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Title: L'Illustration, No. 1600, 25 octobre 1873
Author: Various
Language: French
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L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL

31e Année.--VOL. LXII.--Nº 1600
SAMEDI 25 OCTOBRE 1873



[Illustration.]

Prix du numéro: 75 centimes
La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel,
broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.

Abonnements
Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois,
18 fr.;--un an, 36 fr.; Étranger, le port en sus.



SOMMAIRE

_Texte_: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert
Audebrand.--Nos gravures.--Bulletin bibliographique.--Panorama de la
journée de Spickeren, 6 août 1870.--La Soeur perdue, une histoire du
Gran Chaco (suite), par M. Mayne Reid.--Les Théâtres.--Scènes de la vie
des bêtes (IV), des Abeilles.--L'esprit de Parti (suite).--Exposition
universelle de Vienne: les cloisonnés de MM. Christofle et Comp.

_Gravures_: M. Lucien Brun et M. Chesnelong, députés à l'Assemblée
nationale.--Paris: le nouveau théâtre de la
Porte-Saint-Martin.--L'astronome Donati.--Événements d'Espagne; la
frégate insurgée _Numancia_ coulant le
Ferdinand-el-Cattolico.--Démolition du palais des Tuileries: vue prise
du jardin. Procès du maréchal Bazaine: panorama de la bataille de
Spickeren.--La soeur perdue (4 gravures).--L'armurier, d'après le
tableau de M, Jacomin.--Exposition universelle de Vienne: objets
d'orfèvrerie exposés par la maison Christofle et Comp.--Rébus.



[Illustration: M. LUCIEN BRUN Député à l'Assemblée nationale.
M. CHESNELONG Député à l'Assemblée nationale.]
D'après les photographies de M. Franck.



HISTOIRE DE LA SEMAINE

FRANCE

La monarchie est faite!--C'est par ces mots, imprimés en gros caractères
en tête de ses colonnes, que, dès vendredi dernier, le _Figaro_
annonçait le résultat des pourparlers engagés à Salzbourg, entre le
comte de Chambord et les deux nouveaux délégués de la droite, MM.
Chesnelong et Lucien Brun. Et à l'appui de cette affirmation, le
_Figaro_ donnait comme positifs les bruits qui avaient commencé à se
répandre depuis la veille à ce sujet: Henri V acceptait le drapeau
tricolore; il laissait l'Assemblée maîtresse de régler à son gré les
conditions de la Restauration. À vrai dire, ces nouvelles étaient
prématurées, ou du moins elles étaient données sous une forme trop
catégorique; c'est du moins ce que s'efforcèrent, dès le soir même,
d'établir les journaux légitimistes qui, tout en reconnaissant la
réalité de l'accord survenu entre les groupes monarchiques et le roi,
déclaraient en même temps, avec insistance, que ce dernier n'avait eu à
faire aucune concession, qu'il restait ce qu'il avait toujours été, et
qu'à l'égard du drapeau, notamment, son initiative demeurait intacte.
Malgré ces réserves un peu ambiguës, il n'en restait pas moins acquis
que la solution monarchique était arrivée à son terme, et le _Journal
des Débats_ lui-même, assez hésitant jusque-là, se rangeait à son tour
au nombre des nouveaux convertis. Quoiqu'il en soit, on en était
toujours réduit aux conjectures et aux on-dit sur les conditions
précises à présenter à l'Assemblée; la réunion de la droite et du centre
droit, tenue jeudi à Versailles, et où M. Chesnelong est venu rendre
compte lui-même de sa mission, a mis un terme à ces incertitudes, et
nous croyons devoir emprunter au texte même du compte rendu de cette
importante réunion, les éclaircissements que le public, attendait avec
impatience.

C'est M. le duc d'Audiffret-Pasquier, président du centre droit, qui a
fait part aux députés appartenant à cette fraction parlementaire de la
proposition à soumettre à l'Assemblée à sa rentrée.

Cette résolution se compose de plusieurs articles. L'Assemblée nationale
déclarerait que la monarchie nationale héréditaire et constitutionnelle
est le gouvernement de la France et appellerait au trône le comte de
Chambord, et après lui les princes de la maison de Bourbon, ses
héritiers.

Toutes les garanties qui constituent le droit public actuel des Français
seraient en même temps déclarées maintenues: l'égalité de tous les
citoyens devant la loi, l'admissibilité à tous les emplois civils et
militaires, la liberté religieuse, l'égale protection actuellement
accordée à tous les cultes, le vote annuel de l'impôt par les
représentants du pays.

Le gouvernement du roi présenterait en outre à l'Assemblée des lois
constitutionnelles ayant pour but l'organisation des grands pouvoirs
publics et l'exercice de la responsabilité ministérielle. Telles sont,
ajoute M. le président, les déclarations qui accompagneraient le
rétablissement de la monarchie héréditaire et qui formeraient le contrat
entre le roi et la nation.

Enfin, le drapeau tricolore est maintenu; il ne pourra y être apporté de
modifications que par l'accord du roi et de la représentation nationale.

Les délégués du centre droit ont dû insister sur ce point. Il n'était
pas possible de laisser planer l'incertitude sur la couleur du drapeau.
Cette grave question se trouve en même temps élevée à la hauteur d'une
question législative. Le roi conserve à cet égard son initiative, comme
sur toutes les autres questions. Mais aucune modification ne peut être
apportée au drapeau tricolore que par son accord avec les représentants
du pays.

M. le président ajoute en terminant qu'à ses yeux l'hésitation n'est
plus possible; que l'expérience de la république conservatrice a échoué
et que le parti conservateur offre au pays la monarchie
constitutionnelle, avant à sa tête la maison de France réconciliée.
Quant à lui, il ne doute pas de la victoire.

A la suite de ce discours, M. le président consulte la réunion sur la
question de savoir si elle approuve la conduite tenue par les délégués
de son bureau. Cette approbation et une motion de remerciements au
bureau présentée par plusieurs membres sont mises aux voix et adoptées à
l'unanimité.

La réunion adopte ensuite successivement, sous la réserve de quelques
modifications de rédaction à proposer aux autres réunions, les trois
articles de la proposition destinée à être soumise à l'Assemblée.
L'ensemble de ces propositions est également mis aux voix et adopté à
l'unanimité.

M. le président croit devoir rappeler aux membres du centre droit qu'il
compte dans le sein du centre gauche des collègues conservateurs, dont
beaucoup affirment publiquement qu'ils sont eux-mêmes en théorie
partisans de la monarchie constitutionnelle.

Devant cette communauté de sentiments, ne devons-nous pas croire que,
s'il s'est produit des divergences, elles sont dues surtout à des
malentendus, ou tout au moins à des défauts d'entente, et n'y aurait-il
pas à la fois un manque de procédés à tenir plus longtemps ses collègues
du centre gauche dans l'ignorance du détail des propositions que nous
comptons soumettre à l'Assemblée, et dont ils ne pourront prendre
connaissance sans y trouver une satisfaction pour tous leurs principes,
et une réponse à tous leurs scrupules?

Sur la proposition de plusieurs membres, la réunion délègue aux membres
de son bureau de se concerter, suivant la forme qu'ils jugeront
opportune, avec leurs collègues du centre gauche. La réunion aborde
ensuite la question de savoir s'il ne convenait pas de procéder à une
convocation anticipée de l'Assemblée. Après un échange d'observations
auxquelles prennent part MM. Plichon, général Ducrot, Clément, Laurier,
de Chabrol, Dupont, Joubert, Lechâtelain et plusieurs autres membres, la
réunion se prononce en faveur de l'affirmative.

M. Chesnelong dit qu'il ne peut laisser la réunion se terminer sans
donner à ses collègues quelques renseignements personnels sur la mission
qu'il a eu l'honneur de remplir auprès de M. le comte de Chambord.

Deux questions avaient occupé la commission des Neuf, dans le cours de
ses travaux: la question des garanties constitutionnelles et celle du
drapeau.

Sur la question des garanties constitutionnelles, l'orateur peut dire
qu'il a enfoncé une porte ouverte, car le roi était disposé par avance à
la plus complète harmonie de sentiments avec les membres libéraux de
l'Assemblée et du pays.

M. Chesnelong, communiquant à M. le comte de Chambord les pensées de la
commission des Neuf, a exposé qu'il y avait deux principes à
sauvegarder. Il fallait reconnaître le droit royal héréditaire: mais,
d'autre part, la Charte à intervenir étant un pacte entre le roi et le
pays, la nature du pacte implique nécessairement un accord qui ne
saurait résulter d'une Charte octroyée ou imposée, mais d'une Charte
délibérée et acceptée par les mandataires du pays.

La réponse de M. le comte de Chambord a été que tels avaient été
toujours ses principes, et que, quant à lui, il ne comprenait pas plus
de Charte faite par le roi sans le pays, que de Charte faite par le pays
sans le roi.

M. Chesnelong a ajouté que l'intention des députés monarchistes était de
bien préciser dans l'acte qui rétablirait la monarchie quel serait le
caractère de cette monarchie, qu'il importait de répondre à des
préoccupations assurément étrangères à ceux qui connaissent l'esprit
libéral du roi et qui avaient lu les déclarations si importantes
contenues depuis 1836 dans sa correspondance, mais que des calomnies
n'en étaient pas moins colportées, et qu'il convenait d'insérer dans
l'acte même par lequel la monarchie serait rétablie, les principes
fondamentaux de notre droit publie, afin d'indiquer que pour l'avenir on
entendait les lever en dehors de toute contestation.

M. Chesnelong a indiqué chacun de ces principes, formulés dans les
propositions dont M. le président a donné lecture et auxquelles le
centre droit vient de donner son approbation; il tient à dire qu'aucune
objection n'a été formulée par M. le comte de Chambord, ni sur le mode
de procéder, ni sur l'insertion de ces divers points, ni sur aucun point
en particulier.

L'accord était donc complet, absolu, entre les idées de M. le comte de
Chambord et celles de la France libérale.

Restait la question du drapeau, qui a donné lieu à deux conférences dont
M. Chesnelong retrace les détails en citant autant que possible les
paroles mêmes de M. le comte de Chambord.

M. le comte de Chambord aurait dit notamment «qu'il n'avait l'intention
d'offenser ni son pays ni le drapeau de son pays; qu'il n'était étranger
ni aux gloires que la France avait acquises sous ce drapeau, ni aux
douleurs qu'elle avait subies; que puisque le drapeau tricolore était le
drapeau légal, si les troupes devaient le saluer à son entrée en France,
il saluerait lui-même le drapeau teint du sang de nos soldats.»

M. le comte de Chambord aurait ajouté qu'il proposerait au pays, par
l'entremise de ses représentants, une transaction compatible avec son
honneur et qu'il croyait de nature à satisfaire à la fois l'Assemblée et
le pays.

C'est à la suite de ces conférences que les délégués de la droite
présents à Salzbourg ont déclaré à M. Chesnelong qu'ils adhéraient en
leur nom et au nom de leurs amis à la rédaction préalablement arrêtée
par la commission des Neuf, et aux termes de laquelle le drapeau
tricolore était maintenu.

Le compte rendu de l'honorable M. Chesnelong, plusieurs fois interrompu
par d'unanimes applaudissements, s'est terminé au milieu des marques
d'assentiment de toute l'Assemblée.

Tandis que le centre droit était réuni, le groupe parlementaire connu
sous le nom de Réunion des Réservoirs tenait séance sous la présidence
de M. de Larcy, qui donnait à l'Assemblée connaissance des projets de
résolutions résumés plus haut et qui obtenaient une approbation unanime.

A la fin de la séance, le bureau du centre droit, sous la présidence de
M. le duc d'Audiffret-Pasquier, est venu communiquer à la droite le
résultat de ses délibérations. L'accord le plus cordial entre les deux
réunions s'est manifesté sur tous les points par les applaudissements
qui ont accueilli les paroles de leurs deux présidents.

La réunion du centre droit s'étant terminée plus tôt que celle de la
droite, les membres de la première de ces réunions se sont rendus dans
la seconde.

Par une singulière coïncidence, on a remarqué que le nombre des députés
qui assistaient à chacune des deux réunions était à très-peu de chose
près le même. On comptait en effet au centre droit cinquante-cinq
membres présents; aux Réservoirs, il y en avait cinquante et un.

La question relative à la convocation anticipée de la Chambre a été
l'objet d'une discussion assez longue dans les deux groupes
parlementaires de la droite.

D'une part, la réunion des Réservoirs, après avoir entendu MM. Depeyre,
Fresneau, Pagès-Duport et le duc de la Rochefoucauld, partisans de la
convocation immédiate, et MM. Merveilleux-Duvignaux, Baragnon et
Ferdinand Boyer, opposés à cette mesure, a décidé, à une très-faible
majorité, il est vrai, qu'il n'y avait pas lieu de réunir l'Assemblée
avant le 5 novembre.

D'autre part, le centre droit, également à une très-faible majorité,
s'est prononcé dans un sens opposé, c'est-à-dire en faveur de la
convocation anticipée.

En présence de la division à peu près égale qui règne parmi les députés
de la droite en ce qui concerne l'opportunité de convoquer la Chambre
avant le 5 novembre, on a résolu de laisser à la commission des Neuf le
soin d'étudier ce qu'il convenait de faire.

A l'heure où nous écrivons, la commission des Neuf doit avoir saisi de
sa détermination la Commission de permanence, qui décidera la question
de savoir si, comme c'est probable, l'Assemblée nationale sera convoquée
pour lundi prochain, 27 courant. On assure que le nombre des députés qui
ont promis de voter pour la restauration monarchique s'élèverait dès à
présent à 303. Signalons, en terminant, une nouvelle mise en circulation
depuis quelques jours et qui serait de nature à rallier un certain
nombre de votes indécis: le maréchal de Mac-Mahon aurait déclaré que,
quel que fut le résultat de la lutte qui va s'ouvrir, il se démettrait
de ses fonctions, de sorte que, comme on l'a fait remarquer, le pays
aurait ainsi à choisir non plus entre la monarchie et la république,
mais entre la monarchie et l'anarchie. Les feuilles républicaines
s'élèvent avec énergie contre la mise en circulation de cette nouvelle,
qu'elles dénoncent comme une manoeuvre de la dernière heure et dont
l'authenticité n'est pas encore absolument démontrée jusqu'à présent.
Quoi qu'il en soit, l'heure de la crise suprême est près de sonner, et
la France entière en attend avec anxiété le dénouement.



