécessaires, à Corfou, prendre
le commandement de toute l'escadre.

Vous trouverez, dans l'instruction que je vous envoie, la conduite que
vous avez à tenir à Venise.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 25 prairial an 5 (13 juin 1797).

_Au même._

Arrivé à Venise, citoyen général, vous vous concerterez avec le général
de division Baraguay d'Hilliers pour toutes les opérations que vous
aurez à faire.

Le citoyen Ricard fait les fonctions d'ordonnateur; il connaît déjà les
ressources qu'offre l'arsenal.

Vous vous présenterez, avec le général Baraguay d'Hilliers et le
ministre de la république, au gouvernement provisoire de la république
de Venise: vous lui direz que la conformité de principes qui existe
aujourd'hui entre la république française et celle de Venise, et la
protection immédiate que la république française accorde à celle de
Venise, rendent nécessaire de mettre promptement les forces maritimes
de la république de Venise sur un pied respectable, afin de pouvoir de
concert se maintenir maîtres dans l'Adriatique et des îles du Levant;
protéger le commerce des deux républiques, et que déjà, à cet effet,
j'avais fait partir des troupes pour assurer la possession de Corfou
à la république vénitienne; que désormais il était indispensable de
travailler avec activité à mettre en bon état la marine vénitienne.

Vous vous emparerez, sous ce prétexte et dans cet esprit, de tout,
tâchant cependant de vivre en bonne intelligence, et de faire passer à
notre service tous les marins et employés de la marine de la république
de Venise, en vous servant toujours du nom de marine vénitienne.

Les opérations que vous avez à faire, consistent: 1°. à armer le plus
promptement possible tous les petits et les gros batimens qui en seront
susceptibles, afin que, quand nous serons sûrs d'avoir Corfou, nous
puissions les joindre avec la grande escadre.

2°. À prendre toutes les mesures pour faire passer à Toulon tous les
approvisionnemens qui peuvent être nécessaires à ce port.

Par un article secret, les Vénitiens doivent fournir à la république
trois millions d'approvisionnemens pour la marine de Toulon; mais mon
intention est de m'emparer, pour la république, de tous les vaisseaux
vénitiens et de tous les approvisionnemens possibles pour Toulon.

Il restera à savoir le parti que l'on devra prendre pour les vaisseaux
qui sont sur le chantier.

Il est très-essentiel que les dépenses qui se feront à l'escadre qui est
à Corfou, que celles qui se font à Ancône, forment une même comptabilité
avec celles qui se font à Venise.

Vous jouirez du même traitement qu'un contre-amiral, et vous
correspondrez avec moi le plus souvent possible sur tous les objets de
service qui regardent l'armement de l'Adriatique.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 25 prairial an 5 (13 juin 1797).

_Au général Baraguay d'Hilliers._

Dix-huit officiers de marine se rendent en poste, demain, à Venise. J'ai
donné au citoyen Perrée, chef de division, qui les commande, les ordres
pour la destination de ces officiers: mon intention est qu'une partie
parte de suite sur un bâtiment léger, et cherche à rejoindre notre
escadre, afin de pouvoir concourir au succès, et de pouvoir se mettre
sur les quatre bâtimens qui sont à Corfou, dès l'instant qu'ils seront
en notre pouvoir.

Je vous prie de présenter le citoyen Roubaud, commissaire ordonnateur,
et le citoyen Perrée, qui fait les fonctions de contre-amiral, au
gouvernement provisoire; vous lui direz que, dans la position actuelle
des deux républiques, nos intérêts sont tellement liés, que nous devons
désirer que notre marine prenne promptement une tournure redoutable,
afin de se maintenir dans l'Adriatique, et pouvoir rester maîtres des
îles et du continent de la Dalmatie, si l'empereur ou quelque autre
puissance voulaient s'en emparer. Comme il faut que le grand provéditeur
fasse les fonds, entretienne tous les hommes et fournisse les matelots,
il faut dire et avoir toujours l'air de faire tout de concert avec et
pour eux; il faut les ménager et faire tout ce qui est possible pour
qu'ils soient contens de nous.

Le général d'artillerie Sugny doit demander à son chef la poudre et les
munitions dont il pourrait avoir besoin pour l'armement des îles.

Je ne tarderai point à me rendre moi-même à Venise.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 25 prairial an 5 (13 juin 1797).

_Au chef de l'état major._

Vous voudrez bien ordonner, citoyen général, au général Brune de
faire écrire sur le drapeau de la dix-huitième demi-brigade de ligne
l'inscription suivante:

_Brave dix-huitième! je vous connais; l'ennemi ne tiendra pas devant
vous_, et sur celui de la vingt-cinquième: _La vingt-cinquième s'est
couverte de gloire_.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 26 prairial an 5 (14 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, mettre à l'ordre les dispositions
suivantes.

Le général en chef voit avec indignation que le prêt des soldats et la
paye des officiers sont arriérés de deux mois.

ART. 1er. Il ordonne, en conséquence, aux généraux de division de
prévenir les payeurs de leur division d'expédier sur-le-champ un exprès
au payeur central Estève, à Trévise, avec la demande des fonds qui sont
nécessaires pour faire le prêt jusqu'au 10 messidor;

La solde des chirurgiens de l'ambulance jusqu'au 10 messidor;

La solde des charretiers jusqu'au 10 messidor;

La solde de ce qui est dû aux régimens de cavalerie pour le fourrage des
chevaux.

Chacune de ces sommes sera portée sur une colonne séparée.

2. Le général de division enverra une copie de cet état au général en
chef.

3, Le citoyen Estève, ou celui qui le remplace à Trévise, soldera ce que
demandent les différens payeurs de division, vingt-quatre heures après
la réception de la demande.

4. Le citoyen Haller, administrateur général des finances, fera passer
sur-le-champ à Trévise tout l'argent nécessaire pour que tous les
officiers, chirurgiens, soldats et charretiers soient soldés jusqu'au 10
messidor. Il prendra des mesures telles que ladite somme soit entre les
mains du payeur central à Trévise avant le 2 messidor, afin qu'avant le
5 les payeurs de division aient dans leurs caisses l'argent nécessaire
pour solder ce qui est dû aux différentes divisions.

5. Les payeurs particuliers m'enverront directement une note de ce
qu'ils ont donné à chaque demi-brigade, afin de m'assurer par moi-même
qu'il n'y a aucune espèce d'abus.

6. L'administrateur général des finances, les payeurs des divisions, et
le payeur de l'armée sont, chacun en ce qui le concerne, responsables de
la stricte exécution du présent ordre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 26 prairial an 5 (14 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, donner ordre au général Dallemagne
de se rendre à Ancône pour remplacer le général Rey.

Vous ordonnerez au général Dallemagne de maintenir la tranquillité à
Ancône, de ne se mêler d'aucune affaire politique, et de ne pas souffrir
qu'il soit fait aucune injure ou outrage aux statues du pape, et aux
ministres de ce prince, avec lequel nous sommes en paix.

Vous rappellerez le général Rey, qui se rendra au quartier-général dès
l'instant que le général Dallemagne l'aura remplacé.

Vous motiverez le rappel du général Rey sur ce qu'en se mêlant des
affaires politiques, il a contrarié les dispositions générales, et sur
ce que la cour de Rome a, en conséquence, porté des plaintes sur sa
conduite.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 27 prairial an 5

(15 juin 1797).

_Au comité central de Boulogne._

J'apprends avec peine, citoyens, qu'il y a des troubles dans la ville de
Boulogne, la garde nationale y est cependant organisée: pourquoi ne vous
en servez-vous pas pour dissiper tous les rassemblemens, pour protéger
les citoyens tranquilles, et faire respecter les lois que vous-mêmes
vous vous êtes données?

Je donne des ordres au général Balland pour qu'il vous aide à maintenir
le calme et à faire respecter les propriétés et les lois.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 28 prairial an 5 (16 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Les rapports que vous m'avez faits, citoyen général, sur les désordres,
les assassinats et l'anarchie qui règnent dans la terre-ferme
vénitienne, me déterminent à prendre une mesure générale et à
donner sur-le-champ une organisation à ces pays, qui régularise
l'administration, assure le cours de la justice, et aux habitans la
jouissance de leurs propriétés et la sûreté de leurs personnes.

En conséquence, vous voudrez bien ordonner:

ART 1er. Le Brescian s'étendra jusqu'au Mincio.

2. Le Véronais commencera au Mincio et comprendra le pays de Cologne.

3. Le Vicentin et le Bassanèse seront réunis dans un seul
arrondissement.

4. Le Padouan et la Polésine de Rovigo, d'Adria jusqu'au Pô, non compris
ce qui appartient au Fermais, formeront un seul arrondissement.

5. Le Feltrin, le pays de Cadore, le Bellunèse formeront un seul
arrondissement.

6. Le Trévisan, hormis le district de Mestre, formera un arrondissement
avec le Coneglianèse.

7. Le Frioul, y compris Monte-Falcone, formera un arrondissement.

8. Chaque arrondissement sera administré par un gouvernement central,
composé de vingt-trois membres; chaque commune aura une municipalité
plus ou moins nombreuse selon sa population.

9. Le gouvernement central sera composé de personnes choisies dans tout
l'arrondissement par le général de division qui y commande.

10. Chaque gouvernement central fera un règlement sur la manière dont
la justice doit être administrée, désignera le nombre des tribunaux, et
choisira les juges qui doivent les composer.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 28 prairial an 5

(16 juin 1797).

_Au gouvernement provisoire de Gênes._

J'ai reçu votre lettre par le citoyen Emmanuel Balleti. Les premiers pas
de votre gouvernement justifient la confiance dont la nation génoise
vous a investi.

Les gouvernemens provisoires, placés dans des circonstances difficiles,
doivent exclusivement prendre conseil du salut public et de l'intérêt de
la patrie.

La république de Gênes n'existe que par le commerce, le commerce
n'existe que par la confiance; il n'y a pas de confiance sous un
gouvernement faible, il n'y a pas de confiance dans un pays où il y a
des factions.

Un état est faible, est déchiré par les factions lorsque plusieurs
centaines de citoyens s'organisent en assemblée exclusive, prennent part
dans toutes les discussions, jouent la popularité, sont sans cesse armés
par l'exagération, et n'ont jamais en but que la distinction.

Pendant votre gouvernement provisoire, une commission choisie doit
former votre constitution et les lois organiques de votre république.
Votre principal devoir est d'imposer silence aux passions, d'empêcher
que la commission législative puisse être influencée, et, par là, éviter
qu'on vous donne une constitution et des lois de circonstances.

La sagesse et la modération sont de tous les pays et de tous les
siècles, parce que l'une et l'autre sont fondées sur notre organisation
physique; mais elles sont absolument nécessaires aux petits états et aux
villes de commerce.

Pendant tout le temps de votre gouvernement provisoire et jusqu'à ce que
vous ayez des lois et une constitution stables, agissez-en comme dans
un vaisseau battu par les flots; exigez que chaque citoyen soit à ses
fonctions, et que personne ne rivalise avec le gouvernement.

Comme vous ne savez pas ce que votre constitution permettra ou défendra,
empêchez provisoirement toute espèce de coalition de citoyens.

Votre garde nationale est nombreuse et bien intentionnée.

Si sous votre gouvernement la république perd quelque chose de son
commerce ou de son bonheur, la responsabilité pèsera toute entière sur
vous.

BONAPARTE.



_Note de MM. les plénipotentiaires français._

Le général en chef Bonaparte et le général de division Clarke, ministres
plénipotentiaires de la république française, ont reçu la note que M.
le marquis de Gallo, ambassadeur du roi des Deux-Siciles près S. M.
l'empereur et roi, et M. le comte Meerveldt, général-major au service de
S. M. impériale, leur ont adressée, sous la date du 19 juin.

M. le marquis de Gallo avait annoncé verbalement aux plénipotentiaires
français, lors de son armée, que S. M. l'empereur et roi ne lui avait
pas remis de pouvoirs pour sa paix séparée, parce que son ministre,
M. le baron de Thugut, désirait connaître la forme de ceux que le
directoire exécutif donnerait aux plénipotentiaires de la république
française, et dont copie a été remise à M. de Gallo, pour lui en envoyer
de semblables, qu'il attendait par le retour du courrier expédié alors
par lui à Vienne.

En conséquence, les plénipotentiaires français n'ont point hésité à
entrer en conférence avec le marquis de Gallo sur tout ce qui était
relatif à la paix définitive avec l'empereur; mais près d'un mois
s'étant écoulé depuis son arrivée, et plus de deux depuis la signature
des préliminaires de Léoben, et MM. le marquis de Gallo et le comte de
Meerveldt ayant annoncé, l'un et l'autre verbalement, n'avoir d'autres
pouvoirs que ceux qui leur avaient été remis pour les préliminaires,
lesquels, à cause de l'échange des ratifications desdits préliminaires,
se trouvent surannés, sans objet, et conséquemment inadmissibles, les
plénipotentiaires français croient devoir demander à MM. de Gallo et
Meerveldt de déclarer par écrit s'ils ont d'autres pouvoirs que ceux qui
leur ont servi pour les préliminaires de Léoben, et de vouloir bien leur
faire part de ceux en vertu desquels ils ont écrit la note du 19 juin,
dont les soussignés leur assurent la réception par la présente.

Les plénipotentiaires français attendront que ces derniers pouvoirs leur
soient communiqués, pour répondre définitivement à la note de MM. le
marquis de Gallo et le comte de Meerveldt.

Cependant, comme l'intention du directoire exécutif de la république
française est de terminer sur-le-champ la paix définitive et séparée
avec S. M. l'empereur et roi, et pour ne point ajouter aux délais
désastreux qui ont été et sont encore apportés par la cour de Vienne à
la conclusion de cette paix, quoiqu'il soit évident que ces délais
lui sont infiniment plus préjudiciables qu'à la France, les
plénipotentiaires français, qui ont communiqué leurs pouvoirs depuis
très-long-temps, et qui sont restés en Italie pour y achever cette
paix, ainsi qu'on en était convenu verbalement à Gratz, déclarent que
l'intention de la république française est de s'en tenir à la clause
des préliminaires, qui stipule que la paix définitive entre les deux
puissances sera traitée et conclue dans l'espace de trois mois, à
compter de la date des préliminaires, ou plus tôt, si faire se peut.

Les plénipotentiaires français ne doutent nullement de la loyauté
personnelle de S. M. impériale et royale, ni de celle de MM. le marquis
de Gallo et le comte de Meerveldt, pour lesquels ils ont la plus haute
considération; mais ils font observer que les intérêts de la France,
leur patrie, leur sont trop chers pour pouvoir se permettre d'en exposer
le sort à des protestations de désir de la paix, qui ne seraient point
appuyées par des faits, et ils ont vu avec une profonde affliction les
délais qu'a mis et que met encore le cabinet de Vienne à terminer sa
paix définitive, dans les trois mois fixés par les préliminaires, ces
délais n'ayant pu que produire le mauvais effet de donner un libre cours
à toutes les intrigues publiques et secrètes des états intéressés à la
continuation de la guerre entre les deux puissances.

