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Title: L'Illustration, No. 3268, 14 Octobre 1905
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3268, 14 Octobre 1905" ***


Avec ce Numéro: L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE CONTENANT VERS L'AMOUR


LA REVUE COMIQUE, par Henriot.


Supplément de ce numéro: L'Illustration théâtrale avec le texte complet
de Vers l'Amour, par Léon Gandillot.


L'ILLUSTRATION Prix de ce Numéro: Un Franc. SAMEDI 14 OCTOBRE 1905 63°
Année--N° 3268 Phot. Pirou, boul. Saint-Germain. LE PRINCE FERDINAND DE
BULGARIE En visite officielle à Paris du 16 au 19 octobre. _Voir
l'article, page 256_.



_Nous publions avec ce numéro:_

VERS L'AMOUR

_Comédie en 5 actes de_ M. LÉON GANDILLOT, _qui vient d'être jouée avec
le plus grand succès au théâtre Antoine._

_A la longue liste des oeuvres dramatiques nouvelles que nous avons déjà
annoncées dans nos précédents numéros et qui paraîtront successivement
dans_ L'Illustration théâtrale, _nous pouvons ajouter aujourd'hui:_

RAMUNTCHO, _par_ PIERRE LOTI, _de l'Académie française, qui sera joué à
l'Odéon;_

LES OBERLÉ, _par_ EDMOND HARAUCOURT, _d'après le roman de_ RENÉ BAZIN,
_de l'Académie française, qui sera joué à la Gaîté._

_Nous offrirons ainsi à nos lecteurs, au cours de la saison théâtrale,
une extraordinaire série d'oeuvres toutes signées des plus grands noms
de la littérature française contemporaine._



COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

On recommence à se disputer... Preuve que les vacances sont finies et
que le Palais-Bourbon nous rouvrira bientôt ses portes. Une
demi-douzaine d'interpellations sont annoncées; et déjà l'on rêve de
taquiner, d'injurier le gouvernement à propos de toutes sortes de
choses: on le sommera de s'expliquer sur les postes et télégraphes et
sur le Maroc; sur les grèves et sur le Venezuela; on l'invitera aussi à
nous dire ce qu'il pense de cette singulière catégorie de «travailleurs
antimilitaristes» qui avaient imaginé d'organiser, à la veille du départ
de «la classe», une grève d'un genre nouveau et dont ce pays nous eût
donné pour la première fois le spectacle: une grève de conscrits! Tout
cela s'arrangera, comme dit le philosophe; et nous avons connu des
émotions pires. On finira même par oublier les incidents dont fut agité,
pendant huit jours, le monde du Conservatoire et des théâtres. Quel
tapage, juste ciel! Une révocation à la Comédie-Française; à l'école du
faubourg Poissonnière, deux démissions, quatre-vingts professeurs
ameutés contre un règlement nouveau. «Vous nous discréditez! clament les
maîtres.--Je vous protège contre vous-mêmes! réplique M.
Dujardin-Beaumetz.--Vous portez atteinte à la dignité du
professeur!--Mais non, messieurs, je la sauvegarde.» Et, sur ce feu, les
journalistes répandent, comme il sied, le plus d'huile possible. On
publie les correspondances échangées; les interviews se multiplient,
aggravées de commentaires qui achèvent de brouiller tout à fait des gens
disposés, peut-être, à s'entendre.

Y avait-il donc, en ces affaires, de quoi tant émouvoir Paris?
Nullement. Mais des comédiens s'y trouvaient mêlés et c'était assez pour
que beaucoup de tapage en résultât. Nos journalistes né conçoivent pas
qu'un incident qui intéresse le théâtre puisse laisser la foule
indifférente. Qu'un fonctionnaire, même de grade élevé, refuse le
service à ses chefs et soit, séance tenante, chassé de sa place pour
cela, c'est un fait qui ne sera pas jugé digne, par nos nouvellistes,
d'occuper cinq minutes l'attention publique; que le rebelle soit, je ne
dis pas même un comédien célèbre, mais simplement un pensionnaire,
presque obscur, du Théâtre-Français, et voilà de quoi mettre en
mouvement tout notre «reportage» et fournir aux salons, pendant
plusieurs jours, de quoi causer.

A propos de l'incident des professeurs, un très gros personnage de la
direction des Beaux-Arts disait devant moi, l'autre jour: «Tout ce bruit
eût été évité, s'il n'y avait pas eu, dans l'affaire, deux démissions et
une protestation de comédiens.»

C'est vrai. Mais est-ce la faute de M. de Féraudy et de M. Le Bargy si
leurs démissions firent à peu près autant de bruit, dans Paris, qu'une
crise ministérielle? Est-ce la faute de M. Leloir si son mécontentement
parut plus intéressant à noter, et à commenter, que celui de M. Diémer,
professeur de piano, par exemple, ou de M. Nadaud, professeur de violon,
ou de vingt autres--maîtres distingués et notoires--et qui ne
s'affirmaient pas moins mécontents que lui?

Eh! non. Ce n'est pas leur faute; et je suis bien sûre qu'ils eussent
préféré nous voir moins attentifs aux détails d'un conflit qui
n'intéressait qu'eux. Mais nous entendons, nous autres badauds, ne rien
ignorer de ce qui touche à la vie des gens de théâtre, et plus d'une
fois j'ai cherché, sans y réussir, à comprendre les raisons de cette
singulière curiosité. Nous acclamons la virtuosité d'un Sarasate, d'un
Capet, d'un Diémer, d'un Hollmann; mais nous n'éprouvons pas le
besoin--le concert fini--de suivre dans la rue l'homme que nous venons
d'applaudir au concert. Passée la minute où il a charmé ses oreilles, la
foule l'ignore. Elle ne veut rien ignorer de ses comédiens. Sortie du
théâtre, elle court les guetter à la petite porte par où ils en
sortiront eux-mêmes tout à l'heure. Elle veut les revoir _de près_,
saluer au passage la silhouette emmitouflée de Mme Bartet, le chapeau
mou de M. Mounet-Sully. Nous reprochons à certains de ces artistes de
manquer parfois de modestie. Injuste sévérité! J'admire, au contraire,
qu'en dépit d'une telle fureur d'adulation, la plupart demeurent ce
qu'ils sont: très sociables, pleins de bonté, aussi sensibles à la
louange, chaque fois qu'on les loue, que si c'était là, pour eux, une
joie neuve...

                                        *
                                       * *

...Assisté, dans l'intimité d'un «five-o'clock tea», à un amusant débat
sur la question de savoir s'il est juste qu'un volume de vers suffise à
conférer à l'homme qui l'a écrit les honneurs académiques, la
gloire,--l'immortalité.

Un romancier, candidat à l'Académie, auteur d'une vingtaine de volumes
que tout le monde n'a pas lus, déclare: «Il avait du talent; mais pour
tant d'hommages, et si pompeusement rendus, un volume de sonnets, c'est
peu...»

Le mort dont on parle est José-Maria de Heredia. Je ne l'avais vu qu'une
fois et il m'avait tout à fait séduite par je ne sais quoi d'aisé et de
cordial dans l'aspect; par la noble véhémence du parler et la beauté de
son sourire. Il me questionna sur les poètes de mon pays; je lui parlai
de ses vers, que j'avais lus et appris; je lui en récitai quelques-uns
et je lui dis que je l'aimais pour deux raisons: d'abord parce que ses
sonnets étaient beaux; ensuite parce qu'en bornant son ambition à la
joie d'écrire un seul livre, il m'avait épargné l'ennui d'en feuilleter
plusieurs pour apprendre à l'admirer.

«La fécondité des auteurs, lui disais-je, est devenue le supplice des
pauvres gens qui ont le souci d'étudier les littératures. On fait
_métier_ d'écrire; on écrit donc le plus qu'on peut. Et ainsi l'on
disperse son génie; on en met un peu dans chacun des livres qu'on fait;
on n'en met beaucoup dans aucun et l'on oblige le lecteur à poursuivre à
travers dix, quinze, vingt volumes, la pensée qu'il aime; on joue à
cache-cache avec lui; on l'essouffle... C'est une course éreintante,
monsieur, où les écrivains seront de moins en moins suivis. La vie est
trop courte, et nous avons tant de choses à faire! Aussi ai-je souvent
rêvé ceci: une littérature qui ne serait un métier pour personne; où
l'homme hanté du besoin d'écrire apporterait, vers l'âge de quarante ou
cinquante ans, le trésor de ses pensées,-en trois cents pages. Trois
cents pages, où se condenseraient le rêve et l'expérience de toute une
vie... Vous avez fait cela, vous; vous vous êtes donné à nous en une
seule fois, tout entier. Vous ne tenez pas de place; on vous sait par
coeur en un mois, et vous coûtez trois francs... Vous êtes un
bienfaiteur.»

M. de Heredia se mit à rire. Mais c'était le plus sérieusement du monde
que je lui parlais ainsi.

SONIA.



LE CONGRÈS DE LA TUBERCULOSE

UNE COMMUNICATION DU DOCTEUR BEHRING.--LA SCIENCE FRANÇAISE ET LA
SCIENCE ALLEMANDE.

Un fait a dominé de très haut tous les travaux du Congrès international
de la tuberculose et accaparé l'attention aussi bien du monde médical
que du grand public: c'est la communication du docteur Behring, délégué
du gouvernement allemand, sur les recherches qu'il poursuit, depuis
plusieurs années déjà, en vue de découvrir un traitement curatif de la
tuberculose.

Au premier moment, et sur des rumeurs recueillies hors des murs du Grand
Palais des Champs-Elysées, on a affirmé que le docteur Behring avait
définitivement trouvé ce remède, qu'appellent tant de voeux si ardents.
Pas encore, hélas! et le savant médecin a dû calmer lui-même
l'enthousiasme qui commençait à se donner carrière: s'il entrevoit le
but, il ne l'a pas atteint. Il a précisé, dans son mémoire au Congrès,
les résultats obtenus. Ils sont fort beaux, mais pas encore décisifs.

Le docteur Behring est dans la science médicale un homme considérable.

