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Title: Le Nouvel amour
Author: Marsan, Eugène
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Le Nouvel amour" ***


  LE SAGE ET SES AMIS

  LE NOUVEL AMOUR

  EUGÈNE MARSAN


  A
  PARIS
  CHEZ MADAME LESAGE



DU MÊME AUTEUR:


PASSANTES.--Aux Éditions du Divan.

CHRONIQUE DE LA PAIX.--A la Nouvelle Revue française.

LES CANNES DE M. PAUL BOURGET et le BON CHOIX DE PHILINTE.--Au Divan.

LES FEMMES DE CASANOVA.--Au Pigeonnier.

STENDHAL CÉLÉBRÉ A CIVITAVECCHIA.--Chez Édouard Champion, hors commerce.



Le premier des trois portraits de femmes qui sont ici rassemblés a paru
dans un vieux numéro du _Divan_, celui du mois d’octobre 1912.

Il n’était pas inutile de rappeler son ancienneté, puisque l’on a imité
depuis le ton et la coupe de ces compositions.

Le lecteur devra se souvenir que l’homme ainsi peint--dans les
monologues de l’amour--est un personnage fictif, un héros de roman, et
ne point détester l’auteur, qui n’en peut mais.

E. M.



Le Nouvel Amour


Vous êtes vraiment majestueuse, comme il faut, bien vêtue. Aurez-vous
jamais du chic?

PARLÉ.--Votre chapeau, tendresse, a sa coiffe trop étroite, et votre
jupe, n’est-elle pas trop longue?

Allez, boudeuse! Pourquoi cette moue qu’il est sûr que vous faites?
Moquez-vous donc de moi: vous êtes assez belle!

Pour enlever ses bottines, elle aime décidément à s’asseoir par terre.
Je ne sais pas si elle a raison, elle est trop grande... Seulement, elle
est toujours charmante parce qu’elle ne fait rien exprès.

                   *       *       *       *       *

Un instant, j’ai cru que votre bas retomberait, et il me semble
(prenez-y garde) que j’aurais détourné les yeux. Vous devriez porter
aussi, malgré tout votre système de jarretelles, de bonnes jarretières
rondes, froncées à la vieille. Car vous ôtez votre corset avant vos bas.

                   *       *       *       *       *

Ce que je dis, ce que je pense, et ce que vous comprenez, ne sont pas
trois mêmes choses. Si chacun de nous lisait tout à fait dans le cœur
des autres, nous perdrions tous la tête.

PARLÉ.--Ne me dites rien de votre amie Jacquine. Quand une Flamande a
cet air-là, elle l’a bien.

                   *       *       *       *       *

Pourquoi donc, avec cette bouche, avec ces yeux que vous aviez,
parlez-vous à présent du ciel étoilé? Quel amour véritable!

J’ai cru que vous alliez crier: «Oito oh!»

                   *       *       *       *       *

Elle entrouvrait les lèvres avec l’avidité des carpes de Fontainebleau,
lorsqu’elles se précipitent sur le pain qui sombre. Je figurais à ses
yeux de métaphysicienne l’Amour en soi; mais pour les fibrilles de son
être (_caro, carnis_), j’étais l’ange ou l’animal que lui désigne mon
prénom.

Elle a d’ailleurs la bouche un peu grande, mais qui m’a plu et me
plaira.

                   *       *       *       *       *

Quel bruit! Elle va casser toute cette porcelaine.

                   *       *       *       *       *

Vous avez les hanches les plus fortes que j’aie vues à une femme svelte,
l’épaule grasse, la nuque un peu bombée, autant de délices, et de beaux
yeux gris ou bleus.

Mais je crois que je recommence à vous préférer cette Romaine--un
souvenir--tournée pour paraître dans un Giorgione, et qui était donc
cuivrée ou dorée, plutôt que brune.

Elle et moi, nous nous nourrissions de jambon de Parme, de brousse
fraîche et de muscats, dans une soupente, au dernier étage d’un palais.
Nous nous régalions d’une eau froide, dont la seule buée sur le cristal
désaltérait. Tous ces plaisirs ensoleillés me suivent. C’est où va mon
regard, vous savez, alors qu’il vous inquiète.

Ne croyez pas cependant que je méprise nos plaisirs septentrionaux: les
miracles de ce feu dans la grotte rectiligne, ni toute la neige qui est
sur vous, ni le reflet de la flamme sur cette neige, ô Galsvinte!

