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Title: L'Isle du Levant
Author: Otlet, Paul
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Isle du Levant" ***


(This file was produced from images generously made
available by the Mundaneum and mediated by the artists of
Algolit, a research project initiated by Constant.)



 ┌────────────────────────────────────────────────────────────────────┐
 │ Au lecteur:                                                        │
 │                                                                    │
 │ Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été       │
 │ corrigées. D’autres sont notées dans la Note de Transcription en   │
 │ fin de livre.                                                      │
 │                                                                    │
 │ Les mots en italiques sont _soulignés_.                            │
 └────────────────────────────────────────────────────────────────────┘



  L'ILE DU LEVANT

  PAR

  PAUL OTLET


  BRUXELLES
  TYPOGRAPHIE ET LITHOGRAPHIE E. GUYOT
  12, rue Pachéco, 12

  1882


[Illustration: IMPRIMERIE E. GUYOT

Rue Pachéco, 12

BRUXELLES]



L'ILE DU LEVANT



INTRODUCTION


Il y a un an et demi environ mon père m'annonçait qu'il venait
d'acheter de M. Philippart l'Ile du Levant, la dernière de l'Archipel
des îles d'Hyères, situé dans la Méditerranée. On peut juger de mon
enthousiasme et de celui de mon frère en apprenant cette nouvelle.
Une île en pleine mer! aller en bateau! Etre Robinson! Mener une
véritable vie d'insulaire. Que de projets on formait déjà, quel rêve
que d'habiter une île! Avec quelle impatience nous attendions les
vacances! comme nous comptions les jours qui nous en séparaient encore!

Enfin ce jour heureux arriva. Comme la pendule marchait lentement ce
jour-là! Bref, le train exprès de 7 heures 20 du soir nous emporte
avec la rapidité de l'éclair vers ces régions bénies du ciel, vers ce
paradis terrestre. A 10 heures du matin nous étions à Marseille, et à
midi un quart nous débarquions à Toulon. Après avoir mangé un morceau
au _Café du Commerce_ sur le port, nous nous embarquons dans le yacht
la _Nora Creina_. C'est un splendide vapeur à hélice, comportant 7
hommes d'équipage, filant ses 9 nœuds à l'heure et tenant la mer comme
pas un. La _Nora Creina_ a 27 mètres de longueur sur 5 de large. Elle
est divisée comme suit:

Cabine du capitaine et du second.

Grand salon, office, et une cabine.

Ensuite viennent la machine et la chaufferie.

3 cabines, la cuisine et enfin le poste de l'équipage.

La _Nora_ jauge 38 tonnes et a une machine de la force de 70 chevaux.
Elle cale 1 mètre 80 à l'avant et 2 mètres 30 à l'arrière. Aussitôt
montés à bord, quatre hommes s'empressèrent de déraper l'ancre. Cinq
minutes après nous étions en route pour l'île du Levant. En passant
devant le vaisseau amiral, le capitaine fît saluer trois fois selon
l'usage, et notre salut nous fut aussitôt rendu.

Nous dépassâmes bientôt la Seyne, l'hôpital de St Mandrier, le
Mourillon et arrivés à la presqu'ile de Giens nous distinguons déjà
très bien les trois îles. Nous avions une mer d'huile sur laquelle se
reflétait le ciel bleu. J'en étais enthousiasmé. Il n'y avait pas 20
heures que nous étions encore à Paris, sous un ciel gris, pataugeant
dans la boue et enveloppé dans nos grosses pelisses.

Ah, pensais-je, comment ce peut-t-il qu'il y ait des gens assez sots
pour rester tout l'hiver à Paris enfermés dans leur appartement, sous
un ciel brumeux, au lieu de venir passer l'hiver dans le Midi.

Nous passons rapidement devant Porquerolles, les Mèdes Bogoud et
Port-Cros. Enfin après 3 heures 1/2 d'une traversée magnifique nous
nous amarions à la bouée placée dans la charmante petite baie de
l'Avis. La yole nous conduisit aussitôt à terre.

Toute la famille Guillon était réunie sur la plage nous attendant et
avertie de notre arrivée par les coups de sifflets répétés de la _Nora
Creina_. Après les saluts d'usage on nous conduisit par un chemin
tortueux et montagneux au sommet d'une colline sur laquelle se trouve
le château. On nous montra nos chambres situées au premier et ayant
vue splendide sur la mer et sur le continent. Aussitôt descendus au
jardin on nous mena sur une grande terrasse devant le château. Ce
qui me frappa singulièrement c'était de voir une si grande quantité
d'agaves venant ici à l'état sauvage, des palmiers et des orangers
plantés en pleine terre.

De cette terrasse on aperçoit devant soi le continent, à gauche et à
droite s'étend l'île.

Quelle est l'étendue de l'île, demandais-je à mon oncle Fernand?

—Sa superficie est de 1,400 hectares me répondit-il: Sa longueur
de l'est à l'ouest est de 8 kilomètres, tandis qu'elle n'a qu'un
kilomètre et demi de largeur moyenne.

La pointe que vous avez devant vous sur le continent, représente le
cap Bénat, à droite est le mouillage du Lavandon, distant de l'île de
14 kilomètres. Ce petit village que l'on aperçoit sur la hauteur est
le village de Bormes dont dépend le Lavandon: en regardant à droite
vous verrez la baie de Cavalaire, plus loin la pointe Camarat derrière
laquelle se trouvent St-Raphaël, Cannes, Nice, Monaco, etc. Quant au
côté gauche, le rocher que vous voyez près de Bénat est le fort de
Brégançon. Puis les Salins d'Hyères, autre mouillage ayant un chemin
de fer, et qui n'est distant de l'Ile du Levant que de 23 kilomètres.
Au dessus est la ville d'Hyères, renommée pour la douceur de son
climat.

En ce moment, mon attention fut attirée par le soleil qui se couchait.
Jamais je n'avais vu spectacle pareil. L'horizon semblait tout en
feu; le soleil se confondait avec la mer, ce qui lui donnait des
proportions gigantesques. La cloche du dîner nous réunit tous dans la
salle à manger.

Après le repas nous causâmes encore quelque temps, après quoi nous
prîmes congé de la famille pour nous retirer dans nos chambres
respectives. Je m'endormis profondément après les événements de la
journée, trop profondément peut-être car je ne m'éveillai qu'à huit
heures tandis que tout le monde était déjà levé depuis deux heures.

On ne fit pas d'excursion ce jour-là, car tous nous étions encore
fatigués de notre voyage. Voilà les renseignements que je pus obtenir
pendant la conversation.

L'île du Levant est moins haute que les autres îles, point culminant
129 mètres quoique plus accidentée; elle est très peu boisée, car nos
prédécesseurs ont mis le feu aux forêts et ce que l'incendie avait
épargné, ils l'ont coupé.

Le sol est généralement composé de mica-schiste très-friable. En
certains endroits, l'on rencontre des rognons de granit bleu.

On trouve aussi des grenats, de la tourmaline, sorte de pierre
cristallisée appartenant à la famille des silicates qui, étant
échauffée, devient électrique et attire la poussière de charbon, les
cendres et autres corps légers, du titaniate de fer et de l'amiante,
substance minérale filamenteuse que l'on nomme aussi _asbeste_ et dont
on fait de la toile, du papier, des mèches incombustibles. Elle est
formée principalement de silice, de magnésie, d'un peu d'alumine et de
chaux.

Les anciens brûlaient dans une toile d'amiante les corps des grands,
pour conserver leurs cendres pures et séparées de celles du bûcher.

Cette matière alors très rare, et d'un prix excessif, est aujourd'hui
fort commune. On en trouve dans toute l'Europe mais surtout en Italie,
en Corse et en Savoie.

L'île entière est couverte de maquis, en certains endroits
impénétrables; ces maquis sont composés de magnifiques arbousiers,
atteignent 10 mètres de hauteur, de bruyères en arbres, lentisques,
romarins, lavandes, cistes connus dans le pays sous le nom de
_mesugues_, euphorbes. Le pin maritime, le pin d'Alep et le pin
parasol y croissent très bien.