Ce fut lui qui, de concert avec le Japonais Kitasato, découvrit en 1890
le principe de la sérothérapie antidiphtérique et antitétanique. Il
fallut d'ailleurs quatre années de travaux persévérants, poursuivis
simultanément en France et en Allemagne, avant qu'on parvînt à appliquer
à la diphtérie humaine le sérum dont le savant allemand avait doté la
médecine. L'honneur de cette application devait revenir au docteur Roux,
l'éminent directeur de l'Institut Pasteur qui, en 1894, au Congrès de
Budapest, put enfin annoncer qu'il était en possession d'une méthode
pratique permettant de guérir par la sérothérapie la diphtérie. On se
rappelle quelle émotion s'empara alors du monde entier. Quant au
tétanos, on n'a pu jusqu'ici arriver à le vaincre par un moyen
similaire, bien que les principes posés par le docteur Behring soient
reconnus rigoureusement exacts. Ce double précédent permet de se rendre
compte très nettement de l'état actuel de la question en ce qui concerne
la guérison de la tuberculose.

Le docteur Behring avait démontré, il y a trois ans, à Cassel, qu'il
était en possession d'un procédé de vaccination préventive des grands
animaux--comme les bovidés--contre la tuberculose. Il nous fait espérer
aujourd'hui que ce remède guérit également chez eux cette même maladie.
Il faut le croire, car sa parole n'est pas de celle qu'on révoque en
doute. Mais, même alors, il restera à trouver le moyen d'appliquer à
l'homme le même traitement. Le professeur Behring avoue n'avoir pas
essayé et ne va aborder qu'à présent ce nouveau problème. Que de voeux
vont l'accompagner! Que de collaborations vont lui être offertes!

Déjà, très galamment, il a promis aux chercheurs de l'Institut Pasteur
de mettre à leur disposition une certaine quantité de son remède, afin
qu'ils puissent contrôler ses propres expériences... et les continuer,
souhaitons-le. Il faut attendre, avec pleine confiance: le passé de M.
Behring répond hautement de l'avenir.

On se rappelle que le prix Nobel a récompensé, en 1901, ses travaux
antérieurs, notamment la découverte du sérum antidiphtérique. A ce
propos, nous permettra-t-on de relever une erreur commise ces jours
derniers: on a dit et répété que M. Behring avait partagé ce prix avec
le docteur Roux; il y a confusion et elle vient de ce que le docteur
Roux, honoré lui-même par l'Académie française du prix Louis, en offrit
spontanément la moitié à son confrère allemand, dont la découverte avait
servi de base à ses recherches.

Le jour de la visite du président de la République et des congressistes
au sanatorium de Montigny-En-Ostrevent, le photographe de
_L'Illustration_ a eu la bonne fortune de prendre l'excellent cliché du
docteur Behring que nous reproduisons dans ce numéro. Le savant allemand
conversait à ce moment avec un savant français, le docteur Louis Martin,
directeur de l'hôpital Pasteur, un des principaux collaborateurs du
docteur Roux. Nous nous félicitons de voir cette photographie associer
ainsi le docteur Behring et un représentant de l'Institut Pasteur: c'est
là une collaboration qui a été assez féconde hier pour qu'on puisse
l'espérer aussi heureuse demain.

[Illustration: Le _Chatham_, chargé de 80 tonnes de dynamite, échoué
dans le canal de Suez, au kilomètre 18,8.]

Dans la nuit du 5 au 6 septembre, un incendie se déclarait à bord du
navire anglais _Chatham_, qui passait le canal de Suez et qui portait
dans sa cargaison, entre autres marchandises, 80 tonnes de dynamite.
Cette dangereuse substance était placée dans la cale fort peu loin de la
chambre dans laquelle le feu avait pris. Devant la menace d'une
explosion imminente, l'équipage descendit à terre et la Compagnie du
Canal fit couler le vapeur.

Il sombra à 18 kil. 800 de Port-Saïd, au bord de la rive d'Asie, à un
endroit où le canal se déroule en plein désert. L'épave n'obstruait pas
complètement la grande voie navigable; elle laissait libre, du côté de
la rive d'Afrique, un chenal de 27 mètres qu'on porta rapidement à 37
mètres en reculant la berge, et la navigation put ainsi continuer.
Pourtant, le passage des navires n'était pas sans danger: le bateau
coulé pouvait se déplacer, se rapprocher du milieu du canal; une
collision eût provoqué une explosion. La Compagnie de Suez décida, pour
plus de sécurité, de faire sauter cette redoutable épave, en entourant
l'opération, toujours délicate, de toutes les précautions possibles et
en cherchant à réduire au minimum les dégâts matériels.

[Illustration: Gerbe d'eau et de fumée de 890 mètres de hauteur.
L'explosion du _Chatham_, à 9 h. 50, le 28 septembre, vue d'une distance
de 10 kilomètres, limite de la zone accessible.]

On dévia notamment, vers l'intérieur, le canal qui, sur la rive
africaine, approvisionne Port-Saïd en eau douce et qu'on craignait de
voir obstruer par la violence de l'explosion.

L'explosion fut fixée au jeudi 28 septembre.

En vue de parera tout accident de personne, on avait disposé, à 10
kilomètres de l'épave, un cordon de soldats égyptiens, chargés
d'empêcher toute circulation; des gardiens montés sur des barques
sillonnaient le lac Menzaleh, au sud, interdisant à quiconque l'approche
de la zone dangereuse, et des patrouilles chevauchaient en plein désert.

La veille au soir, à 4 heures, la navigation avait été interrompue dans
tout le canal. Des scaphandriers avaient pénétré dans la cale du
_Chatham_ et avaient disposé, non loin de l'explosif qui y était
accumulé, des caisses de dynamite amorcées, qu'un fil électrique reliait
à une cabane située à 7 kilomètres de distance. De cette cabane, un
ingénieur de la Compagnie pouvait, en pressant simplement un
commutateur, déterminer l'explosion.

Le jeudi matin, à 9 h. 50 exactement, la charge entière sautait,
soulevant avec un fracas terrible une énorme masse d'eau et de fumée.
Cette gerbe montait à 890 mètres de hauteur. Sur la seconde de nos
photographies, ce n'est qu'un nuage visible à peine sur l'azur uni du
ciel. Mais notre correspondant avait dû, soumis aux mesures de police,
se placer à 11 kilomètres du _Chatham_. Si l'on y pense, on se rendra
compte à quel point les effets de l'explosion durent être formidables,
pour avoir été enregistrés ainsi, par l'objectif, à une pareille
distance. C'est d'ailleurs la plus forte explosion de dynamite qui ait
jamais eu lieu, depuis que cette substance est connue.

Aussitôt après l'explosion, les agents de la Compagnie de Suez allaient
en constater les effets: certains débris avaient été projetés à 1.500
mètres de l'épave. Quant à la berge la plus rapprochée du _Chatham_,
elle était endommagée sur une longueur de 200 mètres et une profondeur
de 50 mètres. Enfin on amenait immédiatement sur place des bigues et des
ouvriers pour enlever les épaves.

[Illustration: Sur le lieu de l'explosion: les «bigues» occupées à
débarrasser le canal des débris du _Chatham.--Photographies de notre
correspondant, M. Ceorgiladakis._]

Comme on l'a vu plus haut, notre correspondant n'avait pu, pour opérer,
se placer qu'à 11 kilomètres du lieu de l'explosion. La Compagnie de
Suez, de son côté, désirait vivement avoir un cliché de l'explosion, qui
eût constitué en effet un intéressant document.

Elle avait donc fait installer, à 350 mètres seulement du _Chatham_, sur
un des pieux d'amarrage de la berge, un appareil tout armé et dont un
dispositif, ingénieux en son principe, devait, croyait-on, produire au
bon moment le déclanchement: une planche était suspendue, en équilibre
instable, au-dessus de la poire de caoutchouc; on comptait sur le
déplacement d'air produit par l'explosion pour la faire basculer et
actionner l'obturateur.

Il y eut malheureusement un à-coup; avant que le mouvement atmosphérique
eût déterminé la chute de la planche, la masse d'eau et de gaz soulevée
par la dynamite était retombée, et l'appareil recueillit seulement le
spectacle que présentait le canal immédiatement après l'explosion. On
voit, par la reproduction que voici de l'épreuve qui nous a obligeamment
été communiquée par la Direction du Canal, ce qu'il fut: la nappe d'eau,
si calme sur les photographies précédentes, était pareille à une mer
agitée, sillonnée de remous, ou mieux aux rapides impétueux d'un grand
fleuve équatorial, avec des vagues écumeuses montant à l'assaut de la
berge sous un ciel noir et bas, voilé, comme par une nuée d'orage, de
fumées si denses qu'elles cachaient l'autre rive.

Et, détail curieux, une bouée, bien fragile pourtant, et toute voisine
du lieu de l'explosion, puisqu'elle balisait l'emplacement de l'épave,
flottait encore sur ces eaux tumultueuses, intacte, épargnée par tout ce
fracas.

[Illustration: L'APPLICATION D'UNE CIRCULAIRE DE M. BERTEAUX, MINISTRE
DE LA GUERRE.--Présentation d'un «bleu» à un «ancien» dans une chambrée
de la caserne de Reuilly.]

[Illustration: LA DESTRUCTION DU «CHATHAM», COULÉ DANS LE CANAL DE
SUEZ.--Le remous des eaux et l'obscurcissement du ciel produits par
l'explosion, d'après un cliché photographique pris automatiquement à 350
mètres par les soins de la Direction du Canal.]



LE MONUMENT COMMÉMORATIF D'ANVERS

Dimanche dernier a eu lieu, à Anvers, dans le cimetière de l'église
Saint-Laurent, l'inauguration d'un monument élevé, comme le porte
l'inscription, à la mémoire des officiers, sous-officiers et soldats de
l'armée du maréchal Gérard, tombés au siège de la citadelle en novembre
1832.

[Illustration: Le monument commémoratif d'Anvers.]

Parmi les notabilités réunies pour la cérémonie, on remarquait: M.
Carteron, consul général de France, et M. Ed. Borniche, le premier,
président d'honneur, le second, président effectif de la Société de
bienfaisance française, à qui revient l'initiative de cet hommage; M.
Gérard, notre ministre à Bruxelles; le général Pinsonnière, commandant
le génie à Lille, délégué par notre gouvernement; le gouverneur de la
province, le bourgmestre et les échevins de la ville, etc. Dans les
discours prononcés, on a rappelé les circonstances où l'intervention de
la France assura à la Belgique cette indépendance dont elle vient de
célébrer le 75e anniversaire.

