Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: Un tel de l'armée française
Author: Franconi, Gabriel Tristan
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Un tel de l'armée française" ***


    Note de transcription:

    L'orthographe d'origine a été conservée, mais quelques erreurs
    typographiques évidentes ont été corrigées. La liste de ces
    corrections se trouve à la fin du texte. La ponctuation a
    également fait l'objet de quelques corrections mineures.

    Les mots imprimés en gras dans l'original sont notés ici
    =en gras=.



  _Un tel de
  l'armée française_



  GABRIEL-TRISTAN FRANCONI


  _Un tel de
  l'armée française_


  [Logo de l'éditeur]


  PAYOT & Cie, PARIS
  106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
  1918
  _Tous droits réservés_



  Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation
  réservés pour tous pays

  _Copyright 1918, by PAYOT & Cie_



  A MES AMIS, MORTS ET VIVANTS
  DE L'ARMÉE FRANÇAISE
  A ALBERT URWILLER
  UN QUI N'EST PAS COMME LES AUTRES



UNE JEUNESSE


Tel ces médailles qui, sous la patine des siècles, accusent un profil
à jamais orgueilleux et viril, Un Tel, malgré les épuisements et
les fièvres, garde le visage de ses vingt ans. Il est la parfaite
image d'une époque inquiète, le souple sujet d'une race sportive et
spirituelle.

Né au cœur du pays, Un Tel est le frère de tous ceux dont l'âme
affectionne la claire campagne, la lumière mouvante des fleuves aux
vertes rives, les lignes graves et simples des châteaux, les parcs
galants où rêve sur de fuyantes terrasses le peuple immortel des
statues; Un Tel est le fils des dresseurs de barricades, romantiques
insurgés, fiers communards qui tombaient le crâne ouvert, ivres de
lectures folles, invoquant le décevant mirage de la liberté.

Il en est ainsi, de toutes les idées. Elles arborent, en leur
printemps, la pourpre de ton gilet, Théophile Gautier, pour finir dans
le sang du peuple!

Aux heures d'orage intérieur, Un Tel entend gronder en lui les échos
attardés d'anciennes clameurs; il lui monte aux lèvres l'amer parfum
des vins troublants, qui, jadis, énervaient ses pères, de ces idées
neuves où fermentent le doute et l'angoisse éternels de la vie. Mais,
vienne un après-midi de tennis et de course, de fortes heures où les
muscles rivalisent d'adresse, alors Un Tel, animal épris uniquement
de vitesse et de joie, rebondit sur le sol de France comme une balle
légère.

Il fut un gamin simple et que satisfaisait sa pauvreté.

Se contenter de l'ivresse des étés, de la fabuleuse poésie de la neige,
suivre d'un œil captivé le vol magique des hirondelles et trouver au
pain du ménage une saveur de brioche, ne sont-ce pas là des bonheurs
parfaits, lorsque l'on sait y joindre la richesse d'un cœur pur et
l'enthousiasme fleuri de l'enfance?

Etre le cerf que poursuit la meute des écoliers, le marin qui voit
partir sur une eau tranquille l'esquif de bois verni où tremble une
voile courbe, Un Tel avait été cela.

Sa prime enfance fut une longue kermesse, une pimpante théorie de fêtes
naïves, de bonheurs frêles comme des bateaux, et qui laissaient, eux
aussi, sur l'onde frémissante de sa belle âme, un sillage caresseur
et prolongé. Il connut les déjeuners champêtres, la table dressée
sous d'aimables ombrages, le retour des bois dans les parfums du
soir. Il aima les défilés multicolores du carnaval. Il suivit les
chars ensoleillés, où s'enivraient d'éphémères triomphes les reines
des marchés. Plus encore, les fêtes religieuses des vieux âges le
ravissaient: Pâques carillonnées, légendaires Noëls parés de crèches
et d'étoiles, heures tendres des patronages, douceur illuminée et
musicale des vêpres, Un Tel aspire encore leur encens délicat. Malgré
l'indifférence et le doute, il a gardé cette faculté d'émotion qui le
faisait jadis pleurer en écoutant le chœur des confrériennes.

Qu'ils étaient doux les soirs de printemps dans la rue bruyante!

La voix claire d'un voyou chantait au peuple accouru des romances
aux rimes légères. Un Tel s'arrêtait afin de participer à l'ivresse
commune. Puis, le groupe harmonieux se disjoignait. Certains, que le
lyrisme assoiffait, couraient vers les bars; d'autres demeuraient sur
place comme si l'écho attardé d'un dernier refrain les berçait encore.
Un Tel, pour ajouter à la simplicité du repas familial un peu de la
splendeur printanière, achetait une livre de fraises nouvelles.

La mère d'Un Tel attendait l'enfant. Courbée vers le sol dur, ainsi
qu'une sainte en prières, elle semblait porter un lourd fardeau. Femme
du peuple qui ne saurait être brisée par les chagrins et le labeur,
elle pliait. N'ayant jamais failli à sa tâche simple, la vieille, une
fois encore, avec les gestes de toujours, préparait le repas du soir.
Sur le poêle bancal, où s'animait un feu tremblant, la soupe bouillait,
chère eau chaude aromatisée qui réconforte, compagne quotidienne de
ceux qui n'ont pas à leur table les fruits mûris aux provinces du
soleil, ni ces rôtis savoureux dont le fumet, à lui seul, ranime et
nourrit. Un pas allègre, tel un roulement de tambour, chassait le
silence; la porte s'ouvrait, Un Tel embrassait sa mère, il mettait
une nappe blanche sur la table, levait la flamme de la lampe, et voici
que la mansarde où rôdaient les esprits sombres de la nuit était,
soudainement, réjouie comme si des ondes lumineuses jaillissaient de
quelque invisible fontaine.

Un Tel narrait à sa mère les menues aventures de la journée; il avait
quinze ans, une âme enthousiaste et gamine, et il ignorait encore qu'il
est souvent pénible de gagner ce beau pain frais qu'il aimait et dont
la petite vie merveilleuse nourrissait sa jeunesse éclatante. C'était
l'heure de la causerie. La vieille mère contait l'histoire de la
famille.

Le père était mort. C'était un fidèle compagnon, un travailleur; tout
jeune, il avait fait son tour de France. Il repose dans la banlieue
mélancolique, en un cimetière peuplé d'érables rouges et d'ormes.

Nul mieux que lui ne savait besogner la charpente. Il allait, la
musette au côté, travaillant de bourgade en bourgade. Comme il avait
belle prestance, les filles lui souriaient. Parfois, fatigué de rôder à
l'aventure, il s'adossait au tronc noueux d'un vieil arbuste et, pareil
au soldat qui boit une gorgée de rhum pour renouveler ses forces, il
contemplait avec amour l'image de celle qui devait être un jour sa
femme.

En chantant, il repartait, longeant les bois, traversant les terres
labourées. Il revint à Paris, élever de solides charpentes. Vinrent
d'heureux jours, on se maria un matin d'hiver; la noce s'en fut à
Robinson, où les bosquets déserts étaient couverts de neige.

La vieille mère évoquait les douleurs du ménage: une fille naquit,
jolie comme un enfant Jésus et qui souriait dans son berceau. Elle
avait cinq ans, quand, un après-midi fiévreux, on la mena à l'hôpital.
La petite n'en revint pas; elle avait préféré s'enfuir vers les jardins
du ciel, où les enfants des pauvres vivent entourés de guignols, de
chevaux de bois et de balançoires. Le père, l'année suivante, tomba
d'un échafaudage.

Mais, Un Tel n'écoutait pas la cruelle histoire de sa vie.

Il contemplait, en lui, un monde frémissant et prestigieux dont nul
roman héroïque ne saurait dire l'intime et vivante beauté. Les routes
assombries où son destin l'avait mené lui semblaient s'élargir à
l'horizon, comme des voies triomphales. Une ardeur étrange, mêlée à son
jeune sang, lui donnait une vivacité d'oiseau. Aussi quand, desservant
la table, il jetait au loin les miettes dorées tombées sur la nappe, on
eût dit que ces douloureux souvenirs s'envolaient avec elles.

Un Tel est au physique un homme moderne, affectant un américanisme
voulu, sous lequel apparaît aisément une fantaisie d'artiste. De
sombres étoffes donnent à son clair visage une lumière particulière.
Il a le pas rythmique du danseur. Il marche la tête altière, l'œil
vif, les poings fermés. Pétri de force et paré de joliesse, Un Tel est
un nerveux Apollon dont la silhouette complexe dessine sur l'écran du
monde une ombre de tendresse et de brutalité.

Il eut des amours nombreuses. Afin d'obtenir d'impossibles joies, il
désira d'étranges compagnes, dont une chanteuse, qui fut son premier
amour.

Au Café des Hémisphères, elle chantait des refrains sensuels. La
musique animant les courbes de son corps, elle apparaissait telle
une voile marine qui, gonflée d'un vent joyeux, se joue sur la mer
lumineuse. L'électricité lui faisait une étincelante parure, et le
populaire acclamait la volupté de ses gestes. Elle était le fruit
tentant et mystérieux des tropiques dont les yeux éblouis des simples
s'enivraient, et d'aucuns, qui rêvaient de mordre à sa lèvre écarlate,
imaginaient qu'elle avait la fraîcheur de ces oranges de Jérusalem, où
du sang coule sous l'écorce d'or.

Un Tel, le soir de juin où il entendit Farfale, la chanteuse, eut en
son cœur une illumination; il l'aima pour le vice énervant de ses
yeux. Elle était l'incarnation de l'amour, la bacchante populaire,
glorifiée par la foule, et dont le nom vole de l'étroite échoppe au bar
tumultueux; il la croyait riche, heureuse. Il l'attendit à la sombre
porte du concert; elle sortit, pauvrement vêtue. Un Tel hésitait à la
reconnaître; mais elle vint le rejoindre, car elle avait compris qu'il
l'aimait.

Elle lui prit la main. Ils longèrent les quais moroses du canal, où
la lune se baignait parmi des cheminées d'usines renversées. Ils
arrivèrent sur une place déserte. Farfale entraîna l'adolescent dans
un couloir obscur, dont les murs suintaient. Ruinée, malodorante et
triste, telle était la demeure de la chanteuse. Un Tel n'avait jamais
vu semblable misère. La mansarde de son amoureuse était ouverte au
vent nocturne. Le plafond avait un large trou. Dans le toit croulant,
flambait un triangle d'azur où rêvaient les étoiles. Une pluie lente
se mit à tomber, dont les gouttes rafraîchissaient le visage du jeune
homme. Sous la fine caresse de cette pluie inattendue, les désirs de
l'adolescent s'envolèrent; subitement se brisa le cercle de feu qui lui
brûlait les tempes.

Ces deux êtres, sous la fraîche ondée qui leur venait du ciel,
sentaient mourir en eux les orages de l'amour. On eût dit, à les voir
l'un près de l'autre, contemplant les arcs-en-ciel évanouis de leur
rêve, qu'un vent rapide leur avait enlevé les parures de leur jeunesse.

Dans la paisible nuit, Un Tel s'en fut, plus heureux que s'il avait
connu les bonheurs qu'il enviait. Il revint embellir sa chambrette; il
mit à son lit des draps frais, il prit une taie d'oreiller qui sentait
le foin coupé. A l'aube, l'adolescent, beau comme un ange foudroyé,
reposait, ayant replié ses ailes, pareil à l'oiseau qui, pour dormir
après l'orage, choisit une branche fleurie d'amandier.

Un Tel posséda des Polonaises, molles comme des Orientales, des juives
aux lourdes chevelures. Beautés maladives, bijoux affinés et frêles,
bêtes perfides ou splendides, tendres prostituées; il mit au front de
toutes ses amoureuses l'auréole trompeuse et vite évanouie de son désir
et, durant ces tristes fêtes de la chair, il comprit qu'il lui fallait
rechercher une femme dont les idées et les sens auraient une parenté
frémissante avec son cœur et sa raison.

Tout homme a, de par le monde, une femme née pour être sienne. Souvent
cette amante prédestinée meurt sans avoir rencontré celui qu'elle
attendait. Un Tel connut, dans une nature chaude et riche où la forêt
et la mer joignaient leurs beautés rivales, la compagne qui devait
embellir et organiser sa vie. Ils s'aimèrent. Ce fut simple et fort,
comme les jeux des plantes et des eaux.



LA FOIRE AUX IDÉES


La génération dont Un Tel est le type exact aima les idées, comme
des femmes. Elle erra, parmi les formules sociales, à la recherche
d'une impossible perfection, les adoptant et les rejetant avec une
égale ardeur. Mais, parmi tant de ferveurs et d'abjurations, elle
sut garder un sens ferme de l'équilibre qui lui fit comprendre le
grotesque des idées absolues. Elle eut, heureusement, une élégance
d'esprit lui permettant d'estimer, sans excès, les formes nobles, les
jolies couleurs et le verbe aux inflexions savantes, qui sont la parure
extérieure des idées et leur réelle magnificence.

Un Tel fut anarchiste. C'était le temps où M. Laurent Tailhade
posait si joliment, au front du pauvre boulanger Caserio, le laurier
d'Harmodius. La naïveté de cette confession, groupant pour de
fraternelles agapes, sous les ombrages d'un éternel été, les hommes
les plus divers, ne satisfaisait pas entièrement la raison d'Un Tel.
Néanmoins, il imaginait avec agrément une époque où les êtres, vivant
sans la menace impérieuse du Code et sous une royauté morale unique, se
partageraient fraternellement les richesses du monde.

Mais il fallait vivre «scientifiquement», s'abstenir de boire tel
estimable alcool; rechercher l'hygiène de la vie en toute chose,
abattre les monuments du passé, mettre en commun les femmes et les
jardins, sans pouvoir revendiquer l'ombre d'un arbre, la pile d'un
pont, la chair d'une rose. Tel crasseux esthète vous imposait un régime
d'ablutions incessantes, tel autre fou vous enjoignait de contempler
toute chose sous un angle géométrique. Tout fidèle de la nouvelle
religion s'érigeait en pontife et réclamait pour lui seul le droit à la
vérité.

Un Tel comprit que l'anarchisme était une tyrannie stupide. Au reste,
l'échec d'une colonie communiste où des ouvriers, des professeurs et
un vacher s'arrachèrent, durant quelques semaines, les cheveux, sous
l'œil irrité de saint Bakounine, suffit à lui prouver qu'il importait
de rejeter à jamais, comme utopique et néfaste, le désir de faire vivre
en commun, sur un même plan social, les diversités d'hommes.

Certes, de curieuses figures, évoquant les premiers siècles chrétiens,
illustraient l'anarchie. Probes, fières, charitables, elles honoraient
le parti naissant. Mais, combien leur action fut vaine, et de quel
mépris le troupeau les entoura. La foi, pour estimable qu'elle puisse
être, ne saurait vivifier des choses mortes. De toutes les erreurs
modernes, la plus étrange fut cette perversité de l'idée qui fit
admettre, comme vérités intransigeantes et absolues, de pauvres petites
rêveries qu'avaient dédaigneusement rejetées nos pères.

Les partis politiques et leurs bas intérêts ne séduisirent point Un
Tel, dont la nature indépendante rêvait de se dévouer et de combattre.

Ayant dissipé les nuées qui l'entouraient, Un Tel comprit aisément que
les rues de son quartier, les fortifications de Paris, les tonnelles
riantes de la banlieue lui tenaient autrement au cœur que les gens et
les choses de Valachie; il entrevit, image encore faible et confuse,
lumière sereine illuminant les conflits, les intérêts, la vie et la
mort, cette chose imprécise et vivante qui s'impose à tout homme: la
Patrie, société sinon fraternelle, du moins policée, organisée, de ceux
qui ont des intérêts communs, l'amour du même sol, une communauté de
souvenirs et d'espoirs.

Un Tel était poète. Il fréquentait les bouges où les gueux bercent
leurs misères; il buvait avec eux jusqu'à ce que retentissent en ses
tempes les saintes musiques de l'ivresse. L'alcool fouettait ses nerfs;
tel le psaltérion, le poète, pour chanter, a besoin d'être battu par
des verges de fer.

Marie, la servante obscure d'un bar de la rue de Bièvre où s'enivrait
Un Tel, accueillait avec calme cet étrange client. Promenant sur les
tables souillées un torchon humide, elle allait, toute menue en ses
loques dérisoires, indifférente aux propos des buveurs. Campagnarde
qui échoua dans un bouge obscur de la Cité, elle n'avait au monde
qu'un désir: aimer son frère, et ce pieux sentiment gagnait, à vivre
parmi les tourments et les rudes passions de la plèbe, une pureté
particulière.

La Bruyère, le frère de Marie, était un fort gaillard à barbe
orientale, dont la folie n'inquiétait aucunement la servante. Elle
gardait, sur une planche de la cuisine, la modeste portion de bœuf
bouilli et le verre de vin qui sauraient apaiser la faim et la soif du
malheureux, au cas où son délire ne le persécuterait pas outre mesure.

Fou! Le gueux l'était. Il se croyait le maître des forces mystérieuses
qui règnent sur le monde, l'être dont la sagesse dicte aux nations
leur conduite. Il écrivait aux empereurs. Musique guerrière, peinture
pastorale, poésie érotique, La Bruyère pratiqua tous les arts, hors
celui de raisonner justement.

Sur la route aventureuse d'Un Tel, il joua le rôle douloureux et
sauveur de l'ilote dont il faut éviter le sort misérable.

Certes, Un Tel ne pratiqua pas la bohème navrante de La Bruyère; il ne
vécut pas, par amour du pittoresque, dans une mansarde malodorante et
glacée; il ne chanta pas des romances sentimentales dans les cours,
mendiant ainsi les quelques sous nécessaires à sa vie quotidienne. Il
est vrai qu'il trouva dérisoire de vagabonder à la recherche d'une
maigre pitance et de joies éphémères, alors qu'un labeur sans gloire,
courageusement accepté, permet à tout homme de se créer une existence
agréable, harmonieuse et simple. Néanmoins, il aima cette recherche
maladive de l'anormal et de l'excessif, ce débraillé intellectuel qui
régna dans les cercles jeunes, bohème de l'idée autrement pernicieuse
que la pauvre fantaisie des pantins de Murger.

Un Tel sut réfréner son désir et ne plus vouloir que des choses
humaines.

Il est vain de créer des architectures de principes, qui n'ont aucune
base réelle, et qui satisfont, uniquement, l'orgueil de leur créateur.

Un Tel sentit avec justesse qu'il importait avant tout de faire
jaillir la sensibilité profonde de son être, telle une source pure
cachée sous le feuillage des rythmes et des couleurs. Il comprit que
l'anarchisme des uns et l'impérialisme des autres, que le classicisme
ou le romantisme, que tous les «ismes» modernes ne sont que des voiles
flottantes, ravissant à nos yeux la déesse lumineuse, la superbe Isis,
dont les hommes, inlassablement, rêvent de connaître l'immatériel
visage.



ISMES ET CRATES


Les temps étaient défunts où le poète pouvait chanter:

    _La gloire est une couronne
    Faite de roses et de lauriers_.

Un Tel eût aimé exprimer ses idées en quelques mots concis et créer
des œuvres peuplées d'idées claires. Mais il connut la vanité d'un tel
effort. Ecrire un drame où l'on exalte l'héroïsme d'une vie simple,
aux prises avec les passions, et qui sait les dompter, faire une gerbe
étincelante et naïve de poèmes sont de pures folies. Des sages dirent à
Un Tel: «Inventez un isme, découvrez un crate, tel est le secret de la
réussite. Créez un mot, enfoncez-le comme un clou d'or dans la vieille
boiserie littéraire.» Un Tel dédaigna le conseil des sages. Il s'en fut
chez un isolé des lettres, un des maîtres dont l'art sobre, image de
leur vie, l'enchantait.

--Vous avez du courage d'écrire à notre époque. Enfin, vous êtes jeune,
il vous faudra beaucoup de courage. Je ne veux pas vous désespérer;
mais comment peut-on écrire encore?

Ayant dit, triste et grave en sa maison froide, le maître reprit la
plume un instant délaissée.

Un Tel avait rêvé une poésie énergique et vivante. Il lui apparaissait
que la mission du poète était de faire visiter aux hommes des
jardins irréels et merveilleux: d'héroïser la roulotte et le chemin,
d'illuminer la vie simple et pénible des travailleurs. Loin du bluff et
du snobisme des écoles, il voulait chanter, libre oiseau à qui l'on ne
peut rogner les ailes. Certes, les poètes utilitaires, normaliens ivres
de succès, fondateurs d'écoles, surenchéristes forcenés, méprisaient
Un Tel. Les esclaves ont toujours détesté l'affranchi. Il ne voulut
point former une faction nouvelle; il refusa d'associer à son art une
politique arriviste et brutale. Ce fut un homme libre.

Un jeune versificateur insultait à Racine, qui, pour le remplacer,
faisait retentir entre les vieux murs de l'Odéon la canonnade de
Rivoli. Un sculpteur de génie mourait de froid en son atelier, alors
que la foule injuste et stupide admirait Archipenko bâtissant des
gnomes affreux dans des plaques de tôle. Surpassant en renommée les
autres ismes, survenant après les naïfs primitifs, les anges adorables
de Boticelli, le rire et les chairs de Jordaens, les arbres illuminés
et rêveurs de Corot, le cubisme régnait. Sous prétexte d'originalité,
toutes les folies se donnaient libre cours. Chacun désirait une vogue
et des succès immédiats. L'œuvre n'était rien, et seule valait qu'on
la considère la renommée que l'on en tirait. Pauvre génération qui ne
savait pas qu'un artiste ignoré tailla dans un marbre immortel la
victoire de Samothrace.

Un écrivain cultivé et qui n'ignorait pas que la plus haute sagesse est
encore de se bien connaître soi-même avait alors émis sur ses confrères
ce jugement sans douceur: «L'homme de lettres est une charogne.»
L'avilissement de certaine jeunesse qui se croyait audacieuse et se
disait géniale, ses procédés réclamistes et son insolente prétention
feront la stupéfaction de nos fils lorsque, pour notre honte, ils nous
rechercheront dans le dédale empuanti des revues littéraires.

Toutes auraient pu, en admettant qu'elles fussent courageuses, inscrire
à leur fronton le dur verset du chœur aristophanesque: «Il n'est pas
facile de m'adoucir, quand on ne parle pas dans mon sens.» Mais elles
n'avaient qu'une sorte d'intransigeance, la pire, celle qui ne pardonne
pas aux êtres d'être justes et bons.

Invoquant la chimère au corps de biche, au buste de femme, à la jambe
de fauve, tous les poètes véhéments en firent un animal domestique;
ils l'asservirent à leurs bas intérêts. Sans doute, férus de science,
sinon de belles-lettres, ils avaient appris que la chimère, outre ses
ailes qui la font traverser les mirages du monde, est aussi le roi des
harengs.

En ces temps confus, les istes dévoraient les crates et réciproquement.
Il y avait grande liesse en la République des lettres quand mourait
de faim un poète. L'union se faisait alors. Les rongeurs accouraient
en foule, brandissant leur plume vengeresse. Ils dansaient autour du
cadavre qui, pour eux, exhalait une fraîche odeur d'imprimerie.

Deubel s'était jeté dans la Marne, un soir de faim et d'amertume,
suicide inexplicable, puisque la veille encore une mondaine avait fait
à ce gueux l'honneur de lui offrir une place de garde-chasse. Des
histrions sans âme triomphaient sur les scènes parisiennes; d'habiles
faiseurs encombraient les expositions d'art; des poètes volontairement
abscons accaparaient les éditeurs.

La vieille boiserie littéraire allait craquer sous les innombrables
clous d'or que d'impatients arrivistes y plantaient.

Mais vint la guerre.



LE MIRACLE DE LA MARNE


Ayant suspendu, par les pieds, les curés liégeois aux cordes de
leurs clochers, l'envahisseur descendait vers Paris. Les villages
brûlaient comme des meules. Parmi le sifflement des obus et l'exode des
populations affolées, des petites gamines, indifférentes au tumulte
guerrier, poursuivaient devant elles de jeunes dindons qui s'étaient
enfuis de la ferme. Des vieux pêchaient dans l'eau calme où se mirent
les jolis moulins et, si quelque obus troublait leur quiétude, ils s'en
allaient un peu plus loin exercer un art patient, sinon fructueux.
Enfants et vieillards, qui ne vouliez pas croire à la guerre,
qu'êtes-vous devenus?

Dans la charrette de la ferme, poursuivie par les premières balles, la
petite famille s'est enfuie. Une vierge en pleurs fouette le cheval.
La tête doucement inclinée par le regret, elle rêve aux pures amours
qu'elle eût aimé connaître et que le destin lui ravit dès l'aurore.
Il n'est plus d'amours innocentes, ni de jeux champêtres. L'âtre
affectueux et les greniers ensoleillés sont en cendres, la foudre
dispersa les pierres du foyer.

Il faut reprendre, sur les routes, la fuite éperdue de jadis, ce
vagabondage inquiet des âges primitifs, où le Barbare aveuglé brisait,
rageusement, les œuvres humaines.

Les mélancoliques vieillards, les mères angoissées, les enfants
éblouis d'aventure deviennent le vivant enjeu d'un combat; ils sont
la frémissante proie que poursuit un glaive ruisselant encore du sang
de leurs frères martyrs. Le cortège errant des émigrés est une armée
vaincue.

Les émigrés ne sont pas d'astucieux romanichels, vicieux et maraudeurs.
Ils gardent au cœur des tourments innombrables les mœurs simples et
douces de la famille.

C'est du sein même de l'émigration que sortent, frais adolescents
qu'un siècle aimable eût enrubannés, ces bergers épiques qui suivent
l'armée. On voit des pâtres de treize ans, délaissés de leur troupeau
fugitif, servir, au sens fier du mot, une patrie dont ils n'auraient dû
connaître encore que les enchantements. Leur souriante ingénuité défie
la mort. Ils ajoutent au tragique des heures une jeunesse particulière,
et la France guerrière, malgré ses deuils, sourit à la caresse de ce
printemps inattendu.

Il est un berger qui mourut à la Marne, bel ange courageux, dont la
tombe discrète, exhaussée d'une croix blanche que couronne un béret,
fera dire plus tard aux curieux promeneurs: «Les soldats de la grande
guerre étaient-ils si petits?»

Si la mort a fauché cette jeunesse en fleurs, c'est qu'il fallait,
pour l'ennoblissement de l'histoire, à la vilenie de l'envahisseur
renversant les berceaux, qu'une réponse fût faite par de jolis enfants.
Ainsi s'explique votre sacrifice, bergers, les plus purs d'entre tous.

Fridolin a vu s'enfuir les siens, le fermier partit et le berger resta
seul avec ses moutons. Quand vinrent les uhlans, le gosse intrépide
suivit nos armées. C'est le recul, l'enfant ramasse du bois pour faire
du feu à l'étape. Il se rend utile. Il est le jeune frère du soldat. Un
Tel s'en fait un ami. Une balle vint percer le cœur de l'enfant, et nul
verbe ailé n'a besoin d'entretenir au cœur irrité d'Un Tel la sainte
fureur et le juste courroux qui rendent invincibles.

Une riche moisson lèvera sur les tombes françaises, des demeures
harmonieuses renaîtront des ruines, mais Un Tel à jamais se remémorera,
utile et grave leçon, ces cortèges d'émigrés qui fuyaient vers le Sud
et le regard fixe et bleu du berger qui mourut en soldat.

Mais il en est qui demeurèrent dans la tourmente, entre leurs faibles
murs battus par les marées humaines, et qui virent revenir nos troupes,
sanglantes et victorieuses. Ceux-là, seuls peut-être, comprennent ce
que fut le miracle de la Marne.

Seule de sa race, en sa maison claire et propre, la fermière subit
l'envahisseur, avec la réserve hostile et polie du paysan. Hoffmann, le
cuisinier des officiers, assis auprès d'elle, admire la salle familiale
où flambe l'âtre large.

Pour ce rustre, la guerre est une manœuvre prolongée, où la maraude
est honorée et l'ivresse permise; la France est un verdoyant polygone
que l'on peut traverser sans péril.

Durant que rôtit l'oie grasse, le cuisinier improvisé se laisse éblouir
par les miroitements alternés du balancier de cuivre qui danse au cœur
de la vieille horloge. Si l'hôtesse était moins revêche, comme il
ferait bon vivre sous ce toit, où s'alignent des poutres parallèles,
jadis taillées dans le cœur des grands arbres; qu'il serait plaisant
de s'enivrer en cette demeure émouvante, qui sent bon la cire et les
pommes.

Voici huit jours que les Allemands sont là. Le maire a dit au fermier:

--L'heure est grave, la commune a besoin d'être défendue par ses
meilleurs citoyens. Vous aurez l'honneur d'être otage.

--Otage! Qu'est-ce que c'est que cela? Je veux bien être otage.

Lorsque le fermier se vit encadré par deux gaillards armés, dont les
yeux luisaient comme des baïonnettes, il comprit soudain que certains
honneurs ont de redoutables revers et qu'il lui fallait, en prévision
de jours orageux, une âme héroïque, comme on en voit dans les livres.

Tandis que l'otage volontaire et craintif, arpentant la salle de la
mairie, compte les minutes, son épouse, indifférente aux obus qui
déchirent la soie lumineuse du ciel, s'évertue à maintenir, en leur
maison brutalement envahie, l'ordre traditionnel des choses.

Toutes les filles du village se sont enfuies dans la forêt proche. Le
mystérieux pavillon d'un garde-chasse leur est un sûr asile, où elles
attendront que la tempête se soit apaisée.

Elles n'osent s'aventurer vers la lisière du bois, où chantent les
balles. Pourtant, une même espérance a caressé l'âme de toutes ces
hirondelles que la peur groupe dans l'ombre verte. Elles ont pressenti
le retour du printemps de France: la Victoire. Ces vierges, à qui de
belles amours futures sont promises, cueillant de leurs mains brûlantes
les fleurs blessées du soir, tendrement évoquent en un rêve de sang et
d'azur de lointains fiancés qu'elles imaginent, robustes et beaux, le
mousqueton au poing, défendant l'orée d'une forêt où rôde, parmi les
eaux vives et les vents embaumés, le cortège éblouissant des vierges
françaises.

La table est servie chez les fermiers. Hoffmann a disposé
symétriquement le couvert. Il a réquisitionné une armée de bouteilles,
bons vins pourpres, qui semblent rougir plus encore d'être la proie de
l'ennemi.

Cependant que les officiers s'apprêtent à dévorer la dernière oie de la
basse-cour, la fermière, le front à la vitre de la cuisine, a cru voir,
décevant mirage, la silhouette d'un cavalier français traversant les
jardins.

La voix impérative du commandant éclate:

--Depuis quand buvons-nous deux vins différents dans le même verre?

Les grosses mains rouges du cuisinier s'emparent de verres fins et
sonores, aimable cadeau d'une aïeule fortunée, qui ne servirent pas
depuis la première communion des filles.

Le commandant vitupère:

--Ces gueux cachent leur vin, leur or et leurs filles. Nos troupes ont
traversé la France, au pas de parade; nous voici à quelques lieues de
Paris, et nous nous arrêtons. Depuis huit jours, un vil peuple nous
résiste.

Tu peux vociférer, commandant, la vieille se rit de tes menaces et de
tes volontés; des ombres vengeresses entourent la ferme, des cavaliers,
l'épée haute, traversent les avoines.

Dans la fumée des cigares et des vins, les Allemands virent à peine se
lever le fer qui les abattit. Durant que la tête aux yeux révulsés du
commandant roule dans les cendres du foyer, Un Tel, maigre, boueux et
ravi, formule cette oraison funèbre:

--Il n'y aurait pas moyen de casser une croûte, la petite mère?

Et, parce qu'il faut à la vie un éternel retour de misères et de
beautés, la paysanne, à la fois reconnaissante et parcimonieuse, de
répondre:

--Je vais vous donner toutes mes pommes; elles commencent à pourrir.

Une à une, à l'orée du bois, écartant de leurs fines mains les ramures
tombantes, les vierges apparaissent; tandis que s'éloignent les
vainqueurs, elles reviennent au village.

Ainsi, pour que vivent heureuses des vierges aux beaux yeux qu'ils
devinent jolis, mais dont ils ne posséderont jamais les charmes
émouvants, de jeunes hommes meurent à la fleur de leurs ans ou
acceptent les pires mutilations; d'autres se perdent dans la nuit, la
bourrasque et le feu, sans porter vers elles un regard de regret.

Belles inconnues, protégées du soldat, parures de la France, vierges
qu'il sauva de l'ignominieuse atteinte du Barbare sans espoir de vous
retrouver: Marie aux lèvres chaudes, Jeanne ensoleillée, petite Magali
à la voix d'oiseau, vous toutes enfin dont la grâce fut l'enjeu du dur
combat, vous incarniez, pour le soldat de la Marne, en votre joliesse
désirable et frémissante, l'indépendance, l'harmonie et la liberté.



EN LIGNE


Les canons aboient dans le crépuscule. Les bois où l'artillerie est
cachée sont des buissons ardents. Il faut monter en ligne. Dans le
village en ruines, au faîte d'un pan de mur, une plaque demeure, battue
des vents: «La mendicité est interdite dans le département.»

C'est une zone nouvelle où la terre est soulevée, retournée, éventrée
par les explosions. Une avenue, faite de troncs d'arbres, mène vers la
ligne.

Il faut avancer avec attention, se lier au sol, épouser sa forme et sa
couleur.

Un Tel entre, avec son bataillon, dans cette mystérieuse région de
l'aventure. Son sac, où des lettres, des vivres et du linge forment un
ensemble compact et moisi, lui pèse; des musettes gonflées de grenades
battent ses flancs. Un Tel gagne le boyau. Il accroche son fusil au fil
téléphonique. La nuit est venue. S'efforçant de suivre l'ombre qui le
précède, il trébuche et s'irrite.

Des voix font passer des recommandations: «Attention au fil. Faites
passer qu'on ne suit pas. Faites passer: Halte.» D'autres voix, surgies
de la terre, demandent, sourdes, inquiètes:

--Qui est-ce qui fait passer qu'on dise: Halte?

L'irritation d'Un Tel gagne la file errante.

--Quel est l'imbécile qui est en tête?

--On va trop vite!

Le boyau devient étroit. Epuisé, l'épaule déchirée par la courroie
du sac, Un Tel s'accote à la paroi suintante et molle. Il lui faut
repartir, car ceux qui le suivent le renverseraient et lui passeraient
sur le corps. Les boyaux se coupent et se rejoignent. On ressent un
vertige écœurant à les parcourir.

Voici la première ligne. Les hommes se fixent obstinément au poste
qu'ils garderont. Les escouades descendantes s'incrustent dans le mur,
afin de laisser passer la relève.

Il faut occuper avant tout le petit poste avancé, cirque de terre,
entouré de fils barbelés, d'arbres abattus, fortin garni de grenades,
sentinelle dont la vigilance doit être absolue et qui garde la France.
A deux ou trois mètres du poste, des cadavres ossifiés, lavés des
pluies, et dont la tête convulsée montre encore le cercle éclatant des
dents blanches, attendent un lointain réveil. Ces morts ont le visage
de leur âme. Les nuits de vent et de pluie, il faut aller s'étendre
auprès de ces squelettes et, sous leur protection, écouter la nuit afin
de pouvoir abattre l'adversaire qui, par aventure, tenterait de se
glisser jusqu'à la tranchée.

Un Tel, la gorge irritée par l'odeur fade de la terre et du sang, la
respiration haletante, s'étend sur le sol, sa couverture repliée sur
la tête, attendant le sommeil. Les fusées lumineuses se balancent
dans l'espace, telles les lampes suspendues d'un temple immense.
Frappées par une mystérieuse flèche, les étoiles filantes tombent vers
l'horizon. Un Tel ne peut s'endormir. Résorbé en lui-même, en présence
de la mort et de l'aventure, il se sent une plus vive clairvoyance, une
émotion accrue par le tragique de la situation. Il se met à penser,
afin de mieux vivre les instants que le destin lui compte.

La tranchée incite à vivre intimement, égoïstement, pour soi-même,
quelque réelle fraternité les combattants puissent avoir entre eux.

Le jour viendra. Les hommes causeront à peine. La tranchée est un
lieu de méditation. Les meilleurs soldats, les plus dévoués, les plus
braves, ceux dont la vigilance ne fait jamais défaut, sont de grands
taciturnes.

Il s'agit de se battre confortablement, d'être à l'aise. Chacun
s'organise un coin particulier, où il pourra reposer la tête sur le
sac. Le soldat désire, avant tout, un bien-être individuel que nul
ne partagera, et il ne faudrait pas voir de l'égoïsme dans ce besoin
naturel d'isolement et de propriété.

Les gourbis sont étroits, encombrés de munitions; l'eau y coule les
jours de pluie, des claies pourries y recouvrent le sol, les rats y
foisonnent, mais on y goûte un bonheur réel. Sans bruit, l'escouade
s'y groupe et y joue d'interminables parties de manille, indifférente
aux explosions qui secouent le sol. Ayant ramassé du bois mort sur
le parapet, Un Tel aime allumer dans son gourbi un feu généreux. La
flamme claire, mouvante, haute et bientôt recourbée, lui semble prendre
les divers aspects de la vie, tristes ou gais sans mesure, et ce lui
est, dans le nuage épais de la fumée, une délicieuse occasion de se
ressouvenir.

Il faut travailler, surélever le parapet, creuser la tranchée. Tout le
jour, ce seront de multiples corvées: transport de bombes à ailettes,
de gabions; la nuit prochaine, il faudra veiller encore.

Quels êtres particulièrement doués, solidement bâtis, animés de
passions divines et surgis d'une antique épopée sont donc les
combattants de cette grande guerre? Un Tel cherche des dieux, autour de
lui, et ne voit que des hommes.

Donquixotte et Citoillien étaient voisins. Ils s'exécraient, se
reprochant mille méfaits, entre autres de n'avoir rien à se reprocher.
La guerre vint. La vie de la tranchée lia, l'un à l'autre, les deux
adversaires. Forcés qu'ils étaient d'habiter, face à face, une humide
cagna, repliés et joints dans un obscur et profond isolement, ils
apprirent à se connaître, et l'irrésistible antagonisme qui les
séparait se dissipa.

Gédéon Donquixotte tenait un magasin d'alimentation. Il était président
effectif des «Joyeux Bigophonistes du Marché des Trois-Vierges»,
président honoraire de «l'Effort sportif Amical Club des Enfants
Retrouvés»; il avait obtenu la médaille de vermeil de l'Exposition
Internationale d'Alimentation et de Chauffage d'Ivry. Il était
orgueilleux de son commerce et naturellement enclin à favoriser les
arts. La pire injure à lui faire était de l'appeler épicier, comme si
un honorable commerçant en aliments et vins pouvait être à ce point
avili qu'on osât le comparer à cette sorte de débitant inférieur qui
vend du suif et de la benzine.

Donquixotte avait une culture générale assez étendue. Il récitait, sans
en rien omettre, la Déclaration des Droits de l'Homme; il avait lu de
nombreuses études sur l'éducation de la volonté, l'hygiène sexuelle à
travers les âges et les crimes de l'Inquisition. Il écrivait jadis,
sur l'air de _Flotte, petit drapeau!_ une marche de la Mutualité, avec
accompagnement de bigophone.

Aussi Donquixotte savait allier les arts de l'esprit au plus heureux
des négoces.

Nous avons à Paris la maison de Balzac, celle de Berlioz, la vieille
demeure où naquit Musset; pourquoi ne pas nous enorgueillir de la
maison Donquixotte?

L'honnête commerçant, désireux à la fois d'élever le niveau
intellectuel de la foule et de faire mourir de rage ses concurrents,
mit au fronton de sa demeure un tableau allégorique: _L'Alimentation
ouvrant aux Arts les portes de la Renommée_. L'Alimentation, reine
parée d'une robe semée d'abeilles d'or, accueillait et nourrissait les
Arts, lesquels étaient incarnés en la personne d'un bohème guenilleux
et maléfique. La vitrine s'ornait encore d'une superbe pièce montée.
Ce n'était plus une pâtisserie, mais un symbole. Le foie truffé, la
gélatine et les coques s'y groupaient harmonieusement. Des colonnettes
de saucisson soutenaient cet édifice qui, pareil au temple de Salomon,
demeurera célèbre par son opulence.

Donquixotte se découvrait aisément des envieux. Les sots disaient de
lui «N'est-il pas vendu à toutes les réactions, avec son Sacré-Cœur en
saindoux?» Niais ou criminels qui ne voulaient pas voir en cet édifice
gastronomique un temple païen élevé à la gloire d'une force sociale
invincible: l'Alimentation. C'était une pièce unique dans l'histoire
de la civilisation. Donquixotte avait décidé de ne l'entamer que le
jour où il fiancerait sa fille. En effet, cette pâtisserie était si
parfaitement épicée, si raisonnablement construite, que les plus
grandes chaleurs n'auraient su la faire tourner.

Donquixotte était un homme d'ordre.

Par contre, le cordonnier Citoillien était farouchement
révolutionnaire. Porte-drapeau suppléant de la section socialiste
révolutionnaire internationale du quartier Saint-Placide, il avait pour
mission de suivre, jusqu'à la dernière demeure, le corps des camarades
décédés. Ces enterrements étaient émouvants. Désireux de donner à son
fils une éducation grave et forte, et afin de pouvoir se rafraîchir au
«Rendez-Vous des Parents», pieusement il confiait à l'enfant le drapeau
dont l'étoffe écarlate s'enflammait au soleil.

Donquixotte et Citoillien sont maintenant des soldats. Ils se sont
découvert des goûts semblables; ils se sont aperçus que le même désir
de vie heureuse et simple les animait; ils ont compris que, pour
réaliser leur bonheur personnel, il leur fallait défendre, avant tout,
les villes et la terre nationales.

La guerre finie, Citoillien, délaissant la cordonnerie, bâtira un
palais du peuple. Le soir, le peuple dînera en chantant. Les fruits,
les pâtisseries et les vins, artistement groupés sur de vastes tables,
appartiendront à tous ceux que leur désir aura menés vers ce festin.
Aux nuits parfumées où flamberont des lampions dans les arbres, il
fera doux de vivre parmi la joie naturelle des choses. Heureuses, les
voix se répercuteront, en fanfares, dans les bois d'alentour. En ce
nouvel âge d'or, les hommes, joyeusement, travailleront en commun à la
prospérité du monde. Donquixotte prendra place à la table du peuple,
étant donné qu'il apportera de savoureuses provisions.

Un Tel est le semblable de Citoillien, il est le frère de Donquixotte,
il se retrouve en eux. Ne cachent-ils pas, sous des masques grotesques,
un visage d'homme?

Nourris à la même gamelle, asservis aux pareilles besognes, ils sont
appelés, tous deux, à ôter leur masque en présence de la mort errante.
Mais le vent des obus ne leur a pas encore arraché les défroques dont
ils se parent. Donquixotte est toujours, aux yeux de ses camarades, un
paisible bourgeois; Citoillien est encore un farouche révolutionnaire.

Les premières promenades que Donquixotte fit, jadis, avec sa fiancée,
furent douces. Ils visitèrent le Louvre. Dans les salles fraîches et
spacieuses où vécurent les rois, ils se crurent de grands seigneurs
invités à la cour. Ils se regardèrent passer entre les glaces
parallèles, et cela les enivra que de contempler leurs images se
reflétant à l'infini. Un jour, ils montèrent en haut du donjon de
Vincennes. Fouettée par le vent qui enlevait sa jupe, la jeune fille
avait l'air d'une oriflamme. Le retour fut charmant; dans les fossés
du fort, des gamins chassaient le lézard; les amoureux revinrent en
bateau. Le fleuve était calme. L'eau miroitante, où le bateau laissait
un long sillage, leur semblait côtoyer les rivages du ciel.

Ils s'épousèrent. Elle devint une ménagère parfaite et facilement
irritée.

Veillant à l'ordre absolu de la maison, elle eut le souci constant de
diminuer auprès de la fille qui leur naquit l'autorité sacrée du père,
répétant avec une vigueur toujours accrue cette formule lapidaire:

--Ton père est un imbécile!

Donquixotte désira d'autres amours. Il voulut une femme du monde:
châtelaine errante et nostalgique; il rêva d'une de ces filles de vingt
ans qui s'abandonnent aux séducteurs, un jour inespéré, telles de
pauvres oiseaux blessés.

Jamais il ne vit la femme qu'il aima.

C'était la porteuse de lait. Tous les matins, les doigts de la petite
fée déposaient une bouteille à la porte. Craignant fort son épouse,
Donquixotte n'osait se lever pour admirer la belle; mais le soir,
voluptueusement, il cachait un tendre mot au fond de la bouteille.

Cette délicieuse Perrette devait être fraîche et rouge comme une pomme
d'api.

Il lui écrivit:

«Mon espérance court vers vous. Je voudrais vous offrir un petit chalet
de bois sculpté et de brique. Un potager nous donnerait des légumes
que nous mangerions sous une véranda. A notre fenêtre s'enlacerait le
lierre, qui veut dire fidélité. Notre vie serait gaie comme un bassin
empli de poissons rouges. Vous me feriez du gâteau de riz, agrémenté de
rhum et de raisin de Corinthe. Pour ce qui est de repriser mon linge,
car je déchire beaucoup, il viendrait une femme à la journée. Les
amours des chevaliers, des reines et des pages pâliraient devant les
nôtres.»

Elle lui répondit:

«Je suis à vous. Dites-moi le jour et le lieu où je pourrai vous
rejoindre avec mes six enfants.»

Citoillien avait eu des amours moins romanesques; il les narrait
simplement:

--Défunte Mme Citoillien (je dirais Dieu ait son âme si je croyais
à l'existence de Dieu) était une femme de caractère. Partageant mes
idées, mes peines et mes travaux, elle fut la compagne accomplie. Nous
nous mariâmes civilement à Bois-Colombes (je n'ai jamais aimé les
curés, elle non plus). On fit un petit festin chez un traiteur des
environs; le vin était affreux, mais j'avais un tel bonheur qu'il me
semblait boire du soleil. La femme, pour moi, est une douce infirmière
qui m'aide à boire les vilaines potions de la vie.

Ainsi, par un renversement inattendu des rôles, Citoillien, le
démolisseur de systèmes, le novateur, l'irrégulier, dirigeant avec
sagesse les mouvements de son cœur, avait une vie sentimentale
ordonnée, tandis que Donquixotte, l'homme d'ordre par excellence,
s'était livré aux mille fantaisies de l'amour.

Dans la tranchée, il en est de même. Autant Donquixotte a d'audace
irraisonnée, autant Citoillien possède de tranquille courage.
Volontaire pour toutes les missions périlleuses, heureux de ramper
entre les fils de fer, Donquixotte est de toutes les patrouilles.
Citoillien guette le retour de son camarade; sur le feu de la cagna,
il lui garde une soupe chaude; il préserve de l'inondation la claie
où le patrouilleur reposera; il défend la musette de l'absent contre
l'offensive des rats affamés.

Ce couple d'amis, indifférent aux vaines et pompeuses formules de
l'union sacrée, pratique la seule union réelle, celle qui groupe,
sous la mitraille, les hommes désemparés, et par laquelle, fortifié,
soutenu, réconforté, le soldat parvient à protéger des vents la petite
flamme éperdue qui vit en lui.

Un Tel est de garde. Las de se griffer la chair aux parois de la
tranchée il s'assied. Une douceur progressive et mélancolique attendrit
son âme.

La nature vivante qui l'entoure se met à chanter. Des papillons
décoratifs se posent sur le cœur des chardons pour y mourir, une
auréole de feu illumine les plantes et le trot d'un cheval retentit
sous les feuillages.

Quelqu'un vient, dont le souffle ardent fait se courber les arbustes.
C'est un guerrier monté sur une maigre haridelle. Un Tel s'approche
de ce héros, dont la lance brisée flambe au clair de lune, et qu'il
reconnaît pour l'avoir, jadis, entrevu près de son berceau.

Lentement, le chevalier lève la visière de son casque et montre ses
yeux où se mirent toutes les démences héroïques de sa vie. Il est
douloureusement beau. Un Tel pose ses lèvres sur le front du héros. Il
l'invite à pénétrer dans la cagna où l'escouade repose; heureux d'être
l'humble écuyer qui rencontra le seigneur des routes, le grand errant
dont l'ombre immense apparaît, conquérante, sur tous les chemins de
l'aventure.

Mais Un Tel sent le froid du fusil dans sa main brûlante; il sort
de son étrange somnolence et, penché vers le trou d'ombre où vivent
ses camarades, il entend une voix menaçante, celle de Sancho Pança
Citoillien, invectiver Donquixotte, cette vache, cet épicier, cet
enfant de salaud qui s'est permis de faire des grillades avec le rab de
pain.



PATROUILLE


La sentinelle observe la nuit, car des ombres mystérieuses semblent
rôder dans les fils de fer; peut-être sont-ce des rats qui mènent
ainsi, au cœur de l'ombre, d'étranges sarabandes. Un froid vif pénètre
les chairs et meurtrit les yeux. Le rythme régulier du temps est
suspendu; toute la nature subit une angoisse fiévreuse, sorte de
brouillard qui trouble les plus vigoureux d'entre les combattants.

Voici l'heure où les patrouilleurs vont se traîner parmi les ronces et
les charognes, offrant une fois de plus leur chair glacée à la flèche
de feu qui, dans sa course errante, les viendra frapper brutalement.

Des voix confuses murmurent:

--Une patrouille est sortie! Attention!

Quelque imprudent brise des branches entre les lignes ou fait cliqueter
son arme. Les fusées jaillissent des bouquets d'arbustes. Il faut que
la terre où s'incruste la patrouille errante ait le visage immobile
d'un désert.

Toutes les sentinelles du monde ont les yeux fixés devant elles; leur
esprit est calme et rêveur, car elles aperçoivent, malgré l'horreur
et l'effroi qui les entourent, au delà de la ligne ennemie, un miroir
merveilleux leur renvoyant l'image des jours heureux où les hommes,
le soir, chantaient dans les guinguettes. Ces veilleurs entendent les
anciens violons au rythme énervant desquels dansèrent leurs premières
amours, parmi le concert rageur des vents et les fusillades.

