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Title: L'Illustration, No. 3692, 29 Novembre 1913
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3692, 29 Novembre 1913" ***


L'Illustration, No. 3692, 29 Novembre 1913

AVEC CE NUMÉRO _"La Petite Illustration"_ CONTENANT _LE SECRET_ PIÈCE EN
TROIS ACTES par HENRI BERNSTEIN

[Illustration: LA REVUE COMIQUE, par Henriot.]

Ce numéro contient:

1º LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre n° 21: LE SECRET, de M. Henry
Bernstein;

2º Un SUPPLÉMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER de deux pages.



[Illustration: L'ILLUSTRATION _Prix du Numéro: Un Franc._ SAMEDI 29
NOVEMBRE 1913 _71e Année.--Nº 3692._]

[Illustration: LA FRANCE EN ASIE MINEURE Une visite de l'état-major de
notre première escadre de la Méditerranée aux écoles françaises d'Adana.
L'amiral Nicol sort de l'école des filles, accompagné par la directrice,
soeur Mélanie. _Phot. Mavropoulo.--Voir l'article, page 407._]


L'échéance de la fin de décembre étant une des plus importantes de
l'année, nous demandons à ceux de nos lecteurs dont l'abonnement expire
à cette date de vouloir bien ne pas attendre pour le renouveler les
derniers jours du mois. En nous adressant le plus tôt possible leur
renouvellement (France et colonies: 40 francs; Étranger: 52 francs), ils
épargneront un surmenage excessif à nos employés au moment des fêtes de
Noël et du Jour de l'An, et ils éviteront en même temps tout retard dans
la réception des premiers numéros de 1914.


NOTRE NUMÉRO DE NOËL

_Le numéro de Noël de_ L'Illustration a éveillé de tout temps la
curiosité et la sympathie du public. Mais c'est surtout dans ces
dernières années qu'une faveur croissante des amateurs d'estampes et des
bibliophiles a fait, de son apparition très attendue, une sorte
d'événement artistique.

Cette vogue flatteuse nous créait des devoirs et nous obligeait chaque
année à augmenter le luxe et le volume de cet album, à inventer des
présentations nouvelles de nos gravures, à varier les procédés de
reproduction, à faire de notre «Noël» une manière de résumé des
perfectionnements des arts graphiques à notre époque.

Et chaque année aussi notre tâche devenait plus difficile, car, au
problème de la qualité, s'ajoutait celui non moins ardu de la quantité.
En huit ans, le tirage du numéro de Noël a doublé. Il dépassera cette
fois le chiffre de 200.000 exemplaires.

Depuis plusieurs mois les feuilles, au fur et à mesure de leur
impression, viennent s'entasser dans les immenses réserves de la maison
G. de Malherbe, à Vaugirard, où elles forment aujourd'hui un monceau de
325 mètres cubes, pesant 268.000 kilos. Deux cents ouvrières procèdent
au collage de 9 millions de gravures tirées à part. Il y a deux
semaines, l'assemblage et le brochage ont été mis en train, et
l'expédition des numéros commencera mercredi prochain 3 décembre, à
raison de 20.000 à 25.000 par jour, ce qui demandera neuf ou dix jours
pour épuiser le tirage.

Il est matériellement impossible d'activer davantage la sortie d'une
édition de pareille importance, car chaque numéro doit être vérifié
après brochage, et nous prions nos abonnés de ne pas nous adresser de
réclamations avant le 10 décembre, en cas de retard dans la réception de
leur numéro. Ils ne nous en voudront pas de leur demander un peu de
patience, quand ils sauront quel désintéressement nous impose la
fabrication de cette prime, dont le prix de revient, supérieur à 500.000
francs, dépasse de plus de 150.000 francs toutes les recettes
réalisables par l'abonnement, la vente et les annonces.

Ce sacrifice est si réel que nous avons dû, cette année, refuser la
fabrication de 75.000 exemplaires que d'importantes firmes d'Allemagne,
d'Argentine, et un grand journal de New-York nous avaient demandé
d'imprimer en allemand, en espagnol et en anglais: nous ne pouvions
admettre pour ces éditions étrangères la perte que nous nous résignons à
subir sur l'édition française.

Cet empressement de l'étranger, confirmé par les demandes qui nous
arrivent de tous pays, est à l'honneur de l'industrie et du goût
français, et nos lecteurs et amis nous permettront de tirer vanité du
fait qu'aucune publication similaire n'est attendue avec autant de
faveur et d'impatience que l'album annuel de_ L'Illustration _française.
Un libraire de Vienne n'offrait-il pas par une annonce, en janvier
dernier, 2.000 francs pour 100 exemplaires du Noël de 1912 qu'il n'a pu,
du reste, obtenir, l'édition ayant été épuisée dès son apparition.

                                      *
                                     * *

Le «clou» du Noël de 1913 sera une étude magnifiquement illustrée sur le
MUSÉE JACQUEMART-ANDRÉ, ce somptueux palais, cette merveilleuse
collection, comparable seulement à la collection Wallace de Londres,
dont l'Institut de France vient d'hériter et dont il ouvrira les portes
au moment même où paraîtra notre numéro.

Vingt-six gravures remmargées, dont sept grandes planches, accompagnent
le texte qu'ont écrit pour_ L'Illustration _M. Henry Boujon, secrétaire
perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts et membre de l'Académie
française, et M. Emile Bertaux, chargé de cours à la Sorbonne et
conservateur du nouveau musée.

La peinture des anciens maîtres est encore représentée dans notre album
par deux oeuvres d'une grâce incomparable, et peu connues, puisqu'elles
appartiennent à des collections privées, celles des barons de Bothschild
de Londres et de Vienne: Le Baiser envoyé de Greuze, et un portrait
intime de la Marquise de Pompadour par Boucher.

Parmi les artistes vivants, Marcel Baschet, de l'Institut, J. A.
Muenier, Helleu, Edmund Dulac, Antoine Caïbet, Pierre Duménil, Mossa, F.
Waldraff et Clément Mère ont apporté à_ L'Illustration--Noël _de 1913 la
plus brillante collaboration.

De Marcel Baschet, c'est un très séduisant profil de Jeune Fille au
pastel; de J. A. Muenier, le Réveil, qui fut le succès du dernier Salon;
de Paul Helleu, un admirable type d'American beauty.

Edmund Dulac, un des plus appréciés et le plus fidèle des collaborateurs
de nos Noëls, a transposé cette année en savoureuses aquarelles des
Chansons françaises du vieux temps: _la Petite lingère, l'Amoureux
transi, Cadet Rousselle, Ma Lison._

Pour célébrer la Jeunesse, et le passé où elle s'épanouissait
librement, deux poètes se sont associés; les vers d'André Bivoire
encadrant les aquarelles d'Antoine Calbet, c'est, en quatre pages, toute
une évocation de la vie antique, des âges d'or.

Et voici, en contraste, les Deux Notre-Dame, Paris et Chartres, les
admirables cathédrales gothiques: à leur fervente célébration n'ont pas
moins heureusement collaboré le pinceau habile de Pierre Duménil et la
plume érudite de Péladan.

Dans ce numéro de Noël, il y a, enfin, un Conte de Noël: la Vierge
Sarrasine. Ce récit, à la fois naïf et raffiné, est l'oeuvre d'un grand
écrivain, Jules Lemaître. Et il est illustré, par Gustav Adolf Mossa,
d'images précieuses comme des miniatures de missel.

Pour présenter_ L'Illustration-Noël _de 1913, F. Waldraff et Clément
Mère ont composé une couverture et un frontispice qui sont d'excellents
exemples des recherches nouvelles en matière d'art décoratif.

Ainsi, du commencement à la fin de ce numéro, chaque page, chaque
gravure, chaque ornement a été l'objet de soins attentifs. Le goût du
grand public s'affine de plus en plus et ne supporte plus aucune
médiocrité, aucune banalité. Nous avons voulu que rien de médiocre ou de
banal ne s'introduisît dans l'ensemble que nous composions à l'intention
de nos lecteurs. Nous croyons avoir réussi.



COURRIER DE PARIS

ADIEUX AUX DÉCORS DU PASSÉ

Il suffit de quitter Paris pendant plusieurs mois pour s'apercevoir, à
la rentrée, des énormes changements qui chaque année s'y opèrent en
notre absence avec une rapidité et une audace surprenantes. Ils nous
frappent et nous blessent chaque fois en nous laissant un fonds de
triste colère. Sans doute, quand le mal se fait devant nous, sous nos
yeux, nous sommes atteints, mais pas de la même façon... tandis que, si
nous le trouvons accompli à notre retour, il nous sembl--circonstance
aggravante--que l'on ait profité de notre éloignement pour le commettre
avec plus d'effronterie et de malice.

Voici les Champs-Elysées. Jamais je n'ai mieux senti qu'en les revoyant
la semaine dernière la transformation qu'ils ont commencé depuis dix ans
de subir.

A peine appréciable d'abord, entamée avec mesure et timidité, puis,
mettant bientôt dans sa marche un sans-gêne assuré de toutes les
protections, l'oeuvre néfaste est aujourd'hui--sinon totalement et en
fait--du moins moralement achevée et couronnée. Les Champs-Elysées ont
vécu, et ce qui existe à la place est tout autre chose qui ne les
rappelle en rien. _L'avenue_ des Champs-Elysées est morte, et c'est
maintenant le _boulevard des Champs-Elysées_. Pendant quarante-cinq ans
de notre vie qui portent le nom d'hier, ce beau chemin fut une allée
d'honneur, une avenue de parc impérial, vaste, déserte à certains
moments, et qui, même avec de la foule, ne paraissait jamais tout à fait
remplie, une voie spacieuse, solennelle, fière et jolie, et dont les
arbres étaient la note dominante. On pouvait croire qu'il n'y avait pas
de maisons... Et, quand elles se révélaient, c'était mieux que des
maisons: des hôtels, qui se tenaient un peu en arrière, comme exprès,
bien rangés au second plan. On eût dit qu'ils montaient la garde.

Une majesté charmante, une grâce paisible et toute particulière
ennoblissaient cette promenade. Elle respirait le calme et le luxe
tranquille. Même à ses heures de plus vive animation, elle n'était pas
bruyante et désordonnée. On la comprenait. Elle avait un sens qui
s'imposait dans la clarté des grandes lignes. On pouvait s'imaginer
qu'elle avait été faite d'un coup, qu'elle était la réalisation,
lointaine et soudaine, d'un dessein bien préparé, tellement elle
offrait, dans son ensemble, sa perspective, et le fondu de toutes ses
parties, une harmonieuse distinction. Monter et descendre cette belle
voie «appienne» de verdure, d'où étaient absentes l'image et l'idée des
tombeaux, et qui ne s'imposait que comme le riant décor de la vie, de la
vie aimable, enivrante, facile, toute droite, et de pente douce, avec un
portique de gloire et des horizons rassurants à ses extrémités...
constituait une des plus profondes joies quotidiennes pour le Parisien
voluptueux de sa ville. Les Champs-Elysées étaient le centre et le
jardin de sa pensée. Il ne craignait pas de faire un détour--en allant à
son devoir ou à sa folie--pour goûter le plaisir de les suivre ou de les
traverser, d'en attraper au moins un bout. C'était une espèce de bain
rafraîchissant qu'il prenait chaque fois dans une incroyable détente.
Ces Champs-Elysées-là n'éveillaient aucune idée commerciale. Les seules
boutiques de l'avenue--dont on n'avait pas le coeur de lui faire un
reproche, tant leur modestie s'affirmait touchante et gentille--étaient
ces petites constructions de bois découpé où des marchandes en bonnet et
à fichus de laine noire... qui avaient l'air un peu parentes des «femmes
aux chaises» des églises (n'étaient-ce pas les mêmes?), vendaient des
sucres d'orge verts et des biscuits roses, des toupies lie de vin
couleur d'oeuf dur et des fouets de postillon dont les pompons de laine
semblaient avoir été pris au trousseau des bébés qui les agitaient
innocemment. Rien n'était plus facile que de s'isoler et de s'asseoir à
l'écart pour lire, ou penser, si le spectacle de la chaussée sillonnée
de brillants équipages vous semblait une fatigue ou une dissipation trop
prolongée. Enfin, les Champs-Elysées donnaient bien l'impression d'une
promenade réservée, d'un salon, d'un palais de verdure, d'une route
magnifique et souveraine tracée au milieu de Paris pour procurer à ceux
qui s'y engageaient une satisfaction de la plus haute et de la plus rare
qualité.

