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Title: L'Illustration, No. 0044, 30 Décembre 1843
Author: Various
Language: French
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L'Illustration, No. 0044, 30 Décembre 1843


        L'ILLUSTRATION,
        JOURNAL UNIVERSEL.

        N° 44. Vol. II.--SAMEDI 30 DECEMBRE 1843.
        Bureaux, rue de Seine, 33.

        Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
        Prix de chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

        Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
        pour l'étranger     --    10        --    20       --    40



SOMMAIRE.

Ouverture de la Session de 1843. _Cortège royal; Arrivée du Roi dans la
cour du Palais-Bourbon; Discours d'ouverture_,--Oraison funèbre de 1843,
_Neuf Gravures_, par Bertal.--Le Jour de l'An en Europe. _Un Lever de la
reine d'Angleterre; la Bénédiction de la Newa; la Polonaise à la cour de
Russie; Baisers du Jour de l'An_, par Grandville.--Le Jour de l'An en
Chine. _Une Carte chinoise_.--L'Origine des Étrennes.--Les Petits
Bonheurs du Jour de l'An. _Le Palais de la Nouvelle Année_, par
Grandville.--Les Petites Misères du Jour de l'An. _Vingt Gravures_, par
Cham.--Éphémérides du Jour de l'An.--Modes de 1844, par
Grandville.--Rébus.



Ouverture de la Session de 1843.

CÉRÉMONIES DES ASSEMBLÉES NATIONALES EN FRANCE.

La session de 1843 vient de s'ouvrir. Le roi, entouré des princes ses
fils, s'est rendu des Tuileries au Palais Bourbon, et a été reçu dans
cette enceinte avec le cérémonial habituel, que les artistes qui nous
secondent se sont chargés de rendre à nos abonnés. Pour
_l'Illustration_, dans cette semaine où l'attention et la pensée de
chacun ont été absorbées par l'ouverture des Chambres et par l'approche
du premier jour du nouvel an, elle commettrait une sorte d'anachronisme
en entretenant ses lecteurs d'autre chose que de ces deux solennités.

Maintenant tous les discours de la couronne diffèrent peu entre eux.
Nous aurons, à l'occasion de la discussion de l'adresse, à parler de
celui qui a été prononcé mercredi dernier. Mais si les harangues sont
depuis longtemps à peu près les mêmes, le programme de ces cérémonies a
subi de telles révolutions depuis qu'il y a des assemblées en France,
que nous avons cru qu'il ne serait pas sans intérêt de tracer un tableau
rapide des séances d'ouverture de ces assemblées successives. C'est le
côté pittoresque de notre vieille histoire parlementaire.

Sous les deux premières races de nos rois, il y eut des assemblées assez
fréquentes. On y appela d'abord des seigneurs francs et des évêques
gaulois. L'histoire ne nous montre pas que ces réunions, ces _placita_,
ces conciles eussent une influence légale sur les rois; elle ne nous
fait pas savoir davantage les usages qui y étaient suivis. Une des plus
célèbres de ces assemblées est celle que provoqua Pepin le bref pour
partager son royaume entre ses fils. Eginard, dans ses Annales, dit que
les Français ayant formé une assemblée générale composée des _optimates_
(c'est-à-dire des ducs et des comtes français), des évêques et des
prêtres, Charles et Carloman furent créés rois par le consentement de
tous; mais ce qu'il ne nous dit pas, c'est le cérémonial de cette
solennité. Sous Charlemagne particulièrement, et sous ses descendants,
les assemblées se multiplièrent. Ce prince avait du goût pour ces
solennités: il aimait à représenter; il savait se montrer au milieu des
peuples comme au milieu des soldats; il connaissait son ascendant, et se
sentait né pour dominer partout. Il ne négligea donc aucune occasion de
réunir la foule autour de lui. Il ordonna que les assemblées se tinssent
régulièrement deux fois par an: une fois au printemps, une autre fois en
automne, et il exigea que chacun s'y rendit exactement. Montesquieu est
porté à penser que sous Charlemagne elles n'étaient encore composées que
des _optimates_, et des évêques. L'abbé de Mably, d'après un capitulaire
qui ordonne aux comtes d'amener chacun douze scabins, croit que le
tiers-état y assistait aussi, et il ne doute pas que ces scabins ne
fussent des députés choisis par les hommes libres de toutes les
provinces. Cette conjecture manque de vraisemblance; elle est peu
conforme, aux moeurs, aux événements, aux préjugés du huitième siècle;
mais les détails manquent pour servir à prononcer positivement entre
l'assertion de Mably et celle de Montesquieu, et pour donner une idée de
la véritable physionomie de ces assemblées.

[Illustration: Ouverture des Chambres.--Cortège du roi.]

C'est sous Louis le Gros que les assemblées, composées des évêques, des
abbés et des hauts barons, commencèrent à prendre le nom de _Parlement,
parliementum_, lieu où l'on parle. Saint Louis commença à donner quelque
considération aux bourgeois nouvellement affranchis, et quelques députés
des villes parurent dans un Parlement que ce prince assembla en 1241.
Philippe le Bel, dont l'esprit était novateur, fit de plus grands
changements: il forma les États-Généraux. Une lutte curieuse en amena la
convocation. Le pape Boniface VIII, jaloux d'être reconnu maître du
temporel, comme il l'était du spirituel, avait envoyé à Paris Jacques
des Normands, archidiacre de Narbonne, sommer le roi de reconnaître
qu'il tenait du pape la souveraineté de la France. Il avait même écrit à
de roi ces paroles mémorables: «Sachez que vous nous êtes soumis dans le
temporel comme dans le spirituel, et que nous tenons pour hérétiques
tous ceux qui pensent différemment.» Le roi lui avait répondu: «Que
votre très-grande fatuité sache que, pour le temporel, nous ne sommes
soumis à personne, et que nous tenons pour des faquins et pour des fous
ceux qui pensent autrement.» Et il avait fait conduire hors du royaume
l'archidiacre Jacques des Normands. Le pape convoqua un concile à Rome;
le roi convoqua à Paris son clergé, sa noblesse et les députés des
villes de son royaume. Il prit le parti ferme et résolu de faire
condamner le pape par la nation même.

Ces trois ordres s'assemblèrent dans la cathédrale de Paris. Le roi y
présida, siégeant sur son trône. Son frère, le comte d'Evreux, était
auprès de lui; son cousin, le comte d'Artois; les ducs de Bourgogne, de
Bretagne, de Lorraine; les comtes de Hainaut, de Hollande, de
Luxembourg, de Saint-Pol, de Dreux, de la Manche, de Bologne, de Nevers,
y assistèrent avec quelques évêques dont ou ignore les noms. Les députés
des villes y occupaient un des côtés de l'église.

Le discours d'ouverture fut prononcé, pour le roi, par le garde des
sceaux ou chancelier Pierre Flotte. Il se plaignit, dans un discours
véhément, des vexations du pape, qui prétendait que «le roi devait tenir
sa couronne à foi et hommage de la majesté papale.» Ce discours fit
jeter par l'assemblée des cris d'indignation contre Boni face VIII. On
protesta tumultueusement qu'on ne reconnaissait que le roi pour seigneur
du temporel.--Le comte d'Artois porta la parole pour la noblesse, et
assura le roi que tous les gentilshommes sacrifieraient leur vie et leur
fortune pour la liberté du royaume; qu'aucun d'eux ne reconnaissait que
le roi pour seigneur du temporel.--Le clergé n'était pas de cet avis. Il
essaya d'excuser le pape. Il demanda la permission d'aller au concile
convoqué à Rome. Le roi et les barons lui refusèrent cette permission,
et le pressèrent de s'expliquer, il répondit enfin que plusieurs évêques
et abbés, possédant des duchés, des comtés et des baronnies, ne
pouvaient se dispenser de servir le roi, et qu'ils le serviraient tous,
même ceux qu'aucun titre semblable n'y obligeait.--Les députés des
villes, gardant moins de ménagements, prièrent Philippe, par une requête
que nous avons encore en langage du temps, de garder la souveraine
franchise de son royaume, dans lequel il ne devait reconnaître, pour le
temporel, aucun autre souverain que Dieu. «C'est grande abomination,
disaient-ils, d'ouïr que ce Boniface entende nullement cette parole
d'espiritualité; _Ce que tu lieras en terre sera lié au ciel_; comme si
cela signifiait que Dieu emprisonne dans le ciel ceux que le pape met en
prison sur la terre.»

C'était la première fois que les députés du peuple se trouvaient admis
dans une telle assemblée, avec ceux de la noblesse et du clergé. On
suivit l'ancienne forme. Les assemblées jusqu'alors avaient été
composées de deux ordres; on ne fit qu'en ajouter un troisième. Chaque
ordre parla par l'organe d'un seul de ses membres. Chaque ordre eut sa
volonté particulière. Le moins nombreux eut autant de poids que l'ordre
qui l'était davantage. On ne prit aucune précaution pour connaître la
volonté générale. Dans cette circonstance il était impossible qu'elle ne
s'accordât pas avec celle du roi, et que tous les Français, hors les
ecclésiastiques, ne fussent pas d'accord pour soutenir l'indépendance du
royaume. Ainsi, en cette occasion, la forme importait peu; mais une fois
adoptée, ou la suivit toujours.

L'année suivante, le 15 juin 1303, la querelle avec Rome n'ayant fait
que s'envenimer, et Boniface ayant excommunié Philippe le Bel, et par la
même bulle déclare qu'il donnait le royaume de France à Albert
d'Autriche, qui ne jugea pas prudent de venir prendre possession de ce
présent, Philippe réunit de nouveau les États-Généraux. L'assemblée,
cette fois, se tint au Louvre. Les trois ordres s'y rendirent; mais le
ton de la discussion et la nature des allégations contre la moralité du
pape devinrent tels que le clergé se retira, déclarant ne pouvoir
prendre part à une assemblée où l'on délibérait contre le souverain
pontife. Nous devons dire que la grave question agitée fut traitée en
invectives et en facéties ordurières, et que la liberté naturelle, le
droit politique et le droit des nations, furent les seules
considérations que l'on ne fit pas valoir pour la résoudre.

Après avoir eu affaire au pape, dont il secoua le joug temporel, après
avoir eu affaire aux juifs, qu'il chassa du royaume et dont il pilla les
biens, Philippe le Bel voulut se défaire des templiers, et convoqua à
Tours, en 1309, des États-Généraux sur lesquels les détails manquent
complètement, mais où fut résolue l'extinction de cet ordre, consommée
peu après par d'affreux supplices.

Le même monarque ayant compromis le crédit public et les finances de
l'État par l'altération des monnaies, fut amené de nouveau à assembler
les États-Généraux pour réparer le désordre causé et obtenir, du
consentement du peuple, un argent dont il avait besoin et qui lui
coûtait trop à arracher par la force des armes. Ce fut à Paris, dans la
grand'salle du Palais, qu'ils se tinrent en octobre 1314. Le roi y
présida, monté sur une espèce de théâtre avec les députés des nobles et
du clergé; ceux des villes étaient au pied de ce théâtre. Le célèbre et
malheureux Enguerrand de Mariguy leur représenta les besoins de l'État;
on lit plusieurs règlements pour avoir de bonne monnaie, on accorda des
impôts; mais le roi mourut le mois suivant, et rien de ce qui avait été
arrêté ne fut exécuté; car, sous aucune des trois races, nulle assemblée
ne prit la moindre précaution pour faire observer ce qu'elle avait
résolu.

Philippe V, dit _le Long_, convoqua des États-Généraux à Paris, en 1317,
par lesquels il fit prononcer l'exclusion des femmes du trône de France.

Philippe VI, dit de Valois, les réunit à son tour en 1328, à Paris, pour
faire déclarer que les enfants des filles des rois de France n'étaient
pas aptes à porter la couronne.

Les États-Généraux tenus à Paris par le roi Jean, le 16 février 1350,
n'amenèrent qu'une confusion et des divisions qui déterminèrent les
provinces à tenir uniquement dans les quatre années suivantes des
assemblées d'États particuliers.

Le 2 décembre 1355, le même prince fit l'ouverture, dans la grand'salle
du Palais, des États-Généraux de la Langue d'Oil. Pierre La Foret,
archevêque de Rouen et chancelier de France, demanda, au nom du roi, des
secours qui pussent le mettre en état de se défendre contre Edouard III
d'Angleterre. Jean de Craon, archevêque de Reims, porta la parole pour
le clergé; Gauthier de Brienne pour la noblesse, et Etienne Marcel,
prévôt des marchands de Paris pour le tiers-état. Ils demandèrent la
permission de délibérer entre eux pour trouver les moyens les plus
prompts d'obtenir l'argent dont ils avaient besoin. Le lendemain ils
commencèrent leurs délibérations, et ils firent ce règlement qu'on peut
regarder comme le premier par lequel ou ait jamais tenté de donner une
constitution aux Etats. Ils décidèrent que rien de ce qu'on proposerait
n'aurait de validité que quand les trois ordres l'accepteraient, et que
la voix de deux ordres n'entraînerait et n'obligerait pas celle du
troisième. Ils votèrent des impôts, notamment sur le sel, et ne les
accordèrent que pour un an.

Mais ces impôts furent refusés par plusieurs provinces; et quand, au 1er
mars 1356, de nouveaux Etats se réunirent, comme on en était convenu, à
Paris, plusieurs députations manquèrent, et celles qui étaient venues
eurent la conscience que leurs votes ne trancheraient point les
difficultés, et ne seraient pas regardés comme lois par les provinces et
les villes non représentées.

Jean ayant été fait prisonnier et emmené à Londres, après la bataille de
Poitiers, son fils (depuis Charles V), comme lieutenant-général du
royaume, se rendit à Paris, et y réunit les États-Généraux de la
Langue-d'Oil, le 15 octobre 1356, dans la grand'salle du Palais.

Disons, pour abréger, que, pendant la captivité du roi Jean, les États
furent encore convoqués à Toulouse en 1356; à Paris, le 5 février de la
même année (l'année ne commençait qu'à Pâques), en décembre et en
février 1357; à Compiègne, en mai 1358; à Paris, en juin 1359; enfin, à
Amiens, par le roi Jean lui-même après son retour d'Angleterre, en 1363.
Le cérémonial de ces assemblées n'est pas bien connu. Nous devons dire,
toutefois, qu'elles étaient toutes précédées par une messe adressée au
Saint-Esprit.

Charles V, qui mérita le surnom de _Sage_, parvenu au trône, ne se hâta
point d'assembler des États-Généraux. Ce ne fut qu'après plusieurs
années d'un règne heureux et lorsqu'une bonne administration avait déjà
réparé en partie les pertes de l'État, qu'il en convoqua de nouveaux à
Paris en 1369. Ce fut un triomphe pour lui: ses succès avaient disposé
tous les coeurs à le servir et à suivre ses volontés. Malgré tout, ce
roi ne convoqua pas de nouveau les États-Généraux pendant son règne.

Celui de Charles VI vit les Etats réunis à Paris en 1380, en 1382. Deux
assemblées, qui eurent lieu à Paris, furent également décorées de ce
titre. Elles furent présidées, l'une par Jean sans peur, en 1412;
l'autre par Henri V, roi d'Angleterre, qui, ayant épousé la fille du roi
de France, se prétendait successeur de ce monarque.

En 1439, Charles VII convoqua les Etats-Généraux à Orléans.

Le 6 avril 1467, avant Pâques, Louis XI tint dans la grande salle de
l'hôtel archiépiscopal de la ville de Tours, la séance d'ouverture des
États-Généraux réunis par lui. Nous empruntons au greffier de cette
assemblée quelques-uns des détails de la cérémonie qui en marqua le
premier jour:

«Et premièrement s'ensuit l'ordre et la manière de l'assiette du roi et
des gens desdits trois États, qui était telle: c'est à savoir que en
ladite salle y avait trois parquets clos de bois, d'environ la hauteur
d'un homme chacun, à huisserie; c'est à savoir le premier pour le roi,
lequel était au haut bout de ladite salle et comprenait toute la largeur
d'icelle, auquel parquet convenait monter trois marches de degré...
Audit premier parquet était assis le roi en une haute chaire en laquelle
fallait monter trois hauts degrés; laquelle chaire était couverte d'un
_velaux_ bleu, semé de fleurs de lys, enlevées d'or; et y avait ciel et
dossier de même. Et était le roi vêtu d'une longue robe de damas blanc,
brochée de lin or de Chypre bien dru, boutonnée devant de boutons d'or,
et fourrée de martres _subelines_; un petit chapeau noir sur sa tête et
une plume d'or de Chypre. Et aux deux côtés du roi y avait deux chaises
à dos, loin de la sienne, chacune de sept à huit pieds, l'une à dextre
et l'autre à senestre; toutes deux couvertes de riche drap d'or sur
_velaux_ cramoisi. Esquelles chaises étaient, c'est à savoir en celle de
main dextre, le cardinal de Sainte-Susanne, évêque d'Angers, paré d'une
grande écharpe cardinale; et en celle de main senestre, le roi de
Jérusalem et de Sicile, duc d'Anjou, vêtu d'une robe de _velaux_ cendré,
fourrée de martres. Et était gardé l'huis dudit parquet répondant en la
salle par les sires de blot et du Bellay; et l'autre huis répondant en
l'hôtel d'un des chanoines de l'église, qui avait été fait pour la venue
du roi, était cardé par le capitaine et archers de la garde dudit
seigneur et Guerin le Groin...

