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Title: L'Illustration, No. 0002, 11 Mars 1843
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 0002, 11 Mars 1843" ***


L'ILLUSTRATION,

JOURNAL UNIVERSEL,



Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

Nº 2. Vol. I.--SAMEDI 11 MARS 1843. Bureaux, rue de Seine, 33.

Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois 17 fr.--Un an 32 fr.
pour l'Etranger.--3 mois, 10 fr.--6 mois 20 fr.--Un an 40 fr.

SOMMAIRE.

BIOGRAPHIE. Hommes d'État américains. _Portraits de Clay, Webster et
Calhoun.--_ GEOGRAPHIE. L'Algérie. Carte. Arabes irréguliers à cheval.
Portrait d'Abd-el-Kader._--TRIBUNAUX. McNaughten, Montély. LES
BURGRAVES. _Vue de la cour criminelle de Londres. Portrait de
McNaughten_--HISTOIRE. Manuscrit de Napoléon: Histoire de la
Corse.--THÉÂTRES. Première représentation des Burgraves. Scène
principale des Burgraves. Costume de Frédéric Barberousse (Ligier), de
Job (Beaurallet), d'Otbert (Geffroy), de Régina (Mademoiselle Denain),
de Guanhumara (madame Mélingue).--NOUVELLE. Le curé médecin (_suite et
fin_), par E. Legouvé--MISCELLANÉES. Société des Amis des Arts _avec
vignettes._ Paris au crayon. _Caricature, par_
GRANDVILLE--CORRESPONDANCE.--BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.--ANNONCES--MODES
(_avec vignette_)--PROBLÈME D'ÉCHECS--MERCURIALES.--_Rébus._


                       Contemporains illustres.

                      HOMMES D'ÉTAT AMÉRICAINS.


I.

HENRI CLAY--DANIEL WEBSTER.--CALHOUN.

Parmi les hommes qui, de notre temps, ont exercé le plus d'influence sur
les affaires publiques des États-Unis, aucun n'est plus estimé que HENRI
CLAY: aucun ne peut être placé au-dessus de lui quand on parle de
patriotisme, de désintéressement, d'attachement inébranlable à la
justice et à la vérité: aucun n'a plus que lui hérité de ces vertus qui
ont immortalisé déjà les fondateurs de l'indépendance américaine, et qui
déjà, pour nos enfants, les grandissent à la hauteur de quelques-uns des
plus beaux caractères de l'antiquité.

M. Clay a été l'artisan de sa propre fortune; ce n'est qu'à ses talents
et à ses efforts qu'il doit la haute situation qu'il occupe. Né le 12
avril 1777, dans le comté de Hanovre, en Virginie, il perdit de bonne
heure son père, qui était ecclésiastique et pauvre. Son éducation s'en
ressentit: après avoir passé quelques années sur les bancs d'une petite
école, il fut placé dans l'étude d'un clerc de la chancellerie, à
Richmond, en Virginie. A dix-neuf ans, il se mit à l'étude du droit, et
un an après il obtenait sa licence. Il alla alors s'établir à Lexington,
dans le Kentucky. Ses connaissances pratiques, son éloquence, lui firent
rapidement une grande réputation.

[Illustration: (Henri Clay.)]

C'est dans la convention nommée par le Kentucky, pour établir une
nouvelle constitution, que M. Clay parut pour la première fois sur la
scène politique. Son premier acte fut une tentative inutile pour abolir
graduellement l'esclavage des noirs dans l'État. M Clay ne s'est point
découragé; il ne s'est point lassé, depuis cette époque d'élever la voix
contre cette oppression inhumaine qui, avant la fin du siècle, aura
cessé partout de peser sur une race malheureuse. Bientôt son expérience
des affaires, les grâces de son élocution, son dévouement à la cause de
la liberté, la simplicité de ses manières, le portèrent à la présidence
de la législature de l'état, et il prouva, par son impartialité et par
son habileté à conduire les débats, qu'il était digne de cette
importante fonction. En 1805, il entra dans la Chambre des
Représentants, et il en fut élu président. Quelques années après, il
passa dans le Sénat, où sa réputation s'accrut encore. Il serait long
d'énumérer les services qu'il rendit à son pays dans le congrès; ce
serait presque raconter l'histoire des États-Unis depuis quarante ans.
En 1814, il fut choisi pour représenter, avec MM. Adams et Gallatin,
l'Union au congrès de Gand. Après s'être acquitté de cette mission
délicate, il préféra les devoirs de sénateur à des fondions plus
brillantes. Il refusa successivement l'ambassade de Russie, une mission
en Angleterre, et la place de ministre de la guerre.

[Illustration: (Daniel Webster.)]

M. Clay a surtout attaché son nom à trois grandes mesures:
l'indépendance des colonies espagnoles de l'Amérique du Sud,
l'entreprise de travaux d'utilité publique par le congrès fédéral, et le
développement des manufactures indigènes. Aussitôt après le Traité de
Paris. M. Clay éleva la voix en faveur des colonies espagnoles, et,
après de longs efforts, il décida ses concitoyens à leur prêter appui et
à reconnaître leur existence comme républiques indépendantes. Canning,
il est vrai, s'associa à cette politique et la fit triompher dans les
conseils des monarchies européennes. Mais c'est à M Clay qu'appartient
la gloire d'avoir le premier éveillé l'attention sur ces jeunes
républiques. Plus tard, ministre des affaires étrangères, il ouvrit des
relations avec elles, et jeta les bases d'une alliance durable entre
elles et les Etats-Unis. La seconde de ces mesures intéressait seulement
la république de L'Union. M. Clay en fut le premier et le plus zélé
promoteur; il sut vaincre les jalousies des États particuliers, et fit
résoudre cette question importante par le congrès.

Les États de l'Amérique du Nord avaient conquis leur indépendance, mais
leur affranchissement de la mère patrie était loin d'être complet.
Pendant toute la période du système colonial, les Américains avaient
appliqué exclusivement leurs efforts à l'agriculture. Tout les y
portait, et la fertilité du sol, et la législation imposée par la
métropole. Mais les Etats-Unis continuaient à dépendre encore de
l'Angleterre par le soin qu'ils avaient d'un marché illimité, et par la
nécessité de tirer du dehors les objets manufacturés indispensables à
une société civilisée. Alexandre Hamilton, à qui les États-Unis doivent
tant, conçut le premier l'idée de rendre son pays indépendant de
l'industrie anglaise. Il établit ce qu'on a appelé le _système
américain_, et fit passer une législation entière qui encourageait
l'établissement de fabriques de toute nature, et entravait par un tarif
l'importation en Amérique de certains objets manufacturés. M Clay s'est
fait le champion de cette politique seule capable en effet de fonder
l'indépendance commerciale et industrielle des États-Unis. C'est lui qui
a présenté et défendu dans le congrès les différents tarifs qui, depuis
vingt-cinq ans, ont rendu plus difficile l'importation en Amérique des
produits manufacturés des nations européennes. Il a rencontré, il est
vrai, de grands obstacles, qu'il n'a pas tous pu surmonter. Les Etats du
sud de l'Union, éminemment producteurs, résistent à un système qui
entrave les débouchés de leurs produits exclusivement agricoles, tandis
que les États du nord, dont le sol est moins riche, et qui ont élevé des
manufactures, s'efforcent de compenser, par leur industrie et leurs
habitudes laborieuses, les désavantages de leur situation. En général,
l'Américain ne veut pas de taxe foncière, pas de contributions
indirectes, mais il ne veut pas non plus, pour favoriser les
manufactures indigènes être forcé de payer plus cher les objets de
première nécessité, ou ceux que ses habitudes d'aisance et de bien-être
lui ont rendus indispensables. Peu importe au démocrate américain d'où
lui viennent ses indiennes et ses soieries, de Liverpool ou du Havre, de
Boston ou de Lowell: tout ce qu'il demande, c'est de les payer bon
marché. Heureusement les hommes d'État de l'Union, et il y en a, quoique
l'on dise en Europe, ne partagent pas cette indifférence égoïste qui,
dans l'état actuel de la constitution du pays, ne peut être que funeste
à ses intérêts et à son avenir. Grâce aux efforts de M. Clay, le système
américain ne rencontre plus de résistance auprès des hommes
intelligents; la question du tarif est résolue, et il ne s'agit plus que
de le proportionner suivant les circonstances. C'est là peut-être la
plus grande gloire de M. Clay, et incontestablement le plus grand
service qu'il ait rendu à son pays dans sa longue carrière publique. La
postérité le considérera, après Hamilton, comme un des bienfaiteurs de
la république américaine, et comme ayant achevé l'oeuvre des Washington
et des Jefferson.

[Illustration: (John Calhoun.)]

M. Clay est d'une taille élevée, d'une constitution robuste, bien que
frêle en apparence; ses manières sont froides, mais pleines de dignité,
à la fois polies et simples. Ses yeux, bleus et petits, jettent des
flammes quand ils s'animent. Son front est large et élevé. Sur sa
bouche, on peut lire un caractère ferme et indomptable. On a publié, en
1827, quelques-uns de ses discours. Ils sont remarquables sous tous les
rapports, soit que l'on y cherche des leçons de politique, soit que l'on
n'y considère que les qualités oratoires. On y distingue surtout de la
précision dans les pensées et dans l'expression, de la rapidité, une
logique sévère, de la concision, de l'élégance, et une sage économie
d'ornements.

Deux fois M. Clay a été candidat à la présidence; deux fois il a échoué.
Ses amis le portent encore cette année, et l'on dit qu'il a beaucoup de
chances; nous souhaitons qu'il triomphe, car les Etats-Unis ne sauraient
être gouvernés par un homme plus honnête et plus expérimenté.

Qu'il réussisse ou qu'il échoue, nous savons que M. Clay est trop
sincèrement républicain pour murmurer contre le choix de ses
concitoyens. Ses amis pourront déplorer que tant de vertus ne soient pas
appréciées comme elles le méritent par l'opinion populaire. Quant à lui,
arrivé à un âge avancé, il se consolerait, dans le repos et la
tranquillité de la vie privée, de cet échec, qui ne peut en rien altérer
la gloire d'une carrière consacrée tout entière à son pays et dévouée à
ses intérêts. Il pourra se dire que jamais il n'a fait aucun sacrifice à
l'opinion des partis, que jamais il n'a reculé devant ce qu'il regardait
comme un devoir, dût-il rencontrer l'impopularité. Il a trouvé, dans son
amour pour la liberté, la force de résister aux entraînements de la
gloire militaire, le courage de rappeler son pays à l'esprit qui a fondé
sa prospérité et sa grandeur, et par son éloquence il a contribué à
sauver la république des États-Unis du despotisme du sabre. C'en est
assez; la plus haute fonction de l'Etat n'ajouterait rien à une gloire
aussi pure.

DANIEL WEBSTER, aujourd'hui, secrétaire pour les affaires étrangères du
gouvernement des États-Unis, est né le 18 janvier 1782, à Salisbury,
dans le New-Hampshire, d'un père fermier qui avait porté les armes avec
honneur dans la guerre de l'indépendance, et exercé pendant plusieurs
années les fonctions de juge. A cette époque, Salisbury, aujourd'hui le
centre d'une population nombreuse, se trouvait l'extrême frontière de la
civilisation. Ce fut donc au milieu des forêts que se passèrent les
premières années de M. Webster. Son éducation fut commencée par son
père. En 1801, il entra au collège de Dartmouth, où il termina ses
études de la manière la plus brillante. Destiné à suivre la carrière du
barreau, il étudia la pratique des lois, d'abord dans sa ville natale,
ensuite à Boston, où il fut reçu avocat en 1805. Après avoir pratiqué
pendant deux ans dans un petit village voisin du lieu de sa naissance,
M. Webster s'établit à Portsmouth, la capitale commerciale du
New-Hampshire, et y acquit une grande réputation d'éloquence et
d'habileté.

En 1812, la confiance de ses concitoyens lui ouvrit la carrière des
affaires publiques en le nommant un des représentants de l'État du
New-Hampshire, dans la chambre basse du congrès. Malgré sa jeunesse (il
avait alors à peine trente ans), il se fit remarquer dès son début, et
prit part à toutes les discussions importantes. Les mesures que désirait
le parti qui avait fait éclater la guerre entre l'Union et la
Grande-Bretagne, et qui tendaient à établir une sorte de conscription,
trouvèrent en lui un adversaire intrépide, tandis qu'il appuya de tous
ses efforts le projet de donner de larges développements à la marine et
de fortifier les frontières du nord. La question de l'établissement
d'une banque fédérale, au milieu des circonstances difficiles où se
trouvaient les États-Unis après la guerre, lui fournit l'occasion de
montrer que les connaissances et les talents de l'économiste et de
l'homme d'État s'alliaient en lui aux plus brillantes qualités de
l'orateur et à un ardent amour pour son pays et ses institutions.

En 1816, M. Webster fut obligé de se retirer de la Chambre des
représentants. Sa fortune avait été en partie détruite par l'incendie
qui consuma, en 1815, la ville de Portsmouth, et ses devoirs d'homme
public, loin de lui permettre de réparer les pertes qu'il avait faites,
l'obligeaient à des dépenses considérables. Il renonça à toute
participation aux affaires publiques jusqu'à ce qu'il eut refait sa
fortune, et il alla se fixer à Boston, où il a depuis toujours résidé.
Durant huit ans il se livra uniquement aux devoirs de sa profession,
refusant obstinément les missions politiques dont l'estime de ses
nouveaux concitoyens voulait l'honorer. Ses succès dépassèrent son
attente. Sa réputation d'habile légiste se répandit; des causes qui
devaient avoir nécessairement, par leur importance, un grand
retentissement lui furent confiées, et il s'en acquitta si bien, que
bientôt il fut rangé parmi les premiers juristes de toute l'Union.
Malheureusement on ne possède qu'un petit nombre de ses plaidoyers, mais
ils suffisent pour montrer les qualités qui distinguent l'éloquence
judiciaire de M. Webster. Une narration claire et simple, beaucoup de
perspicacité, de la gravité, un accent de vérité qui parait sortir d'un
coeur plein d'amour pour la justice, voilà les moyens qui ont mérité à
M. Webster un ascendant irrésistible sur le jury, ascendant qui de
proche en proche s'est étendu sur tous ses concitoyens.

Ce fut en 1825 qu'il rentra dans la Chambre des Représentants, et il y
prit aussitôt place parmi les orateurs les plus populaires. En 1827, il
fut choisi à l'unanimité pour remplir une place vacante dans le Sénat.
Sur ce nouveau théâtre, sa renommée grandit encore. Les services qu'il
rendit à son pays et à la Constitution sont dans la mémoire de tous, et
ce n'est pas ici le lieu de raconter son plus beau triomphe, je veux
parler de la victoire qu'il remporta sur les _nullificateurs_.

Comme homme d'État, M. Webster est digne d'être placé sur la même ligne
que les Jefferson, les Hamilton et les Adams. Des vues sûres et
éclairées, une prudence tempérée par une hardiesse sage et réfléchie,
ont marqué tous les actes de son administration des affaires étrangères.
Récemment il a négocié un traité avec la Grande-Bretagne, et les
États-Unis se glorifient du rôle à la fois plein de fierté et de dignité
que leur a fait jouer M. Webster. Sur tous les points en litige, la
question des frontières du Maine, celle du commerce des esclaves et
celle de l'extradition mutuelle des criminels, son langage a été celui
qui convenait à un grand peuple, et surtout à une république qui a
besoin de se faire respecter par les vieilles aristocraties de l'ancien
monde. Sur tous les points, le plénipotentiaire anglais, lord Ashburton,
a cédé devant la logique ferme et irrésistible du ministre américain.

Les principaux discours prononcés par M. Webster dans le congrès et dans
des assemblées populaires ont été publiés il y a peu d'années, à Boston.
On y a joint quelques-uns de ses plus éloquents plaidoyers. Quant à ses
discours plus particulièrement politiques, ils sont considérés par les
Américains comme des _pages de la Constitution_, tant on les trouve
animés de l'esprit qui a présidé à la fondation de la liberté
américaine.

M. Webster porte empreint sur son visage le caractère qu'il a déployé
dans toutes les circonstances d'une vie longue, agitée et glorieuse. Ses
yeux, sombres et enfoncés dans leur orbite, ont un éclat irrésistible;
ses larges et épais sourcils noirs expriment l'énergie et la
détermination. Tous ceux qui ont eu l'occasion de s'approcher de cet
homme d'État s'accordent à louer sa modestie, ses manières à la fois
pleines de simplicité et de dignité; quelques esprits sévères lui
reprochent de l'indolence et de la dissipation, mais sa vie entière rend
témoignage que, pour le service de son pays, il n'a été surpassé par
personne en désintéressement, en activité, et que jamais il n'a sacrifié
les affaires à ses plaisirs.

JOHN CALDWELL CALHOUN est né le 18 mars 1782, au district d'Abbeville,
dans la Caroline du Sud. Sa famille est d'origine irlandaise. Etablie
d'abord dans la Pennsylvanie, elle passa, en 1756, dans la Caroline du
Sud, où elle eut à lutter, durant un grand nombre d'années, avec les
Cherokis. Dans une surprise, la plus grande partie de la famille fut
massacrée. Le père, élevé dans les forêts, était un hardi pionnier,
habitué à lutter de ruse et d'audace avec les Indiens; mais,
contrairement aux habitudes de cette classe de colons qui, en chassant
devant elle les sauvages, les remplace souvent par des moeurs qui ne
sont guère moins barbares, il avait du goût pour les lettres, et
quoiqu'il eut passé toute sa vie éloigné du commerce des hommes, il
s'était instruit dans la littérature anglaise. Aussi voulut-il que ses
enfants reçussent une aussi bonne éducation que possible. Après avoir
enseigné à John Calhoun à peu près tout ce qu'il pouvait lui apprendre,
il l'envoya, vers l'âge de treize ans, à l'académie qui avait le plus de
réputation dans les Etats du sud de l'Union.

M. Calhoun avait hérité des goûts de son père. Il aimait l'étude et s'y
livrait avec une si grande ardeur, que sa santé en fut gravement
altérée; on craignit un moment qu'il ne perdît la vue. Sa mère, alarmée,
car il avait perdu son père depuis peu, le rappela dans la maison
paternelle, où grâce à la force de la jeunesse et à l'éloignement de
tous moyens d'étudier, il recouvra promptement la santé. Comme il ne
pouvait rien être à demi, il se passionna pour tous les exercices du
corps. Bientôt on le cita comme le plus intrépide et le plus aventureux
chasseur de tout le pays. Mais, tandis qu'il s'était résolu à se faire
fermier, son frère aîné, qui habitait Charleston, fut surpris, dans une
visite qu'il fit à sa mère, des heureuses dispositions de Calhoun, et il
le décida à reprendre ses études et à embrasser une carrière où il put
développer les heureuses qualités dont l'avait doué la nature. M.
Calhoun se rendit à ces conseils, entra dans un collége et recommença
ses études à dix-huit ans. Ses progrès furent si rapides, qu'en moins de
deux ans il avait réparé tout le temps perdu. Après avoir étudié la
pratique des lois, il se fixa, en 1807, dans la Caroline du Sud, où il
surpassa bientôt en réputation tous les légistes du pays, comme il les
surpassait en talent et en habileté. Ses succès lui ouvrirent l'entrée
de la législature de l'Etat, où il ne se distingua pas moins.

En 1811. la confiance de ses concitoyens l'introduisit dans la Chambre
des Représentants. Sa célébrité l'y avait devancé. Il prit une grande
part aux débats qui précédèrent la déclaration d'hostilités entre les
Etats-Unis et l'Angleterre. On cite un discours qu'il prononça dans
cette circonstance comme un des plus éloquents qui aient été prononcés
dans le congrès américain. Tout d'une voix il fut porté, malgré sa
jeunesse, à la tête du parti qui voulait la guerre dans la Chambre des
Représentants. Dès cette époque, il se prononça vivement contre le
système restrictif qu'il croyait ne convenir ni au génie du peuple
américain, ni à celui du gouvernement, ni au caractère géographique du
pays. Il combattit avec beaucoup de force cette politique qui, selon
lui, entraînait avec elle des lois arbitraires et vexatoires.

A la fin de l'année 1817, M. Calhoun fut appelé par M. Monroe aux
fonctions de ministre de la guerre. Six aimées passées dans le congrès
avaient mis le sceau à sa réputation d'orateur. Pendant sept années
qu'il demeura à la tête du département de la guerre, il développa les
qualités solides de l'administrateur; il combla un énorme arriéré,
satisfit à toutes les pensions, réduisit les dépenses au strict
nécessaire. Néanmoins, il trouva le loisir de rédiger des rapports sur
beaucoup de questions très-graves. C'est à lui que les Etats-Unis
doivent l'admirable système de fortifications et de défense dont le
général Bernard a doté le territoire de l'Union.

A l'expiration dit second terme de la présidence de M. Monroe, le nom de
M. Calhoun fut placé sur la liste des candidats. Pour éviter que le
hasard de l'élection ne fut abandonné au choix du congrès, i! se retira;
mais il fut nommé à l'unanimité vice-président, tandis que M. Adams
était élevé à la présidence. Aux élections suivantes, le général Jackson
fut nommé président et M. Calhoun fut réélu vice-président. Dans cette
place éminente, il remplit ses devoirs avec une impartialité et une
habileté singulières. Il se trouvait dans une situation très-délicate,
surtout dans les fonctions de président du Sénat. On le savait
l'adversaire politique de l'administration, et chaque jour les débats
lui offraient des embarras dont il savait toujours se tirer adroitement
et sans compromettre sa dignité.

Nous avons dit plus haut que, dès son entrée dans la carrière politique.
M. Calhoun s'était prononcé contre ce que l'on appelle le _système
américain_. En cela, M. Calhoun partageait les sentiments de l'État où
il avait vu le jour, et qui dans toutes les circonstances l'avait choisi
pour son représentant dans le congrès. Le tarif établi en 1828 blessait
profondément les intérêts de la Caroline du Sud; M. Calhoun se porta le
champion de ses réclamations. Selon lui, cet acte violait le pacte
fédéral, en portant atteinte à la souveraineté des États et à leurs
droits; il était inconstitutionnel, et, comme tel, les Etats intéressés
pouvaient, en vertu du droit qui leur était accordé par la Constitution
fédérale, le déclarer nul et non obligatoire. Cette doctrine porte le
nom de doctrine de la _nullification_; ses fondements reposent
principalement sur les principes émis dans les résolutions de la
Virginie et du Kentucky, rédigées par Madisson et par Jefferson, et
considérées comme faisant partie du droit public de l'Union. Pendant
plusieurs années, les opinions des deux partis, des partisans et des
adversaires du tarif, furent discutées dans le congrès. Voyant qu'on ne
faisait aucun droit à ses réclamations, la Caroline du Sud résolut de se
servir de tous les moyens que la Constitution lui mettait entre les
mains pour faire triompher la cause qu'elle représentait. Une convention
fut élue par les habitants de l'État, qui, en sa qualité de représentant
de la souveraineté de la Caroline du Sud, déclara les mesures
restrictives inconstitutionnelles, _nulles_ et sans valeur. Aussitôt M.
Calhoun se démit de la vice-présidence, reçut une place dans le Sénat,
et se présenta comme l'avocat de la cause de son État, qu'il regardait
comme la cause de la liberté et de la Constitution. Sur ce théâtre, M.
Calhoun développa les plus admirables qualités d'orateur. L'opinion
qu'il défendait presque seul était impopulaire dans le pays, et peu s'en
fallait qu'on ne la regardât comme un acte de trahison. Il y avait seize
ans qu'il n'avait pas paru dans une assemblée publique, et cependant,
pour lutter contre l'opinion, contre l'administration, contre
l'éloquence réunie de M. Clay et de M. Webster, il trouva en lui des
ressources extraordinaires. Dans cette lutte inégale, il serait
difficile de prononcer lequel de M. Calhoun ou de M. de Webster
l'emporta. Leurs discours sont des modèles de logique, de force, de
pathétique.

Pendant quelques instants on craignit que cette lutte de parole ne se
changeât en une lutte plus dangereuse. Le président des États-Unis,
quoiqu'il penchât pour la Caroline du Sud, fut forcé par l'opinion
publique de menacer cet État de faire exécuter par les armes la loi du
congrès. De son côté la Caroline du Sud se prépara à soutenir de la même
manière ses intérêts et ses opinions. Heureusement, M. Clay apaisa cette
querelle par un compromis; la paix fut rétablie dans l'Union, et c'est
ici que s'arrête pour nous la carrière politique de M. Calhoun. On
annonce qu'il se porte comme candidat à l'élection présidentielle qui va
avoir lieu prochainement.

M. Calhoun est d'une grande taille et d'une constitution robuste. Ses
manières sont pleines d'aisance, de simplicité et de cordialité. Tous
ceux qui l'ont connu disent qu'il est d'un commerce agréable, facile,
accessible à tous, et que dans la conversation il est aussi éloquent
qu'à la tribune. C'est un grand éloge, car ses discours sont
très-remarquables. Malgré un style sentencieux, il excelle dans la
discussion. Sa parole est forte, ardente, rapide et grave tout à la
fois. On sent qu'il est pénétré de ce qu'il dit, et qu'il serait prêt à
le soutenir de son sang. M. Calhoun peut, à bon droit, être considéré
comme l'un des plus grands hommes d'État américains de notre temps. Sa
vie privée, qui est irréprochable, ne dément pas un si beau caractère:
intègre, désintéressé, de moeurs sévères et frugales, courageux, il est
le digne descendant de Washington et de Jefferson, aussi bien que de
Franklin.

                              Algérie

                     DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE.

La France entretient maintenant en Algérie une armée de quatre-vingt
mille hommes; elle y dépense annuellement plus de 80 millions.

Quel but se propose-t-elle en faisant, depuis bientôt treize années,
tant de laborieux efforts, tant de lourds sacrifices? quelle
compensation a-t-elle le droit d'en attendre? quel dédommagement
est-elle fondée à en espérer?

C'est évidemment de créer dans le nord de l'Afrique une colonie d'autant
plus puissante, qu'elle est plus voisine de la métropole; ou plutôt
c'est de fonder sur l'autre rive de la Méditerranée, à deux journées de
distance de Marseille et de Toulon, un nouvel et durable empire sur
cette terre _désormais et pour toujours française_, suivant l'expression
du discours de la couronne, à l'ouverture des Chambres, le 27 décembre
1841.

L'Algérie est désormais française! Cette déclaration solennelle explique
l'intérêt éminemment français qui s'attache à nos possessions
africaines. Aussi, quand l'opinion publique s'émeut si vivement au récit
des progrès de notre domination, quand elle les suit avec une avide et
curieuse anxiété, n'est-ce pas seulement parce que nos soldats y
continuent les traditions de valeur, de persévérance et de gloire de
leurs devanciers, ni parce que notre jeune armée s'y montre l'émule des
vieilles phalanges de la Révolution et de l'Empire; c'est surtout parce
qu'elle comprend que, sur cette terre conquise au prix du sang des
enfants de la France, il y a pour la mère-patrie des éléments certains
de force et de prospérité, tout un avenir, enfin, de grandeur et de
puissance nationale!