COURRIER DE PARIS

Réjouissons-nous. La question des huîtres vient de faire un grand
pas.--Il y avait donc une question des huîtres?--Sans aucun doute.
Celle-là était même une question corsée et succulente, mille fois plus
digne d'intéresser le sage que les questions politiques au nom
desquelles tant de fous sont aujourd'hui sur le point de se prendre à la
gorge ou de se manger le nez. Depuis dix ans, les huîtres étaient hors
de prix, celles de Cancale aussi bien que celles d'Ostende. Il n'y avait
plus moyen de les aborder, à moins d'avoir un diamant dans sa bourse.
Une légende racontait qu'il s'était formé à ce sujet je ne sais quelle
conjuration secrète, taillée sur le patron de ce fameux Pacte de famine
qui a été comme la préface de la première Révolution. Des spéculateurs
sans entrailles accaparaient les huîtres dès leur bas âge; ils les
vendaient ce qu'ils voulaient. Déjà le prix de la douzaine courait,
bride abattue, sur le chiffre de trois francs. Le Caveau avait pris le
deuil; Paris en était devenu triste.

Des amis de la santé publique ont imaginé de percer à jour la
conspiration, à l'aide d'un expédient d'un goût tout moderne. Ils ont
demandé pour l'huître ce qu'on a obtenu depuis longtemps pour les
oeuvres d'art, la vente aux enchères. Et leur demande a été entendue. A
dater de samedi dernier, la vente à la criée a été appliquée aux
huîtres, vrai et incontestable bienfait qui a eu pour conséquence
immédiate une baisse considérable dans le prix des divins mollusques.
Les prix n'ont pas dépassé trois francs le cent, ce que coûtait déjà
douzaine. Ce grand événement a eu lieu au parc, rue Berger. Je ne sais
pas le nom du beau génie qui a eu cette idée féconde; mais au gré de
tous les gastronomes, celui-là mérite une statue formée d'écailles.

Voici un quatrain qu'on a fait circuler un peu partout, cette semaine.
Je ne sais d'où il vient.--Est-ce en raison de ce qui se passe dans les
hautes régions politiques qu'il a été fait?--Je ne sais.--Un quatrain,
ça toujours été peu de chose.--Lisez celui-là et passez.

        «--Arrête ici!--Non pas!--Arrête!»--Et les voilà
        Guerroyant. On se rogne, et puis la main se lasse.
        On parlemente, on fait la paix et l'on s'embrasse.
        --Peut-être eût-on bien fait de commencer par là.

Au fait, puisque j'y suis, pourquoi n'en citerais-je pas un
autre?--Celui-là vient d'un de nos confrères auquel on fait le reproche
d'être trop gris en écrivant; entendons-nous bien, de faire une prose
sans ornement ni sans mouvements lyriques:

        L'Alouette disait: «Tu n'es, ô Rossignol,
                «Qu'un musicien d'entre-sol.
        Pour moi, j'aime à me perdre, en chantant, dans la nue.
        --Aussi n'êtes-vous pas toujours bien entendue. »

Il paraît qu'il devient de plus en plus difficile de loger cette fresque
de la Magliana dont on a tant parlé, il y a trois mois. Chose
incroyable, nos musées se renvoient, à l'envi, cette oeuvre de Raphaël
comme on le fait d'ordinaire pour un volant frappé par des raquettes. Il
avait d'abord été convenu qu'on remiserait le morceau à l'École des
Beaux-Arts, résidence naturelle d'un chef-d'oeuvre. Bon? L'École a dit:
«Voilà l'exposition des prix de Rome qui arrive. Il n'y a pas de place
pour vous ici. Fresque, sortez!» La fresque est alors allée au Louvre,
mais pour quelques jours seulement. Notre vieux Louvre, qui est de fort
mauvaise humeur depuis qu'il a été à demi-brûlé par les jolis messieurs
de la Commune, n'a entr'ouvert ses portes qu'en grognant. Il prétexte à
son tour du peu d'espace dont il dispose. Où aller? Où ne pas aller? On
a bien parlé du palais de Versailles. Oui, vraiment, l'heure serait bien
choisie. Pour le quart-d'heure, le palais de Louis XIV n'est plus qu'une
officine où toutes les sorcières de la politique font bouillir leurs
herbes et leurs maléfices en vue de donner une couronne ou de la briser.
Croyez qu'un tronçon de muraille sur lequel le rival de Michel-Ange a
promené jadis son pinceau tomberait assez mal au moment de ces
opérations chimiques. Il a donc fallu s'arrêter à la pensée d'une autre
résidence. C'est pourquoi la fresque malencontreuse vient d'être
emballée pour le Luxembourg, ce beau palais, toujours trop dédaigné, qui
ressemble tout à la lois à une prison et à un cimetière. Notez que tout
ne sera pas fini pour la fille de Raphaël. Il lui faut une installation
définitive, un travail de maçonnerie, évalué, au bas mot, à trois mille
francs. Or, il n'y a pas un centime de voté pour cet objet. Allez donc
demander en ce moment à l'Assemblée nationale un crédit de mille écus
pour une peinture qui vient de l'Italie de la Renaissance, et vous
verrez comme elle vous rembarrera!

Cette pauvre fresque, déjà tant honnie par la presse, tant malmenée à la
tribune, jetée à la porte par ici, rudoyée par là, c'est, à peu de chose
près, le conte arabe des pantoufles d'Abou-Cazemb. Ces pantoufles, un
vieil habitant de Bagdad les a perdues. Grand malheur pour lui, plus
grand malheur pour les autres. Une vieille les repousse dans le
laboratoire d'un chimiste où elles cassent des fioles précieuses; le
chimiste les jette dans un jardin où elles tuent un enfant qui joue à
terre; le jardinier les balaye avec horreur chez le voisin où elles
causent un incendie. Bagdad n'a de paix que lorsqu'elles sont changées
en une poignée de cendres. Il faut bien espérer pourtant qu'en ce qui
concerne la fresque de la Magliana, on ne poussera pas l'analogie
jusqu'au bout. Nous avons eu assez d'incendies comme ça.

Une histoire tout à fait parisienne, comme vous allez le voir.

Tout à l'heure, à propos du commerce des huîtres, je vous parlais de
grandes fortunes rapidement faites, Mlle ZZZ a quitté le théâtre, il y a
une quinzaine d'années, non pour se livrer à l'ostréiculture, mais pour
se jeter dans la chimie appliquée à la toilette des femmes. Elle y a
réussi au delà de toute expression et même jusqu'à gagner 200,000 francs
par an, ce qui est un joli jeton. A l'heure qu'il est, l'ancienne
actrice a maison montée sur le même pied qu'une duchesse du faubourg
Saint-Germain. Il lui restait pourtant un seul point à poser, une
écurie, un palefrenier, un cocher, des chevaux, un huit-ressorts. Tout
cet attirail a été acheté la semaine dernière.

Mardi matin, comme il faisait un beau soleil, Mlle ZZZ se dit:

--Voilà le temps qu'il faut pour faire débuter mon huit-ressorts.

Voiture, chevaux, harnais et cocher, entièrement neufs, le tout était
venu se placer, dans la cour de l'hôtel, sous les fenêtres de l'ancienne
artiste pour obtenir le suffrage de son admiration. Après avoir fait une
splendide toilette, la maîtresse de la maison s'élança sur le marchepied
et dit au cocher:

--Nous allons voir où en est le nouvel Hippodrome d'Auteuil.

Le cocher,--un des types les plus majestueux de l'espèce,--répondit
flegmatiquement:

--C'est impossible.

--Comment ça?

--Je croyais que madame montait dans la voiture pour essayer les
coussins en pleine cour; mais sortir, aller au bois, ça ne se peut pas.

--Pourquoi? demande Mlle ZZZ, très-surprise de cette réponse.

--Parce je ne suis pas en état de paraître dehors, reprit le cocher. Mon
costume n'est pas complet.

--Que vous manque-t-il donc? Vous avez une livrée superbe et qui fait
mal aux yeux tant les galons reluisent au soleil!

--- Ah! oui, je sais! Les cochers du bon genre portent sous leur
tricorne une petite perruque blanche. Style aristocratique. Vous en
aurez une demain.

--Bon! Alors, demain nous sortirons. Mais conduire une si belle voiture,
de si beaux chevaux et paraître au bois sans perruque, ce serait me
perdre de réputation. Plutôt que d'y consentir, je demanderais
sur-le-champ mon congé.

Il n'y eut pas moyen d'en faire démordre ce galant homme, inflexible sur
le point d'honneur.

--Eh bien! lui dit Mlle ZZZ, en lui tendant un billet de Banque, allez
donc bien vite acheter votre perruque.

--Impossible que je quitte mes chevaux.

--Je vais envoyer le valet de pied chez le perruquier le plus voisin.

--D'abord, ces perruques-là ne se vendent pas chez les perruquiers! on
n'en trouve que chez deux ou trois chapeliers qui fournissent les
grandes maisons; et puis, le valet de pied est un butor, un garçon qui
s'occupe de politique et qui, par conséquent, ferait la commission tout
de travers.

--Eh bien! j'irai donc moi-même, dit Mlle ZZZ.

Et descendant philosophiquement de son splendide équipage, elle monta
dans une humble citadine et se fit conduire dans un des magasins que le
cocher lui avait indiqués. Une heure après, elle rapportait la perruque
demandée, une charmante petite perruque en poils de chèvre blancs comme
la neige, à rouleaux soigneusement bouclés. Le cocher la prit, la
coiffa, prit les rênes et conduisit ensuite sa maîtresse, non sans
quelque orgueil, au nouvel Hippodrome d'Auteuil.

La morale de ce trait, c'est, d'abord, que les domestiques s'en vont de
plus en plus; et, en second lieu, que les maîtres d'autrefois se font
les domestiques de leurs domestiques.

Encore un mot, en passant, sur l'Homme-Chien. J'ai vu ce monstre. C'est
un homme. Originairement il était simple paysan, né dans la
Basse-Russie. Par suite d'une étrange distraction de la nature, il est
venu au monde avec autant de poils sur tous les traits de la figure que
les autres chiens en ont sur le dos. De là le nom qu'on lui a donné. Un
jeune Russe qui s'occupe de littérature, le prince Lubomirski, lui a
demandé devant nous pourquoi il avait quitté le pays de ses pères, et
l'Homme-Chien, parlant très-nettement la langue de Pierre-le-Grand, lui
a répondu:

--En me voyant ainsi velu, les autres paysans, mes voisins, mes
camarades, se moquaient sans cesse de moi. On m'a blessé. Je me suis
enfui. Un savant a fait ma rencontre. Il me promène depuis lors, à
travers l'Europe, où il me montre aux populations étonnées, en qualité
de phénomène.

Presque au même instant, on annonçait une députation de l'Institut
(section de l'Académie des Sciences), qui venait pour étudier le
personnage.

Un hejduque a répondu aux savants.

--Ces messieurs sont priés de repasser dans une demi-heure, attendu que
le phénomène est en train de fumer sa pipe.

Les héritiers d'un sénateur, récemment mort, viennent de faire vendre
les livres, les estampes, les journaux et les vieux papiers de leur
collatéral.

Dans une liasse d'autographes, mise à part, on a trouvé trois lettres
intimes de Béranger, trois lettres inédites, bien entendu. Il en est
deux sur les trois qui, se rapportant à des affaires de famille, ne
seront jamais publiées. L'autre, qui regarde un peu les choses et les
hommes du temps, pourrait servir d'annexe à la Correspondance du vieux
poète, jadis rassemblée par Perrotin. On y voit, entre autres passages,
ce curieux alinéa, arrangé en _Confiteor._

«Autrefois, quand j'étais inconnu, je cherchais follement à devenir
célèbre. Plus tard, quand j'ai été célèbre, j'ai cherché à redevenir
obscur et j'ai été souvent assez heureux pour réussir à l'être.»

Ces cinq ou six lignes éclairent pleinement les dernières années de la
vie de ce chansonnier qui ayant pu être tout n'a jamais voulu rien être.

En 1849, un jour, en janvier, Victor Hugo, sortant de l'Institut et se
rendant à la Chambre, rencontra Béranger, le long des quais. On
s'aborda, on se salua, on se serra les mains.

--D'où venez-vous donc? demanda le chansonnier, qui, n'étant pas de
l'Académie, ignorait les jours de séance.

--D'un lieu, répondit le poète des _Orientales_, où vous auriez du
entrer depuis longtemps.

--Et où allez-vous?

--En un lieu d'où vous n'auriez jamais dû sortir.

Béranger sourit, salua son illustre confrère et ne répondit rien.

Philibert Audebrand.



[PARIS.--Le Nouveau Théâtre de la Porte-Saint-Martin.]



NOS GRAVURES

L'astronome Donati

L'année dernière, à pareille époque, j'assistais à l'inauguration du
nouvel observatoire de Florence, établi sur la colline d'Arcetri par les
soins de Donati. C'était une fête tout intellectuelle, qui se passait
sur la colline même où Galilée a vécu si longtemps, et d'où il a répandu
sur le monde la lumière de l'astronomie régénérée. Mais par un de ces
douloureux caprices du destin, le fondateur de ce nouvel établissement
scientifique devait précisément manquer à la fête. La veille même de
l'inauguration, je venais de le quitter sain et sauf au palais Pitti,
lorsqu'en descendant l'escalier du musée il fit un faux pas et se brisa
la jambe! L'inauguration se passa sans lui, et après la cérémonie nous
lui portâmes à signer le parchemin, revêtu de la signature de tous les
astronomes présents, italiens et étrangers, qui devait être enterré dans
les fondations du nouvel édifice. Du moins espérait-il que, délivré des
conséquences de cet accident, il pourrait installer lui-même son nouvel
observatoire dans les conditions tracées par lui-même, et le munir
principalement des instruments nécessaires à l'astronomie physique, dont
les rapides progrès resteront la gloire de notre siècle. Hélas! la mort
vient de le surprendre, presque subitement, et de l'enlever à l'âge de
quarante-sept ans, dans la force de l'âge.

