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Title: L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873" ***


L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL

REDACTION, ADMINISTRATION, BUREAUX D'ABONNEMENTS
23, rue de Verneuil, Paris

31e Année.--VOL. LXII,--1605
SAMEDI 29 NOVEMBRE 1873

SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
60, rue de Richelieu, Paris

Prix du numéro: 75 centimes
La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.;
relié et doré sur tranches, 23 fr.

Abonnements
Paris et départements: 3 mois, 3 fr.;--6 mois, 18 fr.;--un an, 36;
Étranger, le port en sus.

Les demandes d'abonnements doivent être accompagnées d'un mandat-poste
ou d'une valeur à vue sur Paris à l'ordre de M. Auguste Marc,
directeur-gérant.



[Illustration: LA PROROGATION.--Les curieux attendant l'arrivée du train
parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.]



SOMMAIRE

_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert
Audebrand.--La Soeur perdue, une histoire du Gran Chaco (suite), par M.
Mayne Reid.--Nos gravures.--Un voyage en Espagne pendant l'insurrection
carliste (V).--Les Théâtres.--Revue comique du mois, par
Bertall.--Bulletin bibliographique.--_La Guerre de_ 1870-71, par A.
Wachter.

_Gravures_: La prorogation, les curieux attendant l'arrivée du train
parlementaire sur le pont de l'Europe, dans la nuit du 18-19 novembre.
--Procès du maréchal Bazaine: les témoins (9 gravures).--Le service des
pigeons voyageurs de la Presse, à Versailles (2 gravures).--_L'Espagne_,
par M. le baron Davilier (8 gravures).--Les événements de Cuba: vue
générale, de la Havane;--L'île de Cuba: vue prise près de la côte de
Candela.--Revue comique du mois, par Bertall (13 sujets).--Les fuyards
à la pot te de Balan, gravure extraite de la _Guerre_ de 1870-71, par M.
A. Wachter.--Rébus.



HISTOIRE DE LA SEMAINE

FRANCE

Après le vote de la loi de prorogation, il était permis de penser que la
majorité, qui s'était ralliée autour de la haute personnalité du
maréchal de Mac-Mahon, pourrait bien s'affaiblir ou même disparaître
quand le débat viendrait à se poser non plus sur le terrain national et
gouvernemental, mais sur le terrain purement ministériel; bon nombre de
journaux affirmaient avec confiance que le cabinet serait moins heureux
que le président lorsqu'il se présenterait pour son propre compte à la
barre de l'Assemblée, et lorsque M. Léon Say vint à la tribune
développer son interpellation sur la politique suivie pendant les
vacances et sur le retard apporté à la convocation des collèges
électoraux, il crut pouvoir affirmer que la dernière heure du ministère
du 24 mai était sur le point de sonner. Ces prévisions ne se sont pas
réalisées; le cabinet a remporté une victoire moins éclatante, il est
vrai, que le maréchal-président, mais qui s'est soldée par la majorité
importante de 50 voix; ainsi qu'il s'y était engagé, il a remis avant
même l'ouverture du débat, sa démission collective entre les mains du
chef de l'État, mais pour se reconstituer sur les mêmes bases, sauf
quelques changements de personnes et d'attributions qui n'impliquent pas
de changement fondamental de tendances ni de principes.

M. de Broglie garde le titre et les fonctions de vice-président du
conseil des ministres et prend le portefeuille de l'intérieur. MM,
Batbie, Ernoul, Beule et de la Bouillerie sortent du cabinet pour faire
place à MM. le duc Decazes, nommé ministre des affaires étrangères;
Depeyre, ministre de la justice; de Fourtou, ministre de l'instruction
publique et des cultes, et de Larcy, ministre des travaux publics, M.
Deseilligny passe à l'agriculture et au commerce en remplacement de M.
de la Bouillerie; enfin les portefeuilles des finances, de la guerre et
de la marine restent confiés, comme précédemment, à MM. Magne, du Barail
et Dompierre d'Hormoy.

Quant au vote de la loi de prorogation, les commentaires qu'il a
suscités dans la presse sont importants à noter si l'on veut chercher à
se rendre compte de ce que sera notre régime politique dans la phase
nouvelle dont cette loi est le point de départ. Ainsi qu'il fallait s'y
attendre, les journaux bonapartistes et républicains se sont montrés
fort désappointés d'une défaite à laquelle ils s'attendaient en grande
partie, mais sans penser qu'elle serait aussi complète; toutefois; ces
derniers font contre mauvaise fortune bon coeur, et cherchent à se
consoler en répétant qu'après tout la République subsiste en fait et que
rien n'est perdu par conséquent; constatons en outre que la presse
républicaine paraît pour le moment corrigée des intempérances de langage
qui ont plus d'une fois compromis sa cause, et que ses appréciations
sont en général empreintes d'une modération à laquelle on ne peut
s'empêcher de rendre justice. Seuls, les journaux du centre droit
triomphent avec une joie parfois insuffisamment contenue: «Nous tenons
le loup par les oreilles, s'écriait dernièrement l'un d'eux; il faut les
lui couper; s'il cherche à mordre, muselons la bête fauve.»

Les feuilles légitimistes, au contraire, n'augurent rien de bon du
nouvel état de choses, et s'expriment, sur les manoeuvres de stratégie
parlementaire qui l'ont amené, avec une amertume dont l'heure n'est pas
encore venue de connaître tous les secrets motifs. Dès le lendemain de
la séance du 19, l'_Union_, l'_Univers_ et le _Monde_ publiaient une
déclaration des députés de l'extrême droite qui s'étaient abstenus dans
le vote; en même temps, ces mêmes journaux dénonçaient avec indignation
les habiletés de ceux qui, disaient-ils, avaient fait échouer la fusion
et voulaient maintenant se donner le temps d'attendre la mort du roi
légitime.

Il est incontestable que la campagne fusionniste n'a pas dit son dernier
mot; bien des mystères enveloppent encore l'histoire des négociations
auxquelles elle a donné lieu; bien des événements inattendus peuvent
encore surgir, qui n'en seront que les conséquences. Une brochure qui
vient de paraître, et qu'il serait trop long d'analyser ici, contient à
cet égard plus d'une révélation curieuse. D'autre part, il est avéré que
le comte de Chambord est constamment en butte à des démarches dont
l'objet précis n'est pas livré au public, mais dont on n'a pu empêcher
le secret de transpirer. Le chef de la maison de Bourbon était venu à
Versailles au moment de la discussion de la loi de prorogation; la
nouvelle de ce voyage avait d'abord été démentie avec insistance;
l'_Union_ l'a, depuis, confirmée officiellement par une note où l'on a
beaucoup remarqué le passage suivant:

«Le moment n'est pas venu de révéler ce que M. le comte de Chambord a
tenté pour ramener au port le navire en détresse, mais quand aura sonné
l'heure de Dieu, et cette heure n'est pas loin, la France apprendra avec
admiration tout ce qu'il y a de désintéressement, de simplicité, de
dévouement, dans ce coeur de roi et de père qui n'a point de parti et
qui sait accomplir si noblement son devoir. Elle s'étonnera d'avoir pu
méconnaître si longtemps tant d'abnégation et de vraie grandeur.»

L'apparition de cette note a coïncidé avec le bruit, répandu depuis
quelques jours, de l'abdication du comte de Chambord. Y avait-il quelque
chose de fondé dans ce bruit?--C'est ce que l'avenir nous apprendra.

ESPAGNE.

Les nouvelles venues des États-Unis pendant la semaine tendent à
présenter sous un jour plus rassurant le différend survenu entre
l'Amérique et l'Espagne au sujet de la prise du _Virginius_ et du
massacre des flibustiers qui le montaient. Rappelons d'abord que le
_Virginius_ était notoirement au service de l'insurrection cubaine,
qu'il venait ouvertement s'approvisionner de contrebande de guerre, à
destination de Cuba, dans le port de New-York, et qu'il en était à sa
quatrième expédition de ce genre quand il fut pris par le _Tornado_ dans
les eaux de Santiago; que l'exaspération des Espagnols était, par
conséquent, assez compréhensible, et que le cas de ce flibustier
présente de frappantes analogies avec celui de l'_Alabama_ au sujet
duquel les États-Unis ont eux-mêmes eu maille à partir avec
l'Angleterre. Ajoutons que, dans un intérêt de parti, les politiciens
américains ont cherché à exploiter les exécutions de Santiago en
excitant l'indignation publique pour s'en faire une arme contre le
gouvernement du général Grant, disposé à voir les choses plus froidement
et à n'agir qu'en connaissance de cause. Quoi qu'il en soit, d'après les
dernières dépêches transmises par le câble transatlantique, le cabinet
de Washington a décidé que le _Virginius_ naviguait légalement avec un
registre américain. Le général Sickles a reçu substantiellement pour
instructions d'exiger de l'Espagne la restitution du _Virginius_, ainsi
que les survivants de l'équipage et des passagers de ce navire; une
excuse pour l'insulte faite aux États-Unis; une indemnité en faveur des
parents des victimes; le châtiment des exécuteurs ou leur remise au
gouvernement américain pour être par lui punis, et enfin la mise en
vigueur immédiate des décrets portant restitution des biens et
propriétés confisqués aux citoyens américains. Le ministre est également
chargé de faire part au gouvernement de Madrid du vif désir du
gouvernement américain de voir abolir l'esclavage.

L'opinion généralement établie dans les régions officielles est que la
diplomatie parviendra à régler le différend; mais la situation, telle
qu'elle est aujourd'hui, n'en est pas moins critique. Le sentiment
public n'est pas précisément belliqueux, bien que certains journaux
fassent des efforts suprêmes pour créer l'agitation. Les préparatifs
militaires continuent. Une flotte de quarante-trois navires, portant un
matériel de six cent quarante-trois pièces d'artillerie, a reçu l'ordre
de se tenir prête au premier signal.

PAYS-BAS

Les préparatifs des Hollandais pour la deuxième expédition contre Atchin
sont très activement poursuivis aux Indes; cette expédition doit partir
dans le courant de ce mois de Batavia pour sa destination. Il est arrivé
dernièrement dans le port de cette ville un nouveau navire à vapeur qui
n'a pas apporté moins de 2833 caisses remplies de matériel de guerre,
avec vingt-cinq canons, ainsi que deux petits bateaux à vapeur démontés
et prêts à être remontés à Batavia.

On fait, en outre, à Samarang, des essais avec des radeaux de
débarquement susceptibles de porter un poids de 16,000 à 17,000
kilogrammes, et qui seront reconduits en place par des remorqueurs à
vapeur. Ces engins se composent chacun de cinq grands cylindres creux en
fer, solidement reliés ensemble et couverts d'un simple plancher.

SUISSE

Le Conseil fédéral suisse vient d'adresser à notre ministre des affaires
étrangères une note relative à la question monétaire. Nous la
reproduisons plus loin. Justement préoccupé de l'introduction de
l'étalon d'or dans plusieurs États et des variations qu'a subies le
rapport des monnaies d'or et d'argent, principalement depuis la
convention conclue en 1865 entre la France, l'Italie, la Suisse et la
Belgique, le gouvernement helvétique, s'autorisant de l'article 2 de
ladite convention, a exprimé le voeu qu'une conférence des quatre États
signataires fût convoquée le plus tôt possible pour aviser aux mesures
propres à garantir les intérêts économiques engagés dans cette question.
Faut-il maintenir le double étalon, sur lequel repose la convention de
1865? Doit-on lui substituer l'étalon unique? Ne convient il pas de
faire cette substitution graduellement, pour éviter une perturbation
immédiate et nuisible? Quels seraient les moyens d'empêcher la
dépréciation croissante de l'argent, produite par l'exportation de l'or
des États de l'union monétaire? Telles sont les questions que la note du
Conseil fédéral propose de soumettre à la conférence dont il sollicite
la convocation.



COURRIER DE PARIS

Il nous est venu des lions, en compagnie de leur dompteur. On va les
voir aux bougies, salle des Folies-Bergères, S'il faut le dire, ce
spectacle n'a plus d'imprévu pour nous. Il y a beau temps que les
Parisiens sont blasés là-dessus. Qui ne se rappelle tour à tour quatre
ou cinq Androclès en spencer rouge? Van Amburgh jouait avec une panthère
de Java comme une petite dame avec son manchon, Carter s'en prenait à
une lionne toujours insurgée. Il nous semble le voir encore la frappant
d'une baguette de coudrier comme un valet de bonne maison bat une
descente de lit afin d'en faire tomber la poussière. Hermann n'avait pas
moins d'audace; il agaçait un ours blanc. C'était à l'Hippodrome.
Arnault, le directeur, nous disait: «Il m'a bien semblé, l'autre soir,
qu'Hermann allait servir de dîner à son ours.» En réalité, Crockett
était celui dont la vue nous causait le plus d'émotion. Celui-là avait
affaire à de vrais lions, à des lions de Barca. Le public pressentait
qu'il finirait par être mangé. Il l'a été, en effet, non à Paris, mais à
New-York, je crois. Crockett, croqué! Les faiseurs de jeux de mots ne
pouvaient manquer cette assonance. C'était, du reste, un argument de
plus pour démontrer la fatalité des noms.

Celui qui vient d'arriver s'appelle Delmonico un beau nom de dompteur, à
mêler à un roman ou à un mélodrame. Il y a des lions et des lionnes
dans une cage de fer, où il se montre, en homme résolu, n'ayant à la
main qu'une cravache. On prétend qu'il cache sous sa tunique un revolver
pour le cas où il aurait à soutenir avec ses pensionnaires une polémique
un peu trop vive. Je dois constater que cette arme est révoquée en doute
par plus d'un spectateur. A quoi pourrait servir un pistolet dont la
balle ne ferait que transpercer la peau d'un des monstres et qui, par
conséquent, n'aurait d'autre résultat que de lui causer un surcroît
d'irritation? Pour Delmonico comme pour tous ses devanciers, le préjugé
veut que la puissance magnétique du coup d'oeil suffisse.--Une houssine
et un oeil qui fascine, dit-on: il ne faut rien de plus.