                   *       *       *       *       *

Que j’aime à vous voir debout! Ne croyez pas, belle fille, que votre
vrai nom vous aille mieux que celui que je vous ai donné, la première
fois, pour narguer un peu tout ce nord qui régnait tout à coup dans mes
pensées surprises, dans mes pensées charmées.

                   *       *       *       *       *

Lorsque je vous taquine, ne vous égarez pas, ne vous agitez pas. Tout à
l’heure, votre flanc droit a soulevé le rideau. Les passants vous
auraient vue, beaucoup plus belle que vous ne naquîtes, si je vous avais
rappelée brusquement.

                   *       *       *       *       *

Il est vrai que je vous aurai appris bien des choses. Notamment qu’il
est vilain de geindre, et plus décent de se moquer, lorsqu’on est
triste. Cependant, je vous dois réciproquement beaucoup. Comme il est
instructif d’aimer!

                   *       *       *       *       *

Oh! ne me rompez pas la tête, avec votre _Lilienmilch_! C’est une
affreuse chimie. Je préfère mille fois mon savon de Marseille, avec
trois gouttes d’essence. Avant de rire, essayez. Vous ne savez pas ce
que c’est, lorsqu’il est très bon, lisse et blanc, doux comme l’amande
nouvelle.

_Lilienmilch_, lait de lys. Ce mot finira par me capter. Je vous en
ferai un autre nom, pour vous nommer quand nous sommes tous les deux
seuls, tout seuls au monde comme à présent.

Ce village de la Grèce, dont on m’a parlé, qui s’appelle Méligala, c’est
à peu près la même idée. Mais le mot est plus noble... L’autre, pour un
savon, que de poésie! Vous avouerez que l’allemande est une langue
nigaude.

                   *       *       *       *       *

Oui, voyons. Oui! Je le sais très bien, que vous n’êtes pas Allemande,
mais d’une espèce de contrée exiguë bien que souveraine, dont les
manuels pour le baccalauréat méconnaissent l’histoire.

                   *       *       *       *       *

Je ne suis point du tout fâché. Jamais vous ne fûtes si tendrement
chérie. Je vous dis seulement: «Ne soyez pas agaçante!» Dans mes yeux,
vous pouvez connaître le reste, et combien je vous aime. Je vous demande
seulement de ne pas repartir dans vos nuages. Votre ingénuité me plaît
surtout lorsqu’elle est un peu terre à terre.

                   *       *       *       *       *

Mains froides, cœur chaud, ou bien c’est la joue qui brûle.

                   *       *       *       *       *

Si tu avais un enfant, et qu’il fût de moi, je te l’enlèverais. Je
l’enlèverais, je partirais, je m’en irais avec notre enfant, je ne sais
où... en Albanie.

Peut-être ne voudrais-tu pas d’un parti si romanesque. Tu voudras garder
l’enfant avec toi, et te réconcilier à temps, et mentir. Mais il me
suffirait de connaître ton mari, il me suffirait de l’apercevoir, je
crois: j’aurais peine à t’aimer... Ainsi, quoique tu ne l’aimes plus, tu
dépends encore de ton ancien serment. Même refusée, ta personne n’est
plus libre. Tu vois que je suis gentil: je n’imagine pas que tu me sois
infidèle, et je t’ai mis des larmes dans les yeux parce que je te l’ai
dit. Attention. Ne nous risquons pas, ou pas encore, ne nous risquons
pas trop loin sur cette voie des confidences à perte de vue. Elles
enchantent d’abord le cœur, puis le navrent, le laissent vide ou trop
nu, mal content, comme dévalisé.

Toi et moi, si nous sommes deux fous, je ne suis peut-être pas le
moindre. Battons-nous à coups de poètes, qui permettent de voiler. Tu
verras que mes livres sont les meilleurs.

Mais ce que tu appelles mon prosaïsme, ce goût du vrai, cette cruelle et
pitoyable curiosité (sans compromission), ce n’est pas toi qui le
tireras au clair.

Dieu n’est pas bon: tu vois bien qu’il pleut à verse.

                   *       *       *       *       *

Ces gens qui marchent dans la rue, dont tu entends le pas, et que tu ne
connais pas. L’un de ces inconnus deviendra peut-être ton ami sans que
tu saches jamais, ni lui, qu’un certain jour, comme tu étais très émue,
il a passé sous ta fenêtre.

                   *       *       *       *       *

Ne crois pas que je devienne imbécile.

Sans moi vous alliez oublier votre fourrure.

Tu avais plus perdu l’esprit que moi, grande sotte!

Vous n’êtes pas dehors, et vous êtes redevenue timide. Je la connais,
votre timidité d’apparat, je sais les grandes déterminations qu’elle
cache ou plutôt qui la rompent soudainement.