AU RÉGIMENT: LE «BLEU» ET L' «ANCIEN»

Quelques jours avant la récente incorporation de la classe, M. Berteaux,
ministre de la Guerre, adressait aux chefs de corps une circulaire dont
quelques phrases typiques précisent suffisamment l'objet et l'esprit:
«On s'efforcera de rendre aussi faciles que possible au jeune soldat les
débuts de la vie militaire...»--«Les chefs de corps et les commandants
d'unités s'ingénieront tout d'abord à donner à la réception du nouveau
contingent le caractère d'une véritable fête de famille...»--«Le
capitaine présentera personnellement les recrues aux anciens soldats et
profitera de cette circonstance pour tracer aux uns et aux autres leurs
devoirs réciproques...» Les prescriptions dictées à notre ministre civil
de la Guerre par une sollicitude paternelle ont été assurément
observées, puisque nous pouvons donner la physionomie d'une de ces
présentations entre «bleu» et «ancien», scène prise sur le vif dans une
caserne de Paris. Quant a leur efficacité, il serait peut-être téméraire
d'en juger sans le contrôle préalable de l'expérience. Souvent les
circulaires passent tandis que les habitudes restent.



[Illustration: Dr Louis Martin. Dr Behring. LE CONGRÈS DE LA
TUBERCULOSE.--Science allemande et science française. Dans le parc du
sanatorium de Montigny: le docteur allemand Behring s'entretenant avec
le docteur Louis Martin, collaborateur du docteur Roux et directeur de
l'hôpital Pasteur.--_Voir l'article, page 242._]



[Illustration: L'Université impériale de Tokio: la Faculté de droit et
la Faculté des sciences.]

LE «QUARTIER LATIN» DE TOKIO

_Il n'est rien de ce qui se passe au Japon qui ne nous intéresse en ce
moment. Toutes nos curiosités sont éveillées, attirées vers ce pays que
nous avons si longtemps ignoré ou mal jugé, sur lequel nous nous étions
fait tant d'idées fausses. Nous voudrions, maintenant, en connaître d'un
coup, en détail, la vie, les moeurs, et quiconque nous en révélera un
trait nouveau est sûr de retenir notre attention. Nous sommes donc
persuadés qu'on lira avec plaisir ces notes sur la vie des étudiants à
Tokio, que nous rapporte M. J.-C. Balet, à qui nous avons déjà dû les
intéressantes correspondances du Japon qu'on se rappelle avoir lues ici
pendant la guerre._

Surpris par une averse, un soir d'orage, dans une rue tortueuse du
quartier de Kanda, il m'advint une petite aventure qui vaut d'être
contée.

Comme toujours en pareil cas, les _kurumayas_ stationnés au coin des
rues, coiffés de leur chapeau-parapluie et revêtus de leur _kappa_ en
toile cirée, bravaient la pluie et faisaient les offres les plus
pressantes aux passants en détresse.

«_Danna! danna!_ (monsieur!) s'il vous plaisait de monter? Je viendrai à
bas prix.»

N'ayant plus que 500 mètres de chemin pour arriver à destination, je
dédaignais leurs importunes sollicitations, lorsque l'un d'eux, plus
hardi, me lança d'une voix mal assurée:

«_Sir, will you take my kuruma?_» (Monsieur, voulez-vous prendre ma
voiture?)

Ce fut moins son anglais que la mine de ce jeune homme qui me décida.
Après tout, il pouvait avoir besoin de dix sous.

[Illustration: La vie d'étudiant: chez les pauvres, on cuisine entre
deux leçons]

Au moment de le quitter, après lui avoir payé sa course, il me regarda
avec une certaine fierté:

--Monsieur, je suis un élève de l'Université.

--Bah!... Et pourquoi as-tu quitté l'Université pour le _kuruma_? C'est
beaucoup moins intéressant.

--Je n'ai pas quitté l'Université. _Je fais les deux_ (sic).

L'état du ciel ne me permettait pas un long dialogue. J'appris en peu de
mots que ce jeune homme, originaire de Fukushima, fils de modestes
paysans, gagnait ainsi, par les nuits obscures, le supplément
d'allocation qui lui manquait pour acheter des livres.

Je triplai le menu pourboire qu'il avait si bien gagné, et je rentrai
chez moi, décidé à explorer ce coin de Tokio où l'on découvrait de si
curieuses choses.

Ce que j'ai nommé, par une analogie un peu forcée, le _Quartier latin_
de Tokio, ce sont les deux arrondissements de Hongo et de Kanda, le
premier sur une hauteur qui domine la capitale, le second à ses pieds,
dans la plaine.

Avant la révolution de 1867, Hongo était en partie occupé par le
_yashiki_ (domaine) du _daimyô maeda_, seigneur de la province de Kaga.

L'Université impériale, avec les immenses établissements afférents aux
six Facultés de droit, de médecine, des lettres, des sciences,
d'agriculture et polytechnique, couvre la presque totalité de ce superbe
enclos.

Dans les environs, une foule d'écoles sont venues se grouper: lycée
supérieur, écoles normales supérieures des garçons et des filles, arts
et métiers, etc.

Kanda a l'École des langues étrangères, la haute école de commerce et
diverses institutions secondaires.

D'autres écoles qu'il serait trop long d'énumérer, telles l'École des
beaux-arts, les écoles militaires, l'École des nobles, sont dispersées
un peu partout dans Tokio, mais le centre intellectuel demeure autour de
_L'Alma mater_, dans les deux quartiers précités.

Naturellement la jeunesse studieuse du pays, comme les abeilles autour
de la ruche, est venue se réfugier dans les environs et donner à cette
partie de Tokio un cachet un peu spécial.

Qu'on ne se méprenne pas cependant sur ce soi-disant Quartier latin.
Extérieurement, ses rues ne diffèrent pas tellement des autres rues de
la capitale qu'un ironique globe-trotter appelait un «village à perte de
vue». A Kanda surtout, la seule note caractéristique, ce sont les
enfilées de boutiques de librairie classique où les étudiants qui ont
fini leurs études vont se défaire, à bon marché, de leurs vieux
compagnons, les livres. A Hongo, ce sont les _geshikuya_, traiteurs et
logeurs, qui occupent la majeure partie de la colline de Yujima.

Nulle part de bal Bullier, de cafés de la Source ou du Panthéon. Dans
ces parages plutôt calmes et graves, point de chansonniers ni de
gigolettes, rien qui ressemble à nos monômes d'étudiants en révolte ou
en goguette.

Tout au plus, quelques _beer hall_, peu fréquentés par la gent écolière;
car les étudiants japonais n'ont ni la bourse pansue, ni l'estomac
solide de leurs camarades allemands. Des théâtres, oui, et des _yosé_,
sortes de salles de déclamation où les conteurs et les chanteurs
viennent écouler leur répertoire, et que les étudiants fréquentent
volontiers à cause du bon marché. Aussi ne faut-il point venir à Hongo
ou à Kanda pour s'amuser.

Dans ces conditions, quelle peut bien être la vie de l'étudiant
japonais? Généralement pauvre et désirant arriver à quelque chose par
l'étude, le Japonais venu de la province dans une des écoles spéciales
dont j'ai parlé, commence par choisir une chambre dans un _geshiku_, une
chambre de 4 ou de 6 nattes. Dans un si petit espace, il n'y a point de
place pour un meuble; d'ailleurs l'étudiant n'en a pas. Rien n'est plus
facile que de faire l'inventaire de son mobilier.

Prenons-le au moment où, mécontent de son patron, qui le nourrit mal ou
qu'il ne peut payer, il déménage vers un toit plus hospitalier. Il
appelle un traîneur de _kuruma_, qui charge ses matelas roulés sur son
véhicule; puis, il lui confie son _kôri_, boîte en osier, renfermant
deux habits râpés et un chapeau éculé; enfin il installe, à côté de ses
_futon_, une table de bois noir, mesurant 25 centimètres de long sur 20
de large et sur 10 de hauteur; sa boîte à pinceaux et ses livres de
classe; lui, il suit la voiture, portant sa lampe d'une main, son
gourdin de l'autre et une couverture rouge sur les épaules.

[Illustration: Un «geshiku» d'étudiants aisés.]

Murger, avec toute son imagination, n'avait pas rêvé d'une bohème si
pauvre. Aussi, une chambre de 6 nattes étant encore un luxe et pouvant
bien coûter une dizaine de francs de location mensuelle, les étudiant,
se groupent deux ou trois ensemble, pour occuper le même logis.

Le patron du _geshiku_ se rattrape sur la nourriture qu'il sert à ses
pensionnaires. Elle varie de 5 à 7 yen (13 à 18 fr.) par mois. Vous
pensez quels menus confortables peut servir un Thénardier japonais pour
ce prix-là? En dehors du riz, le reste n'a de nom dans aucune langue.

Bien qu'ils aient le ventre élastique, capable de se serrer de plusieurs
crans, les étudiants japonais trouvent parfois ces procédés exorbitants
et le manifestent en démolissant la cuisine et en brisant tous les
ustensiles de leur traiteur.

Quelques-uns préfèrent louer une chambre en ville, dans une maison
privée, et faire leur popote aux heures de loisir. Ceux qui ont goûté
cette vie (l'artiste qui a dessiné ces croquis en est un) en ont gardé
un souvenir ému. Entre deux leçons, oh! le plaisir d'éplucher ses
légumes, d'allumer le réchaud avec l'éventail, d'aspirer le fumet des
sauces que l'on ne doit qu'à soi-même!

Mais, comme ceci est une grosse perte de temps et devient trop bourgeois
d'allure, on vient d'inventer les gargotes à 3 sen. Quoi que l'on
consomme, debout ou assis, un oeuf ou une pomme de terre, un bol de riz
ou un bifteck, le prix invariable de 3 sen (8 centimes) est exigé.