[Illustration: L'ASTRONOME DONATI.]

Désigné par son gouvernement pour représenter l'Italie au congrès des
météorologistes de toutes les nations, qui s'est réuni à Vienne le 1er
septembre, c'est dans cette ville qu'il prit les premiers germes du mal
terrible qui devait l'emporter. Parti souffrant, lorsque le congrès eût
terminé ses séances, il négligea de se soigner, fit en trente-six heures
le trajet de Vienne à Florence, pour laisser moins longtemps sans chef
l'observatoire d'Arcetri, et le surlendemain de son retour, il était
enlevé à l'affection et à l'estime de ses concitoyens par le choléra.

Donati est surtout connu dans le monde par la comète qui porte son nom,
par la grande comète de 1858, que toute l'Europe a admirée, et qui
conservera dans les annales de l'astronomie le nom du patient
observateur qui l'a découverte. Mais sa place restera marquée dans
l'histoire des sciences par les progrès qu'il a su imprimer aux
différentes branches de l'astronomie auxquelles il s'adonnait avec une
prédilection toute particulière. L'_analyse spectrale_ lui a dû une
féconde impulsion. On sait que cette nouvelle branche de la science nous
fait connaître la constitution chimique du soleil et des étoiles par
l'examen de leur lumière: C'est par elle que nous avons su que l'astre
du jour est entouré d'une atmosphère ardente dans le sein de laquelle
brûlent les vapeurs métalliques du fer, du magnésium, du sodium, de
l'hydrogène, etc., que telles étoiles offrent en prédominance le spectre
de l'azote, d'autres celui du carbone, et que nous avons pu classer les
astres du ciel par ordre de structure et de composition chimique, comme
des échantillons de minéralogie. Or, dès 1860, Donati publiait dans le
_Nuovo Cimento_, ses premiers travaux sur les raies des spectres
stellaires. Il est donc un des premiers qui ait appliqué la
spectroscopie aux questions célestes. Aussi, lorsque se fonda, en 1871,
la célèbre Société des spectroscopistes italiens, il en fut dès le début
un des membres les plus éminents, et le spectroscope à vingt-cinq
prismes qu'il avait imaginé, et qui se trouve en ce moment à
l'Exposition de Vienne, est un appareil très-remarquable. Cette Société
des spectroscopistes fait le plus grand honneur à l'Italie, et, sous la
direction du savant professeur Tacchini de Palerme, elle publie les plus
curieux travaux qu'on ait jamais faits sur le soleil.

[Illustration: ÉVÉNEMENTS D'ESPAGNE.--La frégate insurgée _Numancia_
coulant le _Fernando Cattolico_.]

Calculateur habile en même temps qu'observateur distingué, Donati
réunissait à un égal degré les aptitudes si distinctes de l'astronomie
mathématique et de l'astronomie physique. Il ne savait sans doute pas
les tables de logarithmes par coeur (comme l'Allemand Bruhns, qui les
sait de 1 à 1000); mais il calculait l'orbite d'une comète en quatre
heures, c'est-à-dire en trois fois moins de temps que n'en met un
calculateur habile. Au nouvel Observatoire de Florence, il avait déjà
installé une machine parallactique de dix pouces et demi d'ouverture, une
lunette méridienne de Repsold et un équatorial d'Ertell. Président de la
commission météorologique italienne, il centralisait chaque jour à
Florence les observations faites sur toute la péninsule.

Jean-Baptiste Donati était né à Pise, le 26 décembre 1826. Il était
directeur de l'Observatoire de Florence depuis la mort d'Amici, arrivée
en 1864.

L'astronomie n'a pas de patrie. Tous les astronomes sentent la perte
qu'ils viennent de faire. Ses collègues de Florence doivent éprouver un
vide plus grand encore.

Nous reproduisons ici pour nos lecteurs le portrait de notre illustre et
bienveillant ami, à l'aide de la photographie qu'il nous avait offerte
pendant notre dernier voyage en Italie. C'était une figure douce et
calme, reflétant la tranquillité d'esprit d'une âme accoutumée à
contempler les cieux et à scruter leurs mystères.

Camille Flammarion.


MM. Lucien Brun et Chesnelong

Ces deux députés ont été les héros de la semaine. Aussi donnons-nous
leurs portraits en tête de ce numéro. C'était bien le moins que nous
puissions faire pour ces autres argonautes, retour de Salzbourg, d'où
ils ont rapporté de compagnie, prétend-on, la toison d'or de la
monarchie légitime.

M. Lucien Brun, qui était entré le premier en campagne, est l'un des
sept députés du département de l'Ain. Il a été élu le 8 février 1871,
par 41,505 voix. C'est un avocat de Lyon, une des voix éloquentes de la
droite, sur les bancs de laquelle il a fait ses débuts politiques. C'est
dire qu'il est légitimiste et de plus clérical. Ajoutons qu'il rend
très-bien à la tribune, avec son visage pâle encadré de cheveux noirs,
sa voix sonore, sa facile élocution. C'est l'enfant chéri de la
Congrégation, qui a facilité et soutenu ses premiers pas au barreau, et
qui, comme on le voit, n'a pas semé dans une terre ingrate.

Voici le relevé des votes de M. Lucien Brun.

Il a voté pour: la paix, la pétition des évêques, le pouvoir constituant
de l'Assemblée, la réduction du service militaire à trois ans, la loi
contre la municipalité lyonnaise, le renversement de M. Thiers et sa
démission, la circulaire Pascal, le bill de confiance au gouvernement du
21 mai, la loi Ernoul et l'église Montmartre. Il a voté contre: le
retour à Paris, la dissolution et la liberté des enterrements civils.

S'il est inutile d'ajouter que M. Lucien Brun a été de tous les
pèlerinages, il ne sera peut-être pas mal à propos de rappeler cette
parole qu'il prononçait à la tribune de l'Assemblée nationale, moins
d'un an avant son voyage d'Allemagne: «Personne ici ne songe à fonder
une dynastie.» On le voit bien.

Toutefois, il semble que M. Lucien Brun, quelque bien armé qu'il fût,
n'ait pas su, seul, mener à bonne fin le travail d'Hercule, puisque nous
le voyons, par un télégramme du 13 octobre, appeler M. Chesnelong à la
rescousse.

M. Chesnelong, lui, n'a pas débuté dans la carrière avec l'année
terrible. Il a des antécédents politiques. Cet honorable négociant, âgé
de cinquante-trois ans, plus clérical si c'est possible que M. Lucien
Brun, a été député de l'empire de 1866 à 1870. Les électeurs du
département des Basses-Pyrénées l'ont envoyé siéger neuvième à
Versailles, le 7 janvier 1872 seulement, par 40,668 suffrages. De ce
moment il s'est voué corps et âme à l'oeuvre de la fusion qui, c'est le
bruit du jour, grâce à son intervention, vient d'aboutir.

M. Chesnelong n'a eu qu'à paraître pour tout obtenir: garanties
constitutionnelles, libertés civiles, politiques, religieuses, drapeau
tricolore, tout enfin. C'est du moins M. Hervé qui le dit. La note de la
réunion des bureaux le dit également, avec cette toute petite
restriction, cette simple parenthèse: «L'initiative royale restant
d'ailleurs intacte.» Il est vrai que l'_Union_, combattant l'un et
commentant l'autre, dit de son côté: «Le roy ne peut faire aucune
concession parce qu'il est le roy.» Et plus loin: «Le droit monarchique
est l'accord du roy et du pays, du roy qui règne et gouverne, et du pays
qui exprime librement ses voeux.»

Mais si l'_Union_ dit vrai, et elle doit dire vrai, j'en atteste la
parenthèse de la note des bureaux, il y aurait alors beaucoup à rabattre
des triomphes remportés à Salzbourg par MM. Chesnelong et Lucien Brun.
Aller à la montagne est un piètre miracle qui ne me semble pas propre à
faire beaucoup de prosélytes. Et je m'engage, moi qui ne suis pas un
foudre d'éloquence, à toujours terrasser, mon adversaire, quand pour le
vaincre il ne s'agira que de lui dire: «Ah! vous n'en voulez pas
démordre, très-bien; alors je sais ce qu'il me reste à faire: je cède.»

En définitive si, ce qui n'est pas encore certain, l'oeuvre de la fusion
aboutit, il en aura été des garanties réclamées par le centre droit
comme de la femme marine de l'île de Cabalure, dont parle Lucien. Au
moment où il croit la saisir, elle disparaît et se change en eau. La
résistance du centre droit s'en sera allée en eau de boudin.

Louis Clodion.


Correspondance d'Espagne

Nous avons reçu au dernier moment une correspondance des plus complètes
et des plus intéressantes sur le combat naval livré dans les eaux de
Carthagène par les navires insurgés à l'escadre de l'amiral Lobo.
L'heure avancée à laquelle ces renseignements nous sont parvenus ne nous
a pas permis de les publier tous aujourd'hui, mais nous avons tenu à
reproduire dès à présent un croquis envoyé par notre correspondant sur
un fait qui s'est produit postérieurement à l'engagement et que le
télégraphe n'avait encore fait connaître qu'imparfaitement: nous voulons
parler de l'accident arrivé à un des navires insurgés, le
_Fernando-Cattolico_, qui revenant d'une expédition faite sur la côte, a
été coulé bas par la frégate cuirassée _Numancia._ C'est par suite d'une
fausse manoeuvre et non intentionnellement, comme on l'avait cru
d'abord, que la _Numancia_ a abordé le _Fernando-Cattolico_; ce dernier
navire, construit en bois, a été éventré par le choc de la frégate
cuirassée; il a sombré en quelques minutes et tout l'équipage a péri à
l'exception de cinq hommes seulement.


Démolition du palais des Tuileries

Depuis trois mois environ, dans la cour du château des Tuileries,
circule, au milieu des décombres, une armée d'ouvriers et de soldats du
génie.

C'est que depuis trois mois on s'occupe à jeter par terre les deux ailes
ajoutées au vieux château élevé par Philibert Delorme: celle du Sud,
bâtie par Ducerceau, celle du Nord, bâtie par L. Levau et François
Dorbay. Le pavillon de Marsan, donnant sur la rue de Rivoli, a été
également abattu pour être reconstruit sur le plan d'après lequel a été
réédifié, sur la fin du règne de Napoléon III, le pavillon de Flore, que
l'incendie de 1871 a heureusement épargné.

Ainsi dégagé, le château de Philibert Delorme, composé du pavillon de
l'horloge et des deux corps de bâtiments qui le flanquent à droite et à
gauche, reprendra sa physionomie primitive, car, d'après nos
informations, que nous avons lieu de croire exactes, les deux annexes
abattues qui le reliaient aux pavillons de Marsan et de Flore seront
remplacées par une simple colonnade. Cette heureuse innovation aura le
double avantage de rompre la monotonie de la longue ligne des anciens
bâtiments, qui rapetissaient les proportions de l'édifice, et d'ouvrir,
à droite et à gauche du château, des perspectives de verdure du côté de
la place du Carrousel, et d'architecture du côté du jardin.

Tous les amis de l'art ne peuvent manquer de battre des mains à cette
transformation.


Le nouveau théâtre de la Porte-Saint-Martin

Le dessin que nous donnons dans ce numéro nous dispense de décrire
longuement la façade du nouveau théâtre, qui est d'ailleurs aussi simple
qu'élégante. Elle est percée au rez-de-chaussée de cinq portes, dont
trois au centre donnent accès dans le vestibule. Quatre cariatides
séparent ces trois ouvertures et supportent un balcon de peu de saillie
sur lequel ouvrent trois baies, dont une porte-fenêtre avec attique,
qu'encadre un cintre dont la clef est un masque tragique.

L'entrée du théâtre est facile.

Seuls, les locataires des premières places pénètrent par le boulevard,
la direction ayant, pour éviter l'encombrement, installé rue de Bondy la
queue des petites places, et le bureau de distribution des billets pour
le parterre et pour les galeries et loges supérieures auxquelles conduit
un escalier spécial. Une fois dans le vestibule, un très-bel escalier
mène au premier étage, où se trouve le foyer, un peu petit, assez
richement décoré et ayant vue sur le boulevard.

La salle, blanc et or, est assez vaste. Sa profondeur est de 18 mètres,
sa largeur de 23, la hauteur de sa coupole de 20. MM. Lavastre et
Desplechin ont peint le plafond. Le lustre, très-grand, produit le plus
bel effet de lumière. On compte dans cette salle environ 300 fauteuils
d'orchestre et autant de places de stalles et de parterre. Les loges de
face, au nombre de vingt, contiennent chacune cinq places. Quant au
balcon, disons qu'il avance trop sur l'orchestre, masquant de beaucoup
de points la vue des loges et reléguant les baignoires dans une ombre
formidable. Ce sera la seule critique que nous adresserons au nouveau
théâtre, qui est l'oeuvre très-recommandable d'un architecte de talent,
M. de la Chardonnière.


L'armurier

Ce tableau que nous reproduisons représente l'intérieur d'un armurier au
XVIIe siècle.

L'armurier, qu'à son type il est facile de reconnaître pour un juif, est
assis en habit de travail devant son établi, et tient en main une épée,
qu'il examine d'un air attentif et connaisseur. Le client attend, assis
lui-même, en face du vieux maître, sur le bord d'un bahut. C'est un
jeune officier des mousquetaires du roi ou du cardinal, qui attache
évidemment la plus grande importance au résultat de cet examen, car il
en suit la marche avec un intérêt évident. Il va sans doute
prochainement entrer en campagne, ou il a sur les bras quelque affaire
d'honneur qu'il va lui falloir tout à l'heure régler.

L'atelier est encombré de tout le harnais de guerre du temps.

Cuirasses, brassards, cuissards, gorgerins, gantelets, baudriers
richement brodés, larges chapeaux ornés de longues plumes, épées,
poignards, arbalètes, sont suspendus aux murs, encombrent les sièges ou
reposent pêle-mêle sur le plancher. Brillant fouillis plein de couleur
et de style, qu'on regarde avec plaisir et qui témoigne de la science
archéologique du peintre.

