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Title: Le chevalier délibéré
Author: La Marche, Olivier de, ca. 1426-1502
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Le chevalier délibéré" ***


produced from images generously made available by the
Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



Le Chevalier Deliberé.

[Illustration]


Cy commence le chevalier deliberé compregnant la mort du duc de
borgoigne qui trespassa devant nansy en lorraine.


    Ainsi que a l'arriere saison
    Tant de mes jours que de l'annee
    Je partis hors de ma maison
    Par une soubdaine achoison
    Seul a par moy plain de pensee
    Qui m'acompaigna la journee
    Et me vint en remembrance
    Le premier temps de mon enfance

    Celle qui moult estoit m'amye
    Print ung propos de verité
    Et me dit celuy qui s'oublye
    Fuit honneur & cy l'ame nuye
    Je le tiens pour desherité
    Soit d'avoir ou de la santé
    Du despoir de grace divine
    Que chacun n'est pas d'avoir digne

    Tu vois pour la saison passee
    Arbres terre & tout herbage
    L'un tout vert l'autre sans ramee
    Fleur & odeur toute est cassee
    Plus n'est fueille ne fruit n'ombrage
    Tout tend a froideur & a neige
    Tout est nect sans nulle vigueur
    Et n'est plus seye ne chaleur

    Ainsi est de toy clerement
    Qui le prin temps de ton enfance
    As despendu entierement
    Et jeunesse pareillement
    Mis tes euvres en deffaillance
    Et si n'a pas telle esperance
    Que ont les arbres pour reverdir
    Car jamais ne peux revenir

    Dois je oublyer ou que soye
    Ce traicté qui tant point & mort
    Que fist ayme de montgesoye
    Plus riche que d'or ne de soye
    Au merveilleux pas de la mort
    Sçavoir fault qui est le plus fort
    De toy/ accidant ou debile
    Chacun d'eulx en a tué mille

    Ces deux chevaliers trescrueux
    En la grant forest attroppos
    Tiennent le pas trop perilleux
    Treshorrible tresmerveilleux
    Sans avoir jour ne nuyt repos
    Et continuant leur propos
    De tant combatre & de ferir
    Qu'ilz feront tout homme mourir

    Messire accidant le terrible
    Fournit les jeunes & les fors
    Et debile le treshorrible
    Met a fin par coups invisibles
    Ceulx dont la vigueur en est hors
    Ilz font du cueur tous effors
    Leurs meurtres sont si a doubter
    Que nul ne les peut eschapper

    Scez tu pas bien que le herault
    T'a pieça noncé leurs chapitres
    Tu scez que poyse & que vault
    Accidant t'a livré l'assault
    Tu as ouy de ses epistres
    Il est temps que tu te chapitres
    Car tu as touché a l'emprise
    Depuis ta primiere chemise

    Es tu plus fort que n'est sanson
    Ou a craindre que herculés
    Plus saige que n'est salomon
    Plus beau que le grant absalon
    Plus subtil que dyomedés
    N'as tu paour quant tu penses des
    Que ceulx n'ont peu les coups rabatre
    De ceulx qui te convient combatre

    Plus vis & plus le temps approche
    Qui te convient en champ entrer
    Tu sens desja ung fert qui losche
    Maladie sonne la closche
    En lieu de trompette sonner
    Qui te semond de toy armer
    Et de deffendre ta querelle
    Contre la bataille mortelle

    Ainsi pensif si m'en hortoit
    De ce que me fut necessaire
    Dont la merciay bien estroit
    Et luy dis puis qu'il fault qu'i soit
    Je feray ce que je dois faire
    Lors je prins mon harnois de guerre
    Et comme ung chevalier vaillant
    M'armay & montay tout errant

    Mon cheval s'appelloit vouloir
    Et mon harnois je fis tremper
    D'eaue qu'on appelle pouoir
    Mon escu fut de bon espoir
    Au moins pour longuement durer
    Mon glaive fut de avanturer
    Fait par ung merveilleux ouvraige
    Et mon espee de couraige

    Ainsi j'entreprins la conqueste
    De mes adversaires doubtez
    Et me mis tout seulet en queste
    En suyvant la matiere honneste
    Des bons chevaliers trespassez
    Et chevauchay deux jours passez
    Avant que trouvasse advanture
    Digne de mettre en escripture

    Il n'est besoing que je racompte
    Mes sejours & mes reposees
    Mais raison est que je vous compte
    Les adventures de ce compte
    Telles que je les ay trouvees
    Droit a la fin des deux journees
    Je m'esbatoye en ung plaine
    Qu'on nommoit plaisance mondaine

    Je prins en ce lieu tel plaisir
    Et m'a greoit tant la contree
    Que je n'en pouoye partir
    Mais ains que peusse despartir
    J'ay adventure rencontree
    Qui venoit du long d'une pree
    Qui m'escria de me garder
    Et qui me convenoit jouster

[Illustration]

    Je luy respondis amy cher
    Du moins a ma premiere jouste
    Dictes moy se estes chevalier
    Vostre nom & de quel quartier
    Vous estes dit or escoute
    A qui qu'il poise ne qui couste
    J'ay nom hutin qui tout brise
    Le propre filz de gourmandise

    Comme dis si n'estes vous pas
    Debile ou messire accidant
    Qui tiennent d'attroppos le pas
    Quant je vous vis venir le pas
    Je le cuiday appartement
    Il dit que non certainement
    Mais qu'il estoit de leur mesgnie
    Premier percecuteur de vie

    Lors baissa sa lance ferree
    D'un fert qu'on nomme peu de sens
    Et fiert en ma targe doree
    Tel cop & de telle boutee
    Que encore certes m'en sens
    Et moy acoup a luy j'entens
    Couchay ma lance cy a point
    Que nulz de nous ne faillit point

    La furent noz lances brisees
    Mais nous gardasmes les arsons
    Et mismes les mains aux espees
    Toutes de folies trampeez
    Et donnasmes grans horions
    La frappasmes sur chapperons
    D'estoc de traver & de taille
    Comme chevaliers en bataille

    Mais hutin faisoit vaillamment
    Et me livroit forte bataille
    De cops d'estocz d'eschauffemens
    Courir sallir refroidissemens
    Par son espee qui bien taille
    Et me fut advenu sans faille
    Quant la vint une damoiselle
    La journee m'estoit mortelle

    La damoiselle qui survint
    Ce fut reliques de jeunesse
    Qui resceut des cops plus de vingt
    Sur ung grant tergon qu'elle tint
    Par sa bonté & gentillesse
    Tant exploicta que fut maistresse
    au tournay que je vous veulx dire
    Ou je congnuz avoir du pire

    Jeunesse pour nous despartir
    Dit sire hutin souffrez tant
    Adventurer me fait venir
    Ce chevalier errant querir
    Pour veoir du monde plaisant
    Hutin respond je suis content
    Plus loing portera son escu
    Plus tost se trouvera vaincu

    Mais pour memoire de sa paine
    Je luy donne de ma livree
    Une barrette de mygraine
    Car de telle vertu est plaine
    Qu'elle sera ronouvellee
    Chacune lune de l'annee
    Ce present hutin me laissa
    Et picque cheval & s'en va

    Ainsi je portay cest assault
    Par ce qu'il me fit demourer
    De jeunesse qui beaucop vault
    Mais je la perdis en sursault
    Dont je me trouvay desolé
    Si me partis tout asseullé
    Et prins une petite voye
    Sans sçavoir en quel lieu j'aloye

    Quant hutin se fut desparty
    Et jeunesse s'en fut allee
    Je me trouvay en tel party
    Qu'a peine pouoye partir
    Du champ ne de celle valee
    Ne sçay ou jeunesse est allee
    Mais je me trouvay le matin
    En ung couvent d'un jacopin

    Je cheminay le plain chemin
    Ayant pensee et souvenir
    Qu'il me fist d'armes pelerin
    Sans vouloir partir au butin
    Des peines qu'i me fault souffir
    Et droit au point du jour faillir
    J'aperceuz de loing ung hermite
    A l'huys de sa maison petite

[Illustration]

    Si me tiray droit celle part
    Et luy dis se dieu vous dont joye
    Pource qu'il est meshuy bien tard
    Me ferez vous de voz biens part
    Ainsi que pour vous je feroye
    Il me dit que bien venu soye
    Et traicta moy & mon cheval
    Comme ung amy especial

    Luy mesmes cy me desarma
    Et me logea en son hostel
    Et d'un grant mantel m'affeubla
    Que pourveance luy donna
    Qui fut de soye riche & bel
    Oncques mais je n'euz hoste tel
    Car chere me fist de hait
    Que je fuz logié a souhait

    Sy fit a toute diligence
    De l'eaue necte apporter
    Par ung jeune filz d'apparence
    Que on appelloit bonne enfance
    Ainsi le ouys je nommer
    Puis me voult mon hoste mener
    En une petite chappelle
    Moult devote plaisant & belle

    La je fis ma devocion
    Devant l'autel qui fut paré
    D'un drap de satisfaction
    Armoyé de contriction
    Penitence l'avoit ouvré
    L'ermite ma cecy monstré
    Par ung gracieulx exemplaire
    Car sans ce je ne puis bien faire

    Il me pria que j'abregeasse
    Mais oraysons pour celle foys
    Puis me mena en une place
    Ou il luy pleut que je soupasse
    Avecques luy comme courtois
    Il y avoit du lard & des poys
    Et d'autres biens cy largement
    Que je devoye estre content

    Souvent mes yeulx en regettoye
    Vers mon hoste pour veoir la geste
    Et certes plus le regardoye
    Tant plus voulentiers le veoye
    Car son maintien estoit honneste
    Blanche fut sa barbe & sa teste
    Homme de bel & grant corsaige
    Et ressembloit bien estre saige

    Je ne me peuz oncques tenir
    Que son nom ne luy demandasse
    Luy priant par son bon plaisir
    Mais qu'il n'en eust point desplaisir
    Que son nom de luy emportasse
    Il le m'accorda de sa grace
    Disant je vous congnois assez
    Et veulx bien que me congnoissez

    J'ay travaillé moult longuement
    Chevalier errant par le monde
    Et suis nommé entendement
    Mon nom est congneu plainement
    Des meilleurs de la table ronde
    Mais veant que ce n'est que une unde
    De mer de la vie incertaine
    J'ay fait de ce lieu mon demaine

    Mon pain est moulu de sobresse
    Mon vin trampé de bonne vie
    Mon repas se fait en liesse
    Suffisance est ma maistresse
    J'ay repos sans melencolie
    Ceans ne peut entrer envie
    Et s'appelle ceste maison
    La demourance de raison

    Droit cy veulx je vivre & morir
    Droit cy veulx je mes jours passer
    Querir dieu le monde fuyr
    Servir l'ame & le corps suyr
    Qui m'a fait trop plaisir aymer
    Riens ne m'est que peché amer
    Sy prie la vierge d'excellence
    Qu'elle me donne pascience

    La chevalerie ne desprise
    Ton nom ton cas & ton emprinse
    Riens ne voult que l'on se desguise
    Je voy & sçay tout que je y vise
    J'ay par memoire lotz en marche
    Ou que l'on tire ne ou que l'on marche
    Ou fortune douleur & raige
    Ont entreprins de faire raige

    Or t'ay de ton nom devisé
    ce que en veult maintenant dire
    Et sçay que tu as proposé
    Com hardy vaillant & osé
    De livrer ton corps a martire
    Devant ceulx que nulz de nature
    Ne peult en nulz aages passez
    Mais ont tous murtris & cassez

    Accidant est tousjours surbout
    Tout prest a cheval & armé
    Pour tuer & affoler tout
    Et debile tient l'autre bout
    Cruel sans mercy ne pitié
    Mais pour ung qui aura passé
    La ou debile prent sa rente
    Accidant en a tué trente

    Je t'ay declairé ton affaire
    Ton nom ton vouloir & ton cas
    Riens ny vault fouyr ne retraire
    Il te fault ton emprinse faire
    Va te presenter a ce pas
    Assez d'honneur tu conquerras
    Et feras oultrageusement
    Se tu vainq messire accidant

    Et affin que soyes plus digne
    De soustenir ceste adventure
    Toy donner ung dun je m'encline
    D'un glaive frere de regime
    En lieu de la lance rompue
    De ce pousse fier frappe & rue
    Car par ce tu rebouteras
    Accidant la ou tu vouldras

    Pource dois a ton reveillier
    Toy signer de la bonne main
    Priant a dieu vouloir veiller
    A ton bon ange travailler
    Pour toy en ce voyage humain
    Dont je prie le roy souverain
    Et luy rens grace de bon cueur
    Des biens dont il nous est donneur