«Le roi assis en sadite chaise, et lesdits roi de Sicile et cardinal,
ensemble mesdits seigneurs du sang, messieurs les pairs ecclésiastiques,
prélats, nobles, gens des bonnes villes et autres des susdits, assis en
leurs chaises et sièges, chacun par ordre, comme dit est, se leva M. le
chancelier (Juvenal des Ursus) de son siége, et alla devers le roi
notredit seigneur, et s'agenouilla à son côté dextre. Et quand icelui
seigneur lui eut dit aucune parole, s'en revint seoir en son dit lieu et
siége. Et lit une très-belle proposition, en remontrant aux gens desdits
États _illée_ présents plusieurs choses, et, entre les autres, les
grands, nobles et louable faits des rois de France ses prédécesseurs,
les dons de grâce, les victoires qu'ils ont eues, les loyautés que les
trois États de ce royaume ont eues envers eux et les Services qu'il leur
ont faits, au moyen desquels les ennemis et adversaires de cedit royaume
ont été par plusieurs fois reboutés et expulsés; la grande volonté que
le roi, des son jeune âge, a toujours eue et a encore d'augmenter et de
croître le royaume et la couronne; les divisions qui ont été en ce
royaume; depuis trois ans en ça; le grand danger qui serait si la duché
de Normandie était séparée de la couronne, et plusieurs autres points
longs à réciter, tendant et concluant que les gens desdits États lui
donnassent sur ce leur bon avis et conseil.»

Voilà un programme complet, dont nous n'avons retranché que la liste des
assistants et la désignation de leur place; voilà un compte-rendu de
discours d'ouverture, à la suite duquel le greffier met également ce
qui, après les délibérations des jours suivants, y fut répondu par les
États. Les adresses, on le voit, ne sont pas d'invention moderne. Mais
ce qui n'existait pas du temps de Louis XI, c'était le cortége royal,
car on voit que ce prudent monarque avait fait percer un mur pour
arriver par une porte secrète.--Philippe de Comines dit que le roi
convoqua ces États, «ce que jamais n'avait fait ni ne fit depuis.» Il
ajoute qu'il n'y appela que gens nommés et qu'il «pensait bien qui ne
contrediraient point à son vouloir; il y avait plusieurs gens de
justice, tant du Parlement que d'ailleurs.» Une telle assemblée n'était
qu'une convocation de notables; cependant Comines, l'homme le plus
éclairé de son temps, l'appelle assemblée des trois-États, parce qu'il y
avait des ecclésiastiques, des nobles et des roturiers; c'est une preuve
qu'alors encore personne n'avait aucune idée de ce qui constitue une
assemblée nationale; que l'on cherchait plutôt à consulter des gens
choisis dans les trois États, qu'à consulter la nation et qu'à connaître
la volonté générale. Il s'agissait de fixer la portée du droit
d'apanage, et de savoir si la Normandie serait détachée du royaume de
France pour en constituer un particulier au frère du roi. Les États
furent pris pour juges entre Louis XI et Charles, son frère, et se
prononcèrent, bien entendu, pour le premier, qui les avait convoqués et
composés. Il s'agissait aussi, dit un auteur contemporain, _de soulager
le pauvre peuple_; mais les Etats de 1467 ne paraissent pas avoir trouvé
la recette, du moins ils ne l'ont pas laissée.

Après la mort de Louis XI, sa fille, la dame de Beaujeu, et le duc
d'Orléans, se disputant la régence pendant la minorité de Charles VIII,
tombèrent d'accord de s'en remettre aux États-Généraux pour trancher
leur différend. Jusque-là on n'avait convoqué que les députés des villes
murées; la dame de Beaujeu, au nom du jeune roi, appela les députés des
bailliages et des sénéchaussées, et admit pour la première fois, dans
ces assemblées, les députés des campagnes. Sous ce rapport, ces Etats
sont les premiers qui eurent le caractère d'États-Généraux. Cependant,
d'un autre côté, ils furent si peu nombreux que l'on doit croire qu'en
plus d'un lieu on ne répondit pas à l'appel; car précédemment, lorsque
les Anglais possédaient la Guienne et la Normandie, lorsque la Bourgogne
et la Provence ne faisaient point partie du royaume, les députés de la
seule Langue-d'Oil se rendirent à Paris, au nombre de huit cents, dont
quatre cents du tiers-état; et, en cette dernière occasion, les
provinces étant réunies, les deux langues étant convoquées, les députés
des campagnes étant mandés, les trois ordres réunis n'en fournirent que
trois cents. Les États s'ouvrirent à Tours en janvier 1483. Un des
députés qui nous a laissé un journal de cette assemblée, Jean Masselin,
dit que le 7 de ce mois, sur l'invitation des princes, ils se réunirent
tous aux Moutils, qui était la résidence royale, plus connue sous le nom
de Plessis-les-Tours. «Rangés par nations et par compagnies, nous vîmes
le roi passer devant chacun de nous; et nous lui faisions la révérence,
pendant que le sire de Beaujeu, qui l'accompagnait, lui disait: «Voici
messieurs de Paris; voici messieurs de Picardie; voici messieurs de
Normandie;» et ainsi des autres... Le 14, le roi, voulant assister au
premier acte de l'assemblée, vint à la ville, où il fit son entrée avec
une pompe grande et solennelle.» La description de la disposition de la
salle diffère peu de la précédente. «Le greffier appela les députés par
ordre, et en ces termes: «Messieurs, dit-il, les délégués de
l'Ile-de-France, de la prévôté et de la ville de Paris, qui est la ville
capitale du royaume.--Deuxiémement: Messieurs du duché de Bourgogne, qui
est la première pairie de la couronne et le doyenne des
pairs.--Troisièmement: Messieurs du duché de Normandie;» et il ajoutait
chaque fois un titre à la louange des provinces qui étaient nommées.
Lorsque tous furent assis et que le héraut eut crié _Silence!_le
chancelier, tourné vers le roi, obtint la permission de parler, et
bientôt commença.»--Deux jours après cette séance, les députés
s'assemblèrent; ils se nommèrent un président, Jean de Villiers de
Groslaye, évêque de Lombez, premier abbé de Saint-Denis, député de
Paris.

«L'événement nous prouva que nous nous étions trompés dans ce choix, dit
Masselin, et ce fut d'autant plus fâcheux, que cette nomination était la
première.» Ils élurent aussi deux secrétaires, Jacques de Croismare et
Jean de Rains. Mais, se trouvant trop nombreux pour travailler ensemble,
ils se divisèrent en six bureaux ou sections, et n'eurent d'assemblées
générales que pour arrêter en commun ce qui avait été ainsi préparé
isolement. C'est déjà, on le voit, la façon de procéder de nos
assemblées actuelles. Puis, Masselin ajoute que dans les réunions
générales «une infinité d'avis étaient exprimés de part et d'autre, et
avec tant de variété, qu'il y en eut autant que de députés, soit pour se
contredire tour à tour, soit pour montrer de l'esprit. «De nos jours on
en montre peu, mais on se contredit encore beaucoup. Enfin, les cahiers
arrêtés par les députés ayant été lus dans une assemblée générale,
ceux-ci mirent un genou en terre, et attendirent dans cette altitude la
réponse du roi. C'étaient les usages de l'ancienne féodalité, que l'on
retrouve plus tard encore.

Louis XII, qui fut, comme Titus, un excellent roi après avoir été un
assez, mauvais prince, avait, étant duc d'Orléans, demandé les
États-Généraux pour déposséder la dame de Beaujeu. Parvenu au trône, il
les assembla pour leur demander de l'argent, ce qui montre que ce motif
n'est pas moderne; mais il ne les assembla qu'une fois, ce qui prouve
une discrétion bien peu commune. Ils se réunirent à Tours, le 10 mai
1506. «Ledit jour advenant, fut icelui seigneur assis en son siége
royal, et lui assistaient lesdits princes et seigneurs de son sang et
autres prélats et grands personnages. Autour de lui étaient plusieurs,
grands barons et nobles hommes; de tous côtés, grande multitude de
peuple. Et au-devant de lui furent lesdits ambassadeurs des villes,
lesquels, après qu'il fut commandé faire silence, et qu'ils se furent
mis nue tête et à genoux, l'un d'entre eux, envoyé de par la cité
capitale de Paris (maître Thomas Bricot, docteur), au nom de tous les
autres, raconta très-élégamment et commémora plusieurs grands biens et
louables choses que ledit seigneur avait faites au profit et à la gloire
d'icelui royaume, pour lesquelles il avait acquis le nom de _Père du
Peuple_... Et davantage avait fait les deux choses qui plus sont
agréables au peuple, c'est à savoir grandement diminué les tailles et
les subsides, et refréné les insolences des gendarmes.»

Charles IX ouvrit, le 13 décembre 1560, à Orléans les États-Généraux
qui y avaient été convoqués par François II, peu avant sa mort. La mère
du roi, lequel n'avait pas dix ans, prit place dans l'assemblée,
quoiqu'elle n'eût pas le titre de régente. Elle se mit à la gauche du
roi son fils, sur un siège aussi élevé que le sien. A côté d'elle, un
degré plus bas, se plaça Marguerite de Valois, soeur du roi et depuis
femme d'Henri IV; à droite et à gauche, mais toujours sur des degrés
inférieurs, prirent place Monsieur, frère du roi, depuis Henri III, la
duchesse de Ferrare, fille de Louis XII, Antoine de Bourbon, roi de
Navarre, père de Henri IV. Aux pieds du roi, sur les degrés, était assis
M. de Guise, ayant en sa main le bâton de grand-maître, A droite en
avant, le connétable Anne Montmorency était assis sur une escabelle,
l'épée nue au poing, et de l'autre côté, à gauche, le chancelier Michel
de l'Hospital. Un peu en arrière étaient à genoux deux huissiers du roi
avec leurs masses. «Du côté dextre du roi, derrière les cardinaux, y
avait un petit appentis hors la salle, où étaient les dames, ambassadeur
et grands seigneurs étrangers. En tel ordre que dessus, M. le
chancelier, après avoir été par plusieurs fois parler au roi et la
dernière ayant fait signe que chacun fit silence et qu'un huissier du
roi eût crié que le roi voulait que chacun se couvrit et s'assit, _car
ils étaient tous à genoux_ et nues têtes, commença son exorde par
l'union et amitié des princes; parla de cette assemblée des États,
pourquoi on les faisait, et s'ils étaient nécessaires; dit les occasions
de sédition en un royaume; traita la manière de mettre ordre et
règlement à la religion, et conclut des moyens qu'il fallait tenir pour
l'entretien de la maison du roi, avec exemples, histoires et autorités
tant des saintes que profanes écritures.» Michel de l'Hospital dit en
cette occasion des vérités à tout le monde; il dit à la royauté comme
Platon: «Il n'y a ni roi ni prince qui ne descende d'un esclave, et
beaucoup d'esclaves ont eu des rois pour aïeux.» Il dit à la noblesse,
en un langage assez étrange à tenir devant les princesses: «L'État est
comme notre corps, où il y a des membres plus honnêtes les uns que les
autres, et les moins honnêtes sont les plus nécessaires. Ainsi les
hommes qui ne sont point nobles sont plus utiles que les nobles.» Enfin
il dit au tiers-état que ces assemblées auxquelles il prenait part
n'étaient autre chose qu'une audience que le roi accordait à sa nation.

Les mêmes États furent continués en 1561 à Saint-Germain-en-Laye, en la
grande salle sur l'entrée et portail du château. Le Cérémonial françois
nous apprend que «le duc de Guise, comme grand-chambellan, n'ayant
siège, ains était bas assis sur le marche-pied du roi, avec le bâton de
grand-maître entre ses jambes; et qu'aucuns trouvèrent dès Orléans
malséant, de voir bâton accoutumé d'être porté haut en signe de
commandement sur la maison du roi, être mis entrelacé sous ses cuisses;
disant, si le lieu des États n'était le lieu où le bâton pût être signe
de commandement, que mieux donc eût été de ne l'y voir du tout. M y eut
quelque différend en la séance, parce que les princes du sang ne
voulurent permettre que les cardinaux fussent assis au-dessus d'eux,
excepté le cardinal de Bourbon, qui se mit au-dessus du prince de Condé,
son frère, avec déclaration par lui faite que c'était en qualité de
prince aîné et non de cardinal.»

En 1576, Henri III convoqua à Blois des États-Généraux contre la réunion
desquels protestèrent Henri de Navarre, depuis Henri IV, et le prince de
Condé, parce que les protestants ne devaient point y être admis. La cour
était alors un théâtre de débauches et de scandales. Henri III, pour se
faire bien venir des députés fit quelques réformes dans sa maison et ses
finances; car presque toutes les assemblées des États-Généraux ont été
précédées de réformes apparentes ou réelles. Dès que les députés furent
arrivés, le roi ordonna des jeûnes et des prières pendant trois jours;
il fit une procession solennelle le 20 novembre, où se trouvèrent les
trois ordres. Le roi, entouré de ses mignons, fléchissait les genoux aux
autels. Le jeudi 6 décembre, ils entendirent la messe et implorèrent les
lumières du Saint-Esprit. On fit ensuite l'ouverture des États, et l'on
sait quel esprit les inspira. L'assemblée se tint au château de Blois;
un héraut appela successivement, par une des fenêtres donnant sur la
cour, les députés de chaque province; un autre les reçut à la porte du
château, et deux autres les conduisirent dans la salle. A l'arrivée du
roi, toute l'assemblée se leva et le reçut tête nue; les députés du
tiers-état mirent un genou en terre et y restèrent jusqu'à ce que le roi
et les reines ayant pris place, le roi ordonna de s'asseoir. Ce prince
prononça le discours d'ouverture.

En 1588, le même monarque convoqua de nouveau, dans la même ville, les
États que le double assassinat des Guises devait rendre si fameux à
jamais. Malgré la pensée bien arrêtée de ces meurtres. Ces États
commencèrent, comme les précédents, par une procession solennelle,
suivie de trois jours de jeûne. Le roi communia en grande cérémonie,
ainsi que les princes et les seigneurs de sa cour; ces pieuses
démonstrations avaient pour but de dissimuler et de sanctifier les
projets qui allaient être mis à exécution. Les députés des trois ordres,
dupes ou complices de cette comédie, communièrent dans l'église des
Jacobins de Blois, des mains du cardinal de Bourbon. Ils étaient au
nombre de cinq cent cinq. La première séance se tint le 16 octobre; le
roi la présida, entre sa mère et sa femme. Deux cents gentilshommes
armés de haches à bec de corbin se rangèrent derrière eux;
l'introduction des députés eut lieu dans le cérémonial observé en 1576.
«Les députés étant entrés, et la porte fermée, le duc de Guise assis en
sa chaire, habillé d'un habit de satin blanc, la cape retroussée à la
Bijarre, perçant de ses yeux toute l'épaisseur de l'assemblée pour
reconnaître et distinguer ses serviteurs, et, d'un seul élancement de sa
vue, les fortifier en l'espérance de l'avancement de ses desseins, de sa
fortune et de sa grandeur, et leur dire sans parler: Je vous vois, se
leva; et, après avoir fait une grande révérence, suivi des deux cents
gentilshommes et capitaines des gardes, alla quérir le roi, lequel entra,
plein de majesté, portant son grand ordre au col. Comme l'assemblée
s'aperçut qu'il descendait l'escalier qui le conduisait droit sur le
grand marche-pied, tous les députés se levèrent la tête nue. Le roi prit
place; les princes demeurèrent debout jusqu'à ce qu'il leur commandât,
et à ceux, de son conseil, de s'asseoir.» Ou voit que les députés du
tiers-état, qui étaient d'abord tenus de mettre les deux genoux en
terre, et auxquels ou avait fait ensuite grâce pour un des deux,
obtinrent cette fois la faveur tout entière, et purent ouïr debout, avec
les deux autres ordres, la harangue royale. Qui ne serait fier, en
vérité, de voir les libertés nationales prendre ainsi successivement un
aussi notable développement?

