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Title: Curiosités Infernales
Author: Jacob, P. L., 1806-1884
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Curiosités Infernales" ***


the Bibliotheque  Nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr.



CURIOSITÉS

INFERNALES

PAR

P. L. JACOB

BIBLIOPHILE

    DIABLES, BONS ANGES, FÉES, ELFES, FOLLETS ET LUTINS, ESPRITS
    FAMILIERS POSSÉDÉS ET ENSORCELÉS, REVENANTS, LAMIES, LÉMURES,
    LARVES, VAMPIRES PRODIGES ET SORTILÈGES, ANIMAUX PARLANTS, PRÉSAGES
    DE GUERRE, DE NAISSANCE, DE MORT, ETC.

1886

       *       *       *       *       *



PRÉFACE


Simon Goulart en envoyant à son frère Jean Goulart un volume de son
_Thrésor des histoires admirables et mémorables_ lui dit: «Ce sont pieces
rapportees et enfilees grossièrement ausquelles je n'adjouste presque rien
du mien, pour laisser à vous et à tout autre debonnaire lecteur la
meditation libre du fruit qu'on en peut et doit tirer. Dieu y apparoit en
diverses sortes près et loin, pour maintenir sa justice contre les coeurs
farouches de tant de personnes qui le regardent de travers; item pour
tesmoigner en diverses sortes sa grace à ceux qui le reverent de pure
affection.»

Autant nous en dirons de notre ouvrage. De tout temps il y a eu des
croyants et des incrédules.

«Les ignorans, dit Bodin[1], pensent que tout ce qu'ils oyent raconter des
sorciers et magiciens soit impossible. Les athéistes et ceux qui contrefont
les sçavans ne veulent pas confesser ce qu'ils voyent, ne sçachans dire la
cause, afin de ne sembler ignorants. Les sorciers et magiciens s'en moquent
pour deux raisons principalement: l'une pour oster l'opinion qu'ils soyent
du nombre; l'autre pour establir par ce moyen le règne de Satan. Les fols
et curieux en veulent faire l'essay.»

    [Note 1: En la préface de sa _Démonomanie_.]

       *       *       *       *       *


CURIOSITÉS INFERNALES



LES DIABLES



I.--EXISTENCE DES DÉMONS


«Il y en a plusieurs, dit Loys Guyon[1], tant incrédules de nostre temps,
qui ne veulent croire qu'il y ait des demons ou malins esprits qui habitent
en certaines maisons (qui sont cause que personne n'y peut fréquenter) ou
par les deserts qui font fourvoyer les voyageurs. Et aussi en d'autres
lieux... Ce qui m'a donné occasion d'escrire de ces demons, c'est que
lisant le livre du voyage de Marc Paul, Venétien, des Indes Orientales, il
escrit d'un desert, qu'il appelle Lop, qui est situé dans les limites de la
grande Turquie qui est entre les villes de Lop et de Sanchion, qu'on ne
sçauroit passer en vingt-cinq ou trente journées, et pour ce qu'il est
nécessaire à aucuns, pour la négotiation qu'ont ceux de Lop avec ceux de
Sanchion ou de la province du Tanguth, de passer par ces deserts, combien
qu'ils s'en passeroyent bien, s'ils pouvoyent, veu les dangers et grandes
difficultez qui s'y trouvent... C'est chose admirable qu'en ce desert l'on
void et oid de jour, et le plus souvent de nuict, diverses illusions et
fantosmes, de malins esprits, au moyen de quoy, ja n'est besoin à ceux qui
y passent de s'eslongner à la trouppe, et s'escarter de la compagnie.
Autrement, à cause des montagnes et costaux, ils perdroyent incontinent la
veüe de leurs compagnons. Et les appellent par leurs propres noms, feignans
la voix d'aucuns de la trouppe et par ce moyen les destournent et
divertissent de leur vray chemin, et les meinent à perdition tellement
qu'on ne sçait qu'ils deviennent. On oid aussi quelquefois en l'air des
sons et accords d'instrumens de musique, et le plus souvent des bedons et
tabourins, et pour ces causes ce desert est fort dangereux et perilleux à
passer.

    [Note 1: _Diverses leçons_. Lyon, 1610, 3 vol. in-12, t. II, p. 300
    et suivantes.]

«Voilà ce qu'en a laissé par escrit, Marc Paul qui y a esté, qui vivoit
l'an 1250, je pensoy que ce fussent choses fabuleuses (et controuvées à
plaisir ou pour quelque autre raison). Mais ayant leu les oeuvres de Teuet,
cosmographe, pour la plus grand part tesmoin oculaire de beaucoup de choses
que plusieurs autheurs ont laissé par escrit, et entre autres de ce desert
de Lop, je n'ay plus creu que ce fussent fables.

«Que semblables choses ne se voyant ailleurs, il se void en ce qu'on a
escrit de plusieurs grands et illustres personnages qui s'estoyent retirez
aux deserts d'Égypte, comme sainct Machaire, sainct Anthoine, sainct Paul
l'hermite, lesquels ont trouvé tous les deserts lieux pleins de grande
solitude, remplis de démons. Comme fit sainct Anthoine qui estant sorti de
sa cellule, ayant envie de voir jour et Paul l'hermite, qui demeuroit en un
desert plus haut que luy trois journées, trouva en chemin, une forme
monstrueuse d'homme, qui estoit un cheval, et tel que ceux que les poëtes
anciens ont appelé Hippocentaures. Auquel il demanda le chemin du lieu où
demeuroit ledict Paul Hermite, lequel parla. Mais il ne peut estre entendu
et monstra de l'une de ses mains le chemin et puis après il s'osta de
devant luy, s'enfuyant d'une grande vitesse. Or si c'est homme estoit point
quelque illusion du Diable, faite pour espouvanter le sainct homme ou si
(comme les solitudes sont coustumieres de produire diverses formes
d'animaux monstrueux) le desert avoit engendré cest homme ainsi difforme,
nous n'en avons rien de certain.

«Sainct Anthoine donc s'esbahissant de ceste occurrence, et resvant, sur ce
que desja il avoit veu, ne discontinua son voyage, et de passer outre. Mais
il ne fut gueres avant, qu'estant en un vallon pierreux et plein de
rochers, il vid un autre homme d'assez basse stature, mais laid, et
difforme, ayant le nez crochu et deux cornes qui lui armoyent horriblement
le front, et le bas du corps, lequel alloit en finissant ainsi que les
cuisses et pieds d'un bouc. Le vieillard sans s'estonner de ceste forme si
hideuse, ne s'esmouvant d'un tel spectacle, si effroyable, se fortifia,
comme estant bon gendarme chrestien vestu des armes de Jésus-Christ,... et,
voicy ce monstre susdit qui lui présenta des dattes et fruicts de palmier
comme pour gage d'amitié et asseurance. Ceci encouragea ce bon hermite qui,
apprivoisé du monstre, s'arresta un peu et s'enquit de son estre et que
c'est qu'il faisoit en ceste solitude, auquel cest animal inconu respondit:
Je suis mortel et un des citoyens et habitans de ce desert, que les gentils
et idolatres aveugles et deçeus sous l'illusion diverse d'erreur, adorent
et reverent sous le nom de faunes, pans, satyres et incubes. Je suis venu
de la part de ceux de ma trouppe, et compagnie vers toy pour te requerir
qu'il te plaise de prier le commun Dieu et Seigneur de nous tous, pour nous
misérables, lequel sçavons estre venu au monde pour le salut et rachat de
tous les hommes, et que le son de sa parole a esté semé et espandu par
toute la terre. Ce monstre parlant ainsi, le voyager chargé d'ans et
vénérable hermite Anthoine pleuroit à chaudes larmes, lesquelles couloyent
le long de sa face honnorable, non de douleur, ains de joye.

«En Hirlande, il s'y void et entend des malins esprits parmi les montagnes,
et combien qu'aucuns disent que ce ne sont que des fausses visions qui
proviennent de ce que les habitans usent de viandes et breuvages vaporeux,
comme de pain faict de chair de poisson seché. Et leur boire sont bieres
fortes. Mais i'ay sceu (asseurement) des Anglois qui y ont demeuré quelques
années, qui vivoyent civilement et delicatement, qu'il y avoit des esprits
malins parmy les montagnes, lesquels molestent par leurs façons de faire et
font peur aux voyageurs soit de jour et de nuict.

«Plusieurs autres démons luy ont donné de grandes fascheries en son desert,
lui jettans sur son chemin des vaisselles d'or et d'argent, lesquelles
choses il voyoit soudain s'esvanouir.»

«Les Arabes qui, communément voyagent par les deserts de leurs pays, y
voyent des visions espouvantables et quelquefois des hommes qui
s'esvanouissent incontinent, entre autres Teuet atteste avoir ouy dire à un
truchement arabe qui le conduisoit par l'Arabie déserte nommée Geditel,
qu'un jour conduisant une caravanne par les deserts du royaume de
Saphavien, le sixiesme de juillet, à cinq heures du matin, luy Arabe et
plusieurs de sa suite ouyrent une voix assez esclattante, et intelligible
qui disoit en la mesme langue du pays: Nous avons longuement cheminé avec
vous. Il fait beau temps, suivons la droitte voye. Avint qu'un folastre
nommé Berstuth, qui conduisoit quelques trouppes de chameaux, qui
toutesfois n'apercevoit homme vivant, la part d'où venoit ceste voix,
respond: Mon compagnon, je ne sçay qui tu es, suy ton chemin. Lors ces
paroles dites, l'esprit espouvanta si bien la trouppe composée de divers
peuples barbares qu'un chascun estoit presque esperdu, et n'osoyent à grand
peine passer outre.

«Jésus-Christ fut tenté au desert par le malin esprit.

«Et voilà comme l'on peut recueillir que ce ne sont fables (de dire) qu'il
y a des esprits malins par les deserts; et qu'il semble que Dieu permet
qu'ils habitent plus tost en ces lieux escartez que là où demeurent les
hommes à fin qu'ils n'en soyent si communément offensez. Comme fit l'ange
Raphael duquel est parlé en la saincte Escriture, au livre de Tobie, qui
confina le demon qui avoit fait mourir sept maris à la fille de Raguel aux
deserts de la haute Egypte.

«D'autres démons fréquentent la mer et les eaux douces, et dans icelles, et
causent des naufrages aux navigeans et plusieurs autres maux, et y
apparoissent des phantosmes. Et d'iceux esprits, comme escrit Torquemada,
il s'en void journellement sur la rivière Noire, en Norvege, qui sonnent
des instrumens musicaux et lors cest signe qu'il mourra bien tost quelque
grand du pays. J'ay veu et fréquenté avec un Espagnol qui par tourmente de
mer fut jetté jusques aux mers, qui sont environ les terres du grand Khan
de Tartarie, qu'il a veu souvent en ces régions-là de ces phantosmes tant
sur mer que sur terre, notamment aux grandes solitudes de Mangy et deserts
de Camul, et choses si estranges que je ne les auseroy mettre par escrit,
de peur qu'on ne les voulust croire.

«Quelqu'un pourra objecter qu'il n'est pas vraysemblable que les demons qui
sont aux deserts de Lop, et d'ailleurs appellent les voyageans par leurs
noms, d'autant qu'iceux n'ont organes pour pouvoir parler suivant ce que
Jésus-Christ dit que les esprits n'ont ni chair ni os. Je respon, suivant
en l'opinion de S. Augustin, S. Basile, Coelius Rodigin et Appulée, que les
anges se peuvent former des corps aeriens, de la nature la plus terrestre,
et par le moyen d'iceux parler comme firent ces trois anges qui apparurent
à Abraham. Et l'ange Gabriel, qui annonça la conception de Jésus-Christ à
la Vierge Marie. Et que les demons s'en peuvent aussi forger non pas d'une
matiere si pure, mais plus abjecte.

«J'ay parlé d'un monstre chevre-pied qui apparut à sainct Anthoine, que je
pense avoir esté engendré par le moyen de Satan, d'autre façon que les
autres demons. Neantmoins il requit ce sainct personnage de prier Dieu pour
luy et pour d'autres monstres habitans ce desert. Son corps n'estoit point
aérien mais charnel, comme ceux des boucs. Il fut prins et mené tout vif en
Alexandrie vingt ans après, au grand estonnement de tous ceux qui le
virent, et combien qu'on le voulust nourrir curieusement quelques jours
après sa prise il mourut, et son corps fut salé et embaumé et puis porté à
Antioche et présenté à Constantin, fils du grand Constantin.

«Lycosthène escrit estre avenu à Rotwille en Alemagne, l'an de grâce 1545,
que le diable fut veu en plein midi allant et se pourmenant par la place:
cest ici que les citoyens s'effroyèrent, craignans qu'ainsi qu'il avoit
fait ailleurs, il ne bruslast toute la ville. Mais chascun s'estant mis en
devotion de prier Dieu, et ordonner des jeunes et aumosnes, ce malin esprit
lors s'en alla, et jaçoit que le diable vienne peu souvent vers nous si est
ce que Dieu le souffrant, il n'y vient point sans de bien grandes
occasions, et pour estre l'executeur de la vengeance divine. Et ne nous
faut point tourmenter sur ce que les demons sont si corporels, ainsi que
vrayement tient la doctrine des chrestiens, veu que Dieu le veut ainsi.

«Ils se rendent sensibles et visibles par les moyens des corps empruntez ou
formez en l'air ou en esblouissant le sens des personnes, et leur
présentant des idées en l'âme, qu'ils pensent voir par la veüe extérieure
ainsi que S. Augustin dit, qu'aucuns de son temps pensoyent estre transmuez
par quelques sorcières en bestes à corne, là où le bon sainct ne voyoit
autre cas que la figure de l'homme, mais le sens visible de ceux-cy estant
ensorcelé et perverti par la force de l'imagination causoit l'opinion de
leur changement où l'effect estoit tout au contraire. Suivant ces discours,
il se void que par tout les demons ou diables s'efforcent de nuire à
l'homme, encor qu'il se retire au plus hideux et inhabitable desert du
monde, soit qu'il habite dans les plus populeuses villes, tousiours
taschera-il de le faire tresbucher.»

Lavater[1], ministre calviniste, admet avec beaucoup de méfiance les faits
surnaturels; son ouvrage est précédé de plusieurs chapitres où il raconte
des faits merveilleux en apparence et qui pour lui ne sont que des
supercheries; ils ont pour titres:

    [Note 1: _Trois livres Des apparitions des esprits, fantosmes,
    prodiges, etc. composez par Loys Lavater, plus trois questions
    proposées et résolues, par M. Pierre Martyr_. Geneve, Fr. Perrin,
    1571, in-12.]

«CH. I. Les mélancholiques et insensez s'impriment en la fantasie beaucoup
de choses dont il n'est.

«CH. II. Gens craintifs se persuadent de voir et ouïr beaucoup de choses
espouvantables dont il n'est rien.

«CH. III. Ceux qui ont mauvaise vue et ouïe imaginent beaucoup de choses
qui ne sont pas.

«CH. IV. Beaucoup de gens se masquent, pour faire que ceux ausquels ils
s'adressent, pensent avoir veu et ouï des esprits.

«CH. V. Les prestres et moines ont contrefait les esprits et forgé des
illusions comme un nommé Mundus abusa de Paulina par ce moyen, et Tyrannus
de beaucoup de nobles et honnestes femmes.

«CH. VI. Timothée Aelurus ayant contrefait l'ange, usurpe une couschée:
quatre jacopins de Berne ont forgé beaucoup de visions et de ce qui s'en
est ensuivi.

«CH. VII. L'histoire du faux esprit d'Orléans.

«CH. VIII. D'un curé de Clavenne qui apparut à une jeune fille et luy fit
croire qu'il estoit la Vierge Marie et d'un autre qui contrefit l'esprit;
ensemble du cordelier escossois et du jésuite qui contrefit le le diable à
Ausbourg.»

Voici cette dernière histoire:

«Pendant que j'escrivois cet oeuvre, j'ay entendu par des gens dignes de
foy, qu'en l'an 1569 il y avoit à Ausbourg, ville fort renommée
d'Allemagne, une servante et quelques serviteurs d'une grande famille qui
ne tenoyent pas grand compte de la secte des jésuites au moyen de quoy l'un
de ceste secte promit au maistre qu'il feroit aisément changer d'opinion à
ses serviteurs. Pour ce faire, après s'estre déguisé en diable, il se cacha
en quelque lieu de la maison où la servante allant quérir quelque chose de
son gré, ou y estant envoyée par son maître, trouva ce jésuite endiablé qui
luy fit fort grand peur. Elle conta incontinent le tout à un de ses
serviteurs, l'exhortant de n'aller en ce lieu-là. Toutefois peu après il y
vint, et comme ce diable desguisé vouloit se ruer dessus, il desgaine son
poignard et perce le diable de part en part, tellement qu'il demeure mort
sur la place. Cette histoire a esté écrite et imprimée en vers allemans, et
est maintenant entre les mains de tout le monde.



II.--APPARITIONS DU DIABLE


Le Loyer[1] prétend que les démons paraissent plus volontiers dans les
carrefours, dans les forêts, dans les temples païens et dans les lieux
infestés d'idolâtrie, dans les mines d'or et dans les endroits où se
trouvent des trésors.

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres, visions et
    apparitions_, par P. Le Loyer. Paris, Nic. Buon, 1605, in-4°, p.
    340.]

Nous lui empruntons l'histoire suivante:

«Un gendarme nommé Hugues avait été pendant sa vie un peu libertin et mesme
soupçonné d'hérésie. Comme il étoit près de la mort, une grande trouppe
d'hommes se présenta à luy et le plus apparent d'entre eux luy dit: Me
connois-tu bien, Hugues?--Qui es-tu, répondit Hugues?--Je suis, dit-il, le
puissant des puissants, et le riche des riches. Si tu crois que je te puis
préserver du péril de mort, je te sauveray et ferai que tu vivras
longuement. Afin que tu sçaches que je te dis vray, sçaches que l'empereur
Conrad est à ceste heure paisible possesseur de son empire et a subjugué
l'Allemagne et l'Italie en bien peu de temps. Il luy dit encore plusieurs
autres choses qui se passoient par le monde. Quand Hugues l'eut bien
escouté, il haussa la main dextre pour faire le signe de la croix, disant:
J'atteste mon Dieu et Seigneur Jésus-Christ, que tu n'es autre qu'un diable
menteur. Alors le diable lui dit: Ne hausse pas ton bras contre moy et tout
aussitost ceste bande de diables disparut comme fumée. Et Hugues, le même
jour de la vision, trespassa le soir.»

Le Loyer raconte aussi[1] cette autre apparition du diable:

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres_, etc., page 317.]

«En la ville de Fribourg, du temps de Frédéric, second du nom, un jeune
homme bruslé par trop ardemment de l'amour d'une fille de la mesme ville,
pratiqua un magicien auquel il promit argent, s'il pouvoit par son moyen
jouir de l'amour de la fille. Le magicien le mene de belle nuit en un
cellier escarté où il dresse son cercle, ses figures et ses caractères
magiques, entre dans le cercle et y fait pareillement entrer l'escolier.
Les esprits appelez se présentent mais en diverses formes, fantosmes et
illusions... Enfin le plus meschant diable de tous se montre à l'escolier
en la forme de la fille qu'il aymoit et en contenance fort joyeuse
s'approche du cercle. L'escolier aveuglé et transporté d'amour, estend sa
main hors le cercle pour penser prendre la fille, mais tout content, le
diable lui saisit la main, l'arrache du cercle et le rouant ou tournant
deux ou trois tours lui casse et brise la tête contre la muraille du
celier, et jeta le corps tout mort sur le magicien, et ce fait luy et les
autres esprits disparurent.

«Il ne faut pas demander si le magicien fut bien effrayé à ce piteux
spectacle, se voyant en outre chargé du pesant fardeau de l'escolier. Il ne
bougea de la nuit de l'enclos de son cercle, et le lendemain matin il se
fit si bien ouïr criant et lamentant, qu'on accourt à son cry et est trouvé
à demy mort avec le corps de l'escolier et est dégagé à toute peine.»

«Au surplus, dit Le Loyer[1], quant aux hérétiques et hérésiarques de
nostre temps, ils ne se trouveront pas plus exempts d'associations avec le
diable et de ses visions. Car Luther a eu un démon, et a esté si impudent
que de le confesser bien souvent par ses écrits. Je ne le veux faire voir
que par un traicté qu'il a faict de la messe angulaire, où il se descouvre
ouvertement et dit qu'entre luy et le diable y avoit familiarité bien
grande, et qu'ils avoient bien mangé un muy de sel ensemble. Que le diable
le visitoit souvent, parloit à luy fort privément, le resveilloit de nuict,
et le provocquoit d'escrire contre la messe, luy enseignant des arguments
dont il se pourroit servir pour l'impugner.

    [Note 1: Même ouvrage, p. 297.]

«Mais Luther est-il seul qui à sa confusion est contraint de confesser sa
conférence avec le diable? Il y a aussi Zwingle, sacramentaire qui dit que
resvant profondément une nuict sur le sens des paroles de Jésus-Christ:
Cecy est mon corps, se présente à luy un esprit, qu'il est en doute s'il
estoit blanc ou noir, qui lui enseigna d'interpreter le passage de
l'Écriture sainte d'une autre façon que l'Église des catholiques ne
l'interprétoit et dire que ces mots: Cecy est mon corps, valaient tout
autant comme qui diroit: Cecy signifie mon corps...

«Alors que Bucere, disciple de Luther, estoit en l'agonie de la mort, un
diable s'apparut en la chambre où il estoit et s'approchant peu-à-peu
auprès de son lit, non sans essayer les présens poussa rudement Bucere et
le fit tomber en la place où il trespassa à l'instant.

«C'est aussy chose qu'on tient pour toute véritable et ainsi l'affirme
Érasme Albert, ministre de Basle, que trois jours devant que Carolostade
trespassa, le diable fut veu près de luy en forme d'homme de haute et
énorme stature, comme Carolostade preschoit. Ce fut un présage de la mort
future de cet hérétique.»

Dans l'affaire des possédées de Louviers, suivant le Père Bosroger[1],

    [Note 1: _La Piété affligée, ou Discours historique et théologique
    de la possession des religieuses dictes de Saincte-Élisabeth de
    Louviers, etc._, par le R.P. Esprit de Bosroger. Rouen, Jean Le
    Boulenger, 1652, in-4°, p. 137.]

«La soeur Marie de Saint-Nicholas apperceut deux formes effroyables, l'une
représentait un vieil homme avec une grande barbe, lequel ressemblait à
nostre faux spirituel; ce phantosme qu'elle apperceut à quatre heures du
matin, environ le soleil levant s'assit sur les pieds de sa couche, et luy
dit d'un ton d'homme désespéré: Je viens de voir Madelène Bauan, et la
soeur du Saint-Sacrement; ah que Madelène est méchante! elle est
entièrement à nous, mais l'autre nous ne la sçaurions gagner. Ce spectre
obligea la soeur Marie de Saint-Nicholas de recourir à Dieu en faisant le
signe de la croix, et aussitost elle fut délivrée de ce phantosme; l'autre
estoit seulement comme une teste grosse et fort noire, que cette fille
envisagea en plein jour à la fenestre d'un grenier, laquelle donnoit dans
celui où elle travailloit; cette teste la regarda long-temps, et luy causa
une grande frayeur, elle ne laissa pourtant de la considérer attentivement,
jusqu'à ce qu'elle remarqua que cette teste commençoit à descendre de la
fenestre; car pour lors elle fut saisie de peur, et se retira, puis
aussitost ayant pris courage, elle alla dans le grenier où la forme avoit
paru, mais elle n'y trouva plus rien, sinon quelque temps après qu'elle
avisa dans le meme endroit des cordes qui se rouloient d'elles-memes et
l'on voyoit tomber le linge dont elles étoient chargées; souvent on
renversoit les meubles et on entendoit des bruits épouvantables.»

D'après le même auteur, dans la même affaire[1],

    [Note 1: _La Piété affligée_, p. 421.]

«Un homme ayant apporté à Picard une lettre d'importance arriva à onze
heures de nuit à son presbytère passant au travers de la cour close d'un
mur, et entra dans la cuisine qui étoit ouverte, où il trouva Picard courbé
sur la table, et un homme noir et inconnu vis-à-vis de luy. Picard luy feit
sa réponse de bouche, passa de la cuisine dans une chambre basse, laquelle
il trouva pareillement ouverte; aussitost le déposant entendit un cry
effroyable dont il avoit eu grand peur: ce vilain homme noir et inconnu luy
reprocha qu'il trembloit, et avoit peur.»

Crespet[1] cite d'autres apparitions du diable:

    [Note 1: _Deux livres de la hayne de Sathan et malins esprits
    contre l'homme et de l'homme contre eux_, par P. P. Crespet, prieur
    des Célestins de Paris. 1590, in-12, p. 379.]

«Or le bon Père Cesarius dans ses exemples dit bien autrement d'une
concubine de prestre, laquelle voyant que son paillard désespéré s'estoit
tué soy-mesme, s'alla rendre nonnain où estant à cause qu'elle n'avoit
entièrement confessé ses pechez, fut vexée d'un diable incube qui la
tourmentoit toutes les nuicts, pour a quoy obvier, elle s'advisa de faire
une confession générale de tous ses péchez. Ce qu'ayant faict, jamais le
diable n'approcha d'elle depuis.

«Je ne puis omettre, ajoute-t-il, ce que à ce propos je trouve ès archives
de ce monastère où je réside, qu'un bon religieux plein de foy (1504)
voyant que le diable se meslant parmy les esclairs de tonnerre estoit entré
en l'église où les religieux estoient assemblez pour prier Dieu, et qu'il
vouloit tout renverser et prophaner les choses dédiées à Dieu, se vint
constamment présenter armé du signe de la croix et commanda au nom de
crucifix à Sathan de désister et sortir de la maison de Dieu, à la voix
duquel il fut forcé d'obéir, et se retirer sans aucune offence.»

«Mais entre tous les contes, desquels j'aye jamais entendu parler, ou veu,
dit Jean des Caurres[1], cestui-cy est digne de merveille, lequel est
advenu depuis peu de temps à Rome. Un jeune homme, natif de Gabie, en une
pauvre maison, et de parents fort pauvres, estant furieux, de mauvaise
condition et de meschante conversation de vie, injuria son père, et luy fit
plusieurs contumélies; puis estant agité de telle rage, il invoqua le
diable, auquel il s'estoit voué: et incontinent se partit pour aller à
Rome, et à celle fin entreprendre quelque plus grande meschanceté contre
son père. Il rencontra le diable sur le chemin, lequel avoit la face d'un
homme cruel, la barbe et les cheveux mal peignez, la robe usée et orde,
lequel lui demanda en l'accompagnant la cause de sa fascherie et tristesse.
Il lui respondit qu'il avoit eu quelques paroles avec son père, et qu'il
avoit délibéré de luy faire un mauvais tour. Alors le diable luy fit
réponse que tel inconvénient luy estoit advenu; et ainsi le pria-il de le
prendre pour compagnon, et à celle fin que ensemble ils se vengeassent des
torts qu'on leur avoit faicts. La nuit doncques estant venue, ils se
retirèrent en une hostelerie, et se couchèrent ensemble. Mais le malheureux
compagnon print à la gorge le pauvre jeune homme, qui dormoit profondément
et l'eust estranglé, n'eust esté qu'en se réveillant il pria Dieu. Dont il
advint que ce cruel et furieux se disparut, et en sortant estonna d'un tel
brui et impétuosité toute la chambre que les solives, le toict et les
thuilles en demeurèrent toutes brisées. Le jeune homme espouvanté de ce
spectacle, et presque demy mort, se repentit de sa meschante vie et de ses
meffaicts, et estant illuminé d'un meilleur esprit, fut ennemy des vices,
passa sa vie loing des tumultes populaires et servit de bon exemple.
Alexandre escrit toutes ces choses.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées en histoires, etc._, par
    Jean des Caurres. Paris, Guill. Choudière, 1584, in-8°, p. 390.]

«Lorsque j'étudiais en droit en l'académie de Witemberg, dit Godelman[1],
cité par Goulart[2], j'ay ouy souvent reciter à mes précepteurs qu'un jour,
certain vestu d'un habit estrange vint heurter rudement à la porte d'un
grand théologien, qui lors lisoit en icelle académie, et mourut l'an 1516.
Le valet ouvre et demande qu'il vouloit? Parler à ton maistre, fit-il. Le
théologien le fait entrer: et lors cest estranger propose quelques
questions sur les controverses qui durent sur le fait de la religion. A
quoi le théologien ayant donné prompte solution, l'estranger en mit en
avant de plus difficiles, le théologien lui dit: Tu me donnes beaucoup de
peine: car j'avois le présent autre chose à faire et la dessus se levant de
sa chaire montre en un livre l'exposition de certain passage dont ils
débatoyent. En cest estrif il aperçoit que l'estranger avoit au lieu de
doigts des pattes et des griffes comme d'oyseau de proye. Lors il commence
à lui dire: Est-ce toi donc? Escoute la sentence prononcée contre toi (lui
monstrant le passage du troisième chapitre de Genese): La semence de la
femme brisera la teste du serpent. Il adjousta: Tu ne nous engloutiras pas
tous. Le malin esprit tout confus, despité et grondant, disparut avec grand
bruit, laissant si puante odeur dedans le poisle qu'il s'en sentit quelques
jours après, et versa de l'encre derrière le fourneau.»

    [Note 1: Jean-George Godelman, docteur en droit à Rostoch, au
    traité _De magis, veneficis, lamis, etc._, livre 1, ch. III.]

    [Note 2: _Thrésor d'histoires admirables et mémorables de nostre
    temps, recueillies de divers autheurs, mémoires et avis de divers
    endroits._ Paris, 1600, 2 vol. in-12.]

Le même auteur fournit encore cette autre histoire à Goulart:

«En la ville de Friberg en Misne, le diable se présente en forme humaine à
un certain malade, lui monstrant un livre et l'exhortant de nombrer les
péchez dont il se souviendroit, pour ce qu'il vouloit les marquer en ce
livre. Du commencement le malade demeura comme muet: mais recouvrant et
reprenant ses esprits, il respond. C'est bien dit, je vay te deschifrer par
ordre mes péchez. Mais escri au dessus en grosses lettres: La semence de la
femme brisera la teste du serpent. Le diable, oyant cette condamnation
sienne s'enfuit, laissant la maison remplie d'une extrême puanteur.»

Goulart emprunte celle-ci à Job Fincel[1]:

    [Note 1: Job Fincel, au premier livre _Des Miracles_.]

«L'an mil cinq cens trente quatre, M. Laurent Touer, pasteur en certaine
ville de Saxe, voyant quelques jours devant Pasques à conférer avec aucuns
du lieu, selon la coustume, des cas divers et scrupules de conscience,
Satan en forme d'homme lui apparut et le pria de permettre qu'il
communiquast avec lui; sur ce il commence à desgorger des horribles
blasphèmes contre le Sauveur du monde. Touer lui résiste et le réfute par
tesmoignages formels recueillis de l'Escriture sainte, que ce malheureux
esprit tout confus, laissant la place infectée de puanteur insupportable
s'esvanouit.»

«Un moine nommé Thomas, dit Alexandre d'Alexandrie[1], personnage digne de
foy, et la preud'hommie duquel j'ay esprouvée en plusieurs afaires m'a
raconté pour chose vraye, avec serment, qu'ayant eu debat de grosses
paroles avec certains autres moines, après s'estre dit force injures de
part et d'autre, il sortit tout bouillant de cholere d'avec eux et se
promenant seul en un grand bois rencontra un homme laid, de terrible
regard, ayant la barbe noire, et robe longue. Thomas lui demande où il
alloit? J'ay perdu, respondit-il, ma monture, et vai la cercher en ces
prochaines campagnes. Sur ce ils marchent de compagnie pour trouver ceste
monture, et se rendent pres d'un ruisseau profond. Le moine commence à se
deschausser pour traverser ce ruisseau: mais l'autre le presse de monter
sur ses espaules, promettant le passer à l'aise. Thomas le croid, et chargé
dessus l'embrasse par le col: mais baissant les yeux pour voir le gué, il
descouvre que son portefaix avoit des pieds monstrueux et du tout
estranges. Dont fort estonné, il commence à invoquer Dieu à son aide. A
ceste voix, l'ennemi confus jette sa charge bas, et grondant de façon
horrible disparoît avec tel bruit et de si extraordinaire roideur, qu'il
arrache un grand chesne prochain et en fracasse toutes les branches. Thomas
demeura quelque temps comme demy-mort, par terre, puis s'estant relevé,
reconnut que peu s'en estoit falu que ce cruel adversaire ne l'eust fait
perir de corps et d'ame.»

    [Note 1: Au IVe livre, chap. XIX de ses _Jours géniaux_, cité par
    Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. Ier, p. 535.]



III.--ENLÈVEMENTS PAR LE DIABLE


J. Wier[1] rapporte cette histoire d'une femme emportée par le diable:

    [Note 1: _Histoires, disputes et discours des illusions et
    impostures des diables, des magiciens, infames, sorciers et
    empoisonneurs, le tout compris en 5 livres_, traduit du latin, de
    Jean Wier, sans date, vers 1577.]

«L'an 1551 il advint près Mégalopole joignant Wildstat, les festes de la
Pentecoste, ainsi que le peuple se amusoit à boire et ivrongner, qu'une
femme que estoit de la compagnie, nommoit ordinairement le diable parmy ses
jurements, lequel en la présence d'un chacun l'enleva par la porte, et la
porta en l'air. Les autres qui estoyent présens sortirent incontinent tous
estonnez pour voir où ceste femme estoit ainsi portée, laquelle ils virent
hors du village pendue quelque temps au haut de l'air, dont elle tomba en
bas et la trouvèrent après morte au milieu d'un champ.»

D'après Textor[1]: «Il y en eut un lequel ayant trop beu, se print à dire,
en follastrant, qu'il ne pouvoit avoir une ame, puisqu'il ne l'avoit point
veuë. Son compagnon l'acheta pour le prix d'un pot de vin, et la revendit à
un tiers là présent et inconnu lequel tout à l'heure saisit et emporta
visiblement ce premier vendeur au grand estonnement de tous.»

    [Note 1: En son _Traicté de la nature du vin_, liv I, ch. XIII,
    cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. III, p.
    67.]

Crespet[1] cite d'autres exemples d'enlèvements par le diable: «Tesmoing,
dit-il, ce grand usurier qui dernièrement voyant que les bleds estoient à
bon prix se desespera et appellant le diable il le veit incontinent à son
secours, qui l'emporta au haut d'un chesne et le jectant du haut en bas,
lui rompit le col.

    [Note 1: _De la hayne de Sathan_, p. 379.]

«Un autre qui avoit perdu son argent au jeu; apres qu'il eut blasphemé le
nom de Dieu et de la Vierge Marie, fut visiblement emporté par le diable,
auquel il s'estoit voué.»

Chassanion[1] rapporte que «Jean François Picus, comte de la Mirande,
tesmoigne avoir parlé à plusieurs lesquels s'estant abusez après la veine
espérance des choses à venir, furent par apres tellement tourmentez du
diable avec lequel ils avoyent fait certain accord, qu'ils s'estimeroyent
bien heureux d'avoir la vie sauve. Dit d'avantage que de son temps il y eut
un certain magicien, lequel promettoit à un trop curieux et peu sage prince
de lui représenter comme en un théâtre du siège de Troyes, et lui faire
voir Achilles et Hector en la manière qu'ils combattoyent. Mais il ne peut
l'exécuter se trouvant empesché par un autre spectacle plus hideux de sa
propre personne. Car il fut emporté en corps et en âme par un diable sans
que depuis il soit comparu.»

    [Note 1: En son _Histoire des jugemens de Dieu_, liv. I, ch. II,
    cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p.
    718.]

Le Loyer[1] raconte encore cette histoire d'un diable noyant un
anabaptiste:

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres, etc._, p. 332.]

«En Pologne, dit-il, un chef et prince d'anabaptistes invita aucuns de sa
secte à son baptesme les assurant qu'ils y verroient merveilles et que le
saint esprit descendrait visiblement sur luy. Les invitez se trouvent au
baptesme, mais comme cet anabaptiste qui devait être baptisé mettait le
pied dans la cuve pleine d'eau, incontinent, non le saint esprit, qui
n'assiste point les hérétiques, ains l'esprit de septentrion qui est le
diable, apparoist visiblement devant tous, prend l'anabaptiste par les
cheveux, l'éleve en l'air et tant et tant de fois luy froisse la teste et
le plonge en l'eau qu'il le laissa mort et suffoqué dans la cuve.»

«Nous lisons aussi que le baillif de Mascon, magicien, fut emporté, dit J.
des Caurres[1], par les diables à l'heure du disner, il fut mené par trois
tours à l'entour de la ville de Mascon, en la présence de plusieurs où il
cria par trois fois: Aydez-moy, citoyens, aidez-moy. Dont toute la ville
demeura estonnée, et luy perpétuel compagnon des diables, ainsi que Hugo de
Cluny le monstre à plein.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées et histoires_, p. 392.]

«Un homme de guerre voyageant par le marquisat de Brandebourg, à ce que
rapporte Simon Goulart[1], d'après J. Wier[2], se sentant malade et arresté
à une hostellerie, bailla son argent à garder à son hostesse. Quelques
jours après estant guéri il le redemanda à ceste femme, laquelle avoit déjà
délibéré avec son mari de le retenir, par quoy elle lui nia le dépost, et
l'accusa comme s'il lui eust fait injure: le passant au contraire, se
courrouçoit fort, accusant de desloyauté et larcin cette siene hostesse. Ce
que l'hoste ayant entendu, maintint sa femme, et jetta l'autre hors de sa
maison, lequel choléré de tel affront tire son espée et en donne de la
pointe contre la porte. L'hoste commence à crier au voleur, se complaignant
qu'il vouloit forcer sa maison. Ce qui fut cause que le soldat fut pris,
mené en prison, et son procès fait par le magistrat, prest à le condamner à
mort. Le jour venu que la sentence devoit estre prononcée et exécutée le
diable entra en la prison, et annonça au prisonnier qu'il estoit condamné à
mourir; toutefois que s'il vouloit se donner à lui, il lui promettoit de le
garantir de tout mal. Le prisonnier fit response qu'il aimoit mieux mourir
innocent que d'estre délivré par tel moyen. Derechef le diable lui ayant
représenté le danger où il estoit, et se voyant rebuté, fit néantmoins
promesse de l'aider pour rien et faire tant qu'il le vengeroit de ses
ennemis. Il lui conseilla donc lorsqu'il seroit appelé en jugement de
maintenir qu'il étoit innocent et de prier le juge de lui bailler pour
advocat celui qu'il verroit là présent avec un bonnet bleu: c'est assavoir
lui qui plaideroit la cause. Le prisonnier accepte l'offre et le lendemain,
amené au parquet de justice, oyant l'accusation de ses parties et l'advis
du juge, requiert (selon la coustume de ces lieux là), d'avoir un advocat
qui remonstrast son droit: ce qui lui fut accordé. Ce fin Docteur es loix
commence à plaider et à maintenir subtilement sa partie, alléguant qu'elle
estoit faussement accusée, par conséquent mal jugée; que l'hoste lui
détenoit son argent et l'avoit forcé; mesmes il raconta comme tout
l'affaire estoit passé, et déclaira le lieu où l'argent avoit esté serré.
L'hoste au contraire se défendoit, et nioit tant plus impudemment, se
donnant au diable, et priant qu'il l'emportast, s'il estoit ainsi qu'il
l'eust pris. Alors ce Docteur au bonnet bleu, laissant les plaids, empoigne
l'hoste, l'emporte dehors du parquet, et l'esleve si haut en l'air que
depuis on ne peut sçavoir qu'il estoit devenu.» Paul Eitzen[3] dit que ceci
avint l'an 1541 et que ce soldat revenoit de Hongrie.

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, tome I, p. 285.]

    [Note 2: Au IVe livre _de Praestigiis Daemonum_, ch. XX.]

    [Note 3: Au VIe livre de ses _Morales_, ch. XVIII.]

Les mêmes auteurs nous font encore connaître les deux histoires suivantes:

«Un autre gentilhomme coustumier de se donner aux diables, allant de nuict
par pays, accompagné d'un valet, fut assailli d'une troupe de malins
esprits, qui vouloyent l'emmener à toute force. Le valet désireux de sauver
son maistre, commence à l'embrasser. Les diables se prennent à crier:
«Valet lasche prise»; mais le valet perséverant en sa délibération, son
maistre eschappa.»

«En Saxe, une jeune fille fort riche promit mariage à un beau jeune homme
mais pauvre. Lui prevoyant que les richesses et la légèreté du sexe
pourroyent aisement faire changer d'avis à ceste fille, lui descouvrit
franchement ce qu'il en pensoit. Elle au contraire commence à lui faire
mille imprécations, entre autres celle qui s'ensuit: Si j'en épouse un
autre que le diable m'emporte le jour des nopces. Qu'avient-il? Au bout de
quelque temps l'inconstante est fiancée à un autre, sans plus se soucier de
celui-ci, qui l'admonneste doucement plus d'une fois de sa promesse, et de
son horrible imprécation. Elle hochant la teste à telles admonitions
s'appreste pour les espousailles avec le second: mais le jour des nopces,
les parens, alliés et amis faisans bonne chere, l'espousée esveillée par sa
conscience se monstroit plus triste que de coustume. Sur ce voici arriver
en la cour du logis où se faisoit le festin, deux hommes de cheval, qu'on
ameine en haut, où ils se mettent à table, et après disné, comme l'on
commençoit à danser, on pria l'un d'iceux (comme c'est la coustume du pays
d'honorer les estrangers qui se rencontrent en tels festins) de mener
danser l'espousée. Il l'empoigne par la main et la pourmeine par la salle:
puis en présence des parens et amis, il la saisit criant à haute voix, sort
de la porte de la salle, l'enleve en l'air, et disparoit avec son compagnon
et leurs chevaux. Les pauvres parens et amis l'ayans cherchée tout ce jour,
comme il continuoyent le lendemain, esperans la trouver tombée quelque
part, afin d'enterrer le corps, rencontrent les deux chevaliers, qui leur
rendirent les habits nuptiaux avec les bagues et joyaux de la fille,
adjoutans que Dieu leur avoit donné puissance sur ceste fille et non sur
les acoustremens d'icelle, puis s'esvanouirent.»

Goulard répète aussi cette attaque du diable rapportée par Alexandre
d'Alexandrie[1]:

    [Note 1: Au IIe livre de ses _Jours géniaux_.]

«Un mien ami, homme de grand esprit, et digne de foy estant un jour à
Naples chez un sien parent, entendit de nuit la voix d'un homme criant a
l'aide, qui fut cause qu'il aluma la chandelle, et y courut pour voir que
c'estoit. Estant sur le lieu, il vid un horrible fantosme, d'un port
effroyable et du tout furieux, lequel vouloit à toute force entrainer un
jeune homme. Le pauvre misérable crioit et se défendoit, mais voyant
aprocher celui-ci soudain il courut au devant, l'empoigne par la main et
saisit sa robe le plus estroitement qu'il lui fut possible et après s'estre
long temps débattu commence à invoquer le nom et l'aide de Dieu et
eschappe, le fantosme disparoissant. Mon ami meine en son logis ce jeune
homme, pretendant s'en desfaire doucement, et le renvoyer chez soy. Mais il
ne sceut obtenir ce poinct, car le jeune homme estoit tellement estonné
qu'on ne pouvoit le rassurer, tressaillant sans cesse de la peur qu'il
avoit pour si hideuse rencontre. Ayant enfin reprins ses esprits, il
confessa d'avoir mené jusques alors une fort méchante vie, esté contempteur
de Dieu, rebelle à père et à mère, ausquels il avoit dit et fait tant
d'injures et outrages insupportables qu'ils l'avoyent maudit. Sur ce il
estoit sorti de la maison et avoit rencontré le bourreau susmentionné.»

Goulart[1] raconte encore d'autres histoires d'enlèvements par le diable
d'après divers auteurs:

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 538.]

«Un docteur de l'académie de Heidelberg ayant donné congé à certain sien
serviteur de faire un voyage en son pays, au retour comme ce serviteur
aprochoit de Heidelberg, il rencontre un reître monté sur un grand cheval,
lequel par force l'enlève en croupe, en tel estat il essaye d'empoigner son
homme pour se tenir plus ferme; mais le reître s'esvanouit. Le serviteur
emporté par le cheval bien haut en l'air, fut jetté bas près d'un pont hors
la ville, où il demeura quelques heures sans remuer pied ni main: enfin
revenu à soi, et entendant qu'il estoit près de son lieu, reprint courage,
se rendit au logis, où il fut six mois entiers attaché au lict, devant que
pouvoir se remettre en pied[1].»

    [Note 1: Extrait du _Mirabiles Historiae de spectris_, Leipzig,
    1597.]

«Près de Torge en Saxe, certain gentilhomme se promenant dans la campagne,
rencontre un homme lequel le salue, et lui offre son service. Il le fait
son palefrenier. Le maistre ne valoit gueres. Le valet estoit la
meschanceté mesme. Un jour le maistre ayant à faire quelque promenade un
peu loin, il recommande ses chevaux, spécialement un de grand prix à ce
valet, lequel fut si habile que d'enlever ce cheval en une fort haute tour.
Comme le maistre retournoit, son cheval qui avoit la teste à la fenestre le
reconnut, et commence à hennir. Le maistre estonné, demande qui avoit logé
son cheval en si haute escuirie. Ce bon valet respond que c'estoit en
intention de le mettre seurement afin qu'il ne se perdist pas, et qu'il
avoit soigneusement executé le commandement de son maistre. On eut beaucoup
de peine à garrotter la pauvre beste et la devaler avec des chables du haut
de la tour en bas. Tost après quelques uns que ce gentilhomme avoit volez,
deliberans de le poursuivre en justice, le palefrenier lui dit: Maistre,
sauvez-vous, lui monstrant un sac, duquel il tira plusieurs fers arrachez
par lui des pieds des chevaux, pour retarder leur course au voyage qu'ils
entreprenoyent contre ce maistre: lequel finalement attrappé et serré
prisonnier, pria son palefrenier de lui donner secours. Vous estes, respond
le valet, trop estroitement enchaisné; je ne puis vous tirer de là. Mais le
maistre faisant instance, enfin le valet dit: Je vous tireray de captivité
moyennant que vous ne fassiez signe quelconque des mains pour penser vous
garantir. Quoi accordé, il l'empoigne avec les chaines, ceps et manottes,
et l'emporte par l'air. Ce misérable maistre esperdu de se voir en campagne
si nouvelle pour lui conmence à s'escrier: Dieu éternel, où m'emporte-on?
Tout soudain le valet (c'est-à-dire Satan) le laisse tomber en un marest.
Puis se rendant au logis, fait entendre à la damoiselle l'estat et le lieu
ou estoit son mari, afin qu'on l'allast desgager et delivrer.»

Des Caurres[1] raconte que «à la montagne d'Ethna, non guères loin de l'île
de Luppari, montagne qu'on appelle la gueule d'enfer, Dieu monstra la peine
des damnez. Il y a si long temps qu'elle brusle et tout demeure en son
entier, comme fera enfer, quand elle auroit autant entier que toute
l'Italie, elle devroit estre consommée. On entend là cris et complainctes,
et les ennemis et mauvais esprits meinent là grand bruict, et suscitent de
grandes tempestes sur la mer près de ceste montagne. De nostre temps un
prélat après son trespas, fut trouvé en chemin par ses amis, lequel se
disoit estre damné et qu'il s'en alloit en ceste montaigne. Il n'y a pas
encor longtemps qu'une nef de Sicile aborda là, en laquelle y avoit un père
gardien de ce pays-là avec son compagnon, le Diable luy dit qu'il le
suivist pour faire quelque chose que Dieu avoit ordonné. Et soudain fut
porté par luy en une cité assez loin de là. Et quand il fut là, le mauvais
esprit le conduit au sépulchre de l'Evesque du lieu, qui estoit mort depuis
trois mois: Et lui commanda de despouiller ses habillemens épiscopaux, et
lui dit apres: Ces habillemens soyent à toy, et le corps à moy comme est
son âme; dans une demie heure, ledit religieux fut rapporté audit navire,
et racompta ce qu'il avoit veu. Pour vérifier cecy le patron du navire fit
voile vers ceste cité: le sépulchre fut ouvert et trouvèrent que le corps
n'y estoit point. Et ceux qui l'avoient revestu après sa mort recogneurent
les dicts habillemens épiscopaux. Un homme de bien, et grand prescheur
d'Italie, a mis cecy en escript, qui a cogneu ces gens-là.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 378.]

«En ce mesme temps, continue des Caurres, y avoit en Sicile un jeune homme
addonné à toute volupté, à jeux, et reniemens: lequel le vice-roy de
Sicile, envoya un soir, en un monastère pour quérir une salade d'herbes: en
chemin soudain il fut ravy en l'air, et on ne le vit plus. Un peu de temps
après un navire passoit auprès de ceste montagne, et voicy une voix qui
appelle par deux fois le patron du navire, et voyant qu'il ne respondoit
point pour la troisième, ouit que s'il n'arrestoit il enfondroit le navire.
Le patron demande ce qu'il vouloit, qui respondit: Je suis le diable, et di
au vice-roy qu'il ne cerche plus un tel jeune homme, car je l'ay emporté,
et est icy avec nous: voicy la ceinture de sa femme qu'il avoit prinse pour
jouer; laquelle ceinture il jette sur le navire.»



IV.--MÉTAMORPHOSES DU DIABLE


Le diable apparaît sous toutes sortes de figures.

«Que diray-je davantage? lit-on dans l'ouvrage de Le Loyer[1]. Il n'y a
sorte de bestes à quatre pieds que le diable ne prenne, ce que les hermites
vivans es déserts ont assez éprouvé. A sainct Anthoine qui habitoit es
déserts de la Thébaïde les loups, les lions, les taureaux se présentoient à
tous bouts de champ; et puis à sainct Hilarion faisant ses prières se
monstroit tantost un loup qui hurloit, tantost un regnard qui glatissoit,
tantost un gros dogue qui abbayoit. Et quoy? le diable n'auroit-il pas été
si impudent mesmes, que ne pouvant gaigner les hermites par cette voye, il
se seroit montré, comme il fit à sainct Anthoine, en la forme que Job le
dépeint sous le nom de Léviathan, qui est celle qui lui est comme naturelle
et qu'il a acquise par le péché, voire qui lui demeurera es enfers avec les
hommes damnés. Ce n'est point des animaux à quatre pieds seulement que les
diables empruntent la figure, ils prennent celles des oyseaux, comme de
hiboux, chahuans, mouches, tahons... Quelquefois les diables s'affublent de
choses inanimées et sans mouvement, comme feu, herbes, buissons, bois, or,
argent et choses pareilles... Je ne veux laisser que quand les esprits
malins se monstrent ils ne gardent aucune proportion parce qu'ils sont
énormément grands et petits comme ils sont gros et grêles à l'extrémité.»

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres, etc._ p. 353.]

«J'ai entendu, dit Jean Wier, cité par Goulart[1], que le diable tourmenta
durant quelques années les nonnains de Hessimont à Nieumeghe. Un jour il
entra par un tourbillon en leur dortoir, où il commença un jeu de luth et
de harpe si mélodieux, que les pieds frétilloyent aux nonnains pour danser.
Puis il print la forme d'un chien se lançant au lict d'une soupçonnée
coulpable du péché qu'elles nomment muet. Autres cas estranges y sont
advenus, comme aussi en un autre couvent près de Cologne, le diable se
pourmenoit en guises de chiens et se cachant sous les robes des nonnains y
faisoit des tours honteux et sales autant en faisoit-il à Hensberg au duché
de Cleves sous figures de chats.»

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables, etc._]

«Les mauvais esprits, dit dom Calmet[1], apparoissent aussi quelquefois
sous la figure d'un lion, ou d'un chien, ou d'un chat, ou de quelque autre
animal, comme d'un taureau, d'un cheval ou d'un corbeau: car les prétendus
sorciers et sorcières racontent qu'au sabbat on le voit de plusieurs formes
différentes, d'hommes, d'animaux, d'oyseaux.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. Ier, p. 44.]

«Le diable n'apparoit aux sorciers dans les synagogues qu'en bouc, dit
Scaliger[1]; et en l'Escriture lors qu'il est reproché aux Israëlites
qu'ils sacrifioient aux demons, le mot porte aux boucs. C'est une chose
merveilleuse que le diable apparoisse en cette forme.

    [Note 1: _Scaligerana_, Groeningue, P. Smith, 1669, in-12. 2e
    partie, article _Azazel_.]

«Les diables, dit-il plus loin[1], ne s'addressent qu'aux foibles; ils
n'auroient garde de s'addresser à moy, ie les tuerois tous.»

    [Note 1: Même ouvrage, article _Diable_.]

Quelquefois le diable apparaît sous la forme empruntée d'un corps mort.

«Je ne puis, dit Le Loyer[1], pour vérifier que les diables prennent des
corps morts qu'ils font cheminer comme vifs, apporter histoire plus récente
que celle-ci. Ceux qui ont recueilliz l'histoire de notre temps de la
démoniaque de Laon disent qu'un des diables qui étoit au corps d'elle
appelé Baltazo print le corps mort d'un pendu en la plaine d'Arlon pour
tromper le mary de la démoniaque, et la fraude du diable fut descouverte en
ceste façon. Le mary estoit ennuyé des frais qu'il faisoit procurant la
santé de sa femme, n'y pouvant plus fournir. Il s'addresse donc à un
sorcier, qui l'asseure qu'il délivrera sa femme des diables desquels elle
estoit possédée. Le diable Baltazo est employé par le sorcier et mené au
mary qui leur donne à tous à souper, où se remarque que Baltazo ne but
point. Après le souper, le mary vint trouver le maître d'escole de Vervin
en l'église du lieu, où il vaquoit aux exorcismes sur la démoniaque. Il ne
luy cele point la promesse qu'il avoit du sorcier, et réitérée de Baltazo
durant le souper qu'il guériroit sa femme, s'il le vouloit laisser seul
avec elle: mais le maître d'escole avertit le mary de prendre bien garde de
consentir cela. Quelque demie heure apres le mary qui s'étoit retiré, amène
Baltazo dans l'église, que l'esprit Baalzebub qui possédoit la femme appela
incontinent par son nom, et luy dit quelques paroles. Depuis Baltazo sort
de l'église, disparoit et ne sçait-on ce qu'il devint. Le maistre d'escole
qui voit tout cecy, conjure Baalzebub, et le contraint de confesser que
Baltazo étoit diable et avoit prins le corps d'un mort, et que si la
démoniaque eut esté laissée seule, il l'eust emportée en corps et en âme.»

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres, visions, etc._ p.
    244.]

«L'exemple de Nicole Aubry, démoniaque de Laon est plus que suffisant pour
montrer ce que je dis, ajoute Le Loyer[1]. Car devant que le diable entrast
en son corps, il se presenta à elle en la forme de son père décédé
subitement, luy enjoignit de faire dire quelques messes pour son âme, et de
porter des chandelles en voyage. Il la suivoit partout où elle alloit sans
l'abandonner. Cette femme simple obéit au diable en ce qu'il lui
commandoit, et lors il leve le masque, se montre à elle, non plus comme son
père, mais comme un phantosme hideux et laid, qui luy persuadoit tantost de
se tuer, tantost de se donner à luy.--Cela se pouvoit attendre par les
réponses que la démoniaque faisoit au diable, luy résistant en ce qu'elle
pouvoit.--Je me veux servir de l'histoire de la démoniaque de Laon attestée
par actes solennels de personnes publiques, tout autant que si elle estoit
plus ancienne. Il y a des histoires plus anciennes qu'elle n'est, où à
peine on pourroit remarquer ce qui s'est veu en ceste femme démoniaque. Ce
fut pour nostre instruction que la femme fut ainsi tourmentée au coeur de
la France, mais notre libertinisme fut cause que nous ne les peusmes
apprendre.»

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres, visions, etc._, p.
    320.]

Bodin[1] fait connaître une histoire analogue:

    [Note 1: _Démonomanie_, livre III, ch. VI.]

«Pierre Mamor récite, dit-il, qu'à Confolant sur Vienne, apparut en la
maison d'un nommé Capland un malin esprit se disant estre l'âme d'une femme
trespassée, lequel gemissoit et crioit en se complaignant bien fort,
admonestant qu'on fist plusieurs prières et voyages, et révéla beaucoup de
choses véritables. Mais quelqu'un lui ayant dit: Si tu veux qu'on te croye
dis _Miserere mei Deus, secundum magnam misericordiam tuam_. Sa réponse
fut: Je ne puis. Alors les assisants se mocquerent de lui, qui s'enfuit en
fremissant.»

Le diable prend même parfois la forme de personnes vivantes.

Voici par exemple ce que rapporte Loys Lavater[1]:

    [Note 1: _Trois livres des apparitions des esprits, fantasmes,
    prodiges, etc., composez par Loys Lavater, plus trois questions
    proposées et résolues par M. Pierre Martyr_. Geneve, Fr. Perrin,
    1571, in-12.]

«J'ai ouï dire à un homme prudent et honnorable baillif d'une seigneurie
dépendante du Zurich, qui affirmoit qu'un jour d'esté allant de grand matin
se promener par les prez, accompagné de son serviteur, il vid un homme
qu'il cognoissoit bien, se meslant meschamment avec une jument: de quoy
merveilleusement estonné retourna soudainement, et vint frapper à la porte
de celuy qu'ils pensoyent avoir veu, où il trouva pour certain qu'il
n'avoit bougé de son lict. Et si ce bailli, n'eust diligemment seu la
vérité, un bon et honneste personnage eust esté emprisonné et gehenné. Je
récite ceste histoire, afin que les juges soyent bien avisez en tels cas.
Chunégonde, femme de l'empereur Henry second, fut soupeçonnée d'adultere,
et le bruit courut qu'elle s'accointoit trop familierement d'un gentilhomme
de la cour. Car on avoit veu souvent la forme d'iceluy (mais c'estoit le
diable qui avoit pris ce masque) sortant de la chambre de l'empereur. Elle
monstra peu après son innocence en marchant sur des grilles de fer toutes
ardentes (comme la coutume estoit alors) et ne se fit aucun mal.»

«En l'île de Sardaigne, dit P. de Lancre[1] et en la ville de Cagliari, une
fille de qualité, de fort riche et honnorable maison, ayant veu un
gentilhomme d'une parfaicte beauté et bien accompli en toute sorte de
perfections s'amouracha de luy, et y logea son amitié avec une extrême
violence. (Elle sut dissimuler et le gentilhomme ne s'apperceut de rien).
Un mauvais démon pipeur, plus instruit en l'amour et plus affronteur que
luy, embrassant cette occasion, recognut aisément que cette fille esprise
et combatue d'amour seroit bientôt abbatue... Et pour y parvenir plus
aisément, il emprunta le masque et le visage du vray gentilhomme, prenant
sa forme et figure, et se composa du tout à sa façon, si bien qu'on eut dit
que c'estoit non seulement son portrait, mais un autre luy-même. Il la vit
secretement et parla à elle, lui feignit des amours et des commoditez pour
se voir. De manière que le mauvais esprit qui trouve les sinistres
conventions les meilleures abusa non seulement de la simplicité de ceste
jeune fille, ains encore du sacrement de mariage par le moyen duquel la
pauvre damoyselle pensoit aucunement couvrir sa faute et son honneur. De
sorte que, l'ayant espousé clandestinement, adjoustant mal sur mal, comme
plusieurs s'attachent ordinairement ensemble pour mieux assortir quelque
faict execrable tel que celuy-ci, ils jouyrent de leurs amours quelques
mois, pendant lesquels cette fille faussement contente cachoit le plus
possible ses amours... Il advint, que sa mère luy donna quelque chose
sainte qu'elle portoit par dévotion, qui lui servit d'antidote contre le
démon et contre son amour, brouillant ses entrées et troublant ses
commoditez. Le diable lui avait recommandé de ne pas lui envoyer de
messager, mais la jalousie la poussant, elle en envoya un au gentilhomme
pour le prier de se rendre auprès d'elle, lui reprocha son abandon, etc. Le
gentilhomme tout étonné lui déclara qu'elle a été pipée et établit qu'à
l'époque du prétendu mariage il était absent. La damoyselle reconnut alors
l'oeuvre du démon et se retira dans un monastère pour le reste de sa vie.»

    [Note 1: _Tableau de l'inconstance des mauvais anges_, p. 218.]

Wier[1] raconte cette histoire d'une jeune fille servante d'une religieuse
de noble maison, à qui le diable voulut jouer un mauvais tour. «Un paysan
lui avoit promis mariage; mais il s'amouracha d'une autre: dont ceste-ci
fut tellement contristée, qu'estant allée environ une demie lieue loin du
couvent, elle rencontra le diable en forme d'un jeune homme, lequel
commença à deviser familièrement avec elle, lui descouvrant tous les
secrets du paysan, et les propos qu'il avoit tenus à sa nouvelle amie: et
ce afin de faire tomber cette jeune fille en désespoir et en résolution de
l'estrangler. Estans parvenus près d'un ruisseau, lui print l'huile qu'elle
portoit, afin qu'elle passast plus aisément la planche, et l'invita d'aller
en certain lieu qu'il nommoit; ce qu'elle refusa, disant: Que voulez-vous
que j'aille faire parmi ces marest et étangs? Alors il disparut, dont la
fille conçeut tel effroy qu'elle tomba pasmée: sa maistresse, en estant
avertie la fit rapporter au couvent dedans une lictière. Là elle fut
malade, et comme transportée d'entendement, estant agitée de façon estrange
en son esprit, et parfois se plaignoit estre misérablement tourmentée du
malin, qui vouloit l'oster de là et l'emporter par la fenestre. Depuis elle
fut mariée à ce paysan et recouvra sa première santé.»

    [Note 1: _Histoires, disputes et discours des illusions et
    impostures des diables_.]

Le même auteur[1] rapporte cette histoire singulière d'une métamorphose du
diable:

    [Note 1: _Histoires des impostures des diables_, p. 196.]

«La femme d'un marchand demeurant à deux ou trois lieues de Witemberg, vers
Slésic, avoit, dit-il, accoustumé pendant que son mary estoit allé en
marchandise, de recevoir un amy particulier. Il advint donc pendant que le
mary étoit aux champs que l'amoureux vint veoir sa dame, lequel après avoir
bien beu et mangé, il faict son devoir, comme il luy sembloit, il apparut
sur la fin en la forme d'une pie montée sur le buffet, laquelle prenoit
congé de la femme en cette manière: Cestuy-ci a esté ton amoureux. Ce
qu'ayant dit, la pie disparut, et oncques depuis ne retourna.»

Bouloese rapporte cette singulière aventure arrivée à Laon[1]:

    [Note 1: _Le Trésor et entière histoire de la triomphante victoire
    du corps de Dieu sur l'esprit en colère de Beelzebub, obtenue à
    Laon l'an 1566_, par Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]

«Lors ce médecin réformé, sans en communiquer au catholique, ne perdant
cette occasion de bouche ouverte, tira de sa gibessière une petite phiole
de verre contenant une liqueur d'un rouge tant couvert qu'à la chandelle il
apparoissoit noir, et luy jetta en la bouche. Et Despinoys esmeu par la
puanteur, haulsant la main droicte au devant s'escria disant: Fy, fy,
Monsieur nostre maistre que luy avez-vous donné? Et en tomba sur sa main de
ce rendue pour un temps fort puante (dont par après il fut contraint de
manger avec la gauche tenant cependant la droicte derrière le dos) comme
aussi toute la chambre fut remplie de cette puantueur. Le corps devint
roide comme une buche, sans mouvement ny sentiment quelconque. Dont ce
médecin réformé fort étonné, dist que c'estoit une convulsion. Et retira
une autre bouteille pleine de liqueur blanche, qu'il disoit notre eau de
vie avec la quintessence de romarin pour faire revenir à soy la patiente,
et faire cesser la convulsion. Et pour exciter la patiente lui feist
frotter et battre les mains en criant: Nicole, Nicole, il faut boire.
Cependant une beste noire (avec révérence semblable à un fouille-merde:
aussi à Vrevin s'était montrée une autre sorte de grosse mouche a vers que
par ses effets l'on a jugée estre ce maistre mouche Beelzebub), beste noire
que peu après appela le diable escarbotte, fut veue et se pourmena sur le
chevet du lict et sur la main du dict Despinoys en l'endroit de la susdite
puante liqueur respandue... Toutefois ce médecin disant estre une ordure
tombée du ciel du lit, secoua, mais en vain, pour en faire tomber d'autres.
Et se voyant ne pouvoir exciter la patiente et avoir esté reprins d'avoir
jeté en la bouche d'icelle, ceste liqueur tant puante, print une chandelle
et s'en alla.»



V.--SIGNES DE LA POSSESSION DU DÉMON.


«Combien qu'il y ait parfois quelques causes naturelles de la phrénésie ou
manie, dit Mélanchthon en une de ses epistres[1], c'est toutes fois chose
asseurée que les diables entrent en certaines personnes et y causent des
fureurs et tourmens ou avec les causes naturelles ou sans icelles; veu que
l'on void parfois les malades estre gueris par remedes qui ne sont point
naturels. Souvent aussi tels spectacles sont tout autant de prodiges et
prédictions de choses à venir. Il y a douze ans qu'une femme du pays de
Saxe, laquelle ne sçavoit ni lire ni escrire, estant agitée du diable, le
tourment cessé, parloit en grec et en latin des mots dont le sens estoit
qu'il y auroit grande angoisse entre le peuple.»

    [Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t.
    I, p. 142.]

Le docteur Ese[1] donne comme marques conjecturales de la possession:

    [Note 1: _Traicté des marques des possédés et la preuve de la
    véritable possession des religieuses de Louvein_, par P. M. Ese,
    docteur en médecine. Rouen, Ch. Osmont, 1644, in-4°.]

1° Avoir opinion d'être possédé;

2° Mener une mauvaise vie;

3° Vivre hors de toute société;

4° Les maladies longues, les symptômes peu ordinaires, un grand sommeil,
les vomissements de choses estranges;

5° Blasphémer le nom de Dieu et avoir souvent le diable en bouche;

6° Faire pacte avec le diable;

7° Estre travaillé de quelques esprits;

8° Avoir dans le visage quelque chose d'affreux et d'horrible;

9° S'ennuyer de vivre et se désespérer;

10° Estre furieux, faire des violences;

11° Faire des cris et hurlemens comme les bestes.

Nous trouvons dans une histoire des possédées de Loudun[1] les questions
proposées à l'université de Montpellier par Santerre, prêtre et promoteur
de l'évêché et diocèse de Nîmes, touchant les signes de la possession, et
les réponses judicieuses de cette université.

    [Note 1: _Histoire des diables de Loudun, ou de la possession des
    religieuses ursulines et de la condamnation et du supplice d'Urbain
    Grandier, curé de la même ville_. Amsterdam, Abraham Wolfgang,
    1694, in-12, p. 314.]

_Question._

Si le pli, courbement et remuement du corps, la tête touchant quelque fois
la plante des piés, avec autres contorsions et postures étranges sont un
bon signe de possession?

_Réponce._

Les mimes et sauteurs font des mouvements si étranges, et se plient,
replient en tant de façons, qu'on doit croire qu'il n'y a sorte de posture,
de laquelle les hommes et femmes ne se puissent rendre capables par une
sérieuse étude, ou un long exercice, pouvant même faire des extensions
extraordinaires et écarquillemens de jambes, de cuisses et autres parties
du corps à cause de l'extension des nerfs, muscles et tendons, par longue
expérience et habitude; partant telles opérations ne se font que par la
force de la nature.

_Question_.

Si la vélocité du mouvement de la tête par devant et par derrière, se
portant contre le dos et la poitrine est une marque infaillible de
possession?

_Réponce_.

Ce mouvement est si naturel qu'il ne faut ajouter de raison à celles qui
ont été dites sur le mouvement des parties du corps.

_Question_.

Si l'enflure subite de la langue, de la gorge et du visage, et le subit
changement de couleur, sont des marques certaines de possession?

_Réponce_.

L'enflement et agitation de poitrine par interruption sont des effets de
l'aspiration ou inspiration, actions ordinaires de la respiration, dont on
ne peut inférer aucune possession. L'enflure de la gorge peut procéder du
souffle retenu et celle des autres parties des vapeurs mélancoliques qu'on
voit souvent vaguer par toutes les parties du corps. D'où s'ensuit que ce
signe de possession n'est pas recevable.

_Question_.

Si le sentiment stupide et étourdi ou la privation de sentiment, jusques à
être pincé et piqué sans se plaindre, sans remuer, et même sans changer de
couleur, sont des marques certaines de possession?

_Réponce._

Le jeune Lacédémonien qui se laissait ronger le foye par un renard qu'il
avoit dérobé, sans faire semblant de le sentir et ceux qui se faisoient
fustiger devant l'autel de Diane jusques à la mort sans froncer le sourcil,
montrent que la résolution peut bien faire soufrir des piqûres d'épingle
sans crier, étant d'ailleurs certain que dans le corps humain il se
rencontre en quelques personnes de certaines petites parties de chair, qui
sont sans sentiment, quoique les autres parties qui sont alentour, soient
sensibles, ce qui arrive le plus souvent par quelque maladie qui a précédé.
Partant tel effet est inutile pour la possession.

_Question._

Si l'immobilité de tout le corps qui arrive à de prétendus possédés par le
commandement de leurs exorcistes, pendant et au milieu de leurs plus fortes
agitations est un signe univoque de vraie possession diabolique?

_Réponce._

Le mouvement des parties du corps étant involontaire, il est naturel aux
personnes bien disposées de se mouvoir ou de ne se mouvoir pas selon leur
volonté, partant un tel effet, ou suspension de mouvements n'est pas
considérable pour en inférer une possession diabolique, si en cette
immobilité il n'y a privation entière du sentiment.

_Question._

Si le japement ou clameur semblable à celui du chien, qui se fait dans la
poitrine plutôt que dans la gorge est une marque de possession?

_Réponce._

L'industrie humaine est si souple à contrefaire toute sorte de
raisonnements, qu'on voit tous les jours des personnes façonnées à
exprimer parfaitement le raisonnement, le cri et le chant de toutes
sortes d'animaux, et à les contrefaire sans remuer les lèvres
qu'imperceptiblement. Il s'en trouve même plusieurs qui forment des paroles
et des voix dans l'estomac, qui semblent plutôt venir d'ailleurs que de la
personne qui les forme de la sorte, et l'on appelle ces gens les
engastronimes, ou engastriloques. Partant un tel effet est naturel, comme
le remarque Pasquier au chap. 38 de ses Recherches par l'exemple d'un
certain boufon nommé Constantin.

_Question._

Si le regard fixe sur quelque objet sans mouvoir l'oeil d'aucun côté est
une bonne marque de possession?

_Réponce._

Le mouvement de l'oeil est volontaire comme celui des autres parties du
corps et il est naturel de le mouvoir, ou de le tenir fixe, partant il n'y
a rien en cela de considérable.

_Question._

Si les réponces que de prétendues possédées font en françois, à quelques
questions qui leur sont faites en latin, sont une marque de possession?

_Réponce._

Nous disons qu'il est certain que d'entendre et de parler les langues qu'on
n'a pas aprises sont choses surnaturelles, et qui pourroient faire supposer
qu'elles se font par le ministère du Diable, ou de quelque autre cause
supérieure; mais de répondre à quelques questions seulement, cela est
entièrement suspect, un long exercice ou des personnes avec lesquelles on
est d'intelligence pouvant contribuer à telles réponces, paroissant être un
songe de dire que les diables entendent les questions qui leur sont faites
en latin et répondent toujours en françois et dans le naturel langage de
celui qu'on veut faire passer pour un énergumène. D'où il s'ensuit qu'un
tel effet ne peut conclure la résidence d'un démon, principalement si les
questions ne contiennent pas plusieurs paroles et plusieurs discours.

_Question._

Si vomir les choses telles qu'on les a avalées est un signe de possession?

_Réponce._

Delrio, Bodin et autres auteurs disent que par sortilège les sorciers font
quelquefois vomir des clous, des épingles et autres choses étranges par
l'oeuvre du diable. Ainsi dans les vrais possédés le diable peut faire de
même. Mais de vomir les choses comme on les a avalées, cela est naturel, se
trouvant des personnes qui ont l'estomac faible, et qui gardent pendant
plusieurs heures ce qu'elles ont avalées, puis le rendent comme elles l'ont
pris et la Lientérie rendant les aliments par le fondement, comme on les a
pris par la bouche.