On trouve en grande quantité la plante dont on extrait l'éther végétal
et qu'on nomme vulgairement «l'herbe à chat».

La journée du lendemain fut consacrée à la visite de la Colonie.

La baie du Grand-Avis étant le principal mouillage du côté nord de
l'île, c'est là que s'est fondée la _Colonie_. Lorsque l'on voit de
loin tous ces grands bâtiments et toutes ces maisons éclairées par les
rayons du soleil et sous un ciel toujours bleu, on croirait vraiment
voir un petit village d'Afrique.

En réalité, c'est une agglomération acquérant une certaine importance
par son immense pénitencier pouvant contenir jusqu'à 300 jeunes
détenus. De loin, le pénitencier a plutôt l'air d'une caserne que
d'une prison. Nous y montons par un escalier et nous débouchons sur
une grande place appelée _Place d'Armes_. C'est là que tous les
premiers dimanches du mois le directeur passait militairement la revue
des pénitenciers.

Les gardiens étaient en grande tenue, sabre au côté.

Les détenus avaient leur temps partagé en travail des mains et en
celui de l'esprit. Ils travaillaient dans les champs, à la vigne, et
on leur inculquait les premières notions d'orthographe et de calcul.

Le pénitencier se compose de trois immenses dortoirs, un réfectoire,
une grande école, une cinquantaine de cachots et de cellules,
ateliers, de tailleurs, cordonniers, lingerie, vestiaire, etc.

Une très grande chapelle de quatre autels est annexée au pénitencier,
d'un côté et, de l'autre, se trouve la ferme et les étables.

Rien ne manque à cette ferme; chevaux, mulets, vaches, bœufs, moutons,
porcs, poulets, canards, oies, paons, pintades, dindons, tout y est.

Éloigné du continent et, par conséquent, de toutes les ressources
qu'il offre, on est obligé de parer à toutes les éventualités.

Mon oncle Fernand nous conduisit voir la forge, de grands bâtiments
dans lesquels étaient installés des ateliers de menuiserie. En voyant
de grandes roues et des courroies, je ne pus m'empêcher de lui
demander à quoi cela pouvait servir.

—Dans le temps, me dit-il, une fabrique de pipes de bruyère était
installée ici et chacune de ces roues faisaient marcher un tour. Ces
roues marchent au moyen d'une machine à vapeur que nous allons voir.

Nous descendîmes dans la cave, où, en effet, se trouvaient une machine
et des chaudières.

—Cette machine sert aussi au moulin à vapeur et à la distillerie; elle
devait encore servir pour le chemin de fer funiculaire qui devait être
installé entre la mer et la Colonie. D'ailleurs, cette plateforme que
vous voyez là a été faite pour cela.

Et il nous montrait un chemin ayant une pente d'au moins 20 degrés.

En continuant, nous visitâmes successivement la distillerie, l'atelier
des tonneliers, la buanderie. Nous arrivâmes enfin au magasin.

—Ceci vous représente, dit mon oncle Fernand, le magasin de vivres.
Tous les matins, de 8 heures à 8 heures et demie, les ouvriers
viennent chercher ici ce dont ils ont besoin pour la journée. Comme
il serait trop difficile et trop coûteux pour eux de faire venir
leurs vivres de Toulon, nous nous en chargeons en vendant ici tout
ce qu'il leur faut au même prix. Maintenant, il ne nous reste plus à
voir que le jardin légumier. Toutes ces maisons que vous voyez çà et
là sont des maisons d'ouvriers. Il y en a pour loger une cinquantaine
de familles. La maison que vous voyez là-bas est la cantine, celle-ci
est la boulangerie, voilà l'aumônerie et celle-là est la direction
et le greffe où j'ai mon bureau. Au-dessous du pénitencier sont de
grandes caves pour conserver le vin. Il y a là d'immenses foudres
pouvant contenir ensemble jusqu'à 250,000 litres de vin. Mais allons
visiter le jardin. Le jardin légumier a la superficie d'un hectare
environ, clos de murs. Il est pourvu d'un barrage qui retient les eaux
nécessaires pour son irrigation en été.

Je fus tout surpris de voir trois immenses palmiers avec une quantité
de petits poussant très bien en pleine terre. J'appris que l'on
pouvait semer et planter pendant presque toute l'année, qu'on mangeait
des asperges et des pois en janvier, des fraises en novembre, des
fèves de marais en mars, etc., etc.

De là mon oncle Fernand nous conduisit dans son bureau et étendit
devant nous le plan de l'île en nous disant:

»L'île du Levant peut se diviser en 12 parties: Les grottes,
l'Arbousier, le grand Champ, le Château, la Colonie (l'Avis), la
Vierge, la pierre de Fer, la Vallée des Suisses, le Javieu, le
Canier, le Titan et la Charbonnière, au delà se trouvent le Phare
et le Sémaphore. La plupart des vallons sont situés au midi et par
conséquent à l'abri du mistral; ils sont tous propres à la culture. Il
y a deux chevaux de selle à l'écurie, tu monteras Basane et le garde,
un vieux grognard, qui a parcouru l'île en tous sens, t'accompagnera,
monté sur ma jument Aïda.—Vous visiterez ainsi toute l'île sans vous
fatiguer.

Après le déjeûner une partie de chasse fut décidée.

—Que rencontre-t-on à la chasse? demandais-je.

—Nous repeuplons en ce moment la chasse de l'île en y mettant des
perdreaux et des faisans qui s'acclimatent très bien et atteignent
même des proportions extraordinaires. Le lapin y pullule et j'estime
qu'il y en a en moyenne 10 par hectare, ce qui est énorme. C'est une
mauvaise engeance pour l'île car ils grignotent et rasent tout.—On
est obligé de les tuer car ils se multiplient avec une rapidité
effrayante. Chaque femelle fait 3 à 4 petits par trimestre.

Quant au gibier de passage on peut citer les sarcèles, les vanneaux,
les cailles, les bécasses et les bécassines qui s'y arrêtent au
printemps et à l'automne surtout au printemps à leur retour d'Afrique.
Ils tombent alors sur l'île comme des masses inertes et on les tue
assez facilement.

Le lièvre ne peut pas y tenir à cause du trop grand nombre de lapins.
Quoique de la même famille, ces deux bêtes ne peuvent se souffrir, et
comme les lapins seront toujours en plus grand nombre dans l’île, le
lièvre n'y pourra jamais vivre. Ces détails donnés, nous nous mîmes
en route. Il faisait une chaleur accablante. On se dirigea du côté
de l'ouest avec l'intention de nous montrer le fort des Arbousiers.
La chasse étant ouverte toute l'année, puisqu'il n'y a d'autres
propriétaires que nous et que nous sommes clos par la mer, on s'y
adonne à cœur joie.

Mais quelle chasse fatigante, toujours monter et descendre, marcher
en pleine broussaille, se poster pendant des demi-heures entières sur
un rocher sans bouger et ne pas faire de bruit, attendre qu'un lapin
poursuivi à fond de train par les chiens vienne à passer dans la
clairière. C'est là qu'il faut être habile! Il n'y a pas une seconde à
perdre pour tirer. Mais avant d'avoir eu le temps d'épauler, le lapin
est déjà à 10 mètres de vous.

Après une pareille chasse, qui souvent dure de 1 heure de l'après-midi
à 6 heures du soir, soit 5 heures, je puis vous affirmer que l'on
n'est pas fâché d'aller se coucher.

Le lendemain était jour de courrier; tout le monde reste au château.
On ne va pas à la chasse tant grand le désir est de savoir les
nouvelles qu'apporte la poste.

A 8 heures ou à 9 heures suivant le vent, le _Titan_, beau bateau de 8
mètres, avec voile latine, et monté par 2 bateliers très expérimentés
part pour Port-Cros avec les lettres.

A Port-Cros, l'île voisine, un vapeur fait 3 fois par semaine le
service des îles.

Le _Titan_ lui remet ses plis, embarque les marchandises pour l'île
du Levant, prend les lettres et revient aussitôt après. Il arrive
ordinairement entre 1 et 2 heures.