M. Jacomin est l'auteur de cette intéressante composition, qui fait
partie de la collection photographique Hermann.



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

_Les Écoles sous l'Empire et la Restauration_, par M. L. Henri (1 vol.
in-18, Ernest Leroux.)--L auteur dédie à la jeunesse française et aux
étudiants de Paris cette histoire des écoles qui commence en 1814, au
moment où les polytechniciens et les élèves d'Alfort défendent, sous
Paris, la liberté de la patrie, et qui finit en 1830, à l'heure où
George Farcy tombe pour la liberté publique et où le futur colonel
Charras combat avec l'ardeur de ses vingt ans. Ce livre est tout
d'actualité, comme on dit. Il est brûlant de patriotisme. C'est un
chapitre excellent de l'histoire du parti libéral. Il montre que les
gouvernements sont peu stables qui ont contre eux cette irrésistible
force, cette légion sacrée, la jeunesse.


_Les Dolmens d'Afrique_, par le général Faidherbe (1 broch. E.
Leroux).--On n'a pas oublié le congrès anthropologique qui se tint à
Bruxelles. Lorsqu'il en vint à étudier cette lointaine époque, ce qu'on
appelle _l'âge de la pierre polie_, le secrétaire général du congrès
demanda à M. le général Faidherbe de faire une communication sur les
dolmens, «monuments qu'on rattache généralement à cet âge». Le général
Faidherbe ne pouvait, dit-il, fournir des observations que sur les
dolmens d'Afrique, qu'il a particulièrement étudiés, mais il pense que
la question des dolmens est une.

Nous n'avons pas la prétention de discuter les théories du général sur
une question qu'il a particulièrement approfondie, pas plus que nous ne
serions, par exemple, en mesure de critiquer ses savantes études sur la
langue des Berbères. Nous pouvons bien dire cependant qu'il est peu de
travaux purement scientifiques qui nous aient paru aussi clairs, aussi
accessibles à tous, que ce _Mémoire sur les Dolmens_. Ces pierres
druidiques qui nous paraissaient si mystérieuses, les voilà étudiées de
près, interrogées et, si je puis dire, devinées. M. le général Faidherbe
est un esprit net, ne se payant point de mots, allant au but et on
retrouve dans ces pages où l'écrivain a horreur de la phrase, le
tacticien habile et le mathématicien remarquable. Je sais peu de
lectures aussi attachantes et aussi profitables. Le soldat de
Pont-Novelles mériterait, depuis longtemps, d'occuper un siège à
l'Institut.


_Poèmes et fantaisies_, par M. Gustave Vinot. (1 vol. Librairie des
Bibliophiles.)--Le nom de M. Gustave Vinot n'est déjà plus celui d'un
inconnu. La critique, et je parle de la plus sérieuse, l'a salué, à son
début, avec une estime particulière. Sainte-Beuve, s'il eût vécu, eût,
sans nul doute souhaité la bienvenue au débutant. M. Vinot est un vrai
poète. Le poème de Claudine, qui ouvre son volume, est surtout
remarquable sous le rapport de la langue, vraiment superbe. Il y a comme
des échos de Musset, du Musset mélancolique et profond, dans les accents
vraiment émus, parfois déchirants, de M. G. Vinot. Et ce n'est pas
vainement que je rappelle ici Musset. L'_Espoir en l'homme_, de M.
Vinot, a été conçu, disait-on, en manière de réponse au poète désolé.

Bien peu de poètes ont à leur service un instrument aussi harmonieux et
aussi vibrant que celui de M. Vinot, je parle de son style large et
musical. On lira certainement ce volume, qui est d'un artiste, mais
surtout d'un inspiré, et je n'en puis rien citer que ces derniers vers
d'une invocation à Paris. On jugera par eux du volume tout entier:

        O ville, la splendeur de ces grands noms m'écrase,
        Noms accrus chaque jour de notre abjection,
        Et devant eux, pliant les genoux, en extase,
        J'oublie et tes laideurs et ta corruption.

        J'oublie, et du profond de mon coeur je m'élève
        Jusqu'au ciel du génie étoilé, souverain,
        Et pour y boire aussi la chaude et forte sève,
        Ma lèvre avide mord ta mamelle d'airain!


_Ravaillac et ses complices_, par M. Jules Loiseleur. (1 vol. in-18.
Didier.)--M. Jules Loiseleur continue à étudier de près les problèmes
les plus obscurs et les plus curieux de notre histoire. Il publiait
naguère dans le _Temps_ les recherches les plus érudites sur les
_Complices de la Saint-Barthélemy_, et nous retrouverons sans doute
avant peu ces feuilletons en volume. Le _Ravaillac_, serré de si près
par M. Loiseleur, est un morceau au moins égal aux précédentes oeuvres
de cet infatigable chercheur. Le meurtre de Henri IV, le mobile de
l'assassin, la recherche des complices dans une telle affaire, M.
Loiseleur a dramatisé et élucidé tout cela avec une patience et une
sûreté de coup d'oeil vraiment fort remarquables. Le dernier mot de
cette étude particulière est que Ravaillac, l'incarnation du fanatisme
aveugle et féroce, ne fit que réaliser ce que de puissants meneurs
allaient oser pour le triomphe de leurs intérêts et la satisfaction de
leurs rancunes. L'évasion de Marie de Médicis, fuyant le château de
Blois, la mort mystérieuse de Gabrielle d'Estrée, le rôle joué par
Mazarin et la politique française dans la révolution de Naples, où
figura Masaniello (1647).

Ces trois chapitres si intéressants de l'histoire du XVIIe siècle
complètent le volume de M. Loiseleur, un des plus attachants qu'il ait
publiés. Ce n'est pas là de l'histoire doctrinaire, ennuyeuse,
académique, c'est (dans un excellent langage) une histoire précise,
colorée, tenant des _Mémoires_ et du roman, amusante comme l'imagination
et tout à ta fois sévère comme la vérité. On ne saurait, je crois,
adresser à un historien une plus complète louange.


_Rimes françaises d'une Alsacienne_, par Mme Amélie Ernst. (1 vol.
in-32. Sandoz et Fischbacher.)--On sait avec quel art Mme Amélie Ernst
lit, traduit, _sertit_, si je puis dire, les vers, les oeuvres des
autres. Elle récite en poète les poésies d'autrui. Lorsqu'elle traduit,
on sent qu'elle a su créer. Ces _Rimes_ sont datées du mois d'août 1872,
«du jour de mon option pour la France», dit Mme Ernst. Elles sont
l'hommage filial d'une Alsacienne à la patrie. L'auteur affirme qu'elle
obéit, en les publiant, à un devoir patriotique, «ne fût-ce, dit-elle,
que pour exciter des voix plus puissantes et plus poétiques que la
mienne à crier avec moi: Alsace et Lorraine!»

Je suis heureux de rendre justice à ce livre qui émeut et qu'un noble et
même sentiment anime d'un bout à l'autre. L'oeuvre d'art est à la
hauteur de l'oeuvre de patriotisme. Mme Amélie Ernst a trouvé dans son
coeur des accents pénétrants pour sa chère Alsace:

        Ah! s'ils prennent un peuple, ils n'en prennent point l'âme,
        Elle échappe à leur rapt, à leur viol infâme,
        _Ils font des prisonniers et non des citoyens!_
        A l'ambulance étaient de bons Alsaciens
        Qui parlaient avec moi la langue d'Allemagne,
        Le français n'étant point d'usage en leur campagne:
        Ces rudes paysans trouvent son chant trop doux.
        Mais ces braves soldats, ils succombaient pour nous,
        De l'Alsace, en mourant, rêvaient, la délivrance,
        Et dans leur allemand disaient: _Vive la France!_

C'est ce sentiment très-juste, très-poignant, qui fait le prix du joli
et touchant volume de Mme Amélie Ernst.


_La littérature contemporaine en province_, par M. Théodomir Geslain. (1
vol. in-18. Ch. Douniol.)--Paris absorbe toute l'attention, au point de
vue artistique et littéraire. Il est le centre unique, le seul théâtre
possible. Et cependant il y a, en province, des gens d'un talent rare,
des poètes, des critiques, des conteurs, qui font leurs oeuvres dans la
pénombre, et, sans bruit, produisent beaucoup de besogne. M. Th. Geslain
a eu la bonne pensée de les étudier, de leur consacrer quelques pages de
biographie, et, tour à tour, il nous présente les portraits de MM, de
Ligoyer, Achille Millien, Joséphin Soulary (devenu Parisien par le
succès), Jean Reboul, Magu, Ev. Carrance, de Loincel, Robinot, Bertrand,
etc., etc. Nos jugements particuliers ne seraient pas sans doute
toujours d'accord avec ceux de M. Geslain; mais son livre n'en est pas
moins un volume spécial qui mérite sa place, ne fût-ce qu'à titre de
document,--et il vaut mieux que cela,--dans la bibliothèque des lettrés.


_Essai sur la Mettrie, sa vie et ses oeuvres_, par M. Nérée Quépat. (1
vol. Librairie des Bibliophiles.)--M. Quépat,--qui publiait naguère la
_Lorgnette philosophique_,--a étudié de près ce Julien Offray de la
Mettrie, dont le nom a si fort effrayé les bonnes gens pendant un si
long temps. Tout compte fait, il se trouve que la Mettrie était aimable
et bon. Le livre de M. Quépat, fort bien fait, rapidement mais savamment
étudié, est très-concluant. Mais que dis-je? On va accuser, un de ces
jours, la Mettrie d'être Prussien! Quelqu'un ne comparait-il pas,
l'autre jour, très-sérieusement, Voltaire à Cluseret!

              Nous disions donc, que cet _affreux Voltaire,_

comme dit Ponsard, en souriant. Et qu'est-ce que Voltaire auprès de la
Mettrie? Frédéric II, roi de Prusse, n'a-t-il pas écrit lui-même un
_Éloge de la Mettrie_? Quand on vous dit que tous ces philosophes du
XVIIIe siècle n'étaient que des Prussiens!

C'est pourtant ainsi que quelques-uns raisonnent, et c'est pourquoi des
livres comme celui de M. Quépat sont non-seulement agréables à lire,
mais utiles.


_Souvenirs du bombardement de Strasbourg_, par Raymond Signouret. (1
vol. in-18. Bayonne.)--L'auteur de ce livre était rédacteur en chef de
l'_Impartial du Rhin_ pendant le siège de Strasbourg. Il était donc fort
bien placé pour apprécier la conduite de chacun durant ces semaines de
rudes épreuves. Son livre est un récit critique et complet de ce qui
s'est passé à Strasbourg du 15 juillet au 28 septembre 1870. Un plan de
Strasbourg après le bombardement indique les maisons, les établissements
publics et les quartiers incendiés, démolis ou gravement endommagés. On
y peut voir aussi les travaux d'attaque des Allemands. Ce qui ressort
clairement du livre de M. R. Signouret, c'est l'héroïsme d'une
population que le verdict de la commission d'enquête a eu le grand tort
de ne point louer comme elle l'avait très-sérieusement mérité.


_Scènes de la vie militaire en Russie_, par le prince Joseph
Lubomirski.--Le prince Lubomirski est un Polonais naturalisé Parisien
par sa vie, ses goûts et son esprit. Il avait publié déjà des _Souvenirs
d'un page de l'empereur Nicolas_ qui, tout intéressants qu'ils étaient,
ne valent point ces _Scènes de la vie militaire russe_, prises, peintes
sur le vif. Rien n'est plus curieux et plus captivant que ces
impressions de voyage et que cette étude des superstitions russes.
L'_Histoire d'un prince soldat_, qui commence le volume, a tout
l'attrait d'un roman de Tourgueneff, avec un accent de vérité qui ferait
croire à une autobiographie. Cette saveur particulière place le prince
Lubomirski sur un terrain spécial parmi les littérateurs d'aujourd'hui,
et il se bâtit ainsi une sorte de palais russe au milieu de notre monde
littéraire parisien. Nul, à coup sûr, n'est capable de le lui disputer.


_Les Religieuses bouddhistes_, par Mme Mary Summer. (1 vol. Ernest
Leroux.)--Cette petite brochure, grosse de science, nous apprend une
infinité de choses à peu près ignorées sur les religieuses de la
religion de Bouddha et sur leur histoire, depuis Sakia-Mouni jusqu'à nos
jours. On y voit de pauvres Thibétaines vivant dans des vallées
solitaires et tournant un cylindre à prières, qui rend des prières comme
les orgues rendent des chants. Ces religieuses bouddhistes se penchent
aussi au chevet des mourants, et on ne peut s'empêcher d'admirer la
charité de ces dames siamoises qui, loin de nous, pratiquent, sans être
chrétiennes, toutes les vertus du christianisme. M. Foucaux, l'éminent
professeur au Collège de France, a écrit pour ce petit livre une
très-curieuse introduction.


_Le Musée Céramique de Limoges_. (Une brochure in-8º. Limoges.)--Depuis
l'année 1863 environ, Limoges, la patrie des émailleurs célèbres,
possède un Musée, enrichi d'année en année, et qui fait déjà
l'admiration des connaisseurs. C'est un _Musée Céramique_, oeuvre
véritable d'un homme dont la science et le goût artistique ont beaucoup
fait pour ce Musée. C'est M. Adrien Dubouché que je veux dire. Il n'est
pas possible de s'être acquitté d'une tâche avec plus d'enthousiaste
ardeur que ne l'a fait M. Dubouché. Aujourd'hui le _Musée Céramique_ est
fondé, et il est beau, et il est riche, et voici qu'on en publie
l'histoire à Limoges, en une brochure qui donnera aux amateurs des
porcelaines de Chine, du Japon, de Sèvres, des faïences de Delft ou de
Rouen, deux désirs à la fois: celui de visiter ce musée et celui de
l'enrichir encore par quelque don portant le nom du donateur. Il serait
à souhaiter que chacune des villes de notre France possédât ainsi un
Musée où seraient centralisés les objets spéciaux produits par la
contrée. Limoges, la laborieuse ville des porcelainiers, a son _Musée
Céramique._ Il faut et la louer de l'exemple qu'elle donne et signaler
sa louable activité. Le _Musée Céramique_, à en juger par la brochure
que je signale, est, à coup sûr, une des curiosités les plus
remarquables de notre pays, et je souhaite qu'il puisse rivaliser, un
jour, avec la fameuse collection céramique du Musée de Dresde.