_Question._

Si des piqûres de lancette dans diverses parties du corps, sans qu'il en
sorte du sang, sont une marque certaine de possession?

_Réponce._

Cela doit se rapporter à la composition du tempérament mélancolique, le
sang duquel est si grossier qu'il ne peut en sortir par de si petites
plaies, et c'est par cette raison que plusieurs étant piqués, même en leurs
veines et vaisseaux naturels, par la lancette d'un chyrurgien, n'en rendent
aucune goutte comme il se voit par expérience. Partant il n'y a rien
d'extraordinaire.»

J. Bouloese[1] raconte comment vingt-six diables sortirent du corps de
Nicole, la possédée de Laon:

    [Note 1: _Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire
    du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, obtenue à Laon
    l'an 1566_, par J. Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]

«A deux heures de l'après midy fut rapportée la dicte Nicole, estant
possédée du diable, à la dicte église où furent faites par ledit de Motta
les conjurations comme auparavant. Nonobstant toute conjuration le dit
Beelzebub dit à haute voix qu'il n'en sortirait. Après dîner donc
retournant le dit de Motta aux conjurations luy demanda combien ils en
étoient sortis? Il répond 26. Il faut maintenant (ce disoit de Motta) que
toy et tous tes adhérans sortiez comme les autres. Il répond: Non je ne
sortiray pas icy; mais si tu me veux mener à sainte Restitute, nous
sortirons là. Il te suffise s'ils sont sortis 26. Et puis le dit de Motta
demande signe suffisant comment ils estoient sortis. Il dist pour
tesmoignage que l'on regarde au petit jardin du trésorier qui est sur le
portail; car ils ont prins et emporté trois houppes (c'est-à-dire branches)
d'un verd may (d'un petit sapin) et trois escailles de dessus l'église de
Liesse faicte en croix, comme les autres de France communément. Ce qui a
été trouvé vray, comme a veu monsieur l'abbé de Saint-Vincent, monsieur de
Velles, maistre Robert de May, chanoine de l'église Nostre-Dame de Laon, et
autres.»

Le même auteur[1] rapporte les contorsions de la démoniaque de Laon:

    [Note 1: _Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire
    du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, etc._, p. 187.]

«Et autant, dit-il, que le révérend père évêque lui mettoit la saincte
hostie devant les yeux, luy disant: Sors ennemy de Dieu: d'autant plus se
jectoit-elle à revers de coté et d'autre, en se tordant la face devers les
pieds et en muglant horriblement et les pieds à revers les orteils estant
mis au talon, contre la force de huict ou dix hommes elle se roidissoit et
eslançoit en l'air plus de six pieds, ou la hauteur d'un homme. De sorte
que les gardes, voire mesme en l'air avec elle parfois élevés en suoient de
travail. Et encore qu'ils s'appesantissent le plus qu'ils pouvoient, pour
la retenir en bas: si ne la pouvoient-ils toutes fois maistriser que quasi
elle ne leur eschapast, et fust arrachée des mains sans qu'elle se
monstrast aucunement eschauffée.

«Le peuple voyant et oyant chose si horrible, monstrueuse, hydeuse et
espouvantable crioient: Jésus, miséricorde! Les uns se cachoient ne l'osant
regarder. Les autres cognoissant l'enragée cruauté de cet excessif
indicible et incredible tourment pleuroient à grosses larmes piteusement
redoublans: Jésus, miséricorde!»

«Après la patiente ainsi pis que morte dure, roide, contrefaite, courbée et
diforme, estoit par la permission du révérend père évêque laissée à toucher
et à manier à ceux qui vouloient. Mais principalement le fut-elle par les
prétendus réformez, hommes très forts. Et nommeement Françoys Santerre,
Christofle Pasquot, Gratian de la Roche, Marquette, Jean du Glas et autres
très forts hommes assez remarqués entre eux de leur prétendue religion
réformée, s'efforcèrent mais en vain de luy redresser les membres, de les
poser en leur ordre, luy ouvrir les yeux et la bouche. Mais ils ne peurent
en sorte que ce feust. Aussy eussiez vous plustost rompu que ployé quelque
membre d'icelle, ou faict mouvoir ou le bout du nez ou des aureilles, ou
autre membre d'icelle, tant elle estoit roide et dure. Et lors elle estoit
tenue, comme elle parloit par après, déclarant qu'elle enduroit un mal
incrédible. C'est à sçavoir le diable par le tourment de l'âme, faisant le
corps devenir pierre ou marbre.»

Jean Le Breton rapporte les faits suivants sur les possédées de
Louviers[1]:

    [Note 1: _De la défense de la vérité touchant la possession des
    religieuses de Louviers_, par M. Jean Le Breton, théologien.
    Evreux, Nic. Hamillon, 1643, in-4°, p. 8.]

«Le quatrième fait est que plusieurs fois le jour, elles témoignent de
grands transports de fureur et de rage, durant lesquels elles se disent
démons, sans offenser néantmoins personne, et sans blesser mesmes les
doigts de la main des prestres, lorsqu'au plus fort de leurs rages, ils les
mettent en leur bouche.»

«La cinquiesme est que durant ces fureurs et ces rages, elles font
d'estranges convulsions et contorsions de leurs corps, et entr'autre se
courbent en arrière, en forme d'arc, sans y employer leurs mains, et ce en
sorte que tout leur corps est appuyé sur leur front autant et plus que sur
leurs pieds, et tout le reste est en l'air et demeurent longtemps en cette
posture et la réitèrent jusqu'à sept ou huict fois: et après tous ces
efforts et mille autres, continuez quelquefois quatre heures durant,
principalement, dans les exorcismes, et durant les plus chaudes après
disnées des jours caniculaires, se sont au sortir de là trouvées aussi
saines, aussi fraisches, aussi tempérées, et le poulx aussi haut et aussi
esgal, que si rien ne leur fut arrivé.»

«Le sixième est qu'il y en a parmy elles qui se pasment et s'esvanouissent
durant les exorcismes, comme à leur gré, et en telle sorte que leur
pasmoison commence lorsqu'elles ont le visage le plus enflammé et le poulx
le plus fort... Elles reviennent de cette pasmoison sans que l'on y emploie
aucun remède et d'une manière plus merveilleuse que n'en a esté l'entrée;
car c'est en remuant premièrement l'orteil, et puis le pied, et puis la
jambe, et puis la cuisse, et puis le ventre, et puis la poitrine, et puis
la gorge, mais ces trois derniers par un grand mouvement de dilatation...
le visage demeurant cependant tousjours apparemment interdit de tous ses
sens, les quels enfin il reprend tout à coup en grimaçant et hurlant et la
religieuse retournant en même temps en ses agitations et contorsions
précédentes.»

Le docteur Ese[1] raconte comme suit ce qu'éprouvait la soeur Marie du
couvent des religieuses de Louviers:

    [Note 1: _Traicté des marques des possédés_, p. 51.]

«La dernière qui étoit soeur Marie du Sainct-Esprit, prétendue possédée par
Dagon, grande fille et de belle taille un peu plus maigre, mais sans
mauvais teint ny aucune sorte de maladie entra dans le réfectoire... le
visage droict sans arrester ses yeux, et les tournant d'un costé et
d'autre, chantant, sautant, dansant, et frappant doucement, qui l'un, qui
l'autre, et en suite en se pourmenant tousjours, parla en termes très
élégants et significatifs du contentement qu'il avoit (parlant de la
personne du diable) de sa condition et de l'excellence de sa nature... et
disoit tout cela en marchant avec une contenance arrogante, et le geste
semblable, ensuite il commença à entrer en furie et prononcer quantité de
blasphèmes, puis se prit à parler de sa petite Magdelaine, sa bonne amie,
sa mignonne, et sa première maistresse, et de là se lança dans un panneau
de vitre la teste la première sans sauter et sans faire aucun effort, et y
passa tout le corps se tenant à une barre de fer qui faisoit le milieu, et
comme elle voulut repasser de l'autre costé de la vitre, on lui fit
commandement en langage latin _est in nomine Jesu rediret non per aliam sed
per eadem viam_, ce qu'après avoir longuement contesté et dit qu'il n'y
rentreroit pas, elle le fit pourtant et rentra par le même passage, et
aussitost qu'elle fut revenue, les médecins l'ayant considérée, touché le
poulx et fait tirer la langue, ce qu'elle permit en raillant et parlant
d'autre chose, ils ne luy trouvèrent ny esmotion telle qu'ils avoient cru
devoir estre, ny autre disposition conforme à la violence de tout ce
qu'elle avoit fait et dit; et sortir de cette sorte contant tousjours
quelque bagatelle et la compagnie se retira.»

Un autre historien des possédées de Louviers[1] rapporte ce fait
surprenant:

    [Note 1: _Histoire de madame Bavent, religieuse du monastère de
    Sainct-Louis de Louviers_. Paris, 1652, in-4°.]

«Au milieu de la nef de cette chappelle estoit exposé un vase d'une espèce
de marbre qui peut avoir près de deux pieds de diamètre et un peu moins
d'un pied de profondeur, les bords sont espais de trois doigts ou environ,
et si pesant que trois personnes des plus robustes auront peine de le
souslever estant par terre, ceste fille qui paroist d'une constitution fort
débile entrant dans la chapelle ne fit que prendre ce vase de l'extrémité
de ses doigts et l'ayant arraché du pied d'estal sur lequel il estoit posé,
le renversa sans dessus dessoubs et le jetta par terre avec autant de
facilité qu'elle auroit fait un morceau de carte ou de papier. Ceste force
prodigieuse en un sujet si foible surprit tous les assistans; cependant la
fille paraissant furieuse et transportée couroit de part et d'autre avec
des mouvements si brusques et si impétueux qu'il estoit malaisé de
l'arrester. Un des ecclésiastiques présents l'ayant saisy par le bras fut
estonné de voir que ce bras, comme s'il n'eust esté attaché à l'espaule que
par un ressort, n'empeschoit pas le reste du corps de tourner par dessus et
par dessoubs par un certain mouvement que la nature ne souffre pas, ce
qu'elle fit sept ou huit fois avec une promptitude et une agilité si
extraordinaire qu'il est difficile de se l'imaginer.»

La _Relation des Ursulines possédées d'Auxonne_[1] contient les faits
suivants:

    [Note 1: Manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 90, in-4°.]

«Mons de Chalons ne fut pas plutost à l'autel (à minuit) que dans le jardin
du monastère et tout à l'entour de la maison fut ouy dans l'air un bruit
confus, accompagné de voix incognues et de certains sifflemens, quelquefois
de grands crix, de sons estranges et non articulés comme de plusieurs
personnes ensemble, tout cela avoit quelque chose d'affreux parmy les
tenebres et dans la nuit. En même temps des pierres furent jettées de
divers endroits contre les fenestres du choeur où l'on célébroit la sainte
messe, quoique ces fenestres soient fort esloignées des murailles que font
la closture du monastere, ce qui fait croire que ne pouvoient pas venir du
dehors. La vitre en fut cassée en un endroit mais les pierres ne tomberent
point dans le choeur. Ce bruit fut entendu de plusieurs personnes dedans et
dehors, celuy qui estoit en sentinelle en la citadelle de la ville de ce
costé là, comme il déclara le jour suivant, en prit l'alarme et mons
l'evesque de Chalons à l'autel ne peut s'empescher d'en concevoir du
soupçon de quelque chose de si extraordinaire qui se passoit en la maison,
que les demons ou les sorciers faisoient quelques efforts dans ce moment
qu'il repoussoit du lieu où il estoit par de secrettes imprécations et des
exorcismes intérieurs.»

«Les religieuses cordelieres en la mesme ville entendirent ce bruit et en
demeurèrent effrayées. Elles creurent que leur monastere trembloit soubs
leurs pieds et dans ceste consternation et ce bruit confus qu'elles
entendirent furent obligées d'avoir recours aux prières.»

«Dans ce mesme temps furent entendues dans le jardin quelques voix faibles
comme de personnes qui se plaignoient et sembloient demander du secours. Il
estoit près d'une heure après minuit et faisoit fort mauvais temps et fort
obscur. Deux ecclésiastiques furent envoyés pour voir que c'estoit et
trouvèrent dans le jardin du monastere Marguerite Constance et Denise Lamy,
celle-là montée sur un arbre et l'autre couchée au pied du degré pour
entrer dans le choeur; elles estoient libres et dans l'usage de leur
raison, mais néantmoins comme esperdues, particulièrement la dernière, fort
faible et sans couleur et le visage ensanglanté comme une personne effrayée
et qui avoit peine à se rassurer; l'autre avoit aussy du sang sur le visage
mais elle n'estoit point blessée, les portes de la maison estoient bien
fermées et les murailles du jardin élevées de dix ou douze pieds.»

«Le mesme jour après midy mons l'esveque de Chalons ayant dessein
d'exorciser Denise Lamy après l'avoir envoyée quérir et n'ayant pas esté
rencontrée, il lui commanda intérieurement de le venir trouver en la
chappelle de Saincte-Anne où il estoit. Ce fut une chose assez surprenante
de voir la prompte obéissance du demon à ce commandement qui n'avoit esté
conceu que dans le fonds de la pensée, car environ l'espace d'un quart
d'heure après, on entendit frapper impétueusement à la porte de la
chappelle, comme une personne extremement pressée, et la porte estant
ouverte on vit entrer cette fille brusquement sautant et bondissant dans la
chappelle, le visage tout changé et fort différent de son naturel, la
couleur haute, les yeux estincelans, un visage effronté et dans une
agitation si violente qu'on eut de la peine à l'arrester, ne voulant pas
souffrir qu'on mist l'estole à l'entour du corps qu'elle arrachoit et
jettait en l'air avec une extrême violence, malgré les efforts de quatre ou
cinq ecclésiastiques qui employoient tout ce qu'ils avoient de force et
d'industrie pour l'arrester, de sorte qu'il fut proposé de la lier: mais on
le jugeoit difficile dans les transports où elle estoit.»

«Une autre fois estant dans le fort de ses agitations... on commanda au
démon de faire cesser le poulx en l'un de ses bras, ce qu'il fit
incontinent avec moins de résistance et de peine que l'autre fois. On lui
commanda ensuite de le faire retourner, et cela fut exécuté à l'instant...
Le commandement lui ayant esté fait de rendre la fille absolument
insensible à la douleur, elle protesta qu'elle estoit en cet estat,
présentant son bras hardiment pour estre percé et brulé comme on voudroit:
en effet, l'exorciste rendu plus hardi par les expériences précédentes
ayant pris une aiguille assez longue, la lui enfonça tout entière entre
l'ongle et la chair dont elle se moquoit tout haut, déclarant qu'elle n'en
sentoit rien du tout. Tantost elle faisoit couler le sang et tantost le
faisoit cesser selon qu'il lui estoit ordonné, elle-mesme prenoit
l'aiguille et le perçoit en divers endroits du bras et de la main. On fit
encor davantage: l'un des assistans ayant pris une espingle et lui ayant
tiré la peau du bras un peu au-dessus du poignet la lui perça de part en
part, de sorte que l'on voyoit l'espingle toute cachée dans le bras en
sortir seulement par les deux extrémités, et tout cela sans qu'il en
sortist une goutte de sang, sinon après lui avoir commandé d'en donner, et
sans monstrer la moindre apparence de sentiment ou de douleur.»

La même relation donne comme preuves de la possession des religieuses
d'Auxonne:

«Les grandes agitations du corps qui ne se peuvent concevoir que par ceux
qui en sont tesmoins. Ces grands coups de teste qu'elles se donnent de
toute leur force tantost contre le pavé, tantost contre les murs, et cela
si souvent et si durement qu'il n'est aucun des assistans qui ne frémisse
en le voyant sans qu'elles tesmoignent de sentir aucune douleur ny qu'il
paroisse ny sang, ny blessure, ny contusion.»

«L'estat du corps dans une posture extremement violente, se tenant droictes
sur les genoux, pendant que la teste renversée en arrière penche à un pied
près ou environ vers la terre, en sorte qu'il paroist comme tout rompu.
Leur facilité de porter la teste estant plus basse par derrière que la
ceinture du corps sans bransler des heures entières, leur facilité de
respirer en cet estat, l'égalité du visage qui ne change presque point dans
ces agitations, l'égalité du poulx, la froideur dans laquelle elles sont
pendant ces mouvements, la tranquillité dans laquelle elles demeurent au
mesme instant qu'elles en sont revenues subitement sans que la respiration
soit plus forte que l'ordinaire, les renversements de la teste en arrière
jusque contre terre avec une promptitude merveilleuse. Quelquefois les
trente et quarante fois de suite devant et arrière, la fille demeurant à
genoux et les bras croisés sur l'estomach quelquefois et dans le mesme
estat, la teste renversée tournant à l'entour du corps et faisant comme un
demy cercle avec des effets apparemment insupportables à la nature.»

«Les convulsions horribles et universelles par tous les membres
accompagnées de hurlemens et de cris. Quelquefois la frayeur sur le visage
à la veue de certains fantosmes ou spectres dont elles se disoient estre
menacées dans un changement si extraordinaire et des traits si différents
de leur naturel qu'elles imprimoient la crainte dans l'âme des assistans,
quelquefois avec une abondance de larmes que l'on ne pouvoit arrester,
accompagnées de plaintes et de cris aigus. D'autrefois la bouche
extraordinairement ouverte, les yeux égarés et la prunelle renversée au
point qu'il n'y paroissoit plus que le blanc, tout le reste demeurant caché
soubz les paupières mais retournants à leur naturel au simple commandement
de l'exorciste assisté du signe de la croix.»

«Souvent on les a veu ramper et se traîner par terre sans aucun secours ou
des pieds ou des mains, quelquefois le derrière de la teste ou le devant du
front a esté veu se joindre à la plante des pieds, quelques unes couchées
par terre qu'elles ne touchent que de l'extrémité de l'estomach, tout le
reste du corps, la teste, les pieds et les bras portés en l'air en assez
long espace de temps, quelquefois renversées en arrière en sorte que
touchans le pavé du haut de la teste ou de la plante des pieds, tout le
reste demeuroit en l'air estendu comme une table, elles marchoient en cet
estat sans le secours des mains. Il leur est ordinaire de baiser la terre
demeurans à genoux, le visage renversé par derrière, en sorte que le sommet
de la teste va joindre la plante des pieds, les bras croisés sur la
poitrine et dans cette posture faire un signe de la croix avec la langue
sur le pavé.»

«On remarque une estrange différence entre l'estat dans lequel elles sont
estans libres et dans leur naturel et dans celuy qu'elles font paroistre
quand elles sont agitées dans la chaleur du transport et de la fureur:
telle qui est infirme tant par la délicatesse de sa complexion et de son
sexe que par maladie quand le démon l'a saisie et que l'autorité de
l'église l'a forcée de paroistre devient si furieuse dans de certains
momens que quatre ou cinq hommes avec toute leur force, sont empeschés à
l'arrester; leurs visages mesmes se monstrent si diformes et si différents
de leur naturel qu'on ne les reconoist plus et ce qui est de plus estonnant
est qu'après des transports et des violences de ceste nature quelquefois
pendant trois ou quatre heures après des efforts dont les corps les plus
robustes seroient lassés à demeurer au lit plusieurs jours, après des
hurlements continuels et des cris capables de rompre un estomach, estans
retournés en leur naturel, ce qui se fait en un instant, on les void sans
lassitude et sans émotion, l'esprit aussy tranquille, le visage aussy
composé, l'haleine aussy lente, le poulx aussy peu altéré que si elles
n'avoient pas bougé d'un siege.»

«Mais on peut dire que parmy toutes les marques de possession qui ont paru
dans ces filles, une des plus surprenantes et des plus communes aussy parmy
elles, est l'intelligence de la pensée et des commandemens intérieurs qui
leur sont faits tous les jours par les exorcistes et les prestres, sans que
ceste pensée soit manifestée au dehors ou par le discours ou par aucun
signe extérieur. Il suffit qu'elle leur soit adressée intérieurement ou
mentalement pour leur estre congneue et cela s'est vérifié par tant
d'expériences pendant le séjour de mons l'evesque de Chalons, par tous les
ecclésiastiques qui ont voulu l'esprouver que l'on ne peut douter
raisonnablement de toutes ces particularités et de plusieurs autres, qu'il
est impossible de spécifier icy par le détail.»

Plusieurs archevêques ou évêques et docteurs en Sorbonne émirent, à propos
de l'affaire d'Auxonne, l'avis suivant:

«Que de toutes ces filles qui sont de différentes conditions il y en a de
séculieres, de novices, de postulantes, de professes; il y en a de jeunes;
il y en a qui sont âgées; quelques unes sont de la ville, les autres n'en
sont pas, quelques sont de bonne condition, d'autres de basse naissance;
quelques unes riches, d'autres pauvres et de moindre condition; qu'il y a
dix ans ou plus que cette affliction est commencée dans ce monastère; qu'il
est malaisé que depuis un si long temps un dessein de fourberie et de
friponnerie put conserver le secret parmi des filles en si grand nombre, de
conditions et d'intérêts si différents; qu'après une recherche et une
enquête plus exacte, le dit seigneur evesque de Chalons n'a trouvé
personne, soit dans le monastere, soit dans la ville, qui n'ait parlé
avantageusement de l'innocence et de la régularité, tant des filles que des
ecclésiastiques qui ont travaillé devant lui aux exorcismes, et qu'il
témoigne avoir reconnu de sa part en leurs déportements pour des personnes
d'exemples de mérite et de probité, témoignage qu'il croit devoir à la
justice et à la vérité.»

«Joint à ce que dessus le certificat du sieur Morel, médecin présent à
tout, qui assure que toutes ces choses passent les termes de la nature, et
ne peuvent partir que de l'ouvrage du démon; le tout bien considéré nous
estimons que toutes ces accusations extraordinaires en des filles excèdent
les forces de la nature humaine et ne peuvent partir que de l'opération du
démon, possédant et obsédant ces corps.»



VI.--SABBAT


J. Wier[1], qui pense que le sabbat n'existe que dans l'imagination des
sorcières, donne la composition de leur onguent.

    [Note 1: _Histoires, disputes et discours des illusions et
    impostures des diables_, p. 165.]

«Elles font bouillir un enfant dans un vaisseau de cuivre et en prennent la
gresse qui nage au dessus, et font espessir le dernier bouillon en manière
d'un consumé, puis elles serrent cela pour s'en aider à leur usage: elles y
meslent du persil de eau, de l'aconite, des fueilles de peuple et de la
suie; ou bien elles font en ceste manière: elles mélangent de la berle, de
l'acorum vulgaire, de la quintefueille, du sang de chauve-souris, de la
morelle endormante et de l'huile: ou bien, si elles font des autres
compositions, elles ne sont dissemblables de ceste-cy. Elles oignent avec
cet onguent toutes les parties du corps, les ayant auparavant frottées
jusques à les faire rougir; à celle fin de attirer la chaleur, et relascher
ce qui estoit estrainct par la froidure. Et à celle fin que la chair soit
relaschée et que les pertuis du cuir soient ouverts elles y meslent de la
gresse ou de l'huile, il n'y a point de doute que ce ne soit à fin que la
vertu des sucs descende dedans et qu'elle soit plus forte et puissante.
Ainsi pensent-elles être portées de nuict à la clarté de la lune par l'air
aux banquets, aux musiques, aux dances et aux embrassements des plus beaux
jeunes hommes qu'elles désirent.»

Suivant Delrio[1]:

    [Note 1: _Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio,
    etc._ traduit et abrégé du latin, par André du Chesne Tourangeau.
    Paris, Jean Petitpas, 1611, in-12.]

«Elles y sont portées le plus souvent sur un baston, qu'elles oignent de
certain onguent composé de gresse de petits enfans que le diable leur fait
homicidier, combien que quelquefois elles s'en frottent aussi les cuisses,
ou autres parties du corps. Ainsi frottées elles ont coutume de s'asseoir
sur une fourche, baguette, ou manche de ballay, mesme sur un taureau, sur
un bouc ou sur un chien... puis mettant le pied sur la cramaillère
s'envolent par la cheminée et sont transportées en leurs assemblées
diaboliques où bien souvent elles trouvent des feux noirs et horribles tous
allumez. Là le démon leur apparoist en forme de bouc ou de chien, lequel
elles adorent en diverses postures, tantost pliant les genouils en terre,
tantost debout et dos contre dos, tantost brandillants les cuisses
contrehaut et renversant la teste en arrière, de sorte que le menton soit
porté vers le ciel: voire pour plus grand hommage lui offrent des
chandelles noires ou des nombrils de petits enfants et le baisant aux
parties honteuses de derrière. Mais quoy pourroit-on écrire sans horreur
que quelquefois elles imitent aussi le sacrifice de la saincte messe, l'eau
béniste et semblables cérémonies des catholiques par mocquerie et dérision.
Elles y présentent en outre leurs enfants au diable, luy dédient de leur
semence espandue en terre, et luy apportent aucunes fois la sainte Hostie
en leur bouche, laquelle elles foulent à beaux pieds en leur présence.»

Le même auteur[1] explique les banquets et les danses du sabbat:

    [Note 1: _Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio,
    etc._, p. 897.]

«Quelquefois elles dansent devant le repas et quelquefois après,
ordinairement y a diverses tables, trois ou quatre, chargées quelquefois de
morceaux friands et délicats, et quelquefois insipides et grossiers, selon
les dignitez et moyens des personnes. Quelquefois elles ont chacune leur
démon assis auprès d'elles, et quelquefois elles sont toutes rangées d'un
coté et leur démon rangé à l'opposite. Elles n'oublient pas aussi de bénir
leurs tables avant le repas, mais avec des paroles remplies de blasphèmes
avouant Beelzebub pour créateur et conservateur de toutes choses. Elles luy
rendent semblablement action de graces après le repas avec les mêmes
blasphèmes. Et il ne faut pas oublier qu'elles assistent à ces banquets
aucunes fois à face découverte et d'autres fois masquées ou voilées de
quelque linge. Elles dancent peu après dos contre dos et en rond, chacune
tenant son démon par les mains, ou bien quelquefois les chandelles
ardentes, qu'elles luy avaient offertes en l'allant adorer et baiser. A ces
ébats ne manquent aucunes fois le haubois et les ménétriers, si quelquefois
elles ne se contentent de chanter à la voix. Finalement après la dance
ausquels elles rendent après compte de ce qu'elles ont fait depuis la
dernière assemblée, et sont celles là les mieux venues, lesquelles ont
commis de plus énormes et de plus exécrables méchancetez. Les autres qui se
sont comportez un peu plus humainement sont sifflées et mocquées, mises à
l'écart et le plus souvent encore battues et maltraitées de leurs maîtres.»

Delrio[1] décrit la sortie du sabbat et fait connaître à quelle époque il
se tient:

    [Note 1: _Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio,
    etc._, p. 199.]

«Elles recueillent en dernier lieu des poudres que quelques uns pensent
être les cendres du bouc, dont le démon avait pris la figure et lequel
elles avoient adoré, subitement consumé par les flames en leur présence, ou
reçoivent d'autres poisons, qu'elles cachent pour s'en servir à l'exécution
de leurs pernicieux desseins, puis enfin s'en retournent en leurs maisons
celles qui sont près à pied, et les plus éloignées en la façon qu'elles y
avoient été transportées. J'avois oublié que ces sabbats diaboliques se
font le plus souvent environ la minuit, pour ce que Satan fait
ordinairement ses efforts pendant les ténèbres: et qu'ils se tiennent encor
à divers jours en diverses provinces: en Italie, la nuit d'entre le
vendredy et le samedy, en Lorraine les nuits qui précèdent le jeudy et le
dimanche et en d'autres lieux, la nuit d'entre le lundy et le mardy.»

Esprit de Bosroger[1] rapporte les aveux de Madeleine Bavan, à propos du
sabbat:

    [Note 1: _La piété affligée_, p. 389.]

«I. Qu'étant à Rouen dans la maison d'une couturière chés laquelle elle
resta l'espace de trois ans elle fut débauchée par un magicien qui en abusa
plusieurs, la fit transporter au sabbat avec trois de ses compagnes qu'il
avait aussi débauchées: il y célébra la messe avec une chemise gatée de
salletés luy appartenant, le dit magicien estant au sabbat, les fit signer
dans un régistre d'environ deux mains de papier; Madeleine adjoute qu'elle
emporta du sabbat la vilaine chemise de laquelle le magicien s'était servi,
et étant de retour la prist sur soy, pendant lequel temps elle se sentit
fort portée à l'impudicité jusqu'à ce qu'elle eust quittée par l'ordre d'un
sage confesseur cette abominable chemise.»

«II. Madeleine Bavan a dit qu'il ne s'était presque point passé de semaine
pendant l'espace de huit mois ou environ, que le magicien ne l'ait menée au
sabbat, où une fois entr'autres ayant célébré une exécrable messe, il la
maria avec un des principaux diables de l'enfer nommé Dagon qui parut alors
en forme d'un jeune homme, et luy donna une bague; ce maudit mariage fait,
le dit prétendu jeune homme luy mit la bague dans le doigt, puis se
séparèrent chacun de leur costé, avec promesse faite par ce jeune homme
qu'il ne seroit pas longtemps sans la revoir, aussy il luy apparut dès le
lendemain, comme il a fait quantité de fois pendant plusieurs années, ayant
souvent sa compagnie charnelle, qui excepté le plaisir qu'elle ressentoit
dans son esprit lui causoit plus de douleur que de volupté, comme
elle-mesme l'assure.»

«Madeleine Bavan a dit[1] qu'elle a vu trois ou quatre fois des femmes
magiciennes accoucher au sabbat, après la délivrance desquelles on mettait
leurs enfans sur l'autel qui y demeuroient pleins de vie pendant la
célébration de leur détestable messe, laquelle étant achevée, tous les
assistans (entre lesquelles était la dite Bavan) et les mères memes
égorgeoient d'un commun consentement ces pauvres petits enfans, qu'ils
déchiroient et après que chacun en avoit tiré les principales parties,
comme le coeur et autres pour en faire charmes, maléfices et sortilèges;
ils mettoient le reste en terre; ausquels égorgements elle a contribué avec
Picard et a fait des maléfices des dits enfants qu'elle a rapportés à
l'intention générale de celuy qui présidait au sabbat, et comme elle ne
sçavoit sur qui les appliquer, elle les bailla aux premiers trouvés du
sabbat.»

    [Note 1: _La piété affligée_, p. 395.]

«Elle confesse avoir adoré le bouc du sabbat lequel paroist demy homme et
demy bouc, lesquelles adorations du bouc se font tousjours à dessein de
profaner le très saint sacrement de l'Eucharistie.»

«Elle avoue avoir plusieurs fois adoré d'autres diables, référant ses
intentions à celles qu'ont les magiciens en général: celles qu'elle se
formoit en particulier n'avoient point d'autre but que la charnalité.»

«Pour revenir aux sorciers et sorcières, quand ils vouloyent faire venir
ces esprits à eux, dit Loys Lavater[1], ils s'oignoyent d'un onguent qui
faisoit fort dormir; puis se couchoyent au lict, où ils s'endormoyent tant
profondément qu'on ne les pouvoit esveiller, ni en les perçant d'aiguilles
ni en les brûlant. Pendant qu'ils dormoyent ainsi, les diables leur
proposoyent des banquets, des danses, et toutes sortes de passe-temps, par
imagination. Mais puisque les diables ont si grande puissance, rien
n'empêche qu'ils ne puissent quelquefois prendre les hommes, et les
emporter dans quelque forest puis leur faire voir là tels spectacles...»

    [Note 1: _Trois livres des apparitions, etc._, p. 297.]

«Il avint un jour que quelqu'un fort adonné à ces choses, fut soudainement
emporté hors de sa maison en un lieu fort plaisant, où après avoir veu
danser toute la nuict et fait grande chère, au matin tout cela estant
esvanouy, il se vit enveloppé dans des épines et halliers fort espais. Mais
outre ce qu'ils sont paillards aussi sont-ils fort cruels, car ils entrent
es maisons en forme de chiens ou de chats et tuent ou despouillent les
petits enfants.»

«Paul Grillaud, Italien qui vivoit l'an 1537, en son premier livre _de
Sortilegiis_, tesmoigne, dit Crespet[1], qu'il y eut un pauvre homme sabin
demourant près de Rome qui fut persuadé par sa femme de se gresser comme
elle de quelques unguens pour estre transporté avec les autres sorciers.
Pendant que ce transport se fist par la vertu de la gresse et de quelques
paroles qu'on dit, et non pas par la vertu du diable, il se trouva donc au
comté de Bénévent soubs un grand noyer, où estoient amassez infinis
sorciers qui beuvoient et mangeoient a son advis, et se mit avec eux pour
boire et manger; mais ne voyant point de sel sur table, en demanda ne se
doubtant que les diables l'ont en horreur et aussitost qu'il eust nommé le
nom de Dieu de ce que le sel lui fut apporté disant en son langage:
_Laudato sia Dio pur e venuto questo sale_, incontinent tous les diables
avec leurs sorciers disparurent, et demoura le pauvre home tout seul, nud
comme il estoit et fut contraint de s'en retourner à pied mendiant son pain
et vint accuser sa femme qui fut bruslée.»

    [Note 1: _De la hayne de Satan pour l'homme_, p. 236.]

«D'après le même[1], Daneau... rend compte d'un procès fait à Genève... à
une femme laquelle avoit publiquement confessé estant interrogée, qu'elle
avoit souvent assisté au chapitre et assemblée des autres sorciers, tout
joignant le chapitre de la grande église dédiée à saint Pierre (mais
maintenant le repaire de Sathan où est annoncée sa volonté) et qu'après
tous les autres qui là estoient congregez elle avoit adoré le diable en
forme de renard roux, qui se faisoit appeler Morguet et déposa qu'on le
baisoit par le derrière qui étoit fort froid et sentoit fort mauvais. Où
une jeune fille étant arrivée, dédaignant baiser une place tant vilaine et
infame, le dict renard se transforma en homme, et luy feit baiser son
genoüil qui estoit aussi froid que l'autre lieu, et de son poulce luy
imprima au front une marque qui lui causa une grande douleur; tout cela est
dans le dit livre imprimé, et ce que s'ensuit à sçavoir, que la ditte femme
déposa devant les juges que quand elle vouloit aller à l'assemblée, elle
avoit un baston blanc tacheté de rouge, et comme les autres lui avoient
appris, elle disoit à ce baston: «Baston blanc rouge, meyne-moi où le
diable te commande.»

    [Note 1: _De la hayne de Satan pour l'homme_, p. 231.]

«Barth à Spina raconte[1] qu'une jeune fille de Bergame fut trouvée à
Venise, laquelle ayant veu lever de nuict sa mère, qui despouillant sa
chemise s'estoit ointe, et chevauchant un baston estoit sortie par la
fenestre et s'estoit esvanouye, par une curiosité en voulut autant faire,
et incontinent elle fut portée au lieu où estoit sa mère arrivée, mais
voyant le diable s'imprima le signe de la croix et invoqua le nom de la
Vierge Marie, et incontinent elle fut délaissée seule, et se trouva toute
nue comme le procès en fut fait d'elle et de sa mère et le tout vérifié.»

    [Note 1: Même ouvrage, p. 241.]

«Il allegue un autre exemple d'une autre femme de Ferrare laquelle estant
couchée auprès de son mary se leva de nuict pensant qu'il fust bien endormy
mais il la contemploit comme elle print de l'onguent dans un vaisseau
qu'elle tenoit caché, et aussitost fut enlevée, il se leve et en voulut
autant faire, et se trouva incontinent au lieu où estoit sa femme qui
estoit en une cave, mais n'ayant le moyen de retourner comme il étoit allé,
se trouva seul et appréhendé comme larrons conta l'affaire, accusa sa femme
qui fut convaincue et chastiée.»

Goulart[1] rapporte, d'après Baudouain de Roussey[2], le fait suivant:

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 178.]

    [Note 2: _Épîtres médicinales_.]

«M. Théodore fils de Corneille, jadis consul de la ville de Goude en
Hollande m'a récité l'histoire qui s'ensuit l'affirmant très véritable. En
un village nommé Ostbrouch près d'Utrect se tenoit une veufve au service de
laquelle estoit un quidam s'occupant en ce qui estoit requis pour les
affaires de la maison. Icelui ayant prins garde, comme les valets sont
curieux encores que ce ne fust comme en passant, que bien avant en la nuict
et lorsque tous les domestiques estoyent couchez, cette veufve estoit
d'ordinaire en l'estable vers un certain endroit, lors estendant les mains
elle empoignoit le rastelier d'icelle estable où l'on met d'ordinaire le
foin pour les bestes. Lui s'esbahissant que vouloit dire cela, délibere de
faire le mesme au desceu de sa maistresse, et essayer l'effect de telle
cérémonie. Ainsi donc tost apres, en suivant sa maistresse qui estoit
entrée en l'estable y va et empoigne le rastelier. Tout soudain il se sent
enlevé en l'air, et porté en une caverne sous terre, en une villette ou
bourgade nommée Wych, où il trouve une synagogue de sorcieres, devisantes
ensemble de leurs maléfices. La maistresse estonnée de telle présence non
attendue lui demanda par quelle adresse, il s'estoit rendu en telle
compagnie. Il lui deschiffre de poinct en poinct ce que dessus. Elle
commence à se despiter et courroucer contre lui craignant que telles
assemblées nocturnes ne fussent descouvertes. Néantmoins elle fut d'avis de
consulter avec ses compagnes ce que seroit de faire en la difficulté qui se
présentoit. Finalement elles furent d'avis de recueillir amiablement ce
nouveau venu en stipulant de lui promesse expresse de se taire, et de jurer
qu'il ne manifesteroit à personne les secrets qui lors luy avoyent esté
descouverts contre son opinion et mérite. Ce pauvre corps promet mons et
merveilles, flatte les unes et les autres et pour n'estre pas rudement
admis en leur synagogue, feint avoir très grande envie d'être delà en avant
admis en leur synagogue, s'il leur plaisoit. En ces consultations, l'heure
se passe et le temps de déloger aprochoit. Lors se fait une autre
consultation à l'instance de la maîtresse sçavoir si pour la conservation
de plusieurs, il estoit point expédient d'égorger ce serviteur ou s'il
faloit le reporter. D'un commun consentement fut encliné au plus doux avis
de le reporter en la maison, puisqu'il avoit presté serment de ne rien
déceler. La maistresse prend cette charge et après promesse expresse et
réciproque, elle charge ce serviteur sur ses épaules promettant le reporter
en sa maison. Mais comme ils eurent fait une partie du chemin, ils
descouvrirent un lac plein de joncs et de roseaux. La maistresse
rencontrant cette occasion et craignant toujours que ce jeune homme se
repentant d'avoir été admis à ces festes d'enfer ne descouvrist ce qu'il
avoit veu s'eslance impétueusement et secoue de dessus ses épaules le jeune
homme espérant (comme il est à présumer) que ce malavisé perdroit la vie,
tant par la violence de sa chute du fort haut, que par son enfondrement en
l'eau bourbeuse de ce lac, où il demeureroit enseveli.»

«Mais comme Dieu est infiniment miséricordieux, ne voulant pas permettre la
mort du pécheur, ains qu'il se convertisse et vive, il borna les furieux
desseins de la sorciere, et ne permit pas que le jeune homme fut noyé, ains
lui prolongea la vie, tellement que sa cheute ne fut pas mortelle, car
roulant et culbutant en bas il rencontre une touffe espaisse de cannes et
roseaux qui rabattirent la violence du coup en telle sorte toutes fois
qu'il fut rudement blessé, et n'ayant pour aide que la langue, tout le
reste de la nuict, il sentit des douleurs en ce lict de joncs et d'eau
bourbeuse.»

«Le jour venu en se lamentant et criant, Dieu voulut que quelques passants
estonnez de cette clameur du tout extraordinaire, après avoir diligemment
cherché trouverent ce pauvre corps demi transi tout esrené et froissé ayant
outre plus les deux cuisses dénouées. Ils s'enquirent d'où il estoit, qui
l'avoit mis en tel point et entendant l'histoire précédente après l'avoir
tiré de ce misérable gîte le chargerent et firent porter par chariot à
Utrect. Le bourgmaistre nommé Jean le Culembourg, gentilhomme vertueux,
esmeu et ravi en admiration d'un cas si nouveau, fit soigneuse enqueste du
tout, deserna prinse de corps contre la sorciere, et la fit serrer en
prison, où elle confessa volontairement, sans torture et de poinct en
poinct, tout ce qui s'estoit passé, suppliant qu'on eust pitié d'elle. La
conclusion de ce procès, par commun avis de tout le conseil produisit
condamnation de mort tellement que ceste femme fut bruslée. Le serviteur ne
fut de longtemps après guéri de sa froissure universelle et
particulièrement de ses cuisses, chastié devant tous de sa curiosité
détestable.»

Bodin[1] rapporte d'après Sylvestre Rieras qu'en Italie, dans la ville de
Come, «l'official et l'inquisiteur de la foy, ayans grand nombre de
sorcières qu'ils tenoyent en prison, et ne pouvans croire les choses
estranges qu'elles disoyent, en voulurent faire la preuve, et se firent
mener à la synagogue par l'une des sorcières, et se tenans un peu à
l'escart virent toutes les abominations, hommages au diable, danses,
copulations. Enfin le diable qui faisoit semblant de ne les avoir pas veu,
les batit tant qu'ils en moururent quinze jours après.»

    [Note 1: _Démonomanie_, préface.]

«Nous trouvons, dit Bodin[1], au 6e livre de Meyr, qui a escrit fort
diligemment l'histoire de Flandres, que l'an 1459 grand nombre d'hommes et
femmes, furent brulés en la ville d'Arras accusées les uns par les autres
et confessèrent qu'elles estoient la nuit transportées aux danses et puis
qu'ils se couplaient avecques les diables qu'ils adoraient en figure
humaine.»

    [Note 1: _Démonomanie_.]

«Jacques Sprenger et ses quatre compagnons inquisiteurs des sorciers
escrivent qu'ils ont fait le procès à une infinité de sorciers en ayant
fait exécuter fort grand nombre en Allemagne, et mesmement aux pays de
Constance et de Ravenspur l'an 1485 et que toutes generallement sans
exception, confessoient que le diable avoit copulation charnelle avec elle
après leur avoir fait renoncer Dieu et leur religion.»

«Suivant P. de Lancre[1], Jeannette d'Abadie aagée de seize ans dict,
qu'elle a veu hommes et femmes se mesler promiscuement au sabbat. Que le
diable leur commandait de s'accoupler et de se joindre, leur baillant à
chacun tout ce que la nature abhorre le plus, sçavoir la fille au père, le
fils à la mère, la seur au frère, la filleule au parrain, la pénitente à
son confesseur, sans distinction d'aage, de qualité ny de parentulle.»

    [Note 1: _Tableau des inconstances des mauvais anges_, p. 222.]

«Vers l'année 1670, dit Balthazar Bekker[1], il y eut en Suède, au village
de Mohra, dans la province d'Elfdalen, une affaire de sorcellerie qui fit
grand bruit. On y envoya des juges. Soixante-dix sorcières furent
condamnées à mort; une foule d'autres furent arrêtées, et quinze enfants se
trouvèrent mêlés dans ces débats.»

    [Note 1: _Le Monde enchanté_, liv. VI, ch. XXIX, d'après les
    relations originales.]

«On disait que les sorcières se rendaient de nuit dans un carrefour,
qu'elles y évoquaient le diable à l'entrée d'une caverne, en disant trois
fois:

--«Antesser, viens! et nous porte à Blokula!»

«C'était le lieu enchanté et inconnu du vulgaire, où se faisait le sabbat.
Le démon Antesser leur apparaissait sous diverses formes, mais le plus
souvent en justaucorps gris, avec des chausses rouges ornées de rubans, des
bas bleus, une barbe rousse, un chapeau pointu. Il les emportait à travers
les airs à Blokula, aidé d'un nombre suffisant de démons, pour la plupart
travestis en chèvres; quelques sorcières, plus hardies, accompagnaient le
cortège, à cheval sur des manches à balai. Celles qui menaient des enfants
plantaient une pique dans le derrière de leur chèvre; tous les enfants s'y
perchaient à califourchon, à la suite de la sorcière, et faisaient le
voyage sans encombre.»

«Quand ils sont arrivés à Blokula, ajoute la relation, on leur prépare une
fête; ils se donnent au diable, qu'ils jurent de servir; ils se font une
piqûre au doigt et signent de leur sang un engagement ou pacte; on les
baptise ensuite au nom du diable, qui leur donne des raclures de cloches.
Ils les jettent dans l'eau, en disant ces paroles abominables:

--«De même que cette raclure ne retournera jamais aux cloches dont elle est
venue, ainsi que mon âme ne puisse jamais entrer dans le ciel.»

«La plus grande séduction que le diable emploie est la bonne chère; et il
donne à ces gens un superbe festin, qui se compose d'un potage aux choux et
au lard, de bouillie d'avoine, de beurre, de lait et de fromage. Après le
repas, ils jouent et se battent; et si le diable est de bonne humeur, il
les rosse tous avec une perche, «ensuite de quoi il se met à rire à plein
ventre.» D'autres fois il leur joue de la harpe.»

«Les aveux que le tribunal obtint apprirent que les fruits qui naissaient
du commerce des sorcières avec les démons étaient des crapauds ou des
serpents.

«Des sorcières révélèrent encore cette particularité, qu'elles avaient vu
quelquefois le diable malade, et qu'alors il se faisait appliquer des
ventouses par les sorciers de la compagnie.»

«Le diable enfin leur donnait des animaux qui les servaient et faisaient
leurs commissions, à l'un un corbeau, à l'autre un chat, qu'ils appelaient
_emporteur_, parce qu'on l'envoyait voler ce qu'on désirait, et qu'il s'en
acquittait habilement. Il leur enseignait à traire le lait par charme, de
cette manière: le sorcier plante un couteau dans une muraille, attache à ce
couteau un cordon qu'il tire comme le pis d'une vache; et les bestiaux
qu'il désigne dans sa pensée sont traits aussitôt jusqu'à épuisement. Ils
employaient le même moyen pour nuire à leurs ennemis, qui souffraient des
douleurs incroyables pendant tout le temps qu'on tirait le cordon. Ils
tuaient même ceux qui leur déplaisaient, en frappant l'air avec un couteau
de bois.»

«Sur ces aveux on brûla quelques centaines de sorciers, sans que pour cela
il y en eût moins en Suède.»

On ne peut guère évoquer les démons avec sûreté sans s'être placé dans un
cercle qui garantisse de leur atteinte, parce que leur premier mouvement
serait d'empoigner, si l'on n'y mettait ordre. Voici ce qu'on lit à ce
propos dans le _Grimoire du pape Honorius_:

«Les cercles se doivent faire avec du charbon, de l'eau bénite aspergée, ou
du bois de la croix bénite... Quand ils seront faits de la sorte, et
quelques paroles de l'Évangile écrites autour du cercle, sur le sol, on
jettera de l'eau bénite en disant une prière superstitieuse dont nous
devons citer quelques mots:--«Alpha, Oméga, Ely, Elohé, Zébahot, Elion,
Saday. Voilà le lion qui est vainqueur de la tribu de Juda, racine de
David. J'ouvrirai le livre et ses sept signes...»

On récite après la prière quelque formule de conjuration, et les esprits
paraissent.

Le _Grand Grimoire_ ajoute «qu'en entrant dans ce cercle il faut n'avoir
sur soi aucun métal impur, mais seulement de l'or ou de l'argent, pour
jeter la pièce à l'esprit. On plie cette pièce dans un papier blanc, sur
lequel on n'a rien écrit; on l'envoie à l'esprit pour l'empêcher de nuire;
et, pendant qu'il se baisse pour la ramasser devant le cercle, on prononce
la conjuration qui le soumet.»

Le _Dragon rouge_ recommande les mêmes précautions.

Il nous reste à parler des cercles que les sorciers font au sabbat pour
leurs danses. On en montre encore dans les campagnes; on les appelle
_cercle du sabbat_ ou _cercle des fées_, parce qu'on croyait que les fées
traçaient de ces cercles magiques dans leurs danses au clair de la lune.
Ils ont quelquefois douze ou quinze toises de diamètre, et contiennent un
gazon pelé à la ronde de la largeur d'un pied, avec un gazon vert au
milieu. Quelquefois aussi tout le milieu est aride et desséché, et la
bordure tapissée d'un gazon vert. Jessorp et Walker, dans les _Transactions
philosophiques_, attribuent ce phénomène au tonnerre: ils en donnent pour
raison que c'est le plus souvent après des orages qu'on aperçoit ces
cercles.

D'autres savants ont prétendu que les cercles magiques étaient l'ouvrage
des fourmis, parce qu'on trouve souvent ces insectes qui y travaillent en
foule.

On regarde encore aujourd'ui, dans les campagnes peu éclairées, les places
arides comme le rond du sabbat. Dans la Lorraine, les traces que forment
sur le gazon les tourbillons des vents et les sillons de la foudre passent
toujours pour les vestiges de la danse des fées, et les paysans ne s'en
approchent qu'avec terreur[1].

    [Note 1: Madame Élise Voïart, Notes au livre Ier de la Vierge
    d'Arduène.]



VII.--UNION CHARNELLE AVEC LE DIABLE. INCUBES ET SUCCUBES.


«Le bruit commun, dit saint Augustin[1] est, et plusieurs l'ont essayé et
encore entendu de ceux la foy desquels ne peut estre révoquée en doute que
certains faunes et animaux silvestres appelez du commun incubes ont esté
fâcheux et envieux aux femmes, tellement qu'ils ont souvent convoité
d'habiter avec elles, et se trouvent certains démons que les François
appellent _Dusii_, lesquels s'efforcent tant qu'ils peuvent de cognoistre
les femmes et souvent ils accomplissent leur dessein; tellement que de nier
cela est un traict d'un homme impudent.»

    [Note 1: _Cité de Dieu_, livres XXIII et XIX.]

Crespet[1] rapporte que «Col. Rhodiginus livre II, chap. VI, des _Antiques
leçons_, soustient que les diables peuvent habiter avec les femmes,
_Daemones foecundos esse femine, et coïre, angelos vero bonos minime_. Et
souvent on a trouvé des sorcières es lieux escartés, couchées à la renverse
et se remuer comme estans en l'acte vénérien, et aussitost le diable se
lever en forme de nuée espaisse et foetide.»

    [Note 1: Crespet, _La hayne de Sathan_, p. 296.]

D'après Bodin[1] «Jeanne Herviller, native de Verbery près Compiegne, entre
autres choses, confessa que sa mere avoit este condamnée d'estre bruslée
toute vive par arrest du parlement, confirmatif de la sentence du juge de
Senlis, qu'à l'aage de douze ans sa mère la présenta au diable en forme
d'un grand homme noir et vestu de noir, botté, esperonné, avec une espée au
costé et un cheval noir à la porte, auquel la mère dit: Voicy ma fille que
je vous ay promise, et à la fille: Voicy vostre amy qui vous fera bien
heureuse, et dès lors elle renonça à Dieu, à la religion, et puis coucha
avec elle charnellement en la mesme sorte et manière que font les hommes
avecques les femmes, hormis que la semence estoit froide. Cela, dit-elle,
continua tous les quinze jours, mesmes icelle estant couchée près de son
mary sans qu'il s'en apperceut. Et un jour le diable luy demanda si elle
voulait estre enceinte de lui et elle ne voulut pas.»

    [Note 1: _Démonomanie_.]

Merlin passait pour fils du diable. «Je pense, dit Le Loyer[1], que ce
n'est point chose tant incroyable qu'il ait esté engendré du diable en une
sorcière: car en la mesme isle vers le royaume d'Écosse, au pays de Marrée,
y eut une fille qui se trouva grosse du fait du diable. Ce ne fut pas sans
donner à penser à ses parents, qui la pouvoit avoir engrossée, parce
qu'elle abhorroit les noces et n'avait voulu être mariée. Ils la pressent
de dire qui l'avait engrossée: elle confesse, que c'estoit le diable qui
couchoit toutes les nuicts avec elle, en forme de beau jeune homme. Les
parents ne se contentent pas la responce de la fille, pratiquent sa
chambrière qui de nuict les fit entrer dans la chambre avec torches. Ce fut
lors qu'ils apperceurent au lict de la fille, un monstre fort horrible
n'ayant forme aucune d'homme. Le monstre fait contenance de ne vouloir
quitter le lict, et fait on venir le prestre pour l'exorciser. Enfin le
monstre sort, mais c'est avec tel tintamarre et fracassement, qu'il brusla
les meubles qui estoient en la chambre, et en sortant descouvrit le toict
et couverture de la maison. Trois jours après, dict Hectore Boïce, la
sorcière engendra un monstre, le plus vilain qui fust oncque né en Écosse,
que les sages femmes estoufferent.»

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres, etc._, p. 315.]

«J'ai leu autrefois, dit le même[1], en Thomas Valsingham, Anglais, que la
nuict d'une feste de Pentecote une femme du pays et de la paroisse de
Kenghesla du diocèse de Wintchester et doyenné d'Aulton, nommée Jeanne, fut
en songe, non tant admonestée, que pressée et sollicitée d'aller trouver un
jeune homme qui l'entretenait par amourettes. Elle se mit en chemin dès le
lendemain, et estant en la forêt de Wolmer, se présente à elle un démon en
la forme de l'amoureux nommé Guillaume, qui l'accoste et jouyt d'elle.
Ceste maladie elle pense luy avoir été causée par l'amoureux, qui se
justifie et montre qu'il était impossible qu'il fust en la forest en la
même heure dont elle se plaignoit et par là fut la vérité du démon incube
descouverte. Cela rengrégea encore la maladie de la femme et advint cette
merveille. La maison où gisait la femme fut tellement remplie de puanteur
que personne n'y pouvoit durer, et trois jours après mourut ayant les
lèvres fort livides, le ventre noir et enflé par tout le corps. A toute
peine huict hommes la portèrent en terre tant elle pesoit.»

    [Note 1: Même ouvrage, p. 340.]

Goulart rapporte cette singulière histoire d'après un personnage, dit-il,
très digne de foy: L'an 1602, un gentilhomme françois se trouvant près d'un
bois, en voit sortir une fille éplorée et échevelée qui lui demande appui
et protection contre des voleurs qui avaient tué sa compagnie et avaient
voulu la violer. Le gentilhomme, tirant son épée, prit cette demoiselle en
croupe et traversa la forêt sans rencontrer personne. Il l'amena, dans une
hôtellerie où elle ne voulut manger ni boire que sur les instances du
gentilhomme. Cette demoiselle supplia ensuite son sauveur de la laisser
coucher dans la même chambre que lui. Il y consentit après quelques
difficultés, et l'on dressa deux lits. Le gentilhomme se coucha dans le
sien. «Mais la damoiselle, environ une heure après, se despouilla près de
l'autre lict, et comme feignant croire que le gentilhomme dormist, commence
à se descouvrir, à se contempler en diverses parties. Le gentilhomme picqué
d'infame passion attisée par l'indigne regard d'un masque qui lui
paroissoit et sembloit le plus beau qui jamais se fust présenté à ses yeux,
se laissa gaigner par l'infame convoitise de son coeur alléché par les
redoutables attraits d'un très cauteleux ennemi, mettant le reverence de
Dieu et le salut de son ame en oubli, se leve de son lict, s'en va dans
celui de la damoiselle qui le receut et passèrent la nuict ensemble. Le
matin venu, le pauvre miserable retourne trouver sa couche, et y estant
s'endort. La damoiselle se lève et disparoit sans saluer gentilhomme, hoste
ni hostesse. Le gentilhomme esveillé la demande, elle ne se trouve point:
il l'attend jusques environ midi: lors n'en pouvant avoir de nouvelles il
monte à cheval, et poursuit son chemin. A peine estoit-il à demie-lieue de
la ville qu'il descouvre au bout d'une raze campagne un cavalier armé de
pied en cap, lequel venoit à lui, bride abatue, les armes au poin. Le
gentilhomme qui estoit bon soldat l'attend de pied ferme, et repousse
vaillamment l'effort de cest ennemi couvert, lequel se retirant un peu à
quartier, haussa la visière. Alors le pauvre gentilhomme conut la face de
la damoiselle avec laquelle il avoit passé la nuict precedente, lui
déclairant lors en termes expres qu'il avoit eu la compagnie du diable, que
sa resistance estoit vaine, qu'il ne pouvoit s'en desdire.» Le gentilhomme
invoqua l'assistance de Dieu, Satan disparut. Le gentilhomme tournant bride
rebroussa vers sa maison où, désolé, se mit au lit, confessa ce qui lui
était arrivé devant plusieurs personnes notables, et mourut peu de jours
après, espérant à la miséricorde de Dieu.

Guyon[1] rapporte aussi l'histoire de quelques personnes qui ont eu
commerce avec le diable:

    [Note 1: _Diverses leçons_, t. II, p. 56.]

«Ruoffe en son livre de la _Conception et génération humaine_, tesmoigne
que de son temps, une paillarde eut affaire à un esprit malin par une
nuict, ayant forme d'homme, et que soudain après le ventre luy enfla, et
que pensant estre grosse, elle tomba en une si étrange maladie que toutes
ses entrailles tombèrent, sans que par aucun artifice des médecins, elle
peust estre guérie.»

«En ce pays de Lymosin, environ l'an 1580, un gentilhomme cadet venant de
la chasse du lièvre, à soleil couchant, trouva en son chemin un esprit
transformé en une belle femme, cuydant à la vérité qu'elle fust telle:
estant alleché par elle à volupté, eut affaire à elle, se sentit saisi
soudain d'une si grande chaleur par tout son corps, que dans trois jours
après il mourut, et persista de dire jusques à la mort, que ceste chaleur
provenoit de ceste copulation et ne resvoit nullement, et que soudain après
l'acte venerien ceste femme s'evanoüit.»

«Nous avons veu deux femmes du bourg de Chambaret à sçavoir la mère et la
fille, qui disoyent et affermoient le diable avoir eu affaire avec elles
par force visiblement et par violence, et leur ventre s'enfla grandement,
et les touchay et visitay, et les trouvay telles; l'on les tenoit pour
insensées de tenir telles paroles. Elles changerent de lieux, s'en allerent
caymandant ailleurs et depuis j'ay entendu qu'elles n'estoyent plus grosses
et qu'elles furent deschargées par beaucoup de fumées et ventositez qui
sortirent de leurs corps, l'on m'a dit qu'elles estoyent encore en vie.»

Selon Crespet[1], «Hector Boëtius, hystoriographe escossois, sur la fin du
livre VIII de son _Hystoire escossoise_, récite que l'an 1486 quelques
marchans navigeans d'Escosse en Flandre, se voient à l'improviste assaillis
d'une effroyable tempeste qui les environna, de sorte qu'ils pensaient
aller au fond de l'Océan. L'air estoit troublé, les nues obscures et
espaisses, le soleil avoit perdu sa clarté, dont ils soupçonnèrent qu'il y
avoit de la malice de Sathan parmy tant de tourmente, ce que pensoit faire
tomber en desespoir ces pauvres gens. Or de malheur en leur navire, il y
avoit une femme, laquelle voyant si grand désordre et effroy commença à
confesser sa faute et s'accuser, que de longtemps elle avoit souffert un
dyable incube qui la venoit parfois vexer et qu'il ne faisoit que partir de
sa compagnie, les suppliant qu'ils la jetassent en la mer, car elle se
sentoit grandement coupable pour un crime tant horrible et infame.
Toutefois, il y eut des gens catholiques au navire, et entre autres un
prestre qui la confessa et remit en meilleure espérance devant lequel se
prosternant en un lieu escarté pour confesser ses péchés avec une amertume
de coeur, souspirs et sanglots, se confiant en la miséricorde de Dieu, et
aussistost qu'il luy eust donné l'absolution sacramentale, les assistans
veirent lever en l'air du navire une espaisse nuée avec une fadeur et fumée
accompagnée de flame qui s'alla jetter en fond, et aussitost la sérénité
fut rendue.»

    [Note 1: _De la hayne de Sathan_, p. 296.]

«Le même auteur (Boëtius), au mesme livre, cité par Crespet, poursuit
encore un autre exemple de la région, Gareotha, d'un jeune adolescent, beau
et élégant en perfection, lequel confessa devant son evesque qu'il avoit
souvent eu la compagnie d'une jeune fille qui le venoit de nuict
chatouiller en son lit, et le baisotoit se supposant à luy, afin qu'il fust
eschauffé pour faire l'oeuvre charnel, sans que jamais il peut sçavoir qui
elle estoit, ou d'où elle venoit, car les portes et fenestres de sa chambre
avoient toujours esté fermées, mais par le conseil des gens doctes il
changea de demeure, et à force de prières, confessions, jeunes et autres
dévots exercices il fut délivré.»

«J'ay aussi leu, dit Bodin[1], l'extraict des interrogatoires faicts aux
sorcieres de Longwy en Potez qui furent aussi bruslées vives que maistre
Adrian de Fer, lieutenant général de Laon m'a baillé. J'en mettrai quelques
confessions sur ce point.»

    [Note 1: _Démonomanie_.]

«Marguerite Bremont, femme de Noel de Lavatet, a dit que lundy dernier
après avoir failli elle fut avec Marion sa mère à une assemblée près le
moulin Franquis de Longwy en un pré et avoit sa dite mère un ramon entre
ses jambes disant: Je ne mettray point les mots, et soudain elles furent
transportées toutes deux au lieu où elles trouvèrent Jean Robert, Jeanne
Guillemin, Marie femme de Simon d'Agneau et Guillemette femme d'un nommé
Legras qui avoient chacun un ramon. Se trouvèrent aussi en ce lieu six
diables, qui estoient en forme humaine, mais fort hideux à voir. Que après
la danse finie les diables se couchèrent avecque elles, et eurent leur
compagnie et l'un d'eux, qui l'avoit menée danser la print et la baisa par
deux fois et habita avec elle l'espace de plus d'une demie heure mais
délaissa aller sa semence bien froide.»

P. de Lancre[1] répète diverses histoires d'incubes et de succubes:

    [Note 1: _Tableau de l'inconstance des mauvais anges_, p. 214.]

«Henry, institeur, et Jaques Spranger, qui furent esleus du pape Innocent
VIII pour faire le procès aux sorciers d'Allemagne, racontent que bien
souvent ils ont veu des sorcières couchées par terre le ventre en sus,
remuant le corps avec la même agitation que celles qui sont en cette sale
action, prenant leur plaisir avec ces esprits et démons incubes qui leur
sont visibles mais invisibles à tous autres, sauf qu'ils voient après cet
abominable accouplement une puante et sale vapeur s'eslever du corps de la
sorcière de la grandeur d'un homme: si bien que plusieurs maris jaloux
voyant les malins esprits acointer ainsi et cognoistre leurs femmes pensant
que ce fussent vrayment des hommes mettoient la main à l'espée, et qu'alors
les démons disparoissans ils demeuroient moquez et rudement baffouez par
leurs femmes.»

«François Pic de la Mirandole dict avoir cognu un homme de soixante-quinze
ans qui s'appeloit Benedeto Berna, lequel par l'espace de quarante ans eut
accointance avec un esprit succube qu'il appeloit Harmeline et la
conduisoit et menoit quant et luy en forme humaine, en la place et partout
et parloit avec elle: de manière que plusieurs l'oyant parler, et ne voyant
personne le tenoient pour fol. Et un autre nommé Pinet en tint un l'espace
de trente ans sous le nom de Fiorina.»

«Sur quoy est remarquable ce que dict Bodin que les diables ne font paction
expresse avec les enfants qui leur sont vouez, s'ils n'ont atteint l'aage
de puberté et dict que Jeanne Herviller disposa que sa mère qui l'avait
dédiée à Satan si tost qu'elle fut née, ne fut jamais désirée par Satan ny
ne s'accoupla avec luy, qu'elle n'eust atteint l'aage de douze ans. Et
Magdeleine de la Croix, abbesse de Cordoue, en Espagne, dict de même, que
Satan n'eut cognoissance d'elle qu'en ce mesme aage.»

«Or cette opération de luxure n'est commise ou pratiquée par eux pour
plaisir qu'ils y prennent, parce que comme simples esprits, ils ne peuvent
prendre aucune joye ny plaisir des choses sensibles. Mais ils le font
seulement pour faire choir l'homme dans le précipice dans lequel ils sont,
qui est la disgrâce de Dieu très haut et très puissant.»

«Johannès d'Aguerre dict que le diable en forme de bouc avoit son membre au
derrière et cognoissoit les femmes en agitant et poussant avec iceluy
contre leur devant.»

«Marie de Marigrane, aagée de quinze ans, habitante de Biarrix dict,
qu'elle a veu souvent le diable s'accoupler avec une infinité de femmes
qu'elle nomme par nom et surnom: et que sa coutume est de cognoistre les
belles par devant, et les laides au rebours.»

«Toutes les sorcières s'accordent en cela, dit Delrio[1], que la semence
qu'elles reçoivent du diable, est froide comme glace, et qu'elle n'apporte
aucun plaisir, mais horreur plutost, et par conséquent ne peut être cause
d'aucune génération. Je répons que le démon, voulant décevoir la femme souz
l'espèce et figure de quelque homme sans qu'elle s'apperçoive qu'il est un
démon, imite lors le plus convenablement qu'il peut tout ce qui est requis
en l'accouplement de l'homme et de la femme, et par ainsi met-il en peine
s'il veut que la génération s'en ensuive (ce qui avient rarement) d'y
employer tout ce qui est nécessaire à la génération, cherchant une semence
prolifique, qu'il conserve et jette d'une si grande vitesse que les esprits
vitaux ne s'évaporent. Mais quand il n'a point d'intention d'engendrer,
alors il se sert de je ne sçay quoy de semblable à la semence, chaud
toutefois de peur que son imposture ne soit descouverte et tempere aussi le
corps qu'il a pris de peur que par son attouchement, il n'apporte de la
crainte, de l'horreur ou de l'épouvantement. Au contraire quand ils se
couplent avec celles qui n'ignorent pas que ce soit un démon, il jette le
plus souvent une semence imaginaire et froide, de laquelle je confesse
ingénûment qu'il ne peut rien provenir. Et qui plus est, toutes les
sorcières s'accordent en cela, qu'il les interroge si elles conçoivent de
ses oeuvres; et si d'aucunes se trouvent qui en aient envie, lors il se
sert, comme je l'ay dit, de la vraye semence de l'homme.»

    [Note 1: _Les controverses et recherches magiques_, p. 187.]

Les démons, selon Delrio[1], peuvent aussi produire de certains monstres
inaccoutumés, tels que celuy qu'on a veu au Brésil, de dix-sept palmes de
hauteur, couvert d'un cuir de lésard, ayant des tétins fort gros, les bras
de lyon, les yeux étincelans et flamboïans et la langue de même: tels aussi
que ceux qui furent pris aux forets de Saxe, en l'an 1240 avec un visage
demy humain: si ce n'est par aventure qu'ils fussent nez de l'accouplement
de quelques hommes avec des bêtes brutes: qui est la plus certaine origine
de la plus part des monstres. Car ainsi jadis Alcippe enfanta-t'elle un
éléphant, pendant la guerre Marsique. Ainsi trois femmes ont-elles accouché
depuis l'une en Suisse d'un lyon, en l'an 1278, l'autre à Pavie d'un chat
en l'an 1271 et l'autre d'un chien en la ville de Bresse. Ainsi encore l'an
1531 une autre femme a-elle enfanté d'une meme ventrée, premièrement un
chef d'homme enveloppé d'une taye, par après un serpent à deux pieds et
troisièmement un pourceau tout entier... Certainement en ces exemples
ci-dessus allégués, je pense qu'il faut dire que c'est le démon, qui souz
la figure de telles bestes a engrossé ces femmes.»

    [Note 1: _Les controverses et recherches magiques_.]



VIII.--PACTE AVEC LE DIABLE. MARQUE DES SORCIERS.


Un auteur anonyme[1] nous a conservé l'engagement pris par Loys Gaufridy
envers le diable:

    [Note 1: _De la vocation des magiciens et magiciennes, etc._ Paris,
    Ollivier de Varennes, 1623, in-12.]

«Je, Loys prestre, renonce à tous et à chascun des biens spirituels et
corporels, qui me pourroient estre donnez et m'arriver de la part de Dieu,
de la Vierge, et de tous les saincts et sainctes: et principalement de la
part de Jean Baptiste mon patron, et des saincts apôtres Pierre et Paul et
de sainct François. Et à toy, Lucifer, que te voy, et scay estre devant
moi, je me donne moy-mesme, avec toutes les bonnes oeuvres que je ferai,
excepté la valeur et le fruit des sacrements, au respect de ceux à qui je
les administreray, et en cette manière j'ay signé ces choses et les
atteste.»

Lucifer prit de son côté à l'égard de Loys Gaufridy l'engagement suivant:

«Je Lucifer, promets sous mon seing, à toy seigneur Loys Gaufridy prestre,
de te donner vertu et puissance, d'ensorceler par le soufflement de bouche
toutes et chacunes les femmes et les filles que tu désireras: en foy de
quoy j'ay signé Lucifer.»

Suivant Bodin[1], «Magdeleine de la Croix, native de Cordoue en Espagne,
abbesse d'un monastère, se voyant en suspicion des religieuses, et
craignant le feu, si elle estoit accusée, voulut prévenir pour obtenir
pardon du pape, et confesse que dès l'âge de douze ans, un malin esprit en
forme d'un More noir la sollicita de son honneur auquel elle consentit et
continua trente ans et plus, couchant ordinairement avec luy: par le moyen
duquel estant dedans l'église elle estoit élevée en haut et quand les
religieuses communioient après la consécration l'hostie venoit en l'air
jusqu'à elle, au veu des autres religieuses qui la tenoient pour saincte,
et le pretre aussi, qui trouvoit alors faute d'une hostie.»

    [Note 1: _Démonomanie_.]

