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Title: Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1
Author: Levaillant, François
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Histoire naturelle des oiseaux d'Afrique, t. 1" ***


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  HISTOIRE NATURELLE

  DES OISEAUX D'AFRIQUE;

  PAR

  FRANÇOIS LEVAILLANT.

  TOME PREMIER.

  [Illustration]

  A PARIS,

  CHEZ J. J. FUCHS, LIBRAIRE, RUE DES MATHURINS,

  HÔTEL DE CLUNY.


  DE L'IMPRIMERIE DE H. L. PERRONNEAU, RUE DES GRANDS AUGUSTINS.

  AN VII DE LA R. F. (1799).



ÉPITRE DÉDICATOIRE

A J. TEMMINCK,

TRÉSORIER DE LA COMPAGNIE DES INDES,

A AMSTERDAM.


  MON AMI,

_Je vous adresse mon Ornithologie, comme un foible témoignage de
mon estime et de ma reconnoissance; si votre modestie s'en trouve
offensée, vous pardonnerez au motif bien pur qui a dicté mon offre._

  _Je vous salue_,

  LEVAILLANT.



PRÉFACE.


J'aurois voulu me dispenser de faire une préface à cette partie
descriptive de mes voyages, à laquelle les relations que j'ai déja
publiées servent naturellement d'introduction; j'ai toujours craint de
donner à ce que j'ai fait trop d'importance, et ceux qui me connoissent
savent assez quel prix j'attache à cette gloriole littéraire, dont
tant d'hommes sont entichés aux dépens de leur repos, quelquefois
même de leurs jours. Cependant j'aurois bien quelques confidences à
faire au public, et il seroit un peu long d'aller compter à chacun
en particulier, les déplaisirs nombreux qui m'ont assailli depuis
le moment où l'on m'a traîné sur cette scène littéraire: il faut
donc qu'en une seule fois j'en dise une partie à tous, et de la même
manière; ceux qui auroient désiré des ménagemens particuliers, ne
doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes d'en avoir manqué à mon égard, et
je ne peux avoir deux façons de me plaindre, quand je n'en ai qu'une de
sentir l'offense.

Pour prix de mon dévouement aux progrès d'une science que je crois
être encore à son enfance, je n'ai reçu que des outrages, je n'ai
éprouvé que des injustices; et l'insulte de ceux qui m'ont trompé porte
un caractère de bassesse et de lâcheté, dont nulle histoire privée
n'offre d'exemple. Je ne suis pas le premier qui ait à se plaindre
de l'envie et de la perfidie des hommes; mais je serai sans doute le
dernier, qui, forcé de se taire sur la plus lâche imposture et le
vol le plus manifeste, se voie dans la dure nécessité de ne pouvoir
se plaindre sans honte pour lui-même et sans tache pour celui qui a
cherché aussi publiquement à lui nuire.

Des hommes puissans m'avoient attiré, caressé, flatté. Je ne m'en cache
pas, j'avois compté sur leur reconnoissance; les motifs qui sembloient
la fonder étoient purs et vrais. Je me plaignois avec raison d'avoir
sacrifié ma fortune et ma plus belle jeunesse aux progrès d'une science
jusqu'alors toute en théorie et que peu d'expérience avoit fondée. Je
contrariois, il est vrai, de brillans romanciers, de longues études
de cabinet, que nul ne prétendoit avoir faites en pure perte; mais je
venois les preuves à la main. J'ouvris aussi un cabinet d'histoire
naturelle; j'y déposai les nombreux individus que j'avois été chercher
à quatre mille lieues de Paris. Cette ville entière, et tout ce qu'elle
renferme d'étrangers, fut à même de juger de mes travaux, et de
comparer mes observations aux observations consacrées dès un long-tems
dans la collection de mes nombreux oiseaux. Plus de cinq cents
individus nouveaux ou faussement décrits, déposoient contre l'ignorance
ou le charlatanisme; je soulevai l'un et l'autre contre moi. Depuis dix
ans, ils ne m'ont point quitté. Je n'ai recueilli d'autre prix de mes
fatigues, de mes efforts et de mes dépenses, que l'honneur de leur être
constamment en butte; et je n'ai pas manqué de les trouver dans mon
chemin toutes les fois qu'ils ont pu me nuire, soit directement, soit
indirectement.

Cependant cette révolution qui, dit-on, remet chaque chose et chacun
à sa place, n'étoit pas encore éclose, que le gouvernement, par le
seul moyen qui nous convint à tous deux, voulut me dédommager de mes
dépenses. Il fut même déja convenu que mon cabinet seroit déposé au
Muséum d'histoire naturelle, et qu'il me seroit payé 60 mille livres,
outre une pension qui me seroit faite à titre d'indemnité. C'est dans
cet instant que naquirent les premiers élans de la liberté; cédant avec
transport aux efforts naissans de cette fille chérie de la nature,
j'oubliai bientôt mon intérêt particulier pour ne plus songer qu'à
l'intérêt général; et je remis à d'autres tems le soin de ma fortune
entièrement négligée jusqu'alors. Lors de l'assemblée constituante,
le gouvernement parut un moment vouloir remplir, à mon égard, les
mêmes engagemens; mais ayant une antipathie insurmontable pour les
sollicitations, et n'ayant sur-tout point de ces puissans protecteurs,
si nécessaires à ceux qui veulent réussir, je fus bientôt oublié.
L'assemblée législative vint à son tour, et fut sur le point de réparer
les retards d'une équitable indemnité; mais l'assemblée législative
s'endormit également dans sa justice. Enfin, la convention nationale,
plus puissante et plus expéditive, sembla se proposer de réparer les
torts qu'on m'avoit fait éprouver jusqu'alors. La plus grande partie
des membres du comité d'instruction publique virent mon cabinet; des
commissaires furent nommés pour le visiter; la commission temporaire
des arts fut elle-même saisie de cette affaire; les citoyens Richard
et Lamarck firent un rapport à ce sujet; enfin, aucun moyen économique
d'entrer en possession des seules richesses que je possédasse au monde
ne fut négligé. Mais des affaires plus intéressantes sans doute,
firent oublier la mienne. Ayant écrit une lettre au comité pour la lui
rappeler, on parla de faire faire l'estimation de mon cabinet. ESTIMER
un à un les individus d'une collection! qui m'avoit couté trente ans
de travail, dont cinq années de courses dans les déserts brûlans de
l'Afrique, et pour laquelle je ne demandois pas la vingtième partie
de la valeur; puisque, malgré les progrès des tems et la différence
des besoins, la somme offerte en 1789 étoit celle que je demandois
encore au gouvernement en 1795. . . . . Enfin, cette somme, malgré sa
modicité, est restée dans les trésors de la nation, et mon cabinet est
toujours en mon pouvoir, et va probablement passer à l'étranger ou être
dispersé, car ma fortune ne me permet plus de le garder.

Un autre espoir m'occupe aujourd'hui entièrement, et me fera peut-être
oublier d'aussi longues injustices. Livré tout entier aux soins que
demande mon Ornithologie, je me console de ne pas voir au rang des
richesses nationales l'humble mais rare tribut que je venois offrir
à ma patrie; je donnerai mes oiseaux à l'Europe entière: j'en ai
multiplié les portraits fidèlement peints, et aussi fidèlement décrits;
ils seront pour les amateurs et pour les savans une propriété plus
précieuse; ils pourront les consulter, les visiter à toute heure;
les originaux sortiroient en vain de France, nul événement ne peut
plus leur porter atteinte; tous les dessins de mon Ornithologie sont
achevés.

En publiant l'Histoire des oiseaux d'Afrique, j'ai cru que c'étoit
rendre service à la science que de faire mention de toutes les espèces
rares et non décrites que j'ai trouvées dans les différens cabinets de
l'Europe. J'ai eu soin en même tems de désigner toujours la collection
d'où je les ai tirées: je préviens les lecteurs que tous les oiseaux
qui se trouvent sans cette indication appartiennent à ma collection, et
que les numéros qui sont placés en tête de chaque oiseau correspondent
à la planche qui représente l'espèce dont je donne la description.



HISTOIRE NATURELLE

DES OISEAUX D'AFRIQUE.



OISEAUX DE PROIE.



LE GRIFFARD, Nº. 1.

[Illustration: _Le Griffard._]


Les proportions de toutes les parties du corps, fournissent aux
naturalistes les meilleurs caractères qu'ils puissent employer pour
désigner les différentes espèces d'animaux. Les formes déterminent
souvent les facultés et les mœurs; tandis que les couleurs ne nous
présentent quelquefois que des livrées accessoires, sur-tout dans la
classe très-nombreuse des oiseaux de proie, dont chaque âge nous offre
autant de variétés de plumage. Les formes distinguent physiquement les
divers genres d'animaux les uns des autres, et jettent des différences
sans nombre dans les fonctions de la vie et des caractères moraux,
qu'il est aussi essentiel de saisir dans l'étude de la nature que
celles qu'on remarque dans leur conformation.

L'aigle d'Afrique, que j'ai nommé Griffard, se distingue parmi les
espèces de ce genre d'oiseaux, qui possèdent éminemment le courage,
la force et des armes sanguinaires: avec une taille égale à peu près
à celle du grand aigle, ou aigle royal, il a les jambes plus longues,
plus musculeuses et des serres plus fortes: caractères propres à faire
reconnoître cet oiseau, non-seulement lorsqu'il est placé dans une
collection à côté des autres aigles, mais encore quand il vole, les
jambes pendantes, à la poursuite des quadrupèdes dont il fait sa pâture.

Les diverses espèces de petites gazelles et les lièvres sont sa proie
ordinaire: il fond sur les premières, les tue facilement et d'une
manière qui démontre la force dont la nature l'a doué. Mais c'est
sur-tout dans sa haine pour les autres grands oiseaux de rapine, qu'il
fait admirer son courage: il les poursuit dès qu'il les apperçoit;
font-ils résistance, il les combat impitoyablement, les oblige à fuir,
et n'en souffre aucun dans le canton qu'il a choisi pour son domaine et
sa chasse.

Il arrive souvent que des bandes de vautours et de corbeaux, se
réunissant, cherchent à saisir le moment favorable pour s'emparer de
l'animal que vient d'abattre le Griffard; mais la contenance intrépide
et fière de cet oiseau posé sur sa proie, suffit pour tenir à l'écart
cette légion de carnivores.

On trouve ordinairement le Griffard accompagné de sa femelle; ils se
séparent rarement, et ne s'écartent point du vaste arrondissement où
ils se sont fixés. C'est sur la cime des plus grands arbres ou entre
les rochers escarpés et inaccessibles qu'ils établissent leur aire:
c'est ainsi que se nomme le nid des aigles, qui n'est jamais creux
comme celui des autres oiseaux, mais plat, en manière de plancher.
Celui du Griffard est si solide, qu'un homme peut s'y tenir, sans
craindre de l'enfoncer; aussi lui sert-il nombre d'années. Il est
composé d'abord de plusieurs fortes perches, plus ou moins longues,
suivant la distance des enfourchures des branches sur lesquelles elles
doivent porter. Ces dernières traverses sont enlacées, en tous sens,
par des branches flexibles qui les lient fortement ensemble et servent
de fondement à cet édifice; qui est ensuite surmonté d'une grande
quantité de menu bois, de mousse, de feuilles sèches, de bruyère, et
même de feuilles de plantes liliacées ou de roseaux, s'il s'en trouve
dans les environs. Ce second plancher est recouvert d'une couche
de petits morceaux de bois sec; et c'est sur ce dernier lit, où il
n'entre rien de douillet, que la femelle dépose ses œufs. Cet aire
ou nid, ainsi construit, peut avoir quatre à cinq pieds de diamètre
et deux pieds d'épaisseur; sa forme est irrégulière. Il dure, comme
je l'ai remarqué, nombre d'années, et peut-être même toute la vie du
couple, quand aucun danger ne les oblige de s'éloigner d'un premier
établissement.

A la vétusté graduelle d'un amas considérable d'ossemens de différens
quadrupèdes, que je trouvai au pied d'un très-grand arbre qui portoit
un de ces nids, ainsi qu'aux diverses couches des débris de la surface
extérieure du nid, mêlés à ceux des animaux, on auroit pu calculer son
ancienneté, et compter combien de fois il avoit été réparé pour les
besoins d'une famille naissante.

Quand le local n'offre point d'arbre au Griffard, pour y construire son
aire, il le place entre des rochers, et le façonne, comme le premier, à
l'exception du fondement, qui devient inutile, puisque le lit de mousse
est établi directement sur la pierre; mais c'est toujours sur des
buchettes que les œufs sont déposés, et dans aucun cas sur des matières
plus moëlleuses.

J'ai observé que, de préférence, le Griffard choisit un arbre isolé
pour son domicile; parce qu'il est très-méfiant et qu'il aime à voir
ce qui se passe autour de lui. Dans les rochers, sa couvée est plus
exposée à devenir la proie de plusieurs espèces de petits quadrupèdes
carnassiers; qui, justement parce qu'ils sont plus petits, sont
d'autant plus à redouter. C'est ainsi que, parmi les hommes, les
ennemis foibles et pusillanimes sont souvent les plus dangereux.

La femelle du Griffard pond deux œufs presque ronds, entièrement
blancs, et de trois pouces quelques lignes de diamètre; pendant qu'elle
couve, le mâle veille aux besoins communs, lui apporte sa nourriture
et chasse pour toute sa famille, jusqu'à ce que les petits puissent
rester seuls dans l'aire sans courir de danger; car, devenus plus
grands, ils exigent des provisions si considérables, que les vieux,
suffisant à peine à leur voracité, sont alors obligés de chasser
ensemble, afin de satisfaire un appétit aussi démesuré que l'est celui
de deux aiglons; il est tel même, que des Hottentots m'ont assuré
avoir vecu, pendant près de deux mois, de ce qu'ils déroboient chaque
jour à deux Griffards, dont le nid étoit dans leur voisinage. Je n'ai
pas eu de peine à les croire, d'après ce que j'ai vu moi-même d'un de
ces oiseaux que j'ai conservé quelque tems vivant, ne lui ayant cassé
que le bout de l'aîle en le tirant: il fut trois jours entiers sans
vouloir absolument manger, malgré tout ce que je pus lui offrir; mais
aussitôt qu'il fut habitué à prendre sa nourriture, nous ne pouvions
plus le rassasier; il devenoit furieux à la vue d'un morceau de viande
qu'on lui faisoit voir, en avaloit tout entier des tronçons de près
d'une livre, et n'en refusoit jamais, quoique son jabot fut quelquefois
si plein qu'il étoit forcé d'en dégorger une partie; mais il ne
tardoit jamais à reprendre ce qu'il avoit ainsi rendu. Toute chair
quelconque étoit de son goût, même celui d'autres oiseaux de proie;
et il s'accommoda fort bien des débris d'un autre Griffard que j'avois
dissequé.

Lorsque ces oiseaux sont perchés, on les entend de très-loin pousser
fréquemment des cris aigus et perçans, mêlés, de moment à autre, de
tons rauques et lugubres. Ils volent à une si prodigieuse hauteur, que
souvent on les entend sans qu'il soit possible de les appercevoir.

Le Griffard peut donc être comparé au grand aigle pour la taille; mais
il en diffère, comme nous l'avons fait remarquer, par les dimensions
des jambes et des serres, et par la tête qu'il a aussi plus ronde,
quoique son bec soit plus foible et moins renflé dans la partie de sa
courbure. Il est caractérisé: 1º. par les plumes de l'occiput, qui,
étant un peu plus longues que les autres, forment par derrière une
espèce de petite huppe pendante. 2º. La queue est carrée, c'est-à-dire,
que toutes les pennes qui la composent sont également longues
entre elles. Nous nous servirons toujours par la suite de la même
dénomination pour exprimer cette forme de queue. 3º. Les jambes et les
pieds sont couverts de plumes jusqu'à la naissance des doigts; celles
des jambes[1] sont courtes et ne forment point ce que l'on désigne
vulgairement en fauconnerie sous le nom de culotte. 4º. L'oiseau étant
en repos, les aîles s'étendent jusqu'à l'extrémité de la queue.
La femelle du Griffard a huit pieds sept pouces d'envergure et le
mâle seulement sept pieds cinq pouces. 5º. Le jabot est proéminent
et couvert d'un fin duvet blanc très-lustré; le bec, bleuâtre à son
origine, est noir au bout; les doigts, très-écailleux, sont d'une
couleur jaunâtre; les ongles approchent du noir; ils sont très-arqués
et forment autant de demi-cercles presque parfaits: celui de derrière
se trouve le plus grand; ensuite celui du milieu, puis ceux du dedans;
enfin, les deux plus petits, sont les extérieurs de chaque côté. L'œil,
qui est très-ouvert, s'enfonce dans la tête et se recouvre par la
partie supérieure de l'orbite, qui déborde de trois lignes. L'iris est
d'un beau brun noisette très-vif.

  [1] La jambe d'un oiseau est la partie qu'en général, on nomme la
  cuisse. Le pied, par conséquent, se trouve être celle qu'on appelle
  vulgairement jambe. Je suis fâché d'être obligé de me conformer
  à l'usage reçu des anatomistes, quoique plusieurs naturalistes,
  notamment Buffon, se soient servis indistinctement des mots cuisse
  et jambe, pour désigner la même partie dans un oiseau. Tout cela
  seroit assez indifférent; mais ce qui ne l'est pas, c'est de ne point
  s'entendre. Ainsi donc, il étoit nécessaire de prévenir les lecteurs.

Je n'ai remarqué d'autre différence entre le mâle et la femelle sinon
que cette dernière étoit plus forte d'un quart à peu près dans tout son
volume. Les couleurs étoient les mêmes à une légère teinte près, que le
mâle avoit de plus foncé sur les aîles.

On rencontre le Griffard dans le pays des Grands Namaquois. C'est
vers le vingt-huitième degré de latitude sud et sur les bords de la
Grande-rivière, que je vis le premier couple de ces oiseaux. J'étois à
plus de trois lieues de ma tente, quand je les tuai tous deux, à peu
de distance l'un de l'autre. Arrivé à mon camp, j'étois excédé de les
avoir portés. Ils pesoient ensemble à peu près vingt-cinq à trente
livres. En avançant vers le tropique, j'ai vu souvent des oiseaux de la
même espèce; et comme je ne les ai jamais rencontrés dans mon voyage à
la Caffrerie, je crois pouvoir fixer leur demeure dans l'espace compris
entre le vingt-huitième degré de latitude sud et le tropique, et même
jusqu'à la ligne, et peut-être sous toute la zone torride; enfin,
dans la partie de l'Afrique qui n'est point habitée par les Blancs.
Il est même plus que probable qu'autrefois l'espèce étoit répandue
jusqu'au Cap de Bonne-Espérance; mais sans doute que les colons, à
mesure qu'ils défrichèrent les terres et pénétrèrent dans le désert,
contraignirent ces aigles à s'enfoncer encore plus avant dans le pays;
comme l'ont fait tous les grands animaux de ces contrées, qui, ayant
besoin eux-mêmes d'une vaste étendue de terrain pour fournir à leur
subsistance, ont fui un plus grand dévastateur qu'eux, l'homme en
société.

Une courte et succincte description des couleurs du Griffard suffira
maintenant pour ne pas le faire confondre ni avec le grand aigle
ni avec aucun des aigles qui ont été décrits jusqu'à ce jour. Il a
le dessous du corps, depuis la gorge jusqu'à la queue, y compris
les jambes et les tarses, d'un beau blanc. Le dessus de la tête, le
derrière et les côtés du cou sont couverts de plumes blanches à leur
origine et d'un gris brun vers la pointe; le blanc s'aperçoit autant
que le brun vers les joues et dans quelques endroits du cou, ce qui
forme une espèce de tigré fort agréable. Le dos et les couvertures
de la queue, sont brunâtres; tout le manteau est de cette dernière
couleur, mais chaque plume est bordée d'une teinte plus claire que
le fond; les grandes pennes de l'aîle sont noires; les moyennes sont
rayées transversalement d'un blanc sale et de noirâtre; les dernières
sont bordées de blanc à leur pointe; la queue est rayée de même que les
moyennes pennes de l'aîle.



LE HUPPARD, Nº. 2.

[Illustration: _Le Huppard._]


Malgré les grandes différences qui se trouvent entre les dimensions
du Huppard, comparées à celles de l'aigle dont nous venons de faire
mention, il est évident que cet oiseau appartient au genre des aigles.
Comme le griffard, il est courageux; comme lui, il vit principalement
de sa chasse et ne cherche les voieries, que lorsque, tyrannisé par
la faim, il n'a trouvé rien de mieux pour se repaître et appaiser sa
voracité: ce que font généralement tous les oiseaux de proie de quelque
genre qu'ils soient. J'ai tant de fois été à même de vérifier cette
observation, que, quoiqu'en disent tous nos historiens poëtes, et tous
les écrivains qui les ont copiés, je soutiendrai et je répéterai, qu'il
est faux que les aigles, quelqu'affamés qu'ils soient, ne se jettent
jamais sur les cadavres.

Comme le griffard, le petit aigle, dont il est ici question, est
caractérisé par une huppe, mais qui est beaucoup plus allongée; ses
pieds sont de même couverts d'un fin duvet, qui s'étend jusqu'à la
naissance des doigts; son bec crochu, ses ongles fortement arqués
et bien affilés, annoncent un oiseau de guerre et de destruction,
quoique sa taille ne surpasse guère celle de nos plus fortes buses.
N'ayant pas assez de force pour saisir et abattre les gazelles, le
Huppard se contente du menu gibier, tels que lièvres, canards et
perdrix, qu'il chasse avec dextérité. Ses longues aîles, dont la pointe
s'étend presqu'aussi loin que le bout de la queue, lui servent
merveilleusement bien pour s'élancer avec promptitude et saisir avec
succès des oiseaux dont le vol est aussi rapide que celui des perdrix
d'Afrique.

J'ai tiré la dénomination de cet aigle de l'espèce de huppe qui le
caractérise si bien. Cette touffe de plumes prend naissance sur
l'occiput, se prolonge de cinq à six pouces par derrière, et descend
avec grâce, en se courbant un peu vers le corps; elle est si flexible
et si légère, que le plus petit vent ou le moindre mouvement de
l'oiseau suffit pour la faire jouer en tout sens; ce qui lui prête
une grâce toute particulière, en donnant à cette panache mille formes
différentes, qui ajoutent encore à son agrément celui de varier à
l'infini cet ornement de tête; parure que nos femmes ont si bien su
imiter.

La couleur générale de cet oiseau est d'un brun sombre, plus clair sur
le cou et la poitrine, et plus foncé au ventre, et sur tout le manteau.
Les culottes, ou longues plumes des jambes, sont mêlées de blanc; le
duvet qui tapisse le tarse dans toute sa longueur, jusqu'à la naissance
des doigts, est encore plus mêlé de cette dernière couleur. Les grandes
pennes sont d'un noir rembruni, et on apperçoit du blanc dans une
partie du milieu de leurs barbes extérieures; toutes les autres pennes
de l'aîle sont ondées d'un léger gris-brun et de blanc, ainsi que
toutes celles de la queue, dont le bout est entièrement d'un brun-noir.
Cette queue est tant soit peu arrondie. Les doigts sont jaunâtres; le
bec est couleur de corne; l'iris est d'un jaune plus ou moins foncé
suivant l'âge de l'oiseau; les ongles sont d'un noir luisant.

Je n'ai rencontré cette espèce que dans le pays d'Auteniquoi et dans la
Caffrerie.

Le Huppard construit son nid sur les arbres, et le garnit de plumes ou
de laine en dedans. La femelle pond deux œufs presque ronds, tachetés
de brun-roux: elle est plus forte que son mâle; sa couleur est moins
foncée, et sa huppe moins longue. Elle a aussi plus de blanc dans ses
culottes, et sa tête porte quelques petites taches blanches vers les
yeux et sur le sommet de la tête.

On est sûr de trouver le mâle et la femelle ensemble et toujours dans
le même canton.

Le cri du Huppard ne produit qu'un son plaintif, que l'on entend fort
rarement, à moins qu'il ne soit à la poursuite de quelques corbeaux,
oiseaux auxquels il fait une guerre opiniâtre, quand ils s'approchent
trop près de son nid. C'est sur-tout à l'espèce que j'ai nommée
corbivau, qu'il paroît le plus acharné, parce que ceux-ci, mieux armés
et plus entreprenans, osent souvent attaquer cet aigle pour se saisir
de sa proie; en nombre, ils cherchent même à s'emparer de son aire,
pour dévorer ses œufs ou ses petits. Il arrive même maintes fois que
toute la couvée devient la proie de ces corbeaux voleurs; mais ce n'est
jamais qu'excédé par le grand nombre, et après une défense opiniâtre,
qui a coûté la vie à plus d'un corbivau, que le malheureux couple se
voit réduit à laisser enlever et dévorer les membres épars et palpitans
de ses chers aiglons, souvent trop foibles encore pour s'être défendus
autrement que par les cris du désespoir.

Les jeunes Huppards sont d'abord couverts d'un duvet gris-blanc, qui
peu à peu est remplacé par des plumes brunâtres, bordées de roux. J'ai
été à portée d'examiner trois nids de Huppard; je n'y ai jamais trouvé
que deux petits, dont toujours l'un étoit mâle et l'autre femelle: ce
qui étoit facile à remarquer à la différence de leur taille. Au sortir
du nid, la huppe est déja apparente dans le mâle.



LE BLANCHARD, Nº. 3.

[Illustration: _Le Blanchard._]


Si l'intrépidité et le courage sont les caractères moraux qui
distinguent les aigles des autres oiseaux de proie, sans contredit
celui dont il est question ici est autant un aigle que celui dont nous
avons parlé sous le nom de griffard; car il est le tyran de tous les
grands oiseaux qui habitent ses états; c'est un vrai despote, qui,
abusant de ses moyens, fait la guerre à tout ce qui l'environne, et
immole tout ce qui l'approche. Destiné à faire la chasse au peuple
aîlé, la nature l'a doué d'une grande aisance dans son vol; une
très-longue queue lui sert admirablement bien pour se diriger avec
agilité, et parer aux reviremens fréquens et prompts qu'emploient les
oiseaux qui cherchent à éviter ses cruelles serres; écarts brusques,
qui, presque toujours, les font échapper à tout autre oiseau de rapine,
mais qui deviennent inutiles avec celui dont nous parlons.

C'est à la poursuite des ramiers que l'on peut admirer l'adresse du
Blanchard; il semble même de préférence chasser ces oiseaux, dont le
vol est le plus rapide et le plus varié; et c'est sur-tout de l'espèce
que j'ai décrite sous le nom de ramron dont il fait sa proie ordinaire.
J'ai vu des faucons, des autours, des éperviers, des hobereaux, etc.,
poursuivre nos ramiers en Europe; mais je les ai peu vu réussir
dans cette chasse, même en se jetant dans des volées entières de
ces oiseaux. Leurs moyens étoient, à la vérité, différens de ceux
qu'emploie le Blanchard avec tant de succès. Les oiseaux de haut
vol poursuivent à tire d'aîle leur proie, et cherchent à l'aborder,
soit par dessus, soit de côté, afin de s'en saisir; celui-ci, au
contraire, mesure son vol, se domine et ne donne rien au hasard. Le
ramron, comme on peut le voir dans sa description, s'élève au-dessus
des grands arbres, et semble s'amuser d'une singulière manière de
voler qui n'appartient qu'à lui: c'est alors que le Blanchard part
de l'endroit où il étoit en embuscade; et s'il peut arriver sous le
ramron avant que celui-ci ait eu le tems de se précipiter dans le
bois, pour se cacher dans les broussailles, c'en est fait de lui: tous
ses détours, tous ses mouvemens brusques et réitérés lui deviennent
inutiles; son ennemi pare à tout, et semble chercher plutôt à le lasser
qu'à le poursuivre. Toujours au-dessous de lui, son unique soin est de
l'empêcher de gagner les arbres; et plutôt le ramron s'y précipite,
plutôt il est pris; parce que le Blanchard, parcourant pendant le
même tems la ligne la plus courte, se trouve toujours au passage, et
saisit sa proie au moment où souvent elle croit lui échapper. Ce n'est
que lorsque le ramron est forcé de gagner la plaine, que le Blanchard
vole droit sur lui, et le prend en un instant, parce qu'alors il est
déja très-fatigué; mais il est fort rare qu'il ose quitter le bois, vu
que son unique ressource est d'arriver dans le plus épais des arbres,
où les mouvemens du Blanchard se trouvant gênés, il peut espérer
d'échapper à la mort.

Le Blanchard plume sa proie avant de la déchirer, et c'est toujours
perché sur les branches basses d'un gros arbre, qu'il la dévore, ou sur
le tronc d'un arbre renversé, ou sur un rocher, enfin sur un endroit
élevé, mais jamais à terre.

Le Blanchard ne fréquente que les forêts; il se tient de préférence
dans les endroits où se trouvent les plus grands arbres, et où il y en
a le moins; parce que, découvrant mieux tout ce qui lui paroît propre à
faire sa nourriture, c'est de-là que, tapi derrière une grosse branche,
il guette les ramrons et les perdrix de bois, qu'il saisit en se
précipitant avec bruit de dessus l'arbre sur la troupe. Il se nourrit
aussi d'une très-petite espèce de gazelle, qui ne se trouve que dans
les forêts; j'en ai parlé dans mes voyages sous son nom hottentot de
_nometjes_.

J'ai eu long-tems le plaisir d'observer un couple de Blanchards, mâle
et femelle, qui étoit établi près de mon camp dans les bois du charmant
et délicieux pays d'Auteniquoi. Je les ai examinés pendant plus de
trois semaines avant de les tuer. Assis au pied d'un arbre, je passois
des matinées entières à observer tous leurs mouvemens et toutes leurs
ruses. Comme, dans ce tems, ils étoient occupés à couver, et que jamais
le nid n'étoit vaquant, je me voyois sûr de les retrouver chaque jour
dans les mêmes lieux. Quand l'un d'eux s'étoit saisi d'une proie
quelconque, tous les corbeaux des environs accouroient par troupes
innombrables, criant autour de lui, et cherchant à avoir leur part du
butin; mais l'aigle paroissoit mépriser ces oiseaux piaillards, qui,
n'osant approcher de trop près, se contentoient de se jeter sur les
débris qui tomboient de l'arbre où le Blanchard dévoroit paisiblement
sa proie. Quand il se présentoit dans l'arrondissement un oiseau de
rapine quelconque, le Blanchard mâle le poursuivoit à toute outrance
jusqu'à ce qu'il fut hors de son domaine. Les plus petits oiseaux
pouvoient tous impunément s'approcher jusque sur le nid même de cet
aigle, qui ne leur faisoit aucun mal; ils étoient même là en sûreté
contre les attaques des oiseaux de proie d'un ordre inférieur.

Les aîles du Blanchard ne paroissent point être d'une envergure aussi
considérable que celles des autres aigles; parce que, ne s'étendant
que jusqu'à la moitié de la longueur de la queue, elles semblent être
plus courtes, proportionnellement à cette queue, qui est fort longue;
mais si l'on considère le volume de son corps, on trouve son envergure
assez grande.

Le Blanchard a le corps moins gros que nos aigles; il est plus allongé
et plus svelte de taille; enfin, comme il convenoit qu'il fut construit
pour la chasse aux oiseaux. Il est, en un mot, à nos aigles ce que sont
les lévriers aux dogues.

Le Blanchard est caractérisé par une espèce de huppe qui prend
naissance derrière l'occiput; mais elle est beaucoup moins apparente
que dans l'espèce précédente. On l'apperçoit très-peu dans la
femelle: celle-ci est d'un tiers plus forte que le mâle; sa couleur
est généralement plus lavée de brun fauve, sur le manteau et les
couvertures des aîles; tous deux sont gantés; c'est-à-dire, qu'ils
ont des plumes sur les doigts. La queue est rayée transversalement de
noir et de blanc; les grandes pennes sont brunâtres dans leurs barbes
extérieures, et rayées dans toute la partie qui est couverte quand
l'aîle est ployée. L'iris et les doigts sont d'un beau jaune; les
griffes, qui sont très-fortes, ont une couleur plombée, ainsi que le
bec.

Toutes les plumes du Blanchard sont blanches, flambées de noir-brun sur
le manteau; elles sont douces au toucher, et non rudes, comme celles
des aigles en général. Son ramage est formé de plusieurs sons aigus
répétés précipitamment, et qu'on peut rendre par _cri-qui-qui-qui-qui_.
Lorsqu'il est perché et repu, on l'entend pendant des heures entières
répéter ces mêmes accens, qui paroissent assez foibles pour un oiseau
dont la taille égale, à un tiers près, celle du griffard. Le Blanchard
bâtit son aire sur le sommet des grands arbres. Le mâle couve tour à
tour avec sa femelle. Je n'ai trouvé que deux œufs dans le seul nid de
Blanchard que j'aie vu: ils étoient blancs et de la grosseur de ceux
d'une dinde, mais d'une forme plus ronde.

Quand, obligé de quitter mon camp, je me décidai à tuer le mâle et
la femelle, les petits étoient déja couverts entièrement d'un duvet
blanc fauve. J'ai essayé d'élever ces deux aiglons; mais mes chiens
les tuèrent avant qu'ils ne fussent couverts de toutes leurs plumes. A
juger par celles qu'ils avoient déja, la première livrée du Blanchard
approche beaucoup de celle de l'âge fait; à l'exception que le brun
est plus lavé et que toutes les couvertures des aîles sont bordées de
roussâtre. En général, j'ai remarqué dans beaucoup de jeunes oiseaux de
proie, que la couleur fauve ou rousse borde toujours plus ou moins les
plumes de tout le manteau. Je n'ai jamais rencontré le Blanchard que
dans le pays d'Auteniquoi.



LE VOCIFER, Nº. 4.

[Illustration: _Le Vocifer._]


Voici, sans contredit, une des plus belles espèces d'aigles;
non-seulement distinguée par la beauté de son plumage, mais encore
par l'élégance de sa forme et par sa taille, dont les dimensions
égalent celles de l'orfraie. Le Vocifer est remarquable par le blanc
de la partie antérieure du corps et de la queue, et par le brun-roux
mêlé de noir qui en pare le reste; les plumes de la tête, du cou et
des scapulaires, qui sont également blanches, montrent toutes leurs
côtes brunes. Celles de la poitrine portent quelques taches rares,
longitudinales, d'un noir-brun; le reste du plumage est d'un brun
ferrugineux, flambé d'un noir brûlé; les plus petites couvertures
des aîles sont d'une teinte plus claire, approchant de la rouille;
les scapulaires qui les avoisinent sont mêlés de noir, et tranchent
agréablement sous le blanc des autres, qui s'étendent sur le dos en
pointe de mouchoir. Les pennes de l'aîle sont noires, et en partie
comme finement marbrées de blanc et de roux à leurs barbes extérieures;
le bas du dos et les recouvremens du dessus de la queue sont d'un
noir mêlé de blanc sale. Entre le bec et l'œil, la peau se montre, et
cette partie est seulement couverte de poils rares: sa couleur est
jaunâtre, ainsi que la base du bec, les pieds et les doigts. L'iris
est d'un brun-rouge; les plumes des jambes descendent d'un demi pouce
sur le tarse par devant; les ongles et le bec sont d'un bleu de corne;
le jabot, qu'on apperçoit un peu, est couvert d'un duvet long et
frisé. La queue est légèrement arrondie; c'est-à-dire, que les pennes
extérieures sont les plus courtes, tandis que les autres s'allongent
successivement jusqu'aux deux du milieu qui sont les plus longues et
d'ailleurs égales entre elles.

La femelle a beaucoup moins de noir dans son plumage; son blanc est
moins pur et son roux moins foncé. Elle est plus forte que le mâle.

Les aîles ployées s'étendent jusqu'à l'extrémité de la queue, et leur
envergure est de près de huit pieds.

Dans son jeune âge, le Vocifer, au lieu de blanc, porte du gris cendré,
et sa queue est alors entièrement de cette dernière couleur; mais avec
l'âge elle devient blanche. A la seconde mue, il a déja autant de
blanc que de gris, et la queue est de même composée de quelques pennes
absolument blanches, d'autres d'un gris-brun, et quelques-unes enfin
mêlées de ces deux couleurs. Ce n'est donc qu'à la troisième année que
ces oiseaux prennent leur élégante livrée, telle qu'on la voit dans la
planche enluminée, qui représente la femelle.

On trouve le Vocifer sur les bords de la mer, et principalement à
l'embouchure des grandes rivières, sur la côte est et ouest d'Afrique,
dans toute la distance que j'ai parcourue de cette partie du monde.
Je ne l'ai jamais vu dans l'intérieur des terres, parce que, faisant
sa principale nourriture de poisson, il ne fréquente que les lieux
jusqu'où remonte la marée; car la plupart des rivières d'Afrique
n'étant que des torrens qui descendent des montagnes, on sent bien que
le poisson doit y être aussi rare qu'il est abondant sur la côte et
dans la partie des rivières qui avoisinent la mer. Dans l'intérieur
des terres, j'ai seulement trouvé ces oiseaux le long du cours de la
rivière d'Orange, ou Grande-Rivière, parce qu'elle est poissonneuse
par-tout.

Le Vocifer, de même que l'orfraie et le balbusard, fond rapidement
du haut des airs sur le poisson qu'il apperçoit. J'ai eu souvent
occasion de voir cet aigle s'abattre avec bruit sur l'eau, y plonger
même entièrement son corps, et en sortir tenant un gros poisson dans
ses serres. C'est sur des rochers voisins ou sur des troncs d'arbres
que les eaux ont déracinés, chariés et amoncelés sur les bords des
rivières, qu'il va dévorer sa proie et qu'il fait l'établissement de sa
pêcherie d'une manière fixe et stable; car il mange habituellement sa
pêche aux mêmes endroits, qu'il est facile de reconnoître aux monceaux
de têtes et d'arêtes de poisson que l'on y trouve. J'ai vu des ossemens
de gazelles parmi ces restes; ce qui prouve qu'il chasse aussi ce
gibier. Il dédaigne apparemment de faire la guerre aux oiseaux; car je
n'en ai jamais trouvé des débris dans ceux dont j'ai parlé, mais bien
ceux d'une espèce de grand lézard très-commun dans plusieurs rivières
d'Afrique.

J'ai pris le nom de Vocifer, de l'habitude qu'ont ces aigles de jeter
fréquemment de grands cris, différemment accentués, et de se répondre
entre eux de fort loin, perchés sur les rochers qui bordent la mer,
ou sur quelque tronc d'arbre renversé sur le sable des rivières. On
les voit, pendant ces sortes de conversations bruyantes, faire de
très-grands mouvemens du cou et de la tête; indice certain des efforts
nécessaires à la production des accens variés de leur voix. Ces cris
les décèlent toujours; mais il est néanmoins fort difficile de les
approcher d'assez près pour les tirer. J'ai été obligé, pour parvenir
à en tuer un, de faire creuser une fosse, recouverte d'une natte sur
laquelle j'avois fait jeter de la terre: j'ai passé trois jours
entiers dans cette embuscade à portée d'un tronc d'arbre sur lequel
un couple de ces oiseaux venoient d'ordinaire dévorer leur proie. Ils
n'y sont revenus que quand la terre dont j'étois recouvert n'avoit
plus une couleur fraiche et différente de celle qui est hâlée par
l'ardeur du soleil. A la fin du troisième jour, j'ai tué la femelle,
qui encore, comme on a pu le voir dans la relation de mes voyages, m'a
presque couté la vie, lorsque, pour l'aller chercher de l'autre côté du
Queur-Boom où elle étoit tombée, je m'avisai de traverser cette rivière
pendant la haute marée et manquai de m'y noyer. Sans la ruse dont je me
suis servi, j'aurois probablement quitté l'Afrique sans avoir pu jouir
du plaisir de posséder un aussi bel oiseau. Le mâle en cherchant sa
femelle, se fit tuer près du camp en dévorant les restes d'un buffle
que j'avois fait jeter pour attirer les oiseaux carnivores.