    [Ainsi nous levasmes de table]
    Aprés graces a grant loysir
    Et trouvay mon hoste notable
    A son propos tant agreable
    Que g'y prenoye grant plaisir
    Il me dit vous yrés dormir
    Et demain je vous monstreray
    Toutes les reliques que j'ay

    Lors me mena pour moy loger
    En ung lieu paré a propos
    Sy gentement que a souhayter
    Il me fil couvrir & coucher
    Sur ung materat de repos
    Oncques mais si bon logis n'os
    Ne lieu de plus plaisant sesjour
    Sy m'en dormis jusques au jour

    Grant heure fut quant m'esveillay
    Et ouys sonner la clochette
    Pour quoy a haste me levay
    Me vestis & mes mains lavay
    Honteux par negligence faicte
    La messe trouvay toute preste
    Q'un cordelier de l'observance
    Chanta qu'on nomme obedience

    L'aube dont il eut revesture
    Estoit de bonne voulenté
    L'amyt fut tissu par mesure
    Le saint fut de chasteté pure
    L'estolle fut de charité
    Le manipule de loyaulté
    Et le chasuble par maistrie
    Fut pourtraicté de preudommie

    L'autel fut de bonne & vraye foy
    Et le calice de creance
    Les chauetes de bonne foy
    Et la lumiere quant a soy
    Fut de grace signifiance
    Le benoistier fut attrempance
    La cloche fut entendement
    Toute de bon enhortement

    Toutes les nappes des autelz
    Se monstroient par grant richesse
    Oncques n'en avoys veuz de telz
    De verité sont ouvragez
    Le messel estoit de prouesse
    Oncquesmais ne vis tel noblesse
    Ne lieu ou dieu fust mieulx servy
    Je le louay quant je le vy

    La paix fut faicte d'union
    Les chandeliers tous de concorde
    Le marbre de perfection
    Aussi de bonne intention
    Les verrieres quant le recorde
    Si furent de misericorde
    Par tout tresrichement paree
    La saincte chappelle sacree

    Apres la messe celebree
    Mon hoste qui eut adoré
    Devotement la matinee
    Me donna la bonne journee
    Et me enquist doulx & privé
    Comme j'auoye reposé
    Je luy dis bien & me louoye
    Du logis que par luy j'avoye

    Lors me dit il fault que je tienne
    Promesse d'ouvrir mon tresor
    Il m'est force que je tienne
    Et que des pieces me souvienne
    Qui ne sont ne d'argent ne d'or
    L'huys ouvryt qui fut de remort
    La clef fut desir de sçavoir
    Et la sarrure d'un miroir

    Ce lieu fut ung cloistre longuet
    Paré d'estranges pourtraictures
    Or pensez se je fis bon guet
    Pour sçavoir de ce lieu que c'est
    Et mieulx congnoistre les figures
    Entendement fist ces droictures
    Et me dist entens et appliques
    Et tu congnoistras mes reliques



Comment l'hermite entendement monstre ses reliques a l'acteur. Et luy
devise des oeuvres de messire accidant & de son pouoir.

[Illustration]

    Voyez sy le soc d'une charue
    Dont accidant abel occist
    Par cayn tout de sa main nue
    Et par une envie advenue
    Celluy premier la terre ouvrit
    Dont il fist mal & si meffist
    Car il meurdrit chacun le juge
    L'un des bons avant le deluge

    Ce pillier d'extre grosseur
    Est celluy que sanson ploya
    Dont il abatist par virgueur
    Le grant palays & sa haulteur
    Pour sa femme qu'on maria
    Il s'occist et moult en tua
    Ce fut accidant le terrible
    prouvé au teste de la bible

    Voyez cy chemise enfumee
    Dont dyamus si n'en peult mais
    Cuydant aymer & estre aymee
    Occist & brusla en la pree
    Le preux & vaillant hercules
    Accidant fist ses entremetz
    Lyre le pourrez en mains lieux
    En la nativité des dieux

    En cest estuy trouverez mys
    Les greffez de quoy fut tué
    Cesar par esperés amys
    Qui l'ont en leur senat occis:
    Par marveilleuse cruaulté
    Accidant a ce coup heurté
    Ces choses si nous sont certaines
    Selon les hystoires rommaines

    Ceste bouette te veulx monstrer
    Sans y advenir ou toucher
    Antipater la fist ouvrer
    A tenir poisons & porter
    Pour alixandre despeschier
    Accidant ouvra du mestier
    Et fut mort et empoisonné
    Du monde le plus ronommé

    Ce grant fust affin qu'on le voye
    C'est la lance dont archillés
    Tua le preux hector de troye
    Le plus a craindre dont on oye
    Le plus vaillant qui fut jamais
    Telz sont d'accidant les droitz metz
    De ce fait plaine mencion
    De troye la destruction

    De cest arc & traict bien aguz
    Fut occis & mys a la mort
    Achilles par ung grant mesuz
    Au devot temple de venus
    Par paris qui fist cest effort
    Accidant y besongna fort
    Et fist finer par sa rudesse
    Le plus vaillant qui fust de grece

    Celle espee qui la fait giste
    C'est celle dont mourut pompee
    Par le desloyal roy d'egypte
    Qui l'occist en lieu de merite
    Et luy a la teste couppee
    Accidant fut a celle armee
    Qui desfist le pillier & l'homme
    Soustenant du pillier de romme

    Voyez la l'aneau envenimé
    Ou print hanibal de cartaige
    Le fort venim dessaisonné
    Dont mesmes c'est emprisonné
    Avant qu'il eust tiers ne quart aage
    Accidant mesla ce bruvaige
    Dont mourut l'un des vaillans princes
    Qui oncques gouvernast provinces

    Voyes aprés le glaive tresfort
    Dont le roy marc de cornouaille
    Navra lachement a la mort
    Tristan dont il eut villain tort
    Et fut deshonneste bataille
    Accidant ne fist pas la faille
    D'occire l'ystoire le fonde
    L'un des bons chevalliers du monde

    De cest espieu trenchant & bon
    Fist occire comme traistresse
    Jadis le roy agamenon
    La femme du mauvais renon
    De son paillart par subtillesse
    Ce roy conduisoit hors de grece
    Et sa femme traistreusement
    Le fist mourir par accident

    De ce branc desir inhumain
    Occist mordrech remply de mal
    Le roy artus son souverain
    Et aussy messire gauvain
    Nompas comme ung hardy vassal
    Mais par ung aguet desloyal
    Dont accident fut conducteur
    Sur deux princes de grant valeur

    De badelere la bonté
    Fut ja oloferne le grant
    Par judich a la mort bouté
    Dont elle sauva la cité
    Et de l'arme & du tyrant
    Accident heurta bien avant
    Quant par la main d'une pucelle
    Mist amours en euvre mortelle

    De ce clou & de ce martel
    Occist jabel la femme honneste
    zizaran le tyrant cruel
    Ce coup fut divin & moult bel
    Quant ce clou luy mist en la teste
    Le peuple de dieu en fist feste
    Accident faisoit telz deluges
    Prouvez par livre des juges

    De ces deux glaves par excés
    Ce sont deux freres entre occis
    Pour ce que ja ethioclés
    Ne voulut rendre a polmicés
    Le regne qui luy eut promys
    Accident s'est au debat mys
    Les escriptures en sont plaines
    Es fais de thebes & d'athenes

    De cest aultre espieu remondin
    Tua son bon oncle fremont
    Cuidant ferir par le serin
    Ung sanglier qui livroit hutin
    En l'espés du boys & parfont
    Cest accident regreta moult
    Lyre le peulx je le t'assigne
    En l'advenement melusine

    Ce sanglier mist a la mort seure
    Le bel adous en sa jeunesse
    Qui de chasser print si grant cure
    Qu'il mist son corps a l'adventure
    Contre le conseil de la deesse
    La fist accident grant rudesse
    Car il deffit les amourettes
    Des dames selon les poetes

    De celle grant dague affilee
    Navra jacob & par embas
    Amazin en une accollee
    Dont il a la vie finee
    Ce fust bien le baiser judas
    La fist ung ort et villain cas
    Accident faisoit telz desroys
    Comme on lyt au livre des roys

    Ce cailleau celle fronde a latz
    Sont ceulx dont david par couraige
    Occist le geant goleas
    Qui de mal faire ne fut las
    Ne a luy ne a son lignaige
    Accident acheva ce gaige
    Qui se fiert par divers moyens
    Sur catholicques & payens

    De ce chevestre fut pendu
    Aman tant riche tant puissant
    Pour ce qu'il avoit pretendu
    A faire destruit & perdu
    Le peuple juif paravant
    Dont hester qui vertu eut tant
    Le fist d'accidant estrangler
    Et mardocheus honnorer

    Je n'eu pas vesité le quart
    De celluy qui fist a noter
    Que l'on nous dist qu'il estoit tart
    Si feismes de ce lieu depart
    Et me voult mon hoste emmener
    Entendement me fist muser
    Es reliques qu'il me monstra
    Ou ung tresmerveilleux monstre a

    Ainsi nous partismes tous deux
    Hors du cloistre de souvenance
    Ou je prins plaisir douloureus
    Ung appre soulas angoisseux
    Et ung delit en desplaisance
    C'est ung doubter en asseurance
    C'est une seurté incertaine
    Dont je ne fuz pas sans grant peine

    Touteffois moult marry je fuz
    Et beaucoup je le regretoye
    Que je ne veiz tout le surplus
    Et oultre je m'esbahys plus
    De ce que riens veu je n'avoye
    En ce cloistre dont je venoye
    Des fais de debile le fier
    Ce cas me faisoit merveillier

    Mais entendement me saoulla
    Me disant si a moy reviens
    Le surplus te demonstrera
    Et de debile on te dira
    Dont il fiert ne de quelz engins
    Ses bastons ne sont terriens
    Mais fait de foiblesse massue
    Dont mesmes le porteur se tue

    Ainsy ce propos nous laissasmes
    Sy prins mes armes & m'armay
    Des biens de leans desjunasmes
    Dismes a dieu nous embrassasmes
    Sa grant bonté luy merciay
    Promettre me fist & fait l'ay
    Que par la refferoy passaige
    Se je reschappe du voyage

    Lors j'ay ma lance demandee
    Aprés que je fus a cheval
    Que le preudomme m'eut donnee
    De regime bien ordonné
    Contre la force de tout mal
    Sy prins mon chemin par ung val
    Qui se tiroit en une lande
    Qui me sembloit estre bien grande

    Ceste lande que j'ay nommee
    Rappelloit en vulgal le temps
    Combien qu'elle fust grande & lee
    Si est elle tantost passee
    Quant plaisir y est sur les rens
    On y court comme font les vens
    La j'aperceu pour abregier
    Que temps se passe de legier

    Mon cheval qu'on nomme vouloir
    Tiroit en ce lieu tant au frain
    Que je n'euz de tenir pouoir
    Que subit ne fusse pour voir
    Droit au milieu de beau plain
    La subit je voys tout plain
    Ung chevallier qui m'attendoit
    Et que combatre me failloit

    Il estoit armer de travail
    Et son cheval s'appelloit peine
    Son escu paroit au ciel
    Paint de veiller & de sommeil
    Si caduc qu'on le veit a peine
    Sa cotte fut de souffrir peine
    Et sembloit a le voir sans faille
    Qu'il venist d'une grant bataille

    J'eusse voulentiers regardé
    La contance de partie
    Mais possible ne m'a esté
    Semblant que fusse destinee
    D'esprouver sa chevallerie
    Je couchay il ne faillyt mye
    Et telz heurtasme noz escuz
    Que tous deux fusmes abatuz

    Et luy qui fut bon chevallier
    Saillyt sus sans faire demeure
    Si feiz je de l'autre quartier
    Il empoigne son branc d'assier
    Pour moy fierement courrir seure
    Ma lance que je congneuz seure
    De regime qu'on me fist prendre
    Mis en mes mains pour me deffendre

    Aprés son escu prent & joint
    Pour moy assommer & confondre
    Je le reboute par tel point
    Deux ou trois foys sy bien appoint
    Qu'il trouva bien a qui respondre
    Vaillamment me savoit respondre
    Et de ma part me defendoye
    Le mieulx que faire lo pouoye

    Mais il me rassailloit tousjours
    Et me donnoit de son espee
    Qui fut faicte de trop de jours
    De si grans coups & de si lours
    Que j'en eu la teste estonnee
    Ma lance si fut tronçonnee
    Par la force de moy deffendre
    Et convint mon espee prendre

    Tant fut cest assault combatu
    Que nul de nous n'eust la pel seine
    Froissasmes haubert & escu
    Se l'un fiert l'autre l'a randu
    Chascun a vaincre met sa peine
    Dont pour reprendre nostre halaine
    Nous retirasmes d'un accord
    Et le vouloit bien le plus fort

    Quant j'euz mon halaine reprinse
    Je regarday mon adversaire
    Que je crains beaucoup & le prise
    Sy me mys ung peu en devise
    Disant vassal de grant affaire
    Je vous prie que vueillés tant faire
    Pour moy de vostre nom me dire
    Et je vous emprie beau sire

    Sy me dist d'asseuree voix
    Doulcement & de bon visaige
    Noble & suis yssu des roys
    Avant perceval le galloys
    Congneu par mon grant vasselage
    Sachez que nommé suis aage
    De renconter prest & commun
    Au milieu du tamps de chacun

    Nul ne peult le temps trespasser
    Qu'il ne passe par mes destroitz
    Tel ne scet l'aage nommer
    Qu'il ne me vouldroit pas trouver.
    Mais il abuse ses explois
    Par moy fault passer une foys
    Tel est le chemin des euurex
    Ou mourir jeune douleureux

    Et puis que tu es en mes mains
    Savoir te fault que je sçay faire
    Prisonnier te rendras du moins
    Je te deffye & ne te crains
    Deffens toy il t'est necessaire
    Il saulx avant sans moy retraire
    Et recommença nostre estour
    Le plus felon de tout le jour



Cy se combat l'acteur a l'encontre de aage Et quant l'acteur se rendit
prisonnier.