«On voit à Molsheim, dit dom Calmet[1], dans la chapelle de saint Ignace en
l'église des PP. Jésuites une inscription célèbre qui contient l'histoire
d'un jeune gentilhomme allemand, nommé _Michel Louis_, de la famille de
_Boubenhoren_, qui ayant été envoyé assez jeune par ses parents à la cour
du duc de Lorraine pour apprendre la langue françoise perdit au jeu de
cartes tout son argent. Réduit au désespoir il résolut de se livrer au
démon, si ce mauvais esprit vouloit ou pouvoit lui donner de bon argent:
car il se doutoit qu'il ne lui en fourniroit que de faux et de mauvais.
Comme il étoit occupé de cette pensée, tout d'un coup il vit paraître
devant lui comme un jeune homme de son âge, bien fait, bien couvert, qui
lui ayant demandé le sujet de son inquiétude lui présenta sa main pleine
d'argent, et lui dit d'éprouver s'il étoit bon. Il lui dit de le venir
retrouver le lendemain. Michel retourne trouver ses compagnons, qui
jouoient encore, regagne tout l'argent qu'il avoit perdu, et gagne tout
celui de ses compagnons. Puis il revient trouver son démon, qui lui demanda
pour récompense trois gouttes de son sang, qu'il reçut dans une coquille de
gland: puis offrant une plume à Michel il lui dit d'écrire ce qu'il lui
dicteroit. Il lui dicta quelques termes inconnus qu'il fit écrire sur deux
billets différens[2] dont l'un demeura au pouvoir du démon et l'autre fut
mis dans le bras de Michel au même endroit d'où le démon avoit tiré du
sang. Et le démon lui dit: Je m'engage de vous servir pendant sept ans,
après lesquels vous m'appartiendrez sans réserve. Le jeune homme y
consentit, quoique avec horreur, et le démon ne manquoit pas de lui
apparaître jour et nuit sous diverses formes, et de lui inspirer diverses
choses inconnues et curieuses, mais toujours tendantes au mal. Le terme
fatal des sept années approchoit, et le jeune homme avoit alors environ
vingt ans. Il revint chez son père: le démon auquel il s'étoit donné lui
inspira d'empoisonner son père et sa mère, de mettre le feu à leur château
et de se tuer soi-même. Il essaya de commettre tous ces crimes: Dieu ne
permit pas qu'il y réussît, le fusil dont il vouloit se tuer ayant fait
faute jusqu'à deux fois, et le venin n'ayant pas opéré sur ses père et
mère. Inquiet de plus en plus, il découvrit à quelques domestiques de son
père le malheureux état où il se trouvoit, et les pria de lui procurer
quelques secours. En ce même temps le démon le saisit, et lui tourna tout
le corps en arrière, et peu s'en fallut qu'il ne lui rompit les os. Sa mère
qui étoit de l'hérésie de Suenfeld, et qui y avoit engagé son fils, ne
trouvant dans sa secte aucun secours contre le démon qui le possedoit ou
l'obsedoit, fut contrainte de le mettre entre les mains de quelques
religieux. Mais s'en retira bientôt et s'enfuit à l'Islade d'où il fut
ramené à Molsheim par son frère, chanoine de Wirsbourg, qui le remit entre
les mains des PP. de la Société. Ce fut alors que le démon fit les plus
violens efforts contre lui, lui apparoissant sous la forme d'animaux
féroces. Un jour entre autres le démon sous la forme d'un homme sauvage et
tout velu jetta par terre une cédule ou pacte différent du vrai qu'il avoit
extorqué du jeune homme, pour tâcher sous cette fausse apparence de le
tirer des mains de ceux qui le gardoient et pour l'empêcher de faire sa
confession générale. Enfin on prit jour au 20 octobre 1603, pour se trouver
en la chapelle de sainct Ignace, et y faire rapporter la véritable cédule
contenant le pacte fait avec le démon. Le jeune homme y fit profession de
la foi catholique et orthodoxe, renonça au démon, et reçut la sainte
Eucharistie. Alors jettant des cris horribles, il dit qu'il voyoit comme
deux boucs d'une grandeur démesurée, qui, ayant les pieds de devant en
haut, tenoient entre leurs ongles chacun de leur côté l'une des cédules ou
pactes. Mais dès qu'on eût commencé les exorcismes et invoqué le nom de
sainct Ignace les deux boucs s'enfuirent, et il sortit du bras ou de la
main gauche du jeune homme presque sans douleur et sans laisser de
cicatrice, le pacte qui tomba aux pieds de l'exorciste. Il ne manquoit plus
que le second pacte qui étoit resté au pouvoir du démon. On recommença les
exorcismes, on invoqua sainct Ignace et on promit de dire une messe en
l'honneur du sainct: en même temps parut une grande cigogne difforme, mal
faite, qui laissa tomber de son bec cette seconde cédule, et on la trouva
sur l'autel.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits et sur les
    vampires, ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc._, par le
    R.P. dom Augustin Calmet, abbé de Senones. Nouvelle édition, Paris,
    Debust aîné, 1751, 2 vol. in-12.]

    [Note 2: Il y avait en tout dix lettres, la plupart grecques, mais
    qui ne formeront aucun sens. On les voyoit à Molsheim dans le
    tableau qui représente ce miracle.]

On parlait beaucoup chez les anciens de certains démons qui se montraient
particulièrement vers midi à ceux avec lesquels ils avaient contracté
familiarité. Ces démons visitent ceux à qui ils s'attachent, en forme
d'hommes ou de bêtes, ou en se laissant enclore en un caractère, chiffre,
fiole, ou bien en un anneau vide et creux au dedans. «Ils sont connus,
ajoute Leloyer, des magiciens qui s'en servent, et, à mon grand regret, je
suis contraint de dire que l'usage n'en est que trop commun[1].»

    [Note 1: _Histoire des spectres_, liv. III, ch. IV, p. 198.]

Honsdorf en son _Théâtre es exemples du 8e commandement_, cité par
Goulart[1], dit que: «Un docteur en médecine s'oublia si misérablement que
de traiter alliance avec l'ennemi de nostre salut, qu'il avoit conjuré et
enclos dans un verre d'où ce séducteur et familier esprit lui respondoit.
Le médecin estoit heureux es guerisons des malades et amassa force escus en
ses pratiques: tellement qu'il laissa à ses enfans la somme de vingt-six
mille escus vaillant. Peu de temps avant sa mort, comme il commençoit à
penser à sa conscience, il tombe en telle fureur que tout son propos estoit
d'invoquer le diable, et vomir des blasphemes horribles contre le
Sainct-Esprit. Il rendit l'ame en ce malheureux estat.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 624.]

Goulart[1] rapporte d'après Alexandre d'Alexandrie[2] l'histoire d'un
prisonnier qui, ayant appelé le diable à son secours, avait visité les
enfers:

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 535-538.]

    [Note 2: Au livre VI, ch. XXI de ses _Jours géniaux_.]

«Le seigneur d'une villette en la principauté de Sulmona, au royaume de
Naples, se monstroit avare et superbe en son gouvernement: de telle sorte
que ses pauvres sujets ne pouvoyent subsister, ains estoyent estrangement
gourmandez de lui. Un autre homme de bien au reste, mais pauvre et
mesprisé, battit rudement pour quelque occasion certain chien de chasse
appartenant à ce seigneur, lequel griesvement irrité de la mort de son
chien, fit empoigner et emprisonner ce pauvre homme en un cachot. Au bout
de quelques jours les gardes qui tenoyent toutes les portes diligemment
closes, venans à les ouvrir selon leur coustume, pour lui donner quelque
peu de pain, ne trouvèrent point leur prisonnier en son cachot. L'ayans
cerché et recerché par tout, sans pouvoir remarquer trace ni apparence
quelconque d'evasion, finalement rapportèrent ceste merveille à leur
seigneur, qui de prime face s'en mocquoit et les menaçoit, mais entendant
puis après la vérité, ne fut pas moins estonné qu'eux. Au bout de trois
jours après ceste alarme, toutes les portes des prisons et du cachot
fermees comme devant, ce mesme prisonnier, sans le sceu d'aucun, aparut
renfermé dedans son precedent cachot, ayant face et contenance d'homme
esperdu; lequel requit que sans délai l'on le menast vers ce seigneur,
auquel il avoit à dire choses de grande importance. Y ayant esté conduit,
il raconte qu'il estoit revenu des enfers. L'occasion avoit esté que ne
pouvant plus porter la rigueur de sa prison, vaincu de desespoir, craignant
la mort, et destitué de bon conseil il avoit appellé le diable à son aide,
à ce qu'il le tirast de ceste captivité. Que tost après le malin en forme
hideuse et terrible lui estoit apparu dedans son cachot, où ils avoyent
fait accord, suyvant lequel, il avoit esté desferré et tiré non sans griefs
tourmens hors de là, puis précipité en des lieux souterrains et
merveilleusement creux, comme au fond de la terre, où il avoit veu les
cachots des meschans, leurs supplices, tenebres et miseres horribles, des
sieges puants et effrayables: des Rois, Princes, et grands Seigeurs,
plongez en des abysmes tenebreux: où ils brusloyent au feu ardent en des
tourmens indicibles: qu'il avoit veu de Papes, Cardinaux, et autres Prelats
magnifiquement vestus, et autres sortes de gens, en divers equipages,
affligez de supplices distincts, en des goufres fort profonds, où ils
estoyent tourmentez incessamment. Adjoustant qu'il y avoit reconnu
plusieurs de sa conoissance, notamment un de ses plus grands amis
d'autrefois, lequel l'avoit reconu, et enquis de son estat: le prisonnier
lui ayant raconté que leur pays estoit en main d'un rude maistre, l'autre
lui enjoignist qu'estant de retour il commandast à ce rude seigneur de
renoncer à ses tyranniques déportemens: et déclarast que s'il continuoit sa
place estoit marquée en certain siège prochain qu'il monstra au prisonnier.
Et afin (dit cest esprit au prisonnier) que le seigneur dont nous parlons
adjouste foy à ton rapport, di lui qu'il se souvienne du conseil secret et
du propos que nous eusmes ensemble, lors que nous portions les armes en
certaine guerre, et sous les chefs qu'il lui nomma. Puis il lui dit par le
menu ce secret, leur accord, les paroles et promesses réciproques:
lesquelles le prisonnier raconta distinctement les unes après les autres,
par leur ordre, à ce seigneur, lequel fut merveilleusement estonné de ce
message, s'esbahissant comme il s'estoit peu faire que les choses commises
à lui seul et qu'il n'avoit jamais descouvertes à personne, lui fussent
deschifrées si hardiment par un pauvre sien sujet, qui les representoit
comme s'il les eust leües dedans un livre. On adjouste que le prisonnier
s'estant enquis de l'autre avec lequel il devisoit es enfers s'il estoit
possible et vrai que tant de gens qu'il voyoit si magnifiquement vestus,
sentissent quelques tourmens? L'autre respondit qu'ils estoyent bruslez
d'un feu continuel, pressez de tortures et supplices indicibles, et que
tout ce parement d'or et d'escarlate n'estoit que feu ardent ainsi
coulouré. Que voulant sentir si ainsi estoit, il s'estoit aproché pour
toucher ceste escarlate; que l'autre l'avoit exhorté de s'en departir; mais
que l'ardeur de feu lui avoit grillé tout le dedans de la main laquelle il
monstroit tout rostie, et comme cuite à la braise d'un grand feu. Le pauvre
prisonnier ayant esté relasché, paroissoit à ceux qui l'aborderent s'en
retournant chez soi comme un homme tout hébété, qui n'oid ni ne void
goutte, tousjours pensif, parlant fort peu, et ne respondant presque point
aux questions qu'on lui faisoit. Son visage au reste estoit devenu si
hideux, son regard tant laid et farouche, apres ce voyage qu'a peine sa
femme et ses enfans le reconurent-ils: et le reconoissant, ne fut question
que de cris et de larmes, le contemplant ainsi changé. Il ne vescut que
fort peu de jours après ce retour, et avec beaucoup de difficulté peut-il
pourvoir à ses petites afaires, tant il estoit esperdu.»

Crespet[1] décrit la marque dont Satan frappait les siens:

    [Note 1: _De la hayne de Sathan_, p 244.]

«Or afin qu'on cognoisse que ce ne sont point songe il est tout évident,
que la marque de Sathan sur les sorciers est comme lépreuse, car pour toute
pointure d'alesnes et picqueures, le lieu est insensible, et c'est où on
les éprouve vraiment estre sorciers de profession à telle marque car ils ne
sentent la pointure non plus que s'ils étaient ladres et n'en sort jamais
goutte de sang, voire jamais on ne peut faire jecter l'arme pour tout
supplice qu'on leur puisse inférer.»

«Avec ce caractère ils reçoivent la puissance de nuire, de charmer, et en
font aussi participans leurs enfans si couvertement ou expressément, ils
donnent consentement au serment et alliance que leurs pères ont faictes
avec les diables, ou bien de ce que les mères ont soubs cette intention
dédié ou consacré leurs enfans aux démons dès qu'ils sont non seulement
naiz mais aussi conceuz, et advient souvent que par les ministeres de ces
démons quelques sorciers ont esté veu avoir deux prunelles en chaque oeil,
et d'autres le pourtraict d'un cheval en l'un, et double prunelle en
l'autre. Ce que s'est faict pour servir de marque et caractère de
l'alliance faicte avec eux. Car les démons peuvent en graver et effigier
sur la cher du tendrelet embrion tels ou semblables lignes et linéamens.»

«Ces marques, disait Jacques Fontaine[1], ne sont pas gravées par le démon
sur les corps des sorciers, pour les recognoistre seulement, comme font les
capitaines des compagnies de chevaux-légers qui cognoissent ceux qui sont
de leur compagnie par la couleur des casaques, mais pour contrefaire le
créateur de toutes choses, pour montrer sa superbe, et l'authorité qu'il a
acquise sur les misérables humains que se laissent attrapper à ses
cautelles et ruses pour le tenir en son service et subjection par la
recognoissance des marques de leur maître. Pour les empescher en tant qu'il
luy est possible, de se desdire de leurs promesses et serments de fidélité,
parce qu'en luy faisan banqueroute, les marques ne demeurent pas moins
tousjours sur leurs corps, pour, en cas d'accusation servir de moyen de les
perdre à la moindre descouverte qu'il s'en puisse faire.»

    [Note 1: _Discours des marques des sorciers et de la réelle
    possession, etc._, par Jacques Fontaine. Paris, Denis Langlois,
    1611, in-12, p. 6.]

«Un accusé nommé Louis Gaufridy, qui venoit d'être condamné au feu...
estoit marqué en plus de trente endroits du corps et principalement sur les
reins où il avait une marque de luxure si énorme et profonde, esgard au
lieu, qu'on y plantoit une esguille jusques à trois doigts de travers sans
appercevoir aucun sentiment ny aucune humeur que la picqueure rendit.»

Le même auteur établit que les marques des sorciers sont des parties
mortifiées par l'attouchement du doigt du diable.

«Vers 1591, on arrêta comme sorcière une vieille femme de quatre-vingts
ans, mendiante en Poitou. Elle se nommait Léonarde Chastenet. Confrontée
avec Mathurin Bonnevault, qui soutenait l'avoir vue au sabbat, elle
confessa qu'elle y était allée avec son mari; que le diable, qui s'y
montrait en forme de bouc, était une bête fort puante. Elle nia qu'elle eût
fait aucun maléfice. Cependant elle fut convaincue, par dix-neuf témoins,
d'avoir fait mourir cinq laboureurs et plusieurs bestiaux. Quand elle se
vit condamnée pour ces crimes reconnus, elle confessa qu'elle avait fait
pacte avec le diable, lui avait donné de ses cheveux, et promis de faire
tout le mal qu'elle pourrait; elle ajouta que la nuit, dans sa prison, le
diable était venu à elle, en forme de chat, «auquel, ayant dit qu'elle
voudrait être morte, icelui diable lui avait présenté deux morceaux de
cire, lui disant qu'elle en mangeât, et qu'elle mourrait; ce qu'elle
n'avait voulu faire. Elle avait ces morceaux de cire; on les visita, et on
ne put juger de quelle matière ils étaient composés. Cette sorcière fut
donc condamnée, et ces morceaux de cire brûlés avec elle[1].»

    [Note 1: _Discours sommaire des sortilèges et vénéfices_, tirés des
    procès criminels jugés au siège royal de Montmorillon, en Poitou,
    en l'année 1599, p. 19.]



IX.--FOURBERIES ET MÉCHANCETÉS DU DIABLE


L'argent qui vient du diable est ordinairement de mauvais aloi. Delrio
conte qu'un homme, ayant reçu du démon une bourse pleine d'or, n'y trouva
le lendemain que des charbons et du fumier.

Un inconnu, passant par un village, rencontra un jeune homme de quinze ans,
d'une figure intéressante et d'un extérieur fort simple. Il lui demanda
s'il voulait être riche; le jeune homme ayant répondu qu'il le désirait,
l'inconnu lui donna un papier plié, et lui dit qu'il en pourrait faire
sortir autant d'or qu'il le souhaiterait, tant qu'il ne le déplierait pas;
et que s'il domptait sa curiosité, il connaîtrait avant peu son
bienfaiteur. Le jeune homme rentra chez lui, secoua son trésor mystérieux,
il en tomba quelques pièces d'or... Mais, n'ayant pu résister à la
tentation de l'ouvrir, il y vit des griffes de chat, des ongles d'ours, des
pattes de crapaud, et d'autres figures si horribles, qu'il jeta le papier
au feu, où il fut une demi-heure sans pouvoir se consumer. Les pièces d'or
qu'il en avait tirées disparurent, et il reconnut qu'il avait eu affaire au
diable.

Un avare, devenu riche à force d'usures, se sentant à l'article de la mort,
pria sa femme de lui apporter sa bourse, afin qu'il pût la voir encore
avant de mourir. Quand il la tint, il la serra tendrement, et ordonna qu'on
l'enterrât avec lui, parce qu'il trouvait l'idée de s'en séparer
déchirante. On ne lui promit rien précisément; et il mourut en contemplant
son or. Alors on lui arracha sa bourse des mains, ce qui ne se fit pas sans
peine. Mais quelle fut la surprise de la famille assemblée, lorsqu'en
ouvrant le sac on y trouva, non plus des pièces d'or, mais deux
crapauds!... Le diable était venu, et en emportant l'âme de l'usurier, il
avait emporté son or, comme deux choses inséparables et qui n'en faisaient
qu'une[1].

    [Note 1: Caesarii, _Hist. de morientibus_, cap. XXXIX _Mirac._ lib.
    II.]

Voici autre chose: Un homme qui n'avait que vingt sous pour toute fortune
se mit à vendre du vin aux passants. Pour gagner davantage, il mettait
autant d'eau que de vin dans ce qu'il vendait. Au bout d'un certain temps,
il amassa, par cette voie injuste, la somme de cent livres. Ayant serré cet
argent dans un sac de cuir, il alla avec un de ses amis faire provision de
vin pour continuer son trafic; mais, comme il était près d'une rivière, il
tira du sac de cuir une pièce de vingt sous pour une petite emplette; il
tenait le sac dans la main gauche et la pièce dans la droite; incontinent
un oiseau de proie fondit sur lui et lui enleva son sac, qu'il laissa
tomber dans la rivière. Le pauvre homme, dont toute la fortune se trouvait
ainsi perdue, dit à son compagnon: Dieu est équitable; je n'avais qu'une
pièce de vingt sous quand j'ai commencé à voler; il m'a laissé mon bien, et
m'a ôté ce que j'avais acquis injustement[1].

    [Note 1: Saint Grégoire de Tours, livre des _Miracles_.]

Un étranger bien vêtu, passant au mois de septembre 1606 dans un village de
la Franche-Comté, acheta une jument d'un paysan du lieu pour la somme de
dix-huit ducatons. Comme il n'en avait que douze dans sa bourse, il laissa
une chaîne d'or en gage du reste, qu'il promit de payer à son retour. Le
vendeur serra le tout dans du papier, et le lendemain trouva la chaîne
disparue, et douze plaques de plomb au lieu des ducatons[1].

    [Note 1: Boguet, _Discours des sorciers_.]

«M. Remy, dans sa _Démonolâtrie_[1], parle de plusieurs personnes qu'il a
ouïes en jugement en sa qualité de lieutenant général de Lorraine, dans le
temps où ce pays fourmilloit de sorciers et de sorcières: ceux d'entre eux
qui croyoient avoir reçu de l'argent du démon, ne trouvoient dans leurs
bourses que des morceaux de pots cassés et des charbons, ou des feuilles
d'arbres, ou d'autres choses aussi viles et aussi méprisables.»

    [Note 1: Ch. IV, ann. 1705, cité par dom Calmet, dans le _Traité
    sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 271.]

«Le R.P. Abram, jésuite, dans son Histoire manuscrite de l'Université de
Pont-à-Mousson, rapporte, dit dom Calmet[1], qu'un jeune garçon de bonne
famille, mais peu accommodé, se mit d'abord à servir dans l'armée parmi les
goujats et les valets: de là ses parens le mirent aux écoles, mais ne
s'accommodant pas de l'assujettissement que demandent les études, il les
quitta, résolu de retourner à son premier genre de vie. En chemin il eut à
sa rencontre un homme vêtu d'un habit de soie, mais de mauvaise mine, noir
et hideux, qui lui demanda où il alloit, et pourquoi il avoit l'air si
triste: Je suis, lui dit cet homme, en état de vous mettre à votre aise, si
vous voulez vous donner à moi. Le jeune homme croyant qu'il vouloit
l'engager à son service, lui demanda du tems pour y penser; mais commençant
à se défier des magnifiques promesses qu'il lui faisoit, il le considéra de
plus près, et ayant remarqué qu'il avoit le pied gauche fendu comme celui
d'un boeuf, il fut saisi de frayeur, fit le signe de la croix, et invoqua
le nom de Jésus; aussitôt le spectre disparut. Trois jours après la même
figure lui apparut de nouveau, et lui demanda s'il avoit pris sa
résolution: le jeune homme lui répondit qu'il n'avoit pas besoin de maître.
Le spectre lui dit: Où allez-vous? Je vais, lui répondit-il, à une telle
ville qu'il lui nomma. En même tems, le démon jetta à ses pieds une bourse
qui sonnoit, et qui se trouva pleine de trente ou quarante écus de
Flandres, entre lesquels il y en avoit environ douze qui paroissoient d'or,
nouvellement frappés, et comme sortant de dessous le coin du monnoyeur.
Dans la même bourse il y avoit une poudre que le spectre disoit être une
poudre très subtile. En même tems il lui donnoit des conseils abominables
pour contenter les plus honteuses passions, et l'exhortoit à renoncer à
l'usage de l'eau bénite et à l'adoration de l'hostie qu'il nommoit par
dérision ce petit gâteau. L'enfant eut horreur de ses propositions, fit le
signe de la croix sur son coeur; et en même temps il se sentit si rudement
jetté contre terre qu'il y demeura demi mort pendant une demi heure.
S'étant relevé, il s'en retourna chez sa mère, fit pénitence et changea de
conduite. Les pièces qui paroissoient d'or et nouvellement frappées, ayant
été mises au feu, ne se trouvèrent que de cuivre.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 272.]

Le diable engage quelquefois à faire des oeuvres de piété.

«L'an 1559, dit Bodin[1], le dix-septième jour de décembre, au village de
Loen, en la comté de Juilliers, le curé osa bien interroguer le diable, qui
tenoit une fille assiégée, si la messe estoit bonne et pourquoy il poussoit
et contraignoit la fille d'aller soudain à la messe, quand on sonnoit la
cloche. Satan respondit qu'il vouloit y aviser. C'estoit révoquer en doute
le fondement de sa religion et en faire juge Satan. Or Jean de Sarisber, en
son _Policratic_, livre II, chap. XXVI, parlant de ses beaux
interrogatoires, dit: Les malins esprits sont si rusez, qu'ils feignent
avec beaucoup de sollicitude qu'ils ne font que par force ce qu'ils font de
leur plein gré. On diroit qu'ils sont contraints, et ils font qu'on les
tire des lieux où ils sont, en vertu des exorcismes: et afin que l'on n'y
prenne garde de si près, ils dressent des exorcismes comme au nom du
Seigneur, ou en la foy de la saincte Trinité ou en la vertu de
l'incarnation et de la passion, puis les suggèrent aux hommes et obéissent
aux exorcistes jusques à tant qu'ils les ayent envelopez avec eux en mesme
crime de sacrilège et peine de damnation.»

    [Note 1: _Démonomanie_, livre III, ch. dernier.]

«Jean Wier récite, continue Bodin[1], qu'il a veu une fille demoniaque en
Alemagne, laquelle interrogée par un exorciste, Satan respondit qu'il
faloit que la fille allast en pelerinage à Marcodur, ville eslongnée de
quelques lieues, que de trois pas l'un elle s'agenouillast, et fist dire la
messe sur l'autel Saincte-Anne, et qu'elle seroit délivrée, predisant le
signal de sa delivrance à la fin de la messe. Ce qui fut fait, et sur la
fin de la messe, elle et le prestre virent un fantosme blanc, et fut ainsi
delivrée.»

    [Note 1: _Démonomanie_, livre III, dernier chap.]

«Nous avons vu un autre exemple, dit Bodin[1], de Philippe Woselich,
religieux de Cologne en l'abbaye de Kructen, lequel fut assiégé d'un démon,
l'an 1550. Le malin esprit interrogué dit à l'exorciste, qu'il estoit l'âme
du feu abbé, nommé Mathias de Dure, pource qu'il n'avoit payé le peintre,
lequel avoit si bien peint l'image de la Vierge Marie, et que le religieux
ne pouvoit estre delivré s'il n'alloit en voyage à Treves et Aix la
Chapelle, ce qui fut fait; et le religieux ayant obéi fut délivré.»

    [Note 1: _Démonomanie_, livre III, dernier chap.]

Bodin[1] cite encore cette histoire, «notoire aux Parisiens, advenue en la
ville de Paris, en la rue Sainct-Honoré, au Cheval rouge. Un passementier
avoit atiré sa niepce chez luy la voyant orpheline. Certain jour la fille
priant sur la fosse de son père à Sainct-Gervais, Satan se présente à elle
seule, en forme d'homme grand et noir, lui prenant la main et disant:
M'amie, ne crain point, ton pere et ta mere sont bien. Mais il faut dire
quelques messes et aller en voyage à Nostre Dame des Vertus, et ils iront
droit en paradis. La fille demande à cet esprit si soigneux du salut des
hommes qui il estoit: Il répondit qu'il estoit Satan, et qu'elle ne
s'estonna point. La fille fit ce qui lui estoit commandé. Quoy fait il lui
dit qu'il faloit aller en voyage à Sainct-Jacques. Elle respondit: Je ne
sçaurois aller si loin. Depuis Satan ne cessa de l'importuner, parlant
familièrement à elle seule faisant sa besogne, lui disant ces mots: Tu es
bien cruelle; elle ne voudroit pas mettre ses cizeaux au sein pour l'amour
de moy. Ce qu'elle faisoit pour le contenter et s'en despêcher. Mais cela
fait il lui demandoit en don quelque chose, jusques à de ses cheveux, dont
elle lui donna un floquet. Quelques jours après il voulut lui persuader de
se jetter dedans l'eau, tantost qu'elle s'estranglast, lui mettant au col à
ceste fin la corde d'un puits; mais elle cria tellement qu'il ne poursuivit
point. Combien que son oncle voulant un jour la revancher fut si bien
battu, qu'il demeura malade au lict plus de quatre jours. Une autre fois
Satan voulut la forcer et conoistre charnellement, et pour la résistance
qu'elle fit, elle fut battue jusques à effusion de sang. Entre plusieurs
qui virent cette fille fut un nommé Choinin, secretaire de l'evesque de
Valence, lequel lui dit qu'il n'y avoit plus beau moyen de chasser l'esprit
qu'en ne lui respondant rien de ce qu'il diroit: encore qu'il commandast de
prier Dieu, ce qu'il ne fait jamais qu'en le blasphémant et le conjoignant
tousjours avec ses créatures par irrision. De fait Satan voyant que la
fille ne lui respondoit rien, ni ne faisoit chose quelconque pour lui la
print et la jetta contre terre, et de puis elle ne vid rien. M. Amiot,
evesque d'Auxerre et le curé de la fille n'y avoyent sceu remédier.»

    [Note 1: Au 3e livre de la _Démonomanie_, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_.]

Goulart raconte, d'après Hugues Horst[1] que, «l'an 1584 au marquisat de
Brandebourg furent veus plus de huict vingts personnes démoniaques qui
proferaient choses esmerveillables, conoissoyent et nommoyent ceux qu'ils
n'avoyent jamais veus: entre ces personnes on en remarquoit qui longtemps
auparavant estoyent décesdez, lesquels cheminoyent criant qu'on se
repentist et qu'on quittast les dissolutions en habits, et dénonçoient le
jugement de Dieu, avouans qu'il leur estoit recommandé de par le souverain
de publier, maugré bongré qu'ils en eussent, qu'on s'amendast et qu'ainsy
les pecheurs fussent ramenez au droit chemin. Ces démoniaques faisoyent
rage par où ils passoient, vomissoyent une infinité d'outrages contre
l'église, ne parloient que d'apparitions de bons et de mauvais anges; le
diable se monstroit sous diverses semblances; lorsque le sermon se faisoit
au temple, il voloit en l'air avec grand sifflement, et parfois crioit:
_Hui, Hui_: semant par les places des esguillettes des pièces de monnoye
d'or et d'argent.»

    [Note 1: Hugues Horst, _Histoire de la dent d'or de l'enfant
    silésien_.]

«En la province de Carthagène, dit Goulart[1], quand le malin esprit veut
espouvanter ceux du pays, il les menace des huracans[2]. De fait quelques
fois il en suscite de si estranges, qu'ils emportent les maisons,
desracinent les arbres et renversent (par maniere de dire) les montagnes
sans dessus dessous. Oviedo raconte que une fois en passant sur une
montagne de la terre ferme des Indes, il vid un terrible mesnage. Cette
montagne (dit-il) estoit toute couverte d'arbres grands et petits entassez
espais, l'un sur l'autre, l'espace de plus de trois quarts de lieue, et y
en avoit beaucoup d'arrachez hors de terre avec toutes leurs racines, qui
montoyent autant que tout le reste. Chose si espouvantable que seulement à
la voir elle donnoit frayeur à tous ceux qui la regardoyent comme jugeans
que c'estoit là plustost une oeuvre diabolique que naturelle.» (_Somm. de
l'Inde occidentale_, chapitre II.)

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 772.]

    [Note 2: Ouragans.]


Érasme rapporte dans ses épîtres cette histoire recueillie par un auteur
anonyme[1]:

    [Note 1: _Histoires prodigieuses extraictes de plusieurs fameux
    auteurs_, Paris, Jean de Bordeaux, 1571, 2 vol. in-18, p. 336.]

«Mais cecy est trop plus que véritable que naguère elle (Schiltach à huit
lieues de Fribourg) a esté presque toute bruslée l'an 1533, le jeudy avant
Pasques, et comme cela est advenu, voicy comme on l'a déposé véritablement
devant le magistrat, ainsy que je l'ay ouy réciter à Henry Glaréan: c'est
que le diable faisant signe en sifflant en quelque certaine maison, du
hault d'icelle, il y eut un hostellier se tenant en icelle qui estimant que
ce fut quelque larron, monta en hault mais n'y trouva personne, et soudain
il oyt le mesme signe plus hault encore que la première fois, il y remonte,
pour suivre, et empoigner le larron s'il le trouvoit par cas d'adventure;
mais y estant, il ne voit rien, trop bien entendit-il le sifflet sur le
feste de la cheminée: ce qui lui feit penser que c'estoit quelque illusion
et ruse diabolique, et pour ce il encouragea les siens et feit appeler les
ecclésiastiques: voicy deux prestres arrivez qui font leurs exorcismes et
adjurations, il respond et confesse franchement quel il estoit, et enquis à
quelle fin il estoit là venu ne faignit de respondre que c'estoit pour
brûler toute la susdite ville. Les gens d'église se mirent à l'adjurer, et
le menacer, mais il dit qu'il ne craignoit point leurs parolles ny menaces
à cause que l'un d'eux estoit paillard et tous les deux larrons. Peu de
temps après, il prit et porta sur la cheminée une femme avec laquelle il
avoit hanté l'espace de quatorze ans, quoyque tous les ans elle allast à
confesse et reçeut le sainct sacrement, à laquelle il mit en main un pot à
feu, et luy commande de l'espandre. Cas merveilleux, elle l'espand, et tout
sur l'heure, toute la ville fut arse et réduite en cendres, par le fait du
diable, s'aidant du ministère de cette sorcière, et laquelle fut depuis
aussi bruslée.»

Camerarius[1] ajoute à propos de l'incendie diabolique de Sciltac ou
Schiltach que «le feu tomboit çà et là sur les maisons, en forme de boulets
enflammez, et quand quelques-uns couroyent pour aider à esteindre
l'embrasement chez leurs voisins, on les rappelloit incontinent pour
secourir leurs propres maisons. On eut toutes les peines du monde à
empescher qu'un chasteau basti de pierre de taille, et assez loin de la
ville ne fust consommé de cest embrasement. J'ay entendu les particularitez
de cette terrible visitation de la bouche propre du curé du lieu et
d'autres habitans dignes de foy, qui avoyent été spectateurs de tout. Le
curé me racontoit que ce malin et cruel esprit contrefaisoit au naturel les
chants, ramages et mélodies de divers oiseaux. Plusieurs qui me tenoyent
compagnie, s'esbahissoyent avec moi de voir que ce curé avoit comme une
couronne entour ses longs cheveux qu'il portoit à l'antique, toute de
diverses couleurs, et disoit que cela lui avoit esté fait par cest esprit,
lequel lui jetta un cercle de tonneau à la teste. Il adjoustoit que le
mesme esprit lui demanda un jour et à quelques autres s'ils avoyent jamais
ouy crailler un corbeau? Que là dessus cest ennemi avoit crouassé si
horriblement que tous tant qu'ils estoyent demeurèrent si esperdus que si
ce ramage infernal eust duré tant soit peu plus longtemps, ils fussent tous
transsis de peur. Outre plus, ce vieillard affirmoit, non sans rougir, que
souventes fois cest ennemi de salut deschifroit à lui et aux autres hommes
qui l'accompagnoient, tous les pechez secrets par eux commis, si exactement
que tous furent contraints de quiter la place et se retirer en leurs
maisons: tant ils estoyent confus.»

    [Note 1: Dans ses _Méditations historiques_, ch. LXXIV, cité par
    Goulart dans son _Thrésor d'histoires admirables_.]

«Un jour, dit Flodoard (historien, né à Épernay en 894, et qui a écrit
l'histoire de l'église de Reims), un jour, saint Remi, archevêque de Reims,
était absorbé en prières dans une église de sa ville chérie. Il remerciait
Dieu d'avoir pu soustraire aux ruses du démon les plus belles âmes de son
diocèse, lorsqu'on vint lui annoncer que toute la ville était en feu. Alors
la brebis devint lion, la colère monta au visage du saint, qui frappa du
pied les dalles de l'église avec une énergie terrible et s'écria: Satan je
te reconnais; je n'en ai donc pas encore fini avec ta méchanceté!

«On montre encore aujourd'hui, encastrée dans les pierres du portail
occidental de Saint-Remi de Reims, la pierre où sont très visiblement
empreintes les traces du pied irrité de saint Remi.

«Le saint s'arma de sa crosse et de sa chape comme un guerrier de son épée
et de sa cuirasse, et vola à la rencontre de l'ennemi. A peine eut-il fait
quelques pas qu'il aperçut des gerbes de flammes qui dévoraient, avec une
furie que rien n'arrêtait, les maisons de bois dont la ville était bâtie et
les toits de chaume dont ces maisons étaient couvertes. A la vue du saint,
l'incendie sembla pâlir et diminuer. Remi, qui connaissait l'ennemi auquel
il avait affaire, fit un signe de croix, et l'incendie recula.

«A mesure que le saint avançait en faisant des signes de croix, l'incendie
lâchait prise et fuyait, comme fasciné devant la puissance de l'évêque; on
aurait dit un être intelligent et qui comprenait sa faiblesse. Quelquefois
il se raidissait; il reprenait courage; il cherchait à cerner le saint dans
une enveloppe de feu, à l'aveugler, à le réduire en cendres. Mais toujours
un redoutable signe de croix parait les attaques et arrêtait les ruses.

«Forcé de reculer ainsi, de lâcher succcessivement toutes les maisons qu'il
avait entamées, l'incendie vint s'abattre aux pieds de l'évêque, comme un
animal dompté; il se laissa prendre et conduire à la volonté du saint, hors
de la ville, dans les fossés qui fortifient encore Reims. Là, Remi ouvrit
une porte, qui donnait dans un souterrain; il y précipita les flammes,
comme on jette dans un gouffre un malfaiteur, et fit murer la porte.

«Sous peine d'anathème, sous peine de la ruine du corps et de la mort de
l'âme, il défendit d'ouvrir à jamais cette porte. Un imprudent, un curieux,
un sceptique peut-être, voulut braver la défense et entr'ouvrir le gouffre.
Mais il en sortit des tourbillons de flammes qui le dévorèrent et
rentrèrent ensuite d'elles-mêmes dans le trou où la volonté toujours
vivante du saint les tenait enchaînées...»

«Voilà bien le démon de l'incendie; voilà bien, comme le fait remarquer M.
Guizot, dans la préface de Flodoard qu'il a traduit, une bataille épique,
aussi belle que la bataille d'Achille contre le Xante: Le fleuve est un
demi-dieu, l'incendie est un démon. C'est aussi beau que dans Homère[1].»

    [Note 1: M. Didron, _Histoire du diable_.]

Goulart[1] rapporte, d'après Godelman[2], une histoire qui montre le
dangereux fruit des imprécations: «Un gentil-homme ayant convié quelques
amis, et l'heure du somptueux festin venuë, se voyant frustré par l'excuse
des conviez, entre en cholere, et commence à dire: Puisque nul homme ne
daigne estre chez moi, que tous les diables y vienent. Quoy dit, il sort de
sa maison, et entre au temple, où le pasteur de l'église preschoit, lequel
il escoute assez longtemps et attentivement. Comme il estoit là, voici
entrer en la cour du logis des hommes à cheval, de haute petarure tout
noirs, qui commandent au valet de ce gentil-homme d'aller dire à son
maistre, que ses hostes estoyent arrivez. Le valet tout effrayé court au
temple, avertit son maistre, lequel bien estonné demande avis au pasteur.
Icelui finissant son sermon conseille qu'on face sortir toute la famille
hors du logis. Aussi tost dit, aussi tost executé: mais de haste que ces
gens eurent de desloger, ils laissèrent dedans la maison un petit enfant
dormant au berceau. Ces hostes, c'est-à-dire les diables, commencent à
remuer les tables, à hurler, à regarder par les fenestres, en forme d'ours,
de loups, de chats, d'hommes terribles, tenans es pattes des verres pleins
de vin, des poissons, de la chair rostie et bouillie. Comme les voisins, le
gentilhomme, le pasteur et autres contemployent en grand frayeur un tel
spectacle, le pauvre pere commence à crier: Hélas, où est mon enfant! Il
avoit encore le dernier mot en la bouche, quand un de ces hostes noirs
apporte en ses bras l'enfant aux fenestres et le monstre à tous ceux qui
estoyent en rue. Le gentil-homme tout esperdu, se prend à dire à celui de
ses serviteurs auquel il se fioit le plus: Mon ami, que feroi-je? Monsieur,
répond le serviteur, je remettrai et recommanderai ma vie à Dieu, puis au
nom d'icelui j'entrerai dans la maison, d'où moyennant sa faveur et son
secours, je vous rapporteray l'enfant. A la bonne heure, dit le maistre,
Dieu t'accompagne, t'assiste et fortifie. Le serviteur ayant reçeu la
bénédiction du pasteur et d'autres gens de bien qui l'accompagnoyent, entre
au logis, et aprochant du poisle où estoyent ces hostes tenebreux, se
prosterne à genoux, se recommande à Dieu, puis ouvre la porte, et void les
diables en horrible forme, les uns assis, les autres debout, aucuns se
pourmenans, autres rampans contre le planché, qui tous accourent à lui
crians ensemble: _Hui, hui_, que viens-tu faire ceans? Le serviteur suant
de destresse, et neantmoins fortifié de Dieu, s'adresse au malin qui tenoit
l'enfant, et lui dit: Ça, baille moy cest enfant. Non feray, répond
l'autre: il est mien. Va dire à ton maistre, qu'il viene le recevoir. Le
serviteur insiste, et dit: Je fai la charge que Dieu m'a commise, et sçai
que tout ce que je fai selon icelle lui est agreable. Pourtant à l'esgard
de mon office, au nom, en l'assistance et vertu de Jésus-Christ, je
t'arrache et saisi cest enfant, lequel je reporte à son pere. Ce disant, il
empoigne l'enfant, puis le serre estroittement en ses bras. Les hostes
noirs ne respondent que cris effroyables et ces mots: _Hui_ meschant, _hui_
garnement, laisse, laisse cest enfant: autrement nous te despecerons. Mais
lui mesprisant leurs menaces sortit sain et sauf, et rendit l'enfant de
mesmes es mains du gentil-homme son père. Quelques jours après tous ces
hostes s'esvanouirent, et le gentil-homme devenu sage et bon chrestien,
retourna en sa maison.

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 290.]

    [Note 2: En son traité _De magis, veneficis, etc._, liv. I, ch. I.]

Le diable aime à punir les méchants: Job Fincel[1] rapporte que «l'an 1532,
un gentil-homme aleman cruel envers ses sujets, commanda à certain paysan
de lui aller querir en la forest prochaine un grand chesne, et le lui
amener en sa maison, à peine d'estre rudement chastié. Le paysan tenant
cela comme impossible, part en souspirant et larmoyant. Entré dedans la
forest, il rencontre un homme (c'estoit l'ennemi) qui lui demande la cause
de sa tristesse? A quoy le paysan satisfit, l'autre lui ayant commandé de
s'en retourner, promet de donner ordre que le gentil-homme auroit bien tost
un chesne. A peine le paysan estoit de retour au village que son homme de
la forest jette tout contre la porte du gentil-homme et en travers un des
plus gros et grands chesnes qu'on eust peu choisir, avec ses branches et
rameaux. Qui plus est cest arbre se rendit dur comme fer tellement qu'il
fust impossible de le mettre en pieces, au moyen de quoy le gentil-homme se
vid contraint à sa honte, fascherie et dispense de percer sa maison en
autre endroit et y faire fenestres et portes nouvelles.»

    [Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. I,
    p. 540.]

On trouve sur le chapitre des malices du diable des légendes bien naïves.
Il y avait à Bonn, dit Césaire d'Heisterbach, un prêtre remarquable par sa
pureté, sa bonté et sa dévotion. Le diable se plaisait à lui jouer de
petits tours de laquais: lorsqu'il lisait son bréviaire, l'esprit malin
s'approchait sans se laisser voir, mettait sa griffe sur la leçon du bon
curé et l'empêchait de finir; une autre fois il fermait le livre, ou
tournait le feuillet à contretemps. Si c'était la nuit, il soufflait la
chandelle. Le diable espérait se donner la joie de mettre sa victime en
colère; mais le bon prêtre recevait tout cela si bien et résistait si
constamment à l'impatience, que l'importun esprit fut obligé de chercher
une autre dupe[1].

    [Note 1: Caesarii Heisterb. _Miracul._ lib. V, cap. LIII.]

Un historien suisse rapporte qu'un baron de Regensberg s'était retiré dans
une tour de son château de Bâle pour s'y adonner avec plus de soin à
l'étude de l'Écriture sainte et aux belles-lettres. Le peuple était
d'autant plus surpris du choix de cette retraite, que la tour était habitée
par un démon. Jusqu'alors le démon n'en avait permis l'entrée à personne;
mais le baron était au-dessus d'une telle crainte. Au milieu de ses
travaux, le démon lui apparaissait, dit-on, en habit séculier, s'asseyait à
ses côtés, lui faisait des questions sur ses recherches, et s'entretenait
avec lui de divers objets, sans jamais lui faire aucun mal. L'historien
crédule ajoute que, si le baron eût voulu exploiter méthodiquement ce
démon, il en eût tiré beaucoup d'éclaircissements utiles[1].

    [Note 1: _Dictionnaire d'anecdotes suisses_, p. 82.]

Cassien parle de plusieurs esprits ou démons de la même trempe qui se
plaisaient à tromper les passants, à les détourner de leur chemin et à leur
indiquer de fausses routes, le tout par malicieux divertissement[1].

    [Note 1: Cassiani collat. VII, cap. XXXII.]

Un baladin avait un démon familier, qui jouait avec lui et se plaisait à
lui faire des espiègleries. Le matin il le réveillait en tirant les
couvertures, quel que froid qu'il fît; et quand le baladin dormait trop
profondément, son démon l'emportait hors du lit et le déposait au milieu de
la chambre[1].

    [Note 1: Guillelmi Parisiensis, partie II, princip., cap. VIII.]

Pline parle de quelques jeunes gens qui furent tondus par le diable.
Pendant que ces jeunes gens dormaient, des esprits familiers, vêtus de
blanc, entraient dans leurs chambres, se posaient sur leur lit, leur
coupaient les cheveux proprement, et s'en allaient après les avoir répandus
sur le plancher[1].

    [Note 1: Pline, lib. XVI, epist. arg. 7.]



LES BONS ANGES


Les Juifs, à l'exception des saducéens, admettaient et honoraient les
anges, en qui ils voyaient, comme nous, des substances spirituelles,
intelligentes, et les premières en dignité entre les créatures.

Les rabbins, qui placent la création des anges au second jour, ajoutent
qu'ayant été appelés au conseil de Dieu, lorsqu'il voulut former l'homme,
leurs avis furent partagés, et que Dieu fit Adam à leur insu, pour éviter
leurs murmures. Ils reprochèrent néanmoins à Dieu d'avoir donné trop
d'empire à Adam. Dieu soutint l'excellence de son ouvrage, parce que
l'homme devait le louer sur la terre, comme les anges le louaient dans le
ciel. Il leur demanda ensuite s'ils savaient le nom de toutes les
créatures? Ils répondirent que non; et Adam, qui parut aussitôt, les récita
tous sans hésiter, ce qui les confondit.

L'Écriture Sainte a conservé quelquefois aux démons le nom d'anges, mais
anges de ténèbres, anges déchus ou mauvais anges. Leur chef est appelé le
grand dragon et l'ancien serpent, à cause de la forme qu'il prit pour
tenter la femme.

Zoroastre enseignait l'existence d'un nombre infini d'anges ou d'esprits
médiateurs, auxquels il attribuait non seulement un pouvoir d'intercession
subordonné à la providence continuelle de Dieu, mais un pouvoir aussi
absolu que celui que les païens prêtaient à leur dieux[1]. C'est le culte
rendu à des dieux secondaires, que saint Paul a condamné[2].

    [Note 1: Bergier, _Dictionnaire théologique_.]

    [Note 2: Coloss., cap. II, vers. 18.]

Les musulmans croient que les hommes ont chacun deux anges gardiens, dont
l'un écrit le bien qu'ils font, et l'autre, le mal. Ces anges sont si bons,
ajoutent-ils, que, quand celui qui est sous leur garde fait une mauvaise
action, ils le laissent dormir avant de l'enregistrer, espérant qu'il
pourra se repentir à son réveil.

Les Persans donnent à chaque homme cinq anges gardiens, qui sont placés: le
premier à sa droite pour écrire ses bonnes actions, le second à sa gauche
pour écrire les mauvaises, le troisième devant lui pour le conduire, le
quatrième derrière pour le garantir des démons, et le cinquième devant son
front pour tenir son esprit élevé vers le prophète. D'autres en ce pays
portent le nombre des anges gardiens jusqu'à cent soixante.

Les Siamois divisent les anges en sept ordres, et les chargent de la garde
des planètes, des villes, des personnes. Ils disent que c'est pendant qu'on
éternue que les mauvais anges écrivent les fautes des hommes.

Les théologiens admettent neuf choeurs d'anges, en trois hiérarchies: les
séraphins, les chérubins, les trônes;--les dominations, les principautés,
les vertus des cieux;--les puissances, les archanges et les anges.

Parce que des anges, en certaines occasions où Dieu l'a voulu, ont secouru
les Juifs contre leurs ennemis, les peuples modernes ont quelquefois
attendu le même prodige. Le jour de la prise de Constantinople par Mahomet
II, les Grecs schismatiques, comptant sur la prophétie d'un de leurs
moines, se persuadaient que les Turcs n'entreraient pas dans la ville, mais
qu'ils seraient arrêtés aux murailles par un ange armé d'un glaive, qui les
chasserait et les repousserait jusqu'aux frontières de la Perse. Quand
l'ennemi parut sur la brèche, le peuple et l'armée se réfugièrent dans le
temple de Sainte-Sophie, sans avoir perdu tout espoir; mais l'ange n'arriva
pas, et la ville fut saccagée.

Cardan raconte qu'un jour qu'il était à Milan, le bruit se répandit tout à
coup qu'il y avait un ange dans les airs au-dessus de la ville. Il accourut
et vit, ainsi que deux mille personnes rassemblées, un ange qui planait
dans les nuages, armé d'une longue épée et les ailes étendues. Les
habitants s'écriaient que c'était l'ange exterminateur; et la consternation
devenait générale, lorsqu'un jurisconsulte fit remarquer que ce qu'on
voyait n'était que la représentation, qui se faisait dans les nuées, d'un
ange de marbre blanc placé au haut du clocher de Saint-Gothard.

«Plusieurs ont douté, dit Loys Guyon[1], si les anges qu'on appelle
autrement intelligences, qui sont composez de substances incorporées,
ministres, ambassadeurs et légats de Dieu, avoyent des corps humains ainsi
qu'il se trouve escrit au dixiesme chapitre des Actes, de la vision d'un
ange qui fut envoyé à Corneille, et qui parla à luy. Par les discours qu'il
fait à ses amis, une fois il l'appelle homme, autrefois ange. Moyse
pareillement appelle indifféremment maintenant anges, maintenant hommes,
ceux qui apparurent à Abraham, estans vestus de corps humains. Et comme
aussi en plusieurs autres passages de l'Escriture Saincte, il se trouve de
telles choses.

    [Note 1: _Diverses leçons_, t. II, p. 9.]

«Tous théologiens catholiques tiennent que ces anges avoyent des corps
humains, lesquels Dieu par son seul commandement leur avoit crée
impassibles, sans aucune matière prejacente, et si tost qu'ils avoyent
exploité ce qui leur avoit esté enjoint, les corps revenoyent à rien, comme
ils avoyent esté crées de rien. Et quant à leurs vestemens, la Saincte
Escriture les dit estre ordinairement blancs et reluisans. Les évangelistes
rendent tesmoignage, qu'il y avoit une esmerveillable splendeur aux
vestemens de Jésus-Christ, quand il fut transfiguré en la montagne saincte,
et là manifesta sa gloire à trois de ses disciples. Ils en disent autant
des anges qui ont esté envoyez pour tesmoigner la resurrection de
Jésus-Christ.

«Tout ainsi que Nostre-Seigneur s'accommode jusques à nostre infirmité, il
commande à ses anges de descendre sous la forme de nostre chair, aussi
sème-il sur eux quelque rayon de gloire, à fin que ce qu'il leur a commis
de nous commander, soit reçeu en plus grande certitude et reverence et ne
faut douter que les corps semblables à ceux des humains sont donnez aux
anges, aussi tost les habillemens se reduisent à néant, et eux remis en
leur première nature, et que toutesfois ils n'ont esté sujets à aucunes
infirmitez humaines, pendant qu'ils ont estez veus en forme d'homme. Et
voila comme le doute de plusieurs sera osté touchant les corps des anges,
et leurs vestemens. Aussi que si ces anges n'avoyent des organes, comme les
autres hommes, ils ne pourroyent parler ni faire autres fonctions humaines,
comme firent ceux qui osterent la grosse tombe et pierre qui estoit sur le
sepulchre de Jésus-Christ.

«Il faut aussi noter la difference qu'il y a entre l'ame raisonnable et
intelligence ou angelique nature. Parce que l'ame raisonnable est unie au
corps et ensemble font une chose qui est l'homme, combien qu'elle puisse
subsister à part ou separément. Mais la nature angelique n'est point unie
au corps, mais sa création porte de subsister par soy. Toutesfois
extraordinairement pour un peu de temps, et encore fort rarement Dieu crée
quant il lui plaît un corps humain de rien à ses anges, qui retourne à
rien.»

«Simon Grynee, très docte personnage, estant allé, dit Goulart[1], l'an
1529, de Heidelberg à Spire, où se tenoit une journée impériale, voulut
ouyr certain prescheur, fort estimé à cause de son eloquence. Mais ayant
entendu divers propositions contre la majesté et vérité du fils de Dieu, au
sortir du sermon, il suit le prescheur, le salue honorablement, et le prie
d'estre supporté en ce qu'il avoit à dire. Ils entrent doucement en propos.
Grynee lui remonstre vivement et gravement les erreurs par lui avancez, lui
ramentoit ce qu'avoit accoustumé faire sainct Polycarpe, disciple des
apostres, s'il lui avenoit d'ouyr des faussetez et blasphesmes en l'eglise.
L'exhortant au nom de Dieu de penser à sa conscience et se departir de ses
opinions erronées. Le prescheur demeure court, et feignant un désir de
conferer plus particulièrement, comme ayant haste de se retirer chez soy,
demande à Grynee son nom, surnom, logis, et le convie à l'aller voir le
lendemain pour deviser amplement, et demonstre affectionner l'amitié de
Grynee, adjoustant que le public recueilleroit un grand profit de ceste
leur conference. Outre plus il monstre sa maison à Grynee, lequel delibere
se trouver à l'heure assignée, se retire en son hostellerie. Mais le
prescheur irrité de la censure qui lui avoit esté faite, bastit en sa
pensée une prison, un eschaffaut et la mort à Grynee: lequel disnant avec
plusieurs notables personnages leur raconta les propos qu'il avoit tenus à
ce prescheur. La dessus on appelle le docteur Philippe, assis à table
aupres de Grynee, lequel sort du poisle, et trouve un honorable vieillard,
beau de visage, honorablement habillé, inconnu, qui de parole grave et
amiable, commence à dire que dedans l'heure d'alors arriveroyent en
l'hostellerie des officiers envoyez de la part du roy des Romains, pour
mener Grynee en prison. Le vieillard adjouste en commandement à Grynee de
desloger promptement hors de Spire, exhortant Philippe a ne differer
davantage. Et sur ce le vieillard disparoit. Le docteur Philippe, lequel
raconte l'histoire en son _Commentaire sur le prophète Daniel_, chapitre
dixiesme, adjouste ces mots: Je revin vers la compagnie, je leur commande
de sortir de table, racontant ce que le vieillard m'avoit dit. Soudain nous
traversons la grande place ayant Grynee au milieu de nous, et allons droict
au Rhin, que Grynee passe promptement avec son serviteur dedans un esquif.
Le voyans à sauveté, nous retournons à l'hostellerie, où l'on nous dit
qu'incontinent après nostre départ, les sergens estoyent venus cercher
Grynee.»

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 129.]

André Honsdorf[1] raconte l'histoire suivante de l'apparition d'un ange à
une pauvre femme:

    [Note 1: En son _Théâtre d'exemples_, cité par Goulart dans son
    _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 130.]

«L'an 1539, au commencement de juin, une honneste femme veufve, chargée de
deux fils, au pays de Saxe, n'ayant de quoi vivre en un temps de griefve
famine, se vestit de ses meilleurs habits, et ses deux fils aussi, prenant
son chemin vers certaine fontaine, pour y prier Dieu qu'il lui pleust avoir
pitié d'eux pour les soulager. En sortant, elle rencontre un homme
honorable, qui la salue doucement, et après quelques propos, lui demande si
elle pensoit trouver à manger vers cette fontaine? La femme respond: Rien
n'est impossible à Dieu. S'il ne lui a point esté difficile de nourrir du
ciel par l'espace de quarante ans au desert les enfans d'Israel, lui
seroit-il malaisé de sustanter moi et les miens avec de l'eau? Disant ces
paroles, de grand courage et d'un visage asseuré, ce personnage (lequel
j'estime avoir esté un sainct ange) lui dit: Voici, puisque tu as une foy
si constante, retourne et rentre en ta maison, tu y trouveras trois charges
de farine. Elle revenue chez soy, vid l'effect de ceste promesce.»

«L'an 1558, suivant Job Fincel[1], advint à Méchelrode en Allemagne, un cas
merveilleux, confirmé par les tesmoignages de plusieurs hommes dignes de
foy. Sur le soir, environ les neuf heures, un personnage vestu d'une robe
blanche, suivi d'un chien blanc, vint heurter à la porte d'une pauvre
honneste femme, et l'appelle par son nom. Elle estimant que ce fust son
mari, lequel avoit esté fort long-temps en voyage lointain courut vite à la
porte. Ce personnage la prenant par la main lui demande en qui elle mettait
toute la fiance de son salut? En Jésus-Christ, respond-elle. Lors il lui
commande de le suivre: dont faisant refus il l'exhorta d'avoir bon courage,
de ne craindre rien. Quoy dit, il la mena toute la nuit par une forest. Le
lendemain, il la fit monter environ midi sur une haute montagne, et lui
montra des choses qu'elle ne sçeut jamais dire ni descouvrir à personne. Il
luy enjoint de s'en retourner chez soy et d'exhorter chacun à se détourner
de son mauvais train: adjoustant qu'un embrasement horrible estoit prochain
et lui commanda aussi de se reposer huit jours dans sa maison, à la fin
desquels il reviendroit à elle. Le jour suivant au matin, la femme fut
trouvée à l'entrée du village et emmenée en son logis, où elle resta huit
jours entiers sans boire ni manger... disant qu'estant extremement lasse,
rien ne lui estoit plus agréable que le repos; que dans huit jours l'homme
qui l'avoit emmenée reviendroit et lors elle mangeroit. Ainsi avint-il:
mais depuis ceste femme ne bougea du lit, le plus de temps souspirant le
plus profond du coeur et s'escriant souventes fois: O combien sont grandes
les joies de cette vie-là! ô que la vie présente est misérable!
Quelques-uns lui demandant si elle estimoit que ce personnage vestu de
blanc qui lui estoit ainsi aparu, fust un bon ange ou plustost quelque
malin esprit, lequel se fust transformé en esprit de lumière? elle
respondoit: Ce n'est point un malin esprit, c'est un sainct ange de Dieu,
qui m'a commandé de prier Dieu soigneusement, d'exhorter grands et petits à
amendement de vie. Si on l'interrogoit de sa créance: Je confesse
(disoit-elle) que je suis une pauvre pécheresse; mais je croy que
Jésus-Christ m'a acquis pardon de tous mes pechez par le benefice de sa
mort et passion. Le pasteur du lieu rendoit tesmoignage de singuliere pieté
et humble devotion à ceste femme, adjoustant qu'elle estoit bien instruite
et pouvoit rendre raison de sa religion.»

    [Note 1: Au troisième livre _des Miracles_, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 135.]

Goulart[1] rapporte encore l'histoire d'une femme qui, le cerveau troublé,
était descendue par la corde en un puits pour s'y noyer et avait voulu se
jeter ensuite à la rivière et qui lui déclara «qu'en ces accidens un homme
vestu de blanc, et de face merveilleusement agréable lui aparoissoit,
lequel lui tenoit la main, et l'exhortoit benignement et comme en souriant,
d'espérer en Dieu. Comme elle estoit dedans le puits, et je ne sçai quoi de
fort pesant lui poussoit la teste pour la plonger du tout en l'eau, et
taschoit lui faire lascher la corde pour couler en fond: ce mesme
personnage vint à elle, la souleva par les aisselles, et lui aida à
remonter, ce qu'elle ne pouvoit nullement faire de soy-mesme. Aussi la
consola-t-il au jardin, et la ramena doucement vers sa chambre, puis
disparut. Le mesme lui vint à la rencontre, comme elle approchoit du pont
et la suivoit de loin jusques à ce qu'elle fust de retour.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 138.]



LE ROYAUME DES FÉES



I.--FÉES


«Toutes les fées, dit M. Leroux de Lincy[1], se rattachent à deux familles
bien-distinctes l'une de l'autre. Les nymphes de l'île de Sein,
principalement connues en France et en Angleterre, composent la première et
aussi la plus ancienne, car on y retrouve le souvenir des mythologies
antiques mêlé aux usages des Celtes et des Gaulois. Viennent après les
divinités Scandinaves, qui complètent en les multipliant les traditions
admises à ce sujet.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, introduction, par M. Leroux de
    Lincy, p. 170. Paris, Silvestre, 1836, in-8°.]

Pomponius Mela[1] nous apprend que «l'île de Sein est sur la côte des
Osismiens; ce qui la distingue particulièrement, c'est l'oracle d'une
divinité gauloise. Les prêtresses de ce dieu gardent une perpétuelle
virginité; elles sont au nombre de neuf. Les Gaulois les nomment Cènes: ils
croient qu'animées d'un génie particulier, elles peuvent par leurs vers,
exciter des tempêtes et dans les airs et sur la mer, prendre la forme de
toute espèce d'animaux, guérir les maladies les plus invétérées, prédire
l'avenir; elles n'exercent leur art que pour les navigateurs qui se mettent
en mer dans le seul but de les consulter.»

    [Note 1: _De situ orbis_, liv. III, ch. VI.]

«Telles sont, suivant M. Leroux de Lincy[1], les premières de toutes les
fées que nous trouvons en France et dont le souvenir, conservé dans nos
plus anciennes traditions populaires, s'est perpétué dans les chants de nos
trouvères et dans nos romans de chevalerie; il se mêle aux croyances que le
paganisme avait laissées parmi nous, et ces deux éléments confondus,
multiplièrent à l'infini ces fantastiques créatures. L'île de Sein ne fut
bientôt plus assez vaste pour les contenir; elles se répandirent au milieu
de nos forêts, habitèrent nos rochers et nos châteaux, puis bien loin, vers
le Nord, au delà de la Grande-Bretagne, fut placé le royaume de féerie. Il
se nommait Avalon.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, introduction, p. 174.]

Voici la description qu'en fait le _Roman de Guillaume au court nez_[1]:

    [Note 1: Cité par M. Leroux de Lincy, _le Livre des légendes_,
    appendices, p. 249.]

  «Avalon fu mult riche et assazée
   Onques si riche cité ne fu fondée;
   Li mur en sont d'une grant pierre lée,
   Il n'est, nus hons, tant ait la char navrée,
   S'à cele pierre pooist fere adesée
   Qu'ele ne fust tout maintenant sanée;
   Adès reluit com fournaise embrasée.
   Chescune porte est d'yvoire planée
   La mestre tour estoit si compassée,
   N'i avoit pierre ne fust à or fondée.
   .V. c. fenestes y cloent la vesprée
   C'onques de fust n'i ot une denrée.
   Il n'i ot ays saillie, ne dorée
   Qui de verniz ne soit fete et ouvrée.
   Et eu chescune une pierre fondée
   Une esmeraude, .j. grant topace lée,
   Beric, jagonce, ou sadoine esmerée.
   La couverture fu à or tregetée,
   Sus.j. pomnel fu l'aygle d'or fermée,
   En son bec tint une pierre esprouvée;
   Hom s'il la voit ou soir ou matinée,
   Quanqu'il demande ne li soit aprestée.»

On trouvait à Avalon ces simples précieux qui guérissaient les larges
blessures des chevaliers. C'est là que fut porté Artur après le terrible
combat de Cubelin: «Nous l'y avons déposé sur un lit d'or, dit le barde
Taliessin dans la _Vie de Merlin_ par Geoffroi de Monmouth; Morgane après
avoir longtemps considéré ses blessures, nous a promis de les guérir.
Heureux de ce présage, nous lui avons laissé notre roi.»

C'est dans cette île aussi que Morgane mena son bien-aimé Ogier le Danois
pour prendre soin de son éducation. C'est encore là que fut porté Renoart,
l'un des héros de la chanson de gestes de Guillaume au court nez:

  Avec Artur, avecques Roland,
  Avec Gauvain, avecques Yvant.

Là étaient Auberon et Mallabron «ung luyton de mer» dit le roman d'Ogier;
et M. Maury pense que c'est dans cette île mystérieuse que fut conduit
Lanval par la fée sa maîtresse.

Giraud de Cambrie place à Glastonbury, dans le Somersetshire, la situation
de cette île enchantée, de cette espèce de paradis des fées. «Cette île
délicieuse d'Avalon, dit le roman d'Ogier le Danois, dont les habitants
menoient vie très joyeuse, sans penser à nulle quelconque meschante chose,
fors prendre leurs mondains plaisirs.»

Le nom d'Avalon vient d'_Inis Afalon_, île des pommes, en langue bretonne,
et l'on a expliqué cette qualification par l'abondance des pommiers qui se
rencontraient à Glastonbury. Suivant M. de Fréminville[1], Avalon serait la
petite île d'Agalon, située non loin du célèbre château de Kerduel, et dont
les chroniqueurs font le séjour favori du roi Artur.

    [Note 1: _Antiquités de la Bretagne, Côtes-du-Nord_, p. 19.]

D'après l'_Edda_, «les fées qui sont d'une bonne origine sont bonnes et
dispensent de bonnes destinées; mais les hommes à qui il arrive du malheur
doivent l'attribuer aux méchantes fées.»

On lit dans le roman de Lancelot du Lac: «Toutes les femmes sont appelées
fées qui savent des enchantements et des charmes et qui connaissent le
pouvoir de certaines paroles, la vertu des pierres et des herbes; ce sont
les fées qui donnent la richesse, la beauté et la jeunesse.»

«Mon enfant, dit un auteur anonyme du XIVe siècle, rapporté par M. Leroux
de Lincy[1], les fées ce estoient diables qui disoient que les gens
estoient destinez et faes les uns à bien, les autres à mal, selon le cours
du ciel ou de la nature. Comme se un enfant naissoit à tele heure ou en tel
cours, il li estoit destiné qu'il seroit pendu ou qu'il seroit noié, ou
qu'il espouseroit tel dame ou teles destinées, pour ce les appeloit l'en
fes, quar fée selon le latin, vaut autant comme destinée, _fatatrices
vocabantur_.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, introduction, p. 240.]

«Laissons les acteurs ester, dit Jean d'Arras[1], et racontons ce que nous
avons ouy dire et raconter à nos anciens, et que cestui jour nous oyons
dire qu'on a vu au païs de Poitou et ailleurs, pour coulourer nostre
histoire, à estre vraie, comme nous le tenons et qui nous est publié par
les vraies chroniques, nous avons ouy raconter à nos anciens que en
plusieurs parties sont aparues à plusieurs tres familierement, choses
lesquelles aucuns appeloient _luitons_, aucuns autres les _faës_, aucuns
autres les _bonnes dames_, qui vont de nuit et entrent dedans les maisons,
sans les huis rompre, ne ouvrir, et ostent les enffanz des berceulx et
bestournent les membres, ou les ardent, et quant au partir les laissent
aussi sains comme devant, et à aucuns donnent grant eur en cest monde.
Encores, dit Gervaise, que autres faës s'apairent de nuit en guise de
femmes à face ridée, basses et en petite estature et font les besoignes des
hostelz libéralement, et nul mal ne faisoient; et dit que, pour certain, il
avoit veu ung ancien homme qui racontoit pour vérité qu'il avoit veu en son
temps grant foison de telles choses. Et dit encore que les dictes faës se
mettoient en fourme de très belles femmes; et en ont plusieurs hommes
prinses pour moittiers; parmi aucunes convenances qu'elles leur faisoient
jurer, les uns qu'ils ne les verroient jamais nues, les autres que le
samedi ne querroient qu'elles seroient devenues; aucunes, se elles avoient
enfans, que leurs mariz ne les verroient jamais en leur gésine, et tant
qu'ils leur tenoient leurs convenances, ils estoient regnant en grant
audicion et prospérité, et sitost qu'ils deffailloient ils les perdoient et
décheoient de tous leur boneur petit à petit; et aucunes se convertissoient
en serpens, ung ou plusieurs jours la sepmaine, etc.»

    [Note 1: _Roman de Mélusine_, cité par M. Leroux de Lincy, _le
    Livre des légendes_, introduction, p. 172.]

Le fond des forêts et le bord des fontaines étaient le séjour favori des
fées.

«Les fées, dit M.A. Maury[1] se rendaient visibles près de l'ancienne
fontaine druidique de Baranton, dans la forêt de Brochéliande:

    [Note 1: _Les fées du moyen âge, recherches sur leur origine, leur
    histoire et leurs attributs, pour servir à la connaissance de la
    mythologie gauloise_, par L. F. Alfred Maury. Paris, Ladrange,
    1843, in-12]

«Là soule l'en les fées veoir», écrivait en 1096 Robert Wace. Ce fut
également dans une forêt, celle de Colombiers en Poitou, près d'une
fontaine appelée aujourd'hui par corruption la _font de scié_, que Mélusine
apparut à Raimondin[1]. C'est aussi près d'une fontaine que Graelent vit la
fée dont il tomba amoureux et avec laquelle il disparut pour ne plus jamais
reparaître[2]. C'est près d'une rivière que Lanval rencontra les deux fées
dont l'une, celle qui devint sa maîtresse, l'emmena dans l'île d'Avalon,
après l'avoir soustrait au danger que lui faisait courir l'odieux
ressentiment de Genevre[3]. Viviane, fée célèbre dont le nom est une
corruption de _Vivlian_, génie des bois, célébrée par les chants celtiques,
habitait au fond des forêts, sous un buisson d'aubépine, où elle tint
Merlin ensorcelé[4].»

    [Note 1: _Histoire de Mélusine_, par Jean d'Arras. Paris, 1698,
    in-12, p. 125.]

    [Note 2: _Poésies de Marie de France_, édit. Roquefort, t. I, p.
    537; _lai de Graelent_.]

    [Note 3: Même ouvrage, t. II, p. 207; _lai de Lanval_.]

    [Note 4: Th. de la Villemarqué, _Contes populaires des anciens
    Bretons_.]

«Les eaux minérales, dont l'action bienfaisante était attribuée à des
divinités cachées, à Sirona, à Vénus anadyomène, auxquelles on consacrait
des ex-voto et des autels, furent regardées au moyen âge comme devant leur
vertu médicale à la présence des fées. Près de Domremy, la source thermale
qui coulait au pied de l'arbre des fées et où s'était souvent arrêtée
Jeanne d'Arc, en proie à ses étonnantes visions, avait jailli, suivant le
dire populaire, sous la baguette des bonnes fées. C'est encore sous le même
patronage que les montagnards de l'Auvergne placent les eaux minérales de
Murat-le-Quaire. Les habitants de Gloucester, l'ancienne Kerloiou,
prétendent que neuf fées, neuf magiciennes veillent à la garde des eaux
thermales de cette ville; et ils ajoutent qu'il faut les vaincre quand on
veut en faire usage.»

Une des principales occupations des fées, c'est de douer les enfants de
vertus plus ou moins extraordinaires, plus ou moins surnaturelles.

Le _Roman d'Ogier le Danois_ raconte que: «La nuit où l'enfant naquit, les
demoiselles du château le portèrent dans une chambre séparée, et quand il
fut là, six belles demoiselles qui étaient fées se présentèrent: s'étant
approchées de l'enfant, l'une d'elles, nommée Gloriande, le prit dans ses
bras, et le voyant si beau, si bien fait, elle l'embrassa et dit: Mon
enfant, je te donne un don par la grâce de Dieu, c'est que toute ta vie tu
seras le plus hardi chevalier de ton temps. Dame, dit une autre fée, nommée
Palestrine, certes voilà un beau don, et moi j'y ajoute que jamais tournois
et batailles ne manqueront à Oger. Dame, ajouta la troisième, nommée
Pharamonde, ces dons ne sont pas sans péril, aussi je veux qu'il soit
toujours vainqueur. Je veux, dit alors Melior, qu'il soit le plus beau, le
plus gracieux des chevaliers. Et moi, dit Pressine, je lui promets un amour
heureux et constant de la part de toutes les dames. Enfin, Mourgues, la
sixième, ajouta: J'ai bien écouté tous les dons que vous avez faits à cet
enfant, eh bien! il en jouira seulement après avoir été mon ami par amour,
et avoir habité mon château d'Avalon. Ayant dit, Mourgues embrassa
l'enfant, et toutes les fées disparurent.»

Le _Roman de Guillaume au court nez_, cité par Leroux de Lincy[1], raconte
les dons des fées à la naissance du fils de Maillefer:

    [Note 1: _Le livre des légendes_, appendices, p. 257.]

  A ce termine que li enfès fu nez
  Fils Maillefer, dont vous oy avez,
  Coustume avoient les gens, par véritez,
  Et en Provence et en autres regnez,
  Tables métoient et sièges ordenez
  Et sur la table .iij. blancs pains buletez
  .Iij. poz de vin et .iij. hénas de lès.
  Et par encoste iert li enfès posez,
  En.i. mailluel y estoit aportez.
  Devant les dames estoit desvelopez
  Et de chascune véuz et esgardez
  S'iert filz ou fille, ne a droit figurez.
  Et en après baptisiez et levez.
  . . . . . . . . . . . . . . . .
  Biaus fut li temps, la lune luisoit cler
  Li eur est bone et mult fist à loer:
  Or nous devons de l'enfant raconter,
  Quelle aventure Dieu i volt demonstrer;
  .Iij. fées vinrent port l'enfant revider.
  L'une le prist tantost, sans demorer,
  Et l'autre fée vait le feu alumer,
  L'enfent y font .i. petitet chaufer,
  La tierce fée là l'a renmailloter
  Et puis le vont couchier pour reposer;
  Puis sont assises à la table, au souper,
  Assez trovèrent pain et char et vin cler.
  Quant ont maingié, se prisrent à parler;
  Dist l'une à l'autre: il nous convient doner
  A cest enfant et bel don présenter.
  Dist la mestresse: premiers vueil deviser
  Quel ségnorie ge li vueil destiner
  S'il vient en aige, qu'il puist armes porter,
  Biaus iert et fors et hardis por jouster;
  Constantinoble qui mult fait à douter,
  Tenra cis enfès, ains que doie finer,
  Rois iert et sires de Gresce sur la mer,
  Ceux de Vénisce fera crestiener.
  Jà pour assaut ne le convient armer!
  Car jà n'iert homs qui le puist affoler
  Ne beste nule qui le puist mal mener,
  Ours, ne lyons, ne serpens, ne sengler,
  N'auront pooir de lui envenimer.