L'évacuation de cinq provinces autrichiennes par les troupes françaises,
et l'entrée en Istrie et en Dalmatie de celles de l'empereur, à laquelle
la France ne s'est point opposée, sont des preuves inattaquables de
la loyauté de la république française, contre laquelle l'être le plus
confiant et le moins bien intentionné ne pourrait rien articuler qui put
soutenir un examen impartial.

Si des défiances mal fondées; si le dessein formel de sacrifier les
intérêts mutuels de deux puissances à des formalités et à des
lenteurs préjudiciables à l'une et à l'autre devaient prévaloir, les
plénipotentiaires français verraient avec la plus extrême douleur
rallumer de nouveau les torches de la guerre, qu'ils désirent si
ardemment d'éteindre pour jamais.

Ils ont l'honneur de saluer MM. le marquis de Gallo et le comte de
Meerveldt, les priant de communiquer la présente note à S. M. impériale
et royale elle-même.

A Montebello, près Milan, le 2 messidor an 5 de la république française
(20 juin 1797).

BONAPARTE ET CLARKE.



Au quartier-général à Montebello, le 3 messidor an 5

(21 juin 1797).

_A M. le marquis de Gallo._

Je reçois, M. le marquis, votre lettre: je suis très fâché de votre
incommodité, quoique j'espère que cela ne nous empêchera pas de vous
voir à dîner.

Il est vrai que j'ai fait embarquer à Venise, sur des bâtimens
vénitiens, quelques troupes pour Corfou et pour Zante; mais il n'existe
aucune espèce de rassemblement du côté du midi de l'Italie. Je ne peux
pas concevoir d'où peuvent venir des bruits aussi absurdes qu'injurieux
pour la république.

La plus grande union existe entre les deux cabinets, et il serait
difficile de concevoir l'intérêt que pourrait avoir la république
française à troubler le paix existante et dont l'un et l'autre peuple se
trouvent, je crois, fort bien.

Croyez, je vous prie, M. le marquis, que je saisirai toutes les
circonstances, et que je ferai tout ce que vous désirerez, pour vous
prouver l'attachement qu'a la république française pour S. M. le roi des
Deux-Siciles.

En mon particulier, je désire de faire quelque chose qui soit agréable à
S. M. le roi des Deux-Siciles.

Je vous prie de croire aux sentimens d'estime, et à la haute
considération avec laquelle je suis, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 4 messidor an 5

(22 juin 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai annoncé, par ma dernière, que la réponse du cabinet de Vienne
paraissait être contre les articles qui ont été arrêtés le 24 mai.

M. le comte de Meerveldt est arrivé il y a trois jours. Nous avons eu
plusieurs conférences, après lesquelles les plénipotentiaires de sa
majesté impériale nous ont remis une note, à laquelle nous avons répondu
par une autre que je vous envoie.

Vous voyez la tournure longue et indéterminée que prend la négociation.
Je pense qu'il n'y a qu'un moyen, c'est d'envoyer le général Clarke à
Vienne.

M. Thugut a toujours la confiance du cabinet de Vienne: il est d'un
caractère difficile et malintentionné; mais je ne pense pas que l'on ait
tacitement idée d'une rupture. Ces messieurs ne font rien que longuement
et pesamment; ils paraissent se méfier beaucoup de l'intérieur:
quoiqu'ils aient été attrapés cent fois, ils sont incorrigibles.

J'imagine que, par le premier courrier, c'est-à-dire, dans quinze jours,
nous aurons des réponses plus favorables, et que l'on consentira enfin à
une négociation séparée.

On craint à Vienne beaucoup les Russes; leur système politique est
très-vacillant. L'empereur est paresseux et inexpérimenté; Thugut, de
mauvaise humeur, vieux, tracassé par les grands, offre à tout bout de
champ sa démission, que l'on n'ose pas accepter, mais qui, l'on croit,
le sera enfin lorsque tout sera arrangé, pour mettre à sa place M. de
Cobentzel.

Thugut paraît très-mécontent de M. de Gallo; M. de Meerveldt a peu de
moyens et n'est nullement diplomate. Je ne vous cacherai pas que je
crois que tout ceci sera encore long. Ce moment est embarrassant pour la
cour de Vienne; elle ne sait sur qui reposer sa confiance, tout lui fait
ombrage.

Ils voudraient en Italie avoir Venise, Mantoue et le Brescian.

Il voudraient avoir Venise pour l'équivalent du Brisgaw, qu'ils
destineraient au duc de Modène: dans ce système, ils nous céderaient
peut-être en dédommagement la rive du Rhin.

Je vous prie de nous faire connaître ce que nous devons répondre:

1°. S'ils persistent dans l'opinion de vouloir un congrès;

2°. Si vous céderiez Venise pour le Rhin: dès lors l'empereur aurait une
influence immense en Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 4 messidor an 5

(22 juin 1797).

_Au contre-amiral Brueys en rade à Toulon._

Vous devez avoir reçu à cette heure, citoyen général, les ordres du
ministre de la marine pour vous rendre dans l'Adriatique.

Je pense qu'il est nécessaire que vous touchiez à Corfou, où vous
trouverez six vaisseaux de guerre vénitiens, montés par les officiers
que vous nous avez envoyés. Je vous prie de me faire connaître le moment
de votre départ, et de m'envoyer des courriers de tous les endroits où
vous vous trouverez à portée, et qui pourraient faire connaître le temps
à peu près où vous vous trouverez dans l'Adriatique.

Dès l'instant où vous serez arrivé a Corfou, je vous prie de m'en faire
prévenir par un aviso, qui pourrait aborder à Ancône, et le général qui
y commande m'enverrait un courrier.

Si vous aviez nouvelle que l'escadre anglaise eût l'intention de
venir en force dans l'Adriatique, il serait nécessaire que j'en fusse
instruit, afin de fortifier la garnison de Corfou, qui est dans ce
moment-ci de quinze cents hommes. Vous pourriez alors envoyer à Ancône
quelques bâtimens légers d'escorte, avec un bon officier pour commander
tout le convoi portant les nouvelles troupes que j'enverrais à Corfou.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 4 messidor an 5

(22 juin 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, traduire devant le conseil militaire
de sa division le citoyen Hibert, capitaine de la quatre-vingt-cinquième
demi-brigade, pour avoir marché à la tête d'un rassemblement armé,
composé partie de Français tirés des dépôts, partie d'Italiens, à
l'instigation de plusieurs étrangers soi-disant patriotes, ayant à
cet effet surpris un ordre à l'adjudant-général de la division de la
Lombardie: le but de ce rassemblement étant de troubler l'harmonie
existante entre la république française et celle de Gênes, et comme tel,
étant coupable d'un délit d'autant plus grand, que les conséquences
pouvaient en être plus funestes:

L'effet de ce rassemblement ayant été de faire périr trois ou quatre
soldats français qui croyaient servir leur patrie en marchant sous les
ordres du citoyen Hibert;

L'effet de ce rassemblement ayant encore été 1°. de troubler la
tranquillité du peuple de Piève; 2°. d'accoutumer les Italiens à verser
le sang français sans scrupule et sans crainte: ce qui, par la suite,
pourrait avoir des conséquences plus considérables encore.

BONAPARTE.



_Note._

Les soussignés plénipotentiaires de la république française ont transmis
à leur gouvernement la note remise par M. le marquis de Gallo lors
de l'échange des ratifications des préliminaires de Léoben: ils ont
l'honneur de faire part à leurs excellences, MM. les plénipotentiaires
de S. M. l'empereur et roi, de la réponse qui leur a été faite par le
directoire exécutif de la république française.

Elle autorise les plénipotentiaires français à déclarer que l'intention
du directoire exécutif est de se conformer exactement, dans toutes les
circonstances, à la teneur de l'article second des préliminaires de
Léoben, relatif au cérémonial, auquel il n'a point été porté atteinte
dans l'acte de ratification des préliminaires remis par le général en
chef Bonaparte, puisque ces préliminaires établissent seulement les
bases préparatoires des négociations relatives à la paix séparée de S.
M. impériale, en sa qualité de roi de Hongrie et de Bohême.

Les plénipotentiaires de la république française prient leurs
excellences MM. les plénipotentiaires de S. M. l'empereur et roi
d'agréer l'assurance de leur haute considération.

A Montebello, le 3 messidor an 5 de la république française (23 juin
1797).

BONAPARTE et H. CLARKE.



_Note de MM. les plénipotentiaires français_

Le gouvernement de la république batave ayant réclamé, par l'entremise
de son ministre à Paris, l'intervention du directoire exécutif de la
république française auprès de S. M. l'empereur et roi, en faveur
du citoyen Pernet, secrétaire du ministre batave près M. le duc de
Wurtemberg, retenu prisonnier, et pour lequel le ministre batave van
Haestein a reçu l'ordre de faire des démarches à Vienne, les soussignés
plénipotentiaires de la république française sont chargés, de la part
du directoire exécutif, de demander à leurs excellences MM. les
plénipotentiaires de S. M. impériale et royale, que le citoyen Pernet
soit remis en liberté le plus promptement possible.

Les soussignés s'estiment heureux d'avoir à présenter à S. M. l'empereur
et roi cette occasion de satisfaire son inclination à faire le bien,
et ils ne doutent point du succès d'une demande dont l'accomplissement
intéresse particulièrement le directoire exécutif de la république
française.

Ils ont l'honneur de saluer leurs excellences MM. les plénipotentiaires
de S. M. l'empereur et roi.

Montebello, le 3 messidor an 5 de la république française (23 juin
1797).

BONAPARTE et H. CLARKE.



Au quartier-général à Montebello, le 8 messidor an 5

(26 juin 1797).

_Au chef de l'état major._

Vous voudrez bien, citoyen général, vous faire remettre, par le chef
de brigade Landrieux, les lettres interceptées sur un courrier que M.
d'Entraigues envoyait, dont une était adressée au représentant du peuple
Boissy d'Anglas, et que lui a remise l'administration de la police de la
Lombardie.

Vous voudrez bien lui donner en outre l'ordre de se rendre en prison
pour ne m'avoir pas fait passer sur-le-champ ces papiers qu'il a depuis
deux jours.

BONAPARTE.



Du 11 messidor an 5 (29 juin 1797).

PROCLAMATION.

_A la république cisalpine._

La république cisalpine était depuis long-temps sous la domination de
la maison d'Autriche: la république française a succédé à celle-ci
par droit de conquête, elle y renonce dès ce jour, et la république
cisalpine est libre et indépendante. Reconnue par la France et par
l'empereur, elle le sera bientôt par toute l'Europe.

Le directoire de la république française, non content d'avoir employé
son influence et les victoires des armées républicaines pour assurer
l'existence politique de la république cisalpine, ne borne pas là
ses soins. Convaincu que si la liberté est le premier des biens, une
révolution entraîne à sa suite le plus terrible des fléaux, il donne au
peuple cisalpin sa propre constitution, le résultat des connaissances de
la nation la plus éclairée.

Du régime militaire le peuple cisalpin doit donc passer à un régime
constitutionnel.

Afin que ce passage puisse s'effectuer sans secousse, sans anarchie, le
directoire exécutif a cru devoir, pour cette seule fois, faire nommer
les membres du gouvernement et du corps législatif, de manière que le
peuple ne nommera qu'après un an aux places vacantes, conformément à la
constitution.

Depuis longtemps il n'existait plus de républiques en Italie. Le feu
sacré de la liberté y était étouffé, et la plus belle partie de l'Europe
était sous le joug des étrangers.

C'est à la république cisalpine à montrer au monde, par sa sagesse, par
son énergie et par la bonne organisation de ses armées, que l'Italie
moderne n'a pas dégénéré, et qu'elle est encore digne de la liberté.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 14 messidor an 5

(2 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie différentes notes qui nous ont été remises par MM. les
plénipotentiaires de l'empereur; ils sont parus pour Udine, où le
général Clarke va se rendre: je m'y rendrai dès l'instant que les
susdits plénipotentiaires auront reçu les pouvoirs et les instructions
pour la paix définitive.

Je ne sais à quoi attribuer, si ce n'est à la situation intérieure de la
France, les longueurs que l'empereur porte dans la négociation.

J'ignore quand ces messieurs se décideront; mais il me semble que l'on
cherche à allonger. L'empereur se comporte comme s'il ne voulait plus la
paix; son état militaire augmente, et il fait faire des têtes de pont
sur toutes les rivières, telles que la Save et la Drave.

Je vous envoie aussi copie de la lettre que m'écrit la république des
Grisons, et celle de ma réponse.

La Valteline est en pleine insurrection, elle veut s'incorporer avec le
Milanez; mais il me semble qu'il serait plus avantageux et plus juste
qu'elle restât avec les Grisons, en formant une quatrième ligue:
cependant on aura de la peine à faire comprendre cela aux Valtelins.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 15 messidor an 5

(3 juillet 1797).

_A M. Bataglia, ancien provéditeur de la république de Venise._

J'ai reçu avec le plus grand plaisir, monsieur, la dernière lettre que
vous vous êtes donné la peine de m'écrire de Venise. Lorsque j'ai vu
votre nom à une infâme proclamation qui a paru dans le temps, j'ai
reconnu que ce ne pouvait être que l'oeuvre de vos ennemis et des
méchans. La loyauté de votre caractère, la pureté de vos intentions, la
véritable philosophie que j'ai reconnue en vous pendant tout le temps
que vous avez été chargé du pouvoir suprême sur une partie de vos
compatriotes, vous ont captivé mon estime: si elle peut vous dédommager
des maux de toute espèce que vous avez endurés pendant ce dernier temps,
je me trouverai heureux.

Comptez, monsieur, que, dans toutes les circonstances, je saisirai
l'occasion de pouvoir faire quelque chose qui vous soit agréable.
Pourquoi, au lieu de M. Pezaro, ne me fûtes-vous pas envoyé à Goritzia?
La force des raisons et des choses que vous auriez entendues, vous eût
mis à même de triompher dès-lors de la ridicule oligarchie qui a voulu
se naufrager jusqu'au port.

Oui, monsieur, je me plais à le dire, quatre ou cinq cents Français qui
ont été assassinés à Verone vivraient encore, et l'oligarchie de Venise,
désormais trop en dissonance avec les lumières et le nouveau système de
toute l'Europe, aurait dû céder à un gouvernement plus sage; elle aurait
au moins fini sans se rendre coupable d'un crime dont les historiens
français ne pourront trouver le semblable sans être obligés de remonter
à plusieurs siècles.

Je vous ai connu dans un temps où je prévoyais peu ce qui devait
arriver, et je vous ai vu dès-lors ennemi de la tyrannie et désirant la
véritable liberté de votre patrie.