                   *       *       *       *       *

Encore un peu de Xérès, pour vous donner l’idée du soleil qu’il fait en
Andalousie. Un peu de Xérès, un dernier baiser, sans défaire votre
rouge... Je voudrais vous aimer toujours.

                   *       *       *       *       *

Si je vous l’avouais à présent, que je vous aime bien, vous me croiriez.
Et il y a un certain amour dont je suis peut-être incapable, un amour
d’entière donaison.

Le désir et l’amitié m’enchantent pourtant. Et que les deux agréments se
joignent, ou que l’amitié naisse du désir comblé, deux créatures auront
mis la main sur un grand bonheur.

                   *       *       *       *       *

«Cette espèce bizarre de créatures qu’on appelle le genre humain...» Je
cite Fontenelle, dans la _Pluralité des Mondes_.

                   *       *       *       *       *

Je voudrais t’avoir connue il y a longtemps, je voudrais que nous
eussions l’un de l’autre des souvenirs d’enfance, petite fille, les
mêmes souvenirs.



La Méchante


Je ne vous ai jamais demandé, je crois: «A quoi penses-tu?» Je vous ai
toujours caché un grand nombre de mes pensées, toutes celles qui
pouvaient nourrir la faim de l’âme.

C’est pourquoi nous fumons tant de cigarettes.

                   *       *       *       *       *

J’en suis toujours à me demander comment vous avez fait pour que je vous
surprisse une fois.

Jamais, dans le même moment, je n’ai tant vu de votre personne que ce
premier jour, lorsque vous ne m’étiez rien encore, et que je vous étais
si peu.

Pauvre petite chose! Vous n’avez guère d’appâts visibles, mais vous
connaissez l’empire de vos imperfections mêmes, celui de votre ligne
mince et de son acuité.

Vous étiez capable d’avoir choisi--comme une héroïne de Bourget--l’heure
du jour, vous aviez mesuré l’élévation de la lampe, vous aviez préparé
jusqu’à la couleur, jusqu’au parfum de la chambre, et contrefaisiez
pourtant la petite fille étonnée.

La grande pièce était sombre. Elle était claire en deux endroits, claire
près de vous, et claire sur la longue fourrure blanche où vous aviez
probablement médité de tomber, devant les flammes rosissantes.

Aux fenêtres, la nuit était aussi noire que le fer de l’âtre, où les
bûches mourantes donnaient la réplique aux feux lointains de la
campagne.

Il avait plu sur les vitres.

Quel silence, ah! comédienne!

Comme vous avez bien su prononcer à mi-voix mon nom. De manière à
marquer tout ensemble la surprise, le contentement, et que vous cédiez
sans aimer au sourd instinct irrésistible. A quelle flatteuse Vénus!

                   *       *       *       *       *

Lorsque vous avez tué votre mari, il était en passe de devenir ministre
d’État, et vous avez rendu un si grand service à ses rivaux qu’ils vous
l’ont peut-être payé. Il a suffi qu’ils fussent adroits.

Vous ne l’avez point assassiné. Il n’est mort que de peine.

On m’a dit que vous étiez allée jusqu’à séduire un jour, séance tenante,
votre déménageur. Je voudrais savoir comment vous vous y êtes prise, et
ce que vous avez pu lui dire, pour commencer. Comment ne l’avez-vous pas
intimidé? Quel usage du monde il vous aura fallu!

Je ne suis pas curieux de l’entre-deux. Pas curieux de vos sensations
avec un autre. Et que ce fût celui-là! En y repensant, je crois que
j’aimerais à apprendre surtout combien vous avez tremblé de peur,
ensuite.

                   *       *       *       *       *

Je vous ferai voir un jour, dans un récit très bien conduit, de quel
visage Mérimée éclata de rire au nez de George Sand.

Je vous ai déjà touché un mot de cette scène, légèrement et par
allusion. Vous me dîtes brusquement que je n’étais pas Mérimée. Mais, ni
vous Sand, chérie, bien que vous soyez, à coup sûr, plus redoutable.

Je vous ai seulement répliqué que ce n’était pas la question, et par un
raisonnement général sur la logique féminine. Je rompais, je me
repliais, je cachais mes armes. Il me semble que, contre vous, presque
tout est licite. Je n’avais pas encore le courage de me priver de toi.

                   *       *       *       *       *

Ils auraient pu fonder une société, les amis de ton mari, un cercle, et
la livrée à tes couleurs.