  Encore veil de moi soit enmieudrez
  S'il avient chose qu'il soit en mer entrez,
  Jà ses vaissiaux ne sera afondrez,
  Ne par tourmente empiriez ne grevez;
  Dist sa compaigne: or avez dit assez,
  Or me lessiez dire mes volontez.
  Je veil qu'il soit de dames bien amez
  Et de pucèles joïs et honorez;
  Et je voldrai qu'il soit bons clers letrez
  D'art d'yngremance apris et doctrinez
  Par quoi s'avient qu'il soit emprisonez
  En fort chastel, ne en tour enfermez,
  Que il s'en isse ancois .iij. jours passez,
  Et dist la tierce: Dame, bien dit avez,
  Or li donrai, se vous le comandez.
  Dient les autres: faites vos volontez,
  Mais gardez bien qu'il ne soit empirez.

  La tierce fée fut mult de grand valour
  A l'enfant done et prouece et baudour,
  Cortois et sages, si est bel parliour
  Chiens et oisiaux ne trace à nul jour,
  Et soit archiers c'on ne sache mellour.
  De .x. royaumes tendra encor l'ounour.
  A tant se lièvent toutes .iij. sanz demour;
  Li jours apert, si voient la luour
  Alors s'en vont plus n'i ont fait séjour.
  L'enfant commandent à Dieu le créatour.

«Souvent, dit M. Leroux de Lincy[1] et principalement en Bretagne, au lieu
d'attendre les fées, on allait au devant d'elles, et l'on portait l'enfant
dans les endroits connus pour servir de demeure à ces divinités. Ces lieux
étaient célèbres, on doit le penser, et beaucoup de nos provinces ont
consacré le souvenir de cette croyance dans la désignation de _grottes aux
fées_ que portent quelques sites écartés ou souterrains de leur
territoire.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, introduction, p. 180.]

Le fragment du roman de _Brun de la Montagne_ qui nous est parvenu se
rapporte à cet usage: Butor, baron de la Montagne, ayant épousé une jeune
femme, quoique vieux, en eut un fils, qu'il résolut de faire porter à la
fontaine là où les fées viennent se reposer. Il dit à la mère:

  Il a des lieux faës ès marches de Champaigne,
  Et aussi en a il en la Roche Grifaigne;
  Et si croy qu'il en a aussi en Alemaigne,
  Et en bois Bersillant, par dosous la montaigne;
  Et non pourquant ausi en a il en Espaigne,
  Et tout cil lieu faë sont Artu de Bretaigne.

Le seigneur de la Montagne confia son fils à Bruyant, chevalier qu'il
aimait. Et celui-ci partit avec une troupe de vassaux. Ils déposèrent
l'enfant auprès de la forêt de Brochéliande, et les dames fées ne tardèrent
pas à s'y rendre; elles étaient bien gracieuses et leur corps, plus blanc
que neige, était revêtu d'une robe de même couleur; sur leur tête brillait
une couronne d'or. Elles s'approchèrent, et quand elles virent l'enfant:
Voici un nouveau-né, dit l'une d'elles. Certainement, reprit la plus belle,
qui paraissait commander aux deux autres; je suis sûre qu'il n'a pas une
semaine. Allons, il faut le baptiser et le douer de grandes vertus. Je lui
donne, reprit la seconde, la beauté, la grâce; je veux qu'on dise que ses
marraines ont été généreuses. Je veux encore qu'il soit vainqueur dans les
tournois, dans les batailles. Maîtresse, si vous trouvez mieux que cela,
donnez-lui. Dame, reprit la maîtresse, vous avez peu de sens, quand vous
osez devant moi donner tant à ce petit. Et moi je veux que dans sa jeunesse
il ait une amie insensible à ses voeux. Et bien que par votre puissance, il
soit noble, généreux, beau, courtois, il aura peine en amour; ainsi je
l'ordonne. Dame, ajouta la troisième, ne vous fâchez pas si je fais
courtoisie à cet enfant, car il vient de haut lignage et je n'en sais pas
de plus noble. Aussi je veux m'appliquer à le servir et à l'aider dans
toutes ses entreprises. Je le nourrirai, et c'est moi qui le garderai
jusqu'à l'âge où il aura une amie, et c'est moi qui serai la sienne. Je
vois, dit la maîtresse, que vous aimez beaucoup cet enfant; mais pour cela
je ne changerai pas mon don. Je vous en conjure, dame, reprit la troisième,
laissez-moi cet enfant; je puis le rendre bien heureux... Non, répliqua la
maîtresse, je veux que mes paroles s'accomplissent, et il aura, en dépit de
vous deux, le plus vilain amour que l'on ait jamais éprouvé. Après avoir
ainsi parlé, les trois fées disparurent, les chevaliers reprirent l'enfant
et le reportèrent au château de la Montagne, où bientôt une fée se présenta
comme nourrice.

Les fées assistèrent de même, dit M. Maury[1], à la venue au monde d'Isaïe
le Triste. Aux environs de la Roche aux Fées, dans le canton de Rhétiers,
les paysans croient encore aux fées qui prennent, disent-ils, soin des
petits enfants, dont elles pronostiquent le sort futur; elles descendent
dans les maisons par les cheminées et ressortent de même pour s'en
aller[2]. Les volas ou valas Scandinaves allaient de même prédire la
destinée des enfants qui naissaient dans les grandes familles[3]; elles
assistaient aux accouchements laborieux et aidaient par leurs incantations
(_galdrar_) les femmes en travail. Les fées voulaient même souvent être
invitées. Longtemps, à l'époque des couches de leurs femmes, les Bretons
servaient un repas dans une chambre contiguë à celle de l'accouchée, repas
qui était destiné aux fées, dont ils redoutaient le ressentiment[4]. Les
fées furent invitées à la naissance d'Obéron, elles le dotèrent à l'envi
des dons les plus rares; une seule fut oubliée, et pour se venger de
l'outrage qui lui était fait, elle condamna Obéron à ne jamais dépasser la
taille d'un nain.

    [Note 1: _Les Fées au moyen âge_.]

    [Note 2: Mémoires de M. de la Pillaye, dans le t. II de la nouvelle
    série des _Mémoires des antiquaires de France_, p. 95.]

    [Note 3: Bergmann, _Poèmes islandais_, p. 159. Grenville Pigott, _a
    Manual of Scandinavian mythology_, p. 353. Londres, 1839.]

    [Note 4: Dans l'antiquité, à la naissance des enfants des familles
    riches, par suite de croyances analogues à celles-ci, on
    établissait dans l'atrium un lit pour Junon Lucine.]

«Dans la légende de saint Armentaire, composée vers l'an 1300, par un
gentilhomme de Provence nommé Raymond, on parle des sacrifices qu'on
faisait à la fée Esterelle, qui rendait les femmes fécondes. Ces sacrifices
étaient offerts sur une pierre nommée la Lauza de la fada[1].»

    [Note 1: Cambry, _Monuments celtiques_, p. 342.]

Les fées aimaient à suborner les jeunes seigneurs, témoin ce chant de la
Bretagne que rapporte M. de la Villemarqué[1]: «La Korrigan était assise au
bord d'une fontaine et peignait ses cheveux blonds; elle les peignait avec
un peigne d'or, car ces dames ne sont pas pauvres: Vous êtes bien
téméraire, de venir troubler mon eau, dit la Korrigan; vous m'épouserez à
l'instant ou pendant sept années vous sécherez sur pied, ou vous mourrez
dans trois jours.»

    [Note 1: _Chants populaires de la Bretagne_, t. I, p. 4.]

Mélusine suborna ainsi Raimondin pour échapper au destin cruel que lui
avait prédit sa mère Pressine.

«La beauté, dit M. Maury[1], est, il est vrai, un des avantages qu'elles
ont conservés; cette beauté est presque proverbiale dans la poésie du moyen
âge; mais à ces charmes elles unissent quelques secrète difformité, quelque
affreux défaut; elles ont, en un mot, je ne sais quoi d'étrange dans leur
conduite et leur personne. La charmante Mélusine devenait, tous les
samedis, serpent de la tête au bas du corps. La fée qui, d'après la
légende, est la souche de la maison de Haro, avait un pied de biche d'où
elle tira son nom, et n'était elle-même qu'un démon succube.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 53.]

«Le nom de dame du lac, dit le même auteur, donné à plusieurs fées, à la
Sibille du roman de Perceforest, à Viviane, qui éleva le fameux Lancelot,
surnommé aussi du Lac, a son origine dans les traditions septentrionales.
Ces dames du lac sont filles des meerweib-nixes qui, sur les bords du
Danube, prédisent dans les Niebelungen, l'avenir au guerrier Hagène; elles
descendent de cette sirène du Rhin qui, à l'entrée du gouffre où avait été
précipité le fatal trésor des Niebelungen, attirait par l'harmonie de ses
chants que quinze échos répétaient, les vaisseaux dans l'abîme.»

«Les ondins, les nixes de l'Allemagne, attirent au fond des eaux les
mortels qu'elles ont séduits ou ceux qui, à l'exemple d'Hylas, se hasardent
imprudemment sur les bords qu'elles habitent. En France, une légende
provençale raconte de même comment une fée attira Brincan sous la plaine
liquide et le transporta dans son palais de cristal[1]. Cette fée avait une
chevelure vert glauque, qui rappelle celle que donnent les habitants de la
Thuringe à la nixe du lac de Sal-Zung[2], ou celle qu'attribuent les Slaves
à leurs roussalkis[3]. Ces roussalkis, comme les ondins de Magdebourg[4],
comme les Korrigans de la Bretagne, viennent souvent à la surface des eaux
peigner leur brillante chevelure. Mélusine nous est représentée de même
peignant ses longs cheveux, tandis que sa queue s'agite dans un bassin.»

    [Note 1: Kirghtley, _The fairy Mythology_, t. II, p. 287].

    [Note 2: Bechstein, _der Sagenschatz und die Sagenkreise des
    Thuringeslandes_, P. IV, p. 117, Meiningen 1838, in-12. (Les nixes
    de ce lac enlevaient aussi les enfants, comme les Korrigans de la
    Bretagne).]

    [Note 3: Makaroff, _Traditions russes_ (en russe), t. I, p. 9.]

    [Note 4: Grimm, _Traditions allemandes_, t. I, p. 83.]

«Plusieurs fées, dit M. A. Maury[1], sont représentées comme de véritables
divinités domestiques. Dame Abonde, cette fée dont parle Guillaume de
Paris, apporte l'abondance dans les maisons qu'elle fréquente[2]. La
célèbre fée Mélusine pousse des gémissements douloureux chaque fois que la
mort vient enlever un Lusignan[3]. Dans l'Irlande, la Banshee vient de même
aux fenêtres du malade appartenant à la famille qu'elle protège, frapper
des mains et faire entendre des cris de désespoir[4]. En Allemagne, dame
Berthe, appelée aussi la _Dame blanche_ se montre comme les fées à la
naissance des enfants de plusieurs maisons princières sur lesquelles elle
étend sa protection... Dans les bruyères de Lunebourg, la Klage Weib
annonce aux habitants leur fin prochaine. Quand la tempête éclate, que le
ciel s'ouvre, quand la nature est en proie à quelques-unes de ces
tourmentes où elle semble lutter contre la destruction, la Klage Weib se
dresse tout à coup comme un autre Adamastor, et, appuyant son bras
gigantesque sur la frêle cabane du paysan, elle lui annonce par
l'ébranlement soudain de sa demeure que la mort l'a désigné[5].

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_.]

    [Note 2: Guillaume de Paris, _De Universo_, t. I, p. 1037. Orléans,
    1674, in-fol. (Cette dame Abonde paraît être la même que la Mab
    dont Shakespeare parle dans sa tragédie de _Roméo et Juliette_.
    Elle se rattache à la Holda des Allemands). Voyez G. Zimmermann,
    _De Mutata saxonum veterum religione_, p. 21. Darmstadt, 1839.]

    [Note 3: J. d'Arras, _Histoire de Mélusine_, p. 310.]

    [Note 4: Crofton Croker, _Fairy Legends and Traditions of the South
    of Ireland_. Londres, 1834, in-12, part. I, p. 228; part. II, p.
    10.]

    [Note 5: _Spiels Archiv._ II, 297.]

Les historiens citent encore d'autres dames blanches, comme la dame blanche
d'Avenel, la _dona bianca_ des Colalto, la femme blanche des seigneurs de
Neuhaus et de Rosenberg, etc.

On donne encore le nom de _dames blanches_ aux fées bretonnes ou
_Korrigans_. Elles connaissent l'avenir, commandent aux agents de la
nature, peuvent se transformer en la forme qui leur plaît. En un clin
d'oeil les Korrigans peuvent se transporter d'un bout du monde à l'autre.
Tous les ans, au retour du printemps, elles célèbrent une grande fête de
nuit; au clair de lune elles assistent à un repas mystérieux, puis
disparaissent aux premiers rayons de l'aurore. Elles sont ordinairement
vêtues de blanc, ce qui leur a valu leur surnom. Les paysans bas-bretons
assurent que ce sont de grandes princesses gauloises qui n'ont pas voulu
embrasser le christianisme lors de l'arrivée des apôtres[1].

    [Note 1: Voyez l'introduction des _Contes populaires des anciens
    Bretons_, par M. de la Villemarqué, p. XL, et _les Fées du moyen
    âge_, par M. Alfred Maury, p. 39.]

«On a aussi appelé _dames blanches_, dit Reiffenberg[1], d'autres êtres,
d'une nature malfaisante, qui n'étaient pas spécialement dévoués à une race
particulière; telles étaient les _witte wijven_ de la Frise, dont parlent
Corneil Van Kempen, Schott, T. Van Brussel et des Roches. Du temps de
l'empereur Lothaire, en 830, dit le premier de ces écrivains, beaucoup de
spectres infestaient la Frise, particulièrement les _dames blanches_ ou
nymphes des anciens. Elles habitaient des cavernes souterraines, et
surprenaient les voyageurs égarés la nuit, les bergers gardant leurs
troupeaux, ou encore les femmes nouvellement accouchées et leurs enfants,
qu'elles emportaient dans leurs repaires, d'où l'on entendait sortir
quantité de bruits étranges, des vagissements, quelques mots imparfaits et
toute espèce de sons musicaux.»

    [Note 1: _Dictionnaire de la conversation_, article DAMES
    BLANCHES.]

L'Aïa, Ambriane ou Caieta est une fée de la classe des _dames blanches_,
qui habite le territoire de Gaëte, dans le royaume de Naples, et qui y
préoccupe autant l'esprit des personnes faites que celui de l'enfance.
Comme chez la plupart des dames blanches, les intentions de l'Aïa sont
toujours bienveillantes: elle s'intéresse à la naissance, aux événements
heureux et malheureux, et à la mort de tous les membres de la famille
qu'elle protège. Elle balance le berceau des nouveau-nés. C'est
principalement durant les heures du sommeil qu'elle se met à parcourir les
chambres de la maison; mais elle y revient encore quelquefois pendant le
jour. Ainsi, lorsqu'on entend le craquement d'une porte, d'un volet, d'un
meuble, et que l'air agité siffle légèrement, on est convaincu que c'est
l'annonce de la visite de l'Aïa. Alors chacun garde le silence, écoute; le
coeur bat à tous; on éprouve à la fois de la crainte et un respect
religieux; le travail est suspendu; et l'on attend que la belle Ambriane
ait eu le temps d'achever l'inspection qu'on suppose qu'elle est venue
faire. Quelques personnes, plus favorisées ou menteuses, affirment avoir vu
la fée, et décrivent sa grande taille, son visage grave, sa robe blanche,
son voile qui ondule; mais la plupart des croyants déclarent n'avoir pas
été assez heureux pour l'apercevoir. Cette superstition remonte à des temps
reculés, puisque Virgile la trouva existant déjà au même lieu.



II.--ELFES


Les Alfs ou Elfes sont dans les pays du Nord les génies des airs et de la
terre. Ils ont quelque ressemblance avec les fées. Leur roi Oberon,
immortalisé par Wieland, est le roi des aulnes, _Ellen König_, chanté par
Goethe.

Torfeus, historien danois qui vivait au XVIIe siècle, cité par M. Leroux de
Lincy[1], rapporte dans la préface de son édition de la _Saga de Hrolf_,
l'opinion d'un prêtre islandais nommé Einard Gusmond, relativement aux
Elfes: «Je suis persuadé, disait-il, qu'ils existent réellement, et qu'ils
sont la créature de Dieu; qu'ils se marient comme nous, et reproduisent des
enfants de l'un et l'autre sexe: nous en avons une preuve dans ce que l'on
sait des amours de quelques-unes de leurs femmes avec de simples mortels.
Ils forment un peuple semblable aux autres peuples, habitent des châteaux,
des maisons, des chaumières; ils sont pauvres ou riches, gais ou tristes,
dorment et veillent, et ont toutes les autres affections qui appartiennent
à l'humanité.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, introduction, p. 159. Paris,
    1836, in-8°.]

Chez les peuples septentrionaux, dit M. A. Maury[1], d'après M. Crofton
Croker[2], «les Elfes ont été divisés en diverses classes suivant les lieux
qu'ils habitent et auxquels ils président. On distingue les _Dunalfenne_,
qui répondent aux nymphes _monticolae, castalides_ des anciens, les
_Feldalfenne_, qui sont les naïades, les hamadryades; les _Muntalfenne_ ou
orcades; les _Scalfenne_ ou naïades; les _Undalfenne_ ou dryades.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 73.]

    [Note 2: _Fairy Legends and Traditions of the South of Ireland_.
    Londres, 1834, in-12.]

«On dépeint les Elfes, dit M. Leroux de Lincy[1], comme ayant une grosse
tête, de petites jambes et de longs bras; quand ils sont debout, ils ne
s'élèvent pas au-dessus de l'herbe des champs. Adroits, subtils, audacieux,
toujours malins, ils ont des qualités précieuses et surhumaines. C'est
ainsi que ceux qui vivent sous la terre et qui veillent à la garde des
métaux sont réputés comme très habiles à forger des armes. Ceux qui
habitent l'onde aiment beaucoup la musique et sont doués de talents
merveilleux en ce genre. La danse est le partage de ceux qui vivent entre
le ciel et la terre, ou dans les rochers. Ceux qui séjournent en de petites
pierres appelées _Elf-mills, Elf-guarnor_ ont une voix douce et
mélodieuse.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, introduction, p. 160.]

«Chez les peuples Scandinaves, les Elfes passaient pour aimer passionnément
la danse. Ce sont eux, disait-on, qui forment des cercles d'un vert
brillant, nommés _Elf-dans_, que l'on aperçoit sur le gazon. Aujourd'hui
encore, quand un paysan danois rencontre un cercle semblable, aux premiers
rayons du jour, il dit que les Elfes sont venus danser pendant la nuit.
Tout le monde ne voit pas les _Elfs-dans_. Ce don est surtout le partage
des enfants nés le dimanche; mais les Elfes ont le pouvoir de douer de
cette science leurs protégés en leur donnant un livre dans lequel ceux-ci
apprennent à lire l'avenir.»

«Les Elfes demeurent dans les marais, au bord des fleuves, disent encore
les paysans danois; ils prennent la forme d'un homme vieux, petit, avec un
large chapeau sur la tête. Leurs femmes sont jeunes, belles, et d'un aspect
attrayant, mais par derrière elles sont creuses et vides. Les jeunes gens
doivent surtout les éviter. Elles savent jouer d'un instrument délicieux
qui trouble l'esprit. On rencontre souvent les Elfes se baignant dans les
eaux qu'ils habitent. Si un mortel ose approcher d'eux, ils ouvrent leur
bouche, et, atteint du souffle qui s'en échappe, l'imprudent meurt
empoisonné.»

«Souvent, par un beau clair de lune, on voit les femmes des Elfes danser en
rond sur les vertes prairies; un charme irrésistible entraîne ceux qui les
rencontrent à danser avec elles: malheur à qui succombe à ce désir! car
elles emportent l'imprudent dans une ronde si vive, si animée, si rapide
qu'il tombe bientôt sans vie sur le gazon. Plusieurs ballades ont perpétué
le souvenir de ces terribles morts.»

«Ces Elfes habitants des eaux s'appellent _Nokkes_, chez les Danois.
Beaucoup de souvenirs se rattachent à eux. Tantôt on croit les voir au
milieu d'une nuit d'été, rasant la surface des ondes, sous la forme de
petits enfants aux longs cheveux d'or, un chaperon rouge sur la tête.
Tantôt ils courent sur le rivage, semblables aux centaures, ou bien sous
l'apparence d'un vieillard, avec une longue barbe dont l'eau s'échappe, ils
sont assis au milieu des rochers.»

«Les Nokkes punissent sévèrement les jeunes filles infidèles, et quand ils
aiment une mortelle, ils sont doux et faciles à tromper. Grands musiciens,
on les voit assis au milieu de l'eau, touchant une harpe d'or qui a le
pouvoir d'animer toute la nature. Quand on veut apprendre la musique avec
de pareils maîtres, il faut se présenter à l'un d'eux avec un agneau noir,
et lui promettre qu'il sera sauvé comme les autres hommes et ressuscitera
au jour solennel.»

A ce propos, M. Leroux de Lincy[1] fait le récit suivant d'après
Keightley[2]: «Deux enfants jouaient au bord d'une rivière qui coulait au
pied de la maison de leur père. Un Nokke parut, et, s'étant assis sur les
eaux, il commença un air sur sa harpe d'or. Mais l'un des enfants lui dit:
«A quoi ton chant peut-il te servir, bon Nokke; tu ne seras jamais sauvé.»
A ces paroles, l'esprit fondit en larmes et de longs soupirs s'échappèrent
de son sein. Les enfants revinrent chez eux et dirent cette aventure à leur
père, qui était prêtre de la paroisse. Ce dernier blâma une telle conduite,
et leur dit de retourner de suite au bord de l'eau et de consoler le Nokke
en lui promettant miséricorde. Les enfants obéirent. Ils trouvèrent
l'habitant des ondes assis à la même place et pleurant toujours: «Bon
Nokke, lui ont-ils dit, ne pleure pas; notre père assure que tu seras sauvé
comme tous les autres.» Aussitôt le Nokke reprit sa harpe d'or et en joua
délicieusement jusqu'à la fin du jour.

    [Note 1: _Le Livre des Légendes_, p. 162.]

    [Note 2: _The fairy Mythology_, t. I, p. 236.]

On lit dans la _Saga d'Hervarar_, citée par M. Leroux de Lincy[1]:
«Suafurlami, monarque scandinave, revenant de la chasse, s'égara dans les
montagnes. Au coucher du soleil, il aperçut une caverne dans une masse
énorme de rochers, et deux nains assis à l'entrée. Le roi tira son épée,
et, s'élançant dans la caverne, il se préparait à les frapper, quand
ceux-ci demandèrent grâce pour leur vie. Les ayant interrogés, Suafurlami
apprit d'eux qu'ils se nommaient Dyrinus et Dualin. Il se rappela aussitôt
qu'ils étaient les plus habiles d'entre tous les Elfes à forger des armes.
Il leur permit de s'éloigner, mais à une condition, c'est qu'ils lui
feraient une épée avec un fourreau et un baudrier d'or pur. Cette épée ne
devait jamais manquer à son maître, ne jamais se souiller, couper le fer et
les pierres aussi aisément que le tissu le plus léger, et rendre toujours
vainqueur celui qui la posséderait. Les deux nains consentirent à toutes
ces conditions et le roi les laissa s'éloigner. Au jour fixé, Suafurlami se
présenta à l'entrée de la caverne, et les deux nains lui apportèrent la
plus brillante épée qu'on eût jamais vue. Dualin, montant sur une pierre,
lui dit: «Ton épée, ô roi, tuera un homme chaque fois qu'elle sera levée;
elle servira à trois grands crimes, elle causera ta mort.» A ces mots,
Suafurlami s'élança contre le nain pour le frapper, mais il se sauva au
milieu des rochers, et les coups de la terrible épée fendirent la pierre
sur laquelle ils étaient tombés.»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, p. 163.]

«En Suède, dit M. Alf. Maury[1], les paysans vénèrent les tilleuls, comme
ayant jadis été la demeure des Elfes. C'était sous un arbre gigantesque, le
frêne Yggdrasill, auprès de la fontaine Urda, que les gnomes liés à ces
esprits des airs avaient fixé leur demeure.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 76.]

«L'herbe des champs est sous la protection des Elfes; tant qu'elle n'a pas
encore levé, qu'elle ne fait que germer sous terre, ce sont les Elfes noirs
(_Schwarsen Elfen_) qui la protègent, qui veillent sur elle; puis a-t-elle
élevé au-dessus du sol sa tige délicate, elle passe sous la garde des Elfes
lumineux (_Licht Elfen_), des Elfes de lumière.»

On retrouve les Elfes dans les autres pays de l'Europe sous différents
noms. En Allemagne ils jouent un rôle dans les _Niebelungen_ et dans le
_Heldenbuch_.

«Les femmes des Elfes, dit M. Alf. Maury[1], sont regardées en Allemagne
comme aussi habiles que nos fées à tourner le fuseau. Une foule de
traditions rappellent ces mystérieuses ouvrières. Telle est la légende de
la jeune fille de Scherven près de Cologne, qu'on voit la nuit filer un fil
magique; telle est celle de dame Hollé, que la croyance populaire place
dans la Hesse, sur le mont Meisner. Hollé distribue des fleurs, des fruits,
des gâteaux de farine et répand la fertilité dans les champs qu'elle
parcourt; elle excelle à filer; elle encourage les fileuses laborieuses et
punit les paresseuses; elle préside à la naissance des enfants, se montre
alors sous l'apparence d'une vieille femme aux vêtements blancs; parfois
aussi elle est vindicative et cruelle. Elle se venge en enlevant les
enfants et en les entraînant au fond des eaux. Pschipolonza, cette petite
femme vieille, hideuse et ridée, qui effraie souvent les paysans des
environs de Zittau, se montre au bord des chemins dans les bois, vêtue de
blanc et occupée à filer. Dans la Livonie, on croit aux _Swehtas
jumprawas_, jeunes filles qu'on aperçoit la nuit filant mystérieusement.

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 71-72.]

En Angleterre, les Elfes se partagent en deux classes: ceux qui habitent
les montagnes, les forêts, les cavernes, et qu'on appelle _rural Elves_, et
les Gobelins (_Hobgobelins_) qui ont coutume de vivre parmi les Elfes. Mais
c'est en Irlande surtout qu'on se rappelle les Elfes. Ils s'y divisent en
plusieurs familles distinctes par le nom, le pouvoir ou les actions qu'on
leur attribue: ainsi on connaît les _Shepo_, les _Cluricaune_, les
_Banshee_, les _Phooca_, ou _Pouke_, les _Sullahan_ ou _Dullahan_, etc.

«_Shepo_, qui signifie littéralement une fée de maison, dit M. Leroux de
Lincy, en citant l'ouvrage de M. Crofton Croker[1], est le nom qu'on donne
aux esprits qui vivent en commun, et que le peuple suppose avoir des
châteaux et des habitations; au contraire on nomme _Cluricaune_ ceux qui
vivent seuls et se cachent dans les lieux retirés. Les _Banshee_ sont des
fées qui, suivant la tradition, s'attachent à certaines familles et que
l'on entend pousser des gémissements quand un malheur doit frapper celles
qu'elles ont adoptées. Quant au _Phooca_, au _Dullahan_, c'est le nom qu'on
donne au diable, aussi appelé _Fir Darriz_.»

    [Note 1: _Fairy legends and Traditions of the South of Ireland_.
    Londres, Murray, 1834, in-12.]

«Suivant la croyance populaire de l'Irlande, dit M. Alf. Maury[1], les
Elfes célèbrent deux grandes fêtes dans l'année; l'une est au commencement
du printemps, quand le soleil approche du solstice d'été; alors le héros
O'Donoghue, qui jadis régna sur la terre, monte dans les cieux sur un
cheval blanc comme le lait, entouré du cortège brillant des Elfes. Heureux
celui qui l'aperçoit lorsqu'il s'élève des profondeurs du lac de Killarney!
Cette rencontre lui porte bonheur. A Noël, les esprits souterrains
célèbrent une fête nocturne avec une joie sauvage et qui inspire la
frayeur. Les esprits des forêts courent dans les clairières, revêtus
d'habillements verts; l'oreille distingue alors le trépignement des
chevaux, le mugissement des boeufs sauvages. Lorsque le peuple entend ce
vacarme, il dit que c'est le guerrier, les chasseurs furieux, _das wuthende
Heer, die wuthenden Jäger_. Dans l'île de Moen, on appelle ce bruit le
_Gronjette_; en Suède on le nomme la chasse d'Odin.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 58.]

«Les feux folets changés en lutins par nos paysans, ajoute M. Leroux de
Lincy[1], ont gardé quelques rapports avec les Elfes norvégiens. En
Bretagne, sous le nom de _Gourils, Gories_ ou _Crions_, les Elfes se sont
réfugiés dans les monuments de Karnac, près Quiberon. Là, comme on sait,
dans une plaine vaste, aride, où pas un arbre, pas une plante ne croît,
sont debout environ douze à quinze cents pierres, dont les plus hautes
peuvent avoir dix-huit à vingt pieds. Interrogez les Bretons sur ces
pierres, ils vous diront: C'est un vieux camp de César; ces pierres furent
une armée; elles ont été apportées là par des Gourils, race de petits
hommes hauts d'un pied, mais forts comme des géants; chaque nuit ils
forment une ronde immense autour de ces pierres; prenez garde! ô vous qui
voyagez à cette heure aux environs de Karnac, prenez garde! les Gourils
vous saisiront, vous forceront à tourner, tourner longtemps jusqu'au
premier point du jour, alors ils disparaîtront; et vous... vous serez
mort!»

    [Note 1: _Le Livre des légendes_, p. 167.]

Enfin, suivant M. Maury[1]: «Les femmes des Elfes et des nains rappellent
par leur beauté et la blancheur de leurs vêtements les fées françaises.
Mais comme chez celles-ci, cette beauté est souvent trompeuse. Ces yeux
charmants, ces traits délicats se changent au grand jour en des yeux caves,
des joues décharnées; cette blonde et soyeuse chevelure fait place à un
front nu que garnissent à peine quelques cheveux blancs.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 93.]



NATURE TROUBLÉE



I.--POSSÉDÉS.--DÉMONIAQUES


Goulart[1] rapporte d'après Wier[2] plusieurs histoires de démoniaques:
«Antoine Benivenius au VIIIe chapitre _du Livre des causes cachées des
maladies_, escrit avoir veu une jeune femme aagée de seize ans dont les
mains se retiroyent estrangement si tost que certaine douleur la prenoit au
bas du ventre. A son cri effroyable, tout le ventre lui enfloit si fort
qu'on l'eust estimée enceinte de huict mois: enfin elle perdoit le soufle
et ne pouvant demeurer en place se tourmentait ça et là dedans son lict,
mettant quelquefois ses pieds dessus son col, comme si elle eust voulu
faire la culebute. Ce qu'elle recommençoit tant et jusque à ce que son mal
s'accoisast peu à peu et qu'elle fust aucunemens soulagée. Lors enquise sur
ce qui lui estoit avenu, elle confessoit ne s'en ressouvenir aucunement.
Mais, dit-il, en cerchant les causes de ceste maladie, nous eusmes opinion
qu'elle procédait d'une suffocation de matrice et de vapeurs malignes
s'élevant en haut au détriment du coeur et du cerveau. Toutes fois après
nous estre efforcez de la soulager par médicamens et cela ne servant de
rien, icelle devint plus furieuse et, regardant de travers, se mit
finalement à vomir de longs cloux de fer tout courbez, des aiguilles
d'airin picquées dedans de la cire et entrelassées de cheveux, avec une
portion de son desjuné, si grand qu'homme quelconque n'eust peu l'avaller
entier. Ayant en ma présence recommencé plusieurs fois tels vomissements,
je me doutais qu'elle estoit possédée d'un esprit malin, lequel charmoit
les yeux des assistants pendant qu'il remuoit ces choses. Depuis nous
l'entendîmes faisant des prédictions et autres choses qui dépassent toute
intelligence humaine.»

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 143.]

    [Note 2: _Illusions et impostures des diables_.]

«Meiner Clath, gentilhomme demeurant au château de Boutenbrouch situé au
duché de Juliers, avoit un valet nommé Guillaume, lequel depuis quatorze
ans estoit tourmenté et possédé du diable, dont ainsi qu'il commençoit
quelquefois à se porter mal, à la suscitation de ce malin esprit, il
demanda pour confesseur le curé de Saint-Gerard, Barthelemy Paven... lequel
étant venu pour jouer son petit rollet... ne put faire du tout le
personnage muet. Or ainsi que ce démoniacle avoit la gorge enflée, la face
ternie, et que l'on craignoit qu'il n'estouffast, Judith femme de Clath,
honneste matrone, ensemble tous ceux de la maison commencent à prier Dieu.
Et incontinent il sortit de la bouche de ce Guillaume entre autre
barbouilleries, toute la partie du devant des brayes d'un berger, des
cailloux dont les uns estoyent entiers et les autres rompus, des petites
plotes de fil, une perruque semblable à celle dont les filles ont
accoustumé d'user, des esguilles, un morceau de la doublure de la saye d'un
petit garçon, et une plume de paon, laquelle ce mesme Guillaume avoit tiré
de la queue de un paon des huict jours auparavant qu'il devint malade.
Estant interrogué de la cause de son mal, il respondit qu'il avoit
rencontré une femme près de Camphuse, laquelle luy avoit soufflé au visage:
et que toute sa calamité ne procédoit d'ailleurs. Toutes fois après qu'il
fust guéry il nia que ce qu'il avoit dict fut vray: mais au contraire, il
confessa qu'il avoit esté induit par le diable à dire ce qu'il avoit dict.
D'avantage il ajouta que toutes ces matières prodigieuses n'avoient pas été
dedans son ventre, ains qu'elles avoyent été poussées dedans son gosier par
le diable, cependant que l'on le regardoit vomir. Satan le déceut par
illusions. On pensa plusieurs fois qu'il voulust se tuer on s'en voulust
fuir. Un jour, s'estant jetté dedans un tect à pourceaux, et gardé plus
soigneusement que de coustume, il demeura les yeux tellement fermez
qu'impossible fut les desclorre. Enfin Gertrude, fille aisnée de Clath,
aagée d'onze ans, s'approchant de lui, l'admonesta de prier Dieu que son
bon plaisir fust lui rendre la veue. Sur cela Guillaume la requit de prier,
ce qu'elle fit, et incontinent elle lui ouvrit les yeux, au grand
esbahissement de chacun. Le diable l'exhortoit souvent de ne prester
l'oreille ni à sa maîtresse, ni aux autres qui lui rompoyent la teste, en
lui parlant de Dieu, duquel il ne pouvoit estre aidé, puisqu'il estoit mort
une fois, ainsi qu'il l'avoit entendu prescher publiquement.»

«Or comme une fois il s'efforçoit de taster impudiquement une chambrière de
cuisine, et qu'elle le tançast par son nom, il respondit d'une voix
enrouée, qu'il ne se nommoit pas Guillaume mais Beelzebub: à quoi la
maistresse respondit: Pense tu donc que nous te craignons? Celui auquel
nous nous fions, est infiniment plus fort et plus puissant que tu n'es.
Alors Clath lut l'onziesme chapitre de St-Luc où il est fait mention du
diable muet jeté dehors par la puissance de nostre Sauveur, et aussi de
Beelzebub, prince des diables. A la parfin Guillaume commence à reposer, et
dort jusques au matin, comme un homme esvanoui: puis ayant pris un bouillon
et se sentant du tout allégé, il fut ramené chez ses parents après avoir
remercié ses maistres et sa maistresse, et prié Dieu qu'il voulust les
récompenser pour les ennuis qu'ils avoyent receus de ceste affliction.
Depuis il se maria, eut des enfants, et ne se sentit plus de tourment du
diable.»

«L'an 1566, le dix-huictiesme jour de mars, avint en la ville d'Amsterdam
en Hollande un cas mémorable, duquel M. Adrian Nicolas, chancelier de
Gueldres, fit un discours public contenant ce qui s'ensuit: Il y a deux
mois ou environ (dit-il), qu'en ceste ville trente enfans commencèrent à
estre tourmentés d'une façon estrange, comme s'ils eussent esté maniaques
ou furieux. Par intervalles, ils se jettoyent contre terre et ce tourment
duroit demi-heure ou une heure au plus. S'estant relevez debout, ils ne se
souvenoyent d'aucun mal ni de chose quelconque facte lors, ains pensoyent
avoir dormi. Les médecins, ausquels on recourut, n'y firent rien... Les
sorciers ne firent pas davantage, les exorcistes perdirent aussi leur
temps. Durant les exorcismes les enfants vomirent force aiguilles, des
epingles, des doigtiers à couldre, des lopins de drap, des pièces de pots
cassez, du verre, des cheveux et telles autres choses: pour cela toutesfois
les enfans ne furent gueris, ains retomberent en ce mal de fois à autre, au
grand estonnement de chacun pour la nouveauté d'un si estrange spectacle.»

«Jean Laugius, très docte médecin, escrit au premier livre de ses
_Espitres_ estre avenu l'an 1539 à Fugenstal, village de l'évesché
d'Eysteten ce qui s'ensuit, vérifié par grand nombre de tesmoins. Ulric
Neusesser, laboureur demeurant en ce village, estoit misérablement
tourmenté d'une douleur de flancs. Un jour le chyrurgien ayant fait quelque
incision en la peau, l'on en tira un clou de fer: pour cela les douleurs ne
s'appaisèrent, au contraire accreurent tellement, que le pauvre homme tombe
en désespoir, d'un couteau tranchant se coupe la gorge. Comme on voulait le
cacher en terre, deux chyrurgiens lui ouvrirent l'estomach en présence de
plusieurs et dans icelui trouvèrent du bois rond et long, quatre cousteaux
d'acier les uns aigus, les autres dentelez comme une scie; ensemble deux
bastons de fer, chacun de neuf poulces de longueur et un gros toupillon de
cheveux: je m'esbahi comment cette ferraille a peu estre amassée dedans la
capacité de l'estomach et par quelle ouverture. C'est sans doute par un
artifice du diable, lequel suppose dextrement toutes choses, pour se
maintenir et faire redouter.

«Antoine Lucquet, chevalier de l'ordre de la Toison, personnage de grande
reputation par toute la Flandre, et conseiller au privé conseil de Brabant,
outre trois enfans légitimes, eut un bastard, qui print femme à Bruges.
Icelle peu après les noces commença d'être misérablement tourmentée par le
malin esprit, tellement qu'en quelque part qu'elle fust, mesme au milieu
des dames et damoiselles, elle estoit soudain emportée et trainée par les
chambres et souventes fois jettée puis en un coin, puis en l'autre, quoi
que ceux qui estoient présens taschassent de la retenir et de l'empescher.
Mais en ses agitations elle n'estoit pas beaucoup intéressée en son corps.
Chascun pensoit que ce mal lui eust esté procuré par une femme autrefois
entretenue par son mari, jeune homme de belle taille, gaillard et dispos.
En ses entrefaites, elle devint enceinte et ne cessa le malin esprit de la
tourmenter. Le terme de l'accouchement venu, il ne se trouve qu'une femme
en sa compagnie, laquelle fut incontinent envoyée vers la sage-femme.
Cependant il lui fut avis que cette femme, dont j'ai parlé, entroit dedans
la chambre et lui servoit de sage-femme, dont la pauvre damoiselle fut si
esperdue que le coeur lui en faillit. Revenue à soi, elle se trouva
deschargée de son fardeau; toutesfois, il n'aparut enfant quelconque dont
chascun demeura esperdu. Le jour suivant, l'accouchée trouva en son resveil
un enfant emmailloté et couché dedans le lict, qu'elle allaita par deux
fois. S'estant peu après endormie, l'enfant en fut pris de ses costez et
oncques depuis ne fut veu. Le bruit courut que l'on avoit trouvé dedans la
porte quelques billets avec des caractères magiques.»

Goulart[1] fait connaître, d'après Wier «les convulsions monstrueuses et
innombrables advenues aux nonnains du couvent de Kentorp en la cote de la
Marche près Hammone. Un peu devant leurs accès et durant celui, elles
poussoient de leur bouche une puante haleine, qui continuoit parfois
quelques heures. En leur mal aucunes ne laissoient d'avoir l'entendement
sain, d'ouïr et de reconnoistre ceux qui estoyent autour d'elles, encore
qu'à cause des convulsions de la langue et des parties servantes à la
respiration elles ne peussent parler durant l'accès. Or estoyent les unes
plus tourmentées que les autres et quelques-unes moins. Mais ceci leur
estoit commun, qu'aussitost que l'une estoit tourmentée, au seul bruit les
autres séparées en diverses chambres estoyent tourmentées aussi. Ayant
envoyé vers un devin, qui leur dit qu'elles avoient été empoisonnées par
leur cuisinière nommée Else Kamense, le diable empoignant ceste occasion
commença à les tourmenter plus que devant et les induisit à s'entremordre,
entrebattre et se jeter par terre les unes les autres. Après qu'Else et sa
mère eurent esté bruslées, quelques-uns des habitants de Hammone
commencèrent à estre tourmentez du malin esprit. Le pasteur de l'église en
appela cinq en son logis afin de les instruire et fortifier contre les
impostures de l'ennemi. Ils commencèrent à se mocquer du pasteur et à
nommer certaines femmes du lieu, chez lesquelles ils disoyent vouloir
aller, montez sur des boucs, qui les y porteroient. Incontinent l'un d'eux
se met à chevauchon sur une escabelle, s'escriant qu'il alloit et estoit
porté là. Un autre se mettant à croupeton se recourba du tout en devant
puis se roula vers la porte de la chambre, par laquelle soudain ouverte il
se jetta et tomba du haut en bas des degrés sans se faire mal.»

    [Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 143.]

«Les nonnains du couvent de Nazareth, à Cologne, dit le même auteur[1],
furent presque tourmentées comme celles de Kentorp. Ayant esté par long
espace de temps tempestées en diverses sortes par le diable, elles le
furent encore plus horriblement l'an 1564, car elles estoyent couchées par
terre et rebrassées comme pour avoir compagnie d'hommes. Durant laquelle
indignité leurs yeux demeuroyent clos, qu'elles ouvroyent après
honteusement et comme si elles eussent enduré quelque griève peine. Une
fort jeune fille nommée Gertrude, aagée de quatorze ans, laquelle avoit
esté enfermée en ce couvent ouvrit la porte à tout ce malheur. Elle avoit
souvent esté tracassée de ces folles apparitions en son lict, dont ses
risées faisoient la preuve quoiqu'elle essayât parfois d'y remédier mais en
vain. Car ainsi qu'une siene compagne gisoit en une couchette tout expres
pour la deffendre de ceste apparition, la pauvrette eut frayeur, entendant
le bruit qui se faisoit au lict de Gertrude, de laquelle le diable print
finalement possession, et commença de l'affliger par plusieurs sortes de
contorsions... Le commencement de toute cette calamité procédoit de
quelques jeunes gens desbauchez, qui ayant prins accointance par un jeu de
paulme proche de là, avec une ou deux de ces nonnains, estoyent depuis
montez sur les murailles pour jouyr de leurs amours.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 153.]

«Les tourmens que les diables firent à quelques nonnains enfermées à Wertet
en la comté de Horne, sont esmerveillables. Le commencement vint (à ce
qu'on dit) d'une pauvre femme, laquelle durant le caresme emprunta des
nonnains une quarte de sel pesant environ trois livres, et en rendit deux
fois autant, un peu devant Pasques. Dès lors elles commencerent à trouver
dedans leur dortoir des petites boules blanches semblables à de la dragée
de sucre, salées au goust, dont toutefois on ne mangea point, et ne
sçavoit-on d'où elles venoient. Peu de temps après elles s'apperceurent de
quelque chose qui sembloit se plaindre comme feroit un homme malade; elles
entendirent aussi une fois admonnestant quelques nonnains de se lever et
venir à l'aide d'une de leurs soeurs malade: mais elles ne trouverent rien,
y estant courues. Si quelques fois elles vouloient uriner en leur pot de
chambre, il leur estoit soudainement osté tellement qu'elles gastoyent leur
lict. Par fois elles en estoyent tirées par les pieds, traînées assez loin
et tellement chatouillées par les plantes, qu'elles en pasmoyent de rire.
On arrachoit une partie de la chair à quelques-unes, aux autres on
retournoit s'en devant derrière les jambes, les bras et la face.
Quelques-unes ainsi tourmentées vomissoyent grande quantité de liqueur
noire, comme ancre, quoi que auparavant elles n'eussent mangé six sepmaines
durant que du jus de raiforts, sans pain. Ceste liqueur estoit si amere et
poignante qu'elle leur eslevoit la première peau de la bouche, et ne
sçavoit-on leur faire sauce quelconque qui peust les mettre en appétit de
prendre autre chose. Aucunes estoient eslevées en l'air à la hauteur d'un
homme, et tout soudain rejettées contre terre. Or comme quelques-uns de
leurs amis jusques au nombre de treize fussent entrez en ce couvent pour
resjouir celles qui sembloyent soulagées et presque gueries, les unes
tomberent incontinent à la renverse hors de la table où elles estoyent,
sans pouvoir parler, ni conoistre personne, les autres demeurerent
estendues comme mortes, bras et jambes renversées. Une d'entre elles fut
soulevée en l'air, et quoi que les assistans s'efforçassent l'empescher et
y missent la main, toutes fois elle leur estoit arrachée maugré eux, puis
tellement rejettée contre terre qu'elle sembloit morte. Mais se relevant
puis après, comme d'un somme profond, elle sortoit du réfectoir n'ayant
aucun mal. Les unes marchoyent sur le devant des jambes, comme si elles
n'eussent point eu de pieds, et sembloit qu'on les trainast par derrière,
comme dedans un sac deslié. Les autres grimpoyent au faiste des arbres
comme des chats, et en descendoyent à l'aise du corps. Il advint aussi
comme leur abbesse parloit à madame Marguerite, comtesse de Bure, qu'on lui
pinça fort rudement la cuisse, comme si la pièce en eust esté emportée,
dont elle s'écria fort. Portée incontinent en son lict, la playe fut veue
livide et noire, dont toutes fois elle guérit. Cette bourrellerie de
nonnains dura trois ans a descouvert, depuis on tint cela caché.

«Ce qui advint jadis aux nonnains de Brigitte en leur couvent près de
Xante, convient à ce que nous venons de réciter. Maintenant elles
tressailloyent ou beeloyent comme brebis, ou faisoyent des cris horribles.
Quelques fois elles estoyent poussées hors de leurs chaires au temple où là
mesmes on leur attachoit la voile dessus la teste: et quelques fois leur
gavion estoit tellement estouppé qu'impossible leur estoit d'avaler aucune
viande. Ceste estrange calamité dura l'espace de dix ans en quelques-unes.
Et disoit-on qu'une jeune nonnain, esprise de l'amour d'un jeune homme en
estoit cause, pour ce que ses parens le lui avoyent refusé en mariage. Et
que le diable prenant la forme de ce jeune homme s'estoit monstré à elle en
ses plus ardentes chaleurs, et lui avoit conseillé de se rendre nonnain,
comme elle fit incontinent. Enfermée au couvent, elle devint comme furieuse
et monstra à chacun des horribles et estranges spectacles. Ce mal se glissa
comme une peste en plusieurs autres nonnains. Cette premiere sequestrée
s'abandonna à celui qui la gardoit et en eust deux enfans. Ainsi Satan
dedans et dehors le couvent fit ses efforts détestables.»

«Cardon rapporte qu'un laboureur... vomissait souventes fois du voirre[1],
des cloux et des cheveux, et (qu'après sa guérison) il sentait dedans son
corps une grande quantité de voirre rompu: lequel faisoit un bruit pareil à
celuy qui se fait par plusieurs pièces de voirre rompu enfermées en un sac.
Il dit encore qu'il se sentoit fort travaillé de ce bruit et que de
dix-huit en dix-huit nuicts sur les sept heures, encore qu'il n'observast
le nombre d'icelles, si est-ce qu'il avoit senti par l'espace de dix-huit
ans qu'il y avoit qu'il estoit guari, autant de coups en son coeur, comme
il y avoit d'heures à sonner: ce qu'il endurait non sans un grand
tourment.»

    [Note 1: Verre.]

«J'ay veu plusieurs fois, dit Goulart[1], une démoniaque, nommée George,
qui par l'espace de trente ans fut par intervalles fréquens tourmentée du
malin esprit, tellement que parfois en ma présence elle s'enfloit, et
demeuroit si pesante que huict hommes robustes ne pouvoyent la souslever de
terre. Puis un peu après, exhortée au nom de Dieu de s'accourager, certain
bon personnage lui tendant la main, elle se relevoit en pieds, et s'en
retournoit courbée et gémissante chez soy. En tels acces oncques elle ne
fit mal à personne quelconque fust de nuict, fust de jour, et si demeuroit
avec un sien parent qui avoit force petits enfans tellement accoustumez à
cette visitation, que soudain qu'ils l'entendoyent se tordre les bras,
fraper des mains, et tout son corps enfler d'estrange sorte, ils se
rangeoyent en certain endroit de la maison pour recommander ceste patiente
à Dieu. Leurs prières n'estoyent jamais vaines. La trouvant un jour en
certaine autre maison du village où elle demeuroit, je l'exhortoy à
patience... Elle commence à rugir de façon estrange, et de promptitude
merveilleuse me lance sa main gauche, dont elle m'empoigne les deux poings,
me serrant aussi ferme que si j'eusse été lié de fortes cordes. J'essaye me
despetrer, mais en vain, quoy que je fusse aussi robuste qu'un autre. Elle
ne me fit aucune nuisance, ni ne me toucha de la main droite. Ayant esté
retenu d'elle autant de temps que j'ai employé à descrire son histoire,
elle me lasche soudain, me demandant pardon. Je la recommande à Dieu, puis
la conduisis paisiblement en son logis... Quelques jours devant son
trespas, ayant esté fort tourmentée elle s'alicta, saisie d'une fièvre
lente. Alors la fureur du malin esprit fut tellement bridée et limitée, que
la patiente fortifiée extraordinairement en son âme par l'espace de dix ou
douze jours ne cessa de louer Dieu, qui l'avoit soutenue si
miséricordieusement en son affliction, consolant toutes personnes qui la
visitoyent... Je puis dire que Satan fut mis sous les pieds de ceste
patiente, laquelle deceda fort paisiblement en l'invocation de son
sauveur.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 791.]

Goulart[1] raconte que «il y avoit à Leuenstcet, village appartenant au duc
de Brunswick, une jeune fille nommée Marguerite Achels, aagée de vingt ans,
laquelle demeuroit avec sa soeur. Un jour de juin, voulant nettoyer
quelques souliers, elle prit l'un de ses cousteaux de demi pied de longueur
et comme elle commençoit, assise en un coin de chambre, et encore toute
faible d'une fièvre qui l'avoit tenue long-temps, entra soudain une
vieille, qui l'interrogua si elle avoit encore la fièvre, et comment elle
se portoit de sa maladie, puis sortit sans dire mot. Après que les souliers
eurent esté nettoyés, cette fille laisse tomber le couteau en son giron
lequel depuis elle ne put retrouver, encore qu'elle le cerchast
diligemment; ce qui l'effroya, mais encores plus quand elle descouvrit un
chien noir couché dessous la table qu'elle chassa, espérant trouver son
cousteau. Le chien tout irrité commence à lui monstrer les dents et
grondant se lance en rue, puis s'enfuit. Il sembla incontinent à cette
fille qu'elle sentit je ne sçay quoi, qui lui descendoit par derrière le
lez du dos comme quelque humeur froide, et soudain elle s'esvanouit
demeurant ainsi jusques au troisiesme jour suivant, qu'elle commença à
respirer un petit et à prendre quelque chose pour se sustanter. Or estant
diligemment interroguée de la cause de sa maladie, elle respondit sçavoir
certainement que le couteau tombé en son giron estoit entré dedans son
costé gauche, et qu'en ceste partie elle sentoit douleur. Et encore que ses
parents lui contredissent, d'autant qu'ils attribuoyent cette indisposition
a un humeur melancholique, et qu'elle resvoit à raison de sa maladie, de
ses longues abstinences et autres accidens, si ne cessa-elle point de
persister en ses plaintes, larmes et veilles continuelles, tellement
qu'elle en avoit le cerveau troublé et estoit quelquefois l'espace de deux
jours sans rien prendre, encore qu'on l'en priast par douceur, et
quelquefois on la contraignoit par force. Or avoit-elle ses accès plus
forts en un temps qu'en l'autre, tellement que son repos duroit peu à
raison des continuelles douleurs qui la tourmentoyent: tellement qu'elle
estoit contrainte de se tenir toute courbée sur un baston. Et ce qui plus
augmentoit son angoisse et diminuoit son allegement, estoit que
véritablement, elle croyoit que le cousteau fut en son corps et qu'en cela
chacun lui contredisoit opiniatrement, et lui proposoit l'impossibilité,
jugeant qu'elle avoit la phantasie troublée, attendu que rien
n'apparaissoit qui peust les induire à tel avis, sans que ses continuelles
larmes et plaintes, esquelles on la vit continuer pendant l'espace de
quelques mois et jusques à ce qu'il apparut au costé gauche un peu
au-dessus de la ratelle, entre les deux dernieres costes que nous nommons
fausses, une tumeur de la grosseur d'un oeuf, en forme de croissant,
laquelle accreut et diminua, selon que l'enfleure apparut et print fin.
Alors ceste pauvre malade leur dit: Jusques à présent vous n'avez voulu
croire que le cousteau fut en mon corps, mais vous verrez bientôt comme il
est caché en mon costé. Ainsi le trentième de juin, à sçavoir environ
treize mois accomplis de cette affliction, sortit si grande abondance de
boue hors de l'ulcère, qui s'estoit fait en ce costé, que l'enflure vint à
diminuer, et lors parut la pointe du couteau que la fille désiroit
arracher: toutes fois elle en fut empeschée par ses parens, lesquels
envoyèrent chercher le chirurgien du duc Henri, qui pour lors estoit au
chasteau de Wolfbutel. Ce chirurgien venu le quatriesme jour de juillet,
pria le curé de consoler, instruire et accourager la fille, et de prendre
garde aussi à ses réponses, pour autant que chacun la réputoit démoniaque.
Elle condescendit à estre gouvernée par le chirurgien, non sans opinion que
la mort soudaine s'en ensuivroit. Le chirurgien, voyant la pointe du
cousteau qui se monstroit sous les costes le tint avec ses instruments et
le trouva semblable à l'autre, qui estoit resté dans la gaine, et fort usé
environ le milieu du tranchant. Depuis l'ulcère fut guéri par le
chirurgien.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 155.]

Mélanchthon[1] cité par Goulart[2] rapporte «qu'il y avoit une fille au
marquisat de Brandebourg, laquelle en arrachant des poils du vestement de
quelque personnage que ce fust, ces poils estoyent incontinent changez en
pièces de monnoye du pays, lesquelles ceste fille maschoit avec un horrible
craquement de dents. Quelques-uns luy ayant arraché de ces pièces d'entre
les mains trouvèrent que c'estoyent vrayes pièces de monnoye, et les
gardent encore. Au reste cette fille estoit fort tourmentée de fois à
autre: mais au bout de quelques mois elle fut du tout guerie et a vescu
depuis en bonne santé; on fit souvent prières pour elle, et s'abstint-on
expressément de toutes autres cérémonies.»

    [Note 1: En ses _Épîtres_.]

    [Note 2: _Thrésor des histoires admirables_.]

«J'ay entendu, rapporte le même auteur au même endroit[1], qu'en Italie y
avoit une femme fort idiote, agitée du diable, laquelle enquise par Lazare
Bonami, personnage assisté de ses disciples, quel estoit le meilleur vers
de Virgile, répondit tout soudain:

    [Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t.
    I, p. 143.]

  _Discite justitiam moniti et non temnere divos_.

C'est, adjousta-t-elle le meilleur et le plus digne vers que Virgile fit
oncques: va-t-en et ne retourne plus ici pour me tenter.»

Une nommée Louise Maillat, petite démoniaque qui vivait en 1598, perdit
l'usage de ses membres; on la trouva possédée de cinq démons qui
s'appelaient _loup, chat, chien, joly, griffon_. Deux de ces démons
sortirent d'abord par sa bouche en forme de pelotes de la grosseur du
poing; la première rouge comme du feu, la seconde, qui était le chat,
sortit toute noire; les autres partirent avec moins de violence. Tous ces
démons étant hors du corps de la jeune personne firent plusieurs tours
devant le foyer et disparurent. On a su que c'était Françoise Secrétain qui
avait fait avaler ces diables à cette petite fille dans une croûte de pain
de couleur de fumier[1].

    [Note 1: M. Garinet, _Hist. de la Magie en France_, p. 162.]



II.--ENSORCELÉS


«On tient, dit Goulart[1], d'après Vigenère[2], que si les sorciers
guérissent (c'est-à-dire dessorcelent) un homme maleficié, et par eux ou
autres leurs compagnons ensorcellé, il faut qu'ils donnent le sort à un
autre. Cela est vulgaire par leur confession. De fait, j'ay veu un sorcier
d'Auvergne prisonnier à Paris, l'an 1569, qui guerissoit les bestes et les
hommes quelquefois: et fut trouvé saisi d'un grand livre, plein de poils de
chevaux, vaches et autres bestes, de toutes couleurs. Quand il avoit jeté
le sort pour faire mourir quelque cheval, on venoit à lui, et le guerissoit
en apportant du poil; puis il donnoit le sort à un autre, et ne prenoit
point d'argent; car autrement (comme il disoit) il n'eust pas gueri. Aussi
estoit-il habillé d'une vieille saye composée de mille pieces. Un jour
ayant donné le sort au cheval d'un gentilhomme, on vint à lui. Il guerit le
cheval et donna le sort au palefrenier. On retourne afin qu'il guerist
l'homme. Il respond qu'on demandast au gentilhomme lequel il aimoit mieux
perdre, son homme ou son cheval. Tandis que le gentilhomme fait de
l'empesché et qu'il delibère, son homme mourut, et le sorcier fut pris. Il
fait à noter que le diable veut toujours gaigner au change, tellement que
si le sorcier oste le sort à un cheval, il le donnera à un autre cheval qui
vaudra mieux. S'il guérit une femme, la maladie tombera sur un homme. S'il
dessorcelle un vieillard, il ensorcellera un jeune garçon. Et si le sorcier
ne donne le sort à un autre il est en danger de sa vie. Brief si le diable
guérit (en apparence) le corps, il tue l'ame.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 826.]

    [Note 2: Annotation sur la statue d'Esculape, au 2e volume de
    _Philostrate_.]

«J'en reciteray quelques exemples, dit Bodin[1]: M. Fournier, conseiller
d'Orléans, m'a raconté d'un nommé Hulin Petit, marchand de bois en ceste
ville-là, qu'estant ensorcellé à la mort, il envoya querir un qui se disoit
guerir de toutes maladies (suspect toutes fois d'estre grand sorcier), pour
le guérir: lequel fit response qu'il ne pouvoit le guerir s'il ne donnoit
la maladie à son fils, qui estoit encores à la mammelle. Le (malheureux)
père consentit au parricide de son fils; qui fait bien à noter pour
conoistre la malice de Satan, et la juste fureur du Souverain sur les
personnes qui recourent à cest esprit homicide et à ses instrumens. La
nourrisse entendant cela s'enfuit avec son fils, pendant que le sorcier
touchoit le père pour le guerir. Après l'avoir touché, le père se trouva
gueri. Mais le sorcier demandant le fils, et ne le trouvant point, commence
à crier: Je suis mort! où est l'enfant? Ne l'ayant point trouvé, il s'en
alla; mais il n'eut pas mis les pieds hors la porte que le diable le tua
soudain. Il devint aussi noir que si on l'eust noirci de propos délibéré.»

    [Note 1: Démonomanie, liv. III, ch. II.]

«J'ay sceu aussi qu'au jugement d'une sorciere, accusée d'avoir ensorcellé
sa voisine en la ville de Nantes, les juges lui commanderent de toucher
celle qui estoit ensorcellée; chose ordinaire aux juges d'Alemagne, et
mesmes en la chambre impériale cela se fait souvent. Elle n'en vouloit rien
faire: on la contraignit; elle s'escria: Je suis morte! Ayant touché la
femme ensorcellée, soudain elle guerit; et la sorcière tomba roide morte
par terre. Elle fut condamnée d'estre bruslée toute morte. Je tiens
l'histoire de l'un des juges qui assista au jugement.»

«J'ai aprins à Thoulouse, qu'un escholier du parlement de Bourdeaux voyant
son ami travaillé d'une fièvre quarte à l'extrémité, lui conseilla de
donner sa fièvre à l'un de ses ennemis. Il fit réponse qu'il n'avoit point
d'ennemis. Donnez-la donc, dit-il, à vostre serviteur: de quoy le malade
ayant fait conscience, enfin le sorcier lui dit: Donnez-la-moi. Le malade
respond: Je le veux bien. La fièvre empoigne le sorcier qui en mourut, et
le malade reschappa.»

«C'est aux juges qui commandent, reprend Goulart, d'après Vigenère, et à
ceux qui permettent aux sorciers de toucher les personnes ensorcellées, de
penser à leurs consciences. Dieu seul guérit, Satan frappe par les
sorciers, Dieu le permettant ainsi. Mais Satan ni ses instrumens ne
guérissent point: ains par le courroux redoutable du juste juge, levant le
baston de dessus un pour charger sur l'autre, soit au corps, soit à l'âme,
comme ces exemples le monstrent. Et ainsi font tousjours mal. Comme aussi
Bodin adjouste proprement que les sorciers à l'aide de Satan (auquel ils
servent d'instrumens volontaires, et qui ont leur mouvement procédant d'une
affection dépravée) peuvent nuire et offenser non pas tous, mais seulement
ceux que Dieu permet par son jugement secret (soyent bons ou mauvais) pour
chastier les uns et esprouver les autres; afin de multiplier en ses esleus
sa bénédiction les ayant trouvez (c'est-à-dire rendus par sa grâce tout
puissante) fermes et constans. Néantmoins (dit-il) pour monstrer que les
sorciers, par leurs maudites execrations et sacrifices detestables, sont
ministres de la vengeance de Dieu, prestans la main et la volonté à Satan,
je reciteray une histoire estrange. Au duché de Clèves, près du bourg
d'Elten, sur le grand chemin, les gens de pied et de cheval estoyent
frappez et battus, et les charettes versées: et ne se voyoit autre chose
qu'une main qu'on appeloit Ekerken. Enfin l'on print une sorcière nommée
Sybille Dinscops, qui demeuroit es environs de ce pays-là. Et depuis
qu'elle fut bruslée on n'y a rien veu. Ce fut l'an 1535.»

«Près le village de Baron en Valois fut jetté un bouquet au passage d'un
escallier pour entrer d'un mauvais chemin en un champ: si empoisonné mais
de sortilège, qu'un chien ayant bondi par-dessus le premier en mourut
soudain. Le maistre passa après; et encore que la première furie et vigueur
de l'enchantement, pour avoir operé sur cest animal fust aucunement
rebouchée, l'homme ne laissa pas pour cela d'entrer en un acces d'ire dont
il cuida presque mourir, et en estoit desja en termes, si l'autheur ayant
esté pris par soupçon n'eus desfait le charme. Il fut tost apres executé
dans Paris et confessa à la mort que si l'autre eust levé le bouquet il fut
expiré sur le champ.»

«Je raconteray encore ce que j'ay ouï n'y a pas longtemps raconter à
monseigneur le duc de Nivernois et à plus de vingt gentils hommes dignes de
foy avoir veu de leurs propres yeux, ce qui advint à Neufvy-sur-Loire, où
le sieur et la dame du lieu ayant déposé leur procureur fiscal, tost après
une jeune fille qu'ils avoyent de l'aage de quinze à seize ans, se trouva
tout à un instant saisie d'une langueur universelle en tous ses membres, si
qu'elle sechoit à veue d'oeil, sans que les médecins y peussent non
seulement trouver remede d'y donner quelque allegement, mais non pas mesme
concevoir aucune occasion apparente d'où pouvoit prevenir ce mal. Estans
doncques venus le père et la mère comme au dernier desespoir, il leur va
tomber en la fantaisie que ce pourroit estre par avanture quelque vengeance
de leur procureur, qui avoit une fort estroite communication et accointance
avec un berger d'auprès de Sancerre, le plus grand sorcier de tout le
Berry: et sur ce soupçon le firent fort bien mettre en cul de fosse; là où
menacé d'infinies tortures, il desbagoula enfin que ceste damoiselle avoit
esté ensorcellée par le berger, lequel avoit fait une image de cire: et à
mesure qu'il la molestoit la fille se trouvoit molestée de mesme. Enfin ils
dirent à la mère: Madame, il n'y a qu'un seul moyen de la guerir, et faut
nécessairement que pour la sauver vous vous resolviez de perdre la plus
chere chose que vous ayez en ce monde, excepté les créatures raisonnables.
En bonne foy, répondit-elle, je vous en diray la pure vérité: il n'y a rien
que pour le regard j'aime tant que ma guenon. Mais pour garantir ma fille
de la langueur où je la voy, je vous l'abandonne. On ne se donna garde que
peu de jours après on vid la fille s'aider d'un bras, et la guenon demeurer
percluse de mesme. Consequemment peu à peu dans la revolution de la lune
ceste jeune damoiselle fut du tout guerie, fors sa foiblesse, et la guenon
mourut en douleurs extremes.»

Suivant Bodin[1], «Hippocrates, au livre _de l'Épilepsie_, qu'il appelle
maladie sacrée, escrit qu'il y avoit plusieurs imposteurs qui se vantoyent
de guérir du mal caduc, disant que c'estoit la puissance des démons: en
fouissant en terre, ou jettant en la mer le sort d'expiation, et la plupart
n'estoit que belistres. Enfin il adjouste, il n'y a que Dieu qui efface les
pechers, qui soit notre salut et delivrance. Et à ce propos Jacques
Spranger, inquisiteur des sorciers, escrit qu'il a veu un evesque
d'Alemagne, lequel estant ensorcellé fut averti par une vieille sorcière
que sa maladie estoit venue par malice, et qu'il n'y avoit moyen de la
guerir que par sort, en faisant mourir la sorcière qui l'avoit ensorcelé.
De quoy estant estonné, il envoye en poste à Rome prier le pape Nicolas V
qu'il lui donnast dispense de guerir en ceste sorte: ce que le pape lui
accorda, aimant uniquement l'evesque; et portoit la dispense ceste clause,
pour fuir de deux maux le plus grand. La dispense venue, la sorcière dit,
puisque le pape et l'evesque le vouloyent, qu'elle s'y employeroit. Sur la
minuict l'evesque recouvra santé; et au mesme instant la sorcière qui avoit
ensorcellé l'evesque fut frappée de maladie dont elle mourut. Aussi void-on
que Satan fit que le pape, l'evesque et la sorcière furent homicides: et
laissa à tous trois une impression de servir et obéir à ses commandemens:
et cependant la sorcière qui mourut ne voulut oncques se repentir, au
contraire elle se recommandoit à Satan afin qu'il la guerist. On voit aussi
le terrible jugement de Dieu qui se venge de ses ennemis par ses ennemis.
Car ordinairement les sorciers descouvrent le malefice, et se font mourir
les uns les autres: d'autant qu'il ne chaut à Satan par quel moyen, pourveu
qu'il vienne à bout du genre humain, en tuant le corps ou l'ame, ou les
deux ensemble. Je diray un exemple avenu en Poictou, l'an 1571. Le roy
Charles IX ayant disné commanda qu'on lui amenast le sorcier
Trois-Eschelles, auquel il avoit donné sa grace pour accuser ses complices.
Il confessa devant le roy, enpresence de plusieurs grands seigneurs, la
façon du transport des sorciers, des danses, des sacifices faits à Satan,
des paillardises avec les diables en figures d'hommes et de femmes: et que
chacun prenoit des pouldres pour faire mourir gens, bestes et fruits. Et
comme chacun s'estonnoit de ce qu'il disoit, Gaspar de Colligni, lors
amiral de France, qui estoit présent, dit qu'on avoit prins en Poictou peu
de temps auparavant un jeune garçon accusé d'avoir fait mourir deux
gentilshommes. Il confessa qu'il estoit leur serviteur, et que les ayant
veu jetter des pouldres aux maisons, et sur des bleds, disant ces mots,
Malediction, etc., ayant trouvé de ces pouldres il en print, et en jetta
sur le lict où couchoyent les deux gentilshommes, qui furent trouver morts
en leur lict, tout enflez, et tout noirs. Il fut absouls par les juges.
Trois-Eschelles en raconta lors beaucoup de semblables.»

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. III, ch. V.]

Le vendredi, 1er mai 1705, à cinq heures du soir, Denis Milanges de la
Richardière, fils d'un avocat au parlement de Paris, fut attaqué, à
dix-huit ans, de léthargies et de démences si singulières, que les médecins
ne surent qu'en dire. On lui donna de l'émétique, et ses parents
l'emmenèrent à leur maison de Noisy-le-Grand, où son mal devint plus fort;
si bien qu'on déclara qu'il était ensorcelé.

On lui demanda s'il n'avait pas eu de démêlés avec quelque berger; il conta
que le 18 avril précédent, comme il traversait à cheval le village de
Noisy, son cheval s'était arrêté court dans la rue de Feret, vis-à-vis
la chapelle, sans qu'il pût le faire avancer; qu'il avait vu sur ces
entrefaites un berger qu'il ne connaissait pas, lequel lui avait dit:
Monsieur, retournez chez vous, car votre cheval n'avancera point.

Cet homme, qui lui avait paru âgé d'une cinquantaine d'années, était de
haute taille, de mauvaise physionomie, ayant la barbe et les cheveux noirs,
la houlette à la main, et deux chiens noirs à courtes oreilles auprès de
lui.

Le jeune Milanges se moqua du propos du berger. Cependant il ne put faire
avancer son cheval et il fut obligé de le ramener par la bride à la maison,
où il tomba malade. Était-ce l'effet de l'impatience et de la colère? ou le
sorcier lui avait-il jeté un sort?

M. de la Richardière le père fit mille choses en vain pour la guérison de
son fils. Comme un jour ce jeune homme rentrait seul dans sa chambre, il y
trouva son vieux berger, assis dans un fauteuil, avec sa houlette et ses
deux chiens noirs. Cette vision l'épouvanta; il appela du monde; mais
personne que lui ne voyait le sorcier. Il soutint toutefois qu'il le voyait
très bien; il ajouta même que ce berger s'appelait _Danis_, quoiqu'il
ignorât qui pouvait avoir révélé son nom. Il continua de le voir tout seul.
Sur les six heures du soir, il tomba à terre en disant que le berger était
sur lui et l'écrasait; et, en présence de tous les assistants, qui ne
voyaient rien, il tira de sa poche un couteau pointu, dont il donna cinq
ou six coups dans le visage du malheureux par qui il se croyait assailli.

Enfin, au bout de huit semaines de souffrances, il alla à Saint-Maur, avec
confiance qu'il guérirait ce jour-là. Il se trouva mal trois fois; mais
après la messe, il lui sembla qu'il voyait saint Maur debout, en habit de
bénédictin, et le berger à sa gauche, le visage ensanglanté de cinq coups
de couteau, sa houlette à la main et ses deux chiens à ses côtés. Il
s'écria qu'il était guéri, et il le fut en effet dès ce moment.

Quelques jours après, chassant dans les environs de Noisy, il vit
effectivement son berger dans une vigne. Cet aspect lui fit horreur; il
donna au sorcier un coup de crosse de fusil sur la tête: Ah! monsieur, vous
me tuez! s'écria le berger en fuyant; mais le lendemain il vint trouver M.
de la Richardière, se jeta à ses genoux, lui avoua qu'il s'appelait Danis,
qu'il était sorcier depuis vingt ans, qu'il lui avait en effet donné le
sort dont il avait été affligé, que ce sort devait durer un an; qu'il n'en
avait été guéri au bout de huit semaines qu'à la faveur des neuvaines qu'on
avait faites; que le maléfice était retombé sur lui Danis, et qu'il se
recommandait à sa miséricorde. Puis, comme les archers le poursuivaient, le
berger tua ses chiens, jeta sa houlette, changea d'habits, se réfugia à
Torcy, fit pénitence et mourut au bout de quelques jours...

Le père Lebrun, qui rapporte[1] longuement cette aventure, pense qu'il peut
bien y avoir là sortilège. Il se peut aussi, plus vraisemblablement, qu'il
n'y eût qu'hallucination.