A peine la main d'un fanatique eut-elle enlevé Henri IV à la France, que
les troubles renaquirent de toutes parts. Les fautes de la cour
dissipèrent les trésors qu'il avait amassés; elles jetèrent la confusion
partout où sa prudence avait rétabli le bon ordre; et, quand on ne sut
plus quel parti prendre, on convoqua encore les États-Généraux. Louis
XIII déclaré majeur par la loi, n'était qu'un enfant condamné par la
nature à le demeurer toujours. Le prince de Condé, qui avait pris les
armes contre la cour, fit un traité avec elle, et il spécifia, par le
premier article, qu'on tiendrait les États-Généraux dans la ville de
Sens. Ils furent convoqués par des lettres écrites au nom du roi, et _de
l'avis de la reine régente_, adressées «à toutes les provinces,
sénéchaussées, bailliages, pays et jugeries du royaume.» Elles
ordonnaient aux magistrats de chacun de ces lieux «d'assembler, dans la
principale, ville de leur ressort et juridiction, les trois États
d'icelui, pour conférer ensemble sur les plaintes et doléances, et
remontrances, qu'ils auraient à proposer dans l'assemblée générale, et
pour élire ensuite un d'entr'eux, de chacun ordre, qu'ils enverraient
dans ladite ville de Sens au 10 du mois de septembre 1614.» Marie de
Médicis transféra ces États à Paris. Des hérauts d'armes le publièrent
dans tous les carrefours; la cérémonie religieuse fut fixé au dimanche
26 octobre, et l'ouverture au lendemain; le programme publié et affiché
porte en titre: «ORDRE: que le roi veut être gardé et observé en la
PROCESSION GÉNÉRALE que Sa Majesté entend faire dimanche prochain XXVI
de ce mois d'octobre, en laquelle elle sera en personne, assistée de la
reine sa mère; M. le duc d'Anjou, son frère; Madame, sa soeur; des
princes de son sang, et autres princes et seigneurs qui l'accompagneront
et partiront de l'église des Augustins pour aller à Notre-Dame, où sera
porté le saint-sacrement de l'Eucharistie, la messe célébrée par
l'évêque de Paris, et le sermon dit par le cardinal de Sourdis» Ce
programme fut observé. Le roi dîna à huit heures du matin, et tout le
monde fut exact. Chaque député parut en son rang, à la procession, avec
un cierge blanc, qui lui avait été remis de la part du roi. Tous les
députés du tiers-état portaient une robe et un bonnet carré noirs. Le
costume du roi était composé d'un pourpoint de toile d'or façonné, d'un
haut-de-chausses et d'un manteau de velours incarnat, le tout parsemé de
diamants. Quant à Marie de Médicis, que suivait l'autre veuve de Henri
IV, Marguerite de Valois, les chroniqueurs nous font une brillante
description de sa toilette, et l'un d'eux ajoute: «Elle marcha
démasquée; il ne lui était jamais arrivé de marcher à pied par la ville
de Paris.»--De nombreuses discussions de préséance entravèrent
continuellement la marche du cortége: l'Université prétendit vainement
passer avant le clergé. La cérémonie ne fut terminée qu'à quatre heures.

Le lendemain 27, le roi fit l'ouverture des États dans la salle dite de
Bourbon. Les députés n'étaient qu'au nombre de quatre cent
cinquante-quatre. Ils furent placés comme aux précédents États. Louis
XIII prononça un discours en quelques phrases, et annonça que le
chancelier instruirait l'assemblée des motifs qu'il avait eus pour la
convoquer. L'exposé du chancelier terminé, l'archevêque de Lyon, comme
orateur du clergé, traversa la salle, alla s'appuyer sur un _accoudoir_
préparé exprès, et remercia le roi pour son ordre. Le baron du Pont de
Saint-Pierre, orateur de la noblesse, prit ensuite cette même place, et
dit au roi, comme un courtisan persan l'avait dit à Cambyse, que «les
rois peuvent faire tout ce qu'ils désirent, sans craindre de faire
jamais une injustice.» Il ajouta: «Cette noblesse, autrefois si relevée,
est maintenant abaissée par quelques-uns de l'ordre inférieur, sous
prétexte de quelques charges. Qu'ils apprennent, dit-il en regardant les
députés du tiers, que, bien que nous soyons tous sujets d'un même roi,
nous ne sommes pas tous également traités. Ils verront tantôt la
différence qu'il y a d'eux à nous; ils la verront, et s'en souviendront
s'il leur plaît.» Ce ton ne respirait ni le calme, ni l'humilité, ni la
modération que le clergé avait sans doute voulu inspirer à chacun des
membres de l'assemblée, en leur imposant trois jours de jeûne avant
l'ouverture des États.--Robert de Miron, député de Paris et prévôt des
marchands, vint lui succéder, et prononça, à genoux, une espèce
d'homélie, où il demandait à Dieu d'inspirer à leurs âmes des désirs
éloignés de toutes passions. Ces divers discours remplirent toute la
séance d'ouverture. Le 1er novembre, les députés communièrent tous; le
4, ils prêtèrent serment sur les saints Evangiles; mais,
malheureusement, ces prières et ces saintes pratiques eurent peu
d'influence sur les passions, car deux députés du Périgord prirent
querelle sur l'antériorité de leurs maisons, et mirent l'épée à la main
en pleine assemblée. On les sépara; et, pour parler la langue
d'aujourd'hui, ils furent rappelés à l'ordre. Mais le clergé, la
noblesse et le tiers-état, sans toutefois tirer l'épée, n'imitèrent que
trop par leurs discordes les deux députés périgourdins, et les États, qui
ne produisirent aucun résultat sérieux, furent clos par le roi en
personne le 23 février 1615.

De 1615 à 1789, aucune assemblée nationale ne fut réunie. Louis XIV
écrivit en 1649 une lettre circulaire pour convoquer les États; mais ils
ne furent pas tenus, et un mémoire de Dubois sur les dangers pour la
royauté d'un tel moyen détourna le régent, au commencement du siècle
suivant, de la pensée qu'il eut un moment d'y recourir. Le 29 décembre
1786 Louis XVI convoqua pour le 22 février 1787 une assemblée de
notables choisis par lui dans les trois ordres pour leur communiquer,
dit l'ordonnance, les vues qu'il se proposait. Ce n'était point une
assemblée nationale, mais dans la séance d'ouverture ou en observa le
cérémonial. Le garde des sceaux, après le discours de ce monarque, prit,
à genoux, les ordres du roi, et dans le procès-verbal on croit devoir
justifier par la note suivante une dérogation aux précédents usages
qu'on s'était permise: «Les huissiers, massiers, le roi d'armes et les
hérauts d'armes auraient dû être à genoux pendant toute la séance, mais
Sa Majesté a trouvé bon qu'ils se levassent quand elle a eu fini de
parler.» Cette réunion ressembla, encore aux assemblées nationales qui
avaient précédé par les différends qui s'y élevèrent également sur des
questions de préséance. L'orage qui se formait à l'horizon ne parvint à
distraire de ces puériles questions d'étiquette ni la royauté, ni les
sujets appelés par elle.

La réunion des États-Généraux étant devenue inévitable, ils furent
convoqués par Louis XVI et réunis à Versailles. Le 2 mai, tous les
députés furent présentés au roi par ordre, et non par bailliages, ce qui
indisposa le tiers-état contre la maître des cérémonies, M. de Brézé. Le
4 on se réunit dans; l'église Notre-Dame de Versailles; et, après y
avoir fait une prière, la cour et tous les députés se rendirent
processionnellement à l'église Saint-Louis pour entendre la messe du
Saint-Esprit. Tant que défila le tiers, vêtu uniformément d'un habit et
d'un petit manteau de soie noire, les acclamations se tirent entendre. La
noblesse, en costume brillant, n'en recueillit aucune; on cria
seulement: Vive le duc d'Orléans! Le clergé ne trouva pas le peuple
moins silencieux; et, quand la cour défila, le roi seul fut salué par
des _vivat!_ La différence des costumes et la simplicité comme la
sévérité du sien, en regard du brillant et chevaleresque accoutrement de
la noblesse, furent, avec la non-confusion des ordres et la préséance
accordée aux uns sur un autre, les seuls griefs que le cérémonial
observé put fournir à la susceptibilité ordinairement moins ménagée du
tiers-état,--Le lendemain 5, la première séance eut lieu dans la salle
dite des Menus. Le clergé fut assis à la droite du roi, la noblesse à
gauche, et le tiers en face. A une heure, les hérauts d'armes
annoncèrent l'arrivée du prince; tous les députés se levèrent. Le
programme n'offre rien de saillant; on avait senti qu'il était
indispensable de le simplifier, et des applaudissements que l'assemblée
s'était permis la veille au sermon prononcé par M. de La Fare, à la
messe du St-Esprit, dans un lieu consacré et en présence du roi, avaient
paru à M. de Brézé une preuve doublement éclatante d'une révolution
complète qui ne devait pas respecter l'étiquette elle-même, puisqu'elle
semblait commencer par elle.

L'assemblée législative se réunit le 4 octobre 1791. Aucune autre
cérémonie ne marqua son ouverture, qu'une prestation individuelle de
serment à la constitution, faite avec une solennité un peu théâtrale;
puis, quand elle se fut complètement constituée, elle envoya à Louis XVI
une députation pour lui en donner avis. Le roi annonça alors qu'il se
rendrait le 7 dans le sein de l'assemblée. Celle-ci délibéra
immédiatement sur la manière dont il serait reçu. Il fut arrêté qu'une
députation de douze membres recevrait et reconduirait le roi; que le roi
étant arrivé au bureau, chacun des membres pourrait s'asseoir et se
couvrir, et que deux fauteuils absolument pareils seraient préparés sur
l'estrade pour le roi et le président de l'assemblée. Mais le lendemain
ce décret fut rapporté comme un peu trop sans façon, et un fauteuil
_doré_ fut accordé au roi, ce qu'ensuite on a reproché à l'assemblée
législative comme une impardonnable faiblesse. Le 7, jour où le roi se
rendit à la séance, on l'avait ouverte avant son arrivée, et l'on avait
entamé la discussion relative aux prêtres non assermentés. Elle fut
interrompe par l'arrivée du roi, le prononcé de son discours, et reprise
tranquillement après son départ.

Le 21 septembre 1792, la Convention se constitua sous la présidence de
Pétion, sans cérémonial, sans aucune solennité.

Le 27 octobre 1795 (5 brumaire an IV) le Corps Législatif se réunit
pour la première fois à neuf heures du soir sous la présidence de son
doyen d'âge. Pour toute cérémonie, chaque député eut, à l'appel de son
nom à déclarer s'il était marié ou veuf, et quel était son âge. Ceux qui
n'étaient plus garçons et qui comptaient quarante ans, virent mettre
leurs noms dans une urne, d'où on tira le nombre voulu pour former le
Conseil des Anciens; les autres formèrent le Conseil des Cinq-Cents.

Le 29 décembre, le premier consul fit déterminer par un sénatus-consulte
organique un cérémonial qui n'est autre à peu près que celui qu'on
observe aujourd'hui.

[Illustration: Arrivée du roi au Palais Bourbon.]

Le 4 juin 1814, Louis XVIII se rendit au Corps Législatif. La
distinction entre les pairs et les députés fut que deux des pairs
ecclésiastiques et six des pairs laïques furent placés sur des
banquettes au-dessous et de chaque côté du trône. Le reste de la Chambre
des pairs et la Chambre des Député tout entière prirent place en face du
trône circulairement. L'assemblée, à l'arrivée du roi, était debout et
découvert. Le roi s'assit et se couvrit, et invita d'un signe
l'assemblée à suivre le premier de ces exemples.

Le 7 juin 1815, Napoléon vint précéder, avant de partir pour l'armée, à
l'ouverture des Chambres. Nulle distinction ne fut établie entre les
pairs et les députés, et le grand-maître des cérémonies, sur l'ordre de
l'empereur, invita dans les mêmes termes les uns et les autres à
s'asseoir.

En octobre de la même année, Louis XVIII, rentré pour la seconde fois,
ouvrit les chambres de nouveau à son tour. Cette fois, bon nombre des
anciens usages furent rétablis, et ils continuèrent à être observés
pendant toute la Restauration. La veille du jour fixé pour l'ouverture,
le 6 octobre, une messe du Saint-Esprit fut célébrée à Notre-Dame, à
laquelle assistèrent les deux Chambres. Le lendemain, 7, un cortége
nombreux et brillant suivit le roi au palais Bourbon. M. le chancelier
eut un siège à bras et sans dossier; le grand-chambellan eut un carreau
place au pied du trône. En face étaient les pairs, et derrière eux les
députés. Le roi ordonna aux pairs de s'asseoir, et M. le chancelier on
donna, dit _le Moniteur_, au nom de Sa Majesté, la permission aux
députés.--Un membre, de la Chambre des Députés, appelé à prêter le
serment, demanda à prendre la parole. M. le duc de Richelieu, président
du Conseil des ministres, s'approcha aussitôt du roi, prit ses ordres et
dit: «L'usage immémorial du la monarchie ne permet pas, dans de
semblables circonstances, de prendre la parole en présence du roi sans
la permission de Sa Majesté: Sa Majesté ordonne que l'appel nominal soit
continué.»--Lorsque les infirmités de Louis XVIII lui eurent, en quelque
sorte, rendu la locomotion impossible, la séance d'ouverture des
Chambres ne se tint plus au Palais-Bourbon, mais dans une grande salle
du Louvre, coté de l'horloge. Le roi, placé dans un fauteuil, était
ainsi poussé tout le long de la grande galerie du Musée et de la galerie
d'Apollon, et arrivait sur roulettes jusque sur l'estrade destinée à
porter son fauteuil.

[Illustration: Ouverture des Chambres.--Discours du roi.]

Du reste, si le cortége les formalités de réception se trouvaient ainsi
supprimés, les autres lois de l'étiquette n'en étaient pas moins
rigoureusement observées.

Sous le règne de Charles X, elle demeura la même, et les députés
continuèrent à porter un habit bien, boutonné, droit, à collet et
parements brodés en argent, tandis que les pairs étincelaient dans un
costume et sous un chapeau à la Henri IV que l'on admire encore dans les
jours gras.

La révolution de 1830 a supprimé la messe du Saint-Esprit, et a valu aux
députés les mêmes égards qu'aux pairs.

Les uns comme les autres sont aujourd'hui invités par le roi lui-même à
écouter son discours assis.

Si nous avions pu prévoir, en le commençant, que notre récit dût être
aussi long, certes nous aurions eu, envers nos lecteurs de toute taille
et de tout âge, cette même et royale attention.



Oraison funèbre de 1843

C'en est fait, mes chers enfants, elle est morte!--Qui donc?--Morte et
enterrée!--Le nom de la défunte, que nous la pleurions?--Elle s'est
appelée quelque temps l'année 1843; depuis hier, on ne la nomme plus,
que l'année dernière; elle a vécu douze mois, c'est-à-dire trois cent
soixante-cinq jours, ni plus ni moins; vous trouverez que c'est mourir
bien jeune; hélas! je suis de votre avis; mais que voulez-vous y faire?
Les années ne vivent pas davantage, leur compte est réglé sans rémission
et arrête à ce total, par l'impitoyable agent comptable vulgairement
connu sous le nom d'Almanach. Quelquefois, par-ci, par-là, il accorde à
certaines années vingt-quatre heures de gratification, ce qui leur
procure l'agrément d'une existence de trois cent soixante six jours;
mais voilà tout ce qu'il peut faire; aussi les années ne réclament-elles
pas, bien convaincues par expérience qu'il n'y a pas moyen d'éviter la
chose; elles sont plus philosophes et plus résignées que nous autres,
pauvres humains, qui nous débattons comme de beaux diables, et nous
crions à la mort, pareils au bûcheron de La Fontaine: «_Encore un jour!
une heure! _» On n'a pas d'exemple d'une année qui en ait crié autant:
toutes ont trépassé, l'une après l'autre, sans mot dire.--L'année 1843 a
fait comme ses devancières; elle a rendu le dernier soupir avec une
résignation exemplaire.

Ce qui peut fortifier la philosophie de l'année mourante et lui faire
prendre si bravement son parti, c'est qu'elle est sûre d'avoir un
héritier direct, c'est-à-dire une héritière; les années sont toutes du
sexe féminin; l'une engendre l'autre; et ainsi de mère en fille, jusqu'à
la fin des siècles; par exemple, l'année 1844 vient d'arriver au monde
immédiatement après le trépas de l'année 1843. Vous remarquerez, s'il
vous plaît, ce phénomène unique un son espèce, à savoir qu'en fait
d'années, l'enfant naît le lendemain de la mort de la mère. Et pour
surcroît d'originalité, toutes les années sont baptisées et enterrées le
même jour, sans exception, d'une part au 1er janvier, de l'autre au 31
décembre.

SAINT SYLVESTRE.

A toute mort, à toute pompe funèbre il faut un fossoyeur qui jette la
pelletée de terre; saint Sylvestre est chargé de cet office, d'année en
année, depuis un temps que j'appellerais, immémorial, si je ne trouvais
pas qu'on a par trop abusé du mot. Saint Sylvestre a été choisi pour
clore la paupière à l'année, parmi tous les saints; et Dieu sait
cependant si la légende est longue! D'où vient cette préférence donnée à
saint Sylvestre? Aurait-il fait valoir un goût naturel et particulier
pour les enterrements? La place s'est-elle donnée au concours? a-t-elle
été obtenue par la protection de quelques députés ou hauts fonctionnaire
du martyrologe? C'est un point qui n'a pas été éclairci; j'aime à croire
cependant que saint Sylvestre doit ses fonctions de fossoyeur-général de
toutes les années passées, présentes et futures, à son mérite et non
point à la faveur: il me répugne de prendre saint Sylvestre pour un
intrigant!

Quoi qu'il en soit, saint Sylvestre justifie complètement la confiance
que l'Almanach a mise en lui; il se tient toute l'année, pendant douze
grands mois, en vedette sur la frontière qui sépare le 31 décembre du
1er janvier, prêt à rendre les derniers devoirs à l'année qui expire et
à dire à l'année qui commence: «Alerte, ma fille, c'est à ton tour!»