Je vous prie, monsieur, de croire aux sentimens, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 15 messidor an 5

(3 juillet 1797).

_A l'administration municipale de Marseille._

J'ai reçu, citoyens, votre lettre du 4 prairial. Votre ville, si
intéressante par l'étendue de son commerce, a besoin de la tranquillité,
de la confiance et d'un bon gouvernement. Je me flatte que bientôt elle
reprendra le même lustre qu'elle avait dans le temps passé. L'armée
d'Italie, qui a contribué, en quelque chose, à donner de la
considération à la république française en Italie, se trouve par là même
avoir rendu à la ville de Marseille un service tout particulier. J'ai
lu avec intérêt et avec un sentiment de gratitude les choses flatteuses
pour l'armée d'Italie contenues dans l'arrêté que vous m'avez envoyé.
La vraie récompense des armées ne consiste-t-elle pas dans l'opinion de
leurs concitoyens? Croyez, je vous prie, aux sentimens d'estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 16 messidor an 5

(4 juillet 1797).

_Au président de l'administration centrale de la Drôme._

J'ai reçu, citoyen, les différentes lettres qu'a bien voulu m'écrire le
département de la Drôme pendant le cours de la campagne. Je reçois, de
tous les côtés de la république, un si grand nombre de lettres, qu'il
ne m'est pas toujours possible de répondre exactement. L'estime de mes
concitoyens est la seule récompense digne du dévouement et des services
que le soldat a rendus à la république.

Votre département, qui a fourni à l'armée de très-bons bataillons et
de forts bons officiers, a, sous ce point de vue, acquis un titre
particulier à la reconnaissance de la France.

Croyez, je vous prie, que, de mon côté, j'attache le plus grand prix à
votre estime.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 16 messidor an 5

(4 juillet 1796).

_Au citoyen Canclaux, ministre de la république à Naples_

J'ai reçu, citoyen général, les deux lettres que vous m'avez écrites.
Je vous remercie de ce que vous avez bien voulu vous donner la peine de
remplir la commission qui m'intéressait.

On assure que le roi de Naples arme toujours, qu'il y a beaucoup
d'alarmes à Naples sur le projet qu'on nous suppose avoir d'envahir ce
pays: cela me paraît si extravagant, que je ne puis croire que cette
crainte affecte la cour. Je vous prie de me faire connaître de quelle
nature sont les armemens que fait la cour de Naples, l'emploi et le
nombre des troupes que le roi de Naples a aujourd'hui sur pied.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 16 messidor an 5

(4 juillet 1797).

_A la municipalité provisoire de Venise._

L'embargo qui a été mis sur les vaisseaux existans dans le port
de Venise, n'a eu d'autre but que de maintenir le plus possible
l'expédition du Levant.

Vous pourrez donc, à dater du 26 prairial, rouvrir votre port comme
avant la révolution; mais il est indispensable que vous preniez les
mesures nécessaires pour que les vaisseaux appartenant à une puissance
ennemie de la république soient arrêtés.

Prenez des mesures pour que toutes les richesses qui, de tous les points
de l'Italie, ont été envoyées à Venise, n'en sortent pas, afin que vous
puissiez, dans toutes les circonstances de votre révolution, avoir des
garans pour subvenir aux dépenses publiques.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 18 messidor an 5

(6 juillet 1797).

_Au citoyen Antonio Garruchio, astronome à Verone._

J'ai donné l'ordre, citoyen, au citoyen Haller de vous faire rembourser
la somme de 4000 francs, pour vous indemniser des pertes que vous avez
faites pendant les malheureux événemens de Verone. Je lui ai ordonné de
prendre des mesures pour faire augmenter de 10,000 liv. le fonds de la
société italienne de Verone, légué par le célèbre Loerga. Nous sommes
redevables à cette société de plusieurs mémoires utiles sur les sciences
exactes.

Vous ne devez avoir aucune espèce d'inquiétude pour la société
italienne, et je vous prie de me faire connaître tout ce qu'il y aurait
moyen de faire pour améliorer son organisation, et pour la rendre plus
utile au progrès des connaissances humaines.

Croyez, je vous prie, au désir que j'ai de faire quelque chose qui soit
avantageux à votre société.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Montebello, le 18 messidor an 5

(6 juillet 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien donner l'ordre au général de brigade Dufresse, de
restituer sur-le-champ tout ce que sa femme a pris, à Mestre, aux
différens propriétaires, et entre autres les voitures de la maison où
l'a logée le citoyen Erizzo.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 messidor an 5

(9 juillet 1797).

_A M. le marquis de Saint-Marsan._

Je reçois, monsieur le marquis, la lettre que vous avez bien voulu me
remettre, de M. Priocca, ministre de S. M. le roi de Sardaigne. Je donne
ordre au général de division Sauret et au général qui commande Coni,
de laisser entrer dans les citadelles de Tortone, d'Alexandrie, de
Cherasco, Ceva, Coni, l'officier du génie ou d'artillerie que S. M.
voudra bien nommer, pour visiter lui-même les travaux que M. Priocca
suppose que l'on fait dans ces forts, et qui, à ce qu'il me paraît, font
naître quelques inquiétudes.

Les officiers que S. M. enverra la convaincront que je n'ai fait faire
à aucun des postes du Piémont aucune espèce de travail, qu'il est
impossible d'être plus satisfait que nous ne le sommes, de la conduite
du cabinet de S. M. envers la république française; que non-seulement on
ne doit avoir aucune espèce d'inquiétude de notre côté, mais qu'encore
je ferai tout ce que S. M. peut désirer pour la rassurer et pour
contribuer à la tranquillité d'une cour qui, depuis quelques mois, nous
a donné de véritables marques de ses bons sentimens à notre égard.

Je n'ai point envoyé de troupes lombardes en Piémont, et mon intention
n'a jamais été d'en envoyer. Il est vrai que mon projet serait de faire
passer un bataillon polonais à Coni, afin de pouvoir réunir à l'armée la
quarante-cinquième demi-brigade; mais si S. M. témoigne le moindre désir
que cela ne se fasse pas, et même, si elle est mécontente de quelques
officiers généraux employés dans ses états, je m'empresserai de les
changer sur-le-champ.

Sachant que M. Ranza cherchait, par des écrits incendiaires, à prêcher
l'insurrection dans les états de S. M., je l'ai fait arrêter et conduire
à la citadelle de Milan.

Je vous prie, M. le marquis, avant de quitter Milan, de me faire
connaître ce qu'il serait possible que je fisse pour témoigner à S. M.
les sentimens d'amitié qu'a pour elle la république française, et le
désir que j'ai de lui être agréable et de contribuer à sa prospérité et
à son bonheur particulier.

Je vous prie, M. le marquis, de croire à l'estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 messidor an 5

(11 juillet 1797).

_A son altesse royale le duc de Parme._

Depuis que la république française a conclu la paix avec votre A. R.,
j'ai saisi tontes les occasions qui se sont offertes pour prouver
à votre A. R. le désir que j'ai de lui être utile. J'ai donc été
très-surpris de voir dans une note qu'a remise M. d'El Campo au
directoire exécutif de la république française, des plaintes que votre
A. R. porte sur je ne sais quel projet extravagant dont elle pense que
le directoire exécutif de la république française est occupé.

Il paraît, par la note de M. d'El Campo, que c'est M. le comte de Paliti
qui a imaginé, probablement pour se faire valoir, ce beau projet. Je
prie donc votre A. R de vouloir bien rappeler M. le comte de Paliti, ne
voulant pas avoir auprès de moi un intrigant qui fait mauvais usage de
la confiance que vous avez en lui.

Je vous prie, au reste, de croire aux sentimens d'estime et à la
considération distinguée, avec laquelle, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 messidor an 5

(13 juillet 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, prendre des mesures pour qu'aucune
gazette tendant à porter le découragement dans l'armée, à exciter les
soldats à la désertion et à diminuer l'énergie pour la cause de la
liberté, ne s'introduise dans l'armée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 messidor an 5

(13 juillet 1797).

_Proclamation à l'armée d'Italie._

_Soldats!_

C'est aujourd'hui l'anniversaire du 14 juillet: vous voyez devant vous
les noms de nos compagnons d'armes morts au champ d'honneur pour la
liberté de la patrie. Ils vous ont donné l'exemple: vous vous devez tout
entiers à la république; vous vous devez tout entiers au bonheur de
trente millions de Français; vous vous devez tout entiers à la gloire de
ce nom qui a reçu un nouvel éclat par vos victoires.

Soldats! je sais que vous êtes profondément affectés des malheurs qui
menacent la patrie; mais la patrie ne peut courir de dangers réels. Les
mêmes hommes qui l'ont fait triompher de l'Europe coalisée, sont là.
Des montagnes nous séparent de la France, vous les franchirez avec la
rapidité de l'aigle, s'il le fallait, pour maintenir la constitution,
défendre la liberté, protéger le gouvernement et les républicains.

Soldats! le gouvernement veille sur le dépôt des lois qui lui est
confié. Les royalistes, dès l'instant qu'ils se montreront, auront vécu.
Soyez sans inquiétude, et jurons, par les mânes des héros qui sont morts
à côté de nous pour la liberté, jurons sur nos nouveaux drapeaux guerre
implacable aux ennemis de la république et de la constitution de l'an 3.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 27 messidor an 5 (16 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie la copie d'une lettre que je reçois du général Clarke:
vous y verrez que l'on allonge toujours. Il est hors de doute que
l'empereur veut voir la tournure que prendront les affaires en France,
et que l'étranger est pour plus que l'on ne croit dans toutes ces
machinations.

L'armée reçoit une grande partie des journaux qu'on imprime à Paris,
surtout les plus mauvais; mais cela produit un effet tout contraire à
celui qu'ils se promettent. L'indignation est à son comble dans l'armée.
Le soldat demande à grands cris si, pour prix de ses fatigues et de six
ans de guerre, il doit être, à son retour dans ses foyers, assassiné
comme sont menacés de l'être tous les patriotes. Les circonstances
s'aggravent tous les jours, et je crois, citoyens directeurs, qu'il est
imminent que vous preniez un parti. Je vous fais passer la proclamation
que j'ai faite à l'armée, le 25 de ce mois: elle a produit le meilleur
effet.

Il n'y a pas un seul homme ici qui n'aime mieux périr les armes à la
main, que de se faire assassiner dans un cul-de-sac de Paris.

Quant à moi, je suis accoutumé à une abnégation totale de mes intérêts;
cependant je ne puis pas être insensible aux outrages, aux calomnies que
quatre-vingts journaux répandent tous les jours et à toute occasion,
sans qu'il y en ait un seul qui les démente; je ne puis pas être
insensible à la perfidie et au tas d'atrocités contenues dans cette
motion d'ordre imprimée par l'ordre du conseil des cinq-cents. Je vois
que le club de Clichi veut marcher sur mon cadavre pour arriver à
la destruction de la république. N'est-il donc plus en France de
républicains? Et, après avoir vaincu l'Europe, serons-nous donc réduits
à chercher quelque angle de la terre pour y terminer nos tristes jours?

Vous pouvez d'un seul coup sauver la république, deux cent mille
têtes peut-être qui sont attachées à son sort, et conclure la paix en
vingt-quatre heures. Faites arrêter les émigrés; détruisez l'influence
des étrangers; si vous avez besoin de force, appelez les armées; faites
briser les presses des journaux vendus à l'Angleterre, plus sanguinaires
que ne le fut jamais Marat.

Quant à moi, citoyens directeurs, il est impossible que je puisse vivre
au milieu des affections les plus opposées: s'il n'y a point de remède
pour faire finir les maux de la patrie, pour mettre un terme aux
assassinats, et à l'influence des royalistes, je demande ma démission.

Je vous envoie un stylet pris sur les assassins de Verone.

Mais, dans toutes les circonstances, le souvenir des marques constantes
que vous m'avez données de la confiance la plus illimitée, ne sortira
jamais de ma mémoire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 messidor an 5 (17 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie copie de la lettre que m'écrit le général Clarke.

M. Baptiste est parti de Montebello le 5 messidor. Quatre jours avant,
MM. les plénipotentiaires avaient fait partir un courrier, qui portait à
peu près la même chose. Voilà donc près d'un mois que la cour de Vienne
laisse ses plénipotentiaires et ne répond à rien.

Il est bien évident que la cour de Vienne n'est pas de bonne foi, et
qu'elle traîne en longueur pour attendre la décision des affaires
intérieures, que toute l'Europe croit très-prochaine.

Voulez-vous épargner cinquante mille hommes de l'élite de la nation qui
vont périr dans cette nouvelle campagne? Faites briser avec quelque
appareil les presses du _Thé_, du _Mémorial_, de la _Quotidienne_[15];
faites fermer le club de Clichi, et faites faire cinq ou six bons
journaux constitutionnels.

Cette crise, qui, en réalité, sera extrêmement légère, suffira pour
faire voir à l'étranger qu'il n'a encore rien à espérer: elle rétablira
l'opinion et ôtera aux soldats cette vive inquiétude qui anime toutes
les têtes, et qui finira par des explosions dont les conséquences ne
peuvent pas se prévoir.

Il est bien malheureux que, lorsque nous commandons à l'Europe, nous ne
puissions pas commander à un journal de la faction royale qui lui est
évidemment vendu!

À quoi sert que nous remportions des victoires à chaque instant du jour?
Les menées dans l'intérieur annulent tout, et rendent inutile le sang
que nous versons pour la patrie.

Le gouvernement de ce pays-ci se consolide.

À Gênes, l'esprit public est comme en 1789 en France.

BONAPARTE.

[Footnote 15: Le Thé, le Mémorial et la Quotidienne étaient trois
journaux royalistes qui paraissaient à cette époque.]



Au quartier-général à Milan, le 29 messidor an 5 (17 juillet 1797).

_Au chef de l'état-major._

Le commandant de Lombardie doit agir dans la Lombardie et à Milan, comme
s'il n'y avait à Milan que deux ou trois cents hommes pour garder la
citadelle; car il est possible que, d'un instant à l'autre, il se trouve
effectivement réduit à ces seules troupes pour garder la citadelle: dès
lors, toutes les gardes à Milan, même les gardes de nos établissemens,
même celles des spectacles, doivent être de la garde nationale.

Il est également inutile que la police envoie tous les jours un rapport
au commandant de la place; elle sera seulement tenue de lui donner des
renseignemens toutes les fois qu'il lui en demandera.

La demande qu'a faite l'adjudant-général de la légion lombarde, des
registres du commandant de la place, n'est pas fondée; il doit faire ses
registres à part. J'approuve fort que le commandant de la Lombardie ait
des agens secrets qui l'instruisent de tout ce qui se passe à Milan et
dans les autres places de la Lombardie; mais cette police doit être
secrète et n'avoir pour but que de connaître ce qui se tramerait.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 messidor an 5 (17 juillet 1797).