Qu'est devenu aujourd'hui ce lieu incomparable? Qu'en a-t-on fait et
laissé faire? Un boulevard... qui garde sans doute encore çà et là un
peu de la beauté de ses premiers aspects. Mais l'ensemble est atteint et
gâché. Les lignes sont rompues. Le commerce, en l'envahissant, lui a
retiré son désintéressement et sa fierté. Il en est des Champs-Elysées
comme de la place Vendôme et de tant d'autres endroits sur lesquels est
venue s'abattre la hideuse réclame, la publicité outrancière par
l'affiche, par l'abus des violentes couleurs, des formes excessives, par
l'éclairage extravagant et la pétarade des feux,... par tous les
procédés nouveaux enfin qui font de nos rues d'aveuglants champs de
foire, des Luna-Park et des Magic-City... des décors d'Exposition
universelle un jour de fête de nuit. On cherche malgré soi les chevaux
de bois à vapeur et les montagnes russes... Je me représente un défunt
d'il y a seulement vingt ans, ramené brusquement à la vie... et au
rond-point... vers les six heures... Il ne sait pas où il est: il ne
reconnaît rien... Il voit des maisons de sept étages à dômes, à
coupoles, à minarets, toute une architecture qui semble le résultat
classé d'un concours d'incohérence et de laideur, il voit des
inscriptions en lettres de feu, fixes, bicolores, multicolores,
alternantes, giratoires et en spirales, éclatant et courant le long des
maisons, à tous les étages, dans tous les sens, horizontalement,
verticalement, en oblique... il voit des théâtres, des cinémas, des
terrasses de café, des magasins d'auto, de chemiserie, d'articles
anglais... il voit des panneaux de toile où un enfant de deux ans de
vingt mètres de haut, tout nu, avec un nombril grand comme une horloge
de gare, glorifie un savon... il voit des hôtels cosmopolites d'une
telle élévation que l'Arc de triomphe, écrasé par leur voisinage, n'est
plus qu'une petite curiosité pour les amateurs de Vieux Paris, moins
qu'une porte Saint-Denis ou Saint-Martin... il est alors ahuri,
terrifié; «mais qu'est-ce que c'est que tout ça? qu'est-ce qui se
passe?» et quand on lui répond: «Il ne se passe rien, c'est la vie
ordinaire, courante. Vous êtes dans les Champs-Elysées», il tombe à la
renverse et remeurt de saisissement.

Je ne voudrais pas que l'on crût que je méconnais les beautés du
progrès, les efforts de l'activité humaine et des temps nouveaux. Je
pense qu'il faut être de son époque et qu'il y a là un devoir,
douloureux parfois, mais qu'il convient de remplir, et que c'est mal se
comporter que de mettre des bâtons dans les roues, et de se livrer à un
dénigrement systématique, à des railleries ou à des plaintes faciles au
lieu d'encourager un mouvement nécessaire, qui n'existe pas par hasard
mais parce qu'il a ses raisons lointaines, ses causes puissantes,
irrésistibles, et qu'il vaut mieux en somme essayer de le diriger que de
prétendre l'arrêter, ce qui est folie. Mais, ceci accordé, il y a une
chose qui me heurte et que je ne comprends pas, c'est la résolution, le
parti pris d'abîmer toute beauté acquise et reconnue, consacrée par
l'admiration générale, pour les besoins de n'importe quelle entreprise
commerciale et industrielle, de toute affaire au bout de laquelle est le
gain. Faut-il donc ABSOLUMENT pour que d'honorables commerçants attirent
l'attention sur eux et leurs produits et les écoulent mieux, que des
lettres d'or et des tableaux démesurés couvrent les murs des édifices
sur les places de Notre-Dame des Victoires et Vendôme,... et ailleurs?
Pourquoi choisir précisément ces endroits réputés et longtemps
respectés? J'entends la réponse des _intéressés_: Nous ne les
choisissons pas, nous les habitons, nous sommes chez nous... Je
réplique: Non. Vous êtes chez vous dedans, mais pas dehors. La façade
est à tous, elle est à moi. Il y a des servitudes de bruit et de
tapage... On n'a pas le droit de faire partir dans la rue des bombes,
même inoffensives, ni des pétards... ni de se masser, de se rassembler,
ni de hurler sans raison, ni de sonner des cloches, ni de faire scandale
de quelque façon que ce soit. Pourquoi n'y a-t-il pas des servitudes
pour les yeux comme il y en a pour les oreilles?... pourquoi
l'obsession, la persécution par le panneau-réclame et l'inscription
fulgurante sont-elles tolérées? Si vingt personnes, dès que je sors,
s'attachaient à mes pas, pour me crier pendant des heures le nom d'un
bouillon ou d'une oxygénée, je n'aurais qu'à appeler des agents et on
les arrêterait... et cependant ce même bouillon et cette même oxygénée
ont le droit de s'attacher à mes yeux sur tous les murs et de forcer mes
regards, de me suivre, quand je marche, sans que je puisse éviter cet
attentat quotidien. Voilà qui est incroyable.

Mais à quoi bon répéter ces choses cent fois dites, et se lamenter!

Il n'y a plus rien à faire qu'à subir, impassible et serein, l'invasion
de la voie publique par la laideur. Toutes les protestations, toutes les
indignations ne produiront pas d'autre effet que d'augmenter le mal et
de le déchaîner... Il faut prendre son parti des affiches, des
gratte-ciel, des cacophonies de lumière sur les façades, des imageries
canaques sur les pans de murs, de tout enfin, et dire adieu aux beautés
de site et de paysage, à toutes les harmonies décoratives
d'architecture, de vue, de perspective, qui disparaissent les unes après
les autres, spécialement visées et attaquées par la Laideur dans un duel
à mort, où elles ne peuvent plus se défendre. Jouissons avec un égoïsme
désolé des derniers tableaux, des derniers dioramas, des derniers
aspects attachants et chargés de passé que nous donne encore en de
certains endroits oubliés ou mal connus Paris saccagé, livré aux apaches
de la réclame personnelle, aux barbares de la publicité. Ne nous vantons
pas surtout de ces vestiges, conservés par le hasard pieux, car, si nous
avions le malheur d'en parler... dès le lendemain, on trouverait un
prétexte pour les souiller ou les anéantir. La laideur est à tous les
coins de rues, on ne voit qu'elle, débordante, stupide, altière. Avant
cinq ans la place de la Concorde commencera d'entrer en agonie.

HENRI LAVEDAN.

_(Reproduction et traduction réservées.)_



A LA MÉMOIRE D'UN GRAND MÉDECIN

Les élèves, les amis du professeur Georges Dieulafoy ont élevé à ce
grand médecin un monument commémoratif qui est à la fois un hommage
d'admiration à son caractère, à sa haute valeur professionnelle et un
tribut de gratitude pour tous les services qu'il a rendus, au cours de
sa belle et calme carrière, à la science et à l'humanité.

Ce monument, inauguré dimanche dernier à l'Hôtel-Dieu, est dû à la
collaboration de deux maîtres éminents, M. Charles Girault qui en
composa l'architecture, et le médailleur Vernon qui a modelé une très
frappante effigie du regretté praticien. Il a ces qualités de
convenance, de sobriété, de discrétion que nous louions récemment dans
le buste dédié à Lamartine, à Bergues, dans le Nord. Très simple,
composé de motifs de décoration d'un pur classicisme, il consiste en une
stèle d'harmonieuses proportions sur laquelle s'enlève le médaillon de
M. Vernon, et qu'on a scellée contre le mur de la galerie qui, au
premier étage de l'immense maison hospitalière, conduit à l'amphithéâtre
Trousseau, à cette salle où, pendant tant d'années, d'une parole
élégante et persuasive, le professeur Dieulafoy dispensa une science
très sûre et les fruits d'une consciencieuse expérience.

[Illustration: Le monument du professeur Dieulafoy à l'Hôtel-Dieu.]

L'inauguration eut lieu en présence d'une assistance choisie où l'on
remarquait, autour de M. Liard, vice-recteur de l'Université de Paris,
de M. Mesureur, directeur de l'Assistance publique, de M. Bayet,
directeur de l'enseignement supérieur, et de M. le sénateur Strauss,
toutes les sommités de l'art médical. Mme Georges Dieulafoy, veuve de
l'éminent professeur, assistait également, avec les membres de sa
famille, à cette cérémonie.

Successivement, M. le professeur Widal, président du comité de
souscription, qui, au nom des élèves du maître, fit remise du monument à
la clinique médicale de l'Hôtel-Dieu, puis M. le professeur Landouzy,
doyen de la Faculté de médecine, firent, de leurs différents points de
vue, l'éloge de Georges Dieulafoy. M. Mesureur, enfin, traça de ce
collaborateur éminent de l'Assistance publique un portrait fidèle et
délicat. Et, aux apologies qu'avaient prononcées les deux précédents
orateurs de «cet artiste scientifique», il demanda à ajouter
l'expression de la reconnaissance du grand service qu'il dirige «pour le
bienfaiteur, pour l'ami des pauvres et des malades, pour l'éducateur
enthousiaste de la jeunesse».



[Illustration:
La maison d'un grand seigneur en Albanie.
Les cabanes qu'habitent les paysans.
Photographies F. de Jessen.]

LE FUTUR PRINCE D'ALBANIE

Notre confrère danois M. F. de Jessen--dont on n'a pas oublié
l'intéressante collaboration à ce journal, naguère--est, à l'heure
actuelle, l'un des journalistes qui connaissent le mieux la question
albanaise. Dans une récente correspondance qu'il nous adressait, il
rapportait que comme, en mai dernier, il se préparait à s'aller
renseigner sur place et à explorer l'Albanie entière, il avait
rencontré, à Vienne, une délégation qui justement se préoccupait de
l'organisation du futur État, de son gouvernement, et surtout du choix
de son souverain. Et Soureya bey Vlora, ancien député de Bérat au
Parlement ottoman, qui la conduisait de chancellerie en chancellerie,
lui exposait alors les voeux du gouvernement dans les termes suivants,
qui revêtent presque l'allure d'une annonce:

«Nous cherchons un prince. Il doit connaître les méthodes de
gouvernement en vigueur dans les monarchies constitutionnelles. Il doit
être simple dans ses habitudes et d'un commerce facile. On ne peut, pour
le moment, lui accorder qu'une liste civile modeste. Quant à la
religion, sans être absolument fixés, nous préférerions qu'il fût de
religion protestante. Nous aimerions, de plus, qu'il possédât une
certaine fortune. Mais il serait inutile aux candidats de se présenter
s'ils n'avaient l'agrément de Vienne et de Rome.»

Le prince Guillaume de Wied, qui ne peut ignorer ce programme de
concours imposé aux candidats au trône d'Albanie, croit être l'homme
rêvé. Il a fait agréer «par l'Europe», disent les journaux, sa
candidature. Et il attend l'appel de l'Albanie.

Le prince Guillaume, né le 26 mars 1876, à Neuwied, capitale de la
principauté de Wied, dans la régence de Coblentz, Prusse rhénane, est
capitaine prussien affecté à l'état-major général de l'armée. Il est de
grande et d'ancienne lignée, et l'_Almanach de Gotha_ enregistre
l'apparition authentique, dans l'histoire, de la maison de Runkel, dont
sont les princes de Wied, avec Sigefroi III, en 1226 Son frère aîné,
Frédéric, sixième prince de Wied, est actuellement le chef de la famille
et haut seigneur à Neuwied. La reine Elisabeth de Roumanie est sa propre
tante,--et peut-être cette deuxième parenté ne fut-elle pas étrangère à
l'accueil que trouva, en certains lieux, sa candidature.

La photographie reproduite ici, qui fut prise à une réunion sportive, à
Bucarest précisément, montre le prétendant favori sous l'aspect d'un
gentleman de belle mine. Quant à la simplicité et à la bonne grâce que
réclamait le gouvernement de Valona, on n'en saurait juger sur image.
Par ailleurs, le futur prince--voire roi d'Albanie--s'il est dûment
prévenu qu'il ne saurait escompter une très forte liste civile, doit
encore avoir été avisé qu'il ne saurait être bien exigeant non plus sur
la question du logement. Il apparaît qu'il trouvera difficilement un
palais digne de son antique noblesse, dans ce pays où les paysans
habitent des chaumières misérables, et où les grands eux-mêmes n'ont
pour asile qu'une maison bien simplette, et peu décorative. Mais il est
d'âge à bâtir,--puisque aussi bien les jouvenceaux de la fable en
reconnaissaient le droit même à l'octogénaire.