La patrouille avance, silencieuse, implacable. Si la fortune la
protège, elle atteindra la ligne ennemie, monticule de terre et de sacs
de sable exhaussant un grand arbre renversé.

Derrière son invisible créneau, la sentinelle allemande songe, elle
aussi, aux soirs harmonieux où elle jouait de la guitare dans les
rues de Marbourg, sous les fenêtres fleuries de la fille d'un grave
privat-docent; elle revoit les farandoles universitaires dans la ville
médiévale, les causeries printanières avec de joyeux compagnons, autour
des vastes chopes où la bière claire brillait comme des escarboucles.

Une grenade lancée par un des patrouilleurs tombe aux pieds de la
sentinelle; une gerbe d'or fuse et le franc buveur de jadis, l'amant
élégiaque dont le cœur sait joindre à la douceur de Gœthe l'amertume de
Henri Heine, éventré, tenant ses entrailles à pleines mains, recourbé
par la douleur, souffle comme un taureau dont le poitrail fut ouvert
par la courte épée de Bombita.

Invisible, au ras du sol, la patrouille rentre dans les lignes
françaises.

Elle a accompli sa mission, sans crainte apparente, sans colère
inutile, mathématiquement. La présence de cette sentinelle, dans le
petit poste avancé, nuisait à la sûreté du bataillon. Il fallait,
à tout prix, la supprimer; ainsi elle ne tirerait plus sur les
travailleurs, elle ne troublerait plus les corvées de soupe et d'eau.
La sanglante besogne est accomplie. Demain, une sentinelle, équipée
comme celle qui vient d'être abattue et pareillement vigilante,
occupera le petit poste allemand; qu'importe, une autre patrouille
renversera l'audacieuse. A l'aube, il serait vain de demander aux trois
paysans patrouilleurs les raisons qui guidèrent leur farouche énergie.
La sentinelle les empêchait de ramasser du bois sur le parapet! Sans
doute, il est des motifs plus nobles et moins précis qu'ils ne se
formulent pas, en leur simplicité, mais ils ne les entrevoient point.
Ils ignoreront toujours quel intérêt supérieur répond à leur courage
obscur et par quels fils mystérieux leur acte simple et brutal est
relié à la prospérité et à la grandeur de leur race. Ils n'ont cure
de ces mots magiques par lesquels on pourrait louer leur vaillance.
Une force instinctive les poussait de l'avant, et si l'événement qui
les honore ne les a pas vus faiblir, le seul récit de leur exploit les
apeure.

Une mission devait être remplie, pour l'honneur de leur escouade, la
gloire de leur compagnie et la fière renommée du bataillon: elle le
fut correctement. Retrouvant le gourbi fangeux où ils purent reposer,
les patrouilleurs, l'âme apaisée, indifférents à toute gloire inutile,
dormirent jusqu'à ce que la corvée de soupe vînt leur offrir une
gamelle d'eau tiède où nageaient d'étranges légumes.



GUSTAVE LE REMPART DE CALONNE


Un Tel a pour chef de section l'adjudant Gustave, unanimement appelé
«le Rempart de Calonne», en glorieux témoignage de l'héroïsme
particulier avec lequel il défendit la tranchée de Calonne, un jour où
les vagues d'assaut menaçaient Verdun.

L'histoire de Gustave, noble Polonais qui guerroya sur la Marne, l'Yser
et la Meuse, enchantera les enfants si, plus tard, un enlumineur
fait apparaître au centre des explosions, tel il fut, couronné d'un
passe-montagne troué, cet adjudant splendide qu'une crasse insigne
patina sans jamais l'attrister. C'est le ruffian que dessina la plume
d'or de Moréas, l'affable séducteur aux dents éblouissantes, à l'œil
conquérant, une manière de conquistador en guenilles.

Au repos, Gustave est le plus appréciable des chefs de popote. Il
sait dorer un rôti, épicer une sauce et charmer la plus revêche des
commères. Après un copieux repas, il estime fort narrer, avec une voix
chaude, de jolies aventures dont il fut le héros modeste, et ses récits
ne laissent pas que de ressembler aux contes galants de la Renaissance
italienne.

Gustave servit à la légion étrangère; il y apprit à dresser une tente,
à découvrir du bois et de l'eau dans le désert. Il se fit craindre et
chérir d'un peuple de nègres qu'il battait sans remords. Il eut les
fièvres. On l'abandonna sur le fleuve Rouge, seul, dans une barque
légère qui remontait vers la colonie. Il y parvint épuisé, mais vivant.

Quand il revint en France, abandonnant les rudes compagnons de la
légion, il se sentit amoindri, diminué, comme si le meilleur de
lui-même ne pouvait s'exprimer ailleurs qu'en un climat sauvage, parmi
de vastes espaces.

Causeur habile et disert, ayant acquis, au cours de ses voyages,
l'art de convaincre les hommes, ne redoutant pas les fatigues et les
incertitudes d'une vie errante, Gustave fit mille métiers. Il fut
placier en dentelles, coulissier; il représenta divers parfums aux
noms orientaux. Certes, ces industries lui furent prospères; mais il
triompha particulièrement dans la faïencerie, où son génie sut produire
et répandre avec succès un article commun: le vase de nuit.

Gustave vint à la guerre, joyeusement. Il retrouvait, pour son
incessant besoin d'agir, un emploi illimité. Ses capacités somnolentes
d'aventurier, ses qualités de chef de bande, allaient enfin se donner
libre cours.

Des combats où sa décision et sa clairvoyance lui valurent l'admiration
des proches, il ne tire nul orgueil, mais il s'honore de certaines
chasses à l'escargot qu'il fit, à l'aube, dans les forêts de la Woëvre,
tandis que nos canons lourds bombardaient les forts avancés de Metz.
Il vivait alors, au repos, dans les bois. Les escargots ayant dégorgé
dans le gros sel, Gustave les savourait, aromatisés d'herbes et frits
en du lard rance, au seuil de son gourbi, parmi les jeux de lumière
du crépuscule. Les mouches le persécutaient, ainsi que la vague odeur
d'une proche charogne. Ayant cueilli de mignonnes fraises sauvages, le
Polonais reposait, pareil au Sybarite que lassa l'abus des viandes et
des vins.

Un mardi gras, pour l'enchantement de sa section, Gustave fit des
crêpes. La farine vint de l'arrière, les œufs furent découverts en de
modestes fermes que les obus avaient épargnées; le rhum de l'ordinaire,
rude comme un acide, arrosa la blonde pâte. Les crêpes sautaient sur
le foyer improvisé, dorées comme des auréoles. Gustave, maître-coq
orgueilleux et réjoui, joignait à l'art souverain de faire sauter la
crêpe une manière rapide, discrète et non moins élégante de la déguster.

Ses exploits ont un succès égal à ses mœurs aimables. Mais son joyeux
caractère et la fantaisie de sa vie semblent faire oublier sa valeur.
Certes, on le sait brave et, confusément, les anciens du bataillon se
souviennent d'un après-midi orageux où l'adversaire serait passé sur
le monceau des corps abattus, se répandant dans la forêt traîtresse,
invincible, si Gustave ne l'avait pas contraint à retourner vers ses
lignes.

La femme charmante, l'exquise ménagère que Gustave aimera, plus tard,
en des jours de paix et de tendresse, auprès d'un feu chanteur, ne
saura deviner quel héroïsme veille au cœur de son amant; lui-même
oubliera l'élan qui le souleva au-dessus des hommes et le fit pareil à
ces figures irréelles des naïves légendes: hercules plongeant un fer
vainqueur dans les flancs irrités d'un terrible dragon.

Tel est celui que les fervents Bretons, les mineurs farouches et les
paysans de la section ont nommé le «Rempart de Calonne», affectionnant
son courage et peut-être chérissant plus encore son amitié pour les
ribaudes, sa présomption culinaire et la chance inouïe qui le poursuit
au poker.



LULUSSE DE CHARONNE


Superbe de crasse et d'aplomb, luisant de graisse, noir de suie,
Lulusse de Charonne, une grillade frottée d'oignon en main, disserte
sur la haute stratégie de nos états-majors. Il redit les mille lieux
communs chers à la foule ignorante, mais avec une telle verve que
les idées les plus vulgaires, parées de riches couleurs, en semblent
transfigurées. Il est le truchement entre le civil et le militaire.
Sociable à l'excès, confiant et protecteur, il faut le voir, à
l'arrière, faisant les honneurs du cantonnement aux ribaudes errantes
dont la fantaisie misérable est liée au destin des armées.

Natif de Charonne, ce dont il s'honore, Lulusse, dès l'enfance, connut
des plaisirs martiaux. Il s'enrôla dans une phalange déguenillée qui
se livrait à la guerre des rues et bientôt il excella à couvrir de
grossières injures les honnêtes passants. Il acquit ainsi le talent
de l'invective, grâce auquel, cuisinier de la compagnie, il put faire
respecter sa fonction, en dépit des sauces imprévues, des rôtis
incendiés et des bouillons saumâtres dont il remplit, au cours de la
campagne, les gasters épouvantés de ses camarades.

Habile à faire des doubles sauts périlleux et toutes autres acrobaties,
d'un naturel batailleur et sportif, le cuisinier acquit rapidement sur
la troupe l'autorité nécessaire.

Dès l'aube, dans les villages où le bataillon descendait au repos,
Lulusse claironnait le plus bref, le plus militaire et le moins écouté
des commandements:

--Aux pommes!

Multipliant les conseils, il suivait d'un œil hautain l'épluchage des
tubercules:

--Plus vous en éplucherez, plus vous en becqueterez!

Souventes fois, la besogne étant accomplie à la diable, il ajoutait:

--Quel sale travail vous faites! On dirait que vous les épluchez par le
milieu.

Certains jours, la menace à la bouche, l'œil courroucé, Lulusse
traversait le cantonnement, sous la pluie, à la recherche d'invisibles
éplucheurs. Tragique, il ouvrait la porte des estaminets et, pareil au
jeune Oreste dont la furie anima un peuple innombrable, oublieux de
ses premiers devoirs, d'une voix où la menace et le reproche étaient
sourdement alternés, il certifiait, en appelant à la justice immanente
qui toujours poursuivit le coupable:

--Si vous ne m'épluchez pas mes pommes, vous mangerez de la m...

Dans l'intimité, Lulusse, auprès de sa cuisine ronronnante et fumeuse,
aime à narrer des histoires de Charonne, légendes de la misère où des
héros rabougris et crapuleux prennent une allure chevaleresque.

--Mon vieux, j'avais un pote. Il était bossu et pas plus haut qu'une
vieille femme; on l'appelait le «Cuirassier». Quel type! Costeau et
bon garçon, la crème des associés. Si on lui cherchait des raisons, il
allait droit sur l'adversaire et doucement il lui disait: «Casse-toi de
là, où je fais un malheur.» Par trois fois il avertissait l'importun.
Après, d'un coup de tête en pleine poitrine, il l'envoyait rouler dans
le ruisseau. En une minute, l'autre était mort. C'était sentimental!

Pour Lulusse, les belles pensées, les fortes actions, tout ce qui se
distingue des choses coutumières en horreur ou joliesse, l'excessif et
l'inattendu sont des choses sentimentales. Il est, lui-même, selon la
formule, un grand sentimental.

Ce bourreau des cœurs aime une brune, au peigne d'écaille planté dans
la chevelure comme un poignard: Berthe des Quatre-Chemins, brocheuse à
ses heures perdues, amoureuse éternelle. Dans Charonne, les samedis de
paye, alors qu'il y avait liesse, il fallait la voir traverser d'un pas
rythmique la rue embaumée d'absinthe. On eût dit un couple d'oiseaux,
tant ils avaient d'allégresse et de légèreté.

Un permissionnaire du bataillon, de retour de permission, apprit un
jour à la troupe assemblée autour de la cuisine que Lulusse avait
été détrôné dans le cœur de Berthe par le subtil et redoutable
«Cuirassier». Ce gnome avait osé ravir le bien charnel du plus
orgueilleux des cuisiniers. Ce fut du délire. Lulusse se vit
interpellé par les plus fidèles de ses admirateurs en termes
irrespectueux.

--Eh! dis donc, tu n'as pas de nouvelles du «Cuirassier»?

--Tu parles, si c'est sentimental!

--Les cuirassiers de Charonne, ils montent de jolies juments!

Autant de flèches empoisonnées qui se plantaient dans le cœur méprisé
de Lulusse.

Noble sous les injures et souffrant de cette impopularité, le cuisinier
dédaigna de se venger. Il continua de préparer, avec un art toujours
plus affiné, l'éternel rata dont la compagnie était quotidiennement
gavée. Pleurant secrètement, il cueillait dans le ruisseau chanteur qui
entoure le pays d'une ceinture éblouissante le persil dont il parfumait
ses sauces.

Mais, publiquement, Lulusse annonça, désireux de mettre fin à l'ironie
des camarades, et pour que fût affirmée la supériorité du mâle en cette
aventure:

--Berthe, à ma première permission, je lui planterai mon couteau de
cuisine dans le ventre.

Il n'en fut rien, Lulusse étant volage et sachant oublier la grâce de
l'une pour les yeux charmeurs de l'autre.

Le maître-coq a l'âme généreuse et il partage ses réserves de chocolat
avec les émigrés qu'attire sa cuisine odorante. Il donne également
son cœur à toutes les filles du voisinage. Sa verve gouailleuse et le
parfum de ses fricots lui valent un succès d'estime; ses bons mots
amusent et réconfortent. Nul n'ignore au bataillon que, sous les plus
violents bombardements, le cuisinier, fidèle à son poste, n'en fit pas
moins brûler les sauces.

Lulusse aime trop Charonne pour ne pas être, en dépit de son
antimilitarisme irraisonné, un bon soldat. Charonne, n'est-ce pas
la patrie, avec toute sa vie chatoyante et mouvementée? Il n'est au
monde d'aussi joli quartier que celui où l'on eut le bonheur de vivre
sa jeunesse. A Charonne, au printemps, quand les vendeuses de fleurs
parent les rues de leurs prestigieux éventaires, on se croirait dans un
paradis sentimental et pavoisé.

Lulusse se ferait ouvrir la poitrine pour que demeurent paisibles à
jamais les carrefours heureux de son enfance. Il n'a pas sollicité
d'être cuisinier, il le fut. C'est avec une pareille indifférence qu'il
accueillerait son destin, si l'ange de la mort le frôlait de son aile
invisible. Il est des instants où mourir est moins difficile que de
faire éplucher des pommes de terre à une compagnie d'infanterie.



BICHROMATE OU LA MOTOCYCLETTE INFINIE


Bichromate était un des compagnons d'enfance d'Un Tel. Tous deux
avaient troublé de leur turbulente jeunesse le vieux quartier où leurs
parents vivaient depuis des générations. Ensemble, ils avaient appris
l'histoire de France sur les bancs vernis de l'école communale. Vers
la treizième année, ils se séparèrent, appelés mystérieusement par
une même voix intérieure à des destinées différentes. Ils avaient une
vocation: Un Tel était poète, Bichromate était mécanicien.

Suivre la courbe des choses, admirer la transparence des couleurs,
chercher la raison de notre existence mouvante et mortelle, déchiffrer
les manuscrits où le passé inscrit ses pensées si vite évanouies, tel
était le métier du poète Un Tel. Forger un métal clair et souple,
fondre des rouages harmonieux, en sorte qu'ils se complètent et se
propulsent; donner aux choses inanimées, grâce à l'énergie des eaux et
de la terre, une vie inattendue et formidable, tel était l'idéal du
mécanicien Bichromate.

Il avait le visage anguleux des mystiques, une chair de cuivre, des
mains osseuses et dures. C'était un corps frêle et laid que soutenait
et soulevait une force obscure.

Vivant seul à seize ans dans une chambrette étroite et travaillant
tout le jour chez un serrurier du parage, Bichromate, le soir, tel un
alchimiste insensé, se construisit une forge de modeste calibre qu'il
alluma pour l'effroi des voisins et son ravissement. Il possédait, pour
tout mobilier, une armoire à glace en pitchpin, héritage de sa mère
défunte; elle était emplie de ferrailles, de clous, d'outils effilés
et brillants que le jeune artisan polissait avec tendresse. Des barres
de fer rougissaient sur la forge improvisée dont le souffle emplissait
la maison d'une rumeur d'orage. Aux heures fiévreuses de la nuit, la
chambrette aux vitres brisées se transformait en une sorte de steamer.
Parti à la découverte d'une toison d'or impossible, de quel audacieux
navire Bichromate était-il l'indomptable argonaute?

Parfois, pour les travaux importants, il prenait un aide, un de ces
mercenaires qui forgent et liment sans âme. La chambre était étroite!
Qu'importe: fenêtre et porte ouverte, le manœuvre battant les fers
rouges sur le palier, le travail était accompli. Certes, les voisins,
qui ne partageaient pas cet amour de la mécanique, pestaient sans
douceur, injuriant l'artisan méconnu. Il faut, en notre monde injuste,
poursuivre la réalisation d'un but implacablement; Bichromate, ayant
décidé de se construire une motocyclette, stoïque, pièce à pièce,
malgré la pauvreté de sa vie et l'opposition de ses voisins, forgeait
sans défaillance. Maintes fois, il lui fallut vendre les pièces
terminées, afin d'acheter la matière première qui devait lui permettre
d'en forger d'autres.

Un soir, son moteur, battant tel un cœur heureux de vivre, ébranla
la maison de ses pulsations régulières, secouant les volets et les
persiennes, faisant pleuvoir des plafonds une myriade d'écailles de
plâtre. Le concierge, irrité, vint injurier Bichromate, le menaçant des
pires sévices, voire de le faire enfermer dans un asile d'aliénés, mais
cette intervention importune ne chassa aucunement la joie dont l'âme du
mécanicien était irradiée.

Le moteur marchait. Bientôt la motocyclette serait terminée,
Bichromate, triomphant, traverserait son quartier, admiré des commères,
acclamé des gamins, dans une apothéose de grondements et de poussières
d'or, suivi des chiens irrités, tels jadis les Césars, accompagnés
de fauves, entraient sur des chars de soie pourpre et de pierres
précieuses dans la Ville éternelle.

Un matin de printemps où le soleil embellissait les femmes, où les
étalages multicolores des fruitiers semblaient être les plus beaux
d'entre les jardins du monde, Bichromate essaya sa motocyclette.

La machine froide et compliquée avait désormais des ailes et son
ingénieux constructeur, frôlant à peine le pavé de la rue, s'envolerait
jusqu'à la serrurerie du carrefour, celle dont on voit la clef d'or
scintiller sur la porte noire. Il montrerait aux camarades éblouis
l'œuvre qu'un ouvrier patient et génial peut réaliser au cours de sa
jeunesse laborieuse, quand fuyant les plaisirs éphémères de la foule il
s'absorbe en son rêve intérieur.

Les commères se groupaient au seuil des antiques maisons, les
midinettes couraient vers de galants rendez-vous, on eût dit un jour de
fête.

La motocyclette s'enleva, il y avait une fanfare dans le moteur. Pareil
à l'arbuste qu'un afflux de sève fait reverdir en un jour, Bichromate
se sentait une poitrine élargie, de plus vastes poumons, une force sûre
et conquérante que nul obstacle humain ne saurait vaincre.

Il triomphait.

Hélas! le mécanisme le plus discipliné est trompeur. La motocyclette
s'immobilisa, il fallut la démonter et remettre, une fois encore, sur
l'étau l'ouvrage de toute une jeunesse.

C'est vers cette époque que le jeune artisan connut la tyrannie de
l'amour. Comme les hirondelles tournaient inlassables, le soir, dans la
cour de la maison, il eut le désir de dormir sur une poitrine de femme
et d'y oublier les joies et les amertumes de son labeur. Il rêvait
d'une ouvrière jolie, à qui il offrirait une belle écharpe pailletée
d'argent et qu'il promènerait, le dimanche, en de riantes banlieues.
Ne soupçonnant pas que la femme est parfois volage ou intéressée, il
imaginait qu'il pourrait être aimé pour son bon cœur et son courage.

De jolies indifférentes passèrent qui dédaignèrent son admiration
ingénue. Parce qu'il faut à l'homme une pauvre réalité, le consolant
de ses rêves irréalisables, Bichromate prit à son foyer une vieille
courtisane qui jadis avait été la maîtresse de son père.

La ribaude, ne comprenant rien à la mécanique, maltraita les chers
outils et but l'alcool à brûler de l'artisan. La guerre vint terminer
cet amour sordide.

Ce fut pour Bichromate une occasion imprévue de bricoler. Il fit des
anneaux en aluminium et dut bientôt lutter contre une vile concurrence.
En effet, les gens de l'arrière osaient sertir, eux aussi, des bagues
qui n'avaient point reçu le sacrement de la flamme.

Les anneaux s'ornèrent de trèfles à quatre feuilles et de croix
byzantines; il y en eut de lourds et de tourmentés, surchargés
d'acanthes; d'autres s'enroulèrent autour des doigts ainsi que des
serpents. Bichromate poussa l'art subtil de l'orfèvre jusqu'à colorer
de tons barbares les incrustations de ses bagues. Egalement, et ce
fut sa gloire dans tout le corps d'armée, il inventa le découpage des
jugulaires, cette mode orna de lauriers entrelacés tous les képis de
l'infanterie française. Il arriva que ce soldat eut même l'occasion de
se battre.

Deux hivers s'écoulèrent. A l'orée d'un bois sonore, peuplé de
fantassins, Un Tel et Bichromate se rencontrèrent.

Se reconnaissant, ils se dirent des mots inutiles et charmants dont
les soldats, en témoignage du bonheur qu'ils ont de se retrouver,
fleurissent leur viril langage,

--Tiens, c'est toi!

--Oui, c'est moi!... Et toi?

--C'est moi!

Puis, en chœur, ils s'exclamèrent:

--Ah! c'te vieille vache!

Ce fut l'instant des confidences. Un Tel parla de la Marne, de la
retraite, de ces temps où le doute régnait au cœur du soldat. Il évoqua
les routes mauvaises, le vent des nuits froides, les patrouilles
incertaines et tragiques.

Bichromate répondit:

--Toi qu'es intelligent! donne-moi un conseil. Mon père fut enterré,
il y a quelques années, à Montparnasse; crois-tu qu'après la guerre je
pourrai revendre le caveau à une famille honnête, habitant le quartier
et qui désirerait une tombe pas trop éloignée?

Un Tel s'étonna que la guerre tînt une si petite place en l'esprit de
son compagnon; il ne comprit pas les raisons mystérieuses qui pouvaient
motiver, dès la paix revenue, un aussi vif besoin d'argent.

Et l'artisan de reprendre, afin de compléter sa pensée:

--Quand je serai redevenu civil, il me faudra de l'argent pour finir ma
motocyclette.



LE VIEUX


La figure amincie, ossifiée par la fatigue, l'œil fixe et dur comme un
métal, le geste bref et concis, le vieux visite la tranchée.

C'est l'heure matinale et confuse où le travailleur redouble
d'activité, où le veilleur se fixe ostensiblement au créneau, car le
vieux exige une tranchée propre, imprenable. On ne pourrait, au reste,
l'abuser sur le travail accompli au cours de la nuit précédente. Il
sait l'exacte profondeur du boyau et combien de sacs à terre surélèvent
le parapet. Il impose à ses hommes un labeur constant, des veilles
épuisantes. Jamais il ne pardonna la faiblesse ou l'erreur d'un
subordonné, mais tel, malgré son intransigeance, il est sincèrement
aimé de tous, car il représente le chef.

Il est l'esprit du bataillon, cette conscience unique et clairvoyante,
cette infaillible décision, sans lesquels une foule en armes serait
vouée, quel que soit son courage, à la défaite certaine.

Le soldat, dont le cœur ne s'embarrasse pas de vaine littérature,
voulant exprimer à la fois la crainte et l'admiration qu'il ressent en
présence d'un tel chef, dit de lui:

--Le vieux, il est vache, mais c'est un as!

Avec lui, l'homme est assuré de ne pas errer en vain, recherchant une
route perdue.

Le vieux ne risque son bataillon qu'à l'instant nécessaire, ayant
scrupuleusement envisagé toutes les nécessités du combat, sans rien
livrer au hasard. Etant donné le grave problème que l'attaque impose à
ses troupes, il sait, sans erreur, la plus rapide et la moins sanglante
manière de le résoudre.

On le vit, à l'assaut, la tête froide, conduire son bataillon, le
devancer dans la tourmente, le dissimuler au flanc d'une longue
colline, le lancer enfin sur la butte qu'il fallait arracher à
l'adversaire. Aucune émotion particulière n'animait ses traits, il ne
ressentait aucune colère, il n'avait pas cette irritation que donne le
danger. Ombre fine et droite, dressée sur la butte reconquise, il était
une statue émouvante de la volonté.

Ce soir-là, pour le fantassin couvert de craie, heureux survivant d'une
journée triomphante, le vieux était le sauveur à qui l'on pardonne sa
tyrannie parce qu'il sut être exigeant et sévère envers lui-même alors
que la mort frôlait son visage.

Au sortir d'une offensive, où le bataillon fut fauché par les
mitrailleuses, le vieux réunit la centaine d'hommes qu'un hasard
généreux avait épargnés et lui tint ce discours:

--Mes amis, je voulais vous dire que vous vous étiez bien conduits!
Merci! Il en fut de même partout où le 5e bataillon s'est battu. Ayez
l'orgueil de ce que vous avez fait. Plus tard, vous pourrez dire à vos
enfants: «J'étais à Tahure!»

«Ayons une pensée, en ce jour, pour nos camarades morts au champ
d'honneur. Hélas! Il en manque beaucoup à l'appel. Ils vivront dans nos
cœurs. Leurs familles doivent être fières d'eux comme je le suis de
vous tous!

«Je vous ai demandé de vous battre. Vous vous êtes battus. Je vous ai
dit de ne pas vous reposer encore. Il fallait terrasser, vous avez
terrassé; j'ai reçu les félicitations d'un inspecteur du génie pour les
travaux exécutés par le bataillon sur les positions conquises: elles
vous reviennent.

«Il nous faut laisser aux camarades qui nous relèvent des abris sûrs,
une bonne tranchée. Je sais que tous les régiments ne comprennent pas
ainsi leur devoir. Qu'importe! Ceux qui nous remplacent diront: «Bravo!
Voilà un bataillon où l'on travaille; il est agréable de lui succéder.»

«La guerre n'est pas finie. Le plus dur est fait. Nous nous battrons
à nouveau, nous terrasserons encore; je sais que je puis compter
sur vous. Ce fut une terrible lutte. Les anciens, et ils sont peu
nombreux maintenant, ceux qui partirent avec moi à la mobilisation,
se souviennent de toutes nos misères, de tous nos efforts. Partout où
la France avait besoin de ses enfants, vous avez répondu: «Présents!»
Vivants souvenirs: Vitry-le-François, où le régiment culbuta les
armées du Kronprinz; l'Argonne, huit mois de lutte sauvage dans les
bois; jamais le bataillon n'y perdit un pouce de terrain, nous avons
maintenu nos positions; la tranchée de Calonne, où les grenadiers du
5e bataillon ont fait trembler de terreur le 22e poméranien; Tahure,
enfin, dont vous êtes les vainqueurs. Quand je vous ai vus y monter si
courageux, si beaux, vous ne pouvez vous imaginer combien j'étais fier
de vous. Tahure, c'est le plus beau jour de ma vie! Je vous dois tout
cela; une fois encore, merci!

«Maintenant, un conseil: Vous êtes fatigués, vous avez droit à un
repos mérité. Il y a longtemps que vous n'avez pas eu l'occasion de
revenir à l'arrière. Vous êtes affaiblis, vous n'avez plus l'habitude
du vin, ni la résistance d'autrefois. Vous allez boire. Quelques verres
suffiront à vous enivrer. Je ne veux pas voir d'homme saoul dans les
rues. C'est dégradant, et le soldat français ne peut se montrer dans
un pareil état. Si l'un de vos camarades fait du scandale, que je n'en
sache rien, ou, sinon, je sévirai. Cachez-le, emmenez-le dans son
cantonnement. C'est compris. J'espère que je n'aurai pas à revenir sur
ce chapitre. Allez. Je vous remercie.»

Capitaine adjudant-major en temps de paix, le vieux vit mourir au début
de la campagne ses deux fils, jeunes officiers enthousiastes. Il apprit
ensuite la mort de sa femme que la douleur emporta. Le voici seul. Il
marche, songeur, à la tête de son bataillon bruyant, perdu dans un rêve
mathématique de victoire, chargé du poids invisible de son chagrin.

Un Tel aime le vieux pour son énergie taciturne. La brusquerie du
commandant le charme, car elle laisse deviner, sous une rude écorce,
un cœur facilement ému, où couve une silencieuse bonté. Leurs rapports
sont distants. Un Tel, néanmoins, à jamais gardera le souvenir du jour
où le vieux daigna lui parler.

Dans un petit village champenois, heureux de se retrouver lavé, peigné,
rafraîchi, Un Tel rôdait, quand le vieux, accompagné du colonel,
l'interpella.

Au garde-à-vous, à dix pas, Un Tel fut présenté en ces termes élogieux:

--Soldat Un Tel, mon colonel. Un brave. S'est distingué récemment. Un
de mes meilleurs soldats. Je tenais à vous signaler sa belle conduite.
Un Tel, boutonnez votre capote, je n'aime pas que l'on soit débraillé
dans mon bataillon!

Un Tel comprit ce jour-là le sens mystérieux de deux mots qui résument
la vie du vieux, et celle de tout soldat: valeur et discipline.



CEUX DE L'ARRIÈRE


Les routes de l'arrière, sillonnées d'interminables cortèges, sont de
trépidantes artères où afflue la vie française. On y voit des parcs
d'artillerie, des abattoirs ruisselants de sang et d'eau, des centres
de ravitaillement où la judicieuse répartition du sucre et du café se
complique de paperasseries savantes.

Souvent, à la faveur de la nuit, il se fait à l'arrière un formidable
commerce. Les autobus, chargés de viande abattue, ronflent sourdement.
Les fourgons, les fourragères, les caissons groupés symétriquement
sur les vastes quais de gares s'emplissent de victuailles, de foin et
d'obus.

Les petites villes sont toutes sonores de mille cris, et cette ruche
immense, aux mouvements ordonnés comme ceux d'une belle machine,
travaille avec la joie consciente de fortifier le front.

Que si les ouvriers de ce tumulte ne sont pas d'un métal aussi pur
que l'homme des tranchées, modestes artisans de l'œuvre nationale,
collaborateurs indispensables de l'effort français, ils n'en font
pas moins un dur et méritoire labeur; voire même, ils ont parfois
l'occasion de se montrer courageux.

Courtejambe, jadis brillant élève de l'Ecole des Chartes, conservateur
d'une intéressante bibliothèque picarde, ayant dormi d'un lourd
sommeil, non sans avoir rêvé aux odes virgiliennes dont l'harmonie
chante encore en son cœur de serre-frein au train des équipages, une
certaine aube s'éveilla, brusquement, dans une grange où bêlait un
peuple de brebis.

Une fois encore, il fallait atteler le camion qui mène vers le champ
de ravitaillement les boîtes de potage salé dont se substantent les
soldats.

--Certes, le métier est sans gloire. Mais ne faut-il pas que le travail
modeste des faibles seconde habilement l'éclatante bravoure des forts?
M. Toulemonde ne doit pas être forcément un Léonidas. Les gens de
l'arrière forment une tribu de pasteurs, de meneurs de troupeaux, de
convoyeurs, de poètes, d'épiciers qui acceptent le sacrifice d'un
effort obscur, afin que rien ne manque aux légions armées qui les
défendent.

Ainsi philosophait Courtejambe. Dans l'ombre, il entendit un bruit
étrange. Surgi du mystère de la nuit, couvert de paille et de boue, un
homme se dressait, soudard au visage battu des lendemains d'orgie, qui
contemplait avec stupéfaction les êtres et les choses de son entourage.
C'était un Allemand.

Perplexité: Lequel de ces deux guerriers arrachés au sommeil était
désormais prisonnier?

Orgueilleux cri du coq gaulois, une voix faubourienne et rassérénante
chanta:

    _Le pays des fruits d'or
    Et des roses vermeilles_.

Nul doute, on était toujours en terre française, et ce chant attestait
la joie d'un cuistot voyant bouillir le jus matinal.

Alors, inflexible et correct, en quelques phrases lapidaires dont la
perfection est à l'honneur de notre Sorbonne, le Français s'assura de
la personne ahurie de son adversaire.

Ce ne sera pas sans un légitime orgueil que, plus tard, le cavalier
Courtejambe, grave bibliothécaire revenu aux poussières de ses livres,
contera aux enfants éblouis de sa petite ville l'arrestation qu'il fit
d'un très authentique fantassin allemand à vingt kilomètres en arrière
de nos lignes.

Un Tel donne raison à ce Français qui, peu doué pour les combats,
préféra brouetter des boîtes de potage que de se perdre et de perdre la
France en des discussions byzantines alors que le Barbare éventrait nos
portes du Nord.

En ce doux pays qui est le nôtre, où l'on se bat à qui aura l'honneur
de se battre, toute chose ayant actuellement sa juste place, il est
bien que chaque veilleur posté au créneau soit doublé à l'arrière d'un
auxiliaire dévoué qui lui prépare sa vie et lui recharge ses armes.

Mais il est, hélas! un extrême arrière démoralisant où fleurit
l'amateurisme de la guerre. De jeunes hommes y jouent avec élégance le
rôle du soldat, voire même ils en tirent d'inestimables succès. Ces
bataillons d'inutiles paralysent l'effort public, ils sont une source
d'inquiétude et de rancœur pour le combattant, lequel avec raison
souffre qu'un peu de gloire ennoblisse des usurpateurs.

Courtejambe, modeste et dévoué, participe à la servitude des armées
sans en connaître la grandeur, alors que les amateurs de la guerre,
dans leur orgueil criminel, ne veulent en goûter que les fruits dorés.

De tout temps, l'amateurisme fut une petite fièvre qui, ne nuisant à
personne, ravissait son heureux possesseur. L'amateur, sans chercher
vainement à découvrir le mystère et la science des choses, pratiquait
tous les métiers avec candeur et touchait aux arts prestigieux en
souriant. Quitter la besogne coutumière, être parfois un homme nouveau,
tel était le rêve de l'amateur; il le réalisait le dimanche sans
prétention, avec cette bonhomie bourgeoise qui est une des parures de
notre caractère national.

L'amateurisme a une tradition et de grands ancêtres. Lorenzaccio, élevé
pour régner, fier adolescent promis à la couronne et qui devint le plus
exquis des régicides, fut un amateur. Le chevalier de Bussy-Rabutin,
professionnel charmant l'amour, qui pour se divertir écrivit en un
fort beau style à sa cousine Mme de Sévigné, cultiva l'amateurisme. Le
citoyen Capet fit de la serrurerie, et M. Ingres joua du violon.

Amateurs de l'art: elles l'étaient si joliment, ces demoiselles
gantées qui, sur les plages mondaines d'avant-guerre, peignaient de
frêles aquarelles où elles donnaient à la mer miroitante une couleur
de praline. Amateur de la politique: qui ne le fut, aux heures
tourmentées où les convictions s'exprimaient à coups de canne? Encore
que la guerre ne fût pas «fraîche et joyeuse», ainsi que la rêvaient
les hobereaux allemands, elle connut, malgré ses horreurs et ses
pestilences, son amateurisme.

Stratèges incohérents penchés sur des cartes dérisoires, généraux de
plume et combien peu d'épée, maniant à la fois les sophismes les plus
contradictoires et les armées, ancien insurgé déguisé en bon berger,
tels furent nos amateurs de la guerre. Ils la firent dans les salles de
rédaction, les salons académiques et les brasseries littéraires, alors
que toute la jeunesse de France agonisait dans les nouveaux champs
catalauniques.

Pourtant, malgré l'infamie de ces amateurs, Un Tel n'ignore pas que
certains, dont l'exemple ne fut pas suivi, poussèrent leur amour de la
guerre jusqu'à la faire eux-mêmes. Ils se battirent, courageusement,
comme les autres, et moururent.

Ils avaient, ces nobles camarades, délaissant l'amateurisme de la
guerre, à travers les périls et les malheurs, préféré devenir des
professionnels de la gloire. Un Tel aimerait à voir les diseurs de bons
mots, les propagateurs d'énergie, les évangélistes de la patrie, imiter
cet exemple. Les marchands de papier de toutes nuances ne devraient pas
ignorer que les meilleures pages de notre histoire furent écrites avec
du sang. Au moins, faudrait-il que la veulerie de l'extrême arrière,
ajoutée à toutes les misères de la campagne, ne vînt pas diminuer
l'énergie du combattant et sa volonté de victoire.



DE L'AMOUR


Les missives chargées de joie ou de douleur sont toute la vie du
soldat. Selon ce qu'elles recèlent en leurs plis parfumés, elles
lui font une âme ardente, sereine, amère, lumineuse. Il est de durs
faits de guerre, nés d'une faible histoire d'amour. Un tendre mot,
l'évocation d'une promenade nocturne, le rappel d'une ancienne caresse,
suffisent à ranimer le courage expirant, à susciter les colères
nécessaires, à nourrir la force du combattant.

Un couple vivait heureux, la guerre survint; ce qui semblait être le
plus inconnu des contes de fée est devenu une légende d'infortune:
toutes les amours connurent alors le plus cruel des déchirements.

Le fantassin Lejeune est un gaillard vigoureux et calme. Plus
discipliné que brave, il accomplit ses devoirs avec une ponctualité
d'employé. Il a en Argonne une ferme cachée sous la verdure; des
chevaux et des bœufs somnolent dans ses prés. Il épousa une voisine
gracieuse et bonne ménagère. Enfin, comme tous, à la mobilisation, il
dut abandonner sa maison, qui bientôt fut cernée par les uhlans. Puis,
les colonnes de von Kluck reculèrent, et Lejeune reçut une lettre de
sa femme:

«J'ai eu bien peur, disait-elle, le canon tonnait terriblement et
chaque coup m'arrachait le cœur. Quand nous les vîmes arriver, nous
nous cachâmes en forêt; mais, un soir, je voulus revoir notre ferme:
j'étais avec la servante. Près du calvaire, un officier nous attendait.
Je tremblais toute. Il vint à moi et, riant, il posa son casque sur ma
tête. C'est tout. Il ne m'est rien arrivé d'autre...»

Lejeune ne put lire plus avant. Il lui importait peu que les ennemis
eussent pillé sa ferme, emmené ses chevaux. Pour l'instant, il ne
voyait plus que le geste galant de l'officier posant sur la blonde tête
de sa femme le casque orgueilleux. «Il ne m'est rien arrivé d'autre»,
disait la lettre. Etait-ce l'entière vérité?

Fiévreux, le doute surgissait! Le soldat se sentait irrité contre
les idées incertaines qui le venaient assaillir. Le sang lui montait
du cœur aux yeux, avec les larmes. Poussé par une volonté féroce de
détruire, il prit un couteau de tranchée et sortit dans la forêt
traîtresse des fils de fer. Il se colla au tronc d'un vieux chêne et,
malgré la pluie qui lui cinglait les reins, obstinément, il surveilla
la ligne ennemie.

Une escouade allemande rôdait; on entendait un bruit sec de branches
cassées. Lejeune, en rampant, rejoignit un des patrouilleurs et,
pareil au pasteur qui, jadis, levait sur l'agneau de sacrifice un
glaive implacable, il le décapita. Il fut abattu, tenant en ses mains
ensanglantées la tête de son adversaire.

Ce paisible soldat, honnête fermier sans ambition ni vaillance, mourut
au combat avec la rage héroïque d'un fauve, parce qu'il fallait que fût
vengée sur une tête ennemie l'injure faite à la belle tête adorée. Une
fusillade crépita, des ombres sortirent des petits postes, le tonnerre
des artilleries ravagea la forêt, et le communiqué apprit à la France
que nous nous étions rendus maîtres d'un élément de tranchée très
important.

Une petite lettre d'azur, à l'écriture penchée, avait déclenché, ce
soir-là, dans la Woëvre, un combat imprévu, et paré d'un nouveau
laurier nos armes triomphantes.

Il naît, sous les obus, des amours nombreuses. Le danger constant, la
présence de la mort, la vermine et la boue donnent à ces passions une
intensité imprévue; elles sont d'autant plus violentes que le destin
les veut éphémères.

Le retour à l'arrière inspire aux jeunes hommes un vif désir d'aimer.
Qu'elle soit bourgeoise, paysanne ou ribaude, la femme sera toujours
parée, aux yeux du soldat, d'un charme émouvant. Elle incarnera, même
sous des haillons dérisoires, la joie somptueuse de vivre.

Le bataillon descend au repos. Il envahit une sucrerie dévastée où
des miséreux, parqués comme des bêtes, font chauffer sur une forge
abandonnée leur pauvre soupe. Irrités de rôder dans la nuit, les
soldats maugréent contre leur sort infernal, délaissant leur vaillance
coutumière. Mais les hommes ont vu se mouvoir, auprès des brasiers
improvisés, de pâles émigrées, fines ombres des anciens bonheurs,
tendres évocations des paradis perdus. Elles n'ont aucune des parures
qui rendent les femmes désirables et les font pareilles à des divinités
souriantes. Pour les séduire, néanmoins, les soldats chantent des
romances où se heurtent naïvement la joie des amants satisfaits et la
douleur des amours contrariées.

Le bataillon a retrouvé son orgueil prétorien. Une allégresse monte
dans le cantonnement bohème, des folies d'un jour couvent sous les
regards: on dirait une folle kermesse en quelque village souriant des
Flandres.

Les obus rasent en chantant, eux aussi, la toiture de la sucrerie. Les
Parisiens évoquent, en chœur: _Mirella, ma jolie_... et toutes les
pimpantes vierges qu'ils aimèrent, petites ouvrières alertes comme
les oiseaux. Les Bretons aux yeux bleus se souviennent des luronnes
endimanchées qu'ils entraînaient, au sortir des noces, dans la campagne
ombreuse:

    _Pour avoir fille et garçon
        Comme les autres._

Les gars de toutes les provinces qui, jadis, courtisaient les filles
sur le mail embaumé, rêvent à leur passé viril et conquérant.

Les poitrines se bombent, les cœurs battent plus activement. De petites
émigrées, venues des villes incendiées du Nord, échappées aux balles
qui les poursuivaient, ont su réaliser ce miracle heureux: rendre au
bataillon épuisé le courage et la confiance nécessaires. Les femmes ne
sont-elles pas, êtres mystérieux à l'âme captivante, plus encore que la
valeur et la discipline, la force invincible des armées?



DE L'IDÉE DE DIEU


Un Tel se souvient qu'autrefois il jouissait des matins splendides,
dans les jardins de lumière et d'eau vive. Maintenant, dans la
tranchée, il est indifférent à la beauté des choses. Jadis, à l'aube,
quand les cantonniers arrosaient les rues encore désertes de la
capitale, il avait des carillons au cœur; les fraîcheurs de l'aube
l'enivraient. Cette sainte exaltation est morte.

Son orgueil vaincu, ses rêves évanouis, Un Tel se découvre faible
et désemparé devant la destinée. Cette mort de l'imagination, chez
un poète, est lente comme le départ silencieux des vieillards. Il
est triste de sentir sa jeunesse mourir, exténuée, vaincue, loin de
la maison où elle prit son présomptueux essor. Il semblerait alors
que tout point d'appui se dérobe dans l'espace. Un Tel est pareil à
l'oiseau qui traverse le ciel vaste, cherchant vainement une branche
pour se reposer. Mais le désir de croire et d'aimer, le besoin
d'admirer la nature et de découvrir au delà du ciel des mondes éternels
et prestigieux sont des blessures heureusement inguérissables qui, à
peine refermées, s'ouvrent et saignent à nouveau.

Une foi nouvelle... mais elle se lève, tel un brouillard lumineux,
de la ligne de terre qui, de la mer aux Vosges, atteste la présence
des armées. Chaque soldat la porte en lui, confuse, inexplicable et
vivante. Dans tous les lieux où des troupes ont souffert, où des hommes
reposent sous le champ reverdissant, les femmes, les enfants, les
vieillards ont senti que naissait en eux une religion nouvelle.

Après la Marne, derrière les presbytères, les tombes des soldats
devinrent un lieu de pèlerinage. Ici, il y a sept tombes: trois d'entre
elles portent des croix sans parure, ce sont des tombes allemandes;
les tombes françaises sont ornées de drapeaux et de palmes. Le curé,
le soir, réunissant les fillettes du village, les fait prier pour les
héros qui moururent afin que soient reconquis la forêt, le fleuve clair
et les champs. Couronne adorable de jeunesse et de douceur, les petites
entourent le tertre funèbre, joignant leurs mains jolies.

La prière du soir terminée, dans la nuit survenue, le maire, un athée
notoire, vient à son tour honorer les tombes. Ainsi un culte naissant,
une piété commune réunissent le prêtre et l'athée.

Un soir ils se rencontrent. Eux qui jamais ne se causèrent, adversaires
irréductibles, les voici, face à face, animés d'une même pensée. Ils
ne se diront aucun des vains mots que l'homme créa pour exprimer les
mouvements de son âme, mais ils comprennent, l'un et l'autre, que leur
pauvre cœur avait un même besoin d'aimer, au delà des discordes et des
misères du siècle, une insaisissable et pure beauté.

Ce désir de sortir du cadre où l'humanité nous tient, Un Tel le partage.

Au repos, son bataillon envahit l'église. Un Tel se rend à l'office.

Les cérémonies cultuelles avivent en lui le souvenir des anciennes
croyances. D'entendre le mâle chœur de la soldatesque s'élever sous la
voûte ogivale, joint aux voix dolentes des paroissiennes, il revoit sa
première communion et la ripaille qui la fêta.

Toute la famille était assemblée. On but maintes bouteilles. Ce fut une
orgie rayonnante, embaumée d'encens, dont le souvenir laissa dans l'âme
déjà complexe du communiant une fraîcheur forestière.

Un dimanche des Rameaux, Un Tel s'en fut à la messe, dans une toute
petite église, bien trop petite pour contenir l'armée accourue. Un
Tel resta à la porte du sanctuaire, dans le cimetière verdoyant. Des
vieilles femmes, des enfants, priaient parmi les tombes. Une mignonne
fillette montait sur les pieds d'Un Tel, afin de mieux voir l'office.
Une infirme, assise sur un talus, ses deux béquilles auprès d'elle,
chantait les cantiques monotones de la Passion. Un soleil clair, un
soleil joyeux, embellissait toutes choses et donnait au buis apporté
par les campagnardes une fraîcheur d'eau et de forêt.

De la chapelle sortit, soudainement, un cortège rustique d'enfants de
chœur que guidait un prêtre portant une palme et un gros bréviaire. Le
groupe vint auprès d'Un Tel. Le prêtre chantait le psaume latin d'une
voix profonde et, quand il tournait les pages de son bréviaire, la
palme frôlait la chevelure du soldat. Il semblait à Un Tel que, dans
la simplicité du matin, toutes les divinités du monde désiraient que
fussent fêtées les verdures naissantes et la victoire prochaine. Il y
avait, non loin du cimetière, en un sentier discret, un amour d'un jour
qui s'ébauchait entre une fermière aimable et un cavalier.

Les spectacles de la guerre ont engendré, chez tous ceux qui les
connurent, un désir d'irréel. Des simples, avec la foi des anciens
âges, virent au ciel de Dixmude un drapeau qui flottait dans une
étoile. Un Tel, pareillement, incline à désirer le surnaturel.

Un mysticisme est né de la guerre, qui ne saurait mourir avec elle.
Cette foi, qui ne se relie, à l'heure actuelle, à aucune confession
déterminée, reportera-t-elle, vers des buts humains, une force, une
passion à de meilleures fins réservées?

Peut-être, au contraire, Un Tel gardera-t-il égoïstement, pour lui
seul, en son cœur, et par amour de l'indépendance, cette poésie
inexprimée dont le rythme le charmera. Puissent alors ces paysages
de lumière intérieure lui faire oublier les vulgarités de la vie et
lui donner la paix et le bonheur que les faibles hommes demandent aux
religions.

Le croyant et l'athée ne pourraient-ils se réunir en l'esprit inquiet
d'Un Tel et, conjuguant leurs espoirs contraires, lui donner une foi
harmonieuse et parfaite?

Si Dieu fit l'homme à son image, Un Tel, que les méditations de la
tranchée et les aventures guerrières ont transformé, rêve d'un dieu qui
serait semblable à l'idée qu'il s'en fait, un dieu latin, compatissant
aux faiblesses des hommes et qui bénirait l'amour et la joie, un dieu
ami de la nature et qui permettrait qu'on l'estime dans tout ce qu'elle
a de charmeur et de voluptueux.



LE NOËL BARBELÉ


C'est l'hiver. L'existence du soldat est féerique et douloureuse.
En ligne, Un Tel brûle des racines et des sarments, car il est
glacé, immobilisé par le froid, semblable à ces cadavres anonymes
qu'enveloppe, sereine et silencieuse, la magie de décembre, l'âme du
veilleur devient âpre et sauvage; elle ne parvient à s'adoucir qu'au
repos, dans la cagna, en contemplant la danse étincelante du brasier.
Au loin, les ruisseaux argentés et les pins vernis donnent au paysage
le charme naïf et détaillé de ces peintures primitives hollandaises
que peignirent de cordiaux aubergistes, fumeurs de pipes et buveurs de
pintes. Mais Un Tel ne peut admirer les aspects de l'hiver; leur charme
grave échappe forcément à ses yeux, la nature étant, avant tout, la
complice du soldat, celle qu'on utilise ou ravage sans autre raison
que d'obéir aux violentes nécessités de la guerre. Un Tel évoque les
jours évanouis où il aima les bois, les nuages et les eaux pour leur
seule beauté; il ne devinait pas alors qu'une tragédie se préparait,
lointaine, menaçante, et qui marchait avec les armées, entre ciel et
terre, dans la voix des clairons.