                   *       *       *       *       *

Je meurs d’envie d’en discourir devant toi à bouche ouverte, mais
peut-être suffit-il que je me rappelle tout ce que j’ai su, et que tu le
lises dans mes yeux, sans en être tout à fait certaine.

Et je t’enlace pourtant, voici sur ta bouche la mienne. Sale bête!
Moque-toi donc de moi un instant, sans rire, ou donne-toi cette
illusion, tandis que tes bras me serreront comme malgré toi.

                   *       *       *       *       *

Je commence à le savoir, qu’il y a des défauts pour créer de toutes
pièces un charme. J’en ai adoré une autre, petite aussi et blonde, qui
était brèche-dent. Mais rassurante. La grâce imprévue de sa bouche
s’accordait aux enfances qu’elle faisait. Au lieu que toi, dans ton
apparente débilité, on ne sait quelle terrible folie te mène. Ni
jusqu’où.

                   *       *       *       *       *

J’aurais parié que tu avais la jambe trop maigre et la poitrine nulle.
Mais, après tout, c’est à peine si je le sais encore.

Si tu n’es pas laide, tu n’es pas jolie, assurément, avec ton étrange
petit nez oblique et tout cet embrouillamini de ta face. Un miracle que
le dieu Paris renouvelle tous les matins.

Je ne méconnais pas ce profond coussin de tes cheveux, où tu joues à
faire l’endormie, ni tes yeux violets, quand filtre ce long regard, ni
tant de grâces bien apprises, ô Perfide!

Tu vois, l’on te parlerait en style de tragédie.

Il n’y a pas d’horreur que tu doives prendre la peine de te refuser,
n’ayant que tes paupières à relever pour rattraper l’innocence.

                   *       *       *       *       *

Je te compare à un oiseau--laisse-moi dire--à un oiseau des Iles. La
chair n’y est rien, tout est plume.

                   *       *       *       *       *

Qu’il y ait encore des gens pour se figurer une vie moderne, disent-ils,
toute privée de romanesque. Ils n’ont pas prévu la guerre de cinq ans,
qu’il ne faut pas nommer des deux mondes, pour garder un nom à celle qui
pourra suivre, et ils ne t’ont pas vue.

Assise sur ton divan, sage, réservée, lustrée, polie.

Et tant d’affreux secrets dans ta brillante petite tête. Tant d’affreux
secrets dans ce cœur méchant, à peine voluptueux, mais avide,
tyrannique, mais facile et égoïste à plaisir, et tout gâté, comme un
fruit.

                   *       *       *       *       *

Il te fallait des perles. C’est de quoi est mort l’infortuné.

                   *       *       *       *       *

Votre mine de grande dame, comme elle tombe vite, quand vous vous mettez
à couper un sou en quatre, en certains cas! Alors, tout charme s’efface:
l’enfantin regard lance des lames de couteaux, et cette voix que vous
tenez si douce, d’habitude, quelle pitié, si vous saviez, de l’entendre,
altérée par l’avarice! Il m’est arrivé de vous y surprendre, et si vite
que vous ayez recomposé votre visage, vous n’avez pas su vous empêcher
de rougir.

C’est-à-dire que vous redeveniez soudain jolie.

Quels philtres remêlez-vous? Je me défierai de votre thé.

                   *       *       *       *       *

Vous me rendrez cette justice, que j’ai toujours tout craint de vous,
qu’il n’y a pas de honte que je n’eusse redoutée, si vous m’aviez mieux
tenu. Par bonheur, vous m’avez toujours senti libre, frémissant, prêt à
échapper. L’ambition de m’asservir vous a rendue prudente. Je vous ai
vue quelquefois qui m’observiez entre vos cils.

                   *       *       *       *       *

La mémoire de certains moments, où j’espère n’avoir pas entièrement
révélé tout le plaisir que vous me donniez, me ramenait toujours.

Tourments du désir que la défiance traverse, et de la volupté, pour
douce qu’elle soit, ou déchirante, qui ne s’élève pas jusqu’au bonheur.

Je vous aurais nommée mon enfant et ma sœur, si je l’avais pu sans
remords.

                   *       *       *       *       *

Vous laissez le beau linge blanc aux belles femmes. Vous ne mettez sur
vous que des toiles d’araignée, bleues, vertes, roses, si bizarrement
coupées que votre pantalon ne ressemble à rien.

L’on vous verrait trop bien au travers, s’il n’y en avait tant que vous
superposez, sachant que votre forme a moins de pouvoir que leur légèreté
et leur chaleur.

