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Title: James Ensor
Author: Verhaeren, Émile, 1855-1916
Language: French
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http;//www.freeliterature.org



JAMES ENSOR

PAR

EMILE VERHAEREN


COLLECTION DES ARTISTES BELGES CONTEMPORAINS


BRUXELLES

LIBRAIRIE NATIONALE D'ART & D'HISTOIRE

G. VAN OEST & CIE

1908


       *       *       *       *       *

[Illustration: Portrait de James Ensor en 1875.]

[Illustration: La Femme au Balai--1880.]



I.

LE MILIEU


Souvent, des vagues venant du côté de l'Angleterre s'engouffrent
nombreuses et larges dans le port d'Ostende. Et les idées et les
coutumes suivent ce mouvement marin.

La ville est mi-anglaise: enseignes de magasins et de bars, proues
hautaines des chalutiers, casquettes d'agents et d'employés y font
briller au soleil, en lettres d'or, des syllabes britaniques; la langue
y fourmille de mots anglo-saxons; les gens des quais y comprennent le
patois de Douvres et de Folkstone; des familles londoniennes s'y sont
établies jadis, y ont fait souche et marié leurs filles et leurs fils
non pas entre eux mais aux fils ou aux filles de la West-Flandre. Le
service quotidien des malles voyageuses resserre tous ces liens divers,
comme autant de cordes tordues en un seul cable, si bien qu'on peut
comparer la grande île à quelqu'énorme vaisseau maintenu en pleine mer,
grâce à des ancres solides dont l'une serait fixée dans le sol même de
notre côte.

Cette influence d'outre-mer qui imprègne le milieu où il naquit
suffirait certes à expliquer l'art spécial de James Ensor. Toutefois
elle se précise encore si l'on note que l'ascendance paternelle de
l'artiste est purement anglaise. Le nom qu'il porte n'est point flamand.
C'est à Londres, qu'il se multiplie aux devantures. Je le vis flamboyer,
un soir, dans Soho-square et plus loin il se projetait--réclame
mouvante--sur un trottoir d'Oxford street.

L'œuvre que nous étudierons et exalterons s'élève donc au confluent de
deux races--races saxonne, race flamande ou hollandaise--harmonieusement
mêlées dans le sang et dans l'âme d'un très beau peintre.

L'erreur serait grande si l'on se figurait qu'à cause de ses origines
britaniques, Ensor se soit complu à réapprendre comme certains peintres
modernes l'art des Reynolds ou des Gainsborough ou se soit assimilé
n'importe quelle méthode des préraphaelites illustres. L'anglomanie qui
s'est glissée jusque dans l'esthétique l'a épargné. Ce n'est point par
des qualités extérieures et souvent artificielles qu'il se rattache aux
maîtres de là là-bas, mais bien, naturellement, par certains dons
fonciers et rares. Il est de leur famille, sans le vouloir. Il est
audacieux et harmonieux comme Turner, sans qu'il s'y applique, sans
qu'il s'en doute. Il aime les effets tumultueux et larges de Constable
sans qu'aucune de ses toiles fasse songer aux paysages célèbres de ce
grand peintre. La parenté est souterraine et comme secrète. Elle se
manifeste dans la manière de comprendre et d'aimer la nature, dans la
sensibilité aiguë de l'œil dans la franchise et l'audace des
conceptions, dans la pratique du dessin pictural, dans la délicatesse
mêlée à la force, dans la plaisanterie unie à la brutalité. Dès que
cette dernière caractéristique est atteinte, James Ensor rejoint non
plus Constable ni Turner, mais Gillray et Rowlanson plus encore que
Jérôme Bosch ou Pierre Breughel.

[Illustration: Le Christ veillé par les anges (1886).]

Encore que l'influence anglaise agisse avant toute autre sur elle, c'est
toute l'Europe et l'Amérique qui transforment pendant l'été, quand la
saison balnéaire s'inaugure, Ostende. Les jeux et les fêtes l'exaltent
tout à coup. Les femmes du quartier Marbeuf envahissent sa digue. Le
monde qui l'hiver se groupe à Monte-Carle, à Menton, à Biarritz s'y
concentre. Des nuits de lourde et chaude volupté s'y passent à la lueur
de flambeaux. La chair s'y mire et s'y pavane aux miroirs de cabarets
fastueux. Et la folie des villes frémissantes et trépidantes brûle
soudain ce coin de Flandre calme et foncièrement sain et propage sa
fièvre nocturne et flamboyante tout au long de la mer.

Magasins de Paris, boutiques de Vienne, comptoirs chargés de coraux de
Naples et de Sicile, brasseries de Dortmund et de Munich, caves remplies
de vins de Portugal et d'Espagne vous installez votre barriolage de
goûts et de couleurs devant les mille désirs populaires ou mondains,
devant les appétits vulgaires ou rares, devant les convoitises baroques
ou distinguées. La flânerie des promeneurs s'en va, à droite, vers le
port, à gauche, vers le champ de courses, en partant de la rampe de
Flandre où James Ensor habite. A cette large voie se relie en outre
toute la ville basse avec ses rues étroites, les unes venant de la
grand' place, les autres du théâtre, celle-ci de la gare et celle-là du
marché. Le carillon n'est pas loin: on l'entend tricoter sa musique
menue, le soir, ou bien, aux midis de réjouissances, ruer de toutes ses
notes et s'emporter vers quelque hymne national.

La foule et ses remous passe donc à toute heure du jour devant les
fenêtres du peintre: foule élégante ou hautaine, foule grotesque ou
brutale, cortèges de la mi-carême, processions de la fête-Dieu, fanfares
rétentissantes des villages, sociétés chorales des villes voisines,
cris, tumultes, vacarmes.

Et ces flux et ces reflux de gestes et de pas aboutissent tous là-bas, à
cette féerie de verre et d'émail qu'est le Kursaal d'Ostende.

Avec ses dômes et ses pignons et ses rosaces et ses lanternes, avec ses
ors élancés et ses bronzes trapus, avec ses festons de gaz et ses
couronnes de feux, il apparaît, toutes portes et fenêtres ouvertes,
comme un tabernacle de plaisirs éclatants et sonores. Un orchestre
savant y fait naître, chaque jour, des floraisons de musique; des voix
illustres s'y font entendre--orateurs ou conférenciers--et des virtuoses
dont le nom émeut les mille échos y jettent vers l'applaudissement en
tonnerre des foules, les phrases les plus belles des maîtres célèbres.
Toutes les langues s'y parlent. Joueurs, financiers, gens de course,
gens de bourse, princes et princesses, dames du monde et courtisanes,
tout s'y coudoie ou s'y toise; s'y méprise ou s'y confond.

Le soir, quand les verrières du monument flamboient face à face avec la
nuit et l'océan, on peut croire que le bal y tournoie en un décor
d'incendie. Du fond de la mer s'aperçoivent les hautes coupoles
illuminées et le phare dont la lueur troue les lieues et les lieues
semble ne lancer si loin son cri de lumière que pour héler vers la joie
le cœur battant de ceux qui traversent l'espace.

Ainsi pendant l'été tout entier Ostende s'affirme la plus belle
peut-être de ces capitales momentanées du vice qui se pare et du luxe
qui s'ennuie. Et ce n'est pas en vain que chaque année James Ensor dont
l'art se plaît à moraliser cyniquement, assiste à cette ruée vers le
plaisir et vers la ripaille, vers la chair et vers l'or.

       *       *       *       *       *

La chambre où il travaille ouvre, là haut, au quatrième d'une maison
banale, son unique et peu large fenêtre. De tous les peintres modernes
Ensor est le seul qui jamais ne se soit mis en quête d'un atelier. Lui
le chercheur de lumière il campe ses toiles en un jour médiocre tombant
non pas d'une verrière mais à travers les pauvres carreaux d'une baie
verticale et parcimonieuse de clarté. Pourtant que de pages
merveilleuses s'y élaborent et que de tons admirablement harmonisés y
juxtaposent leurs musiques inentendues!

Celui qui surprend Ensor, la haut, dans son travail, le voit surgir d'un
emmêlement d'objets disparates: masques, loques, branches flétries,
coquilles, tasses, pots, tapis usés, livres gisant à terre, estampes
empilées sur des chaises, cadres vides appuyés contre des meubles et
l'inévitable tête de mort regardant tout cela, avec les deux trous vides
de ses yeux absents. Une poussière amie recouvre et protège ces mille
objets baroques contre le geste brusque et intempestif des visiteurs.
Ils sont là chez eux pour que seul le peintre leur insuffle la vie,
les interroge les fasse parler et les introduise dans l'art grâce à la
sympathie qu'il leur voue et l'éloquence secrète qu'il découvre en leur
silence.

[Illustration: Le Chou--1880. (Collection Ernest Rousseau)]

Il est opportun de se figurer James Ensor en tête à tête quotidien et
prolongé avec ces effigies en carton et en plâtre, avec ces débris
d'existance et de splendeur, avec ces défroques ternes ou violentes pour
comprendre quelques-unes des surprises de son caractère et quelques
traits profonds et spéciaux de son art. Il est certain que pour lui, à
telles heures d'illusion souveraine, un tel assemblage de visages,
d'attitudes, d'ironies ou de détresses a dû représenter la vie. Elle lui
est apparue mauvaise, déplorable, hostile. Elle lui a enseigné la
misanthropie que seuls corrigent la farce, le rire et le sarcasme.

L'existence d'Ensor entouré d'un tel décor familier ne manque pas de
paraître énigmatique et bizarre et je ne crois pas qu'il lui répugne de
maintenir autour de lui ces apparences. Ses paroles qui souvent
déconcertent, ses saillies drôles, ses rires soudains et furtifs, sa
voix sourde, sa marche lente et l'éternel parapluie qui toujours
l'accompagne comme s'il se défiait du plus fidèle et du plus loyal
soleil confirment l'étrange impression qu'il produit volontairement ou
ingénûment, qu'importe.

Personne que je sache ne met moins de mise en scène dans l'accueil. Les
œvres qu'il montre ne toisent pas le visiteur du haut d'un chevalet
comme pour lui imposer leur présence autoritaire. Ses toiles ne sont pas
même tendues. Elles gisent roulées les unes sur les autres, en des coins
obscurs. Elles apparaissent à la lumière ployées et gondolées et c'est
avec peine qu'on leur trouve une zône de clarté propice afin qu'elles
s'y étalent sans trop se nuire entre elles. Aucun commentaire
n'accompagne leur présentation. Seul un rire menu, quand le sujet étonne
et froisse quelque goût trop puritain. Et les œvres succédent aux œuvres
et quand tout est montré, toujours, soit au fond d'un coffre, soit au
fond pièce voisine se découvre une merveille oubliée dont la crasse
voile la fraîcheur et la beauté. Un coup d'éponge donné à la hâte
réveille la splendeur endormie.

On dégringole l'écalier raide et tournant et l'on quitterait, la poignée
de main échangée, la maison du peintre, sans plus, si le magasin du
rez-de-chaussée, avec ses larges vitrines encombrées de bibelots ne
retenait, un instant encore, l'attention. C'est que là, parmi les
coquillages et les nacres, les vases de la Chine et les laques du Japon,
les plumes versicolores et les écrans barriolés, l'imagination visuelle
du peintre se complait à composer ses plus rares et ses plus amples
symphonies de couleurs. Oh les notes à la fois tendres et fortes, à la
fois subtiles et brutales, à la fois sobres et éclatantes qu'il sût
faire vibrer en prenant comme prétexte quelque pauvre bibelot d'orient
que la mode banalisa! Et la coquille ourlée dont le bourgeois morose
ornera sa cheminée en marbre peint deviendra grâce à la magie, grâce à
l'hermétisme de l'artiste, ce miracle de couleur triomphante dont
s'éblouiront les salles les plus belles des musées modernes.

       *       *       *       *       *

[Illustration: Gamin--1880. (Collection Edgar Picard)]

Ensor se plaît parmi ces mille riens exotiques parmi ces dépouilles
luisantes ou vitreuses de la mer. Lui même s'intéresse parfois au trafic
qu'en font et sa mère et sa tante, marchandes tenaces et expérimentées.
Souvent le soir, la causerie rassemble autour des comptoirs la famille
entière. La sœur du peintre et sa nièce qu'il affectionne vivement sont
là. Et l'on parle d'Ostende, non pas de l'Ostende ruée aux fêtes et aux
plaisirs de l'été, mais de l'Ostende automnale qui se plaît dans la
déréliction et le silence. Ensor adore celle-ci avec ses rues étroites,
ses places humbles et désertes, ses petites boutiques vieillottes au
fond des quartiers populaires et ses propres et luisants estaminets où
l'odeur de la bière se mêle à des relents de poisson sec et de crevettes
humides. C'est là qu'il dessina maint pêcheur à vareuse bleue, à boucles
d'oreilles étroites, à pantoufles multicolores. C'est là qu'il rencontra
et qu'il interpréta en des croquis larges et vivants, les vieilles
femmes à mantelets, avec de lourds et noirs capuchons de drap recouvrant
leur intact et fragile bonnet blanc.

La vie du port est la seule vie d'Ostende, l'hiver. Elle ne pénètre
point la ville; elle n'anime que ses confins. C'est une vie en bordure.
Oh les câbles et les amarres au long des quais, les voiles rousses et
brunes dans le brouillard gris, les proues sculptées des vieux navires
s'apercevant du fond d'une ruelle et les mouettes blanches, entrant dans
les bassins et volant, dirait-on, à travers les entrecroisements
dédaliens des haubans et des vergues! Et les petites boutiques, en plein
vent, à l'angle des ponts et les plies et les limandes qui sèchent dans
le courant d'air des fenêtres et la marmaille grouillante parmi les
écailles de moules versées en tas, sur le trottoir! O cette vie comme
goudronnée au contact des bateaux, des cordes et des voiles; cette vie
tranquille, têtue et dangereuse qui fait les races calmes ou violentes
comme ces mers du Nord dont elles vivent depuis mille ans. Elle n'a
qu'un sursaut, en Février, aux temps du carnaval. Et combien
mélancolique et brutal! Et combien morne et quelquefois sanglant!

Ensor a traduit cette liesse en des œuvres quasi sinistres et qui
étonnent et qui font peur. Le pittoresque de l'accoutrement, l'usure de
la défroque, la drôlerie muette de masque, l'ennui qui semble suinter
des murs tout se ligue pour provoquer une impression sombre avec des
éléments soi-disant gais.

Je me souviens d'un Mardi gras passé à Nieuport, jadis, avec des amis.
Jamais je ne compris mieux la folie et la tristesse des masques d'Ensor.

Des groupes ivres battaient les rues. En des salles de danse, à moitié
désertes, avec de pauvres musiciens grelottant de froid dans un coin, la
valse fouettait deux ou trois couples tournoyants et muets, avec les
lanières usées de sa musique banale et sifflante. Un ivrogne, orné d'un
faux nez violet, titubait près du comptoir et sa commerre dépoitraillée
et gisante contre une cloison, mordait, machinalement, les crins de sa
perruque descendue sur ces yeux. Un bout de bas blanc passait à travers
les trous de son soulier. Un hoquet lourd et profond lui sécouait, de
temps en temps, le ventre. Et l'ivrogne riait et pleurait tour à tour
devant elle.

Lorsque James Ensor se plaisait à traduire par le pinceau de telles
scènes grotesques et lamentables, il était le compagnon falot qu'Eugène
Demolder, assignait, sous le déguisement de Fridolin, au grand Saint
Nicolas. James Ensor donnait la réplique, dans le livre du poète
d'Yperdamme, au joyeux et doux patron des petits enfants de la
West-Flandre. Il jouait, en ce temps là, de la flûte et se promenait,
avec deux carlins boulus, renfrognés et fidèles.

[Illustration: Croquis.]

L'effigie qu'Henri de Groux vient de nous donner de James Ensor nous le
représente robuste et presque gras. Les cheveux grisonnent, le teint
s'enlumine, l'allure est massive. L'appuie-main tenu entre les doigts
fait songer vaguement à quelque sceptre. Ensor semble commander à son
art dont une page caractéristique se devine au fond de la toile. Le
voici donc tel que l'âge mûr le définit. Au surplus l'œuvre compte et
s'affirme excellente.

Toutefois j'aime à me souvenir d'un tout autre James Ensor, celui que je
connus, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avec un corps svelte, un teint
pâle, des yeux clairs, des mains longues fiévreuses et fines. Non pas un
dandy, car une mise négligée presque toujours rejetait cette
comparaison, mais une sorte de jeune parlementaire britanique qui
faisait songer à Disraeli.

James Ensor parlait peu, se tenait sur la réserve, avec un air fermé et
craintif. On lui prêtait un caractère difficile et ombrageux. Il avait
certes, la pleine conscience de sa force naissante; il n'admettait
aucune restriction sur l'entière personnalité de son art et se
rebiffait, dès que l'ombre d'une injustice l'effleurait dans la mêlée de
la vie. La haine de la critique bouillonnait en lui, comme chez tous les
artistes vrais et impérieux. Il ne pouvait admettre qu'on ne le comprit
pas et que sa peinture qui lui paraissait toute simple et naïve ne
s'imposât point, du premier coup, grâce à sa sincérité absolue. Il
oubliait la difficulté ardue, que rencontre tout esprit dès qu'il veut
pénétrer de sa lumière à lui quelqu'autre esprit fut-il voisin du sien
et combien le baptême de l'hostilité et du dénigrement est salutaire
à toute originalité naissante. C'est parce qu'il fut bafoué, nié,
villipendé jadis que sa victoire aujourd'hui nous apparaît si consolante
et si belle. La gloire ne se livre pas; elle se prend d'assaut. Elle se
retranche derrière une muraille d'hostilités et de sarcasmes.

[Illustration: Vieux Pêcheur--1881. (Collection Edgar Picard)]

Tout artiste vrai est un héros ingénu. Il faut qu'il souffre pour qu'un
jour il ait la joie d'imposer a tous sa victorieuse personnalité totale.
En ce temps-ci ou chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le
sculpteur, le musicien ne vaut que s'il est authentiquement lui-même.
C'est le plus réel des privilèges que la nature, sans aucune
intervention autre que celle de sa puissance, confère et maintient à
travers les siècles et seul le poète, le peintre, le sculpteur, le
musicien en peut jouir pleinement.

Oh ces débutants choyés dès qu'ils apparaissent et par la critique et
par le public! Aucune de leurs toiles ne survit après vingt ou trente
ans. Ils n'ont jamais passionné personne. Ils n'ont connu ni la révolte
de leurs maîtres, ni la jalousie de leurs amis, ni la haine de la foule.
Ils ont été banalement heureux en attendant qu'ils soient banalement
quelconques. Les Salons triennaux out accueilli leurs essais à la rampe
mais les Musées rejetteront bientôt leurs œuvres dans les coins. Ces
peintres-là sont morts depuis longtemps quand sonne leur agonie. Et leur
nom de plus en plus pâle, de plus en plus éteint, de plus en plus oublié
ne trouve plus refuge qu'aux pages jaunies d'un catalogue ou il finit
par se confondre avec un pauvre et morne numéro.

Il importe donc d'aimer et les attaques et les batailles, les coups
portés avec enthousiasme et reçus avec courage. L'ivresse suprême réside
dans la conscience qu'on a d'être une belle force humaine. Et rien ne
l'exalte autant que la violence et l'injustice. L'émeute autour d'une
toile nouvelle est un sacre à rebours. L'artiste y doit puiser non
l'abattement mais le lyrisme. Sa vraie vie commence, dès cet instant. Et
l'œuvre doit succéder à l'œuvre, sans compromission, sans reticence,
audacieusement, toujours, jusqu'à l'heure où cessera le rire et se taira
la huée. Et qu'importe si la colère montante ne se retire que devant le
tombeau. Les triomphes posthumes sont les plus sûrs.

Je doute que James Ensor ait admis ces vérités aux temps de sa jeunesse,
mais je sais qu'il a toujours agi comme si leur lumière vivait en son
esprit.



II.

LES DÉBUTS


L'époque pendant laquelle débuta James Ensor fut pour la patrie, un laps
de temps héroique et fécond. Aujourd'hui qu'il est loin, il apparaît
quasi légendaire.

Un miracle se fit tout à coup. Le pays, habitué à ne produire que des
peintres, suscita des sculpteurs et parmi eux un génie: Meunier. Bien
plus; la Belgique hostile aux lettres et vouée depuis longtemps à la
littérature des parlementaires et des journalistes, se para d'une
floraison de poètes.

Les coutumes furent à tel point bousculées, les réputations assises à
tel point secouées sur leurs sièges, qu'il y eut comme un tremblement
des cerveaux. On n'osait y croire; on n'y croyait pas. Notre sol qui se
couvrait du seigle annuel des lucratives affaires et du froment régulier
des prospères négoces ne pouvait tout à coup se modifier assez
profondément pour nourrir de sève et exalter vers la lumière des odes
belles comme des chênes et des idylles fragiles et jolies comme des
arbustes. L'extraordinaire fut taxé d'impossible et des «bouches
autorisées» déclarèrent qu'en tous cas le prodige n'aurait pas de
suites.

Il en eut d'admirables.

Malgré les oppositions soit franches, soit sournoises, malgré les mille
cris des feuilletonistes inquiétés dans leurs goûts et leurs habitudes,
malgré la compacte et massive inertie et la bêtise au front non pas de
taureau mais de bœuf, les nouveaux écrivains s'affirmèrent, d'année en
année, plus clairs, plus hauts, plus purs. Si bien qu'aujourd'hui ils
sont tout et leurs détracteurs d'antan, rien. L'opinion a été retournée
comme un vêtement dont on secoue les poussières, dont on vide les poches
des vieux préjugés qu'elles recélaient, dont on brosse le drap depuis le
col jusques aux pans et qu'on désinfecte enfin en tous ses plis.
Aujourd'hui les générations littéraires se succèdent les unes aux
autres, comme les générations des peintres; l'art d'écrire est acclimaté
parmi nous; la presse est passée aux mains des écrivains, la foule se
fait attentive et le pouvoir récompense et s'émeut. C'est une victoire
qu'on ne conteste plus.

Or, ces prosateurs et ces poètes de la vie dans la phrase se virent
attaqués en même temps que les peintres de la vie dans la lumière. Leurs
ennemis se liguaient entre eux; ils se liguèrent entre eux contre leurs
ennemis. Cela se fit avec entrain et naturel parce que la nécessité
souveraine nouait elle-même les liens d'entente. Le consentement fut
tacite et rapide.

Jamais les polémiques d'art ne furent aussi vives, aussi ardentes, aussi
impitoyables. On frappait avec des poings sauvages; on n'avait égard ni
à la vieillesse ni aux situations prises; on était fier d'être partial
et féroce. La norme était franchie joyeusement, ventre à terre; toute
réticence devenait trahison, toute justice rendue aux adversaires raison
de blâme et de défiance. La tolérance est une force de l'âge mûr. Elle
est une tare et une faiblesse quand on se trouve à la tête de ses vingt
ans.

[Illustration: La Dame sombre--1881. (Collection Edgar Picard)]

Oh l'orage des discussions autour des noms de Khnopff, de Schlobach, de
Van Rysselberghe, de Dario de Regoyos, de Wytsman, de Finch, de Toorop
et d'Ensor! La belle mêlée de colères et sarcasmes! Les lourdes attaques
et les folles défenses! Les fiers éclairs dont on foudroyait les
esthétiques vieillies et les règles désuètes. On s'exposait avec joie,
on dardait son audace partout et l'on se reprochait sans cesse de
n'avoir pas été assez violemment téméraire. Vraiment la vie passionnée
était belle, en ce temps-là!