L'étudiant _(shosei)_ japonais est généralement travailleur. Depuis
l'époque lointaine où les Ito, les Mutsu, les Inoué, étudiaient en
cachette l'anglais et les livres d'Europe, en s'engageant parfois comme
boys de cabine sur les vapeurs étrangers, d'autres fois en louant leurs
services à un résident, une fièvre de savoir a gagné tout le pays. Il
est vrai de dire que le gouvernement de Meiji a tout fait pour
l'entretenir; l'organisation de l'instruction et sa diffusion sont tout
simplement merveilleuses. Et puis, à l'opposé des anciens jours où l'on
décapitait les hommes trop éminents, la science peut mener à tout
aujourd'hui. On a vu un journaliste devenir ministre; plusieurs anciens
_shosei_, dont les débuts ont été rudes, ont gravi tous les degrés et
occupé des postes éminents. L'esprit de fonctionnarisme est né avec les
horizons que découvrait la science; il n'est plus un seul paysan pouvant
_pousser_ son fils, du lycée provincial aux écoles supérieures de Tokio,
qui ne le fasse, avec le secret espoir d'en faire au moins un _yakunin_
(employé de l'État).

[Illustration: Chez «mon oncle»: le mont-de-piété japonais.]

[Illustration: Amusements d'étudiants: au _yosê_, ou salle de
déclamation.]

Aussi ces humbles campagnards, ces pauvres villageois, sont-ils âpres à
la besogne. Je parlais au début de ce jeune homme qui, la nuit, faisait
le métier de _kurumaya_ pour compléter ses frais d'école; d'autres vont
distribuer le lait ou les journaux, de porte en porte, le matin au point
du jour. On les appelle _kugakusei_, les écoliers qui peinent pour
apprendre. Quelques-uns préfèrent se louer comme portiers ou garçons
chez des avocats, des médecins ou des députés. On leur donne la
nourriture et le logement; mais, comme ils sont pris toute la journée,
ils ne peuvent fréquenter que les écoles du soir.

Travailleur, le Japonais l'est par ambition. Il étudie moins pour savoir
que pour arriver. Aussi les jeunes gens aisés sont-ils généralement les
plus paresseux. D'aucuns, à qui leurs parents aveugles ne refusent rien,
font comme chez nous et dissipent le prix de leur pension au yoshiwara,
dans les sports ou en boissons. Ce sont eux et non pas les étudiants
pauvres qui vont périodiquement engager leurs habits et leurs livres
chez l'usurier du coin (les Japonais l'appellent _mon oncle_), puis les
racheter avec perte. Cette industrie est une des plus fructueuses et des
plus caractéristiques du quartier des écoles.

Un de mes vieux amis, longtemps professeur au Japon, prétend que
l'étudiant japonais fait les délices de son professeur, non seulement
par l'application, mais par l'intelligence, la docilité et la déférence.
Sur ce dernier point, je suis obligé de dire que les Japonais eux-mêmes
ne sont pas de son avis. Il arrive assez souvent que toute une classe
prenne un professeur en grippe. Si les élèves ont juré de le faire
partir, l'école entière se solidarise avec les révoltés; après les
menaces directes, on fait grève et l'on passe aux voies de fait. Presque
toujours les élèves ont le dernier mot.

Bons camarades entre eux, même lorsqu'ils appartiennent à des écoles
différentes, on voit ces jeunes gens prendre part aux mêmes sports sans
jalousie ni rivalité haineuse. Le tennis et l'aviron, le football et le
trapèze, sont de plus en plus entrés dans les moeurs. La tournure des
petits étudiants y a gagné, comme leur santé physique, et il m'a paru
que les jeunes gens actuels étaient plus robustes que ceux que j'ai
connus il y a quinze ou vingt ans. Il ne me reste plus qu'à souhaiter à
Tokio de devenir le centre de toutes les lumières, le foyer intellectuel
où l'Asie, l'Europe et l'Amérique viendront s'approvisionner dans un
prochain avenir, puisque c'est le rêve ambitieux que l'on fait pour le
Japon moderne!

J.-C. BALET.

[Illustration: La «gargote» à trois sen.]



[Illustration: Le Stromboli, avec une coulée de lave descendant vers la
mer.]

DU STROMBOLI AU VÉSUVE

La terrible émotion qu'ont produite, dans l'Italie entière, les récents
tremblements de terre des Calabres commence à peine à se calmer.
L'imprévu de telles catastrophes, le mystère qui entoure leurs causes,
sont bien faits d'ailleurs pour accroître et prolonger l'inquiétude.
Aussi, et quel que doive être, en fin de compte, le résultat de cette
initiative, le gouvernement italien a-t-il été heureusement inspiré en
constituant une commission scientifique chargée d'étudier les effets du
phénomène et d'essayer d'en établir l'origine.

Comme, avec le tremblement de terre, a coïncidé une recrudescence
d'activité des deux volcans entre lesquels s'étend la plaine si souvent
ravagée par les convulsions sismiques, le Stromboli et le Vésuve, les
études de la commission vont nécessairement s'étendre à ces volcans.

Précédant les géologues et les topographes officiels, j'ai fait,
l'appareil photographique en mains, une visite aux deux inquiétantes
montagnes.

L'excursion au Stromboli n'a rien d'engageant. Elle est malaisée, et,
n'était l'effet saisissant que produit la présence de la riante ville de
Stromboli au pied de cette montagne âpre, on serait déçu. C'est un
voyage que j'ai fait une fois et que je n'espère pas recommencer.

Le Vésuve, au contraire, était pour moi une vieille, très vieille
connaissance. N'ai-je point même, un jour--il y a deux ans de
cela--failli trouver la mort au bord de son cratère, pour avoir voulu le
photographier de trop près? Il est actuellement, au surplus, d'accès
assez facile à quiconque ne tient pas à s'aventurer dans la zone
dangereuse, et de Naples, en une heure à peine, chemins de fer et
funiculaire transportent les touristes à la «gare supérieure»! Mais les
vrais curieux ne s'arrêtent pas en si beau chemin et attaquent
gaillardement les pentes sablonneuses et roides qui se dressent encore
au-dessus d'eux et les conduiront jusqu'au sommet du cône. Le spectacle
qu'ils trouvent là-haut vaut bien la peine qu'ils se sont donnée pour y
parvenir.

[Illustration: Le Vésuve: orifice principal au moment de l'éruption
d'une bombe.]

Me voici presque au bord du cratère--ou mieux, des cratères, car il y
en a cinq, l'un touchant l'autre--près d'un abîme d'où montent
continuellement des vapeurs blanches qu'échevelle la brise d'automne.

Tout à coup, au fond du gouffre, on perçoit des bruits stridents, de
déchirants sifflements, qui montent, grandissent, éclatent en un bruit
d'enfer. On dirait qu'une armée de locomotives, leurs soupapes grandes
ouvertes, se déchargent, se vident... Puis une détonation sourde, qui
ébranle le sol sous mes pieds: un nuage de fumée noire, en forme de
champignon ou de parasol, le fameux «pin» tant de fois décrit, monte, se
développe dans les airs, crevé en tous sens par des bombes de lave qui
éclatent, des pierres qui retombent en pluie au loin. Et le vent aigre
tord, déroule, souffle en tous sens cette nue sinistre qui s'évanouit
bientôt dans l'azur frais du ciel.

[Illustration: Le Vésuve en activité.]

Comme je vais redescendre, j'avise le plus ancien des guides:

--Pensez-vous que la montagne doive nous offrir de nouveau un de ses
spectacles?

--Ne le dites pas, _signorino_: si spectacle il y a, il sera terrible.
La montagne est trop pleine.

Ce «trop pleine» là-haut, entre deux bombes... Il était temps,
décidément, de retourner.

CHARLES ABÉNIACAR.

[Illustration: L'agent Debishop. Jean Gallay. L'agent Donzelot.]

[Illustration: Valentine Merelli. Marie Audot]

LE RETOUR DE GALLAY ET DE VALENTINE MERELLI.--Leur débarquement du
paquebot _Cordillère_, à Bordeaux. _D'après les photographies de MM.
Sereni, Eug. Bardot et Raymond._



UNE CAMPAGNE DE CHASSE ET DE PÊCHE EN AUTOMOBILE

Elle va exciter l'envie de nos sportsmen et ouvrir la porte à tous leurs
rêves, cette campagne de chasse et de pêche que viennent de faire, à
travers l'État du Maine et le Canada, cinq chauffeurs américains: MM.
Ezra H. Eitch, Augustus Post, A. T. Edmunson, R. H. Johnston et N.
Lazarnick.

[Illustration: Un «store» en pleine campagne, au Canada.]

Ils partaient, à la fin d'août, de Portland, au sud de l'État du Maine,
sur l'Atlantique, en trois automobiles, et remontaient vers le nord.
Comme ils comptaient courir quelque peu les bois, à la poursuite du
gibier, loin, souvent, de toute hôtellerie et même de toute ferme,
chaumière ou hutte, et que, d'ailleurs, en tout état de cause, ils
voulaient pouvoir se tirer d'affaire avec leurs propres ressources, ils
emportaient tout un matériel de campement perfectionné: quatre tentes de
soie, légères et peu encombrantes, une cuisine complète en aluminium,
des malles-couchettes avec des matelas à air et tout un lot de
provisions, viandes concentrées, conserves, etc. Ils s'étaient munis de
solides haches, d'une pelle, d'une pioche, dont ils pouvaient avoir
besoin pour se frayer la route, en certains cas; de leviers et de
palans, en prévision d'accidents ou de pannes. Et, bien entendu, ils
n'avaient eu garde d'oublier l'arsenal de lignes, de fusils, de
carabines, indispensable aux pêcheurs et chasseurs qu'ils étaient avant
tout.

Ils suivirent d'abord la ligne du Maine Central jusqu'à une ville nommée
Mattawamkeag; là, ils abandonnèrent la voie ferrée et piquèrent droit au
nord, vers Patten. En approchant de cette ville, ils eurent une
sensation un peu forte: devant eux, les séparant de l'étape, une forêt
brûlait. Ils s'y lancèrent à toute vitesse et purent, sans dommage,
atteindre Patten. Mais ils n'y étaient guère en sûreté: une saute de
vent pouvait rabattre les flammes vers la ville et l'incendier. Les
habitants étaient debout, anxieux, se demandant s'il fallait fuir. Pour
nos excursionnistes, ils veillèrent aussi, guettant l'événement, moins
inquiets toutefois, et prêts, à la première alerte, à sauter sur leurs
machines et à filer. Au-dessus de Patten, la route se divisait en deux
branches. On leur dit que les quatre ou cinq automobiles qui étaient
déjà venues jusque-là avaient toujours pris la route de l'est. Cela les
décida à suivre l'autre, qui remontait vers le nord. Ils s'élancèrent
dans l'inconnu, sur un chemin qu'aucune machine encore n'avait sillonné,
et entrèrent au Canada.