Vous rappelez-vous un jeune Américain du nom de Batty? Lui aussi passait
pour n'avoir pas besoin d'un autre prestige que le feu de son regard
pour subjuguer les lions. Un jour, la foule même étant là, il fut abattu
d'un seul coup de griffe et broyé d'un coup de mâchoire. «C'est qu'il
n'a pas su maintenir la rétine de l'oeil au beau fixe», disaient les
_petits crevés_ d'alors. Messieurs les _gommeux_, leurs successeurs,
professent naturellement l'opinion qu'il n'y a rien à craindre tant
qu'on regarde fixement. On change le lion en agneau rien qu'en le
lorgnant.

Au fait, la chose serait possible, si ce qu'on raconte à ce sujet est
exact. Ces lions qu'on exhibe seraient assouplis dès l'âge le plus
tendre par un système d'éducation assez raffiné. On leur fait suivre des
cours. Pris tout petits en Afrique, on les enverrait dans un pensionnat
où tout est disposé pour les préparer à faire une entrée convenable dans
le monde. Saviez-vous donc qu'il existât des maisons pour l'instruction
des individus de la race léonine? Le plus renommé de ces établissements
est, paraît-il, situé à Madrid, ville d'une température toujours tiède
(les jeunes élèves, brusquement arrivés d'Afrique, s'enrhumeraient dans
une ville du Nord). A Madrid, d'ailleurs, on a toujours la viande
saignante à bon marché, à raison des corridas ou courses de taureaux.
Voilà pourquoi on amène de préférence les lionceaux dans la capitale des
Espagnes; là, on leur enseigne la civilité puérile et honnête; on leur
apprend surtout l'art de frémir à un froncement de sourcil, et, comme
corollaire, la sobriété, qui consiste à ne dévorer son gardien que le
moins possible. Faire des collégiens avec des lions, telle est la marche
du progrès, comme vous voyez.

Les sujets de Delmonico ont-ils fait leurs classes à Madrid? Le dompteur
le nie, et cela se conçoit. Encore neuf dans le métier, il y va
rondement, comme un vieux routier. On raconte qu'il a fait avec un
amateur un pari d'une allure assez originale. Il se serait engagé à
entrer dans la cage cent jours de suite sans recevoir la moindre
égratignure. En vertu de ce contrat, il ne devrait atteindre son chiffre
que le 18 janvier prochain. Ce jour-là, s'il est indemne, tranchons le
mot, s'il n'a pas été mangé, il recevra en bloc la somme de 120,000
francs. Delmonico est un philosophe. Au cas où il gagnerait la gageure,
il s'est promis de liquider ses lions sans le moindre retard. Il placera
ses fonds en 3 pour 100 et vivra honorablement de ses rentes, n'ayant
pour tout animal à ses trousses qu'un griffon de la Havane à peu près
gros comme le poing fermé de son maître.--Pas si bête pour un dompteur!

J'ai parlé des lettres posthumes de Prosper Mérimée, qu'on imprime en ce
moment. On assure que cette correspondance ressemblera beaucoup à des
mémoires intimes, méthode de Diderot. L'auteur de _Colomba_ y raconte
les principaux épisodes de sa vie. Mais combien de traits qui, par
malheur, n'y trouveront pas place! Je doute, par exemple, qu'on y lise
un fait-anecdote assez curieux et tout à fait inédit qui s'est passé
sous Louis-Philippe, à trois cents kilomètres de Paris.

C'était en 1840.

Prosper Mérimée traversait le Berry en qualité d'inspecteur des
monuments historiques. Il s'était arrêté à Saint-Amand-Mont-Rond, jolie
petite ville aux environs de laquelle on veut que César ait établi son
camp, à l'époque où il se mit à la poursuite de Vercingétorix; c'est, en
effet, sur la route de Bourges à Clermont, ou, si vous voulez,
d'Avaricum à Gergovia. Des camps de César, où n'en signale-t-on pas? Il
y avait dans l'endroit un vénérable archéologue, zélateur des poteries
de l'antiquité. Dans l'intérêt de la science, ce brave homme avait
obtenu de faire pratiquer des fouilles au lieu même où l'on assurait que
les fils de la Louve avaient campé. Et justement, ce matin-là, il
accourait, effaré, plein de joie, afin de révéler un grand secret à
l'auteur du _Théâtre de Clara Gazul_.

--Que se passe-t-il donc, cher monsieur? demanda Mérimée.

--Monsieur l'inspecteur général, un fait de la plus haute importance. Je
viens de trouver un dieu.

--Un vrai dieu?

--Un Bacchus antique, couvert de la peau de tigre et ayant un thyrse à
la main. Venez donc voir ça avec moi.

Il y avait à peu près une heure de chemin. On monta dans une berline et
l'on partit.

Pendant la route, l'archéologue parlait de ses découvertes.

--J'avais déjà mis la main sur bien des fragments de vases antiques,
disait-il; c'était un commencement de preuve. Mais un Bacchus, de
hauteur d'homme, en métal romain! Un dieu, probablement fondu sous le
septième consulat de Marius et apporté chez nous par les légions de
Jules César! Voilà un témoignage, monsieur! Tout le monde savant va
tressaillir à cette nouvelle.

Hélas! tandis qu'il tenait ce langage, il se passait du nouveau auprès
des terrassiers.

Après avoir jeté leur dieu de côté, ceux-ci reprenaient leur travail
lorsqu'un cri, populaire dans la contrée, leur fit tout à coup lever la
tête; c'était un de ces industriels ambulants qui courent à travers les
campagnes pour y refaire les batteries de cuisine.

--Rétameur! voici le rétameur!

Un des pionniers l'appela; l'homme accourut.

--Voilà un bloc de métal qui s'est trouvé sous notre pioche, dit le
travailleur. Ce vieux fou de savant dit que c'est un dieu; il a dansé de
joie tout autour. Si on le laisse faire, il l'emportera comme il emporte
tous les tessons de vieilles bouteilles qu'il rencontre par ici.
Qu'est-ce que c'est que ça au juste?

--De l'étain d'assez bonne qualité.

--A quoi ça pourrait-il servir?

--A faire des cuillers à soupe.

Des cuillers! Sur un signe qu'ils firent, le nomade se mit à la besogne;
il fixa son réchaud en terre, fondit le Bacchus et en fit des cuillers.

Il en était à la dernière lorsque la berline arriva.

Exprimer la douleur du savant serait impossible. L'archéologue avait
encore trois cheveux sur la tête; il se les arracha. Il pleurait de
rage. Il interpellait Mérimée et, en levant les mains au ciel:

--O Jupiter! s'écriait-il, on voit bien que tu n'es plus rien là-haut!
Sans quoi tu n'aurais jamais permis une telle profanation à l'endroit de
celui de tes fils que tu as gardé trois mois dans une de tes cuisses!

Mario de Candia est revenu à Paris, où il amène les deux filles qu'il a
eues de son mariage avec Giulia Grisi. Le temps a eu beau marcher, rien
n'efface la pieuse tristesse que le ténor a ressentie en voyant mourir
la célèbre et belle cantatrice dont il avait fait sa femme. Mario,
dit-on, éprouve un âpre plaisir à reparaître aux lieux où sa jeunesse a
été tant fêtée, il y a trente-cinq ans. Peu importe que tout y ait
changé de face. A la vieille cité de pierre a succédé une ville de
marbre et d'or. Il n'y avait guère que quinze cents _dilettanti_; on en
énumère cent mille aujourd'hui, mais cent mille qui aiment à se griser
de musique de cuivre, cent mille qui portent les oreilles d'âne que
Voltaire montrait jadis à Grétry. Mario, renaissant, délicat, studieux,
soigneux, peu bruyant, serait-il compris de ce public nouveau? On peut
en douter. Mais que vous dire? Il se rappelle sans doute ce que disait
Paganini: «Un artiste de talent sera toujours bien venu partout; il ne
peut vivre qu'à Paris.» Pour le revenant, il y a d'ailleurs le charme
irrésistible qui s'attache aux souvenirs d'une époque sans pareille et
qui ne sera pas recommencée.

Beaucoup se rappellent encore les premiers jours de sa venue. C'était
dans un temps où l'on ne s'occupait déjà plus de politique. La mode
était d'être tout entier à l'art, à la science, au théâtre, à la
peinture, à la musique, aux beaux vers. Victor Hugo faisait jouer _Ruy
Blas_ par Frédérick-Lemaitre, encore jeune; Alfred de Musset venait
d'écrire les _Deux Maîtresses_, Stendhal, la _Chartreuse de Parme_; M.
de Balzac, _Un grand homme de province à Paris_; Gérard de Nerval, les
_Amours de Vienne_. On touchait de la veille au duel lyrique engagé
entre Duprez et Adolphe Nourrit, duel funeste, puisqu'il a fini par le
suicide de ce dernier; Mlle Rachel quittait le Gymnase pour s'acheminer
en triomphatrice du côté du Théâtre-Français; Eugène Delacroix avait
exposé la _Médée_ au dernier Salon; Decamps continuait ses études
d'Orient; David (d'Angers) plaçait le Philopémen dans le jardin des
Tuileries. Un opéra, un roman, un tableau, une statue, c'était le pain
quotidien d'alors. L'Athènes de Périclès n'a jamais été plus ensoleillée
de vraie gloire. On n'aurait jamais pu s'imaginer qu'un jour viendrait
où Paris courrait voir un Russe qui a du poil de chien sur la figure, un
noir qui fouette des lions dans une cage ou une mulâtresse à deux têtes,
des monstres. Et il n'y avait pas encore de Petite Bourse sur les
boulevards.

En ce temps-là, le docteur Véron, si habile, gouvernait l'Opéra en
autocrate; c'était pour le mieux, puisqu'il donnait sans cesse l'éveil à
un chef-d'oeuvre inédit ou à quelque grand artiste inconnu. Voilà qu'on
apprit tout à coup l'arrivée d'un ténor. A la suite d'une escapade, un
jeune officier du roi de Sardaigne, s'étant sauvé en France, avait brisé
son épée pour monter sur les planches. Un chevalier! un comte!
l'aventure était piquante.

Mario de Candia,--c'était lui,--fut essayé; il avait déjà une jolie voix
de salon, mais il fallait développer cet organe si précieux.

--Un ténor, la coqueluche de Paris! N'épargnez rien pour en avoir un,
disait à M. Véron le ministre de l'intérieur.

Quand on constatait un grand succès au théâtre, Paris et la France
n'avaient plus rien à dire. La machine gouvernementale fonctionnait à
l'aise. On votait le budget sans débat; on dénouait les conflits
diplomatiques en se jouant; les élections se faisaient presque en
chantant.

--N'épargnez rien, répétait le ministre; jetez, s'il le faut, l'argent à
pleines mains.

Les naturalistes nous ont appris combien il faut de soins pour élever un
rossignol. Pour un ténor de ce cycle étrange, c'était bien autre chose.
Que de blandices à l'adresse du nouveau venu! Non-seulement on
prodiguait autour de lui les professeurs, un maître de français, un
maître d'armes, un maître de danse, un maître d'équitation, un maître de
natation, un maître de piano, un maître de chant, mais encore il avait
sans cesse à ses trousses un médecin en renom, chargé de veiller sur sa
personne avec une vigilance de dragon mythologique.

--A-t-il bien dormi? Il ne faut pas trop d'exercice! Qu'on prenne garde
aux courants d'air! Ah! s'il allait attraper un rhume!

On ne lui permettait pas de sortir par les temps de pluie, ni le soir, à
l'heure du serein. À table, on ne lui servait que les meilleurs
morceaux, les plus légers, de la cervelle, des crêtes de coq, du blanc
de poulet, précipités, de préférence, par du bordeaux, du haut-brion ou
du léoville. Pourtant il n'en fallait pas en quantité qui pût allumer
trop son coeur. Pas d'amour. L'amour était sévèrement défendu, vu qu'il
porte atteinte, disait-on, aux cordes tendres de la voix. Un ténor, je
le répète, on faisait de l'existence d'un tel artiste une question de
cabinet.--M. Thiers se flattait d'avoir fait plus de ténors que M.
Guizot.

Pour en revenir au jeune et brillant chevalier sarde, au bout de neuf
mois d'attente, il fut en état de se montrer sur le théâtre. Quelle
salle d'élite pour le voir et pour l'entendre! Il chanta et, dès les
premières notes qui sortirent de son gosier, le comte Duchâtel, ministre
de l'intérieur, présent à ses débuts, s'écria:

--Allons, il a une voix charmante! La monarchie et le ministère sont
sauvés!

Tout ce qu'on avait fait pour Mario a été renouvelé depuis pour
Poultier, le tonnelier de Rouen.

PHILIBERT AUDEBRAND.



PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE LES TÉMOINS

[Illustration: Marchal.]

[Illustration: D'Abzac.]

[Illustration: Cruzem.]

[Illustration: Bonzella, marin de l'_Inflexible_.]

[Illustration: Camut.]

[Illustration: Quatre-Boeuf, quartier-maître.]

[Illustration: Flahaut.]

[Illustration: Régnier.]

[Illustration: Arnous-Rivière.]

D'après les photographies de M. Appert.



[Illustration: LE LACHER DU PIGEON PORTEUR DES DERNIÈRES NOUVELLES.]

[Illustration: Mode d'attache de la dépêche.]

LE SERVICE DES PIGEONS VOYAGEURS DE LA PRESSE, A VERSAILLES.