Les peintres novateurs s'étaient d'abord cantonnés à l'_Essor_, société
d'art où se mêlaient des talents avancés et rétrogrades. Une scission
eut lieu. Elle était fatale. Les plus hardis s'en allèrent, laissant
végéter le cercle où s'éteignaient, une à une, toutes les flammes des
forces et des ardeurs.

_Les XX_ furent crées. L'idée en est due, m'assure-t-on, à Charles Van
der Stappen qui s'en ouvrit à Octave Maus et à Edmond Picard. Cela se
passait, au temps des vacances, à Famelette, près de Huy, où chaque
année Edmond Picard accueillait les artistes comme des hôtes de choix.
«Peintres et sculpteurs se réuniraient au nombre de vingt,
organiseraient une exposition annuelle et inviteraient vingt autres
artistes déjà consacrés. Ceux-ci seraient choisis parmi les maîtres dont
l'art était fier, libre et encore combatif».

Quand l'exposition s'ouvrit en février 1884, tout le monde, partisans et
adversaires, étaient sous les armes. Des revues de combat étaient nées:
_l'Art Moderne, la Jeune Belgique, la Société Nouvelle, la Basoche_.
Même certains journaux--telle _la Réforme_ et _le National belge_--se
montraient attentifs et bienveillants. Quelques peintres parmi les
aînés, les Heymans, les Smits, les Baron, quelques sculpteurs, les
Meunier, les Van der Stappen, les Vinçotte avouaient, par leur présence
et leur parole nette, combien la tentative et l'audace des vingtistes
leur agréaient. On les comptait; dix-sept peintres: Periclès Pantazis,
Guillaume Vogels, Willy Finch, Dario de Regoyos, Théo Van Rysselberghe,
Frantz Charlet, Rodolphe Wytsman, Frans Simons, Piet Verhaert, Théodore
Verstraete, Guillaume Van Aise, Jean Delvin, Charles Goethals, Guillaume
Van Strydonck, Fernand Khnopff, James Ensor et trois sculpteurs: Achille
Chainaye, Paul Dubois, Jef Lambeaux. Parmi les invités se signalaient
Israëls, Rops, Stobbaerts, Maris, Rodin. Aucun nom d'impressionniste
français ne figurait au catalogue. Monet et Renoir n'exposèrent qu'à la
troisième exposition des _XX_, en 1886.

[Illustration: Squelettes musiciens (1888).]

C'est à cette date que, l'animosité ayant crû d'année en année, le
critique d'art de _la Jeune Belgique_ s'exprima de la sorte,--nous
citons l'extrait qui n'est certes pas un modèle de goût, uniquement pour
montrer la rudesse des polémiques--:

«Oh la triomphale journée que celle du 6 février! _Les XX_ sont ouverts.
Désormais la bêtise belge a sa date! On dirait qu'à cette «première»
artistique le cerveau bourgeois se dégorge par toutes ses
circonvolutions. Il en jaillit des excréments de sottise. Cela rappelle
des opérations d'abattoir. Le porc est tué: il est suspendu, ventre
ouvert, à de grossières tringles, les boyaux sont jetés sur l'étal,
fumants et flasques.

«Les avez-vous vu vider? La bêtise belge et bourgeoise, c'est cela.

«Ce qui se débite d'âneries en ces quelques heures devant ces quarante
exposants ferait un fumier monumental. Dames élégantes à bouche pincée
de souris prude, fourrures confortables avec un ventre officiel dedans,
gommeux monoclés, académiciens rances, peintres deshonorés de rubans
rouges, réputations tuées depuis longtemps dans leur propre _Bataille de
Lépante_ et leur propre _Peste de Tournay_, prud'hommes énormes,
collectionneurs d'eux-mêmes, tout cela potine, commère, hausse les
épaules, passe et fuit devant ces quelques centaines d'œuvres d'art qui
hurlent l'avenir. Et des rages! Voici un Monsieur qui s'arrête devant
les Toorop et jure comme un porte-faix et trépigne et remue les poings
... qu'il tient en poche. Tel autre s'affale sur un banc et crie qu'il
faut «brûler tout».

«Les années précédentes il y avait çi et là un tableau «à la portée du
premier venu» un tableau sauveur ... aujourd'hui, rien.

«Oh les pauvres oiseaux qui se cognent aux murs d'une cave obscure! Pas
un coin où se tenir tranquille sur un perchoir d'admiration bon-enfant.
Pas un coin où débiter le monologue d'amateur éclairé devant un
auditoire de mamans et de fillettes. Pas d'opinion juste-milieu
possible. Ou la haine ou l'emballement.»

C'était le ton. On le prenait, sans le savoir. L'atmosphère de bataille
est grisante. On la trouve trop chaude quand on en est sorti. Quand on
la respirait, elle était vraiment et bellement violente, exaltante et
fiévreuse.

L'histoire des _XX_ devrait, un jour, se faire, année par année. On y
insisterait sur les successives et graduées victoires des peintres du
plein-air en Belgique. On y pourrait mettre également en relief la
manière nouvelle dont les œuvres y furent présentées. Pour la première
fois on y juxtaposait toutes les pages d'un même peintre. Et toutes
s'étalaient à la rampe. Des tentures de fond harmonieuses étaient
choisies. Des chiffres d'or décoraient discrètement les murs.

Peu à peu les conférences s'inauguraient et bientôt les auditions
musicales. Le directeur des _XX_, Octave Maus, s'y employait avec zèle
et goût. Les _XX_ qui plus tard abandonnèrent leur titre au profit de
celui de _Libre Esthétique_ devinrent ainsi un milieu de lutte précieux.
Le mois de février ou de mars qu'ils choisissaient, annuellement, pour
se grouper, combattre et triompher fut un mois de joie violente et âpre.
Bruxelles interrompait ou plutôt clôturait par une fête intellectuelle
l'ennui et la somnolence du morne hiver. L'art mettait avant, le
printemps, une ardeur de renouveau dans les têtes. Et bientôt dans
toutes les capitales de l'Europe des salons, organisés d'après celui qui
s'ouvrait, chaque année, chez nous, multiplièrent les batailles et les
triomphes des peintres et des sculpteurs hardis et révolutionnaires.
Munich, Vienne, Berlin, La Haye, Paris, toutes ces villes eurent des
_Libres Esthétiques_ dont elles changeaient simplement le nom.

Ensor est le premier de tous nos peintres qui fit de la peinture
vraiment claire. Il substitua l'étude de la forme épandue de la lumière
à celle de la forme emprisonnée des objets. Cette dernière est violentée
par lui, hardiment. Tout est sacrifié au ton solaire, surtout le dessin
photographique et banal. A ceux qui, devant ses œuvres, vaticinent: «ce
n'est pas dessiné», Ensor peut répondre: «c'est mieux que ça».

Son influence fut notable sur ses amis. A part Fernand Khnopff--et
encore dans sa toile _En écoutant du Schumann_ a-t-il peint le tapis en
se souvenant de l'_Après-midi à Ostende_--tous subirent plus ou moins la
fascination de son art. Ceux qui s'en garaient le plus, Van
Rysselberghe, Schlobach, de Regoyos, Charlet parlaient de lui avec une
admiration aiguë. Ils sentaient sa force; ils ne tarissaient point sur
les dons qu'il manifestait, et hautement le proclamaient le plus beau
peintre du groupe entier.

Mais d'autres, tels que Finch et Toorop, se montrèrent attentifs, non
pas à son enseignement--James Ensor n'en donna jamais--mais à sa façon
nouvelle de traiter et de vivifier les couleurs. Il fut leur maître sans
qu'il le voulût et peut-être sans qu'ils le sussent. Ils étaient
compagnons, se rencontraient sans cesse, se montraient l'un à l'autre le
travail du jour, causaient de l'œuvre en train, discutaient,
s'exaltaient. Finch, flegmatique et silencieux, observait, certes, plus
qu'il ne parlait, mais ses yeux prenaient part mieux que ne l'eût fait
sa langue aux entretiens du soir en face de la toile, humide encore.

La nature complexe et curieuse de Toorop s'assimila facilement les
procédés et les techniques. Sa _Dame en blanc_ fut un magnifique hommage
rendu à l'art merveilleux de son ami.

Faut-il ajouter que, depuis ces temps lointains, Toorop et Finch se sont
dégagés de l'amicale influence et que leur art d'aujourd'hui est à eux
seuls. A part cette domination temporaire, James Ensor n'en a guère
exercée. On le comprend du reste. Sa personnalité n'est pas assez
purement flamande pour influencer longuement et décisivement les
artistes d'ici. Et Finch et Toorop étaient eux-mêmes l'un Anglais,
l'autre Javanais.



III.

LES TOILES


C'est de 1880 à 1885 que James Ensor produisit ses toiles les plus
belles. Son œuvre n'est point une moisson d'été ni une vendange
d'automne; c'est avant tout une germination de printemps. Sa force libre
jusqu'à l'excès, sa personnalité violente jusqu'à l'exaspération, son
indépendance superbe et outrancière lui ont fait une jeunesse admirable.
Il créait abondamment, surabondamment même, avec acuité. Avant que la
critique nombreuse se fût acharnée sur lui, il avait produit, déjà, tout
ce qui plus tard devait susciter la bienveillance ou la haine. Il n'a
donc pu donner ni à la louange ni au blâme le temps d'avoir prise sur
lui ni de modifier en quoi que ce fût son travail. L'éclosion de son
talent fut comme une explosion. D'un coup, il apparut presque en toute
sa stature.

Il débute en 1879 par peindre son _Propre portrait_; il y joint deux
compositions: _Judas lançant l'argent dans le Temple_ et _Oreste
tourmenté par les Furies_; puis dès 1880 apparaissent _le Lampiste_
(exposé à _l'Essor_ en 1883 et aux _XX_ en 1884) et _la Coloriste_, deux
toiles où tout son art est affirmé, et ce merveilleux _Flacon bleu_
qui demeure peut-être la plus étonnante nature-morte qu'il ait signée.
Oh le merveilleux morceau! Une table grossière supporte un poulet plumé,
minable, douloureux, dont le cou pend dans le vide et dont la chair aux
tons verdâtres inquiète. Largement, par ci, par là, à coups de couteau,
la couleur est étendue. La main qui construit et peint avec une telle
solidité, avec une telle prestesse semble déjà celle d'un maître. Et
l'œil qui voit et qui précise le ton magnifique et choisi de la
bouteille connaît déjà toute la force et la rareté d'un ton. Certes, la
composition est absente: ce n'est qu'un morceau amoureusement traité; ce
n'est qu'un coin de cuisine montré sous un éclairage propice, mais que
de vie lumineuse, que de splendeur, que d'éclat! Aucune nature-morte
célèbre ne s'interpose ici entre l'œuvre et l'admiration du passant.
Tout est neuf, spontané, patent, définitif. Où donc a-t-il été éduqué le
regard qui voit ces pauvres et quotidiens objets comme personne ne les a
vus jamais? Renferme-t-il en lui même une subtilité, une délicatesse
inconnues ou bien le spectacle de la mer que le peintre a sans cesse
devant les yeux et qui s'offre à lui avec ses désinences infinies de
teintes à chaque heure du jour--aubes, midis et soirs--a-t-il doué
l'artiste d'un sens extraordinaire?

[Illustration: Lampiste--1880. (Musée de Bruxelles)]

_Le lampiste_ qui décore, à cette heure, le Musée moderne de Bruxelles
est très simple d'arrangement. Sur fond gris, un gamin, tout entier
habillé de noir, tient en main une lanterne de cuivre. Il la regarde et
le verre et le métal brillent. On pourrait dire que le sujet du tableau
existe dans la couleur elle-même. Ces larges masses grises et noires
qu'animent les quelques détails jaunes du lumignon réalisent comme un
conflit apaisé. Du reste tout tableau n'est-il pas une sorte de combat?
Les tubes se présentent avec leur violence et leur diversité de couleurs
comme chargés de mitraille dangereuse. Si le peintre n'en calcule point
la force, s'il les laisse détonner, sans discipliner leur vacarme, s'il
ne les contient d'un côté pour leur mieux donner carrière de l'autre, la
bataille qu'il livre sera irrémédiablement perdue. Il faut qu'il prévoie
ce que les orangés voisinant avec les bleus, ou les verts avec les
rouges, ou les jaunes avec les violets, donneront d'éclat. Il faut qu'il
juge comment les teintes transitoires atténueront tel ou tel choc de
couleurs trop hardies. Il faut qu'il sache ce qu'un ton franc posé à tel
endroit apporte de désordre ou de vie dans l'ensemble. Il existe une
façon lâche de peindre, grâce au blaireautage, qui escamote les
difficultés et affadit l'art. Ce procédé veule et funeste, Ensor ne le
connaîtra jamais.

L'éclat de la lanterne que le lampiste tient en ses mains rayonne
franchement mais sans brutalité; les noirs sur lesquels l'objet lumineux
se détache le soutiennent par leur vigueur sombre; il n'y a aucun heurt,
il n'y a que de l'audace heureuse.

_La Coloriste_ est d'un jeu de couleurs plus abondant que le _Lampiste_.
Une femme en blanc est assise dans un atelier éclairé par une fenêtre.
Des étoffes, des vases et des écrans l'entourent. Cette toile fut
montrée à la _Chrysalide_ en 1881. Ce Cercle déjà ancien et dont le lieu
d'exposition s'ouvrait salle Janssens (rue du Gentilhomme, alors rue du
Petit Écuyer), avait à sa tête des maîtres: Louis Dubois, Artan, Vogels,
Rops, Pantazis et d'autres. On y cultivait une peinture aux qualités
solides, faite au couteau et qu'on prétendait sortie ou plutôt dérivée
de la puissante et rayonnante esthétique des ancêtres. Cette opinion,
certes, n'était point mensongère, encore qu'il fallût convenir que ces
puissants peintres qui, à juste titre, se réclamaient de leur origine
avaient tous regardé avec trop d'insistance les toiles du Franc-Comtois
Courbet. Il est vrai que ce dernier aimait à s'arrêter longuement devant
celles de Rubens, de Snyders et de Jordaens et que la peinture
puissante et truculente, ferme et savoureuse, qu'il prônait n'était
autre que la peinture flamande elle-même.

[Illustration: Croquis.]

Dans la _Coloriste_ la couleur n'est plus comme dans le _Lampiste_
distribuée par larges plans. Au contraire. Elle se divise, se dissémine,
se parsème. Sans le tact d'Ensor la multiplicité des verts, des rouges,
des bleus, des jaunes aboutirait à quelque papillotage. Les écrans
peints ne seraient qu'un assemblage de fusées et le tableau mentirait à
son titre. Mais le peintre a voulu que la _Coloriste_ enseignât ce que
doit être une toile bien venue. Sur un fond, où les roux et les gris
établissent leurs accords profonds et solides, les tons clairs et
multicolores chantent, avec justesse et variété, leurs notes hautes et
vives et chacune d'elles s'appuie, avant de s'élancer vers la joie, sur
le tremplin des vigoureuses sonorités fondamentales. L'ensemble tient de
l'un à l'autre bout de la toile, les liens subtils, qui unissent les
teintes entre elles comme les notes d'un page de musique heureusement
écrite, se serrent et se nouent partout.

_La Musique russe_ (Salon de Bruxelles, 1881 et les _XX_,
1886)représente le peintre Finch assistant à quelqu'audition musicale
qu'une pianiste lui donne. L'œuvre est plus qu'un portrait. L'auditeur,
assis sur une chaise, se croise les jambes, rejette légèrement le corps
en arrière, détourne aux trois quarts la tête et, dans cette pose
attentive et tendue, écoute. Ce sont des gris délicats rehaussés ci et
là d'une couleur plus vive qui constituent l'harmonie en demi-teinte du
tableau. Aucun accent violemment sonore, mais une succession de nuances
et de touches assourdies comme si la musique frêle, étrange, atténuée
qu'on est sensé entendre commandait à la peinture. La difficulté
consistait à réaliser, sans nuire à l'intérêt ni à la joie des yeux, cet
art comme à demi-voix. Il fallait qu'on sentit le silence de cet
appartement que troublent seuls quelques accords ou quelques chants et
qu'à l'exemple de l'unique auditeur on y fût attentif.

[Illustration: Musique Russe--1880. (Collection A. Boch)]

Et comme contraste à cet art discret et mesuré, voici qu'un peu plus
tard, en 1883, Ensor, sous le titre: _Chinoiseries_ peint en pleine
clarté sonore quelques potiches remplies de pivoines. On ne sait ce
qu'il faut louer le plus, ou bien la couleur laiteuse des tons bleus et
blancs du vase, ou bien le dessin large et sûr de son décor. Que ce soit
le dessin cette fois, car jamais, me semble-t-il, l'artiste n'a mieux
affirmé ce qu'est pour lui dessiner en peignant. La ligne, en cette
œuvre franche et belle, est la couleur elle-même. Elle ne vit pas d'une
vie indépendante, elle crée en même temps la forme et le ton et, si
j'ose dire, l'ossature et la chair. Ceux qui prétendent qu'Ensor ignore
la forme oublient sans cesse que le dessin de Rubens et de Delacroix est
l'opposé du dessin d'Ingres et de Raphaël. Ceux-ci ne font que remplir
par des couleurs le vide laissé entre les lignes tracées d'avance;
ceux-là peignent d'abord et leur dessin résulte de la justesse des
valeurs entre elles, ou si l'on veut, n'est que le résultat du jeu des
ombres et des clartés. C'est le coup de brosse, et non pas le crayon ou
le fusain, qui écrit les formes si bien que dans leurs tableaux rien
n'est dur, rien n'est découpé, rien n'est sec, rien n'est séparé soit du
fond, soit de l'objet voisin. Ils ne cernent pas des images; ils
traduisent la vie.

Bien plus. Les artistes linéaires tels qu'Ingres et Raphaël ne
s'embarassent ni des ombres ni surtout des reflets. Pour eux, les êtres
et les choses semblent n'exister que dans une sorte de vacuité
atmosphérique. La lumière qui les baigne est toute artificielle et le
vide semble seul les contenir. Chaque objet existe d'une vie solitaire.
Il ne subit en rien la loi des interinfluences. Il apparaît, s'il est
beau, d'une grandeur presque toujours stérile. Il est jailli du
raisonnement et de la pensée; il ne l'est jamais--si je puis dire--d'une
émotion sensuelle. Or, c'est précisément cette joie de voir le monde
entier s'épanouir dans la réelle et mouvante lumière, qui suscite en
quelques êtres de choix le désir et bientôt l'art de peindre. Ensor se
range parmi eux. Nous verrons comme il tient compte de ces ombres et de
ces reflets que dédaignait M. Ingres et comme il les rend naïvement,
scrupuleusement, de peur d'enlever n'importe quel élément de vie et de
splendeur à la réalité.

Les sujets les plus humbles le requièrent. Voici qu'il peint _poissons,
bouteilles, pommes_. Et voici qu'un simple _chou vert_ (1880) posé sur
une table rouge lui fait faire un chef-d'œuvre. Une lumière nouvelle,
qui s'affranchit soudain des oppositions violentes entre les avant-plans
et les arrière-plans, baigne cette merveilleuse nature-morte. Elle fut
exposée en 1884 au Cercle artistique de Bruxelles et l'an dernier (1907)
au Salon d'automne de Paris. Elle n'y perdit rien de ces prestiges
d'autrefois. Elle étonna et charma autant que quelques superbes Cézanne
rassemblés en une salle voisine. Elle apparut à tous avec ses qualités
de belle sagesse et de maîtrise. C'était l'œuvre devant laquelle on
s'arrête et l'on revient. Le rouge de la table sonnait en même temps que
le vert du légume. Ces deux couleurs complémentaires n'étaient séparées
que par une nappe blanche qui atténuait la violence qu'aurait produite
leur immédiat voisinage. Chaque objet était peint à sa place, avec une
sûreté parfaite. Rien ne violentait l'attention, mais chaque coup de
pinceau la retenait. Et l'on songeait que le signataire de cette
merveille fut qualifié, jadis, par la critique, d'artiste iconoclaste et
sauvage et l'on ne comprenait pas. C'est, du reste, le propre des œuvres
vraiment fortes d'étonner à leur apparition par leur soi-disant audace
et de s'imposer après quelques années par leur absolue convenance.

[Illustration: Le Salon bourgeois--1881. (Collection Ernest Rousseau)]

Elles déroutent d'abord, elles ameutent et révolutionnent. Mais, le jour
qu'elles entrent dans les musées et qu'elles voisinent avec les pages
solennelles des maîtres et se trouvent enfin chez elles, en lieu sûr,
dans la compagnie qui leur convient, on est surpris, chaque fois, de les
voir très simplement continuer et rajeunir l'histoire de la beauté.

C'est dans le _Salon bourgeois_ (1881) autant que dans _Musique russe_
(1880) et plus tard dans la _Mangeuse d'huîtres_ (1882), qu'on peut
constater combien l'art de James Ensor tient compte du rôle, dans un
tableau, des ombres et des reflets. «La lumière mange les objets»
dit-il. Et en effet rien ne déforme le contour et la ligne comme une
brusque clarté frappant les surfaces. Dès que vous prétendez rendre ce
que l'œil voit et non pas seulement ce que le raisonnement prouve, un
meuble (table, piano, armoire, chaise) apparaît en perpétuelle
déformation. Que la lumière s'accentue ou s'affaiblisse, qu'elle change
ou se déplace, aussitôt la réalité visuelle se modifie, alors que la
réalité palpable demeure. Or c'est la réalité visuelle, c'est la
tromperie et l'erreur de l'œil qu'il faut peindre puisque vous vous
adressez aux yeux des spectateurs et non pas à leur toucher. Ce jeu sans
cesse mouvant des ombres et des reflets, ces influences réciproques des
choses interrompant soudain soit la ligne perpendiculaire d'un pied de
table, soit les droites parallèles d'un panneau d'armoire, soit les
courbes d'un dossier de chaise et dérangeant ainsi tout le décor
géométrique d'un appartement, séduit le peintre moderne plus qu'il ne
séduisait les peintres anciens. Il ne s'en dissimule point la difficulté
et l'affronte, dût son dessin paraître vacillant et incertain, dût sa
composition chavirer dans un apparent deséquilibre. Qu'on examine
l'_Après-dîner à Ostende_ ou la _Musique russe_, ou la _Mangeuse
d'huîtres_, l'on se rendra aisément compte de combien de dangers
picturaux l'art d'Ensor est sorti vainqueur. Ce n'est, en ces trois
toiles, qu'un entremêlement de lueurs et d'ombres, d'objets frappés de
clarté soudaine à côté d'autres restés voiles et la lumière qui glisse
sur l'acajou, se répand sur les marbres, atteint les lustres, descend
sur les tapis et se dissémine partout. Si la clarté provoquait l'écho,
on n'entendrait, ici, que des répercussions et des voix qui se
répondent.

Je me souviendrai toujours de l'étonnement que je ressentis, il y a
quelque vingt-cinq ans, à l'exposition de l'_Essor_ (1882), devant un
_portrait_--c'était celui de son père--qu'Ensor y exposait. La toile
était accrochée à la rampe près d'une porte dans un des halls du
Palais des Beaux-Arts, rue de la Régence. Au milieu des œuvres jeunes
qui sollicitaient par leur tapage et leur inexpérience, celle-ci
proférait on ne sait quoi de grave, d'appaisé et de sévère. Elle était
conçue par grands plans: des bleus, des noirs, des blancs réalisaient sa
très simple harmonie. A droite, la clarté, tombant d'une fenêtre à
travers des rideaux pâles, baignait le front d'un homme qui lisait. Une
cheminée en marbre occupait le fond, à gauche. La figure était attentive
à sa lecture. Et le silence régnait. La profondeur du ton, sa solidité,
sa force commentait seule l'intensité de cette scène. C'était donc par
des moyens uniquement picturaux que l'attention était fixée et
l'impression produite. Aucune distraction n'était permise. C'était de la
vie nue montrée dans sa réalité quotidienne, sans plus.