[Illustration: L'élégant gentilhomme allemand qui veut régner sur la
fruste Albanie. Photographie H. Ghinsberg, montrant le prince et la
princesse Guillaume de Wied dans l'enceinte d'un champ de courses de
Bucarest.]



[Illustration: La première escadre de la Méditerranée manoeuvrant devant
Djounieh, sur les côtes du Liban.--_Phot J. Lind._]

L'ESCADRE FRANÇAISE DANS LE LEVANT

La croisière de la première escadre dans la Méditerranée se poursuit
dans les meilleures conditions, et nos marins voient se renouveler, dans
chacun des ports qu'ils touchent, les manifestations de sympathie que
nous enregistrions la semaine dernière, en rendant compte de leur escale
à Alexandrie d'Égypte.

Le 5 novembre, après avoir salué au passage Aboukir et les souvenirs
qu'il évoque, puis Chypre, d'assez loin, l'amiral de Lapeyrère arrivait
à Mersina.

Un navire allemand y était mouillé, le _Goeben_, avec lequel on échangea
les courtoisies d'usage, tout en lui montrant une manoeuvre magistrale.

Mersina, en soi, n'offre pas un grand intérêt. Mais c'est le port
d'Adana, dont le nom se voile encore du tragique souvenir des massacres
d'Arméniens.

L'amiral Boué de Lapeyrère chargea son chef d'état-major, l'amiral
Nicol, d'aller jusqu'à cette ville, chef-lieu de vilayet. Aussitôt après
les visites officielles, l'amiral, qu'accompagnaient M. Lorgeou, consul
de France, et Mme Lorgeou, se rendait aux établissements scolaires
français, qui sont toujours dans tout l'Orient les meilleurs auxiliaires
de notre influence.

Au collège des pères jésuites, tout pavoisé aux couleurs nationales, où
se trouvait momentanément, en tournée d'inspection, le E. P. Chanteur,
supérieur provincial, en résidence à Lyon, les religieux et leurs quatre
cents élèves, la petite colonie française groupée autour d'eux, firent à
l'amiral et aux officiers qui l'accompagnaient un accueil triomphal.
L'amiral Nicol donna connaissance aux maîtres, aux disciples et à leurs
hôtes français d'une éloquente lettre dans laquelle le commandant en
chef de la première escadre leur adressait le salut de la France. Des
acclamations enthousiastes accueillirent sa lecture, et tous les enfants
entonnèrent l'_Hymne au drapeau_.

Puis l'amiral Nicol, toujours accompagné du consul de France, et guidé
par le E. P. Chanteur, rendit tour à tour visite au pensionnat des
religieuses de Saint-Joseph de Lyon et à l'hôpital français dirigé par
des soeurs du même ordre. Les représentants de la France retrouvèrent,
ici et là, la même réception chaleureuse.

Dans la soirée, l'amiral et les officiers qui l'accompagnaient
s'embarquaient à la gare pour rejoindre, par la nouvelle ligne
Adana-Toprak-Kalé, la première division de l'escadre, arrivée à
Alexandrette.

Cependant, la deuxième division visitait tour à tour Latakieh qui a
donné son nom au blond tabac parfumé, puis, longeant la côte du Liban,
Djounieh et sa baie magnifique.

La région est peuplée de catholiques maronites, nos loyaux amis depuis
les Croisades. La journée passée dans cet aimable petit port est
peut-être celle qui, de tout ce voyage, laissera dans la mémoire de ceux
qui l'ont vécue le plus durable souvenir, tant fut empressée,
affectueuse, débordante de cordialité, et pittoresque aussi,
l'hospitalité qu'ils trouvèrent parmi cette population fidèle et plus
particulièrement auprès du patriarche.

Le prélat les reçut solennellement, entouré de ses évêques; puis il fit
servir, en l'honneur des officiers français, un déjeuner magnifique,
arrosé des généreux «vins d'or» des vignes du Liban.

L'empressement de leurs hôtes ne laissa pas à nos marins un moment de
répit. Après une intéressante station aux archives du patriarcat, où
sont conservés des autographes de vingt rois de France, ce fut la
tournée à travers des écoles, des collèges, des asiles. «Partout, écrit
l'un des officiers de l'escadre, c'était la même joie profonde de nous
voir; c'étaient le même enthousiasme juvénile, les mêmes acclamations
parties du coeur, presque les mêmes discours où la France était
exaltée.»

[Illustration: A Adana: le contre-amiral Nicol visitant le collège des
Pères Jésuites. A sa droite, le P. Chanteur, supérieur provincial; à sa
gauche, M. Lorgeou, vice-consul de France. _Phot. Mavropoulo._]



[Illustration: Une gare du Bagdad: Oulou Kichla, la plus élevée de la
ligne (1.467 m.). A remarquer l'orthographe française de l'inscription.]

LE CHEMIN DE FER DE BAGDAD

Les négociations depuis quelque temps engagées entre la France et la
Turquie d'abord, puis entre l'Allemagne et la Turquie et à propos
desquelles Djavid bey, ministre des Finances du cabinet Saïd-Halim,
séjourne à Berlin, en attendant de venir à Paris, ont appelé à nouveau
l'attention générale sur la grosse question des concessions de chemins
de fer en Asie Mineure, et en particulier sur la plus importante d'entre
elles: le «Bagdad». Peut-être n'est-il pas inutile de saisir cette
occasion de préciser exactement l'état actuel des travaux.

De Haïdar-Pacha, sur la rive asiatique du Bosphore, en face de
Constantinople, le «chemin de fer ottoman d'Anatolie» va jusqu'à Konia,
l'ancienne Iconium, à 750 kilomètres dans l'intérieur[1].

[Note 1: L'aviateur Daucourt, se rendant de Paris au Caire, vient
précisément de parvenir à Konia, par la voie des airs, le jour même où
est écrit cet article.]

C'est à Konia que commence le Bagdad proprement dit, ou, pour l'appeler
de son nom officiel: la «Compagnie impériale ottomane du chemin de fer
de Bagdad». Aujourd'hui les trains (un train mixte par jour dans chaque
sens) circulent jusqu'à la station de Karabounar, à 303 kilomètres plus
loin au sud-est, au milieu des montagnes du Taurus, et non pas, comme on
le dit généralement, au pied.

Le Taurus n'est, en effet, du côté du nord, que le prolongement presque
insensible des hauts plateaux de Lycaonie, situés à plus de 1.000 mètres
d'altitude (Konia, 1.028, Eregli, 1.050). Jusqu'au point culminant de
1.467 mètres en deçà de la station d'Oulou Kichla, on ne rencontre
presque aucun ouvrage d'art: vers le sud, au contraire, la chaîne
s'abaisse rapidement vers la mer et présente, quand on la regarde de la
plaine d'Adana, l'aspect d'un formidable rempart.

Les rampes deviennent très raides, à la descente: il y en a de 26mm par
mètre qui interdisent l'emploi de trains pesant plus de 100 tonnes. On a
exécuté assez vite les tranchées, hauts remblais et courts tunnels qui
séparent Oulou Kichla de Karabounar pour arriver à la cote 770; mais là
les difficultés ont commencé. Laissant à l'ouest les fameuses portes de
Cilicie par où passèrent Alexandre le Grand, les envahisseurs arabes et
les Croisés, la voie s'engage dans l'étroite gorge du Tchakit, affluent
du Seihun, jusqu'à ces derniers temps inaccessible et qui nécessitera 12
kilomètres de tunnels, ponts et viaducs. Le premier tunnel, celui de
Belemedik, long de 1.700 mètres, est à moitié foré, mais les autres sont
à peine commencés et l'ensemble ne sera pas terminé avant un an et demi.

[Illustration: Carte de la traversée du Taurus.]

L'une des photographies ci-jointes donne une idée des conditions dans
lesquelles s'effectue le transport des matériaux dans un ravin aux bords
escarpés et profond de 1.000 mètres: il a fallu tout d'abord établir
dans le roc une route provisoire qui vaut, pour le pittoresque, les plus
renommées des Alpes.

Après une interruption d'une vingtaine de kilomètres, le service reprend
sur un second tronçon au sud du Taurus, depuis la station de Dorak
jusqu'à celle de Mamouret, au pied de l'Amanus ou Aima Dagh, à travers
la fertile plaine d'Adana, où l'on cultive les céréales et le coton. Sur
une dizaine de kilomètres, entre Yenidje et Adana, la voie nouvelle se
confond avec celle de l'ancienne ligne française de Mersina à Adana,
rachetée en 1901.

Contrairement à ce qui avait été décidé dans le premier projet, la ligne
principale ne touche pas Alexandrette; il aurait fallu pour cela lui
faire longer sur un certain parcours les bords du golfe. Abd-ul-Hamid,
craignant de la voir facilement couper par un bombardement ou un
débarquement, exigea qu'elle demeurât à une demi-journée de marche de la
mer.

[Illustration: Route construite pour permettre les travaux dans les
gorges du Tchakit.]

A Toprak Kale se détache un embranchement de 60 kilomètres, dont
l'inauguration vient d'avoir lieu et qui mène à la petite ville dont les
Allemands veulent faire un grand port: ils en ont obtenu la concession.

D'autres travaux très importants sont nécessaires pour franchir
l'Amanus, entre autres un tunnel long de plus de 5 kilomètres, celui de
Bagtché, où dernièrement une explosion tuait vingt ouvriers. Le forage
est lent, et il s'écoulera deux années au moins avant que le premier
train parti de Constantinople atteigne Alep.

Un troisième tronçon en exploitation va de Radjoun, à l'est de l'Amanus,
à Alep (95 kilomètres) et se confond à 15 kilomètres au nord de la ville
avec un dernier venu de Djerablis (l'ancienne Europos) sur l'Euphrate
(105 kilomètres).

On a déjà jeté un pont provisoire sur le fleuve et, dans le courant de
1914, 100 ou 200 kilomètres nouveaux seront ouverts dans la direction de
Ras el Aïn, et 100 autres le long du Tigre, entre Bagdad et Samara: on
estime qu'en 1917 Bagdad sera reliée à Constantinople.

Le tracé définitivement adopté court en ligne droite de l'ouest à l'est,
de la vallée de l'Euphrate à celle du Tigre avec trois courts
embranchements projetés vers Marach, Aïn Tab et Ourfa: de Tell-Helif, un
autre beaucoup plus important passe par Diarbékir pour aller rejoindre à
Arghana le nouveau réseau français d'Arménie.

Le tronçon principal s'infléchit vers le sud en suivant sensiblement le
cours du Tigre, dessert Mossoul, et passe sur la rive droite où il reste
jusqu'à Bagdad.

Là il l'abandonne pour reprendre la vallée de l'Euphrate, passe à
Kerbela et à Nedjef, les deux villes saintes du chiisme, et ne s'en
écarte un peu qu'avant d'atteindre Bassora, terminus actuel de la
concession allemande, les Anglais ayant tenu, on le sait, à se réserver
le principal rôle dans le choix du point d'aboutissement au golfe
Persique et dans la construction du dernier tronçon.

[Illustration: LE RÉSEAU FERRÉ ASIATIQUE.--Chemin de fer de Bagdad et
autres lignes construites, en construction ou en projet.]

Les grands navires peuvent d'ailleurs remonter jusqu'à Bassora, et c'est
là que l'on s'embarque pour Bombay.

Instrument civilisateur de premier ordre, le chemin de fer de Bagdad
nous paraît devoir servir beaucoup plus au pays dans lequel il est
construit qu'à celui qui le construit.

S'il n'est pas destiné à transporter d'Europe en Mésopotamie, ou
inversement, les marchandises lourdes qui continueront à prendre la voie
de mer moins coûteuse, il peut, par contre, favoriser merveilleusement
le développement d'une région immense qui fut jadis l'une des plus
riches du monde et des plus avancées en civilisation, au temps des
empires de Ninive, de Babylone et de Bagdad. Il ne dépend que du
gouvernement turc de l'utiliser.

Aujourd'hui, partout où l'on travaille, les Allemands sont nombreux;
mais, l'oeuvre achevée, ils s'en vont et l'on est contraint de
reconnaître, sans parti pris, que le souvenir qu'ils laissent ne
contribue pas à faire aimer le nom allemand.