Le vent qui tourne en folle rafale cingle le sang. Voici venir
l'effrayante nuit où les mille embûches de l'ombre vont se dresser
autour des petits postes. La terre se désagrège. La sentinelle a de la
terre sur les lèvres et dans les yeux. Les étoiles ont déserté le ciel.
Dans la guitoune enfumée, l'escouade attend le retour de la corvée de
soupe.

Pauvretés des bas-fonds où rôda Gorki, fraternelles douleurs des
révolutions, regrets des illusions mortes, deuils, amertumes,
impuissantes colères, toutes les misères du monde, qu'êtes-vous,
comparées à la grande misère actuelle des peuples?

Les obus sifflent dans la nuit froide de Noël.

Un Tel veille, fier de ne pas être mort au cours de cette année de
combats farouches où il fallut, pied à pied, défendre la terre. Il
songe aux compagnons abandonnés, la poitrine trouée, dans un champ
anonyme, sous les pluies de feu.

Une année historique finit, qui ne verra pas, à son départ, les
orgies de ses devancières. Elle est un être invisible et parfait qui
pénètre dans les jardins éternels. Sa forme pure se dresse au ciel
de l'histoire, architecture élevée avec des pleurs, du sang et des
sentiments absolus.

Malgré les mécanismes formidables, les coalitions d'argent et toute
la puissance destructrice des barbares, les peuples épris de liberté
résistèrent.

Noël! Noël! Les mots sonores: liberté, droit des peuples, justice,
indépendance, défense des nations opprimées, ne sont plus de vaines
parures, d'éclatants pavillons abritant les corsaires de l'idée.

Noël! L'émigré croit à la victoire prochaine de ses défenseurs. Il
aspire à bientôt revenir dans sa vieille ferme où des coqs querelleurs
ensanglantaient la cour. Peut-être parviendra-t-il à réunir le troupeau
perdu lors de l'invasion et qui partit, sans berger, vers une confuse
destinée, image des légions sans âme et sans discipline.

Dans sa demeure silencieuse, la mère, sans nouvelles du fils, et qui
regarde passer des troupes inconnues, espère. Peut-être l'enfant
n'est point mort; peut-être, replié dans la tranchée, cœur fiévreux
battant au cœur de la terre, songe-t-il à sa mère. Noël! Les épouses,
les enfants candides, les vieillards affligés répètent les syllabes
joyeuses, nom prestigieux qui charme le cœur de tous les combattants,
meneurs de bœufs, ouvriers révolutionnaires, prêtres ou rois.

Il est des îles froides, des enclos où les prisonniers sont parqués
comme des bêtes; un vent de France, un vent vif où survole l'arome
des forêts et le parfum des femmes, y chante, fier et berceur comme
la mer, un cantique d'espérance et de libération. «Vous reviendrez,
prisonniers, dans la patrie frémissante, vous embrasserez vos compagnes
et vos enfants sur les quais des gares bien-aimées!»

Minuit, voici le minuit magique des chrétiens, le minuit de vieilles
civilisations; sa mystérieuse douceur s'impose à la nature; mais,
furieuse, indifférente à la beauté de l'heure, l'escouade attend
encore le retour de la corvée de soupe.

Un Tel évoque, image consolatrice, les Noëls de son enfance. Le 24
décembre, au crépuscule, il faisait la tournée des crèches; certaines
étaient pompeuses et riches, d'autres possédaient un charme ingénu.
Leur paille où dansent les petits rayons de la veilleuse rouge, les
splendides rois mages et le nègre qui porte en ses bras des coffrets
d'or l'enthousiasmaient. Les bergers, joueurs de cornemuse, dont les
cheveux sont bouclés, ainsi que la blanche laine de leurs moutons,
l'enchantaient.

Jolies crèches toutes couvertes de neige, où l'étoile annonciatrice,
pendue sur le râtelier de l'âne, attestait la présence des choses
divines, comme vous étiez belles! La neige, cruelle au soldat, faisait
votre beauté. Sans elle, il n'est de rois mages sympathiques et
l'enfant pardonne à Gaspard, Melchior et Balthazar leur fortune, et les
riches parfums cachés en leurs robes d'or, parce qu'ils rôdèrent en
des chemins glacés, partageant avec les arbres de Judée la misère de
l'hiver.

L'escouade attend toujours le retour de la corvée de soupe.

Un seul homme, les bras chargés de victuailles, apparaît enfin au
carrefour du boyau de la tranchée. Il s'affale sur la banquette du
parapet.

Où sont les autres?

Un murmure court dans les gourbis. Lepape, le jeune Breton de la
dernière classe, est revenu seul. La corvée a été fauchée par un
bombardement. La troupe sera privée de vin et de café, une nuit de
Noël, alors qu'il eût été juste de faire ripaille et de s'enivrer.

Lepape est silencieux, malgré les multiples interrogations. L'ombre
ne permet pas de voir le sang noir qui coule à son front. En effet,
blessé, alors que le canon-revolver rasait le boyau, emportant la tête
du compagnon qui le devançait, il est revenu, le crâne ouvert sous
son casque enfoncé, dur à la souffrance, fidèle à la mission qui lui
incombait.

Le petit Breton ne partagera pas le riz glacé du festin de Noël, car il
agonise. D'une voix simple, où ne semble même pas gronder le regret de
mourir, il dit, humble constatation d'un paysan que son délire exalte
ou suprême éclair de vérité:

--Voyez-vous, les amis, nous disparaîtrons tous. Il y en a qui vivent
de la guerre... les autres en crèvent.



    _A Denise Real
    A Max Barbier
    en hommage_

LE SANG VERSÉ


Les villages de l'arrière qui connurent l'invasion et la délivrance
sont peuplés de troupes bigarrées, dont les bivouacs de fortune
semblent être des cités nègres improvisées au cœur des ruines. Bientôt,
au pas de parade, acclamés des paysannes et des enfants, les soldats
vont partir.

En route!

Les fantassins d'azur défilent en chantant. Chaque compagnie a son
fanion archaïque et coloré, brodé d'or, où de pourpres lémures, des
éléphants blancs et des crânes se convulsent sous des noms glorieux:
Bolante, La Grurie, témoignages de combats dans les forêts tragiques.
Les bataillons avancent, suivis de leurs trains régimentaires, de leurs
cuisines roulantes enfumées, où trônent des maîtres-coqs hilares, et de
leurs brancardiers qu'un moine botté conduit paternellement.

Voici les chasseurs à pied, alertes et crânes, satisfaits d'être
admirés. Le tambour-major, menant sa clique juvénile, bombe le torse,
comme si de sa vaillante et seule poitrine devaient sortir les
multiples fanfares qui feront s'émerveiller les enfants accourus. Sur
les routes, les arbres où joue le vent semblent avancer; les nuages
mobiles, entraînés, dirait-on, par les cuivres allègres, suivent, eux
aussi, les petits chasseurs.

Soulevant des poussières d'or, l'artillerie traverse les villages dans
une rumeur d'orage. Chevaux, hommes, canons sont attachés les uns aux
autres, comme si les épreuves subies en commun les avaient à jamais
unis. Les avant-trains, chargés d'objets hétéroclites: armes, objets de
cuisine, voire parfois, surmontant cette architecture, une mandoline,
évoquant les déménagements parisiens que chanta Rictus. La boue des
marécages et la craie des routes ont patiné les roues des voitures,
où des branchages s'entrelacent. Si bien que, misérable et splendide,
ce défilé a de mâles allures d'entrée barbare et triomphale dans une
province durement conquise.

L'armée traverse la forêt mystérieuse. D'étroits gourbis, de
sombres cagnas, des maisons recouvertes d'armatures et de blindages
apparaissent sous les voûtes verdoyantes. Il en sort une musique aux
rythmes lascifs, orientale et légère. Quel pastour joue si joliment du
pipeau sous le sifflement magique des obus?

C'est le camp marocain. Un robuste guerrier souffle en un mirliton
primitif, taillé dans une branche de sureau. Au pied d'antiques arbres,
s'épouillent de grands enfants cuivrés et rieurs aux dents éclatantes;
ils saluent «Li cam'rades aux manteaux bleus», et d'aucuns, ayant fait
macérer dans le jus de l'ordinaire des plantes aromatiques, offrent
affectueusement ce breuvage composite aux compagnons d'aventure qui
demain partageront leurs dangers.

La nuit s'écoule, traversée d'éclairs. Voici l'aube. Las de dormir
en des granges aux toits défoncés, sur la paille pourrie, et d'être
éveillés par le cortège errant des brebis, dont les voix de cristal
brisé semblent pleurer sur le sort des campagnes, les hommes sont
heureux d'avoir goûté un rude repos, le visage tourné vers les astres.

Fine Oreille, Parisien gouailleur, serviable et courageux, descend à
la soupe; il lave ses marmites à la petite fontaine aux eaux vivantes
qui demeure, témoignage d'un passé calme, au centre du village abattu;
il les fait remplir à la cuisine roulante, il attache les pains de
l'escouade à sa ceinture et, savourant l'odeur alléchante et chaude
des lentilles, il revient à la tranchée où l'espèrent ses compagnons
affamés. Tout le jour se passe dans l'attente. Des avions aux ailes
d'argent traversent le ciel; ils ont la grâce des étoiles filantes, et
le vrombissement de leurs moteurs ajoute à l'anxiété de l'heure une
magie harmonieuse.

Longeant les étroits boyaux qui mènent à la première ligne, les
bataillons s'avancent, d'un pas égal et fort, pareil au rythme assourdi
du flux entre les rochers.

Sinueuse, ainsi qu'un reptile, route sonore creusée dans la terre
frémissante, la tranchée Y dessine aux yeux troublés de l'adversaire
l'implacable et savante géométrie de ses pare-éclats. Les obus qui
la fouettent ne peuvent affaiblir la vigueur de ses murs. Elle sait
garder, résistant aux rafales d'acier, et malgré les agitations qui
l'emplissent, une paix extérieure, visage viril où s'affirme une vie
passionnée. Fleuve orageux, le sang de France court en ses étroits
boyaux.

Voici l'alerte! Sirènes du crépuscule, aux voix tragiques et
charmeuses, des obus filent en chantant. Tels des jets d'eau, jaillis
d'un sol magique, se lève une moisson de baïonnettes lumineuses. Un
Tel s'arque pour mieux bondir, car l'instant est venu de quitter la
tranchée, où furent jugulées tant de justes colères, la tranchée
froide, cruelle, fatale, mais qui, malgré la boue stagnante de ses
boyaux et le sanglant mystère de ses parois, n'en est pas moins une
libre avenue, courageusement ouverte à l'espérance française.

Le clair martèlement d'invisibles mitrailleuses se répercute, en
troublant écho, dans la poitrine des combattants. Un Tel, retenant
l'élan qui l'emporte, écoute retentir en lui ce rythme égal et continu
qu'il croit être le cœur vivant de sa destinée. Les adversaires
se rejoignent, cependant que la mitraille déchire leurs légions
parallèles. Dans le vent de l'assaut, les mélancolies des nuits
pluvieuses et les amertumes de l'attente se dissipent. La tranchée
Y, cuve où fusionnaient les énergies d'une foule, vient d'éclater,
projetant au front de l'ennemi des groupes d'athlètes fortifiés par
l'âpre désir de vaincre.

Il faut avancer avec calcul, en liant aux fils lumineux du temps
une volonté dont le plus sûr ressort est l'indépendance, et cette
discipline qu'il importe d'observer en présence des réalités sévères de
la guerre moderne répugne à l'audace d'Un Tel.

Dans la mêlée, le soldat est escorté de souvenirs et d'images; la
caresse légère d'immatériels baisers frôle son front et certaines
heures, qui lui furent douces, renaissent, lumières sereines, en ses
yeux où le dernier hiver glaça de pauvres larmes. Mères aux douleurs
voilées, amantes nues comme des fleurs, enfants joyeux, toute la
théorie des êtres qu'il chérit entoure et protège le combattant. Il
faudrait être cruellement infortuné pour n'avoir pas auprès de soi
l'ange gardien dont le visage irréel console et fortifie. Le simple
berger, descendu des cimes bleues où il jouait rêveusement avec les
étoiles, a su plaire à la pure Virginie qui l'espère. Le paysan
robuste, l'insoucieux bohème ont, eux aussi, des belles chairs jeunes,
et ces guerriers enamourés connaissent les plus riches des fêtes
intérieures, grâce aux voluptueux souvenirs qui les accompagnent.

Evoquant l'exquise blonde qui paraît sa vie, Un Tel, las de courir,
s'arrête près d'un bouquet d'arbustes. La féerie des explosions
l'entoure. Des bombes fusent, pourpre couronne, à la cime des arbres;
leur mitraille fauche les jeunes branches et hache les troncs antiques.
Des obus, ayant dessiné d'invisibles courbes sur la moire délicate du
ciel, se jettent vertigineusement dans une rivière, y faisant jaillir
d'éblouissantes gerbes d'eau. Efficace soutien des assaillants, les
explosifs s'abattent en rafales implacables sur les rangs adverses,
broyant les armes, les casques et les têtes.

Des géants roux, crucifiés au sol, sombrement agonisent. Ils rêvaient
de stupres grandioses dans Paris illuminé, de bruyantes beuveries,
de joyeux massacres en des parcs élégants. Il fallut, pour briser ce
délirant orgueil, qu'un éclat d'acier se plantât dans leur poitrine,
qu'une épine de fer s'enfonçât dans leur tête dorée, comme si quelque
orfèvre démoniaque, désireux de fêter ces tyrans vulgaires, avait orné
de perles de sang leurs masques révulsés.

Les folles voix des courageuses alouettes se sont tues, afin que
l'homme, éloigné des choses familières, écoute chanter dans l'air
multicolore du crépuscule l'_Angelus_ berceur de sa vieille église;
mais les échos ne répercutent que le torrent des canonnades.

Soudain, Un Tel perçoit moins distinctement le tumulte de la mêlée.

Semblable au rythme errant des mers, que l'enfant aime à retrouver
incurvé dans les coquillages, un bourdonnement emplit son oreille,
musique lointaine dont les douces inflexions blessent délicatement
ses nerfs. Une flamme consume sa poitrine, faible, vacillante, mais
volontaire, et cet humble feu de bivouac, allumé sous les chairs, a des
cruautés de bistouri.

Un Tel est blessé et, tandis que son bataillon poursuit une course
orageuse, confus d'être frappé sans qu'une particulière aventure le
distingue de tous ses compagnons égorgés, il se replie dans le tragique
isolement de la douleur.

Près de l'onde trouble où voguent, telles des îles flottantes les
arbres abattus, il panse sa chair qu'un éclat déchira. Le péril dont
il est entouré active les souples ressorts de son être et décuple
sa volonté. Il éprouve à soigner sa blessure une joie d'enfant, car
rien n'exalte mieux un combattant comme de connaître l'âpre délice de
vaincre la mort.

Les côtes lointaines où flamboient les éclairs rapides de l'artillerie
sont caressées par les ombres nocturnes. Irisant la nue, une étoile
unique, gardienne avancée des célestes jardins, affirme, en présence
des hommes éphémères et de leurs irritations, le calme résolu des
choses éternelles. Des brouillards délicats montent de la rivière, et
leur grâce lumineuse, en auréolant les collines, incite aux rêveries
champêtres.

Sentant croître sa fièvre, Un Tel, que la gravité du soir émeut, erre à
la recherche d'une ambulance. Dans un bois, défriché par la mitraille,
à travers les buissons d'épines où respire le printemps nouveau-né, il
suit magnétiquement un chemin d'ombre, guidé par son instinct courageux.

Le canon s'est tu. Les petits des tourterelles, abrités en leurs nids
verdoyants, écoutent chanter leurs mères. Un être est là, boueux,
genoux en terre, les bras tendus vers le dernier des cercles de
lumière brûlant encore au ciel, un mourant, dont l'harmonieuse plainte,
pure source jaillie d'une âme martyre, se joint au chœur aérien des
choses.

C'est un Marocain à la chair olivâtre, aux yeux d'enfant perdu, ancien
maltôtier des ports orientaux qui jadis exhibait des muscles élastiques
sur les clairs débarcadères, entre les montagnes d'oranges et les fûts
de vin noir. Un soir, où la mer miroitante avait des alanguissements de
femme, un berger lui tatoua sur la tempe une étoile, le destinant à la
sereine adoration du firmament. Aussi, mutilé par un obus, étranger en
ce climat de France, implore-t-il son Dieu, lequel, baignant sa nudité
superbe, en un ciel de jets d'eaux parfumés, doit jouer là-haut avec
des bouquets d'astres.

Jamais Un Tel n'avait imaginé qu'une nuit viendrait où il lui faudrait
veiller la mort d'un Africain, guenilleux et dévoré des poux.

Ainsi, toute voix humaine étant fraternelle au soldat qui se meurt,
bercé par les doux mots qu'il ne comprend pas, et s'efforçant de
ranimer en lui l'image évanouie de sa maison natale, le tirailleur
agonisant revit à sa dernière heure sa jeunesse sauvage et les soirs
embaumés où, traversant le ruisseau chanteur, il serrait en ses bras
heureux une mignonne amante, tant il est vrai que le souvenir amer et
joli de l'amour est le compagnon fidèle de la mort.

Un Tel s'en fut en songeant que le destin du soldat est entouré d'un
verre fragile. Vienne le moindre orage, la prison lumineuse se brise
et le pauvre isolé entre, tout armé, dans la grande communion des
morts. Partageant l'angoisse suprême du tirailleur, il imaginait ce
qu'il adviendrait, après sa mort, de celui qui traversa des continents
et des mers pour secourir le plus beau pays du monde occidental.

Pauvre tirailleur, on l'enterrera, couvert de vermine et de sang, dans
la terre qu'il a défendue. Sa tombe sera, sans doute, ornée d'une
bouteille où rutilait, jadis, un ardent bourguignon, et qui gardera
dans ses flancs transparents la date de sa mort simple et son nom
inconnu. Le petit feuillet blanc fera survivre ainsi le soldat qu'un
obus abattit.

Plus tard, son père, venu du radieux Orient, courbé comme un vieux
saule, inclinera son regret vers la terre où le cher disparu fut
couché. A moins qu'un dieu cruel ne veuille faire mourir le tirailleur
une seconde fois et qu'il ne brise la bouteille légère, en sorte que
rien ne perpétue le souvenir du lieu où le héros repose. C'est alors
que, privées de la vénération des siens, ses cendres auront un droit
absolu à l'hommage de tous.

Mais, préférant à cette mort vers qui monte la reconnaissance d'un
peuple innombrable les joies, les incertitudes et la pauvreté de
notre existence éphémère, Un Tel rejoignit le poste de secours, frêle
et sombre abri où l'armée meurtrie se pressait, tel un troupeau de
miséreux dont les yeux brûlants ont découvert les portes du ciel.



AZUR! AZUR! AZUR


Un Tel goûte la précieuse volupté de reposer en une salle claire et
chaude d'hôpital. Il bénit sa blessure qui lui permet de retrouver
le charme et les douceurs de l'arrière. Il est parfaitement heureux,
acceptant les douleurs nécessaires du pansement, l'immobilité forcée,
satisfait d'être soigné, réconforté, voire même admiré, estimant juste
qu'on lui fasse, au sortir de la mêlée, un accueil fraternel.

Mais, au seuil de l'hôpital, l'angoisse et la misère n'abandonnent pas
le soldat. Ici, comme dans la tranchée, la mort, amante insatiable,
accompagne le combattant qu'elle désire.

Certains, aux multiples blessures, ont des infections progressives,
dont on peut suivre la marche silencieuse. Leur corps est un grand
abcès sournois qui perce lentement. Leur langue est brûlée, leurs joues
se creusent; leurs pupilles s'élargissent; elles deviennent claires et
fixes comme de la porcelaine; un souffle saccadé soulève leur poitrine.

Lorsque les côtes saillissent sous les chairs, que maigrissent les
bras, que se tendent les mains vers on ne sait quel espoir fugitif,
c'est que l'âme est à fleur de peau. L'être exprime une grande douleur;
la venue des amis, des parents, les tendres soins de l'infirmière
inconnue ne peuvent le ranimer. Comment le mourant verrait-il les
choses de ce monde, alors que ses yeux sont tournés vers l'éternité?

Il faut à ceux qui luttent contre la mort le généreux espoir des
guerriers fortunés.

L'infirmière qui soigne Un Tel est une Orientale. Elle a une douceur
enveloppante et volontaire qui la rend à la fois aimable et redoutée.
Nulle protestation ne l'émeut; nulle ingratitude ne la rebute; elle
est indifférente aux supplications des uns, au silence des autres.
Elle soigne et panse les blessés, voulant ignorer leurs souffrances et
semblant s'indifférer absolument de la rouge horreur de leurs plaies.

Les infirmières ont une âme étrangement sensible. La nuit, elles
entendent qu'un de leurs malades va mourir. Un souffle inconnu, une
lointaine voix, un léger attouchement les avertissent du départ d'un
de leurs protégés. Ces frôlements d'ailes qui les éveillent, en l'air
nocturne, ne serait-ce pas un ange gardien qui s'envole?

Un vieux docteur, brave père de famille, austère savant qui, de père en
fils, soigna les robustes laboureurs de sa contrée, opère les grands
blessés. Il est l'arme froide, agissante, jugeant en dernier ressort,
inflexiblement, et condamnant à disparaître la chair gangrenée. Il
recrée le sang, purifie les artères; il fait d'un corps pantelant une
maison saine, aérée, où se retrouvent les lignes premières. Il replace
géométriquement ce que le fer arracha. Il rend à l'armée un corps
ordonné, où le sang rajeuni coule, rythmique et fort, comme un beau
fleuve.

L'infirmière: c'est la foi des armées abattues. Il semble qu'en la
coupe jolie de ses mains tendues fermente le vin de la résurrection.
Elle incarne, sous son voile flottant, l'espoir de vivre, cette âme
ailée qui ressuscite les combattants accablés.

Pure image des douceurs absentes, elle porte en elle les tendresses des
mères et des amantes, si désirées aux heures de la souffrance.

Mais la mort est rusée et pénètre dans l'organisme par des moyens
maléficieux. Elle veille, l'implacable, au chevet du blessé, droite
comme un flambeau funèbre, et les efforts conjugués du docteur et de
l'infirmière ne peuvent rien contre elle. Et, pourtant, les mourants
renaissent, à force de soins et d'amour.

Puissent la bonne infirmière et le vieux docteur ressentir un
magnifique orgueil plus tard, en des printemps paisibles, quand ils
verront venir vers eux l'interminable cortège heureux des Lazares
qu'ils ressuscitèrent.

C'est vraiment une résurrection que le retour prochain du blessé à la
vie normale.

Un Tel, torturé du désir de courir dans la lumière, de traverser le
jardin où les pommiers fleuris ouvrent leurs prestigieuses ombrelles,
s'est levé. Faiblement, d'un lit à l'autre, malgré le vertige, il
s'efforce, patient et volontaire, à ne pas faiblir, à marcher encore.

Le sol est fuyant, le soleil trouble ses yeux; il semblerait que
le sang va couler, une fois encore, par la plaie cuisante, à peine
refermée. Certes, cet effort est difficile. L'infirmière offre son
bras fraternel au soldat. Dirait-on pas, à les voir ainsi, hésitants,
effrayés et joyeux, qu'un amour ravissant les conduit?

Un Tel est fier de surmonter le trouble des premiers pas et de
reprendre, éternel vagabond, la grande aventure de sa vie. Bientôt, il
lui sera donné de revoir sa chère maison, ses livres aimés, l'intérieur
étrange qu'il s'était organisé. Un Tel aspire fiévreusement à cet
instant.

Quitter enfin la salle blanche où se jouent des vapeurs d'éther.
Partir, égoïstement, sans emporter le souvenir des misères encourues et
du sang versé, il n'est pour le convalescent de plus riche espérance.

C'est la dernière nuit. Un Tel compte les minutes, attendant l'heure
libératrice. Au fond de la salle ombreuse, une voix émouvante appelle,
sans arrêt, un secours impossible:

--Infirmier, infirmier, j'étouffe!

C'est un rude paysan qui ne veut pas mourir. Il a la colonne vertébrale
déplacée; mais sa volonté de vivre le dresse et le ranime; il se
consumera, comme une torche, jusqu'à la cendre.

Une fois encore, narguant la science impuissante et la charité, la mort
sera triomphante. Après tant d'autres sacrifices, martyr modeste,
un paysan de France meurt, tandis qu'en sa ferme dévastée, d'autres
paysans, comme lui, dorment sur une infecte litière, évoquant en des
rêves naïfs les gras pâturages de la paix, le retour des bêtes dans la
poésie du soir, les veillées intimes autour du bon feu.

--J'étouffe.

Ce cri emplit la nuit. Un Tel sent un besoin de respirer en des saisons
meilleures un air léger et calme que n'aigriraient plus les odeurs
d'iode et de picrate. Mais il importait avant tout de se battre,
de subir des maux innombrables et de verser, sans mesure, un sang
vigoureux, car la France, grande et jolie blessée, étouffait, elle
aussi, sous l'étreinte de son implacable adversaire.



LE RETOUR


Un Tel, au sortir de la mêlée, ayant traversé les hôpitaux où la joie
de vivre est atténuée par la douleur, revoit enfin les rues de son
enfance, et leur cher aspect coutumier est plus que jamais sensible à
son cœur.

Les boutiquières souriantes ont une jeunesse et des grâces qu'Un Tel
ignorait. Les bars, jadis bruyants, illuminés, où se pressait une foule
énervée, sont devenus des lieux de causerie, sortes d'oasis charmeuses
où se retrouvent le permissionnaire, le blessé et le réfugié, ce
pèlerin de la guerre.

L'hostilité des uns s'est atténuée, les rancunes irraisonnées des
autres sont mortes. Il semblerait que le quartier, sentant passer la
grande menace, a groupé, fraternellement, dans ses vieux murs, ceux que
divisaient naguère des humeurs et des intérêts opposés.

Un Tel visite, non sans orgueil, son quartier. Il se montre. N'est-il
pas le sauveur, celui sans qui l'église archaïque aux tours émouvantes,
le jardin aux gazons réguliers, l'école où chantent des gamines,
n'existeraient plus, férocement anéantis?

On l'accueille, on le fête! Les vieillards, dont l'âme vacillante prête
à la guerre des horreurs qu'elle n'a pas, l'admirent, et les commères,
que sa fantaisie irrita, condescendent à l'estimer pour ce qu'il
représente de force nécessaire.

L'illusionnisme d'Un Tel ne saurait néanmoins le porter à croire que
cette sympathie totale durera, la guerre terminée. De ce qu'elle est
éphémère et fuyante, il en goûte mieux, au contraire, le bien-être et
le charme.

Retrouver son foyer est estimable, lorsque l'on a vagabondé sans répit
dans l'ombre et le vent. Un Tel, à la table où il aimait écrire, tente
de ranimer en son esprit le peuple d'images et de mots qui jadis
l'emplissait. Mais, obsédantes, les idées qui lui vinrent au cours de
sa méditation dans la tranchée semblent vouloir chasser les rêveries
anciennes.

Près du feu chanteur, en le calme accueillant de sa tiède demeure, le
soldat ne peut oublier les dures nuits de la guerre. Il lui semble
entendre encore la plainte errante des mourants; il revoit les
squelettes glacés de ses camarades, veilleurs éternels placés en avant
des lignes françaises.

Le confort fatigue Un Tel. Il était bon de dormir sur le sol dur,
entouré d'une couverture boueuse, profondément. La mollesse des
oreillers et des matelas énerve, et rien ne vaut le sommeil animal,
duquel on sort repu et brisé comme après un rude massage.

Idées et réalités de la guerre; choses apprises, devinées en présence
des morts; hommes entrevus dans la mêlée, défilé des jours mornes
et tourmentés; tout cela s'impose au cœur du soldat. Une mosaïque
faite de tous ces souvenirs, petites pierres boueuses, chatoyantes,
ensanglantées, telle sera désormais la pensée d'Un Tel.

Mais, quand le convalescent veut confier ses impressions et ses
souvenirs, il se voit incompris ou critiqué. Il découvre qu'existe
un soldat ignoré du combattant, sorte de héros d'opérette surgi,
tout armé, de la cervelle délirante des journalistes. Combien l'azur
trompeur dont on a paré ce déguisé cache de bêtise et de lâcheté, nul
d'entre ceux qui revinrent de la grande mêlée, soit indifférence ou
stupeur, n'a voulu le dire.

Le soldat blessé, le convalescent, l'amputé, désireux d'être en
harmonie avec ses compatriotes demeurés à l'arrière, abandonnant toutes
les impressions ressenties, délaissant les justes directions que la
souffrance impose à sa pensée, doit avant tout copier servilement
le geste maniéré et la grandiloquence de ce poilu confectionné pour
l'émerveillement des faibles et des oisifs, qui vit en narrant
d'insipides gaudrioles et meurt en chantant.

Dans la salle humide et sombre de l'ambulance, les morts ont été
dévêtus et les rats viennent, lentement, leur dévorer la figure. Ces
pauvres n'eurent pas la fin brutale du combattant, ils se virent
mourir, loin de la femme aimée, fugitive que pourchassa l'envahisseur;
ils ne chantaient pas à l'heure où la mort les emporta. Et vous
autres, camarades, dont la jeunesse rayonnait sous la boue et l'ordure,
et qui êtes, maintenant, asphyxiés et rigides, chantiez-vous quand le
fer déchira vos poitrines? Des écrivains ont déshonoré le sacrifice le
plus noble du soldat, quand ils eurent l'audace de le faire mourir, un
refrain de café-concert aux lèvres.

Les heureux qui ont une modeste sépulture y sont étrangement
compressés. Leur fosse pouvait contenir vingt corps; on en mit
quarante, placés sans pitié, la tête des uns frôlant les pieds des
autres. Toute la jeunesse de France est couchée dans la terre ardente,
et voici que des faiseurs de grimoires dessinent, aux yeux du monde
qui nous regarde et de l'avenir, cet implacable juge, une silhouette
burlesque et grivoise du soldat.

Révolté, Un Tel ne veut pas admettre que le martyre de toute une race
finisse dans une orgie de mensonges et de calembours.

Les gens simples, les marchandes des quatre-saisons, les commères
attroupées sur la vieille place, où jadis se poursuivaient en criant
des gamins qui sont maintenant des soldats, tous ceux qui ont souffert,
pleuré au cours de leur existence, savent que le combattant, couvert
de vermine et de vase, est une pauvre chose perdue en la tempête, un
être dont la chair, cinglée des vents, est offerte, nuit et jour, aux
coups du destin. Un Tel se sent aimé de ces gens-là. Seuls l'irritent
les esprits aimables et facétieux qui cherchent à retrouver en lui les
traits galvaudés et flétris du poilu légendaire.

Mais c'est en rencontrant son ami Mortné, sculpteur et parfait égoïste,
qu'Un Tel comprit nettement que la guerre n'a point transformé le monde.

Il n'existe qu'une chose, ici-bas, méritant l'attention de ce noble
artiste: la forme pure. Une scintillante locomotive, un obus effilé,
une carafe sont des merveilles de ligne et de volume. La Marne sauva
Paris de l'anéantissement, dites-vous! Quelle erreur est la vôtre,
une nation ne meurt pas qui sut découvrir cette vérité magnifique: La
sculpture sera désormais une géométrie inexplicable où les troncs de
cône chevaucheront des parallélépipèdes.

Mortné est un petit propriétaire qui fait de l'art avec des prétentions
de géant. Le désir qu'il exprima de ne s'intéresser qu'à son œuvre
masque ses appétits gourmands. Il lui faut une bonne table, des vins
de choix, une couche douillette. Il aime à vivre sans fièvre, à peine
inquiété par les drames cinématographiques dont il est le fidèle
admirateur. Disserter sur l'art contemporain en savourant une liqueur
parfumée est autrement utile à l'humanité que le lancement de la
grenade.

Dites à Mortné

--Vos subtiles arguties importent peu. La France est envahie, ravagée;
votre maison elle-même est menacée, battez-vous!

Il vous répondra

--Me battre? Pourquoi? D'abord on ne m'a rien demandé. En outre, ça
n'est pas intéressant. Ma maison est menacée. Qu'ils y viennent! Je ne
suis ni un lâche ni un sot. Si je trouve un Boche en face de moi, je
saurai l'abattre.

Mortné admet le corps à corps. Menacé directement dans ses biens, il
se battrait; il ne permettrait pas qu'un Allemand vînt détruire les
glaises informes où il croit avoir affirmé son génie. Mais à quoi bon
épouser les querelles de la nation?

Une légion innombrable a pu descendre vers Paris, férocement armée,
ayant asservi la science à sa fureur guerrière. Des mortiers de 420,
de puissants obusiers auraient fait pleuvoir sur la capitale un déluge
de fer si nos armées n'avaient arrêté la progression rapide de cette
légion. Cela importait peu.

Mais qu'il s'en fût présenté un, un seul de ces envahisseurs, non pas
un obus, mais un homme, dans la demeure de Mortné, il nous eût alors
montré qu'il savait, lui aussi, se battre et triompher.

       *       *       *       *       *

Au retour, satisfait d'avoir retrouvé le cher visage qu'il aimait et la
douceur archaïque de son quartier, Un Tel, un instant, a pu se griser
d'un éphémère triomphe. Certes, les gamines aux nattes enrubannées et
les vieillards l'accueillirent avec une évidente admiration. Mais il
a vite compris que la lutte n'était pas terminée, qu'il lui fallait
encore défendre contre les mensonges dorés de la légende la vérité de
sa douleur et arracher aux mains des égoïstes qui s'en nourrissent les
fruits de la patrie, ce clair jardin que les soldats ont protégé des
foudres et de la mort.



LA RIVIERA DU MONTPARNASSE


Au Montparnasse, carrefour peuplé de bourgeois, d'artistes et de
souteneurs, Un Tel jadis aima vagabonder. Ce soir, afin de revivre les
émotions anciennes, le convalescent parcourt le quartier, maintenant
ombreux, où errent comme lui des nègres et des marins, recherchant un
refuge sonore, éternels gamins bercés d'une romance.

Voici, boui-boui tentateur et rutilant de lumières, la Riviera de
Montparnasse.

L'aigre voix de la chanteuse y résonne harmonieusement au cœur charmé
des jeunes hommes. La fumée irrite la gorge de la pauvresse, les joyeux
violons couvrent son chant. Qu'importe, orgueilleuse et secrètement
ravie de plaire et d'être désirable, elle exalte en des refrains naïfs
les amours des arsouilles, dressant au centre des lumières une chair
palpitante et transfigurée.

Des plantes artificielles, aux feuilles droites et effilées comme des
lances, entourent le tréteau, évoquant le charme lointain des îles en
fleurs; de hautes glaces affinent et multiplient la beauté des femmes.

Ce faux luxe de café-concert, les mille lampes suspendues à son plafond
d'azur et les musiques en goguette créent une atmosphère énervante et
magique qui remplace, auprès du simple ouvrier de la cité, le charme
des plages parfumées et sentimentales, l'enchantement d'être fortuné et
la nocturne volupté des sombres ombrages où frémit le vent de la mer.

Ici, l'homme oublie les peines de la vie. Il cherche, parmi les rythmes
et les illuminations, une ivresse héroïque qui l'exhaussera, ornant
d'images imprécises et jolies l'ombre de sa misère.

Les pures amours, les dévouements irraisonnés, l'implacable courage
naissent d'une chanson. Les combattants, au sortir de la mêlée, les
femmes délaissées, les adolescents rêveurs viennent à la Riviera du
Montparnasse, avec une âme simple, désireuse de joie et de clarté. Leur
sensibilité y découvre des horizons plus vastes; ils en sont éblouis,
comme s'ils avaient bu ce philtre généreux qui donnait aux héros
légendaires une invincible vigueur.

La voix aigre de la chanteuse, éveillant les désirs ailés de l'amour
et les passions guerrières, devient claire, souple et brûlante. Les
marins croient ouïr de vieux Noëls campagnards et l'ariette et la ronde
que chantait leur grand'mère. Les vieux rentiers à la tête oscillante
fredonnent en l'écoutant les refrains lestes où triompha Thérésa, la
grande encanailleuse.

Elles reviennent, parées de fleurs fanées, en l'imagination du
populaire, toutes les chanteuses de jadis: amante désolée du croisé
lointain, Lisette émue de Béranger, brave et rubescente vivandière des
chansons à boire. L'ouvrier se sent entraîné par les marches allègres
des charpentiers et des rémouleurs, fidèles compagnons du tour de
France.

Les artistes évoquent les jolies satires de ces petits soupers où de
petits abbés disaient des épigrammes. Nègres, jeunes Bretons songeurs,
ouvriers, artistes étrangers, tous, dans le rythme heureux des violons,
renaissent à la joie et à l'espérance.

La Riviera du Montparnasse, c'est la Côte d'Azur du pauvre.

Seul, dans une immobilité glacée, un petit Japonais baisse la tête
tristement. Il est las de cette rumeur et les mille parfums ambiants
l'énervent. Les yeux emprisonnés dans le cercle d'or de ses binocles,
l'esprit absent, en quel rêve confus s'exile-t-il?

Il revoit les fleuves luisants et les arbres naïfs de sa patrie.
Indifférent au café qui fume devant lui, sur la table de marbre, il
évoque les vertiges anciens de l'opium, le sommeil mystérieux et lourd
de l'éther.

Une âpre toux secouant sa frêle poitrine, les yeux clos, ce petit gnome
méprise les joies et les exaltations occidentales. Nos femmes lui
paraissent être d'étranges animaux malades, absolument différentes des
souples danseuses qu'adora sa jeunesse, au pays des maisons d'osier et
de lanternes peintes.

Malgré l'amertume de son exaltation, le Japonais n'en subit pas moins
la magie du rythme et des lumières. Un Tel, lui-même, délaissant un
instant le souvenir des pires choses qu'il entrevit, se laisse séduire
et bercer par la mièvrerie sentimentale des romances.

Avant la guerre, le beuglant fut une école agréable et pernicieuse où
furent professées, parmi les danses et les cris, les idées les moins
nobles du siècle. C'est là que l'esprit du populaire se faussa et prit,
en écoutant des chanteuses court vêtues, tous les vices cosmopolites
qui l'avilissaient.

Depuis, en changeant de répertoire, le café-concert a transformé son
âme. Les grands sentiments qui soulèvent les foules se répercutent
entre ses glaces étincelantes. Une sorte d'impérialisme s'y crée,
amoureux du panache et de l'amour. La Riviera du Montparnasse est un
nouveau temple, dont nul dieu clairvoyant et courroucé n'a su jusqu'ici
chasser les marchands.

Vils phraseurs exaltant les rêveries humanitaires, dressant l'affamé
contre le capital et incitant aux révoltes isolées, marchands de
refrains incendiaires qui, selon le goût de l'instant, entraînent leur
public à l'assaut du veau d'or ou sous les murs de Verdun; clowns à
la voix arsouille qui, tour à tour, bafouent la patrie et chantent la
gloire d'un général républicain, ils sont légion ceux qui, indifférents
à la misère et à la gloire des peuples, adorent aujourd'hui les idées
et les hommes qu'ils piétinaient hier, à seule fin d'ajouter à leur
fortune.

Mais, heureusement, il en est qui savent exécuter, avec art et
modestie, leur beau métier d'artiste; ceux-là, alchimistes dévoués,
donnent aux misères de la vie, tous les soirs, un reflet d'espérance.

Imitant le parler savoureux de la rue aux Herbes-Potagères, un
artiste belge, d'une santé florissante, évoque auprès d'une commère,
également plantureuse, les jours où il jouait à la marelle et croquait
des gâteaux dans Bruxelles, alors que M. Beulemans y triomphait
bourgeoisement, ne devinant pas quel orage formidable menaçait les
riantes vallées de la Meuse et sa bonne ville en fête. L'artiste y met
l'accent ému qu'exige son rôle attendri.

Voici qu'il lui faut, maintenant, danser et chanter. Il danse, serrant
en ses bras la joyeuse commère. Sa faconde, ses gestes épanouis, sa
bedaine rebondissante, sa trogne illuminée enchantent le public. Ce ne
sont plus que rires, exclamations, appels délirants à travers la salle
surchauffée.

On dirait une franche et voluptueuse kermesse où ce meneur de cotillon
fait danser, au cœur de tous, la joie de vivre.

Un Tel se laisse gagner par cette commune allégresse. Il ignore que le
chanteur apprit récemment la mort de son père et de son frère, fusillés
sur la grand'-place du Marché-aux-Fleurs, pour n'avoir pas voulu
incliner sous le joug envahisseur leur patriotisme ombrageux, et nul de
ceux que la Riviera de Montparnasse exalte, console et réjouit ne songe
à deviner l'envers de ce décor verdoyant et doré et la douleur vraie de
cet amuseur.

Ne faut-il pas que, par une inexorable loi du destin, au côté des
marchands de mensonges lyriques que seuls l'or et le succès captivent,
certains comédiens, conscients de leur rôle prestigieux et portant une
large blessure au cœur, chantent sur les tréteaux et simulent une joie
sans pareille, afin que les marins errants, les ouvriers épuisés, les
nègres venus de leur forêt natale pour mourir dans nos campagnes, les
soldats qui goûtent les joies éphémères du retour, s'en aillent, à
minuit, dans le Montparnasse obscur et silencieux, avec des refrains
aux lèvres?



LE SOLDAT PERDU


Un Tel désira revoir les groupements où jadis il partageait, avec
quelques rares esprits cultivés et beaucoup de sots et de prétentieux,
l'amour des belles-lettres. C'est dans une brasserie surpeuplée,
parfumée de tabacs exotiques et trépidante comme une chaudière,
qu'Un Tel revit des esthètes qui l'irritèrent et lui rendirent plus
estimables que jamais les paysans de son escouade, au raisonnement lent
et grave, à la vie saine, aux mœurs raisonnables.

Chinois aux visages fripés, Russes énervés et misanthropes, Roumains
phraseurs, toute une faune cosmopolite y discutait des problèmes
d'art moderne, séduite par l'incohérence et le désordre. Des juives
aux cheveux taillés comme de vieux Bretons, à la croupe large, férues
d'esthétique et des questions sociales, âpres à soutenir leur race
errante, trônaient en des poses martiales, condamnant sans douceur
nos institutions et nos œuvres. Leurs époux, frêles adolescents venus
des Carpathes lointaines, approuvaient, sans y rien comprendre, les
discours de ces viragos.

Autour des petites tables chargées de soucoupes, les métèques
audacieux qui prétendent imposer leurs maladies mentales et leurs
tares à la pensée française se donnaient rendez-vous. Des oisifs les
rejoignaient, vieillards qui, jadis, menèrent une bohème souriante, en
compagnie de Verlaine et de Moréas; jeunes gens séduits par l'étrangeté
du lieu, courtisanes raffinées dont l'ancien métier de modèle a formé
le goût.

Un Tel exècre cette foule; néanmoins, il lui plaît de s'y noyer,
afin de mieux comprendre combien il est, désormais, étranger à toute
sa fièvre mauvaise. Le soldat, perdu en ce tourbillon, méprise
infailliblement ces esthètes, ces penseurs, ces artistes qui, mis en
présence d'événements grandioses, alors que le monde en fut bouleversé,
se refusèrent de changer leurs mesquines habitudes et la conception
égoïste qu'ils avaient des choses.

Pour l'honneur des lettres, il est heureusement des écrivains qui
firent l'amer sacrifice de leur sang et de leur liberté. Ceux-là ont
acquis le droit de s'irriter et de réprimer un jour les manifestations
orgueilleuses et turbulentes de cette phalange ultra-moderne.

«L'art est inexistant. La poésie, de Villon à Jehan Rictus, est une
longue plaisanterie; Constantin Meunier est un pompier et Cézanne
un marchand de couleurs. Seuls apparaissent, confuses et promises
néanmoins à un prestigieux avenir, les quelques influences dont les
ultra-modernes ont hérité le secret et qui nous permettront de nous
élever à la splendeur d'imagination, à la géniale pureté des Sioux.»

Telles sont les opinions qui triomphent, à l'heure apéritive, dans le
café sonore où les artistes sont réunis.

Les poètes ultra-modernes, chercheurs d'émotions cursives et rares,
mettent à la base même de leur art l'originalité de la forme. Faute de
pouvoir faire mieux, ils révolutionnent la syntaxe et la typographie.
Balbutiant des sons, entre-choquant les mots, ils enfantent une poésie
saccadée, faite de notations brèves qui se poursuivent et se répètent
en un rythme nègre et décevant.

Moderne! Quel soldat inspiré par les hautes et graves visions
entrevues au cours des combats ne saurait l'être? Un Tel estime que
l'esprit moderne n'existe pas, spécialement, dans une forme neuve
et révolutionnaire, mais bien en lui-même, extérieurement au mode
d'expression. Malgré le modernisme apparent de leurs poèmes, Un Tel
sourit de ces faux poètes, pauvres d'imagination et de verbe, malvats
de la poésie, ayant l'enfance de croire qu'il suffit de se coiffer d'un
chapeau haut de forme pour être gentilhomme.

A toutes les tables, ils exultent, expliquant leurs œuvres, dénombrant
leurs admirateurs. Le mépris de cette sorte de gens à l'égard de leurs
confrères est égal à leur ignorance. Ces hommes de génie improvisés
nient toute évolution profitable; ils réduisent à néant les œuvres de
leurs aînés, bouleversant les lois heureuses sans lesquelles l'art ne
serait qu'un délire stérile. Un Tel s'indigne de cette promiscuité. Il
souffre d'entendre ces prophètes annoncer un avenir grotesque, surgi
de leur cerveau malade, comme devaient souffrir les fiers colons du
Far-West lorsqu'ils voyaient venir vers eux, dans le ciel illimité qui
les ravissait, les viles fumées de l'Amérique industrielle.

Un soldat est là, solitaire échoué par hasard sur la banquette où il
rêve, au côté d'une mulâtresse aux dents étincelantes qui parle de
l'œuvre récente de son amant: une berceuse en forme de tomate. Un Tel
converse avec ce camarade inconnu. Ne sont-ils pas tous deux perdus en
cette foule?

Le soldat est d'un village dont le vieux curé mourut en entendant le
premier coup de canon. Le presbytère était fleuri et bien ordonné, on
y buvait un excellent vin rouge. Vieilles gens, vin vieux, vieilles
maisons, c'était un village de l'Est si joli au bord du petit canal.
Il y avait une ferme borgne où l'on s'amusait avec une boiteuse au
museau de musaraigne. Le conseiller municipal était un brave homme qui
s'occupait de ses bêtes et d'administration, sans autre ambition que le
bien-être de la commune.

Il avait fallu quitter cet éden à la déclaration de guerre. Le soldat
était parti parce que l'impérieux devoir militaire le commandait. Dans
trois mois, se disait-il, je reviendrai. Il avait baisé sa femme au
front, puis il avait levé dans ses bras vigoureux son enfant qui ne
comprenait pas la gravité de l'heure et, devant cet être frêle, le père
avait pleuré. Il ne savait ce qu'étaient devenus les êtres chers. Ayant
eu une permission, il était venu à Paris plutôt qu'ailleurs: c'est si
vaste, la capitale. Dans toutes les femmes aux lèvres peintes, aux
poitrines opulentes, il croyait revoir d'anciennes amies d'enfance,
jadis aimées, en des printemps paisibles. Hélas! Pas un visage ne
souriait à son ennui. Il était perdu dans le Paris indifférent. Un Tel
comprit cette misère et, parce que les soldats ont une âme commune, il
confia à ce nouveau camarade son irritation.

Ils burent, unis dans le mépris du civil.

Tandis qu'un esthète glabre et morne auprès d'eux confiait à la
mulâtresse son désir «que la compénétration de l'objectif et du
subjectif lui permît de réaliser le vrai bloc plastique», les
deux soldats affirmaient la valeur de la grenade citron qui tient
parfaitement en main et dont les éclats sont redoutables, comparée à
celle de la bombe à cuillère qui n'est guère pratique, la garce, et
vous ménage des surprises.

Un Tel était heureux que la bonne santé morale et la calme raison d'un
compagnon lui aient fait oublier, en buvant une fraîche bouteille, la
vilenie et la stupidité de ceux qu'il avait la douleur de nommer ses
confrères. Le soldat perdu était réconforté de s'être découvert une
amitié, alors qu'il désespérait de tous et de lui-même. Ce bonheur
partagé ne leur semblait pas miraculeux.

Tant il est vrai que rien n'est si proche d'un soldat, comme un autre
soldat, son frère.



L'ANCIEN


A la manière dont le public accueillait les récits de l'ancien,
Un Tel cherchait à deviner de quelle affection et de quel respect
l'entourerait plus tard cette jeunesse pour laquelle il s'était battu
et qui aurait la joie de naître en un pays prospère, calme et redouté.

Certes, l'ancien inspirait un respect atténué; son allure débraillée,
sa face pourpre et sa voix grasseyante lui donnaient un étrange
aspect de vagabond. Chiffonnier, ramasseur de mégots, colporteur,
il appartenait à cette aristocratie lépreuse des rôdeurs parisiens,
en qui le passant croit reconnaître des amis lointains, tant il est
accoutumé à les rencontrer au même carrefour, narguant la poussière,
la bourrasque ou la pluie, appartenant à la rue, tels le kiosque
multicolore et l'arbre verdoyant.

Pensionnaire des asiles de nuit et des hôpitaux empuantis, où couchent
à la corde une dizaine de gueux dans la même soupente; habitué des
soupes populaires, l'ancien se contentait aisément de ces modestes
agapes et de ce confort embryonnaire. Il aimait à vagabonder, sans
autre but que d'attendre le soir, dissertant sur de graves problèmes
économiques, en compagnie de déclassés qui, parfois, sous leurs
guenilles, gardaient une obscure élégance.

Nourris de déchets et d'eau grasse, les gueux de Paris, liés aux
mouvements de la rue, secoués par les fièvres de la foule, ont une vie
aventureuse. Ils forment une société pittoresque, sorte de petit Etat
indépendant qui fera peut-être un jour sa révolution et conquerra le
pouvoir.

