Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes
Author: Tissandier, Gaston, 1843-1899
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes" ***


(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)



[Note au lecteur: Les notes 15 et 16 n'ont pas de référence dans le texte.

Une partie du texte de la figure 10 n'est pas lisible.]



               BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES



                 LA NAVIGATION AÉRIENNE


                       L'AVIATION

              ET LA DIRECTION DES AÉROSTATS

            dans les temps anciens et modernes


                          Par

                   GASTON TISSANDIER


                    ...L'avenir est à la navigation aérienne
                    et le devoir du présent est de travailler
                    à l'avenir...

                             VICTOR HUGO (_Lettre à l'auteur_)



             OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 99 VIGNETTES


                         PARIS
               LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
            79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
                         1886


       Droits de propriété et de traduction réservés



[Illustration: L'aérostat dirigeable de MM. les Capitaines Renard et
Kreus au-dessus de l'usine aéronautique de Chalais-Meudon.]



BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. ÉDOUARD CHARTON

LA NAVIGATION AÉRIENNE



PRINCIPAUX OUVRAGES DE M. G. TISSANDIER


=L'Eau=, 5e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.

=La Houille=, 4e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.

=Les Fossiles=, 3e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.

=La Photographie=, 3e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et
Cie.

=Éléments de chimie=, 7e édition. 4 vol. in-18 avec de nombreuses
figures (En collaboration avec M. PP. DEHÉRAIN), Hachette et Cie.

=Causeries sur la science=, 2e édition. 1 vol. in-18 illustré.
Hachette et Cie.

=Les martyrs de la science=, 2e édition. 1 vol. in-8º, avec 20
vignettes par GILBERT. Maurice Dreyfous.

=Les héros du travail=, 2e édition. 1 vol. in-8º, avec 20 vignettes
par GILBERT. Maurice Dreyfous.

=Les poussières de l'air.= 1 vol. in-18 avec figures et planches
hors texte. Gauthier-Villars.

=Les récréations scientifiques ou l'enseignement par les jeux.= 1
vol. in-8º avec de nombreuses figures et 4 planches hors texte.
Ouvrage couronné par l'Académie française, 4e édition. G. Masson.

=L'océan aérien. Études météorologiques.= 1 vol. in-8º avec de
nombreuses gravures. G. Masson.

=La Nature.= Revue des sciences et de leurs applications aux arts et
à l'industrie. Journal hebdomadaire illustré. GASTON TISSANDIER,
rédacteur en chef. 2 vol. grand in-8º par an depuis 1873. G. Masson.

=L'héliogravure, son histoire et ses procédés.= Conférence faite au
cercle de la librairie. 1 broch. in-8º. (Épuisé).

=Histoire de la gravure typographique.= Conférence faite au cercle
de la librairie. 1 broch. in-8º. (Épuisé).

=Histoire de mes ascensions.= Récit de 30 voyages aériens, précédé
de simples notions sur les ballons, 4e édition. 1 vol. in-8º avec de
nombreuses illustrations, par M. ALBERT TISSANDIER. Maurice
Dreyfous.

=En ballon pendant le siège de Paris.= Souvenirs d'un aéronaute. 1º
vol. in-8º. E. Dentu.

=Deux conférences sur les aérostats et la navigation aérienne.= 1
broch. in-18, S. Molteni.

=Les ballons dirigeables.= Application de l'électricité à la
navigation aérienne. 1 vol. in-18 avec 35 figures et 4 planches hors
texte. Gauthier-Villars.

=Observations météorologiques en ballon.= 1 vol. in-18 avec figures.
Gauthier-Villars.

=Voyages dans les airs.= 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.

=Le grand ballon captif à vapeur de M. Henry Giffard.= 2e édition,
avec de nombreuses gravures par ALBERT TISSANDIER. (Épuisé). G.
Masson.


12787.--Imprimerie A. Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.



PRÉFACE


Parmi les nombreux problèmes que l'homme s'est proposé de résoudre,
il n'en est peut-être pas de plus difficile que celui de la
navigation aérienne.

Des ailes! Des ailes! a pu dire le poète dès les premiers âges du
monde. Oui des ailes, pour voler comme l'oiseau, pour parcourir les
espaces sans rencontrer d'obstacles, pour planer dans cet océan sans
rivages que nous appelons l'atmosphère. Mais la mécanique
impuissante n'a pas encore su les construire.

Il a fallu, après des milliers d'années de conceptions vaines, que
les frères Montgolfier aient songé à remplir d'air chaud et raréfié,
un sac de papier de grand volume, et l'art aéronautique a été créé.
L'hydrogène remplaçant l'air chaud, le ballon à gaz a succédé à la
Montgolfière.

L'aérostat a permis à l'explorateur de s'affranchir des lois de la
pesanteur, de quitter la surface du sol, pour traverser les
nuages, visiter le domaine des météores et pénétrer dans les hautes
régions, au delà des limites que l'aigle lui-même n'a jamais
atteintes.

On demande au ballon plus encore aujourd'hui. Bouée flottante au
sein des courants, on exige de lui qu'il devienne vaisseau; on veut
qu'il obéisse à l'action d'un propulseur puissant et léger, et qu'il
nous conduise, non pas où le vent le mène, mais où nous voulons
aller.

Grand problème, dont les conséquences sont incalculables.

La conquête de l'air par les aérostats dirigeables, déjà commencée
depuis peu, sera continuée dans le présent, et achevée dans
l'avenir.

C'est notre conviction profonde. Nous avons essayé de la faire
partager à nos lecteurs, non par des mots, mais par des faits; non
par des conjectures et des hypothèses, mais par l'exposé méthodique
des idées émises, des essais proposés, des travaux accomplis, et des
expériences réalisées.

                                        G. T.

Octobre 1885.



PREMIÈRE PARTIE

LA LOCOMOTION AÉRIENNE AVANT LES MONTGOLFIER


                                  ... Terras licet, inquit et undas
                 Obstruat; at coerte coelum patet: ibimus illac....

                 (_La terre et les ondes nous sont fermées,
                 mais le ciel est ouvert: nous irons par ce
                 chemin._)

                         OVIDE, _Métamorphoses_, lib. VIII, fab. IV.


     Peut estre sera inventée herbe moyennant laquelle pourront les
     humains visiter les sources des gresles, les bondes des pluyes et
     l'officine des fouldres.

                         RABELAIS, _Pantagruel_, liv. III, chap. LI.



I

LA LÉGENDE DES HOMMES VOLANTS

     Dédale et Icare. -- La flèche d'Abaris. -- La colombe volante
     d'Archytas. -- Roger Bacon. -- Dante de Pérouse. -- Appareil
     volant de Besnier. -- Les poètes et les romanciers. -- Cyrano de
     Bergerac. -- Pierre Wilkins. -- Rétif de la Bretonne. -- M. de la
     Folie.


Il est certain que dans tous les temps, les hommes de hardiesse qui,
dès les premiers âges du monde, avaient le sentiment de
l'exploration, le goût des voyages, le désir de parcourir les mers
et de s'éloigner du rivage sur des barques plus ou moins primitives,
ont dû se demander s'il ne serait pas possible d'imiter l'oiseau et
de quitter la terre en s'élevant dans l'atmosphère. Les légendes de
l'antiquité abondent en récits de tentatives de ce genre. Ovide a
retracé notamment les aventures de Dédale qui, pour fuir la colère
de Minos, roi de Crète, fabriqua des ailes qui lui permirent de se
sauver de l'île où il était prisonnier avec son fils Icare. Dédale
réussit à s'évader, mais Icare ayant volé trop haut, la cire qui
liait ses ailes se fondit au soleil, et il tomba dans la mer.

Des histoires analogues se retrouvent dans des temps plus reculés
encore. Dans le tome Ier des _Religions de l'Inde_[1], on lit:
«Hanouman monta sur le sommet d'une colline et, après avoir pris les
conseils du sage Jambaranta, il s'élança dans les airs et alla
tomber dans le Lanka, ainsi qu'il l'avait espéré.» La Bible rapporte
que le prophète Élie fut enlevé par un char de feu.

         [Note 1: _Religions de l'Inde_ (Buchon direct.), t. I, p.
         162.]

Dans la _Salle des dieux_, au musée égyptien du Louvre, il existe
une petite plaque de bronze d'une haute antiquité, où l'on voit en
relief un homme volant les deux ailes étendues (fig. 1). Il est vrai
que l'on s'accorde à considérer cette pièce comme une composition
symbolique plutôt que comme la représentation d'un appareil
d'aviation.

[Illustration: Fig. 1.--Bronze égyptien représentant un homme
volant.]

Abaris, d'après les récits de Diodore de Sicile, aurait fait le tour
de la Terre, assis sur une flèche d'or. L'oracle du temple
d'Hiéropolis se serait élevé dans les airs. Sous Néron, Simon le
Magicien aurait aussi connu le moyen de voler dans l'espace. Les
Capnobates, peuple de l'Asie Mineure, dont le nom signifie
_marcheurs par la fumée_, auraient trouvé le moyen de s'élever à
l'aide de l'air raréfié par le feu.

Reproduire avec détails des fables de ce genre, n'aurait qu'un
intérêt purement mythologique. Là n'est pas notre but; nous voulons
passer en revue les expériences qui ont pu être faites, et les idées
rationnelles qui ont pu être émises au sujet de la navigation
aérienne avant les Montgolfier. Sans chercher des documents dans les
traités d'aérostation écrits depuis un siècle et qui, la plupart du
temps, se recopient les uns les autres, je me suis efforcé de
remonter aux sources originales afin d'offrir au lecteur des
renseignements inédits, sûrs et précis.

Le premier document que les historiens spéciaux aient signalé au
sujet des appareils de vol mécanique, est relatif à la colombe
volante d'Archytas[2]. On a beaucoup écrit à ce sujet, mais en
oubliant trop souvent le texte original. Il n'existe, à notre
connaissance, aucun autre texte que celui des _Nuits attiques_
d'Aulu-Gelle. Or, voici ce qu'Aulu-Gelle a écrit, d'après la
traduction française de la collection Nisard: «Les plus illustres
des auteurs grecs, et, entre autres, le philosophe Favorinus, qui a
recueilli avec tant de soins les vieux souvenirs, ont raconté du ton
le plus affirmatif qu'une colombe de bois, faite par Archytas à
l'aide de la mécanique, s'envolait; sans doute elle se soutenait au
moyen de l'équilibre, et l'air qu'elle renfermait secrètement la
faisait mouvoir[3].»

         [Note 2: Archytas de Tarente, célèbre pythagoricien, était un
         mathématicien profond et un mécanicien habile. Il vivait 400
         ans avant l'ère chrétienne. On lui doit de grandes
         inventions, notamment celles de la vis, de la poulie et du
         cerf-volant.]

         [Note 3: Aulu-Gelle, _Nuits attiques_, X, 12.]

Voilà tout ce que l'histoire a laissé; cette phrase laconique
n'autorise en aucune façon les affirmations qui ont été publiées
postérieurement par des écrivains trop crédules. Dans plusieurs
autres auteurs, Cassiodore, Michel Glycas, etc., on trouve des
histoires vagues d'oiseaux artificiels qui volaient et qui
chantaient. Il semble à peu près certain qu'il s'agit de contes
imaginaires, bien plutôt que de faits réels.

Il n'en est pas moins vrai que des appareils d'aviation ont été
expérimentés depuis des temps très reculés.

Au onzième siècle, Olivier de Malmesbury, savant bénédictin anglais,
entreprit de voler en s'élevant du haut d'une tour, mais les ailes
qu'il avait attachées à ses bras et à ses pieds n'ayant pu le
porter, il se cassa les jambes en tombant, et mourut à Malmesbury en
1060[4].

         [Note 4: Extrait d'un mémoire sur le vol lu à l'Académie de
         Lyon le 11 mai 1773, par M. Mongez, chanoine régulier de la
         Congrégation de France.--_Essai sur l'art du vol aérien_,
         Paris, 1784.]

Au douzième siècle, un Sarrasin, qui passa d'abord pour magicien, fit,
d'après la légende, une tentative de vol aérien à Constantinople, sous
le règne d'Emmanuel Comnène. Il était monté sur le haut de la tour de
l'hippodrome. Il était debout, vêtu d'une robe blanche fort longue et
fort large, dont les pans, retroussés avec de l'osier, lui devaient
servir de voile pour recevoir le vent. Il s'éleva comme un oiseau,
mais son vol fut aussi infortuné que celui d'Icare. Il se brisa les
os[5].

         [Note 5: _Histoire de Constantinople_, par Cousin.]

Au treizième siècle, le moine anglais Roger Bacon a affirmé, dans
son livre: _De mirabili potestate artis et naturæ_, que l'homme
pourrait un jour voler dans l'atmosphère; mais il ne donne aucune
indication sur un mécanisme quelconque, et il se contente d'une
simple prophétie:

«On fabriquera des instruments pour voler, au moyen desquels l'homme
assis fera mouvoir quelque ressort qui mettra en branle des ailes
artificielles comme celles des oiseaux.» Et rien de plus. Une
hypothèse exprimée de cette manière, ne permet assurément pas de
compter Roger Bacon au nombre des précurseurs des Montgolfier.

Au quinzième siècle, Jean Muller, dit _Regiomontanus_, aurait
construit une mouche de métal qui se soutenait dans l'air, et un
aigle de fer qui serait allé au-devant de l'empereur Frédéric IV et
aurait volé sur un parcours de mille pas aux environs de Nuremberg.
Ces récits sont peu vraisemblables.

On a encore souvent parlé de Dante de Pérouse qui, au quatorzième
siècle, aurait réussi à construire des ailes artificielles au moyen
desquelles il se serait élevé et aurait franchi le lac Trasimène.

Ce récit a été mentionné par Henri Paulrau dans son _Dictionnaire de
physique_, en 1789. Je suis arrivé à me procurer un livre plus
ancien, daté de 1678, et qui rapporte le même récit. Ce livre est
intitulé: _Athenæum Augustum in quo Perusinorum scripta publice
exponientur._ Il donne (p. 168) une courte biographie de _Baptista
Dantius Perusinus_, et il affirme que l'expérience dont nous venons
de parler a eu lieu; mais on ne trouve aucun détail du mécanisme, ce
qui ferait supposer que l'auteur reproduit un simple récit
légendaire encore inspiré de celui d'Icare.

La tradition rapporte que sous Louis XIV un nommé Allard, danseur de
corde, annonça qu'il ferait une expérience de vol, à Saint-Germain,
en présence du roi. Il devait partir de la terrasse pour descendre
dans les bois du Vésinet. L'expérience eut lieu, paraît-il, mais
Allard tomba au pied même de la terrasse, et se blessa grièvement.

Il fut question en 1678 d'un appareil volant construit par un nommé
Besnier. Les aviateurs ont souvent mentionné ce fait; j'ai pu me
procurer encore le document original où il est signalé. C'est le
_Journal des sçavans_ du 12 décembre 1678; voici _in extenso_ ce qui
est dit de l'expérience de Besnier avec la reproduction de la figure
(fig. 2).


EXTRAIT D'UNE LETTRE ESCRITE À MONSIEUR TOYNARD _sur une Machine
d'une nouvelle invention pour vôler en l'air_.

     M. Toinard a eu avis que le P. Besnier serrurier de Sablé au païs
     du Maine a inventé une machine à quatre aisles pour vôler. Quoy
     qu'il en attende une Figure et une Description plus exacte que
     celle-cy: l'on a crû que parceque ce Journal est le dernier de
     ceux que nous donnerons cette année avec celuy du Catalogue de
     tous les Livres et de la Table des Matières par où nous finissons
     toutes les années, le Public ne seroit pas fasché d'apprendre par
     advance une chose si extraordinaire.

[Illustration: Fig. 2.--Appareil volant de Besnier. Reproduction par
l'héliogravure de la figure du _Journal des sçavans_ (1678).]

     A, aisle droite de devant.--B, aisle gauche de derrière.--C,
     aisle gauche de devant.--D, aisle droite de derrière.--E,
     fisselle du pied gauche qui fait baisser l'aisle D, lorsque la
     main gauche fait baisser l'aisle C.--F, fisselle du pied droit
     qui fait baisser l'aisle D lorsque la main gauche fait baisser
     l'aisle C.

     Cette machine consiste en deux bastons qui ont à chaque bout un
     châssis oblong de taffetas, lequel châssis se plie de haut en bas
     comme des battants de volets brisés.

     Quand on veut vôler, on ajuste ces bastons sur ses espaules, en
     sorte qu'il y ait deux châssis devant et deux derrière. Les
     châssis de devant sont remués par les mains, et ceux de derrière,
     par les pieds, en tirant une fisselle qui leur est attachée.

     L'ordre de mouvoir ces sortes d'aisle est tel, que quand la main
     droite fait baisser l'aisle droite de devant marquée A, le pied
     gauche fait baisser par le moyen de la fisselle E l'aisle gauche
     de derrière marquée B. Ensuite la main gauche, faisant baisser
     l'aisle gauche de devant marquée C, le pied droit fait baisser
     par le moyen de la fisselle l'aisle droite de derrière marquée D,
     et alternativement en diagonale.

     Ce mouvement en diagonale a semblé très bien imaginé, puisque
     c'est celuy qui est naturel aux quadrupèdes et aux hommes quand
     ils marchent ou quand ils nagent; et cela fait bien espérer de la
     réussite de la machine. On trouve néanmoins que, pour la rendre
     d'un plus grand usage, il y manque deux choses. La première est
     _qu'il y faudroit adjouster quelque chose de très léger et de
     grand volume, qui, estant appliqué à quelque partie du corps
     qu'il faudroit choisir pour cela, pust contre-balancer dans l'air
     le poids de l'homme_; et la seconde chose à désirer seroit que
     l'on y ajustât une queüe, car elle serviroit à soutenir et à
     conduire celuy qui voleroit; mais l'on trouve bien de la
     difficulté à donner le mouvement et la direction à cette queüe,
     après les différentes expériences qui ont esté faites autrefois
     inutilement par plusieurs personnes.

     La première paire d'aisles qui est sortie des mains du sieur
     Besnier a esté portée à la Guibré, où un Baladin l'a acheptée et
     s'en sert fort heureusement. Presentement, il travaille à une
     nouvelle paire plus achevée que la première.

     _Il ne prétend pas néanmoins pouvoir s'élever de terre_ par sa
     machine, ny se soutenir fort longtemps en l'air, à cause du
     deffaut de la force et de la vitesse qui sont nécessaires pour
     agiter fréquemment et efficacement ces sortes d'aisles, ou en
     terme de volerie pour planer. Mais il asseure que, partant d'un
     lieu médiocrement élevé, il passeroit aisément une rivière d'une
     largeur considérable, l'ayant déjà fait de plusieurs distances et
     en différentes hauteurs.

     Il a commencé d'abord par s'élancer de dessus un escabeau,
     ensuite de dessus une table, après, d'une fenêtre médiocrement
     haute, ensuite de celle d'un second étage, et enfin d'un grenier
     d'où il a passé par dessus les maisons de son voisinage, et
     s'exerçant ainsi peu à peu, a mis sa machine en l'estat où elle
     est aujourd'huy.

     Si cet industrieux ouvrier ne porte cette invention jusqu'au
     point où chacun se forme des idées, ceux qui seront assez heureux
     pour la mettre dans sa dernière perfection, luy auront du moins
     l'obligation d'avoir donné une veüe dont les suites pourront
     peut-être devenir aussi prodigieuses que le sont celles des
     premiers essais de la navigation. Car quoy que ce que nous avons
     dit du Dante de Pérouse, que le _Mercure Hollandois_ de l'année
     1673 rapporte d'un nommé _Bernoin qui se cassa le col en vôlant à
     Francfort, ce que l'on a vu mesme dans Paris, et ce qui est
     arrivé en plusieurs autres endroits_, fasse voir le risque et la
     difficulté qu'il y a de réüssir dans cette entreprise, il s'en
     pourroit enfin trouver quelqu'un qui seroit ou plus industrieux
     ou moins malheureux que ceux qui l'ont tentée jusqu'icy[6].

         [Note 6: _Journal des sçavans_ du lundy 12 décembre
         M.DC.LXXVIII, p. 426 et suiv.--À Paris, chez Jean Cusson, rue
         S. Jacques à l'image de S. Jean Baptiste, 1678. _Avec
         privilège du Roy._]

J'ai souligné les passages qui m'ont paru devoir attirer
l'attention, soit au point de vue des idées théoriques émises, soit
au point de vue historique. On voit que l'appareil représenté par le
dessin du _Journal des sçavans_ ne saurait être construit avec
quelque chance de donner aucun résultat sérieux: le document
historique que nous avons reproduit est insuffisant pour qu'il soit
permis d'affirmer, comme on l'a fait, que Besnier ait pu réussir
dans ses essais de vol aérien. Il ne serait pas impossible cependant
qu'un appareil analogue ait fonctionné à la façon d'un parachute,
mais alors il ne pouvait avoir l'aspect de la figure.

Si, comme l'affirmait Borelli, aucun homme n'avait pu réellement
voler au moyen d'ailes artificielles, si comme nous le croyons
aussi, l'expérience des hommes volants n'a jamais réussi, le
problème du vol artificiel et de l'ascension dans l'atmosphère a
toujours préoccupé les esprits. Les romanciers, dans tous les temps,
ont souvent donné à leurs personnages imaginaires la faculté de
parcourir l'espace. Parmi les procédés qu'ils ont inventés, il en
est quelques-uns qui méritent d'être signalés.

On se rappelle le fameux tapis enchanté et le cheval de bronze des
_Mille et une nuits_. On connaît aussi les récits de Cyrano de
Bergerac et les aventures de son héros dans le _Voyage à la
Lune_[7].

         [Note 7: _Les oeuvres de monsieur de Cyrano Bergerac_, à
         Amsterdam. 2 vol. in-18, 1709.]

     Voici comment je me donnai au ciel, dit Cyrano. J'avais attaché
     autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles
     le soleil dardait ses rayons si violemment que la chaleur qui les
     attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m'éleva si
     haut, qu'enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région; mais
     comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité,
     et qu'au lieu de m'approcher de la lune, comme je le prétendais,
     elle me paraissait plus éloignée qu'à mon partement, je cassai
     plusieurs de mes fioles, jusqu'à ce que je sentis que ma
     pesanteur surmontait l'attraction et que je redescendais vers la
     terre; mon opinion ne fut pas fausse, car j'y retombai quelque
     temps après.

Dans sa relation des _États du Soleil_, Cyrano de Bergerac décrit
une autre machine qu'il appelle _un oiseau de bois_. Swift dans ses
aventures de _Gulliver_ a décrit l'île de Laputa, qui plane au moyen
de procédés électriques. Nous allons voir tout à l'heure
l'électricité intervenir encore dans d'autres curieuses fantaisies
aériennes.

Un Anglais, l'évêque Wilkins, écrivain remarquable du dix-huitième
siècle, a écrit un ouvrage sur les _Hommes volants_[8] où il discute
sérieusement l'histoire et les conditions du vol artificiel. Rétif
de la Bretonne l'a imité, dans son livre rare et curieux: _La
découverte australe par un homme volant_[9] où il publie de
charmantes vignettes représentant les aventures de son héros
Victorin parcourant les divers pays au moyen de ses ailes
artificielles.

         [Note 8: _Les hommes volans ou les aventures de Pierre
         Wilkins._ Traduites de l'anglais et ornées de figures en
         taille-douce. 3 vol. in-18 à Londres et à Paris, 1763.]

         [Note 9: _La découverte australe par un homme volant ou le
         dédale français._--Nouvelle très philosophique. 4 vol. in-18
         avec nombreuses vignettes. Leipsick, 1781.]

Un autre livre rare et précieux que je possède aussi dans ma
bibliothèque aéronautique, donne la singulière description d'une
machine volante qui s'élève au moyen du fluide électrique. Ce livre
est intitulé _Le philosophe sans prétention_, il est signé M. D. L.
F.[10]. On sait que l'auteur était M. de la Folie, de Rouen.

         [Note 10: _Le philosophe sans prétention ou l'homme rare_,
         ouvrage physique, chymique, politique et moral, dédié aux
         savans, par M. D. L. F. À Paris, chez Clousier, 1775. 1 vol.
         in-8º avec vignettes.]

Une planche fort bien gravée, placée en tête de l'ouvrage,
représente la machine volante au moment où elle s'élève.

Nous reproduisons à titre de curiosité cette charmante vignette
(fig. 3), où l'on voit l'inventeur Scintilla conduisant son
appareil.

[Illustration: Fig. 3.--Machine volante électrique figurée dans le
_Philosophe sans prétention_ (1775).]

     Depuis longtemps, dit Scintilla, dans l'ouvrage de M. de la
     Folie, les hommes ont recherché par quelles loix méchaniques ils
     pourraient franchir les espaces. Je suis flatté de pouvoir vous
     offrir aujourd'hui la réussite de mes recherches. Le voici,
     dit-il, en présentant un écrit; mais cet écrit ne suffit pas. La
     théorie quoique fort simple, ne serait peut-être pas assez
     intelligible dans une matière aussi neuve. Aussi avant d'en venir
     à la démonstration théorique, faisons l'expérience. Deux esclaves
     ont porté mon appareil sur la plate-forme de notre tour.
     Rendons-nous-y....

     Je marchais avec les autres. Je calculais, je réfléchissais en
     moi-même que l'écart des leviers pour former une résistance
     suffisante, c'est-à-dire pour embrasser un grand volume d'air,
     exigeait une force ou puissance considérable....

     Quelle fut ma surprise lorsque arrivé sur la plate-forme, je vis
     deux globes de verre de trois pieds de diamètre montés au-dessus
     d'un petit siége assez commode; quatre montans de bois couverts
     de lames de verre soutenaient ces deux globes. La pièce
     inférieure qui servait de soutien et de base au siége, était un
     plateau enduit de camphre et couvert de feuilles d'or. Le tout
     était entouré de fils de métal. Aussitôt que j'eus aperçu cette
     machine électrique de nouvelle forme je devins moins
     incrédule....

     Enfin, il n'y eut bientôt plus aucun doute à former. Scintilla
     dont le corps était aussi alerte que l'imagination, monte
     lestement sur la méchanique, et poussant promptement une détente,
     nous vîmes les deux globes tourner avec une rapidité prodigieuse.
     Messieurs, dit-il, vous voyez que pour m'élever en l'air, mon
     principal moyen est d'annuler au-dessus de ma tête la pression de
     l'atmosphère. Observez que la percussion de la lumière agit
     actuellement au-dessous de ma méchanique. C'est elle qui va
     m'enlever sans beaucoup d'efforts, et, maître du mouvement de mes
     globes, je descendrai ou monterai en telles proportions qu'il me
     plaira. Vous voyez encore.... Mais nous ne l'entendions plus. Sa
     machine entourée tout à coup d'un cercle lumineux, s'était
     enlevée avec la plus grande vitesse. Jamais spectacle si nouveau
     et si beau ne s'offrit à nos yeux. Nous le vîmes pendant quelque
     temps rester immobile, puis redescendre, puis s'élever de
     nouveau. Enfin nous le perdîmes de vue.

On est vraiment surpris de trouver ce récit dans un livre publié
avant la découverte des aérostats. Ne croirait-on pas lire la
description d'une ascension en ballon? La machine imaginaire de
l'auteur du _Philosophe sans prétention_ donne assurément à penser,
et le choix de l'électricité comme moteur, est remarquablement
choisi, à une époque où l'on ne soupçonnait pas l'existence des
moteurs dynamo-électriques.

N'a-t-on pas eu raison de dire: Poète, prophète.

Bien d'autres auteurs se sont servis de la fiction du vol à travers
les airs pour faire voyager leurs héros. On se souvient que Voltaire
a entraîné Micromégas d'une planète à l'autre, en le mettant à
cheval sur une comète.

Après avoir mentionné ces rêves de l'imagination, dont quelques-uns
peuvent être cités comme une sorte d'inspiration et de prévision
singulières de l'avenir, revenons en arrière dans l'histoire, pour
étudier la réalité des faits, et rentrer dans le domaine des études
qui ont été entreprises pour la conquête de l'air.



II

L'AVIATION, DU XVe AU XVIIIe SIÈCLE

     Léonard de Vinci. -- Étude du vol artificiel. -- L'hélicoptère et
     le parachute. -- Fauste Veranzio et le parachute de Venise. -- Le
     ptérophore de Paucton.


Léonard de Vinci, le grand artiste de la Renaissance, a sa place
marquée dans l'histoire de l'aviation. M. Hureau de Villeneuve a
résumé dans l'_Aéronaute_[11] l'histoire des travaux de cet homme de
génie, et nous reproduirons ici les faits les plus curieux qui se
rattachent à ces études, fort intéressantes, puisqu'elles remontent
au quinzième siècle.

         [Note 11: L'_Aéronaute_, 7e année, nº 9, septembre 1874.]

     Léonard de Vinci avait abordé le problème en suivant cette même
     méthode rationnelle qu'on retrouve dans tous ses écrits, et qui
     le distingue de ses contemporains. Avant d'arriver à la
     construction de ses appareils d'aviation, il commença par
     l'observation et l'étude du vol des oiseaux.

     Les quelques documents que l'on possède aujourd'hui du mémoire de
     Léonard de Vinci, font regretter la perte d'une grande partie de
     ses travaux. M. le prince Boncompagnoni a fait rééditer récemment
     les manuscrits qui restent du grand artiste italien; mais
     beaucoup de cartons et divers manuscrits laissés à Milan ont été
     éparpillés et n'ont pu être retrouvés. Ces manuscrits étaient
     écrits à l'envers, d'une écriture fine et serrée, ce qui en
     rendait la lecture des plus difficiles et a dû contribuer à leur
     perte. On peut voir, dans les planches que nous donnons
     ci-contre, des échantillons de cette écriture bizarre que nous
     n'avons pu déchiffrer. Il est probable que cette manière
     d'écrire, intelligible pour l'auteur seul, était un moyen de
     conserver le secret de ses découvertes; mais le penseur, en
     agissant ainsi, a eu le tort de ne pas comprendre que si
     l'inventeur a l'usufruit de ses découvertes, la nue propriété en
     appartient à l'humanité tout entière.

La partie capitale du manuscrit de Léonard de Vinci, est celle qui a
trait aux principes mêmes du vol. Léonard établit que l'oiseau,
étant plus lourd que l'air, s'y soutient et avance en rendant «ce
fluide plus dense là où il passe que là où il ne passe pas». Il
avait donc compris que l'animal pour voler doit prendre son point
d'appui sur l'air, et l'ensemble de sa théorie se rapproche beaucoup
des théories modernes s'appuyant sur l'influence de la vitesse sur
la suspension.

L'examen des dessins originaux du grand artiste italien est curieux
à approfondir. Nous en reproduisons par l'héliogravure une planche
complète (fig. 4); elle permet de suivre la pensée qui a présidé à
son exécution. Nous laissons M. le docteur Hureau de Villeneuve
l'interpréter.

[Illustration: Fig. 4.--Fac-similé des dessins de Léonard de Vinci
sur les ailes artificielles.]

     Nous voyons sur le second rang à droite un petit personnage assez
     analogue à un démon ou à un génie, car il porte sur la tête une
     flamme et, à côté de cette flamme, une croix latine. Il a les
     bras terminés par des doigts de chauve-souris. La figure n'est
     pas encore terminée que déjà Léonard reconnaît son insuffisance
     et, devinant le peu d'action musculaire des bras, pense à
     employer la force des jambes. Nous voyons donc un peu plus haut,
     dans la même planche, un homme vigoureux placé sur le ventre, les
     jambes repliées et s'apprêtant à lancer un violent coup de pied.
     Les muscles saillants, tracés par un crayon d'anatomiste,
     décèlent le grand peintre dans un dessin jeté sans prétention.
     Dans ce croquis, Léonard n'a pas encore pris de parti quant au
     mode d'attache des ailes, mais dans le dessin qui suit,
     supprimant l'homme dont il ne conserve plus que les pieds,
     l'auteur commence l'étude des détails de la construction. Une
     tige arrondie en forme de bât doit être appuyée sur le dos, les
     bras prenant un point d'appui sur les deux côtés. Au sommet du
     bât, sont deux anneaux fermés, recevant par deux autres anneaux
     la racine des ailes. Ce mode d'articulation fort simple, mais qui
     manque de précision, présente l'avantage de permettre à l'aile
     des mouvements limités de rotation autour de son axe. Le bât se
     continue en deux tiges repliées à une demi-ceinture placée
     derrière la taille. Sur les côtés du bât, se trouvent deux
     poulies portant des cordes à étriers qui, tirées par les pieds,
     servent à abaisser les ailes. Celles-ci sont relevées par deux
     tiges de bois actionnées par les mains. Une queue est fixée à une
     tige placée entre les deux jambes. Mais ici une préoccupation
     semble s'emparer de l'esprit de l'inventeur. Les ailes
     s'appuieront sur l'air pendant l'abaissement sans doute; mais
     pendant le relèvement elles détruiront leur action. Aussi Léonard
     cherche un moyen de supprimer cet inconvénient. Il donne aux
     doigts de sa chauve-souris la faculté de se plier en dessous sans
     pouvoir se relever au-dessus de l'horizontale. Voyez dans le
     reste de la page les différents systèmes de doigts articulés
     qu'il désire employer. Le premier à gauche se manoeuvre au moyen
     de poulies de renvoi; dans le second, les leviers relevés donnent
     une action plus énergique. Mais, ce n'est pas encore bien, le
     troisième nous montre un ressort fait de deux rotins agissant sur
     une roulette placée à la queue de la phalange. Enfin, dans le
     bas, il essaie des charnières métalliques.

Après ses études sur le vol, Léonard de Vinci a donné une idée de
l'hélicoptère, et il a eu le mérite d'imaginer le parachute, avec
une rare intelligence. Un savant italien, M. Govi, a résumé ces
travaux à l'Académie des Sciences dans sa séance du 29 août
1881[12], à propos du petit propulseur à hélice que j'avais installé
dans la nacelle du minuscule aérostat électrique de l'Exposition
d'électricité.

         [Note 12: Voy. _Comptes rendus de l'Académie des Sciences_,
         tome XCIII, 1881, p. 401 et suiv.]

Parmi les projets très nombreux et fort variés que l'on peut voir
dans le _Codice Atlantico_, rendu en 1815 à la Bibliothèque
ambroisienne de Milan, et dans les volumes restés à Paris et
conservés à la Bibliothèque de l'Institut, il y a (au volume B de la
Bibliothèque de l'Institut, feuillet 83, _verso_) le dessin d'une
large hélice destinée à tourner autour d'un axe vertical (fig. 5), à
côté et au-dessous de laquelle on peut lire (écrites en italien et à
rebours) les deux notes suivantes[13]:

[Illustration: Fig. 5.--Principe de l'hélicoptère, dessin de Léonard
de Vinci.]

         [Note 13: Voici le texte italien des deux notes:

         «Ire. L'estremità di fuori della vite sia di filo di ferro
         grosso una corda, e dal cerchio al centro sia braccia 8.

         »IIe. Trovo se questo strumento fatto a vite sarà ben fatto,
         cioè fatto di tela lina stoppata i suoi pori con amido, e
         voltato con prestezza; che detta vite si fà la femmina nell'
         aria, e monterà in alto. Piglia lo esemplo da una riga larga
         e sottile e menata con furia in fra l' aria; vedrai essere
         guidato il tuo braccio per la linea del taglio della detta
         asse.

         «Sia l' armatura della sopradetta tela, di canne lunghe e
         grosse.

         «Puossene fare uno picciolo modello di carta, che lo stile
         suo sia di sottile piastra di ferro e torta per forza, e nel
         tornare in libertà fara volgere la vite.»]

     _À côté de la figure._--Que le contour extérieur de la vis
     (_hélice_) soit en fil de fer de l'épaisseur d'une corde, et
     qu'il y ait du bord au centre huit brasses de distance.

     _Au-dessous de la figure._--Si cet instrument, en forme de vis,
     est bien fait, c'est-à-dire fait en toile de lin dont on a bouché
     les pores avec de l'amidon, et si on le tourne avec vitesse, je
     trouve qu'une telle vis se fera son écrou dans l'air et qu'elle
     montera en haut.

     Tu en auras une preuve en faisant mouvoir rapidement à travers
     l'air une règle large et mince, car ton bras sera forcé de suivre
     la direction du tranchant de cette planchette.

     La charpente de ladite toile doit être faite avec de longs et
     gros roseaux.

     On en peut faire un petit modèle en papier, dont l'axe soit une
     lame de fer mince que l'on tord avec force. Quand on laissera
     cette lame libre, elle fera tourner la vis (_l'hélice_).

On voit donc par là que, non seulement Léonard avait inventé le
propulseur à hélice, mais qu'il avait songé à l'utiliser pour la
locomotion aérienne, et qu'il en avait construit de petits modèles
en papier, mis en mouvement par des lames minces d'acier tordues,
puis abandonnées à elles-mêmes.

En consultant d'ailleurs le _Saggio delle Opere di Leonardi da
Vinci_, publié à Milan en 1872 (1 vol. in-fol.), au chapitre
intitulé: _Leonardo letterato e scienziato_ (p. 20-21) et les
planches photolithographiques qui l'accompagnent (pl. XVI, nº 1), on
peut constater que cet homme de génie avait étudié le moyen de
mesurer l'effort que l'on peut exercer en frappant l'air avec des
palettes de dimensions déterminées, et qu'il avait inventé le
_parachute_, dont il donne le dessin reproduit ci-dessus (fig. 6);
il décrit l'appareil dans les termes suivants[14]:

     Si un homme a un pavillon (_tente_) de toile empesée dont chaque
     face ait 12 brasses de large et qui soit haut de 12 brasses, il
     pourra se jeter de quelque grande hauteur que ce soit, sans
     crainte de danger.

         [Note 14: «Se un uomo ha un padiglione di pannolino intasato,
         che sia 12 braccia per faccia, e alto 12, potrà gittarsi da
         ogni grande altezza senza danno di sè» (_Codice Atlantico_,
         fº 372, _verso_).]

[Illustration: Fig. 6.--Principe du parachute, dessin de Léonard de
Vinci.]

Les études faites par Léonard de Vinci sur les appareils d'aviation
sont, on le voit, nombreuses et remarquables.

Si les expériences de vol aérien de Léonard de Vinci ne semblent pas
avoir été exécutées en grand, il n'en est peut-être pas de même du
parachute, dont l'emploi est beaucoup plus sûr. La description de
Léonard de Vinci a été reproduite postérieurement, non sans une
amélioration notable dans le mode de représentation de l'appareil,
dans un recueil de machines, dû à Fauste Veranzio et publié à Venise
en 1617.

La gravure ci-jointe (fig. 7) est la reproduction exacte du
parachute que l'auteur définit d'autre part dans les termes
suivants, assurément inspirés de ceux de Léonard de Vinci:

     Avecq un voile quarré estendu avec quattre perches égalles et
     ayant attaché quatre cordes aux quattre coings, un homme sans
     danger se pourra jeter du haut d'une tour ou de quelque autre
     lieu éminent; car encore que, à l'heure, il n'aye pas de vent,
     l'effort de celui qui tombera apportera du vent qui retiendra la
     voile, de peur qu'il ne tombe violement, mais petit à petit
     descende. L'homme doncq se doit mesurer avec la grandeur de la
     voile.

         [Note 15: In-8º de 356 pages. Pérouse, 1678.]

         [Note 16: La reproduction de ces dessins avec un bon
         article à ce sujet a été donnée dans _l'Aréonaute_ de
         septembre 1874, et plus récemment dans un journal militaire
         italien, _Rivista de artigliera_, 1885.]

[Illustration: Fig. 7--Le parachute de Venise (1617), d'après une
gravure du temps.]

Il est impossible de donner plus nettement le principe du parachute,
et l'appareil se trouve si clairement expliqué qu'il nous semble
difficile que l'expérience indiquée successivement par Léonard de
Vinci et par Fauste Veranzio n'ait pas été essayée. On voit qu'elle
a pu être faite deux cents ans avant celle de Garnerin.

En 1768, plus d'un siècle après la publication de l'ouvrage de
Fauste Veranzio, un savant mathématicien, Paucton, a esquissé le
projet d'un véritable hélicoptère, qu'il a désigné sous le nom de
_ptérophore_[17].

         [Note 17: _Théorie de la vis d'Archimède_, de laquelle on
         déduit celle des moulins, conçue d'une nouvelle manière.
         Paris, 1768.]

     Un homme, dit Paucton, est capable d'une force suffisante pour
     vaincre le poids de son corps. Si donc je mets entre les mains de
     cet homme une machine telle que, par son moyen, il agisse sur
     l'air avec toute la force dont il est capable et toute l'adresse
     possible, il s'élèvera à l'aide de ce fluide, comme à l'aide de
     l'eau, ou même d'un corps solide. Or, il ne paraît pas que dans
     un ptérophore, adapté verticalement à une chaise, le tout fait de
     matière légère et soigneusement exécuté, il ne se trouve rien qui
     l'empêche d'avoir cette propriété dans toute sa perfection. Dans
     la construction, on aurait soin que la machine produisît le moins
     de frottement qu'il serait possible; et elle doit naturellement
     en produire peu, n'étant pas du tout composée. Le nouveau Dédale,
     assis commodément sur sa chaise, donnerait au ptérophore, par le
     moyen d'une manivelle, telle vitesse circulaire qu'il jugerait à
     propos. Ce seul ptérophore l'enlèverait verticalement; mais pour
     se mouvoir horizontalement, il lui faudrait un gouvernail; ce
     serait un second ptérophore. Lorsqu'il voudrait se reposer un
     peu, des clapets ou soupapes, ajustés solidement aux extrémités
     de secteurs de sciadique, fermeraient d'eux-mêmes les canaux
     hélices par où l'air coule, et feraient de la base du ptérophore
     une surface parfaitement pleine qui résisterait au fluide et
     ralentirait considérablement la chute de la machine.

On voit que Paucton expose nettement un projet d'un appareil
d'aviation mû par deux hélices, l'une destinée à l'ascension,
l'autre à la propulsion du système. Et cela en 1768!

Il n'y a rien de nouveau sous le soleil!



III

LE PRINCIPE DES BALLONS

     Le Père Francesco Lana et son projet de navire aérien en 1670. --
     Le Brésilien Gusmâo. -- Expérience de Lisbonne en 1709. -- Le
     Père Galien et l'art de voyager dans les airs, en 1756.


Si le parachute a été indiqué à la fin du quinzième siècle et
nettement décrit au commencement du dix-septième siècle, nous allons
voir que l'idée des ballons a été émise vers la fin du dix-septième
siècle, en 1670, par Lana. On a beaucoup écrit sur le célèbre
jésuite; mais, ici encore, j'ai voulu me reporter au texte original.
Après plus de quinze années de recherches, je suis arrivé à me
procurer ce livre rare[18], où Francesco Lana a écrit le curieux
chapitre intitulé: _Fabricare una nave che camini sostentata sopra
l'aria a remi et a vele; quale si dimostra poter riuscire nella
pratica_ (Construire un navire qui se soutienne dans l'air et se
déplace à l'aide de rames et de voiles; l'on démontre que ce projet
est pratiquement réalisable).

         [Note 18: Voici le titre exact du livre original: _Prodromo
         ouero saggio di alcune inventioni nuove premesso all arte
         maestra opera che prepara il P._ FRANCESCO LANA BRESCIANO
         della compagnia di Giesu, etc. Dedicato alla sacra maesta
         cesarea del imperatore Leopoldo I. In Brescia. MDCLXX.--In-4º
         de 252 pages, avec 70 figures gravées sur des planches hors
         texte.]

Je vais donner ici la traduction de quelques-uns des passages les
plus curieux de ce chapitre: ils montreront que les idées de Lana
étaient excellentes au point de vue théorique.

Après avoir rappelé la fable de Dédale et le fait de l'expérience de
vol de Dante de Pérouse, le savant jésuite s'exprime ainsi qu'il
suit:

     On n'a jamais cru possible jusqu'ici de construire un navire
     parcourant les airs, comme s'il était soutenu par de l'eau, parce
     qu'on n'a jamais jugé que l'on pourrait réaliser une machine plus
     légère que l'air lui-même: condition nécessaire pour obtenir
     l'effet voulu. M'étant toujours ingénié à rechercher les
     inventions des choses les plus difficiles, après de longues
     études sur ce sujet, je pense avoir trouvé le moyen de construire
     une machine plus légère en espèce que l'air, qui, non seulement
     grâce à sa légèreté, se soutienne dans l'air; mais qui encore
     puisse emporter avec elle des hommes, ou tout autre poids, et je
     ne crois pas me tromper, car je n'avance rien que je ne démontre
     par des expériences certaines, et je me base sur une proposition
     du onzième livre d'_Euclide_, que tous les mathématiciens
     admettent comme rigoureusement vraie.

Lana, après ce préambule, entre dans de longues dissertations sur
des expériences préliminaires dont la gravure ci-jointe (fig. 8),
reproduite pour la première fois de l'original, avec l'exactitude
que comporte la photographie, montre le dispositif. L'auteur
considère d'abord un vase sphérique de cuivre ou de fer-blanc A (nº
III de la figure), muni d'une longue tubulure à robinet BC d'au
moins 47 palmes romaines de longueur. Il remplit le système d'eau,
il bouche l'orifice C et retourne le tout au-dessus de l'eau.
Ouvrant alors le robinet B (nº V de la figure), il indique que le
vase A se vide d'eau, et que le tube restera rempli jusqu'à la
hauteur de 46 palmes 26 minutes.

[Illustration: Fig. 8.--Le navire aérien du Père Lana (1670).
Reproduction par l'héliogravure de la figure authentique.]

Il s'agit là de l'expérience très bien indiquée du baromètre à eau;
Lana montre que le vase A se trouve vide d'air et que, dans ces
conditions, il a perdu de son poids. Sans entrer dans toutes les
démonstrations qu'il fournit à ce sujet, sans parler de la méthode
qu'il propose d'employer pour faire le vide, nous dirons seulement
qu'il se trouve conduit à imaginer, pour la confection du navire
aérien qu'il propose, quatre grandes sphères en cuivre mince A B C D
(nº IV de la figure), dans lesquelles on aurait fait le vide. Ces
sphères ou ces ballons, comme Lana les appelle, seraient plus légers
que le volume d'air déplacé; ils s'élèveraient, par conséquent, dans
l'atmosphère. Lana imagine de suspendre à ces ballons une barque où
se tiendraient les voyageurs, et, tombant dans l'erreur que devaient
commettre plus tard les premiers aéronautes qui voulaient diriger
les ballons avec des voiles, sans se rendre compte que le vent
n'existe pas pour l'aérostat immergé dans l'air, il munit son navire
d'une voile de propulsion.

Assurément le projet de Lana est impraticable: le savant jésuite n'a
pas prévu que ses ballons de cuivre vides d'air seraient écrasés par
la pression atmosphérique extérieure; mais il n'en a pas moins eu
une idée très nette et très remarquable pour son époque du principe
de la navigation aérienne par les ballons plus légers que le volume
d'air qu'ils déplacent. Il termine son long chapitre par quelques
considérations très curieuses:

     Je ne vois pas d'autres difficultés que l'on puisse opposer à
     cette idée, si ce n'est une qui me semble plus importante que
     toutes les autres, et que Dieu veuille ne pas permettre que cette
     invention soit jamais appliquée avec succès dans la pratique,
     afin d'empêcher les conséquences qui en résulteraient pour le
     gouvernement civil et politique des hommes. En effet, qui ne voit
     qu'il n'y a pas d'État qui serait assuré contre un coup de
     surprise, car ce navire se dirigerait en droite ligne sur une de
     ses places fortes, et, y atterrissant, pourrait y descendre des
     soldats.

Le livre du P. Lana eut un grand succès à l'époque où il fut publié,
et le chapitre du navire aérien attira vivement l'attention de ses
contemporains, comme l'attestent des publications spéciales qui ont
été faites de ce chapitre en brochures isolées[19].

         [Note 19: Nous citerons notamment _la Nave volante_,
         dissertazione del P. Francesco Lana da Brescia. In-8º de 28
         pages avec une planche.]

Nous arrivons à présent au dix-huitième siècle et à l'époque la plus
curieuse incontestablement dans l'histoire des antériorités de la
découverte des aérostats. Nous allons étudier attentivement ce qui a
été écrit au sujet d'un célèbre Brésilien, Gusmâo, qui a été
surnommé à son époque _l'homme volant_, et qui paraît avoir exécuté
à Lisbonne une expérience de locomotion aérienne.

Gusmâo (Bartholomeu-Lourenço de) naquit à Santos, au Brésil, alors
colonie portugaise, vers 1665, et mourut après 1724. Il était le
frère d'Alexandre Gusmâo, célèbre homme d'État brésilien, et après
avoir renoncé à l'état ecclésiastique auquel il s'était d'abord
destiné, il se voua à l'étude des sciences physiques.

C'est dans les premières années du dix-huitième siècle que Gusmâo
conçut le projet de construire une machine au moyen de laquelle on
pourrait voyager au sein de l'air. L'un des membres les plus
distingués de l'Académie de Lisbonne, Freire de Carvalho[20], qui
paraît avoir étudié tous les documents relatifs à ce fait important,
dit que «de l'examen de divers mémoires, soit imprimés, soit
manuscrits, il ressort bien que Gusmâo avait inventé une machine à
l'aide de laquelle on pouvait _se transporter dans les airs d'un
lieu à un autre_». Mais il ajoute aussitôt qu'il est impossible, par
ces mêmes descriptions, «de se faire une idée exacte de la machine
elle-même».

         [Note 20: Francisco Freire de Carvalho, _Memorias da Academia
         das sciencias de Lisboa_, broch. in-4º. Lisbonne.]

D'après certains récits du temps, l'auteur aurait mis en usage comme
moteurs, l'électricité et le magnétisme combinés; quelques écrivains
ont dit que la machine avait la forme d'un oiseau, criblé de tubes à
travers lesquels passait l'air.

Ces descriptions sont inadmissibles. Un artiste du dix-huitième
siècle a donné de l'appareil de Gusmâo un dessin que l'on peut voir
au département des estampes de la Bibliothèque nationale et que je
possède aussi dans ma collection de documents aéronautiques. Ce
dessin est, suivant l'expression de M. Ferdinand Denis, auquel on
doit une savante étude sur Gusmâo[21], «une curiosité inutile».

         [Note 21: _Nouvelle biographie générale_. Paris, Firmin
         Didot, MDCCCLIX, t. XXII.]

Cependant, parmi les documents contradictoires de l'époque, il en
est qui semblent offrir un intérêt historique de premier ordre.

M. Carvalho a pu recueillir un exemplaire imprimé de la pétition
adressée par Gusmâo au roi de Portugal en 1709. On y lit ce qui
suit:

     J'ai inventé une machine au moyen de laquelle on peut voyager
     dans l'air bien plus rapidement que sur terre ou sur mer; on
     pourra aussi faire plus de deux cents lieues par jour,
     transporter des dépêches pour les armées et les contrées les plus
     éloignées. On fera sortir des places assiégées les personnes que
     l'on voudra, sans que l'ennemi puisse s'y opposer. Grâce à cette
     machine, on découvrira les régions les plus voisines des pôles.

Le roi fit répondre à l'inventeur, sous la date du 17 avril 1709,
que si les effets annoncés pouvaient se réaliser, il le nommerait en
récompense professeur de mathématiques à l'Université de Coïmbre,
avec un traitement annuel de 600 000 reis (4 245 francs).

Il résulte d'une note imprimée en 1774, et dont M. Carvalho cite le
texte, que les globes employés par Gusmâo devaient être mus par la
force du gaz qu'ils contenaient. Dans un manuscrit du savant
Ferreira, né à Lisbonne en 1667 et mort en 1735, on lit:

     Gusmâo fit son expérience le 8 août 1709, dans la cour du palais
     des Indes, devant Sa Majesté et une nombreuse et illustre
     assistance, avec un globe qui s'éleva doucement jusqu'à la
     hauteur de la salle des Ambassades, puis descendit de même. Il
     avait été emporté par de certains matériaux qui brûlaient et
     auxquels l'inventeur lui-même avait mis le feu.

Ce texte semblerait indiquer un aérostat à air chaud; mais nous
allons malheureusement rencontrer, dans le document que nous
mentionnons, des contradictions qui empêchent de bien établir la
vérité.

Ferreira, après avoir dit que l'expérience se fit _no pateo da casa
da India_ (dans la cour du palais des Indes), termine son récit par
ces mots: _Esta experiencia se fez dentia da salla das Audiencias_
(cette expérience se fit dans la salle des Audiences). M. Carvalho
se tire d'embarras en supposant qu'il y eut deux expériences faites,
l'une dans la cour, l'autre dans la salle.

Une preuve secondaire de l'expérience de Gusmâo résulte de pièces de
vers plus ou moins satiriques publiées en 1732 par Thomas Pinto
Brandâo. L'une d'elles est intitulée: «Au père Bartholomeu Lourenço,
l'homme volant qui s'est enfui, et cela se comprend, puisqu'on a su
qu'il était lié avec le diable.»

Dans ces vers, on lit des passages analogues à celui-ci: «Gusmâo
s'est élevé dans les airs, il a volé avec ses ailes, au regret de
bien des familles. Pour se faire de bonnes ailes, il a déplumé bien
du monde[22].»

         [Note 22: Nous devons à l'obligeance du savant directeur de
         la bibliothèque Sainte-Geneviève, M. Ferdinand Denis, la
         communication des vers fort peu connus de Brandâo.]

En résumé, le manuscrit de Ferreira, parlant de l'invention de
Gusmâo, semble dénoter un ballon à air chaud; les vers de Brandâo
citent nettement, au contraire, un appareil volant au moyen d'ailes.
Enfin d'autres récits paraissent faire comprendre que Gusmâo se
serait élancé de la tourelle _da casa da India_; dans ce cas, il
serait admissible que l'inventeur ait employé un parachute, au moyen
duquel il aurait plané au-dessus de la foule.

Il paraît certain qu'une mémorable expérience aérienne a été faite
en 1706 par Gusmâo; une tradition constante en a conservé le
souvenir; mais il n'est malheureusement pas possible de rien
préciser de net à l'égard du système employé. Nous nous bornerons à
ajouter que Gusmâo ne renouvela jamais son essai. On l'accusa de
magie, et il craignit sans doute les rigueurs du Saint-Office. Il
s'occupa de navigation océanique et de construction navale, jusqu'en
1724, époque où on le voit quitter clandestinement le Portugal. Il
vécut quelque temps en Espagne et mourut à l'hôpital de Séville.

Après Gusmâo, nous parlerons du livre remarquable du père Galien qui
fut publié en 1755 sous le titre: _l'Art de naviguer dans l'air_. Ce
petit livre très rare, que je suis arrivé à me procurer, comme celui
de Lana, a été imprimé à Avignon. Il a été beaucoup lu et a été
réédité deux ans après, en 1757[23]. Le Père Galien formule très
clairement le principe des aérostats à air raréfié. Il admet que des
globes remplis d'un air puisé à des régions très élevées de
l'atmosphère, pourront flotter dans l'atmosphère des couches
inférieures, mais il ne mentionne pas le mode de gonflement.