Ce sentiment instinctif est tellement enraciné dans la plupart des
esprits, qu'il a survécu à toutes les incertitudes qu'amènent les phases
diverses de la politique ou de la guerre, à toutes les vicissitudes
inséparables du premier âge des colonies fondées les armes à la main,
C'est à ce sentiment que nous nous proposons de nous associer, autant du
moins qu'il dépendra de, nous, en consacrant, dans notre journal, une
place spéciale à l'Algérie. Nous rappellerons, dans ces esquisses
rapides, les commencements de l'occupation française, les développements
qu'elle a reçus, les causes de son extension successive, les résultats
obtenus jusqu'à ce jour. Nous ferons en même temps passer sous les yeux
de nos lecteurs, sans en négliger un seul, les événements contemporains,
politiques, militaires et civils, qui seront de nature à les intéresser,
en attestant une amélioration ou un progrès dans la situation du pays.
Monuments anciens et modernes, types des différentes races, Maures des
villes, Arabes des plaines, Kabaïles des montagnes, moeurs, usages,
costumes, ameublements, armes, vues de villes, créations de villages,
travaux de ports, routes, dessèchements, établissements d'utilité
publique, camps, bivouacs, combats et razzias, portraits des principaux
personnages français et indigènes, de quel intérêt ne serait-il pas de
voir tous ces sujets fidèlement représentés par des dessins exécutés sur
les lieux mêmes? Nos lecteurs assisteraient ainsi, en quelque sorte, à
la fondation de notre empire africain; ils le verraient chaque jour
grandir, se développer, et jeter dans le sol des racines de plus en plus
profondes.

Avant de commencer notre _Revue algérienne_, où les faits de guerre et
de colonisation viendront hebdomadairement trouver place, il nous a
semblé utile de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur les progrès de
notre conquête jusqu'à la lin de 1812. et d'accompagner la carte qui:
nous publions d'une description géographique assez étendue pour
permettre, à nos lecteurs de suivre avec fruit les événements dont
l'Algérie est le théâtre.

PRISE D'ALGER.--La cause des hostilités outre la France et le dey
d'Alger est connue. Une insulte grave, un coup d'éventail donné en
audience publique, le 30 avril 1827, par Hussein-Pacha à notre consul,
exigeait une réparation à laquelle le dey se refusa avec un opiniâtre
entêtement. Après de longues et inutiles négociations pour obtenir une
satisfaction amiable, après la nouvelle insulte de coups de canon tirés
déloyalement, le 27 juillet 1829, contre un vaisseau parlementaire, _la
Provence_, une flotte française, composée de cent navires de la marine
royale et de quatre cents bâtiments de commerce, appareilla de Toulon le
25 mai 1830. à quatre heures après midi. L'armée, forte de trente-sept
mille hommes et de quatre mille chevaux, débarqua le 14 juin sur la
plage de Sidi-Ferruch, distante de six lieues d'Alger, et le 5 juillet
elle entra dans cette capitale des corsaires barbaresques. Ainsi, en
vingt-quatre jours, elle avait atteint le but de sa mission, vengé le
pavillon français, détruit la piraterie, et enfin accompli les voeux que
formaient, depuis trois siècles, les hommes généreux et éclairés de
toutes les nations.

La province d'Oran, bornée au sud par le Petit-Atlas, qui, dans cette
partie, range la mer de très-près, est étroite par rapport à sa
longueur. La province de Constantine, qui s'étend sur les rives de
l'Oued-Rummel et sur les bassins qu'arrose cette rivière, a beaucoup
plus de profondeur que la province d'Oran, avec une longueur presque
égale. La province de Titteri, comprise entre les deux premières,
s'étend surtout du nord au sud sur les plateaux successifs parcourus par
le Chélif et ses affluents, qui s'élèvent sur les flancs septentrionaux
du Grand-Atlas. Ces trois provinces étaient soumises chacune à un bey ou
lieutenant du dey.

Les limites de la province d'Alger étaient moins fixes que celles des
trois autres. Le dey, qui l'administrait directement au moyen de l'agha
des Arabes, en modifiait la circonscription, selon que les querelles
entre les beys voisins ou l'intérêt de sa politique lui semblaient
l'exiger. C'est ainsi que Blidah, qui jadis appartenait au beylik de
Titteri, et la plaine de Hamza jusqu'aux Portes-de-Fer Biban, avaient
été placées sous l'autorité de l'agha. Bougie même fut momentanément
rattachée aux dépendances administratives du territoire d'Alger.

DIVISIONS ACTUELLES DE L'ALGÉRIE.--Par décision du ministre de la
Guerre, en date des 14 novembre 1842 et 4 février 1845, les provinces
d'Alger, d'Oran et de Constantine, forment aujourd'hui trois divisions
militaires, dont les circonscriptions ont été réparties de la manière
suivante:

_Division d'Alger_, formée de deux subdivisions.--_Subdivision d'Alger_:
Alger, chef-lieu de la division et de la subdivision; les forts
attenants; le Sahel et tout le pays compris à l'est, depuis
l'Oued-Kaddara, jusqu'aux Biban Portes-de-Fer; le cercle de Cherchel;
Bougie.--_Subdivision de Titteri_; Blidah, chef-lieu de la subdivision
et centre du cercle comprenant Boufarik et Koléah; Médéah, centre du
cercle comprenant le Makhzen, (proprement _magasin, réserve_: tribus
auxiliaires, nommées, sous les Turcs, _tribus de commandement_, exemptes
d'impôts et chargées d'assurer l'obéissance des autres tribus, dites
_tribus de soumission_), les Goums (proprement _levées_, cavalerie
mobile des tribus), et les tribus, Milianah, centre du cercle comprenant
également le Makhzen, les Goums et les tribus.

_Division d'Oran_, formée de quatre subdivisions.--_Subdivision d'Oran_:
Oran, chef-lieu de la division et de la subdivision; Arzew;
Mers-el-Kébir; Misserguin; Camp du Figuier.--_Subdivision de Mascara_:
Mascara, chef-lieu.--_Subdivision de Mostaganem_: Mostaganem, chef-lieu;
Mazafran.--_Subdivision de Tlemcen_; Tlemcen, chef-lieu.

_Division de Constantine_, formée de trois subdivisions.--_Subdivision
de Constantine_: Constantine, chef-lieu de la division et de la
subdivision; Philippeville, centre du cercle comprenant les camps de
Smendou, des Toumiettes et de el-Arrouch; Djidjeli.--_Subdivision de
Bône_: Bône, chef-lieu; Guelma, centre du cercle comprenant le Makhzen,
les Goums, les tribus: la Calle, centre du cercle comprenant les tribus
qui relèvent de la Calle.--_Subdivision de Sélif_: Sélif, chef-lieu.

Par une autre décision du ministre de la Guerre, en date du 12 novembre
1852. les places de l'Algérie ont été classées ainsi:

_Première classe._--Alger, Oran, Constantine.

_Deuxième classe._--Blidah, Médéah, Milianah, Cherchel. Mostaganem,
Mascara, Tlemcen, Bône, Bougie, Sélif, Djidjeli, Philippeville.

_Troisième classe._--Fort-l'Empereur, Douéra, Boufarik (camp d'Erlon),
Mustapha-Pacha, Koléah. Arzew, Mers-el-Kébir.

_Postes militaires_.--Kasbah d'Alger. Kasbah de Bône, la Calle, Guelma,
Misserguin, Mazafran.

Enfin, des ordonnances royales ont pendant le cours de l'année 1842.
successivement organisé comme il suit les commandements indigènes dans
les territoires soumis à notre domination:

_Province d'Alger_:--Khalifat des Beni-Soliman. Beni-Djad, Arib et
Kabaïles; aghalik de Khachna; aghalik des Beni-Menasser.--_Subdivision
de Titteri_: Aghalik du Kéblah, du Cherk, du Tell (terres cultivées), et
des Ouled-Naïl.--_Subdivision De Milianah_: Khalifat des Hadjouths, de
Djendel et de Braz; aghaliks des Beni-Zoug-Zoug, des Ouled-Aïad, des
Beni-Menasser, Cherchel et Thaza.

_Province d'Oran_:--Khalifat du Gharb (ouest) comprenant trois aghaliks,
ceux du Ghozel, du Djebel et du Gharb; khalifat du Cherk (est),
comprenant trois aghaliks, ceux du Dhahan (nord, c'est-à-dire le pays
qu'on a _derrière_ soi, lorsqu'on est tourné vers la Mecque), du Ouasth
(centre); et du Kéblah (sud, c'est-à-dire le pays qu'on a _devant_ soi,
lorsqu'on regarde dans la direction de la Mecque); Khalifat du Ouasth
comprenant quatre aghaliks, ceux des Beni-Chougran, des Sdama, des
Hachem-Gharaba, des Hachem-Cheraga; aghalik des Beni-Amer, commandé par
un bach-agha (chef agha), ayant sous ses ordres deux aghas, l'un de
Beni-Amer Cheraga, l'autre des Beni-Amer-Gharaba.

_Province de Constantine_:--Khalifat des Haractah, Abd-el-Nour Telaghma.
Zmoul. Segnia, etc.; khalifat de la Medjanah; cheïkhat des Arabes
(commandement du Shara).

DESCRIPTION DE LA PROVINCE D'ALGER. _Massif d'Alger, Sahel,
Metidjah_.--Les environs de la ville d'Alger se composent d'un terrain
montagneux qui s'élève immédiatement sur la côte. C'est ce terrain qu'on
nomme le _Massif_. Le point culminant est le Bou-Zaréah, élevé de 400
mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce massif est couvert, dans le
voisinage de la ville, d'habitations agréables, et coupé de ravins et de
petites vallées agréables, où des sources abondantes entretiennent la
fraîcheur et une végétation active. Nos troupes y ont ouvert un grand
nombre de routes.

Plus loin s'étend un plateau très-accidenté lui-même, et sillonné aussi
de nombreux ravins. Cette partie du Massif prend le nom de Sahel.

Au pied des hauteurs du Sahel commence et se continue jusqu'au
Petit-Atlas la _plaine de la Métidjah_, de 64 à 72 kilomètres de long
sur 24 à 25 kilomètres de large. Bien cultivée dans la partie voisine
des montagnes, et marécageuse dans la partie inférieure, son aspect est
généralement découvert.

Le camp retranché de Douéra est au pied du Sahel; plus en avant vers
l'Atlas, est situé celui de Boufarik, et plus loin encore celui de
Blidah. à l'extrémité de la plaine.

Le versant septentrional du Petit-Atlas est couvert de taillis et de
broussailles, composés, en grande partie, de chênes et de lentisques. Il
est sillonné par de grandes vallées, d'où sortent les cours d'eau qui
arrosent la plaine.

ORIGINE DU MOT ALGÉRIE.--Dans les premiers temps qui suivirent notre
conquête, le territoire conquis conserva son ancien nom de _Régence
d'Alger_. Plus tard cette appellation fut remplacée par celle de
_Possessions françaises du nord de l'Afrique_, titre consacré par
l'ordonnance royale du 22 juillet 1834, qui, en plaçant le pays sous le
régime des ordonnances, en a réglé le commandement général et la haute
administration. Enfin, dans le discours d'ouverture des Chambres, le 18
décembre 1837, l'ancienne Régence d'Alger reçut pour la première fois la
dénomination officielle d'_Algérie_. Ce nom, qu'elle a gardé depuis, lui
avait été donné, des 1834, dans un écrit publié à Paris par le comte de
Beaumont Brivazac, sous ce titre: «_De l'Algérie et de sa
colonisation._»

DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE DE L'ALGÉRIE.--L'Algérie, ancienne Régence
d'Alger s'étend de l'est à l'ouest sur la côte septentrionale du
continent de l'Afrique. Elle est bornée au nord par la Méditerranée, à
l'est par les États de Tunis, à l'ouest par l'empire de Maroc, et au sud
par le désert de Shara vaste plaine sans plantation. Elle offre une
étendue d'environ 900 kilomètres sur les côtes, et s'avance de 200 à 250
kilomètres dans l'intérieur des terres.

ANCIENNE DIVISION DE L'ALGÉRIE.--Notre conquête de l'Algérie nous a
rendus maîtres d'un territoire qui répond aux trois provinces romaines
appelées Numidie, _Mauritanie Sicilienne_ et _Mauritanie Césarienne_,
dont les chefs-lieux respectifs. Cirla. Silifis, Césarée, sont
représentés aujourd'hui par Constantine, Sélif et Cherchel.

ANCIENNE DIVISION DE L'ALGÉRIE.--L'Algérie, sous la domination turque,
était divisée en quatre provinces: 1° la province d'Alger; 2º la
province d'Oran, ou de l'ouest; 3º la province de Constantine ou de
l'est; 4º la province de Titteri, ou du sud.

La configuration générale du terrain n'avait pas été sans influence sur
la composition de ces provinces.

_Rivières_.--Les principaux cours d'eau qui traversent le territoire
d'Alger sont: l'Oued-Djer, la Chiffa, le Mazafran, l'Oued-Boufarik,
l'Oued-el-Kerma, l'Arrach, le Hamise et l'Oued-Kaddara.

_Villes_.--Les villes les plus importantes de la province d'Alger sont,
après la capitale, à laquelle nous consacrerons un article spécial.
Blidah. Boufarik. Dellys. Koléah.

_Blidah_.--L'armée française a pris possession du territoire de Blidah
le 3 mai 1838. Un camp, dit _camp supérieur_, a été d'abord établi entre
cette ville et la Chiffa sur une position qui domine la plaine de la
Metidjah, jusqu'au confluent de cette rivière et de l'Oued-el-Kébir. Ce
camp découvre au loin le pays des Hadjouths, et de tous les points du
terrain qu'il embrasse, on aperçoit la position de Koléah, avec laquelle
il a été mis en communication au moyen d'une route et d'une ligne
télégraphique. Un second camp, dit _Camp inférieur_, a été établi dans
une position intermédiaire, à l'est de la ville. Blidah était alors
interdite aux Européens; mais à la reprise des hostilités, en 1839, elle
fut définitivement occupée. Elle est située à l'entrée d'une vallée
très-profonde, au pied du Petit-Allas. Des eaux abondantes y alimentent
de nombreuses fontaines et arrosent les jardins et les bosquets
d'orangers qui l'environnent de tous côtés. La ville est assez
régulièrement percée, et ses rues sont moins étroites que celles
d'Alger. Un tremblement de terre renversa, le 2 mais 1825, une grande
partie des édifices les plus élevés; ainsi les maisons construites
depuis ce désastre n'ont-elles plus, en général, qu'un rez-de-chaussée.
La position assez saine de Blidah, à cent mètres au-dessus de Mazafran,
à cent quatre-vingt-cinq mètres au-dessus de la mer, fait de cette ville
le poste principal qui devra surveiller la plaine, maintenir les tribus
voisines, et servir d'entrepôt d'approvisionnements pour les colonnes
chargées d'opérer sur Médéah et Milianah.

_Boufarik_, le premier poste que nous ayons jetée dans la Metidjah, est
destiné à devenir le centre de nos établissements dans la plaine.
Occupant la place d'un marche autrefois renommé et très-considérable, il
avait continué, avant les hostilités, à être un lieu d'échange avec les
Arabes. La garnison loge dans un réduit en saillie, dit _Camp d'Erlon_,
où sont renfermés tous les établissements militaires. C'est à Boufarik
qu'on récolte une partie des foins de la plaine; les pâturages y sont
fort beaux: mais cette localité est malsaine et le sera longtemps
encore.

_Dellys_, que nous n'occupons pas, est adossée é une montagne qui a tout
au plus quatre cents mètres de hauteur. Ses maisons sont bâties en
pierre et recouvertes de tuiles. On y trouve beaucoup de restes
d'antiquités et d'anciennes murailles. Les habitants font un commerce
suivi avec Alger, où ils apportent tous leurs produits agricoles.

_Koléah_, située sur le revers méridional des collines du Sahel, a été
occupée le 29 mars 1858. A côté et à l'ouest de la ville, un camp a été
sur-le-champ établi comme une sentinelle avancée, observant les
débouchés des sentiers au sortir de la plaine et surveillant le rivage
de la mer. Les eaux sourdent de toutes parts, abondantes et pures, dans
le petit vallon de Koléah; elles sont distribuées avec art pour arroser
de magnifiques vergers d'orangers, de citronniers, de grenadiers.

PROVINCE DE TITTERI.--Cette province était comme celles d'Oran et de
Constantine, administrée par un bey (gouverneur) nommé par le dey, et
révocable à sa volonté. Les principales villes de cette province sont
Cherchel. Médéah. Milianah et Tenès. _Cherchel_, ville maritime, à 72
kilomètres, à l'ouest d'Alger, l'ancienne _Julia Caesarea_ des Romains,
n'occupe aujourd'hui qu'une très-petite partie de l'enceinte encore
visible tracée par ces conquérants. L'existence de _Julia Caesarea_ sur
l'emplacement de Cherchel a été prouvée par plusieurs inscriptions
trouvées sur place. Les traces de la ville romaine sont les restes de
ses remparts, les ruines d'un amphithéâtre et de nombreux pans de murs
et de débris d'édifices. La magnificence de ces ruines et de celles que
l'on voit dans les environs atteste que les Romains avaient fait de
_Julia Caesarea_ le principal siége de leur puissance dans cette
contrée. La possession de Césarée leur ouvrait l'accès des plaines et
des vallées situées entre le Chélif et le Mazafran. C'est par là qu'ils
pénétraient sans peine jusqu'à Médéah et Milianah. Le 16 mars 1840.
l'armée française a pris possession de Cherchel, abandonnée par ses
habitants.

_Médéah_, capitale de la province de Titteri, à environ 96 kilomètres
d'Alger, et à une journée de marche de Blidah, est bâtie en amphithéâtre
sur un plateau incliné, au delà de la première chaîne de l'Atlas, que
l'on traverse par un chemin très-difficile. Le point culminant, à
l'ouest, se trouve dominé par une espèce de fort ou kasbah. Les maisons
de Médéah ressemblent beaucoup, par leur construction, à celles du
Languedoc, et ont, comme elles, des toits recouverts en tuiles. Les rues
sont, en général, plus régulières et plus larges que celles d'Alger. Les
habitants sont d'une taille élevée, forts et bien constitués. Dans le
pays qui comprend l'ensemble des plateaux de Médéah, les habitants de la
campagne n'ont pour demeure que des baraques en paille, joncs et
branches d'arbres.

Médéah fut une forteresse romaine, occupant la partie supérieure du
mamelon sur lequel la ville est située: elle s'arrêtait à moitié pente
vers le sud: des traces de ses anciens remparts existent encore. Depuis,
habitée par les diverses races qui se sont successivement remplacées en
Afrique, elle s'est accrue en gagnant vers le sud jusqu'au pied même du
mamelon: c'est ainsi qu'ont pris naissance la haute-ville et la
basse-ville, longtemps séparées l'une de l'autre par une coupure et par
une porte. Les Romains avaient une grande route qui joignait Médéah à
Milianah. Médéah se trouve à peu près à 1,100 mètres au-dessus du niveau
de la mer. En été, les chaleurs y sont grandes mais en hiver, il y fait
très-froid. Des vignes, en grand nombre forment la principale culture et
produisent un raisin excellent. Médéah, dans sa partie basse, renferme
une fontaine très-abondante, d'une bonne, eau et présentant des traces
de travaux antiques La ville-haute, l'ancienne forteresse romaine,
n'offre aucune source: elle a seulement, dans sa portion déclive, deux
puits extrêmement profonds. Pour parer à cet inconvénient si dangereux,
les Romains avaient relié à leur citadelle par un chemin incline,
couvert par un rempart et par des tours descendant le long de
l'escarpement ouest, une magnifique source sortant avec une force
extrême de dessous le rocher qui supporte la ville-haute elle-même.

[Illustration: Carte générale de l'Algérie.]

[Illustration: Arabes irréguliers.]

Sidi Ahmed-ben-Youssef, marabout très-vénéré de Milianah, qui a laissé,
sur toutes les villes de la Régence, des sentences qui sont devenues des
dictons populaires, a dit, en parlant de Médéah: «Médéah, ville
d'abondance; si le mal y entre le matin, il en sort le soir.»

Médéah a été occupée quatre fois par les troupes françaises: le 22
novembre 1830, par le général Clauzel; le 29 juin 1831, par le général
Berthezene; le 4 avril 1836, par le général Desmichels, sous les ordres
du maréchal Clauzel; enfin, et d'une manière définitive, le 17 mai 1840.
par le maréchal Valée. Tous ses habitants l'avaient évacuée. Les
hostilités de 1839 avaient démontré que, tant qu'on laisserait les
Arabes libres dans l'Atlas, ils s'y organiseraient de façon à arriver en
force et à l'improviste sur nos établissements de la Métidjah, et
pourraient, par suite, nous inquiéter constamment. La garde de la
Métidjah étant donc sur les hauteurs de l'Atlas, l'occupation permanente
de Médéah fut résolue et effectuée dans ce but. Cette occupation a
donné, en outre, à la France, une place qui coupe par le milieu les
provinces orientales et occidentales de l'espèce d'empire créé par
Abd-el-Kader; elle a porté un rude coup à l'influence du jeune sultan
sur les Arabes soumis à sa domination. Médéah sera plus tard la station
destinée à assurer les communications et le commerce entre le désert de
Sahra et Alger.

[Illustration: Abd-el-Kader.]

_Milianah_ a été occupée, le S juin 1840 par l'armée française, qui la
trouva livrée aux flammes et abandonnée par ses habitants. La prise de
possession de Médéah rendait nécessaire celle de Milianah, qui, par sa
position, est la clef de l'intérieur des terres, et qui ouvre l'accès
des riches plaines et des fécondes vallées situées entre le Chélif et le
Mazafran. Cette petite ville, à 108 kilomètres environ d'Alger et à 60
de Blidah, est située dans une montagne de l'Atlas, sur le versant
méridional du Zakkar, à 900 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Suspendue en quelque sorte au penchant de la montagne, elle est bâtie
sur le flanc d'un rocher dont elle borde les crêtes. Sous la domination
romaine, Milianah, l'antique _Miniana_ par sa position centrale au
milieu d'une riche contrée, devint un foyer de civilisation, une
florissante cité, résidence d'une foule de familles de Rome. On y
retrouve encore aujourd'hui des traces non équivoques de la domination
romaine; un grand nombre de blocs en marbre grisâtre, couverts
d'inscriptions, et quelques-uns de figures ou de symboles. Un de ces
blocs offre sur ses faces une urne et un cercle; un second représente un
homme à cheval, ayant une épée dans une main et un rameau dans l'autre;
deux autres portent chacun deux bustes romains d'inégale grandeur. Les
maisons de Milianah, toutes composées d'un rez-de-chaussée et d'un
étage, sont construites en pisé fortement blanchi à la chaux et renforcé
habituellement par des portions en briques; elles sont couvertes en
tuiles. Presque toutes renferment des galeries intérieures et
quadrilatérales, de forme irrégulière, soutenues assez souvent par des
colonnades en pierre et à ogives surbaissées. La ville renferme
vingt-cinq mosquées, dont huit sont assez vastes. Comme celles de toutes
les villes arabes, ses rues sont étroites et tortueuses; mais des eaux
abondantes alimentent, par une multitude de tuyaux souterrains, les
fontaines publiques et celles des maisons, pourvues d'ailleurs de
plantations d'orangers, citronniers et grenadiers. La garnison a
construit de grandes places et percé deux larges rues aboutissant, l'une
à la porte Zakkar, l'autre à celle du Chélif. Elle a cherché à tirer
parti des richesses naturelles du sol: c'est ainsi qu'elle a établi un
four à chaux et une charbonnière, une suiferie, une poterie qui, en peu
de temps, a fourni tous les Ustensiles de cuisine et autres dont la
ville manquait; une tannerie; enfin une grande usine avec manège,
distillateur, réfrigérant, pressoir à vis, etc... où l'on a fabriqué de
la bière, du cidre et de l'eau-de-vie de grain. Toutes ces tentatives,
qui ont eu le double avantage d'utiliser les loisirs des troupes et
d'augmenter leur bien-être, prouvent de quelle importance peut devenir
Milianah, envisagée seulement au point de vue industriel.

_Tenès_ est une chétive et sale ville qui, avant Barberousse, a
cependant été la capitale d'un petit royaume indépendant. Située au bord
de la mer, elle faisait jadis un commerce de blé assez considérable. Une
colonne française l'a visitée le 27 décembre 1842; mais elle s'est hâtée
de s'éloigner de cette misérable bourgade, qui ne présentait aucune
ressource pour le logement et l'approvisionnement des troupes, et est
entourée de montagnes stériles. Voici ce que Sidi-Ahmed-ben-Youssef a
dit en parlant de Tenès:

                    Tenès,
           Ville bâtie sur du cuivre,
           Son eau est du sang,
           Son air est du poison;
Certes, Ben-Jousse ne voudrait pas passer une seule nuit
               dans ses murs.

_Ces lignes riment en arabe_.

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                             Tribunaux


               McNAUGHTEN.--MONTÉLY.--LES BURGRAVES.

[Illustration: Procès de McNaughten.--Cour criminelle centrale de
Londres.]

L'attentat mystérieux de McNaughten est expliqué maintenant. Les débats
qui viennent d'avoir lieu devant la cour criminelle centrale de Londres
audiences des 3 et 4 mars ont prouvé jusqu'à l'évidence que l'assassin
de M. Drummond ne jouissait pas, au moment où il a commis son crime, de
l'usage complet de sa raison. Fils d'un honnête tourneur, tourneur
lui-même, McNaughten avait mené, jusqu'à ce jour, une conduite
exemplaire. Ses amis remarquaient seulement qu'il devenait de plus en
plus froid et taciturne; quelquefois aussi il se plaignait de violents
maux de tête. Il y a un an environ, il se persuada qu'il était persécuté
par des ennemis qui en voulaient à ses jours. Il s'en plaignit vainement
à son père, à ses amis et à toutes les autorités de Glasgow, sa ville
natale, aux shérifs, au commissaire de police, au ministre, qui sont
venus à Old-Bailey le déclarer sous la foi du serment On le traita de
visionnaire, de fou, et on ne l'écouta pas. Alors, il quitta Glasgow, il
s'enfuit à Liverpool, à Édimbourg, à Boulogne, à Londres; mais partout
ou il allait, ses ennemis le suivaient, car le voyage ne guérissait pas
son imagination malade. Enfin, résolu de mettre un terme à cette
persécution qui le faisait si cruellement souffrir intimement convaincu
que M. Drummond était le général en chef de l'armée ennemie, il a tiré à
bout portant, le 2 janvier dernier, à l'infortuné secrétaire de sir
Robert Peel, un coup de pistolet chargé à balle (voir le premier numéro
de _l'Illustration_, page 6.)

Les médecins chargés de faire un rapport sur l'état des facultés
intellectuelles de l'accusé ont tous déclaré que McNaughten était
atteint d'aliénation mentale.

[Illustration: (McNaughten.)]