    [Note 1: _Histoire des pratiques superstitieuses_, t. I, p. 281.]



III.--HOMMES CHANGÉS EN BÊTES. LYCANTHROPES. LOUPS-GAROUS.


Suivant Donat de Hautemer[1], cité par Goulart[2]. «il y a des lycanthropes
esquels l'humeur melancholique domine tellement qu'ils pensent
véritablement estre transmuez en loups. Ceste maladie, comme tesmoigne
Aetius au sixiesme livre, chapitre XI et Paulus au troisième livre,
chapitre XVI, et autres modernes, est une espece de melancholie, mais
estrangement noire et vehemente. Car ceux qui en sont atteints sortent de
leurs maisons au mois de fevrier, contrefont les loups presques en toute
chose, et toute nuict ne font que courir par les coemetieres et autour des
sepulchres, tellement qu'on descouvre incontinent en eux une merveilleuse
alteration de cerveau, surtout en l'imagination et pensée misérablement
corrompue: en telle sorte que leur memoire a quelque vigueur, comme je l'ay
remarqué en un de ces melancholiques lycanthropes que nous appelons
loups-garoux. Car lui qui me conoissoit bien, estant un jour saisi de son
mal, et me rencontrant, je me tiray à quartier craignant qu'il m'offensast.
Lui m'ayant un peu regardé passa outre suivi d'une troupe de gens. Il
portait lors sur ses espaules la cuisse entière et la jambe d'un mort.
Ayant esté soigneusement medicamenté, il fut gueri de cette maladie. Et me
rencontrant une autre fois me demanda si j'avais point eu peur, lorsqu'il
me vint à la rencontre en tel endroit: ce qui me fait penser que sa memoire
n'estoit point blessée en l'accès et vehemence de son mal, combien que son
imagination le fust grandement.

    [Note 1: Au IXe chapitre de son _Traicté de la guérison des
    maladies_.]

    [Note 2: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 336.]

«Guillaume de Brabant, au récit de Wier[1] répété par Goulart[2], a escrit
en son _Histoire_ qu'un homme de sens et entendement rassis, fut toutes
fois tellement travaillé du malin esprit, qu'en certaine saison de l'année
il pensoit estre un loup ravissant, couroit çà et là dedans les bois,
cavernes et deserts, surtout après les petits enfants: mesmes il dit que
cest homme fut souvent trouvé courant par les déserts comme un homme hors
du sens, et qu'enfin par la grâce de Dieu il revint à soy et fut guéri. Il
y eust aussi, comme récite Job Fincel au IIe livre _des Miracles_, un
villageois près de Paule l'an mil cinq cens quarante et un, lequel pensoit
estre loup, et assaillit plusieurs hommes par les champs: en tua
quelques-uns. Enfin, prins et non sans grande difficulté, il asseura
fermement qu'il estoit loup, et qu'il n'y avoit autre différence, sinon que
les loups ordinairement estoyent velus dehors et lui l'estoit entre cuir et
chair. Quelques-uns trop inhumains et loups par effect, voulans
expérimenter la vérité du faict, lui firent plusieurs taillades sur les
bras et sur les jambes, puis conoissans leur faute, et l'innocence de ce
melancholique, le commirent aux chirurgiens pour le penser, entre les mains
desquels il mourut quelques jours après. Les affligez de telle maladie sont
pasles, ont les yeux enfoncez et haves, ne voyent que malaisément, ont la
langue fort seiche, sont alterez et sans salive en bouche. Pline et autres
escrivent que la cervelle d'ours esmeut des imaginations bestiales. Mesme
il se dit que l'on en fit manger de nostre temps à un gentil-homme
espagnol, lequel en eut la fantaisie tellement troublée, que pensant estre
transformé en ours, il s'enfuit dans les montagnes et deserts.»

    [Note 1: En son IVe livre _Des prestiges_, ch. XXIII.]

    [Note 2: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 336.]

«Quant aux lycanthropes, qui ont tellement l'imagination blessée, dit
Goulart[1], qu'outre plus que par quelque particularité efficace de Satan,
ils apparoissent loups et non hommes à ceux qui les voyent courir et faire
divers dommages, Bodin soustient que le diable peut changer la figure d'un
corps en autre, veu la puissance grande que Dieu lui donne en ce monde
élémentaire. Il veut donc qu'il y ait des lycanthropes transformez
réellement et de fait d'hommes en loups, alléguant divers exemples et
histoires à ce propos. Enfin après plusieurs disputes, il maintient l'une
et l'autre sorte de lycanthropie. Et quant à celle-ci, represente tout à la
fin de ce chapitre le sommaire de son propos, à sçavoir, que les hommes
sont quelquefois transmuez en beste, demeurant la forme et la raison
humaine: soit que cela se fasse par la puissance de Dieu immédiatement,
soit qu'il donne ceste puissance à Satan, exécuteur de sa volonté, ou
plustost de ses redoutables jugements. Et si nous confessons (dit-il) la
vérité de l'histoire sacrée en Daniel, touchant la transformation de
Nabuchodonosor, et de l'histoire de la femme de Lot changée en pierre
immobile, il est certain que le changement d'homme en boeuf ou en pierre
est possible: et par conséquent possible en tous autres animaux.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 338.]

G. Peucer[1] dit en parlant de la lycanthropie: «Quant est de moy j'ay
autresfois estimé fabuleux et ridicule ce que l'on m'a souvent conté de
cette transformation d'hommes en loups: mais j'ay aprins par certains et
éprouvez indices et par tesmoins dignes de foy que ce ne sont choses du
tout controverses et incroyables, attendu ce qu'ils disent de telles
transformations qui arrivent tous les ans douze jours après Noel en Livonie
et les pays limitrophes: comme ils l'ont sceu au vray par les confessions
de ceux qui ont été emprisonnez et tourmentez pour tels forfaits. Voicy
comme ils disent que cela se fait. Incontinent apres que le jour de Noel
est passé, un garçon boiteux va par pays appeler ces esclaves du diable,
qui sont en grand nombre, et leur enjoint de s'acheminer après luy. S'ils
different ou retardent, incontinent vient un grand homme avec un fouet fait
de chaînettes de fer, dont il se hate bien d'aller, et quelquefois estrille
si rudement ces misérables, que long-temps après les marques du fouet
demeurent et font grande douleur à ceux qui ont esté frappez. Incontinent
qu'ils sont en chemin les voilà tous changez et transformez en loups... Ils
se trouvent par milliers, ayans pour conducteur ce porte-fouet après lequel
ils marchent, s'estimans estre devenus loups. Estans en campagne, ils se
ruent sur les troupeaux de bestail qui se trouvent, deschirent et emportent
ce qu'ils peuvent, font plusieurs autres dommages; mais il ne leur est
point permis de toucher ni blesser les personnes. Quand ils approchent des
rivières, leur guide fend les eaux avec son fouet tellement qu'elles
semblent s'entr'ouvrir et laisser un entre deux pour passer à sec. Au bout
de douze jours toute la troupe s'escarte, et chascun retourne en sa maison
ayant despoullé la forme de loup et reprins celle d'homme. Cette
transformation se fait, disent-ils, en ceste sorte. Les transformez tombent
soudain par terre comme gens sujets au mal caduc, et demeurent estendus
comme morts et privez de tout sentiment, et ils ne bougent de là ni ne vont
en lieu quelconque, ni ne sont aucunement transformez en loups, ains
ressemblent à des charongnes, car quoy qu'on les roule et secoue ils ne
montrent aucune apparence quelconque de vie.»

    [Note 1: _Les Devins_, p. 198.]

Bodin[1] rapporte en effet plusieurs cas de lycanthropie et d'hommes
changés en bêtes.

    [Note 1: _Démonomanie_.]

«Pierre Mamot, en un petit traicté qu'il a fait des sorciers, dit avoir veu
ce changement d'hommes en loups, luy estant en Savoye. Et Henry de Cologne
au traicté qu'il a fait _de Lamiis_ tient cela pour indubitable. Et Ulrich
le meusnier en un petit livre qu'il a dédié à l'empereur Sigismond, escrit
la dispute qui fut faite devant l'empereur et dit qu'il fut conclu par vive
raison et par l'expérience d'infinis exemples que telle transformation
estoit véritable, et dit luy-mesme avoir veu un lycanthrope à Constance,
qui fut accusé, convaincu, condamné et puis exécuté à mort après sa
confession. Et se trouvent plusieurs livres publiez en Allemagne que l'un
des plus grands rois de la chrétienté, qui est mort n'a pas longtemps, et
qui estoit en réputation d'être l'un des plus grands sorciers du monde
souvent estoit mué en loup.»

«Il me souvient que le procureur général du roy Bourdin m'en a récité un
autre qu'on luy avoit envoyé du bas pays, avec tout le procès signé du juge
et des greffiers, d'un loup qui fut frappé d'un traict dans la cuisse, et
depuis se trouve dans son lict avec le traict, qui luy fut arraché estant
rechangé en forme d'homme et le traict cogneu par celuy qui l'avoit tiré,
le temps et le lieu justifié par la confession du personnage.»

«Garnier jugé et condamné par le parlement de Dole estant en forme de
loup-garou print une jeune fille de l'aage de dix à douze ans près le bois
de la Serre, en une vigne, au vignoble de Chastenoy près Dole un quart de
lieue, et illec l'avoit tuée, et occise tant avec ses mains semblans
pattes, qu'avec ses dents, et mangé la chair des cuisses et bras d'icelle,
et en avoit porté à sa femme. Et pour avoir en mesme forme un mois après
pris une autre fille et icelle tuée pour la manger s'il n'eust esté empéché
par trois personnes comme il l'a confessé; et quinze jours après avoir
estranglé un jeune enfant de dix ans au vignoble de Gredisans et mangé la
chair des cuisses, jambes et ventre d'iceluy, et pour avoir en forme
d'homme et non de loup tué un autre garçon de l'aage de douze à treze ans
au bois du village de Porouse en intention de le manger, si on ne l'eust
empesché, il fut condamné à estre brûlé vif et l'arrêt exécuté.»

«Au Parlement de Bezançon, les accusés estoient Pierre Burgot et Michel
Verdun qui confessèrent avoir renoncé à Dieu et juré de servir le diable.
Et Michel Verdun mena Burgot au bord du Chastel Charlon, où chacun avoit
une chandelle de cire verde qui faisoit la flamme bleue et obscure et
faisoient les danses et sacrifices au diable. Puis après s'estans oincts
furent retournez en loups courant d'une legereté incroyable, puis ils
s'estoyent changez en hommes et soudain rechangez en loups et couplez avec
louves avec tel plaisir qu'ils avoient accoutumé avec les femmes; ils
confessèrent aussi à sçavoir: Burgot avoir tué un jeune garçon de sept ans
avec ses pattes et dents de loup et qu'il le vouloit manger, n'eust esté
les paysans luy donnèrent la chasse... Et que tous deux avoient mangé
quatre jeunes filles; et qu'en touchant d'une poudre ils faisoient mourir
les personnes.»

«Job Fincel, au livre XI des _Merveilles_ écrit qu'il y avoit à Padoue un
lycanthrope qui fut attrappé et ses pattes de loup luy furent coupées, et
au mesme instant il se trouva les bras et les piez coupez. Cela est pour
confirmer le procès fait aux sorciers de Vernon (an 1556), qui
fréquentaient et s'assembloient ordinairement en un chastel vieil et ancien
en guise de nombre infini de chats. Il se trouva quatre ou cinq hommes qui
résolurent d'y demeurer la nuict, où ils se trouvèrent assaillis de la
multitude de chats; et l'un des hommes y fut tué, les autres bien marquez,
et néanmoins blessèrent plusieurs chats qui se trouvèrent après mués,
enfermés et bien blessés. Et d'autant que cela semblait incroyable, la
procédure fut délaissée.»

«Mais les cinq inquisiteurs qui estoient expérimentez en telles causes ont
laissé par écrit qu'il y eut trois sorciers près Strasbourg qui
assaillirent un laboureur en guise de trois grands chats, et en se
défendant il blessa et chassa les chats, qui se trouvèrent au lit malade en
forme de femmes fort blessées à l'instant même: et sur ce enquises elles
accusèrent celuy qui les avoit frappées, qui dit aux juges l'heure et le
lieu qu'il avoit été assailly de chats, et qu'il les avoit blessés.»

Guyon[1] rapporte l'histoire d'un enchanteur qui se changeait en
différentes bêtes:

    [Note 1: _Les diverses leçons_.]

«Aucuns persuadèrent, dit-il, à Ferdinand, empereur premier de ce nom, de
faire venir devant lui un enchanteur et magicien polonais en la ville de
Numbourg, pour s'informer quelle yssue auroit le different qu'il avoit avec
le Turc, touchant le royaume de Hongrie, et que non seulement il usoit de
divination, mais aussi faisoit beaucoup de choses merveilleuses, et combien
que ledit sieur Roy ne le vouloit voir, si est-ce que ses courtizans
l'introduirent dans sa chambre, où il fit beaucoup de choses admirables,
entre autres, il se transformoit en cheval, s'estanz oing de quelque
graisse, puis en forme de boeuf, et tiercement en lyon, tout en moins d'une
heure, dont ledit empereur eut si grande frayeur, qu'il commanda qu'on le
chassât, et ne voulut onc s'enquerir de ce maraud des choses futures.»

«Il ne faut plus douter, ajoute le même auteur[1], si Lucius Apuleius
Platonic auroit été sorcier, et s'il auroit esté transformé en asne,
d'autant qu'il en fut tiré en justice par devant le proconsul d'Affrique,
du temps de l'empereur Antonin premier, l'an de J.-C. 150, comme Appoloine
Tiance, longtemps avant luy, soubz Domitian, l'an 60, fut aussi actionné
pour mesme fait. Et plus de trois ans après ce bruit persista jusqu'au
temps de sainct Augustin qui estoit africain, qui l'a escrit et confirmé;
comme aussi de son temps le père d'un Prestantius fut transmué en cheval,
ainsi que ledit l'assura audit sainct Augustin... Son père estant décédé,
il despendit en peu de temps la plus grande partie de ses biens, usant des
arts magiques, et pour fuir la pauvreté pourchassa de se marier avec
Pudentille, femme veufve et riche d'Oer, fort longtemps, et y persista tant
qu'elle acquiesça. Bientôt après mourut un fils unique héritier qu'elle
avoit eu de son autre mary. Ces choses passées en ceste façon firent
conjecturer qu'il avoit par art magique séduit Pudentille, que plusieurs
illustres personnes n'avoyent pu faire condescendre à se marier, pour
parvenir aux biens du susdit fils. On disoit aussi que le grand et profond
sçavoir qui estoit en luy, pour les grandes et difficiles questions qu'il
résolvoit ordinairement passoit le commun des autres hommes, pour ce qu'il
avoit un démon ou diable familier. Plus, on lui avoit vu faire beaucoup de
choses admirables, comme se rendre invisible, autres fois se transformer en
cheval ou en oyseau, se percer le corps d'une espée, sans se blesser, et
plusieurs autres choses semblables. Il fut en fin accusé par un Sicilius
Aemilianus, censeur, devant Claude Maxime, proconsul d'Affrique, qu'on
disoit estre chrestien: on ne trouve point de condamnation contre luy. Or
qu'il aye esté transformé en asne, sainct Augustin le tient pour tout
asseuré, l'ayant lu dans certains autheurs véritables et dignes d'estre
creuz, aussi qu'il estoit du mesme pays: et ceste transformation lui advint
en Thessalie avant qu'il fust versé en la magie, par une sorcière qui le
vendit, laquelle le recouvra après qu'il eut servi de son mestier d'asne
quelques ans, ayant les mesmes forces et façons de manger et braire que les
autres asnes, l'ame raisonnable neantmoins demeura entière et saine, comme
luy-mesme atteste. Et à fin de couvrir son fait parce que le bruit estoit
tel et vraysemblable, il en a composé un livre qu'il a intitulé l'_Asne
d'or_, entremeslé de beaucoup de fables et discours, pour démonstrer les
vices des hommes de son temps, qu'il avoit ouy lire ou veu faire, durant sa
transformation, avec plusieurs de ses travaux et peines qu'il souffrit
durant sa métamorphose.»

    [Note 1: _Les diverses leçons_.]

«Quoy qu'il puisse estre, ledit sainct Augustin, au livre de la _Cité de
Dieu_, livre XVIII, chap. XVII et XVIII, récite que de son temps, il y
avoit es Alpes certaines femmes sorcières qui donnoyent à manger de certain
formage aux passants et soudainement estoyent transformez en asnes ou en
autres bestes de sommes, et leur faisoyent porter des charges jusqu'à
certains lieux; ce qu'ayant exécuté, leur rendoyent la forme humaine.»

«L'évesque de Tyr, historien, escrit que de son temps, qui pouvoit estre
1220, il y eut quelques Anglois que leur Roy envoyoit au secours des
Chrestiens qui guerroyoient en la terre saincte, qui estans arrivez en une
havre de l'isle de Cypre, une femme sorcière transmua un jeune soldat
anglois en asne, lequel voulant retourner vers ses compagnons dans le
navire fut chassé à coups de baston, lequel s'en retourna à la sorcière,
qui s'en servit jusqu'à ce qu'on s'apperceut que l'asne s'agenouilla dans
une Église, faisant choses qui ne pouvoyent partir que d'un animal
raisonnable, et par suspicion la sorcière qui le suivoit estant prise par
authorité de justice, le restitua en forme humaine trois ans après sa
transformation, laquelle fut sur le champ exécutée à mort.»

«Nous lisons, reprend Loys Guyon[1] qu'Ammonius, philosophe peripateticien,
avoit ordinairement à ses leçons et lors qu'il enseignoit un asne, qui
estoit du temps de Lucius Septimius Severus, empereur, l'an de J.-C. 196.
Je penseroy bien que cest asne eust esté autrefois homme, et qu'il
comprenait bien ce que ledit Ammonius enseignoit, car ces personnes
transformées, la raison leur demeure comme l'asseure le dit sainct Augustin
et plusieurs autres auteurs.»

    [Note 1: _Diverses leçons_, t. I, p. 426.]

«Fulgose escrit, livre VIII, chap. II, que du temps du pape Léon, qui
vivoit l'an 930, il y avoit en Allemagne deux sorcières hostesses qui
avoyent accoustumé de changer ainsi quelques fois leurs hostes en bestes,
et comme une fois elles changèrent un jeune garçon basteleur en asne, qui
donnoit mille plaisirs aux passans, n'ayant point perdu la raison, leur
voisin l'acheta bien cher, mais elles dirent à l'acheteur qu'elles ne le
luy garantiraient pas et qu'il le perdoit s'il alloit à la rivière. Or
l'asne s'estant un jour eschappé, courant au lac prochain où s'étant plongé
en l'eau, retourna en sa figure. Nostre Apuleius dit qu'il reprint sa forme
humaine pour avoir mangé des roses.»

«On voit encore aujourd'huy en Egypte des asnes qu'aucuns mènent en la
place publique lesquels font plusieurs tours d'agilité, et des singeries,
entendans tout ce qu'on leur commande, et l'exécutent: comme de monstrer la
plus belle femme de la compagnie, ce qu'ils font, et plusieurs austres
choses qu'on ne voudroit croire: ainsi que le récite Belon, medecin, en ses
observations, qu'il a veus et d'autres aussi, qui y ont esté, qui me l'ont
affirmé de mesme.»

«On amena un jour à sainct Macaire l'Egyptien, dit dom Calmet[1], une
honnête femme qui avoit été métamorphosée en cavalle par l'art pernicieux
d'un magicien. Son mari et tous ceux qui la virent crurent qu'elle étoit
réellement changée en jument. Cette femme demeura trois jours et trois
nuits sans prendre aucune nourriture, ni propre à l'homme, ni propre à un
cheval. On la fit voir aux prêtres du lieu, qui ne purent y apporter aucun
remède. On la mena à la cellule de sainct Macaire, à qui Dieu avoit révelé
qu'elle devoit venir. Ses disciples vouloient la renvoyer, croyant que
c'étoit une cavalle, ils avertirent le saint de son arrivée, et du sujet de
son voyage. Il leur dit: Vous êtes de vrais animaux, qui croyez voir ce qui
n'est point; cette femme n'est point changée, mais vos yeux sont fascinés.
En même temps, il répandit de l'eau bénite sur la tête de cette femme, et
tous les assistants la virent dans son premier état. Il lui fit donner à
manger, et la renvoya saine et sauve avec son mari. En la renvoyant, il lui
dit: Ne vous éloignez point de l'église, car ceci vous est arrivé, pour
avoir été cinq semaines sans vous approcher des sacremens de notre
Sauveur.»

    [Note 1: _Traité des apparitions des esprits_, t. I, p. 102.]



IV.--SORTILÈGES


On appelle sortilèges ou maléfices toutes pratiques superstitieuses
employées dans le dessein de nuire aux hommes, aux animaux ou aux fruits de
la terre. On appelle encore maléfices les malapies et autres accidents
malheureux causés par un art infernal et qui ne peuvent s'enlever que par
un pouvoir surnaturel.

Il y a sept principales sortes de maléfices employés par les sorciers: 1°
ils mettent dans le coeur une passion criminelle; 2° ils inspirent des
sentiments de haine ou d'envie à une personne contre une autre; 3° ils
jettent des ligatures; 4° ils donnent des maladies; 5° ils font mourir les
gens; 6° ils ôtent l'usage de la raison: 7° ils nuisent dans les biens et
appauvrissent leurs ennemis. Les anciens se préservaient des maléfices à
venir en crachant dans leur sein.

En Allemagne, quand une sorcière avait rendu un homme ou un cheval impotent
et maléficié, on prenait les boyaux d'un autre homme ou d'un cheval mort,
on les traînait jusqu'à quelque logis, sans entrer par la porte commune,
mais par le soupirail de la cave, ou par-dessous terre, et on y brûlait ces
intestins. Alors la sorcière qui avait jeté le maléfice sentait dans les
entrailles une violente douleur, et s'en allait droit à la maison où l'on
brûlait les intestins pour y prendre un charbon ardent, ce qui faisait
cesser le mal. Si on ne lui ouvrait promptement la porte, la maison se
remplissait de ténèbres avec un tonnerre effroyable, et ceux qui étaient
dedans étaient contraints d'ouvrir pour conserver leur vie[1]. Les
sorciers, en ôtant un sort ou maléfice, sont obligés de le donner à quelque
chose de plus considérable que l'être ou l'objet à qui ils l'ôtent: sinon,
le maléfice retombe sur eux. Mais un sorcier ne peut ôter un maléfice s'il
est entre les mains de la justice: il faut pour cela qu'il soit pleinement
libre.

    [Note l: Bodin, _Démonomanie_.]

On a regardé souvent les épidémies comme des maléfices. Les sorciers,
disait-on, mettent quelquefois, sous le seuil de la bergerie ou de l'étable
qu'ils veulent ruiner, une touffe de cheveux, ou un crapaud, avec trois
maudissons, pour faire mourir étiques les moutons et les bestiaux qui
passent dessus: on n'arrête le mal qu'en ôtant le maléfice. De Lancre dit
qu'un boulanger de Limoges, voulant faire du pain blanc suivant sa coutume,
sa pâte fut tellement charmée et maléficiée par une sorcière qu'il fit du
pain noir, insipide et infect.

Une magicienne ou sorcière, pour gagner le coeur d'un jeune homme marié,
mit sous son lit, dans un pot bien bouché, un crapaud qui avait les yeux
fermés; le jeune homme quitta sa femme et ses enfants pour s'attacher à la
sorcière; mais la femme trouva le maléfice, le fit brûler, et son mari
revint à elle[1].

    [Note 1: Delrio, _Disquisitions magiques_.]

Un pauvre jeune homme ayant quitté ses sabots pour monter à une échelle,
une sorcière y mit quelque poison sans qu'il s'en aperçut, et le jeune
homme, en descendant, s'étant donné une entorse, fut boiteux toute sa
vie[1].

    [Note 1: De Lancre, _De l'inconstance, etc._]

Une femme ensorcelée devint si grasse, dit Delrio, que c'était une boule
dont on ne voyait plus le visage, ce qui ne laissait pas d'être
considérable. De plus, on entendait dans ses entrailles le même bruit que
font les poules, les coqs, les canards, les moutons, les boeufs, les
chiens, les cochons et les chevaux, de façon qu'on aurait pu la prendre
pour une basse-cour ambulante.

Une sorcière avait rendu un maçon impotent et tellement courbé, qu'il avait
presque la tête entre les jambes. Il accusa la sorcière du maléfice qu'il
éprouvait; on l'arrêta, et le juge lui dit qu'elle ne se sauverait qu'en
guérissant le maçon. Elle se fit apporter par sa fille un petit paquet de
sa maison, et, après avoir adoré le diable, la face en terre, en marmottant
quelques charmes, elle donna le paquet au maçon, lui commanda de se baigner
et de le mettre dans son bain, en disant: _Va de par le diable_! Le maçon
le fit, et guérit. Avant de mettre le paquet dans le bain, on voulut savoir
ce qu'il contenait: on y trouva trois petits lézards vifs; et quand le
maçon fut dans le bain, il sentit sous lui comme trois grosses carpes,
qu'on chercha un moment après sans rien trouver[1].

    [Note 1: Bodin, _Démonomanie_.]

Les sorciers mettent parfois le diable dans des noix, et les donnent aux
petits enfants, qui deviennent maléficiés. Un de nos démonographes (c'est,
je pense, Boguet) rapporte que, dans je ne sais quelle ville, un sorcier
avait mis sur le parapet d'un pont une pomme maléficiée, pour un de ses
ennemis, qui était gourmand de tout ce qu'il pouvait trouver sans desserrer
la bourse. Heureusement le sorcier fut aperçu par des gens expérimentés,
qui défendirent prudemment à qui que ce fût d'oser porter la main à la
pomme, sous peine d'avaler le diable. Il fallait pourtant l'ôter, à moins
qu'on ne voulût lui donner des gardes. On fut longtemps à délibérer, sans
trouver aucun moyen de s'en défaire; enfin il se présenta un champion qui,
muni d'une perche, s'avança à une distance de la pomme et la poussa dans la
rivière, où étant tombée, on en vit sortir plusieurs petits diables en
forme de poissons. Les spectateurs prirent des pierres et les jetèrent à la
tête de ces petits démons, qui ne se montrèrent plus...

Boguet conte encore qu'une jeune fille ensorcelée rendit de petits lézards,
lesquels s'envolèrent par un trou qui se fit au plancher.

«Il faut bien prendre garde, dit Bodin[1], à la distinction des sortilèges,
pour juger l'énormité d'entre les sorciers qui ont convention expresse avec
le diable et ceux qui usent de ligatures et autres arts de sortilèges. Car
il y en a qui ne se peuvent oster ni punir par les magistrats, comme la
superstition de plusieurs personnes de ne filer par les champs, la crainte
de saigner de la narine senestre, ou de rencontrer une femme enceinte
devant disné. Mais la superstition est bien plus grande de porter des
rouleaux de papier pendus au col ou l'hostie consacrée en sa pochette;
comme faisoit le président Gentil, lequel fut trouvé saisi d'une hostie par
le bourreau qui le pendit à Montfaucon; et autres superstitions semblables
que l'Ecriture Saincte appelle abominations et train d'Amorrhéens. Cela ne
se peut corriger que par la parole de Dieu: mais bien le magistrat doit
chastier les charlatans et porteurs de billets qui vendent ces fumées là et
les bannir du pays. Car s'il est ainsi que les empereurs payens ayant banni
ceux qui faisoyent choses qui donnent l'espouvante aux ames
superstitieuses, que doyvent faire les chrestiens envers ceux là, ou qui
contrefont les esprits comme on fit à Orléans et à Berne? Il n'y a doute
que ceux là ne méritassent la mort comme aussi ceux de Berne furent
exécutez à mort: et en cas pareil de faire pleurer les crucifix ainsi qu'on
fit à Muret, près Thoulouse, et en Picardie, et en la ville d'Orleans à
Saint-Pierre des Puilliers. Mais quelque poursuite qu'on ait fait, cela est
demeuré impuni. Or c'est double impiété en la personne des prestres. Et
ceste impiété est beaucoup plus grande quand le prestre a paction avec
Satan et qu'il fait d'un sacrifice une sorcellerie detestable. Car tous les
théologiens demeurent d'accord que le prestre ne consacre point s'il n'a
intention de consacrer, encore qu'il prononce les mots sacramentaux.

    [Note 1: _Démonomanie_, livr. IV, ch. IV.]

De fait, il y eut un curé de Sainct-Jean-le-Petit à Lyon, lequel fut bruslé
vif l'an 1558 pour avoir dit, ce que depuis il confessa en jugement qu'il
ne consacroit point l'hostie quand il chantoit messe, pour faire damner les
paroissiens, comme il disoit, à cause d'un procès qu'il avoit contre eux...
Il s'est trouvé en infinis procès que les sorciers bien souvent sont
prestres, ou qu'ils ont intelligence avec les prestres: et par argent ou
par faveurs, ils sont induits à dire des messes pour les sorciers, et les
accommodent d'hosties, ou bien ils consacrent du parchemin vierge, ou bien
ils mettent des aneaux, lames characterisées, ou autres choses semblables
sur l'autel, ou dessous les linges: comme il s'est trouvé souvent. Et n'a
pas longtemps qu'on y a surprint un curé, lequel a évadé, ayant bon garant,
qui lui avoit baillé un aneau pour mettre sous les linges de l'autel quand
il disoit messe.»

«D'après dom Calmet[1], Aeneas Sylvius Piccolomini, qui fut depuis pape
sous le nom de Pie II, écrit dans son _Histoire de Bohême_ qu'une femme
prédit à un soldat du roi Wladislas que l'armée de ce prince seroit taillée
en pièces par le duc de Bohême; que si le soldat vouloit éviter la mort, il
falloit qu'il tuât la première personne qu'il rencontreroit en chemin,
qu'il lui coupât les oreilles et les mît dans sa poche; qu'avec l'épée dont
il l'auroit percée, il traçât sur terre une croix entre les jambes de son
cheval, qu'il la baisât, et que montant sur son cheval, il prit la fuite.
Le jeune homme exécuta tout cela. Wladislas livra la bataille, la perdit et
fut tué: le jeune soldat se sauva; mais entrant dans sa maison, il trouva
que c'étoit, sa femme qu'il avoit tuée et percée de son épée, et à qui il
avoit coupé les oreilles.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 100.]

Dom Calmet[1] nous apprend d'après Frédéric Hoffmann[2] que «Une bouchère
de la ville de Jenes, dans le duché de Weimar en Thuringe ayant refusé de
donner une tête de veau à une vieille femme, qui n'en offroit presque rien,
cette vieille se retira, grondant et murmurant entre ses dents. Peu de tems
après, la bouchère sentit de grandes douleurs de tête. Comme la cause de
cette maladie étoit inconnue aux plus habiles médecins, ils ne purent y
apporter aucun remède; cette femme rendoit de tems en tems par l'oreille
gauche de la cervelle, que l'on prit d'abord pour sa propre cervelle. Mais
comme elle soupçonnait cette vieille de lui avoir donné un sort à
l'occasion de la tête de veau, on examina la chose de plus près, et on
reconnut que c'étoit de la cervelle de veau; et l'on se fortifia dans cette
pensée, en voyant des osselets de la tête de veau, qui sortoient avec la
cervelle. Ce mal dura assez longtems, et enfin la femme du boucher guérit
parfaitement. Cela arriva en 1685.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 101.]

    [Note 2: _De Diaboli potentia in corpora_, 1736, p. 382.]

Bodin a escrit livre II, chap. III, de la _Démonomanie_, dit Guyon[1], que
le sieur Nouilles, abbé de l'Isle, et depuis evesque de Dax, ambassadeur à
Constantinople, dit qu'un gentilhomme polonois, nommé Pruiski, qui a esté
ambassadeur en France, luy dit que l'un des grands roys de la chrestienté,
voulant sçavoir l'yssue de son estat, fit venir un prestre necromantien et
enchanteur, lequel dit la messe, et après avoir consacré l'hostie, trancha
la teste à un jeune enfant de dix ans, premier né, qui estoit préparé pour
cest effet, et fit mettre sa teste sur l'hostie, puis disant certaines
paroles, et usant de caractères qu'il n'est besoin sçavoir, demanda ce
qu'il vouloit. La teste ne respondit que ces deux mots: _Vim patior_ en
latin: c'est à dire j'endure violence. Et aussitost le roy entra en furie,
criant sans fin: Ostez-moi ceste teste, et mourut ainsi enragé. Depuis que
ces choses furent escrites, j'ay demandé audit sieur de Dax si ce que Bodin
avoit escrit de luy estoit vray, lequel m'asseura qu'ouy, mais quel roy
c'estoit, il ne le me voulut jamais dire.»

    [Note 1: _Les diverses leçons de Loys Guyon_, t. I, p. 735.]

P. Leloyer[1] rappelle encore l'histoire d'une autre tête qui parla après
la séparation du corps, dont Pline fait mention. «En la guerre de Sicile
entre Octave César qui depuis fut surnommé Auguste et Sextus Pompeius fils
de Pompée le Grand, y eut, dit-il, un des gens d'Octave appelé Gabinius qui
fut prins des ennemis, et eut la teste coupée par le commandement de Sextus
Pompeius, de sorte qu'elle ne tenoit plus qu'un petit à la peau. Il est oüy
sur le soir qu'il se plaignoit et désiroit parler à quelqu'un. Aussitost
une grande multitude s'assemble autour du corps; il prie ceux qui estoient
venus de faire parler à Pompée et qu'il estoit venu des enfers pour luy
dire chose qui luy importoit. Cela est rapporté à Pompée, il n'y veut aller
et y envoye quelqu'un de ses familiers, ausquels Gabinius dit que les dieux
d'en bas recevoient les justes complaintes de Pompée et qu'il auroit toute
telle issue qu'il souhaitoit. En signe de vérité, il dit qu'il devoit
aussitost retomber mort qu'il auroit accomply son message. Cela advint et
Gabinius tomba à l'heure tout mort comme devant.» Il faut, du reste, noter
que la prédiction de Gabinius ne se réalisa pas.

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres_, p. 259.]

L. Du Vair[1] raconte que les Biarmes, peuples septentrionaux fort voisins
du pole arctique, estans un jour tout prêts de combattre contre un tres
puissant roy nommé Regner commencerent à s'adresser au ciel avec beaux
carmes enchantez et firent tant qu'ils solliciterent les nues à les
secourir, et les contraignirent jusqu'à verser une grande violence et
quantité de pluie qu'ils firent venir tout à coup sur leurs ennemis. Quant
est de commander aux orages et aux vents, Olaüs affirme que Henry, roy de
Suece, qui avait le bruit d'être le premier de son temps en l'art magique
estoit si familier avec les démons et les avoit tellement à son
commandement, que, de quelque costé qu'il tournast son chapeau, tout
aussitost le vent qu'il désiroit venait à souffler et halener de cette
part-là, et pour cet effet son chappeau fut nommé de tous ceux de la
contrée le _chappeau venteux_.»

    [Note 1: _Trois livres des charmes, sorcelages, etc._, p. 304.]

D'après Jean des Caurres[1]: «Olaus le Grand escrit[2] plusieurs moyens
d'enchantemens spéciaux et observez par les septentrionaux en ces paroles:
L'on trouvoit ordinairement des sorciers et magiciens entre les Botniques,
peuples septentrionaux, comme si en ceste contrée eust esté leur propre
habitation, lesquels avoient apprins de desguiser leurs faces, et celles
d'autruy, par plusieurs representations de choses, au moyen de la grande
adresse qu'ils avoient à tromper et charmer les yeux. Ils avoient aussi
apprins d'obscurcir les véritables regards par les trompeuses figures. Et
non seulement les luicteurs, mais aussi les femmes et jeunes pucelles, ont
accoustumé selon leur souhait, d'emprunter leur subtile et ténue substance
de l'air, pour se faire comme des masques horrides, et pleins d'une ordure
plombeuse, ou bien pour faire paroistre leurs faces distinguées par une
couleur pasle et contrefaite, lesquelles après elles deschargent, à la
clarté du temps serain, de ces ténébreuses substances qui y sont attachées,
et par ce moyen elles chassent la vapeur qui les recouvroit. Il appert
aussi qu'il y avoit si grande vertu en leurs charmes, qu'il sembloit
qu'elles eussent pouvoir d'attirer du lieu le plus distant, et se rendre
visibles à elles seules et toucher une chose la plus esloignée: voire et
eust elle esté arrestée et garrottée par mille liens[3]. Or font-elles
demonstrance de ces choses par telles impostures. Lors qu'elles ont envie
de sçavoir de l'estat de leurs amis ou ennemis absents en lointaines
contrées, a deux cens ou quatre cens lieues, elles s'adressent vers Lappon,
ou Finnon, grand docteur en cest art: et apres qu'elles luy ont fait
quelques presens d'une robbe de lin, ou d'un arc, elles le prient
experimenter en quel pays peuvent estre leurs amis ou ennemis, et que c'est
qu'ils font. Parquoy il entre dedans le conclave, accompagné seulement de
sa femme et d'un sien compagnon; puis il frappe avec un marteau dessus une
grenouille d'airain, ou sur un serpent estendu sur une enclume, et luy
baille autant de coups qu'il est ordonné: puis en barbotant quelques
charmes, il les retourne çà et là, et incontinent il tombe en extase, et
est ravy, et demeure couché peu de temps, comme s'il estoit mort. Ce temps
pendant il est gardé diligemment par son compaignon de crainte qu'aucune
pulce ou mousche vivante, ou autre animal ne le touche. Car par le pouvoir
des charmes, son esprit, qui est guidé et conduit par le diable, rapporte
un anneau, ou un cousteau, ou quelque autre chose semblable, en signe et
pour tesmoignage qu'il a faist ce qui lui estoit commandé: et alors se
relevant, il déclare à son conducteur les mesmes signes, avec les
circonstances.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 394.]

    [Note 2: Livre III, ch. XXXIX de l'_Histoire des peuples
    septentrionaux_.]

    [Note 3: Saxon le grammairien, au commencement de l'_Histoire de
    Danemark_.]

«Le mesme auteur, au chapitre XVIII du troisième livre _Des vents venaux_,
escrit le miracle qui ensuit. Les Finnons avoient quelque-fois accoustumé,
entre les autres erreurs de leur race, de vendre un vent à ceux qui
negocioient en leurs havres, lorsqu'ils estoient empeschez par la contraire
tempeste des vents. Après doncques qu'on leur avoit baillé le payement, ils
donnoient trois noeuds magiques aux acheteurs, et les advertissoient qu'en
desnouant le premier ils avoient les vents amiables et doux: et en
desnouant le second, ils les avoient plus forts: et là où ils desnoueroient
le troisième il leur surviendroit une telle tempeste, qu'ils ne pourroient
jouyr à leur aise de leur vaisseau, ny jeter l'oeil hors la proue, pour
éviter les rochers, ny asseurer le pied en la navire, pour abbatre les
voiles, ny mesmes l'asseurer en la poupe pour manier le gouvernail.»

«J'ai ouï raconter plusieurs fois, à un bon et docte personnage, dit
Goulart[1], qu'estant jeune escholier à Thoulouse, il fut par deux fois
voyager es monts Pyrénées. Qu'en ces deux voyages il advint et vid ce qui
s'ensuit. En une croupe fort haute et spacieuse de ces monts, se trouve une
forme d'autel fort antique, sur quelques pierres duquel sont gravez
certains charactères de forme estrange. Autour et non loin de cest autel se
trouverent lors d'iceux voyages des pastres et rustiques, lesquels
exhorterent et prierent ce personnage et plusieurs autres, tant escholiers
que de diverses conditions, de ne toucher nullement cest autel. Enquis
pourquoy ils faisoyent cette instance, respondirent qu'il n'importoit d'en
approcher pour le voir et regarder de près tant que l'on voudroit: mais de
l'attouchement s'ensuivoyent merveilleux changemens en l'air. Il faisoit
fort beau en tous les deux voyages. Mais au premier se trouva un moine en
la compagnie, qui se riant de l'advertissement de ces pastres, dit qu'il
vouloit essayer que c'estoit de cest enchantement: et tandis que les autres
amusoyent ces rustiques, approche de l'autel et le touche comme il voulut.
Soudain le ciel s'obscurcit, les tonnerres grondent: le moine et tous les
autres gaignent au pied, mais avant qu'ils eussent atteint le bas de la
montagne, après plusieurs esclats de foudre et d'orages effroyables, ils
furent moüillez jusques à la peau, poursuivis au reste par les pastres à
coups de cailloux et de frondes. Au second voyage le mesme fut attenté par
un escholier avec mesmes effects de foudres, orages et ravines d'eaux les
plus estranges qu'il est possible de penser.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 776.]

Selon Dom Calmet[1], «Spranger _in mallio maleficorum_ raconte qu'en Souabe
un paysan avec sa petite fille âgée d'environ huit ans, étant allé visiter
ses champs, se plaignait de la sécheresse, en disant: Hélas, Dieu nous
donnera-t-il de la pluie! La petite fille lui dit incontinent, qu'elle lui
en feroit venir quand il voudroit. Il répondit: Et qui t'a enseigné ce
secret? C'est ma mère, dit-elle, qui m'a fort défendu de le dire à
personne. Et comment a-t-elle fait pour te donner ce pouvoir? Elle m'a
menée à un maître, qui vient à moi autant de fois que je l'appelle. Et
as-tu vu ce maître? Oui, dit-elle, j'ai souvent vu entrer des hommes chez
ma mère, à l'un desquels elle m'a vouée. Après ce dialogue, le père lui
demanda comment elle feroit pour faire pleuvoir seulement sur son champ.
Elle demanda un peu d'eau; il la mena à un ruisseau voisin, et la fille
ayant nommé l'eau au nom de celui auquel sa mère l'avoit vouée, aussi-tôt
on vit tomber sur le champ une pluie abondante. Le père convaincu que sa
femme était sorcière, l'accusa devant les juges, qui la condamnèrent au
feu. La fille fut baptisée et vouée à Dieu; mais elle perdit alors le
pouvoir de faire pleuvoir à sa volonté.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 156.]

Bodin[1] dit que «la coustume de traîner les images et crucifix en la
riviere pour avoir de la pluye se pratique en Gascongne, et l'ay veu
(dit-il) faire à Thoulouse en plein jour par les petits enfans devant tout
le peuple, qui appellent cela la tire-masse. Et se trouva quelqu'un qui
jetta toutes les images dedans les puits du salin l'an 1557. Lors la pluye
tomba en abondance. C'est une signalée meschanceté qu'on passe par
souffrance et une doctrine de quelques sorciers de ce païs là qui ont
enseigné ceste impiété au pauvre peuple.»

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. II, ch. VIII.]

Jovianus Pontanus[1] parlant des superstitions damnables de quelques
Napolitains qui adjoustoyent foi aux sorciers, dict ces mots: «Aucuns des
habitans et assiegez dans la ville de Suesse, sortirent de nuict et
tromperent les corps de garde, puis traverserent les plus rudes montagnes,
et gaignerent finalement le bord de la mer. Ils portoyent quand et eux un
crucifix, contre lequel ils prononcerent un certain charme execrable, puis
se jetterent dedans la mer, prians que la tempeste troublast ciel et terre.
Au mesme temps, quelques prestres de la mesme ville, désireux de
s'accommoder aux sorcelleries des soldats en inventerent une autre,
esperant attirer la pluye par tel moyen. Ils apporterent un asne aux portes
de leur eglise, et lui chanterent un requiem, comme à quelque personne qui
eust rendu l'âme. Après cela, ils lui fourrerent en la gueule une hostie
consacrée, et après avoir fait maint service autour de cet asne, finalement
l'enterrerent tout vif aux portes de leur dite église. A peine avoyent-ils
achevé leur sorcellerie, que l'air commença à se troubler, la mer à estre
agitée, le plein jour à s'obscurcir, le ciel à s'éclairer, le tonnerre à
esbranler tout: le tourbillon des vents arrachoit les arbres et remplissoit
l'air de cailloux et d'esclats volans des rochers: une telle ravine d'eaux
survint, et de la pluye en si grande abondance que non seulement les
cisternes de Suesse furent remplies, mais aussi les monts et rochers fendus
de chaleur servoyent lors de canal aux torrens. Le roy de Naples qui
n'espéroit prendre la ville que par faute d'eau, se voyant ainsi frustré
leva le siège et s'en revint trouver son armée à Savonne.»

    [Note 1: Au Ve livre des _Histoires de son temps_, cité par
    Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 1031.]

«Les procès des sorciers et sorcières, dit Goulart[1], faisans esmouvoir
par leurs sorcelleries divers orages et tempestes, proposent infinis
estranges exemples de ceci... J'ai ouï asseurer à personnage digne de foi
que quelques sorciers de Danemarc firent un charme terrible pour empescher
que la princesse de Danemarc ne fust menée par mer au roy d'Escosse, à qui
elle estoit fiancée, tellement que la flotte qui la conduisoit fut
plusieurs fois en danger de naufrage, et poussée loin de sa route, où force
lui fut d'attendre commodité d'une autre navigation. Que ceste conjuration
finalement descouverte l'on fit justice des sorciers, lesquels declarerent
les malins esprits leur avoir confessé que la piété de la princesse et de
quelques bons personnages qui l'accompagnoyent, par l'invocation ardente et
continuelle du nom de Dieu, avoit rendu vains tous leurs efforts.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 1052.]

Jacques d'Autun[1] rapporte un orage extraordinaire accompagné de grêle
excité en Languedoc par des sorciers l'an 1668.

    [Note 1: _L'incrédulité sçavante et la crédulité ignorante, etc._,
    par Jacques d'Autun, prédicateur capucin. Lyon, Jean Geste, 1674,
    in-4°, p. 857]

«Sur les trois heures après midi le onziesme du mois de juin s'esleva,
dit-il, un tourbillon de vent si impétueux qu'il desracinoit les arbres et
faisoit trembler les maisons aux environs de Langon; ce furieux orage
semblait devoir s'appaiser par une pluye assez médiocre, laquelle peu après
fut meslée de grelle grosse comme des oeufs de poule et ce qui fit
l'admiration des curieux, qui en firent ramasser plusieurs pièces, est
qu'elles étaient hérissées et pointues comme si à dessein on les eut
travaillées pour leur donner cette figure; d'autres ressemblaient
parfaitement à de gros limaçons avec leur coquille, la teste, le col et les
cornes dehors; l'on voyoit en d'autres des grenouilles et des crapaux si
bien taillés, que l'on eut dit qu'un sculpteur s'étoit applicqué à les
façonner; mais ce qui surprit davantage en ce spectacle d'horreur, est que
cette gresle changeoit de figure selon la différence des insectes, que le
démon vouloit probablement représenter: car l'on vit gresler des serpens ou
de la gresle en forme de serpens de la longueur d'un demy pied: certes la
gresle qui fit trembler toute l'Egypte laquelle sainct Augustin attribue à
l'opération des démons, n'avoit rien de si effroyable; l'on trouva des
pièces de ce funeste météore qui représentoient la main d'un homme avec
deux ou trois doigts distinctement formez, d'autres estoient taillées en
estoiles à trois et à cinq pointes: enfin en quelque endroit, comme au port
de Saincte-Marie, il tomba de la gresle d'une si prodigieuse grosseur que
les animaux et les hommes qui en estoient frappez expiroient sur le
champ... On trouva un cheveu blanc dans tous les grains de grelle qui
furent ouverts et dans tous le cheveu blanc étoit de la même longueur.»

L'Espagnol Torquémada formule ainsi la biographie d'une fameuse sorcière du
moyen âge:

«Aucuns parlent, dit-il, d'une certaine femme nommée _Agaberte_, fille d'un
géant qui s'appelait _Vagnoste_, demeurant aux pays septentrionaux,
laquelle était grande enchanteresse. Et la force de ses enchantements était
si variée, qu'on ne la voyait presque jamais en sa propre figure: quelque
fois c'était une petite vieille fort ridée, qui semblait ne se pouvoir
remuer, ou bien une pauvre femme malade et sans forces; d'autres fois elle
était si haute qu'elle paraissait toucher les nues avec sa tête. Ainsi elle
prenait telle forme qu'elle voulait aussi aisément que les auteurs
décrivent _Urgande la méconnue_. Et, d'après ce qu'elle faisait, le monde
avait opinion qu'en un instant elle pouvait obscurcir le soleil, la lune et
les étoiles, aplanir les monts, renverser les montagnes, arracher les
arbres, dessécher les rivières, et faire autres choses pareilles si
aisément qu'elle semblait tenir tous les diables attachés et sujets à sa
volonté.»

Les magiciens et les devins emploient une sorte d'anathème pour découvrir
les voleurs et les maléfices: voici cette superstition. Nous prévenons ceux
que les détails pourraient scandaliser, qu'ils sont extraits des grimoires.
On prend de l'eau limpide; on rassemble autant de petites pierres qu'il y a
de personnes soupçonnées; on les fait bouillir dans cette eau; on les
enterre sous le seuil de la porte par où doit passer le voleur ou la
sorcière, en y joignant une lame d'étain sur laquelle sont écrits ces mots:
_Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat_. On a eu soin de
donner à chaque pierre le nom de l'une des personnes que l'on a lieu de
soupçonner. On ôte le tout de dessus le seuil de la porte au lever du
soleil; si la pierre qui représente le coupable est brûlante, c'est déjà un
indice. Mais, comme le diable est sournois, il ne faut pas s'en contenter;
on récite donc les sept Psaumes de la pénitence, avec les litanies des
saints: on prononce ensuite les prières de l'exorcisme, contre le voleur ou
la sorcière; on écrit son nom dans un cercle; on plante sur ce nom un clou
d'airain, de forme triangulaire, qu'il faut enfoncer avec un marteau dont
le manche soit en bois de cyprès, et on dit quelques paroles prescrites
rigoureusement à cet effet[1]. Alors le voleur se trahit par un grand cri.

    [Note 1: _Justus es Domine, et justa sunt judicia tua_.]

S'il s'agit d'une sorcière, et qu'on veuille seulement ôter le maléfice
pour le rejeter sur celle qui l'a jeté, on prend, le samedi, avant le lever
du soleil, une branche de coudrier d'une année, et on dit l'oraison
suivante: «Je te coupe, rameau de cette année, au nom de celui que je veux
blesser comme je te blesse.» On met la branche sur la table, en répétant
trois fois une certaine prière[1] qui se termine par ces mots: Que le
sorcier ou la sorcière soit anathème, et nous saufs[2]!

    [Note 1: Comme la première, c'est une inconvenance. On ajoute aux
    paroles saintes du signe de la croix: Droch, Mirroch, Esenaroth,
    Bétubaroch, Assmaaroth, qu'on entremêle de signes de croix.]

    [Note 2: Wierus, _De Praestig. daem._, lib. V, cap. V.]

Bodin et de Lancre content[1] qu'en 1536, à Casal, en Piémont, on remarqua
qu'une sorcière, nommée Androgina, entrait dans les maisons, et que bientôt
après on y mourait. Elle fut prise et livrée aux juges; elle confessa que
quarante sorcières, ses compagnes avaient composé avec elle le maléfice.
C'était un onguent avec lequel elles allaient graisser les loquets des
portes; ceux qui touchaient ces loquets mouraient en peu de jours.

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. IV, ch. IV. _Tableau de l'inconstance,
    etc._, liv. II, disc. IV.]

«La même chose advint à Genève en 1563, ajoute de Lancre, si bien qu'elles
y mirent la peste, qui dura plus de sept ans. Cent soixante-dix sorcières
furent exécutées à Rome pour cas semblable sous le consulat de Claudius
Marcellus et de Valerius Flaccus: mais la sorcellerie n'étant pas encore
bien reconnue, on les prenait simplement alors pour des empoisonneuses...»

On remarquait, dit-on, au dix-septième siècle, dans la forêt de Bondi, deux
vieux chênes que l'on disait enchantés. Dans le creux de l'un de ces chênes
on voyait toujours une petite chienne d'une éblouissante blancheur. Elle
paraissait endormie, et ne s'éveillait que lorsqu'un passant s'approchait;
mais elle était si agile, que personne ne pouvait la saisir. Si on voulait
la surprendre, elle s'éloignait de quelques pas, et, dès qu'on s'éloignait,
reprenait sa place avec opiniâtreté. Les pierres et les balles la
frappaient sans la blesser; enfin on croyait dans le pays que c'était un
démon, ou l'un des chiens du grand veneur, ou du roi Arthus, ou encore la
chienne favorite de saint Hubert, ou enfin le chien de Montargis, qui,
présent à l'assassinat de son maître dans la forêt de Bondi, révéla le
meurtrier, et vengea l'homicide au XIVe siècle. On disait aussi que des
sorciers faisaient assurément le sabbat sous les deux chênes.

Un jeune garçon de dix à douze ans, dont les parents habitaient la lisière
de la forêt, faisait ordinairement de petits fagots à quelque distance de
là. Un soir qu'il ne revint pas, son père, ayant pris sa lanterne et son
fusil, s'en alla avec son fils aîné battre le bois. La nuit était sombre.
Malgré la lanterne, les deux bûcherons se heurtaient à chaque instant
contre les arbres, s'embarrassaient dans les ronces, revenaient sur leurs
pas et s'égaraient sans cesse. «Voilà qui est singulier, dit enfin le père;
il ne faut qu'une heure pour traverser le bois, et nous marchons depuis
deux sans avoir trouvé les chênes; il faut que nous les ayons passés.»

En ce moment, un tourbillon ébranlait la forêt. Ils levèrent les yeux, et
virent, à vingt pas, les deux chênes. Ils marchèrent dans cette direction;
mais à mesure qu'ils avancent, il semble que les chênes s'éloignent: la
forêt paraît ne plus finir; on entend de toutes parts des sifflements,
comme si le bois était rempli de serpents; ils sentent rouler à leurs pieds
des corps inconnus; des griffes entourent leurs jambes et les effleurent;
une odeur infecte les environne; ils croient sentir des êtres impalpables
errer autour d'eux...

Le bûcheron, exténué de fatigue, conseille à son fils de s'asseoir un
instant; mais son fils n'y est plus. Il voit à quelques pas, dans les
buissons, la lumière vacillante de la lanterne; il remarque le bas des
jambes de son fils, qui l'appelle; il ne reconnaît pas la voix. Il se lève;
alors la lanterne disparaît; il ne sait plus où il se trouve; une sueur
froide découle de tous ses membres; un air glacé frappe son visage, comme
si deux grandes ailes s'agitaient au-dessus de lui. Il s'appuie contre un
arbre, laisse tomber son fusil, recommande son âme à Dieu, et tire de son
sein un crucifix; il se jette à genoux et perd connaissance.

Le soleil était levé lorsqu'il se réveilla; il vit son fusil brisé et
macéré comme si on l'eût mâché avec les dents; les arbres étaient teints de
sang; les feuilles noircies; l'herbe desséchée; le sol couvert de lambeaux;
le bûcheron reconnut les débris des vêtements de ses deux fils, qui ne
reparurent pas. Il rentra chez lui épouvanté. On visita ces lieux
redoutables. On y vérifia toutes les traces du sabbat; on y revit la
chienne blanche insaisissable. On purifia la place; on abattit les deux
chênes, à la place desquels on planta deux croix, qui se voyaient encore il
y a peu de temps; et, depuis, cette partie de la forêt cessa d'être
infestée par les démons[1].

    [Note 1: _Infernaliana_, p. 152.]

Ce que les sorciers appellent _main de gloire_ est la main d'un pendu,
qu'on prépare de la sorte: On la met dans un morceau de drap mortuaire, en
la pressant bien, pour lui faire rendre le peu de sang qui pourrait y être
resté; puis on la met dans un vase de terre, avec du sel, du salpêtre, du
zimax et du poivre long, le tout bien pulvérisé. On la laisse dans ce pot
l'espace de quinze jours; après quoi on l'expose au grand soleil de la
canicule, jusqu'à ce qu'elle soit complètement desséchée; si le soleil ne
suffit pas, on la met dans un four chauffé de fougère et de verveine. On
compose ensuite une espèce de chandelle avec de la graisse de pendu, de la
cire vierge et du sésame de Laponie; et on se sert de la main de gloire
comme d'un chandelier, pour tenir cette merveilleuse chandelle allumée.
Dans tous les lieux où l'on va avec ce funeste instrument, ceux qui y sont
demeurent immobiles, et ne peuvent non plus remuer que s'ils étaient morts.
Il y a diverses manières de se servir de la main de gloire; les scélérats
les connaissent bien; mais, depuis qu'on ne pend plus chez nous, ce doit
être chose rare.

Deux magiciens, étant venus loger dans un cabaret pour y voler, demandèrent
à passer la nuit auprès du feu, ce qu'ils obtinrent. Lorsque tout le monde
fut couché, la servante, qui se défiait de la mine des deux voyageurs, alla
regarder par un trou de la porte pour voir ce qu'ils faisaient. Elle vit
qu'ils tiraient d'un sac la main d'un corps mort, qu'ils en oignaient les
doigts de je ne sais quel onguent, et les allumaient, à l'exception d'un
seul qu'ils ne purent allumer, quelques efforts qu'ils fissent, et cela
parce que, comme elle le comprit, il n'y avait qu'elle des gens de la
maison qui ne dormît point; car les autres doigts étaient allumés pour
plonger dans le plus profond sommeil ceux qui étaient déjà endormis. Elle
alla aussitôt à son maître pour l'éveiller, mais elle ne put en venir à
bout, non plus que les autres personnes du logis, qu'après avoir éteint les
doigts allumés, pendant que les deux voleurs commençaient à faire leur coup
dans une chambre voisine. Les deux magiciens, se voyant découverts,
s'enfuirent au plus vite, et on ne les trouva plus[1].

    [Note 1: Delrio, _Disquisitions magiques_.]

Il y avait autrefois beaucoup d'anneaux enchantés ou chargés d'amulettes.
Les magiciens faisaient des anneaux constellés avec lesquels on opérait des
merveilles. Cette croyance était si répandue chez les païens, que les
prêtres ne pouvaient porter d'anneaux, à moins qu'il ne fussent si simples
qu'il était évident qu'ils ne contenaient point d'amulettes[1].

    [Note 1: Aulu-Gelle, lib. X, cap. XXV.]

Les anneaux magiques devinrent aussi de quelque usage chez les chrétiens et
même beaucoup de superstitions se rattachèrent au simple _anneau
d'alliance_. On croyait qu'il y avait dans le quatrième doigt, qu'on appela
spécialement doigt annulaire ou doigt destiné à l'anneau, une ligne qui
correspondait directement au coeur; on recommanda donc de mettre l'anneau
d'alliance à ce seul doigt. Le moment où le mari donne l'anneau à sa jeune
épouse devant le prêtre, ce moment, dit un vieux livre de secrets, est de
la plus haute importance. Si le mari arrête l'anneau à l'entrée du doigt et
ne passe pas la seconde jointure, la femme sera maîtresse; mais s'il
enfonce l'anneau jusqu'à l'origine du doigt, il sera chef et souverain.
Cette idée est encore en vigueur, et les jeunes mariées ont généralement
soin de courber le doigt annulaire au moment où elles reçoivent l'anneau de
manière à l'arrêter avant la seconde jointure.

Les Anglaises, qui observent la même superstition, font le plus grand cas
de l'anneau d'alliance à cause de ses propriétés. Elles croient qu'en
mettant un de ces anneaux dans un bonnet de nuit, et plaçant le tout sous
leur chevet, elles verront en songe le mari qui leur est destiné.

Les Orientaux révèrent les anneaux et les bagues, et croient aux anneaux
enchantés. Leurs contes sont pleins de prodiges opérés par ces anneaux. Ils
citent surtout, avec une admiration sans bornes, l'_anneau de Salomon_, par
la force duquel ce prince commandait à toute la nature. Le grand nom de
Dieu est gravé sur cette bague, qui est gardée par des dragons, dans le
tombeau inconnu de Salomon. Celui qui s'emparerait de cet anneau serait
maître du monde et aurait tous les génies à ses ordres.

A défaut de ce talisman prodigieux, ils achètent à des magiciens des
anneaux qui produisent aussi des merveilles.

Henri VIII bénissait des anneaux d'or qui avaient disait-il, la propriété
de guérir de la crampe[1].

    [Note 1: Misson, _Voyage d'Italie_, t. III, p. 16, à la marge.]

Les faiseurs de secrets ont inventé des bagues magiques qui ont plusieurs
vertus. Leurs livres parlent de l'_anneau des voyageurs_. Cet anneau, dont
le secret n'est pas bien certain, donnait à celui qui le portait le moyen
d'aller sans fatigue de Paris à Orléans, et de revenir d'Orléans à Paris
dans la même journée.

Mais on n'a pas perdu le secret de l'_anneau d'invisibilité_. Les
cabalistes ont laissé la manière de faire cet anneau, qui plaça Gygès au
trône de Lydie. Il faut entreprendre cette opération un mercredi de
printemps, sous les auspices de Mercure, lorsque cette planète se trouve en
conjonction avec une des autres planètes favorables, comme la Lune,
Jupiter, Vénus et le Soleil. Que l'on ait de bon mercure fixé et purifié:
on en formera une bague où puisse entrer facilement le doigt du milieu; on
enchâssera dans le chaton une petite pierre que l'on trouve dans le nid de
la huppe, et on gravera autour de la bague ces paroles: _Jésus passant + au
milieu d'eux + s'en alla_[1]; puis ayant posé le tout sur une plaque de
mercure fixé, on fera le parfum de Mercure; on enveloppera l'anneau dans un
taffetas de la couleur convenable à la planète, on le portera dans le nid
de la huppe d'où l'on a tiré la pierre, on l'y laissera neuf jours; et
quand on le retirera, on fera encore le parfum comme la première fois; puis
on le gardera dans une petite boîte faite avec du mercure fixé, pour s'en
servir à l'occasion. Alors on mettra la bague à son doigt. En tournant la
pierre au dehors de la main, elle a la vertu de rendre invisible aux yeux
des assistants celui qui la porte; et quand on veut être vu, il suffit de
rentrer la pierre en dedans de la main, que l'on ferme en forme de poing.

    [Note 1: Saint Luc, ch. IV, verset 30.]

Porphyre, Jamblique, Pierre d'Apone et Agrippa, ou du moins les livres de
secrets qui leur sont attribués, soutiennent qu'un anneau fait de la
manière suivante a la même propriété. Il faut prendre des poils qui sont au
dessus de la tête de la hyène et en faire de petites tresses avec
lesquelles on fabrique un anneau, qu'on porte aussi dans le nid de la
huppe. On le laisse là neuf jours; on le passe ensuite dans des parfums
préparés sous les auspices de Mercure (planète). On s'en sert comme de
l'autre anneau, excepté qu'on l'ôte absolument du doigt quand on ne veut
plus être invisible.

Si, d'un autre côté, on veut se précautionner contre l'effet de ces anneaux
cabalistiques, on aura une bague faite de plomb raffiné et purgé; on
enchâssera dans le chaton l'oeil d'une belette qui n'aura porté des petits
qu'une fois; sur le contour on gravera les paroles suivantes: _Apparuit
Dominus Simoni_. Cette bague se fera un samedi, lorsqu'on connaîtra que
Saturne est en opposition avec Mercure. On l'enveloppera dans un morceau de
linceul mortuaire qui ait enveloppé un mort; on l'y laissera neuf jours;
puis, l'ayant retirée, on fera trois fois le parfum de Saturne, et on s'en
servira.

Ceux qui ont imaginé ces anneaux ont raisonné sur l'antipathie qu'ils
supposaient entre les matières qui les composent. Rien n'est plus
antipathique à la hyène que la belette, et Saturne rétrograde presque
toujours à Mercure; ou, lorsqu'ils se rencontrent dans le domicile de
quelques signes du zodiaque, c'est toujours un aspect funeste et de mauvais
augure[1].

    [Note 1: _Petit Albert_.]

On peut faire d'autres anneaux sous l'influence des planètes, et leur
donner des vertus au moyen de pierres et d'herbes merveilleuses. «Mais dans
ces caractères, herbes cueillies, constellations et charmes, le diable se
coule,» comme dit Leloyer, quand ce n'est pas simplement le démon de la
grossière imposture. «Ceux qui observent les heures des astres,
ajoute-t-il, n'observent que les heures des démons qui président aux
pierres, aux herbes et aux astres mêmes.»--Et il est de fait que ce ne sont
ni des saints ni des coeurs honnêtes qui se mêlent de ces superstitions.

On appelle amulettes certains remèdes superstitieux que l'on porte sur soi
ou que l'on s'attache au cou pour se préserver de quelque maladie ou de
quelque danger. Les Grecs les nommaient phylactères, les Orientaux
talismans. C'étaient des images capricieuses (un scarabée chez les
Égyptiens), des morceaux de parchemin, de cuivre, d'étain, d'argent, ou
encore de pierres particulières où l'on avait tracé de certains caractères
ou de certains hiéroglyphes.

Comme cette superstition est née d'un attachement excessif à la vie et
d'une crainte puérile de tout ce qui peut nuire, le christianisme n'est
venu à bout de le détruire que chez les fidèles[1]. Dès les premiers
siècles de l'Église, les Pères et les conciles défendirent ces pratiques du
paganisme. Ils représentèrent les amulettes comme un reste idolâtre de la
confiance qu'on avait aux prétendus génies gouverneurs du monde. Le curé
Thiers[2] a rapporté un grand nombre de passage des Pères à ce sujet, et
les canons de plusieurs conciles.

    [Note 1: Bergier, _Dictionnaire théologique_.]

    [Note 2: _Traité des superstitions_, liv. V, ch. 1.]

Les lois humaines condamnèrent aussi l'usage des amulettes. L'empereur
Constance défendit d'employer les amulettes et les charmes à la guérison
des maladies. Cette loi, rapportée par Ammien Marcellin, fut exécutée si
sévèrement, que Valentinien fit punir de mort une vieille femme qui ôtait
la fièvre avec des paroles charmées, et qu'il fit couper la tête à un jeune
homme qui touchait un certain morceau de marbre en prononçant sept lettres
de l'alphabet pour guérir le mal d'estomac[1].

    [Note 1: Voyez Ammien-Marcellin, lib. XVI, XIX, XXIX, et le P.
    Lebrun, liv. III, ch. 2.]

Mais comme il fallait des préservatifs aux esprits fourvoyés, qui forment
toujours le plus grand nombre, on trouva moyen d'éluder la loi. On fit des
talismans et des amulettes avec des morceaux de papier chargés de versets
de l'Écriture sainte. Les lois se montrèrent moins rigides contre cette
singulière coutume, et on laissa aux prêtres le soin d'en modérer les abus.

Les Grecs modernes, lorsqu'ils sont malades, écrivent le nom de leur
infirmité sur un morceau de papier de forme triangulaire qu'ils attachent à
la porte de leur chambre. Ils ont grande foi à cette amulette.

Quelques personnes portent sur elles le commencement de l'Évangile de saint
Jean comme un préservatif contre le tonnerre; et ce qui est assez
particulier, c'est que les Turcs ont confiance à cette même amulette, si
l'on en croit Pierre Leloyer.

Une autre question est de savoir si c'est une superstition de porter sur
soi les reliques des saints, une croix, une image, une chose bénite par les
prières de l'Église, un _Agnus Dei_, etc., et si l'on doit mettre ces
choses au rang des amulettes, comme le prétendent les protestants.--Nous
reconnaissons que si l'on attribue à ces choses la vertu surnaturelle de
préserver d'accidents, de mort subite, de mort dans l'état de péché, etc.,
c'est une superstition. Elle n'est pas du même genre que celle des
amulettes, dont le prétendu pouvoir ne peut pas se rapporter à Dieu; mais
c'est ce que les théologiens appellent vaine observance, parce que l'on
attribue à des choses saintes et respectables un pouvoir que Dieu n'y a
point attaché. Un chrétien bien instruit ne les envisage point ainsi; il
sait que les saints ne peuvent nous secourir que par leurs prières et par
leur intercession auprès de Dieu. C'est pour cela que l'Église a décidé
qu'il est utile et louable de les honorer et de les invoquer. Or c'est un
signe d'invocation et de respect à leur égard de porter sur soi leur image
ou leurs reliques; de même que c'est une marque d'affection et de respect
pour une personne que de garder son portrait ou quelque chose qui lui ait
appartenu. Ce n'est donc ni une vaine observance ni une folle confiance
d'espérer qu'en considération de l'affection et du respect que nous
témoignons à un saint, il intercédera et priera pour nous. Il en est de
même des croix et des _Agnus Dei_.

On lit dans Thyraeus[1] qu'en 1568, dans le duché de Juliers, le prince
d'Orange condamna un prisonnier espagnol à mourir; que ses soldats
l'attachèrent à un arbre et s'efforcèrent de le tuer à coups d'arquebuse;
mais que les balles ne l'atteignirent point. On le déshabilla pour
s'assurer s'il n'avait pas sur la peau une armure qui arrêtât le coup; on
trouva une amulette portant la figure d'un agneau; on la lui ôta, et le
premier coup de fusil l'étendit raide mort.

    [Note 1: _Disp. de Daemoniac._ pars III, cap. XLV.]

On voit, dans la vieille chronique de dom Ursino, que quand sa mère
l'envoya, tout petit enfant qu'il était, à Saint-Jacques de Compostelle,
elle lui mit au cou une amulette que son mari avait arrachée à un chevalier
maure. La vertu de cette amulette était d'adoucir la fureur des bêtes
cruelles. En traversant une forêt, une ourse enleva le prince des mains de
sa nourrice et l'emporta dans sa caverne. Mais, loin de lui faire aucun
mal, elle l'éleva avec tendresse; il devint par la suite très fameux sous
le nom de dom Ursino, qu'il devait à l'ourse, sa nourrice sauvage, et il
fut reconnu par son père, à qui la légende dit qu'il succéda sur le trône
de Navarre.

Les nègres croient beaucoup à la puissance des amulettes. Les Bas-Bretons
leur attribuent le pouvoir de repousser le démon. Dans le Finistère, quand
on porte un enfant au baptême, on lui met au cou un morceau de pain noir,
pour éloigner les sorts et les maléfices que les vieilles sorcières
pourraient jeter sur lui.

Helinand conte qu'un soldat nommé Gontran, de la suite de Henry, archevêque
de Reims, s'étant endormi en pleine campagne, après le dîner, comme il
dormait la bouche ouverte, ceux qui l'accompagnaient et qui étaient
éveillés, virent sortir de sa bouche une bête blanche semblable à une
petite belette, qui s'en alla droit à un ruisseau assez près de là. Un
homme d'armes la voyant monter et descendre le bord du ruisseau pour
trouver un passage tira son épée et en fit un petit pont sur lequel elle
passa et courut plus loin...

Peu après, on la vit revenir, et le même homme d'armes lui fit de nouveau
un pont de son épée. La bête passa une seconde fois et s'en retourna à la
bouche du dormeur, où elle rentra...

Il se réveilla alors; et comme on lui demandait s'il n'avait point rêvé
pendant son sommeil, il répondit qu'il se trouvait fatigué et pesant, ayant
fait une longue course et passé deux fois sur un pont de fer.

Mais ce qu'il y a de merveilleux, c'est qu'il alla par le chemin qu'avait
suivi la belette; qu'il bêcha au pied d'une petite colline et qu'il déterra
un trésor que son âme avait vu en songe.

Le diable, dit Wierus, se sert souvent de ces machinations pour tromper les
hommes et leur faire croire que l'âme, quoique invisible, est corporelle et
meurt avec le corps; car beaucoup de gens ont cru que cette bête blanche
était l'âme de ce soldat, tandis que c'était une imposture du diable...



MONDE DES ESPRITS



I.--NATURE DES ESPRITS


«Il y a, dit un manuscrit de magie[1], plusieurs sortes d'esprits de
différents ordres et de différents pouvoirs. Les terrestres sont les gnomes
qui sont les gardiens des trésors cachés... Les nimphes résident aux eaux.
Les silphes habitent dans les airs. Les salamandres habitent dans la région
du feu. Il faut noter que tous ces esprits sont sous la domination des sept
planètes.»

    [Note 1: _Opérations des sept esprits des planètes_, manuscrit de
    la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 70, p. 1.]