_Gavarni_, par Edmond et Jules de Concourt, (1 vol. in-8º, chez
Plon.)--MM. de Concourt avaient tout à fait vécu dans l'intimité de cet
esprit pénétrant et de ce grand artiste qui s'appelait Gavarni. On peut
dire qu'il est impossible de mieux connaître un homme qu'ils n'ont connu
celui-ci. Ils l'ont donc peint, de pied en cap, dans ses attitudes
extérieures et dans ses sentiments intimes. Ils l'ont, en quelque sorte,
ressuscité de pied en cap et on le retrouve tout entier, dans ces pages
colorées, ardentes, pittoresques, où chaque mot est un coup de pinceau,
dans ce livre qui est la dernière oeuvre fraternelle de ces écrivains de
race, Edmond et Jules de Concourt.

Telle partie du livre des frères de Goncourt, la première partie,
pourrait s'appeler _Gavarni peint par lui-même_. Ses biographes ont
consulté les carnets sur lesquels, de tout temps, il nota l'emploi de
ses journées, ses impressions, ses sensations, ses trouvailles. Et
c'était un styliste en vérité que Gavarni. J'ai vu chez H. Meilhac la
collection des épreuves lithographiques de ses planches, celles sur
lesquelles il écrivait les légendes de ses dessins. Avec quel soin il
remplace un mot par un autre, avec quelle recherche il arrange sa
phrase! Comme il la veut harmonieuse, caressante à l'oreille! C'est là
qu'on le voit changeant le nom de ses personnages, faisant de
_Badinguet_ un _Cocardeau_ et ainsi de suite. MM. de Concourt ont fort
joliment traité toute cette jeunesse de Gavarni, tapageuse comme celle
d'un cheval échappé.

J'eusse souhaité que les écrivains se fussent appesantis sur la
vieillesse un peu morose, mais chargée de pensées et de souvenirs, du
grand artiste. Ils ont passé rapidement. Peut-être ont-ils bien fait. Ce
livre, avec les _Manières de voir_ publiées par Pierre Gavarni, le fils,
et Ch. Vriarte, nous rend bien la physionomie même de la Bruyère au
crayon, un des caractères les plus foncièrement français de ce temps. Et
ce caractère a porté bonheur aux frères de Concourt; ils ont écrit un
livre d'art tout à fait achevé et qui complète leur oeuvre si curieuse,
si variée et si originale.


_Gustave Ricard_, par M. Louis Brès. (1 vol. in-18. Renouard.)--J'aime
particulièrement ces monographies de peintres dont il semble que le
public ait le goût, à en juger par toutes celles qu'on publie:
monographies de Prudhon, de Géricault, de Raffet, de Charlet, de
Decamps, de Th. Rousseau, des Vernet, de Delacroix, etc. Quelle
magnifique histoire générale de l'art au XIXe siècle on composera plus
tard avec ces études particulières! Un écrivain marseillais, d'un talent
très-délicat et d'une science profonde en la matière, M. Louis Brès,
vient d'ajouter à ces biographies un volume sur le regretté Gustave
Ricard, l'admirable peintre de portraits, un des maîtres non pas les
plus populaires peut-être, mais les plus remarquables à coup sûr de
l'école française moderne. A vrai dire, Ricard fut un Vénitien ou, si
l'on veut, un Van Dyck égaré parmi nous; il n'est point, objectera-t-on,
purement français. Au contraire, il est français par le charme,
l'élégance, la modernité, l'expression, la pensée. M. Louis Brès le fait
d'ailleurs bien revivre, avec son charme particulier, sa conversation
originale et sympathique, son bon coeur et son grand coeur. Ce livre est
singulièrement soigné, épuré, composé avec un soin infini et, pour tout
dire en un mot, digne du modèle que l'écrivain a voulu faire revivre et
qu'il a si bien réussi à évoquer.

Jules Claretie.



PANORAMA DE LA JOURNÉE DE SPICKEREN

6 août 1870

Pendant la journée du 6 août 1870, les corps Frossard et Bazaine
occupaient le triangle montagneux dont la base entre Saint-Avold et
Sarreguemines mesure un peu plus de six lieues; de Saint-Avold à
Spickeren, sommet du triangle, il y a cinq lieues; de Sarreguemines à
Spickeren, la distance est d'un peu plus de quatre lieues. On verra que
ces distances ont leur importance.

L'intérieur du triangle comprend une série de mamelons découverts, à
pentes douces et couronnés de plateaux d'une altitude moyenne de 120
mètres au-dessus du fond de la vallée. Les côtés du triangle par
lesquels se sont présentés les Prussiens sont constitués par des pentes
boisées assez raides, et qui tombent, à l'ouest, sur la grande route de
Metz à Sarrebruck, par Saint-Avold et Forbach, à l'est, sur la Sarre.
Deux chemins de fer suivent également les côtés du triangle et la voie
de jonction entre Sarreguemines et Bening-Merlebach coupe
horizontalement le triangle.

Dans la nuit du 5 au 6, les bivouacs des corps Frossard et Bazaine ont
été les suivants: le 2e corps Frossard avait sa 1re division Vergé, à
Stiring, la 2e Bataille, à OEting, la 3e Laveaucoupet, à Spickeren, la
réserve autour de Forbach.--Le 3e corps Bazaine avait sa 1re division
Montaudon, à Sarreguemines, la 2e Castagny, à Puttelange, la 3e Metman,
à Marienthal, et la 4e Decaen, à Saint-Avold.

Dans la matinée du 6, les Prussiens attaquèrent vigoureusement les
divisions Vergé et Laveaucoupet; bientôt la division Bataille, en
réserve à OEting fut obligée d'engager tout son monde pour soutenir une
lutte à laquelle prirent part tous les corps prussiens campés dans un
rayon de 30 kilomètres au champ de bataille. Le dernier, qui arrivait
par le village de Grande-Rosselle, à la tombée de la nuit, et menaçait
sérieusement la ligne de retraite de Frossard, venait de passer par
Lebach, Voelklingen, en fournissant une traite d'environ 34 kilomètres.

Voici maintenant sur quel point roule la discussion depuis trois ans:
Tandis que les généraux prussiens ont tous marché au feu avec un
ensemble parfait, les quatre divisions du 3e corps sont restées ou se
sont promenées à peu de distance du champ de bataille. M. le général
Frossard a vivement critiqué, dans son rapport officiel, la conduite des
généraux Montaudon, Metman et Castagny; le général Decaen est
complètement hors de cause puisqu'il ne devait, sous aucun prétexte,
quitter l'importante position de Saint-Avold, encore, a-t-il envoyé par
le chemin de fer un de ses régiments au secours du 2e corps.

Nous n'avons pas à entrer dans une polémique qui menace de recommencer
devant le conseil de guerre, puisque le maréchal Bazaine et le général
Frossard ont déclaré à M. le duc d'Aumale qu'ils entendaient répondre
aux imputations dirigées contre eux, au sujet de la journée du 6, dans
le rapport du général de Rivière. Pour l'édification de nos Lecteurs,
nous nous bornerons à donner l'itinéraire parcouru par chacun des trois
divisionnaires du corps Bazaine.

Le général Montaudon, en position en avant de Sarreguemines, à l'extrême
droite, se mit en mouvement à quatre heures du soir, descendit la rive
gauche de la Sarre jusqu'à Grossbliedersdorf, gravit le plateau,
s'arrêta d'abord à la nuit à Busbach, pour continuer son chemin sur
Puttelange, où il arriva vers neuf heures du matin.

La division Castagny était à Puttelange, à 16 kilomètres de Forbach.
Vers onze heures, elle entend une canonnade très-vive, prend les armes
et marche dans la direction du bruit à une heure, après en avoir reçu
l'autorisation du maréchal Bazaine. La division prend d'abord position à
Farschwiller, y laisse une brigade, et le reste des troupes s'établit
entre Théding et Folkling, à 4 kilomètres de Forbach. L'avant-garde,
formée du 90e de ligne, sous les ordres de son énergique colonel, le
comte de Courcy, s'avance jusqu'à Forbach même. Là, le général de
brigade Duplessis, qui marchait avec son premier régiment, apprend que
le corps Frossard est en retraite. Le général Castagny retourne alors à
Puttelange, où il arriva à quatre heures du matin.


[Illustration: DÉMOLITION DU PALAIS DES TUILERIES.--Vue prise du
jardin.]


[Illustration: PROCÈS DU MARÉCHAL BAZAINE--PANORAMA DE LA BATAILLE DE
SPICKEREN.]

La division Metman reçut à midi un quart l'ordre du maréchal Bazaine de
se porter de Marienthal à Bening, de façon à couvrir l'importante
station du chemin de fer de Bening-Merlebach, point de jonction des deux
grandes voies ferrées. A trois heures de l'après-midi, sa tête de
colonne était en position à Cocheren, sur la Rosselle, à 6 kilomètres à
peine de Forbach, où se faisait entendre une canonnade intense.--Un
détachement de la division avait pris position à Macheren pour combler
la trouée entre Saint-Avold et Bening.

Soucieux de couvrir la jonction du chemin de fer et la vallée
très-menacée de la Bosselle, le général Metman attendit entre Bening et
Cocheren des ordres qui ne lui arrivèrent qu'à six heures du soir. Il se
remit en route à sept heures et demie, arriva à neuf heures seulement à
Forbach, qu'il trouva évacué par Frossard. Le lendemain, au jour, la
division Metman prit la route de Puttelange, où elle rejoignit les
divisions Montaudon, Castagny et les trois divisions du 2e corps. Cette
concentration de soixante mille hommes sur un seul point produisit un
encombrement regrettable.

Le seul corps qui se soit porté rapidement au secours du général
Frossard est la brigade de dragons de Juniac qui, parvenue à trois
heures à son bivouac de Haut-Hombourg, se porta au grand trot sur
Forbach, où elle était une heure plus tard. Le général Frossard, après
avoir félicité M. de Juniac de son louable empressement, lui donna pour
mission de couvrir la jonction de Bening-Merlebach en prenant position
autour de Rosbruck.

Le jour de la discussion devant le conseil, discussion qui devait servir
en quelque sorte de prologue au procès, et qui se trouve maintenant
rejetée à la fin des débats, les lecteurs de l'_Illustration_ pourront
suivre avec facilité les explications des généraux Montaudon, Metman,
Castagny et Juniac, cités par la défense.

La réduction du panorama est d'environ 1/80,000.

A. Wachter.



LA SOEUR PERDUE(1)

Une histoire du Gran Chaco

(Suite)

      [Note 1: Le nouveau roman, dont nous avons commencé la publication
      dans notre précédent numéro, est dû à la plume d'un des écrivains
      les plus justement célèbres dans la littérature anglaise et que
      des traductions nombreuses ont depuis longtemps rendu populaire
      dans notre pays: nous avons nommé le capitaine Mayne Reid.

      Objet du plus vif succès de l'autre côté du détroit, la _Soeur
      Perdue_, figurera au premier rang parmi les oeuvres les plus
      estimées de l'auteur des _Chasseurs de chevelures_, de _William le
      mousse_, du _Désert d'eau_ et des _Naufragés de l'île de Bornéo_.
      La traduction que nous en publions doit former un volume
      magnifiquement illustré qui prendra place dans l'excellente
      _Bibliothèque d'éducation et de récréation_ de la maison J. Hetzel
      et Cie. Un traité conclu avec ces éditeurs nous permet d'en offrir
      dès à présent la primeur à nos lecteurs. Texte et gravures
      paraîtront par coupures hebdomadaires dans l'_Illustration_ et
      nous aurons soin de faire connaître l'époque où l'on pourra
      trouver le tout réuni dans le livre que prépare la maison Hetzel.]

Dans quelques chambres, ainsi que sous la vérandah, on pouvait remarquer
un curieux assemblage d'objets bien différents de ceux qu'aurait amassés
un indigène. Il y avait là des peaux de bêtes, sauvages et d'oiseaux
empaillés, des insectes piqués sur des morceaux d'écorce, des papillons
et de brillants scarabées, des reptiles conservés dans tout leur hideux
aspect, avec des échantillons de bois, de plantes et de minéraux
provenant de la région environnante.

Personne, en entrant dans cette maison, n'aurait pu se méprendre sur son
caractère; c'était la demeure d'un naturaliste, et quel autre qu'un
blanc eût pu songer à se livrer à des études d'histoire naturelle dans
ces contrées?

Dans une pareille situation, elle était par elle-même un fait
extraordinaire, une étrangeté. Il n'existait aucune autre habitation
d'homme blanc à cinquante milles à la ronde, plus proche que celles
d'Asuncion. Et tout le territoire entre elle et la ville, ainsi qu'à dix
fois cette distance vers le nord, le sud et l'ouest, n'était traversé
que par les maîtres primitifs du sol, les sauvages Indiens Chaco qui
avaient juré haine à mort aux visages pâles depuis le jour où la quille
de leurs canots avait sillonné pour la première fois les eaux du Parana.

S'il reste encore quelques doutes au sujet des habitants de cette
demeure solitaire, ils s'évanouiront à la vue des trois personnes qui en
sortent et prennent place sous la vérandah. L'une d'elles est une femme;
son aspect, sa tournure sont d'une personne distinguée. Son âge ne
dépasse pas la trentaine. Bien que son teint ait la nuance olivâtre de
la race hispano-mauresque, son sang est évidemment celui de la pure race
caucasienne. Elle a été et est encore une très-belle personne. Son
attitude, l'expression de ses grands yeux à demi baissés prouvent
qu'elle a connu les pensées graves et l'inquiétude. Ce dernier sentiment
semble surtout exister aujourd'hui en elle, son front est chargé de
nuages; elle s'avance jusqu'à la balustrade de la vérandah et s'y tient
immobile. Son regard interroge avec une poignante fixité la plaine qui
s'étend bien au delà des limites de l'habitation.