A chaque instant on va voir s'il est encore loin, on va, on vient, on
descend à la mer et enfin, lorsque le pli est ouvert, la distribution
faite et qu'il n'y à rien pour soi, on s'en retourne en maugréant et
en pestant contre cette maudite lettre qui n'est pas encore arrivée.

Une partie de pêche fut décidée pour le lendemain, car il n'y avait
pas courrier.

Le matin dès 7 heures nous descendions à la plonge, mais tout à coup
je vis un serpent qui fuyait devant moi. Je jetais un cri d'horreur en
m'éloignant.

Je demandais à mon oncle Fernand s'il y avait beaucoup de serpents
dans l'île.

—Ce ne sont que des couleuvres inoffensives, me répondit-il. On en
trouve en grande quantité dans la broussaille et dans les pierres. Il
y en a qui atteignent jusqu'à 1 mètre 50 de longueur et la grosseur du
bras.

Il faut particulièrement vous méfier des scorpions lorsque vous remuez
des pierres, car la piqûre du scorpion est vénéneuse de même que celle
des lézards des pierres.

Nous montâmes dans une barque de 21 pieds appelée la _Ste Anne_. Les
marins avaient dragué la nuit pour prendre des chevrettes (crevettes)
afin d'amorcer le palangue. Mais il faut d'abord que je vous explique
ce que l'on veut dire par ce mot. Le palangue est une longue ligne à
laquelle sont attachées de 2 mètres en 2 mètres des petites ficelles
ayant à leur extrémité un hameçon. Il y avait à ce palangue à peu près
200 hameçons. Le palangue étant amorcé, on le jette au fond de l'eau
dans les rochers au moyen d'une pierre et l'on attache ses deux bouts
à deux morceaux de liège.

Une heure après, on vient le relever. Les eaux de l'île sont très
poissonneuses, car le fond est entièrement composé de roches et
d'herbes marines dans lesquelles le poisson se plait beaucoup.

Un des bateliers releva donc le palangue et nous fîmes une assez belle
pêche, car nous prîmes des pageots, poisson rougeâtre à chair ferme,
des rougets, des tourdereaux, gros poissons verts, et enfin, des
sarans, etc.

On pêche aussi avec la ligne appelée _boulantin_, qui consiste en une
corde ayant 3 hameçons. On pêche enfin à la canne sur les rochers.

Les îles d'Hyères, et entr'autre l'île du Levant, ont une certaine
renommée pour l'abondance de leurs langoustes. Chaque année, au
printemps et en été, des pêcheurs génois et napolitains s'établissent
sur les îles et s'adonnent à cette pêche.

Les langoustes se prennent à l'aide de paniers dans lesquels on
introduit des morceaux de poissons comme appât. La langouste peut bien
entrer dans le panier, mais une fois qu'elle y est, elle ne peut plus
en sortir.

Le lendemain vers 8 heures je partis à cheval avec le garde pour faire
une excursion dans l'intérieur de l'île.

Il y a un grand chemin carrossable qui traverse toute l'île. Outre ce
chemin il y en a une multitude d'autres plus petits, tels que chemins
de traverse, sentiers de chasse, etc.

Après avoir passé les murs d'enceinte, le cimetière et la _Vierge
noire_, nous laissons à droite la vallée des Suisses et nous arrivons
au Javieu. A notre droite s'étend la mer à perte de vue. Le Javieu,
composé de deux vallons, les mieux abrités de l'île, est entièrement
défriché et défoncé à 60 centimètres; deux maisons y sont élevées.

Sur la colline du Javieu sont les ruines d'un ancien couvent de
bénédictins. Nous remontons un peu et nous nous trouvons à l'ombre
d'une forêt de pins et d'arbousiers, puis nous débouchons dans un
vallon appelé, me dit le garde, le Canier. Les ruines d'une vieille
ferme s'y élèvent. Toute cette partie de l'île est très giboyeuse,
car, étant très éloignée de l'Avis, on n'y chasse pas souvent.

Nous trottons encore pendant quelques temps et nous arrivons au Titan.

Le vallon du Titan a un kilomètre de longueur et possède la meilleure
terre de toute l'île. Une magnifique ferme avec annexes y est
bâtie, la mer vient presqu'au pied des habitations. Arrivés là nous
descendons de cheval, nous mangeons quelques figues et buvons à une
source excellente. Nous attachons nos bêtes à un arbre et le garde
me conduit voir les ruines de la tour du Titan. Cette tour avait
été construite comme poste d'observation contre les pirates. Nous
remontons en selle et nous voilà partis pour le Sémaphore qui fait un
service public de dépêches. Le Sémaphore est occupé par la famille
Dupont qui habite l'île depuis 18 ans. Je descends de cheval et M.
Dupont, chef guetteur, m'offre des rafraîchissements, après quoi il
se met en devoir de me faire visiter le Sémaphore. Dans la salle du
télégraphe je trouve un tableau indiquant la moyenne des jours de
pluie à l'île, que je m'empresse de reproduire ici. Notez bien que
ce n'est pas le nombre de jours de pluie mais bien le nombre de fois
qu'il a plu.

        1880
  Janvier        7
  Février        3
  Mars           2
  Avril.         4
  Mai            5
  Juin           2
  Juillet        pas
  Août           ”
  Octobre        3
  Novembre       8
  Décembre       1
             ------
  Total         36

        1881
  Janvier       9
  Février       3
  Mars          2
  Avril         1
  Mai           pas
  Juin          ”
  Juillet       “
  Août          1
  Septembre     4
  Octobre       4
  Novembre      6
  Décembre      12
             ------
                42

Après avoir pris congé de M. Dupont et sa famille nous prîmes un
sentier qui nous conduisit au phare. La famille Castel nous reçut
aussi bien qu'au Sémaphore.

Le phare de l'île du Levant est un phare de 3e ordre ayant une portée
de 22 kilomètres.

Nous nous remîmes gaiement au petit trop et l'on sonnait tout juste le
déjeûner lorsque nous rentrâmes au château.

       *       *       *       *       *

Ces plaisirs variés se renouvelaient pendant nos trop courtes vacances
et nous nous amusâmes autant que nous pûmes le faire. Mais il fallut
un jour se quitter.

Au dîner d'adieux on se fit mille promesses de se revoir bientôt et au
dessert mon oncle Fernand chanta les quelques couplets humoristiques
qu'il avait composés à notre intention sur l'Ile du Levant en souvenir
de notre trop court séjour.

Voici ces quelques couplets sans prétention:


L'ILE DU LEVANT.


I.

    La belle île du Levant
    Est près du continent,
    Les flots ne sont pas traîtres
    Sur ces treiz' kilomètres.

           *       *       *       *       *

    C'pendant ceux qui ont peur
    N'ont qu'à prend' le vapeur.


II.

    Sur l'île du Levant
    Tout pousse à l'avenant.
    Mais, chos' des plus étranges
    Nous n'avons pas d'oranges.

           *       *       *       *       *

    C'pendant pour en goûter
    Nous pouvons en ach'ter.


III.

    Sur l'île du Levant
    Comme sur le continent,
    Aidé par la nature,
    On fait de l'agriculture.

           *       *       *       *       *

    C'pendant il pleut trop peu
    Sous notre beau ciel bleu.


IV.

    Dans l'île du Levant,
    Il n'y a pas longtemps
    L'influence maligne
    N'atteignait pas la vigne;

           *       *       *       *       *

    Maint'nant l' Phylloxéra
    Se conduit comme un rat.


V.

    Dans l’île du Levant,
    Ile d'or du vieux temps,
    On trouve des richesses
    Des mines de tout' espèces.

           *       *       *       *       *

    C'pendant y a plus d' cailloux
    Que de pierres à bijoux.


VI.

    La belle île du Levant
    A l'arche ressemblant
    Contient, chose bizarre,
    Des animaux peu rares;

           *       *       *       *       *

    C'pendant Noé malin
    Y mit trop de lapins.


VII.

    Sur l'île du Levant
    Vécur' probablement
    Adam le premier homme,
    Madame Eve et sa pomme.

           *       *       *       *       *

    Maint'nant y a plus d' serpents
    Que d'épouses d'Adam.