Le Vocifer est très-méfiant et fort difficile à approcher; il part
dès qu'il apperçoit le chasseur, et même de très-loin. Il s'élève
à une hauteur prodigieuse; son vol a une grâce toute particulière:
on entend fréquemment le mâle, pendant cette fonction, pousser des
sons que l'on peut rendre par _ca-hou-cou-cou_. Ces syllabes étant
prononcées lentement, la seconde chantée quelques tons plus haut que
la première et les deux autres successivement d'un ton plus bas, on
imitera parfaitement le ramage de plaisir de cet oiseau[2]. Il est à
remarquer que c'est toujours en l'air que le Vocifer fait entendre ce
chant; non en planant, mais quand il accompagne son vol d'un mouvement
d'aîles remarquable et comme avec une sorte de complaisance, en
les ramenant par dessous son corps, au point de les faire toucher
presqu'ensemble. Nous observerons dans ce mouvement, qui accompagne
la voix pendant le vol, une analogie avec ce que nous avons dit de
celui qu'il forme en criant lorsqu'il est perché, et qui montre, à ce
que je crois, la nécessité d'un surcroît d'effort dans cet oiseau,
dont la voix est extraordinaire et fort remarquable, en ce qu'elle est
très-sonore, qu'on y trouve une certaine harmonie qui plaît, et qui
flatte l'oreille, sans avoir enfin le désagréable ton perçant, aigre et
plaintif de la plupart des oiseaux de proie.

  [2] [Illustration: Ca-hou-cou-cou.]

Le mâle et la femelle ne se quittent point, et partagent de la
meilleure intelligence ce que l'un ou l'autre a pêché ou pris à la
chasse. Ils construisent leur aire sur le sommet des arbres ou sur les
rochers; il est absolument fait comme celui du griffard, à l'exception
qu'il est garni intérieurement de matières douilletes, telles que
plumes, laine, etc.; sur lesquelles sont déposés deux ou trois œufs
entièrement blancs et de la forme de celui d'une dinde, mais plus gros.

Les colons du Cap de Bonne-Espérance nomment cet oiseau grand pêcheur
de poisson (_groote-vis-vanger_), ou pêcheur de poisson, blanc
(_witte-vis-vanger_).

Je n'ai jamais entendu le Vocifer qu'une seule fois dans les environs
de la baie Falso; de sorte que cet oiseau paroît très-rare vers le
Cap. Ce n'est guère qu'à soixante ou quatre-vingts lieues de là que
j'ai commencé à le voir communément; mais l'endroit où il s'en trouve
le plus, c'est vers la baie Lagoa. Il semble que le Vocifer se trouve
aussi en Négritie; car c'est assurément à lui que l'on peut rapporter
ce que Gaby raconte de l'aigle qu'il désigne sous le nom de nonette. Il
a, dit-il, la couleur de l'habit d'une carmélite, avec son scapulaire
blanc. Cette courte description convient certainement plus au Vocifer
qu'à notre balbusard, à qui Buffon la rapporte très-mal à propos.



LE BLAGRE, Nº. 5.

[Illustration: _Le Blagre._]


Le Blagre est en Afrique ce qu'est le balbusard en Europe. Modélé sur
les mêmes proportions, il a aussi précisément les mêmes mœurs. Il fait
sa principale nourriture de poisson, qu'il fixe du haut des airs, et
qu'il saisit en se plongeant même entièrement dans l'eau. Perché sur
un arbre, près d'une rivière ou d'un lac, ou sur quelque rocher qui
borde la mer, il passe des matinées entières à y guetter les poissons
qui se présentent à sa portée. On le trouve rarement dans l'intérieur
des terres arides; il ne fréquente que les bords de la mer et des
rivières poissonneuses. Il vole à une prodigieuse hauteur, d'où on
l'entend pousser des cris très-aigus. Ces oiseaux paroissent avoir
l'œil perçant; car je les ai vu descendre presque des nues tout droit
sur des poissons qui nageoient à la surface de l'eau, et en emporter
d'assez gros dans leurs serres. La chair du Blagre a un goût insipide
de poisson, et sa graisse, qui est très-abondante, est si huileuse,
qu'en écorchant l'oiseau, elle se répand sur toutes les plumes. Deux
individus de cette espèce, que j'avois préparés avec le plus grand
soin, ont été totalement gâtés, parce que cette graisse, avec le tems,
s'est répandue sur chacune des plumes de ces oiseaux; de manière
qu'elles s'en sont trouvées entièrement imbibées, comme si on avoit
trempé la peau dans de l'huile.

Le Blagre est de la taille de notre balbusard; ses plumes ont la
rudesse de celles des martins-pêcheurs, sur-tout celles du ventre,
dont les barbes sont très-serrées et fort unies entre elles. La tête,
le cou, et tout le plumage antérieur, sont d'un blanc satiné. Sur la
tête et le derrière du cou, la côte de chaque plume est brunâtre; le
manteau et les petites couvertures des aîles sont d'un léger gris-brun,
ainsi que la queue, dont le bout est blanc. Les grandes pennes sont
noirâtres; les moyennes ont leurs barbes extérieures de la même couleur
que le manteau; le bec est brunâtre, les pieds sont jaunes, les ongles
noirs et l'iris est d'un brun foncé.

Les ornithologistes qui, comme Buffon, ne cherchent qu'à diminuer les
espèces, ne manqueront pas de prendre le Blagre pour une variété de
notre balbusard; mais moi, qui ne crois point à ces grandes variations
produites par l'influence du climat, je le donne pour être certainement
une seconde espèce du même genre.

Kolbe, dans son voyage au Cap, fait mention de plusieurs aigles qu'il
a vus, dit-il; mais, en jetant les yeux sur la partie ornithologique
de son livre, il est aisé de voir qu'il n'avoit pas la moindre
connoissance dans cette partie. Le stront-vogel, qu'il donne pour un
aigle, est un très-grand vautour du Cap, dont je parlerai. Je n'ai
jamais vu au Cap l'orfraie, ni l'oiseau qu'il nomme l'aigle canardière,
lequel s'élevant, suivant lui, à une prodigieuse hauteur, dévoroit
en l'air les canards. Il est absurde d'avancer un pareil fait, qui
est parfaitement faux; car jamais les oiseaux de rapine ne dépècent
leur proie en volant. Buffon rapporte, je ne sais pourquoi, cet aigle
canardière à son petit aigle: il n'y a pourtant pas un mot dans
l'indication de Kolbe qui puisse l'avoir autorisé à ce rapprochement.
Quant aux autres aigles que ce voyageur a vus en mer dévorant les
poissons volant, ce n'étoit probablement que des frégates ou des
albatros, dont il aura fait des aigles; comme de l'outarde du Cap il
a fait un paon; parce qu'en effet les colons nomment cet oiseau, paon
sauvage. Il seroit plus qu'étonnant, qu'ayant passé cinq ans au Cap,
uniquement occupé à la recherche des oiseaux, je n'aie jamais apperçu
ces aigles dont parle Kolbe, et qu'il dit sur-tout être si communs.
Je ne me serois jamais avisé de parler des oiseaux dont cet auteur
fait mention, si Buffon ne s'étoit pas servi de ses indications pour
faire des rapprochemens, et en tirer ensuite des conséquences souvent
très-absurdes.

Il n'y a point d'oiseau sur lequel on ait débité autant de fables
que sur les aigles, et principalement sur notre balbusard, qui a été
très-anciennement connu; si toutefois on peut se servir du mot connu,
pour désigner les erreurs grossières qui ont été débitées sur cet
oiseau. Albert le Grand ayant écrit que le balbusard avoit un pied
d'épervier, et l'autre pareil à celui d'une oie; Gesner, Aldrovande,
Klein, et même Linnæus, l'ont répété d'après lui. Rien ne prouve
mieux la manière dont observoient les anciens ornithologistes; et
malheureusement il n'y a aucun ouvrage nouveau qui ne soit entaché de
toutes les erreurs et absurdités des écrivains anciens; et cela parce
qu'il est plus court et plus facile, de compiler tranquillement un
livre que de faire soi-même des observations; et c'est très-souvent
d'après les exposés les plus absurdes et les plus hors de vraisemblance
qu'on tire des conséquences; car les ornithologistes qui n'ont jamais
étudié la nature que dans les écrits de leurs prédécesseurs, et voulant
cependant nous donner aussi leurs propres idées, entassent de nouvelles
réflexions absurdes sur d'anciennes erreurs; ce qui ne nous donne que
des résultats encore plus monstrueux. C'est ainsi que Buffon lui-même,
confondant souvent trois et quatre espèces très-différentes et
très-connues, pour n'en faire qu'autant de variétés de la même espèce,
nous présente ensuite, pour une seconde espèce du même genre, un
oiseau dont il n'a d'autre indication qu'une description si imparfaite
qu'il est impossible de débrouiller le genre auquel il appartient.

Quant à moi, je trouve que ceux qui ont donné les variétés d'âge
ou de sexe de la même espèce comme autant de différentes espèces,
ont moins fait de mal que Buffon, qui s'élève si fort contre eux,
lorsqu'il nous indique comme trois variétés de climat, trois oiseaux
qui, non-seulement sont de différentes espèces, mais même de genres
différens, comme je le prouverai en parlant des pie-grièches du Cap; et
dans cent autres articles, je prouverai aussi que ce grand naturaliste,
en écrivant son ornithologie, n'a peut-être jamais vu l'oiseau dont il
parloit, ou du moins qu'il ne l'a certainement pas examiné. D'ailleurs,
il n'y a pas d'ouvrage sur les oiseaux à qui ce que je viens de dire ne
puisse être appliqué. A quoi bon encore rappeler dans chaque nouvelle
ornithologie, quantité d'espèces si superficiellement décrites, soit
par des voyageurs, soit par les anciens, qu'il est même douteux que
ces oiseaux aient jamais existé. Je pense qu'il vaut mieux de décrire
bien exactement une espèce que l'on voit et dont on est certain de
l'existence, que de se disputer sur l'analogie d'une autre, décrite
depuis plusieurs siècles; et certainement plus on sera indécis sur
l'espèce à laquelle on peut rapporter un individu décrit, autant plus
mal sera faite cette description. D'ailleurs, quand j'ouvre un livre
pour m'instruire et que je vois un oiseau très-connu, le balbusard
par exemple, à qui on donne un pied d'oiseau de proie et un de
canard; et qu'un autre me dise que cela est possible, puisqu'il sait
qu'il existe des poules d'eau qui sont moitié palmipèdes et moitié
fissipèdes; tandis qu'un autre prétend encore du même oiseau, que le
père et la mère tuent celui de leurs petits qui ne peut soutenir les
rayons du soleil; et d'autres encore, que les balbusards sont le
produit d'aigles de différentes espèces qui s'accouplent ensemble,
et que ces balbusards produisent après des petits vautours, qui
eux-mêmes produisent des grands vautours, etc. etc.: je dis qu'il ne
faut jamais ouvrir ces livres pour s'instruire, et que ceux qui les
ont écrits n'étoient rien moins qu'ornithologistes, et certainement
point observateurs. On ne peut donc ajouter foi à leurs écrits comme
naturalistes. Buffon, qui a combattu ces absurdités, y tombe cependant
lui-même, au sujet de l'urubu et du stront-vogel du Cap, désignés par
Kolbe. J'invite le lecteur à lire d'un bout à l'autre dans Buffon,
l'article de l'urubu, _ouroua_, _aura_ ou marchand; il verra là tout ce
qu'il est possible d'entasser d'absurde sur les rapprochemens.



LE CAFFRE, Nº. 6.

[Illustration: _Le Caffre._]


On peut regarder cet oiseau comme une espèce intermédiaire formant la
nuance entre les aigles et les vautours. Il ressemble plus aux derniers
par la forme de son bec, et par ses serres, qu'il a peu arquées
et émoussées; mais il n'a pas la tête dénuée de plumes; caractère
invariable que nos méthodistes ont assigné à ce genre d'oiseaux. Celles
qui recouvrent le cou ne sont point non plus effilées et alongées
comme elles le sont, en général, chez les vautours. C'est donc une
de ces espèces qui contrarient encore nos divisions méthodiques, et
qui se refusent aux classifications qu'ont adoptées plusieurs de nos
nomenclateurs, mais que la nature désavoue. L'état actuel de l'histoire
naturelle nous a montré tant de fois la nature se jouant des règles
précises et rigoureuses de nos systêmes, que nous devons déja être
accoutumés à ses écarts; de sorte que nous pouvons en conclure que
nos méthodes deviendront toujours plus fautives à mesure que nos
connoissances s'étendront, et que nous découvrirons un plus grand
nombre d'espèces; qui, comme celle dont il est question, très-utile à
l'arrangement d'une série naturelle, l'est en revanche très-peu à nos
divisions tranchantes et systématiques.

Le Caffre est de la taille de l'aigle royal ou grand aigle. Il a le
bec plus fort, les ongles courts et moins arqués. Les aîles ployées
s'étendent, dans cette espèce, de huit pouces au-delà du bout de la
queue, dont la pointe est usée et élimée, parce que, l'oiseau
se retirant dans les rochers et se posant plus souvent à terre que
l'aigle, le frottement l'endommage un peu. Le tarse est couvert de
plumes qui descendent jusque sur les doigts. La queue est arrondie, les
plumes extérieures étant les plus courtes.

Tout le plumage du Caffre est d'un noir mat, à l'exception de quelques
reflets brunâtres dans les petites couvertures des aîles, vers les
pennes de l'aîle. L'œil, qui est très-grand, s'enfonce profondément
dans l'orbite; et l'iris est d'un brun maron. Le bec est bleuâtre à sa
base, et jaunâtre dans toute la partie de sa courbure. Les ongles sont
noirs et les doigts d'un jaune terne. Je n'ai rencontré ces oiseaux que
dans le voisinage de la Caffrerie, où ils sont même assez rares. Je
n'ai vu en tout que cinq individus de cette espèce, du nombre desquels
il ne m'a été possible d'en tuer que deux, qui vinrent se précipiter
sur les débris d'un buffle, que j'avois fait jeter à l'écart pour
les attirer. En les écorchant, il s'exhala de leurs corps une odeur
insupportable; ce qui prouve qu'ils font leur principale nourriture
des cadavres qu'ils rencontrent. Comme les vautours, ils sont obligés
de marcher quelques pas avant de pouvoir s'enlever de terre; mais
ils ne volent point en grandes troupes, car je ne les ai jamais vu
que deux ensemble, apparemment le mâle et la femelle. N'ayant tué
que deux femelles, je ne puis indiquer la différence qui se trouve
entre les deux sexes. Je n'ai pu rien apprendre de particulier sur
leurs habitudes et leurs pontes; les Sauvages m'ont assuré seulement
qu'ils nichent dans les rochers; qu'ils attaquent les agneaux, les
dévorent sur la place, et que jamais ils n'emportent leur proie dans
leurs griffes, même quand ils ont des petits. Nous savons que l'aigle
porte, de cette manière, la sienne dans son aire, pour la déchirer et
la partager ensuite à ses aiglons. Le vautour, au contraire, n'apporte
à ses petits leur nourriture que dans son jabot, d'où il la dégorge
ensuite. Voilà du moins une observation que j'ai faite plusieurs fois
sur l'espèce que les colons du Cap nomment _stront-vogel_ (oiseau de
merde), ou _aas-vogel_ (oiseau de charogne). Il y a même lieu de croire
que c'est là généralement l'usage de tous les vautours; car leurs
griffes ne sont pas propres à empoigner ni à serrer fortement.



LE BATELEUR, Nos. 7 ET 8.

[Illustration: _Le Bateleur._]

[Illustration: _Le Bateleur jeune âge._]


De toutes les espèces d'oiseaux de proie connues jusqu'à ce jour, il
n'en est aucune à laquelle on puisse comparer ni rapporter l'oiseau
dont il est ici question. Sa queue, extraordinairement courte, le
distingue et le caractérise d'une manière particulière, car elle
dépasse à peine les plumes du croupion qui en recouvrent plus de la
moitié, et dans toute sa dimension, elle atteint au plus six pouces de
longueur; ce qui prête à l'oiseau peu de grâce sur-tout en volant, et
contraste mal avec ses grandes aîles, dont l'envergure paroît encore
plus ample à cause du peu d'étendue de cette queue. Quand je vis voler
le Bateleur pour la première fois, je crus appercevoir un oiseau que
quelqu'accident avoit privé de sa queue; et l'on seroit d'autant plus
porté à le présumer, que, dans son vol, il a effectivement un mouvement
très-extraordinaire, et que j'attribuai d'abord au défaut de la queue,
laquelle, tenant lieu de gouvernail, sert si bien aux oiseaux de proie
pour se diriger avec agilité et grâce dans les plaines de l'air. Mes
observations me prouvèrent, par la suite, que la queue écourtée de cet
oiseau est un caractère constant dans l'espèce, et sa manière de voler,
un jeu dont il s'amuse en provoquant sa femelle, qui lui répond de la
même manière.

Le Bateleur plane en tournoyant en rond, et laisse échapper, de tems
en tems, deux sons très-rauques, dont l'un est chanté d'un octave plus
haut que l'autre; souvent il rabat tout à coup son vol, et descend
à une certaine distance, en battant l'air de ses aîles, de manière
que l'on croiroit qu'il s'en est cassé une et qu'il va tomber jusqu'à
terre. Sa femelle ne manque alors jamais de répéter le même jeu. On
peut entendre ces coups d'aîles à une très-grande distance; je ne puis
mieux comparer le bruit qui en résulte, et qui n'est qu'un froissement
dans l'air, qu'à celui que fait une voile dont un des coins s'est
détaché, et qu'un grand vent agite violemment.

J'ai tiré le nom de cet oiseau de sa manière de se jouer dans les airs:
on diroit, en effet, un bateleur qui fait des tours de force pour
amuser les spectateurs. Ces oiseaux sont très-communs dans tout le pays
d'Auteniquoi et le long de la côte de Natal jusque dans la Caffrerie.
Il ne s'est peut-être pas passé un seul jour pendant tout le tems que
j'ai parcouru cette charmante contrée, sans qu'il ne me soit arrivé
d'en voir plusieurs couples. Le mâle et la femelle ne se quittent
jamais, et rarement les apperçoit-on l'un sans l'autre.

Si la queue très-courte de cet oiseau le distingue des autres oiseaux
de proie, ses couleurs très-marquées aideront encore à ne pas le
faire confondre avec d'autres espèces voisines. Le Bateleur est d'une
grosseur mitoyenne entre l'orfraie et notre balbusard. Son bec et ses
serres sont noires; la base du bec est jaunâtre; les pieds sont d'un
brun jaunâtre, couverts de larges écailles; la tête, le cou, tout le
devant et le dessous du corps sont d'un beau noir mat, sur lequel
tranche fortement la couleur d'un roux foncé, qui est celle du dos et
de la queue; les scapulaires sont d'un noir lavé, prenant, à certain
jour, une teinte d'un gris bleuâtre; toutes les petites couvertures des
aîles sont d'un fauve isabelle; toutes les pennes de l'aîle sont noires
dans leurs barbes intérieures, et sont liserées extérieurement
d'un gris argentin; de manière que quand l'aîle est ployée, elle
paroît en grande partie être de cette dernière couleur. L'œil est d'un
brun foncé. La femelle est d'un quart plus forte que le mâle, et ses
couleurs ont, en général, un ton plus foible.

Le Bateleur bâtit son nid sur les arbres; la femelle pond trois ou
quatre œufs, qui sont entièrement blancs: c'est du moins ce que m'ont
assuré les colons des cantons qu'habitent ces oiseaux; car je n'en ai
jamais vu la ponte. Quant aux jeunes, j'en ai tué plusieurs: dans cet
état, ils sont si différens des vieux par leurs couleurs, que, si je
ne les avois pas tués pendant que le père et la mère leur donnoient
encore à manger, quoiqu'ils fussent aussi forts qu'eux, et si, en les
disséquant, je ne les avois reconnu pour être de jeunes oiseaux, il est
certain que je les aurais pris pour une seconde espèce du même genre.
Lorsque je les apperçus, ils étoient au nombre de six, tous perchés
sur un très-gros arbre, qui portoit l'aire où probablement les quatre
petits étoient éclos. J'abattis d'abord le père et la mère, après quoi
je parvins à tuer trois des jeunes, et ne pus joindre le quatrième,
qui s'étoit envolé trop loin dans le bois. Parmi ces trois jeunes, je
reconnus, à la dissection, un mâle et deux femelles; et il est plus
que probable que celui qui m'échappa étoit un second mâle. Les trois
jeunes Bateleurs portoient exactement la même livrée, telle qu'on peut
la voir dans la planche 8, où j'ai fait représenter l'une des jeunes
femelles. J'ai tué, quelques mois après, d'autres jeunes oiseaux de
la même espèce, mais plus avancés en âge: ils portoient déja beaucoup
de plumes rousses sur le croupion; sur toute la tête et le dessous du
corps poussoient aussi plusieurs plumes noires. Il paroît donc que ce
n'est qu'à la troisième mue que le Bateleur prend entièrement sa belle
livrée, telle qu'on la voit dans notre planche enluminée, Nº. 7.

Dans son jeune âge, la base du bec est bleuâtre, le bec couleur de
corne et les pieds sont jaunâtres: la couleur générale du plumage est
alors d'un brun uniforme, plus clair sur la tête et le cou, et plus
foncé sur le reste du corps. Mais toutes les plumes sont en partie
bordées d'une teinte plus claire et plus lavée.

Le Bateleur se repaît, comme les vautours, de toutes sortes de
charogne; cependant il attaque souvent les jeunes gazelles: il rode
dans les environs des habitations, où il cherche à surprendre les
agneaux ou les moutons malades; les jeunes autruches, quand elles
sont encore petites, deviennent aussi sa proie, sur-tout quand
quelqu'accident les ont séparées de leurs père et mère. Les colons
d'Auteniquoi nomment cet oiseau de proie _berg-haan_ (coq de montagne);
c'est le nom qu'ils donnent, en général, à tous les grands oiseaux de
rapine et particulièrement aux aigles.

Il suffit de jeter un coup-d'œil sur cet oiseau, pour être convaincu
qu'il n'a point les caractères qu'on a donnés aux aigles; car
ses serres ne sont point aussi fortement arquées, et son bec est
proportionnellement moins vigoureux. C'est encore une de ces espèces
ambiguës qui tiennent autant du vautour que de l'aigle, et qui doit
occuper, à côté du caffre, une place entre les aigles et les vautours.

Le canton où j'ai vu le plus communément le Bateleur est celui où
j'étois campé sur les bords du Queur-Boom, proche la baie Lagoa.
Ils ne volent point en troupe, et on n'en voit plusieurs ensemble
que lorsqu'un concours d'autres oiseaux de proie a attiré tous ceux
du canton sur quelques cadavres. Dans ce seul cas, on les trouve
rassemblés; mais quand ils sont repus, chaque couple prend une
route différente pour se rendre dans leurs retraites respectives, et
s'enfoncer dans les montagnes voisines ou dans les différens quartiers
de la forêt, où ils ont établi leur demeure.

J'ai remarqué aussi que ces oiseaux emportent dans leurs jabots
la nourriture qu'ils dégorgent ensuite à leurs petits, à qui ils
paroissent très-attachés; car je les ai vus constamment leur porter à
manger quoiqu'ils fussent déja aussi forts qu'eux et bien capables de
se pourvoir eux-mêmes de nourriture.



DES VAUTOURS.

L'ORICOU, Nº. 9.

[Illustration: _L'Oricou._]


Cette espèce, plus forte que nos plus grands vautours, a dix pieds
passé d'envergure, et porte un de ces caractères tranchans qu'il est
bon de saisir, pour en tirer les dénominations des animaux; c'est une
membrane haute de quatre lignes qui environne l'oreille par devant et
qui se prolonge ensuite en ligne droite sur le cou. Cette manière de
conque relevée et de quatre à cinq pouces de long, doit sans doute
augmenter les facultés de l'ouïe dans cette espèce. Toute la tête et
la moitié du cou sont nus, et d'une couleur rouge de chair; cette
couleur prend un ton bleu violâtre vers le bec et se blanchit près
des oreilles: on remarque seulement sur cette peau colorée quelques
poils courts et rares. La gorge est noire et couverte de poils roides
de la même couleur. Toutes les plumes du dessus du corps, les aîles
et la queue sont d'un brun sombre, bordé d'une teinte plus claire;
toutes celles qui recouvrent le cou par derrière sont contournées,
et forment une espèce de cravatte frisée, dans laquelle l'oiseau, en
faisant rentrer son cou, cache toute la partie qui est dégarnie de
plumes: c'est sur-tout en digérant que ce vautour prend cette maussade
attitude. Le jabot, qui est très-proéminent, est couvert d'un duvet
fin, soyeux et lustré, qui n'imite pas mal le pelage d'un quadrupède;
depuis la poitrine jusqu'à la queue, tout le corps est recouvert de
longues plumes étroites qui s'éloignent du corps à mesure qu'elles
s'alongent. Elles sont arquées en lames de sabre; leur couleur est
d'un brun clair bordé de gris-blanc; les jambes et la moitié du tarse
sont couverts d'un duvet blanc très-fin, mêlé d'une légère nuance de
fauve dans les parties qui avoisinent le talon; le même duvet tapisse
tout le dessous du corps; on l'apperçoit aussi à travers les plumes
sur la poitrine, et on le voit encore sur les côtés du cou. La queue
est étagée; on la trouve toujours usée par le bout. La base du bec et
la peau qui l'entoure sont d'une couleur jaunâtre de corne; les pieds
et les doigts très-gros sont renforcés de grandes écailles brunes;
les ongles larges et très-peu arqués, sont, ainsi que le bout du bec,
couleur de corne; l'œil est entouré de longs cils noirs; l'iris est
d'un brun maron.

Ce vautour est un oiseau de montagne, comme les autres espèces de ce
genre; les abris que forment les couches pierreuses et les cavernes
qui s'y rencontrent sont proprement l'habitation de ces oiseaux. Ils
y passent la nuit et viennent s'y reposer pendant le jour, lorsqu'ils
sont repus; on les apperçoit en grand nombre, au lever du soleil,
perchés sur les rochers à l'entrée de leur demeure, et quelquefois une
chaîne entière de montagnes en est parsemée dans la majeure partie
de toute son étendue. Le frottement des pierres dans les intervalles
desquelles ils s'enfoncent, ou sur lesquelles ils se juchent, élime
les pennes de leurs queues; pendant que les aigles, marchant plus
rarement et se perchant aussi sur les arbres, les conservent plus
entières; d'ailleurs, les vautours l'usent encore contre le sol dans la
plaine, parce qu'ils ne prennent pas leur essor tout d'un coup, mais
seulement après une course de quelques pas, et une contraction forcée
des membres. Le vol des vautours n'en a cependant pas moins de force
et de hauteur; ils s'élèvent prodigieusement haut, et disparoissent
totalement à la vue. On ne conçoit pas comment ces oiseaux qu'on ne
sauroit souvent distinguer dans les airs, peuvent eux-mêmes appercevoir
ce qui se passe sur la terre, y découvrir les animaux qui leur servent
de pâture, et fondre sur eux en grand nombre au moment que la mort leur
livre cette proie. Si un chasseur tue quelque grosse pièce de gibier,
qu'il ne peut emporter sur l'heure, s'il l'abandonne un instant, à
son retour il ne la retrouve plus; mais à sa place, il voit une bande
de vautours, et cela dans un lieu où il n'y en avoit pas un seul un
quart-d'heure auparavant.

C'est ce que j'ai éprouvé moi-même plusieurs fois dans mes voyages de
la part des vautours, soit de l'espèce de celui dont il est question,
soit des autres dont j'ai encore à parler; car tous ces voraces
carnivores se réunissent et se mêlent dans cette circonstance. La
première fois que je demeurai leur dupe, fut dans une occasion où
j'éprouvois la disette de provisions; et par conséquent la leçon
qu'ils me donnèrent me fut assez sensible. J'avois tué trois zèbres;
satisfait de ma chasse, je retournai à mon camp, dont j'étois éloigné
d'une lieue, et je commandai qu'on amenât un chariot pour les enlever.
Mes Hottentots, plus instruits que moi, me dirent que ce voyage leur
paroissoit inutile, parce que les zèbres seroient dévorés avant notre
retour. Nous partîmes cependant; mais à peine nous nous avancions
que nous vîmes de loin l'air rempli de vautours. En arrivant nous en
trouvâmes la campagne parsemée; les zèbres étoient dévorés; il n'en
restoit que les grands os, et cependant les vautours arrivoient encore;
et de tous côtés, c'étoit un essaim étonnant et toujours mobile de ces
animaux, dont on auroit pu compter plus de mille individus.

Curieux d'observer comment pouvoit sitôt arriver un si grand nombre
de vautours, je me cachai un jour dans un buisson, après avoir tué
une grande gazelle, que je laissai sur la place; dans un instant il
vint des corbeaux qui voltigèrent au-dessus de l'animal en croassant
beaucoup; en moins d'un demi-quart-d'heure, il arriva des milans et des
buses; un instant après, j'apperçus, en levant la tête, des oiseaux à
une prodigieuse hauteur, et qui descendoient toujours en tournoyant.
Je ne tardai point à reconnoître les vautours: on eût dit qu'ils
s'échappoient d'un antre dans le ciel. Les premiers ne tardèrent point
à fondre sur la gazelle: je ne leur donnai pas le tems de la dépécer;
je sortis de ma cachette; ils reprirent lourdement leur vol, et
rejoignirent leurs camarades, dont l'affluence augmentoit à vue d'œil,
et qui sembloient se précipiter des nues pour partager la proie; mais
ma présence les fit bientôt tous disparoître dans les airs.

Voici donc comment les vautours sont appelés à partager une proie
quelconque: les premiers oiseaux carnivores qui découvrent un cadavre
donnent l'éveil aux autres qui se trouvent aux environs, tant par
leurs cris que par leurs mouvemens. Si le vautour le plus à portée
ne voit pas la proie, de la haute région de l'air dans laquelle il
nage au moyen de ses grandes aîles, il voit du moins les oiseaux de
proie subalternes et terrestres, pour ainsi dire, qui se préparent à
en faire curée; mais peut-être le vautour a-t-il la vue assez bonne
pour découvrir le gibier lui-même. Il descend donc à la hâte et en
tournoyant; sa chûte avertit les autres vautours qui le voient, et qui
ont sans doute l'instinct exercé et l'instruction complète sur tout ce
qui concerne la pâture. Il se fait donc, dans le voisinage du cadavre,
un concours d'oiseaux carnivores qui tombent des nues, et qui suffit
certainement pour amener les vautours de toute la contrée, à peu près
comme le mouvement de quelques hommes qui courent dans nos villes,
amène tout le peuple après eux.

On peut quelquefois tirer une notion utile de l'affluence des vautours
vers le lieu qui recèle leur proie, et s'instruire du voisinage du
lion, du tigre et de l'hienne. Lorsqu'un de ces animaux a tué quelque
grand quadrupède, les vautours, qui l'ont apperçu, arrivent aussitôt,
et toujours avec une affluence qui avertit le voyageur de se tenir sur
ses gardes; mais ces oiseaux, timides et lâches, ne se sentant pas le
courage de disputer une proie, montrent, dans cette occasion, toute la
bassesse de leur caractère; car, n'osant faire usage de leur force,
de leurs armes, de la masse du corps et de l'avantage du vol, ni même
de celui du nombre, moyen le plus stimulant pour les lâches, on les
voit se poser respectueusement à quelque distance de l'animal féroce,
attendant qu'il ait fini son repas et que sa faim contentée et sa
retraite leur permettent de dévorer les restes qu'il leur abandonne.

Les Hottentots et les colons du Cap de Bonne-Espérance, bien instruits,
par l'expérience, de l'habileté des vautours à découvrir le gibier et
de leur voracité, n'abandonnent jamais une pièce de gibier qu'ils ont
tuée et qu'il leur est impossible d'emporter pour le moment, sans avoir
couvert et enterré, pour ainsi dire, l'animal sous un tas de branches
et de feuillages; ils laissent même sur le monceau ou leur mouchoir ou
leur veste; mais, malgré cette précaution, il leur arrive souvent de ne
trouver à leur retour qu'un squelette; car les corbeaux, plus hardis,
travaillent d'abord à découvrir l'animal, et les vautours, se hasardant
alors d'approcher, ont bientôt entièrement dévoré leur proie.

Les colons hollandois des cantons où se trouve l'Oricou, lui donnent
le nom de _swarte-aas-vogel_ (oiseau de charogne, noir). Ils désignent
ce vautour par la couleur noire, pour le distinguer d'une autre espèce
de vautours blonds, dont je parlerai dans l'article suivant sous le
nom de chasse-fiente, nom qu'il porte au Cap, où les habitans le
désignent encore par celui de _stront-jager_: ceux de _stront-vogel_,
_stront-jager_ ou _aas-vogel_, sont les noms que généralement on donne
au Cap à tous les vautours.

Je n'ai jamais vu l'Oricou dans les environs du Cap; mais il est
très-commun dans l'intérieur des terres, sur-tout vers le pays des
Grands Namaquois, où on trouve aussi l'autre espèce.

Il niche dans les cavernes des rochers. La femelle ne pond que deux
œufs blancs et très-rarement trois. C'est en octobre que ces vautours
commencent à entrer en amour, et en janvier leurs petits sont tous
éclos. Comme ils vivent en troupes formidables, une seule montagne
recèle quelquefois autant de nids qu'il y a des endroits propres à en
contenir. Il est à remarquer que jamais les vautours ne nichent sur un
arbre, du moins en Afrique; et je serois bien trompé s'il n'en étoit
pas de même à l'égard des vautours du monde entier. Ils paroissent
vivre en très-bonne intelligence entre eux; car j'ai vu dans la même
caverne quelquefois jusqu'à trois nids l'un à côté de l'autre.

Dans le tems de l'incubation, chaque mâle fait le guet sur la bouche
de l'antre où couve sa femelle; ce qui rend alors le nid facile à
remarquer; mais en revanche il est presque toujours inaccessible. J'ai
cependant, à l'aide de mes Hottentots, quelquefois franchi toutes les
difficultés et risqué souvent ma vie pour examiner les œufs de ces
oiseaux, dont le repaire est un vrai cloaque dégoûtant, et infecté par
une odeur insupportable. Il est d'autant plus dangereux d'approcher
de ces retraites obscures, que l'entrée en est couverte de fiente,
toujours liquide par l'humidité produite par les eaux qui suintent
sans cesse des rochers; de sorte que l'on risque, en glissant sur ces
pointes de rochers, de tomber dans des précipices affreux au-dessus
desquels ces oiseaux s'établissent de préférence.

J'ai goûté les œufs de l'Oricou, ainsi que ceux du chasse-fiente, et je
les ai trouvés assez bons pour en faire usage.

En naissant, le jeune Oricou est couvert d'un duvet blanchâtre. Au
sortir du nid, son plumage est d'un brun clair, et toutes ses plumes
sont bordées d'une teinte roussâtre. Celles de la poitrine et du
ventre ne sont point encore alors contournées en lames de sabre, et sa
tête et son cou sont entièrement couverts d'un fin duvet très-touffu,
et les conques de ses oreilles paroissent à peine; ce qui pourroit
induire en erreur, et, dans cet état, le faire prendre, par quelques
naturalistes peu exercés, pour un aigle, ou bien pour un vautour d'une
autre espèce; car il est toujours facile de distinguer un vautour d'un
aigle à la forme seule de serres: caractère bien plus certain que celui
d'avoir la tête nue; puisque tous les vautours, dans leur jeune âge,
l'ont couverte tout au moins d'un duvet: aussi qui pourra distraire
des nombreux ouvrages sur les oiseaux, tous les jeunes vautours dont
on a fait des aigles? malgré qu'il n'y ait cependant rien de plus
facile que de distinguer un jeune oiseau d'avec un vieux; mais pour
cela, je le répète, le premier coup-d'œil d'un homme exercé vaut
mieux, sans contredit, que la vérification scrupuleuse de tous ces
nombreux caractères généraux, qui, la plupart du tems, n'existent que
dans l'imagination de celui qui les a établis, et conviennent rarement
à deux espèces du même genre. Les Grands Namaquois nomment l'Oricou,
_ghaip_, en faisant précéder ce mot d'un fort clappement de langue.



LE CHASSE-FIENTE, Nº. 10.

[Illustration: _Le Chasse-fiente._]


Indépendamment du grand vautour décrit dans l'article précédent, on
trouve encore dans toute la partie de l'Afrique que j'ai parcourue,
un autre grand vautour qui diffère totalement du premier, tant par
les couleurs que par plusieurs caractères qui le feront distinguer
facilement de l'autre espèce.

J'ai laissé à cet oiseau le nom de Chasse-fiente, qui est la traduction
littérale du nom hollandois _stront-jager_, par lequel les colons
du Cap de Bonne-Espérance désignent, en général, tous les vautours,
et particulièrement celui de cet article, parce qu'il est le plus
connu; l'oricou ne se trouvant que sur les confins des plantations
européennes, où, comme je l'ai dit, il est appelé oiseau de charogne,
noir (_swarte-aas-vogel_).

Le Chasse-fiente est l'oiseau dont parle Kolbe, sous le même nom, et
qu'il donne pour un aigle du Cap. On voit que Buffon, en rapportant
ce prétendu aigle du Cap au genre des vautours, n'a pas été fondé
cependant à le placer parmi l'espèce de l'urubu de l'Amérique, et à
conclure que l'urubu se trouvoit également en Amérique et en Afrique:
conclusion d'autant plus hasardée, qu'il n'est encore rien moins que
prouvé, qu'aucun des vautours du nouveau monde se trouve aussi dans
l'ancien. Mais Buffon ne s'est pas contenté de cela seul; il a de plus
voulu nous indiquer précisément le passage entre le Brésil et la
Guinée, où l'urubu a dû traverser la mer pour se rendre en Afrique. Si
ce naturaliste s'étoit donné la peine de comparer l'urubu d'Amérique
à la description de Kolbe, il se seroit facilement convaincu que le
bec _gros et crochu_ du stront-vogel ne pouvoit convenir à l'urubu,
qui l'a, au contraire, long et si mince que les colons espagnols
et portuguais lui ont donné le nom de _gallinaco_, _gallinaca_, et
les Anglois celui de dindon-buse. L'urubu a, en effet, le bec plus
ressemblant à celui d'un dindon qu'à celui d'un vautour. Dumarchais,
qui avoit bien remarqué la forme particulière du bec de cet oiseau
de proie, en conclut trop légèrement que c'est une espèce de dindon
sauvage qui s'est habituée à manger des corps morts et de la charogne.
Voyez l'ourigourap, planche 14 de ce volume. Cet oiseau, qui est aussi
un vautour, a le bec fait à peu près comme celui de l'urubu, sinon
qu'il est plus alongé.