LA SOEUR PERDUE

Une histoire du Gran Chaco

(Suite)

«Il n'y a peut-être pas consenti, répliquait Cypriano. Je crois qu'il ne
l'eut pas permis, il peut même l'avoir ignoré et l'ignorer encore, mais
nous savons qu'en plus d'une circonstance les vieillards de la tribu ont
eu à faire justice de crimes du même genre commis à leur insu par des
gens de la tribu. Il y a de mauvais drôles parmi les sauvages tout comme
parmi nous. Les jeunes guerriers de la tribu ont plus d'une fois
épouvanté la contrée par leurs attentats contre la vie des rares
voyageurs qui s'étaient hasardés à parcourir la contrée. Quelque chose
me crie que tous nos malheurs ont pour cause ces Indiens maudits et que
le fils du chef lui-même, Aguara, est à leur tête. Je l'ai soupçonné de
méditer le projet qu'il vient d'accomplir et, quand mon oncle est parti
pour cette malheureuse excursion avec Francesca, ce n'est qu'une fausse
honte qui m'a retenu de lui faire part de mes inquiétudes. Je dois
convenir pourtant que le misérable a dépassé dans l'exécution de son
crime mes prévisions sur un point. Je ne l'aurais pas cru capable
d'aller jusqu'au meurtre de l'ami même de son père pour faire réussir
son dessein.»

Ludwig ramené subitement à la pensée de son double malheur demeura
quelque temps sans répondre. La scène du retour de son père se
représentait tout entière à son esprit. Il entendait encore le cri
désespéré de sa mère à la vue de son mari inanimé. Plongé dans ce
souvenir, il semblait ne pouvoir en sortir. Mais faisant enfin un effort
pour s'arracher à la contemplation de ce lugubre passé, sa pensée se
reporta plus vivement sur le présent et l'avenir.

«Cypriano, dit-il, il vaut mieux peut-être que les choses se soient
passées comme vous le supposez.

--Mieux! pourquoi donc, Ludwig?

--Nous avons du moins une espérance, celle de retrouver Francesca. Si le
vieux chef est innocent, il ne manquera pas de nous la faire rendre,
quand bien même le coupable serait son propre fils.

--J'en doute, repartit tristement son cousin.

--C'est pourtant notre seul espoir, continua Ludwig. Si ce forfait a été
commis par quelque autre tribu ennemie de nous autres blancs, et vous
savez que toutes celles du Chaco sont dans ce cas, quelle chance
avons-nous de leur reprendre ma soeur? L'enlever de force serait
impossible, il y aurait folie d'y songer. Nous n'aurions d'autre
alternative en le tentant que d'y perdre la vie, ou, et ce serait pis,
la liberté sans profit pour elle.

--C'est vrai, dit Cypriano, je reconnais que sans l'aide de Naraguana,
notre expédition est désespérée. Mais nous aurions plus de chance de
succès si nous devions requérir son aide contre d'autres tribus que la
sienne. Contre des Guaycurus, par exemple, ou des Mbayas, ou des
Anguites, le chef Tovas pourra prendre en main notre cause. Quoique les
tribus du Chaco se liguent volontiers toutes ensemble lorsqu'il s'agit
d'une expédition contre les blancs, elles ont souvent de mortelles
haines les unes contre les autres. Mon espoir se fonde plutôt sur cette
supposition que sur toute autre chose qu'il soit en notre pouvoir
d'accomplir. Si, au contraire, nous avons affaire aux Tovas!...

--Ce sont les Tovas!» interrompit Gaspardo qui, tout en chevauchant et
tout en ne perdant pas de l'oeil la piste de l'ennemi, n'avait pourtant
pas cessé d'écouter la conversation.

Au même instant, il arrêtait brusquement sa monture et désignait quelque
chose sur le sol, tout à côté de son cheval.

«Regardez, s'écria-t-il, voilà la preuve de la culpabilité des Tovas!»

Ludwig et Cypriano s'avancèrent pour examiner ce qu'il leur désignait
ainsi.

C'était un objet sphérique à peu près de la dimension d'une orange, et
d'une couleur brune foncée. Tous deux reconnurent une _bola_, pierre
ronde, couverte de cuir cru, et semblable à l'une de celles qui
pendaient aux arçons de leurs propres selles.

«Quelle preuve trouvez-vous là, Gaspardo, dit Cypriano? C'est une bola
que quelqu'un a laissé tomber et dont la courroie s'est brisée. Mais
qu'est-ce que cela prouve? Tous les Indiens Chaco ne portent-ils pas des
bolas?

--Oui, mais pas de pareilles à celle-ci. Examinez-la,» dit-il en se
penchant sur sa selle et ramassant la bola sans quitter les étriers; «y
voyez-vous le moindre signe de rupture? Non, elle n'a jamais été
attachée à une courroie. Caramba! senores, c'est une _bola perdida_
(1)!»

Les deux jeunes gens se passèrent l'objet et n'y découvrirent rien qui
pût laisser supposer qu'il appartenait à un couple de bolas. C'était une
lourde pierre, entourée d'une enveloppe de peau de vache, avec laquelle
on l'a recouverte quand elle était encore humide, et qui, en séchant,
s'était resserrée sans laisser un seul pli. Il n'y avait aucune
apparence de courroie, on ne voyait que la couture qui la fermait.
Quelle que pût être son utilité, la bola était complète en elle-même.

--Une _bola perdida!_ Je n'ai jamais entendu parler de cela, dit Ludwig.

--Ni moi non plus, ajoute Cypriano.

--J'en ai entendu parler, moi, dit le gaucho, et j'ai vu aussi ses
effets. C'est une arme dont les Indiens se servent avec une adresse qui
vous surprendrait. Ils la lancent à plus de 30 mètres et en frappent la
tête d'un ennemi avec autant de sûreté que si elle sortait du canon
d'une carabine. _Maldita!_ J'ai vu des crânes écrasés par un pareil
coup, mieux que s'ils avaient été écrasés par un bâton de _quebracho_
(2). La _bola perdida_, senores! ce n'est pas un jouet d'enfant, je vous
l'assure.

      [Note 1: Littéralement «boule perdue», la signification spéciale
      de ces mots résultera de l'explication du gaucho.]

      [Note 2: Nom donné à une espèce d'arbre de la famille des acacias,
      à cause de la dureté de son bois. Quebracho, ou casseur, signifie
      qu'il briserait la hache avec laquelle on voudrait l'abattre.]

--Mais quelle preuve avez-vous qu'elle ait été lancée par des Tovas?»

Cette question était faite par Ludwig.

«Ils sont les seuls Indiens qui puissent l'avoir laissée tomber, car eux
seuls se servent de cette arme. Aucune autre tribu ne l'emploie. N'en
doutez pas, mes enfants, elle a été perdue par un traître Tovas.»

Les deux jeunes gens firent un signe d'assentiment, et dès ce moment ils
surent que la piste qu'ils suivaient alors était certainement la piste
des Tovas.

Cette connaissance acquise d'une façon si inattendue affecta les
voyageurs bien différemment. A Ludwig elle donna, sinon de la joie, du
moins un rayon d'espérance de retrouver sa soeur, tandis que chez
Cypriano elle ne produisit qu'un désespoir plus sombre encore.

«Au-dessus des Tovas, au-dessus du misérable assassin, dit-il à ses deux
compagnons, il est un plus grand coupable, à qui remonte la première
responsabilité de tous nos malheurs.

--Oui, répondit Ludwig, l'infâme Francia.

--Lui-même, et je ne vivrai jamais tranquille tant qu'il n'en aura pas
aussi subi le châtiment.

--Dieu se chargera de le lui infliger. Quant à nous, cher cousin, que
pouvons-nous contre cet homme?

--Rien pour le moment sans doute; mais plus tard nous nous verrons.»

De nouveaux incidents vinrent faire diversion à leurs pensées.
L'atmosphère, après s'être graduellement assombrie, s'était épaissie
presque subitement autour d'eux, au point de faire succéder presque
instantanément la nuit au jour.

«Vite, vite! cria Gaspardo en mettant son cheval au grand galop; si nous
n'atteignons pas la grotte, nous sommes perdus. Courez, si vous tenez à
la vie!»

Les deux jeunes gens lancèrent comme lui leurs chevaux à toute vitesse.

«Nous arrivons à temps! Grâce à la Mère de Dieu, nous arrivons à temps!»

Cette exclamation sortit des lèvres de Gaspardo au moment où, suivi de
ses jeunes compagnons, il faisait passer son cheval par l'ouverture
d'une caverne.

Cette caverne se trouvait dans un rocher à pic, s'élevant au-dessus d'un
arroyo (3) qui, un peu plus bas, se jetait dans le Pilcomayo. Son entrée
donnait sur le bord du ruisseau à quelques pieds de distance seulement
de l'eau courante.

      [Note 3: Vautour-dindon du l'Amérique Espagnole, nommé _Jofilote_
      au Mexique. Dans les autres portions du continent de l'Amérique du
      Sud, ou l'appelle _urubu_ ou _gallinazo_. Certains voyageurs ont
      cru que le _turkey buzzard_ des États-Unis et le _Gallinazo_
      Sud-Américain étaient un même oiseau. Ils sont cependant
      entièrement distincts; ce dernier est beaucoup plus beau que son
      congénère du Nord. Son plumage est plus brillant, tandis que sa
      tête chauve, son cou et ses pattes, au lieu d'être d'un blanc
      grisâtre, sont d'une couleur rouge vif. Il existe au moins quatre
      espèces distinctes de ces petits vautours noirs sur le continent
      de l'Amérique.]

«Oui, nous arrivons au bon moment», ajouta le gaucho en exhalant un
soupir de soulagement. «Caramba! entendez-vous? voyez-vous? Regardez
dehors!»

Il parlait encore quand un éclat de tonnerre étouffa sa voix. C'était la
tempête. C'était la tormenta! dont les grondements répercutés soudain
par les échos du ravin, prirent en un instant une effroyable intensité.
Des nuages de poussière tourbillonnaient dans la plaine et semblaient
vouloir accourir sur eux.

«Dépêchons, descendez de cheval», cria Gaspardo à ses deux compagnons,
en leur donnant l'exemple. «Prenons nos ponchos, mes enfants,
attachons-les ensemble, et si nous ne voulons pas être étouffés dans cet
antre, bouchons-en l'entrée le mieux et le plus vite que nous pourrons.»

Les jeunes gens n'avaient pas besoin d'être mis en demeure de ne pas
perdre un instant. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à
une tormenta; chez eux, à Asuncion, ils en avaient vu plus d'une et en
avaient remarqué les terribles effets. Ils avaient entendu les cailloux
brisant les fenêtres, faisant trembler les portes sur leurs gonds; ils
avaient vu la poussière passer à travers les fentes et les trous des
serrures comme l'haleine furieuse de l'ouragan, ils avaient vu les
arbres déracinés, brisés comme paille, les bêtes et les gens culbutés,
roulés à terre par son irrésistible violence. Aussi, avant que le gaucho
eût pu prononcer un autre mot, ils étaient sur pied et l'aidaient à
disposer à l'intérieur leurs chevaux pour qu'ils lussent un premier
obstacle, et à fermer l'ouverture de la caverne, à l'aide de leurs
ponchos solidement liés ensemble et fixés dans les interstices des
rochers au moyen de leurs couteaux. Ils furent à moitié aveuglés par la
poussière et presque renversés par le vent avant d'avoir pu terminer
cette opération.

«Maintenant, dit Gaspardo, dès qu'ils eurent achevé leur besogne, nous
pouvons nous regarder comme en sûreté, et je ne vois pas de raison pour
ne pas nous installer dans ce trou aussi confortablement que le
permettent les circonstances. Nous serons peut-être retenus longtemps
ici, trois ou quatre heures, sinon toute la nuit. Quant à moi je suis
affamé comme un gallinazo(4). Cette rude course m'a fait oublier mon
déjeuner, de sorte que je propose d'achever ce qui nous reste de guariba
rôti. La salle à manger est sombre et nous aurons peine à faire bouillir
notre théière. Cependant j'espère pouvoir faire assez de lumière pour
éclairer notre repas.»

En prononçant ces mots, le gaucho se dirigea vers son cheval, et
fouillant un moment sous son recado, il réussit à trouver un briquet.

Mayne Reid.

(_La suite prochainement._)

      [Note 4: L'arroyo est un ruisseau coulant entre deux berges
      élevées et à pic.]



NOS GRAVURES

La loi de prorogation et le public

Chaque fois qu'il y a eu à l'Assemblée nationale de Versailles
quelqu'une de ces grandes discussions qui mettent le pouvoir en
question, le contre-coup s'en est vivement fait sentir à Paris. Alors
que M. Thiers était président de la République, cela s'est produit non
pas une fois seulement. On n'a pas oublié encore l'émotion qui s'était
emparée de la capitale, le 24 mai: la foule agitée s'arrachant les
journaux du soir sur les boulevards, assiégeant la gare Saint-Lazare
pour attendre l'arrivée des trains, quêtant et commentant les nouvelles,
dans un état de surexcitation difficile à décrire. Le même phénomène ne
pouvait donc manquer de se reproduire le 19 septembre dernier, jour où
l'on discutait à Versailles la loi de prorogation des pouvoirs de M. le
maréchal de Mac-Mahon. En effet, dès la première journée de cette
discussion, qui ne s'est terminée, comme on sait, que le lendemain dans
une séance de nuit, la grande ville était soudainement reprise de son
accès de fièvre. Dans la soirée, même émotion sur les boulevards, mêmes
inquiétudes, même curiosité impatiente de savoir, même encombrement à la
gare, où, comme les sergents de ville, les patrouilles étaient
impuissantes à faire circuler la foule. Pour en avoir raison on crut
faire merveille en la trompant, en faisant arrêter les trains avant
l'entrée en gare, et l'on réussit un instant à la dérouter. Mais
quelqu'un éventa la mèche, et les curieux aussitôt de se porter sur le
pont de l'Europe. Il fallut bien en prendre son parti, et laisser suivre
son cours normal à cette fièvre qui finalement se calma d'elle-même,
sans s'être compliquée du plus léger accident.