Avez-vous vu quelquefois un gros chat tapi dans la verdure? Il passe là
des heures entières sans mouvement, dans une complète immobilité, la
patte tendue, le corps allongé, l'oeil fixe, dans l'attitude d'un
braconnier qui attend sa proie. Que veut monseigneur Raminagrobis? Il
guette une souris ou un oiseau au passage, et ne quittera pas la place
sans l'avoir happé. De même saint Sylvestre épie l'année et attend
patiemment l'heure de lui mettre la main dessus; or, connue à une aimée
passée succède invariablement une année présente, saint Sylvestre est
toujours en sentinelle et sur le qui-vive: saint Sylvestre reste
éternellement à cheval sur le 31 décembre!

SATURNE

Saint Sylvestre a pour compère _le Temps_, que les anciens appelaient
Saturne, respectable vétéran qui avait la singulière prétention d'être
le père de Jupiter. Le Temps et saint Sylvestre s'entendent à merveille.
Dès que l'année sent sa fin venir, Saturne et le saint entrent dans la
chambre de l'agonisante et se placent à son chevet, de compagnie, bien
décidés à souffler dessus la pauvrette et à éteindre les dernières
lueurs de vie qui lui restent, sauf à en allumer une autre.

Cette scène d'extrême-onction et de résurrection est représentée
ici-même, par un ingénieux crayon, mieux qui je ne pourrais le faire du
bond de ma plume. Je te renvoie donc au dessin de Bertal, cher lecteur,
avec la modestie et l'abnégation qui me caractérisent.

Dans ce tableau mémorable, le Temps attire d'abord l'attention et occupe
la plus grosse place. A tout seigneur tout honneur. Ou peut, au premier
coup d'oeil, trouver que son costume n'est pas taillé sur le patron de
la dernière mode, mais il faut convenir du moins qu'il est irréprochable
sous le point de vue classique. Hésiode, Homer, Virgile, Ovide, n'y
trouveraient pas le plus petit mot à redire, et les Staubs du vieil
Olympe lu donneraient à coup sur leur approbation. Rien n'y manque, ni
les ailes, ni la faux.. Vous remarquerez d'ailleurs que Saturne pactise
du côté de la barbe avec les merveilleux du jour. C'est un _lion_ par la
moustache. Le _Café de Paris_ n'a pas son égal.--Son visage ne rappelle
pas le velouté de la pèche ni la fraîcheur de la rose, je le confesse;
c'est que _le Temps_ n'est pas né d'hier; il existait déjà que rien
n'était encore; _le Temps_ est le vieux des vieux, et vraiment il y
aurait de l'injustice à lui demander des airs d'adolescent.--Que ses
jambes sont grêles!--Eh! mes amis, il n'en marche pas moins vite, vous
ne le savez que trop, ô vous qu'il emporte sans cesse et sans repos,
d'heure en heure, de minute en minute, de seconde en seconde, plaisir,
jeunesse, gloire, amour, génie, beauté.

Le temps plaisante quelquefois; aussi vient-il de convertir un éteignoir
son ami saint Sylvestre, et de cet éteignoir il coiffe l'année 1843, qui
jetait encore, dans son bougeoir, une flamme mourante. Saint Sylvestre,
malgré sa métamorphose, est parfaitement reconnaissable à son visage
incrusté sur l'éteignoir en question: front chauve, yeux creux, nez
épaté, bouche fendue jusqu'aux oreilles, c'est toujours ainsi que je
m'étais figuré saint Sylvestre; l'auréole qui couronne l'extrémité de
l'éteignoir ne permet pas d'ailleurs de s'y tromper.

[Illustration.]

Au même moment où _le Temps_éteint l'année 1843, il allume du bout de
la faux l'année 1844, bougie toute neuve qui s'élance fièrement de son
chandelier, mèche au vent, en attendant qu'elle brûle à petit feu, comme
tant d'autres, et se fonde. Superbe allégorie qui fait voir que le temps
reconstruit d'une main ce qu'il détruit de l'autre!

ORAISON FUNÈBRE.

Puisque, hélas! il est surabondamment constaté par tout ce qui précède,
que l'année 1843 n'est plus, jetons quelques fleurs sur sa tombe!

La meilleure manière de savoir à quoi s'en tenir sur le compte des
morts, c'est de rappeler leurs faits et gestes: Bossuet n'en faisait pas
d'autre, et Massillon non plus. Je n'ai pas la prétention d'atteindre à
la hauteur de ces grandes éloquences, mais je ferai de mon mieux; et
comme, après tout, c'est là mon début dans l'oraison funèbre, je compte
sur l'indulgence de mes auditeurs, sans vouloir cependant, comme maître
renard, vivre aux dépens de celui qui m'écoute.

Par où commencerai-je? quel fait mémorable aura ma préférence? quelle
action digne de souvenir attirera d'abord mon attention? à quoi et à qui
dédierai-je l'exorde de mon oraison? O Mnémosyne! ô muse! toi, qui
gardes la mémoire des grands événements du passé et qui les transmets à
Clio, ta soeur, pour qu'elle les inscrive sur son airain éternel, viens
à mon secours; Mnémosyne, aide-moi à rappeler les plus importants
chapitres de la vie de très-haute et très-défunte dame l'Année 1843!...
Mais déjà la divinité m'anime et m'inspire; les morts ressuscitent, et
je vois se dérouler derrière moi les faits merveilleux qui donnent à
l'année qui n'est plus une place à part dans l'immensité des siècles.

REGALIA.

Je croirais manquer à la hiérarchie et aux égards que méritent les
entrepôts de tabacs, les fumeurs, les divans et les tabagies, si je ne
donnais point les honneurs du pas à la grande affaire des cigares à cinq
sous, immense question, question palpitante d'actualité, question
brûlante, qui a empoisonné les derniers moments de l'année 1843. On nous
accordera, en effet, que dans ce siècle de tabac et de blagues, le
cigare mérite de passer le premier: qu'y a-t-il aujourd'hui de plus
important que le cigare? N'abandonne-t-on pas femme, enfant, père et
mère, le monde entier, pour avoir le plaisir d'aller fumer un cigare en
plein air?

Le _regalia_, cigare du grand monde, a cru pouvoir profiter de cet
immense succès pour se faire valoir; l'orgueil l'a gagné; il a prétendu
se vendre autant qu'il s'estimait lui-même, et de vingt centimes se
hausser à vingt-cinq; vous avez encore présents à la mémoire les détails
de cette entreprise téméraire; les consommateurs jetèrent feu et flamme;
une lutte s'engagea entre eux et le _regalia_, parmi des tourbillons de
fumée; lutte terrible qui finit par la complète déconfiture; du
_regalia_; il avait fait le renchéri, on le quitta pour le punir de son
avarice; à vingt centimes il prospérait; tout le monde lui tendait la
main, tout le monde le humait avec tendresse; à vingt-cinq centimes, il
est tombé l'abandon et se dessèche, attendant, mais en vain, qu'une
bouche complaisante s'intéresse à lui par hasard. Il y a là une profonde
moralité; je la recommande aux maisons d'éducation, et si j'étais Ésope,
La Fontaine ou M. de Florian, je la rimerais en apologue.

Voyez cependant quelle pauvre figure fait le cigare dans son bocal! Nul
ne vient à lui, nul ne bat le briquet en son honneur. Si le cigare veut
avoir du débit, il faudra bientôt qu'il se fume lui-même. Ce n'est pas
tout: ses ennemis se réjouissent de sa disgrâce, et l'insulte par leur
gaieté; et quel est le grand ennemi du cigare, si ce n'est la pipe? Or,
la pipe est dans le délire, elle ne se contient plus; elle lance en
signe de victoire, des tourbillons de fumée; quels feux de joie! On
dédaignait la pipe; la pipe était abandonnée aux portiers, aux sergents
en retraite et aux cochers de fiacre; la pipe maintenant trône sur les
ruines du cigare; elle envahit la Chaussée-d'Autin, et se promènera
bientôt au boulevard Italien, dans les mains du dandy.

[Illustration.]

Le jour de la déchéance du cigare, le gouvernement des pipes a donné un
grand bal national; nous en offrons un _fac similé_: toutes les pipes y
étaient, sans distinction de rang, d'âge ni de sexe, depuis la pipe de
lettre jusqu'à la pipe d'écume de mer incrustée d'or et de diamants,
pipes culottées et déculottées. La fête a fini par une ronde furieuse
que les pipes ont dansée autour d'un malheureux paquet de cigares,
délaissé de la nature entière.

Mais c'est assez nous occuper des hautes questions de politique
intérieure; passons à la politique étrangère.

IRLANDE.

[Illustration.]

La situation de l'Irlande, en 1843, a continuée d'être ce que vous
savez; l'Angleterre a joui d'une parfaite santé; du 1er janvier à la
Saint-Sylvestre, elle s'est tous les jours assise à une table amplement
fournie, arrosant son teint vermeil de porter, de chypre et de bordeaux;
nourrissant son ventre énorme et ses grosses joues succulents reliefs,
sauf, après boire, à rouler sous la table. Quant à l'Irlande, sa
collation est claire; en deux mots, vous en connaissez le menu:
l'Irlande dîne peu: son principal repas consiste depuis longtemps à se
ronger les ongles; il en a été de même en 1843: la carte n'a pas changé
pour elle. En revanche, si cette malheureuse Irlande est affamée,
l'Angleterre s'engraisse à vue d'oeil à ses dépens: L'Irlande met la
poularde à la broche, et l'Angleterre la dévore. Dans ce pauvre diable
de valet au ventre creux, à la mine piteuse, qui se tient debout, une
assiette et une serviette sous le bras, jetant un regard suppliant sur
un bifteck saignant, que son gros butor de maître engloutit à son nez,
ne reconnaissez-vous pas l'Irlande? Et cet ogre sans pitié, qui sue
l'abondance par tous les pores, n'est-ce pas l'Angleterre? Quand donc
cette dévorante Angleterre donnera-t-elle à cette famélique Irlande un
petit morceau de son bifteck?

LITTÉRATURE.

Après la politique, il est bon de faire une excursion dans la république
des lettres, comme on disait du temps de la monarchie; cela repose. La
politique est un verre de vitriol qui brûle les entrailles; la
littérature une tasse de lait pur qui les rafraîchit; je parle surtout
de la littérature mère de _Han d'Islande_ et de _Lucrèce Borgia_; c'est,
comme chacun sait, tout sucre et tout miel.

La plus grande succès de la littérature de 1843, le succès colossal, le
succès pyramidal, le succès monstre, c'est M. Eugène Sue qui la obtenu;
à lui la palme! Ses _Mystères_ ont conquis la France et l'Europe: ce
n'est plus un mystère; l'univers y passera! L'Asie et l'Amérique
viennent de s'abonner au cabinet de lecture, et l'Afrique tout entière
en a écrit deux mots à M. Charles Gosselin.

Nous voudrions de grand coeur donner ici le texte même de l'ouvrage, à
ceux de nos charmants abonnés qui ne le connaissent point encore;
malheureusement, ou n'a pas jusqu'ici découvert le moyen du faire tenir
dix volumes in-8 dans un alinéa; cela viendra plus tard; en attendant,
offrons aux impatients le portrait des principaux personnages qui
figurent dans le roman de M. Eugène Sue. Le visage étant le miroir de
l'âme, en voyant les héros, c'est comme si on lisait le livre; nous
garantissons la ressemblance, jusqu'à la fin de la semaine prochaine. Le
premier portrait, placé à gauche, vous représente le Maître d'école; un
devine aisément à sa mine peu avenante, et ses doigts crochus, au manche
de poignard qui s'allonge sur sa poitrine, que le drôle est un scélérat
fieffé.--A côté de lui, voici la Goualeuse, ou plutôt Fleur de Marie,
comme l'indiquent son attitude naïve et repentante, et ce bouquet de
coquelicots et de bluets qui fleurit dans un pot, derrière elle.

[Illustration.]

Cette femme d'un embonpoint mélancolique rappelle, à s'y méprendre, la
tendre et délicate marquise d'Harville.

Rodolphe, la providence, le grand justicier des _Mystères_, se fait
facilement reconnaître par sa pose, qui annonce un homme droit, et par
son cordon en sautoir, qui atteste le prince.

Au couteau qu'il tient à la main, on est d'abord tenté de prendre le
Chourineur pour un vaurien; mais son nez indique qu'il y a du bon dans
cet homme, et que ce n'est qu'un Chourineur égaré, non perdu, qui finira
par se retrouver.

Murph a bien le _muffle_ de l'honnête homme par excellence. Quant au
petit tableau qui lui fait pendant, il est purement et simplement
allégorique, et figure le duel du Crime et de l'Innocence: le Crime est
le grand maigre, cela va sans dire; l'Innocence pousse à l'embonpoint.

Heureuse année 1843, qui a produit un si rare chef-d'oeuvre!

OUBLIETTES.

[Illustration]

Tout le monde n'a pas eu le bonheur de M. Eugène Sue; en conséquence,
vous êtes prié, d'assister aux convoi et enterrement de ses confrères;
l'année 1843 les a précipités la plupart au plus profond de ses
oubliettes: là, _les Demoiselles de Cyr_, pauvres filles qui ont fait
beaucoup de scandale pour tâcher de vivre, et n'en sont que plus mortes;
ici, _Mademoiselle La Vallière, Mademoiselle Lafaille, Charles VI_,
drames et opéras plus ou moins dignes d'oubli;--la comète va retrouver
mademoiselle Lenormand, qui n'avait pas deviné celui-là;--des mains
envieuses voudraient faire partager leur sort à _Lucrèce_, mais M.
Ponsard et un charitable critique interviennent, et arrêtent la chaste
Romaine sur le bord de la fosse; M. Léon Gozlan a beau défendre _Eve_
comme sa propre fille, il est prouvé que cette Eve-là n'est pas la
première femme du monde; M. Léon Gozlan en est réduit à la mettre dans
un bocal pour la confire.--La foule éplorée des poètes et des
dramaturges pleure et se lamente; l'un pleure son recueil d'élégies,
l'autre sa comédie, celui-ci son drame, celui-là son vaudeville, cet
autre ses feuilletons tombés feuille à feuille, et ensevelis le soir
même de leur naissance.--_Les Burgraves_ ne sont pas loin;--mais respect
à cette douleur de mère, à ce deuil profond qui environne une tombe
récente!

Tous ces gens-là, pour se consoler, pêchent à la ligne dans le puits
sans fond où les sujets nouveaux nagent pêle-mêle; un professeur de
l'Université prend à l'hameçon la question des jésuites qui semblait
bien et dûment enterrée.

Que d'autres choses sont tombées dans les oubliettes de 1843, et dont
nuire dessinateur ne parle pas; innocence, fidélité, honneur, amitié,
amour, et les saintes promesses, et l'espérance, et les serments!

ESPAGNE

1843 s'est fort occupé des affaires d'Espagne; il y avait de quoi: le
jeu de casse-tête exige moins d'efforts de patience et moins
d'attention. La situation politique de l'Espagne, est parfaitement
exposée par l'image que nous en donnons; c'est un buisson d'épines, un
gribouillage sans; pareil, une épingle à chercher dans une meule de
foin; l'esprit de M. tel, la vertu de madame une telle; tout ce qu'on
peut y imaginer de plus embrouillé, de plus entortillé, de plus sombre:
un peloton de fil, un discours politique, une bouteille à l'encre, la
discussion d'un amendement, un drame de M. Bouchardy!

[Illustration.]

Cherche bien et tâche, cher lecteur, de retrouver dans ce gâchis,
Narvaez, Espartero, la reine-mère, Olozaga, l'innocente Isabelle,
l'Espagne elle-même; et que Dieu te donne le moyen de te dépêtrer dans
ces _pronunciamientos_!

O'CONNELL.

On a beaucoup parlé, EN 1843, d'O'Connell et de ses victorieuses
harangues; on en causera probablement beaucoup moins en 1844; aussi,
verra-t-on ici avec plaisir la représentation d'un de ces formidables
meetings qui ont tant de fois fait trembler les Saxons. Le meeting
ci-contre a été pris sur le fait et copié d'après nature, par un de mes
amis intimes qui a entrepris tout exprès le voyage de la verte Érin. On
sait que tout meeting se compose de beaucoup de pots de porter, d'ale et
de genièvre, et de pas mal de cruches pour les déguster; les pauvres
Irlandais arrivent par volées et à travers les monts; le libérateur,
monté sur un tonneau, leur tend les bras et les nourrit, en attendant le
pain et la liberté, de discours accommodés au _repeal_. C'est toujours
quelque chose.

[Illustration.]

VICTORIA.

L'événement particulièrement célèbre, l'événement par excellence, qui
classe 1843 parmi les années mémorables!--Eh bien! vous ne devinez
pas?--Non, vraiment.--c'est le voyage de la reine d'Angleterre en
France; _l'Illustration_ a donné, dans le temps, une histoire complète
de cette pérégrination royale au château d'Eu; elle n'a donc plus rien à
en dire; _l'Illustration_ ne rabâche pas; mais ce qu'elle n'avait pas
fait voir, c'est le moment où la jeune Victoria sentit le besoin de
visiter la Normandie. _L'Illustration_ se félicite de pouvoir
aujourd'hui remplir cette lacune.

[Illustration.]

La reine, on en conviendra, a tout à fait l'air d'une personne qui
désire aller quelque part; elle dévore la France de son binocle; le
monsieur qui la suit, et qu'elle tient en laisse, se nomme le mari de la
reine; cette laisse est l'emblème du devoir conjugal. Le mari de la
reine étant spécialement choisi pour s'occuper des enfants, on trouvera
tout simple qu'il les porte; ces petits, pleins d'attentions délicates
pour le porteur, lui paient sa course en lui tirant les moustaches.