[Illustration]

    Mainteffois le glayve qu'il eut
    Me porta ce jour mains contraire
    Et puis regime rompu fut
    Qui mortellement me deceut
    Et me greva en cest affaire
    Car pour moy oultrer & deffaire
    Espour dont fut fait mon escu
    Me fut lors des poings abatu

    Quant aage me eut desarmé
    De mon bon escu d'esperance
    Il s'est du tout abandonné
    Pour ce qu'il me sentoit foulé
    Et affoibly en ma puissance
    Et ne voys autre recouvrance
    Pour eschapper de ce dangier
    Que de me rendre prisonnier

    Lors me rendiz rescoux ou non
    A aage par son grant vouloir
    Et luy promys foy & prison
    Asseurant de payer rançon
    De son desir a mon pouoir
    Doulcement me voult recevoir
    En prenant mon gantellet dextre
    Comme mon vaincueur & mon maistre

    Puis me dist qu'il me traicteroit
    En prison moult courtoisement
    Mais tenir foy me convenoit
    Et faire ce qu'il me diroit
    Sur peine de parjurement
    En commandant estroictement
    Plusieurs choses dont il me charge
    Qui ne m'est pas petite charge

    Premier en la terre amoureuse
    Ne te mesle point somme toute
    La est plaisance doloreuse
    Doulce savveur trop venimeuse
    Et n'a pas sens qui n'y fait doubte
    On m'y hait je n'y ayme goute
    Aage n'est plus en amour chier
    Pour ce te deffens ce quartier

    Et puis au val de mariage
    Ne vueille point que tu traverse
    C'est ung tresperilleux passaige
    Mal y sont venus gens de aage
    C'est terre pour toy trop diverse
    aussy ne veult que tu converse
    Plus es dances ny es carolles
    Dont tient oysance les escolles

    Aussy je te deffens les cours
    Des princes et des grant seigneurs
    La sont perilz & mains faulx tours
    Jeunes gens ilz quierent le cours
    Pour querir proffitz & honneurs
    Mais il en revient plusieurs
    Par la sente de mal vueillance
    Povres d'amys & de chevance

    En la forest de temps perdu
    Ne va plus mettre tes desduys
    Tu as trop longuement vescu
    Pour plus chasser a l'espardu
    En partes de jour & de nuyt
    Le lieu me desplaist & je y nuys
    a mettre a proffit ton temps veille
    En ce point aage te conseille

    Joustes/ tournoys/ jeu de traveil
    Te sont d'eux mesmes deffendus
    Tous les matins a ton resveil
    Penses & fais ton appareil
    affin que soient combatus
    Ceulx qui tant d'autre ont vaincus
    Ton corps pour avanturer en ce lieu
    Et garde l'ame pour ton dieu

    Or t'ay ordonné les limites
    Que je ne veulx point que tu passes
    A me croire beacoup proffites
    Du rebours tu te desherites
    Et pers de vertu la grace
    Si dis ne doubte que je face
    Riens contre ce que j'ay juré
    Mais tiendray foy & verité

    Puis me dit qui m'eslargissoit
    Affin de tenir ma promesse
    Et me conseilla et vouloit
    Que je prinse ma voye droite
    Parmy le desert de vieillesse
    C'est le chemin la seure adresse
    Selon la raison de nature
    Pour attandre mon adventure

    Chevaulx & armes me rendit
    De sa liberalle franchise
    Et en prenant congié me dit
    Je te donne pour ton proffit
    Ce gorgerin fait de tel guise
    Qui est meslé de barbe grise
    Faicte de nature si franche
    Que plus vivras plus sera blanche

    Doncques aage me donna
    Le present de barbe meslee
    Je partis & il demoura
    A garder ce don charge a
    C'est le temps en celle contree
    Ainsi j'ay la face tournee
    Vers viellesse qu'on veult fuyr
    Et si la devroit on querir

    Ainsi la montaigne montay
    Que l'on peult le my temps comprendre
    Mais certes la je desvallay
    Beacoup plus tost que je ne l'ay
    Plus poise monter que descendre
    Et me fallut tirer & tendre
    Contre vieillesse le desert
    Que chacun destruit & desert

    Mais je n'euz gaires cheminé
    Que droit a ung chemin croysé
    Me suis ainsi que oublié
    Hors de la voye destourné
    [Que aage m'avoit enseigné]
    Le santier que l'on nomme abus
    Si prins comme mal conseillé
    Ou plusieurs se tiennent abus

    Le chemin me sembla tout vert
    Et si estoit saison faillie
    Le pays bel & descouvert
    Fueilles & fleurs tout y appert
    Abus est restaurant de vie
    La je rentray en fantasie
    Des haulx plaisirs de mon jouvent
    Et oubliay le demourant

    Lors me ressaillit souvenance
    De tout mon jeune temps perdu
    Vieiliesse fut en oubliance
    Prison serment obligence
    Plus n'en fut en riens souvenu
    Il fut tout nouvel revenu
    Du temps certes que je cuidoye
    Avoir ce que je souhaitoye

    Armes/ armures/ chiens/ oyseaulx
    Tout fut submis a mon plaisir
    La fis en espaigne chasteaulx
    Et de chardons souvent chappeaulx
    Tout conquis sans riens retenir
    Abus me faisoit reverdir
    Et croire de moy l'impossible
    Par sa devoyance nuysible

    Je ne tins puis bride ne frain
    Mon cheval s'en alloit sa voye
    Plus ne vis montaigne ne plain
    Je fut du cuyder si tresplain
    Que je ne me recongnoissoye
    Ou je alloye je ne savoye
    Abus me macha celle oublye
    Ainsi chemine qui s'oublye

    Tant ay cheminé & arré
    Par la sente peu de prouffit
    Sans congnoistre que j'ay arré
    Que subit me suis embarré
    Ou plus bel lieu qu'oncques dieu fit
    La ung palais eut fait & fit
    Le plus bel qu'on pourroit choisir
    Et sembloit lieu pour non morir

    Les carneaux estoint d'or fin
    Flambans contre le soleil
    Les murs sont d'argent metallin
    Les fenestres de cristallin
    Et le comble dont m'esmerveil
    Fut couvert d'un ambre vermeil
    Qui rendoit clarté & lueur
    Si grant qu'on ne soit la valeur

    Les fenestres furent parees
    De dames et damoyselles
    Si tresrichement aornees
    Qu'oncquesmais ne furent trouvees
    En banquet ne festes plus belles
    Et pour entretenir icelles
    Mains gorgias & bien en point
    En ce lieu ne failloient point

    Trompettes menestriers sonnoient
    Sy hault que tout redondissoit
    L'un chantoit les autres dansoient
    En plusieurs lieux se deduisoient
    chascun du mieulx qui peut faisoit
    abus en ce lieu me tenoit
    Qui me sembloit se estre pouoye
    Que bonne adventure y auroye

    Si m'adressay vers le portier
    Que l'on nommoit abusion
    Et luy diz tresdoulx amy chier
    De palays si grant & si chier
    Qui n'a point de comparaison
    Vueillez moy nommer la maison
    Si me respondit a motz cours
    Que c'estoit le palays d'amours



Comment l'acteur c'est forvoyé et est venu devant le palays d'amours/ ou
desir vouloit qu'il entrast. Mais souvenir l'en destourna. Et de ses
adventures.

[Illustration]

    Lors me retire ung peu arriere
    Car d'amour je fus rebouté
    Mais desir vint a la barriere
    Qui me faisoit perdre maniere
    Et moy d'aller moult fort tempté
    Souvenir si m'a deschanter
    Qui m'escria que je faisoye
    Et si parjurer me vouloye

    Et me bouta devant mes yeulx
    Le mirouer des choses passees
    Ou je veiz aage le vieulx
    Qui me poursuyvoit en tous lieux
    Par la foy que luy eu juree
    Et si veiz toute figuree
    Ma barbe paincte de meslure
    Qui m'esbahyt a desmesure

    Desir si me print par la bride
    Me voult en amours remettre
    Mais souvenir si me dist ridez
    Fuiz ce lieu vieillart plain de ridez
    Il te fault une aultre commettre
    Jamais n'estudie tel lettre
    Cul & con te fault renoncier
    Car plus ne vaulx pour le mestier

    Quant j'euz bien pensé a mon cas
    Combien que me temptast desir
    Pour le mieux je ne le creu pas
    Mais luy dis tu m'excuseras
    Et me feras ung grant plaisir
    Si l'on me vouloit poursuyvir
    Pour estre d'amours retenu
    Si diz que tu ne m'as pas veu

    Et combien que desir mist peine
    De me rebouter en la nasse
    D'amours souvenir bien a peine
    Me revint en voye plus saine
    En m'eslongnant de celle place
    Abuz je laissay & sa trasse
    Et prins la sante bon advis
    Qui tost m'a en mon chemin mis

    Si diz a dieu amours & celle
    A qui mon service donnay
    Qui vouldra que je la decelle
    Des belles du monde est la belle
    Tant de vertuz ailleurs veu n'ay
    Elle valoit & je l'aymay
    Dieu scet a quelle fin tendoye
    Le celler point ne le pourroye

    En ce point je tournay le dos
    A amours & a sa sequelle
    Rentrant a mon premier propos
    Pour ce qu'en tout tenir luy volz
    Ma foy & sonner ma sequelle
    Et fut mon aventure telle
    Qu'en viellesse je me trouvay
    Trop plus tost que je ne cuiday

    Le chemin y estoit tremblant
    Et plain de parfondes ruelles
    L'eau fut bruyneuse & suyvant
    Rendant flair infect & puant
    La ne croist fruit que de misere
    La terre ne prouffitte guere
    Les rentes par toutes valeur
    Ne se payent que de langueurs

    Les arbres y sont tous steriles
    Et ne portent ne fleurs ne fruyt
    Les fueilles sont seiches & viles
    Les arbres y sont inutiles
    En ce que medicine instrir
    Brief c'est ung pays si destruyt
    Qu'il n'est vivre qu'on y congnoisse
    Fors seullement poires d'angoisse

    La sont fontaines d'amertumes
    Et ruisseaulx courans de souffrettes
    La ne rend point clarté la lune
    Le soleil n'y luyst ne alume
    La sont les tenebres apertes
    Regretz de biens & dures pertes
    Sont les piteux plains & les chants
    Qu'on y oyt par bois & et par champs

    Vieillesse est travaillant demaine
    Plus y siet on/ mains on repose
    En vieillesse n'a heure saine
    Maladie l'a en son regne
    Santé en est du tout forclose
    Lyesse la ne vient ne ose
    Par la dure melancolie
    Qui regne sur celle partie

    Pres de la en voye petite
    Si est une isle d'enfermeté
    Que l'en dit le lieu decrepite
    C'est une demeure mauldicte
    Plaine de grant adversité
    Je n'y ay pas encor esté
    Mais bien pres me voy de sentir
    L'air du lieu qui me fait fermir

    On ne va pas en decrepite
    Faire seulement demurance
    Car elle vient & si habite
    Dont le corps jusques en est quitte
    De l'ame qui vit en souffrance
    Vieillesse revient en enfance
    Par la douleur de ce martir
    Qu'on ne peult nombrer ne escripre

    J'entens bien que moult est a craindre
    De decrepite la demure
    Mais qu'il peult a ce attaindre
    Le grant purgatoire ce est maindre
    Se paciance la demeure
    Je prie a dieu ains que je meure
    Que la je face penitance
    Qui me soit a l'ame allegance