Quelques portraits de témoins dans le procès Bazaine

Le procès du maréchal Bazaine avance. Bientôt la parole sera à
l'accusation et à la défense, car la liste des témoins ne tardera pas à
être épuisée. Avant qu'elle le soit tout à fait, nous croyons être
agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les traits de
quelques-uns de ces témoins qui ont appelé le plus vivement sur eux
l'attention par le rôle qu'il ont joué dans le grand drame de la
capitulation de Metz et de l'armée du Rhin.

Les neuf personnages dont nous donnons aujourd'hui les portraits, pour
commencer, se rattachent à trois catégories de faits différents:
communications entre les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon avant le
désastre de Sedan, communications entre le maréchal Bazaine et le
gouvernement du 4 septembre, enfin communications entre le maréchal
Bazaine et l'ennemi. Les témoins Flahaut, Marchal et M. le colonel
d'Abzac se rapportent à la première catégorie. Commençons par celle-ci.

Flahaut et Marchal sont deux agents de police qui servirent plusieurs
fois d'émissaires entre Metz et Thionville. Le 20 août, Flahaut se
trouvait à Metz lorsque le maréchal Bazaine le fit appeler et lui remit,
pour les porter à Thionville, les trois fameuses dépêches adressées,
après la bataille de Saint-Privat: 1º à l'empereur, 2º au ministre de la
guerre, 3º au maréchal de Mac-Mahon, dépêches dont les deux premières
différaient si essentiellement de la troisième.

Celle-ci, en effet, portait seule cette restriction: «Je suivrai
très-probablement pour vous rejoindre la ligne des places du Nord, et
_vous préviendrai de ma marche, si toutefois je puis l'entreprendre sans
compromettre l'armée._» Ajoutons que, seule aussi, cette dépêche qui
aurait sans doute arrêté la marche du maréchal de Mac-Mahon vers l'est,
ne parvint point à son destinataire. Cependant elle était parvenue en
double, comme les autres, au colonel Turnier, à Thionville, apportée
d'une part par Flahaut, et de l'autre par Mme Louise Imbert. Le colonel
Turnier le fit passer toutes les trois au colonel Massaroli, commandant
la place de Longwy, par l'intermédiaire du commissaire de police
cantonal à Longwy, Guyard. Le colonel Turnier remit en même temps une
expédition de ces dépêches à M. de Bazelaire, élève de l'École
polytechnique, qui allait à Paris, et qui les fit partir le 22 par la
station télégraphique de Givet. De son côté le colonel Massaroli expédia
la dépêche à l'empereur, et celle destinée au ministre. Quant à la
dépêche adressée au maréchal de Mac-Mahon, il la remit à deux agents de
la police de sûreté de Paris qui avaient été demandés à M. Piétri par le
colonel Stoffel, chef de la section des renseignements à l'état-major du
maréchal de Mac-Mahon, et qui devaient chercher à pénétrer jusqu'au
maréchal Bazaine et recevoir ses dépêchées. Ces agents, les sieurs
Rabasse et Miès, adressèrent télégraphiquement cette dépêche, le 22, au
colonel Stoffel, ils lui en remirent entre les mains, le 26, l'original;
le colonel avait dû également en recevoir l'expédition par M. de
Bazelaire, et cependant, comme il est dit ci-dessus, elle ne parvint pas
au maréchal de Mac-Mahon. Le colonel a nié l'avoir jamais reçue, ce qui
a amené à l'audience du conseil de guerre un incident émouvant. Le
commissaire du gouvernement, le général Pourcet, à la suite de ces
dénégations, se leva et prit des conclusions contre le colonel, à
l'effet de le poursuivre pour soustraction de dépêche. Revenons à
Flahaut.

Après avoir heureusement accompli la mission dont nous avons parlé plus
haut, il fut renvoyé à Metz par le colonel Turnier, avec une dépêche
chiffrée.

Cette fois il voyagea de compagnie avec un de ses collègues, Marchal,
qui avait été chargé, de la même dépêche. L'odyssée de ces deux agents
abonde en détails dramatiques. Ils sont arrêtés trois fois par les
Prussiens et autant de fois repoussés, sous peine d'être fusillés.
Arrivés à Augny, dans une quatrième tentative, ils se cachent d'abord
dans la cave du maître d'école, puis chez le curé, qui leur donne à
souper et à coucher. Enfin, le lendemain ils réussissent en ayant
recours à la ruse. Arrêtés aux avant-postes ennemis et interrogés par un
officier:

--Nous venions voir, répondent-ils, si vous avez des pommes de terre;
voici l'hiver, et si vous n'en avez pas nous pourrons vous en vendre.

L'ennemi les croit et les laisse libres de circuler aux avant-postes.
Une occasion favorable se présente et ils filent. La dépêche avait passé
avec eux. Bien malin eût été le Prussien qui l'eût découverte. Chacun
d'eux avait avalé la sienne, après avoir eu soin de l'envelopper
préalablement de caoutchouc. Plus tard, le 5 et le 15 septembre, puis
dans le courant d'octobre, Marchal et Flahaut essayèrent de retourner à
Thionville, mais ils n'y purent parvenir.

Disons, pour en finir avec cet ordre de faits, que le colonel d'Abzac,
dont il a été question plus haut, était attaché au cabinet du maréchal
de Mac-Mahon. Il a déclaré n'avoir pas eu connaissance de la dépêche du
20 août rapportée à Rhetel par les témoins Miès et Rabasse, et remise
par eux, selon leur dire, au colonel Stoffel.

Les témoignages de Cruzem, de Camus, de Quatreboeuf et de Donzella se
rapportent aux communications entre le maréchal Bazaine et le
gouvernement du 4 septembre. Le maréchal prétend que ces communications
étaient alors devenues pour ainsi dire impossibles. Cependant le témoin
Crusem est sorti trois fois de Metz, passant à travers les lignes
prussiennes, d'abord dans la direction de Corny, puis par le bois de
Grigy, enfin par Saint-Remy: et, dans ces diverses excursions, il a
parcouru, dit-il, les environs de Metz et poussé, dans la dernière,
jusqu'à Luxembourg. Les trois témoins qui suivent, MM. Camus,
Quatreboeuf et Donzella étaient des émissaires du gouvernement du 4
septembre qui, préoccupé de la situation de l'armée de Metz, avait fait
arriver à Longwy et à Thionville plusieurs convois de vivres pour la
ravitailler. C'est cette nouvelle qu'il s'agissait de porter à la
connaissance du maréchal Bazaine. M. Camus est un homme de quarante-huit
ans, garde-forestier, connaissant bien le pays. Il fit plusieurs
tentatives infructueuses pour passer et rentra à Longwy. M. Quatreboeuf,
sergent-fourrier des équipages de la flotte, paraît avoir mieux réussi.
C'est un jeune homme de trente-deux ans, alerte et énergique. Enfin M.
Donzella, autre marin, du même âge que le dernier et non moins
déterminé, envoyé par la délégation de Tours dans le même but, parvint à
entrer dans Thionville, qui était alors investi, et à remettre au
colonel Turnier, chargé de la faire parvenir, la dépêche dont il était
porteur. Donzella, pour passer, avait été obligé de se déguiser en
marchand d'osier. Il a raconté avec beaucoup de verve son entrevue avec
le colonel: «Il me chargea de dire bien des choses à sa famille et
voulait me donner une lettre pour elle, mais je refusai de la recevoir
en disant:

«--Je veux bien me charger de nouvelles orales, mais je ne veux pas
m'exposer à me faire fusiller par les Prussiens uniquement pour dire à
votre famille comment vous vous portez.»

Selon toute vraisemblance, la nouvelle de ce qu'avait fait le
gouvernement pour ravitailler l'armée de Metz est donc parvenue au
maréchal Bazaine, qui cependant affirme le contraire. Mais il affirme
également n'avoir pas reçu une dépêche postérieure, contenant les mêmes
détail et à lui apportée et remise par le garde mobile Risse. Cependant
l'entrée à Metz de Risse ne peut être contestée, puisqu'il s'y est
engagé dans le 44e de ligne. Sa déposition est très-précise. Elle est
d'ailleurs confirmée par les deux témoins Marchal et Flahaut, dont il a
été déjà parlé.

Avec M. Arnous-Rivière, nous passons aux communications avec l'ennemi,
dont il a été le principal ouvrier.

M. Arnous-Rivière, âgé de quarante-sept ans, est un ancien officier
démissionnaire, qui avait été chargé par le maréchal Bazaine d'organiser
une compagnie d'éclaireurs. Il avait été d'abord attaché au grand
quartier général, puis il fut investi à la fin d'août du commandement
des avant-postes à Moulins. C'est par son intermédiaire que se faisait
l'échange des correspondances entre les généraux en chef,
correspondances, qui, pour la plupart, n'ont pas laissé de traces dans
le dossier; c'est lui qui recevait les parlementaires et les conduisait
en voiture de Moulins au grand quartier général. C'est ainsi que, le 23
septembre, il amena Régnier, à la tombée de la nuit, d'abord à
Longeville, au quartier général du général Cissey, puis au ban
Saint-Martin chez le maréchal. «Vous annoncerez l'envoyé d'Hastings»,
lui dit Régnier; parole faite pour surprendre, car alors on ignorait
absolument à Metz que l'impératrice eut choisi cette résidence.
Terminons par ce triste personnage.

Régnier est un homme d'une cinquantaine d'années. C'est, d'après le
rapport du général Rivière, un homme fin et audacieux, aux manières
vulgaires, très-vaniteux et se croyant un profond politique. Il a reçu
quelque instruction et joué, en 1848, un certain rôle dans les
événements du temps. Puis il se lança dans l'industrie, et épousa en
Angleterre une femme qui lui apporta une certaine aisance. Après le 4
septembre, on le retrouve dans ce pays, où il cherche à se faufiler chez
l'impératrice, qui s'était retirée à Hastings. Il finit par y obtenir, à
force d'importunités, une photographie portant la signature du prince
impérial, sorte de passe qui va lui servir, ainsi qu'une vue de
Wilhemshoe, où était détenu l'empereur, et qu'il s'était procurée je ne
sais comment, à accréditer ses menées. Ainsi nanti, il se rend à
Ferrières auprès du prince de Bismarck, à la solde duquel il semble se
mettre et qui l'emploie sous prétexte d'armistice à tromper le maréchal
Bazaine, en faisant miroiter à ses yeux on sait quelles espérances
ambitieuses, et à lui tirer l'état exact de la situation de son armée
sous Metz et de ses ressources en vivres. En quittant le maréchal, il
emmenait avec lui le général Bourbaki qui devait se rendre à Londres
auprès de l'impératrice, et qui en y arrivant, fut fort surpris
d'apprendre que celle-ci ne savait pas le premier mot de l'intrigue qui
l'avait fait sortir de Metz. Mais le tour était joué, M. de Bismarck
savait à huit jours près combien de temps le maréchal pouvait tenir,
c'est tout ce qu'on voulait, et Régnier ne reparut plus.

On sait qu'il ne s'est pas présenté à l'appel de son nom à l'audience du
conseil de guerre où il devait faire sa déposition. On s'y attendait,
car il avait déjà déclaré, dans une lettre rendue publique, qu'il ne
comparaîtrait pas, si M. le président du conseil refusait de lui
accorder certaines garanties pour sa sûreté. Aussi, a-t-il été condamné
à 100 francs d'amende comme défaillant, à la requête du commissaire du
gouvernement, qui a également demandé au conseil l'autorisation de le
poursuivre comme ayant entretenu des intelligences avec l'ennemi et lui
ayant procuré des renseignements pouvant compromettre la sûreté de la
place de Metz et de l'armée française.

Louis Clodion.



Les pigeons de la presse de Paris

Si la capitale politique de la France parlementaire était Tours et
surtout Bordeaux, jamais la _Liberté_ n'aurait imaginé d'employer des
pigeons au service de la dernière heure. Mais Versailles est si
rapproché de Paris que l'électricité, à cause des formalités qu'exige
son emploi, ne peut lutter contre l'aile du pigeon, qui est, lui,
toujours prêt à partir dès qu'on ouvre la porte de son panier.

L'intelligente initiative prise par la _Liberté_ ne pouvait tarder à
être imitée. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis l'ouverture
de la session d'hiver qu'une industrie nouvelle était créée.

Un colombophile imaginait de mettre au service des divers journaux
politiques de Paris des pigeons parfaitement dressés. Il faisait de son
colombier le centre des nouvelles les plus fraîches du maréchal Bazaine
et de l'Assemblée nationale. Le _Temps_, la _Presse_, l'_Opinion_, la
_Patrie_, etc., etc., et même l'Agence Havas sont devenus l'un après
l'autre tributaires de ce service de dépêches. Le directeur de la poste
aérienne loue ses oiseaux à peu près aussi cher que l'on eût fait payer
un cheval au temps du grand roi pour revenir de l'OEil de Boeuf à Paris.
Il est vrai que les pigeons n'ont pas besoin de postillons qui les
ramènent à l'écurie.

Ce commerce va si bien qu'on lâche quelquefois trente ou quarante
pigeons dans la même journée, surtout si le temps est clair et si les
événements politiques sont assez palpitants.



[Illustration: Aveugles à la porte de la cathédrale de Valence.]

[Illustration: La ligature des palmiers.]

[Illustration: Laboureurs Valençais.]

[Illustration: Le pesage du charbon à Madrid.]

[Illustration: Pose de banderillas.]

[Illustration: La navaja.]



[Illustration: Un enterrement à Barcelone.]

[Illustration: Contrebandiers de la Serriana de Ronda.]