_Au ministre de la marine._

Venise, qui fournit de grands avantages à la marine, réclame de vous,
citoyen ministre, douze ou quinze permissions qui mettent les bâtimens
les plus riches à l'abri des Algériens: ces corsaires lui ont déclaré la
guerre depuis environ trois mois, ce qui ruine entièrement son
commerce. Si vous pouvez prendre en considération cet objet, il sera
très-avantageux pour indemniser ce pays des pertes qu'il fait tous les
jours.

BONAPARTE.



Au quartier-général de Milan, le 29 messidor an 5 (17 juillet 1797).

_Au chef de l'état-major._

Je vous prie, citoyen général, d'envoyer sur-le-champ un courrier au
général Augereau pour lui dire que, ne pouvant pas encore de quelques
jours me rendre à Verone, je désire qu'il vienne le plus tôt possible à
Milan; vous le préviendrez que mon appartement d'en bas étant vide, il
peut y descendre.

Vous accorderez une permission de deux mois au général Mireur, qui me
l'a demandée pour terminer des affaires de famille.

Vous écrirez au général Belliard que, dès l'instant que le général
Joubert sera de retour du congé qu'il a demandé, je lui accorderai la
permission d'aller à Rome.

Vous donnerez l'ordre au général Dessoles de partir demain pour
rejoindre sa division.

Vous ordonnerez au général de brigade Leclerc de partir demain pour se
rendre à Monza, où il prendra le commandement de la onzième et de la
douzième d'infanterie légère.

Vous écrirez au général de brigade Dupuy, qu'étant instruit par le
général Brune qu'il a pris connaissance de l'affaire dont il m'a porté
des plaintes, je pense que le général Brune y aura mis ordre: ou, dans
le cas contraire, j'attendrai le rapport que me fera ce général, pour
prendre les mesures que je croirai nécessaires.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 messidor an 5 (17 juillet 1797).

_Au général Clarke._

Je reçois dans l'instant votre lettre du 23 messidor: comme je vois que
les choses en sont toujours au même point, j'attendrai, pour me rendre à
Udine, l'arrivée du tant désiré M. Baptiste.

Je vous ai fait passer, par un courrier, les dernières nouvelles
de Paris, j'en attends un autre à chaque instant. Les affaires se
brouillent de plus en plus, et on ne peut presque plus douter que ce
ne soit l'effet des machinations de l'étranger pour entraver les
négociations.

Demain, nous célébrons ici la fête de l'armée. Je vous envoie l'imprimé
que j'ai fait passer à Udine et à toutes les divisions de l'armée, ne
pouvant m'y rendre moi-même.

Dès que vous m'aurez annoncé l'arrivée du secrétaire de légation, M.
Baptiste, je partirai sur-le-champ pour Udine.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 messidor an 5 (17 juillet 1797).

_Au même._

Il est difficile, je crois, de mettre en doute aujourd'hui que
l'empereur veut gagner du temps: quel en est le motif? Il est difficile
de l'imaginer, à moins que de le voir dans les journaux royalistes, le
club de Clichi et la rentrée des émigrés. Je l'ai dit positivement au
gouvernement; il me semble qu'il est aisé de fermer le club de Clichi,
de briser toutes ses presses, et de faire arrêter une douzaine
d'émigrés: cela seul peut nous assurer la paix.

Croyant que je devais partir pour Udine, j'étais revenu à Milan, où
il fait une chaleur affreuse. Je suis bien fâché d'avoir quitté
actuellement Montebello.

Si M. Baptiste n'est pas arrivé lorsque vous recevrez ce courrier, je
suis d'avis que vous pressentiez ces MM. les plénipotentiaires par une
lettre courte et ferme, que vous leur déclariez qu'il est notoire
qu'on vous joue, que S.M. rompt les préliminaires, et qu'elle sera
responsable, aux yeux de l'Europe, des suites funestes qu'aura pour
l'humanité la guerre cruelle qui va recommencer.

Il paraît que les négociations de Lille sont commencées.

Si jamais il était possible de conclure la paix avec l'Angleterre, il
faudrait que l'empereur se souvînt de sa mauvaise foi.

Les choses vont parfaitement ici et à Gênes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 30 messidor an 5 (18 juillet 1797).

_Au même._

Je reçois à l'instant même, citoyen général, votre lettre du 28.
J'espère en recevoir une demain avec le récit de l'entrevue que vous
aurez eue avec M. de Gallo, cela me décidera à partir: je passerai par
Verone, Vicence, Padoue et Trévise, où je passerai la revue de ces
quatre divisions.

Tout est ici fort tranquille. J'ai reçu de nouveaux ordres du directoire
pour réunir Bologne et Ferrare avec les Cisalpins; j'ai pris le _mezzo
termine_ de laisser ces pays maîtres de faire ce qu'ils voudront,
puisque nous avons reconnu l'indépendance des républiques cisalpine et
cispadane. S'ils veulent se réunir, nous ne pouvons pas les en empêcher:
j'ai préféré ce parti, quoiqu'il puisse entraîner quelques inconvéniens,
à celui de donner un ordre de réunion.

Ce courrier-ci ne partira que lorsque la poste sera arrivée, afin de
vous envoyer vos lettres, si vous en avez, et les principaux journaux.

J'ai fait partir hier, par un courrier extraordinaire, copie de la
lettre que vous m'avez écrite; je fais partir à l'instant même votre
dernière.

Je joins ici copie de la lettre que j'ai écrite au directoire en
envoyant l'une et l'autre.

Comme vous le verrez, je me suis lancé très-avant et mis très-volontiers
en butte à toutes les factions. Cela serait très-mal calculé, si
je trouvais dans l'ambition et l'occupation de grandes places ma
satisfaction et le bonheur; mais ayant placé de bonne heure l'une et
l'autre dans l'opinion de l'Europe entière et dans l'estime de la
postérité, j'ai pensé que je ne devais pas être arrêté par tous ces
calculs et ce grand tapage des factions: je vous avoue cependant que je
désire bien de rentrer dans la vie privée; j'ai payé ma part.

BONAPARTE.



Milan, le... messidor an 5 (... juillet 1797).

_Au même._

Je vous fais passer les deux notes que vous devez remettre à MM. les
plénipotentiaires, je vous envoie en conséquence deux morceaux de papier
signés en blanc.

Talleyrand a remplacé Ch. Lacroix; Hoche, Petiet, François de
(Neuchâteau), Benezech, Pléville, Truguet, Lenoir la Roche, Cochon,
Merlin et Ramel restent.

D'après ce que disent quelques journaux, il paraît qu'il y a eu quelques
divisions entre Carnot et Barthélemi: d'un côté est Barras; Rewbell et
Laréveillère-Lépaux de l'autre.

Le Piémont est en pleine insurrection, j'attends à chaque instant un
courrier de Paris.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 30 messidor an 5 (18 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie copie de la lettre que je reçois du général Clarke.

Le célèbre M. Baptiste est arrivé, il n'apporte rien de décisif: voilà
de la mauvaise foi bien caractérisée.

Je vais partir incessamment pour Udine, quoique je voie que je n'ai pas
grand'chose à y faire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 30 messidor an 5 (18 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie la copie de deux adresses de la division Masséna et
Joubert; l'une et l'autre sont revêtues de douze mille signatures.

La situation des esprits à l'armée est très-prononcée pour la république
et la constitution de l'an 3. Le soldat, qui reçoit un grand nombre
de lettres de l'intérieur, est extrêmement mécontent de la tournure
sinistre que paraissent y prendre les choses.

Il paraît aussi que l'on a été affecté du bavardage de ce Dumolard,
imprimé par ordre de l'assemblée et envoyé en grande profusion à
l'armée.

Le soldat a été indigné de voir que l'on mettait en doute les
assassinats dont il a été la victime. La confiance de l'armée d'Italie
dans le gouvernement est sans borne: je crois que la paix et la
tranquillité dans les armées dépendent du conseil des cinq-cents. Si
cette première magistrature de la république continue à prêter une
oreille complaisante aux meneurs de Clichi, elle marche droit à la
désorganisation du gouvernement; nous n'aurons point de paix, et cette
armée-ci sera presque exclusivement animée par le désir de marcher
au secours de la liberté et de la constitution de l'an 3. Soyez bien
persuadés, citoyens directeurs, que le directoire exécutif et la patrie
n'ont pas d'armée qui leur soit plus entièrement attachée.

Quant à moi, j'emploie toute mon influence ici à contenir dans les
bornes le patriotisme brûlant, qui est le caractère distinctif de tous
les soldats de l'armée, et à lui donner une direction avantageuse au
gouvernement.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 4 thermidor an 5 (22 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je partais pour Udine, citoyens directeurs, lorsque j'ai reçu la lettre
que je vous fais passer, du général Clarke. M. de Gallo et M. Baptiste
étant partis pour Vienne, et ne restant plus à Udine que M. de
Meerveldt, qui ne se trouve revêtu d'aucune espèce de pouvoir, je
n'ai pas cru devoir me rendre dans cette ville, ma présence étant
très-nécessaire dans tous ces pays-ci pour y prendre des mesures,
afin que, dans tout événement, nos derrières se trouvent parfaitement
organisés et assurés.

Il n'est plus possible de concevoir le moindre espoir et de mettre en
doute que nous sommes horriblement joués. La cour de Vienne ne paraît
avoir été de bonne foi que jusqu'à l'arrivée de M. le général de
Meerveldt à Montebello.

Aujourd'hui je ne vois qu'un seul parti à prendre, c'est que vous
déclariez vous-mêmes, afin de donner encore plus d'importance à la
chose, que si, vers la fin du mois d'août, tout n'est pas fini, les
préliminaires se trouveraient d'eux-mêmes annulés, et la guerre
recommencerait. Il faudrait en même temps donner des ordres à vos
différens généraux pour que tous se tinssent prêts à entrer en campagne.

La guerre commençant à l'entrée de septembre, nous donnerait deux
mois et demi à trois mois, dans lesquels il serait possible de forcer
l'empereur à conclure une paix plus avantageuse encore que celle qui
devait être conclue en conséquence des préliminaires.

Si septembre se passe en négociations, il deviendra difficile, en
octobre, de frapper la maison d'Autriche de ce côté-ci, et dès-lors
l'empereur nous tiendra tout l'hiver dans l'incertitude où nous sommes
aujourd'hui.

Quant aux opérations de la guerre, si elle doit avoir lieu, je ne vois
pas de difficultés majeures qui m'empêchent de me trouver à Gratz dans
le mois de la reprise des hostilités.

Je ne suis point assez fort en cavalerie, quoique celle que j'ai soit
dans un très-bon état: elle ne se monte qu'à cinq mille hommes présens
sous les armes, d'où vous voyez qu'après les premiers combats et
quelques marches forcées, je me trouverai réduit à quatre mille hommes
de cavalerie. Je crois nécessaire que vous envoyiez ici trois à quatre
mille hommes de cavalerie, parmi lesquels je désirerais au moins quinze
cents hommes de grosse cavalerie. Je désirerais aussi trois nouvelles
compagnies d'artillerie à cheval. Si vous donnez actuellement les ordres
nécessaires, tout cela pourra arriver à Milan à la fin d'août.

Vous voyez que le temps est extrêmement précieux: vous seuls, qui êtes
au centre de la négociation de Lille, de celle d'Udine et des affaires
intérieures, pouvez prendre un parti décisif.

Si vous pensez devoir obliger l'empereur à se décider promptement, vous
pourrez, ce me semble, envoyer à M. Thugut un courrier avec votre note.
Par ce moyen-là, il y aurait une douzaine de jours de gagnés, ce qui est
bien essentiel dans le moment où nous nous trouvons.

Il est hors de doute que la cour de Vienne espère tout du bénéfice du
temps, et pense qu'en vous tenant dans l'incertitude où nous sommes,
c'est faire une diversion en faveur de l'Angleterre, et fomenter
d'autant les malveillans, si puissans et si nombreux dans l'intérieur
de la France. Il n'y a donc qu'une résolution prompte de notre part qui
puisse mettre ordre aux affaires de l'intérieur, et obliger l'empereur à
donner la paix à l'Europe.

J'écris au général Clarke pour l'engager à faire passer son secrétaire
de légation à Vienne. Je ne sais pas si le sieur Meerveldt voudra lui
donner un passeport sans avoir au préalable consulté le cabinet de
Vienne.

J'ai proposé à l'envoyé de Gênes de conclure un traité entre les deux
républiques, moyennant lequel Gênes s'engagerait à nous fournir et
à entretenir deux ou trois mille hommes; ce qui serait extrêmement
avantageux.

Je vous envoie la lettre que vient de m'écrire M. Priocca, avec la
réponse que je lui ai faite. Je crains bien que, malgré tous nos
ménagemens et tous nos soins pour maintenir dans ce pays la bonne
harmonie, il n'y arrive d'un instant à l'autre de très-grands
changemens: les finances sont le mal de ce pays, son papier-monnaie se
discrédite tous les jours davantage. Ce qui me fâche dans tout cela,
c'est que je crains que la situation actuelle du roi de Sardaigne ne le
mette hors d'état de nous fournir son contingent.

Les étrangers ne peuvent plus croire à la stabilité de notre
gouvernement, lorsqu'ils savent que tous les émigrés, que tous les
prêtres rentrent, et lorsqu'ils voient dans l'esprit qui anime les
hommes influens dans les conseils l'envie de perdre le gouvernement et
la république.

Je conjecture que M. de Gallo commence à être disgracié à la cour de
Vienne.

Du reste, tout va bien en Italie; le nouveau gouvernement de Milan
commence peu à peu à s'organiser.

Venise, dans l'incertitude de son sort, est sans organisation et sans
force.

Je vais autoriser la levée de deux ou trois bataillons dans les états de
terre-ferme vénitienne, dont je me servirai, si les choses se montrent,
pour la police de nos derrières.

Gênes va parfaitement bien: s'il y a quelque chose à craindre, c'est
trop d'enthousiasme.

Toutes les personnes qui viennent de ce pays, assurent que, dans aucune
époque de notre révolution, nous n'avons montré autant d'unanimité et
d'enthousiasme.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 4 thermidor an 5 (22 juillet 1797).

_Au chef de l'état-major._

J'ai vu avec la plus grande peine que les Autrichiens se soient
renforcés sur l'Isonzo, et qu'ils aient placé des vedettes comme si nous
étions en guerre.

Je vous prie d'écrire sur-le-champ au général ennemi qui vous est
opposé, pour lui faire connaître voire surprise sur ce changement de
manière d'être, et si, lorsque votre lettre arrivera, ce commandant ne
fait pas rétablir les choses comme elles étaient, c'est-à-dire, six
hommes à Cervignano, vous placerez une demi-brigade, deux escadrons de
cavalerie et deux pièces d'artillerie légère à Roncano, que je
crois être du territoire vénitien; mais si Roncano était un village
autrichien, vous placeriez ces troupes dans un village vénitien, de
manière que les troupes qui sont a Cervignano et sur toute la gauche de
l'Isonzo, pussent être coupées au moment où elles feraient un mouvement,
ou quelque chose qui fût contraire.

