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Title: Une politique européenne : la France, la Russie, l'Allemagne et la guerre au Transvaal
Author: Grosclaude, Étienne
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Une politique européenne : la France, la Russie, l'Allemagne et la guerre au Transvaal" ***


ÉTIENNE GROSCLAUDE

UNE POLITIQUE EUROPÉENNE

La France, la Russie, l'Allemagne
Et
LA GUERRE AU TRANSVAAL



  L'Afrique du Sud sera le
  tombeau de l'Angleterre.

  BISMARCK.

«Prodigieuse contrée, cette Afrique du Sud! on y convertit nos évêques,
on y bat nos généraux et on y résout nos questions européennes!»

Cette tragique boutade, inspirée à un homme d'État anglais par la mort
inutilement glorieuse du Prince impérial au Zoulouland, pourrait bien
rencontrer une application nouvelle dans les événements qui se déroulent
en ce moment autour du Transvaal.

Peut-être ne se trouve-t-il plus de missionnaires évangélistes
accessibles à la belle simplicité des religions primitives comme le fut
l'évêque Colenso, mais il y a encore des généraux anglais à battre dans
l'Afrique du Sud, et de graves problèmes européens se dressent attendant
une solution qu'il ne serait pas surprenant de voir arriver de si loin.

La patience de l'Europe finira quelque jour par se trouver à bout; ce
jour approche; enfin lasse de supporter les provocations outrageantes de
l'Angleterre et ses dommageables empiétements, cette Europe va-t-elle
sauter sur l'occasion inespérée de liquider en bloc un compte débiteur
journellement grossi par les acquisitions de l'Impérialisme qui s'étale
à la surface du globe sans trouver devant lui la moindre opposition de
fait. Des mots, des mots, pas un geste, or si quelque chose pouvait
arrêter cette marche foudroyante, ce n'était ni les jérémiades d'une
diplomatie dont le style, dès longtemps exercé à la fuite, excelle à
trouver les détours par lesquels on échappe aux responsabilités de
l'action,--ni les télégrammes à sensation d'un bouillant Kaiser,
momentanément oublieux des égards qui sont dus à une vieille
grand'mère... quelle que soit sa condition sociale.

Le réveil de l'Europe, à l'heure où nous voici, n'aurait assurément rien
de prématuré, mais la condition physiologique la plus nécessaire pour
se réveiller, c'est de ne pas être mort. Il faudrait donc au préalable
s'assurer si dame Europe est défunte, ou si elle est seulement assoupie.

L'Europe existe-t-elle encore autrement que sur la carte? sur la carte
où l'on voit juxtaposées des nations, dont les deux plus considérables
sont séparées par un abîme de ressentiments que rien ne saurait
combler,--rien, hélas! de ce qu'il est permis d'attendre d'un
consentement pacifique. Au centre: un groupement compact de nationalités
dont la cohésion peut être subitement anéantie par la disparition d'une
dynastie; sur les côtés: deux grands peuples qu'unissent à travers
l'espace des liens dont la solidité n'a pas encore été soumise au
contrôle d'une épreuve décisive.


Aveuglée par le tourbillon des craintes et des espérances
particularistes, l'agglomération européenne n'a point une vision
suffisamment dégagée pour discerner au dehors le péril qui la menace
dans son ensemble et pour reconnaître l'intérêt qu'il conviendrait
de soutenir en commun. Il est toutefois incontestable que, depuis un
certain temps, les deux groupes antagonistes, obéissant l'un et l'autre
au seul instinct de la conservation, portent parallèlement leurs efforts
vers un unique objectif, qui est la paix de l'Europe; ce n'est un
secret pour personne que, dès son origine, la Triplice eut un caractère
exclusivement défensif, prévoyante entreprise de cimentation du bloc
improvisé dans l'Europe centrale et longtemps exposé à un retour
offensif de ceux à qui l'on en avait arraché la dernière pierre.