Il est heureux que le dessinateur ait au moins vu l'urubu quand il
l'a dessiné; car il est passablement représenté dans les planches
enluminées de Buffon, Nº. 187, sous le nom de vautour du Brésil[3]. On
ne peut pas en dire autant de Buffon; car certainement il n'a pas même
jeté un coup-d'œil sur la planche qui représente cet oiseau, sans quoi
il n'auroit pas commis l'erreur qu'il a faite. Mais malheureusement il
est facile de se convaincre que tous ses rapprochemens ont été faits de
la même manière, c'est-à-dire, sans avoir ni vu ni comparé les espèces.
Il est encore bon de remarquer que le Chasse-fiente d'Afrique est plus
de trois fois plus fort que l'urubu, étant seulement un peu moins
grand que l'oricou. Ses aîles ployées s'étendent presque jusqu'au bout
de la queue. Ce caractère seul suffira pour le distinguer de l'oricou,
dont les aîles dépassent la queue de plusieurs pouces. Il n'a pas non
plus la tête et le cou nus comme ce dernier, mais couverts, comme le
percnoptère et le vautour du Nº. 425 de Buffon, d'un duvet fin et
cotonneux.

  [3] On est toujours étonné de voir tous les oiseaux de Buffon, ou du
  moins presque tous, porter, dans les planches enluminées, des noms
  différens que dans les descriptions: ceci prouve évidemment encore la
  manière dont cet ouvrage a été fait.

Avant d'avoir comparé le Chasse-fiente avec ces deux oiseaux, je
croyois devoir le rapporter à l'espèce du percnoptère; mais la
confrontation de ces trois oiseaux m'a fait voir que je m'étois trompé,
et que le Chasse-fiente est une nouvelle espèce à ajouter à ces deux
autres, qui, de tous les vautours décrits, ont le plus de ressemblance
avec lui.

On ne sauroit confondre le Chasse-fiente avec le percnoptère; puisque
le caractère de ce dernier, d'avoir les aîles plus courtes et la queue
plus longue que les aigles, ne convient nullement au premier, dont
les aîles, au contraire, sont plus longues et la queue plus courte:
d'ailleurs, sa tête est d'un bleu clair, et son cou n'est point couvert
d'un duvet blanc, mais jaunâtre; enfin, le Chasse-fiente n'a point la
tache brune en forme de cœur, que le percnoptère porte sur la poitrine,
et sa couleur est toute différente. Le Chasse-fiente ne peut pas non
plus être considéré comme une variété du vautour du Nº. 425 de Buffon:
la seule inspection des deux figures suffira pour en convaincre ceux
qui prendront la peine de les comparer ensemble.

La couleur générale du Chasse-fiente tire sur le fauve isabelle, et
approche de celle qu'on nomme café au lait. Quelques-unes des petites
couvertures des aîles sont marquées d'une teinte plus foncée, et les
grandes pennes sont noirâtres. Il a au bas du cou, par derrière, une
espèce de fraise de plumes longues et effilées, qui sont contournées
par le frottement de la tête, que cet oiseau y cache en la rentrant
dans ses épaules. Les plumes qui couvrent les jambes descendent un peu
sur le tarse par devant. Les écailles larges qui couvrent les pieds
et les doigts, sont brunâtres. Les ongles ont une couleur de corne
noirâtre, ainsi que le bec. L'œil est d'un brun foncé. Le mâle et la
femelle diffèrent peu l'un de l'autre; et je n'ai jamais vu qu'une
très-petite différence dans leurs tailles; seulement le mâle est un
peu moins fort; mais il s'en faut de beaucoup qu'il y ait cette grande
disproportion qu'on remarque entre les deux sexes dans presque tous les
autres oiseaux de proie.

Le Chasse-fiente se retire dans les rochers sur les plus hautes
montagnes. Toute cette chaîne de monts entassés qui couvrent la
pointe de l'Afrique, depuis la ville du Cap jusqu'à la baie Falso,
en recèle une très-grande quantité. C'est de-là, qu'ils s'échappent
pour se répandre sur toutes les habitations des environs, où ils
trouvent en abondance de quoi satisfaire leur faim, parce que les
terres du voisinage de la ville étant très-arides, sont peu propres à
la nourriture des bestiaux, qui y périssent fort fréquemment faute de
subsistance; aussi rencontre-t-on toujours sur les routes plusieurs
bœufs morts qu'on a abandonnés sur les chemins; il est même fort
heureux pour les habitans paresseux de ces contrées, que les vautours
les délivrent de ces cadavres infects. J'ai vu ces oiseaux descendre
jusqu'à l'entrée des boucheries, pour se repaître des têtes et des
intestins des animaux qu'on y égorge, et qu'on a la mauvaise habitude
de jeter devant la porte. Le Chasse-fiente fréquente aussi beaucoup
les bords de la mer, où les habitans font porter toutes les vidanges
des maisons. Ils y sont attirés de même par tout ce qui se jette des
vaisseaux qui sont en rade, ainsi que par les coquilles, crabes et
poissons morts que la mer vomit de son sein. C'est probablement cette
abondance de nourriture, qui a si fort multiplié dans la colonie du Cap
l'espèce du Chasse-fiente, qui y est beaucoup plus nombreuse que celle
de l'oricou.

Je sais, par l'expérience que j'en ai faite, que le Chasse-fiente
peut vivre long-tems sans prendre de nourriture; car ayant pris deux
de ces oiseaux en vie, un jour qu'un grand vent de sud-est en avoit
abattu plusieurs dans les rues du Cap, je voulus les laisser mourir
de faim, pour les faire maigrir; parce qu'en général ces oiseaux sont
excessivement gras. Je les fis mettre, à cet effet, dans une grande
cage à poulets, sans leur donner aucune nourriture. Au bout de quelque
tems, j'en tuai un que je trouvai encore trop gras. Après cela, je
laissai jeûner l'autre plusieurs jours; mais le voyant affoibli, et le
croyant assez maigre, je le tuai: je fus fort étonné de lui trouver
encore trop de graisse quand je le préparai.

Ce que j'ai dit des mœurs de l'oricou convient parfaitement au
Chasse-fiente, qui a les mêmes habitudes. Cette espèce est, comme je
l'ai remarqué, infiniment plus multipliée que l'autre, quoique les
femelles pondent le même nombre d'œufs; ceux du Chasse-fiente sont
d'un blanc bleuâtre. Ces oiseaux étant d'une couleur plus apparente
que celle de l'oricou, on les distingue mieux quand ils sont perchés
sur les rochers à l'entrée de leurs retraites, où on les apperçoit
comme autant de taches blanches. C'est un fort joli coup-d'œil que
de voir une troupe de ces oiseaux qui couvrent entièrement toute une
chaîne de montagnes; il suffit alors de leur tirer un coup de carabine
à balle, pour les voir tous reprendre pesamment leur vol et tournoyer
ensuite dans l'air. Dans les déserts, où les vautours ne trouvent pas
toujours des cadavres en abondance, ils se nourrissent de tout ce
qu'ils peuvent rencontrer. J'en ai tué qui n'avoient dans le jabot
que des morceaux d'écorce d'arbre ou de la terre glaise, souvent même
que des os entiers sur lesquels il n'y avoit pas la moindre chair, et
quelquefois aussi leur jabot n'est rempli que de fiente d'animaux.
Les Sauvages m'ont assuré que quand les vautours sont pressés par le
besoin, ils dévorent réciproquement leurs petits, et même les leurs
propres; mais je n'ai jamais été à même de vérifier ce fait, ainsi je
ne l'assure pas. Les tortues de terre et les buccins terrestres du
Cap, que ces oiseaux avalent tout entier, sont pour eux une proie fort
délicate; ils se jettent aussi sur ces nuées de sauterelles, dont j'ai
parlé dans mes voyages.



LE CHAUGOUN, Nº. 11.

[Illustration: _Le Chaugoun._]


Je laisse à ce vautour le nom indien qu'il porte au Bengal, d'où je
l'ai reçu. Il paroît probable que cette dénomination particulière
a quelque rapport, ou avec quelqu'une de ses habitudes, ou avec
ses couleurs; car à cet égard les noms populaires sont toujours
plus significatifs que ceux que, la plupart du tems, les savans
appliquent aux divers animaux qu'ils veulent faire connoître: aussi me
permettrai-je de laisser, autant que cela se pourra, aux animaux que je
décrirai, les noms qu'on leur donne dans leur pays natal, ou du moins
je les indiquerai toujours quand je croirai pouvoir leur en substituer
un autre qui me paroîtra leur convenir autant dans notre langue. Je
suis persuadé que cette méthode ne peut que faciliter beaucoup les
progrès de l'histoire naturelle; car sachant le nom que porte tel ou
tel animal dans la contrée qu'il habite, il sera bien plus facile de se
le procurer et d'en obtenir des détails intéressans que de le demander
sous son nom scientifique et insignifiant. J'invite donc les voyageurs
à nous conserver, autant que possible, les noms qu'on donne dans les
pays étrangers, aux animaux qu'ils nous en rapporteront. Je me garderai
bien de faire la même prière à certains savans, qui, je ne sais par
quel amour-propre, mettent, au contraire, une gloire infinie à paroître
ignorer ces noms dans leur propre langue, et ne veulent absolument
connoître que les objets qu'on leur désigne par un mot grec ou latin.
Cette manie est même poussée si loin, qu'on en a vu s'arroger avec
morgue le droit de reprendre celui qui, pour se faire mieux comprendre,
avoit osé employer un nom consacré par une tradition de plusieurs
siècles, plutôt que de se servir d'un nom nouveau à peine connu depuis
quelques années.

Le Chaugoun est un vautour d'une grandeur moyenne et n'est guère plus
gros que celui connu sous le nom de roi des vautours. Pour en donner
une idée précise, je dirai qu'il est à peu près de la taille d'un
dindon femelle. Son bec est presque entièrement d'un noir de corne; la
mandibule supérieure étant seulement jaunâtre dans la partie où elle se
renfle. Les narines sont longues et placées en travers, elles occupent,
pour ainsi dire, toute l'épaisseur de la base du bec, qui est entourée
d'une peau noire. Le cou par devant est parsemé de quelques poils
rares, qui laissent par-tout appercevoir la peau, qui m'a paru avoir
été bleuâtre; je dis m'a paru, car on sent combien il est difficile de
savoir au juste, d'après une peau sechée, de quelle couleur elle étoit
du vivant de l'animal. Le jabot, assez proéminent, est couvert de fines
plumes soyeuses, d'un brun-noir, qui est la teinte générale de tout
le plumage de cet oiseau. Cette couleur sombre et uniforme est un peu
égayée par une ligne blanche longitudinale, qui marque le milieu juste
de chacune des plumes qui couvrent tout le dessous de son corps. On
remarque encore une large tache blanche de chaque côté de la poitrine,
sur les flancs, mais ces taches sont cachées quand l'oiseau a ses aîles
dans l'état de repos. Les dedans des jambes sont couverts d'un duvet
blanc qui garnit tout le dessous des plumes, et qui remonte autour
du jabot. La tête et le haut du cou par derrière, sont entièrement
couverts d'une espèce de poils luisans d'un blanc sale. Plus bas c'est
un duvet cotonneux plus blanc, qui va se joindre à un large collier
de la même couleur. La queue et les grandes pennes des aîles sont
noirâtres, les moyennes sont bordées extérieurement d'un brun-roux.
Les aîles ployées ne s'étendent pas au-delà de la queue, qui étoit usée
vers le bout. Les ongles sont noirs et les pieds couverts d'écailles
d'un gris terreux. J'ignore quelle étoit la couleur des yeux, n'ayant
reçu aucune indication ni à cet égard, ni relativement aux mœurs de ce
vautour. Le doigt du milieu est près du double plus long que ceux des
côtés.



LE CHINCOU, Nº. 12.

[Illustration: _Le Chincou._]


Nous devons la connoissance de ce grand et rare vautour, à la bonté du
citoyen Ameshof, si renommé par son goût pour l'ornithologie et par
la magnifique ménagerie qu'il possède à sa maison de campagne près
d'Amsterdam. Cet amateur zélé s'est prêté avec toute la complaisance
possible à ce que je prisse le dessin et la description de cet oiseau.
Je lui fais ici mes sincères remercîmens, pour la manière obligeante
avec laquelle il a eu l'attention de me montrer les objets les plus
rares et les plus curieux de sa ménagerie, laquelle m'a paru digne
d'une grande nation[4].

  [4] La Hollande renferme, dans sa petite étendue, peut-être plus
  d'amateurs de curiosités en tous les genres, que le reste de l'Europe
  ensemble. En général, les Hollandois ont tous une passion décidée
  pour les productions de la nature et de l'art: l'un a du goût pour
  les oiseaux, l'autre pour les coquilles, un troisième pour les
  fleurs, tandis qu'un quatrième amasse à grands fraix les anciennes
  porcelaines; il n'est pas même jusqu'au linge qui ne soit un objet de
  recherche pour les Hollandois; tout, en un mot, excite l'attention
  des curieux Bataves. Les ménageries sont très-communes en Hollande,
  et plus encore les cabinets d'histoire naturelle. Je ne parle
  point de ceux de tableaux et de belles gravures, parce qu'ils sont
  assez connus. Je reviens au genre qui m'attache le plus, celui de
  l'histoire naturelle; et je pense que c'est rendre à l'Europe entière
  un service que de lui donner quelques détails sur la ménagerie du
  citoyen Ameshof, ménagerie qui a causé mon admiration, autant par sa
  disposition générale que par les objets précieux qui l'enrichissent.
  Dans une très-grande enceinte entourée de treillages en fil de fer,
  et dans le milieu de laquelle il y a une longue pièce d'eau, se voit
  une prodigieuse quantité d'oiseaux aquatiques de tous les pays,
  parmi lesquels on remarque avec surprise de ces superbes sarcelles
  de la Chine, à éventail sur le dos (_voyez Buffon, planche_ 805);
  le beau canard bronchu de la Louisiane; le pélican; etc. Ce qui
  m'a le plus surpris, c'est la bonne intelligence qui régnoit entre
  toutes ces espèces différentes, qui, pour la plupart, pulluloient là
  comme dans leur pays natal; et qui plus est, croisoient leurs races
  avec d'autres espèces. Ce bassin seul peut offrir des observations
  pour la vie d'un naturaliste. Dans un autre vaste arrondissement,
  sont pratiquées, les unes à côté des autres, de grandes volières
  à jour. Chacune de ces loges contient un ou plusieurs oiseaux de
  la même espèce. Dans l'une de ces loges je vis le Chincou dont il
  est question; dans une autre, des hoccos pierre; dans une autre
  encore, le hoccos ordinaire; dans une quatrième, le hoccos du Pérou.
  Non-seulement le citoyen Ameshof étoit parvenu à obtenir des jeunes
  de ces trois espèces d'oiseaux; mais il en avoit même fait croiser
  les races, et en avoit tiré des métis, qui étoient eux-mêmes féconds.
  Dans le même arrondissement, j'apperçus le roi des vautours, des
  demoiselles de Numidie, la grue d'Amérique, et deux espèces de
  grues des Indes, le phénicoptère, des courlis rouges, des pigeons
  couronnés des Indes, le secrétaire, l'autruche mâle et femelle,
  qui ont pondu chez lui; une très-belle espèce d'outarde d'Afrique,
  l'agami, l'éperonier de la Chine, etc. Le jardin très-spacieux de
  cette campagne, offre, de distance en distance, de petites volières
  de dix pieds en carré, fermées par un treillage; chacune avoit un
  petit bassin d'eau dans le milieu et une loge pour servir de retraite
  aux oiseaux. Ici, on voyoit le mâle et la femelle du jacana; là,
  c'étoit un couple de porphirions; enfin, les oiseaux les plus jolis
  et les plus rares. Dans une basse-cour immense, il y a des volailles
  de toutes les espèces et des variétés innombrables, produites par
  le mélange de tous les oiseaux du même genre. La faisanderie est
  aussi très-considérable, et contient toutes les espèces connues
  de faisans, avec tous les métis provenus de ces différentes races
  croisées, tant de la Chine que des autres pays. On y remarque le
  marail, celui à tête blanche, l'oazin, etc. Parmi les pigeons, dont
  le nombre est exorbitant, j'ai admiré huit pigeons de Nicobar, au
  moins autant de pigeons verts de Ceilan, et plusieurs autres espèces
  très-rares des Indes. Dans des cages séparées étoient des perroquets
  et des perruches de toutes les espèces. Ensuite venoit la volière
  des petits oiseaux. Celle-ci étoit pratiquée près de la maison, et
  en faisoit même partie. C'étoit une pièce qui donnoit dans une salle
  par une grande croisée, d'où l'on pouvoit jouir de leur vue, et
  qui, en même tems, communiquoit dans une vaste volière en dehors.
  L'été tous les petits oiseaux sont lâchés dans cette volière qui se
  garnit d'arbrisseaux, où plusieurs d'entre eux font leur petits,
  quoique dans un climat bien différent du leur. Pendant l'hiver les
  petits oiseaux restent renfermés dans la pièce où il y a un poële;
  et tous les grands oiseaux rentrent dans des bâtimens faits exprès
  et chauffés à un degré convenable. Les fraix immenses que doit
  occasionner ce goût si dispendieux, sont incalculables; vu que le
  citoyen Ameshof n'épargne rien pour augmenter sa ménagerie; et, outre
  l'achat des animaux, l'entretien seul doit en être exorbitant.

  J'ai parlé de la superbe volière du citoyen Temminck, trésorier de
  la Compagnie des Indes. J'ai vu chez cet amateur les choses les
  plus précieuses; mais il n'aimoit que les petits oiseaux, dont il
  prenoit un soin si particulier, qu'il étoit aussi parvenu à faire
  faire des petits à beaucoup d'espèces; entre autres, au cardinal du
  Cap, à celui de Madagascar, au calfat, au grenadin, au sénégali, au
  bengali, etc. Ces deux amateurs, qui peut-être ont poussé le plus
  loin l'art d'élever et de propager dans leur pays froid, les oiseaux
  des contrées les plus chaudes, m'ont assuré que ce n'étoit pas autant
  la chaleur qu'une nourriture convenable qu'il falloit chercher à
  procurer aux oiseaux pour les faire produire dans nos climats. Et, en
  général, on doit rendre justice aux Hollandois à cet égard: aucune
  nation n'a poussé si loin l'art d'élever les oiseaux de basse-cour;
  car nulle part on ne voit une aussi grande quantité des différentes
  volailles. Les jardins hollandois, pour leurs productions, sont
  des chefs-d'œuvre; et cependant il n'est peut-être pas de climat
  plus ingrat que celui de la Hollande pour la génération des animaux
  étrangers et des plantes exotiques; mais ses industrieux habitans ont
  su, avec beaucoup d'art, forcer, pour ainsi dire, la nature à être
  libérale envers eux. Aussi des hommes qui sont parvenus à enchaîner
  la mer, et à lui poser des bornes, ne pouvoient gémir long-tems sous
  le joug de l'esclavage.

  La ménagerie de la citoyenne Baker, près de la Haye, est de même
  digne de l'admiration des voyageurs. Outre une grande quantité
  d'oiseaux de toute espèce, elle y entretient aussi beaucoup de
  différens quadrupèdes. Le citoyen Boers possède également à
  Hasserwoude, près de Leyde, une charmante volière, où j'ai vu
  vivant, outre beaucoup d'espèces rares, le jeai bleu de la Caroline,
  le mainatte, le cacatou bleu, le cacatou à huppe rouge, etc. Tout
  le monde a entendu parler de la superbe ménagerie de Blauw-Jan à
  Amsterdam, et de celle du prince d'Orange; mais quand je vis cette
  dernière elle étoit fort dépeuplée.

  Les cabinets d'histoire naturelle qui tiennent le premier rang en
  Hollande sont d'abord, à la Haye, celui du prince d'Orange, où
  l'on remarque le squelette de la giraffe, le superbe coquillier de
  Lionet; à Amsterdam, ceux de Temminck et de Raye de Breukelerwaert:
  ces deux cabinets réunis formeroient la plus belle collection de
  l'Europe. Outre les oiseaux, Raye possède une superbe collection
  de minéralogie; la plus belle suite et la plus nombreuse peut-être
  de l'Europe, en papillons et en insectes, une autre de coquilles
  et une autre enfin de madrepores. Il a aussi quelques quadrupèdes.
  A Amsterdam, on voit encore le cabinet très-nombreux d'oiseaux, du
  citoyen Holthuysen, qui possède aussi une grande et belle suite de
  papillons et d'insectes. Dans la même ville se trouve le cabinet de
  Meyer, en coquilles, et en animaux conservés dans de l'esprit de
  vin. Le cabinet de papillons et d'insectes de Stol; celui dans le
  même genre de Rhingers; enfin, le cabinet de plantes et d'animaux à
  l'esprit de vin, de Burman, etc. etc. etc.

  On admire à Harlem, le cabinet de la société: annoncer que le citoyen
  Van Marum en est le directeur et le professeur, c'est assez faire
  l'éloge de ce cabinet, riche en tous les genres.

  A Leyde, la collection de l'université, où j'ai vu une jeune giraffe
  empaillée, et l'hippopotame. Il y a des objets assez rares dans ce
  cabinet; mais, en général, je n'y ai point remarqué l'esprit d'ordre,
  d'arrangement et sur-tout de propreté qui caractérise la nation
  batave.

  A Hasserwoude, près de Leyde, se voit la belle collection de Boers,
  bailli du lieu. Outre un riche cabinet d'oiseaux, il possède
  une belle suite de quadrupèdes, où j'ai vu les animaux les plus
  extraordinaires et les plus rares. Sa collection contient aussi
  beaucoup de papillons et de coquilles.

  A Rotterdam, j'ai admiré la jolie collection des citoyens Gevers
  Arntz. Elle n'est pas très-nombreuse; mais ce sont toutes des
  pièces choisies et des plus rares. On y voit aussi une belle suite
  de papillons et d'insectes. L'un de ces deux amateurs possède le
  talent de peindre supérieurement bien les oiseaux: son porte-feuille
  dans ce genre est admirable pour les attitudes gracieuses qu'il a
  su donner à chaque oiseau et par le coloris qui est vraiment celui
  de la nature. J'ai les plus grandes obligations à la plupart de ces
  amateurs, qui ont eu la bonté de me permettre de prendre des dessins
  et des descriptions des morceaux rares de leurs cabinets. Le public
  leur saura gré, sans doute, de leur complaisance, puisque c'est elle
  qui m'a mis à même de le faire jouir à mon tour de tous ces objets
  précieux. J'indiquerai toujours les cabinets dont j'ai tiré les
  pièces que je décrirai, et on peut être certain qu'il n'en est point
  que je n'aie bien vu et bien examiné; ainsi, leur existence ne sera
  pas douteuse.

N'ayant pu savoir le nom que porte cet oiseau dans son pays natal,
qui est la Chine, à ce que m'a assuré le citoyen Ameshof, je lui ai
donné celui de Chincou; en attendant que nous apprenions celui sous
lequel les Chinois le désignent, et qu'on lui rendra si on le trouve
meilleur que celui que je lui applique ici. Ce vautour, de la taille
à peu près de celui d'Afrique que j'ai nommé l'oricou, est caractérisé
d'une manière particulière, qui donnera beaucoup de facilité pour le
distinguer de tous les vautours décrits jusqu'à ce jour. Sa tête est
surmontée par derrière d'une touffe de duvet d'un gris-brun, dont la
forme est précisément celle des houpes de cigne dont se servent nos
dames à leur toilette. La tête, les joues et la gorge sont couvertes
d'un fin duvet noir. L'œil est cerclé d'une paupière blanche. Le cou
est entouré d'un collier de plumes longues effilées et détachées entre
elles. Toute la partie nue du cou, qui se trouve comprise entre le
collier et le duvet noir du visage, est d'un blanc mat; on diroit une
cravatte blanche, garnie au bas d'une fraise. Par devant le reste du
cou n'a point de plumes, et la couleur de cette peau, qui est toute
plissée, est bleuâtre. Le jabot est très-proéminent: quand il est plein
on le prendroit pour une vessie que l'oiseau porte au bas du cou;
vidé il se ride et disparoît entièrement sous de longues plumes qui,
partant de chaque côté du cou, sont ramenées naturellement par devant.
Les pieds et les doigts sont blanchâtres; les ongles sont couleur de
corne, ainsi que le bout du bec, dont la base est d'un blanc bleuâtre.
Le bec est assez épais à son origine; mais il diminue insensiblement de
grosseur jusqu'à sa pointe.

Quand cet oiseau est repu et qu'il digère, il rentre entièrement sa
tête entre ses épaules. Son bec pose alors, dans toute sa longueur,
sur le jabot. Toutes les parties nues du cou ne paroissent plus; sa
cravatte lui entoure la tête, où elle forme une espèce de soleil en
rayons divergens; et ses aîles, qui sont pendantes, lui cachent les
pieds. Toutes ses plumes sont si hérissées que, dans cette attitude, on
le prendroit plutôt pour une masse informe emplumée, que pour un oiseau.

La couleur générale du Chincou est d'un brun uniforme, plus noirâtre
sur les pennes des aîles et de la queue, ainsi qu'au ventre. On le
nourrissoit de viande crue qu'il dévoroit avec avidité. J'aurois désiré
pénétrer dans sa loge pour mesurer son envergure qui me sembloit
excessive; mais on me le déconseilla. En revanche, nous le harcelâmes
en passant nos cannes à travers le treillage de sa volière, après
lequel il se cramponnoit alors, en étendant ses aîles dans toute leur
longueur. A en juger par les dimensions du panneau sur lequel il les
frappoit, elles avoient au moins neuf pieds d'étendue. Tranquille et
perché, jamais cet oiseau n'avoit ses aîles colées au corps, mais
négligemment pendantes, comme il est représenté dans notre planche.

Le citoyen Ameshof n'a pu rien m'apprendre de particulier sur les mœurs
de cet oiseau, qu'on me saura gré, je pense, de livrer à la curiosité
des amateurs d'histoire naturelle. Le tems nous apprendra peut-être
quelles sont ses habitudes et sa manière de vivre.



LE ROI DES VAUTOURS, Nº. 13.

[Illustration: _Le Roi des Vautours varié._]


L'oiseau que j'ai fait représenter dans la planche 13 n'est qu'une
variété d'âge ou de sexe du vautour connu sous le nom de Roi des
vautours, décrit par Buffon, Brisson, Edwards, etc.; qui tous en ont
donné une assez bonne représentation. L'individu dont nous parlons
est arrivé de Cayenne avec une collection très-considérable d'autres
oiseaux du même pays. Il y avoit dans le même envoi un autre Roi des
vautours de la même espèce et absolument semblable à celui déja connu
et figuré dans les planches enluminées de Buffon, Nº. 428, sous le
faux nom d'urubu. Celui-ci étoit indiqué comme étant le mâle; quant
à l'autre, celui dont il est question, il étoit désigné pour être la
femelle, et étoit moins fort dans toutes ses dimensions. Je me garderai
cependant bien d'assurer, d'après l'indication, que cet oiseau étoit
réellement une femelle; mais très-certainement c'est tout au moins
une variété d'âge de la même espèce; et dans ce cas il est probable
que, dans sa première jeunesse, le plumage du Roi des vautours est
entièrement noirâtre, comme le sont les larges taches qu'on apperçoit
sur les petites couvertures des aîles, sur les scapulaires et sur tout
le manteau en général. Dans cet état, il n'est pas douteux que cet
oiseau a été tué au moment où, prêt à prendre la livrée de l'âge fait,
il porte encore quelques indices de celui de l'enfance, ainsi qu'on
l'observe généralement à tous les oiseaux qui changent de couleur dans
leurs différens âges, comme cela arrive à presque tous les oiseaux
carnivores; soit aussi quand ils en changent plus régulièrement dans
chaque saison, comme on peut le remarquer à toutes les espèces de
sucriers, colibris, grimpereaux, veuves, etc.

J'ai examiné très-attentivement cette variété du Roi des vautours,
dont j'ai eu occasion de voir deux individus absolument pareils: l'un
dans ma collection et l'autre dans le superbe cabinet du citoyen
Raye de Breukelerwaert, à Amsterdam. Leurs plumages à tous deux
étoient absolument les mêmes pour les couleurs; seulement les taches
noires, plus ou moins grandes, étoient différemment distribuées.
Cette irrégularité m'a convaincu encore davantage que ces oiseaux
étoient dans leur jeune âge; d'ailleurs, ils portoient aussi d'autres
caractères qui indiquoient leur jeunesse; ce qui, dans tous les oiseaux
en général, est très-facile à reconnoître, soit par un duvet cotonneux
très-abondant, et à une espèce de poussière qui poudre les plumes, soit
encore à quelques brins chevelus qui, dans les environs de la tête,
s'hérissent par dessus les plumes et les débordent, soit enfin au peu
de dureté des os.

La méthode qu'avoit adoptée Buffon de rapporter toutes les espèces
d'oiseaux dont il parloit, à celles dont les voyageurs ont fait
mention, lui a fait croire, sans aucun fondement, que le cosquauhtli ou
aura des Mexicains, décrit par Fernandès, Nieremberg et Delaet, étoit
de la même espèce que son Roi des vautours. Cependant la description du
cosquauhtli ne convient évidemment point à cet oiseau; de sorte qu'on
ne conçoit pas comment Buffon a pu s'y méprendre, et nous rapporter
encore cette description tout au long, comme s'il avoit voulu nous
prouver d'une manière plus convaincante qu'il étoit dans l'erreur.
Il est certain «qu'un oiseau de la taille d'une poule d'Egypte, et
dont toutes les plumes sont noires, à l'exception du cou et de la
poitrine, où elles sont d'un noir rougissant, et dont les aîles noires
sont mêlées et cendrées de pourpre et de fauve, qui a les yeux noirs,
les prunelles fauves; le front d'un rouge de sang rempli de rides,
qu'il fronce et ouvre comme le coq d'Inde, et où il y a quelques
poils crepus comme ceux des Nègres, etc. etc.» n'est point le Roi des
vautours. Quant au bec, «semblable à celui des perroquets, aux ongles
crochus, aux narines ouvertes:» cela appartient non-seulement à tous
les oiseaux de proie, mais encore à beaucoup d'autres. Je crois donc
inutile d'analyser cette description du cosquauhtli, pour prouver au
lecteur qu'elle ne convient absolument point au Roi des vautours, qui
est d'abord au moins du double plus grand que la poule d'Egypte; par
conséquent, Buffon n'a pu raisonnablement être autorisé à confondre
ces deux oiseaux. Ces rapprochemens, faits d'après les mauvaises
indications de certains voyageurs, sont, quand on n'a pas vu les
espèces dont ils parlent, plutôt propres à reculer nos connoissances
qu'à les avancer d'un seul pas.

Cette variété d'âge, dont j'ai donné la figure, ne diffère du Roi des
vautours adulte que par les taches d'un brun-noir qu'il porte sur tout
le corps. Du reste, il a absolument les mêmes caractères et le plumage
de la même couleur. Sa tête et une partie de son cou sont pareillement
nues et peintes de riches couleurs.



L'OURIGOURAP, Nº. 14.

[Illustration: _L'Ourigourap._]


Voici un oiseau que je place à la suite des vautours, parce qu'il a
infiniment plus d'analogie avec eux qu'avec tout autre genre, du moins
par ses mœurs; car par la forme de son bec, il diffère beaucoup des
vautours, et même de tous les oiseaux de proie en général. Il me paroît
que nous devons faire une section dans le genre des vautours pour ceux
qui, comme celui-ci et l'urubu d'Amérique[5], ont le bec mince, foible
et prolongé en avant. Quoique l'Ourigourap soit plus fort que l'urubu,
son bec est cependant moins gros, mais plus long que le sien. Ce bec,
peu proportionné à la grandeur de l'individu, du moins par comparaison
à la force de celui des autres vautours, est recouvert dans les deux
tiers de sa longueur d'une peau nue de couleur orange; les narines sont
placées en long dans le milieu de cet espace; le bout du bec se courbe
sans aucun cran, et ce bout seul est d'une matière cornée comme celui
de tous les autres oiseaux. _Ouri-gourap_ est le nom que les Grands
Namaquois donnent à cet oiseau; dans la colonie du Cap, les Hottentots
le nomment _hou-goop_, et les colons européens _witte-kraai_; noms qui,
dans les trois langues, signifient corbeau blanc.

  [5] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nº. 187, sous le nom de
  vautour du Brésil.

Quoique cet oiseau ne soit réellement point un corbeau, il est
très-certain qu'il en a cependant toutes les allures et tous les
mouvemens. Il marche exactement comme lui; son vol est aussi pareil au
sien, et il vit de même de tout ce qu'il peut trouver.

Dans les cantons qu'habite cette espèce, on ne rencontre pas une seule
horde de Sauvages où il n'y ait une couple de ces oiseaux qui y sont
fixés. Ils se perchent sur quelques buissons dans les environs, ou sur
les haies qui bordent les parcs des bestiaux. Ils sont, pour ainsi
dire, domiciliés dans l'endroit, et sont peu farouches, les Sauvages
ne leur faisant jamais aucun mal; au contraire, ils les voient avec
plaisir, parce qu'ils purgent leurs enceintes de toutes les immondices
et ordures qui s'y trouvent toujours.

Les Ourigourap ne vivent point en troupes, comme les vautours et les
corbeaux. Cependant, quand ils sont attirés par quelques cadavres,
on les trouve quelquefois au nombre de huit à dix réunis; mais dans
d'autres momens il est rare d'en voir plus de deux ensemble. Le mâle et
la femelle ne se quittent jamais; ils construisent leur nid dans les
rochers. Les Hottentots m'ont assuré que la ponte étoit de trois et
quelquefois de quatre œufs; ce que je n'ai jamais pu vérifier.

J'ai trouvé ces oiseaux dans les landes stériles du Karow et du
Camdeboo; je les ai vu aussi dans le pays d'Auteniquoi, mais
très-rarement, ainsi que dans les environs du Cap. En revanche, ils
sont fort communs chez les Petits Namaquois, et en bien plus grand
nombre encore sur les bords de la rivière d'Orange, et chez les Grands
Namaquois.

Ces oiseaux sont peu farouches, et se laissent facilement approcher
par le chasseur; mais il faut les tirer avec du très-gros plomb, pour
les faire tomber sur le coup. J'étois presque toujours obligé de les
faire suivre après les avoir blessés, parce qu'ils alloient mourir
quelquefois fort loin du lieu où je les avois tirés. Je n'ai pas campé
une seule fois chez les Namaquois que je n'aie été visité, tout le long
du jour, par ces oiseaux. Il m'arrivoit de tirer plusieurs fois sur le
même, et de le blesser vigoureusement, sans que cela le rebutât; car
il revenoit toujours à la charge, pour nous dérober la viande que nous
faisions sécher ou fumer en plein air. Faute de chair, l'Ourigourap se
nourrit de lésards et de petits serpens; il ne rebute même pas les vers
de terre et les insectes qui recherchent la fiente des bestiaux. Enfin,
il s'accommode de tout, et je ne lui ai même quelquefois trouvé dans le
jabot que des excrémens de bœuf ou d'autres animaux.

L'Ourigourap est plus fort que nos plus grandes buses. Sa queue est
toujours usée par le bout; ce qui provient du frottement qu'éprouve
cette partie dans les différens mouvemens de l'oiseau, qui se pose
souvent à terre, et se retire tous les soirs dans les rochers pour y
passer la nuit.

Il est indubitable que l'Ourigourap des Hottentots est le même oiseau
que le petit vautour de Buffon[6], ou le vautour à tête blanche de
Brisson. J'ai cru pouvoir changer ces deux noms, parce que premièrement
celui de petit vautour ne lui convient point, puisqu'il y a des
vautours encore plus petits. Celui de vautour à tête blanche est
très-impropre; car, en effet, sa tête n'est pas blanche, comme on
peut le voir. Je crois faire plaisir en donnant une figure parfaite
de l'Ourigourap, puisque, dans les planches enluminées de Buffon, cet
oiseau est très-mal rendu, tant pour sa forme que pour ses couleurs; et
il est encore à remarquer que la description de ce petit vautour dans
Buffon ne s'accorde nullement avec la figure enluminée qu'il en donne;
ce qui est fort ordinaire chez lui, comme il est facile de le vérifier.

  [6] Voyez les planches enluminées, Nº. 449, où cet oiseau est
  très-mal figuré, sous le nom de vautour de Norwège.

Il doit paroître plus qu'étonnant que Buffon, en parlant de son petit
vautour, ou vautour de Norwège, qui est l'Ourigourap des Hottentots,
n'ait point fait mention de la forme singulière du bec de cet oiseau;
et qu'ensuite, n'y reconnoissant point le sacre égyptien de Belon[7],
qui est très-certainement encore le même oiseau, il nous dise que ce
sacre égyptien est un oiseau d'un autre genre, qu'il faut séparer des
vautours. Comment Buffon, qui s'est apperçu, par la seule description
de Belon, que cet oiseau appartenoit à un autre genre, n'a-t-il pas
remarqué que son petit vautour et son urubu avoient absolument le même
bec; qui est différent de celui de tous les autres vautours et même
de tous les autres oiseaux de proie connus? Je dois encore conclure
de là qu'en parlant du petit vautour ou vautour de Norwège, Buffon ne
l'a point examiné, et que peut-être il ne l'a même pas vu; quoique
cet oiseau soit au Cabinet National, où je l'ai comparé avec grande
attention à l'Ourigourap. Je suis donc convaincu que ce vautour de
Norwège du Cabinet National, qui est le même individu qui a servi pour
le dessin des planches enluminées, Nº. 449, est de la même espèce que
l'Ourigourap du Cap de Bonne-Espérance. S'il est par conséquent vrai
que l'oiseau du Cabinet National ait été tué en Norwège, il est certain
que l'Ourigourap se trouve et en Afrique et dans quelques parties de
l'Europe. Il habite probablement presque toute l'Afrique méridionale,
puisque je l'ai vu depuis le Cap jusque vers le tropique, où il étoit
même infiniment plus commun qu'ailleurs.

  [7] Belon, _Histoire des oiseaux_, page 110.

Si, comme le dit Buffon, l'achbobba, que le docteur Shaw a vu en
Egypte, est le même oiseau que le sacre d'Egypte de Belon, ce que je ne
déciderai pas, d'après la courte notice qu'en donne Shaw; il me paroît
au moins certain que les éperviers que Paul Lucas a remarqués aussi en
Egypte, ne sont pas, comme il le prétend encore, de la même espèce;
car, suivant Paul Lucas, ces éperviers sont de la taille d'un corbeau,
et ont la tête d'un vautour, avec les plumes du faucon. Il suffit de
jeter un coup-d'œil sur notre planche enluminée, Nº. 14, pour voir que
l'Ourigourap (qui, comme je l'ai dit, est le même oiseau que le sacre
d'Egypte de Belon, le petit vautour décrit par Buffon, ou le vautour de
Norwège de ses planches enluminées, et enfin le vautour à tête blanche
de Brisson) n'a aucune plume qui ait quelque rapport avec celles
des faucons; et qu'en outre la taille de ces éperviers est encore
très-différente; car l'Ourigourap est beaucoup plus fort qu'un corbeau,
puisqu'il approche de la taille d'un dindon femelle.