         [Note 23: _L'Art de naviguer dans les airs. Amusement
         physique et géométrique_, par le R. P. Jos. Galien. Seconde
         édition, revue et augmentée. Avignon, 1757. Petit in-18 de 88
         pages.]

     Nous voici donc arrivés, dit Galien, au moment de la construction
     de notre vaisseau pour naviguer dans les airs et transporter, si
     nous le voulons, une nombreuse armée avec tous les attirails de
     la guerre et ses provisions de bouche, jusqu'au milieu de
     l'Afrique, ou dans d'autres pays non moins inconnus. Pour cela,
     il faut lui donner une vaste capacité.... Plus il sera grand,
     plus sa pesanteur en sera absolument plus grande, mais aussi elle
     sera moindre respectivement à son énorme grandeur, comme peuvent
     le comprendre ceux qui ont quelque teinture de géométrie et qui
     savent que, plus un corps est grand, moins il a à proportion de
     superficie, quoiqu'il en ait absolument davantage.... Nous
     construirons ce vaisseau de bonne et forte toile doublée, bien
     cirée et goudronnée, couverte de peau et fortifiée de distance en
     distance de bonnes cordes, ou même de câbles dans les endroits
     qui en auront besoin, soit en dedans, soit en dehors, en telle
     sorte qu'à évaluer la pesanteur de tout le corps de ce vaisseau,
     indépendamment de sa charge, ce soit environ deux quintaux par
     toise carrée.... La pesanteur de l'air de la région sur laquelle
     nous établissons notre navigation étant supposée à celle de l'eau
     comme 1 à 1 000, et la toise d'eau pesant 15 120 livres, il
     s'ensuit qu'une toise cube de cet air pèsera environ 15 livres et
     2 onces; et celui de la région supérieure étant la moitié plus
     léger, la toise cube ne pèsera qu'environ 7 livres 9 onces. Ce
     sera cet air qui remplira la capacité du vaisseau; c'est pourquoi
     nous l'appellerons l'air intérieur, qui réellement pèsera sur le
     fond du vaisseau, à raison de 7 livres 9 onces par toise cube;
     mais l'air de la région inférieure lui résistera avec une force
     double, de sorte que celui-ci ne consumera que la moitié de sa
     force pour le contre-balancer, et il lui en restera encore la
     moitié pour contre-balancer et soutenir le vaisseau avec toute sa
     cargaison.

Nous n'insisterons pas davantage sur les idées du P. Galien, qu'il
s'est contenté de présenter à titre de simples _amusements_, mais
qui n'en sont pas moins très curieuses. Il se trompait d'ailleurs en
admettant que l'air léger des hautes régions pourrait être employé à
gonfler des aérostats pour de basses régions. Cet air, ramené à des
niveaux inférieurs, se réduirait de volume et prendrait la densité
du milieu ambiant.



IV

LES VOITURES VOLANTES

     Les ailes du marquis de Bacqueville, en 1742. -- La voiture
     volante du chanoine Desforges, en 1772. -- La voiture volante ou
     _vaisseau volant_ de Blanchard, en 1782.


Pendant que le P. Galien publiait son ouvrage de l'_Art de voyager
dans les airs_, un expérimentateur audacieux, le marquis de
Bacqueville, revenait à l'étude du vol artificiel: il convient de
résumer ici l'histoire de ses tentatives, parce qu'elles ont inspiré
l'invention des voitures volantes, dont je vais, un peu plus loin,
entretenir le lecteur.

Le marquis de Bacqueville exécuta sa tentative de vol aérien en
1742. Il mourut en 1760, à l'âge de 80 ans, en voulant rentrer à
toute force dans son hôtel que dévorait un incendie. D'après ces
deux dates, cet aviateur convaincu avait dépassé la soixantaine
quand il annonça qu'en partant de son domicile situé sur le quai, à
Paris, au coin de la rue des Saints-Pères, il traverserait la Seine
et irait descendre dans le jardin des Tuileries. Le jour convenu, il
y eut une foule considérable, tant sur les quais que sur le
Pont-Royal. À l'instant qu'il avait indiqué, le marquis de
Bacqueville se montra avec ses ailes. L'un des côtés de son hôtel se
terminait en terrasse; ce fut de là, d'après les récits de l'époque,
qu'il s'abandonna à l'air. On prétend que son vol débuta bien, et
qu'il put s'élancer jusqu'au bord de la Seine; mais, il tomba
bientôt sur un bateau de blanchisseuses. Il dut à la grandeur de ses
ailes de ne s'y pas tuer; il eut la cuisse cassée.

En 1772, l'abbé Desforges, chanoine de Sainte-Croix à Étampes,
annonça par la voie des journaux l'expérience d'une voiture volante.

Voici la reproduction textuelle de ce qui a été publié sur
l'appareil de l'abbé Desforges, dans les _affiches, annonces et avis
divers de 1772_[24].

         [Note 24: Quarante-quatrième feuille hebdomadaire du 21
         octobre 1772, 1 vol. in-4º de la _Bibliothèque Mazarine_,
         portant le nº 18 496.]

     Du mercredi 21 octobre 1772.

     On connoît les _hommes volans, ou les aventures de Pierre
     Wilkins_, traduites de l'anglois, qui parurent il y a neuf à dix
     ans en (_1763_). La lecture de ce roman, dont bien des idées sont
     empruntées de Robinson, a sûrement réchauffé le goût de quelques
     Glumms françois pour l'art de voler. Toutes les leçons qu'en a
     données Tuccaro dans son livre, ne valent pas en effet la
     description du Groundy faite par Wilkins, ni celle du vol
     d'Youwarky sa femme, et des autres Glumms volans. Or comme ce
     livre nous paroît tout aussi propre à exciter l'industrie que
     l'histoire de Robinson en qui le précepteur d'Émile reconnoît
     cette propriété, nous ne doutons pas que l'armement naturel des
     Glumms de Groundvolet ou de Battingdrigg n'ait suggéré l'idée de
     la voiture volante dont nous allons rendre compte.

     On a lu dans les affiches d'Orléans une lettre de M. Desforges,
     chanoine de l'église royale de Sainte-Croix d'Étampes, qui dit:
     «avoir inventé une voiture volante, avec laquelle on pourra
     s'élever en l'air, voler à son gré à droite ou à gauche ou
     directement sans le moindre danger (fors de tomber seulement
     comme il en a fait l'expérience) et faire plus de cent lieues de
     suite sans être fatigué».

     Il ajoute que: «Quand on aura le vent bon, on pourra faire au
     moins 30 lieues par heure, 24 par un temps calme et 10 par un
     vent contraire.» Il propose de s'engager par acte devant notaire
     de livrer une de ces voitures à ceux qui désireront en avoir pour
     la somme de cent mille livres qui seront déposées chez le même
     notaire, il s'oblige d'en faire l'essai lui-même en présence de
     l'acquéreur. Cette curieuse découverte n'a pas été plus tôt
     répandue par les papiers publics, qu'un particulier de Lyon,
     s'adressant directement à l'auteur, lui a marqué que les cent
     mille francs étoient prêts et qu'il l'attendoit avec sa voiture.
     Sur un avis si positif, M. Desforges, après avoir mis la dernière
     main à sa machine, se dispose à partir. Il s'y embarque et la
     fait élever de terre, par quatre hommes, à une certaine hauteur,
     pour prendre son vol; mais soit maladresse de ses aides, soit
     dérangement de quelque ressort, soit défaut de vent, le char
     volant, au lieu de s'élancer en haut, vole à rebours, comme le
     coursier de la Dunciade, et précipite son Phaéton. Comme ce char
     n'avait pu prendre l'essor, la chute n'a pas été périlleuse. M.
     Desforges en a été quitte, à ce qu'on nous a dit, pour quelques
     contusions, plus heureux que le marquis de Bacq, qui voulant
     voler comme Icare, avec des ailes artificielles, mais plus
     solidement attachées, se cassa la cuisse. Le vol est une vraie
     natation; mais le fluide imperceptible, dans lequel l'oiseau rame
     avec ses ailes (ou ses nageoires à tuyaux) n'a pas à beaucoup
     près la consistance de l'eau, dont toute la surface a des points
     d'appui.

     L'air n'est donc navigable aux volatiles que par la vitesse et la
     légèreté de leurs mouvements; or quels ressorts faits de main
     d'homme pourront jamais les égaler? La colombe d'Archytas,
     colombe mécanique, s'élevoit peut-être assez haut, et voloit sans
     doute, dans une durée de temps déterminée, par celle de l'action
     du rouage, ou des autres ressorts, mais comment se
     remontoit-elle, ou, quel que fût le principe de son mouvement,
     jusqu'où se soutenoit son vol? C'est ce qu'on nous laisse à
     deviner. Si dans le vaste océan de l'air, comme sur celui qui
     nous est familier, c'est le vent qui doit suppléer aux rames,
     qu'est-ce qui pourra suppléer au vent, dans ces calmes soudains
     où l'air, sans la moindre agitation, fait à peine frémir une
     feuille. Il ne paroît que deux moyens à mettre en oeuvre, pour
     une machine volante, l'air et le feu, il faut nécessairement
     employer l'un ou l'autre de ces deux ressorts.

     Tout l'art de l'horlogerie, qui pour calculer le mouvement le
     plus insensible et pourtant le plus rapide de tous (celui du
     temps comme nous l'appelons) est aujourd'hui porté si loin, ne
     trouvera jamais de ressorts qui puissent représenter ceux-là.
     Mais si l'on parvenoit enfin à faire voler, hommes ou machines,
     il y auroit peut-être autant d'art à les faire abattre à leur
     gré, et le vol nous surprendroit encore moins que la descente.


     Du mercredi 28 octobre 1772.

     _Suite de la voiture volante._--L'inventeur de cette curieuse
     machine est, dit-on, un homme de quarante-neuf ans dont la santé
     est ruinée par des travaux et des fatigues extraordinaires. C'est
     pour cela qu'il invitoit les curieux à se presser, et qu'il
     indiquoit sa demeure à Étampes, rue de la Cordonnerie. Voici
     l'idée qu'il donne lui-même de cette voiture dans une réponse
     qu'il a faite à une dame de province, et qui se trouve insérée
     dans plusieurs papiers publics:

     «Elle est, dit-il, longue de 6 pieds, large de 3 pieds 8 pouces,
     profonde de 6 pieds et demi, depuis les pieds jusqu'au faîte de
     l'impériale, qui met à couvert de la pluie.»

     Elle est apparemment d'osier, puisqu'il y travailloit avec un
     vannier. Il devoit s'envoler avec elle d'Étampes à Paris, sans y
     aborder, de peur d'y être retenu par la foule; mais après avoir
     fait cinq ou six fois le tour des Tuileries, du même vol non
     interrompu, il avoit résolu de revenir à Étampes, où dès qu'il
     seroit arrivé, il brûleroit la voiture, et n'en feroit point
     d'autres, qu'il n'eût été récompensé de ses peines. La voiture ne
     doit pas être brûlée puisqu'elle n'a pas fait le voyage.

     Monsieur Desforges ajoute: «Si cette voiture étoit peinte en verd
     à l'huile de noix, elle durerait plus de quatre-vingts ans, en
     faisant 300 lieues par jour; ce qui seroit le plus sujet à s'user
     ce seroit les charnières, on y prendra garde de temps en temps.
     Quand on les verra à moitiée usées on y en substituera d'autres,
     mais avant d'être usées à moitié, elles pourront servir trois
     mois de suite à faire chaque jour 300 lieues. (Ces charnières
     font apparemment l'effet des cartilages des Glumms.)

     «Quoique le vent soit très contraire, on pourra voler sans
     beaucoup d'efforts, de même qu'un batelier qui rame pour remonter
     contre la marche d'une rivière, qui coule très lentement, non
     contre le cours d'un fleuve très rapide. Cette voiture ne coûte
     presque rien, il ne faut rien autre chose pour la construire que
     de l'osier pour 40 sols, et du bois de Marseau pour 4 livres; les
     journées du vannier sont plus chères, il n'y a de l'ouvrage pour
     lui que pour 12 jours. Il faudra revêtir le dessus des ailes et
     de l'impériale avec du taffetas-cire d'Angleterre; c'est ce qu'il
     y a de plus coûteux. On coudra des plumes aux ailes, sans quoi
     l'on voleroit trop rapidement. Les deux ailes formeront une
     étendue (le terme est envergeûre) de 19 pieds et demi, elles
     s'ôtent et se remettent quand on veut partir. Il n'y a rien de
     cloué à la voiture, pas même les charnières, qui s'ôtent aussi,
     quand on veut, et néanmoins elle est d'une solidité que rien ne
     pourra briser. Les oiseaux ne peuvent planer que soixante pas au
     plus, mais ma voiture volante planera un demi-quart de lieue. Car
     les oiseaux n'ont que deux ailes pour planer; mais moi, outre les
     deux ailes, j'ai encore l'impériale qui m'aidera à planer; elle
     est longue de 8 pieds, et large de 6. La voiture est si simple,
     si aisée à conduire, que les dames et les demoiselles pourront
     toutes s'en servir facilement, et se conduire elles-mêmes, et
     tout vannier pourra en construire une pareille en ayant le
     modèle. On pourra voler, tant haut et tant bas qu'on voudra, sans
     le moindre danger. Ceux qui voleront au-dessus de l'atmosphère,
     quoique l'air y soit rare, en trouveront une dose plus que
     suffisante pour la respiration, parce qu'en volant, ils pressent
     l'air devant eux. À tous ceux qui voudront voler je leur donnerai
     aussi un préservatif contre la trop grande affluence de l'air; si
     les Anglois faisoient un fréquent usage de ma voiture volante,
     cela leur rafraîchiroit les poumons et ils ne mourroient plus de
     consomption. La voiture que je fabrique actuellement n'est que
     pour le conducteur lui seul, je ne répons pas pour davantage.
     Néanmoins je crois fermement que je pourrai construire une
     voiture capable d'enlever encore une personne outre le
     conducteur. Cette personne ne sera pas dans la voiture, de peur
     de faire perdre l'équilibre, mais sous le milieu de la voiture on
     attachera solidement un siège environné de soutiens (vessies ou
     calebasses peut-être). La personne sera assise sur ce siège sans
     le moindre danger, à cause des soutiens qui l'environneront, elle
     sera précisément au-dessous des pieds du conducteur, lequel sera
     en quelque façon comme un aigle qui emporte un petit mouton avec
     ses pattes.» (Quelle commodité pour les enlèvements! que
     d'agneaux, que de moutons même iront se précipiter dans les
     serres des aigles, des milans, des vautours!)

     «Enfin la voiture est construite avec tant de légèreté, que si
     l'on tirait deux boulets de canon, pour en arracher les deux
     ailes, quand elle sera à 200 pieds de hauteur, la voiture
     dégarnie de ses deux ailes ne tombera pas, mais elle descendra
     dix fois plus lentement qu'en volant. Il n'y aura donc aucun
     danger; aussi est-ce moi qui aurai le plaisir de voyager le
     premier (après Cyrano de Bergerac et Pierre Wilkins) par les
     régions aériennes.»

Les expériences de la voiture volante de l'abbé Desforges n'ont pas
été renouvelées après son premier échec. Ses tentatives donnèrent
lieu à une amusante pièce de théâtre qui fut jouée à la comédie
italienne et qui eut pour titre: _Le cabriolet volant._

Plusieurs années avant la découverte des aérostats par les frères
Montgolfier, Blanchard, qui devait plus tard devenir un aéronaute
passionné, étudiait avec beaucoup de persévérance le problème du vol
mécanique. Voici la curieuse lettre qu'il publiait dans le _Journal
de Paris_, à la date du 28 août 1781:

     L'avis que j'ai l'honneur de vous faire passer vous paraîtra une
     chimère, mais le fait n'existe pas moins.

     Peu de personnes ignorent que, depuis un certain laps de temps,
     je m'occupe, proche Saint-Germain-en-Laye, à construire un
     vaisseau qui puisse naviguer dans l'air. J'ai choisi cet endroit,
     aussi isolé que superbe, afin de tenir la chose cachée, en me
     garantissant de la vue des curieux. Mais comme une entreprise de
     ce genre ne peut rester longtemps sous le secret, tous les
     environs, et Paris même, en ont été bientôt instruits, notamment
     plusieurs grands seigneurs qui ont bien voulu m'honorer de leur
     présence, et qui m'ont promis de très grandes récompenses en cas
     de réussite. Mais comme depuis environ un mois, des affaires,
     jointes à une maladie, m'ont empêché de terminer cet ouvrage,
     j'entends tous les jours dire au public (qui ignore ces causes),
     cet homme entreprenait l'impossible. En effet, au premier coup
     d'oeil, la chose paraît telle; mais après de sages réflexions, on
     ne sait qu'en décider.

     Depuis plus de douze ans je m'occupe à ce projet, j'y trouvais
     d'abord bien des obstacles; mais, toujours convaincu de la
     possibilité de voler, je n'ai cessé d'y travailler. Je suis
     actuellement à ma sixième opération. Il ne me reste plus qu'une
     seule difficulté, qu'un homme plus riche que moi lèverait
     facilement.

     L'idée d'une voiture volante me fut suggérée par le récit des
     essais de M. de Baqueville; certainement si cet amateur, qui
     était fortuné, eût poussé la chose aussi avant que moi, il eût
     fait un chef-d'oeuvre; mais malheureusement on se rebute
     quelquefois aux premiers essais, et par là on ensevelit dans
     l'obscurité les choses les plus magnifiques.

     Comme plusieurs personnes s'imaginent que c'est l'enthousiasme où
     je suis de mon projet, qui me fait parler, ils m'objectent que la
     nature de l'homme n'est pas de voler, mais bien celle des oiseaux
     emplumés. Je réponds que les plumes ne sont pas nécessaires à
     l'oiseau pour voler, une tenture quelconque suffit. La mouche, le
     papillon, la chauve-souris, etc., volent sans plumes et avec des
     ailes en forme d'éventail, d'une matière semblable à la corne. Ce
     n'est donc ni la matière ni la forme qui fait voler; mais le
     volume proportionné, et la célérité du mouvement qui doit être
     très mobile.

     L'on m'objecte encore qu'un homme est trop pesant pour pouvoir
     s'enlever seulement avec des ailes, moins encore dans un navire
     dont le seul nom présente un poids énorme. Je réponds que mon
     navire est d'une très grande légèreté; quant à la pesanteur de
     l'homme, je prie que l'on fasse attention à ce que dit M. de
     Buffon, dans son _Histoire naturelle_, au sujet du condor; cet
     oiseau, quoique d'un poids énorme, enlève facilement une génisse
     de deux ans, pesant au moins cent livres, le tout avec des ailes
     d'environ trente à trente-six pieds d'envergure.

     L'ascension de ma machine avec le conducteur dépend donc de la
     force dont l'air sera frappé, en raison du poids.

     Voici, en abrégé, l'analyse de ma machine que, dans quelques
     jours, j'aurai l'honneur de vous détailler plus amplement.

     Sur un pied en forme de croix est posé un petit navire de 4 pieds
     de long sur 2 pieds de large, très solide, quoique construit avec
     de minces baguettes; aux deux côtés du vaisseau s'élèvent deux
     montants de 6 à 7 pieds de haut, qui soutiennent 4 ailes de
     chacune 10 pieds de long, lesquelles forment ensemble un parasol
     qui a 20 pieds de diamètre, et conséquemment plus de 60 pieds de
     circonférence. Ces 4 ailes se meuvent avec une facilité
     surprenante. La machine, quoique très volumineuse, peut
     facilement se soulever par deux hommes.

     Elle est actuellement portée à sa perfection; il ne reste plus
     que la tenture à faire poser, que je désire mettre en taffetas,
     c'est ce que je ferai à ma possibilité; et d'après cela on me
     verra enlever facilement à la hauteur qu'il me plaira, parcourir
     un chemin immense en très peu de temps, descendre où je voudrai,
     même sur l'eau, car mon navire en est susceptible.

     L'on me verra fendre l'air avec plus de vivacité que le corbeau,
     sans qu'il puisse m'intercepter la respiration, étant garanti par
     un masque aigu, et d'une construction singulière.

     La boussole, qui sera sur la poupe de mon vaisseau, servira à
     diriger ma course que rien ne pourra arrêter, sinon la violence
     des vents contraires; mais _omne violentum non est durabile_.

     Il n'y aura donc que les ouragans et la force des vents
     contraires qui pourront m'arrêter dans ma course; car un calme
     parfait me sera tout à fait favorable; avantage que j'aurai sur
     les vaisseaux, qui ne peuvent non plus voyager pendant ce temps,
     que par un vent contraire.

     L'armée des Grecs, qui brûlait d'aller faire la guerre à Priam,
     roi des Troyens, fut obligée de rester six mois de suite au port
     avec toute la flotte, parce qu'ils avaient sans cesse les vents
     contraires.

     À la vérité, je n'irai pas si vite par un vent contraire, mais
     encore j'irai beaucoup plus vite qu'un vaisseau qui a le bon
     vent. J'espère, messieurs, vous en donner la preuve physique dans
     peu[25].

         [Note 25: _Journal de Paris_, nº 240, mardi 28 aoust 1781, p.
         966.]

     J'ai l'honneur d'être, etc.

                                       BLANCHARD.

Le 1er mai 1782, Blanchard annonça pour deux dimanches suivants
l'expérience de son appareil ou _vaisseau volant_.

Au moyen de son système il s'était élevé déjà, mais à l'aide d'une
corde maintenue par des contrepoids; l'expérience publique fut
successivement ajournée.

Les journaux n'en continuaient pas moins à s'en entretenir, et tout
le monde parlait du vaisseau volant de Blanchard. Les uns en
espéraient des résultats merveilleux, les autres se montraient
incrédules et parmi ceux-ci, le célèbre de Lalande de l'Académie des
sciences; voici les principaux passages d'une lettre qu'il a publiée
dans le _Journal de Paris_ à la date du 23 mai 1782.

[Illustration: Fig. 9.--La voiture volante de Blanchard (d'après une
gravure publiée en juillet 1782).]

     _Aux auteurs du journal._

     Il y a si longtemps, Messieurs, que vous parlez de bateaux volans
     et de baguettes tournantes[26], qu'on pourrait penser à la fin
     que vous croyez à toutes ces folies ou que les savans qui
     coopèrent à votre journal, n'ont rien à dire pour écarter des
     prétentions aussi absurdes. Permettez donc, Messieurs, qu'à leur
     défaut, j'occupe quelques lignes dans votre journal pour assurer
     à vos lecteurs que si les savans se taisent, ce n'est que par
     mépris.

     Il est démontré impossible dans tous les sens qu'un homme puisse
     s'élever ou même se soutenir en l'air: M. Coulomb, de l'Académie
     des sciences, a lu, il y a plus d'un an, dans une de nos séances,
     un mémoire où il fait voir par le calcul des forces de l'homme,
     fixées par l'expérience, qu'il faudrait des ailes de douze à
     quinze mille pieds, mues avec une vitesse de trois pieds par
     seconde; il n'y a donc qu'un ignorant qui puisse former des
     tentatives de cette espèce[27].

         [Note 26: On s'occupait beaucoup à cette époque des baguettes
         divinatoires pour la recherche des sources.]

         [Note 27: Blanchard et de Lalande eurent plus tard des
         discussions animées au sujet des aérostats, et Lalande finit
         par exécuter une ascension aérostatique.]

On voit que l'astronome était sévère.... mais juste, serons-nous
tenté d'ajouter. Quoiqu'il exagérât singulièrement le diamètre des
ailes artificielles qu'il faudrait pour enlever un homme (15 000
pieds!), il est certain que la voiture volante de Blanchard n'aurait
jamais pu s'élever. J'en reproduis l'un des dessins (fig. 9) d'après
des gravures fort rares que je possède. Ces gravures, peintes à la
main, ont été publiées en juillet 1782 par Martinet, qui était au
contraire un adepte convaincu de l'aviateur.

[Illustration: Fig. 10.--Caricature sur la voiture aérienne ou
vaisseau volant de Blanchard. (D'après une gravure du temps.)]

     L'examen que j'ai fait du vaisseau volant, dit Martinet dans le
     _Journal de Paris_ du 8 juillet 1782, m'ont convaincu de sa
     possibilité et m'ont déterminé à en graver le tableau que je
     publie. La raison qui retarde l'expérience de ce vaisseau est la
     lenteur des ouvriers que l'auteur de cette ingénieuse mécanique a
     employés jusqu'à présent.... Qui souhaite plus de voler? Celui
     sans doute qui est sûr du succès de son invention par des
     principes fondés sur des tentatives multipliées qu'il a faites
     avec succès. Il s'élèvera, il volera et tout incrédule dira: je
     ne l'aurais pas cru.

                                        MARTINET,
         Ingénieur et graveur du
         Cabinet du Roi, rue St-Jacques,
         près St-Benoît.

Malgré les affirmations de l'éditeur Martinet, le public attendit en
vain l'expérience publique tant de fois annoncée; on ne tarda pas à
se moquer de l'aviateur, comme l'indique la curieuse gravure
satirique ci-contre (fig. 10), où des ânes sont «en admirant le
départ du vaisseau volant».

Blanchard ne s'éleva pas et ne vola pas, si ce n'est bientôt avec
les ballons, dont la première expérience eut lieu à Annonay, le 5
juin 1783.

L'inventeur du vaisseau volant, s'inclina d'ailleurs de bonne grâce
devant les merveilleux résultats obtenus par les Montgolfier, et il
devint un de leurs plus fervents disciples.



V

L'HYDROGÈNE ET LA DÉCOUVERTE DES AÉROSTATS

     Cavendish et la découverte du gaz hydrogène. -- Le docteur Black
     et le principe des aérostats. -- Les bulles de savon gonflées
     d'hydrogène de Tibère Cavallo. -- Les frères Montgolfier et les
     ballons à air chaud. -- Le physicien Charles et les ballons à
     gaz.


Pour terminer l'étude que nous avons entreprise, des antériorités à
la découverte des ballons, nous citerons quelques faits curieux,
relatifs à de véritables expériences aérostatiques faites en petit,
avant la construction de la montgolfière d'Annonay. Ces expériences
sont la conséquence de la découverte du gaz hydrogène et de ses
propriétés.

Dès que Cavendish eut constaté que le gaz hydrogène est beaucoup
plus léger que l'air, l'idée des ballons pouvait naître. Elle
naquit, en effet, mais sans être mise immédiatement en exécution.

Il semble probable que le docteur J. Black, d'Édimbourg, eut la
conception des aérostats, comme l'indiquent les passages de la
lettre qu'il a écrite au docteur Lind, après la découverte des
frères Montgolfier.

     Il me parut, dit le docteur Black, en 1784, suivre des principes
     de M. Cavendish, que, si une vessie suffisamment mince et légère
     était remplie d'air inflammable, la vessie et l'air qui y serait
     contenu formeraient une masse moins pesante que le même volume
     d'air atmosphérique et qu'elle s'élèverait dans l'espace. J'en
     parlai à quelques-uns de mes amis et dans mes leçons, lorsque
     j'eus occasion de traiter de l'air inflammable, ce qui fut dans
     l'année 1767 ou 1768.

Le docteur Black ne fit pas l'expérience; mais elle fut tentée en 1782
par un Anglais, Tibère Cavallo, comme le prouve incontestablement une
curieuse note présentée, le 20 juin 1782, à la Société royale de
Londres, et de laquelle nous empruntons les passages suivants:

     ... Il s'agissait, dit Cavallo, après avoir exposé quelques
     notions sur le gaz inflammable, de construire un vaisseau ou une
     espèce d'enveloppe qui, remplie d'air inflammable, serait plus
     légère qu'un volume égal d'air commun, et qui conséquemment
     pourrait monter, de même que la fumée, dans l'atmosphère, car on
     savait bien que l'air inflammable est spécifiquement plus léger
     que l'air commun.... J'essayai les vessies les plus minces et les
     plus grandes que je pus me procurer. Quelques-unes furent
     nettoyées avec beaucoup de soin en ôtant toutes les membranes
     superflues, et les autres matières qu'il était possible
     d'enlever; mais, malgré toutes ces précautions, la plus légère et
     la plus grande des vessies préparées étant pesée, et le calcul
     nécessaire fait, il se trouva que lorsqu'elle serait remplie
     d'air inflammable, elle serait au moins de dix grains plus
     pesante qu'un égal volume d'air commun, et que conséquemment elle
     descendrait au lieu de monter. Nous trouvâmes aussi que quelques
     vessies qui servent aux poissons à nager étaient trop pesantes.
     Je ne pus jamais réussir à faire aucune bulle légère et durable,
     en soufflant de l'air inflammable dans une solution épaisse de
     gomme, les vernis épais ni les peintures à l'huile. Enfin les
     bouteilles (bulles) de savon remplies d'air inflammable furent la
     seule chose de cette sorte qui s'éleva dans l'atmosphère; mais
     comme elles se détruisent facilement et qu'on ne peut les manier,
     elles ne semblent applicables à aucune expérience de physique.

Tibère Cavallo dans son mémoire donne la description complète de
l'appareil qu'il emploie pour gonfler d'hydrogène les bulles de
savon[28]. Il prépare le gaz dans une petite fiole de verre, il en
remplit une vessie munie d'un tube, qu'il plonge dans un bassin
plein d'eau de savon; il la presse entre les mains; les bulles se
dégagent, gonflées de l'air inflammable; elles s'élèvent dans
l'atmosphère. Le physicien anglais continue en ces termes:

         [Note 28: _Histoire et pratique de l'aérostation_, par M.
         Tibère Cavallo, traduit de l'anglais. Un vol. in-8º, Paris,
         MDCCLXXXVI.]

     Dans les différentes tentatives que je fis pour la réussite de
     l'expérience dont j'ai déjà parlé, j'employai le papier, qui
     semblait propre pour la construction d'une enveloppe, qui,
     remplie d'air inflammable, serait plus légère que l'air commun;
     d'après cela, je me procurai de très beau papier de la Chine, je
     m'assurai de son poids; le calcul nécessaire étant fait, je
     donnai à cette enveloppe une forme cylindrique, terminée par deux
     cônes très courts, et la fis de telle dimension que, venant à
     être remplie d'air inflammable, elle fût plus légère qu'un pareil
     volume d'air commun, d'au moins vingt-cinq grains; en
     conséquence, elle devait s'élever comme la fumée dans
     l'atmosphère.

     Après avoir essayé cette machine de papier en la remplissant
     d'air commun, je mis dans une grande bouteille de l'acide
     vitriolique affaibli, et de la limaille de fer pour retirer de
     l'air inflammable qui, à l'instant de son dégagement, devait
     remplir cette enveloppe, qui avait communication avec la
     bouteille par un tube de verre, et était suspendue au-dessus de
     cette bouteille. On avait fait sortir l'air commun de la machine
     de papier en la comprimant; mais je fus très étonné de voir que,
     malgré le dégagement rapide de l'air inflammable, elle ne se
     remplissait nullement, et que, d'un autre côté, l'air inflammable
     répandait une très forte odeur dans la chambre.... L'air
     inflammable passait à travers les pores du papier, comme l'eau au
     travers d'un crible.

On voit que jamais expérimentateur n'atteignit de plus près le grand
but de l'aérostation. Tibère Cavallo est digne d'avoir son nom
inscrit parmi les précurseurs des Montgolfier, mais il se borna à
exécuter une simple expérience de laboratoire; il ne songea pas à
rendre les tissus imperméables pour conserver l'hydrogène, il
s'arrêta au moment même où il touchait du doigt la solution du
problème.

Il allait appartenir aux frères Montgolfier de lancer pour la
première fois, à l'air libre, la sphère aérostatique, dont ils sont
incontestablement les inventeurs. Sans rien vouloir leur enlever de
la gloire qui leur est due, nous espérons avoir montré qu'il est
intéressant, au point de vue historique, d'étudier ce qu'ont pu
entreprendre ou proposer leurs précurseurs.

On a souvent donné des récits différents sur l'origine de cette
étonnante découverte. Voici comment M. de Gérando en a fait
connaître le premier motif dans sa notice biographique sur Joseph de
Montgolfier, et d'après ce que lui avait dit l'inventeur lui-même.

     Joseph Montgolfier se trouvait à Avignon et c'était à l'époque où
     les armées combinées tentaient le siège de Gibraltar. Seul, au
     coin de sa cheminée, rêvant selon sa coutume, il considérait une
     sorte d'estampe qui représentait les travaux du siège; il
     s'impatientait de voir qu'on ne pût atteindre au corps de la
     place, ni par terre, ni par eau. «Mais ne pourrait-on point y
     arriver au travers des airs? la fumée s'élève dans la cheminée;
     pourquoi n'emmagasinerait-on pas cette fumée de manière à en
     composer une force disponible?» Son esprit calcule à l'instant le
     poids d'une surface donnée de papier ou de taffetas; construit
     sans désemparer son petit ballon, et le voit s'élever du
     plancher, à la grande surprise de son hôtesse et avec une joie
     singulière. Il écrit sur-le-champ à son frère Étienne, qui était
     pour lors à Annonay[29]: «Prépare promptement des provisions de
     taffetas, de cordages, et tu verras une des choses les plus
     étonnantes du monde.»

         [Note 29: La lettre existe encore et a été produite à
         l'Institut à l'occasion de la nomination de Joseph de
         Montgolfier.]

C'est le 5 juin 1783 que Joseph et Étienne Montgolfier lancèrent
pour la première fois à l'air libre la sphère aérostatique. C'était
un ballon de papier gonflé d'air chaud. Il monta dans l'espace, en
présence des membres des États du Vivarais et de nombreux habitants
du pays.--Cette expérience eut un retentissement considérable; on
comprenait alors que la première étape était faite dans le chemin de
la conquête de l'atmosphère.

Le physicien Charles, et Robert construisirent à Paris le premier
ballon à gaz hydrogène; Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlandes
exécutèrent la première ascension que les hommes aient jamais faite,
en quittant le sol.

Une nouvelle et immense découverte venait d'accroître la liste des
victoires que le génie de l'homme remporte parfois sur la matière
inerte.

La découverte des ballons est une des plus grandes conquêtes que
l'on doive aux inventeurs. Elle a permis à l'homme de vaincre les
lois de la pesanteur qui semblaient l'attacher à jamais à la surface
de la terre qu'il habite: un jour viendra où elle apportera à
l'humanité des ressources immenses que nous pouvons à peine
soupçonner aujourd'hui.



DEUXIÈME PARTIE

L'AVIATION

OU LA LOCOMOTION ATMOSPHÉRIQUE

PAR LE PLUS LOURD QUE L'AIR

     Pour les ballons, le volume c'est la puissance, la surface c'est
     l'obstacle. C'est le contraire pour l'appareil d'aviation: pour
     lui, la surface c'est le point d'appui, le volume c'est la force
     qui l'attire vers le sol. Aussi il est à craindre, à mon sens,
     que les appareils d'aviation, autrement dit de vol mécanique, ne
     puissent atteindre d'ici longtemps à des dimensions suffisantes
     pour être utiles.

                                        ALPHONSE PÉNAUD.



I

LE VOL DES INSECTES ET DES OISEAUX

     L'oiseau artificiel de Borelli au dix-septième siècle. -- Les
     études de Navier. -- Les idées de M. Bell Pettigrew sur l'action
     de l'aile des êtres volants. -- Les travaux de M. Marey. -- M.
     Mouillard et M. Goupil.


La vue des insectes et des oiseaux qui volent dans l'air a souvent
donné aux mécaniciens l'idée d'imiter la nature et de construire des
appareils volants artificiels, soit en petit, à titre expérimental,
soit en grand, pour élever un homme et lui donner les facultés de se
mouvoir au sein de l'atmosphère.

Nous avons déjà étudié une partie des études ou des expériences qui
ont pu être faites à ce sujet dans les siècles passés; nous
examinerons ici le problème à un point de vue plus spécialement
scientifique, en passant d'abord en revue les travaux méthodiques
que l'on doit aux aviateurs et aux physiologistes.

L'étude du vol est déjà ancienne; on trouve une description très
bien faite d'ailes artificielles dans le _Motu animalium_ de
Borelli, datant de 1680, c'est-à-dire de plus de deux siècles. Dans
ses mémoires sur le vol considéré au point de vue de l'aéronautique,
un savant anglais, M. Bell Pettigrew, a fort bien résumé les idées
de l'ancien physiologiste et mathématicien italien[30].

         [Note 30: _La locomotion chez les animaux, ou marche,
         natation et vol_, par Bell Pettigrew, in-8º. Paris, Germer
         Baillière.]

     Il était familiarisé, dit M. Pettigrew, avec les propriétés du
     coin appliqué au vol, et connaissait également la flexibilité et
     l'élasticité des ailes. C'est à lui qu'on doit faire remonter la
     théorie purement mécanique de l'action des ailes. Il a figuré un
     oiseau avec des ailes artificielles dont chacune consiste en une
     baguette rigide en avant, et des plumes flexibles derrière. J'ai
     cru bon de reproduire la figure de Borelli à la fois à cause de
     sa grande antiquité et parce qu'elle éclaircit admirablement son
     texte[31]. Les ailes _b c f_, et _a_ (fig. 11) sont représentées
     comme frappant verticalement en bas _g h_. Elles s'accordent
     remarquablement avec celles décrites par Strauss-Durckheim,
     Girard, et tout récemment par le professeur Marey. Borelli pense
     que le vol résulte de l'application d'un plan incliné qui bat
     l'air, et qui fait l'office du coin. En effet, il s'efforce de
     prouver qu'un oiseau s'insinue dans l'air par la vibration
     perpendiculaire de ses ailes, les ailes pendant leur action
     formant un angle dont la base est dirigé vers la tête de
     l'oiseau, le sommet _a f_ étant dirigé vers la queue.

         [Note 31: _De motu animalium._]

[Illustration: Fig. 11.--Oiseau figuré par Borelli (1680).]

Borelli explique plus loin comment un coin étant poussé dans un
corps, il tend à le séparer en deux portions; mais si l'on permet
aux parties du corps de réagir sur le coin, elles communiqueront des
impulsions obliques aux faces du coin, et le feront sortir la base
la première, en ligne droite.

Poursuivant cette analogie, Borelli s'efforce de faire voir que si
l'air agit obliquement sur les ailes, le résultat sera un _transport
horizontal du corps de l'oiseau_. Si l'aile frappe _verticalement
vers le bas_, l'oiseau volera _horizontalement en avant_.

Je ne saurais mieux faire d'ailleurs que de citer textuellement les
passages les plus saillants de l'ouvrage de Borelli.

     Si l'air placé sous les ailes est frappé par les parties
     flexibles des ailes, avec un mouvement vertical, les voiles et
     les parties flexibles de l'aile céderont dans une direction
     ascendante et formeront un coin, ayant la pointe dirigée vers la
     queue. Que l'air, donc, frappe les ailes par dessous, ou que les
     ailes frappent l'air par dessous, le résultat est le même, les
     bords postérieurs ou flexibles des ailes cèdent dans une
     direction ascendante, et en agissant ainsi, poussent l'oiseau
     dans une direction horizontale.

     Quant au second point ou au mouvement transversal des oiseaux
     (c'est-à-dire au vol horizontal), quelques auteurs se sont
     étrangements mépris; ils pensent qu'il est semblable à celui des
     bateaux qui, poussés à l'aide de rames, se meuvent
     horizontalement dans la direction de la proue, et en pressant sur
     l'eau résistant en arrière, s'élancent avec un mouvement
     contraire et sont ainsi portés en avant. De la même manière,
     disent-ils, les ailes vibrent vers la queue, avec un mouvement
     horizontal et frappent également contre l'air non troublé, grâce
     à la résistance duquel elles se meuvent par une réflexion de
     mouvement. Mais c'est contraire au témoignage de nos yeux aussi
     bien qu'à la raison; car nous voyons que les plus grandes espèces
     d'oiseaux, tels que cygnes, oies, etc., ne font jamais en volant
     vibrer leurs ailes vers la queue avec un mouvement horizontal
     comme celui des rames, mais les courbent toujours vers le bas, et
     décrivent ainsi des cercles élevés perpendiculairement à
     l'horizon.

Plus d'un siècle s'écoula après Borelli, sans que l'étude du vol ait
été soumise à des observations précises.

En 1830, Navier a présenté à l'Académie des sciences des
considérations sur le mécanisme du vol chez les oiseaux, et la
possibilité d'approprier cette faculté à l'homme. Je vais m'efforcer
de reproduire succinctement les principaux arguments de l'auteur.

La première chose à déterminer, quand on examine la manière dont
s'opère le vol des oiseaux, est la force qu'ils emploient pour faire
mouvoir leurs ailes. Pour cela, il convient de les considérer, 1º
lorsqu'ils veulent s'élever verticalement ou planer dans l'air, sans
avancer ni reculer, en résistant seulement à l'action de la
pesanteur; 2º lorsqu'ils veulent se mouvoir horizontalement avec une
grande vitesse, dans un air calme, ou lutter contre un vent violent.

Lorsque l'oiseau plane simplement dans l'air, la vitesse
d'abaissement du centre de l'aile peut être estimée, d'après Navier,
à environ 7 mètres par seconde. Le temps de l'élévation de l'aile
est à peu près double de celui de l'abaissement, et le nombre de
vibrations ou battements des ailes dans une seconde est d'environ
23. La quantité de travail que dépense l'oiseau en une seconde est
égale à celle qui serait nécessaire pour élever son propre poids à 8
mètres de hauteur.

Lorsque l'oiseau peut se mouvoir horizontalement avec une grande
vitesse, comme 15 mètres par seconde, l'action de la pesanteur
devient alors très petite par rapport à la résistance que l'air
oppose au mouvement du corps, et cette action peut être négligée.
Par conséquent, le mouvement horizontal de l'oiseau exige que la
direction du battement des ailes soit aussi sensiblement
horizontale. La vitesse d'abaissement de l'aile doit être alors
trois fois et demie plus grande que la vitesse du déplacement de
l'oiseau dans cet air tranquille.

D'après ce qui précède, il est aisé de comparer, d'après Navier, la
quantité de travail que l'homme est capable de produire, avec celle
qu'exige le vol. L'oiseau qui plane dans l'air dépense dans chaque
seconde la quantité d'action nécessaire pour élever son poids à 8
mètres de hauteur. Un homme, employé, dans les travaux des arts, à
tourner une manivelle pendant huit heures par jour, est regardé
comme élevant moyennement, dans une seconde, un poids de 6
kilogrammes à 1 mètre de hauteur. En supposant que cet homme pèse 70
kilogrammes, cette quantité de travail est capable d'élever son
propre poids à 86 millimètres de hauteur. Ainsi, toutes proportions
gardées, elle n'est pas la 1/92e partie de celle que l'oiseau
dépense pour se soutenir dans l'air. Si l'homme était le maître de
dépenser, dans un temps aussi court qu'il le voudrait, la quantité
de travail qu'il dépense ordinairement en huit heures, on trouve
qu'il pourrait chaque jour se soutenir dans l'air pendant cinq
minutes; mais, comme il est fort éloigné d'avoir cette faculté, il
est évident qu'il ne pourrait se soutenir que pendant un temps
beaucoup moindre, ce qui ne serait sans doute qu'une portion très
petite d'une minute. Ces rapprochements montrent à quel point les
tentatives faites dans la vue de rendre l'homme capable de voler
étaient chimériques. «L'idée du vol ne pouvait être réalisée, dit
Navier, que dans des êtres poétiques, auxquels on attribuait, un
caractère divin, et par conséquent des forces sans limites et une
vigueur inépuisable.»

Nous ajouterons ici que les calculs de Navier n'avaient pour point
de départ aucune expérience, et qu'il est souvent facile de les
réfuter. Navier, par exemple, s'est cru autorisé à admettre que
dix-sept hirondelles dépenseraient le travail d'un cheval-vapeur!...
«Autant vaudrait, dit spirituellement M. Bertrand, prouver par le
calcul que les oiseaux ne peuvent pas voler, ce qui ne laisserait
pas d'être compromettant pour les mathématiques.»

En terminant son rapport, Navier dit cependant que la création d'un
art de la navigation aérienne est subordonnée à la découverte d'un
nouveau moteur dont l'action comporterait un appareil beaucoup moins
pesant que ceux qu'on connaît aujourd'hui[32].

         [Note 32: _Revue des revues_, 1830.]

Les travaux les plus importants qui ont été publiés dans les temps
modernes sur l'étude du vol aérien, sont dus à M. Pettigrew en
Angleterre, et surtout à M. le professeur Marey, qui, avec la
rigoureuse précision de la méthode expérimentale, a déterminé les
vrais mouvements des ailes des insectes et des oiseaux. M. Pettigrew
a cru voir dans la courbure de l'aile une surface gauche
hélicoïdale; frappé de cette coïncidence entre la forme de l'aile et
celle de l'hélice propulsive des navires, il en est arrivé à
considérer l'aile de l'oiseau comme une vis dont l'air serait
l'écrou.

     Nous ne croyons pas, a dit avec raison M. Marey, devoir réfuter
     une pareille théorie. Il est trop évident que le type alternatif
     qui appartient à tout mouvement musculaire ne saurait se prêter à
     produire l'action propulsive d'une hélice; car en admettant que
     l'aile pivote sur son axe, cette rotation se borne à une fraction
     de tour, puis est suivie d'une rotation de sens inverse, qui dans
     une hélice, détruirait complètement l'effet produit par le
     mouvement précédent.

M. Marey a étudié successivement le mécanisme du vol des insectes et
des oiseaux. Après avoir employé la méthode graphique à déterminer
le mouvement des ailes, le savant professeur est arrivé à reproduire
ce mouvement et à construire un insecte artificiel. Voici comment
l'auteur décrit lui-même ce remarquable appareil, que j'ai vu
fonctionner jadis au laboratoire du Collège de France.

[Illustration: Fig. 12.--Insecte mécanique de M. Marey.]

     Pour rendre plus saisissable l'action de l'aile de l'insecte et
     les effets de la résistance de l'air, voici l'appareil que nous
     avons construit. Soit (fig. 12) deux ailes artificielles
     composées d'une nervure rigide prolongée en arrière par un voile
     flexible fait de baudruche soutenue par de fines nervures
     d'acier; le plan de ces ailes est horizontal. Un mécanisme de
     leviers coudés les élève ou les abaisse sans leur imprimer aucun
     mouvement de latéralité. Le mouvement des ailes est commandé par
     un petit tambour de cuivre T dans lequel de l'air est foulé ou
     raréfié alternativement par l'action d'une pompe. Les faces
     circulaires de ce tambour sont formées de membranes de caoutchouc
     articulées aux deux ailes par des leviers coudés; l'air comprimé
     ou raréfié dans le tambour, imprime à ces membranes flexibles des
     mouvements puissants et rapides qui se transmettent aux deux
     ailes en même temps.

     Un tube horizontal équilibré par un contrepoids, permet à
     l'appareil de pivoter autour d'un axe central, et sert en même
     temps à conduire l'air de la pompe dans le tambour moteur. L'axe
     est formé d'une sorte de gazomètre à mercure qui produit une
     clôture hermétique des conduits de l'air, tout en permettant à
     l'instrument de tourner librement dans un plan horizontal. Ainsi
     disposé, l'appareil montre le mécanisme par lequel la résistance
     de l'air combinée avec les mouvements de l'aile produit la
     propulsion de l'insecte.

     En effet, si au moyen de la pompe à air on met en mouvement les
     ailes de l'insecte artificiel, on voit que l'appareil prend
     bientôt une rotation rapide, autour de son axe. Le mécanisme de
     la translation de l'insecte est donc éclairé par cette
     expérience, qui confirme pleinement les théories que nous avons
     déduites de l'analyse optique et graphique des mouvements de
     l'aile pendant le vol.

Pour que l'appareil qui vient d'être décrit, donne une idée complète
du vol de l'insecte, en changeant l'inclinaison du plan
d'oscillation de ses ailes, ce qui peut se faire par des mouvements
de l'abdomen qui déplacent le centre de gravité, l'insecte peut,
suivant les nécessités, augmenter sa tendance à voler en avant,
perdre sa vitesse acquise, ou enfin se jeter de côté. Grâce à des
modifications accessoires de son appareil, M. Marey a pu reproduire
artificiellement le planement ou vol ascendant.

Les études du savant professeur sur le vol des oiseaux ont été
conduites avec la même méthode. Par une analyse délicate, M. Marey a
déterminé les mouvements de l'aile pendant le vol; après avoir
déduit de ces observations les principes du mécanisme du vol, il a
su réaliser comme pour l'insecte la reproduction de quelques-uns de
ces phénomènes au moyen d'appareils artificiels.

M. Marey a donné sur la théorie du vol des idées qui se rapprochent
beaucoup de celles de Borelli.

     Sur ce sujet comme sur tous ceux qui ont beaucoup prêté à la
     discussion, presque tout a été dit, de sorte qu'il ne faut pas
     s'attendre à voir sortir de mes expériences une théorie
     entièrement neuve. C'est dans Borelli qu'on trouve la première
     idée juste sur le mécanisme du vol de l'oiseau. L'aile, dit cet
     auteur, agit sur l'air _comme_ un coin. En développant la pensée
     du savant physiologiste de Naples, on dirait aujourd'hui que
     l'aile de l'oiseau agit sur l'air à la façon d'un plan incliné,
     pour produire contre cette résistance une réaction qui pousse le
     corps de l'animal en haut et en avant. Confirmée par
     Strauss-Durckheim, cette théorie a été complétée par Liais, qui
     signale une double action de l'aile: d'abord celle qui, dans la
     phase d'abaissement de cet organe, soulève l'oiseau en lui
     imprimant une impulsion eu avant; ensuite l'action de l'aile
     remontante qui s'oriente à la façon d'un cerf-volant et soutient
     le corps de l'oiseau en attendant le coup d'aile qui va suivre.

     On nous a reproché d'aboutir à une théorie dont l'origine remonte
     à plus de deux siècles; nous préférons de beaucoup une ancienne
     vérité à la plus neuve des erreurs, aussi nous permettra-t-on de
     rendre au génie de Borelli la justice qui lui est due, en ne
     réclamant pour nous que le mérite d'avoir fourni la démonstration
     expérimentale d'une vérité déjà soupçonnée.

M. Marey, considérant, au point de vue de l'aéronautique, le
problème qu'il a si bien étudié en physiologiste, croit qu'il est
possible d'imiter le mécanisme du vol. Après les appareils d'étude
expérimentale que le savant professeur a réalisés, nous allons voir,
dans le chapitre suivant, que MM. Alphonse Pénaud, Tatin et d'autres
expérimentateurs ont, en effet, été plus loin en construisant des
petits oiseaux mécaniques qui volent d'eux-mêmes à l'air libre. M.
Marey ne doute pas que l'on puisse dépasser encore ces résultats.
«Nous avons prouvé, dit-il, que rien n'est impossible dans l'analyse
des mouvements du vol de l'oiseau; on nous accordera sans doute que
la mécanique peut toujours reproduire un mouvement dont la nature
est bien définie.»

Dans ces derniers temps, deux aviateurs, M. Mouillard et M. Goupil,
ne se sont pas montrés moins affirmatifs, mais sans avoir pu
cependant donner aucune preuve de démonstration expérimentale, M.
Mouillard a exécuté plusieurs essais à l'aide d'un appareil de vol
qu'il avait construit, mais sans réussir à se soulever du sol[33].

         [Note 33: Voy. L. P. Mouillard. _L'empire de l'air, essai
         d'ornithologie appliquée à l'aviation_, 1 vol. in-8º. Paris,
         G. Masson, 1881.]

M. Goupil a étudié les conditions mécaniques du vol et il a donné
notamment quelques chiffres intéressants à reproduire.

     Un pigeon de 420 grammes dépense 2 kilogrammètres et demi, pour
     se soutenir immobile dans l'espace en air calme; j'ai déterminé
     ce chiffre de deux façons différentes, en voici une troisième.

     Un pigeon de ce poids que j'ai eu occasion d'examiner fréquemment
     à mes pieds, que j'ai pesé et mesuré, avait l'habitude de voleter
     à 0{m},70 environ au-dessus du sol, je ne sais pourquoi; ce
     travail pénible lui demandait six coups d'ailes par seconde à
     l'amplitude de 170 degrés, ce qui, au centre de l'aile,
     équivalait à 0{m},50 d'arc décrit; dans ce cas, la violence du
     battement est à peu près telle en relevant l'aile qu'en
     l'abaissant, car la position du corps est à 45°, et l'arc décrit
     par les ailes est dans un plan presque horizontal; l'effort moyen
     était nécessairement égal au poids de l'animal et le chemin
     parcouru de 12 fois 0{m}, 50, soit: 6m x 0{k},420 = 2{kgm}, 50.
     On peut évaluer à 8 chevaux par 100 kilog. le travail développé
     dans ce cas pour produire la sustentation totale. La surface
     mesurant 0{m},09, cette espèce dispose donc de 27{kgm} par mètre
     carré, et sa surface d'aile mesurant 0{m},06, il dispose de 40
     kilogrammètres par mètre carré d'aile. Avec cela il est maître de
     sa voilure et ne redoute ni les coups de vent, ni la tempête[34].

         [Note 34: _La locomotion aérienne._ Étude par A. Goupil. 1
         vol. in-8º. Charleville, 1884.]

M. Goupil tire de ses calculs la conclusion suivante: L'homme par sa
seule puissance ne peut produire le vol ramé, ni l'ascension
directe. Mais il peut, avec un appareil bien conditionné, produire
un planement horizontal à la condition de pouvoir se mettre en
vitesse.



II

LES MACHINES VOLANTES ARTIFICIELLES OU ORTHOPTÈRES

     Machine volante de Gérard en 1784. -- Projet d'homme volant de C.
     F. Meerwein. -- Vol artificiel à tire-d'ailes. -- L'horloger
     Degen. -- Les expériences de 1812. -- Machine volante de Kaufmann
     en 1860. -- Un projet d'Edison. -- Oiseaux mécaniques de Le Bris,
     d'Alphonse Penaud, du Dr Hureau de Villeneuve, de Victor Tatin,
     etc.


Les aviateurs désignent sous le nom d'_orthoptères_ des appareils de
vol mécanique qui ont pour organes principaux des surfaces animées
de mouvements à peu près verticaux; ce sont en un mot des systèmes à
ailes battantes artificielles. On les distingue des _hélicoptères_,
qui se soutiennent à l'aide d'hélices en rotation autour d'un axe,
et des _aéroplanes_ formées de surfaces plates inclinées d'un petit
angle sur l'horizon et poussées à l'aide de propulseurs.

En 1783 et en 1784, quand les premières ascensions aérostatiques
surexcitèrent l'esprit public, il ne manqua pas d'aviateurs pour
proposer différents systèmes de machines volantes.--Gérard dès 1784,
publia son _Essai sur l'art du vol aérien_[35], où il donne le naïf
dessin que nous reproduisons d'une machine volante (fig. 13),
oubliant de parler des organes essentiels de l'appareil: le
mécanisme proprement dit et le moteur.

         [Note 35: _Essai sur l'art du vol aérien_, avec figures, 1
         vol. in-32. Paris, 1784.]

[Illustration: Fig 13.--Machine volante de Gérard (1784).]