Le solicitor-général s'est alors empressé d'abandonner l'accusation, et
le jury a rendu, sans même délibérer, un verdict d'acquittement.
McNaughten sera probablement enfermé, comme Oxford, l'assassin de la
reine, dans une maison de fous. Il a écouté avec l'impassibilité la plus
complète ces débats, qui pouvaient avoir pour lui une issue si fatale.
La réponse du jury n'a pas même paru l'émouvoir. La gravure ci-jointe le
représente à la barre de la cour criminelle centrale de Londres, au
moment où, après la lecture de l'acte d'accusation, il répond au
greffier qu'il n'est pas coupable. Avons-nous besoin de faire remarquer
à nos lecteurs Français les différences matérielles qui distinguent la
cour criminelle centrale de Londres de nos cours d'assises? Au fond, sur
le _bench_ (le banc, ou le siège des juges), sont assis le président de
la cour, ses deux assesseurs et d'autres magistrats inférieurs, le lord
maire, les shérifs, les aldermen. En face du _bench_ est la _barre_ (en
anglais, _bar_), petite tribune communiquant par un escalier dérobé avec
la prison de Newgate; la table des _counsels_, conseils de la couronne,
ou défenseurs des accusés, autour de laquelle viennent s'asseoir les
membres du barreau, remplit presque tout l'espace compris entre le
_bench_ et le _bar_. Les jurés sont placés sur deux rangs dans la
tribune voisine du _box_, espèce de petite chaire où les témoins prêtent
serment en embrassant la Bible, et sont _examines_ et _contre-examinés_
par les conseils de la couronne et les défenseurs des accusés. En face
du jury, une autre tribune renferme les _reporters_, ou les
journalistes. Quant au public privilégié ou non privilégié, il occupe
des espèces de loges situées au-dessus ou de chaque côté de la barre;
pour entrer dans quelques-unes de ces loges, il faut payer 1 shilling à
l'_ouvreuse_.

Malheureusement ce n'était pas un fou que la Cour d'assises d'Orléans
jugeait la semaine dernière, mais un misérable qui avait assassiné
lâchement un de ses anciens camarades de lit pour lui voler une somme de
5,000 fr. Nous ne nous sentons pas le courage de raconter avec détail
les divers incidents de cette horrible affaire. Durant le cours des
débats, Montély a changé subitement de système de défense; il a tout
avoué, sauf l'assassinat, et il persiste encore à soutenir que Rosselier
s'est donné lui-même la mort. Déclaré coupable par le jury sans
circonstances atténuantes, il a été condamné à la peine capitale.
D'abord, avant que l'arrêt fût prononcé, il avait dit que la mort lui
ferait plaisir: mais cédant aux sollicitations de l'un de ses dent
défenseurs, il s'est décidé à signer son pourvoi en cassation.--Pendant
ce temps, Jacques Besson, toujours calme et impassible dans son cachot
de Lyon, comme dans les prisons du Puy et de Riom, ignore encore que la
justice humaine a prononcé, un arrêt irrévocable, et que la clémence du
Roi peut seule aujourd'hui épargner dans ce monde la vie du condamné.

De la tragédie réelle, passons sans transition à la tragédie imaginaire;
oublions et McNaughten et Montély, pour nous occuper un instant de
mademoiselle Guanhumara, autre folle qui a un vif désir de commettre un
assassinat. Les drames les plus sombres de M. Victor Hugo sont toujours
précédés d'un prologue moins grave, joué, en guise de réclame, devant
les tribunaux civils. Nous avons raconté dans notre précédente revue
comment et pourquoi mademoiselle Maxime s'était crue obligée d'intenter
un double procès au Théâtre-Français et à l'auteur des _Burgraves_. Le
tribunal civil de la Seine avait disjoint la cause entre la demoiselle
Maxime contre M. Victor Hugo, de celle de mademoiselle Maxime contre le
Théâtre-Français, et s'était déclaré incompétent sur cette dernière
action, parce qu'en vertu d'une clause insérée dans tous les engagements
des artistes, le litige soumis au tribunal appartient exclusivement à la
décision du conseil judiciaire du Théâtre-Français. Appel interjeté par
mademoiselle Maxime, la Cour royale a confirmé ce jugement.

Tout n'est pas fini cependant.

Restent encore trois procès à juger.

1° Celui de mademoiselle Maxime contre M. Victor Hugo;

2º Celui de M. Ch., homme de lettres, contre le Théâtre-Français. Le
jour de la première représentation des _Burgraves_, l'affiche annonçait
que les _entrées de faveur étaient généralement suspendues_, mais que,
cependant, les bureaux ne seraient pas ouverts. Frappé de cette étrange
contradiction, M. Ch. a fait plaider en référé que les représentations
d'un théâtre subventionné par l'état devaient être publiques, et que le
directeur ne pouvait pas,--surtout s'il suspendait généralement toutes
les entrées de faveur,--ne pas ouvrir les bureaux au public. M. le
président Perrol s'est déclaré incompétent; mais M. Ch. ne se tient pas
pour battu. Il va intenter une action devant le tribunal civil.

Ces deux procès se termineront probablement la semaine prochaine, et
nous en reparlerons plus longuement dans notre prochaine revue.

Quant au _troisième_, celui de M Victor Hugo contre le public, il n'est
pas de notre compétence. Nos lecteurs en trouveront le compte rendu
illustré aux pages suivantes.

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MANUSCRITS DE NAPOLÉON (I).

Dans le premier numéro de l'_Illustration_, nous avons annoncé à nos
lecteurs la publication des manuscrits inédits de Napoléon, qui sont
outre les mains de M. Libri. Nous commençons dès aujourd'hui à tenir
notre promesse. Nous nous proposons d'exposer ensuite, dans nos bureaux,
ces papiers précieux à l'examen de ceux de nos lecteurs qui désireraient
en vérifier l'authenticité. Ultérieurement nous fixerons l'époque de
cette exposition.

M. Libri a déjà fait connaître, dans un article de la _Revue des
Deux-Mondes_ (2), par quels moyens ces manuscrits avaient pu arriver
jusqu'à lui.

A l'époque du consulat. Napoléon, qui se voyait déjà dans l'histoire,
comme il l'a dit plus tard à Sainte-Hélène, songea à mettre en sûreté
tous les papiers de sa première jeunesse. Il les plaça donc dans un
grand carton du ministère, qui portait cette étiquette: _Correspondance
avec le premier consul_; il biffa l'étiquette et écrivit de sa main: _A
remettre au cardinal Fesch, seul_. Cette boîte, ficelée et cachetée aux
armes du cardinal Fesch, traversa, sans être jamais ouverte, l'Empire et
la Restauration; ensuite, toujours cachetée, elle passa par différentes
mains, et il y a très-peu de temps qu'on a su ce qu'elle contenait.

Voici, assure-t-on, à quelle occasion le cachet de ce carton fut rompu.
Un congrès scientifique, qui avait attiré dans la ville où se trouvaient
ces papiers un grand concours de savants français et étrangers, y
conduisit aussi le prince de Musignano, un des fils de Lucien
Buonaparte, qui cultive avec distinction une des branches de l'histoire
naturelle. Le propriétaire du précieux carton, profitant de la présence
d'un des membres de la famille de Napoléon, songea à lui remettre les
papiers, et le carton fut ouvert devant le prince. Dans ce moment, des
ordres de la police obligeaient le neveu de Napoléon à quitter la
France, et soit qu'il fut pressé de partir, soit tout autre motif que la
malignité du public interpréta comme un acte de parcimonie, le prince de
Musignano refusa de recevoir ces manuscrits, à la remise desquels le
possesseur attachait la condition d'une bonne oeuvre envers les pauvres.
Vers cette époque, M. Libri arriva avec une mission du ministre de
l'instruction publique dans la ville que le neveu de l'Empereur venait
de quitter; il entendit raconter l'histoire de l'ouverture du carton,
n'hésita pas à remplir la condition, et devint l'acquéreur de ces
papiers, qui augmentent entre ses mains la plus riche collection de
manuscrits inédits et d'autographes qui existe peut-être en Europe.
C'est de ce savant bibliophile que nous tenons le droit de publier et
d'exposer, comme preuve de leur authenticité, les écrits de Napoléon
renfermés dans le carton du premier consul.

M. Libri a dit, dans la revue que nous avons citée, de quelles oeuvres
se compose cette collection; nous en publierons la partie la plus
importante.

L'_Histoire de Corse_, qui commence cette série, est de toutes les
productions de la jeunesse de Napoléon, celle dont on a parlé le plus.
Il avait voulu la faire imprimer à Dôle, et la croyait perdue. Dans ses
Mémoires, Lucien Buonaparte exprime en ces termes ses regrets au sujet
de la perte supposée de cet ouvrage:

«Les noms (3) de Mirabeau et de Raynal me ramènent à Napoléon. Napoléon,
dans un de ses congés qu'il venait passer à Ajaccio (c'était, je crois
en 1790), avait composé une histoire de Corse, dont j'écrivis deux
copies, et dont je regrette bien la perte. Un de ces deux manuscrits fut
adressé à l'abbé Raynal, que mon frère avait connu à son passage à
Marseille. Raynal trouva cet ouvrage tellement remarquable, qu'il voulut
le communiquer à Mirabeau Celui-ci, renvoyant le manuscrit, écrivit à
Raynal que cette petite histoire lui semblait annoncer un génie du
premier ordre. La réponse de Raynal s'accordait avec l'opinion du grand
orateur, et Napoléon en fut ravi. J'ai fait beaucoup de recherches
vaines pour retrouver ces pièces, qui furent détruites probablement dans
l'incendie de notre maison par les troupes de Paoli.»

Lucien était dans l'erreur.

Un manuscrit de cette histoire se trouve parmi les papiers qui avaient
été remis au cardinal Fesch, et se compose de trois gros cahiers, qui ne
sont pas entièrement de la main de Napoléon, mais qu'il a corrigés et
annotés.

(1) La reproduction des manuscrits de Napoléon est interdite. (2) _Revue
des Deux-Mondes_, numéro du 1er mars 1842. (3) Mémoires de Lucien
Buonaparte. Paris, 1856, in-8º, p. 92.

Napoléon commence l'histoire de sa patrie aux temps les plus reculés et
la termine au dix-huitième siècle, au pacte de Corte entre les Génois et
les Corses. Cette esquisse, rédigée avec chaleur, décèle le plus vif
amour pour la Corse. Ce qu'on doit surtout y remarquer, et qu'on ne
s'attendrait pas à y rencontrer, c'est que Napoléon ne s'est pas borné à
écrire d'après les traditions plus ou moins incertaines l'histoire de
son pays. Il ne s'en est pas tenu aux croyances vulgaires: dans un temps
où l'érudition était presque proscrite, et où on la regardait comme une
vieillerie incompatible avec le progrès. Napoléon a su s'affranchir de
ce préjugé. Il a étudié les sources, il cite les ouvrages qu'il a
consultés, et l'on voit qu'il a eu soin de réunir les documents inédits
qui pouvaient lui fournir des lumières. Plusieurs de ces pièces sont
encore annexées au manuscrit de l'_Histoire de Corse_. Cet homme
extraordinaire ne pouvait rien faire d'incomplet; tous ses travaux
étaient sérieux. Au milieu de la Révolution, et malgré les idées qui
régnaient alors, il avait senti que l'histoire ne s'improvise pas, et il
n'avait pu consentir à n'être que l'auteur d'une compilation.

Dans les _Lettres sur l'Histoire de Corse_, on trouvera déjà les germes
du style énergique et saccadé de l'Empereur. On y trouvera surtout toute
la force de ce caractère indomptable. L'homme qui, dans ses premières
années, aimait avec une telle passion l'île où il avait vu le jour, est
le même qui devait plus tard montrer au plus haut point le sentiment
français. C'était toujours le même principe, l'amour national, qui
n'avait pu que s'étendre et se fortifier davantage en s'appliquant à une
grande nation.


LETTRES SUR LA CORSE A L'ABBÉ RAYNAL.

LETTRE PREMIÈRE.

Monsieur,

Ami des hommes libres, vous vous intéresserez au sort de la Corse, que
vous aimez; le caractère de ses habitants l'appelait à la liberté; la
centralité de sa position, le nombre de ses ports et la fertilité du sol
l'appeloient à un grand commerce.--Pourquoi donc le peuple corse
n'a-t-il jamais été ni libre ni commerçant?--C'est qu'une fatalité
inexplicable a toujours armé ses voisins contre lui. Il a été la proie
de leur ambition, la victime de leur politique et de sa propre
opiniâtreté.... Vous l'avez vu prendre les armes, secouer l'atroce
gouvernement génois, recouvrer son indépendance, vivre un instant
heureux; mais, poursuivi par cette fatalité irrésistible, il tomba dans
le plus insupportable avilissement. Pendant vingt-quatre siècles, voilà
les scènes qui se renouvellent sans interruption: mêmes vicissitudes,
même infortune, mais aussi même courage, même résolution, même audace.
Les Romains ne purent se l'attacher qu'en se l'alliant; des essaims de
Barbares l'assaillirent; ils s'emparèrent de ses champs, incendièrent
ses maisons; mais il sacrifia son caractère de propriétaire à celui
d'homme: il erra pour vivre libre. S'il trembla devant l'hydre féodale,
ce fut seulement autant de temps qu'il lui en fallut pour la connoître
et pour la détruire. S'il baisa en esclave les chaînes de Rome, guidé
par le sentiment de la nature, il ne tarda pas à les briser; s'il courba
enfin la tête sous l'aristocratie ligurienne, si des forces
irrésistibles le maintinrent vingt ans soumis au despotisme de
Versailles, quarante ans d'une guerre opiniâtre étonnèrent l'Europe et
confondirent ses ennemis. Mais vous qui avez prédit à la Hollande sa
chute, à la France sa régénération, vous aviez promis aux Corses le
rétablissement de leur gouvernement, le terme de l'injuste domination
française. Votre prédiction se seroit accomplie lorsque cet intrépide
peuple, revenu de son étourdissement, se fut ressouvenu que la mort
n'est qu'un des états de l'âme, mais que l'esclavage en est
l'avilissement; elle se seroit accomplie... Inutiles recherches! Dans un
instant tout est changé. Du sein de la nation que gouvernoient nos
tyrans a jailli l'étincelle électrique: cette nation éclairée, puissante
et généreuse, s'est souvenue de ses droits et de sa force; elle a été
libre et a voulu que nous le fussions comme elle. Elle nous a ouvert son
sein: désormais nous avons les mêmes intérêts, les mêmes sollicitudes;
il n'est plus de mer qui nous sépare.

Parmi les bizarreries de la révolution française, celle-ci n'est pas la
moindre. Ceux qui nous donnoient la mort comme à des rebelles sont
aujourd'hui nos protecteurs; ils sont animés par nos sentiments.--Homme!
homme! que tu es méprisable dans l'esclavage, que tu es grand lorsque
l'amour de la liberté t'enflamme! Alors tes préjugés se dissipent, ton
âme s'élève, ta raison reprend son empire... Régénéré, tu es vraiment le
roi de la nature.

A combien de vicissitudes, monsieur, sont sujettes les nations! Est-ce
la Providence d'une intelligence supérieure, ou est-ce le hasard aveugle
qui dirige leur sort? Pardonne, ô Dieu! mais la tyrannie, l'oppression,
l'injustice, dévastent la terre, et la terre est ton ouvrage. Les
souffrances, les soucis sont le partage du juste, et le juste est ton
image! Ces amères réflexions sont écrites sur toutes les pages de
l'histoire de Corse car l'histoire de Corse n'est qu'une lutte
perpétuelle entre un petit peuple qui veut vivre libre et ses voisins
qui veulent l'opprimer; l'un se défend avec cette énergie qu'inspirent
la justice et l'amour de l'indépendance, les autres attaquent avec cette
perfection de tactique qui est le fruit des sciences et de l'expérience
des siècles; le premier a des montagnes pour dernier refuge, les seconds
ont leurs navires. Maîtres de la mer, ils interceptent les
communications et se retirent, reviennent ou varient leurs attaques à
leur gré. Ainsi la mer, qui, pour tous les autres peuples, fut la
première source des richesses et de la puissance, la mer qui éleva Tyr,
Carthage, Athènes, qui maintient encore l'Angleterre, la Hollande, la
France, au plus haut degré de splendeur et de puissance, fut la source
de l'infortune et de la misère de ma patrie; heureuse si la sublime
faculté de perfection eût été plus bornée dans l'homme! Il n'aurait pas
alors, dans la soif de son inquiétude et par le moyen de l'observation,
soumis à ses caprices le feu, l'eau et l'air; il aurait respecté les
barrières de la nature; des bras de mer immenses l'auraient étonné sans
lui donner l'idée de les franchir.

Nous eussions donc toujours ignoré qu'il existait un continent... Oh!
l'heureuse, l'heureuse ignorance!!!

Quel tableau offre l'histoire moderne! Des peuples qui s'entre-tuent
pour des querelles de famille, et qui s'entr'égorgent au nom du moteur
de l'univers; des prêtres fourbes et avides qui les égarent par les
grands moyens de l'imagination, de l'amour du merveilleux et de la
terreur. Dans cette, suite de scènes affligeantes, quel intérêt peut
prendre un lecteur éclairé? Mais un Guillaume Tell vient-il à paraître,
les vieux s'arrêtent sur ce vengeur des nations; le tableau de
l'Amérique dévastée par des brigands forts de leur fer, inspire le
mépris de l'espèce humaine; mais on partage les travaux de Washington,
on jouit de ses triomphes on le suit à deux mille lieues; sa cause est
celle de l'humanité. Eh bien! l'histoire de Corse offre une foule de
tableaux de ce genre; si ces insulaires ne manqueront pas de fer, ils
manquèrent de marine pour profiter de leur victoire et se mettre à
l'abri d'une seconde attaque. Ainsi les années durent se passer en
combats. Un peuple fort de sa sobriété et de sa constance, et des
nations puissantes, riches du commerce de l'Europe, voilà les acteurs
qui figurent dans l'histoire de Corse.

Pénétré de l'utilité qu'elle pouvait avoir, de l'intérêt qu'elle
inspireroit, et convaincu de l'ignorance ou de la vénalité des écrivains
qui ont jusqu'ici travaillé sur nos annales, vous avez senti que
l'histoire de Corse manquoit à notre littérature. Votre amitié voulut me
croire capable de l'écrire. J'acceptai avec empressement un travail qui
flattoit mon amour pour ma patrie, alors avilie, malheureuse, enchaînée.
Je me réjouis d'avoir à dénoncer à l'opinion qui commençoit à se former
les tyrans subalternes qui la dévastoiont; je n'écoutai pas le cri de
mon impuissance... «Il s'agit moins ici de grands talents que d'un grand
courage, me dis-je, il faut une âme qui ne soit pas ébranlée par la
crainte des hommes puissants qu'il faudra démasquer. Eh bien! ajoutai-je
avec une sorte de fierté, je me sens ce courage-là.»

«La constance et les vertus de ma nation captiveront le suffrage du
lecteur. J'aurai à parler de M. Paoli, dont les sages institutions
assureront un instant notre bonheur, et nous firent concevoir de si
brillantes espérances. Il consacra le premier ces principes qui font le
fondement de la prospérité des peuples. On admirera ses ressources, sa
fermeté son éloquence; au milieu des guerres civiles et étrangères, il
fait face à tout. D'un bras ferme il pose les bases de la Constitution,
et fait trembler jusque dans Gênes nos tyrans. Bientôt trente mille
François, vomis sur nos côtes, renversent le trône de la liberté, le
noyant dans des flots de sang, nous font assister au spectacle d'un
peuple qui, dans son découragement, reçoit des fers. Tristes moments
pour le moraliste, pareils à celui qui fit dire à Brutus: _Vertu, ne
serais-tu qu'une chimère!..._ J'arriverai enfin à l'administration
françoise. Accablé sous le triple joug du militaire, du robin, du
maltôtier; étranger dans sa patrie, en proie à des aventuriers que le
François d'outre-mer refuseroit de reconnoitre, le Corse voit ses jours
flétris par l'avidité, par la fantaisie, par le soupçon et l'ignorance
de ceux qui, au nom du roi, disposent des forces publiques. Hélas!
comment cette nation éclairée ne seroit-elle pas touchée de notre état!
comment l'envie de réparer les maux qui nous sont faits en son nom ne
lui viendroit-elle pas!» C'étoit là le principal fruit que je voulais
tirer de mon ouvrage.

Plein de la flatteuse idée que je pouvais être utile aux miens, je
m'appliquais à recueillir les matériaux qui m'étoient indispensables;
mon travail se trouvoit même assez avancé, lorsque la Révolution vint
rendre au peuple corse sa liberté. Je cessai: je compris que mes talents
n'y étoient plus suffisants, et que, pour oser saisir le burin de
l'histoire, il falloit avoir d'autres moyens. Lorsqu'il y avoit du
danger, il ne falloit que du courage; quand mon ouvrage pouvoit avoir un
objet immédiat d'utilité, je crus mes forces suffisantes; aujourd'hui je
laisse le soin d'écrire notre histoire à quelqu'un qui n'aurait pas eu
mon dévouement, mais qui aura peut-être plus de talents. Cependant, pour
ne pas perdre tout le fruit de quelques recherches et pour remplir en
quelque sorte la promesse que je vous avois faite, convaincu d'ailleurs
que je ne puis vous offrir rien qui soit plus conforme à vos principes
que les annales d'un peuple comme le mien, je vais vous les faire passer
rapidement sous les yeux. Entrant dans la belle saison, abrité par
l'arbre de la paix et par l'oranger, chaque regard me retrace la beauté
de ce climat, que la nature a orné de tous ses dons, mais que des
ennemis implacables ont dévasté et dépouillé.

Le gouvernement républicain florissoit jadis dans les plus beaux pays du
monde, il amenait un accroissement de population qui obligeoit à des
émigrations fréquentes. Les Lacédémoniens, les Lyguriens, les
Phéniciens, les Troyens envoyèrent des colonies en Corse.

PHOCÉENS.--Six siècles avant l'ère chrétienne, les Phocéens, peuple
d'Ionie, chassés de leur patrie, vinrent y bâtir la ville de Calaris.
Les Phocéens étoient venus solliciter un asile; ils prétendirent
cependant dominer: quoique plus instruits dans l'art militaire, ils n'y
purent réussir; les naturels du pays, secourus par les Etrusques, les
chassèrent.

Il est difficile de pénétrer dans des temps si éloignés. Il paroît
cependant que les Corses vivoient contents, libres et abandonnés à
eux-mêmes, divisés en petites républiques confédérées pour leur défense
commune. C'est pourtant dans cet intervalle que les écrivains placent la
domination carthaginoise; tous se répètent, sans qu'il soit possible de
pénétrer l'origine de cette opinion. Il est certain toutefois que la
Corse ne fut jamais soumise aux Carthaginois. On lit dans les anciens
historiens qu'ils ont asservi la Sardaigne; que les Corses, qui
occupoient douze bourgs sur les plus-hautes montagnes de cette île, leur
résistèrent: mais Pausanias et Ptolémée nous apprennent que ces Corses
étoient des descendants d'anciens proscrits à qui on avoit conservé le
nom de la patrie de leurs pères. Dans les actes par lesquels les Romains
et les Carthaginois ont limité leur navigation et leur commerce
respectifs, comme dans leurs traités de paix, il est toujours fait
mention de la Sardaigne et jamais de notre pile. Si, après la première
guerre punique. Carthage céda la Sardaigne, la Corse ne se ressentit
aucunement I de l'humiliation de Carthage, et resta toujours
indépendante et libre... Il y a cent raisons qui auroient pu empêcher
tant d'écrivains de se copier si servilement. C'est surtout en lisant
notre histoire qu'il faut être en garde contre les opinions le plus
universellement adoptées.

ROMAINS.--Les Romains, maîtres de l'Italie, vainqueurs de Carthage,
durent penser à la conquête de la Corse, qui néanmoins ne leur fut pas
aussi facile qu ils se l'étoient promis. Les Corses se défendirent avec
intrépidité, quatorze fois ils furent vaincus, et quatorze fois ils
reprirent les armes, et chassèrent leurs ennemis. C. Papirius,
réfléchissant sur la cause de cette obstination, leur offrit le titre
d'allié des Romains sur le pied des Latins, et l'on accepta cette
condition qui assuroit en partie la liberté... Rome ne put parvenir à se
concilier ces peuples qu'en les faisant participer à sa grandeur...
Depuis, quelques infractions aux traités irritèrent les Corses, qui
devinrent irréconciliables. En vain, le préteur C. Cicereus et le consul
M. Juventius Thalna ravagèrent la Corse. Leurs victoires furent aussi
éclatantes qu'inutiles. Douze mille patriotes morts ou traînés en
esclavage affaiblissent, sans le décourager, un peuple implacable dans
sa haine. Ou fut bientôt étonné à Rome d'être obligé, après de pareils
événements, d'envoyer des armées consulaires contre une nation qu'on
croyait non-seulement découragée, mais même détruite Et s'il fallut
enfin qu'elle se soumit aux vainqueurs du monde, elle ne le fit qu'après
avoir été l'objet de cinq triomphes... La Corse, dans son exaltation,
avoit préféré abandonner les plaines trop difficiles à défendre plutôt
que de se soumettre. Les Romains se les approprieront, et y établirent
des colonies qui ont servi de lien entre les deux peuples. Lorsque,
depuis, les triumvirs offriront au monde le hideux spectacle du crime
heureux, la Corse et la Sicile furent le refuge de Sextus Pompée. Je
vois avec plaisir ma patrie, à la honte de l'univers, servir d'asile aux
derniers restes de la liberté romaine, aux héritiers de Caton.

BARBARES.--Des peuplades nombreuses de Goths, de Vandales, de Lombards,
après avoir ravagé l'Italie, passèrent en Corse, plusieurs même s'y
établirent et y régnèrent longtemps. Leur gouvernement, aussi sanglant
que leurs excursions, sembloit n'avoir pour but que de détruire; la
plume refuse de s'arrêter à de pareilles horreurs.

Lorsque les Sarrasins furent battus par Charles Martel, ils débarquèrent
en Corse; furieux d'avoir été vaincus, ils assouvirent sur nos
malheureux habitants la rage forcenée qui les transportoit contre le nom
chrétien. Les prêtres massacrés au moment du sacrifice, les enfants
arrachés du sein maternel, écrasés contre des rochers, périssant
victimes d'un Dieu qu'ils ne pouvaient connoître; les femmes égorgées,
le pays incendié, furent les offrandes que ces hommes féroces vouèrent à
leur prophète. Effet terrible du fanatisme! il étouffe les lois sacrées
de l'humanité, rend les peuples sanguinaires, et finit par leur forger
des fers.

Fatigués de se trouver sans cesse en proie aux incursions des barbares
et d'espérer en vain des secours des princes voisins, les Corses,
quittant leurs habitations et errant dans les forêts les plus
impénétrables, sur les sommets les plus inaccessibles, traînèrent sans
espoir leur triste existence, lorsque, du fond de l'Italie, un homme
généreux y aborda avec mille ou douze cents de ses parents et de ses
vassaux.