VIII.

    A l'île du Levant
    Le climat est charmant,
    On n' connait pas la neige
    Comme dans la froid' Norwège.

           *       *       *       *       *

        C'pendant Monsieur le Vent
      Est parfois trop violent.


IX.

    Sur l'île du Levant
    On vit bien sans argent,
    On n'entend plus sans cesse:
    Apporte-moi des espèces.

           *       *       *       *       *

    C'pendant vers le premier
    A Toulon faut payer.


X.

    Près de l'île du Levant
    On pêche facilement
    Langoust', poissons par mille
    Qu'on nomme rougets de l'île;

           *       *       *       *       *

    Mais ils n' sont pas parents
    Du poète puissant.


XI.

    Dans l'île du Levant
    On mang' comme chez Brébant.
    L'on a s'maine et dimanche
    Du lapin sur la planche.

           *       *       *       *       *

    C'pendant not' cordon bleu,
    Devrait varier un peu.


FINALE.

    La belle île du Levant
    Vous est connue maint'nant.
    Voyez l' propriétaire,
    Demandez-lui des terres.

           *       *       *       *       *

    Si vous n'êt' pas grincheux,
    Vous y s'rez très heureux.


VARIANTE.

    Mais ceux qui sont grincheux
    F'ront mieux d' rester chez eux.

Les vacances étaient finies! Le lendemain nous repartions pour Paris
où nous retrouvâmes le ciel brumeux que nous avions quitté il y avait
à peine quinze jours.



CHAPITRE I.


De retour de ce petit voyage je tâchai de trouver partout des
renseignements sur le passé de l'île du Levant.—Voici le résumé de mes
résultats:

«La rangée des _îles d'Hyères_[1], dit Adolphe Joanne dans son guide
d'Hyères, est composée de trois îles principales et de quelques
îlots[2]. Ce sont les anciennes Stœcades des Grecs. A l'époque de
la Renaissance, on désignait l'archipel par le nom poétique d'_Îles
d'or_, très probablement parce que sous l'influence des études
classiques et par une allusion instinctive au groupe des terres
Fortunées, on plaçait dans les îles d'Hyères les orangers qui
entouraient la ville. C'est d'ailleurs là une idée qui n'a pas encore
été dissipée complètement souvent on attribue par erreur le climat
et les productions de la campagne d'Hyères à cet archipel exposé à
toutes les fureurs du mistral. Elles sont très faiblement peuplées,
bien qu'elles possèdent d'excellents ports, des vallons fertiles, des
emplacements favorables à l'établissement d'usines diverses; elles
sont rarement visitées, en dépit de leurs sites charmants.

»L'île de _Porquerolles_« la plus connue et la plus peuplée des trois
grandes îles, tire son nom des sangliers qui peuplaient autrefois ses
forêts. C'est l'ancienne _Porté_ (première). Elle a 8 kil. de longueur
sur 2 kil. de largeur et compte environ 300 habitants. Porquerolles
est presque entièrement couvert de bois de pins et de chênes, et
n'offre guère de clairières que sur le versant septentrional de l'île.
Les maisons du hameau principal (hôtel restaurant du Progrès) sont
groupées au pied de la citadelle, sur les pentes d'un monticule qui
domine une petite crique semi-circulaire exposée au vent du nord. Le
phare, dont le feu fixe à éclat brille jusqu'à 36 kil., est situé
sur une autre colline (83 mètres) presque directement au sud. Les
constructions de la fabrique de soude, où travaillent plus d'une
centaine d'ouvriers, occupent un charmant vallon près de la pointe
occidentale de l'île[3].

»L'île de _Port-Cros_ (Port creux), l'antique _Mezé_ (île du milieu)
est située exactement en face du cap Bénat; sa longueur est de 4
kil., sa longueur de 2 kil. 1/2. C'est la plus sauvage des trois îles
de l'archipel. La colline du vieux sémaphore qui porte une vigie
fortifiée, s'élève à 197 mètres. La population ne dépasse pas 20 à 25
habitants. Il s'y trouve aussi à l'est une fabrique de soude.[4] Le
gibier abonde à Port-Cros ainsi que dans l'îlot de Bagaud, à l'Ouest,
que l'on a récemment fortifié.

»L'île du _Levant_ ou du _Titan_, appelée aussi _Cabaros_ dans les
anciens titres, est l'antique Hypœa (inférieure) des Grecs. Ses
dimensions sont à peu près les mêmes que celles de Porquerolles. Les
collines dont la plus haute, les Pierres Blanches, s'élève à 129
mètres, sont presque entièrement couvertes de bois. Une colonie de
plus de 100 jeunes détenus y a été fondée. A l'extrémité orientale
de l'île se trouvent un phare à feu fixe de troisième ordre, d'une
portée de 27 kil., et les restes de l'ancienne _tour du Titan_. L'île
du Levant est la plus remarquable de l'Archipel par ses curiosités
minéralogiques: grenats, tourmaline, asbeste, etc.»

Nous citerons maintenant quelques passages tirés du remarquable
ouvrage d'Amédée Aufauvre, intitulé Hyères et sa Vallée, édité chez
Hachette, et dans lequel il parle de l'île du Levant en ces termes:

«Son nom indique sa situation. Autrefois cette île portait le nom de
la tour antique dont les vestiges gardent encore le nom primitif de
Tour du Titan. Sa longueur est de 8 kilomètres sur une largeur moyenne
de 1 kilomètre et demi.

»L'île du Levant dispute à Porquerolles l'honneur d'avoir servi de
retraite à Théodore, évêque de Fréjus, après avoir été moine dans le
couvent de Saint-Honorat de Lérins. C'est aussi dans l'île du Levant
que se réfugia le _Monge_ des îles d'Or.

Quoique la plus grande, quoique son sol soit moins accidenté que celui
de ses voisines, l'île du Levant possède encore moins d'habitants que
Port-Cros bordée d'écueils, moins fertile que Porquerolles. Cette île
est celle qui présente le plus d'intérêt au point de vue zoologique et
végétal.

»Elle fut celle sur laquelle les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem
paraissent avoir eu des projets d'établissement.

»Entre l'île du Levant et Port-Cros il n'y a pas plus de 3
kilomètres[5], mais de la plage d'Hyerès la distance est évaluée à 25
kilomètres.[6]

»A l'île du Levant on trouve à peu près tous les sols et toutes
les végétations particulières à l'Archipel, les oiseaux et les
quadrupèdes n'offrent pas beaucoup de variantes. Mais, ce qui donne
un intérêt particulier à ce territoire, c'est la présence des
roches granatifères, de l'andalousite, de toutes les variétés de la
tourmaline, gisements d'amiante, de titaniate de fer etc., et surtout
la collection complète de la flore particulière au climat de la
contrée.»

Nous trouvons encore à l'île du Levant les ruines d'un ancien château
maure, construit pendant l'occupation des montagnes de Provence de
889 à 975 par les Maures. Donc le _Castellas_ remonte au moins au Xe
siècle. Ce château est bâti sur la crête d'un rocher escarpé, situé
à peu près au milieu de l'île du côté nord. On y trouve encore des
oubliettes.

Les Bénédictins occupèrent l'île du Levant au XVe siècle et en
défrichèrent une grande partie.

Au vallon du Javieu on voit encore leur couvent en ruines.

On retrouve près de la tour du Titan une aire construite par eux pour
battre le blé.

Sous Louis XIV, les îles d'Hyères furent érigées en marquisat des îles
d'or.

En 1835, l'Etat vendit les trois îles à un particulier qui, lui les
revendit séparément.

M. le comte de Pourtalès acheta plus tard l'île du Levant, et obtint
l'autorisation d'y installer un pénitencier de jeunes détenus, y
planta 65 hectares de vignes et construisit énormément. Ce fut lui qui
fit de l'île du Levant une véritable colonie. A sa mort en 1878, l'île
fut mise en vente et M. Philippart l'acheta avec l'intention d'y faire
des primeurs et de la vigne.