    Quand je me veiz en celle nasse
    De vieillesse la ou j'estoye
    Je ne choisy trou ne place
    Pour m'eslongner de celle trace
    S'en decrepite je n'entroy
    En ce point je m'entretenoye
    Le moins mal qui me fut possible
    En vieillesse tres terrible

    La congneuz des gens une mer
    Faire diverses mommeries
    L'un veult ses ans dissimuler
    Par soy de mistions laver
    Et raire ses barbes fleuries
    Autres faisoient par tromperies
    Taindre leurs cheveulx & parrucques
    Par aage blanches & caduques

    Mais vieillesse ne peult mentir
    Ne mesconter a son pouoir
    Nature ne peult reverdir
    Tel meshain ne se peult guerir
    La ne vault charme ne savoir
    Et si n'est riens plus lait a veoir
    Que l'yssue de telz mysteres
    A remplir tous les cymiteres

    Or nous tairons de ce propos
    C'est langaige melancolique
    Je ne trouve sentiers ne trotz
    A mon yssir car je ne potz
    La me faillyt ma rethorique
    Je leuz en la leçons antique
    Vieillesse m'a print a souffrir
    Douleur qui ne pourroit guerir

    Si fais comme l'oysel qui chante
    Enclos en sa petite caige
    Combien que le cueur se lamente
    Pour la prison qui le tourmente
    Dont il quiert yssue & passaige
    Toutesfois il se ressouaige
    Et chante par le souvenir
    Qu'il a de son passé plaisir

    Aussy je me resjouyssoye
    En ma vieillesse ou je me vey
    Et en mes faitz passez pensoye
    L'un me fist dueil & l'autre joye
    Le temps ne fut pas tout uny
    A corps recreu & cueur failly
    Je visite celle contree
    Ou j'ay grant merveille trouvee

    Car en telle place sterile
    J'ay trouvé ung quartier de terre
    Le plus riche le plus fertile
    Le meillieur & le plus utile
    Qui soit d'icy en angleterre
    Plus plaisant lieu nul n'eust sceu querre
    La eut ung manoir en closture
    Qu'on appelloit bonne aventure

    Et peut a plusieurs gens sembler
    Qu'en vieillesse n'a point de joye
    Si a je le veulx bien monstrer
    Mais il fault en l'estude entrer
    Et apprendre par toute voye
    Comme se mourir ne devoye
    Et telle vie maintenir
    Que l'en veult selon dieu mourir

    Telle est la leçon de sagesse
    Tel est l'effect des vertueux
    Ce sont les moyens que viellesse
    Demande pour puor lyesse
    Ce sert aux jeunes & aux vieulx
    Rien n'est tant melancolieux
    Que faiz de peché & de blasme
    A cil qu'il approuche la lame

    Les murs de ce manoir petit
    Dont moult m'agreoit l'apparence
    Furent massonnes par delit
    Et qui moult ce lieu embellit
    Le portal fut plain de plaisance
    Les fossez pour plus d'asseurance
    Furent taillez parfondement
    De la main de bon pancement

    Le comble fut d'estudier
    Le fenestraige d'acquerir
    Et le pont fut de labourer
    La porte fut de souvenir
    Au dessus pour mieulx resplandir
    Et grans banieres de plaisir
    Qui faisoient a chacun entendre
    Que ce lieu fut fait pour aprandre

    Oyseuse si en fut bannye
    Labeur si ce nommoit portier
    La ne peut entrer villennye
    Mais on y veult bien jalousie
    Pour mieulx le temps emploier
    Le passe temps pour abreger
    De ce lieu se le veulx sçavoir
    N'est que d'aprendre & sçavoir

    Se euz desir de la entrer
    Et de congnoistre le demeure
    Il ne le fault pas demander
    Je laissay cheval pasturer
    Et vins au portier sans demeure
    Disant amy en la bonne heure
    Donnez moy ceans entree
    Pour congnoistre ceste contree

    Le portier me fut ung peu rude
    Et me dit ayés pascience
    Ce n'est pas icy une begude
    C'est le lieu qui s'appelle estude
    Le droit ennemy d'ignorance
    Sy est le tresor de science
    C'est la richesse de la terre
    Autre avoir ne deveroit on querre

    Ce lieu garde une princesse
    La plus belle que on peut veoir
    Dieu la fit par telle noblesse
    Que jamais ne perdra jeunesse
    Sans amaindrir ne main ne soir
    Mouvoir ne peut ne n'a point hoir
    Son nom est a chacun notoire
    Et appelle on franche memoire

    C'est tout le plaisir & soulas
    Qu'en vieillesse trouver se peut
    D'elle on ne peut estre las
    Qui ne la quiert il en dit las
    Et m'esmerveille se on la veult
    Celle la vouldra qu'elle ne veult
    Memoire c'est par adventure
    L'un des secretz de creature

    Vray est que nature le coffre
    Donne ou memoire se trouve
    Par l'ame qui vie acoffre
    Par porcion & se encoffre
    Pour quoy memoire naist & euvre
    C'est doncques l'ame qui requeuvre
    Qui dit fy ou nature cesse
    doncques dieu a fait ma maistresse

    Puisque ma maistresse est faicte
    De dieu le maistre des ouvraiges
    Sy digne chose cy parfaicte
    Doit estre acquise & atraie
    Et honoree par les saiges
    Et doit toucher en ces langaiges
    Homme qu'en vieillesse se treuve
    Quant de memoire y la requevre

    Et quoy qu'elle se tient muree
    C'est moy labeur qui l'ay trouvee
    Par l'estude que j'ay hantee
    J'en ay les clefz je l'ay gardee
    Nul sans vertu ne la verra
    Qui memoire veoir vouldra
    Apprendre fault & retenir
    Et ruminer le souvenir

    Mais affin que tu te conforte
    En la viellesse ou je te voy
    Qui est demeure dure & forte
    Ouvrir je te veulx ceste porte
    Va a ma dame je l'ottroy
    Labeur qui a pitié de moy
    M'a mis en ce noble chastel
    Qui valloit ung riche chastel

    Fresche memoire promptement
    M'a bonté & doulceur monstree
    Car elle me vint au devant
    Et me receut benignement
    Par bonne façon asseuree
    Elle c'estoit ce jour paree
    D'un drap figuré a penser
    Moult merveilleux a regarder

    Je vis au drap qui fut bien beau
    Entrelassé d'or & de soye
    Du vieulx testament & nouveau
    Et sur son chef eut ung chappeau
    Qui me plaisoit quant le veoye
    Une odeur que je sentoye
    Qu'il appelloit ramentevoir
    La se tient l'oyr & sçavoir

    Je luy priay par courtoysie
    Veoir ces livres de valeur
    Mais pourtant ne le fist il mye
    Et me dit que qui estudie
    Leans il soit duyt & asseur
    D'apprendre sa leçon par cueur
    Car memoire n'a autre livre
    Que tel qui souvent luy livre

    Peu proffite l'estudier
    A ceulx qui en vieillesse sont
    Mais se doyvent enseigner
    Penser et rememorer
    Ce qu'ilz ont aprins & veu ont
    Ces choses au cueur joye font
    Pource dis moy qu'il te plaira
    Et memoire te servira

    Quant j'ouyz la dame parler
    Si doulcement & par tel guise
    Je me prins a reconforter
    Disant je vous dois honnorer
    Quant par vous puis avoir aprise
    Pour parvenir a mon emprise
    Savoir ne veulx aultre science
    Car ou le grief gist le cueur pense

    Je cours je vois je m'achemine
    Contre la forest d'atropos
    Ce souvenir me print & myne
    Car il me fault ains que je fine
    Combatre pour abregier motz
    Contre deux chevaliers de l'ostz
    L'un d'eulx est messire accident
    L'autre debile le tirant

    Je demanday si par hystoires
    Par legendes ou par croniques
    Par escriptures ou memoires
    Ou par souvenirs transitoires
    Par subtilité ou practiques
    Est il rien mys en faitz antiques
    Des deux chevalliers si dessus
    S'ilz ont jamais esté vaincus

    Doncques nul ny prent avantaige
    Tant fust il de grant renommee
    J'ay en moy desir & couraige
    Que je feray mon personnaige
    Si bien a icelle meslee
    Que j'auray part a la journee
    Et que l'honneur m'en demourra
    Ou la charonne y demourra

    Quant fresche memoire entendit
    A quel fin tendre je vouloye
    Moult doulcement me respondit
    J'ay ouy ce que tu m'as dit
    Ou voulentiers conseil donroye
    De parler je t'abuseroye
    Mais a l'oeul je te monstreray
    Ce que j'entens & que j'en sçay



Cy monstre fresche memoire a l'acteur les sepultures des anciens
trespassez. Et par les escriptures voit ceulx qui ont esté desconfitz
par debile ou par accident. Et commence la tierce partie de ce livre.

[Illustration]

    Lors ouvre ung huys & va devant
    Et nous mist en une champaigne
    Qui fut a sa maison tenant
    Le plus plain pays & le plus grant
    Qui soit de paris en espaigne
    La n'avoit roche ne montaigne
    Chascun y peult choisir a l'ueil
    Du toutes pars & a son vueil

    Ce plain qui fut chose infinie
    Estoit paré de sepultures
    Chascune faicte & en tablie
    Diversement & par mestrie
    Tant d'ymages que d'escriptures
    Pour congnoistre les creatures
    Qu'accident avoit desconfiz
    Et par debile les occiz

    Lors me dist voy quelz drapperies
    Et note le pas de atropos
    Cy sont les charongnes pourries
    Des grans honnorez en leurs vies
    Consumez par chair & par os
    Sçavoir le nombre je ne potz
    Par art par sens ou retentive
    Car c'est chose trop excessive

    Au cimetere de memoire
    Trouveras & ne l'oublie mie
    Enfouyz par le territoire
    Ceulx dont la bible fait hystoire
    Exceptez enoc & helye
    Qui de la puissance infinie
    Et pour fournir ce qu'il doit estre
    Sont mys en paradis terrestre

    Les gens de quoy escript omere
    Sont posez en ce cymitere
    Tous ceulx dont recite valere
    Et de qui tulles rend mistere
    Et dont oroze fait matere
    Tous sont pourriz les corps en biere
    Tous en la terre transgloutiz
    Et prins comme a elle lotiz

    Accident fiert debile assomme
    Atropos leur livre la place
    Ilz n'espargnent femme ne homme
    Tous mettent affin c'est la somme
    La mort tousjours prent & enlace
    Et qui par nature se passe
    Et luy dessire son habit
    Dont elle a douleur & despit

    Ceulx qui firent ja les grans faitz
    En babilonne la cité
    Les clercs d'athenes tant parfaitz
    Les troyans dont on fait les laitz
    Et dont on a tant recité
    Chascun d'eulx a la mort cité
    Et les amazones armees
    Sont toutes a la mort livrrees

    Et tout l'ancien testament
    Peulx cy savoir voy cy le livre
    Mais pour goutter plus fermement
    Veez cy ou ceulx du temps present
    Sont mys pour les premiers ensuyvre
    Lys & retiens & si te mire
    Cy sont ceulx que mort oppressa
    Depuis l'an trentecinq en ça

    Lors me mist ainsi qu'a costiere
    Et veiz bien par les sepulcres
    Qui furent de neufve matiere
    D'aultre façon d'aultre mistere
    Les armoyries les figures
    Par les habitz & escriptures
    Que les mors ou je me trouvoye
    Furent du temps que je vivoye

    La eut epitaphes sans nombre
    Dont oncques n'en congneuz les corps
    Si m'en tais pour fuyr encombre
    Puis l'ame assista & fist umbre
    Et me monstra de plusieurs mors
    Les tumbes dont j'ay par recors
    Fresche memoire plus que assez
    De ceulx de mon temps mors & trespassez

    Ainsi entray en celle forge
    Dont atropos menoit l'ouvraige
    La veiz ung seigneur de saint george
    Que debile print par la gorge
    Et vinquit par son vaisselage
    Il fut tenu & grant & saige
    Entre tous ceulx de son quartier
    Mais il est mort pour abregier

    Je mys l'ueil sur ung empereur
    Filz de puissant roy de bahaigne
    Sigismond prince de valeur
    Hardy & vaillant deffenseur
    Du grant empire d'alemaigne
    Debile qui maint en meshaine
    La mort a batu & maté
    Maulgré empere & royaulté

    La je veiz de ligny le conte
    Que de luxembourg se nommoit
    Des vaillans fut dont on racompte
    D'accident oncques ne tint compte
    Et tousjours a luy combatoit
    Mais debile qui l'ettendoit
    Au pas pour en prendre vengence
    L'occist a petite deffence