[Illustration: EN AUTOMOBILE A TRAVERS L'ÉTAT DU MAINE ET LE CANADA 1.
Un calvaire au bord de la route.--2. En pleine forêt: dégageant le
passage.--3. Le coup de feu en auto.--4. Hors des routes battues.]

Ce que fut leur existence au cours de ce voyage, les photographies
qu'ils ont rapportées le disent assez. Tantôt ils couraient le long de
routes passables, jalonnées de vénérables calvaires où se croisaient en
trophées les instruments de la Passion; tantôt ils faisaient halte
devant quelque _store_ en pleine campagne, devant quelque magasin perdu,
attendant des clients venus de lieues et de lieues à la ronde; ou bien
encore ils s'aventuraient, par des pistes encombrées et qu'il fallait
déblayer, au coeur même de la forêt; là, où ne se voyait plus nulle
trace du passage de l'homme, ils campaient, l'un cuisinant tandis que
l'autre procédait à la lessive indispensable. Ils passèrent des rivières
sur des bacs, en traversèrent d'autres à gué; et leurs automobiles
croisaient alors dans le courant quelqu'un de ces légers et fins canoës
d'écorce faits à l'image des pirogues des Peaux-Rouges.

Sous bois, le passage de leurs autos faisait se lever et fuir du gibier
qu'ils pouvaient parfois tirer en marche. Et leurs chasses furent des
plus fructueuses. Leur plus beau coup de fusil descendit un caribou,--un
caribou, ô René--un renne superbe qui fut prestement chargé sur l'une
des machines.

Enfin ils arrivèrent à un village dont les habitants parlaient une
langue d'eux cinq inconnue: un pur français du dix-septième siècle. Là,
une personne entendant quelques mots seulement d'anglais était une
rareté. Ils supposèrent qu'il en devait être ainsi dans toute la
contrée, occupée par de purs Canadiens français. Ils appréhendèrent de
poursuivre plus loin leur voyage dans ces conditions, ce qui tendrait à
prouver qu'ils étaient moins certains de pouvoir se passer de tout
concours étranger qu'ils ne le voulaient bien dire. Ils avaient traversé
crânement la forêt enflammée de Patten. Ils redoutèrent de s'aventurer
en pays franc. «Autant, disait au retour M. Ezra H. Fitch à un
interviewer, autant eût valu voyager en Normandie!»

Et ils rebroussèrent chemin vers la frontière des États-Unis, qu'ils
traversèrent près du fort Kent, puis vers le Nouveau-Brunswick, où ils
poussèrent une pointe avant de regagner Portland--enchantés.

[Illustration: EN AUTOMOBILE A TRAVERS L'ÉTAT DU MAINE ET LE CANADA 1.
Passage d'une rivière en bac.--2. Le campement dans une clairière.--3.
Repas sous la tente.--4. Passage d'une rivière à gué.]

[Illustration: La veuve du général, son fils et d'autres membres de la
famille Kondratenko, près du cercueil du héros de Port-Arthur, sur le
pont du _Munchen._]

Le général Kondratenko, qui paraît bien avoir été, plus qu'aucun autre,
l'organisateur intelligent et fertile en ressources de la défense de
Port-Arthur, et dont la mort glorieuse, aux derniers jours du siège, a
été pour la citadelle investie une perte irréparable, va reposer en
terre russe: le 1er octobre, le steamer allemand _Munchen_ ramenait à
Odessa sa dépouille mortelle.

Sur le pont du navire, où étaient réunis autour de Mme Kondratenko, la
veuve du général, et de ses enfants, de nombreux officiers, son cercueil
fut en un moment couvert de couronnes. Et ce furent d'anciens
combattants de Port-Arthur, d'anciens compagnons d'armes de Kondratenko,
qui lui rendirent les derniers devoirs, le portèrent quand il fut
besoin, montèrent la garde autour de lui.

Le corps du général a été transporté à Saint-Pétersbourg, où de
solennelles obsèques lui furent faites.

[Illustration: A Odessa: le cortège funèbre s'organisant à bord du
_Munchen_ et sur le quai.--_Photographies Poudichef_ LE RETOUR EN RUSSIE
DES RESTES DE KONDRATENKO, TUÉ A PORT-ARTHUR]

[Illustration: Le prince Worontzof-Dachkof. _Photographie Bulla._ LE
PRINCE WORONTZOF-DACHKOF, VICE-ROI DU CAUCASE, VISITANT LES RUINES DE
BALAKHANY]

_Au prince Worontzof-Dachkof, vice-roi du Caucase, revient l'honneur
d'avoir ramené à Bakou une paix qu'on voudrait croire durable. C'est lui
qui a réconcilié Arméniens et Tatars,--au prix de quelles objurgations!
Dans sa calèche basse, entouré d'une petite escorte de cosaques, on le
voyait aller parmi les débris écroulés des maisons, les ruines des
usines, amas de pierres calcinées, de cendres, d'où émergeaient de place
en place les restes de quelque formidable machine, des roues, des
pignons, des volants, des tuyaux, tout cela tordu, déformé, oxydé,
tacheté par les flammes de rouilles superbes. Mais l'émeute, éteinte à
Bakou, se rallume en d'autres points du Caucase: à Tiflis, neuf bombes,
dans la même journée, ont éclaté, et il va falloir, sans doute, au
prince Worontzof-Dachkof, reprendre quelque jour par là ses périlleuses
promenades._



LIVRES NOUVEAUX

LE PREMIER GRAND ROMAN DE LA SAISON «L'INDOCILE», PAR M. EDOUARD ROD
(1).

C'est l'évolution fatale à tous les romanciers de race de s'élever peu à
peu des oeuvres de pure fiction romanesque aux plus hautes thèses
philosophiques et sociales. Le Paul Bourget de 1905 a d'autres
préoccupations que celles dont s'inspirèrent _Cruelle Enigme_ ou
_Mensonges_. Récemment, M. Marcel Prévost marquait une ascension
parallèle vers l'examen des problèmes capitaux qui intéressent une
époque, une généralité. M. Edouard Rod, qui compte parmi les plus nobles
esprits de ce temps, n'a pas échappé à cette sollicitation
évolutionnaire. On en peut suivre les étapes dans chacun de ses livres.
Le dernier s'attaque à la question la plus passionnante et la plus
actuelle: celle de la liberté de croire.

(1) Fasquelle, édit. 1 vol., 3 fr. 50

Incroyant lui-même, M. Rod s'est fait l'avocat de la tolérance
universelle; calviniste de naissance, il apporte au monde et à la pensée
catholiques le tribut d'un respect qui, au besoin, ne craint pas de
censurer.

Il intitule son roman _l'Indocile_. Il eût pu mettre: _les Indociles_,
car on en compte au moins deux dans le livre.

Par son oncle, Romanèche,--un des grands chefs du parti avancé, une
façon de Jaurès tumultueux, mais sincère,--Valentin Délémont a été
introduit comme précepteur dans la maison d'un riche industriel rémois,
M. Frumsel. Celui-ci est veuf; il a des ambitions parlementaires et se
croit des convictions philosophiques. M. Frumsel veut que son fils,
Désiré, soit élevé en dehors de toute religion et tenu jalousement à
l'abri de la contagion catholique. Pour y réussir, il compte sur la
collaboration, du jeune précepteur, qui saura se faire le camarade de
son élève et qu'on lui a présenté comme un garçon sûr, bien inféodé aux
«principes». Mais quelque hérédité tenace ou une naturelle propension
poussent invinciblement Désiré Frumsel vers la religion qui fut celle de
sa mère. A sentir l'opinion du précepteur peser constamment sur sa
conscience pour l'éloigner de l'idéal qui la charme et qui l'obsède,
l'âme de l'élève se tient fermée et comme hostile. Valentin,
pareillement indocile aux pressions trop exigeantes, commence à penser
que c'est faire oeuvre mauvaise de vouloir contraindre cette mentalité
d'adolescent à un joug qu'elle refuse, d'imposer la négation de tout à
cet enthousiasme affamé de leurres sublimes. Il s'ouvre au père de ses
inquiétudes et de son impuissance. Le seul remède, concluent ensemble
Frumsel et le précepteur, serait un voyage à Rome; «le spectacle de la
décadence catholique» aurait la plus heureuse influence sur un esprit
droit. Mais, de ce voyage, l'élève, contre toute attente, revient
fortifié dans sa foi juvénile; Valentin en revient plus hésitant, plus
timoré. Un jour, à Reims, dans un meeting bruyant où Romanèche a pris la
parole, le fils du radical Frümsel siffle éperdument l'agressif tribun,
ennemi de son culte. Scandale!... Evictions!... Frümsel, furieux et
inconsolé, chasse de sa maison l'infortuné précepteur dont la faiblesse
et l'insuffisance n'ont pas su lui épargner telle humiliation devant son
parti.

Derrière cette trame, d'apparence un peu menue, mais à laquelle le
conflit dramatique des opinions, le heurt incessant des volontés,
prêtent une ampleur parfois majestueuse, M. Rod a, par scrupule de
romancier, estompé une gracieuse idylle. Elle s'efface presque sous la
grandeur des problèmes et des discussions qui, à chaque page, accaparent
l'oeuvre.

Ceux dont l'auteur de _l'Indocile_ a dénoncé si rudement la tyrannique
intolérance ne manqueront pas de donner à ce livre l'épithète de
«clérical».

L'écrivain ne mérite pas un tel reproche. Son impartialité se tient à
égale distance d'Urbain Lourtier, qui voit le seul salut de la société
dans la destruction des croyances religieuses, et de Claude Brévent, cet
autre intransigeant, catholique militant, disciple de Marc Sangnier et
adepte du «Sillon».