Vous ne découvrez pas beaucoup plus que vos bras et votre épaule, mais
l’on ne sait plus jusqu’où monte la soie de vos deux bas. La vôtre
rivalise. Si vous versez une mortelle douceur dans toutes les veines,
une à une, votre tête n’est pourtant rien. Qu’une ombre. La gouache d’un
éventail.

                   *       *       *       *       *

Vous voulez m’entendre et que je contente votre malice, puisque c’est
encore du jeune Raoul que vous me parlez. Je l’ai rencontré tout seul,
l’autre jour, chez Mme X..., la joue en feu. Il m’a dit qu’elle l’avait
d’abord baisé sur la bouche et qu’il s’était brusquement détourné pour
lui tendre la joue, parce qu’elle a de fausses dents et qu’il craignait
d’en être mordu.

Si vous souriez, ne croyez pas que je sois tombé dans un piège ni que je
te fasse l’honneur d’être jaloux. Je sais que vous savez à présent tout
ce que vous vouliez savoir, tant sur la dame que sur l’adolescent.

Vous souriez en outre, parce que vous songez que je ne serais pas plus
fort entre vos mains, s’il vous plaisait, que cet innocent. Quand
aurez-vous fini de vous trahir?

                   *       *       *       *       *

Tout le monde a su que vous aimez à faire souffrir.

Savoir si mon tour viendra.

Ronronnez, ronronnez. Le temps que vous allongiez la patte, je serai
loin.

Vous m’enseignez des plaisirs psychologiques qui me sont nouveaux.

Quand vous me menacerez bien, je vous imposerai un traité. Vous ne me
livrerez pas à la calomnie, et je tairai que vous avez la jambe torte.

                   *       *       *       *       *

Ce sont des fluides, dont vous avez la disposition. Il vous suffit de
bouger, sorcière, il vous suffit de ciller.

Il faut bien que je me convainque que vous m’aimez, au moins un peu, du
moins à votre façon, puisqu’en signe de ce désir que vous n’avouez
jamais en clair, votre regard vacille.

A peine si vous souriez, avec un air de faiblesse, dans l’amas de vos
mousses, qui sont roses aujourd’hui. Dans l’amas de vos mousses,
pareille à un sorbet.

                   *       *       *       *       *

Vous êtes tout à fait comme ces glaces aux myrtilles de l’été dernier,
rouge et douce-amère. Je les détestais et ne cessais d’en reprendre.
Vous laissez le même arrière-goût.

                   *       *       *       *       *

Votre main immobile est d’une beauté qui effraye, mince et veinée.

                   *       *       *       *       *

Pâle et léger bijou, ivoire, corail, est-ce que vous respirez encore? Je
voudrais voir un souffle traverser votre linge, ô poupée, petite poupée!

_Si je vous le disais pourtant!_... Si je vous disais que je n’ai pour
vous ni tendresse, ni faiblesse, nulle amitié, que je suis sans
confiance, que je ne sens pas même cette obscure sympathie qu’il arrive
de donner à une passante. Jamais ne m’abandonnerai. Jamais ne
m’apitoierai. Le misérable destin de l’humanité, ce n’est pas toi,--ou
c’est bien toi, de la tête aux pieds. Nulle autre que toi.

                   *       *       *       *       *

Est-ce que tant de fragilité finira par m’émouvoir? Est-ce que j’aurai
besoin d’imaginer ce que j’aurais souffert, quand tu m’aurais trompé, si
je t’avais aimée.

                   *       *       *       *       *

Blonde, ce n’est rien dire. Tu es comme les blés à l’instant qu’ils ont
cessé d’être verts. Comme une jeune pousse. Comme une boîte de poudre de
riz ouverte dans un rayon de soleil.

                   *       *       *       *       *

Tu peux bien pleurer, à présent, tu peux bien pleurer à te rompre les
veines.

Tu sens à cette heure sans lumière quelle solitude est la tienne, que
dans toutes les maisons du monde vivent des cœurs amis, et nul qui batte
pour toi, non certes le mien, tu dois pourtant le deviner. Tu écoutes
chanter la petite fille qui saute à la corde sous le reverbère. Tu te
souviens de ta propre enfance et que tu te croyais assez bonne. Tu
penses qu’un jour tu seras vieille, une laide vieille, à peine cette
fleur de ta joue sera-t-elle fanée.

Malheureuse, à quoi penses-tu? A quoi penses-tu donc, malheureuse, qu’un
homme a plaisir à oublier?



La Déesse Raison


Vous avez beau dire. Vous êtes une sorte de pieuse femme, dont la
dévotion est à rebours.