Vous ferez ramasser tous les bateaux que vous pourrez trouver, pour
jeter un pont sur l'Isonzo, du côté de San-Pietro, de manière cependant
que vous vous trouviez toujours sur le territoire vénitien. Vous ferez
faire à ce pont deux bonnes têtes de pont; vous tiendrez des postes
le plus près possible de Gradisca, en vous tenant cependant sur le
territoire vénitien.

Vous me ferez connaître les travaux que l'ennemi ferait ou aurait
fait faire au château de Goritzia, à la chiuza di Pluze; vous ferez
reconnaître le chemin depuis la frontière vénitienne au-delà de Puffero
jusqu'à Caporetto, et vous vous assurerez qu'ils n'ont fait aucune
espèce de retranchement dans toute cette partie.

J'ai fait passer à la division du général Victor la cinquante-huitième
demi-brigade, qui est forte de deux mille cinq cents hommes, et au
moindre mouvement je vous ferai passer la division de cavalerie du
général Dugua.

Assurez-vous que votre artillerie est bien approvisionnée et en état
d'entrer en campagne.

Rendez-vous vous-même à Palma-Nova; visitez avec le plus grand soin les
travaux de la place, les approvisionnemens d'infanterie; donnez ordre
que l'on redouble d'ardeur aux travaux, et que l'on n'oublie rien pour
rendre cette place respectable. Envoyez des espions dans la Carniole
et dans la Carinthie, et instruisez-moi dans le plus grand détail des
positions qu'occupe l'ennemi, de ses forces, et des points qu'il fait
retrancher.

Le général Berthier écrira également au général Victor pour qu'il presse
les travaux d'Ozopo; pour qu'il envoie des espions, afin de s'assurer
si les ennemis ont fait des travaux à Clagenfurth, s'ils en ont fait à
Tarvis, et enfin s'ils en ont fait aux différentes têtes de pont de la
Dresse.

Vous donnerez l'ordre également au citoyen Andréossi pour qu'il envoie
des officiers, afin de construire le pont sur l'Isonzo d'une manière
solide, et qu'il puisse nous servir, quelque temps qu'il fasse.

Vous donnerez l'ordre au général Masséna et au général Miollis, pour que
l'un et l'autre prennent des mesures pour raccommoder les chemins depuis
Mantoue jusqu'à Padoue.

Vous donnerez les ordres pour qu'on recommence les travaux des places de
Porto-Legnago et de Peschiera, et au commandant du génie pour continuer
et redoubler avec la plus grande activité les travaux de celles d'Ozopo
et de Palma-Nova.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 4 thermidor an 5 (22 juillet 1797).

_À monsieur Damian Priocca, ministre de S.M. le roi de Sardaigne._

Je ne vois aucun inconvénient, monsieur, à ce que vous fassiez passer
sur la ligne de démarcation les troupes que vous jugerez nécessaires
pour maintenir le bon ordre et la tranquillité dans les états de S.M.

J'ai donné les ordres les plus positifs pour que nos garnisons des
différentes villes qui sont dans nos mains ne se mêlent en aucune
manière des affaires intérieures.

Ne doutez pas, monsieur, de la part que je prendrai toujours à ce qui
pourra être agréable à S.M., et du désir que j'ai de faire quelque chose
qui puisse contribuer à la tranquillité de ses états.

M. Borghèse m'a parlé du désir qu'avait S.M. de pouvoir faire quelques
achats de blé dans les états occupés par les troupes françaises, je m'y
prêterai avec plaisir.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 4 thermidor an 5 (22 juillet 1797).

_Au général Clarke._

Je suis d'avis de répondre tout simplement à la note des
plénipotentiaires de l'empereur, que la convention signée à Léoben, le
5 prairial, a tout prévu; que nous nous en rapportons entièrement à son
contenu; que, après deux mois, il est singulier qu'on vienne remettre en
discussion une question déjà décidée; qu'il est donc évident que l'on ne
cherche que des prétextes pour traîner en longueur et gagner du temps.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 5 thermidor an 5 (23 juillet 1797).

_Au général Clarke._

Je partais lorsque j'ai reçu votre courrier: Gallo et Baptiste
n'étant plus à Udine, Meerveldt n'ayant aucun pouvoir, et leur note
caractérisant à chaque ligne leur mauvaise foi, je ne vois aucune
utilité dans mon voyage à Udine: tandis que le nouveau gouvernement de
ce pays-ci, les affaires du Piémont, celles des Grisons, rendent ma
présence à Milan plus utile.

Je vous fais passer copie de la lettre que j'écris au directoire
exécutif.

Je pense que nous n'avons rien à répondre à une note qui n'a point de
bon sens: la seule réponse serait de prévenir S. M. l'empereur que, si,
le 18 août, les négociations ne sont point terminées, nous regarderons
les préliminaires comme nuls; mais, dans la position actuelle de la
république, je né pense pas que ni vous ni moi nous puissions faire
cette opération.

J'ai ordonné de jeter un pont sur l'Isonzo, et de faire des têtes de
pont; je fais marcher une légion cisalpine à Palma-Nova, et j'augmente
de trois mille hommes la division du général Victor.

Si la république se trouvait dans une situation ordinaire, et que les
négociations de Lille ne nous fissent pas une loi impérieuse de ne
rien prendre sur nous, je vous avoue qu'à la réception de votre lettre
j'eusse mis en marche toutes mes divisions, et que, sous quinze jours,
j'eusse été sous Vienne; mais, dans les circonstances actuelles, c'est
au gouvernement seul à prendre le parti que sa sagesse et la situation
des choses peuvent lui prescrire.

Je désirerais que vous demandassiez un passe-port pour votre secrétaire
de légation, et que vous le fissiez passer à Vienne: il pourrait être
chargé d'une lettre pour M. de Gallo; il pourrait voir M. Thugut et
revenir avec des renseignemens certains sur la situation des choses dans
ce pays-là. Vous ne manqueriez pas de lui recommander de tenir note de
tout ce qu'il verra en route, soit de troupes, soit de nouveaux ouvrages
de campagne.

Je ferai partir mon aide-de-camp Marmont pour Vienne; il passera par le
Tyrol, et, par ce moyen, il n'aura pas de passe-port de M. de Meerveldt.
Le but de sa mission sera de connaître les espèces d'ouvrages que l'on
fait à Vienne, la situation militaire des esprits, le véritable état de
leurs troupes.

N'oubliez rien pour que M. de Meerveldt vous accorde le passe-port pour
votre secrétaire.

Dès l'instant que quelque plénipotentiaire arrivera avec des pleins
pouvoirs et une envie sincère de commencer les négociations, je me
transporterai rapidement à Udine.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 5 thermidor an 5 (23 juillet 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien, citoyen général, prévenir les généraux Masséna,
Joubert et Augereau, que mon intention est qu'il soit levé un bataillon
de cinq cents hommes dans chacun des arrondissemens de Padoue, Vicence
et Verone; chaque bataillon sera commandé par un chef de bataillon et
un adjudant-major français, un major du pays; la moitié des officiers,
français, ainsi que le tiers des sous-officiers.

Ils seront habillés en vert, en pantalon et veste seulement; ils auront
le collet, les paremens blancs; les officiers auront les épaulettes
d'argent.

Ces corps seront habillés, équipés, formés, soldés par les différens
gouvernemens centraux: ils porteront le nom de bataillon italien de
Padoue, de Vicence, de Verone.

Ils seront divisés en cinq compagnies, dont une de grenadiers. Si les
habitans ont des fusils, ils seront armés avec ces fusils, sans que je
donne ordre au général Miollis que sur votre récépissé il soit délivré
un nombre suffisant de fusils autrichiens, que les gouvernemens centraux
feront alléger, comme l'ont fait les Lombards.

L'intention du général en chef est d'attacher ces bataillons à ses
différentes divisions, pour servir aux différentes escortes, pouvoir
les opposer aux paysans et avoir avec nous, en cas que nous allions en
Allemagne, des otages qui nous assurent d'autant de la fidélité des pays
vénitiens.

Vous recommanderez expressément à ces différens généraux de ne se mêler
que secrètement de l'organisation et de la levée de ces bataillons,
mais de laisser faire toutes les démarches publiques et ostensibles aux
gouvernemens centraux.

Lesdits généraux de division autoriseront les gouvernemens centraux à
faire quelques aliénations de biens nationaux, afin de pouvoir subvenir
à l'organisation et à l'entretien desdits bataillons.

D'ici à huit jours, et lorsque ces trois bataillons seront en
organisation, vous donnerez les mêmes ordres aux généraux Serrurier et
Bernadotte; mais, comme les pays qu'ils occupent sont moins populeux et
moins portés, à ce qu'il paraît, pour la liberté, il faut s'assurer que
ces trois premiers bataillons prendront bien.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 thermidor an 5 (22 juillet 1797).

_Aux inspecteurs du conservatoire de musique, à Paris._

J'ai reçu, citoyens, votre lettre du 16 messidor, avec le mémoire qui y
était joint. On s'occupe, dans ce moment-ci, dans les différentes villes
d'Italie, à faire copier et mettre en état toute la musique que vous
demandez.

Croyez, je vous prie, que je mettrai le plus grand soin à ce que vos
intentions soient remplies et à enrichir le conservatoire de ce qui
pourrait lui manquer.

De tous les beaux arts, la musique est celui qui a le plus d'influence
sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager.
Un morceau de musique morale, et fait de main de maître, touche
immanquablement le sentiment, et a beaucoup plus d'influence qu'un
bon ouvrage de morale, qui convainc la raison sans influer sur nos
habitudes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 thermidor an 5 (26 juillet 1797).

_Au général Joubert._

Dans la position des négociations avec les Autrichiens, ce serait un
très-mauvais effet de faire juger par un conseil militaire des gens
accusés d'avoir eu quelques intelligences avec eux. Je préfère que vous
fassiez passer à Mantoue les trois hommes que vous avez arrêtés, où le
général Miollis les tiendra en arrestation jusqu'à nouvel ordre.

Quant aux sept communes, je ne suis point du tout content de ce que
le général Belliard, après y avoir été, s'en est retourné aussi
promptement: la raison des subsistances n'en peut pas être une: nous
avons bien vécu sur le sommet des Alpes! On pouvait donc laisser dans
ces villages, pendant quelques jours, des troupes pour les contenir et
les plier.

Prenez toutes les mesures nécessaires pour faire désarmer toutes les
sept communes; faites brûler les maisons des quatre principaux chefs,
entre autres celle de ce prêtre dont vous me parlez; prenez vingt-cinq
otages parmi ceux qui ont le plus de crédit, et faites-les conduire à
Mantoue; mettez dans le gouvernement les patriotes qu'ils ont chassés.

Après que tout cela sera fait, exigez de l'évêque de Vicence qu'il
envoie des missionnaires dans ce pays-là pour leur prêcher tranquillité,
obéissance, sous peine de l'enfer. À cet effet, faites venir chez vous
les missionnaires, en donnant à chacun quinze louis pour leurs frais de
route, en disant qu'au retour vous leur en donnerez autant.

Faites en sorte qu'il ne reste des armes dans aucune ville du Vicentin,
pas même à Vicence. Vous savez que, dans l'ordre général du désarmement,
il avait été dit que vous enverriez toutes les armes à Porto-Legnago.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 thermidor an 5 (27 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Le général Augereau m'a demandé de se rendre à Paris, où ses affaires
l'appellent. Je profite de cette occasion, pour vous faire passer la
pétition originale de l'armée.

Je vous ferai connaître de vive voix le dévouement absolu des soldats
d'Italie à la constitution de l'an 3 et au directoire exécutif.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 9 thermidor an 5 (27 juillet 1797).

_À M. le cardinal légat de Bologne._

J'ai reçu dans le temps, monsieur le cardinal, la lettre que vous
vous êtes donné la peine de m'écrire. Je n'ai pas ajouté foi, un seul
instant, aux bruits qui peuvent vous être désavantageux. Je connais trop
bien le véritable esprit religieux qui vous anime, pour penser que vous
employiez voire influence autrement que pour la tranquillité et l'ordre
public. J'apprends avec beaucoup de peine, monsieur le cardinal, les
chagrins domestiques qui troublent, dans ce moment-ci, votre repos: si
je puis contribuer en quelque chose à votre tranquillité et à votre
satisfaction, je vous prie de m'en faire part, et de croire aux
sentimens d'estime et de considération, etc., etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 10 thermidor an 5 (27 juillet 1797).

_Au général Clarke._

Il faudra, citoyen général, envoyer une note au duc de Bavière et aux
autres princes qui doivent de l'argent aux armées du Rhin en conséquence
de l'armistice, pour les requérir d'achever leur paiement.

Il faudra demander à chacun de ces princes qu'ils aient à verser, dans
le délai de huit jours, une telle somme à Bâle, entre les mains du
chargé d'affaires de France, de manière qu'il y ait deux millions payés
le plus tôt possible.

Déclarer que, si lesdites sommes ne sont pas payées, les armées
françaises rentreront dans les états desdits princes et seraient
obligées de les traiter en ennemis irréconciliables, et qui ont déjà
manqué à la foi des traités et aux engagemens les plus sacrés: ces notes
devront être envoyées par des courriers extraordinaires à Munich et
ailleurs.

BONAPARTE.



_Note des citoyens plénipotentiaires de la république française._

Les plénipotentiaires de la république française ont reçu les cinq
notes, datées du 18 juillet 1797, qui leur ont été adressées par leurs
excellences MM. les plénipotentiaires de S. M. l'empereur et roi,
d'après la remise de celle du même jour, relative à la tenue de deux
congrès. Ils continuent à voir, avec douleur, que le cabinet de Vienne
saisit tous les prétextes pour faire naître des obstacles, et s'opposer
à la conclusion de la paix: ils ne peuvent se dissimuler que les
apparences mêmes ne sont plus gardées. Le ton qui règne dans les notes
remises aux plénipotentiaires français; les nombreuses protestations
qu'elles contiennent; la nature extraordinaire des demandes qui y sont
présentées; les diverses marches des troupes autrichiennes: tout, en
un mot, annonce la guerre. La reprise des hostilités, de la part de
l'Autriche, ne semble retardée par elle que pour gagner du temps, et se
donner celui de fasciner les yeux de l'Europe par des protestations de
désir de la paix, au moment où le cabinet de Vienne paraît être dans des
intentions absolument contraires à ces protestations.