UGO COLONNA.--Ugo, du sang des Colonna, fut le génie tutélaire qui, sous
la protection des papes, vint ranimer le courage des insulaires et
détruire l'empire mauresque. Les naturels du pays rentrèrent libres dans
leurs habitations; ils commenceront sans doute à goûter les fruits d'un
sage gouvernement, et désormais plus tranquilles, ils vivront
heureux!... Non... Ugo croit avoir le droit de s'ériger en despote en
conservant à la cour de Rome la suzeraineté. Les seigneurs qui l'avaient
accompagné s'approprièrent divers cantons: le régime féodal naquit de ce
partage, et voilà les Corses, échappés aux cruautés des Goths et des
Vandales, devenus victimes d'un système de gouvernement que ces barbares
avaient imaginé, système qui a nui plus à l'Europe que leurs armes.
Ainsi une reconnaissance exagérée pour les libérateurs, peut-être même
une admiration aveugle pour de riches étrangers, dompte cette fois ce
caractère inflexible.

Quiconque a médité sur l'histoire des nations est accoutumé sans doute
au spectacle du fort opprimant le faible, et à voir les différentes
sectes se haïr et s'égorger; mais l'horrible rapine que Rome exerçait à
cette époque est, je crois, le point extrême de l'abus de la religion.
Les papes, en vertu de leur suzeraineté, pour s'indemniser des secours
qu'ils avoient accordés, imposèrent, sous le titre de tribut temporel,
le cinquième des revenus, et sous le nom de tribut spirituel..... je
crains que l'on ne me taxe d'exagération, je serais tenté de développer
toutes les preuves..... oui, sous le titre de tribut spirituel, le père
commun des fidèles, le vicaire d'un Dieu-Homme, percevoit le dixième des
enfants que ses collecteurs prenoient âgés de cinq ans pour les
transporter dans les palais de Rome, briser les liens qui unissent les
pères aux enfants, la patrie aux citoyens, s'appelait une chose
spirituelle!... Quand les historiens ne présenteraient que ce trait, ils
offriraient une matière inépuisable aux méditations de l'homme sensé.
Celui qui vont affaiblir l'empire de la raison, qui essaie de substituer
aux sentiments infaillibles de la conscience le cri des préjugés est un
fourbe, il veut tromper!

Dans ces temps de malheur et d'avilissement naquit _Arrigo Il Bel
Messere_. Arrigo, descendant de _Ugo_,. respecté de ses peuples, craint
de ses vassaux, s'occupoit quelquefois de leur bonheur: quoique soumis à
la cour de Rome, plus encore par les préjugés qui dominaient alors en
Europe que par son serment, il obtint, après de longues négociations, la
suppression du tribut spirituel. Le fer d'un Sarde coupa le fil des
jours de ce prince. Arrigo ne laissant point de postérité, tous les
seigneurs se cantonnèrent dans leurs châteaux, et après s'être
longuement disputé l'empire, visèrent tous à l'indépendance. Les
peuples, également victimes des guerres que les seigneurs se faisoient
entre eux et leur administration, ne tardèrent pas à s'en lasser. Le
peuple corse au centre de l'Europe, a dû sans doute être opprimé par les
mêmes tyrans que les autres peuples, mais il a toujours été le premier à
donner l'éveil et à secouer le joug. Ainsi, dans le siècle où toute
l'Europe croupissoit sous le régime féodal, lui seul se fit un
gouvernement municipal, adopté depuis en Italie, et ensuite dans les
autres pays du continent.

GOUVERNEMENT MUNICIPAL.--La partie septentrionale de l'île fut la
première à recouvrer sa liberté; chaque village forma sa municipalité,
chaque pieve eut son podestat, et tous réunis nommèrent une régence ou
suprême magistrature, composée de douze membres.

Les papes, qui n'avoient pas abandonne leurs prétentions sur la Corse, y
envoyèrent des seigneurs de la maison de Massa sous prétexte diriger les
forces des communes contre les larrons avec plus d'intelligence. Ils les
accoutumoient ainsi à ne revoir des chefs de leurs mains: mais, en 1091
le pape Urbain second donna l'investiture de la Corse aux Pisans qui
maîtres de Boniface et très-puissants dans ces mers, se faisoient
estimer par leur sagesse.

Une partie de l'île était gouvernée en démocratie, avoit des lois, des
magistrats et des forces: la partie méridionale, excepté deux pièves,
étoit soumise aux seigneurs des maisons de Cinarca, Lira, Rocca, Druano.
Quelle était donc l'autorité de la république de Pise? Elle envoyoit
deux de ses principaux citoyens, qui percevoient une légère imposition;
leur principale fonction consistait à tacher de maintenir la paix parmi
les différents États qui composoient le royaume. Soit qu'il s'élève un
différend entre deux barons, soit qu'il s'en élève un entre un baron et
une commune, les deux magistrats, qui portoient le titre de _judice_
prononcoient. Le gouvernement des Pisans fut agréé en Corse; ils
n'ambitionnoient pas une extension d'autorité; la paix et la justice
furent l'objet de leurs soins; le tribut modique qu'ils percevoient, ils
l'employoient tout entier à des établissements publics. Le titre de
citoyen de Pise, qu'ils donnèrent aux Corses, avec la jouissance des
prérogatives qui s'y trouvoient attachés, acheva de consolider leur
prépondérance Ainsi, monsieur, s'écoulèrent dix-huit siècles, sans qu'au
milieu de tant de révolutions, le peuple corse ait jamais démenti son
caractère.

Des érudits italiens ont prétendu, dans ces derniers temps, que la
maison Colonna n'étoit jamais venue en Corse; ils ont fourni des prouves
qui ne m'ont point convaincu; je m'en tiens donc à l'assertion reçue, à
la tradition, à la conviction qu'en ont les Colonna de Rome, et à
l'autorité de tant d'historiens, dont plusieurs sont contemporains, aux
restes de quelques monuments, etc. Contentons-nous de discuter la
principale objection.

D'abord, disent-ils, on trouve qu'un Charles, roi de France a délivré la
Corse des Maures. Depuis, l'on voit un Bonifazio, marquis de Toscane,
chargé par l'empereur de défendre la Corse; c'est lui qui est si célèbre
par la fameuse descente en Afrique. Après sa mort, l'on voit son fils
Adalberto lui succéder et précéder Alberto second, dit le Riche, qui
meurt en 916; enfin Guido Lamberto succède à Alberto le Riche... Je
conviens de tous ces faits, mais je ne vois pas ce qu'ils ont
d'incompatible avec ce que nous avons dit des Colonna.

Les papes envoyèrent Ugo en Corse pour la délivrer. Les empereurs
étoient, ce me semble aussi, fort intéresses à ce que les barbares ne
s'y établissent pas; ils donnèrent donc commission au marquis de Toscane
de veiller sur la Corse, de la secourir si les barbares l'attaquaient,
et, en conséquence de cette commission, les marquis de Toscane prenoient
le titre de _tutor Corsicæ_. Cela est si vrai, que, depuis, lorsque les
communes eurent pris consistance, l'on voit une comtesse Mathilde,
marquise de Toscane, s'intituler _tutor Corsicæ_, cependant elle n'y
avoit certainement aucune autorité.

L'on relevé ensuite quelques erreurs de chronologie de Giovanni Della
Grossa, et l'on en déduit la fausseté du fait; cela n'est pas
conséquent; en vérité, il faut bien avoir la manie des systèmes pour ne
pas sentir que c'est bâtir sur le sable que d'en fabriquer sur de si
foibles fondements.

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                           Théâtres.

THÉÂTRE FRANÇAIS.--_Les Burgraves_, trilogie en vers., par M. Victor
Hugo: 1er acte, l'Aïeul; 2e acte, le Mendiant; 3e acte, le Caveau perdu.

Voyez-vous ce noir château perché sur le sommet d'un roc, comme un nid
de vautour, armé de herses et de créneaux? C'est le château d'Heppenhef.
Son front a pour voisins les nues et les orages, et le vieux Rhin mugit à
ses pieds, dans ses abîmes profonds. Heppenhef appartient à une antique
race de Burgraves. Les seigneurs, comtes de ce terrible _Burg_, l'ont
occupé de père en fils, et de temps immémorial. Aujourd'hui, on y trouve
quatre générations vivantes, en remontant du petit-fils au bisaïeul. Job
est le nom du grand ancêtre; Magnus vient après lui; après Magnus,
Hatto; après Hatto. Conrad: à eux quatre, les comtes d'Heppenhef forment
un total d'à peu près deux cent soixante-dix ans; ce ne sont pas des
seigneurs de la première jeunesse.

De son temps, Job passait pour un preux et pour un vaillant. Comme son
haubert, son coeur était d'acier: le fer ne pouvait briser l'un, pas
plus que la peur n'entamait l'autre; sa foi valait son épée, et nul
étranger ne heurtait à son foyer, sans que Job lui dit: Prenez place!

Magnus suivit de près l'exemple de son père; mais ce n'était déjà plus
le même bras ni la même âme; l'épée paternelle lui était pesante, et de
même que son corps pliait sous la vieille armure, de même sa conscience
commençait à chanceler et.. livrer passage aux perfides attaques de la
mollesse et de la volupté.

Avec Hatto, tout est dit La forte race d'Heppenhef dégénère et s'énerve,
et le fils d'Hatto promet une descendance pire encore.

[Illustration: (Ligier, rôle de Frédéric Barberousse en mendiant.)]

Est-ce le cliquetis du fer et le _hurrah_ des combattants qui résonnent
maintenant sous les voûtes du château d'Hoppenhef? Non; mais le cri
aviné de l'orgie, mais le choc des coupes qui se remplissent et se
vident. Hatto y commande et y fait régner avec lui la violence et la
débauche; s'il s'arrache à ses journées d'ivresse et à ses nuits
enflammées, c'est pour s'élancer de son _Burg_ sur la campagne, comme un
oiseau de proie, pillant les moissons, dévastant les chaumières,
enlevant femmes et hommes pour en faire ses esclaves; cependant le vieux
Job et le vieux Magnus, tristement retirés dans le sombre donjon, se
dérobent par la solitude à ce honteux spectacle de leur propre
décadence.

Par le Rhin! aujourd'hui Hatto est en joie. Il y a grande fête chez
monseigneur, et grand festin. Les éclats bachiques et les chansons des
joyeux convives s'échappent à travers les créneaux et courent dans l'air
en folles bouffées. O race aveugle et brutale! enivre-toi; noie le
courage et l'honneur de tes pères dans ces coupes fumantes; le Rhin est
un fleuve fécond, et la grappe qui mûrit cette chaude liqueur sous sa
blonde écorce se mire dans ses eaux. Mais ne sais-tu pas que le serpent
livide peut se glisser sous ces fleurs, la douleur dans cette joie, le
châtiment dans cette impunité, la mort dans cette vie effrénée!

D'où vient cette ombre sinistre qui passe et repasse devant ce _Burg_
fatal où hurle l'orgie? Est-ce une femme? est-ce un fantôme?
Appartient-elle à la terre? Sort-elle du fond des noirs abîmes? Son
aspect est misérable et repoussant; elle est chargée d'ans et de rides,
et, sur son visage flétri, l'oeil découvre aisément la trace des longues
souffrances et des implacables ressentiments longuement accumulés.
Qu'est-ce donc? A-t-elle quelque grand crime à expier? Poursuit-elle
quelque horrible vengeance? Un humble sac de pénitente l'enveloppe; un
carcan entoure son cou et l'emprisonne; une longue chaîne d'esclave lui
sert de ceinture; au pied, elle traîne un anneau de fer.

C'est une femme! c'est Guanhumara! Ici les somptueux repas, dit-elle en
jetant çà et là un regard sombre, là la misère affamée. Le tyran de ce
coté, de l'autre l'esclavage. Ah! oui, réjouissez-vous, Burgraves, vous
n'avez pour ennemi qu'une femme;

         Mais, ô princes, tremblez; cette femme est la haine!

Si vous demandez maintenant à l'un de ces serfs enchaînes qui errent sur
le préau: Quelle est cette vieille hideuse, dont l'oeil lance un éclair
sinistre? Une fille de Béelzébuth, répondra-t-il en se signant; une
damnée, une sorcière.--Guanhumara, en effet, possède la science
surhumaine; elle sait préparer les poisons redoutés qui causent un
trépas soudain; elle a le secret des filtres merveilleux qui arrachent
sa proie à la tombe; dans sa main, elle tient la vie et la mort.

Il y a au château d'Heppenhef un jeune chevalier qui se nomme Otbert;
c'est un capitaine d'aventures,

      Arrivé l'an passé, bien qu'encore novice,
      Au château d'Heppenhef, pour y prendre service.

Mais, au lieu de faire la guerre, Otbert s'est conformé aux exemples du
maître: il a fait l'amour. Otbert aime Régina, jeune comtesse suzeraine,
dont Hatto convoite, non pas la jeunesse et la beauté, mais les fiefs
magnifiques et nombreux qui rehaussent sa couronne de comtesse. Ainsi,
Otbert est le rival du misérable et cruel Hatto, son rival mystérieux et
discret.

--Hélas! aimer Régina, c'est aimer la fleur qui se fane, la suave
mélodie qui finit, le beau jour qui s'éteint. Régina est atteinte d'un
mal mortel; chaque jour enlève une rose à sa jeunesse; chaque heure la
précipite vers le terme fatal; elle marche d'un pas débile, appuyée sur
le bras d'Otbert, et jetant, à travers les fenêtres crénelées, un long
regard mélancolique dans le ciel azuré et sur les pampres jaunis par
l'automne; les feuilles tombent, dit-elle, mais elles renaîtront;--les
hirondelles prennent la fuite, un autre printemps les ramènera;

      .    .    .    Mais, moi, je ne verrai
      Ni l'oiseau revenir, ni la feuille renaître.

Qui sauvera Régina? qui lui rendra la santé et la vie? comment relever
la tige de cette fleur languissante et penchée? Otbert s'adresse à la
toute-puissance de Guanhumara; il la conjure, il la supplie. On dirait
d'ailleurs qu'une force secrète pousse cette femme au-devant d'Otbert et
la mêle à sa destinée. Enfant, elle l'a porté dans ses bras, et son oeil
a plongé dans le mystère de sa naissance; car Otbert est un fils du
hasard. Cependant, chaque fois qu'il cherche à arracher à Guanhumara le
nom de son père et de sa mère, Guanhumara, pâle et muette, se tient
immobile.

Aujourd'hui, elle vent bien sauver Régina, à l'aide d'un de ces sucs
puissants qu'elle apporta d'Asie. Mais Guanhumara ne donne rien pour
rien; elle prêtera la vie, Otbert lui rendra la mort; oui, Otbert se
fera meurtrier, sur un signe de Guanhumara; il tuera quelqu'un, comme le
bourreau tue; il le tuera au jour, à l'heure où Guanhumara lui criera de
frapper.--Eh bien! j'y consens, dit Otbert; et pour salaire de ce marché
sanglant, il reçoit de Guanhumara le flacon qui renferme la vie de
Régina.

La victime que Guanhumara réserve au poignard d'Otbert, la
connaissez-vous? Cherchez parmi ces Burgraves. Est-ce Magnus, ou Hatto,
ou le fils d'Hatto, plus méchant encore que son père? Ni l'aïeul, ni le
fils, ni le petit-fils. Ecoutez ces esclaves; ils racontent une
sanglante aventure qui s'est passée au château d'Heppenhef: les
serviteurs sont bons à entendre, car ils dévoilent les maîtres.

Il y a bien longtemps de cela. Le vieux Job d'aujourd'hui s'appelait
alors Fosco; il habitait un des redoutables manoirs qui dominent le
Rhin. Là se trouvait, avec Fosco, un autre jeune gentilhomme du nom de
Donato. Donato et Fosco s'éprirent en même temps de la même femme.
Donato fut préféré:

      Les amants se cachaient dans un caveau discret,
      Dont l'entrée inconnue était leur doux secret.
      C'est là qu'un jour Fosco, coeur jaloux, main hardie,
      Les surprit, et finit l'idylle en tragédie.

Un matin, des pâtres trouvèrent dans le torrent qui mugissait au pied de
la tour deux cadavres percés de coups de poignard; c'étaient Donato et
son écuyer. Fosco ne s'arrêta pas à ce double crime; après l'homicide,
il commit le viol, et la jeune fille mit au monde un enfant, triste
fruit de cette lâcheté. Ainsi, disent les esclaves; l'histoire est bien
plus sombre encore: Donato était le frère de Fosco!

Depuis ce temps, Fosco a pris le nom de Job, de Job le maudit. Les ans
se sont accumulés sur sa tête, et les remords avec les années, mais les
remords du vieux Job ne suffisent pas à Guanhumara. Ne voyez-vous pas,
en effet, que Guanhumara fut cette jeune fille aimée de Donato; elle a à
venger son honneur à elle et la mort de son amant; terrible vengeance
qu'elle, nourrit et garde depuis cinquante ans au fond de son âme; une
vengeance si âgée doit être lasse d'attendre.

[Illustration: (Madame Mélingue, rôle de Guanhumara.)]

[Illustration: (Mademoiselle Denain, rôle de Régina.)]

Guanhumara n'est pas femme à se satisfaire simplement par des voies
vulgaires; tuer Job ou l'empoisonner de ses propres mains, la première
venue en ferait autant! Guanhumara raffine. Elle arme Otbert contre Job,
Otbert, ce fils que la violence de Fosco a obtenu d'elle, après
l'assassinat de Donato. En vérité, ce château d'Heppenhef est un rude
château; autrefois le frère y tua le frère, bientôt le père y tombera
peut-être sous le poignard du fils; château terrible, château féroce,
château maudit, où le fratricide et le parricide ont élu leur sanglant
domicile.

Hatto cependant n'en continue pas moins sa joyeuse vie. Le voici la
coupe à la main, qui se livre à l'ardeur du repas et de la chanson. Son
fils l'accompagne et s'enivre avec lui: Quoi! Conrad, vous n'avez que
seize ans? O jeune homme de la plus belle espérance!--Et ton père, et
ton aïeul, que font-ils? demande quelqu'un à Hatto.--Ma foi, je n'en
sais rien; ce sont de vieux fous; j'ai pris leur place, j'en use!--Puis
Hatto de faire parade de ses débauches et de ses crimes.--Apercois-je
dans la plaine quelque chose qui éveille mon appétit, une jolie femme,
un riche marchand, une bonne ville.

      Comme un chasseur ses chiens, je lâche mes bandits;

Et la ville, la femme, le trésor sont à moi! Alors cette troupe
d'insolents Burgraves, corps ivres, âmes sans pudeur, s'abandonnent
avec, Hatto à toutes les folies de la corruption effrénée; ils raillent
l'amour et l'honneur, la conscience et le serment. Mais une voix triste
et indignée se fait entendre tout à coup, c'est la voix de Magnus, qui,
au bruit de cette débauche, est sorti de son donjon solitaire.--Qu'est
ceci? dit-il:

      .    .    .   Jeunes gens, vous faites bien du bruit,
      Laissez les vieux rêver dans l'ombre et dans la nuit;
      La lueur des festins blesse leurs jeux sévères;
      Les vieux choquaient l'épée... Enfants, choquez les verres!

Les rires insolents, les grossiers sarcasmes accueillent les
remontrances de Magnus. Il a le sort des vieillards dont les sages
paroles se brisent contre la frivolité et la raillerie des jeunes
hommes. Mais voici que l'occasion se présente de mettre la brutale
philosophie des Burgraves en pratique: un homme couvert de haillons
heurte à la porte; il demande l'hospitalité pour lui, pour ses cheveux
blancs, pour son corps aussi vieux que relui du vieux Job:

      Que l'on chasse à l'instant ce drôle à coups de pierre.
      Va-t'en, chien!

s'écrient Hatto et ses compagnons; ce n'est plus Magnus, cette fois,
c'est Job lui-même qui prend la parole:

                              De mon temps, dans nos fêtes,
      Quand nous buvions, chantant plus haut que vous encor,
      Autour d'un boeuf entier, porté sur un plat d'or,
      S'il arrivait qu'un vieux passât devant la porte,
      Pauvre, en haillons, pieds nus, suppliant, une escorte
      L'allait chercher; sitôt qu'il entrait, les clairons
      Éclataient; on voyait se lever les barons;
      Les princes, sans parler, sans marcher, sans sourire,
      S'inclinaient, fussent-ils princes du Saint-Empire,
      Et les vieillards tendaient la main à l'inconnu,
      En lui disant: Seigneur, soyez le bienvenu.

Qu'on fasse entrer l'étranger, ajoute-t-il, en s'adressant à un
archer.--Quelqu'un murmure?--Silence, s'écrie Job d'une voix sonore, et
ce vieux lion

      Les fait tous frissonner en dressant sa crinière.

Honneur au mendiant! Honneur à notre hôte!

      Sonnez, clairons, ainsi que pour un roi.

[Illustration: Théâtre-Français--Première représentation des Burgraves,
Trilogie par M. Victor Hugo.--Scène du deuxième acte: Barberousse se
fait reconnaître.]

[Illustration: (Geffroy, rôle d'Otbert.)]

C'était peu de ce Job qui s'est appelé Fosco, de ce père qui ne connaît
pas son fils, de ce fils qui ne sait ni de quel père, ni de quelle mère
il est né; de cette Guanhumara qui cache son nom et médite dans l'ombre
de si terribles vengeances; c'était peu de ces élixirs, mystérieux
souverains de la vie et de la mort, de ces crimes sombres ensevelis dans
la unit du caveau fratricide, de ces deux cadavres flottant sur les eaux
du fleuve et recueillis secrètement par des bergers; c'était peu de
toutes ces énigmes et de tous ces hasards; ce mendiant, que Job a reçu
au bruit des clairons vient encore ajouter un mystère de plus à tous les
mystères qui se disputent le château d'Heppenhef.

Le mendiant est sinistre et redoutable à voir: sur ses épaules flotte un
vaste manteau en haillons qui se replie sur sa tête et recouvre son
front plein de rides et dépouillé; ses yeux sont profonds et caves; une
épaisse barbe, blanchie par l'âge, descend, de ses lèvres sur sa
poitrine, en longs sillons d'argent. Le vieillard s'appuie sur un grand
bâton noueux, comme un pèlerin errant après une course pénible. Il a les
pieds chaussés de poudreuses sandales, et les reins ceints d'une corde
d'où s'échappent les grains d'un rosaire. Cependant cette vieillesse est
puissante et forte, et sous ces haillons, je ne sais quelle grandeur se
laisse pressentir.

Mais, en effet, quel est cet homme? Ecoutez-le, il gémit sur les misères
de l'Allemagne: il déplore la décadence et la faiblesse de ce grand
empire abaissé; il remue de sa parole les intérêts des souverains et des
peuples, et sonde les plaies de cette vieille patrie germaine en proie
aux vautours dévorants. Est-ce là le langage d'un mendiant, d'un pauvre
vagabond qui, dormant sur le roc et buvant aux sources des fontaines, se
soucie peu des nations et des princes? Patience! nous connaîtrons
bientôt le vieillard, nous lirons enfin son grand nom sous cette livrée
du pauvre. Mais le temps n'est pas encore venu; qu'il aille s'asseoir,
en attendant, sur le banc de pierre du Burg, et réchauffer ses
quatre-vingt-douze ans au feu du soleil; car il a quatre-vingt-douze
ans, le mystérieux inconnu.

Cependant, au milieu de ces querelles et de ces orgies, de ces pères qui
gourmandent leurs descendants, de ces mendiants quadragénaires et de ces
rosaires à tête de mort. Régina a refleuri. Guanhumara avait raison:
l'élixir tout-puissant vient de rendre, goutte à goutte, la santé et la
joie à cette jeune Régina tout à l'heure pâle et mourante. Maintenant,
il faut à Guanhumara le salaire de cette résurrection, et vous savez
quel salaire! Guanhumara veut être payée en assassinat. «J'ai tenu ma
promesse.--Je tiendrai la mienne, répond Otbert!.--Bien! je t'attends ce
soir.--A quelle heure!--A minuit.--Ou?--Dans le caveau de la Tour.--J'y
serai.--Là tu trouveras un homme.--Son nom?--Fosco!--Qu'est-ce que
Fosco?--Tu le sauras ce soir.»

Ainsi rien n'émeut le coeur de Guanhumara, et rien ne le désarme. Son
ressentiment n'est pas même touché du plaisir que montre le vieux Job en
voyant Régina renaître. Ah! bien plutôt, sa fureur s'en augmente. Quoi!
il serait heureux! quoi! il aurait encore des joies! Job cependant
caresse Régina, et lui parle d'Otbert: Job aime Otbert, un secret
instinct, une indéfinissable tendresse, l'attirent vers lui:

      Vois-tu, ma Régina, cette noble figure
      Me rappelle un enfant, mon pauvre dernier-né
      Quand Dieu me le donna, je me crus pardonné.
      Voilà vingt ans bientôt.... Un fils à ma vieillesse.
      Quel don du ciel!... J'allais à son berceau sans cesse
      Même quand il dormait, je lui parlais souvent;
      Car, quand on est très-vieux, on devient très enfant
      Le soir, sur mes genoux j'avais sa tête blonde
      Je te parle d'un temps... tu n'étais pas au monde.
      Il bégayait déjà les mots dont on sourit;
      Il n'avait pas un an, il avait de l'esprit.
      Il me connaissait bien! . . . . . . . . .
      Je l'avais nommé George; un jour, pensée amère,
      Il jouait dans les champs... Ah! quand tu seras mère,
      Ne laisse pas jouer tes enfants loin de toi!
      Ou me te prit. . . . . . . . . .

Job est bon homme, comme on le voit, quoique un peu fratricide. Il
pousse même la bonhomie jusqu'à favoriser l'enlèvement de Régina par
Otbert. S'il était le seul maître à Heppenhef, il les marierait; mais le
farouche Hatto, que dirait-il? Nos jeunes amants n'ont qu'un seul moyen
d'éviter sa fureur, c'est de fuir.

      Mon donjon communique aux fossés du château;
      J'en ai les clefs! . . . . . . . . . .

Et en effet, Job va chercher les clefs lui-même:--Maintenant partez,
dit-il. Assurément, c'est là un rare pratiquer de vieillard, pratiquer
de complicité des enlèvements de mineures, prêter se clefs _ad hoc_ et
ouvrir la porte aux amours qui s'envolent, voilà un passe-temps qui
n'est pas commun à cent ans, âge exact de Job.

Malheureusement, Job, tout centenaire qu'il est, a causé tout haut comme
un étourdi. Guanhumara écoutait, et Guanhumara prévient Hatto. Hatto
arrive furieux. Otbert le provoque.--Allons donc! répond Hatto. Tu n'es
qu'un aventurier; que quelque gentilhomme t'assiste, et je me battrai
avec toi!... Tout à coup une voix formidable s'écrie:

      J'ai quatre-vingt-douze ans, moi, je te tiendrai tête!

Et l'on voit alors le mendiant apparaître et fendre la foule. Ici se
dévoile une partie du secret de ce terrible porte-besace:--Qui
es-tu?--Frédéric de Souabe, empereur d'Allemagne! Certes, j'avais raison
tout à l'heure, ce mendiant n'était pas un mendiant ordinaire. Il est
empereur, et quel empereur! Frédéric Barberousse, rien que cela!
Frédéric s'est introduit dans le repaire des Burgraves pour les châtier:

      .... L'empereur met le pied sur vos tours,
      Et l'aigle vient s'abattre au milieu des vautours.