--Gravures extraites de l'_Espagne_, par le baron Ch.
Daviller.--Illustrations de Gustave Doré. (Hachette et Cie, éditeurs.)



Le lancer a lieu au fur et à mesure des demandes qui affluent
principalement de deux heures et demie à trois heures, moment du coup de
feu et de la clôture définitive du bureau. Car il n'y a pigeon qui
tienne, il faut que le journal paraisse, et paraisse de bonne heure, s
il ne veut pas qu'un rival plus diligent le prévienne et tire profit de
ses retards.

L'opérateur qui lance les pigeons se place sur la porte d'un petit
cabaret borgne placé en face de la cour du Maroc. Les reporters n'ont
qu'un saut à faire pour franchir la rue et y apporter les nouvelles
écrites au vol, apportées au galop.

C'est un homme de haute taille, à longue barbe et à larges épaules; nous
l'avons représenté au moment où il jette en l'air, l'un après l'autre,
un couple d'oiseaux. Pour éviter les pertes de temps, il en tient un
dans chaque main. Les pigeons, profitant de l'élan qu'ils ont reçu,
fuient rapidement dans la direction de Paris. Une foule très-mélangée et
à laquelle quelques représentants ne dédaignent point de se mêler,
assiste à ce spectacle, qui n'est pas un des moins curieux ni des moins
instructifs que Versailles offre en ce moment.

Cette entreprise publique n'est pas la seule; il existe en outre une
organisation particulière établie par le _National_ pour les besoins de
sa publicité. Son lanceur opère également dans le cabaret de la rue des
Réservoirs, que nous avons représenté encombré de cages à pigeons. Le
colombophile du _National_ est occupé à enfiler le petit tube des
dépêches autour d'une des rectrices de la queue. L'opération demande
beaucoup d'habitude et de dextérité. L'oiseau, quand on le prend
convenablement, se laisse faire avec beaucoup de docilité; mais il ne
faut pas croire qu'il ne s'aperçoive pas de ce qui vient de se passer.
Non-seulement ce corps étranger gêne la manoeuvre de son gouvernail,
mais il l'agace et l'inquiète; de sorte que, finalement, son vol se
trouve notablement diminué de rapidité.

La preuve, c'est que, si les nouvelles faisant défaut, quelques-uns des
dix pigeons du _National_ sont lancés et reviennent sans dépêches, bien
que partis les derniers, presque toujours ils arrivent les premiers à
Paris.

Comme l'oiseau se guide uniquement par la vue, il faut que le ciel soit
assez pur, surtout au déclin du soleil, pour que les pigeons de la
Presse de Paris puissent trouver leur chemin. La saison difficile va
commencer, car les jours deviennent de plus en plus courts et nos petits
courriers politiques ont à percer des brumes qui vont singulièrement en
s'épaississant.

Quant aux pigeons de nuit, ils sont encore à inventer. C'est à peine si,
par un beau clair de lune, quelques lauréats des grands concours partant
à faible distance pourraient regagner leur colombier.

W. de Fonvielle.



L'Espagne

PAR M. LE BARON DAVILLER

Les événements qui se passent en Espagne ont plus que jamais fixé
l'attention publique sur ce pays, qui parle déjà tant à l'imagination.
Aussi est-ce avec le plus vif intérêt que l'on arrête ses regards sur
tout ce qui sert à faire connaître les moeurs de ce peuple curieux, rude
et poli, passionné, superstitieux, brutal, avide de distinction,
très-chatouilleux sur le point d'honneur, et avec cela aussi généreux
que digne. A ce titre, les dessins que nous donnons ci-contre ne peuvent
donc manquer de plaire à nos lecteurs.

Un d'eux représente un cimetière à Barcelone. C'est une série de longues
allées que bordent de hautes murailles percées d'une multitude de
casiers. Chaque casier doit loger un cercueil, après quoi il est muré.
Une dalle en pierre ou en marbre, plus ou moins richement ornée, suivant
la fortune du défunt, et portant son nom, ferme l'ouverture du casier.
Rien de triste comme une promenade à travers les rues mornes de cette
ville des trépassés.

Passons dans la province voisine, celle de Valence, qui entre toutes, a
conservé un caractère moresque nettement tranché. Le costume des
habitants a à peine varié depuis plusieurs siècles, celui des paysans
surtout. Coiffés d'un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de
la tête et s'élevant en pointe, réminiscence du turban, qu'ils
recouvrent parfois d'un sombrero à larges bords, ils portent une chemise
attachée au cou par un bouton double, un très-large caleçon de toile
blanche, retenu par une ceinture, des bas sans pied quand ils en
portent, et des alpargatas ou espardines. Ajoutons la mante, qui ne les
quitte jamais, et voilà au complet le costume d'un Valençais du peuple,
d'un _labradore_ ou laboureur, qui ne se fait beau et n'endosse le gilet
de velours aux boutons d'argent que les jours de fête. La fertilité des
environs de Valence est proverbiale, ce qui n'implique pas qu'il n'y ait
point de pauvres. Comme chez nous, les pinceurs de guitare ne manquent
pas, mais c'est dans la capitale de la province qu'on les trouve. Les
infirmes hantent les portes des églises. Un de nos dessins représente
deux aveugles chantant des litanies à la porte de la cathédrale.

Comme toutes les grandes villes de la péninsule, Valence a sa _plaza de
toros_, où ont lieu les combats cruels si chers aux Espagnols. Ces
combats se terminent toujours par la mort d'un certain nombre de
taureaux et de chevaux. Le sang humain y coule souvent aussi, mêlé à
celui des animaux. Nous ne décrirons pas par le menu ce dramatique sport
où torreros, picadores, banderilleros ont leur place marquée et jouent à
l'envi le jeu le plus périlleux. Quelques mots cependant sont
nécessaires pour expliquer un de nos dessins: _Pose de banderillas_. Ces
banderillas sont des sortes de flèches dont le bois est entouré de
papier de différentes couleurs, frisé et découpé. A l'une de ses
extrémités est un hameçon. Les banderilleros ont pour mission de piquer
dans les épaules du taureau ces engins qui ne peuvent plus s'en
détacher, et ont pour effet d'augmenter la fureur de l'animal C'est à
Madrid que ces spectacles se donnent avec le plus d'apparat et de
somptuosité. Si l'on n'y déploie pas à Valence un pareil luxe, en
revanche on s'y porte avec un empressement à nul autre pareil. Le
Valençais est passionné pour ce divertissement. Cela tient sans doute à
sa nature. S'il est gai, il est cruel. La colère le transporte
facilement. C'est alors qu'il joue du couteau, de cette terrible
_navaja_, qui se fabrique à Albacète, et dont la lame, très-allongée et
pointue, porte toujours quelque inscription, qui indique à quel usage
elle n'est que trop souvent employée, «Si cette vipère te pique, il n'y
a pas de remède à la pharmacie.»

                  Si esta vivora te pica
                  No hay remedio en la botica.

Devise qui le plus souvent employée, a valu à certains _navajas_ le nom
lugubrement plaisant de _navajas de santolio_, couteaux de
l'extrême-onction.

Mais il est temps de nous arrêter. Quelques-uns des détails que l'on
vient de lire et qui expliquent les dessins que nous donnons, ont été
par nous empruntés au magnifique ouvrage que vient de publier la
librairie Hachette: l'_Espagne_, par le baron Ch. Daviller. C'est un
splendide volume in-4º de 800 pages, très-intéressant, très-bien écrit,
et illustré de 300 gravures dessinées sur bois par M. Gustave Doré.

L. C.



L'Insurrection de Cuba(5)

Dans l'histoire de la semaine nous disons où en est l'affaire du
_Virginius_, qui est venue si inopinément compliquer, vis-à-vis des
États-Unis d'Amérique, la situation déjà si critique de la malheureuse
Espagne. Nous n'avons pas à y revenir ici. On sait qu'à la première
nouvelle de l'exécution des flibustiers américains, il y eut comme une
explosion d'indignation aux États-Unis. On ne parlait que d'armer et
d'entrer en campagne sur l'heure.

Cette indignation était-elle bien réelle? J'en doute.

On sait que depuis longtemps les États-Unis convoitent la possession de
l'île de Cuba; et, si les richesses et la merveilleuse situation de la
perle des Antilles n'excusent pas ces convoitises, au moins les
expliquent-elles. La fertilité de l'île de Cuba est très-grande en
effet, sa végétation magnifique. On y trouve de vastes forêts de
palmiers, de cèdres, de cocotiers, de chênes, de pins; on y cultive la
canne à sucre, le tabac, le caféier, le cotonnier, l'indigotier, le riz,
le maïs, qui sont pour le planteur une source intarissable de richesses,
et rien n'égale la beauté de son port de la Havane que défendent de
vastes fortifications. Les vues que nous donnons de ce port et de
l'intérieur de l'île prouveront au lecteur que nous n'exagérons en rien.

Cuba forme, avec les autres Antilles espagnoles, un gouvernement dont la
Havane est le chef-lieu. Civilement, elle est divisée en deux provinces:
la Havane et Santiago; militairement, en trois départements: l'Est, le
Centre, et l'Ouest; financièrement en trois intendances: la Havane,
Puerto-Principe et Santiago; au point de vue maritime enfin, en cinq
provinces: La Havane, Trinitad, Remedios, Nuevitas et Santiago. Elle
renferme une population de 1,449,462 habitants, dont 564,698 blancs,
16,176 hommes libres de couleur et 662,087 esclaves qui seront libérés
après la pacification de l'île d'après la loi récemment votée par les
cortès espagnoles. En attendant l'esclavage y règne toujours, et bien
que la traite soit interdite, plusieurs milliers d'esclaves y sont
encore introduits chaque année. La révolte de ces esclaves l'a
ensanglantée plusieurs fois dans le cours de ce siècle et l'ensanglante
encore aujourd'hui. Espérons que c'est pour la dernière fois et que ces
révoltes cesseront avec la cause qui les a fait naître.

L'Espagne attache le plus grand prix, et cela se comprend, à cette
colonie que les États-Unis, nous l'avons dit, voudraient bien aussi
s'annexer. En 1845, ils ont offert de l'acheter, et peut-être l'Espagne
a-t-elle eu tort de ne pas la vendre. Finiront-ils par s'en emparer
d'une façon ou de l'autre? Selon toutes les probabilités, oui.

      [Note 5: Les deux gravures qui accompagnent cet article sont
      extraites du _Tour du Monde_, nouveau journal des voyages, publié
      par la maison Hachette et Cie.]



UN VOYAGE EN ESPAGNE
PENDANT L'INSURRECTION CARLISTE

V

Abdication du roi Amédée et proclamation de la République.--Agissements
de la Junte carliste établie à Bayonne.--Don Carlos séjournant à la
frontière.--Conseil particulier du prétendant.--Nomination de nouveaux
chefs carlistes.

Lorsque l'abdication du roi Amédée fut portée aux Cortès et que
celles-ci, en dépit du ministre Zorilla, proclamèrent la République,
j'étais à Vitoria, capitale de la province de l'Alava. De ces deux
nouvelles, la première était prévue depuis longtemps, le jeune prince
italien, malgré ses qualités personnelles incontestables, étant
profondément détesté par tous les Espagnols, sans distinction de partis,
devait en arriver forcément à cet acte d'abdication. Aussi
n'étonna-t-elle personne.

Il n'en fut pas de même de la proclamation de la République par une
Chambre qui passait pour être foncièrement monarchique. La population ne
voulut pas d'abord croire à la réalité de cette nouvelle. Mais lorsqu'il
fallut bien se rendre à l'évidence, elle protesta énergiquement contre
cette forme de gouvernement subitement improvisée. Je ne crois pas me
tromper en affirmant qu'à Vitoria, ville d'environ vingt mille âmes, il
ne s'y trouvait pas, en avril dernier, _cent républicains_. La
désorganisation s'introduisit dans l'administration des affaires
publiques. Le gouverneur de la province, les membres de
l'_ayuntamiento_, tous les principaux employés du pouvoir central
donnèrent leur démission en masse, si bien qu'en deux ou trois jours, la
ville et toutes les localités de la province furent livrées à la plus
complète anarchie.

Le même désordre se reproduisit dans les autres provinces qui, comme
celle de Vitoria, furent plongées dans la stupeur à l'annonce seule du
mot de République, qui a été toujours, depuis la Révolution de 1793, un
horrible épouvantail dans l'esprit des populations basques, au point
qu'elles nous ont regardé, pendant longtemps, nous Français, comme des
monstres et des buveurs de sang.

Dans toutes les excursions que je fis à Pampelune, Tolosa, Bilbao,
Saint-Sébastien, etc., je constatai le même désarroi dans toutes les
administrations et une égale répugnance, de la part des populations, à
vouloir accepter la nouvelle forme de gouvernement. Alors se produisit
une espèce d'anarchie dont profita habilement le parti carliste.
Jusqu'alors, l'insurrection avait été assez mollement conduite, soit que
les chefs n'eussent pas une entière confiance en son succès, soit
qu'elle manquât d'argent et d'armes; ce dernier fait était vrai, j'en ai
eu la certitude.

Mais à partir du jour où commença la désorganisation du pouvoir central,
la junte de guerre, établie à Bayonne depuis le mois de mars, fonctionna
avec plus d'activité. Elle se composait de membres moitié Espagnols,
moitié Français, dont la mission consistait à procurer des armes, de
l'argent et des hommes à l'insurrection. Jusqu'alors elle lui en avait
bien fourni, mais dans une mesure bien restreinte. C'est du moins ce
dont se plaignaient les _cabecillas_ qui se trouvaient à la tête des
bandes. Elle trouva pour la seconder, attendu les circonstances
politiques du moment, les fournisseurs et les banquiers auxquels elle
s'était adressée, dès le début de la campagne, dans de meilleures
dispositions. Les premiers, toujours craintifs et n'ayant pas une foi
bien robuste dans le succès de l'insurrection, n'exécutaient que d'une
manière bien irrégulière les marchés passés pour fournitures d'armes de
munitions et d'équipements militaires.--Les seconds se montraient
très-difficiles pour accepter les traites souscrites par les agents de
don Carlos et laissaient sortir du sein de leurs caisses, pour les
besoins de la guerre, que le moins d'argent possible. Ce qui explique le
peu de progrès que faisait l'insurrection.