LES ILES MARQUISES.

Les îles Marquises ont également occupé l'attention publique. Pouvait-il
en être autrement? Un pays vierge, cela est si rare! Beaucoup d'autres
ont abordé ce sujet avant nous, et particulièrement M. l'amiral
Dupetit-Thouars, qui y est entré avec plusieurs frégates. Nous n'en
avons pas autant à notre service; mais du moins pouvons-nous faire ce
que M. Dupetit-Thouars n'a pas fait; chacun son art. M. Dupetit-Thouars
est marin; nous sommes peintres de portraits; M. Dupetit-Thouars
s'embosse dans la question des îles Marquises, nous la peignons d'après
nature. Ceci représente la reine des îles Marquises arborant le drapeau
de la civilisation. La civilisation l'offre avec politesse; la reine
sauvage le reçoit avec une mine dont je me défierais: elle a vraiment
l'air de dire à la civilisation: «Tu m'embêtes!»

[Illustration.]

Ici finissent les admirables annales de l'année 1843. Heureux qui a vécu
dans cette illustre année! Heureux qui a pu mourir avec elle! il ne se
fera jamais rien d'aussi grand!

Le jour de l'an en Europe.

Tous les peuples un peu civilisés de notre globe ont cru devoir, à une
certaine époque de leur histoire, et pour des causes faciles à
comprendre, mesurer le temps, c'est-à-dire inventer ce qu'on appelle en
français des années, des mois, des jours, des heures, des minutes et des
secondes. Mais ce besoin commun, les divers membres de la grande famille
humaine ne l'ont pas satisfait de la même manière. Il y a eu, depuis le
commencement du monde jusqu'au 31 décembre 1843, un nombre beaucoup trop
considérable de _calendriers_, _d'ères_, de _cycles_, etc., qui font le
bonheur des savants et le désespoir des ignorants. L'Europe moderne
a,--la Russie et la Grèce exceptées, toujours fidèles au vieux
style,--adopté pour son usage particulier un calendrier appelé
grégorien, du nom du pape Grégoire XIII, son inventeur. Cet estimable
successeur de saint Pierre, corrigeant une grave erreur du calendrier
romain, retrancha, comme chacun sait, à l'année 1582, dix jours qu'elle
avait de trop, et il décida qu'à l'avenir on supprimerait trois
bissextiles en l'espace de quatre cents ans. Aujourd'hui, grâce à cette
réforme, l'année européenne se compose de 365 jours, et tous les quatre
ans elle est bissextile, c'est-à-dire qu'elle a 366 jours.

Non-seulement l'année n'a pas toujours été aussi longue ou aussi courte
qu'elle l'est actuellement, mais en outre elle a commencé à des époques
différentes. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple:

En France, du temps de Charlemagne, Noël était le premier jour de l'an.
A dater de la fin du onzième siècle jusqu'en 1563, Pâques ou plutôt le
samedi-saint, l'emporta sur Noël. Le 25 mars (le jour de la Conception)
triompha à son tour de ses deux rivaux. Enfin un édit de Charles IX,
daté du 4 août 1563, décréta que dorénavant l'année commencerait en
France le 1er janvier.

Une semblable confusion exista durant plusieurs siècles dans les autres
contrées de l'Europe. Peu à peu, cependant, l'ordre se rétablit, et
l'unité remplaçant le chaos, le 1er janvier, vainqueur de ses trois
adversaires, fut proclamé sans opposition le souverain absolu de
l'année. Il règne seul maintenant sur ses 364 sujets, si bien façonnés
au joug, qu'ils n'essaient plus du s'y soustraire. Noël, Pâques et la
Conception, ou le 25 mars, se contentant des honneurs qu'on leur rend
encore, ont cessé de réclamer le glorieux privilège du briller sur tous
les almanach en général, et sur celui de _l'Illustration_ en
particulier, à la tête de l'année nouvelle.

Toutefois, bien qu'elles reconnaissent son autorité plusieurs grandes
nations de l'Europe persistent à refuser au 1er janvier les hommages
dont certains autres peuples se plaisent à l'accabler. Qu'a-t-il donc
fat pour mériter un pareil honneur? Le 25 mars, Noël et Pâques
n'étaient-ils pas plus dignes du commencer l'année? Le 25 mars, la
vierge Marie avait conçu le fils de Dieu; le jour de Noël, Jésus-Christ
avait reçu la vie dans une étable du Jérusalem; le jour de Pâques, il
était ressuscité. Aussi en Angleterre, en Espagne, en Italie, en
Allemagne, ce n'est point le 1er janvier que l'on fête, c'est la Noël,
c'est le jour de la naissance du Christ. Christmas, Pascwa, Natale,
Weinhnachten, en 1844, _l'Illustration_ racontera et représentera les
curieuses cérémonies publiques et privées que ramène chaque année votre
glorieux anniversaire!

L'Allemagne seule a, depuis quelque temps, sans négliger la
_Weinhnachten_, fait quelques avances au _Neu yahr_; tandis que
l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie assistent dans un morne
recueillement au renouvellement de l'année, l'Allemagne, s'est décidée à
se divertir le 1er janvier; elle célèbre même le 31 décembre presque
avec autant du pompe que de joie. Pourquoi tout ce bruit? quelle
heureuse nouvelle nous annoncent ces cloches, ces pétards, ces fusées?
C'est la mort d'une année que l'on célèbre. Il paraît qu'elle inspire
peu de regrets. Mais nous sommes dans une ville universitaire. La nuit
est sombre; onze heures viennent du sonner. Où vont ces jeunes étudiants
avec leurs torches et leurs fusils? Suivons-les. Ils s'arrêtent devant
une maison de belle apparence; c'est celle du prorector. Des
acclamations retentissent:» «L'année va finir; que celle qui lui
succédera soit heureuse pour notre prorector!» Cependant cette foule si
agitée et si bruyante

[Illustration: Un Grand Lever de la reine d'Angleterre.]

[Illustration: La Bénédiction de la Newa à Saint-Pétersbourg.]

reste immobile et garde un silence religieux. Une fenêtre de la maison
du prorector s'est ouverte, et ce digne personnage apparaît aux regards
charmés des étudiants Il tient un verre à la main, et quand il a
suffisamment remercié ses élèves de leur visite et de leurs souhaits il
vide son verre en leur souhaitant à tous une bonne année, et il le jette
à terre, car ce serait commettre une profanation que de boire une autre
fois dans un verre qui a servi à un si noble usage. A peine le sacrifice
est-il accompli, que de nouveaux vivat retentissent; le prorector ferme
sa fenêtre, et les étudiants vont rendre les mêmes hommages aux plus
populaires de leurs professeurs.

A l'intérieur des maisons, chaque famille se divertit à sa manière: les
uns boivent, les autres mangent; ceux-ci dansent, valsent ou chantent;
ceux-là jouent des charades; partout on s'amuse. Cependant minuit
approche; l'aiguille de la pendule se dirige avec la même vitesse; dans
le palais et dans la chaumière, vers l'heure fatale. Nobles, bourgeois
et paysans, muets et immobiles, tiennent leurs regards fixés sur
l'horloge ou sur la montre qui leur marque la marche rapide du temps....
Au même instant un seul cri s'échappe de plusieurs millions de bouches:
_Prosst neu jahr_(vienne le nouvel an). Heureux celui qui, dans sa
famille, a prononcé le premier ces paroles sacramentelles... que tout le
monde répétera le lendemain matin en s'abordant.

Des que le dernier écho de _prosst neu jahr_ a cessé de su faire
entendre, «un domestique apporte du vin ou du punch, nous apprend le
respectable M. Howitt, dans sa _Domestic and rural life in Germany_,
avec les souhaits que les parents et les amis se sont faits pour le
nouvel an. En général, ces souhaits sont écrits en vers sur une belle
feuille de papier surchargée d'ornements dorés. Tous les assistants,
choquant leurs verres, se souhaitent mutuellement une bonne année; puis
le maître de la maison ouvre et lit les souhaits écrits; la plupart ne
sont pas signés, et causent des explosions d'hilarité; car les auteurs
de ces épîtres anonymes reprochent souvent leurs ridicules à leurs
parents et à leurs amis, en leur donnant le conseil de s'en corriger.

«Quand le dernier souhait a été lu, ou joue, dans la plupart des
familles, à un jeu très-ancien, qu'on appelle le jeu de farine, de l'eau
et des clefs: trois assiettes sont rangées sur une table ronde placée au
milieu d'une chambre: dans la première, on met de la farine; dans la
seconde, de l'eau; dans la troisième, un trousseau de clefs; alors tous
les célibataires des deux sexes vont tour à tour, les yeux recouverts
d'un épais bandeau, prendre sur la table une de ces trois assiettes que
les assistants changent sans cesse de place, heureux celui dont la main
se pose sur le trousseau de clef! il épousera la personne qu'il aime;
celui ou celle qui blanchit ses doigts dans la farine se mariera avec
une veuve ou avec un veuf; mais malheur à l'infortuné qu'un sort jaloux
conduit tout droit sur l'assiette pleine d'eau! il est sûr de mourir
célibataire. Cette espèce de loterie terminée, les danses et les jeux
recommencent.

[Illustration: La polonaise à la cour de Russie.]

Du salon de la petite bourgeoisie de l'Allemagne, passons sans
transition à la cour du plus puissant souverain de l'Europe, de
l'empereur de Russie; car nous y assisterons à une cérémonie
caractéristique dont un témoin oculaire nous a rapporté un charmant
dessin. Deux fois chaque année, le 1er-15 janvier et le jour de la fête
de l'impératrice, l'empereur de Russie ouvre son palais à ceux de ses
sujets qui ont obtenu d'avance des billets d'admission. Des soldats, des
marchands, des laboureurs, s'y montrent dans leur costume national aux
côtés des courtisans. Les invités qui portent le frac sont tenus d'avoir
un petit manteau de soie noire appelé _vénitien_.

[Illustration: Les baisers du jour de l'an, dessin de Grandville.]

«Les salles du palais, a dit un voyageur moderne, remplies de monde,
sont un océan de têtes à cheveux gras, toutes dominées par la noble tête
de l'empereur, de qui la taille, la voix et la volonté planent sur son
peuple. Ce prince paraît digne et capable de subjuguer les esprits comme
il surpasse les corps; une sorte de prestige me semble attaché à sa
personne; au palais de Saint-Pétersbourg comme à la parade, comme à la
guerre, comme dans tout l'empire, comme toujours on voit en lui l'homme
qui règne.

«Les personnes de la cour, le corps diplomatique, les étrangers invités
et les gens du peuple admis à la fête, sont introduits pêle-mêle dans
les grand appartements; vous attendez là pendant assez longtemps, pressé
par la foule, l'apparition de l'empereur et de la famille impériale. Dès
que le maître, ce soleil du palais, commence à poindre, l'espace s'ouvre
devant lui; suivi du son noble cortège, il traverse librement et sans
même être effleuré par la foule, des salles où l'instant d'auparavant on
n'aurait pas cru pouvoir laisser pénétrer une seule personne de plus.
Aussitôt que Sa Majesté a disparu, le flot des paysans se referme
derrière elle; c'est l'effet du sillage après le passage d'un vaisseau.

«La noble figure de Nicolas, dont la tête domine toutes les têtes,
imprime le respect à cette mer agitée; c'est le Neptune de Virgile; on
ne saurait être plus empereur qu'il ne l'est. Il danse pendant deux ou
trois heures de suite des polonaises avec des dames de sa famille et de
sa cour. Cette danse était autrefois une marche cadencée et
cérémonieuse; aujourd'hui c'est tout bonnement une promenade au son des
instruments. L'empereur et son cortège serpentent d'une manière
surprenante au milieu de la foule, qui, sans prévoir la direction qu'il
va prendre, se sépare cependant toujours à temps pour ne pas gêner la
marche du souverain.»

Singulier contraste! le souverain le plus absolu de l'Europe, le czar de
toutes les Russies, reçoit le peuple dans son palais le 1er jour de
l'année; et le souverain le moins puissant, politiquement parlant, la
reine d'Angleterre, n'admet que la plus haute et la plus fière
aristocratie de ses trois royaumes à lui présenter ses respectueux
hommages le jour du Noël. Nos deux dessins, placés en regard l'un de
l'autre, feront faire encore un autre rapprochement non moins bizarre. A
Saint-Pétersbourg, l'empereur présente l'impératrice comme son égale,
ils marchent sur le même rang, en se tenant par la main; à Londres, la
reine a seule le droit de s'asseoir; son _mari_ est obligé de se tenir
debout comme spectateur derrière son trône.

Le 1er janvier, a lieu, à Saint-Pétersbourg, une cérémonie dont nous
dormons aussi la représentation fidèle: nous voulons parler de la
bénédiction des eaux de la Newa. Une chapelle en bois est construite
tout exprès chaque année près du palais impérial, sur le bord du fleuve;
en face, de l'autre côté, s'élèvent les remparts du granit de la
forteresse, dominés par l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul. A
l'heure fixée, l'empereur, suivi du son état major, se rend à cheval a
cette chapelle; puis, mettant pied à terre, il monte à la place qu'il
doit occuper, près des étendards de la garde. Aussitôt arrivent en
procession l'archimandrite et le clergé métropolitain; on bénit en même
temps les eaux de la Newa, les armes et les drapeaux de la garnison du
Saint-Pétersbourg, qui assiste tout entière à cette cérémonie. Au moment
de la bénédiction, des saints sont échangés entre la forteresse et
l'artillerie de la garde, rangée sur les glaces.

Pourquoi bénit-on la Newa? Est-ce pour qu'à la fonte des glaces
prochaines, elle ne cause pas trop de dégâts dans cette ville
artificielle, que ses débordements menacent sans cesse d'une ruine
complète? Nous l'ignorons. Ce qui est positif, c'est que la débâcle
passée, le fleuve libre, des coups de canon annoncent cet heureux
événement à tous les habitants de la ville. «Aussitôt, raconte M. Kold,
quelle que soit l'heure du jour, ou de la nuit, le commandant de la
forteresse, en grand uniforme, et accompagné par tout son état-major, se
rend au; palais dans une gondole richement décorée, porteur d'un
magnifique verre de cristal rempli de l'eau de la Newa, qu'il va offrir
au czar au nom du printemps et du dieu du fleuve: admis en la présence
de son souverain, il lui annonce que l'hiver vient de finir, et que la
Newa est rendue à la navigation; désignant ensuite de la main la gondole
amarrée au quai,--le premier cygne flottant sur les eaux,--il présente à
l'empereur le verre de cristal rempli d'eau de la Newa, et Sa Majesté lu
vide immédiatement à la santé et à la prospérité de sa capitale. C'est
le verre d'eau le plus cher qui se boive sur toute la surface du globe;
car, selon un ancien usage, l'empereur le rend plein d'or à celui qui le
lui a offert plein d'eau. Autrefois, ou le remplissait jusqu'aux bords
du pièces de ce précieux métal; mais chaque année les verres
augmentaient de volume; l'empereur, voyant qu'il avait toujours une plus
grande quantité d'eau à avaler et une plus forte somme à payer, déclara
qu'à l'avenir il ne donnerait que 200 ducats,--prix impérial, après
tout, pour un verre d'eau.

Que pourrai-je vous apprendre, ô mes très-chers lecteurs et lectrices,
des us, coutumes et cérémonies du premier jour de l'an en France. Ne les
connaissez-vous pas tous et toutes aussi bien que moi?... Lundi encore
vous jouerez un rôle plus ou moins agréable dans leur dix-huit cent
quarante-quatrième représentation depuis l'ère chrétienne; mais mon
confrère le _Courrier de Paris_ s'est chargé de vous raconter un peu
plus loin les _petits bonheurs_ et les _petites misères_ du jour de
l'an. Je m'arrête donc... Permettez-moi, toutefois, de vous donner un
conseil utile: méfiez-vous des baisers du Jour de l'An, en particulier,
comme de tous les baisers en général. Ce langage universel que les muets
parlent et que les sourds entendent, personne,--hélas!--ne peut se
vanter d'en comprendre le véritable sens.--Il dit toujours plus ou moins
qu'il ne semble dire.--Ne le jugez pas surtout d'après
l'apparence.--Essaye de distinguer ici ses nombreuses espèces ou
variétés, ce serait vouloir faire l'histoire du coeur humain depuis lu
naissance du premier homme jusqu'à la Saint-Sylvestre de l'année qui va
mourir. Quelle touchante, mais quelle triste, quelle lamentable, quelle
longue histoire! Nous n'entreprendrons pas une pareille tâche; à peine
même si nous tenterons de vous révéler pourquoi les douze baisers de
Judas que notre grand artiste, Grandville, a dessinés tout exprès pour
_l'Illustration_, sont indignes de votre confiance.