Hatto et ses compagnons résistent! que leur fait l'empereur? Ne sont-ils
pas maîtres dans leurs domaines? Ah! noble César, tu vas payer cher ton
insolence!

      Qu'on lui fasse un gibet digne d'un empereur!

--Cela ne sera pas! s'écrie Job; non, cela ne sera pas!--Le vieux Job,
en effet, a conservé le culte des antiques croyances; c'est un Burgrave
élevé dans l'amour de l'empire et dans le respect de l'empereur; il se
prosterne donc aux pieds de Barberousse, et oblige son fils et ses
hommes d'armes à s'agenouiller comme lui devant l'impériale majesté.

Alors Barberousse se penchant vers Job:

.... Fosco! (dit-il)--Ciel!--Point de bruit, Va m'attendre ce soir où tu
vas chaque nuit.

Nous avons vu _l'aïeul_, puis le _mendiant_, il nous reste le _caveau_.
Descendons-y, il est temps.

Ce souterrain est redoutable et sombre; il donne sur le Rhin aux flots
mugissants, et sa nuit n'est éclairée que par un jour incertain et
blafard qui se glisse au travers des barreaux de fer: deux de ces
barreaux sont tordus et brisés. Là, le fratricide a été commis, et par
cette ouverture, la jalousie de Fosco (Job) a précipité Donato et son
écuyer percés de coups. Là encore Guanhumara a succombé à l'attentat qui
a donné la vie à Otbert. L'homicide, le fratricide, le viol, horribles
souvenirs, errent dans ce caveau plein de forfaits et de ténèbres.

Job vient d'y descendre, et l'aspect de ce lieu funeste ranime dans sa
conscience la mémoire de son crime. Une voix retentit trois fois sous
les voûtes attristées: Caïn! Caïn! Caïn! qu'as-tu fait de ton frère?

A ce terrible appel, Job tressaille, regarde et reconnaît Guanhumara;
oui, Guanhumara, qui tient enfin sa vengeance. Elle se découvre à Job,
ou plutôt à Fosco, qui reconnaît dans Guanhumara cette Ginevra qu'il a
déshonorée. Ginevra la fiancée de Donato, poignardé par lui. Eh bien! le
temps est venu d'expier ce double crime; mais Job-Fosco l'expiera
cruellement; il sera tué tout à l'heure, tué à la place même on il a tué
Donato, tué par la main de son propre fils;--car ce fils existe, lui dit
Guanhumara. C'est moi qui te l'ai pris.--Je veux le voir:

                           Tu vas le voir aussi;
      C'est lui qui va venir te poignarder ici.
      C'est Otbert!

Job ne croit pas à tant de cruauté; non, son fils, non, Otbert ne
l'assassinera pas.--Il le fera, j'ai pris mes sûretés. S'il t'épargne,
Régina mourra, et déjà son cercueil est préparé; vois plutôt. Et, en
effet, des hommes masqués apportent le cercueil et l'entr'ouvrent; Job y
reconnaît Régina endormie; un breuvage prépare par Guanhumara a causé ce
sommeil voisin de la mort. Pour peu que Job vive, Guanhumara doublera la
dose, et ce sera fait de Régina. Eh bien! Job se laissera tuer.

Voici Otbert. Guanhumara se tient cachée; Otbert recule à l'aspect
vénérable de Job, comme Séide devant la vieillesse de Mahomet, ou comme
le Cimbre qui s'écrie:--Non, je ne tuerai pas Caïus Marius! Il s'élève
alors entre ces deux hommes, la victime et l'assassin, une lutte
étrange. Otbert hésite à frapper, et Job sollicite le
poignard.--Tue-moi! j'ai tué mon frère. Enfin Otbert se décide au
meurtre: à ce moment, un grand vieillard s'avance au fond du souterrain
et arrête le bras d'Otbert.--Ce frère que Job pleure, et dont ses
remords expient le trépas, il vit, c'est moi, dit le vieillard. Or ce
vieillard, le reconnaissez-vous? c'est encore Frédéric Barberousse,
autrefois connu dans le château d'Heppenhef sous le nom de Donato. Pour
expliquer le fratricide, sachez que Job-Fosco est le bâtard de
l'empereur d'Allemagne, dont Barberousse, ci-devant Donato, est le fils
légitime. Qu'en dites-vous? ce château d'Heppenhef est-il assez muni de
surprises et de métamorphoses, de pères ignorés, de mères cachées, de
frères déguisés, de reconnaissances et d'élixirs de toute espèce.

Puisque Donato se retrouve dans Barberousse, puisqu'il vit, et puisqu'il
pardonne, la vengeance de Guanhumara n'a plus d'aliment ni de but. Il
faut cependant que quelqu'un meure, ce sera Guanhumara: ce cercueil ne
doit pas sortir vide; Guanhumara l'a juré en femme qui tient un serment;
elle s'y mettra à la place de Régina. Mais, avant que je meure,
dit-elle, reprenez tout ce que je voulais vous ravir:

                               .... Une fureur jalouse.
      Toi, ton fils George, et toi, Régina, ton épouse.

A ces mots, la farouche Guanhumara pousse un cri, tombe et expire en
jetant un dernier regard sur son cher Donato d'autrefois, le Barberousse
d'aujourd'hui.

Nous venons de faire connaître le nouveau drame de M. Hugo par une
exacte analyse; ce sont les pièces du procès que nous soumettons
purement et simplement au bon sens et à l'appréciation du lecteur, le
style, il peut le juger par les citations que nous avons faites; le
drame, par le récit des événements qui le composent et par l'exposition
des personnages qui y prennent part. Pour nous, il nous reste à peine le
temps d'apporter ici, en quelques lignes, l'écho des sentiments et de
l'opinion que la première représentation de cette oeuvre bizarre a fait
naître parmi ses auditeurs.

Personne, pas même les amis les plus décidés du poète, personne n'a
amnistié l'oeuvre au point de vue de l'art dramatique. Par son attitude
réservée, le public a paru convenir d'une voix unanime que, pour
l'invention, elle appartenait à la poétique du mélodrame à laquelle elle
emprunte ses moyens peu scrupuleux et ses ruses banales: enfant trouvé,
femme malheureuse et persécutée, philtres surnaturels, vieille
magicienne, vieux châteaux, sombres caveaux, noms supposés, noires
apparitions, déguisements sans nombre, reconnaissances sans fin, haines
infiniment trop prolongées, toutes les invraisemblances et toute la
fantasmagorie que la poétique du boulevard du Temple a depuis longtemps
épuisée; et au milieu de cette accumulation de faits mystérieux et
d'impossibilités, point d'action et peu de drame; l'attention ne sait où
se prendre; l'intérêt ne sait où se porter; tout est vague, tout flotte
au gré de la fantaisie, du poète; à chaque instant, l'on s'égare dans
les caprices infinis de la période et de la tirade; en un mot, c'est le
discours et la rime qui commandent ici exclusivement; le drame s'en tire
comme il peut. Donc, peu d'invention dans les faits, point de
composition, voilà pour le fond des choses.

Le poète prend souvent la revanche de l'auteur dramatique; quand je dis
le poète, j'entends l'ouvrier habile et sonore de vers, ou rudes, ou
élégants ou pompeux; car, distinguons bien: on est poète par les
sentiments et poète par la forme: c'est dans la forme que réside surtout
la force poétique de M. Victor Hugo; elle décrit plus qu'elle ne parle,
elle s'adresse aux yeux et à l'oreille plus souvent qu'à l'esprit et à
l'âme. Dans _les Burgraves_, cette faculté descriptive se manifeste
abondamment et domine jusqu'à l'abus et à la tyrannie: on peut dire que
_les Burgraves_ se composent d'une tirade divisée en trois ou quatre
personnages. Toute cette poésie est d'ailleurs singulièrement mêlée de
beautés et d'erreurs. Elle est forte, grande, hardie; mais que de fois
elle prend la brutalité pour la force, l'outrecuidance pour la
hardiesse, l'exagération pour la grandeur; que de fois elle croit aller
au naïf et arrive au puéril; que de fois elle frappe à la porte du
sublime et entre chez son voisin.

Le public s'est conduit avec beaucoup de goût et de sang-froid; il a
battu des mains aux choses qui méritaient un bravo; et ce n'est que par
sa froideur ou par un léger sourire qu'il a marqué les endroits qui lui
convenaient peu.

Les costumes et les décors resplendissent dans la pièce; les cuirasses
et les casques y résonnent à l'imitation des meilleurs vers de M. Hugo.
Quant aux acteurs, ils sont pleins de dévouement. Madame Mélingue a
donné à ce rôle de Guanhumara le caractère de haine implacable et de
violence sauvage qu'il demande.

On a été sage et décent dans les deux camps, si toutefois il y a encore
deux camps: le temps de la grande lutte est passé: car à quoi bon?
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                        Le curé médecin.

                  (Suite et fin.--Voyez p. 2.)

Un matin, j'étais enfermé avec _l'Imitation de Jésus-Christ_, quand
j'entendis frapper à ma porte: on ouvre, on entre; c'était la veuve qui
habitait ma maison, pauvre femme, jeune encore; son aspect m'avait déjà
frappé et attendri; pâle, maigre, on lisait la destruction sur son
visage, et quand, assise entre ses deux petits enfants, elle les
regardait, des larmes si douloureuses lui remplissaient les yeux, qu'on
ne pouvait retenir les siennes. «Que voulez-vous, chère madame?» lui
dis-je avec affection et en lui offrant un siège. Mais, elle, le
repoussant et se jetant à mes genoux avec des sanglots: «Sauvez-moi!
monsieur, s'écria-t-elle; vous êtes médecin, je l'ai lu sur cette carte;
vous êtes bon, je le lis sur votre visage... Vous me sauverez!...» Je
veux l'interrompre; mais comment arrêter un malheureux qui parle de ses
maux? Et voilà la pauvre femme qui, moitié pleurant, moitié parlant, me
raconte qu'elle est malade depuis quatre années, qu'elle a deux enfants,
qu'elle a essayé de mille remèdes sans succès, qu'elle se sent dépérir,
et que cependant il faut qu'elle vive, qu'elle le veut, qu'elle le doit;
et là-dessus de se jeter à mes pieds de nouveau en s'écriant:
«Sauvez-moi!» Jugez de ma perplexité; j'étais ému, troublé par mille
sentiments contraires, par mille devoirs opposés. Accepter ce titre de
médecin, c'était mentir, non plus tacitement, non plus sur ma porte,
mais mentir par mes paroles, mentir par mes actions. D'un autre côté,
lui avouer que je n'étais pas médecin, c'était livrer mon secret à une
foi inconnue, qu'on tenterait, qu'on effraierait peut-être; c'était
exposer ma vie; mais si je ne la détrompais pas, il fallait la soigner,
et comment le faire? Je n'avais aucune connaissance en médecine, pas
même celles que possèdent d'ordinaire tous les curés de village.
Allais-je donc me jouer avec ces mystères terribles de la maladie et de
la guérison, employer homicidement peut-être les secrets de la nature,
perdre cette femme enfin pour me sauver? Bouleversé par tant de
réflexions contraires, j'allais lui révéler tout, et je me levais déjà
pour parler; mais elle, lisant d'avance mon refus sur mon visage:
Taisez-vous! taisez-vous!... s'écria-t-elle en m'appliquant sa main sur
les lèvres; ne me dites pas que vous me refusez!... Si vous ne
m'accueillez pas, je le sens, le désespoir s'emparera de moi, sans
remède!... Le premier jour où vous êtes entré ici, le premier moment où
je vous ai vu, je me suis dit: Voilà celui qui me guérira! Ne me
repoussez pas! Je ne possède rien, c'est vrai; je ne vous donnerai rien,
c'est vrai... mais je souffre enfin!... Si j'étais seule, je ne vous
supplierais pas;... mais mes enfants!... mes enfants!... Oh! des larmes
roulent dans vos yeux... vous dites oui... je suis sauvée!... En disant
ces mots, elle baisa mes mains avec transport.

J'étais vaincu. D'ailleurs, vous l'avouerai-je? la confiance aveugle,
fatale de cette pauvre femme avait presque passé en moi. Comment pus-je
former cette pensée, je ne saurais le dire, mais il me semblait qu'il y
avait là autre chose que de la superstition de sa part, que de la folie
de la mienne, et quand elle commença le récit de ses souffrances,
j'écoutai et je la laissai aller; j'obéissais à une voix irrésistible.
Le récit achevé, il fallut trouver un remède. Heureusement je me
rappelai une sorte de bourrache nommée vipérine; c'était une substance
innocente et un nom singulier: je ne pouvais mieux rencontrer; je lui en
ordonnai deux tasses par jour, et elle partit. A peine seul, je me jetai
à genoux avec ferveur; attendri par les larmes de cette pauvre femme, je
suppliai ardemment Dieu de faire de moi son sauveur... L'impossibilité
de l'entreprise? Qu'était-ce pour celui qui peut tout? Et quand je me
relevai, j'étais plein de confiance et d'espoir. De confiance en quoi?
je ne sais; d'espoir sur qui? je l'ignore: mais je croyais et
j'espérais.

Le lendemain, elle arrive dés le matin; elle frappe; je tremblais un peu
en lui ouvrant: «J'ai dormi! s'écrie-t-elle, j'ai dormi!» Elle était
ivre de joie. Le hasard, non, pas le hasard, avait voulu que ses
souffrances se calmassent cette nuit-là. Elle me baisa les mains avec
ivresse, et son coeur s'ouvrant à la reconnaissance, elle se mit à me
raconter toute sa vie! Hélas! c'était cette triste et sombre histoire
que j'avais si souvent entendue dans l'exercice de mon ministère, et qui
remplissait nos campagnes avant la Révolution... Le fils d'un grand
seigneur qui l'avait aimée, une faute, l'abandon, la misère, l'angoisse
sur le sort de ses enfants, le remords de leur avoir donné le jour, les
restes mal éteints d'une affection coupable, tout ce qui déchire,
aigrit, consume. Je me retrouvais dans mon rôle: un pauvre coeur torturé
à calmer! Je lui parlai au nom de Dieu; j'adoucis ce qu'il y avait de
trop amer dans ses remords; je la relevai à ses propres yeux par son
repentir; je lui montrai l'espérance, et quand elle me quitta, elle me
dit: «Votre voix a fait à mon coeur le même bien que votre breuvage à
mon corps.» Je ne répondis que par deux autres tasses de bourrache. Le
lendemain, nouvelle visite, nouvel entretien. Ce que j'avais entrevu la
veille m'apparut alors distinctement: c'était mieux qu'une âme
souffrante, c'était un être bon et même élevé. Je m'y attachai, je la
cultivai. Sevré moi-même depuis deux mois de mon ministère de
consolation et de tendresse, toutes ces paroles de charité qu'un silence
forcé refoulait dans mon coeur, tous ces soins paternels que j'étais
habitué à donner à mon cher village, je les concentrai, les répandis sur
elle avec abondance, avec délices; j'étais heureux d'entendre, elle était
heureuse d'être entendue, et chaque jour je la revoyais avec mille
bonnes pensées consolantes... et toujours deux tasses de bourrache. Une
amélioration sensible commença à se manifester; comme presque toutes les
femmes, sa maladie était du chagrin; en guérissant le coeur, je
guérissais le corps, et ma vipérine faisait merveille, ainsi mêlée avec
la parole de Dieu; si bien qu'au bout de quinze jours, ma pauvre hôtesse
commençait à marcher: au bout d'un mois, elle dormait; six semaines plus
tard, elle riait, et après deux mois, elle m'appelait son sauveur.

--Combien vous dûtes être heureux!

--Oui... d'abord; mais après, savez-vous ce qui m'arriva?... Cette cure
me coûta bien cher! La pauvre femme s'en va racontant partout sa
guérison et sa reconnaissance, on crie au miracle; son visage plein de
santé répand mon nom aux environs. Hélas! mon cher ami, me voilà grand
médecin! grand docteur! Arrivent alors chez moi tous les incurables,
toutes les infirmités, des maladies dont je ne savais pas même le nom.
Je refuse de les traiter: nouvelle cause de popularité; on ne voulait
plus guérir que par moi. Au moins, s'ils s'étaient contentés de me faire
médecin: mais n'y en a-t-il pas qui voulaient que je fusse opérateur! Et
je ne vous parle pas des consultations qui troublaient plus que mon
amour pour la vérité. On dit qu'un médecin est un confesseur: c'est
possible, mais un confesseur qui se fait médecin se prépare à de
singulières confidences... J'en perdais la tête... Et contre tant
d'ennemis, quel soutien avais-je?... quel allié?... Hélas! un seul... la
bourrache! Ma foi, je pris ma résolution bravement, et je me lançai en
aveugle dans mes destinées...--Monsieur, j'ai une ophthalmie--Prenez de
la bourrache.--Monsieur, j'ai mal aux dents.--Prenez de la
bourrache.--Monsieur, mon mari m'a battue.--Prenez de la bourrache.
J'espérais au moins que l'insuccès me délivrerait de ces obsessions...
Bah! ils guérissaient, guérissaient, guérissaient, guérissaient! C'était
une épidémie! Et des présents! de l'argent! de l'argent que je n'avais
pas gagné! des présents que je ne méritais pas!... J'étais dans une
situation à faire, pitié!... Riez!... riez!... vous allez juger si
j'avais lieu de rire, moi. Ce n'était rien que les admirateurs, que les
clients: vinrent les rivaux. Une place n'est jamais vacante; quand on y
monte, on la prend à quelqu'un. Ces gens n'étaient pas tombés malades
tout exprès pour être guéris par moi;... ils avaient un médecin, et je
me trouvai bientôt en face de la plus redoutable! et de la plus furieuse
inimitié qu'on put voir. Il y avait près de la ville un médecin du nom
de Laroche à qui s'adressaient tous les habitants de la campagne et des
faubourgs. Il régnait sur eux par la terreur. Haut de six pieds, fort
comme un athlète, violent comme un soldat (il avait été dragon), mêlé
aux paysans, buvant avec eux, il disait à ceux qui tombaient malades:
«Je t'ordonne de me choisir;» et à ceux qui l'avaient choisi: «Je te
défends de me quitter.» Au reste, pour vous peindre d'un trait ce
médecin de campagne d'une nouvelle espèce, pour vous montrer comment il
s'était créé sa clientèle et se faisait payer de ses clients, je vais
vous raconter un entretien que j'ai presque retenu mot pour mot, tant il
m'a paru caractéristique. La maison où je logeais avait un jardin de
quelques pieds, séparé seulement par une haie de l'habitation de Pierre,
le charron du faubourg. Tout ce qui se passait chez lui, je l'entendais.
Un jour donc que j'étais assis derrière cette haie, quelques paroles
vives frappèrent mon oreille. J'écoutai et je regardai. Il y avait trois
personnes assises sur la porte; Pierre, une vieille femme et un ouvrier
nommé Desnoues. Voici ce qu'ils se disaient:

DESNOUES.--Est-ce que M. Laroche te doit aussi de l'argent, Pierre?

PIERRE.--A qui n'en doit-il pas? C'est sa manière de se faire des
pratiques.

DESNOUES.--Comment cela?

PIERRE.--Oui, quand il est arrivé dans ce pays, pour faire sa médecine,
il a été chez le tailleur, il lui a commandé un habit; il a été chez le
marchand de vins, il lui a pris une pièce de vin; il est venu chez moi,
il m'a acheté une carriole, et puis quand nous avons été à la paie, rien
dans la poche, c'est-à-dire dans la main. «Mes amis, quand vous serez
malades, venez me trouver, je vous soignerai pour rien.»

DESNOUES.--Ça fait que, comme il doit à tout le monde, il est le médecin
de tout le monde.

PIERRE.--Juste.

LA MÈRE GALLOIS.--Mais tenez, Desnoues, me voilà, moi: il me devait six
écus de blanchissage... Heureusement, j'ai fait une fluxion de poitrine,
sans ça je n'en aurais jamais eu un sou.

DESNOUES.--Voyez-vous le madré!

PIERRE (avec résolution).--Eh bien! moi, ça m'est égal; il ne se mettra
pas à son aise comme ça avec moi. Il me doit, et je le forcerai bien à
me payer.

DESNOUES (avec terreur).--Le forcer? prends garde.

PIERRE.--A quoi donc?

DESNOUES.--C'est un taureau.

PIERRE.--Regarde mes bras!

DESNOUES.--C'est un sorcier.

PIERRE.--Tu crois à cela, toi?

DESNOUES.--Si j'y crois? Il s'entend avec les maladies. Il y a deux ans,
il devait trois mille francs dans le pays; il a fait venir la peste pour
s'acquitter.

PIERRE.--Elle serait venue sans lui.

DESNOUES.--Et le père Ganille! Il avait demandé M. Aubry. M. Laroche va
le trouver... Ah! tu m'ôtes ta confiance, vieil ingrat; eh bien! voilà
ce que je t'envoie à ma place; tiens, voilà la paralysie, tiens, voilà
la pleurésie! Et le père Ganille est mort un mois après.

PIERRE.--D'un coup de pied de cheval. Vous êtes tous des poltrons. Il me
doit dix écus d'une carriole, je lui dois six francs de visite; il me
paiera le surplus, ou nous verrons.

DESNOUES.--Qu'est-ce que nous verrons?

PIERRE.--On s'entend.

DESNOUES.--Tiens, justement le voici.

PIERRE.--Eh bien! tant mieux. Ecoute bien...

C'était en effet M. Laroche; il entra avec cette brusquerie familière et
cordiale qu'il savait si bien prendre pour gagner les paysans; et
frappant sur l'épaule du charron avec son énorme main: Le voilà donc
enfin, ce brave Pierre; il y a bien longtemps que je ne l'ai vu.

PIERRE.--Je ne trouve pas cela.

M. LAROCHE.--Tu grondes, vieux grognard! Moi qui me suis dérangé pour
venir boire avec toi le reste de ta pièce rouge... Allons, descends à la
cave, et va nous chercher quelques vieilles bouteilles.

PIERRE.--Merci! je n'ai pas soif.

M. LAROCHE.--Eh bien! tu ne boiras pas.

PIERRE.--Ni vous non plus.

M. LAROCHE.--Ah! voilà l'air que tu chantes! eh bien! garde ton vin!...
Mais tu vas me payer ce que tu me dois.

PIERRE.--Qu'est-ce que je vous dois?

M. LAROCHE.--Comment! renégat, est-ce que tu ne me dois pas six francs
de visite?

DESNOUES (_bas à Pierre_).--Prends garde!

PIERRE.--Laisse donc... (_A M. Laroche._) Oui, mais vous me devez dix
écus; donnez-moi vingt-quatre francs, et nous serons quittes.

M. LAROCHE (_avec colère_).--Paie-moi d'abord.

PIERRE.--Puisque vous me le rendriez tout de suite, ce n'est pas la
peine; mon argent n'aime pas les voyages.

M. LAROCHE.-Ah çà, me paieras-tu à la fin?

PIERRE.--Oui, avec votre monnaie.

M. LAROCHE.--Prends garde à toi!

PIERRE.--Il ne faut pas tant crier, parce que je crierais plus fort.
J'irai devant la justice, je lèverai la main...

M. LAROCHE.--Ah! tu lèveras la main!... Eh bien! je vais la lever
aussi...

Et il courut sur le charron.

PIERRE.--Des coups de poing? j'en suis...

Et, retroussant sa manche, il lui porta un coup vigoureux... Mais M.
Laroche, lui saisissant le bras, le fit reculer.--Tu n'as pas encore
assez mangé de pain pour cola, maître Pierre... Ah! tu ne me paieras
pas!...

La bataille commença. Je m'élançai à travers la haie pour aller les
séparer; mais la haie était épaisse, et mes efforts étaient vains, M.
Laroche, après quelques instants de lutte, renversa Pierre sur son
établi...

PIERRE.--Vous me faites mal.

M. LAROCHE.--Je le sais bien.

PIERRE.--Desnoues, viens à mon secours!

M. LAROCHE (_à Desnoues_).--Ne bouge pas, ou je t'en fais autant. (_A
Pierre, le frappant._) Me paieras-tu?

PIERRE.--Au secours!

Je me débattais dans mes ronces.

M. LAROCHE.--Me paieras-tu?

PIERRE.--Lâche!...

M. LAROCHE.--Me paieras-tu?

PIERRE.--Il m'étrangle! il m'assomme!

M. LAROCHE.-Paie.

PIERRE (_d'une voix éteinte_).--Voici l'argent.

M. LAROCHE.--Où?

PIERRE.--Là... dans ce tiroir... tenez... prenez...

M. LAROCHE (_le lâchant et prenant l'argent._).--A la bonne heure, le
voilà raisonnable.

PIERRE (_se laissant tomber sur une chaise_).--Je suis à moitié mort.

Débarrassé de ma haie, je m'apprêtais à lui porter remède, n'ayant pu
lui porter secours; mais à ce combat succéda la scène la plus étrange,
et je dirai presque la plus comique du monde.

M. Laroche, après avoir pris l'argent, s'était approché de Pierre, dont
le visage était tout meurtri, et qui gémissait. Il le regarde, et,
passant tout à coup à un ton de compassion naïf et paternel:--Mon pauvre
garçon, comme te voilà arrangé!

PIERRE.--Je n'en puis plus.

M. LAROCHE.--Attends!... attends!... Nous allons te soigner; tu es père
de famille... tu as besoin de travailler... Mère Gallois, faites
chauffer de l'eau.

PIERRE.--Ah! mon front!

M. LAROCHE (_l'examinant_).--Quel coup tu as attrapé! Là!... et ici!., et
sur le bras!... Miséricorde! tu n'es que plaies et bosses.

PIERRE.--Ah! mes reins!

M. LAROCHE.--Attends!... J'ai là un liniment qui le fera beaucoup de
bien... Pauvre Pierre!

PIERRE.--Aie!... aie!...

M. LAROCHE (_vivement_).--Allons donc, mère Gallois!... Dépêchez-vous
donc!... Vous voyez bien que cet homme souffre!

LA MÈRE GALLOIS (_à part_).--Il est bon au fond.

M. LAROCHE.--Et toi. Desnoues, qu'est-ce que tu fais là? Viens donc
m'aider à le mettre au lit; il ne peut plus se soutenir. (_Ils le mirent
au lit._)

M. LAROCHE.--Es-tu bien?

PIERRE.--Oui, monsieur Laroche.

M. LAROCHE.--Tu es bien malade, mon pauvre Pierre; mais sois tranquille,
je suis là.

PIERRE.--Merci, monsieur Laroche.

M. LAROCHE.--Je ne t'abandonnerai pas.

PIERRE.--Non, monsieur Laroche.

M. LAROCHE.--Allons, tiens-toi bien chaudement. Adieu, mes bons amis. Et
il s'éloigna.

DESNOUES (_à Pierre_).--Eh bien! Pierre?

PIERRE.--Eh bien! il me paiera comme il a payé la mère Gallois, en
fluxion de poitrine.

M. LAROCHE (_revenant_).--Pierre, je te préviens que le liniment c'est
deux francs.

PIERRE.--Oui, monsieur Laroche. Voulez-vous que je vous paie d'avance?