L'un et l'autre sont les meilleurs amis de Valentin et, à chacun d'eux,
comme son héros, M. Rod reconnaît une part de sincérité. Il a simplement
repris la grande ligne de Flaubert, que nul n'osa appeler un clérical,
et sait nous montrer que l'Homais du vingtième siècle, pour avoir plus
d'intellectualité qu'un pharmacien de province, reste encore et quand
même Homais.

RÉMY SAINT-MAURICE.



LE DERNIER OUVRAGE DE M. G. LENOTRE: «LE DRAME DE VARENNES» (2),

L'apparition du nouvel ouvrage de M. G. Lenotre datant de quelque trois
mois, nous aurions à nous excuser de le signaler bien tardivement, s'il
s'agissait d'un de ces livres dont la vogue est éphémère ou le sujet
d'immédiate actualité. Mais tel n'est pas le cas: il a eu la bonne
fortune de conquérir auprès du public une faveur durable, et comme,
d'autre part, il traite d'événements remontant à plus d'un siècle, le
sujet n'est guère plus vieux aujourd'hui qu'il ne l'était hier; il reste
donc opportun de constater ce succès et d'en indiquer les raisons
pertinentes.

(2) Librairie académique Perrin, 1 vol. in-8° illustré de portraits,
plans et dessins inédits, 5 francs.

Lorsqu'au mois d'avril de l'an dernier M. G. Lenotre, avec la précieuse
collaboration de M. Henri Lavedan, fit représenter _Varennes_ au théâtre
Sarah-Bernhardt, il ne s'était pas trompé en pensant qu'un des
principaux épisodes de la Révolution française, et non des moins
émouvants, la malheureuse odyssée de la famille royale en 1791, offrait
tous les éléments essentiels, tous les puissants ressorts d'une oeuvre
dramatique; d'ailleurs, malgré les inévitables sacrifices consentis aux
nécessités ou aux conventions scéniques, la pièce, il s'en portait
garant, reposait sur les fondements d'une documentation solide. Ce
consciencieux travail préparatoire, il a jugé utile de le publier, et
l'on doit lui en savoir gré; car la réunion de ces matériaux forme un
ensemble plus complet et plus suggestif encore que l'adaptation
théâtrale à la construction de laquelle ils ont servi, adaptation
forcément restreinte à la mesure de son cadre spécial.

Aussi bien, M. G. Lenotre est-il passé maître en l'art des
reconstitutions historiques. Fouiller les bibliothèques et les archives,
scruter les «vieilles maisons», dépouiller les «vieux papiers», afin de
leur dérober leurs secrets et d'en tirer des renseignements neufs, ce
sont là besognes où font merveille son ingénieuse sagacité de curieux,
son flair subtil de fureteur, ainsi qu'en témoignent ses divers ouvrages
relatifs à l'époque révolutionnaire, objet de ses études de
prédilection. Sa méthode--la bonne--consiste, une fois les documents
découverts, à les vérifier scrupuleusement, les confronter, les
contrôler, les commenter aux clartés de l'esprit critique; puis à les
grouper et coordonner, en ajoutant au tout ce qu'il convient de
littérature, c'est-à-dire l'assaisonnement dosé d'une main experte, de
façon à relever sans la dénaturer la saveur originale du plat
substantiel. En un mot, l'érudit vulgarisateur par excellence.

Voilà pourquoi, à suivre le présent récit, constamment étayé de
références justificatives, copieusement illustré de vignettes d'une
pittoresque précision, on croirait assister aux poignantes péripéties du
drame qui se déroula du 20 au 25 juin 1791: l'évasion des Tuileries, la
fuite en berline, la tragique nuit du 21, le retour de Varennes à Paris,
plus tragique encore. Tout s'y détache avec un relief saisissant:
personnages de premier et de second plan, simples comparses, figures,
caractères, sentiments, incidents anecdotiques, détails significatifs,
tableaux mouvementés de l'effervescence populaire...

Mais un pareil livre ne s'analyse pas. D'ordre avant tout rétrospectif
et documentaire, pour en comprendre le succès, supérieur à celui de bien
des romans, il suffit de remarquer qu'au prestige de l'histoire il joint
l'intérêt passionnant d'un roman singulièrement pathétique et vraiment
«vécu». A ces titres, il a été beaucoup lu cet été, il va l'être cet
hiver, il le sera longtemps.

EDMOND FRANK.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

LA MALLE DE M. DE BRAZZA.

Quand il partait pour remplir au Congo la mission au cours de laquelle
il devait trouver la mort, M. de Brazza entrevoyait-il qu'il aurait à
recueillir là-bas et à rapporter de graves documents? Toujours est-il
qu'il avait demandé au fabricant de malles bien connu, M. Louis Witton,
une «malle secrétaire», spécialement aménagée pour garder contre toute
atteinte, toute indiscrétion, les pièces qui lui seraient confiées.
L'ingéniosité du constructeur avait réalisé un meuble très pratique à la
fois, et absolument inviolable.

[Illustration: La malle aux documents secrets de la mission de Brazza.]

Extérieurement, ce meuble ne semblait qu'une malle ordinaire, solidement
construite pourtant, en bois bien sec recouvert de cuivre peint en vert
foncé et consolidé par de solides bandes de renforcement en même métal,
avec d'inusables poignées de corde permettant de la suspendre à quelque
perche, à un bambou, pour le portage à l'épaule. Mais cette malle,
placée sur une table supportée par quatre pieds en fer qui se repliaient
à volonté, constituait, une fois en place, un véritable secrétaire, avec
des casiers pour les dossiers, des tiroirs, un compartiment pour la
papeterie, tandis que l'avant, s'abattant, formait pupitre pour écrire.
Enfin, un mécanisme compliqué, dissimulé à la partie inférieure de la
caisse, n'en permettait l'ouverture qu'aux seules personnes qui en
savaient le secret: M. de Brazza et l'un de ses secrétaires. Et c'est
dans cette malle qu'ont été rapportés tous ces dossiers qu'on a
entre-bâillés trop tôt et que va examiner en détail, maintenant, la
commission d'enquête nommée par le ministre des Colonies pour faire la
lumière sur tous ces incidents du Congo dont on a tant parlé depuis
quelques jours.

LE CHIEN TUBERCULEUX.

Il y a seulement quelque quinze ans, vétérinaires et médecins pensaient
que la tuberculose était très rare chez le chien. On savait bien qu'il
est facile de déterminer chez lui la tuberculose expérimentale, mais on
considérait la maladie spontanée comme tout à fait exceptionnelle.

Or, il résulte des documents réunis par les vétérinaires de l'école
d'Alfort que la tuberculose canine est au contraire très fréquente et
qu'elle va progressant. En cinq ans, la proportion des chiens
tuberculeux autopsiés à Alfort se serait élevée de 4,5 à 9%.

Le plus fréquemment, ces chiens tuberculeux viennent de chez les
marchands de vin, cafetiers ou traiteurs de Paris ou de la banlieue,
ayant vécu, ainsi que l'a remarqué M. Cadiot au récent Congrès de la
tuberculose, «dans des milieux où les crachats infectants sont communs,
et où le fréquent balayage des salles répand dans l'air les poussières
virulentes». D'ailleurs, ainsi que le fait observer M. Landouzy, ce
n'est pas seulement par les voies respiratoires que les chiens prennent
les germes de la tuberculose, c'est encore par les voies digestives,
alors qu'avides et voraces ils lèchent et avalent les matières
virulentes jetées à la voirie ou versées sur les tas d'ordures.

Et voici comment, bavant sur les tapis, couché sur le lit des bébés,
jouant avec les enfants qui se laissent lécher et embrasser, le chien
peut entrer dans l'infection de certains foyers qu'on affirmerait, par
ailleurs, se trouver à l'abri de toute contamination.

Le chien tue certainement, par la tuberculose, mille fois plus que par
la rage.

TUYAUX À GAZ EN PAPIER.

Dans notre dernier numéro, nous faisions connaître une nouvelle
application du papier, dont on faisait maintenant des bouteilles pour le
lait.

Voici qu'on nous apprend qu'on en fait encore des tuyaux à gaz.

Le papier-manille est coupé on bandes d'une largeur égale à la longueur
du tuyau à fabriquer, puis ces bandes sont passées dans un récipient
rempli d'asphalte en fusion et roulées solidement et uniformément,
autour d'une tige-noyau en fer, jusqu'à épaisseur désirée.

Le tuyau ainsi produit est alors soumis à une forte pression, puis
recouvert extérieurement de sable. On refroidit ensuite le tout dans de
l'eau.

Enfin on enlève le noyau et l'on enduit la surface extérieure du tuyau
d'un produit imperméable.

Il paraîtrait que ces tuyaux sont parfaitement étanches et sensiblement
moins coûteux que les tuyaux en métal.

LE RADIUM ET LA RAGE.

Deux savants italiens, fort estimés, MM. Tizzoni et Bongiovanni, ayant
fait voir que le radium détruit le virus rabique, M. A.-S. Jirnov, un
praticien russe, a voulu voir si cette action est réelle et si l'on peut
y compter. Il a constaté que l'on peut inoculer à des lapins et cobayes
de la moelle rabique impunément, quand cette moelle a subi pendant douze
heures au moins l'action du radium. Ce métal détruit donc bien le virus,
car les animaux inoculés avec la moelle rabique non influencée par le
radium succombent au mal. Mais peut-on employer le radium au traitement
de la rage déclarée? Ceci est douteux. Ce qu'on peut faire, peut-être,
c'est de traiter au radium la morsure envenimée qui vient d'être
produite. Le médecin a, en effet, réalisé l'expérience que voici: il
faisait à la peau des incisions qu'il frottait avec une émulsion de
moelle rabique. Les animaux ainsi traités mouraient; mais, si l'on
exposait les incisions à l'action du radium pendant trois heures, une ou
deux heures après l'envenimation, les animaux se rétablissaient sans
présenter de symptômes rabiques. Si donc, chez un sujet mordu par un
chien enragé, on pratiquait quelques incisions au niveau de la plaie et
si l'on faisait agir la radium sur celles-ci pendant trois heures
environ, on serait en droit d'espérer prévenir le développement de la
rage. On ne guérirait pas la rage déclarée, mais on empêcherait le mal
de s'établir.