Comment croire à la sincérité de ce cabinet, puisque, lorsqu'il paraît
insister si fortement sur l'exécution des préliminaires de Léoben, il la
viole lui-même de la manière la plus évidente? En effet, quoiqu'on
ait cherché à donner à ces préliminaires une interprétation que les
plénipotentiaires français refusent d'admettre, et qui ne peut avoir
d'autre but que d'éloigner encore davantage de la conclusion de la paix,
il n'en est pas moins certain qu'on était convenu de conclure la paix
définitive dans l'espace de trois mois, à dater de leur signature; et
cet article principal des préliminaires, dont l'Europe entière désire
l'exécution, se trouve manifestement violé.

Déjà près de quatre mois se sont écoulés depuis cette époque; il y en a
trois que les soussignés ont fait connaître aux plénipotentiaires de
S. M. l'empereur et roi les pleins pouvoirs qu'ils avaient reçus du
directoire exécutif de la république française pour conclure et signer
la paix définitive: tandis que le cabinet de Vienne, loin d'imiter cette
conduite, s'est constamment attaché à ne faire porter les discussions
entre les négociateurs respectifs, que sur les objets qui ne se liaient
que par des rapports éloignés au but principal de la négociation.

L'article des préliminaires par lequel S. M. consentirait à une paix
séparée ne se trouve-t-il pas encore violé par la manifestation
consignée dans les notes de leurs excellences MM. les plénipotentiaires
autrichiens, de l'envie de S. M. l'empereur et roi de ne traiter qu'en
commun avec ses anciens alliés?

Mais ce qu'il est impossible de ne pas considérer comme une violation
manifeste de l'article premier des préliminaires secrets, c'est la
protestation remise par leurs excellences MM. les plénipotentiaires
autrichiens contre l'indépendance de la Lombardie, puisque cet article
porte textuellement:

«S. M. l'empereur renonce (et non pas renoncera) à la partie de ses
états en Italie qui se trouve au-delà de la rive droite de l'Oglio et de
la rive droite du Pô.»

S. M. l'empereur ne devait occuper le territoire vénitien qu'à la paix
définitive, et cependant elle s'empare de la Dalmatie et de l'Istrie,
c'est-à-dire des plus belles provinces de la république de Venise; elle
en chasse les garnisons, y établit son gouvernement, et le cabinet de
Vienne se plaint du changement de gouvernement de Venise!

S. M. l'empereur ne dissimule pas son impatience d'entrer en possession
des états de cette république, elle les voudrait tous: elle n'en excepte
ni les débouchés de l'Adige et de la Brenta, ni lu ville de Venise
elle-même, et cependant le cabinet de Vienne se dit animé d'une grande
sollicitude pour cette ancienne république!

L'armée française occupe, il est vrai, les états de Venise, comme elle
le faisait avant les préliminaires; elle occupe de plus la ville de
Venise; mais elle ne s'y tient que comme auxiliaire; ses troupes ne s'y
mêlent en aucune manière d'affaires politiques, et si quelques agens
subalternes de S. M. l'empereur ont été insultés, on ne doit sans doute
l'attribuer qu'au ressentiment de la part des Vénitiens de la violence
qu'a exercée l'armée impériale en entrant dans l'Istrie et la Dalmatie:
les plénipotentiaires ne pouvaient qu'interposer leur médiation entre S.
M. l'empereur et roi et la république de Venise; ils l'ont fait.

C'est cependant en conséquence des préliminaires, sur lesquels le
cabinet de Vienne n'insiste que lorsqu'il les a expliqués d'une manière
désastreuse pour la France, et quelquefois pour l'empereur lui-même, que
cinq provinces autrichiennes ont été restituées à S. M., que le port
intéressant de Trieste, et, avec lui, la faculté de reprendre son
commerce, lui ont été rendus.

Quant au changement de gouvernement à Venise et à Gênes, la république
française n'y a pris aucune part: elle ne s'en est mêlée qu'à la demande
des peuples, et pour éloigner les excès qui s'attachent ordinairement au
berceau des révolutions.

C'est donc aux gouvernemens de ces deux peuples que doivent s'adresser
les plénipotentiaires de S. M. impériale, pour tout ce qui les concerne.
Et comment les plénipotentiaires français ne seraient-ils pas frappés de
l'insincérité apparente du cabinet de Vienne, lorsqu'il paraît affecté
d'un changement arrivé à Venise, qui rend beaucoup plus facile
l'exécution des préliminaires? Cette conduite ne semble-t-elle pas
offrir une preuve d'un dessein formel du cabinet de Vienne de ne pas les
exécuter?

Pour ce qui est de l'affaire du duc de Modène, elle ne regarde en
aucune manière le gouvernement français: c'est une affaire de lui à ses
peuples.

S. M. l'empereur, sur la seule promesse de conclure sa paix séparée,
a obtenu la restitution de cinq provinces et l'éloignement de l'armée
française de sa capitale: aujourd'hui, que cette paix n'est pas encore
conclue, nonobstant le texte des préliminaires, le cabinet de Vienne
veut avoir cinq ou six forteresses et une grande partie de l'Italie, et
c'est en faisant également des promesses qu'il croit les obtenir! Mais,
après avoir vu élever tant d'obstacles qu'il était facile d'écarter;
après que les lenteurs extrêmes du cabinet de Vienne, et ses refus
prolongés d'adopter une marche qui convient aux intérêts des deux
puissances, ont si considérablement ajouté aux difficultés qui
s'opposent à la paix, les soussignés se voient forcés de recueillir les
voeux du cabinet de Vienne pour cette paix, plutôt dans des faits
que dans des protestations qui, jusqu'ici, n'ont rien produit que
d'illusoire, doivent à la république, qui les a honorés de sa confiance,
de ne s'écarter aucunement, dans le dessein de faire quelque chose
d'agréable à S. M. I., du strict sens des préliminaires, d'après
lesquels S. M. ne doit entrer qu'à la paix définitive dans les états de
Venise.

Si S. M. croit qu'il est de son intérêt d'occuper sur-le-champ ces
états, qu'elle fasse la paix sans délai; mais si le cabinet de Vienne
veut continuer à en empêcher la conclusion, l'intérêt de la république
française exige que les pays de Venise et les forteresses soient entre
les mains de son armée.

Quelque affligeant qu'il serait pour les plénipotentiaires français de
voir des négociations entamées depuis si long-temps se terminer par la
guerre, ils doivent à l'honneur de leur nation de demander si l'Autriche
la veut, et d'annoncer que la république française est plutôt disposée à
la faire, qu'à se laisser jouer par des subtilités ou des demandes à la
fois défavorables aux deux puissances, et singulièrement éloignées de la
bonne foi que les plénipotentiaires français n'ont cessé d'apporter dans
tout le cours de la première négociation.

Mais, dans cette situation de choses, les soussignés espèrent que MM.
les plénipotentiaires autrichiens emploieront tous leurs efforts pour
faire adopter, par le cabinet de Vienne, une marche plus convenable aux
intérêts mutuels, et un système qui rapproche immédiatement de la paix,
que les soussignés ne cessent d'offrir de conclure.

Les plénipotentiaires français pourraient répondre par des
contre-protestations aux notes qui leur ont été remises par leurs
excellences MM. les plénipotentiaires autrichiens; ils pourraient
retracer, dans des mémoires historiques, les efforts qu'ils n'ont cessé
de faire pour arriver à la conclusion de la paix définitive; mais ils
écartent ces moyens, parce que leur intention est d'éloigner tout ce qui
pourrait troubler encore davantage l'harmonie, qu'il est si essentiel
d'établir dans les négociations dont ils sont chargés. Ils savent
parfaitement que la paix, qu'il est instant de conclure, doit, pour être
solide et durable, être basée sur les intérêts mutuels; et l'ensemble
des préliminaires de Léoben a dû témoigner à S. M. l'empereur et roi,
que l'intention de la république française n'avait jamais été de priver
la maison d'Autriche d'une puissance égale à celle qu'elle avait avant
la guerre: les compensations qu'elle doit recevoir en offrent la preuve.
Elle se trouve encore dans la marche que les négociateurs français n'ont
cessé de suivre, et lorsqu'ils ont demandé quelques avantages pour la
république française, ils en ont toujours proposé d'équivalens pour la
maison d'Autriche. Si le cabinet de Vienne imitait cet exemple, les deux
puissances verraient bientôt succéder aux désastres enfantés par la
guerre le repos si ardemment désiré par les peuples: le directoire
exécutif de la république française a toujours voulu que la paix fût
également avantageuse et à l'Autriche et à la France, et surtout qu'elle
éloignât toute possibilité d'une guerre future entre elles, tant en
Italie qu'en Allemagne, en déterminant les frontières de telle manière
qu'aucune des deux puissances ne fût, en temps de paix, dans une
situation en quelque sorte offensive ou alarmante vis-à-vis de l'autre.
Ne point se renfermer dans ce cercle raisonnable; faire dépendre la paix
de quelques mille hommes de population de plus, qui n'ajoutent rien à
la puissance d'un grand peuple, c'est oublier tous les maux dont gémit
l'humanité souffrante, c'est demander une guerre qui ne peut avoir de
but utile à aucune des deux nations.

En finissant, les soussignés ont l'honneur de prier MM. les
plénipotentiaires de S. M. l'empereur et roi de ne pas se servir,
lorsqu'ils parlent des gouvernemens démocratiques et des peuples,
de termes qui seraient injurieux pour le gouvernement que les
plénipotentiaires de la république française représentent.

Il n'est jamais arrivé aux soussignés, en parlant des ministres des rois
et de leurs cours, de se servir d'aucune épithète qui pût leur être
injurieuse.

Les citoyens plénipotentiaires de la république française demandent à
leurs excellences MM. les plénipotentiaires de S. M. l'empereur et roi
de vouloir bien agréer l'assurance réitérée de leur haute considération.

A Udine, le 10 thermidor an 5 de la république française, une et
indivisible (28 juillet 1797).

BONAPARTE et CLARKE.



_Note des citoyens plénipotentiaires de la république française._

Si les soussignés plénipotentiaires de la république française ont été
surpris de voir les troupes de S. M. impériale et royale s'emparer,
contre la teneur des préliminaires de Léoben, et avant la conclusion
définitive, de l'Istrie et de la Dalmatie, ils ne peuvent dissimuler que
leur étonnement a été extrême en apprenant que ces mêmes troupes ont
pris possession de la république de Raguse; ils protestent fortement
contre la destruction de ladite république, et espèrent que S. M.
l'empereur, animée par les sentimens de justice qui la caractérisent,
sentira combien il est impossible que les autres puissances, et
particulièrement la république française et la Porte-Ottomane, voient
avec indifférence l'occupation d'un état neutre et indépendant, qui
n'est jamais intervenu en aucune façon dans la guerre actuelle, et
ils ne doutent pas que leurs excellences MM. les plénipotentiaires
autrichiens ne contribuent de tout leur pouvoir à faire donner par S.
M. les ordres les plus prompts, pour que ses troupes se retirent du
territoire de la république de Raguse.

Les soussignés réitèrent à leurs excellences MM. les plénipotentiaires
de S. M. impériale et royale l'assurance de leur haute considération.

Udine, le 10 thermidor an 6 (28 juillet 1797).

BONAPARTE et H. CLARKE.



_Note des généraux Bonaparte et Clarke._

Les citoyens plénipotentiaires de la république française ont pris en
considération la note relative à la tenue de deux congrès, datée d'Udine
le 18 juillet 1797, qui a été remise par leurs excellences MM. les
plénipotentiaires de S. M. impériale et royale, et se sont rappelé les
diverses demandes et allégations relatives à son contenu. Après s'être
référés à leur note du 3 messidor, et particulièrement pour ce qui
a rapport à la demande faite par leurs excellences MM. les
plénipotentiaires autrichiens eux-mêmes, tant à Léoben qu'à Gratz, de
traiter de la paix définitive et séparée de S. M. impériale et royale
dans une ville d'Italie, les soussignés pensent que la convention signée
à Montebello, le 5 prairial dernier, a tout prévu, et ils ont l'honneur
de déclarer à leurs excellences MM. les plénipotentiaires autrichiens
qu'ils s'en rapportent entièrement à son contenu.

Les soussignés sont d'autant plus portés à insister à cet égard, qu'ils
ne peuvent voir sans surprise et sans éprouver un sentiment pénible,
reproduire à l'époque actuelle une question déjà décidée depuis deux
mois; et ils avouent, avec franchise, que cette conduite tend à les
confirmer dans la persuasion que la cour de Vienne ne cherche que des
prétextes pour traîner la négociation en longueur et gagner du temps.

Le meilleur moyen de prouver qu'on veut la paix, c'est de la conclure
sur-le-champ, ainsi que les soussignés n'ont cessé de l'offrir et
l'offrent encore, et sans sacrifier les intérêts des deux puissances à
des considérations étrangères.

Les soussignés assurent leurs excellences MM. les plénipotentiaires de
S. M. impériale de leur parfaite considération.

Udine, le 10 thermidor an 5 (28 juillet 1797).

BONAPARTE et CLARKE.



Au quartier-général à Milan, le 10 thermidor an 5

(28 juillet 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous envoie, citoyens directeurs, la lettre que m'écrit le général
Clarke: son secrétaire de légation est parti pour Vienne.

Toujours rien de nouveau sur les négociations; il est impossible de se
moquer de nous avec aussi peu de prudence.

Il y a beaucoup de fermentation dans les états de Piémont, je ne sais
pas trop comment cela finira; nous ne nous mêlons de rien.

Je fais jeter un pont sur l'Isonzo, j'en fais fortifier les deux têtes,
et je prends toutes les mesures, afin de faire voir aux ennemis que nous
ne craignons pas la guerre, et que nous sommes prêts à la recommencer.

Si la guerre recommence, il faudra faire en sorte que l'armée du
Rhin-et-Moselle et celle de Sambre-et-Meuse n'en fassent qu'une, afin
que l'ennemi se trouve entre l'armée d'Italie et celle-là.

L'armée du Rhin, qui a déjà six mille hommes de cavalerie, se
trouverait, avec les douze mille de l'armée de Sambre-et-Meuse, en avoir
dix-huit mille. L'infanterie de l'armée de Rhin, jointe à celle de
Sambre-et-Meuse, ferait une armée immense. Si vous voulez me faire
passer quatre nouvelles demi-brigades avec trois mille hommes de
cavalerie, je vous promets d'être dans Vienne aux vendanges, de me
réunir sur le Danube avec l'armée du Rhin et de faire boire du vin de
Tockai aux paysans hongrois.

Nos troupes sont arrivées à Corfou, et y ont été reçues avec le plus
grand plaisir. On se souvient encore en Albanie et en Grèce, de Sparte
et d'Athènes. J'ai déjà quelques correspondances avec les principaux
chefs du pays, et la Grèce pourrait peut-être renaître de ses cendres.

Les députés suisses sont venus me trouver, nous nous sommes quittés fort
bons amis.