[Illustration: Dame en détresse--1882.]

_L'après-midi à Ostende_--refusé en 1884 au Salon de Bruxelles--qui fut
peint dans la même année que le _Portrait de mon père_ (1881) nous
attire, par contre, grâce à son charme abondant de tons variés. L'étoffe
multicolore d'un tapis de table, les éclats métalliques d'un foyer, la
décoration des lampes de la cheminée, les jupes et les corsages des deux
personnes assises face à face permettent au peintre le jeu d'une
admirable harmonie sourde et comme étouffée, malgré la violence locale
des objets, hauts en couleur. Tout ici est en sourdine. La distinction
des tons est parfaite. Un authentique peintre flamand aurait fait sonner
comme une fanfare et les cuivres et les aciers et les étoffes. Il y
aurait eu heurt, choc et tintamarre. C'eût été une exaltation dans la
force. Ensor a réalisé un apaisement dans la délicatesse. Mais pour que
tout fût maintenu, avec pourtant son éclat et son ardeur propres, dans
une sorte de paix générale et brillât et scintillât comme sous un voile,
de quelle finesse, de quelle justesse, de quelle acuité d'observation ne
fallait-il point faire preuve?

Au fur et à mesure que son œuvre se poursuivait et que ses _intérieurs
bourgeois,_ ses _après-dîners à Ostende_, ses _portraits_ lui
assignaient comme tâche d'étudier la lumière circulant dans les maisons
à travers la baie des hautes fenêtres, l'œil très subtil du peintre ne
pouvait s'empêcher de s'émouvoir aussi de la clarté du dehors et surtout
ne pouvait s'abstraire de la contemplation de la mer. Le paysage marin
le requit dès ses premiers travaux. Et voici l'_Estacade_ et la _Mer
grise_ et la _Dame au brise-lame_ (1880); et voici _Marine_ (effet de
soleil), la _Dune noire_ (1881); et voici les deux _Marines_ et le
_Brise-lame_ (1882); et voici _Dune_ et _Mer_ et _Marine_ (l'après-midi)
(1883) et les _Barques_ et la _Marine_ (1884). Cette dernière se
distingue par sa belle teinte verdâtre et par son aspect de simplicité
et de grandeur. Un seul navire en sillonne l'étendue et l'impression de
l'immensité se dégage toute entière. Supposant à la _Marine_ (1884)
voici le _Coucher de soleil_ (1885) dont l'horizon déchiqueté de lueurs
saumonées et de nuages violets multiplie le ton et fait songer à
quelqu'énorme oiseau de flamme qu'on déplumerait, au bord de l'espace.
La mer fut pour l'œil d'Ensor une admirable éducatrice. Rien de plus
tenu et de plus frêle que la coloration d'une vague avec ses infinies
désinences, avec sa mobilité lumineuse et myriadairement changeante.
Quand elle s'épand au soleil sur le sable micassé de la grève, les
tons les plus purs et les plus clairs des toiles les plus célèbres
semblent grossiers et troubles.

[Illustration: Les soudards débandés (1892).]

En 1882, James Ensor achève le _Pouilleux_, la _Dame en détresse_, la
_Dame au châle bleu_ et la _Mangeuse d'huîtres_.

La première de ces quatre œuvres fut exposée en 1883 à l'_Essor_ et fut
acquise pour le musée d'Ostende. Elle indique une orientation nouvelle
dans le choix des sujets. Le _Pouilleux_ sera suivi bientôt par les
_Masques scandalisés_ (1883), et ceux-ci ouvriront à l'artiste une voie
étrange où pendant longtemps son imagination se complaira. Le
_Pouilleux_ est pris dans la réalité quotidienne. Il a traîné son corps
et sa guenille sur les quais. Il se peut que jadis il fût pêcheur: son
teint basané et son œil vif furent certes lustrés par la mer. Le voici
dans un morne logis, assis près d'un poêle, les sabots rapprochés du
feu. Il regarde et ses traits profèrent on ne sait quelle vague
goguenardise.

_La Dame en détresse_ qu'on admirait en 1886 à l'exposition des _XX_
représente une femme couchée sur un lit. Un jour ardent pénètre à
travers des rideaux fauves. L'affaissement du corps, son abattement, est
admirablement rendu. Cette longue ligne horizontale commande au tableau.
Quelque chose d'inquiétant émane de la scène. Certes peut-on songer à
quelque drame. Mais il est toujours facile et trop facile de faire, à
propos des œuvres picturales, des réflexions gratuitement littéraires.
Il s'en faut garder, quand l'évidence ne les fournit point.

Oh l'admirable tâche que celle du châle de la _Dame au châle bleu_. Déjà
dans le _Flacon bleu_ (1880) cette couleur fut propice au peintre. Elle
lui a confié, peut-on dire, ses secrets les plus cachés. Certes, aucune
couleur n'existe par elle même. Elle emprunte sa sonorité soit à
l'ambiance, soit directement au ton voisin. Qu'importe! Certaines
profondeurs, certains éclats, certaines violences heureuses de ce
fragment du spectre n'auront été connus et rendus que par Ensor.

Voici une page capitale: la _Mangeuse d'huîtres._ C'est la seule œuvre
dont il ait fait une réplique. Elle fut en 1882 refusée au _Salon
d'Anvers_; en 1883 elle ne fut point admise à l'_Essor_. Ce n'est qu'en
1886 qu'elle s'épanouit, à la cimaise, aux _XX_. Elle y fit scandale. Je
me souviens encore des colères qu'elle déchaîna. On ne voulut voir en
cette merveille que les défauts, nécessaires, peut-être, en tous cas
secondaires; et chacun, comme s'il était heureux de blâmer,
d'éclabousser et de nier, piétinait dans le parti-pris, se refusait à
toute louange et tournait le dos à la plus élémentaire justice.

Et pourtant ce tableau imposera sa date dans notre école. Comme le
peintre s'y affranchit des fonds sombres et quelquefois opaques pour
hardiment n'employer que des tons francs et quasi purs! Quelle joie,
quelle fête, quelle liesse de couleurs répandues sur la table où la
mangeuse a pris place! Bouteilles, verres, assiettes, citrons, vins,
liqueurs s'influencent, se pénètrent de lueurs, entrent pour ainsi dire
les uns dans les autres et maintiennent quand même, triomphantes, la
solidité et la rigueur de leurs formes. Et cette admirable note rouge
que jette la reliure d'un livre placé sur une tablette dans le fond de
la toile! Et la belle chair vivante des mains et du visage. Et les plis
bleuâtres de la nappe et tout enfin.

Certes, depuis qu'il peignait, James Ensor avait banni de sa palette la
_terre de Sienne brûlée_ et le _noir de vigne_; certes, depuis toujours,
il s était défié de ce qu'on appelait «les vigueurs» obtenues par l'abus
des mauvaises et fuligineuses couleurs; certes enfin, il s'était soucié
d'atmosphère, d'air ambiant et de réelle et authentique clarté, mais
jamais comme en cette étonnante _Mangeuse d'huîtres_ ses efforts
n'avaient abouti, ni sa victoire porté la flamme de ses drapeaux aussi
haut, ni aussi loin. L'œuvre revêt je ne sais quel caractère historique.
C'est le premier tableau, vraiment clair, qu'on fit chez nous.

_La Mangeuse d'huîtres_, sur l'escalier tournant de l'art d'Ensor,
semble s'étaler sur un large et triomphal palier. Aux yeux du peintre
pourtant, elle est moins encore un point d'arrivée qu'un point de
départ. Comme le _chou_ datant de 1880, elle lui ouvre l'ère de la
peinture à tons purs ou quasi purs. Mais Ensor est celui qui cherche
toujours. Il suit, peut-on dire, plusieurs chemins à la fois. Il ne se
détourne ni de la mer, ni du paysage, ni de la nature-morte. Le voici
qui parachève, en 1883 et 1884, les _Toits d'Ostende, Grande vue
d'Ostende, le Nuage blanc, le Houx, la Dune, Vue de Bruxelles_. Et les
_Pochards_ et les _Masques scandalisés_ et le _Meuble hanté_ le
retiennent en même temps au royaume de la fantaisie et de
l'hallucination.

[Illustration: Pouilleux indisposé se chauffant--1882. (Musée d'Ostende)]

Et voici dans la toile le _Christ marchant sur la mer_ qu'une voie
nouvelle semble s'ouvrir encore. Un souci de composition particulier
s'accuse. Prenant comme thèmes quelques sujets bibliques, le peintre
se hausse soudain jusqu'au rôle de visionnaire. Les personnages
n'occupent, dans mainte de ses toiles étonnantes, qu'un place minime. A
première vue on ne les y distingue guère. Il les y faut chercher. Ils
paraissent faire partie des éléments: vents, nuages, flots, soleils. Les
maîtres anciens donnaient invariablement dans leurs œuvres la place
prépondérante aux actions humaines. Dans le déploiement des légendes à
travers la peinture universelle, les Dieux et les hommes existent seuls.
Mais au fur et à mesure que l'idée de force s'est déplacée et modifiée
et que l'humanité comprend que l'être humain n'est qu'un tourbillon de
pensée emportée dans le vertige des puissances cosmiques, l'importance
de ses gestes a décru.

_Le Christ marchant sur la mer_ est conçu d'après les mêmes pensées.
C'est la mer, c'est le ciel qui remplissent de leur immensité la toile
entière. A peine une auréole, à peine une lueur se dégageant d'une forme
vague, indique-t-elle le prodigue.

Dans _Adam et Eve chassés du Paradis_ (1887) ces précédentes remarques
se vérifient mieux encore. La page est merveilleuse. Les cieux remués de
miracles tonnants et foudroyants occupent à peu près toute la toile. Des
trombes de vents passent, des lueurs formidables apparaissent, tout le
vertige de l'atmosphère est rendu. Vraiment, c'est une colère céleste
qui se gonfle, qui voyage et qui éclate. L'ange exterminateur semble
être à lui seul toute la nuée. A droite, avec des mouvements de fuite et
de terreurs et comme brûlés par l'épée vengeresse, apparaissent Adam et
Eve. Ils sont là, dans le coin de la toile, presque indistincts, roulés
comme des épaves, tandis que seul l'orage que leur misère et leur
fragilité ont suscité, occupe les quatre points de l'espace.

L'effet surnaturel est produit sans que la couleur se mélodramatise de
violentes oppositions de noirs et de clairs. La tonalité générale reste
lumineuse, magnifiquement. On y surprend quasi de la délicatesse. Mais
les lignes tumultueuses sont bien appropriées au sujet et la fougue des
touches émerveille.

En 1891 le _Christ apaisant la tempête_ continue la série des œuvres
légendaires. Le ciel et la mer, qui se rejoignent à l'horizon, se
présentent en cette toile comme un énorme coquillage bivalve qui serait
entr'ouvert et dont les deux parois internes contiendraient les nuées et
les eaux. Le personnage, invariablement à droite du tableau, comme dans
le _Christ marchant sur les eaux_ et dans _Adam et Eve chassés du
Paradis_, indique chez le peintre un souci de composition presque
uniforme. La science, l'équilibre, le prolongement heureux des
arabesques, tout ce qui constitue la combinaison étudiée et heureuse ne
l'inquiètent guère. Il voit d'un coup, comme si quelque brusque rideau
s'ouvrait, et il rend ce qu'il voit, sans plus. C'est ainsi que
procèdent les voyants.

On peut rattacher à ce cortège de paysages animés de légende et
d'histoire quelques autres pages: _le Feu d'artifice_ (1887) et _le
Domaine d'Arnheim_ (1890).

Une gerbe jaune, immense se projette sur un ciel bleu foncé comme si
tout à coup s'ouvrait un cratère. Effet très simple. On dirait que la
fureur des tempêtes calmées par le Christ marchant sur les eaux ou la
colère des cieux se déchaînant sur Adam et Eve subsistent encore dans
l'esprit du peintre.

[Illustration: Le Terrassier--1882.]

Quant au _Domaine d'Arnheim_ il suscite devant les yeux un bois profond
que baigneraient des flots calmes. Une barque les sillonne. Le titre,
fourni par Edgar Poe importe, bien qu'on l'ait trouvé inutile. Il nous
transporte hors de la réalité, vers quelque lieu illusoire et magnifique
où règnerait un calme d'or parmi des îles d'ombre majestueuse, touffue
et silencieuse. Quand il composa le _Domaine d'Arnheim_, l'esprit du
peintre s'était de plus en plus retiré de la contingence quotidienne; il
commençait à vivre en plein monde imaginaire; il était déjà hanté. C'est
à ces dispositions spirituelles qu'est due la manière de traiter ce
paysage. On peut croire en effet que ce morceau de nature est tout
entier arraché à l'imagination ou bien que, là bas, quelque part au bout
du monde, sous un ciel inconnu, il s'étale et fleurit, sans que jamais
quelqu'un, à part son mystérieux visiteur, ne l'ait parcouru. Plus tard,
bientôt, ces îles, ces eaux et ces jardins seront, grâce au rêve de
James Ensor, peuplés de masques et de pierrots et d'arlequins et de
colombines. Ils s'intituleront alors le _Théâtre des masques_. Et ce
seront ses _Fêtes galantes_ à lui, certes moins charmantes que celles de
Watteau, mais plus folles, plus fusantes, plus papillotantes et plus
fiévreuses.

Continuant, après la _Mangeuse d'huîtres_, sa marche vers la clarté et
s'attardant non plus dans le rêve et la légende mais dans la réalité
vécue et quotidienne, Ensor propose à notre admiration les _Enfants à
la toilette_ (1886). Et c'est dans une chambre, deux enfants nus, l'un
debout, l'autre assis, que la lumière, tamisée à travers les rideaux,
baigne. L'atmosphère est ambrée, frêle, douce, chantante. Les chairs
roses, délicatement, s'étalent dans un jour doré sans qu'aucune
brutalité, aucun heurt, aucune dissonance ne dissipe l'impression de
calme et de fraîcheur et d'innocence qui émane de la toile. La _Mangeuse
d'huîtres_ proférait des tons pleins, entiers, majeurs; les _Enfants à
la toilette_ n'émettent au contraire que des tons atténués, assourdis et
mineurs. Mais si l'on tient compte de l'aiguë difficulté que les
peintres rencontrent à faire jaillir, non pas de l'opposition ni du
contraste, mais d'un assemblage de teintes voisines, la lumière, les
_Enfants à la toilette_ étonneront plus encore que la _Mangeuse
d'huîtres_. La clarté apparaît diffuse, elle ne s'accroche à rien, elle
ne fait aucune saillie; elle glisse sur les meubles, les tapis et les
chairs. La transparence des stores baissés est parfaite. Jadis avec des
tons profonds et noirs, Ensor résolvait dans l'_Après midi à Ostende_ un
problème analogue. Tout y était fort et discret, dans l'ombre. Ici tout
est fort et discret, dans la clarté.

Enfin voici une toile, toute en tons purs cette fois et toute en
violence, où la réalité se mêle à la fantaisie, où les deux routes
suivies par l'artiste se rejoignent. La page est intitulée _Le Christ
faisant son entrée à Bruxelles_. Elle ne fut jamais exposée. La
date?--1888. C'était le temps où les néo-impressionnistes ameutaient les
ateliers parisiens. Georges Seurat avec sa théorie de la décomposition
lumineuse ou de la division du ton apportait vraiment dans l'art de son
temps un procédé inédit. On l'invitait aux _XX_. Ses toiles y faisaient
scandale. L'évolution lente de l'impressionnisme semblait comme
suspendue au profit d'une révolution soudaine. De nombreuses conversions
esthétiques eurent lieu. Ce fut une sorte de cataclysme magnifique.

[Illustration: Croquis.]

La grande part de vérité que Seurat apportait ne put laisser insouciant
un esprit aussi attentif et aussi inquiet que celui de James Ensor.
Toutefois, après réflexion, il n'adopta point les théories nouvelles et
voici les raisons qu'il en donne.

«Les recherches des pointillistes m'ont laissé indifférent: ils n'ont
cherché que la vibration de la lumière. En effet ils appliquent
froidement et méthodiquement leurs pointillages entre des lignes
correctes et froides. Ce procédé uniforme et trop restreint défend
d'ailleurs d'étendre les recherches et de là résulte une impersonnalité
absolue dans leurs œuvres, si bien que les pointillistes n'atteignent
que l'un des côtés de la lumière: la vibration, sans aboutir à donner sa
forme. Mes recherches et ma vision à moi s'éloignent de la vision de ces
peintres et je crois être un peintre d'exception.»

Ne retenons de ces lignes que la dernière affirmation. Qu'Ensor soit un
peintre d'exception, rien n'est plus juste. Sa nature est trop spéciale
pour que jamais elle lui permette d'être d'un groupe. Le
néo-impressionnisme exigeait une discipline, portait en lui un
enseignement, élaborait un programme. Dès ce moment le peintre ne le
pouvait admettre. Ce qui caractérise la personnalité d'Ensor c'est le
libre-vouloir. Sitôt qu'un désir lui vient, il le satisfait. Sa tête est
une chambre ouverte où tantôt les idées, tantôt les rêves, tantôt les
folies, s'installent. Et le néo-impressionnisme lui apparaissait comme
une prison.

Mais, tout en tournant le dos à l'esthétique de Seurat, il voulut, lui
aussi, se signaler par de très nettes audaces. Il ne pouvait nier
d'ailleurs que la nouvelle école, plus qu'aucune autre, ne purifiât la
vision. Les couleurs dont elle préconisait l'emploi étaient les couleurs
mêmes du prisme, les couleurs vierges, primitives, intactes. Toute
l'ancienne palette était comme abolie et le spectre solaire prenait sa
place. La virginité totale du ton devint un objet de conquête. Déjà
Turner, et à sa suite tous les impressionnistes, s'étaient essayé à
créer cette virginité et à l'imposer à leur œuvre; ils s'y étaient pris
empiriquement, en se fiant à la subtilité et à la délicatesse de leur
œil. Les nouveaux-venus, jugeant cette conquête incomplète, purifièrent
en quelque sorte cette pureté hésitante et tâtonnante et grâce aux
découvertes scientifiques la proclamèrent certaine et sûre. Et leurs
toiles étaient en effet lustrales plus que nulle autres. On eût dit
qu'elles portaient en elles la grâce d'un éclatant et violent baptême.

[Illustration: La Sorcière--1883. (Collection Edgar Picard)]

Dans son _Entrée du Christ à Bruxelles_ on peut croire qu'à son tour,
comme pour défier le néo-impressionnisme, Ensor ait voulu rebaptiser sa
peinture. Il en a augmenté encore et vivifié la clarté. Et les
principales étapes qu'il suivit pour aboutir à cette victoire furent,
comme nous l'avons dit, le _Chou_ (1880), la _Mangeuse d'huîtres_ (1882)
et les _Enfants à la toilette_ (1886). Son évolution entière fut donc
longuement préparée, logique et personnelle.

Le sujet du _Christ faisant son entrée à Bruxelles_ peut certes
déplaire. On y voit l'homme-Dieu mêlé grotesquement à nos pauvres,
féroces et actuelles querelles. Il assiste au défilé mouvant et
tumultuaire des revendications politiques et sociales, comme un banal
élu--bourgmestre, échevin, député--un jour de manifestation déchaînée.
Il voit passer les fanfares doctrinaires, les charcutiers de Jérusalem
et des banderoles et des drapeaux se déroulent et inscrivent en leurs
plis «Vive la Sociale et vive Anseele et Jésus».

A ne juger que la plastique et la forme, l'œuvre fourmille de défauts,
mais la couleur en est triomphante. Les bleus, les rouges, les verts,
soit juxtaposés, soit divisés entre eux par des blancs larges, sonnent
comme une charge de tons purs et leur bariolage audacieux, parfois
brutal, impressionne la rétine lyriquement. Au surplus l'ironie du
peintre se donne, ici, libre carrière. On ne peut exiger de lui qu'il
prenne au sérieux n'importe quelle démonstration populaire. La ruée du
peuple à travers les places se boursoufle, pour ainsi dire, de visages
tuméfiés, de ventres formidables que les masques et les oripeaux
revêtent de leur invraisemblance. Mais, grâce à cette exagération
savoureuse, grâce à l'exaltation des tons crus qui parfois se
rapprochent des tons d'une affiche, grâce peut-être au désordre même de
la composition, l'ensemble donne une âpre, farouche et tintamarrante
sensation de vie. Ensor se plaît d'ailleurs à ces caractéristiques
évocations de foules. Il les multiplie à travers toute son œuvre. Il les
rêve compactes, serrées, formidables. Elles apparaissent comme étouffées
dans les rues et étranglées aux carrefours. Les maisons, les monuments,
les balcons, les toits semblent subir l'entraînement de la poussée
unanime et dans une eau-forte célèbre on pourrait croire que la
multitude--si dense qu'un caillou jeté sur elle ne trouverait point un
interstice assez large pour choir à terre--porte, comme une chasse, une
cathédrale entière sur ses épaules.

Cette manière de peindre à grands tons plats et clairs que James Ensor
adopta dans l'_Entrée du Christ à Bruxelles_, il la gardera longtemps et
l'emploira souvent dans ses études baroques et macabres de pierrots et
de bouffons. Mais avant de parcourir cette province large et pittoresque
de son art, qui lui fit donner le nom de «peintre de masques», il
importe d'insister sur son talent de portraitiste et de nature-mortier.

[Illustration: Dame au Châle bleu--1882.]

Il serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au monde son art et par
conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c'est à dire lui-même,
n'eût multiplié à l'infini sa propre effigie. Ajoutons qu'en se
regardant, en un miroir, il a toujours à portée de main, de brosse et de
palette, un modèle complaisant et gratuit.

Dès ses tout premiers débuts, aux temps lointains et maudits où il
s'égarait à l'académie, il traduit ses traits (1879); en 1880 il se
repeint; en 1883 encore et en 1884 il se dessine. En 1886 il fixe au
crayon quatre fois son image; en 1888 il se déguise et se reproduit au
pinceau. Dans l'_Ecce-Homo_, c'est lui qui apparaît flanqué de ses deux
bourreaux MM. Fetis & Sulzberger; en 1891 parmi ses dessins
fantasmagoriques il prend place; en 1899 il s'entoure de masques et dans
nombre de compositions son visage tantôt hilare, tantôt mélancolique,
tantôt angoissé et piteux, s'impose. Il est en quelque sorte la figure
centrale de tous ses rêves. Et c'est logique et c'est humain qu'il en
soit ainsi. On pourrait serrer de près sa psychologie, rien qu'en
analysant ses portraits aux différentes saisons de son art et l'être
insaisissable qu'il est se dévoilerait peut-être mieux, grâce à cette
méthode, que par l'examen de ses gestes quotidiens dans la vie.

De ses représentations si variées et si nombreuses, je retiens la
première. En veston havane, sa palette à la main, à l'atelier, il se
campe devant son chevalet. Il est jeune, l'œil clair, l'allure attentive
et naïve. La vie hostile ne l'a point encore touché. L'œuvre est comme
joyeuse; de belles taches claires s'y rencontrent. On y devine le
coloriste qu'il est.

En 1882, Théo Hannon et Willy Finch, deux de ses amis, lui servent de
modèles. Le dernier de ces deux portraits est d'une solidité belle. Les
tons clairs font place aux tons profonds et fermes; le visage est
traduit avec une franchise et une sûreté de facture remarquables; aucune
mise en scène, aucune recherche, si ce n'est la recherche fondamentale
des beaux peintres en face de l'architecture humaine à traduire avec
souplesse et force.