La même année, C. F. Meerwein, architecte du prince de Galles,
proposa de construire un grand appareil destiné à un homme
volant[36]. Cet appareil devait être formé de deux grandes ailes
qu'un homme fixé au milieu, à l'aide de courroies, aurait fait
fonctionner lui-même. Nous donnons l'aspect de l'appareil, vu en
dessous et de côté par l'avant (fig. 14), d'après la figure même
qu'en a publiée l'auteur en 1784.

         [Note 36: _L'art de voler à la manière des oiseaux_, par
         Charles Meerwein. À Basle, 1784, in-8º de 48 pages avec 2
         planches hors texte.]

Ce que des écrivains plus ou moins compétents, s'étaient bornés à
proposer à la fin du siècle dernier, après la découverte des
aérostats, des hommes de hardiesse ont voulu parfois le réaliser à
une époque plus récente.

Au commencement de ce siècle, le public se préoccupa très vivement
de l'aviation par le _vol artificiel à tire-d'ailes_, à la suite de
deux entreprises qui eurent un très grand retentissement. La
première est celle d'un nommé Calais qui, en 1801, annonça qu'il
s'élèverait dans les airs au moyen d'un appareil volant de son
invention; l'expérience se fit au jardin Marboeuf, à Paris: elle fut
malheureuse et ridicule et nous n'avons rien à en dire.

La seconde tentative attira l'attention de l'Europe entière et
produisit une grande émotion. Elle eut pour acteur un horloger de
Vienne nommé Degen, qui commença à faire parler de lui en 1809. À
cette époque tous les journaux annoncèrent que Degen s'était élevé
dans les airs, à Vienne, au moyen d'une machine de son invention.

[Illustration: Fig. 14.--Projet d'homme volant de C. F. Meerwein
(1784).]

On comprend combien la curiosité publique dut être tenue en éveil
par cette nouvelle, et on ne tarda pas à publier à Paris quelques
détails sur le système du mécanicien viennois.

Il était difficile de bien juger l'invention de Degen, parce que les
détails qu'on en donnait, étaient très incomplets. Voici ce qu'on
avait lu dans une feuille allemande:

     M. Jacques Degen[37], habile horloger de Vienne, vient de
     s'élever dans l'air comme un oiseau, par un procédé de son
     invention. Il s'applique deux ailes artificielles faites de
     petits morceaux de papier, joints ensemble avec de la soie la
     plus fine. En battant de ces ailes, il s'élève avec beaucoup de
     rapidité, et dans une direction soit perpendiculaire, soit
     oblique, jusqu'à la hauteur de cinquante-quatre pieds. Son
     expérience, qui eut lieu devant une société nombreuse, lui valut
     les plus vifs applaudissements.

         [Note 37: Le vrai nom de l'inventeur était Jacob Degen.
         Depuis on a presque toujours écrit Deghen. Nous avons
         conservé l'orthographe primitive du nom.]

Un savant de Leipsick, M. Zacharie, avait publié les gravures que
nous reproduisons ci-contre, en les réduisant (fig. 15 et 16), et
qui ne tardèrent pas à être exposées chez tous les marchands
d'estampes de Paris. Il avait ajouté quelques pages de texte où il
faisait des restrictions prudentes. M. Degen s'est élevé. Pourquoi
oublie-t-on de dire quel jour et à quelle heure? La société était
nombreuse: pourquoi ne nomme-t-on personne? Quoi qu'il en soit de
ces réserves, le savant Allemand donne la description du mécanisme.
Nous allons en reproduire les passages les plus saillants.

[Illustration: Fig. 15.--Appareil volant de Degen (1812).]

Les deux ailes présentent une carcasse probablement de jonc ou de
baleine, à peu près comme celle d'un parasol, et dont les parties,
pour réunir à la plus grande ténuité la plus grande raideur, sont
combinées par en haut, ainsi que par en bas, par de petites cordes,
attachées au-dessus et au-dessous de l'aile, à une forte baguette
qui passe comme un axe par le milieu. On voit à chaque aile
plusieurs systèmes de cordes dont l'effet devait être de donner à
chaque parasol beaucoup de solidité.

[Illustration: Fig. 16.--Appareil de Degen, figuré en plan.]

Un point important se trouvait caché dans ces descriptions, Degen
n'en parlait pas: c'est que le système, avec l'aviateur, devait être
attaché à un petit ballon gonflé de gaz hydrogène. L'inventeur avait
la prétention, à l'aide de ses ailes, d'entraîner l'aérostat qui le
soulevait, et de le diriger dans l'atmosphère. Le projet n'était pas
réalisable, l'aérostat sphérique destiné à enlever le poids d'un
homme offrant déjà un volume et une surface considérables.

Nous résumerons d'une façon complète l'histoire malheureuse des
expériences exécutées par Degen à Paris en 1812, en reproduisant les
articles qui ont successivement été publiés à ce sujet dans le
_Journal de Paris_.

Le premier article que l'on va lire est d'autant plus intéressant,
qu'il a été écrit par Garnerin, le célèbre expérimentateur du
parachute.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ DU 9 JUIN 1812.

M. DEGEN

_Volera-t-il? Ne volera-t-il pas?_

     Voila ce qu'on se dit depuis quelques jours, dans les places
     publiques, dans les promenades, dans les salons dorés, dans les
     boutiques des marchands: volera-t-il, ne volera-t-il pas? à quoi
     servent les journalistes s'ils ne parlent jamais qu'après
     l'événement? à quoi servent-ils surtout, si, imitant certain
     critique de théâtre, ils ne nous disent pas même la vérité après
     l'événement, et s'ils prennent, suivant leur intérêt personnel,
     les applaudissemens pour des sifflets, et les sifflets pour des
     applaudissemens?

     Moi, j'oserai prendre franchement l'initiative, au risque de
     faire rire de pitié ces ignorans orgueilleux qui se disent
     sceptiques par principe et qui ne le sont que par sottise.

     Avant que les hommes aient trouvé une substance spécifiquement
     plus légère que l'air atmosphérique prête à les soutenir dans
     l'espace, on a pu douter du succès de semblables tentatives; mais
     aujourd'hui que le gaz inflammable est employé avec tant de
     facilité pour élever les corps, on conçoit qu'une semblable
     expérience offre beaucoup de chances de succès.

     Il est certain que plusieurs animaux, sans avoir rien de commun
     avec les oiseaux, du moins quant à l'organisation, peuvent
     s'élever dans les airs et même voler: c'est ce que font les
     chauves-souris, et quelques espèces d'écureuils qui sont des
     animaux à poils et à mamelles. Certains lézards volent d'un arbre
     à l'autre, des poissons même s'élèvent pendant quelques instans
     dans les airs en se servant de leurs nageoires comme les
     volatiles se servent de leurs ailes; nul doute que la mécanique
     seule ne pût parvenir à faire des espèces d'ailes avec lesquelles
     on pourrait quelque tems se soutenir dans les airs et même aller
     d'un lieu à un autre.

     Il ne faut donc pas être surpris que quelques têtes ardentes
     aient tenté l'entreprise. Dans le siècle dernier, Bacqueville et
     Blanchard eurent l'intention de voler; l'un vola aussi bien et
     presque aussi longtemps que l'espèce de lézard connu sous le nom
     de dragon; l'autre s'occupait depuis longtemps de la construction
     d'un bateau à ailes, que j'ai vu, il y a environ 25 ans, chez
     l'abbé Viennai, au faubourg Saint-Germain. La découverte des
     aérostats par Montgolfier, l'application du gaz inflammable à la
     formation des ballons, le détourna de son projet, et Blanchard
     trouva plus commode et plus sûr de suspendre sa nacelle à un
     ballon aérostatique.

     Il y a quelques années qu'un M. Pauly construisit ce qu'il
     appelait un poisson volant, avec lequel on m'a dit qu'il obtint
     des résultats assez heureux et qui faisaient du moins prévoir la
     possibilité de louvoyer dans les airs: je ne parle pas de ce
     prétendu mécanicien qui se fit hisser au haut d'un mât pour
     retomber de tout son poids; les tentatives d'un tel homme
     n'offrent rien de décourageant pour ceux qui ont quelques
     connaissances réelles.

     Au surplus, de ce que des mécaniciens n'ont pas encore réussi
     complettement dans la construction d'ailes propres à les soutenir
     dans les airs, on ne doit pas conclure que cela est physiquement
     impossible; lorsqu'un projet ne répugne pas absolument à la
     raison et aux lois bien connues de la physique, il faut se
     rappeler ces beaux vers:

       «Croire tout découvert est une erreur profonde;
       C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.»

     La belle et audacieuse expérience des parachutes prouverait seule
     qu'on peut se soutenir dans les airs par des moyens à peu près
     semblables à ceux des écureuils volants, des dragons, etc.; mais
     j'avoue que ces moyens, qui doivent consister dans une ingénieuse
     combinaison de leviers, me paraissent offrir les plus grandes
     difficultés, et qu'un homme de génie pourra seul les trouver.
     Cependant, aujourd'hui qu'on peut s'aider du gaz hydrogène, comme
     le fait M. Degen, _la possibilité de se diriger_ m'est démontrée.

     M. Degen a-t-il trouvé les moyens mécaniques dont la combinaison
     peut faire mouvoir des ailes propres à le diriger dans l'espace?
     c'est ce que nous saurons bientôt, car je déclare qu'au moment où
     j'écris cette note, je n'ai encore vu ni M. Degen, ni son
     appareil mécanique; mais je déclare aussi que quand son
     expérience n'aurait pas tout le succès que sa réputation semble
     promettre, cela ne devrait point ralentir le zèle de ceux qui
     voudraient tenter une semblable entreprise.

     J'ajouterai que d'après ce qu'on m'a dit des moyens ingénieux
     employés par M. Degen, je crois qu'il est possible de
     perfectionner ce qu'il a fait, et je suis persuadé que tous les
     physiciens seront de mon avis.

     Mais, volera-t-il, ne volera-t-il pas? diront encore les
     incrédules. Je pourrais répondre comme ces bonnes gens: je vous
     dirai cela ce soir; mais je réponds franchement: je crois qu'il
     volera; mais, je le répète, s'il ne vole pas il ne m'en sera pas
     moins démontré qu'il est possible de se diriger dans les airs.

Après ce premier article, le public eut quelques renseignements plus
précis dans une notice spécialement consacrée au mécanisme de
l'inventeur.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ DU MERCREDI 10 JUIN 1812.

     À côté de la grande affiche de Tivoli, on en avait placé hier une
     seconde que les curieux lisaient avec beaucoup d'attention, et
     qui contient quelques renseignemens sur les moyens employés par
     M. Degen, et sur le degré de gloire auquel il aspire comme
     mécanicien. Nous allons transcrire textuellement cette affiche:

     «C'est après avoir fait une étude profonde et réfléchie du
     mécanisme naturel du vol des oiseaux, que M. Degen a imaginé ce
     qu'il appelle sa machine à voler.

     «Son travail est absolument calqué sur celui de la nature, et ses
     ailes ont la même forme et la même légèreté, proportion gardée,
     que celles des oiseaux. Il leur imprime le même mouvement et en
     obtient le même résultat, enfin il se dirige dans tous les sens,
     monte et descend à volonté et plane dans les airs avec une
     facilité et une vitesse telles qu'il peut faire 14 lieues en une
     heure, lorsqu'il n'est pas trop contrarié par le vent; car alors
     son travail devient plus pénible et il est obligé de louvoyer.
     Tous ces mouvemens s'exécutent sans aucune espèce de danger pour
     lui ni pour son appareil. Il arrive à terre aussi lentement qu'il
     le désire et repart de nouveau pour reprendre une nouvelle
     direction; il vole ou s'arrête à volonté.

     «Ses ailes, car on peut leur donner ce nom, ont 22 pieds
     d'envergure et 8 pieds et demi dans leur plus grande largeur.
     Chaque mouvement qu'il leur imprime déplace 130 pieds carrés
     d'air atmosphérique, et à chacun des battemens il pourrait
     enlever un poids de 160 livres, tandis que la force
     ascensionnelle du ballon dont il se sert n'est que de 90 livres
     environ: ce qui donne en faveur de ses ailes quand elles sont en
     mouvement une différence de 70 livres. Ce mécanicien observe que
     ce ballon ne lui est d'aucune utilité pour sa direction, mais il
     est obligé de l'employer comme contrepoids, pour le maintenir en
     équilibre et le soulager en même tems dans sa manoeuvre; du
     reste, il en est parfaitement le maître, et le force à suivre
     tous ses mouvemens.

     «M. Degen, laisse aux Français l'honneur de la découverte sublime
     des ballons; mais il réclame pour lui celle de la direction à
     volonté, que personne n'a encore pu trouver jusqu'à présent.

     «En conséquence, il prie le public qui voudra bien l'honorer de
     sa présence, de ne considérer son expérience que sous le seul
     rapport de la direction, le ballon n'étant qu'un faible
     accessoire qui n'entre pour rien dans la composition ni dans le
     mécanisme de la machine dont il est l'inventeur.»

     À ces détails, nous ajouterons que chacune de ses ailes déployée,
     et vue en dessus ou en dessous, a la forme de certaines feuilles
     d'arbres très connus, tels que le peuplier et le tremble.

     Ces ailes sont formées de parties séparées destinées à imiter les
     plumes des oiseaux; ce sont des bandes de taffetas montées sur
     des baguettes de rotang ou jonc, une foule de cordages bien
     déliés les font mouvoir au moyen de pièces principales.

     Ces ailes sont fixées à une espèce de collier qui fait partie de
     l'ensemble de la machine; ainsi, elles sont situées un peu
     au-dessus de ses épaules. Les traverses auxquelles aboutissent
     tous les cordages sont placées en avant et en arrière du
     mécanicien, à la hauteur des hanches ou environ: c'est sur ces
     traverses qu'il pose de chaque côté une de ses mains pour
     imprimer le mouvement aux ailes. Les pieds du mécanicien sont
     posés sur une traverse inférieure; et comme tout cet appareil est
     suspendu au ballon, M. Degen est dans une situation verticale;
     situation que la nature semble prescrire à l'homme, tandis que
     les animaux qui ont des ailes, des membranes, ou des peaux pour
     s'élever dans les airs, se tiennent dans une situation
     horizontale. On dit que tout cet appareil mécanique, en apparence
     compliqué mais en effet fort simple, ne pèse pas vingt livres.

     Le ballon qui sert à favoriser l'ascension a un diamètre à peu
     près égal à l'envergure des ailes.

     Nous rendrons compte demain du résultat de cette expérience.

On va voir que la première expérience de Degen n'eut qu'un bien
piètre succès.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ DU VENDREDY 12 JUIN 1812.

     Nos lecteurs auront facilement corrigé deux mots dans l'article
     inséré hier dans le feuilleton sur M. Degen, eu substituant
     avant-hier à hier dans le second et le troisième paragraphe et
     commençant le quatrième par le mot hier; en effet, tout le monde
     sait que c'est mardi qu'on a affiché, ainsi que nous l'avons dit,
     la remise de l'expérience au lendemain.

     C'est à huit heures un quart, mercredi, que M. Degen est parti de
     Tivoli. Hier, à quatre heures de l'après-midi, nous avons appris
     qu'il était arrivé sans accident après s'être accroché, en rasant
     la terre, au mur du parc de Sceaux, côté du sud, près la route de
     Versailles à Choisy, et était descendu à Chatenay, où il a été
     accueilli par Mme Pinon et M. Grivois, propriétaires.

     On dit que pendant l'expérience de M. Degen, deux auteurs du
     Théâtre des Variétés faisaient le plan d'une pièce intitulée
     _Vol-au-vent_, destinée à ce théâtre. On ajoute que le Vaudeville
     compte aussi célébrer le départ de M. Degen.

L'inventeur ne perdit pas confiance, et la presse continua à lui
prêter son concours, pour lui permettre de reprendre sa revanche.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ DU MARDI 16 JUIN 1812.

VARIÉTÉS

_Donnons-lui sa revanche_

     Nos pères ont bien mal fait de mourir si vite. Pourquoi se
     sont-ils tant pressés? que de belles choses ils auraient vues,
     s'ils avaient voulu se donner la peine d'attendre un instant!
     Pauvres gens! je les plains, ils marchaient: nous volons
     aujourd'hui. Cette découverte aurait dû être faite par un
     Français; nous sommes si légers! mais la gloire en était réservée
     aux Allemands. C'est grâce à M. Degen qu'il est reconnu que
     l'homme est un volatile. L'illustre inventeur, fort de sa
     conscience et de ses ailes de 22 pieds d'envergure, s'est élevé
     majestueusement dans les airs, où je crois qu'il serait encore,
     s'il ne s'était souvenu qu'il avait un petit compte à régler avec
     le caissier de Tivoli. Cependant, il faut bien en convenir, M.
     Degen n'a pas tenu ce qu'il nous avait promis; il devait, si j'ai
     bien lu son affiche, se diriger contre le vent; et de fort
     honnêtes gens prétendent que c'est le vent qui a dirigé M. Degen;
     en vérité, ce vent du nord est trop honnête; il a cru, sans
     doute, rendre un service au mécanicien de Vienne en le secondant
     de son mieux: ce n'était point là ce qu'on lui demandait. De son
     côté, M. Degen, en homme qui sait vivre, n'a point voulu
     contrarier un hôte aussi obligeant, et il a consenti pour cette
     fois seulement à faire toutes ses volontés; mais il ne faut pas
     que le vent du nord s'y habitue, sinon M. Degen partira par un
     vent du midi, et au lieu d'aller de Tivoli à Chatenay, il
     pourrait bien venir de Chatenay à Tivoli, ce qui changerait sa
     direction.

     Quoi qu'il en soit, et malgré toutes les plaisanteries qu'on a pu
     faire sur le vol à tire-d'ailes, il serait souverainement injuste
     de juger le mérite d'une invention d'après une seule expérience;
     M. Degen a perdu la partie, donnons-lui sa revanche. Tant de gens
     marchent ici-bas en tâtonnant qu'il est bien permis de tâtonner
     dans les airs. Les premiers essais, d'ailleurs, sont toujours
     très faibles, et je tiens d'un savant très distingué que le
     premier vaisseau qui fut lancé n'était point un vaisseau de 74.
     L'important dans les découvertes est de faire un pas, le temps se
     charge du reste.

     L'eussiez-vous jamais deviné? certes, celui qui trouva la
     gravitation n'était pas un sot, au moins je le présume. Mais que
     doit-on penser du savant mécanicien dont le génie fait de l'homme
     un oiseau, et nous apprend à planer dans les airs contre vent et
     marée? Depuis cette admirable découverte, il ne faut plus
     regarder les pieds que d'un air de dédain, et comme une de ces
     superfluités dont on sait bien se passer au besoin, car lorsqu'on
     peut voler ce n'est que par complaisance que l'on consent à
     marcher. Mais voyez donc toutes ces personnes qui s'offrent à
     votre rencontre: ne leur trouvez-vous pas une démarche plus
     légère, plus vive et plus animée? ne diriez-vous pas qu'elles
     sont prêtes à s'envoler? elles effleurent à peine la terre qui
     n'est plus leur seul élément; il y a dans leur allure, dans leurs
     mouvemens, quelque chose d'aërien: n'en soyez pas surpris;

       «Même quand l'oiseau marche, on sent qu'il a des ailes.»

     Chacun va s'empresser de profiter de cette heureuse invention.

     Pour en venir à M. Degen, je crois très fermement qu'il fera à
     Paris tout ce qu'il a fait à Vienne, mais je l'invite à bien
     prendre ses mesures. Nous avons ici des gens bien prudens, bien
     avisés, qui regardent toujours d'où le vent souffle.

Le deuxième essai de l'infortuné Degen ne fut pas plus heureux que
le premier.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ 8 JUILLET 1812.

     La deuxième expérience aérostatique de M. Degen a eu lieu hier
     soir, par un très beau temps, devant une grande affluence de
     curieux; elle n'a pas été moins contrariée que la première; les
     personnes qui avaient été chargées de remplir le ballon avaient
     mal préparé et employé le gaz, il en est résulté que le ballon
     s'est chargé dans son intérieur de beaucoup d'eau, et qu'il n'a
     pu s'élever d'abord qu'à 15 pieds de terre. Bientôt il s'est
     dégagé d'une grande partie de son lest, et il s'est élevé
     majestueusement dans les airs. Au mouvement de ses ailes on eût
     dit un oiseau colossal; son ballon, dominé par le vent, a suivi
     la direction du nord-est; pendant quelques instans il a résisté
     au courant qui l'entraînait, et il a paru stationnaire, mais il a
     disparu. Ces différentes circonstances peuvent faire croire
     qu'avec un ballon mieux préparé, il obtiendra plus de succès.

Les extraits suivants, qui donnent le funeste dénouement de la
troisième expérience de Degen, termineront l'histoire de ce
malheureux homme volant.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ DU 4 OCTOBRE 1812.

     La troisième expérience de M. Degen aura lieu au champ de Mars
     demain 5 octobre, à 3 heures après-midi, si le tems le permet,
     sinon, le premier beau jour suivant. Prix des places: premières
     10 francs, deuxièmes 5 francs, troisièmes 2 francs. On trouve
     tous les jours des billets chez M. Degen, Avenue du Champ de
     Mars, numéro 10; chez M. Cardinaux, horloger, boulevard
     Poissonnière, numéro 18; chez M. Auger, parfumeur, rue de la
     Michodière, numéro 12; et au café de la Rotonde (Palais-Royal).
     Les billets de 2 francs on les aura dans ces 4 endroits à 1 fr.
     50, pour la facilité du public et pour prévenir la foule à la
     caisse; mais on les payera 2 francs dans les bureaux qui seront
     établis à l'entrée du champ de Mars.


EXTRAIT DU _Journal de Paris_ DU 6 OCTOBRE 1812.

     M. Degen, qui a été accueilli en France avec indulgence, a prouvé
     hier qu'il n'était qu'un misérable charlatan qui ne cherchait
     qu'à tromper le public; ne pouvant remplir ses promesses, il a
     été exposé à l'indignation des spectateurs, et l'intervention de
     la police a été nécessaire pour prévenir les désordres auxquels
     il avait donné lieu. La recette a été saisie et envoyée au bureau
     de bienfaisance, de sorte que M. Degen n'a volé en aucune
     manière.

On voit que ce dernier article était d'une sévérité extrême. Le
malheureux Degen, lors de sa troisième expérience au champ de Mars,
fut roué de coups par la foule, et il fut ensuite bafoué, caricaturé
et chansonné. L'acteur Brunet le représenta avec grand succès sous
le nom de _Vol-au-Vent_, dans une pièce comique du théâtre des
Variétés, intitulée: _Le Pâtissier d'Asnières._

Il paraîtrait cependant, d'après Dupuis Delcourt, que Degen était un
honnête homme, plein de sincérité et de bonne foi. Il aurait fait à
Vienne quelques expériences d'étude, à l'aide de son système d'ailes
artificielles équilibré par une corde soutenue par des contrepoids.

Voici l'appréciation que nous trouvons sur Degen dans les notes
inédites de Dupuis Delcourt:

     En examinant à distance les travaux de Jacob Degen, on en vient à
     lui rendre plus de justice. M. Degen, dans les ascensions
     publiques qu'il a faites à Paris, non plus que dans celles qu'il
     avait exécutées précédemment (1809, 1810) à Vienne et à
     Luxembourg, n'avait point exécuté le _vol à tire-d'ailes_ qu'il
     avait annoncé; son expérience n'était pas complète; mais il y
     serait parvenu, je n'en doute pas, s'il avait été convenablement
     encouragé et soutenu. Sa machine, très ingénieuse, était
     imparfaite encore sans doute; n'en est-il pas ainsi de tous les
     travaux humains? Rien ne vient à sa perfection du premier jet.
     Minerve, dit la Fable, sortit un jour tout armée du cerveau de
     Jupiter. Mais Jupiter était un dieu, et nous ne sommes que des
     hommes.

     M. Degen était un habile horloger, fort expert en mécanique[38].

         [Note 38: Collection Tissandier. Manuscrits.]

La force d'un homme est assurément impuissante à faire fonctionner
des ailes capables de l'enlever dans l'atmosphère. Nombre de
physiciens ont essayé de recourir à la mécanique pour lui emprunter
une force motrice suffisante.

[Illustration: Fig. 17.--Machine volante de Kaufmann (1860).]

Lors de l'exposition aéronautique qui eut lieu à Londres en 1860, on
a beaucoup parlé d'une grande machine volante à vapeur imaginée par
M. Kaufmann. Cette machine que nous représentons ci-dessus (fig. 17)
était destinée à pouvoir se mouvoir sur terre au moyen de roues, sur
l'eau en flottant comme un bateau, et dans l'air à l'aide de grandes
ailes qu'un mécanisme puissant devait mettre en mouvement. Un modèle
de petite dimension fut construit par M. Kaufmann; l'appareil
fonctionna sur terre et sur l'eau, mais il se trouva absolument
incapable de s'élever dans l'air au moyen de ses ailes.

Le poids de l'appareil de M. Kaufmann était de 5 175 kilogrammes
sous un volume de 7 mètres cubes. Il devait avoir pour moteur une
machine à vapeur de 50 chevaux. Il ne fut jamais construit en grand
et n'aurait assurément pas fonctionné.

[Illustration: Fig. 18.--Appareil volant d'Edison.]

Dans ces derniers temps, les journaux américains ont prétendu que
leur célèbre inventeur Edison s'était préoccupé de construire une
machine volante de grande dimension. Quelques-uns d'entre eux ont
même donné l'aspect de la machine que le physicien aurait imaginée.
Nous reproduisons ce dessin à titre de curiosité (fig. 18), non sans
ajouter qu'il s'agit probablement d'une fantaisie, due à quelque
_reporter_ à court de nouvelles.

Ce qu'il a été jusqu'ici impossible de réaliser en grand, quelques
habiles constructeurs ont pu le faire en petit, sous forme
d'appareils très légers et fonctionnant pendant un temps très court.

En 1857, Le Bris construisit un petit oiseau artificiel dont nous
donnons l'aspect (fig. 19), et qui, paraît-il, permit de réaliser
quelques essais intéressants.

L'auteur produisait l'abaissement des ailes au moyen de leviers
articulés, que des ressorts relevaient avec une grande énergie; mais
le système en définitive ne quittait pas le sol pour s'élever dans
l'air.

[Illustration: Fig. 19.--Oiseau artificiel de Le Bris (1857).]

Nous avons vu que dès 1870, M. Marey a pu faire faire un premier pas
très remarquable au problème du vol artificiel en faisant
fonctionner des insectes artificiels attelés à un petit manège; il
restait encore, après ces essais, à gagner les deux tiers restants
du poids en perfectionnant l'action de l'aile, et à faire emporter
aux appareils leur moteur au lieu de les mettre en mouvement par une
force extérieure. C'est ce que réalisa Alphonse Pénaud vers la fin
de l'année 1871, en employant le caoutchouc tordu, comme moteur de
petits oiseaux artificiels. Nous reproduisons ici une partie d'un
remarquable mémoire de M. Pénaud, travail considérable qui a été
couronné par l'Académie des sciences:

     Au milieu des théories diverses de l'aile que donnaient Borelli,
     Huber, Dubochet, Strauss-Durckheim, Liais, Pettigrew, Marey,
     d'Esterno, de Lucy, Artingstall, etc., et des mouvements si
     compliqués qu'ils assignaient à cet organe et à chacune de ses
     plumes, mouvements dont la plupart étaient inimitables pour un
     appareil mécanique, nous nous décidâmes à chercher nous-même par
     le raisonnement seul, appuyé sur les lois de la résistance de
     l'air et quelques faits d'observation la plus simple, quels
     étaient les _mouvements rigoureusement nécessaires de l'aile_.
     Nous trouvâmes: 1º une _oscillation double_, abaissement et
     relèvement, transversale à la trajectoire suivie par le volateur;
     2º le _changement de plan de la rame_ pendant ce double
     mouvement; la face inférieure de l'aile regardant en bas et en
     arrière pendant l'abaissement, de façon à soutenir et à
     propulser; cette même face regardant en bas et en avant pendant
     le relèvement, de façon que l'aile puisse se relever sans
     éprouver de résistance sensible et en coupant l'air par sa
     tranche, tandis que l'oiseau se meut dans les airs. Ces
     mouvements étaient d'ailleurs admis par un grand nombre
     d'observateurs, et fort nettement exposés, en particulier, par
     Strauss-Durckheim et MM. Liais et Marey.

     Mais, en considérant la difficulté de la construction de notre
     oiseau mécanique, nous dûmes, malgré notre désir de faire un
     appareil simple et facile à comprendre, chercher à perfectionner
     ce jeu un peu sommaire. Il est évident d'abord que les
     différentes parties de l'aile, depuis sa racine jusqu'à son
     extrémité, sont loin d'agir sur l'air dans les mêmes conditions.
     La partie interne de l'aile, dénuée de vitesse propre, ne saurait
     produire aucun effet propulsif à aucune période du battement,
     mais elle est loin d'être inutile, et l'on comprend que pendant
     la rapide translation de l'oiseau dans l'espace elle peut, en
     présentant sa face inférieure en bas et un peu en avant, faire
     cerf-volant pendant le relèvement comme pendant l'abaissement, et
     soutenir ainsi d'une façon continue une partie du poids de
     l'oiseau. La partie moyenne de l'aile a un jeu intermédiaire
     entre celui de la partie interne de l'aile et celui de la partie
     externe ou rame. De la sorte, l'aile, pendant son action, est
     tordue sur elle-même d'une façon continue depuis sa racine
     jusqu'à son extrémité. Le plan de l'aile à sa racine varie peu
     pendant la durée des battements; le plan de l'aile médiane se
     déplace sensiblement, de part et d'autre de sa position moyenne;
     enfin la rame, et surtout sa portion extrême, éprouvent des
     changements de plans notables. Ces gauchissements de l'aile se
     modifient à chaque instant du relèvement et de l'abaissement,
     dans le sens que nous avons indiqué; aux extrémités de ses
     oscillations l'aile est à peu près plane. Le jeu de l'aile se
     trouve ainsi intermédiaire entre celui d'un plan incliné et celui
     d'une branche d'hélice à pas très long et incessamment variable.

     Malgré les différences de leurs théories entre elles et avec
     celle-ci, divers auteurs nous donnaient, tantôt l'un, tantôt
     l'autre, des confirmations de la plupart de ces idées. Ainsi la
     torsion de l'aile avait été déjà très bien signalée par Dubochet
     et M. Pettigrew, qui a longuement insisté à son égard; il a
     seulement pris, selon nous, le galbe du relèvement pour celui de
     l'abaissement, et _vice versa_. Ces auteurs ont bien vu comment
     les articulations osseuses, les ligaments de l'aile,
     l'imbrication et l'élasticité des pennes concouraient à cet
     effet. M. d'Esterno avait expliqué l'effet continu de cerf-volant
     de la partie interne de l'aile pendant son abaissement et son
     relèvement, et M. Marey avait donné à cette partie de l'aile
     l'épithète heureuse de «passive», tout en accordant un rôle
     prépondérant, dans le vol, à un changement de plan général de
     l'aile, dû à la rotation de l'humérus sur lui-même.

     Selon nous, il y a une distinction complète à établir entre le
     vol sur place et le vol avançant ordinaire, et l'amplitude des
     changements de plans de la rame est essentiellement fonction de
     la vitesse de translation du volateur. À l'extrémité de l'aile,
     où se produisent les changements de plans les plus considérables,
     ils atteignent 90 degrés et plus dans le vol sur place, mais ils
     sont bien moindres dans le vol avançant. D'après nos calculs, les
     portions extrêmes de la surface de la rame du corbeau ne sont, en
     plein vol, inclinées vers l'avant pendant l'abaissement que de 7
     à 11 degrés au-dessous de l'horizon, et de 15 à 20 degrés
     au-dessus pendant le relèvement. Le plan de l'aile à sa racine
     fait d'ailleurs, pendant ce temps, cerf-volant sous un angle de 2
     à 4 degrés seulement.

     Il est facile de vérifier la petitesse des inclinaisons de l'aile
     et, par suite, de ses angles d'attaque sur l'air, en regardant
     voler un oiseau qui se meut sur un rayon visuel horizontal. On ne
     voit, en effet, alors, à peu près que la tranche de ses ailes. Il
     est, en somme, inexact de dire que l'aile change de _plan_; à
     peine pourrait-on dire qu'elle change de _plans_. La vérité est
     qu'elle passe d'une façon continue par une série de
     gauchissements gradués et d'une intensité généralement assez
     faible. C'est du reste ainsi que l'avait compris un auteur
     anglais, dont nous avons retrouvé les travaux depuis la
     construction de notre oiseau, et dont la connaissance nous eût
     évité plusieurs recherches. La théorie de sir G. Cayley, publiée
     en 1810, ne diffère de la nôtre que par un petit nombre de
     points; il pensait que la rame remontante a toujours une action
     propulsive, et il attribuait aux parties propulsives et
     cerf-volant de l'aile des proportions relatives inverses de
     celles que nous avons été conduit par le calcul à leur attribuer.

     C'est avec ces idées, qui ont été jugées favorablement par
     l'Académie au dernier concours de mathématiques, que nous
     entreprîmes, en septembre 1871, l'application du caoutchouc tordu
     au problème de l'oiseau mécanique. Les ailes de notre oiseau
     battent dans un même plan par l'intermédiaire de bielles et d'une
     manivelle. Après quelques essais grossiers, nous reconnûmes la
     nécessité d'avoir, pour cette transformation de mouvement, un
     mécanisme très solide relativement à son poids, et je m'adressai
     à un habile mécanicien, M. Jobert, pour la construction d'un
     mécanisme d'acier, que mon frère, M. E. Pénaud, avait imaginé.

[Illustration: Fig. 20.--Oiseau artificiel d'Alphonse Pénaud
(1871).]

Nous représentons ci-dessus (fig. 20) l'appareil qu'Alphonse Pénaud
est arrivé à construire. Le caoutchouc moteur est placé au-dessus de
la tige rigide qui sert de colonne vertébrale à l'appareil. Le
mécanisme des battements des ailes est disposé au-dessus d'un volant
régulateur. À la partie postérieure est une queue régulatrice formée
par une longue plume de paon, que l'on peut incliner vers le haut,
le bas ou par le côté, et que l'on peut aussi charger de cire, de
façon à amener le centre de gravité de tout l'appareil au point
convenable.

Les gauchissements des ailes sont obtenus par la mobilité du voile
de l'aile et de petits doigts qui le supportent autour d'une grande
nervure. Un petit tenseur en caoutchouc part de l'angle
intéro-postérieur de la surface de l'aile, et vient s'attacher
d'autre part vers le milieu de la tige centrale de l'appareil.

Cet appareil fut présenté le 20 juin 1872 à la Société de navigation
aérienne. Quand le caoutchouc était bien tendu, on abandonnait le
système à lui-même, les ailes battaient, et l'oiseau artificiel
franchissait la salle des séances, de 7 mètres de longueur, en
s'élevant d'une façon continue par un vol accéléré, suivant une
rampe de 15 à 20 degrés. En espace libre, l'oiseau artificiel
d'Alphonse Pénaud parcourait 12 à 15 mètres et parvenait à 2 mètres
environ au point le plus haut de sa course.

MM. le docteur Hureau de Villeneuve, Jobert, Gauchot,
Crocé-Spinelli, et d'autres expérimentateurs exécutèrent des petits
appareils du même genre. Un peu plus tard la question fut reprise
avec une grande ardeur par M. Victor Tatin, qui ne construisit pas
seulement de petits oiseaux à ressorts de caoutchouc, mais qui
entreprit de faire fonctionner un oiseau artificiel de plus grande
dimension, actionné par un moteur à air comprimé.

En 1874, cet habile et ingénieux mécanicien commença ses études
expérimentales sur le vol artificiel dans le laboratoire de M.
Marey, et il parvint, en 1876, à réussir dans des conditions
particulièrement intéressantes, ses premiers essais réalisés en
petit.

[Illustration: Fig. 21.--Oiseau mécanique de M. Victor Tatin
(1876).]

Les efforts de M. Tatin ont sans cesse tendu à la reproduction du
vol de l'oiseau sur des schémas plus ou moins compliqués; il a
recherché, sur de petits appareils mis en mouvement par un ressort
de caoutchouc, quelles étaient les meilleures formes d'ailes, afin
de les adapter à un grand appareil fonctionnant par l'air comprimé.
Après plusieurs essais, il s'est arrêté à l'emploi d'ailes longues
et étroites. Wenham avait montré qu'une aile peut avoir une aussi
bonne fonction quand elle est étroite que lorsqu'elle est large, et
M. Marey avait signalé ce fait, que «les oiseaux dont l'amplitude
des battements est faible, ont toujours l'aile très longue». Avec
ces ailes étroites et longues (fig. 21), M. Tatin a rendu aussi
court que possible le temps pendant lequel le voile prend la
position convenable pour agir sur l'air pendant l'abaissée.

Étant donné ce fait depuis longtemps établi, qu'un oiseau vole plus
facilement s'il peut appuyer son aile sur une grande masse d'air en
peu de temps, on comprend que la vitesse de translation maxima sera
l'allure la plus avantageuse au point de vue de la réduction de la
dépense de force. L'auteur ne pouvant empêcher que ses oiseaux
mécaniques dépensent précisément des forces considérables pour
obtenir la vitesse utile, a remédié à cet inconvénient _en portant
en avant le centre de gravité_. Dès lors l'oiseau en plein vol
conserve le même équilibre que l'oiseau qui plane, et sa vitesse est
en quelque sorte passive, de nouvelles couches d'air inertes venant
se placer comme d'elles-mêmes sous ses ailes: toute la dépense de
force peut alors être utilisée pour la suspension. C'est ainsi que
M. Tatin a pu augmenter le poids de ses appareils sans en augmenter
la force motrice, et obtenir un parcours double.

Le mouvement que fait l'aile autour d'un axe longitudinal, et qui
lui permet de présenter toujours la face inférieure en avant pendant
la relevée, a été obtenu par un organe de l'appareil schématique.

Cet appareil, vu latéralement et par derrière, se compose d'un bâti
en bois léger, à l'avant duquel sont implantés deux petits supports
traversés par un arbre coudé et contre-coudé, de façon à former deux
manivelles en vilebrequin, à 90 degrés l'une de l'autre. Cet arbre
reçoit un mouvement circulaire d'un ressort de caoutchouc (fig. 22).
La manivelle placée sur le plan le plus avancé produit l'élévation
et l'abaissée des ailes, qui sont mobiles autour d'un axe commun. Ce
même axe est fortement incliné en bas et en arrière par la seconde
manivelle, lorsque la première passe au point mort et que les ailes
sont au bas de leur course.

Mais l'aile ne doit pas seulement changer de place dans son
ensemble; chaque point de l'aile doit avoir, surtout pendant la
relevée, une inclinaison d'autant plus marquée qu'il est plus voisin
de l'extrémité; la partie voisine du corps doit seule conserver
sensiblement la même obliquité. M. Tatin a pensé que c'était par le
carpe qu'il fallait commander le mouvement de torsion venant
s'éteindre graduellement près du corps, et pour obtenir avec toutes
ses transitions, il avait substitué aux ailes de soie qui se
plissent, des ailes entièrement construites en plumes très fortes,
disposées de telle façon qu'elles arrivassent à glisser un peu l'une
sur l'autre pendant les mouvements de torsion: la fonction de cette
nouvelle voilure était parfaite; mais, adaptée au grand oiseau, ces
ailes ne donnèrent que des résultats médiocres. L'auteur a donc dû
revenir aux ailes de soie, qu'il semble avoir définitivement
adoptées.

[Illustration: Fig. 22.--Appareil de M. Victor Tatin pour l'étude du
mouvement des ailes.]

Grâce à certaines modifications qu'il a fait subir à son grand
appareil (léger changement de forme des ailes, variation de
l'amplitude des battements, renouvellement de quelques organes de la
machine), M. Tatin a pu réaliser un grand progrès: l'oiseau à air
comprimé, qui, attelé à un manège, ne soulevait d'abord que les
trois quarts de son poids, est arrivé à soulever son poids entier.
Malheureusement ce résultat n'a pu être dépassé[39].

         [Note 39: Voy. notice de M. le docteur François Franck,
         publiée dans _la Nature_. 1877, premier semestre, p. 148.]

Nous donnerons en terminant quelques-unes des conclusions présentées
par M. Tatin dans son mémoire:

     Pour que l'oiseau puisse se soulever par ses coups d'aile, il
     faut théoriquement, d'après M. Marey, que le moment de la force
     motrice soit un peu supérieur à celui de la résistance de l'air,
     ce dernier ayant pour valeur, sous chaque aile, la moitié du
     poids de l'oiseau multipliée par la distance qui sépare le centre
     de pression de l'air sur l'aile du centre de l'articulation
     scapulo-humérale. Mes expériences montrent que, pour les
     appareils mécaniques, il faut un plus grand excès de la force
     motrice sur la résistance de l'air. Peut-être cet écart entre la
     force théorique et la force pratiquement nécessaire existe-t-il
     également chez l'oiseau, dont on n'a pu encore mesurer la dépense
     de travail pendant le vol.

     J'ai essayé de donner la mesure expérimentale du travail dépensé
     par une machine qui vole. J'insiste pour rappeler que de
     pareilles mesures ne représentent pas le minimum de force
     nécessaire, mais la dépense actuellement faite par nos
     appareils[40].

         [Note 40: _Comptes rendus des travaux du laboratoire du
         professeur Marey_, 1 vol. in-8º. G. Masson, 1876.]

On ne saurait croire combien d'efforts ont été tentés, souvent de la
part des hommes les plus distingués, pour réaliser une machine
volante. En 1845, un mécanicien nommé Duchesnay, avait exposé dans
l'intérieur de la grande salle de l'ancien cloître de Saint-Jean de
Latran, à Paris, un grand oiseau mécanique dont les ailes
recouvertes de plumes avaient plus de dix mètres d'envergure. Dupuis
Delcourt a vu cette machine, mais il ne l'a pas vue fonctionner.

[Illustration: Fig. 23.--Oiseau mécanique de Brearey (1879).]

Marc Seguin, vers 1849, étudia l'aviation avec beaucoup de
persévérance. Il parvint à se soulever du sol au moyen d'ailes
battantes qui se trouvaient fixées sur un châssis[41]. Mais ce
résultat n'offre pas une grande importance s'il n'est obtenu que
pendant un temps très court; l'homme en sautant, quitte également le
sol par le seul effort de ses jarrets.

         [Note 41: _Mémoire sur l'aviation_, par M. Séguin aîné. 1
         broch. in-8. Extrait du _Cosmos_, Paris. A. Tremblay. 1866.]

Depuis les expériences plus heureuses des Pénaud et des Tatin, on
essaya souvent encore de construire des appareils de vol mécanique à
battements d'aile. En 1879, M. Brearey, en Angleterre, étudia un
système de ce genre, que nous représentons (fig. 23). Il s'agissait
d'un oiseau à ailes flexibles mues par la vapeur. L'appareil devait
être monté sur roues, et le centre de gravité était variable pour
l'ascension ou la descente. Ce projet ne fut pas réalisé. M. le
docteur Hureau de Villeneuve et M. Clément Ader, l'ingénieux
inventeur électricien, ont également tenté de construire de grands
oiseaux artificiels. Ces deux aviateurs ont fait chacun isolément
les plus louables efforts pour arriver aux résultats qu'ils
croyaient pouvoir atteindre.

Ces tentatives ont échoué; on n'a jamais obtenu jusqu'ici aucun
résultat dans le vol artificiel, dès que l'on a abandonné les
minuscules appareils à ressort de caoutchouc.



III

LES HÉLICOPTÈRES

     Premier hélicoptère de Launoy et de Bienvenu en 1784. -- Appareil
     de Sir George Cayley en 1796. -- Le spiralifère et le strophéor.
     -- Nadar et le manifeste de l'aviation. -- MM. de Ponton
     d'Amécourt et de La Landelle. -- Babinet. -- Hélicoptères Pénaud,
     Dandrieux. -- Tentative de M. Forlanini.


L'école du vol aérien peut être divisée en deux systèmes différents.
On peut essayer de s'élever de l'air par le battement d'ailes
artificielles; c'est ce mode d'action que nous venons d'étudier; on
peut encore tenter de s'insinuer en avant, à l'aide d'un _plan
incliné_ agissant sur l'air et poussé par un moteur. Le plan incliné
peut avancer horizontalement; il constitue alors l'aéroplane que
nous examinerons dans la suite; il peut encore tourner en forme
d'hélice, il constitue dans ce cas l'hélicoptère qui fait l'objet de
ce chapitre.

Nous avons vu, dans la première partie de cet ouvrage, que Léonard
de Vinci et Paucton, à des époques différentes, avaient eu l'idée
des hélicoptères.

La plus ancienne des petites machines de ce genre qui ait
fonctionné, est celle de MM. Launoy et Bienvenu; elle a été
présentée à l'Académie des sciences en 1784, et on l'a vue
fonctionner longtemps au Palais-Royal. Les ailes de l'hélice
avaient, d'après Dupuis Delcourt, 0{m},30 d'envergure. La rapidité
du mouvement déterminait l'ascension du système. L'exécution de
cette petite machine (fig. 24), dont le moteur consistait en un fort
ressort, était due à ses deux auteurs. Launoy, naturaliste, avait
fourni les idées relatives au vol des oiseaux, Bienvenu, mécanicien,
avait agencé et confectionné la machine.

Nous reproduisons ici une curieuse lettre que les inventeurs ont
publiée dans le _Journal de Paris_ à la date du 19 avril 1784. Cette
lettre est accompagnée d'une note du rédacteur, qui a vu fonctionner
le petit appareil.

[Illustration: Fig. 24.--Hélicoptère de Launoy et Bienvenu (1784).]

     Nous ignorons quels sont les moyens dont M. Blanchard prétendait
     se servir pour s'élever en l'air sans le secours d'un aérostat,
     ni ceux qu'il a adoptés pour sa direction; nous présumons qu'il a
     reconnu l'insuffisance des premiers, puisqu'il y a renoncé; à
     l'égard du second, l'expérience n'ayant pu avoir lieu, on ne peut
     savoir ce qu'il en aurait obtenu. Voulez-vous bien nous permettre
     de prévenir le public, par la voie de votre journal, que nous
     croyons être parvenus à pouvoir élever en l'air et diriger dans
     l'atmosphère une machine par les seuls moyens mécaniques sans le
     secours de la physique.

     Notre machine en petit nous a parfaitement réussi. Cette
     tentative heureuse nous a déterminés à en exécuter une un peu
     plus grande qui puisse mettre le public à portée de juger de la
     réalité de nos moyens. Nous nous proposons d'après elle de faire
     l'expérience en grand et de monter nous-mêmes dans le vaisseau.
     Nous n'avons dans ce moment d'autre but que de prendre date, et
     nous attendons de votre goût pour les arts que vous ne nous
     refuserez pas cette faveur.

     Nous avons l'honneur d'être, etc.

       BIENVENU, machiniste-physicien,
           Rue de Rohan, 18.
       LAUNOY, naturaliste.
           Rue Plâtrière, au bureau des eaux minérales.

     _Note des rédacteurs._--Avant de nous engager à insérer la lettre
     de MM. Bienvenu et Launoy, nous avons cru devoir nous assurer de
     l'essai en petit; nous ne pouvons dissimuler que nous avons été
     singulièrement frappés de la simplicité du moyen qu'ils ont
     adopté, et nous attestons que cet essai, dans son état
     d'imperfection, s'est échappé plusieurs fois de nos mains et a
     été frapper le plafond. Nous ignorons ce que deviendra ce moyen
     appliqué en grand. Les auteurs paraissent n'avoir aucun doute sur
     le succès. Avant de prévenir le public sur la machine qu'ils
     travaillent dans ce moment, nous en prendrons nous-mêmes
     connaissance, et ce ne sera qu'après des expériences répétées que
     nous en ferons mention.

L'appareil de Launoy et Bienvenu fonctionna dans la salle des
séances de l'Académie des sciences, le 28 avril 1784; il fut l'objet
d'un rapport d'une commission. Ce rapport existe aux Archives de
l'Institut, écrit de la main de Legendre. Il est daté du 1er mai
1784 et signé par les quatre commissaires, Jeaurat, Cousin, général
Meusnier et Legendre. Nous le reproduisons textuellement.

     Nous, Commissaires nommés par l'Académie, avons examiné une
     machine destinée à s'élever dans l'air ou à s'y mouvoir suivant
     une direction quelconque, par un procédé mécanique et sans aucune
     impulsion initiale.

     Cette machine, imaginée par MM. Launoy et Bienvenu, est une
     espèce d'arc que l'on bande en faisant faire à sa corde quelques
     révolutions autour de la flèche qui est en même temps l'axe de la
     machine. La partie supérieure de cet axe porte deux ailes
     inclinées en sens contraire, et qui se meuvent rapidement,
     lorsqu'après avoir bandé l'arc, on le retient vers son milieu. La
     partie inférieure de la machine est garnie de deux ailes
     semblables qui se meuvent en même temps que l'axe et qui tournent
     en sens contraire des ailes supérieures.

     L'effet de cette machine est très simple. Lorsqu'après avoir
     bandé le ressort et mis l'axe dans la situation où l'on veut
     qu'il se meuve, dans la situation verticale, par exemple, on a
     abandonné la machine à elle-même, l'action du ressort fait
     tourner rapidement les deux ailes supérieures dans un sens, et
     les deux ailes inférieures en sens contraire; ces ailes étant
     disposées de manière que les percussions horizontales de l'air se
     détruisent et que les percussions verticales conspirent à élever
     la machine. Elle s'élève en effet et retombe ensuite par son
     propre poids.

     Tel a été le succès du petit modèle du poids de trois onces, que
     MM. Launoy et Bienvenu ont soumis au jugement de l'Académie. Nous
     ne doutons pas qu'en mettant plus de précision dans l'exécution
     de cette machine, on ne parvienne facilement à en construire de
     plus grandes, et à les élever plus haut et plus longtemps; mais
     les limites en ce genre ne peuvent être que très étroites. Quoi
     qu'il en soit, ce moyen mécanique par lequel un corps semble
     s'élever de soi-même nous a paru simple et ingénieux.

Les Anglais ont revendiqué en faveur d'un de leurs compatriotes, sir
George Cayley, l'invention de l'hélicoptère. D'après M. J.-B.
Pettigrew, George Cayley aurait donné en 1796 une démonstration
pratique de l'efficacité de l'hélice appliquée à l'air.

Son appareil était presque identique à celui des deux constructeurs
français que nous venons de citer. Nous figurons ce système d'après
le dessin qui en a été publié dans le journal de Nicholson pour 1809
(fig. 25). Sir George Cayley a donné le mode de construction de cet
hélicoptère, nous reproduisons ce passage curieux de son travail.

[Illustration: Fig. 25.--Hélicoptère de sir Georges Cayley (1796).]

     Comme ce peut être un amusement pour quelques-uns de nos lecteurs
     de voir une machine s'élever en l'air par des moyens mécaniques,
     je vais terminer cette communication en décrivant un instrument
     de cette espèce que chacun peut construire en dix minutes de
     travail: _a_ et _b_ sont deux bouchons dans chacun desquels on a
     planté quatre plumes d'ailes d'un oiseau, de manière qu'elles
     soient légèrement inclinées comme les ailes d'un moulin à vent,
     mais dans des directions opposées pour chaque groupe. Un arbre
     arrondi est fixé dans le bouchon _a_ et se termine en pointe
     effilée. À la partie supérieure du bouchon _b_, l'on fixe un arc
     de baleine avec un petit trou au centre pour laisser passer la
     pointe de l'arbre. On joint alors l'arc par des cordes égales de
     chaque côté, à la partie supérieure de l'arbre, et la petite
     machine est complète. On monte le ressort en tournant les volants
     en sens contraire de manière que le ressort de l'arc les déroule,
     leurs bords antérieurs étant ascendants; on place alors sur une
     table le bouchon auquel est attaché l'arc, et avec le doigt, on
     presse suffisamment fort sur le bouchon supérieur pour empêcher
     le ressort de se détendre; si on l'abandonne subitement, cet
     instrument s'élèvera jusqu'au plafond.

En 1842, d'après M. Pettigrew, M. Philipps éleva un modèle beaucoup
plus volumineux au moyen de palettes tournantes. L'appareil de M.
Philipps était fait entièrement de métal et pesait complet et chargé
2 livres. Il consistait en un bouilleur ou générateur de vapeur et
quatre palettes soutenues par huit bras. Les palettes étaient
inclinées sur l'horizon de 20 degrés; à travers les bras s'échappait
de la vapeur d'après le principe découvert par Héron d'Alexandrie.
La sortie de la vapeur faisait tourner les palettes avec une énergie
considérable. Il paraît, si l'on en croit certains récits du temps,
que le modèle s'éleva à une très grande hauteur, et traversa deux
champs avant de toucher terre. La force motrice employée était
obtenue par la combustion d'un charbon mêlé de salpêtre. Les
produits de la combustion se mêlant à l'eau de la chaudière
sortaient à haute pression de l'extrémité des huit bras[42].

         [Note 42: Rapport sur la première Exposition de la Société
         aéronautique de la Grande-Bretagne, tenue au Palais de
         Cristal à Londres en juin 1868, p. 10.--J. Bell Pettigrew.
         _La locomotion chez les animaux._ 1 vol. in-8º. Germer
         Baillière, 1874.]

Les expériences relatées précédemment des hélicoptères de
Launoy-Bienvenu et de Cayley ont été continuées par les marchands de
jouets. On sait que depuis de longues années, surtout vers 1853, on
trouve dans les bazars, sous le nom de _spiralifères_, des petites
hélices s'élevant dans l'air sous l'action de la rotation obtenue
par une tige de bois qui tourne quand on déroule violemment une
cordelette qu'on y a enroulée au préalable. Au spiralifère on vit se
joindre le _strophéor_, qui avait été exécuté déjà précédemment. Le
strophéor ne diffère de l'hélicoptère que parce qu'il est en métal
et monte beaucoup plus haut, avec une rapidité beaucoup plus
considérable. Ces constructions n'avaient pas dépassé le domaine du
fabricant de joujoux, quand, à la fin de 1863, Nadar lança son
fameux _Manifeste de l'automotion aérienne_, qui fut accueilli par
la presse dans tous les pays du monde, et souleva un mouvement
presque universel en faveur du _Plus lourd que l'air_. Voici
quelques-uns des principaux passages de ce manifeste, qui a fait
époque dans l'histoire de la navigation aérienne:

     Ce qui a tué, depuis quatre-vingts ans tout à l'heure qu'on la
     cherche, la direction des ballons, c'est les ballons.

     En d'autres termes, vouloir lutter contre l'air en étant plus
     léger que l'air, c'est folie.

     À la plume--_levior vento_, si le physicien laisse parler le
     poète,--à la plume vous aurez beau ajuster et adapter tous les
     systèmes possibles, si ingénieux qu'ils soient, d'agrès,
     palettes, ailes, rémiges, roues, gouvernails, voiles et
     contre-voiles,--vous ne ferez jamais que le vent n'emporte pas du
     coup ensemble, au moment de sa fantaisie, plume et agrès.

     Le ballon, qui offre à la prise de l'air un volume de 600 à 1 200
     mètres cubes d'un gaz de dix à quinze fois plus léger que l'air,
     le ballon est à jamais frappé d'incapacité native de lutte contre
     le moindre courant, quelle que soit l'annexe en force motrice de
     résistance que vous lui dispensiez.