Conformément aux ordres que vous m'avez donnés, Bologne, Ferrare et la
Romagne sont réunis à la république cisalpine. Mais j'ai pris le _mezzo
termine_ de ne pas m'en mêler. Je vous envoie l'arrêté du directoire
exécutif de la république cisalpine.

Si les choses se rompent, nous pourrions conclure un traité d'alliance
avec la république de Gênes, qui nous fournirait trois mille hommes
d'infanterie, trois cents hommes de cavalerie et six pièces de canon
attelées, ce qui est toujours un très-bon secours dans l'immense
carrière que je puis avoir à parcourir.

Je vous envoie la lettre que je voulais écrire à l'empereur, et que je
voulais envoyer par un de mes aides-de-camp.

Mais tout ce qui arrive à Paris m'a fait craindre que l'on ne s'amusât à
gloser sur cette démarche.

Le brave général Desaix est venu voir l'armée d'Italie. Ce qu'il m'a dit
de la situation de l'armée du Rhin n'est point du tout rassurant.

Quant à l'armée d'Italie, je vous assure qu'elle est digne de la
république, et que, si les choses se rompent, les Autrichiens le
paieront.

Le général Augereau est parti hier pour Paris, où il m'a demandé à aller
pour des affaires particulières. Je profite de cette occasion pour vous
envoyer les adresses des divisions de l'armée.

Ces braves soldats ne reposent leur confiance que dans le gouvernement.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 11 thermidor an 5

(29 juillet 1797).

_Au général Clarke._

Je vous fais passer, citoyen général, deux notes que je crois
essentielles et devoir être présentées à S. M. l'empereur: l'une,
relative à Raguse, que l'armée autrichienne a occupée; l'autre, relative
à l'argent qui est dû à l'armée du Rhin par les princes d'Allemagne.

Vous y trouverez également une note pour celles que je crois que nous
devons présenter au duo de Bavière et aux autres princes qui doivent
de l'argent aux armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse: si l'on pouvait
sur-le-champ tirer un ou deux millions, ce serait un grand gain.

Hoche n'ayant pas l'âge, n'a pu être ministre de la guerre; on m'assure
que c'est Schérer qui sera être nommé.

Il y a beaucoup de division entre le conseil des cinq-cents et le
directoire.

Lenoir de la Roche, étant d'une santé faible, sera remplacé par un autre
ministre de la police.

Il paraît que Hoche va s'embarquer pour l'Irlande.

J'imagine que vous avez un chiffre pour correspondre avec Perret:
n'oubliez pas de lui dire de prendre tous les renseignemens possibles
sur la situation militaire de l'empereur dans ce moment-ci, et sur
la valeur de ses levées en Hongrie et ailleurs, ainsi que sur les
fortifications qu'il pourrait avoir faites à Gratz, Clagenfurth, ainsi
que sur les têtes de pont de la Drave et de la Save, et sur la route de
Clagenfurth à Bruck.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 thermidor an 5

(30 juillet 1797).

_Au chef des Mainottes._

Le consul de la république française à Trieste m'a instruit de
l'attention qu'avait eue votre seigneurie de m'envoyer une députation
pour me faire connaître le désir qu'elle avait de voir dans son port
des bâtimens français, et d'être de quelque utilité aux braves soldats
français de l'armée d'Italie.

Les Français estiment le petit, mais brave peuple Mainotte, qui, seul
de l'ancienne Grèce, a su conserver sa liberté. Dans toutes les
circonstances qui pourront se présenter, ils lui donneront toujours des
marques de leur protection et prendront un soin particulier de favoriser
ses bâtimens et tous ses citoyens.

Je prie votre seigneurie d'accueillir favorablement les porteurs de
cette présente, qui ont le plus grand désir de voir de plus près les
dignes descendans de Sparte, auxquels il n'a manqué, pour être aussi
renommés que leurs ancêtres, que de se trouver sur un plus vaste
théâtre.

La première fois que quelques-uns des parens de votre seigneurie auront
occasion de venir en Italie, je la prie de vouloir bien me les adresser.
J'aurai un vrai plaisir à leur donner des marques de l'estime que j'ai
pour votre personne et pour vos compatriotes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 14 thermidor an 5

(1er août 1797).

_Au directoire exécutif._

Après quinze jours d'une navigation assez heureuse, la flotte qui
était partie de Venise, composée de plusieurs vaisseaux de ligne et de
quelques frégates, sous les ordres du capitaine Bourdet, ayant à bord
quelques troupes de débarquement commandées par le général Gentili, a
mouillé dans la rade de Corfou. Quatre bâtimens de guerre vénitiens, qui
s'y trouvaient, ont augmenté notre escadre.

Le 10 messidor, nos troupes ont débarqué et pris possession des forts de
Corfou, où elles ont trouvé six cents pièces de canon, la plus grande
partie en bronze. Un peuple immense était sur le rivage pour accueillir
nos troupes avec les cris d'allégresse et d'enthousiasme qui animent les
peuples lorsqu'ils recouvrent leur liberté.

A la tête de tout ce peuple était le papas ou chef de la religion du
pays, homme instruit et d'un âge avancé.

Il s'approcha du général Gentili et lui dit: «Français, vous allez
trouver dans cette île un peuple ignorant dans les sciences et les arts
qui illustrent les nations; mais ne le méprisez pas pour cela, il
peut devenir encore ce qu'il a été. Apprenez, en lisant ce livre, à
l'estimer».

Le général Gentili ouvrit avec curiosité le livre que lui présentait
le papas, et il ne fut pas médiocrement surpris en voyant l'Odyssée
d'Homère.

Les îles de Zante et de Céphalonie, de Saint-Maure ont le même désir et
expriment les mêmes sentimens pour la liberté. L'arbre de la liberté
est dans tous les villages; des municipalités gouvernent toutes les
communes, et les peuples espèrent qu'avec la protection de la grande
nation, ils recouvreront les sciences, les arts et le commerce qu'ils
avaient perdus sous la tyrannie des olygarques.

L'île de Corcyre était, selon Homère, la patrie de la princesse
Nausicaa. Le citoyen Arnaut, qui jouit d'une réputation méritée dans
les belles-lettres, me mande qu'il va s'embarquer pour faire planter le
drapeau tricolore sur les débris du palais d'Ulysse.

Le chef des Mainottes, peuple vrai descendant des Spartiates et qui
occupe la péninsule où est situé le cap de Matapan, m'a envoyé un des
principaux du pays pour me marquer le désir qu'il aurait de voir dans
son port quelques vaisseaux français, et d'être utile en quelque chose
au grand peuple.

Je lui ai répondu la lettre dont je vous envoie la copie.

Je n'ai pas encore de nouvelles de l'amiral Brueys.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 14 thermidor an 5.

(1er août 1797).

_Au général Joubert._

Il y a à Vicence, citoyen général, la veuve Brissac, fille du
respectable Mancini-Nivernois: elle est hors de France depuis 1787. Je
ne vois point d'inconvénient à ce que vous lui donniez un passe-port
pour se rendre au quartier-général, comme je lui en ferai donner un pour
se rendre en France; je vous prie même, si l'occasion s'en présentait
naturellement, de lui faire des honnêtetés. Son père, que vous
connaissez peut-être de réputation, est un littérateur célèbre.

L'adresse de votre division a été goûtée à Paris.

Hoche n'ayant pas l'âge, le général Schérer a été nommé ministre de la
guerre.

On est toujours à Paris aussi agité: les messieurs sont divisés entre
eux.

L'armée de Sambre-et-Meuse se prononce avec la plus grande vigueur.

Le général Desaix est ici depuis plusieurs jours: il m'assure que
l'armée du Rhin partage les mêmes sentimens que l'armée d'Italie.

Le général Serrurier vient d'arriver; il est indigné du royalisme qui
agite l'intérieur.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 16 thermidor an 5

(3 août 1797).

_Note remise au ministre de Sa Sainteté._

Lors du traité de Tolentino, messieurs les plénipotentiaires de Sa
Sainteté et les plénipotentiaires français entrevirent le moment où il
serait possible de rapprocher le Saint-Siège de la France, et où le pape
et le gouvernement français pourraient employer réciproquement leur
prépondérance pour consolider la tranquillité intérieure des deux états
et concourir à leur satisfaction commune.

Le moment actuel est l'instant propice pour commencer à mettre à
exécution ce grand oeuvre, où la sagesse, la politique et la vraie
religion doivent jouer un grand rôle.

Le gouvernement français vient de permettre de r'ouvrir les églises du
culte catholique, apostolique et romain, et d'accorder à cette religion
tolérance et protection.

Ou les prêtres profiteront de ce premier acte du gouvernement français
dans le véritable esprit de l'Évangile, en concourant à la tranquillité
publique et en prêchant les véritables maximes de charité, qui sont le
fondement de la religion de l'Évangile: alors je ne mets plus en doute
qu'ils n'obtiennent une protection plus spéciale, et que ce ne soit un
heureux commencement vers le but tant désiré.

Ou si les prêtres se conduisent d'une manière tout opposée, ils seront
de nouveau persécutés et chassés.

Le pape, comme chef des fidèles et centre commun de la foi, peut avoir
une grande influence sur la conduite que tiendront les prêtres. Il
pensera peut-être qu'il est digne de sa sagesse, de la plus sainte des
religions, de faire une bulle ou mandement qui ordonne aux prêtres
obéissance au gouvernement, et de faire tout ce qui sera en leur pouvoir
pour consolider la constitution établie. Si cette bulle est conçue dans
des termes précis et convenables au grand but qu'elle peut produire,
elle sera un grand acheminement vers le bien et extrêmement avantageuse
à la prospérité de la religion.

Après cette première opération, il serait utile de connaître les mesures
qui pourraient être prises pour réconcilier les prêtres constitutionnels
avec les prêtres non constitutionnels; enfin les mesures que pourrait
proposer la cour de Rome pour lever tous les obstacles et pour ramener
aux principes de religion la majorité du peuple français. Je prie M. le
ministre de Sa Sainteté de vouloir bien communiquer ces idées au pape,
et de me faire connaître le plus tôt possible sa réponse.

Le désir d'être utile à la religion est un des principaux motifs qui
m'ont dicté la présente note.

La théologie simple et pure de l'Évangile; la sagesse, la politique et
l'expérience du pape peuvent, si elles sont exclusivement écoutées,
avoir des résultats heureux pour la chrétienté et la gloire personnelle
de Sa Sainteté, qui connaît les sentimens particuliers d'affection que
je lui ai voués.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 17 thermidor an 5

(4 août 1797).

_Au contre-amiral Brueys._

Je crois essentiel, citoyen général, que vous vous rendiez le plus tôt
possible à Venise, en laissant à Corfou le vaisseau vénitien que vous y
prendrez à votre retour.

Vous trouverez à Venise des habillemens pour deux mille matelots et sept
cents hommes d'infanterie, vos vivres pour deux mois, et 500,000 fr.
pour payer vos matelots.

Pendant ce temps-là, vous donnerez une instruction à l'officier que vous
laisserez à Corfou, pour qu'il complète les équipages des vaisseaux
vénitiens, et qu'on les mette dans le meilleur état pour leur retour.

Votre présence à Venise vous mettra à même de prendre vos vivres et les
hommes dont vous avez besoin pour armer les vaisseaux vénitiens.

Vous vous mettrez à même de pouvoir cacher pendant près de deux mois
l'intention où nous sommes d'enlever tous les vaisseaux vénitiens, et
pendant cet intervalle les cinq vaisseaux qui sont sur le chantier se
trouveront à peu près terminés.

La présence de votre escadre à Venise ne fera qu'un bon effet aux
négociations qui sont entamées dans ce moment-ci avec l'empereur, qui,
devant être nécessairement terminées dans un mois, nous mettront à même
de nous être extrêmement utiles dans les opérations de la campagne, si
elle devait avoir lieu.

Avant de partir de Corfou, vous devez dire à tous les officiers,
gouverneurs et agens vénitiens, que votre intention est de réunir
les forces vénitiennes avec l'escadre française pour reconquérir la
Dalmatie, et que vous vous rendez en conséquence à Venise pour y prendre
des troupes.

Quand vous arriverez à Venise, vous y verrez le général Baraguay
d'Hilliers: vous vous présenterez au gouvernement central de cette
république, et, sans prononcer proprement le nom de Dalmatie, vous leur
direz qu'il est important de réunir les forces navales françaises et
vénitiennes, pour vous mettre à même de remplir une grande mission dont
vous devez recevoir les dernières instructions de moi, et vous laisserez
entrevoir que cette mission est l'expédition de la Dalmatie.

Lorsque vous serez arrivé à Venise, si mes occupations me le permettent,
je m'y transporterai: nous aurons de toute manière l'occasion de nous y
voir et d'y conférer sur nos opérations ultérieures.

Je vous prie de croire au désir que j'ai de renouveler votre
connaissance, et de vous donner des preuves de l'estime et de la
considération que je vous ai vouées.

_P.S._ On charge, à Venise, deux bâtimens d'objets de marine de toute
espèce, vous pourrez les escorter en France avec votre escadre.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 thermidor an 5

(7 août 1797).

_A son altesse royale le duc de Parme._

On cherche à donner des inquiétudes à V.A.R., on suppose des sujets de
brouillerie entre elle et la république française.

Je me fais un devoir d'assurer V.A.R. que le directoire exécutif de la
république française, n'ayant qu'à se louer de la conduite de V.A.R.
pendant toute la guerre d'Italie, saisira toutes les occasions de
témoigner à V.A.R. les sentimens qu'il doit à ses bons procédés: en mon
particulier, ayant été le témoin de l'accueil et des bons soins que
S.A.R. a toujours eus pour nos frères d'armes, je serai toujours flatté
de pouvoir faire quelque chose qui lui soit agréable. A ce sentiment de
reconnaissance doit se joindre un sentiment d'estime: j'ai vu les états
de V.A.R., et je me suis dit qu'il faudrait que les princes de l'Europe
apprissent en Toscane à conserver leurs trônes, en les fondant sur la
modération et la félicité de leurs peuples.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 thermidor an 5

(7 août 1797).

_Au général Clarke._

Dès l'instant, citoyen général, que j'aurai des nouvelles de l'arrivée
de M. le marquis de Gallo et de M. de Degelmann, et qu'ayant pris
connaissance de leurs pouvoirs, vous m'assurerez qu'ils ont la faculté
nécessaire pour négocier, je me rendrai en toute diligence à Udine:
je vous prie de m'envoyer par le courrier les notes de Perret sur la
situation de Vienne et de l'armée impériale de Gratz et de Clagenfurth.

J'attends à chaque instant un courrier de Paris.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 22 thermidor an 5

(9 août 1797).