Les deux autres habitants sont des adolescents, tous deux presque du
même âge. L'un a quinze ans, l'autre a dépassé seize ans. Leur taille et
leur complexion sont légèrement différentes. Le plus jeune est plus
mince, son teint serait d'une blancheur parfaite si le soleil ne l'avait
hâlé; ses cheveux de couleur claire tombent en boucles sur ses joues et
les traits de son visage font voir qu'il descend d'une race
septentrionale.

Quant à l'autre, bien qu'il soit un peu plus grand de taille, il semble
plus robuste: tout dit en lui qu'il est plein de force, d'activité et de
vigueur. Son teint est presque aussi foncé que celui d'un Indien, et ses
épais cheveux noirs, lorsqu'ils sont frappés par les rayons du soleil,
offrent un chatoiement semblable à celui de l'aile d'un corbeau.
Cependant il est de sang blanc, de ce sang dont se prétendent issus la
plupart des Américains Espagnols, ce qui est plus que douteux pour les
Paraguayens. Le jeune homme est un Paraguayen; sa tante, la belle et
charmante femme que nous venons de voir s'appuyer sur la balustrade de
la vérandah est une Paraguayenne. Tout dans son allure montre qu'elle
est la maîtresse du logis.

L'adolescent aux cheveux châtain doré lui donne le titre de mère, et
cela semblerait étrange à cause de son teint, mais l'explication
deviendrait facile si on pouvait le voir à côté de son père
malheureusement absent pour le moment. C'est l'absence de son mari,
c'est celle aussi d'une autre personne également chère qui amènent le
nuage que nous avons noté sur le front de la jeune femme.

«Ay de mi!» murmura-t-elle, le regard toujours fixé sur la plaine, «qui
peut les retarder»?

--Ne soyez donc pas si inquiète, ma chère mère, mon père peut avoir fait
quelque rencontre heureuse qui lui a fait oublier le temps, un oiseau
rare, une plante curieuse, quelque gibier nouveau peuvent l'avoir
attardé ou entraîné, sans qu'il s'en doutât, plus loin qu'il ne
comptait.

Le brave garçon essayait évidemment par ces paroles de rassurer sa mère.

«Non, mon Ludwig», répondit-elle, «non, ce n'est rien de tout cela, car
votre père n'était pas seul, Francesca l'accompagnait. Vous savez que
votre jeune soeur n'est pas habituée à de grandes excursions, et il ne
se serait pas hasardé à aller au loin avec elle. Je ne puis supposer
aucune bonne raison à cette absence prolongée, et le moins que j'en
puisse craindre, c'est qu'ils se soient égarés dans le Chaco.

--C'est possible, maman; mais maintenant Gaspardo est parti à leur
recherche. Il connaît chaque pouce du pays dans un rayon de cinquante
milles autour de nous. Dans toute l'Amérique du Sud, personne ne sait
suivre une piste mieux que lui; s'ils se sont égarés, il les aura bien
retrouvés et ramenés. Ayez confiance dans le gaucho.

--Ah, s'ils sont égarés, Madré de Dios! C'en est fait d'eux. C'est la
pire des suppositions, s'écria la pauvre mère.

--Comment, _tia_? demanda le neveu qui, bien que n'ayant pas jusqu'à
présent prononcé une parole, était évidemment tout aussi inquiet que les
deux autres interlocuteurs.

«Oui! comment cela, maman»? s'écria en même temps le fils. Nous nous
sommes égarés vingt fois avec mon père sans qu'il nous soit arrivé
malheur.

--Vous oubliez, mes enfants, que nos protecteurs ne sont plus dans le
voisinage, que Naraguana et sa tribu ont quitté leur dernière _tolderia_
(2) et se sont enfoncés dans l'intérieur. Votre père lui-même ignore où
ils sont allés.

      [Note 2: _Tolderia_, réunion de _Toldos_ ou huttes. On appelle
      ainsi les villages des Indiens Chaco, et les campements où ils
      séjournent un certain temps.]

--C'est vrai, dit le jeune homme aux cheveux noirs. J'ai entendu mon
oncle en parler à Gaspardo et le gaucho n'a pu le renseigner. Il pensait
qu'ils s'étaient établis un peu plus haut en remontant la rivière, dans
une ancienne tolderia.

--Mais ceci n'a pas d'importance, maman. Près de mon père et avec le
secours du gaucho, que peut-il arriver de mal à Francesca, dit Ludwig.

Ludwig prononça ces mots, mais sans y ajouter foi lui-même. Aussi bien
que sa mère, il savait que la tribu de Naraguana, les _Tovas_, qui par
exception était l'amie des habitants de l'estancia, ne parcourait pas
seule cette partie du Chaco.

Les autres tribus, les _Mbayas_, les _Guaycurus_ et les _Anguites_ la
parcouraient aussi et celles-ci étaient les ennemies mortelles de tous
les hommes à peau blanche.

Il ne parlait donc que pour rassurer sa mère, mais ses paroles furent
sans effet; le soleil se coucha vers l'ouest derrière l'immense plaine
sans ramener celui qui était parti au moment de son lever, accompagné de
sa fille unique, une belle enfant d'environ quatorze ans.

Comment s'expliquer, sinon par un malheur, que Gaspardo lui-même envoyé
à la recherche des absents, ne fût pas non plus de retour?

«Madré de Dios! répétait sans cesse la malheureuse épouse et
l'infortunée mère, quelle peut être la cause d'un tel retard?»

Et après le lever de la lune et pendant toute la nuit, agenouillée
devant une image de la Vierge, elle lui adressait cette ardente prière.
«Sainte mère de Dieu, rendez-moi ma fille, rendez-moi mon mari!» Tant
que dura cette nuit sans fin, personne ne dormit dans la demeure du
naturaliste, sauf peut-être les _peons_, quelques Indiens Guanos (3) qui
prêtaient leurs services à l'estancia.

      [Note 3: Les _Guanos_ sont une tribu du Chaco très-différente des
      belliqueux _Tovas_ ou _Guaycurus_ du Mexique; ils se livrent à
      l'industrie et souvent prennent du service chez les habitants blancs du
      Paraguay et de Corrientes.]

Mais la mère ne ferma pas les yeux et les deux jeunes gens l'oreille au
guet, le coeur battant au moindre bruit, restèrent debout, n'osant se
communiquer leur mutuelles angoisses. De leurs lèvres s'échappaient de
loin en loin quelques mots: «Mon père! ma soeur»! disait le fils.--Mon
oncle! ma cousine! disait Cypriano.»

Le soleil du matin se leva rouge et brûlant sur la verdoyante pampa. Il
s'élevait dans l'est, au-dessus des montagnes du Paraguay.

L'épouse inquiète y pensa sans doute, c'était de ce côté qu'était venue
la tempête qui les avait balayés, elle et son mari, dans le Chaco et les
avait obligés à chercher un asile sous la protection des sauvages. Mais
ses yeux se tournèrent bientôt vers l'ouest, c'était la direction suivie
au départ par ses bien-aimés et c'est de là qu'elle devait les
apercevoir au retour.

Lorsque les rayons d'or brillèrent entre les branches du grand ombu (4)
dont le feuillage couvrait l'édifice, on voyait encore trois personnes
sous la vérandah, les mêmes que la veille au soir, la mère, le fils et
le neveu. Tous se tenaient le visage tourné vers l'ouest et leurs
regards interrogeaient anxieusement la plaine. Tous étaient sous
l'empire d'un douloureux pressentiment, et Ludwig lui-même, jusqu'alors
si confiant, du moins en apparence, ne pouvait plus trouver de paroles
d'encouragement pour sa mère. Chacun songeait en silence à l'absence si
prolongée et par suite si inquiétante de ce père et de cette soeur qui
eussent dû être revenus depuis la veille. Chacun se disait que Gaspardo
depuis longtemps déjà aurait dû rapporter au galop des nouvelles. Chacun
pensait aux dangers qu'avait pu faire courir aux deux êtres aimés la
rencontre des Indiens hostiles. Chacun enfin se représentait les mille
autres périls particuliers au Chaco qui pouvaient expliquer le retard
des voyageurs.

      [Note 4: Magnifique arbre de la famille des mimosas dont les
      branches largement écartées peuvent abriter une grande troupe de
      voyageurs. On aperçoit souvent la case d'un gaucho ombragée par un
      arbre solitaire de cette espère, que n'entoure pas un arbrisseau
      ni un buisson. Je crois que l'_ombu_ est ce même grand mimosa qui
      croît sur les llanos du Vénézuéla et que les _llaneros_ appellent
      _Saman._]

Une heure se passa encore; le soleil dans sa course ascendante au milieu
des cieux, illuminait la plaine jusqu'aux limites les plus éloignées que
l'oeil pût atteindre. Personne n'apparaissait. Parfois une autruche
passait à travers les hautes herbes, parfois un daim bondissait hors de
sa couche à l'approche sans doute d'un jaguar moucheté, mais on ne
distinguait aucune forme pouvant avoir l'apparence d'un être humain,
rien qui pût ressembler à un cavalier.

Dans l'esprit des trois spectateurs, ce n'était déjà plus l'anxiété du
doute auquel se mêle toujours quelque secret espoir, il ne restait plus
qu'une agonie presque impossible à supporter. Cypriano n'y tenait plus.
Son imagination plus vive, lui montrait son oncle et sa cousine déchirés
en lambeaux, mourants, morts peut-être.

«Je ne puis pas rester ici davantage, s'écria-t-il, je ne suis bon à
rien, laissez-moi partir, ma tante, Ludwig veillera sur vous. Il
vaudrait un homme pour vous défendre. Qui sait si je n'arriverai pas à
propos pour ceux que nous attendons. Fiez-vous à moi et ne craignez rien
pour moi, je vous en supplie.»

Ni Ludwig, ni sa mère, ne firent d'opposition au généreux désir de
Cypriano.

«Pars, mon enfant, lui dit sa tante, et que Dieu veille sur chacun de
tes pas.»

--Oui, pars, lui dit Ludwig à l'oreille, et combien je voudrais partir
avec, toi; mais je n'ose abandonner ma mère dans cette maison que rien
ne protège.

--Elle ne te laisserait pas partir, lui répondit Cypriano en se jetant
dans ses bras.


CHAPITRE III

LE RETOUR DU MARI

Où Gaspardo avait échoué, un autre pouvait avoir plus de succès et
Cypriano connaissait à fond la contrée environnante.

Le jeune homme quitta rapidement la vérandah.

Dix minutes après, on pouvait le voir monté sur un petit, mais vigoureux
cheval, galoper à travers la plaine comme si sa vie dépendait du succès
immédiat de sa tentative.

Ceux qu'il avait laissés derrière lui suivaient encore silencieusement
du coeur et du regard la direction qu'il avait prise, que déjà il avait
disparu à son tour.

Toute la journée ils demeurèrent sous la vérandah, et prirent à peine le
temps de faire leur repas de midi. Ils ne mangèrent que pour garder des
forces, dont ils se disaient qu'ils pouvaient avoir besoin. Le soleil
descendit encore une fois sur la contrée, rien n'apparut dans la plaine,
aucune forme ne détacha sa silhouette sur les nuages rouges qui
bordaient l'horizon.

La lune brilla au ciel et ils attendaient toujours!

Enfin! Enfin! leur attente sembla devoir être récompensée; sous la bande
argentée que traçait l'astre de la nuit à la surface de la pampa on vit
s'approcher trois formes sombres, on aperçut trois chevaux dont chacun
portait un cavalier; deux étaient de grande taille, le troisième était
plus petit.

Un cri de joie sortit des lèvres de Ludwig. «Les voilà!» s'écria-t-il.
Puis, s'arrêtant soudainement: «C'est étrange, ajouta-t-il, ils ne sont
que trois; sans doute mon père, Gaspardo et Francesca. Cypriano les aura
manqués et il les cherche encore.»

Cette conjecture semblait raisonnable et cependant elle ne répondait pas
à l'inquiétude de la mère. Un douloureux pressentiment, une crainte
poignante s'étaient, en dépit des apparences, emparés de son coeur et
paralysaient le cri joyeux qui avait failli tout d'abord s'échapper de
ses lèvres.

Sans rien répondre, elle restait immobile comme une statue, les yeux
fixés sur les trois ombres qui s'approchaient.

Comme elles marchaient lentement! Enfin les trois voyageurs arrivèrent
tout près de l'enclos. Avant qu'ils eussent atteint la porte, la mère et
son fils, d'un mouvement subit, s'étaient portés à leur rencontre.

La lumière de la lune permit à la première de reconnaître le manteau de
son mari et le costume pittoresque du gaucho. Mais comment cela se
faisait-il? le troisième voyageur portait, lui aussi, des vêtements
d'homme, c'était Cypriano!

Elle poussa un cri déchirant!

«Où est Francesca?»

Personne ne répondit, ni son mari, ni Gaspardo ni le jeune homme. Tous
trois ils s'étaient arrêtés, muets et comme pétrifiés sur leurs
montures.

«Où est ma fille? reprit-elle; pourquoi mon mari ne me parle-t-il pas!
Cypriano, pourquoi gardez-vous le silence?

--Oh Dieu! fit Gaspardo en gémissant, c'est trop, trop terrible!
_Senora! Senora!_

--_Senora!_ malheureux, n'avez-vous que cela à me dire? L'entendez-vous,
mon cher mari? qu'y a-t-il, _querido?_ Pourquoi baissez-vous ainsi la
tête? Est-ce le moment de dormir? Un père doit-il dormir qui revient
vers sa femme, sans lui ramener sa fille qu'elle avait mise à sa garde?»
En disant ces mots elle s'avança d'un mouvement violent vers le cavalier
qui portait les vêtements de son époux:

Un mettant sa main sur le bras qui pendait inerte près de l'arçon de la
selle, le pâle visage de son mari lui apparut sous les rayons mystérieux
de la lune. L'infortunée senora n'eut besoin de personne pour' lui faire
connaître pourquoi les yeux de son époux étaient fermés. Son mari
dormait du sommeil de la mort!