LE TRAITEMENT DE LA MIGRAINE.

M. Carron de la Carrière donne, dans la _Presse médicale_, le résumé de
la méthode par laquelle il traite, avec bon résultat, la migraine.

D'abord, il impose un régime alimentaire, le régime antiarthritique en
général: défense absolue de boire de l'alcool; user d'eau, de thé;
éviter les légumes acides. En temps de crise migraineuse, se mettre au
régime végétarien mitigé: oeufs, lait, farineux, pas de viande.

Un remède intéressant aussi, qui est le chanvre indien. Il convient
particulièrement dans les cas de migraine continue ou subcontinue. Le
_Cannabis indica_ se prend sous forme d'extrait; en pilules, matin et
soir: dose, de 15 milligrammes à 3 centigrammes. Si cette dose n'agit
pas, on peut, au bout de huit ou quinze jours, prendre 3 centigrammes le
matin et 6 centigrammes le soir; et même 6 centigrammes le matin et
autant le soir. Le chanvre indien a donné d'excellents résultats, et
l'on peut en user fort longtemps. Un médecin en a pris une pilule de 15
milligrammes chaque soir pendant dix-huit mois de suite. Le mieux est
d'user du médicament selon les indications fournies par les sensations:
pour commencer, il est bon toutefois d'agir de façon continue, une
pilule de 15 milligrammes, une fois par jour, le soir, pendant un an; en
doublant la dose pendant quinze jours par mois si nécessaire. On fera
bien d'ajouter au régime du chanvre indien la douche chaude: douche à
38° ou 40°, chaque jour, par séries de un ou deux mois. Naturellement,
on cherchera aussi quels troubles fonctionnels accompagnent la migraine,
pour y porter remède, troubles du foie, de l'estomac, des reins, de la
matrice, du nez, des yeux, etc.; on cherchera à distinguer les causes
provocatrices des accès de migraine, pour les écarter: température,
vent, air vicié, etc. Enfin, une cure dans une station antiarthritique
peut rendre les plus grands services.

[Illustration: Entrée de la rade de Sébastopol (vue prise de Malakoff)
d'après la photographie parue dans notre dernier numéro. Au fond, la
presqu'île portant le fort du Nord et se terminant, à gauche, par le
fort Constantin. Au-dessus du fort Constantin, le fort Nicolas, qui
ferme avec ce dernier l'entrée de la rade et, avec le fort Paul,
l'entrée du port Sud. Au centre, les docks compris entre les casernes et
le faubourg de Karbelna'a.]

LE CINQUANTENAIRE DE SÉBASTOPOL.

Nous donnions, la semaine dernière, à l'occasion du cinquantenaire du
siège de Sébastopol, de très intéressantes photographies de la place
forte, prises après la victoire des alliés et montrant les dégâts
occasionnés par leurs projectiles. On sait, d'autre part, que ce fait
d'armes a été commémoré par trois toiles fameuses du grand peintre
militaire Adolphe Yvon, qui sont au musée de Versailles. Un de nos amis,
qui connaît bien l'oeuvre d'Yvon, nous fait remarquer que l'un des
clichés reproduits par nous donne exactement le fond même du tableau
intitulé _la Gorge de Malakoff_. En effet, dans la composition
magistrale d'Adolphe Yvon, on peut reconnaître distinctement, à travers
la fumée et la poussière de la mêlée, les deux ouvrages avancés de
Sébastopol du côté de la mer, le fort Constantin et le fort Nicolas tout
au loin, terminant les deux promontoires; puis, en avant, ce haut
échafaudage de charpente, qui portait sans doute un feu; les docks un
peu plus près. Il n'est pas jusqu'à cette maison du plan moyen, éventrée
à l'angle, qui ne soit aisément reconnaissable dans la toile. Et ainsi
on peut juger de la haute conscience du peintre, du souci de vérité qui
le guida toujours, et se rendre compte que, pour les artistes probes, le
réalisme, au meilleur sens du mot, fut de tous les temps à la mode.

LA CHÈVRE COMME AGENT DE PROPAGATION DE MALADIE.

On sait qu'il existe dans la région de la Méditerranée une affection
fébrile qui porte le nom de fièvre de Malte. Cette fièvre existe un peu
partout dans le bassin de la mer Intérieure, et l'on était si peu
renseigné sur ses causes, en même temps que préoccupé de son
développement et de ses dangers, que le gouvernement anglais a nommé une
commission spécialement chargée d'étudier ce problème. Cette commission
vient justement de publier une brochure importante--la troisième de la
série--et il semble que les commissaires aient mis la main sur un fait
de grande importance. Ils paraissent avoir découvert le mode de
propagation du mal, qui, jusqu'ici, restait absolument inconnu.

C'est un peu par hasard. Ils s'étaient demandé si la chèvre--animal très
abondant à Malte--peut prendre la maladie, et s'étaient procuré six
chèvres de deux troupeaux différents. Avant d'inoculer le _micrococcus
militensis_, le microbe de la fièvre de Malte, ils eurent l'idée de voir
quelle action le sérum du sang de chèvre exerce sur ce microbe. Ils
constataient aussitôt le phénomène de l'agglutination des microbes par
le sérum, preuve à peu près certaine ou bien que les chèvres avaient eu
la fièvre de Malte, ou qu'elles y sont réfractaires.

Ceci les amena à étudier les chèvres au point de vue bactériologique, et
ils ont constaté que, chez cet animal, on trouve communément le microbe
spécifique de la fièvre de Malte en abondance dans les urines et dans le
lait. Dans tous les troupeaux on a trouvé des chèvres présentant le
microbe, et souvent en quantités énormes.

De ceci on conclut que la chèvre doit être un des agents de transmission
de la fièvre de Malte les plus puissants. La chèvre est extrêmement
abondante à Malte; on la trouve partout, en ville et à la campagne;
vivant au voisinage de l'homme, elle a toutes facilités pour lui
communiquer son mal.

Chose curieuse, il semble que la fièvre de Malte doive être considérée
comme une maladie de chèvre qui peut se propager à l'homme; mais une
maladie de chèvre qui ne provoque pas de symptômes bien définis chez
celle-ci et qui ne paraît pas l'incommoder, mais qui, par contre,
incommode fort l'homme. Si la chèvre doit être considérée comme la
principale, peut-être l'unique source de la fièvre de Malte, il ne reste
plus qu'à isoler et traiter les bêtes atteintes et, surtout, à proscrire
absolument l'usage du lait de chèvre cru. Le lait doit être bouilli: le
plus infecté devient, par l'ébullition, parfaitement inoffensif.

Si les faits annoncés par les bactériologistes se confirment--et il faut
reconnaître que leur argumentation se tient très bien--ils auront rendu
un service important à l'hygiène du bassin méditerranéen.

[Illustration: La gorge de Malakoff (8 septembre 1855), d'après le
tableau d'Adolphe Yvon, au musée de Versailles.--Phot. Braun, Clément et
Cie. _Au fond du tableau, à gauche, l'entrée de la rade de Sébastopol,
que le peintre d'histoire Adolphe Yvon, spectateur de la prise de
Malakoff, a scrupuleusement reproduite, ainsi que le montre la
comparaison avec le document photographique ci-dessus._]

LE PRINCE DE BULGARIE A PARIS

Paris va compter un hôte de marque» qui, bien que ne portant ni le titre
de roi, ni celui d'empereur, n'en a pas moins qualité de souverain: le
prince régnant de Bulgarie.

Fils du prince Auguste de Saxe-Cobourg et de la princesse Clémentine
d'Orléans, Ferdinand Ier, aujourd'hui âgé de quarante-quatre ans, est,
par sa mère, le petit-fils du roi Louis-Philippe. De son mariage avec la
princesse Marie-Louise de Bourbon-Parme, morte en 1899, après six années
d'union, il a quatre enfants: les princes Boris et Cyrille, les
princesses Eudoxie et Nadejda.

N'ayant jamais oublié qu'un sang français coule dans ses veines, il aime
beaucoup la France; depuis dix-huit ans qu'il est chef d'État, il y est
fréquemment venu, plus ou moins incognito, et nombre de Parisiens n'ont
pas besoin de son portrait pour connaître sa physionomie. Mais, cette
fois, c'est officiellement qu'il accomplit le voyage, motivé, dit-on,
par de hauts intérêts diplomatiques, et c'est avec tous les honneurs dus
à son rang qu'il sera reçu à l'Elysée par le président de la République.

Le prince Ferdinand doit arriver à Paris lundi prochain, 16 octobre, et
y séjourner trois journées pleines, dont la direction du protocole a
réglé méticuleusement l'emploi.

M. JEAN BAYOL

Le docteur Jean Bayol, sénateur des Bouches-du-Rhône, vient de mourir à
Paris, succombant aux attaques répétées d'une maladie de foie qu'il
avait contractée en Afrique.

[Illustration: M. Jean Bayol.--_Phot. Fabre_.]

Il avait, en effet, après quelques années passées, au début de sa
carrière, dans le cadre des médecins de la marine, été fonctionnaire
colonial et avait rendu alors d'importants services. Notamment, c'est à
sa diplomatie que nous dûmes le traité par lequel le sultan du
Fouta-Djallon se plaçait sous la suzeraineté de la France. Enfin, en
1889, devenu lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, il fut envoyé
vers Glé-Glé, roi du Dahomey, qui nous cherchait querelle. Il reçut à
Abomey le plus mauvais accueil et, devant l'attitude provocante de
Glé-Glé, qui menaçait de le retenir prisonnier, dut signer une lettre
acceptant les prétentions du roi nègre. Ce fut la cause première de la
guerre du Dahomey, qui se termina, en 1892, par la victoire du général
Dodds et la capture de Behanzin, successeur de Glé-Glé.

Quand il eut droit à sa retraite, M. Jean Bayol fit liquider sa pension
et rentra en France. En 1904, les électeurs des Bouches-du-Rhône
l'envoyaient au Sénat.

L'homme était charmant, fin, très cultivé. Il était poète dans l'âme et
a écrit, en langue d'oc, des vers délicats, dont les lettrés provençaux
font grand cas.