Nous ne pouvons mieux faire ici, que de citer quelques passages d'un
article que l'honorable M. Nardy, horticulteur à Hyères, inséra, en
1878, dans les colonnes du _Littoral méditerranéen_.

»Au sud-est de l'immense rade d'Hyères surgit l'île du Levant, la plus
étendue de quatre formant le groupe des îles d'Hyères.

»Sa surface est de 1,300 hectares environ. De l'est à l'ouest dans sa
traversée qui est de beaucoup la plus longue, une crête partage l'île
en deux versants nord et sud. Ce dernier est heureusement plus étendu
que l'autre. Des vallonnements en pentes douces presque partout,
accidentent les versants. Quelques-uns de ces vallonnements courent
d'un versant à l'autre. L'âme de l'île est généralement le schiste
tendre et et friable comme il en est pour les côteaux du continent
voisin.

»Partout, même au haut des côtes, ce schiste est recouvert d'une
bonne couche de terre. Cette couche est très profonde au fond des
vallonnements où les siècles ont accummulé l'humus. Sur une grande
partie du sud-est de l'île, la terre des pentes et des fonds est
heureusement mêlée d'argile, ce qui la rend plus consistante et plus
favorable encore à la végétation. Celle-ci au reste est partout belle.

»L'île du Levant est depuis peu passée des mains de M. le comte de
Pourtalès en celles de M. Philippart.

»Sous la possession de M. le comte de Pourtalès, une colonie
pénitentiaire de jeunes garçons existait à l'île du Levant. Loin du
contact des habitants du continent, cette colonie n'en était pas
moins paraît-il, le repaire du vice croissant avec l'âge. Elle eut,
il y a quelques années, une révolte sinistre. C'est que, soit dit en
passant, quoique ses jeunes habitants fussent quelque peu occupés aux
travaux des champs, travaux des plus moralisateurs pour les jeunes
êtres dévoyés, ces êtres mal guidés, subissaient de plus une direction
arbitraire, sans fermeté, l'opposée de celle qui, inspirée des
sentiments élevés et généreux du père de famille, fait de l'enfant un
homme et non un forçat de l'avenir.

»Il n'y a plus de colonie pénitentiaire à l'île du Levant.

»Nous y venions en promeneurs: nous avions ouï dire que le nouveau
propriétaire comptait faire sur ce vaste domaine d'importantes
cultures de primeurs. Il faut l'avouer, nous avions les oreilles
quelque peu pleines de récits sur l'aridité de l'île, sur le peu
d'abris qu'elle présenterait, etc. Nous nous étions dit toutefois:
A l'île du Levant comme partout ailleurs, un bon cultivateur saura
trouver bonnes les terres. Aujourd'hui, après avoir vu, nous disons:

»La végétation indigène, pins d'Alep, arbousiers très forts bruyères
en arbre, lentisques, chênes-verts, cistes etc., qui luxuriante,
couvre partout le sol, prouve la bonté de celui-ci. Les quarante à
cinquante hectares de vignes plantées par M. de Pourtalès ont jadis,
quoique insuffisamment soignées et fumées, émis une vigoureuse
végétation. Aujourd'hui le phylloxera les a partout envahies, et si
elles ne sont mortes encore, nous ne croyons pas cependant qu'elles se
rétablissent.

»L'honorable directeur de la colonie agricole commencée à l'île du
Levant par le nouveau propriétaire, a bien voulu nous accompagner dans
notre excursion à travers l'île. L'excursion est longue, mais elle est
intéressante; aussi, malgré une chaleur tropicale, la mer, très calme,
nous envoyait à peine une bien légère brise, le charme éprouvé par les
yeux empêchait de songer à la fatigue. Le terrain se prépare déjà à la
culture au fond de nombreux vallons sur le versant sud. Les uns sont
inclinés aux sud-est et les autres au sud-ouest mais tous sont dominés
par des crêtes boisées abritant des vents du nord-ouest et de l'est,
seuls violents et nuisibles dans l'île. Chaque vallon possède de
l'eau de source, et les travailleurs qui préparent le sol à diverses
cultures n'oublient point de préparer en même temps la captation et
l'emmagasinage des eaux qui servent déjà à l'homme et qui arroseront
plus tard les cultures.

»Les vallonnements des versants, de celui du sud surtout, qui, nous
le répétons, est heureusement bien plus étendu en surface que le
versant nord, se prêtent admirablement aussi à la création de barrages
élevés, d'où l'eau, emmagasinée en hiver, pourra fertiliser, en été,
de bien intéressantes cultures sur de considérables surfaces. Nous ne
croyons pas exagérer en disant que l'eau des sources et celles des
barrages qui peuvent être successivement établis, viendraient, étant
intelligemment distribuée, à arroser au moins 150 hectares. Combien
une telle surface, sous un tel ciel, ne produirait-elle de beaux et
d'intéressants produits primeurs, plus précoces encore que ceux des
côtes si privilégiées pourtant du continent voisin! Nous disons plus
précoces, et cela nous semble pouvoir être affirmé. Sur la côte, les
vents du nord, et aussi les courants venant des contreforts des Alpes
ou des cimes neigeuses de l'Esterel, amènent parfois en hiver, des
refroidissements nuisibles à la végétation. À l'île du Levant, comme
il en est au reste aux autres îles de la côte, ces refroidissements
sont moins sensibles. L'eau qui entoure le sol de toutes parts d'un
élément à température uniforme, empêche ou modifie très heureusement
dans toutes les îles, les brusques passages de la chaleur au froid,
passages venant du continent, et que nous subissons. Du reste, des
cultures de primeurs commencées depuis quelques années à l'île de
Porquerolles, voisine de l'île du Levant, nous montrent une précocité
avantageuse sur celle obtenue sur nos côtes. Nous parlerons un jour
aussi de l'île de Porquerolles, non moins intéressante que celle du
Levant.

»Les cultures arrosées de l'île du Levant devront être toutes
complantées d'arbres fruitiers, des espèces abricotier, cerisier et
pêcher, en se bornant bien entendu et à peu près exclusivement aux
variétés précoces. Le produit de ces plantations sera assurément très
rémunérateur. Sous les arbres viendront bien les cultures de petits
pois et de pommes de terre, cultures rarement arrosées, et celles
du haricot de printemps et d'automne, qu'il faut toujours arroser.
Partie de ces terres arrosées pourra aussi, mais sans autres cultures
sur le sol, dès que les arbres commenceront à produire, être couverte
de plantations d'orangers et surtout de citronniers. Les produits
assurément vaudront ceux de l'Italie et de l'Espagne.

»Les plateaux et les sols pentifs de l'Ile du Levant sont tous très
propices à la culture de la vigne. Il y a un certain nombre d'années,
alors que l'île appartenait à M. le comte de Pourtalès, des vignes à
vin furent plantées au nord-ouest et à peu de distance de la colonie
pénitentiaire et d'exploitation; cette partie de l'île n'est pas la
mieux abritée et d'autre part le sol particulièrement schisteux n'a
point été profondément défoncé. Cependant nous avons vu une bonne
partie de ces vignes montrer encore des preuves d'une végétation
jadis belle; malheureusement le phylloxera, cet infiniment petit qui
se moque si bien des prohibitions émanées du cerveau des savants de
cabinet, a pénétré dans l'Ile du Levant et toutes les vignes sont
envahies. Le sulfure de carbone, la panacée officielle qui devait
anéantir à jamais le nouvel ennemi de nos vignes a été appelé à l'Ile
du Levant. Là, comme ailleurs il a fait merveille. Il a été appliqué
par des travailleurs, officiels comme lui, délégués, à cet effet,
par la compagnie P. L. M. Armés de leurs instruments connus, ils ont
pendant tout l'hiver dernier et jusqu'en mars et avril, administré le
sulfure de carbone dans toute l'étendue des vignes.

»Le principal résultat obtenu est la suppression de toute récolte;
nous avons pu voir, en promenant longuement dans les vignobles, des
parties étendues où les ceps relativement vigoureux encore portent, à
la base de leurs sarments, les vestiges de formes de raisins; mais, à
l'époque de la floraison et même avant, ces formes ont été annihilées.