     De par sa constitution et de par le milieu qui le porte et le
     pousse à son gré, il lui est à jamais interdit d'être vaisseau:
     il est né bouée et restera bouée.

     La plus simple démonstration arithmétique suffit pour établir
     irréfragablement, non seulement l'inanité de l'aérostat contre la
     pression du vent, mais dès lors au point de vue de la navigation
     aérienne, sa nocuité.

     Étant donnés le poids qu'enlève chaque mètre cube de gaz et la
     quotité de mètres cubés par votre ballon d'une part et, d'autre
     part, la force de pression du vent dans ses moindres vitesses,
     établissez la différence--et concluez.

     Il faut reconnaître enfin que, quelle que soit la forme que vous
     donniez à votre aérostat, sphérique, conique, cylindrique ou
     plane, que vous en fassiez une boule ou un poisson, de quelque
     façon que vous distribuiez sa force ascensionnelle en une, deux
     ou quatre sphères, de quelque attirail, je le répète, que vous
     l'attifiez, vous ne pourrez jamais faire que 1, je suppose, égale
     20,--et que les ballons soient vis-à-vis de la navigation
     aérienne autre chose que les bourrelets de l'enfance[43].

         [Note 43: On verra dans la dernière partie de cet ouvrage que
         des expériences récentes ont démontré l'inanité de ces
         raisonnements.]

     POUR LUTTER CONTRE L'AIR, IL FAUT ÊTRE SPÉCIFIQUEMENT PLUS LOURD
     QUE L'AIR.

     De même que spécifiquement l'oiseau est plus lourd que l'air dans
     lequel il se meut, ainsi l'homme doit exiger de l'air son point
     d'appui.

     Pour commander à l'air, au lieu de lui servir de jouet, il faut
     s'appuyer sur l'air, et non plus servir d'appui à l'air.

     En locomotion aérienne comme ailleurs, on ne s'appuie que sur ce
     qui résiste.

     L'air nous fournit amplement cette résistance, l'air qui renverse
     les murailles, déracine les arbres centenaires, et fait remonter
     par le navire les plus impétueux courants.

     De par le bon sens des choses,--car les choses ont leur bon
     sens,--de par la législation physique, non moins positive que la
     légalité morale, toute la puissance de l'air, irrésistible hier
     quand nous ne pouvions que fuir devant lui, toute cette puissance
     s'anéantit devant la double loi de la dynamique et de la
     pondération des corps, et, de par cette loi, c'est dans notre
     main qu'elle va passer.

     C'est au tour de l'air de céder devant l'homme; c'est à l'homme
     d'étreindre et de soumettre cette rébellion insolente et anormale
     qui se rit depuis tant d'années de tant de vains efforts. Nous
     allons à son tour le faire servir en esclave, comme l'eau à qui
     nous imposons le navire, comme la terre que nous pressons de la
     roue.

     Nous n'annonçons point une loi nouvelle: cette loi était édictée
     dès 1768, c'est-à-dire quinze ans avant l'ascension de la
     première Montgolfière, quand l'ingénieur Paucton prédisait à
     l'hélice son rôle futur dans la navigation aérienne.

     Il ne s'agit que de l'application raisonnée des phénomènes
     connus.

     Et quelque effrayante que soit, en France surtout, l'apparence
     seule d'une novation, il faut bien en prendre son parti si, de
     même que les majorités du lendemain ne sont jamais que les
     minorités de la veille, le paradoxe d'hier est la vérité de
     demain.

     L'automotion aérienne, d'ailleurs, ne sera pas absolument une
     nouveauté pour tout le monde....

     J'arrive à MM. de Ponton d'Amécourt, inventeur de l'_Aéronef_, et
     de la Landelle, dont les efforts considérables, depuis trois
     années, se sont portés sur la démonstration pratique du système,
     à l'obligeance desquels nous devons la communication d'une série
     de modèles d'hélicoptères s'enlevant automatiquement en l'air
     avec des surcharges graduées.

     Si des obstacles que j'ignore, des difficultés personnelles ont
     empêché jusqu'ici l'idée de prendre place dans la pratique, le
     moment est venu pour l'éclosion.

     La première nécessité pour l'automotion aérienne est donc de se
     débarrasser d'abord absolument de toute espèce d'aérostat.

     Ce que l'aérostation lui refuse, c'est à la dynamique et à la
     statique qu'elle doit le demander.

     C'est l'hélice--la Sainte Hélice! comme me disait un jour un
     mathématicien illustre--qui va nous emporter dans l'air; c'est
     l'hélice, qui entre dans l'air comme la vrille entre dans le
     bois, emportant avec elles, l'une son moteur, l'autre son manche.

     Vous connaissez ce joujou qui a nom _spiralifère_?

     --Quatre petites palettes, ou, pour dire mieux, spires en papier
     bordé de fil de fer, prennent leur point d'attache sur un pivot
     de bois léger.

     Ce pivot est porté par une tige creuse à mouvement rotatoire sur
     un axe immobile qui se tient de la main gauche. Une ficelle
     enroulée autour de la tige et déroulée d'un coup bref par la main
     droite lui imprime un mouvement de rotation suffisant pour que
     l'hélice en miniature se détache et s'élève à quelques mètres en
     l'air.--d'où elle retombe, sa force de départ dépensée.

     Veuillez supposer maintenant des spires de matière et d'étendue
     suffisantes pour supporter un moteur quelconque, vapeur, éther,
     air comprimé, etc., que ce moteur ait la permanence des forces
     employées dans les usages industriels, et, en le réglant à votre
     gré comme le mécanicien fait sa locomotive, vous allez monter,
     descendre ou rester immobile dans l'espace, selon le nombre de
     tours de roues que vous demanderez par seconde à votre machine.

     Mais rien ne vaut, pour arriver à l'intelligence, ce qui parle
     d'abord aux yeux. La démonstration est établie d'une manière plus
     que concluante par les divers modèles de MM. de Ponton d'Amécourt
     et de la Landelle.

On voit en définitive que le manifeste de Nadar se résumait ainsi:
1º supprimer les ballons, que l'on ne saurait songer à diriger dans
l'atmosphère; 2º créer la navigation aérienne par la construction
d'un grand hélicoptère mécanique.

Pour trouver le capital nécessaire aux études et aux constructions,
Nadar construisit _le Géant_, dont on connaît les aventures
dramatiques. Quelle que fût ensuite l'ardeur dépensée en faveur du
_Plus lourd que l'air_, Nadar et ses amis n'arrivèrent à aucun
résultat pratique. On fit fonctionner de petits hélicoptères-jouets
dans l'une des séances de la nouvelle _Société de Navigation
aérienne_, mais nous allons voir un peu plus loin que les tentatives
faites pour aller au delà ne furent pas couronnées de succès, malgré
les affirmations de M. Babinet de l'Institut, que l'on peut
considérer comme le chef de l'École d'alors.

[Illustration: Fig. 26.--Hélicoptère à vapeur de M. de Ponton
d'Amécourt (1865).]

     Voici, disait le savant physicien dans le _Constitutionnel_, ce
     que dit le public, par lettres, de France, d'Espagne,
     d'Angleterre, d'Italie; dans des rencontres au milieu des rues;
     par des interpellations de salon; par des conseils d'amis, etc.:
     «Parlez-nous de l'art de voler par l'hélice.»

     Mais je n'ai rien à dire de nouveau: attendez la construction
     d'un hélicoptère qui, avec le zèle de M. Nadar, ne peut tarder à
     se produire. Surtout, ne confondez pas son ballon géant, qui est
     réalisé, avec son hélicoptère, qui va être réalisée incessamment.
     Un ballon monte et plane dans les airs. Un hélicoptère y vole,
     s'y dirige, s'y maîtrise au gré du voyageur. Un enfant commence à
     se tenir debout; plus tard, il marche. De même le ballon s'élève
     et l'hélice marche ou plutôt _marchera_.

M. de Ponton d'Amécourt, un des plus fervents partisans de
l'aviation, qui, ainsi que notre savant et vénérable ami, M. de la
Landelle, s'était occupé de l'aviation par l'hélice, bien avant les
tentatives de Nadar, fit de grands efforts pour réussir. Il
construisit, en 1865, un hélicoptère à vapeur qui devait enlever son
moteur et son générateur. Ce charmant petit modèle, qui a figuré à
l'Exposition aéronautique de Londres en 1868, est fort gracieusement
construit (fig. 26). La chaudière et le bâti sont en aluminium et
les cylindres en bronze. Le mouvement de va-et-vient des pistons est
transmis par des engrenages à deux hélices superposées de 264
centimètres carrés de surface et dont l'une tourne dans le sens
inverse de l'autre. L'appareil vide qui se trouve actuellement au
siège de la _Société de navigation aérienne_, pèse 2{kgm},770. La
chaudière a 0{m},08 de hauteur sur 0{m},10 de diamètre. La hauteur
totale du système est de 0{m},62.

Malheureusement le générateur ne peut résister à une pression
suffisante; quand cet hélicoptère fonctionne, il parvient à
s'alléger notablement, il a une certaine force ascensionnelle, mais
il n'arrive pas à quitter le sol[44].

         [Note 44: _L'Aéronaute_, 12e année. 1879, p. 35.]

Les journaux illustrés ont, à l'époque du _Géant_, publié un autre
projet de grand hélicoptère à vapeur (fig. 27), attribué à M. de la
Landelle, mais nul essai d'appareil de ce genre ne fut entrepris et
n'aurait pu être exécuté en raison de l'insuffisance des moteurs
dont on pouvait disposer. Il y eut beaucoup de projets et de
mémoires écrits sur le plus _lourd que l'air_ par l'hélice[45]; mais
on ne vit paraître aucune machine fonctionnant, et la grande
agitation produite par l'initiative de Nadar ne tarda pas à être
oubliée.

         [Note 45: Voy. Collection de mémoires sur _La Locomotion
         aérienne sans ballons_, publiée par le vicomte de Ponton
         d'Amécourt, 6 brochures in-4º. Paris, Gauthier-Villars. 1864
         à 1867.]

On en revint un peu plus tard au premier appareil de Launoy et
Bienvenu. Alphonse Pénaud le modifia en remplaçant le ressort dont
se servait ces premiers inventeurs par un fil de caoutchouc tordu;
cet appareil donna un résultat tellement supérieur à ce qu'on avait
obtenu qu'il put presque passer pour une création nouvelle. Voici en
quels termes Alphonse Pénaud a décrit son système.

[Illustration: Fig. 27.--Projet de navire aérien à hélice attribué à
M. de la Landelle.]

     Tous les hélicoptères, pour la plupart coûteux, délicats, se
     brisant facilement en retombant, avaient un grave défaut: c'est
     que leur marche, qui ne durait qu'un instant, semblait plutôt un
     saut aérien qu'un véritable vol; à peine étaient-ils partis,
     leurs hélices s'arrêtaient, et ils redescendaient.

     Préoccupé, il y a quelques années, de l'insuffisance de la
     démonstration, je fis des recherches sur les moyens d'avoir des
     modèles plus satisfaisants. La force des ressorts solides était
     seule d'un emploi simple; mais le bois, la baleine, l'acier, ne
     fournissent qu'une force minime en égard à leur poids; le
     caoutchouc était bien plus puissant, mais la charpente nécessaire
     pour résister à sa violente tension était nécessairement assez
     lourde. J'eus alors l'idée d'employer l'élasticité de torsion du
     caoutchouc, qui donna enfin la solution tant cherchée de la
     construction facile, simple et efficace des modèles volants
     démonstrateurs.

     J'appliquai d'abord le nouveau moteur à l'hélicoptère, et la
     figure 28 représente l'appareil que je montrai en avril 1870 à
     notre vénérable doyen, M. de la Landelle. Il est extrêmement
     simple: ce sont toujours deux hélices superposées tournant en
     sens contraire; leur distance est maintenue par de petites tiges,
     au milieu desquelles se trouve le caoutchouc.

[Illustration: Fig. 28.--Hélicoptère à ressort de caoutchouc
d'Alphonse Pénaud (1870).]

     Pour mettre l'appareil en mouvement, on saisit de la main gauche
     l'une de ces petites tiges, et l'on fait tourner avec la main
     droite l'hélice inférieure dans le sens contraire, à celui de la
     rotation utile. Lorsque la lanière de caoutchouc est ainsi tordue
     sur elle-même d'une façon suffisante, il ne reste plus qu'à
     abandonner l'appareil à lui-même; on le voit alors (selon les
     proportions de ses différentes parties) monter comme un trait, à
     plus de 15 mètres, planer obliquement en décrivant de grands
     cercles, ou enfin, après s'être élevé de 7 à 8 mètres, voler
     presque sur place pendant 15 à 20 secondes, et parfois jusqu'à 26
     secondes.

Malgré les efforts de Pénaud et d'un certain nombre de chercheurs,
il fut impossible de tirer de l'hélicoptère aucun résultat pratique
et la petite machine fut condamnée à rester jouet.

Nous donnons (fig. 29) l'aspect d'un de ces hélicoptères-jouets
basés sur le même principe et construits par M. Dandrieux. Sous
l'action du ressort de caoutchouc, l'hélice tourne et s'enlève à
quelques mètres de hauteur avec les ailes de papillon en papier
mince dont elle est agrémentée.

Le seul appareil de ce genre qui ait laissé derrière lui ses
devanciers est celui de M. Forlanini, au sujet duquel nous allons
donner quelques renseignements précis.

[Illustration: Fig. 29.--Hélicoptère-jouet de M. Dandrieux.]

En 1878, le savant ingénieur italien M. Forlanini, ancien officier
du génie, construisit un petit modèle d'hélicoptère à vapeur dont
nous reproduisons l'aspect (fig. 30).

L'appareil comprend deux hélices, mais une seule d'entre elles est
mise en mouvement par le moteur à vapeur à deux pistons. Les deux
pistons sont calés à angles contrariés sur un arbre de couche,
transmettent le mouvement à un arc qui porte l'hélice par
l'intermédiaire de deux roues d'engrenage. La seconde hélice est
fixée sur le bâti; elle est destinée, comme dans le premier système
de Launoy et Bienvenu, à empêcher l'appareil de tourner sur
lui-même. Le manomètre est gradué jusqu'à 15 atmosphères. La
distribution et la détente s'obtiennent pour chaque cylindre au
moyen de deux bielles calées sur des excentriques fixés à l'arbre de
couche[46].

         [Note 46: _L'Aéronaute_, 1879.]

[Illustration: Fig. 30.--Hélicoptère à vapeur de M. Forlanini
(1878).]

Le poids total de l'appareil est de 3 kilogrammes et demi, la
surface totale des hélices est de 2 mètres carrés, la force motrice
varie de 18 à 25 kilogrammètres. Le moteur proprement dit pèse 1
kilogramme et demi, celui de la petite chaudière sphérique chargée
d'eau pèse 1 kilogramme.

Quand on veut expérimenter l'appareil, on chauffe le petit moteur
sphérique représenté à la partie inférieure de notre figure, jusqu'à
ce que la pression soit suffisante. On retire le système du feu, on
ouvre le robinet: les hélices se mettent en mouvement.

L'auteur affirme que lors d'une expérience faite devant le
professeur Giuseppe Colombo et quelques autres spectateurs,
l'appareil se serait élevé à 13 mètres de hauteur, et serait resté
20 secondes en l'air.

Quel que soit l'intérêt de ce résultat, nous ferons observer qu'il
est encore loin de donner la solution du problème de la navigation
aérienne par l'hélice.

La machine de M. Forlanini n'enlève pas son foyer. Elle ne
fonctionne que pendant quelques secondes!

Voilà tout ce qu'a pu donner jusqu'ici l'hélicoptère.



IV

CERFS-VOLANTS, PARACHUTES ET AÉROPLANES

     Archytas de Tarente et le cerf-volant. -- Le parachute de
     Sébastien Lenormand. -- Jacques Garnerin. -- Cocking. -- Letur.
     -- De Groof. -- Aéroplanes de Henson et de Stringfellow. --
     Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin. -- De Louvrié. -- Du
     Temple.


Archytas de Tarente, celui-là à qui l'on a attribué la construction
d'une colombe mécanique, est l'inventeur du cerf-volant à plan
incliné formé d'une matière solide, plus dense que l'air et qui se
soutient dans l'air sous l'influence d'un point d'appui: c'est le
plus simple des aéroplanes. Le cerf-volant d'Archytas remonte à 400
ans avant notre ère, et la théorie du cerf-volant n'est pas encore
faite. Elle a dérouté les mathématiciens. «Le cerf-volant, ce jouet
d'enfant méprisé des savants, disait le grand Euler en 1756, peut
cependant donner lieu aux réflexions les plus profondes.»

Marey-Monge disait que le cerf-volant obéit à des conditions
_mystérieuses_, il s'est livré à de nombreuses études sur cet
intéressant appareil et il arrivait à conclure que la queue du
cerf-volant est un organe indispensable, et qu'un cerf-volant
«chargé d'une queue qui a la moitié de son poids, monte deux fois
plus haut qu'un cerf-volant sans queue!

Cependant les cerfs-volants japonais, en forme d'oiseau aux ailes
étendues, fonctionnent admirablement et ils n'ont pas la moindre
queue!

Plan incliné dans l'air, le cerf-volant a conduit les aviateurs à
l'idée de l'aéroplane, plan qui doit être poussé dans l'air par un
moteur, sous un angle déterminé. Nous allons arriver à l'aéroplane
en partant du cerf-volant et passant par le parachute.

Quand les ballons firent leur apparition dans le monde en 1773, on
avait depuis longtemps oublié les descriptions de Léonard de Vinci
et de Veranzio et le parachute fut découvert une seconde fois. À qui
revient l'honneur d'avoir construit le premier parachute à la fin du
siècle dernier? Il est certain que Blanchard dès ses premières
ascensions se servit de petits parachutes pour lancer des chiens et
des animaux dans l'espace. Son vaisseau volant était muni d'un
parachute. Il n'est pas moins certain que Sébastien Lenormand, peu
de mois après l'ascension des premiers aérostats, effectua du haut
de la tour de l'Observatoire de Montpellier une descente en
parachute qui excita vivement l'attention publique. Ceci résulte
d'une enquête qui a été faite à ce sujet, lorsque Garnerin prit un
brevet d'invention pour le système qu'il venait d'expérimenter.

Voici en quels termes Sébastien Lenormand a revendiqué lui-même son
invention; on va voir que son droit de propriété a été reconnu.

     Le 26 décembre 1783 je fis à Montpellier, dans l'enclos des
     ci-devant Cordeliers, ma première expérience en m'élançant de
     dessus un ormeau ébranché, et tenant en mes mains deux parasols
     de trente pouces de rayon, disposés de la manière dont je vais
     l'indiquer. Cet ormeau présentait une saillie à la hauteur d'un
     premier étage un peu haut; c'est de dessus cette saillie que je
     me suis laissé tomber.

     Afin de retenir les deux parasols dans une situation horizontale
     sans me fatiguer les bras, je fixai solidement les extrémités des
     deux manches aux deux bouts d'un liteau de bois, de cinq pieds de
     long, je fixai pareillement les anneaux aux deux bouts d'un autre
     liteau semblable et j'attachai à l'extrémité de toutes les
     baleines des ficelles qui correspondaient au bout de chaque
     manche.

     Il est facile de concevoir que ces ficelles représentent deux
     cônes renversés, placés l'un à côté de l'autre, et dont les bases
     étaient les parasols ouverts. Par cette disposition j'empêchais
     que les parasols ne fussent forcés de se reployer en arrière par
     la résistance de la colonne d'air. Je saisis la tringle
     inférieure avec les mains et me laissai aller: la chute me parut
     presque insensible lorsque je la fis les yeux fermés. Trois jours
     après, je répétai mon expérience, en présence de plusieurs
     témoins, en laissant tomber des animaux et des poids du haut de
     l'Observatoire de Montpellier.

     M. Montgolfier était alors dans cette ville, il en eut
     connaissance et répéta mes expériences à Avignon avec M. de
     Brante, dans le courant de mars 1784, en changeant quelque chose
     à mon parachute, dont j'avais communiqué la construction à M.
     l'abbé Bertholon, alors professeur de physique.

     L'Académie de Lyon avait proposé un prix d'après le programme
     suivant:

     _Déterminer le moyen le plus sûr, le plus facile, le moins
     dispendieux et le plus efficace de diriger à volonté les globes
     aérostatiques._

     J'envoyai un mémoire au concours, ce fut dans les premiers jours
     de 1784, j'y insérai la description de mon parachute dans la vue
     de m'assurer la priorité de la découverte.

     L'abbé Bertholon fit imprimer quelque temps après un petit
     ouvrage, sur les avantages que la physique et les arts qui en
     dépendent peuvent retirer des globes aérostatiques; et l'on y
     trouve, page 49 et suivantes, des détails sur le parachute et sur
     les expériences que nous fîmes ensemble.

     Le citoyen Prieur avait inséré dans le tome XXI des _Annales de
     chimie_ une note historique sur l'invention et les premiers
     essais des parachutes, il en attribuait la gloire à M. Joseph
     Montgolfier; je réclamai, et ce savant distingué s'empressa
     d'insérer dans le tome XXXVI, page 94, une notice qu'il termine
     par cette phrase: «La justice et l'intérêt de la vérité
     prescrivaient également la publicité que nous donnons à la
     réclamation du citoyen Lenormand, ainsi qu'aux preuves, qui
     paraissent en effet lui assurer la priorité de date pour les
     premières expériences des parachutes.» Plusieurs journaux
     répétèrent ce qu'avait avancé le citoyen Prieur.

     Voici, monsieur, l'article relatif à mon parachute, que j'extrais
     mot à mot du mémoire que j'adressai à l'Académie de Lyon, et dont
     j'ai parlé plus haut; j'y joins aussi la copie de la planche qui
     l'accompagnait.


     _Description d'un parachute._

     Je fais un cercle de 14 pieds de diamètre avec une grosse corde;
     j'attache fortement tout autour un cône de toile dont la hauteur
     est de 6 pieds; je double le cône de papier en le collant sur la
     toile pour le rendre imperméable à l'air; ou mieux, au lieu de
     toile, du taffetas recouvert de gomme élastique. Je mets tout
     autour du cône des petites cordes, qui sont attachées par le bas
     à une petite charpente d'osier, et forment avec cette charpente,
     un cône tronqué renversé. C'est sur cette charpente que je me
     place. Par ce moyen j'évite les baleines du parasol et le manche,
     qui feraient un poids considérable. Je suis sûr de risquer si
     peu, que j'offre d'en faire moi-même l'expérience, après avoir
     cependant éprouvé le parachute sur divers poids pour être assuré
     de sa solidité.

[Illustration: Fig. 31.--Premier parachute de Sébastien Lenormand.]

Les propriétés du parachute étaient donc très connues, lorsqu'un
élève du physicien Charles, Jacques Garnerin, ayant été fait
prisonnier de guerre, et se trouvant enfermé en Autriche, eut l'idée
de s'évader à l'aide d'un appareil qui lui permettrait de se
précipiter du haut d'une tour. Il ne réussit pas à s'échapper par ce
procédé, mais quand il eut recouvré la liberté, il résolut de mener
à bien l'expérience qu'il avait imaginée pendant sa captivité.

La première tentative d'une descente de ballon exécutée en parachute
eut lieu le 22 octobre 1797, au parc Monceau, en présence d'une
foule considérable, parmi laquelle se trouvait l'astronome Lalande.
Jacques Garnerin s'éleva sous un parachute plié, attaché à un
ballon. À 1 000 mètres de hauteur, il coupa la corde qui le
maintenait sous l'aérostat, et il s'abandonna dans les airs. Des
cris de stupeur retentirent, mais on vit le parachute s'ouvrir et
osciller au milieu de l'atmosphère. Ce premier parachute avait
seulement 7{m},80 de diamètre. La descente fut très rapide, elle se
termina par un choc violent qu'eut à subir Garnerin dans sa petite
nacelle, en touchant la terre. L'intrépide expérimentateur, en fut
quitte pour une contusion au pied, légère blessure, puisqu'elle ne
l'empêcha pas de revenir à cheval, vers son point de départ, où il
fut accueilli par des acclamations.

Lalande courut à l'Institut pour annoncer à ses collègues le succès
de cette grande expérience d'aviation.

Le parachute ne subit presque aucune modification après Garnerin. Il
fut muni d'une ouverture centrale circulaire, destinée à laisser
passer l'air à sa partie supérieure; cette ouverture tend à éviter
les oscillations de la descente, mais elle n'est pas nécessaire,
d'après l'avis des spécialistes compétents.

Après un grand nombre de descentes en parachute, exécutées par
Garnerin et par sa nièce Élisa Garnerin, par Blanchard, par Mme
Blanchard, par Louis Godard et par Mme Poitevin, on abandonna cet
appareil; il n'a en réalité aucune utilité aérostatique, et ne sert
qu'à donner une démonstration expérimentale intéressante.

L'appareil de Garnerin n'est-il pas susceptible d'être perfectionné?
Sa forme est-elle le plus favorable au but qu'il s'agit d'atteindre?
Certains aviateurs pensent que le parachute de Garnerin pourrait
être avantageusement modifié. En 1816, Cayley, dont nous avons déjà
parlé précédemment, et qui est considéré comme l'un des partisans
les plus distingués du plus lourd que l'air dans la Grande-Bretagne,
exprimait l'opinion suivante: Les machines de ce genre, qui ont
certainement été construites en vue de procurer une descente
équilibrée, ont reçu, chose étonnante, la pire des formes qu'on
puisse imaginer pour atteindre ce but.

L'inventeur anglais Cocking partageait ces idées, mais il eut la
témérité de se confier à des surfaces de dimensions insuffisantes,
disposées à l'inverse d'un parachute ordinaire. Son appareil avait
la forme d'un cône renversé: il devait fonctionner la pointe en bas.

Le 27 septembre 1836, Cocking exécuta son expérience avec
l'aéronaute anglais Green, qui, convaincu de la justesse des
raisonnements de l'inventeur, n'hésita pas à l'enlever attaché à la
nacelle de son ballon. Il s'élevèrent tous deux du Wauxhall à
Londres, et montèrent jusqu'à l'altitude de 1 200 mètres. À cette
hauteur, Green coupa la corde, qui reliait au ballon Cocking et son
appareil. Le parachute retourné se précipita dans l'air avec une
vitesse désordonnée; sa surface mal calculée se déforma, et l'on vit
avec stupeur le malheureux aviateur être précipité vers le sol avec
une rapidité toujours croissante (fig. 32). Cocking fut broyé par le
choc, et l'on releva son corps en lambeaux.

En 1853, un Français, Letur, imagina de munir un parachute de deux
grandes ailes analogues à celles des coléoptères, et qui lui
permettraient de se diriger pendant la descente vers un point
déterminé (fig. 33). Il exhiba son appareil à l'Hippodrome de Paris
à la fin de mai 1853[47], mais il n'exécuta pas son expérience.
L'année suivante, le 27 juin 1854, Letur fut enlevé à Londres dans
le ballon de William Henry Adam. Celui-ci était accompagné par un
ami. Le parachute volant de Letur était attaché à 25 mètres
au-dessous de la nacelle de l'aérostat. Une catastrophe analogue à
celle de Cocking allait se produire. En voici le récit d'après le
journal anglais le _Sun_:

         [Note 47: _Le Constitutionnel_ du 1er juin 1853 donne le
         récit d'une visite faite à l'Hippodrome pour voir l'appareil
         de Letur, par M. le duc de Gênes, accompagné de l'aide de
         camp de l'Empereur.]

[Illustration: Fig. 32.--Mort de Cocking, le 26 septembre 1836.]

     La descente en parachute de l'aéronaute français, M. Letur, dont
     l'ascension avait eu lieu à Cremorn-Gardens, il y a quelques
     jours, s'est terminée d'une manière fatale pour lui. Il paraît
     que lorsque le ballon fut arrivé au-dessus de Tottenham, M. Adam,
     l'une des personnes qui occupaient des places dans la nacelle,
     trouvant l'endroit favorable, se prépara à descendre. Il coupa
     deux des cordes qui attachaient le parachute au ballon; mais il
     s'aperçut que la troisième corde était engagée dans l'appareil de
     la machine.

     Tout près de la station du chemin de fer de Tottenham, deux
     employés du chemin de fer s'étaient d'abord saisis de l'ancre
     attachée au parachute, mais force leur fut bientôt de lâcher
     prise. M. Adam, pour éviter les dangers que présentaient des
     arbres dans le voisinage, se mit à jeter du lest; néanmoins, on
     heurta les arbres.

[Illustration: Fig. 33.--Appareil de Letur (1854).]

     Le parachute fut ballotté avec une grande violence dans les
     branchages, que l'on entendait craquer de la station, à la
     distance d'un quart de mille. Cependant M. Adam parvint à
     descendre sur le champ, tout près de la station de Marshlane. Les
     ancres du parachute étant demeurées attachées à des branches, à
     peu de distance de l'endroit où M. Adam et son ami étaient
     descendus, ceux-ci s'empressèrent de courir au secours du
     malheureux Français, qui n'avait pas voulu quitter le parachute
     et s'y tenait accroché avec force.

     Une foule immense fut bientôt sur le théâtre de l'accident, et
     l'on parvint après beaucoup d'efforts à dégager le malheureux M.
     Letur, qui, n'ayant pas perdu connaissance, quoique fortement
     brisé par de nombreuses contusions, poussait des cris et des
     gémissements. On le transporta à la taverne du chemin de fer près
     de la station. M. Barrett, propriétaire, le fit placer dans une
     chambre. On courut chercher un médecin. M. le docteur Lieks
     arriva.

     Ce pauvre M. Letur, qui ne parle pas du tout anglais, ne cessait
     de répéter: «Mon Dieu! mon Dieu!» On le mit dans un lit. Le
     docteur Lieks examina attentivement ses blessures. Les contusions
     extérieures parurent peu graves, mais le docteur jugea qu'une
     lésion interne d'une nature grave et mortelle devait avoir eu
     lieu.

     Dans la soirée, plusieurs personnes arrivèrent de
     Cremorn-Gardens, et entre autres M. Franchel, l'ami intime du
     blessé, et qui l'avait engagé à venir en Angleterre par
     spéculation. M. Franchel, très ému et rempli de compassion pour
     le sort du malheureux, déclara qu'il ne le quitterait pas. Cette
     assurance parut améliorer beaucoup l'état moral du blessé, qui
     pensa que sa famille pourrait avoir de ses nouvelles par
     l'intermédiaire de cet ami.

     M. Franchel n'a pas quitté le blessé jusqu'à son dernier soupir,
     qu'il a rendu jeudi dernier, et il avait même déclaré qu'il ne
     quitterait l'hôtel qu'après avoir rendu les derniers devoirs à
     son ami. Jusqu'à sa mort, M. Letur a gardé sa pleine
     connaissance. Il s'est entretenu avec calme avec M. Franchel, à
     qui il a exprimé ses dernières volontés. Il avait quarante-neuf
     ans. On dit qu'il laisse sa famille dans l'indigence, à Paris. Sa
     malheureuse femme est dans un état de grossesse très avancé.

     Parmi les personnes qui ont montré le plus d'intérêt pour ce
     malheureux a été M. Simpton, propriétaire de Cremorn-Gardens. Le
     parachute n'a pas été très endommagé. Il reste déposé à la
     taverne pour être examiné par le coroner et le jury.
Cette catastrophe causa une vive émotion et donna lieu à une enquête
du coroner. Nous extrayons les passages les plus intéressants du
procès-verbal qui a été publié à cette époque.

     Aujourd'hui, à quatre heures de l'après-midi, M. Baker, coroner
     d'East-Middlesex, et un jury composé d'hommes très
     recommandables, se sont réunis à l'hôtel du Chemin-de-Fer, pour
     s'y livrer à une enquête sur la mort de M. Letur, aéronaute
     français, âgé de quarante-neuf ans, mort des suites de ses
     blessures dans une descente en parachute.

     Un grand nombre de personnages spéciaux et scientifiques
     assistaient à l'enquête, et notamment MM. Green, Coxwell,
     Hampton, aéronautes distingués. M. Adam, secrétaire, de M.
     Simpson, propriétaire de Cremorn-Gardens, où avait eu lieu
     l'ascension, représentait ce dernier.

     M. William Henry Adam, aéronaute à Cremorn-Gardens, dépose en ces
     termes: «Le 27 juin, le défunt s'est enlevé à Cremorn-Gardens
     avec son parachute. Il était accompagné de M. Adam et d'un ami de
     ce dernier. La nacelle du ballon était à environ 80 pieds
     au-dessus du parachute de M. Letur. Celui-ci, attaché au siège
     sur lequel il était placé, faisait mouvoir, à l'aide de ses
     pieds, deux vastes ailes avec lesquelles il guidait sa machine.
     Ses mains étaient entièrement libres.

     L'ascension se fit très heureusement; en arrivant à Conden-Town,
     M. Adam songea à descendre. La descente étant déjà commencée, M.
     Adam demanda à M. Spearham, armateur, qui était avec lui dans la
     nacelle, si le parachute s'était ouvert, ce qui aurait dû être
     fait immédiatement. M. Spearham répondit que non.

     M. Adam vit alors que le parachute et les cordes se trouvaient
     mêlées. L'humidité du gazon sur lequel le parachute était resté
     deux heures avant l'ascension avait exercé de l'influence sur les
     cordes toutes neuves.

     Il fallut songer à descendre définitivement. C'est alors que le
     parachute se heurta avec violence contre les branches des arbres
     que l'on avait vainement tenté d'éviter. De là et par suite des
     secousses et des commotions, la mort de M. Letur.

Le coroner, après l'interrogatoire des témoins, a résumé l'affaire,
et le jury, après une courte délibération, a rendu un verdict
constatant que la mort avait été accidentelle.

[Illustration: Fig. 34.--Machine volante de de Groof.]

En 1872, un Belge, nommée de Groof, voulut réaliser une machine
volante jouant à la fois le rôle d'ailes battantes et de parachute.
Comme Cocking et Letur, il entreprit d'expérimenter son système de
vol planeur, en se séparant d'un aérostat qui l'enlèverait à une
assez grande hauteur dans l'atmosphère. En 1873, il voulut commencer
ses essais à Bruxelles, mais il ne réussit pas. Comme jadis Degen,
il fut roué de coups par la foule et devint ensuite l'objet des
railleries impitoyables de ses concitoyens.

De Groof ne se lassa point; au commencement de l'année suivante il
fit insérer dans un grand nombre de journaux politiques l'annonce
suivante, que nous reproduisons textuellement:

                 POUR

  faire des expériences à Paris ou ailleurs
  on demande pour le mois de mai prochain

              UN AÉRONAUTE

                ayant un

                 BALLON

  pouvant enlever et lâcher à une certaine hauteur
  le soussigné et un appareil volateur pesant ensemble
  125 kilos.--Pour les conditions s'adresser
  à M. de Groof, à Bruges (Belgique).

L'aéronaute demandé, se présenta dans la personne de M. Simmons,
praticien anglais, et les expériences furent préparées à Londres,
pour être exécutées dans les jardins de Cremorne, comme cela avait
eu lieu précédemment pour Cocking et Letur. Le sort de de Groof fut
le même que celui de ses prédécesseurs!

Nous allons, avant de donner le récit de cette catastrophe, faire
connaître quel était le système du malheureux inventeur.

L'appareil de de Groof se composait de deux ailes de 11 mètres et
d'une queue de 9 mètres, à l'aide desquelles il prétendait descendre
lentement dans une direction déterminée, quand on le détacherait de
dessous la nacelle d'un aérostat qui l'aurait élevé à une assez
grande hauteur (fig. 34). Ce n'était pas le problème du vol complet
que cet inventeur cherchait à résoudre, mais une sorte de vol
partiel.

Une première expérience, exécutée le 29 juin 1873 à Cremorne, a
réussi, en ce sens que de Groof parvint à conserver l'équilibre et à
descendre à terre sans mésaventure, à peu près dans la direction où
l'aurait porté un simple parachute.

Il avait été, dans cette première expérience, lâché dans l'air à une
hauteur de 300 mètres au-dessus du sol. De Groof donna lui-même à
l'aéronaute Simmons le signal de la séparation. Il déclare avoir
crié: «Lâchez!» Il se trouva à terre sans accident, la queue de
l'appareil ayant été légèrement endommagée.

Enhardi par ce succès relatif, de Groof voulut donner une nouvelle
représentation de son expérience. Le 5 juillet 1874, il exécuta une
ascension dans les mêmes circonstances que précédemment, se faisant
attacher au-dessous de la nacelle du ballon de M. Simmons, un des
aéronautes ordinaires de Cremorne.

Il paraît qu'après être monté à quelques centaines de mètres, le
ballon s'est mis à descendre rapidement, sans doute à cause d'une
condensation subite. De Groof, craignant d'être écrasé sous le
ballon, prit peur et cria à M. Simmons de couper la corde. Il
n'était plus à ce moment qu'à trente mètres de terre.

Les ailes n'ayant pu faire parachute, le malheureux de Groof tomba
aussi lourdement qu'une pierre. Il avait perdu connaissance en
arrivant à terre, où il reçut un coup terrible sur la nuque, et il
expira, avant qu'on eût pu le transporter à l'hôpital de Chelsea, où
sa femme accourut en même temps que son cadavre arrivait.

Après les applications si malheureuses et si funestes qui ont été
faites du parachute aux appareils de vol aérien, arrivons aux
aéroplanes que les aviateurs considèrent actuellement comme le
système le plus avantageux que l'on puisse préconiser.

[Illustration: Fig. 35.--Machine aérienne à vapeur de Henson.]

En 1843, MM. Henson et Stringfellow, en Angleterre, construisirent
successivement de grands appareils formés de plans inclinés que deux
roues en hélice devaient faire progresser au sein de l'air.
L'appareil de M. Henson, qui fut présenté sous le nom de machine à
vapeur aérienne, consistait en un chariot adapté à un grand cadre
rectangulaire de bois et de bambou, couvert de canevas ou de soie
vernie. Le cadre formant plan incliné, s'étendait de chaque côté du
chariot, de la même manière que les ailes étendues d'un oiseau, mais
avec cette différence qu'il devait rester immobile (fig. 35).
Derrière, se trouvaient deux roues verticales en éventail, munies de
palettes obliques destinées à pousser l'appareil. Ces roues jouaient
donc le rôle de propulseurs. Cet appareil curieux, dont on parla
beaucoup à l'époque où il fut imaginé, ne fonctionna jamais
convenablement.

M. Stringfellow étudia de son côté un grand projet, dans lequel il
avait eu l'idée de superposer en trois étages les plans de
glissement dans l'atmosphère. Aucune expérience ne fut exécutée.

Ce que MM. Henson et Stringfellow ne surent réaliser, M. Victor
Tatin, dont nous avons déjà parlé précédemment, l'exécuta en petit à
une époque beaucoup plus récente.

Voici comment l'auteur a décrit lui-même son ingénieux aéroplane
après avoir résumé quelques intéressantes considérations d'ensemble
que nous reproduisons.

     On désigne sous le nom d'aéroplanes, des appareils dont
     l'invention est assez récente, car le premier projet rationnel
     qu'on en ait publié est dû à Henson, et ne remonte qu'à 1842.
     C'est, du reste, le type qui depuis lors a toujours été
     reproduit.

     Le principe de cet appareil consiste à maintenir sur l'air un
     vaste plan auquel des hélices propulsives communiquent un rapide
     mouvement de translation. Personne, que nous sachions, n'avait
     obtenu de bons résultats au moyen des aéroplanes, avant Pénaud,
     qui employa encore le caoutchouc tordu pour mettre en mouvement
     ces petits appareils si étonnants par la simplicité de leur
     mécanisme (fig. 36). Cet ingénieux expérimentateur n'a
     malheureusement réalisé que des types d'aéroplanes de petites
     dimensions. La maladie qui devait nous l'enlever, a sans doute
     entravé ses recherches. Quelques années avant sa mort, il avait
     cependant publié, avec le concours d'un de nos amis communs, M.
     P. Gauchot, ingénieur distingué, un projet d'aéroplane de grandes
     dimensions; la mort de Pénaud dut en empêcher la réalisation.
     Cette construction eût sans doute entraîné d'assez fortes
     dépenses, mais nous croyons qu'elle eût donné la preuve
     victorieuse de la supériorité de l'aéroplane sur tous les
     appareils que nous avons décrits ci-dessus.

[Illustration: Fig. 36.--Aéroplane d'Alphonse Pénaud.]

     À l'époque où Pénaud se rattachait définitivement à l'emploi de
     l'aéroplane comme à la méthode la plus capable de donner des
     résultats pratiques, nous poursuivions encore la création
     d'appareils basés sur l'imitation du vol de l'oiseau. Nos yeux
     s'ouvrirent enfin à l'évidence et nous entrâmes dans la voie que,
     depuis lors, nous n'avons plus cessé de suivre. Nous ne tardâmes
     pas à nous applaudir de ce changement, car, dès nos premiers
     essais, les résultats furent très satisfaisants.

[Illustration: Fig. 37.--Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin,
expérimenté en 1879.]

     Un petit aéroplane d'environ 0{mq},7 de surface était remorqué
     par deux hélices tournant en sens inverse; le moteur était une
     machine à air comprimé, analogue à une petite machine à vapeur
     dont la chaudière était remplacée par un récipient relativement
     grand et d'une capacité de 8 litres; malgré le peu de poids dont
     nous pouvions disposer, nous avons pourtant pu donner à ce
     récipient une solidité suffisante pour qu'il puisse résister, à
     l'épreuve, à plus de 20 atmosphères: dans nos expériences, la
     pression n'en a jamais dépassé 7; son poids n'était que de 700
     grammes. La petite machine développant une force motrice
     d'environ 2{kgm},6 par seconde, pesait 300 grammes; enfin, le
     poids total de l'appareil, monté sur roulettes était de 1{k},750
     (fig. 37); cet ensemble quittait le sol, à la vitesse de 8 mètres
     par seconde, quoique les résistances inutiles fussent presque
     égales à celles dues à l'ouverture de l'angle formé par les plans
     au-dessus de l'horizon. L'expérience a été faite en 1879 dans
     l'établissement militaire de Chalais-Meudon. L'aéroplane, attaché
     par une cordelette au centre d'un plancher circulaire, tournait
     autour de la piste; il a pu s'enlever du sol, et passer même une
     fois au-dessus de la tête d'un spectateur. Nous ne pouvons que
     renouveler ici les remerciements que nous avons déjà adressés à
     MM. Renard et Krebs, pour leur extrême obligeance et l'intérêt
     qu'ils semblaient prendre à nos essais.

     Après ce résultat, nous avions formé le projet d'étudier avec cet
     appareil les avantages ou les inconvénients de l'emploi de plans
     plus ou moins étendus, d'angles plus ou moins ouverts, et enfin,
     de diverses vitesses dans chacun de ces cas; mais nos ressources,
     alors plus qu'épuisées par ces longs et coûteux travaux, ne nous
     le permirent pas et, à notre grand regret, nous avons dû depuis,
     nous contenter d'indiquer le programme de nos expériences, sans
     pouvoir le réaliser nous-même.

     L'expérience que nous venons de rapporter corroborait,
     d'ailleurs, nos prévisions, et nous pensons aujourd'hui pouvoir
     tracer les lignes principales d'un aéroplane, sans crainte de
     commettre de grave erreur. Dans un aéroplane, comme dans un
     ballon, la résistance à la translation croît comme le carré de la
     vitesse; la force motrice devra donc, ici aussi, croître comme le
     cube de cette vitesse, mais comme, pour un angle donné et supposé
     invariable, la poussée de sustention et la résistance à la
     translation seront toujours dans le même rapport, le poids
     disponible augmentera avec le carré de la vitesse, de sorte qu'on
     se trouve sur ce point, plus avantagé qu'avec l'emploi des
     ballons.

     Il faut remarquer, par contre, qu'avec le système aéroplane, les
     grandes constructions ne procureront que l'avantage de pouvoir
     obtenir des moteurs relativement plus légers et plus économiques.

     Il est bien évident que les premiers essais qu'on pourrait
     traiter avec des aéroplanes ne seraient que d'une courte durée.
     Ayons d'abord des vues modestes. Qu'une machine aérienne
     fonctionne seulement une heure, une demi-heure même, à la vitesse
     d'une quinzaine de mètres par seconde, et le progrès accompli
     sera immense; on peut même dire que le problème sera entièrement
     résolu. Après ce premier pas, viendront rapidement les
     perfectionnements qu'indiquera l'expérience; les moteurs nouveaux
     deviendront un but de recherches qui ne tarderont pas à être
     fécondes, et l'humanité se trouvera enfin en possession du plus
     puissant engin qu'elle ait jamais imaginé.

Beaucoup d'autres systèmes ont été proposés par les aviateurs.
Michel Loup, en 1852, décrivit l'appareil que représente notre
gravure (fig. 38). C'était un système formé par un plan de
glissement devant s'avancer au moyen de quatre ailes tournantes.
L'appareil était muni d'un gouvernail et de roues; il affectait
l'aspect d'un oiseau quand on le voyait de profil.

[Illustration: Fig. 38.--Aéroplane de Michel Loup. (1852).]

Nous ne devons pas oublier de mentionner le nom d'un mathématicien
pratique dont les travaux étaient fort dignes d'intérêt: de Louvrié.
Il avait imaginé un système d'aéroplane, dont les ailes pouvaient
être repliées comme celles de l'oiseau. Son système de cerf-volant
parachute, dont nous donnons le schéma (fig. 39), fut soumis à
l'examen de l'Académie des sciences, mais aucune expérience ne put
avoir lieu.

[Illustration: Fig. 39.--Aéroscaphe de Louvrié.]

Dans cet appareil il devait y avoir une hélice de propulsion, ou un
moteur à mélange détonant produisant une réaction sur l'air.

[Illustration: Fig. 40.--Aéroplane monté sur roue de M. du Temple
(1857).]

Parmi les plus fervents disciples de l'aviation par les aéroplanes,
nous aurons encore à citer les frères du Temple. Dès l'année 1857,
M. Félix du Temple, alors lieutenant de vaisseau, prit un brevet
d'invention pour un appareil de locomotion aérienne imitant le vol
des oiseaux. Bientôt aidé de son frère, M. Louis du Temple,
capitaine de frégate, auteur d'ouvrages de mécanique estimés, il eut
l'idée de l'aéroplane que nous représentons (fig. 40). Cet
aéroplane, formé de deux grandes ailes et d'une queue, était monté
sur roue. À l'avant se trouvait une hélice d'aspiration, mise en
mouvement par une machine à vapeur très légère. M. Louis du Temple a
étudié avec un grand mérite les moteurs légers, et tout le monde
connaît la chaudière à vapeur qui lui est due. Malgré les efforts
les plus persévérants, aucun résultat d'expérimentation pratique de
l'aéroplane ne put être obtenu.

[Illustration: Fig. 41.--Aéroplane de Thomas Moy (1871).]

En 1858, Jullien, dont nous allons résumer plus loin les
remarquables expériences d'aérostat allongé, voulut étudier ce que
peuvent donner les appareils plus lourds que l'air. Il présenta à la
_Société d'encouragement pour l'aviation_[48] un modèle d'aéroplane
automoteur ne pesant que 36 grammes quoique ayant 1 mètre de
longueur. Les propulseurs étaient des hélices à deux palettes. Le
moteur, une simple lanière de caoutchouc analogue à celle
qu'employait Pénaud. M. de la Landelle en a donné la description:

     L'appareil, qui marchait en ligne droite et horizontale,
     papillonnait durant cinq secondes et parcourait une distance de
     douze mètres. La force dépensée était de 72 grammètres par
     seconde.

         [Note 48: _Société d'encouragement pour l'aviation_, ou
         Locomotion aérienne au moyen d'appareils plus lourds que
         l'air. 1 broch. in-8º, Paris. J. Claye. 1867.]

L'inventeur se proposait de construire un appareil de plus grande
dimension, pesant 200 grammes et fonctionnant pendant 20 secondes,
mais il ne donna pas suite à cette idée.

Vers la même époque M. Carlingford prit en Angleterre et en France
un brevet d'invention pour un chariot ailé, muni d'une hélice de
traction. Cet aéroplane singulier était destiné à être lancé en
l'air au moyen d'une balançoire à laquelle on devait l'avoir
préalablement suspendu. La seule force de l'homme qui s'y trouvait
suspendu devait en outre permettre à l'appareil de voler comme
l'oiseau dans toutes les directions.

Les projets d'aéroplanes sont innombrables et les aviateurs se
nomment _légion_. Mais que de fois leurs projets sont absolument
chimériques! Figurons à titre de curiosité de ce genre, un projet
d'appareil proposé par Thomas Moy en 1871[49] (fig. 41). Deux plans
inclinés seraient animés de mouvement dans l'air sous l'influence de
grandes roues à hélice. Il est facile de figurer une machine sur le
papier; mais l'art de la construire et de la faire fonctionner est
plus difficile. C'est ce qu'oublient trop souvent les hommes que
leur imagination entraîne loin du domaine de la science
expérimentale.

         [Note 49: Nous avons emprunté le dessin de cet aéroplane et
         de quelques-uns de ceux que nous venons de mentionner au
         _Tableau d'aviation_, dressé par M. E. Dieuaide, un de nos
         plus zélés historiens de la navigation aérienne.]

Nous avons décrit les principes de l'aviation, nous avons parlé des
expériences qui ont été faites. On a vu que malgré l'incontestable
intérêt des études et des constructions exécutées, _le plus lourd
que l'air_ n'a pas réalisé jusqu'ici la navigation aérienne.

Est-ce à dire que la solution du problème de l'aviation n'est pas
possible? Nous nous garderons de prononcer ce mot; mais il nous
paraît certain qu'avec les ressources actuelles de la mécanique
contemporaine, le problème ne saurait être résolu d'une façon
pratique, les moteurs dont on dispose, étant beaucoup trop lourds.



TROISIÈME PARTIE

LE PROBLÈME DE LA DIRECTION DES BALLONS

     On sent que tous les usages de l'aérostat se multiplieront,
     lorsque cette machine aura été perfectionnée, et même qu'ils
     deviendront d'une tout autre conséquence, si on parvient jamais à
     la diriger, comme tout semble en annoncer la possibilité.

     (_Rapport fait à l'Académie des sciences sur la machine
     aérostatique_, par Lavoisier, Condorcet, etc., présenté le 24
     décembre 1783.)



I

PREMIÈRES EXPÉRIENCES DE DIRECTION AÉRIENNE

     Le ballon à rames de Blanchard. -- Expériences de direction de
     Guyton de Morveau. -- Miolan et Janinet. -- Le projet du général
     Meusnier. -- Études de Brisson. -- Le premier ballon allongé des
     frères Robert. -- Le _Comte d'Artois_, aérostat de Javel. --
     L'aéro-montgolfière de Pilâtre de Rozier. -- Masse et
     Testu-Brissy.


Aussitôt que les frères Montgolfier eurent lancé dans l'espace le
premier ballon à air chaud, que Pilâtre et Rozier et le marquis
d'Arlandes eurent exécuté, à la date du 21 novembre 1783, le premier
voyage aérien, que Charles et Robert, quelques jours après, le 1er
décembre, se furent élevés du jardin des Tuileries dans le premier
ballon à gaz hydrogène, on songea à se diriger dans l'atmosphère.
Dès 1783, l'année même de la découverte, les projets surgirent, et,
en 1784, nous n'allons pas avoir à enregistrer moins de cinq
tentatives distinctes.

Blanchard est le premier en date. L'aviateur que nous avons vu dans
la première partie de ce livre expérimenter les ailes de sa voiture
volante, devint un des plus fervents disciples des frères
Montgolfier; il songea à appliquer aux ballons son système de rames
et conçut un système de direction très élémentaire. C'était un
ballon sphérique, à gaz hydrogène, dont l'appendice portait un
parachute: on pouvait manoeuvrer dans la nacelle, deux ailes ou
rames et un gouvernail (fig. 42).

Ce système ressemblait beaucoup à sa voiture volante, dont la
curieuse caricature de la première Partie représente l'aspect
d'ensemble. Blanchard avait, comme on le voit, appliqué à la nacelle
d'un ballon à gaz les ailes et le parachute de son appareil
d'aviation. C'est avec beaucoup de bon sens qu'il rendit hommage à
la découverte des frères Montgolfier, et dans une lettre insérée
dans le _Journal de Paris_, il convint de bonne grâce, qu'il ne se
serait jamais élevé dans l'air sans les ballons.

[Illustration: Fig. 42.--Aérostat dirigeable de Blanchard (1789).]

L'ascension de Blanchard eut lieu au Champ-de-Mars le 2 mars 1784;
elle fut signalée par un incident curieux. Un jeune officier de
l'école de Brienne, Dupont de Chamtbont, voulut monter de force dans
la nacelle, et ayant tiré son épée, il blessa l'aéronaute à la main.
Blanchard dut laisser ses ailes à terre: il n'emporta que son
gouvernail et descendit à Billancourt. Il raconta qu'il avait opéré
des manoeuvres particulières, et qu'il avait réussi à marcher contre
le vent[50] en manoeuvrant l'appendice de l'aérostat, mais rien ne
justifie ces affirmations: on se moqua de l'aéronaute, et des
dessins satiriques furent faits contre lui. Blanchard, hâtons-nous
de l'ajouter pour sa mémoire, se releva dignement de cet échec; il
eut l'honneur de traverser pour la première fois le détroit du
Pas-de-Calais en ballon, avec le Dr Jeffries, et il exécuta plus de
cinquante ascensions qui font de lui un des premiers aéronautes
français.

         [Note 50: _Première suite de la description des expériences
         aérostatiques de MM. de Montgolfier_, par M. Faujas de
         Saint-Fond. Tome second, 1 vol. in-8º. Paris, 1784.--Compte
         rendu par M. Blanchard, p. 170.]

Au moment où ces expériences de Blanchard attiraient l'attention
publique, un officier du génie d'un grand mérite, le général
Meusnier[51], étudiait la construction d'un ballon allongé muni d'un
propulseur, et Brisson, membre de l'Académie des sciences, se
préparait à exposer nettement les conditions du problème de la
direction des aérostats. Nous allons parler, un peu loin, des
travaux de ces savants, qui ont jeté les premières bases de la
navigation aérienne, mais nous voulons auparavant continuer ici
l'énumération des essais qui ont été entrepris à l'aide des ballons
sphériques.

         [Note 51: Quelques écrivains modernes ont écrit Meunier.
         C'est par erreur. Hugues-Alexandre-Joseph Meusnier, né dans
         le Roussillon le 23 septembre 1758, mourut à Poitiers après
         une magnifique carrière militaire, en 1851.]

Le 12 juin 1784 on vit s'élever, à Dijon, l'appareil dirigeable
construit sous les auspices de Guyton de Morveau, par les soins de
l'Académie de Dijon. Le célèbre physicien avait imaginé de fixer à
l'équateur d'un aérostat sphérique, un cercle de bois, portant d'une
part, deux grandes tablettes de soie tendue sur un cadre rigide, et
d'autre part, un gouvernail. En outre, deux rames placées entre la
_proue_ et le _gouvernail_ étaient destinées à battre l'air comme
les ailes d'un oiseau (fig. 43). Tous ces organes se manoeuvraient à
l'aide de cordes, par les aéronautes dans la nacelle. C'est avec ces
moyens d'action que Guyton de Morveau, de Virly et l'abbé Bertrand
essayèrent de se diriger dans les airs; les expériences furent
continuées longtemps, avec une grande persévérance, mais sans aucun
succès. L'Académie de Dijon, on doit le reconnaître, ne recula, pour
les mener à bonne fin, devant aucune dépense[52].