Elle poussa un cri qui aurait ranimé un mort, si un mort pouvait être
ranimé, et elle tomba évanouie sur le sol.

Parmi mes jeunes lecteurs, il en est peu sans doute qui n'aient entendu
parler de «Francia le Dictateur (5)», c'est un nom historique, c'est le
nom d'un homme qui pendant plus d'un quart de siècle a régi avec une
verge de fer le beau pays du Paraguay.

Mayne Reid.

      [Note 5: Francia (Jose-Gaspar-Rodriguez), né à Asuncion en 1758,
      d'un père français et d'une créole, mort en 1840. En 1811, il fut
      nommé secrétaire de la junte lors de la révolution qui chassa les
      Espagnols de Buenos-Ayres, puis bientôt il se fit élire consul,
      dictateur temporaire et enfin dictateur à vie. Malgré sa tyrannie,
      le Paraguay lui doit son organisation, ses manufactures, son
      commerce et sa civilisation.]

(La suite prochainement.)

LA SOEUR PERDUE

PAR MAYNE REID

[Illustration: Ils marchent vers le centre de la plaine.]

[Illustration: Ne soyez donc pas si inquiète, ma chère mère.]

[Illustration: Elle tomba évanouie sur le sol.]

[Illustration: Là, il avait rencontré le cadavre de son maître.]



LES THÉÂTRES

Théâtre du Gymnase.--L'_Enquête_, drame en trois actes, de M. Léon
Cadol.--Opéra-Comique.--_Richard Coeur-de-Lion._--Théâtre-Italien.--Mlle
Krauss; M. Padilla.

Décidément le théâtre est devenu une succursale du cabinet d'un juge
d'instruction: il ne donne plus des drames ou des comédies, il vide des
dossiers; après celui-là, un autre; c'est une série. Quand le public
sera fatigué de remplir ainsi l'office du jury, il le dira; jusqu'à
présent il semble se complaire dans ce rôle: l'_Enquête_, jouée au
Gymnase, ajoute une preuve de plus à ce goût du spectateur. Ce drame a
été fort applaudi, et pour mon compte il m'a vivement intéressé, quoique
à vrai dire j'eusse bien flairé le trait de la fin, celui qui donne la
solution de ce rébus de cour d'assises. Mais cette petite malice
théâtrale parfaitement ménagée fait passer agréablement une heure ou
deux, comme les tours d'escamotage de Robert-Houdin ou de Cleveland. On
sait le truc,--pardon du mot,--le tout est de voir l'habileté avec
laquelle il est exécuté..

Mlle de Beaucigny est une vieille fille qui rendrait en sournoiserie et
en méchanceté des points à la fameuse cousine Bette, de Balzac. Cette
revêche créature conservée dans ses sentiments de haine et de vengeance
exerce son odieux caractère sur tout ce qui l'entoure. Elle entretient
sa passion du mal en famille, sûre de sa domination, puisqu'elle est
tante à gros héritage. Pourquoi aussi le marquis et la marquise de
Brilleray, cet excellent et charmant ménage, ont-ils admis parmi eux
cette furie propre à faire tourner en vinaigre toutes les lunes de miel?
Il est vrai qu'ils ont relégué Mlle de Beaucigny à la Maison-Blanche,
près de leur château. Mais la tante revient sans cesse sur sa proie
comme le vautour au coeur de Prométhée: elle la déchire de son bec
crochu et repart satisfaite. Les gens ont souffert; elle a accompli son
oeuvre diabolique. Il n'est pas jusqu'à son neveu, un malheureux enfant
de cinq ans, qu'elle ne maltraite, si bien que la marquise, sa mère, un
jour, en le voyant souffleté par cette main osseuse, le lui arrache
violemment. La guerre est commencée plus vive que jamais; la guerre
ardente cette fois, car la vieille Beaucigny a rudement frappé le petit
marquis. Le monstre est hors de lui; il ne se contient plus; et Mlle de
Beaucigny, qui a entre les mains une lettre des plus compromettantes
pour la marquise, lettre écrite par elle avant son mariage et qui pour
son malheur est tombée dans la collection de Mlle Beaucigny,
c'est-à-dire dans les archives de la méchanceté. Pour le coup, c'est de
trop; le bonheur de la maison est compromis, l'amour même de M. de
Brilleray pour sa femme en est atteint. La marquise irritée chasse ce
mauvais génie de la famille, que M. de Brilleray maudit avec sa femme.

Or, le lendemain on trouve au-dessous d'un pont de bois brisé dans une
lutte terrible le cadavre de Mlle de Beaucigny. Qui a fait le crime? Une
enquête est ouverte. A l'agitation effrayante à laquelle la marquise est
en proie, nul doute, la coupable c'est Mme de Brilleray, qui s'est
vengée et qui a étouffé les premiers mots d'une indiscrétion qui la
perdait. Mais le marquis n'est guère plus calme. Cet homme se serait-il
douté de tout et a-t-il garanti son honneur par un crime. Premier gibier
levé; première piste sur laquelle se jette la curiosité du spectateur.

Mais le même soupçon tourmente l'esprit du marquis et de la marquise.
Ils s'accusent l'un l'autre intérieurement de la mort de Mlle de
Beaucigny. Il faut donc chercher ailleurs, prendre un autre lancé. Il y
a bien par là dans la maison un avocat, Pierre Desargues; mais il n'a
passé qu'un jour au château, et il n'est pas supposable que cet invité
se soit distrait à tuer une vieille fille? Toujours est-il que le public
et le substitut sont dans la plus grande perplexité, lorsque ce
magistrat peu éclairé ordonne l'arrestation du marquis. Alors un vieux
serviteur de M. Brilleray, Patrick, sort de la machine et arrête
l'enquête qui fait fausse route. L'homme qui a tué Mlle de Beaucigny,
c'est lui, lui Patrick. Et pourquoi? Parce que Patrick vénère et adore
son petit maître et que Mlle de Brilleray a frappé cet enfant. Dans sa
fureur contre cette mégère, Patrick a délivré son maître de Mlle de
Brilleray. Et le jeune avocat qui prévoit un grand effet de larmes
assure ce vieux serviteur, assassin par dévouement, de la clémence du
jury, ce qui m'a paru être la morale un peu forcée de la pièce.

En résumé, voilà une bien grosse punition pour une calotte donnée à un
enfant. La loi du talion a dit dent pour dent; mais elle n'admet pas de
telles représailles. Si on est libre de tuer les vieilles tantes pour un
soufflet donné à un petit-neveu, il n'y a plus de parenté possible. Fort
heureusement que tout cela est un jeu d'esprit, un petit drame de
théâtre et que cela n'a d'autre importance que l'intérêt du moment. Que
les vieilles filles se rassurent, la corporation n'est pas menacée.

La pièce est signée de M. Édouard Cadol; une femme de talent avait écrit
depuis quelques années un roman qui avait pour titre: _Une cause
secrète_. Le drame est né du roman. La collaboration a été des plus
heureuses, car cette _Enquête_ a été vivement applaudie. Elle est
très-bien jouée par Mme Fromentin, Mme Lesueur, Pujol et Landrol, et
surtout par Francès, extrêmement remarquable dans le rôle de Patrick, ce
domestique qui a une sensibilité si féroce.

L'Opéra-Comique a repris _Richard Coeur-de-Lion_. C'était merveille de
voir avec quelle chaleur et quel enthousiasme le public a accueilli ce
chef-d'oeuvre de Grétry. Mais aussi que cela est fin et juste, que
d'esprit dans les détails, quelle sage distribution dans l'ensemble!

La musique s'est chargée de ce livret assez banal de Sedaine, et elle
lui a donné la vie, elle l'a animé des ardeurs de l'âme par la poésie.
De ce sujet elle a fait une légende, ou plutôt un poème de l'amitié.
Elle lui a donné des accents si vrais, si touchants, que j'ai vu l'autre
soir des larmes couler de bien des yeux. A l'air: _O Richard, ô mon
roi!_ au duo: _Dans une tour obscure_, la salle a éclaté en
applaudissements, et pourtant cet opéra centenaire, Dieu sait si nous le
connaissons! Combien de fois l'avons-nous entendu, combien de fois
l'a-t-on répété partout, à ce point qu'on l'a usé comme un pont-neuf. Le
théâtre l'abandonne vingt ans; il le reprend, et le génie de Grétry, si
net, si clair, refleurit comme dans un renouveau. Ah! quelle grande
école que cette école de la musique française à la fin du XVIIIe siècle.
Beethoven l'appréciait à sa juste valeur; Rossini en admirait la
finesse, la fermeté, le bon sens et le comique, toutes ces qualités
enfin de notre génie français, et voilà que nous l'avons délaissée en
ces temps derniers; mais qu'elle reparaisse une fois, et nous nous
repentons de nos erreurs et nous revenons à elle avec tout
l'enthousiasme qu'elle mérite.

Cette reprise de _Richard_ a donc été une joie, une fête. Melchissédec a
chanté le rôle de Blondel avec beaucoup de style; il a dit son premier
air avec ampleur, et son couplet d'_Une fièvre brûlante_, repris par
Duchesne, a enlevé la salle. On a redemande le duo, comme on avait fait
bisser le duetto: _Un bandeau couvre les yeux._ Les rôles de femmes nous
ont paru bien moins tenus que les rôles d'hommes, et c'est dommage pour
ce gentil et aimable personnage de Laurette, une des perles de
l'ouvrage.

[Illustration: L'ARMURIER D'après le tableau de M. Jacomin.]

Mme Krauss nous est revenue. Nous devons à l'administration de M.
Strakosch de revoir cette éminente artiste, que nous avons retrouvée
dans _Il Trovatore_ avec toute la délicatesse, toute la chaleur, toute
la puissance de son talent, Mlle Krauss ne peut nous donner que quelques
soirées, mais sa réapparition aux Italiens marque vraiment les premiers
jours de résurrection de ce théâtre. La soirée a été excellente,
d'autant plus que Mlle Krauss rentrait accompagnée par un artiste de
premier ordre, M. Padilla, que nous avions entendu quelques jours avant
dans le rôle de _Rigoletto_, dont il chante et joue en maître tout le
troisième acte, si émouvant et si dramatique. M. Padilla, dans le rôle
du _comte de Luna_, a confirmé le succès de son premier début.

M. Savigny.



SCÈNES DE LA VIE DES BÊTES

IV

DES ABEILLES

On ne s'occupe plus de mélissographie; les facultés singulières de
l'abeille, comme celles du castor, n'ont pas inutilement alléché
l'investigation, qui depuis des siècles a pu se déclarer satisfaite.

Faisant ici simplement oeuvre d'homme de lettres curieux des moeurs des
animaux,--comme Démocrate qui comprenait leur langage, comme Dupont de
Nemours qui en fit le vocabulaire, et comme Théophile Gautier qui a
écrit l'_Histoire de mes bêtes_;--sans souci de méthode ni de programme,
nous demandons volontiers à la fantaisie le choix de thèmes pour nos
_Études... de la nature_, et il ne nous manque que la plume de Bernardin
de Saint-Pierre pour écrire un Bestiaire intéressant.

Depuis Aristote, Élien, Pline, combien d'observateurs habiles ont
regardé patiemment dans la vie mystérieuse des abeilles! Nous
connaissons leur république... gouvernée par une reine,--par un roi,
croyaient tous les naturalistes de l'antiquité.

Nous savons que cette reine ne doit le rang suprême ni à l'hérédité ni
au sort aveugle; elle ne le tient pas davantage de l'élection:
«L'ignorance du peuple, dit à ce sujet même saint Basile dans
l'Hexaméron, l'expose ordinairement aux plus mauvais choix.»

Elle règne par le droit de sa beauté, de sa force et de sa douceur; et
quand, aux heures de soleil, elle a donné le signal du départ, on voit
la belle et grosse souveraine, qui vole en avant, guider toute la gent
bourdonnante vers les fleurs des prairies.

Aussi bien ne s'agit-il point ici de la _chaste buveuse de rosée_
chantée par Anacréon et par Virgile:--suivant la croyance antique, les
abeilles tiraient seulement la cire du suc des fleurs et des pleurs des
arbres, et le miel tombait du ciel comme une rosée, _rossida mella._

Nous ne parlons pas de l'abeille des apiculteurs et des poètes, de la
gracile bestiole toute frémissante, à la taille coupée et mobile, aux
ailettes de gaze, non aussi jolie, mignonne, gracieusement fluette que
la guêpe à la peau d'or, mais plus douce qu'elle, plus humaine, et dont
l'aiguillon subtil n'est si prompt à la piqûre que parce qu'elle voit un
danger dans tout contact importun.

Mais nous irons jusqu'en Mongolie, où pullulent, surtout dans les
montagnes peu explorées qui entourent cette vaste contrée de l'Asie
orientale, des populations d'abeilles d'une forme et d'un habitat
particuliers.

Beaucoup plus grosses que les nôtres, ces abeilles,--plutôt ces
bourdons,--ont le corsage noir, les pattes longues et velues, le dos
couvert de poils courts, la tête ronde, avec des mandibules en saillie.
Ce qui en fait d'assez hideux insectes.

Elles ne forment point de ces essaims que nos abeilles, parfois
vagabondes à la recherche d'une demeure commune, et tout à coup
bizarrement amoncelées, suspendent aux arbres ainsi que des grappes
vivantes, fourmillantes et bruissantes. Mais il n'est pas rare, dans les
jours chauds, d'en voir des multitudes et des multitudes s'ébattre au
soleil.

Elles sont alors si remuantes et si pressées les unes contre les autres,
qu'on dirait un nuage qui grouille. Elles se gênent et se heurtent dans
l'air: confusion menaçante, sinistre; tout à coup irritation générale,
et guerre intestine des plus meurtrières.

Les méchantes et vilaines petites bêtes s'affolent, s'enveniment et se
saisissent corps à corps, par couples; s'étreignent en se mordant,
crispées de fureur; elles y mettent tant d'acharnement qu'on voit
bientôt tomber sur le sol une pluie de cadavres.

A la fin de la terrible lutte, qui n'a duré qu'un instant, la rageuse
population est diminuée de moitié, et comme s'il ne venait de se passer
rien d'extraordinaire, si vite oublieuse, elle reprend aussitôt sa vie
tranquille et ses pacifiques évolutions.