Pour Taillepied[1], les corps des esprits sont de l'air. «Pour résolution
donc de ce point, dit-il, il faut conclure que les corps des esprits, quand
ils se veulent apparoistre, sont de l'air. Et comme l'eau s'amasse en
glace, et quelquefois se durcit et devient cristal, ainsi l'air duquel les
esprits s'enveloppent, s'espaissit en corps visible. Que si l'air ne peut
suffire, ils peuvent rester parmi quelque chose de vapeur ou d'eau, pour
leur donner couleur, comme nous voyons cela advenir en l'arc qui est aux
nuées, lequel, comme dit le poëte au quatriesme des Énéides:

[Note 1: _Traicté de l'apparition des esprits, etc._, par F.-N. Taillepied.
Paris, Fr. Julliot, 1617, in-12, p. 186.]

  Du clair soleil à l'opposite estant
  Mille couleurs diverses va portant.

Il n'est pas bon d'attribuer aux esprits angéliques tant bons que mauvais,
les membres de vie, comme les poulmons, le coeur et le foye: car ils ne
vestent pas des corps pour les vivifier ains seulement pour se faire voir
et s'en servir comme d'instruments. Il est vray qu'ils boyvent et mangent,
mais ce n'est pas par nécessité, c'est afin que, se manifestant à nous par
quelques arguments, ils nous donnent à entendre la volonté de Dieu.»

«Loys Vivès, au premier livre _de la Vérité de la religion chrestienne_,
escrit, dit le même auteur[1], qu'ès terres nouvellement descouvertes n'y a
chose si commune que les esprits qui apparoissent environ midy, tant ès
villes comme aux champs, parlent aux hommes, leur commandent ou défendent
quelque chose, les tourmentent, espouvantent et battent aussy... Olaus le
Grand, archeveque d'Upsale, escrit au second livre de son _Histoire des
peuples septentrionaux_, chapitre troisième, qu'il y a en Irlande des
esprits qui apparoissent en forme d'hommes qu'on aura cogneus, ausquels
ceux du pays touchent en la main avant que de sçavoir rien de la mort de
ceux qu'ils touchent. Quelques-uns pensent que ce ne sont pas ames des
trespassez, ains seulement démons surnommez par les anciens Lémures ou
loups garoux, Faunes, Satyres, Larves ou masques, Manes, Pénates ou dieux
tutélaires et domestiques, Nymphes, Demy-dieux, Luittons, Fées et d'une
multitude d'autres noms; mais comme il n'y a point de répugnance que les
démons, soient bons ou mauvais, ne se représentent aux hommes sous quelque
forme visible, aussi, il ne répugne point que les âmes séparées ne
s'apparoissent ainsy, le tout par la permission de Dieu et sa volonté.»

    [Note 1: Page 100.]

Le comte de Gabalis[1] raconte que «Un jour il fut transporté en la caverne
de Typhon, qui n'est pas fort esloignée des sources du Nil du costé de la
Libie, par une jeune sylfe qui avoit conceu une forte passion d'amour pour
luy; il y trouva une salamandre qui après un long discours qu'elle luy fit
de la nature des estres spirituels et nuisibles, de leur naissance et de
leur mort, ajouta: «Je suis sur le poinct de voir finir une vie qui a desjà
duré 9715 ans et qui doit aller jusqu'à 9720 ans qui est l'aage des
demy-dieux; voicy, comte, un présent que je vous fais dont vous ne
connoistrez bien le prix qu'après que vous l'aurez gardé quelque temps,
je vous prie de l'estimer pour l'amour de moy», puis elle disparut.
C'estoit des secrets merveilleux escritz sur des escorces d'arbre, en
langue égyptienne, que la belle sylfe luy expliqua... et d'où il prétendoit
avoir tiré son excellent livre.

    [Note 1: _Les Sorts égyptiens_, manuscrit de la Bibliothèque de
    l'Arsenal, n° 94, préface.]

«Le plus célèbre des gnomes, d'après M. Alf. Maury[1], est Alberick, qui
était commis à la garde du trésor des Niebelungen. Les gnomes fuient la
présence du jour, habitent sous les pierres, comme nous l'apprend
l'Avismal, et dans les cavernes, ainsi qu'on le dit dans les Niebelungen.
Plusieurs légendes racontent comment des gnomes ont été découverts sous des
pierres, derrière lesquelles ils étaient blottis. Telle est la légende dans
laquelle il est question d'un de ces nains, qu'un jeune berger trouva près
de Dresde, sous une pierre, et qu'il employa dès lors à garder ses
troupeaux.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 70.]

S'il y a dans le monde des esprits quelques géants, en général ils se
présentent plutôt sous la forme de nains.

«Dans toutes les contrées septentrionales, les croyances relatives aux
Elfes sont associées à d'autres relatives aux nains, dit M. A. Maury[1].
Les légendes sur ces êtres singuliers sont fort nombreuses en Allemagne;
elles nous les représentent comme les génies de la terre et du sol; mais
outre les nains proprements dits, les _dwergs_ ou _dwerfs_ et les
_bergmännchen_, tout le peuple des esprits participe de ce caractère de
petitesse. Les Elfes, les Nix, les Trolls nous sont représentés comme d'une
taille plus qu'enfantine. Les Berstuc, les Koltk[2] n'ont que quelques
pouces de hauteur. En Bretagne, il en est de même des fées ou Korrigans.
Mille contes, mille _Mährchen_ disent comment des laboureurs, des paysans
les ont découverts cachés sous une motte de terre reposant à l'ombre d'un
brin d'herbe[3].»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 80.]

    [Note 2: Berstuc, Maskrop et Koltk sont les noms que reçoivent les
    nains chez les Wendes. Cf. Mash, _Obotritische alterthumer_, III,
    39. Les nains, sont appelés en danois, _dverg_; en allemand,
    _zwerg_; en vieil allemand, _duuerch_; en flamand, _dwerg_; aux
    îles Feroe, _drorg, drôrg_; en écossais, _duergh_; en anglais,
    _dwarf_.]

    [Note 3: Voyez, par exemple, dans Keightley, la légende de
    Reichest, t. I, p. 24.]

D'après les croyances bretonnes, il existe des génies de la taille des
pygmées, doués, ainsi que les fées, d'un pouvoir magique, d'une science
prophétique. Mais loin d'être blancs et aériens comme celles-ci, ils sont
noirs, velus et trapus; leurs mains sont armées de griffes de chat et leurs
pieds de cornes de bouc; ils ont la face ridée, les cheveux crêpus, les
yeux creux et petits, mais brillants comme des escarboucles, la voix sourde
et cassée par l'âge.



II.--FOLLETS ET LUTINS


«Les Elfes, dit M. A. Maury[1], attachent souvent leurs services à un homme
ou à une famille, et suivant les contrées, ils ont reçu dans ce cas des
noms différents. On les appelle _nis, kobold_, en Allemagne; _brownie_, en
Écosse; _cluircaune_, en Irlande; le vieillard _Tom Gubbe_ ou _Tonttu_, en
Suède; _niss-god-drange_, dans le Danemark et la Norwège; _duende, trasgo_,
en Espagne; _lutin, goblin_ ou _follet_ en France; _hobgoblin, puck, robin
good-fellow, robin-hood_, en Angleterre; _pwcca_, dans le pays de Galles.

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 76.]

En Suisse, des génies familiers sont attachés à la garde des troupeaux; on
les appelle _servants_. Le pasteur de l'Helvétie leur fait encore sa
libation de lait.

«Le cluricaune se distingue des Elfes, parce qu'on le rencontre toujours
seul. Il se montre sous la figure d'un petit vieillard, au front ridé, au
costume antique; il porte un habit vert foncé à larges boutons; sa tête est
couverte d'un chapeau à bords retroussés. On le déteste à raison de ses
méchantes dispositions, et son nom est employé comme expression de mépris.
On parvient quelquefois par les menaces ou la séduction à le soumettre
comme serviteur; on l'emploie alors à fabriquer des souliers. Il craint
l'homme, et lorsque celui-ci le surprend, il ne peut lui échapper. Le
cluricaune connaît en général, ainsi que les nains, les lieux où sont
enfouis les trésors; et, comme les nains bretons, on le représente avec une
bourse de cuir à la ceinture, dans laquelle se trouve toujours un shelling.
Quelquefois il a deux bourses, l'une contient alors un coin de cuivre. Le
cluricaune aime à danser et à fumer; il s'attache en général à une famille,
tant qu'il en subsiste un membre; il a un grand respect pour le maître de
la maison, mais entre dans de violents accès de colère lorsque l'on oublie
de lui donner sa nourriture.»

«En plusieurs lieux, les servants s'appellent _drôles_, mot qui est la
corruption de _troll_. Les trolls sont, dans certaines légendes, de
véritables génies domestiques. Dans le Perche, on trouve des croyances
analogues; des servants prennent soin des animaux et promènent quelquefois
d'une main _invisible_ l'étrille sur la croupe du cheval[1]. Dans la
Vendée, moins complaisants, ils s'amusent seulement à leur tirer les
crins[2]. Cependant, en général, les soins de tous ces êtres singuliers ne
sont qu'à moitié désintéressés, ils se contentent de peu, mais néanmoins
ils veulent être payés de leur peine[3].

    [Note 1: Fret, _Chroniques percheronnes_, tome I, p. 67. L'auteur
    du _Petit Albert_, rapporte l'histoire d'un de ces invisibles
    palefreniers qui, dans un château, étrillait les chevaux depuis six
    ans.]

    [Note 2: A. de la Villegille, _Notice sur Chavagne en Paillers_, p.
    30. _Mém. des antiq. de France_, nouv. série, tome VI.]

    [Note 3: Suivant Shakspeare (_Midsummer night's dream_, Acte. II,)
    Robin Good Fellow est chargé de balayer la maison à minuit, de
    moudre la moutarde; mais si l'on n'a pas soin de laisser pour lui
    une tasse de crème et de lait caillé, le lendemain le potage est
    brûlé, le feu ne peut pas prendre.]

Don Calmet[1] raconte certains faits singuliers qu'il rapporte aux follets:

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 246.]

«Pline[1] le Jeune avoit un affranchi, nommé Marc, homme lettré, qui
couchoit dans un même lit avec son frère plus jeune que lui. Il lui sembla
voir une personne assise sur le même lit, qui lui coupoit les cheveux du
haut de la tête; à son réveil il se trouva rasé, et ses cheveux jetés par
terre au milieu de la chambre. Peu de temps après, la même chose arriva à
un jeune garçon qui dormoit avec plusieurs autres dans une pension:
celui-ci vit entrer par la fenêtre deux hommes vêtus de blanc, qui lui
coupèrent les cheveux comme il dormoit, puis sortirent de même par la
fenêtre; à son réveil, il trouva ses cheveux répandus sur le plancher. A
quoi attribuer tout cela, sinon à un follet?

    [Note 1: Plin. l. VII. Epist. 27 et suiv.]

«Tritheme dans sa chronique d'Hirsauge[1], sous l'an 1130, raconte qu'au
diocèse d'Hildesheim en Saxe, on vit assez longtemps un esprit qu'ils
appeloient en allemand _Heidekind_, comme qui diroit _génie champêtre:
Heide_ signifie vaste campagne, _Kind_, enfant. Il apparoissoit tantôt sous
une forme, tantôt sous une autre; et quelquefois sans apparoître il faisoit
plusieurs choses qui prouvoient et sa présence et son pouvoir. Il se mêloit
quelquefois de donner des avis importants aux puissances: souvent on l'a vu
dans la cuisine de l'évêque aider les cuisiniers et faire divers ouvrages.
Un jeune garçon de cuisine qui s'étoit familiarisé avec lui lui ayant fait
quelques insultes, il en avertit le chef de cuisine, qui n'en tint compte;
mais l'Esprit s'en vengea cruellement: ce jeune garçon, s'étant endormi
dans la cuisine, l'Esprit l'étouffa, le mit en pièces et le fit cuire. Il
poussa encore plus loin sa fureur contre les officiers de la cuisine et les
autres officiers du prince. La chose alla si loin qu'on fut obligé de
procéder contre lui par censures, et de le contraindre par les exorcismes à
sortir du pays.

    [Note 1: _Chronic. Hirsaug., ad ann. 1130_.]

«Olaus Magnus dit que dans la Suède et dans les pays septentrionaux, on
voyait autrefois des esprits familiers qui, sous la forme d'hommes ou de
femmes, servaient des particuliers.

«Un nouveau voyage des pays septentrionaux, imprimé à Amsterdam en 1708,
dit que les peuples d'Islande sont presque tous sorciers; qu'ils ont des
démons familiers qu'ils nomment _Troles_, qui les servent comme des valets,
qui les avertissent des accidents ou des maladies qui leur doivent arriver:
ils les réveillent pour aller à la pêche quand il y fait bon, et s'ils y
vont sans l'avis de ces génies, ils ne réussissent pas.

«Le père Vadingue rapporte d'après une ancienne légende manuscrite, dit dom
Calmet[1], qu'une dame nommée Lupa, avoit eu pendant treize ans un démon
familier qui lui servoit de femme de chambre, et qui la portoit à beaucoup
de désordres secrets, et à traiter inhumainement ses sujets. Dieu lui fit
la grâce de reconnoître sa faute, et d'en faire pénitence par
l'intercession de saint François d'Assise et de saint Antoine de Padoue, en
qui elle avoit toujours eu une dévotion particulière.»

    [Note 1: _Traité sur l'apparition des esprits_, t. Ier, p. 252.]

«Cardan parle d'un démon barbu de Niphus qui lui faisait des leçons de
philosophie.

«Le Loyer raconte que dans le temps qu'il étudioit en droit à Toulouse, il
étoit logé assez près d'une maison où un follet ne cessoit toute la nuit de
tirer de l'eau d'un puits et de faire crier la poulie. D'autres fois il
sembloit tirer sur les degrés quelque chose de pesant; mais il n'entroit
dans les chambres que très rarement et à petit bruit.»

«On m'a raconté plusieurs fois qu'un religieux de l'ordre de Cîteaux avoit
un génie familier qui le servoit, accommodoit sa chambre, et préparoit
toutes choses lorsqu'il devoit revenir de campagne. On y étoit si
accoutumé, qu'on l'attendoit à ces marques, et qu'il arrivoit en effet. On
assure d'un autre religieux du même ordre qu'il avoit un esprit familier
qui l'avertissoit non seulement de ce qui se passoit dans la maison, mais
aussi de ce qui arrivoit au dehors; et qu'un jour, il fut éveillé par trois
fois, et averti que des religieux s'étoient pris de querelles et étoient
prêts à en venir aux mains, il y accourut et les arrêta.

«On nous a raconté plus d'une fois qu'à Paris, dans un séminaire, il y
avoit un jeune ecclésiastique qui avoit un génie qui le servoit, lui
parloit, arrangeoit sa chambre et ses habits. Un jour le supérieur passant
devant la chambre de ce séminariste l'entendit qui parloit avec quelqu'un;
il entra, et demanda avec qui il s'entretenoit: le jeune homme soutint
qu'il n'y avoit personne dans sa chambre, et en effet le supérieur n'y vit
et n'y découvrit personne; cependant comme il avoit ouï leur entretien, le
jeune homme lui avoua qu'il avoit depuis quelques années un génie familier,
qui lui rendoit tous les services qu'auroit pu faire un domestique, et qui
lui avoit promis de grands avantages dans l'état ecclésiastique. Le
supérieur le pressa de lui donner des preuves de ce qu'il disoit: il
commanda au génie de présenter une chaise au supérieur; le génie obéit.
L'on donna avis de la chose à Monseigneur l'archevêque, qui ne jugea pas à
propos de la faire éclater. On renvoya le jeune clerc, et on ensevelit dans
le silence cette aventure si singulière.»

«Guillaume, évêque de Paris[1], dit qu'il a connu un baladin qui avoit un
esprit familier qui jouoit et badinoit avec lui, et qui l'empêchoit de
dormir, jettant quelque chose contre la muraille, tirant les couvertures du
lit, ou l'en tirant lui-même lorsqu'il étoit couché. Nous sçavons par le
rapport d'une personne fort sensée qu'il lui est arrivé en campagne et en
plein jour de se sentir tirer le manteau et les bottes, et jetter à bas le
chapeau; puis d'entendre des éclats de rire et la voix d'une personne
décédée et bien connue qui sembloit s'en réjouir.»

    [Note 1: Guillelm. Paris, 2 part. quaest. 2, c. 8.]

«Voici, rapporte dom Calmet[1], une histoire d'un esprit, dont je ne doute
non plus que si j'en avois été témoin, dit celui qui me l'a écrite. Le
comte Despilliers le père, étant jeune, et capitaine des cuirassiers, se
trouva en quartier d'hiver en Flandre. Un de ses cavaliers vint un jour le
prier de le changer d'hôte, disant que toutes les nuits il revenoit dans sa
chambre un esprit qui ne le laissoit pas dormir. Le comte Despilliers
renvoya son cavalier, et se mocqua de sa simplicité. Quelques jours après
le même cavalier vint lui faire la même prière; et le capitaine pour toute
réponse voulut lui décharger une volée de coups de bâton, qu'il n'évita que
par une prompte fuite. Enfin il revint une troisième fois à la charge, et
protesta à son capitaine qu'il ne pouvoit plus résister, et qu'il seroit
obligé de déserter si on ne le changeoit de logis. Despilliers qui
connoissoit le cavalier pour brave soldat et fort raisonnabe lui dit en
jurant: Je veux aller cette nuit coucher avec toi et voir ce qui en est.
Sur les dix heures du soir, le capitaine se rend au logis de son cavalier,
et ayant mis ses pistolets en bon état sur la table, se couche tout vêtu,
son épée à côté de lui, près de son soldat, dans un lit sans rideaux. Vers
minuit, il entend quelque chose qui entre dans la chambre et qui en un
instant met le lit sans dessus dessous et enferme le capitaine et le soldat
sous le matelas et la paillasse. Despilliers eut toutes les peines du monde
à se dégager, et à retrouver son épée et ses pistolets, et s'en retourna
chez lui fort confus. Le cavalier fut changé de logis dès le lenmain, et
dormit tranquillement chez un nouvel hôte. M. Despilliers racontoit cette
aventure à qui vouloit l'entendre; c'étoit un homme intrépide et qui
n'avoit jamais sçu ce que c'étoit que de reculer. Il est mort maréchal de
camp des armées de l'empereur Charles VI et gouverneur de la forteresse de
Segedin. M. son fils m'a confirmé depuis peu la même aventure comme l'ayant
apprise de son père.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 267.]



III.--GNOMES. ESPRITS DES MINES. GARDES DES TRÉSORS.


«George Agricola[1] qui a sçavamment traité la matière des mines, des
metaux, et de la maniere de les tirer des entrailles de la terre,
reconnoit, dit dom Calmet[2], deux ou trois sortes d'esprits qui
apparoissent dans les mines: les uns sont fort petits, et ressemblent à des
nains ou des pygmées; les autres sont comme des vieillards recourbés et
vêtus comme des mineurs, ayant la chemise retroussée et un tablier de cuir
autour des reins; d'autres font, ou semblent faire ce qu'ils voient faire
aux autres, sont fort gais, ne font mal à personne; mais de tous leurs
travaux il ne résulte rien de réel.»

    [Note 1: _De mineral. subterran._, p. 504.]

    [Note 2: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p, 248.]

«Lavater, cité par Taillepied[1], dit qu'un homme luy a escrit qu'à
Davoise, au pays des Grisons, il y a une mine d'argent en laquelle Pierre
Buol, homme notable et consul de ce lieu-là, a faict travailler ès années
passées, et en a tiré de grandes richesses. Il y avoit en icelle un esprit
de montagne lequel principalement le jour de vendredy, et souvent, lorsque
les métaillers versoient ce qu'ils avoient tiré dans les cuves, faisoit
fort de l'empescher, changeant à sa fantaisie les métaux des cuves en
autres. Ce consul ne s'en soucioit autrement, car quand il vouloit
descendre en la mine ou en remonter, se confiant en Jésus-Christ, s'armoit
du signe de la croix, et jamais ne lui advint aucun mal. Or un jour advint
que cest esprit fit plus de bruit que de coutume, tellement qu'un métailler
impatient commença à l'injurier et à luy commander d'aller au gibet avec
imprécation et malédiction. Lors cet esprit print le métailler par la tête,
laquelle il luy tordit en telle sorte que le devant estoit droitement
derrière: dont il ne mourut pas toutefois, mais vesquit depuis longtemps
ayant le col tors et renversé, cognu familièrement de plusieurs qui vivent
encor; quelques années après il mourut.

    [Note 1: _Traité sur l'apparition des esprits_, p. 128-130.]

«George Agricola escrit qu'à Annenberg, en une mine qu'on appelle _Couronne
de rose_, un esprit ayant forme de cheval tua douze hommes, ronflant et
soufflant contre eux, tellement qu'il la fallut quitter, encore qu'elle fût
riche d'argent.

«Semblablement, on dit qu'en la mine de Saint-Grégoire en Schueberg, il en
fut veu un, ayant la teste enchaperonnée de noir, lequel print un tireur de
métal et l'esleva fort haut, qui ne fut pas sans l'offenser grandement en
son corps.

«Olaus Magnus, cité par dom Calmet[1], dit qu'on voit dans les mines,
surtout dans celles d'argent où il y a un plus grand profit à espérer, six
sortes de démons qui, sous diverses formes, travaillent à casser les
rochers, à tirer les seaux, à tourner les roues, qui éclatent quelquefois
de rire et font diverses singeries; mais que tout cela n'est que pour
tromper les mineurs qu'ils écrasent sous les rochers ou qu'ils exposent aux
plus éminents dangers pour leur faire proférer des blasphèmes ou des
jurements contre Dieu. Il y a plusieurs mines très riches qu'on a été
obligé d'abandonner par la crainte de ces dangereux esprits.»

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 251.]

«Les nains de la Bretagne, les _bergmânnchen_ de l'Allemagne sont regardés,
dit M. A. de Maury[1], comme d'une extrême habileté dans l'art de
travailler les métaux. Les idées défavorables que l'on a sur eux les font
même passer chez les Bretons, les Gallois, les Irlandais, comme de faux
monnayeurs; c'est au fond des grottes, dans les flancs des montagnes,
qu'ils cachent leurs mystérieux ateliers. C'est là qu'aidés souvent des
Elfes et des autres génies analogues, ils forgent, ils trempent, ils
damasquinent ces armes redoutables dont ils ont doté les dieux et parfois
les mortels. L'un de ces forgerons nommé Wiéland ou Velant, instruit par
les nains de la montagne de Kallowa, s'était acquis une immense renommée.
Son nom de la Scandinavie était passé dans la France, changé en celui de
Galant, Galant qui avait fabriqué Durandal, l'épée de Charlemagne, et
Merveilleuse, l'épée de Doolen de Mayence. La _Vilkina Saga_ nous dit que
la mère de ce célèbre Vieland était un Elfe et son père un géant vade.
Suivant d'autres traditions, il serait lui-même un _licht elf_. Ainsi, les
Elfes, en une foule de circonstances, voient leur histoire se mêler à celle
des nains. L'Edda parle aussi de l'extrême habileté des Elfes dans l'art de
travailler les métaux: ce sont eux qui ont forgé Gungner, l'épée d'Odin,
qui ont fait à Sifa sa chevelure d'or, à Freya sa chaîne d'or. Le
cluricaune irlandais est aussi un forgeron et le paysan assure entendre
souvent la montagne retentir du bruit de son marteau.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 81-82.]

«A la ville de Greisswald et dans les environs, ajoute M. Alfred Maury[1],
c'est une tradition répandue chez le peuple, que jadis, à une époque que
l'on ne peut plus déterminer, le pays était habité par un grand nombre de
nains. On ignore le chemin qu'ils ont suivi en s'en allant, mais on croit
qu'ils se sont réfugiés dans les montagnes. Une légende prussienne raconte
comment les nains qui habitaient Dardesheim furent chassés par un forgeron,
et comment depuis on ne les a plus revus. Dans l'Erzgebirge, une tradition
toute semblable dit que les nains ont été chassés par l'établissement des
forges. Dans le Harz, même légende. Le peuple du Nord-Jutland dit que les
trolls ont quitté Vendyssel pour ne plus reparaître.»

    [Note 1: _Les Fées du moyen âge_, p. 91-92.]

«Suivant Bodin[1], Oger Ferrier, médecin fort sçavant, estant à Thoulouse,
print à louage une maison près de la Bourse, bien bastie et en beau lieu,
qu'on lui bailla quasi pour neant, pource qu'il y avoit un esprit malin qui
tourmentoit les locataires. Mais lui ne s'en soucioit non plus que le
philosophe Athenodorus, qui osa seul demeurer en une maison d'Athènes,
deserte et inhabitée par le moyen d'un esprit. Oyant ce qu'il n'avoit
jamais pensé, et qu'on ne pouvoit seurement aller en la cave, ni reposer
quelquefois, on l'avertit qu'il y avoit un jeune escholier portugais,
estudiant lors à Thoulouse, lequel faisoit voir sur l'ongle d'un jeune
enfant les choses cachées. L'escholier appelé usa de son mestier, et une
petite fille enquise dit qu'elle voyoit une femme richement parée de
chaînes et dorures, et qui tenoit une torche en la main, près d'un pilier.
Le Portugais conseilla au médecin de faire fouir en terre, dedans la cave,
près du pilier, et lui dit qu'il trouveroit un thrésor. Qui fut bien aise,
ce fut le médecin, lequel fit creuser. Mais lors qu'il esperoit trouver le
thrésor, il se leva un tourbillon de vent, lequel esteignit la lumière,
sortit par un soupirail de la cave et rompit deux toises de creneaux qui
estoyent en la maison voisine, dont il tomba une partie sur l'ostvent et
l'autre partie en la cave, par le soupirail, et sur une femme portant une
cruche d'eau qui fut rompue. Depuis, l'esprit ne fut ouï en sorte
quelconque. Le jour suivant, ce Portugais, averti du fait, dit que l'esprit
avoit emporté le thrésor, et que c'estoit merveille qu'il n'avoit offensé
le médecin, lequel me conta l'histoire deux jours après, qui estoit le 15
de decembre 1558, estant le ciel serein et beau comme il est d'ordinaire
es-jours alcyoniens, et fus voir les creneaux de la maison voisine abatus,
et l'ost de la boutique rompu.»

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. III, chap. III, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 629.]

«Philippe Mélanchthon, ajoute le même auteur[1], récite une histoire quasi
semblable, qu'il y eut dix hommes, à Magdebourg, tuez de la ruine d'une
tour lors qu'ils fossoyoient pour trouver les thrésors que Satan leur avoit
enseignez. J'ay apris aussi d'un Lyonnais, qui depuis fut chapelain à
l'église Notre-Dame de Paris, que lui avec ses compagnons avoyent
descouvert par magie un thrésor à Arcueil près de Paris. Mais voulant avoir
le coffre où il estoit, qu'il fut emporté par un tourbillon et qu'il tomba
sur lui un pan de la muraille, dont il est et sera boiteux toute la vie. Et
n'y a pas longtemps qu'un prestre de Nuremberg ayant trouvé un thrésor à
l'aide de Satan, et sur le point d'ouvrir le coffre, fut accablé des ruines
de la maison. J'ay sceu aussi d'un pratricien de Lyon, qu'ayant esté avec
ses compagnons la nuict, pour conjurer les esprits à trouver un thrésor,
comme ils avoient commencé de fouir en terre, ils ouyrent la voix comme
d'un homme qui estoit sur la roue, près du lieu où ils creusoyent, criant
espouvantablement aux larrons, ce qui les mit en fuite. Au mesme instant
les malins esprits les poursuivirent battans jusques en la maison d'où ils
estoyent sortis, et entrèrent dedans, faisant un bruit si grand, que
l'hoste pensoit qu'il tonnast. Depuis, il fit serment qu'il n'iroit jamais
cercher thrésor.

    [Note 1: Au même endroit.]

Le sieur de Villamont[1] raconte ce qui suit:

    [Note 1: _Voyages_, liv. I, chap. XXIII.]

«Près de Naples, nous trouvans au bord de la mer, joignant une montagne où
l'on descend en la grotte qu'on appelle du roi Salar, nous entrasmes dedans
icelle grotte avec un flambeau allumé, et cheminasmes jusques à l'entrée de
certaine fosse, où nostre guide s'arresta, ne voulant passer outre. Lui
ayant demandé la cause de cela, respondit que ceste entrée estoit très
périlleuse et que ceux qui s'ingeroyent de passer plus avant n'en
retournoyent jamais dire nouvelles aux autres: ainsi qu'arriva (dit-il) il
y a environ six ans (il racontoit l'histoire au commencement de l'année
1589), au prieur de l'abbaye de Margouline, à un François et à un Aleman,
lesquels arrivez à ceste fosse furent avertis par moi de n'entrer dedans.
Mais se mocquant de mes admonitions prindrent chacun son flambeau pour
descendre. Ce que voyans, je les y laissai entrer, sans vouloir aller en
leur compagnie, les attendant toutefois à l'entrée d'icelle. Mais voyant
qu'ils ne retournoyent point, je me doutai incontinent qu'ils estoyent
morts, de sorte qu'estant retourné à Naples, je le récitay à plusieurs;
tant qu'enfin cela vint à la connaissance des parents du prieur, qui me
firent constituer prisonnier, alléguant contre moi que je l'avois fait
entrer dedans, ou du moins, ne l'avois averti de l'inconvénient. Mais
sur-le-champ, je prouvay le contraire et fus absous à pur et à plein. En
peu de jours après on descouvrit que ces trois estoient magiciens qui
avoyent entrepris de descendre en cette fosse pour y cercher un thrésor.»

«L'an 1530, dit Jean des Caurres[1], le diable monstra à un prestre, au
travers d'un crystal, quelques thrésors en la ville de Noriberg. Mais ainsi
que le prestre le cherchoit dedans un lieu fossoyé devant la ville, ayant
pris un sien amy pour spectateur, et comme déjà il commençoit à voir un
coffre au fond de la caverne, auprès duquel il y avoit un chien noir
couché, il entra dedans et incontinent il fut estouffé et englouti dedans
la terre, laquelle tomba dessus et remplit de rechef la caverne.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées et histoires_, p. 292.]

«Dom Calmet[1], rapporte que deux religieux fort éclairés et fort sages, le
consultèrent sur une chose arrivée à Orbé, village d'Alsace, près l'abbaye
de Pairis.

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 274.]

«Deux hommes de ce lieu leur dirent qu'ils avoient vu dans leur jardin
sortir de la terre une cassette, qu'ils présumoient être remplie d'argent,
et que l'ayant voulu saisir, elle s'étoit retirée et cachée de nouveau sous
la terre. Ce qui leur étoit arrivé plus d'une fois.»

Le même auteur ajoute[1]:

    [Note 1: Au même endroit.]

«Théophane, historiographe grec, célèbre et sérieux, sous l'an de J.-C.
408, raconte que Cabades, roi de Perse, étant informé qu'entre le pays de
l'Inde et de la Perse, il y avoit un château nommé Zubdadeyer, qui
renfermoit une grande quantité d'or, d'argent et de pierreries, résolut de
s'en rendre maître; mais ces trésors étoient gardés par des démons, qui ne
souffroient point qu'on en approchât. Il employa, pour les conjurer et les
chasser, les exorcismes des mages et des Juifs qui étoient auprès de lui;
mais leurs efforts furent inutiles. Le roi se souvint du Dieu des
chrétiens, lui adressa ses prières, fit venir l'évêque qui étoit à la tête
de l'Eglise chrétienne de Perse, et le pria de s'employer pour lui faire
avoir ces trésors, et pour chasser les démons qui les gardoient. Le prélat
offrit le saint sacrifice, y participa, et étant allé sur le lieu, en
écarta les démons gardiens de ces richesses, et mit le roi en paisible
possession du château.»

«Racontant cette histoire à un homme de considération[1], il me dit que
dans l'isle de Malthe, deux chevaliers ayant aposté un esclave qui se
vantoit d'avoir le secret d'évoquer les démons, et de les obliger de
découvrir les choses les plus cachées, ils le menèrent dans un vieux
château où l'on croyoit qu'étoient cachés des trésors. L'esclave fit ses
évocations, et enfin le démon ouvrit un rocher d'où sortit un coffre.
L'esclave voulut s'en emparer, mais le coffre rentra dans le rocher. La
chose recommença plus d'une fois; et l'esclave, après de vains efforts,
vint dire aux chevaliers ce qui lui étoit arrivé, mais qu'il étoit
tellement affaibli par les efforts qu'il avoit faits, qu'il avoit besoin
d'un peu de liqueur pour se fortifier; on lui en donna, et quelque temps
après, étant retourné, on ouït du bruit, l'on alla dans la cave avec de la
lumière pour voir ce qui étoit arrivé, et l'on trouva l'esclave étendu mort
et ayant sur toute sa chair comme des coups de canifs représentant une
croix. Il en étoit si chargé qu'il n'y avoit pas de quoi poser le doigt qui
n'en fût marqué. Les chevaliers le portèrent au bord de la mer, et l'y
précipitèrent avec une grosse pierre pendue au col.»

    [Note 1: M. le chevalier Guiot de Marre.]

«La même personne nous raconta encore à cette occasion qu'il y a environ
quatre-vingt-dix ans qu'une vieille femme de Malthe fut avertie par un
génie qu'il y avoit dans sa cave un trésor de grand prix, appartenant à un
chevalier de très grande considération, et lui ordonna de lui en donner
avis: elle y alla, mais elle ne put obtenir audience. La nuit suivante, le
même génie revint, lui ordonna la même chose; et comme elle refusoit
d'obéir, il la maltraita et la renvoya de nouveau. Le lendemain elle revint
trouver le seigneur, et dit aux domestiques qu'elle ne sortirait point
qu'elle n'eût parlé au maître. Elle lui raconta ce qui lui étoit arrivé; et
le chevalier résolut d'aller chez elle, accompagné de gens munis de pieux
et d'autres instruments propres à creuser: ils creusèrent, et bientôt il
sortit de l'endroit où ils piochoient une si grande quantité d'eau, qu'ils
furent obligés d'abandonner leur entreprise. Le chevalier se confessa à
l'inquisiteur, de ce qu'il avoit fait et reçut l'absolution, mais il fut
obligé d'écrire dans les registres de l'inquisition le fait que nous venons
de raconter.

«Environ soixante ans après, les chanoines de la cathédrale de Malthe,
voulant donner au devant de leur église une place plus vaste, achetèrent
des maisons qu'il fallut renverser, et entre autres celle qui avoit
appartenu à cette vieille femme; en y creusant, on y trouva le trésor, qui
consistoit en plusieurs pièces d'or de la valeur d'un ducat, avec l'effigie
de l'empereur Justin Ier. Le grand maître de Malthe prétendoit que le
trésor lui appartenoit comme souverain de l'isle; les chanoines le lui
contestoient. L'affaire fut portée à Rome. Le grand maître gagna son
procès; l'or lui fut apporté de la valeur d'environ soixante mille ducats;
mais il les céda à l'église cathédrale. Quelque temps après, le chevalier
dont nous avons parlé, qui étoit alors fort âgé, se souvint de ce qui lui
étoit arrivé, et prétendit que ce trésor lui devoit appartenir: il se fit
mener sur les lieux, reconnut la cave où il avoit d'abord été et montra
dans les registres de l'inquisition ce qu'il y avoit écrit soixante ans
auparavant. Cela ne lui fit point recouvrer le trésor, mais c'était une
preuve que le démon connoissoit et gardoit cet argent.»

«Voici l'extrait d'une lettre écrite de Kirchheim, du 1er janvier 1747, à
M. Schopfflein, professeur en histoire et en éloquence à Strasbourg, et
rapportée par dom Calmet[1]:

    [Note 1: Ouvrage cité, p. 282-283.]

«Il y a plus d'un an que M. Cavallari, premier musicien de mon sérénissime
maître, et Vénitien de nation, avoit envie de faire creuser à
Rothenkirchen, à une lieue d'ici, qui étoit autrefois une abbaye renommée,
et qui fut ruinée du temps de la réformation. L'occasion lui en fut fournie
par une apparition que la femme du censier de Rothenkirchen avoit eue plus
d'une fois en plein midi, et surtout le 7 mai, pendant deux ans
consécutifs. Elle jure et en peut faire serment, qu'elle a vu un prêtre
vénérable en habits pontificaux, brodés en or, qui jetta devant lui un
grand tas de pierres, et quoiqu'elle soit luthérienne, par conséquent
incrédule sur ces sortes de choses-là, elle croit pourtant que si elle
avoit eu la présence d'esprit d'y mettre un mouchoir ou un tablier, toutes
les pierres seraient devenues de l'argent. M. Cavallari demanda donc
permission d'y creuser, ce qui lui fut d'autant plus facilement accordé que
le dixième du trésor est dû au souverain. On le traita de visionnaire, et
on regarda l'affaire des trésors comme une chose inouïe. Cependant il se
moqua du _qu'en dira-t-on_, et me demanda si je voulois être de moitié avec
lui; je n'ai pas hésité un moment d'accepter cette proposition, mais j'ai
été bien surpris d'y trouver de petits pots de terre remplis de pièces
d'or. Toutes ces pièces plus fines que les ducats sont pour la plupart du
quatorzième et quinzième siècle. Il m'en a échu pour ma part 666, trouvées
à trois différentes reprises. Il y en a des archevêques de Mayence, de
Trêves et de Cologne, des villes d'Oppenheim, de Baccarat, de Bingen, de
Coblens; il y en a aussi de Rupert Paladin, de Frédéric, burgrave de
Nuremberg, quelques-unes de Wenceslas, et une de l'empereur Charles IV,
etc.

«L'histoire qu'on vient de rapporter est rappelée, ajoute dom Calmet, avec
quelques circonstances différentes, dans un imprimé qui annonce une
lotterie de pièces trouvées à Rothenkirchen, au pays de Nassau, pas loin de
Donnersberg. On y lit que la valeur de ces pièces est de 12 livres 10 sols,
argent de France. La lotterie devait se tirer publiquement le 1er février
1750. Chaque billet étoit de six livres, argent de France.»

Bartolin, dans son livre de la _Cause du mépris de la mort, que faisoient
les anciens Danois_, liv. II, ch. II, raconte, d'après dom Calmet[1], «que
les richesses cachées dans les tombes aux des grands hommes de ce pays-là,
étoient gardées par les mânes de ceux à qui elles appartenoient, et que ces
mânes ou ces démons répandoient la frayeur dans l'âme de ceux qui vouloient
enlever ces trésors, par un déluge d'eau qu'ils répandoient, ou par des
flammes qu'ils faisoient paroître autour des monuments qui renfermoient ces
corps et ces trésors.»

    [Note 1: Ouvrage cité, t. I, p. 284.]



IV.--ESPRITS FAMILIERS.


«Plutarque, au livre qu'il a fait du Daemon de Socrates, tient, dit
Bodin[1] comme chose très certaine l'association des esprits avec les
hommes et dit que Socrates, estimé le plus homme de bien de la Grèce,
disoit souvent à ses amis qu'il sentoit assiduellement la présence d'un
esprit, qui le destournoit toujours de mal faire et de danger. Le discours
de Plutarque est long et chacun en croira ce qu'il voudra, mais je puis
assurer avoir entendu d'un personnage encore en vie l'an 1580 qu'il y avoit
un esprit qui lui assistoit assiduellement, et commença à le connoistre
ayant environ trente-sept ans: combien que ce personnage me disoit qu'il
avoit opinion que toute sa vie l'esprit l'avoit accompagné, par les songes
précédens et visions qu'il avoit eu de se garder des vices et inconvéniens.
Toutesfois il ne l'avoit jamais apperceu sensiblement, comme il fit depuis
l'âge de trente-sept ans: ce qui lui avint, comme il dit, ayant un an
auparavant continué de prier Dieu de tout son coeur soir et matin à ce
qu'il lui pleust envoyer son bon ange, pour le guider en toutes ses
actions. Après et devant la prière il employoit quelque temps à contempler
les oeuvres de Dieu, se tenant quelques fois deux ou trois heures tout seul
assis à méditer et contempler, et cercher en son esprit, et à lire la Bible
pour trouver laquelle de toutes les religions débatues de tout costez
estoit la vraye. Et disoit souvent ces vers du pseaume 143:

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. 1, ch. II.]

  Enseigne-moi comme il faut faire,
  Pour bien ta volonté parfaire:
  Car tu es mon vrai Dieu entier.
  Fay que ton esprit débonnaire
  Me guide et meine au droit sentier.

Il blasmoit ceux qui prient Dieu qu'il les entretiene en leur opinion, et
continuant ceste prière et lisant les sainctes Escritures il trouve en
Philon, Hebrieu, au livre des Sacrifices que le plus grand et le plus
agréable sacrifice que l'homme de bien et entier peut faire à Dieu, c'est
de soi-mesme estant purifié par lui. Il suivit ce conseil offrant à Dieu
son âme. Depuis il commença comme il m'a dit d'avoir des songes et visions
pleines d'instructions: tantost pour corriger un vice, tantost un autre,
tantost pour se garder d'un danger, tantost pour estre résolu d'une
difficulté, puis d'une autre, non seulement des choses divines, mais
encores des choses humaines. Entre autres il lui sembla avoir ouy la voix
de Dieu en dormant, qui lui dit: Je sauverai ton âme: c'est moi qui te suis
apparu ci-devant. Depuis, tous les matins, sur les trois ou quatre heures,
l'esprit frappoit à sa porte: lui se leva quelquefois ouvrant la porte et
ne voyoit personne. Tous les matins l'esprit continuoit: et s'il ne se
levoit, il frappoit de rechef et le resveilloit jusques à ce qu'il se fust
levé. Alors il commença d'avoir crainte pensant que ce fust quelque malin
esprit, comme il disoit: pour ceste cause il continuoit de prier Dieu, sans
faillir un seul jour, que Dieu lui envoyast son bon ange, et chantoit
souvent les Psalmes qu'il sçavoit quasi tous par coeur. Et lors l'esprit se
fit connoistre en veillant, frappant doucement. Le premier jour il
apperceut sensiblement plusieurs coups sur un bocal de verre, ce qui
l'estonnoit bien fort: et deux jours après ayant un sien ami secrétaire du
Roy disnant avec lui oyant que l'esprit frappoit sur une escabelle joignant
de lui, commença à rougir et craindre; mais il lui dit: N'ayez point de
crainte, ce n'est rien. Toutes fois pour l'asseurer il lui conta la vérité
du fait. Or il m'a asseuré que depuis cest esprit l'a toujours accompagné,
lui donnant un signe sensible, comme le touchant tantost l'oreille dextre,
s'il faisoit quelque chose qui ne fust bonne, et à l'oreille senestre, s'il
faisoit bien. Et s'il venoit quelqu'un pour le tromper et surprendre, il
sentoit soudain le signal à l'oreille dextre; si c'estoit quelque homme de
bien, et qui vinst pour son bien, il sentoit aussi le signal à l'oreille
senestre. Et quand il vouloit boire et manger chose qui fust mauvaise, il
sentoit le signal; s'il doutoit aussi de faire ou entreprendre quelque
chose, le mesme signal lui avenoit. S'il pensoit quelque chose mauvaise, et
qu'il s'y arrestast, il sentoit aussi tost le signal pour s'en destourner.
Et quelquesfois quand il commençoit à louer Dieu par quelque psalme ou
parler de ses merveilles, il se sentoit saisi de quelque force spirituelle,
qui lui donnoit courage. Et afin qu'il discernast le songe par inspiration
d'avec les autres resveries qui aviennent quand on est mal disposé, ou que
l'on est troublé d'esprit, il estoit esveillé de l'esprit sur les deux ou
trois heures du matin; et un peu après il s'endormoit. Alors il avoit les
songes véritables de ce qu'il devoit faire ou croire des doutes qu'il
avoit, ou de ce qui lui devoit avenir. En sorte qu'il dit que depuis ce
temps-là ne lui est advenu quasi chose dont il n'ait eu advertissement, ni
doute des choses qu'on doit croire, dont il n'ait eu resolution. Vrai est
qu'il demandoit tous les jours à Dieu qu'il lui enseignast sa volonté, sa
loy, sa vérité... Au surplus de toutes ses actions il estoit assez joyez et
d'un esprit gay. Mais si en compagnie il lui advenoit de dire quelque
mauvaise parole et de laisser pour quelques jours à prier Dieu, il estoit
aussi tost adverti en dormant. S'il lisoit un livre qui ne fust bon,
l'esprit frappoit sur le livre, pour le lui faire laisser, et estoit aussi
tost destourné s'il faisoit quelque chose contre sa santé, et en sa maladie
gardé soigneusement... Surtout il estoit adverti de se lever matin, et
ordinairement dès quatre heures, il dit qu'il ouyt une voix en dormant qui
disoit: Qui est celui qui le premier se lèvera pour prier? Aussi dit-il
qu'il estoit souvent adverti de donner l'aumosne; et lorsque plus il
donnoit l'aumosne, plus il sentoit que ses afaires prosperoyent. Et comme
ses ennemis avoyent délibéré de le tuer, ayans sceu qu'il devoit aller par
eau, il eust vision, en songe, que son père lui amenoit deux chevaux, l'un
rouge et l'autre blanc; qui fust cause qu'il envoya louer deux chevaux, que
son homme lui amena, l'un rouge et l'autre blanc, sans lui avoir dit de
quel poil il les vouloit. Je lui demanday pourquoy il ne parloit à
l'esprit? Il me fit responce qu'une fois il le pria de parler à lui: mais
qu'aussi tost l'esprit frappa bien fort contre sa porte, comme d'un
marteau, lui faisant entendre qu'il n'y prenoit pas plaisir, et souvent le
destournoit de s'arrester à lire et escrire pour reposer son esprit et à
méditer tout seul, oyant souventes fois en veillant une voix bien fort
subtile et inarticulée. Je lui demanday s'il avoit jamais veu l'esprit en
forme. Il me dit qu'il n'avoit jamais rien veu en veillant, hors-mis
quelque lumière en forme d'un rondeau, bien fort claire. Mais un jour
estant en extrême danger de sa vie, ayant prié Dieu de tout son coeur,
qu'il lui plust le préserver, sur le poinct du jour entre-sommeillant dit
qu'il apperceut sur le lict où il estoit couché, un jeune enfant vestu
d'une robe blanche, changeant en couleur de pourpre, d'un visage de beauté
esmerveillable: ce qu'il asseuroit bien fort. Une autre fois, estant aussi
en danger extreme, se voulant coucher, l'esprit l'en empescha, et ne cessa
qu'il ne fust levé; lors il pria Dieu toute la nuict sans dormir. Le jour
suivant Dieu le sauva de la main des meurtriers d'une façon estrange et
incroyable. Après s'estre eschappé du danger, dit qu'il ouit en dormant une
voix qui disoit: Il faut bien dire qui en la garde du haut Dieu pour jamais
se retire. Pour le faire court, en toutes les difficultez, voyages,
entreprises qu'il avoit à faire, il demandoit conseil à Dieu. Et comme il
priait Dieu qu'il lui donnast sa bénédiction, une nuict il fut advis en
dormant qu'il voyoit son père qui le bénissoit.»

«Il y a, dit Bodin[1], un gentilhomme en Picardie, auprès de
Villiers-Costerets, qui avoit un esprit familier en un anneau, duquel il
vouloit disposer à son plaisir, et l'asservir comme un esclave, l'ayant
acheté bien cher d'un Espagnol; et d'autant qu'il lui mentoit le plus
souvent, il jetta l'anneau dedans le feu, pensant y jetter l'esprit aussi,
comme si cela se pouvoit enclorre. Depuis il devint furieux et tourmenté du
diable.»

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. II, ch. III.]

Au récit de Paul Jove[1], Corneille Agrippa avait un chien noir qui n'était
autre que le diable, lequel lui apprenait ce qui se passait partout. Ce
chien noir se tenait dans le cabinet de Corneille Agrippa couché sur des
tas de papiers, pendant que son maître travaillait. Au moment de mourir et
pressé de se repentir, Agrippa ôta à ce chien un collier de clous qui
formaient des inscriptions magiques, et lui dit d'un ton affligé: Va-t'en,
malheureuse bête, qui es cause de ma perte. Ce chien voyant son maître prêt
à expirer alla se précipiter dans le Rhône.

    [Note 1: _Elogia virorum illustrium_. Venise, 1546, in-fol.]

«J'ay connu un personnage, dit Bodin[1], lequel me descouvrit une fois
qu'il estoit fort en peine à cause d'un esprit qui le suivoit et se
présentoit à lui en plusieurs formes: de nuict le tiroit par le nez,
l'esveilloit, le battoit souvent, et quoy qu'il le priast de laisser
reposer, il n'en vouloit rien faire; et le tourmentoit sans cesse lui
disant: Commande moi quelque chose: et qu'il estoit venu à Paris pensant
qu'il le deust abandonner, ou qu'il y peust trouver remede à son mal, sous
ombre d'un proces qu'il estoit venu solliciter. J'apperçus bien qu'il
n'osoit pas me descouvrir tout. Lui demandant quel profit il avoit eu de
s'assujettir à tel maistre, il me dit qu'il pensoit parvenir aux biens et
honneurs, et sçavoir les choses cachées: mais que l'esprit l'avoit toujours
abusé; que pour une vérité il disoit trois mensonges, et ne l'avoit jamais
sceu enrichir d'un double, ni faire jouir de celle, qu'il aimoit,
principale occasion qui l'avoit induit à l'invoquer, et qu'il ne lui avoit
aprins les vertus des plantes, ni des pierres, ni des sciences secrettes,
comme il esperoit, et qu'il ne lui parloit que de se venger de ses ennemis,
ou faire quelque tour de finesse et de meschanceté. Je lui dis qu'il estoit
aisé de se défaire d'un tel maistre, et sitost qu'il viendroit, qu'il
appelast le nom de Dieu à son aide et qu'il s'adonnast à servir Dieu de bon
coeur. Depuis je n'ay veu le personnage, ni peu sçavoir s'il s'estoit
repenti.»

    [Note 1: _Démonomanie_, liv. II, ch. III.]



PRODIGES



I.--PRODIGES CÉLESTES


«L'an 1500, dit Goulart[1] d'après Conrad Licosthenes[2], qui avait
recueilli toutes ces histoires de Job Fincel, de Marc Frytsch, et de
plusieurs autres, l'on vit en Alsace, près de Saverne, une teste de
taureau, entre les cornes de laquelle estincelloit une fort grande estoile.

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 46 et suiv.]

    [Note 2: _De prodigiis et ostentis_.]

«En la même année, le vingt uniesme jour de may, sur la ville de Lucerne en
Suisse, se vid un dragon de feu, horrible à voir, de la grosseur d'un veau,
et de douze pieds de long, lequel vola vers le pont de la rivière de Russ
qui y passe.

«L'an 1503, en la duché de Bavière, sur une villette nommée Vilsoc, fut veu
un dragon couronné et jettant des flammes de feu par la gorge.

«Sur la ville de Milan, en plein jour, le ciel net et serain, furent veuës
plusieurs estoiles merveilleusement luisantes.

«Au commencement de janvier l'an 1514, environ les huit heures du matin, en
la duché de Witemberg furent veus trois soleils au ciel. Celui du milieu
estoit beaucoup plus grand que les autres. Tous les trois portoient la
figure d'une longue espée, de couleur luisante et marquettée de sang, dont
les poinctes s'estendoyent fort avant. Cela avint le douziesme jour du
mois. Le lendemain sur la ville de Rotvil on vid le soleil monstrant une
face effroyable, environné de cercles de diverses couleurs. Deux jours
auparavant, et le dix-septième de mars suivant, furent veus trois soleils,
et trois lunes aussi l'onziesme de janvier et le dix-septiesme de mars.
Jacques Stopel, médecin de Memminge fit un ample discours et prognostic sur
ces apparitions suivies de grands troubles, notamment en Souabe.

«En l'année 1520, les bourgeois de Wissembourg, ville assise au bord du
Rhin, entendirent un jour en plein midi bruire estrangement en l'air un
horrible cliquetis d'armes, et des courses de gens combatans et crians
comme en bataille rangée. Ce qui donna telle espouvante que tous coururent
aux armes, pensans que la ville fust assiégée et que les ennemis fussent
près des portes.

«Lorsque l'empereur Charles V fut couronné en la ville d'Aix-la-Chapelle,
on vid le soleil environné d'un grand cercle, avec un arc en ciel. En la
ville d'Erford furent veus trois soleils. Outre plus un chevron ardant
terrible à regarder à cause de sa masse et de sa longueur. Ce chevron
baissant en terre, y fist un grand degast, puis remontant en l'air, se
convertit en forme de cercle.

«Job Fincel, en son recueil _des Merveilles de nostre temps_, remarque que
l'an 1523, un paysan de Hongrie, faisant quelque voyage avec son chariot,
fut surpris de la nuict et contraint demeurer à la campagne pour y attendre
le jour. Ayant dormi quelque temps il se resveille, descend du chariot pour
se promener, et, regardant en haut, vid en l'air les semblances de deux
princes combatans avec les espées es mains l'un contre l'autre. Il y en
avoit un de haute taille et robuste: l'autre estoit plus petit et portoit
une couronne sur la teste. Le grand mit bas et tua le petit, puis luy ayant
osté la couronne la jetta comme contre terre, tellement qu'elle fut
despecée en diverses pièces. Trois ans après, Ladislas, roy de Hongrie, fut
tué en bataille par les Turcs.

«En l'an 1525 fut veu en Saxe, environ le trespas de l'électeur Frédéric,
surnommé le Sage, le soleil couronné d'un grand cercle entier et tout rond,
resemblant en couleur l'arc céleste. Au mois d'aoust de la mesme année, le
soleil se monstra l'espace de quelques jours ainsi qu'une grosse boule de
feu allumée et de toute autre couleur que l'ordinaire. S'ensuivit tost
après la sédition des paysans en Alemagne.

«L'an 1528, environ la mi-may, sur la ville de Zurich furent veus quatre
parélies environnez de deux cercles entiers et le soleil entouré de quatre
petits cercles. Au mesme an, la ville d'Utrecht, estroitement assiégée et
finalement prinse par les Bourguignons, apparut en l'air un prognostic de
ce malheur, dont les habitants furent aussi merveilleusement estonnez.
C'est à sçavoir une grande croix qu'on surnomme de sainct André, laquelle
estoit de couleur blafarde et hideuse à voir.

«Le septiesme jour de février 1536, environ minuict, furent veus au ciel,
sur un quartier d'Espaigne, deux hommes armez, et courans sus l'un à
l'autre avec l'espée au poing; l'un portoit au bras gauche une rondelle où
estoit peint un aigle avec ce mot autour, _Regnabo_, c'est-à-dire _Je
régnerai_. L'autre avoit un grand bouclier avec une estoile et un croissant
et cette inscription _Regnavi_, c'est-à-dire _J'ai régné_. Celui qui
portoit l'aigle renversa l'autre.

«En l'an 1537, le premier jour de février, fut veu en Italie un aigle
volant en l'air, portant au pied droict une bouteille et au gauche un
serpent entortillé, suivi d'un nombre innombrable de pies. Au même temps
fut veue aussi en l'air une croix bourguignonne de diverses couleurs.
Quinze jours auparavant, fut veue en Franconie, entre Pabenberp et la
forest de Turinge, une estoile de grandeur merveilleuse, laquelle s'estant
abaissée peu à peu se réduisit en forme d'un grand cercle blanc, dont tost
après sortirent des tourbillons de vent et des touffes de feu, qui tombans
en terre, firent fondre des pointes de picques, fers et mords de cheval,
sans offenser homme ni édifice quelconque.

«Le vingt-neuviesme jour de mars 1545, environ les huict heures du matin,
cheut es environs de Cracovie un esclat de fouldre après un tonnerre si
impétueux que toute la Pologne en fust esmeue. Incontinent aparurent au
ciel trois croix roussastres, entre lesquelles estoit un homme armé de
toutes pièces, lequel, avec une espée ardante, combatoit une armée,
laquelle il desfit: et là-dessus survint un horrible dragon lequel
engloutit cest homme victorieux. Incontinent le ciel s'ouvrit comme tout en
feu, et fut ainsi veu l'espace d'une bonne heure. Puis aparurent trois arcs
en ciel avec leurs couleurs acoustumées, sur le plus haut desquels estoit
la forme d'un ange comme on le représente en figure de jeune homme qui a
des ailes aux espaules, tenant un soleil en l'une de ses mains, une lune en
l'autre. Ce deuxiesme spectacle ayant duré une demi-heure en présence de
tous ceux qui voulurent le voir, quelques nuées s'eslevèrent qui couvrirent
ces aparences.

«Un jour d'octobre 1547, environ les sept heures du matin, fut veue au pays
de Saxe la forme d'une bière de trespassé couverte d'un drap noir, chamarré
d'une croix de couleur rousse, précédée et suivie de plusieurs figures
d'hommes en dueil, chacun d'iceux portant une trompette dont ils
commencerent à sonner si haut que les habitans du pays en entendoyent
aisement le bruit. En ces entrefaites aparut un homme armé de toutes
pieces, de terrible regard, lequel desgaignant son espée coupa une partie
du drap, puis de ses deux mains deschira le reste, quoi fait lui et tous
les autres s'esvanouyrent.

«Au mois de juin 1553, furent veus en l'air serain et descouvert, sur la
ville de Cobourg, entre cinq et six heures du soir, diverses sortes
d'hommes, puis des armées qui se donnoyent bataille, et un aigle
voltigeant, les ailes tout espandues. En juillet furent veus au ciel deux
serpens entrelassez, se rongeans l'un l'autre, et au milieu d'eux une croix
de feu. En cette mesme année décéda le duc George, prince d'Anhalt,
excellent théologien. Le jour qu'il trespassa, l'on apperceut de nuict au
ciel sur la ville de Witteberg une croix bleue. Quelques jours devant la
bataille donnée entre Maurice, duc de Saxe et Albert, marquis de
Brandebourg, l'image d'un grand homme apparut es nuées en un endroit de
Saxe. Du corps de cest homme, lequel paroissoit nud, commença tout premier
à découler du sang goute après goute, puis on en vid sortir des étincelles
de feu, finalement il disparut peu à peu.

«L'onziesme jour de janvier 1556, vers les montagnes qui ceignent d'un
costé la ville d'Augsbourg, le ciel s'ouvrit, et sembla se fendre, dont
tous furent merveilleusement estonnez: surtout à cause des cas pitoyables
qui avindrent incontinent après. Car au mesme jour le messager d'Augsbourg
tua d'un coup de pistole certain capitaine aux portes de la ville. Le
lendemain la femme d'un forgeur d'espées, estimant faire un grand butin,
tua dedans sa maison un marchant. Incontinent après sa servante se tua
soi-mesme d'un coup de cousteau. Un jour après, en querelle, un boucher fut
renversé mort d'un coup d'espée: et deux villages furent tous bruslez. Le
quinziesme jour du mesme mois, le garde de la forest de Saincte-Catherine
fut transpercé et trouvé occis d'un coup de harquebuse. Et le
dix-septiesme, un valet d'orfevre, poussé de désespoir, se noya. La nuict
suivante, plusieurs furent blessez à mort par les rues.

«En divers jours et mois de la mesme année 1556 furent remarquées autres
apparitions; comme en février furent veus au ciel sur la comté de Boets des
armées à pied et à cheval qui combatoyent furieusement. Au mois de
septembre, sur une villette du marquisat de Brandebourg, nommée Custrin,
environ les neuf heures du soir, on vid infinies flammesches de feu
saillans du ciel, et au milieu deux grands chevrons ardans. Sur la fin fut
entendue une voix criant: Malheur, malheur à l'Église!

«Wolfgang Strauch, de Nuremberg, escrit que l'an 1556, sur une ville de
Hongrie qu'il nomme Babatscha, fut veue, le sixiesme jour d'octobre, peu
avant soleil levant, la semblance de deux garçons nuds combatans en l'air
avec le cimeterre es mains et le bouclier es bras. Celui qui portoit en son
bouclier un aigle double chamailla si rudement sur l'autre dont le bouclier
portoit un croissant, qu'il sembla que le corps navré de plusieurs playes
tombast du ciel en terre. Au mesme temps et lieu fut veu l'arc en ciel avec
ses couleurs accoustumées et aux bouts d'icelui deux soleils. Non gueres
loin d'Augsbourg fut veu au ciel le combat d'un ours contre un lyon, au
mois de decembre en la mesme annee; et à Witteberg, en Saxe, le sixiesme
jour d'icelui mois, trois soleils et une nuée tortue marquetée de bleu et
de rouge, estendue en arc, le soleil paroissant pasle et triste entre les
parélies.

Fr. des Rues[1] rapporte que «L'an 1558, veille de Pasques, s'esleva de
terre sur le midi en la lande de Raoul en Normandie un tourbillon tel,
qu'il entrainoit tout ce qui lui estoit à la rencontre, enfin se haussant
en l'air, parut une colonne coulourée de rouge et de bleu, qui
l'accompagnoit et s'arresta en l'air. Cependant on voyoit des flesches et
dards qui s'eslançoyent contre ceste colonne, sans que l'on vist ceux qui
les descochoyent: et au haut du tourbillon, sur la colonne, l'on entendoit
crier des oiseaux de diverses sortes voltigeans à l'entour. Ce tourbillon
fut suivi de griefve mortalité au pays.»

    [Note 1: Dans ses _Antiquitez de France_.]

«Après la considération des nues, dit Gaffarel[1] vient celle de la pluye
en laquelle on ne peut rien lire que par la troisième espèce de lecture qui
est par hieroglyphe, et de ce genre est la pluye de sang ou de couleur
rouge tombée en Suisse l'an 1534, laquelle se formait en croix sur les
habits. Jean Pic a immortalisé ce prodige par une longue suite de vers,
dont ceux-ci expriment nettement l'histoire:

    [Note 1: _Curiositez inouyes_.]

  Permixtam crucem rubro spectavimus olim
  Nec morum discrimen erat sacer alque prophanus
  Jam conspecta sibi gestabant mystica Patres
  Conscripti et pueri, conscriptus sexus aterque
  Et templa et vestes, a summa Caesari aula
  Ad tenues vicos, ad dura mapalia ruris
  Cernere erat liquido deductum ex aethere signum.

Ces gouttes d'eau ne formaient pas seulement des croix sur les vetements
mais encore sur les pierres et sur la farine, conséquence assuree, dit
Gaffarel, qu'il y avait quelque chose de divin.

«La neige, la gresle et la gelée, continue le même auteur, portent encore
quelquefois des charactères bien estranges, et dont la lecture n'est pas à
mespriser. On a souvent veu de la gresle sur laquelle on a remarqué ou la
figure d'une croix, ou d'un bouclier, ou d'un coeur, ou d'un mort, et si
nous ne méprisions pas ces merveilles, nous lirions sans doute dans
l'advenir la vérité de ces figures hieroglyphiques. Faict quelques ans
qu'en Languedoc, un de mes amis, se trouvant à la chasse, fut estonné par
le bruit extraordinaire du tonnerre et d'un vent fort violent; il pensa de
se mettre à l'abry, mais comme il estoit bien avant dans le bois, jugeant
qu'avant la pluie qui suit ordinairement cet orage, il ne pourrait arriver
à sa maison, il choisit la couverture d'un rocher, sous lequel après qu'il
eust demeuré l'espace d'un quart d'heure, que la malice du temps estoit
passée avec une légère pluie il se remit en route malgré la grele.

Mais comme il prit garde que cette grele estoit faite à son advis autrement
que la commune, il s'arrête pour la considérer, il en prend une, et veid en
même temps, prodige espouventable! qu'elle portait la figure d'un casque,
d'autres un escusson, et d'autres une espée. Ce nouveau prodige l'estonne,
et l'appréhension de quelque malheur luy fit reprendre le chemin du rocher,
où il ne fut pas plustost arrivé, qu'il tomba si grande quantité de gresle
et avec telle violence qu'elle tua, non pas seulement les oyseaux, mais
quantité d'autres animaux. Il me souvient d'avoir veu le mesme autrefois en
Provence... Quelque temps après, le Languedoc veit ses campagnes couvertes
de soldats et les places rebelles assiégées et assaillies avec tant de sang
répandu que le seul souvenir en sera à jamais funeste.»

Goulart[1] rapporte que «Au mois de novembre de l'année 1523 fut veue une
comete et tost apres le ciel tomba tout en feu, lançant une infinité
d'esclairs et foudres en terre, laquelle trembla, puis survindrent des
estranges ravines d'eaux, notamment au royaume de Naples. Peu après
s'ensuivit la prise de François Ier, roi de France; l'Allemagne fut
troublée d'horribles séditions, Louys, roi de Hongrie, fut tué en bataille
contre les Turcs. Il y eut par toute l'Europe de merveilleux remuements.
Rome fut prinse et pillée par l'armée impériale.

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_.]

«En cette mesme année de la prinse et du sac de Rome, à sçavoir l'an 1527,
on vid une comete plus effroyable que les précédentes. Après icelle
survindrent les terribles ravages des Turcs en Hongrie, la famine en
Souabe, Lombardie et Venise, la guerre en Suisse, le siege de Viene, en
Autriche, la suete en Angleterre, le desbord de l'Océan en Hollande et
Zélande, où il noya grande estendue de pays, et un tremblement de terre de
huict jours durant en Portugal.»

«La plus redoutable des cometes de notre temps, ajoute le même auteur, fut
celle de l'an 1527. Car le regard d'icelle donna telle frayeur à plusieurs
qu'aucuns en moururent, autres tombèrent malades. Elle fut veue de
plusieurs milliers d'hommes paraissant fort longue et de couleur de sang.
Au sommet d'icelle fut veue la représentation d'un bras courbé tenant une
grande espée en sa main, comme s'il eust voulu frapper. Au bout de la
pointe de cette espée, il y avoit trois estoiles: mais celle qui touchoit
droitement la pointe estoit plus claire et plus luisante que les autres.
Aux deux costez de cette comete se voyaient force haches, poignards, espées
sanglantes, parmi lesquelles on remarquait un grand nombre de testes
d'hommes descapitez, ayant les barbes et cheveux hérissez horriblement. Et
qu'a veu l'espace de soixante-trois ans l'Europe, sinon les horribles
effects en terre de cest horrible présage au ciel?»



II.--ANIMAUX PARLANTS


Un ancien auteur[1] nous rappelle plusieurs histoires d'animaux parlants:

    [Note 1: _Le chois de plusieurs histoires et autres choses
    mémorables_, p. 648 et suiv.]

«Quelquefois, dit-il, Dieu fait parler les bestes brutes pour enseigner les
créatures humaines en leur ignorance. Une asnesse me servira de caution,
laquelle comme elle portait Balaam sur son dos, apperceut l'ange du
Seigneur. A raison de quoy elle se destourna de la voye pour luy ceder la
place: mais Balaam qui ne sçavoit point la cause de ce desvoyement, battit
avec exceds ceste simple beste, toutes les trois fois qu'elle s'estoit
desplacée de son chemin, pour la reverance qu'elle portoit au serviteur de
Dieu: et à cause de ce respectueux devoir, le Seigneur disposa la bouche de
l'asnesse à proferer tels propos: «Quel sujest t'ay-je donné pour estre si
rudement frapée de toy d'un baston par trois diverses reprises? Ne suis-je
pas ta beste qui t'ay tousiours fidelement porté jusques à ce jour? Et
n'eust esté la reverance que j'ai referé à l'ange du Seigneur, je ne me
fusse retiré du chemin par lequel je t'ay fort souvent porté en toutes les
affaires.» Ces paroles finies, Dieu dessilla les yeux de Balaam pour
contempler l'ange tenant un glaive nud en la main, et lors il s'inclina en
terre, et adora ce messager du Tout-Puissant, qui luy fit une reprimende
pour avoir outragé son asnesse, mesme luy dit qu'il estoit sorti tout
expres pour estre son adversaire à cause de sa vie perverse, et du tout
esloignée des ordonnances du Seigneur. Ce n'est donc à tort que nous sommes
envoyez par les sages à l'escolle des bestes, l'instinct naturel desquelles
Dieu fortifie souventes fois de la parole, pour recevoir d'elles quelque
instruction en nos impiétés.

«Quelque temps auparavant la mort de Caesar, dictateur, un boeuf, tirant à
la charrue, se tourna vers le laboureur qui le pressoit par trop à la
besongne, et luy dit qu'à grand tort il le frappoit, parce que la récolte
des bleds seroit si abondante qu'il ne se trouveroit pas assez d'hommes
pour les manger.

«Sur la fin de l'empire de Domitian, l'on entendit une corneille prononcer
ces mots en grec: _Toutes choses prendront un heureux succeds_, voulant par
là signifier que les injustices et severitez de Domitian devoient bien tost
prendre fin avec sa vie, selon qu'il advint. Car la benignité et clemence
de Nerva et Trajan succédèrent à l'arrogance et cruauté de Domitian, au
grand contentement de tout l'empire romain.

«Le seigneur de Moreuil, père de Joachime de Soissons, dame de Crequi,
estoit si adonné au plaisir de la chasse, qu'il ne se contentoit point d'y
emploier les jours ouvriers, mais davantage desroboit à l'Eglise catholique
les festes pour les prophaner à tels vains exercices. Tellement qu'un jour
il se seroit monstré si aveuglé et refroidy de devotion que d'aller courir
un lievre le jour du vendredy sainct, au lieu qu'il ne devoit bouger de
l'Eglise pour vacquer à prières et contemplation de la douloureuse mort de
Jesus-Christ, qui avoit esté flagellé et attaché à l'arbre de la croix, ce
jour-là, pour la rédemption de nos âmes. Mais son péché fut tallonné de
près d'une grande repentance. Car il courut un lievre qui luy fit tant de
ruses et de hourvaris que non seulement il eschapa de la poursuite des
chiens, et rendit vaine l'expérience des veneurs, mais davantage ce maistre
lievre se mettant sur son derriere tourna les yeux devers ledit seigneur de
Moreuil, en luy disant: «Que t'en semble? n'ay-je pas bien couru pour un
courtault?» Cest estrange prodige donna une telle espouvante à ce seigneur,
qu'il ne pouvoit assez tost retrouver son chasteau pour se debotter et
aller à l'Eglise, à celle fin que par sa penitence et prieres il peust
expier l'énormité de son offence, faisant voeu que delà en avant il ne
prostitueroit plus les jours de festes en la vanité de tels plaisirs, ains
les passeroit en toutes sainctes occupations. Or comme l'asnesse de Balaam
se plaignoit à son maistre d'avoir esté batue quand elle honora l'ange de
Dieu, tout de mesme le lievre fit cognoistre au seigneur de Moreuil qu'il
ne devoit estre si maltraicté de ses veneurs et chiens en un jour plus
convenable aux oeuvres pieuses qu'à se donner du plaisir.»



EMPIRE DES MORTS



I.--AMES EN PEINE. LAMIES ET LÉMURES.


Suivant Loys Lavater[1]: «Quelquefois un esprit se montrera en la maison,
ce qu'appercevant, les chiens se jetteront entre les jambes de leurs
maîtres et n'en voudront partir, car ils craignent fort les esprits.
D'autrefois quelqu'un viendra tirer ou emporter la couverture du lit, se
mettra dessus ou dessous icelle, ou se pourmenera par la chambre. On a veu
des gens à cheval ou à pied comme du feu, qu'on cognoissoit bien et qui
estoyent morts auparavant. Parfois aussi ceux qui estoyent morts en
bataille ou en leur lict venoyent appeler les leurs, qui les cognoissoyent
à la voix. Souventes fois on a veu la nuict des esprits trainans les pieds,
toussans et souspirans, lesquels estans interroguez, se disoyent estre
l'esprit de cestui ou de cestui là. Estans de rechef enquis comme on
pourroit les aider, requeroyent qu'on fit dire des messes, qu'on allast en
pèlerinage et qu'ainsi ils seraient délivrés. Puis après sont apparus en
grande magnificence et clarté, disant qu'ils estoyent délivrés et
remercyoient grandement leurs bienfaiteurs: promettans d'intercéder pour
eux envers Dieu et la vierge Marie.»