Le front, le tour des yeux et les joues jusqu'aux oreilles, sont nus
dans l'Ourigourap et d'une couleur safranée. Cette couleur est plus
vive dans la partie du bec où sont placées les narines; la gorge est
couverte d'un fin duvet rare, qui laisse appercevoir la peau, qui
est jaunâtre, ridée et capable d'une grande extension. Le haut de
la tête et tout le cou sont couverts de plumes longues, effilées et
détachées entre elles en brins désunis, sur-tout par derrière et sur
les côtés. La couleur générale de cet oiseau est d'un blanc sali de
fauve, principalement sur la partie supérieure du corps, et sur les
scapulaires; les grandes pennes sont noires, les moyennes sont d'une
couleur fauve dans leurs parties extérieures et noirâtres dans celles
qui se trouvent cachées lorsque l'aîle est ployée. La queue est d'un
blanc-roux; elle est étagée, les plumes du milieu étant les plus
longues et les autres devenant successivement plus courtes; de sorte
que la dernière de chaque côté est la plus courte de toutes. Le bout du
bec et les ongles sont noirâtres; les pieds ont une couleur brun-jaune;
le jabot proéminent, et qu'on apperçoit beaucoup quand il est plein,
est nu, et d'une couleur jaune safrané.

Dans cette espèce, la femelle diffère du mâle en ce qu'elle est un peu
plus forte, et que la couleur de la base de son bec et de sa tête est
moins rougeâtre et tire davantage sur le jaune. Dans son jeune âge,
l'Ourigourap a toute la partie nue de la tête et de la gorge, couverte
d'un duvet grisâtre; et dans les mois de novembre, décembre et janvier,
qui est le tems des amours, la couleur du bec du mâle est plus rouge
que pendant le reste de l'année.

Je soupçonne beaucoup que le vautour brun de Brisson, tome I, page
455, ou le vautour de Malte de Buffon, planches enluminées, Nº. 427,
n'est qu'une variété de l'Ourigourap; je ne l'assurerai pourtant pas,
n'ayant jamais vu cet oiseau en nature et ne le connoissant que par la
description de Brisson et la figure coloriée que j'ai citée ci-dessus.



DES BUSES.

LE BACHA, Nº. 15.

[Illustration: _Le Bacha._]


L'oiseau de proie que j'ai nommé Bacha ne fréquente que les hautes
montagnes stériles et brûlées du pays le plus reculé des Grands
Namaquois, et de là vers le tropique du capricorne, seule partie de
l'Afrique méridionale où je l'ai rencontré et où il est même peu
commun. Cet oiseau, qui paroît un peu se rapprocher des buses, se
perche toujours sur le sommet de quelques roches escarpées, d'où
il peut guéter et découvrir le plus facilement un petit quadrupède
très-abondant sur toutes les montagnes de ce pays aride, savoir, le
_klip-das_ des colons du Cap[8]; et, quoique d'autres oiseaux de proie
chassent aussi ces animaux, il est certain que celui dont il est
question en prend infiniment plus; enfin, c'est sa chasse habituelle
et sa nourriture de préférence. Il est vrai que les damans, qui sont
très-subtils et toujours en garde contre un ennemi aussi cruel,
quittent, dans ces circonstances, rarement le bord de leur antre
profond, où ils sont bientôt enfoncés dès qu'ils apperçoivent leur
ennemi, et par-là forcent souvent l'oiseau de proie à chasser de plus
petits individus; trop heureux alors de se rabattre sur quelques
lésards et sur des insectes, qu'il ne dédaigne même pas dans les cruels
instans de disette.

  [8] Cet animal est une espèce de daman.

J'ai vu le Bacha, pour surprendre un daman, passer souvent trois
heures de suite sur une pointe de roche, ayant la tête enfoncée dans
ses épaules, et y rester si immobile qu'on l'auroit pris facilement
pour une partie même de la roche sur laquelle il étoit posé. C'est
de cette embuscade que, saisissant un instant favorable, l'oiseau
chasseur se plonge comme un trait sur l'animal qu'il apperçoit au
bas du rocher sur le bord de son trou. Quand il a manqué son coup,
on le voit retourner tristement à la même place où il s'étoit mis
aux aguets; et là, comme s'il étoit confus de sa mal-adresse, il
laisse échapper plusieurs cris lamentables, qu'on peut rendre par
_houi-hï--houi-hi-hi--houi-hï--houi-hi-hi_. Ces tristes accens semblent
peindre ses regrets et sa colère; mais un instant après, quittant cette
première embuscade, il va loin de là s'établir dans un autre poste,
où il se fixe, avec la même patience et la même immobilité, jusqu'au
moment où, plus heureux ou moins mal-adroit, il a réussi à se saisir
d'un de ces animaux, qu'on entend à son tour faire des cris affreux,
qui jettent tellement l'effroi parmi tous les damans du voisinage,
qu'on les voit alors par-tout se précipiter dans leurs vastes
souterrains, pour n'en sortir de la journée.

Etant quelquefois moi-même à la chasse du daman dans ces cantons
stériles, où, manquant de vivres, nous étions obligés de les tuer pour
nous en nourrir, si, par hasard, un Bacha se saisissoit d'un daman
dans les environs de notre chasse, il étoit inutile de s'attendre, de
plus de trois à quatre heures, à en voir venir un seul sur le bord de
leurs demeures, tant les cris de celui qui avoit été saisi imprimoient
de terreur à tous ceux du canton; et pour en voir d'autres, il falloit
absolument s'éloigner assez pour arriver dans les endroits où les cris
du malheureux patient n'eussent point été entendus.

Aussitôt que le daman est saisi, l'oiseau l'emporte vivant sur une
plate-forme voisine, et là il semble jouir du plaisir de déchirer les
flancs de cet animal, qui est déja à moitié dévoré qu'on entend encore
ses cris douloureux. A voir cet oiseau de proie dépécer et déchirer le
daman, on le croiroit plutôt animé par la colère et la vengeance que
commandé par la faim.

On peut remarquer sur les roches, teintes de sang, toutes les places
où cet oiseau cruel et sanguinaire a immolé une victime; au reste, ce
caractère féroce du Bacha est bien analogue au sol ingrat et stérile où
la nature semble l'avoir fixé et condamné à vivre. Je ne l'ai jamais vu
dans les cantons rians et fertiles que j'ai parcourus dans mon premier
voyage. Des habitudes aussi sauvages annoncent un oiseau fait, comme
l'aigle et tous les êtres cruels, pour vivre isolé; aussi le Bacha
vit toujours seul, jusqu'au moment où la nature semble commander si
puissamment à tous les êtres, même les moins faits pour la société,
de se réunir pour multiplier leur espèce. C'est donc dans ce seul
tems, que le besoin de se reproduire force le mâle à rechercher une
femelle, qu'il s'associe seulement pour passer ensemble la saison des
amours, qui ne commence, pour ces oiseaux, qu'en décembre, et ne dure
que le tems nécessaire au développement de deux ou trois petits, qui
naissent dans une caverne profonde parmi les rochers, et n'ont eu pour
berceau qu'un amas de branches sèches, surmontées d'un lit de mousse
et de feuilles mortes, entassées sans aucun ordre et sans beaucoup
d'arrangement.

Le Bacha est de la taille de notre buse d'Europe, oiseau auquel il
ressemble assez, quant à sa configuration générale; mais duquel il
diffère beaucoup dans le détail, tant par ses caractères que par ses
mœurs; il est aussi plus leste, moins massif et plus alongé, taillé
mieux, enfin, pour la chasse. Il se caractérise par une touffe de
plumes longues qui dépassent par derrière les autres de la tête.
L'oiseau étale cette espèce de huppe horisontalement, comme une queue
arrondie. Le bout de chacune des plumes de cette huppe est noir, et du
reste elles sont entièrement blanches. Le sommet de la tête est couvert
de plumes noires à leurs pointes et blanches intérieurement; mais le
blanc, qui s'apperçoit dans plusieurs endroits, égaie un peu le plumage
monotone de cet oiseau, dont la couleur est généralement par-tout d'un
brun terreux, plus foncé sur les aîles et la queue, et plus lavé dans
les parties du dessous du corps. Depuis la poitrine jusqu'aux jambes,
toutes les plumes sont parsemées de plusieurs taches blanches, à peu
près rondes; pareilles taches se voient sur l'épaule de l'aîle. Les
recouvremens du dessous de la queue et le bas-ventre sont rayés de
blanc et de brun, et les couvertures des aîles sont terminées de blanc:
la queue porte une large bande d'un blanc fauve, et toutes ses pennes
sont lisérées de blanc à leurs pointes. Le bec est couleur de plomb;
sa base est jaune, ainsi que la peau, presque nue, du tour de l'œil.
Les pieds, les doigts et les serres, sont noirâtres; l'iris est d'un
brun-rouge foncé.

La femelle est plus forte que le mâle; ses taches blanches sont moins
apparentes et plus salies de fauve. Je n'ai vu que sept individus de
cette espèce; des sept je n'ai pu parvenir à en tuer que quatre,
deux mâles et deux femelles. Il ne m'est jamais arrivé de trouver
ces oiseaux dans la plaine; et souvent je les ai entendu sans les
appercevoir. Au reste, ils sont très-farouches et fort difficiles à
approcher.



LE ROUNOIR, Nº. 16.

[Illustration: _Le Rounoir._]


Le Rounoir et le rougri sont, en Afrique, les représentans de notre
buse; ainsi que le grenouillard et le parasite le sont du busard et
du milan. Ces espèces étrangères, réellement distinctes des nôtres,
habitent cette partie du monde à leur exclusion et à leur défaut, et
les y remplacent dans les fonctions que l'ordre général de la nature
a départi à ces sortes d'oiseaux de proie. Les busards et les milans,
libres et sauvages, vivant sur des terrains abandonnés aux eaux, et
dans des lieux affranchis du domaine de l'homme, n'ont avec nous aucune
relation d'utilité. Les buses, au contraire, sont amenées auprès de
nos habitations et dans nos cultures, par l'appat des petits animaux
qui se multiplient auprès de nous avec les végétaux que nous semons et
recueillons pour notre usage; le service que les buses nous rendent, en
détruisant les souris, les taupes, les rats et les autres quadrupèdes
proscrits par l'agriculture, exige que nous accordions à ces oiseaux
sauve-garde et sûreté, seule reconnoissance que la liberté puisse
admettre; nous devrions même les défendre contre l'intérêt particulier,
et leur accorder la protection des loix. C'est ainsi que de nos jours
on protège la cigogne en Espagne et en Hollande, le merle couleur de
rose en Barbarie, et le martin dans l'Inde; mais il est important
sur-tout d'accorder toute faveur aux animaux utiles, dans les lieux où
les hommes commencent à établir des cultures sociales, sur des terres
encore à demi-sauvages, et dans des climats où la nature, encore
vierge, se refuse à des semences inaccoutumées.

C'est d'après ces principes que le Rounoir trouve toute sûreté auprès
des colons du Cap de Bonne-Espérance, par qui il est désigné sous
le nom de _jakals-vogel_ (oiseau jacal), par rapport à son cri qui
imite celui de ce renard d'Afrique: on lui donne aussi celui de
_rotte-vanger_ (preneur de rats). On trouve cette buse autour de
presque toutes les habitations; elle y est familière, et, pour ainsi
dire, domestique; elle passe le jour dans les terres labourées, où
elle se tient perchée sur la motte la plus élevée ou sur quelque
buisson, s'il s'en trouve dans le champ; et c'est de là qu'elle guette
tous les petits quadrupèdes qui lui servent de pâture. Quand la nuit
approche, elle revient se percher auprès de la maison, sur les arbres
ou sur les haies qui entourent le parc où on enferme les bestiaux.
C'est sur les arbres ou au milieu des buissons les plus épais qu'elle
fait son nid, qui est composé de menu bois et de mousse, et qu'elle
garnit très-douillettement de laine et de plumes. La ponte n'est que
de trois œufs, rarement de quatre, quelquefois même de deux seulement;
et, comme on ne fait aucun mal à la nichée, l'espèce de cet oiseau est
très-multipliée, malgré sa foible ponte.

Indépendamment des terres de la colonie, le Rounoir habite aussi toute
la partie de l'Afrique que j'ai parcourue, et je l'ai vu sur-tout dans
le voisinage des hordes de Sauvages.

Cet oiseau, qui se laisse facilement approcher par l'homme, est
cependant d'un naturel foible et craintif, et si lâche que la
pie-grièche que j'ai nommée le fiscal lui donne la chasse et le met en
fuite.

Le Rounoir est de la taille de notre buse, quant à la grosseur; mais
elle est plus ramassée; sa queue est aussi moins longue. Ses aîles
ployées s'étendent presque jusqu'au bout de la queue, qui est coupée
carrément.

Le nom que j'ai donné à cet oiseau peint ses principales couleurs, qui
sont le roux et le noir-brun; cette dernière domine sur la tête, le
cou et le manteau. La gorge est égayée par un mélange de blanc, qui
prend une teinte roussâtre à mesure qu'il s'approche de la poitrine,
qui est entièrement d'un roux ferrugineux, flambé de quelques traits
noirâtres. Le dessous du corps est varié de noir et d'un blanc sale;
les couvertures du dessous de la queue sont noires, mêlées de roux. Les
grandes pennes de l'aîle sont noirâtres, avec des bandes d'une couleur
plus claire vers leur origine; les barbes intérieures sont blanchâtres;
les autres pennes sont noirâtres par le bout, et comme marbrées dans
leurs barbes extérieures, et dans toute la partie cachée quand l'aîle
est en repos: elles sont de plus rayées transversalement de blanc et de
noirâtre. Toute la queue est en dessus d'un roux foncé, avec une tache
noire vers le bout de chaque plume; les deux extérieures seules ont des
bandes noirâtres: en dessous, elle est d'un gris roussâtre. La base
du bec, les pieds et les doigts sont d'un jaune terne; le bec et les
serres sont presque noires. L'œil, qui est très-grand, est d'un brun
foncé.

Le mâle et la femelle du Rounoir se trouvent presque toujours l'un
avec l'autre et ne se quittent que très-rarement. Le soir, avant de
venir se percher pour passer la nuit, on les voit tournoyer ensemble à
peu d'élevation dans l'air: c'est dans ce moment sur-tout qu'ils font
entendre ces cris aigus et rauques qui leur ont fait donner, par les
habitans, le nom d'oiseau jacal.

Dans cette espèce, le mâle est moins fort dans toutes ses dimensions
que la femelle; son noir est moins lavé, et le roux de sa poitrine plus
foncé et plus mélangé de flammes noires.



LE ROUGRI, Nº. 17.

[Illustration: _Le Rougri._]


Les mêmes raisons qui m'ont engagé à nommer la buse précédente rounoir,
m'ont déterminé à donner à celle de cet article le nom de Rougri;
parce qu'il nous peint d'un seul mot les deux principales couleurs du
plumage de cet oiseau, qu'un roux ferrugineux, plus ou moins foncé,
teint par-tout en général, à l'exception pourtant des grandes pennes
de l'aîle, dont la couleur est noire, et des plumes du cou par devant,
ainsi que celles de la poitrine et les couvertures du dessous de la
queue qui sont d'un gris blanchâtre: la queue elle-même qui, en dessus,
est entièrement rousse, porte, par dessous, cette même teinte de gris,
rayée par quelques bandes transversales peu apparentes. Le roux du
ventre est plus clair que celui du manteau; il est aussi flambé de
quelques traits noirâtres. Le bec et les pieds sont d'un beau jaune
citron; les ongles sont noires; l'œil est d'une couleur rougeâtre.

Cette buse est sédentaire comme la précédente; on pourroit la regarder,
en la comparant au rounoir, comme la buse sauvage du Cap, et la
première comme la buse domestique. Il est même probable que le Rougri,
étant plus petit et moins fort que le rounoir, l'espèce aura été
contrainte d'abandonner les terres cultivées de la colonie, dont se
seront emparés ces derniers, qui, par le puissant droit du plus fort,
les en auront peu à peu chassés entièrement; les Rougris, comme tous
les êtres qui tiennent de plus près à la nature, auront été contraints
de faire, dans cette lutte, ce que font encore tous les jours les
hommes sauvages de ces contrées, qui, pour éviter les cruautés des
Blancs, et même de leurs concitoyens civilisés, se reculent de plus en
plus dans les déserts, et diminuent leur population à mesure que celle
de leurs persécuteurs semble s'augmenter. C'est par la même raison sans
doute que le Rougri se trouve si rarement dans la colonie, où il ne
fréquente même que les cantons arides et abandonnés.

Quoique la ponte du Rougri soit aussi de trois et quelquefois de quatre
œufs, l'espèce en est cependant beaucoup plus rare et moins nombreuse
que celle du rounoir. Cet oiseau vit de taupes, de rats, de souris et
même d'insectes; et son cri approche beaucoup de celui de notre buse
d'Europe.

En comparant le Rougri au rounoir, on le trouve plus alongé et moins
trapu; sa queue est aussi plus longue et son bec visiblement plus
foible. Moins accoutumé à la société de l'homme, il est plus craintif
et se laisse difficilement approcher. Dans cette espèce, la femelle est
un peu plus forte que son mâle, et lui ressemble d'ailleurs totalement,
à l'exception de la teinte de son plumage, qui est d'un roux plus
foible. Le mâle et la femelle ne se séparent que rarement; et c'est
dans les buissons qu'ils construisent leur nid, qui est composé des
mêmes matières que celui du rounoir.



LA BUSE GANTÉE, Nº. 18.

[Illustration: _La Buse Gantée._]


Cette buse porte un caractère facile à saisir, et qui la distingue des
autres buses africaines: elle est gantée, c'est-à-dire, que son tarse
est entièrement couvert de plumes qui descendent jusque sur les doigts.
Ses culottes, très-amples, pendent si bas qu'elles touchent l'ongle
postérieur et le dépassent même souvent. Cette espèce a tant de rapport
avec un oiseau de proie du même genre, qui n'a point été décrit encore,
et qui se rencontre pourtant assez communément dans la Lorraine, que
je suis tenté de croire qu'ils ne font, l'un et l'autre, qu'une seule
et même espèce; car ils ont effectivement les mêmes caractères, et
diffèrent simplement par les couleurs plus ou moins nuancées de blanc;
différence qui n'est pas, à beaucoup près, suffisante pour les séparer;
d'autant plus que les buses varient généralement beaucoup en Europe, et
tellement même qu'il est très-difficile d'y en rencontrer deux dont le
plumage soit entièrement semblable pour les couleurs.

La Buse gantée fréquente, en Afrique, les pays couverts d'arbres; plus
farouche que les autres espèces, elle a fui les cantons habités, et
vit isolée. Ses mœurs sont plus sauvages que celles du rounoir et du
rougri. Plus adonnée à la chasse, elle est aussi moins timide qu'eux,
et ne se laisse pas chasser lâchement, ni par les pie-grièches, ni
même par les corbeaux. Elle vole fort lestement, et attrape souvent
des perdrix, qu'elle guette de dessus les arbres, et les saisit
lorsqu'elles passent près de son embuscade.

Cet oiseau habite les forêts d'Auteniquoi, seul canton de l'Afrique où
je l'ai trouvé. Il se perche ordinairement sur le sommet des arbres,
où il est très-difficile de l'appercevoir; mais s'il se trouve dans
le canton qu'il fréquente quelques grands arbres morts, il ne manque
pas de s'y retirer de préférence, sur-tout quand il est repu: et en
s'y tenant aux aguets, il est alors facile de le tuer au moment de son
arrivée.

Cette buse est à peu près de la taille et de la forme de notre buse
commune d'Europe; elle ressemble même tellement, pour son plumage, à
plusieurs variétés de cette même espèce, qu'on la prendroit facilement,
au premier coup-d'œil, pour être aussi une de ces variétés, si elle
n'en étoit distinguée par le caractère du tarse, garni de plumes
dans toute sa longueur, et par son bec plus délié et ses serres plus
effilées; sa queue est aussi plus longue; la base du bec et les doigts
sont jaunes. Le bec est bleuâtre; les ongles sont noirs et les yeux
d'un brun noisette.

Tout le plumage de la Buse gantée est varié plus ou moins de brun,
sur un fond blanc roussâtre, plus pur cependant sur la poitrine et la
queue. Sur le flanc de chaque côté, le brun est répandu plus largement,
et forme deux grandes taches de cette couleur; sur les culottes,
les taches sont semi-circulaires et rangées symmétriquement dans la
longueur des plumes. La queue est blanche en dessous, et porte vers
son extrémité une bande noire; en dessus, elle est blanche, jusqu'à la
moitié de sa longueur, où elle prend une légère teinte roussâtre, qui
devient plus foncée à mesure qu'elle approche du bout, où elle est d'un
brun-noir, et finit enfin par une bande blanche, formée par une tache
de cette couleur, qui termine chaque plume de la queue. Le manteau et
les aîles sont d'un brun foncé, varié d'une teinte plus foible. L'aîle
ployée s'étend jusqu'au bout de la queue, qui est tant soit peu étagée.



LE TACHARD, Nº. 19.

[Illustration: _Le Tachard._]


J'ignore absolument tout, jusqu'à la plus petite particularité, de ce
qui peut avoir rapport aux mœurs de cet oiseau de proie, que j'ai nommé
Tachard, parce qu'il est l'unique de son espèce que j'ai été à portée
de voir dans mes voyages, et qu'en outre je ne l'ai pas tué moi-même;
car c'est mon fidèle Klaas qui le tira au moment où il passoit
au-dessus de sa tête, et qui me l'apporta avec cette satisfaction
qu'il avoit toujours à me procurer quelques oiseaux nouveaux et rares.
Nous étions alors campés sur les bords de la rivière des Lions, dans
le pays des giraffes, et depuis nous n'avons jamais apperçu un autre
individu de la même espèce. Plusieurs Kaminouquois qui étoient présens
quand Klaas me le remit, ne purent le nommer, et paroissoient ne pas
le connoître. Il est donc probable que l'espèce habite un canton plus
reculé, et que l'oiseau qui venoit d'être tué étoit un individu égaré
et éloigné de son pays natal.

Le Tachard, par sa forme, approche beaucoup des autres buses
africaines; cette espèce a seulement la queue plus longue qu'aucune des
trois précédentes dont j'ai parlé, et elle est cependant la plus petite
de toutes, quant à l'épaisseur du corps. Son bec est aussi foible
que celui du rougri; mais en revanche ses serres sont plus grandes
et plus arquées; ce qui prouveroit qu'elle chasse mieux: d'ailleurs,
sa longue queue et ses aîles, dont la pointe s'étend jusqu'à son
extrémité, doivent lui faciliter les moyens de poursuivre sa
proie avec succès. Cette quatrième espèce de buse d'Afrique se
distingue facilement du rounoir et du rougri, non-seulement par le
caractère de sa queue plus longue, son corps plus svelte et ses
couleurs différemment distribuées; mais encore parce que son tarse est
couvert de plumes jusque passé le milieu de sa longueur: caractère qui
suffira aussi pour la reconnoître d'avec la buse gantée, qui l'est
entièrement jusque sur les doigts. Le Tachard est aussi moins culotté.
Quant à ses couleurs, la tête est d'un brun-gris, égayé par quelques
traits blancs de l'intérieur des plumes qui se montrent, et qui est
la couleur générale du dessous de tout le plumage de cet oiseau. La
gorge et la poitrine sont blanchâtres et parsemées de quelques taches
brunes, répandues le long des plumes. Tout le dessous du corps, sur un
fond blanc roussâtre, porte de larges taches brunes; les scapulaires
et les couvertures des aîles sont d'un brun foncé; mais chacune des
plumes étant bordée d'une couleur plus foible, elles se détachent et
se dessinent séparément sur le fond. La queue, en dessus, est d'un
brun foncé, et porte de larges bandes noirâtres; en dessous, elle est
d'un gris-blanc, ondé d'un léger gris-brun, et les bandes y sont aussi
moins apparentes. La base du bec est jaunâtre, la mandibule supérieure
noire, et l'inférieure presqu'entièrement jaune jusqu'à sa pointe, qui
seulement est noire. La partie nue du tarse est jaunâtre, ainsi que les
doigts. Les ongles sont d'un brun-canelle. L'œil étoit d'un brun foncé
rougeâtre. La queue est terminée carrément, c'est-à-dire, que toutes
ses pennes sont d'une égale longueur.



LE BUSERAI, Nº. 20.

[Illustration: _Le Buserai._]


Cette espèce de buse est très-rare, et n'a point encore été figurée,
que je sache: je l'ai trouvée dans un envoi d'oiseaux venant de
Cayenne; mais sans la plus légère indication, soit sur ses mœurs, soit
sur ses habitudes naturelles. Elle est d'une petite espèce, et approche
de la taille de notre busard de marais. Les aîles ployées s'étendent
jusqu'au bout de la queue, dont toutes les pennes sont d'égale longueur.

Cet oiseau n'est point culotté, et les plumes des jambes descendent un
peu sur le tarse par devant. Le bec et les ongles sont noirs, et la
base du bec m'a paru bleuâtre. La tête, le cou et la poitrine sont d'un
blanc-roux, marqué de brun; mais ce brun prend une teinte plus noire
sur le sommet de la tête, et s'étend en larges coups de pinceau sur le
derrière du bas du cou. Les grandes pennes de l'aîle sont noirâtres;
les moyennes, ainsi que les scapulaires et toutes les petites
couvertures des aîles, sont d'un brun-roux, couleur de chataigne,
plus ou moins taché ou rayé de noir-brun. La queue elle-même, sur un
fond roux plus jaunâtre, porte des rayures noires en zigzag, et elle
est d'un brun-noir à son extrémité. Le ventre et les jambes sont d'un
roux-clair, rayé transversalement de noir-brun.

Le Buserai me paroît être le même oiseau que celui dont Mauduit a
parlé, dans l'Encyclopédie méthodique, sous le nom de busard roux de
Cayenne; il est cependant facile de voir que cette espèce n'est point
un busard, ses pieds étant beaucoup plus courts que ceux de cette sorte
d'oiseaux de proie.



LE BUSON, Nº. 21.

[Illustration: _Le Buson._]


Cette espèce nouvelle, que j'ai reçue de Cayenne, me paroît approcher
de très-près du genre des buses; oiseaux avec lesquels je lui trouve
plus de ressemblance qu'avec tout autre oiseau de proie. Je lui ai
donné le nom de Buson, en attendant que nous connoissions celui
qu'il porte dans son pays natal, ou que nous soyons instruits de ses
habitudes et de sa manière de vivre, sur lesquelles je n'ai pu avoir
aucun renseignement quelconque: instructions sans lesquelles, je le
répète, il sera toujours très-difficile de rapporter les espèces à leur
vraie place, à celle enfin qu'elles tiennent dans l'ordre de la nature.

Le Buson est de la taille à peu près de notre petite buse; celle que
Buffon a désignée par le nom de soubuse: il a les pieds et les griffes
d'un noir de corne, ainsi que le bec, dont la base est jaune. La tête
et le cou sont couverts de plumes noires à leurs extrémités et blanches
dans la partie qui est cachée lorsqu'elles sont couchées naturellement
les unes sur les autres. Les grandes pennes de l'aîle sont noires dans
leur plus grande étendue, et comme marbrées de blanc et de roux dans
leurs barbes intérieures; les suivantes sont d'un roux-canelle, flambé
de noir, et toutes ont leurs extrémités d'un noir-brun. Le manteau,
les scapulaires et les petits recouvremens des aîles, tant en dessus
qu'en dessous, sont d'un noir-brun, plus ou moins mélangé et bordé de
roux. Les pennes de la queue, qui toutes ont la même grandeur,
sont noires, et portent chacune une bande transversale blanche vers
le milieu de leur longueur; elles sont aussi terminées par un liséré
blanc, et légèrement nuancées de roux dans la partie cachée par les
recouvremens du dessous de la queue. Toutes les parties inférieures du
corps, ainsi que les plumes des jambes, portent une rayure noire sur un
fond roussâtre. Cet oiseau n'est pas culotté, et sa tête est petite:
deux caractères qui le distinguent de nos buses européennes. Les aîles
ployées ne s'étendent pas plus loin que la moitié de la longueur de la
queue.

Les ressemblances dans les couleurs sont très-grandes entre cet oiseau
et celui de l'article précédent; ce qui pourroit induire en erreur,
et les faire prendre pour être de la même espèce, si on ne faisoit
attention aux caractères que je vais indiquer, et qui les séparent
certainement. Les aîles du buserai atteignent l'extrémité de la queue;
tandis que dans le Buson elles n'arrivent que vers le milieu de sa
longueur; il a encore une partie du tarse couverte de plumes; ce que
n'a pas le dernier. Enfin, le Buson a le tour des narines jaune, et son
bec est plus large et moins long que celui du buserai.



DES MILANS.

LE PARASITE, Nº. 22.

[Illustration: _Le Parasite._]


Le milan se caractérise, parmi les races nombreuses et difficiles à
reconnoître des oiseaux de proie, par sa queue fourchue et par ses
longues aîles, lesquelles atteignent l'extrémité de cette queue,
qui elle-même est fort alongée. C'est d'après ces caractères réunis
que je rapporte au genre du milan d'Europe, l'oiseau que j'ai fait
représenter planche 22. L'ensemble des différens traits de la
conformation des animaux, éclaire le travail qu'on fait pour les
classer, et prévient l'erreur dans laquelle induiroit souvent la
considération d'un seul caractère: non-seulement ceux énoncés ci-dessus
conviennent parfaitement au Parasite; mais la forme totale du corps
de cet oiseau, son port et ses habitudes, tout se rapporte pour le
placer naturellement à côté de notre milan[9]. Il en diffère par sa
queue, beaucoup moins fourchue, et par sa taille, car le Parasite
n'est pas plus fort que notre soubuse; par son bec, qui est jaune au
lieu d'être noirâtre comme dans notre milan; par la base du bec,
bleuâtre au lieu de jaune. Ils ont de commun les pieds jaunâtres et les
serres noires. Une courte description des couleurs du Parasite, jointe
à un simple coup-d'œil de comparaison sur les figures qui représentent
ces deux oiseaux, suffiront maintenant pour les faire distinguer l'un
de l'autre.

  [9] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nº. 422.

La partie supérieure de la tête, le cou, les scapulaires et tout le
manteau en général, sont, dans le Parasite, d'une couleur brune de
tan; la tige de chacune des plumes de toutes ces parties a une teinte
noirâtre; et toutes sont lisérées d'une nuance moins foncée. Les
plus grandes couvertures du dessus des aîles ont leurs bords encore
plus lavés. Les grandes pennes de l'aîle sont noires, les moyennes
moins foncées et les dernières brunes. Les joues et la gorge sont
blanchâtres; la poitrine est de la même couleur que le manteau. Le
ventre, les jambes et les recouvremens du dessous de la queue, sont
d'une belle couleur de canelle ou de bois d'acajou; et généralement
toutes les plumes de cet oiseau ont une ligne noirâtre le long de leurs
tiges. La queue est brune, elle est de plus rayée transversalement
d'une couleur plus foncée; et à l'exception des deux premières de
chaque côté, le bout de chacune des pennes qui la composent est d'un
fauve léger; l'iris est d'un brun-noisette.

Dans cette espèce, la femelle est un peu plus forte que le mâle, et ses
couleurs sont plus ternes.

J'ai trouvé le Parasite répandu dans toute la partie de l'Afrique que
j'ai visitée; je l'ai rencontré plus communément dans les cantons les
plus fournis de menu gibier, et notamment chez les Caffres et dans le
pays des Grands Namaquois. Dans la colonie du Cap, les habitans nomment
cet oiseau _kuyken-dief_, qui signifie voleur de poulets; c'est le nom
hollandois du milan, et non pas _kuken-duf_, comme l'a écrit Buffon
d'après Aldrovande. Il n'est pas étonnant que les premiers Hollandois
qui vinrent s'établir au Cap, ayant reconnu dans cet oiseau une espèce
aussi analogue à leur milan, lui aient donné le même nom.

Le Parasite a, dans le caractère, plus de hardiesse que notre milan;
la vue des hommes ne l'empêche pas de fondre sur les jeunes oiseaux
domestiques; il n'y a point d'habitation où il ne paroisse, à certaine
heure du jour, quelques-uns de ces oiseaux voleurs. Dans mes voyages,
lorsque j'étois campé, il ne manquoit jamais d'en arriver plusieurs,
qui se posoient sur mes charriots, d'où ils nous enlevoient souvent
quelques morceaux de viande. Chassés par mes Hottentots, ils revenoient
à l'instant avec une voracité et une hardiesse toujours incommodes;
les coups de fusils ne nous débarrassoient point de ces Parasites; ils
reparoissoient quoique blessés. Invinciblement attirés par la chair
qu'ils nous voyoient préparer, et qu'ils nous arrachoient, pour ainsi
dire, des mains, notre cuisine, à l'air et sous la voûte du ciel,
les nourrissoit malgré nous. Sur les bords des rivières, j'ai vu ce
milan s'abattre du haut des airs, et se plonger dans l'eau, comme le
nôtre, pour en tirer un poisson, nourriture dont il est très-friand.
Il chasse d'ailleurs toutes sortes de menu gibier. Les restes des
grands quadrupèdes que je tuois pour mon usage et celui de mes gens,
étoient fort de son goût. Il se rabat aussi sur les charognes, dont
il disputoit même courageusement, et avec succès, les lambeaux aux
corbeaux, ses mortels ennemis: ces oiseaux fuyoient en vain avec leur
proie, le Parasite s'acharnoit à leur poursuite et les forçoit à la lui
abandonner. Il se battoit courageusement aussi contre les buses et les
autres oiseaux de proie, ou plus foibles ou plus poltrons; et dans ces
combats il étoit bien servi par l'habilité de son vol et la légéreté
de ses mouvemens, qui l'élèvent au besoin à des hauteurs prodigieuses,
d'où on l'entend pousser un cri perçant, mais rare.

Quand une fois ces oiseaux avoient apperçu mon camp, j'étois persuadé
de les voir revenir tous les jours à la même heure, et chaque visite en
augmentoit le nombre, au point que quelquefois nous en étions obsédé
d'une douzaine. J'en ai remarqué un, étant campé à la rivière Gamtoos,
où je suis resté fort long-tems, qui est venu fidèlement tous les jours
me visiter, à onze heures du matin et à quatre heures de l'après-midi:
j'étois très-persuadé que c'étoit le même, car il lui manquoit, à une
des aîles, quatre ou cinq des moyennes pennes, que j'avois abattues
d'un coup de fusil; ce qui produisoit un vide qu'il étoit facile de
remarquer, et me le faisoit toujours reconnoître. Le passage de ces
oiseaux dans les mêmes cantons, et toujours à peu près à la même
heure, est une observation que j'ai généralement trouvée vraie durant
tout le cours de mes voyages, il paroît même que c'est une habitude
particulière de ces milans d'Afrique et de ceux d'Europe; car j'ai
remarqué à ces derniers la même coutume de passer à certaines heures
par les mêmes endroits, et jamais je n'ai manqué de tuer un milan dont
j'avois envie, quand je l'attendois à l'heure et dans le lieu où je
l'avois vu une fois roder.

Le Parasite fait son nid sur les arbres ou dans les rochers; mais s'il
se trouve quelque marais dans les environs du pays qu'il habite, il le
fréquente de préférence, et place son nid sur quelque buisson entre
les roseaux. La ponte est de quatre œufs, qui sont tachetés de roux.
Dans le premier âge, le Parasite est couvert d'un duvet grisâtre.
Au sortir du nid, ses couleurs sont d'un brun plus sombre que par
la suite. Sa queue est alors presque carrément coupée. Ce caractère
d'avoir, dans son jeune âge, la queue moins fourchue, est conforme à
celui du milan d'Europe. Le milan noir[10], dont les naturalistes ont
fait une seconde espèce, n'est autre chose que le jeune milan d'Europe
qui n'a point encore subi sa seconde mue. Ceci est un fait dont je suis
très-certain, ayant élevé plusieurs de ces prétendus milans noirs,
que j'avois enlevés du nid après avoir tué le père et la mère, que je
reconnoissois pour être de l'espèce du milan ordinaire; tandis que ces
mêmes petits étoient exactement conformes aux descriptions du milan
noir, qui, au reste, soit dit en passant, n'a pas un atôme de noir dans
son plumage, comme il est facile de s'en convaincre. Des gardes-chasse
m'ont souvent apporté de ces mêmes prétendus milans noirs, que j'ai
toujours reconnus, à la mollesse des os de leurs crânes, pour n'être
que des jeunes oiseaux; et Buffon a eu d'ailleurs grande raison, comme
on le voit, de ne considérer le milan royal et ce milan noir, que comme
deux espèces très-voisines, puisqu'ils ne sont en effet qu'une seule et
même espèce dans deux âges différens.

  [10] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nº. 472.

Le Parasite est donc une seconde espèce de milan à ajouter à celui
d'Europe. Quant au milan de la Caroline de Brisson[11], ou l'épervier
à queue d'hirondelle de Catesby[12], il est certain que ce n'est que
par rapport à sa queue fourchue, que cet oiseau a été indiqué comme un
milan; car par tous les autres caractères il s'en éloigne absolument.
Il est indubitable que si la forme du bec et des pieds sont les
principaux caractères d'après lesquels ces méthodistes ont cherché
à différencier les genres, l'oiseau dont il est question n'est point
un milan, car sa mandibule supérieure est unie de chaque côté, et non
cranée comme celle de cet oiseau et comme l'ont généralement tous les
oiseaux de proie. Si nous considérons maintenant la forme des pieds
de ce prétendu milan de la Caroline, nous trouverons qu'il a le tarse
proportionnellement moitié aussi long que notre milan, qui l'a déja
plus court même que les buses, et par conséquent que les éperviers,
qui, de tous les oiseaux de rapine, les ont les plus longs; ainsi le
nom d'épervier à queue d'hirondelle, que lui donne Catesby, ne lui
convient pas plus que celui de milan que lui a appliqué Brisson; et si,
en effet, cet oiseau a la queue fourchue, elle l'est, comme on peut le
remarquer, bien différemment que celle du milan; car elle se trouve
entièrement évidée, presque dès son origine; tandis que l'enfourchure
de la queue du milan ne commence que vers sa pointe. D'ailleurs, si
nous voulions prendre pour caractère générique les formes de la queue,
on seroit, d'un côté, obligé d'admettre, dans le même genre, quantité
d'espèces qui n'ont nul rapport entre elles; et, d'un autre côté, d'en
faire plusieurs de différentes espèces qui très-certainement sont du
même genre, malgré les différentes formes de leur queue. La seule
famille des gobes-mouches nous offre une variété étonnante dans la
conformation de leurs queues.

  [11] Brisson, _Ornithologie_, tome I, page 418.

  [12] _Histoire naturelle de la Caroline_, par Catesby, planche IV,
  tome I.