Suit l'effigie de la _Mère de l'artiste._ Robe noire et col en
dentelles. Trois roses groupées, comme ornement. Simplicité absolue dans
la pose; les traits sont âprement caractérisés. De loin, le modèle fait
songer à quelque dame qu'aimait à peindre d'une manière brusque,
scrupuleuse, aiguë, le grand Goya.

En 1891, James Ensor voulut bien consacrer quelques séances à mon propre
portrait. Je n'insiste sur cette œuvre que pour noter le faire spécial
qui la distingue. Elle est plutôt écrite que peinte. Le trait est
insistant, il creuse la chair, il traduit le caractère. Vers cette
époque James Ensor introduit ce procédé graphique, tout à coup, dans sa
peinture. La ligne qu'il dissimulait et noyait jadis y prend la première
place, non pas la ligne ornementale et pure, mais la ligne
caractéristique et rompue. Ces brusques sauts, ces rapides volte-face,
ce changement incessant de procédé indiquent à la fois les recherches
incessantes de son art et les inquiétudes journalières de son caractère
et de son esprit.

[Illustration: La Mère du Paintre]

Trois ans plus tard s'achève le portrait d'Eugène Demolder et en
1895 celui de M. Culus. Enfin voici le dernier portrait en date (1907).
Il représente Mme Lambotte, d'Anvers.

Le personnage est assis au centre de la toile, vêtu d'une robe bleue et
d'un grand châle vert. Admirable accord que celui de ces deux tons
principaux. A gauche une table. La main droite du modèle s'y appuie sur
un bibelot japonais. Au fond, mais bien à leur plan malgré la vivacité
de leurs teintes, apparaissent les _Masques scandalisés_ et quelque
scène du conservatoire de Bruxelles où le maître _Gevaert dirige les
chœurs_. L'œuvre est intéressante à préciser. La figure est traitée,
délicatement; le chapeau est d'une fraîcheur comme florale. On dirait
que le personnage est rentré d'une excursion aux champs et qu'il retient
sur lui quelque chose de la limpidité et de la bonne odeur champêtres.
Les yeux vivent d'une vie charmante; les cils sont peints, hardiment, en
bleu. Et cette couleur si éloignée du ton local est d'une justesse
admirable dans l'ensemble. Tout ainsi revêt une vibration aiguë et
subtile à qui sait voir les objets non plus dans leur réalité plate,
mais dans leurs rapports avec un rêve de couleur et de lumière. Il faut
qu'un artiste vrai ne tienne presqu'aucun compte de la vue banale des
choses et qu'il ne les voie que comme prétexte à interprétation belle.
Tout se peut transposer d'une vie dans une autre, de la vie commune dans
la vie de l'art. La couleur unique dont il faille se soucier est celle
qui fait bien sur la toile et affirme et soutient et rehausse son
harmonie. Ensor a nettement obéi à cette loi dans le portrait de Mme
Lambotte.

Deux très belles natures-mortes datent de 1893, la _Raie_ et le _Coq
mort_. Sur fond blanc le coq au plumage argenté se détache et tout un
frisson de lumière semble courir sur son ventre et ses ailes. Je me
souviens aussi et des _Viandes_ (Musée d'Ostende) et de l'admirable
_Coin de cuisine_ du Musée de Liège. Le pinceau semble avoir glissé sur
ces victuailles comme s'il était empreint non de couleurs mais de
clarté. Si la forme des objets était plus précisée et plus arrêtée, ce
bain de lueurs où le mercure et le soleil semblent fusionner n'aurait
certes pu aussi bellement, envelopper la toile. Qu'on voie la couleur,
affirme Ensor, aussitôt on ne voit qu'elle; de même, qu'on étudie la
forme et l'œil n'est plus sensible qu'à la ligne. Unir dans une même
œuvre le ton et le dessin, leur donner la même importance n'est possible
qu'aux demi-natures qui ne sentent rien fortement. Il faut choisir.
Ensor a choisi la couleur ou plutôt la lumière.

On peut donc lui reprocher parfois que ses morceaux de viande, ses
choux, ses fruits, ses pots, ses vaisselles manquent de fermeté ou de
poids. Il en conviendra certes. Mais que lui importent ces remarques
terre à terre. Il existe une sorte de réalité esthétique plus haute que
la réalité authentique. Cette réalité ou plutôt cette vie est atteinte
par de purs moyens d'art. Ils réalisent les harmonies impeccables et
glorieuses du ton, les sensibilités merveilleuses des ombres et les
joies de la calme ou triomphante lumière. Quand ce haut résultat est
atteint il efface--surtout qu'il s'agit, en ce cas-ci, de simples
natures-mortes--toute critique vétilleuse et tatillonne. On ne sait quel
trophée choisir parmi tant d'éclatantes conquêtes du pinceau. Vases de
Chine aux tons laiteux, statuettes esquissées en quelques coups de
brosse, soies, linges, étoffes, écrans, éventails fins et légers, tout
le magasin familial de la Rampe de Flandre a traversé l'imagination de
l'évocateur.

Voici les _Coquillages_ peints en 1889. A côté d'écailles roses et
lustrées, en voici d'autres blanches comme de la craie et d'autres
encore jaspées comme des dos de sèche et d'autres enfin creusées et
rayées comme des branchies. La structure de poissons improbables,
diables de mer ou rougets, se retrouve comme pétrifiée dans telles
formes minérales. Ensor en saisit les analogies, les traduit, les aime
et peut-être, au fond de lui, relie-t-il, par des liens psychiques, ces
architectures marines avec leurs silhouettes baroques et compliquées, au
monde étrange de ses masques et de ses squelettes. Tout cela peuple sa
mémoire et fixe et détermine son désir presqu'au même titre.

[Illustration: La Vierge aux navires (1893).]

Sur tel panneau, on croit surprendre la vie des mollusques au fond même
de la mer. Il date de 1895. Un grand coquillage bistre domine, la pointe
en l'air, comme en pyramide, d'autres coquilles, les unes vertes, les
autres roses, et cet arrangement comme maladroit semble le fait même de
ces bêtes lentes et visqueuses. Le dessin en est très ferme et comme
écrit. Il insiste sur chaque circonvolution et sur chaque spirale. Et
voici--contraste brusque--deux bulbeuses et légères grappes de raisin,
l'une bleue et l'autre rose-cerise, avec un oignon, une noix et une
poire, la queue dressée. Ensemble presque transparent. Il est si frais,
si lucide, si délicat qu'on le dirait comme baigné de rosée.

L'entrée dans le royaume des masques dont James Ensor est roi, se fit,
lentement, inconsciemment, mais avec une sûre logique. Ce fut la
découverte d'un pays, province par province, les lieux pittoresques
succédant aux endroits terribles et les parages tristes prolongeant ou
séparant les districts fous. Grâce à ses goûts, mais aussi grâce à son
caractère, James Ensor n'a vécu pendant longtemps qu'avec des êtres
puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres,
avec des railleries faites clodoches, avec des colères faites chienlits,
avec des mélancolies faites croque-morts, avec des désespoirs faits
squelettes. Il s'est improvisé le visiteur de lamentables
décroche-moi-ça, de malodorantes arrière-boutiques de marchandes à la
toilette, de piteux bric-à-brac en plein vent. Il a vagué par des
vallées de misère où lui apparaissaient des pierrots malades, des
arlequins en goguette, des colombines soûles. Parfois, comme un
ménétrier fantasque, il montait sur un tonneau et sur la place de je ne
sais quelle ville du pays de Narquoisie, il agitait, au son d'un rebec
invisible, en un trémoussement soudain, toute cette joie lugubre et
bariolée. Il pleurait peut-être lui-même en peignant tel masque hilare
ou souriait en dessinant telle tête de mort. Les contrastes les plus
aigus devaient lui plaire et il les réalisait en oppositions violentes,
les rouges, les bleus, les verts, les jaunes se donnant comme des coups
de poings sur la toile. L'art d'Ensor devint féroce. Ses terribles
marionnettes exprimaient la terreur au lieu de signifier la joie. Même
quand leurs oripeaux, arboraient le rose et le blanc, elles semblaient
revêtir une telle détresse, elles semblaient incarner un tel
effondrement et représenter une telle ruine qu'elles ne prêtaient plus à
rire, jamais. J'en sais d'une angoisse de cauchemar. Et la camarde se
mêla à la danse. Le squelette lui-même devint tantôt pierrot, tantôt
clodoche, tantôt chienlit. Masque de vie ou tête de mort
s'identifiaient. On ne songeait plus à quelque carnaval lointain
d'Italie ou de Flandre, mais à quelque géhenne ou les démons se
coiffaient de plumes baroques et s'affublaient de draps-de-lit usés, de
bicornes invraisemblables, de bottes crevées et de tignasses
multicolores. C'est pendant les mauvais jours de sa vie que James Ensor
donna cette signification pessimiste à ses fantoches.

Dans ce pays imaginaire, d'où la farce classique semble bannie,
évoluent le masque Wouse et Saint Antoine, les diables Dzitss et
Hihahox, les pouilleux Désir et Rissolé, les soudards Kès et Pruta et
l'on y rencontre la ville de Bise et le territoire de Phnosie. Rien que
ces appellations et ces noms, venus d'on ne sait quelle région d'un
cerveau hanté, renseignent sur la très spéciale imagination d'Ensor. Au
reste, pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussi grouillant
d'êtres chimériques et les douer d'une psychologie aussi étonnamment
variée, fallait-il que le monde de la démence fût naturellement pour le
peintre un monde de prédilection et de choix. Certes, croyait-il à tout
l'invraisemblable, à tout le baroque, à toute la folie et ne
recouvrait-il la lucidité qu'à l'heure où il s'asseyait devant sa toile
et choisissait ses couleurs et harmonisait ses tons. Il a réalisé
admirablement cette vie double.

Le _Masque Wouse_ (1889) apparaît un des premiers. Il est vêtu d'un
schall discrètement et magnifiquement bariolé de rouge, de vert, de
jaune, de bleu, il tient en main un parasol, est coiffé d'un bonnet et
le nez de son visage en carton s'agrémente d'une pendeloque légère. Il
regarde, gisants devant lui comme autant de marionnettes flasques,
d'autres êtres semblables à lui et l'on dirait quelqu'un visitant soit
une morgue de pantins, soit, après un combat, le champ d'une défaite.
L'œuvre où s'épand une clarté diffuse est délicatement peinte, les
étoffes sont flottantes et légères, l'atmosphère jolie. Elle contraste
et voisine, dans l'atelier de l'artiste, avec les _Masques singuliers_
(1892) mis en rangs, comme s'ils s'attendaient à être passés en revue
par les soudards Kès ou Pruta. Ils reviennent, Dieu sait de quelle
parade, les vêtements lâches et veules, mais gardant encore on ne
sait quelle fierté vague. Le plus grand de tous porte un chapeau
militaire dont la frange se détache lugubrement. En cette toile, presque
tous les tons sont forts, puissants, hardis. Ils réalisent comme une
gamme descendante et ne deviennent fins et subtils qu'autour d'un
Pierrot boursouflé qui dissimule, en des blancheurs roses, sa carcasse
falote. Oh la piteuse mascarade et comme la détresse d'une gloire abolie
et d'une gaieté défunte s'y marque! Fini l'orgueil, le triomphe, la
gloire. Toute fanfare s'est tue. On rit et l'on est triste. Acteurs
flétris d'un drame chimérique, les fantoches sont là n'ayant plus même
un bout de bâton pour simuler un vague: portez-armes.

[Illustration: Les Pochards--1883.]

Maintenant voici les _Masques devant la mort_ (1888) et les _Squelettes
voulant se chauffer_ (1889) et le _Squelette dessinant_ (1889) et les
_Squelettes se disputant un pendu_ et les _Masques regardant une tortue_
(1894) et un _Duel de masques._ Le drame morne ou féroce commence à se
préciser. Dans les _Masques voulant se chauffer_ une impression de néant
s'affirme. Rien de plus pauvre, de plus navrant, de plus lugubre que
cette idée de chaleur et de bien-être évoquée devant ces êtres flasques
et vides. Ils s'approchent, se pressent, s'inquiètent autour de ce feu
inutile, de cette flamme sans vertu, de ce foyer qui les raille et qui
n'est pas. Les _Masques regardant une tortue_ angoissent tout autant.
L'écaille qui couvre l'animal contemplé est, elle aussi, une sorte de
masque dissimulant le mouvement et la vie. Ce rapprochement baroque
suffit à faire comprendre pourquoi les étranges spectateurs semblent
comme s'étudier eux-mêmes en voyant bouger lentement et pesamment la
bête torpide et douce. Enfin dans un _Duel de masques_ l'idée de lutte,
de fureur et de férocité est raillée à son tour.

Toutes ces petites toiles sont franches, sincères, nerveuses.
L'ostéologie des squelettes est amoureusement étudiée. Parfois sur leur
crâne lisse se distinguent des lignes pareilles à celles des cartes de
géographie et l'on peut croire que le peintre se plaît à inscrire le
monde sur l'os d'un front. Le trou des yeux est approfondi. On y
surprend, dans le vide, on ne sait quelle fixité qui donne l'illusion
d'un regard. Ce n'est certes plus le squelette tel que le comprenait le
moyen-âge. C'est plutôt celui qui sort des cabinets d'anatomie, des
laboratoires et des hôpitaux. Il ne fait pas songer à tel macabre
philosophe qui moralise dans la danse de Holbein ou dans les fresques de
la Chaise-Dieu; il n'est pas chrétien. Il s'est renouvelé; il est de
notre temps. Il représente non plus les croyances, mais les idées et les
sentiments.

Même dans ses _Tentations de Saint-Antoine_, Ensor ne prétend ni prêcher
ni évangéliser. Le tohu-bohu de ces apparitions charme presque et
devient, en ce sujet légendaire, quasi bon-enfant. Le peintre adore y
semer des corps de femmes grosses et cocasses, des diables fluets et
malins, des monstres improbables et ridicules. Le pittoresque de ce
cauchemar chrétien le tente plus que son horreur. Et c'est en dilettante
de l'impossible qu'il s'y affirme et non pas en vengeur du vice ou en
champion de la vertu. Il cultive l'angoisse, ailleurs. Il la cultive en
lui-même. Dans le _Portrait du peintre entouré de masques_ (1899),
appartenant à M. Lambotte, d'Anvers, il s 'affuble d'un costume
étrange, il se couronne de plumes et de fleurs, il se déguise lui-même
comme pour donner plus congrûment audience au peuple entier de ses
fantômes. L'œuvre est haute en couleur; toute la palette ardente et
sonore est employée; la joie s'affiche; on songe à un triomphe et
pourtant que de cris poignants, que de violence et de fureur ces faces
impassibles n'expriment-elles pas? Tel visage morne et blême rappelle
une tristesse passée, tel autre une inquiétude présente; celui-ci, avec
ses joues pesantes, avec ses yeux comme pincés en des étaus de graisse,
rit d'un malheur qui viendra; celui-là, bonasse et rougeaud, détaille
quelque farce funèbre ou pavane sa santé gonflée et balourde au-devant
de la maladie qu'il annonce. Tous les sentiments humains se laissent
deviner. Le plaisir, le chagrin, l'audace, la peur, l'espoir, la transe,
l'orgueil, le doute, la force, l'abattement, la roublardise, la ruse,
l'ironie, la détresse, le dégoût. C'est un formidable bouquet dont les
fleurs seraient des bouches, des nez, des fronts, des yeux et qui
toutes, ou presque toutes, malgré leur beauté et leur éclat seraient
capiteuses et empoisonnées. Chacune a une signification nette et un
langage précis quoique muet. Et les masques surgissent de partout: à
droite, à gauche, du haut, du bas. Le champ tout entier de la toile en
est comme encombré: ils se pressent, se tassent, s'enfièvrent. Il faut
qu'ils assiègent le peintre, qu'ils le dominent, le hantent et
l'hallucinent, qu'ils se moquent des roses et des plumes que sa tête
arbore, qu'ils lui crient leur inanité et la sienne et lui fassent comme
la leçon terrible de la mort. Lorsqu'Ensor introduisit en sa peinture
un tel peuple étrange et tragique de masques, peut-être ignorait-il
lui-même qu'à un certain moment ils lui fausseraient à tel point la
notion du réel qu'il ne verrait plus qu'eux de vraiment vivants sous le
soleil et qu'un jour il prendrait place parmi leur multitude comme s'il
était lui-même quelqu'un de leur lignée et de leur race. Car il ne se
peut pas qu'il n'ait subi, à certaines heures, une telle illusion
dominatrice et qu'il n'ait fini par voir, avec ses yeux ouverts en plein
jour à la lumière, l'humanité entière comme un ensemble de grotesques et
de fantoches. Son art terrible et rêveur a dû l'affoler à ce point,
fatalement.

[Illustration: Enfants à la toilette--1886.]


IV.

LES DESSINS


Ensor a nettement distingué dans son œuvre le dessin du peintre et le
trait du dessinateur. J'en donnai les raisons: elles me semblent
plausibles. Pointe et pinceau ne furent jamais à ses yeux des
instruments identiques.

Nous voici en présence d'un nombre infini de pages où le fusain, la
plume et le crayon se sont appliqués à fixer la vie ou le rêve. On les
peut diviser aisément en catégories: les croquis; les dessins de
caractère; les dessins atmosphérés; les dessins à lignes pures et les
dessins ornementaux. Il est certes piquant de constater que c'est
précisément celui parmi nos grands artistes qu'on accuse peut-être le
plus de négliger le dessin qui surtout le cultive. S'il rassemblait tous
ceux qu'il a faits, ils formeraient une bibliothèque.

Je sais des notations où quatre à cinq traits nettement placés expriment
l'enveloppe, la masse et l'attitude momentanée d'un personnage; voici,
d'un coup de crayon, la marche, l'inclinaison, la vitesse d'une jambe
traduites; le mouvement d'un dos, l'affalement d'une hanche, le
bondissement d'une croupe, la tension d'un cou reproduits. Tout cela
est preste, vivant, soudain. Sur une seule page, cinquante petits
bonshommes se meuvent, s'agitent, passent, viennent, s'arrêtent,
s'assoient, s'affalent et le crayon Conté note, détail par détail, leurs
particularités et leurs manières d'être et compose comme une faune
amusante des passants de la rue moderne. Je connais tels croquis où
James Ensor, profitant des menus défauts du grain ou de la trame d'un
papier, a composé une _Chute des anges rebelles_ en tenant compte de ces
accidents de matière. Des mouvements inattendus se devinent, des grappes
de muscles et de chairs pendent et se contractent, une cataracte de dos,
de ventres et de têtes se précipite, une impression de ruée est
merveilleusement rendue et tout cela n'est que du hasard souligné par un
crayon, dites combien habile et preste?

[Illustration: Mon Père mort--1887]

Le jour où le peintre s'intéressa à l'existence des marins et des gens
du port--plus tard ils lui fourniront et ses pouilleux et ses
masques--ce fut par des études au fusain qu'il manifesta son
enthousiasme. Il possède toute une suite de dessins supérieurement
conduits où s'offrent en leurs attitudes quotidiennes les vieilles à
mantelets, les mousses en vareuses, les vieux pêcheurs échoués comme
leurs barques au long des quais et les gars solides et râblés qui demain
s'en iront vers la mer. Puis se caractérisent encore les ouvriers, les
petits musiciens, les poissardes mélancoliques, les mangeurs de soupe,
toute une population de déjetés et de miséreux. Toutes ces pages
témoignent d'une sagesse et d'une sûreté indéniables. Dès que le peintre
le veut, il réalise aussi bien que quiconque la correction du dessin et
la proportion des diverses parties d'un corps humain. Je ne puis
m'enlever du souvenir tel _Gamin en casquette_ aux lèvres grosses, au
nez compact, à l'œil légèrement triangulaire, ni cette ferme et précise
étude de _Main tendue_ où l'ossature des doigts dans la peau détendue et
les bosses des muscles apparaissent si nettement, ni ce _Vieux cheval_
noueux, maigre, efflanqué et comme diminué qui se tient avec peine
debout entre deux brancards, ni surtout cette adorable tête d'_Enfant
endormi_ dont la bouche entr'ouverte est d'une vie si vraie et dont
l'œil est si délicieusement clos. Comme on sent le sommeil et non la
mort!

[Illustration: Croquis.]

Rendre la matière, scrupuleusement, fut la tâche qu'Ensor s'assigna dans
tels dessins: ferrailles, armoires, clefs, rideaux, étoffes, lustres,
coffrets. Il y réussit, sans se tromper jamais. Son crayon fouille,
comme un outil sûr, les fibres et les nœuds du bois ou rend avec bonheur
l'usure des bosses et des reliefs. On pourrait deviner si tel meuble est
en chêne ou en noyer. Assurément--tant l'exactitude est
grande--s'aperçoit-on s'il est plaqué d'acajou. Les ornements d'acier ou
de cuivre sont creusés dans leurs ombres ou caressés sur leurs lueurs;
un rinceau, une courbe, une volute est rendue avec dextérité. Autant le
pinceau est léger et souple à fleur de toile, autant la pointe est
insistante et vigoureuse sur le champ des feuillets. De même l'ampleur
lourde et molle d'un rideau de laine qu'une grosse cordelière retient
est offerte au toucher et semble pouvoir renfermer en ses plis jusqu'aux
mites et aux poussières. Bien plus. Ces dessins, encore que littéraux,
sont doués d'une vie ample. Ils n'ont rien d'industriel. Si pour James
Ensor certains meubles sont hantés, tous les objets frissonnent,
bougent, sentent. La cruauté séjourne dans le couteau, la discrétion
dans la clef et le fermoir, le repos et la sécurité dans le bois. Rien
n'est mort, complètement. Chaque matière renferme en elle sa tendance,
sa volonté et son esprit. Elle est créée pour un but. Elle doit donc
avoir comme une âme qui tend à une fin et c'est précisément cette âme
qui seule nous intéresse dans l'inanimé et qui seule constitue, aux
yeux d'un artiste, la beauté des choses les plus quelconques. A côté
de ces dessins très écrits, James Ensor en a réussi d'autres entièrement
baignés d'atmosphère. Un modelé frêle les distingue. Ils participent
plus que les autres à la vie universelle, aux variations de l'heure.
Pour les réussir il faut un tact spécial. Ils sont d'un grain menu et
d'une fragilité choisie. Certains apparaissent comme faits avec de la
poussière rassemblée dans les ombres et dispersée dans les clairs. Des
gris tendres savamment distribués en constituent la beauté précieuse.
Voici le _Portrait de Madame Rousseau_. Elle est assise à l'avant-plan,
parmi des meubles familiers, non loin d'un bas-relief. Le jour est
tamisé; tout est en infimes nuances et en atténuation. Il en résulte une
impression de douceur et de calme si grande qu'une mouche survenant la
troublerait, malencontreusement, du simple bruit de ses ailes.

_Mon père mort_ est conçu dans le même esprit. La page est solennelle,
sobre, émue. On aperçoit seulement la tête posée parmi les draps que
légèrement quelques tons blancs rehaussent. A traits fins, la barbe et
les cheveux sont rendus. Le crayon Conté et le crayon gras out introduit
le jeu de leurs différentes accentuations dans les parties sombres.
L'ombre s'anime, mais uniquement afin d'éviter qu'elle ne soit opaque:
il faut que la seule sérénité règne dans l'étude entière. Le dessin est
du reste irréprochable. Le nez, les yeux et le front sont nets sans
dureté, les chairs sont admirablement apâlies quoique consistantes
encore.