[Illustration: Fig. 43.--L'aérostat dirigeable _l'Académie de
Dijon_, expérimenté par Guyton de Morveau en 1784.]

         [Note 52: _Description de l'aérostat «l'Académie de Dijon»._
         À Dijon. 1 vol. in-8º avec planches, 1784.]

Pendant que ces essais s'exécutaient à Dijon, on ne parlait à Paris
que de la montgolfière dirigeable de deux physiciens, l'abbé Miolan
et Janinet. Le système consistait en un grand écran en forme de
queue de poisson, que les aéronautes devaient actionner dans la
nacelle, à la façon d'une godille (fig. 44).

[Illustration: Fig. 44.--La Montgolfière dirigeable de Miolan et
Janinet.]

Les infortunés physiciens essayèrent de gonfler leur montgolfière le
11 juillet 1784[53], ils n'y réussirent point; la foule envahit
l'enceinte de manoeuvre, brisa tout autour d'elle, pendant que le
feu dévorait le globe aérien. Miolan et Janinet furent l'objet d'une
raillerie sans pitié; on les ridiculisa dans les estampes, et je
possède dans ma collection aérostatique quelques curieuses
caricatures à ce sujet, notamment une gravure qui représente l'abbé
Miolan sous la forme d'un chat, Janinet sous celle d'un âne,
triomphalement traînés par des baudets et conduits à «l'Académie de
Montmartre».

         [Note 53: Dans la plupart des traités d'aérostation, la date
         de cette tentative est fixée en juillet 1785, mais les
         nombreuses gravures et caricatures que j'ai dans ma
         collection portent toutes la date du 11 juillet 1784; c'est
         cette dernière date que je crois exacte.]

De toutes parts on songeait à diriger les ballons, et tandis que
Miolan et Janinet échouaient d'une façon si pitoyable, les frères
Robert allaient expérimenter le premier aérostat allongé.

L'idée de ce mode de navigation appartient, comme nous l'avons dit
précédemment, au général Meusnier, membre de l'Académie des
sciences. Le général Meusnier, dans un remarquable mémoire, a jeté
les bases de la navigation aérienne par les aérostats à hélice, et
il a eu la première idée du ballonnet compensateur qui permet de
monter et de descendre sans perdre de gaz et sans jeter de lest.

Voici le sommaire de ce que contient le travail de Meusnier.

Le savant officier du génie avait imaginé un aérostat à double
enveloppe. L'hydrogène est contenu dans le ballon intérieur formé de
soie rendue imperméable par un vernis au caoutchouc. Cette enveloppe
doit être aussi légère qu'il est possible, plus grande que le volume
du gaz qu'elle contient, en sorte qu'elle ne soit jamais
complètement tendue à la partie inférieure. On la nomme enveloppe
_imperméable_. La seconde enveloppe, dite de _force_, peut être de
toile et d'autant plus épaisse que l'aérostat est plus grand; on la
fortifie encore à l'extérieur par un réseau de cordes. Elle doit
être imperméable à l'air atmosphérique comprimé. On laisse entre les
deux enveloppes un assez grand espace dont nous allons voir l'usage.

Un tuyau de même tissu que l'enveloppe de force fait communiquer
cette enveloppe avec une pompe foulante établie dans la nacelle. On
peut, au moyen de cette pompe, comprimer l'air entre les deux
enveloppes et augmenter ainsi la pesanteur spécifique du système.
Comme l'enveloppe est disposée pour n'être presque pas extensible et
comme les cordes dont elle est enveloppée extérieurement ne lui
permettent pas de se déformer, on peut regarder le volume de
l'aérostat comme à peu près invariable, tandis que son poids
augmente ou diminue en raison de la densité moyenne des deux gaz
qu'il contient. Ces gaz, séparés l'un de l'autre par l'enveloppe
imperméable, sont constamment en équilibre de part et d'autre de
cette enveloppe, qui, n'étant jamais tendue et ne supportant aucun
effort, peut être du tissu le plus mince et le plus léger. Aussi,
lorsque les aéronautes sont à une grande hauteur, il leur suffit,
pour descendre, de faire agir la pompe foulante, tout le poids de
l'air atmosphérique qu'ils introduisent entre les deux enveloppes,
est ajouté à celui de l'aérostat, qui ne peut plus rester en
équilibre que dans une couche plus dense, et par conséquent située à
des niveaux inférieurs.

Quand on veut s'élever, il suffit d'ouvrir une soupape, et de
laisser échapper l'air atmosphérique comprimé entre les deux
enveloppes. Pour descendre à nouveau, on rétablit la compression de
l'air et ainsi de suite indéfiniment.

L'aérostat du général Meusnier était de forme allongée, comme le
montre la gravure ci-contre (fig. 45), empruntée à son mémoire. Le
moteur consistait en palettes analogues aux ailes d'un moulin à vent
et fixées à un axe horizontal que les hommes d'équipage devaient
faire tourner. Meusnier calculait que ce propulseur à bras d'homme,
ne procurerait qu'une marche assez lente de l'aérostat, à peu près
une lieue à l'heure, mais, suivant le savant officier, le mouvement
de translation ne devait servir, en le combinant avec le mouvement
ascensionnel, qu'à chercher dans l'atmosphère un courant qui portât
les aéronautes vers les lieux où ils voulaient se rendre. Il n'avait
pas le projet de les conduire à leur destination par la seule action
du propulseur.

L'aérostat du général Meusnier était muni d'un gouvernail à l'arrière
de la nacelle allongée, et d'une ancre pour l'atterrissage. Il devait
être d'un grand volume, afin d'avoir une force ascensionnelle
considérable et un équipage nombreux. Le mémoire du général Meusnier
est un des plus curieux documents de l'histoire de la navigation
aérienne à ses débuts.

[Illustration: Fig. 45.--Projet d'aérostat dirigeable du général
Meusnier (1784).]

Un autre membre de l'Académie des sciences, homme d'un grand mérite
et d'une haute érudition, Brisson, qui rédigea le 23 décembre 1783,
avec Le Roy, Tillet, Cadet, Lavoisier, Bossut, de Condorcet et
Desmarest, le célèbre _Rapport sur la machine aérostatique par MM.
Montgolfier_, insista aussi à cette époque sur l'importance de la
forme allongée, à donner aux ballons pour les diriger.

Le 24 janvier 1784, Brisson lut à l'Académie des sciences un mémoire
additionnel dont il était le seul auteur, _sur la direction des
aérostats_, et il émit d'excellentes idées sur ce problème.

     La forme qui me paraît la plus convenable à adopter, dit Brisson,
     est celle d'un cylindre qui ait peu de diamètre et beaucoup de
     longueur; par exemple une longueur qui égale cinq ou six fois le
     diamètre; que ce cylindre soit placé de manière que son axe soit
     horizontal, et qu'il soit terminé en cône allongé à celle de ses
     extrémités qui doit se présenter au vent, afin d'éprouver de sa
     part une moindre résistance.

Brisson indique que dans ces conditions, il sera indifférent
d'appliquer à la machine telle ou telle force motrice, pourvu
qu'elle soit capable de vaincre celle du vent. «Mais où
trouverons-nous cette force motrice, capable de vaincre celle du
vent? J'avoue que je commence à en désespérer», ajoute le savant
académicien. Brisson parle de la force humaine actionnant des rames,
assurément insuffisante, et il ne semble pas supposer que, dans
l'avenir, apparaîtront de nouveaux moteurs qui pourront changer la
face du problème. Il ajoute que le judicieux emploi des courants
aériens superposés dans l'atmosphère pourra être souvent utilisé.

     On sait, dit Brisson[54], et les expériences qu'on a faites avec
     les aérostats ont prouvé qu'il y a dans l'atmosphère, à
     différents hauteurs, des courants qui ont des directions
     différentes. M. Meunier (_sic_), de l'Académie des sciences, a
     donné le moyen simple de se soutenir à telle hauteur qu'on
     voudra, en comprimant plus ou moins le gaz renfermé dans
     l'aérostat. Ce moyen consiste à composer l'aérostat d'une double
     enveloppe: on remplit l'enveloppe intérieure de gaz inflammable,
     et lorsqu'on veut comprimer cette masse de gaz, on fait passer,
     par le moyen d'un soufflet à soupape, de l'air atmosphérique
     entre les deux enveloppes, ce qui rend la machine plus pesante et
     l'oblige à descendre. Si l'on veut remonter, on permet à cet air
     de sortir: le gaz reprend alors son premier volume et perd
     l'excès de densité qu'on lui avait fait acquérir en le
     comprimant. Si donc il y a, comme nous venons de le dire, à
     différentes hauteurs, des courants qui ont des directions
     différentes, on pourrait choisir celui de ces courants qui aurait
     la direction la plus rapprochée de la route qu'on voudrait
     suivre. De cette manière, on arriverait au terme de son voyage
     par des chemins pris successivement à différentes hauteurs de
     l'atmosphère. Par ce moyen on éviterait toute la manoeuvre
     nécessaire à la direction: l'aérostat serait beaucoup moins
     chargé et il n'aurait pas besoin d'être d'un aussi grand volume
     pour produire l'effet qu'on en attend. Si tous ces moyens sont
     insuffisants, il faudrait se résoudre à faire comme les marins,
     attendre que le vent soit favorable.

         [Note 54: _Observations sur les nouvelles découvertes
         aérostatiques et sur la probabilité de pouvoir diriger les
         ballons._ 1. broch. in-8º, 1784.]

On a souvent discuté dans ces derniers temps pour savoir à qui
appartenait, parmi les contemporains, la première idée des aérostats
allongés; on voit qu'elle remonte à l'origine même de la découverte
des ballons. Nous allons examiner ici le premier point que Brisson a
si bien exposé dans son mémoire et parler de la première expérience
d'aérostat allongé qui ait été exécutée. Nous reviendrons dans la
suite sur la direction naturelle des aérostats par les courants
aériens.

Les frères Robert construisirent leur ballon allongé dans le palais
de Saint-Cloud, sous les auspices de M. le duc de Chartres, père du
futur roi Louis-Philippe; cet aérostat de taffetas, enduit de gomme
élastique et de vernis imperméable, avait 52 pieds de long sur 32 de
diamètre; gonflé d'hydrogène pur, il était muni à sa partie
inférieure d'une nacelle, ou _char_, comme on disait à cette époque,
de 16 pieds de long. Ce char était d'un bois très léger, couvert
d'un taffetas bleu de ciel, soutenu intérieurement par un filet.
Cinq parasols ou ailes de taffetas bleu en forme de rames, devaient
servir de propulseurs. Une grande rame rectangulaire placée à
l'arrière jouait le rôle de gouvernail ou de godille (fig. 46).

Une première ascension fut exécutée le 15 juillet 1784; le départ se
fit dans le parc de Saint-Cloud. Le duc de Chartres accompagnait
lui-même les aéronautes, mais, par suite de circonstances peu
favorables, il ne fut pas possible d'expérimenter les appareils de
propulsion.

[Illustration: Fig. 46.--Le premier aérostat allongé des frères
Robert. Expérience du 13 juillet 1784. (D'après une ancienne
gravure.)]

Une nouvelle expérience eut lieu à Paris, le 19 septembre 1784, et
les aéronautes affirment qu'elle eut le succès _le plus complet_,
puisqu'ils seraient arrivés à se dévier de 22 degrés de la ligne du
vent. Le ballon fut rempli en trois heures par M. Vallet; après les
signaux donnés, il fut conduit à onze heures trente minutes à
l'estrade construite sur le bassin du jardin des Tuileries, en face
le château; les cordes furent tenues par le maréchal de Richelieu,
le maréchal de Biron, le bailli de Suffren et le duc de Chaulnes. La
machine s'éleva à onze heures cinquante minutes, aux acclamations
multiples d'une foule considérable. Les voyageurs, au nombre de
trois, les deux frères Robert et Collin Hullin leur beau-frère,
disparurent à midi, au delà des brumes de l'horizon. Au moment de la
descente, qui eut lieu à six heures quarante minutes dans l'Artois,
les voyageurs s'emparèrent des rames, qu'ils firent fonctionner de
toute leur force.

     Nous rompîmes, disent les frères Robert, l'inertie de la machine,
     et nous parcourûmes une ellipse dont le petit diamètre était
     d'environ 1 000 toises. Outre le spectre (ombre) de notre machine
     sur le sol, nous avions encore pour objet de comparaison les
     différentes pièces de terre, très distinctes les unes des autres,
     séparées par des lignes droites.

Les expérimentateurs calculèrent qu'ils purent obtenir une déviation
de 22 degrés de la ligne du vent. La descente eut lieu dans des
conditions très remarquables; nous laisserons à ce sujet la parole
aux aéronautes:

     À quelque distance d'Arras, nous aperçûmes un bois assez
     considérable: nous n'hésitâmes point de le traverser, quoiqu'il
     n'y eût presque plus de jour à terre, et en vingt minutes nous
     fûmes portés d'Arras dans la plaine de Beuvry, distante d'un
     quart de lieue de Béthune en Artois. Comme nous n'avions pu juger
     dans l'ombre le corps d'un vieux moulin sur lequel nous allions
     porter, nous nous en éloignâmes avec le secours de nos rames, et
     nous descendîmes au milieu d'une assemblée nombreuse d'habitants;
     ils ne furent point effrayés de voir notre machine, attendu que
     M. le prince de Ghistelles-Richebourg, protecteur et amateur zélé
     des sciences, venait de faire ce jour même une expérience dont
     ils avaient été témoins. Ce prince nous aborda avec le prince son
     fils; ils nous demandèrent notre nom, et nous offrirent de nous
     rendre avec notre machine à leur château. Nous fîmes tous nos
     efforts pour conduire notre machine dans le parc du château, à
     l'aide de tous les habitants du canton, qui se prêtèrent à nous
     obliger, et à conserver nos machines avec un zèle et une joie
     qu'il est difficile de peindre... M. le prince de Ghistelles nous
     fit l'honneur de nous accueillir en son château avec une bonté
     dont nous ressentons d'autant mieux le prix, qu'il nous est plus
     impossible de la rendre[55] (fig. 47).

         [Note 55: Mémoire sur les expériences aérostatiques faites
         par MM. Robert frères, in-4º. Paris, 1784.]

Telle est l'expérience qui fut entreprise vers la fin de l'année
1784, à l'aide du premier aérostat allongé muni de propulseurs à
rames.

Si l'idée de ce mode de navigation aérienne date de l'origine de la
découverte des ballons, on a vu que celle d'utiliser les courants
aériens n'est pas moins ancienne.

[Illustration: Fig. 47.--Le premier aérostat allongé des frères
Robert, devant le château du prince de Ghistelles: expérience du 19
septembre 1784. (D'après une ancienne gravure.)]

Pendant que les curieuses expériences des frères Robert
s'accomplissaient, deux expérimentateurs persévérants, Alban et
Vallet, directeurs d'une grande usine de produits chimiques,
préparaient, dans l'établissement qu'ils dirigeaient à Javel, la
confection d'un ballon dont la nacelle était munie d'un propulseur
formé de quatre grandes ailes, rappelant la roue à aube d'un navire
(fig. 48). Ce ballon, construit sous les auspices du comte d'Artois,
avait reçu le nom de celui-ci. D'après les inventeurs, il paraît
qu'il se dirigea par un temps calme. Voici quelques passages de la
description qu'Alban et Vallet ont donnée de leur expérience:

     Ce n'a été que vers la fin d'avril 1785 que nous avons eu pendant
     quelques jours un temps presque calme jusqu'au lever du soleil;
     nous en avons profité. Nous avions adapté un moulinet à la proue
     de la gondole, et à la poupe une aile, posée verticalement pour
     servir de gouvernail; le premier objet était de savoir si nous
     parviendrions avec ces machines à déplacer le ballon, et à lui
     imprimer un mouvement qui pût vaincre la résistance que sa
     surface devait éprouver.

Les auteurs racontent que dans d'autres expériences, il ont eu
recours à des rames, et qu'ils essayèrent notamment ce nouveau
système le 5 mai, jour de l'Ascension.

     Nous reconnûmes, disent Alban et Vallet, que posées
     perpendiculairement, l'une à droite, l'autre à gauche, et mues
     alternativement, elles nous chassaient en avant plus promptement
     encore que le moulinet et qu'elles nous donnaient la facilité de
     retourner l'aérostat sur tous les sens à volonté.... Par les
     moments de calme, nous nous sommes promenés dans l'enceinte de
     notre manufacture, et nous en avons fait plusieurs fois le tour à
     volonté.

Plusieurs voyages aériens furent encore exécutés par Alban et
Vallet, quelquefois accompagnés du comte d'Artois lui-même, le futur
roi Charles X; et d'après les expérimentateurs quelques tentatives
de direction furent couronnées de succès.

[Illustration: Fig. 48.--Le _Comte d'Artois_, aérostat de Javel
(1785).]

Le récit de ces résultats si heureux nous paraît assurément exagéré.
Il est possible que par un temps absolument calme, les aéronautes
aient obtenu une direction de leur aérostat, mais on ne saurait
admettre qu'il y avait là le principe de la navigation aérienne. Si
l'on se reporte à cette époque des débuts de l'aéronautique, on se
rendra compte de l'insuffisance absolue des moyens d'action dont on
pouvait disposer. La machine à vapeur n'existait pas dans le domaine
de la pratique, et aucun moteur mécanique ne fonctionnait encore;
l'hélice, qui est le plus favorable des propulseurs, n'était pas
encore appliquée, et la force de l'homme était la seule à laquelle
il fût possible de recourir.

Le grand problème de la direction des aérostats occupait cependant
tous les esprits, car on considérait alors la solution comme
prochaine. Joseph Montgolfier étudiait un aérostat à propulseur, il
voulait lui donner une forme lenticulaire, afin de faciliter son
passage au milieu de l'air[56], mais il ne mit jamais ce projet à
exécution. L'intrépide Pilâtre de Rosier s'occupait de construire son
aéro-montgolfière, au moyen de laquelle il voulait tenter ce passage
de la Manche de France en Angleterre, que Blanchard avait réussi à
exécuter en sens inverse, en compagnie du Dr Jeffries (janvier 1785).
Pilâtre voulait monter et descendre dans l'atmosphère, sans perdre de
gaz et sans jeter de lest, afin d'aller à la recherche de courants
aériens favorables. Il avait imaginé de placer une montgolfière
cylindrique, sous un aérostat de gaz, afin d'augmenter ou de diminuer
à volonté la force ascensionnelle en chauffant ou en laissant
refroidir le système. L'idée théorique était bonne, mais son exécution
était difficile et dangereuse: placer le feu sous un ballon à gaz
combustible, c'est, comme on l'a dit, mettre la mèche enflammée sous
un baril de poudre. Pilâtre de Rosier, accompagné d'un jeune physicien
nommé Romain, exécuta son expérience dans des conditions déplorables,
avec un appareil en mauvais état. Il avait reçu des fonds du ministre,
M. de Calonne, pour réaliser son essai, il croyait son honneur engagé;
il partit avec Romain, qui n'avait pas voulu l'abandonner.
L'aéro-montgolfière, sans qu'on ait jamais connu la vraie cause de la
catastrophe, fut précipitée du haut des airs; elle tomba sur le
rivage, où les infortunés aéronautes trouvèrent la mort, premiers
martyrs de la navigation aérienne.

         [Note 56: D'après les papiers manuscrits et inédits de la
         famille de Montgolfier. Communiqué par M. Laurent de
         Montgolfier.]

De toutes parts on élaborait des projets d'aérostats dirigeables;
c'est par centaines que l'on pourrait les mentionner. Je me bornerai
à en citer un qui attira l'attention à cette époque, et que l'on
doit à un architecte nommé Masse.

Masse, comme un grand nombre d'autres observateurs, était persuadé
qu'un propulseur efficace pour un aérostat, devait être copié sur le
modèle de ceux que l'on voit fonctionner dans la nature, et qui sont
mis en mouvement par les animaux. Ce ne furent pas les nageoires du
poisson qui lui servirent de modèle, mais les doigts palmés du
cygne. Voici comment l'auteur explique son système, non sans
commettre une grave erreur, en comparant un oiseau aquatique qui
_flotte à la surface de l'eau_ à un ballon qui est _immergé_ dans la
masse de l'air.

     Un cygne se trouvant porté par l'eau tel qu'un ballon l'est par
     l'air, et qui remonte le courant d'eau par le moyen de ses
     petites pattes qu'il reploie et développe quand il veut avancer;
     M. Masse a cherché à imiter ces sortes de pattes, et y a
     parfaitement réussi dans un modèle de sa machine qu'il a fait
     faire au quart de l'exécution et qui ne pèse que cinquante
     livres: les pattes du modèle sont assez grandes pour en sentir
     tous les effets et la réussite[57].

         [Note 57: de Extrait la légende gravée au bas de la gravure
         que nous reproduisons (fig. 49 et 50). Cette gravure, qui n'a
         pas moins de 0{m},46 de hauteur, porte la mention suivante:
         «Se vend à Paris, chez l'auteur, rue de la Monnoie, la porte
         cochère en face de la rue Boucher, au fond de la cour.»]

[Illustration: Fig. 49.--Projet d'aérostat dirigeable de Masse
(1785).]

Le ballon avait à peu près la forme allongée de celui des frères
Robert, il devait avoir 20 mètres de long, 10 mètres de diamètre.
Outre les propulseurs que l'on devait actionner au moyen d'une roue,
il y avait, à chaque extrémité de la nacelle, deux gouvernails
«aussi en forme de pattes».

L'aérostat à pattes de cygne ne fut jamais construit.

[Illustration: Fig. 50.--Coupe longitudinale de la nacelle.]

Les tentatives de Blanchard, des frères Robert, d'Alban et de
Vallet, que l'on pouvait croire alors couronnées de succès,
déterminèrent les aéronautes, même quand ils employaient des ballons
sphériques, à se pourvoir de rames de propulsion qu'ils actionnaient
eux-mêmes. À cette époque, où l'on n'avait pas encore étudié d'une
façon précise les courants superposés dans l'atmosphère, on pouvait
s'imaginer, dans certaines circonstances spéciales, que l'action des
rames tendait en effet à modifier le sens de translation de
l'aérostat, tandis que celui-ci était en réalité entraîné par des
courants aériens superposés ou par un vent dont la vitesse
augmentait subitement.

[Illustration: Fig. 51.--Ballon à rames de Testu-Brissy.]

C'est probablement ce qui arriva au docteur Potain, qui s'éleva en
ballon, de Dublin en Irlande le 17 juin 1785, dans l'intention de
traverser le canal Saint-Georges pour descendre en Angleterre. Le
docteur Potain tenta de traverser ce bras de mer, mais il ne réussit
pas dans son expérience, contrairement à ce que l'on a souvent dit,
d'après les affirmations de Dupuis-Delcourt[58]. Voici, en effet, un
extrait du récit de l'époque, publié par le docteur Potain
lui-même[59]:

     Le ballon prit d'abord la direction du nord-est; mais, remontant
     ensuite un courant d'air supérieur, il changea aussitôt et fit
     marche presque en sens contraire, ce qui le fit paraître pendant
     quelque temps s'avançant à pleines voiles vers la mer; mais,
     s'élevant à une hauteur plus considérable, il changea de nouveau
     de direction et prit celle du nord. Il demeura dans cette
     position pendant plus de trois quarts d'heure, paraissant faire
     route au-dessus des contrées de Wikols et de Worford, jusqu'à ce
     qu'enfin il ne fut plus possible à l'oeil de le suivre. Le
     docteur Potain dut être extrêmement mortifié de se voir frustré
     de l'espérance qu'il avait eue que son ballon se dirigerait vers
     la mer, ayant toujours témoigné la plus grande envie qu'il prit
     cette direction pour avoir la gloire de passer le canal et de
     descendre en Angleterre.

         [Note 58: _Nouveau manuel complet d'aérostation_, par
         Dupuis-Delcourt, un vol. in-32, avec planches. Paris,
         librairie Roret, 1850.]

         [Note 59: Voy. _Relation aérostatique dédiée à la nation
         irlandaise_, par le docteur Potain, in-4º, Paris, 1824.]

Si le docteur Potain ne traversa pas la mer, il se dirigea vers la
mer, et suivit ensuite à différentes altitudes des routes opposées.
Il n'en fallait pas plus pour faire dire que les ailes dont la
nacelle était munie, avaient été efficaces. Mais il n'en fut rien.
Voici ce que l'expérimentateur en a dit:

     Mes ailes avaient du rapport avec celles de Blanchard, sans être
     aussi compliquées, et d'une manoeuvre plus facile; mon moulinet,
     en le faisant agir, prenait l'air en biais, et je tournais sur
     mon axe. Ces évolutions, faites à l'aide du ballon, ont réussi:
     le gouvernail ne servait que d'enjolivement, la direction n'étant
     point trouvée, cependant je l'avais annoncée, et je l'ai tentée
     sans succès.

On voit d'après ce passage, d'ailleurs un peu confus, que les
appréciations élogieuses qui ont été faites des expériences du
docteur Potain, ne sont pas justifiées, et que son ascension ne doit
attirer l'attention que parce qu'il rencontra des courants aériens
de différentes directions.

À côté du nom de Potain, nous devons placer celui du comte
Zambeccari, qui exécuta plusieurs tentatives de direction aérienne
au moyen de rames, et à l'aide d'un système ascensionnel analogue à
celui que Pilâtre de Rozier proposa, et qui consistait à joindre une
montgolfière à un ballon à gaz. Zambeccari exécuta de remarquables
voyages aériens, mais il ne réussit en aucune façon dans ses essais
de direction.

Un nouveau venu allait bientôt se présenter encore sur la scène de
l'aéronautique; nous voulons parler de Testu-Brissy, qui exécuta, à
partir de l'année 1786, un grand nombre de voyages aériens. Sa
nacelle était munie de rames d'une forme particulière (fig. 51), à
l'instar de celle de Blanchard, dont il fut momentanément un des
émules. Il ne tarda pas à inaugurer les ascensions équestres, et il
s'éleva plusieurs fois dans un ballon allongé, au-dessous duquel la
nacelle, en forme de plateau rectangulaire, soutenait Testu-Brissy,
monté sur un cheval. Ces exercices d'aérostation publique devaient
être plus tard renouvelés par l'aéronaute Poitevin. Ils n'offrent
point d'intérêt pour notre étude de navigation aérienne.



II

LES BALLONS À VOILES

     Conditions de translation d'un aérostat dans l'air. -- Il n'y a
     pas de vent en ballon. -- Erreur des auteurs de projets de
     ballons à voiles. -- Tissandier de la Mothe. -- Martyn. -- Guyot.
     -- Le _véritable navigateur aérien_. -- La _Minerve_ de
     Robertson. -- Terzuolo et le vent factice.


Quand un ballon, dépourvu de tout propulseur, est en équilibre dans
l'air et se déplace horizontalement par rapport à la surface du sol,
il se trouve, relativement à l'air ambiant au sein duquel il est
plongé, dans la plus complète immobilité. Il n'a aucun mouvement qui
lui soit propre; ce n'est pas lui qui marche; c'est la masse d'air
au milieu de laquelle il est immergé et comme enclavé. Tout est
immobile autour de l'aéronaute quand il se trouve à une même
altitude; son drapeau n'est pas agité, il ne sent pas l'action du
vent, quand bien même le courant aérien dans lequel il est baigné,
l'entraînerait avec une grande-vitesse. Comme l'a dit un praticien
expert, des bulles de savon qu'il poserait devant lui sur une
planchette, y resteraient dans un état de repos complet, et la
flamme d'une bougie n'y vacillerait pas. Le ballon est exactement
dans les mêmes conditions, par rapport au courant aérien où il est
plongé, qu'une boule de bois qui serait lestée dans le courant d'un
fleuve; cette boule avance, mais ce n'est pas elle qui marche, c'est
l'eau dans laquelle elle est plongée.

On voit donc combien il est illusoire d'admettre que des voiles
pourraient avoir la moindre influence sur la propulsion d'un
aérostat; elles ne seraient jamais gonflées, par cette raison qu'il
n'y pas de vent en ballon. Malgré l'évidence des faits, on ne
saurait croire combien ont été nombreux les inventeurs qui ont
proposé de munir les ballons de voiles, à l'instar des navires,
auxquels cependant ils ressemblent si peu dans leur mode de
translation. Nous avons résolu de faire connaître dans ce chapitre
quelques-unes des propositions qui ont été faites à ce sujet, depuis
l'origine même de la navigation aérienne; nous y joindrons
l'histoire de quelques autres utopies plus ou moins irréalisables,
qui nous donneront l'occasion d'indiquer à nos lecteurs les écueils
de l'imagination, quand elle n'est pas guidée par le raisonnement et
la pratique.

Les archives de l'Académie des sciences sont encombrées de projets
de ballons à voiles, et les écrits du temps des Montgolfier, sont
remplis de systèmes analogues.

Nous reproduisons ici, à titre de curiosité, l'un des premiers
mémoires qui aient été présentés à l'Académie des sciences à ce
sujet. Par une singulière coïncidence, l'auteur, qui était, comme on
va le voir, ancien secrétaire des vaisseaux du roi, portait le nom
de l'auteur de ce livre.

                                          Paris, ce 23 janvier 1784.

     Messieurs,

     Les imaginations échauffées par la sublime découverte de M. de
     Montgolfier s'occupent à chercher le moyen de la diriger: tout le
     monde semble comme défié de le trouver.

     Voulez-vous bien, Messieurs, que j'aie l'honneur de vous
     présenter mes idées sur cette découverte, et sur la direction à
     volonté de ce globe aérostatique; ce projet conçu depuis quelques
     jours, mûrement examiné d'après les manoeuvres dont j'ai acquis
     la connaissance sur les vaisseaux, m'ayant paru possible, je le
     soumets à votre décision ayant la plus grande confiance, fondée
     sur la vénération que vos sciences vous ont acquise de l'Europe
     dont vous êtes le flambeau.

     J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,

       Messieurs,

         Votre très humble et très obéissant serviteur,

                                        TISSANDIER DE LA MOTHE,

     ancien secrétaire des vaisseaux du Roy.


     _À Messieurs,_

     _Messieurs les Académiciens préposés à l'Examen des Projets
     sur le globe aérostatique._

     Le globe aérostatique voguant dans les airs au gré des vents
     comme un vaisseau vogue sur l'eau, et étant à son élément ce que
     le vaisseau est au sien, doit être dirigé par les mêmes principes
     et ce ne peut être que par le moyen de voiles qu'il faudrait
     ainsi que sur les vaisseaux pouvoir diriger à volonté afin de
     tenir une route certaine.

     Six voiles en forme d'étoile de la grandeur du globe et dont le
     mouvement à volonté en parcourrait la circonférence,
     horizontalement, suffiraient déjà je pense pour le pousser à tous
     airs du vent.

     Ce mouvement se ferait autour du globe par le moyen d'une
     baguette de cuivre attachée à un mât ou pivot placé au centre de
     la partie supérieure et descendrait en demi-cercle jusqu'au char
     ou gallerie pour être à portée des navigateurs qui en
     dirigeraient le mouvement à la main; cette baguette serait
     ajustée au mât, de manière à tourner à tous vents, enfin comme
     une girouette aurait la même facilité de tourner, mais serait
     retenue en bas dans une parfaite immobilité et ne deviendrait
     mobile que par la main des navigateurs.

     Ce soleil ou étoile serait adapté au milieu de cette baguette et
     en suivrait la direction.

     Comme le principe fondamental du globe Montgolfier est la
     légèreté même, les voiles seraient construites de la manière la
     plus légère, encore plus s'il est possible qu'un parapluie, et
     pourraient être tendues sur des fils de cuivre ou de fer, qui
     traceraient la forme de l'étoile; d'ailleurs cette combinaison se
     ferait suivant la grandeur et la force du globe; plus il serait
     grand, plus les voiles seraient légères à proportion.

     Ce soleil pousserait les voiles également de haut en bas, milieu
     et côtés, et la baguette sur laquelle il serait appuyé, se
     tiendrait un tant soit peu éloignée du globe, ou si cela n'était
     pas possible, en mettant une toile forte sous cette baguette, on
     pourrait la poser de manière à toucher le contour du globe et la
     toile éviterait un plus grand frottement de la part du grand
     conducteur et en dirigeant le mouvement on l'en écarterait.

     Un triangle allongé en forme de queue de poisson placé au centre
     du soleil, ferait les mêmes fonctions qu'un gouvernail à bord
     d'un vaisseau et serait dirigé par le même procédé que le grand
     conducteur le serait au haut du globe.

     Ces six voiles pourraient aussi être faites de façon à se replier
     l'une sur l'autre dans une tempête, celles du milieu de chaque
     côté pourraient être immobiles, et ce serait sur elles devant ou
     derrière que les autres se replieraient.

     La pesanteur que ce soleil occasionnerait plus d'un côté que de
     l'autre suivant l'endroit où le globe se trouverait, serait
     contre-balancée par des poids qu'on mettrait dans la gallerie du
     côté opposé ou par le passage des navigateurs sous le vent, il
     faudrait cependant que le côté où le soleil serait placé fût plus
     lourd que l'autre, c'est du moins ainsi qu'on en use dans
     l'arrimage d'un vaisseau, où l'on met plus de poids sur le
     derrière que sur le devant.

     Le soleil placé, le mouvement du conducteur libre, il sera très
     facile de diriger le globe Montgolfier et de tenir une route
     certaine à tous vents, vent arrière, vent largue, virer vent
     arrière même, vent devant et en général se servir du globe comme
     d'un vaisseau.

     Ce serait donc à l'Académie si après avoir examiné ce projet,
     elle y voit comme moi de la possibilité, à en confier l'exécution
     à quelques habiles mécaniciens, qui par leur adresse le
     simplifieraient, avouant que ayant la théorie et n'étant point
     mécanicien, je n'en pourrai point donner d'idées précises suivant
     les règles de cet art et que c'est en qualité de marin que je
     vous présente ce projet, proposant que si l'exécution s'en
     ferait, de le diriger suivant les principes reçus sur mer.

Nous devons ajouter que l'Académie des sciences jugea à leur juste
valeur les projets analogues de ballons à voiles, et les condamna
sans hésiter, comme on va le voir par l'extrait suivant, que nous
empruntons aux registres de l'Académie des sciences (séance du 17
mars 1784):

     Les Commissaires nommés par l'Académie pour examiner un mémoire
     envoyé par M. Tissandier de la Mothe, ancien secrétaire des
     vaisseaux du roi, en ont rendu le compte suivant.

     Le moyen que M. Tissandier propose pour la direction des machines
     aérostatiques consiste en six voiles disposées en manière de rose
     ou de toile dont la construction et la manoeuvre sont décrits
     d'une manière peu intelligibles. Quoi qu'il en soit, comme M.
     Tissandier pense que l'action du vent modifiée par ces voiles
     doit porter la machine suivant toutes sortes de directions à
     volonté, les raisons exposées dans le précédent rapport contre
     l'action des voiles en général suffisent pour démontrer que cette
     idée est fausse et que ce mémoire ne mérite aucune approbation.

     Au Louvre, le 17 mars 1784.

Avant le projet de Tissandier de la Mothe, un Anglais nommé Martyn
avait imaginé le système que nous reproduisons d'après une très
jolie gravure peinte de l'époque (fig. 52). Cette gravure porte une
double légende, en anglais et en français; l'auteur y donne la
description de son vaisseau aérien, qui comprend:

Un parachute pour descendre aisément dans le cas où le ballon
viendrait à crever; une voile principale, une avant-voile, une voile
de gouvernail pour diriger la machine.

Une copie de ce dessin, lit-on au bas de la gravure, a été présentée
à S. A. R. le prince de Galles en novembre 1783, et une autre à
l'Académie des sciences de Lyon en février 1784, par Thomas Martyn,
King street, Covent Garden, à Londres.

Les journaux de 1784 à 1786 sont remplis de projets analogues, et
les libraires publiaient aussi un grand nombre de brochures sur
l'art de diriger les ballons. Les ballons à voiles occupent une
large place dans ces élucubrations d'inventeurs, qui n'avaient en
aucune façon la pratique de l'art qu'ils voulaient perfectionner.

[Illustration: Fig. 52.--Ballon à voiles et à parachute de Martyn
(1783). (D'après une gravure de l'époque.)]

Un constructeur de petits ballons de baudruche (ils avaient alors un
très grand succès de la part des amateurs de physique), fit paraître
une brochure qui eut un certain retentissement, sur la manière de
diriger les ballons[60]. Guyot (c'est le nom de l'auteur) propose de
donner à l'aérostat la forme ovoïdale que représente une des
planches de son opuscule (fig. 53). Retombant dans l'erreur de ceux
de ses contemporains qui se figuraient que le ballon peut être
assimilé à un bateau, il munit la nacelle d'une voile et il
s'exprime dans les termes suivants, dont le lecteur saura rectifier
les erreurs:

[Illustration: Fig. 53.--Ballon ovoïdal à voile de Guyot (1784).]

     Il est aisé de voir que suivant cette forme, l'aérostat
     présentera toujours au vent le côté de l'ovale qui se termine en
     pointe.... À l'extrémité de la galerie, et en dehors du côté où
     l'ovale a le plus de largeur, on établira une voile soutenue par
     une perche ou mât; on attachera à l'extrémité de cette voile
     quatre cordages pour la faire mouvoir de côté ou d'autre à
     volonté.

         [Note 60: _Essai sur la construction des ballons
         aérostatiques et sur la manière de les diriger_, par M.
         Guyot, 1 vol. in-4º avec planches, Paris, 1784.]

[Illustration: Fig. 54.--_Le véritable navigateur aérien._
(Reproduction d'une gravure peinte de 1784.)]

L'auteur ne doute pas du succès de son appareil, et on est étonné de
tant de naïveté de la part d'un physicien.

Que dire du projet suivant (fig. 54), pompeusement présenté à la
même époque, comme la solution complète du problème de la navigation
aérienne. L'auteur anonyme de ce système extravagant, en donne la
description dans une gravure peinte que nous reproduisons, et qui
est publiée sous le titre: _Le véritable navigateur aérien._

Il y a cinq ballons, «composés de trois enveloppes», dit la légende
explicative; l'intérieure est de taffetas, l'autre de toile et la
dernière de peau. Ces ballons enlèvent une sorte de navire qui a
sept pieds de hauteur sur sept pieds de longueur; cette nacelle est
recouverte de toile et «garnie de vitrages».

     Deux ailes, de 60 pieds de longueur, ont une nervure qui les
     ploye pour favoriser l'ascension et qui leur donne à volonté une
     forme concave par le moyen d'une corde qui, étant arrêtée au
     centre du mât, sert à redresser les ailes au moment de la
     cadence.

L'auteur ajoute au bas de sa gravure l'observation suivante, qui
donne les propriétés et les avantages de son appareil volant:

     Ce globe, au moyen d'une mécanique très simple que l'auteur a
     inventée, et qu'un seul homme fait mouvoir très aisément, peut
     être dirigé dans tous les sens et même contre le vent. On peut le
     retenir à la hauteur qu'on désire et le faire monter et descendre
     à volonté sans perdre aucun gaz. Ce globe d'une construction
     nouvelle réunit encore plusieurs autres avantages qu'on
     reconnaîtra facilement à l'inspection et qu'il serait trop long
     de détailler ici. Il se propose d'exécuter son projet si l'on
     veut le faciliter.

N'est-ce pas sans doute pour se moquer de ces inventeurs de ballons
à voiles que le célèbre physicien Robertson publia plus tard, en
1803, une brochure qui eut un grand succès[61], et dans laquelle il
décrivit sous le nom de _la Minerve_, un immense ballon à voile de
50 mètres de diamètre, capable d'élever 72 000 kilogrammes et
destiné à faire voyager dans tous les pays du monde «60 personnes
instruites choisies par les académies», pour faire des observations
scientifiques et des découvertes géographiques.

         [Note 61: _La Minerve_, vaisseau aérien, destiné aux
         découvertes et proposé à toutes les Académies de l'Europe par
         le physicien Robertson; 2e édition revue et corrigée. 1
         broch. in-8º, avec 1 planche hors texte. Vienne, 1804.
         Réimprimé à Paris, chez Hoquet, en 1820.]

Nous donnons à la page suivante le dessin de ce ballon gigantesque
(fig. 55). Il suffit de le considérer pour voir que Robertson a
voulu se jouer de son lecteur, ou plaisanter, comme nous venons de
le dire, les inventeurs d'aérostats dirigeables. Nous donnons
d'après lui la description suivante de l'appareil:

En haut de la machine est un coq, symbole de la vigilance: «un
observateur intérieurement placé à l'oeil de ce coq, surveille tout
ce qui peut arriver dans l'hémisphère supérieur du ballon; il
annonce aussi l'heure à tout l'équipage.»

[Illustration: Fig. 55.--_La Minerve_, grand navire aérien de
Robertson (1803).]

Ce ballon enlève un navire qui réunit, dit l'inventeur, toutes les
choses nécessaires. Il y a un grand magasin aux provisions, une
cuisine, un laboratoire, une salle de conférences, un salon pour la
musique, un atelier pour la menuiserie, enfin au-dessous du navire
est «un logement pour quelques dames curieuses». Ce pavillon, ajoute
Robertson, est éloigné du grand corps de logis, «dans la crainte de
donner des distractions aux savants voyageurs».

[Illustration: Fig. 56.--Voile de direction d'un ballon gonflée par
un ventilateur.

Projet Terzuolo.]

N'avais-je pas raison de prévenir le lecteur que le projet de
Robertson, qu'un certain nombre d'historiens ont eu le tort de
prendre au sérieux, ne pouvait être accepté que comme une amusante
plaisanterie?

Il n'en est pas de même du projet ci-dessus (fig. 56), qui a été
proposé à une époque beaucoup plus récente en 1855, par M. E. P.
Terzuolo. Il montre jusqu'à quel point peuvent s'égarer les esprits
qui ne sont point suffisamment initiés aux principes de la mécanique
et de l'aéronautique. L'auteur de ce projet étonnant, n'ignore pas
qu'il n'existe point de vent en ballon: il propose d'en produire
artificiellement au moyen de ventilateurs placés dans la nacelle. M.
Terzuolo insuffle de l'air dans des tubes évasés qui gonflent la
toile, et doivent d'après lui «déterminer la marche en avant[62]».

         [Note 62: _Direction des ballons._ Moyens nouveaux à
         expérimenter. 1 broch. in-4º. Paris, Firmin-Didot frères,
         1855.]

Le baron de Crac, dont les aventures sont célèbres, s'est un jour
retiré d'une rivière, où il se noyait, par un procédé analogue; il
sortit son bras de l'eau, et se souleva lui-même par les cheveux!


Ô Navigation aérienne que de naïvetés on a commises en ton nom!



III

LES BALLONS PLANEURS

     Utilisation du courant d'air vertical produit par la montée ou la
     descente d'un ballon dans l'air. -- Projet du baron Scott en 1788
     et de Hénin en 1801. -- Pétin. -- Prosper Meller. -- Projets de
     Dupuis-Delcourt. -- Le ballon de cuivre. -- Système mécanique du
     docteur Van Hecke pour monter et descendre sans jeter de lest et
     sans perdre de gaz. -- Société générale de navigation aérienne.
     -- Projets divers.


Nous avons montré qu'il n'y avait pas de vent en ballon; cela est
vrai quand l'aéronaute plane à une même hauteur au-dessus du niveau
de la mer; mais quand le voyageur aérien monte ou descend dans
l'atmosphère, par suite d'une augmentation ou d'une diminution de la
force ascensionnelle dont il dispose, en jetant du lest ou en
perdant du gaz, il ressent très nettement l'action d'un courant
d'air vertical de haut en bas ou de bas en haut.

Ne serait-il pas possible de profiter de cette action du vent
vertical, obtenu pendant l'ascension ou la descente, pour diriger
l'aérostat dans un sens ou dans un autre? C'est à quoi ont pensé un
assez grand nombre d'inventeurs qui ont cru devoir répondre par
l'affirmative. Prenez à la main un écran, soulevez-le vivement en le
tenant horizontalement et à plat, vous vous apercevrez que l'air
oppose une résistance très sensible; recommencez l'expérience, en
inclinant l'écran de manière à ce que sa surface forme un angle
appréciable avec la ligne de l'horizon, vous verrez que l'air, en
glissant sur le plan incliné, fait dévier ce plan dans le sens
opposé à son inclinaison. Votre bras, si vous agissez violemment,
sera entraîné obliquement par le mouvement de l'écran.

D'après ce principe, on s'est trouvé conduit à proposer de munir
l'aérostat de grandes surfaces planes, qui, inclinées convenablement,
le dirigeraient dans un sens ou dans un autre, pendant sa montée ou sa
descente. On a encore pensé à se servir du ballon lui-même comme d'un
plan incliné, en donnant au navire aérien la propriété de s'incliner
au gré du pilote aérien. Si ces méthodes sont efficaces, il suffirait
de s'élever et de descendre successivement, sans perdre de gaz et sans
jeter de lest, pour que le ballon puisse en quelque sorte tirer des
bordées dans le sens de la verticale.

Telle est l'idée fondamentale qui a servi de base à un grand nombre
de projets, paraissant rationnels au premier examen, et que nous
avons réunis sous le nom de _ballons planeurs_.

Un officier distingué de notre armée, le baron Scott, capitaine de
dragons, exposa le principe des _ballons planeurs_ en 1789[63].

         [Note 63: _Aérostat dirigeable à volonté_, par M. le baron
         Scott. À Paris, 1789. 1 vol. in-8º avec 2 planches.]

     Lorsqu'on a décidé, dit le baron Scott, qu'on ne parviendrait
     jamais à diriger les machines aérostatiques, on entendait
     sûrement celles de ces machines avec lesquelles on a fait les
     expériences ascensionnelles: en effet elles avaient reçu une
     forme (celle sphérique) qui s'opposait si invinciblement à leur
     direction que ce n'est pas sans raison qu'on avait jugé qu'il
     serait toujours impossible de leur adapter des agents qui eussent
     l'excès de puissance indispensable à l'effet qui doit être
     produit, pour procurer la direction. Aussi n'est-ce point de
     semblables machines dont j'entends parler, lorsque j'en annonce
     une qui sera dirigée à volonté; mais d'un aérostat dont la forme
     permettra cet excès de puissance aux agents dont il sera muni,
     lequel aura une enveloppe constamment imperméable, et assez
     solide pour résister au frottement du courant d'air contre lequel
     on le fera cingler.

Le baron Scott a donné une description très étendue, quoique souvent
bien confuse, de son aérostat dirigeable. Il insiste longuement sur
la nécessité d'abandonner la forme sphérique, et de recourir à une
forme allongée analogue à celle des poissons (fig. 57). Son navire
aérien devait être de très grande dimension, formé d'une double
enveloppe d'une grande solidité et muni de deux poches ou sortes de
vessies natatoires, où l'on pourrait comprimer et décomprimer de
l'air, pour faire monter et descendre à volonté le système sans
perdre de gaz et sans jeter de lest, d'après le principe du général
Meusnier. Le baron Scott admet qu'en comprimant l'air dans la poche
d'avant ou d'arrière, on peut incliner le navire aérien dans un sens
ou dans l'autre, et lui donner ce qu'il appelle la position
_ascendante_ (fig. 58) ou _descendante_ quand sa pointe d'avant est
dirigée vers le sol.

La nacelle devait être suspendue dans une cavité spéciale réservée à
la partie inférieure de l'aérostat, et cette nacelle pouvait être à
volonté exposée à l'air libre, ou recouverte de toiles, qui
l'enfermaient en quelque sorte dans le corps même du ballon-poisson.
Un gouvernail était disposé à l'arrière du navire, qui devait
comprendre, en outre, des rames de propulsion, pour accroître le
mouvement de direction pendant la montée ou pendant la descente.

[Illustration: Fig. 57.--Projet de ballon-poisson du baron Scott
(1789).

Vue de l'aérostat lorsqu'il a ses pavois baissés.]

Le baron Scott avait étudié son projet dès l'année 1788; il publia
son travail en 1789, à une époque où les grands événements de la
Révolution française allaient détourner les esprits du problème de
la direction des aérostats. Il se trouva dans l'impossibilité de
donner suite à ses études.

Au commencement du siècle, en 1801, un autre officier de l'armée, F.
Hénin, chef d'escadron dans la même arme que le baron Scott, au 15e
régiment de dragons, proposa encore de se servir des courants
descendants ou ascendants, déterminés par la montée ou la descente
de l'aérostat, pour diriger un ballon dans un sens déterminé, à
l'aide de voiles et d'un grand parachute retourné sous la nacelle.
Hénin lut son mémoire le 20 thermidor de l'an X à la Société
académique des sciences de Paris, séante au Louvre: mais son travail
très sommaire et peu explicite[64] ne mérite guère de fixer
l'attention, et le dessin qu'il a donné de son système n'offre aucun
caractère d'intérêt spécial (fig. 59).

         [Note 64: _Mémoire sur la direction des aérostats_, par Félix
         Hénin. À Paris, an X. broch. in-8º avec frontispice.]

[Illustration: Fig. 58.--Le même aérostat dans son inclinaison
ascendante.]

Nous ne nous arrêterons point à examiner les systèmes analogues qui
ont été proposés en grand nombre, il nous suffira d'avoir indiqué
leur caractère fondamental par quelques exemples.

Arrivons au milieu de notre siècle, à une époque fort curieuse de
l'histoire qui nous occupe.

En 1849, apparut sur la scène de la navigation aérienne un homme qui
devait pendant quelques années attirer l'attention de l'Europe
entière; nous voulons parler de Pétin, qui imagina de construire un
système formé de plusieurs ballons sphériques, enlevant une grande
charpente, au centre de laquelle on pourrait disposer des plans
inclinés, pour diriger le système dans les mouvements de montée et
de descente. Pétin avait déjà proposé plusieurs autres procédés,
comme l'indique le document inédit que nous allons publier, et que
nous avons trouvé dans les papiers de Dupuis-Delcourt, actuellement
en notre possession. Dupuis-Delcourt écrivait les lignes suivantes
en 1850:

[Illustration: Fig. 59.--Projet de Hénin (1801).]

     M. Pétin, qui se révèle aujourd'hui avec tant d'éclat au public
     est un marchand mercier de la rue Rambuteau à Paris, il était
     donc parfaitement inconnu dans le monde savant et dans le monde
     marchand, car son établissement commercial, _au franc Picard_,
     est de la plus mince apparence.

     Il y a quelques années, M. Pétin commença à s'agiter en façon
     d'aérostation. Comme tout le monde, il voulait _diriger les
     ballons_. C'est alors qu'il publia d'abord un, puis
     successivement deux, trois et enfin un quatrième projet de
     navires aériens, différents entre eux, de formes et de principes,
     dans lesquels il a fait figurer tant bien que mal tous les
     projets, toutes les idées ou à peu près précédemment émises par
     les inventeurs si nombreux qui ont précédé M. Pétin dans la
     carrière. Seulement, M. Pétin n'a pas d'idées fixes ni
     parfaitement arrêtées, car dans ses différents projets, si
     dissemblables entre eux, et aujourd'hui même encore que son
     vaisseau est prêt à mettre _à la voile_, M. Pétin change à tous
     moments les organes les plus essentiels, les plus fondamentaux de
     son oeuvre. C'est ainsi, par exemple, que les quatre hélices
     représentées sur la figure du vaisseau aérien, seront
     probablement et définitivement remplacées par une hélice unique.

     M. Pétin s'est donc successivement adressé au plan incliné
     proposé à l'origine des ballons par Montgolfier lui-même, et
     vingt fois depuis mis en pratique, mais toujours inutilement ou
     avec de faibles avantages; aux roues à palettes, aux turbines, à
     l'hélice, à la voile; c'est à ce dernier moyen qu'il s'en tiendra
     dans la prochaine expérience qu'il nous promet, si nous nous en
     rapportons aux renseignements qui nous ont été fournis dans les
     ateliers mêmes de M. Pétin par M. le capitaine de marine Dupré
     (?), qui paraît avoir été choisi par l'inventeur pour diriger la
     manoeuvre du vaisseau aérien.

Pétin a publié, en effet, divers dessins de son projet; nous
reproduisons l'un d'eux, où l'on voit de grandes hélices figurer
au-dessous des plans inclinés (fig. 60). D'autres dessins montrent
une série de plans inclinés au milieu du châssis inférieur. Pétin
exposa son système au public, dans ses ateliers de la rue Marboeuf;
il reçut la visite du Président de la République, qui fut le premier
souscripteur de son système. L'heureux inventeur trouva enfin dans
Théophile Gautier un apologiste ardent, qui contribua à le rendre
célèbre, et à attirer l'attention du monde sur ses projets.

On sera étonné aujourd'hui de voir jusqu'à quel point peut s'égarer
dans ses appréciations, un écrivain et un poète, quand il traite de
questions qui ne lui sont point connues. Voici les principaux
passages du feuilleton que Théophile Gauthier publia dans la
_Presse_ sur le navire aérien de M. Pétin:

[Illustration: Fig. 60.--Navire aérien de Pétin (1850).]

     Nous avons dit quelques mots, plus haut, de M. Pétin; parlons
     maintenant de son système. Ce n'est plus seulement un aérostat
     dans les conditions ordinaires; c'est une combinaison grandiose,
     c'est un véritable navire avec tous ses agrès, qu'on peut voir
     d'ailleurs, puisqu'il est exposé aux regards de tous, aux
     Champs-Élysées, rue Marboeuf. L'espoir de la navigation aérienne
     est là. Si le succès couronne ses efforts, gloire éternelle à M.
     Pétin!

     Ce navire suspendu dans les airs par trois énormes aérostats
     reliés entre eux, a 70 mètres (210 pieds) de longueur sur 10
     mètres (30 pieds) de largeur, 12 156 mètres carrés de superficie,
     et les aérostats cubent 4 190 mètres de gaz. La force
     ascensionnelle est égale à 15 000 kilogrammes. La grande
     dimension de cet appareil, qui présente quelque chose comme la
     nef de Notre-Dame ou un vaisseau de guerre avec sa mâture, n'a
     rien qui doive étonner. Dans l'air, ce n'est pas la place qui
     manque, et M. Pétin a eu raison d'en user largement. En
     augmentant ainsi le poids de son navire, il accroît sa force de
     résistance contre les courants d'air horizontaux, et, d'ailleurs,
     ne sait-on pas que le même vent qui fait chavirer une nacelle
     n'émeut seulement pas un navire à trois ponts? La proportion
     gigantesque du navire de M. Pétin est, donc une garantie de
     sécurité. Le mouvement se fait au moyen d'un centre de gravité et
     d'une rupture d'équilibre aux extrémités. Jusqu'à présent, on
     n'avait pas trouvé pour les ballons ce centre de gravité et voilà
     pourquoi toute marche était impossible. Il existait pourtant, et
     le mérite de M. Pétin est d'avoir su le trouver. Ce point
     d'appui, il se l'est procuré, par un moyen d'une simplicité
     extrême. Il a établi sur le second pont de son navire, dans
     l'endroit que laissent libre les ballons, de vastes châssis posés
     horizontalement et garnis de toiles à peu près comme des ailes de
     moulin à vent. Ces châssis se remploient à volonté. Les ailerons
     se ramènent sur les ailes aisément et rapidement, de manière à
     offrir plus ou moins de résistance dans l'ascension et la
     descente, selon les mouvements qu'on veut produire. Au centre de
     ce plancher mobile sont disposés parallèlement, car la nature
     procède toujours ainsi, deux demi-globes fixés sur leurs bords et
     libres de se gonfler dans un sens ou dans l'autre. Lorsqu'on
     monte, l'air s'engouffre dans leur cavité et les arrondit par sa
     pression, qui est immense comme on sait. Les deux demi-sphères
     décrivent un arc renversé du côté de la terre, et retardent cette
     force d'ascension verticale qui opère par éloignement de la
     circonférence et dans le sens du rayon.