C'était une vieille idée d'Un Tel que nous verrions surgir, au déclin
du quatrième Etat syndicaliste, un cinquième Etat où régneraient les
vagabonds. Pourquoi l'ancien, couvert de pustules, ne serait-il pas
à son tour un favori de la fortune, un maître, lui qui jamais ne
consentit à l'esclavage?

L'ancien, ne soupçonnant pas le bel avenir promis aux déclassés,
estimait être relativement heureux. Depuis vingt ans, il ne couchait
plus dans un lit. L'été, à la campagne, il dormait dans les arbres;
les corbeaux l'y couvraient de fiente. Qu'importe! Bercé par le vent
comme un marin dans la mâture, il évoquait certaines heures qui furent
belles, où les paysans, pour s'égayer, le conviaient à leurs noces; il
buvait dans le verre de la mariée un délicieux vin d'Anjou à 30 francs
la bouteille. L'automne voyait revenir l'ancien dans les parages de
Notre-Dame, car il affectionnait la place Maubert. Il s'y livrait à
de rares et modestes besognes: il vendait des brochures sans jamais
parvenir à se constituer un pécule honorable. Il n'y tenait guère, au
reste, considérant que la misère était sa profession.

A de certaines heures, l'ancien retrouvait une gravité et un maintien
souvent délaissés. Il faisait alors l'émouvant récit de ses souvenirs
militaires. Garde forestier en 1870, sans redouter la mort et la
servitude, il avait porté des dépêches à travers les lignes ennemies.
Combien de fois narra-t-il son histoire? Un Tel était attristé de
songer à l'ironie et à l'indifférence qui, jadis, accueillaient ce
récit. Avant la guerre, la jeunesse était portée à traiter de radotages
l'historique d'événements où la France avait souffert et mérité par son
courage intrépide l'admiration de son adversaire.

Pourtant ce gueux, dont on riait, était un de ceux qui défendirent le
sol envahi. En serait-il de même pour les combattants de la grande
guerre et se pourrait-il qu'un jour l'enfance insoucieuse poursuivît
de quolibets un fusilier de l'Yser, un fantassin de Verdun? Cruelle
question qu'il était impossible de ne point se poser en présence de
ce vieillard obstiné à ne pas mourir et à se ressouvenir d'un passé
d'honneur et de souffrance.

Maintenant, juste retour de la fortune, l'ancien est écouté. Dans les
bouges où les convalescents lutinent les filles, il parle haut, ne
voulant pas que les soldats de 1914 puissent l'accuser de n'avoir pas
servi. De son bâton noueux, il frappe la table grasse, faisant tinter
les verres et les bouteilles; ses yeux s'illuminent, sa voix sonne la
charge. La tenancière du bouge, une matrone, n'a plus besoin d'imposer
le silence à sa bruyante clientèle; tous les soldats, les voyous et
les gourgandines écoutent pieusement cette évocation d'un passé si
intimement relié à notre présent tourmenté. Un Tel admire cette suite
harmonieuse et logique dans notre histoire; il lui semble entrevoir en
une perspective infinie toutes les guerres où il fallut que des gueux
mourussent pour que fussent affirmés notre force et notre désir de
vivre.

Comme elle est simple, la voix de la race! Elle dit:

«C'était terrible aussi en 1870. J'ai vu de longs trains immobilisés où
le pain et les vivres moisissaient qui devaient ravitailler l'armée de
Mac-Mahon. Ce qui nous a perdu, c'est la lâcheté de ce Bazaine livrant
Sedan, alors que le brave Mac-Mahon lui tendait la main. J'allais la
nuit dans les lignes allemandes porter des dépêches, je ramassais les
livrets de nos camarades morts. Pauvres gosses, l'ennemi les avait
surpris sans qu'ils tentent la moindre défense; ils avaient leur
gamelle remplie de pommes de terre à côté d'eux, ils allaient manger;
il n'y avait pas de garde, pas d'avant-garde, rien; ils avaient été
tués. J'ai vu tout cela! Les brigands me cherchèrent dans ma maison,
j'en avais une, cachée sous le lierre; ils retournèrent tout, de la
cave au grenier. Ils ne m'ont pas eu.

«Au début, je me disais: serait-ce comme en 1870? Puis, il y eut la
Marne. Vous êtes courageux, les enfants; nous aussi, nous l'étions,
mais on nous trahissait.»

Ecoutant cette voix du passé, témoignage d'une ancienne vaillance,
Un Tel ressent quelque amertume à considérer le sort misérable de ce
vieux combattant. Ceci ajoute à sa volonté d'agir, au retour, en sorte
que la fortune soit moins rebelle à ceux qui sauvèrent le pays de
l'asservissement.

Les ingrats et les profiteurs de la guerre auront à redouter que de
jeunes vétérans, ayant tout perdu dans l'immense conflit, viennent
grossir les rangs de l'armée bohème du cinquième Etat, lui donnant un
esprit combatif, une organisation et une vigueur invincibles.



EN ROUTE


En ces temps où l'héroïsme est une habitude, Un Tel résolut de
n'attacher qu'une relative importance aux hommages de ceux qui
vantaient ses exploits sans les connaître, et parce qu'il est bon de
couronner le soldat blessé de phrases pompeuses. Egalement, il décida
de repousser les conseils mesquins de certains égoïstes satisfaits,
lesquels estiment qu'il faut, dosant son dévouement lorsque le hasard
vous fit sortir de la mêlée, ne pas s'y précipiter à nouveau.

Ainsi, sans inutile exaltation et dédaignant toute considération
commune, à seule fin de satisfaire à sa fantaisie, Un Tel, déclaré
inapte à l'infanterie, sollicita de partir sur les tanks.

La magie des choses neuves éblouira toujours l'imagination des enfants,
ces poètes de quelques saisons qu'on voudrait immortelles, ainsi que
celles des poètes, ces éternels enfants.

Suivant un rite cher au service de santé, Un Tel dut faire examiner
sa blessure par de nombreuses commissions, appelées à en juger toutes
différemment et sans que l'opinion exprimée par chacune d'elles semblât
intéresser les autres.

--Et celui-là! Qu'en ferons-nous? dit un major.

--Sa profession, demanda un aigre vieillard aux yeux myopes.

--Journaliste.

--Envoyons-le au grand quartier général pour allonger les communiqués!

Humblement, et n'ignorant pas que tout homme désireux de combattre
et préférant le péril à la quiétude de l'arrière est suspect, Un Tel
balbutia:

--Je désirerais, si toutefois vous n'y voyez pas un trop vif
inconvénient, être versé dans le service des tanks.

Sidérés, les majors s'interrogèrent; un homme existait qui ne
tenait pas à s'incruster à l'arrière; ceci méritait qu'on y fît
attention. Quels mobiles étranges le poussaient à choisir un poste
réputé dangereux? N'y aurait-il pas, sous ce désir apparent de
combattre, un mystérieux moyen d'échapper à toute bataille? Vraiment,
cette opposition violente à l'ordre des choses était de par trop
révolutionnaire!

Ainsi, les désirs avoués des convalescents s'orientent tous vers plus
de quiétude et de bien-être, vers une paix heureuse, et voici qu'un
importun ne permettait pas à la commission les ironies faciles par
lesquelles les majors apprennent aux soldats que la guerre n'est pas
terminée.

--Faiblesse générale à la suite de blessure. Nous allons vous envoyer à
la campagne, mon ami.

Impossible de retourner contre le volontaire la flèche, déjà fort
usagée, du sarcasme. Mais, comme il faut qu'une commission de santé
élève toujours un jugement dressé comme une barricade, empli d'attendus
énigmatiques, contre le martyr qu'elle a visité, le commandant major
accabla Un Tel de cette phrase vengeresse:

--Ils ne savent pas ce qu'ils veulent. Au lieu de se défiler, celui-ci
tient à se faire casser la gueule. Patientez, mon ami, le centre des
réformes décidera de votre cas. Je vous déclare inapte au service armé.

En des casernes modernes, aérées, propres et mélancoliques, le centre
groupe des milliers d'hommes aux membres atrophiés et tordus. L'ennui
règne en ce purgatoire du soldat. Toute la nuit, pour bercer son
sommeil, les usines d'alentour vrombissent et mille trains sifflent qui
partent, tentateurs, vers des zones libres, loin de la mesquinerie de
l'arrière et des bureaucraties.

Un Tel se présenta devant deux majors.

--Cet homme est incapable d'appartenir au service armé... Allons donc!

Afin de prouver à leurs prédécesseurs que les jugements des hommes sont
faillibles, les deux majors affirmèrent l'aptitude absolue d'Un Tel à
l'infanterie.

Heureux en son cœur d'une telle décision, le soldat, qui se savait
pareil au bouchon de liège sur les flots promené, se composa un visage
d'infortune. La manifestation de sa joie l'eût envoyé, par réflexe,
dans le train des équipages.

Certes, maintes raisons pourraient excuser le séjour d'Un Tel à
l'arrière. Néanmoins, armé de raisons plus judicieuses encore, il veut
repartir. Il ne croit pas être, comme certains l'insinuent non sans
ironie, un buveur de sang. Il sait que la guerre est cruelle et qu'il
faut au soldat montant à l'assaut une volonté de destruction contre
laquelle tout ce qui vit au monde s'élève et proteste. Simplement, il
estime qu'un jeune homme valide, dont nul mal intérieur n'atténue la
vigueur, doit se battre.

D'aucuns invoquent de nobles motifs pour demeurer au calme. Ils se
rangent aimablement dans cette élite qu'il faut conserver, afin que
soit assuré plus tard le règne de nos arts et de nos industries. Ils se
disent indispensables à la vie nationale, continuant le cours régulier
de leurs travaux et lançant des poèmes où l'héroïsme de la troupe est
chanté sur le mode alexandrin. Plutôt que de combattre l'incendie, le
rôle unique d'un jeune ténor dont le théâtre est en feu serait-il de
chanter encore, attendant que les flammes le dévorent et l'anéantissent?

Les vains motifs exposés par les jeunes hommes de l'arrière afin de se
faire pardonner leur inaction dissimulent une évidente lâcheté.

Les gens raisonnables ont une conception vulgaire et singulièrement
étroite du devoir. Le combattant, pour peu qu'il ait fait quelques mois
de tranchées, a accompli tout le devoir que le pays était en droit
d'exiger de lui; il peut demeurer à l'arrière. Seul est condamné à se
battre éternellement le sot bonhomme qui, au cours de tant d'assauts
mortels et de bombardements, n'a pas eu l'esprit de se trouver dans la
trajectoire d'une balle errante.

L'ironie des uns, les protestations affectueuses des autres, mille
raisonnements faciles et intéressés invitent le convalescent à
s'éloigner de la lutte.

Il en est qui, particulièrement cyniques, affirment au soldat la
vanité de son sacrifice. Au retour, disent-ils, rien ne distinguera
l'ancien combattant de tous ceux qui ne luttèrent point. Que si le
soldat, par suite de ses blessures, ne peut remplir les fonctions où
jadis il excellait, on le chassera, sans considérer en rien ses mérites
guerriers.

Un Tel sait que ses camarades, que tous ceux qui souffrirent de la
guerre, que la foule des ressuscités, au sortir des tombeaux où elle
vécut plusieurs années infernales, transformera la France en un juste
pays où le mérite des uns et l'infamie des autres seront reconnus. Tous
les soldats ont la rude conviction que les égoïstes qui refusèrent de
partager la douleur de la race seront châtiés de leur indifférence.

Cela sera, car la guerre sut donner à ceux qui la firent une endurance
et des qualités qui les mettront à même de se créer une vie aisée et
d'imposer leur volonté commune. Les hommes, demeurés rétifs à l'appel
de la gloire, seront en présence du combattant en état d'infériorité.
Ils n'auront pas cette habitude de la lutte, cette force prudente et
mesurée, cette inépuisable volonté de vie et de triomphe que les
soldats ont acquises dans la tranchée.

Au retour, du fait que tant de fois l'homme faillit la perdre, la
vie lui sera plus douce. A tout instant de l'existence, il évoquera
l'angoisse qu'il eut à l'heure où, frappé comme un bétail dans la nuit,
il sentit couler son sang. Il comparera la paix riante de son foyer à
cette fièvre d'aventures qui s'empara de lui et voulut le briser.

Comme tous ses camarades, Un Tel vivra simplement. Sympathisant avec
tous, il n'aura de courroux qu'à l'égard des lâches et des profiteurs
qui prétendront se joindre à l'allégresse commune et revendiquer une
part de lumière à laquelle ils n'auront plus droit.

Le soir, assis à son foyer, dans l'intime féerie de la lumière, Un Tel,
auprès de sa blonde compagne, se remémorera les veillées glaciales
devant Verdun, alors que l'horizon était zébré d'éclairs. La vie d'Un
Tel sera faite de souvenirs. La pensée des morts y régnera, impérieuse
et grave. Tous ceux du bataillon, tombés sous les mitrailleuses; les
autres, ces inconnus momifiés entre les lignes, les bras en croix, la
bouche ouverte, auprès desquels se couchaient les patrouilleurs, tous
les morts reviendront, ils prendront place autour des tables chargées
de bouteilles et de victuailles, lors des festins du retour.

C'est en songeant au bonheur qu'il aura de vivre, en la paix retrouvée,
la France étant prospère, qu'Un Tel trouve le courage de repartir. Il
faut l'avouer aussi: instinctivement, l'homme sera toujours poussé,
de siècle en siècle, par cet éternel désir d'errer sur les routes
et de se battre, besoin instinctif qui heurte les races et les fait
s'entr'égorger, éternel dédain du mâle envers la mort, orgueil d'être
fort et jeune qu'une gouape héroïque, en son parler d'arsouille,
exprimait ainsi:

--Cette guerre! C'est pour montrer que nous avions du sang dans les
veines.

Certes, le soldat ne saurait se battre, s'il n'avait, imprimée en son
cœur frémissant, la certitude absolue du retour. Un Tel croit avec
ferveur qu'il ne pourra mourir; aussi préfère-t-il, à l'indignité
de vivre à l'arrière, sous la protection d'un million de poitrines
fraternelles, se jeter à nouveau dans la mêlée afin d'y jouer, une fois
de plus, avec la fortune et la douleur.



ÉCOLE BUISSONNIÈRE


Afin qu'Un Tel puisse se reposer des fatigues de sa convalescence,
et sans doute en récompense de sa bonne volonté, l'administration
militaire décida qu'il ferait, avant que de rejoindre le front, un joli
voyage en Bretagne.

Ce fut un matin de vent et de pluie qu'Un Tel eut la joie de visiter,
pour la première fois, sa pittoresque villégiature. Il aima, dès
l'abord, cette ville où, pour l'accueillir, s'élevait sous les arbres
taillés de la grand'-place, coulé dans un bronze sombre et dur, un
buste de corsaire.

De jeunes garces, troublées par la présence de cet étranger en leurs
rues désertes, le regardaient avec des yeux poignants. Des sœurs en
robe blanche descendaient lentement de vieux escaliers aux degrés usés
et couverts de mousse. Un peuple d'estropiés: boiteux, bossus, hilares,
nains aux jambes cagneuses, petits-fils de rudes marins, dernière
pulsation d'une race brûlée par l'alcool et le soleil des tropiques,
était groupé, tel un troupeau inquiet et naïf, devant l'hôtel de ville.

En vue de se présenter au conseil de révision, ces jeunes Bretons
avaient arboré le chapeau enrubanné, le veston à godets, les sabots
ornementés des jours de beuverie et de piété. L'un d'eux, maigre
épileptique, une vomissure aux lèvres, disloqué par les convulsions,
les reins dans le ruisseau, polluait d'une gadoue honteuse son pantalon
à carreaux blancs et noirs.

Un riche mariage, celui d'une opulente commère avec un lieutenant
aux yeux bleus, avait lieu dans une petite église dont le beffroi,
recouvert de tuiles lumineuses, domine la ville. Au seuil de l'église,
un suisse herculéen attendait l'heureux couple, noblement appuyé sur
sa haute canne à pommeau d'argent. Il avait un pantalon écarlate, à
la housarde, et rayé d'or, et, tel, il ressemblait à ces généraux
bohèmes qui, dans les toiles animées de nos grands-pères, galopaient
fougueusement à la poursuite d'une invisible smala.

Un Tel logeait dans un haras. Les box, où jadis s'énervaient des
juments hennissantes, avaient été transformés en dortoirs. Une froideur
monacale emplissait cette demeure. Le lit se composait d'une paillasse
et de trois couvertures. La nourriture n'avait aucun raffinement
inutile et nulle épice complémentaire ne gâtait cette pitance paysanne.
Une étrange bière, où le houblon était absent, ajoutait au frugal repas
sa particulière amertume. Mais le pain, rond comme une tête d'ange,
onctueux et souple, était savoureux. Un Tel, en mordant cette mie
éblouissante, avait la chaude sensation de se nourrir de lumière.

Un pré, où deux vaches maigres tournaient sans cesse, donnait au
haras un aspect bigarré. On eût dit une élégante et sobre écurie de
Chantilly transportée dans une campagne biblique.

Un Tel, indifférent au croassement incessant et monotone des corbeaux,
sachant que la mer était proche, en souvenir des promenades qu'il fit
jadis sur les plages parfumées avec des belles aux chapeaux fleuris
comme un parterre de Versailles, se sentait une âme spacieuse.

La vie de dépôt ne laisse pas que d'évoquer aux yeux du soldat les
splendeurs du service actif.

Quelle activité!

Trois pelles, trois pioches et une lime, vulgaires instruments de
labeur manuel, peuvent être, pour qui sait les utiliser avec patience,
les suscitateurs de la plus sereine des philosophies, celle qui
consiste à mesurer la vanité des œuvres humaines.

De toutes les œuvres dont l'homme s'honore, la corvée de caserne, celle
accomplie loin des lignes, est la plus inutile. Il importe d'abord, si
l'on est soldat, de faire surgir du sol, d'arracher à la grâce du ciel,
les outils nécessaires au travail. Il faut ensuite découvrir, en usant
de ruse et de clairvoyance, le chantier où l'on est attendu.

Afin de se sacrifier, à son tour, au rite immortel de ce mystère
comique qu'est et sera toujours une corvée militaire, Un Tel, à qui son
grade conférait la maîtrise d'une escouade, reçut un matin l'ordre de
se rendre dans un hôpital désaffecté, situé quelque part, au centre de
la ville, et d'y défoncer une cloison.

Suivi de compagnons martiaux, Un Tel s'en fut chez le commandant
de la place quérir trois pelles, trois pioches et une lime. Des
scribes hautains lui enjoignirent de se présenter à la caserne dite
des Jacobins; il suffisait d'y invoquer leur assentiment pour être
immédiatement servi. Le capitaine, veillant à l'entretien du matériel
de l'armée, envoya Un Tel au sergent casernier; celui déclara ne
pouvoir donner d'aussi précieux objets que sur demande régulière,
formulée en termes prévus et dûment signée du commandant d'armes. Ayant
obtenu la signature exigée, Un Tel dut attendre que l'homme préposé à
la garde du matériel fût revenu de l'estaminet où, tout le jour, il
exposait ses conceptions sur l'amour.

Armée de pioches, si petites qu'on eût dit des jouets d'enfants, et de
vastes pelles, l'escouade parcourut le quartier du centre. Ayant heurté
maintes portes et troublé la quiétude matinale de toutes les vieilles
ménagères d'alentour, les soldats échouèrent au seuil d'un couvent
silencieux. La portière, que cette invasion prétorienne inquiétait,
manda la supérieure. Celle-ci, doucement émue en présence de cette
troupe armée, daigna se souvenir que jadis, alors que le couvent était
transformé en hôpital, on avait jugé nécessaire d'abattre une cloison;
il y avait de cela deux ans. Longtemps on avait espéré qu'une pioche
glorieuse ferait tomber tout ce platras inutile. Puis, alors que l'on
était las d'attendre la collaboration de l'armée à cette œuvre brutale,
une converse, forte et râblée, l'avait fait sauter d'un coup d'épaule.

Tels étaient les durs travaux imposés à Un Tel, afin de varier son
existence et de lui rendre plus agréable sa villégiature.

Auprès du lavoir, où les Bretonnes s'invectivaient en leur parler
rauque et sonore, Un Tel, un soir, fut accosté par un personnage
d'allure romantique, à la barbe sale, qui, jouant avec son feutre,
manifesta une vive joie de le retrouver. C'était La Bruyère, l'ilote
de la rue de Bièvre, le bohème insensé qui avait amusé les vingt
ans du soldat. Le mage vivait dans une vaste soupente qu'il parait
du nom d'atelier, peignant des fleurs et de naïves marines où des
fauves menaçants bâillaient sur le rivage. Végétarien involontaire,
il se nourrissait de légumes crus, arrosés de vinaigre. Les Bretons
simplistes prenaient La Bruyère pour le descendant réel de quelque
haute lignée; ils le supposaient tombé dans une enfance vicieuse à la
suite de fortes études et de débauche. La Bruyère était un exemple de
persévérance dans le délire; il apparaissait même, si tant est que cela
fût possible, que la guerre avait accentué sa folie.

Narrant son invraisemblable odyssée, le mage marchait, aux côtés d'Un
Tel, sur la route où courait un vent d'orage:

--Oui, au début des hostilités, mes ennemis voulurent me faire
disparaître. Une dizaine d'hommes, en armes, vinrent s'emparer de ma
personne et me conduisirent à la mairie. J'avisais une petite porte
qui s'ouvrait sur la campagne et je fuyais, droit devant moi, à toutes
jambes, prêt à étrangler la première personne qui aurait osé porter la
main sur moi. Je fis huit cents kilomètres pour me rendre en ce pays
de chouans où les paysans me sont fidèles et se feraient mettre en
morceaux pour ma défense.

«Certes, j'eus de nombreuses difficultés. Enfin, ceux de Paris m'ont
reconnu comme le véritable descendant des Naundorff. Ce ne fut pas
sans peine, car mes ennemis veillaient. J'ai su imposer la vérité.
Désormais, je mènerai les événements. Les Chambres cherchent-elles une
direction, un éclaircissement? Elles constituent un comité secret en
apparence, ne voulant pas avouer qu'elles viennent, en dernier ressort,
de demander conseil. Je ris de toutes ces tergiversations, car le
comité secret: c'est moi!

«J'ai donné mes directions à Galliéni, à Lyautey, à tous les généraux.
Quand Painlevé prit les rênes du Pouvoir, je lui écrivis, conseillant
certaines réformes. Il ne voulut pas me répondre; ayant peur de moi,
il me fit dire par les journaux qu'il allait mobiliser la classe 18.
Il appelait cela une réforme. De ce jour, je lui refusai tout conseil,
et cela ne laisse pas que de se ressentir déjà dans la marche des
événements. Ah! non, les civils ne valent pas les généraux.

«Egalement je me suis occupé de l'affaire de Verdun. J'ai dit à Pétain:
«Faites charger les canons par la gueule, enlevez toute l'infanterie;
les Allemands bondiront sur vos pièces et vous les anéantirez.» Ce qui
fut fait.

«Je suis en pourparlers, actuellement, avec l'amirauté anglaise,
en vue d'appliquer une de mes récentes inventions à la capture des
sous-marins. Il me fallut lutter à tout instant, vaincre l'indifférence
générale et mater mes adversaires. J'ai rassemblé mes molécules pour
agir et être une force. Je ferai de grandes choses avec le secours de
saint Georges.

«On me redoute. Déjà Philippe d'Orléans, l'usurpateur, et le roi
d'Espagne se sont entretenus à mon sujet; mes agents me l'ont fait
savoir. Alphonse, toujours parfaitement renseigné, a dit à Philippe:
«Méfie-toi de ce La Bruyère, c'est une force.»

«S'ils ne veulent pas de moi pour rétablir l'harmonie et le bien-être
dans ce pays, bast! j'irai ailleurs refaire la France. Il est des
jaloux qui disent de moi: «Pourquoi n'est-il pas au front, un gaillard,
un Bourbon?» Comme si celui qui tient la queue de la poêle devait
s'intéresser à ce qui se passe au seuil de la cuisine.»

Un Tel admirait l'ingénuité de La Bruyère; il encourageait sa folie,
lui remémorant d'aimables plaisanteries de jadis et les ovations
ironiques qui saluaient le mage au quartier Latin. Toute une jeunesse
ne l'avait-elle pas porté en triomphe, un certain soir, le hissant sur
les lions de l'Institut pour qu'il pût haranguer à son aise la foule de
ses admirateurs?

Au demeurant, à travers le prisme étincelant de sa folie, La Bruyère
voyait les choses de la guerre avec un esprit qui n'était pas tellement
différent de celui des hommes raisonnables. Il avait la sensibilité
primesautière, le jugement orgueilleux de nombre de ses contemporains,
et sa déraison n'était peut-être qu'un miroir déformant un peu les
désirs et les passions de son époque.

Devisant, les deux amis étaient parvenus aux confins de la cité. Une
foule dense les entourait, dont l'exubérance et la joie les incitaient
à délaisser leur entretien, afin d'admirer la ville. C'était le marché.
Sur la place bruyante du vieux port, les tentes multicolores étaient
agitées par le vent de la mer, comme des voiles.

Une forte commère enrubannée, consciente de son honnêteté et fière
de sa baraque de toile, faisait ruisseler en ses mains le flot des
chaînes, des glaces, des couteaux, des chapelets et des fausses perles.
Elle claironnait un boniment qui savait attirer et séduire l'acheteur.

--Enlevez tout, mes braves gens! Douze sous au lieu de quarante, ça
vient d'un incendie. Profitez du malheur!

Ses mots brefs semblaient clamer aux échos du monde la profession de
foi de leur siècle. Voulant justifier les petits profits nécessaires,
ils expliquaient et condamnaient les prospérités insolentes et
criminelles.

--Profitez du malheur!

Cela sonnait durement, comme un commandement irrité. Néanmoins,
cette femme était excusable qui, voulant adoucir le sort de ses deux
gars partis au front, vendait de la camelote brillante avec des mots
d'assassin. Elle ignorait la sanglante vérité de son boniment, et il
est à croire qu'un esprit vengeur, désireux de fustiger l'ignominie des
profiteurs, l'inspirait.

A ces vils marchands gorgés de vins fins, de luxure et d'or, qui,
sans la guerre, coucheraient sur cette paille où vivent actuellement,
couverts de vermine, ceux qui les enrichissent, Un Tel préférait La
Bruyère, riche de folie et d'espérances.

Las de rôder, les deux compagnons prirent place à la table accueillante
d'une petite auberge. Un conscrit breton, à la tête d'inquisiteur,
aux yeux d'acier, le cou gonflé par un goitre naissant, leur servit
une soupe chaude, non sans avoir fait un grand signe de croix. Ils
burent du cidre dur à la gorge et doré comme des pommes. L'hôtesse leur
conta les aventures de son fils, un marin sans spécialité, embarqué
sur la _Gloire_; elle accusa rageusement la cabaretière d'en face
de monopoliser les billons pour les revendre à la foire. Des femmes
passaient, dont les sabots claquaient sur les pavés pointus de la
ruelle. L'air fleurait bon l'aubépine; des parfums marins ajoutaient à
la tendresse illuminée du soir une fraîcheur sereine.

Délaissant toute irritation, sensible à la beauté de l'heure, Un Tel se
sentait prêt à pardonner à la vilenie des hommes.

C'est ainsi qu'il apprit à se recréer, en faisant l'école buissonnière,
l'âme charitable et joyeuse qu'il faut au combattant.



      _A M. le Colonel Vormot,
    Commandant le ...e d'Infanterie._

HISTOIRE D'UNE FOURRAGÈRE


Le régiment auquel on a l'honneur d'appartenir est toujours le
plus beau régiment de France. Pourtant, il en est qui se signalent
particulièrement par leur vaillance constante, leur belle tenue
sous les armes et leurs succès réitérés. Ceux-là reçoivent du
généralissime ce suprême honneur: la fourragère, cordon symbolique où
sont étroitement liés le rouge du sang versé et le vert printanier de
l'immortelle espérance.

Le régiment d'infanterie auquel Un Tel appartenait reçut l'éclatant
hommage de la fourragère. Composé de Bretons songeurs et durs à la
souffrance, de Picards malicieux et buveurs, de gavroches parisiens,
il fut une phalange de héros simples, de braves gens indifférents au
danger, sur qui l'acide du doute ne savait mordre.

Ces hommes, habitués aux travaux quotidiens de la terre ou de l'usine,
accomplirent des labeurs guerriers en ouvriers infatigables et
consciencieux, et leur effort patient et prolongé leur valut la plus
enviée des récompenses.

Les gens de l'arrière, nous entendons ceux qui gardent l'estime du
soldat: vieillards suivant la marche de nos bataillons avec l'amer
regret de leur impuissance, femmes dont le souvenir est une protection,
adolescents aspirant à rejoindre la carrière où triomphent et souffrent
leurs aînés, tous les amis du troupier français, compagnons heureux
de sa vie civile, ne peuvent imaginer de quels humbles sacrifices une
fourragère est le symbole.

Terrasser sous les pires bombardements, monter à l'assaut, veiller sans
repos dans la nuit menaçante, être brave, mépriser la fatigue et la
souffrance, c'est le tribut offert à la France par tous les régiments.
Afin de recevoir la fourragère, il faut ajouter encore à tant de vertus
et d'abnégations.

Réserve de l'armée active, jetée immédiatement dans la mêlée, le
régiment d'Un Tel partit, au début de la guerre, vers la Meuse belge.
L'armée du général Langle de Cary, à laquelle cette unité appartenait,
prit, lors de la retraite, un ascendant magnifique sur l'envahisseur,
le harcelant d'attaques incessantes, lui barrant les routes et les
ponts et le rejetant dans les fleuves. Pour cette tenue valeureuse, le
généralissime l'autorisa à demeurer quarante-huit heures de plus que le
gros des troupes sur les lignes inviolées par elle défendues.

Aux soirs orageux de la Marne, traversant les villages en flammes,
le régiment poursuivit les colonnes allemandes jusqu'en la forêt
d'Argonne. Maurupt, Sermaizes et les bourgs d'alentour se consumaient
dans une odeur de poudre et de mort. Les villages étaient pris
d'assaut, à la baïonnette. A Vitry-le-François, les légionnaires aux
casques noirs du kronprinz jonchaient les rues de leurs corps éventrés.

C'est après cette lutte fougueuse que vint le dur hiver d'Argonne. Il
fallut combattre huit mois dans les bois ravagés, tenir la tranchée, en
dépit des grenades et des crapouillots, et malgré les mines traîtresses
qui, soudainement, ouvraient une tombe aux soldats.

Beauséjour, les Eparges, Calonne, le régiment d'Un Tel fut de toutes
les offensives. Au pas de parade, il s'empara, une aube brumeuse, de
la crête de Tahure, désormais immortelle. L'hiver suivant, il défendit
Verdun. Dix fois décimé et toujours reformé, le régiment devait à sa
gloire d'être partout où l'on se battait. La Somme le revit indomptable
et, malgré ses pertes, indompté.

Un régiment est un faisceau de volontés, de faiblesses, de joies et de
rancœurs. Un Tel était un des atomes de cette force, souvent diminuée
et toujours renaissante. Certes, l'infime volonté d'un soldat est une
frêle chose néanmoins, multipliée par le courage de ses camarades, elle
aboutit à de puissants résultats.

Ayant participé à toutes les batailles où le régiment s'était honoré,
il était normal qu'Un Tel s'enorgueillit de sa fourragère. Elle
lui appartenait; elle était à ceux qui, ne fût-ce qu'un instant,
avaient souffert pour elle. Ce petit patrimoine de gloire indivisible
appartenait à Donquixotte aussi bien qu'à Citoillien. La bravoure
enfiévrée de l'un et la froide raison de l'autre tissèrent les fils du
précieux cordon. La gaieté turbulente de Lulusse et la fantaisie de
l'adjudant Gustave, toutes les vertus agissantes des compagnons d'Un
Tel parèrent, elles aussi, cette fourragère de leurs vivantes couleurs.

Pareil au désir des poètes, l'effort des soldats demeure toujours
insatisfait; il semblerait que la somme des sacrifices à venir est
multipliée par celle des douleurs encourues. Aussi, afin de parfaire
l'œuvre de son régiment, Un Tel, dès son retour, se mit à sa dure
besogne, désireux d'orner d'un laurier neuf les couleurs fanées de
son drapeau et de gagner, à force de peine et de témérité, l'autre
fourragère, récompense des unités victorieuses, cordon vert et or, aux
couleurs de la médaille militaire, que Lulusse a si justement nommée
l'omelette aux fines herbes.

Dès qu'il revint à son régiment, Un Tel connut que la guerre était
transformée. Il en avait appris le pittoresque et l'horrible, mais
il ignorait encore la perfection tragique de la lutte moderne, cette
algèbre implacable de la destruction que seuls la pyrotechnie, la
mécanique et le génie parviennent à résoudre et qui font l'infanterie
victorieuse.

Groupés dans un vaste bois, les hommes attendaient l'attaque qu'ils
devinaient prochaine. L'artillerie tonnait avec une violence continue.
Le ciel était vibrant de moteurs et d'ailes brillantes. Des grappes
innombrables de combattants se suspendaient aux flancs des coteaux.

Les fantassins se préparaient à lutter.

Ils ne songeaient guère à mourir, et le pire qu'ils osaient imaginer
leur était souriant. Ils se voyaient blessés, transportés à l'arrière
par des brancardiers attentifs, couchés en des lits doux et clairs,
entourés de soins précieux. Ils rêvaient de plages aux noms fleuris, de
promenades auprès de la mer miroitante, d'aventures sentimentales.

Certains soignaient particulièrement leur toilette; d'autres cachaient
dans la poche de leur capote des images de femmes et d'enfants. Il
en était qui partaient à la recherche d'une ultime bouteille, vaine
précaution, car des vivres et des boissons étaient distribués en
abondance: biscuits, sardines, chocolat, vin, alcool, qui donnent aux
soldats un moral parfait.

Parallèlement à cette préparation inférieure, à ce ravitaillement
alimentaire, il se faisait dans les compagnies une sorte de veillée
intellectuelle.

Les capitaines avaient réuni leurs chefs de section. Consultant la
carte, ils expliquaient ce que devaient être les différentes phases
de l'assaut. Les cartes représentaient, exactement, le terrain qu'il
importait de conquérir. Des lignes azurées indiquaient les tranchées
françaises, des lignes pourpres celles de l'adversaire.

Franchissant les petits dessins compliqués, le bataillon devait
parcourir 2 kilomètres et ne s'arrêter que sur des positions,
maintenant rasées, où jadis des petits bois sombres frémissaient dans
le vent. L'artillerie précéderait les premières vagues d'assaut. Rien
ne devait arrêter la progression lente et mathématique des troupes.
Telle compagnie atteindrait tel chiffre indiqué sur la carte, telle
autre se grouperait sur les ruines de tel ouvrage.

Les photographies prises par l'aviation révélaient chez l'ennemi
d'étranges bouleversements. Quelques rares abris existaient encore, où
celui-ci, terré, attendait le redoutable assaut qui devait l'anéantir.

Une compagnie guerroyante est une sorte d'usine où chaque homme reçoit
une besogne obscure et limitée. Franchir les diverses barrières,
surprendre l'adversaire, nettoyer le terrain conquis, l'organiser sont
autant de travaux où les grenadiers, les voltigeurs et les incendiaires
peuvent utiliser leur compétence particulière et leur commune bravoure.

Excellent à lancer la grenade, Un Tel reçut la mission de nettoyer les
sapes. Il lui était ordonné de supprimer tout ce qui tenterait une
vaine résistance; il se sentait une respiration égale, la main ferme,
l'âme décidée.

La guerre est une impérieuse nécessité. Un Tel, convaincu de
l'efficacité de ses actes, assuré de défendre ses intérêts et ses
affections, n'écoutait pas les paroles désabusées de quelques
camarades. Certes, il savait que l'ambition des grands chefs est une
des raisons principales de nos offensives, mais il lui importait peu
que d'autres gagnassent des étoiles ou des lauriers, si leur ambition
concordait avec l'intérêt des armées. Aussi bien que le dévouement
silencieux des soldats, le bruyant orgueil des généraux gagne des
victoires.

Chargés de musettes et de bidons, armés de pistolets automatiques et
de grenades, la toile de tente en sautoir, les hommes, dans l'ombre
propice du soir, partirent vers les lignes. Des obus illuminaient le
ciel. La troupe était silencieuse. Nul ne songeait que de toute cette
jeunesse vigoureuse il ne resterait peut-être à l'aube que des chairs
broyées et des membres épars.

Il fallut, parmi les mares de boue, traverser un village écroulé.

Un Tel espérait en son étoile. La lutte pourrait être dure; sans doute,
il serait blessé; mais il échapperait à la mort. La confiance en la
fortune et le désir de vivre conduisent les armées vers le sacrifice.

La route, coupée de fondrières et d'excavations, s'arrêta. Le bataillon
prit un chemin détourné, ouvert dans la broussaille. Lentement, du
pas des processions, des milliers d'hommes s'avancèrent, au clair de
lune, vers la première ligne. L'ennemi ne devina pas cette marche
silencieuse, menace formidable pesant sur sa destinée.

Une tresse blanche, tendue par le génie, guidait la file errante. Un
ravin empli d'eau, traversé de passerelles légères, séparait deux
collines; dans cette cuve de mort et d'effroi, les hommes semblaient
être de fantomales apparitions surgies d'une tombe immense. Un Tel,
couvert de vase, les vêtements déchirés, respirait avec une âpre joie
l'odeur de terre et de poudre qui l'entourait. Il y avait une sorte de
magie captivante à n'être qu'une infime volonté perdue dans cet immense
mécanisme.

Les vagues d'assaut devaient se dresser à quatre heures cinquante,
après un bombardement précipité de cinq minutes, et gagner leurs
objectifs.

Il était trois heures. Sur le vaste front d'attaque, les compagnies se
déployaient en lignes de tirailleurs. Des trous avaient été creusés, où
les hommes se couchaient; on eût dit, à ras de terre, des berceaux où
dormaient de grands enfants, tant les soldats étaient immobiles.

Couché sur le dos, Un Tel admirait le ciel. Un dépôt de fusées et de
grenades sauta qui fit jaillir à l'horizon des cascades de lumière. Le
souvenir vint au soldat des soirs bruyants où le peuple fêtait, parmi
les valses et les explosions, son illusoire liberté. Il revit le 14
Juillet de son enfance, quand sa vieille mère le menait au Pont-Neuf
admirer les fusées multicolores et les bouquets d'artifices. Il y
avait liesse, et les femmes s'abandonnaient à la joie d'être désirées.
Pauvres folies d'antan, combien ceux qui vous connurent vous trouvent
aujourd'hui dérisoires!

A quatre heures cinquante, sans commandement, les hommes se levèrent
et marchèrent, automatiquement, vers ce qui avait été la tranchée
allemande, amas de terre retournée où pourrissaient, gonflés comme des
chevaux crevés, quelques cadavres. De rares gourbis, aux charpentes
croulantes, existaient encore. Ces sapes obscures, inondées de
pétrole, éventrées par les grenades, se mirent à flamber.

L'ordre des vagues était rompu. Les hommes se rejoignaient dans
l'assaut, indifférents au possible danger, étonnés, voire même inquiets
de ne rencontrer aucune résistance. De vieux compagnons, longtemps
séparés, se retrouvaient:

--Tiens, te v'là, vieille canaille!

--Oui, je reviens de perm'; tu parles d'une nouba!

--Sacrée brute, tu ne crèveras pas encore cette fois-ci? Il y a
pourtant assez longtemps qu'on te rencontre.

Et les deux hommes s'arrêtaient, afin de deviser quelques instants sur
les joies de l'arrière et le muflisme du civil.

Ce n'était pas une attaque, mais une marche d'épreuve dans un terrain
mouvant. Le tir de barrage de l'adversaire ne se déclanchait pas; les
troupes avançaient, allaient à l'aventure, droit devant elles, et
malgré les conseils préventifs de prudence. Parfois, l'éclatement d'un
obus de 75 couvrait de boue et de poudre un assaillant de par trop
téméraire; quelque isolé tombait, frappé à la poitrine d'une balle de
mitrailleuse; n'importe, délaissant toute sagesse, ivres de leur facile
succès, les fantassins s'arrêtèrent non loin d'un ruisseau dont les
eaux illuminaient la vallée.

Pourquoi prendre position à cet endroit, plutôt qu'ailleurs, ils
l'ignoraient, toute science militaire étant délaissée. Une seule
chose apparaissait, réelle, absolue, la cote 304 était reconquise.
Il fallait organiser le terrain, terrasser, creuser une tranchée
profonde et continue, dissimuler à l'observation des adversaires les
mitrailleuses. On ne le fit point, non par ignorance ou faiblesse, mais
parce que la crainte du danger ne survit jamais à la pire des épreuves.
Seul un malheur nouveau peut inspirer, quelques instants, une peur
salutaire.

Animés d'une même curiosité, les hommes du bataillon, séparés de
leurs sections, groupés au hasard, se mirent à visiter le terrain
conquis, comme si des guides invisibles leur imposaient une mystérieuse
direction.

Un Tel découvrit des morts effrayants et pestilentiels, au torse
sectionné. Il se plut à contempler un magazine allemand abandonné
dans un abri; on y voyait d'héroïques images: une représentation
d'_Iphigénie_ au théâtre prussien de Namur, ou bien encore des
princesses de Bavière soignant des pionniers à la tête fendue, voire
même un officier hautain courtisé par des Polonaises admiratives,
témoignages de force orgueilleuse et de joie prétorienne. Des armes
traînaient, dont un glaive large et clair, qu'on eût dit enlevé à
quelque panoplie du moyen âge. Un Tel, parmi les vestiges épars de
cette armée enfuie, cherchait à deviner la vie de l'adversaire.

Les obus creusaient un sillon irrégulier sur les crêtes. Les blessés
aux chairs déchirées appelaient désespérément les brancardiers;
certains se voyaient mourir, isolés de tous, ignorant le sort de leur
bataillon et redoutant de voir surgir une patrouille ennemie.

Soudain, un tir formidable s'abattit sur les troupes françaises. Les
obus, avec une précision parfaite, écrasaient les escouades, faisant
voler les armes, les bidons et les pierres, arrachant les membres
et décapitant les veilleurs épouvantés. Un Tel, porteur d'un ordre,
courait à la recherche d'un officier, fouetté par les explosions.

Tout le bataillon agonisait dans les trous d'obus.

Il y avait une douleur poignante à voir tant de jeunes hommes, nés à
peine à l'amour, mourir sans espoir de revoir les villes trépidantes
et les campagnes silencieuses de leur enfance. Certains semblaient
lancer encore le dernier mot gouailleur, témoignage de leur vaillance
irraisonnée, qui leur avait été rentré dans la gorge.

Un Tel erra des heures, cherchant en vain un être vivant parmi ce
peuple abattu.

La nuit vint qui mit une ombre caressante sur les visages durcis des
morts. C'est ainsi que fut reprise, aux armées du kronprinz, la cote
304, d'où l'ennemi, trop longtemps, domina Verdun, citadelle invaincue.



LE POTE


C'est à la cote 304 que mourut un officier par ses soldats nommé le
Pote, c'est-à-dire le meilleur des amis, le fidèle compagnon, l'homme
intrépide et fraternel qui ne fut jamais égoïste, faible ou désemparé.

Pour être un pote accompli, il faut ajouter au plus chevaleresque des
caractères un extérieur plaisant et faubourien, une verve inépuisable
et commune. Il en est qui, meneurs d'hommes, aimés et victorieux,
demeurèrent incompris. Il n'y avait qu'un Pote dans les armées
françaises: il est mort à Verdun; mais son souvenir s'immortalise
dans les conversations des troupiers, comme si, couché par un obus
stupide, ce héros avait conquis dans la mort une vie plus riche et plus
expansive.

A de jeunes lectrices aux dents étincelantes, à l'œil noir, qui
partirent vers les Amériques, parées des pourpres de Racine, Un Tel
conta la vie du Pote. Sans doute, ces jolies hirondelles ont-elles, en
des mots exquis, appris aux rois des métaux la splendeur d'un homme
de chez nous. Des millions de dollars ont été peut-être offerts à nos
armes par un boyard que les gestes du Pote enchantèrent.

Pauvre Pote, c'était le bel homme dans l'expression conventionnelle
du mot. Il était de haute taille, dépassant d'une tête sa section.
Il avait un corps admirablement proportionné, la poitrine large, des
traits réguliers, une chair claire et veloutée d'enfant. L'infirmier
qui rapporta ses restes dans une toile de tente est à jamais angoissé
de n'avoir pu retrouver de cette architecture magnifique qu'un amas
informe et léger d'os brisés et de muscles sanglants.

Ami de l'école buissonnière et des jeux cruels, c'était un enfant
des Buttes-Chaumont, élevé à la diable, par une marchande des
quatre-saisons. Tracasser les gardes du parc, jeter des pierres dans
les vitrines de la pharmacie et attacher des casseroles à la queue des
chiens errants, telles avaient été les occupations principales du Pote
au cours de sa prime jeunesse.

Lulusse de Charonne et le Pote s'étaient rencontrés en des combats
singuliers, car ils courtisaient, à treize ans, les mêmes gourgandines.
Ensemble, ils avaient traversé à la nage le canal Saint-Martin,
narguant la police impuissante. Le soir, au Zénith-Concert, ils
accompagnaient la chanteuse de genre dans ses refrains excentriques.

Mais le Pote délaissa bientôt les bandes vicieuses de son quartier et
les amitiés équivoques; il se mit au travail, sa mère ayant à nourrir
six frères et sœurs qui chérissaient la soupe fumante et le pain frais.

Comme il aimait les chevaux, qui sont de grands camarades silencieux,
il se fit charretier. Le métier est dur. Il faut se lever à l'aube,
panser les bêtes, nettoyer et gratter le harnachement, atteler, partir
dans Paris, éviter les accidents. Un charretier modèle sait garder
des chevaux propres, il leur épargne la fatigue. Il y a là toute une
science difficile à acquérir. A quinze ans, le Pote menait la pierre
de taille, attelant à six chevaux, gagnant des journées d'homme qu'il
rapportait fièrement à sa mère.

Doué d'un appétit formidable, il dévorait des livres de viande,
copieusement arrosées de vin du faubourg, heureux de se dépenser pour
les siens, glorieux d'avoir été, par le malheur, élevé à la dignité de
chef de famille. Il n'eut alors que des amours passagères, ne voulant
point délaisser sa vieille, celle qu'il appelait son copain, la grosse
ménagère aux mains rouges qui lui lavait son linge, l'affectueuse
gardienne qui l'avait bercé quand il était un gosse.

A la caserne, le Pote fut le type accompli du mauvais soldat,
irréductiblement indiscipliné. Certes, il manœuvrait avec vigueur, on
ne pouvait nier que son arme fût brillante; mais il n'en terrorisait
pas moins Tap-Tap, son adjudant, lequel, au cours de sa longue
carrière, n'avait jamais rencontré un soldat pareillement narquois et
révolutionnaire.

A la guerre, le Pote participa à toutes les batailles. Infatigable, il
accomplissait les travaux les plus durs, abattant les arbres, creusant
la terre avec acharnement, portant les sacs des camarades éclopés. Il
gardait son âme de gamin des Buttes-Chaumont, son amour du travail
et cette allure indépendante qui faisait, au quartier, la douleur de
Tap-Tap.

Il devint un exemple de force et de conscience et les événements en
firent un chef, à la fois chéri et redouté, sorte de guide implacable
qui savait entraîner les plus hésitants parmi les pires dangers.

Sergent, adjudant, officier, le Pote demeura simple. On eût dit
un enfant dont les yeux riaient à la lumière et qui admirait les
spectacles de la vie, en amateur qu'un rien amuse. Autant, en ligne, le
Pote s'imposait d'être grave, autant, au repos, il se révélait joyeux
et fantaisiste.

Buvant ferme, mangeant avec voracité et se livrant aux incongruités
de table chères au truculent Rabelais: rots sonores et pets hardiment
ponctués, il était la gaieté turbulente des popotes.

L'accent traînard, le Pote avait un vocabulaire étrange et
primesautier; il scandait chaque phrase d'un balancement d'épaules.
Surprenait-il un de ses hommes au repos, alors qu'un travail pressé
s'imposait, au fainéant il disait, sans douceur:

--Si tu ne fais pas ton tapin, je te rentre dans le cassis.

Témoignant de son désir de revenir à une vie simple, il disait encore à
son fidèle compagnon Gustave, le Rempart de Calonne:

--Si je te rencontre un jour à Panam, avec ton haut de forme, tandis
que je baladerai mon attelage, je te gueulerai: «Oh! eh! Gustave...»
Et tu ne te retourneras pas, vieille cloche de mon cœur. Dame, ça
t'ennuiera de jacter avec un mec qui aura un falzard de velours.

Un terme unique lui servait à flageller les lâches, les fainéants, les
peureux, les faibles, les veilleurs qui dorment au créneau, les soldats
qui n'ont pas l'amour absolu du devoir et le courage constant qu'il
faut à la guerre:

--C'est des ordures!

Par un jeu cruel du hasard, le Pote mourut, obscurément, sous un
bombardement formidable, à l'entrée d'une sape. Né pour les actions
éclatantes, il fut enterré avec ses hommes, sans combattre. Et
pourtant, lorsqu'il courait au danger, l'œil en feu, la tête haute et
la jugulaire serrant son menton volontaire, on évoquait, à le voir, les
fougueuses images de l'Empire où des cavaliers intrépides chevauchaient
des boulets.

De toute cette vie splendide anéantie, demeure un souvenir clair et
consolateur; mais une amertume se mêle à sa beauté, si l'on songe à la
mère du mort, à ce copain qui avait souffert, pleuré, besogné pour que
vive et grandisse le fils qu'elle adorait, le gars travailleur, solide
et gai, qui fut un des plus beaux soldats de France.