Commençons par la droite. Ce baiser qu'une jeune fille et son frère
laissent prendre ou donnent à leur grand-père sur leur front, ce sont,
en réalité, Polichinelle ou la poupée qui le reçoivent.--Pourquoi cette
femme embrasse-t-elle son mari avec tant d'effusion? Pourquoi
serre-t-elle sa tête contre sa poitrine? Mais ne voyez-vous pas ses
regards avides qui cherchent dans l'espace le cachemire ou les bijoux
que son trop joyeux époux lui apporte?--Et ce grand barbu, qui approche
ses lèvres des joues paternelle, est-ce par affection? non, certes;
c'est un à-compte qu'il paye à ses créanciers.--Si ce neveu consent à
becqueter, non-seulement sa vieille tante, mais son perroquet, un jour à
venir, soyez en sûr, il héritera d'une fortune
considérable.--Croyez-vous que ces trois baisers superposés soient plus
sincères? Pour moi, j'en doute: cette chatte et ce chien se battront
demain comme hier; ce jeune collégien donne à sa maman un oeuf pour
avoir un boeuf; ces deux amies continueront à se détester et à médire
l'une de l'autre. Mais que vois-je? Jean-Jean, mon ami, vous avez
attendu longtemps cette occasion désirée? Si vous le pouviez, petit
scélérat, vous seriez capable d'en abuser; nous avons les yeux sur vous,
et vous vous modérerez. Au-dessous de ces deux vieux amis qui songent au
temps passé et aux baisers d'autrefois, et qui regrettent

        Leurs bras si dodus.
        Leurs jambes bien faites
        Et leurs jours perdus...

deux jeunes femmes--sexe perfide--accordent une légère faveur à deux
hommes vieux et laids, mais qui sont riches... Heureusement, mes chers
lecteurs et vous mes chères lectrices, il y a encore sur cette terre des
âmes pures, des coeurs tendres et des baisers sincères: c'est ce que je
vous souhaite, quant à moi, pour l'année 1844.



Le Jour de l'An en Chine.

Hors de l'Europe, nous ne ferons qu'une excursion, mais elle sera assez
curieuse pour tenir lieu de plusieurs autres. Nous irons tout simplement
en Chine. N'ayant pas eu le bonheur de visiter en personne le Céleste
Empire, nous nous voyons forcé d'emprunter les renseignements suivants à
Davis (1) et à Dobel (2).

[Note 1: _La Chine_, par Davis traduit de l'anglais par Pichard. Paris,
Paulin, 2 vol in-8, 7 fr.]

[Note 2: _Sept années en Chine_, nouvelles observations sur cet empire,
par Pierre Dobel; traduit du russe par le prince Emmanuel Galitzin.
Amyot. I vol. in-8, 7 fr. 50 c.]

«C'est sur la lune que s'évalue l'année chinoise, dit Dobel; aussi en
résulte-t-il que, bien que cette année soit de douze mois, le compte des
jours ne donne jamais ce résultat exact; ce qui oblige les Chinois à
combler le déficit en ajoutant à la fin de l'année un certain nombre de
fêtes, et en comptant un treizième mois dans les années qui suivent
chaque période de dix-neuf ans.

«A peine approche-t-on de la fin du l'année, que tous, pauvres comme
riches, abandonnent leurs affaires pour ne plus songer qu'à fréquenter
les temples, les spectacles et à faire bonne chère. Il est censé que
toutes les affaires pendantes doivent être réglées de concert, et à la
satisfaction des parties, la veille du nouvel an. A cette époque, le
pouvoir des mandarins rôle suspendu durant quelques jours, ce qui
produit parfois des désordres, à cause de la faculté qu'ont alors les
particuliers de régler leurs comptes et leurs affaires conformément à
d'anciennes coutumes.

«Il n'y a peut-être pas de peuple au monde qui ait moins de fêtes que
les Chinois, nous apprend à son tour M. Davis; la principale et presque
la seule époque de réjouissance universelle est le nouvel an. C'est
alors, on peut le dire, que tout l'empire est _hors de lui_ ou peu s'en
faut. A l'approche de la nouvelle lune, lorsque le soleil atteint le
quinzième degré du Verseau (le commencement de l'année civile des
Chinois), toutes les administrations sont fermées dix jours à l'avance,
et les mandarins serrent leurs sceaux jusqu'au vingtième jour de la
première lune. Le soir du dernier jour de l'année qui s'achève, tout le
monde veille jusqu'à minuit. A cette heure commence un interminable
vacarme de pétards, de fusées et de feux de joie; la consommation des
pièces d'artifices est si prodigieuse, que l'air devient charge de
nitre. Depuis minuit jusqu'à l'aurore, chaque habitant exécute les rites
sacrés ou prépare sa maison pour la solennité du premier jour du nouvel
an. Dès le matin, une foule immense assiège les temples.

«Soun Nin, ajoute M. Dobel, est le nom des solennités du Jour de l'An:
on les fête aux quatre coins de la ville, dans quatre temples. A
l'approche du jour de fête de chacun de ces temples, on construit dans
leur voisinage de grands théâtres en bambous, sur lesquels sont ensuite
représentées des pièces en l'honneur de la divinité du temple.--Chaque
maison se fournit alors de lanternes neuves; on colle du papier rouge à
sa porte ou à celui de ses angles où sont placés les pénates;
l'ameublement est renouvelé, et la famille se pare de ses plus beaux
habits.

«Cette dernière coutume est obligatoire; car un Chinois se croirait voué
à la pauvreté pour toute l'année, s'il n'avait été bien vêtu le Jour de
l'An; aussi emploie-t-il tous les moyens en son pouvoir pour observer
cette coutume, au point de dérober parfois les habits qu'il ne serait
pas en état du s'acheter.

«Les fêtes du nouvel an doivent durer dix jours d'après la loi, mais
souvent on les prolonge du double.

«La première, journée se nomme Kay-Yat (_le jour des oiseaux_). Cette
fête est destinée à rappeler que les volatiles sont une des nourritures
de l'homme; on s'abstient de viande durant ce jour, et les rigoristes
observent même un jeûne sévère.

«La deuxième journée se nomme Kou-Yat (_le jour des chiens_). Lus
Chinois vénèrent tellement les chiens, qu'ils ont des ouvriers
spécialement chargés de leur fabriquer des cercueils; ils croient qu'un
de leurs sages fut préservé de la mort par un de ces animaux, qui dévora
son assassin; et pourtant, par une singulière inconséquence, les Chinois
mangent la chair de cet animal.

«Le troisième jour est Chen-Yat, ou le _jour des porcs_. Il en est de
cette solennité comme du la précédente; les Chinois vénèrent la mémoire
d'un de ces animaux qui sauva, suivant eux, un manuscrit précieux de
l'incendie; aussi s'abstient-on de la chair du porc durant ce jour.

[Illustration.]

«Le quatrième jour s'appelle Yaong-Yat (_le jour des brebis_). Ce jour
est consacré à Pun-Kyon-Yengi, berger qui vécut pauvre, ne se
nourrissant que de légumes et n'ayant pour vêtement que l'écorce des
arbres, mais qui enseigna tout le parti que l'on pouvait tirer de la
toison des brebis, «Le cinquième jour se nomme New-Yat (_le jour des
vaches_). Un de ces animaux allaita un jeune enfant dont les parents
avaient péri, et qui, étant devenu mandarin par la suite, lui éleva un
temple. Telle fut la cause première de l'institution de cette fête;
aussi beaucoup de Chinois s'abstiennent-ils tout à fait de la chair de
boeuf; d'autres y renoncent à l'âge de 40 ans, sans quoi ils croiraient
leur salut compromis.

«La sixième journée est le Ma-Yat, ou le _jour des chevaux_. Cette fête
a été instituée afin d'inspirer au peuple de la considération pour cet
utile quadrupède.

«C'est à _l'homme_ qu'est consacré le septième jour; il Se nomme
Yen-Yat. Pon-Tso, qui apprit aux Chinois à se nourrir de riz, de blé et
de viande, est la divinité de ce jour.

«C'est encore à Pon-Tso qu'est dédié le huitième jour, nommé Ko-Yat _le
jour des grains_. Pon-Tso enseigna le premier que l'on pouvait utiliser
les grains et s'en nourrir.

«Pon-Tso est aussi la divinité du neuvième jour, et quiconque veut
obtenir du bonheur doit s'empresser de lui porter des offrandes le jour
du Mo-Yat _jour du lin_.»

Empruntons un dernier renseignement à M. Davis. «Comme les Européens,
les Chinois se font des visites et des présents le premier jour de l'an,
et ils s'envoient de grandes cartes de félicitation ornées d'une gravure
sur bois représentant les trois principales félicités dont les hommes
puissent, selon eux, jouir sur la terre, savoir: un héritier, un emploi
public (ou de l'avancement) et une longue vie. Ces trois souhaits sont
indiqués par les figures d'un enfant, d'un mandarin et d'un vieillard
accompagné d'une cigogne, emblème de la longévité. Grâce à la
complaisance, de M. Fournier, éditeur de _la Chine ouverte_ (3),
_l'Illustration_ peut offrir à ses abonnés un _fac-similé_ de l'une de
ces cartes, imprimées en général en Chine, comme dans _la Chine
ouverte_, sur papier rouge. Les caractères chinois placés en tête
signifient: «Que votre bonheur soit florissant;» ceux, qui sont imprimés
sur le côté se traduisent ainsi: «Moi Ma-Tso-Lang (nom honorifique de
Soaqua), je vous salue humblement.»

[Note 3: Cinquante livraisons à 30 centimes; par Old Nick et A Borget. 5
livraisons ont paru.]



De l'Origine des Étrennes.

«Les Humains, dit M. Charles Dezobry dans son bel ouvrage: _Rome au
siècle d'Auguste_, font un jour de fête du renouvellement de l'année.
Ils croient que des présages certains sont attachés au commencement de
chaque chose et aux kalendes, ou premier jour du mois de janvier, qu'ils
regardent comme l'auspice de l'année; ils cherchent à multiplier les
bons présages ce jour-là: ils se visitent les uns les autres, il
s'accueillent mutuellement par les voeux les plus prospères et les
paroles les plus agréables, évitant avec soin toutes celles qui seraient
profanes.

«Ils accompagnent ces souhaits de présents réciproques que l'on nomme
_etrena_, étrennes, autre signe de bon présage, ce nom signifiant un
bonheur qui doit se répéter trois fois, comme si l'on disait _trena_ en
supprimant l's, ainsi que faisaient les anciens. L'usage des étrennes
remonte au temps du roi Tatius. Tout le momie en donne et en reçoit, à
quelque classe que l'on appartienne, dans quelque condition que l'on se
trouve. Ces présents sont en général de peu de valeur, mais le choix
n'en est pas tout à fait arbitraire. Afin qu'ils portent vraiment le
caractère d'heureux présages, on choisit des dattes, des figues sèches
et du miel blanc renfermé dans son rayon, pour que les dieux veuillent
attacher aux événements futurs les heureux succès dont leur saveur est
le symbole, et que rien n'altère la douceur des auspices sous lesquels
l'année a commencé son cours.

«On joint encore à ces dons de petites pièces de monnaies de bronze
appelées _stips_, afin que les présages soient complets pour tous les
voeux que l'on peut former, cette dernière offrande servant
symboliquement à flatter la passion des richesses.

«Comme personne ne peut se dispenser de donner des étrennes, les clients
en portent aussi à leurs patrons, mais uniquement pour se conformer à
l'usage: leur présent se compose simplement d'un as de cuivre et d'une
datte recouverte d'une très-légère feuille d'or.

«Les riches ne se bornent point à ces étrennes sacramentelles; ils y
joignent de beaux présents de tout ce que produit la terre ou la mer.

Le jour des kalendes de janvier, tous les Romains allaient offrir des
étrennes à Auguste.--L'_Imperator_ les recevait comme à une
_salutation_; il était assis dans _l'atrium_ de sa maison: on défilait
devant lui, et chaque citoyen, tenant son offrande à la main, la
déposait en passant aux pieds de ce dieu terrestre. Ces étrennes étaient
de la monnaie d'argent; car la générosité des citoyens se trouvait
stimulée par l'intérêt personnel, attendu que le prince rendait à tous
une somme égale et même supérieure à la valeur de leurs présents.

Si nous en croyons certains écrivains, M. Dezobry ne nous aurait pas
donné la véritable explication de l'origine des étrennes, ou plutôt de
l'étymologie de ce mot.

Selon l'_Anacharsis_ romain que nous venons de citer, _strena_ est un
bonheur qui doit se répéter trois fois. Or, M. Spon et le père
Tournemine, auteurs de deux petits traités spéciaux sur l'origine des
étrennes, ne sont pas du tout de cet avis. Dans leur opinion, lorsque
Tatius, un des Sabins, partagea avec Romulus le gouvernement de Rome, il
reçut un présent qu'il regarda comme de l'augure le plus heureux;
c'étaient quelques branches de verveine coupées dans un bois consacré à
la déesse _Strenna_, c'est-à-dire à la _déesse de la force_. «Aussi, dit
Spon, ce mot _strena_, qui signifie _étrenne_, se trouve quelques fois
écrit _strenna_ chez les anciens, pour témoigner que c'était proprement
aux personnes de valeur et de mérite qu'était destiné ce présent.
Tournemine, d'accord avec son collègue sur l'étymologie du mot, nous
donne cependant une explication différente. «Le peuple, simple et
superstitieux, croyait que ces branches et cette verveine donnaient de
la force et conservaient la santé. On sait que les druides gaulois
pratiquaient la même cérémonie, qu'ils allaient, au commencement de
l'année, prendre dans des bois sacrés le gui, qu'ils distribuaient au
peuple comme un présent des dieux, dont la vertu était admirable.--D'où
pouvait venir une semblable persuasion? N'y reconnaissez-vous pas un
souvenir confus de l'arbre de vie planté dans le paradis terrestre,
souvenir dont les prêtres païens, habiles charlatans, se servirent, pour
mettre en vogue leurs bois sacrés, auxquels ils attribuaient la même
vertu? Le nom de la déesse _Strenna_ confirme nos soupçons sur l'origine
de cette superstition; il a bien du rapport au mot Hébreu _éloïm_, qui
peut signifier le _dieu fort, le dieu de la force_. C'est de ce mot que
Moïse s'est servi dans les premiers chapitres de la _Genèse_, ou il
parle de l'arbre _de vie_ que Dieu avait mis dans le paradis terrestre.»

Nous avons mis sous les yeux de nos lecteurs les pièces du procès;
qu'ils jugent s'ils l'osent. Quant à nous, nous leur demandons la
permission de ne pas nous prononcer encore sur cette grave question, car
nous venons de lire vingt pages d'un gros in-folio intitulé _Novus
thesaurus antiquitatem romanorum congestus ab Alberto Henrico de
Sallengre_.--Ces vingt pages sont entièrement remplies par un traité de
_Strena_ en douze chapitres, d'un sieur _Hieronymi Rossii Ticinensis,
civis nobilis et patricii romani atque in palatina academia regii
éloquentiae professoris_--Or, cette délicieuse monographie nous a révélé
deux ou trois étymologies que nous réservons à nos abonnés pour leurs
étreintes de l'année prochaine.

«Tibère, avec, son humeur triste et sauvage, dit encore M. Dezobry,
s'accommodait peu des réceptions populaires, et surtout des échanges
d'étrennes avec les citoyens. Il s'y prêta néanmoins dans les premières
années de son avènement à l'empire, et il avait même coutume de rendre
quatre fois la valeur de ce qu'on lui offrait; mais, fatigué d'être
dérangé pendant tous le mois par ceux qui n'avaient pu le voir le jour
des kalendes, il prit d'abord le parti de ne plus rien rendre passé ce
jour; puis il finit par s'absenter de Rome à l'époque des kalendes, pour
éviter de recevoir des étrennes. Il blâmait Auguste de s'être soumis à
cet usage, qui causait beaucoup de fatigue et surtout de dépense; il ne
faisait, cependant pas comme son prédécesseur, qui, avec les étrennes
qu'il recevait, achetait de belles statues des dieux, qu'il dédiait dans
divers quartiers de la ville.»

Caligula imita Auguste, et Claude suivit l'exemple de Tibère. A partir
du règne de Claude, le peuple romain cessa donc de présenter des
étrennes à ses empereurs; mais la coutume d'offrir des présents le
premier jour de l'année n'en subsista pas moins; seulement ce furent
désormais les supérieurs qui en donnèrent au lieu d'en recevoir.

«Voilà donc, s'écrie Spon, tout le fondement que nous avons de notre
coutume; et ce fondement étant aussi léger que de la paille et du
chaume, nous ne saurions être solidement fondés à conserver une
superstition païenne à laquelle nous ne pouvons trouver _aucun appui par
l'autorité de l'Écriture Sainte ou des saints pères_.» Les saints pères,
en effet, protestèrent en vain contre cet usage qui avait passé du
paganisme dans le christianisme; plusieurs conciles essayèrent même
inutilement de le détruire.

Cependant quand les peuples chrétiens cessèrent, par la suite, de
pratiquer les cérémonies païennes, c'est-à-dire d'offrir de la verveine
et de certaines branches d'arbre, de chanter et de danser dans les rues,
l'Église leur permit de s'embrasser et de se donner des cadeaux le
premier jour de l'an. A dater de cette heureuse époque, l'espèce humaine
a fait, sans scrupule et sans remords au renouvellement de chaque année,
une effrayante consommation de baisers, de bonbons et de présents de
toutes sortes et de toutes qualités.



Les Petits Bonheurs du Jour de l'An.