[Illustration: La Mère du Peintre--1889. Dessin. (Collection Robert
Goldschmidt)]

Cette même manière de nuancer un dessin sans l'affadir ni le banaliser
se retrouve dans le _Portrait de ma mère_, appartenant à M.
Goldschmidt, et dans les _Squelettes musiciens_. Devant une armoire où
s'étale un crâne sans mâchoire, apparaît un squelette introduisant le
bec d'une clarinette dans sa bouche sans dents. Un manche de violoncelle
s'élève non loin de lui. Ces deux crânes sont étudiés avec un art
parfait. Chaque relief, chaque méplat, chaque partie osseuse avec ses
stries et ses méandres est rendu comme un artiste gothique se serait plu
à les traduire. Faire attentif, serré, scrupuleux. Impossible de pousser
plus loin l'attention minutieuse, ni la probité appliquée. Et quelle
aisance, quelle apparente facilité, quelle ductilité et quelle
flexibilité prestigieuse des doigts. Et combien tout est sûr et savant!

La ligne même, la ligne pour elle-même, la ligne simple et jolie, la
ligne belle et enveloppante séduisit à son tour la main chercheuse de
James Ensor. Et voici la _Vénus à la coquille_ dont le corps souple,
limité par un trait gracieux et flexible, surgit, avec, entre ses
doigts, une pomme. Les jambes, le torse, le ventre et les bras sont
suffisamment modelés pour qu'ils donnent la sensation d'exister vraiment
et n'être pas uniquement des blancs sur un papier. Mais c'est
l'arabesque sinueuse séparant la Déesse de l'ambiance qu'on admire
surtout et qui étonne par sa souplesse. On songe à quelque fleur
délicate et haute.

[Illustration: Vénus à la coquille--1889. Dessin.]

Les sujets ornementaux, avec leur fantaisie violente et leur parodie
épique ont tenté à maintes reprises le crayon d'Ensor. L'histoire, la
légende, les coutumes lui fournissent leurs thèmes. Il les transforme
selon son humeur, son caractère, sa nature. Ils ne sont pour lui que
des sortes de tremplins sur lesquels sa verve et sa raillerie
bondissent. Les batailles surtout le requièrent. Grâce aux coups donnés,
aux plaies reçues, grâce aux déhanchements du corps qui frappe et aux
chutes des corps qui succombent, grâce aux contorsions qu'il suppose et
aux pirouettes qu'il imagine, un combat se présente à lui avec délices.
L'horreur réelle en est supprimée au profit de la truculence et du
pittoresque. Ou bien encore c'est dans quelque décor moyen-âgeux, sur
une place meublée de maisons hautes et pointues, quelque drame violent:
_Sorcière qu'on brûle, Patrons de cathédrale, Vierges aux navires,
Soudards entrant en des cités étranges_. Ou bien encore, dans un site
d'hiver quelque folâtre et compliquée scène de _Patinage_ ou bien enfin
quelque _Parade dans une arène de cirque_. Celle-ci amuse immédiatement
par la gymnastique baroque des clowns et les sauts invraisemblables des
paillasses. On croirait assister à quelque liesse d'escargots, à quelque
fête de chenilles. Des êtres contournés, girouettants, tire-bouchonnés
permettent au dessinateur de réaliser, par des volutes charmantes et
placées chacune à quelque endroit précis et heureux de la page blanche,
une ornementation inédite qui charme l'œil immédiatement, sans examen,
et divertit l'esprit sitôt qu'il s'attarde.

Toutefois le motif le plus célèbre est traité dans la _Bataille des
Éperons d'or_. Les communiers flamands sont rangés à droite, coiffés de
casques inusités, armés de massues buissonneuses et présentant des
«goedendags» pareils à des reptiles. Courtrai avec ses tours, ses
remparts et ses moulins, se devine, là-bas. Ils la défendent et leurs
lignes rangées et pointues s'étendent devant elle, comme une succession
de haies où flotteraient, ci et là, des drapeaux. Le lion noir de
Flandre orne la plus haute bannière.

A gauche, mais à l'arrière-plan, apparaissent les chevaliers français
sur leurs chevaux rapides et ployés en arc de cercle. Cimiers, panaches,
lances, épées, bannières, tout flotte ou se dresse au vent. Derrière eux
un incendie s'allume et l'horizon est peuplé de nuages capricieux et
tourmentés.

Au milieu la bataille: foulons, tisserands, bouchers assaillent et
désarment les ducs et les barons. Des jambes, des têtes, des bras encore
armés de fer et d'acier gisent à terre. On a coupé les corps comme aux
abattoirs. Un cheval est tombé pattes en l'air, une flèche fixée au gras
de sa croupe. Voici un communier pendu à la queue d'un coursier; un
autre se soulage et fait un pied de nez aux charges qui approchent. Les
chevaux ruent, s'effrayent, s'abattent. Une mêlée grotesque s'éparpille
en mille actions non pas d'éclat, mais de gaieté baroque et de risée.
L'invention est spontanée, abondante, joyeuse. On assiste à une dépense
de jovialité narquoise et d'humeur pavoisée. Les drapeaux qui flottent,
les armes qui se dressent, les rayons du soleil, les banderoles des
nuages ne sont présentés à la vue que comme décors fictifs et lignes
ornementales. La _Bataille des Éperons d'or_ est une kermesse où l'on
tuerait pour s'amuser, où l'on tomberait pour se distraire, où l'on
mourrait pour avoir le plaisir de faire une grimace. Le _Triomphe
romain_ s'apparente à la _Bataille des Éperons_. La composition en est
moins originale et les lignes dominantes moins inattendues.
Toutefois peut-on se réjouir à voir les licteurs présenter leurs
faisceaux comme des seringues et ceux qui portent les aigles arborer ces
dernières comme de vulgaires oiseaux abattus par des archers, dans
quelque village flamand. Il conviendrait d'insister encore sur la _Mort
d'un théologien_, sur la _Multiplication des poissons_, sur les
_Soudards Kès et Pruta_, sur _Iston, Pouffamatus, Cracozie et
Transmouff,_ sur les _Diables menant le Christ aux Enfers_. Je me
bornerai à présenter la plus importante des _Tentations de
Saint-Antoine,_ grande composition qui ne fut exposée, après un premier
refus, qu'aux _XX_, en 1888.

[Illustration: Projet de Chapelle à dédier à St. Pierre et Paul--1897.]

Elle est divisée par étages. Au rez-de-chaussée, l'anachorète gros et
geignant se présente à nous et sa bonasse figure, que de grosses larmes
humectent, regarde le ciel, sans trop de désespoir. Au-dessus de lui
trône une femme qui se dévêt même de la feuille de vigne. Elle est
grande, belle, élancée, et son impudeur est triomphante. En haut, tout
en haut, apparaît une admirable tête de Christ, prise à quelque maître
gothique flamand. Il semble consoler Antoine et pleurer lui aussi sur
l'amas des vices et des péchés montrés.

Dans la vie des Saints par Alban Stolz, docteur en théologie et
conseiller ecclésiastique, il est dit d'Antoine: «Un jour qu'il venait
d'être tenté plus que de coutume, il lui sembla que Notre Seigneur lui
apparaissait rayonnant de lumière. Il lui dit en soupirant: «Bon Jésus
où donc avez-vous été? Pourquoi n'êtes-vous pas plutôt venu me
secourir». Et il lui fut répondu: «Pendant que vous combattiez j'étais
auprès de vous, car sachez que je vous assisterai toujours.» Ce texte
commente nettement le fourmillant dessin d'Ensor. Il composa du reste ce
poème par morceaux, appliquant sur une grande toile, maint carré de
papier qui continuait sans interruption la partie de scène traduite sur
le carré voisin.

En plus, si l'œuvre se divise, dans le sens de la hauteur, par étages,
elle se complique aussi, dans le sens de la profondeur, par couches.
Presque partout quelque motif en saillie en cache un autre d'un relief
plus atténué et plus fondu. Il en résulte une abondance et comme une
fermentation étrange, car dans cette large page tout est traité:
religion, histoire, morale, vice, vertu, terreur, angoisse, rire,
ricanement, folie. On se croirait en présence de quelque œuvre indoue
qui nous propose une explication du monde. Et voici les cultes anciens
ridiculisés par une Minerve grotesque debout au fronton des temples et
voici les mille inventions modernes traitées fantastiquement: trains,
ballons, navires; et voici des écorchés dont des femmes enlèvent la peau
et voici des crucifiés dont des femmes enlèvent le cœur et voici les
péchés capitaux qui apparaissent avec leurs violences et leurs affres et
qui tournent autour de la luxure centrale.

Dans le bas se déroulent des cortèges. Des mimes, des masques et des
clowns, portant des pancartes folâtres se poussent vers saint Antoine
comme pour lui présenter la pétition goguenarde de l'universelle démence
humaine.

Oh, le multiple et terrible cauchemar enluminé! Il arrête surtout par
ses détails minutieux et innombrables, mais l'ensemble en est toutefois
large et imposant. Celui qui le conçut est quelqu'un dont
l'intelligence, le cœur et l'imagination travaillent et fournissent avec
angoisse leur pensée et leur rêve aux mains patientes et laborieuses.



V.

LES EAUX-FORTES


C'est dans son travail d'aquafortiste plus encore que dans son œuvre de
peintre que l'imagination d'Ensor s'est débridée. Bien des cuivres
reproduisent certains de ses tableaux et tel de ses dessins est traduit
en gravure. Toutefois, quand le burin à la main il conçoit quelque
composition encore inédite, le vent de la fantasmagorie plus que jamais
violent lui souffle sur le cerveau. Je craindrais de rééditer certaines
analyses déjà faites si je présentais, ici, toutes les _diableries_ et
_mascarades_ traitées à la pointe. Je ne veux appuyer que sur leur
excessive audace, sur leur extrême cocasserie, sur leur insurpassable
outrance. L'impudeur, l'indécence, la scatologie même apparaissent.
Mais--disons le en y insistant--rien n'est malsain, trouble, louche,
ambigu; tout au contraire est franc, sincère, féroce, brutal. Il n'y a
pas de sous-entendu. Il y a étalage. On sait immédiatement qu'il faut ou
fermer ses yeux si l'on craint pour ses prunelles innocentes, ou se
boucher le nez si l'on possède des muqueuses trop délicates. Le
haut-le-cœur est soudain ou ne se produit pas. Ceux qui l'évitent se
complairont à suivre alors, en tous leurs méandres, les fleuves de
verve tumultueuse et de raillerie agitée que l'artiste charrie à travers
ses œuvres, avec leurs boues frappées de soleil, leurs folles herbes
tournoyantes et leurs charognes magnifiques. Vienne, Zürich, Liège,
Barcelone, Milan, Venise, Ostende, Dresde, Paris possèdent, en leurs
collections publiques mainte eau-forte du graveur. M. Eugène Demolder en
une critique pénétrante et renseignée, M. Coquiot das sa préface au
_livre des masques_, M. Vittorio Pica, là bas, en Italie, dans les
revues et Jean Lorrain, dans le roman étrange, précieux et faisandé de
_M. de Phocas_, ont longuement et ardemment célébré tels ou tels cuivres
du peintre. Voici ceux qui ont le plus souvent sollicité la critique.

[Illustration: La Cathédrale--1886. Gravure à l'eau-forte.]

_La Cathédrale_ (1886). Serrée, compacte, myriadaire, une multitude
s'avance moins avec ses jambes, ses bras, son corps qu'avec ses visages,
vers on ne sait quel but. Elle bouge non pas individuellement, mais
totalement, d'un énorme mouvement d'ensemble et c'est comme si la masse
humaine entière s'ébranlait. Au milieu d'elle une église avec ses
grandes tours, avec l'élancement de ses ogives, avec ses toits et ses
clochetons, une église légère, triomphante, aérienne est plantée et
domine. Au loin se devinent d'autres architectures, des surgissements de
flêches, des hampes géantes et des drapeaux. On songe à une colossale
fête séculaire, à quelque anniversaire prodigieux. Le spectacle est
épique.

Et cette impression est donnée non pas avec force, mais avec légèreté et
délicatesse. Le burin fourmillant a creusé partout mais jamais sa pointe
ne fut rude ni acharnée. On dirait le travail d'un clan de mouches ou
d'une ruche d'insectes. Une atmosphère joyeuse, transparente, fine,
légère, baigne la page entière et si le mot chef-d'œuvre vole sur les
lèvres de celui qui la regarde, ce mot y semblera bien à sa place comme
est à sa place sur le cuivre chaque trait d'ombre et chaque surface de
lumière.

_La grande vue de Mariakerke_ (1887) est d'une qualité d'art aussi haute
que la _Cathédrale_. Les petites maisons du village west-flamand sont
groupées autour de son clocher, avec leurs toits comme des ailes
abaissées, avec leurs maigres enclos, avec leurs dunes poudreuses et
leurs verdures aiguës. Un ciel admirable de nuages volants le surmonte
et le grandit. On sent la mer proche. Les herbes de l'avant-plan sont
ployées par le vent du large. Elles forment comme une barrière d'ombre
qui éloigne et approfondit le sujet principal. Un air abondant circule.
Une correspondance exacte, une interinfluence scrupuleusement observée
et rendue existe entre le ciel et la terre. Les plans sont partout
minutieusement fixes et leur accord partant des bords du cadre jusques à
l'horizon prouvent quel œil sûr Ensor possède qu'il s'agisse du trait ou
de la couleur.

Et _l'Hôtel de ville d'Audenarde_ (1888) et surtout les _Barques
échouées_ (1889) confirment encore en nous cette conviction. Dans la
première planche, l'ombre des galeries du rez-de-chaussée est rendue
avec une justesse merveilleuse et tout le haut de l'édifice semble comme
vibrer dans la lumière; dans la seconde, grâce à la disposition oblique
des deux lignes principales, celle du rivage lointain et celle des
bateaux sur le quai, l'approfondissement du paysage est admirablement
rendu, tandis que la volute large et ample du nuage, déroulant sa portée
dans la même direction que le rivage de droite et les barques de gauche,
concourt à cette même illusion d'étendue. Souvent, le jeu subtil des
lignes ne fut guère favorable aux compositions de James Ensor, mais ici
les plus malveillantes critiques ne peuvent avoir de prise et son œuvre
est irréprochable. Ceux qui le chicanent sur la trop fameuse
perspective, n'ont qu'à examiner les _Barques échouées_. Ils conclueront
que si le peintre viole parfois telle ou telle sacro-sainte règle, tant
en ses tableaux qu'en ses dessins, ce n'est ni par ignorance, ni par
impuissance mais par réflexion et par volonté. L'art doit sacrifier à
chaque instant les préceptes et les enseignements qui le gênent dans ses
recherches et ses découvertes. Un vrai artiste trouve en lui-même la
justification de ses excès. Ce qui s'est fait avant lui ne lui est qu'un
conseil; ce ne peut jamais lui être un ordre, ni une sorte d'ultimatum.
L'art est libre, libre, libre! s'écrie quelque part James Ensor. Il n'y
a que les médiocres qui ne comprennent pas et ne comprendront jamais la
profondeur et la sincérité d'une telle revendication ardente.
Heureusement que les routes supérieures de l'humanité en marche sont
plantées de grandes œuvres qui l'affirment et la crient à leur tour.

[Illustration: Le Christ apaisant la Tempête--1886. Gravure à la pointe
sèche.]

Le _Christ calmant la tempête_ (1886), les _Sorciers dans les
bourrasques_ (1888), l'_Ange exterminateur_ (1889), sont des
compositions magnifiques d'ampleur et de simplicité. La première est
comme solennelle. On a la sensation d'un miracle qui éclate et du
surnaturel qui rayonne. Les deux autres baignées--dites de quelle vaste
ou féerique lumière--propagent un mouvement fou tout au long de leurs
lignes. L'énorme Sorcier de la bourrasque fait songer à quelque Caliban
céleste. Il est grotesque et puissant à la fois. L'ange exterminateur a
beau nous apparaître comme une sorte de croquemitaine et les foules qui
le voient passer s'accroupir en des poses affolées, l'apparition est
magnifique et inoubliable de splendeur. Le trait menu et comme
tremblant, le trait minuscule et rompu doue le cheval et son cavalier
galopant dans les nues, comme d'une vitesse frémissante.

_Les sept péchés capitaux_, que précéda dès 1888: _Peste dessus, peste
dessous, peste partout_, nous offrent comme une œuvre cyclique où le
grotesque le dispute à la férocité. Une eau-forte liminaire en prépare
l'impression étrange. Elle figure une Mort ailée--dites quelles ailes
misérables et déplumées le squelette entr'ouvre!--abritant sous elle des
personnages divers dont chacun semble être une indication rapide des
sept vices à fustiger.

[Illustration: Barques échouées--1888. Gravure à l'eau-forte.]

La _Luxure_ (1888) occupe le centre de l'œuvre. Un jeune homme dont le
corps est à demi dissimulé, semble ramper, sur un lit, vers une femme
énorme qui détourne la tête et n'étale qu'une chair ballonnée impudique
et monstrueuse. Le temps, sinistre et glabre vieillard, le temps aux
mains et aux ailes crochues menace d'une faux énorme le couple lubrique,
tandis que voltige dans l'air une manière de gnome cornu et que dans un
cadre, près d'un rideau, de vagues nudités apparaissent. Dessin rapide,
traits menus, facture fine et délicate. Page de blondeur et de jeunesse
où seule la faux levée trace un lugubre éclair. Elle voisine avec
_l'Avarice_ (1904)--ici, la pointe du burin appuie, griffe, devient
comme méchante--et l'on voit un terrible bonhomme, en casque-à-mèche
compter son argent sur une table et quelque démon hérissé remuer, avec
lui, les pièces rondes et frémissantes. Soudain surviennent deux
assassins qui assaillent et saignent le cynique avare. Le sang
éclabousse sa figure et s'écoule de son flanc. L'_Envie_ (1904)
s'éclaire de l'apparition d'une jeune mère tenant un nouveau-né entre
ses bras. Elle est heureuse. Un jeune gars l'embrasse. Une paix, une
douceur, une tendresse est répandue. Des rayons partent du milieu de la
page, baignant le front de la femme et se projetant jusqu'au bord du
cadre. Mais voici la contradiction qui se lève: vieilles filles au nez
féroce, bigotes tirant la langue, hommes graves et bilieux, crétins
faisant des pieds-de-nez et ci et là des squelettes voltigeant comme
pour annoncer la maladie et le trépas et affirmer combien toujours la
mort est suspendue sur la vie.

[Illustration: Croquis.]

L'_Orgueil_ (1904). Solennel, ponctuel, grave, rogue, ridicule, avec de
tombantes bajoues, avec un front étroit, carré, abrupt, avec une tête
trop volumineuse pour son corps étriqué, quelque vague notaire ou
commerçant ou bourgmestre de province se présente à la foule des
quémandeurs, des humiliés et des pauvres qui lui baisent les mains. Un
squelette lui pose une couronne sur la tête. Un coq, les plumes
hérissées, crie vers lui comme s'il claironnait de fureur. Un âne
regarde. Quelque morne sacristain lit un discours; quelque minable
vieille tend un bouquet. La mort, armée de sa faux, promène ses doigts
d'os dans la perruque d'une femme acariâtre--peut-être la compagne du
notaire, du commerçant ou du bourgmestre--et lui cherche sa vermine. La
scène est d'une observation cruelle et folâtre. Tout est piteux, morose,
grotesque dans ce triomphe. La petite ville y est raillée et bafouée.
Ensor se venge.

La page la moins réussie nous représente la _Colère_ (1904). Au fond
d'un lieu quelconque--appartement d'ouvrier ou grenier bourgeois--homme
et femme, avec des couteaux et des crochets, luttent et se blessent.
Leur chat, le poil dressé, assiste à la bataille. Des êtres
singuliers interviennent et la camarde semble faucher le vide au-dessus
des combattants. On croirait que le cuivre est griffé au moyen d'un
clou. Toute autre est l'abondante et grasse et croupissante et
savoureuse _Gourmandise_ (1904). Bien que les deux personnages assis
vomissent leur nourriture et que la Mort leur serve un homard et qu'un
chien, sur le dossier d'une chaise, compisse l'un d'eux et qu'une tête
coupée s'étale sur un plat, le petit drame gastronomique se caractérise
par une jovialité amusante. Un tableau pendu au mur réjouit par son
dessin preste: il représente des porcs qu'on tue, dans un village sur la
place, et certes les deux bâfreurs assis ou plutôt affalés à leur table
ne se doutent point qu'ils méritent un semblable trépas. L'énorme cochon
qui se hisse dans un coin, la langue pendante, semble seul distraire le
plus gros des convives et son œil oblique s'en va vers le groin tendu ou
vers le homard que la mort apporte, presque amoureusement. Enfin la
_Paresse_ (1902) représente deux dormeurs, un homme et une femme,
enfoncés dans leur couche. Un lutin ricaneur chatouille l'œil de la
dame. Un squelette détraque une horloge et enlève une aiguille. Par la
fenêtre, on aperçoit des paysans qui moissonnent, des ouvriers qui
brouettent, des valets qui bêchent, des gens de peine qui transportent
des fardeaux, des soldats à l'exercice, des trains qui roulent et tout
au loin une ville énorme dont les usines s'acharnent et fument sous le
riant soleil. Dehors il fait grand jour, mais les dormeurs baîllants se
calfeutrent et de lents escargots rampent sur leurs draps. Un petit
démon, sur la table de nuit, éteint, d'un pet, la bougie.

[Illustration: Ernest Rousseau--1887. Gravure à la pointe sèche.]

Cette suite de sujets renseigne--et que d'autres petites planches
l'affirment comme elle--sur l'inépuisable fantaisie de James Ensor. On
la croit au bout de sa trépidation et toujours et encore elle
recommence. Elle est véloce et incessante comme le tic-tac d'une montre.
Elle s'agite jour et nuit. La moindre observation faite au hasard la
remonte comme le petit tour de clef quotidien redonne la vie aux
ressorts distendus.

Pour saisir mieux encore cette folâtre imagination il faudrait la suivre
jusque dans sa descente vers la caricature et la montrer aux prises avec
les _Cuisiniers dangereux_[1] et les _Mauvais médecins_ (1895).

Les _Cuisiniers dangereux_ sont les critiques. On y distingue telles
personnalités que J. Ensor redoutait. Elles servent un étrange repas à
quelques-uns de leurs confrères et sur les plats présentés s'étale la
tête même du peintre flanquée d'un sauret. Les _Mauvais médecins_
opèrent avec une férocité délurée, s'empétrant parmi les intestins
qu'ils retirent des ventres comme des câbles et taillent dans les chairs
de larges crevasses par où s'évadent les entrailles. Le patient tend un
poing vers le ciel, est retenu par une corde qui l'étrangle tandis que
la mort sinistre, avec un geste préceptoral, apparaît.

[Footnote 1: Les _Cuisiniers dangereux_ sont un panneau (1896).]



VI

VIE ET CARACTÈRE


Vie banale somme toute, mais en lutte avec un caractère spécial,
étrange, infiniment impressionnable et ombrageux.

Ensor naquit à Ostende. Il a 48 ans. Il grandit dans une maison de
négoce, avec sa boutique achalandée s'ouvrant sur la rue, à côté de la
chambre de famille. Aux jours où la mer est calme on envoie l'enfant sur
la plage se distraire dans le sable, avec des coquillages. Il ne connaît
point encore le pittoresque quartier des pêcheurs plein de voiles et de
bateaux, plein de gamins hâves qui jouent parmi des charettes à bras,
dépiotent de leurs doigts prestes les crevettes tombées des paniers de
la marée et se poursuivent parmi les cordes tendues de poteau en poteau
et les ancres abandonnées dans les terrains vagues. Ce n'est que plus
tard qu'il se mêlera, poussé par son art, à la vie des matelots et des
mousses.