»Un autre effet de l'application du sulfure de carbone ne se montre
que trop largement sur les surfaces où le remède a été employé en fin
de saison; là, les ceps les plus malades ont été tués par le remède.
Au moment de l'élan de la végétation, ils ont commencé d'émettre
quelques nouvelles pousses bientôt mortes en roussissant comme si
elles eussent été atteintes par un corrosif. Quand nous les voyions,
courant juillet, quelques-uns de ces ceps montraient toutefois
de naissants et bien chétifs bourgeons. Assurément le volatile
poison commençait à disparaître du sol et les ceps vivants encore
s'empressaient de le constater.

»M. le Directeur de l'Ile du Levant avait eu soin de donner aux
vignes sulfurées la distribution d'engrais religieusement recommandée
au reste par les hauts et savants patrons du sulfure. Comptant sur
la richesse apportée au sol par cette distribution, le directeur a
essayé, ça et là, dans les parties où les ceps sont, entre lignes,
largement espacés, des semis de pommes de terre, petits pois et
haricots. Partout ils ont germé, mais, malgré les bienfaisantes pluies
exceptionnellement prolongées, cette année, dans nos régions, c'est
à peine si quelques-uns ont continué leur végétation. Là encore le
sulfure a fait merveille.

»Jamais il ne nous avait été donné de rencontrer une constatation
aussi irréfutable des dangers de l'emploi de cet insecticide qui,
ainsi que d'autres que nous avons connus, réduit l'insecte à la famine
en détruisant la plante qui le nourrit.

»Jusqu'à quand demanderons-nous encore ou serons-nous même forcés
de demander la guérison de nos vignes à des insecticides? Les
plus vantés, les plus officiels non plus que les prohibitions
administratives n'empêchent point le phylloxera de continuer ses
ravages et de les étendre chaque année en de nouvelles régions. Bien
plus, comme nous venons de le constater dans les vignobles de l'Ile
du Levant, ainsi que l'ont fait ailleurs des praticiens autorisés,
l'un de ces insecticides, le plus vanté, le plus officiel de tous tue
la vigne plus sûrement que le phylloxera.

»Jusqu'à quand voudra-t-on, sur trop de parties des régions viticoles,
s'obstiner à repousser les vignes américaines qui, elles, nous sont
offertes par la nature comme la base sûre de la reconstitution des
vignobles détruits par le phylloxera.

»Nous voudrions qu'il fut donné aux vignerons, aux bons paysans
de certaines régions viticoles où règne le phylloxera, régions
où l'on impose le sulfure comme remède, tout en interdisant
l'entrée des cépages américains, de voir, dans l'Hérault, dans les
Bouches-du-Rhône, dans le Var et autres départements voisins, des
vignobles splendides reconstitués avec les vignes américaines. Nous
croyons bien que protecteurs des insecticides et prohibiteurs des
cépages américains auraient fort à faire à se justifier ensuite auprès
de ces paysans.

»Dans les départements dont nous parlons, l'insuffisance, nous
dirons presque l'innocuité des insecticides n'est plus contestée par
personne; la résistance, la luxuriante végétation de beaucoup de
cépages américains, la belle production directe de quelques-uns sont
prouvées, depuis plusieurs années, par d'importantes plantations en
pleines régions phylloxerées. Des viticulteurs des plus autorisés,
membres honorables de nos Parlements, remplissent un patriotique
devoir en présentant au gouvernement les cépages américains comme
le moyen à la fois unique et sûr de reconstituer nos vignobles.
Espérons que leur voix qui est celle de la vérité ne tardera plus à
être entendue. Espérons aussi que la Compagnie P. L. M. qui, croyant
jadis à la puissance insecticide du sulfure de carbone, s'est dévouée
à en propager l'emploi, voudra bien, aujourd'hui que l'inefficacité
du sulfure est prouvée, accorder aide à la propagation des cépages
américains. De la largeur et de l'activité de cette propagation dans
les départements méridionaux partout phylloxerés dépend la prompte
et indispensable reconstitution d'une triple source de richesse
pour la France, pour ces départements, et pour les entreprises de
transport. Il faut que les plants de Jacquez et de quelques autres
variétés américaines bien connues de cépages à vin, dits à production
directe, et que ceux d'autres variétés également américaines, précieux
porte-greffes pour nos vignes françaises, puissent non-seulement être
répandues partout où besoin est, mais aussi que leur prix d'achat soit
mis à la portée de toutes les bourses.

»Au gouvernement, aux assemblées départementales, aux associations
diverses, et aux compagnies de transport intéressées incombe la
mission de poursuivre la propagation et l'abaissement des prix des
cépages américains.

»A l'île du Levant, que nous quittons, nous recommandons
particulièrement de planter des cépages américains porte-greffes,
tels que _Taylor_, _riparia_ et quelques autres également rustiques
sur lesquels il faudra greffer le chasselas de Fontainebleau et le
Lignan blanc ou Joanenc charnu pour la production du raisin de primeur
à exporter. Sur les terrains de l'île, sous son climat et à ses
expositions si favorisées, ces vignes de raisins de table donneront un
revenu exceptionnellement rémunérateur.»

       *       *       *       *       *

Plus récemment, l'_Illustration horticole_ publiait la notice suivante
de notre célèbre botaniste J. Linden.


NOTICE SUR L'ILE DU TITAN OU DU LEVANT.

L'île du Titan est la plus orientale et la plus grande des îles
d'Hyères, les _Stœchades_ des anciens. PLINE raconte qu'on y faisait
depuis la plus haute antiquité la pêche du corail, dont les Gaulois
ornaient leurs épées et leurs boucliers. DIOSDORIDE les appelait
_Stichades insulae_ du nom d'une herbe aromatique très abondante dans
ces îles, le _Sticha_, qu'il indique comme étant une espèce de Thym;
probablement le _Lavandula υπο Stœchas_. A la renaissance, les trois
îles principales de Porquerolles, Port-Cros et Titan étaient connues
sous le nom poétique _d'îles d'or_, sans doute à cause de l'éclat que
jettent leurs rochers de mica-schiste. Quelques auteurs modernes leur
ont maintenu cette dénomination.

Avant l'ère chrétienne, ces îles étaient visitées par les Phéniciens
et les Phocéens, qui y formèrent des établissements. Les Romains
s'y installèrent à leur tour. Pendant les premiers siècles du
christianisme, les pieux cénobites de Lérins cherchèrent un refuge à
l'île du Titan.

Les Maures vinrent ensuite s'installer dans cette île, d'où ils
ravagèrent toute la côte provençale. Ils en furent définitivement
chassés sous le règne de FRANÇOIS I. En 1549, HENRI II érigea l'île
du Titan en marquisat, en faveur de CHRISTOPHE, comte de Roquendorf,
baron de Molemburg. NAPOLÉON y fit construire le fort des Arbousiers
aujourd'hui déclassé. Depuis, l'île a appartenu à divers propriétaires
dont un des derniers, le comte DE POURTALÈS y fit exécuter de grands
travaux et y établit un pénitencier et des plantations de vignes d'une
grande étendue. Un seul clos entouré de murs a une contenance de cent
hectares. L'île appartient depuis quelques années à M. ÉDOUARD OTLET,
gendre de l'auteur de cette notice.

L'île du Titan a une superficie d'environ 1,400 hectares, son sol est
montagneux, très élevé dans les parties septentrionales et s'étendant
en pente vers le midi. Dans la partie orientale, on rencontre, sur
les hauteurs, des dépressions de terrain qui se transforment plus bas
en vallons parfaitement abrités et couverts d'une épaisse végétation,
tels sont les vallons du Serpent, du Javieu, du Cagnet et du Titan.
À l'abri du mistral et du vent d'est, qui sévissent avec violence
sur les crêtes de l'île, ces localités jouissent d'une température
semi-tropicale, particulièrement propice à la culture des Palmiers
et autres plantes des régions chaudes du globe. Ce sont ces vallons,
où jamais le thermomètre n'est descendu à zéro, qui ont été choisis
pour y établir les grandes cultures que la Compagnie Continentale
d'Horticulture se propose de créer dans le midi. Au fur et à mesure
que les terrains seront défrichés et défoncés à une certaine
profondeur, ils seront livrés à la culture et de grandes plantations
de Palmiers appartenant aux genres Areca, Brahea, Chamaerops, Cocos,
Kentia, Livistona, Phoenix, etc., y remplaceront la végétation
primitive. Quelques parties particulièrement chaudes seront réservées
pour l'acclimatation de certains arbres fruitiers exotiques et dans
les dépressions des hauteurs s'établiront les grandes cultures de
Rosiers, de Gardenia et autres plantes à fleurs destinées à alimenter
le nord pendant les périodes d'hiver. Les fleurs n'y seront pas
exposées, comme à Cannes et à Nice, aux gelées qui font manquer si
fréquemment leur récolte.