    La gisoit ung portinglois
    Duc de conymbre filz de roy
    De grans vertuz en tous endroitz
    Prince vaillant saige & courtoys
    Plus renommé de luy ne voy
    Mais au milieu de son arroy
    Accident par mortelle envie
    L'occist & luy osta la vie

    Tout subit si gettay mon oeil
    Sur ung cercueil de pierre dure
    Ou gisoit mort loys du bueil
    Qui bien valoit qu'on en fist dueil
    Et qu'il fust plainst oultre mesure
    Accident par malle aventure
    Faisant armes le fist mourir
    Ou plus bel de son adventure

    Deux papes dessoubz ung tombel
    Je veiz la felix & eugene
    Ceulx firent ung cisme nouvel
    Chascun pour faire son plus bel
    Voult estre pape & avoir regne
    L'eglise en douleur & peine
    Mais debile les mist en terre
    Et fist la fin de telle guerre

    La veiz deux anglois capitaines
    Estre pourriz & consumez
    En france ont eu bruyt & grant regnes
    En guerre firent de grans peine
    Et furent doubtez & aymez
    Thaleboth & scalles oultrez
    Furent par accident tous deux
    Et furent ilz cent foys plus preux

    La fut que je regretay fort
    Par ces epitaphes escriptz
    Mis gilles de bre[taigne mort]
    Par accident qui luy fist tort
    Et pres de luy haultement veiz
    Par debile mort & occis
    Le duc arthus plain de vaillance
    Qui fut connestable de france

    La fut ung jacques de bourbon
    Roy de naples moult a priser
    Le monde ne luy sembla bon
    Si voua la religion
    Et fut observant cordelier
    Mais debile pour le monstrer
    Pour par royalle dignité
    Ne l'a de la mort respité

    Soubz une tombe de laton
    Trouvay ensevelliz deux corps
    Dont fut honneste l'edicion
    Cevely furent hyre & pothon
    Des bons guerroyers du temps lors
    Des mains de debile sont mors
    Maulgré leur bonne renommee
    Qui leur est aumoins demouree

    Ung sepulchre assez noble & riche
    Je trouvay sur ung allemant
    Ce fut le duc aubert d'ostriche
    Celluy ne fut aver ne chiche
    Mais prince treslarge & vaillant
    Accident luy vint au devant
    Qui l'occist par son vaisselage
    Se que l'en tint a grant dommaige

    En ce lieu cy ne failloit mye
    D'estre bien mengé de vermine
    Le roy lancelot de hongrie
    L'un des grans de la germanie
    D'estre ung empereur bon & digne
    Accident le print en haine
    Et l'occist par piteux exploitz
    Au grant diffame des pergois

    J'aperceuz ung chevallier bon
    Qui ja fut oultré par debile
    C'est le seigneur de varembon
    Et pres ung homme de renom
    Qu'accident meurdrist entre mille
    Ce fut le seigneur d'esmavile
    Devot vertueux & vaillant
    Son nom fut jacques de chaillant

    La gisoit soubz sepulchre hault
    Ung chevallier mort en ce plain
    Natif du pais de henault
    Dont le los retint qui moult vault
    C'est messire jacques de lalain
    Vingt & deux fois tout de sa main
    Arme ains trente ans acompliz
    Et l'a accident a mort mys

    Accident qui de vaincre soigne
    Avoit fait pourrir en ce pré
    Ung que je dois mettre en besoigne
    Cornille bastart de bourgoigne
    Chevallier preux & asseuré
    A son escu qui fut barré
    Parmy lyons & fleurs de lys
    Congneuz le chevallier de pris

    Boexe seigneur de la varenne
    Grant seneschal de normendie
    Gisoit mort en celle garenne
    Plat ou sablon & en l'arenne
    Comme la commune mesgnie
    La fut sa vaillance affoiblie
    Son sans & son plaisant parler
    Car accident le fist finer

    Je congneuz deux ducz de millan
    L'un fut philippes maria
    Mort & infect a son grant dam
    L'escripvain n'y eut pas mys l'an
    Et pres couchoit & reposa
    Celluy duc qui millan gaigna
    Le duc franusque duc d'escosse
    Debile les occist par force

    La veiz thibault de neuf chastel
    Ja de bourgoigne mareschal
    Son nom & tiltre furent bel
    Pieça n'eurent bourgoignons tel
    Car il estoit hardy vassal
    Chevallier fut preux & loyal
    Debile en fist la place nette
    Par la mort qui emporte sa debte

    De faulbourg le conte la gut
    Et trois freres de tholongon
    Chascun d'eulx homme vaillant fut
    Mais debile si les deceut
    Et les desconfist sans rançon
    Ceruant le chevallier de non
    En sens & proesse acomply
    Gisoit la mort ensevely

    Je rencontray en mon chemin
    Ung cercueil de grant artifice
    Ou fut le chancellier Rolin
    Son tiltre qui fut en latin
    Le monstroit parfait en justice
    Sumptueulx fut en edifice
    Hospitaulx & moustiers fonda
    Et puis par debile fina

    Ung grant prince devenu riens
    La gisant si non cendres & pouldres
    C'est le duc charles d'orliens
    Ou tant eut de bonté & de biens
    Qu'on ne le peut nombrer ne souldre
    Et aprés que dieu vueille absouldre
    Fut de dunoys le bon seigneur
    Des deux fut debile occiseur

    Croy conte de poursuan
    Mort ou les aultres ne trouvay
    Du bon duc fut du chamblan
    Son frere l'alloit poursuyvant
    Jehan jadis conte de chauvay
    Vertueux furent je le sçay
    Et chevaliers renommez
    Mais debile les a tuez

    Ung corps qui fut grant de haultesse
    Je congneuz la soudainement
    Le roy Alphons plain de proesse
    De grant estat & de largesse
    Et vault le ramantement
    Maulgré son ost & sa grant gent
    Debile prinst sur luy sa reste
    Ou plus fort de sa grant conqueste

    Je trouvay sautez charny
    Et mains de l'ordre de thoison
    Habourdin la vire crequi
    Molembaix bruneau & aussi
    De la lain messire symon
    Roys ducz contes a foison
    Tous mors sont en champ & en ville
    Par accident ou par debile

    La furent en la terre mys
    Deux hommes de grant apparence
    L'ung fut cosme de menicis
    Et jaques cueur ceulx ont acquis
    Et mys ensemble grant finance
    Mais n'y vault ne or ne chevance
    Debile qui tout vainc & tue
    Les assomma de sa massue

    Je mys l'ueul sur deux connestables
    Sainct pol & alvre de la lune
    Puissans furent & redoubtables
    Chevalleureux & honnorables
    Chascun eut part de sa fortune
    Accident leur monstra rancune
    Et les fit mourir et finer
    Au plus hault point de leur regner

    Valerain seigneur de morueil
    Gisoit par les lames piteuses
    Mort estandu en son cercueil
    Et auprés que oublier je ne vueil
    Touchoit le seigneur de saveuses
    Pour leurs oeuvres chevalleureuses
    Debile le tresgrant ouvrier
    Ne les voulut de mort espargnier

    Varonic qui tant eut de puissance
    Ja congneuz a la rouge croix
    Se feiz je le duc de clarence
    Accident les mist en oultrance
    Et occist deux nobles anglois
    Plus bas gisoit ung escossois
    Contre de glatz en pourriture
    Despeschié par telle adventure

    Vergy couches & brederodes
    Veiz gisans dessoubz les sentiers
    La congneuz a l'abit & modes
    Des grans du prince de rodes
    Mains bons & vaillans chevaliers
    De caleraues & de templiers
    Mont trouvay mors par accident
    Et par debile qui tout fent

    La gent des marches de turquie
    Ung bon chevallier de grant fait
    C'est le blanc de la volaquie
    Sur les turcs fist mainte saillye
    Moult de proesses y a fait
    Debile l'a du tout desfait
    Et abatu sans relever
    Celluy qu'on doit bien honnorer

    Charles duc de bourbon je veiz
    Par debile mort & maté
    Et pres de luy deux de ses filz
    Furent d'accident mors & pris
    Dont dommaige fut & pitié
    L'un fut de beau Jeu herité
    L'autre jacques qui fut puisné
    Chevallier de moult grant beaulté

    La veiz le prince d'antioche
    Qui eut des chippres l'eritiere
    Contre accident il ne tint coche
    Mais l'enfouyt tout d'une approche
    Au milieu de telle maniere
    Debile par aultre maniere
    Eut la mort de mortelle prince
    Loys qui fut d'orenge prince

    La gisoit mort sur ung pesac
    Ung grant prince ou j'allay le cours
    Si fut le conte d'armegnac
    Grant mal me fist a l'estomac
    Et me fist rendre plains & plours
    Aussi le bon duc de nemours
    Trouvay par accident finé
    Et en ce cymitere enterré

    La fut de sicile le roy
    D'onneur le droit fruyt & vray arbre
    Debile l'occist par derroy
    Et si veiz mort en ce terroy
    Gisans soubz ung tumbeau de marbre
    Deux de ses filz ducz de calabre
    Moult vertueux & renommez
    Par accident mors & tuez

    La gisoit ung roy d'angleterre
    Henry qui fut plain de simplesse
    Son escript monstroit a l'enquerre
    Qu'il ne fut pas homme de guerre
    Ne prince de grant hardiesse
    Il fut de tresroyal haultesse
    Mais accident qui tout desrune
    Luy donna trop malle fortune

    Je trouvay soubz grant apparence
    Gisant mort la noble personne
    De charles le grant roy de france
    Septiesme du nom d'excellence
    Qui moult esleva sa couronne
    Sa fin fut vertueuse & bonne
    Debile en fut le droit meurdrier
    Comme d'un simple chevallier

    Le duc de guyenne choisy
    Gisant tout mort en my la voye
    Par accident qui l'eut saisy
    Et de telle mort ou quasi
    Son nepveu le duc de savoye
    Le duc jehan que je regrettoye
    De cleves veiz la mort gesir
    Que debile avoit fait finer

    Tout hors du terroyr crestien
    Veiz qui tous aultres passa
    En tous triumphes sans moyen
    C'est ce turc & puissant payen
    Qui douze regnes subjuga
    Et deux empires conquesta
    Grant fut ce mahommet banny
    Mais debille l'a esbahy

    Se mathussalle devoye
    Qui vesquist plus de neuf cens ans
    Et plus que tousjours j'escripvoye
    Les mors qu'en ce lieu je trouvoye
    Si me seroit petit le temps
    Si prendront en gré les lisans
    Chascun en peult assez penser
    Et n'est besoing de leur nommer

    La veiz gesir dessoubz les lames
    Par nombre non a estimer
    En derrieres roynes & dames
    Duchesses contesses & femmes
    Tant qu'on ne les sçavoit nombrer
    Je me passe de les nommer
    Mais beaulté haulteur ne vertu
    Ne a contre la mort rien valu

    Les evesques & bonnommeaulx
    Les papes & simples convers
    Les mendians les cardinaulx
    Patriarches & peres chaulx
    Tous sont la gisant a l'enveres
    La mort les fait menger aux vers
    Et sont leurs os sy tressemblables
    Qu'ilz ne sont point recongnoissables

    Les empereurs & les coquins
    Les mecaniques & les roys
    Contes & ducs & gallopins
    Les bedeaulx & les eschevins
    Povres riches faulz & adroitz
    La mort a tout prins a la roys
    Et n'en lerra par ses cautelles
    Ung seul pour dire les nouvelles

    Les converses & les prieuses
    Les abbesses & les novisses
    Damoiselles devocieuses
    Mondaines & religieuses
    Possessans & sans benefices
    La mort en a fait sacrifices
    Toutes a prins toutes prendra
    Tout est pourry tout pourrira

    Et me dist pour tout reconfort
    Fresche memoire pour conclurre
    Tu voys les euvres de la mort
    Riens ny vault puissance ne fort
    Il te fault a cella reduire
    Le meilleur ou l'en te peult duyre
    C'est de memoire despescher
    Du scinderesse de peché

    C'est qu'elle dist c'estoit raison
    Combien que ce fut fort a faire
    Si rentrasmes en sa maison
    Ou il eut des biens a foison
    Pour nous desjuner & refaire
    La dame qui fut de bonnaire
    M'a sceust si bien arraisonner
    Qui valloit mieulx que le disner

    Les choses qu'elle me monstra
    Me firent penser a loisir
    Tout conclud ce mont s'en alla
    Ma dame quant est a cella
    Plus ne fault mon penser couvrir
    Adviengne qui peult advenir
    L'adventure veult approuver
    Qu'onques homs ne peult eschever

    Lors me dist & je le t'otroye
    Et si te menray celle voye
    Si demanda son palefroy
    Je le meneray & elle & moy
    Heureux fuz quant tel guyde avoye
    Plustost que dire ne savoye
    Tous d'eulx nous trouvasmes sans faille
    Ou devoit estre la bataille

    A l'approucher j'ouyz l'effroy
    Grant tourbe de gens & murmure
    Coups ferir comme a ung tournay
    Voulentiers fusse retournay
    Pour eviter telle adventure
    Ung perron devant la closture
    Trouvay a grans lettres dorees
    Ou j'ay telz parolles trouvees

    Cy fine le chemin mondain
    Cy fine la sante de vie
    Cy se fiert le plus inhumain
    Dont atropos juge soudain.
    A le pouoir & seigneurie
    Nul n'y entre qui ne desvie
    Deux champions a si tresfors
    Qu'ilz ont tous les ansestres mors

    Accident combat le premier
    Peu en attainct qui luy eschappe
    S'il fault/ lors vient le grant murdrier
    Debile prince d'encombrier
    Qui tost occist & tost attrappe
    Riens ne vault cuyrasse ne chappe
    Veez cy la mortelle adventure
    Ou prent fin toute creature

    Au perron ne feis demeuree
    Ains tiray vers les lices closes
    Pour ce que je y veiz assemblee
    Regardans debat ou meslee
    Ou aulcunes estranges choses
    La ne fuz minutes ne poses
    Que je veiz en son eschauffault
    Atropos seoir au plus hault

    Atropos d'un habit divers
    Fut paré d'estrange maniere
    Bendé de couleurs en travers
    Dentellé de terre & de vers
    Et seant en pompeuse chayere
    Contenance monstroit tresfiere
    Tenant ung dar de deffiance
    Contre tel qui guiere ny pense



Cy devise de la bataille faicte entre debile & le duc philippe de
bourgoigne. Et commence la quatriesme partie de ce livre.