Si vous étiez païenne vraie, vous compteriez douze grands dieux, ou du
moins une foule de petits dieux d’humeur variable.

Il y en aurait un que vous chéririez par dessus tout: celui qui nous a
conduits, vous et moi, jusqu’au même lit sombre. Vous rappelez-vous que
nous avons tout à coup cessé de nous bien voir? Il avait mis son bandeau
sur nos yeux.

Il s’est enfui, lorsqu’il a vu que vous étiez plus près de pleurer,
ingrate, que de rire.

Vous dites que c’était votre conscience. O ma pauvre amie!

                   *       *       *       *       *

Nous nous connaissions à peine, oui. Le premier enchantement passé, vous
vous apercevez que vous ne me connaissez pas du tout. Il était bien
temps! Si vous aviez été bonne catholique...

Je sais (ne grincez pas des dents) que, si vous aviez été bonne
catholique, vous pouviez pécher de même. Sans doute, auriez-vous été
plus curieuse de mon âme,--bonne précaution--plus curieuse de mon
caractère, et vous seriez tourmentée, peut-être désespérée: vous
n’auriez pas un tel dépit.

                   *       *       *       *       *

Nous ne disputerions pas comme nous faisons, au travers de nos
baisers... Quel sera le dernier? Nous ne croiserions pas méchamment nos
paroles, nos regards, nos silences.

                   *       *       *       *       *

Votre belle bouche, je me demande si vous ne la frottez pas quelquefois
de ce piment qu’on nomme en espagnol diablotin. C’est du feu.

                   *       *       *       *       *

A chaque nouvel amant, George Sand croyait avoir reçu un ordre d’En
Haut. Vous n’avez pas fait tant d’expériences qu’elle, mais plus avancée
dans la contre-église, vous n’avez pas la ressource de vous croire en
communication avec l’Etre Suprême.

Vous ne croyez pas au dieu des bonnes gens. Votre dieu est une espèce
d’Américain qui ne s’est dérangé qu’une seule fois, au commencement des
choses. Depuis, pour rien au monde! Si vous saviez comme il m’agace, cet
hérétique, vous vous tairiez sur cela, comme j’ai la politesse de faire,
moi qui ne vous en dis presque rien.

Vous me laisseriez adorer en paix votre personne.

                   *       *       *       *       *

Décidément, si j’avais vécu du temps de George Sand, je me serais épris
d’elle à force de la détester.

                   *       *       *       *       *

Vous me laisseriez vous adorer. Connaissez-vous l’étymologie de ce
verbe?

Tais-toi, ferme ta bouche, que je l’embrasse une fois, dix fois: voilà
l’étymologie demandée, celle que je préfère (_os, oris_, la bouche, et
non pas _orare_, parler).

Quant à _embrasser_, c’est prendre dans ses bras. Comme l’un ne va guère
sans l’autre, le sens dérivé a prévalu.

                   *       *       *       *       *

Vous m’avez dit un jour que vous désiriez voter, que c’était votre
droit.

Vous ne m’avez pas encore pardonné mon rire. Vous avez excommunié comme
il faut ce clérical et cet athée. Mais il avait vos bras sur lui: la
chaleur de votre forme passait par eux, comme si votre sang s’était
répandu dans ses propres veines. Il n’a pas ri longtemps.

                   *       *       *       *       *

Par surcroît, vos parents anarchistes vous ont nommée Liberté! Bigre! Il
n’y a pas de nom de sainte qui ne soit plus aimable.

                   *       *       *       *       *

Vous êtes capable de vous imaginer que je vous méprise. Enfermée que
vous êtes dans vos idées comme dans une bouderie, vous devinez mal la
tendresse, la sympathie, la charité humaine.

Eve bien renfrognée...

Chacun de nous est si seul au monde! Il n’y a bonheur que de refermer
ses bras sur une autre ombre. L’on imagine un instant que le cercle est
franchi. Ce sont les âmes qui se veulent marier, et il est dur de penser
que les corps y réussissent à peine.

                   *       *       *       *       *

Lorsque je m’éloigne de vous, avant de me rapprocher encore, et que vous
percevez les deux temps de cette action d’admirateur, vous rougissez,
avec un petit sourire d’orgueil. C’est un mélange que j’aime.

Ce qui émeut en votre visage, avec le regard, c’est la lèvre pourpre et
gonflée, le menton un peu gras, moins parfait, plus humain.
Sentirez-vous combien me séduit ce corps glorieux, la belle hanche, cet
arc de la taille; et ce port, qui donne envie de vous invoquer?