LE VOYAGE DE M. GAUTHIER

M. Gauthier, ministre des Travaux publics, effectue en ce moment un
voyage d'études en Algérie et en Tunisie, et des visites à toutes les
curiosités classiques du pays font nécessairement partie du programme de
ce voyage d'où l'agréable ne saurait être banni, si sérieux que soit
l'objectif que se propose le ministre. C'est ainsi que notre
correspondant a pu photographier M. Gauthier au cours d'une visite qu'il
faisait, sous la conduite de M. Stéphen Pichon, aux souks célèbres de
Tunis.

LE RETOUR DE GALLAY

L'Amérique, enfin, nous a rendu Gallay, Mme Merelli, son amie, et la
soubrette Marie Audot: dimanche dernier, aux approches de 6 heures du
soir, le paquebot Cordillère, de la Compagnie des Messageries maritimes,
les déposait tous trois aux quais de Bordeaux, en provenance directe de
Bahia.

[Illustration: M. Henry Bourdeaux, juge d'instruction, chargé de
l'affaire Gallay _Phot. Pirou, boulevard Saint-Germain._]

Nous étions allés, quelques-uns, au-devant d'eux jusqu'au delà de
Pauillac, par le travers des coteaux fameux de Saint-Estèphe. Même, le
bateau qui nous avait pris, de grand matin, au bas des Quinconces,
emmenait aussi quatre fonctionnaires de la Sûreté chargés, en cas de
besoin, de prêter, pour ce débarquement solennel, main-forte à leurs
quatre collègues qui étaient allés cueillir outre-mer les fugitifs et
qu'on pouvait supposer harassés d'une longue et étroite surveillance.
Car comment s'imaginer, en vérité, si belle proie échappant, de manière
ou d'autre, au châtiment au seuil de la patrie anxieuse?

[Illustrations: (3) LES TROIS INCULPÉS Jean Gallay, Valentine Merelli et
Marie Audot, photographiés par le service anthropométrique.]

[Illustration: M. Gauthier, ministre des Travaux publics, accompagné de
M. Pichon, gouverneur général, visitant les souks de Tunis.--_Phot.
Deconcloit._]

Notre traversée, à nous, d'une dizaine d'heures, ne fut pas ennuyeuse.
Une fois sur la _Cordillère_, nous recueillîmes, de la bouche des
passagers, leurs impressions sur les captifs. Dois-je avouer qu'elles
n'étaient pas antipathiques? Ou bien nous allions écouter, à l'entrée
d'une coursive obscure, des sons éloignés et grêles de guitare: c'était
Mme Merelli qui charmait ses loisirs.

Sitôt à quai, bien vite nous sautions à terre et des objectifs se
braquaient au bas de la passerelle par où nous supposions que devaient
descendre les trois prisonniers. Mais il nous fallut attendre que les
deux cents passagers de la _Cordillère_ eussent quitté le bord pour voir
apparaître sur le pont Jean Gallay, de noir vêtu, coiffé d'une blanche
casquette de yachtman à bandeau noir. Le sous-brigadier Debishop
marchait à sa droite et s'engagea devant lui sur la planche, tandis que
le brigadier Donzelot suivait. Et alors, seulement, nous pûmes nous
apercevoir que les deux hommes marchaient un peu près l'un de l'autre et
que les pas de Gallay se réglaient bien exactement sur ceux de l'agent.
La cause en était que le «cabriolet» reliait le poignet de l'escroc au
poing de son conducteur. Mais quel tact mettait celui-ci à dissimuler
cette situation délicate! Avec quelle gentillesse il tenait sa main
gauche derrière son dos, d'un air désinvolte, afin qu'on n'aperçût pas
la mince chaînette! C'était charmant!

Mme Merelli, qui parut ensuite, avait les mains libres, et deux
collaborateurs de M. Hamard, l'un en avant, l'autre en arrière,
escortaient cette petite personne fluette, souriante et sûre d'elle, au
fin visage encadré d'onduleux cheveux bruns, que coiffait un large
panama blanc, ennuagé de tulle clair.

Enfin venait Marie Audot, la camériste, grande, forte, affectant la
placidité du juste.

Trois omnibus du chemin de fer recueillirent les voyageurs et les
emmenèrent vers la gare Saint-Jean.

Le lendemain matin, ils débarquaient à Paris, à la gare du quai
Saint-Michel, d'où ils étaient conduits à la Conciergerie.

Et, après la traditionnelle, la nécessaire formalité de
l'anthropométrie, après un copieux déjeuner, ils comparaissaient enfin,
l'après-midi, devant le premier de leurs juges, M. Henry Bourdeaux, juge
d'instruction, magistrat aimable, homme du monde accompli, à qui incombe
la tâche de débrouiller leur affaire.



LES THÉÂTRES

Il y a de bonnes choses dans _la Concurrente_, de M. Jean Roy, jouée en
ce moment au théâtre Molière: l'idée de la pièce est excellente si la
mise en oeuvre témoigne de beaucoup d'inexpérience. La concurrente,
c'est la femme dévouée et instruite qui, pendant la courte absence de
son mari, un romancier à la mode que la débauche a momentanément privé
de sa raison, continue l'oeuvre inachevée, sans dévoiler le mystère de
sa collaboration, et triomphe au nom de l'époux empêché. C'est un triste
homme et un pauvre fou que ce Maxime Cormière, car sa vanité surchauffée
paye de la plus noire ingratitude la compagne admirable qui a sauvé sa
dignité d'écrivain et son foyer.

Le théâtre de l'Ambigu a repris avec succès l'excellente pièce militaire
de MM. Jules Mary et Georges Grisier: _le Régiment_; elle a fait autant
de plaisir qu'il y a dix ans.

A l'Odéon, MM. Paul et Victor Margueritte plaident avec leur éloquence
accoutumée un des points les plus controversés de la question du
divorce; ils voudraient que le mariage pût être défait à la volonté d'un
seul des conjoints, alors que la loi n'admet même pas le consentement
mutuel. Dans _le Coeur et la Loi_, l'héroïne, exploitée par son mari,
repoussée par les tribunaux, se réfugie dans l'union libre: le remède
est peut-être pire que le mal, mais c'est affaire aux auteurs de
convaincre le public du contraire.

Le théâtre Sarah-Bernhardt a monté avec beaucoup d'éclat _le Masque
d'amour_, pièce en cinq actes et neuf tableaux de Mme Daniel Lesueur,
d'après son roman bien connu. C'est une oeuvre touffue, mouvementée,
bourrée d'incidents dramatiques. L'interprétation est bonne d'ensemble.
Mmes Tessandier et Anne Ratcliff, MM. Krauss et Claudius, se font
particulièrement applaudir.

M. L. Gandillot vient de réussir brillamment au théâtre Antoine avec une
pièce toute différente de celles qui lui valurent tant de succès. Le
premier acte de _Vers l'Amour_ est exubérant d'entrain et de franche
gaieté; c'est cependant la préface d'un drame humain très étudié et fort
émouvant. On en jugera à la lecture--nous publions la pièce dans ce
numéro--mais nous ne pouvons malheureusement donner une idée de
l'interprétation qui est vraiment de premier ordre avec M. Grand, Mlle
Rolly et tous les excellents acteurs du théâtre Antoine. A. DE L.



LA MAISON HYGIÉNIQUE, par Henriot.



_NOUVELLES INVENTIONS (Tous les articles compris sous cette rubrique
sont entièrement gratuits.)_

PORTEMANTEAU «LE PRATIQUE»

La place dont on dispose dans les appartements modernes pour suspendre
les vêtements de dames ou d'hommes est généralement fort réduite. Les
armoires garde-robes sont minuscules, souvent peu accessibles à la
lumière, si bien que l'on éprouve une certaine difficulté à choisir le
vêtement désiré: la prise de l'un marque parfois la chute des autres.

[Illustration: Fig. 1.--Portemanteau «le Pratique».]

Le portemanteau mobile, appelé «le Pratique» par son inventeur, est
destiné à rendre plus commodes la suspension et la prise des vêtements,
même lorsque l'emplacement qui leur est accordé est réduit et peu
accessible.

L'examen des figures ci-jointes permet de saisir du premier coup ses
avantages et son fonctionnement.

«Le Pratique» (fig. 1) se compose de deux pièces en acier nickelé ou
poli; l'une de ces pièces, celle qui porte les crans destinés à
supporter les portemanteaux proprement dits, est mobile sur la
précédente, laquelle se fixe par des vis dans une position horizontale.

La figure 2 nous représente le porte manteau renfermé dans une armoire
et portant une série de vêtements.

La figure 3 représente «le Pratique» tiré au dehors et permettant de
choisir avec la plus grande facilité l'objet que l'on désire. Ce choix
serait bien moins aisé dans la position de la figure 2; au lieu d'avoir
les vêtements bien en vue et à portée de la main, il faudrait tâtonner
et risquer de décrocher des effets autres que ceux cherchés. Il y a dans
l'emploi de cet appareil une réelle économie de temps. Nous pouvons
ajouter encore une grande économie de place. A l'aide du portemanteau
«le Pratique», vingt complets ou robes entières peuvent trouver place
dans une armoire de 1m,30 de hauteur sur 0m,45 de profondeur.

[Illustration: Fig. 2.--Le portemanteau fermé.]

On gagne enfin un certain ordre et l'on protège les habits qui ne
peuvent se chiffonner ni se détériorer. Il est d'ailleurs facile, de les
amener à l'air et à la lumière lorsqu'on ne s'en sert pas fréquemment.

[Illustration: Fig. 3.--Le portemanteau ouvert.]

«Le Pratique» se vend à des prix variables, suivant grandeur et
profondeur des armoires.

La grandeur n° 1, pour armoires de 0m,36 à 0m,42, vaut 4 fr. 50, 5 fr.
25 ou 6 francs, suivant que le métal est poli, cuivré ou nickelé.

Les deux autres grandeurs, de 0m,42 à 0m,49, et de 0m,49 à 0m,60 se
vendent 5 francs, 5 fr. 75, 6 fr. 50; puis 5 fr. 25, 6 fr. 25 et 7 fr.
25, toujours suivant l'état du métal.

S'adresser à la maison _Bader, le Locle (Suisse)._





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3268, 14 Octobre 1905" ***

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