[Illustration]

    Son mareschal fut cruaulté
    Qui me tint des lices l'ordonnance
    Son herault estoit voulenté
    Portant ung baston tout drappé
    De couleurs de mescongnoissance
    Son cheval estoit de doubtance
    Portant le sceau d'une soucye
    En telz armes nul ne s'y fie

    Les lices furent de douleurs
    Des mains de tristesse charpentees
    Le pavillon fut de clameurs
    Les bannieres furent de pleurs
    Au cousté l'appellant plantees
    Et les gardes de deux entrees
    Furent je ne l'oubliay mye
    Fielle despit & villainie

    Le pavillon du deffendeur
    Estoit tresrichement bordé
    De toute bonté & doulceur
    Les bannieres furent d'honneur
    Qui moult bien paroyent en ceste
    Le herault eut nom bien aymé
    Qui portoit blason de proesse
    Couronne d'entiere noblesse

    Voulenté en place sault
    Et fist crier parmy la lice
    Que nulz par signes bas ne hault
    N'avantaigeast en cest assault
    Sur peine que l'on le punisse
    Puis affin que l'on se fournisse
    Il cria laissez les aller
    Chascun pense de se monstrer

    Lors saillit de son pavillon
    Debile portant deux gisarmes
    L'une fut persecution
    Et l'autre consummation
    Pour le dernier coup & fait d'armes
    De sable sur sa cotte d'armes
    Qui fut pourtraict & figuré
    Ung homme mort & descharné

    Et pour fournir ceste besoigne
    Le deffendant sault d'aultre part
    Vestu de armes de bourgoigne
    Honneur le conduist & enseigne
    Et ne le laisse tost ne tart
    Ce fut celluy ou dieu a part
    Philippe duc qu'on ayma tant
    Le plus grant des ducz & vaillant

    Il tenoit en sa dextre main
    Une lance de bon advis
    En l'autre je veiz tout aplain
    Ung tergon tout paré & plain
    De loz de pouoir & d'amis
    Et pour le tout estre au vray mys
    Sa hache fut de fermeté
    Contre l'assault d'adversité

    Debile sembloit moult a craindre
    Et branloit ung dard de grevance
    Monstrant qu'il ne se veult pas faindre
    Et s'il peult sa partie attaindre
    Il est mort ou mys en oultrance
    Le bon duc demenoit sa lance
    Et sembloit bien ung chevalier
    Qui ne daigneroit desmarchier

    Ainsy marcherent fermement
    L'un sur l'autre les dessusditz
    Debile tout premierement
    Gettant son dard griefvement
    Et cuida avoir tout conquis
    Mais le duc qui estoit apris
    Comme ung asseuré champion
    Receut le coup a son tergon

    De ce coup le duc se deffit
    Monstrant chevalleureux devoir
    Son gect met avant & partist
    Si bien que peu qu'il ne deffist
    Debile qui monstroit pouoir
    Lors chascun se fist bien valoir
    Chascun vouloit estre vaincueur
    De la bataille & de l'honneur

    Le duc print son bec de faulcon
    Qui fut de fermeté cloué
    Et debile le tresfelon
    Frappa de persecution
    Grans coups tous plains d'enfermeté
    Chascun eut fiere voulenté
    L'un fiert l'autre rabat & maille
    En celle cruelle bataille

    Memoire monstroit esperance
    Que le duc vaincroit la journee
    Pour sa tresapre resistance
    Dont plusieurs foys fist apparence
    Contre accident en la meslee
    Mais debile par destinee
    Doubtoit pource qu'il fiert & blesse
    Des coups qui viennent de foiblesse

    Pour savoir d'armes le mestier
    S'apprendre on peult a ceste escolle
    Si l'assaillant est dur & fier
    Le deffendeur est a priser
    Se l'un meshaigne l'autre affolle
    Hardiment parmy le champ volle
    Pour rebaudir les champions
    Qui vault d'or trente millions

    Tant ont feru & tant maillé
    Chascun d'eux sans faire reprinse
    Que le plus sain fut meshaigné
    Foullé/ grevé/ & travaillé
    Et affoibly en mainte guyse
    Mais debile monstra maistrise
    Car d'un coup soudain d'un quaterre
    Mist mort le noble duc par terre

    Aussy fut le noble duc abatu
    Dont atropos la forcennee
    Pour ce noble prince vaincu
    Ne tint non plus que d'un festu
    Et ne luy fut q'une rosee
    Monstrant qu'elle est acoustumee
    Et prent son singulier plaisir
    A veoir gens finer & mourir

    Lors heraulx comme bien apris
    Prindrent ung drap texu de gloire
    Et l'ont sur le noble corps mys
    Et porté en terre & assiz
    Au saint lieu de digne memoire
    Ou l'on le trouvera encore
    Tant que le monde definera
    Ne jamais n'en departira.



Comment le duc charles de bourgoigne combatit messire accident.

[Illustration]

    A peine fut levé le corps
    Ou du moins au sepuschre mys
    Que j'ouys le bruyt par dehors
    De deux ostz trespuissans & fors
    Chascun paré de ses amys
    Accident le premier je veiz
    Qui sur le ranc se vint esbatre
    Monté & armé pour combatre

    Cheval & bride d'arrogance
    Son harnois trempé de courroux
    Maleur avoit ferré sa lance
    L'espee fut d'oultre cuidance
    Dont moins fut batu & escoux
    Et pour donner les rudes coups
    A son arçon pent une masse
    De fortune qui tout amasse

    D'aultre part sault ung bourgoignon
    Charles qui fut prince doubté
    Et ressembloit bien compaignon
    Qui vouloit avoir sa raison
    Au plus pres de sa voulenté
    Son cheval s'appelloit fierté
    Et fut armé entierement
    D'un harnois fait par hardement

    Sa lance fut de haulte emprinse
    Grant cueur luy donna son espee
    Le forgeur s'appelloit maistrise
    Sa dague se nommoit franchise
    Pour estre vaincueur de l'armee
    Quant j'euz sa façon regardee
    Vice je n'y peuz parcevoir
    Fors seullement de trop vouloir

    La n'eut tente ne pavillon
    Ou ses armes furent pendues
    Ce fut en l'ombre d'un buisson
    Sans bruit ne fut pas ne sans son
    L'assembler de ses deux venues
    Les lances qui furent agues
    Coucherent tous deux d'un desir
    Pour trop mieulx attindre & ferir

    Accident hurta par despit
    Sur le duc a toute puissance
    Trois fois son cheval abatit
    Dont pourtant ne fut desconfit
    Mais eut cueur de sa recouvrance
    Ainsi passa le cours de lances
    Qui ne fut pas a l'avantaige
    De ce duc ne de son bernaige

    Les espees furent saisies
    Pour mieulx assommer ce debat
    La monstra chascun ses envyes
    Le jeu ne touchoit que leurs vies
    En telz perilz est qui combat
    Ayde estremye ne rabat
    Ne peult a ce besoing servir
    En fin fault ou vaincre ou mourrir

    Le duc qui fut vaillant & fier
    Mist son corps a toute deffense
    Mais accident pour le dernier
    Empoigna son baston murdrier
    C'est la masse de mal vueillance
    Que fortune par excellence
    Luy donna pour ceulx desmonter
    Qui se veullent hault eslever

    Le duc accident rebouta
    Jusques fortune vint en place
    Dont accident tel coup donna
    Que mort a terre tresbucha
    Le duc a qui dieu pardon face
    De ce maleur je me soulasse
    Qu'il mourut pour non faire faille
    Dedans le champ de la bataille

    Se la guerre fust a louer
    Par ung honnorable exercite
    Gensdarmes bien devez plorer
    Plaindre gemir & lamenter
    Le duc charles dont je m'aquitte
    Et m'est confort que je recite
    Que mon maistre ne fust vaincu
    Par nul homme qui l'ait valu

    Mais fortune tient en ses mains
    Par la tresdivine puissance
    Tous les affaires des humains
    Tant des mauvais comme des sains
    A son plaisir on fiert & lance
    Car du ciel ne de l'influance
    De quoy parle aristobolez
    Nous n'en savons que par les faitz

    Quant on a des bien a planté
    Et que le tout vient a plaisir
    On se dit de bonne heure né
    Et que l'homme est bien destiné
    Car il a tout a son desir
    Mais s'il est povre au definer
    Ou diffamé aucunement
    On en juge tout aultrement

    Dont qui veult son mal destourner
    Selon la divine doctrine
    Il nous fault noz cueurs retourner
    Vers celluy qui tout fait tourner
    Qui la lune croist & decline
    C'est cil comme dit le proline
    Qui au secret de ses ydees
    Se joue de noz destinees

    Ainsy eut accident victoire
    Sur ce prince fier & puissant
    Il vivra en noble memoire
    Et sera nommé en hystoire
    Le duc charles le tresvaillant
    De luy nous cesserons a tant
    Et reviendrons par pons & pas
    A ce qui advint en ce pas

    Accident se voulut arrester
    Pour attaindre nouvelle proye
    Et se fist de nouvel armer
    D'un harnoys fait de deseper
    Affin que de loing on le voye
    Aprés se tint en my la voye
    A tout ung glayve de mesure
    Que l'on nommoit malaventure

    Ung poingnart met a son costé
    Fait de soudaine maladie
    Mains en a occis & tué
    Et pour avoir le champ oultré
    Et plus tost vaincre sa partie
    De secrete melancolie
    Avoit une dague affillee
    Qui mainte personne a tuee

    La estoient menestrelz clerons
    Harpes tabourins & vielles
    Orgues & manicordions
    Faisans aubades & grans sons
    Tout triumphoit au som d'icelles
    Chascun couroit a ces nouvelles
    Chascun demandoit que c'estoit
    Car la matiere le valloit

    La veiz venir une lictiere
    De deux licornes soustenue
    Dont l'une fut bonté entiere
    Et l'autre fut doulce maniere
    La plus qui fut oncques congneue
    Toute d'or se monstroit a veue
    La lictiere & le parement
    Qui cousta merveilleusement

    Les deux licornes par le frain
    Quattre grans princes demonstroient
    Fleur de jours fut le premerain
    Au bon renom qui n'est pas vain
    Ces deux la premiere memoire
    Les aultres deux qui suyvoient
    L'un fut noble cueur sans envie
    Et desdain contre villainie

    Apres suyvoit grant baronnie
    De dames a grant quantité
    Chascun triumphoit a l'envie
    Moult fut belle la compaignie
    Et de richesse & de beaulté
    Or est temps d'avoir raconté
    De la lictiere le droit veoir
    Qui vault bien le rementevoir



Comment accident combatit la duchesse d'ostriche/ et elle vaincue
l'acteur se voulut presenter pour faire son devoir Et comment atropos
l'envoya contremander par respit son herault

[Illustration]

    La seoit en magnificence
    Une princesse toute armee
    Qui venoit pour prendre vengence
    Du grief & de la desplaisance
    Que ce pas luy avoit donné
    Celle sembloit panthasillee
    Qui vint la mort de hector vengier
    Mais elle le compara chier