TAP-TAP OU LA SERVITUDE MILITAIRE


Dans les gourbis empuantis, afin de distraire leur attente, les
fantassins se narrent de fortes histoires où vit, implacable et
souriant, l'humour français. A la 304, sur la position conquise, ceux
que la mort épargna évoquent avec joie les innombrables mésaventures de
Tap-Tap, un de ces cœurs inférieurs dont le destin fut de ne connaître,
de l'existence militaire, que la vile servitude.

Gonflé comme une outre, l'œil rond, la trogne amarante, Tap-Tap
était, avant la guerre, l'adjudant classique et redoutable, le Flick
patibulaire immortalisé par Courteline, terreur du quartier, âme
obscure et toujours irritée. En la période héroïque où nous vivons, il
est demeuré l'éternel instructeur, le soliveau de l'arrière, régnant,
au dépôt, sur un peuple effarouché d'auxiliaires et de bleuets.
Néanmoins, Tap-Tap a mérité bien de l'honneur, car il égaya les
escouades les plus affligées par le seul souvenir de ses exploits.

Dans la sape, le conteur aimé des copains, prenant l'attitude brisée de
Tap-Tap bredouillant des phrases ridicules, obtient un bruyant succès.

Tap-Tap avait trois affections: les frites, son chien et sa femme; il
les confondait dans une même ferveur.

Il disait des frites:

--Les frites, j'en suis fou. Quand c'est ma Renée qui les fait, elles
sont toutes dorées et savoureuses. Ah! mon cher, dès qu'elles sont
placées sur la table... à droite, par quatre... direction de ma gueule!

Le chien de Tap-Tap était glorieux au quartier. Bichonné, la queue
en trompette et la coiffure d'un lion, il suivait son maître à
l'exercice, à la salle des rapports, en tous lieux. Peu respectée des
troupes, cette bête fut, de tout temps, l'innocente victime sur qui
s'appesantissait l'ire des soldats que l'adjudant avait persécutés.

Mais il y avait, pour le quadrupède, des compensations heureuses.

Un jour, la compagnie manœuvrait dans la vaste cour de la caserne;
l'adjudant, désireux d'arrêter les hommes, afin d'éblouir le colonel,
commanda impérieusement:

--Compagnie!

La troupe fit le mouvement préparatoire de tout arrêt brusque, sorte de
tension unanime vers l'ordre attendu.

Le chien fit: «Brrroupp!»

A ce commandement, peu réglementaire, les hommes prirent une immobilité
parfaite.

Le colonel, satisfait, négligea néanmoins de proposer à l'avancement
cet instructeur imprévu. N'importe, le chien, malgré l'ingratitude des
supérieurs, connut des heures insignes. A la sentinelle discourtoise
qui prétendait lui interdire l'entrée des casernements (les femmes, les
chiens et les colporteurs étaient alors bannis des casernes), Tap-Tap
commandait:

--Rectifiez la position, imbécile, et laissez-le passer, mon chien!
C'est un petit adjudant.

La femme de Tap-Tap était une grosse mégère prétentieuse, admirant la
haute situation de son époux, et qui, outre ses talents culinaires,
avait toutes les vertus qui rendaient la Sulamite précieuse à Salomon.

--Ma femme, certifiait Tap-Tap, ce n'est pas qu'elle soit belle, belle,
belle, mais elle aime bien.

Encore remplaçait-il le verbe «aimer» par un autre, plus expressif.

Mme Tap-Tap reçut, un soir, la visite d'un aimable soldat: figure
aimable, mise soignée, attitude respectueuse; il semblait être le plus
correct des troupiers français.

--C'est bien ici, monsieur Tap-Tap?

--Mais z'oui! Entrez donc. Jules est en train de fabriquer un violon
avec une boîte à cigares; il sera content de vous voir...

--Ne le dérangez pas, je vous prie. C'est une simple communication.

--De la part de qui?

--De la part de ses hommes. Vous lui direz que c'est un c...

Le gentil messager n'attendit pas la réponse.

Mais, la considération du commun importe peu, si l'on s'estime
soi-même, et Mme Tap-Tap ne manque pas à cet orgueilleux devoir.

Entre deux lampées de gniole, les nouveaux venus au bataillon,
évoquant la gloire de Tap-Tap, disent que l'heureux homme est
maintenant sous-lieutenant; sa femme en est toute rubescente. Chez les
commerçants, elle exulte.

Les dames des officiers sont réunies chez la bouchère. Il y a là une
commandante arrogante, la capitaine, la trésorière, des lieutenantes.
Mme la capitaine est une Parisienne distinguée, fine, élégante; elle
accepte, sans trop de dédain, la fréquentation de l'épouse Tap-Tap. Ce
ne sont que plaintes sur la hausse du sucre, le manque de beurre et
l'imperfection des camemberts. Enfin, pour couronner cet édifice de
récriminations, Mme Tap-Tap, croyant réunir les suffrages de ces dames,
de conclure:

--Heureusement que nous autres, femmes d'officiers, on se dém...

La guerre fit de Tap-Tap un instructeur hors ligne. Nul mieux que lui
ne sait conduire une patrouille d'avant-garde et organiser un secteur,
en Bretagne. Il dispose ses forces dans les estaminets du voisinage et,
lorsque le parti uhlan apparaît, si les Français, ivres de calvados,
sortent en titubant, il s'écrie:

--Bravo! C'est une feinte. Ayez l'air d'être saouls pour mieux les
surprendre.

Mieux encore: à l'aide d'un vieux cadre de bicyclette, d'une boîte
à sardine emplie d'essence et d'un manche à balai, Tap-Tap recrée
le plus exact des aéroplanes. L'infanterie approche silencieusement;
l'aviateur met le feu à la boîte à sardines, les fantassins s'emparent
du pilote.

Que si les bleus sourient de ces étranges manœuvres et les trouvent
puériles, il leur en cuirait de le montrer, l'instructeur ne laissant
pas que d'avoir la dent dure; à quelque godelureau qui, le voyant
venir, se permit de crier: «Vingt-deux!» il répondit, fort habilement:

--Vingt-deux et vingt-deux font quarante-quatre. J'en prends quarante
pour moi; il vous en reste quatre... et vous les passerez à la salle de
police.

Pauvre Tap-Tap! C'est peut-être, au demeurant, un bon garçon sous une
rude écorce. Victime d'une hostilité de par trop rigoureuse, il a, sans
doute, des beautés morales ignorées.

Alors que ceux qui se jouent de son souvenir partagent la gloire du
métier militaire et ses douleurs sans en connaître jamais la basse
amertume, qui sait s'il n'a pas, songeant à ses anciens bleus, murmuré:

--Ce sont de braves, d'admirables garçons!

Il est vrai que, juste réciprocité, une voix de la cote 304, qui semble
être celle de la reconnaissance, a dit, en forme de conclusion:

--Le père Tap-Tap, c'est grâce à des types comme ça qu'on reprendra
l'Alsace et la Lozère!



EXÉGÈSE DE CERTAINES PHRASES MILITAIRES


Voici des mots plaisants et cruels, ceux que l'on jette dans la mêlée,
avec violence, afin qu'ils rebondissent, de vallons en vallons, jusqu'à
l'arrière, et qu'ils y éclatent grenades insolentes, à la face du
profiteur de la guerre et du bourgeois suralimenté.

D'un métal étincelant et sonore, ils ne perdent, à l'usage, aucune de
leurs qualités vigoureuses.

«On les aura... les pieds gelés!» exprime à la fois la certitude d'être
vainqueur et celle de ne recueillir du noble effort généreusement
accompli que des misères et des souffrances. Qu'on les ait, celui
qui lutte n'en peut douter. Pourquoi se battrait-il, s'il n'avait la
certitude du succès? Il est assuré d'y avoir, également, les pieds
gelés.

«On les aura... les pieds gelés!» est un défi à ceux qui invoquent la
victoire, les pieds au chaud, le ventre à table. Juste leçon de choses,
cette phrase apprend aux égoïstes que les conquêtes ne se font pas en
portant des toasts et que tel discours pompeux ne saurait être comparé
à une heure de veillée nocturne, dans l'angoisse et la boue de l'hiver.

Mots où se révèle l'abstraction absolue de tout amour de la gloire,
combien vous êtes durs à l'égard de ceux qui ne connurent de la guerre
que les honneurs et les profits!

Certaines phrases du soldat masquent des sentiments hésitants et
troubles; ce sont des miroirs mensongers où l'inquiétude ne veut pas se
manifester, car il faut toujours avoir la pudeur de sa crainte.

Ainsi: «Qu'ouest-ce que c'ouest? Il y a une fusée dans le secteur?»

Sereine ironie où le combattant se joue de sa misère et crainte
inavouée! Comment? On jouit ici d'un bien-être parfait, l'ennemi est
invisible et silencieux, et voici qu'une fusée atteste sa présence et
sa vigilance. Il est vraiment ridicule que des adversaires indélicats
veuillent troubler la paix d'un secteur et nuire au bien-être
inconstant du soldat. «Qu'ouest-ce que c'ouest?» Question gouailleuse,
qui témoigne à la fois du désir d'être renseigné et de l'indifférence
relative où l'on est de savoir exactement ce qui se passe.

«Versailles! Tout le monde descend!» est d'une parfaite abnégation. Si
les obus s'écrasent dans le boyau où les fantassins, aplatis sur le
sol, attendent d'être pulvérisés, une voix s'élève, attestant ainsi que
la mort est égale pour tous: officiers et soldats.

Toute cette joyeuse bande de jeunes voyageurs, jadis partis vers les
paysages heureux de la fortune et de l'amour, descend dans les gares
obscures de la mort. Tout le monde abandonne le voyage. Est-il si dur
de s'arrêter ainsi? Que non! Tout au moins, on aura la fierté de
le taire. La vie était une promenade agréable, courte et souriante;
voici qu'il faut descendre du train bruyant; descendons en chœur, avec
l'harmonieux ensemble des troupes bien dressées.

Certes, le noir laurier n'est pas sans amertume. «On n'a pas idée de
ça à Clignancourt» est le reflet d'un regret attristé. Clignancourt ou
tel autre quartier affectionné, phare illuminant la misère du monde,
prisme de souvenirs dont chaque rayon réchauffe le cœur du soldat,
c'est le pays où l'on est né. En cet heureux secteur, l'homme vivant en
paix n'a pas idée de ce que peut être la souffrance. Il n'a pas idée de
ça. «Ça», ce sont les poux qui vous rongent, la charogne dont l'odeur
entête, la boue où l'on s'enlise et qui vous oppresse.

«Ça», ce sont les corvées serviles, la nuit, dans les ravins
marécageux, où traîne un gaz écœurant. «Ça», c'est la perspective de
n'être bientôt qu'un amas informe de vers et d'étoffes que rejettera
sur le parapet la pelle indifférente des pionniers. A Clignancourt,
lorsque les bars sont ruisselants de lumière et que le peuple s'enivre
de liqueurs multicolores, il fait bon errer à l'aventure dans les rues
animées. On ne pense pas alors à la nécessité qu'il y a de quitter les
belles dont la grâce est un enchantement et d'aller mourir, déchiré par
une aveugle mitraille. Certes, à Clignancourt, on ne saurait songer à
ces choses.

Mais c'est en la plus chère des affections humaines que le soldat, aux
heures d'angoisse, cherche un réconfort: «Pleure pas! Tu la reverras,
ta mère!» C'est, malgré sa vulgarité foncière, une parole de foi vivace
et d'amour.

Qu'importent les périls encourus, l'atroce soif et le sang versé, si
le combattant revoit sa mère, la sainte femme qui calmait les fièvres
d'autrefois en posant au front de l'enfant ses mains fines. Tant que tu
as une mère, fantassin, pourquoi verser des larmes? N'est-elle pas la
consolatrice, celle qui guérit de toute peine et fait oublier l'horreur
des explosions et des enlisements.

La revoir, leur mère, ce fut le suprême espoir de ceux qui sont
couchés, à jamais, dans les entonnoirs, la poitrine ouverte.

Le soldat est un pauvre qui se nourrit d'espérances.

«Vivement demain soir, qu'on se couche!» C'est l'espoir-type. Le
coucher, fût-ce dans la fange, c'est dormir et «mourir un peu», mourir
à la solitude sentimentale, à la fatigue, oublier. Etre au lendemain
soir, c'est avoir vécu deux jours de plus, c'est avoir deux jours de
moins à souffrir.

«Vivement le mois de mai, qu'on voie les fleurs!» Autre espérance:
voir les fleurs! C'est une modeste joie permise, en mai, à ceux qui
savent garder un cœur champêtre. Les citadins sont particulièrement
sensibles à cette résurrection des roses. En outre, depuis le prince
de Ligne, les soldats ont toujours eu le sentiment de la nature: ils
aiment en elle la protection que ses forêts leur donnent, la fraîcheur
de ses eaux et la caresse du soleil. «Vivement le mois de mai» est une
joyeuse sonnerie de trompette qui nargue l'hiver.

Espérer en l'avenir est une manière de se satisfaire d'illusoire et de
rêve qui n'empêche aucunement les combattants d'aspirer à des joies
immédiates.

«Y a-t-il du rab de rab?» Question précise exigeant une réponse
satisfaisante. Il faut qu'il y ait toujours du rab de rab dans la
répartition des aliments. L'art du parfait caporal est de savoir
diviser une boîte de sardines en quinze rations égales et de faire en
sorte qu'il y ait du rab. Le rab de rab s'impose; il donne la sensation
de l'infini; il est nécessaire au moral des armées.

Avant que de manger et pour bien se battre, le soldat doit boire. Le
quart est nuisible en ce qu'il rationne le vin; seul, le bidon permet
que l'on satisfasse entièrement sa soif, surtout depuis qu'une autorité
bienveillante a imposé le bidon de deux litres. Le soldat lève son
bidon, boit à la régalade et dit: «Un coup de clairon pour la classe.»

Il faut être prévenant envers les camarades, d'où le mot connu de tous
ceux qui tournèrent dans les boyaux à la recherche d'une position de
première ligne: «Attention au fil!»

Sacré fil téléphonique, toujours présent, et qui vous coupe la face ou
s'attache à vos pieds! Par lui, néanmoins, on est relié à l'arrière; il
est une sorte de dieu favorable et taquin qui protège et persécute, à
la fois, ses fidèles.

Si la tranchée a ses mots, errant de la mer aux Alpes, les boyaux ont
les leurs: «Faites passer qu'on ne suit pas» est le plus répandu. On
ne suit jamais d'assez près, et la file est coupée par de multiples
accidents. Mais les hommes ont assez de philosophie pour savoir que
leurs camarades ne les abandonnent pas. On ne meurt pas les uns sans
les autres, n'est-ce pas? C'est pour cela que ceux qui ne suivent pas
prient qu'on les attende; ils veulent leur part de malheur.

Il est aussi des mots nés mystérieusement de la souffrance, éclos
en d'obscures cervelles et qui sont une merveille de sagesse et de
vérité. Ainsi: «Près du front, loin du cœur!», formule clairvoyante,
cristallisant fort bien l'indifférence du civil, le mépris inexprimé
mais certain de l'embusqué, la légèreté sentimentale de nombre de
femmes; toutes pauvretés de nos temps qui suffisent à justifier cette
autre parole vengeresse du front: «Y a un civil dans le secteur et il
ne tombe même pas d'obus!»



LES PARADIS ARTIFICIELS


Il est des heures d'amertume où le soldat n'a plus cette âme réjouie
qui le fait pareil aux enfants. Un Tel se sent alors isolé, parmi le
peuple des camarades, ironisé de ceux qui l'entourent, abandonné de ses
amis, l'âme en dérive. Ne pouvant avoir les réalités somptueuses de son
désir, il rêve de bonheurs inconnus, il aspire à d'impossibles joies.
Vivant en de magnifiques mirages où le viennent bercer les ombres des
plaisirs disparus, enivré par la magie de sa vie antérieure, il sent
alors le bouquet des vins de sa jeunesse revenir à sa lèvre.

De simples lectures lui sont une occasion d'oublier sa misère.
Hélas! Combien peu d'écrivains peuvent consoler et réjouir les cœurs
taciturnes. Il est difficile d'aimer avec la foi des simples lorsque
l'on a une âme compliquée, habituée aux mystères des idées, aux
passions agitées, à la frénésie de la chair.

Pourtant, le bonheur n'est réel que s'il naît d'une affection pure,
et la joie la plus vive est encore celle qui jaillit, sans fièvre, de
notre cœur. Cette rare joie est fuyante, et vainement l'homme tente
de la retenir. Les paradis artificiels du soldat, les rêveries qui
l'enchantent sont d'une matière éphémère et fragile; il faut, pour
entretenir leurs doux feux, y mettre un soin d'artiste qui n'est guère
compatible avec la brutalité des choses militaires.

L'idée d'un Dieu affable et protecteur, conçu dans l'imagination d'Un
Tel, ne suffit pas à son rêve; il lui voudrait une forme sensible, des
couleurs et des lignes déterminées.

Un Tel aime les femmes, et celle qui les incarne toutes, sa femme,
parce qu'elles sont de chair, avant que d'avoir les vertus et les
beautés de l'esprit. N'en aurait-il jamais eu qu'une image, il la
chérirait peut-être, cette femme élue, pour la splendeur inconnue et
désirable que les lumières et les ombres lui révéleraient. Un Tel ne
peut aimer Dieu de cette sorte. Au temps où croire en la religion du
Christ était sacrifier sa vie, il eût été le plus ardent des martyrs.
Le catholicisme n'étant plus qu'une organisation sociale, puissante
et parfaitement policée, Un Tel n'y découvre point ce feu où l'homme
rêve de réchauffer son cœur glacé. Aussi, ne pouvant avoir une
religion fortifiante et las de chercher au ciel l'impossible bonheur,
tente-t-il de réaliser ici-bas, par des artifices humains, des paradis
consolateurs.

Les émotions littéraires, musicales ou plastiques, la lecture d'un beau
livre, l'audition d'une musique chère, la vue d'un paysage harmonieux
sont des moyens immédiats de recréer le mirage.

A lire _Laurette ou le Cachet rouge_, d'Alfred de Vigny, dans une
mince édition aux jolis caractères, Un Tel évoque à la fois toutes les
lectures qu'il fit et ses amours, dont certaines eurent la simplicité
de ce conte; il y prend une leçon de tenue et de grandeur, admirant le
style grave et volontairement châtié de cet écrivain magnifique qui,
délaissant le vain falbalas des phrases, ne voulut, pour son œuvre,
d'autres pompes que celles austères et rares de la noblesse d'esprit.

C'est ainsi qu'Un Tel oublie, dans un livre, l'égoïsme de certains, la
vilenie des autres et toute cette gadoue sanglante qui l'entoure.

Dans un petit village bombardé, les musiciens du régiment, en rond,
exécutent avec un art inégal les morceaux de leur répertoire. Les
cuivres sonnent, entre les murs croulants, comme s'ils voulaient
renverser, à leur tour, les fermes que les obus négligèrent.

Allègre ou mélancolique, la musique est douce à l'ouïe du soldat;
elle ajoute à la douceur illuminée du soleil un rayon d'or sonore
et communique à tous une sainte ivresse, à laquelle Un Tel ne peut
échapper.

Le public est rare, qui cherche l'émotion sacrée auprès des cuivres.

Quelques fantassins baladeurs viennent écouter les airs mille fois
entendus; des automobilistes américains, graves, vêtus avec soin,
méticuleusement rasés, ont tenu à assister à cette manifestation d'art;
ils y ont mis la solennité qui jamais ne les quitte, honorant ainsi,
par leur maintien correct, le pays qu'ils représentent et celui qu'ils
viennent visiter.

Un enfant, sale et dépenaillé, sorte de Poil de Carotte meusien que
l'éclatement des bombes ne trouble pas, suit avec une fièvre visible le
rythme de l'orchestre; il se balance, tout son petit être enlevé par
les mesures alternées des marches ou des berceuses; on dirait une de
ces danseuses ingénues des Indes qui, sur des airs barbares, miment les
passions des hommes. Le gosse est possédé d'un esprit de flamme, car
voici que retentissent, volupteuses et lentes, les premières mesures de
_Lakmé_.

La fraîcheur des forêts lointaines, la douceur de s'aimer dans les
temples, il n'est rien qui échappe à la sensibilité d'Un Tel. Pareil
à l'enfant enivré, il suit les mouvements de la vague sonore. Mais il
évoque encore des sensations plus fines. Il revoit les belles soirées
d'opéra-comique où _Lakmé_ l'enchantait. Il était prostré dans un coin
ombreux de ce poulailler célèbre où tous les bohèmes et les midinettes
de Paris viennent oublier leur misère. Il avait, auprès de lui, une
maîtresse à la gorge frémissante et nue, qui portait, avec une grâce
perfide, de petites robes de liberty parsemées de fleurs.

Un Tel, alors, se sentait une âme d'empire, des désirs conquérants, un
orgueil illimité, tout cet azur avait été chassé du ciel. Mais, voici
que la musique rendait, divin artifice, les joies perdues, qu'elle
apportait sur ses ailes invisibles les parfums de l'amour, le frôlement
des chairs, la féerie des spectacles, le plaisir infini de Paris.

Un Tel, mieux encore que les émotions créées par la musique, le livre
et les spectacles changeants de la nature, aime la griserie qui lui
vient de ses propres idées.

Précieux artifice que l'idée, nimbant d'une apparente beauté les
réalités les plus dures. C'est par elle que l'on croit à la nécessité
du sacrifice. Elle permet de mourir avec abnégation, de subir les pires
maux, de vivre dans la fiente, de se nourrir de viande pourrie, d'être
un soldat.

Il est évident que trois années de guerre ont transformé les idées
d'Un Tel. Il avait rêvé d'actions triomphales; il se voyait fortuné,
admiré de tous. La guerre lui apprit à être heureux dans la simplicité,
comme d'autres, mécaniquement, de comptables qu'ils étaient avant la
mobilisation, sont devenus d'estimables cuisiniers.

Nombre d'idées ont été renouvelées par les événements tragiques de ces
temps; mais, de toutes celles dont la pensée d'Un Tel est occupée, les
idées de guerre, nées de la grande épreuve, priment impérieusement. Un
Tel, au cours de multiples conversations, dans les cantonnements et
les sapes, se fait l'apôtre d'un droit nouveau, aux règles dures et
inflexibles.

Certains ignorants de l'arrière, esprits incompréhensifs, osent
prétendre que les soldats, au retour, se précipiteront égoïstement sur
les joies de ce monde et qu'ils se hâteront de jouir en compensation de
toutes les privations subies. Le droit nouveau, né dans la tranchée,
s'oppose absolument à cette conception basse de la vie future des
soldats victorieux.

Un Tel a décidé de faire survivre, chez les citoyens, l'esprit de
fraternité et de dévouement qui anime les soldats. Il défendra, au nom
de ceux qui se sont battus, au nom des morts, le droit des combattants
au bien-être, à la vie équilibrée.

Grouper les soldats de la guerre, ceux qui vraiment l'ont faite; être
une force raisonnable et puissante et imposer aux pouvoirs publics
la volonté des hommes qui firent la France victorieuse, telle est
l'intention d'Un Tel.

Son programme social est simple. Il veut secourir les victimes de la
guerre en mettant à contribution les fortunes des munitionnaires,
commerçants enrichis au cours de la tourmente, qui se doivent de faire
vivre les enfants et les veuves des héros. Il faut à tout prix, une
révolution fût-elle nécessaire, extérieurement à toute idée politique
ou confessionnelle, exiger qu'une place honorable soit accordée aux
combattants dont les sacrifices et les efforts surent assurer la
continuation de notre vie nationale.

Ces idées consolent Un Tel et lui font une auréole de joie et
d'espérance. Ceci n'est pas un précieux artifice, certes; les idées
sont des maîtresses dont Un Tel a connu, sans jamais leur en tenir
rancune, l'implacable infidélité. Néanmoins, il advient que celles-ci,
nées dans le plus formidable des orages, défiant les vents contraires,
ont une particulière vigueur. Ce ne sont plus de tendres musiques
faites pour bercer l'ennui et la rancœur des soldats; elles ont la
souplesse et la vigueur des choses vivantes; elles s'imposeront,
animant les discussions sociales, soulevant les foules obscures et
réaliseront le miracle d'avoir fait naître et mourir, en un siècle
ingrat, pour les simples et les pauvres glorieux, les raisins de la
Terre promise.



LE PEUPLE ET LE ROI


Il est juste que les combattants, ayant subi les pires peines,
reçoivent des honneurs. Certes, les honneurs ne sont pas toujours
répartis avec justice; néanmoins, l'intérêt que l'on porte aux soldats,
de quelque façon qu'il se manifeste, leur est très sensible. Aussi, Un
Tel fut-il ravi d'avoir été désigné pour escorter le drapeau de son
régiment quand les rois alliés vinrent passer en revue les troupes dont
l'audace reconquit les hauteurs de Verdun. Ce lui fut, au surplus, une
occasion inespérée de boire, de manger chaud et de se dépouiller de
toute sa vermine.

Quand il n'est pas déployé dans la lumière, entouré d'ovations et de
fanfares, le drapeau, protégé par une gaine de toile cirée, attend de
nouvelles gloires, couché dans un fourgon de ravitaillement. On a sorti
le drapeau de son ombre.

Sur les routes poudreuses, un autobus dont les flancs sont ornés de
lettres énigmatiques: R. V. F. (ravitaillement en viande fraîche,
disent les soldats) emporte l'escorte du drapeau vers un champ
d'aviation où grondent cent moteurs.

Les drapeaux de Verdun sont déployés.

En voici quarante aux franges dédorées, à l'étoffe en lambeaux, muets
symboles de maux effroyables. Le vent soulève leur écarlate. On dirait,
à les voir, un parterre de géraniums. Les hommes qui les entourent
ont des faces viriles et des yeux où, malgré eux, et en dépit de leur
volontaire ironie, se voit l'âme de la patrie.

Le peuple en armes est rangé derrière ses drapeaux. Ce sont des
paysans, des ouvriers. La force vit en eux de ceux qui, ayant
guillotiné leur maître et brûlé les demeures aristocratiques,
renversèrent tous les empires du monde.

Un Tel, immobile, et qui sentit jadis gronder en lui des colères de
régicide, se sent pris d'une grande émotion.

Un roi, le plus miséreux des rois de ce temps, chassé de ses terres
pour avoir refusé de trahir sa parole, passe en revue, aux accents
débonnaires de la _Brabançonne_, les troupes françaises. Il est grand
et distingué. Il semble, discrètement, essuyer une larme en saluant les
drapeaux.

Le peuple de soldats lui trouve fière allure; il l'estime pour sa
simplicité, certes, mais il aime surtout en lui cet air taciturne qui
sied aux grands capitaines. Magnifique et réservé, triste et cordial,
c'est ainsi que lui apparaît, nimbé de l'auréole du martyr, le roi,
celui qu'après boire et dans la fièvre des meetings, il nommait le
tyran, le ploutocrate, et qui n'est qu'un pauvre grand homme, chargé
de toutes les misères d'un peuple.

Les avions font dans le ciel d'aventureuses courbes, ils se laissent
choir en «feuille morte», ils descendent vertigineusement vers les
baïonnettes lumineuses et, soudain, se redressent. L'aviation danse, au
ciel limpide, toute une fantasia de métal et de flammes.

Les drapeaux, où souffle l'esprit le plus révolutionnaire du globe,
s'inclinent en présence d'une majesté. Il se fait une fusion, entre
le prince et la foule, comme si, se prêtant un mutuel appui, ces deux
forces comprenaient enfin la nécessité de leurs rôles réciproques.

Il y aurait quelque vanité à tirer de ce groupement sentimental imposé
par les circonstances, une conclusion sociale immédiate. Un Tel sait
trop bien, pour en avoir souffert, que, dans leurs imperfections
multiples, les vérités supposées les plus absolues sont sujettes à
transformation; néanmoins, il croit, en présence de tant de générosité
simple incarnée dans un homme, à la nécessité où nous sommes,
actuellement, de faire tenir le symbole de tout ce que nous aimons sur
une tête, fût-elle couronnée du bonnet phrygien ou d'un laurier d'or.

Les musiques jouent une fois encore la _Brabançonne_. Le roi s'éloigne,
cependant que les soldats, assis sur la pelouse, devant leurs
faisceaux, font une orgie de sardines et de confitures.



LA DÉGRADATION


Le vent tourne en rafales, dans le village, secouant les auvents des
maisons désertes. Le ruissellement de la pluie et les mille bruits
de l'orage ajoutent à l'angoisse de minuit. L'homme, attaqué par
des puissances invisibles, surgies de l'ombre et venues du ciel, se
terre, convaincu, en présence des éléments courroucés, de sa faiblesse
éternelle. Parfois, un cheval errant, couvert de boue, traverse
furieusement la place de l'Eglise.

Dans une maison, rongée de lèpres, deux soldats prisonniers, à la
veille d'être dégradés, reposent, gardés par la maréchaussée. Si leur
corps est étendu sur le fumier, leur âme est en route. Ils ne dorment
pas, et leurs yeux, ouverts dans la nuit, contemplent les paysages de
leur enfance.

Amère rêverie que celle d'un soldat rejeté de l'armée par ses
compagnons, comme indigne de porter les armes. Le «hors la loi» civil,
ce voleur cynique qu'une justice nécessaire condamne, nargue souvent
son juge; le mystique assassin sourit parfois à la guillotine; jamais
le soldat, à la veille d'être dégradé, n'a cette morgue des grands
criminels. Ne plus être ce matricule vivant, ce rouage symbolique,
ce postulant à la mort qu'est un modeste soldat, combien de ceux
qui partirent vers d'impossibles gloires, à la mobilisation, se
résoudraient à cette indignité?

La réelle force de l'existence militaire, c'est de cimenter à jamais
les esprits et les corps des soldats et de savoir leur imposer les
généreux sacrifices de vivre et de mourir ensemble. Jean et Paul, les
deux prisonniers, n'ont pas échappé à la douce tyrannie du devoir
militaire. Ils sont attristés de leur sort, comme s'ils n'étaient en
rien responsables du délit qui les fait condamner.

Jean est un paysan brutal. Enfant, il gardait les vaches dans les
pâturages paternels; un obscur instinct le forçait alors à frapper ses
bêtes. Garnement redoutable, il devint, à seize ans, la terreur des
bals champêtres, le champion de toutes les rixes sanglantes.

Paul, fluet et distingué, rêveur dont l'idéal malingre est de courir,
sans cesse, après d'insaisissables amours, fut la proie de toutes les
belles infidèles de la capitale.

Jean, au cours d'une attaque, coupa le doigt d'un camarade éventré,
afin de lui ravir son anneau d'or; Paul, poursuivant une amoureuse,
déserta. Tous deux furent condamnés à cinq ans de prison.

En cette nuit orageuse où il semble que doit errer l'âme immortelle et
courroucée du roi Lear, les deux hommes attendent leur dégradation.

L'aube est venue. La tempête s'est apaisée. Dans un vaste champ, le
bataillon est assemblé. Le soleil fait aux troupes l'aumône d'une
caresse. Jean et Paul sont amenés au centre des soldats. Ils sont là,
les frères de combats et de festins, les joyeux buveurs, les compagnons
au cœur loyal, ceux avec qui furent partagés la misère et le vin; ils
vont assister à l'humiliation des deux condamnés.

Les justiciers sont au garde à vous, leurs baïonnettes luisent,
inflexibles comme la loi, droites ainsi que des consciences de
soldats. Le commandant, vêtu de kaki, présente le sabre. Un sergent,
fébrilement, jette à terre le calot des deux misérables; il leur
arrache leurs boutons qui roulent dans l'herbe luisante. Jean oscille,
comme souffleté par un vent de mer; il voudrait frapper, il lui semble
que tout le sang de son corps afflue en ses poings noueux. Paul est
pâle et sombre, diminué par son regret et sa honte, tel un vieillard
qui regarde mourir son dernier amour.

Un commandement bref, un choc d'armes, et les deux hommes s'en vont.
Jean, rouge de rage contenue, songe qu'il va pouvoir boire enfin le
café matinal; Paul pleure doucement. L'armée des camarades s'éloigne,
cependant que certains regrettent de devoir rester dans le rang, alors
qu'il y a à ramasser, sur le lieu de la dégradation, de si jolis
boutons de capote.



UN TEL A TRÉBIZONDE


Vers ce pluvieux automne, le quatrième de la guerre, Un Tel eut la
joie, longtemps espérée, de revenir en permission. Quatre saisons
semblables, quatre manières différentes de combattre. Le premier
automne fut mouvementé, imprévu; on y connut des périls et des
triomphes miraculeux; le second, illuminé par les soirs victorieux
de Tahure, sut redonner l'espérance aux cœurs les plus désabusés; le
troisième nous fit perfectionner nos méthodes scientifiques de guerre:
la Somme nous valut, en effet, des succès parfaitement organisés,
d'où le hasard était banni; enfin, le quatrième automne, terminant
avec honneur la bataille de Verdun, affirma la puissance de notre
machinisme, de notre chimie et de nos armements.

Si l'art de la guerre se transformait, mûri, perfectionné par les
événements et le temps, Un Tel put juger que l'esprit de l'arrière
subissait des transformations plus radicales encore.

Lors de sa convalescence, le soldat avait connu quel égoïsme inavoué se
cachait sous les sympathies apparentes du civil; il avait jugé, sans
en tirer rancœur, la faiblesse et l'outrecuidance des faux soldats
qui pavoisaient la ville d'un azur menteur. Sa permission lui fit
connaître tout un peuple nouveau, né de la guerre et vivant de ses
profits, vermine dorée grouillant dans le Paris libre et fier de jadis.

Combien, hélas! d'esprits frivoles et désœuvrés se joignirent à cette
horde mercantile, croyant être suprêmement élégants en affichant
la sorte d'indifférence souriante qui prend, chez le civil, le nom
immérité de persévérance patriotique. L'art de tenir devint rapidement
une mode criminelle, masquant les appétits féroces et les mille
lâchetés endormies au cœur des hommes.

Un Tel avait lu, dans sa jeunesse, un roman qui l'avait séduit
étrangement, tel un poison magique ou un maléficieux opium. La mère
d'Un Tel lui offrait tous les jeudis un magazine illustré écrit pour
l'enfance. Le gamin y découvrit _Les Vautours du Bosphore_, sorte de
récit romanesque des derniers jours de Trébizonde.

On y voyait de beaux cavaliers venus des mers mortes pour adorer des
vierges esclaves. De jeunes femmes d'Anatolie jouaient de la guzla,
le soir, dans les jardins où chantaient des fontaines. L'empereur se
prélassait parmi les tentures et les soies écarlates. Les courtisans
se livraient à des chasses magnifiques, précédés d'une meute hurlante.
Des processions traversaient la ville; les soldats inclinaient leur
large glaive lorsque passaient, adorés des foules, entourés d'enfants
extasiés, les ostensoirs d'or.

Toute cette foule pieuse, amoureuse, artiste, ne voyait pas venir vers
elle, traversant l'orageuse poussière du désert, les janissaires
de Mahomet II, les troupes cruelles et innombrables, montées sur
des éléphants blancs. Les savants, les théologiens, les musiciens
tentèrent trop tard de conjurer l'orage qui les menaçait; ils
cherchèrent alors des formules prestigieuses, des rythmes harmonieux,
des parfums raffinés dont le pouvoir arrêterait les légions ottomanes.
Les étendards furent hissés sur les remparts, les aristocrates se
couvrirent de cuirasses où rutilaient des diamants et des fleurs.

Mais tant de splendeur déployée sous le soleil n'attendrit pas le
mammouhd; il renversa les remparts pavoisés, fit enfermer les belles
Trébizondines en des sacs que les janissaires précipitèrent dans le
Bosphore; il brisa les ostensoirs, les calices, déchira les précieuses
draperies; il fit abattre les derniers enfants des Comnènes, empereurs
de Trébizonde. La reine dut défendre, contre les vautours du Bosphore,
les cadavres ensanglantés des sept princes, cependant que la fille
aînée des Comnènes, Anna, apostate, épousait le sultan. Les vaincus
de Trébizonde, sans honte, organisèrent des festins, confiants en
l'immortalité de leur race; leurs femmes dansèrent nues devant
le conquérant. Les porte-lyres, les déclamateurs, les choristes,
délaissant l'orthodoxie chrétienne vaincue, entonnèrent des hymnes
vibrants à la gloire du Coran. Des juifs se répandirent dans les
harems, vendant les colliers et les bracelets qu'ils avaient arrachés
aux vierges noyées dont les corps avaient échoué sur les rives.

Un Tel s'était enivré de ces images où les combats, la volupté, la
fortune et la mort se heurtaient mystérieusement. Il avait relu cent
fois le naïf roman, lui donnant une portée symbolique.

Permissionnaire, le soldat eut la sensation directe de tenir en sa main
durcie la clef d'or qui lui permettrait de pénétrer le mystère de toute
chose. A la lumière de ce roman dérisoire, que son imagination de poète
avait réenfanté, le soldat comprit parfaitement les situations de son
temps, les idées de ceux qui l'entouraient. Il crut, au cours de sa
permission, faire, après tant de voyages sur l'Yser, la Marne et la
Meuse, une promenade étrange sur les rives perfides du Bosphore.

Quand il quitta la gare enfumée où toute une foule curieuse se
pressait, désireuse de voir les soldats boueux, les vrais, les
revenants du front, il ne lui sembla pas, dès l'abord, que la grande
capitale orientale était si différente de Paris.

Les rues étaient animées. On y remarquait des soldats de toutes les
nations. Des hommes, vêtus de complets dont la coupe s'apparentait à
la tenue militaire, erraient, fumant de prétentieux cigares. Un Tel
sut que ces beaux spécimens de l'espèce masculine, fortement musclés
et doués d'une incomparable vigueur, étaient des indispensables
sans lesquels on ne saurait assurer la vie des ministères et
sous-secrétariats qui sont, en Orient, comme en France, l'âme même de
la nation.

Un Tel désira connaître les quartiers centraux de la cité. Il s'en
fut aux boulevards, où régnait une vive allégresse. Tout un peuple
de courtisanes aux toilettes provocantes se laissaient lutiner par
des Espagnols petits et bruns. Des Suisses, de nobles citoyens de
tous les Etats neutres du monde buvaient force chopes, aux terrasses,
en devisant. Leurs idiomes mélangés composaient, sans doute, le plus
splendide des éloges en faveur de la nation guerrière qui, malgré sa
douleur cachée, les recevait dans ses brasseries accueillantes. Certes,
on aurait eu quelque difficulté à croire, en voyant cette grande
kermesse, à la présence proche des troupes mahométanes. Pourtant, un
certain communiqué militaire annonçait que des combats acharnés avaient
eu lieu à quatre-vingts kilomètres de Trébizonde.

Pour connaître l'esprit d'un peuple, il n'est tel que de lire ses
gazettes. Les feuilles importantes, celles à fort tirage, représentent
un esprit commun, assez éloigné du caractère réel de la nation. C'est
dans les petites revuettes que l'on découvre les pensées cachées, les
désirs vrais, les colères de la foule.

Un Tel acheta de multiples hebdomadaires. Il y vit avec plaisir que
l'amour demeurait, en Orient, l'occupation primordiale de tous. Il
s'agissait là d'un amour frivole et sans portée sérieuse, d'une joie
légère, d'un aimable échange de bons procédés entre gens de sexes
différents. Des aviateurs y quémandaient l'amour de femmes généralement
blondes et fortunées; des secrétaires aux armées ambitionnaient à
gagner un cœur, grâce à une formule magique; il suffisait de prononcer
ces mots énigmatiques: Secteur postal tant.

Certains hebdomadaires politiques reflétaient des âmes d'une
incomparable énergie; on y luttait, sans crainte, contre le
cléricalisme ou la démocratie, adversaires dont la force doit être
formidable, puisque, malgré des siècles de polémique, nul ne parvint à
les abattre.

Un Tel se rendit compte, également, que les modes importaient à
Trébizonde. Il admira que l'on pût se passionner, en temps de guerre,
pour la coupe d'un manteau, le style d'une robe. Cela prouvait un calme
dans la souffrance, une possession de soi-même, une maîtrise des nerfs
dont les Parisiennes eussent été certainement incapables. Qu'il y ait
une littérature de modes, n'est-ce pas la preuve irréfutable que la
vie nationale est équilibrée, que les Barbares ne sont pas arrivés à
ébranler le moral des citadins?

Fallait-il aussi qu'à Trébizonde on poussât jusqu'à l'excessif l'amour
de l'armée, pour que des hommes n'ayant jamais été aux tranchées
consentissent à se chausser d'immenses bottes, à revêtir de lourds
manteaux, à s'habiller avec la rudesse et la simplicité du soldat.

Les quotidiens ravirent Un Tel. A les lire, il retrouva l'Orient
merveilleux des «vautours du Bosphore». Ce n'étaient qu'assassinats
mystérieux, vols de documents, disparitions énigmatiques. Un jeune
voyou, devenu une personnalité trébizondine, avait été étranglé en
prison avec un lacet de soie. Des juifs qui, jadis, eussent porté,
peinte à leur dos, la croix jaune infamante, avaient fondé des agences
chargées d'injurier les honnêtes citoyens, de les accuser des pires
crimes. Un pacha, riche comme un conte des _Mille et Une Nuits_,
entouré de femmes empanachées et ruisselantes de pierreries, avait
acheté des consciences de proconsuls et tissé avec des fils d'or,
contre sa patrie, la trame la plus infâme. Une danseuse qui se disait
Hindoue et se peignait au brou de noix, belle comme la Vénus Aphrodite,
après avoir charmé de sa danse voluptueuse Trébizonde en émoi, avait
vendu les plans du grand état-major.

On ne pouvait imaginer un tel romanesque, et les «Vautours du Bosphore»
eux-mêmes étaient surpassés.

Pauvres vautours, acharnés sur des cadavres d'enfants impériaux,
la nouvelle Trébizonde a des vautours d'une autre envergure, des
carnassiers à tête de citoyens qui déchiquettent de la chair vivante,
de la bonne chair de soldat! Celui-ci, désireux de s'offrir des
danseuses et des automobiles, à peine sorti d'une prison d'enfants,
rentra dans une cellule de grande personne, ayant planté son bec acéré
dans le dos de ses compatriotes en armes. Cet autre brassait des
affaires de trahison, par milliers, avec un sourire débonnaire, se
nourrissant de mets exquis, buvant les plus fines liqueurs. Combien de
vierges d'Anatolie et d'ailleurs avaient, pour un peu d'or étranger,
subi les caresses de ce pacha?

Heureusement, toutes les nations cultivées subissent une tyrannie
puérile et charmante, celle des petites revues littéraires. L'esprit
du lecteur en sort rasséréné. Trébizonde se devait d'avoir des poètes
abstraits chez qui l'amour de l'obscurité compensait celui des
belles-lettres.

A la terrasse d'un café célèbre pour sa clientèle littéraire et
théâtrale et qui porte le nom d'une ville où l'on aspire à mourir
de l'avoir contemplée, Un Tel eut la joie de se mêler, anonymement,
à une foule glorieuse. Les plus spirituels d'entre les critiques
trébizondins, des hommes de théâtre, des managers, des actrices, le
monde cinématographique, tous ceux que l'on admire et qui s'admirent
encore mieux, discutaient en buvant du porto.

Ces gens eussent pu, comme le vulgaire, disserter à perte de vue sur
les opérations des armées. Ils tenaient à montrer que les pires maux ne
sauraient troubler en rien une forte race. Le jeune premier exprimait
en termes mesurés son opinion sur la récente générale du Théâtre
Impérial et le jeu ridicule d'un autre jeune premier, son concurrent.
Les cinématographistes vilipendaient les firmes nouvelles, reprochant
aux éditeurs de déformer, par malice, la souplesse de leur jeu et
leurs traits sympathiques. En souvenir, les imprésarios déshabillaient
les actrices. Mais, agités par la fièvre du soir et les vapeurs des
vins, c'est lorsqu'ils expliquaient leur rôle national qu'il fallait
les voir. Ils se retrouvaient une âme semblable, une même manière
d'observer les événements, un égal désir de ne pas y participer.

Jouer des rôles enthousiastes ou gais, appelés à soutenir le moral du
soldat; écrire des pages émouvantes sur les combats, tels devaient être
leurs rôles en temps de guerre.

Un Tel se souvint d'avoir entendu, à Paris, lors de sa convalescence,
cette aimable romance sur la conservation des élites; ce n'était alors
qu'une théorie, timidement exposée. A Trébizonde, le droit de préserver
sa vie pour le bien-être de tous et la perpétuation de la race était
accordé à toute une phalange de jeunes seigneurs du théâtre et de la
presse qui, par leurs attitudes conquérantes et leur crâne élégance,
donnèrent à Un Tel le sens exact de son infériorité.

Combien les vulgaires soldats, retenus au désert et qui se font écraser
par les éléphants sacrés du mammouhd, sont de médiocres défenseurs de
la patrie, comparés à cette génération fleurie de fils d'académiciens
et de jeunes premiers, amants des plus célèbres hétaïres de la cité ou
pâles androgynes qui poussent l'amour des hommes jusqu'au plus raffiné
des orientalismes.

Un Tel fut confus de n'être qu'un rustre. Il sentit que ses mœurs
normales, sa brutale santé étaient un défi à l'élégance et à la grâce
de ces enfançons vers qui montait l'encens des élites trébizondines.

A Paris, il est des gens qui pensent encore que tout honneur et toute
joie doivent revenir à ceux qui se battent dans la fange, se noient
dans les ravins inondés ou meurent d'épuisement, par les nuits de
tempête, comme des loups. A Trébizonde, on estime au contraire qu'une
précieuse jeunesse, conservée prudemment dans un service d'intendance
ou de photographie, est autrement utile à la vie nationale. Elle
entretient l'élégance et le bon ton dans les rues de la cité; il est
bien qu'on la voie s'amuser, aimer et boire; elle permet de dire aux
étrangers: «Malgré les flèches qui nous viennent des lointains archers
du sultan, nous sommes un peuple aimable et joyeux!»

Les Trébizondins sont gens d'esprit. Ils ont cette forme d'esprit
supérieure: la rosserie. Dans les pâtisseries où patrouillent les
sectionnaires des administrations, ceux qui portent des abeilles
brodées sur leur pourpoint, le combattant est gentiment nommé le P. B.
D. F., autrement dit le Pauvre Ballot du Front. Certes, on le considère
à sa juste valeur. Il est un rouage nécessaire, une utilité, comme
les œufs dans l'omelette. On l'aime aussi pour sa tenue pittoresque;
mais, toutes considérations sentimentales écartées, qui donc oserait
soutenir, à Trébizonde, qu'un soldat ayant l'audace de demeurer dans la
boue ou la poussière, durant plusieurs années, n'est pas cette chose
sympathique en somme et naïve que les gens spirituels ont appelé le P.
B. D. F.

Le roman ridicule et somptueux où Un Tel berça son désir d'aventures
n'avait pas exagéré, qui montrait les Trébizondins, à la veille d'être
égorgés, chantant sur leurs remparts. Les descendants des invertis et
des apostates de l'ancienne ville impériale n'avaient pas démérité de
leurs ancêtres. Ce peuple de marchands, de poètes, d'amoureuses et de
comédiens était le même que celui qui laissa mourir les enfants des
Comnènes et permit que leurs jeunes corps fussent la proie des vautours.

Irrité, mais heureux quand même de s'être mêlé à toute cette vie
prestigieuse et clinquante, Un Tel désira quelque repos. Il erra en
de paisibles quartiers où des artisans travaillaient le fer et le
bois. De vieilles femmes usaient leurs pauvres yeux à tricoter pour
les soldats. Il vit de maigres femmes plier sous de lourds fardeaux,
avec une abnégation, une ténacité qui faisaient d'elles les obscures
amazones d'une guerre misérable. Il connut la peine du peuple, les
courses infinies qu'il faut qu'une ménagère fasse pour nourrir son
enfant. Il rencontra des bambins, dont les pères étaient tous morts en
défendant la patrie, qui revenaient de l'école, une petite serviette
sous le bras, en jouant comme des moineaux. Une jeune fille les
accompagnait, grave de toute cette maternité charitable qui la poussait
à soigner les orphelins. Un Tel apprit avec joie qu'à Trébizonde des
infirmières bénévoles veillaient au chevet des soldats mourants. Il sut
d'admirables dévouements, des générosités splendides.

Il pouvait, maintenant, retourner vers les gares d'embarquement, loin
du Bosphore chanteur et lumineux, rejoindre les grandes concentrations
militaires, suivre son régiment dans l'hiver et la nuit.

Un Tel avait la conviction qu'à l'arrière un peuple de vieillards, de
femmes et d'enfants s'associerait, la paix revenue, aux aspirations
des soldats; il devinait que, sous les ors menteurs et les voiles
fastueux de la Trébizonde moderne, vivait une humanité charitable.

Peut-être faudrait-il chasser des rues de la cité quelque pacha
attardé ou quelque inverti trop lyrique; mais, cette besogne sanitaire
accomplie, Trébizonde n'en serait pas moins la plus belle, la plus
harmonieuse et la plus libre des capitales du monde.



LES NOUVEAUX SOUVENIRS DE LA MAISON DES MORTS


Un Tel, au cours de sa permission, rendit visite au Salon littéraire le
plus estimé de la guerre. Toujours il exista un cercle, choisi entre
mille, où se groupèrent les beaux esprits et les caractères originaux
de l'époque. Une agréable loi a voulu qu'une femme fût la reine de
ces cénacles où s'organisèrent des révolutions, où se créèrent des
renommées.

La femme est, de par sa grâce innée, un aimant. Elle attire, sans
violence, les êtres les plus divers. L'art des femmes est de savoir
se rendre à la fois toutes-puissantes et impersonnelles; elles
président leur salon et, pourtant, il semblerait qu'elles s'effacent
et disparaissent pour laisser place à leurs invités, à la manière de
ces vieux pastels dont les couleurs évanouies gardent, quand même, leur
souveraine lumière. Tel le ver méprisable s'insinue au cœur des roses,
de vils personnages hantèrent, eux aussi, ces endroits privilégiés.