_Au ministre des relations extérieures._

J'ai l'honneur de vous faire passer, citoyen ministre, copie d'une
lettre que je reçois d'Udine, du général Clarke. Je me rendrai à Udine
dès l'instant que je saurai l'arrivée de M. de Gallo avec ses pleins
pouvoirs.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14
thermidor. J'attends à chaque instant que vous me fassiez connaître le
parti que prendra le directoire, voulant la paix promptement; je ne
doute pas qu'il ne soit nécessaire de faire quelques démarches qui en
imposent à la cour de Vienne, sans quoi ils traîneront toujours en
longueur, parce qu'ils attendent tout de leurs menées dans l'intérieur.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 22 thermidor an 5

(9 août 1797).

_Au directoire exécutif._

Je vous ai annoncé, après la bataille de Rivoli, vingt-un drapeaux, et
je ne vous en ai envoyé que quinze ou seize.

Je vous envoie, par le général Bernadotte, les autres, qui avaient été
laissés par mégarde à Peschiera.

Cet excellent général, qui a fait sa réputation sur la rive du Rhin, est
aujourd'hui un des officiers les plus essentiels à la gloire de l'armée
d'Italie. Il commande les trois divisions qui sont sur les frontières
d'Allemagne, je vous prie de vouloir bien l'envoyer à l'armée d'Italie
le plus tôt possible.

Je ne dois pas laisser passer cette occasion sans donner à sa brave
division et aux troupes qui, l'année dernière, sont venues du Rhin et de
Sambre-et-Meuse pour l'armée d'Italie, le tribut d'éloges que je dois à
leurs services.

Dans toutes les occasions, elles ont culbuté ce qui était devant elles.
Au passage du Tagliamento, comme à l'attaque de Gradisca, elles ont
montré ce courage et ce zèle ardent pour la gloire nationale, qui
distinguent les armées de la république.

Vous voyez dans le général Bernadotte un des amis les plus solides de la
république, incapable, par principes comme par caractère, de capituler
avec les ennemis de la liberté pas plus qu'avec l'honneur.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 22 thermidor an 5

(9 août 1797).

_Au chef de l'état-major._

Vous voudrez bien donner ordre que l'on fasse arrêter sur-le-champ le
garde-magasin de vivres de Milan, le faire traduire en prison, et le
faire juger par un conseil militaire, pour avoir donné, depuis huit
jours, du pain détestable à la troupe et capable de faire tomber malades
les soldats;

Comme convaincu, en outre, d'avoir fabriqué du pain blanc et d'en avoir
donné à qui la loi n'en accorde pas, et d'avoir offert aux soldats une
ration de pain blanc pour deux rations de pain ordinaire, lorsqu'il est
évident qu'il ne fait fabriquer ce pain blanc qu'en faisant celui de la
troupe de la plus mauvaise qualité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 22 thermidor an 5

(9 août 1797).

_Au chef de l'état-major._

Le général en chef arrête:

ART 1er. Le général de brigade Point est nommé inspecteur des hôpitaux
entre la Brenta et le Mincio.

2. Le général Dessoles est nommé inspecteur des hôpitaux entre l'Isonzo
et la Brenta.

3. Le général Vignolles est nommé inspecteur des hôpitaux entre le Tesin
et le Mincio.

4. Ils se mettront sur-le-champ en route pour faire la tournée de tous
les hôpitaux: ils auront soin de s'assurer du nombre des malades y
existans, de la moralité des différens employés; de prendre note des
plaintes qui pourront être portées par les malades: ils sont autorisés à
faire arrêter sur-le-champ les employés contre lesquels il y aurait des
plaintes; ils prendront note des approvisionnemens de la pharmacie et
de ce qui est dû à chaque employé, soit pour sa solde, soit pour les
différens abonnemens que les entrepreneurs auraient faits avec eux.

5. Ils auront soin d'ordonner aux commissaires des guerres chargés du
service des hôpitaux et au contrôleur ambulant, que l'on ne fasse aucune
évacuation, mais que l'on proportionne, dans chaque ville, le nombre des
hôpitaux au nombre des malades.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 24 thermidor an 5

(11 août 1797).

_Au général Berthier._

Vous voudrez bien ordonner au général Duphot, qui doit partir cette nuit
pour Verone, de suspendre son départ, et, au lieu de cela, de partir,
dans le plus court délai, pour se rendre à Gênes, organiser les troupes
de cette république, en conséquence de la demande qui m'a été faite d'un
général français par le gouvernement de Gênes: il s'adressera au citoyen
Faypoult, et viendra chercher demain ici ses lettres de créance pour le
gouvernement provisoire.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 24 thermidor an 5

(11 août 1797).

_A l'administration centrale du département de Saône-et-Loire._

Je reçois, citoyens, votre lettre du 15 thermidor. Je vous remercie
des soins que vous avez bien voulu avoir pour les blessés de l'armée
d'Italie: vous en trouverez le prix dans votre satisfaction, et dans la
reconnaissance de tous les défenseurs de la patrie. Je me suis empressé
de faire mettre à l'ordre du jour de l'armée les obligations que nous
nous trouvons avoir contractées envers vous.

Je vous prie de croire, citoyens administrateurs, aux sentimens d'estime
que m'inspire votre conduite, et au désir que j'ai de pouvoir vous
témoigner ma gratitude.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 thermidor an 5

(12 août 1797).

_Au citoyen Faypoult._

L'ordonnance qui interdit l'entrée du territoire cisalpin aux Piémontais
a eu véritablement pour but d'empêcher beaucoup d'individus de la
cour de Turin qui craignaient la révolution, de venir à Milan. Il est
cependant vrai que, nous étant maintenus en bonne harmonie avec la cour
de Turin pendant tout le temps qu'a duré son mouvement, il est plus
essentiel que nous continuions ainsi dans les circonstances présentes;
mais le citoyen Miot se plaint déjà de ce que la cour de Turin abuse de
sa victoire et se porte à des excès de toute espèce. La cour de Turin
arme les paysans, quoique je lui eusse fait sentir combien cette mesure
était dangereuse.

Plusieurs Français ont déjà été assassinés, à ce qu'on assure, du côté
d'Alexandrie. Je crois donc que, jusqu'à ce qu'on voie le parti que
prendra la cour, il ne faut rien faire qui puisse nous ôter les moyens
de la tenir en respect; et d'ailleurs il serait contre le droit des
gens et contre nos principes de refuser de donner refuge à des hommes
persécutés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 25 thermidor an 5

(12 août 1797).

_Au citoyen Miot._

On ne peut voir qu'avec horreur, citoyen ministre, les excès auxquels se
porte la cour de Turin: quoique je lui aie fait dire par M. Bossi que je
m'opposerais à l'armement des paysans, elle arme de tous côtés, et déjà
les assassinats commencent.

Je vous prie donc de présenter sur-le-champ une note, pour qu'elle ait à
désarmer sans délai les paysans, et à ramener la tranquillité dans ses
états.

Les paysans qu'elle a armés en masse du côté d'Alexandrie ont déjà
assassiné plusieurs Français: vous voyez combien il est urgent de faire
finir cela le plus tôt possible.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 thermidor an 5

(16 août 1797).

_Au directoire exécutif._

L'empereur paraît diriger toutes ses forces vers l'Italie: les
nombreuses recrues qu'il fait, jointes aux prisonniers qu'on lui a
rendus et qu'il a le temps d'exercer, le mettront dans le cas de
m'opposer une armée formidable. Peut-être jugerez vous essentiel de
faire passer à l'armée d'Italie une augmentation de cavalerie, quelques
compagnies d'artillerie et quelques demi-brigades d'infanterie.

Vous jugerez également nécessaire d'ordonner au général Kellermann
de renvoyer de l'armée des Alpes tous les détachemens qu'il a des
demi-brigades appartenant à l'armée d'Italie.

J'ai envoyé à la citadelle de Corfou les deux premiers bataillons de
la soixante-dix-neuvième, je désirerais que vous donnassiez l'ordre au
général Sabuguet de nous faire passer le troisième, qui se trouve à
Avignon, et que je ferai également partir pour Corfou.

Les îles de Corfou, de Zante et de Céphalonie sont plus intéressantes
pour nous que toute l'Italie ensemble.

Je crois que si nous étions obligés d'opter, il vaudrait mieux restituer
l'Italie à l'empereur, et garder les quatre îles, qui sont une source
de richesses et de prospérité pour notre commerce. L'empire des Turcs
s'écroule tous les jours.

La possession de ces îles nous mettra à même de le soutenir autant que
cela sera possible, ou d'en prendre notre part.

Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que, pour détruire
véritablement l'Angleterre, il faut nous emparer de l'Égypte. Le vaste
empire ottoman, qui périt tous les jours, nous met dans l'obligation de
penser de bonne heure à prendre des moyens pour conserver notre commerce
du Levant.

Les citadelles de Corfou, de Zante et de Céphalonie sont en très-bon
état, pourvues d'une nombreuse artillerie: je fais réparer les affûts
et je viens d'y envoyer des vivres et des munitions pour un an. Je
désirerais donc avoir le troisième bataillon de la soixante-dix-neuvième
demi-brigade, que j'y ferais passer. Je vais y envoyer deux mille
Cisalpins.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 thermidor an 5

(16 août 1797).

Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie.

Voulant donner, au nom de la république française, à la Sublime-Porte
une marque de son estime et de son amitié, ordonne:

ART 1er. Aux généraux commandant les différentes places de commerce
occupées par les Français en Italie, d'accorder une protection spéciale
aux sujets ottomans, grecs, et surtout aux Albanais.

2. Tout sujet ottoman sera maître de se loger où il lui plaira, sans que
l'on puisse les astreindre à demeurer tous dans une même maison, et à
rentrer à une heure fixe.

3. Les bâtimens de la république accorderont protection et secours aux
bâtimens portant pavillon ottoman, et spécialement aux Grecs et aux
Albanais.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 29 thermidor an 5

(16 août 1797).

_Au pacha de Scutari._

J'ai lu avec le plus grand plaisir les choses flatteuses contenues dans
la lettre de votre seigneurie.

La république française est l'amie vraie de la Sublime-Porte; elle
estime plus particulièrement la brave nation albanaise qui est sous vos
ordres.

J'ai entendu avec douleur le malheur arrivé à votre illustre frère: cet
intrépide guerrier méritait un sort digne de son courage; mais il est
mort de la mort des braves.

J'envoie à votre seigneurie l'ordre que j'ai donné pour que désormais le
pavillon ottoman puisse voyager sans inquiétude dans l'Adriatique. Non
seulement les Turcs seront traités comme les autres nations, mais même
avec une espèce de partialité. J'ai détruit l'usage barbare des.....
Dans toutes les occasions, je protégerai les Albanais, et je me ferai un
plaisir de donner à votre seigneurie une marque de mon estime et de la
haute considération que j'ai pour elle.

Je prie votre seigneurie de recevoir comme une marque de mon amitié les
quatre caisses de fusils que je lui envoie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 3 fructidor an 5

(20 août 1797).

_Au citoyen Grogniard, ordonnateur de la marine, à Toulon._

J'ai reçu, citoyen, votre lettre du 13 thermidor, avec celle qui y était
jointe.

Pitt n'aurait pas pu se conduire d'une manière plus contraire à notre
marine, que viennent de le faire, à l'égard de la marine de Toulon, les
commissaires de la trésorerie.

La solde des marins du département de Toulon était arriérée depuis trois
mois; ils refusaient, en conséquence, de s'enrôler, et empêchaient
par-là le contre-amiral Brueys de partir.

La même raison vous empêchait de m'envoyer des officiers marins et des
matelots pour l'armement des vaisseaux vénitiens.

Je vous envoie un million provenant des contributions de l'armée
d'Italie, afin de vous mettre à même de subvenir à ces dépenses
urgentes, et de remplir le premier devoir qui est imposé par la loi à la
trésorerie: et ses commissaires ont l'impudence de vous ôter ce million!
et vous avez la faiblesse d'y consentir!

Je ne suis pas votre juge; mais si vous étiez sous mes ordres, je vous
mettrais aux arrêts pour avoir obtempéré à une réquisition ridicule et
avoir laissé partir ce million pour Paris, lorsque la trésorerie ne
remplit pas son devoir le plus sacré, qui est la solde de vos marins:
peut-être que les commissaires ne se doutaient pas combien ils
entravaient la marche de nos opérations, et combien ils faisaient de
tort aux armes de la république, en vous ôtant ce million dans ce
moment-ci.

La trésorerie, me dites-vous, donne l'ordre au payeur de l'armée
d'Italie de fournir un autre million à Toulon; les commissaires savent
cependant mieux que personne que l'argent que la caisse de l'armée
d'Italie a fourni, joint aux dépenses immenses d'une armée aussi
nombreuse, nous mettent désormais dans l'impossibilité de subvenir aux
besoins d'autres services que celui de l'armée.

L'amiral Brueys me mande de Corfou qu'il arrive à Venise, et qu'il est
arriéré de quatre mois de solde: c'est encore un surcroît de dépense
très-considérable pour la caisse de l'armée; mais nous chercherons à y
subvenir en tout ou en partie. Le soldat de l'armée d'Italie se fera
toujours un plaisir de partager son pain avec les braves marins.

Croyez, je vous prie, aux sentimens, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 4 fructidor an 5

(21 août 1797).

_Au général Clarke._

Je pars demain, citoyen général, pour me rendre à la campagne près de
Godroïpo: si l'intention des plénipotentiaires est de se loger à la
campagne, je dirai au général Victor de se donner les sollicitudes
nécessaires pour trouver aux environs un logement convenable. S'ils
préfèrent rester à Udine, on pourra tenir alors nos conférences
alternativement à Udine et à la campagne.

La paix avec le Portugal est signée. Je vous prie de me renvoyer le
courrier par Trévise, Padoue, Vicence et Verone, afin que je sois
instruit si le troisième plénipotentiaire est arrivé; car, comme j'ai
beaucoup à faire dans mes divisions, je ne voudrais pas arriver avant M.
Degelmann; je trouverais fort désagréable de rester cinq ou six jours à
la campagne sans rien faire.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 5 fructidor an 5

(23 août 1797).

_Au directoire exécutif._

Je n'ai que six mille hommes de grosse cavalerie, le général Kellermann
en a trois cents à Lyon qui y sont très-inutiles, et cela me
compléterait tout le cinquième régiment de cavalerie; il est
indispensable que vous me l'envoyiez à l'armée.

Le neuvième de dragons a aussi 300 hommes à Lyon, et le dix-huitième de
dragons, 409 hommes à Marseille et à Bordeaux.

Il serait bien utile que vous donnassiez les ordres pour que ces
détachemens rentrassent. L'armée d'Italie est très-faible en cavalerie.
L'arrivée, d'ailleurs, de ces détachemens fera un très-bon effet dans
l'esprit de l'empereur, qui a redoublé d'activité pour armer et se
mettre en défense.

Si la campagne s'ouvre, il me faudrait un peu de cavalerie.

BONAPARTE.



FIN DU TOME PREMIER





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