L'île du Levant est aussi remarquable par sa flore que par sa
constitution géologique. Il y a cinq ou six ans, l'île était encore
couverte de forêts de Pins d'Alep (_Pinus halepensis_) et de Pins
pignons (_Pinus pinea_), dérodées en grande partie. Sous la forêt
comme dans les parties découvertes, le sol est couvert de maquis
épais, composés d'Arbousiers gigantesques (_Arbutus Unedo_) ayant
parfois des troncs de 50 centimètres de circonférence et mesurant
jusqu'à 8 mètres de hauteur, de Bruyères arborescentes, _Erica
arborea_, de 3 mètres de hauteur avec des troncs de 25 centimètres de
circonférence, de Myrtes (_Myrtus communis_), de Lentisques (_Pistacia
lentiscus_), de Daphne, de plusieurs espèces de Cistes, etc. Ces
maquis forment des fourrés impénétrables sous lesquels les lapins,
très abondants dans l'île, peuvent circuler à l'aise sans avoir à
redouter l'œil perçant du chasseur. Dans les parties jachères, les
Cistes apparaissent en grand nombre, tandis que dans les endroits
découverts et incultes on rencontre l'_Euphorbia dendroides_, les
_Teucrium marum_ et _massiliense_, le _Lavandula Stœchas_, le
_Coronilla juncea_, les _Genista linifolia_, _candicans_ et _spinosa_,
le _Jasminum humile_, l'_Euphrasia linifolia_, le _Vitex agnus
castus_, le _Thrincia tuberosa_, etc. Dans le sable, sur le bord de la
mer, croissent le _Pancratium maritimum_, l'_Absinthium maritimum_,
et sous les rochers les _Juniperus phœnicea_ et _Sabina_, le _Statice
minuta_, l'_Echinophora spinosa_, quelques espèces d'Euphorbes, etc.

Nous devons à la complaisance de M. le docteur BERNARD, de
Porquerolles, les renseignements minéralogiques et géologiques
suivants:

A l'île du Levant se trouve un véritable lit de roches granatifères.
Dans la partie E. et S., vers le NO. au centre de l'île, partout
le schiste micacé, en se délitant et s'effeuillant aux impressions
atmosphériques, jonche la terre de ses grenats. On peut, d'après M.
DENIS, reconnaître leur cristallisation dodécaèdre ou trapéziforme;
ils sont en général d'un rouge-brun tirant sur le noir, quelquefois
rouges, violacés et d'apparence terreuse, d'autres fois légèrement
vitreux dans certains endroits. Vers l'E., sur le bord de la mer, ils
se trouvent mêlés aux grenats prismatiques. Le mica-schiste, dans
lequel cette substance est empâtée, est contourné ou anguleux et
les cristaux prismatiques du _disthine_, élargis comme d'habitude
sur deux faces opposées, s'allongent d'une manière remarquable, se
recourbent, se redressent, et suivent exactement les mouvements de la
roche sur laquelle ils sont appliqués.

Il existe aussi un gisement d'asbeste ou amianthe, à un endroit appelé
la mine, où l'on ne peut arriver qu'au moyen d'une barque. L'asbeste
se trouve dans les fissures d'une roche magnésienne. Elle affecte
plusieurs formes et plusieurs couleurs, ses fibres sont le plus
souvent d'un blanc d'argent, assez soyeuses, mais dures et compactes.

Un peu au-dessus du gisement d'asbeste, on trouve une actinote de
couleur vert tendre, légèrement nacrée et châtoyante. Cet amphibole
calcaréo-ferrugineux est basillaire, mais non pas à fibres droites;
il s'offre, en outre, sous forme de petites lames assez étroites,
irrégulièrement superposées ou divergentes. C'est, sans contredit, une
des substances les plus remarquables de l'île, après toutefois les
cristallisations des tixanoyides et des titaniates; le titaniate de
fer se trouve dans le mica-schiste, il est solide, noir, métalloïde et
cristallisé en octaèdre.

Les grosses roches, qui font saillie dans les parties centrales
de l'île, sont formés de quartz hyalin, parfois d'une blancheur
éblouissante.

                                        J. LINDEN.

Enfin nous terminerons ce chapitre par quelques notes historiques:

Mela désigne toutes les îles du littoral de Provence sous les noms de
Stœchades, qui signifie en grec rangées. Strabon en compte cinq. «Au
devant de la côte, dit-il, en partant de Marseille, on trouve les îles
Stœcades. Il y en a trois grandes et deux petites. Elles sont habitées
par des cultivateurs marseillais; plus anciennement elles avaient même
une garnison pour les garantir des descentes des pirates, car elles
ne manquent pas de ports.» Et le géographe grec place à la suite
les îles de Lérins, sous les noms de Leron (Sainte-Marguerite) et de
Planasia (Saint-Honorat).

Agathémère place les deux petites Stœcades près de Marseille.

Pline est plus précis: «Les trois Stœcades, dit-il, sont ainsi nommées
par les marseillais qui en sont voisins à cause de l'ordre dans lequel
elles sont rangées. Les noms de chacune d'elle sont: _Prote_, _Mese_
aussi appelée _Pomponiana_; la troisième est _Hypœa_; à partir de ces
îles sont Sturmin, Phœmie et Philœ.» Il mentionne ensuite les îles
Lero et Lerina, qui sont évidemment les îles de Lérins.

Etienne de Bysance en compte aussi trois, les place résolûment
dans la rade de la ville phocéenne et ajoute qu'elles s'appelaient
_Ligustides_, ce qui n'apprend pas grand chose, puisqu'elles étaient
en face de la côte Ligurienne.

Les géographes du moyen âge furent encore plus obscurs et
contradictoires: les uns placent les Stœcades un peu partout sur la
côte de Provence, d'autres à l'estuaire du Rhône où ils la confondent
même avec l'île de la Camargue.

Encore, d'après Pline, les îles de Marseille s'appelaient «petites
Stœcades», tandis que celles d'Hyères étaient nommés «grandes
Stœcades» et portaient des noms qui rappelaient leur position
relative. La première, Porquerolles, en marchant de l'Ouest à l'Est,
s'appelait Prote (προτη, première); la seconde, Port-Cros, était celle
du milieu et s'appelait par suite Mese (μηση, milieu); la troisième,
l'île du Levant ou du Titan, placée après et comme au-dessous des deux
autres, portait le nom d'Hypœa (υπο sous,—île inférieure).

Ce sont des fragments détachés de la chaîne des Maures.

Le nom des Îles d'or qu'on leur donne est tout à fait moderne; on ne
le trouve dans aucun auteur ancien. A défaut de meilleure explication,
on a pensé quelque fois que cette désignation avait été donnée aux
îles d'Hyères à cause de l'éclat métallurgique et doré que jettent au
soleil couchant leurs rochers granitiques à facettes et leur sable
pailleté de mica. Les ruines qu'on y rencontre permettent cependant
de supposer qu'elles étaient peuplées dans les temps anciens. On y a
trouvé en effet un nombre assez recommandable de monnaies romaines et
massaliotes à l'effigie des empereurs Néron, Vespasien, Titus, Nerva
et Trajan; les monnaies grecques sont aux types de Marseille et des
substructions qui paraissent indiquer un établissement d'une certaine
importance.