    [Note 1: _Des apparitions des esprits, etc._]

«Mélanchthon, dit le même auteur[1], en son _Traité de l'âme_ escrit avoir
eu lui mesme plusieurs apparitions, et connu plusieurs personnes dignes de
foy qui affirmoyent avoir parlé à des esprits. En son livre intitulé
_Examen ordinandorum_, il dit avoir eu une tante soeur de son père,
laquelle demeurée enceinte après la mort de son mari, ainsi qu'elle estoit
assise près du feu, deux hommes entrent en sa maison, l'un desquels
ressembloit au mari mort, et se donnoit a conoistre pour tel, l'autre de
fort haute taille, estoit vestu en cordelier. Celui qui ressembloit au mari
s'approche du fouyer, salue sa femme, la prie de ne s'estonner point,
disant qu'il venoit lui donner charge de faire quelque chose. Sur ce, il
commande au cordelier de se retirer dedans le poisle. Et ayant devisé
longuement avec la femme, lui parlant de prestres et de messes, estant
prest à partir, il lui dit, tendant sa main: Touchez là; mais pour ce
qu'elle estoit saisie d'estonnement, il l'asseura qu'elle n'auroit aucun
desplaisir. Ainsi donc elle le toucha et combien que la main d'icelle ne
devinst impotente, tant y a qu'il la brusla tellement qu'elle fut tousiours
nouée depuis. Cela fait, il appelle le cordelier, puis tous deux
disparurent.

    [Note 1: Livre I, ch. XIV.]

Suivant Le Loyer[1], «Jean Pic de la Mirandole apparut à Hierosme
Savonarolle, jacobin ferrarais, et luy dist qu'il souffrait les peines du
purgatoire pour n'avoir assez fait profiter le talent que Dieu luy avait
donné et pour avoir faict fort peu de cas des révélations intérieures à luy
faictes, qui l'advertissaient de continuer ses honnêtes travaux et achever
ce qu'il avait pourpensé en son esprit. Et ne craignit point Savonarolle de
dire en plein sermon la révélation qu'il avait eue, admonestant ses parents
et amis de prier et faire prier Dieu pour son âme.»

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres_, p. 649.]

«Les trespassez, dit Jean des Caurres[1], recognoissent les biens qu'on
leur faict, comme a esté cogneu de nostre temps, en la cité de Ponts, près
Narbonne, où trespassa un escolier qui estoit excommunié, pour le salaire
qu'il devoit à un sien regent, à la cité de Rhodes, l'esprit duquel parla à
son amy, le priant s'en aller audit Rhodes querir son absolution, ce que
son compagnon luy accorda, et s'en allant, passa par les montagnes chargées
de neige; ledict esprit l'accompagnoit tousiours, et parloit à luy sans
qu'il veit rien. Et à cause que le chemin estoit couvert de neige, l'esprit
lui ostoit la neige et luy monstroit le chemin. Après avoir obtenu
l'absolution de l'évesgue de Rhodes, l'esprit le conduit derechef à
Saint-Ponts, et donna l'absolution au corps mort comme est la coustume en
l'Eglise catholique, et ledit esprit et ame du trespassé, ayans tous, print
congé de luy, le remerciant et promettant luy rendre le service.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 377.]

Ils se vengent aussi de ce qu'on leur manque de parole:

«Aux gestes de Charles le Grand, on lit, dit des Caurres[1], qu'un de ses
capitaines pria un sien compagnon que s'il mouroit en la bataille, qu'il
donnast un beau cheval qu'il avoit pour son ame. Luy trespassé, son
compagnon voyant la beauté du cheval, le tient pour luy. Douze jours après,
le trespassé s'apparut à luy, se lamentant, que à faute de n'avoir donné le
cheval en aumosne pour son ame, il avoit demouré douze jours en peine, et
qu'il en porteroit la peine. Pour quoy mourut soudain.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 377.]

«J'ai vu, dit Bodin[1], un jeune homme prisonnier l'an 1590 qui avoit tué
sa femme en cholère, et avoit eu sa grace qui lui fut intériné, lequel
néanmoins se plaignoit qu'il n'avoit aucun repos, estant toutes les nuicts
battu par icelle, comme il disoit. Les anciens tenoyent que les ames des
occis souvent pourchassent la vengeance des meurtriers. Nous lisons en
Plutarque que Pausanias, roy de Lacedemone, estant à Constantinople, on lui
fit présent d'une jeune damoiselle... Entrant, de nuit en la chambre, elle
fit tomber la lumière, ce qui esveilla Pausanias en sursaut, et pensant
qu'on voulust le tuer en tenebres; tout effrayé il print sa dague, et tua
la demoiselle sans connoistre qui elle estoit. Dès lors Pausanias fut
incessamment tourmenté d'un esprit jusques à la mort, qui ressembloit
(comme il disoit) à la damoiselle.»

    [Note 1: _Démonomanie_, livre II, ch. III.]

Selon Taillepied[1]: «Si un brigand s'approche du corps qu'il aura occis,
le mort commencera à escumer, suer, et donner quelque autre signe. Platon
au neufviesme livre de ses loix, dit que les ames des meurtris poursuivent
furieusement, et souvent, les ames des meurtriers. A l'occasion de quoy
Marsile Ficius, au seiziesme livre de l'_Immortalité des âmes_, chapitre
cinquiesme, estime qu'il advient que si un meurtrier vient où sera à
descouvert le corps de celuy qu'il aura fraischement tué, et il approche
près pour regarder et contempler la playe, le sang en sortira de rechef. Ce
qu'aussi Lucrèce affirme estre véritable, et les juges l'ont observé...
Quand un voleur sera assis à table, s'il advient que quelque verre de vin
soit espandu, le vin ne tombera de côté ne d'autre, ains percera la
table...

    [Note 1: _Traité de l'apparition des esprits_ p. 139.]

«D'après Jean de Caurres[1], saint Augustin au II de _Civitate Dei_ parle
de Tiberius Graccus, duquel aussi fait mention Saluste _de Bello
Jugurtino_, lequel fut meurdry estant tribun du peuple, et comment après sa
mort, son frère Caius Graccus, aspiroit audit office odieux au peuple, la
nuict en dormant luy apparut la face de son frère, luy disant que s'il
acceptoit ledit office, qu'avoit esté cause de sa mort, qu'il mourroit de
mesme mort que luy, ce qu'advint.

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 377.]

«Valère au premier[1], qui parle des songes et des miracles recite de
Simonides, lequel venant à un port de mer par navire, trouva audict port un
homme mort, non ensevely, lequel il ensevelit. Et pour recompense de ceste
oeuvre de charité l'esprit appartenant à ce corps, la nuict, en dormant,
parla à luy, en demonstrant qu'il se gardast le matin de monter sur le
navire s'il aymoit ne point mourir. Simonides creut, et estant au port, il
vit devant ses yeux perir le navire et tous ceux qui estoient avec luy. Le
jour precedent, ledit Simonides encore receut une autre bénéfice, pour
avoir ensevely celuy que dessus: car soupant chez Stophas, au village de
Cyanone en Thessale, voicy un messager qui vient à luy soudain, disant
qu'il y avoit à l'huys deux jeunes jouvenceaux qui instamment demandoient
parler à luy: parquoy il sortit sur l'heure, et s'en alla à l'huys, et ne
trouva aucun. Et estant là, le soupoir où Stophas, et autres invités
faisoient grande chere, tomba et tous moururent à ceste ruine, hormis le
Simonides.

    [Note 1: En son premier livre.]

«Avenzoar Albamaaron, medecin arabe mahométiste, escrit comment luy estant
malade d'une grande maladie des yeux, un sien amy medecin; desia trespassé,
luy apprint en dormant la medecine pour sa maladie, par laquelle il guarit.

Loys Lavater[1] rapporte, d'après Manlius, en ses _Lieux communs_, le fait
suivant:

    [Note 1: _De l'apparition des esprits_, liv. I, ch. II.]

«Théodore Gaza, docte personnage, avoit obtenu en don du pape certaine
mestairie. Son fermier fossoyant un jour en certain endroit trouva une buye
ou urne, en laquelle y avoit des os. Sur ce un fantosme lui aparut et
commanda de remettre cette urne en terre, autrement son fils mourroit. Et
pour ce que le fermier ne tint conte de cela, bien peu de temps apres son
fils fut tué. Au bout de quelques jours le fantosme retourna, menassant le
fermier de lui faire mourir son autre fils, s'il ne remettoit en terre
l'urne et les os qu'il avoit trouvés dedans. Le fermier ayant pensé à soy,
en voyant son autre fils tombé malade, conta le tout à Théodore, lequel
estant allé en sa mestairie, et au lieu d'où le fermier avoit tiré l'urne,
fit refaire une fosse au mesme endroit, où ils cachèrent et l'urne et les
os; ce qu'estant fait, le fils du fermier recouvra incontinent la santé.»

«Il y avoit, dit Jean des Caurres[1], en Athenes, une grande maison, mais
fort descriée et dangereuse. Lorsqu'il estoit nuict, on y entendoit un
bruict, comme de plusieurs fers, lequel commençoit premièrement de loin:
mais puis estant approché plus pres, il sembloit que ce fut le bruit de
quelques menotes, ou des fers que l'on met aux pieds des prisonniers.
Incontinent apparoissoit la semblance d'un vieil homme tout atténué de
maigreur et rempli de crasse, portant une longue barbe, et les cheveux
hérissés. Il avoit les fers aux pieds, et des menotes aux mains, qu'il
faisoit cliqueter. Et aussi ceux qui habitoient la dedans, passoient les
miserables nuicts sans dormir, estans remplis de peur et d'horreur: dont
ils tomboient en maladie, et en la fin, par augmentation de la peur, ils
mouroient. Car le long du jour encore que l'image fut absente, si est-ce
que la mémoire leur en demeuroit en l'entendement: si bien que la premiere
crainte estoit cause d'une plus longue. Ainsi la maison descriée demeura
deserte, et du tout abandonnée à ce monstre. Toutefois on y avoit mis un
escriteau pour la vendre ou louer à quelqu'un qui par aventure ne seroit
adverty du faict. Or sus ces entrefaictes, le philosophe Athenodore vint en
Athènes. Il leut l'escriteau, il sceut le prix, et soupçonnant par le bon
marché qu'on luy en faisoit, et s'en estant enquis, on luy en dist la
verité. Ce nonobstant il la loua de plus grande affection. Le soir
approchait, il commanda que l'on fist son lict en la première partie de la
maison. Il demanda ses tablettes à escrire, sa touche, sa lumière, et
laissa tous ses domestiques au dedans. Et à fin que son esprit oisif ne luy
fantastiquast les espouvantails et craintes, dont on luy avoit parlé, il se
mit attentivement à escrire, et y employa, non seulement les yeux, mais
aussi l'esprit et la main. La nuict venue, il entendit le fer qui
cliquetoit: toutefois il ne leva point l'oeil, et ne laissa d'escrire, mais
il s'asseura davantage, et presta l'aureille. Alors le bruit augmenta,
redoubla et approcha: tellement qu'il l'entendoit desia comme à l'entrée,
puis au dedans. Il regarde, et voit, et recognoist la semblance de laquelle
on luy avoit parlé. Elle estoit debout, et lui faisoit signe du doigt,
comme si elle l'eust appellé. Et luy au contraire luy faisoit signe de la
main qu'elle attendist un petit. Derechef il se mit à escrire. Mais elle
vint sonner ses chaisnes à l'entour de la teste de l'écrivain, lequel la
regarda comme auparavant. Et voyant qu'elle lui faisoit signe, tout
soudainement il prit sa lumière, et la suyvit. Elle alloit lentement comme
si elle eust eu peine à marcher, à cause de ses fers. Et incontinent
qu'elle fut au milieu de la maison, elle se disparut et laissa le
philosophe tout seul. Lequel print quelques herbes et feuilles, pour
marquer le lieu auquel elle l'avoit laissé. Le jour suivant il s'en alla
vers le magistrat, et l'advertit de faire fouiller au lieu marqué. On
trouva des os entrelassez de chaisnes, que le corps pourry par la terre, et
par la longueur du temps, avoit quitté aux fers, lesquels estant rassemblez
furent enterrez publiquement, et n'y eust onques depuis esprit qui apparust
en la maison.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 388.]

Goulart[1] rapporte l'histoire suivante:

    [Note 1: _Trésor des histoires admirables_, t. I, p. 543.]

«Jean Vasques d'Ayola et deux autres jeunes Espagnols partis de leur pays
pour venir estudier en droit à Boulogne la Grasse, ne pouvant trouver logis
commode pour faire espargne, furent avertis qu'en la rue où estoit leur
hostellerie y avoit une maison déserte et abandonnée, à cause de quelques
fantosmes qui y apparoissoyent, laquelle leur seroit laissée pour y habiter
sans payer aucun louage, tandis qu'il leur plairoit y demeurer. Eux
acceptent la condition, sont mesmes accommodez de quelques meubles, et font
joyeusement leur mesnage en icelle l'espace d'un mois, au bout duquel comme
les deux compagnons d'Ayola se fussent couchez d'heure, et lui fust en son
estude fort tard, entendant un grand bruit comme de plusieurs chaisnes de
fer, que l'on bransloit et faisoit entrechoquer, sortit de son estude, avec
son espée, et en l'autre main son chandelier et la chandelle allumée, puis
se planta au milieu de la salle, sans resveiller ses compagnons, attendant
que deviendroit ce bruit, lequel procedoit à son advis du bas des degrez du
logis respondant à une grande cour que la salle regardoit. Sur ceste
attente, il descouvre à la porte de ces degrez un fantosme effrayable,
d'une carcasse n'ayant rien que les os, traînant par les pieds et le faut
du corps ces chaisnes qui bruioyent ainsi. Le fantosme s'arreste, et Ayola
s'acourageant commence à le conjurer, demandant qu'il eust à lui donner à
entendre en façon convenable ce qu'il vouloit. Le fantosme commence à
croiser les bras, baisser la teste, et l'appeler d'une main pour le suivre
par les degrez. Ayola respond: Marchez devant et je vous suivray. Sur ce le
fantosme commence à descendre tout bellement, comme un homme qui traîneroit
des fers aux pieds, suivi d'Ayola, duquel la chandelle s'esteignit au
milieu des degrez. Ce fut renouvellement de peur: néantmoins, s'esvertuant
de nouveau, il dit au fantosme: Vous voyez bien que ma chandelle s'est
amortie, je vay la r'allumer; si vous m'attendez ici, je retourneray
incontinent. Il court au foyer, r'allume la chandelle, revient sur les
degrez, où il trouve le fantosme et le suit. Ayant traversé la cour du
logis, ils entrent en un grand jardin, au milieu duquel estoit un puits; ce
qui fit douter Ayola que le fantosme ne lui nuisît: pourtant il s'arresta.
Mais le fantosme se retournant fit signe de marcher jusques vers un autre
endroit du jardin: et comme ils s'avançoyent celle part, le fantosme
disparut soudain. Ayola resté seul commence à le rappeler, protestant qu'il
ne tiendroit à lui de faire ce qu'il seroit en sa puissance; et attendit un
peu. Le fantosme ne paroissant plus, l'Espagnol retourne en sa chambre,
resveille ses compagnons, qui le voyant tout pasle, lui donnerent un peu de
vin et quelque confiture, s'enquerans de son avanture, laquelle il leur
raconta. Tost après le bruit semé par la ville de cest accident, le
gouverneur s'enquit soigneusement de tout, et entendant le rapport d'Ayola
en toutes ses circonstances, fit fouiller en l'endroit où le fantosme
estoit disparu. Là fut trouvée la carcasse enchaînée ainsi qu'Ayola l'avoit
veuë, en une sépulture peu profonde, d'où ayant esté tirée et enterrée
ailleurs avec les autres, tout le bruit qui paravant avoit esté en ce grand
logis cessa. Les Espagnols retournez en leur pays, Ayola fut pourvu
d'office de judicature: et avoit un fils président en une ville d'Espagne
du temps de Torquemada, lequel fait ce discours en la troisième journée de
son _Hexameron_.»

Taillepied[1] raconte le fait suivant: «Environ l'an 1559, un gentilhomme
d'un village près de Meulan sur Seine, seigneur de Flins, avoit ordonné par
testament qu'on ensevelist son corps avec ses ancetres en la ville de
Paris. Quand il fut trespassé, son fils héritier ne s'en souciant beaucoup
d'exécuter la volonté de son père le fit inhumer dans l'église dudit
village. Mais advint que l'esprit du père fit tant grand bruit et tourmente
dans la chambre du fils qui couchoit en son lict à Paris que le fils fut
contrainct d'envoyer des saquemans (pillards, voleurs) qu'il loua à prix
d'argent, pour aller deterrer le corps dudit trespassé, et le faire
apporter au lieu où il avait esleu sa sépulture. Le lendemain matin je fus
à ce village, en un jour de dimanche, où l'histoire me fut récitée tout au
long, et y avoit dans l'église une si grande puanteur de ce corps qui avoit
esté levé le jour précédent, qu'on n'y pouvoit aucunement durer pour
l'infection.»

    [Note 1: _Traité de l'apparition des esprits_, p. 123.]

«En Islande, dit Jean des Caurres[1], qui est une isle vers Aquilon des
dernières en laquelle, au solstice de l'esté, n'y a nulle nuit, et à celuy
de l'hyver n'y a nul jour, il y a une montagne nommée Hecla, qui est
bruslante comme Ethna, et là bien souvent les morts se monstrent aux gens
qui les ont cogneus, comme s'ils estaient vifs: en sorte que ceux qui n'ont
sceu leur mort, les estiment vivans. Et revelent beaucoup de nouvelles de
loin pays. Et quand on les invite de venir en leurs maisons, ils respondent
avec grands gemissemens qu'ils ne peuvent, mais faut qu'ils s'en aillent à
la montaigne de Hecla, et soudain disparaissent, et ne les voit-on point.
Et communément apparoissent ceux qui ont esté submergez en la mer, ou qui
sont morts de quelque mort violente.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 378.]

Adrien de Montalembert[1] raconte cette histoire d'Antoinette, jeune
religieuse de l'abbaye de Saint-Pierre à Lyon et d'une grande piété, qui
parlait souvent de l'abbesse du monastère, morte dans le repentir après une
vie déréglée et se recommandait à elle:

    [Note 1: _La merveilleuse histoire de l'esprit qui depuis naguères
    est apparu au monastère des religieuses de Saint-Pierre de Lyon,
    laquelle est plaine de grant admiration, comme l'on pourra voir à
    la lecture de ce présent livre_, par Adrien de Montalembert Paris,
    1528, in-12.]

«Or advint une nuit que la dicte Antoinette, jeune religieuse, estoit toute
seule en sa chambre, en son lict couchée et dormoit non point trop durement
si luy fut advis que quelque chose luy levoit son queuvrechef tout
bellement et luy fesoit au front le signe de la croix puis doulcement et
souef en la bouche le baisoit. Incontinent la pucelle se réveille non point
grandement effrayée ains tant seulement esbahye, pensant a par soy que ce
pourroit estre qui l'auroit baisée et de la croix signée, entour d'elle
rien n'apperçoit... pour cette fois la pucelle ne y prinst pas grand advis
cuydant qu'elle eust ainsi songé et n'en parla a personne.

Advint aucuns jours après qu'elle ouyt quelque chose entour d'elle faisant
aucun son, et comme soubz ses pieds frapper aucuns petiz coups, ainsi qui
heurteroit du bout d'un baston dessoubz ung carreau ou un marchepied. Et
sembloit proprement que ce qui fesoit ce son et ainsi heurtoit fust dedans
terre profondement; mays le son qui se faisoit estoit ouy quasi quatre doys
en terre tousjours soubz les piedz de la dicte pucelle. Je l'ay ouy maintes
fois et en me repondant sur ce que l'enqueroys frapoit tant de coups que
demandoys. Quand la pucelle eut ja plusieurs fois entendu tel son et bruyt
estrange elle commença durement s'esbahir, et toute espouvantée le compta a
la bonne abbesse, laquelle bien la sceut réconforter et remectre en bonne
asseurance non pensant à autre chose qu'à la simplesse de la pucelle. Et
pour mieulx y pourvoir ordonna qu'elle coucheroit en une chambre prochaine
d'elle si que la pucelle n'eust sceu tant bellement se remuer que
incontinent ne l'eust ouye.

«Les povres religieuses de léans furent toutes esperdues de prime face,
ignorans encore que c'estoit. Si vindrent premièrement au refuge à nostre
Seigneur et se misrent toutes en bon estat. Et fut interroguée la pucelle
diligemment assavoir que lui sembloit de ceste adventure. Elle respond
qu'elle ne sçait que ce pourroit estre si ce n'estoit seur Alis la
secrétaine pourtant que depuys son trespas souvant l'avoit songée et veue
en son dormant. Lors fut conjuré l'esperit pour sçavoir que c'estoit. Il
respondit qu'il estoit l'esperit de seur Alis véritablement de léans jadis
secrétaine. Et en donna signe évident. La chose fut assez facile à croyre
par ce que moult tousjours avoit aymé la pucelle. L'abbesse, voyant ce,
délibéra apres soy estre conseillée envoyer quérir le corps de la
trespassée et pour ce fut enquise l'âme premierement si elle vouldroit que
son corps fust léans en terre. Elle incontinent donna signe que moult le
désiroit; adonc la bonne dame abbesse l'envoya déterrer et amener
honnestement en l'abbaye. Cependant l'ame menoit bruit entour la pucelle a
mesure que son corps de léans approuchait de plus en plus. Et quand il fut
à la porte du monastère moult se démenoit en frappant et en heurtant
dessoubz les pieds de la pucelle. Durant aussi que les dames faisoient le
service de ses funérailles ne cessoit et n'avoit aucun repos. Bonnemens ne
sçait-on pourquoy ainsy se démenoit cette ame ou pour la douleur qu'elle
enduroit ou pour le plaisir qu'elle avoit de veoir son corps en son abbaye
dont jadis elle estoit partie. Le service achevé fut mys en une fousse la
casse ou cercueil qui contenoit les ossements en une petite chapelle de
Notre-Dame, sans les couvrir aultrement fors d'ung drap mortuaire. Et ainsi
me fust montré.

«Or sachez sire que cest esperit ne faisoit aucun mal, frayeur ne
destourbier a créature, ains les dames de léans le tindrent depuys à grande
consolation pourtant que le dit esperit faisoit signe de grand
resjouissance quand l'on chantoit le service divin et quand l'on parloit de
Dieu fust à l'esglise ou aultre part. Mais jamais n'estoit ouy si la
pucelle n'estoit présente, car jour et nuict luy tenoit compaignie et la
suyvoit; ny oncques puis ne l'abandonna en quelque lieu qu'elle fust. Je
vous diray grand merveille de ceste bonne ame. Je luy demanday en la
conjurant ou nom de Dieu assavoir si incontinent qu'elle fut partie de son
corps elle suyvit ceste jeune religieuse. L'ame respondit que ouy
véritablement ny jamais ne l'abandonneroit que ne vollast au ciel pour
jouyr de la vision éternelle entièrement. Ce sçay bien véritablement car ce
luy ay je demandé depuys et l'ay ouy maintes fois. Et moult estoit
famyliere de moy. Et par elle ont esté sceuz de grans cas qui ne pourroient
estre congneuz de mortelle créature dont je me suys donné grand admiration
et merveilles. Les secretz de Dieu sont inscrutables et aux ignorants
incrédibles. Mais ceulx qui ont ouy et veu telles choses certes l'en les
doit croire plus entièrement.»



II.--REVENANTS, SPECTRES, LARVES.


Goulart[1] rappelle cette histoire d'après Job Fincel[2]: «Un riche homme
de Halberstad, ville renommée en Allemagne, tenoit d'ordinaire fort bonne
table, se donnant en ce monde tous les plaisirs qu'il pouvoit imaginer, si
peu soigneux de son salut, qu'un jour il osa vomir ce blasphème entre ses
escornifleurs, que s'il pouvoit tousiours passer ainsi le temps en délices,
il ne désireroit point d'autre vie. Mais au bout de quelques jours et outre
sa pensée, il fut contraint mourir. Après sa mort on voyoit tous les jours
en sa maison superbement bastie, des fantosmes survenant au soir, tellement
que les domestiques furent contraints cercher demeure ailleurs. Ce riche
aparoissoit entre autres, avec une troupe de banquetteurs en une sale qui
ne servoit de son vivant qu'à faire festins. Il estoit entouré de
serviteurs qui tenoyent des flambeaux en leurs mains, et servoyent sur
table couverte de coupes et gobelets d'argent doré, portans force plats,
puis desservans: outre plus on oyoit le son des flustes, luths, espinettes
et autres instrumens de musique, bref, toute la magnificence mondaine dont
ce riche avoit eu son passetemps en sa vie. Dieu permit que Satan
représentast aux yeux de plusieurs de telles illusions, afin d'arracher
l'impiété du coeur des Epicuriens.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 539.]

    [Note 2: Au IIe livre des _Merveilles de notre temps_.]

Des Caurres[1] raconte «comment l'an 1555 en une bourgade, près de Damas en
Syrie, nommée Mellula, mourut une femme villageoise, qui demeura six jours
au sepulchre; le septiesme jour elle commença à crier dessous terre, à la
voix de laquelle s'assemblèrent une grande multitude de gens et appelèrent
les parens et mary de la defuncte, devant lesquels elle fut tirée vive du
sepulchre et ressuscitée. Et voulant son mary la conduire à sa maison, ne
vouloit, mais à grande instance demandoit estre amenée à l'église des
chrestiens, ce que le mary et parens ne vouloient: mais elle persistait à
prier qu'on la y menast, car vouloit estre baptisée et estre chrestienne.
Les parens indignez la menèrent à la grande ville de Damas, et la livreront
ez mains de la justice, à fin que comme hérétique elle fut punie. Le bruit
en courut par tout le pays. Dont s'assembla en Damas une infinité de peuple
pour ceste chose nouvelle. Elle fut présentée à celuy qui est juge des
choses appartenans à la religion, le cadi, à laquelle dit le juge: O
insensée! veux-tu suivre la foy damnée des chrestiens pour estre condamnée
à damnation éternelle en enfer? Auquel respondit, disant: Je veux estre
chrestienne pour évader les peines que tu dis, à cause que nul n'est sauvé
que les chrestiens: à laquelle respondit le cadi: Et quelle certitude as-tu
de cecy? Elle respond que tous ceux laquelle avoit cogneu en leur vie qui
estoient trespassez, les avoit tous veus en enfer. Alors crièrent tous ceux
qui estoient la présens: Adonc nous sommes tous damnez? elle respond
qu'ouy; ce que entendant, le peuple avec grande fureur la voulurent
lapider, les autres crioient que comme infidelle fut bruslée. Le cadi dit
qu'il n'en estoit pas d'avis, afin que les chrestiens ne s'en glorifiassent
au grand mespris d'eux et de leur foy, mais pour nostre gloire traittons la
comme folle et insensée et la renvoyons pour telle, par instrument public.
Ce que fut fait; à l'heure ceste bonne femme s'en vint à l'église des
chrétiens, et receut la foy et le baptesme: et depuis vesquit avec les
chrestiens en la religion chrestienne, et en icelle mourut.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 376.]

«Certain Italien, dit Alexandre d'Alexandrie[1], ayant fait enterrer
honnestement un sien ami trespassé, et comme il revenoit à Rome, la nuict
l'ayant surpris, il fut contraint s'arrester en une hostellerie, sur le
chemin, où, bien las de corps et affligé d'esprit, il se met en la couche
pour reposer. Estant seul et bien esveillé, il lui fut avis que son ami
mort, tout pasle et descharné, lui aparoissoit tel qu'en sa dernière
maladie, et s'aprochoit de lui, qui levant la teste pour le regarder et
transi de peur, l'interrogue, qu'il estoit? Le mort ne respondant rien se
despouille, se met au lict, et commence à s'approcher du vivant, ce lui
sembloit. L'autre ne sçachant de quel costé se tourner, se met sur le fin
bord, et comme le défunct aprochoit tousiours, il le repousse. Se voyant
ainsi rebuté, ce fut à regarder de travers le vivant, puis se vestir, se
lever du lict, chausser ses souliers et sortir de la chambre sans plus
aparoir. Le vivant eut telles affres de ceste caresse, que peu s'en falut
aussi qu'il ne passast le pas. Il recitoit que quand ce mort aprocha de lui
dans le lict, il toucha l'un de ses pieds, qu'il trouva si froid que nulle
glace n'est froide à comparaison.»

    [Note 1: Au IIe livre de ses _Jours géniaux_, ch. IX, cité par
    Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 533.]

Goulart[1] rapporte, d'après divers auteurs résumés par Camerarius[2], les
apparitions des morts dans certains cimetières: «Un personnage digne de
foy, dit-il, qui avoit voyagé en divers endroits de l'Asie et de l'Egypte,
tesmoignoit à plusieurs avoir veu plus d'une fois en certain lieu, proche
du Caire (où grand nombre de peuple se trouve, à certain jour du mois de
mars, pour estre spectateur de la résurrection de la chair, ce disent-ils),
des corps des trespassez, se monstrans, et se poussans comme peu à peu hors
de terre: non point qu'on les voye tout entiers, mais tantost les mains,
parfois les pieds, quelquesfois la moitié du corps: quoi faict ils se
recachent de mesme peu à peu dedans terre. Plusieurs ne pouvans croire
telles merveilles, de ma part désirant en sçavoir de plus près ce qui en
est, je me suis enquis d'un mien allié et singulier ami, gentilhomme autant
accompli en toutes vertus qu'il est possible d'en trouver, eslevé en grands
honneurs, et qui n'ignore presque rien. Iceluy ayant voyagé en pays
susnommez, avec un autre gentil-homme aussi de mes plus familiers et grands
amis, nommé le seigneur Alexandre de Schullembourg, m'a dit avoir entendu
de plusieurs que ceste apparition estoit chose très-vraye, et qu'au Caire
et autres lieux d'Egypte on ne la revoquoit nullement en doute. Pour m'en
asseurer d'avantage, il me monstra un livre italien, imprimé à Venise,
contenant diverses descriptions des voyages faits par les Ambassadeurs de
Venise en plusieurs endroits de l'Asie et de l'Afrique: entre lesquels s'en
lit un intitulé _Viaggio di Messer Aluigi, di Giovanni, di Alessandria
nelle Indie_. J'ay extrait d'icelui, vers la fin quelques lignes tournées
de l'italien en latin (et maintenant en françois) comme s'ensuit. Le 25e
jour de mars, l'an 1540, plusieurs chrestiens, accompagnez de quelques
janissaires, s'acheminèrent du Caire vers certaine montagnette stérile,
environ à demi lieue de là, jadis désignée pour coemitiere aux trespassez:
auquel lieu s'assemble ordinairement tous les ans une incroyable multitude
de personnes, pour voir les corps morts y enterrez, comme sortans de leurs
fosses et sepulchres. Cela commence le jeudi, et dure jusques au samedi,
que tous disparoissent. Alors pouvez-vous voir des corps envelopez de leurs
draps, à la façon antique, mais on ne les void ni debout, ni marchans: ains
seulement les bras, ou les cuisses, ou autres parties du corps que vous
pouvez toucher. Si vous allez plus loin, puis revenez incontinent, vous
trouvez que ces bras ou autres membres paroissent encore d'avantage hors de
terre. Et plus vous changez de place, plus ces mouvements se font voir
divers eslevez. En mesmes temps il y a force pavillons tendus autour de la
montagne. Car et sains et malades qui vienent là par grosses troupes
croyent fermement que quiconque se lave la nuict precedente le vendredi, de
certaine eau puisée en un marest proche de là, c'est un remede pour
recouvrer et maintenir la santé, mais je n'ai point veu ce miracle. C'est
le rapport du Venitien. Outre lequel nous avons celui d'un jacopin d'Ulme,
nommé Félix, qui a voyagé en ces quartiers du Levant, et a publié un livre
en alemand touchant ce qu'il a veu en la Palestine et en Egypte. Il fait le
mesme récit. Comme je n'ai pas entrepris de maintenir que ceste apparition
soit miraculeuse, pour confondre ces superstitieux et idolastres d'Egypte,
et leur monstrer qu'il y a une resurrection et vie à venir, ni ne veux non
plus refuter cela, ni maintenir que ce soit illusion de Satan, comme
plusieurs estiment; aussi j'en laisse le jugement au lecteur, pour en
penser et résoudre ce que bon lui semblera.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 42.]

    [Note 2: _Méditations historiques_, ch. LXXIII.]

«J'adjousteray, dit Goulart, quelque chose à ce que dessus, pour le
contentement des lecteurs. Estienne du Plais, orfevre ingénieux, homme
d'honneste et agreable conversation, aagé maintenant d'environ
quarante-cinq ans, qui a esté fort curieux en sa jeunesse de voir divers
pays, et a soigneusement consideré diverses contrées de Turquie et
d'Egypte, me fit un ample recit de ceste apparition susmentionnée, il y a
plus de quinze ans, m'affermant en avoir esté le spectateur Claude Rocard,
apoticaire à Cably en Champagne, et douze autres chrestiens, ayans pour
trucheman et conducteur un orfevre d'Otrante en la Pouille, nommé Alexandre
Maniotti, il me disoit d'avantage avoir (comme aussi firent les autres)
touché divers membres de ces ressuscitans. Et comme il vouloit se saisir
d'une teste chevelue d'enfant, un homme du Caire s'escria tout haut: _Kali,
kali, anté matarafdé_: c'est-à-dire, Laisse, laisse, tu ne sçais que c'est
de cela. Or, d'autant que je ne pouvois bonnement me persuader qu'il fust
quelque chose de ce qu'il me contoit apporté de si loin, quoy qu'en divers
autres récits, conferez avec ce qui se lit en nos modernes, je l'eusse
toujours trouvé simple et veritable, nous demeurasmes fort longtemps en
ceste opposition de mes oreilles à ses yeux, jusques à l'an 1591, que luy
ayant monstré les observations susmentionnées du docteur Camerarius: Or
cognoissez-vous (me dit-il) maintenant que je ne vous ay point conté des
fables. Depuis, nous en avons devisé maintesfois, avec esbahissement et
reverence de la sagesse divine. Il me disoit la dessus qu'un chrestien
habitant en Egypte, lui a raconté par diverses fois, sur le discours de
ceste apparition ou resurrection, qu'il avoit aprins de son ayeul et pere,
que leurs ancestres recitoyent, l'ayant receu de longue main, qu'il y a
quelques centaines d'années, que plusieurs chrestiens, hommes, femmes,
enfans, s'estans assemblez en ceste montagne, pour y faire quelque exercice
de leur religion, ils furent ceints et environnez de leurs ennemis en tres
grand nombre (la montagnette n'ayant gueres de circuit) lesquels taillerent
tout en pièces, couvrirent de terre ces corps, puis se retirerent au Caire;
que depuis, ceste resurrection s'est demonstrée l'espace de quelques jours
devant et apres celui du massacre. Voila le sommaire du discours d'Estienne
du Plais, par lui confirmé et renouvellé à la fin d'avril 1600, que je
descrivois ceste histoire, à laquelle ne peut prejudicier ce que recite
Martin de Baumgarten en son voyage d'Egypte, faict l'an 1507, publié par
ses successeurs, et imprimé à Nuremberg l'an 1594. Car au XVIIIe chap. du
Ier liv. il dit que ces apparitions se font en une mosquée de Turcs pres du
Caire. Il y a faute en l'exemplaire: et faut dire Colline ou Montagnette,
non à la rive du Nil, comme escrit Baumgarten, mais à demie lieuë loin,
ainsi que nous avons dit.»

«Ceux qui ont remarqué, dit un écrivain anonyme[1], les gestes ou escript
la vie des papes sont autheurs que le pape Benoist 9e du nom, apparut après
sa mort vagant çà et là, avec une façon fort horrible, ayant le corps d'un
ours, la queue d'un asne, et qui interrogué d'où luy estoit advenue une
telle métamorphose, il répondit: Je suis errant de ceste forme, pour ce que
j'ay vescu en mon pontificat sans loy comme une beste.»

    [Note 1: _Histoires prodigieuses extraites de plusieurs fameux
    auteurs, etc._]

Le Loyer[1] rapporte l'histoire d'une Péruvienne qui reparut après sa mort.
«C'est d'une Catherine, Indienne native de Peru, qui desdaignant de se
confesser et morte impénitente, apparut toute en feu, et jettant de grandes
flammes par la bouche, et par toutes les jointures du corps, tourmentant et
inquiétant premièrement ceux de la maison où elle était décédée jusques à
jetter pierres et puis à la fin se monstrant particulièrement à une
servante, à laquelle ceste Catherine confessa qu'elle estoit damnée et luy
en dit la cause. Il se remarque qu'elle avoit en horreur une chandelle de
cire bénite ardente, qu'avoit la servante en main, et qu'elle pria la
servante de la jetter par terre et l'estaindre parce qu'elle r'engregeoit
sa peine. Les épistres de quelques jésuites attestent cette vision
véritable, et produisent tant de personnes dignes de foy à tesmoignage, que
force est d'en croire quelque chose et par les merveilles veues en ce
siècle apprendre à ne se rendre trop incrédules aux miracles du passé.»

    [Note 1: _Discours et histoires des spectres_, p. 658.]

«L'an 1534, dit Taillepied[1] la femme d'un prévost de la ville d'Orléans
se sentant desjà de la farine luthérienne, pria son mary qu'on l'enterrast
après son décez sans pompe ne bruit de cloche, ny d'aucunes prières
d'église. Le mary qui portoit fort bonne affection à sa femme fit selon
qu'elle avoit ordonné et la fit enterrer aux cordeliers, dans l'église
aupres de son père et de son ayeul. Mais la nuict ensuyvant, ainsy qu'on
disoit matines, l'esprit de la deffuncte s'apparut comme sur la voute de
l'église, qui faisoit un merveilleux bruit et tintamarre. Les religieux
advertirent les parents et amys de la deffuncte, ayant soupçon que ce
bruict inaccoutumé venoit d'elle qui avoit été ainsi inhumée sans
solennité. Et comme le peuple se fut trouvé en telle heure et qu'on eut
adjuré l'esprit, il dit qu'il estoit damné pour s'estre adonné à l'hérésie
de Luther, et commandoit que son corps fut déterré et porté hors de terre
sainte. Et comme les cordeliers deliberoient de ce faire, ils furent
empeschez par gens mal sentans de la foy, lesquels pour se purger firent
comme les ariens envers Athanase.»

    [Note 1: _Traité de l'apparition des esprits_, p. 123.]

«Chacun sçait, dit Alexandre d'Alexandrie[1], que durant la grande
prospérité de Ferdinand Ier, roi d'Arragon, la ville et le royaume de
Naples ne voyant près ni loin de soi tant soit petite apparence de guerre
ou autre redoutable changement, un sainct homme nommé Catalde, lequel près
de mille ans auparavant avoit esté evesque de l'église de Tarente, qui
depuis le tenoit pour son patron, une fois aparut sur la minuit en vision à
un prestre d'icelle église, et l'admonesta soigneusement de fouiller en
certain endroit qu'il lui désigna, ou il trouveroit un livre, par lui
escrit durant sa vie, dedans lequel y avoit beaucoup de secrets, escrits
par mandement exprès de Dieu; qu'ayant trouvé ce livre, il le portast
promptement au roi Ferdinand Ier. Le prestre adjoustant peu de foi à ceste
vision, laquelle lui aparut encore plusieurs fois depuis en son repos,
avint un jour que s'estant levé fort matin, et se trouvant seul en
l'église, l'evesque Catalde se présente à lui, la mittre en teste, couvert
de chape episcopale, et fit au prestre veillant et le contemplant le mesme
commandement susmentionné, adjoustant des menaces s'il n'executoit ce qu'il
lui estoit enjoint. Le jour, ce prestre, suivi de grande multitude de
peuple, s'achemina en procession solennelle vers la cachette où estoit le
livre, qui fut trouvé en placques ou tablettes de plomb, bien attachées et
clouées, contenant ample déclaration de la ruine, des misères, désolations,
et pitoyables confusions du royaume de Naples, au temps de Ferdinand Ier.
De fait sur les aprests de la guerre, Ferdinand mourut. Charles VIII, roi
de France, envahit le royaume de Naples; Alfonse, fils aisné de Ferdinand,
des son advenement à la couronne dechassé, fut contraint s'enfuir en exil,
où il mourut. Son fils, Ferdinand le Jeune, prince de très grande
espérance, héritier du royaume, fut envelopé en guerre, et mourut en fleur
d'aage. Puis les François et Espagnols partagèrent le royaume, chassans
Frideric, fils puisné de Ferdinand, firent des desordres et saccagemens
incroyables partout le pays. Enfin les Espagnols en chassèrent du tout les
François.»

    [Note 1: Au IIIe livre de ses _Jours géniaux_, ch. XV, cité par
    Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. IV, p. 331.]

«Sabellic[1] escrit que la commune voix fut, lors que Charles VIII
entreprit la conqueste de Naples par l'aveu du pape Alexandre VI, que le
fantosme de Ferdinand Ier, mort peu auparavant, aparut par diverses fois de
nuict à un chirurgien de la maison du roi, nommé Jaques, et du commencement
en gracieux langage, puis avec menasses et rudes paroles, lui enjoignit de
dire à son fils Alfonse, qu'il n'esperast pouvoir faire teste au roi de
France: d'autant qu'il estoit ordonné que sa race, après avoir passé par
infinis dangers, seroit privée de ce beau royaume, et finalement anéantie.
Que leurs pechez seroyent cause de ce changement, spécialement un forfait
commis par le conseil de Ferdinand dans l'église de Sainct-Leonard à
Pouzzol, près de Naples. Ce forfait ne fut point déclaré. Tant va
qu'Alfonse quitta Naples, et avec quatre galères chargées de ce qu'il avoit
de plus précieux se sauva en Sicile. Bref en peu de temps, la maison
d'Arragon perdit le royaume de Naples.»

    [Note 1: Au IXe livre de ses _Histoires_, Ennead. 10, cité par
    Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. IV, p. 332.]

Arluno[1], cité par Goulart[2] rapporte que «Deux marchans italiens estans
en chemin pour passer de Piedmont en France, rencontrèrent un homme de
beaucoup plus haute stature que les autres, lequel les appelant à soy leur
tint tels propos: Retournez vers mon frère Ludovic, et lui baillez ces
lettres que je luy envoye. Eux fort estonnez, demandent: Qui estes-vous? Je
suis, dit-il, Galeas Sforce, et tout soudain s'esvanouit. Eux tournent
bride vers Milan, de là à Vigevene, où Ludovic estoit pour lors. Ils prient
qu'on les face parler au Duc, disans avoir lettres à lui bailler de la part
de son frère. Les courtisans se mocquent d'eux; et pour ce qu'ils faisoyent
tousiours instance de mesme, on les emprisonne, on leur présente la
question: mais ils maintienent constamment leur premiere parole. La dessus
les conseillers du duc furent en dispute, de ce qu'il faloit faire de ces
lettres, ne sachans que respondre tant ils estoyent esperdus. Un d'entr'eux
nommé le vicomte Galeas empoigne les lettres escrites et un papier plié en
forme de briefs de Rome, le fermant attaché de menus filets de laiton, dont
le contenu estoit: Ludovic, Ludovic, pren garde à toy; les Venitiens et
François s'allieront ensemble pour te ruiner, et renverser entierement tes
afaires. Mais si tu me fournis trois mille escus, je donneray ordre que les
coeurs s'adouciront, et que le mal qui te menace s'eslongnera, me confiant
d'en venir à bout, si tu veux me croire. Bien te soit. Et au bas: L'esprit
de ton frère Galeas. Les uns estonnez de la nouveauté du fait, les autres
se mocquant de tout cela, plusieurs conseillans qu'on mist les trois mille
escus en depost au plus pres de l'intention de Galeas, le Duc estimant
qu'on se mocqueroit de lui, s'il laschoit tant la main, s'abstint de
desbourser l'argent et de le commettre en l'estrange main, puis renvoya les
marchans en leurs maisons. Mais au bout de quelque temps, il fut dejetté de
sa duché de Milan, prins et emmené prisonnier.»

    [Note 1: En la première section de l'_Histoire de Milan_.]

    [Note 2: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 531.]

«En 1695, un certain M. Bézuel (qui depuis fut curé de Valogne), étant
alors écolier de quinze ans, fit la connaissance des enfants d'un procureur
nommé d'Abaquène, écoliers comme lui. L'aîné était de son âge; le cadet, un
peu plus jeune s'appelait Desfontaines; c'était celui des deux frères que
Bézuel aimait davantage. Se promenant tous deux en 1696, ils
s'entretenaient d'une lecture qu'ils avaient faite de l'histoire de deux
amis, lesquels s'étaient promis que celui qui mourrait le premier viendrait
dire des nouvelles de son état au survivant. Le mort revint, disait-on, et
conta à son ami des choses surprenantes.»

«Le jeune Desfontaines proposa à Bézuel de se faire mutuellement une
pareille promesse. Bézuel ne le voulut pas d'abord; mais quelques mois
après il y consentit, au moment où son ami allait partir pour Caen.
Desfontaines tira de sa poche deux petits papiers qu'il tenait tout prêts,
l'un signé de son sang, où il promettait, en cas de mort, de venir voir
Bézuel; l'autre où la même promesse était écrite, fut signée par Bézuel.
Desfontaines partit ensuite avec son frère, et les deux amis entretinrent
correspondance.»

«Il y avait six semaines que Bézuel n'avait reçu de lettres, lorsque, le 31
juillet 1697, se trouvant dans une prairie, à deux heures après midi, il se
sentit tout d'un coup étourdi et pris d'une faiblesse, laquelle néanmoins
se dissipa; le lendemain, à pareille heure, il éprouva le même symptôme; le
surlendemain, il vit pendant son affaiblissement son ami Desfontaines qui
lui faisait signe de revenir à lui... Comme il était assis, il se recula
sur son siège. Les assistants remarquèrent ce mouvement.»

«Desfontaines n'avançant pas, Bézuel se leva pour aller à sa rencontre; le
spectre s'approcha alors, le prit par le bras gauche et le conduisit à
trente pas de là dans un lieu écarté.»

«Je vous ai promis, lui dit-il, que si je mourais avant vous, je viendrais
vous le dire: je me suis noyé avant-hier dans la rivière, à Caen, vers
cette heure-ci. J'étais à la promenade; il faisait si chaud qu'il nous prit
envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse dans l'eau, et je coulai.
L'abbé de Ménil-Jean, mon camarade, plongea; je saisis son pied, mais soit
qu'il crût que ce fût un saumon, soit qu'il voulût promptement remonter sur
l'eau, il secoua si rudement le jarret, qu'il me donna un grand coup dans
la poitrine, et me jeta au fond de la rivière, qui est là très profonde.»

«Desfontaines raconta ensuite à son ami beaucoup d'autres choses.»

«Bézuel voulut l'embrasser, mais alors il ne trouva qu'une ombre.
Cependant, son bras était si fortement tenu qu'il en conserva une douleur.»

«Il voyait continuellement le fantôme, un peu plus grand que de son vivant,
à demi nu, portant entortillé dans ses cheveux blonds un écriteau où il ne
pouvait lire que le mot _in_... Il avait le même son de voix; il ne
paraissait ni gai ni triste, mais dans une tranquillité parfaite. Il pria
son ami survivant, quand son frère serait revenu, de le charger de dire
certaines choses à son père et à sa mère; il lui demanda de réciter pour
lui les sept Psaumes qu'il avait eus en pénitence le dimanche précédent, et
qu'il n'avait pas encore récités; ensuite il s'éloigna en disant:
«_Jusqu'au revoir_,» qui était le terme ordinaire dont il se servait quand
il quittait ses camarades.»

«Cette apparition se renouvela plusieurs fois. L'abbé Bézuel en raconta les
détails dans un dîner, en 1718, devant l'abbé de Saint-Pierre, qui en fait
une longue mention dans le tome IV de ses _Oeuvres politiques_[1].

    [Note 1: _Dictionnaire des sciences occultes_, de l'abbé Migac.]

Dans ses _Mémoires_, publiés en 1799, la célèbre tragédienne Clairon
raconte l'histoire d'un revenant qu'elle croit être l'âme de M. de S...,
fils d'un négociant de Bretagne, dont elle avait rejeté les voeux, à cause
de son humeur haineuse et mélancolique, quoiqu'elle lui eût accordé son
amitié. Cette passion malheureuse avait conduit le jeune insensé au
tombeau. Il avait souhaité de la voir dans ses derniers moments; mais on
avait dissuadé Mlle Clairon de faire cette démarche; et il s'était écrié
avec désespoir: «Elle n'y gagnera rien, je la poursuivrai autant après ma
mort que je l'ai poursuivie pendant ma vie!...»

«Depuis lors, Mlle Clairon entendit, vers les onze heures du soir, pendant
plusieurs mois, un cri aigu; ses gens, ses amis, ses voisins, la police
même, entendirent ce bruit, toujours à la même heure, toujours partant sous
ses fenêtres, et ne paraissant sortir que du vague de l'air.»

«Ces cris cessèrent quelque temps. Mais ils furent remplacés, toujours à
onze heures du soir, par un coup de fusil tiré dans ses fenêtres, sans
qu'il en résultât aucun dommage.»

«La rue fut remplie d'espions, et ce bruit fut entendu, frappant toujours à
la même heure dans le même carreau de vitre, sans que jamais personne ait
pu voir de quel endroit il partait. A ces explosions succéda un claquement
de mains, puis des sons mélodieux. Enfin, tout cessa après un peu plus de
deux ans et demi[1]».

    [Note 1: _Mémoires d'Hippolyte Clairon_, édit. de Buisson, p. 167.]

«Le samedi qui suivit les obsèques d'un notable bourgeois d'Oppenheim,
Birck Humbert, mort en novembre 1620, peu de jours avant la Saint-Martin,
on ouït certains bruits dans la maison où il avait demeuré avec sa première
femme; car étant devenu veuf, il s'était remarié. Son beau-frère
soupçonnant que c'était lui qui revenait, lui dit:

«Si vous êtes Humbert, frappez trois coups contre le mur.»

«En effet, on entendit trois coups seulement; d'ordinaire il en frappait
plusieurs. Il se faisait entendre aussi à la fontaine où l'on allait puiser
de l'eau, et troublait le voisinage, se manifestant par des coups
redoublés, un gémissement, un coup de sifflet ou un cri lamentable. Cela
dura environ six mois.»

«Au bout d'un an, et peu après son anniversaire, il se fit entendre de
nouveau plus fort qu'auparavant. On lui demanda ce qu'il souhaitait: il
répondit d'une voix rauque et basse: «Faites venir, samedi prochain, le
curé et mes enfants.»

«Le curé étant malade ne put venir que le lundi suivant, accompagné de bon
nombre de personnes. On demanda au mort s'il désirait des messes? Il en
désira trois; s'il voulait qu'on fît des aumônes? il dit: «Je souhaite
qu'on donne aux pauvres huit mesures de grain; que ma veuve fasse des
cadeaux à tous mes enfants, et qu'on réforme ce qui a été mal distribué
dans ma succession,» somme qui montait à vingt florins.»

«Sur la demande qu'on lui fit, pourquoi il infestait plutôt cette maison
qu'une autre, il répondit qu'il était forcé par des conjurations et des
malédictions. S'il avait reçu les sacrements de l'Église? «Je les ai reçus,
dit-il, du curé, votre prédécesseur.» On lui fit dire avec peine le _Pater_
et l'_Avé_, parce qu'il en était empêché, à ce qu'il assurait, par le
mauvais esprit, qui ne lui permettait pas de dire au curé beaucoup d'autres
choses.»

«Le curé, qui était un prémontré de l'abbaye de Toussaints, se rendit à son
couvent afin de prendre l'avis du supérieur. On lui donna trois religieux
pour l'aider de leurs conseils. Ils se rendirent à la maison, et dirent à
Humbert de frapper la muraille; il frappa assez doucement. «Allez chercher
une pierre, lui dit-on alors, et frappez plus fort.» Ce qu'il fit.»

«Quelqu'un dit à l'oreille de son voisin, le plus bas possible: «Je
souhaite qu'il frappe sept fois,» et aussitôt l'âme frappa sept fois.»

«On dit le lendemain trois messes que le revenant avait demandées; on se
disposa aussi à faire un pèlerinage qu'il avait spécifié dans le dernier
entretien qu'on avait eu avec lui. On promit de faire les aumônes au
premier jour, et dès que ses dernières volontés furent exécutées, Humbert
Birck ne revint plus[1].»

    [Note 1: _Livre des prodiges_, édit de 1821, p. 75.]



III.--FANTÔMES


Un autre auteur[1] raconte cette singulière apparition: «Au mois d'avril
1567 on vit... en celle grande plaine qui est dite d'Heyton souz Mioland
(en Savoie) par l'espace de six jours continuels sortir d'une isle non
habitée trois hommes vestuz de noir, incogneuz de chacun, et chacun
desquels tenoit une croix en la main et après iceux marchoit une dame
accoustrée en dueil et ainsi que se vestent coustumièrement les vefves,
laquelle suyvant ces porte-croix, se tourmentoit et démenoit avec une si
triste contenance qu'on eut dit qu'elle estoit attainte de quelque douleur,
et angoisse désespérée. Cecy n'est rien si un grand escadron de peuple
n'eust suivy ces vestus de dueil qui marchoient en procession, et
l'habillement duquel représentoit plus de joye que des quatre premiers, en
tant que toute ceste multitude estoit vestue à blanc, et monstrant plus de
plaisir et allegresse que la susdite femme. La course de ces pourmeneurs
s'estendoit tout le long de la campagne susnommée jusques à une autre isle
voisine, où tous ensemble s'esvanouyssaient, et n'en voyait on rien n'en
plus que si jamais il n'en eut esté mémoire, et au reste dès que quelcun
approchoit pour les voir de plus près il en perdoit incontinent la vue...»

    [Note 1: _Histoires prodigieuses extraictes de plusieurs fameux
    auteurs, etc._ Paris, Jean de Bordiane, 2 tomes, 1571, in-8°, p.
    320.]

Suivant Job Fincel, cité par Goulart[1], «Il y a un village en la duché de
Brunswic, nommé Gehern, à deux lieues de Blommenaw. L'an 1555, un paysan
sorti au matin de ce lieu avec son chariot et ses chevaux pour aller querir
du bois en la forest, descouvrit à l'entrée d'icelle quelques troupes de
reitres couverts de cuirasses noires. Estonné de ceste rencontre, il
retourne en porter les nouvelles au village. Les plus anciens du lieu,
accompagnez de leur curé ou pasteur, sortent incontinent en campagne suivis
de cent personnes, tant hommes que femmes, pour voir ceste cavalerie, et
content quatorze bandes ou troupes distinctes, lesquelles en un instant se
mirent en deux gros, comme pour combatre à l'opposite l'un de l'autre. Puis
après on aperceut sortir de chasque gros un grand homme de contenance fiere
et fort effroyable à voir. Ces deux de costé et d'autre descendent de
cheval, faisant soigneuse reveue de leurs troupes: quoy fait, tous deux
remontent. Incontinent les troupes commencent à s'avancer et à courir une
grande campagne, sans se choquer: ce qui dura jusques à la nuict toute
close, en présence de tous les paysans. Or en ce temps ne se parloit en la
duché de Brunswic ni es environs d'aucune entreprise de guerre, ni d'amas
de reitres: ce qui fit estimer que telle vision estoit un présage des maux
avenus depuis par le juste jugement de Dieu.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I. p. 510.]

Au récit de Torquemade[1], «Antoine Costille, gentil-homme espagnol
demeurant à Fontaines de Ropel, sortit un jour de sa maison bien monté,
pour aller à quelques lieues de là expédier des affaires, ausquelles ayant
pourveu, et la nuict aprochant, il delibere retourner en sa maison. Au
sortir du village où il estoit allé, il trouve un petit hermitage et
chappelle garnie de certain treillis de bois au devant, et une lampe
allumée au dedans. Descendu de cheval il fait ses devotions, puis jettant
la veuë dedans l'hermitage, void, ce lui semble, sortir de dessouz terre
trois personnes qui venoyent à lui les testes couvertes, puis se tenir
coyes. Les ayant un peu contemplés, voyant leurs cheveux estinceller, quoy
qu'il fust estimé fort vaillant, il eut peur, et remonté à cheval commence
à picquer. Mais levant les yeux il descouvre ces personnes qui marchoyent
un peu devant luy, et sembloyent l'accompagner. Se recommandant sans cesse
à Dieu, il tourne de part et d'autre, mais ceste troupe estoit tousiours
autour de lui. Finalement il coucha une courte lance qu'il portoit et
brocha des esperons contre, pour donner quelque atteinte: mais ces
fantosmes alloyent de mesme pas que le cheval, de manière qu'Antoine fut
contraint les avoir pour compagnie jusques à la porte de son logis, où il y
avoit une grande cour. Ayant mis pied à terre, il entre et trouve ces
fantosmes: monte à la porte d'une chambre où sa femme estoit, qui ouvrit à
sa parole, et comme il entroit, les visions disparurent. Mais il aparut
tout esperdu, si desfait et troublé que sa femme estima qu'il avoit eu
quelque rude traictement de la part de ses ennemis, en ce voyage. S'en
estant enquise, et ne pouvant rien tirer de lui, elle envoyé appeller un
grand ami qu'il avoit, homme fort docte, lequel vint tout à l'heure: et le
trouvant aussi passé qu'un mort, le pria instamment de descouvrir son
avanture. Costille lui ayant fait le discours, cest ami tascha de le
resoudre, puis le fit souper, le conduisit en sa chambre, le laissa sur son
lict avec une chandelle allumée sur la table, et sortit pour le laisser en
repos. A peine fust-il hors de la chambre, que Costille commence à crier
tant qu'il peut: A l'aide! à l'aide! secourez-moi! Lors tous les
domestiques rentrèrent en la chambre, ausquels il dit que les trois visions
estoyent venues à luy seul et qu'ayant creusé la terre de leurs mains,
elles la lui avoyent jettée dessus les yeux, de manière qu'il ne voyoit
goutte. Pourtant ne l'abandonnèrent plus ses domestiques, ains à toute
heure il estoit bien accompagné, mais leur assistance et vigilance ne le
peut garder de mourir le septiesme jour suivant, sans autre accident de
maladie.»

    [Note 1: En la 3e journée de son _Hexameron_, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 541.]

Le même[1] rapporte cette vision singulière:

    [Note 1: En la 3e journée de son _Hexameron_, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 547.]

«Un chevalier espagnol, riche et de grande authorité, s'amouracha d'une
nonnain, laquelle s'accordant à ce dont il la requeroit, pour lui donner
libre entrée, lui conseilla de faire forger des clefs semblables à celles
des portes de l'église, où elle trouveroit moyen d'entrer par autre endroit
pour se rendre en certain lieu designé. Le chevalier fit accommoder deux
clefs, l'une servant ouvrir la porte du grand portail de l'eglise, l'autre
pour la petite porte d'icelle eglise. Et pour ce que le couvent des
nonnains estoit un peu loin de son village, il partit sur la minuict fort
obscure tout seul: et laissant son cheval en certain lieu seur, marcha vers
le couvent. Ayant fait ouverture de la première porte, il vid l'eglise
ouverte, et au dedans grande clairté de lampes et de cierges, et force gens
qui chantoyent et faisoyent le service pour un trespassé. Cela l'estonna:
neantmoins il s'approche, pour voir que c'estoit, et regardant de tous
costez, apperçoit l'eglise pleine de moines et de prestres qui chantoyent
aussi à ces funérailles, ayans au milieu d'eux un aix en forme de tombeau
fort haut, couvert de noir, et à l'entour force cierges allumez en leurs
mains. Son estonnement redoubla quand entre tous ces chantres il n'en peut
remarquer pas un de sa cognoissance. Pourtant apres les avoir bien
contemplez, il s'approche de l'un des prestres, et lui demande pour qui
l'on faisoit ce service. Le prestre respond que c'estoit pour un chevalier,
designant le nom et surnom de celui qui parloit, adjoustant que ce
chevalier estoit mort et qu'on faisoit ses funérailles. Le chevalier se
prenant à rire respond: Ce chevalier que vous me nommez est en vie: par
ainsi vous vous abusez. Mais le prestre répliqua: Oui bien vous, car pour
certain il est mort, et est ici pour estre enseveli; quoy dit il se remit à
chanter. Le chevalier fort esbahi de ce devis, s'adresse à un autre et lui
fait la mesme demande. Ce deuxiesme fait mesme response, affermant vrai ce
que le premier avoit dit. Alors le chevalier tout estonné, sans attendre
davantage, sortit de l'eglise, remonte à cheval, et s'achemine vers sa
maison. Il est suivi et acompagné de deux grands chiens noirs qui ne
bougent de ses costez, et quoi qu'il les menaçast de l'espée, ils ne
l'abandonnent point. Mettant pied à terre à la porte de son logis, et
entrant dedans, ses serviteurs le voyans tout changé le prient instamment
de leur réciter son avanture: ce qu'il fait de poinct en poinct. On le
mesne en sa chambre, où achevant de raconter ce qui estoit passé, les deux
chiens entrent, se ruent furieusement sur lui, l'estranglent et despecent
sans qu'aucun des siens peust le secourir.»

«Un mien ami nommé Gordian, personnage digne de foy, m'a recité, dit
Alexandre d'Alexandrie[1], qu'allant vers Arezze avec certain autre de sa
connoissance, s'estans esgarez en chemin ils entrerent en des forests, où
ils ne voyent que de la neige, des lieux inaccessibles, et une effrayable
solitude. Le soleil estant fort bas, ils s'assirent par terre tous recreus.
Sur ce leur fut avis qu'ils entendoyent une voix d'homme assez pres de là;
ils approchent et voyent sur une terre proche trois gigantales et
espouvantables formes d'hommes, vestus de longues robes noires, comme en
deuil, avec grands cheveux et fort longues barbes, lesquels les
appellerent. Comme ces deux passans approchoyent, les trois fantosmes se
firent plus grands de beaucoup qu'à la première fois: et l'un d'iceux
paroissant nud, fit des fauts mouvemens et contenances fort deshonnestes.
Ces deux fort estonnez de tel spectacle commencerent à fuir de vitesse à
eux possible, et ayans traversé des precipices et chemins, du tout
fascheux, se rendirent à toute peine en la logette d'un paysan, où ils
passèrent la nuict.»

    [Note 1: Au IIe livre de ses _Jours géniaux_, ch. IX, cité par S.
    Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 534.]

«Ce que j'ay par tesmoignage de moy-mesme, et dont je suis bien asseuré, je
l'adjouste, continue le même auteur. Estant malade à Rome, et couché dedans
le lict, où j'estois bien éveillé, m'apparut un fantosme de belle femme,
laquelle je regardai longuement tout pensif et sans dire mot, discourant en
moy-mesme si je resvois, ou si j'estois vrayement esveillé. Et conoissant
que tous mes sens estoyent en leur pleine vigueur, et que ce fantosme se
tenoit toujours devant moy, je lui demande qui elle estoit. Elle se
sousriant repetoit les mesmes mots, comme par mocquerie, et m'ayant
contemplé longuement s'en alla.»

Torquemada[1] nous apprend encore que «Antoine de la Cueva, chevalier
espagnol, pour raisons à nous incongnues, et par la permission de Dieu, fut
tenté et travaillé en la vie de fantosmes et visions, de manière que pour
la continuation il en avoit finalement perdu la crainte, combien qu'il ne
laissast pas d'avoir tousiours de la lumière en la chambre où il couchoit.
Une nuict, estant en la couche, et lisant en un livre, il sentit du bruit
dessous la couche, comme s'il y eust quelque personne: et ne sachant que ce
pouvoist estre, vid sortir d'un costé du lict un bras nud, qui sembloit
estre de quelque more, lequel empoignant la chandelle la jetta à bas, avec
le chandelier et l'esteignit. Alors le chevalier sentit ce more monter et
se mettre avec lui en la couche. Comme ils se fusrent empoignez et
embrassez ils commencerent à lutter de toute leur force, menans tel bruit
que ceux de la maison se resveillerent, et venans voir que c'estoit ne
trouverent autre que le chevalier, lequel estoit tout en eau, comme s'il
fust sorti d'un bain et tout enflammé. Il leur conta son avanture, et que
ce more les sentant venir s'estoit desfait de lui, et ne sçavoit qu'il
estoit devenu.»

    [Note 1: En la 3e journée de son _Hexameron_, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 547.]

Au recit de Goulart[1], «Le sieur de Voyennes, gentil-homme picard, en ses
devis ordinaires, limitoit ses jours au signe de Taurus. Un jour estant à
table en bonne compagnie, avis lui fut qu'il voyoit acourant à lui un
taureau furieux. Lors tout esperdu il commença à s'escrier: Ha, messieurs,
ce meschant animal me perce de ses cornes. Disant telles paroles, il cheut
mort au bas de sa chaise.»

    [Note 1: Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. III, p.
    329.]

Cardan[1], cité par Goulart[2], raconte que «Jacques Donat, riche
gentil-homme vénitien, estant couché avec sa femme, et ayant un cierge
allumé en sa chambre, deux nourrices dormantes en une couchette basse près
d'un petit enfant, vid qu'on ouvroit tout bellement l'huis de sa chambre,
et un homme inconnu mettant la teste à la porte. Donat se leve, empoigne
son espée, fait allumer deux grands cierges, et, accompagné des nourrices,
entre en sa salle et trouve tout clos. Il se retire en sa chambre fort
esbahi. Le lendemain, ce petit enfant aagé d'un an non encore accompli et
qui se portoit bien meurt.»

    [Note 1: Au XVIe livre de la _Diversité des choses_, ch. XCIII.]

    [Note 2: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 531.]

D'après Bartelemi de Bologne[1], «Antoine Urceus, la nuict dernière de sa
vie, estant couché, pensa voir un fort grand homme, lequel avoit la teste
rase, la barbe pendante jusqu'en terre, les yeux estincellans, deux
flambeaux es mains, se hérissant depuis les pieds jusques à la teste,
auquel Antoine demanda: Qui es-tu, qui seul en équipage de furie, te
promènes ainsi hors heures, et quand chacun repose? Di moy, que
cherches-tu? En disant cela, Antoine se jette en bas du lict pour se sauver
arrière de ce visiteur, et mourut misérablement le lendemain.»

    [Note 1: En la _Vie d'Urceus_, citée par Goulart, _Thrésor
    d'histoires admirables_, t. I, p. 530.]

Gilbert Cousin[1] raconte que «L'an 1536, un marchant sicilien allant de
Catane à Messine, logea le vingt-unième jour de mars à Torminio, dit des
anciens Taurominium. Remontant à cheval le lendemain matin, n'estant encore
gueres esloigné de la ville, il rencontre dix massons, ce lui sembloit,
tous chargez d'outils de leur mestier. Enquis de lui où ils alloyent,
respondirent: Au Montgibel. Tost après, il en retrouva dix autres qui font
mesme response que les precedens: et adjoustent que leur maistre les
envoyoit à cause de quelque bastiment au Montgibel. Quel maistre? replique
le marchant. Vous le verrez bien tost fit l'un d'entre eux. Incontinent
apres lui vint à la rencontre en ce mesme chemin un géant, avec une fort
longue barbe noire, comme le plumage d'un corbeau, lequel, sans autre
préface ni salutation, s'enquiert du marchant s'il avoit point rencontré
ses ouvriers en ce chemin. J'ay, dit l'autre, veu quelques massons
prétendant aller bastir au Montgibel, mais je ne scay par le commandement
de qui: si vous estes l'entrepreneur de tel bastiment, je désire entendre
comment vous pensez faire en une montagne tellement couverte de neige, que
le plus habile piéton du monde seroit bien empesché d'en sortir. Ce maistre
bastisseur commence à respondre qu'il avoit la science et les moyens pour
en venir à bout, voire pour faire plus grandes choses quand bon lui
sembleroit; que le marchant qui ne faisoit gueres d'estat des paroles en
croiroit bien tost ses propres yeux: quoi disant, il disparut en l'air. Le
marchant esperdu de telle vision commence à paslir et chanceller, et peu
s'en fallut qu'il n'esvanouyt sur la place. Il tourne bride demi mort vers
la ville, où ayant raconté à gens dignes de foy ce qu'il avoit veu, donné
ordre à ses afaires et pensé à sa conscience, il rend l'âme le soir de ce
mesme jour. Au commencement de la nuict du jour suivant, qui estoit le
vingt-troisiesme jour de mars, un horrible tremblement de terre se fit, et
du faiste de ce Montgibel, du costé d'Orient, sortit avec bruit merveilleux
une extraordinaire abondance de feu qui s'eslançoit fort impetueusement de
ce mesme coté: dont les habitans de Catane estans bien estonnez,
s'amasserent crians: Miséricorde! et continuans en supplications et prières
jusques à ce que le feu vint à diminuer et s'esteindre.»

    [Note 1: Au VIIIe livre de ses _Recueils et récits_, cité par
    Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 532.]

D'après les _Curiositez inouyes_ de Gaffarel[1], «Cardan asseure que dans
la ville de Parme il y a une noble famille de laquelle, quand quelqu'un
doit mourir, on void toujours en la sale de la maison une vieille femme
incogneue assise sous la cheminée, mais si assurément qu'elle ne manque
jamais.»

    [Note 1: Page 59.]



IV.--VAMPIRES


«Les revenans de Hongrie, ou les Vampires, sont, d'après dom Calmet[1], des
hommes morts depuis un temps considérable, quelquefois plus, quelquefois
moins long, qui sortent de leurs tombeaux et viennent inquiéter les vivans,
leur sucent le sang, leur apparoissent, font le tintamare à leurs portes,
et dans leurs maisons et enfin leur causent souvent la mort. On leur donne
le nom de Vampires ou d'Oupires, qui signifie, dit-on, en esclavon une
sangsue. On ne se délivre de leurs infestations qu'en les déterrant, en
leur coupant la tête, en les empalant, en les brûlant, en leur perçant le
coeur.»

[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, tome II, p. 2.]

«J'ai appris, dit dom Calmet[1], de feu monsieur de Vassimont, conseiller
de la chambre des comtes de Bar, qu'ayant été envoyé en Moravie par feu Son
Altesse royale Léopold premier, duc de Lorraine, pour les affaires de
monseigneur le prince Charles, son frère, évêque d'Olmutz et d'Osnabruck,
il fut informé par le bruit public qu'il étoit assez ordinaire dans ce
pays-là de voir des hommes décédés quelque tems auparavant se présenter
dans les compagnies et se mettre à table avec les personnes de leur
connoissance sans rien dire; mais que faisant un signe de tête à quelqu'un
des assistans, il mourroit infailliblement quelques jours après. Ce fait
lui fut confirmé par plusieurs personnes, et entre autres par un ancien
curé, qui disoit en avoir vu plus d'un exemple.»

    [Note 1: Même ouvrage, t. II, p. 31.]

Charles-Ferdinand de Schertz raconte[1] «Qu'en un certain village, une
femme étant venuë à mourir munie de tous ses sacremens, fut enterrée dans
le cimetière à la manière ordinaire. Quatre jours après son décès, les
habitans du village ouïrent un grand bruit et un tumulte extraordinaire, et
virent un spectre qui paroissoit tantôt sous la forme d'un chien, tantôt
sous celle d'un homme, non à une personne, mais à plusieurs, et leur
causoit de grandes douleurs, leur serrant la gorge, et leur comprimant
l'estomac jusqu'à les suffoquer: il leur brisoit presque tout le corps, et
les réduisoit à une faiblesse extrême, en sorte qu'on les voyoit pâles,
maigres et exténués. Le spectre attaquoit même les animaux, et l'on a
trouvé des vaches abbatues et demi-mortes; quelquefois il les attachoit
l'une à l'autre par la queue. Ces animaux par leurs mugissements marquoient
assez la douleur qu'ils ressentoient. On voyoit les chevaux comme accablés
de fatigue, tout en sueur; principalement sur le dos, échauffés, hors
d'haleine, chargés d'écume comme après une longue et pénible course. Ces
calamités durèrent plusieurs mois.»

    [Note 1: _Magia posthuma_, Olmutz, 1706, cité par dom Calmet,
    _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 33.]

Le même auteur rapporte l'exemple d'un pâtre du village de Blow, près de la
ville de Kadam en Boheme, qui parut pendant quelque tems et qui appelloit
certaines personnes, lesquelles ne manquoient pas de mourir dans la
huitaine. Les paysans de Blow déterrèrent le corps de ce pâtre, et le
fichèrent en terre avec un pieu, qu'ils lui passèrent à travers le corps.
Cet homme en cet état se moquoit de ceux qui lui faisoient souffrir ce
traitement, et leur disoit qu'ils avoient bonne grâce de lui donner ainsi
un bâton pour se défendre contre les chiens. La même nuict il se releva, et
effraya par sa présence plusieurs personnes, et en suffoqua plus qu'il
n'avoit fait jusqu'alors. On le livra ensuite au bourreau, qui le mit sur
une charrette pour le transporter hors du village et l'y brûler. Ce cadavre
hurloit comme un furieux et remuoit les pieds et les mains comme vivant; et
lorsqu'on le perça de nouveau avec des pieux, il jetta de très-grands cris,
et rendit du sang très-vermeil, et en grande quantité. Enfin on le brûla,
et cette exécution mit fin aux apparitions et aux infestations de ce
spectre.