Mais à dater du mois d'avril et du commencement de mai, fournisseurs et
banquiers furent plus accommodants et pleins de zèle pour seconder les
vues et les projets du parti carliste, avec lequel ils avaient pris des
engagements sérieux par l'intermédiaire de la junte de Bayonne. Les
armes et les munitions passèrent alors plus régulièrement et en plus
grande quantité la frontière qu'auparavant, malgré les difficultés bien
plus nombreuses qu'on opposait à leur passage, du côté de France, où
venait d'être établi sur la frontière un cordon sanitaire de troupes. On
en expédia même de l'Angleterre.

J'ai assisté à un débarquement d'armes expédiées de Birmingham. Vers le
milieu du mois de mai, un bateau à vapeur vint en plein jour (il était
sept heures du matin) s'arrêter dans le petit port de Fontarabie, en
face le débarcadère des pêcheurs, À son apparition, des barques allèrent
l'aborder, et en moins d'une heure elles transportèrent quatre cents
caisses qu'elles déposèrent sur la berge, rendant l'opération du
débarquement, une bande de quinze cents hommes environ, commandée par le
colonel Martinez, et dont les trois quarts étaient sans armes,
s'emparèrent des colis qui renfermaient des fusils et des munitions, les
ouvrirent et s'armèrent séance tenante. Les caisses restées sans être
ouvertes furent déposées sur des charrettes et transportées, sous bonne
escorte, au camp d'_Achulégui_. Ce débarquement s'opéra sans qu'il
trouvât là moindre opposition de la part des troupes et des volontaires
de la République casernés à Irun, c'est-à-dire à deux kilomètres au plus
du port de Fontarabie. Et ce qui me parut plus étrange encore, c'est que
la bande carliste et les caisses chargées sur des charrettes traînées
par des boeufs, passèrent tranquillement devant les portes de la ville.

A cette expédition, dont je fus spectateur, j'eus l'occasion de revoir
mon ami, le colonel Martinez, qui commandait l'escorte du convoi et qui
paraissait tout radieux.

--Vous n'êtes pas encore à Madrid, mon cher colonel, lui dis-je, en lui
rappelant son dernier adieu à Vera, mais vous y êtes sur le chemin, à ce
qu'il me paraît.

--Dix débarquements comme celui-ci, me répondit-il, et notre cause est
gagnée!

--Vous ne craignez pas d'être surpris sur votre route par les troupes
républicaines?

--Toutes mes précautions sont prises et je suis certain d'avance que les
hommes de Loma n'oseront as venir nous barrer la route. Voyez, j'ai
quinze cents hommes avec moi!

Le colonel avait dit vrai. Pas un seul homme de la garnison d'Irun, qui
se composait d'environ six cents hommes, soit volontaires, soit soldats
de la ligne, n'osèrent sortir de la ville.

J'ai assisté à trois autres débarquements du même genre, sans qu'ils
fussent autrement contrariés, tant les frontières étaient mal gardées du
côté de l'Espagne.

D'un autre côté, don Carlos, que les journaux espagnols et étrangers
avaient fait mourir plusieurs fois et voyager tantôt en Angleterre,
tantôt en Suisse, vint s'installer d'abord dans un hôtel de Pau et
ensuite au château de Peyrolhade, où il a résidé jusqu'à son entrée en
Espagne. Voulant m'assurer par moi-même si le fait était exact, je fis,
au mois de juin, une excursion dans les Basses-Pyrénées, et je me rendis
à ce château, situé presque sur les limites qui séparent la France de
l'Espagne. Ce n'était pas sans de grandes difficultés que je pus arriver
jusqu'à cette demeure seigneuriale, malgré les titres et les
recommandations dont j'étais porteur, tant on avait pris de précautions
pour la rendre inabordable.

Lorsqu'un inconnu venant de France ou d'Espagne apparaissait dans le
lointain, se dirigeant vers le château bâti sur une élévation qui domine
les alentours à une distance de quatre kilomètres, des vedettes placées
de loin en loin, depuis le sommet des montagnes jusqu'au village de
Peyrolhade, qui lui-même est éloigné de la résidence royale d'environ
une lieue, s'empressaient d'en informer le commandant du palais.
Celui-ci envoyait immédiatement des gardes à sa rencontre pour le
reconnaître. S'ils avaient les moindres soupçons sur l'individu, on le
prévenait poliment qu'il se trompait de chemin en lui indiquant le moyen
d'en prendre un autre; et ils s'éloignaient. Si, au contraire, c'était
un ami ou une personne dont on n'avait pas à se méfier, on le conduisait
au château.

C'est ainsi que sur la présentation d'une lettre du président de la
junte carliste, je fus admis auprès de la personne du prince, qui voulut
bien me recevoir lui-même. Don Carlos est âgé de vingt-neuf à trente ans
environ. Sa taille est élevée, sa figure pleine de noblesse; un air de
grandeur et de majesté rayonne sur sa physionomie franche et
sympathique. Tout en lui, jusqu'à sa parole claire, douce et concise,
prévient en sa faveur. L'audience qu'il m'accorda ne fut pas longue,
mais elle répondit au but que je m'étais proposé d'atteindre.

Il ne faudrait pas croire pourtant que le prétendant se montrât
très-facile à accorder des audiences particulières. Il est arrivé, à ce
sujet, aux visiteurs étrangers, de curieuses méprises. Milord D...,
désirant s'entretenir avec don Carlos, s'était rendu à cheval de Pau au
château de Peyrolhade. Arrivé à la résidence princière, il fut reçu par
le général Ellio, auquel il demanda de le présenter au _roi_. Le vieux
général s'empressa de le conduire dans le salon bleu, aux tentures
fleurdelisées, où se trouvaient trois personnages, la tête couverte de
bérets blancs (_boinas_) agrémentés de passementeries d'or. Milord D...,
qui ne connaissait le prince que par ses portraits, croyant voir don
Carlos dans le personnage placé au milieu des deux autres, lui offre ses
hommages et entre avec lui dans une très-longue conversation sur la
situation troublée de l'Espagne. Après une demi-heure d'entretien, les
deux interlocuteurs se quittèrent enchantés l'un de l'autre. La vérité
est que le noble visiteur avait pris le major Arjona, secrétaire du
prince, pour don Carlos lui-même. Celui-ci, resté dans son cabinet,
n'était pas encore descendu au salon.

Je dois ajouter que cette résidence étant journellement visitée par des
émigrés de tous les pays qui venaient offrir _au roi_, les uns le
secours de leur épée, les autres solliciter des grades et des faveurs,
le général Ellio avait organisé un service rigoureux de police autour du
prince, afin de prévenir toute tentative d'espionnage ou d'attaque
personnelle contre l'hôte illustre du château. Je dois reconnaître que
cette surveillance pouvait ne pas être inutile, au milieu de ce coin
isolé des montagnes que cherchaient à découvrir les émissaires du
gouvernement de Madrid et dont l'inutilité de leurs recherches a fait
toujours leur désespoir.

Ce fut pendant le court espace de temps que je passai au château de
Peyrolhade que je pus me renseigner sur le personnel dont se composait
la maison du prince et qu'il n'y a pas, je crois, indiscrétion de faire
connaître. Elle comprenait le général Ellio, président du conseil de
guerre, cinq chefs carlistes qui en étaient les membres et dont le
marquis de Valdespina faisait partie, et du major Arjona, secrétaire
particulier de don Carlos.

Les opérations du conseil de guerre consistaient dans la direction à
donner aux opérations militaires dont le plan était tracé d'avance: dans
la nomination des _cabecillas_ et leur envoi aux divers postes qu'ils
devaient occuper; enfin, dans le contrôle de tous les actes qui
concernaient l'organisation des bandes, leur armement et leur
équipement.

Malgré le mystère dont on entourait le château de Peyrolhade, cette
retraite soi-disant introuvable de don Carlos, était le centre d'un
va-et-vient de gens qui, des deux côtés des Pyrénées, s'y rendaient pour
les affaires de l'insurrection. C'étaient les membres de la junte qui
venaient, les uns ou les autres, prendre les ordres du conseil de
guerre, lui communiquer les résultats de ses opérations et s'entendre
avec lui sur les difficultés qui pouvaient se présenter: et ces
difficultés étaient nombreuses, surtout dès le début de la campagne;
c'étaient des agents secrets qu'on avait établis sur la frontière et
jusque dans les centres des provinces, qui venaient faire leurs rapports
sur tout ce qui se passait d'hostile ou de favorable au parti;
c'étaient, enfin, les envoyés des _cabecillas_ en campagne, qui
apportaient au château tout ce qui concernait la situation bonne ou
mauvaise des bandes qu'ils commandaient.

Lorsque je repassai la frontière, j'appris la nomination de nouveaux
chefs carlistes, dont quelques-uns étaient déjà au château de
Peyrolhade, au moment de mon départ de cette résidence. Au nombre de ces
chefs qui devaient donner à l'insurrection une nouvelle impulsion,
étaient le général Ellio, qui reprenait un service actif, le marquis de
Valdespina, Dorregaray et Lizarraga. Ces quatre généraux, que j'ai vus
plusieurs fois sur les champs de bataille, méritent d'être connus, à
cause des commandements qu'ils occupent à la tête des bandes et des
services qu'ils rendent à la cause carliste. C'est ce que je me propose
de faire, après avoir dit quelques mots sur l'emprunt que le parti
contracta à Londres. C'est, au reste, avec l'argent qu'il produisit que
la guerre civile put prendre plus d'extension et de développements,
ainsi que je vais le constater.



LES THÉÂTRES

Porte-Saint-Martin. _Libres!_ drame en huit tableaux, par M. Edmond
Gondinet.--Ambigu-Comique. _La falaise de Penmarck_, drame en cinq actes,
de M. Crisafulli.--Odéon. _Le docteur Bourguibus_. comédie en un acte et
en vers, de M. Edmond Cottinet.--Gymnase. _Monsieur Adolphe_, pièce en
trois actes, de M. Alexandre Dumas fils.

La pièce de M. Gondinet, _Libres!_ m'a beaucoup plu. Je sais que les
dilettanti du genre, les raffinés du mélodrame y trouveront à redire,
car elle n'est pas construite et charpentée selon les règles, elle ne
vous saisit pas à la gorge à un moment donné pour vous laisser pantelant
et lui crier merci dans quelques scènes pleines d'émotion ou de terreur.
Son scénario ne s'avance pas progressivement pour marcher à travers des
péripéties les plus sombres pour arriver aux catastrophes finales; mais
qu'importe que le drame échappe à l'analyse par sa trame un peu légère,
qu'importe que faction un peu mince tienne en quelques lignes, si
l'impression d'ensemble est allée droit à l'effet voulu, et si au sortir
du théâtre le drame a laissé dans l'esprit du spectateur un souvenir, et
que l'âme s'en sente encore agitée par delà la représentation. C'est ce
qui arrive.

C'est peu de chose en effet que cette histoire dramatique facilement
imaginée et qui se déroule autour de Lambros, le polémarque de la
Selléide, avec cet amour de sa fiancée Chryseis, avec cette trahison du
traître Andronicos livrant par jalousie et par haine son pays à Aly,
pacha de Janina. Cette rivalité est le thème obligé de tous les
mélodrames. Quelques scènes plus ou moins heureuses ajoutées à cette
nomenclature du crime des traîtres ne font rien à l'affaire. Le drame
n'aurait rien perdu assurément à plus de nouveauté dans cette fable
romanesque. Il eût été meilleur, à coup sûr, en se privant de ce groupe
de comiques propres à jeter de la gaieté, comme cela se passe dans toute
pièce du boulevard. Je n'en disconviens pas; mais je le répète, le drame
de M. Gondinet m'a plu par sa composition générale, par son mouvement,
par cette grande histoire de liberté qu'il met en scène, par ce récit de
l'affranchissement d'un peuple. Tout cela est animé, vivant, tout cela
s'écoute d'un bout à l'autre avec la plus vive curiosité, au milieu de
nombreux épisodes et à travers tout ce pays de la Grèce.

Il semble que M. Gondinet, qui est un esprit fin et qui a bien sa
jeunesse et sa poésie, ait lu cette histoire de l'indépendance
hellénique dans les livres de Fouqueville et de Fauriel, qu'il ait lu
avec ardeur ces chants recueillis par M. de Marcellus, et que se
souvenant de cet enthousiasme qui enflamma vers 1825 nos poètes de
France et d'Angleterre pour la cause de ce peuple, il ait voulu rendre
dans un drame toute cette vie d'un passé qui passionna si profondément
l'Europe aux temps où elle avait plus de sympathie et plus de larmes
pour les opprimés et les vaincus.

A ce drame de l'indépendance d'un pays qui eut pour alliés les poètes,
M. Gondinet a laissé son caractère poétique. C'est là son côté original
et piquant. Il se dégage des conventions scéniques par un souffle
heureux. Il a pour lui, et que le lecteur me pardonne cette phrase du
temps, il a pour lui les Muses de la patrie et de la liberté. Comme aux
jours de ses premiers fils, la Grèce est encore le pays des vers. Elle
chante aux noces des fiancés, aux berceaux des fils, sur la tombe des
soldats, elle a des épithalames et des nénîes; ses poètes populaires
sont de toutes ses fêtes. M. Gondinet les a parfois reproduits avec un
rare bonheur:

        Le klepte est tombé sous les halles,
        Chantons les marches triomphales,
        Que son nom résonne partout.
        Creusez sa tombe haute et grande
        Pour que son bras armé s'étende
        Et pour qu'il s'y tienne debout.
        Faites à la pierre une entaille
        Pour que dans les jours de bataille
        Il entende les combattants.
        Plantez devant un laurier-rose
        Pour que l'hirondelle s'y pose
        Et l'avertisse du printemps.