Il se trouve au Sénégal un oiseau de proie auquel les François ont
donné le nom d'écouffe. Si, en effet, c'est un milan, il est probable
qu'il est de la même espèce que le Parasite; puisque tout ce qu'en dit
l'auteur qui en parle s'y rapporte parfaitement. «Toute nourriture
convient, dit-il, à sa faim dévorante; il n'est point épouvanté des
armes à feu; la chair cuite ou crue le tente si vivement qu'il enlève
aux matelots leurs morceaux dans le tems qu'ils les portent à leurs
bouches.» Tout ceci revient bien à ce que j'ai dit de la voracité du
Parasite. D'ailleurs, comme j'ai trouvé ces oiseaux en plus grande
quantité chez les Grands Namaquois et vers le tropique que près du
Cap, il n'y auroit rien d'étonnant que l'espèce se retrouvât dans les
mêmes latitudes de l'autre côté de la ligne; et cela est même plus que
probable.



DES BUSARDS.

LE GRENOUILLARD, Nº. 23.

[Illustration: _Le Grenouillard._]


Cet oiseau de proie, que j'ai nommé Grenouillard, nous présente à
peu près les mêmes dimensions, et précisément les mœurs de notre
busard[13], à côté duquel il peut être placé. Il ressemble à cet
oiseau par son corps svelte et par la longueur de ses tarses; il en
diffère par le bec qu'il a plus alongé et moins épais à sa base. On
le distingue encore facilement par ses couleurs, qui en diffèrent
totalement. Tout le dessus du corps est d'un brun de terre d'ombre
lavé, du moins c'est la couleur des plumes dans leur partie visible;
celle qui est cachée est souvent blanche d'un seul côté, et pour
l'ordinaire inégalement des deux côtés de la tige. La gorge et les
joues sont couvertes de plumes foibles à barbes désunies, d'une couleur
blanchâtre, et portent une bande longitudinale brune; le dessous du
corps est d'un brun clair, légérement varié de blanc sur la poitrine
et le bas-ventre; sur les jambes, la couleur blanchâtre borde toutes
les plumes, qui sont d'un roux ferrugineux, ainsi que le dessous de
la queue. Les aîles sont brunes; en dessous, elles portent des bandes
transversales de blanc et de brun clair. La queue, qui est coupée
carrément au bout, est de la même couleur que les pennes de l'aîle.
Elle est rayée en travers d'un brun plus foncé, sur-tout dans le milieu
de chaque plume, les bords étant d'une teinte plus claire. Le haut du
cou et le poignet de l'aîle sont parsemés de taches blanches. Les pieds
et les doigts sont jaunâtres; la base du bec est d'un bleu pâle, le
bout en est noir, ainsi que les serres. Les aîles ployées s'étendent
aux deux tiers de la longueur de la queue. L'œil est d'un gris-brun.

  [13] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nº. 424.

Les colons du Cap et les Hottentots, voyant continuellement ce busard
planer sur les marais et se percher sur les buissons ou sur les arbres
qui les avoisinent, d'où il fond sur les grenouilles qu'il apperçoit
et qu'il dévore dans l'épaisseur des roseaux, lui ont donné le nom de
_kikvors-vanger_ (attrapeur de grenouilles), d'où j'ai tiré celui de
Grenouillard. Cet oiseau ne se contente pas seulement de la chasse
des grenouilles, car il fait la guerre à tous les oiseaux aquatiques,
particulièrement quand ils sont encore jeunes.

C'est en planant avec grace et adresse au-dessus des marais, que
son œil, toujours attentif, guette sa proie, sur laquelle il fond
impétueusement. S'il sort des roseaux à l'instant même qu'il s'y est
abattu, c'est une preuve qu'il a manqué son coup; sinon il ne reparoît
que quand il a mangé sa proie, qu'il dévore sur la place même où il l'a
saisie. J'ai trouvé dans l'estomac de ce busard des débris de poisson;
ainsi il pêche aussi bien qu'il chasse. C'est dans les marais et parmi
les roseaux que le Grenouillard établit son nid, qu'il construit avec
des tiges et des feuilles amoncelées de ces plantes aquatiques. J'ai
trouvé plusieurs fois leurs couvées, où j'ai vu trois ou quatre œufs
entièrement blancs.

Cet oiseau est généralement répandu dans toute l'Afrique, depuis le
Cap des Aiguilles jusqu'à chez les Caffres, c'est-à-dire, le long de
la côte est, où j'en ai tué plusieurs. Je n'assurerai point qu'il se
trouve sur la côte opposée et notamment dans l'intérieur des terres,
quoiqu'il me semble en avoir apperçu plusieurs voler au-dessus de
quelques marais; mais comme il ne m'a point été possible d'en tuer
un dans ces cantons, pour vérifier le fait par la comparaison, je
n'affirmerai point qu'ils étoient de la même espèce. En tout cas,
si c'est la même, elle y est au moins infiniment plus rare; et la
raison en est simple, car dans l'intérieur des déserts, et le long
de la côte ouest, les terres étant sablonneuses, sèches et arides,
offrent peu de marais; et ces oiseaux, les recherchant de préférence,
doivent naturellement fréquenter les lieux les plus arrosés et les
plus humides. C'est sur les bords du Duyven-Hock, du Gaurits, du
Brak, et dans les marais d'Auteniquoi, où j'ai le plus rencontré le
Grenouillard. La femelle, dans cette espèce, est plus forte que son
mâle d'un quart tout au plus, et elle n'en diffère que par quelques
légères teintes plus foibles dans son plumage.

Etant campé dans les environs de la baie Lagoa, mon fidèle Klaas
m'apporta un jour un busard qu'il venoit de tuer dans un marais situé
près de nous, entre le Queur-Boom et le Witte-Dreeft. C'étoit dans le
moment où je fus attaqué d'une forte dissenterie. Ma maladie m'ayant
empêché de préparer cet oiseau, et Klaas remarquant le plaisir qu'il
m'avoit fait, imagina, n'étant point encore adroit à les écorcher à ma
manière, de le faire tout au moins sécher avec sa chair; opération qui
fut cause de sa destruction totale, et qui prive le public du portrait
d'une espèce que je n'ai pu me procurer une seconde fois; mais j'y
supplérai par la courte description que j'en ai faite d'après l'oiseau
même, ce qui suffira pour l'indiquer. Il est de la même taille à peu
près que le Grenouillard; son plumage est en général par-tout d'un
brun sombre, très-approchant de la couleur de notre busard d'Europe.
La plus grande partie de sa tête et ses joues sont d'un blanc sali de
roussâtre. Presque toutes les petites couvertures des aîles étoient
de cette même couleur; les pieds et la base du bec avoient une teinte
jaunâtre. Je n'ai pas beaucoup examiné cet oiseau; par conséquent
il m'est impossible de décider s'il est simplement une variété du
Grenouillard, ou peut-être de notre busard européen, qui a aussi la
tête blanchâtre; mais ce dernier n'a pas, comme celui que j'ai indiqué,
les petites couvertures des aîles de cette même teinte de blanc-roux.
Je ne me rappelle point si la queue étoit étagée, ou carrément coupée,
comme celle du Grenouillard: ce caractère seul m'auroit éclairci
le doute; mais, comme je l'ai dit, mon attention n'a point été
très-scrupuleuse sur l'individu: car il étoit naturel de supposer que
je tuerois un autre oiseau de la même espèce. Ceci prouve combien il
est essentiel de ne pas négliger les plus petites occasions d'observer;
car par fois nous en laissons échapper une qui ne se présente plus;
aussi un voyageur ne doit point rebuter l'objet qui lui paroît le moins
bien conservé; puisque souvent on ne les retrouve pas une seconde fois.
Il m'est arrivé mainte fois, dans le commencement de mon voyage, de
rejeter un oiseau parce qu'il étoit trop mutilé du coup de fusil, et de
le regretter par la suite. Aussi faut-il conserver soigneusement, même
les objets les plus défectueux, au moins jusqu'au moment où l'on se
trouve à même de les remplacer mieux.

En passant dans le Lange-Kloof ou Vallée Longue, et longeant la
rivière Krom, j'ai vu, à plusieurs reprises, planer au-dessus d'un
marais, un oiseau de proie, qui, à toute son allure, m'a semblé
aussi être une espèce de busard. Je l'ai vainement guetté tout un
après-dîner, et l'ai malheureusement tiré d'un peu trop loin, dans un
moment où il passoit à une certaine distance de moi; mais, ne l'ayant
que légérement blessé, il s'en fut, et ne se montra plus après. Le
plumage de celui-ci m'a paru être tout noir; mais son croupion étoit
entièrement blanc.



OISEAUX DE PROIE

DONT NOUS NE CONNOISSONS POINT EN EUROPE LES ANALOGUES.

LE TACHIRO, Nº. 24.

[Illustration: _Le Tachiro._]


C'est dans l'épaisseur des forêts majestueuses de la partie la plus
reculée du pays d'Auteniquoi où j'ai, pour la première fois, rencontré
l'oiseau de rapine que j'ai nommé Tachiro. C'est dans le silence de ces
bois, à l'ombre de ces arbres antiques, vrais colosses de végétation,
qu'ont vieilli plusieurs générations d'hommes, et qu'un être sensible
n'approche jamais sans éprouver ce sentiment sublime que produit
l'admiration; c'est-là, dis-je, où, pour la première fois, parmi les
chants harmonieux et tendres d'une multitude d'oiseaux différens,
les cris pinchards et discordans du Tachiro frappèrent mon oreille.
Cet oiseau de carnage, vrai fléau de tous les petits oiseaux de
son domaine, fait la guerre à tous indistinctement. Il est un peu
inférieur, pour la taille, à notre autour.

J'aurois rangé le Tachiro parmi les éperviers, si je ne lui avois
trouvé le tarse plus court; et les aîles plus alongées et coupées
différemment que celles de ces oiseaux. Les aîles en repos s'étendent
au-delà de la moitié de la longueur de la queue, qui elle-même est
à peu près aussi longue que le corps. La tête, ainsi que le cou,
sont variés de blanc, de roux et tachés d'un brun-noir. La gorge est
blanche, mêlée de roussâtre; le manteau est d'un brun sombre, ainsi
que les couvertures des aîles, dont chaque plume est lisérée d'une
teinte plus lavée. Toutes les pennes de l'aîle sont terminées de
blanc. Le dessous de la queue est blanc et barré de larges bandes d'un
noir lavé; en dessus elle est brune, et les bandes sont plus foncées.
Tout le dessous du corps porte, sur un fond blanc nué de roussâtre,
des taches brunes plus ou moins foncées; ces taches sont rondes ou
semi-circulaires, et sur les jambes elles ont précisément la forme d'un
cœur. Le bec est bleuâtre; les ongles sont noirs, et les pieds jaunes.
L'iris est de la couleur d'une topase. Dans cette espèce, la femelle
est aussi plus grosse que le mâle; son plumage est généralement plus
mêlé d'une teinte roussâtre; le blanc est plus sali, et les taches
moins bien dessinées.

Ces oiseaux bâtissent leurs nids dans l'enfourchure des plus grands
arbres; ce sont de petites branches souples et de la mousse qui en
forment l'extérieur; en dedans ils sont fournis de beaucoup de plumes.
Je n'ai trouvé qu'un seul de ces nids, dans lequel il y avoit trois
petits entièrement couverts d'un duvet roussâtre: voulant les laisser
élever par le père et la mère pour les prendre quand ils seroient assez
forts, je les leurs abandonnai. J'allois tous les trois ou quatre jours
visiter ma nichée, à qui même j'apportois plusieurs oiseaux dont
j'avois conservé la dépouille; je les posois sur le bord du nid, et les
trouvois dévorés à la visite suivante; mais je crois que les vieux les
mangeoient eux-mêmes; car je voyois, sur les branches et sur le nid
même, une quantité prodigieuse d'aîles de mantes et de sauterelles;
insectes qui, je crois, faisoient la principale nourriture des petits.
J'entendois continuellement, pendant le jour, les vieux jeter des
cris très-perçans, _cri-cri--cri-cri-cri--cri-cri_; en approchant des
jeunes, ils venoient tous les deux jusque sur l'arbre où j'étois,
et m'approchoient de si près, pour les défendre, que j'aurois pu
facilement les tuer avec un bâton.

Ayant trop tardé de m'emparer de la couvée, un jour qu'à mon ordinaire
j'allai la visiter, je ne trouvai plus que le nid: les vieux et les
jeunes tout étoit disparu; je leur sus très-mauvais gré d'avoir été
plus diligens que moi. A en juger par quelques débris des coquilles
d'œufs que je vis encore dans le nid, ils étoient blancs et portoient
quelques taches roussâtres.

Je n'ai jamais apperçu le Tachiro dans la plaine, et ne l'ai vu que
dans les énormes bois qui bordent le Queur-boom et dans les forêts
d'Auteniquoi.



LE MANGEUR DE SERPENS, Nº. 25.

[Illustration: _Le Mangeur de Serpens._]


Le défaut d'observations exactes, les rapports incertains des
voyageurs, et bien plus encore l'inexpérience et le peu de connoissance
des auteurs qui ont parlé de cet oiseau, sous les différentes
dénominations de secrétaire, sagitaire ou messager, ont empêché,
jusqu'à ce moment, les naturalistes de voir dans cette espèce un vrai
oiseau de rapine, et non-seulement le destructeur des serpens, mais
encore de tous les quadrupèdes ovipares; enfin, un oiseau de combat
vorace et intrépide; en un mot, un véritable oiseau de proie, armé d'un
bec épais et crochu, et dont le corps massif et robuste est de plus
muni d'aîles meurtrières, qui lui servent à frapper et assommer sa
proie, comme avec une massue, à défaut de serres aigues et fortes dont
il ne feroit point usage.

Cet oiseau tient donc aux autres oiseaux de proie par la forme de son
bec, par celle de son corps, et par ses mœurs sanguinaires et sauvages;
mais il est modifié comme devoit l'être un oiseau de rapine fait pour
combattre les serpens et s'en nourrir. Une course continuelle et
utile émousse ses ongles, et lui interdit un vol qui ne lui est pas
nécessaire, et dont il fait en effet peu d'usage. Le Mangeur de serpens
est enfin, dans tout son ensemble, ce que devoit être un oiseau de
proie terrestre, destiné, par la nature, à purger les déserts d'Afrique
des reptiles les plus dangereux; afin, sans doute, d'y maintenir
l'équilibre entre ces espèces redoutables et les autres animaux:
équilibre si généralement nécessaire au grand ouvrage du Créateur,
et sans lequel la terre ne seroit bientôt plus peuplée que d'êtres
malfaisans. Triste exemple de ce qui se passe parmi les hommes, quand
les méchans ont acquis par leur nombre, ou par la lâcheté des autres
hommes, le droit de tout oser impunément.

Le Mangeur de serpens a la jambe et le tarse très-longs; ce qui élève
son corps de terre et le garantit encore plus facilement de la morsure
des reptiles venimeux qu'il combat. Ses doigts courts et ses ongles
émoussés, ne lui servent point à presser et à enlever sa proie; ses
pieds sont destinés et se bornent seulement à poursuivre les serpens
avec plus de vîtesse, ou à se dérober à leurs morsures envenimées,
par des sauts et des bonds reitérés. La nature a suppléé, dans cette
espèce, au défaut de serres, si utiles aux autres oiseaux de rapine;
elle a muni ses aîles de proéminences osseuses, qui, quoiqu'émoussées
et arrondies, sont propres à cet usage.

Armé de la sorte, il ose attaquer un ennemi aussi redoutable que le
serpent; fuit-il, l'oiseau le poursuit; on diroit qu'il vole en rasant
la terre; il ne développe cependant point ses aîles, pour s'aider dans
sa course, comme on l'a dit de l'autruche; il les réserve pour le
combat, et elles deviennent alors ses armes offensives et défensives.
Le reptile surpris, s'il est loin de son trou, s'arrête, se redresse
et cherche à intimider l'oiseau, par le gonflement extraordinaire
de sa tête et par son sifflement aigu. C'est dans cet instant que
l'oiseau de proie, développant l'une de ses aîles, la ramène devant
lui, et en couvre, comme d'une égide, ses jambes, ainsi que la partie
inférieure de son corps. Le serpent attaqué, s'élance; l'oiseau bondit,
frappe, recule, se jette en arrière, saute en tous sens, d'une
manière vraiment comique pour le spectateur, et revient au combat en
présentant toujours à la dent venimeuse de son adversaire, le bout de
son aîle défensive; et pendant que celui-ci épuise, sans succès, son
venin à mordre ses pennes insensibles, il lui détache, avec l'autre
aîle, des coups vigoureux, dont l'énergie est puissamment augmentée par
les proéminences et les duretés dont j'ai parlé plus haut. Enfin, le
reptile étourdi d'un coup d'aîle, chancèle, roule dans la poussière,
où il est saisi avec adresse, et lancé en l'air à plusieurs reprises,
jusqu'au moment où, épuisé et sans force, l'oiseau lui brise le crâne à
coups de bec, et l'avale tout entier, à moins qu'il ne soit trop gros;
dans ce cas, il le dépèce en l'assujettissant sous ses doigts. Des
piquans aigus, comme ceux du jacana ou du camichi, seroient sans effet
sur la peau lisse et le corps arrondi des serpens; des nœuds durs sont
bien plus utiles à l'oiseau dont nous parlons; leurs coups réitérés,
donnés avec force, étourdissent le reptile, et lui cassent souvent
l'épine vertébrale du premier coup qu'il reçoit.

Le Mangeur de serpens se nourrit également de lésards, moins dangereux
à combattre; il ajoute à cette nourriture tout ce qu'il peut trouver de
petites tortues, qu'il avale toutes entières, après leur avoir, ainsi
qu'aux serpens et aux lésards, brisé le crâne. Il fait aussi un grand
dégat d'insectes et de sauterelles.

Dans l'état de domesticité, cet oiseau se nourrit de toute espèce de
viandes, crues ou cuites, et mange des poissons. Je l'ai vu mainte fois
avaler des jeunes poulets et des petits oiseaux entiers, avec toutes
leurs plumes; mais j'ai remarqué que toujours il avoit soin de les
faire entrer dans son bec la tête la première. Je ne crois pas que,
dans l'état de nature, il attaque les oiseaux; du moins je n'en ai
jamais vu d'exemple.

L'un des Mangeurs de serpens que j'ai tués, et qui étoit un mâle, avoit
dans son jabot vingt-une petites tortues entières, dont plusieurs
avoient près de deux pouces de diamètre; onze lésards de sept à huit
pouces de long, et trois serpens de la longueur du bras et d'un pouce
d'épaisseur. Outre ces animaux, j'y trouvai encore une multitude de
sauterelles et d'autres insectes, dont plusieurs étoient même si
entières que je les plaçai dans ma suite de cette classe; les serpens,
les lésards et les tortues avoient tous chacun un trou dans la tête.
Je trouvai aussi dans l'estomac très-ample de cet oiseau, une pelote
grosse comme un œuf d'oie: elle n'étoit composée que de vertèbres de
serpens et de lésards, d'écailles de tortues, d'aîles et de pattes de
sauterelles, et enfin d'élitres de plusieurs scarabées. Cet oiseau
rejette, par le bec, toutes ces dépouilles, ainsi que le font plusieurs
autres oiseaux de proie.

Comme tant d'autres êtres puissans de la nature, le Mangeur de serpens
abuse de sa force; les moyens offensifs qui lui ont été donnés pour
conserver son espèce, tournent souvent contre lui-même. L'amour
excitant entre les mâles des combats longs et opiniâtres, ils se
frappent mutuellement de leurs aîles, pour se disputer une femelle,
qui se rend toujours au vainqueur, et c'est vers le mois de juillet
qu'ils entrent en amour. Ces oiseaux construisent un nid plat, en forme
d'aire, comme celui de l'aigle, et le placent dans le buisson le plus
haut et le plus touffu du canton, qu'ils se sont choisis pour leur
domaine: ce nid est garni intérieurement de laine et de plumes; sa
dimension est au moins de trois pieds de diamètre; il est arrangé dans
le milieu d'un buisson, dont ils ont l'art d'écarter si artistement
les branches qu'elles servent de fondement à tout l'édifice; ces mêmes
branches, poussant sur les côtés des jets qui montent après plus haut
que le nid, forment tout autour une espèce de rempart, qui le dérobe à
la vue et le met à même de n'être découvert que très-difficilement.

Au reste, cette manière de nicher sur les buissons est relative au
local; on l'observe dans les environs du Cap, dans toutes les plaines
arides et brûlées et généralement dépourvues de grands arbres: vers la
côte de Natal, où l'on trouve encore ces oiseaux, j'ai vu leur aire
placé sur les arbres les plus élevés, où ils se retiroient aussi le
soir pour se coucher. Le même nid sert long-tems au même couple, qui,
comme chez les aigles, habite seul un domaine assez étendu. La ponte de
cet oiseau est de deux et souvent de trois œufs; ils sont entièrement
blancs, ponctués de roussâtre, et de la grosseur de ceux d'une oie,
mais un peu moins alongés. Les petits sont long-tems hors d'état de
prendre leur essor; leurs longs pieds frêles, sur lesquels ils ont
d'abord beaucoup de peine à se soutenir, sont la cause de ce retard; et
on les trouve encore dans le nid quoiqu'ils aient tout le développement
et toute la grandeur propre à leur espèce. Ils ne peuvent enfin bien
courir qu'à l'âge de quatre ou cinq mois, et jusqu'à ce moment ils
marchent sur le tarse en s'appuyant sur le talon; ce qui leur donne
fort mauvaise grace. En revanche, dans l'état parfait, cet oiseau a
la démarche aisée, le port noble et les mouvemens pleins de dignité;
tranquille, il marche avec une assurance lente et agréable; mais, au
besoin, il court d'une vîtesse extrême. Lorsqu'il se voit poursuivi,
il préfère de fuir plutôt par la course que de prendre son vol; et,
dans ce cas, il fait des pas d'une grandeur démesurée. Il faut, pour
obliger cet oiseau à s'envoler, ou le surprendre d'une manière brusque
et inopinée, ou le poursuivre à cheval au grand galop; mais alors il
s'élève peu, et redescent aussitôt qu'il se voit hors de danger, pour
se remettre à courir de plus belle.

Le Mangeur de serpens est très-méfiant et singulièrement rusé; on
l'approche difficilement à la portée, pour le tirer avec succès: et
comme on ne le rencontre guère que dans les plaines les plus arides et
les plus découvertes, lieux que fréquentent de préférence les animaux
dont il fait sa proie, il y est en sûreté, étant à même de voir tout ce
qui se passe au loin. Aussi, le chasseur, une fois qu'il a été remarqué
par lui, doit renoncer au projet de le joindre d'assez près pour être
sûr de l'abattre; mais il peut y suppléer par la ruse; car cet oiseau,
revenant toujours dans les mêmes cantons, lorsqu'on en aura observé
un qu'il fréquente d'ordinaire, il faudra s'y rendre avant le jour,
se cacher dans un buisson bien touffu, et y rester jusqu'à ce qu'il
se présente convenablement pour être tué. Il faut, dans cette chasse,
s'armer de beaucoup de patience, ne pas faire le moindre mouvement,
et le buisson dans lequel on se cachera doit même être tellement
ombragé qu'on ne puisse voir le jour à travers; sans quoi l'oiseau,
très-clairvoyant, y aura bientôt découvert le chasseur. Le canon du
fusil, ainsi que les batteries, doivent aussi avoir été frotté avec
du sang chaud de quelque animal, afin qu'ils aient le moins d'éclat
possible[14]. Voilà la seule manière qui m'ait réussi pour parvenir à
me procurer ces oiseaux, et encore n'en ai-je pu tuer que cinq pendant
tout le séjour que j'ai fait en Afrique.

  [14] C'est la méthode qu'emploient les colons du Cap pour ternir
  leurs fusils; ce qui est infiniment préférable au bronzé d'Europe, et
  très-nécessaire pour approcher les gazelles d'Afrique.

Dans cette espèce, le mâle et la femelle se séparent rarement, et
toujours on les trouve ensemble. Pris jeune, cet oiseau s'apprivoise
facilement, et se nourrit aisément. Il s'habitue avec la volaille, et
si on a soin de le bien nourrir, il ne lui fait aucun mal; mais si,
au contraire, on le laisse jeûner, les petits poulets et les jeunes
canards deviennent bientôt sa proie: c'est donc le besoin seul qui
l'invite à mal faire, si toutefois c'est un mal que de pourvoir à sa
subsistance. Il n'est pas de son naturel d'être méchant; au contraire,
il semble aimer la paix; car s'il y a quelque bataille parmi les
animaux de la basse-cour, on le voit aussitôt accourir pour séparer les
combattans. Beaucoup de personnes, au Cap de Bonne-Espérance, élèvent
de ces oiseaux dans leurs basse-cours; autant pour y maintenir la paix
que pour détruire les lésards, les serpens et les rats, qui souvent s'y
introduisent pour dévorer la volaille et les œufs.

Le Mangeur de serpens se trouve dans toutes les plaines arides
des environs du Cap, et notamment dans le Swart-Land. Je l'ai vu
très-fréquemment sur toute la côte de l'est, même jusque chez les
Caffres, et dans l'intérieur des terres; mais à la côte de l'ouest, et
sur-tout vers le pays des Namaquois, je ne l'ai pas, à beaucoup près,
rencontré autant.

Plusieurs naturalistes ont parlé de ce destructeur de serpens, et
l'ont décrit; mais peu l'ont, à ce qu'il paroît, bien examiné. Buffon
lui donne la dimension d'une grande grue; il s'en faut pourtant de
beaucoup qu'il ait la hauteur des grandes espèces de ce genre; il
est même inférieur de taille à notre grue européenne, et n'a enfin
tout au plus que trois pieds deux à trois pouces de hauteur. Quand à
ses longs pieds, que l'auteur compare à ceux des oiseaux de rivage,
il n'est pas le seul oiseau de proie dont le tarse soit aussi long,
car les éperviers, proportionnellement à leur taille, l'ont au moins
de la même longueur; et il est absolument faux que la jambe de cet
oiseau soit dégarnie de plumes un peu au-dessus du _genou_[15]. Tout
au contraire, les plumes des jambes descendent un peu sur le devant
du tarse. Au reste, cet oiseau est si mal figuré dans les planches
enluminées de Buffon, Nº. 721, qu'il est impossible de le reconnoître
dans ce portrait peu fidèle, tant pour ses couleurs que pour sa forme
totale. La peau nue qui entoure son œil et la base du bec, n'est pas
rouge, comme dans la figure que nous avons citée, mais d'un jaune, plus
ou moins orangé; il n'a pas non plus le cou de cigogne qu'on lui prête,
et encore moins un bec de gallinacée; et ce n'est pas un vautour,
comme le prétend Forster. Il n'a pas enfin la queue fourchue que lui
donne Sonnerat, qui en a publié une figure vraiment grotesque dans son
_Voyage à la nouvelle Guinée_, planche 50; on n'a pas oublié dans ce
portrait, le caractère du _bas de la jambe_ dégarni de plumes.

  [15] Buffon nomme encore ici _genou_, la partie que, dans cent autres
  endroits, il désigne comme le talon; et c'est très-certainement du
  talon dont il a voulu parler; car jamais on n'apperçoit le genou des
  oiseaux, qui se trouve toujours caché par les plumes des flancs.
  D'ailleurs, le secrétaire ou Mangeur de serpens n'a la jambe dégarnie
  de plumes ni en haut ni en bas; et la preuve la plus convaincante
  que c'est du talon dont Buffon a voulu parler dans cette occasion,
  c'est qu'il reproche à son dessinateur de n'avoir point saisi les
  caractères qu'il donne à son secrétaire, et dont celui de la jambe
  dégarnie de plumes fait partie. Voyez dans Buffon la description du
  secrétaire, tome XIV, page 30 de l'édition _in_-12.

Kolbe a confondu cet oiseau avec le pélican: le nom de _slang-vreeter_
(mangeur de serpens), qu'il applique au pélican, est le nom que
porte au Cap, dans toute la colonie et chez les Hottentots, l'oiseau
dont nous parlons. Les Hollandois l'ont nommé ensuite _secretaris_
(secrétaire), par comparaison avec leurs écrivains de bureau, qui
généralement ont l'habitude de ficher leurs plumes dans leur perruque
derrière l'oreille, et dont celles de la huppe de cet oiseau
rappellent l'idée. Vosmaer l'a nommé sagitaire, et d'autres enfin
messager, par rapport à la vîtesse de sa course. Quant à moi, je lui
conserverai son véritable nom, qui lui convient mieux; car enfin ce
n'est pas un secrétaire, ni un sagitaire, et encore moins un messager;
mais c'est un mangeur de serpens.

Cet oiseau est caractérisé, par un bec crochu et fort comme celui des
aigles; par un long tarse; par une touffe de plumes inégales, qui
lui forme, sur le derrière du cou, une espèce de crinière pendante,
qu'il peut hérisser à volonté; et enfin par une queue très-étagée,
dont les deux plumes du milieu sont du double plus longues que les
deux suivantes, et traînent à terre pour peu que l'oiseau les tienne
obliquement. L'œil est d'une couleur grisâtre; il est très-ouvert et
garni d'un sourcil de cils noirs. La bouche est grande et fendue jusque
passé les yeux; la gorge, fort ample, est susceptible d'une très-grande
extension, ainsi que la peau du cou. Le jabot est d'une ampleur
considérable, et contient une quantité prodigieuse de nourriture.

Le plumage du Mangeur de serpens mâle, lorsqu'il est parvenu dans son
état parfait, est, sur la tête, le cou, la poitrine et généralement
tout le manteau, d'une couleur gris bleuâtre, nuée plus ou moins d'une
légère teinte de brun-roux sur les couvertures des aîles; les grandes
pennes sont noires. La gorge, ainsi que les plumes qui couvrent le
sternum, sont blanches, et celles du dessous de la queue sont d'un
blanc sali de roussâtre; le bas-ventre est noir, mêlé et comme rayé
de roux ou de blanc; les jambes, enfin, sont couvertes de plumes
d'un beau noir, rayé imperceptiblement de brun; vers le talon, cette
rayure prend un ton plus blanchâtre. La base du bec et la peau nue
des yeux sont d'une couleur jaune, plus orangée au-dessus de l'œil.
Le bec est couleur de corne noirâtre, ainsi que les ongles, qui sont
courts et émoussés. Les doigts, très-épais, sont, ainsi que le tarse,
couverts de larges écailles d'un brun jaunâtre. La queue est, comme je
l'ai dit, très-étagée; les pennes qui la composent sont, en partie,
noires, et prennent toujours plus de gris à mesure qu'elles s'alongent;
elles sont de plus toutes terminées de blanc: les deux du milieu,
qui dépassent de beaucoup toutes les autres, sont entièrement d'un
gris-bleu, nuées de brun vers le bout, où elles portent une tache noire
et sont aussi terminées de blanc; mais il arrive quelquefois que ce
bout blanc disparoît entièrement, par le frottement qu'elles éprouvent
en traînant souvent à terre. J'ai remarqué encore que ces deux longues
plumes se rétrécissoient depuis le croupion jusqu'au milieu de leur
longueur, et que de-là elles prennent, au contraire, toujours plus
de largeur jusqu'au bout. La huppe de cet oiseau est composée de dix
plumes très-apparentes; elles ne naissent point sans ordre, mais sont
implantées deux à deux: les plus courtes étant placées sur le haut du
cou et les longues plus bas; elles occupent ensemble un espace de plus
de quatre pouces: les plus grandes sont noires, principalement à leurs
extrémités extérieures; d'autres sont mélangées de gris et de noir;
toutes sont étroitement ébarbées à leur naissance, et s'élargissent
toujours davantage; enfin, elles ont absolument la forme d'une massue,
et jouent au gré des vents et au moindre mouvement que fait l'oiseau,
qui a aussi la faculté de les redresser à volonté.

La femelle diffère du mâle par sa couleur grise, moins nuancée de brun;
par sa huppe moins longue et plus mêlée de gris; par son bas-ventre,
qui est blanc, et par les plumes de ses jambes qui sont plus traversées
de rayures brunes ou blanches, et enfin par les deux plumes moins
longues du milieu de la queue.

Dans le premier âge, le gris est nuancé d'une forte teinte roussâtre;
chaque plume des jambes est terminée par un liséré blanc, et le
bas-ventre est entièrement blanc. La huppe est non-seulement courte,
mais tout à fait d'un gris roussâtre, et les deux plumes du milieu de
la queue ne s'étendent pas plus loin que les autres. Les proéminences
osseuses des aîles ne paroissent pas du tout dans le jeune âge. Dans
l'oiseau adulte, il faut soulever l'aîle pour les sentir, et elles ne
sont absolument que des apophises du métacarpe.



DES AUTOURS.

L'AUTOUR HUPPÉ, Nº. 26.

[Illustration: _L'Autour Huppé._]


Cet oiseau de Cayenne qui, par ses aîles courtes, sa grande queue et
ses longues jambes, se rapproche beaucoup du genre de l'épervier et de
l'autour, me paroît être un véritable autour d'une espèce nouvelle, à
ajouter à celui que nous connoissions déja, et qui se trouve dans les
différentes parties de l'Europe. Quant au prétendu petit autour de
Cayenne, décrit par Buffon, et figuré dans ses planches enluminées,
Nº. 473, ce n'est certainement point un autour. Pour avoir également
une idée exacte de la forme de notre autour d'Europe, il faut bien se
garder de consulter les planches enluminées de Buffon, Nº. 461 et Nº.
418, qui représentent fort mal le port de cet oiseau. L'autour blond
des naturalistes n'est rien autre que notre autour dans son enfance,
nommé busard dans les planches de Buffon, Nº. 423. Ce même autour, dans
son jeune âge, est aussi décrit par Brisson, comme un gros busard:
erreur dont Buffon s'est apperçu. Je ne connois absolument encore
que deux espèces d'autours; savoir, notre autour européen et celui
de cet article, que je donne dans les planches coloriées de cet
ouvrage, Nº. 26. Celui-ci diffère de notre autour non-seulement par des
couleurs totalement différentes, mais encore par sa taille, qui est
d'un bon tiers plus forte. Il est caractérisé par une touffe de plumes
inégales, qui prennent naissance sur l'occiput et retombent sur le cou
par derrière; ses tarses sont aussi entièrement emplumés: caractères
bien suffisans pour distinguer ces deux espèces l'une de l'autre. Le
dessus de la tête de cet autour américain est couvert de plumes noires,
mais elles n'ont cette couleur que dans toute la partie qui se remarque
quand elles sont naturellement couchées les unes sur les autres; car
le dessous en est blanc, et souvent ce blanc s'apperçoit pour peu que
les plumes se dérangent. La huppe est également noire et blanche. Tout
le derrière du cou est d'un roux foncé, et le devant d'un blanc sali
de roussâtre; une ligne noire qui descend du coin de la bouche sur
les côtés du cou, sépare le roux de la nuque et le blanc de la gorge.
Toute la partie antérieure du corps, sur un fond blanc plus ou moins
roussâtre, porte de larges taches noires; les jambes sont barrées
transversalement de noir et de blanc; sur le tarse cette rayure est
plus fine. Les aîles et le manteau, sur un fond brun sombre, sont nués
d'une couleur noirâtre. Les petites couvertures du poignet de l'aîle se
détachent l'une de l'autre par une bordure blanche, et la queue porte
de larges bandes noires, disposées sur la couleur brune de ses pennes.
Le bec est bleuâtre, les doigts jaunâtres et les serres d'un noir de
corne. La base du bec m'a paru roussâtre.

J'ai été à même de comparer cinq individus de cette espèce, dont l'un
est au Cabinet National de Paris; un autre chez le citoyen Holthuysen,
à Amsterdam; j'ai vu le troisième dans le cabinet de feu Mauduit, qui
l'a décrit pour un aigle; un autre chez le citoyen Gaillard, marchand
d'histoire naturelle, et enfin le cinquième est dans ma collection: je
n'ai pas remarqué de différence sensible dans aucun de ces cinq oiseaux.

Les habitudes de cet autour ne nous sont pas connues; mais si nous
pouvons en juger par son bec qui est très-fort, ainsi que par ses
grandes serres, il doit être un terrible destructeur de gibier, et
seroit certainement bien propre à figurer dans une fauconnerie.

On trouve dans l'_Encyclopédie méthodique_ la description de deux
oiseaux de proie nouveaux, donné chacun sous le nom d'autour; je ne
les ai jamais vu en nature, ainsi je ne puis en parler; mais Mauduit,
qui a donné celui de cet article pour un aigle, peut également s'être
trompé à l'égard de ces prétendus autours. Sonnerat a publié aussi la
description d'un oiseau de proie de Madagascar, auquel il a très-mal à
propos donné le nom d'autour. Dans le nombre des oiseaux carnivores que
j'ai vu en Afrique, je n'en ai trouvé aucun qu'on puisse rapporter à ce
genre d'oiseaux.



DES FAUCONS.

LE FAUCON CHANTEUR, Nº. 27.

[Illustration: _Le Faucon Chanteur._]


Le jaune de la base du bec ainsi que des pieds, des couleurs élégantes,
et un chant soutenu, caractérisent un des plus beaux oiseaux de
proie d'Afrique, celui que j'ai nommé Faucon chanteur. Un organe
dont il paroît doué seul, exclusivement à tous les autres oiseaux de
rapine, si nous en exceptons pourtant le vocifer[16], mérite bien de
jouir d'une dénomination particulière, comme privilégié à cet égard;
puisqu'en dénommant les objets d'histoire naturelle, on doit, autant
qu'il est possible, chercher à les peindre par leur nom; cependant ce
nom ne porte pas sur la configuration seule; mais nous pensons aussi
pouvoir nommer les animaux d'après leurs facultés, par la raison
que l'histoire naturelle ne consiste pas seulement dans la partie
descriptive, mais dans la somme des formes, des mœurs et des facultés.
L'étude de ces rapports réunis devant être le but de tout naturaliste,
il doit chercher à fixer les espèces par le trait le plus frappant
de leur signalement physique ou moral, pendant que le nomenclateur
ne s'attachera qu'à la description des couleurs; ce qui nous importe
le moins de connoître avec autant de détails; car il est rare que
deux oiseaux du même genre, et qui se ressemblent le plus par leurs
plumages, n'aient pas quelque caractère différent, qu'il soit aisé de
saisir pour les distinguer l'un de l'autre; et c'est à quoi le vrai
naturaliste doit s'attacher le plus, pour éviter cette confusion qui ne
règne déja que trop dans les différens ouvrages sur les oiseaux.

  [16] Voyez la description de l'aigle que j'ai nommé vocifer, Nº. 4.

Au premier coup-d'œil, le Faucon chanteur pourroit être pris pour une
grande espèce d'épervier; cependant on ne peut le ranger parmi ces
oiseaux, car il a les aîles proportionnellement plus longues, la queue
plus courte et le corps plus épais; mais, comme eux, il a le tarse fort
long, ce qui l'éloigne un peu des faucons. Sa queue est étagée, les
plumes extérieures étant d'un tiers plus courtes que celles du milieu.
La tête, le cou, la poitrine et tout le dessus du corps, sont d'un gris
de perle, plus foncé sur le sommet de la tête, les joues et sur une
partie des plumes scapulaires, où elles prennent un ton brunâtre; les
couvertures du dessus de la queue sont blanches; sur les côtés, elles
sont rayées de gris-brun et ponctuées de la même couleur. Le ventre,
sur un fond blanchâtre, est rayé très-finement de gris-bleu clair; les
rayures du reste du plumage sont plus séparées les unes des autres,
et elles sont d'un joli gris-bleu sur les jambes. Les grandes pennes
de l'aîle sont noires; chacune des plumes de la queue est terminée de
blanc, celles du milieu sont noirâtres, les autres ajoutent à cette
couleur de larges bandes blanches. L'iris est d'un rouge-brun foncé. Le
bec et les ongles sont noirs.