Leur miel, qui forme une masse visqueuse et collante comme de la glu,
d'une opacité aussi noire qu'était dorée la transparence du miel de
l'Hybla, ces abeilles, extrêmement travailleuses, le déposent dans les
vieux arbres creux, au sein des forêts, et l'y accumulent en grandes
quantités, tandis que les nôtres sont habiles à construire ces alvéoles
si merveilleusement cloisonnées suivant une savante géométrie, où, ambre
fluide, la précieuse liqueur qu'elles y distillent, peu à peu s'épaissit
et se cuit.

Le grand danger pour le cueilleur de miel ne vient pas de ces gros
hyménoptères à aiguillon, qui ont moins de venin que de laideur, mais
des animaux féroces, des tigres, des léopards, des lynx, des ours,
surtout de l'ours _paresseux_, ce plantigrade à l'aspect informe, dont
le corps et les pattes sont enfouis dans une robe de poils longs, durs
et noirs, et dont le museau étroit, allongé, sort de cette fourrure
comme d'une broussaille.

Un paysan mongol du Khou-Khou-Noor, nommé Trapilolu,--dont l'aventure
n'est peut-être pas fort connue en France,--avait remarqué dans la
forêt, sur la lisière du désert de Kobi, un énorme «figuier des
pagodes», un vieux banyan creux, hanté par des abeilles de la grosse
espèce noire.

Ayant osé s'y aventurer pendant la nuit, malgré les ombres et les
hurlements, pour trouver les abeilles au repos, il grimpa sur l'arbre.
Favorisé par le clair de lune, il plaça aux bifurcations des branches,
dans les gerçures de l'écorce, de petits pains de soufre auxquels il mit
le feu, et s'éloigna précipitamment.

Suffoquées par la fumée et par l'odeur, les abeilles ne tardèrent pas à
évacuer la place.

Trapilolu laissa passer un jour entier après ce premier exploit; mais
dès le lendemain matin, haletant d'impatience, il arrive au pied du
banyan.

Il se hissa sur le tronc jusqu'à l'ouverture où gisait le butin.

Le trou était large et profond, il fallait descendre dans l'arbre comme
dans un puits.

Trapilolu hésite, mais enfin se décide.

A peine entré dans ce trou noir, se soutenant encore des bras, sentant
que le vide s'élargissait dans sa profondeur, et tremblant tout à coup
de cette appréhension insurmontable des cavernes, il glisse... et
s'engloutit dans le miel comme dans une mare.

Pour en sortir, il eut beau faire des efforts surhumains, s'accrocher à
des aspérités imaginaires; ses ongles glissaient et crissaient contre
les parois dures, et ses pieds étaient collés au fond.

Il se démène: plus il trépigne, plus il enfonce.

Il en eut jusqu'aux aisselles.

La substance agglutinante le tenait de partout.

Dans quelles angoisses les heures se passèrent î

Depuis trois jours il était là, consterné; trois jours et trois nuits!

Il avait eu du miel pour la faim, mais le miel provoque une soif
brûlante comme le feu. Et puis le désespoir le tuait d'avance, il ne lui
restait qu'à implorer le ciel.

Tout à coup un bruit étrange! En même temps l'arbre tremble, oscille!
Quelque animal grimpait lourdement et ses puissantes griffes faisaient
craquer l'écorce! Quel plus triste sort pouvait être réservé à
l'infortuné Trapilolu que celui d'agoniser lentement, horriblement, et
de mourir dans ce trou! Cependant, quand il vit apparaître à l'ouverture
la sinistre silhouette d'un ours chercheur de miel, il trembla dans tout
son être du frisson glacé de l'épouvantement.

Il ferma instinctivement les yeux... il allait être déchiré en lambeaux,
broyé, dévoré...

L'ours, sans regarder, se met à descendre tranquillement dans l'arbre,
selon son habitude, à reculons, et... s'assoit sur la tête de l'Indien
plus mort que vif, qui, éperdu, fou, saisit le derrière de l'animal, s'y
accroche, et le serre avec la force du désespoir en poussant un grand
cri. L'ours se sentant pris s'effraye et s'élance d'un bond l'enlevant
après lui, saute à terre et court encore. Trapilolu était resté
cramponné à une branche! L'aventure fit du bruit en Mongolie. Et voilà
pourquoi, depuis longtemps, on ne dispute plus le miel aux ours dans le
désert de Kobi.

B. Saint-Marc.



L'ESPRIT DE PARTI

LE CHARIVARI

1833

Depuis que les journaux dynastiques prétendent qu'on en veut aux hommes
de loisir, le caissier du _Constitutionnel_ n'est pas tranquille.--En
revanche le préposé aux désabonnements est complètement rassuré.

On commence déjà à faire des préparatifs pour le carnaval prochain. Les
personnes qui désireraient des habits d'arlequin peuvent s'adresser au
bureau du _Journal des... Judas._

On a dit que si la peste pouvait donner des places, elle aurait des
courtisans. On peut ajouter qu'elle serait certainement défendue par le
_Journal des Judas._

_Le Journal des Judas_ disait hier: «Notre feuille n'arborera jamais la
couleur rouge.» Chacun sait bien que le _Journal des Judas_ ne peut pas
rougir.

Quoique fort obscures, les opinions du _Journal des Judas_ sont comme
les jours: elles se suivent et ne se ressemblent pas.

_Le Journal des Judas_ va, dit-on, se fixer sur le Pont-au-Change.

On dit que les rois s'en vont. Il nous semble que ce sont bien plutôt
les libertés.

L'Ordre de choses, par ses organes, menace les factions du mépris
public. Il aurait dû ajouter:--«Après moi, s'il en reste!»

Toute la police était hier en émoi, par suite d'une capture fort
importante. Il s'agissait de la saisie, chez un républicain, d'un bonnet
rouge que ce dernier avait eu la malice de faire teindre en blanc, pour
lui donner l'apparence d'un bonnet de nuit.

La révolution de juillet est représentée à l'étranger par des princes,
des marquis et des ducs. La voilà tout à fait décrassée.

Un voleur qu'on arrêtait hier s'est écrié très-sérieusement:--«Vous vous
trompez, monsieur, je ne suis pas un républicain.»

Autrefois on préparait la guerre pour avoir la paix; aujourd'hui on
prépare la paix pour avoir la guerre.

Jules Rohaut.

(_A suivre._)



LA MODE

Voici l'hiver qui arrive, aimables lectrices; il faut vous occuper de
vos toilettes, et surtout voir, avant d'acheter, les maisons dont le
goût fait loi.

La Ville de Lyon, 6, Chaussée-d'Antin, tient le premier rang entre
toutes, et parmi les mille jolies choses que j'ai été appelée à juger,
je vous citerai le Mouchoir Pénélope, en tissu de soie nattée pour la
petite poche de côté de vos casaques; les nouvelles Collerettes Médicis
en velours noir doublées de gros de Suez couleur claire, et la Fraise
Henri III en crêpeline blanche; puis de larges ceintures relevant le
pouff au moyen de coulants ou poignards en acier taillé, en jais, en
nacre (inédit), et de merveilleuses passementeries brodées de jais.

Maintenant, pour vous garantir du hâle et de la bise, le nouveau voile
Suez, formant en même temps fichu, et le _Gant Joséphine_ breveté, le
seul aujourd'hui que puisse porter une femme qui veut être gantée.
Partez donc et vous me remercierez.

Z***


Quelle est la meilleure des couseuses? Quelle est celle qui effectue le
plus solidement, le plus rapidement et le plus artistement les travaux
de couture ou broderie sur la mousseline, la soie, le drap? C'est, de
l'aveu des gens compétents, la machine Elias Howe à aiguille droite et
entraînement en avant.

Mais qui vend la machine Elias Howe? Moi!... répondent tous les
industriels qui affublent leurs mécaniques du titre de système, principe
Howe, Howe-diamant, etc., etc. Traduisez: Howe-imitation.

Il n'existe à Paris qu'une seule maison vendant la machine Elias Howe.
Seule, cette maison, dont le siège est boulevard Sébastopol, 48, a le
droit de parler de croix d'honneur, de diplômes d'honneur, décernés à
chaque exposition, et récemment encore à l'Exposition de Vienne. A cette
époque où vont reprendre les travaux au coin du feu, il est bon d'en
informer les familles.

Comtesse Armande.


Rien n'est aussi bien porté que les robes et costumes en soie des Indes.
Le foulard sergé est tout prêt pour les jolis costumes d'hiver; ces
tuniques se mettent sur les jupons de velours.

La _Malle des Indes, passage Verdeau, 24 et 26_, vient de me communiquer
les dessins de ses admirables cache-nez et foulards de cou. Le surah, le
creemson, le corah pur, sont autant de cache-nez riches et de grand
goût. Le cache-nez à la mode, c'est le bleu de roi et ciel, noir et
blanc, cerise et noir, jaune et noir; ce sont des soies des Indes, dont
le riche tissu croisé fait que pas un cache-nez ne pourra rivaliser avec
ce beau genre. La Malle des Indes a parmi sa riche collection de
foulards des Indes les splendides China, ce que nous appelons surah; le
blanc de lait, le crêpé, le cache-nez sablé d'une si grande souplesse,
le riche crépon et le vrai crêpe de Chine en 90 centimètres de largeur;
les dessins cachemire sur soie des Indes, les grisailles en deux tons et
les foulards brochés à bouquets jardinière dans les coins, entourés
d'une bordure brochée; le foulard fusion, rouge, bleu et blanc; le
foulard Alsace-Lorraine cerise et bleu. Ces genres sont adoptés pour
mouchoirs de poche. Nos gentlemen et les grandes élégantes portent dans
la pochette de leurs paletots ces ravissants mouchoirs de la Malle des
Indes.

L'Exposition de Vienne vient de mettre en lumière les progrès de notre
haute industrie française. La maison Ed. Finaud et Meyer a remporté les
deux plus hautes récompenses: la _grande Médaille de progrès_ et la
_Médaille de mérite_. Tout le monde a été à même d'apprécier la
perfection des produits de cette maison gigantesque. Ses savons sont
tous brevetés, depuis le savon au suc de laitue jusqu'au savon des
enfants, à 50 centimes le pain. Comme extrait, la violette de Parme est
sans rivale; l'oppoponax, c'est le parfum à la mode, le plus répandu et
le plus recherché. La maison Ed. Pinaud, 30, boulevard des Italiens,
tient dans son athénée d'élégance les produits les plus fins à la
glycérine; les eaux de toilette s'appellent oppoponax et fleurs
d'Italie.

MM. Pinaud et Meyer sont depuis longtemps fournisseurs brevetés de la
reine d'Angleterre, et tout récemment ils viennent d'être nommés
fournisseurs en titre de S. H. le Sultan.

Baronne de Spare.



Rébus

[Illustration.]

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

        On entre, on crie,
        Et c'est la vie.
        On crie, on sort,
        Et c'est la mort.



EXPOSITION DE VIENNE

LES CLOISONNÉS DE MM. CHRISTOFLE ET Cie

[Illustration: EXPOSITION UNIVERSELLE DE VIENNE. Objets d'orfèvrerie
exposés par la maison Christofle.]

Nous signalions dernièrement à l'attention de nos lecteurs le procédé
nouveau et, nous pouvons le dire sans exagération, parfait, inventé par
MM. Christofle pour la fabrication des émaux cloisonnés. Nous donnons
aujourd'hui la reproduction des principaux spécimens de cette branche si
importante de l'orfèvrerie exposés par MM. Christofle à Vienne. Il nous
reste à dire en quoi consiste l'innovation introduite par eux dès 1867,
dans l'art de l'émailleur.

Le moyen employé par les Chinois est connu. Il consiste à contourner à
la main de petites bandelettes de cuivre mince, à les appliquer sur les
vases à décorer, puis à remplir d'émail fondu les compartiments dessinés
par elles.

Ce procédé, qui exige des doigts très-déliés et des artisans fort
habiles, a l'avantage de donner à l'exécution un caractère personnel
d'autant plus précieux qu'il faut refaire le dessin pour chaque
exemplaire de l'oeuvre.

D'un autre côté la cloison fondue dont les courbes sont par conséquent
arrêtées et fixes offre une netteté et une pureté de lignes qui flatte
davantage l'oeil de l'Européen; car il est dans le génie des Occidentaux
d'associer la clarté et la symétrie, tandis qu'au contraire, en art pur
comme en décor, l'Oriental a une préférence marquée et intime, pour la
variété, l'irrégularité et le caprice.

On peut donc dire des émaux cloisonnés de MM. Christofle que, tout en
égalant les Chinois pour la couleur et l'invention, ils ajoutent à ces
qualités pour lesquelles ces vieux maîtres sont si supérieurs, les
mérites de la pureté, du dessin et de la sévérité du style.

Ce n'est pas seulement par l'exécution matérielle que se distinguent le
vase à fond céladon, portant une cigogne, un faisan doré et des
oiseaux-mouches dans un paysage de roseaux, d'iris et de pêchers en
fleurs,--le plat à corbeille de fleurs posé sur un damier,--et le vase à
fond jaune de style persan garni de bronze nuancé d'or. Ces trois pièces
de premier ordre, qui sont dues au talent de M. Reiber, architecte, chef
de l'atelier de composition et de dessin, se recommandent par une
originalité nouvelle qui s'inspire de la nature. Nous ne voulons citer
pour exemple que les mouvements de tête et de pattes des deux faisans
que nous mettons sous les yeux du public: ils sont d'une vérité et d'une
vie saisissantes, et notre excellent peintre d'oiseaux, Couturier, ne
les désavouerait pas.

Ah! la nature, c'est toujours d'elle qu'il faut parler et à elle qu'il
faut revenir, car elle est le modèle unique et le maître sans égal, et
elle a plus de talent que tous les génies du monde: elle a plus de
variété, plus d'imagination, plus d'harmonie, plus d'unité, plus de
style, plus de goût, plus de grâce, plus de force, que Michel-Ange,
Raphaël et Benvenuto Cellini réunis.

F. A.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 1600, 25 octobre 1873" ***

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