Comme dans leurs colonies, ils se révèlent maladroits et inaptes à
comprendre ceux auxquels ils commandent; à certains, la cravache paraît
facilement indispensable; à d'autres, soucieux avant tout des intérêts
de la Compagnie, il arrive de réduire les salaires convenus pour un
travail qu'ils estiment insuffisant; or l'indigène peut admettre la
violence, mais jamais l'injustice chez l'Européen. Quand, sur le quai
d'une gare dont le nom est écrit non pas seulement en caractères
français, mais même avec une orthographe française, où le chef de gare
parle français et turc, mais ignore l'allemand, on voit passer des
trains construits, il est vrai, en Allemagne, on se doute à peine, si
l'on n'est pas prévenu, que le Bagdad est une oeuvre--«la grande
oeuvre»--allemande.

Mais l'Allemagne n'est pas seule en Asie Mineure: la France et
l'Angleterre, venues avant elle, prirent toutes deux Smyrne comme point
de départ et pénétrèrent profondément dans l'intérieur.

La France a le réseau Smyrne-Cassaba qui envoie l'une de ses branches
vers l'est jusqu'à Afioun-Kara-Hissar (420 kilomètres) où elle rejoint
le Bagdad, mettant ainsi le cours de l'Anatolie en relations directes,
sinon pour l'instant rapides, avec la mer, l'autre vers le nord à
Panderma (275 kilomètres) sur la mer de Marmara, voie stratégique de
premier ordre puisqu'elle fait communiquer Constantinople avec Smyrne et
toute la côte sans passer par les Dardanelles.

L'Angleterre vient de prolonger jusqu'à Egherdir (500 kilomètres), au
bord du lac du même nom, sa ligne de la vallée du Méandre qui longtemps
s'arrêta à Dineir (Ottoman Smyrna and Aïdin Railway).

L'Italie, continuant sa politique méditerranéenne, a jeté son dévolu sur
Adalia au sud du Taurus: deux compagnies de navigation y font escale en
attendant que quelque jour une ligne en parte au nord sur Bourdour et
Isparta.

Mais toutes ces lignes même réunies n'égalent pas l'importance du réseau
que le dernier accord franco-turc vient de concéder à la France après
entente avec la Russie:

1° Sur le littoral de la mer Noire et en Arménie:

De Samsoun à Sivas par Amasia, d'où un embranchement se détache sur
Kastamouni;

De Sivas à Erzingan et Erzeroum;

De Sivas à Kharpout et Arghana (jonction avec le Bagdad);

D'Arghana à Bitlis et à Van;

D'Erzeroum à Trébizonde;

Soit au total, sans parler de prolongements ou de raccordements
ultérieurs possibles, environ 2.000 kilomètres;

2° En Syrie:

Prolongement vers le sud de la ligne à voie normale d'Alep à Rayak
(appartenant à la Compagnie Damas-Hamah et, prolongements) jusqu'en
Palestine à Ramleh ou Lydda sur l'autre ligne française de Jaffa à
Jérusalem.

Quand il sera terminé, et après l'achèvement sans doute plus rapide du
Bagdad entre le Taurus et Alep, il sera possible d'aller en wagon de
Constantinople, c'est-à-dire de Paris à Jérusalem et peut-être un peu
plus tard de Paris au Caire.

Qui sait si la génération qui nous suivra ne verra pas mieux encore: la
construction d'une des lignes qu'indique notre carte, le long du golfe
Persique, à travers l'Afghanistan jusqu'aux Indes? Qui sait si dans
cinquante ans un immense ruban de rails ne se déroulera pas ininterrompu
de Calais à Calcutta, comme il se déroule déjà de Lisbonne à Pékin?

HENRI VIMARD.

[Illustration: L'ascension par le rail des hauts plateaux d'Asie
Mineure: un train près d'Eski-Cheïr.]



[Illustration: Le plafond de l'École coloniale, par M. Claude
Bourgonnier.--_Phot. Vyzavona._]

A LA GLOIRE DE LA FRANCE COLONIALE

Le plafond que M. Bérard, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, a
commandé à M. Bourgonnier, pour la bibliothèque de l'École coloniale, a
été mis en place ces jours derniers. L'artiste a glorifié la France dans
une composition d'une belle et patriotique inspiration. Sous la figure
d'une femme qui se détache fièrement sur le drapeau aux trois couleurs
dont les plis se déroulent harmonieusement dans le ciel, la France voit
s'incliner devant elle les représentants des races qui peuplent son
empire colonial, rendant hommage à son génie: Arabes aux burnous
d'éclatante blancheur, Noirs d'ébène de nos possessions africaines,
Asiatiques aux yeux bridés de l'Extrême-Orient. A droite, l'Histoire
écrit sous la dictée de la Vérité.

S'inspirant des traditions vénitiennes, M. Bourgonnier a groupé, dans un
angle de sa composition, les fondateurs et directeurs de l'École
coloniale: MM. Étienne, ministre de la Guerre; Dislère, président du
Conseil d'administration de l'École coloniale; de Mouy, son
vice-président; Doubrère, son directeur; Yvon, son architecte; Hubert,
Frank Puaux, membres du Conseil. Dans cette bibliothèque où travaillent,
sans cesse, les futurs administrateurs de nos possessions lointaines,
l'idée était heureuse d'évoquer les bienfaits de la France
colonisatrice. M. Claude Bourgonnier l'a noblement réalisée.



UNE ÉCOLE MODERNE

DANS LE VIEUX PARIS

C'est le sort des quartiers de l'ancien Paris, si chers à ceux qui
aiment les visages du passé, de se modifier chaque année, et de perdre
un peu de leur aspect d'autrefois. Faut-il toujours le déplorer? Si leur
transformation inspire des regrets légitimes, elle apparaît souvent
heureuse, à ne considérer que le bénéfice de la propreté, qui est
l'élégance et la raison des villes modernes. Du moins conviendrait-il
que les maisons condamnées à disparaître ne périssent point tout
entières, et qu'un souvenir précis en restât. Combien de fois
souhaiterait-on, au hasard des promenades, de voir rappeler, sur les
édifices nouveaux, les monuments et les décors de jadis par des plans
qui seraient comme les testaments des vieilles pierres!

Ce voeu, un jeune et très distingué architecte, qui porte avec honneur
un nom célèbre, M. Pierre Sardou, l'a compris et réalisé. Chargé de la
construction d'une école maternelle, rue Paul-Dubois, il a eu
l'excellente idée de faire graver dans la pierre dure polie, sur le mur
de clôture, au coin de la rue Dupetit-Thouars et de la rue
Gabriel-Vicaire, un plan de l'Enclos du Temple et de ses alentours à la
fin du dix-huitième siècle, exactement en 1793, au moment où Louis XVI
et la famille royale étaient incarcérés dans la Tour.

Soumis, tout d'abord, à l'approbation de M. Bonifier, directeur des
services d'architecture de la Ville, et du comité des Inscriptions
parisiennes, le projet séduisit M. F. Hoffbauer, l'éminent
vice-président de la commission du Vieux-Paris, dont la collaboration
fut précieuse à M. Pierre Sardou. Tous deux, s'aidant des travaux des
multiples historiens de la capitale, et des collections du musée
Carnavalet, mises à leur disposition par M. Georges Cain, purent établir
le tracé du célèbre Enclos, qui permet d'évoquer, devant le bâtiment
tout neuf de l'école maternelle, le Marché, sur l'emplacement duquel
elle se dresse, le palais du Grand Prieur de France, la Tour, dont une
représentation très exacte en bas-relief est figurée dans l'angle du
plan, l'église du Temple, si curieuse avec la disposition de sa rotonde,
inspirée par l'église Saint-Jean de Jérusalem, les charniers, la Tour de
César, le Cloître, la Geôle, restes du moyen âge, la Rotonde, élevée en
1789 et démolie sous le Second Empire, la Fontaine, où, pendant la
tragique journée du 3 septembre 1792, on lava la tête de la princesse de
Lamballe pour la montrer à la reine, enfin toute cette profusion
d'hôtels particuliers, de cours et de maisons qui, à l'époque
révolutionnaire, couvraient environ 125 hectares, et formaient une
véritable cité de 4.000 habitants: il ne subsiste d'elle aujourd'hui que
de rares vestiges, la cour de la Carderie et une partie de l'hôtel de la
Trésorerie.

L'école même, officiellement inaugurée cette semaine, est une
construction gaie et claire, où la brique domine. Comme décoration
principale, M. Pierre Sardou a adopté des _sgrafitti_ figurant des
treilles qui supportent des guirlandes de feuillage. Dans le préau, de
semblables motifs encadrent des peintures aux sujets agrestes, dues à M.
Marcel Magne: la montagne et ses troupeaux, la forêt, les champs, la mer
et ses pêcheurs. Ainsi l'architecte a voulu mettre sous les yeux des
petits Parisiens les couleurs joyeuses des fleurs, des fruits, de la
verdure, le ciel libre et les grands horizons.

[Illustration: L'école maternelle de la rue Paul-Dubois, construite par
M. Pierre Sardou sur l'emplacement de l'ancien marché du Temple. Sur le
mur de clôture, en pan coupé, est gravé dans la pierre un plan de
l'Enclos et de ses alentours tels qu'ils étaient en 1793.--_Phot.
Trosley._]



LES STATUES DE PARIS II

[Illustrations.]

ALFRED DE MUSSET Place du Théâtre-Français.
GUSTAVE LARROUMET Place du Théâtre-Français.
AMIRAL DE COLIGNY Oratoire.
BÉRANGER Square du Temple.
GUTENBERG Rue Vieille-du-Temple.
LOUIS XIV Hôtel Carnavalet.
NICOLAS LEBLANC Arts-et-Métiers.

[Illustrations.]

DENIS PAPIN Arts-et-Métiers.
BOUSSINGAULT Arts-et-Métiers.
LOUIS XIII Square des Vosges.
PASCAL Tour Saint-Jacques.
GOLDONI Square de l'Archevêché.
CHARLEMAGNE Place du Parvis-Notre-Dame.
BARYE Ile Saint-Louis.

[Illustrations.]

TH. RENAUDOT Rue de Lutèce.
BEAUMARCHAIS Rue Saint-Antoine.
ÉTIENNE MARCEL Jardin de l'Hôtel-de-Ville.
VOLTAIRE Square Monge.
JACQUES VILLON Square Monge.
J. AUBRY ET P. DE VIOLE Square Monge.
GABRIEL DE MORTILLET Square des Arènes.

[Illustrations.]

GÉRARD Square de la Sorbonne.
CUVIER. Jardin des Plantes.
CHEVREUL Jardin des Plantes.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE Jardin des Plantes.
BUFFON Jardin des Plantes.
LAMARCK Jardin des Plantes.
LE DANTE Jardin du Collège de France.

[Illustrations.]

CLAUDE-BERNARD Jardin du Collège de France.
BUDÉ Collège de France.
CHAMPOLLION Collège de France.
LOUIS BLANC Place Monge.
J.-J. ROUSSEAU Place du Panthéon.
P. CORNEILLE Place du Panthéon.
ÉTIENNE DOLET Place Maubert.

[Illustrations.]

PELLETIER ET CAVENTOU Boulevard Saint-Michel.
AUGUSTE COMTE Place de la Sorbonne.
DR PÉAN Boulevard de Port-Royal.
L'ABBÉ DE L'EPÉE Institut des Sourds-Muets.
BARON LARREY Val-de-Grâce.
EUSTACHE LESUEUR Jardin du Luxembourg.
BAILLY Jardin du Luxembourg.

_Phot. René Millaud._

LES STATUES DE PARIS--III

[Illustrations.]

PHIDIAS Jardin du Luxembourg.
EUGÈNE DELACROIX Jardin du Luxembourg.
TH. DE BANVILLE Jardin du Luxembourg.
HENRY MURGER Jardin du Luxembourg.
WATTEAU Jardin du Luxembourg.
SAINTE-BEUVE Jardin du Luxembourg.
CHOPIN Jardin du Luxembourg.

[Illustration.]

GABRIEL VICAIRE Jardin du Luxembourg.
FERDINAND FABRE Jardin du Luxembourg.
LE PLAY Jardin du Luxembourg.
SCHEURER-KESTNER Jardin du Luxembourg.
GEORGE SAND Jardin du Luxembourg.
LECONTE DE LISLE Jardin du Luxembourg.
COMTESSE DE SÉGUR Jardin du Luxembourg.