Il ne suit les classes que pendant deux ans. Lui même emmagasine
quelques connaissances variées dans sa jeune tête. Ses livres d'images
le hantent. Les romans à naïfs dessins le sollicitent. Après avoir
admiré les gravures il lit le texte. Mais déjà mainte tentation lui
vient de rendre les tons et les lignes qu'il voit. Il griffonne et
barbouille. Détail à noter: ce sont les couleurs qu'il traduit avant
même qu'il dessine les objets. Il a quatorze ans.

On lui donne comme professeurs deux vagues aquarellistes ostendais:
Dubar et Van Kuyck. Leurs conseils lui sont légers. Il les écoute et
oublie leurs paroles. Il n'est inquiété que par ce qu'il voit. Il ne
peint que d'après nature et les sites marins et les dunes et les
paysages des environs d'Ostende sont ses premiers modèles. Louis Dubois,
le beau peintre solide et puissant, rencontrant un jour, au cours d'un
villégiature sur la côte, les quelques pages auxquelles James Ensor,
presque enfant, confiait ses primes essais, s'enthousiasma et vivement
s'intéressa à ses débuts.

En 1877 le voici à Bruxelles. De 1877 à 1880 il fréquente l'Académie. Il
y eut pour compagnons: Fernand Khnopff, Charlet et Duyck. Et pour
maîtres: Portaels, Stallaert, Robert et Van Severdonck.

[Illustration: Le Théatre des Masques ou Bouquet d'artifice--1889]

Plus tard, sorti de cette école, il appréciera et critiquera
l'enseignement de ses maîtres, en ce caractéristique monologue:

     «TROIS SEMAINES A L'ACADÉMIE

     _Monologue à tiroirs_

     La scène est dans la classe de peinture.

     Personnages: Trois professeurs, le directeur de l'Académie, un
     surveillant; personnage muet: un futur membre des _XX_.

     Nota: La vérité des menus propos qui suivent est garantie.

     1re Semaine: M. le professeur Pilstecker.

     Vous êtes coloriste, Monsieur, mais sur 100 peintres il y a 90
     coloristes.

     Le flamand perce toujours chez vous, malgré tout. Je trouve les
     artistes français très forts; dans une exposition, on les distingue
     de suite de leurs voisins; ils sont très forts en composition.

     Il ne faut pas croire que le professeur abîme l'étude en la
     corrigeant; quand j'avais votre âge, je le croyais aussi,
     maintenant je vois bien que le professeur avait raison.

     Vous n'avancez pas! ça n'est pas modelé! (montrant l'étude d'un
     autre élève). En voici un qui va bien! Malheureusement il est trop
     paresseux.

     Vous cherchez déjà l'air ambiant, au lieu d'attendre que vous soyez
     assez fort en dessin; songez que vous avez encore deux classes
     d'antiques à faire! après celà, vous aurez bien le temps de vous
     occuper d'air ambiant, de couleur et de tout le reste.

     Vous ne voulez pas apprendre; peindre comme celà, c'est de la folie
     ou de la méchanceté.

     Je suis _forcé_ de vous complimenter sur votre dessin; mais
     pourquoi faites-vous des dessins contre l'Académie?

     2e Semaine: M. le professeur Slimmevogel.

     Vous avez fait votre fond au lieu de faire la figure; ça n'est pas
     difficile de faire un fond.

     Vous faites le contraire de ce qu'on vous dit. Au lieu de commencer
     par _vos vigueurs_, vous commencez par les clairs. Comment
     pouvez-vous juger votre ensemble. Il faut faire vos vigueurs avec
     du noir de vigne et de la terre de Sienne brûlée.

     Je ne sais pas ce qu'il y a dans l'air ici; jamais je n'ai vu la
     classe de peinture comme cette année. Je serais honteux si un
     étranger entrait ici.

     Je ne vois rien là dedans. Il y a de la couleur, mais ça ne suffit
     pas.

     Ça manque de vigueur. Vous empâtez trop. Vous avez l'air de bien
     chercher cependant. Vous avez assez cherché maintenant.

     Est-ce M. Pilstecker qui a corrigé votre étude? Ça n'est pas sa
     semaine, pourtant. C'est embêtant, ça!

     3e Semaine: M. le professeur Van Mollekot.

     Qu'est-ce que c'est que ça! C'est beaucoup trop brun, vous savez.
     Est-ce M. Slimmevogel qui vous a corrigé?

     C'était si bien commencé. Vous dessinez si bien, mais vous abîmez
     tout ce que vous faites.

     Croyez-moi, c'est dans votre intérêt que je vous le dis. Mettez
     votre étude à côté du modèle. Vous avez peur de peindre.

     Il faut peindre avec des brosses plates, en pleine pâte, mais il
     faut faire attention de ne pas blaireauter.

     Vous n'empâtez pas assez. Je sais bien que vous savez le faire,
     mais il faudrait le montrer aux autres.

     Vous faites du paysage, c'est de la farce, le paysage!

     M. le Directeur.

     Vous dessinez en peignant, mauvais! mauvais! Vous allez vous noyer.

     C'est le sentiment qui vous perd, vous n'êtes pas le seul.

     La semaine passée, vous avez fait un bon dessin, maintenant, c'est
     encore une fois la même chose; vous avez mal à l'œil peut-être? Un
     sculpteur serait bien embarrassé, s'il devait faire quelque chose
     d'après votre dessin.

     Est-ce M. Slimmevogel qui a retouché ça?

     Le Surveillant.

     M. le Directeur et M. Pilstecker sont très fâchés contre vous, à
     cause de votre concours d'esquisse peinte. Si vous voulez me
     promettre de changer de manière, j'en parlerai à M. le Directeur,
     et vous pourrez entrer à la classe de nature.

     _Moralité_: L'élève quitte l'Académie et se fait Vingtiste.

     _Moralité ultérieure_: On refuse toutes ses toiles au Salon.»

[Illustration: L'Intrigue--1890. (Collection Ernest Rousseau)]

Ce monologue porte. Il est jovial et juste. Il résume, d'un style leste
et ironique les tares de l'enseignement officiel. Les personnages
représentés se reconnaissent. Leurs jolis noms empruntés au langage
populaire donnent au morceau entier, une savoureuse couleur locale.
Ensor ne pouvait être un bon élève. Sa nature s'y opposait; il était
destiné à devenir un bon peintre. Il remporta toutefois le deuxième
prix de dessin de tête antique.

Revenu à Ostende il se forme lui même. Toutefois restent suspendues au
mur de son atelier deux compositions faites à l'Académie: _Oreste
tourmenté par les Furies_ et _Judas lançant l'argent dans le Temple_. On
comprend que d'authentiques professeurs se soient étonnés devant ces
peintures. Le ton y est déjà très particulier. Les personnages baignent
dans une lumière argentée; aucun trait n'est sec ni maigré. Aucun geste
conventionnel, ni appris. La scène n'est point soulignée par la
présentation à l'avant-plan du protagoniste principal, soit Judas, soit
Oreste. C'est le groupe qui intéresse; c'est l'ensemble; c'est l'action
totale. Des rouges sonnent sur un fond d'argent. Les défroques sont
plutôt romantiques que classiques ou bibliques. Le dessin académique est
tout entier mangé par la couleur. Ces deux toiles sont déjà de la vraie
peinture ensorienne.

L'année 1880 fut une année admirable pour James Ensor. Son vrai début
date de ce temps. Il lit beaucoup. La littérature n'a jamais ému les
peintres belges. En ce temps là, surtout, leur ignorance se dressait
monumentale. Ils avaient peur d'orner leur esprit pour ne point courir
le danger de sacrifier à l'imagination. On sait ce que cette crainte
puérile a produit. Au dernier _Salon d'automne_ (1907) à Paris, le
principal grief qu'on fit à notre exposition rétrospective fut de
manquer d'intellectualité ou plutôt d'intelligence.

Je n'ignore point qu'un peintre littéraire est un peintre dévoyé. Je
sais qu l'œil et non pas l'esprit doit dominer dans les arts plastiques.
Nul plus que moi ne s'est fait un devoir de signaler combien il
importait de voir, de regarder, de constater afin de bien traduire soit
la ligne, soit la couleur, soit la lumière. Toutefois il ne faut pas
qu'un peintre se prévaille de cette vérité qui peut apparaître, à juste
titre, comme une manière de dogme esthétique, pour s'opposer à toute
culture générale et se complaire à n'être volontairement qu'une brute
qui peint. Il faut, au contraire, que tout artiste s'affine et s'éduque.
Or, c'est la littérature seule, prise dans son sens large, qui lui peut
donner cet affinement. Il doit tendre à son développement complet, à
l'exaltation de sa personnalité totale; il doit comme fourbir le
faisceau entier de ses facultés. Rien n'est perdu et, mystérieusement,
tout sert. A l'heure des chefs-d'œuvre, c'est tout l'être humain, avec
ce qu'il contient de puissance latente et emmagasinée dans son cerveau,
dans ses sens, dans ses muscles, dans ses nerfs, qui apparaît et qui se
hausse, par sa création soudaine mais combien lentement préparée, au
plan des dieux.

[Illustration: Masques devant la Mort--1888. (Collection Ernest
Rousseau)]

Les maîtres que lisait Ensor étaient évidemment ceux que sa nature
d'exception lui désignait: Edgar Poe et Balzac. Pourtant, avant eux, il
avait cultivé Rabelais (on s'en aperçoit en ses écrits); il goûtait le
Roland Furieux, de l'Arioste, et Don Quichotte et les Mille et une
Nuits. J'ai trouvé également dans sa bibliothèque «l'Enfer» du Dante.

Quant aux peintres qu'il entoure de son culte pieux ce sont et Rembrandt
et Delacroix et Chardin et Watteau. Il ne lui déplaît pas de louer
également--il ne serait pas James Ensor s'il n'appréciait
l'antithèse--le «Virgile lisant l'Enéide» (fragment) du vieil Ingres.

Il englobe encore dans son admiration Pierre Breughel et Jérôme Bosch.
Mais il ignore Rowlandson et Gillray auxquels il ressemble. Et Goya ne
lui est nullement familier.

Ses voyages furent très rares. En 1892 il ne s'attarda que quatre jours
à Londres; il fut à deux ou trois reprises à Paris; il se divertit dans
un voyage en Hollande, avec son ami Vogels, et les musées d'Amsterdam et
de Haarlem le retinrent longtemps entre leurs murs.

Sa vie s'est écoulée, à Ostende, presque tout entière. Il y a subi
l'interminable et ensevelissant ennui de la province qui tombe sur l'âme
comme une poussière sur le corps; il y a connu la moquerie et la haine;
le potin et la risée; il y a rencontré les contrariétés domestiques,
l'incompréhension inévitable, la dérélection. Les heures noires lui ont
fait cortège au long des jours gris, maussades, monotones. Sa
sensibilité fine comme le grain d'un bois rare et précieux a subi les
coups de rabot de la bêtise. Il s'est senti foulé, meurtri, brisé.

Les rares joies qui flambaient autour de lui étaient de pauvres joies
provinciales. Il en prit, certes, sa part ne fût-ce que par tristesse.
Une société _Le Rat Mort_ le comptait et le compte encore au nombre de
ses membres. Ce cercle où des médecins coudoient des avocats, où des
échevins serrent la main à des notaires, où des musiciens --quelques-uns
de vrai talent--introduisent le culte d'un goût surveillé, inscrit à son
programme le rire et l'entrain pour essayer de vaincre la torpeur
ambiante. Y réussit-il? Et sa joie n'est-elle pas uniquement
réglementaire?

Quand James Ensor fut nommé chevalier par le Roi on lui ménagea quelque
fête cordiale et tapageuse. J'en connais l'ordonnance. Elle fut
consignée dans une brochure que rédigea et qu'illustra le peintre. Des
discours sont prononcés, des strophes battent des ailes et des
brabançonnes inédites voient le jour. La fête fut, paraît-il, charmante
et folle. Je le crois, bien que le souvenir que j'en ai entre les mains
ne me communique plus, à cette heure, ni charme ni folie. Mais il est
juste d'ajouter que la carcasse d'un feu d'artifice tiré est chose
lamentable et funèbre.

Ensor écrit assez volontiers. On sait que la plume est entre ses mains
une arme--certes contournée, fantasque, chimérique--mais qu'elle est
toutefois aiguë et pointée comme un couteau et qu'elle blesse souvent.
Il s'est plu, dans le _Coq Rouge_, à la diriger--malencontreusement à
mon avis--contre Alfred Stevens; dernièrement encore dans l'_Echo
d'Ostende_, il égratigna maint critique. Il agit alors comme s'il tenait
entre les mains une molle pelotte, qu'il traverse d'épingles et qu'il
jette, dès qu'elle en est pleine, comme un espiègle, vers le public. Les
traits portent, les allusions sont transparentes; ceux qui sont au
courant de la vie d'Ensor comprennent. Les autres s'étonnent. Lui, dès
son geste fait, redoute qu'on se fâche, s'excuse presque d'avoir aussi
abondamment garni sa pelotte, d'avoir effilé trop vivement ses pointes,
mais, quoiqu'il en ait, il n'a pu s'empêcher de la lancer. Sa phrase est
surabondante d'adjectifs pittoresques et cocasses, de substantifs
soudains et inventés; elle est folle, amusante, superlificoquentieuse;
elle écume et bouillonne; elle monte et s'écroule en cataracte.
Lorsqu'une bouteille d'ardent champagne se débouche et que le
fourmillement des bulles gazeuses s'élève myriadaire et pétille vers le
goulot pour se répandre et se résoudre en mousse, je songe au style
fermenté de James Ensor.

Ostende ayant repoussé son art, loin des murs nus de ses monuments, le
peintre, dès que l'occasion s'en offrit, malmena ses édiles. Il
s'agissait d'élever une statue à M. Van Iseghem, bourgmestre. Voici le
morceau. Je l'emprunte à la _Ligue Artistique_.

     UN BRONZE OSTENDAIS A PLACER

     «Resignalons allègrement les évolutions sardinéennes de nos
     bourgmestres vacillants ou édiles impénétrables, travaillés par des
     voix. Contemplons caricaturalement les entrechats effrénés de
     certains administrateurs ventripotents: singulières gambades
     agrémentées de culbutes désopillantes, subtiles ruades de grisons
     affolés, tiraillements aigres-doux de fonctionnaire non
     fonctionnant ruminant son bronze, maître coup de gaffe d'adroit
     manœuvrier manœuvrant, discussion spongieuse de batracien
     encornichonné coassant, effondrement subit de mache-brique
     imprévoyant, grossissement anormal de cucurbitacé triomphant.

     «Lançons quelques pierres dans cette mare aux marmousets et
     enveloppons d'un voile épais les échantillons artistiques de nos
     esthètes tremblotants pataugeant en sourdine dans les vases de
     barbotine ou d'élection.

     [Illustration: La Raie--1892. (Collection Ernest Rousseau)]

     «Ces mêlées de moules et contre-moules et d'asticots asticotés me
     laissent indifférent: le contribuable ostendais a d'autres singes à
     fouetter. Mais une grosse question divise nos esthètes mercurisés.

     «L'érection de la statue de Jan Van Iseghem s'impose, clament nos
     édiles en mal de bronze! Pschykoriaminikrolobrédibréraxispipipi!
     expectorent péniblement nos vieux barbons du littoral; «une réunion
     de conseillers de l'Huîtrisie Heureuse s'indique», fafouent nos
     scaphandriers désossés, prudents immergeurs de vesses traîtresses.

     «Après vives discussions hérissées de bourdes solennelles, sauts de
     carpe, torgnioles, plamussades, nasardes fraîches, faux horizons de
     narquoisie, momeries variées, arlequinades de haute lisse,
     péroraisons limaçonnes, jérémiades de tritons essoufflés, volées
     oratoires de grand effet, miaulement suraigus, grognements
     agressifs, gloussements inarticulés et bredouillements confus
     dignes d'une assemblée de vieilles lavandières échaudées ou
     marchandes des quatre saisons coquemardées, nos orateurs
     mollusqueux, égosillés et contents se réfugièrent prestement entre
     de jolies valves nacrées et perlières, et il ne fut plus question
     de la statue du plus pelliculé des bourgmestres passés, présents et
     à venir.»

       *       *       *       *       *

La musique l'a tenté autant que la littérature. Il compose et improvise.
Blanche Rousseau fut, un jour, témoin de la façon dont il railla avec
des notes ceux qui le raillaient avec des paroles.

«A un dîner de noces où se trouvaient un grand nombre de bourgeois,
Ensor, pâle et muet, se laissait taquiner, mais avec des sourires
contraints, des regards dédaigneux où s'allumait parfois l'éclair fugace
d'une colère ou d'une ironie effrayantes. Non loin de lui, je
l'observais et j'avais presque peur. Tout à coup, quelqu'un
l'interpelle: «De la musique, James, de _ta_ musique.» On rit, il
résiste, on insiste.... Alors, il se lève tout à coup, marche au piano,
et fait éclater une fanfare discordante, un tumulte de sons bousculés,
mais si moqueurs, si violents, d'une si imprévue et tragique ironie ...
une sorte de _marche des bourgeois_ où les cris d'animaux se mêlent au
vacarme du tam-tam, et brisée dans un long hurlement sinistre. Il revint
à sa place, sans que, pourtant, sa figure eût changé--mais les autres ne
riaient plus».

La musique autant que la littérature lui sert donc à des manifestations
irritées tout autant que certains dessins et certaines caricatures.
Quand sa sensibilité est trop foulée et comprimée par l'hostile ambiance
elles lui sont comme deux soupapes qu'il ouvre tout à coup et par
lesquelles il se libère de sa mauvaise humeur.

Mais quelquefois aussi elles lui apparaissent comme de réelles
expressions d'art, surtout la musique, qu'il aime et cultive, avec
délices et pour laquelle, me dit-on, il se sent né tout autant ou peut
être plus encore que pour la peinture.

«L'étrange musique, écrit encore Blanche Rousseau. Elle ne ressemblait à
aucune autre; elle ne ressemblait à rien au monde. Elle était sourde et
voilée--rapide comme un souffle, aussi légère--ou bruyante
soudain--dure, heurtée, diabolique.... Les sons couraient, agiles,
ailés, s'égouttaient en jet d'eau ou s'écroulaient en poudre.... Ils se
relevaient, s'envolaient en soupirs vers les nues idéales et retombaient
à terre avec des grimaces et des contorsions. C'était pour moi, petite
fille, des troupeaux d'anges et de démons tournoyant entre ciel et
terre, des chutes et des essors, et les merveilleuses ascensions d'un
mélange bizarre de figures dont prédominaient tour à tour les unes,
sublimes, ou les autres, grimaçantes et horribles.... Et quand, brisant
soudain une mélodie, Ensor entonna le _Miserere_ d'un voix vacillante,
effrayante dans l'ombre, la voix exacte d'un curé cynique et rapace
devant un cercueil entouré de cierges--tandis qu'on riait dans la
chambre éclairée--mon cœur se glaça d'horreur et je me crus vieille à
treize ans».

[Illustration: Bataille des Éperons d'or--1895. Eau-forte.]

Il suffit d'avoir approché Ensor à certains jours, d'avoir écouté,
attentivement, ce qu'il ne disait pas pour se convaincre qu'il est à la
fois timide et téméraire, très simple et très complexe, que le soupçon
habite en lui, qu'il se croit volontiers honni, trahi, persécuté même,
qu'il est plein d'ironie et de goguenardise. Son silence et son rire
sont, presque au même titre, inquiétants. Il a la haine de la bêtise; il
la sait dure et coriace: il faut de temps en temps qu'il la morde.
Pourtant la méchanceté lui est étrangère.

Au fond, très au fond de lui, séjourne certes la bonté; mais cette
source profonde il ne la montre qu'à de très chers regards. Sa petite
nièce l'a vu certes se répandre. Pour les autres gens, il demeure un
être fermé et énigmatique. On ne le saisit jamais entièrement. La vie
lui apprit à être défiant. On ne lui a point rendu toute justice. Son
art n'est point encore, à cette heure, situé où quelque jour il se
campera. Mais qu'importe! l'ascension sera d'autant plus sûre qu'elle
aura été lente et contrariée.

[Illustration: La mort poursuivant le Troupeau des Humains--1895.
Gravure à l'eau-forte.]

Le caractère n'explique évidemment pas toute une œuvre. Ce sont les dons
fonciers que le peintre porte en lui qui la déterminent,
l'entretiennent, la nourissent et la développent.

Toutefois le caractère de l'homme influence l'œuvre, si j'ose dire,
latéralement. Il est comme les vents d'est, d'ouest, du sud et du nord
qui assiègent une plante magnifique, la courbent, la redressent, la
baignent d'air chaud ou d'air froid, l'épanouissent ou la dessèchent.
Ensor est un supra-sensible.

La mobilité, l'inquiétude, la vacillation de sa nature expliquent à la
fois les recherches fièvreuses, les pas en avant, les pas en arrière,
les brusques progrès et les soudains reculs, en un mot tous les
changements et aussi toutes les inégalités de son art. Après un tableau
clair, il rétrograde vers un tableau sombre; après un dessin de
caractère il commence un dessin atmosphéré, après une eau-forte toute en
délicatesse il burine un cuivre comme avec des clous. Il est tumultueux
et abrupt dans mainte composition; le développement continu ou
symétrique des lignes ne l'inquiète guère; il procède par à coups; il
étonne plus souvent qu'il ne charme. Il fait preuve de maladresse et il
est loin de bannir de son art le dérèglement et le chaos. Il ne tient
jamais en place et souvent il ne tient pas même sa place. Les œuvres
inférieures voisinent avec les œuvres excellentes. Au cours de cette
étude je n'ai insisté que sur ces dernières: elles seules comptent dans
la vie d'un maître.

Son caractère explique encore son amour immodéré pour le masque, la
défroque, la mort, la laideur. Pendant les dures, moroses et adverses
années de sa vie, quand il se croit abandonné de tous, quand des idées
de persécution hantent sa tête, il met comme une ardeur noire à
dénaturer, à déformer, à calomnier la vie. Quelques-unes de ses toiles
sont féroces. Les _deux squelettes se disputant un hareng-saur_ mettent
une âpreté telle dans leur lutte à mâchoires voraces et terribles qu'on
songe vaguement à deux cruels ennemis du peintre s'acharnant sur lui. Le
jour qu'il campa devant son poêle de fonte le gras et narquois
_pouilleux_ et que les premiers _masques_ vinrent surprendre et attirer
son attention, ce fut le pittoresque et la saveur des guenilles et des
oripeaux qui certes le sollicitèrent. Il découvrit en eux l'ironie et la
farce quasi joviales; mais plus tard l'ironie et la farce firent place
au sarcasme, à la détresse et à la violence. Et le rire devint
ricanement. Bien plus. Peut être s'est-il fait que le découragement a
remplacé, à point nommé, la colère et que certaines années mauvaises et
mornes, les années vides d'enthousiame, ne sont imputables qu'à un
fléchissement de volonté. Car--et je ne veux point éluder ce problème
moral--il est vraiment incompréhensible qu'aux heures pleines de
l'adolescence et de la maturité commençante Ensor se soit comme retiré
de la lutte, alors qu'une abondance de gestes et d'œuvres marque chez
les artistes doués comme lui l'entrée triomphale dans la quarantaine.