Or, en dépit de toute vraisemblance et peut-être aussi de toute logique,
les angoisses, qui, durant une vingtaine d'années, troublèrent le
sommeil des conquérants, se sont apaisées à mesure que se trouvaient
déçus les ardents espoirs de la nation mutilée qui, depuis le désastre,
n'a pas eu un gouvernement capable de lui commander le devoir et de lui
imposer la confiance. On a laissé le temps faire son oeuvre et une sorte
de prescription s'établir, bien qu'il n'en soit aucune d'admissible
pour certains forfaits de l'histoire. Henri Heine reprochait à ses
compatriotes de n'avoir pas encore, à l'heure où il écrivait, pris leur
parti du meurtre de Conradin de Hohenstaufen par Charles d'Anjou; cette
critique était le plus bel éloge qu'on pût faire d'une race qui ne
s'expliquera jamais comment certains peuples se dépouillent en quelques
années des souvenirs que les autres conservent à travers les siècles.

Les causes de cette désaffection publique sont-elles dans la légèreté de
l'esprit français? dans un abaissement des caractères déprimés par
la plus stupéfiante humiliation nationale? dans une démoralisation
consécutive à l'accroissement et à la vulgarisation du bien-être
matériel, qui rétrécit les idées au calibre des petits intérêts
immédiats? dans le cosmopolitisme financier, qui subordonne les
principes aux effets et les sentiments aux profits palpables? Peut-être
faudrait il les rechercher surtout dans deux ordres de phénomènes
dont l'un est néfaste et gros de menaces, tandis que l'autre, en
compensation, nous ouvre un avenir plein de promesses et soutient les
plus radieuses en même temps que les plus solides espérances de la
patrie française: à notre passif, le découragement où ce pays est
enfoncé chaque jour davantage par le pessimisme d'une presse acharnée à
ne fouiller que le mal, à n'étaler que les plaies, à ne publier que les
hideurs d'une nation dont la santé n'a jamais été plus exubérante,
dont la fécondité au bien et la faculté du beau ne font doute que pour
elle-même, et dont la principale cause de faiblesse est dans ce régime
énervant qui la réduirait bien vite à une hypocondrie plus désastreuse
que ne le seraient de véritables infirmités.

Pour ce qui est de notre actif, avec quelle encourageante satisfaction
on y inscrit le prodigieux mouvement d'une expansion coloniale, qui,
depuis vingt ans, a suscité tant d'admirables énergies, secoué la
torpeur des énergies industrielles et commerciales, ranimé l'esprit
d'entreprise somnolent depuis un siècle, fait réapparaître l'initiative
individuelle dont l'effacement nous menaçait d'une décadence
irrémédiable, et ouvert à l'activité, par conséquent à la prospérité
nationale, un vaste empire dont le spectacle doit suffire à nous rendre
le sentiment indispensable de notre force et de notre valeur!

Voilà ce que nous a donné notre politique coloniale; il est vrai que
nous n'avons pas été seuls à en bénéficier et qu'elle a valu la paix à
l'Europe. On lui en a fait un crime.

Le grief était-il fondé?

Il l'était sans aucun doute, si l'on a lieu de croire que, sans l'oeuvre
absorbante qui nous a successivement occupés en Tunisie, au Tonkin, au
Soudan et à Madagascar, nous nous fussions trouvés dans les conditions
morales et matérielles indispensables pour assurer la réparation des
catastrophes de 1870 et la reprise de l'Alsace-Lorraine.

Si, au contraire, en imaginant que ne se fût pas développée cette
grandiose épopée coloniale, qui, sans détourner une proportion excessive
de nos forces continentales, nous a valu une immense extension
territoriale et un indéniable relèvement de notre situation morale, de
notre crédit européen, de notre «standing», comme disent les Anglais;
si l'on est amené par l'examen de cette hypothèse à la conclusion
qu'en l'absence de toute cette activité au dehors, nous n'aurions pas
davantage tiré parti en Europe de notre liberté d'action,--faute de
pouvoir compter sur l'état d'esprit indispensable pour mener à bien la
plus formidable entreprise militaire des temps modernes,--et que tout se
serait borné à en parler davantage et à y penser plus longtemps, mais
sans rien faire de plus; alors il faut proclamer que notre politique
coloniale a été un grand bienfait pour la France en même temps que pour
le reste de l'univers,--à l'exception de l'empire britannique,--et que
Jules Ferry fut un des hommes d'État les plus avisés de notre époque.