Celui-ci n'échappait à aucune des lois qui font les grands salons
littéraires. Une femme le présidait. D'une beauté assez froide, vêtue
avec une recherche grave, elle n'inspirait pas le désir, mais on
aimait à l'admirer pour sa noblesse de Tanagra immobile et jolie.

De jeunes écrivains et des maîtres du verbe, des espoirs et des
regrets, les sommités de l'art et ses apprentis se groupaient
autour d'elle. Enfin, pour que ce salon ressemblât parfaitement à
ses devanciers, quelques canailles prétentieuses y encombraient les
fauteuils.

La chronique méchante assurait que d'aucuns y venaient uniquement pour
y savourer des gâteaux, de cinq à sept, une fois par semaine.

Né de la guerre, ce salon ne vivait que d'elle, mais avec noblesse
et sans profit. Une pensée pieuse avait présidé à sa création. La
prêtresse de cette tendre chapelle rêvait, rien moins, que d'honorer
les écrivains morts à la guerre, blessés ou prisonniers, de les aimer
dans leurs œuvres. Quelques paroles étaient offertes au disparu; de
belles voix disaient les pages les plus éloquentes de son œuvre, et
l'on se séparait en communiant dans le souvenir du cher absent, dont
le corps avait été broyé par un obus implacable, mais qui, néanmoins,
grâce à son génie naissant, laissait une âme immortelle.

Hélas! le beau rêve de la plus belle des femmes de lettres ne se
réalisait qu'imparfaitement. La faute en était aux personnages
frivoles dont l'indifférence narguait la tendresse des convaincus. Il
est dommage que le monde littéraire soit peuplé de mufles, car il y
éclôt de nobles idées. La honte de ce nouveau salon fut d'y admettre
certaines gens du boulevard, dont un pseudo-poète qui se permit,
déchet humain immobilisé, d'exalter en vers patriotiques le courage
des soldats. Ce versificateur à monocle, une tête de Baudelaire pour
cantiniers, célèbre pour ses invectives à l'égard de Racine, créait une
sorte d'amertume dans un lieu où ne devait régner que l'admiration la
plus affectueuse; il était la lie du plus pur des vins.

Des femmes bavardes troublaient de leurs confidences irritantes
l'émotion des plus chers instants. Certaines petites cabotines se
paraient, selon le rite du jour, de robes aux couleurs diverses, rouges
en l'honneur des blessés, noires pour les deuils; elles eussent aimé en
arborer de tricolores.

De faux héros parfumés, le torse moulé en un dolman soyeux, décorés
d'ordres inconnus, osaient se joindre aux vrais soldats sur qui
subsistait, malgré les soins décents, la boue tenace de Verdun.

On y fêta de jeunes écrivains admirables, dont la mort fut un exemple;
des mutilés qui, de leurs mains broyées, ne pourront plus écrire; des
prisonniers, dont le rêve est enclos en des fils barbelés, quelque
part, dans un camp silésien.

Certaines heures y furent poignantes, témoin celle où un vieillard vint
exprimer sa douleur sur la mémoire d'un jeune, regrettant de vivre en
un temps où les anciens se voyaient obligés d'orner de couronnes les
tombes où reposent des poètes de vingt ans.

Un Tel fut heureux d'avoir connu, au cours d'une brève permission,
le seul lieu où se pratiquait, en des rites nouveaux, la religion du
souvenir.

On peut revenir au front avec une âme moins irritée contre
l'indifférence du civil quand le hasard vous fit rencontrer, chez lui,
un peu de cette fraternité souriante et de cet esprit de corps qui
reste l'apanage du combattant.



LE MARIAGE DE LULUSSE


Permissionnaire, Un Tel reprit ses courses pittoresques dans le vieux
Paris. Il voulait revoir la ville, sous tous ses aspects, les seuls
salons littéraires ne suffisant pas à satisfaire sa curiosité de
soldat. C'est alors qu'il rencontra Lulusse de Charonne, un vieux
compagnon d'armes.

Le maître-coq de l'escouade, aux jours glacés d'Argonne, le
boute-en-train de la compagnie, avait été frappé cruellement, un soir,
près d'un carrefour, en distribuant le rata, dans l'exercice de ses
fonctions culinaires. Un éclat d'obus lui avait emporté la jambe.

Dès l'abord, Lulusse en eut un évanouissement de sa personnalité. Avoir
été le mâle vigoureux qui séduit et mate, à la fois, un quartier,
l'homme satisfait de sa force et de sa souplesse, et n'être plus qu'un
infirme pitoyable, ne suscitant qu'une éphémère admiration, ce fut le
pire tourment. Mais, le désir d'être aimé et redouté l'emporta sur
l'amertume et la faiblesse. A Charonne, Lulusse redevint le conquérant
des beaux soirs; il retrouva les accents éteints de sa verve, traquant
l'embusqué sans répit et se reconstituant, dans une vie moins noble que
celle des armes, une gloire solide et incontestée. Même, il en vint à
jouer de son malheur, à plaisanter de son infirmité. Dans les cabarets
où le peuple s'enivre de discours, d'un geste vif, levant son pilon, il
frappait sur les tables de marbre, commandant d'une voix impérieuse un
nombre illimité de bouteilles.

Un printemps vint, messager d'allégresse. Les rues étaient illuminées
et le chœur des oiseaux peuplait les jardins de pures chansons où rien
n'apparaissait de la colère des hommes, Lulusse sentit une tendresse
infinie lui caresser l'âme. Il perdit son apparente brutalité et,
négligeant de persécuter les embusqués, il devint rêveur. La crapule
que Lulusse émerveillait par son insolence ne voulait pas reconnaître
en lui le lion de Charonne, turbulent et grossier, qu'elle aimait.

Une jeune couturière au visage triste et doux, à la chevelure
noire, était la cause involontaire de ce changement rapide, Lulusse
l'avait rencontrée dans le faubourg. Elle passait, les yeux perdus,
l'attitude modeste. Elle plut à l'infirme, parce qu'elle semblait être
une opposition céleste à toutes les femmes capiteuses qu'il avait
possédées. Elle n'avait pas les yeux de fièvre et la lèvre écarlate des
amoureuses; elle ne se parait pas d'étoffes éclatantes et ne portait
pas à sa gorge la trace des morsures du dernier amant. C'était une
femme simple et douce, appelée à devenir, l'amour aidant, une mère de
famille exemplaire, la plus fidèle des compagnes.

Simple idylle? Lulusse avait promis d'être bon, de travailler, de
déserter les bars; la jeune couturière, effrayée mais admirative, en
présence de cet homme redoutable, s'était abandonnée à la joie de
l'amour. Ils allaient se marier.

--Tu viendras à mon mariage, demain, vieille canaille, dit Lulusse à Un
Tel. J'enterre ma vie de gouape. Je veux devenir un citoyen patenté, un
comme les autres. On restera bon vivant, et la bourgeoise ne s'ennuiera
pas avec moi. Pour ce qui est de la rigolade, on sera toujours là pour
un coup.

Satisfait de s'être fait une vie régulière, Lulusse retrouvait sa
gouaille et ses allures orgueilleuses.

Un Tel, le lendemain, se rendit au mariage. La cérémonie fut dénuée
d'inutile pompe, le maire officia avec simplicité. C'est alors que
la noce commença. Chez un traiteur bourguignon, la famille et les
amis étaient assemblés. La table, chargée de bouteilles et de fleurs,
ressemblait à l'autel de quelque divinité païenne; l'or et le rubis des
vins miroitaient au soleil.

Lulusse rayonnait, comme le vin. Il narrait des histoires de guerre,
il enluminait avec joie des aventures qui ne laissaient pas que d'être
gaies en elles-mêmes; il évoquait, parmi les compagnons de jadis, les
innocents, ceux dont les malheurs bêtes ou la peur instinctive font
le bonheur d'un bataillon. Il y avait Masclet, qui tombait dans les
trous d'eau et qu'il fallait repêcher avec une crosse de fusil; il y
avait l'ordonnance du capitaine, celui qui préparait à son officier
des choux-fleurs à la mayonnaise; il y en avait d'autres, bons drilles
en somme, et si délicieusement niais! Puis, du plaisant à l'héroïque,
Lulusse contait ses anciens exploits. Un Tel abondait dans ce sens,
aimant à revoir ainsi toutes les figures heureuses ou tourmentées
qu'ils connurent.

Deux vieux parents, des ouvriers du faubourg, admiraient cette jeunesse
qui n'avait pas tremblé dans la tempête. Les femmes riaient ou
s'apitoyaient, selon la couleur des récits, cependant que le fils d'une
voisine, indifférent à ce tumulte humain, dévorait avec une ferveur
animale les gâteaux délaissés. La petite mariée contemplait son homme.
Comme il était beau, et quelle émotion elle avait ressentie quand,
selon une plaisanterie classique, il lui avait enlevé sa jarretière.

--C'est pas tout ça, les amis, on va danser! invita Lulusse.

Les servantes écartèrent la table. Une vieille demoiselle, pianiste
attitrée des noces, dont le concours avait été sollicité, se mit au
piano, et l'on dansa.

Lulusse qui, pour fêter un tel jour et par orgueil d'homme, portait
une jambe mécanique, enleva sa femme et se mit à tourner follement.
Soudain, il pâlit et s'affaissa. Il sentit une honte infinie l'envahir.
Sa jambe s'était brisée; l'appareil gisait à terre, ridicule avec sa
carapace de cuir et de nickel. Les danseurs, emportés par leur élan,
bousculaient l'objet, sans y prendre attention.

Tandis que la pianiste continuait à marteler ses rondes entraînantes,
la petite mariée, compatissante, posa sa fine main sur le front de
l'infirme, qui se mit à pleurer.



LA KERMESSE


Un Tel rejoignit son bataillon au repos dans un de ces aimables
villages de la Marne, entourés de croix de bois et qui reverdissent et
prospèrent malgré les incendies qui les ont ravagés. Des maisons de
briques ont été reconstruites, et les anciens habitants, qui ne purent
se recréer le foyer disparu, se sont aménagé, dans les caves, des abris
protecteurs. L'église romane, son clocher abattu, sa nef ouverte,
atteste du malheur qui s'abattit sur la région.

Le soir où revint le permissionnaire, il régnait dans le village une
particulière allégresse. Les soldats se promenaient, en quête de
secrètes beuveries, l'accès des cafés leur étant interdit. Au seuil
des granges, des lascars, leur gamelle de soupe fumante en mains,
interpellaient les filles de ferme, sorte de héros pantagruéliques qui
en appelaient joyeusement aux plaisirs conjugués de la table et de
l'amour. Un clairon lointain sonnait des fanfares heureuses.

Le bataillon donnait, sous de grands arbres centenaires, à l'entrée du
village, un concert.

Quand la nuit fine descendit sur la campagne, des lampions bleus,
suspendus aux ramures, illuminèrent sa scène improvisée. La foule
des soldats se pressait sur des gradins de fortune: chaises, bancs ou
charrettes dus à la générosité de l'habitant. Le général de brigade, un
petit homme débonnaire, sorte de roi galant, ami de la poule au pot et
des belles, prit place, entouré de l'auréole d'azur que lui faisaient,
harmonieusement, les soldats. Les enfants des écoles, assis à terre,
admiraient en silence les lampions que le vent balançait dans les
arbres.

L'orchestre joua une marche boulevardière qui souleva un formidable
enthousiasme.

Parsingaux, le chef de musique, caressait de son bâton sa noble barbe.
Il conduisait, d'un air méprisant, les cuivres et les bois. Les
soldats, en chœur, reprenaient au refrain, témoignant de la joie qu'ils
avaient de sentir leur cœur bondir au rythme des fanfares et du mépris
qu'ils ressentaient à l'égard du chef d'orchestre. Ils chantaient:

    _Pan! Pan! Pan! Pan!
    Il a tout du ballot,
    Il s'appelle Parsingaux_.

Il faut dire que Parsingaux avait une mauvaise presse. On l'accusait
d'avoir donné jadis, alors qu'il était simple brancardier, de l'argent
pour que d'autres fissent, en ligne, sa charitable besogne. Il n'en
avait pas moins la croix de guerre.

--Joue-nous la valse des croix de guerre! hurlait la foule.

Insoucieux de l'injure et méprisant l'opinion publique, le chef
d'orchestre, enlevant sa troupe, reprenait le refrain. C'était le plus
indescriptible des charivaris. On pouvait y retrouver des bravos, des
exclamations, des appels, un murmure de voix pareil au mouvement des
mers.

Un comique excentrique, au visage glabre, entra en scène. Sa voix aigre
avait quelque chose d'hostile et de plaisant à la fois. Ses gestes de
pantin enchantaient par leur brusquerie comique. Malgré la niaiserie de
son répertoire, il y avait quelque chose de subtil dans son jeu, une
sorte d'ironie à l'égard de soi-même, comme si, interprète convaincu de
la stupidité de ses rôles, il s'en moquait intérieurement.

La joie du soldat est facile et communicative: une pirouette, un mot
drôle, une ritournelle lui donnent l'illusion d'un spectacle riche en
couleurs; il se croit au music-hall, il évoque les chansons arsouilles
de Gaby Montbreuse, les défilés multicolores des revues, les danses
voluptueuses au miroitement illimité des lumières, toute la folie
des samedis soir au faubourg. La salle embaume l'orange, le musc et
le tabac. L'orchestre exalte les fièvres endormies au cœur de la
foule: désir d'aventures sentimentales et guerrières, rouges folies
des révolutions. Un Tel partageait cette prestigieuse illusion; il
se croyait à la Riviera du Montparnasse; il revoyait les femmes aux
yeux profonds, à la gorge frémissante, dont le mystère l'attirait; il
reconstituait ainsi les éléments brisés de son bonheur.

Le soldat est frondeur. Il lui faut des refrains symboliques où
s'expriment ses colères à l'égard du civil:

    _Vivent les poilus qui z'ont la fourragère._

Cette chanson, née dans une nuit de veille, dit l'orgueil que l'on
a d'être fort, valeureux, conscient de son devoir, la splendeur des
ovations parisiennes à la revue des drapeaux, la joie imprévue que l'on
eut de voir tant d'avions dessiner, sur le ciel, des courbes élégantes,
alors que l'on en vit si peu à 304. Critiques violentes et justifiées,
ces chansons-là sonneront, un jour, durement, à l'oreille des
profiteurs. Il en est qui feraient trembler de peur les indifférents
s'ils pouvaient les entendre.

Mais le soldat est bon garçon, et sa colère est brève. Le bataillon, ce
soir-là, voulait s'amuser. La représentation de _L'Anglais tel qu'on le
parle_ lui fut une occasion de s'esbaudir à l'aise. Le jeune secrétaire
du colonel, paré d'une robe de la générale, incarnait à ravir la jeune
miss amoureuse. Le maire avait prêté au père courroucé sa redingote.
Ce fut une création. Tristan Bernard lui-même n'aurait pas reconnu son
enfant en cette fantaisie burlesque.

A minuit, les groupes joyeux repartirent, en chantant, au clair de
lune, vers leurs cantonnements. Il y avait dans l'air irisé de la nuit
des parfums d'amour, et les hommes, soulagés du poids de leur ennui,
retrouvaient, d'avoir été bercés par des musiques et des refrains,
l'allégresse et la bonté de leur jeunesse.

Il semblait que la paix était revenue sur le monde.



MONSEIGNEUR CHEZ LES DOUBLARDS


Doublard est le nom vulgaire donné par les soldats irrespectueux au
sergent-major, cet être supérieur et absolu qui tient en ses mains
tachées d'encre la destinée d'une compagnie.

Les doublards, en temps de guerre, ont un raffinement que leurs
devanciers, «fils de labourateurs, labourateurs eux-mêmes» n'avaient
pas, ce sont des comptables, des notaires, tous gens de bureau
consciencieux, sinon dévoués, et parfois aimables.

Les doublards du 5e bataillon, celui d'Un Tel, forment un groupe
original et sympathique. Ils suivent, d'assez loin, le mouvement des
armées et ne connaissent des combats actuels que les états de pertes,
l'élaboration des citations, les rapports de patrouille, les situations
administratives; néanmoins, ils ont les qualités et les défauts du
soldat, ayant jadis, dans les tranchées d'Argonne, peiné et combattu,
ce qui les fait mieux estimer de tous. Scribes inférieurs, ils
retrouvent dans leur encrier toute la poussière d'une gloire éclatante
et si l'ange de la victoire vient un jour, lilial et doré, ainsi que le
révèlent les images d'Epinal, planer sur le bataillon, nul doute que
son aile ne frôle au passage le front soucieux des doublards.

Les doublards du 5e bataillon sont bruyants. Ils aiment la bonne
chère, les vins de marque, les cigares craquant au toucher et le jeu
qui met un peu d'imprévu dans la bureaucratie. Ils sont quatre, ainsi
que tous les groupes valeureux dont s'honore l'histoire. Etre quatre:
serait-ce la condition imposée à l'héroïsme en commun? La baraque où
s'élabore leur méticuleuse besogne, battue des vents, au faîte d'une
côte, leur tient lieu de dortoir, de salle à manger et de cabaret. Ils
travaillent, mangent, discutent, chopinent et dorment fraternellement.
Jadis, l'harmonie était impossible, entre gens de grattoir et de
règle; la guerre, terrible fée qui transforme le monde, a civilisé les
«ronds-de-cuir».

Lempêtré est le sergent-major type. On s'étonne que cet homme ait
été notaire quelque part. On l'imagine, aisément, naissant, à la
stupéfaction de sa nourrice, avec un double galon d'or sur ses petits
bras. Grand, sec, le geste brusque, Lempêtré ne laisse pas que d'être
prétentieux. Il n'ignore rien des choses de la vie, et sa tête carrée
contient toutes les lumières. S'agit-il d'organiser un repas, d'estimer
un romancier, d'interpréter une circulaire? Lempêtré impose violemment
sa manière de voir. Il devient vif et tranchant comme une paire de
ciseaux qui grinceraient, à vrai dire, étant donnée la perpétuelle
irritation du bonhomme et sa voix agressive.

Lempêtré ne peut admettre que l'on ait une idée généreuse, un
dévouement désintéressé, un enthousiasme réel, ces choses étant
contraires à sa nature.

Le doublard de la compagnie de mitrailleuses, Lanneau, est un esprit
narquois; à la gravité de Lempêtré, il ajoute l'éternel sourire de
son ironie facile. Delile, autre doublard, se contente de bien vivre,
d'écouter ses compagnons et de les mépriser un peu pour toutes leurs
paroles inutiles. Il travaille, sans autre ambition que de faire avec
exactitude ce qui doit être fait.

Enfin, voici Monseigneur!

C'est un doublard honoraire, un ci-devant prêtre, ainsi que le
baptisèrent les camarades, Monseigneur enfin, curé d'Aubervilliers en
des temps paisibles; homme doux et cultivé, pénétré de la grandeur de
son ministère; évêque, par proclamation, de tous les villages anéantis;
nonce des tranchées.

De nombreux invités, descendus des lignes ou revenus de permission,
assistent avec joie aux joutes oratoires qui ont lieu au cours des
repas et qui mettent aux prises Lempêtré et Monseigneur. Ce dernier
subit avec une évangélique bonté les persécutions des doublards, ses
confrères. Lempêtré se révèle fougueux anticlérical; il accuse, en
roulant des yeux féroces, les prêtres de mille crimes, en général,
et particulièrement Monseigneur de ravir le vin de la popote pour en
faire un vin de messe. Le prêtre, à son tour, lance quelque flèche
fine, acérée, délicate à son adversaire, au grand amusement de la
galerie. La sympathie des soldats est acquise à Monseigneur; néanmoins,
ils aiment à dire en sa présence des énormités où les mots déguisent
à peine la pornographie des idées. Justes et clairvoyants, les
simples, les braves, les «deuxième classe» exècrent Lempêtré, malgré
ses discours démagogiques, et parce qu'il se montre le maître, le
dispensateur des faveurs; ils ne lui pardonnent pas de se croire un
chef, au sens magnifique du mot, alors qu'il n'est qu'un doublard.

Un chef! Monseigneur l'est, à la perfection! Il est le tendre
pasteur de l'Ecriture qui porte ses brebis sur ses épaules afin
de leur épargner les pierres des routes. Il a pour ses hommes une
condescendance infinie:

--Je les admire, dit-il, pour leur abnégation et la vertu qu'ils
montrent à souffrir en silence. Je comprends leurs excès au repos.
Voire, j'aime s'ils sont ivres. Quand le vin les guide, ils sont
joyeux, ils chantent; leur oubli de toute chose leur interdisant de
penser à mal, ils connaissent une heureuse et saine irresponsabilité.

Cet état de grâce, né de l'ivresse, est imprévu de l'Eglise et manque
un peu d'orthodoxie; il n'en révèle pas moins chez le prêtre qui le
loue une bonté parfaitement chrétienne.

Un Tel devint l'ami de Monseigneur. Tous deux, jeunes adolescents
épris d'idéal, avaient eu un même désir de connaître. Ces voyageurs de
l'idée, ayant pris des routes différentes, s'étaient croisés sans doute
en certains carrefours. Ils avaient eu des lectures communés: Villiers
de l'Isle-Adam, tragique et mystique; Léon Bloy, au style douloureux et
tourmenté. Ils eussent pu se rencontrer chez le fougueux polémiste à
tête de dogue, car certains séminaristes, ainsi que nombre d'esthètes,
connurent le chemin du taudis où vociférait le mendiant ingrat. Il
est des feux qui attirent, dans la nuit, les errants. On les quitte
rapidement, après s'être frôlé à leur flamme, et l'on garde un souvenir
ému de leur chaleur. Il en est de même des livres qui sont de purs
foyers où les hommes se retrouvent.

Un Tel avait lu certains mystiques; il découvrait en eux des lyriques
fervents et naïfs. C'était l'époque où les pires décadents, habitués
des brasseries littéraires, convertis à une sorte de foi brumeuse,
venaient à l'Eglise par la voie impraticable des symboles. L'un d'eux,
fils de tribun républicain, après avoir erré parmi tous les marécages
et pratiqué les débauches latines, créa _Les Echos du Silence_,
revuette mystique où l'on exaltait l'amour du martyr, la croyance en
une vie supérieure étrange et désordonnée et la peur des puissances
infernales. Un ami de Monseigneur collaborait également à cette revue.
L'invisible lien des Lettres réunissait ainsi le curé d'Aubervilliers
au plus aventureux des poètes.

Par Huysmans, nombre de lettrés connurent l'Eglise. Cet écrivain les
conduisit en de graves chapelles où de nobles cérémonies les émurent.
Les départs des missionnaires, les prises de voiles séduisirent les
artistes. Ils apprirent le charme des vêpres, la splendeur des saluts
où l'âme est enlevée par le rythme des chœurs palestriens. Un Tel et
Monseigneur aimaient Huysmans.

Quand ils discutaient sur leurs affections littéraires, précisant leurs
raisons d'estime, Lempêtré se sentait exilé d'eux, relégué par un
destin cruel dans une zone inférieure. Certes, parfois, il risquait un
mot déplacé, une ironie grossière, mais il ne parvenait pas à troubler
le bonheur que les deux rêveurs avaient de comparer leurs chimères.

Outre les nécessités du service: comptabilités diverses, rééquipement
des hommes, Monseigneur s'intéressait particulièrement aux étoiles, ce
qui, pour un prêtre, est une manière fort jolie d'aimer le ciel. Aux
belles nuits d'automne, toutes ruisselantes de diamants, il étudiait
les groupements de lumières, les chars, les carrés, les doubles lettres
inscrites à la voûte d'azur et qui sont autant de dessins merveilleux
dus à quelque main divine.

Un Tel ignorait tout de la vie céleste. Il apprit à reconnaître la
beauté violette et tremblante de Wega de la Lyre qu'il aima pour son
nom précieux. Au reste, les noms d'Orient dont se parent les étoiles
lui furent un ravissement.

Monseigneur chérissait sa cure. Il évoquait la population turbulente
de sa paroisse et les soirs où il lui fallait défendre sa soutane
contre l'injure des voyous; il allait vers eux et, par les moyens d'une
rhétorique savante, il tentait de leur prouver qu'un prêtre est un
homme simple, utile à la vie sociale, honnête comme les autres hommes.
Il ne lui déplaisait pas de narrer les persécutions que lui valut la
passion d'une vieille bigote, laquelle lui écrivit en forme d'adieu,
lors de son départ aux armées: «Nos âmes sans sexe se rejoindront au
ciel pour l'éternité!»

Les soirs de liesse, autour de la table branlante où les doublards et
leurs unités étaient assemblés, fort écouté, Monseigneur dissertait
sur les Pères de l'Eglise. Plus d'un soldat apprit ainsi la bonté de
saint Augustin et l'obscur courage des stylites qui restaient fixés sur
leurs colonnes, pareils au combattant demeurant dans la tranchée malgré
la boue et les explosions. Tel farceur louait les charmes abondants
d'une épicière du parage; il insistait sur sa croupe imposante et ses
seins où pourraient reposer les têtes amies de toute une escouade.
Monseigneur se comparait alors au saint Antoine de Flaubert, tenté par
les mille démons de la chair et de la table. Il ne manquait rien à sa
tentation, pas même les belles pommes de terre ovales et dorées dont le
fumet lui caressait agréablement la narine.

Un Tel poursuivait alors une discussion, dès longtemps commencée:

--Certes, disait-il, en présence de notre monde merveilleux et
compliqué, devant ce mécanisme savant, je crois à l'existence d'une
force supérieure régissant nos destinées. Dieu existe, mais j'en
reviendrai toujours à l'idée d'un maître conciliant et débonnaire qui
présiderait nos agapes et bénirait nos amours.

Monseigneur ne pouvait admettre une conception semblable. Il importait
d'être absolument avec l'Eglise. On ne pouvait, à son choix, croire ou
ne pas croire, admettre telles vérités et se permettre de récuser les
autres.

--J'aime trop, ajoutait Un Tel, l'amour, non pas cette passion
amoindrie qui vous fait œuvrer charnellement avec honte et tristesse,
mais un amour joyeux qui se livre à toutes les fantaisies de la chair.
Il y a, dans la volupté, trop de beauté frémissante et d'humanité
profonde pour n'être pas une chose sacrée, protégée des dieux, s'il en
est au ciel.

Monseigneur avait l'art d'être discret. Il ne se heurtait pas aux idées
arrêtées; il savait tourner les positions, désireux avant tout de
sympathiser avec tous, d'adoucir la brutalité des hommes, de préparer,
dans les cœurs les plus frustes, un terrain fertile où pourraient
fleurir les sentiments chrétiens.

Si toutefois cet apostolat demeurait vain, Monseigneur n'en recueillait
pas moins l'affection de tous. On lui était reconnaissant de sa
bonhomie; il était estimé pour les services innombrables rendus à la
troupe. Aussi, par une condescendance fraternelle, les soldats, au
dessert, chantaient-ils des cantiques, mêlant ainsi les hymnes sacrés
aux paroles luxurieuses.

Le prêtre était heureux d'entendre les mâles voix de ses compagnons
louer les trois anges généreux qui vinrent porter au monde, un soir,

    _De bien belles choses._

Les hommes étaient émus d'évoquer la magie de Noël. Tous communiaient
dans une sorte de religion irraisonnée qui, pour n'être pas orthodoxe,
avait un charme particulier, pénétrée qu'elle était d'humanité réelle
et de sereine joie.

Ce soir-là, Monseigneur offrait une bouteille de vin bouché aux
doublards et absolvait, dans son cœur, Lempêtré, demandant pour lui,
au Seigneur, un peu d'intelligence et de bonté, prière qui jamais,
hélas! ne fut exaucée, le notaire gardant une âme revêche, hostile à la
douceur, insensible et bête comme un papier timbré.

Enfin, toutes bouteilles bues, sous la conduite du prêtre, la troupe
allait admirer les astres, dont la paix harmonieuse devrait être un
exemple, incitant les hommes à calmer leurs agitations meurtrières.



LA RENCONTRE


Etre du même village ou de la même rue crée entre deux soldats un
lien indissoluble. Fût-il le plus avili des buveurs, le compagnon qui
naquit dans la maison où l'on vécut mérite une affection particulière.
Combien, par reconnaissance, offrirent à celui qui leur évoqua leur
cher clocher et les joies qui l'entourent les meilleures délices.

--Tu es un frère. A notre prochaine permission, je te présenterai à ma
sœur!

Sans pousser aussi loin la générosité, Un Tel estima fort le brave
ivrogne qu'il rencontra un certain soir et qui lui parla du pays.

Le village d'Un Tel, c'est la rue des Canettes!

Rue étroite et haute, durement pavée, où de vieilles femmes attendent,
en priant, la mort qui les sauvera de la noire misère; rue bruyante,
participant aux fièvres populaires; rue où l'on chante, où l'on se
bat, où l'on aime, et qui garde, en dépit des transformations imposées
par des esprits vulgaires, un aspect archaïque: telle est la rue des
Canettes.

De ces rues vibrantes, pareilles à des chaudières prêtes à éclater,
surgissent aux heures troubles des guerres et des révolutions des
énergies imprévues, des forces redoutables. Nombre de ceux qui jouaient
dans les ruisseaux et poursuivaient de leurs quolibets les étrangers
des quartiers adjacents, assez audacieux pour s'aventurer en une zone
aussi barbare, moururent en braves, cherchant de leurs yeux angoissés
les tours inégales et sonores de l'église Saint-Sulpice.

Etre de ce quartier pieux, artiste et prolétaire, confère à l'enfant un
caractère particulier. On ne courut pas en vain dans le plus magnifique
des jardins du monde--le Luxembourg--sans en garder un désir éternel
de beauté. Les lignes nobles des terrasses, la courbe des parterres et
l'ordonnance des allées vous font une âme équilibrée. Le jardin devient
ainsi une école d'élégance et de sérénité.

Apprendre de la nature le secret d'être artiste est l'apanage de tous.
Le gamin loqueteux qui, las de tourner dans la cour empuantie de sa
maison, comme une hirondelle, est venu lancer un frêle bateau sur l'eau
du bassin, sentira peut-être naître en lui une vocation imprévue.
D'avoir erré sous les voûtes ombreuses des marronniers, il sera poète.
Néanmoins, son âme s'obstinerait-elle à ne vouloir être qu'une pauvre
chose obscure, le style de son quartier la marquerait d'un signe
éternel.

Il sera toujours le voisin du Luxembourg, le paroissien de
Saint-Sulpice, le natif de la rue des Canettes.

L'ivrogne tenait des propos inconséquents sur la guerre. Il avait une
trogne bourgeonnante, des yeux chavirés, mais Un Tel reconnut en lui,
à travers la démence de ses discours, un pays. Cet homme avait le cher
accent du terroir.

Il semblerait que les idées des habitants de la rue des Canettes
n'aient jamais d'amertume; leurs rêves gardent un arrière-parfum de
verdure et d'encens.

L'ivrogne était optimiste et loquace; ses paroles révélaient un cœur
tendre et chimérique:

--Si je te reconnais! Tu habites la maison dans le renfoncement,
celle où le juif qui a de si jolies filles tient un bazar de peaux de
lapin. J'étais cordonnier; ta mère se servait chez nous. On faisait
les ressemelages et nous avions toute la clientèle du quartier. On les
reverra, la rue des Canettes et le bal-musette où l'on se battait le
samedi soir. Tu parles d'une noce, si l'on revient! Toutes les filles
du quartier mettront leurs chapeaux de printemps et leurs robes de
la Samaritaine pour nous acclamer. On dressera des tables, avec les
caisses de l'emballeur, dans les cours, et je jouerai de l'accordéon
toute la nuit. Il coulera du vin dans les ruisseaux. On embrassera les
femmes des autres sur les lèvres.

«Le vieux de la boucherie chevaline, celui qui a des idées
révolutionnaires, l'ancien ami du père Vaillant, s'il n'est pas mort
gelé dans sa boutique peinte en rouge, au retour, je lui paie une
muffée étonnante. Je lui dois une grande reconnaissance, à cet homme;
il a vendu des rognures pour mon chien, un terre-neuve rouge comme des
briques, même les jours sans viande.

«Il y a aussi le fils de la mère Verdot, qui s'est embusqué dans les
états-majors; que je le revoie, celui-là, avec sa raie et son faux col,
après la guerre, je ferai sûrement un malheur!

«Ce pauvre Anatole, le patron du petit bar où on se lavait la gorge
le matin avec du vin blanc, il est prisonnier. S'il en revient, il
trouvera toujours, chez moi, chaussure à son pied.

«Des copains du quartier, quel «hécatacombe»! Il en est mort, Seigneur!
que c'est à croire qu'il n'y a que nous de sacrifiés.

«On rira, aux prochaines élections. Pour mon compte, je balancerai
tous les meubles de la mairie dans la fontaine Saint-Sulpice. Je dis
cela sans méchanceté, je sais bien qu'il faut être humanitaire. On
s'entr'aidera, après la guerre, parce qu'il y aura de la misère. On
sera charitable, communiste; ce sera la sociale avec, en moins, les
discours.»

Inlassablement, l'ivrogne faisait l'historique de la rue. Il disait
les fêtes de jadis: retraites aux flambeaux du 14 Juillet, Fêtes-Dieu
sur la place printanière, où les plus rudes lurons du quartier se
courbaient devant la majesté de l'ostensoir. Il y avait une poésie
délicieuse en ces mots vulgaires, parce qu'ils étaient évocateurs de
jours heureux.

Un Tel avait connu les mêmes joies. Il aimait d'une ferveur égale sa
rue frémissante aux odeurs de gargote. Parent éloigné de ce cordonnier
bavard, Un Tel l'écoutait avec ravissement. Ce lui fut une occasion
inespérée de ne plus entendre l'éternel grondement de l'artillerie; il
en oublia la nuit, la vermine et la boue. A l'heure angoissante où l'on
sentait venir, à travers les vallons glacés, le grand hiver taciturne,
il eut devant ses yeux l'image exacte et bien-aimée de la petite
patrie, ce grouillement de maisons pittoresques où l'homme enclôt tout
ce qu'il aime, vieux murs animés dont le soldat n'oubliera jamais
l'accueil fraternel.

L'ivrogne disparu, Un Tel s'assit dans un trou d'obus, afin de rêver
en attendant la nuit. Une fine pluie se mit à tomber, qui le chassa
de la plaine. Le soldat s'en fut, à l'aventure, sur des pistes
glissantes, giflé par un vent rapide. Il marchait vers l'inconnu pour
dissiper la tristesse qui s'emparait de lui et réchauffer ses membres
transis. Parfois, son pied glissait sur des étoffes sanglantes, il
heurtait quelque cadavre ossifié. Il allait, pris d'un désir de marche
interminable, perdant tout sens d'orientation, satisfait de souffrir,
d'errer sur la terre retournée, dans la douleur universelle. Bientôt,
il franchit les lignes, sans se rendre compte du danger, descendant
vers un vaste marécage où se miraient les derniers rayons du soleil.

Une voix lointaine se fit entendre, qui attestait la présence de
l'adversaire.

Des coups de feu partirent; ils claquèrent sinistrement dans le ravin.
Un Tel se crut perdu. Un sûr instinct lui fit prendre une piste
où demeurait la trace de pas anciens; une force le poussait aux
épaules; il n'aurait su résister au vent qui l'emportait; il marchait
instinctivement, les yeux fermés, le corps brisé, en dépit des feux
de mitrailleuses et de la nuit perfide survenue, dans la direction de
la rue des Canettes, vers la féerie des jets d'eau et les ombrages
embaumés du Luxembourg.



SIMPLE IDYLLE


Jolicœur appartenait à la classe 17, qui mérita d'être nommée la classe
aimable pour sa jeunesse souriante et sa tendresse. Il était né à
Tours, parmi la verdure, et ses yeux bleus gardaient la franchise et la
lumière de la Loire. Il avait une physionomie de page aux traits fins
et réguliers.

Paris lui était apparu dans toute sa séduction et l'avait captivé, sans
le perdre, malgré ses passions perfides, ses plaisirs pervers et sa
frivolité. Devenu soldat, l'éphèbe gardait la douceur de son enfance et
des sentiments puérils qui le rendaient charmant.

Soldat! Il ne l'était guère. Trop frêle pour triompher de l'hiver et
des bourrasques, trop indiscipliné pour admettre le joug absolu de la
vie militaire, il ne pouvait pas oublier, sans regret, les bonheurs
naïfs et si proches de sa jeunesse, toute la fantaisie brutalement
interrompue de son printemps. Il y pensait constamment, et cela lui
formait une mélancolie dont ses heures s'embellissaient, tant il y a de
grâce à voir une amertume parer de ses légères épines une tête vouée à
l'insouciance.

Un Tel avait eu de ces tendresses délicates, il avait connu de ces
amours rêveuses. Adorateur de la femme, il l'avait été religieusement.
Mais des heures de fièvre et de regret, des colères et des trahisons
lui avaient appris que l'amour dépose parfois sur nos lèvres une odeur
de cendre et qu'il est souvent, si l'on ne se garde, une décevante
servitude.

Jolicœur n'avait pas eu le temps de ressentir et d'apprécier les
douleurs amoureuses.

Curieuse sensibilité que celle de ces gamins arrachés à leur joie et
jetés dans l'immense tuerie. Ils n'eurent que d'éphémères liaisons,
ils ne connurent que l'échange ému de tendres paroles, le soir, en
des parcs déserts, où l'ombre s'accumulait. Serrements de mains
rapides, baisers ravis dans la nuit à des lèvres ignorantes, mensonges
délicieux du premier amour, combien vous êtes éloignés de la passion
réelle! Toutes les fleurs dont se pare la statue du jeune dieu au
cruel carquois sont vite desséchées et, trop souvent, naissent de leur
poussière le doute, l'incroyance ou le plus insolent des libertinages.

Au cours de la guerre, de jeunes couples, indifférents au tumulte du
siècle, esquissèrent le geste d'amour. Jolicœur, ainsi que tous ses
camarades de la classe aimable, avait dû, un matin bruyant sur le
quai d'une gare fumeuse, embrasser une fois dernière la vierge qui le
regardait partir, ne sentant pas encore brûler en elle les fièvres de
la chair.

Ce départ était doux et triste. Quel Dieu méchant enlevait ainsi à ces
deux enfants leurs chers plaisirs? La saison des jeux du cœur semblait
terminée; on ne cueillerait plus de pâquerettes au jardin; on ne se
ferait plus de puérils serments; on ne suivrait plus, en se tenant la
main, parmi les nuages mobiles ou transparents, le vol concentrique des
oiseaux; on ne lirait plus dans un livre choisi l'histoire féerique
et douloureuse des amants immortels: Paul et Virginie, le chevalier
Tristan, le grave Chatterton. Un tourment troublerait-il, désormais,
le cœur de ces enfants? La séparation leur rendrait-elle sensible la
vanité de leurs amours incomplètes?

Il n'y paraissait guère chez Jolicœur, qui gardait de sa petite amie le
même souvenir tendre.

Il l'avait rencontrée au jardin. Elle brodait gravement, assise sur
un petit pliant, dans l'ombre bleue d'un marronnier. Elle était brune
et portait une robe blanche. Ils s'aimèrent deux ans, sans oser se
l'avouer; ils le firent auprès d'un parterre aux fleurs éclatantes
et qui embaumaient comme une cassolette où brûleraient des parfums
d'Arabie; ils jouaient la comédie de la passion avec une grâce infinie.

Les vieillards les contemplaient, non sans envie et regret, quand ils
se promenaient, en se confiant leurs pensées. Il y avait en eux la
beauté matinale des roses, alors que le soleil ne les a pas encore
énervées. Ils aimaient parcourir les avenues élégantes et silencieuses;
s'ils voyaient un papillon blanc caché sous la verdure, ils se disaient:

--Plus tard, nous aurons une maison semblable.

Une seule fois, Jolicœur avait été saisi d'un trouble étrange. En
embrassant les joues de son amie, le matin de son départ, il avait
senti frémir sur sa poitrine les deux seins ronds comme des pommes de
la vierge. Depuis, il la désirait moins douce et moins réservée; voire,
à de certaines heures, il la rêvait perverse. Néanmoins, Jolicœur
n'était pas un homme vil, passionné, égoïste ou sublime comme le sont
les hommes; c'était un enfant qui faisait la guerre.

Un Tel l'estimait pour sa candeur et son insouciance; il gardait,
lui-même, trop de jeunesse pour ne pas affectionner ce petit soldat
imprévu qu'un destin, pour le moins ironique, avait affublé de rudes
vêtements et coiffé d'un casque deux fois trop gros pour sa tête menue;
Jolicœur portait, en outre, un fusil plus haut que lui.

Ignorer le danger n'est pas de la bravoure, et souvent ceux qui ne
connurent pas de grands périls ont les apparences de l'héroïsme. Au
sortir des camps d'instruction et dans sa première période de tranchée,
la classe 17 fut particulièrement insouciante.

Il fallut, un soir, que des patrouilleurs reconnussent les positions
de l'ennemi, dans un terrain inconnu où des embuscades pouvaient être
tendues. Des volontaires furent demandés; il y en eut une vingtaine:
Donquixotte, l'infatigable, qui se souvenait à peine d'avoir été jadis
un homme doux et conciliant, et d'autres que la lassitude n'avait pas
encore aveulis. Jolicœur sollicita de participer à cette opération.

On partit à l'heure où la lune se levait; il était convenu que l'on ne
se reposerait pas, que l'on observerait tous les replis du terrain,
que l'on visiterait les gourbis abandonnés, les sapes défoncées où
l'adversaire pourrait se dissimuler.

Jolicœur ne ressentait aucun effroi. Certes, la nuit était troublante,
et plus d'un piquet, au loin, prenait une silhouette hostile.
Qu'importe! N'était-il pas en compagnie de camarades aguerris, et ne
voyait-il pas se refléter dans les eaux des marécages, auréolé de lune,
le visage de sa petite femme, subitement devenu grave et diaphane,
telle l'image noyée d'une lointaine et mélancolique Ophélie.

Un Tel, uniquement préoccupé du but à atteindre, guidé par son instinct
de chasseur, ne devinait pas le rêve du jeune soldat. D'excavations en
excavations, la troupe atteignit un ravin où de hautes herbes odorantes
se balançaient au vent. A genoux, les patrouilleurs observaient la
nuit; mille bruits se faisaient entendre, confus, indéterminés; des
travailleurs devaient, au loin, enfoncer des piquets. Qui donc, à
droite, avait sifflé? Il fallait retenir sa respiration, se confondre
avec l'ombre, être une chose immobile et prête à bondir.

Jolicœur se mit debout; on ne pouvait le voir, il était si petit!

Trois flammes jaillirent d'un buisson; Un Tel vit s'affaisser le
bleuet; touché au cœur, il mourait, sans murmure, inclinant la tête sur
sa poitrine, gentiment, comme il avait vécu. Ils revinrent, cortège
affligé, portant l'enfant mort vers la tranchée française.

Un Tel recueillit les objets que Jolicœur tenait de sa fiancée: une
bague où était gravé un nom de fleur, un petit couteau, une chaîne avec
un trèfle à quatre feuilles en vermeil et la photographie qu'elle lui
avait envoyée pour fêter son anniversaire, puis il écrivit la terrible
nouvelle.

Pauvres beaux yeux, que vous allez pleurer!

Un Tel chercha à atténuer la brutalité du fait; il tenta de laisser une
illusion à celle qui jamais ne devait voir revenir l'absent qu'elle
attendait; il assura que, peut-être, Jolicœur, blessé grièvement,
enlevé dans une embuscade, n'était que prisonnier. Cette fiancée est
trop jeune pour souffrir, pensait-il; elle ne supporterait pas un tel
coup au cœur! Pour savoir être malheureux, il y faut une accoutumance.

Le soldat s'attendait à recevoir une lettre pleine de cris et de
lamentations. La louve à qui l'on abat les siens hurle dans le bois
et se déchire la chair, en témoignage de son désespoir; les grandes
amantes qui virent partir à jamais l'homme qu'elles serraient jadis sur
leurs seins frémissants, en des nuits chaudes, mirent un crêpe éternel
à leur cœur désolé. Qu'allait-il advenir?

La petite vierge fut bien différente de ce qu'Un Tel avait imaginé;
elle sut trouver des mots résignés où sonnaient, malgré tout, les
carillons d'une nouvelle espérance; elle eut une tristesse de bon ton.
La balle qui avait abattu Jolicœur ne l'avait pas, elle-même, blessée
mortellement.

Aussi, répugnant à poursuivre une correspondance inutile, Un Tel fit
un petit paquet des chers souvenirs du défunt et le mit sur la tombe
fraîche où flambait une cocarde tricolore. A quoi bon retourner à la
fiancée du bleuet des objets dont la présence lui eût été indifférente
ou désagréable? La cruelle petite amoureuse de l'amour était déjà
consolée.



CHEF DE BANDE


Un Tel était un des rares survivants parmi ceux dont les exploits
faisaient la gloire de son bataillon. Morts, blessés, disparus,
repartis à l'arrière, las de la lutte incessante et des misères de
l'infanterie, toute une phalange de braves s'était dispersée. C'était
à peine si les noms de ceux qui s'illustrèrent particulièrement en des
faits d'armes connus de tous demeuraient dans la mémoire oublieuse
des camarades. Néanmoins, sortis vainqueurs de toutes les épreuves,
unis à jamais dans la plus étroite des fraternités, quelques soldats
perpétuaient les traditions de vaillance, de fidélité et de bonne
humeur. Ils étaient le dernier carré d'une armée magnifique et
disséminée.

Sans que cela se fît ouvertement, Un Tel, parmi ses camarades, devint
un chef. Les circonstances l'y aidèrent; une chance inouïe lui permit
de ne jamais défaillir, de dompter toutes les difficultés. Chef, ce
rôle impérieux exige des vertus exemplaires; mais, l'homme ne pouvant
être parfait, souvent le hasard collabore à son mérite. Un Tel était
de ceux que le hasard avait favorisé. Il ne s'illusionnait pas sur
sa propre valeur; il savait dans quelle exacte mesure la fortune
avait aidé son réel courage; sa notoriété lui venait de son esprit
combatif. Entraîné aux luttes d'idées, ami des conflits et des bagarres
politiques, il avait été naturellement disposé à faire la guerre. Il
était un soldat à la manière de ces partisans qui se faisaient tuer
sur les marches d'un trône, non par amour d'une majesté, mais pour le
plaisir sportif de se battre.

Avant la guerre, Un Tel affectait un certain mépris de citadin à
l'égard du paysan; l'attitude des gens de la terre sous la mitraille,
leur ténacité dans l'effort les lui fit admirer; il comprit tous les
hommes et voulut les aimer; il se sentit le frère de ses compagnons.
Ceux-ci, par réciprocité, chassèrent de leur cœur la haine jalouse
qu'ils portaient jadis à l'intellectuel. Un contact de sympathie
s'était établi entre tous les combattants; ils furent disposés à se
découvrir des qualités et choisirent pour chefs les plus habiles et les
plus courageux. Les caractères opposés se rapprochèrent, et l'on vit le
terrible Citoillien, révolutionnaire intransigeant, partager son vin
avec Donquixotte, un infâme capitaliste.

Lulusse, qui était de Charonne, ainsi que nul n'en ignore, avait admis,
au temps où la mitraille ne l'avait pas encore diminué, que les gars
du Nord étaient de bons bougres, et les mineurs de Lille aux figures
terreuses, les Roubaisiens trapus et violents, les tisseurs de Douai,
longs comme des perches, le lui rendaient généreusement.

Monseigneur, au temps où il cultivait les belles-lettres et soignait
les âmes en sa cure d'Aubervilliers, n'avait pas imaginé qu'il saurait
conquérir un jour l'affection des gouapes qui le poursuivaient de
coassements ironiques. Les aspirants délicats et raffinés apprirent à
la guerre à admirer un charretier argotique et rude qui mourut, face à
l'ennemi, immobile, stoïque, comme le chevalier Bayard. Ils avaient,
dans une barbarie savante, organisée, fait refleurir la cordialité des
âges d'or; les uns et les autres consentaient à s'unir devant un danger
qui les menaçait tous. Ainsi, ce que la prospérité n'avait point fait,
la douleur le réalisait.

Les officiers aimaient Un Tel parce qu'il incarnait le type parfait
de la fidélité. Les problèmes obscurs, enfantés à l'arrière, dans les
états-majors, Un Tel les solutionnait à coups de pistolet, sans vaine
forfanterie, y trouvant un plaisir particulier, en artisan que le fait
même d'avoir facilement travaillé suffit à satisfaire. Il est aisé,
au demeurant, de combattre sur des cartes, le centimètre en main, de
prendre des petits postes, en les encerclant d'un trait bleu: il est
plus difficile d'agir.

Un Tel était un homme d'action, venu à l'instant du monde où l'action
était souveraine, ce qui lui conférait une indiscutable autorité. Des
milliers d'hommes se révélèrent ainsi des chefs; ils se battirent et,
ce qui est mieux, entraînèrent au combat les indécis et les pleutres.
Combien furent-ils, ces agitateurs sublimes? Il serait dérisoire de
prétendre à les connaître tous, et des milliers de tombes gardent le
secret de leur témérité. On peut dire, sans outrepasser la vérité, que
ceux-là seuls firent la guerre.

Ils furent dix mille, vingt mille Un Tel, issus de vieilles familles
roturières ou nés dans les châteaux armoriés, qui affirmèrent devant
l'histoire le désir de vivre de la race. Ce furent de glorieuses bandes
fraternelles qui, sur la terre meurtrie, se dressèrent comme aux
premiers âges, le fer en main, afin de défendre les foyers attaqués.

L'esprit de bande fit des miracles; il entretint la confiance et la
bonne humeur des armées; il suscita l'émulation chez les braves.