     Lorsqu'on se rapproche de la terre, les deux globes se
     retournent, prennent l'apparence de coupoles et ralentissent la
     descente. Tout à l'heure le point d'appui était au-dessus de
     l'appareil, maintenant il est au-dessous; aussi l'un retient et
     l'autre soutient. Voilà le centre de gravité, le point d'appui
     trouvé. Nous allons voir comment M. Pétin en tire parti. Les
     ailes du plancher horizontal, qui forme le second pont de son
     navire, lorsqu'elles sont étendues également, présentent à l'air
     une résistance uniforme dans le sens ascensionnel ou
     descensionnel; mais, en repliant les toiles des extrémités vers
     le centre, la résistance devient inégale, l'air passe librement,
     et l'un des côtés se trouve plus chargé que l'autre; il y a
     rupture d'équilibre, la balance représentée par le plancher
     horizontal, et dont les coupoles déterminent le centre de
     gravité, penche et glisse sur le plan incliné formé par l'air
     sous-jacent; ou bien, si le mouvement se fait en sens inverse,
     l'appareil remonte en suivant une ligne diagonale, en dessous
     d'un plan incliné formé par l'air supérieur.

     Voici donc, et là est tout l'avenir de la navigation, la fatale
     ligne perpendiculaire rompue. Procéder en ligne diagonale, c'est
     avancer, et tout corps lancé sur une pente reçoit de cette
     projection le mouvement.

     Jusqu'à présent, M. Pétin ne s'est servi que de l'air-résistance,
     dont l'action est verticale, et non de l'air-vitesse, dont
     l'action est horizontale, et qui procède par éloignement du rayon
     dans le sens de la circonférence. Un des plus grands obstacles à
     la direction des ballons ce sont les courants d'air qui peuvent
     faire dévier le ballon de sa route.

     Comme M. Pétin peut, en levant ou en abaissant la proue de son
     navire, se faire prendre en dessus ou en dessous par le courant
     d'air arrêté dans les ailes, et filer en montant ou en
     descendant, sans surmonter tout à fait la force de l'air-vitesse
     lorsqu'elle est contraire, il la rompt et la brise, et diminue
     son recul à la façon d'un vaisseau qui louvoie contre le vent.
     Mais les diagonales ascendantes ou descendantes déterminées par
     la rupture d'équilibre, qui suffiraient dans un air tranquille ou
     avec un courant favorable, n'auraient pas assez de force dans des
     circonstances moins propices ou quand on voudrait obtenir une
     plus grande rapidité. M. Pétin a imaginé d'appliquer à son
     vaisseau aérien l'hélice inventée pour les bateaux à vapeur par
     Sauvage, ce grand génie si longtemps méconnu. Deux hélices mises
     en mouvement par deux turbines posées autour des globes
     parachutes et paramontes se vissent, pour ainsi dire, dans l'air,
     et opèrent des tractions énergiques. Lorsqu'on veut virer de
     bord, on laisse aller une poulie folle; une des hélices suspend
     sa rotation, et l'aérostat tourne sur lui-même ou décrit une
     courbe; enfin, il devient susceptible d'exécuter toutes les
     manoeuvres d'un steamer.

     Ces hélices peuvent être tournées à la main ou par tout autre
     moyen mécanique, si l'on ne veut pas employer les turbines qui
     ont le mérite d'utiliser une force qui ne coûte rien, la force
     ascendante et descendante.

     S'il est permis d'affirmer une chose encore à l'état de projet,
     l'on n'avance rien que de parfaitement raisonnable et logique en
     disant que, dès aujourd'hui, le problème de la locomotion
     aérienne est résolu, ou bien toutes les lois physiques sont
     fausses, et la statistique n'existe pas.

     L'appareil de M. Pétin offre plus de sûreté aux voyageurs que
     tout autre moyen de locomotion; ses trois ou quatre ballons
     crèveraient tous, ce qui est impossible, que les deux coupoles et
     les ailes rendraient sa chute si lente qu'elle serait sans
     danger, car son vaisseau est _inchavirable_ et insubmersible. On
     tomberait dans la mer qu'on ne se noierait pas pour cela. Nous en
     sommes tellement certain, que nous avons retenu notre place pour
     le premier voyage.

     Quoi qu'il en soit de toutes les opinions sur l'oeuvre de M.
     Pétin, encore quelques jours et nous saurons à quoi nous en
     tenir; nous verrons enfin si le grand problème de l'aéronautique
     est trouvé. Tous les plus beaux discours ne valent pas une seule
     expérience. À l'oeuvre donc, monsieur Pétin[65]!

         [Note 65: Feuilleton de la _Presse_ du 4 juillet 1850.]

Quand on se reporte aux journaux du temps, on se rend compte de
l'émotion que produisit le projet de Pétin. On ne s'attendait à rien
moins qu'à une révolution produite par la solution complète du grand
problème. On en jugera par une notice que nous empruntons à
l'_Argus_ à la date du 14 septembre 1851. Cette notice fut
reproduite par la plupart des journaux du temps.

     Nous aurons dans quelques jours l'essai de navigation aérienne
     d'après le système Pétin, qui n'aboutit à rien moins qu'à la
     solution du problème de la direction des ballons.

     Nous avons entendu de la bouche même de l'inventeur les
     explications les plus lucides sur sa curieuse découverte. Nous
     sommes encore sous le charme qui captivait son nombreux
     auditoire, à la suite de cette brillante description donnée _ex
     professo_.

     Nous avons visité en détail l'appareil gigantesque au moyen
     duquel M. Pétin doit faire sa première expérience. Le vaste
     emplacement du Champ de Mars a été choisi par l'aéronaute
     mécanicien pour cette audacieuse tentative. Il eût été difficile
     de faire un autre choix, car la locomotive aérienne se développe
     avec toutes ses dépendances sur cinquante-quatre mètres de
     longueur, vingt-sept mètres de large et trente-six mètres de
     haut. Le point de départ est connu: il est possible, sans
     encombre; mais il est permis de se demander sur quel terrain ira
     se reposer cette immense machine à l'envergure géante. Espérons,
     toutefois, que M. Pétin a tout prévu et qu'il pourra, selon sa
     volonté, s'approcher ou s'éloigner des aspérités de nos villes ou
     des sommets raboteux de nos montagnes. La sûreté du nombreux
     équipage qui doit accompagner le premier capitaine de cet étrange
     navire, en dépend. Dans le cas de succès complet, aux termes du
     rapport de M. Reverchon, membre de l'Académie nationale, la
     locomotive aérostatique Pétin pourrait arriver à parcourir
     quelque chose comme huit cents kilomètres à l'heure. Pauvre
     chemin de fer, qui parcourez à peine quarante kilomètres dans le
     même espace de temps! l'invention de Pétin menace de vous réduire
     à l'état de tortue. Où allons-nous, grand Dieu! où
     s'arrêtera-t-on?

Que vit-on sortir de ces belles promesses? Rien, absolument rien.
Pétin ne réussit même pas à s'élever une seule fois dans les airs
avec son grand navire aérien. Il savait à peine calculer la force
ascensionnelle d'un ballon: tant il est vrai que parfois l'opinion
publique s'égare étrangement sur la valeur des hommes.

Après avoir piteusement échoué en France, Pétin traversa
l'Atlantique; il ne réussit pas mieux aux États-Unis, et il revint
en France, où il mourut misérablement.

Le principe des ballons planeurs ne tarda pas à être repris par un
mécanicien nommé Prosper Meller, qui publia en 1851 divers projets
de chemins de fer atmosphériques, formés de ballons captifs glissant
sur des câbles tendus, et proposa de construire un grand navire
aérien qui utiliserait la résistance de l'air pendant la montée ou
la descente, pour obtenir la direction.

     La puissance produite par la différence des résistances de l'air
     sur un aérostat allongé et incliné est d'autant plus précieuse,
     dit Prosper Meller[66], qu'elle ne nécessite aucun surcroît de
     poids; elle s'effectue d'elle-même, en augmentant ou en dirigeant
     la légèreté, de manière qu'en réservant toute la force
     ascensionnelle, elle ne nuit en rien à l'application de tout
     autre procédé.

         [Note 66: _Des aérostats._ Navigation aérienne; chemin de fer
         aérostatique, aérostats captifs, par Prosper Meller jeune, 1
         vol. in-8º avec planches. Bordeaux, 1851.]

Dans le projet de Prosper Meller, son aérostat allongé, qu'il
désignait sous le nom de _locomotive aérienne_, devait avoir de
grandes dimensions. Comme tous ceux qui se bornent à exposer la
simple description de leur système, il ne semblait se rendre compte
en aucune façon des difficultés pratiques de construction. Il
proposait de construire le ballon en _tôle de fer_. Ne perdant pas
de gaz, dit-il, «la machine conserverait sa force ascensionnelle;
les variations atmosphériques ne feraient pas changer son volume, et
enfin, l'océan ne serait plus pour elle qu'un détroit». La
locomotive aérienne devait avoir la forme d'un cylindre terminé par
deux cônes (fig. 61); elle devait être munie d'hélices sur ses
parois. L'aérostat devait pouvoir s'incliner pour obtenir l'effet de
direction.

     Les parties supérieures et inférieures de notre locomotive, dit
     Meller, qui représentent deux vastes plans inclinés, produiront
     l'avancement horizontal en s'appuyant successivement sur l'air
     dans l'ascension et dans la descente.

[Illustration: Fig. 61.--Locomotive aérienne Meller (1851).]

Ces projets, conçus par des hommes sans instruction scientifique et
sans aucune idée pratique de l'aéronautique, n'étaient pas
réalisables tels qu'ils étaient présentés, sans étude complète et
sans plan d'ensemble suffisant. L'idée des ballons planeurs agissant
sans force motrice est tout à fait fausse. Quand bien même ils se
dirigeraient dans un sens ou dans l'autre pendant leurs ascensions
successives, cette direction serait relative; ils n'en seraient pas
moins entraînés avec la masse d'air ambiant en mouvement.--Pour que
les aérostats planeurs fonctionnent avec efficacité, il faut qu'ils
soient munis de propulseurs mécaniques, actionnés par un moteur
puissant. L'hélice ne suffit pas à elle seule, pour donner
l'avancement, il faut la machine qui la fasse agir. C'est ce qu'on
oublie trop souvent. N'a-t-on pas vu plus haut que Théophile
Gautier, en parlant des hélices du navire aérien de Pétin, disait:
«Ces hélices pourraient être tournées _à la main_.» Voilà assurément
une force motrice bien puissante!

Quelques mécaniciens ont proposé de réunir dans l'aérostat planeur
les deux principes du _plus léger que l'air_ et du _plus lourd que
l'air_. Nous citerons parmi ceux-là, M. Arsène Olivier, qui propose
un aérostat allongé, rigide, muni de grandes ailes et d'une hélice,
et capable de s'incliner pour le vol à plane[67]. Nous mentionnerons
aussi le projet récent de M. Capazza; l'inventeur veut construire un
ballon lenticulaire, tour à tour plus léger et plus lourd que l'air,
et qui nagerait dans l'atmosphère à la façon des soles dans l'océan.
Projet facile à dessiner, mais difficile à réaliser! Un peu
antérieurement, M. Duponchel, ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées, a proposé un projet analogue à celui du ballon planeur du
baron Scott, et dans lequel on obtiendrait la montée et la descente
en chauffant ou en laissant refroidir le gaz du ballon. M.
Duponchel, peu au courant des constructions aérostatiques, voulait
construire _un escalier intérieur_ dans son aérostat pour que les
aéronautes pussent monter à la partie supérieure[68]!

         [Note 67: _Note sur un projet d'aérostation dirigeable_, par
         Arsène Olivier, 1884. In-8º de 24 pages avec planches.]

         [Note 68: Voy. _Revue scientifique._]

On ne saurait se faire une idée des rêves qui ont germé dans le
cerveau des inventeurs de ballons dirigeables. Renou-Grave, en 1844,
avait imaginé les ballons-chapelets que nous figurons ci-dessous[69]
(fig. 62).

         [Note 69: _Description abrégée du navire aérien_, in-8º de 4
         pages avec planche.]

[Illustration: Fig. 62.--Ballons-chapelets de Renou-Grave.]

Les plus grands esprits sont parfois tombés dans des erreurs
analogues. Monge, le grand Monge, avait eu l'idée de réunir ensemble
une série de ballons sphériques qui auraient formé, selon lui, un
assemblage flexible dans tous les sens; susceptible d'être développé
en ligne droite, courbé en arc de cercle dans toute sa longueur, ou
seulement dans une partie; de prendre avec ces courbures ou ces
formes rectilignes la situation horizontale ou différents degrés
d'inclinaison. Ce système de globes montant et descendant
alternativement avec la vitesse que les aéronautes lui auraient
imprimée, eût imité dans l'air le mouvement du serpent dans l'eau!

À côté des inventeurs des ballons planeurs mécaniques dont nous
venons de parler, nous placerons ceux qui veulent se contenter de
chercher à différents niveaux dans l'atmosphère des vents propices.

Les projets de monter et descendre dans l'air, automatiquement, sans
jeter de lest et sans perdre de gaz pour aller à la rencontre des
courants aériens favorables, ont été très nombreux. Nous avons
signalé la poche à air du général Meusnier; nous avons vu qu'à peu
près à la même époque, Pilâtre de Rozier proposait de joindre un
ballon à air chaud à un aérostat à gaz, afin d'obtenir à volonté
l'ascension et la descente en élevant ou en abaissant la température
du gaz, c'est-à-dire en diminuant ou en faisant accroître la densité
du système.

Parmi les aéronautes les plus convaincus de l'efficacité de
l'utilisation des courants aériens à différentes altitudes, nous ne
devons pas oublier de mentionner le célèbre Dupuis-Delcourt, dont
les ascensions ont été nombreuses, et dont les travaux sont devenus
classiques dans l'étude de l'aérostation.

Dès 1824, alors qu'il n'avait que vingt-deux ans, il se mit à
l'oeuvre, et de concert avec son ami Richard, il construisit sa
_flottille aérostatique_; c'était un système formé de cinq ballons
accouplés: un aérostat central, et quatre autres plus petits qui
l'entouraient. Au-dessous de l'aérostat principal, se croisaient
deux grandes vergues horizontales d'où partaient les cordes
d'attache des quatre ballons destinés à sonder l'atmosphère. Ce
système ne donna point de bons résultats.

Après ces essais infructueux, Dupuis-Delcourt s'associa à un jeune
savant, Marey-Monge, pour construire un aérostat cylindro-conique en
cuivre métallique imperméable. Les deux associés exécutèrent
d'abord, à titre d'essai, un ballon sphérique en cuivre rouge. Il
avait dix mètres de diamètre, et d'après les calculs de Marey-Monge,
sa force ascensionnelle devait être de 346 kilogrammes[70]. Ce
ballon, d'un nouveau genre, fut exposé au public dans des ateliers
de l'impasse du Maine; il fut même gonflé d'hydrogène, mais il ne
fonctionna point et les deux associés ne tardèrent pas à se séparer.
Dupuis-Delcourt fit les plus grands efforts pour continuer son
oeuvre, mais ses efforts furent impuissants.

         [Note 70: _Études sur l'aérostation_, par Edmond Marey-Monge,
         1 vol. in-8º avec planches. Paris. Bachelier, 1847.]

Plusieurs années après ces tentatives, un médecin belge, le docteur
Van Hecke, eut recours à un système purement mécanique, pour monter
ou descendre dans l'atmosphère et aller chercher des courants
aériens favorables. Dupuis-Delcourt ne tarda pas à joindre ses
efforts aux siens. Il s'agissait de palettes ou d'hélices à mettre
en mouvement dans la nacelle. M. Babinet exposa ce système dans un
rapport adressé à l'Académie des sciences en 1847.

     Le docteur Van Hecke, dit M. Babinet, renonce formellement à
     l'idée de prendre un point d'appui sur l'air pour se mouvoir en
     un sens contraire du vent; son système consiste comme celui de
     Meusnier à chercher à différentes hauteurs des courants
     favorables à la direction qu'il veut suivre; mais son procédé
     diffère de celui de Meusnier qui voulait comprimer ou dilater
     l'air dans une capacité intérieure au ballon. La question que
     s'est proposée M. Van Hecke, se réduit donc à trouver un moyen
     facile de monter et de descendre verticalement sans employer,
     comme on le fait ordinairement, une perte de lest ou une perte de
     gaz, l'une et l'autre évidemment irréparables. M. Van Hecke a
     cherché dans un moteur artificiel, une force capable d'élever ou
     de déprimer l'aérostat à volonté, et il s'est adressé
     naturellement à l'un de ces moteurs qui, tels que les ailes du
     moulin à vent, l'hélice, les turbines, etc., transforment sans
     réaction latérale, un mouvement rotatoire en mouvement
     rectiligne, suivant l'axe ou réciproquement. Un appareil
     analogue, à ailes gauches, a été mis sous les yeux de l'Académie,
     et par sa réaction sur l'air, a produit facilement une force
     ascensionnelle ou descensionnelle de 2 à 5 kilogrammes, ce qui
     avec les quatre moteurs pareils que M. Van Hecke adapta à sa
     nacelle, constituerait une force d'environ de 10 à 12
     kilogrammes. Ajoutons que cet effet, loin d'être exagéré, a été
     obtenu, sans grand effort, avec des ailes à peu près carrées,
     dont la dimension était seulement d'un demi-mètre de côté; ainsi
     rien n'empêche d'admettre qu'avec une puissance suffisante, on
     pourrait arriver à se procurer par ce procédé, 50, 60 ou même 100
     kilogrammes de lest ascendant ou descendant.

[Illustration: Fig. 63.--Nacelle de ballon à ailes tournantes du
docteur Van Hecke, destinée à monter ou à descendre dans
l'atmosphère sans perdre de gaz et sans jeter de lest.]

Dupuis-Delcourt et le docteur Van Hecke fondèrent une _Société
générale de navigation aérienne_, au capital de deux millions de
francs, représentés par deux mille actions de mille francs. Cette
Société fut constituée en Belgique vers la fin de 1846. Les deux
associés exécutèrent une ascension à Bruxelles le 27 septembre 1847,
et attachèrent à leur ballon la nacelle que représente notre figure
63. Les palettes tournantes contribuèrent, paraît-il, à faire monter
l'aérostat quand il était bien équilibré dans l'air, mais quand bien
même le système adopté pour monter et descendre à volonté eût été
absolument efficace, il n'y avait point encore là le principe de la
direction des ballons, comme nous allons le faire comprendre un peu
plus loin.

Ce qui était expérimenté par Dupuis-Delcourt et Van Hecke à l'aide
de moyens mécaniques, les aéronautes peuvent le faire avec le lest,
à titre expérimental, pendant une durée limitée.

La manoeuvre a été souvent réalisée avec succès. Ce mode de procéder
peut se désigner sous le nom de _direction naturelle des aérostats_.

La direction naturelle par les courants aériens a plusieurs fois été
obtenue par les voyageurs aériens; elle a été mise en évidence avec
netteté lors du voyage que M. Jules Duruof et moi, nous avons
exécuté le 16 août 1868 au-dessus de la mer du Nord, dans le
voisinage de Calais. À partir de la surface du sol jusqu'à 600
mètres de hauteur, l'air se dirigeait du nord-est au sud-ouest.
Au-dessus de 600 mètres, régnait un courant aérien dont la direction
était inverse, du sud-ouest au nord-est. Une couche de nuages
séparait les deux courants. En faisant monter l'aérostat au-dessus
des nuages, ou en le laissant descendre au-dessous, nous pouvions à
volonté progresser dans deux directions presque opposées. Il nous a
été possible de nous aventurer à deux reprises à 27 kilomètres du
rivage, pour revenir en sens inverse sur terre, après deux voyages
successifs au-dessus de l'Océan[71]. Les courants aériens superposés
faisaient en réalité entre eux un certain angle qui aurait pu nous
permettre de gagner les côtes de l'Angleterre, en tirant des bordées
à deux altitudes différentes, comme un bateau à voile.

         [Note 71: _Histoire de mes ascensions_, par Gaston
         Tissandier, 1 vol. in-8º illustré. Paris, Maurice Dreyfous.]

Depuis cette époque, d'autres aéronautes ont opéré avec succès la
même manoeuvre; M. J. Duruof à Cherbourg, M. Jovis à Nice. M.
Bunelle à Odessa, Lhoste sur la Manche, ont réussi à s'avancer
au-dessus de la mer dans la nacelle de leur ballon et à revenir à
terre sous l'influence d'un courant aérien inverse.

Ce système tout à fait séduisant par la simplicité des manoeuvres
qu'il nécessite, offre un grand inconvénient., c'est qu'il dépend
des conditions atmosphériques auxquelles on ne saurait commander à
son gré. Or les courants ne soufflent pas toujours dans la direction
voulue. S'il y a parfois, dans l'atmosphère, des courants
superposés, il arrive plus fréquemment qu'il n'y en a pas, et que
l'air se déplace dans le même sens à toutes les altitudes. Lors de
l'ascension à grande hauteur du _Zénith_, par exemple, la direction
suivie par l'aérostat était à peu de chose près la même, depuis la
surface du sol jusqu'à la hauteur de 8 600 mètres.



IV

LA PROPULSION MÉCANIQUE DES AÉROSTATS

     Nécessité d'une force motrice pour diriger les aérostats. --
     Projet de Carra en 1784. -- Le ballon-navire _l'Aigle_, de
     Lennox. -- Le ballon-poisson de Samson. -- Jullien. -- Ferdinand
     Lagleize. -- Camille Vert. -- Delamarne. -- Smitter. -- Projets
     divers. -- Un ballon à vis.


Le problème de la direction des aérostats est très simple en
principe pour tous ceux qui possèdent des notions mécaniques
précises. Il a été très controversé parce que tout le monde a voulu
s'en mêler, surtout les ignorants. Quant aux hommes de science qui
en ont nié la possibilité, c'est qu'ils n'avaient pas la pratique de
l'aéronautique, et qu'ils ne connaissaient pas bien les ballons.

Un de nos plus savants physiciens, M. Jamin, a récemment exposé avec
une grande clarté le principe de la direction des aérostats par la
propulsion mécanique, et comme on pourrait croire que notre passion
pour la navigation aérienne nous éloigne de l'impartialité de
jugement qui convient à la discussion scientifique, c'est à
l'éminent secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences que nous
confierons le soin de plaider ici la cause des aérostats
dirigeables:

     Si on veut diriger un ballon, il faut une force; il faut le munir
     d'un moteur capable de l'entraîner, d'un propulseur qui puisse au
     besoin lui faire remonter les courants d'air. Quand on veut faire
     marcher une voiture, on y attelle un cheval, un wagon exige une
     locomotive, un bateau des rameurs travaillant: l'oiseau n'a pas
     seulement des ailes, il produit la force musculaire qui les
     anime; de même, le ballon doit être remorqué par une machine
     faisant du travail. Que cette machine soit un moteur animé,
     électrique, à vapeur, à gaz, peu nous importe en théorie, mais,
     quelle qu'elle soit, il en faut une. Telle est l'indiscutable
     nécessité que nous devons subir pour diriger un ballon.

     Ce n'est pas tout d'avoir un moteur, nous devons encore chercher
     comment nous l'emploierons. C'est ici que se place la terrible
     question du point d'appui, de l'action et de la réaction. Prenons
     des exemples; on tire un coup de canon: la poudre enflammée
     produit un gaz qui se détend, c'est la force; il chasse le
     boulet, c'est l'action; mais la pièce recule, c'est la réaction.
     Seulement la pièce prend moins de vitesse que le boulet, parce
     qu'elle est plus lourde. Un animal détend ses muscles pour
     sauter; soyez sûr que la Terre recule, mais elle est si
     incomparablement grosse que son recul est insensible. On exprime
     autrement ce phénomène en disant que le boulet prend son point
     d'appui sur la pièce, et l'animal qui saute, sur la terre. L'eau
     fait le même office: dans un bateau à roues, les palettes
     chassent l'eau en arrière, mais le navire avance, et s'il est à
     hélice, vous voyez un courant d'eau vivement lancé qui recule.
     Enfin, l'air obéit à la même loi et fait la même fonction: il
     sert d'appui; et pour conclure: si nous fixons à la nacelle une
     hélice dont l'axe soit horizontal et que nous la fassions
     mouvoir, elle avancera grâce à la pression qu'elle exerce sur
     l'air postérieur; elle entraînera nacelle et ballon, et tout le
     système deviendra un navire véritable avec cette seule différence
     qu'il sera dans un autre fluide, dans l'air au lieu de travailler
     dans l'eau. Pour compléter la ressemblance, il conviendra de lui
     donner une forme allongée et de le munir d'un gouvernail, placé à
     l'arrière, formé d'une toile lisse et tendue qu'on pourra tourner
     vers la droite ou la gauche, remplissant les mêmes fonctions et
     obéissant aux mêmes principes que le gouvernail des vaisseaux.

     Cette construction réalisée, le ballon pourra être dirigé comme
     on le voudra dans une atmosphère en repos; mais dans un courant
     d'air il faut y ajouter une dernière et essentielle condition.
     Quand l'air est complètement immobile, l'aérostat n'a dans toutes
     les directions qu'une seule et même vitesse, celle que lui donne
     son moteur et qu'on peut appeler sa _vitesse propre_. Quand
     l'atmosphère est en mouvement, il en a deux: la sienne et celle
     du courant d'air qui s'y superpose. Si toutes deux sont
     parallèles et de même sens, elles s'ajoutent; mais si on met le
     cap à l'opposé du vent, elles se retranchent, et il peut arriver
     les trois cas suivants: 1º la vitesse propre est supérieure à
     celle du courant: alors le ballon peut marcher contre le vent,
     qu'il dépasse; 2º toutes deux sont égales: dans ce cas, elles se
     détruisent et on reste en place; 3º le vent est supérieur à la
     marche du moteur, et on recule. La première condition seule
     permet d'avancer contre le vent; et comme ce vent n'est pas chose
     constante, qu'il est, suivant les cas, nul, modéré ou violent, le
     ballon sera dirigeable à certains jours, ne le sera pas dans
     d'autres; dirigeable si le vent est moindre que la vitesse
     propre, indirigeable en tout sens, s'il est plus fort; d'autant
     plus souvent dirigeable que le moteur sera plus puissant, la
     vitesse propre plus grande. La question est du ressort de la
     mécanique: faire un moteur léger et fort. En résumé, la solution
     du problème exige quatre conditions: 1º un moteur; 2º une hélice;
     3º un gouvernail; 4º un vent inférieur à la vitesse propre[72].

         [Note 72: _Revue des Deux Mondes_, livraison du 1er janvier
         1885.]

Avant d'en arriver à une conclusion aussi nette, qui dérive des
expériences entreprises par Giffard, Dupuy de Lôme, les frères
Tissandier et MM. les capitaines Renard et Krebs, il a été proposé
bien des projets, il a été réalisé bien des essais, et nous allons,
dans ce chapitre, résumer l'histoire de la propulsion mécanique des
aérostats.

Elle date de l'origine de la navigation aérienne: le général
Meusnier, les frères Robert, Alban et Vallet, en avaient la notion
exacte, mais il leur manquait la machine qui pût leur fournir la
force.

[Illustration: Fig. 64.--Projet de Carra (1784).]

On a pensé à appliquer des propulseurs de toute espèce à des ballons
de toutes les formes. En 1784, un physicien assez célèbre, Carré,
présentait à l'Académie des sciences un Mémoire sur la _nautique
aérienne_[73]; il proposait de munir les aérostats sphériques
d'ailes tournantes qui n'agiraient que dans un sens de rotation, la
toile de la palette de propulsion se repliant dans le mouvement de
retour. Le système était muni d'un gouvernail, et un ballon-sonde
hérissé de pointes métalliques devait recueillir l'électricité
atmosphérique, sans que l'auteur expliquât nettement le but qu'il se
proposait (fig. 64). Ce ballon-sonde devait aussi servir à faire
monter ou descendre l'aérostat, en tirant sur sa corde, ou en la
laissant filer. On voit que ce projet rentre dans la classe de ceux
qui ne sont pas pratiquement réalisables et que nous mentionnons à
titre de curiosité historique.

         [Note 73: _Essai sur la nautique aérienne_, lu à l'Académie
         royale des sciences de Paris le 14 janvier 1784, par M.
         Carré. Paris, 1784, in-8º de 24 pages avec
         planche-frontispice.]

Pendant de bien longues années, il ne fut plus question de la
propulsion mécanique des aérostats. En 1834, elle attira de nouveau
l'attention publique, avec le comte de Lennox, dont les projets
eurent alors un retentissement considérable.

Le système de Lennox était un système mixte, tenant à la fois du
ballon planeur et du ballon à propulseur. Nous laisserons
l'inventeur décrire lui-même son navire aérien _l'Aigle_, en
reproduisant une pièce historique devenue rare: le prospectus de la
_Société pour la navigation aérienne_ qu'il voulait fonder, et la
gravure qui l'accompagne.

     SOCIÉTÉ POUR LA NAVIGATION AÉRIENNE

     Note sur le premier ballon-navire _l'Aigle_, commandé par M. le
     comte de Lennox, MM. Guibert, Orsi, Edan et Ph. Laurent.--M.
     Ajasson de Grandsagne emporte les instruments de physique pour
     faire des expériences correspondantes à celles qui seront
     répétées simultanément à l'Observatoire royal, par M. Arago, dans
     le but de constater plusieurs faits importants de physique.

     Premier voyage et manoeuvres publiques au champ de Mars, le 17
     août 1784.

     Ateliers de constructions, Champs-Élysées, vis-à-vis le pont des
     Invalides.

     Ballon-navire de 130 pieds de longueur sur 35 pieds de diamètre:
     forme d'un cylindre terminé par deux cônes, rempli d'hydrogène.

     2 800 mètres cubes de capacité.

     Un filet et des échelles de cordes l'enveloppent entièrement. À
     l'intérieur, il y a un second ballon contenant de l'air, de 200
     mètres cubes, qui communique à l'extérieur au moyen d'un tuyau.

[Illustration: Fig. 65.--Le ballon-navire l'_Aigle_, de Lennox
(1834).]

     Nacelle de 66 pieds de longueur et 30 pouces de largeur, soutenue
     par des sangles attachées au filet, à 18 pouces de distance.

     Vingt rames de 3 mètres carrés, construites à palettes mobiles
     pour agir dans différents sens.

     Un long coussin remplissant l'espace contenu entre le ballon et
     la nacelle est soumis à l'action d'une pompe foulante et
     aspirante (fig. 65).

     La force ascensionnelle du ballon (6 500 livres) soutiendra la
     nacelle, les mécanismes, les instruments de physique et
     l'équipage.

     Pour mieux étudier les courants atmosphériques et l'atmosphère en
     général, nous espérons nous élever et redescendre en comprimant
     plus ou moins, à l'aide de notre pompe, l'air contenu dans le
     ballon intérieur et dans le coussin de la nacelle.

     Si nous trouvons un courant favorable, nous nous y maintiendrons
     en profitant de toute sa vitesse, qui peut dépasser cinquante
     lieues à l'heure.

     Dans un temps calme ou par un vent ordinaire, nous ferons marcher
     nos rames et nos mécanismes; nous ne ferions plus alors que deux
     ou trois lieues à l'heure.

     Dans les deux cas, nous croyons être maître de la direction.

     Nous sommes déjà arrivés à d'importantes modifications, que nous
     proposons d'exécuter en grand d'après des modèles construits dans
     nos ateliers, et dans lesquels la force humaine est remplacée par
     un agent beaucoup plus puissant.

     Nous recevrons toujours avec reconnaissance, au nom de la science
     aéronautique, qui se trouve aujourd'hui dans des voies de
     progrès, les conseils et les réflexions de tous ceux qui s'y
     intéressent.

Le comte de Lennox ne réussit pas à mener à bien son projet
grandiose. L'essai qu'il essaya d'entreprendre fut déplorable; bien
loin de pouvoir enlever ses voyageurs, le ballon ne pouvait pas se
soutenir lui-même. On eut toutes les peines du monde à le
transporter le 17 août 1834, jour de l'expérience, des ateliers de
construction où il avait été gonflé, jusqu'au champ de Mars, où il
devait s'élever. Il ne fut pas possible de faire partir le navire
aérien _l'Aigle_; il y eut alors des cris de fureur de la foule
assemblée, on envahit l'enceinte de manoeuvre, et le matériel fut
mis en pièces.

Dupuis-Delcourt, qui avait été en relation avec Lennox, le jugeait
pour un homme d'honneur et de bonne foi. Il se peut; mais il lui
manquait une instruction aéronautique suffisante et la pratique des
ballons, sans lesquelles on ne saurait entreprendre de grandes
constructions. M. de Lennox était riche, et il consacra sa fortune à
ses malheureux essais de navigation aérienne. Le principe de son
projet était rationnel, et la forme qu'il avait donnée à son navire
aérien, était favorable à la propulsion mécanique.

Depuis Lennox, les projets d'aérostats allongés, munis de
propulseurs, sont si nombreux qu'il serait absolument impossible
d'en donner une énumération complète. Citons quelques projets qui
ont plus spécialement attiré l'attention.

[Illustration: Fig. 66.--Le ballon-poisson de Sanson (1850).]

Vers l'année 1850, MM. Sanson père et fils donnèrent une grande
publicité à un projet de ballon qu'il présentèrent comme la
_solution du problème de la navigation aérienne_ (fig. 66). Les
brochures qu'ils publièrent en grand nombre, dénotent un médiocre
esprit scientifique. Le ballon devait être seulement équilibré dans
l'air, le _moyen ascensionnel_ lui serait donné à l'aide de quatre
ailes placées aux flancs; le _moyen de propulsion horizontale_,
consistait «en quatre roues creuses placées par paires,» le _moyen
de direction_ consistait en un gouvernail «faisant annexe aux
équatoriales.» Enfin MM. Sanson père et fils avaient un _moyen
secret_ qu'ils appelaient _physico ichtyologique_ et qu'ils se
gardaient de faire connaître[74].

         [Note 74: _Solution du problème de la navigation aérienne._
         Principes, preuves, et moyens, par Samson père et fils, chez
         Ledoyen, Palais-Royal, 1850, in-8º de 16 pages avec figures.]

[Illustration: Fig. 67.--Aérostat dirigeable de Jullien (1850).]

Pendant que le ballon-poisson de Sanson figurait dans des brochures,
un horloger de grand mérite, et très habile ouvrier, Jullien,
réalisait à l'Hippodrome de Paris une expérience, faite en petit,
d'un modèle d'aérostat dirigeable, allongé, qui peut être considéré
comme le point de départ des tentatives modernes. L'aérostat de
Jullien avait une forme analogue à celle qui a été adoptée par les
constructeurs de Chalais-Meudon (fig. 67). L'inventeur avait choisi
cette forme à la suite d'essais exécutés au moyen de fuseaux de bois
dont il avait expérimenté les mouvements dans l'eau[75]. Voici dans
quels termes M. Pierre Bernard a annoncé, dans le journal _le
Siècle_, l'expérience à laquelle il a assisté le 6 novembre 1850.

         [Note 75: _Les Ballons_, par Julien Turgan, 1 vol. in 18 avec
         figures. Paris. Plon frères. 1851, p. 200.]

     Le fait d'abord! Aujourd'hui 6 novembre un aérostat d'une forme
     excessivement simple et toute vivace, a navigué dans le vent,
     contre le vent, selon la fantaisie de son inventeur, M..., et les
     indications de notre maître à tous: le public.

D'autre part M. Turgan, qui a écrit un excellent petit ouvrage sur
l'histoire de la locomotion aérienne, publiait dans la _Presse_ la
notice suivante:

     À trois heures et demie, en présence de MM. Émile de Girardin,
     Louis Perrée, de Fiennes, Bernard, etc., M. Jullien a apporté,
     d'abord dans le manège, puis dans l'amphithéâtre de l'Hippodrome,
     un petit aérostat, long de sept mètres, de forme oblongue, et
     ayant monté un mécanisme bien simple, de son invention, il a
     abandonné l'appareil qui s'est dirigé rapidement dans le sens
     désigné antérieurement.

     Dans le manège, il n'y avait pas de courant d'air, la chose
     paraissait fort simple; mais une fois dans l'amphithéâtre, notre
     étonnement fut au comble lorsque nous vîmes l'expérience se
     reproduire, malgré un vent sud-ouest fort marqué. L'aérostat se
     dirigea _directement contre le vent_. On recommença en divers
     sens, et toujours l'expérience réussit.

     On a tant de fois répété qu'il était impossible d'arriver à un
     tel résultat qu'on se regardait les uns les autres, sans vouloir
     absolument croire au spectacle que l'on avait sous les yeux, et
     qu'il a fallu recommencer plusieurs fois ces manoeuvres pour nous
     convaincre du fait.

     Les essais de mouvement circulaire ont été tentés, mais
     l'enceinte était trop restreinte, et l'on ne pouvait agir que par
     le gouvernail. Cependant plusieurs de ces tentatives ont réussi.
     C'est, du reste, l'appareil le plus simple du monde:--une sorte
     de poisson cylindre à tête, en baudruche, et cerclé par un
     équateur en bois auquel vient s'attacher un filet supérieur.

     Vers le tiers antérieur de l'appareil se trouvent deux petites
     ailes composées chacune de deux petites palettes formant hélice.
     Ces palettes ont à peu près la forme d'une raquette à jouer au
     volant, de 0{m},22 de diamètre longitudinal, soit 0{m},20 de
     diamètre transversal. Elles tournent avec rapidité et produisent
     ainsi le mouvement direct.

     Comment tournent ces hélices? Rien n'est plus simple: l'axe qui
     les supporte s'engrène avec une longue tige, qui va s'engrener
     elle-même dans un mouvement de pendule ou de tourne-broche,
     suspendu au-dessous du ballon à 0{m},4 environ.

     Le récipient du gaz contient 1 200 décimètres cubes d'hydrogène
     pur.

       L'enveloppe pèse                           350 grammes.
       L'armature en bois                         350   --
       Le moteur                                  450   --
       Les fils qui servant de cordages, environ.  10   --
                                                  ---
                                    TOTAL       1 160   --

     Un système composé de deux gouvernails, l'un vertical, l'autre
     horizontal, termine l'appareil.

     N'anticipons pas sur les conséquences probables de cette simple
     expérience. Constatons seulement qu'aujourd'hui mercredi, 6
     novembre 1850, à trois heures et demie, une machine aérostatique
     s'est manifestement dirigée contre le vent, mue par un appareil
     d'une simplicité extrême.

Les expériences se sont renouvelées le jeudi 7 novembre. Le dimanche
10, elles ont moins bien réussi par un défaut d'équilibre et un
excès de poids apporté à l'ensemble de la machine. Le public fut
sévère pour le pauvre inventeur, qui fut découragé dans ses essais.

Jullien habitait Villejuif: c'était un petit horloger de village qui
avait toujours été misérable. L'exposition de son remarquable petit
ballon, ne lui rapporta que des déceptions; il avait cependant
étudié avec grand mérite le problème de la navigation aérienne, et
il peut être cité comme un précurseur d'Henri Giffard, qui assista à
ses remarquables expériences, et en tira profit pour ses
constructions futures. Nous tenons le fait de Giffard lui-même.

[Illustration: Fig. 68.--Projet de Ferdinand Lagleize (1853).]

C'est en 1852 que le futur inventeur de _l'injecteur_ exécuta ses
mémorables essais de navigation aérienne; nous les étudierons d'une
façon spéciale dans un chapitre suivant. Continuons ici
l'énumération des projets et des expériences.

Mentionnons le projet de Ferdinand Lagleize, qui construisit en
petit l'aérostat dirigeable représenté ci-dessus (fig. 68). Quatre
ailes adaptées au flanc du ballon-poisson, lui imprimaient le
mouvement[76]. Un gouvernail de propulsion était adapté à l'arrière.
Ce système a été exposé douze jours, du 3 au 15 septembre 1853, au
jardin d'hiver des Champs-Élysées, à Paris.

         [Note 76: Aérostat Ferdinand Legleize, in-8º de 8 pages avec
         planche.]

[Illustration: Fig. 69.--Poisson-volant de Camille Vert (1859).]

Plus tard, en 1859, un aéronaute, ouvrier habile, constructeur de
mérite, Camille Vert, fit fonctionner à plusieurs reprises, un
navire aérien de son système, qu'il désigna sous le nom de _poisson
volant_. Cet aérostat allongé, à hélice, était mû par une petite
machine à vapeur (fig. 69); il fonctionna devant le public, au
palais de l'Industrie, à Paris, et il fut expérimenté devant
l'empereur. Voici en effet le compte rendu de cette séance, tel
qu'il a été publié dans le _Moniteur_ du 19 novembre 1859.

     Le 27 octobre dernier, une nouvelle machine aérienne, inventée et
     exécutée par M. Camille VERT, a été expérimentée dans le palais
     de l'Industrie, en présence de S. M. l'empereur. Cette machine se
     dirigeant à volonté, dans tous les sens et à laquelle est adaptée
     un système ingénieux de sauvetage des voyageurs, a fonctionné de
     la manière la plus satisfaisante.

     L'inventeur de cette curieuse découverte, après avoir été
     complimenté par Sa Majesté, a été autorisé à en faire une
     exposition publique dans le palais de l'Industrie.

[Illustration: Fig. 70.--Aérostat propulsif de Gontier-Grisy
(1862).]

[Illustration: Fig. 71.--Projet d'un ballon de cuivre par Chéradame
(1865).]

Les belles expériences de Giffard faites en 1852, dans son grand
ballon allongé à vapeur, avaient fait naître une multitude de
ballons-poissons. En outre des expériences en petit, on voyait
paraître de toutes parts de nouveaux projets. L'aérostat propulsif
de Gontier-Grisy (fig. 70), dans lequel devait fonctionner un moteur
à air comprimé[77], le ballon allongé de Chéradame (1865), qui
devait être confectionné en cuivre rouge et atteindre des dimensions
énormes[78] (fig. 71), et une infinité d'autres systèmes que nous
passerons sous silence.

         [Note 77: _Aérostat propulsif_ avec moteur,
         révolvo-comprimant, par Gontier Grisy. Paris. E. Lacroix,
         1862. In-8º de 32 pages avec planche.]

         [Note 78: _La direction des aérostats enfin trouvée, par
         Léopold Chéradame._ Paris, 1865, in-8º de 16 pages avec plans
         et portraits.]

[Illustration: Fig. 72.--L'aérostat _l'Espérance_ de Delamarne
(1865).]

M. Delamarne, à cette même époque, a présenté, sous le nom
d'_hélicoptère_ un système de navire aérien, l'_Espérance_, qui
consistait en un aérostat allongé de forme spéciale, muni d'hélices
de propulsion et d'ascension (fig. 72).

Le longueur du navire aérien était de 30 mètres, son diamètre de
10{m},80, la capacité de 2 000 mètres cubes en nombre rond. Le ballon
était séparé en deux parties par une cloison intérieure.--Voici
d'ailleurs la description qui a été publiée, en 1865, du ballon de M.
Delamarne.

     Perpendiculairement à l'axe est une cloison intérieure et
     imperméable qui sépare le ballon en deux parties. La soupape est
     à cheval sur cette cloison et présente deux volets, communiquant
     chacun avec l'un des compartiments du ballon. Enfin, deux forts
     rectangles, portant deux hélices mobiles dans un plan
     perpendiculaire à l'axe, pressent le ballon en flanc, par
     l'effort de deux larges bandes de caoutchouc. Ces hélices ont
     2{m},20 d'envergure, et portent trois ailettes; elles font plus
     de trois cent soixante tours à la minute. Chaque ailette se
     partage, à son extrémité, en deux parties qui se recourbent de
     part et d'autre pour retenir le vent.

     L'ensemble de ces appareils pèse 400 kilogrammes, y compris le
     poids d'une voile qui se fixe d'une part au ballon, et d'autre
     part au gouvernail de la nacelle. Les mouvements du gouvernail se
     transmettent ainsi au ballon avec l'accroissement de force
     qu'apporte la voile.

     La nacelle pèse 200 kilogrammes avec tous ses accessoires; elle a
     4{m},50 de large et 7 de long. Sur ses côtés sont deux hélices
     semblables à celles du ballon, mais n'ayant que 1{m},10
     d'envergure; elles doivent aider les hélices du ballon. Comme
     celles-ci, elles font trois cent soixante tours à la minute.
     Chaque hélice déplace 3 mètres cubes d'air par tour, en tout
     1 080 mètres cubes d'air par minute.

     Une roue, mue par trois hommes, communique aux quatre hélices le
     mouvement qui leur est transmis par des courroies sans fin. Puis,
     à l'arrière de la nacelle, et pour aider à la descente ou à
     l'ascension, sont deux hélices horizontales moins recourbées à
     leurs extrémités que les premières. Une roue horizontale, mue par
     un seul homme, les fait agir en temps et lieu. Un gouvernail,
     enfin, est placé derrière la nacelle, et un taille-vent à la
     proue. Ce taille-vent est une sorte de tranchant qui divise l'air
     et le vent et leur présente deux plans inclinés[79].

         [Note 79: Article communiqué par M. Delamarne à la _Science
         pittoresque_, 7e année, nº 47, du 27 mars 1865.]

M. Delamarne insistait sur ce point que dans son système le ballon
«ne remorquait pas la nacelle, et la nacelle ne remorquait pas le
ballon.» Il disait, que son système tenait à la fois du _plus lourd
que l'air_ et du plus léger que l'air[80].

         [Note 80: Nous ferons remarquer que cette propriété dont il a
         été question déjà dans le chapitre précédent, s'applique à
         tous les aérostats; plus légers que l'air quand ils montent
         ils sont un peu plus lourds que l'air quand ils descendent.]

Quoi qu'il en soit, l'expérience, annoncée avec une assez grande
publicité, eut lieu le 2 juillet 1865, dans le voisinage du jardin
du Luxembourg. Le résultat en fut piteux. L'aérostat l'_Espérance_,
fut gonflé, mais l'inventeur n'y adapta aucun des organes de
propulsion qu'il avait décrits. La nacelle seule portait des hélices
latérales, un taille-vent et gouvernails.

Voici en quels termes un témoin de l'expérience, M. Jouanne,
ingénieur des arts et manufactures, en deux a décrit le résultat:

     L'aérostat _l'Espérance_ s'est enlevé à six heures du soir en
     tournant sur lui-même, et tant que nos yeux ont pu l'apercevoir,
     il a continué ses circonvolutions. Il a suivi d'ailleurs la
     direction du vent, qui soufflait du nord au midi, car il s'est
     dirige vers Vincennes, et à huit heures, il est descendu prés du
     polygone, sans difficulté[81].

         [Note 81: _La Science pour tous_, 15 juillet 1865.]

[Illustration: Fig. 73.--Aérodophore de Pillet (1857).]

En 1857, un professeur de l'École des apprentis du port de
Cherbourg, Pillet, présenta, sous le nom d'aérodophore, un projet de
grand ballon-poisson à nageoires latérales (fig. 73).

[Illustration: Fig 74.--Aérostat à hélice de Smitter (1866).]

En 1866, M. Smitter, qui depuis cette époque a fait plusieurs
tentatives de direction aérienne, a proposé de placer l'hélice à
l'avant du ballon allongé, au moyen d'un châssis extérieur comme le
représente notre figure 74, empruntée à un prospectus de
l'inventeur. Ce projet a été encouragé par M. Henri Rochefort. Voici
l'article qu'a publié dans le _Soleil_ le célèbre pamphlétaire, à la
date du 11 mai 1866:

     Le vice radical des procédés d'aérostation connus c'est que, ne
     pouvant corriger le ballon, qui est trop massif, trop susceptible
     d'allongement ou d'élargissement par suite du peu de résistance
     de l'enveloppe en taffetas, les aéronautes essayaient de diriger
     la nacelle, ce qui bouleversait toutes les lois de la physique et
     du bon sens, attendu qu'un ballon ne peut pas plus être dirigé
     par sa nacelle qu'un gros navire par le canot qu'il traîne après
     lui.

     Au premier abord, ce problème paraît être l'enfance de sa
     simplicité; eh bien! de tous les aéronautes passés et présents,
     M. Smitter, simple ouvrier mécanicien, est le seul qui l'ait
     soulevé. Au lieu d'appliquer à la nacelle les voiles et le
     gouvernail, il reporte toute la force motrice et dirigeante sur
     l'aérostat lui-même, qu'il établit au moyen d'une charpente
     osseuse en fer creux, légère et solide, recouverte ensuite de
     taffetas. Le ballon résistant devient ainsi capable de recevoir
     tous les agrès nécessaires à sa direction, comme les hélices, le
     gouvernail et surtout deux palettes qui, en s'ouvrant et se
     fermant aux deux côtés de l'aérostat comme les battants d'une
     table, permettent au voyageur de lutter contre la pression
     atmosphérique et de planer à la hauteur et dans la zone qu'il a
     lui-même choisies.

     C'est du reste à nous autres, qui ne croyons ni aux coups de
     trompette, ni aux placards sur les murs, mais aux faits et aux
     raisonnements, c'est à nous, dis-je, d'aller chercher dans leur
     obscurité laborieuse les hommes qui usent en travail et en
     sacrifices de toute espèce le temps que d'autres dépensent en
     réclames. Rien n'eût été plus facile à ce chercheur timide que de
     se mettre dans les mains de quelque Barnum qui l'eût compromis,
     mais qui l'eût fait connaître. Il est venu simplement nous dire:

     «Je puis, je crois, faire faire un grand pas à la direction des
     ballons. J'avais six mille francs d'économies, je les ai mis dans
     la construction d'un aérostat. Aujourd'hui mes économies sont
     épuisées, et il me manque une dizaine de mille francs pour tenter
     une expérience décisive. Est-ce que vous croyez que la question
     n'est pas assez importante pour que je fasse appel à une
     souscription publique, après avoir démontré préalablement en quoi
     mon système diffère de tous ceux qui ont été vainement essayés
     jusqu'ici?»

                                        Henri ROCHEFORT.

Vaussin-Chardanne, dont les projets aériens furent très nombreux:
ballons à hélice, ballons à ailes, ballons allongés, publia aussi
différentes brochures depuis 1858 jusqu'à 1873. Nous citerons son
projet de _gondole-poisson_ dans lequel les hélices de propulsion
étaient à peu près au milieu du système et de côté, l'aérostat étant
séparé en deux parties, avec grand gouvernail à l'arrière (fig. 75).

[Illustration: Fig. 75.--Gondole-poisson de Vaussin-Chardanne.]

En 1859, M. E. Farcot, ingénieur-mécanicien, étudia un grand
aérostat dirigeable à vapeur pour la navigation atmosphérique. Cet
aérostat pisciforme devait être muni de deux hélices de traction
placées à l'avant et fixées sur le ballon lui-même; il se trouvait
terminé à l'arrière par un gouvernail[82]. En 1861, H. Guilbaut de
Saintes, proposa un aérostat cylindrique allongé, muni d'ailes
latérales et d'hélices[83]. En 1865, J. E. Renucci, capitaine au 2e
de ligne, examina les conditions de construction d'un aérostat à
enveloppe de fer, de 100 mètres de diamètre et devant rester plus
d'un an dans l'atmosphère[84]. Il faut avoir entre les mains les
documents spéciaux qui ont été publiés pour se rendre compte de
l'abondance des études faites, les unes rationnelles et logiques,
comme celle de M. Cordenous[85] en 1875, qui vint à Paris pour
soumettre son projet d'aérostat allongé à Henri Giffard et aux
savants compétents, les autres où l'imagination déborde comme dans
le projet d'un nommé Fayol, qui décrit ainsi qu'il suit son étonnant
_voyageur aérien_[85]:

     C'est un animal qui a quarante kilomètres, dix lieues de
     longueur. Il va de Paris à Philadelphie en Amérique en six heures
     de temps, sans s'arrêter. Il traverse les airs à deux mille
     mètres de hauteur.... Sept galeries superposées qui s'étendent
     dans toute sa longueur déterminent sa hauteur. Il porte dans son
     ventre sept mille machines à vapeur, lesquelles travaillent
     toutes à comprimer de l'air dans les oreilles qui sont au nombre
     de deux mille. Il y a sept mille chauffeurs, un à chaque machine;
     ils sont commandés par un seul homme placé à la tête de l'animal,
     entre les deux yeux. Cet homme transmet sa volonté par
     l'électricité aux sept mille chauffeurs[86].

         [Note 82: _La Navigation atmosphérique_, par E. Farcot. 1
         broch. in-18 avec planches. Paris, Librairie nouvelle, 1859.]

         [Note 83: _Direction des aérostats, système nouveau_, par H.
         Guilbaut de Saintes. 1 broch. in-4 avec planches. Saintes,
         imp. Lassus.]

         [Note 84: _Exposé d'un système de navigation atmosphérique_
         au moyen du ballon à enveloppe métallique, par J. E. Renucci.
         1 broch. in-8 avec planches. Paris, Eugène Lacroix.]

         [Note 85: _Riviste degli studi di locomozione et nautica
         nell'aria_ par P. Cordenous. 1 broch. in-8. Paris, Rovigo,
         1875.]

         [Note 86: _Le Voyageur aérien_, par Fayol, 1 broch. in-8,
         Paris, typ. Blanpain, 1875.]

Le projet de M. Cordenous mérite qu'on s'y arrête avec un peu plus
d'attention. L'auteur voulait construire un aérostat allongé
ellipsoïdal, contenant un axe rigide central, portant à l'arrière
une hélice de propulsion. Son projet était d'exécuter d'abord une
expérience au moyen d'un ballon de faible dimension, capable
d'enlever un homme. Il avait exécuté à cet effet une machine motrice
à gaz ammoniac, qui sous le poids de 85 kilogrammes donnait une
force de un demi-cheval[87]. M. Cordenous se trompait au sujet de la
possibilité de munir un aérostat allongé d'un axe rigide
transversal, le poids de cet axe serait considérable, et son mode
d'attache nécessiterait encore l'addition d'autres pièces rigides,
qui alourdiraient le système au point qu'il ne pourrait plus
s'élever.

         [Note 87: _Navigation aérienne_, par M. P. Cordenous,
         professeur de mathématiques au lycée de Rovigo, extrait du
         journal _les Mondes_ du 18 mai 1876.]