M. LAROCHE.--Par exemple!... est-ce que je ne suis pas sûr de toi?...
Adieu!... adieu!

Tel était l'homme qui devint mon ennemi; ajoutez à ce portrait une force
de haine comparable à sa force physique, une jalousie envieuse de ce que
je gardais ma dignité vis-à-vis des paysans, et enfin, un dernier mot,
un titre qui vous dira tout ce que j'avais à redouter de lui... il était
membre du tribunal révolutionnaire. Quand la révolution avait éclaté, il
s'y était jeté avec fureur, et dès 90 était arrivé, à 95. Il dominait à
la ville dans sa section par l'audace de ses conseils prescripteurs, et
déployait là théoriquement ce mépris de la vie des autres qu'il avait
montré dans ses actions comme soldat et comme médecin. Je l'avoue,
malgré mon diplôme, je tremblais devant lui. Quand nous nous
rencontrions, son regard jaloux et cruel tombait sur moi comme sur une
proie, cherchant une place où il pourrait me frapper. Il semblait que sa
haine devinait en moi quelque titre caché qui me livrerait à lui.
J'enveloppais dans une dignité calme et dans un silence sévère tout ce
qui aurait pu me trahir...; j'effaçais mes gestes, mes paroles, ma
démarche habituelle..., et pourtant je n'étais pas sans crainte... S'il
avait su que j'étais prêtre!... Eh bien!... eh bien! il le sut!

--Comment?

--Il l'apprit!... on le lui dit!

--Qui donc?

--Moi!

--Vous!...

--Oui, moi!... Je n'oublierai jamais ce jour terrible et cette réunion
presque solennelle. Mon hôtesse avait pour voisine une jeune femme
restée veuve avec une jeune fille de dix ans. Tout à coup cette enfant
est prise d'une maladie si terrible qu'en deux jours la gravité devint
danger, le danger devint mortel. M. Laroche était son médecin; on
l'appelle. Tout ce qu'il essaie demeure impuissant... La destruction
advenait. Eperdue, la mère demande d'autres soins, d'autres conseils «M.
Aubry! je veux M. Aubry!» On me fait venir; un troisième médecin est
appelé, et le soir, à huit heures, nous entrons dans cette maison pleine
de larmes et d'angoisses. La pauvre mère nous attendait dans la pièce
d'entrée; c'est elle qui nous ouvrit, c'est elle qui nous introduisit
dans cette chambre, et rien ne peut rendre ce qu'il y eut de déchirant
dans son accent et dans sa figure quand elle arriva devant ce berceau,
et nous dit: «La voilà!» Nous la priâmes de s'éloigner, et nous restâmes
seuls. Oh! que ceux qui ont trouvé un texte de scène plaisante dans une
consultation de médecins n'en ont jamais vu autour du lit d'une personne
aimée! Cette chambre obscure, cette lampe basse, ce berceau dans
l'ombre, ce silence, cet arrêt à prononcer;... j'étais saisi d'une sorte
de terreur. Il me semblait qu'on me faisait monter sur un tribunal, et
qu'on me revêtait de la robe de juge dans une condamnation à mort. Juge
aveugle, juge sans connaître la loi... sans balance, rien que le glaive!
La pitié vint se joindre à ce sentiment d'effroi, et acheva de me
troubler. M. Laroche prit l'enfant dans son lit; elle poussa un faible
gémissement et l'on commença l'examen de ce pauvre petit corps amaigri,
qui retombait plié en deux sur le bras qui le soulevait. De temps en
temps, sans ouvrir les yeux, elle poussait de légers cris plaintifs qui
me perçaient l'âme, et je me détournais pour cacher mon émotion: mon
émotion m'eût trahi. L'enfant reposé dans son lit et la maladie
expliquée, nous nous retirâmes dans la pièce voisine; mais alors éclata
une scène inattendue, et qui fit bientôt deux condamnés à mort au lieu
d'un. M. Laroche proposa un remède terrible, mais décisif, «L'enfant est
perdue si on l'essaie, dit le second médecin, et il offrit un autre
moyen.--Si on s'y arrête, elle est perdue! dit M. Laroche--Eh bien donc!
reprit le premier, que M. Aubry prononce!--Moi!... moi!... m'écriai-je,
frappé d'épouvante, jamais! je ne...» Je m'arrêtai; j'allais me trahir!
Situation terrible! Que faire? choisir? c'était tuer l'enfant peut-être.
Révéler la vérité? c'était me perdre. Plus calme, j'aurais pu me récuser
et désigner un autre médecin. Mais, surpris par cette attaque imprévue,
je ne voyais que l'échafaud d'un côté, un cercueil de l'autre; et,
pressé entre ces deux hommes, l'un à ma droite, l'autre à ma gauche,
tous deux me disant: «Elle est morte si on ne le fait pas; elle est
morte si on le fait...» je me taisais, éperdu...

«C'en est trop, dit le second médecin; qu'il prononce, ou j'abandonne
l'enfant.

--Arrêtez! repris-je vivement. Je la voyais perdue aux mains de M.
Laroche.

--Prononcez donc!

J'hésitais encore... Le second médecin se leva pour partir...

--Je ne puis pas prononcer! m'écriai-je hors de moi, je ne le puis pas!

--Pourquoi?

--Je ne le dois pas!

--Pourquoi?

--Pourquoi! je ne suis pas médecin!

Je n'avais pas achevé ces mots, que M. Laroche pousse un cri sauvage. La
mourante, son devoir, il oublie tout: il ne vit plus que sa victime; et
marchant à moi les yeux étincelants:

«Qui êtes-vous donc?» me dit-il.

Je palis; son regard était un arrêt de mort.

«De quel droit m'interrogez-vous?

--Oubliez-vous de quel tribunal je suis membre? Pourquoi êtes-vous venu
ici? pourquoi cachiez-vous votre nom? pourquoi avez-vous pris un titre
faux? pourquoi mentez-vous.. l'état, au public?... Qui êtes-vous?...

Et il enfonçait, pour ainsi dire, chacune de ces interpellations comme
un coup mortel... Je me taisais toujours...; je n'étais encore que
suspect... Un mot, et j'étais condamné.

«Votre profession est donc bien vile, dit-il amèrement, puisque vous
n'osez l'avouer?»

Bien vile!... ce mot m'avait fait rougir d'indignation.

«Puisque vous la reniez!...

--Bien vile!... repris-je avec plus d'énergie. Ah! je ne laisserai pas
insulter mon maître!

--Son maître!... Il sert un roi.

--Oui..., un roi! un roi auguste! tout-puissant! Un roi que j'adore, et
dont je proclamerai le nom jusque sous votre couteau!...

A ce moment un cri terrible partit de la chambre de l'enfant, et la
porte s'ouvrant avec fracas, la mère se précipita au milieu de nous en
s'écriant: «Elle meurt!... elle meurt!

--Eh bien! m'écriai-je à mon tour avec exaltation... puisque la mort est
là, mon rôle commence! Eloignez-vous médecins du corps! vous n'avez rien
à faire près de la mourante...; c'est moi qu'elle réclame...; ma place
est auprès d'elle Je suis prêtre!.................

Le lendemain je comparaissais devant le tribunal révolutionnaire, et
l'enfant était sauvée: une crise décisive, et que j'avais favorisée en
ne décidant rien, l'avait rendue à la vie. On n'était pas longtemps
accusé en 95: à quatre heures je montais, moi quinzième, sur la
charrette fatale; cinq minutes après je passais devant la maison de ma
pauvre veuve, qui s'était mise sur le seuil de la porte, et sanglotai!
quand je lui dis adieu de la main; et enfin un quart d'heure plus lard
je m'arrêtais au pied de l'échafaud.

«Mais, comment donc vivez-vous?»

A peine si je le comprends encore. Le temps était affreux; de la pluie,
de la neige, et un ciel si sombre, qu'à quatre heures la nuit avait
presque commencé. La foule cependant était considérable, attirée et
exaspérée par le nombre inaccoutumé des victimes. La charrette, comme je
vous l'ai dit, en contenait quinze: j'étais, moi, le dernier, assis à
l'extrémité du banc, les mains liées derrière le dos. Mon coeur était
serré, mais je n'avais pas peur; mon sacrifice était fait: je mourais
pour avoir confessé le nom de mon maître... L'échafaud paraît... je vois
le bourreau, je vois le couteau... La voiture s'arrête...; mon coeur bat
plus vite. Comme on craignait quelque mouvement dans le peuple, qui
murmurait déjà.... on entoure toute la voiture de troupes; mais on ne
pose à l'extrémité de la charrette, près de moi qu'un seul soldat...; il
me touchait presque. Le premier condamné descend...: je vois le couteau
remonter rouge. Des cris s'élèvent dans la foule qui entoure les troupes
et se presse sur nous; la pluie redouble et vient augmenter le désordre.
Pour en finir plus vite, on fait avancer la charrette de trois pas; mais
un pavé se trouve sous la roue, un cahot violent nous soulève; et, comme
j'étais assis tout à fait à l'extrémité du banc, je tombe debout, mais
les mains liées, devant le soldat qui gardait le derrière de la
voiture..., j'allais parler; mais soudain.. Oh! comment peindre ce
moment? soudain, sans dire une parole, sans changer de visage, il passe
vivement entre moi et la charrette, et se pose l'arme au bras devant
moi..., et me voilà dos à dos avec lui, caché par lui, couvert par
l'obscurité, presque mêlé à la foule qui faisait plier le cordon de
troupes, et, immobile, éperdue, attendait la fin de cette scène. Le
sacrifice se poursuit au milieu des cris et de la confusion; j'entends
descendre chacun de mes compagnons; je compte: douze... treize...
quatorze...; c'est mon tour, on va m'appeler! Ciel! on se tait; la foule
se précipite autour de l'échafaud, les troupes se dispersent: je me
jette dans le peuple sans avoir pu serrer la main de mon bienfaiteur;
et, porté par les flots de la multitude, j'arrive égaré, ruisselant de
pluie, dans un chantier ou je me cache jusqu'à la nuit complète. La nuit
venue, ma tête un peu calmée et mes mains délivrées, je me hasarde dans
les rues, et je me dirige vers la maison de mon hôtesse. J'arrive, je
regarde par la croisée: on était à souper. La pauvre femme, je la vois
encore, tenait à la main une bouchée de pain qu'elle oubliait de porter
à ses lèvres, et, elle pleurait. Je frappe tout doucement..., on
m'ouvre. «Ah!--Silence!» Une fois là, mes larmes éclatent, et je tombe à
genoux en remerciant Dieu. Je leur contai tout. On me tint caché trois
jours, puis je revins ici, où l'on ne songeait plus à me chercher, et où
j'ai vécu jusqu'à mes quatre-vingt-deux ans, ce dont je rends grâce à
Dieu, car j'ai fait un peu de bien, je crois. J'ai aimé, j'ai été aimé,
et je serai pleuré..., pas de si tôt encore, j'espère... Puis il ajouta
gaiement: Je marche sans bâton, je lis sans lunettes, et j'ai là une
bouteille de vieux vin de Bourgogne dont je veux prendre avec vous un
verre, sans que ma main tremble en le portant.

Il prit la bouteille:

A votre bon voyage, mon jeune hôte...: quand je partirai pour le mien,
je veux qu'on vous en fasse part, et vous vous direz: «Ah! ce pauvre
curé Barbois! Quel dommage! c'était un brave homme!...» Bonsoir, mon
hôte!

                                                            E. Legouvé.

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                           Miscellanées

[Illustration: Beaux-Arts]

EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES ARTS.

Depuis quelques jours la Société des Amis des Arts a ouvert dans la
salle de ses séances, au Louvre, son exposition annuelle.

Cette société a été fondée avant la Révolution: mais son influence était
alors excessivement restreinte, tant par l'exiguïté de ses revenus que
par le petit nombre de peintres en France à cette époque.

La Révolution interrompit ses travaux; les derniers temps de la
République et ceux de l'Empire laissèrent peu de loisir pour la culture
des beaux-arts, les graves questions de la guerre faisant dominer leur
intérêt puissant sur tous les autres intérêts du pays.

La paix, avec la Restauration, jeta tout à coup dans les arts une foule
inoccupée. Les grands noms des Gérard, des Gros, des Prud'hon, des
Guérin, etc., étaient seuls connus; les travaux, peu nombreux du reste,
leur revenaient de droit, et les jeunes talents abandonnés s'en allaient
à la merci de la faim et du désespoir. Quelques hommes éclairés, frappés
de la gravité de la position, se ressouvinrent qu'il avait existé une
société vouée à l'encouragement des talents naissants et malheureux; ils
résolurent de la rétablir sur de nouvelles bases plus larges et plus
solides. Le duc de Berry leur prêta son appui et l'autorité de son
patronage, et, dans le courant de l'année 1817, la Société des Amis des
Arts fut reconstituée. Parmi les artistes qu'elle prit alors sous sa
protection, nous devons citer _Xavier Leprince_, qui lui dut une partie
de ses succès.

Depuis, elle a su distinguer et former pour ainsi dire, à force de
commandes, le jeune Tanneur, l'un des peintres de marine aimés du
public.

Vers 1830 la Société des Amis des Arts avait été patronnée par le duc
d'Orléans; la duchesse d'Orléans a accepté, au nom du comte de Paris,
cette part honorable de l'héritage paternel.

Le président de la Société est M. le comte de Noé; les vice-présidents,
MM. Taylor et de Gassaud.

M. le comte Caccin est trésorier; le secrétaire et les vice-secrétaires
sont MM. Valpinçon et Leblanc, Brocard et Duchesne aîné.

De 1817 à 1842, la Société des Amis des Arts a fait exécuter à grands
frais par nos plus habiles graveurs trente-deux précieuses reproductions
des tableaux célèbres des maîtres français et étrangers.

Les principales sont: _Daphnie et Chloé_ d'Hersent, le _Zéphyr_ de
Prud'hon, Sapho de Gros, la _Sainte Anne et la vierge_ de Léonard de
Vinci, gravées par Laugier; _la psyché_ de Prud'hon, gravée par Müller;
_la Justice et la Vengeance divine_ de Prud'hon, gravée par Gelée:
_Neptune et Amphitrite_ de Jules Romain, gravée par Richomme; enfin le
_Convoi d'un aîné de famille_ de Léopold Robert, gravé par Prévost. Un
exemplaire de ces gravures est réservé à chacun des membres actionnaires
de la Société; quant aux tableaux et aux objets d'art, ils sont adjugés
par la voie du sort, à la suite de l'exposition qui clôt chaque
exercice.

[Illustration: (Exposition de la Société des Amis des Arts.)]

Jamais peut-être aucune exposition de la Société des Amis des Arts n'a
été aussi brillante que celle de 1845.

Sans s'écarter en rien du but qu'elle s'est proposé, celui d'encourager
les jeunes talents, elle a su former une collection fort remarquable.

Nous ne saurions trop louer l'esprit qui a guidé ses choix, faits en
grande partie parmi les tableaux du dernier Salon.

Nous avons particulièrement remarqué la _Satisfaction_, jolie
composition de M. Guillemin. C'est un jeune artiste riant à coeur joie
devant un tableau qu'il vient d'esquisser. Cette petite toile, remplie
d'esprit, de finesse et d'observation, est en même temps fort
remarquable sous le rapport du dessin et de la couleur.

_Le Marécage_, par M. Jules Coignel, est un charmant paysage bien peint,
bien composé et d'un aspect délicieux.

Les deux paysages de M. Karl Girardet, _les Bouledogues_ de M. Buisson,
_la Marine_ de M. Morel-Fatio, _la Jeune fille et le Serin_, de M.
Caminade, _l'Enfant et le Chien_ de M. Gué, le _Charles-Quint_ de M.
Coulon, et surtout le précieux petit tableau de _Nature morte_ de M.
Philippe Rousseau, nous ont paru dignes en tout de l'intérêt que la
société leur a témoigné en les comprenant dans la répartition de ses
fonds pour 1845.


                         PARIS AU CRAYON.

Gardez-vous de croire, comme quelques personnes l'assurent, qu'on ait
amnistié le ridicule en France. Rabelais et Molière, ces deux grandes
gloires de l'esprit français, comptent, il est vrai, peu de disciples
fidèles, peu d'heureux imitateurs; la tradition du rire semble perdue.
Les journaux, égarés dans l'inextricable labyrinthe du feuilleton
sentimental, ont renoncé à la satire; la muse comique, un pied chaussé
du cothurne classique, l'autre du brodequin du moyen âge, court en
boitant à la poursuite d'un but impossible: le théâtre a cessé d'être
l'école des moeurs pour devenir un kaléidoscope. N'importe! le crayon a
recueilli le double héritage de la plume, le journal et le théâtre. Il
n'y a plus de satire, il n'y a plus de comédie, il y a la caricature!

Autrefois la gaieté était française, et même un peu gauloise. La
caricature est parisienne; elle a commencé, flânant au bras de Lautara,
dans les guinguettes verdoyantes de la banlieue. Depuis, son éducation
s'est perfectionnée; elle a vu les ateliers, les théâtres, les salons
même, car la caricature a été introduite dans le monde, et vraiment, à
part quelques expressions hasardées et un laisser-aller parfois trop
grand, elle n'y a point fait mauvaise figure.

La caricature est bonne fille au fond, et bien des gens lui en font un
reproche; sa moquerie ne va pas jusqu'à la méchanceté; elle pince
quelquefois, mais jamais jusqu'au sang; au lieu d'un fouet elle est
armée d'une épingle; elle combat à la légère, et ne blesse qu'en
égratignant. C'est bien là le genre de vengeance qui convient à la
société de notre époque, où la morale ne se plaint qu'à voix basse, ne
s'indigne qu'à demi, mettant tous ses soins à dissimuler sa présence et
craignant cependant de se faire oublier. Nous lui viendrons en aide;
dans nos colonnes, elle aura le verbe haut. Notre caricature a pris des
habits d'homme. Arriére les petits mots, les petits caquets, les petites
médisances. Regardez ces yeux brillants, cette bouche souriante, ce
crayon effilé comme une dague; c'est pour mieux voir le ridicule, pour
mieux se moquer de lui, pour mieux le clouer sur le papier. Les bras
vigoureux de l'artiste comique poussent la porte qui défend l'entrée du
monde; si elle résiste, il l'enfoncera. Venez donc, vous tous qui avez
de la verve, de l'esprit, de l'observation: notre galerie
d'illustrations drolatiques est loin d'être complète, il y a place pour
tous ceux qui voudront nous apporter un type nouveau.

Quelle mine plus féconde à exploiter, quel plus beau thème à broder que
Paris! Gloires nouvelles, réputation du jour, splendeurs du moment,
royautés de la mode ou de l'esprit, tendances des moeurs et de
l'industrie, beaux-arts, littérature, théâtre, galanterie même, tout
change, tout se renouvelle, tout se modifie avec la rapidité d'un songe.
L'existence parisienne est un drame féerique, une comédie à tiroirs dont
les décorations changent sans cesse, où se résument en transformations
perpétuelles, la richesse, la beauté, l'esprit du monde entier. C'est là
un des côtés du tableau, celui qu'on montre le plus volontiers; mais il
en est un autre qu'on ne doit pas laisser dans l'ombre. Au-dessus de
Paris, plane sans cesse une rumeur sourde que ne peuvent éteindre ni les
roulements des voitures dorées, ni le bruit des instruments de fête, ni
les chansons de ceux qui sont heureux: c'est la voix de la misère qui va
se perdre dans le brouillard froid et humide, harmonie terrible que le
vent emporte sur son aile, plainte funèbre qui ne se tait ni le soir ni
le matin. Nous ferons l'histoire de cette misère, nous dirons quels
coeurs battent sous les oripeaux; nous montrerons le peuple tel qu'il
est, et surtout tel qu'il devait être, et cela sans fiel, sans haine,
sans passion: dans un cas semblable, la réalité vaut mieux que
l'imagination, et la vérité est la meilleure de toutes les satires.

Mais là ne se bornera point notre rôle.. Il ne s'agit de rien moins que
d'illustrer chaque année ce roman en trois cent soixante-cinq
livraisons, intitulé _Paris_. C'est la physiologie permanente de la
capitale que nous voulons faire avec le crayon. Il faut que ceux qui
n'ont jamais vu Paris puissent le visiter dans nos colonnes, que ceux
qui l'habitent le reconnaissent, que ceux qui l'ont quitté le
retrouvent; car Paris se désapprend comme toutes les grandes choses de
la vie. Soyez toujours amoureux, vous qui voulez aimer; marchez sans
cesse, vous qui voulez parvenir. Que la lampe, l'Héro s'éteigne, et
Léandre ne pourra plus traverser le Bosphore. Pour comprendre Paris, il
faut l'étudier sans cesse. Si vous le perdez un seul instant de vue,
vous ne les reconnaissez plus, il a changé de forme. Si nous n'avions
pas abusé de la métaphore, nous comparerions Paris à Protée. On nous
permettra d'esquiver ce parallèle traditionnel.

Que de gens qui méconnaissaient cette vérité ont fini par la
reconnaître! A peine a-t-on quitté le boulevard, que déjà on le
regrette; on n'éprouve point la maladie du pays, car Paris n'est le pays
de personne, mais une indéfinissable nostalgie. La vie est un cauchemar
perpétuel: vos habits vous gênent, l'existence a les entournures trop
étroites; vos bottes vous blessent, toutes les figures vous semblent
maussades; les meilleurs mets vous dégoûtent, et vous avez faim en
songeant aux restaurants à vingt-deux sous. On est atteint d'une
affection bizarre, incohérente, difficile à guérir, qu'on appelle le mal
de Paris.

C'est chez nous que ceux qui veulent voir Paris, ou le revoir, deux
maladies analogues, viendront se guérir. Nous leur esquisserons Paris
tel qu'il est, nous raconterons ses goûts, ses sympathies; nous
montrerons ses grands poètes, ses grands avocats, ses grands acteurs,
ses grands financiers, ses grands chanteurs, tout le personnel de sa
gloire d'aujourd'hui et de sa gloire de demain, nous n'oublierons que
les célébrités de la veille.--Hier n'est pas un mot parisien.--Un
journal seul peut mener à bien cette oeuvre gigantesque, parce qu'il
change sans mourir; c'est l'âme et le génie de la ville. Un journal,
c'est Paris volant.

Ne vous attendez pas à retrouver sous notre crayon ces types de
convention qui rendent Paris si monotone quelquefois, qu'on est tenté de
croire que sa réputation est la plus considérable des réputations
usurpées. Notre étudiant ne dansera pas inévitablement le cancan à la
Chaumière; notre jeune fille ne se présentera pas avec son invariable
cortège d'ânes rétifs, de rubans froissés, de baisers jetés d'une
mansarde à l'autre; nos hommes de lettres ne fumeront pas
perpétuellement le lattakie odorant sur des coussins d'or et de soie,
ils n'auront pas non plus, contraste familier aux observateurs, les
coudes percés, les bottes éculées, et le feutre gras; toutes nos femmes
de lettres ne seront pas ridicules, et tous nos écrivains n'auront pas
du génie; le foyer de l'Opéra ne sera pas pour nous le centre de la
politique européenne; notre intention n'est pas de faire de l'esprit
quand même.

Après les moeurs viendront les idées. L'histoire des hommes et des
choses littéraires appelle l'attention du caricaturiste. Il faut bien
que l'on sache aussi où en est la muse de 1830; cette jeune fille qui
avait le coeur d'une Allemande, le regard d'une Italienne, la passion
d'une Espagnole: ne l'apercevez-vous pas déjà vieille et ridée,
découpant des romans au fond d'une boutique obscure? elle en a de toutes
les dimensions, de tous les modèles, de tous les prix: patron Walter
Scott, patron Byron, patron Cooper, patron Goëthe; elle fait tous les
genres au rabais. C'est une revendeuse à la littérature. La muse s'est
donné un associé qui s'appelle le journalisme; celui-là s'occupe sans
cesse à prendre l'empreinte de tout ce qui surgit d'un peu original pour
le reproduire ensuite; il dresse de malheureux jeunes gens à imiter,
avec la cire molle de leur style, toutes les conceptions vigoureuses.
Nos grands écrivains sont parodiés ainsi journellement dans ces
feuilletons-Curlius qui détruisent tout ce qui reste encore d'esprit
littéraire en France.

Ainsi donc, ce n'est pas l'espace qui nous manque. Moeurs, caractères,
passions, idées, sentiments, ce qu'il y a de permanent au fond de Paris,
ce qui jette le flux des événements, aristocratie, peuple, bourgeoisie,
artistes, gens du monde, industriels, il n'est pas un coté du coeur ou
de l'intelligence que nous ne puissions explorer, pas une classe de la
société qui ne s'offre à nos investigations. Que les artistes se
présentent donc en foule, la plume leur offre ici une association
bienveillante; c'est à eux à faire revivre, avec leur crayon, l'antique
maxime _castigat ridendo_, qui ne se lit plus maintenant ni sur la
couverture de nos livres, ni sur le rideau de nos théâtres.

Pour commencer cette série, Grandville a résumé tous les ridicules du
moment. Le crayon a rédigé la synthèse de l'actualité.

La caricature ouvre la porte du journal à tous les ridicules qu'elle a
emprisonnés depuis longtemps dans ses cartons. Voici d'abord la canne à
sucre et la betterave qui se poursuivent, brûlant d'éteindre dans le suc
l'une de l'autre la haine qui les fait sécher sur plante; cette jeune
grenouille en frac et le chapeau sur l'oreille, qui cherche à se faire
aussi grosse que la caricature, c'est un symbole de l'amour-propre qui
dévore notre malheureuse époque; ces deux enfants à peine échappés de
nourrice, portant l'un une pipe et un paletot, l'autre un manchon et des
plumes, n'est-ce pas là une charmante traduction de ce proverbe, qui
devient malheureusement plus vrai de jour en jour: Il n'y a plus
d'enfants!

Regardez cette femme avec son chapeau étriqué, ses boucles de cheveux
dépassant la ceinture, son air pincé, ses allures de vieille coquette,
voilà la mode, saluez la déesse, et gardez-vous d'entr'ouvrir le livre
que ce _penseur profond_ tient à la main avec tant de componction, vous
n'y trouveriez que du vide. Il vaut mieux causer un moment avec ces deux
débardeurs qui boivent du champagne dans un cornet à piston, double
personnification du carnaval actuel.

Cet homme qui porte une colonne sur son dos, c'est l'architecte de
l'Empire: voyez cette boule au sommet du monument, c'est le _vieux
monde_: gare dessous! le vieux monde peut s'écrouler d'un instant à
l'autre; fuyons. Mais un autre danger nous menace. Quel est ce volume
qu'on hisse avec tant de peine avec cet instrument vulgairement appelé
_cherre_? Ce sont les _Poésies légères_ d'un auteur bien connu. Si la
corde venait à casser, nous serions écrasés par ces feuilles fugitives.

Ici, un capitaine anglais grimpe sur un mandarin chinois qui,
passez-nous l'expression, en a plein le dos; là se dressent des chemins
de fer portatifs, dernière expression du progrès industriel; ce chapeau
sur une boîte, c'est l'art et le daguerréotype: le soleil dessiné par
lui-même. Que peut-on inventer après cela?

[Illustration: Paris au crayon. Caricature par Grandville.]