En dépit des efforts constants de l'Angleterre souveraine de toutes
les eaux, et qui navigue avec une supériorité particulière dans l'eau
trouble,--la situation de l'Europe s'est visiblement clarifiée depuis
quelques années; non seulement il apparaît qu'une unité d'action
momentanée y serait possible dans des cas déterminés, mais il semble
même qu'elle serait facilitée par le groupement actuel des forces
opposées en deux faisceaux, que rien n'empêcherait de diriger à un
moment donné dans le même sens, quitte à les laisser reprendre,
l'instant d'après, leur orientation habituelle. Cette synergie
occasionnelle, il ne faut pas l'oublier, s'est déjà manifestée dans les
affaires de Chine, où la France et la Russie, d'accord sur ce point, et
sur ce point seulement, avec l'Allemagne, ont «syndiqué» leurs intérêts
en face de l'Angleterre.

C'est à dessein que j'emprunte au langage des gens d'affaires ce terme
significatif, puisque aussi bien toutes les grandes nations out reconnu
l'avantage d'emprunter à l'impérialisme britannique sa politique de
«business», au moment où se débattent en Asie et en Afrique les intérêts
matériels les plus considérables et où sir Charles Beresford, au retour
de son importante mission en Extrême-Orient, s'intitule avec une
apparente modestie «le commis-voyageur» de la Grande-Bretagne.

Les nations européennes semblent être parvenues à ce point de
développement où l'individu, sentant se ralentir sa facilités de
produire, met à profit sa vieille expérience pour tirer parti du travail
d'autrui; c'est pour cela que, sur toute la surface du globe, se débat
présentement la compétition la plus âpre qui ait jamais mis des gens
d'affaires aux prises: le partage des contrées de production entre les
vieux pays, dont l'activité doit se borner désormais à une exploitation
lucrative.

Le procédé syndicataire est plus indiqué que tout autre pour une
opération de cette nature; il présente notamment l'avantage d'unir
les intérêts sans lier les parties, qui conservent toute leur liberté
d'action en dehors de l'objet spécial pour lequel est constitué le
syndicat. Il n'a pas les exigences étroites de l'association, ni ses
promiscuités; on a des intérêts communs, mais cela n'engage à rien pour
les relations personnelles, et les porteurs de parts ne sont aucunement
tenus de se saluer quand ils se rencontrent.

C'est un avantage à considérer lorsqu'il s'agit d'un règlement de
comptes comme celui que l'Europe peut avoir à effectuer d'un moment
à l'autre, et qui serait singulièrement facilité par une association
temporaire, dans laquelle seraient totalisés les crédits individuels des
divers participants sans qu'il en résultât pour eux l'obligation de se
faire des politesses.

Laissant de côté pour quelques heures les ressentiments ineffaçables et
réservant tous leurs droits sur le grave litige élevé entre elles il y a
trente ans, la France et l'Allemagne peuvent-elles décemment entrer dans
un syndicat de ce genre, en vue de sauvegarder des intérêts communs
qu'il leur est impossible de soutenir isolément et dont la réalisation
se trouverait compromise par de plus amples délais?

Telle est la question. Pour la résoudre, le premier point à examiner,
c'est si leurs intérêts dans cette affaire sont d'un poids suffisant
pour contrebalancer le dommage sentimental que nous infligerait un tel
rapprochement? Est-il avéré que l'expansion britannique constitue pour
le genre humain un péril, dont nous aurons à supporter le premier choc,
et si pressant qu'il nous faille imposer silence momentanément à notre
profonde rancune pour marcher à côté de l'ennemi d'hier, et peut-être de
demain, contre l'ennemi de toujours?

Les intérêts de cet associé de circonstance sont-ils, d'autre part,
assez puissants pour le déterminer à une communauté de raison,--non du
sentiment,--sans aucune garantie de notre part contre les revendications
qui nous tiennent au coeur?