L'empereur Claude, assailli par une violente tempête, lors de son
voyage dans la Grande-Bretagne, vint y chercher un excellent refuge;
elles furent aussi le théâtre de l'arrestation de Valens, le plus
ambitieux des généraux de Vitellius, qui fut transporté delà à
Urbinum, où Paulin le fît mettre à mort.

Aux premiers siècles du christianisme, les moines de Lérins
établirent une succursale dans les trois îles qui prit un très grand
développement.

Pendant près de cinq siècles ces moines vécurent sur ces trois
rochers, repoussant les invasions des barbares et sauvant à plusieurs
reprises les trésors des sciences et des lettres dont ils s'étaient
constitués les gardiens.

Mais la lutte était inégale, et à la fin du XIIe siècle, les
Barbaresques, victorieux et maîtres de l'Archipel, rasèrent leurs
couvents, détruisent leurs églises, brûlèrent et jetèrent au vent
les livres et les manuscrits qu'ils avaient pieusement recueillis. A
dater de cette époque les Sarrasins paraissent avoir occupé les trois
îles sans avoir été inquiétés. C'est delà qu'ils envoyaient leurs
expéditions sur le littoral. C'était en quelque sorte les avant-postes
de leur petit royaume de la chaîne des Maures, et ils réussirent à
s'y maintenir encore longtemps après qu'ils avaient été chassés du
continent.



CHAPITRE II.


Une grande partie de l'île est en culture ou propre à en faire. Un
grand plateau, ayant environ 100 hectares de superficie, est entouré
de murs pour se défendre des ravages nocturnes des lapins.

Une soixantaine d'hectares de vignes y a été plantée par M. le comte
de Pourtalès.

Mais, comme nous l'avons déjà dit, le phylloxera les a envahies, et
la plus grande partie du vignoble est perdue, en dépit du sulfure de
carbone administré à grandes doses.

Cette année on a songé a reconstituer le vignoble en plantant de la
vigne américaine à racines résistant au phylloxera, et en greffant les
anciens plants ayant encore assez de vigueur pour émettre de nouvelles
pousses. Une vingtaine d'hectares ont pu être achevés cette année.

Voici les procédés employés pour la plantation de cette vigne.

Après avoir arraché les vieilles souches, une grosse charrue tirée
par quatre forts bœufs, défonce la terre à une profondeur de 50
centimètres. Un plant de 60 centimètres y est planté à un écartement
de 1 mètre 50, et les raies à une distance de 2 mètres de largeur. Ces
nouveaux plants ne produiront que dans trois ans.

On a également planté cette année quelques hectares de chênes lièges
dans les vallons abrités du mistral. Des divers arbres cultivés
dans un but industriel, un des plus utiles, bien certainement, est
le chêne-liège, dont le bois sert au chauffage et au bâtiment, les
fruits aux engrais domestiques et l'écorce à l'industrie. Le chêne
liège au point de vue de la production de son écorce, connue sous le
nom de _liège_, a été, jusqu'à présent, laissé dans des conditions
défavorables, se traduisant au moment de la récolte en non-valeurs
très-préjudiciables et en diverses manipulations onéreuses qui,
pesant sur le commerce de ce produit, éloignent les propriétaires de
cette culture et menacent cette production, devenue véritablement
indispensable depuis que le liège a reçu de si nombreuses applications
chez tous les peuples civilisés. L'arbre est lent à donner une écorce
utilisable. Le chêne-liège ne subit qu'à 18 ou 19 ans le _demasclage_
(l'enlèvement de l'écorce mâle), qui doit le préparer à produire une
écorce utilisable. La récolte n'a une valeur marchande que 2 ou 3 ans
après. En résumé, il faut au chêne-liège 20 ans avant de produire une
écorce commerciale; mais dès lors, chaque arbre rapporte un produit
moyen de 3 francs par an. Le chêne-liège est un des arbres qui demande
le moins de soin, et la moins bonne terre. Il pousse partout où on l'a
planté et se contente d'un ou deux binages dans les trois premières
années.

Ce qu'il y a de mieux à faire à l'île du Levant, ce sont les vignes.
Le peu qu'il en reste encore des anciennes plantations atteste combien
elles ont dû être vigoureuses et leur rapport magnifique. On peut y
faire aisément 200 hectares de vignes.

Les vins du midi, on le sait, ont acquis une grande renommée chez les
marchands de vin, car, étant très forts et très noirs, ils les coupent
avec d'autres vins moins forts et le mélange donne un vin ordinaire
apprécié.

Il n'a jamais gelé ni neigé de mémoire d'homme à l'île du Levant.
On y a une température tempérée l'hiver et assez chaude l'été. La
seule chose à craindre est le vent d'est et le mistral. Il y aurait
donc avantage à faire dans les vallons abrités la culture de plantes
exotiques. Ces plantes, en pleine terre, à l'abri du vent, viendraient
beaucoup mieux et grandiraient beaucoup plus vite qu'en serre. Quelle
économie de charbon et de bâtiments n'y aurait-il pas à faire là!

Le vallon du Javieu est magnifiquement exposé pour cette culture. On
pourrait y établir dans le haut un barrage qui recevrait toutes les
eaux de pluie qui descendent de la colline. Ce barrage aidé de norias
que l'on pourrait faire et des sources qui existent fournirait assez
d'eau pour irriguer les cultures.

Au point de vue des moyens de communications, il y a lieu de signaler
qu'il est question depuis quelque temps de construire un tronçon de
chemin de fer qui relierait les Salins d'Hyères à Fréjus en passant
entre Bormes et le Lavandon et en cotoyant le littoral. Les plans sont
faits et la plupart des communes ont déjà voté des subsides.

Ce chemin de fer promet un grand avenir à l'île du Levant et au
Lavandon où l'on pourrait créer une station hivernale. On viendrait
alors de Paris à l'île du Levant en moins de vingt heures sans fatigue
aucune.

Le chemin de fer passant au Lavandon, on organiserait un service de
bateaux à vapeur qui relierait deux fois par jour l'île au continent.
La traversée ne serait que de trois quarts d'heure.

Dès lors des villas se construiraient à l'île du Levant et leur
nombre s'accroissant, on ferait un casino. Cette île deviendrait la
station hivernale la plus fréquentée du littoral, car MM. les Anglais
quitteraient volontiers les stations du continent pour venir s'adonner
dans l'île du Levant à tous les plaisirs des yachtmen dont ils sont si
amateurs.

  _Qui vivra verra._



FOOTNOTES:

[1] Les îles d'Hyères dépendent de la ville du même nom.

[2] L'île de Bagaud que l'on ne cite pas ici a cependant 59 hectares
de superficie et possède un fort.

(_Notes de l'auteur_).


[3] Cette fabrique n'existe plus à l'heure qu'il est. L'île est
défendue par 3 forts.

[4] Cette fabrique est également supprimée. Il n'en reste plus que
d'immenses ruines.

(_Notes de l'auteur_).


[5] C'est une erreur, de pointe à pointe il n'y a qu'une distance de
800 mètres.

[6] Des Salins d'Hyerès, cette distance n'est que de 23 kilomètres.
Le point le plus proche du continent est le Lavandon, à 14 kilomètres
de l'île du Levant. (_Notes de l'auteur_).



Note de transcription

Erreurs corrigées:
  Page 6:  “culininant” changé à “culminant.” “prédesseurs” →
           “prédécesseurs.” “titaniate” → “titanate.”
           “filamentateuse” → “filamenteuse.”
  Page 7:  “inculpait” → “inculquait.”
  Page 10: “engence” → “engeance.” “affimer” → “affirmer.”
  Page 11: “suivent” → “suivant.” “arivée” → “arrivée.”
  Page 12: “apès → “après.” “frîmes” → “fîmes.”  “longoustes” →
           “langoustes.” “oppât” → “appât.” “l'avoner” → “l’avouer.”
  Page 26: “automme” → “automne.”
  Page 30: “pénitentier” → “pénitencier.”
  Page 31: “septentrisnales” → “septentrionales.”  “sodt> → “sont.”
  Page 34: “Hypoea” → “Hypaea.”
  Page 35: “suposer” → “supposer.”  “détruissent” → “détruisent.”





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