    Son harnoys fut fat de plaisir
    Et luy donna bonne pensee
    Son bassinet pour garentir
    Tout ce qui pouvoit survenir
    A l'assault de celle meslee
    Elle eut une trenchant espee
    Nommee desir de bien faire
    Pour mieulx grever son adversaire

    Ung gavelot eut pour getter
    Qui se nommoit plaisant racueil
    Et le tergon pour soy garder
    S'appelloit loyaument aymer
    Sans changer ne de cueur ne dueil
    Et puis que oublier je ne vueil
    Sa cotte d'armes j'apperceuz
    Plaine de cent mille vertus

    La dame de son bon gré sault
    Preste d'accident rencontrer
    Et fist publier au plus hault
    Par loyaulté son bon herault
    Veez cy qui se vient presenter
    Au jour qu'on luy fist assigner
    C'est d'ostriche la vraye duchesse
    Qui veult tenir foy & promesse

    Quant accident veit sa partie
    En telle beaulté & valeur
    S'il eut peur je n'en doubte mye
    Doubtant son emprinse faillye
    Et qu'il n'en saillist a honneur
    Je veit grant pouoir & hault cueur
    En vingtz & quattre ans seullement
    Cela l'esbahit durement

    Mais forcené son conseillier
    Luy dist te fauldra le couraige
    Jeune arbre peult on bien ployer
    Jeunesse se peult esmayer
    Par fermeté & par usaige
    Et si trouveras par usaige
    Que qui l'assault de maladie
    Morte est tost qui n'y remedie

    Accident honteux sault avant
    Comme cil que despit argue
    La dame luy vint au devant
    Lors la navra soudainement
    D'un gect de fievres continue
    De coup l'avons nous perdue
    Helas de bourgoigne marie
    Qui laissa mainte ame marrie

    Accident cruel & felon
    Par ce meurdre desordonné
    a robbé le palladion
    Le fort la benediction
    Soubz qui la bourgoigne a regné
    Ce nom est failly & finé
    Au trespas de la bonne dame
    Je prie a dieu qu'il en ait l'ame

    C'estoit pour nous le troyllus
    Dont troye fut reconfortee
    Qui les troyans a soustenuz
    En couraige & en grans vertus
    Plus hector en longue duree
    Car celle nous fust demouree
    En nous estoit de soustenir
    Ce qui nous pouoit advenir

    O vous qui ce livre lisez
    Pensez bien a ceste adventure
    En ce beau mirouer vous mirez
    Car ce trespas vous passerez
    Beaulté deviendra pourriture
    La mort guerroye de nature
    A charger & mener affin
    Son ennemy & son affin

    Et peult chascun lisant entendre
    Que ce m'est desplaisance dure
    De veoir mors & en terre estendre
    Iceulx trois a qui je dois rendre
    Amour foy hommaige & droicture
    Car soubz eulx j'ay prins nourriture
    Ilz m'ont nourry & eslevé
    Qui ne doit pas estre oublié

    Quant je veiz la bataille oultré
    De ceulx a qui subget je fuz
    J'ay toute crainte despitee
    Sy ay ma visiere baissee
    Com cil qui ne veult vivre plus
    Sans craindre qui me coure sus
    A chascun en donnay le chois
    Qu'a tous deux a une foys

    Fresche memoire me disoit
    Qu'a dieu je me recommandasse
    Chascun ne fait pas ce qu'il doit
    Car qui sent le cueur en destroit
    La reigle de raison tout passe
    Sy me mys en renc & en place
    Pour l'assault d'accident souffrir
    Ou debile s'il veult venir

    Mais il vint ung herault petit
    Qui portoit ung blason d'attente
    Son nom fut en arme respit
    Doulcement me parla & dist
    Amys donnés a moy entente
    Atropos qui droit cy regente
    Vous mende que vous departez
    Jusques a ce que mandé soyez

    Respit qui n'est pas des plus grans
    Me fist departir & retraire
    Car atropos en celluy temps
    Avoit assez de combatans
    Et me fault sa voulenté faire
    Fresche memoire de bonnaire
    Que tant je trouve amoureuse
    Se monstra de ce mot joyeuse



Comment freche memoire ramaine l'acteur en sa maison & luy devise en
chemin de ses nouvelles.

[Illustration]

    Et conclud qu'il me meneroit
    Au lieu ou trouvé je l'avoye
    Et qu'entendement m'aideroit
    Qui moult bien me conseilleroit
    Pour les armes que aprins avoye
    Ainsy nous maismes a la voye
    Pour aller en sa demourance
    Par le doulx chemin d'allegance

    Memoire qui me veit muser
    M'entretint de beaulx ditz & comptes
    Moult bien luy seoit le parler
    Le chemin me fist oublier
    Et me dist entre ses racomptes
    Je sçay roys ducz barons & contes
    Sepulturez nouvellement
    Depuis nostre departement

    Loys filz du duc de bourbon
    Evesque du liege tant digne
    Conte du loz duc de buillon
    Du royal sang prince tant bon
    Qui de parens eut une mine
    Accident qui la vie mine
    L'a n'a gueres mort & tué
    Au fort de sa meilleur cité

    Le conte de chunay tant saige
    Tant plaisant & tant estimé
    Tant agreable personnaige
    Tant de vertuz eut en partaige
    Que de chascun fut desiré
    Accident l'a mort & maté
    D'une fievre soudainement
    Avant qu'on sceust savoir comment

    De luxembourg le conte pierre
    Qui six foys conte se nommoit
    Accident luy a fait la guerre
    Et alla debile requerre
    Car jeune matiere vouloit
    Ces deux l'ont mys en tel destroit
    Par maladie decrepite
    Qu'ilz en ont fait le monde [quitte]

    Edouart le bel roy angloys
    Chevallereux & renommé
    Qui fut estimé des francoys
    En crainte tint les escossois
    En son royaulme redoubté
    Accident l'a a mort bouté
    Subit d'une fievre soudaine
    Comme du traict d'une dardaine

    Phebus jeune roy de navarre
    Qui chascun si fort estimoit
    Accident qui trop voult conquerre
    A rompu comme ung petit voyrre
    Sa vie qui tant florissoit
    L'un deffait & l'autre deçoit
    Et a le dard si tres a dextre
    Que nul n'en sceut oncques seur estre

    Michiel de berghuez tant vaillant
    En jeunes jours plain de prudence
    De cent ans ne cent devant
    Tel chevallier n'eut en brebant
    Pour garde vertu & vaillance
    Accident a rompu sa chance
    L'an de sa vie vingt & six
    En combatant pour son pays

    Ainsy memoire m'entretient
    De motz saiges & a planté
    Et me fist comptes plus de vingt
    Qui valoient qui bien en souvint
    Et que chascun soit bien noté
    Subit trouvasmes son hosté
    Ou nous fusmes bien recueilliz
    Logez a souhait & serviz

    Memoire promptement manda
    Le bon hermite souverain
    Entendement qui ne tarda
    Mais fist ce qu'elle commanda
    Et vint comme prompt & soudain
    Avant le jour le lendemain
    C'est cil ou l'en peult conseil prendre
    De tout ce que l'en veult comprendre

    Dont me fut donné par conseil
    Entendement que moult j'aymay
    Jamais je ne veiz son pareil
    Pour donner de confort resveil
    Plus prudent nulle part ne sçay
    Et au grant affaire que j'ay
    Je croy que dieu si le m'envoye
    Pour le reconfort de ma joye



Comment entendement enseigne l'acteur a se conduire en fait d'armes Et
comment il se doit armer & parer

Et commence la cinquiesme & derniere partie de ce livre.

[Illustration]

    La s'assist sur une chayere
    Le preudhomme devant mon lyt
    Son parler sa belle maniere
    Je l'eu tant agreable & chiere
    Que je n'euz oncque tel delit
    Entendement commence & lyt
    Leçon ou l'en peult moult apprendre
    Qui le veult ouyr et entendre

    Amys qui veult en lice entrer
    Qui est bataille perilleuse
    Tout premier il doit bien penser
    S'il a corps pour le fait porter
    Contre sa partie hayneuse
    C'est une esprouve tresdoubteuse
    Tempter dieu/ est deffendu
    Par le saint canon de vertu

    Bien est vray qui est assailly
    Et de son droit fort oppressé
    L'on tiendroit celluy pour failly
    Lasche recreu & deffailly
    Si le gaige n'estoit levé
    S'aultrement il n'estoit prouvé
    Sur ce moult belle usance tint
    Le saige roy charles le quint

    Mais ton fait c'est ung aultre chose
    C'est une batalle commune
    A la fois fait en lice close
    Ou selon qu'atropos propose
    En plain champ sans closture aucune
    Soit en plain jour ou a la lune
    Riens n'y vault respit ny attente
    Payer fault a la mort sa rente

    Puis que c'est ung faire le fault
    Et que le jour brief tu attens
    Pour doubte qu'il ny ait deffault
    Preparer & armer te fault
    Sans prendre jour ne nuyt ne temps
    D'estre bien armé tu pretens
    Il te fault avoir repentir
    L'armurier de divin desir

    Pieces si souldees te fera
    De tel art & de tel trempeur
    Que vice n'y attachera
    Ne jamais peché n'y prendra
    Pour faire sur ton corps greveure
    Ung harnois te fault de mesure
    Fait d'assier de ferme propos
    D'aymer dieu pour vivre a repos

    De force pren tes brasselletz
    Que l'on dit magnanimité
    Et pour estre pompt en telz faitz
    Avoir te convient gantelz
    De charitable voulenté
    D'un bassinet soyez armé
    Fait des mains de dame attrempance
    Qui vault plus que l'homme ne pense

    Cuissotz & braconnier de malla
    Te fault de chasteté parfaicte
    Et affin que l'homme mieulx vaille
    Avoir te fault & n'y fay faille
    Grenes de tresbon labeur faite
    Et pour faire chemin & traicte
    Solerez te fault une paire
    De diligence de bien faire

    Tu te doibs couvrir & parer
    De tes armes escartellees
    Qui vallent qu'on les doit porter
    Celles sont a les blasonner
    De foy & de bonnes pensees
    Et si doivent estre drappees
    Pour monstrer seigneurie acquise
    Du saint baptesme de l'eglise

    Or es tu armé & paré
    Comme a champion apartient
    Mais pour plus estre redoubté
    Il te fault estre embastonné
    Ainsi te fault & le convient
    Il ne pert pas temps qui retient
    Les bastons te pense bailler
    Dont tu as le plus grant mestier

    Entendre te fault & savoir
    Que qui combat de bon couraige
    Il a faculté & pouoir
    D'estre a pié ou cheval avoir
    Chascun selon son avantaige
    Mais pour commun droit & usaige
    Combatre a pié est plus honneste
    Que soy fier en une beste

    Et si peult telz bastons porter
    Chascun comme il a de plaisir
    Gysarmes ou marteaulx de fer
    Haches & lances pour bouter
    Ou de guet lancer ou ferir
    Ainsi te peult a choiz garnir
    Si prens bastons de tel valeur
    Que mieulx en vaille ton honneur

    Celle franchise signifie
    Et se doit en ce point noter
    Que dieu par bonté infinie
    Nous a donné avec la vie
    Le franc arbitre de regner
    Et pouons venir & aller
    Par la voye de sauvement
    Ou le sentier de dampnement

    Quant a ce que conseil je donne
    En cheval ne prendre asseurance
    Il s'entend que nulle personne
    Soit d'aulcun bien fait ou aulmosne
    Ne doyt prendre en aultruy fiance
    Chascun pour soy si songe & panse
    Esperant que les heritiers
    L'oublieront assez voulentiers

    Tu peulx demander advoué
    Pour tenir pour toy lieu place
    C'est le saint baptesme voué
    Qui ne soit pas desavoué
    Pour quelque chose que l'en face
    C'est cil qui esbahit la face
    De l'ennemy entierement
    En faisant vivre seurement

    Et puis pour tes armes fournir
    Tu prendras lances pour getter
    Ferrees de devot desir
    Le fust sera de souvenir
    De la mort que dieu veult porter
    Et si fais une dague ouvrer
    Tel qu'el morde bien & picque
    De la saincte foy catholique

    Or as la lance en la main dextre
    Pour injure a l'ennemy faire
    Targer te fault en la senestre
    Pour plus seur de ta personne estre
    Qui sera de bon exemplaire
    Et fault & est necessaire
    L'espee trenchant de justice
    Celle te sera moult propice

    Or n'a plus qu'attendre a targer
    Au temps pour faire les apprestes
    Repentir sera l'armeurier
    Fais luy diligemment forgier
    Tes pieces pour estre plus prestes
    N'espargne avoir contant ne debtes
    Prens en soing ce n'est pour moy
    Car nul ne combatra pour toy