                       -------------------

--L'administration du Musée du Louvre vient de faire placer dans la
salle des bronzes une inscription tracée sur une lame de plomb qui,
dit-on, a été trouvée dans l'intérieur de la belle statue de bronze
d'ancien style qui est placée sur un piédestal au centre de la galerie.
Cette inscription donne les fragments du nom de deux artistes dont l'un
est Rhodien: les caractères sont d'une forme telle que, si l'un s'en
rapportait à ce témoignage, il faudrait faire descendre au second siècle
avant notre ère un monument que l'on a considéré jusqu'à présent comme
antérieur à Phidias. Mais il s'est rencontré des esprits soupçonneux qui
ont révoqué en doute l'authenticité de cette lame de plomb, et qui ont
pensé que le directeur du Musée avait trop facilement accordé confiance
au nettoyeur qui dit l'avoir trouvée. Ces doutes ont été consignés dans
un article imprimé dans la revue qui a pour titre _Le Cabinet de
l'Antiquaire_ Le sous-conservateur du Musée, qui s'est cru engagé dans
la question, a répondu par une brochure dans laquelle il cherche à
prouver l'antiquité de l'inscription sur plomb. Cette petite querelle
occupe vivement le monde des antiquaires: elle doit intéresser aussi les
artistes, puisque, en définitive, il s'agit de renverser les idées
généralement reçues touchant le style de l'art des anciens sculpteurs.


                           Correspondance.

RÉPONSES.

Il nous serait impossible, dés à présent, de répondre par lettres à
toutes les personnes qui veulent bien nous écrire, soit pour nous donner
des conseils, soit pour nous offrir leur collaboration, soit pour nous
faire des questions sur notre but et sur les moyens que nous comptons
employer pour l'atteindre. Nous nous voyons donc obligés d'adresser nos
réponses à la plupart de nos correspondants inconnus, par la voie même
de notre journal. Un mot suffira souvent pour que toute notre pensée
leur soit connue. Quelquefois aussi, une seule réponse préviendra un
grand nombre de questions, de doutes ou de critiques. Nous avons besoin
d'économiser le temps.

_A M. P. L., rue du II._--La critique est juste, et nous en tiendrons
certainement compte.

_A M. D., boulevard Saint-Martin._--Mille remercîments; les sujets
indiqués nous conviennent; M. D. en verra la preuve dans nos prochains
numéros.

_A M. R., d'Orléans._--En aucune manière, notre résolution à cet égard
ne changera point.

_A un anonyme._--Notre premier numéro n'est point un spécimen: il s'en
faut de beaucoup qu'il contienne des exemples de tous les sujets que
nous nous proposons d'illustrer. On ne pourra point juger l'étendue et
la variété de notre plan avant plusieurs mois. Nous doutons que l'auteur
de la lettre ait lu le premier article de notre premier numéro: _Notre
but_. Nous le prions surtout de vouloir bien prendre au sérieux le
dernier paragraphe de cet article. La tache est difficile: nous avons
besoin de bienveillance et d'encouragements.

_A Madame A L., de Versailles; MM. O.; V. T.; G. de
Saint-Quentin._--Madame A. L. nous conseille de ne point représenter les
scènes des théâtres et les acteurs, et de donner plus de place aux
affaires criminelles, correctionnelles, à la musique et aux modes.--M.
O. pense tout le contraire.--M. V. T. n'aime aucun de ces sujets, et
demande surtout des oeuvres d'art et des caricatures.--M. G., qui se
méprend apparemment sur le sens de notre titre, voudrait qu'il ne fût
question que des hommes et des femmes illustres.--Nous sommes désolés de
ne pouvoir mettre les quatre correspondants en présence les uns des
autres; ils se répondraient sans doute mieux que nous ne pouvons le
faire.

_A M. Pr._--Jamais, Monsieur. Quelle idée!

_A M. V._--Si nous suivions le conseil de M. V., _l'Illustration_
n'aurait pas à espérer deux mois d'existence. Nous nous expliquerons, du
reste, de la manière la plus explicite sur ce sujet en tête d'un des
prochains numéros. Nous ne sommes enrôlés sous aucun drapeau; nous ne
sommes au service d'aucun parti.

_A Madame ou Mademoiselle E. N._--Nous ferons part de l'observation
très-fine de l'aimable correspondante à madame Constance Aubert qui
rédige nos articles sur les modes, et qui voudra bien se charger de lui
répondre directement.

_A M. J, d'Amiens._--Il est impossible de trouver un titre qui
satisfasse tous les esprits. Le mot _Illustration_ indique notre projet
de rendre plus intelligibles, d'éclairer, en quelque sorte, au moyen de
gravures sur bois, tous les sujets que nous traitons. Ce n'est pas un
mot étranger: les Anglais nous l'ont emprunté, comme tant d'autres
excellentes expressions de nos pères. On le trouve souvent employé par
nos vieux auteurs dans le sens où nous l'employons ici. Les miniatures,
par exemple, _illustraient_ les manuscrits. Le mot _journal_, qui vient
ensuite, exprime notre intention de nous approcher de plus en plus du
caractère d'actualité qui distingue des livres, et des autres recueils,
les feuilles quotidiennes. Nous publierons les nouvelles de toute
nature, et nous prendrons soin d'éviter tout ce qui est uniquement
rétrospectif.

_A M. Ch. G._--Nous ne savons pas encore si nous accepterons des pièces
de vers: nous regrettons de ne pouvoir donner une réponse plus
favorable.

_A M. M. de L._--Assurément. Nous représenterons fidèlement, et avec
toute la rapidité possible, tous les faits d'Algérie dignes d'intérêt.
Nous avons établi une correspondance active avec des artistes qui sont
sur le théâtre des événements.

_A M. de B._--Les portraits demandés paraîtront en avril.

_A M. S. M._--Oui, le 25 mars.

_A M. Am._--Nous ne venons faire concurrence à aucun recueil existant.
L'avenir le prouvera. Notre plan est nouveau et nous nous éloignerons de
plus en plus de tout ce qui a été fait jusqu'à ce jour; autrement notre
pensée première ne serait point réalisée. Si l'on songe que les moyens
d'exécution étaient presque tous à créer, que nos graveurs passent les
nuits à travailler, que nous imprimons la valeur d'un volume entier
chaque semaine, on voudra bien attendre avant d'exiger beaucoup plus que
nous ne faisons.

_A un anonyme de Caen._--Il est vrai qu'il y a dans cette direction un
écueil à redouter. Nous consulterons le bon sens et le goût public.
Notre ferme volonté est de ne blesser aucune convenance et de ne jamais
donner droit à personne de condamner l'influence qu'il pourra nous être
permis d'exercer sur les lecteurs.

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                          Bibliographie

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE FRANÇAIS

_N. B,_ En fondant ce bulletin bibliographique, que nous prenons
l'engagement de publier régulièrement chaque semaine, notre intention
n'est pas de faire de la critique proprement dite; nous voulons
seulement appeler l'attention de nos lecteurs sur tous les ouvrages
sérieux et utiles qui paraissent, soit en France, soit à l'étranger.
Dans ce but, nous leur donnerons, toutes les fois que nous le pourrons,
une analyse sommaire des matières que ces ouvrages renferment. A cette
analyse, nous ajouterons parfois un éloge, plus rarement une critique;
car nous ne parlerons que des livres vraiment dignes d'obtenir une place
dans notre bulletin. Jadis les journaux politiques s'empressaient de
signaler, à l'envi l'un de l'autre, les publications importantes; mais
la presse n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était autrefois. Retirez-lui
le produit de ses annonces, et elle cesse d'exister. Elle ne donne place
dans ses colonnes à aucune nouvelle,--utile cependant à connaître,--dont
elle espère se faire payer un jour l'insertion par les personnes
intéressées à la répandre. Constituée sur d'autres éléments, mue par une
impulsion contraire, _l'Illustration_ annoncera, en les analysant,--dans
le triple intérêt du public, des écrivains et des éditeurs, tous les
ouvrages français ou étrangers qui mériteront, à des titres divers,
d'être connus, lus et médités.

_De la Puissance américaine_. Origine, institution, esprit politique,
ressources militaires, agricoles, commerciales et industrielles des
Etats-Unis; par le major GUILLAUME TELL POUSSIN. 2 vol. in-8 de 52
feuilles 3/4, avec carte. Paris, Coquebert. 10 fr.

Le titre seul de ces deux volumes indique qu'ils ne ressemblent en rien
à tous ceux qui ont été publiés, durant ces dernières années, sur les
Etals-Unis. M. Guillaume Tell Poussin n'a pas rédigé laborieusement une
longue dissertation sur les avantages ou les inconvénients de la
démocratie. Loin de lui la prétention d'esquisser des tableaux de
moeurs, ou de raconter des impressions de voyage. Il n'est ni un
idéologue, ni un littérateur; il n'aime pas plus les phrases que les
théories; sa passion dominante est la passion des faits; ce qu'il
étudie, ce qu'il veut faire connaître avant tout à ses lecteurs, c'est
la statistique, c'est la puissance américaine, c'est l'origine des
populations diverses qui composent la fédération des États-Unis,
l'histoire de leur développement, des vicissitudes qui ont marqué leur
enfance et des progrès incroyables qui distinguent leur virilité; ce
sont leurs ressources militaires, agricoles, commerciales,
industrielles.

Le premier volume renferme l'histoire abrégée des premiers
établissements des Européens dans la partie septentrionale du nouveau
continent, des Français sur les rives du Saint-Laurent et du Mississipi,
des Espagnols dans la Floride, des Anglais dans la Nouvelle-Angleterre.
A la suite de cette revue historique, continuée jusqu'à nos jours, M.
Poussin publie trois documents importants: la déclaration
d'indépendance, l'acte de fédération et la constitution actuelle des
États-Unis.

Le second volume, beaucoup plus intéressant que le premier, s'ouvre par
l'exposition des ressources militaires des États-Unis. De ce côté de
l'Atlantique, nous sommes habitués à considérer les Américains comme un
peuple de marins, de marchands et de pionniers, et nous ne soupçonnons
pas que l'Amérique, dans la prévoyance d'une lutte avec l'Europe, se
soit préparée à la soutenir. La constitution de 1787 donnait au congrès
le pouvoir de mettre le pays en état de défense. Cette sage mesure fut
différée pendant plusieurs années, et l'eût été, sans doute,
indéfiniment sans la guerre de 1812 avec l'Angleterre. En 1816, sous la
présidence de M. Madisson, le congrès décréta que les États-Unis
seraient mis en état de défense au moyen de fortifications permanentes
dont l'exécution fut confiée au général du génie Bernard, qui avait été
aide-de-camp de Napoléon, et chef de son cabinet topographique. M.
Poussin a coopéré, sous le général Bernard, à cette grande mesure et
trace un tableau aussi exact qu'intéressant du système de défense adopté
par le congrès. Ce système a pour principe que la défense nationale doit
reposer sur l'appui mutuel de la marine, des fortifications, des voies
de communication par eau et par terre, de l'armée régulière et de la
milice organisée. M. Poussin examine chacun de ces éléments. Il passe en
revue, en traitant de la marine militaire, son organisation successive,
son état présent, le matériel et le personnel, les chantiers de
construction et de réparation, les ports de refuge, les rades de
rendez-vous. Il donne ensuite de curieux détails sur la ligne de
fortification, les frontières maritimes et les frontières de terre, les
arsenaux, les manufactures d'armes et les fonderies, la navigation à
vapeur, les canaux, les chemins de fer, l'armée régulière et la milice.

Sur la population des États-Unis, M. Poussin a recueilli de nombreux
documents. L'esprit religieux, l'état de l'instruction publique,
l'instruction agricole, le commerce, les manufactures, les classes
ouvrières, forment autant de chapitres remplis de faits nouveaux, qui
font parfaitement connaître l'étal social et industriel de l'Union. La
condition de l'industrie manufacturière mérite particulièrement
d'attirer l'attention, car elle prouve que, sous peu d'années,
non-seulement les États-Unis pourront se passer des produits
manufacturés des nations européennes; mais encore qu'ils prendront place
parmi les peuples producteurs, révolution qui jettera forcément un grand
désordre dans l'économie industrielle et commerciale de la France et de
l'Angleterre.

_La Polynésie et les îles Marquises_: voyages et marine accompagnés d'un
voyage en Abyssinie, et d'un coup d'oeil sur la canalisation de l'isthme
de Panama; par M. LOUIS REYBAUD auteur des _Etudes sur les
Réformateurs_. 1 vol. in-8. Paris. 1845. Guillaumin, 7 fr. 50 cent.

M. Louis Reybaud a eu l'heureuse idée de faire réimprimer en un volume
in-8 une série d'articles qu'il avait publiés, durant ces dernières
années, dans la _Revue des deux Mondes_ et dans _la Revue Britannique_.
Ce nouvel ouvrage de l'auteur des _Etudes sur les Réformateurs_ s'ouvre
par un coup d'oeil sur la science géographique, qui lui sert, pour ainsi
dire, de préface. Viennent ensuite _l'Histoire de la colonisation de la
Nouvelle-Zélande_, les analyses des voyages de _l'Artémise_ à Taïti, de
l'expédition de _l'Astrolabe_ et de la _Zélée_, de 1837 à 1840, du
voyage de M. Rochet d'Héricourt dans _l'Abyssinie méridionale_. A des
réflexions pleines de justesse sur _l'avenir de notre marine_ et à des
documents statistiques sur _la flotte française_ en 1841, succèdent
enfin, deux curieux chapitres sur _les îles Marquises_ et sur la
_canalisation de l'isthme de Panama_. Aucun écrivain contemporain ne
résume avec plus d'intelligence et n'expose avec plus de clarté une
question controversée, que M. Louis Reybaud. Non-seulement il comprend
admirablement tous les sujets qu'il traite,--histoire, philosophie,
voyages,--mais il a, en outre, le talent de les faire comprendre à ses
lecteurs. Après avoir lu ses Études sur les Réformateurs, on connaît
mieux les systèmes de Saint-Simon, d'Owen et de Fourier, que si on avait
médité pendant longtemps leurs ouvrages et ceux de leurs disciples. Le
volume intitulé: _la Polynésie et les îles Marquises_ remplacera
avantageusement dans toutes les bibliothèques, les diverses relations de
voyage dont il renferme l'analyse.

_Voyage au pôle sud et dans l'Océanie_, sur les corvettes _l'Astrolabe_
et _la Zélée_, exécuté par ordre du roi, pendant les années
1837-1838-1839-1840, sous le commandement de M. DUMONT D'URVILLE. 34
volumes grand in-8º de plus de 700 pages, avec un atlas contenant
environ 520 planches in-folio, publié par livraisons de 5 ou 6 planches
et 64 cartes hydrographiques.--Paris, Gide, libraire-éditeur. Chaque
volume 6 fr.; chaque livraison de planches, 12 fr. 50 c.

La mort malheureuse de l'amiral Dumont-d'Urville n'a apporté aucun
retard à la publication de la relation de son voyage. L'ouvrage complet
se divisera en huit parties: 1. _Histoire des Voyages_, 10 vol. 2.
_Zoologie_, 6 vol. 3. _Botanique_ 1 Vol. 4. _Anthropologie et
Physiologie humaine_, 2 vol, 5 _Minéralogie et Géologie_, 2 vol. 6.
_Philologie_, 4 vol. 7. _Physique_, 4 vol. 8. _Hydrographie_, 2 vol. Le
quatrième volume de _l'Histoire du Voyage_ vient d'être mis en vente.
Ont déjà paru: _Atlas pittoresque_, 18 livraisons; _Zoologie_, 2 vol.
_Botanique_, 1 vol. _Physique_, 1 vol.--Avons-nous besoin de rappeler,
en annonçant cette belle publication, que le voyage au pôle et dans
l'Océanie, de _l'Astrolabe_ et de _la Zélée_, est, de toutes les
expéditions entreprises et achevées dans ce siècle par la marine
française, la plus récente, la plus glorieuse peut-être, et la plus
féconde en résultats nouveaux.

_Manuel de l'Histoire générale de l'Architecture_ chez tous les peuples,
et particulièrement de l'architecture en France au moyen-âge; par DANIEL
RAMÉE. 2 vol. in-12. Paris. 1843. Paulin, 10 fr. 50 cent. (Avec de
nombreuses gravures sur bois.)

Fils d'un architecte, architecte lui-même, M. Daniel Ramée avait depuis
sa jeunesse conçu le projet d'écrire un jour une histoire complète de
l'architecture. Pendant plus de vingt années il étudia tous les grands
monuments de l'antiquité et des temps modernes; non-seulement il
cherchait à comprendre leur ensemble et leurs détails, mais il
s'inquiétait, comme il le dit lui-même dans sa préface, de l'époque
historique à laquelle ils furent élevés, du génie du peuple qui les
édifia, des circonstances et des idées qui présidèrent à leur
construction. Après avoir compulsé, en outre, les divers ouvrages
français, anglais, italiens, allemands, espagnols, écrits jusqu'à ce
jour sur l'art auquel il a voué une affection particulière, il vient de
se décider à publier les résultats de ses longs et consciencieux
travaux.

Le premier volume du _Manuel de l'histoire générale de l'Architecture_
est consacré à l'antiquité, le second au moyen-âge. M. Daniel Ramée se
propose de composer plus lard un troisième volume, qui contiendra
l'histoire de l'architecture au seizième siècle et aux siècles suivants,
et dans lequel il jugera d'une manière impartiale les restaurations
modernes faites aux monuments du moyen-âge.

L'introduction placée en tête du premier volume se divise en cinq
chapitres, ayant pour titre: _L'histoire primitive des hommes,
l'émigration des peuples, les religions des temps primitifs, l'origine
de l'architecture et des nombres en général_. Ces prémisses posées, M.
Ramée promène avec lui son lecteur de l'Inde en Perse, de la Perse chez
les Babyloniens, les Chaldéens, les Mèdes, les Assyriens, les
Phéniciens, les Hébreux, en Ethiopie, en Nubie, en Egypte, en Grèce,
dans l'Asie Mineure, en Italie, chez les Étrusques et chez les Romains.
Que de monuments ne lui montre et ne lui explique-l-il pas durant cette
excursion rapide, mais intelligente, depuis les temples d'Elora, dont
l'origine est inconnue, jusqu'au palais que l'empereur Dioclétien fit
bâtir à Spalatro.

M. Daniel Ramée espère avoir rendu une justice impartiale à
l'architecture de tous les peuples. Toutefois, il s'élève contre l'étude
exclusive du style grec et romain. Il s'est longtemps arrêté à
l'architecture du moyen-âge en France, à l'architecture proprement dite
chrétienne, à celle qui est sortie des races germaniques. L'ignorance la
plus complète, la plus honteuse et la plus impardonnable, a seule pu
donner au moyen-âge l'épithète de barbare et d'obscur. Ce qui prouve
plus clairement que tous les livres, que tous les raisonnements, que
toutes les réflexions, la civilisation avancée et intellectuelle de
cette époque, c'est l'étude des oeuvres d'art qu'elle nous a laissées,
et, parmi ces oeuvres, plus particulièrement encore les monuments
d'architecture, ces majestueuses cathédrales, ces palais magnifiques,
ces châteaux forts avec ponts-levis et à triple herse, ces
hôtels-de-ville élégants, ces beffrois légers et tant d'autres édifices.
L'étude de ces oeuvres d'art forme le sujet du second volume. Ce n'est
plus l'univers entier, c'est l'Europe seulement, c'est le monde chrétien
que le lecteur visitera désormais avec son savant cicérone. M Daniel
Ramée signale d'abord l'influence du christianisme sur l'architecture;
puis il part de l'Italie, s'embarque pour Constantinople, revient eu
France, parcourt l'Allemagne et les Pays-Bas, passe en Angleterre,
explore rapidement les États du Mord, la Suède, la Norwege, la Russie,
fait une tournée en Espagne, et achève son voyage en Italie et en
Sicile, où du haut de la cathédrale de Pafenne il contemple en
imagination les monuments élevés par les Arabes sur cette terre de
l'Afrique que ses regards ne peuvent apercevoir.

_Traité du Droit international privé_, ou du conflit des lois des
différentes nations en matière de droit privé; par M. FOELIX, docteur en
droit. 1 vol. in-S. Paris. 1855. JOUBERT. 9 fr. (612 pages.)

Le droit international (_jus gentium_) est l'ensemble des principes
admis par les nations civilisées et indépendantes, pour régler les
rapports qui existent ou peuvent naître entre elles et décider les
conflits entre les lois et usages divers qui les régissent. Le droit
international se divise en droit public et en droit privé. Le droit
international public (_jus gentium publicum_) règle les rapports de
nation à nation, en d'autres termes a pour objet les conflits de droit
public. On appelle droit international privé (_jus gentium privatum_)
l'ensemble des règles d'après lesquelles se jugent les conflits entre le
droit privé des diverses nations; en d'autres termes, le droit
international privé se compose des règles relatives à l'application des
lois civiles ou criminelles d'un État dans le territoire d'un État
étranger.

Le Traité du droit international privé que vient de publier M. Foelix
n'est pas un ouvrage de théorie, mais une sorte de manuel-pratique.
L'auteur s'est borné à réunir dans un cadre méthodique les règles ou
principes qu'un usage assez général des nations parait avoir consacrés.
Quant aux preuves de l'existence de cet usage, il les a recherchées dans
les lois, les traités, les écrits des auteurs et les arrêts des cours de
justice.

M. Foelix a divisé son ouvrage en deux livres, précédés d'une
introduction. Dans le titre préliminaire, il résume rapidement
l'histoire du droit international chez les Romains et au moyen-âge; il
pose ensuite quelques principes fondamentaux, puis définit trois classes
de statuts dont il aura à s'occuper: les statuts personnels, les statuts
réels, les statuts concernant les actes de l'homme. Dans le livre
premier, il traite des effets du statut personnel et du statut réel. Le
livre second est beaucoup plus important que le premier; l'auteur
examine avec détail les lois diverses qui régissent les actes de
l'homme. Les huit premiers titres de ce livre embrassent tout le droit
international civil: le titre IX et dernier est consacré au droit
international criminel.

M. Foelix, rédacteur en chef de la _Revue étrangère et française de
législation_, avait déjà publié, dans le cours de l'année dernière, deux
volumes sur les mariages contractés en pays étrangers, et sur l'effet ou
l'exécution des jugements dans les pays étrangers. Son traité de droit
international, fruit de longues études, obtiendra un succès d'autant
plus grand, qu'il est le premier ouvrage publié en français sur cette
importante matière. Les autres livres _ex professo_, qui avaient paru
jusqu'à ce jour, étaient dus à deux Anglais, MM. Storey et Burge, deux
Allemands, MM. Schmaefner et Waechter, et un Italien, M. ROCCO, et
n'avaient jamais été traduits dans notre langue.

_Code civil de l'empire de Russie_, traduit sur les éditions
officielles, par un jurisconsulte russe, et précédé d'un aperçu
historique sur la législation de la Russie et l'organisation judiciaire
de cet empire; par M. VICTOR FOUCHER, avocat général à la Cour royale de
Rennes. 1 vol. in-8. Rennes, Blin.

Le Code civil de la Russie est le produit d'un enfantement de plusieurs
siècles. Alexis Milkhaelovitch fit pour la première fois, en 1669, un
recueil des lois russes. Son _Ulogénie_ remplaça les coutumes barbares
qui avaient régné jusqu'à cette époque. En 1700, Pierre le Grand nomma
une commission chargée de réunir dans un seul ordre tous les actes
législatifs des empereurs. Cette commission, souvent renouvelée, ne
finit son travail qu'en 1832. Un manifeste du 31 janvier 1833, signé par
Nicolas et promulgué, a rendu obligatoire, à partir du 1er janvier 1833,
le _Svod_, ou la collection de toutes les lois. Le Code civil, dont. W.
Toucher vient de publier la traduction, forme la première partie du
cinquième livre du Svod.

_Histoire de la Chimie, depuis les temps les plus reculés jusqu'à notre
époque_, comprenant une analogie détaillée des manuscrits alchimiques de
la bibliothèque Royale de Paris; un exposé des doctrines cabalistiques
sur la pierre philosophale; l'histoire de la pharmacologie, de la
métallurgie et, en général, des sciences et des arts qui se rattachent à
la chimie, etc.; par le docteur FERDINAND HOEFER. Tome 1er, in-8. Paris,
1842. Au bureau de la _Revue Scientifique_, rue Jacob, 36.

Le tome 2 et dernier doit paraître prochainement; nous rendrons compte
de ce curieux ouvrage dès qu'il sera terminée.

_Voyage d'Horace Vernet en Orient_. Dessins et textes, par M. GOUPIL
PESQUET. Paris, chez M. Challamel, directeur de la _France littéraire_.
4, rue de l'Abbaye, éditeur du _Voyage de M. de Forbin_, avec texte par
M. de Marcellus.

La relation du _Voyage d'Horace Vernet en Orient_ que publie M.
Challamel, est enrichie d'un joli choix de costumes, de scènes de
moeurs, de vues, expliqués dans le telle et dessiné, scrupuleusement
d'après nature, à Malte, dans l'Archipel, en Egypte, en Syrie, en
Turquie, dans l'Asie Mineure, en Italie, etc.; elle renferme aussi
quelques chants nationaux.

Le public apprendra aussi, avec plaisir, à l'époque du salon de 1843,
que M. Challamel continuera cette année la série d'_Albums sur les
expositions de peinture_, et se propose d'y ajouter, pour complément
indispensable, les plus jolis tableaux de Verburg, Teniers, Metzu, etc.,
ainsi que la belle collection de peintres primitifs de M. Artaud de
Moutor.

_L'Histoire--Musée de la République française_, par M. Augustin
Challamel, et le joli _Album de l'Opéra_, méritent aussi d'être
recommandés à tous les amateurs des livres illustrés.

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EXTRAIT DU CATALOGUE GÉNÉRAL DU COMPTOIR CENTRAL DE LA LIBRAIRIE.

                        Philosophie (suite).

ENCYCLOPÉDIE NOUVELLE, ou Dictionnaire philosophique, scientifique,
littéraire et industriel, offrant le tableau des connaissances humaines
au dix-neuvième siècle; publiée sous la direction de MM. P. LEROUX et J.
REYNAUD. 8 vol. grand in-8, de 838 pages à deux colonnes. (Charles
Cosselin, éd.) 16 fr. le vol.

ESQUISSES D'UNE PHILOSOPHIE; par F. LAMENNAIS (1841). 3 beaux et forts
vol. in-8. (Pagnerre, éd.) 22 fr. 50

ETUDES SUR LES RÉFORMATEURS CONTEMPORAINS ou socialistes modernes:
Saint-Simon, Charles Fourier, Robert Owen; par Louis Reynaud. 5e
édition. 1 beau vol. in-8. (Guillaumin, éd.) 7 fr. 50.

INTRODUCTION A LA SCIENCE DE L'HISTOIRE; par P.-J.-B. BUCHEZ. Nouvelle
édition. 2 vol. in-8. (Guillaumin, éd.) 15 fr.