Certes, cet esprit de corps est redoutable pour l'avenir; il a déplacé
l'organisation des partis et des classes, et nulle puissance humaine
ne pourrait, maintenant, lutter contre. Les bandes sont constituées;
elles ont des chefs, puissants parce qu'ils sont aimés de ceux qui les
suivent; redoutables, car ils ont triomphé des pires dangers, vaincu
la mort en d'innombrables combats. Ces bandes militaires déséquipées,
revenues à la vie sociale, garderont leur esprit communiste, leur amour
du danger, leur besoin d'être fortes; elles auront, peut-être, un peu
moins d'apparente brutalité. Envers elles, les Etats n'exerceront
aucun moyen répressif. Elles se différencieront des groupes, sans
honneur, qui régnaient avant la guerre sur la République: financiers
véreux, démagogues assoiffés, rhéteurs ventrus qui pillaient leurs
compatriotes, en ce qu'elles auront été créées, pour des buts nobles,
dans l'épreuve et sans autre ambition que de partager des souffrances.
En vérité, une nouvelle féodalité se lève sur le monde!

Les patrouilleurs traversant les réseaux de fils de fer par les nuits
sans lune; le groupe franc qui saute à la gorge de l'adversaire et le
terrasse; les hommes déterminés qui demeurent à leur poste, sous un
bombardement, formeront l'aristocratie de demain. Elle sera juste,
forte, implacable. Que si les combattants négligeaient d'exiger leurs
droits et de les imposer à la foule oublieuse, les chefs de bande,
les compagnons au geste prompt, au verbe facile, se dresseraient,
sentinelles obstinées, et clameraient au monde épouvanté un nouveau
code social où chaque soldat, payé des services rendus, sera considéré
dans la mesure de ses anciens sacrifices.



LE BANQUET DU CAMP B OU LES DIALOGUES SÉVÈRES


Ouvriers, paysans, bureaucrates, Un Tel sait grouper autour de lui une
bande intrépide et joyeuse. Combattre est bien; savoir vivre au repos
et s'organiser son bien-être est mieux encore. Une bande heureusement
conduite doit s'intéresser aux questions de ravitaillement et de
cuisine, qui sont primordiales.

Les festins des soldats ont une gaieté franche; ils sont une occasion
de se revoir, de boire un vin qui chante au cœur et porte à l'amitié;
ils exigent surtout un génie grandiose d'organisation. Découvrir des
œufs, des vins et des desserts participe souvent de la magie; les plats
ont alors une saveur spéciale d'être rares et coûteux; n'estime-t-on
pas les choses pour la peine que l'on eut à se les procurer?

L'heure des repas est la seule où la pensée du soldat est débridée:
c'est alors qu'elle s'exprime sans feinte, violemment.

Ces agapes fraternelles permettent à chacun d'exprimer son être
intime, de résumer les impressions ressenties au cours des derniers
combats. Au reste, l'échange de vues en présence des bouteilles, la
communion de pensée autour d'une table improvisée sont dans la pure
tradition des banquets. Et puis, le soldat l'affirme:

--Il vaut mieux boire en compagnie que de mourir dans un coin, tout
seul.

On buvait ferme au camp B. Les troupes s'y reposaient, quelques jours,
au sortir des tranchées; elles y manifestaient leur âpre désir d'être
heureuses; elles se lavaient, chantaient, goûtaient à nouveau des
plaisirs humains.

Des sapes obscures et fraîches abritaient les hommes; ils y dormaient
avec une volupté profonde, en compagnie des rats.

Dormir, après de longues veillées nocturnes, est un plaisir de dieu.
Sous la protection des arbres, assis à des tables vacillantes, les
hommes discutaient, attendant impatiemment que les ravitailleurs
en vins, chargés de bidons, revinssent des villages environnants,
porteurs d'espoirs et de soleil. Certains s'isolaient en des toilettes
compliquées, chassant les poux ignominieux sur leur manteau d'azur.

Face au camp, sur la grâce illuminée d'un coteau, un cimetière aux
tombes parallèles, où reposaient les morts du bataillon, flamboyait de
toutes ses cocardes, de ses croix et de ses couronnes.

Les vivants songeaient aux morts; ils allaient parer les tombes, mais
sans y mettre cette douleur superficielle dont le rite funèbre se pare.
Nous vivons en des âges virils où l'anéantissement est accepté.

Certains soirs, le camp B retentissait de clameurs et de chansons; on
eût dit un vaste navire où des marins ivres et proches de la terre,
revenus d'une traversée périlleuse, fêtaient le retour dans les ports
que l'on aime.

Ce soir-là, le secteur était heureux!

Les cuisiniers, ayant fait rôtir les viandes dans une sauce rousse et
parfumée d'oignons, composaient avec des gestes de prêtre un gâteau
mystérieux où les pâtes, la cassonade et les raisins de Corinthe se
joignaient, pour la joie des convives. A la lueur chaude des bougies,
le couvert fut placé: gamelles bosselées, assiettes en aluminium,
quarts rouges et dorés par le vin, fourchettes brisées. Des bouteilles,
aux cachets de cire verte ou vermeille, de calibres divers, alignées en
un ordre parfait semblaient attendre, victimes expiatoires, l'heure du
gai sacrifice.

Les compagnons d'Un Tel étaient groupés autour de cette table, à peine
décrassés, ornés encore d'une barbe sauvage. La bande fêtait son
immortalité. Malgré les assauts, les bombardements, les sournoises
maladies et l'effroi des saisons contraires, ces hommes sentaient un
sang riche couler à leur peau.

Donquixotte, plus maigre qu'un fakir, grave autant qu'il l'était
jadis à son comptoir, alors qu'il débitait l'andouillette et le porc
et qu'il se passionnait aux aventures de d'Artagnan et aux évasions
de Monte-Cristo, exigeait qu'on se mît à table. Le rêve héroïque
ne suffit pas à substanter un soldat; il y faut ajouter force plats
consistants.

Gustave, le Rempart de Calonne, revenu après maintes blessures, n'avait
plus sa beauté de ruffian, son œil altier; il semblait adouci, comme
affiné par l'âge et la souffrance.

Citoillien, gras et jovial, allait de l'un à l'autre, oubliant les
révoltes anciennes, évoquant des souvenirs bachiques, citant les noms
glorieux des villages où tout le bataillon était ivre.

Monseigneur présidait, donnant une tenue à la conversation, évitant
avec habileté que les conteurs ne se livrent aux récits paillards
dont la troupe est friande. Il rompait le pain avec douceur, comme
à l'office, veillant à ce que chacun ait sa part de bien-être, de
lumière, de vin et de sauce odorante.

Un brave cœur, sous une rude charpente, le sergent Massacré, prit la
parole:

--Je suis un sanglier des Ardennes; bon pied, bon œil, et dix litres
de vin ne me font pas reculer. Chacun a ses idées, ici-bas; mon rêve,
à la descente des tranchées, c'est d'aller aux douches tout habillé.
Ensuite, tu te mets au soleil pour te sécher, tu fumes ta pipe, tu
regardes passer les ambulances, au loin, sur la route, et te voilà tout
neuf. La vie est déjà bien assez compliquée; pourquoi l'embarrasser
de théories inutiles? Les types qui m'abrutissent de phrases et de
conseils, je leur réponds: «Cause à l'autre.»

Sans autre raison que d'être bruyant, un camarade se mit à chanter:

    _Tout le long, le long du corridor
    On faisait des rêves d'o-o-or._

Un autre se remémora les beaux jours d'hôpital, où de jolies femmes lui
offraient des oranges, des cigares et des confiseries. Quelles jolies
fêtes les infirmières organisaient dans le jardin, sous les pommiers
fleuris! Marthe Chenal y vint chanter autre chose que

    _Tout le long, le long du corridor..._

C'était peut-être la _Marseillaise_!

La conversation devint générale; les quarts s'entre-choquaient avec
un bruit d'armes, les bouchons volaient; à l'aide d'un poignard
scintillant, un jeune grenadier découpait habilement le rôti. On but
à la croix de guerre du cuisinier, on but à la paix, à la prochaine
permission, à l'amour; on but pour le plaisir de boire, et les convives
ne sentaient pas sur eux tomber la fraîcheur de la nuit.

Sans perdre rien de leur vibrante gaieté, les convives délaissèrent
les propos futiles ou grossiers; le vin, au lieu que de troubler leur
raison, l'aiguisait sans doute et la rendait clairvoyante. Chacun
exposa sa conception de la guerre et ses motifs de colère à l'égard du
civil.

Pour tous, l'âme du combattant est une énigme, et nul ne peut deviner
le secret de la grande muette. Ce soir-là, pour elle seule, dans la
zone inviolée du civil, l'armée fit entendre sa redoutable voix.

Monseigneur, orateur éloquent, oubliant sa douceur coutumière, établit
un réquisitoire contre le civil. En mots simples, compris de tous, le
prêtre s'associa au courroux unanime.

--Combien d'hommes, dit-il, qui parlaient d'humanité, négligeant les
tendres leçons du seul maître que je reconnaisse, se montrèrent, en
ces événements, des égoïstes? Combien ne partagèrent pas leur pain
avec l'affamé? Combien se refusèrent à tendre une main charitable,
quand l'émigré et l'orphelin imploraient d'eux un secours? La vertu
de charité fut trop souvent l'apanage du soldat, le grand misérable
de notre époque. Il en fut qui chassèrent au loin de leurs terres les
familles errantes; il en fut qui abusèrent du malheureux et qui firent
argent de sa pauvreté; ceux-là, civils notoires et respectés, seront
bannis de la communion des hommes, parce qu'ils ne pratiquèrent pas la
plus jolie des vertus chrétiennes.

Ces paroles eurent un écho irrité: Citoillien parla.

--Le propriétaire est demeuré le vautour; l'homme est toujours un
loup pour l'homme. Des usiniers ont intensifié le travail des femmes,
afin de rétribuer leur personnel à des tarifs inférieurs; une femme,
n'est-ce pas une esclave taillable et corvéable à merci? On a spéculé
sur le besoin de défense de la nation. Il nous fallait des armes et des
munitions: on nous a vendu des grenades qui n'éclataient pas et des
pistolets qui sautaient dans nos mains. Quand nous pataugions dans
la boue d'Argonne ou de Champagne, des mercantis nous fabriquaient
des semelles en carton-pâte. Le civil, avec notre peau, s'est fait de
riches portefeuilles.

Gustave s'associa à ce concert imprécatoire. Don Juan des jours
paisibles, il gardait rancune à celles qu'il avait adorées d'avoir été
volages; il en voulait plus encore aux amants embusqués, aux financiers
luxurieux, à la horde infâme de ces mâles qui, loin de la foudre et des
vents, à la faveur de leur or victorieux, faisaient la conquête des
femmes infidèles du soldat.

Massacré, dit «Cause à l'autre», se leva. Fermement, il exposa ses
furieuses revendications:

--Il y a des tas de types qui sont venus se soulager sur notre fumier;
on aurait dû leur fiche des coups de fourche. Nous sommes trop bons!
Le civil nous endort avec ses histoires sympathiques: le poilu par-ci,
le poilu par-là! Moi, je leur dis: «Cause à l'autre.» La première fois
que je suis allé à Paris, je vis le métro arriver, j'ignorais qu'il
repartait si vite, je ne me pressais pas. Coin!... Voilà la voiture
qui repart. Je reste là, sur le quai, comme une andouille. Une autre
voiture arrive, je saute dedans en bousculant une grosse dame. On
m'injurie, on m'appelle voyou, moi, un sanglier des Ardennes, titulaire
de quatre citations... Et ils appellent cela, les civils, avoir de
l'affection pour le poilu!

Les buveurs communièrent dans le même courroux à l'égard de ceux qui,
selon la parole du petit Breton qui mourut un soir dans les bras d'Un
Tel, vivent de la guerre alors que les autres en crèvent. Le vent de la
nuit emportait au loin leurs imprécations et peut-être dans les villes
éblouissantes de lumières, auprès des tables fleuries où courtisanes
et munitionnaires s'enivraient de champagnes étoilés, entendit-on la
sourde menace venue des champs, des forêts et des plaines où toute une
jeunesse armée attend le formidable retour.



POLLUX LE CHEVALIER DU CINÉMA


En temps de paix, Pollux inquiétait ses voisins par ses allures
excentriques; son accoutrement lui valait l'estime des gamins. Une
tête de clown sous un sombrero, des épaules roulantes de lutteur, un
pantalon à larges carreaux blancs et noirs, tel il se présentait à la
foule. Celle-ci le redoutait parce qu'il était fort et l'admirait pour
son rôle social; n'était-il pas un roi de la cinématographie, un de
ces hommes dont les pitreries s'inscrivent en lignes de lumière sur
tous les écrans du monde et qui font rêver au delà des mers, de belles
inconnues?

Certes, il n'avait pas le geste tendre et svelte d'un jeune premier, la
beauté sombre de l'amant éconduit; ce joyeux camarade était grotesque
et disloqué. En société, sa turbulence était recherchée. Nul comme lui
ne rotait en cadence, rythmant de ses hoquets la plus sensible des
romances, et c'est quand il lançait en l'air les bouteilles débouchées
qu'il le fallait admirer; parfois, un consommateur se voyait éclaboussé
de bière ou de champagne; ce sont là de petits incidents qui n'enlèvent
rien au talent du jongleur.

Pollux était le prince de la cascade. Tomber d'un échafaudage et
passer de la rude main d'un policier sous le jet d'eau de l'arroseur
municipal forment les premiers éléments de la cascade. Nageur
intrépide, l'habile cascadeur se jetait dans la Seine, remontait
hâtivement sur le quai, roulait sous les roues d'un fiacre, se heurtait
à la vitrine d'un antiquaire, entrait la tête la première dans un
service en porcelaine, recevait quarante in-folio sur la nuque, le
sourire et le cigare aux lèvres. Il animait de son jeu rapide et joyeux
les plus invraisemblables des scénarios. Couvert de suie et de cirage,
il devenait le roi vorace et redouté de quelque tribu nègre inconnue;
roulé dans la farine, il se transformait en mitron qu'une femme
déshonore; cinglant un cheval rapide, les bras liés à l'encolure, on
eût dit un aventurier du Far West. Il incarna mille rôles et ce fut, au
dire de ses pairs, dans celui d'un singe qu'il triompha.

Certains de ceux dont la mission est d'amuser la foule et de lui donner
les plus imprévues, les plus troublantes des sensations, sont, au
demeurant, de très paisibles bourgeois, menant une vie normale, exempte
de perturbations et parfaitement équilibrée. Ils se dépouillent, au
sortir de la scène, de leurs tourments et de leurs passions; ils
quittent le pourpoint du guerrier, la robe du monsignor ou la sombre
cape du traître pour n'être plus, loin de l'opérateur de prise de vues,
que des pères de famille, de bons époux, fidèles à leur foyer, amis de
la quiétude et du bien-être.

Pollux aimait le cinéma de toute son âme. En toute circonstance, il se
croyait en scène, paradait, jouant un rôle éternel, avec des grimaces
et des contorsions inouïes. Soulevant les chaises, les tables, les
pianos, équilibriste paradoxal, il jouait avec les phrases et les
meubles, ajoutant des gauloiseries brutales à ses exercices, hurlant
des refrains idiots. Sa vie était une intéressante et pittoresque
création; elle avait la fantaisie d'un film comique et donnait cette
impression brillante et saccadée d'une projection lumineuse au cours de
la nuit. Pollux était le chef de la bande des Pi-Ouit.

Ceux-ci, clowns intrépides, comiques anglais, gardant sous une morgue
extérieure la plus fébrile des fantaisies, formaient une phalange de
travailleurs acharnés de l'art cinématographique. Il y a une manière
élégante de prendre, entre le pouce et l'index, une boule de billard;
il y a une façon risible de tomber à terre en faisant un grand écart;
on peut, avec esprit, fumer un cigare des deux bouts, telles étaient
les savantes occupations de la bande des Pi-Ouit. Ces artistes, du plus
moderne des arts, étaient des êtres particulièrement tourmentés; ils
recherchaient, par des procédés nouveaux, à donner l'illusion du vrai
dans le miraculeux, à dessiner les formes excessives de la joie et de
la douleur, et leur jeu était une caricature. Au reste, leur physique
se prêtait à la réalisation du comique; ils étaient d'une maigreur
extrême. On eût dit, à les voir défiler, la pipe au bec et le canotier
sur l'oreille, une combinaison d'angles.

Un petit monde de bonisseurs, de photographes, de coloristes, de
danseurs et d'artistes gardaient à Pollux une affection vraie. En son
art, n'est-il pas un maître incontesté? Le premier des Pi-Ouit était
audacieux, il avait l'orgueil de ne point truquer ses acrobaties;
il sautait, nageait et se faisait écraser en conscience, ce qui ne
laissait pas que de le parer d'un juste laurier. Brutal, grossier,
excentrique, Pollux n'en était pas moins, en un siècle vulgaire, un
être chevaleresque. Quand il pliait ses jambes élastiques, afin de
mieux bondir, ainsi que le scénario le lui imposait, loin d'un mari
jaloux, par une fenêtre ouverte sur le vide, on eût dit qu'il allait,
pareil au clown de Banville, «crever le plafond de toile» et rouler
dans les lampes à arc qui sont, elles aussi, «des étoiles».

Equilibriste et poète, ce sont des vocations qui sympathisent, et
rien ne s'oppose à ce qu'un clown ait une âme et des mœurs de rimeur.
François Villon fut paillard et grand dépendeur d'andouilles; Pollux
n'ignorait rien du vol à la tire et des plus viles luxures!

Le Chevalier du Cinéma eut une belle qui lui permit de devenir un grand
premier en amour. La muse de la bande des Pi-Ouit, artiste habile et
fêtée en sa jeunesse, prit avec la maturité une ampleur excessive. Elle
avait une perruque oxygénée, des yeux rieurs et lumineux; elle savait
tirer la langue à ravir, elle était espiègle et bedonnante, ce qui la
faisait ressembler à quelque marmot grotesque et bariolé, fabriqué à
Nuremberg par un artisan en délire.

La môme Citrouille triomphait à l'écran en femme-cocher, en concierge;
elle était, quand elle interprétait les jeunes filles, joignant
ses courtes mains sur son triple ventre, une caricature atroce de
Claudine. Son apparition faisait naître un rire formidable. Pollux la
soulevait avec aisance, la portait à bras tendus, la laissant retomber
sur le sol, où elle rebondissait comme un ballon. Un jour, sous cette
charpente burlesque, il sentit que battait une pulsation frêle et
régulière; découverte inouïe: la môme Citrouille avait un cœur!

Pollux aima sa compagne sincèrement, mais il lui préférait encore son
art; aussi s'amusait-il à exagérer les manifestations de sa tendresse;
dans son inconscience, il ridiculisait la plus douce des traditions
païennes, le geste universel et gracieux par excellence: le baiser
sur les lèvres. C'était un couple dont l'extravagance suscitait,
quotidiennement, des stupéfactions, des rires et des batailles; la
foule les poursuivait de quolibets, les acclamait; parfois, le peuple
est inconstant: des gouapes les injuriaient sans mesure, ce qui
permettait à Pollux de faire une prompte et parfaite démonstration de
boxe française accompagnée de sauts périlleux.

La guerre surprit le Chevalier du Cinéma en plein triomphe; certaines
de ses créations avaient remporté un succès mondial. Les marchands
de bœufs de l'Amérique du Sud, les nervis marseillais aux foulards
coloriés, les petits nains ivoirés du Japon, les enfants rieurs de la
Martinique, les obscurs paysans des campagnes mystiques où l'icône
est vénérée, toutes les foules désireuses de voir un peu d'irréel et
de mensonge parer leurs existences avaient suivi, avec une passion
commune, les invraisemblables aventures, en douze parties, de «Pollux,
roi des mines d'or», à qui de sinistres bandes veulent arracher la
fortune et l'honneur. Le héros, ayant juré de garder le secret du filon
d'or jadis découvert par des chercheurs obstinés et de le remettre à la
reine des mines quand elle aurait vingt ans, gardait le plan sur son
cœur; des traîtres, vainement, tentaient de le lui ravir; ne pouvant
s'emparer du précieux talisman qui leur eût assuré la richesse, ils
emprisonnaient la petite orpheline. Pollux, échappé miraculeusement
à une dizaine d'explosions et de chutes vertigineuses, délivrait la
douce jeune fille. Soudoyé par les bandits, le peuple des mineurs se
révoltait; Pollux le réduisait au silence, après un combat magnifique
où cinq cents cavaliers, qu'on eût dit descendus des fresques de
Michel-Ange, traversaient au galop l'écran vingt fois de suite.

Un matin doux et frais, où le vent animait de sa caresse légère les
roses des jardins, Pollux et sa gentille protégée s'épousaient; les
mineurs jetaient des fleurs sous leurs pas heureux, tandis que le
traître s'étranglait dans une maisonnette où, poursuivi par le remords
et des cavaliers mystérieux, il croyait voir apparaître, invincibles et
menaçantes, les ombres de ses victimes.

Il avait conquis la célébrité et le cœur des petites ouvrières de
toutes les vastes cités du monde. Il délaissait la môme Citrouille,
s'étant épris de la jeune Américaine aux yeux limpides qui
interprétait, à ses côtés, avec une ingénuité délicieuse, l'héritière
aux 500 millions.

Il n'était pas un faubourg usinier où l'image du chevalier Pollux,
aux traits fortement accusés, ne se dessinât ostensiblement; elle fut
recouverte par les affiches de la mobilisation; cette ombre s'évanouit
dans la tragédie naissante; seuls, quelques portraits demeurèrent,
sales et décolorés, sur des murailles de banlieue, attestant la valeur
de toute gloire humaine.

La guerre fit de Pollux un soldat imprévu, peu discipliné, mais d'une
élasticité surprenante, apte à toutes les besognes, prêt à tous les
coups de main, Fregoli de la bataille, à la fois éclaireur, grenadier,
homme de liaison, souvent heureux et toujours assoiffé.

Pollux se devait de se joindre à la bande vigoureuse des défenseurs
de Calonne et des conquérants de 304; il suivit Un Tel dans toutes
ses aventures; chose étrange, il ne se signala pas en des combats
singuliers; il n'eut pas à son actif un fait d'armes exemplaire.
Ce familier de la gloire semblait la délaisser; il se battait dans
l'ombre, avec obstination, simplement, durement, comme les camarades,
souffrant de l'hiver et des bourrasques, couvert de vermine et de terre.

Néanmoins, il eut son rôle dans le formidable mécanisme de la guerre;
il soutint, à sa manière, le moral de ses camarades; il contribua
à leur donner une âme égale et forte par sa verve endiablée. Les
pirouettes dont il ornait ses discours valaient certes, aux yeux des
soldats, en des saisons de particulière amertume, les plus fiévreux des
encouragements.

Alors que les obus creusaient dans la tranchée de vastes entonnoirs,
tandis que les escouades effrayées se terraient, Pollux, une
cigarette aux lèvres, demeurait à son poste, avec forfanterie.
N'avait-il pas encouru de plus redoutables périls au cours de sa vie
cinématographique, quand il combattait dans un imaginaire Alaska contre
de modestes figurants transformés en de féeriques chercheurs d'or?

Ainsi, cette transposition de l'irréel en son existence courante lui
était une magnifique occasion de bonheur; il se croyait toujours devant
l'objectif, prêt à inscrire sur la pellicule immortelle un geste
héroïque.

Pollux avait le cœur et l'esprit d'un gavroche:

--Où tombent actuellement les obus? faisait demander le capitaine que
le bombardement inquiétait.

Et l'infatigable farceur de répondre:

--Dis-lui qu'ils tombent par terre.

Pauvre clown! Il cachait une tristesse vraie et délicate sous les
scintillements de sa joie. Las des amours faciles et grotesques qu'il
avait connues, délaissant la «môme Citrouille» et ses tendresses de
cirque, il rêvait de vivre un jour, dans le luxe et la fantaisie,
auprès de l'Américaine ingénue qu'une jolie fiction lui avait fait
épouser à l'écran. Elle s'appelait Mary; elle avait des poignets
d'enfant, des mains fines et transparentes, un rire frais et chanteur
comme de l'eau. Quand Pollux, l'arrachant à ses ravisseurs, la portait
en ses bras, il la sentait trembler sur sa poitrine, comme une colombe.

Une nuit silencieuse, Un Tel et sa bande partirent en reconnaissance.
Les hommes traversaient, en rampant, la forêt; Pollux les précédait,
leur cherchant un chemin parmi la broussaille.

Il marchait fièrement, au clair de lune, inconscient du danger.
N'était-il pas l'invincible roi des mines d'or, le Chevalier sans peur
et sans reproche du Cinéma? Il ne songeait pas à l'adversaire qu'il
pourrait rencontrer et qui l'abattrait; il ne voyait pas l'œil de feu
des mitrailleuses qui le guettait dans l'ombre bleue; il ajoutait une
nouvelle aventure à la série des films qui lui valurent sa renommée.
Celle-ci, comme les autres, se terminerait par une pirouette, un
sourire et des bravos. Ce fut, hélas! une pirouette sanglante!

De la gauche à la droite, subitement, une fusillade éclata. Les balles
brisaient les branches, s'aplatissaient sur les cailloux et trouaient
les arbres; les grenades s'ouvraient en gerbes sonores et flamboyantes;
la reconnaissance se dispersa comme un vol de moineaux.

Un Tel, en s'enfuyant, entendit Pollux, blessé, qui criait en son
délire:

--A moi, mes fidèles mineurs!

Le silence se fit entre les lignes. La nuit suivante, les camarades de
Pollux sortirent, afin de retrouver son corps. Auprès d'une source, ils
découvrirent une croix. Une main ennemie, un instant fraternelle, y
avait écrit ces simples mots où ne se devinait pas le mystère de toute
une vie:

«Ici repose un brave mort pour la France.»



LAZARE CARNOT OU LES MOUSQUETAIRES DU F. M.

    «Les tireurs du fusil-mitrailleur prendront
    le nom de mousquetaires.»

    (_Instructions sur l'Infanterie_.)


Par un jeu du hasard, Un Tel, ami du pittoresque, avait la propriété
de grouper des êtres d'exception, venus de tous les points du monde,
attirés à lui par une force inconnue. Il sut se créer de ferventes
affections. Certains l'aimèrent d'une passion irraisonnée pour sa
nature indépendante, ils lui vouèrent leur existence; d'autres, afin
de le suivre, abandonnant leurs craintes instinctives, devinrent
téméraires; d'autres le haïrent violemment, ainsi que l'exécraient
jadis les trublions des chapelles littéraires. Lulusse, revenu à la
vie civile, écrivait à Un Tel. Tous ceux qui avaient eu l'honneur
d'appartenir à sa bande en gardaient un souvenir ému.

Il y a des êtres d'attraction, sorte de pôles magnétiques vers qui les
hommes se dirigent. Un Tel avait toujours guidé la destinée de ses
camarades, et nombre de mères inquiètes ou de femmes jalouses lui
reprochaient son emprise sur la volonté des leurs.

Le soldat qui aimait le plus Un Tel fut un simple: Lazare Carnot,
nègre athlétique, né aux îles, parmi des végétations magnifiques. Il
ne se parait pas, aux jours de fête, de hochets d'ivoire, et c'eût été
l'injurier que de croire que ses ancêtres avaient dansé, le scalp en
main, autour du poteau coloré où rôtissait, à petit feu, un Européen
infortuné.

--Je suis, disait-il, un homme libe, un citoïen de la épublique de
Jean-Jacques Ousseau et de Icto Hugo.

Cet homme libre était l'esclave de son affection. Susceptible à
l'excès, il eût toléré d'Un Tel les plus cruelles plaisanteries, tant
il était asservi.

Dans la bande des patrouilleurs, Lazare était fusilier-mitrailleur; il
était appelé à défendre, par un feu juste et rapide, ses camarades, en
cas de combat imprévu ou d'embuscade. A l'exercice, il était souple;
il suivait strictement les instructions reçues. Il y avait quelque
chose de puéril dans cette discipline de nègre qui ne cherchait pas à
comprendre les raisons du combat, s'abstenait de discuter la valeur de
son arme, tirant parce qu'il fallait tirer.

A de certaines heures, Lazare Carnot était mélancolique; Un Tel
sollicitait alors ses confidences. Le nègre évoquait la splendeur
de son île: il y avait un port aux eaux lumineuses; le chef du port
était coiffé d'une casquette à huit galons, c'était un amiral appelé
à recevoir les navires étrangers, à leur entrée dans la rade; il en
venait deux ou trois par an. Des femmes en pagnes miroitants, portant
de larges ombrelles en toutes saisons, se promenaient dans l'avenue
sablée qui montait au «Moulin Rouge», petite maison sur pilotis, ainsi
nommée par des marins de passage; des couples y dansaient jusqu'à
l'aube.

Quelques kilos de pois secs, secoués dans un tambour, formaient
l'orchestre de ce bal cosmopolite où s'enlaçaient des êtres de toutes
couleurs: noirs aux sourires épanouis, mulâtres fins et graves,
matelots anglais chaloupant comme des bateaux à voiles, Chinoises
échouées en cette île à la suite de marchés honteux.

--On s'amusait, mon cer; un soi, nous dansions au pemier étage; le
plancé s'est écoulé; nous sommes tombés su la tête des autes danseu; on
a bien i!

Lazare Carnot habitait une maison en carrés de plâtre, recouverte de
chaume; il y faisait une délicieuse fraîcheur. C'est là qu'il reçut une
nuit la visite d'une petite danseuse à la chair ferme et dorée qui vint
frapper à sa porte, toute nue, des fleurs en ses bras.

--Qui est là?

--C'est l'Amour! dit une voix musicale.

Pour n'être pas aussi simples, nos amours sont-elles aussi jolies?

La guerre étant venue, Lazare Carnot s'engagea. Il gardait une grande
discrétion relativement à ses conceptions sociales. Il avait une
opinion déterminée sur la guerre:

--Moi, mon cer, je suis citoïen libe de la épublique fançaise. La Fance
se battait, je suis venu de suite servi son dapeau.

Un Tel songeait que ce nègre eût donné une leçon à nombre
d'intellectuels et de snobs qui, Français, n'en oublièrent pas moins
leurs devoirs les plus impérieux.

Lazare Carnot ne dédaignait pas la politique. Il aimait à se
remémorer certaines élections où l'on se battait à coups de bâton,
afin que fussent affirmés dans l'île les principes «émocatiques»
et «anticléicaux» que toutes les civilisations nègres envient à la
métropole. Confusément, le mousquetaire noir admettait, lui aussi,
l'union sacrée.

Lazare Carnot avait l'étoffe d'un bon citoyen et d'un parfait soldat.
Son arme était luisante, propre, méticuleusement entretenue; jamais un
gravier n'eût risqué d'en entraver le précieux mécanisme.

C'est avec de semblables soldats que l'on peut soutenir la plus dure
des guerres. Un Tel pensait à ces écrivains humanitaires qui se virent
froissés en leurs nobles sentiments, parce que des noirs collaboraient
à notre œuvre guerrière; il lui apparaissait que le bon, le naïf Lazare
Carnot était autrement utile à la cause française que ces folliculaires
partis se terrer en Suisse, où ne grondait pas la tempête, afin de nous
donner des leçons de dignité humaine.

Un Tel admirait qu'un fusilier-mitrailleur nègre, esclave hier encore,
fût venu apprendre à des apôtres férus des principes de nos grands
ancêtres comment on défendait la liberté; il se proposait, la paix
venue, de le conduire dans notre capitale, de lui montrer nos amours,
nos passions politiques, nos divertissements, nos arts et nos femmes,
et de lui demander humblement de nous apprendre la franchise et la
simplicité.



L'AVION ABATTU


Le lieutenant chef-pilote partit du camp aux baraques camouflées en
rasant le gazon. Son appareil roula quelques secondes et s'enleva
légèrement; l'hélice faisait un vent forcené, le moteur ronflait avec
un rythme égal et continu. Une petite poupée japonaise, fétiche offert
par une danseuse, attachée à un fil, semblait ouvrir sur le vide des
yeux épouvantés.

Le ciel était orageux, sillonné de nuages, peuplé d'obus errants.
L'avion, secoué par les explosions, cherchait dans la lumière une route
heureuse. Il lui fallait traverser les barrages d'artillerie, survoler
les lignes ennemies, en dépit des mitrailleuses, et deviner où se
terraient, en leurs nids mystérieux, les terribles «maxim».

Le pilote, indifférent à sa direction, songeait à sa belle vie
sportive d'autrefois; il revoyait les jeux harmonieux et forts de son
adolescence et la chère maison où l'attendaient, anxieusement, ses
amours. Les hameaux brûlés, les bois abattus, les cimetières immenses,
les campagnes infécondes défilaient à ses yeux vertigineusement. Des
groupes traversaient les routes, minuscules et héroïques; ce petit
peuple d'azur se préparait à mourir!

L'attaque devait bientôt se déclencher et l'avion, bel oiseau
précurseur, préparait la route aux vagues assaillantes.

Sur sa bête de bois, de tôle et d'acier, le pilote se sentait maître
de lui; il observait avec calme les replis du terrain, les cours
d'eau, les terres remuées, les pistes foulées, tout ce qui révélait
une présence humaine. Parfois, un fusant dessinait son panache dans
le ciel, comme si l'adversaire, désireux d'honorer son visiteur, lui
offrait un bouquet de lumière.

Le moteur s'irritait; ses flancs métalliques étaient secoués de
convulsions; on eût cru entendre gronder un dragon apocalyptique. Des
oiseaux au vol triangulaire fuyaient devant le corsaire du ciel, cet
errant inattendu des célestes jardins.

L'avion survolait les lignes françaises.

La terre soulevée pour des fins guerrières, les armes dissimulées,
toute cette œuvre automatique de feu et de destruction, vues de haut,
paraissaient dérisoires. Se pouvait-il qu'une humanité stupide se crût
fortement défendue derrière ces buttes qui, du ciel, n'étaient que des
pâtés de sable, presque invisibles, enveloppés d'une immense brume?

Le pilote cherchait à repérer exactement les tranchées de l'adversaire
et leurs bouleversements: il importait, avant tout, de savoir si la
position pouvait être enlevée, de haute lutte, par l'infanterie. Il
arrêta son moteur, afin de surprendre les bruits qui pourraient monter
du ravin.

Soudain, une ombre gigantesque cacha la terre à l'observateur; une
odeur irritante de poudre le prit à la gorge; d'invisibles canons, avec
leurs obus rapides, lui barraient son chemin de lumière. Il se sentait
secoué par un vent forcené, prêt à être jeté hors de sa carlingue; il
lui semblait que son appareil craquait sous lui, sinistrement.

Un mince éclat de fonte vint trouer le moteur, une flamme jaillit et,
dans un tourbillon de feu, de métal en fusion et de toile arrachée,
l'oiseau s'abattit au centre du ravin, les ailes mortes.

Au loin, les fantassins virent tomber du ciel un globe de lumière.

Le pilote gisait, écrasé, parmi les débris de son appareil. Ainsi,
éclaireur avancé de nos troupes, le jeune lieutenant, les reins brisés,
les bras en croix, attend l'impossible relève. Puisse un assaut
glorieux mener jusqu'à lui nos vagues triomphantes!

Combien de morts, mêlés à la terre immortelle, attendent eux aussi
d'être vengés; combien, dont les os demeurent sur le sol, qui semblent
exiger qu'on les vienne secourir? Ceux qui ne combattirent pas, ceux
qui vécurent joyeusement, entendront-ils la voix des morts couchés
entre les lignes?

Elle vient, avec le vent de l'hiver. A l'aube, lorsque le civil
s'éveille dans sa chambre tiède et qu'il s'apprête à jouir encore
d'un jour heureux, n'entend-il pas des doigts glacés qui frappent
à ses carreaux? S'il ouvrait sa porte au vent qui passe, peut-être
comprendrait-il la plainte immense de tous les soldats qui n'ont pas
été, qui ne seront jamais relevés. Verrons-nous les ombres des héros
s'insurger contre les cités et revenir, implacables, au milieu des
festins, renverser sur le sein des femmes volages les vins fins dont
leurs courtisans s'abreuvent?

Sportifs du quartier de l'Etoile, braves muscadins de l'arrière,
clients énervés des bars secrets où l'on tangue, prenez garde qu'un
soir les pilotes morts au champ d'honneur ne viennent se joindre à vos
farandoles!



LA RELÈVE


Telle une étoile unique dans un ciel tourmenté, il est une chose que
les soldats, au cœur de la tranchée, contemplent avec espérance: la
relève. L'image de cet instant les console et les fortifie; elle leur
donne le courage qu'il faut pour supporter sans défaillance les misères
de la guerre et triompher de ses périls.

--Ce soir! C'est la relève!

Mots heureux qui se chuchotent de poste en poste, qui courent la
première ligne, portés sur une aile invisible, vous avez ranimé le
soldat glacé, redonné du cœur au veilleur abattu!

Etre relevé, c'est pour quelques jours quitter la zone de mort, avoir
le droit de marcher sur les routes et de revoir des maisons. Les
relèves sont dures, elles se compliquent de bombardements imprévus;
parfois, le guide erre à la recherche de sa route, la troupe se perd
dans la nuit; n'importe, le fantassin accepte sans trop murmurer les
marches inutiles, la pluie qui lui cingle la face, le vent qui le
terrasse, car il entrevoit au bout de la route le radieux repos dans
une grange, les beuveries et les jeux.

Il faut patauger en des boyaux fangeux ou longer des pistes
périlleuses; c'est à peine s'il est possible de voir, aux nuits
profondes, les trous d'obus et les excavations creusés sous les pas du
soldat. Les étoffes et les équipements mouillés pèsent aux épaules, la
boue colle aux mains; il faut avancer sans répit ou perdre la colonne.
Aussi les relèves ont-elles un caractère individuel.

L'homme attend qu'un autre homme vienne et lui dise:

--C'est moi, camarade, je suis ton remplaçant! Sauve-toi!

Il charge son barda et, s'appuyant sur un gourdin noueux, il s'en va.
Où va-t-il?

Un vague instinct lui dicte sa route; il suit la foule sombre qui, elle
aussi, se dirige vers l'arrière; il rejoindrait les routes et les camps
les yeux fermés s'il le fallait, tant il désire le repos de l'esprit et
du corps; sans doute se tromperait-il parfois quelques instants, mais
sa volonté d'être heureux lui ferait toujours retrouver la bonne piste.

Dès que l'on échappe à l'oppression des boyaux et que le pas sonne
librement, sans contrainte, sur la route, les voix s'élèvent, les
cigarettes s'allument; les hommes, séparés de leur unité, se groupent.
On dirait que tout un peuple de morts, surgi de la terre, envahit les
carrefours et marche vers les villes, désireux de participer à nouveau
au festin de la vie. La relève, c'est une résurrection.

Quel peintre génial et douloureux inscrira pour toujours, sur un
immortel panneau, ces retours pittoresques par les routes camouflées
avec des toiles pendantes, ce qui les fait ressembler à des voies
triomphales.

Il en est de ces pèlerins armés qui n'ont plus la silhouette du soldat
moderne; ils ont l'air de s'être battus sous Vercingétorix, couverts
de peaux ou de caoutchoucs, ficelés en d'étranges capotes, vêtus de
sacs à terre, perdus dans la bourrasque; ils ressemblent à des pêcheurs
islandais.

Leurs voix sonnent dans la nuit, glorieuses de pouvoir réveiller les
échos. Certains, vaincus par la fatigue, titubent comme s'ils étaient
ivres. On dirait le retour d'une kermesse, tant il y a d'allégresse
difficilement contenue dans le cœur de ces ressuscités.

A la faveur de l'aube, les unités se reconstituent, le désordre
s'organise. Ces hommes en loques forment, néanmoins, une armée. Les uns
boitent. Les autres traînent sur la route, porteurs de bouteillons qui
leur battent aux flancs; ils ont, pourtant, une allure martiale, ils
donnent une impression de force et de sécurité.

Tant que des gamins de vingt ans et des hommes, à peine leurs aînés,
consentiront à n'être que des paquets de boue errant sur les routes,
la France vivra. Consentiront-ils toujours à une telle souffrance? Ils
l'ont supportée, ils la supporteront encore parce qu'ils croient à la
justice de leur cause, à l'inéluctable nécessité où ils sont de se
battre.

Les voici qui s'installent dans une immense sape où tout un bataillon
pourrait dormir; ils s'étendent sur des couchettes étagées; l'humidité
suinte aux parois de leur demeure; l'air est irrespirable, mais il est
si doux de retrouver un peu de quiétude, l'apparence du bien-être, que
ce lieu infect les enchante.

Un Tel, soldat comme eux et qui sent vivre en lui les aspirations et
les pensées de tous, partage cette joie enfantine; il se joint aux
conversations des camarades.

Confuses dans la tranchée, les idées, sous le coup de fouet de la
relève, se raniment et retrouvent leur primitive vigueur.

Une rumeur d'océan monte dans ce purgatoire des braves; les idées y
sont en fusion. A la lueur incertaine des bougies, il semblerait qu'un
avenir se crée, turbulent et magnifique. Les tailleurs de pierre qui
élevèrent les cathédrales devaient avoir cette foi invincible! Les
compagnons d'Un Tel bâtissent, eux aussi, aux heures de liberté et de
repos, leur œuvre qu'ils espèrent immortelle: la paix. Ils la savent
lointaine, parce qu'ils la veulent parfaite.

La grande relève! Un Tel l'entrevoit avec son imagination de poète; il
la pare de splendeurs qu'elle n'aura pas. De vils poètes, perroquets
arriérés, attachés à leur perchoir, ont chanté, sur un rythme facile,
ce retour des héros par les Champs-Elysées. Ceux-là, profiteurs masqués
en troubadours, consentiront à fêter Un Tel un jour par an, ainsi que
jadis les Césars permettaient à la canaille d'être reine. Quand les
lampions seront brûlés, ils croiront avoir témoigné suffisamment de
reconnaissance à leurs défenseurs.

La grande relève, aucun de ceux qui ont le droit d'y songer, aucun des
combattants ne la veut faire avant que soient établies la gloire et
la sécurité de la race. Certes, tous les soldats ne sauraient fixer
exactement les raisons de leur constance; mais ceux qui, dans les
armées, pensent pour les autres, les entraîneurs d'hommes dont Un Tel
est le type, n'auront cure des changements politiques, des influences
sentimentales, des raisons économiques qui pourraient orienter la
guerre dans une direction différente de celle qu'ils se sont imposée.

Avant que ne se fasse la grande relève, il faudra besogner encore, se
battre âprement, regagner le terrain pied à pied. La lassitude arrête
parfois le bras du soldat, le froid le tue, les obus lui arrachent les
membres. Un Tel a vu mourir ainsi les meilleurs de ses compagnons, et
pourtant, malgré cette diminution des forces, il a décidé de lutter.

L'instant est venu où tous les chanteurs, les pitres de la bravoure,
vont devoir renforcer nos bataillons. Il y a, entre les lignes, des
mourants qui demandent du secours; il y a des morts qui tendent leurs
bras décharnés vers la patrie impuissante. Si les francs-fileurs de
l'arrière refusent de se joindre à cette armée dont ils louent la
vaillance, il est à craindre qu'à la grande relève elle ne les chasse
de leurs positions, de leurs intérieurs fleuris, si toutefois elle
consent à leur laisser une vie qu'ils ne voulurent pas sacrifier à
l'heure où tous les paysans, les ouvriers et les intellectuels de
France acceptaient de mourir.

«Vivement la relève!» C'est le cri unanime des soldats. Cette
aspiration au bonheur est humaine, mais elle se complète d'une
acceptation émouvante de la souffrance: «Vivement qu'on remonte!», ce
qui se traduit ainsi: La vie ne vaut pas qu'on la vive tant que les
soldats de l'armée française seront loin de tout ce qui leur est cher,
la femme qu'ils aiment et le faubourg où ils naquirent.

Ces choses acquises, la France libre, l'honneur sauf, Un Tel et ses
compagnons feront la grande relève, qu'ils désirent heureuse, cordiale,
ensoleillée, car rien ne leur serait douloureux comme d'être obligés,
la guerre étant finie, de devoir la recommencer contre les jouisseurs
et les ploutocrates de l'arrière.



UNE CHAUMIÈRE, UN CŒUR ET L'INDÉPENDANCE


Un Tel, que le sort toujours favorisa, connaîtra sans doute l'heure
heureuse où, délaissant les armes, il lui sera loisible de reprendre
le cours de sa vie civile. Il sera de ces prédestinés qui verront la
grande relève, terre promise à tous les soldats et que nombre d'errants
immortels ne pourront, hélas! rejoindre.

La guerre n'aura pas employé toute l'énergie des jeunes hommes qui la
firent et qui en reviendront. Pour quelques-uns, devant en garder une
lassitude infinie, combien, au contraire, verront s'accroître leur
amour de la lutte et de l'aventure.

Les combattants, laboureurs revenus à leurs charrues brisées, ouvriers
retrouvant l'usine si longtemps désertée, auront un but unique:
être heureux! Les souffrances subies avec fermeté portent en elles
un stimulant particulier: elles préparent à la joie et la font plus
vivement désirer.

Ceux qui connurent la soif, la faim, le froid, et qui furent meurtris
dans leur chair, jouiront d'un bonheur facilement accessible. La
possession de ce qui leur faisait défaut, le retour au foyer,
la compagnie d'une femme leur assureront des joies immédiates et
précieuses.

Tous, humbles ou puissants, restreindront leurs désirs; il leur
suffira, pour s'estimer heureux, de posséder une chaumière, un cœur les
aimant et l'indépendance.

Une chaumière! Fût-elle pauvre, démeublée; n'y brûlerait-il, à Noël,
que des branches mortes, ramassées dans les bois du voisinage, il
faudra que les anciens combattants aient ce nid. Trop longtemps, ils
vécurent en oiseaux migrateurs, pour devoir continuer, aux jours
paisibles, leur course vagabonde.

Chacun aura droit à sa demeure, qu'il parera selon sa fantaisie; il
l'embellira de la féerie qui chante en son cœur; il y mettra les fleurs
à jamais épanouies de son rêve. Que ce soit la ferme où l'on écoute
avec mélancolie pleurer la pluie d'automne et gémir les vents; que ce
soit le somptueux appartement aux meubles de bois laqué, odorant et
rare, tous les intérieurs auront une même douceur; on y connaîtra des
joies pareilles, un divin repos.

Un Tel, peu désireux de vivre en un luxe sans art, gardera son studio
d'avant-guerre, demeure étrange où les livres, les armes et les étoffes
tenaient lieu d'objets utiles et pratiques; un sabre congolais, à la
lame large, droite et flamboyante, vaut certes un buffet. Le poète y
veillera sous la même lampe, retrouvant les papiers jaunis où jadis il
inscrivait ses pensées intimes.

Niché sous le toit, dominant son vieux quartier, éveillé dès l'aube
par les angélus de Saint-Sulpice dont les tours semblent transparentes
en la brume et prêtes à s'évaporer, Un Tel ne saurait quitter sa
demeure; elle lui ressemble en trop de points, à la fois proche du ciel
merveilleux et reliée à la rue où s'invectivent les marchandes, où les
chiens aboient, où le peuple chante.

Les nuits d'été, quand la fraîcheur des arbres du Luxembourg et
leur parfum enchantent les rues désertes, ses fenêtres ouvertes sur
l'azur illimité du ciel, Un Tel cherchera les étoiles familières dont
Monseigneur lui apprit la vie mystérieuse: Orion, brillant comme une
armure, et la modeste Wega de la Lyre.

Mais il faut ajouter à toute demeure ce parfum, cette musique et cette
clarté que seule une femme peut y apporter avec sa voix caressante et
sa chair lumineuse. Un Tel, avant que de courir aux combats, avait lié
sa vie; rien ne lui sera aussi doux que de renouer les chers liens.
La bohème amoureuse, ses passions éphémères nées au cours d'une nuit
d'orgie et dès l'aube évanouies ne furent que de frêles plaisirs qui ne
suffiront pas à peupler la vie sentimentale des anciens combattants.

Assurés d'un amour durable, ils réaliseront tous cette union définitive
de deux êtres partageant, avec une âme fervente, espérance, fortune
et adversité. Ils feront sauter sur leurs genoux un enfant aux
yeux rieurs, à la chair ferme, aux fesses bien rondes, qui sera la
petite image, l'ombre affinée de leur compagne. En cet enfant, ils
auront plaisir à se retrouver, eux-mêmes, avec leurs défauts mignons
d'autrefois, leur gourmandise, leur naïveté et tout cet enchantement
qu'ils avaient au temps où leurs parents mettaient de l'aloès au
bout de leur porte-plume, trop aisément transformé en sucre d'orge:
telle sera la consolation de leurs misères, le prix de leurs nuits
angoissées, le laurier que mérite leur valeur.

Si la société est ingrate à l'égard de son défenseur, si elle ne
lui accorde pas des droits, en considération de ses sacrifices, il
lui restera, au moins, de n'avoir pas lutté pour tous, vainement,
puisqu'une femme et un enfant lui en garderont amour et reconnaissance.

Les droits qu'exigeront ces combattants se réduiront à peu de chose,
en somme. Ils ne permettront pas qu'après avoir défendu ce que les
penseurs officiels et les politiciens de l'époque appelaient les
libertés du monde on ne leur accordât pas les traditionnelles libertés
françaises. Contre toute tyrannie s'opposant à leur bonheur, ils
s'élèveront.

Etre esclave de l'or est bien le pire des asservissements. Indifférent
à l'égard du capital, Un Tel ne tolérera pas que se crée, néanmoins,
contre lui ou sans lui, une aristocratie financière, injuste et
méprisante; il se tiendra éloigné des partis et des sectes qui
jugulent la pensée et lui imposent des modes inférieurs et communs; il
revendiquera le principe absolu de la désunion sacrée, la liberté pour
tous de penser et d'exprimer des idées sans les faire entrer dans le
cadre d'un parti, le droit de n'avoir d'autre lien que ses affections.

Il y aura alors une sainte fusion entre ceux que le feu groupa sous son
terrible joug; ils se solidariseront contre l'infortune, indifférents
aux systèmes politiques et sociaux. Pour eux, le régime acceptable
sera celui qui leur donnera le droit et les moyens de se bâtir une
chaumière, de pouvoir se créer une famille et des libertés.