    En ce point me sollicitoit
    Entendement par la raison
    Et mes apprestres conseilloit
    Comme celluy qui moult doubtoit
    De perdre le temps & saison
    Et me dist par comparaison
    Le surplus a le double entendre
    Car il fault s'armer & deffendre

    Je luy demanday plus avant
    Or sont mes pieces ordonnees
    Mon harnois & mon parement
    Tout se fait ordonnement
    Mes besongnes sont preparees
    A quoy convient temps & journees
    Car tout n'est forgé a ung jour
    Que dois je plus faire en ce jour

    Entendement me respondit
    Amys tu fais demande bonne
    Ce n'est pas tout que de l'abit
    Il fault labourer a prouffit
    Pour la santé de ta personne
    Si te conseille & le t'ordonne
    Que tu rendes travail & peine
    D'estre legier & en alaine

    Tu te dois le matin lever
    Et estouper & nez & bouche
    Courir montaiges & ramper
    Pour menger & beaucoup jusner
    Peu dormir sur luy & fut couche
    Estre chaste ce point te touche
    Fouyr venimeuse pensee
    Et avoir la langue attrempee

    Et dois ung haubergon d'assier
    Pesant trente livres porter
    Tes soles de plomb renforcer
    Affin que soyes plus legier
    Au harnois que tu doibs armer
    Et dois ung gros baston plomber
    Pesant maniere & tenir
    Pour plus delivre devenir

    Souvent tu te dois esprouver
    A gens fors subtilz & puissans
    Pour soustenir & rebouter
    Tout ce qui te pourroit grever
    Et pourvoir aux accidens
    Telz assaiz sont asseuremens
    Contre le froit qui pourroit poindre
    Quant on doit son ennemy joingdre

    Telles doctrines & aprises
    Ne sont pas sans raison fondees
    Mais sont par experimens prises
    Et par necessité requises
    Pour les doubtes estre portees
    Et sont figures figurees
    A entendre legierement
    Pour prendre bon gouvernement

    Estouper la bouche & le nez
    S'entent que l'en ne doit sentir
    Ou goutter nulles vanitez
    Mais fouyr les mondanitez
    Qui veult a victoire venir
    Et le pesant haubert vestir
    Nous donne la signifiance
    De porter faiz de penitence

    Et devons courre au confesseur
    Par trescontrite voulenté
    Pour nous mondifier le cueur
    De tout peché de tout erreur
    Et que riens ne soit oublié
    Et ce qui sera ordonné
    Pour la penitence estre faicte
    Soit brief par bon espoir parfaicte

    Les assaulx & les appertises
    Qui se font pour toy adresser
    Ce sont les devotes aprises
    Qui sont pour batailles requises
    Contre le souldaier d'enfer
    Doncques dois tu continuer
    A macter la chair perilleuse
    Par mener voye vertueuse

    Tu ne doibs sans bon conseil estre
    C'est adire clercz & docteurs
    Qui sont fondez comme on doit estre
    En foy & en la saincte lettre
    Venans des saintz & des acteurs
    Telz sont les saiges confesseurs
    La peult on apprendre science
    Pour deffendre la conscience

    Se tu peulx ma leçon comprendre
    Mettre en euvre & l'executer
    Tu digne pour l'art apprendre
    Pour la grant cité de dieu prendre
    Et pour les sains cieulx escheller
    Pour lucifer vaincre & mater
    En gaignant s'ainsy te conduys
    Le hault siege de paradis

    Sire diz je moult grant confort
    Me donnez & qui bien m'agree
    Mais maintenant vient le plus fort
    Et qui moult me point & me mort
    En souvenance redoubtee
    Quant j'auray fait au champ entree
    Comme me dois je gouverner
    Le point vault bien le demander

    Ta question est bien causee
    Et demande par ton advis
    Car sur toy seul tumbe l'armee
    Tu n'auras nulz a ta souldee
    Qui pour toy voulsist estre mys
    La faillent parens & amys
    Confort tu n'auras en tes faiz
    Fors seullement de tes biens faiz

    Avoir te fault ung pavillon
    Qui soit mys en veable lieu
    Ung escu par devocion
    Ou soit la presentacion
    De la vierge mere de dieu
    Ainsy te monstreras en lieu
    Comme champion de haulteur
    Qui combat pour le createur

    Et pour entrer en telz destroiz
    Il te fault une bannerolle
    Qui sera faicte de la croix
    Pour te servir deux fois ou trois
    Contre charme sort ou parolle
    Aprens & retiens mon escolle
    Et je t'asseure par moy croire
    D'avoir ta part de la victoire

    Foy & moy a te faire adresse
    Requerras pour te conseiller
    Nous deux te tiendrons en proesse
    En ferme cueur & en haultesse
    Sur tous nous te pouons aider
    Ung siege pour te soulagier
    Et reposer t'est necessaire
    Qui soit paré de satisfaire

    Et present en faisant serment
    Sur le messel & sur le livre
    Jure que volentierement
    Tu as prins le baptisement
    Pour chrestien mourir & vivre
    Et que ton corps presante & livre
    Pour soustenir ceste droicture
    Contre l'ennemy de nature

    Car ta partie jurera
    Et vouldra soustenir en somme
    Qu'adam que premier dieu fourma
    A la mort tous nous obligea
    Par la morsure de la pomme
    Et que le filz de dieu comme homme
    Mesmes en paya le peage
    Pour racheter l'humain lignaige

    Tu orras crier & deffendre
    par les quatre coings du champs clos
    Que nulz sur paine de mesprendre
    Sur doubte de la vie de offendre
    A la voulenté de atropos
    Par signes parolles ou motz
    Ne donnent part ne avantaige
    A ceulx qui combatent ce gaige

    Puis qu'il fault que sur ce responde
    Les apostres n'ont ilz presché
    Par les quatre pars de ce monde
    Que nul ne s'attende ou se fonde
    D'estre franchement despeché
    Par aultruy main de son peché
    Et que chascun pour son plus beau
    Prendra le faitz de son fardeau

    Garde toy bien & je le vueil
    Quant pour combatre marcheras
    Que tu n'ayes soleil a l'ueil
    De tresgrant destourbier & dueil
    Par ce faire te garderas
    C'est adire que ne mettras
    Le soleil de divine essence
    Contre toy pour luy faire offence

    Le juge tu honnoreras
    En obeissant entierement
    Ce dieu a qui tu te rendras
    Et ses commandemens tiendras
    En croyant en luy fermement
    La est le seur affermement
    Celluy te tiendra en seurté
    En contre toute adversité

    Et se tu te trouves surprins
    Ou en effroy comme il peult estre
    Pour avoir mieulx ton sang reprins
    Pense que dernierement veiz
    Ton dieu entre les mains du prestre
    C'est le createur c'est le maistre
    C'est cil ou on doit retourner
    Pour tout le saint sens asseurer

    Mais que jesucrist on n'oublie
    L'on ne pourroit estre vaincu
    Car l'escripture certifie
    Loyal perpetuel de vie
    Se l'on a loyaulment vescu
    Ce mot note bien/ l'entens tu
    Il n'est pas mort qui vit & regne
    La ou est le glorieulx regne

    Au partir marche doulcement
    Monstrant voulenté asseuree
    Mais aborde robustement
    Deffens fort assaulx vivement
    Ne pers nulz coups a la volee
    Et si l'ame est trop grevee
    Ne t'en esbahis ne soucye
    Car tu n'as pas saine partie

    Il s'entend que d'umble cremeur
    Les sains sacremens recevras
    Lors seras de tout point asseur
    D'estre le champion vaicteur
    De l'ennemy que tu verras
    Pour luy tu ne te changeras
    Mais demourras sans faire change
    Obeissant a ton bon ange

    Et se tes bastons peulx tenir
    Sans estre brisez ne rompus
    Je t'asseure de parvenir
    Au bien parfait de ton desir
    C'est d'avoir l'honneur de lassus
    Retiens je n'en parleray plus
    Par me croire tu es sauvé
    Ou par contraire condampné

    Ainsy entendement faisoit
    Grant devoir de moy bien apprendre
    Mais savoir ung point me failloit
    Qui le fait de mon cas touchoit
    C'est de savoir & de comprendre
    Le temps qu'atropos vouldra prendre
    Ou le jour limite sera
    Que combatre me conviendra

    Lors me dist que des messaigiers
    De par debile me viendront
    Pas a pas en plusieurs quartiers
    Mais accident a les legiers
    Qui peult estre me sur prendront
    Dont mes apostres se perdront
    Me conseillant que je labeure
    D'estre tousjours prest a toute heure

    Premier seront les annunceurs
    Les yeulx qui besicles demandent
    Ce sont des dames espoventeurs
    Car nature n'est plus des leurs
    Par ce qu'en delinant se rendent
    Et bien folz ceulx qui n'entendent
    Que le corps fera brief deffault
    Puis que la lumiere luy fault

    Puis quant les oreilles desirent
    Le coton & estre estouppees
    Sans oyr ainsi qu'ilz oyrent
    Selon que ses deux sens empirent
    Ce sont semonces apportees
    Ainsy sont trompetes sonnees
    A mettre selles sans sejour
    Pour aller comparer au jour

    Les mains & la teste trembler
    Sentiras ce sont seurs messaiges
    Qu'il ne te fault plus retarder
    Et ne le peulx contremander
    Ne replicquer a telz langaiges
    Qui penseroit a telz ouvraige
    L'on mettroit en dieu sa fiance
    Et tout le monde en oublience

    Les jambes que soustenu t'ont
    Le chair si tendrement nourrie
    En leur puissance deffauldront
    Et ung baston demanderont
    Pour les soustenir en partie
    Ce messagier nous brait & crye
    Pensez de l'ame par remors
    Sans trop obeir a vostre corps

    Telz messagiers & telz heraulx
    Sons annonceurs de la journee
    Avecques moult d'aultres assaulx
    Des maladies & des maulx
    Dont mainte personne est grevee
    Ainsi a sa raison finee
    Et me laissa soudainement
    Le bon hermite entendement

    Quant j'euz entendement perdu
    Ou tant de bon conseil trouvay
    Je me trouvay tout esperdu
    Et ce qu'il me fut advenu
    Tout a par moy je recorday
    Diligemment je me levay
    Pour mettre sus par escriptures
    Le droit vray de mes adventures

    Dont de la matiere presente
    J'ay fait par couplet ce traicté
    Lequel j'envoye & le presente
    A ung chascun de bonne entente
    Non pas pour estre bien dicté
    Mais par charitable amictié
    Pour faire don & departie
    De tresor de mon armoyrie

    En la marche de ma pensee
    Et au pays d'avise toy
    Est ceste queste commencee
    Dieu doint qu'elle soit achevee
    Au prouffit de tous & de moy
    Ce livre je nomme de son
    Pour estre de tiltre paré
    Le chevallier deliberé

    Ce traicté fut parfait l'an mil
    Quatre cens quatre vingz & trois
    Environ sur la fin d'avril
    Que l'iver est en son exil
    Et que l'esté fait ses exploitz
    Au bien soit prins en tous estas
    De ceulx a qui il est offert
    Par celluy qui tant a souffert


Cy finist le livre intitulé le chevallier deliberé. Imprimé a Paris par
Jehan Treperel demourant a la grant rue sainct jaques auprés sainct yves
a l'enseigne sainct Laurent. L'an Mil cinq cens. Le xix jour de
Septembre.

[Illustration]



[Marque d'imprimeur: J. T.
OTROYE NOUS CHARITÉ ET CONCORDE EN PROVOCANT TA GRANT MISERICORDE]



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NOTES DU TRANSCRIPTEUR

L'orthographe et la ponctuation sont conformes à l'original (exemplaire
Y 4418 +A de la BNF). Cependant pour faciliter la lecture on a introduit
les accents et apostrophes, résolu les abréviations par signes
conventionnels (par exemple Cõme > Comme), et distingué u/v et i/j selon
l'usage.

On a signalé entre [ ] quelques fragments manquants tirés de l'édition
de Schiedam:

    [Ainsi nous levasmes de table] (un vers manquant)
    [Que aage m'avoit enseigné] (un vers manquant)
    Mis gilles de bre[taigne mort] (l'original a "bretaphes escriptz",
      doublon partiel du vers précédent)
    Qu'ilz en ont fait le monde [quitte] (un mot manquant)

On a également effectué les corrections suivantes:

    Chvalier > Chevalier ("Chevalier errant par le monde")
    tyrat > tyrant ("zizaran le tyrant cruel")
    Ee > Et ("Et furent doubtez & aymez")
    avec > aver ("Celluy ne fut aver ne chiche")
    hiens > biens ("Ou il eut des biens a foison")
    jour > joue ("Se joue de noz destinees")

ainsi que 15 cas de lettres à l'envers ou d'interversion entre n et u
(pnissance > puissance, ...) non signalés individuellement.





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