[Illustration.]

RATISBONNE Jardin du Luxembourg.
PAUL VERLAINE Jardin du Luxembourg.
BERNARD PALISSY Square Saint-Germain-des-Prés.
BOSSUET, FÉNÉLON, FLÉCHIER, MASSILLON. Fontaine St-Sulpice.
BICHAT École de Médecine.
BROUARDEL École de Médecine.
VAUQUELIN. École de Pharmacie Avenue de l'Observatoire.

[Illustration.]

PARMENTIER. École de Pharmacie Avenue de l'Observatoire.
MARÉCHAL NEY Avenue de l'Observatoire.
FRANCIS GARNIER Avenue de l'Observatoire.
VOLTAIRE Quai Malaquais.
PIERRE PUGET ET NIC. POUSSIN Portail École des Beaux-Arts.
CONDORCET Quai Conti.
DIDEROT Boulevard Saint-Germain.

[Illustration.]

BROCA Boulevard Saint-Germain.
DANTE  Boulevard Saint-Germain.
EMILE AUGIER Place de l'Odéon.
TARNIER Rue d'Assas.
CÉSAR FRANCK Square Sainte-Clotilde.
PRINCE EUGÈNE Jardin de l'Hôtel des Invalides.
VALENTIN HAUY Institut des Jeunes Aveugles.

[Illustration.]

FRANÇOIS COPPÉE Place Saint-François-Xavier.
CLAUDE CHAPPE Boulevard Saint-Germain.
ALPHONSE DAUDET Champs-Elysées.
ARMAND SILVESTRE Cours-la-Reine.
ALFRED DE MUSSET Cours-la-Reine.
GUY DE MAUPASSANT Parc Monceau.
GOUNOD Parc Monceau.

_Phot. René Millaud._

LES STATUES DE PARIS--IV

AMBROISE THOMAS Parc Monceau.
PAILLERON Parc Monceau.
CHOPIN Parc Monceau.
LAVOISIER Place de ta Madeleine.
JULES SIMON Boulevard de la Madeleine.
SHAKESPEARE Avenue de Messine.
JEANNE D'ARC Place Saint-Augustin.

[Illustrations.]

BALZAC Avenue de Friedland.
BERLIOZ Square Berlioz.
SEDAINE Square d'Anvers.
DIDEROT Square d'Anvers.
MARÉCHAL MONCEY Place Clichy.
CHARLES FOURIER Boulevard de Clichy.
GAVARNI Place Saint-Georges.

[Illustrations.]

RANC Mairie du IXe.
VOLTAIRE Mairie du IXe.
ROLLIN Collège Rollin.
CHARLES GARNIER Opéra.
FREDERICK LEMAÎTRE Faubourg du Temple.
BARON TAYLOR Boulevard Saint-Martin.
DE JEAN Place Pasdeloup.

[Illustrations.]

LEDRU-ROLLIN Place Voltaire.
SERGENT BOBILLOT Boulevard Richard-Lenoir.
CHARLES FLOQUET Avenue de la République.
BAUDIN Avenue Ledru-Rollin.
DR PHILIPPE PINEL Boulevard de l'Hôpital.
JEANNE D'ARC Boulevard Saint-Marcel.
CHARCOT Salpêtrière.

[Illustrations.]

ERNEST ROUSSELLE Boulevard Blanqui.
CHARLET Square Denfert-Rochereau.
RASPAIL Square Denfert-Rochereau.
TRARIEUX Square Denfert-Rochereau.
ARAGO Boulevard Arago.
DR RICORD Boulevard de Port-Royal.
TH. ROUSSEL Rue Denfert-Rochereau.

[Illustrations.]

MICHEL SERVET Place de Montrouge.
LEVERRIER Observatoire.
DR EMILE DUBOIS Crèche de la Santé, rue d'Alésia.
GARIBALDI Square Cambronne.
PASTEUR Avenue de Breteu.
ROSA BONHEUR et trois autres médaillons, à Grenelle.
LA FONTAINE Ranelagh.

_Phot. René Millaud._

LES STATUES DE PARIS--V

[Illustrations.]

ALPHAND Avenue du Bois-de-Boulogne.
LAMARTINE Square Lamartine.
BENJAMIN GODARD Square Lamartine.
EUGÈNE MANUEL Lycée J. de Sailly, av. H. Martin.
WASHINGTON ET LAFAYETTE Place des États-Unis.
HORACE WELLS ET PAUL BERT Place des États-Unis.
FRANKLIN Square Franklin.

[Illustrations.]

WASHINGTON Place d'Iéna.
VICTOR HUGO Place Victor-Hugo.
DUMAS, PÈRE Place Malesherbes.
DUMAS, FILS Place Malesherbes.
JEAN LECIAIRE Square des Epirettes.
MARIA DERAISMES Square des Epirettes.
EUGÈNE FLACHAT Carrefour Brémontier.

[Illustrations.]

ALAIN CHARTIER Rue de Tocqueville.
ALPHONSE DE NEUVILLE Place Wagram.
SERPOLLET Place Saint-Ferdinand.
HENRY BECQUE Boulevard de Courcelles.
CHEVALIER DE LA BARRE Rue Lamarck.
ANDRÉ GILL Rue des Martyrs.
MARAT Parc des Buttes-Chaumont.

[Illustrations.]

GÉNÉRAL DUMAS Place Malesherbes.
LE NÔTRE Jardin des Tuileries.
JEAN MACÉ Place Armand-Carrel.
DR MÉTIVIER Square Tenon.

_Phot. René Millaud._



A LA MANIÈRE DE PÉGOUD

Pégoud a aujourd'hui des émules en «haute école» aérienne. Le succès de
ses sensationnelles acrobaties a excité l'ambition des autres aviateurs,
et toute une audacieuse phalange de «boucleurs de boucle» s'est formée,
depuis quelques semaines, rivalisant de virtuosité et d'adresse avec le
créateur du genre... Ils seront bientôt une dizaine à savoir voler «la
tête en bas»: successivement Garros, Chevillard, Hanouille, Domenjoz,
Chanteloup, Tabuteau, ont désiré, et conquis, les lauriers de Pégoud.
Et, venu d'Angleterre, Hucks a renouvelé brillamment ses périlleux
exercices.

Un de ses compatriotes, l'aviateur Lee-Temple, s'entraîne, lui aussi, en
ce moment, pour les vols renversés,--et de la plus originale façon.
Sans doute est-il nécessaire, avant de tenter l'expérience, de
s'habituer à la position peu naturelle qu'exige le «looping». Méthodique
et prévoyant, M. Lee-Temple se fait attacher, par de solides cordes, à
une chaise, qui, suspendue, les pieds en l'air, à une barre de fer,
figure assez bien le siège du pilote à l'instant où l'aéroplane glisse
sur le bombé des ailes: et ainsi s'accoutume-t-il, comme le montre une
de nos gravures, aux émotions de la voltige aérienne. Ce n'est pas à un
semblable entraînement que se livre l'aviateur représenté, en singulière
posture, sur l'autre photographie. Lorsque, après avoir bouclé la
boucle, le 15 novembre, à l'aérodrome de Buc, Hucks revint à Londres, il
fut, sur le quai de la gare de Charing-Cross, bruyamment acclamé par ses
amis, et porté en triomphe... la tête en bas. La réception était peu
banale; elle donna lieu à des scènes de joyeux tumulte, où l'on n'eût
pas reconnu le traditionnel flegme britannique.

[Illustration: Pour apprendre à voler la tête en bas: l'entraînement
quotidien de l'aviateur Lee-Temple.]

[Illustration: L'aviateur Hucks, imitateur anglais de Pégoud, porté en
triomphe, la tête en bas, à son retour à Londres.]



[Illustration: LA VIEILLESSE DE L'EXILÉ.--Un orang-outang de Malaisie
encagé au Jardin zoologique d'Amsterdam. _Phot. A.-J. W. de Veer._]

C'est un singe très vieux, et l'on serait tenté de dire, très vénérable,
tant l'âge lui a conféré de sérénité majestueuse. Tout récemment, dans
notre numéro du 25 octobre, nous avons publié l'image, amusante comme
une caricature, d'un perroquet plus que centenaire, que les années
avaient bizarrement déformé: elles ont, tout au contraire, marqué la
face qui apparaît à cette page d'une expression singulièrement grave et
solennelle. Ce doyen de la gent simiesque semble chargé d'expérience et
de sagesse; et dans ses yeux luit un étrange regard, presque humain...
Il achève aujourd'hui sa longue vie dans une cage du Jardin zoologique
d'Amsterdam, auquel il fut donné naguère par le sultan de Serdang. On
sait seulement de lui qu'il appartient à l'espèce des orangs-outangs, et
qu'il est originaire d'une des îles de la Malaisie, sans doute Bornéo ou
Sumatra; il mesure 1 m. 20 de hauteur, et la longueur de ses bras, du
bout des doigts jusqu'à l'épaule, est de 78 centimètres. Bien que doué
d'une force redoutable, il se montre généralement fort docile. Mais il
faut prendre garde de l'irriter, car il n'est pas aussi philosophe qu'il
en a l'air.



CE QU'IL FAUT VOIR

PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGER A PARIS

Beaucoup d'académiciens viendront se promener, ces jours-ci, place
Saint-Georges.

Deux inaugurations avaient, en ces derniers temps, appelé l'attention
sur cette place: il y a quelques années, celle du monument de Gavarni
et, plus récemment, celle d'une station du Nord-Sud... L'inauguration de
cette semaine fut celle d'une bibliothèque publique, ou à demi publique,
pourrait-on dire, et qui devient une annexe de celle de l'Institut.

L'entrepreneur Dosne ne se doutait guère --quand la place Saint-Georges
fut ouverte, en 1824, sur des terrains qu'il possédait à cet
endroit--des augustes destinées (augustes, et tragiques un instant!) que
réservait l'avenir à sa maison! L'une des filles du riche entrepreneur
allait être Mme Thiers; et ainsi, sur l'hôtel Dosne, devenu l'hôtel
Thiers, devait, quarante-six ans plus tard, s'abattre la fureur des
communards. La Commune avait ordonné la confiscation des biens de
Thiers; elle ordonna la destruction de sa maison, en même temps qu'elle
jetait à terre la colonne Vendôme. Mme Louise Michel, dans l'histoire de
la Commune qu'elle a publiée dix-sept ans après ces lamentables
événements, écrivait: «...La maison de Thiers, démolie, avait empli la
place Saint-Georges de la poussière de ses nids à rats. Elle devait lui
rapporter un palais.»

La maison de Thiers contenait-elle autant de nids à rats que le laisse
entendre Mme Louise Michel? Ce point n'a pas été fixé par l'Histoire. Ce
qu'on sait, c'est que la reconstruction de l'immeuble détruit fut,
aussitôt après la Commune, votée par le Parlement; que l'architecte
Aldrophe fit de cette maison non pas «un palais», mais une demeure
charmante, digne de l'homme illustre dont elle était le foyer, et de la
Compagnie qui devait plus tard en être l'héritière. Mlle Dosne a, en
effet, donné à l'Institut de France, il y a neuf ans, la maison dont
elle était restée, après la mort de Thiers, la seule occupante; en même
temps que l'hôtel, elle léguait à l'Institut la bibliothèque d'histoire
de l'ancien Président, et une somme importante destinée à l'achat de
nouveaux ouvrages. C'est cette bibliothèque qui s'est ouverte mardi
dernier pour la première fois. Le legs de Mlle Dosne a permis à la
commission académique, chargée de l'administrer, d'intéressantes
acquisitions, notamment celle de la collection militaire et
napoléonienne d'Henry Houssaye. Vingt mille volumes s'y trouvent
aujourd'hui rassemblés.

On dit que l'hôtel de la place Saint-Georges n'ouvrira ses portes que
trois fois par semaine, et l'après-midi, aux personnes munies de
l'autorisation d'y venir travailler.

Nous réclamons en faveur des simples visiteurs, de tous ceux pour qui
_regarder Paris_ est la plus noble et la plus intelligente des façons de
flâner, le droit de pénétrer dans cette maison, et d'en faire le tour,
comme on fait le tour d'un musée. Il serait tout naturel que l'Institut
nous reçût, au moins de temps en temps, chez Thiers, place
Saint-Georges, comme il nous reçoit chez le duc d'Aumale, à Chantilly.