En 1871, un ingénieur italien, M. Micciollo-Picasse proposait de
construire un aérostat d'aluminium, avec deux hélices de propulsion
à l'avant et à l'arrière, fixées à la pointe même de l'aérostat
allongé[88] (fig. 76).

         [Note 88: _Ballon anermastatique dirigeable, en tôle
         d'aluminium_, par M. Micciollo-Picasse, Paris. 1871. Broch.
         in-8º, avec planches.]

[Illustration: Fig. 76.--Projet d'aérostat en aluminium de
Micciollo-Picasse (1871).]

En 1877, M. Deydier, à Oran, proposait un grand aérostat à
compartiments, ou enceintes indépendantes à air raréfié[89]. En
1881, M. Morel donnait la description de son _ballon-comète_, ainsi
nommé parce qu'il était muni d'une énorme queue qui utiliserait les
courants aériens[90]. Nous ne parlons ici que des aérostats
sphériques, des aérostats allongés pisciformes ou cylindriques, mais
on a encore proposé les aérostats en forme d'anneau ou de
couronne[91], en forme de solides plans géométriques, d'octoaèdres
et autres.

         [Note 89: _La Locomotion aérienne_, 1 broch. in-8, avec
         planches, Oran, imp. Collet.]

         [Note 90: _La navigation aérienne_, mémoire pour servir à
         l'avancement des sciences aérostatiques. Projet de navigation
         aérienne. Le ballon-comète, par E. Morel, 1 broch. in-8,
         Vesoul. 1881.]

         [Note 91: _Solution d'un grand problème._ La navigation
         aérienne réalisable par la substitution au ballon sphérique
         du ballon en couronne, système de MM. A. Treille et A. Meyer.
         1 broch. in-8, avec figures et planche, à Noyon (Oise),
         1852.]

[Illustration: Fig. 77.--Propulseur de Guillaume (1816).]

On ne saurait croire jusqu'où pourrait nous entraîner cette revue
des projets de ballons dirigeables; en outre de ceux que je viens de
mentionner, j'en possède encore des centaines dans mes cartons et
dans ma bibliothèque aérostatique; si les formes varient, les
systèmes de propulsions sont aussi multiples et souvent
invraisemblables. Voici le projet d'un nommé Guillaume, dont nous
reproduisons l'affiche (fig. 77), et qui en 1816, fit une tentative
au champ de Mars. Voici l'aérostat d'Émile Gire, qui, en 1843,
publia le dessin de son singulier appareil à éolipyle (fig. 78); il
le proposait comme une _machine de guerre_ redoutable[92].

         [Note 92: _Mémoire sur la direction des aérostats_, par Émile
         Gire, Paris, 1843. In-8 de 16 pages, avec planches.]

[Illustration: Fig. 78.--Aérostat d'Émile Gire (1843).]

Voici l'extraordinaire propulseur proposé en 1860 par
Gontier-Grisy[93], deux ans avant le système d'aérostat cylindrique
qu'il avait imaginé et dont nous avons parlé un peu plus haut (fig.
79). Il est formé de _stores_ fixées à chaque partie recourbée d'une
tringle! C'est la description qu'en donne l'auteur.

         [Note 93: _Propulseur aérostatique_, par Gontier-Grisy,
         Luxembourg 1860, in-8º de 16 pages, avec planches.]

[Illustration: Fig. 79.--Propulseur de Gontier-Grisy (1860).]

Voici enfin un autre propulseur proposé par M. Ziégler en 1868[94];
cet appareil, d'une complication inouïe (fig. 80), a été exposé dans
le jardin des Tuileries pendant la durée de l'Exposition universelle
de 1878. Pourquoi rechercher ces roues, ces rames, ces aubes, quand
il est si simple de recourir à une hélice actionnée par un moteur
puissant et léger?

         [Note 94: _Propulseur universel pour la direction des
         aérostats_, Paris, in-8º de 16 pages avec figures.]

Un inventeur nommé Lassie a été jusqu'à proposer le ballon à vis,
qui en tournant sur son axe se visserait dans l'atmosphère (fig.
81)! Voici comment il décrit ce curieux système.

     Le navire aérien est un cylindre métallique de 32 mètres de
     diamètre et long de 10 diamètres ou de 320 mètres. Quatre
     voilures de 9 mètres de hauteur sont soudées par-dessus, en forme
     de spirales faisant un tour et demi sur toute sa longueur; c'est
     donc une grande vis aérienne plus grande que le cylindre ou que
     le navire lui-même qui lui sert d'axe; en faisant un tour et demi
     sur lui-même, il parcourt 320 mètres de distance: pour produire
     ce mouvement de rotation, 640 hommes placés au centre du gaz ou
     centre du cylindre, dans le tunnel ou tube métallique de 260
     centimètres de diamètre, marchent circulairement au commandement
     du sifflet, comme les écureuils qui font tourner leurs cages.

[Illustration: Fig. 80.--Propulseur aérostatique de Ziégler (1868).]

Un autre projet analogue a été publié en 1878, par un nommé
Desplats, qui proposait de faire monter dans l'atmosphère un
aérostat sphérique dont la surface extérieure était hélicoïdale. Cet
aérostat devait tourner sur son axe[95]. Nous citerons encore dans
un ordre d'idée semblable le ballon cylindrique «garni dans sa
longueur de voiles disposées en hélice» proposé antérieurement, en
1835, par un mécanicien nommé Pierre Ferrand[96].

         [Note 95: _Projet du ballon tournant dirigible (sic) le
         Demi-Monde_, par Desplats Michel. En vente à l'Exposition
         universelle de Paris, 1878, section République Argentine,
         in-8 de 16 pages avec photographie.]

         [Note 96: _Projet pour la direction de l'aérostat par les
         oppositions utilisées_, par Pierre Ferrand. In-8 de 32 pages,
         avec planches hors texte.]

[Illustration: Fig. 81.--Ballon à vis de Lassie.]

N'oublions pas, parmi l'énumération que nous publions ici, de citer
les projets de direction d'aérostats au moyen d'_oiseaux dressés et
attelés_. Cette idée a été émise dès 1785. En 1845, Mme Tessiore,
née Vitalis, publia à ce sujet une brochure où elle proposait de
conduire un ballon allongé par un gypaëte, grand vautour des Alpes.
Une lithographie publiée à cette époque représente ce curieux
système de navigation aérienne.

La structure des oiseaux de grande espèce, dit l'auteur, leur
puissance de vol, l'instinct de la conservation, servent à démontrer
que l'industrie humaine parviendrait promptement à dresser ces
rapides coursiers dont quelques-uns ont jusqu'à 12 à 15 pieds
d'envergure.

On observe chez les oiseaux une grande légèreté spécifique. Leurs
muscles pectoraux, destinés à agiter leurs ailes, ont une force
énorme, comparée au poids et au volume de leur corps, et la physique
nous démontre qu'un ballon surnage dans les airs sur un fluide. Donc
les aérostats, remorqués par une puissance aérienne, suivraient,
même contre le vent, la direction prise par l'oiseau remorqueur.

Nous ne devons pas omettre de mentionner un inventeur qui a eu
l'idée de construire un ballon aimanté. D'après lui, ce ballon
«serait toujours _attiré_ vers le pôle nord!»

Nous pourrions encore parler des ballons à pointes redressées
_tournant sur leur axe_, des ballons à _soufflets propulseurs_, des
_chemins de fer aériens_, et de mille autres projets plus ou moins
fantaisistes.

Si les systèmes de ballons et de propulseurs sont nombreux, les
moteurs proposés ne le sont pas moins: moteurs à acide carbonique, à
mélanges détonants et à poudre.

On va voir quelles ont été les ressources de la vapeur appliquée aux
aérostats.



QUATRIÈME PARTIE

LES NAVIRES AÉRIENS À HÉLICE

     Il n'est pas possible de dire où s'arrêteront, dans l'avenir,
     l'économie et la rapidité des transports aériens.

                                        HENRI GIFFARD.


     Il a fallu bien des siècles pour transformer le radeau flottant
     en un rapide paquebot à hélice; mais qu'est-ce qu'un siècle pour
     Dieu éternel qui conduit l'humanité.

                                        DUPUY DE LÔME.



I

HENRI GIFFARD ET LE PREMIER AÉROSTAT À VAPEUR

     Les débuts d'Henri Giffard. -- Construction et expérimentation du
     premier navire aérien à vapeur le 24 septembre 1852. -- Second
     aérostat dirigeable à vapeur de 1855. -- Essai de 1856. -- La
     découverte de l'_injecteur_. -- Les ballons captifs à vapeur. --
     Mort de l'inventeur.


Henri Giffard est né à Paris, le 8 janvier 1825; il fit ses études
au collège Bourbon, et dès son jeune âge le génie de la mécanique
était déjà développé dans son cerveau. Il m'a souvent raconté qu'en
1839 et 1840, alors qu'il n'avait que quatorze ou quinze ans, il
trouvait le moyen de s'échapper de sa pension pour aller voir passer
les premières locomotives du chemin de fer de Paris à Saint-Germain.
Deux ans après, il entrait comme employé dans les ateliers de ce
chemin de fer; mais son ambition était de conduire lui-même les
locomotives. Il y réussit, et il eut le plaisir de faire glisser sur
les rails, aussi vite qu'il le pouvait, les premiers trains de
chemins de fer français.

Henri Giffard n'avait que dix-huit ans quand il commença à s'occuper
de navigation aérienne; fils de parents modestes, il n'avait aucune
fortune; sa bourse était vide, et son ambition était grande. Il se
lia avec deux jeunes élèves de l'École centrale, David et Sciama, et
tous trois se mirent à méditer la construction d'un navire aérien à
vapeur.--Giffard voulut d'abord connaître l'atmosphère qu'il
s'agissait de vaincre, et il exécuta plusieurs ascensions à
l'Hippodrome sous les auspices d'Eugène Godard et du directeur
Arnaud. Il s'adonna avec passion à la construction des machines à
vapeur légères, et il arriva à réaliser une machine de trois chevaux
du poids de 45 kilogrammes, faisant trois mille tours par minute.
Après ces études préliminaires, il prit en août 1851 un brevet pour
l'_application de la vapeur à la navigation aérienne_, où il décrit
avec beaucoup de science un aérostat allongé, muni d'un propulseur à
vapeur.

     Que faire, dit le jeune ingénieur, pour réduire au minimum la
     résistance du milieu, ou, en d'autres termes, pour faciliter au
     plus haut point le passage de cette masse à travers l'atmosphère?
     La réponse se fait naturellement.... Il faut donner au volume
     gazeux le plus grand allongement possible dans le sens de son
     mouvement, de telle sorte que l'étendue transversale qu'il offre
     et de laquelle dépend en grande partie la résistance, soit
     diminuée dans la même proportion[97].

         [Note 97: _Application de la vapeur à la navigation
         aérienne_, par M. Henri Giffard. In-4º de 28 pages avec
         planche hors texte. Imprimerie de Pollet. 1851.]

Giffard calcule le pas de l'hélice, l'effort de propulsion, tous les
détails de son navire aérien qu'il présente d'abord sous l'aspect de
la figure ci-dessous (fig. 82), reproduite d'après un prospectus
publié à peu près à cette époque.

David et Sciama, qui avaient quelques ressources pécuniaires,
prêtèrent à Giffard la somme nécessaire pour la construction du
premier ballon dirigeable. L'expérience devait être exécutée en
public, à l'Hippodrome; l'aérostat était disposé pour être gonflé au
gaz de l'éclairage.

[Illustration: Fig. 82.--Premier projet de Henri Giffard.]

Après bien des déboires, bien des difficultés, et plusieurs
tentatives avortées, l'expérience eut lieu le 24 septembre 1852, au
milieu de l'admiration et de l'étonnement des spectateurs peu
nombreux qui étaient présents. Émile de Girardin se trouvait parmi
ceux-ci; le grand publiciste comprit l'importance de la belle
tentative dont il avait été témoin, et il publia dans la _Presse_
datée 26 septembre, sous le titre: _Le risque et l'invention_, un
article des plus élogieux à l'égard du jeune ingénieur. En voici un
extrait:

     Hier, vendredi 24 septembre, un homme est parti imperturbablement
     assis sur le tender d'une machine à vapeur, élevée par un ballon
     ayant la forme d'une immense baleine, navire aérien pourvu d'un
     mât servant de quille et d'une voile tenant lieu de gouvernail.

     Ce Fulton de la navigation aérienne se nomme Henri Giffard.

     C'est un jeune ingénieur qu'aucun sacrifice, aucun mécompte,
     aucun péril n'ont pu décourager ni détourner de cette entreprise
     audacieuse, où il n'avait pour appui que deux jeunes ingénieurs
     de ses amis, MM. David et Sciama, anciens élèves de l'École
     centrale.

     Il est parti de l'Hippodrome. C'était un beau et dramatique
     spectacle que celui de ce soldat de l'idée, affrontant, avec
     l'intrépidité que l'invention communique à l'inventeur, le péril,
     peut-être la mort; car à l'heure où j'écris, j'ignore encore si
     la descente a pu s'opérer sans accident et comment elle a pu
     s'opérer....

La notice d'Émile de Girardin était suivie du récit de la grande
expérience aérostatique, écrit par Henri Giffard lui-même. Nous
reproduisons _in extenso_ cet important document.

     L'appareil aéronautique dont je viens de faire l'expérience, a
     présenté pour la première fois dans l'atmosphère la réunion d'une
     machine à vapeur et d'un aérostat d'une forme nouvelle et
     convenable pour la direction.

     Cet aérostat est allongé et terminé par deux pointes; il a 12
     mètres de diamètre au milieu, et 44 mètres de longueur; il
     contient environ 2 500 mètres cubes de gaz; il est enveloppé de
     toutes parts, sauf à la partie inférieure et aux pointes, d'un
     filet dont les extrémités ou _pattes d'oie_ viennent se réunir à
     une série de cordes fixées à une traverse horizontale en bois, de
     20 mètres, de longueur; cette traverse porte à son extrémité une
     espèce de voile triangulaire assujettie par un de ses côtés à la
     dernière corde partant du filet, et qui lui tient lieu de
     charnière ou axe de rotation (fig. 83).

[Illustration: Fig. 83.--Le premier aérostat dirigeable à vapeur,
conduit dans les airs le 24 septembre 1852.]

     Cette voile représente le gouvernail et la quille; il suffit, au
     moyen de deux cordes qui viennent se réunir à la machine, de
     l'incliner de droite à gauche pour produire une déviation
     correspondante à l'appareil et changer immédiatement de
     direction. À défaut de cette manoeuvre, elle revient aussitôt se
     placer d'elle-même dans l'axe de l'aérostat, et son effet normal
     consiste alors à faire l'office de quille ou girouette,
     c'est-à-dire à maintenir l'ensemble du système dans la direction
     du vent relatif.

     À 6 mètres au-dessous de la traverse sont suspendus la machine à
     vapeur et tous ses accessoires.

     Elle est posée sur une espèce de brancard en bois, dont les
     quatre extrémités sont soutenues par des cordes de suspension, et
     dont le milieu, garni de planches, est destiné à supporter les
     personnes et l'approvisionnement d'eau et de charbon.

     La chaudière est verticale et à foyer intérieur sans tubes; elle
     est entourée extérieurement, en partie, d'une enveloppe en tôle
     qui, tout en utilisant mieux la chaleur du charbon, permet aux
     gaz de la combustion de s'écouler à une plus basse température;
     la cheminée est dirigée de haut en bas, et le tirage s'y opère au
     moyen de la vapeur qui vient s'y élancer avec force à sa sortie
     du cylindre, et qui, en se mélangeant avec la fumée, abaisse
     encore considérablement sa température tout en les projetant
     rapidement dans une direction opposée à celle de l'aérostat.

     La combustion du charbon a lieu sur une grille complètement
     entourée d'un cendrier, de sorte qu'en définitive il est
     impossible d'apercevoir extérieurement la moindre trace de feu.

     Le combustible que j'emploie est du coke de bonne qualité.

     La vapeur produite se rend aussitôt dans la machine proprement
     dite; celle-ci est à un cylindre vertical dans lequel se meut un
     piston qui, par l'intermédiaire d'une bielle, fait tourner
     l'arbre coudé placé au sommet. Celui-ci porte à son extrémité une
     hélice à 3 patelles de 3{m},40 de diamètre, destinée à prendre le
     point d'appui sur l'air et à faire progresser l'appareil. La
     vitesse de l'hélice est d'environ 110 tours par minute, et la
     force que développe la machine pour la faire tourner est de 3
     chevaux, ce qui représente la puissance de 25 ou 30 hommes. Le
     poids du moteur proprement dit, indépendamment de
     l'approvisionnement et de ses accessoires, est de 100 kilogrammes
     pour la chaudière, et de 58 kilogrammes pour la machine; en tout
     159 kilogrammes ou 50 kilogrammes par force de cheval, ou bien
     encore 5 à 6 kilogrammes par force d'homme; de sorte que s'il
     s'agissait de produire le même effet par ce dernier moyen, il
     faudrait, ce qui serait impossible, enlever 25 à 30 hommes
     représentant un poids moyen de 1800 kilogrammes, c'est-à-dire un
     poids douze fois plus considérable. De chaque côté de la machine
     sont deux bâches, dont l'une contient le combustible et l'autre
     l'eau destinée à être refoulée dans la chaudière au moyen d'une
     pompe mue par la tige du piston. Cet approvisionnement représente
     également la quantité de lest dont il est indispensable de se
     munir même en assez grande quantité, pour parer aux fuites du gaz
     par les pores du tissu; de sorte qu'ici la dépense de la machine,
     loin d'être nuisible, a pour effet très avantageux de délester
     graduellement l'aérostat, sans avoir recours aux projections de
     sable ou à tout autre moyen employé habituellement dans les
     ascensions ordinaires.

     Enfin, l'appareil moteur est monté tout entier sur quelques roues
     mobiles en tous sens, ce qui permet de le transporter facilement
     à terre; cette disposition pourrait, en outre, être utile, dans
     le cas où la machine viendrait toucher le sol avec une certaine
     vitesse horizontale.

     Si l'aérostat était rempli de gaz hydrogène pur, il pourrait
     enlever en totalité 2 800 kilogrammes: ce qui lui permettrait
     d'emporter une machine beaucoup plus forte et un certain nombre
     de personnes. Mais, vu les difficultés de toutes espèces de se
     procurer un pareil volume, il est nécessaire d'avoir recours au
     gaz d'éclairage, dont la densité est, comme on sait, très
     supérieure à celle de l'hydrogène. De sorte que la force
     ascensionnelle totale de l'appareil se trouve diminuée de 1000
     kilogrammes et réduite à 1800 kilogrammes environ, distribués
     comme suit:

       Aérostat avec la soupape                                  320 kil.
       Filet                                                     150
       Traverse, corde de suspension, gouvernail, cordes
         d'amarrage                                              300
       Machine et chaudière vide                                 150
       Eau et charbon contenus dans la chaudière au moment
         du départ                                                60
       Châssis de la machine, brancard, planches, roues
       mobiles, bâches à eau et à charbon                        420
       Corde traînante pour arrêter l'appareil en cas d'accident  80
       Poids de la personne conduisant l'appareil                 70
       Force ascensionnelle nécessaire du départ                  10
                                                                ---------
                                                               1 560 kil.

     Il reste donc à disposer d'un poids de 248 kilogrammes, qu'il est
     prudent d'affecter uniquement à l'approvisionnement d'eau, de
     charbon, et par conséquent de lest. Tout ceci posé, le problème à
     résoudre pouvait être envisagé sous deux points de vue
     principaux, la suspension convenable d'une machine à vapeur et de
     son foyer sous un aérostat de forme nouvelle pleine de gaz
     inflammable, et la direction proprement dite de tout le système
     dans l'air.

     Sous le premier rapport, il y avait déjà des difficultés à
     vaincre. En effet, jusqu'ici les appareils aérostatiques enlevés
     dans l'atmosphère s'étaient bornés invariablement à des globes
     sphériques ou ballons, tenant suspendu par un filet un poids
     quelconque, soit une nacelle ou espèce de panier pouvant contenir
     une ou plusieurs personnes, soit tout autre objet plus ou moins
     lourd; toutes les expériences tentées en dehors de cette
     primitive et unique disposition avaient eu lieu, ce qui est
     infiniment plus commode et moins dangereux, sur de petits modèles
     tenus captifs par l'expérimentateur; le plus souvent elles
     étaient restées à l'état de projet ou de promesse.

     En l'absence de tout fait antérieur suffisamment concluant et
     malgré les indications de la théorie, je devais encore concevoir
     certaines craintes sur la stabilité de l'appareil; l'expérience
     est venue pleinement rassurer à cet égard, et prouver que
     l'emploi d'un aérostat allongé, le seul que l'on puisse espérer
     diriger convenablement, était, sous tous les autres rapports,
     aussi avantageux que possible, et que le danger résultant de la
     réunion du feu et d'un gaz inflammable pouvait être complètement
     illusoire.

     Pour le second point, celui de la direction, les résultats
     obtenus ont été ceux-ci: dans un air parfaitement calme, la
     vitesse du transport en tous sens est de 2 à 3 mètres par
     seconde; cette vitesse est évidemment augmentée ou diminuée, par
     rapport aux objets fixes, de toute la vitesse du vent, s'il y en
     a, et suivant qu'on marche avec ou contre, absolument comme pour
     un bateau montant ou descendant un courant quelconque; dans tous
     les cas, l'appareil a la faculté de dévier plus ou moins de la
     ligne du vent et de former avec celle-ci un angle qui dépend de
     la vitesse de ce dernier.

     Ces résultats sont d'ailleurs conformes à ceux que la théorie
     indique, et je les avais à peu près prévus d'avance à l'aide du
     calcul et des faits analogues relatifs à la navigation maritime.

     Telles sont les conditions dans lesquelles se trouve ce premier
     appareil; elles sont certainement loin d'être aussi favorables
     que possible; mais si l'on réfléchit aux difficultés de toute
     nature qui doivent entourer ces premières expériences, faites
     avec des moyens d'exécution excessivement restreints et à l'aide
     de matériaux incomplets et imparfaits, on sera convaincu que les
     résultats obtenus, quelque incomplets qu'ils soient encore,
     doivent conduire dans un avenir prochain à quelque chose de
     positif et de pratique. Pour cela que faut-il?

     Un appareil plus considérable, permettant l'emploi d'un moteur
     relativement beaucoup plus puissant, et ayant à sa disposition
     toutes les ressources pratiques accessoires sans lesquelles il
     lui est impossible de fonctionner convenablement.

     Je me propose, d'ailleurs, d'aller au-devant de toutes les
     objections, en faisant connaître les principes généraux,
     théoriques et pratiques, sur lesquels je crois que la navigation
     aérienne par la vapeur doit être basée.

     Les diverses explications que je viens de donner, me dispensent
     d'entrer dans de longs détails sur le voyage aérien que j'ai
     fait; je suis parti seul de l'Hippodrome, le 24, à cinq heures un
     quart; le vent soufflait avec une assez grande violence; je n'ai
     pas songé un seul instant à lutter directement contre le vent, la
     force de la machine ne me l'eût pas permis: cela était prévu
     d'avance et démontré par le calcul; mais j'ai opéré avec le plus
     grand succès diverses manoeuvres de mouvement circulaire et de
     déviation latérale.

     L'action du gouvernail se faisait parfaitement sentir, et à peine
     avais-je tiré légèrement une de ses deux cordes de manoeuvre, que
     je voyais immédiatement l'horizon tournoyer autour de moi; je
     suis monté à une hauteur de 1 500 mètres, et j'ai pu m'y
     maintenir horizontalement à l'aide d'un nouvel appareil que j'ai
     imaginé, et qui indique immédiatement le moindre mouvement
     vertical de l'aérostat.

     Cependant la nuit approchant, je ne pouvais rester plus longtemps
     dans l'atmosphère; craignant que l'appareil n'arrivât à terre
     avec une certaine vitesse, je commençai à étouffer le feu avec du
     sable; j'ouvris tous les robinets de la chaudière: la vapeur
     s'écoula de toutes parts avec un fracas horrible; j'eus un moment
     la crainte qu'il ne se produisît un phénomène électrique, et
     pendant quelques instants je fus enveloppé d'un nuage de vapeur
     qui ne me permettait plus de rien distinguer. J'étais en ce
     moment à la plus grande élévation que j'aie atteinte; le
     baromètre marquait 1800 mètres; je m'occupai immédiatement de
     regagner la terre, ce que j'effectuai très heureusement dans la
     commune d'Élancourt, près Trappes, dont les habitants
     m'accueillirent avec le plus grand empressement et m'aidèrent à
     dégonfler l'aérostat. À dix heures, j'étais de retour à Paris.
     L'appareil a éprouvé à la descente quelques avaries
     insignifiantes qui seront bientôt réparées, et alors je
     m'empresserai de renouveler cette expérience, soit par moi-même,
     soit en la confiant à l'habileté et à la hardiesse de mes
     collaborateurs. Je ne terminerai pas sans faire savoir que j'ai
     été puissamment secondé dans cette entreprise par MM. David et
     Sciama, ingénieurs civils, anciens élèves de l'École centrale;
     c'est grâce à leur dévouement sans bornes, aux sacrifices de
     toute espèce qu'ils se sont imposés, et à leur concours
     intelligent, que j'ai pu exécuter ma première expérience. Sans
     eux, il m'eût été probablement impossible de la mettre à
     exécution dans un avenir prochain.

     Je saisis avec empressement cette occasion de leur en témoigner
     publiquement toute ma reconnaissance; c'est pour moi un devoir et
     une vive satisfaction.

                                        HENRI GIFFARD.

Après sa magnifique tentative de 1852, Henri Giffard ne pensa qu'à
recommencer une nouvelle expérience dans des conditions plus
favorables encore. En 1855, il construit un nouveau ballon allongé,
qui peut être considéré comme un prodige de hardiesse. Cet aérostat
n'avait pas moins de 70 mètres de longueur et 10 mètres seulement de
diamètre au milieu. Il avait l'aspect d'un cigare à deux pointes. Il
cubait 3 200 mètres. Giffard modifia le système d'attache de la
machine à vapeur, fixa la traverse de bois à la partie supérieure du
navire aérien, dont il lui faisait embrasser la forme ovoïdale,
modifia très heureusement son moteur et s'éleva avec un des
aéronautes qui l'ont aidé dans ses constructions, M. Gabriel Yon,
que nous allons retrouver plus tard avec M. Dupuy de Lôme.

Le départ s'effectue de l'usine à gaz de Courcelles, et si M.
Giffard ne peut pas encore obtenir la direction absolue, il confirme
victorieusement ses premiers résultats, obtient la déviation
latérale du navire aérien, et à plusieurs reprises il le fait dévier
de la direction du vent par les mouvements combinés du gouvernail et
de l'hélice.

Au moment du départ, la machine était chauffée à toute pression, et
les spectateurs présents virent avec admiration l'appareil tenir tête
au vent pendant quelques instants. La descente fut périlleuse; par
suite de l'excès d'allongement, le ballon ne garda pas sa stabilité;
une de ses pointes se releva et le système eut la tendance à prendre
la position verticale. En touchant terre, l'aérostat sortit du filet,
qui tomba sur la tête des aéronautes. Il fit une seconde ascension et
retomba en se séparant en deux morceaux qui furent recueillis à une
faible distance du lieu de l'atterrissage.

C'est pendant cette même année 1855 que Giffard prit, à la date du 6
juillet, un second brevet sur son _système de navigation aérienne_.
Le texte de ce brevet, publié dans le _Génie industriel_ de MM.
Armengaud frères[98], est un monument aérostatique d'un puissant
intérêt. L'audacieux ingénieur étudie d'une façon très complète les
conditions de construction d'un aérostat allongé de la forme que
représente la gravure ci-dessous (fig. 84), dont nous donnons la
reproduction exacte, et d'un volume immense, de 220 000 mètres
cubes. La longueur totale de ce navire aérien devait être de 600
mètres et son diamètre au milieu de 30 mètres. Un tel aérostat, dont
la construction ne sera peut-être pas impossible dans l'avenir,
pourrait enlever un moteur de 30 000 kilogrammes, avec un excès de
force ascensionnelle considérable pour les voyageurs, le lest et les
approvisionnements. Henri Giffard démontre par le calcul que la
vitesse propre de ce navire pourrait atteindre 20 mètres par
seconde, et par conséquent dominer presque tous les vents.

         [Note 98: _Le Génie industriel_, Revue des inventions
         françaises et étrangères. Tome XXIXe, Paris, 1855, page 251.]

[Illustration: Fig. 84.--Projet d'un aérostat à vapeur gigantesque
de 600 mètres de longueur, étudié par Henri Giffard en 1856.]

Giffard se proposait de construire un aérostat semblable, en lui
donnant une pointe un peu plus effilée à l'arrière qu'à l'avant. La
forme de l'aérostat devait être maintenue rigide au moyen d'une
arête fixée sur le sommet et dans toute sa longueur.

     Cette pièce, dit Giffard, est destinée à résister à l'effort de
     compression qui résulte de l'inclinaison des cordes de
     suspension; elle peut être ronde, pleine, creuse, ou présenter
     une forme quelconque; on peut aussi, au lieu d'une, en placer
     deux, éloignées l'une de l'autre de quelques degrés; on pourrait
     enfin en placer une ou deux en un point quelconque du filet ou de
     la suspension, et même au-dessous de l'aérostat, pourvu qu'on
     arrive au résultat principal de soustraire l'aérostat à tout
     effort de compression. Toute la partie inférieure de l'aérostat
     est garnie sur toute la longueur, ou à peu près, d'une série de
     fils ou bandes, ou tissus élastiques et tendus. Cette élasticité
     a pour but de maintenir le tissu de l'aérostat dans un état
     continuel de tension, de s'opposer à toute rentrée d'air dans
     l'intérieur, et par suite à tout mélange de gaz et d'air, et de
     réduire la section transversale et, par suite, la résistance de
     l'air, proportionnellement au volume de gaz contenu, volume qui
     varie continuellement en raison de la hauteur, de la déperdition
     qui a eu lieu précédemment, de la température, et du vide
     primitif qui a pu être laissé à dessein au moment du départ.

Tout en faisant ces savantes études, le jeune ingénieur voulait
continuer à bien étudier en petit, les conditions de stabilité et de
fonctionnement dans l'air des aérostats allongés. En 1856, il avait
construit le navire aérien que représente la gravure ci-contre[99]
(fig. 85). Ce ballon, de très petit volume, était muni d'une hélice
que l'aéronaute devait lui-même faire fonctionner: il s'agissait
simplement de faire certaines observations expérimentales. On essaya
de remplir cet aérostat au moyen de gaz hydrogène, que préparait
alors un chimiste nommé M. Gillard en décomposant la vapeur d'eau
par le charbon, mais le gonflement ne put être achevé.

         [Note 99: La gravure que nous publions ici pour la première
         fois, est faite d'après l'épure originale de Giffard,
         actuellement en la possession de M. G. Yon.]

[Illustration: Fig. 85.--Petit aérostat allongé d'expérimentation
construit par Henri Giffard en 1856.]

Toutes ces expériences étaient fort coûteuses; Giffard dut les
abandonner. Il construisit avec Flaud, qui fonda alors l'atelier de
mécanique devenu depuis longtemps déjà l'un des établissements
industriels les plus importants de Paris, de remarquables petites
machines à vapeur à grande vitesse, qui lui rapportèrent bientôt une
centaine de mille francs. Le jeune ingénieur put rembourser ce que
lui avaient prêté ses amis David et Sciama (il eut malheureusement
la douleur de les perdre successivement l'un et l'autre). Il donna
bientôt naissance à l'injecteur des machines à vapeur, une des plus
étonnantes inventions de la mécanique moderne, qui devait faire sa
fortune.

Henri Giffard devint plusieurs fois millionnaire, mais il ne cessa
jamais d'être le travailleur modeste et simple qu'on avait pu
connaître au début de sa carrière. Les ballons restèrent sa
préoccupation constante et l'objet de ses travaux les plus assidus.
Il construisit le premier aérostat captif à vapeur, lors de
l'Exposition universelle de 1867. L'année suivante, il fit installer
à Londres un second aérostat captif qui cubait 12 000 mètres et qui
avait nécessité des constructions gigantesques. Ce matériel coûta
plus de 700 000 francs, que M. Henri Giffard perdit entièrement,
sans proférer une seule plainte. L'éminent ingénieur ne regrettait
jamais la dépense d'une expérience, si coûteuse qu'elle fût, parce
que, disait-il, on en tirait toujours quelque profit.

Henri Giffard fut ainsi conduit peu à peu à donner naissance au
grand ballon captif à vapeur de 1878, véritable monument
aérostatique, que l'on peut appeler une des merveilles de la
mécanique moderne. Tout le monde a encore présent à l'esprit ce
globe de 25 000 mètres cubes, qui enlevait dans l'espace quarante
voyageurs à la fois et ouvrit le panorama de Paris à plus de trente
mille personnes pendant la durée de l'Exposition. Tout était nouveau
dans cette oeuvre colossale, l'aéronautique s'y trouvait transformée
de toutes pièces: tissu imperméable, préparation en grand de
l'hydrogène, détails de construction modifiés et perfectionnés,
Henri Giffard avait tout calculé, tout essayé, tout réalisé. Sa
puissance de conception était inouïe; il pensait à tout et prévoyait
tout. C'était un expérimentateur émérite, un mathématicien éminent,
un esprit d'une ingéniosité exceptionnelle, un mécanicien hors
ligne.

Les grandes constructions aérostatiques, auxquelles il s'était si
vaillamment exercé, devaient lui permettre de réaliser le rêve de
toute sa vie, de reprendre son expérience de 1852, et d'apporter
enfin au monde la solution définitive du problème de la direction
des aérostats. Il avait conçu un projet grandiose, celui de la
construction d'un aérostat de 50 000 mètres cubes, muni d'un moteur
très puissant actionné par deux chaudières, l'une à gaz du ballon,
l'autre à pétrole, afin que les pertes de poids de force
ascensionnelle pussent s'équilibrer. La vapeur formée par la
combustion aurait été recueillie à l'état liquide dans un
condensateur à grande surface de manière à équilibrer les pertes
d'eau de la chaudière.

Que de fois mon regretté maître ne m'a-t-il pas donné dans ses
détails la description de ce monitor de l'air! Tout était calculé,
tout était prêt, jusqu'au million qui devait lui permettre de
l'exécuter, et que l'illustre ingénieur tenait toujours en réserve,
dans quelques-unes des grandes maisons de banque de Paris. D'autres
projets germaient encore dans son cerveau: voiture à vapeur,
locomotive à très haute pression, bateau à grande vitesse;
conceptions puissantes, étudiées avec une persévérance à toute
épreuve et marquées au sceau du génie.

L'ingénieur, venons-nous de dire, avait tout prévu. Mais au-dessus
de la volonté et de la prévoyance humaines, il y a les lois fatales
de la destinée: les plus forts doivent s'y soumettre. La maladie est
venue lutter contre les efforts du grand inventeur; sa vue
s'affaiblit, lui rendant tout travail impossible, ce qui le plongea
dans une douleur extrême. Il y avait un peu de l'athlète dans l'âme
de Giffard, et l'idée de se trouver réduit à l'impuissance, le
rendit inconsolable. Il s'enferma, et lui, qui avait tant aimé la
lumière, l'indépendance et l'action, il vécut dans la solitude et
s'éteignit graduellement, jusqu'au moment où, la tête affolée par la
douleur, il se donna la mort le 15 avril 1882, en respirant du
chloroforme.



II

DUPUY DE LÔME ET L'ÉTUDE DES AÉROSTATS À HÉLICE

     Projet d'un aérostat dirigeable pendant le siège de Paris. --
     Navire aérien à hélice de M. Dupuy de Lôme. -- Expérience du 2
     février 1872. -- Résultats obtenus. -- Projet de M. Gabriel Yon.


En 1870, après nos premières défaites et la chute de l'Empire, Dupuy
de Lôme, auquel la construction des premiers navires cuirassés avait
donné une réputation universelle, accepta de faire partie du Comité
de la défense, et il commença pendant le siège de Paris à s'occuper
d'aérostation. Il présenta à l'Académie des sciences un projet de
ballon dirigeable, pour l'exécution duquel le gouvernement de la
Défense nationale lui ouvrit un crédit de 40 000 francs (28 octobre
1870). Mais cet aérostat, en raison des difficultés de construction,
ne fut prêt que quelques jours avant la capitulation, et il ne
devait être expérimenté que deux ans plus tard. M. Dupuy de Lôme a
exposé en 1872 dans les termes suivants les motifs de ce retard:

     C'est le 29 octobre 1870, pendant le siège de Paris par les
     armées allemandes, que j'ai été chargé de faire exécuter pour le
     compte de l'État un aérostat dirigeable, conçu conformément aux
     vues que j'avais exposées à ce sujet à l'Académie des sciences
     dans les séances des 10 et 17 du même mois.

     J'ai accepté cette mission, sans me dissimuler les difficultés
     que j'allais rencontrer pour l'exécution de mon appareil dans
     Paris assiégé, avec son industrie désorganisée. Malgré mes
     efforts et ceux de mes collaborateurs principaux, M. Zédé,
     ingénieur de la marine, et M. Yon, aéronaute, je n'ai pu réussir
     assez à temps pour qu'il pût servir pendant le siège.

     Des obstacles insurmontables, tels que l'insurrection du 18 mars
     et le second siège de Paris, suivis d'autres incidents, m'ont
     contraint de retarder encore l'essai de mon aérostat. Ce n'est
     qu'au mois de décembre 1871 qu'il m'a été possible de le
     préparer, dans un local du Fort-Neuf de Vincennes mis à ma
     disposition par le ministre de la guerre. Une commission, nommée
     par le ministre de l'instruction publique, a été alors chargée de
     constater la remise à l'État de l'appareil, et de suivre l'essai
     que je demandais à en faire le plus tôt possible.

     Je rappelle que j'ai posé en principe que, pour obtenir un
     aérostat dirigeable, il faut d'abord satisfaire aux deux
     conditions ci-après:

     1º La permanence de la forme du ballon, sans ondulations
     sensibles de la surface de son enveloppe;

     2º La constitution, pour l'ensemble de l'aérostat, d'un axe de
     moindre résistance dans le sens horizontal, et dans une direction
     sensiblement parallèle à celle de la force poussante.

     J'ai satisfait à la condition de permanence de la forme au moyen
     d'un ventilateur porté et manoeuvré dans la nacelle, et mis en
     communication par un tuyau en étoffe avec un ballonnet placé à
     l'intérieur du ballon à sa partie basse. Le volume de ce
     ballonnet est le dixième de celui du grand ballon. Cette
     proportion permet de descendre de 866 mètres de hauteur, en
     maintenant le ballon gonflé malgré l'augmentation correspondante
     de la pression barométrique.

[Illustration: Fig. 86.--Épure de l'aérostat à hélice de Dupuy de
Lôme.]

     Ce ballonnet à air est muni d'une soupape s'ouvrant de dedans en
     dehors, et réglée par des ressorts, de telle façon que si l'on
     venait à souffler mal à propos, ce serait l'air insufflé qui
     s'échapperait du ballonnet par cette soupape plutôt que de le
     gonfler en refoulant l'hydrogène plus bas que l'extrémité
     inférieure des pendentifs. Le grand ballon est muni de deux de
     ces pendentifs ouverts à l'air libre et descendant à 8 mètres
     au-dessous du plan tangent à la partie basse du ballon.

L'aérostat de Dupuy de Lôme cubait 3 400 mètres; sa longueur de
pointe en pointe était de 36 mètres, son diamètre de 14{m},84 (fig.
86). Gonflé d'hydrogène pur, il avait une force ascensionnelle
considérable, et pouvait enlever huit hommes de manoeuvre destinés à
faire mouvoir l'hélice de propulsion, qui n'avait pas moins de 9
mètres de diamètre. Un gouvernail formé d'une voile triangulaire
était à l'arrière.

[Illustration: Fig. 87.--L'aérostat à hélice de Dupuy de Lôme,
expérimenté le 2 février 1872.]

L'expérience de ce grand navire aérien a été exécutée le 2 février
1872, dans le fort de Vincennes (fig. 87). Elle fut dirigée par M.
Dupuy de Lôme, accompagné de M. Zédé, officier de marine, de M. Yon,
et de huit hommes de manoeuvre. L'aérostat s'éleva assez rapidement.

     Dès que l'hélice a été mise en mouvement, l'influence du
     gouvernail s'est immédiatement fait sentir dans le sens voulu, ce
     qui prouvait déjà que l'aérostat avait une vitesse propre par
     rapport à l'air ambiant.

     L'anémomètre présenté au courant d'air à l'avant de la nacelle
     restait d'ailleurs immobile, tant que l'hélice était stoppée, et
     tournait dès que l'on faisait fonctionner l'hélice motrice; il
     prouvait donc ainsi que l'aérostat avait une vitesse propre sous
     l'influence de son moteur...

     La stabilité de la nacelle, due à son nouveau mode de suspension,
     a été parfaite; elle n'éprouvait _aucune oscillation_ sous
     l'action des huit hommes travaillant au treuil de l'hélice, et
     l'on pouvait se porter facilement plusieurs personnes à la fois à
     gauche et à droite, ou de l'avant à l'arrière, sans qu'on
     s'aperçoive d'aucun mouvement, pas plus que sur le parquet d'un
     salon.

     Évidemment le centre de gravité se déplaçant, il y avait un petit
     changement de quelques fractions de degré dans la verticale de
     tout le système, ballon et nacelle; mais il était impossible
     d'apercevoir un mouvement relatif de la nacelle par rapport au
     ballon, ni rien d'analogue aux oscillations d'une embarcation
     flottante dont l'équipage se déplace.

M. Dupuy de Lôme a constaté que le navire aérien, sous le jeu de
l'hélice, se déviait notablement de la ligne du vent, et il a pu
évaluer la vitesse propre du système à 2{m},80 à la seconde.

La descente eut lieu très favorablement au delà de Mondécourt, à 10
kilomètres un quart dans l'est, 17 degrés nord de Noyon.

     Il me paraît intéressant, ajoute le savant ingénieur, de relater
     ici le fait suivant, sans que j'y attache une importance
     exagérée; mais il est cependant de nature à corroborer la
     confiance que m'inspire la méthode employée pour mesurer les
     directions de route et les vitesses sur le sol.

     À 1{h},15', nous avions marqué de notre mieux notre point sur la
     carte de l'État-major; malheureusement, je n'ai pas réussi à ce
     moment à retrouver sur la terre la cour du Fort-Neuf de
     Vincennes, déjà trop éloignée. Quoi qu'il en soit, M. Zédé a
     tracé sur la carte, à partir du nouveau point de départ, les
     directions et les vitesses que je lui dictais, et quand, sur le
     point d'atterrir, nous nous sommes demandé quel pouvait être le
     village au-dessus duquel nous allions passer, M. Zédé, confiant
     dans sa route tracée sur la carte, nous répondit que ce devait
     être Mondécourt, sur les confins du département de l'Oise et de
     l'Aisne. Un instant après, les villageois, à qui nous demandions
     en passant sur leur tête quel était le nom de leur village, nous
     répétaient en criant le nom de Mondécourt.

D'après Dupuy de Lôme, le résultat de cette expérience peut se
résumer ainsi:

     1º Stabilité assurée malgré la forme oblongue, grâce au système
     du filet de balancine;

     2º Maintien de la forme au moyen du ballonnet à air;

     3º Faculté de maintenir le cap dans une direction voulue, quand
     l'hélice fonctionne, malgré quelques embardées dues en grande
     partie à l'inexpérience du timonier;

     4º Vitesse déjà importante imprimée à l'aérostat par rapport à
     l'air ambiant au moyen de l'hélice mue par huit hommes, cette
     vitesse s'étant élevée à 2{m},82 par seconde, ou 10-1/4
     kilomètres pour 27-1/2 tours d'hélice par minute;

[Illustration: Fig. 88.--Projet d'un aérostat à vapeur à double
hélice par M. Gabriel Yon.]

     5º Le rapport de la vitesse propre de l'aérostat au produit du
     pas de l'hélice par son nombre de tours est de 76 pour 100; dans
     mon exposé des plans de l'aérostat, j'avais écrit que ce rapport
     serait au moins de 74 pour 100. La résistance totale de
     l'aérostat, comparée à celle de l'hélice, est donc un peu moindre
     que je ne l'avais estimée;

     6º Les huit hommes employés pour obtenir ces 27-1/2 tours par
     minute développaient, en moyenne, un travail dont je n'ai pas la
     mesure exacte, mais que je ne saurais estimer à plus de 60
     kilogrammètres, surtout en raison du frottement anormal de
     l'arbre de l'hélice dans ses coussinets, dont j'ai parlé
     précédemment.

     Si l'on parvenait à se mettre bien à l'abri des dangers que
     présente une machine à feu portée par un ballon à hydrogène, on
     ferait facilement une machine de huit chevaux de 75
     kilogrammètres avec le poids des sept hommes, dont on pourrait
     diminuer le chiffre de l'équipage, en conservant seulement un
     mécanicien sur les huit hommes employés à tourner l'hélice. Le
     travail moteur serait ainsi de 600 kilogrammètres, c'est-à-dire
     dix fois plus grand, et la vitesse de 10-1/4 kilomètres à
     l'heure, obtenue le 2 février, s'élèverait avec le même aérostat
     à 22 kilomètres à l'heure. Le combustible et l'eau d'alimentation
     pourraient être prélevés sur le lest de consommation. On
     obtiendrait ainsi un appareil capable non seulement de se dévier
     du lit d'un vent d'un angle considérable par des vents
     ordinaires, mais pouvant même assez souvent faire route par
     rapport à la terre dans toutes les directions qu'il faudra
     suivre.

Dupuy de Lôme a publié, après son expérience, un mémoire volumineux
et d'un grand intérêt, où il étudie d'une façon magistrale les
conditions de fonctionnement des aérostats allongés munis de
propulseurs à hélice[100].

         [Note 100: Voy. _Aérostat à hélice_, par M. Dupuy de Lôme.
         In-4º, 1872.]

L'éminent ingénieur, par sa haute situation, sa notoriété et son
influence, aura rendu de grands services à la cause de la navigation
aérienne; sa parole était plus écoutée que celle des humbles
pionniers de la science qui, bien avant ses essais, avaient aussi la
conviction et la foi.

L'expérience de 1872 ne devait être d'ailleurs qu'une tentative
préliminaire, et Dupuy de Lôme, nous venons de le voir, a indiqué
que ses huit hommes de manoeuvre seraient remplacés par un moteur
mécanique.

C'est dans cette voie que M. Gabriel Yon, après l'essai de
l'aérostat à hélice, voulut s'engager. L'habile praticien a publié,
en 1880, un remarquable travail, où il propose d'exécuter un
aérostat à vapeur, dont nous donnons l'aspect d'après un modèle
construit en petit (fig. 88)[101]. M. Yon adopte, pour suspendre la
nacelle, un système analogue à celui de Dupuy de Lôme, il se sert de
deux hélices de propulsion, qu'il place de chaque côté de l'aérostat
et à son milieu. Ce projet est fort bien étudié, et l'auteur serait
très capable de le mener à bien, s'il avait entre les mains les
ressources financières nécessaires à une telle entreprise.

         [Note 101: _Note sur la direction des aérostats_, par M. L.
         Gabriel Yon. In-4º avec planches. Paris, Georges Chamerot,
         1880.]



III

LE PREMIER AÉROSTAT ÉLECTRIQUE

     Le petit aérostat dirigeable de l'Exposition d'électricité de
     Paris en 1881. -- Construction d'un navire aérien à propulseur
     électrique par MM. Tissandier frères. -- Expérience du 8 octobre
     1883. -- Deuxième expérience du 26 septembre 1884. -- Conclusion.


Au commencement de l'année 1881, l'expérience du bateau électrique
de M. G. Trouvé, dans lequel l'ingénieux constructeur employait un
petit moteur dynamo-électrique actionné par une pile au bichromate
de potasse de sa construction, me donna l'idée d'employer les
moteurs électriques à la navigation aérienne. Henri Giffard se
trouvait condamné par une maladie cruelle, il n'était plus possible
de compter sur ses efforts et sur son concours: je résolus
d'entreprendre des essais en petit à l'aide d'un modèle de dimension
restreinte. Il n'est pas inutile de rappeler ici les avantages au
point de vue aérostatique d'un moteur qui fonctionne sans feu, et
dont le poids reste constant: ces conditions sont des plus
favorables à la propulsion d'un ballon équilibré dans l'air[102].

         [Note 102: Nous renvoyons le lecteur désireux, d'avoir de
         plus amples détails à ce sujet, à la brochure que nous avons
         publiée sur les _Ballons dirigeables_ (Gauthier-Villars,
         éditeur).]

J'ai installé à l'Exposition d'électricité, en 1881, un petit ballon
allongé, gonflé d'air, qu'actionnait un minuscule moteur
dynamo-électrique sur la bobine duquel était fixée une hélice, par
l'intermédiaire d'une transmission à engrenage. Le générateur
d'électricité était formé par deux petits accumulateurs, que mon
savant ami Gaston Planté avait construits à mon usage. Ce petit
ballon, attelé à un manège, au milieu de la grande nef du palais de
l'Industrie, se mettait à tourner sous le jeu de son hélice, quand
on mettait le moteur en action, et il atteignait une vitesse de 3
mètres environ à la seconde, avec une force motrice de 1
kilogrammètre (fig. 89). Le petit aérostat pouvait être gonflé
d'hydrogène pur; il enlevait alors son moteur et son générateur.

Ces premiers essais étaient encourageants; ils me décidèrent à aller
au delà. Mon frère Albert Tissandier joignit alors ses efforts aux
miens, et c'est en collaboration, et à frais communs, que nous avons
construit le premier aérostat électrique qui ait enlevé des
voyageurs à l'air libre.

Voici la description succincte de notre appareil:

[Illustration: Fig. 89.--Petit aérostat électrique de M. Gaston
Tissandier à l'Exposition d'électricité en 1881.]

L'aérostat électrique a une forme semblable à celle des ballons de
M. Giffard et de M. Dupuy de Lôme; il a 28 mètres de longueur de
pointe en pointe, et 9{m},20 de diamètre au milieu. Il est muni, à
sa partie inférieure, d'un cône d'appendice terminé par une soupape
automatique. Le tissu est formé de percaline, rendue imperméable par
un nouveau vernis d'excellente qualité[103]. Le volume du ballon est
de 1 060 mètres cubes.

         [Note 103: Ce produit est préparé par M. Arnoul, fabricant de
         vernis à Saint-Ouen-l'Aumône.]

La nacelle a la forme d'une cage; elle a été construite à l'aide de
bambous assemblés, consolidés par des cordes et des fils de cuivre,
recouverts de gutta-percha (fig. 90). La partie inférieure de la
nacelle est formée de traverses en bois de noyer qui servent de
support à un fond de vannerie d'osier. Les cordes de suspension
enveloppent entièrement la nacelle; elles sont tressées dans la
vannerie inférieure et ont été préalablement entourées d'une gaine
de caoutchouc qui, en cas d'accident, les préserveraient du contact
du liquide acide contenu dans la nacelle, pour alimenter les piles.

[Illustration: Fig. 90.--Nacelle de l'aérostat électrique de MM.
Tissandier frères.]

Les cordes de suspension sont reliées horizontalement entre elles
par une couronne de cordage, située à deux mètres au-dessus de la
nacelle.

Les engins d'arrêt pour la descente, guide-rope et corde d'ancre,
sont attachés à cette couronne, qui a en outre pour but de répartir
également la traction.

La housse de suspension est formée de rubans cousus à des fuseaux
longitudinaux qui les maintiennent dans la position géométrique
qu'ils doivent occuper. Les rubans, ainsi disposés, s'appliquent
parfaitement sur l'étoffe gonflée et ne forment aucune saillie,
comme le feraient les mailles d'un filet. Il est très important de
n'avoir point à la surface d'un ballon dirigeable de parties
saillantes qui offrent à l'air une grande résistance.

La housse de suspension est fixée sur les flancs de l'aérostat, à
deux brancards latéraux flexibles, qui en épousent complètement la
forme, de pointe en pointe, en passant par l'équateur. Ces brancards
sont formés de minces lattes de noyer adaptées à des bambous sciés
longitudinalement; ils sont consolidés par des lanières de soie. À
la partie inférieure de la housse, des pattes d'oie se terminent par
vingt cordes de suspension qui s'attachent par groupe de cinq aux
quatre angles supérieurs de la nacelle.

Le gouvernail, formé d'une grande surface de soie non vernie,
maintenue à sa partie inférieure par un bambou, y est aussi adaptée
à l'arrière.

Le moteur est constitué par une machine dynamo de Siemens,
construite spécialement, et ayant une force de 100 kilogrammètres
sous le poids de 45 kilogrammes.--L'hélice de propulsion est à deux
palettes; elle est attelée à la machine par l'intermédiaire d'une
transmission à engrenage. Elle a 2{m},80 de diamètre et fait 180
tours à la minute. La pile au bichromate de ma construction est
formée de 24 éléments à grande surface de zinc et à grand débit.

Voici les poids des différentes parties de ce matériel:

  Aérostat, avec ses soupapes          170 kilogrammes
  Housse, avec le gouvernail et
  les cordes de suspension.             70     --
  Brancards flexibles latéraux.         34     --
  Nacelle                              100     --
  Moteur, hélice et piles avec
    le liquide pour les faire
    fonctionner pendant 2 h. 30        280     --
  Engins d'arrêt (ancre et guide-rope)  50     --
                                      -----
  Poids du matériel fixe.              704     --
  Deux voyageurs avec instruments      150     --
  Poids du lest enlevé                 386     --
                                      -----
                Poids total          1 240 kilogrammes

Depuis la fin de septembre 1882, l'appareil à gaz construit dans
notre atelier d'Auteuil était prêt à fonctionner, l'aérostat était
étendu sur le terrain, sous une longue tente mobile, afin de pouvoir
être gonflé immédiatement; la nacelle et le moteur étaient tout
arrimés sous un hangar qui les contenait; mon frère et moi, nous
n'attendions plus que le beau temps pour exécuter notre expérience.

Dès le samedi 6, une hausse barométrique a été signalée; le dimanche
7, le temps s'est mis au beau, avec vent faible: nous avons décidé
que l'expérience aurait lieu le lendemain, lundi 8 octobre 1883.

Le gonflement de l'aérostat a commencé à 8 h. du matin et a été
continué sans interruption jusqu'à 2 h. 30 de l'après-midi. Cette
opération a été facilitée par des cordes équatoriales qui pendaient
à droite et à gauche de l'aérostat, et le long desquelles on
descendait les sacs de lest. Le navire aérien étant tout à fait
gonflé (fig. 91), il a été procédé de suite à l'installation de la
nacelle et des réservoirs d'ébonite, contenant chacun 30 litres de
la dissolution acide de bichromate de potasse. À 3 h. 20 m., après
avoir entassé le lest dans la nacelle et avoir procédé à
l'équilibrage, nous nous sommes élevés lentement dans l'atmosphère
par un faible vent E. S. E.