L'année finit. L'année renaît; tandis que la pauvre décrépite disparaît,
comme dirait _le Constitutionnel_, dans l'abîme du passé la jeune année
se montre souriante et parée; elle n'a pas vingt-quatre heures qu'elle
est déjà grande demoiselle; il n'est pas besoin de songer à lui nommer
un tuteur; un régent ne lui est pas nécessaire, et, dès sa première
heure, elle est en pleine majorité; personne n'est obligé de l'appeler
l'innocente Isabelle.

Au point du jour, le règne de la nouvelle année commence; son royaume
est immense; il est si grand, si grand, et s'étend si loin, si loin,
qu'il faudrait je ne sais combien de mètres de ruban rose pour en faire
le tour: c'est, à proprement parler, l'empire universel que de
très-grands conquérants ont tenté sans pouvoir y parvenir. La nouvelle
année n'a pas besoin de faire autant de bruit que ces terribles fiers à
bras pour établir sa domination: cela lui vient de soi-même.

Les nouveaux règnes et les avènements sont tout sucre et tout miel; le
souverain est toujours charmant, le peuple (le bonhomme!) toujours
content; on se passe et l'on se repasse des douceurs et des promesses;
il n'est pas jusqu'au féroce Néron, il n'est pas jusqu'au méchant
Christiern, qui n'aient eu plusieurs quarts d'heure d'amabilité au début
de leur souveraineté.--Je ne suis pas fâché de vous glisser ce petit
trait d'érudition en passant.

Mais la nouvelle année se distingue, entre toutes les reines et tous les
rois frais éclos, par une grâce, une munificence, une affabilité qui
n'ont pas d'égides. D'abord, elle n'est pas fière du tout; elle a des
caresses, et des baisers, et des poignées de main pour tout le momie, du
plus petit au plus grand; et puis, voyez là! contemplez en face cette
excellente et très-aimable, majesté. Son sourcil, tant s'en faut, n'est
point capable de faire trembler le monde comme celui de feu Jupiter;
elle ne marche pas escortée de gardes farouches, et ne déguise pas sa
personne sous un tas de crachats, de rubans et de croix. Oh! qu'elle est
meilleure fille et bien plus philosophe que cela!

La bonne reine s'habille à la légère, taille souple et fin corsage; à
gauche, du côté du coeur, elle porte un cornet de bonbons: c'est son
cordon de la Légion-d'Honneur; Marquis, son grand-chancelier, l'en a
décoré de sa propre main. Les deux bras étendus sur son peuple, elle
laisse tomber une pluie de soieries et de douceurs. Cela fait venir
l'eau à la bouche! Sa robe ample et flottante est brodée de boîtes
pleines de chatteries. Le premier ministre de la nouvelle année, son
président du conseil a toujours été un confiseur.

Au fronton de son palais, elle a fait inscrire ces mots pleins de
sagesse: _Aux petits bonheurs_; et sur son caisson elle porte, cette
devise inscrite: Sinite parvulos venire ad me; laissez venir à moi les
petits garçons et les petites filles.

Vous voyez que les petits ne se font pas prier, ils accourent en foule:
à la bonne heure! voilà une nation agréable; jamais reine, jamais roi,
jamais empereur eût-il de plus charmants sujets; tresses blondes,
petites tailles mignonnes, fin sourire, voilà pour le féminin; le sexe
masculin est rond, dodu, de belle humeur; je vous recommande
particulièrement ce jeune homme en robe, chaussé de brodequins écossais
et coiffé d'un chapeau à la Henri IV, un panache flottant. Certainement,
ce monsieur doit être un des citoyens les plus distingués du royaume de
la nouvelle année.

Comme la joie éclate de tous côtés! Ce que c'est que de nourrir son
peuple de dragées! Soyez, sur, ô roi, que le moyen est bon pour obtenir
des enthousiasmes difficiles à décrire, et prenez exemple, croyez-moi,
sur le tableau touchant que vous offre cette reine assiégée par l'amour
de ses sujets, qu'elle bourre de pastilles et de confitures. Les uns
joignent les mains pour l'adorer, les autres grimpent, dans leur joie,
jusque sur les marches du trône; celui-ci, ne pouvant se contenir, bat
du tambour; celui-là croque un bonbon! et là-haut,--ô spectacle digne de
mémoire!--un citoyen de six mois reconnaissant qu'il était trop en bas
âge pour marcher, s'est fait porter des bras de la nourrice aux pieds de
sa souveraine, pour tâcher d'attraper un sucre d'orge. Il n'y a de
pareils exemples de patriotisme qu'à Rome ou à Sparte!

La nouvelle année les reçoit pêle-mêle dans son palais royal. Ce palais,
d'une architecture remarquable, n'a certes pas son pareil. Vous
connaissez, le château de Joux, en Franche-Comté; celui-ci s'appelle le
château de Joujoux, ce qui ferait soupçonner que les deux châteaux ne
sont pas éloignes d'être proches parents. Mais il n'en est rien: Joux
est armé de forts et de bastions; Joujoux n'est pas le moins du monde
partisan des fortifications. «Au petit bonheur,» dit-il, sans
s'inquiéter davantage.

On songe à jouer, en effet, dans le palais de la nouvelle année, et non
point à se battre; on songe à être heureux, et heureux comme des
enfants, ce qui est le _nec plus ultra_ du bonheur.--Allons, mes chers
petits, quel petit bonheur choisirez-vous?--Moi, je veux cette poupée,
dit la petite fille à la voix flûtée.--Et moi ce polichinelle, répond
mon gros citoyen coiffé à la Henri IV.--Moi, ce soldat; moi, ce
paillasse; moi, ce caniche; moi, ce tambour; moi, ce sabre; moi, tout!
s'écrie le plus gourmand.--Celui-là ira loin et conquerra le monde quand
il aura treize ans, s'il ne meurt pas à l'hôpital.

La nouvelle année ne s'épouvante pas de ces ambitions en bourrelets: on
les contente avec si peu! et les petits bonheurs sont si faciles! Ce jeu
de quilles va faire cent heureux; ces sabres de bois et ces pistolets de
paille en feront deux cents; que de petits bonheurs il y a dans ces
ménages de fer-blanc, dans ce poupard, dans ces moutons de carton, dans
ces cerceaux! Les petits bonheurs que donneront ces soldats de plomb ne
sauraient se décrire, et cette lanterne magique lâchera l'écluse des
petits bonheurs!

Ils sortiront de ce beau petit palais de fées, le coeur joyeux, la joue
rose, l'oeil étincelant, chacun emportant son petit bonheur dans sa
poche ou sous son bras! il puis, quelle joie au logis! comme on aimera
sa poupée; comme on l'embrassera, comme on la dorlotera! comme on lui
fera de jolies petites robes et de charmants petits bonnets! De quel
coeur on sonnera de cette trompette et l'on battra de ce tambour! Quel
roulement! Ah! Polichinelle, mon ami, que nous allons rire de la double
bosse et de ton nez! Quelles bonnes petites _dinettes_ nous ferons avec
ce ménage! Et ce sabre, quelles estafilades! Et cette armée de bois,
quelles batailles d'Austerlitz! Et cette lanterne magique, quelle
Académie Royale de Musique! Et ce ballon, quelles courses et quels rires
éclatants sur la pelouse!

Allez, mes enfants, soyez heureux! jouissez des biens que la nouvelle
année vous envoie; roulez-vous sur ses présents, faites claquer son
fout, et caracolez sur ses chevaux. Vous êtes dans la bonne veine;
jamais vous n'aurez tant de bonheur.

Du jour, mes petits amis; toi, mon garçon, quand la barbe te sera venue;
toi, ma fille, quand tu auras les vingt ans, vous courrez, après
d'autres polichinelles et d'autres poupées; toi, tu voudras avoir un
véritable ménage; toi, commander des soldats en chair et en os; il vous
faudra peut-être des chevaux pur sang et de brillants équipages; et au
lieu de vos _dinettes_ un souper fin au _Café de Paris!_ et au lieu de
votre lanterne magique, une loge d'avant-scène à l'Opéra! et au lieu de
vos jeux sur le gazon, des tapis de Sallandrouze! et au lieu de ce bon
rire épanoui, des places et des croix! en un mot, ô mes enfants! vous
courrez après ce qu'on appelle les grands bonheurs. Mais, hélas! vous
deviendrez jaunes de vermeils que vous êtes, de joyeux vous serez
maussades, et la crampe d'estomac, les maux de foie, l'hypochondrie
remplaceront votre humeur folâtre.--Vous reconnaîtrez, alors que les
plus grands bonheurs sont en effet les petits.

[Illustration: Palais de la Nouvelle Année.]



Les Petites misères du Jour de l'An

Accourez tous, messieurs et mesdames, le spectacle va commencer; prenez
vos places! prenez vos billets! Hop! hop! hop!

Il y en a à cinq, il y en a à trois, il y en a à deux, il y en a à un
son, selon le goût et la fortune des personnes; ce spectacle intéressant
est fait pour toutes les bourses et pour toutes les conditions;
académiciens et cuisinières, fiacres et ambassadeurs, pairs de France et
marchands de peaux de lapin, tous les sexes, tous les âges, toutes les
tailles, le nain et l'Hercule du Nord, le borgne et le citoyen
propriétaire de deux prunelles irréprochables, le bossu et le bel homme,
ont parfaitement le droit d'entrer. Nous ne sommes pas fiers; nous
ouvrons la porte à tout le monde, pourvu qu'il ait de la monnaie dans sa
poche, qu'on soit blanc de. Nogent-sur-Marne, ou nègre de Californie, on
s'en soucie comme des drames de M. un tel ou des romans de mademoiselle
une telle! _L'Illustration_ ne connaît pas ces distances-là, comme dit
la Fanchon de feu M. Bouilly.

Vivat! Hosanna! alléluia! ovohé! la foule nous entend; Dieu! quelle
queue! et vraiment, un public parfaitement couvert! La mise décente est
de rigueur. Il nous en vient de toutes les latitudes, de tous les coins
de l'univers, et de mille autres lieux.

[Illustration.]

Voici d'abord d'aimables militaires, d'agréables chasseurs d'Afrique (où
ces braves ne se fourrent-ils pas?)--deux Arabes de la tribu
d'Ouleïd-Chott-Mocktar;--un capitaine russe des bords du Volga;--un
Indien du Yisapour;--Cette tête ronde à la Titus représente
l'Amérique,--et ce terrible visage coiffé de son caftan, cet homme à
l'oeil noir, au nez busqué, à la barbe féroce, n'est, ni plus ni moins
qu'un cousin du kalifah Ben-Sha-Djazzar-Ria-Engad-Sidi-Embarek, qui a
été dernièrement envoyé _ad patres_ par le général Tempoure. Il est
impossible d'avoir un public plus varié et mieux choisi; le beau sexe y
brille par son absence.

C'est le Temps, cet éternel Saturne, ce vieux dur à cuire, qui est le
metteur en scène, le directeur-général du spectacle que nous avons
l'honneur de vous offrir. Vous remarquerez qu'il ne ressemble à aucun
directeur connu, ni à M. Jouslin-Delasalle, ni à M. Crosnier, ni à M.
Delestre-Poirson; il est beaucoup plus joli, bien qu'il ne se soit pas
rasé ce matin.

Au moment on vous le voyez, le Temps fait disparaître de sa lanterne
magique le tableau des faits et gestes de l'année 1843, et par dessous
laisse voir un pan de l'histoire de l'année 1844 qui commence: c'est ce
dernier tableau (1844) que _l'Illustration_ compte dérouler peu à peu,
de semaine en semaine, pour vos menus plaisirs, et avec l'aide du Temps,
vous donnant une grande représentation hebdomadaire de tout ce qui se
passera dans l'univers d'ici à 1845.--En attendant, et pour aller au
plus pressé, _l'Illustration_ en personne, envieuse de vous faire
sourire, va représenter devant vous une pièce à tiroirs, un
drame-vaudeville comico-tragique, tiré du grand drame des petites
misères du jour de l'an. Vous avouerez qu'il est difficile de trouver nu
sujet plus véritablement de circonstance.

[Illustration.]

PREMIER ACTE

Une nuée de tambours se précipitent à travers la ville, au pas de
charge, exécutant sur la peau d'âne une symphonie à triple bacchanal, à
quadruple carillon, qui n'a vraiment de douceur que pour les sourds
complètement privés du plaisir de l'entendre; les citoyens pourvus des
trésors de l'ouïe ont te tympan parfaitement déchiré et se bouchent les
oreilles, pantomime qui n'a rien d'héroïque. C'est au bruit de ce
_concerto_ assommant qu'on enterre le 31 décembre et que le 1er janvier
vient au monde, le but du tintamarre en question est d'avertir Paris et
la banlieue que le jour est venu de complimenter MM. les colonels, MM.
les généraux, MM. les maréchaux, et de leur donner roulement d'étrennes.

[Illustration.]

Le tambour-major se livre alors à toutes les grâces d'une délirante
pantomime, à toutes les beautés d'attitudes triomphantes qui
caractérisent ce magnifique guerrier, doué d'une si belle canne.

La canne du tambour-major est un meuble agréable, j'en conviens; mais si
elle a ses douceurs, elle a bien ses désagréments: demandez, plutôt à ce
particulier qui s'est mis en course ce matin pour aller souhaiter la
bonne année à sa tante; demandez-lui ce qu'il en pense. Demandez-le à
cet estimable industriel qui vient d'ouvrir sa boutique pour affriander
le jour de l'an. Il est clair que si l'amabilité du tambour-major et ses
superbes moustaches donnent dans l'oeil, sa canne y donne aussi.

[Illustration.]

Éveillé par le _ra_ et le _fla_ des tambours de la légion, le lieutenant
a revêtu les insignes de son grade; il se dispose à rejoindre ses chers
camarades, et à faire sa visite au château pour y déposer sa fidélité,
en forme de carte de visite; le guerrier est parfaitement chaussé,
culotté, coiffé et ficelé; il a le nez rouge, ce qui est d'uniforme;
cependant on s'aperçoit, à son col de chemise s'élançant vers l'oreille,
qu'il aurait autant aimé finir son somme que de déposer son hommage.

Au jour de l'an, tout n'est pas rose dans le militaire... et dans le
civil donc! Ici la toile se baisse... et se relève sur le second acte.

DEUXIÈME ACTE.

Le théâtre représente la chambre à coucher d'un gentleman parisien; le
coup d'oeil en est magnifique. Les décors sont de MM. Sechan, Dieterle,
Cambon et Cicéri.--Le gentilhomme, est étendu dans son lit, sauf votre
respect, et coiffé du casque à mèche classique que le foulard a détrôné,
le révolutionnaire! Mais notre héros tient aux saines doctrines: il a
fait récemment le voyage de Belgrave-Square. Hier, il s'était endormi,
c'était le soir de la Saint-Sylvestre, le teint frais et les joues
rondes, humant les rêves les plus parfumés. L'infortuné se réveille le
1er janvier dans l'état ou vous le voyez: il n'est certes pas beau; le
jour de l'an en est cause, le jour de l'an qui vient d'enfoncer sa porte
sous la forme de sa couturière, de sa femme de ménage, de son tambour,
du bedeau de sa paroisse, du clerc de son huissier, du porteur de son
journal, du garçon de son tailleur et de tous les moustiques dévorants
que le 1er janvier fait naître.

[Illustration.]

Il en fera une maladie, c'est sûr! mais sa bourse est encore plus malade
que lui. Dans l'intention de ménager la santé, de cette pauvre bourse,
qui n'a pas les reins forts, il regarde par sa fenêtre, guettant l'heure
où le portier, homme illustre, est occupé à balayer sa cour; paré,
dressé, ciré, cravaté, orné de pied en cap et prêt à courir la visite;
l'ingénieux Parisien saisit adroitement l'occasion et s'esquive au
moment où la loge est vide. Quel fin diplomate! Il s'épargne, par ce
tour adroit, la douleur de tirer de sa poche 3 francs 50 centimes
d'étrennes au portier. C'est autant, de gagné, pour la caisse d'épargne.

[Illustration.]

Mais il lui en cuira! Si la vengeance était exilée de la terre, elle se
réfugierait dans le coeur du concierge qui n'a pas reçu d'étrennes; vous
en avez sous les yeux une preuve mémorable. En rentrant le soir, l'homme
à la caisse d'épargne a beau frapper et sonner à tour de bras, le
portier n'ouvre pas; il a ses 3 franc 50 centimes sur le coeur, un
plutôt il ne les a pas! et le malheureux locataire est obligé de passer
la nuit sur la borne, oreiller rembourré de pierres de taille. Du fond
de son antre, l'affreux concierge murmure ces mots atroces: «Enfoncé,
vilain ladre!»

Il avait cependant grand besoin de consommer sa nuit dans son lit bien
chaud, car il vient de passer une journée remplie de tribulations; pour
lui, le jour de l'an n'a été que pluies et bosses, comme l'acte situant
vous l'apprendra.

TROISIÈME ACTE.