Un souvenir: au centre du carrefour qui devint en 1824 la place
Saint-Georges, il y avait un bassin minuscule qu'affectionnaient les
deux petites filles de l'entrepreneur Dosne. Celui-ci spécifia
formellement que ce bassin serait respecté. Il l'a été... jusqu'au jour
où la construction du Nord-Sud obligea les ingénieurs à le supprimer.
L'entrepreneur n'avait pas prévu le vilain tour que devait lui jouer le
progrès des sciences. Ses enfants non plus! Mais aucun d'eux n'est plus
là pour en ressentir le chagrin.

                                     *
                                    * *

Un Salon chasse l'autre. La Société des Amis de l'Eau-Forte a organisé à
la galerie Devambez une Exposition extrêmement intéressante, qui durera
quelques jours,--jusqu'à jeudi. Avis aux retardataires... amis de
l'eau-forte.

A la galerie des Artistes modernes, c'est le _Vieux Paris_ qu'il faut
aller voir.

M. Charles Jouas est un enfant de Paris, très attaché je ne dirai pas à
son clocher, mais à ses clochers (car nous en avons, à Paris, plus de
quatre-vingts); et l'on trouvera dans son oeuvre une interprétation tout
à fait intéressante, originale, spirituelle, du Paris contemporain, en
même temps que la restitution si fidèle, et presque émouvante
quelquefois, du Paris d'autrefois, de ces «décors du passé» sur lesquels
Henri Lavedan a tellement raison de ne voir qu'avec terreur s'appesantir
davantage, d'année en année, la main des embellisseurs officiels de
Paris. Notre-Dame, le musée de Cluny, Saint-Julien le Pauvre,
Saint-Séverin... sans doute nos embellisseurs ne sauraient toucher à
tout cela; mais le Pont-Neuf, la place Dauphine, et tant d'autres
morceaux délicieux et vénérables de notre Cité, de notre Ile
Saint-Louis, dont M. Charles Jouas a si profondément compris, si
joliment exprimé le charme auguste et familier tout ensemble,
sommes-nous bien sûrs qu'ils survivront longtemps au besoin terrible
qu'on a de les _restaurer_?...

Déjà cette restauration redoutable est entreprise au quai des Orfèvres;
on est en train d'y achever les agrandissements du Palais de Justice; et
j'entends des artistes, des amoureux du vieux Paris se lamenter sur cet
ouvrage... Sur le quai, des échafaudages enveloppent une inquiétante
tour de pierre, dont l'architecture était appréciée, ces jours-ci, en
termes plutôt amers, par M. André Hallays, un écrivain dont la
compétence en ces matières n'est contestée par personne. Sur le
boulevard du Palais, la surprise est plus douloureuse encore: derrière
les murs de la façade neuve, la flèche de la Sainte-Chapelle a disparu
presque tout entière... Les Parisiens ne pourraient-ils être prévenus de
telles aventures avant qu'elles s'accomplissent? La semaine prochaine,
nous serons conviés par M. Léon Bérard à venir «juger», à l'École des
beaux-arts, les acquisitions faites par l'État, depuis un an, dans les
expositions et les ventes. Excellent usage. Mais pourquoi, de même,
l'usage ne s'établirait-il--je pose respectueusement la question à M. le
sous-secrétaire d'État--d'exposer, quelques mois avant l'exécution, les
maquettes des travaux d'architecture qui menacent la beauté des villes?
On demande au contribuable son avis sur les incommodités _(de commodo et
incommoda)_ d'une usine qu'on va bâtir. Quant à ce qu'il pense du
monument qui va s'ériger pour des siècles sur le sol de son pays, on
n'en a cure. Est-ce bien juste?

UN PARISIEN.



AGENDA (29 novembre-6 décembre 1913)

EXPOSITIONS.--Grand Palais: Salon d'automne.--Galerie Devambez (43,
boulevard Malesherbes): exposition des Amis de l'Eau-Forte (jusqu'au _4
décembre_).--Galerie La Boétie (64 bis, rue La Boétie): Association des
Artistes de Paris.--Cercle de la Librairie (117, boulevard
Saint-Germain): exposition d'oeuvres des membres de l'Association
amicale et professionnelle de graveurs à l'eau-forte.

VENTES D'ART.--Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze), les _1er, 2, 3 et
4 décembre_, vente de la collection Édouard Aynard, tableaux anciens et
modernes, objets de haute curiosité et d'ameublement--Galerie
Manzi-Joyant (15, rue de la Ville-l'Evêque), les _8 et 9 décembre_,
deuxième et dernière vente de l'atelier de J.-B. Carpeaux, sculptures
originales, tableaux et dessins.

VENTES DE CHARITÉ.--Le _30 novembre_, au ministère de la Justice, vente
au profit de l'Oeuvre de la Pouponnière.--Les _5 et 6 décembre_, dans
l'ancien hôtel Gaillard (place Malesherbes), vente annuelle au profit de
l'Union des Femmes de France.

LA BIBLIOTHÈQUE THIERS.--La bibliothèque Thiers est maintenant ouverte,
les mardis, mercredis et jeudis, aux porteurs d'une recommandation
écrite d'un membre de l'Institut.

COURS ET CONFÉRENCES.--_Cours_: à la Société française de photographie
(51, rue de Clichy), le mercredi à 9 heures du soir, cours public de
photographie par M. E. Cousin.--_Conférences_: salle Gaveau (45, rue La
Boétie): le _2 décembre_, à 9 heures du soir, _l'Orient de Pierre Loti_,
causerie avec projections en couleurs de M. Gervais-Courtellemont; le _4
décembre_, à 3 heures: _Promenade dans le vieux Paris_, par M. Georges
Cain.--Société des Conférences (184, boulevard Saint-Germain): le _3
décembre_, à 2 h. 1/2, le _Duel et la Mort de Pouchkine_, par le marquis
de Ségur; le 5, les _Nouveaux musées de Paris_, par M. Emile
Bertaux.--Université des _Annales_ (51, rue Saint-Georges), à 5 heures:
le _1er décembre. Leurs caricatures_, par M. Sem; le 2, l'_Enfance d'un
petit roi_, par M. Batifol; le 3, _Victor Hugo_ (le théâtre romantique),
par M. Jean Richepin; le 4, la _Maison du berger_, par M. Emile Faguet;
le 5, le _Peintre d'Anvers_, par M. Henry Roujon.

CONCERTS.--Église de la Sorbonne (Association des concerts spirituels de
la Sorbonne), le _30 novembre_: le _Messie_, de Haendel.

L'EXPOSITION DE L'AÉRONAUTIQUE.--Le _5 décembre_: au Grand Palais,
ouverture de l'Exposition internationale de locomotion aérienne.

SPORTS.--Courses de chevaux: le 29 novembre, Vincennes; le 30, Auteuil
(prix la Haye-Jousselin); le _1er décembre_, Saint-Ouen; le 2, Auteuil;
le 3, Compiègne; le 4, Auteuil; le 5, Saint-Ouen.--_Cyclisme_: au Palais
des Sports, les _29 et 30 novembre_, course de vingt-quatre heures à
l'américaine.



LES LIVRES & LES ÉCRIVAINS

«LE ROMAN MERVEILLEUX»

Il est bien vrai que, parfois, les morts parlent. Et leurs voix nous
émeuvent d'une émotion singulière lorsqu'elles proclament, comme une
révélation décisive de l'au delà, la beauté de la vie. Le fantôme, le
doux fantôme, pas encore lointain, toujours familier, qui nous
entretient aujourd'hui, c'est Pierre de Coulevain. Le roman posthume,
que publient ses éditeurs[2], s'appelle le _Roman merveilleux_.

[Note 2: Calmann-Lévy, 3 fr. 50.]

Ce livre, au contraire de beaucoup d'autres livres soudainement éclos
sur une tombe, appartient tout entier à la pensée de Pierre de
Coulevain. Et, jusqu'à la dernière ligne, il est de sa plume. Ce
volume-ci, écrivait l'«errante», en ses notes de Lausanne, me sera-t-il
donné de l'achever? J'en doute. Il m'achèvera, lui, je crois.» Pierre de
Coulevain n'est plus, et le livre qu'elle eut le temps de finir naît à
la vie des livres presque au lendemain du Jour des Morts, à l'instant
même où une modeste colonne du souvenir vient de marquer d'un signe et
d'un nom la sépulture anonyme du cimetière de Territet.

[Illustration: Le monument de Pierre de Coulevain au cimetière de
Territet.--_Phot. A. Schneeg._]

Le _Roman merveilleux_ sera, pour les amis inconnus de Pierre de
Coulevain, comme une dernière pensée de l'éminente disparue. En ces
pages, qui n'auront pas de suite, l'auteur de _Sur la Branche_, si peu
encline jusqu'alors aux confidences personnelles, nous livre, sur sa
vie, sur sa jeunesse, sur le mystère de sa destinée, quelques lueurs
dont s'éclaire la lente préparation de son oeuvre d'écrivain. «La
nature, dit-elle, m'avait donné un jeu assez complet de cellules
littéraires avec défense de m'en servir. De fait, pendant les trois
quarts de ma vie, elles ont été stériles... stériles mais non pas
inactives, je m'en rends compte aujourd'hui. Elles ont tout le temps
capté des impressions, des images, amassé des matériaux sans nombre, et,
à l'heure voulue, elles ont produit... ce qu'elles devaient produire.
Elles ont rendu mon enfance bizarre, «originale», mon adolescence
difficile, ma jeunesse douloureuse. Elles m'ont inspiré une ambition
démesurée, un besoin de beauté, de luxe, de bien-être que je ne pouvais
satisfaire. Elles ont affecté mon caractère, ma destinée, elles auraient
pu me jouer de mauvais tours si d'autres forces, en parfait équilibre
physique, une gaieté triomphante, le sens humoristique ne les avaient
tenues en respect. Elles étaient inconfortables, mais amusantes; grâce à
elles je n'ai jamais connu l'ennui. Elles ont bien pu faire de moi une
romanesque cérébrale, non une romanesque sentimentale, à cela je dois
mon salut.»

Et Pierre de Coulevain nous apprend que, dès sa quinzième année, elle
écrivit son premier roman sur un cahier d'écolière. Ce roman,
naturellement, est un roman d'amour. L'héroïne, au moment de son
mariage, «a sur le visage le radieux éclat de l'amour». Elle épouse un
officier de marine, car les marins avaient alors--comme aujourd'hui les
explorateurs--une grande place dans les rêves des jeunes filles. Or, il
advient que cet officier reprend la mer deux mois après les noces. Il
demeure absent pendant cinq années, et, quand il rentre dans son foyer,
il y trouve trois petits enfants «que Dieu lui avait envoyés pour le
dédommager de son exil». «Je suis étonnée, ajoute Pierre de Coulevain,
de n'en avoir pas mis une demi-douzaine, tant que j'y étais». Et voilà
comment, à quinze ans, l'auteur du _Roman merveilleux_ comprenait le
romanesque conjugal.

                                    *
                                   * *

Le _Roman merveilleux_, c'est le Roman de la Vie, la vie dans toutes ses
réalités «terriennes», dans toutes ses manifestations de joie ou de
deuil, dans tous ses élans vers l'idéal. Ce livre est un véritable essai
philosophique. Les proportions en sont vastes, ambitieuses, certes, et
faites, avoue son auteur, pour décourager une simple romancière. Il ne
s'agit de rien moins, en effet, que de nous donner une révélation des
buts de la vie, de nous expliquer les religions, l'amour, la mort, avec
des incursions dans le domaine des arts, des sciences et des lettres.
Tout cela est beaucoup pour une seule femme, voire pour une experte
moraliste. On sent la pensée qui se raidit à se rompre et le style qui
se tend avec la pensée. Ce n'est plus la conversation charmante et
familière de _Sur la Branche_ ou de _l'Ile inconnue_. Le dialogue
devient monologue et la causerie prend des allures de conférence.

... Tout concourt dans l'univers à une oeuvre divine, et nous sommes,
nous, les Terriens, les ouvriers admirables de cette oeuvre. Tout en
poursuivant nos chimères qui sont nos destinées, nous travaillons à
l'oeuvre divine. Notre libre arbitre n'existe pas et voici l'une des
preuves, au moins ingénieuse, qui nous est donnée:

«Vous n'ignorez pas l'influence de la température sur l'homme, sur sa
santé, sur ses actes, sur sa pensée même; essayez donc de faire monter
ou descendre le baromètre, ou le thermomètre. Les deux petits
instruments enregistrent des forces devant lesquelles tout le genre
humain est impuissant, ils devraient suffire à nous démontrer l'inanité
du libre arbitre.»