Ce syndicat, dont la gestion serait, je suppose, confiée tout d'abord à
la Russie, en vue de réduire les froissements au minimum, disposerait-il
de moyens assez puissants pour trancher au profit commun le grand
partage mondial, on mettant l'adversaire dans l'impossibilité de se
tailler la part du lion britannique, et assez continus pour assurer à
chacun la jouissance pacifique des possessions équitablement réparties?

Quels seront ses moyens d'action? Sur quels points devront-ils agir?
et dans quelle forme? Sera-ce, comme il est désirable, dans un débat
correct autour d'un tapis vert, sans qu'on en soit réduit à descendre
sur le pré, et fera-t-on enfin cesser le bruit assourdissant des coups
de canon de l'Afrique du Sud pour permettre aux intéressés européens
d'échanger des observations dans ces formes courtoises que sont toujours
enclins à observer entre eux des hommes armés jusqu'aux dents? Voilà
de formidables problèmes qu'il serait urgent de résoudre et qu'il est
intéressant d'examiner en parvenant à ce carrefour historique, devant
lequel sont en passe d'hésiter indéfiniment nos diplomates de bureau,
comparables à Hercule seulement par une indécision qui, en se
prolongeant davantage, les assimilerait plus justement au quadrupède
philosophique de Buridan.



I

Une caricature, dont la légende est passée en proverbe, constate que,
du temps de Gavarni, les Anglais se considéraient déjà comme chez eux
partout où l'eau était salée; ils ont depuis cette époque pris goût à
l'eau douce et, après avoir planté leur pavillon le long de toutes les
côtes hospitalières et sur toutes les îles en bonne place, ils se sont
mis à remonter les fleuves, accaparant les grandes vallées l'une après
l'autre, portant leur effort principal en Chine, sur le Yang-Tsé-Kiang,
le Ménam et le Mékong, et en Afrique, sur le Nil et le Niger, tout en
empiétant le plus possible sur le Zambèse et en recherchant toutes les
occasions de s'immiscer dans le Congo. On va jusqu'à prétendre que leur
influence remonte tel fleuve d'Europe jusqu'au niveau du quai d'Orsay;
qu'elle atteint même, depuis quelques mois, sur la rive opposée jusqu'au
Pavillon de Flore.

Pour parler statistiquement, l'empire britannique couvre aujourd'hui
plus d'un sixième de la terre habitée. L'expansion phagédénique de
son impérialisme dévorera tout le reste, s'il ne lui est opposé une
médication radicale et prompte.

Enfantée par Cromwell et conçue dans l'Acte de navigation,--alimentée
par les fautes de Louis XIV, provoquant les nations à des guerres
inutiles, où la France et la Hollande s'épuisèrent l'une contre l'autre
au seul profit de leur rivale,--grandie en s'incorporant la substance
de nos grandes entreprises coloniales qu'abandonnaient aux Indes et
au Canada les politiciens de l'intérieur, la puissance maritime de
l'Angleterre a pris toute sa force au moment même où Napoléon lui fut
livré par l'Europe, qui perdait ce jour-là son dernier défenseur.

Elle s'étale depuis lors dans un embonpoint, qui revêt, sous la poussée
de l'Impérialisme, un inquiétant aspect de turgescence. Voici déjà
qu'apparaissent à fleur de peau les symptômes d'une couperose que
l'esthétique réprouve et que l'hygiène ne saurait tolérer: pénibles
démangeaisons du côté des Indes, où l'anémie voisine à la pléthore,
fendillement du Canada, tuméfaction de l'Australie par l'effet de cette
chaleur du sang qui fait éclater les vaisseaux de l'Afrique du Sud.
Cette efflorescence est due aux capiteuses doctrines, dont les premières
gouttes furent distillées par lord Beaconsfield et que M. Chamberlain
répand à flots depuis quelques années; c'est à lui qu'il faut s'en
prendre si la nation anglaise, à l'exception de quelques têtes solides,
est enivrée par le suc fermenté de l'herbe guerrière qui lui a fait
perdre la notion des réalités on même temps que le sentiment des
devoirs. Quand et comment cela va-t-il finir? Il n'y a rien de tel
pour dégriser les gens ivres que de voir couler leur sang. C'est le
douloureux spectacle offert en ce moment à la nation anglaise. Elle s'en
trouvera bien; l'avertissement et la saignée seront profitables à
sa nature apoplectique, congestionnée chaque jour davantage par la
satisfaction abusive d'un «besoin de prendre» que ne limite plus aucune
considération de respect humain.