«Il y a environ quinze ans, rapporte dom Calmet[1], qu'un soldat étant en
garnison chez un paysan haïdamaque, frontière de Hongrie, vit entrer dans
la maison, comme il étoit à table auprès du maître de la maison son hôte,
un inconnu qui se mit aussi à table avec eux. Le maître du logis en fut
étrangement effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne
savoit qu'en juger, ignorant de quoi il étoit question. Mais le maître de
la maison étant mort dès le lendemain, le soldat s'informa de ce que
c'étoit. On lui dit que c'étoit le père de son hôte, mort et enterré depuis
plus de dix ans, qui s'étoit ainsi venu asseoir auprès de lui, et lui avoit
annoncé et causé la mort.

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I. p. 37.]

«En conséquence on fit tirer de terre le corps de ce spectre, et on le
trouva comme un homme qui vient d'expirer, et son sang comme d'un homme
vivant. Le comte de Cabreras lui fit couper la tête, puis le fit remettre
dans son tombeau. Il fit encore informations d'autres pareils revenans,
entr'autres d'un homme mort depuis plus de trente ans, qui étoit revenu par
trois fois dans sa maison à l'heure du repas, avoit sucé le sang au col, la
première fois à son propre frère, la seconde à un de ses fils, et la
troisième à un valet de la maison; et tous trois en moururent sur-le-champ.
Sur cette déposition, le commissaire fit tirer de terre cet homme, et, le
trouvant comme le premier, ayant le sang fluide comme l'aurait un homme en
vie, il ordonna qu'on lui passât un grand clou dans la tempe, et ensuite
qu'on le remît dans le tombeau.

«Il en fit bruler un troisième qui étoit enterré depuis plus de seize ans,
et avoit sucé le sang et causé la mort à deux de ses fils.»

Voici, d'après dom Calmet[1], ce qu'on lit dans les _Lettres juives_:

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. IV, p. 39.]

«Au commencement de septembre, mourut dans le village de Kisilova, à trois
lieues de Gradisch, un vieillard âgé de soixante-deux ans. Trois jours
après avoir été enterré, il apparut la nuit à son fils, et lui demanda à
manger; celui-ci lui en ayant servi, il mangea et disparut.

«Le lendemain, le fils raconta à ses voisins ce qui étoit arrivé.

«Cette nuit le père ne parut pas; mais la nuit suivante il se fit voir, et
demanda à manger. On ne sait pas si son fils lui en donna ou non, mais on
trouva le lendemain celui-ci mort dans son lit: le même jour, cinq ou six
personnes tombèrent subitement malades dans le village, et moururent l'une
après l'autre, peu de jours après.

«On ouvrit tous les tombeaux de ceux qui étoient morts depuis six semaines:
quand on vint à celui du vieillard, on le trouva les yeux ouverts, d'une
couleur vermeille, ayant une respiration naturelle, cependant immobile
comme mort; d'où l'on conclut qu'il étoit un signalé vampire. Le bourreau
lui enfonça un pieu dans le coeur.

«On fit un bûcher, et l'on réduisit en cendres le cadavre.

«On ne trouva aucune marque de vampirisme, ni dans le cadavre du fils, ni
dans celui des autres.»

Dom Calmet[1] rapporte en outre d'autres cas:

    [Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. II, p. 43.]

«Dans un certain canton de la Hongrie, nommé en latin _Oppida Heidonum_, le
peuple connu sous le nom de _Heiduque_ croit que certains morts, qu'ils
nomment vampires, sucent tout le sang des vivants, en sorte que ceux-ci
s'exténuent à vue d'oeil, au lieu que les cadavres, comme les sangsues, se
remplissent de sang en telle abondance, qu'on le voit sortir par les
conduits et même par les porres. Cette opinion vient d'être confirmée par
plusieurs faits dont il semble qu'on ne peut douter, vu la qualité des
témoins qui les ont certifiés.

«Il y a environ cinq ans, qu'un certain Heiduque, habitant de Médreïga,
nommé Arnold Paul, fut écrasé par la chute d'un chariot de foin. Trente
jours après sa mort, quatre personnes moururent subitement, et de la
manière que meurent, suivant la tradition du pays, ceux qui sont molestés
des vampires. On se ressouvint alors que cet Arnold Paul avoit souvent
raconté qu'aux environs de Cassova et sur les frontières de la Servie
turque, il avoit été tourmenté par un vampire turc: car ils croyent aussi
que ceux qui ont été vampires passifs pendant leur vie, les deviennent
actifs après leur mort, c'est-à-dire que ceux qui ont été sucés, sucent
aussi à leur tour; mais qu'il avoit trouvé moyen de se guérir, en mangeant
de la terre du sépulchre du vampire et en se frottant de son sang,
précaution qui ne l'empêcha pas cependant de le devenir après sa mort,
puisqu'il fut exhumé quarante jours après son enterrement, et qu'on trouva
sur son cadavre toutes les marques d'un archi-vampire. Son corps étoit
vermeil, ses cheveux, ses ongles, sa barbe, s'étoient renouvellés, et ses
veines étoient toutes remplies d'un sang fluide et coulant de toutes les
parties de son corps sur le linceul dont il étoit environné. Le Haduagi ou
le bailli du lieu, en présence de qui se fit l'exhumation, et qui étoit un
homme expert dans le vampirisme, fit enfoncer selon la coutume, dans le
coeur du défunt Arnold Paul, un pieu fort aigu, dont on lui traversa le
corps de part en part, ce qui lui fit, dit-on, jetter un cri effroyable,
comme s'il étoit en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête, et
l'on brûla le tout. Après cela, on fit la même expédition sur les cadavres
de ces quatre autres personnes mortes de vampirisme, crainte qu'ils n'en
fissent mourir d'autres à leur tour.

«Toutes ces expéditions n'ont cependant pu empêcher que sur la fin de
l'année dernière, c'est-à-dire au bout de cinq ans, ces funestes prodiges
n'ayent recommencé, et que plusieurs habitans du même village ne soient
péris malheureusement. Dans l'espace de trois mois, dix-sept personnes de
différent sexe et de différent âge sont mortes de vampirisme, quelques-unes
sans être malades, et d'autres après deux ou trois jours de langueur.

«Une nommée Stanoska, fille, dit-on, du Heiduque Sovitzo, qui s'étoit
couchée en parfaite santé, se réveilla au milieu de la nuit, toute
tremblante et faisant des cris affreux, disant que le fils du Heiduque
Millo, mort depuis neuf semaines, avoit manqué de l'étrangler pendant son
sommeil. Dès ce moment elle ne fit que languir, et au bout de trois jours
elle mourut. Ce que cette fille avoit dit du fils de Millo le fit d'abord
reconnoître pour un vampire; on l'exhuma, et on le trouva tel. Les
principaux du lieu, les médecins, les chirurgiens, examinèrent comment le
vampirisme avoit pu renaître après les précautions qu'on avoit prises
quelques années auparavant. On découvrit enfin, après avoir bien cherché,
que le défunt Arnold Paul avoit tué non seulement les quatre personnes dont
nous avons parlé, mais aussi plusieurs bestiaux, dont les nouveaux vampires
avoient mangé, et entr'autres, le fils de Millo. Sur ces indices, on prit
la résolution de déterrer tous ceux qui étoient morts depuis un certain
tems, etc. Parmi une quarantaine, on en trouva dix-sept avec tous les
signes les plus évidents de vampirisme: aussi leur a-t-on transpercé le
coeur et coupé la tête, et ensuite on les a brûlés, et jetté leurs cendres
dans la rivière.

«Toutes les informations et exécutions dont nous venons de parler ont été
faites juridiquement, en bonne forme, et attestées par plusieurs officiers,
qui sont en garnison dans le pays, par les chirurgiens majors, et par les
principaux habitans du lieu. Le procès-verbal en a été envoyé vers la fin
de janvier dernier au conseil de guerre impérial à Vienne, qui avait établi
une commission militaire, pour examiner la vérité de tous ces faits.»

Dom Calmet[1] imprime une lettre d'un officier du duc Alexandre de
Wurtemberg qui certifie tous ces faits.

    [Note 1: Même ouvrage, t. I, p. 64.]

«Pour satisfaire, y est-il dit, aux demandes de Monsieur l'Abbé dom Calmet,
le soussigné a l'honneur de l'assurer, qu'il n'est rien de plus vrai et de
si certain que ce qu'il en aura sans doute lu dans les actes publics et
imprimés, qui ont été insérés dans les Gazettes par toute l'Europe; mais à
tous ces actes publics qui ont paru, Monsieur l'Abbé doit s'attacher pour
un fait véridique et notoire à celui de la députation de Belgrade par feu
S. M. Imp. Charles VI, de glorieuse mémoire, et exécutée par feu son
Altesse Sérénissime le Duc Charles-Alexandre de Wurtemberg, pour lors
Vice-Roi, ou Gouverneur du Royaume de Servie.

«Ce Prince fit partir une députation de Belgrade moitié d'officiers
militaires, et moitié du civil, avec l'Auditeur général du Royaume, pour se
transporter dans un village, où un fameux Vampire décédé depuis plusieurs
années faisoit un ravage excessif parmi les siens: car notez que ce n'est
que dans leur famille et parmi leur propre parenté, que ces suceurs de sang
se plaisent à détruire notre espèce. Cette députation fut composée de gens
et de sujets reconnus pour leurs moeurs, et même pour leur savoir,
irréprochables et même savans parmi les deux ordres: ils furent sermentés,
et accompagnés d'un lieutenant de Grenadiers du Régiment du Prince
Alexandre de Wurtemberg, et de 24 Grenadiers dudit Régiment.

«Tout ce qu'il y eut d'honnêtes gens, le Duc lui-même qui se trouvèrent à
Belgrade, se joignirent à cette députation, pour être spectateurs oculaires
de la preuve véridique qu'on allait faire.

«Arrivés sur les lieux, l'on trouva que dans l'espace de quinze jours le
vampire, oncle de cinq, tant neveux que nièces, en avoit déjà expédié trois
et un de ses propres frères; il en étoit au cinquième, belle jeune fille,
sa nièce, et l'avoit déjà sucée deux fois, lorsque l'on mit fin à cette
triste tragédie par les opérations suivantes.

«On se rendit avec les commissaires députés pas loin de Belgrade, dans un
village, et cela en public, à l'entrée de la nuit, à sa sépulture. Il y
avoit environ trois ans qu'il étoit enterré; l'on vit sur son tombeau une
lueur semblable à celle d'une lampe, mais moins vive.

«On fit l'ouverture du tombeau, et l'on y trouva un homme aussi entier, et
paroissant aussi sain qu'aucun de nous assistans: les cheveux et les poils
de son corps, les ongles, les dents et les yeux (ceux-ci demi-fermés) aussi
fortement attachés après lui, qu'ils le sont actuellement après nous qui
avons vie, et existons, et son coeur palpitant.

«Ensuite l'on procéda à le tirer hors de son tombeau, le corps n'étant pas
à la vérité flexible, mais n'y manquant nulle partie ni de chair, ni d'os;
ensuite on lui perça le coeur avec une espèce de lance de fer rond et
pointu; il en sortit une matière blanchâtre et fluide avec du sang, mais le
sang dominant sur la matière, le tout n'ayant aucune mauvaise odeur;
ensuite de quoi on lui trancha la tête avec une hache semblable à celle
dont on se sert en Angleterre pour les exécutions: il en sortit aussi une
matière et du sang semblable à celle que je viens de dépeindre, mais plus
abondamment à proportion de ce qui sortit du coeur.

«Au surplus, on le rejetta dans la fosse, avec force chaux vive pour le
consommer plus promptement; et dès-lors sa nièce, qui avoit été sucée deux
fois, se porta mieux. A l'endroit où ces personnes sont sucées, il se forme
une tache très bleuâtre; l'endroit du moment n'est pas déterminé, tantôt
c'est en un endroit, tantôt c'est en un autre. C'est un fait notoire
attesté par les actes les plus autentiques, et passé à la vue de plus de
1,300 personnes toutes dignes de foi.»

Le même abbé donne cette autre lettre sur le même sujet[1]:

    [Note 1: Même ouvrage, t. II, p. 68.]

«Vous souhaitez, mon cher cousin, être informé au juste de ce qui se passe
en Hongrie au sujet de certains revenants, qui donnent la mort à bien des
gens en ce pays-là. Je puis vous en parler savamment: car j'ai été
plusieurs années dans ces quartiers-là, et je suis naturellement curieux.
J'ai ouï en ma vie raconter une infinité d'histoires ou prétendues telles,
sur les esprits et sortilèges; mais de mille à peine ai-je ajouté foi à une
seule: on ne peut être trop circonspect sur cet article sans courir risque
d'en être la dupe. Cependant il y a certains faits si avérés, qu'on ne peut
se dispenser de les croire. Quant aux revenants de Hongrie, voici comme la
chose s'y passe. Une personne se trouve attaquée de langueur, perd
l'appétit, maigrit à vue d'oeil, et au bout de huit ou dix jours,
quelquefois quinze, meurt sans fièvre ni aucun autre symptôme, que la
maigreur et le dessèchement.

«On dit en ce pays-là que c'est un revenant qui s'attache à elle et lui
suce le sang. De ceux qui sont attaqués de cette maladie, la plupart
croyent voir un spectre blanc, qui les suit partout comme l'ombre fait le
corps. Lorsque nous étions en quartier chez les Valaques, dans le Bannat de
Temeswar, deux cavaliers de la compagnie dont j'étois cornette moururent de
cette maladie, et plusieurs autres qui en étoient encore attaqués en
seroient morts de même, si un caporal de notre compagnie n'avoit fait
cesser la maladie, en exécutant le remède que les gens du pays emploient
pour cela. Il est des plus particuliers, et quoiqu'infaillible, je ne l'ai
jamais lu dans aucun rituel. Le voici: «On choisit un jeune garçon qui est
d'âge à n'avoir jamais fait oeuvre de son corps, c'est-à-dire, qu'on croit
vierge. On le fait monter à poil sur un cheval entier qui n'a jamais
sailli, et absolument noir; on le fait promener dans le cimetière, et
passer sur toutes les fosses: celle où l'animal refuse de passer malgré
force coups de corvache qu'on lui délivre, est réputée remplie d'un
vampire; on ouvre cette fosse, et l'on y trouve un cadavre aussi gras et
aussi beau que si c'étoit un homme heureusement et tranquillement endormi:
on coupe le col à ce cadavre d'un coup de bêche, dont il sort un sang des
plus beaux et des plus vermeils et en quantité. On jureroit que c'est un
homme des plus sains et des plus vivans qu'on égorge. Cela fait, on comble
la fosse, et on peut compter que la maladie cesse, et que tous ceux qui en
étoient attaqués, recouvrent leurs forces petit à petit, comme gens qui
échappent d'une longue maladie, et qui ont été exténués de longuemain.
C'est ce qui arriva à nos cavaliers qui en étoient attaqués. J'étois pour
lors commandant de la compagnie, et mon capitaine et mon lieutenant étant
absens, je fus très-piqué que ce caporal eût fait faire cette expérience
sans moi.»

Dom Calmet[1] rapporte encore deux faits de vampirisme en Pologne:

    [Note 1: Même ouvrage, t. II, p. 72-73.]

«A Warsovie, un prêtre ayant commandé à un sellier de lui faire une bride
pour son cheval, mourut auparavant que la bride fût faite; et comme il
étoit de ceux que l'on nomme vampires en Pologne, il sortit de son tombeau
habillé comme on a coutume d'inhumer les ecclésiastiques, prit son cheval à
l'écurie, monta dessus, et fut à la vue de tout Warsovie à la boutique du
sellier, où d'abord il ne trouva que la femme qui fut fort effrayée, et
appela son mari, qui vint; et ce prêtre lui ayant demandé sa bride, il lui
répondit: Mais vous êtes mort, M. le curé; à quoi il répondit: Je te vas
faire voir que non, et en même tems le frappa de telle sorte que le pauvre
sellier mourut quelques jours après et le prêtre retourna en son tombeau.»

«L'intendant du comte Simon Labienski, Staroste de Posnanie, étant mort, la
comtesse douairière de Labienski voulut, par reconnaissance de ses
services, qu'il fut inhumé dans le caveau des seigneurs de cette famille;
ce qui fut exécuté. Quelque tems après, le sacristain qui avoit soin du
caveau s'aperçut qu'il y avoit du dérangement, et en avertit la comtesse,
qui ordonna suivant l'usage reçu en Pologne qu'on lui coupât la tête, ce
qui fut fait en présence de plusieurs personnes, et entre autres du sieur
Jonvinski, officier polonois et gouverneur du jeune comte Simon Labienski,
qui vit que lorsque le sacristain tira ce cadavre de sa tombe pour lui
couper la tête, il grinça les dents, et le sang en sortit aussi fluide que
d'une personne qui mourroit d'une mort violente, ce qui fit dresser les
cheveux à tous les assistans, et l'on trempa un mouchoir blanc dans le sang
de ce cadavre dont on fit boire à tous ceux de la maison pour n'être point
tourmentés.»



PRÉSAGES



I.--PRÉSAGES DE GUERRE, DE SUCCÈS ET DE DÉFAITES.


«Parcourez, si vous voulez, tous les siècles, dit Gaffarel[1], vous n'en
trouverez pas un, suivant ceste vérité, où quelque nouveau prodige n'ait
monstré ou les biens, ou les malheurs qu'on a veu naistre. Ainsi vit-on un
peu auparavant que Xerxès couvrît la terre d'un million d'hommes des
horribles et espouventables météores, présages du malheur, qui arriva tout
aussi bien du temps d'Attila surnommé _flagellum Dei_; et si on veut se
donner la peine de prendre la chose de plus haut, la pauvre Jérusalem
fut-elle pas advertie du malheur qui la rendit la plus désolée des villes,
par mille semblables prodiges? car souvent on vit en l'air des armées en
ordre avec contenance de se vouloir choquer: et un jour de la Pentechoste,
le grand prestre entrant dans le temple pour faire les sacrifices que Dieu
ne regardait plus, on ouït un bruit tout soudain et aussitost une voix qui
cria: «Retirons-nous d'icy!» Je laisse l'ouverture de la porte de cuivre
sans qu'on la touchast et mille autres prodiges racontés dans Josephe.

    [Note 1: _Curiositez inouyes_, p. 57.]

«Apian a marqué ceux qui furent veus et ouys devant les guerres civiles,
comme voix espouvantables et courses étranges des chevaux qu'on ne voyait
point. Pline a descrit ceux qui furent pareillement ouys aux guerres
Cymbriques et entre autres plusieurs voix du ciel et l'alarme que sonnaient
certaines trompettes horribles. Auparavant que les Lacédémoniens fussent
vaincus en la bataille Leuctrique, on oüyt dans le temple les armes qui
rendirent son d'elles-mesmes: et environ ce temps, à Thebes, les portes du
temple d'Hercule furent ouvertes sans qu'aucun les ouvrit, et les armes qui
estoient pendues contre la muraille furent trouvées à terre comme le déduit
Cicéron, non sans estonnement. Du temps que Miltiades alla contre les
Perses, plusieurs spectres en firent voir l'événement, et sans m'escarter
si loin, voyez Tite Live qui, pour s'estre pleu à descrire un bon nombre de
semblables merveilles, quelques autheurs lui ont donné le titre non
d'historien, mais de tragédien. Que si nous voulons passer dans les autres
siècles qui ne sont pas si éloignés de nous, nous trouverons que du règne
de Théodose, on vit de mesme une estoille portant espée: et du temps du
sultan Selim, mille croix qui brillaient en l'air et qui annonçaient la
perte que les chrétiens firent après.»

François Guichardin[1] parlant du commencement de la guerre portée par les
Français au delà des monts pour la conquête du royaume de Naples, dit ceci
sur les affaires de 1494: «Chascun demeuroit esperdu des bruits courans
qu'en divers endroits d'Italie l'on avoit veu des choses repugnantes au
cours de nature et des cieux. Que de nuit en l'Apouille estoyent aparus
trois soleils au milieu du ciel, environnez de nuages, avec horribles
esclairs, foudres et tonnerres. Qu'au territoire d'Arezze estoyent
visiblement passez par l'air infinis hommes armez, montez sur puissans
chevaux, avec un terrible retentissement de trompettes et de tambours. Que
les images des saints avoyent sué en plusieurs lieux d'Italie. Que partout
estoyent nez plusieurs monstres d'hommes et d'animaux. Que plusieurs autres
choses estoyent avenues contre l'ordre de nature en divers endroits, au
moyen de quoi se remplissoyent d'une crainte incroyable les peuples desja
estonez pour la renommée de la puissance et vaillance ardente des
François.»

    [Note 1: Au Ier livre de son _Histoire des guerres d'Italie_,
    section XVI, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_,
    t. V, p. 322.]

«Le Milanois, dit Goulart, fut averti en l'an 1520 et en l'an 1521 par
divers estranges présages des grands changemens qui y avinrent es divers
evenements de la guerre, et les désolations incroyables de tout le pays sur
lequel il tomba du ciel douze cens pierres de grele de couleur de fer
enrouillé, extremement dures, et qui sentoyent le soulfre. Deux heures
devant qu'elles tombassent, il se fit au ciel un feu du tout extraordinaire
de merveilleuse estendue et fort ardant. Cest merveille que l'air ait
soustenu si longuement un poids si lourd de tant de pierres entre
lesquelles on en trouva une pesant soixante livres et une autre deux fois
autant. Dedans deux ans apres les François quitterent l'Italie, en laquelle
ils rentrèrent l'an 1515. Milan se vit réduite à toute extrémité de
saccagement, guerres, embrasements, pestes. La foudre qui fit tant de
dommage au chateau de Milan l'an 1521 sembla présager aussi la grande
révolution des afaires qui y aparut depuis, tant en la mesme année qu'es
suivantes comme il se void es récit de Guichardin en son _Histoire des
guerres d'Italie_.»

D'après Gomez[1], «Quelques mois devant la bataille de Ravenne, l'an 1512,
l'Italie fut estonnée par divers prodiges et fit estat d'estre battue de
force coups. Sur le couvent des Cordeliers de Modène furent veus de nuict
des flambeaux allumez en l'air, et de jour apparurent là mesme des
fantosmes en forme d'hommes qui s'entretuoyent. La ville de Creme fut en
plein midi couverte de si espaisses tenebres, que chascun y pensoit estre
en plein minuict. Tout l'air retentissoit de bruits espouvantables, les
esclairs extraordinaires, et multipliez sans guère d'intervalles faisoyent
un nouveau jour. Parmi cela survindrent des gresles extrêmement violentes
et si pesantes que le raport en semble incroyable.»

    [Note 1: _Histoire de Ximenes_, liv. V, cité par Goulard, _Thrésor
    des histoires admirables_, t. IV, p. 780.]

Paul Jove[1] raconte que «Devant que les Suisses sortissent de Novarre, où
ils tenoient bon, l'an 1513, pour Maximilien Sforce, duc de Milan, contre
l'armée françoise, à laquelle commandoit le sieur de la Trimouille, assisté
de Jean-Jacques Trivulce et autres chefs de guerre, les chiens qui estoient
au camp des François, s'amassèrent en troupes et entrèrent dedans Novarre,
où se rendans es corps de garde, ils commencèrent à faire feste aux
Suisses, par toutes les contenances coustumières à tels animaux lorsque
plus ils veulent amadouer leurs maistres. Jacques Motin d'Ury, vaillant
capitaine, comme il en fit preuve bientost après, prenant cette reddition
des chiens à bon présage, s'accourut vers l'empereur Maximilian, et
l'asseura que les François seroient mis en déroute pour ce que les anciens
Suisses avoient tousjours marqué que l'armée vers qui se rangeoyent les
chiens du parti contraire demeuroit victorieuse: les chiens quittant les
hommes couards et malheureux, pour se ranger aux vaillants et aux
fortunez.»

    [Note 1: Livre II de ses _Histoires_.]

Le président de Thou[1] raconte ce qui suit: «Le propre jour que la ville
d'Afrique, jadis Aphrodisium fut prise sur les Turcs par l'armée de
l'empereur Charles V, de laquelle estoyent chefs Antoine Dore et Christofle
de Vegue, une plaisante avanture fut prise à bon présage par les
assiégeants. Vegue avoit en ses pavillons une biche privée qu'on sçait être
un animal qui se donne l'espouvante au moindre bruit qu'on face. Neantmoins
le jour de l'assaut environ le quinziesme de septembre 1550, ceste biche
non tracassée de personne, ains de son mouvement, monte a la bresche et
sans s'esfaroucher au bruit des huées de tant de soldats, ni de
l'artillerie qui tonnoit horriblement, ni des baies qui siffloient de celle
part, passa outre, et entra la première devant tous les soldats dedans la
ville, laquelle tost après fut emportée d'assaut, plusieurs Mores et Turcs
tués à la bresche et par les places, et dix mille personnes de divers aage
réduites en captivité par les victorieux.»

    [Note 1: A la fin du Ve livre de l'_Histoire de son temps_.]

Alvaro Gamecius[1] raconte que «Le cardinal Ximenes s'aprestant pour aller
faire la guerre aux Mores en la coste de Barbarie, estant en un village
nommé Vaiona, l'on y vid en l'air durant quelques jours une croix, de quoi
chascun discouroit à sa fantaisie. Ximenes pensant à ce prodige, et
prestant l'oreille aux diverses conjectures qu'on lui en proposoit, un de
la troupe lui dit: Monseigneur, ceste croix vous admoneste de partir sans
long délai: Vaiona est presque autant que Veayna, ce mot, en langue
espagnole (Ve-ayna) signifie _va viste_. En s'embarquant, la croix se
montra en Afrique: alors un evesque nommé Cazalla s'écriant aux soldats
leur dit: Courage, mes amis! la victoire est nostre sous ce signal. Un
autre cas survint alors: c'est qu'un grand et furieux sanglier descendu des
costaux bocageux proches de la rade, traversa quelques compagnies bien
rangées: sur quoi grandes huées se firent, chascun criant: Mahomet!
Mahomet! De sorte qu'à coups de dards et d'autres traits le sanglier fut
terrassé mort. Au contraire l'arrière garde de l'armée des Mores fut
remarquée suivie d'un très grand nombre de vautours, oiseaux carnassiers.
L'on n'entendoit es forests proche d'Oran que rugissemens de lions,
lesquels es nuicts suivantes s'assemblèrent par troupes et allèrent dévorer
les corps tués. Comme les Espagnols assailloyent Oran, on vid deux arcs en
ciel sur la ville. Lors un docte personnage à la suite de Ximenes, eslongné
delà se mit à crier: Oran est à nous! Ximenes en dit autant à ses amis: et
comme il continuoit à discourir de ce presage, les nouvelles lui vindrent
de la prise. Ce que je vais dire, adjouste Gomez, semblera de tout
admirable: mais rien ne fut estimé plus certain pour lors, et plusieurs le
remarquerent en leurs escrits. Outre les lettres de particuliers à leurs
amis, Gonsales, Gilles, et celui qui escrivit en latin l'histoire de ceste
guerre de Barbarie, afferment très expressement que le soleil s'arresta et
contint son cours quatre heures et plus durant le combat des Espagnols
contre les Mores d'Oran. Car ainsi que les Espagnols pretendoyent gagner la
montagne, le soleil commençoit à baisser: ce qui troubloit fort Pierre de
Navarre, chef des troupes, ne les voyant encore qu'au pied de la montagne.
Ximenes avoit bien remarqué cest arrest du soleil, mais il s'en teut,
jusques à ce que cette merveille fut divulguée partout. On asseure aussi
que quelques Mores ayant pris garde à cela, tout estonnez de ce signe du
tout extraordinaire et miraculeux, abjurerent le mahométisme et se firent
baptiser.»

    [Note 1: Au IVe livre de l'_Histoire de Fr. Ximenes_, cité par
    Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. IV. p. 682.]

D'après Joachim Curseus[1], «Matthias surnommé Corvin, couronné roi de
Hongrie l'an 1464, quelques années après faisant forte guerre aux Turcs,
sans vouloir entendre ni à paix ni à trefve avec eux, assiegea une de leurs
forteresses nommée Sabaai, quoiqu'elle eût cinq mille hommes de guerre en
garnison. Il la fit battre rudement, et durant les plus grands tonnerres de
son artillerie, portant balles de calibre et poids extraordinaire,
s'endormit si profond, quoique d'ordinaire ce fust le plus vigilant et le
moins dormant de son temps, qu'il ne se resveilla qu'à haute heure, encore
que son chambellan l'appelast souvent et à haute voix. Ce qui lui fut un
presage de victoire, car tost apres, il força ceste place paravant estimée
imprenable. Plutarque en dit autant d'Alexandre le Grand devant la bataille
d'Arbelles contre Darius.»

    [Note 1: En ses _Annales de Silésie_, cité par Goulart, _Thrésor
    des histoire admirables_, t. III, p. 320.]

Suivant Arluno[1], «Peu avant la prise de Ludovic Sforce, duc de Milan,
emmené prisonnier en France, où il mourut à Loches, on ouit autour du
chasteau de Milan, sur la miniuct, un cliquetis d'armes, des sons de
tambours et fanfares de trompettes; on vid des baies enflammées lescher les
murailles. Dans le chasteau furent veus des conils ayans deux testes, des
chiens furieux courir de chambre en chambre, et disparoir soudainement.
Auparavant, comme Sforce faisoit revue de son armée, presque au mesme
endroit où quelque temps après il fut pris prisonnier, le cheval de guerre
sur lequel il estoit monté fondit par deux fois sous son maistre, et
broncha par terre, sans qu'au cheval apparust douleur, foulure ni foiblesse
quelconque.»

    [Note 1: En son _Histoire de Milan_, IIe section, citée par
    Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, tome IV, p. 332.]

Le docteur Aubery[1] cité par Goulart, raconte que «En la chapelle de
Bourbon l'Archambauld à cinq lieues de Moulins, se présentent infinis
embellissemens en pierre, bois, bronze et es vitres merveilleuses en
l'esmail de leurs diverses couleurs. Les vistres qui sont au costé du
couchant se voient enrichies de fleurs de lys sans nombre, et traversées
ci-devant d'une barre. Mais le mesme jour que Henri III fut meschamment
assassiné, la foudre emporta cette barre, sans endommager les fleurs de lys
qui la touchoient: présage heureux de l'acquisition du sceptre de France
due à la royale maison de Bourbon.»

    [Note 1: Aubery, docteur médecin, en son _Traicté des bains de
    Bourbon-Lancy et Archambauld_.]

«Le jour qu'Alexandre de Médicis, duc de Florence, fut tué en sa chambre,
et de la main de Laurent de Médicis, son cousin, l'an 1537, dit Goulart,
d'après le supplément de Sabellic, en saison d'hiver, le verger et le
jardin de Cosme de Médicis, son successeur, reverdit et florit, tous les
autres vergers et jardins dedans et dehors la ville de Florence demeurant
en leur estat, selon la saison.»

Goulart raconte, d'après Curoeus[1], que «Le dixiesme jour de septembre
l'an 1513, Jacques, quatriesme de ce nom, roy d'Escosse, ayant embrassé le
parti de France, s'esleva contre l'Angleterre, et la querelle s'eschauffa
tellement qu'il y eut bataille donnée en laquelle le roy Jaques et la fleur
de la noblesse d'Escosse mourut sur le champ. Lors y avoit un gentilhomme
escossois serré fort estroitement en prison à Londres, lequel dit tout
haut, plusieurs l'oyans quelques heures avant la bataille: Si les deux
armées (angloise et escossoise) combattent aujourd'hui, je sçay pour
certain que le roy mon seigneur sera le plus foible. Car je remarque en ce
conflict et tourbillon des vents en l'air, que les vents sont
merveilleusement contraires à l'Escosse. Ceste parole ne fut pas sans
raison et sans événement: car il est certain que les anges conservateurs
des estats publics et de l'ordre establi de Dieu combattent fermement
contre les esprits malins qui prennent plaisir aux meurtres, et au
renversement du bon ordre que le seigneur aprouve, comme on lit en
l'histoire de Perse, où l'ange raconte à Daniel que par longue espace de
temps il a réprimé le malin esprit, lequel incitoit les Grecs à aller
ruiner la monarchie persique.»

    [Note 1: _Annales de Silésie_.]

«Il y a en Norwege, dit Ziegler[1], un lac nommé le lac de Mos, dans lequel
(sur l'instant du changement es affaires publiques) aparoit un serpent de
longueur incroyable. L'an 1522, on y en vid un, lequel avoit, autant que
plusieurs présumèrent, cinquante brasses de longueur. Peu de temps après le
roi Christierne second fut chassé de son royaume.»

    [Note 1: _Description de Scondie_, cité par Goulart, _Thrésor
    d'histoires admirables_.]

«Les peuples septentrionaux, ajoute Goulart, d'après Olaus[1], disent que
les poissons monstrueux et non guères vus, venans à paroir en leur mer sont
présages infaillibles de grands troubles par le monde.»

    [Note 1: Olaus, au liv. XXI, ch. I.]

Cardan[1] rapporte que «L'an 1554, les pescheurs de Genes tirerent de la
mer une teste de poisson de grandeur prodigieuse, car on conta du fond de
la gorge au bout du museau dix-neuf pas. L'année suivante, les Genois
perdirent l'isle de Corse.»

    [Note 1: Au LXXIVe chap. du XIVe livre _de la Diversité des
    choses_.]



II.--PRÉSAGES DE NAISSANCE


«L'evesque d'Olmutz raconte, dit Goulart[1], que lorsque Wenceslas, depuis
empereur (sous lequel survindrent beaucoup de désordres en Alemagne, en
Boheme et ailleurs) nasquit, le feu se prit à l'église de Saint-Sebauld, en
la ville de Nuremberg, où l'on chaufoit l'eau pour le baptiser, qu'il urina
dedans les fonds et fit des ordures sur l'autel; sa mère, femme de
l'empereur Charles IV, mourut en cette couche de Wenceslas, lequel fut le
plus chétif empereur que l'Alemagne ait veu.»

    [Note 1: Au XXIIIe livre de l'_Histoire de Boheme_.]

D'après Abraham Bucholcer[1]. «Jean Frideric, electeur de Saxe, né le
trentiesme jour de juillet 1503, apporta du ventre de sa mère le presage de
son avanture, asçavoir sur son dos une croix luisante comme or, laquelle
veuë par un homme d'eglise venerable par sa vieillesse et piété, lequel
avoit esté appelle par les dames de chambre de l'électrice, il dit: Ce
petit enfant portera quelque jour une croix que tout le monde verra, puis
que des son entrée au monde il en a l'enseigne si manifeste. On en vid le
commencement en la princesse Sophie, sa mère, laquelle mourut douze jours
après cest acouchcment.»

    [Note 1: En sa _Chronologie_.]

«J'ai apris de gens dignes de foi, dit le docteur Philippe Camerarius[1],
que le très puissant roi de la Grand'Bretagne, Jacques, venant au monde,
fut veu ayant sur le corps un lyon et une couronne bien apparente, aucuns
disent de plus une espée: marques de grand presage et dignes de plus ample
consideration.»

    [Note 1: Au IIIe vol. de ses _Méditations historiques_, liv. III,
    ch. II.]

Suivant Marin Barlet[1], «La princesse d'Albanie, fort enceinte, songea
qu'elle se delivroit d'un grand serpent, qui de son corps couvroit
l'Albanie, ouvroit la gueule sur la Turquie pour l'engloutir, et estendoit
doucement la queue vers Occident. Elle se delivra d'un fils, lequel avoit
sur le bras droit la forme d'une espée bien emprainte. Il fut nommé George,
puis, par les Turcs, Scanderberg, c'est-à-dire seigneur Alexandre. Ce fut
un très sage, très heureux et très valeureux prince, qui fit rude guerre
aux Turcs.»

    [Note 1: _Vie de Scanderberg_, cité par Goulart, _Thrésor des
    histoires admirables_, t. III, p. 314.]

Baptiste Fulgose[1] raconte que «Elisabet d'Arc, païsanne lorraine, estant
fort enceinte, elle conta à ses voisins, au village, avoir songé qu'elle
enfantoit la foudre, dont elles ne firent que rire. Tost après elle acoucha
d'une fille, ce qui augmenta la risée. Ceste fille, nommée Jeanne, et
surnommée la Pucelle, devenue en aage, quitta les moutons, prit les armes,
et fut une vraye fouldre de guerre: car par une speciale faveur et force
divine, elle ravit aux Anglois, possesseurs de la pluspart du royaume de
France, tout le bonheur dont ils avoyent jouy plusieurs années, les
afoiblit, batit et harassa en tant de rencontres et de sièges, qu'ils
furent contraints quitter tout. Finalement, Jeanne, prise en certaine
sortie, fut bruslée vive par les Anglois, lesquels depuis ne durèrent
gueres en France, ains repassèrent la mer.»

    [Note 1: Au liv. I, chap. V, du recueil de ses _Histoires
    mémorables_, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_,
    t. III, p. 341]

Jean François Pic de la Mirandole[1] raconte que «Bien peu de temps avant
la naissance de Jean Picus, prince de la Mirandole, tant renommé entre les
doctes de nostre temps, l'on descouvrit un grand globe de flamme ardante
sur la chambre de la mère de ce prince, lequel globe de feu disparut
incontinent. Cela presageoit premièrement en la forme ronde la perfection
de l'intelligence qu'auroit l'enfant, lequel nasquit en ceste chambre au
mesme instant, et qui seroit admiré de tout le monde, à cause de la prompte
vivacité de son esprit, tout épris de l'amour des sciences, de la
spéculation des choses sublimes, et de la continuelle contemplation des
mysteres celestes. Outre plus, ce feu sembloit presager l'excellence du
parler de ce prince, lequel embrasoit ses auditeurs en l'amour des choses
divines: mais que ce feu ne feroit que passer. De fait, ce grand prince
mourut fort jeune, asçavoir en l'aage de trente-deux ans, l'an 1494, au
mois de novembre, estant né le vingt-quatriesme de fevrier 1463.»

    [Note 1: En la _Vie de Pic de la Mirandole_, son oncle.]

«Jerosme Fracastor de Verone, encore fort petit, à ce que raconte l'auteur
de sa vie[1], estant porté entre les bras de sa mere un jour d'esté, l'air
venant à se troubler, voici un coup de fouldre, lequel atteint et tue la
mère, sans que son petit enfant fust tant soit peu offensé, presage de
l'illustre renommée d'icelui, docte entre les doctes qui ont esté depuis
cent ans.»

    [Note 1: _Vie de J. Fracastor_, cité par Goulart, _Thrésor des
    histoires admirables_, t. III, p. 315.]



III.--PRÉSAGES DE MORT


Goulart[1], d'après un livre intitulé _la Mort du roi_ a fait un chapitre
entier sur les avertissements merveilleux et prédictions de diverses sortes
de la mort du roi Henri IV; on y trouve ceux-ci:

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_ t. IV, p. 436.]

«On ne parloit en ce temps-là que de quelque grand accident qui devoit
arriver. On rappeloit la mémoire de plusieurs prédictions sur les comètes,
les éclipses et les conjonctions des planètes supérieures. Leovice avoit
conjuré les rois qui estoient sous le Bélier et la Balance de penser à eux.
L'estoile veue l'année precedente en plain midi avoit esté considerée par
les mathematiciens comme un signal de quelque sinistre effect. La rivière
de Loire s'estoit desbordée en pareille fureur qu'au temps de la mort
violente de Henri II et Henri III. Les saisons perverties, l'extreme froid,
l'extreme chaleur, et ces montagnes de glace que l'on vid sur les rivières
de Loire et de Saône, mettoyent les esprits en pareilles appréhensions. On
avoit fait courir par Paris des vers de la Samaritaine du Pont-Neuf à
l'imitation des centuries de Nostradamus, qui parloit clairement de la mort
du roi.

«L'arbre planté en la cour du Louvre, le premier jour de mai tomba de
soi-mesme, sans effort et contre toute apparence, la teste devers le petit
degré. Bassompierre voyant cela dit au duc de Guise, avec lequel il estoit
apuyé sur les barres de fer du petit perron au devant de la chambre de la
roine, qu'en Alemagne et en Italie on prendroit ceste cheute à mauvais
signes, et pour le renversement de l'arbre dont l'ombre servoit à tout le
monde. Le roi estimant qu'ils parloyent d'autre chose, porta sa teste tout
bellement entre les leurs, escouta ce discours, et leur dit: Il y a vingt
ans que j'ai les oreilles battues de ces presages. Il n'en sera que ce
qu'il plaira à Dieu.

«Plusieurs choses furent prinses et remarquées à Sainct-Denis pour mauvais
augure. Le roi et la roine dirent que leur sommet avoit esté rompu par une
orfraye, oiseau nocturne et funebre, qui avoit crouassé toute la nuict sur
la fenestre de leur chambre. La pierre qui sert à l'ouverture de la cave où
sont enterrez les rois, se trouva ouverte. La curiosité, qui s'amuse à
toutes choses, prit à mauvais signe que le cierge de la roine s'esteignit
de soi-mesme; et que si elle n'eust porté sa main à sa couronne, elle fust
tombée deux fois. Le mesme jour du jeudi 13, ce mesme prince considérant
les théâtres si bien peuplez et en si bon ordre, dit que cela le faisoit
souvenir du jour du jugement et que l'on seroit bien estonné si le juge se
presentoit.»

«L'empereur Maximilien Ier et Philippe Ier, son fils, roy d'Espagne, dit
Hedion en sa _Chronique_[1], estans en leur cabinet au palais de
Brusselles, pour resoudre de quelque afaire d'importance, un vent se leve
lequel arrache et jette hors de la paroy entre les deux princes une assez
grosse pierre, laquelle Philippe leve de terre: et comme il continuoit de
parler à son père, un tourbillon survint qui lui fit tomber ceste pierre
des mains, laquelle se brisa sur le planché. C'est un presage, dit alors
Philippe à Maximilien, que vous serez bien-tost pere de mes enfans. Peu de
semaines après, Philippe, jeune prince, mourut, laissant ses pupilles à
l'empereur Maximilien son père.»

    [Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t.
    II, p. 915.]

Selon Paul Jove[1], «Le pape Adrian VI s'acheminant d'Espagne à Rome pour
son premier exploit voulut voir à Saragousse les os et reliques d'un
sainct: ce qui fit dire à plusieurs qu'Adrian mourroit bien tost. Il avint
alors aussi qu'une riche lampe de cristal, en l'église de ce sainct, se
brisa soudainement, dont toute l'huile fut versée sur Adrian et sur
quelques prestres autour de lui, dont leurs habillemens furent gastez.
Arrivé à Rome, le palais où il demeuroit fut embrasé et consommé en un
instant. Il canoniza Benno, evesque aleman, et Antonin, archevesque de
Florence: mais il les suivit bientost et mourut après icelles
canonizations, que l'on tient pour presages de mort prochaine aux papes qui
les font.»

    [Note 1: En sa _Vie d'Adrian VI_, cité par Goulart, _Thrésor des
    histoires admirables_, t. II, p. 945.]

D'après Sabellic[1], Philebert de Chalon, prince d'Aurange, ayant assiégé
Florence, entendit que secours venoit aux Florentins. Sur ce il resoud
d'aller au devant: et comme il vouloit monter à cheval, fait assembler
autour de lui les capitaines, et commande qu'on apporte des flaccons et des
tasses, les faisant emplir de vin, afin que tous beussent par ensemble.
Comme les uns et les autres estoient prests à boyre, voici une pluye
impétueuse et soudaine, le ciel estant fort serein auparavant, laquelle
arrouse abondamment le prince et ses capitaines, qui beuvoyent en pleine
campagne. Incontinent chacun dit son avis de ceste avanture. Le prince
rioit à gorge desployée: A ce que je voy, dit-il, compagnons, nous ne
parlerons que bien trempez à nos ennemis, puisque Dieu a voulu si
benignement verser de l'eau en nostre vin. Ce furent ses derniers propos:
car tost après ayant chargé et rompu ce secours il fut au combat transpercé
d'un boulet, dont il mourut.»

    [Note 1: Supplément au XIIIe livre, cité par Goulart, _Thrésor des
    histoires admirables_, t. II, p. 943.]

Joach. Camerarius[1] et Abr. Bucolcer[2], racontent ce qui suit selon
Goulart[3]: «Guillaume Nesenus, personnage excellent en sçavoir et crainte
de Dieu, s'estant jetté dedans une barque de pescheur en temps d'esté, pour
traverser l'Elbe, rivière qui passe à Witeberg en Saxe, comme c'estoit sa
coustume de s'esbatre quelques fois à passer ainsi ceste rivière, et
conduire lui-mesme sa barque, alla heurter alors contre un tronc d'arbre
caché dedans l'eau, qui renversa la barque, et Nesenus au fond dont il ne
peut eschapper, ains fut noyé. Cela avint sur le soir. Le mesme jour, un
peu après disné, comme Camerarius sommeilloit, avis lui fut qu'il entroit
une barque de pescheur et qu'il tomboit en l'eau. Sur ce arriva vers lui,
Philippe Melanchthon son familier ami, auquel il fit en riant le conte de
ce sien songe, tenant sa vision pour chose vaine... Melanchthon et
Camerarius devisans ensemble de ce songe et triste accident, se
ramentierent l'un à l'autre ce qui leur estoit advenu et à Nesenus peu de
jours auparavant. Ils faisoyent eux trois quelque voyage en Hesse, et ayans
couché en une petite ville nommée Trese, le matin passerent un ruisseau
proche de là, pour y abreuver leurs chevaux. Comme ils estoyent en l'eau,
Nesenus decouvre en un costeau proche de là trois corbeaux croquetans,
battans des aisles et sautelans. Sur ce il demande à Melanchthon que lui
sembloit de cela? Melanchthon respondit promptement: Cela signifie que l'un
de nous trois mourra bien tost. Camerarius confesse que ceste response le
poignit jusques au coeur, et le troubla grandement; mais Nesenus ne fit
qu'en secouer la teste, et poursuivit son chemin alaigrement. Camerarius
adjouste qu'il fut en termes de demander à Melanchthon la raison de cette
sienne conjecture; et que tost apres Melanchthon lui dit que, se sentant
foible et valetudinaire, il ne pouvoit estimer que sa vie deut estre gueres
plus longue. Et je ne ramentoy point ces choses, dit-il, comme si
j'attribuois quelque efficace au vol et mouvement des oiseaux, ni ne fay
point de science des conjectures qu'on voudroit bastir là dessus: comme
aussi je sçay que Melanchthon ne s'en est jamais soucié. Mais j'ai bien
voulu faire ce recit pour monstrer que parfois on void avenir des choses
merveilleuses dont il ne faut pas se mocquer, et qui apres l'evenement
suggèrent diverses pensées à ceux qui les voyent ou en entendent parler.»

    [Note 1: _Vie de Ph. Mélanchthon_.]

    [Note 2: _Indices chronologiques_, an 1524.]

    [Note 3: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 373.]

Au récit de Zuinger[1], «La peste estant fort aspre es environs du Rhin
l'an 1364, plusieurs mourans à Basle avoyent ceste coustume par présage
merveilleux au fort de la maladie, et quelques heures devant que rendre
l'âme, d'appeller par nom et surnom quelqu'un de leurs parens, alliés,
voisin ou amis. Ce nommé tomboit tost après malade, et faisoit le mesme,
ainsi cest appel continuoit du troisiesme au quatriesme, et consequemment:
en telle sorte qu'on eust dit que ces malades estoyent les huissiers de
Dieu pour adjourner ceux que la providence désignoit à comparoir en
personne devant lui.»

    [Note 1: En son _Théâtre de la vie humaine_, cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 446.]

D'après Camerarius,[1] «Les comtes de Vesterbourg ont près du Rhin un
chasteau basti en lieu fort haut eslevé. La peste y estant survenuë, les
comtes s'en retirerent pour aller quelques jours en air meilleur et plus
asseuré, où ils séjournerent trop peu. De retour, comme ils montoyent au
chasteau, et approchoyent de la porte, la cloche de l'horloge posée en une
haute tour sonne onze heures en lieu de trois ou quatre après midi. Cest
accident extraordinaire occasiona les comtes de s'enquerir du portier
paravant laissé seul au chasteau pour le garder, que vouloit dire ce
changement. Il protesta n'en sçavoir rien, veu qu'on avoit laissé l'horloge
plusieurs jours, sans qu'aucun y eust touché. Incontinent la peste se
renouvella, laquelle emporta les comtes et toutes les personnes rentrées
avec eux au chasteau: le nombre fut d'onze, autant que l'horloge, avoit
sonné de coups.»

    [Note 1: Au IIIe vol. de ses _Méditations historiques_, liv. I, ch.
    XV, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. III,
    p. 318.]

«En la seigneurie de l'archevesque et electeur de Treves, se void, dit
Camerarius[1], un vivier ou estang en lieu conu de ceux du pays, duquel
quand il sort quelque poisson de grandeur desmesurée, et qui se monstre, on
tient que c'est un certain presage de la mort de l'électeur, et que par
longue suite d'années on a vérifié ceste avanture. En la baronnie de
Hohensax, en Suisse, quand un de la famille doit mourir, des plus hautes
montagnes qui séparent la baronnie d'avec le canton d'Appenzel, tombe une
fort grosse pierre de rochers avec tant de bruit que le roulement d'icelle
est entendu clairement près et loin, jusques à ce qu'elle s'arreste en la
plaine du chasteau de Fontez.»

    [Note 1: En ses _Méditations historiques_, vol. III, liv. I, ch.
    XV, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_. t. III,
    p. 318.]

Taillepied[1] cite ce fait rapporté par Léon du Vair: «Que dirai-je du
monastère de Saint-Maurice, qui est situé es confins et limites de
Bourgongne, près le fleuve du Rhosne? Il y a là dedans un vivier, auquel
selon le nombre de moines, on met aussi tant de poissons: que s'il arrive
que quelqu'un des religieux tombe malade, on verra aussi sur le fil de
l'eau un de ces poissons qui nagera comme estant demy-mort, et si ce
religieux doit aller de vie à trespas, ce poisson mourra deux ou trois
jours devant luy.»

    [Note 1: _Traité de l'apparition des esprits_, p. 139.]

«Le sixiesme jour d'avril 1490, dit Goulart[1], Mathias, roi de Hongrie,
surnommé la frayeur des Turcs, mourut d'apoplexie à Vienne, en Austriche.
Tous les lyons que l'on gardoit en des lieux clos à Bude moururent ce jour
là. Un peu devant le trespas du prince Jean Casimir, comte palatin du Rhin
et administrateur de l'électoral, le lyon qu'il faisoit soigneusement
nourrir mourut: ce que le prince prit pour presage de son deslogement. Un
cheval que Louis, roi de Hongrie, montoit, perit soudain, un peu devant la
bataille de Varne, en laquelle ce jeune prince demoura. Car ayant esté mis
en route, et voulant se sauver à travers un marests, le cheval qui le
portoit ne peut l'en desgager, ains y enfondra et perdit son maistre. Le
frère Battory, roi de Pologne, estant mort en Transsilvanie, le cheval du
roi mourut soudain, et quelques jours après vindrent nouvelles du trespas
du prince decedé fort loin de là.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. III. p. 316]

D'après Joach. Camerarius[1], «Maurice, électeur de Saxe, prince vaillant
et excellent, eut divers presages de sa mort peu de jours avant la bataille
donnée l'an 1553, entre lui et Albert, marquis de Brandebourg, lequel il
mit en route. La teste d'une siene statue de pierre fut emportée d'un coup
de fouldre, sans que les statues des autres électeurs eslevées en lieu
public en une ville de Saxe nommée Berlin, fussent tant soit peu atteintes
de cest esclat. Un vent impetueux s'esleva le jour precedent la bataille,
lequel arracha et deschira deux grands pavillons de l'electeur, en l'un
desquels on faisoit sa cuisine, en l'autre se dressoyent les tables pour
ses repas ordinaires. Au mesme temps il plut du sang auprès de Lipsic.»

    [Note 1: En sa harangue funèbre sur la mort de Maurice, électeur de
    Saxe.]

«En l'église cathédrale de Mersburg, près de Lipsic, dit Goulart[1], y a un
evesque et des chanoines ausquels il estoit loisible de se marier. Ils ont
laissé en icelle de grands et riches joyaux donnez des longtemps, et ont
fait conscience de s'en accommoder. Pour la garde du temple il y a
ordinairement quelques hommes qui tour à tour veillent en icelui tant de
jour que de nuict. Iceux rapportèrent avoir observé de fort longtemps et
entendu de leurs devanciers gardes que trois semaines avant le deces de
chascun chanoine de nuict se fait un grand tumulte dedans le temple: et
comme si quelque puissant homme donnoit de toute sa force quelques coups de
poing clos sur la chaire du chanoine qui doit mourir; laquelle ces gardes
marquent incontinent: et le lendemain venu en avertissent le chapitre.
C'est un adjournement personnel à ce chanoine, lequel meurt dedans trois
semaines après.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 549.]

Suivant un petit ouvrage anonyme[1], «Les Espagnols parlent d'une cloche en
Arragon par eux appellée la cloche du miracle, en une colline près de
Villela, laquelle (disent-ils) contient dix brasses de tour, sonne parfois,
mais rarement, de soi-mesme, sans estre agitée par aucun instrument ni
moyen visible ou sensible, comme de mains d'hommes, de violence des vents,
de tremblement de terre, ou autres semblables agitations. Elle commence en
tintant, puis sonne à volée, par intervalles d'heures et de jours. Les
Portugais disent qu'elle sonna lors que le roi Sebastien fit le voyage
d'Afrique et en l'an 1601 depuis le 13 de juin jusques au 24, à diverses
reprises. On dit qu'elle sonna lorsque Alphonse V, roi d'Arragon, alla en
Italie pour prendre possession du royaume de Naples, en la mort de Charles
V, en une extrême maladie du roi Philippe II arresté à Badajos et au
trespass de la roine Anne, sa dernière femme.»

    [Note 1: _Histoire de la paix_, imprimée à Paris par Jean Richer,
    1607, p. 233 et 234.]

Taillepied[1] rapporte certains présages qui précèdent l'exécution des
condamnés: «Il advient aussi beaucoup de choses estranges es chateaux où
sera emprisonné quelque malfaicteur digne de mort: car on y oïra de nuict
de grands tintamarres, comme si l'on vouloit sauver par force le
prisonnier, et semblera que les portes doivent être forcées; mais en allant
voir que c'est, on ne trouvera personne, et le prisonnier n'en aura rien
senty, ny ouy. On dit aussi que les bourreaux scavent souventes fois quand
ils doivent exécuter quelque malfaicteur à mort: car leurs épées desquelles
ils font justice leur en donnent quelque signe. Beaucoup de choses
adviennent touchant ces pauvres misérables qui se tuent eux-mêmes. Il a
fallu souvent les mener bien loing pour les jecter dans quelque grand'eau:
adonc si les chevaux qui les tiraient les descendoient de quelque montagne,
à grand'peine en pouvaient-ils venir à bout; et au contraire s'il falloit
monter ils estoient contraints de courir, tant cela les poussoit fort.»

    [Note 1: _Traité de l'apparition des esprits_, p. 138.]



IV.--AVERTISSEMENTS


«Souvent Dieu nous fait savoir, dit Gaffarel[1], ce qui doit arriver par
quelque signe intérieur, soit en veillant, soit en dormant. Ainsi
Camerarius prétend qu'il y a des personnes qui sentent la mort de leurs
parents, soit devant ou après qu'ils sont trespassez par une inquiétude
estrange et non accoustumée, fussent-ils à mille lieues loin d'eux. Feue ma
mère Lucrèce de Bermond avoit un signe presque semblable: car il ne mouroit
aucun de nos parents qu'elle ne songeast en dormant peu de temps
auparavant, ou des cheveux, ou des oeufs, ou des dents mêlées de terre, et
cela estoit infaillible et moy mesme lorsqu'elle disoit qu'elle avoit songé
telles choses, j'en observois après l'évènement.»

    [Note 1: _Curiositez inouyes_.]

D'après Taillepied[1], «On a observé es maisons de ville que, quand quelque
conseiller devoit mourir, on entendoit du bruit en la place où il s'asseoit
au conseil: comme le mesme advient aux bancs des églises, ou en autres
lieux où on aura fréquenté et travaillé. Quand quelque moyne ou serviteur
de couvent sera malade, on verra de nuit faire une bière en la même sorte
qu'on la feroit par après. On oit bien souvent es cimetières de village
faire une fosse avec grands soupirs et gémissemens quand quelqu'un doit
mourir, et comme elle sera faite le jour suivant. Quelquefois aussi pendant
que la lune luisoit on a veu des gens aller en procession après les
funérailles d'un mort. Aucuns disent que quand on voit l'esprit de
quelqu'un, et il ne meurt incontinent après, c'est signe qu'il vivra
longtemps, mais il ne se faut pas amuser à telles spéculations, ains
plustost chascun doit s'apprester comme s'il falloit mourir dès demain afin
de n'estre abusé.»

    [Note 1: _Traité de l'apparition des esprits_, in-12, p. 137.]

Suivant Th. Zuinger[1] «Henry II, roi de France, ayant esté déconseillé et
prié nommément par la reine sa femme de ne point courir la lance le jour
qu'il fut blessé à mort, ayant eu la nuict précédente vision expresse et
présage du coup, ne voulut pourtant désister, mesme il contraignit le
comte, de Montgomerry de venir à la jouste. Comme ils s'apprestoyent à
rompre la dernière lance, un jeune garçon qui regardoit d'une fenestre ce
passe temps, commence à crier tout haut regardant et monstrant le comte de
Montgomerry: Hélas! cest homme s'en va tuer le roy.»

    [Note 1: _Théâtre de la vie humaine_, Ve vol., liv. IV.]

«Suivant Buchanan[1], «Jaques Londin, Escossois, d'honneste maison, ayant
esté longtemps travaillé d'une fièvre, le jour devant que Jaques V, roy
d'Escosse fut tué, se haussant un peu dedans son lict environ midi, et
comme tout estonné, commence à dire tout haut à ceux qui estoyent autour de
lui: Sus, sus, secourez le roy: les parricides l'environnent pour le tuer.
Un peu après il se met à pleurer et crier piteusement: Il n'est plus temps
de lui aider, le pauvre prince est mort. Incontinent après, ce malade
expira.»

    [Note 1: _Histoire d'Escosse_, liv. XVII. cité par Goulart,
    _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 944.]

«Un autre présage du meurtre de ce prince fut comme conjoint avec le
meurtre mesme. Trois domestiques du comte d'Atholie, gentils-hommes bien
conus et vertueux, logez non gueres loin de la maison du roy, endormis
environ la minuict, il sembla à l'un d'eux couché contre la paroy, nommé
Dugal Stuart, que certain personnage s'aprochoit de lui, qui passant la
main doucement par dessus la joue et la barbe de Stuart lui disoit: Debout,
on veut vous tuer. Il s'esveille, et pensant à ce songe, l'un de ses
compagnons s'escrie d'un autre lict: Qui est-ce qui me foule aux pieds?
Stuart lui respond: C'est à l'avanture quelque chat qui rode ici la nuict.
Alors le troisiesme qui dormoit encor, s'esveillant en sursaut, se jette du
lict en bas et demande: Qui m'adonne bien serré sur la joue? Sur ce il lui
semble que quelqu'un sautoit avec grand bruit par la porte hors de la
chambre. Comme ces trois gentilshommes devisoyent de leurs visions, voici
la maison du roy renversée avec grand bruit par violence et de pouldre à
canon, dont s'ensuit la mort du prince.»

D'après le petit livre intitulé _la Mort du roi_, cité par Goulart[1], «Le
vendredi quatorziesme jour de may 1610, une religieuse de l'abbaye de
Sainct-Paul en Picardie, soeur de Villers Hodan, gouverneur de Dieppe,
estant en quelque indisposition, fut visitée en sa chambre par son abbesse,
soeur du cardinal de Sourdi, et après qu'elles se furent entretenues de
paroles propres à leur condition, elle s'escria sans trouble ni sans les
agitations et frayeurs propres aux enthousiastes: Madame, faites prier Dieu
pour le roi: car on le tue. Et un peu après: Hélas! il est tué! En la
conférence des paroles et de l'acte on a trouvé que tout cela n'avoit eu
qu'une mesme heure.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. IV.]

On lit dans une lettre de Mme de Sévigné au président de Monceau que, trois
semaines avant la mort du grand Condé, pendant qu'on l'attendait à
Fontainebleau, M. de Vernillon, l'un de ses gentilshommes, revenant de la
chasse sur les trois heures, et approchant du château de Chantilly (séjour
ordinaire du prince), vit, à une fenêtre de son cabinet, un fantôme revêtu
de son armure, qui semblait garder un homme enseveli; il descendit de
cheval et s'approcha, le voyant toujours; son valet vit la même chose et
l'en avertit. Ils demandèrent la clef du cabinet au concierge; mais ils en
trouvèrent les fenêtres fermées, et un silence qui n'avait pas été troublé
depuis six mois. On conta cela au prince, qui en fut un peu frappé, qui
s'en moqua cependant, ou parut s'en moquer, mais tout le monde sut cette
histoire et trembla pour ce prince, qui mourut trois semaines après.

On sait que le duc de Buckingham, favori de Jacques Ier, roi d'Angleterre,
fut assassiné en 1628 par Felton, officier a qui il avait fait des
injustices. Quelque temps avant sa mort, Guillaume Parker, ancien ami de sa
famille, aperçut à ses côtés en plein midi le fantôme du vieux sir George
Villiers, père du duc, qui depuis longtemps ne vivait plus. Parker prit
d'abord cette apparition pour une illusion de ses sens; mais bientôt il
reconnut la voix de son vieil ami, qui le pria d'avertir le duc de
Buckingham d'être sur ses gardes, et disparut. Parker, demeuré seul,
réfléchit à cette commission, et, la trouvant difficile, il négligea de
s'en acquitter. Le fantôme revint une seconde fois et joignit les menaces
aux prières, de sorte que Parker se décida à lui obéir; mais il fut traité
de fou, et Buckingham dédaigna son avis.

Le spectre reparut une troisième fois, se plaignit de l'endurcissement de
son fils, et tirant un poignard de dessous sa robe: «Allez encore, dit-il à
Parker; annoncez à l'ingrat que vous avez vu l'instrument qui doit lui
donner la mort.»

Et de peur qu'il ne rejetât ce nouvel avertissement, le fantôme révéla à
son ami un des plus intimes secrets du duc. Parker retourna à la cour.
Buckingham, d'abord frappé de le voir instruit de son secret, reprit
bientôt le ton de raillerie, et conseilla au prophète d'aller se guérir de
sa démence. Néanmoins, quelques semaines après, le duc de Buckingham fut
assassiné.

Paul Jove[1] rapporte que «Des chevaliers de Rhodes rendirent l'isle et la
ville au Turc le jour de Noël, l'an 1521. En mesme instant de ceste
reddition, comme le pape Adrian VI entroit en sa chapelle à Rome pour
chanter messe, ayant fait le douziesme pas, une grosse pierre du portail de
ceste chapelle se dissoult et tombe soudainement sur deux suisses de la
garde du pape, qui tout à l'instant en furent escrasez sur la place.»

    [Note 1: En la _Vie d'Adrian VI_, cité par Goulart, _Thrésor des
    histoires admirables_, t. III, p. 327.]

Cardan[1] raconte que «Baptiste, son parent, estudiant à Pavie, s'esveilla
de nuict, et délibéra prendre son fusil pour allumer la chandelle. En ces
entrefaictes il entend une voix disant: Adieu, mon fils, je m'en vay à
Rome, et lui sembla qu'il voyoit une très grande lumière, comme d'un fagot
de paille tout en feu. Tout estonné il se cache sous la coultre de son
lict, et y demeure le reste de la nuict et la matinée, jusques à ce que ses
compagnons retournent de la leçon. Ils frapent à la porte de la chambre,
dont leur ayant fait ouverture, et raconté son songe, il adjouste en
pleurant que c'estoyent nouvelles de la mort de sa mère. Eux n'en firent
que secoüer les oreilles. Mais le lendemain il receut nouvelle que sa mère
estoit décédée en la mesme heure qu'il avoit veu ceste grande lumière, en
un lieu éloigné d'environ une journée à pied loin de Pavie.»

    [Note 1: _De la variété des choses_, Ve livre, chap. LXXXIV, cité
    par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 1012.]

D'après Zuinger[1], «Jean Huber, docte médecin en la ville de Basle, estant
en l'article de la mort, avis fut la nuict à Jean Lucas Isel, honnorable
citoyen de Basle, demeurant lors à Besançon, lequel ne sçavoit du tout rien
de ceste maladie, qu'il voyoit son lict couvert de terre fraischement
fossoyée, laquelle voulant secouer, après avoir jetté bas la couverte, il
vid (ce lui sembloit) Huber couché tout de son long sous les linceux, en un
clin d'oeil transformé en petit enfant. La nuict du lendemain il eut une
autre vision: car il sembla qu'il oyoit divers piteux cris de personnes qui
plouroyent le trespas de Hubert, lequel vrayement estoit mort en ces
entrefaictes. Isel esveillé receut au bout de quelques jours nouvelles de
la mort de Huber.»

    [Note 1: En son _Théâtre de la vie humaine_, Ve vol., liv. IV, cité
    par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 1044.]

D'après des Caurres[1], «Possidonius historien, raconte de deux amis et
compagnons d'Arcadie, qui est une partie d'Achaïe en la Grèce, que venans
en la cité de Megara après Athènes, l'un logea à l'hostellerie, l'autre
pour espargner logea à un cabaret. Celuy qui étoit au grand logis, la nuict
en dormant vit son compagnon qui le prioit luy venir secourir, car son
tavernier estoit apres à le tuer. Quoy oyant, son compagnon s'esveilla et
estimant que ce fut un songe, se remist en son lict. Et si tost après qu'il
fut endormy, voicy derechef son compagnon qui lui apparut, disant que
puisqu'il ne l'avoit secouru en sa vie, qu'il luy aidast à venger sa mort
contre le tavernier qui l'avoit meurdry, lequel avoit mis son corps sur une
charrette couverte de fumier, à fin que le matin il envoyast par son
chartier comme on a accoustumé à vuider le fumier, et luy dit qu'il se
trouvast le matin à la porte, là où il trouveroit le corps, ce qui fut
faict. Le chartier gagna au pied, et le cabaretier perdit la vie.»

    [Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 377.]

«Durant nos dernières guerres, dit Goulart[1], un conseiller en la ville de
Montpeslier, personnage honorable, estant avec d'autres au temple, priant
Dieu, eut une vision soudaine de tous les endroits de sa maison: il lui
sembla qu'un sien petit fils unique tomboit d'une haute gallerie en la
basse cour de son logis. Il se leve en sursaut, va chez soi au grand pas,
demande son enfant, le trouve sain et sauf, raconte son extase, commet dès
lors une chambrière pour garder ce petit fils et de nuict et de jour. Trois
mois après, ceste chambrière infiniment soigneuse de l'enfant se trouva
avec icelui en la gallerie, et n'ayant fait que tourner le dos, l'enfant
tombe en la basse cour et est trouvé roide mort. Le conseiller esperdu se
prend à sa femme, qui n'en pouvoit mais, et la tanse fort asprement. Quatre
jours après, comme ceste mère désolée ouvre certain cabinet, un fantosme
tout tel que son fils mort, se présente à elle riant et feignant vouloir
l'embrasser. Lors elle s'escrie: Ha! Satan, tu veux me tenter. Mon Dieu,
assiste à ta servante. Ces mots proférés, le fantosme s'esvanouit.»

    [Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, tome III, p. 328.]

Les sorcières ont eu quelquefois des corneilles à leur service, comme on le
voit par la légende qui suit, et qui, conservée par Vincent Guillerin[1], a
inspiré plus d'une ballade sauvage, en Angleterre et en Ecosse.

    [Note 1: _Spect. hist_. lib. XXVI.]

«Une vieille Anglaise de la petite ville de Barkley exerçait en secret au
XIe siècle, la magie et la sorcellerie avec grande habileté. Un jour,
pendant qu'elle dînait, une corneille qu'elle avait auprès d'elle et dont
personne ne soupçonnait l'emploi, lui croassa je ne sais quoi de plus clair
qu'à l'ordinaire. Elle pâlit, poussa de profonds soupirs et s'écria:
«J'apprendrai aujourd'hui de grands malheurs.»

«A peine achevait-elle ces mots, qu'on vint lui annoncer que son fils aîné
et toute la famille de ce fils étaient morts de mort subite. Pénétrée de
douleur, elle assembla ses autres enfants, parmi lesquels était un bon
moine et une sainte religieuse; elle leur dit en gémissant:

«Jusqu'à ce jour, je me suis livrée, mes enfants, aux arts magiques. Vous
frémissez; mais le passé n'est plus en mon pouvoir. Je n'ai d'espoir que
dans vos prières. Je sais que les démons sont à la veille de me posséder
pour me punir de mes crimes. Je vous prie, comme votre mère, de soulager
les tourments que j'endure déjà. Sans vous, ma perte me paraît assurée, car
je vais mourir dans un instant. Renfermez mon corps dans une peau de cerf,
dans une bière de pierre recouverte de plomb que vous lierez par trois
tours de chaîne. Si, pendant trois nuits, je reste tranquille, vous
m'ensevelirez la quatrième, quoique je craigne que la terre ne veuille
point recevoir mon corps. Pendant cinquante nuits, chantez des psaumes pour
moi, et que pendant cinquante nuits on dise des messes.»

«Ses enfants troublés exécutèrent ses ordres; mais ce fut sans succès. La
corneille, qui sans doute n'était qu'un démon, avait disparu. Les deux
premières nuits, tandis que les clercs chantaient des psaumes, les démons
enlevèrent, comme s'ils eussent été de paille, les portes du caveau et
emportèrent les deux chaînes qui enveloppaient la caisse: la nuit suivante,
vers le chant du coq, tout le monastère parut ébranlé par les démons qui
entouraient l'édifice. L'un d'entre eux, le plus terrible, parut avec une
taille colossale, et réclama la bière. Il appela la morte par son nom; il
lui ordonna de sortir. «Je ne le puis, répondit le cadavre, je suis liée.»

«Tu vas être déliée,» répondit Satan; et aussitôt il brisa comme une
ficelle la troisième chaîne de fer qui restait autour de la bière: il
découvrit d'un coup de pied le couvercle, et prenant la morte par la main,
il l'entraîna en présence de tous les assistants. Un cheval noir se
trouvait là, hennissant fièrement, couvert d'une selle garnie partout de
crochets de fer; on y plaça la malheureuse et tout disparut; on entendit
seulement dans le lointain les derniers cris de la sorcière.»



FIN


       *       *       *       *       *



TABLE DES MATIÈRES



PRÉFACE


LES DIABLES.

I.--Existence des démons

II.--Apparitions du diable

III.--Enlèvements par le diable

IV.--Métamorphoses du diable

V.--Signes de la possession du démon

VI.--Sabbat

VII.--Union charnelle avec le diable--Incubes et Succubes

VIII.--Pacte avec le diable--Marque des sorciers

IX.--Fourberies et méchancetés du diable


LES BONS ANGES


LE ROYAUME DES FÉES.

I.--Fées

II.--Elfes


NATURE TROUBLÉE.

I.--Possédés--Démoniaque

II.--Ensorcelés

III.--Hommes changés en bêtes--Lycanthropes--Loups-garous

IV.--Sortilèges


MONDE DES ESPRITS.

I.--Nature des esprits

II.--Follets et Lutins

III.--Gnomes--Esprits des mines--Gardes des trésors

IV.--Esprits familiers


PRODIGES.

I.--Prodiges célestes

II.--Animaux parlants


EMPIRE DES MORTS.

I.--Ames en peine--Lamies et Lémures

II.--Revenants, spectres, larves, etc.

III.--Fantômes

IV.--Vampires


PRÉSAGES.

I.--Présages de guerre, de succès et de défaites

II.--Présages de naissance

III.--Présages de mort

IV.--Avertissements





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