Ainsi parle sur le cadavre du polémarque Lambros, le héros de la pièce,
D'autres chantent les hymnes de liberté, et le drame s'écoule toujours
soutenu par un sentiment fin et délicat qui le vivifie dans un cadre
poétique, C'est la Grèce avec ses aspirations de liberté, avec ses
glorieux révoltés, c'est elle avec ses kleptes, ses chkipetars, ses
costumes brillants; nous la retrouvions dans sa gracieuse et pittoresque
beauté, avec ce décor qui nous transporte sur la place de Variadès, au
fond duquel se dessine dans le lointain les hautes montagnes et les
gracieux villages attachés à leurs flancs. Nous nous sommes cru un
instant sur la côte du Péloponèse, au tableau qui représente la falaise
couverte d'arbres et dominant les flots bleus de la mer. C'est un
chef-d'oeuvre que ce décor qui représente le Grand-Souli, avec ses
maisons blanches, ses cactus en fleurs, ses vignes qui grimpent jusques
aux toits en tuiles rouges, avec son pont jeté sur un torrent. Il semble
que M. Rubé, qui en est l'auteur, l'ait composé d'après une vue
photographique rapportée du pays de Messène ou d'Argos. Cet art du
décorateur, qui, je crois, n'a jamais été poussé aussi loin dans la
vérité des tableaux, nous a rendu la Grèce avec la plus grande fidélité.
Et c'est là un attrait de plus pour le drame de M. Gondinet, que le
public a accueilli avec le plus vif succès.

L'interprétation de la pièce est excellente. M. Dumaine joue avec une
sincère conviction et une réelle autorité ce rôle de Lambros, qui domine
tout le drame. Taillade, c'est Aly, le pacha de Janina, un tyran bizarre
et cruel qui tourne parfois à la ganache. Larcy, Charly, font retentir
leurs voix vibrantes, et Laurent égaye la pièce par sa bonne humeur.
Quant à Mme Dica-Petit, fort belle sous ses magnifiques costumes de
femme souliote, elle a donné au personnage de Chryseis un véritable
caractère de passion et de noblesse.

J'aime ce bon mélodrame du temps passé, avec tous ses trucs, ses
épouvantails, ses tours, ses prisons, ses rochers, ses falaises, tout
son attirail de crimes et d'horreurs, mais encore faut-il que ces
horreurs soient possibles à raconter. M. Crisafulli a poussé dans la
_Falaise de Penmarck_ ce genre tellement au noir que pour ma part je ne
m'y reconnais plus. Voilà une aventure, par exemple! Le commandant
Pierre Lecourbe se marie; le jour même de ses noces il reçoit l'ordre de
rallier l'escadre en partance! Ainsi le veut l'amiral qui ne transige
pas avec la consigne. Le commandant a un frère, un ivrogne, lequel après
les libations les plus regrettables, croyant entrer chez sa fiancée, se
trompe de porte et pénètre chez sa belle-soeur, la femme du commandant.

Vingt ans après ce bel exploit, le commandant Lecourbe vit auprès de sa
femme et entre deux filles, qu'il aime, sans soupçonner que sa fille
aînée doit le jour à un horrible crime. L'affection du commandant pour
cette enfant semble même plus grande que pour l'autre, à ce point qu'il
dépouille sa fille cadette au bénéfice de sa soeur. La mère révoltée
d'une telle injustice révèle à moitié ce terrible secret à son mari. Ce
que le commandant ignore c'est le nom du coupable. Il va donc à son
frère, Pierre Lecourbe, et lui confie le soin de sa vengeance en lui
faisant jurer que cet homme mourra et, par le fait, il tient son
serment, car honteux de lui, il se précipite du haut de la falaise de
Penmarck, qui n'est là que pour fournir un titre pittoresque à la pièce.
C'est à l'aide de cette fable dramatique que M. Crisafulli a obtenu une
scène des plus saisissantes. Celle des deux frères, dont l'un demande
vengeance à l'autre pour son honneur outragé, pour son nom souillé. Mais
vraiment ces fortunes-là coûtent bien cher puisque c'est au prix de
telles situations qu'on les obtient. Si ce drame nous demande au début
de grands crédits pour faire marcher sa petite industrie, je suis prêt
pour ma part à les lui refuser. Qu'il s'arrange, n'a-t-il pas la
trahison, le meurtre, l'assassinat. S'il lui faut plus encore, il est
trop exigeant; qu'il meure faute d'appui, je n'y vois pas
d'inconvénient.

J'ai donc hâte de sortir de cette _Falaise de Penmarck_ pour entrer dans
une joyeuse comédie, pleine de belle humeur, d'esprit et de gaieté, et
qui a pour titre le _Docteur Bourguibus_: elle est née de la fantaisie
d'un poète, et de la première à la dernière scène elle s'en va
lestement, joyeuse de ses bonnes trouvailles comiques, de ses vers
plutôt improvisés qu'écrits, étincelants de saillies. Ce docteur
Bourguibus qui a pour parents tous les héros de la comédie bergamasque a
une _toquade_. Pardon du mot: aux XVIIIe siècle on aurait dit du docteur
qu'il avait le timbre fêlé. Le brave homme qui a la monomanie de la
pitié, s'attache particulièrement aux gredins. Que lui parlez-vous
d'honnêtes gens! la belle affaire! ils ont leur conscience pour eux et
le paradis au bout. Mais un criminel, un assassin, par exemple, un
meurtrier que la justice, l'infâme justice a frappé, voilà ce qui tente
l'âme du docteur Bourguibus. C'est une cure à faire. S'occupe-t-on des
gens bien portants? Non; on soigne les malades; qu'est-ce qu'un
criminel? un malade: le tout est de le guérir. Grâce à ce raisonnement,
le docteur cueille au haut d'un gibet un gibier de potence qu'il arrache
à main armée aux mains des valets du bourreau. Cet exploit a coûté la
vie à cinq honnêtes gens: c'est pour rien. Et voilà Spalâtre installé
dans le logis de docteur. On va voir ce qu'on peut obtenir avec des
soins d'un gredin qu'on a dépendu. Tout est pour lui, les bons morceaux,
les complaisances des domestiques, et jusqu'à la main de la nièce du
docteur. Seulement il veut conduire sagement l'homme à complète
guérison. Il dort, silence; il va se réveiller, qu'il ouvre les yeux aux
sons d'une musique réjouissante: un murmure de menuet et le docteur et
sa nièce effleurent sur la mandoline et le violon l'adorable morceau de
Boccherini. Là-dessus Spalâtre qui entr'ouvre les yeux rêve de voyageur
égaré et d'assassinat au coin d'un bois. Elle est charmante cette scène
du bandit que la musique ramène à ses premières inclinations, le
meurtre. La cure a si bien opéré que Spalâtre, non content de voler pour
son propre compte, fait de la propagande et entraîne les domestiques du
docteur à voler avec lui, si bien que le pauvre Bourguibus paye ses
théories humanitaires de ses meubles, de sa bourse et de sa montre. Bien
en a pris à l'amoureux de la nièce de se déguiser en bourreau et de
venir demander Spalâtre au docteur qui le retient contre la loi, car à
la vue de l'homme noir, Spalâtre s'est enfui maudissant cet imbécile de
docteur qui l'expose à retomber dans les mains de la justice. Tout
s'arrange; le docteur se guérit de son faible pour les gredins et de sa
haine pour les gens de police, et le public applaudit chaleureusement à
l'auteur et aux interprètes de cette comédie des plus originales et des
plus amusantes.

Le théâtre au Gymnase a remporté hier, mercredi, un éclatant succès avec
_Monsieur Adolphe_. Je reviendrai la semaine prochaine sur cette oeuvre
exquise de M. Alexandre Dumas. Je ne puis que signaler aujourd'hui
l'accueil chaleureux que le public tout entier a fait à sa pièce. C'est
là une des plus grandes fêtes du théâtre au Gymnase. Depuis vingt ans,
depuis ces jours du _Demi-monde_, je ne crois pas qu'il eût été témoin
d'une semblable ovation. La salle passait du rire aux larmes, de
l'émotion à la gaieté. Elle a acclamé l'auteur, saluant dans son oeuvre
cette sûreté de talent, cette élévation dans la pensée, cette explosion
de l'esprit qui font de M. Dumas fils un maître. Tout son public lui
était revenu, heureux d'oublier les quelques moments de froideur qui
s'était faite entre lui et l'auteur de la _Femme de Claude_, et comme
regrettant ses sévérités passagères, on se sentait comme reconnaissant
envers M. Dumas de lui rendre l'auteur aimé des jours passés.

Les interprètes de _Monsieur Adolphe_ ont été couverts
d'applaudissements, et Pujol, et Achard, et Mlle Alphonsine, cette
transfuge des théâtres de féerie, qui s'est montrée merveilleuse
comédienne dans le rôle de Mme Guichard.

Je donne avec plaisir une bonne nouvelle à mes lecteurs: Les concerts de
M. Daubé vont reprendre leur cours, non plus au _Grand-Hôtel_ où on les
suivait autrefois, mais à la salle que M. Henri Herz a mise
gracieusement à la disposition de M. Daubé.

M. Savigny.



[Illustration: LES ÉVÉNEMENTS DE CUBA.--Vue générale de la Havane.]

[Illustration: L'ILE DE CUBA.--Vue prise près de la côte de Candela.]



REVUE COMIQUE DU MOIS, PAR BERTALL

[Illustration: LES LIONS DE M. SARI, AUX FOLIES-BERGÈRES.. Voyez trois
bocks au 71.--Bouuummm!]

[Illustration:--Eh bien, et le _Rappel?_--Eh bien, et l'appel?--Ce
n'est pas pour toi que le four chauffe.--C'est l'appel qui se moque du
fourgon!]

[Illustration:--Allons, mon petit, faut rentrer dans ta boîte.--Bah!
sept ans, ce n'est pas une affaire!--C'est un congé.]

[Illustration: L'EXPOSITION DES ENFANTS AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.--Études sur
les manières les plus pratiques et les plus commodes pour exposer les
enfants, depuis la suppression des tours.]

[Illustration: MM. LES COLLÉGIENS.--Ah! ah! ah! voilà déjà le régime du
sabre qui commence. On veut nous infliger une sortie. Eh bien! ma bonne,
va dire à ton maître que je suis comme M. Trochu, je ne sortirai pas,
j'ai mon plan.]

[Illustration: LA QUENOUILLE DE VERRE.--Ma petite Judic, vous avez
chanté ça Judic-ieusement.--Dites délicieusement!--Comme si ce n'était
pas la même chose!]

[Illustration:--Ah! si la Femme à deux têtes voulait épouser
l'Homme-Chien! quel avenir pour leur famille!]

[Illustration:--Mon bon M. Halanzier, ce sont les Italiens qui sont là,
si vous voulez je vais en délivrer le territoire, et ça ne sera pas
long.--Je ne demanderais pas mieux, mais tu vois bien que les Italiens
sont des Russes.]

[Illustration:--M. Strakosch traite à l'amiable et consent à recevoir
M. Halanzier, à condition que tous les abonnés ne se présenteront au
contrôle que porteurs d'une voie d'eau.]

[Illustration:--Les jours d'Opéra, les baignoires deviendront une
réalité, les abonnés et leurs familles n'y seront reçus qu'en costumes
de bain.]

[Illustration:--Au premier signe de H. Strakosch, les baignoires seront
remplies d'eau, ce qui écartera toute crainte d'incendie.]

[Illustration:--Pour finir, l'auteur demande à l'ami lecteur, dont il
est connu depuis si longtemps, la permission de lui présenter ses
civilités sous la forme d'un gros livre qu'il vient de terminer à
l'instant.]



Toujours: _Peau de satin! Fraises au champagne! Lèvres de Feu!!_ valses
de J. Klein. Il n'y a donc pas autre chose?



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

_Histoire de l'Astronomie_, par Ferd. Hoefer.--La science profonde et
l'érudition encyclopédique du docteur Hoefer sont trop connues et trop
appréciées pour qu'il soit utile de présenter à nos lecteurs l'auteur de
la nouvelle _Histoire de l'Astronomie_. Chacun sait que pour écrire une
histoire compétente de quelque science que ce soit, il faut être du
métier et connaître la pratique du sujet dont on se fait le rapporteur.
Or M. Hoefer a écrit une histoire de la _chimie_, qui est devenue
classique, une histoire de la _physique_ estimée de tous les savants,
une histoire de la _botanique_, une histoire de la _zoologie_, aussi
complètes l'une que l'autre; et voici une histoire de l'_astronomie_,
que je viens de lire avec la plus vive attention, et que nul astronome
de profession n'aurait certainement mieux écrite. Elle est complète sans
être trop étendue, s'adresse aux gens du monde aussi bien qu'aux
savants, et présente un tableau exact et intéressant des progrès inouïs
de cette science admirable, depuis les Hindous, les Chinois, les
Chaldéens, les Égyptiens, jusqu'aux découvertes sublimes de notre
époque, illustrée depuis moins de trois siècles par les Galilée, les
Kepler, les Newton, les Laplace; par des scrutateurs des mystères
célestes qui laisseront dans l'histoire des noms comme ceux de Cassini,
Halley, Huygens, Roemer, Dalembert, Herschell, Bessel, Struve, Arago,
etc.