Je vous ai montré l’image des trois Grâces de Regnault.

Celle de gauche, la tête un peu lourde, serait encore plus triste
qu’elle ne plairait pas moins. Sous le bel œil rêveur, le menton est
malheureux, l’épaule un peu serve ou vieillie. Le torse, un beau
vase.--Son visage, doucement incliné sur l’épaule, au-dessus du bras qui
l’enlace, celle de droite a un air de candeur: et, dans le profil de son
jeune corps, une légère courbe à rendre fou.--Mais la plus belle,
n’est-ce pas cette blonde, entre elles, qui les tient chastement
embrassées, et dont nul ne verra jamais le visage?

Elles ne ressemblent pas l’une à l’autre, ni vous à elles. Vous êtes
pourtant du même style.

                   *       *       *       *       *

Ah! Romaine. Ah! Guerrière. Minerve aux sourcils rejoints.

Je mettrai devant votre portrait une branche de myrte dans un vieux vase
d’église, blanc et or, 1830.

                   *       *       *       *       *

Vous souvenez-vous? Vous ne vous donniez pas alors la peine de
m’étudier. Vous me regardiez, ô raisonneuse! Amour vous possédait. Vous
baissiez de temps en temps les yeux.

Au loin, les gamins arabes s’évertuaient: _Le Cri d’Altjé_! _Les
Noubielles_![1]

  [1] _Le Cri d’Alger_, _les Nouvelles_, journaux algériens du soir.

Votre maison était à la frontière des deux empires. Elle regardait le
boulevard, la poste et l’école (laïque); de l’autre côté, l’allée sous
les palmes, les escaliers, les terrasses, le ciel: cet autre monde que
vous n’aimez guère, où j’allais trop souvent écouter les chants de
Yamina ou voir danser les Andalouses. Je vous apportais des dattes, des
massepains espagnols, des loucoumes. Et je crois, à présent, que vous
aurez préféré des petits beurres--L. U.--J’ai cherché aussi, mais
vainement, ces laitages italiens, frais dans leurs claies ou sur le
linge, et qui ont la forme d’une tresse ou d’un fruit,--ces fromages, si
l’on ose dire, dont les bergers de Virgile nourrissaient déjà leurs
amours.

La lumière vous gêna soudain comme un tiers.

Vous avez déroulé le rideau de toile. Dans l’ombre, miroita toute l’eau
répandue sur les dalles blanches et noires. Le jour mettait à la haute
fenêtre aveuglée un cadre d’or. La brise troublait votre robe.

Vous avez laissé tomber la hachette de votre éventail.

                   *       *       *       *       *

Vous avez la coquetterie de ne porter que du linge blanc, serré,
éblouissant. Ainsi paraissez-vous deux fois comme un marbre: carrare et
pentélique.

Chère, vous avez eu peur que je me méprisse, et j’étais seulement touché
de votre enivrement.

                   *       *       *       *       *

Puis, vous avez voulu me prouver que vous étiez, sans religion, une
honnête femme. Vous prononciez des mots abstraits à n’en plus finir, à
dormir sans vous, dont votre éloquence emphatique ciselait les
majuscules. Vous aviez entrepris, notamment, de me démontrer que les
infirmières laïques diplômées ont plus de vertu que les petites sœurs.

Et moi, je me rappelais la longue prière matinale des femmes de ma race.
L’une d’elles, tant elle fut malheureuse, ne pouvait plus prier sans
voir paraître sur son cher visage en oraison des larmes qui la
consolaient. Et elle prononçait, mais avec douceur, le même mot magique
que vous répétez désespérément: «Justice!» Elle mettait avec sagesse
dans un autre lieu que la terre la source d’un si grand bien.

Votre bouche, remuée par les petits mouvements de la parole, restait
bien belle... Je ne disais mot. Quel nuage a passé sur mes traits ou
dans mes yeux, qui soudain déconcerta la douce pédante?

J’ai pris votre tête, votre fière tête, votre pauvre tête fanatique, et
l’ai reposée sur mon épaule. Tel est le sort. Ni les caresses ni le
silence ne suffisaient plus. Vous aviez besoin d’un mot de ma bouche,
que je n’ai pas su dire. Vous faisiez sentir à un libertin le rôle du
spirituel.

                   *       *       *       *       *

Je vous opposais, dans mon esprit, des historiettes qui vous auraient
scandalisée et qui me plaisent, qui m’ont ému.