Cet oiseau est de la grosseur de notre faucon. La femelle diffère
du mâle par sa taille, qui est d'un tiers plus forte; la base de
son bec et ses pieds sont d'un jaune plus foible encore, et c'est
principalement dans le tems des amours que ces mêmes parties, dans
le mâle, prennent une couleur plus vive ou plus orangée; c'est alors
aussi qu'il chante, ainsi que la plupart des autres espèces d'oiseaux
chanteurs. Perché sur le sommet d'un arbre, auprès de sa femelle,
qu'il ne quitte pas de toute l'année, ou bien dans le voisinage du
nid où elle couve, il chante des heures entières, et d'une manière
particulière; comme notre rossignol, on l'entend le matin au lever
du soleil, le soir au déclin du jour, et quelquefois durant toute la
nuit. C'est pendant le tems qu'il chante d'une voix forte qu'on peut
facilement l'approcher pour le tirer; mais il faut que le chasseur,
qui s'avance sur lui, s'arrête, demeure immobile, et ne fasse aucun
mouvement dans l'instant où l'oiseau se tait pour reprendre haleine,
parce que dans ces intervalles, il part et s'éloigne au moindre bruit;
mais, comme tous les oiseaux chanteurs, il semble s'écouter avec
une sorte de complaisance, et n'entend plus ce qui se passe autour
de lui; toute sa sûreté étant alors confiée à ses yeux, qui sont
très-clairvoyans. Assez généralement cet oiseau se perche sur un arbre
isolé, où il est impossible de l'approcher; dans ce cas, le mieux
est de l'attendre à la passade, dans un endroit où il soit accoutumé
d'aller; car c'est en vain que l'on tenteroit de le surprendre,
puisqu'il part aussitôt qu'il voit le chasseur s'avancer vers lui.

Le Faucon chanteur fait une guerre cruelle et sanglante aux lièvres,
aux perdrix, aux cailles, et généralement à tout le menu gibier; il
prend aussi les taupes, les souris et les rats. La rapine et le carnage
sont des fonctions nécessitées chez lui par le besoin de satisfaire un
appétit démesuré: j'en ai élevé un jeune que nous ne pouvions rassasier
que difficilement.

La femelle construit son nid dans l'enfourchure des arbres ou dans les
gros buissons touffus; sa ponte est de quatre œufs entièrement blancs
et presque ronds. Dans des voyages tels que ceux que j'ai faits, on
goûte de tout; j'ai mangé ces œufs, fraichement pondus, et je leur ai
trouvé un petit goût de sauvaigne; cuits, le blanc conserve une grande
transparence et une teinte bleuâtre; le jaune est d'une belle couleur
rouge de safran, et le dedans de la coquille d'une couleur verte. Dans
son jeune âge, le plumage du Faucon chanteur est mélangé de beaucoup de
roussâtre.

Cette belle espèce d'oiseau se trouve dans la Caffrerie et dans tout
le pays qui l'avoisine; je l'ai rencontré aussi dans le Karrow et
le Camdeboo. La saison des amours est le seul tems où le mâle fasse
entendre son chant, dont chaque phrase dure près d'une minute. Je n'ai
jamais entendu chanter la femelle. Lorsque j'appercevois une couple
de ces oiseaux, s'il m'arrivoit de tuer le mâle le premier, j'étois
certain d'avoir bientôt la femelle, qui, par attachement pour son mâle,
et le cherchant par-tout, l'appeloit sans discontinuer, d'une voix
triste et lamentable, dont les accens m'indiquoient à chaque instant
les lieux par où elle passoit et repassoit sans cesse en vain, et où
il suffisoit de l'attendre; car, faisant peu d'attention à moi, elle
sembloit s'offrir volontairement à la mort. Si, au contraire, j'avois
tué la femelle la première, le mâle n'en devenoit que plus méfiant; il
se retiroit sur le sommet des arbres les plus isolés, où il chantoit
non-seulement tout le jour, mais pendant la nuit entière; et si je
cherchois à le poursuivre, il quittoit tout à fait le canton et n'y
rentroit plus.



LE FAUCON HUPPÉ, Nº. 28.

[Illustration: _Le Faucon Huppé._]


Cet oiseau me paroît approcher beaucoup de celui qu'Adanson a rapporté
du Sénégal, et que les Nègres de ces contrées nomment _tanas_; il est
également huppé et son plumage ressemble infiniment aussi, tant par
ses couleurs que par leurs distributions, à celui de notre faucon
d'Europe; mais il diffère cependant du tanas par la grandeur, puisqu'on
lui donne une taille un peu moindre seulement que celle du faucon,
tandis que mon Faucon huppé est beaucoup plus petit. Ce dernier a
encore un caractère très-remarquable, et dont Buffon ne fait pas
mention dans la description du tanas: c'est la mandibule inférieure
du bec, qui non-seulement est garnie, comme dans le tanas, d'un
crochet très-apparent de chaque côté, mais de plus est tronquée net à
son extrémité et coupée carrément. La figure que j'ai donnée indique
très-bien ce caractère; qui, s'il est le même dans l'oiseau du Sénégal,
n'aura point été saisi ni par le dessinateur, ni par Buffon. La huppe,
dont il est aussi question dans la description du tanas, manque
absolument dans la figure qu'on en a donnée; et en tout, ce portrait ne
se rapporte nullement à la description de cet oiseau, tandis qu'elle
convient, au contraire, parfaitement à mon Faucon huppé, à la grandeur
près; mais nous savons qu'il arrive souvent que, dans le même pays,
les oiseaux varient beaucoup dans leurs tailles, à plus forte raison
la même chose peut avoir lieu dans deux contrées aussi éloignées l'une
de l'autre, que le sont le Sénégal et le Cap de Bonne-Espérance. Il
est donc probable que le tanas, ou faucon pêcheur du Sénégal, est de la
même espèce que le Faucon huppé du Cap; et que la figure des planches
enluminées de Buffon, Nº. 478, qui est censée représenter le tanas,
est celle d'un autre oiseau de proie. Nous allons voir encore que
les mœurs du Faucon huppé sont aussi les mêmes que celles du tanas:
raison qui vient à l'appui de mes soupçons sur l'unité d'espèce de
ces deux oiseaux africains. Mais comme la description du tanas n'est
point assez détaillée, et que deux oiseaux peuvent bien se ressembler,
et ressembler encore à un troisième, sans être cependant de la même
espèce, nous remettrons à prononcer plus affirmativement, jusqu'au
moment où nous aurons vu en nature le tanas du Sénégal; en attendant,
nous laisserons à cet oiseau de proie du Cap le nom particulier que je
lui ai donné.

La huppe de ce petit faucon est très-apparente; elle part du front
et s'étend jusque passé le derrière de la tête, quand l'oiseau la
couche; il la relève souvent, et particulièrement quand il est animé,
soit par la colère, ou par un sentiment plus doux, celui de l'amour:
c'est dans ce moment sur-tout qu'il l'épanouit et l'étale pour plaire
à sa femelle, à laquelle il paroît très-attaché. Dans cette espèce,
le mâle est de la grosseur d'un pigeon ordinaire; sa femelle est d'un
grand quart plus forte, et sa huppe est moins longue; du reste, ils se
ressemblent beaucoup pour la teinte et la distribution des couleurs,
qui sont, sur tout le dessus du corps, d'un gris-bleu ardoisé; la
huppe est brunâtre. La gorge, le cou et la poitrine sont d'un blanc
sali; tout le dessous du corps, sur ce même fond, porte des bandes
transversales; la queue est également rayée en travers. Les pieds et
les doigts sont jaunes; la base du bec est bleuâtre et la pointe en
est noire, ainsi que les griffes qui sont très-effilées et fortes. De
chaque côté de la bouche descend une balafre brune; les aîles ployées
s'étendent au-delà du bout de la queue; l'œil est d'un jaune orangé.

Le Faucon huppé fréquente les lacs, les bords de la mer et les rivières
poissonneuses; il ne chasse point, mais pêche, et se nourrit de tous
les petits poissons et crabes qu'il peut attraper; il s'accommode
aussi d'oursins, de moules et d'autres coquillages, dont il brise
l'enveloppe avec son bec qui est très-fort. Je l'ai vu poursuivre,
avec acharnement, les mouettes, les hirondelles de mer, et même les
albatros et les pélicans, oiseaux dont la grosseur et la force auroient
dû lui en imposer; mais tous le fuyoient également; les hirondelles
de mer paroissoient même moins le redouter que ces grands et lâches
palmipèdes. Quand ce Faucon huppé s'est adonné à vivre sur les bords
de la mer, c'est sur les rochers qu'il fait alors son nid; dans les
terres, il le construit sur les arbres qui bordent les rivières qu'il
fréquente et qui lui procurent le plus abondamment sa nourriture. La
ponte est de quatre œufs entièrement d'un blanc roussâtre. Le mâle
partage les soins de l'incubation et ne quitte point sa femelle,
dont il prend le plus grand soin, ayant l'attention de lui apporter
amplement les fruits de sa pêche. Toute la petite famille vit long-tems
ensemble, et les jeunes ne se séparent que pour donner eux-mêmes leurs
soins à une nouvelle postérité.

Les très-longues aîles du Faucon huppé paroîtroient devoir lui
faciliter les moyens de chasser, car il a le vol très-rapide; mais
jamais je ne l'ai vu prendre les oiseaux auxquels il donnoit la chasse;
ce qu'il auroit pu faire facilement, puisqu'il les abordoit d'assez
près pour leur donner des coups de bec et les faire crier; mais il m'a
paru que c'étoit simplement pour les écarter du canton qu'il s'étoit
choisi et dont il s'éloignoit très-peu lui-même.

Les jeunes diffèrent des vieux par une teinte fauve répandue sur
tout leur plumage, et par le blanc sale de la gorge, du cou et de la
poitrine qui est varié de roux et de gris-brun; et leur huppe ne paroît
aussi que quelques mois après qu'ils ont pris l'essor.



LE FAUCON A CULOTTE NOIRE, Nº. 29.

[Illustration: _Le Faucon à culotte noire._]


L'oiseau dont il est question dans cet article est encore un faucon
d'Afrique, dont la taille est intermédiaire entre celles des deux
faucons précédens. Ses aîles, moins amples que celles du faucon
huppé, ne s'étendent pas plus loin que les deux tiers de la longueur
de la queue. Le dessus de la tête et les plumes des jambes sont d'un
noir-brun; les pennes des aîles et celles de la queue ajoutent, à
cette même teinte, une bordure blanchâtre, qui dessine les contours
extérieurs, et les détachent les unes des autres. La gorge est blanche;
le manteau, ainsi que les couvertures des aîles, sont d'un gris-brun,
et marquées de quelques traits plus foncés le long du milieu de chaque
plume. Toute la partie antérieure du corps est d'un léger roussâtre,
sur lequel sont répandues des taches brunes, formées en coups de
pinceau. Le bas-ventre et les recouvremens du dessous de la queue
sont de la même couleur et tachés de même; mais les traits bruns qui
s'y trouvent également sont plus déliés. Le bec, qui offre absolument
les mêmes caractères que celui du faucon huppé, est jaune à sa base,
et couleur de corne dans le reste. Les doigts, très-forts, portent
des griffes noires; ils sont jaunes, ainsi que les tarses, qui se
trouvent emplumés un peu au-dessous du talon. L'œil, très-vif, est d'un
brun-noisette. La queue est un peu arrondie.

J'ai tué ce faucon dans le pays des Grands Namaquois; lorsque je
l'apperçus il étoit posé sur un rocher et en train de dévorer un jeune
lièvre, qu'il venoit sans doute de prendre à l'instant même; ce que je
jugeai à la chaleur du petit animal, dont les membres étoient encore
palpitans. Très-occupé à son repas, l'oiseau se laissa approcher,
et je le tuai sur sa proie. Mon coup de fusil fit partir, à quelque
distance de là, un autre oiseau de rapine, qui me parut un peu plus
gros que celui que je venois d'abattre, et que je crus d'autant plus
être sa femelle, que nous étions dans la saison où tous les oiseaux du
canton étoient en amour, et que celui que j'avois tué étoit un mâle.
Je guettai en vain cette femelle, que je vis passer et repasser à
plusieurs reprises, évitant toujours de m'approcher; j'avois cependant
laissé le levreau sur la place où le mâle s'étoit fait tuer, espérant
qu'elle s'y abattroit aussi en l'appercevant. Toutes mes ruses
n'aboutirent à rien, ne voyant plus reparoître son mâle, elle disparut
entièrement. Je n'ai pas vu depuis un autre individu de cette même
espèce.

Mon vieux gardien Swanepoel m'a assuré cependant que cet oiseau étoit
assez commun sur les _Sneeuw-bergen_ (Montagnes de neige), et qu'on le
nommoit, dans ce canton, _klyne-berg-haan_ (petit coq de montagne).
Nous avons déja vu que ce nom de coq de montagne est celui que les
colons du Cap donnent généralement à tous les oiseaux de proie un peu
grands, et qu'ils ne regardent pas comme des vautours (_aas-voogel_).
Quant aux plus petits, ils les désignent généralement par le nom de
_valk_ (faucon).

Nous allons, après avoir parlé d'un petit faucon indien, passer à des
espèces plus petites d'oiseaux de proie d'Afrique, lesquelles, n'étant
pas si robustes que les faucons, semblent destinées à remplacer,
dans ces contrées éloignées, nos éperviers, nos cresserelles et nos
hobereaux, enfin, tous ces oiseaux de proie de race moins noble, pour
me servir de l'expression des fauconniers.



LE CHICQUERA, Nº. 30.

[Illustration: _Le Chicquera._]


Voici un petit oiseau de proie dont la mandibule inférieure du bec est
absolument de la même forme que celle des deux faucons des articles
précédens; il ressemble beaucoup au faucon huppé par les couleurs
générales du corps; mais il n'est pas huppé. Cette espèce, que je
regarde aussi comme un véritable faucon, n'a point encore été décrite
ni figurée dans aucun ouvrage sur les oiseaux. Je l'ai trouvée dans
une collection que j'ai achetée, et que tout m'assure avoir été faite
au Bengal. _Chicquera_ est le nom indien que cet oiseau portoit dans
la note qui m'a été remise avec toute la collection: j'ignore ce
qu'il signifie; je sais seulement que c'est celui que les habitans de
Chandernagor, où il a été tué, donnent à ce petit faucon, dont je n'ai
vu que ce seul individu, qui a également servi à cette description et
de modèle à mon dessinateur, qui l'a parfaitement rendu de grandeur
naturelle, et tel enfin que je le fais colorier ici dans les planches
enluminées, Nº. 30.

La mandibule supérieure du bec porte, dans le Chicquera, deux crans
très-marqués; ses aîles, dans leur situation naturelle, ne passent pas
les deux tiers de la longueur de la queue, et cette queue est un peu
étagée et arrondie. Ces trois caractères sont plus que suffisans pour
ne pas faire prendre cet oiseau pour une variété de celui dont nous
avons parlé sous le nom de faucon huppé. Il a le dessus de la tête et
le derrière du cou d'un roux ferrugineux très-foncé. Une foible
teinte de cette même couleur se trouve répandue sur le blanc de la
gorge, aux environs du bec, sur le devant du cou et sur le poignet de
l'aîle. Tout le dessous du corps, sur un fond blanc, porte une légère
rayûre gris-noir. Le manteau est d'un joli gris-bleu, dont la teinte
forme aussi la base de la couleur de toutes les plumes des aîles et
de la queue, qui sont de plus rayées transversalement. La queue est
traversée, à son extrémité, d'une large bande noire, et elle se termine
enfin par un blanc roussâtre. Le bec, si on en excepte sa pointe
noirâtre, est du reste entièrement d'un jaune pâle. Les pieds et les
yeux sont d'un beau jaune.

La note dont j'ai parlé n'indiquoit absolument rien sur la manière de
vivre de cet oiseau, et ne faisoit pas mention non plus de son sexe.



L'ACOLI, Nº. 31.

[Illustration: _L'Acoli._]


L'acoli est un oiseau de proie qui peut tenir sa place à côté de
l'oiseau saint-martin[17], avec lequel il a infiniment de rapport: même
taille, mêmes proportions, et les couleurs à peu près aussi les mêmes,
feroient prendre cet oiseau pour n'être qu'une variété de l'oiseau
saint-martin; mais une particularité qui les distingue l'un de l'autre,
c'est que l'Acoli a la base du bec d'un beau rouge, particulièrement
dans le tems des amours, et qu'il a le ventre rayé.

  [17] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nº. 459.

L'Acoli, comme l'oiseau saint-martin, a le corps alongé et svelte,
les jambes et les tarses longs, ainsi que la queue: caractères qui
conviennent également aux éperviers. Ceux-ci n'ont point les aîles
longues, comme les oiseaux du genre de l'Acoli; ils sont, au contraire,
de tous les oiseaux de proie, ceux qui ont les pennes de l'aîle les
plus courtes, si nous en exceptons pourtant les autours qui ont
également les aîles très-petites, et qui se distinguent à leur tour des
éperviers, par les tarses qui ne sont pas si longs que les leurs.

La couleur principale de l'Acoli est un beau gris-bleu pâle,
répandu sur la tête, le cou et le manteau. Cet oiseau est très-culotté;
c'est-à-dire, que les plumes qui recouvrent les jambes descendent fort
bas, quoique le tarse ne soit point emplumé par lui-même. Toute la
partie inférieure du corps est blanchâtre, et finement rayée, comme
celle du faucon chanteur, avec lequel il ne faut point non plus le
confondre. Ce dernier est beaucoup plus gros: d'ailleurs, sa queue
étagée le distingue de l'autre. Il est encore à remarquer que dans les
cantons où ces deux espèces se trouvent en même tems, jamais ils ne se
mêlent ensemble, et que l'Acoli n'a qu'un cri aigre et ne chante point.

Dans la Colonie, cet oiseau fréquente les terres labourées; dans
les déserts, il habite les terres sablonneuses; et c'est sur une
taupinière, une motte de terre ou sur une de ces voûtes que bâtissent
les fourmis, qu'il se perche pour guetter les souris, les mulots et
les taupes, ainsi que tous les petits oiseaux, dont il fait également
sa proie. Cet oiseau vole très-bien et avec une grande vîtesse; mais
son vol est toujours bas. Il est peu farouche, et se laisse assez
facilement approcher. Il suit le chasseur et vient de lui-même tourner
autour de l'homme qu'il voit dans la plaine, afin de se jeter sur les
alouettes qu'il fait lever sur son passage, ce qui facilite beaucoup
le moyen de le tirer. Satisfait de sa chasse, l'Acoli se retire sur un
buisson pour se reposer.

On voit communément le mâle et la femelle ensemble. Ils construisent
leur nid dans les buissons. La ponte est de quatre œufs, d'un blanc
sale; ils sont ovales, tandis que ceux du faucon chanteur sont presque
ronds. C'est principalement dans le Swart-land, le Rooye-sand et les
Vingt-quatre-rivières, que j'ai vu le plus communément l'Acoli: pays où
je n'ai jamais trouvé le faucon chanteur. Dans l'intérieur des terres,
ce n'est que vers les rivières de Swarte-kop et le Sondag où j'ai vu
l'Acoli: à la vérité bien plus rarement que dans la Colonie, où il
paroît que les défrichemens l'ont attiré.

Les colons du Swart-land nomment l'Acoli _Witte-valk_ (faucon blanc);
dans d'autres endroits, on le nommoit encore _Leeuwerk-vanger_
(attrapeur d'alouettes). Il a le bec bleuâtre, et le tour du nez d'un
beau rouge très-vif; les yeux sont d'un jaune orangé, qui est aussi la
couleur des pieds. Les ongles sont noirs, ainsi que le bout du bec. La
femelle est d'un bon tiers plus forte que le mâle, la base de son bec
est d'un rouge plus terne que celui du mâle.



LE TCHOUG, Nº. 32.

[Illustration: _Le Tchoug._]


L'oiseau nommé ainsi au Bengale, qui est son pays natal, est une
seconde espèce étrangère d'oiseau saint-martin, dont aucun naturaliste
n'a encore fait mention, et qui tiendra naturellement sa place à côté
de l'acoli d'Afrique. Il suffira de jeter un coup-d'œil sur la figure
exacte que j'ai donnée de ce bel oiseau de proie, pour être convaincu
que je ne me suis pas trompé sur son genre. Il est absolument de la
taille de notre oiseau saint-martin. Son bec est entièrement noir et
fort luisant, particulièrement à sa base, d'où partent des poils roides
de la même couleur, qui tous sont dirigés en avant et se recourbent
après en l'air, en recouvrant les narines; on remarque aussi des poils
autour de la mandibule inférieure. Le Tchoug a la tête, le cou et
tout le manteau d'un brun très-foncé, que l'on pourroit même appeler
noir tant il est sombre et approche de cette dernière couleur, qui
cependant, sur les plus grandes scapulaires, s'éclaircit tout à fait
en un brun ordinaire. Cette dernière teinte est aussi répandue sur
une partie des recouvremens des aîles, tandis que les autres sont
d'un blanc-gris; plusieurs d'entre elles sont même à demi-blanches
et brunes. Sur le derrière de la tête, on remarque un espace où le
noir, le blanc et le brun forment un mélange agréablement varié. Les
grandes pennes des aîles sont noires, et les moyennes d'un joli gris
de perle. Cette bigarrure de l'aîle fait un effet vraiment flatteur
à l'œil. Le croupion, ainsi que tout le dessous du corps y compris
les plumes des jambes qui pendent fort bas, et les recouvremens du
dessous de la queue, sont du blanc le plus pur. La queue, dont toutes
les pennes sont d'égale longueur, est généralement par-tout d'un beau
gris-blanc roussâtre; les deux seules plumes du milieu portent chacune
à leur bout une tache brune formant un croissant. Les tarses, grêles
et longs, de cet oiseau, sont d'un jaune pâle; les doigts ont la même
couleur, et sont armés de griffes noires. Je ne connois pas la couleur
des yeux; la note qui m'indiquoit le nom et le pays de cette charmante
espèce n'apprenoit absolument rien de plus sur son compte. J'observerai
pourtant, d'après les connoissances que l'expérience m'a données
sur les oiseaux, que je crois l'individu que je viens de décrire un
oiseau encore dans son jeune âge, et dont la seconde mue n'étoit point
achevée. Je fonde mes soupçons: premièrement, sur cette bigarrure de
l'aîle, dont plusieurs des moyennes pennes et des recouvremens étoient
mélangés d'autant de plumes brunes que de noires et de blanches;
secondement, les deux aîles ne portoient point absolument les mêmes
distributions de couleurs: d'un côté il y avoit, par exemple, plus de
plumes noires, tandis que de l'autre, il y en avoit, au contraire,
davantage de blanches et de grises: indice bien certain d'un oiseau
en mue. Il s'agit de savoir maintenant laquelle des deux couleurs, du
gris de perle ou du noir-brun, est la couleur de l'oiseau lorsqu'il
est parvenu dans son état parfait. Je hasarderai encore mon idée sur
cet article: l'oiseau pendant sa mue, devant en même tems et perdre
et refaire des plumés, quelles sont celles qui tombent en mue? Tout
le monde sait que ce sont toujours les vieilles; c'est-à-dire, celles
qui sont déja formées et dont le tuyau est par conséquent solide et
dur. Or, toutes les pennes grises et les recouvremens blancs de l'aîle
étoient dans cet état, tandis que la plupart des noires et des brunes
étoient, au contraire, des plumes qui sortoient de leur tuyau, et dont
une partie des barbes étoit encore enveloppée dans une petite pellicule
blanchâtre. Je crois donc pouvoir assurer que le Tchoug du Bengale,
dans son état parfait, doit avoir la tête, le cou, le manteau et les
aîles entièrement noirs et le reste blanc. Quelques voyageurs nous
apprendront un jour si je me suis trompé dans ma conjecture.

Je suis bien porté à croire que cette espèce se trouve aussi au Cap
de Bonne-Espérance, car je me rappelle avoir vu passer au-dessus de
ma tête, pendant que nous étions en marche et que nous côtoyions
la rivière _Krom_, dans le _Lange-kloof_, un oiseau qui m'a paru
absolument pareil à celui de cet article; du moins il lui ressembloit
beaucoup. J'ai bien remarqué qu'il avoit le croupion et le ventre
blancs; et toute la tête, le cou et les aîles noirs. Il vola très-près
de moi, j'étois à cheval, et ne l'ayant apperçu qu'au moment où il me
passoit, je ne pus assez vîte débarrasser mon fusil, que je portois
en bandoulière, ce qui fut cause qu'il m'échappa. Au reste, il n'y
auroit rien d'étonnant que cet oiseau se trouvât également au Cap et
au Bengale; car j'ai rapporté de cette partie du monde bien d'autres
espèces qui sont, comme on le verra, communes à l'Afrique et à l'Inde.



LE GABAR, Nº. 33.

[Illustration: _Le Gabar._]


Nous avons, à l'article de l'oiseau de proie que j'ai nommé acoli, fait
mention de sa ressemblance avec le faucon chanteur, et nous avons en
même tems indiqué leurs caractères distinctifs. Voici maintenant une
espèce d'épervier qui a le plumage encore plus ressemblant à celui du
faucon chanteur, dont la taille égale, comme nous l'avons vu, celle de
la soubuse, tandis que l'acoli lui étoit inférieur: c'est le Gabar plus
petit encore que ce dernier, à peu près de moitié, puisqu'il n'est pas
plus fort que notre épervier d'Europe. Nous insistons sur cette échelle
de grandeur, parce que cette différence très-marquée est celle qu'on
peut assigner et saisir le plus facilement au premier coup-d'œil[18].
On ne pourra donc confondre le Gabar ni avec le faucon chanteur, ni
avec l'acoli. Un caractère très-distinctif de cet épervier africain, et
qu'il a de commun avec nos éperviers d'Europe, c'est d'avoir les aîles
fort courtes; elles ne dépassent point les couvertures du dessus de
la queue; tandis que dans les deux précédentes espèces elles ont
assez de longueur pour s'étendre par-delà le milieu de la queue.

  [18] On sent bien que ces comparaisons de grandeurs sont faites de
  mâle à mâle et de femelle à femelle; sinon la femelle de l'acoli
  approcheroit, par sa force, du mâle du faucon chanteur; et la femelle
  du Gabar du mâle de l'acoli. Ainsi quand je rapporte la taille d'un
  oiseau de proie d'Afrique à celle d'un oiseau de proie d'Europe,
  c'est toujours eu égard au même sexe dans les deux espèces que je
  compare l'une à l'autre, puisque dans l'ordre des oiseaux carnivores
  il y a généralement une différence très-considérable entre le mâle et
  la femelle, dans la même espèce.

Le Gabar est vraiment un épervier qui remplace en Afrique l'espèce que
nous trouvons répandue dans toute l'Europe, et qui ne se rencontre
dans aucune des parties de l'Afrique où j'ai pénétré, quoique Kolbe
nous assure l'avoir vu au Cap. Mais il est bien étonnant que, de
tous les oiseaux de nos contrées que ce voyageur dit avoir trouvés
au Cap de Bonne-Espérance, je n'en aie vu aucun; tandis qu'il ne
dit, au contraire, pas un mot de tous ceux que j'y ai trouvés et qui
effectivement sont communs à l'Europe et à cette partie du monde, où
ils n'ont pas subi la plus légère variation, ni dans leurs couleurs, ni
dans leur manière de vivre. Je parlerai de tous ces oiseaux à mesure
qu'il sera question des genres auxquels ils appartiennent.

Après avoir donné la description de l'espèce d'épervier que j'ai nommée
Gabar, il me restera à parler, dans l'article suivant, d'une seconde
espèce très-petite, mais très-différente, d'éperviers.

La taille du Gabar égale, comme je l'ai dit, celle de notre épervier;
il est seulement moins alongé, parce que sa queue est un peu plus
courte. Toute la partie supérieure du corps, la tête et les joues
sont d'un gris-brun, plus foncé sur le manteau et à l'occiput. Les
couvertures du dessus et du dessous de la queue sont blanches; les
grandes pennes des aîles sont brunes dans toutes les parties qui se
voient quand elles sont pliées; en dessous, elles ont toutes des
bandes transversales; les moyennes sont terminées en blanc. La queue,
carrément coupée, est en dessus barrée de brun foncé, sur un fond plus
clair; en dessous, elle l'est de blanc et de noir lavé. La gorge ainsi
que la poitrine sont d'un gris bleuâtre. Tout le reste du corps et les
jambes très-culottées, portent une fine rayure de brun-clair sur un
fond blanchâtre. Les yeux sont d'un jaune vif. La base du bec et les
pieds ont une belle couleur rouge. Les griffes et le bec sont noirs.

La femelle du Gabar est d'un tiers plus forte que le mâle: elle a
les pieds et la base du bec d'un rouge moins vif; dans la saison des
pluies, le mâle perd aussi beaucoup de la vivacité de son rouge. J'ai
trouvé en septembre le nid du Gabar: il étoit posé dans l'enfourchure
d'un très-gros mimosa, et construit en dehors, de racines, de petit
bois flexible, et garni intérieurement de plumes. J'ai trouvé dans ce
nid trois petits, aussi grands que le père et la mère: ils s'envolèrent
à mon approche; mais après avoir tué les vieux, nous prîmes les
trois petits, à qui je trouvai les pieds et la base du bec jaunes.
Ils avoient aussi la poitrine et le manteau mêlés de plumes brunes,
d'autres entièrement bleuâtres, d'autres encore tout à fait rousses, et
plusieurs portoient même ces trois couleurs ensemble. Tout le dessous
du corps étoit rayé de fauve sur un fond blanc, sali d'une légère
teinte roussâtre. En visitant le nid, j'y trouvai encore un œuf fort
sale, mais en le lavant, il devint blanc, il est donc présumable que la
ponte est ordinairement de quatre œufs, et qu'ils sont blancs; car je
n'ai point apperçu la moindre tache sur celui qui étoit resté infécond,
et qui étoit aussi gros que ceux de nos éperviers européens. Dans les
trois petits il n'y avoit qu'un mâle.

Je n'ai trouvé le Gabar que dans l'intérieur des terres, sur les
bords des rivières Swarte-kop et Sondag; je l'ai pareillement trouvé
dans le Karow, le Camdeboo, et enfin presque généralement dans tout
le pays que j'ai traversé en revenant des montagnes de Neige au
Bocke-Veld; mais je ne l'ai jamais apperçu dans les environs du Cap.
Il est cependant plus que probable qu'il doit avoir pénétré jusque là,
vu que les oiseaux carnivores, s'isolant davantage que les autres,
leurs espèces doivent s'étendre en raison de cet instinct naturel, qui
porte chaque couple à se choisir un canton exclusif qui puisse fournir
à ses besoins. La propagation chez les oiseaux de proie d'un ordre
inférieur, étant bien plus considérable que celle des grandes espèces,
il s'ensuit naturellement encore que chacune d'elles doit occuper un
terrain proportionné au plus ou moins grand nombre d'individus qui la
composent.



LE MINULLE, Nº. 34.

[Illustration: _Le Minulle._]


Un très-petit épervier d'Afrique, le moins grand sans doute de tous les
oiseaux de proie de ce genre, bien inférieur encore à notre émerillon,
est celui à qui j'ai donné le nom de Minulle. On reconnoît dans cette
espèce les dimensions proportionnelles de l'épervier commun d'Europe,
mais sur un bien plus petit modèle. La jambe et le tarse très-longs;
l'extrémité des aîles dépassant à peine la naissance de la queue; la
queue carrément coupée; la première penne de l'aîle plus courte que la
quatrième: tous ces caractères conviennent également au Minulle et à
notre épervier, et servent à le distinguer de l'émerillon, auquel un
apperçu léger et vague pourroit induire à le rapporter.

Toutes les plumes qui recouvrent la partie supérieure du corps sont
d'une couleur brune, du moins dans toute la partie qui se laisse voir
lorsqu'elles sont couchées et appliquées l'une sur l'autre; mais
intérieurement elles sont tachées de blanc. La gorge est blanche
avec quelques petites taches brunes, sur le milieu de chaque plume;
la poitrine est de cette même couleur, mais les taches qu'elle porte
s'agrandissent à mesure qu'elles descendent plus bas, et sont de la
forme d'une larme dont la pointe est en haut. On remarque sur le
bas-ventre des taches plus ou moins rondes, sur un fond blanchâtre;
sous la queue, ces taches prennent la figure d'un cœur. Les flancs
et les plumes des jambes sont régulièrement rayés de brun-clair. Les
grandes pennes sont brunes extérieurement et rayées de blanc dans
leurs barbes intérieures; les moyennes le sont dans le même genre,
mais le blanc en est plus net et les bandes plus larges. Les petites
couvertures du dessous des aîles, sur un fond roux, portent des
petites taches brunes. La queue est en-dessus d'un brun uniforme et
imperceptiblement bandée d'une teinte plus sombre; mais les barbes
intérieures étant blanchâtres, ces bandes s'apperçoivent très-bien sur
le dessous de la queue, où elles tranchent davantage. Cet oiseau a la
base du bec et les pieds jaunes, l'iris d'un jaune orangé, le bec et
les serres noirs.

Malgré sa petite taille, le Minulle possède toute la hardiesse et
l'intrépidité des oiseaux de son genre; il attaque généralement tous
les petits oiseaux, et en fait sa proie. Mais comme avec moins de
force, il fait souvent une chère plus commune, à défaut d'oiseaux,
il vit d'insectes, et sur-tout de sauterelles et de manthes. Il ne
souffre aucune pie-grièche dans son canton; plus fort qu'elles, il les
chasse et les oblige à se fixer loin de son domaine. C'est bien malgré
lui qu'il y voit d'autres oiseaux de proie plus grands; car il ose
souvent poursuivre les milans et les buses, l'extrême rapidité de son
vol le mettant toujours à même d'éviter ces oiseaux lorsqu'ils veulent
revenir sur lui. Les corbeaux sont les ennemis après lesquels il paroît
le plus s'acharner, sur-tout quand il a des œufs à défendre contre
leur voracité. Le mâle les poursuit en criant à peu près comme notre
cresserelle, _cri-cri-cri--pri-pri-pri_. Le mâle et la femelle ne se
quittent que rarement; ils font la chasse en commun, et construisent un
nid sur les arbres; la femelle y dépose cinq œufs tachés de brun vers
les bouts.

C'est sur les rives verdoyantes du Gamtoos, que j'ai tué le premier
couple de ces petits éperviers, dont le mâle est représenté de grandeur
naturelle dans la planche ci-jointe. La femelle est presque du double
plus volumineuse que le mâle: elle porte exactement la même livrée, à
quelques teintes près, qui sont moins foncées sur son manteau, dans ses
rayûres et sur les taches de sa poitrine.

J'ai tué, depuis le Gamtoos jusque chez les Caffres, sept individus de
cette même espèce; je les ai trouvés tous absolument pareils, et n'ai
remarqué aucune différence sensible dans leurs couleurs respectives. Je
n'ai jamais vu cet oiseau dans son jeune âge, et je n'ai été à même que
d'examiner un seul de leurs nids, dans lequel j'ai trouvé cinq œufs. Ce
nid, posé sur le sommet d'un mimosa, étoit travaillé avec des branches
flexibles, entrelacées les unes dans les autres; de la mousse et des
feuilles sèches en revêtissoient l'extérieur, tandis que le dedans
étoit douillettement garni de laine et de plumes.

Le trait suivant, que je ne puis m'empêcher de rapporter, prouvera
ce que j'ai dit de la hardiesse de ce petit oiseau de proie, dont la
grandeur du mâle est à peu près celle de notre merle commun. Un jour
que j'étois occupé, comme de coutume, à écorcher devant ma tente les
oiseaux que j'avois tués, il passa au-dessus de ma tête un de ces
éperviers, qui, ayant remarqué sur ma table plusieurs oiseaux, s'y
abattit tout à coup, malgré ma présence, et m'en enleva un qui étoit
déja préparé; il l'emporta dans ses serres, et fut bien étonné, après
l'avoir plumé sur un arbre à trente pas de nous, de n'y trouver,
au lieu de chair, que de la mousse et du coton; cela ne l'empêcha
pas, après avoir déchiré la peau en pièces, de manger le crâne tout
entier, seule partie que je laisse dans mes oiseaux préparés. Comme
j'examinois avec plaisir cet oiseau arracher de dépit tout ce qui
remplissoit la peau bourrée qu'il m'avoit dérobée, je le vis revenir
planer au-dessus de moi à différentes reprises; mais il ne s'abbattit
plus, quoique j'eusse laissé exprès quelques oiseaux à sa portée. Je
suis persuadé, que si à sa première tentative, il avoit eu le bonheur
de tomber sur un des oiseaux non préparés, il auroit infailliblement
réitéré cette chasse, si facile et si commode pour lui; mais ayant été
attrapé, il ne daigna probablement pas recommencer une seconde fois.



LE MONTAGNARD, Nº. 35.

[Illustration: _Le Montagnard._]


Si la manie de rapporter les oiseaux étrangers à ceux de nos climats
fait envisager celui dont il est question comme n'étant que la
cresserelle d'Europe, un peu variée par l'influence d'un climat plus
chaud, je dirai que c'est une faute à ajouter à toutes celles qui n'ont
été commises que par cette même manie des réductions, qui a déja fait
commettre tant d'erreurs grossières à l'un de nos plus grands écrivains.

Je me contenterai d'indiquer les différences que j'ai remarquées entre
cet oiseau africain et notre cresserelle: différences qui me semblent
assez considérables pour convaincre de méprise ceux qui seroient tentés
de regarder ces deux oiseaux comme ne formant qu'une seule et même
espèce.

Le Montagnard est très-commun dans toute la Colonie du Cap de
Bonne-Espérance, où les habitans lui donnent le nom de _Rooye-valk_
(faucon rouge), ou _Steen-valk_ (faucon de pierres). Il se trouve
presque dans toute la partie de l'Afrique où j'ai voyagé; il fréquente
les montagnes, particulièrement celles qui sont les plus couvertes de
rochers; il y vit toute l'année, et ne quitte guère le canton qui l'a
vu naître. Tous les petits quadrupèdes, les lésards et les insectes
qui pullulent parmi les rochers deviennent sa proie. C'est aussi parmi
les roches les plus escarpées qu'il pose son nid à plat sans être
abrité du haut. Ce nid, composé de brins de bois et d'herbes, est assez
négligemment fait; on y trouve communément six, sept et même jusqu'à
huit œufs entièrement du même roux foncé que son plumage.