L'histoire de l'astronomie présente plus que nulle autre le tableau des
véritables progrès de l'esprit humain. Celle des peuples, des dynasties,
des religions, offre des alternatives de lumière et de ténèbres, des
grandeurs et des décadences, des guerres et des trêves, et souvent,
hélas, du sang et des ruines. Mais les progrès de la science du ciel, au
contraire, offrent une continuité lente, mais permanente, du travail de
la pensée humaine, depuis l'ignorance primitive jusqu'à l'époque où nous
sommes, pendant laquelle nous osons mesurer les distances qui nous
séparent des étoiles, et analyser les substances qui brûlent dans le
soleil. Aujourd'hui, nous voyons les mondes rouler sous nos pieds; nous
sentons la terre courir et nous emporter à travers l'espace infini, et
déjà nous avons les premiers éléments nécessaires pour deviner la _vie
inconnue_ qui rayonne à la surface des autres terres du ciel! C'est la
science sans patrie et sans dogmes, sans chaînes et sans larmes, qui,
toujours pure, s'élève et s'épanouit dans la divine lumière du ciel;
c'est celle qui fait le plus d'honneur à l'esprit humain, qui met en
évidence les plus nobles facultés de l'homme; c'est celle qui nous a
_affranchis._ Les plus grands révolutionnaires ne s'appellent pas
Cromwell, Washington, Mirabeau ou Robespierre; ils s'appellent Copernic,
Galilée. Kepler, Newton.

On lira avec plaisir et profit le nouveau livre du docteur Hoefer. Dans
son ouvrage publié l'année dernière, et intitulé: l'_Homme devant ses
oeuvres_, l'auteur avait montré par quels principes il juge l'humanité;
et il n'est certes pas inutile, à notre époque où tout court si vite, de
s'arrêter un instant sur le chemin de la vie, comme le Dante avant de
pénétrer au sombre royaume, et de réfléchir un instant sur les faits et
gestes de notre race soi-disant raisonnable. L'histoire de l'astronomie
est écrite avec la même netteté de vues, moins sévère que celle de
Delambre, lequel en est souvent ridicule, et plus juste pour les
anciens, qui méritent tout notre respect, attendu qu'il faut à toutes
les sciences un commencement. Celui qui renaîtrait dans trois siècles
seulement serait bien étonné de notre état scientifique, social et
religieux de 1873, et, s'il n'était juste, nous traiterait d'ignares et
d'imbéciles. C'est ce qu'a fait l'astronome Delambre, trop souvent. M.
Hoefer n'est pas tombé dans ce travers, et nous l'en félicitons.

_Les Merveilles de la photographie_, par G. Tissandier.--Voici un
nouveau volume de la _Bibliothèque des merveilles_, et qui fait honneur
à la collection. Qu'y a-t-il de plus merveilleux que la photographie,
dont les travaux nous laissent pourtant déjà indifférents? La terre
tourne si vite que l'on oublie le lendemain la situation de la veille,
et il semble que nos pensées se multiplient et s'envolent beaucoup plus
vite depuis que nous connaissons la rapidité des mouvements célestes. En
fait, il n'y a que quarante-sept ans que le premier traité entre Niepce
et Daguerre a été signé, et aujourd'hui les photographes pullulent dans
toutes les villes d'Europe, et les photographies sont tombées dans le
domaine public, et l'on n'accorde plus aux meilleures d'entre elles
qu'une attention momentanée. Mais tandis que pour la masse du public la
photographie est encore toute entière dans la reproduction plus ou moins
durable d'un visage, d'un monument ou d'un paysage, l'art s'est agrandi,
s'est développé comme toutes les connaissances humaines, et déjà rend
d'immédiats services à la plupart d'entre elles. La photomicrographie
fixe aujourd'hui l'image centuplée de l'insecte, invisible à l'oeil nu,
dessine l'agencement moléculaire minéral, végétal ou animal, nous montre
les cristaux du sang ou l'épiderme délicat d'une pauvre chenille. A
l'opposé, toute l'Assemblée nationale est reproduite sur un carré de
collodion du diamètre d'une tête d'épingle, sans rien perdre de ses
proportions ni de sa grandeur réelle. Si nous passons maintenant du
petit au grand, nous trouvons la photographie appliquée au soleil, à la
lune, aux planètes et même aux étoiles, et nous avons déjà des sériés de
plusieurs années de portraits du soleil, faits chaque jour, et montrant
la variation incessante de son aspect et de ses taches. Des
photographies directes de la lune sont si excellentes que l'on se
promène facilement dans les vallées et les paysages lunaires ainsi
reproduits. Appliqué à la météorologie, le même art remplace maintenant
l'observateur en enregistrant automatiquement l'état du ciel, la marche
du baromètre, du thermomètre, du vent, de l'aiguille aimantée, etc., ce
qui permettra d'avoir un bien plus grand nombre de constatations
simultanées et permanentes et de donner à la météorologie la base qui
lui manque encore. Il y a plus: la photographie _imprime_ maintenant
elle-même, et le livre de M. Tissandier nous offre un spécimen de
photoglyphe à l'encre de Chine gélatinée, qui montre au premier coup
d'oeil toute la valeur artistique et toute l'importance pratique du
nouveau procédé. On le voit, le jeune et savant directeur du journal _la
Nature_ a su réunir dans son nouveau livre toutes les richesses de l'art
dont il voulait raconter les merveilles.

Camille Flammarion.



_Une courtisane vierge_, par M. Amédée de Céséna.--L'auteur fut un
journaliste grave, un personnage politique, un polémiste. Il n'est qu'un
conteur qui spécule sur de certaines curiosités malsaines. Je pense
qu'il suffit de citer le titre du livre pour montrer tout ce que M. de
Céséna a voulu lui donner d'alléchant. Le romancier se défend,
d'ailleurs, dans sa préface, d'être un corrupteur. Il prétend au titre
de _moraliste_. Ce n'est donc pas un moraliste homeopathique: il fait de
la morale par les contraires.

_Les Femmes au coeur d'or_, par M. Eugène Moret. (1 vol. Dentu.)--Il y
a, dans le roman-feuilleton, des auteurs dont la réputation n'égale pas
le talent, et M. Eugène Moret est de ce nombre. Il a des succès, et
très-grands, dans le public des journaux populaires, des livraisons à
dix centimes, et il mérite ces succès-là. Ses livres sont moraux,
honnêtes et intéressants. Il a publié sur les _Femmes de la Révolution
et de la Terreur_ des feuilletons absolument amusants et qui, réunis en
volume, ont beaucoup plu aux lecteurs. Ces _Femmes au coeur d'or_ auront
certainement le même sort et méritent le même accueil. C'est là un roman
qui vaut dix fois mieux, à coup sur, que bien des romans célèbres, et
qui fait honneur au talent très-loyal, sans fracas, sans charlatanisme,
de M. Eugène Moret.

_La comtesse de Nancey_, par M. Xavier de Montépin. (3 volumes in-18.
Chez Sartorius.)--M. Xavier de Montépin est, en librairie, le
triomphateur de la saison. Il a publié trois ou quatre volumes, épisodes
détachés d'un même roman, qui en sont à leur huitième ou dixième
édition. _La comtesse de Nancey, l'Amant d'Alice, le Mari de
Marguerite_, ont amusé tout un public, le public des romans d'Arsène
Houssaye, celui qui aime l'impossibilité en pleine vie réelle, les
aventures improbables placées dans le milieu parisien. M. de Montépin,
jusqu'ici, n'avait point connu pareille vogue, pas même il y a seize ou
dix-huit ans, lorsqu'il écrivait les _Viveurs de Paris_ et les _Filles
de plâtre_. Je crois même nie rappeler que les _Filles de plâtre_ lui
valurent une assignation devant la police correctionnelle. Aujourd'hui,
en ce temps d'_ordre_ et de _moralité_, les romans de M. de Montépin
montent aux nues. L'auteur est un aimable homme qui n'a d'autre tort que
de vouloir, de temps à autre, dire son mot dans la politique courante.
Quand il conte ces aventures extraordinaires, il amuse et il entraîne.
Au fond, cela lui suffit. Le public le suit, il est satisfait. Il ne
_politique_ que par aventure. Son rôle est d'inventer: il invente. Les
folles amours, les coups de couteau, les scandales à Bade, les espions
prussiens, les batailles de la Commune, les propos de boudoirs, tout se
coudoie dans la trilogie que M. de Montépin appela tout d'abord le _Mari
de Marguerite_. Je n'analyserai point ces pages. Leur succès a été
absolu, et si l'on n'avait abusé du mot, je dirais volontiers que c'est
un des signes du temps. Mais ne faut-il pas des rêves à tout le monde?
Pâture à liseurs, disait Petrus Corel en parlant de ses livres. Chacun
choisit le mets qui lui convient,--et cela n'empêche pas de rééditer
Corneille.

_La Célestine_, de Fernando de Rojas, traduite par M. Germond de Lavigne.
(Nouvelle collection Jannet.)--M. E. Picard continue avec succès la
publication de ses petits chefs-d'oeuvre littéraires faisant suite à la
collection Jannet. Les bibliophiles se disputeront également la
_collection rouge_, qui est l'ancienne, et la _collection bleue_, qui
est la nouvelle. Sous cette dernière forme, les oeuvres de Rabelais vont
être tantôt achevées, et M. André Lefèvre vient de donner une édition
des _Lettres persanes_, de Montesquieu, qui pourrait bien être
définitive. Aujourd'hui, M. Germond de Lavigne, si compétent en ce qui
touche la littérature espagnole, publie, dans cette même collection, une
traduction de la Célestine, ce roman dialogué d'un intérêt si puissant
et d'un charme si particulier qui date, s'il vous plaît, du XVe
siècle,--de 1492,--et qui semble comme la source où Calderon et Pope
puisèrent leurs drames ensoleillés et entraînants.

Moratin avait raison d'appeler _la Célestine_ une _nouvelle dramatique_.
Ce n'est que cela, en effet; mais cette nouvelle est inimitable. Il y a
de tout, dans ce conte, de la morale et de la poésie, des aventures
d'amour, des leçons tragiques, des séductions et des drames. Le type du
prodigue Calixte est peint de main de maître, et le profil de la
Célestine, une proche parente de la Macette de Régnier, est inoubliable.
L'homme qui écrivit cette sorte de drame, Fernando de Rojas, était un de
ces artistes rares et puissants que les littérateurs nomment d'un grand
nom, les précurseurs.

M. Germond de Lavigne a traduit la Célestine avec ce talent qui lui
valut, il y a quelques années, les éloges de Charles Nodier. Il n'a pas
essayé, dit-il, de reforger les endroits scandaleux qui pouvaient
offenser les religieuses oreilles, et il a bien fait. Sa traduction y
gagne d'être une oeuvre d'art à travers laquelle on saisit toute la
couleur, tout l'éclat du style castillan.

Jules Claretie.



[Illustration: LES FUYARDS A LA PORTE DE BALAN. Gravure extraite de la
_Guerre de_ 1870-71, par A. Wachter. (E. Lachaud, éditeur.)]

LA GUERRE DE 1870-71
Histoire politique et militaire
PAR A. WACHTER



Au moment où les débats du procès Bazaine remettent en lumière les
tristes péripéties de la dernière guerre et les causes de nos désastres,
nous croyons devoir appeler l'attention de nos lecteurs sur un ouvrage
que nous avons déjà signalé lors de son apparition: nous voulons parler
de l'_Histoire de la guerre de_ 1870-71 de M. Wachter, éditée par la
librairie Lachaud. Parmi les innombrables publications qui se sont
succédé sur ce sujet depuis trois ans, celle-ci est l'une des plus
complètes, des plus intéressantes et des mieux à la portée du public.
Les connaissances spéciales de M. Wachter ont fait de lui, depuis
longtemps, un de nos écrivains militaires les plus justement estimés;
une étude approfondie des opérations stratégiques qu'il a suivies sur le
terrain même et une lecture attentive des documents allemands qu'il a
consultés dans leur texte original, ont permis à M. Wachter de réunir
dans les deux volumes qui composent son travail, les renseignements les
plus exacts, les plus authentiques, et de les présenter d'une manière
plus méthodique et plus claire que dans la plupart des ouvrages du même
genre; ajoutons que le livre est richement illustré de dessins de M.
Darjou, l'habile artiste dont nos lecteurs connaissent trop bien le
talent, pour que nous ayons besoin d'en faire l'éloge. Les deux gravures
que nous avons publiées la semaine dernière sur la bataille de
Rezonville et les carrières du Caveau étaient extraites du beau livre de
MM. Wachter et Darjou; celle que nous reproduisons aujourd'hui un
nouveau spécimen de ces illustrations, qui sont le vivant commentaire du
texte de M. Wachter.

L'Exposition universelle de Vienne a fourni à l'_Illustration_
l'occasion d'affirmer une fois de plus cette supériorité hors ligne
qu'elle a depuis longtemps acquise sur toutes les publications
analogues. Comme en 1867, l'_Illustration_ avait exposé, outre ses
volumes et ses collections, une série de spécimens permettant de suivre
pas à pas les opérations si compliquées de la gravure et ces procédés
grâce auxquels nous arrivons à donner au public la représentation des
faits d'actualité presque aussi vite que la presse quotidienne où donne
le récit. Cette exposition a particulièrement attiré l'attention du jury
international, qui a décerné à l'_Illustration_ une _médaille de
mérite_, la plus haute récompense après la grande médaille d'honneur.

Cette distinction est, croyons-nous, la seule du même genre qui ait été
obtenue par un journal illustré; nous sommes heureux d'en faire part à
nos lecteurs; ils y verront une preuve nouvelle des efforts-incessants
qui a valu à l'_Illustration_ la légitime réputation dont elle jouit
dans le monde entier.



[Illustration: nouveau rébus.]

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

Même en 999, à l'approche de l'an mille, on ne vit point aller autant en
pèlerinage.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 1605, 29 novembre 1873" ***

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