La force ascensionnelle était, en comptant 10 kilogrammes d'excès de
force pour l'ascension, de 1 250 kilogrammes. Le volume du ballon
étant de 1 060 mètres, le gaz avait donc une force ascensionnelle de
1 180 grammes par mètre cube, résultat qui n'avait jamais été obtenu
jusqu'ici dans les préparations en grand de l'hydrogène.

À terre, le vent était presque nul, mais comme cela se présente
fréquemment, il augmentait de vitesse avec l'altitude, et nous avons
pu constater par la translation de l'aérostat au-dessus du sol qu'il
atteignait, à 500 mètres de hauteur, une vitesse de 3 mètres à la
seconde.

[Illustration: Fig. 91.--Expérience du premier aérostat électrique
de MM. Tissandier frères dans leur atelier d'Auteuil, le 8 octobre
1883. (D'après une photographie.)]

Mon frère était spécialement occupé à régler le jeu de lest, dans le
but de bien maintenir l'aérostat à une altitude constante et peu
éloignée de la surface du sol. L'aérostat a très régulièrement plané
à une hauteur de quatre ou cinq cents mètres au-dessus de la terre;
il est resté constamment gonflé, et le gaz en excès s'échappait même
par la dilatation, en ouvrant sous sa pression la soupape
automatique inférieure, dont le fonctionnement a été très régulier.

Quelques minutes après le départ, j'ai fait fonctionner la batterie
de piles au bichromate de potasse, composée de quatre auges à six
compartiments, formant vingt-quatre éléments montés en tension. Un
commutateur à mercure nous permet de faire fonctionner à volonté
six, douze, dix-huit ou vingt-quatre éléments, et d'obtenir ainsi
quatre vitesses différentes de l'hélice, variant de soixante à cent
quatre vingts tours par minute. Avec 12 éléments en tension, nous
avons constaté que la vitesse propre de l'aérostat dans l'air, était
insuffisante, mais au-dessus du bois de Boulogne, quand nous avons
fait fonctionner notre moteur à grande vitesse, à l'aide des 24
éléments, l'effet produit était tout différent. La translation de
l'aérostat devenait subitement appréciable, et nous sentions un vent
frais produit par notre déplacement horizontal. Quand l'aérostat
faisait face au vent, alors que sa pointe de l'avant était dirigée
vers le clocher de l'église d'Auteuil, voisine de notre point de
départ, il tenait tête au courant aérien et restait immobile, ce que
nous pouvions constater en prenant sur le sol des points de repère
au-dessous de notre nacelle.

Après avoir procédé aux expériences que nous venons de décrire, nous
avons arrêté le moteur, et l'aérostat a passé au-dessus du
Mont-Valérien. Une fois qu'il eut bien pris l'allure du vent, nous
avons recommencé à faire tourner l'hélice, en marchant cette fois
dans le sens du courant aérien; la vitesse de translation de
l'aérostat était accélérée; par l'action du gouvernail nous
obtenions facilement alors des déviations à gauche et à droite de la
ligne du vent. Nous avons constaté ce fait en prenant comme
précédemment des points de repère sur le sol; plusieurs observateurs
l'ont d'ailleurs vérifié, à la surface du sol.

À 4 h. 35 m., nous avons opéré notre descente dans une grande plaine
qui avoisine Croissy-sur-Seine; les manoeuvres de l'atterrissage ont
été exécutées par mon frère avec un plein succès. Nous avons laissé
l'aérostat électrique gonflé toute la nuit, et le lendemain, il
n'avait pas perdu la moindre quantité de gaz; il était aussi bien
gonflé que la veille. Peintres, photographes ont pu prendre l'aspect
de notre navire aérien, au milieu d'une foule nombreuse et
sympathique, que la nouveauté du spectacle avait attirée de toutes
parts.

Nous aurions voulu recommencer le jour même une nouvelle ascension;
mais le froid de la nuit avait déterminé la cristallisation du
bichromate de potasse dans nos réservoirs d'ébonite, et la pile, qui
était loin d'être épuisée, se trouvait cependant ainsi hors d'état
de fonctionner. Nous avons fait conduire l'aérostat à l'état captif
sur le rivage de la Seine près du pont de Croissy, et là, à notre
grand regret, nous avons dû procéder au dégonflement, et perdre en
quelques instants le gaz que nous avions mis tant de soins à
préparer.

Sans entrer dans de plus longs détails au sujet de notre
retour[104], nous pouvons conclure de cette première expérience:

         [Note 104: Nous dirons ici que notre matériel a pu être
         ramené à Paris sans que rien absolument ait subi la moindre
         avarie; grâce à un mode spécial de fermeture de nos
         réservoirs d'ébonite, pas une goutte de liquide n'a été
         répandue dans la nacelle, et pas un seul charbon mince de la
         pile n'a été cassé.]

Que l'électricité fournit à l'aérostat un moteur des plus
favorables, et dont le maniement dans la nacelle est d'une
incomparable facilité;

Que dans le cas particulier de notre aérostat électrique, quand
notre hélice de 2{m},80 de diamètre tournait avec une vitesse de 180
tours à la minute, avec un travail effectif de 100 kilogrammètres,
nous arrivions à tenir tête à un vent de 3 mètres environ à la
seconde et, en descendant le courant, à nous dévier de la ligne du
vent avec une grande facilité;

Que le mode de suspension d'une nacelle à un aérostat allongé, par
des sangles obliques maintenues au moyen de brancards latéraux
flexibles, assure une stabilité parfaite au système.

À la suite de l'ascension que nous avons exécutée le 8 octobre 1883,
nous avons dû modifier quelques parties du matériel et refaire
notamment de toutes pièces le gouvernail (fig. 92), dont le rôle
n'est pas moins important que celui du propulseur.

Nous avons exécuté, le vendredi 26 septembre 1884, un deuxième
essai; il a donné tous les résultats que nous pouvions attendre
d'une construction faite exclusivement dans un but d'étude
expérimentale. Notre aérostat, dont la stabilité n'a jamais rien
laissé à désirer, obéit à présent avec la plus grande sensibilité
aux mouvements du gouvernail, et il nous a permis d'exécuter
au-dessus de Paris des évolutions nombreuses dans des directions
différentes, et de remonter même, à plusieurs reprises, le courant
aérien avec vent debout, comme ont pu le constater des milliers de
spectateurs.

L'aérostat a été gonflé avec le grand appareil à gaz hydrogène dont
nous avons parlé précédemment. À 4 heures de l'après-midi, il était
entièrement arrimé et prêt à partir. Nous avons essayé à terre la
machine dynamo-électrique; mon frère et moi, nous sommes montés dans
la nacelle avec un ancien marin, notre cordier, M. Lecomte, qui,
ayant bien voulu se charger des manoeuvres du gouvernail, a pris
place à la partie supérieure de la cage de bambou, sur un petit banc
de vigie construit spécialement à cet effet. L'ascension a eu lieu à
4 h. 20 m., au milieu des applaudissements et des clameurs d'une
foule considérable réunie dans les environs. Mon frère Albert
s'était chargé du jeu de lest destiné à maintenir l'aérostat au même
niveau. M. Lecomte, tenant de chaque main les drosses du gouvernail,
faisait virer de bord selon la direction que nous voulions prendre;
quant à moi, je m'occupais spécialement de faire fonctionner le
moteur et de prendre le point.

[Illustration: Fig. 92.--Aérostat électrique de MM. Tissandier
frères avec son nouveau gouvernail.--Expérience du 26 septembre
1884.]

À 400 mètres d'altitude, nous avons été entraînés par un vent assez
vif du N. O., et aussitôt l'hélice a été mise en mouvement, d'abord
à petite vitesse; quelques minutes après, tous les éléments de la
pile montés en tension, ont donné leur maximum de débit. Grâce aux
dimensions plus volumineuses de nos lames de zinc et à l'emploi
d'une dissolution de bichromate de potasse plus chaude, plus acide
et plus concentrée, il nous a été donné de disposer d'une force
motrice effective de 1 cheval et demi environ, avec une rotation de
l'hélice de 190 à 200 tours à la minute.

L'aérostat a d'abord suivi presque complètement la ligne du vent,
puis il a viré de bord sous l'action du gouvernail et, décrivant une
demi-circonférence, il a navigué vent debout. Nous sentions alors un
air très vif qui soufflait avec assez de force et nous indiquait que
nous luttions contre le courant. En prenant des points de repère sur
la verticale, nous constations que nous nous rapprochions très
lentement, mais sensiblement, de la direction d'Auteuil, ayant une
complète stabilité de route. La vitesse du vent était environ de 3
mètres à la seconde, et notre vitesse propre, un peu supérieure,
atteignait à peu près 4 mètres à la seconde. Nous avons ainsi
remonté le vent au-dessus du quartier de Grenelle pendant plus de 10
minutes; ce mouvement d'évolution nous conduisit jusqu'au-dessus de
l'église Saint-Lambert.

Nous avions constaté avant notre ascension, par le lancement de
petits ballons d'essai, et par l'observation des nuages, que les
courants aériens supérieurs étaient trop rapides pour qu'il pût nous
être permis de revenir au point de départ; il nous eût été
d'ailleurs de toute impossibilité de descendre dans notre terrain
très exigu, et tout entouré d'arbres élevés et de constructions.

Après notre première évolution, la route fut changée et l'avant du
ballon tenu vers l'Observatoire; on nous vit recommencer dans le
quartier du Luxembourg une manoeuvre de louvoyage tout à fait
semblable à celle que nous avions exécutée précédemment, et
l'aérostat, la pointe avant contre le vent, a encore navigué
quelques minutes à courant contraire pour remonter ensuite d'une
façon très appréciable dans la direction du nord.

Après avoir séjourné pendant 45 minutes au-dessus de Paris, l'hélice
a été arrêtée à la hauteur du pont de Bercy, et l'aérostat laissé à
lui-même, tout en étant maintenu à une altitude à peu près
constante, a été aussitôt entraîné par un vent assez rapide. Il
passa au sud du bois de Vincennes. À partir de cette localité, il
nous a été facile de mesurer encore une fois, par le chemin parcouru
au-dessus du sol, notre vitesse de translation, et d'obtenir ainsi
très exactement celle du courant aérien lui-même. Cette vitesse
n'était pas constante; elle variait de 3 mètres à 5 mètres par
seconde, et a changé fréquemment pendant le cours de notre
expérience. Arrivés au-dessus de la Varenne-Saint-Maur, à 5 h. 50
minutes, nous avions tout disposé pour la descente, devenue
nécessaire par l'approche de la nuit. Le soleil se couchait
au-dessus des brumes, quand nous remarquâmes que le vent diminuait
sensiblement de vitesse. Mon frère me fit observer que puisque notre
pile était loin d'être épuisée, nous pourrions profiter de cette
accalmie pour recommencer de nouvelles évolutions, ne serait-ce que
pendant quelques minutes. Aussitôt je pris mes dispositions pour
remettre la machine en mouvement; nous vîmes alors l'aérostat obéir
facilement à son action, et remonter avec beaucoup plus de facilité
que précédemment, le courant aérien devenu momentanément presque
nul. Si nous avions eu encore une heure devant nous, il ne nous
aurait pas été impossible de revenir vers Paris.

Cette manoeuvre, à notre grand regret, dut être arrêtée promptement;
il ne fallait pas songer à retarder plus longtemps la descente.

L'atterrissage eut lieu près du bois Servon, à Marolles-en-Brie,
canton de Boissy-Saint-Léger (Seine-et-Oise), à une distance de 25
kilomètres du point de départ, après un séjour de 2 heures
consécutives dans l'atmosphère.

Le vent de terre était assez vif; notre guide-rope fut incapable de
nous arrêter. Il fallut jeter l'ancre, qui ne mordit pas
immédiatement, et notre nacelle eut à subir l'action de deux légers
chocs qui nous permirent d'éprouver la solidité de notre matériel.
Il n'y eut absolument rien d'endommagé.

La nouvelle disposition que nous avons adoptée mon frère et moi pour
le gouvernail, nous paraît devoir être signalée, comme très
favorable à la stabilité de route. Cet organe, confectionné en tissu
de percaline lustrée, est placé à la pointe-arrière extrême et il
fait sensiblement saillie au delà de cette pointe. Il est divisé en
deux parties bien distinctes; la moitié de sa surface, environ, est
maintenue rigide et constitue la quille du navire aérien, tandis que
le gouvernail proprement dit, qui forme la suite de cette quille,
peut être incliné à droite et à gauche et déterminer, quand l'hélice
est en rotation, un mouvement correspondant de tout l'appareil. Le
gouvernail et la quille, tendus par des cordelettes, sont montés sur
un châssis de bambou, relié d'une part aux brancards longitudinaux
de l'aérostat, et d'autre part à une pièce de bois de noyer très
solide, fixée au-dessous de l'hélice, à la partie inférieure de la
nacelle.

La translation de l'aérostat dans l'air est facilitée par la
rigidité de sa surface, et un ballon dirigeable doit être toujours
bien gonflé. Notre navire aérien est muni, à sa partie inférieure,
d'une soupape automatique qui favorise ces conditions. Elle est
réglée de telle sorte qu'elle augmente sensiblement la pression
intérieure, tout en permettant à l'excès de gaz formé par la
dilatation, de s'échapper au dehors.

L'ascension du 26 septembre 1884 aura donné une démonstration
expérimentale de la direction des aérostats fusiformes symétriques
avec hélice à l'arrière; et cela, sans qu'il ait été nécessaire de
rapprocher, dans la construction, les centres de traction et de
résistance. La disposition que nous avons adoptée favorise
considérablement la stabilité du système, sans exclure la
possibilité de confectionner des aérostats très allongés et de très
grande dimension, qui pourront seuls assurer l'avenir de la
locomotion atmosphérique.

Les expériences et les constructions dont nous venons de donner la
description, ont été exécutées avec des ressources tout à fait
insuffisantes, et si nous ne les continuons pas, c'est qu'elles
dépassent absolument la somme d'efforts que peuvent fournir des
expérimentateurs isolés, livrés à eux-mêmes, quelles que soient leur
énergie et leur volonté.

Il nous fallait, le jour de nos essais, recourir à des hommes de
manoeuvre inexpérimentés que nous devions chercher au hasard au
moment voulu, la veille de nos expériences, et qui parfois
entravaient nos opérations, au lieu de les faciliter; nous passions
la nuit sur notre terrain pour être prêts à faire nos préparatifs
vers trois heures du matin. Nous n'avions pas de hangar d'abri pour
remiser l'aérostat gonflé; nous étions contraints de tout faire par
nous-mêmes, mon frère s'occupant du gonflement, et moi de la
fabrication du gaz.

Ceux qui se contentent de faire des projets et de les esquisser sur
le papier, ne se doutent assurément pas des efforts qu'il faut
réaliser pour les mettre à exécution, dans le domaine expérimental.

Les dépenses que nous avons dû faire de nos propres deniers, ont
dépassé cinquante mille francs. Les subventions que nous avons
reçues de quelques sociétés savantes et de généreux donateurs, n'ont
pas atteint le chiffre de quatre mille francs.

Mais mon frère et moi, nous ne regrettons ni notre travail, ni nos
fatigues, ni notre argent, si nos essais ont pu apporter quelques
progrès à la navigation aérienne.



IV

LES EXPÉRIENCES DE CHALAIS-MEUDON

     Organisation d'usine aéronautique militaire à Chalais-Meudon. --
     M. le colonel Laussedat, président de la commission des
     Aérostats. -- Construction d'un aérostat dirigeable électrique
     par MM. C. Renard et A. Krebs. -- Expériences de 1884 et de 1885.


Après la funeste guerre de 1870, dès que l'on s'occupa de la
réorganisation de notre armée, le ministre de la guerre nomma une
commission d'aérostats sous la présidence de M. le colonel
Laussedat, qui avait pris l'initiative de la création d'un service
de ballons captifs. M. le colonel Laussedat s'occupa aussi de la
question des aérostats dirigeables, et plusieurs projets furent
étudiés avec le concours de M. le capitaine Renard et de M. le
capitaine de la Haye. Quelques années plus tard, M. le capitaine
Renard fut nommé directeur de l'usine de Chalais-Meudon, qui avait
été organisée préalablement, et dans laquelle on avait transporté
une des nefs de l'Exposition universelle de 1878. M. le capitaine
Krebs fut bientôt adjoint au capitaine Renard, et tous deux
construisirent en collaboration, à la suite de mes premiers essais
de l'Exposition d'électricité, un aérostat pisciforme muni d'une
hélice à l'avant. Cette hélice était actionnée par une machine
dynamo très puissante et une pile électrique aux bichromates
alcalins et de disposition spéciale.

Le 9 août 1884, MM. Renard et Krebs accomplirent pour la première
fois un voyage aérien à courbe fermée, pendant lequel il leur fut
possible de revenir à leur point de départ. Voici en quels termes
ils ont communiqué à l'Académie des sciences le résultat de cette
mémorable expérience dans une note qui a été présentée à l'Assemblée
par un de ses membres les plus éminents, M. Hervé Mangon[105]:

         [Note 105: Note présentée à l'Académie des sciences, le 18
         août 1884.]

     Un essai de navigation aérienne, couronné d'un plein succès,
     vient d'être accompli dans les ateliers militaires de Chalais.

     Le 9 août, à 4 heures du soir, un aérostat de forme allongée,
     muni d'une hélice et d'un gouvernail, s'est élevé en ascension
     libre, monté par MM. le capitaine du génie Renard, directeur de
     l'établissement, et le capitaine d'infanterie Krebs, son
     collaborateur depuis six ans. Après un parcours total de 7{km},6,
     effectué en vingt-trois minutes, le ballon est venu atterrir à
     son point de départ, après avoir exécuté une série de manoeuvres
     avec une précision comparable à celle d'un navire à hélice
     évoluant sur l'eau.

     La solution de ce problème, tentée déjà en 1855, en employant la
     vapeur, par M. Henri Giffard[106], en 1872 par M. Dupuy de Lôme,
     qui utilisa la force musculaire des hommes, et enfin l'année
     dernière par M. Tissandier, qui le premier a appliqué
     l'électricité à la propulsion des ballons, n'avait été, jusqu'à
     ce jour, que très imparfaite, puisque, dans aucun cas, l'aérostat
     n'était revenu à son point de départ.

         [Note 106: Nous rectifierons ici une légère erreur de date.
         La première expérience de H. Henri Giffard dans un aérostat à
         vapeur à hélice a été exécutée, comme on l'a vu précédemment,
         en 1852.]

     Nous avons été guidés dans nos travaux par les études de M. Dupuy
     de Lôme, relatives à la construction de son aérostat de 1870-72,
     et de plus, nous nous sommes attachés à remplir les conditions
     suivantes:

     Stabilité de route obtenue par la forme du ballon et la
     disposition du gouvernail; diminution des résistances à la marche
     par le choix des dimensions; rapprochement des centres de
     traction et de résistance pour diminuer le moment perturbateur de
     stabilité verticale; enfin, obtention d'une vitesse capable de
     résister aux vents régnant les trois quarts du temps dans notre
     pays.

     L'exécution de ce programme et les études qu'il comporte ont été
     faites par nous en collaboration; toutefois, il importe de faire
     ressortir la part prise plus spécialement par chacun de nous dans
     certaines parties de ce travail.

     L'étude de la disposition particulière de la chemise de
     suspension, la détermination du volume du ballonnet, les
     dispositions ayant pour but d'assurer la stabilité longitudinale
     du ballon, le calcul des dimensions à donner aux pièces de la
     nacelle, et enfin l'invention et la construction d'une pile
     nouvelle, d'une puissance et d'une légèreté exceptionnelles, ce
     qui constitue une des parties essentielles du système, sont
     l'oeuvre personnelle de M. le capitaine Renard.

     Les divers détails de construction du ballon, son mode de réunion
     avec la chemise, le système de construction de l'hélice et du
     gouvernail, l'étude du moteur électrique calculé d'après une
     méthode nouvelle basée sur des expériences préliminaires,
     permettant de déterminer tous ses éléments pour une force donnée,
     sont l'oeuvre de M. Krebs, qui, grâce à des dispositions
     spéciales, est parvenu à établir cet appareil dans les conditions
     de légèreté inusitées.

     Les dimensions principales du ballon sont les suivantes:
     longueur, 50{m},42; diamètre, 8{m},40; volume, 1864 mètres.

     L'évaluation du travail nécessaire pour imprimer à l'aérostat une
     vitesse donnée a été faite de deux manières:

     1º En partant des données posées par M. Dupuy de Lôme et
     sensiblement vérifiées dans son expérience de février 1872; 2º en
     appliquant la formule admise dans la marine pour passer d'un
     navire connu à un autre de formes très peu différentes et en
     admettant que, dans le cas du ballon, les travaux sont dans le
     rapport des densités des deux fluides.

     Les quantités indiquées en suivant ces deux méthodes concordent à
     peu près et ont conduit à admettre, pour obtenir une vitesse par
     seconde de 8 à 9 mètres, un travail de traction utile de 5
     chevaux de 75 kilogrammètres, ou, en tenant compte des rendements
     de l'hélice et de la machine, un travail électrique sensiblement
     double, mesuré aux bornes de la machine.

     La machine motrice a été construite de manière à pouvoir
     développer sur l'arbre 8,5 chevaux, représentant, pour le courant
     aux bornes d'entrée, 12 chevaux. Elle transmet son mouvement à
     l'arbre de l'hélice par l'intermédiaire d'un pignon engrenant
     avec une grande roue.

     La pile est divisée en quatre sections pouvant être groupées en
     surface ou en tension de trois manières différentes. Son poids,
     par cheval-heure, mesuré aux bornes, est de 19{kg},350.

     Quelques expériences ont été faites pour mesurer la traction au
     point fixe, qui a atteint le chiffre de 60 kilogrammes pour un
     travail électrique développé de 840 kilogrammes et de 46 tours
     d'hélice par minute

     Deux sorties préliminaires dans lesquelles le ballon était
     équilibré et maintenu à une cinquantaine de mètres au-dessus du
     sol ont permis de connaître la puissance de giration de
     l'appareil. Enfin, le 9 août, les poids enlevés étaient les
     suivants (force ascensionnelle totale environ 2 000 kilogrammes):

       Ballon et ballonnet         369kg
       Chemise et filet            127
       Nacelle complète            452
       Gouvernail                   46
       Hélice                       41
       Machine                      98
       Bâti et engrenage            47
       Arbre moteur                 30,500
       Pile, appareils et divers   435,500
       Aéronautes                  140
       Lest                        214
                                  --------
           Total                 2 000kg

     À 4 heures du soir, par un temps presque calme, l'aérostat,
     laissé libre et possédant une très faible force ascensionnelle,
     s'élevait lentement jusqu'à hauteur des plateaux environnants. La
     machine fut mise en mouvement, et bientôt, sous son impulsion,
     l'aérostat accélérait sa marche, obéissant fidèlement à la
     moindre indication de son gouvernail.

     La route fut d'abord tenue nord-sud, se dirigeant sur le plateau
     de Châtillon et de Verrières; à hauteur de la route de Choisy à
     Versailles, et pour ne pas s'engager au-dessus des arbres, la
     direction fut changée et l'avant du ballon dirigé sur Versailles.

     Au-dessus de Villacoublay, nous trouvant éloignés de Chalais
     d'environ 4 kilomètres et entièrement satisfaits de la manière
     dont le ballon se comportait en route, nous décidions de revenir
     sur nos pas et de tenter de descendre sur Chalais même, malgré le
     peu d'espace découvert laissé par les arbres. Le ballon exécuta
     son demi-tour sur la droite avec un angle très faible (environ
     11°) donné au gouvernail. Le diamètre du cercle décrit fut
     d'environ 300 mètres. Le dôme des Invalides, pris comme point de
     direction, laissait alors Chalais un peu à gauche de la route.

     Arrivé à hauteur de ce point, le ballon exécuta, avec autant de
     facilité que précédemment, un changement de direction sur sa
     gauche; et bientôt il venait planer à 300 mètres au-dessus de son
     point de départ. La tendance à descendre que possédait le ballon
     à ce moment fut accusé davantage par une manoeuvre de la soupape.
     Pendant ce temps il fallut, à plusieurs reprises, faire machine
     en arrière et en avant, afin de ramener le ballon au-dessus du
     point choisi pour l'atterrissage. À 80 mètres au-dessus du sol,
     une corde larguée du ballon fut saisie par des hommes, et
     l'aérostat fut ramené dans la prairie même d'où il était parti.

       Chemin parcouru avec la machine, mesuré sur
         le sol                                              7{km},600
       Durée de cette période                               23{m}
       Vitesse moyenne à la seconde                          5{m},50
       Nombre d'éléments employés                           32
       Force électrique dépensée aux bornes à la machine   250{kgm}
       Rendement probable de la machine                      0,70
       Rendement probable de l'hélice                        0,70
       Rendement total, environ                            1/2
       Travail de traction                                 123{kgm}
       Résistance approchée du ballon                       22{kil},800

     À plusieurs reprises, pendant la marche, le ballon eut à subir
     des oscillations de 2° à 3° d'amplitude, analogues au tangage;
     ces oscillations peuvent être attribuées soit à des irrégularités
     de forme, soit à des courants d'air locaux dans le sens vertical.

     Ce premier essai sera suivi prochainement d'autres expériences
     faites avec la machine au complet, permettant d'espérer des
     résultats encore plus concluants.

Nous ajouterons à cette notice quelques détails complémentaires sur
l'aérostat électrique de Chalais-Meudon.

[Illustration: Fig. 93.--L'aérostat dirigeable électrique de MM. les
capitaines Renard et Krebs, expérimenté le 9 août 1884.]

Le ballon proprement dit est enveloppé d'une housse ou chemise de
suspension, dans laquelle il se trouve parfaitement sanglé de toutes
parts, sauf à la partie inférieure. L'avant est d'un diamètre plus
considérable que l'arrière, exactement comme le représente notre
gravure, exécutée d'après nature (fig. 93). La nacelle est formée de
quatre perches rigides de bambous, reliées entre elles par des
montants transversaux. Elle a environ 33 mètres de longueur, et 2
mètres de hauteur au milieu. Trois petites fenêtres latérales sont
réservées vers le milieu, afin que les aéronautes puissent voir
l'horizon et distinguer la terre. Cette nacelle, très légère et de
forme élégante, est recouverte de soie de Chine tendue sur ses
parois. Cette enveloppe a pour but de diminuer la résistance de
l'air, et de faciliter le passage du système à travers le milieu
ambiant. L'hélice est à l'avant de la nacelle; elle est formée de
deux palettes, et a environ 7 mètres de diamètre; elle est faite à
l'aide de deux tiges de bois reliées entre elles par des lattes
recourbées suivant épure géométrique, et recouverte d'un tissu de
soie vernie parfaitement tendu.

La nacelle est reliée à l'aérostat par une série de cordes de
suspension très légères réunies, entre elles au moyen d'une corde
longitudinale qui, attachée vers le milieu, donne de la rigidité au
système. Le gouvernail, placé à l'arrière, est à peu près
rectangulaire, ses deux surfaces en étoffe de soie, bien tendues,
forment légèrement saillie, en pyramides à 4 faces de très faible
hauteur. Le navire aérien est muni de deux tuyaux qui descendent
dans la nacelle; l'un de ces tuyaux est destiné à remplir d'air le
ballonnet compensateur, au moyen d'un ventilateur que l'on fait
fonctionner dans la nacelle; le second tuyau sert probablement à
assurer une issue à l'excès de gaz produit par la dilatation. À
l'arrière de la nacelle, deux grandes palettes en forme de rames
sont fixées horizontalement. L'hélice est actionnée par une machine
dynamo-électrique, et le générateur d'électricité est une pile au
sujet de laquelle M. le capitaine Renard a voulu garder le secret.
On nous a assuré qu'elle est constituée par une pile au bichromate
de potasse ou de soude, analogue à celle que nous avons employée.

Le 28 octobre 1884, les expérimentateurs renouvelèrent une nouvelle
expérience qui réussit très favorablement. Il leur fut donné de
faire deux ascensions dans la même journée et de revenir deux fois
au point de départ (fig. 94).

[Illustration: Fig. 94.--Cartes des deux ascensions exécutées par
MM. C. Renard et Krebs le 28 octobre 1884.]

À la fin de l'année 1884, M. le capitaine Krebs fut réintégré dans
le corps des sapeurs-pompiers, M. le capitaine Renard ne cessa pas,
alors, de perfectionner le matériel. Il fit construire par M. Gramme
une nouvelle machine dynamo-électrique, et modifia quelque peu la
batterie.

C'est le 25 août 1885 que M. le capitaine Renard a exécuté, avec le
concours de son frère, une nouvelle expérience dans l'aérostat
dirigeable. L'ascension a eu lieu vers quatre heures; le vent était
assez vif, mais l'aérostat dirigeable, sous le jeu de son hélice,
n'en a pas moins résisté au courant aérien; il a pu accomplir avec
plein succès de nombreuses manoeuvres de direction, sans toutefois
revenir à son point de départ. L'atterrissage a eu lieu dans
l'enclos de la ferme Villacoublay, près du Petit-Bicêtre.

Le 22 septembre 1885, un autre essai donna un résultat satisfaisant.
L'aérostat dirigeable s'avança jusque vers les fortifications de
Paris dans le voisinage du Point-du-Jour, et revint avec la plus
grande facilité à son point de départ.

Ces expériences, toujours entreprises par temps calme, ont été
favorisées par le hangar d'abri où le navire aérien attend tout
gonflé le moment favorable: elles n'en constituent pas moins un des
plus grands résultats de la science moderne.



V

L'AVENIR DE LA NAVIGATION AÉRIENNE

     Conclusions à tirer des essais exécutés dans les aérostats
     allongés à hélice. -- Avantages des grands ballons. -- La
     question du propulseur. -- Propulseur à ailes de M. Pompéien
     Piraud. -- Propulseur de M. Debayeux. -- L'hélice. -- L'avenir
     des navires aériens à hélice.


On a vu, par les expériences dont nous avons précédemment donné le
récit, que des aérostats allongés munis d'un propulseur à hélice,
ont pu successivement atteindre des vitesses propres de trois,
quatre, cinq et six mètres par seconde, et se diriger d'une façon
complète, pendant une durée limitée et par temps calme.

Le progrès est tout indiqué par ces essais; il faut s'efforcer de
construire des moteurs plus légers qui, sous le même poids,
produiront une force plus considérable, et donneront au navire
aérien une vitesse propre, capable de lui permettre de fonctionner
par un vent d'une intensité appréciable.

Nous ferons remarquer que l'on aura en outre tout avantage à
construire de très grands aérostats, _parce que la résistance
n'augmente que comme leur surface et la force ascensionnelle comme
le cube des dimensions_.

Les objections qui ont été faites à la possibilité de diriger les
aérostats, sont tombées successivement devant l'expérience. Le
ballon, a-t-on dit, ne peut pas trouver de point d'appui dans l'air.
Erreur complète: l'aérostat à hélice prend son point d'appui dans
l'air, exactement comme un bateau sous-marin à hélice entièrement
immergé dans l'eau, le trouve dans l'eau; il n'y a de différence que
celle qui résulte de la densité des deux fluides. Tandis que
l'hélice du bateau est petite, celle du ballon doit être grande. Le
ballon, a-t-on dit encore, sera incapable de résister à la pression
de l'air: il sera écrasé, mis en pièces, par son passage à travers
le milieu ambiant. Erreur complète. Quand l'aérostat a une forme
allongée, que son étoffe est rigide par la tension du gaz, il peut
très bien pénétrer avec vitesse dans l'air où il se meut; cela sera
d'autant plus facile à réaliser que les aérostats dirigeables seront
plus volumineux, et que leur étoffe sera plus solide. On a rappelé à
ce propos que le ballon captif de Henri Giffard avait été éventré
par le vent; mais cette objection est profondément injuste, car ce
grand aérostat a fonctionné pendant toute une saison, sans aucune
avarie; il a résisté à terre à de très grands vents, quand il était
bien gonflé, et il n'a été déchiré que par une véritable tempête,
qui enlevait les toits, alors qu'on avait négligé le soin de le
tenir plein. De ce qu'un navire à vapeur est englouti par un
cyclone, on n'en conclut pas qu'il faut renoncer à la navigation
maritime.

On sera conduit à se demander, pour aller plus loin dans la
construction des aérostats dirigeables, s'il n'y a pas une meilleure
forme à leur donner que celles qui ont été essayées jusqu'ici. Nous
croyons que la forme adoptée par les officiers de Chalais-Meudon est
excellente; mais on pourra arriver par la suite à un allongement du
navire aérien plus considérable encore.

[Illustration: Fig. 95.--Projet d'un propulseur à ailes de M.
Pompéien Piraud.]

Quant au propulseur, il n'y a pas à hésiter à adopter l'hélice, qui
offre jusqu'ici les meilleures conditions de fonctionnement. Dans
ces dernières années, deux tentatives de construction d'aérostats
allongés, dont les propulseurs étaient des systèmes autres que les
hélices, ont été faites, et n'ont pas donné de bon résultats. En
1883, M. Pompéien Piraud se proposa d'expérimenter un ballon
fusiforme, qu'une machine à vapeur devait faire fonctionner au moyen
d'ailes battantes (fig. 95). Cette machine ne fut jamais construite,
et l'inventeur fit une ascension à Valence, le 14 juillet 1883, avec
une nacelle ordinaire. Il n'y eut donc pas essai de direction. Nous
reproduisons l'expérience de Valence d'après une photographie
instantanée[107] qui montre que l'aérostat réel était loin de
ressembler au projet figuré dans le travail de M. Pompéien
Piraud[108] (fig. 96).

         [Note 107: Cette photographie nous a été communiquée par un
         habile praticien, M. Peyrouze.]

         [Note 108: _Navigation aérienne_, direction des ballons.
         Notes sur le ballon et l'appareil de direction et d'aviation
         inventé et construit par J. C. Pompéien Piraud, 1 broch.
         in-8º, Lyon, 1885.]

Une autre tentative de navigation aérienne a été faite récemment par
M. Debayeux, qui avait d'abord construit un petit aérostat
d'expérimentation. Ce modèle consistait en un ballon cylindrique,
terminé par deux parties hémisphériques. Un moulinet placé à
l'avant, faisait appel d'air, et déterminait la marche du système.
Nous avons assisté aux essais, et nous n'avons, nous devons
l'avouer, jamais compris les théories de l'auteur, qui prétendait
avoir trouvé un principe nouveau.

Le moulinet, a dit M. Alfred Chapel, qui s'est chargé d'expliquer le
système Debayeux, agit de trois manières à la fois:

[Illustration: Fig. 96.--Expérience de M. Pompéien Piraud, exécutée
à Valence le 14 juillet 1884. (D'après une photographie
instantanée.)]

     1º En produisant un vide partiel devant le ballon où celui-ci
     tombe; 2º En aspirant l'air ou le vent, le moulinet projette cet
     air aspiré du centre à la circonférence, de sorte que le ballon
     est soustrait à la pression du vent. 3º L'air lancé dans le
     rayonnement forme bientôt une espèce de chemise à l'aérostat,
     capable de former une barrière assez puissante contre les vents
     obliques (fig. 97).

[Illustration: Fig. 97.--Schéma du propulseur de M. Debayeux.]

Si l'on admet cette explication, on peut l'appliquer à tout
propulseur hélicoïdal, et le moulinet Debayeux ne saurait exclure la
nécessité d'avoir une force motrice puissante pour le faire
fonctionner avec quelque efficacité.

M. Debayeux trouva des capitalistes, parmi lesquels nous citerons un
représentant d'Edison, et M. Frédéric Gower, l'inventeur du système
de téléphone qui porte son nom, et qui s'est perdu en mer pendant le
cours d'une ascension exécutée à Cherbourg, le 18 juillet 1885. M.
Debayeux fit édifier à Villeneuve-Saint-Georges un grand hangar de
remisage qui ne coûta pas moins de 30 000 francs. Il construisit un
aérostat en baudruche, substance très coûteuse et peu avantageuse,
de 3 000 mètres cubes, et le munit du moulinet d'aspiration et d'une
machine motrice de 5 chevaux, comme le montre notre gravure faite
d'après une photographie qui nous a été communiquée par M. Gower
(fig. 98). On essaya d'abord d'expérimenter le système à l'état
captif, mais on s'aperçut que l'aérostat manquait de stabilité, que
la machine ne fonctionnait pas bien. Il fallut renoncer à ces
essais, qui ont coûté plus de 200 000 francs.

Il n'y a certainement aucun intérêt à abandonner l'hélice, qui est
le meilleur des propulseurs, ni à sortir de la voie qui a été tracée
par Giffard, étudiée par Dupuy de Lôme, et mise en pratique par MM.
Tissandier frères et les capitaines Renard et Krebs au moyen des
moteurs électriques.

[Illustration: Fig. 98.--Aérostat construit par M. Debayeux.
(D'après une photographie communiquée par M. F. Gower.)]

Il n'y a plus qu'à faire encore un pas en avant avec des appareils
plus puissants, plus légers et des aérostats plus volumineux. Les
moteurs électriques tels qu'ils existent aujourd'hui, nécessitent un
générateur d'électricité, une pile primaire ou secondaire, dont le
poids est malheureusement encore assez considérable. Ils offrent des
avantages incontestables, au point de vue de la constance de poids,
de l'absence du feu et de la facilité de mise en marche et d'arrêt,
mais il n'est assurément pas impossible de recourir aux machines à
vapeur pour les navires aériens de grande puissance. Le danger du
feu pourrait être évité, en prenant des dispositions spéciales, en
isolant le foyer dans un treillis de toiles métalliques, par
exemple. Quant à la diminution de poids résultant de l'évaporation
de l'eau et de la combustion du charbon, elle serait réduite à son
minimum en employant des condenseurs à grande surface qui feraient
liquéfier la vapeur entraînée. Si l'on recourait au pétrole pour
alimenter la chaudière, la vapeur d'eau fournie par la combustion de
l'hydrocarbure, devrait être également condensée.

Les moteurs à gaz pourraient être encore étudiés très
avantageusement au point de vue de la navigation aérienne; il ne
serait pas impossible de simplifier leurs organes pour les rendre
beaucoup moins massifs et moins lourds que ceux dont l'industrie
fait usage. Les moteurs à acide carbonique et à air comprimé doivent
être aussi considérés comme dignes d'être expérimentés dans ce but
spécial.

Nous avons la persuasion qu'un avenir immense s'ouvre à la
navigation aérienne. Une fois qu'elle sera mise en pratique, on
verra les perfectionnements et les progrès se succéder, et les
machines motrices qu'elle exigera, devenant de plus en plus légères,
on en arrivera peut-être à pouvoir aborder résolument la
construction d'appareils plus lourds que l'air.

En attendant, les aérostats à hélice seront à même de fournir de
nouvelles et puissantes ressources à l'activité humaine: engins de
guerre formidables, ils permettront en outre à l'explorateur
d'aborder par la voie des airs les régions inaccessibles comme le
pôle Nord; ils donneront aux voyageurs le moyen de se transporter
d'un point à un autre avec une vitesse inouïe, quand la vitesse
propre du navire aérien s'ajoutera à celle d'un vent favorable.

Mais pour voir s'accomplir une telle révolution industrielle, il
faut se mettre à l'oeuvre; il faut ici, comme dans toutes les
créations, se rappeler que le secret du succès réside dans un mot
que prononçait Stephenson à la fin de sa vie, et qu'il donnait à des
ouvriers comme le talisman des grandes choses. Ce mot est le
suivant:

     PERSÉVÉRANCE.



TABLE DES GRAVURES


Frontispice

   1. Bronze égyptien représentant un homme volant                   4

   2. Appareil volant de Besnier. Reproduction par l'héliogravure
      de la figure du _Journal des sçavans_ (1678)                   9

   3. Machine volante électrique figurée dans le _Philosophe
      sans prétention_ (1775)                                       15

   4. Fac-similé des dessins de Léonard de Vinci sur les
      ailes artificielles                                           21

   5. Principe de l'hélicoptère. Dessin de Léonard de Vinci.        25

   6. Principe du parachute. Dessin de Léonard de Vinci.            26

   7. Le parachute de Venise (1617) d'après une gravure du
      temps                                                         28

   8. Le navire aérien du père Lana (1670). Reproduction par
      l'héliogravure de la gravure authentique                      33

   9. La voiture volante de Blanchard (d'après une gravure
      publiée en juillet 1782)                                      53

  10. Caricature sur la voiture aérienne ou vaisseau volant de
      Blanchard. (D'après une gravure du temps)                     55

  11. Oiseau figuré par Borelli                                     66

  12. Insecte mécanique de M. Marey                                 72

  13. Machine volante de Gérard (1784)                              78

  14. Projet d'homme-volant de Meerwein (1784)                      79

  15. Appareil volant de Degen (1812)                               81

  16. Appareil de Degen, figuré en plan                             81

  17. Machine volante de Kaufmann (1860)                            93

  18. Appareil volant d'Edison                                      94

  19. Oiseau artificiel de Le Bris (1857)                           95

  20. Oiseau artificiel d'Alphonse Pénaud (1871)                    99

  21. Oiseau mécanique de M. Victor Tatin (1876)                   101

  22. Appareil de M. Victor Tatin pour l'étude du mouvement
      des ailes                                                    103

  23. Oiseau mécanique de Brearey (1879)                           105

  24. Hélicoptère de Launoy et Bienvenu (1784)                     108

  25. Hélicoptère de sir George Cayley (1796)                      111

  26. Hélicoptère à vapeur de M. de Ponton d'Amécourt              118

  27. Projet de navire aérien à hélice attribué à M. de La
      Landelle                                                     120

  28. Hélicoptère à ressort de caoutchouc d'Alphonse Pénaud
      (1870)                                                       121

  29. Hélicoptère-jouet de M. Dandrieux                            122

  30. Hélicoptère à vapeur de M. Forlanini (1878)                  123

  31. Premier parachute de Sébastien Lenormand                     129

  32. Mort de Cocking le 26 septembre 1836                         133

  33. Appareil de Letur (1854)                                     135

  34. Machine volante de de Groof                                  138

  35. Machine aérienne à vapeur de Henson                          141

  36. Aéroplane d'Alphonse Pénaud                                  143

  37. Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin, expérimenté
      en 1879                                                      144

  38. Aéroplane de Michel Loup (1852)                              146

  39. Aéroscaphe de Louvrié                                        147

  40. Aéroplane monté sur roue de M. du Temple (1857)              147

  41. Aéroplane de Thomas Moy (1871)                               148

  42. Aérostat dirigeable de Blanchard (1784)                      154

  43. L'aérostat dirigeable l'_Académie de Dijon_, expérimenté
      par Guyton de Morveau en 1784                                157

  44. La montgolfière dirigeable de Miolan et Janinet              159

  45. Projet d'aérostat dirigeable du général Meusnier (1784)      163

  46. Le premier aérostat allongé des frères Robert. Expérience
      du 15 juillet 1784. (D'après une ancienne gravure)           167

  47. Le premier aérostat allongé des frères Robert, devant le
      château du prince de Ghistelles: expérience du
      19 septembre 1784. (D'après une ancienne gravure)            171

  48. Le _Comte d'Artois_, aérostat de Javel (1785)                173

  49. Projet d'aérostat dirigeable de Masse (1785)                 176

  50. Coupe longitudinale de la nacelle                            177

  51. Ballon à rames de Testu-Brissy                               178

  52. Ballon à voiles et à parachute de Martyn (1785). (D'après
      une gravure de l'époque)                                     187

  53. Ballon ovoïdal à voile de Guyot (1784)                       188

  54. _Le véritable navigateur aérien._ (Reproduction d'une
      gravure peinte de 1784)                                      189

  55. _La Minerve_, grand navire aérien de Robertson (1803)        192

  56. Voile de direction d'un ballon gonflée par un ventilateur.
      Projet Terzuolo                                              193

  57. Projet de ballon-poisson du baron Scott (1789). Vue de
      l'aérostat lorsqu'il a ses parois baissés                    198

  58. Le même aérostat dans son inclinaison ascendante             199

  59. Projet de Hénin (1801)                                       200

  60. Navire aérien de Pétin (1850)                                203

  61. Locomotive aérienne Meller (1851)                            211

  62. Ballons-chapelets de Renou-Grave (1844)                      213

  63. Nacelle de ballon à ailes tournantes du docteur Van
      Hecke, destinée à monter ou à descendre dans l'atmosphère
      sans perdre de gaz et sans jeter de lest                     217

  64. Projet de Carra (1784)                                       225

  65. Le ballon-navire l'_Aigle_ de Lennox (1834)                  228

  66. Le ballon-poisson de Sanson (1850)                           231

  67. Aérostat dirigeable de Jullien (1850)                        232

  68. Projet de Ferdinand Lagleize (1853)                          235

  69. Poisson volant de Camille Vert (1859)                        236

  70. Aérostat propulsif de Gontier-Grisy (1862)                   236

  71. Projet d'un ballon de cuivre par Chéradame (1865)            237

  72. L'aérostat l'_Espérance_ de Delamarne (1865)                 238

  73. Aérodophore de Pillet (1857)                                 241

  74. Aérostat à hélice de Smitter (1866)                          241

  75. Gondole-poisson de Vaussin-Chardanne                         243

  76. Projet d'aérostat en aluminium de Nicciollo-Picasse (1871)   246

  77. Propulseur de Guillaume (1816)                               247

  78. Aérostat d'Émile Gire (1843)                                 248

  79. Propulseur de Gontier-Grisy                                  249

  80. Propulseur aérostatique de Ziégler (1868)                    251

  81. Ballon à vis de Lassie                                       253

  82. Premier projet de Henri Giffard                              259

  83. Le premier aérostat dirigeable à vapeur, conduit dans
      les airs le 24 septembre 1852                                264

  84. Projet d'un aérostat dirigeable à vapeur gigantesque de
      600 mètres de longueur, étudié par Henri Giffard en 1856     269

  85. Petit aérostat allongé d'expérimentation construit par
      Henri Giffard en 1856                                        271

  86. Épure de l'aérostat à hélice de Dupuy de Lôme                277

  87. L'aérostat à hélice de M. Dupuy de Lôme, expérimenté
      le 2 février 1872                                            278

  88. Projet d'un aérostat à vapeur à double hélice par
      M. Gabriel Yon                                               281

  89. Petit aérostat électrique de M. Gaston Tissandier à
      l'Exposition d'électricité en 1881                           287

  90. Nacelle de l'aérostat électrique de MM. Tissandier frères    289

  91. Expérience du premier aérostat électrique de MM. Tissandier
      frères dans leur atelier d'Auteuil, le 8 octobre 1883        230

  92. Aérostat électrique de MM. Tissandier frères avec son
      nouveau gouvernail.--Expérience du 26 septembre 1884         299

  93. L'aérostat dirigeable électrique de MM. les capitaines
      Renard et Krebs, expérimenté le 9 août 1884                  311

  94. Cartes des deux ascensions exécutées par MM. C. Renard
      et Krebs le 28 octobre 1884                                  313

  95. Projet d'un propulseur à ailes de M. Pompéien Piraud         317

  96. Expérience de M. Pompéien Piraud, exécutée à Valence
      le 14 juillet 1884. (D'après une photographie instantanée)   319

  97. Schéma du propulseur de M. Debayeux                          321

  98. Aérostat construit par M. Debayeux. (D'après une photographie
      communiquée par M. F. Gower)                                 323


FIN DE LA TABLE DES GRAVURES.



TABLE DES MATIÈRES


PREMIÈRE PARTIE

LA LOCOMOTION AÉRIENNE AVANT LES MONTGOLFIER.

   I. LA LÉGENDE DES HOMMES VOLANTS. -- Dédale et Icare. -- La
      flèche d'Abaris. -- La colombe volante d'Archytas. -- Roger
      Bacon. -- Dante de Pérouse. -- Appareil volant de Besnier.
      -- Les poètes et les romanciers. -- Cyrano de Bergerac. --
      Rétif de la Bretonne. -- M. de la Folie                        3

  II. L'AVIATION, DU XVe AU XVIIIe SIÈCLE. -- Léonard de
      Vinci. -- Étude du vol artificiel. -- L'hélicoptère et le
      parachute. -- Fauste Veranzio et le parachute de Venise. --
      Le ptérophore de Paucton                                      19

 III. LE PRINCIPE DES BALLONS. -- Le Père Francesco Lana et
      son projet de navire aérien en 1670. -- Le Brésilien Gusmâo.
      -- Expérience de Lisbonne en 1709. -- Le Père Galien et
      l'art de voyager dans les airs, en 1756                       31

  IV. LES VOITURES VOLANTES. -- Les ailes du marquis de
      Bacqueville, en 1742. -- La voiture volante du chanoine
      Desforges, en 1772. -- La voiture volante ou _vaisseau
      volant_ de Blanchard, en 1782                                 43

   V. L'HYDROGÈNE ET LA DÉCOUVERTE DES AÉROSTATS. -- Cavendish
      et la découverte du gaz hydrogène. -- Le docteur Black et le
      principe des aérostats. -- Les bulles de savon gonflées
      d'hydrogène de Tibère Cavallo. -- Les frères Montgolfier et
      les ballons à air chaud. -- Le physicien Charles et les
      ballons à gaz                                                 57


DEUXIÈME PARTIE

L'AVIATION OU LA LOCOMOTION ATMOSPHÉRIQUE PAR LE PLUS LOURD QUE
L'AIR.

   I. LE VOL DES INSECTES ET DES OISEAUX. -- L'oiseau
      artificiel de Borelli au dix-septième siècle. -- Les études
      de Navier. -- Les idées de M. Bell Pettigrew sur l'action de
      l'aile des êtres volants. -- Les travaux de M. Marey. -- M.
      Mouillard et M. Goupil                                        65

  II. LES MACHINES VOLANTES ARTIFICIELLES OU ORTHOPTÈRES. --
      Machine volante de Gérard en 1784. -- Projet d'homme volant
      de C. F. Meerwein. -- Vol artificiel à tire-d'ailes. --
      L'horloger Degen. -- Les expériences de 1812. -- Machine
      volante de Kaufmann en 1860. -- Un projet d'Edison. --
      Oiseaux mécaniques de Le Bris, d'Alphonse Pénaud, du Dr
      Hureau de Villeneuve, de Victor Tatin, etc.                   77

 III. LES HÉLICOPTÈRES. -- Premier hélicoptère de Launoy et
      de Bienvenu en 1784. -- Appareil de Sir George Cayley en
      1796. -- Le spiralifère et le strophéor. -- Nadar et le
      manifeste de l'aviation. -- MM. de Ponton d'Amécourt et de
      La Landelle. -- Babinet. -- Hélicoptères Pénaud, Dandrieux.
      -- Tentative de M. Forlanini                                 107

  IV. CERFS-VOLANTS, PARACHUTES ET AÉROPLANES. -- Archytas de
      Tarente et le cerf-volant. -- Le parachute de Sébastien
      Lenormand. -- Jacques Garnerin. -- Cocking. -- Letur. -- De
      Groof. -- Aéroplanes de Henson et Stringfellow. -- Aéroplane
      à air comprimé de Victor Tatin. -- De Louvrié. -- Du Temple  125


TROISIÈME PARTIE.

LE PROBLÈME DE LA DIRECTION DES BALLONS.

   I. PREMIÈRES EXPÉRIENCES DE DIRECTION AÉRIENNE. -- Le ballon
      à rames de Blanchard. -- Expériences de direction de Guyton
      de Morveau. -- Miolan et Janinet. -- Le projet du général
      Meusnier. -- Études de Brisson. -- Le premier ballon allongé
      des frères Robert. -- Le _Comte_ _d'Artois_, aérostat de
      Javel. -- L'aéro-montgolfière de Pilâtre de Rozier. -- Masse
      et Testu-Brissy                                              153

  II. LES BALLONS À VOILES. -- Conditions de translation d'un
      aérostat dans l'air. -- Il n'y a pas de vent en ballon. --
      Erreur des auteurs de projets de ballons à voile. --
      Tissandier de la Mothe. -- Martyn. -- Guyot. -- Le
      _véritable navigateur aérien_. -- La _Minerve_ de Robertson.
      -- Terzuolo et le vent factice                               181

 III. LES BALLONS PLANEURS. -- Utilisation du courant d'air
      vertical produit par la montée ou la descente d'un ballon
      dans l'air. -- Projet du baron Scott en 1788 et de Hénin en
      1801. -- Pétin. -- Prosper Meller. -- Projets de
      Dupuis-Delcourt. -- Le ballon de cuivre. -- Système
      mécanique du docteur Van Hecke pour monter et descendre sans
      jeter de lest et sans perdre de gaz. -- Société générale de
      navigation aérienne. -- Projets divers                       195

  IV. LA PROPULSION MÉCANIQUE DES AÉROSTATS. -- Nécessité
      d'une force motrice pour diriger les aérostats. -- Projet de
      Carra en 1784. -- Le ballon-navire l'_Aigle_, de Lennox. --
      Le ballon-poisson de Samson. -- Jullien. -- Ferdinand
      Lagleize. -- Camille Vert. -- Delamarne. -- Smitter. --
      Projets divers. -- Un ballon à vis                           221


QUATRIÈME PARTIE

LES NAVIRES AÉRIENS À HÉLICE.

   I. HENRI GIFFARD ET LE PREMIER AÉROSTAT À VAPEUR. -- Les
      débuts d'Henri Giffard. -- Construction et expérimentation
      du premier navire aérien à vapeur le 24 septembre 1852. --
      Second aérostat dirigeable à vapeur de 1855. -- Essai de
      1856. -- La découverte de l'_injecteur_. -- Les ballons
      captifs à vapeur. -- Mort de l'inventeur                     257

  II. DUPUY DE LÔME ET L'ÉTUDE DES AÉROSTATS À HÉLICE. --
      Projet d'un aérostat dirigeable pendant le siège de Paris.
      -- Navire aérien à hélice de M. Dupuy de Lôme. -- Expérience
      du 2 février 1872. -- Résultats obtenus. -- Projet de M.
      Gabriel Yon                                                  275

 III. LE PREMIER AÉROSTAT ÉLECTRIQUE. -- Le petit aérostat
      dirigeable de l'Exposition d'électricité de Paris en 1881.
      -- Construction d'un navire aérien à propulseur électrique
      par MM. Tissandier frères. -- Expérience du 8 octobre 1883.
      -- Deuxième expérience du 26 septembre 1884. -- Conclusion   285

  IV. LES EXPÉRIENCES DE CHALAIS-MEUDON. -- Organisation d'une
      usine aérostatique militaire à Chalais-Meudon. -- M. le
      colonel Laussedat, président de la commission des aérostats.
      -- Construction d'un aérostat dirigeable électrique par M.
      C. Renard et A. Krebs. -- Expériences de 1884 et de 1885     305

   V. L'AVENIR DE LA NAVIGATION AÉRIENNE. -- Conclusions à
      tirer des essais exécutés dans les aérostats allongés à
      hélice. -- Avantages des grands ballons. -- La question du
      propulseur. -- Propulseur à ailes de M. Pompéien Piraud. --
      Propulseur de M. Debayeux. -- L'hélice. -- L'avenir de la
      navigation aérienne                                          315

      TABLE DES GRAVURES                                           327


FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.



12787.--IMPRIMERIE GÉNÉRALE A. LAHURE

9, rue de Fleurus, 9, à Paris.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes" ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home