Ainsi, au petit poste, où sifflent les balles, d'heure en heure, afin
de se distraire de la pluie, de l'ennui ou de la souffrance, les
veilleurs établissent les principes d'une société nouvelle.

Tel est, couvert de boue, attendant la grande relève, tel sera, à son
retour, Un Tel, soldat dont l'âme est toute l'âme jeune, ardente et
généreuse de l'armée française.



TABLE DES MATIÈRES


                                                  Pages.

  Une jeunesse                                         9
  La foire aux idées                                  17
  Ismes et crates                                     22
  Le miracle de la Marne                              26
  En ligne                                            33
  Patrouille                                          44
  Gustave le Rempart de Calonne                       47
  Lulusse de Charonne                                 51
  Bichromate ou la motocyclette infinie               56
  Le vieux                                            62
  Ceux de l'arrière                                   67
  De l'amour                                          72
  De l'idée de Dieu                                   77
  Le Noël barbelé                                     82
  Le sang versé                                       87
  Azur! Azur! Azur                                    96
  Le retour                                          101
  La Riviera du Montparnasse                         107
  Le soldat perdu                                    113
  L'ancien                                           118
  En route                                           123
  Ecole buissonnière                                 130
  Histoire d'une fourragère                          139
  Le pote                                            150
  Tap-Tap ou la servitude militaire                  155
  Exégèse de certaines phrases militaires            160
  Les paradis artificiels                            166
  Le peuple et le roi                                172
  La dégradation                                     175
  Un Tel à Trébizonde                                178
  Les nouveaux souvenirs de la maison des morts      190
  Le mariage de Lulusse                              194
  La kermesse                                        198
  Monseigneur chez les Doublards                     202
  La rencontre                                       211
  Simple idylle                                      217
  Chef de bande                                      224
  Le banquet du camp B ou les dialogues sévères      229
  Pollux le Chevalier du Cinéma                      237
  Lazare Carnot ou les Mousquetaires du F. M.        246
  L'avion abattu                                     251
  La relève                                          255
  Une chaumière, un cœur et l'indépendance           261


Imprimerie E. DURAND. 18, rue Séguier



  CHOIX DE LIVRES
  PUBLIÉS PAR LA
  LIBRAIRIE PAYOT & Cie
  106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
  PARIS

  [Logo de l'éditeur]

  _MM. PAYOT & Cie enverront leur catalogue et la liste de leurs
  prochaines publications à tout lecteur qui en fera la demande_.


G. CLÉMENCEAU

LA FRANCE DEVANT L'ALLEMAGNE

    In-8    6 fr.

  Lisez les trois cents pages de ce livre qui paraît court, qui
  donne la sensation d'une marche rapide, d'une montée à l'assaut.

  GUSTAVE GEFFROY.

  Tous les Français, quelles que soient leurs opinions, y verront
  le visage ardent de la Patrie, et les Alliés, combattant
  pour un même destin, les neutres, spectateurs lointains du
  duel farouche, y trouveront l'image de la France, réveillée
  brusquement de sa confiance d'hier, et plus belle que jamais
  aux grands jours de son Histoire.

  (_Le Temps_).

  Ce livre permet de juger en pleine connaissance de cause le
  rôle d'un des hommes politiques qui ont eu en ces dernières
  années la plus grande influence sur l'opinion française.

  (_La Revue de Paris_).

  Ce livre contient des pages tout à fait saisissantes.

  (_Daily Mail_).

  C'est toute la pensée française que M. G. Clemenceau exprime
  dans cet ouvrage, en homme d'Etat, en philosophe, en patriote.

  (_La Nouvelle Revue_).

  M. Clemenceau parle, dans ce livre, en patriote clairvoyant et
  attentif.

  (_Revue chrétienne_).

  Campant l'une devant l'autre les deux grandes personnalités
  morales de la France et de l'Allemagne, M. Clemenceau oppose
  magistralement les vertus surhumaines les plus pures, les plus
  hautes, de l'une, à l'appétit monstrueux de l'autre.

  (_Bordeaux-Colonial_).

  _La France devant l'Allemagne_, c'est le livre de l'époque la
  plus tragique que l'on ait connue, le tableau d'un conflit de
  civilisation tel que la terre n'en avait jamais vu.

  (_Commerce et Industrie_).

  On se souviendra, en France, de la voix prophétique dont
  l'écho nous arrive par _La France devant l'Allemagne_, de M.
  Clemenceau. Cet homme a sauvé son pays en l'avertissant.

  (_Gazette de Lausanne_).


LIEUTENANT E. R. (Capitaine Tuffrau)

CARNET D'UN COMBATTANT

    Avec 64 dessins à la plume de CARLÈGLE

    In-16    4 fr. 50

  L'auteur conte avec une simplicité, une sincérité qui égalent
  l'art le plus consommé, qui sont de l'art et du meilleur...

  PIERRE MILLE (_Le Temps_).

  Un livre sincère et réconfortant, un livre qui montre par quoi
  l'on dure au front et comment on tient, un livre fait pour
  soutenir tous les courages.

  (_Le Journal_).

  Je recommande le _Carnet d'un Combattant_ à tous mes lecteurs
  militaires ou civils, car il est l'ouvrage d'un homme
  d'honneur, qui voit juste, et l'expression même de la réalité.
  C'est un admirable volume que tous les civils doivent lire.

  Capitaine Z...

  Cet ouvrage écrit avec mesure, vrai sans exagération, réaliste
  sans grossièreté, présente les choses comme elles sont et
  traduit le véritable état d'âme des soldats. On les voit vivre
  et agir pendant l'assaut, au repos, à l'arrière, en corvée,
  en marche. L'horreur d'un pareil enfer ne déforme ni leur
  volonté, ni leur imagination, ni leur courage. De jolis dessins
  illustrent ces pages héroïques et simples.

  A. ALBALAT (_Journal des Débats._)

  L'auteur du _Carnet d'un Combattant_ est un écrivain de bonne
  race et de bonne tradition. Il a la force, le goût et le charme.

  (_L'Action française_).

  C'est le seul volume de ce temps, avec _Le Feu_, qui nous fasse
  toucher l'âme même, boueuse et tragique, de la guerre aux
  tranchées...

  LOUIS DELLUC.

  Les récits du capitaine Tuffrau sont intéressants, bien
  venus, d'une langue souple et claire et donnent, en résumé,
  la physionomie des nôtres en présence de l'abominable guerre
  actuelle...

  CHARLES MERKI (_Le Mercure de France_).

  Beauté, noblesse, simplicité émanent de ces trente-deux
  esquisses, toutes vibrantes d'une émotion contenue, brossées
  avec un art discret...

  (_L'Union française_).

  Ce livre est un beau livre, un de ceux dont nous, Français,
  pouvons être fiers; non seulement pour la qualité de l'artiste
  nouveau qui s'y révèle, mais à cause de l'âme qui l'inspire. En
  un temps où les yeux de l'étranger sont fixés sur notre pays,
  on aime de penser que c'est un Français qui a écrit ces pages,
  et que l'on saura par elles la hauteur où peuvent atteindre
  sans jactance certaines âmes de chez nous.

  (_La France_).


CAPITAINE Z...

L'ARMÉE DE LA GUERRE

    Les officiers. -- Les soldats. -- Le chef de section. --
    L'infanterie. -- Troupes d'élite. -- Engagés volontaires. --
    Marsouins. -- Chasseurs. -- Zouaves. -- Cyclistes. -- Conseils
    de guerre. -- La discipline du front. -- La légende du poilu.
    -- La liaison au combat.

    In-16    4 fr. 50


L'ARMÉE DE 1917

    Le chef de corps. -- Le troupier. -- Officiers de troupe.
    -- Le chef de bataillon. -- Le commandant de compagnie.
    -- Sous-officiers. -- Le caporal. -- Mitrailleurs. --
    Téléphonistes. -- Joyeux. -- Crapouilloteurs. -- Infirmières.
    -- Le poète de la guerre. -- Les progrès de notre infanterie.
    -- Le poilu et les journaux.

    In-16    4 fr. 50

  _L'Armée de la Guerre_ aura certainement de l'influence sur
  notre corps d'officiers et sur les générations nouvelles. C'est
  en quelque façon un chef-d'œuvre... Il faut lire et faire lire:
  _L'Armée de la Guerre_.

  LÉON DAUDET (_L'Action française_).

  C'est le livre le plus sincère qui, depuis le début des
  hostilités, ait été publié sur nos troupes...

  CHARLES CHENU, _ancien bâtonnier_ (_L'Intransigeant_).

  Le livre du capitaine Z... est le plus merveilleux antidote
  qu'un soldat de bonne trempe, bien racé--qu'importe qu'il soit
  de la carrière ou qu'il soit d'aventure!--ait fourni pour
  calmer l'énervement, l'impatience.

  JEAN NOREL (_Mercure de France_).

  Un livre d'une belle franchise, tout plein de santé, d'énergie
  guerrière, d'ironie lucide...

  ROBERT DE TRAZ (_Journal de Genève_).

  Un livre d'une martiale franchise, d'expressive sincérité, de
  vigoureux jugement, d'un bon sens souverain... Oui, certes, en
  ces pages, c'est notre armée qui vit, son cœur qui splendit et
  son âme qui fleurit...

  PAUL COURCOURAL (_Le Nouvelliste de Bordeaux_).

  D'un mot, voulez-vous mon opinion sur le vivant ouvrage
  du capitaine Z... C'est--ou du moins ce devrait être--le
  catéchisme des civils.

  J. TALLENDEAU (_Le Populaire_, Nantes).

  Ah! l'œuvre bien française que celle-là!... Ce qui en constitue
  l'originalité, c'est son caractère de bon sens critique...

  (_La Liberté du Sud-Ouest_, Bordeaux).

  C'est une œuvre forte, virile, musclée, qui vous empoigne et ne
  vous lâche plus...

  (_Annales africaines_).


GEORGES BONNET

L'AME DU SOLDAT

    In-16    4 fr. 50

  L'intérêt de ce livre est profond. Tous les Français qui
  songent aux grands problèmes de demain liront _L'Ame du Soldat_.

  (_Le Gaulois_).

  Ces pages doivent être considérées comme les plus importantes,
  par leur signification et leur portée, entre tout ce qui a paru
  depuis le début de la guerre.

  (_Le Mercure de France_).

  _L'Ame du Soldat_ est un beau livre, sain et fort.

  HENRI CLOUARD (_L'Opinion_).

  Ce livre, écrit avec un rare souci de vérité, constitue un
  document unique.

  P. G. S. (_La Revue._)

  Ce livre touche à toutes les questions vivantes d'aujourd'hui.
  Il a le mérite d'être mesuré, équitable, sensé et d'avoir voulu
  être tel.

  ROGER MARTIN DU GARD.

  C'est là le livre qu'il faut lire, le seul jusqu'ici dans ce
  genre, le seul qui nous livre quelques sentiments secrets du
  poilu.

  (_Le Télégramme_, Boulogne-sur-Mer).

  L'auteur a essayé de montrer _le Poilu tel qu'il est_, avec ses
  qualités et ses défauts, ses hésitations et ses défaillances.
  Il a pénétré son cœur.

  (_Le Poilu_).

  Ce livre est une réaction contre la «littérature» de guerre.
  C'est l'âme d'un Français patriote à qui la guerre a beaucoup
  appris.

  (_Nouvelle Gazette de Zurich_).

  Je ne connais pas de livre plus fort, plus vrai, plus
  instructif que _L'Ame du Soldat_.

  ALBERT-FRANÇOIS PONCET (_La Revue._)

  L'emphase, voilà l'ennemi. Un auteur qui n'a point d'emphase,
  dans l'esprit ni dans le style, si de surcroît il voit juste,
  doit inspirer confiance. Il sied de croire, pour cette raison,
  M. Georges Bonnet et son livre _L'Ame du Soldat_.

  ABEL HERMANT (_Le Figaro._)

  M. Georges Bonnet parle en soldat, le langage d'un soldat, sans
  parti pris, sans intransigeance, surtout sans haine.

  MARC HENRY (_La France._)

  M. Georges Bonnet a entrepris de faire pénétrer jusque dans les
  coins les plus reculés de la zone de l'arrière quelques idées
  saines et quelques bonnes vérités touchant les sentiments et
  les pensées de nos héroïques défenseurs.

  GASTON DESCHAMPS (_Le Temps._)


ANTOINE REDIER

MÉDITATIONS DANS LA TRANCHÉE

    Ouvrage couronné par l'Académie française

    Le devoir. -- Terrassiers. -- La Liberté. -- Frères d'armes.
    -- La Gloire. -- Alouettes, Coquelicots, Souris. -- La Force.
    -- Le Dieu des Armées. -- La Bravoure. -- L'Ennemi. --
    Intelligents. -- Les Lettres. -- L'Honneur. -- La Patrie.

    In-16    4 fr. 50

  Ces réflexions généreuses, entremêlées d'anecdotes savoureuses,
  d'observations pittoresques, forment l'un des témoignages les
  plus intéressants et les plus vivants que nous ayons sur la
  guerre et sur l'état d'âme des combattants.

  (_La Revue des Deux-Mondes_).

  ... Livre de penseur et de soldat, de psychologue et de
  moraliste, franc et simple, profond et vrai...

  (_Le Gaulois_).

  ... Pages de bonne foi, directement inspirées de la réalité,
  simples de ton, franches d'accent, lumineuses d'espoir...

  (_Journal des Débats_).

  Un bon et fier livre, où il y a de la philosophie, de la
  poésie, et la plus noble littérature...

  (_L'Action française_).

  Un des livres les plus émouvants inspirés par la guerre. Les
  méditations sur le devoir, sur l'honneur, sur la gloire font
  songer aux plus belles pages de Vigny...

  (_L'Opinion_).

  M. Antoine Redier a écrit de bien jolies _Méditations dans
  la Tranchée_. Je dis jolies parce que la fraîcheur et la
  jeunesse, la modestie et la simplicité s'en dégagent, alors que
  l'esprit franc et réfléchi y découvre la profondeur et le don
  d'observation du poète qui a pensé la _Servitude et Grandeur
  Militaires_...

  (_La Presse_).

  Nous avons trouvé dans ce livre de la joie et de la lumière,
  une âme et une pensée française au plus haut point et,
  vraiment, c'est un beau livre, un livre puissant...

  (_Le Nouvelliste de Bordeaux_).

  C'est une étude de la psychologie du Français combattant,
  pénétrante, intelligente, variée, facile à lire, très
  agréable...

  (_L'Express de Lyon_).

  «Le beau, c'est le bon sens qui parle bon français.» Eut-on
  jamais l'occasion d'appliquer mieux cette pensée qu'au bel
  ouvrage intitulé: _Méditations dans la Tranchée_?

  (_Liberté du Sud-Ouest_, Bordeaux).


ANTOINE REDIER

PIERRETTE

ROMAN

      _Aux jeunes filles
    pour qu'elles réfléchissent._

    In-16    4 fr. 50

  Situation émouvante, tragique, développée avec un art plein de
  séduction et une logique implacable, d'une force entraînante.

  (_Le Gaulois._)

  M. Redier reprend le grave problème de l'éducation des
  filles... Il apporte des solutions personnelles, souvent
  ingénieuses, souvent profondes, toujours nettes et courageuses.

  LOUIS DE MONDADON (_Les Etudes._)

  Les pensées de l'écrivain sont bienfaisantes et d'une urgente
  actualité.

  (_L'Express de Lyon._)

  Mettant en œuvre ses qualités de sensibilité et ses dons de
  style, Redier a donné un volume simple et émouvant, rempli
  d'âme et de vérité.

  (_Dépêche de Lille._)

  _Pierrette_ est un livre attrayant et utile.

  (_Le Populaire_, Nantes.)

  Toutes les jeunes filles, tous les Français, au front et à
  l'arrière, voudront connaître l'histoire de _Pierrette_. Tous
  aimeront ce livre entraînant, noble, gai: avec cela, si humain,
  qu'on ne le lira qu'en tremblant.

  JEAN MADIA (_Le Radical_, Marseille.)

  On éprouvera, à lire ces pages débordantes de vie, un véritable
  enchantement.

  (_Le Salut Public_, Lyon.)

  La plume de M. Redier est une plume bien française.

  PAUL COURCOURAL (_Le Nouvelliste_, Bordeaux.)

  Ces pages tenteront tous les Français.

  (_La Dépêche de Cherbourg._)

  La sensibilité de cet écrivain est d'une qualité
  extraordinaire. Comme d'autres, des poètes, aiment les fleurs
  qui embaument, il respire avec ivresse le parfum des âmes
  nobles et fraîches.

  (_Est Républicain_, Nancy.)

  Je souhaite que mes lecteurs lisent comme moi, et avec le même
  recueillement, ces pages d'analyse pénétrante et de profession
  courageuse.

  GASTON VALRAN (_Le Bulletin des Halles._)

  Il y a longtemps qu'on n'écrivait plus ainsi. _Pierrette_ est
  le livre que nous devait cette époque.

  (_Revue internationale de Médecine et de Chirurgie._)

  On lira avec fruit ce livre qui est un acte d'apostolat social.

  (_Revue du Front._)

  Lisez _Pierrette_, intrigue émouvante, tout à la fois,
  sentimentale, guerrière, traduite en un langage sobre,
  distingué, d'une parfaite tenue littéraire.

  (_Le Poilu._)


LIEUTENANT PÉRICARD

DEBOUT LES MORTS!

SOUVENIRS ET IMPRESSIONS D'UN SOLDAT DE LA GRANDE GUERRE

    I--FACE A FACE

    Préface de M. MAURICE BARRÉS, de l'Académie française 35
    dessins à la plume de M. PAUL THIRIAT et une couverture
    illustrée par JONAS

    II--PAQUES ROUGES

    30 dessins à la plume de M. PAUL THIRIAT

    Chaque vol. in-16    4 fr. 50

    (Ouvrage couronné par l'Académie française)

CEUX DE VERDUN

    In-16    4 fr. 50

  DEBOUT LES MORTS

  Aujourd'hui, dans le monde entier, chacun connaît cet épisode
  que d'innombrables articles, des gravures, des poésies, ont
  popularisé. Vous vous rappelez? Les Allemands ont envahi une
  tranchée et brisé toute résistance; nos soldats gisent à
  terre; mais, soudain, de cet amas de blessés et de cadavres,
  quelqu'un se soulève et, saisissant à portée de sa main un sac
  de grenades, s'écrie: «_Debout les morts!_...» Un élan balaye
  l'envahisseur. Le mot sublime avait fait une résurrection.

  J'ai désiré connaître le héros de ce fait immortel. Je me suis
  trouvé en présence d'un lieutenant aux cheveux blancs.

  MAURICE BARRÈS, de l'_Académie française_.

  _Face à Face_ décrit avec une belle franchise les souvenirs et
  les impressions de la grande guerre.

  _Louis Barthou._

  _Face à Face_ est un livre qu'on sent être d'une absolue
  sincérité...

  RENÉ BAZIN, de l'_Académie française_.

  Livre admirable de simplicité et de sincérité...

  PIERRE L'ERMITE (_La Croix_).

  Le lieutenant Péricard peint sur le vif les grognons et les
  grognards de Verdun, les éternels mécontents qui finalement se
  battent comme des lions. Il faut lire de pareils livres et voir
  de près cette vie de tranchées, d'assauts, de fusillades pour
  comprendre réellement ce que c'est que cette prodigieuse race
  française, et de quels efforts surhumains elle est capable. Cet
  admirable récit devrait être entre toutes les mains.

  A. ALBALAT (_Journal des Débats_).

  _Face à Face_ semble avoir été écrit avec Rosalie comme
  porte-plume. Vivants, sincères, simples, émouvants, élevés, ce
  sont de vrais récits de soldats. _Ceux de Verdun_ se recommande
  par les mêmes qualités.

  (_La Liberté_).

  Ces souvenirs sont charmants d'humour, de bonhomie, de vivacité
  pittoresque et familière, de modeste simplicité.

  (_Revue des Deux Mondes_).


ALBERT ERLANDE

EN CAMPAGNE AVEC LA LÉGION ÉTRANGÈRE

    In-16    4 fr. 50

  Avez-vous lu le récit d'Albert Erlande, _En campagne avec la
  Légion étrangère_, ce livre de résignation sublime dans la
  boue, dans la tragédie des tranchées?

  PAUL ADAM.

  En ces récits brefs et précis, l'auteur nous trace de curieuses
  silhouettes de légionnaires, de types de «poilus» parfois
  déconcertants... Ce livre est un acte de justice.

  ROLAND DE MARÈS.

  Quelle galerie d'hommes extraordinaires nous montre M. Albert
  Erlande!

  Ce récit, œuvre scrupuleusement historique, ne contient
  pas de digressions sur la guerre, mais des faits, des
  actes qui montrent des soldats. Et quelle galerie d'hommes
  extraordinaires. Des types de vieux soldats de carrière comme
  on n'en trouve plus qu'à la légion! Des figures inoubliables de
  chefs! Et toutes ces aventures écrites en un style de sang et
  de feu se développent dans une atmosphère de bonne humeur et
  d'héroïsme unique.

  (_La Croix._)

  Récit plein de fougue et de passion, livre de soldat, pensé et
  écrit par un soldat.

  (_L'Homme enchaîné._)

  L'auteur nous montre les légionnaires, hommes de tous les
  mondes et de toutes les conditions, que l'esprit de corps,
  l'ambiance et l'ascendant des officiers parviennent rapidement
  à fondre pour en faire une force d'élite.

  (_L'Intransigeant._)

  C'est une belle œuvre, vécue, fougueuse, alerte et simple.

  (_Le Siècle._)

  En affirmant que cet ouvrage est un chef-d'œuvre, nous
  exprimons l'avis de tous ceux qui l'ont déjà savouré.

  (_L'Illustré._)

  Comme toute épopée tient de la vie et du roman, le livre
  d'Erlande exprime la vérité d'existence de son bataillon,
  aussi puissant, plus soigné, plus délicat et peut-être plus
  exact encore, dans sa tenue et sa retenue, que celui de Henri
  Barbusse sur son escouade.

  ÉMILE ROUX-PARASSAC (_Le Feu._)

  On publie trop de «souvenirs» qui n'ont aucun intérêt pour ne
  pas reconnaître la réelle valeur littéraire du texte vivant et
  pittoresque de M. Albert Erlande.

  (_La Renaissance._)

  La simplicité, la vie, l'émotion aussi qui règnent dans tout
  cet ouvrage, le rendent d'autant plus intéressant et l'on sait
  gré à l'auteur d'avoir raconté seulement la vie des volontaires
  et des vieux légionnaires qui les encadraient et de ne s'être
  point laissé entraîner, comme tant d'autres, à disserter sur la
  guerre ou sur des états d'âmes.

  F. P. (_Le Petit Havre._)


COMTE ALEXIS TOLSTOI

LE LIEUTENANT DEMIANOF

RÉCITS DE GUERRE 1914-1915

Traduction de SERGE PERSKY

    In-16    4 fr. 50

  Ah! les beaux récits, nés sous les étoiles, écrits à la lueur
  d'un pauvre foyer de soldat.

  ÉDOUARD HERRIOT.

  Ces beaux récits sont autant d'aventures de guerre vécues,
  colorées, pittoresques, de forme originale et d'impression
  vraiment neuve...

  (_L'Echo de Paris_).

  Ceux qui veulent pénétrer «l'âme russe» et saisir sur le vif
  le caractère profondément patriotique de la révolution russe
  liront avec intérêt: _Le Lieutenant Demianof_, la dernière
  œuvre du comte Alexis Tolstoï, l'un des plus célèbres écrivains
  de la jeune Russie.

  Cet admirable livre est magistralement traduit par M. S. Persky.

  GEORGES BATAULT.

  Ce que je n'ai pu montrer de ces récits du comte Alexis
  Tolstoï, c'est la singulière et saisissante ambiance de mystère
  dans laquelle ils se meuvent.

  PIERRE MILLE (_Le Temps_).

  Le comte Alexis Tolstoï a suivi les armées russes et a noté,
  avec une grande puissance d'évocation, les impressions
  ressenties parmi les soldats sous forme de nouvelles qui
  égalent les meilleurs contes de guerre de Maupassant.

  (_Le Gaulois_).

  L'ouvrage est rempli de pages de vision nette et d'émotion
  profonde, écrite en pleine action...

  (_Liberté du Sud-Ouest_).

  Ces récits, d'un intérêt puissant, sont l'œuvre d'un
  observateur au coup d'œil prompt, à la notion rapide, qui
  s'attache à nous initier à ce milieu si différent du nôtre et
  nous ménage, à chaque pas, autant de poignantes sensations que
  de piquantes surprises.

  LOUIS BRES (_Le Sémaphore de Marseille_).


JACQUES PIRENNE

LES VAINQUEURS DE L'YSER

    Dessins de JAMES THIRIAR
    Préfaces de ÉMILE VERHAEREN et ÉMILE VANDERVELDE

    In-16    4 fr. 50

  Le soldat belge, tant Wallon que Flamand, semble relever d'une
  psychologie purement occidentale. Il ne peut et ne pourra se
  plier jamais, comme le soldat teuton et turc, à une discipline
  inflexiblement servile et fataliste et asiatique. C'est ce que
  ce livre que j'ai la joie de préfacer démontre sinon à chaque
  page, du moins à chaque chapitre.

  22 novembre 1916. ÉMILE VERHAEREN.

  Le volume de M. Jacques Pirenne est curieux à plus d'un titre;
  il contient beaucoup de choses; c'est un témoignage direct,
  des choses vues par un des acteurs du drame et consignées avec
  la fraîcheur des impressions immédiates. Aussi devra-t-il être
  gardé pour le témoignage précieux qu'il apporte concernant la
  première année de la grande guerre actuelle et qu'on devra
  consulter pour écrire l'histoire de la ruée sur Calais,--dont
  l'Allemagne n'avait nullement prévu le désagréable et
  mortifiant avortement dans les marécages de l'Yser.

  CHARLES MERKI (_Le Mercure de France._)

  De toutes les productions littéraires que fournit la guerre, le
  volume de Pirenne se distingue par un constant souci d'étude
  psychologique.

  MAURICE GAUCHEZ (_L'Opinion Wallonne._)

  M. Jacques Pirenne a entrepris de nous montrer le soldat belge
  tel qu'il est, et il a fait œuvre pieuse. Ces hommes, jeunes et
  vieux, qui combattent là-bas sur l'Yser, qui après la retraite
  d'Anvers ont «tenu» contre la formidable armée allemande et
  lui ont coupé la route vers Calais, sont des héros dignes
  de la légende antique. Depuis trois années, loin des leurs,
  demeurés dans les provinces occupées, ils défendent le dernier
  lambeau du sol natal avec un courage qui n'a jamais fléchi,
  une foi en la victoire qu'aucune déception n'a pu troubler. M.
  J. Pirenne nous dit leurs misères et leurs joies en des pages
  pittoresques, simples et touchantes.

  (_Annales politiques et littéraires._)

  L'ouvrage de M. Jacques Pirenne est certainement celui qui fait
  le mieux connaître le soldat belge, sa vie quotidienne, en sa
  réelle atmosphère, mêlée à des épisodes touchants, poignants ou
  glorieux.

  (_L'Indépendance Belge._)

  Ce livre est un livre de bonne foi, constate Émile Vandervelde
  qui en a écrit la deuxième préface. A ce titre-là et puis
  aussi, à cause de son absence de toute recherche de grands mots
  ou de grands effets, il restera comme un témoignage et comme un
  document.

  F. P. (_Le Havre._)

  Patiemment rassemblées au cours de longs mois de campagne, les
  notes se sont accumulées et ont fini par constituer un ensemble
  où le texte et les dessins concourent à recréer l'atmosphère,
  l'esprit, la vie même du front. Et c'est à ce point de vue que
  les auteurs ont créé une œuvre vraiment originale et nouvelle.

  (_Journal de Genève._)


PIERRE MAC ORLAN

LES POISSONS MORTS

(LA LORRAINE. L'ARTOIS, VERDUN, LA SOMME)

    In-16 illustré par GUS BOFA    4 fr. 50

  Ce volume, un des plus sincères de la littérature de guerre,
  est une suite de récits très simples, qui dégagent une émotion
  d'autant plus profonde qu'elle est exprimée au naturel.

  (_L'Intransigeant._)

  M. P. Mac Orlan sait voir, et peint simplement ce qu'il a
  vu. En lisant son livre on est frappé de l'exactitude de ses
  tableaux, de la vérité des conversations de soldats qu'il
  rapporte.

  (_L'Opinion._)

  Ce livre d'un des jeunes maîtres, avant la guerre, de l'humour
  français, est le carnet de route d'un soldat qui, même dans
  les pires moments où la fatigue annihile jusqu'à la force de
  penser, sait pourquoi il se bat.

  (_L'Illustration._)

  Je signale les _Poissons morts_ de Pierre Mac Orlan, un de nos
  meilleurs auteurs gais, à qui sa note habituelle n'interdit pas
  les impressions de guerre et qui sait les traduire avec une
  émouvante sobriété.

  PAUL SOUDAY (_Le Temps._)

  Une vision aiguë, objective et pittoresque de l'ambiance, un
  détachement parfait dans la plaisanterie et le sarcasme qui
  donne à l'effet une ampleur singulière, le goût du bien-dire,
  allant, souventes fois, jusqu'à l'afféterie, avec, sous tant de
  grâces, de recherches, de précautions pour n'être point taxé
  d'enthousiasme, une émotion vivante et chaleureuse, le _flebile
  nescio quid_, l'accent pitoyable qui porte au cœur, tels sont
  les attributs dont la bigarrure signale aux humanistes le
  récent volume de M. Pierre Mac Orlan: _Les Poissons Morts_.

  LAURENT TAILHADE (_L'Œuvre._)

  C'est un livre d'honnête homme. Saluons! Il est tragiquement
  illustré par M. Gus Bofa, grand blessé de guerre, dont le
  talent est probe et grand.

  (_Les Hommes du Jour._)

  Ce livre recèle des choses rares qui vous consolent et
  rafraîchissent après la lecture de tant de banalités.
  C'est un livre qu'il faut lire. Nous disons _lire_ et non
  _parcourir_, car, dans ce dernier cas, on risquerait de ne
  point goûter toutes les finesses, toute la saveur de cette
  œuvre délicate jusqu'en ses crudités et qui, par son art, nous
  donne des reflets saisissants et véridiques de la guerre de
  1914-1915-1916-1917-19...

  G. FABRI (_Revue du Front et le Souvenir._)

  Ce livre est une contribution curieuse et précieuse à la
  psychologie du soldat de la très grande guerre.

  (_Le Nouvelliste_, Bordeaux.)

  Récits très émouvants, très pittoresques, d'un naturel
  extraordinaire, racontés avec une verve amusante.

  (_L'Eclair_, Montpellier.)

  Je n'entreprendrai ni d'analyser, ni de résumer ce livre. La
  besogne serait ingrate et le résultat ne pourrait à aucun point
  de vue donner une idée de la vie, de la bonne et simple humeur
  répandues dans cet ouvrage, écrit du meilleur des styles.

  FERNAND POLET (_Le Petit Havre._)


COMMANDANT ÉMILE VEDEL

NOS MARINS A LA GUERRE SUR MER ET SUR TERRE

    Ouvrage honoré d'une Souscription du Ministère de la Marine

    In-16    4 fr. 50

  Ce livre-là, outre qu'il est admirable, est le plus émouvant
  qui ait été écrit sur nos marins _combattant à la mer_.

  PIERRE LOTI, de l'Académie Française (_Le Petit Parisien_).

  Lisez et faites lire ce livre.

  LÉON DAUDET (_L'Action française_).

  Technicien très informé, écrivain très expert et singulièrement
  vivant, documenté aux meilleures sources, le commandant Vedel
  nous permet littéralement d'assister à des événements ou à des
  épisodes tout à fait caractéristiques... Cet ouvrage plaira à
  tous.

  (_Le Moniteur de la Flotte_).

  Ce livre si documenté, si vivant, si vibrant de patriotisme.

  COMMANDANT VIDI (_La Croix_).

  Le récit, court, se précipite, entraîne le lecteur haletant
  comme aux péripéties d'un drame qui se déroule sous ses yeux...

  LUCIEN DESCAVES.

  Ce livre retrace tous les haute faits, sur terre et sur mer, de
  notre armée navale... La vente de l'ouvrage se fait au profit
  des œuvres de mer. Et cette raison s'ajoute à son mérite pour
  justifier le succès qu'il obtient.

  LIEUTENANT-COLONEL ROUSSET (_La Liberté_).

  Ces récits, émouvants et précis, rendent à notre armée de mer
  l'hommage que mérite son esprit de devoir et de sacrifice...

  (_La Revue de Paris_).

  Le commandant Vedel passe en revue, avec un talent prestigieux
  et une documentation hors ligne, tous les faits héroïques, tous
  les drames où nos marins ont joué un rôle...

  (_Le Gaulois_).

  ... Pages d'une puissance dramatique extraordinaire...

  (_Havre-Eclair_).

  ... Livre poignant et superbe...

  (_Le Nouvelliste_, Bordeaux).

  Le lecteur est pris, en face de ces récits d'une vérité
  terrible, d'un frisson d'émotion où l'angoisse se mêle à
  l'admiration...

  DE BOUZOLS (_Express de Lyon_).

  Témoignage vécu, vivant, autorisé de ce qu'a fait notre marine
  sur les différents théâtres où elle a déployé son activité...

  (_Le Populaire_, Nantes).


MARC HENRY

AU PAYS DES MAITRES CHANTEURS

    Quelques aspects de l'Allemagne socialiste. -- Artistes,
    monarques et censeurs. -- Femmes allemandes. -- Quelques formes
    de la vie courante. -- Milieux juifs. -- Maîtres-chanteurs,
    étudiants, officiers et agents de police. -- La foire aux
    vanités.

    Grand in-8 avec hors-texte en couleurs    4 fr. 50

TROIS VILLES

VIENNE--MUNICH--BERLIN

    In-16    4 fr. 50

  C'est un livre exceptionnel parmi les livres publiés durant
  cette guerre... Il a produit sur moi une impression profonde.

  J. ERNEST-CHARLES (_La Grande Revue_).

  ... Livre d'une documentation aussi riche et variée
  qu'attrayante...

  (_Le Gaulois_).

  ... Les souvenirs d'Allemagne, de Marc Henry, agrémentés de
  nombreuses et piquantes anecdotes, amuseront de nombreux
  lecteurs...

  (_Le Temps_).

  ... M. Marc Henry a, mieux que personne, pu voir et juger
  l'Allemagne d'avant la guerre...

  LAURENT TAILHADE (_L'Œuvre_).

  ... Très curieux ouvrage abondamment observé...

  CHARLES MERKI (_Le Mercure de France_).

  ... L'auteur, qui a vécu longtemps à Berlin et à Munich,
  connaît fort bien l'Allemagne; il a su voir au delà des façades
  et son style, d'un réalisme savoureux, sait conserver une vie
  étrange aux trouvailles de son observation impitoyable.

  (_La Revue de Paris_).

  ... Les anecdotes que nous conte Marc Henry, sous leur forme
  nette, alerte, vibrante, ont souvent une portée politique ou
  sociale très grande...

  (_Le Radical_).

  Ces deux livres sont pleins de mouvement, d'entrain,
  d'anecdotes, d'évocations colorées...

  (_Journal de Genève_).


RENÉ PUAUX

LE MENSONGE DU 3 AOUT 1914

    Gr. in-8, illustré de 21 photographies, croquis et cartes
    hors texte    5 fr.

  Bourré de documents, de plans, de croquis, d'autographes, de
  pièces de conviction, le réquisitoire de M. René Puaux n'a
  pas la prétention d'être complet ni définitif. Tel qu'il est,
  il suffirait à faire condamner n'importe quel accusé devant
  n'importe quel jury.

  (_L'Opinion_).

  _Le Mensonge du 3 août 1914_ met définitivement au jour
  le mécanisme de l'agression allemande avec une minutie
  passionnante de détails.

  (_L'Illustration_).

  On conserve une impression de stupeur quand on lit les
  témoignages accumulés dans le _Mensonge du 3 août_.

  (_Le Mercure de France_).

  Ce livre constituera pour ceux qui écriront l'histoire du
  conflit mondial une base d'études absolument sûre.

  (_Annales politiques et littéraires_).

  Voici, avec des témoignages accablants, des faits contrôlés,
  le dossier de l'honnêteté française et de la préméditation
  scélérate des Empires du Centre à l'origine du conflit actuel.

  (_L'Information_).

  C'est le premier travail historique sur les origines de la
  guerre qui ait été établi sur des documents d'archives.

  (_La Revue de Paris_).

  _Le Mensonge du 3 août 1914_ soumet à une analyse serrée le
  tissu d'impostures et d'infamies dont est formée la déclaration
  de guerre allemande à la République française.

  (_Journal des Débats_).

  Après avoir lu cet ouvrage, tout homme éclairé et de bonne
  foi conclura avec l'auteur que «c'est sur la base d'odieux
  mensonges que la guerre a été déclarée».

  (_L'Action française_).

  On ne peut lire sans indignation les chapitres qui nous
  montrent comment a été fabriquée la déclaration de guerre et
  nous donnent une idée des mensonges qui ont été accumulés à
  cette époque pour tromper l'opinion publique.

  (_La Réforme sociale_).

  _Le Mensonge du 3 août 1914_, dont la lecture est passionnante,
  est le premier travail historique sur les origines de la guerre
  qui ait été établie sur des documents jusqu'ici secrets des
  archives du gouvernement français.

  (_L'Eclair de Montpellier_).

  «Qui a commencé? Cela s'établit par des faits simples, clairs,
  vérifiables par tous. Vous en trouverez l'exposé dans le
  _Mensonge du 3 août 1914_.»

  (_L'Eclair de Montpellier._)

  Le résultat de ce laborieux et consciencieux travail,
  indispensable pour établir la responsabilité de la guerre
  actuelle, est le suivant: toutes les allégations des bureaux de
  la Wilhelmstrasse s'effondrent.

  (_Journal de Genève._)

  Ce livre apporte à l'histoire les témoignages nécessaires pour
  asseoir son jugement.

  (_Le Bulletin des Armées de la République._)


MAURICE MURET

L'ORGUEIL ALLEMAND

    In-16    4 fr. 50

    Ouvrage couronné par l'Académie française.

L'ÉVOLUTION BELLIQUEUSE DE GUILLAUME II

    In-16    4 fr. 50

  Il faut saluer, chez M. Maurice Muret, le bon sens qui lui
  suggère des appréciations plutôt historiques, et, j'entends,
  par là, des évaluations positives, utiles...

  EDMOND BARTHELEMY (_Mercure de France_).

  Livres de combat, mais livres de vérité. Livres de
  circonstance, dira Maurice Muret, mais livres d'histoire.

  J. ERNEST-CHARLES (_La Grande Revue_).

  Livre unique et sans exemple dans l'histoire universelle.

  JACQUES MORLAND (_L'Opinion_).

  Il faut lire _L'Évolution belliqueuse de Guillaume II_... C'est
  une curieuse analyse du caractère du kaiser, et tous ceux qui
  s'interrogent sur demain rechercheront avec M. Muret la courbe
  d'évolution du «surhomme».

  (_Le Rappel_).

  Lisons attentivement les très curieux livres de l'érudit
  Maurice Muret... Nous comprendrons mieux notre adversaire et
  notre alliée; nous serons plus assurés de notre chance.

  PAUL ADAM (_L'Information_).

  ... Livre tout rempli de faits précis, écrit d'une plume
  alerte, animé d'un véritable souffle d'éloquence...

  CH. BÉMONT (_Revue Historique_).

  Etude scrupuleuse et pénétrante du caractère, de la pensée et
  de la politique de Guillaume II depuis son avènement jusqu'à
  l'acte décisif qui engage sa responsabilité devant l'Histoire...

  A. L. (_La Revue_).

  Ouvrages de premier ordre, de ceux--si peu nombreux--qu'on
  doit lire si on veut étudier la genèse d'un cataclysme sans
  précédent dans l'histoire et pour établir les responsabilités
  de l'Allemagne.

  JULES VÉRAN (_L'Eclair_, Montpellier).

  ... Œuvres fortement étudiées, qui témoignent d'une lecture
  énorme, d'une connaissance profonde du milieu...

  ED. ROSSIER (_Journal de Genève_).


JULES SAGERET

LA GUERRE ET LE PROGRÈS

    In-16    4 fr. 50

  Livre vraiment encyclopédique, où la biologie, l'ethnographie,
  la politique et l'histoire s'entrelacent et s'appuient
  réciproquement de la plus harmonieuse façon. Nous ne saurions
  trop le recommander aux Français éclairés. Ils se sentiront, au
  cours de cette lecture, souvent convaincus, toujours intéressés
  et charmés, et quand ils l'auront terminée, ils auront
  conscience d'un enrichissement de ce qu'ils nous permettront
  d'appeler leur _ameublement cérébral_.

  Docteur LUC (_La Victoire._)

  Que la Grande Guerre devienne la victoire sur la guerre,
  s'achève en guerre du Progrès, les chances de ce dénouement
  existent; au total, elles ont augmenté.

  Le présent ouvrage, écrit pour peser cet espoir, le fortifiera.

  (_Revue internationale de Médecine et de Chirurgie._)

  En présence du déchaînement actuel de barbarie, n'y a-t-il pas
  lieu de désespérer de l'humanité, de la juger inapte au progrès?

  Mais qu'est-ce que le progrès?

  C'est cette notion si confuse que l'auteur cherche à éclairer.

  (_Le Moniteur médical._)

  Dans ce livre si actuel et si remarquable, tant par l'abondance
  de l'information que par la justesse du sens critique, M. Jules
  Sageret vous fait faire le tour des connaissances humaines.

  PAUL SOUDAY.

  Pour être de philosophie scientifique, le livre de M. Jules
  Sageret n'en est pas moins d'actualité brûlante, ce qui
  explique les blancs dont l'a enrichi la censure.

  HENRI MAZEL (_Le Mercure de France._)

  Dans cet ouvrage foisonnent les remarques judicieuses, parfois
  les pensées profondes. Qui l'aura lu devra abandonner bien
  des idées toutes faites et reviser sur nombre de points ses
  jugements.

  L. A. (_La Revue._)

  Livre riche en pensées.

  G. BONNET (_La France._)

  On trouvera dans ce livre de quoi réfléchir utilement.

  (_Paris-Midi._)

  Voici un ouvrage sérieux, qui exprime de fortes et solides
  pensées. Le progrès! Quelle sera son évolution demain?...
  Quelle est son action aujourd'hui? Quelle influence la guerre
  exercera-t-elle dans la marche de l'humanité vers cet idéal?
  Autant de graves problèmes que M. Jules Sageret étudie à la
  lumière des données philosophiques dont nous poursuivons chaque
  jour la solution.

  (LE POPULAIRE, Nantes.)



BIBLIOTHÈQUE MINIATURE

Chaque volume (7 X 10 cm.) relié 2 fr.


     1. ALFRED DE MUSSET. _Les Nuits._
     2. GÉRARD DE NERVAL. _Sylvie._
     3. MOLIÈRE. _L'Avare._
     4. MARCELINE DESBORDES-VALMORE. _Élégies._
     5. BALZAC. _La Grenadière._
     6. ALFRED DE MUSSET. _Un Caprice._
     7. ANDRÉ CHÉNIER. _Idylles._
     8. LA ROCHEFOUCAULT. _Maximes._
     9. MARIVAUX. _Le jeu de l'amour et du hasard._
    10. ALFRED DE VIGNY. _Les Destinées._
    11. MAURICE DE GUÉRIN. _Le Centaure._
    12. J. JOUBERT. _Pensées._
    13. HENRI HEINE. _L'Intermezzo._
    14. NAPOLÉON. _Pensées._
    15. ALFRED DE VIGNY. _Laurette._
    16. Mme DE BEAUMONT. _La Belle et la Bête._
    17. ALFRED DE MUSSET. _Poésies._
    18. OMAR KHAYYAM. _Les Rubàiyàt._
    19. MARC AURÈLE. _Pensées._
    20. ALFRED DE VIGNY. _Chatterton._
    21. _Les larmes héroïques. Psaumes d'alleluia
          recueillis par_ S. PALATAM
    22. PASCAL. _Pensées._
    23. ÉPICURE. _Pensées._
    24. AUGUSTE BRIZEUX. _Marie._
    25. PASCAL. _Prières Et Méditations._
    26. SHAKESPEARE. _Roméo et Juliette._
    27. _Aucassin et Nicolette._
    28. 29. 30. 31. 32. _Imitation de Jésus-Christ._
    33. LA BRUYÈRE. _Caractères._
    34. TH. BOTREL. _Chansons et Poésies._
    35. H. DE RÉGNIER. _Odelettes._
    36. VAUVENARGUES. _Réflexions et Maximes._
    37. RONSARD. _Poésies._
    38. _La Sagesse de_ LA FONTAINE.
    39. BAUDELAIRE. _Les Fleurs du Mal._
    40. PLATON. _Pensées._
    41. SPINOZA. _Pensées._
    42. STENDHAL. _De l'Homme._


Paraîtront incessamment:

    43. CHATEAUBRIAND. _Paysages._
    44. DÉMOCRITE. _Pensées._
    45. ANATOLE FRANCE. _Pensées._
    46. BAUDELAIRE. _Le Spleen de Paris._
    47. ÉMILE VERHAEREN. _Poésies._
    48. P.-J. PROUDHON. _Pensées._
    49. FRANÇOIS BACON. _Pensées._
    50. EDGAR POE. _Poèmes choisis._
    51. DE BONALD. _Pensées._



LIVRES DE COMBATTANTS ET DE TÉMOINS DE LA GRANDE GUERRE

_Collection de Volumes in-16_: 4 fr. 50


  =Louis-Paul ALAUX.=--SOUVENIRS DE GUERRE D'UN SOUS-OFFICIER
  ALLEMAND.

  =Raoul ALLIER.=--LES ALLEMANDS A SAINT-DIÉ.

  =Claude ANET.=--LA RÉVOLUTION RUSSE. A PÉTROGRAD ET AUX ARMÉES.

  =Luigi BARZINI.=--SCÈNES DE LA GRANDE GUERRE.

  EN BELGIQUE ET EN FRANCE.

  LA GUERRE MODERNE, SUR TERRE, DANS LES AIRS ET SOUS LES EAUX.

  =Georges BONNET.=--L'AME DU SOLDAT.

  =Victor BUCAILLE.=--LETTRES DE PRÊTRES AUX ARMÉES.

  =M. BUTTS.=--HÉROS! ÉPISODES DE LA GRANDE-GUERRE.

  =Léopold CHAUVEAU.=--DERRIÈRE LA BATAILLE (3 fr.)

  =Antoine DELECRAZ.=--PARIS PENDANT LA MOBILISATION.

  =Maurice DIDE.=--CEUX QUI COMBATTENT ET QUI MEURENT.

  =Albert ERLANDE.=--EN CAMPAGNE AVEC LA LÉGION ÉTRANGÈRE.

  =Gabriel-Tristan FRANCONI.=--UN TEL DE L'ARMÉE FRANÇAISE.

  =F... (Hubert).=--LA GUERRE NAVALE. MER DU NORD. MERS LOINTAINES.

  =PAUL FIOLLE.=--LA MARSOUILLE.

  =Raymond JUBERT.=--VERDUN (Mars, Avril, Mai 1916).

  =Stéphane LAUZANNE.=--FEUILLES DE ROUTE D'UN MOBILISÉ.

  =Pierre MAC ORLAN.=--LES POISSONS MORTS.

  =Capitaine MARABINI.=--LES GARIBALDIENS DE L'ARGONNE.

  =Lord NORTHCLIFFE.=--A LA GUERRE.

  =Pierre PARAF.=--SOUS LA TERRE DE FRANCE.

  =PAUL PATTE.=--LE CRAN.

  =Lieutenant Jacques PÉRICARD.=--_Debout les Morts!_
    I. FACE A FACE. II. PAQUES ROUGES.

  CEUX DE VERDUN.

  =Jacques PIRENNE.=--LES VAINQUEURS DE L'YSER.

  =Jules POIRIER.=--REIMS (1er AOUT-31 DÉCEMBRE 1914).

  =Antoine REDIER.=--MÉDITATIONS DANS LA TRANCHÉE.

  =Alexis TOLSTOI.=--LE LIEUTENANT DEMIANOF.

  =Capitaine TUFFRAU.=--CARNET D'UN COMBATTANT.

  =Robert VAUCHER.=--AVEC LES ARMÉES DE CADORNA.

  =Commandant Emile VEDEL.=--NOS MARINS A LA GUERRE. SUR MER
    ET SUR TERRE.

  =Y...=--L'ODYSSÉE D'UN TRANSPORT TORPILLE.

  =Capitaine Z.=--L'ARMÉE DE LA GUERRE.

  L'ARMÉE DE 1917.


PAYOT & Cie, 106, Boul. Saint-Germain, PARIS

Imp. E. Durand, 18, Rue Séguier, Paris

       *       *       *       *       *

Corrections:

  Page  13: «ou» remplacé par «on» (on eût dit que ces douloureux
            souvenirs).
  Page  14: «obscure» remplacé par «obscur» (dans un couloir obscur).
  Page  74: «déclanché» remplacé par «déclenché» (avait déclenché,
            ce soir-là).
  Page 131: «nul» remplacé par «nulle» (et nulle épice compémentaire).
  Page 142: «à à» remplacé par «à» (appartenait à Donquixotte).
  Page 204: «contraire» remplacé par «contraires» (ces choses étant
            contraires).
  Page 231: «Monte-Christo» remplacé par «Monte-Cristo» (aux évasions
            de Monte-Cristo).
  Page 278: «impressoins» remplacé par «impressions» (les impressions
            ressenties).
  Page 280: «souvente» remplacé par «souventes» (allant, souventes
            fois, jusqu'à l'afféterie).
  Page 283: «réquisitiore» remplacé par «réquisitoire» (le réquisitoire
            de M. René Puaux).
  Page 285: «cheque» remplacé par «chaque» (dont nous poursuivons
            chaque jour).





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Un tel de l'armée française" ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home