[Illustration: La Danse--1896. (Collection Ernest Rousseau)]

Est ce la veule et torpide province, la solitude trop complète,
l'éloignement trop prolongé ou la critique injuste qui ont amené cet
alentissement? Quelle brisure intérieure a lézardé une muraille déjà si
haute?

Ou bien les ennuis quotidiens et domestiques, les tracas mesquins et
rongeants le condamnèrent-ils quelque temps au silence?

L'explication nette et unique se dissimule sous l'amas des conjectures.
Peut être un jour jaillira-t-elle simple et probante. En attendant, je
ne crois pas errer en affirmant que c'est dans le caractère du peintre
et non pas en son art lui-même qu'il la faut chercher. Les rares
dernières œuvres qui n'ont point encore quitté son atelier affirment que
son œil est autant que jamais subtil, vivant et frais et que peut-être
un dernier rajeunissement est à la veille d'éclore. Mais quel que soit
l'avenir, l'œuvre telle qu'elle est, avec sa série de toiles depuis
longtemps victorieuses, n'est indigne d'aucune des louanges que nous lui
avons, au cours de ces pages, prodiguées.



VII.

LA PLACE DE JAMES ENSOR DANS L'ART CONTEMPORAIN


La place de James Ensor dans l'art de son temps apparaît belle et nette.
Le recul nécessaire pour la fixer se fait et ce jugement émis par ses
admirateurs n'est déjà plus un jugement horaire.

Un fait esthétique notoire domine la peinture du XIXe siècle: la
découverte de la lumière. D'où la recherche nécessaire d'harmonies
nouvelles, de relations autres, de valeurs et de juxtapositions de tons
insoupçonnées jadis. D'où encore un renouveau du sentiment pictural
lui-même, la joie et la vie intronisées à la place de la morosité et de
la routine, l'œil éduqué non plus à l'atelier mais dans les jardins, les
bois et les plaines, les pratiques anciennes abandonnées au profit de la
surprise et de la découverte rencontrées à chaque coin de route, à
chaque angle de carrefour. C'est la nature, bien plus que les musées,
qui forma les peintres novateurs. Elle leur imposa directement leur
vision et modifia leur technique. Même elle renouvela toute leur
palette. Ils n'ont consulté qu'elle: c'est d'après ses leçons ingénues
et profondes qu'ils se sont formés, se sont découverts et se sont
exaltés à l'heure des chefs-d'œuvre.

[Illustration: Mariakerke--1896. (Collection Edgar Picard)]

Dans cette conquête de la clarté, l'effort et la vaillance de James
Ensor compteront. Son geste demeurera insigne, non seulement dans
l'école de son pays, mais, un jour, dans l'art occidental tout entier.
Car une mise au point exacte de la victoire impressionniste se prépare
partout. L'Europe entière y collabore. Certes y conservera-t-elle son
rôle d'initiatrice et de propagatrice la belle et grande France. Mais la
Hollande, mais l'Angleterre, mais l'Espagne, mais la Belgique
s'adjugeront également, à bon droit, quelques magnifiques rayons de la
gloire artistique toujours renouvelée et sans cesse voyageuse, qui
s'est, jadis, presque fixé chez elles, puis s'en est allée, puis revenue
pour y séjourner à nouveau.

L'histoire de l'impressionnisme ne fut tentée, pourrait-on dire, qu'au
point de vue parisien. Les marchands s'y sont intéressé plus encore que
les critiques. Les dithyrambes ont monté d'après les prix de vente. On
put croire, à tel instant, qu'une toile était moins une œuvre d'art,
qu'une valeur financière. Degas, Renoir, Monet, Cézanne et Sisley
avaient leurs courtiers comme le sucre, le café, la margarine et le
cacao. Tout peintre étranger admis à la côte parisienne devenait peintre
et maître à son tour.

On ne le jugeait plus d'après ses origines, mais d'après les qualités
qui l'apparentaient aux maîtres français. Ainsi faussait-on maint
jugement. La critique met en valeur les différences entre peintres et
non pas les ressemblances ou les similitudes. Les écoles nationales sont
nécessaires à l'évolution complète d'une même théorie ou d'une même
formule. Une même idée conçue par des peuples différents, un même
principe d'art appliqué par des groupes étrangers les uns aux autres
acquiert une diversité précieuse et riche. La totalité des résultats
peut être atteinte ainsi.

Au reste, les peintres venus d'ailleurs conservent, même à Paris, d'une
manière souveraine, leurs qualités autochtones. Jongkind, Van Gogh,
Whistler, Anglada Van Rysselberghe en témoignent. Ils restent fidèles à
leurs origines superbement. Ils possèdent--j'en excepte Whistler--moins
de goût que les Français, ils voient moins subtil et moins fin, mais ils
apportent, les uns certains dons de robustesse, d'âpreté, les autres
certains sentiments d'intimité et de naïveté, qu'on ne rencontre qu'en
Espagne, qu'en Hollande et qu'en Flandre.

Pour situer de tels talents, il ne faut point les rejeter hors de leur
milieu natal. Au contraire, il les y faut ramener, les mettre en leur
vrai jour, les relier à leurs contemporains directs par les inévitables
sympathies de race et d'instinct. Qu'on signale les principes nouveaux
qu'ils apportent, mais qu'on étudie avant tout comment ils les adaptent
à leur nature.

A toutes les périodes de l'histoire, ces influences de peuple à peuple
et d'école à école se sont produites. Jadis l'Italie dominait
profondément les Floris, les Vænius et les De Vos. Tous pourtant ont
trouvé place chez nous, dans notre école septentrionale. Plus tard
Pierre Paul Rubens s'en fut à son tour là-bas; il revint italianisé mais
ce fut pour renouveler tout l'art flamand.

Bien plus, il se fait que souvent au pays même des peintres émigrés, il
se lève des artistes qui trouvent, sans quitter la terre natale, ce
que leurs émules s'en vont chercher au loin. Ensor peut se ranger parmi
ceux-ci. Déjà Pantazis et Vogels s étaient signalés. Ils s'étaient posés
le problème de la lumière et l'avaient élucidé si pas résolu. Vogels
surtout s'était affirmé avec une audace violente et spontanée. Il avait
des dons admirables d'improvisateur; il possédait la fougue et l'éclat.
Ses ciels tumultueux, ses paysages tragiques s'affranchissaient de toute
convention stérilisante. Il eût été un grand peintre, si l'insuffisance
de son métier ne l'avait desservi.

[Illustration: Entrée du Christ à Bruxelles--1898. Gravure à
l'eau-forte.]

Ensor plus dominateur en son art, avec une vision plus aiguë et plus
fine, avec un instinct magnifiquement développé, avec une invention plus
large et plus abondante, cultiva le même champ que Pantazis et Vogels,
mais il y suscita des fleurs de lumière d'une beauté plus rare, plus
rayonnante et plus subtile. Lui ne ressemble à personne. Ses premières
œuvres contiennent déjà en puissance toute sa force future. On ne les
confond avec nulles autres. Elles s'imposent d'elles mêmes. Elles sont
indépendantes, fières, libres.

Au temps où elles éclatèrent, avec soudaineté et presque avec insolence,
Manet occupait activement la critique d'avant-garde. Aux Salons
triennaux de Bruxelles, d'Anvers et de Gand, la toile intitulée _Au Père
Lathuille_ avait ameuté autour d'elle toute l'ignorance et la raillerie
publiques. Il était séant qu'on s'en scandalisât. Le rire et le sarcasme
étaient exigés comme un gage d'honnêteté bourgeoise et de bon goût
provincial. Certes, eût-on détérioré l'œuvre, si l'aventure judiciaire
à courir et l'amende à payer n'eussent arrêté les mains bien pensantes
et les couteaux croyant à l'idéal.

Les fureurs grinçant des dents contre Manet se tournèrent à point nommé
contre James Ensor. Autant que le peintre des Batignolles il fut accusé
d'instaurer en art une sorte de Commune et d'inscrire sa doctrine
esthétique aux plis d'un drapeau rouge. Bien plus: sans égard pour les
dates d'antériorité qui marquaient les toiles du peintre d'Ostende, on
les proclamait dépendantes et vassales de celle de Manet, on leur
refusait tout mérite jusqu'à celui d'être des sujets de scandale
inédits. L'erreur persista longtemps et persiste encore. On s'entêta et
l'on s'entête à ranger James Ensor parmi les élèves de Manet. Rien n'est
plus faux. Les deux maîtres n'ont qu'un point de contact: tous les deux
peignent à larges touches et tous les deux étudient la lumière frappant
mais surtout modifiant le dessin et le ton local des objets.

Mais que de différences immédiatement s'accusent! Manet reste, somme
toute, un peintre de tradition et d'enseignement. Les Espagnols l'ont
formé: Velasquez et surtout Goya. Le jour que son _Olympia_ fit son
entrée au Louvre, elle se plaça, naturellement, en son milieu. La rampe
l'attendait. Elle voisina, sans déchoir, avec les toiles d'Ingres et de
Delacroix. Sa victoire fut même trop belle: l'_Odalisque_ du vieil
Ingres se sentit atteinte dans son rayonnement de chef-d'œuvre
soi-disant parfait. Jamais elle n'apparut plus sèche, plus figée ni plus
froide. En outre, Manet compose ses toiles. L'_Olympia_, le _Christ aux
anges_, le _Déjeuner sur l'herbe, Maximilien_, sont des œuvres dont la
mise en page est faite d'après des recettes connues. Bien qu'il soit un
peintre admirable, encore n'évite-t-il pas les sécheresses et les
duretés. Il ignore l'abondance et la richesse prodiguées. La réflexion
et le raisonnement le guident plus que l'instinct ne le pousse. Il a une
main très experte, très habile. Il fait preuve d'esprit, parfois de
virtuosité. Son intelligence surveille son art et le raffine. Il pense
autant et plus encore qu'il ne voit. Quand, séduit par les visions
fraîches et hardies de Claude Monet, il se décida à modifier les
couleurs de sa palette et à traduire le plein air vrai et la clarté
prismatique et vivante, ce fut par une suite de tâtonnements réfléchis
qu'il y parvint. Il cherchait sans trouver, du coup. Ce fut une lutte
avant tout intelligente. Il lui fallut non seulement des qualités d'œil,
mais des qualités de caractère. Son esprit, son jugement, son
obstination, sa probité, tout son être moral et pensant agit: ce fut un
triomphe laborieux.

James Ensor, lui, n'est purement qu'un peintre. Il voit d'abord, il
combine, arrange, réfléchit et pense après. Il ne doit rien ou presque
rien aux maîtres du passé. Il est venu en son temps pour ne recevoir que
les leçons des choses. Certes, sa mise en page le préoccupe, mais ses
compositions évitent de rappeler celles que les musées enseignent.
L'esprit qu'il met dans ses toiles et ses dessins est plutôt grossier et
populaire. Son trait de pinceau est appuyé; il ne glisse pas. Il n'est
pas adroit. Toutefois sa couleur n'est jamais commune. En chaque œuvre
le ton rare et riche, violent et doux, prismatique et soudain, installe
sa surprise et son harmonie. On dirait qu'Ensor écoute la couleur
tellement il la développe comme une symphonie.

[Illustration: Vengeance de Hop-Frog--1898. Gravure à l'eau-forte.]

Jamais ne s'y mêle la moindre fausse note. Il a l'œil juste comme est
juste l'oreille d'un musicien. A le voir peindre, comme au hasard, on
craint qu'à chaque instant la gamme profonde et rayonnante des couleurs
ne se fausse. Or jamais aucun accroc n'a lieu. L'instinct, le guide le
plus sûr des artistes, bien qu'il paraisse un conducteur aveugle,
l'assiste sans qu'il s'en doute et le décide, quand à peine il prend le
temps de le consulter. Avant de poser un ton, il est sûr que ce ton sera
d'accord avec les autres. Il le sent tel, à travers tout son être. A
quoi bon examiner, discuter, raisonner, si l'examen, la discussion et le
raisonnement se sont faits, préalablement, sans qu'on le sache, avec la
promptitude que met un éclair à traverser le ciel. L'aptitude en art
n'est jamais un acquis, mais un don. Elle est subconsciente et sourde.
Celui qui naît sans qu'elle habite en lui à l'instant même qu'il voit,
entend, flaire, goûte et touche, ne sera jamais un artiste authentique.
Aucune étude ne la lui apportera. Des races privilégiées la transmettent
à leurs différentes écoles, à travers les siècles. L'une de ces races
est l'admirable race des Pays-Bas.

Il s'en faut pourtant que leur instinct merveilleux soit l'unique don
des peintres septentrionaux. Ils n'auraient pas donné à l'art ces
artistes universels qui out nom Rubens, Van Dyck, Jordaens et avant eux
Van Eyck, Memling, Van der Goes, Van der Weyden et Metsys si
l'intelligence, le sentiment, la raison et la volonté leur eussent été
refusés.

Je n'ai insisté sur leur qualité foncière: l'instinct, que pour la
montrer pareille au tronc massif et souterrain sur lequel se entent,
comme des branches, toutes les autres vertus esthétiques.

[Illustration: Ostende--1898. (Collection Edgar Picard)]

James Ensor est plus purement un peintre que Manet, mais ce dernier est
évidemment un maître et un artiste d'une plus large et plus souveraine
envergure. Il est un chef d'école magnifique, définitif et complet. Il
commande à un des carrefours de l'art où les routes bifurquent et
gagnent des contrées vierges et inconnues.

Je n'ai, au surplus, mis en parallèle les deux peintres que pour
défendre James Ensor contre des accusations d'imitation. Qu'on fasse
voisiner n'importe laquelle de ses toiles avec l'_Olympia_, le _Déjeuner
sur l'herbe_, le _Père Lathuille, Argenteuil, Pertuiset_ et
l'originalité des deux créateurs d'œuvres marquantes s'imposera
indiscutable.

Mais un autre rapprochement s'indique. Les récents intimistes français,
les Vuillard et les Bonnard s'attachent aujourd'hui à certaines
recherches qu'autrefois tenta James Ensor. Tels éclairages de salon ou
d'appartement, telles lueurs argentées et discrètes, tels gris, tels
bruns font songer à l'atmosphère de la _Coloriste_ ou à la _Musique
russe_. Il n'est pas jusqu'au dessin vacillant et brouillé qui
n'établisse un parentage entre les deux manières. Je veux bien qu'il n'y
ait que rencontre fortuite. Il est piquant toutefois de noter ceci: Si
James Ensor rappelle quelque peintre, c'est parmi ses cadets, parmi ceux
qui innovent et préparent l'avenir et non point parmi ses aînés qu'il le
faut chercher. Il n'est pas de ceux qui imitent; il est de ceux qui
découvrent. Il est plutôt d'accord avec ceux qui viennent, qu'avec ceux
qui sont venus. Si bien que ses toiles qui datent de vingt-cinq ans
recèlent toute la fraîcheur et la surprise des œuvres d'aujourd'hui. Il
les peut exposer avec orgueil. Aucune ne déchoit. Quelques-unes
serviront peut-être à renflouer les vieilles carènes de l'École d'Anvers
où de tout jeunes peintres Navez et Crahay travaillent avec le souvenir
de l'œuvre d'Ensor présente à leur esprit.

Preuve évidente de force profonde et souterraine! Quelqu'un qui reste
aussi durablement jeune ne vieillira jamais. Il porte en lui la
résurrection incessante. Il vit de lui-même, mystérieusement. Déjà il ne
connaissait plus la mode, voici qu'il ignore le temps.

Il n'importe que James Ensor soit ignoré en Allemagne, en Angleterre, en
Italie et en Amérique. Il est classé en Belgique et à cette heure on le
classe en France. Or, c'est Paris qui, depuis un siècle, assume
l'honneur d'auréoler les noms des vivants insignes. Il est la postérité
qui s'éveille; il désigne les routes par où passe la gloire; il semble
d'accord avec une volonté lointaine et encore inconnue. En son pays la
renommée de James Ensor grandit d'année en année. Ceux qui le
méconnaissaient autrefois sont morts ou sont vaincus. On ne relègue plus
ses envois dans les oubliettes des salons triennaux: ils s'étalent à la
cimaise, aux places d'honneur. Les musées des grandes villes s'en
enrichissent: Liège, Anvers, Bruxelles. Les mécènes qui villégiaturent à
Ostende, l'été, visitent l'atelier du peintre et leurs galeries se
décorent de ses toiles. Les prix atteints sont élevés. L'heure est déjà
loin où les œuvres du peintre s'échangeaient contre une obole. Certes
l'art ne se pèse pas au poids d'argent. L'or donné ne représente que ce
fait: l'admission d'un peintre dans une compagnie de choix et la place
élue qu'on lui assigne dans une école. L'auteur de la _Coloriste_, de
l'_Après-midi à Ostende_, du _Salon bourgeois_, du _Lampiste_ et de la
_Mangeuse d'huîtres_, des _Enfants à la toilette_, des _Masques devant
la mort_, de _Adam et Eve chassés du paradis_ et de la _Dame sombre_
peut avec tranquillité voir se passer les années: il est sûr de la
durée.



CATALOGUE DE L'ŒUVRE DE JAMES ENSOR


   TOILES ET DESSINS

  1879

  Portrait de l'artiste.
  L'amie de l'artiste.
  Judas lançant l'argent dans le temple.
  Oreste tourmenté par les Furies.
  L'artiste peignant.

    DESSINS.

  Le chant de Noël.
  Les trouvères.
  Les buccins.

  1880

  Le Lampiste.----Appartient au Musée de Bruxelles.
  La coloriste.----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  La mare.----à M. Guillaume Charlier, Bruxelles.
  Nature-morte.----id., id.
  Poissons.----à M. Paul Buéso, Bruxelles.
  Le chou.----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Chinoiseries.----id., id.
  Accessoires.
  Musique russe.----à Mlle Anna Boch, Bruxelles.
  Dame au châle.
  Petites chinoiseries.----à M. C. Franck Anvers.
  Le cardeur.----id., id.
  Estacade.----à M. A. Lambotte, Anvers.
  Chinoiseries.----id., id.
  Les bouteilles----Appartient à M. E. Demolder, Essonnes.
  Effet de neige----à M. F. Franck, Anvers.
  Vases----id. id.
  Le flacon bleu----à M. A. Lambotte, Anvers.
  Nature-morte----à M. F. Fuchs, Bruxelles.
  Pommes----à M. E. Labarre, Bruxelles.
  Mer grise----à M. F. Franck, Anvers.
  Trois esquisses----id., id.
  Sous bois.
  Nuage rose.
  Dame au brise-lame.
  A l'atelier.
  Le parasol----à M. A. Lambotte, Anvers.
  Mer agitée.
  Portrait de l'artiste.
  Le peintre.

    AQUARELLE.

  Gamin----à M. F. Franck, Anvers.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Retour des champs.
  Tête (sanguine)----à M. Samuel, Bruxelles.

    DESSINS.

  Le maçon.
  Le rétameur.
  Gamin assis----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Le paysan triste.
  Vieux pêcheur.
  Gamin.
  La sœur du peintre.
  L'homme au chaudron.
  Les mangeurs de soupe.
  Jeune fille.
  Vieux paysan.
  Pêcheur de crevettes.
  La femme au balai.
  Laveuse.
  Garçon lisant.
  L'homme à la blouse.
  Jeune fille à l'éventail.
  Pêcheur au panier----Appartient à M. Deprez, Liège.
  Le roi peste.
  La mort mystique d'un théologien.

  1881

  Viandes----au Musée d'Ostende.
  Salon bourgeois en 1881----à M. E. Rousseau, Bruxelles.
  Salon bourgeois, esquisse----à M. F. Franck, Anvers.
  La dame sombre----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Le rouget----à M. Edouard Hannon, Bruxelles.
  La convalescente----à M. Bourgeois, Liège.
  Tête d'étude----à M. W. Finch, Helsingfors.
  Accessoires----à M. F. Buelens, Ostende.
  Dame en rouge----à M. A. Crespin, Bruxelles.
  Dame à l'éventail.
  Le père de l'artiste.
  Portrait d'homme----à M. F. Buelens, Ostende.
  Etude de fruits----à M. Theo Hannon, Bruxelles.
  La mare aux peupliers----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Marine, effet de soleil.
  Les braconniers----à M. Delory, Calais.
  La rue de Flandre à Ostende.
  Les lampes.
  Canal----à M. Ch. Mendiaux, Anvers.
  Eventails.
  Marine, effet de soir.
  Marché à Ostende----à M. Buelens, Ostende.
  Intérieur au poêle----à M. A. Lambotte, Anvers.
  La dune noire.
  Etoffes et éventails.
  Une après-dînée à Ostende.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Pêcheur au manteau jaune----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Petits musiciens.
  Pêcheur au panier.
  La sœur de l'artiste.
  Gamin (sanguine)----Appartient à M. C. Ganesco, Paris.

    DESSINS.

  Vieux songeur.
  L'homme au foulard.
  Garçon au bonnet.
  Le violon.
  Le lustre.
  Clefs.
  La lectrice.
  L'homme au panier.

  1882

  Huîtres----au Musée d'Anvers.
  Le pouilleux----au Musée d'Ostende.
  Nature-morte----au Musée de Liège.
  Lièvre et corbeau----à M. Greiner, Seraing.
  La dame en détresse.
  Portrait de Théo Hannon----à M. Théo Hannon, Bruxelles.
  Dans les dunes----à M. Murdoch, Anvers.
  Marine----à M. A. Rassenfosse, Liège.
  Portrait de femme----à M. F. Buelens, Ostende.
  La mangeuse d'huîtres.
  Dame au châle bleu.
  Roses.
  Portrait du peintre W. Finch.
  Fleurs----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  La petite chaise----à M. Lambotte, Anvers.
  Pommes----à M. F. Franck, Anvers.
  Fleurs et porcelaines----à M. Lambotte, Anvers.
  La mère de l'artiste.
  Etoffes.
  Petites tasses.
  Le brise lame.
  La dune au nuage blanc.
  Marine.
  Maisonnettes dans les dunes.

    AQUARELLE.

  Le mannequin----Appartient à M. F. Franck, Anvers.

    DESSINS.

  Ostendaise.
  L'homme à la bêche.
  Ouvrier du port.
  Pêcheur de crevettes.
  Cadre (croquis)----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Croquis----à M. Alfred Verhaeren, Bruxelles.
  Croquis----à M. Théo Hannon, Bruxelles.
  Croquis.

  1883

  Les pochards----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Les masques scandalisés.
  Pommes rouges----à M. O. François, Bruxelles.
  Les houx----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Portrait de l'artiste.
  Pivoines et pavots----à M. L. Franck, Anvers.
  Sur la plage----à M. Vince, Bruxelles.
  Canal.
  Coquillages----à M. L. Franck, Anvers.
  Dans les blés.
  Le Rameur----à M. F. Buelens, Ostende.
  Forêt de Soignes.
  Fleurs et vases.
  La dame en blanc.
  Dunes, panorama.
  Dunes et mer.
  L'horticulteur.
  Le violon----à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles.
  La barque jaune.
  Marine, après-midi.

    DESSIN.

  Le pochard----à M. Albert Neuville, Liège.
  La sorcière----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Portrait de Richard Wagner----Appartient à M. Gustave Kéfer, Paris.
  Les joueurs.
  L'escrimeur.
  La clarinette.
  Zélandaise.
  Masques scandalisés.
  Croquis----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.

  1884

  Marine----à M. Gustave Kéfer, Paris.
  Enfant à la poupée.
  Portrait du peintre Dario de Regoyos.
  La dune.
  Les toits à Ostende----à M. F. Franck, Anvers.
  Intérieur----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Grande vue d'Ostende.
  Barques.
  Le nuage blanc.

    AQUARELLE.

  Accessoires.