Nos défauts et nos qualités, nos vices et nos vertus sont autant de
«forces psychiques». «Ce sont les cartes avec lesquelles se joue le jeu
de la vie. Il y en a qui sont de gros atouts, il y en a qui font gagner
la partie, il y en a qui la font perdre, et elles sont toutes
nécessaires.» Ce déterminisme, d'ailleurs, selon Pierre de Coulevain, ne
doit pas être confondu avec le fatalisme. Nous ne sommes point créés
pour nous croiser les bras. Nous vivons «pour faire quelque chose», ou
du mal ou du bien. Oui, mais alors où est la justice divine? «Dans la
grâce d'état qui aide le malheureux à supporter sa peine, dans les
forces qui le pénètrent, dans les réincarnations qui l'attendent.»
Jansénisme, spiritisme, métempsychose. Tout cela un peu brouillé,
confus, contradictoire même, mais où l'on sent la volonté convaincue de
nous intéresser à la grande oeuvre où nous jouons notre rôle, de nous
faire accepter nos peines, utiles à cette oeuvre, et de nous imposer
l'indulgence pour les défaillances humaines. Le _Roman merveilleux_ est
un livre de sérénité. Il mêle son parfum au grand souffle d'optimisme
que, avec des pensées et des expressions tellement différentes, les
Bergson, les Maeterlinck, les Jean Pinot, ont mis dans notre littérature
d'idées.

En achevant ce livre qui l'avait épuisée, et au moment où elle pensait
aller se reposer à Rome, Pierre de Coulevain fut saisie de funèbres
pressentiments: «Je sais, écrivait-elle, combien s'est aminci le fil de
ma vie... il me semble que, par moment, j'entends ricaner la sinistre
ouvrière du destin, celle qui doit le couper... Oh! l'horrible femme!
Elle trouve sans doute qu'elle a été bien gentille de tarder si
longtemps... mais quitter la vie, alors que je la vois si immense, belle
d'une immortelle beauté, c'est dur! Le courage me viendra. Si c'est à
Rome que je dois succomber...»

Pierre de Coulevain devait recevoir à Lausanne même, près de son cher
Léman, la visite immédiate de la sinistre, de l'horrible femme... Pierre
de Coule van est morte avant d'avoir pu faire le voyage de Rome.

ALBÉRIC CAHUET.



LA QUESTION DE LONGWOOD

Notre article du 15 novembre sur les Domaines français de Sainte-Hélène,
la publication de ces irrécusables témoignages que sont les
photographies de Longwood abandonné, ont vivement impressionné le publie
et la presse.

Les premiers, parmi nos confrères, le _Matin_ du 15 novembre, et le
_Journal_, du 18, ont donné à la situation dénoncée par notre
collaborateur Albéric Cahuet, la grande publicité de leurs colonnes. Le
_Petit Journal_, sous la signature de M. Jean Lecoq, lui consacre son
premier Paris du 22 novembre. Sur l'abandon définif de Longwood, notre
confrère écrit:

«Ce sera pour notre pays la pire des hontes. Mais qu'importe!...
L'administration aura fait 9.000 francs d'économie qu'on pourra employer
à créer un nouveau poste pour quelque fonctionnaire bien en cour...»

Dans un article de première page de _l'Éclair_ (21 novembre), M. Georges
Montorgueil observe:

«Nous sommes peu enclins à remplir les grands devoirs du souvenir. Ce
sont les affronts que nous recevons de l'étranger qui nous les
rappellent. Des Anglais ont demandé à entretenir la maison de la
captivité et le tombeau. Nous n'avons pas osé officiellement nous
débarrasser sur eux d'un tel soin. Jusqu'à hier, nous préférions encore
le remplir...»

M. Étienne Charles, dans la _Liberté_ du 22 novembre, après avoir
envisagé la question en un substantiel article, conclut, avec éloquence:

«Les descriptions et les photographies que M. Albéric Cahuet publie dans
_L'Illustration_ nous montrent la maison de Longwood déjà réduite à
l'état de maison croulante, faute d'un crédit suffisant pour
l'entretenir... La France a fait un musée de la maison natale de
Napoléon Ier à Ajaccio. Elle veille jalousement à la conservation, dans
l'état où ils étaient du temps qu'il les habitait, des appartements
qu'il occupa à Fontainebleau, à Compiègne, au Grand-Trianon. Elle a
transformé la Malmaison, où il passa les plus heureuses de ses années et
d'où il partit pour son dernier exil et pour la captivité, en musée
napoléonien. Elle recueille pieusement ses souvenirs qui attirent par
milliers les visiteurs non seulement dans ces palais et ces logis plus
modestes, mais encore au musée de l'Armée et au musée Carnavalet. Elle
étale à Versailles et au Louvre, sous les yeux du public, le spectacle
de ses victoires. Elle est fière de dresser sur l'une des plus belles
places de Paris la colonne Vendôme qui proclame sa gloire. Elle fait à
tous les visiteurs impériaux, royaux ou princiers, les honneurs de son
tombeau des Invalides. Va-t-elle laisser périr la maison où il est mort
après un martyre de cinq années dont l'humanité rougit encore comme
d'une honte qui l'atteint tout entière?»

Il nous faut ajouter aussi que, dès que l'abandon imminent a été signalé
au public, de touchantes et multiples protestations nous sont parvenues
par lettres. La plupart demandent que l'on fasse appel à d'initiative
privée pour suppléer à l'indifférence de l'administration. M. Paul
Robiquet, dont le grand-père, Louis-Édouard Lemarchand, ancien officier
de Waterloo et fournisseur du mobilier de la couronne sous le roi
Louis-Philippe, confectionna le dernier cercueil de l'Empereur, propose
de transformer en musée la modeste et légendaire demeure de Longwood. Et
il offre, comme premier don, une réduction du cercueil en ébène,
identique à celle dont il a déjà fait don au musée des Invalides.

Enfin, d'autres lettres nous apportent cette certitude que la fonction,
si peu rémunérée, de conservateur des domaines français dans l'île
perdue peut encore trouver des candidats français. Notamment, un
capitaine en retraite, chevalier de la Légion d'honneur, propose d'aller
continuer à Sainte-Hélène la tradition des conservateurs militaires du
tombeau impérial. Et il y aura, nous en sommes certains, d'autres
volontaires.

Avec un peu de bonne volonté, on n'en sera donc pas réduit à confier la
garde de ce domaine sentimental de la France à un insulaire illettré,
ignorant notre langue et étranger à notre âme nationale. Et nous voulons
nous persuader aussi que le gouvernement, éclairé maintenant sur la
situation lamentable de Longwood, et convaincu de l'émotion que
provoquerait en France un abandon définitif, se décidera à relever les
premières ruines.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

MANGÉ PAR LES ANTHROPOPHAGES.

Il y a quelques mois, une pénible nouvelle nous arrivait de la Côte
d'Ivoire: un commerçant français, M. Huberson, avait été surpris par des
anthropophages, mis à mort, et dévoré. La photographie reproduite ici,
dont nous devons la communication, avec d'intéressants renseignements, à
un de nos abonnés, M. le docteur Teste, évoquera cet affreux drame,
heureusement fort rare.

[Illustration: Deux des anthropophages de la Côte d'Ivoire qui ont
dévoré un commerçant français, M. Huberson.]

C'est en août dernier que M. Huberson, qui se livrait au négoce, à ses
risques et périls, et malgré des avertissements répétés, sur le
territoire du Haut-Cewally, dans le pays Guère, fut attaqué, à la tombée
du jour, par une bande de rebelles; il tenta de se défendre, mais sans
doute le fusil Browning dont il se servait ne fonctionna-t-il pas. Et les
sauvages purent ainsi s'emparer de lui.

On ne tarda pas à apprendre sa disparition et les circonstances de sa
fin: un officier, à la tête d'un détachement de tirailleurs, se mit
aussitôt à la poursuite des coupables. Il réussit à les cerner, et à en
prendre deux vivants; la plupart des autres étaient tombés sous les
balles de nos soldats.

Le plus grand des prisonniers--celui qui figure à gauche sur la
photographie--a fait des aveux complets, et a conté dans le détail les
agapes auxquelles donna lieu la capture du blanc. On a donc eu
l'horrible certitude que notre vaillant mais téméraire compatriote a été
dévoré par ces monstres, dont la soumission se poursuit au milieu des
plus grandes difficultés.

TRONCS D'ARBRE LUMINEUX.

Un de nos abonnés, M. Broquet, nous signale un phénomène curieux qu'il a
observé récemment à la campagne.

Un soir, on venait de rentrer dans une grange des troncs de
châtaigniers, âgés d'une quinzaine d'années et qui, coupés dix mois
auparavant, avaient été laissés couchés dans les bois, exposés aux
intempéries. Comme il avait plu toute la journée, on se mit à les
écorcer pour éviter qu'ils péchassent difficilement.

Or, à mesure que les arbres étaient écorcés, ils s'éclairaient du haut
en bas de lueurs presque ininterrompues. Les morceaux d'écorce eux-mêmes
étaient lumineux en de nombreux points de leur surface interne. Ces
lueurs permettaient de lire sur le cadran d'une montre.

On a déjà observé pareil phénomène sur de vieux bois ou même sur les
vieilles souches; il paraît dû à un champignon microscopique dont le
développement est favorisé par la décomposition de l'arbre et de son
écorce. Mais on peut se demander comment il s'est manifesté sur des
arbres qui, quoique abattus depuis dix mois, présentaient les apparences
d'un bois sain.

LA LEVURE ALIMENTAIRE.

Il y a quelques années, l'industrie allemande imagina d'utiliser la
levure pour la nourriture des chevaux, des vaches, des porcs et de la
volaille. Mais ce débouché n'a point paru suffisamment rémunérateur, et
l'on cherche à introduire dans l'alimentation humaine de la levure
convenablement purifiée. La chose a une grande importance pour les
brasseurs allemands. Ces industriels, en effet, emploient une partie
minime de la levure qu'ils produisent; ils disposent annuellement d'un
excédent de 70.000 tonnes.

La boulangerie n'utilisant plus qu'une levure spéciale, on a d'abord
préparé avec les levures de brasserie des extraits destinés à remplacer
les extraits de viande. Ce nouvel aliment ayant eu peu de succès auprès
des estomacs teutons, on s'est borné à faire sécher la levure et à
obtenir ainsi une nourriture pour le bétail aisément transportable.
Cette nouvelle industrie est déjà prospère: on compte 26 usines de
séchage de levure, et le prix de la levure sèche a passé de 22 francs à
29 francs le quintal.

Les chimistes veulent faire encore mieux. En débarrassant la levure
sèche des principes amers de la bière, ils obtiennent un aliment facile
à assimiler, représentant, disent-ils, la valeur de plus de trois fois
son poids de viande de boeuf, et dont le prix atteint 6 fr. 20 le kilo.

Le TRAVAIL D'UN FAUCHEUR.

Un bon faucheur peut mener un train de coupe large de 1 m. 80 à 2 m. 20
sur une profondeur de coutelée qui est de 0 m. 20 environ. Chaque coup
de faux rase donc une surface de 2,20 X 0,20 = 40 décimètres carrés.
L'ouvrier donne en moyenne 25 coups de faux à la minute. Si l'on fait
abstraction de toutes les pertes de temps, aiguisage et battage de la
faux, retours et reprises du train de coupe, repas, arrêts divers, etc.,
il ne reste guère que six heures de travail effectif. Pour ces six
heures un bon faucheur peut abattre Om. q. 40 X 25 X 60 X 6 = 36 ares.

UN MONUMENT À ANNENKOF.

La Russie vient d'acquitter une vieille dette de reconnaissance en
élevant, à Samarcande, un monument au général Annenkof, créateur du
chemin de fer transcaspien, mis en service en 1887, et promoteur du
Transsibérien.

[Illustration: Le monument du général Annenkof à Samarcande.--_Phot.
Guikitine._]

Ce monument, assez simple, comme on le voit sur la photographie ici
reproduite, perpétuera le souvenir de l'un des hommes les plus
énergiques et les plus audacieux qu'ait enfantés la Russie: celui qui
lança sur l'Amou-Daria, l'antique Oxus, pour le passage du rail, un
simple pont de bois de 3 kilomètres et demi, était certes d'âme hardie.