Il faut souhaiter pour l'Angleterre et pour le genre humain que cette
intoxication ne se prolonge pas et que la cervelle britannique soit
bientôt débarrassée des manifestations délirantes de ce «jingoïsme»
qui met à l'unisson avec les élucubrations des chansonnettistes de
café-concert les inspirations d'un admirable écrivain comme Rudyard
Kipling et les vers du poète lauréat qu'est M. Alfred Austin: la
«Chevauchée de Jameson», la rengaine patriotique d'Hamilton, dont
le refrain «Bas les pattes, Allemagne!» fit fureur au lendemain du
télégramme de Guillaume II, l'hymne en vogue à l'Alhambra, et la
dernière pensée de l'auteur du _Jungle Book_, tout cela se ressemble et
s'assemble, et se confond dans une déconcertante fraternité des genres
littéraires: Shakespeare lui-même se trouve emmené de gré ou de force
dans la cohue impérialiste, à la représentation de _King John_, où, sous
les yeux de M. Chamberlain, un public en folie salue d'applaudissements
frénétiques ou de furieux grognements les passages dans lesquels il
trouve place à des allusions aux choses du présent. «Ainsi, quand on a
entendu ces vers:

  _Stand back, lord Salisbury, stand back, I say!
  By heaven! I think my sword as sharp as yours?_
  (Arrière, Salisbury, arrière, te dis-je!
  Par Dieu, mon épée n'est-elle pas aussi tranchante que la tienne?)

on a fortement grogné», nous dit le correspondant d'un grand journal
parisien.

Cette citation est utile, en ce qu'elle fait comprendre l'attitude du
Salisbury contemporain aux observateurs superficiels que trouble la
désinvolture avec laquelle un homme d'État de ce sang-froid et de cette
tenue s'est laissé gagner à la main par le fougueux attelage qu'on le
croyait de force à maintenir. On s'explique parfaitement qu'emporté dans
ce galop infernal, sur la pente d'une inclination de l'opinion publique
aussi accentuée, un homme de l'âge du marquis de Salisbury ne se soit
pas senti assez vigoureux pour bouter en douceur le char de l'État
contre la borne d'un véto souverain, ni assez ingambe pour sauter à
terre, et qu'il ait rendu la main. Au bout du fossé l'on verra si ce fut
de la prudence.

Il est également, vraisemblable que M. Chamberlain lui-même a été
entraîné par ce mouvement populaire fort au delà du but qu'il cherchait
à atteindre, et avec une vitesse dont il n'est pas sans éprouver les
inconvénients. C'est un destin auquel se trouvent constamment exposés
les agitateurs publics.

«Il y a des hommes que la popularité devance, presque sans qu'ils
l'aient cherchée, que l'opinion prend par la main, pour ainsi dire,
auxquels elle commande des crimes en vue d'un programme qu'elle leur
impose... Le criminel en pareil cas, c'est la foule, vraie lady Macbeth,
qui, dès qu'elle a choisi son favori, l'enivre de ce mot magique: Tu
seras roi!

Dans quelle mesure ces lignes de Renan s'appliquent-elles à M.
Chamberlain et quelle est la part du dessein conscient dans le génie
malfaisant de ce politicien qu'une ambition implacable a élevé
progressivement de la manufacture des souliers à la fabrication des
écrous, et du collège électoral de Birmingham jusqu'à la plus haute
situation politique du Royaume-Uni,--qui est peut-être à la veille de
trouver en lui son Crispi?

C'est une question qu'il serait intéressant de poser, par exemple, à M.
Stead, l'ancien Directeur du _Pall Mail Gazette_, l'éditeur actuel de la
_Review of Reviews_, qui a sondé les arcanes psychologiques du héros
de l'impérialisme et en a rapporté dans sa retentissante brochure:
_Avons-nous une raison?_ de singulières révélations sur la mobilité
d'un esprit politique qualifiant jadis de «




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