    DESSINS.

  Gamin (sanguine).
  Enfant dormant.
  Portrait de l'artiste----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Au piano.
  Le cœur révélateur.
  Les misérables.

  1885

  Vue de Bruxelles----au Musée de de Liège.
  Le meuble hanté----au Musée d'Ostende.
  Jardin à Watermael----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Marine----Soleil couchant.
  Le Christ marchant sur la mer.
  Fanfare en rouge.
  Vue du phare à Ostende.
  Squelettes regardant chinoiseries.
  Le boulevard à Ostende.
  Les indécises. (Série d'études.)

    PASTEL.

  Les amoureux----Appartient à M. Ern. Rousseau, Bruxelles.

    DESSINS.

  Combat de soudards.
  Vases.
  Démons me turlupinant.
  Promeneurs----à M. Blatter, Paris.
  Descente de croix.
  Portrait----à M. Johanida.

  1886

  Etudes de lumière.
  Enfants à la toilette----à M. A. Lambotte, Anvers.
  Lisière du bois d'Ostende----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.
  Etudes locales.
  Fleurs et fruits.
  Squelette et pierrots.
  Nature morte.
  Les lilas.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Le cauchemar.
  Le rêv----

    DESSINS.

  Les auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière.
  La gaie: L'adoration des bergers.
  La crue: Jésus montré au peuple.
  La vive et rayonnante: L'entrée à Jérusalem.
  La triste et brisée: Satan et les légions fantastiques tourmentent
  le Crucifié.
  La tranquille et sereine: La descente de croix.
  L'intense: Le Christ montant au ciel.
  Le Christ veillé par les anges.

    FANTAISIES ET GROTESQUES.

  Quatre portraits de l'artiste.
  Enfant dormant.
  Profils.

  1887

  Adam et Eve chassés du Paradis terrestre.----Appartient à M. A.
    Lambotte, Anvers.
  Le feu d'artifice.
  Tribulations de Saint Antoine.
  Fruits----à M. Storm de 's Gravesande, Hollande.
  Nature-morte.
  Adoration des bergers----à M. E. Deman, Bruxelles.
  Ville à contre soleil.
  Jardin en plein soleil.
  Intérieur.
  Vision claire.

    DESSINS.

  La tentation de Saint Antoine.
  Josué arrêtant le soleil.
  Combat des pouilleux Désir et Rissolé.
  Petits supplices persans.
  Mon père mort.
  La paresse.
  L'apparition.
  Les diables Dritss et Hihahox conduisant le Christ aux
  enfers.

  1888

  L'entrée du Christ à Bruxelles.
  Fruits----à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles.
  Les masques devant la mort----à M. E. Rousseau, Bruxelles.
  Jardin d'amour.
  Carnaval à Bruxelles.
  Mon portrait déguisé.
  Foudroiement des anges rebelles.
  Études locales.
  A Ostende, le boulevard.
  Nature-morte.
  Le Christ tourmenté----à M. E. Royer.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Suzanne au bain----Appartient à M. Max Hallet, Bruxelles.
  Masques nous sommes----à M. Edm. Picard, Bruxelles.
  La rixe.
  Jeanne d'Arc.
  Peste dessous----Peste dessus. Peste partout.

    DESSINS.

  Squelettes musiciens.
  La dormeuse.
  La mort poursuivant le troupeau des humains.
  Portraits bizarres----à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles.

  1889

  Squelettes voulant se chauffer----à M. Léon de Lantsheere, Bruxelles.
  Fleur et vase bleu----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Le théâtre des masques ou bouquet d'artifice.
  La petite travailleuse----à M. Cwalosinsky, Bruxelles.
  Théâtre des masques et pierrot.
  Fleurs----à M. Guillaume Charlier, Bruxelles.
  Attributs des Beaux-Arts----à M. Buelens, Ostende.
  Etonnement du masque Wouse.
  Coquillages.
  Poires, raisins, noix.

    DESSINS REHAUSSÉS

  Le dernier carré à Waterloo----à M. Storm de 's Gravesande, Hollande.
  La revanche des condamnés----à M. Vittorio Pica, Milan.
  Squelette dessinant.

    DESSINS.

  Portrait de Madame E. Rousseau.
  Le vieux meuble.
  Vénus à la coquille.
  La mère de l'artiste----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.
  Les adieux de Napoléon.
  Etudes de plantes.

  1890

  Le domaine d'Arnheim----Appartient à M. Emile Verhaeren, St. Cloud.
  Fruits----à M. Ganesco, Paris.
  L'intrigue----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Homard et crabes----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Le pot bleu----à M. Philipps, Bruxelles.
  Les choux----à M. Labarre, Bruxelles.
  La tour de Lisseweghe----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Chaloupes.
  Ecce-Homo.
  Vue prise en Phnosie, ondes et vibrations lumineuses.
  Petits masques.
  L'assassinat.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Jardin aux masques.
  Clowneries.

    DESSINS.

  Masques.
  La vieille au portrait----à M. C. Ganesco, Paris.
  Napoléon à Waterloo.
  La sensibilité en 1890 et la vivisection.
  La sensibilité en 1590 et la roue, le bûcher, etc.
  Etudes sentimentales.
  Bourgeois indignés sifflant Wagner en 1880 à Bruxelles.

  1891

  Le Christ apaisant la tempête.
  Squelettes se disputant un pendu----à M. Cwalosinsky, Bruxelles.
  Les bons juges----à M. Camille Laurent, Charleroi.
  Portrait d'Emile Verhaeren----à M. Emile Verhaeren, St. Cloud.
  Les musiciens terribles----à M. Félix Fuchs, Bruxelles.
  L'autodafé----à M. Félix Fuchs, Bruxelles.
  Le jardin d'amour----à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles.
  Masques regardant des crustacés----à M. Breckpot, Bruxelles.
  Baptême des masques.
  Réunion de masques.
  Le prêche.
  Fraises----Appartient à Mme Ninauve, Bruxelles.
  Squelettes au hareng.
  Squelette arrêtant masques.
  Chinoiseries, étoffes----à M. F. Franck, Anvers.
  Ecce-Homo.
  La peureuse.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  La bataille des Éperons d'or.
  Les bains d'Ostende----à M. Charles Vos, Bruxelles.
  Les cuirassiers à Waterloo.

    DESSINS.

  Le Christ aux Enfers.
  Vieux augures.
  Apparition----à M. Emile Verhaeren, St. Cloud.
  Portrait et fantasmagorie.
  Grotesques.

  1892

  La vierge consolatrice.
  Ma chambre préférée.
  Les masques singuliers.
  Pierrot jaloux.
  Barques échouées----à M. B. Ganesco, Paris.
  Poissardes mélancoliques----à M. F. Buelens, Ostende.
  Les gendarmes.
  Les soudards Kès et Pruta entrant dans la ville de Bise----à M. G.
    Serigiers, Anvers.
  Les mauvais médecins----à M. Van der Velde, Bruxelles.
  Nature-morte.
  Roses----à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Supplice de Jeanne d'Arc.
  Triomphe romain.
  Réunion de masques.

    DESSINS.

  Les soudards débandés.
  Le Christ tourmenté.
  Grotesques.
  La couturière----Appartient à M. Blatter, Paris.

  1893

  Le coq mort----à M. Leuring, La Haye.
  La raie----à M. Ernest Rousseau. Bruxelles.
  Les choux----à M. F. Franck, Anvers.
  Coquillages----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.
  L'homme de douleurs.
  L'exécution.
  Soudards pénitents dans une cathédrale.
  Nature-morte.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Le tournoi----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.
  Cortège comique.

    DESSINS.

  La vierge aux navires.
  Masques.
  Sorcières dans la bourrasque----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.
  Le Christ aux mendiants----id. id.
  Croquis----id. id.

  1894

  Crevettes.
  Masques regardant une tortue.
  Vase bleu.
  Nature-morte----Appartient à M. F. Pleyn, Ostende.
  Crustacés.
  Nature-morte.
  Portrait d'Eugène Demolder----à M. E. Demolder, Essonnes.

    DESSINS REHAUSSÉ.

  Au théâtre.

    DESSINS.

  Le combat----Appartient à M. G. Virrès, Lummen.
  Têtes bizarres.
  Crétins regardant les étoiles.

  1895

  Poissons----à M. Rouffard. Bruxelles.
  Coquillages.
  Portrait de M. Culus.
  Fleurs.
  Nature-morte----à M. F. Pleyn, Ostende.
  Jeux de lumière.

    DESSIN.

  Femme cousant.
  Monstre tourmentant Saint Antoine----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Intérieur d'église.
  Bouquet.

  1896

  Fleurs----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.
  Mariakerke----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Les ballerines----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.
  Duel de masques----id.
  Squelette peintre----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  La vengeance de Hop Frog.
  Les cuisiniers dangereux----à M. Camille Laurent, Charleroi.
  Nature-morte.
  Fleurs et légumes----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.

    DESSINS.

  Grotesques.
  La pendule.
  Masques et trognes.
  Monstres.
  Diableries.

  1897

  Les chaloupes.
  La mort et les masques----Appartient à M. Vandeputte, Bruxelles.
  Masques et potiches.
  Fruits.
  Poissons.
  L'éclaircie.
  Fleurs.

    DESSIN REHAUSSÉ.

  Projet de chapelle à dédier à St. Pierre et Paul à Ostende.

    DESSINS.

  Gens de mer.
  Sur la plage.
  Masques.
  Vieilles.
  Musiciens drôlatiques.
  Fantaisies.

  1898

  Le grand juge.
  Nature-morte.
  Vue d'Ostende----à M. Edgar Picard, Jemeppe.
  Squelettes travestis----à M. Pleyn, Ostende.
  Nature-morte----à M. Jungers, Bruxelles.
  Nature-morte.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Affiche pour l'exposition de «la Plume» à Paris.
  Composition pour «la Plume».

  1899

  Portrait du peintre entouré de masques----à M. A. Lambotte, Anvers.
  Nature-morte.
  Pierrot aux masques.
  Nature-morte.
  Intérieur.
  Nuages.

    AQUARELLE.

  La petite chinoise.

    DESSINS.

  Rue à Ostende.
  Chiens.
  Coin de cuisine.
  Feuilles.
  Papillons.
  Enfants.

  1900

  Le juge rouge----Appartient M. Yseux, Anvers.
  Squelette à l'atelier----à M. Max Hallet, Bruxelles.
  Nature-morte.
  Plage.
  Barques échouées----à M. Jungers, Bruxelles.
  Vue du port d'Ostende.

    DESSIN REHAUSSÉ.

  La servante----à M. Edgar Picard, Jemeppe.

    DESSINS.

  Vieux meubles.
  Accessoires.
  Lampes.
  Etoffes.
  Livres.
  Les marchands chassés du Temple.
  Portrait.

  1901

  Canal----à M. Berthelot, Paris.
  Echauffourée de masques----à M. Cnudde, Ostende.
  Nature-morte.
  Chinoiseries.
  Vue de Mariakerke----à M. Philippson, Bruxelles.
  Coquillages.
  Fleurs.

  DESSINS

  Le Christ secourant Saint Antoine.
  Vieilles.
  Chaises.
  Enfants.
  Moulin.
  Combat de soudards.

  1902

  L'amateur d'art.
  Les joueurs.
  Nature-morte.
  Accessoires----Appartient à M. Crick, Bruxelles.
  Plage.
  Nature-morte.
  Au Conservatoire.
  Fleurs.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Entrée de Jeanne d'Arc à Domremy.
  Orgueil.
  Avarice.
  Envie.
  Gourmandise.
  Colère.
  Paresse.

    DESSIN.

  Encadrement pour un livre de Vittorio Pica.

  1903

  Coquillages et draperie bleue.
  Fleurs.
  Figures au soleil.
  Petits masques.
  Promeneurs.
  Nature-morte.
  Nature-morte.
  Chinoiseries.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Histoire du billard à travers les âges. Cinq compositions
  ----Appartient à M. Haardt, Bruxelles.
  Squelette au billard----à A. Lambotte, Anvers.
  Vases.
  Vieilles choses.
  Coins d'ombre.
  Fantasmagories.
  Jardin d'amour.
  Roses.

  1904

  Nature-morte.
  Bassin à Ostende.
  Nature-morte.
  Fruits.
  Vierge aux donateurs masqués.
  Nature-morte.
  Crustacés.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Neuf compositions pour illustrer Marmontel----à M. Serruys, Ostende.
  Carnaval à Ostende.

    DESSINS.

  Coin de table.
  Bêtes bizarres.
  Plage de la Panne.
  Barques échouées.

  1905

  Pierrot et squelette----à M. A. Lambotte, Anvers.
  Fleurs.
  Intérieur.
  Nature-morte.
  Fruits.
  Intérieur.
  Coquillages.

  DESSINS.

  Repas comique (sanguine)----App. à M. Haardt, Bruxelles.
  Le tir à l'arc.
  Pêcheurs.
  Sirène abandonnée.
  Arlequinades.
  Cortèges carnavalesques.
  Dunes et plaines.

  1906

  Nature-morte.
  Accessoires.
  Les toits à Ostende.
  Portrait----à M. F. Duhot, Bruxelles.
  Chinoiseries.
  Vue du théâtre à Ostende.
  Nature-morte.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  La chute des anges rebelles.
  Masques.
  Baigneuses.

    DESSINS.

  Vieux meubles.
  Poêles.
  Silhouettes.
  Marines.

  1907

  Fruits.
  Nature-morte.
  Chinoiseries----à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles.
  Masques.
  Nature-morte.
  Pêcheurs.
  Portrait de Madame L.
  Masques et squelettes----à M. L. Prager, Munich.
  Chinoiseries.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  La belle Impéria.
  Henri de Groux jouant au billard----Appartient à M. A. Lambotte, Anvers.
  Vieux murs.
  Coins d'appartements.
  Bouquets.
  Cortèges.
  Femmes surprises.

  1908

  Fruits et légumes.
  Chinoiseries.
  Squelettes musiciens.

    DESSINS REHAUSSÉS.

  Squelettes----à M. Blatter, Paris.
  Types drôlatiques.
  Jeune rousse.
  Buveurs.
  Jeune fille luttant.
  Hommage à la femme.

    DESSIN.

  Encadrement pour Emile Verhaeren.



     EAUX-FORTES ET POINTES-SÈCHES


  1886

  Le Christ insulté.
  Verger.
  Vieillard.
  Portrait de l'artiste.
  Le Christ apaisant la tempête.
  Iston, Pouffamatus, Cracozie et Transmouff, célèbres
  médecins persans examinant les selles du roi Darius après
  la bataille d'Arbelles.
  La cathédrale.
  La flagellation.

  1887

  La Madeleine.
  Cortège infernal.
  Portrait d'Ernest Rousseau. (Pointe-sèche.)
  Le pisseur.
  Grande vue de Mariakerke.
  Estacade. (Pointe-sèche.)
  La dormeuse. (Pointe-sèche.)
  Petite vue de Mariakerke.
  Rue à Bruxelles. (Pointe-sèche.)
  Buste. (Pointe-sèche.)

  1888

  Combat des pouilleux Désir et Rissolé.
  Maison du boulevard Anspach. (Pointe-sèche.)
  Réverbère.
  Le meuble hanté.
  La lutte des démons.
  L'acacia. (Pointe-sèche.)
  La chimère.
  La crypte. (Pointe-sèche.)
  Lisière du petit bois d'Ostende.
  Hôtel de Ville d'Audenarde.
  Crânes et masques.
  Vue de Nieuport.
  Candélabres et vases.
  Paysage à la charette.
  Prise d'une ville étrange.
  Mon portrait en 1860.
  Mon père mort. (Pointe-sèche.)
  L'archer terrible.
  Les cataclysmes.
  L'assassinat.
  Vue du port d'Ostende.
  Vue d'Ostende à l'Est.
  Bouquet d'arbres.
  Ferme flamande.
  Musiciens fantastiques.
  Chaloupes.
  Le grand bassin à Ostende.
  Les insectes singuliers. (Pointe-sèche.)
  Le coup de vent à la lisière.
  Sentier à Groenendael.
  Barques échouées.
  Chaumières.
  Les éléphants furieux.
  Sorciers dans la bourrasque.
  Petites figures bizarres.
  Maisonnettes à Mariakerke.
  Les gendarmes.
  Le cimetière.
  L'écorché.
  Adoration des bergers. (Vernis mou.)
  La luxure.
  La tentation du Christ.
  Le jardin d'amour.
  Le denier de César.
  Sous bois à Groenendael. (Pointe-sèche.)

  1889

  Bateaux à vapeur.
  Les patineurs.
  Boulevard à Ostende.
  Mon portrait squelettisé.
  Ferme à Leffinghe.
  Le pont du bois.
  L'orage.
  Le moulin de Mariakerke.
  La fête au moulin.
  Le fantôme.
  La mare aux peupliers.
  Le bal fantastique.
  Pont rustique.
  L'ange exterminateur.
  Triomphe romain.

  1890

  Alimentation doctrinaire.
  Portrait de Hector Denis.
  La musique à Ostende.

  1891

  Moulin à Slykens.
  Multiplication des poissons.
  Assemblée dans un parc.

  1892

  Autodafé.

  1894

  Les bons juges.
  Les petites barques.

  1895

  Les diables Dzitss et Hihahox conduisant le Christ aux enfers.
  Pouilleux indisposé se chauffant.
  Les joueurs.
  Belgique au XIXe siècle.
  Démons me turlupinant.
  Le Christ tourmenté par les démons.
  Fridolin et Graga Pança d'Yperdam.
  Bataille des Éperons d'or.
  Alimentation doctrinaire.
  Les mauvais médecins.
  Squelettes voulant se chauffer.
  Masques scandalisés.
  Le roi-peste.
  Le Christ aux mendiants.
  Les vieux cochons.
  Le Christ descendant aux enfers.

  1896

  La mort poursuivant le troupeau des humains.
  Cathédrale.
  Le vidangeur.
  Le combat.
  Menu E. Rousseau.
  Menu Charles Vos.

  1897

  Les adieux de Napoléon.

  1898

  La vengeance de Hop-Frog.
  Le Christ dans la barque.
  L'entrée du Christ à Bruxelles.

  1899

  Les bains d'Ostende.

  1900

  Fragment de la tentation de Saint Antoine.
  Petite vue de Mariakerke.
  Pêcheur d'Ostende.

  1902

  Paresse.

  1903

  Les toits d'Ostende.

  1904

  Colère.
  Orgueil.
  Avarice.
  Gourmandise.
  Envie.
  Les péchés capitaux dominés par la mort.
  Peste dessous. Peste dessus. Peste partout.
  Masques intrigués.
  Plage de la Panne.
         *       *       *       *       *

Eaux-fortes aux Musées et Galeries d'estampes de Barcelone,
Bruxelles, Dresde, Liège, Milan, Ostende, Paris, Venise,
Vienne, Zürich, etc. etc.



BIBLIOGRAPHIE

  Camille Lemonnier. Histoire des Beaux-Arts en Belgique. 1887, Bruxelles.
  Eugène Demolder. James Ensor. 1892, Bruxelles.
  Pol de Mont. De schilder en etser James Ensor. (_De Vlaamsche School_,
  1895, Anvers.)
  Eugène Demolder. James Ensor. (_La Libre Critique_, 1895, Bruxelles.)
  Eugène Georges. James Ensor. (_La Libre Critique_, 1896, Bruxelles.)
  Camille Lemonnier. James Ensor peintre et graveur. (_La Plume_, 1898,
  Paris.)
  Edmond Picard. James Ensor. (_Id_.)
  Emile Verhaeren. Une facette du talent d'Ensor. (_Id_.)
  Camille Mauclair. James Ensor, aquafortiste. (_Id_.)
  Octave Maus. James Ensor. (_Id_.)
  Blanche Rousseau. Ensor intime. (_Id_.)
  Georges Lemmen. James Ensor. (_Id_.)
  Maurice des Ombiaux. James Ensor. (_Id_.)
  Christian Beck. Réflexions sur la Cathédrale de James Ensor. (_Id_.)
  Jules du Jardin. A propos de James Ensor. (_Id_.)
  Pol de Mont. James Ensor. (_Id_.)
  Louis Delattre. L'enfance d'Ensor, peintre de masques. (_Id_.)
  Octave Uzanne. James Ensor, peintre et graveur. (_Id_.)
  Eugène Demolder. James Ensor. (_La Revue des Beaux-Arts et des Lettres_,
  1899, Paris.)
  Gustave Coquiot. James Ensor.(_La Vogue_, 1899, Paris.)
  Jules du Jardin. L'art flamand. Bruxelles.
  Vittorio Pica. James Ensor. (_Minerva_, Rome.)
  Pol de Mont. Koppen en busten.
  Horrent. James Ensor.
  Vittorio Pica. (_Emporium_, Bergame.)
  Monod. James Ensor.
  Camille Mauclair. Les peintres belges. (_La Revue Bleue_, 1905, Paris.)
  Vittorio Pica. Attraverso gli albi e le cartelle.
    ID.  La moderna scuola di pittura del Belgio.
  Camille Lemonnier. L'École belge de peinture 1830-1905. 1906, Bruxelles.
  Vittorio Pica. L'arte mondiale a Venezia nel 1907.
    ID.  La galeria d'arte moderna a Venezia.
  Albert Croquez. James Ensor, peintre et graveur. (_La Flandre Artiste_,
  déc 1908, Courtrai.)



TABLE DES ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE

  Le Christ veillé par les anges (1886)
  Croquis
  Squelettes Musiciens (1888)
  Croquis
  Les Soudards débandés (1892)
  Croquis
  La Vierge aux Navires (1893)
  Croquis
  Croquis
  Bataille des Éperons d'or. Eau-forte (1895)



TABLE DES PLANCHES HORS-TEXTE


  Portrait de James Ensor en 1875 (frontispice).
  La Femme au balai (1880)
  Le Chou (1880)
  Gamin (1880)
  Vieux Pêcheur (1881)
  La Dame sombre (1881)
  Lampiste (1880)
  Musique russe (1880)
  Le Salon bourgeois (1881)
  Dame en détresse (1882)
  Pouilleux indisposé se chauffant (1882)
  Le Terrassier (1882)
  La Sorcière (1883)
  Dame au châle bleu (1882)
  La Mère du peintre
  Les Pochards (1883)
  Enfants à la toilette (1886)
  Mon Père mort (1887)
  La Mère du peintre. Dessin (1889)
  Vénus à la coquille. Dessin (1889)
  Projet de chapelle à dédier à S.S. Pierre et Paul (1887)
  La Cathédrale. Gravure à l'eau-forte (1886)
  Le Christ apaisant la Tempête. Gravure à la pointe-sèche (1886)
  Barques échouées. Gravure à l'eau-forte (1888)
  Ernest Rousseau. Gravure à la pointe-sèche (1887)
  Le Théâtre des masques ou bouquet d'artifice (1889)
  L'Intrigue (1890)
  Masques devant la mort (1888)
  La Raie (1892)
  La Mort poursuivant le troupeau des humains. Gravure à l'eau-forte (1895)
  La Danse (1896)
  Mariakerke (1896)
  Entrée du Christ à Bruxelles. Gravure à l'eau-forte (1898)
  Vengeance de Hop-Frog. Gravure à l'eau-forte (1898)
  Ostende (1898)



TABLE DES MATIÈRES

  I. Le milieu.
  II. Les débuts
  III. Les toiles
  IV. Les dessins
  V.  Les eaux-fortes
  VI. Vie et caractère
  VII. La place de James Ensor dans l'art contemporain
  Catalogue de l'œuvre de James Ensor
  Bibliographie
  Table des illustrations dans le texte
  Table des planches hors-texte





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