Je me retrouvais dans une petite ville du sud italien, un soir d’été,
entre quatre murs blanchis à la chaux, dans la compagnie d’une femme
étonnée par l’étranger. Je l’avais trouvée assise sur le pas de sa
porte. Ces logettes n’ont pas d’autre ouverture. Un seuil à franchir, la
porte massive à refermer, un être humain à votre discrétion.

C’est la même chose là-haut, où les filles attendent et regardent, les
unes comme des princesses des “Mille et une nuits”, la plupart en vraies
sauvages, et toutes sur leurs talons, leurs mains devant elles.

En pays chrétien, la plus pauvre dispose d’une chaise.

Elle avait une jupe de cotonnade à fleurs, un corsage à grosses manches,
et l’un de ces vastes jupons de toile empesée que l’on mettait après la
lessive sur une cage d’osier.

Je lui parlais dans sa langue, lorsqu’elle parut en corset à globes,
pareille à une image de _Vertus sœurs_ dans l’_Illustration_, du temps
que j’étais garçonnet.

Nous nous plaisions, ainsi qu’il arrive dans ces rencontres, sans que
l’on sache pourquoi, si vite. Je ne me rappelle plus le nom qu’elle
m’avoua et qui était peut-être le sien. Elle avait vingt ans. J’ai vu
dans le même pays de belles figues séchant au soleil qui tournaient en
caramel. Elles lui ressemblent,--et à vous.

Elle gardait sur son épaule un dernier lambeau qui m’importunait. Car,
en ce monde physique, certains veulent retrouver le tremblement d’une
passion primitive, ils veulent rencontrer à la fin ils ne savent quel
mystère, avancer jusqu’au point où la sensation est épurée en quelque
sorte par son excès et par vertige. Mais, plus belle que vous ne pensez,
en me pressant doucement:

--_E peccato_, disait-elle. C’est un péché. _La Madonna non vuole._

Vos fictions, à vous, n’ont pas cette grâce ni cette douceur, où
l’enfant reparaît dans la femme: dans notre ambitieux dénuement, le
passé des cœurs dont nous sommes nés.

                   *       *       *       *       *

Et si vous étiez païenne vraie, vous ne vous mettriez en peine que de
moi seul. Vous laisseriez vos lubies, dont vous ne me convaincrez
jamais. Vous m’agacez, je m’en indigne, vous m’étouffez, je vous nomme
Paule Bert.

            Contre la marine une lame
                Vient mourir
            Je ne ferai plus rimer âme
                Et soupir.

            Je vous dirai: «Mon doux aimé
                Contemplez
            La maison de béton armé
                S’il vous plaît.

            Ou suivez à perte de vue
                Le baiser
            Que reçoit la perche éperdue
                Du trolley.

            Comptez les flots, vous ferez bien...»
                --mon cœur,
            Ne serait-il en moi plus rien
                Que laideur?

Vous avez ouvert votre fenêtre sur la Méditerranée, et vous regardez
l’oscillation indéfinie des vagues. Vous les entendriez clapoter sur la
pierre,--si nous étions plus près--du même mouvement qui berce les
navires. A cette heure du soir qui tombe, danse une lueur au sommet,
tandis que l’ombre flotte dans le creux de chaque lame. Je songe, tu
songes, nous songeons... Il règne, sur la vaste nappe des eaux, une
majestueuse indifférence, dont on a le cœur un peu plus serré.

Fumée... Tu songes que tu verras un jour se répandre dans votre ciel la
fumée d’un triste paquebot. Et moi, sur l’autre rive, je t’appellerai en
vain, en entendant sonner la moitié des heures de la nuit.



TABLE


  _AVIS_               1
  LE NOUVEL AMOUR      3
  LA MÉCHANTE         17
  LA DÉESSE RAISON    36



Il a été tiré de cet ouvrage, le deuxième de la collection «Le Sage et
ses Amis» 20 exemplaires sur papier du Japon, numérotés 1 à 20.--20
exemplaires sur papier Roma Gris perle, numérotés 21 à 40.--210
exemplaires sur papier Madagascar des papeteries Navarre, numérotés 41 à
250. Il a été tiré, en outre, 75 exemplaires sur papier Roma jaune
paille, numérotés en chiffres romains I à LXXV, réservés à Monsieur
Édouard Champion, pour la Société des Médecins Bibliophiles et les
Bibliophiles du Palais.


Cet exemplaire porte le N°



  ACHEVÉ D’IMPRIMER
  LE 24 JANVIER 1925
  SUR LES PRESSES DES
  ARTISANS IMPRIMEURS
  F. LEFÈVRE, DIRECTEUR
  23, RUE DE LA MARE
  A PARIS (XXe)




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