Cet oiseau, que j'ai nommé Montagnard, par rapport au lieu
qu'il habite préférablement à tout autre, a le cri aigre et
perçant; il fait entendre son ramage, que l'on peut rendre par
_cri-cri-cri--cri-cri-cri--cri-cri-cri_, répété précipitamment et d'une
manière très-remarquable, toutes les fois qu'un homme ou qu'un animal
quelconque approche de l'endroit où il se tient habituellement. Quand
ils ont des œufs ou des petits, ils sont très-hardis et poursuivent à
outrance tout ce qui approche des environs du nid.

Le Montagnard est un peu plus fort de taille que notre cresserelle
d'Europe; sa queue n'est point aussi étagée que la sienne, et ses aîles
ne s'étendent pas plus loin que le milieu de la queue; tandis que dans
la cresserelle elles passent au-delà de son extrémité. La cresserelle
mâle a la tête bleuâtre, et sa queue est de cette même couleur,
terminée de blanc et d'une large bande noire; on ne trouve point cette
couleur ni sur la tête ni sur la queue du Montagnard du Cap. La femelle
de notre cresserelle a ces mêmes parties roussâtres, et ressemble
par-là davantage à notre oiseau africain; mais elle a la queue rayée
de beaucoup de petites bandes peu séparées les unes des autres, et le
bout de sa queue est d'un blanc roussâtre, et se termine en dessus,
comme celle du mâle, par une large barre noire. La queue du Montagnard
est entièrement d'un roux clair, traversée seulement de quelques larges
bandes brunâtres; elle n'est point barrée de noir et n'est pas non plus
terminée de blanc ou d'un blanc roussâtre. Le reste de la couleur du
Montagnard se rapporte assez à celle de la cresserelle; cependant en
comparant les portraits de ces oiseaux, on y trouvera encore assez de
différence pour ne pas les confondre[19].

  [19] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nos. 401 et 471, qui
  sont celles de la cresserelle mâle et femelle.

Je remarquerai en passant que la cresserelle se trouve également en
Espagne et en Pologne: or, dans ces climats si différens elle n'a point
varié; ainsi il n'est pas présumable qu'elle ait subi au Cap une telle
variation; d'autant plus que la température du Cap approche de celle
d'Espagne.

Le Montagnard a les ongles et le bec noirs, la base du bec et les pieds
jaunes, la gorge blanchâtre, les joues et le derrière de la tête d'un
léger roussâtre, nué de brun; tout le manteau est d'un roux foncé,
sur lequel sont répandues des taches noires d'une forme triangulaire.
La queue, d'un roux clair, porte des bandes brunes; le ventre et les
jambes sont d'un gris-brun, avec une ligne noirâtre le long de chaque
plume. La poitrine et les flancs, dont la couleur est d'un roux moins
foncé que le dos, sont parsemés de taches longitudinales. Les pennes
de l'aîle sont noires dans toute la partie visible, quand l'aîle est
pliée; en dessous, elles sont rayées de blanc, et toutes les petites
couvertures du dessous de l'aîle sont tachetées de noirâtre, sur un
fond blanc plus ou moins sali de roux.

La femelle est un peu plus forte que le mâle; son roux est moins foncé
et les taches noires du manteau sont moins nombreuses.



LE BLAC, Nos. 36 ET 37.

[Illustration: _Le Blac._]

[Illustration: _Le Blac dans son jeune Age._]


Si, comme je l'ai remarqué nombre de fois, plusieurs caractères réunis
de la conformation d'un oiseau facilitent les moyens de reconnoître la
place qu'il occupe dans l'ordre que nos nomenclateurs méthodistes ont
établi à leur gré; combien aussi ne se trouve-t-on point embarrassé
quand ces caractères extérieurs ne s'accordent plus avec les habitudes
et l'ensemble total de l'individu, que l'on cherche à ranger dans un
genre connu? Rien ne prouve d'une manière plus évidente combien les
méthodes générales seront peu satisfaisantes avant que nous n'ayons
une connoissance plus parfaite de toutes les espèces, et notamment
des mœurs de chacune d'elles en particulier. Le défaut d'observations
exactes sur cette partie des mœurs, la plus essentielle sans doute pour
bien connoître la vraie place que tient chaque espèce dans l'ordre de
la nature, a été totalement négligée jusqu'à ce moment; de-là toutes
ces classifications adoptées par les uns, rejetées par les autres, et
sans cesse contrariées et démenties par les ouvrages mêmes de ceux qui
les ont établies. J'ai mainte et mainte fois remarqué par moi-même
combien le premier coup-d'œil sur l'ensemble général d'un oiseau, quand
on est habitué à les voir et à les examiner dans leur état de nature,
étoit décisif, plus certain et moins sujet à erreur, pour le rapporter
à son genre, que la vérification détaillée des caractères génériques
qu'il a plu à nos nomenclateurs d'établir, et cela souvent d'après
l'examen d'un seul individu mutilé, dont ils n'ont jamais vu que la
peau mal rembourrée, et ignorant absolument jusqu'à la plus petite
particularité de la manière de vivre de l'espèce dont ils parloient.

C'est non-seulement d'après ce coup-d'œil, et que j'ose dire
très-exercé, que je me refuse de rapporter le Blac au genre du milan;
mais encore par ses habitudes et sa façon de vivre, qui diffèrent
totalement de celles de cet oiseau, avec lequel il tient cependant par
sa queue fourchue et par ses longues aîles. Je lui trouve beaucoup
plus d'analogie avec l'oiseau décrit par Brisson, sous le nom de milan
de la Caroline[20]. Comme lui, il a le tarse proportionnellement plus
court que le milan, et sa mandibule supérieure manque aussi du crochet
des côtés. Je rangerai donc le Blac à côté de ce prétendu milan de la
Caroline; d'autant plus que leurs mœurs sont les mêmes, d'après ce que
dit Catesby, qui parle de cet oiseau américain sous le nom d'épervier à
queue d'hirondelle[21].

  [20] Nous avons déjà vu, à l'article du milan du Cap, que j'ai nommé
  parasite, que cet oiseau n'étoit point un milan.

  [21] _Histoire naturelle de la Caroline_, par Catesby, _planche IV_.

La queue du Blac est très-peu fourchue; car la plus longue plume de
chaque côté n'excède que d'un pouce celles du milieu, qui sont les plus
courtes; ainsi, par ce caractère, il sera facile à distinguer du milan
de la Caroline de Brisson, dont les deux plus grandes plumes de la
queue sont de huit pouces plus longues que celles du milieu.

Le Blac mâle, que j'ai fait représenter dans la planche coloriée, Nº.
36, est de la taille de notre cresserelle femelle. Cet oiseau
est facile à reconnoître par le noir de toutes les couvertures de ses
aîles, le blanc de la partie antérieure de son corps, le gris roussâtre
de son manteau, de sa tête et de son cou par derrière. Les pennes des
aîles sont d'une couleur cendrée plus ou moins foncée, et toutes sont
terminées de blanc; les scapulaires le sont d'une ligne roussâtre
fauve. La queue est blanche en dessous, et d'un gris nué de roussâtre
par-dessus; les deux plumes du milieu, plus entièrement de cette
couleur, sont, ainsi que toutes les autres, terminées de blanc. Du noir
couronne l'œil, qui est d'un orangé vif. Le même noir ombrage l'espace
compris entre les narines et l'œil. Les serres sont noires, ainsi que
la mandibule supérieure; l'inférieure l'est seulement au bout; sa base
est jaune, ainsi que les doigts et le tarse, dont une partie du haut
est emplumée et se trouve couverte par les culottes très-amples de cet
oiseau. L'aîle pliée s'étend plus loin que le bout de la queue.

La femelle diffère du mâle par sa taille, qui est un peu plus forte;
son manteau est aussi d'une teinte plus bleuâtre; le noir de ses aîles
est moins foncé, et son blanc est légèrement sali. Ces oiseaux nichent
dans l'enfourchure des arbres: le nid, assez spacieux, est très-évasé;
de la mousse et des plumes en garnissent l'intérieur. La ponte est de
quatre ou cinq œufs blancs.

En naissant, les jeunes de cette espèce sont d'abord couverts d'un
duvet gris roussâtre, qui se remplace par des plumes, qui, sur le
manteau, la tête et le derrière du cou, prennent une forte teinte
roussâtre. Toute la poitrine est alors d'un beau roux ferrugineux, et
le reste du blanc est teint légèrement de cette même couleur. Voyez la
planche 37.

J'ai trouvé le Blac répandu sur toute la côte est d'Afrique, depuis le
Duyven-Hoek, où je l'ai vu la première fois, jusque chez les Caffres,
où il est moins commun qu'en-deçà; je l'ai vu aussi dans l'intérieur
des terres, dans le Camdeboo et sur les bords du Swarte-Kop et du
Sondag. Il est toujours perché sur le sommet des arbres ou des plus
hauts buissons, d'où on peut l'appercevoir de très-loin, par son
blanc très-brillant au soleil. Son cri est des plus perçans, et il se
plaît même à le répéter souvent, et plus particulièrement lorsqu'il
vole: ce qui le décèle et avertit de sa présence. Je n'ai jamais vu
le Blac faire de mal aux petits oiseaux, quoique souvent il poursuive
les pie-grièches, seulement pour les éloigner du lieu de sa chasse,
qui se réduit à celle des insectes, des sauterelles, et des manthes
sur-tout, dont il fait un grand dégât. Il est hardi et courageux. Je
l'ai vu s'acharner à poursuivre les corbeaux, les milans et obliger
ces oiseaux, beaucoup plus forts que lui, à déguerpir des lieux qu'il
s'est choisis, et où on le voit continuellement. Il est très-farouche
et singulièrement difficile à approcher. La nature de ses alimens
produit sans doute l'odeur de musc dont ses excrémens et son corps sont
éminemment parfumés. Les dépouilles de ces oiseaux conservent toujours
cette odeur dans mon cabinet, malgré celle des préparations dont je
fais usage pour préserver les animaux de la voracité des insectes
destructeurs.

Il paroît que le Blac habite une grande partie de l'Afrique; car j'ai
vu, chez le citoyen Desfontaines un individu de cette espèce qu'il
avoit tué en Barbarie; j'en ai vu aussi un dans un envoi d'oiseaux
venant directement des Indes; il reste à savoir si cet oiseau n'y avoit
point été envoyé d'ailleurs.



OISEAUX DE PROIE NOCTURNES.



LE CHOUCOU, Nº. 38.

[Illustration: _Le Chou cou._]


En parlant des oiseaux de proie d'Afrique, nous avons, par un
enchaînement naturel, parcouru toutes les grandes espèces, depuis
l'aigle que j'ai nommé griffard jusqu'aux plus petits oiseaux de cet
ordre. Nous allons maintenant faire connoître les oiseaux de proie
nocturnes de ces contrées lointaines, lesquels semblent tenir à ceux
de jour par une espèce que j'ai nommée Choucou. Cet oiseau participant
également et des oiseaux de proie de jour et des chouettes, est bien
propre à remplir l'intervalle qui paroissoit les séparer. Edwards est
le premier qui nous a donné la description et la figure d'une espèce
de ce genre intermédiaire, sous le nom de _caparacochx de la baie de
Hudson_ ou de _hawk-owl_, chouette épervier[22]. Buffon nous a donné
aussi une espèce absolument du même genre, sous le nom de chouette à
longue queue de Sibérie: espèce qui paroît encore plus se rapprocher
de notre Choucou africain que le caparacochx.

  [22] Edwards, tome II, page 62, planche LXII.

Le Choucou, par sa forme alongée, approche encore plus des oiseaux de
proie de jour que le caparacochx. Il a la gorge, le cou par devant, la
poitrine et généralement tout le dessous du corps, depuis le bec jusque
sous la queue, y compris le dessous des aîles, les jambes, le tarse
et les doigts, couverts de plumes soyeuses d'un blanc éblouissant.
Celles qui recouvrent les jambes sont fort longues et descendent si bas
qu'elles couvrent entièrement les pieds, dont on n'apperçoit absolument
que les ongles; ceux-ci sont noirs, ainsi que le bec qu'on remarque à
peine, tant il est environné, jusqu'aux narines, de plumes fines qui
ressemblent à des poils. Les yeux ont une couleur orangée très-vive. Le
dessus de la tête, le derrière du cou et le manteau sont d'un gris-brun
roussâtre; les couvertures des aîles ajoutent à cette même teinte des
taches blanches; toutes les pennes des aîles sont lisérées de blanc à
leurs pointes. La queue est composée de douze pennes, dont les deux du
milieu sont entièrement du même gris-brun que les aîles; les autres,
sur ce même fond, portent, dans leurs barbes extérieures, des bandes
transversales d'un beau blanc; les barbes intérieures de la queue étant
blanches sans aucune rayûre, elle est en dessous absolument de cette
couleur.

Le Choucou a le corps mince, fluet et alongé; sa tête est ronde, son
bec très-petit et ses tarses fort courts. Il a tous les gestes et les
mouvemens de tête de la chevèche et des chouettes en général, sans
en avoir la stupidité. L'aîle pliée s'étend jusqu'au milieu de la
queue, qui est étagée comme celle du coucou d'Europe, oiseau auquel
il ressemble par sa forme alongée et par ses pieds courts: il n'a
cependant qu'un doigt derrière et trois par devant; mais j'ai observé
que le doigt extérieur se tourne quelquefois en avant, quand l'oiseau
est perché; ce qui joint à sa forme, pourroit le faire prendre pour
un oiseau du genre des coucous. Nous remarquons la même particularité
dans la chevèche et le scops, oiseaux de nuit qui tous deux se perchent
souvent de cette même manière. J'ai remarqué également dans quelques
autres oiseaux, dont le caractère des pieds est d'avoir les doigts
placés deux à deux, qu'ils ramènent, au contraire quelquefois en avant
leurs doigts extérieurs de derrière; telle est l'habitude du touraco,
dont souvent les doigts d'un des pieds sont posés d'une façon, pendant
que ceux de l'autre le sont d'une manière différente.

Ce caractère de la conformation des doigts du Choucou appartient sans
doute aussi au _hawk-owl_ d'Edwards; mais ce naturaliste ne l'aura
point saisi, parce qu'il n'a vu apparemment que la peau rembourrée de
cet oiseau; sans quoi cette observation ne lui seroit certainement
point échappée.

Les colons du pays d'Auteniquoi nomment le Choucou _nagt-valk_ (faucon
de nuit); au Cap on donne en général, comme je l'ai dit, à tous les
petits oiseaux de proie le nom de _valk_ (faucon).

Le Choucou ne paroît qu'après le crépuscule; et déja les oiseaux
nocturnes se sont fait entendre de toutes parts, que celui-ci est
encore dans sa cachette; il ne se montre enfin qu'au moment où l'on
commence à ne plus distinguer bien nettement les objets. On l'entrevoit
voler avec une si grande rapidité, en rasant la terre ou les arbres à
la lisière d'un bois, que l'œil le plus attentif ne peut suivre ses
mouvemens. J'ai vainement tenté d'en tuer un; et, quoique la grande
habitude de la chasse m'ait rendu assez adroit dans cet exercice,
j'avouerai pourtant n'avoir pu parvenir à l'abattre à coups de
fusil; parce qu'il est impossible de le suivre assez de tems pour le
viser dans l'obscurité: et sans le plus heureux des hasards, j'aurois
probablement quitté l'Afrique sans avoir pu me procurer cette charmante
espèce. J'étois campé dans le pays d'Auteniquoi; mes tentes étoient
placées à l'entrée de la forêt, et régulièrement tous les soirs nous
voyons voler près de nous deux oiseaux auxquels j'avois en vain tiré
au hasard plus de trois cents coups de fusil pendant l'espace d'un
mois. Nous étions parvenus précisément dans cet instant où les pluies
continuelles nous ayant inondés et mouillés de toutes parts, nous
saisîmes un jour de soleil pour faire sécher tous nos effets moisis
par l'humidité; j'avois de même fait étendre à terre un filet de
cailles pour le préserver; heureusement que, par la négligence de mes
Hottentots, ce filet resta tendu toute la nuit, de sorte que le matin,
en passant auprès pour aller chasser, j'apperçus mes deux oiseaux qui
s'y étoient empêtrés, soit en rasant la terre, comme je leur avois
vu faire pour attraper les insectes dont ils se nourrissent, soit
peut-être en voulant saisir ceux qui s'y étoient eux-mêmes engagés. Je
les débarrassai du filet, bien content d'avoir en ma possession ces
deux jolis oiseaux, que je me doutai bien être ceux qui m'avoient déja
tant coûté de poudre et de plomb si inutilement. Je les fis mettre dans
une cage, où ils moururent au bout de trois jours, ayant constamment
refusé de prendre aucune nourriture. J'étois certain que ces deux
oiseaux étoient précisément les mêmes que j'avois en vain guettés si
long-tems; car depuis cet instant il n'en reparut pas d'autres.

Quelques tems après, étant campé à Pampoen-kraal, j'apperçus un autre
couple de ces mêmes oiseaux, que j'attrappai de la même manière, en
laissant mon filet tendu toute la nuit. Mais comme les deux premiers
s'étoient beaucoup salis dans la cage, je tuai et préparai aussitôt
ces deux derniers. J'ai donné le portrait du mâle, de grandeur
naturelle, dans la planche Nº. 38. La femelle, un peu plus petite, ne
différoit de son mâle que par le blanc moins pur du dessous du corps.
Je n'ai trouvé dans leur estomac que des débris d'insectes et des os
d'une espèce de petite grenouille très-commune, qui se tient sur les
arbres et les buissons. Dans aucun tems, je n'ai vu ni entendu ces
oiseaux que la nuit. Edwards nous apprend que le hawk-owl chasse et
vole en plein jour; ce que ne fait absolument point l'espèce que j'ai
décrite. J'assure même ne l'avoir jamais rencontrée ni apperçue pendant
le jour, malgré toutes les recherches que j'en ai faites. Mais il
m'arrivoit très-souvent de faire lever tous les autres oiseaux de nuit:
preuve certaine du soin avec lequel se cache celui dont nous parlons.
Cela me porte assez à croire que cette espèce se retire dans des trous
d'arbres. Il est probable qu'elle y pond aussi, comme me l'ont certifié
tous mes Hottentots, qui m'ont même dit que leurs œufs étoient blancs.
Je ne l'assurerai pas, ne les y ayant point vus; mais à une odeur
très-particulière qu'ont en général tous les oiseaux qui se retirent
dans des trous d'arbres, et que j'ai remarquée à ceux-ci, j'ai tout
lieu de présumer qu'en effet ils ont la même habitude[23].

  [23] Il n'est pas douteux que les oiseaux qui nichent et se retirent
  dans des trous d'arbres, ont une odeur particulière qu'on ne trouve
  absolument pas dans les autres oiseaux. En mettant sous son nez
  un de nos pics et en même tems un autre oiseau, on se convaincra
  facilement de la vérité de mon observation. Les oiseaux de mer
  exhalent aussi une mauvaise odeur huileuse très-distinctive; pendant
  que les sucriers et les guêpiers sont, au contraire, parfumés d'une
  manière fort agréable, et que les martins-pêcheurs sentent le poisson
  cru. J'observerai que ceci n'a lieu que pour les oiseaux vivans ou
  nouvellement tués; car dans nos cabinets on conçoit bien que le
  camphre et les drogues qui servent à leur préparation doivent avoir
  détérioré et changé les odeurs naturelles de chaque espèce.

Je n'ai trouvé le Choucou que dans le pays d'Auteniquoi. J'ai aussi
apperçu mainte fois, vers le Sondag et le Swarte-kop, ainsi que dans
l'intérieur des terres, pendant le retour de mon premier voyage,
plusieurs oiseaux voler le soir précisément de la même manière et
avec la même vîtesse que le Choucou; mais ceux-ci m'ont paru être
au moins le double plus grands. N'ayant pu parvenir à tuer, ni à
prendre un individu de cette espèce, quoique j'aie tendu mon filet
exprès, comme par le passé, je ne puis en dire rien de plus. Il est
à présumer cependant que ces oiseaux de nuit appartiennent aussi à
la même famille, et qu'ils formeront une quatrième espèce à ajouter
au caparacochx de la baie de Hudson, au Choucou d'Auteniquoi et à la
chouette à longue queue de Sibérie.

Ce que j'ai dit de la rapidité du vol de ces oiseaux, apperçus vers
le Sondag et le Swarte-kop, prouve qu'on ne peut raisonnablement les
soupçonner d'être une espèce d'engoulevent. Ces derniers ayant le vol
bien moins rapide et plus analogue enfin à celui des chouettes.

Pendant l'action du vol, le Choucou est très-criard. On
l'entend sans cesse répéter, d'une voix pincharde, les syllabes
_cri-cri-cri--cri-cri-cri--cri-cri-cri_, qu'il précipite d'une manière
remarquable lorsqu'il passe près de l'homme ou d'un animal quelconque.
Ces oiseaux sont peu farouches; ils m'approchoient de si près en
volant, que je sentois, sur mon visage, le vent de leurs aîles. Les
deux premiers Choucous, que j'ai gardés vivans l'espace de trois jours,
restoient très-tranquilles pendant la journée; mais en revanche ils
étoient en mouvement toute la nuit. La grande lumière paroissoit les
gêner beaucoup, et lorsqu'il m'arrivoit de les placer au soleil, je les
voyois tout aussitôt fermer leurs yeux et cacher leur tête.



LE CHOUCOUHOU, Nº. 39.

[Illustration: _Le Chou cou hou._]


Cette chouette africaine est bien propre encore à remplir le très-petit
intervalle qui paroissoit séparer le choucou des chouettes; sa queue,
plus longue qu'elle ne l'est ordinairement dans les oiseaux de ce
genre, est à peu près aussi étagée que dans le choucou. Sa tête est
également moins grosse; son bec est de même d'une petite structure
et se trouve presque entièrement caché dans les plumes poileuses qui
environnent sa base et couvrent absolument les narines. Son corps,
moins ramassé et plus svelte que celui des chouettes, est encore un
caractère qui, joint à ceux dont nous venons de faire mention, font
tenir à cet oiseau le milieu entre l'espèce précédente et les autres
chouettes dont nous avons encore à parler.

Le Choucouhou est à peu près de la grosseur de notre moyen-duc; mais
il est cependant plus alongé, et ses pieds sont aussi plus longs. Ses
aîles pliées s'étendent aux trois quarts de la longueur de la queue;
les tarses et les doigts sont couverts de plumes soyeuses très-déliées;
le bec et les ongles sont d'un brun-noir et les yeux d'un jaune de
topase foncé. La gorge est ornée d'une espèce de collier ou plaque
blanche. Le reste du plumage est agréablement varié en dessus de
brun de différentes teintes, lequel, en se dégradant insensiblement
du ton le plus foncé au ton le plus clair, se trouve plus ou moins
varié de blanc. La poitrine et le dessous du corps portent les mêmes
couleurs; mais elles sont plus régulièrement distribuées en une rayûre
festonnée, dont le fond blanchit à mesure qu'il s'approche du ventre et
des jambes. Les plumes soyeuses qui couvrent les tarses et les doigts
jusque sur les ongles, sont d'un gris blanchâtre. La queue est en
dessous rayée de brun-noir et de blanc roussi; en dessus le blanc est
plus pur et le brun moins foncé. Je renvoie mon lecteur à la figure que
j'ai publiée de cet oiseau. Elle lui donnera une idée plus parfaite de
ses couleurs et de leurs distributions, qu'une énumération exacte des
différentes nuances de son plumage, dont un long détail seroit d'autant
plus ennuyeux à lire que l'oiseau seroit plus exactement décrit.

Je n'ai rencontré le Choucouhou que dans le voisinage de la
rivière d'Orange et chez les Grands Namaquois, pays où je l'ai vu
très-fréquemment. Quoique cette espèce de chouette ne se montre que
durant la nuit, je l'ai apperçue plusieurs fois étant à la chasse dans
le bois, et j'ai remarqué même qu'elle voloit très-bien en plein jour
et pendant la clarté du soleil; mais pour l'appercevoir il falloit,
ou qu'un coup de fusil l'eut fait lever, ou qu'on s'approchât de
l'arbre sur lequel elle étoit perchée. Je doute cependant que cette
chouette chasse dans d'autres momens que le soir ou au point du jour.
Car lorsqu'il m'arrivoit d'en rencontrer une en plein midi, tous les
petits oiseaux l'entouroient et se jetoient sur elle, en la poursuivant
jusqu'à ce qu'elle se fut cachée de nouveau; et elle ne leur faisoit
aucun mal. Elle paroissoit, au contraire, fuir à leur approche, et
s'éloigner d'eux sans chercher même à leur faire la moindre résistance;
seulement, de tems à autre, elle laissoit échapper un cri plaintif, à
peu près le même que celui que fait entendre notre effraie lorsqu'elle
vole le soir. Elle faisoit aussi un craquement de bec fort particulier
et qu'on entendoit d'assez loin.

Je n'ai pu rien apprendre de positif ni sur la ponte, ni sur la manière
dont cet oiseau construit son nid. La femelle est un peu plus forte que
le mâle; mais elle en diffère d'ailleurs très-peu par son plumage, qui
est seulement moins flambé de blanc. Ses yeux m'ont aussi paru d'un
jaune un peu moins foncé. Lorsque nous étions campés, et que nos feux
du soir étoient allumés, ces oiseaux venoient voler au-dessus de notre
camp, et quelquefois leurs cris lugubres nous empêchoient de dormir;
mais nous les tuions facilement à la clarté du feu ou de la lune.



LE GRAND-DUC, Nº. 40.

[Illustration: _Le Grand Duc._]


Le Grand-duc du Cap de Bonne-Espérance me paroît absolument n'être
qu'une variété de l'espèce que nous trouvons en Europe; il a
précisément les mêmes caractères et à peu près les mêmes couleurs; il
m'a semblé seulement un peu plus petit et plus ramassé. Il porte aussi
deux espèces d'oreilles, formées par deux longues touffes de plumes
qui s'élèvent de chaque côté du front, précisément au-dessus des yeux,
et que l'oiseau a la faculté de relever quand il lui plaît, mais qui
la plupart du tems restent appliquées contre la tête. Ces espèces
d'oreilles, sont le seul caractère distinctif par lequel on reconnoît
des autres oiseaux nocturnes, ceux auxquels les nomenclateurs ont donné
le nom de duc. Nous connoissons en France trois espèces différentes de
ces oiseaux à plumes relevées sur la tête: savoir, le grand-duc, le
moyen-duc et le petit-duc ou scops. Non-seulement ces trois espèces se
trouvent aussi en Afrique, mais elles paroissent généralement répandues
dans tout l'ancien continent, où l'influence du climat a peu changé
leurs couleurs; car la différence la plus remarquable de leur plumage
est d'être simplement plus ou moins foncé de brun ou taché de noir;
variations que nous observons également dans les différens individus
tués dans le même pays.

Quant au Grand-duc de Virginie, décrit par Edwards, Buffon
s'est mépris en le regardant aussi comme une simple variété de notre
Grand-duc; j'ai examiné cinq de ces oiseaux du nouveau continent, et
je leur ai trouvé des caractères très-distinctifs de ceux de l'ancien.
Premièrement les oreilles ou aigrettes, comme l'a très-bien remarqué
Edwards, partent de la base du bec dans le Grand-duc de Virginie ou de
la baie de Hudson; tandis qu'elles sortent directement au-dessus des
yeux dans les autres. De plus il y a aussi une différence marquée dans
la construction des aîles de ces oiseaux et dans la longueur de leur
queue: caractère que le climat ne change jamais. Nous remarquerons
encore que le plumage du Grand-duc d'Amérique est rayé transversalement
d'une manière très-régulière, tandis que dans notre Grand-duc il
est taché suivant la longueur des plumes. J'ai examiné trente-deux
Grands-ducs d'Europe, et je n'en ai vu aucun dans ce nombre dont les
aigrettes partissent de la base du bec. Il se peut que dans la figure
qu'Aldrovande a donnée du Grand-duc, le peintre ait placé les aigrettes
sur le nez; mais ce n'est point d'après une mauvaise figure que l'on
doit établir les caractères d'un animal; et Buffon a eu tort, d'après
l'inspection de cette seule figure, de conclure que cette variété se
trouvoit également en Europe. Au reste, ce n'est pas la première fois
que nos ornithologistes ont donné aux oiseaux des caractères pris
au hasard, soit d'après des dessins peu corrects, soit d'après les
imperfections d'un individu mutilé, qu'ils n'avoient jamais vu que dans
un cabinet.

C'est sur les bords de la rivière des Éléphans que j'ai trouvé, en
Afrique, le Grand-duc. Il est un peu plus petit que ceux que j'ai vus
en Europe; il a généralement aussi plus de noir dans le plumage du dos
et des aîles. Les yeux, le bec et les ongles sont absolument de la même
couleur. La ponte est de trois œufs; et c'est dans les rochers que la
femelle les dépose, sur un tas de petites branches, mêlées de mousse et
de feuilles sèches.



LE MOYEN-DUC.


Notre Moyen-duc se trouve dans presque toute la Colonie du Cap de
Bonne-Espérance; il se retire et pond également dans les rochers, et on
le rencontre souvent en plaine pendant le jour. Cette espèce a encore
moins varié, dans le climat de l'Afrique, que celle du grand-duc.



LE SCOPS.


C'est dans le Camdeboo que j'ai trouvé le Scops ou Petit-duc. Ce
charmant petit oiseau de nuit n'a absolument point varié en Afrique, ni
pour la taille, ni pour les couleurs: il est parfaitement semblable à
ceux que j'ai tués dans les environs de Paris.

J'ai également reçu de Cayenne un très-petit-duc qui m'a paru être de
la même espèce que celui d'Europe et d'Afrique; ses couleurs étoient
simplement plus roussâtres sur les aîles et le dos. Mais cet oiseau
étant en Europe plus roux dans son jeune âge que lorsqu'il est adulte,
il est probable que celui d'Amérique, que j'ai vu, n'avoit pas encore
quitté la livrée de l'enfance qui, comme je l'ai déja fait observer,
est généralement chez tous les oiseaux carnivores, mêlée de beaucoup
de roux dans les premières plumes: cette couleur dominant même pendant
toute la première année.



LA CHOUETTE[A].


Notre Chouette ou grande chevèche, comme l'a nommé Buffon[24] d'après
Belon, se retrouve au Cap de Bonne-Espérance, où elle est tout aussi
commune qu'en France. Cette espèce est encore une de celles que l'on
voit également répandue, non-seulement dans toutes les différentes
contrées de l'Europe, mais qui se rencontre aussi dans les autres
parties du monde, où elle n'a pas varié d'une manière fort sensible.
Les colons du Cap donnent généralement le nom hollandois de _uyl_ à
toutes les espèces de Chouettes indistinctement. Celle-ci est fort
commune sur les montagnes, et particulièrement sur celles qui sont
garnies de rochers; elle couve et élève ses petits dans leurs cavernes
et s'y retire pendant le jour.

  [A] Je ne donne point la figure de cette Chouette, parce qu'elle
  ressemble absolument à celle que nous trouvons en France.

  [24] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nº. 438.

J'ai reçu de Cayenne une Chouette absolument pareille à celle du Cap et
d'Europe.

J'ai ouï parler souvent aux colons du Cap d'une très-petite espèce
de Chouette, sans oreilles ou aigrettes, que je n'ai jamais tuée, ni
même apperçue. C'est probablement la chevèche[25] qu'ils vouloient
m'indiquer. Il est même plus que probable que cet oiseau se trouve
aussi en Afrique, puisque toutes nos autres espèces de Chouettes s'y
trouvent également. Cependant je n'assurerai pas que la hulotte ou le
chat-huant[26] habite cette partie du monde, ne l'y ayant jamais vue,
et n'ayant pas même entendu dire qu'elle se trouvât dans aucun canton
de la Colonie.

  [25] _Idem_, Nº. 439.

  [26] Voyez les planches enluminées de Buffon, Nos. 437 et 441. Il a
  fait très-gratuitement deux espèces de la hulotte et du chat-huant;
  tandis que très-certainement son chat-huant n'est que la hulotte,
  dans son jeune âge, observation dont je suis très-certain, ayant
  élevé plus de dix nichées de ces oiseaux. On voit que Frisch a eu
  grande raison de regarder l'un de ces oiseaux comme une simple
  variété de l'autre, malgré ces prétendus caractères par lesquels
  Buffon prétend les distinguer.



DE L'EFFRAIE.


L'Effraie ou Fressaie[27] est très-commune au Cap de Bonne-Espérance,
où elle a moins varié encore que les espèces dont j'ai fait mention
dans les articles précédens; car non-seulement elle y est absolument
la même, mais on trouve qu'elle subit en Afrique les mêmes variations
que dans nos climats glacés: je l'y ai vue avec tout le dessous du
corps, ainsi que toute la face, d'une couleur roussâtre uniforme, qui
est la livrée du mâle dans son jeune âge. Quelquefois le roux des
parties inférieures se trouve parsemé de traits noirs; telle est la
femelle dans son enfance. Adulte, le mâle a le dessous du corps d'un
beau blanc, et la femelle porte des taches longuettes noires. Enfin,
l'Effraie ou Fressaie est au Cap de Bonne-Espérance absolument le même
oiseau qu'en Europe; mais comme dans ce pays peu habité il n'y a ni
vieux châteaux, ni vieilles tours, elle se tient dans les cavernes des
rochers, où elle pond, sur un amas de branches et de feuilles sèches,
sept à huit œufs blancs. On l'apperçoit rarement pendant le jour; mais
le soir elle se répand par-tout, et même dans la ville et sur les
habitations à portée des rochers où elle se retire. Les colons, qui
ont rapporté dans cette partie du monde les préjugés populaires de
l'Europe, voient dans l'Effraie le messager de la mort, et lui donne
le nom de _dood-vogel_ (oiseau de la mort). Ils nomment les autres
chouettes _uylen_, nom hollandois de tous les oiseaux nocturnes en
général.

  [27] _Idem_, Nº. 440.

Tout ce que nous venons de voir sur le peu de variations qu'ont
subi les mêmes espèces de chouettes en Europe et en Afrique, prouve
assez que les différens climats ne changent pas autant les couleurs
que Buffon paroît l'avoir cru. D'ailleurs, nous verrons, dans tous
les genres, beaucoup d'autres oiseaux d'Europe lesquels se trouvent
aussi en Afrique, et qui sont restés les mêmes sans avoir subi aucune
altération, ni dans leurs couleurs, ni dans leurs caractères.

Jusqu'ici nous avons vu le grand-duc, le moyen-duc, le scops, la
chouette et l'Effraie; tous oiseaux qui n'étant certainement point
voyageurs, habitent probablement l'Afrique depuis la création du monde.
Voilà donc déja cinq espèces bien constatées qui sont restées sans
altération, depuis les glaces du nord de l'Europe, jusque dans les
climats de la zone torride. Ces espèces ne sont pas seulement confinées
au Cap même, mais se trouvent répandues dans l'intérieur de l'Afrique,
et sans doute jusque sous la ligne.

J'ai tué des Effraies au Cap même, j'en ai tué chez les Grands
Namaquois, j'en ai reçu du Sénégal, de l'Amérique méridionale, de la
Chine, et enfin une de Russie; et je puis assurer n'avoir remarqué
dans tous ces individus, quoiqu'ils aient habité des climats bien
opposés, aucune différence sensible. Si en effet, la nourriture
et la température influoient si fort sur la couleur des oiseaux,
comme le prétend Buffon à chaque page de son ornithologie, pourquoi
trouveroit-on sous la ligne des oiseaux dont le plumage est aussi
terne et aussi simple que celui de nos oiseaux d'Europe? Non-seulement
ceci a lieu, mais il est à remarquer même que toutes les femelles
des espèces les plus brillantes, tels que les colibris, les oiseaux
mouches et les sucriers, ont des couleurs sombres et uniformes; tandis
que leurs mâles sont si vivement colorés qu'il semble que leurs
plumes soient autant de pierres précieuses. Cependant ces femelles
prennent certainement la même nourriture et habitent constamment et
immédiatement la même température que leurs mâles. D'ailleurs, quoique
nos oiseaux ne soient généralement point aussi brillans que certains
oiseaux des pays brûlans, on voit cependant sur le plumage de beaucoup
d'espèces des couleurs tout aussi vives que les leurs. Le rouge de nos
pics et de notre chardonneret; le bleu de notre martin-pêcheur et du
rolier; le jaune du loriot; l'éclat de notre étourneau et de la queue
de la pie, ne le cèdent en rien à ces mêmes couleurs dans les oiseaux
de l'Amérique ou de l'Inde; et de plus, le paon, le faisan doré de la
Chine et tant d'autres oiseaux des Indes ou d'Amérique, que nous sommes
parvenus à acclimater chez nous, n'y sont pas dégénérés encore pour le
brillant et l'éclat de leurs couleurs; cependant il en est quelques-uns
dont la transplantation date de plusieurs siècles. Aussi Buffon ne
manque-t-il pas de paroître croire que notre martin-pêcheur s'est
échappé de ces climats: «où le soleil, dit-il, verse avec les flots
d'une lumière plus pure, tous les trésors des plus riches couleurs.»



LE HUHUL, Nº. 41.

[Illustration: _Le Huhul._]


Cette charmante et nouvelle espèce de chouette appartient au nouveau
continent de l'Amérique méridionale, et se trouve à Cayenne, d'où je
l'ai reçue. Elle portoit au pied une petite notice ou étiquette, sur
laquelle se lisoit _Chouette de jour_: ce qui prouve qu'elle vole et
chasse en plein jour. A considérer la forme totale de cet oiseau,
on remarque qu'elle paroît encore plus se rapprocher des oiseaux de
proie de jour que la chouette africaine que j'ai nommée choucouhou.
Sa queue arrondie est fort longue, pour appartenir à une chouette. Sa
tête n'est pas très-grosse non plus, en même tems que le bec est plus
apparent que dans les chouettes ordinaires, puisque les narines sont
entièrement découvertes, et seulement ombragées par quelques poils
dirigés en avant. Tous ces caractères réunis, très-faciles à saisir,
sont autant de marques distinctives qui placent naturellement le Huhul
à côté du choucouhou d'Afrique, et même entre lui et le choucou,
puisqu'il chasse en plein jour, et que son bec saillit plus en avant et
ressemble davantage à celui des oiseaux de proie diurnes. Dans cette
espèce, les aîles pliées s'étendent un peu plus loin que le milieu de
la queue, dont la dimension surpasse les deux tiers de la longueur
totale de l'oiseau, qui approche de la taille de notre chouette
d'Europe. Le Huhul a le bec, les doigts et les serres d'un beau jaune.
Tout son plumage, sur un fond noirâtre, est richement coupé par des
écailles blanches, plus larges dans les parties inférieures et tout le
dessous du corps que sur le cou et sur le dos. Le sommet de la tête
est seulement ponctué de blanc. Les tarses sont couverts dans toute
leur longueur de petites plumes noires, parsemées de taches blanches.
Ces plumes, se terminant à la naissance des doigts de chaque côté, et
se prolongeant ensuite sur celui du milieu, forment à cet oiseau des
espèces de mitaines, telles qu'en portoient autrefois nos dames. Les
aîles sont d'un brun de café brûlé; les grandes pennes ont absolument
la même couleur, et les moyennes se terminent, ainsi que toutes les
petites couvertures des aîles, par une bordure blanche. La queue,
d'un brun noirâtre plus foncé que les aîles, est, comme je l'ai dit,
étagée: toutes les pennes qui la composent sont terminées de blanc et
rayées transversalement de trois bandes blanches; mais ces bandes, ne
correspondant point l'une à l'autre, donnent à cette queue l'air d'être
un beau marbre noir veiné largement de lignes blanches. N'ayant pas vu
cet oiseau vivant, nous ignorons absolument quelle est la couleur de
ses yeux: je les ai supposés jaunes, en attendant que nous en sachions
davantage. Je n'ai jamais vu que trois individus de cette espèce, qui
tous trois avoient été envoyés de Cayenne; mais il est probable qu'ils
habitent très-avant dans l'intérieur du pays. Il n'y a que quatre ou
cinq ans qu'ils nous ont été apportés pour la première fois, et il y a
déja long-tems que nous connoissons toutes les espèces des environs de
cette colonie.