A peine était-il sorti, à la suite de ce malin tour que vous savez; à
peine avait-il le pied dans la rue, qu'il fut accosté par le fils puîné
d'un de ses amis intimes. Ce détestable moutard, vulgairement appelé
_To-tor_, se précipita à sa rencontre: «Bonjour, papa Chose,
s'écria-t-il avec cette grâce qui caractérise l'enfance; ohé! z'veux mes
étrennes, z'veux un polichinelle!» En vain cherche-t-il à se soustraire
à cet impôt indirect; le terrible _To-tor_ n'en démord pas, et, le
saisissant par la basque de habit (son habit neuf!!), il le tire
affreusement du coté de la boutique de joujoux. Lui de s'enfuir;
_To-tor_ de tirer de plus belle, d'une part l'habit, de l'autre le
seigneur Polichinelle; si bien que l'habit reste et que _To-tor_
s'évanouit. La bonne, une ancienne d'Abd-el-Kader, contemple ce
spectacle déchirant avec l'immobilité qui caractérise la nation
hottentote.

[Illustration.]

Dans sa chute, le déplorable _To-tor_ s'est enfoncé une côte, et s'est
considérablement endommagé l'occiput; tout porte à croire que la famille
des Gougibus est menacée de s'éteindre, avant la fin de la semaine, avec
ce dernier de ses descendants.

Et, en effet, M. et madame Gougibus ne sont plus capables de se
transmettre davantage: ils sont hors d'âge, comme le témoigne, le
portrait que nous vous donnons de ces deux illustres conjoints; portrait
authentique, pris au moment où cette excellente mère et ce père
excellent revenaient au logis chargés de pantins et de polichinelles
pour leur _To-tor_. Notre héros, qui les a reconnus, les suit de loin
d'un oeil hagard, d'un oeil de sergent de ville; il sent que le cas est
grave.

[Illustration.]

Au lieu donc d'entrer chez les Gougibus, il fait un détour, et se dit:
«Eh bien! allons souhaiter la bonne année à ce cher Babylas.» Il entre
en effet chez Babylas, qui n'est pas très-bien portant, et le reçoit
assis sur une chaise que je ne qualifierai pas. Babylas est marié et
père de nombreux enfants: il ne sait pas trop comment cela lui est venu;
mais n'importe! il s'en rapporte à madame Babylas. Ces enfants sont nés
excessivement caressants: c'est là leur moindre défaut. A peine ont-ils
aperçu l'ami de leur père, qu'ils se précipitent dans ses bras pour lui
souhaiter la bonne année: c'est une véritable scène d'abordage et de mât
de cocagne; jamais le jour de l'an ne manifesta une tendresse plus
étouffante; l'un grimpe sur le dos du malheureux, l'autre le prend par
le cou; celui-ci se suspend à ses reins, celui-là à sa barbe; et quels
baisers! Le célèbre Hercule du Nord n'avait pas plus d'agrément quand il
déjeunait avec un fer rouge et quatre poids de cinquante livres sur
l'estomac.--Le père Babylas jouit avec attendrissement de ce spectacle
domestique: ça le soulage.

[Illustration.]

Après une rencontre si brûlante, ou éprouve naturellement le besoin de
prendre moindre chose pour se rafraîchir, un verre d'eau sucrée, un
échaudé, un petit verre de rhum. Ainsi fait notre homme. C'est lui-même
en personne qui vient de s'asseoir dans ce café, sur ce fauteuil, autour
de cette table ronde. «Au moins là, pense-t-il, le jour de l'an ne
viendra pas me prendre ma bourse ou m'étrangler!» L'homme propose, mais
le garçon dispose. Au moment ou la victime de cette Iliade digne de
mémoire a pris son chapeau et sa canne pour se retirer tranquillement,
le garçon arrive armé du cornet d'amandes grillées qu'il présente, sous
prétexte de bonne année, au bourgeois effaré; il a pris, pour réussir,
son air le plus penché, son geste le plus élégant, son plus
anacréontique sourire. Mais qui a su échapper à un portier ne donnera
pas dans le cornet d'un garçon. «Merci, dit l'autre, je ne peux pas
souffrir les pralines; ça m'incommode.» Et il part sans délier sa
bourse, emportant après ses talons cette apostrophe du garçon: «Vieille
bête, va!»--Ici il y a un entr'acte: l'orchestre et le souffleur
déclarent qu'il leur serait agréable de se reposer; vous pouvez en faire
autant ô mes très vénérés spectateurs, et aller vous promener.... Pan!
pan! pan! à vos places.

[Illustration.]

QUATRIÈME ACTE.

Contemplez ce mortel coiffé d'une énorme boîte de satin, étendant les
bras, écartant les jambes, et cherchant sa route à talons, comme un
simple quatre-vingt: c'est la continuation de notre martyrologe.--Il
traversait la rue des Enfant-Rouges, songeant encore avec effroi au
cornet de pralines, et cependant reprenant peu à peu ses esprits et
commençant à mettre la main dans ses poches, comme un bon bourgeois qui
rêve à ses quartiers de rentes, et se promet de vivre dans sa maison, le
dos au feu, le ventre à table. Tout à coup,--ô fortune infidèle!--une
fenêtre s'ouvre, et du haut d'un cinquième étage au-dessus de
l'entresol, une énorme boîte s'échappe et va le coiffer comme vous le
voyez, là: bonnet imperméable, très-peu commode!

C'est tout simplement une fille qui s'étant mise au balcon avec une
boîte à ménage que son parrain venait de lui apporter, a laissé choir
l'objet, qui n'a rien de plus pressé que de tomber en plein sur le crâne
de notre illustre ami, et de s'y plonger jusqu'aux oreilles. O jour de
l'an, voilà de tes chapeaux!

[Illustration.]

Il fit cette réflexion profonde, que c'était là une dragée difficile à
digérer; après quoi, s'étant recoiffé et remis de son mieux sur ses
jambes, il reprit sa route et gagna la rue Saint-Honoré sans trop
d'accident. Un proche parent du grand-duc Hiltchinkenkoff passait
précisément par là au galop, traîné dans une voiture attelée de deux
quadrupèdes et de quatre valets; monseigneur s'en allait présenter ses
souhaits de bonne année à n'importe quel potentat de l'Europe alors du
passage à Paris. «Diable! rumina notre ami en voyant ce magnifique
équipage, voilà un noble étranger qui n'est pas trop mal mené; excusez!
que ça _d'omnibus!_ et il s'apprêtait à ôter respectueusement son
chapeau, comme fait tout piéton qui sent où le bât le blesse. Le proche
parent du grand-duc, ému de cette politesse, sans seulement mettre le
nez à la portière, envoya, par le ministère de ses roues et de ses deux
alezans, une énorme gratification de boue et de crotte au visage de
l'estimable particulier; son pantalon en fut zébré et son visage
moucheté. Remarquez bien que si le jour de l'an n'avait pas lui, notre
homme ne serait pas venu dans la rue Saint-Honoré, il n'aurait pas
rencontre le proche parent du grand-duc allant porter au potentat
susnommé son bonjour et son bon an, et nous n'aurions pas sous les yeux
le tableau humiliant d'un citoyen français crotté comme ne le fut jamais
Colletet, qui cependant, au dire de Boileau, le fut jusqu'à l'échine!

[Illustration]

Le décrotteur a été inventé pour cette situation; sans l'homme crotté,
certainement le décrotteur n'existerait pas; il est donc logique que le
crotté, dans sa détresse, se réfugie chez le décrotteur, lui demande
aide et protection avec un coup de brosse. La victime du proche parent
du grand-duc n'en fait pas d'autre; il entre dans la boutique du
l'artiste et se hisse sur la banquette dans l'attitude peu gracieuse
d'un mortel qui n'a pas à se louer du destin.

[Illustration.]

L'artiste fait son office en conscience frotte, brosse, émonde, prodigue
le cirage, et remet le malheureux dans un état moins affligeant. Le
crotté est décrotté. Il entrevoit un horizon plus serein. Mais où le
jour de l'an ne va-t-il pas se nicher? il s'était, là-haut, glissé dans
un cornet de pralines; il se présente ici sous la forme d'une tirelire:
l'artiste décrotteur l'a déposée, cette tirelire maudite, aux pieds de
son client, comme pour placer la récompense à côté du bienfait; et comme
tout décrotteur a de la littérature pour avoir ciré les bottes de M.
Ligier, de M. Bocage ou de M. Victor Hugo, le nôtre, à l'appui de sa
pétition pour étrennes, entonne et détonne une harangue en vers, et de
vrais alexandrins!--Le décrotté, hors de lui, se soulève sur ses deux
poings, et attend le moment du prendre la fuite, en brûlant la politesse
à la tirelire; le grossier!

Le malheur instruit les hommes. «Puisqu'on est éclaboussé quand ou va à
pied comme un ignoble barbet, dit-il, en prenant un cabriolet,
j'éclabousserai les autres!» Sublime réflexion! assaisonnée d'une légère
dose de fiel; car le coeur humain n'est pas bon quand il s'y met. Il
s'élance donc, d'un air de prince héréditaire, dans un cabriolet régie.
Arrive le tambour-major et ce qui s'ensuit, donnant l'aubade au colonel;
le cheval se dresse, le cabriolet roule, et notre homme va mesurer le
pavé; là, il prononce ces mots d'une moralité profonde: «A pied, du
moins, on ne risque pas de tomber de voiture!» Tandis que le chirurgien
du coin est occupé de le panser, reprenons haleine.

CINQUIÈME ACTE.

[Illustration.]

Le cocher, à la rigueur, aurait bien pu relever le pauvre diable après
sa chute; dans un autre temps, il se serait fait un vrai plaisir de
commettre cette bonne action et de prodiguer les consolations à
l'affligé: le cocher est naturellement sensible dans tout le courant de
l'année; mais, au jour de l'an, il est plus dur que le cuir de ses
chevaux. Vous vous étalez de vos quatre membres, dans ce bienheureux
jour, le cocher vous laisse faire, et, s'inclinant, la casquette à la
main, vous souhaite une bonne année. Quel affreux calembour! Enfin, le
voilà encore debout: il s'en trouve quitte pour la peur. Redevenu
piéton, le pauvre hère chemine, un mitron se trouve à sa rencontre; le
mitron porte un souper fin à un _lion_ et à une _biche_ de l'Opéra qui
se préparent à célébrer le premier de l'an à la façon de Lucullus, il
est nuit, nuit profonde comme dans les mélodrames du M. Anicet
Bourgeois; le mitron heurte l'homme, l'homme heurte le mitron, se
renvoyant l'un l'autre comme une balle bondissant sur une raquette, et
le souper tombe à plat ventre; un chien qui passait par là, et cherchait
un dîner en ville, profite de l'occasion pour se mettre à table sans
serviette.

[Illustration.]

ÉPILOGUE

Il est quatre heures du matin... Notre héros malencontreux s'est décidé
à se lever de la borne qui lui sert de lit de plume depuis minuit, et à
frapper un dernier coup de marteau: ce coup est si désespéré et si
lamentable, qu'enfin le portier n'y résiste plus, et tire le cordon; le
malheureux entre tout joyeux; mais, ô ruse de portier diabolique! ô
trame infernale! les 3 francs 50 cent. ne sont pas suffisamment expiés
par toutes ces couleuvres que le récalcitrant locataire avale depuis ce
matin: il faut que ce concierge sans âme, sous-prétexte de zèle, lui
plonge, à bout portant, un bougeoir allumé dans la poitrine; le jabot
prend feu; appelez, les pompiers!

[Illustration.]

Ou éteint l'incendie, et l'incendie monte l'escalier quatre à quatre.
Dieu soit loué! le voici à sa porte; il tire sa clef, l'insinue dans la
serrure. O Jupiter! il va enfin se dorloter sur sa couche!--Mais
pourquoi cette mine atroce et désespérée? Pourquoi ce furieux chapeau
jeté sur l'oreille: La serrure a refusé passage, et vainement la clef a
tenté de se faire jour à travers un épais bataillon de cartes de visites
que des mains forcenées ont entassées dans le trou. Jour de l'an! jour
de l'an! finiras-tu?

[Illustration.]

Sa seule ressource est d'entrer chez lui par bris de serrure et par une
sorte d'attaque nocturne. Il y est enfin, et déjà il a ôté son habit et
mis ses pantoufles; mais, ô rage! un élève de Courvoisier a profité de
l'occasion du jour de l'an pour lui faire sa visite par la fenêtre, et
dévaliser mon homme. Après avoir examiné sa commode et sa cheminée, il
dresse inventaire d'une montre, d'un tire-botte, d'un paletot, d'un
bâton de cire à cacheter, d'une pendule, d'un morceau de savon à barbe,
d'une édition des oeuvres de M. Casimir Bonjour, et de cinq paires de
chaussettes dont le bandit a fait sa proie. Il se couche néanmoins après
s'être arraché une poignée de cheveux; et sa nuit est pleine de portes,
de portiers, de décrotteurs, de princes allemands, de petits garçons, de
tambours et de polichinelles..... et murmure ces mots dans un affreux
cauchemar: «Jour de l'an!... étrennes!... visites!... ah! ah! oh! eh!
ouf!»

[Illustration.]

Ici la toile se baisse pour ne plus se relever. Excusez les fautes de
l'auteur.



Éphémérides.

Parmi les personnages célèbres à des titres divers, et dont l'histoire
doit garder les noms, le 1er janvier a vu mourir;
En 379, Saint Basile, évêque de Césarée;
En 1380, Charles le Mauvais, roi de Navarre;
En 1515, Louis XII, roi de France;
En 1560, le poète français Joachim du Bellay;
En 1715, le poète anglais Wycherley;
En 1763, l'abbé Dangeau, grammairien si passionné qu'il rompit avec
toutes ses maîtresses qui ne mettaient pas l'orthographe; et qu'un jour,
entendant parler d'une révolution prochaine, il s'écria. «Arrive ce qui
pourra, j'ai dans mon portefeuille 2,000 verbes français bien
conjugués;»
En 1800, le naturaliste Daubenton;
En 1817, le chimiste Klaproth.

Le 1er janvier s'est toujours montré favorable à la liberté.--Le 1er
janvier 1308, éclata la révolution qui assura l'indépendance de la
Suisse.--Le 1er janvier 1804, Saint-Domingue se déclara indépendante et
reprit son nom de Haïti.--Le 1er janvier 1815, le Chili proclama son
indépendance.--Le 1er janvier 1820, l'infortuné Riégo proclama, à Cadix,
la constitution des Cortès, et deux ans plus tard la Colombie promulgua
sa constitution.

Parmi les autres événements historiques, scientifiques ou littéraire,
qui eurent lieu le 1er janvier, nous mentionnerons la prise d'Harfleur
sur les Anglais (1450); le voyage de Charles-Quint en France (1510); la
levée du siège de Metz (1554); la création du ministère de police
(1796); l'entrée en fonctions du Corps-Législatif et du tribunat (1800);
la reddition de Dantzick (1814); la première représentation Phèdre
(1677); la découverte de Céres par Piazzi (1801), etc., etc.

Que se passera-t-il le 1er janvier 1844? Nous n'osons pas le prédire;
mais... qui vivra verra.



Modes de 1844, par Grandville.--Rébus.

Comment s'habillera l'année 1844? C'est là une grave question, une
question qu'il serait bon de soumettre à un conclave de couturières et
de marchandes de modes; ces demoiselles (j'aime à le croire) sont
compétentes en cette matière, et peuvent seules annoncer l'avenir
réservé au cotillon; car elles sont naturellement les Lenormand et les
Cassandre de la mode. Pourquoi, en effet, ne la prédiraient-elles pas,
puisqu'elles l'inventent? Nous dirons la même chose de MM. les
tailleurs, qui ont inventé, entre autres découvertes commodes, les
habits qui se déchirent comme de l'amadou, et les pantalons qu'on ne
peut pas mettre: mode excessivement agréable pour les personnes qui ont
besoin d'allumer un cigare, et pour celles qui tiennent à ne pas être
trop vêtues. Quoi qu'il en soit, nous devons à l'indiscrétion d'un
tailleur de la place de la bourse, et d'une marchande de modes de la rue
Vivienne, le bonheur de pouvoir vous offrir ce _fac similé_ du costume
masculin et féminin qui aura cours en 1844, et sera ce qu'on appelle
_bien porté_.

[Illustration.]

Costume de femme: bonnet à la vieille; paletot: manchettes de fourrures;
robe à volant, en lambrequin; cigare il trois sous.

Costume d'homme: paletot-sac, canne et parapluie; lunettes; ou continuera
à porter beaucoup de barbe, mais très-peu de cheveux.

Costume d'enfant: Scotto-Jean-Jacques.

Ces modes ne sont pas neuves; mais on ne peut pas dire non plus qu'elles
soient consolantes; mais que voulez-vous? le monde se fait vieux, et
l'humanité n'est pas gaie: il est logique qu'elle prenne un habit
uniforme.

Maintenant, chers lecteurs, en attendant que vous passiez chez, votre
tailleur ou chez votre couturière pour vous faire habiller à la 1844,
permettez-moi de vous offrir vos étrennes, au nom de ma très-chère mère
_l'Illustration_: j'ai cherché ce qui pourrait vous convenir le mieux,
car j'ai le désir sincère de vous plaire. Ma première idée était de vous
envoyer à chacun, dans une papillote, un contrat de 50,000 livres de
rentes, 5 pour 100; mais il m'a semblé plus délicat de vous offrir le
présent _rébus_. Le rébus fait votre bonheur, je le sais: veuillez donc
accepter celui-ci avec mes salutations bien cordiales.



[Illustration: Rébus.]


EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.
Moïse sauvé des eaux.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 0044, 30 Décembre 1843" ***

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