RATIONALISME CHRÉTIEN (le) à la fin du onzième siècle, ou Monologium et
Prologium de saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, sur l'essence
divine; par M. H. BOUCHETTE. 1 volume in-8. (Amyot, éd.) 7 fr. 50

UTOPIE DE THOMAS MORUS (L'), traduction nouvelle; par M. VICTOR
STOUVENEL, in-8. (Paulin, éd.) 5 fr.

VOYAGE EN ICARIE, roman philosophique et social; par CABET. 1 vol. grand
in-18. (Mallet, éd.) 4 fr.

                               Education.

ABBÉ DE LA SALLE (L') ET L'INSTITUT DES FRÈRES DES A ÉCOLES CHRÉTIENNES,
depuis 1654 jusqu'en 1842; par un professeur de l'Université. 1 vol.
grand in-18. (Lebrun, éd.) 1 fr. 25

ABÉCÉDAIRE MINIATURE EN ACTION (L'), joujou instructif avec un joli
texte et plus de 100 petits dessins. (Aubert et Comp., éd.) 2 fr. 75.

BIBLE EN IMAGES (la), exercices de lectures pour l'enfance, composés de
versets de la sainte Bible. 1 vol. in-18, de 550 vignettes. (Lebrun,
éd.) 1 fr. 50.

CONTES D'UNE VIEILLE FILLE A SES PETITS-NEVEUX, par Mme ÉMILE DE
GIRARDIN (DELPHINE GAY.). 2e édition. 2 volume in-18. (Charles Gosselin,
éd.) 6 fr.

GALERIE PITTORESQUE DE LA JEUNESSE, ornée de 40 lithographies, d'après
VICTOR ADAM, texte de Mme ALIDA DE SAVIGNAC. (Aubert et Comp., éd.)
Cartonné. 10 fr.

GALERIE PITTORESQUE D'HISTOIRE NATURELLE. Cours élémentaire d'histoire
naturelle; par M. BOITARD. 1e édit. 1 vol. in-4º orné de 210 planches.
(Lebrun, éd.) Broché. 5 fr.

HISTORIETTES, CONTES ET FABLES de FÉNELON. Joli vol. in-18, illustré de
nombreuses vignettes sur bois, de douze grands sujets; par Th.
Fragonard. (Challamel, éd.) Br. 4 fr.

MERVEILLES DE LA FRANCE (les), ou _Vade-mecum du petit voyageur_. 1 vol.
in-8, orné de 15 jolis dessins. (Challamel, éd.) 5 fr.

MYTHOLOGIE PITTORESQUE, ou Histoire méthodique universelle des faux
dieux de tous les peuples anciens et modernes; par J. ODOLANT-DESNOS. 5e
édition. 1 vol. grand in-8, orné de 50 gravures. (Lavigne, éd.) 10 fr.

MYTHOLOGIE ILLUSTRÉE; par M. PHILIPON DE LA MADELAINE, ornée de 140
vignettes et de 25 planches. 1 vol. grand in-18. (Mallet, éd.) 5 fr.

OCÉAN ET SES MERVEILLES (l'), histoire et description des animaux,
coquillages et plantes marines les plus remarquables qu'il renferme: par
J.-M. CHOPIN. 1 beau vol. in-12, orné de 100 gravures. (Lebrun, éd.) 1
fr. 50.

PATER DE FÉNELON (le), par S. HENRI BERTHOLD. 1 beau vol. in-12, orné de
gravures et du portrait de Fénelon. (Lebrun, éd.) Broché. 1 fr. 50.

PETIT DESSINATEUR (le), ou les vrais éléments du dessin enseigné en 10
leçons; par M. VOIART. Ouvrage adopté pour les écoles primaires par le
conseil royal. 2e édition. 1 vol. in-12, orné de ligures. (Lavigne, éd.)
5 fr.

PETITS CONTES HISTORIQUES; par Mme EUGÉNIE FOA. 6 petits vol. ornés de
dessins. Ils se vendent séparément. (Aubert et Comp., éd.) Chaque volume
broché. 50 c.

PETITS INSULAIRES (les), histoire intéressante et morale, imitée de
l'anglais et ornée de jolies gravures. (Aubert et Comp., éd.).

PETITS LIVRES DE M. LE CURÉ (les), bibliothèques du presbytère et de la
famille; charmants petits livres d'éducation morale et d'amusement.
Chaque volume est orné d'un grand nombre de dessins, par Forest,
Vernier, Valentin, etc. (Aubert et Comp., éd.) Prix de chaque volume
illustré. 50 c.

VOCABULAIRE ILLUSTRÉ (le) par plus de 800 dessins gravés sur bois et
intercalés dans le texte. Grand in-8º. (Aubert et Comp., éd.) Broché. 12
fr.

                            Politique

BIBLIOTHÈQUE POLITIQUE, publiée par Pagnerre, éd. Collection de jolis
vol. in-32, imprimés avec luxe, sur papier grand jésus vélin.--Cette
Bibliothèque se compose des volumes suivants.

ABOLITION DE L'ESCLAVAGE; par V. SHEOELCHER. 2e édit. 1 vol. 1 fr. 25 c.

AFFAIRES DE ROME; par F LAMENNAIS, 5e édition 2 vol. 2 fr.

AVIS AUX CONTRIBUABLES; par TIMON, pamphlet publié lors des élections de
1842. 50 c.

2 AVIS AUX CONTRIBUABLES, ou REPONSE DU MINISTRE DES FINANCES; par le
même. 25 c.

BIOGRAPHIE DES DÉPUTÉS (Chambre dissoute, 1839-1842). 2 vol. 2 fr. 50 c.

CATÉCHISME DE LA RÉFORME ÉLECTORALE; par J. BENTHAM, traduit par ÉLIAS
REGNAULT. 1 vol. orné du portrait de Bentham. 1 fr. 25.

CENTRALISATION (de la); par TIMON. 1 vol. 1 fr. 25.

CHANSONS POLITIQUES (Nouvelles); par ALTAROCHE. 1 vol. 1 fr. 25.

CONTES, DIALOGUES ET MÉLANGES DÉMOCRATIQUES; par ALTAROCHE. 1 vol. 1 fr.
25.

ESCLAVAGE MODERNE (de l'); par F. LAMENNAIS. 1 volume. 75 c.

ÉTAT DE LA QUESTION; par M. de CORMENIN; pamphlet publié lors des
élections de 1839. 50 c.

ÉTUDE SUR TIMON; par M. CHAPUYS-MONTLAVILLE. 1 vol. 25 c.

FORTIFICATIONS DE PARIS, justes frayeurs d'un habitant de la banlieue;
par A. LUCHET. 1 vol. in-32. 50 c.

FRAGMENTS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES; par LUDWIG BOEHNE. 1 fort volume
orné du portrait de l'auteur. 1 fr. 50.

ITALIE POLITIQUE; par le général POPE, avec une introduction par Ch.
DIDIER. 1 vol. 2 fr.

LIVRE DU PEUPLE (le); par F. LAMENNAIS. 1 vol. 1 fr. 25.

MAZAGRAN, récit des journées des 3, 4, 5 et 6 février 1810; par M.
CHAPUYS-MONTLAVILLE, député. 50 c.

MOT (un) sur le pamphlet de police intitulé _la Liste civile dévoilée_;
par M. DE CORMENIN. 25 c.

NATIONALITÉ FRANÇAISE; par Ch. DIDIER. 1 vol. 75 c.

OEUVRES COMPLÈTES DE J.-P. DE BÉRANGER. Nouvelle et très-jolie édition.
3 vol. ornés d'un beau portrait de l'auteur. 3 fr. 50.

PAMPHLETS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES, de P.-L. COURIER précèdes d'un
Essai sur la vie et les écrits de l'auteur, par ARMAND CARMEL. 2 vol. 2
fr. 25.

PAROLES D'UN CROYANT; par F. LAMENNAIS. 1 vol. 75 c.

PASSÉ ET DE L'AVENIR DU PEUPLE (du); par F. LAMENNAIS. 1 vol. 1 fr. 50.

POLITIQUE A L'USAGE DU PEUPLE; par F. LAMENNAIS. 2 vol. 2 fr. 50.

PRINCIPE (le) ET L'APPLICATION, _Réforme électorale_; par M.
CHAPUYS-MONTLAVILLE. 1 vol. in-32. 1 fr. 50.

QU'EST-CE QUE LE TIERS-ÉTAT? brochure publiée en 1789, par SIEYES. 1
vol. orné du portrait de Sieyes. 1 fr. 30.

QUESTIONS POLITIQUES et PHILOSOPHIQUES; par F. LAMENNAIS 2 vol. 2 fr. 50.

QUESTIONS SCANDALEUSES D'UN JACOBIN, au sujet d'une Dotation; suivies de
la Réfutation du rapport de T. Amilhau; par TIMON. 1 vol. 50 c.

RÉCIT DE L'INAUGURATION DE LA STATUE DE GUTENBERG et des fêtes données à
Strasbourg les 24, 25 et 26 juin 1810; par AUG. LUCHET orné d'une jolie
vignette représentant la statue de GUTENBERG, par David (d'Angers). 1
vol. 1 fr. 25.

RÉFORME (la) ET LA RÉVOLUTION, paraboles historiques; par ALTAROCHE. 1
vol. 1 fr. 25.

RÉGENCE (de la). Définition, Principes, Histoire, Questions de droit et
de personnes. Attributions, Autorité, Dotation, etc.; par E. Du Clerc. 1
vol., 2e édition. 1 fr. 25.

RELIGION (de la); par F. LAMENNAIS. 1 vol. 1 fr. 25.

EXPOSITION RAISONNÉE DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE DE M. F. LAMENNAIS;
par E.-A. SEGRETAIN. 1 volume. 1 fr. 25.

Chaque ouvrage de cette Bibliothèque se vend séparément.

BIOGRAPHIE DES DÉPUTÉS session de 1831. 1 vol. in-8 (Pagnerre, éd.) 2
fr. 50.

DÉCLIN DE LA FRANCE (du) et de l'égarement de sa politique; par M.
d'H... 1 vol in 8. (Paulin, éd.) 1 fr.

DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (de la); par M. ALEXIS DE TORQUEVILLE. 9e
édition, revue et corrigée. 1 vol in-8. orné d'une carte d'Amérique.
(Charles Gosselin éd.) 30 fr.

On vend séparément:

DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE; par le même auteur. Seconde partie,
formant les I. III et IV. 5' édition. 2 volumes in-8. 15 fr.

DICTIONNAIRE POLITIQUE, Encyclopédie du langage et de la science
politiques; rédigé par une réunion de députés, de publicistes et de
journalistes, avec une introduction par GARNIER-PAGES; publié par MM E.
DUCLERC et PAGNERRE. 1 VOLUME in-8 grand-jesus vélin, de près de 1,000
pages à deux colonne, contenant la matière de 12 volumes in-8
ordinaires, orné du portrait de Garnier-Pagès sur chine. (Pagnerre, éd.)
20 fr.

HISTOIRE ÉLECTORALE DE LA FRANCE depuis la convocation des états
généraux de 1789; par M. AUDIGANNE, avocat. 1 vol. in-8. (W. Coquebert,
éd.) 5 fr.

POLITIQUE EXTÉRIEURE ET INTÉRIEURE DE LA FRANCE (de la); par DUVERGIER
DE HAURANNE, membre de la Chambre des Députés. 1 vol. in-8. (Paulin,
éd.) 6 fr.

SOPHISMES PARLEMENTAIRES; par JEREMIE BENTHAM, traduits de l'anglais et
précédés d'une lettre à GARNIER-PAGES sur l'Esprit de nos assemblées
délibérantes, par M. ÉLIAS REGNAULT. 1 beau vol. in-8 (Pagnerre, éd.) 5
fr.

          Economie Politique. Commerciale et industrielle.

AIR COMPRIMÉ ET DILATÉ COMME FORCE MOTRICE (de l'). ou des forces
naturelles recueillies gratuitement et mises en réserve: par MM. ANDRAUD
et TESSIE DE MOTHAY 3e édition, in-8. (Guillaumin, éd.) 3 fr.

ASSOCIATION (l') des douanes allemandes, son passé, son avenir, par MM.
P.-A. DE LA NOURAIS et E. BRÉES. 1 vol. in-8. (Paulin, Éd.) 5 fr.

Les trois ouvrages suivants sont en vente:

COURS COMPLET D'ÉCONOMIE POLITIQUE; par J.-B SAY. 2e édition,
entièrement revue par l'auteur, publiée sur les manuscrits qu'il a
laissés, et augmentée de notes; par Honni SAY, son fils. 2 beaux vol.
in-8. 20 fr.

RECHERCHES SUR NATURE ET LES CAUSES DE LA RICHESSE DES NATIONS: par ADAM
SMITH. Traduction du comte GERVAIS GARNIER, entièrement revue et
corrigée, et précédée d'une notice biographique par M. BLANQUI aîné, de
l'Institut; avec les commentaires de BUCHANAN, G. GARNIER, MacCULLOCH,
MALTHUS, J. MILL, RICARD, SISMONDI; augmenté de notes inédites de J.-B.
SAY, et d'éclaircissements historiques, par M. BLANQUI. 2 forts vol.
grand in-8. 20 fr.

TRAITÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE. 6e édition. Par J-B. SAY 1 seul volume
grand in-8. raisin velin. 10 fr.

DICTIONNAIRE DU COMMERCE ET DES MARCHANDISES, contenant tout ce qui
concerne le commerce de terre et de mer, la navigation, les douanes, les
pêches, l'économie politique, commerciale et industrielle, la
comptabilité, la tenue des livres, les changes, les monnaies, les poids
et mesures de tous les pays, la géographie commerciale, le mouvement des
exportations et des importations, les usages de chaque pays, la
connaissance de tous ses produits, soit naturels, soit fabriqués, leurs
caractères spécifiques, leurs variétés, leur histoire, leurs provenances
et leurs débouchés: par MM. BLANQUI aîné. BLAY, A. CHEVALLIER, Ed.
CORRIERE, Di BRUNFAUT, DUSSARD, Th. FIX, EUGEN, FLACHAT, STEF.
FLACHAT-MOW, FRANCOEUR, DAY,. KOSCHLIN Ch. LEGENTIL, député, MacCULLOCH,
A MIGNOT, OMOT, PANCE, PAVEN, PELOUZE, L. REYNAUD, RODET, HORACE SAY,
etc., etc. 2 forts volumes petit in-4. de 2,252 pages à deux colonnes,
avec atlas colorié de 8 planches. 12 fr.

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Décors, meubles et accessoires. Banquettes, tentures, glaces, bronzes,
bougie.

S'adressera MM Varnouts père et fils, machinistes, peintres en décors.

Rue d'Angoulême-du-Temple.

VOYAGE D'HORACE VERNET EN ORIENT: dessins et texte par M.
GOUPIL-FESQUET. Paris, chez Challamel, directeur de la FRANCE
LITTÉRAIRE, 4, rue de l'Abbaye, éditeur du VOYAGE DE M. DE FORBIN, avec
texte, par M. de Marcellus.

[Illustration: modes.]

                              MODES

MARIAGES--PROMENADES--THÉÂTRES.

Il parait quelques rayon de soleil, et l'on ne sait avec quelle toilette
nouvelle y répondre: le soir il y a représentation au théâtre, et les
toilettes n'ont plus de fraîcheur. Et cependant, reprenant la plume,
j'ai dû mettre en tête de cette revue du monde ce mot ambitieux et
obligatoire: Modes!

Nous allons jeter un coup d'oeil sur les réunions plus ou moins
importantes, sérieuses ou futiles.

En tête des solennités graves sont les mariages. Quelques-uns, célébrés
tout à fait en silence, ne nous permettent pas l'indiscrétion; mais ceux
qui s'entourent d'une pompe fastueuse appartiennent à nos recherches.

Un des jours de la semaine dernière, une file de voitures entourait, dés
onze heures du matin, l'église Saint-Sulpice: des femmes simplement
parées en descendaient et prenaient place au maître-autel, devant lequel
attendaient les chaises de velours et les cierges dans les hauts
flambeaux d'argent; des masses de fleurs naturelles formaient sur
l'autel une pyramide mêlée de lumières: l'église était brillante et
radieuse; on comprenait, dès le portique, la fête que l'on allait
célébrer.

C'était une messe de mariage. Mademoiselle de J. entra, suivie de sa
famille; elle traversa cette double haie d'amis et d'indifférents sans
rendre un seul regard aux mille regards attirés sur elle.

Si une jeune fille a une pensée étrangère à l'événement qui l'amène en
ce lieu, c'est certainement le désir d'échapper à cette foule; mais nos
usages sont faits ainsi, que le moment de toute la vie où une femme
voudrait concentrer le plus intimement en elle toute son âme, est celui
qu'elle livre au monde, celui pour lequel il faut étudier une toilette,
composer un maintien, étouffer la plus sainte des émotions, en un mot,
poser en public.

Mademoiselle de J. avait une robe de velours épinglé blanc, à corsage
montant, à manches longues, fermée par des boutons en diamants; un long
voile d'Angleterre tombait en arrière, retenu par la couronne de fleurs
d'oranger; le _bouquet de mariée_ était en bijouterie: des perles
formaient les boutons, et un feuillage en or émaillé s'étalait entre les
pierreries.

Rien n'est plus convenable qu'une toilette de mariée sérieuse et modeste.
Certes, ce n'est pas le moment où la jeune fille vient devant Dieu,
conduite par son nouvel époux, qu'elle doit choisir pour se parer selon
le monde. Le voile est un emblème éloquent de l'attitude imposée aux
mariées; le voile devrait cacher le visage: il n'y a pas assez de signes
extérieurs pour exprimer la réserve et la modestie dont une fiancée
devrait s'entourer.

Aussi la toilette grave et enfantine tout à la fois de mademoiselle de
J. fit-elle grande sensation. Les diamants sur la robe de riche étoffe,
ce voile rare et magnifique, l'absence de bijoux coquets, tout était en
accord.

Il est à désirer que cette mode remplace celle des _robes de bal_ si
inconvenantes pour la circonstance, et si déplacées dans une église.

Mademoiselle de J. tenait à sa main un livre couvert en ivoire, sur
lequel se dessinait son chiffre, surmonté d'une couronne de comtesse.

Quelques jours avant la célébration, une grande réunion de famille avait
attiré quelques étrangers à l'hôtel de J., et nous allons en dire
quelques détails. Mademoiselle de J. avait parfaitement compris que si
la nouvelle mariée est obligée de se soumettre à une certaine
simplicité, la fiancée doit l'observer bien plus encore.

Rien n'est plus charmant que la coquetterie naïve d'une jeune fille dont
on va lire le contrat de mariage. Elle doit être distinguée entre les
autres jeunes filles, toutefois il ne faut pas qu'elle soit confondue
avec les femmes.

Mademoiselle de J. a tout au plus dix-sept ans; à peine a-t-elle eu le
temps de porter des fleurs. Jusqu'à cette soirée, qui lui donne près de
80,000 livres de rente, on aurait difficilement deviné en elle
l'héritière d'une grande fortune.

Sa robe en mousseline de l'Inde, à double jupe, avait un jupon rose pour
transparent; des flots de rubans rose et argent partageaient comme une
Sévigné la mantille de son corsage, et les mêmes rubans accompagnaient
sa coiffure.

La corbeille exposée était magnifique. Les châles de cachemire eurent à
eux seuls un succès prodigieux. On fut en admiration devant un châle
long, bleu, bordé de hautes palmes, complication merveilleuse de
serpents et de petites figures grotesques. Les châles de cachemires sont
de grande et riche élégance; le matin, à la ville, je ne sache pas
quelque chose d'un meilleur goût qu'un châle long. Ceci soit dit sans
attaquer nullement la faveur capricieuse du camail et de la pelisse, qui
jouissent pleinement de leur royauté.

Les étoffes n'étaient qu'en petit nombre, en raison de l'époque où nous
nous trouvons. Quelques taffetas rayés, quelques fantaisies, semblaient
jouer à côté des pompeux velours et des velours épinglés d'une élégance
si douce et si recherchée.

Parmi les bijoux, un bracelet eut une glorieuse distinction; c'est un
portrait en miniature entouré de diamants et retenant cinq rangs de
diamants.

Mademoiselle de J. adressa le plus charmant regard à son jeune prétendu.
Ce remercîment semblait fort étranger aux diamants; car la jeune fille
dit avec un ton affectueux: «Il est bien ressemblant.»

Pour les femmes qui regardaient, c'était surtout un bracelet de
diamants; pour elle, c'était un portrait.

A la promenade, on va montrer sa voiture: aussi les personnes qui n'ont
pas de voitures élégantes à faire voir, ne vont-elles guère se promener.
Il n'y a aucune toilette de ville qui offre un peu de nouveauté.

Au théâtre, ce sont les coiffures; on voit de charmants petits bonnets
fort simples, avec la passe relevée, et des rubans ou des fleurs tombant
contre l'oreille. Il y a des femmes jolies et jeunes qui bravent
l'aridité de la guipure près du visage, et qui font ces petits bonnets
garnis en guipure plate, avec des épingles en diamants sur les cotés.

On dit que les robes de dessous en taffetas de couleur vont être
adoptées avec les robes de fantaisie, pour les toilettes de jour; c'est
une des plus jolies innovations que les femmes élégantes puissent
encourager. Puisque l'on est revenu à quelques-unes des toilettes de nos
mères, pourquoi ne pas reprendre celles qui se distinguaient le plus de
toute autre époque par une recherche coquette et gracieuse.

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Problème d'Échecs

LES BLANCS SONT MAT EN QUATRE COUPS.

[Illustration: (La solution à une prochaine livraison.)]

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                          Mercuriales

                   MARCHÉ AUX GRAINS.--8 Mars

                 FARINES.--Les 100 kilogrammes.

1re qualité  32 à 34 f.   Arrivages           3,841 q. 94 k
2e     id.   29 à 31      Ventes              5,507
3e     id.   22 à 26      Restant à la halle 26,585    86
4e     id    17 à 21
Cours moyen du jour, 30 f. 62 c.--De la taxe, 54 f. 24 c.

                     GRAINS--L'hectolitre.

          Froment          18 f. 55 c. à 20 f. 65. c
          Seigle            9    65      10    65
          Orge             13    55      14    15
          Avoine            9    15      10    65

                 MARCHÉ AUX FOURRAGES.--3 Mars.

                             Enfer.  Saint-Martin Saint-Antoine
Paille de blé, 1re qualité  48 à 51    f. 50 f.     48 à 50 f.
Foin,            id.        76 à 78      -          46 à 78


                  MARCHÉ AUX SCEAUX--Mars 1845.

          Amené. Vendu. Poids m. 1re qual. 2e qual. 3e qual. le k.
Boeufs,    995    946    547 k.   1f.50c.   1f.18c.  1f.04c.
Vaches,    188    181    216      1  12       .90      .68
Veaux,     494    494     57      1  76      1 60     1 44
Moutons,  8,555 8,467     22      1  46      1 30     1 06

                        HALLE AUX VEAUX.

             Amené.   Vendu.   Poids moyen.     Le kil.
28 février    111      110          68     1f.84c à 1f.44c.
 5 mars       578      578          70     2  10    1  70

                    VACHES GRASSES.--7 Mars.

 Amené 104, tant sur pied qu'abattues.--Vendu 79 de 1f.20c à 80c.
le kilogramme.

                       VACHES LAITIÈRES.

                                 Amené.   Vendu.
La Maison-Blanche       4 mars.    55       34   210 à 450 f.
La Chapelle-Saint-Denis 7 mars.    95       42   250 à 500

                        LILLE.--1er Mars.

Graine de colza, l'hectol.                24f.50c.
Huile de colza, la tonne.                 80
Graine de cameline, l'hectol.             20
Huile de cameline, la tonne.              80  25
Graine de lin, l'hectol.                  21  25
Huile de lin, la tonne.                   80
Tourteaux de colza, les 100 kilog         15
   id.    de lin,        id.              16  75

           MARCHÉS ÉTRANGERS.--BRUXELLES.--3 MARS 1845

Froment nouveau, l'hectolitre.                19f.70c.
        étranger,    id.                      17  77
Seigle nouveau,      id.                      15  77
Avoine               id.                       8  06
Graines de colza,    id.                      23  12
        de lin.      id.                      18  59
Tourteaux de colza, l,215 kil.               168  75
          de lin,     id.                    216  77

               PRIX MOYEN DU FROMENT ET DU SEIGLE.
               Du Lundi au Samedi 25 Février 1845.

Marchés
 régulateurs.   Froment   Hectol. Prix Moy.  Seigle  Hectol.  Prix moy.
Arlon                             20f.32c.                    17f.00c.
Anvers                            20  35                      14  88
Bruges                            18  15                      13  25
Bruxelles                         19  77                      14  15
Gand                              18  70                      12  66
Hasselt                           20  10                      15  02
Liège                             19  06                      14  58
Louvain                           20  44                      14  81
Namur                             20  02                      15  55
Mons                              19  75                      12  52
Prix moyen pour tout le royaume.  19  55                      14  45

Le froment reste soumis au droit d'entrée de 37 f. 50 c., et le seigle à
celui de 21 f. 50 c. les 1,000 kilogrammes.

Le droit de sortie sur l'une et l'autre céréale reste fixe à 25 c. les
1.000 kilogrammes.

                            ANVERS.--3 Mars.

Graines de trèfle rouge, le kilog.            0f.88c.
             --   blanc,   id.                   80
 -- de chanvre de Riga,    id.                   51
 -- de lin à semer de Riga, la tonne          26 49
 -- de colza du pays, l'hectolitre.           28 56
 --     --   étrangère,   id.                 28 50

                                GRAINS

Froment roux indigène, l'hectolitre           25 80
  --   blanc,               id.               21 68
Seigle indigène,            id.               15 20
  --   de France,           id.               15 55
Orge du pays,               id.               11 89
  -- étrangère,             id.                9 60
Avoine à fourrage,          id.                7 15
Houblon d'Angleterre, les 100 kilog.          70

                          LOUVAIN.--2 Mars.

Froment 1re qualité, l'hectol.                21 11
  --    2e    id.       id.                   20 25
Seigle 1re    id.       id.                   15 09
  --   2e     id.       id.                   14 51
Orge d'hiver            id.                   12 58
Beurre, 1re qualité, le kilog.                 1 80

                           ATH. 2 Mars

Froment nouveau, l'hectol.                    19 30
Seigle,             id.                       11 75
Escourgeon,         id.                       11 50
Avoine,             id.                        6 50

                      AMSTERDAM--1er Mars.

Huile de colza, la tonne.                     68 25
 --   de lin,      id.                        65 55
 --   de chanvre,  id.
61 94 Graine de colza, l'hectol.              21 58

                      SCHIEDAM.--8 Février

Genièvre 9 5 16 degrés                        52 27
  --     preuve d'Amérique                    54 59

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[Illustration: Rébus (l'explication à la prochaine livraison.)]


ON S'ABONNE chez les Directeurs des postes et des messageries, chez tous
les Libraires, et en particulier chez tous les _Correspondants du
Comptoir central de la Librairie_.

A LONDRES, chez J. THOMAS, 1, Finch Lane Cornhill.
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JACQUES DUBOCHET.
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Paris.--Typographie SCHNEIDER et LANGRAND, rue d'Erfurth, 1.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 0002, 11 Mars 1843" ***

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