L'inauguration du monument a eu lieu le 3 novembre dernier (21 octobre
vieux style). Elle a revêtu un caractère de grande solennité.

L'empereur Nicolas y était représenté par l'un de ses aides de camp, le
général prince Vassiltchikof, qui, au nom de son souverain, déposa au
pied du monument une superbe couronne en argent. Le général Samsonof,
gouverneur général du Turkestan, présidait la cérémonie, à laquelle
assistaient Mlles Annenkof, les deux filles du général, et le vicomte de
Vogué, son neveu, fils du vicomte Eugène-Melchior de Vogué, de
l'Académie française, lequel avait épousé une soeur du général Annenkof.
Les splendides costumes du représentant de l'émir de Boukhara et des
hauts dignitaires de sa suite donnaient, sous le soleil éclatant, une
note de brillant pittoresque. Et la chute du voile qui recouvrait la
statue fut le signal d'un impressionnant défilé des troupes, sous les
ordres du représentant du tsar.

RECTIFICATIONS.

Dans l'article que nous avons consacré, dans notre numéro du 15
novembre, au mariage de Nijinsky, nous avons dit que le célèbre danseur
russe avait épousé une jeune fille «appartenant à une riche famille
russe», Mlle Pulska. Un de nos plus notables confrères de Budapest nous
informe que celle-ci descend d'une très honorable et ancienne famille
hongroise: son père a été directeur des musées de Hongrie, et sa mère,
écrit notre confrère, est «la première comédienne de notre théâtre
national».

Sous le portrait du président de la République mexicaine qu'a publié
_L'Illustration_ la semaine dernière, et dans l'article qui le concerne,
c'est _Victoriano_ Huerta qu'il fallait lire, au lieu de _Vittoriano_,
qui est de consonance italienne.

A propos du procès de Kief, que nous avons signalé dans notre numéro du
15 novembre, le directeur de _l'Univers Israélite_ nous écrit que le
meurtre du jeune Youtchinsky a été, d'après le jugement, commis dans une
fabrique «de tuiles».



Le chef pilote Perreyon.

LES DEUILS DE L'AVIATION

C'est avec une douloureuse stupeur que le monde des sports a appris la
chute mortelle de l'aviateur Perreyon, chef pilote de l'école Blériot.
Depuis plusieurs années, en effet, Perreyon occupait avec une maestria
incomparable un poste des plus périlleux; chargé d'essayer les nouveaux
appareils et d'assurer leur mise au point définitive, il se trouvait
exposé presque chaque jour à des dangers imprévus bien supérieurs aux
risques que court, dans ses plus grandes audaces, un bon pilote montant
un appareil éprouvé et qu'il connaît bien. Mais sa prudence et son
habileté, comme aussi sa parfaite intelligence de la navigation
aérienne, semblaient le mettre à l'abri de la chute banale où périt trop
souvent un aviateur insuffisamment entraîné.

C'est pourtant un accident de ce genre qui a causé sa perte. Perreyon
essayait, pour la première fois, à l'aérodrome de Buc, un appareil d'un
modèle inédit: un monoplan à deux places de front, pourvu d'un moteur de
100 chevaux placé derrière les pilotes. L'avion évoluait normalement à
une quinzaine de mètres de hauteur lorsqu'on le vit tout à coup piquer
du nez et venir se briser sur le sol, écrasant le mal heureux pilote. On
suppose que Perreyon, voulant atterrir, ne put se redressera temps.

Cet aviateur hors ligne, était âgé de trente et un ans. Se consacrant
tout entier à l'école Blériot, il cherchait peu les occasions de succès
personnel. Il s'était pourtant signalé à l'attention du grand public en
s'adjugeant plusieurs records sensationnels: record de hauteur par 5.880
mètres; record de hauteur avec passager, par 4.920 mètres; record de
distance avec passager par un raid de 1.200 kilomètres Turin-Rome-Turin.
Il y a quelques jours, il avait à son tour bouclé la boucle.

Sa fin tragique a particulièrement ému notre maison. C'est, en effet,
Perreyon qui avait monté, pour les épreuves de réception, le monoplan
_Servir_, offert à l'armée par _L'Illustration_, et qui a été affecté au
centre du camp d'Avord.

Quelques jours avant, un accident analogue mettait en deuil le corps des
aviateurs militaires. Le capitaine d'artillerie Denis de Lagarde,
attaché au centre d'aviation de Reims, venait d'être nommé à
Villacoublay; il se rendait à son nouveau poste par la voie des airs. En
voulant atterrir à l'aérodrome de Buc, il fut, croit-on, pris dans un
remous; l'appareil capota et le malheureux officier fut tué sur le coup.
Le capitaine de Lagarde était un des plus jeunes aviateurs de son grade.
Technicien de valeur, il s'occupait spécialement du fonctionnement de la
télégraphie sans fil à bord des avions, et il avait imaginé plusieurs
dispositifs présentant un réel intérêt.

[Illustration: Le capitaine Denis de Lagarde.--_Phot. Otto._]



EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Le 24 septembre 1853, le contre-amiral Febvrier-Despointes, commandant
en chef de nos forces navales en Océanie, ayant son pavillon sur le
_Phoque_, prenait possession, au nom de la France, de la
Nouvelle-Calédonie: l'anniversaire de cette annexion a été célébré, il y
a deux mois, à Balade, par l'inauguration d'un monument
commémoratif,--une simple pierre portant une inscription et deux dates:
1853-1913.

[Illustration: Inauguration du monument commémoratif de l'annexion de la
Nouvelle-Calédonie. _Phot. A. Richard._]

La cérémonie fut présidée par M. Brunet, gouverneur de la
Nouvelle-Calédonie, qu'entouraient les officiers de l'aviso _Kersaint_,
représentant la Marine, les délégations du Conseil général et des
sociétés patriotiques et sportives de l'île. Les tribus étaient venues
des environs pour participer à cette fête française, et elles
témoignèrent de leur joie en exécutant, après les discours, des danses
canaques.



M. ÉDOUARD LOCKROY

Depuis longtemps déjà, une douloureuse maladie tenait M. Édouard Lockroy
éloigné de la scène politique où, pendant près de quarante ans, il avait
tenu une place considérable. Il a succombé samedi dernier, à l'âge de
soixante-treize ans.

Sa vie avait été étonnamment intéressante en raison même de sa variété.
Il était le fils de l'acteur Lockroy, l'un des interprètes préférés des
romantiques, et qui, insatisfait de ses lauriers de comédien, écrivit
maintes pièces, en leur temps fort applaudies.

Fidèle au «tel père tel fils», comme disait Monselet, M. Édouard Lockroy
se devait de produire quelques actes. Son premier rêve, pourtant, avait
été d'être peintre. Il dessinait fort bien, et quand, un peu plus tard,
il accompagna Renan dans son fameux voyage en Orient, il fut pour
l'historien un précieux collaborateur et fournit à son ouvrage de
remarquables illustrations.

Sa curiosité insatiable, son esprit d'aventure, non moins peut-être que
ses convictions, l'avaient porté encore à s'attacher à la fortune de
Garibaldi et à s'enrôler parmi les Mille. Il avait amassé ainsi
d'innombrables souvenirs, qu'il contait avec une verve, un esprit
charmants et dont il fit, tout récemment, un attachant volume.

Le journalisme, les polémiques ardentes qu'il avait soutenues à la fin
de l'Empire l'avaient conduit à la politique. Il y devait trouver une
enviable carrière. De 1885 à 1899, il fit partie de cinq cabinets et fut
deux fois ministre de la Marine.

[Illustration: Édouard Lockroy.--_Phot. Marius_]

Rue Royale, il s'était consacré à la lourde tâche qui lui incombait avec
une énergie, un zèle, une conviction profonde. On a pu discuter les
systèmes dont il fut l'ardent défenseur. Qui détient la vérité pure? On
ne saurait oublier qu'il fut l'un des premiers champions de la
navigation sous-marine, son véritable initiateur, peut-on dire, et il
est équitable de rendre hommage au dévouement, à l'affection sincère
qu'il avait voués à la marine française. Même après qu'il eut quitté le
ministère, il ne cessa de se passionner pour toutes les questions qui la
pouvaient toucher de près. C'est ainsi qu'il donna à _L'Illustration,_
on 1901, d'intéressants articles sur l'_Experimental Dock de
Bremerhaven_, où il préconisait--voeu aujourd'hui réalisé--la création
en France d'un laboratoire semblable, et sur les _Ports allemands en
Chine_.



L'EX-LÉGIONNAIRE TROEMEL EN FRANCE

Le cas du légionnaire Troemel, ancien bourgmestre d'Usedom, qui, au mois
de mars dernier, contracta un engagement de cinq ans au 2e régiment
étranger, a fait grand bruit, naguère, en Allemagne comme en France, et
nous avons, dans notre numéro du 31 mai dernier, publié son portrait en
même temps qu'une déclaration, écrite de sa main, par laquelle il
affirmait être fort satisfait de sa nouvelle existence. Le légionnaire
Troemel, après avoir été mis en observation à l'hôpital d'Oran, vient
d'être réformé pour surdité; et il est arrivé cette semaine, en France.

[Illustration: L'ex-légionnaire Troemel.--_Phot. Ouvière._]

Interrogé sur son séjour à la légion, M. Paul Troemel a assuré que «ses
impressions étaient excellentes», et qu'il regrettait de n'avoir pu y
rester plus longtemps.



LES THÉÂTRES

Le nouveau spectacle du théâtre Femina est des plus attrayants: il se
compose de deux comédies, une en trois actes de M. Louis Bénière,
_Paraphe Ier_, une en deux actes de M. Pierre Veber, _Petite Madame_.

Dans _Paraphe Ier_ (type d'administrateur suffisant, encombrant, infatué
de l'importance de sa signature), l'auteur de _Papillon_ a mis le trésor
d'observations de sa longue carrière de conducteur d'hommes et
d'entrepreneur de grands travaux; on y retrouve donc cette verve
satirique qui est, par moments, presque moliéresque; et l'interprète de
ce personnage, M. Signoret, est admirable de solennité caricaturale.

_Petite Madame_ vaut, au contraire, par la finesse et par le délié du
trait, par la grâce légère et spirituelle.

La Comédie-Française a repris avec un succès considérable la très belle
oeuvre de M. Henry Bataille, la _Marche nuptiale_, jouée au Vaudeville
en 1905, et publiée par _L'Illustration_ dans son numéro du 18 novembre
de cette même année. C'est sans doute l'une des pièces par lesquelles
l'éminent et brillant écrivain a le mieux exprimé tout ce qu'il y a en
lui de sensibilité profonde et subtile. Et c'est une oeuvre dont va
s'enrichir indiscutablement le répertoire de la Maison de Molière. Le
rôle principal a fourni l'occasion d'un triomphe pour Mlle Piérat, et il
suffit de nommer MM. Georges Berr, Grand, Granval, Mme Lara, pour juger
de la qualité du reste de l'interprétation.



PARIS-LE CAIRE INTERROMPU

Au moment de mettre sous presse, une dépêche de Daucourt nous apprend
que le raid Paris-Le Caire est provisoirement interrompu. D'Ada-Bazar,
où nous l'avions laissé la semaine dernière, l'audacieux aviateur était
parvenu sans incident à Konia puis à Eregli. A Bozanti (voir la carte,
page 408), surpris par une forte tempête en traversant les monts Taurus,
il fit une chute terrible, heureusement sans graves conséquences.
L'appareil est brisé, mais le pilote est indemne. Son compagnon, M.
Roux, avait pris le chemin de fer.

Une des photographies qui illustrent précisément (pages 408 et 409)
notre article sur le chemin de fer de Bagdad permet de concevoir les
difficultés avec lesquelles l'aviateur se trouvait aux prises et les
risques qu'il courait. On ne saurait guère imaginer de montagnes plus
abruptes et l'on frémit à la seule pensée d'une panne banale commandant
l'atterrissage dans une telle région.



[Illustration: CHEZ LES CANNIBALES, par Henriot.]



Note du transcripteur: Les pages 411-414 manquent au document qui a
servi de source. Comme d'habitude, les suppléments ne nous ont pas
été fournis.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3692, 29 Novembre 1913" ***

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