On voit cet oiseau dans la superbe collection de M. Raye, à Amsterdam;
j'en ai un dans mon cabinet, et j'ai vu le troisième chez le citoyen
Desmoulins, peintre.



LA CHOUETTE A COLLIER, Nº. 42.

[Illustration: _La Chouette à Collier._]


Voici encore une chouette américaine d'une espèce rare et peu connue,
et dont je n'ai jamais vu qu'un seul individu. Ce bel oiseau, l'un des
plus grands dans son genre, tient, pour la taille, le milieu entre
notre grand-duc et la hulotte; il est remarquable par deux larges
sourcils blancs qui couronnent ses yeux et tranchent sur le fond brun
chocolat de sa face. Cette couleur foncée est également celle du
derrière du cou, du manteau et du dessus de la queue, dont les pennes
sont toutes terminées par une bordure blanche, et portent des rayûres
de la même couleur qui les traversent. La poitrine est ceinte d'un
large collier ou hausse-col brun; la gorge, le devant du cou, ainsi que
les flancs et les recouvremens du dessous de la queue, sont blancs; les
tarses et les doigts sont entièrement couverts de plumes soyeuses d'un
blanc très-lustré. La queue est en dessous d'un gris blanchâtre rayé
de brun foncé. Les couvertures des aîles et les scapulaires sont la
plupart rayés de blanc-gris. Le bec est jaune à sa pointe et bleuâtre à
sa base; les griffes sont noires.

Tout ce que j'ai pu apprendre au sujet de cette belle chouette, c'est
qu'elle avoit été tuée sur une plantation dans les environs de Surinam.



LA CHOUETTE A AIGRETTE BLANCHE, Nº. 43.

[Illustration: _La Chouette à Aigrette blanche._]


Quoique la chouette de cet article porte des aigrettes, j'ai cru
devoir la séparer des espèces auxquelles les nomenclateurs ont donné
le nom de duc; parce que ses aigrettes sont absolument placées
différemment et ne se redressent point de chaque côté du front en forme
de deux oreilles relevées, comme dans le grand-duc, mais retombent,
au contraire, le long du cou. Ces aigrettes prennent naissance à la
base du bec, couronnent les yeux, en se détachant un peu en dehors,
et retombent jusqu'au bas du cou; les plumes qui les composent sont
longues, flexibles et d'un blanc éblouissant; les premières sont les
plus courtes et les dernières les plus longues. Cet oiseau, très-rare
encore dans nos cabinets d'histoire naturelle, habite la Guyanne, d'où
j'ai reçu directement celui dont je donne ici la figure. Il est de la
taille de notre moyen-duc; son bec est jaune, ses ongles sont bruns.
Les aîles en repos atteignent le milieu de la queue, qui est arrondie
par le bout, étant un peu étagée; les tarses sont entièrement emplumés
jusqu'aux premières articulations des doigts, dont la couleur est
brunâtre. Tout le dessous du corps de cette chouette, depuis sa gorge
jusqu'aux recouvremens du dessous de la queue, porte une fine rayûre
brune sur un fond blanchâtre, sali de roux-clair sur les côtés du
cou, sur la poitrine et sur les culottes. Le dessus de la tête,
le derrière du cou, les scapulaires, le manteau, les pennes des aîles
et de la queue sont généralement d'un brun-roux plus ou moins foncé,
imperceptiblement rayé d'un brun plus sombre. Des taches blanches
répandues sur quelques-unes des couvertures des aîles, des scapulaires,
sur les barbes extérieures des premières grandes pennes de l'aîle,
ainsi que sur celles de la queue, tranchent agréablement sur le brun
monotone et sombre de cet oiseau. Nous ignorons la couleur des yeux.

Je n'ai vu que trois individus de cette espèce, dont un est dans le
cabinet du C. Gigot-Dorci; le second étoit dans la belle collection
de feu Mauduit, qui a été achetée par le duc de Deux-Ponts, et le
troisième se trouve dans la mienne.



LA CHOUETTE A MASQUE NOIR, Nº. 44.

[Illustration: _La Chouette à Masque noir._]


Cette chouette est trop bien caractérisée par sa face entièrement noire
pour ne pas lui laisser le nom que je lui ai donné; car elle paroît
avoir réellement la figure couverte d'un masque noir, ce qui fait un
effet d'autant plus remarquable, que tout le reste de son plumage par
devant consiste en un duvet cotonneux d'un beau blanc. Le derrière
de la tête, du cou et les scapulaires sont également blancs, et ne
portent absolument aucune tache quelconque. Les aîles et la queue
sont brunâtres: on remarque sur quelques-uns des scapulaires et des
recouvremens des aîles plusieurs taches blanches et d'autres noires.
Les pieds sont entièrement emplumés, de même que les doigts; le bec est
noirâtre, ainsi que les griffes; la queue est très-courte dans cette
espèce, et les aîles pliées ne la dépassent point. Cette rare chouette
est tirée du cabinet du C. Gigot-Dorci, seule collection où je l'aie
vue.

J'observerai que j'ai cru remarquer, au plumage de cet oiseau, qu'il
avoit été tué, non-seulement au moment de la mue, mais que l'individu
étoit encore dans son jeune âge. Il est donc possible que, plus
âgée, cette espèce porte des couleurs différentes. Il n'est guère
présumable que, dans cet état, l'oiseau dont je parle soit un jeune
de quelques-unes des espèces de chouettes d'Amérique dont nous avons
fait mention dans les articles précédens. Cependant le C. Dorci
m'a assuré que celui-ci lui avoit été vendu pour un oiseau de Cayenne.
Mais nous savons qu'en général les marchands en imposent souvent sur
le nom des pays d'où viennent les objets d'histoire naturelle qu'ils
nous vendent: non pas, à la vérité, pour nous induire simplement en
erreur, mais pour donner plus de prix à leurs marchandises. Aussi
combien de simples variétés d'une espèce très-commune, n'ont-elles pas
été payées fort chèrement parce qu'on les faisoit passer pour être
arrivées ou de la Chine ou des îles de la mer du Sud? noms favoris
des marchands; parce que nous connoissons peu l'histoire naturelle
de ces pays lointains! Au reste, si l'individu dont nous venons de
parler est effectivement arrivé de Cayenne, et s'il est seulement le
jeune âge d'une des espèces dont nous avons fait mention, nous pensons
que ce sera probablement de celle que nous avons nommée huhul, plutôt
que d'aucune des autres. Mais j'incline fort à le croire le jeune âge
d'une chouette particulière et distincte dont nous ne connoissons
point encore l'espèce dans son état parfait. Ceci nous prouve combien
il seroit essentiel que les voyageurs s'attachassent à nous donner
l'histoire suivie de chaque oiseau en particulier, depuis son enfance
jusqu'à l'âge fait. La connoissance parfaite, ne fût-elle que d'une
seule espèce, bien étudiée dans les divers états par où elle passe
successivement, depuis le premier âge jusqu'au moment où elle a acquis
tout le développement qui lui est propre, seroit bien plus utile,
pour composer par la suite une histoire générale des oiseaux, que ces
nombreuses collections formées de beaucoup d'individus isolés, sur
lesquels on ne nous apprend absolument rien de particulier.



LA CHOUETTE BLANCHE, Nº. 45.

[Illustration: _La Chouette Blanche._]


J'ai vu cette belle chouette dans la magnifique collection d'oiseaux de
M. Raye de Breukelerward, à Amsterdam. Il ne faut pas confondre cette
espèce, ni avec le grand-duc blanc de Sibérie, dont plusieurs auteurs
font mention, et qui, suivant eux, n'est qu'une variété de notre
grand-duc; ni avec le harfang: voyez les planches enluminées de Buffon,
Nº. 458. La Chouette blanche, dont il est question, n'est point cette
variété du grand-duc, devenu blanc par l'influence d'un climat froid;
car elle ne porte point d'aigrettes relevées sur la tête, comme les
ducs. D'ailleurs, les aîles du grand-duc n'atteignent que le bout de la
queue; et dans notre Chouette blanche, elles le dépassent de plusieurs
pouces: caractère bien remarquable, et qui la distingue encore du
harfang, qui a la queue beaucoup plus longue et dont les aîles ne vont
pas au-delà de la moitié de son étendue. Le harfang a la tête petite,
et notre Chouette blanche l'a, au contraire, fort grosse. Enfin, le
harfang est plus grand que notre Chouette blanche, qui, quoique aussi
grosse que notre grand-duc, est cependant plus courte et plus trapue
encore que lui. Voilà les caractères distinctifs de ces trois chouettes
bien établis; ainsi je crois que nous pouvons conclure, avec certitude,
que cette Chouette blanche est une espèce particulière et différente
de celles avec lesquelles nous l'avons comparée. On ne sera donc pas
tenté, je pense, de les confondre ensemble.

On ne peut donner un nom plus convenable à cette chouette que celui
par lequel je l'ai désignée; car tout son plumage est entièrement d'un
blanc de neige, sur lequel se remarquent seulement quelques petites
taches noires très-rares, répandues sur quelques couvertures des aîles
et sur deux des grandes pennes. Les plumes soyeuses qui couvrent les
tarses et les pieds sont si touffues qu'on n'apperçoit absolument aucun
des doigts; on voit seulement le bout de toutes les griffes, qui sont
noires; le bec est aussi de cette couleur. J'ignore le pays d'où vient
cet oiseau, mais il est probable qu'il habite quelque climat froid.



LA CHEVECHETTE, Nº. 46.

[Illustration: _La Chevechette._]


Voici sans contredit, la plus petite de toutes les espèces de
chouettes connues, puisqu'elle est d'une taille inférieure à notre
scops ou petit-duc, et par conséquent bien plus petite encore que
notre chevèche, à qui elle ressemble pourtant beaucoup par la couleur
du plumage. La figure que j'ai donnée de cet oiseau le représente de
grandeur naturelle; il a le bec jaune et les griffes d'un brun-noir;
les aîles ne dépassent pas l'origine de la queue. Des poils longs et
roides partent de la base du bec et de la gorge en se dirigeant en
avant. La queue de cette chevèche est assez longue, vu la petitesse
de l'oiseau. Ce dernier caractère le distingue parfaitement de notre
chevèche, qui a la queue très-courte et dont les aîles atteignent le
bout. La Chevechette a le plumage d'un brun sombre sur la tête, les
aîles et la queue. Cette couleur est égayée, dans ces mêmes parties,
par plusieurs taches blanches, qui sont en très-grand nombre et
très-petites sur le front et sur les joues. Sur les aîles les taches
sont bien plus sensibles. La queue est traversée de quatre bandes
blanches. La gorge et le cou par devant sont d'un blanc varié de
brun-clair, ainsi que le ventre et les recouvremens du dessous de la
queue. La poitrine et le sternum sont couverts de plumes, brunes,
variées d'un blanc sali. Les tarses et les doigts sont entièrement
emplumés.

Je ne connois pas le pays de cette jolie petite chevèche, qui se trouve
aussi dans le cabinet de M. Raye, à Amsterdam. Celle que je possède
me vient du citoyen Dufrêne, aide-naturaliste du Muséum National
d'histoire naturelle.



ENGOULEVENS.



L'ENGOULEVENT A QUEUE FOURCHUE, Nos. 47 ET 48.

[Illustration: _L'engoulevent à queue fourchue._]

[Illustration: _Nº. 1. et 2. Têtes de Grandeur naturelle de
L'engoulevent à queue fourchue. Nº. 3. son pied._]


Nous avons cru devoir placer ce genre d'oiseaux directement après
les chouettes; car ils sont, en effet, des oiseaux nocturnes, et
peut-être même le sont-ils réellement plus que beaucoup de chouettes
dont plusieurs espèces, comme nous le savons, volent et chassent
en plein jour. Ceux dont nous parlons, se tenant au contraire,
très-cachés pendant que le soleil est sur l'horison, ne commencent à
se montrer qu'avec le crépuscule, et rodent pendant toute la nuit pour
faire la chasse aux insectes, dont ils font leur unique nourriture.
Nous aurions donc plus naturellement dû commencer l'histoire des
oiseaux nocturnes par le genre des engoulevens, crapauds-volans ou
tette-chèvres, pour me servir des noms vulgaires les plus généralement
adoptés depuis plusieurs siècles, et que Buffon a rejetés dans ses
descriptions[28], pour y substituer celui d'engoulevent, que
nous adopterons aussi, pour ne pas faire encore un nouveau changement.
Nous nous permettrons pourtant d'observer, quoi qu'il puisse être vrai
que ces oiseaux volent quelquefois la bouche ouverte en poursuivant
les insectes dont ils se nourrissent, qu'il est très-certain qu'ils
n'engoulent pas plus de vent que les poissons et les oiseaux plongeurs
n'avalent d'eau lorsqu'ils poursuivent leur proie dans les rivières;
et quand même il seroit encore vrai que ces oiseaux avalassent plus
ou moins de vent, leur but ne tendant réellement qu'à attraper des
insectes, qu'ils engoulent en effet tout entiers, sans les mâcher, le
nom d'engoule-insectes leur conviendroit mieux que celui d'engoulevent.

  [28] Quoique Buffon ait adopté le nom d'engoulevent, en parlant de
  ce genre d'oiseaux, toutes les planches qui les représentent portent
  dans son ouvrage les noms mêmes qu'il a rejetés.

Il est encore très-vrai que l'ancien nom de crapaud-volant n'a été
donné à l'espèce de ces oiseaux qu'on trouve en France, que par
rapport à son cri, lequel imite, à s'y méprendre, un des sons que
fait entendre le crapaud dans les soirées d'été. Il n'est donc pas
étonnant que le peuple, voyant ou entendant voler, pendant la nuit, un
animal dont le cri est le même que celui du crapaud, lui ait appliqué
le nom de crapaud-volant; comme il a donné celui de chauve-souris ou
souris-volante à d'autres petits animaux, dont les cris approchent de
même beaucoup de ceux des souris. La large bouche et la tête platte
de cet oiseau doivent aussi avoir contribué à son nom de crapaud.
Le nom de tette-chèvre dérive encore de certaines habitudes de
notre engoulevent, que beaucoup de naturalistes de cabinet ignorent
probablement. Mais, en revanche, il n'y a pas un naturaliste chasseur,
ni aucun berger habitué à parquer les moutons et les chèvres, qui ne
sache que l'engoulevent fréquente les parcs de ces animaux: non pas
à la vérité pour tetter les brebis ou les chèvres, mais pour prendre
les insectes que les crottins et l'urine attirent en grand nombre
dans ces lieux infects. Les bergers, les enfans et beaucoup d'autres
personnes sans doute, voyant habituellement ces oiseaux s'abattre parmi
les moutons et les chèvres, comme ils le font en effet à tout moment,
et ignorant d'ailleurs ce qu'ils y faisoient, auront naturellement
présumé qu'ils tettoient les mères: de-là est venu le nom populaire de
tette-chèvre, qui est celui de cet oiseau dans beaucoup de pays. En
Hollande, il est connu sous la même dénomination; car, en Hollandois,
_gyte-melker_ et _gyte-zuyger_ signifient également tette-chèvre.

Je n'ai trouvé dans l'intérieur de l'Afrique que deux espèces
d'engoulevens, et qui toutes deux sont nouvelles. L'un de ces oiseaux
est très-grand: c'est celui de cet article, celui enfin que j'ai
désigné par sa queue fourchue, caractère qui, jusqu'à ce moment, est
unique dans ce genre. De toutes les différentes espèces dont les
nomenclateurs ont fait mention, celui-ci est en effet le seul dont la
queue soit de cette forme; ainsi on ne pourra pas le confondre avec le
grand crapaud-volant des planches enluminées de Buffon, Nº. 325, ni
avec le grand engoulevent de ses descriptions. L'Engoulevent à queue
fourchue est encore plus grand que ce dernier, à qui Buffon donne
vingt-un pouces de longueur; celui dont nous parlons en a vingt-six,
depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité de la plus longue plume de
la queue, laquelle est la dernière latérale de chaque côté; puisque la
queue est fourchue, comme je l'ai fait observer plus haut. Le bec de
ce grand Engoulevent est d'une largeur étonnante, et se termine par
un petit croc, qui ressemble plutôt à une griffe qu'au bout d'un bec
d'oiseau. Ce qui prouve combien peu la nature a voulu que ces oiseaux
engoulassent tant de vent, en poursuivant les insectes, c'est qu'il
n'en est point dont la bouche se ferme mieux. En effet, la construction
de son bec est si bien combinée, que la mandibule inférieure recouvre
au coin de la bouche, par un petit rebord saillant, la supérieure,
qui, par un recouvrement, emboîte l'inférieure, laquelle s'y enclave
jusqu'à un cran très-prononcé qu'on voit à celle d'en haut. Après ce
cran celle-ci se rétrécit tout à coup pour s'emboîter ensuite elle-même
dans l'extrémité de la mandibule inférieure, qui à son tour la recouvre
de nouveau en la débordant, et se trouve ensuite surmontée par le bout
supérieur qui l'arrête fortement en se courbant par dessus en forme
de croc. Il résulte de cette parfaite union des deux mandibules que,
lorsque la bouche est fermée, l'oiseau paroît avoir un très-petit
bec. Au reste, ceux qui s'imaginent que ces oiseaux volent toujours
la bouche ouverte, se trompent, je crois, très-lourdement; car ils
se posent souvent à terre pour y ramasser les insectes; et s'il leur
arrive d'en prendre en volant, il est fort inutile qu'ils l'aient
pour cela continuellement baillante. Nous voyons les guêpiers, les
martinets, et toutes les espèces d'hirondelles, prendre les insectes
en volant, et nous ne leur voyons ouvrir le bec qu'au moment où ils
sont assez près d'eux pour les happer. Il est donc probable que
l'engoulevent en fait de même; or, la nature, qui ne se trompe jamais,
et ne fait rien en vain, auroit-elle construit le bec de cet oiseau
avec tant de soin, l'auroit-elle fermé aussi hermétiquement, s'il
devoit toujours l'avoir ouvert pour se procurer sa nourriture? Nous
avons fait représenter de grandeur naturelle le bec ouvert et fermé de
ce grand Engoulevent, pour qu'on puisse mieux saisir sa construction
particulière.

Les méthodistes ont cru remarquer beaucoup d'analogie entre les
hirondelles et ces oiseaux de nuit; de manière même que plusieurs
d'entre eux leur ont donné le nom d'hirondelle à queue carrée. Si ces
mêmes savans avoient connu l'espèce dont nous parlons, ils auroient
encore été bien plus confirmés dans leur opinion, puisque, comme
beaucoup d'hirondelles, elle a effectivement la queue fourchue, et
même d'une manière très-remarquable: les deux plumes les plus courtes
du milieu de la queue étant de moitié moins longues que les deux
dernières latérales.

Quoique cet Engoulevent africain ait vingt-six pouces de longueur, son
corps n'est pas plus gros ni plus long que celui de notre chouette
ordinaire, le cou et la queue occupant plus des deux tiers de la
longueur totale de l'oiseau. Les narines sont placées directement
contre la base du croc supérieur du bec; elles sont cachées chacune
par un petit faisceau de plumes poilues qui les débordent en se
dirigeant en avant. Lorsque le bec est fermé, elles se trouvent
encore recouvertes par les rebords saillans du bout de la mandibule
inférieure. Les yeux sont très-grands et d'un brun sombre; ils
sont environnés, par dessus seulement, d'un rang de cils fins et
peu apparens. Les tarses sont si courts dans cet oiseau, qu'ils ne
paroissent presque point; ils n'ont enfin tout au plus que trois à
quatre lignes de longueur. La plante du pied est très-large, les trois
doigts de devant étant réunis jusqu'aux premières articulations par
une membrane. Le doigt de derrière est également très-épaté, et ne
peut absolument pas se tourner en avant, comme on le dit de plusieurs
autres espèces du même genre. Nous avons donné aussi la figure du pied
de cet oiseau, vu par dessous. Les ongles et le bec sont brunâtres,
et les doigts jaunes par dessous et d'un brun terreux en dessus.
Les aîles pliées s'étendent aussi loin que les plumes de la queue;
elles ont ensemble quarante pouces d'envergure. Quant aux couleurs de
cet oiseau, elles approchent beaucoup de celles des autres espèces
connues d'engoulevens: c'est du brun plus ou moins foncé, agréablement
varié de noir, de roux et de blanc. Je remarquerai seulement que le
blanc est sur-tout répandu sur le ventre, sur la queue et sur les
grands recouvremens des aîles, ainsi que sur les scapulaires et les
couvertures du dessous de la queue. Le noir occupe sur la poitrine
plus de place, les taches y étant plus larges que par-tout ailleurs.
Les pennes des aîles sont brunes, et portent une espèce de marbrure
plus apparente sur les barbes extérieures; et c'est principalement sur
la queue où cette marbrure fine est le plus agréablement variée. La
gorge est roussâtre et barrée en travers de lignes noires. Les plumes
dans cette partie, sont à barbes rares et désunies entre elles; plus
bas, sur le devant du cou, elles se terminent toutes par un long poil
noir. Les petites couvertures des aîles sont d'un brun-maron rayé de
noir. Au reste, je renvoie mon lecteur à la figure que j'ai publiée
de cet oiseau, qui lui en fournira une idée bien plus parfaite que la
description la plus détaillée que je pourrais en donner, et qui seroit
aussi ennuyeuse à faire qu'à lire.

J'ai trouvé l'Engoulevent à queue fourchue sur les bords de la rivière
des Lions, dans le pays des Grands Namaquois. C'est même par le plus
grand hasard que je me suis procuré le mâle et la femelle de cette
espèce. Un jour que je chassois sur les bords de cette rivière,
accompagné de mon Klaas, nous fûmes assaillis par un orage et une pluie
affreuse, qui nous contraignirent de nous retirer sous de très-grands
mimosas qui la bordoient. En jetant les yeux de côté et d'autre, nous
apperçûmes un fort gros arbre mort dont la tige, presqu'entièrement
creuse, contenoit un vaste trou qui communiquoit dans tout le corps de
son tronc vermoulu. Espérant trouver quelques insectes sous l'écorce
de cet arbre, nous nous en approchâmes; mais à notre arrivée nous
entendîmes, dans son intérieur, une espèce de bourdonnement sourd. Ne
sachant ce que ce pouvoit être, nous prîmes quelques précautions pour
nous assurer à quel animal nous avions à faire, craignant, avec raison,
que ce ne fût une nichée de serpens; et nous ne fûmes pas peu surpris
quand nous vîmes que c'étoient deux très-gros oiseaux, que nous tirâmes
l'un après l'autre du trou, très-contens de notre bonne fortune. Je
les ai conservé vivans pendant une couple de jours. La clarté du
soleil paroissoit les offusquer tellement qu'ils ne cherchoient point
à s'enfuir pendant le jour; mais en revanche quand la nuit étoit venue
ils faisoient un vacarme affreux dans un très-grand panier où je les
avois renfermés.

Je n'ai pas revu, depuis ce moment, d'autres oiseaux de la même espèce.
Ils faisoient entendre, durant la nuit seulement, une espèce de
chevrottement guttural, _gher-rrrrrr--gher-rrrrrr_, qu'ils exprimoient
en ouvrant la bouche, de manière qu'on y auroit introduit une grosse
pomme. La langue de cet oiseau est très-petite et se trouve placée à
l'entrée de la gorge.

Il paroît que cette espèce n'est point, à beaucoup près, aussi commune
que celle dont nous allons parler dans l'article suivant. Dans ces
deux oiseaux, pris vivans, il y avoit un mâle et une femelle. Cette
dernière étoit un peu plus grosse; mais du reste ils ne différoient
l'un de l'autre que par une teinte plus forte et sur-tout plus mélangée
de noir sur la poitrine et sur les pennes de la queue du mâle, où la
marbrure en zigzag est distribuée par bandes alternatives, l'une brune
marbrée de noir, et l'autre blanche marbrée de noir; de manière qu'il
en résulte absolument le même travail et les mêmes nuances que celles
qu'on remarque dans les aîles d'une grande partie de nos phalènes,
notamment de celle nommée le zigzag. La femelle n'auroit probablement
pas tardé à pondre, car dans sa grappe d'œufs il y avoit déja plusieurs
jaunes de la grosseur d'une petite noisette. Les testicules du mâle,
très-petits pour un oiseau aussi fort, étoient d'une couleur noire
bleuâtre. Cette particularité d'avoir les testicules noirs est fort
rare chez les oiseaux; car dans plus de douze cents espèces que j'ai
examinées, je n'en ai trouvé que deux chez lesquelles elle eût lieu.
Comme je n'ai été à même d'observer qu'un seul mâle de l'espèce de
ce grand Engoulevent à queue fourchue, je ne puis assurer que mon
observation convienne à tous les mâles de la même espèce; mais quant à
l'autre oiseau, comme il est très-commun dans l'intérieur de l'Afrique,
je l'ai vérifiée dans plus de cent individus mâles.



L'ENGOULEVENT A COLLIER, Nº. 49.

[Illustration: _L'engoulevent à Collier._]


On remarque dans cette petite espèce d'Engoulevent africain plusieurs
des principaux caractères de celui de l'article précédent, même forme
de tête et de bec, de grands yeux, la bouche fort ample et le bout
du bec très-petit; voilà quels sont les caractères d'analogie. Voici
maintenant ceux qui les différencient: dans la petite espèce, la bouche
ne ferme point aussi hermétiquement; la queue est coupée carrément au
lieu d'être fourchue; les mandibules sont bordées de très-longs poils
roides et plats, qui, étant dirigés en avant, garnissent et ferment
l'ouverture de la bouche par les côtés; de sorte que quand l'oiseau
l'ouvre pour se saisir de sa proie en volant, ces poils empêchent les
insectes de s'échapper par les côtés, une fois qu'ils sont engagés dans
la grande ouverture que présente cette bouche lorsqu'elle est béante.
Les aîles ne s'étendent qu'aux trois quarts de la longueur de la queue,
et les tarses sont aussi beaucoup plus longs.

L'Engoulevent à collier est à peu près de la taille de notre
engoulevent d'Europe. Il est distingué par un large collier blanc
qui couvre sa gorge, et ce collier s'étend en s'élargissant sur les
côtés, où il prend une belle couleur orangée, variée de noir; un trait
blanc qui part du coin du dessous de l'œil, se prolonge jusque sur le
collier. Les premières pennes de l'aîle portent chacune une petite
tache blanche vers leur milieu; celles de la queue sont également
tachetées de blanc; mais ces taches sont beaucoup plus grandes
principalement sur les premières pennes latérales. Tout le plumage est
agréablement varié de brun, de noir et de blanc, sur un fond plus ou
moins grisâtre. La femelle diffère du mâle d'abord par la taille, car
elle est un peu plus petite; son collier est d'un blanc roussâtre, et
elle n'a point ces plumes orangées que porte le mâle au bas de son
collier; les taches du bout de la queue sont chez elle absolument
salies de roux au lieu d'être blanches. Les yeux sont bruns chez tous
les deux.

C'est en septembre que ces oiseaux entrent en amour. Pendant ce tems
le mâle chante d'une manière très-particulière, et d'une voix si forte
que lorsque j'avois le malheur d'être campé dans le voisinage de la
demeure d'un de ces oiseaux, il m'étoit impossible de dormir. C'est
principalement une heure après que le soleil est couché, et quelques
heures avant son lever, qu'ils commencent à se faire entendre; et dans
les belles nuits ils chantent sans discontinuer jusqu'au point du
jour. J'ai essayé nombre de fois de noter ce ramage, mais il m'étoit
plus facile d'en contrefaire quelques passages que de l'exprimer
par l'écriture; cependant à force de le recommencer et d'en avoir
séparément répété ses différentes phrases, je crois l'avoir saisi
autant bien qu'il soit possible de le faire. Je transcris ici d'après
mon journal, celui qui m'a paru le plus approcher de la vérité:
_Cra-cra, ga_, _gha-gha-gha_; _harouï, houï_, _houï-houï_; _glio-ghô_,
_ghorôo-ghorôo_; _ga_, _ha-gach_; _hara-ga-gach_, _ah-hag_, _ha-hag_,
_harioo-go-goch_, _ghoïo-goïo-goïo_. J'ai observé que les finales
en _ghorôo_ étoient toujours chantées d'un ton plaintif très-bas,
et sembloient absolument partir de la gorge, tandis qu'au contraire
celles en _a_, et sur-tout les terminaisons en _ach_, avoient un
éclat inconcevable, et montoient successivement chacune de quelques
tons plus haut que celle qui la précédoit. La mesure du nombre de ces
finales en _ach_, étoit subordonnée, à ce qu'il paroît, au besoin
qu'avoit l'oiseau de reprendre haleine; car lorsqu'il s'étoit dominé
dès le commencement de la phrase, il en exprimoit quatorze de suite,
dont le dernier montoit au moins de quatre octaves plus haut que le
premier, et de là retombant tout à coup en _ghorôo_ d'un ton vraiment
mélodieux, la phrase se terminoit en _goïo-goïo_. Les sons _harouï_,
_houï-houï_, étoient remarquables par une sorte de chevrottement qui
les accompagnoit toujours, et qui n'étoit dû qu'aux battemens d'aîles
qui très-certainement les accompagnoient.

S'il étoit possible d'apprécier le langage des oiseaux d'après les
tons plus ou moins expressifs qu'ils donnent aux différens sons qu'ils
font entendre, j'oserois assurer que c'est par cette phrase _harouï_,
_houuï-houuï_, que celui-ci exprime à sa compagne les sentimens
tendres qu'elle lui inspire. Du moins, dans les momens de silence qui
séparoient les phrases entières du chant, je n'entendois plus que ces
mêmes accens entremêlés d'un certain frémissement d'aise qui sembloit
annoncer l'instant du plaisir et précéder celui de la jouissance.

Cet oiseau chante pendant l'espace de trois mois à peu près. La saison
des amours passée, on ne l'entend plus, et il ne conserve le reste de
l'année qu'un cri très-analogue à celui de notre engoulevent. Comme
lui, on ne l'apperçoit pendant le jour que lorsqu'en passant près de
sa retraite on le force à se lever; en partant il n'a cependant point
l'air de ne pas voir clair, car il se dirige très-bien à travers les
arbres.

La femelle pond deux œufs qui, comme je l'ai dit, sont blancs; elle
les dépose à terre sans aucune précaution, et presque toujours dans
le milieu d'un sentier. Le mâle couve tout aussi bien que sa femelle;
et quand ils sont occupés à cette fonction, ils ne se dérangent que
lorsqu'on est prêt à mettre le pied sur eux; pour peu même qu'on ait
l'air de passer à côté, ils ne bougent pas, aussi n'ai-je jamais manqué
de tuer d'un coup de baguette l'engoulevent dont j'avois découvert les
œufs; il me suffisoit pour cela de prendre ma direction de manière à
passer seulement à deux pieds d'eux, et de bien ajuster l'oiseau en
passant. Quand je ne touchois pas aux œufs, je les retrouvois toujours
à la même place, mais s'il m'arrivoit de les manier, l'oiseau les
transportoit ailleurs, et jamais il ne m'est arrivé de retrouver dans
les mêmes environs ceux qui avoient été dérangés de place. Curieux
d'observer la manière dont ces oiseaux s'y prenoient pour faire ce
déplacement, je montai un jour sur un arbre à portée de deux œufs que
je venois de découvrir dans le milieu d'un sentier très-étroit, et que
je maniai exprès. L'oiseau qui le premier revint pour se mettre dessus,
et que je reconnus pour être la femelle, se posa d'abord à terre à
quelque distance des œufs dont elle s'approcha en avançant de quelques
pas; mais s'étant apperçue qu'ils avoient été touchés, elle en fit
plusieurs fois le tour, ayant la tête appuyée le plus près qu'il étoit
possible des œufs; de manière qu'elle marchoit de côté. Lorsque cette
opération fut faite, elle fit plusieurs cris en battant des aîles et de
la queue, en même tems qu'elle avoit la poitrine appuyée sur la terre.
A ces accens le mâle arriva aussitôt, se posa à côté de sa femelle,
et se mit à répéter les mêmes cris et les mêmes mouvemens. Après quoi
tournant l'un et l'autre à plusieurs reprises autour des œufs, ils s'en
saisirent chacun d'un qu'ils prirent dans leur bouche, et disparurent
tous deux. J'espérois retrouver la couvée à quelque distance sur le
même sentier, mais malgré toutes mes recherches, et quoique j'eusse
suivi le sentier à travers la forêt entière, je ne retrouvai ni les
oiseaux, ni les œufs que j'aurois certainement reconnus, ayant bien
examiné l'un d'eux sur lequel il y avoit une petite tache de sang fort
remarquable.

Les œufs de cet oiseau sont entièrement blancs et d'une fragilité
étonnante; leur coquille est même si mince qu'on les casse pour peu
qu'on les manie sans précaution. Je n'ai jamais vu ceux de notre
engoulevent d'Europe, mais s'ils sont aussi fragiles que ceux du petit
engoulevent d'Afrique, je doute beaucoup que ce soit seulement en
les poussant du bec, comme on le dit, que chez nous ces oiseaux les
changent de place quand on les a dérangés dans leur ponte.

Je n'ai point vu l'Engoulevent à collier dans les environs du Cap.
En revanche il est très-connu sur les bords du Gamtoos, dans le pays
d'Auteniquoi et notamment vers la baie Lagoa ou Blettenberg. J'en ai
tué en deux soirées neuf, tant mâles que femelles, autour du parc des
moutons d'une habitation du colon Critsinger, que j'ai trouvé établi
près de cette baie, sur les bords du Witte-Drift. J'ai revu encore la
même espèce sur les rives du Swarte-Kop, du Sondag, et dans les bois de
mimosas du Camdeboo. Dans ce dernier canton les habitans lui donnoient
le nom de _Nagt-uyltje_ (petite chouette de nuit). Ces oiseaux ne
se nourrissent absolument que d'insectes, et notamment de ceux du
genre des bouziers; et j'ai très-bien remarqué qu'ils se posoient à
terre pour s'en saisir. Il se peut, et il est même probable qu'ils
en attrappent aussi en volant, mais j'ose assurer qu'ils en prennent
beaucoup moins de cette manière. Les insectes dont ils se saisissent
en volant sont la plupart très-petits, et restent empêtrés dans une
salive épaisse, gluante et fort abondante, qui les retient à mesure
qu'ils sont pris. Il paroît même que ce n'est que lorsqu'il y en a
un certain nombre d'englués qu'ils sont avalés en masse; car je n'ai
point tué de ces oiseaux que je n'aie trouvé contre tous les parois de
leur palais beaucoup de très-petits insectes, dont souvent les plus
apparens n'étoient pas plus gros qu'un puceron ou une puce. Ceci prouve
d'une manière incontestable l'excellence de la vue de ces oiseaux,
puisque dans l'obscurité ils peuvent voir d'aussi petits objets, qui
échapperoient, en plein jour, à la meilleure vue d'homme. Les gros
insectes sont avalés aussitôt qu'ils sont pris, et même entiers et tout
en vie.

La conformation des pieds courts de cet oiseau, jointe à ce qu'il a de
très-petits doigts, l'oblige à se poser préférablement à terre plutôt
que sur les arbres: cependant lorsqu'il s'y perche, c'est toujours sur
les branches basses et les plus horisontales, parce qu'il y trouve le
même à-plomb, et comme il aime à avoir la queue appuyée, lorsque la
branche ne lui présente pas une surface assez grande dans sa largeur,
il se pose suivant sa longueur. Il est probable que cette habitude est
commune à toutes les espèces de ce genre. Au reste, les engoulevens
ne sont pas les seuls oiseaux à qui cela arrive; les perroquets
et beaucoup d'autres oiseaux ont la même habitude, notamment les
oiseaux de proie qui quelquefois se reposent de même. On voit encore
très-souvent les tourterelles marcher sur une des grosses branches
basses d'un arbre, et la suivre dans toute sa longueur, pour peu
qu'elle soit inclinée.



TABLE

DES OISEAUX CONTENUS DANS CE VOLUME.


  _Épitre dédicatoire_,             _page v_

  _Préface_,                           _vij_


  OISEAUX DE PROIE.

  _Le Griffard_,                           1

  _Le Huppard_,                            8

  _Le Blanchard_,                         12

  _Le Vocifer_,                           17

  _Le Blagre_,                            23

  _Le Caffre_,                            28

  _Le Bateleur_,                          31

  DES VAUTOURS.

  _L'Oricou_,                             36

  _Le Chasse-fiente_,                     44

  _Le Chaugoun_,                          50

  _Le Chincou_,                           53

  _Le Roi des Vautours_,                  59

  _L'Ourigourap_,                         62

  DES BUSES.

  _Le Bacha_,                             68

  _Le Rounoir_,                           73

  _Le Rougri_,                            77

  _La Buse gantée_,                       79

  _Le Tachard_,                           82

  _Le Buserai_,                           84

  _Le Buson_,                             86

  DES MILANS.

  _Le Parasite_,                          88

  DES BUSARDS.

  _Le Grenouillard_,                      95

  OISEAUX DE PROIE DONT NOUS NE
  CONNOISSONS POINT EN EUROPE LES
  ANALOGUES.

  _Le Tachiro_,                          100

  _Le Mangeur de serpens_,               103

  DES AUTOURS.

  _L'Autour huppé_,                      114

  DES FAUCONS.

  _Le Faucon chanteur_,                  117

  _Le Faucon huppé_,                     121

  _Le Faucon à culotte noire_,           125

  _Le Chicquera_,                        128

  _L'Acoli_,                             130

  _Le Tchoug_,                           133

  _Le Gabar_,                            136

  _Le Minulle_,                          140

  _Le Montagnard_,                       144

  _Le Blac_,                             147


  OISEAUX DE PROIE NOCTURNES.

  _Le Choucou_,                          151

  _Le Choucouhou_,                       157

  _Le Grand Duc_,                        160

  _Le Moyen Duc_,                        162

  _Le Scops_,                          _ib._

  _La Chouette_,                         163

  _L'Effraie_,                           164

  _Le Huhul_,                            167

  _La Chouette à collier_,               169

  _La Chouette à aigrette blanche_,      170

  _La Chouette à masque noir_,           172

  _La Chouette blanche_,                 174

  _La Chevechette_,                      176


  ENGOULEVENS.

  _L'Engoulevent à queue fourchue_,      178

  _L'Engoulevent à collier_,             186


FIN DU TOME PREMIER.



  Au lecteur

  Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original.
  L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été conservées. Seules
  quelques erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.

  La table des matières a été légèrement modifiée pour refléter
  l'ensemble des divisions faites par l'auteur dans le texte.





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