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Title: Adam, Ève et Brid'oison
Author: Margueritte, Paul
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Adam, Ève et Brid'oison" ***
BRID'OISON ***



  PAUL MARGUERITTE
  DE L’ACADÉMIE GONCOURT

  Adam, Ève et Brid’oison


  PARIS
  ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
  26, RUE RACINE, 26

  Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction
  réservés pour tous les pays.



ŒUVRES

DE PAUL MARGUERITTE


GUERRE DE 1914-1918

    Contre les Barbares.
    L’Immense Effort.

ROMANS

    Tous quatre.
    La Confession posthume.
    Maison ouverte.
    Jours d’épreuve.
    Pascal Géfosse.
    Amants.
    La Force des choses.
    Sur le retour.
    Ma Grande.
    La Tourmente.
    L’Essor.
    La Flamme.
    La Faiblesse humaine.
    Les Fabrecé.
    La Maison brûle.
    Les Sources vives.
    Nous, les mères.
    L’Autre Lumière.
    L’Embusqué.
    Pour toi, Patrie.
    Jouir.
    Sous les Pins tranquilles.

NOUVELLES

    Le Cuirassier blanc.
    La Mouche.
    Ame d’enfant.
    L’Avril.
    Fors l’honneur.
    Simple Histoire.
    L’Eau qui dort.
    La Lanterne magique.

THÉATRE

    Pierrot assassin de sa femme. (_Pantomime._)

IMPRESSIONS ET SOUVENIRS

    Mon Père.
    Alger l’hiver.
    Le Jardin du passé.
    Les Pas sur le sable.
    Les Jours s’allongent.
    Nos Tréteaux.


En collaboration avec

VICTOR MARGUERITTE

ROMANS

    Le Carnaval de Nice.
    Le Poste des neiges.
    Femmes nouvelles.
    Le Jardin du roi.
    Les Deux Vies.
    L’Eau souterraine.
    Le Prisme.
    Vanité.

UNE ÉPOQUE (1870-71)

      I.--Le Désastre.
     II.--Les Tronçons du glaive.
    III.--Les Braves Gens.
     IV.--La Commune.

NOUVELLES

    La Pariétaire.
    Poum.
    Zette.
    Vers la lumière.
    Sur le vif.

THÉATRE

    Le Cœur et la Loi.
    L’Autre.

ÉTUDES SOCIALES

    Quelques idées.
    L’Élargissement du divorce. (_Brochure._)



Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays.

Copyright 1919,

by ERNEST FLAMMARION



ADAM, ÈVE & BRID’OISON



AVANT-PROPOS


«Ceci est un livre de bonne foi».

J’y reprends des idées qui, de 1899 à 1909, eurent quelque
retentissement; et j’y appelle des réformes que la guerre, de ses
immenses contrecoups, a rendues nécessaires.

M’opposera-t-on, une fois de plus, que la Société ne doit pas se
sacrifier à l’individu, comme si l’un et l’autre n’avaient pas intérêts
communs et même idéal? Comme si la famille, support de la Patrie, en
conquérant de nouveaux droits, n’assumait pas autant de devoirs!

Il se peut que certains me comprennent mal et, sincères ou de
parti-pris, me reprochent de toucher à l’Arche sainte, parce que
j’entrevois un ordre de choses moins douloureux et plus humain; alors
que d’autres feindront de me comprendre trop, traduiront: liberté par
licence et plaisirs bas.

Ne servant aucun parti, n’écrivant que pour les esprits noblement
libérés, je me résigne aux attaques injustes, comme je désavoue les
concours suspects.

_P. M._

Hossegor, Été 1918.



POURQUOI CE LIVRE


Dans ces pages, Adam et Ève incarnent l’instinct et le sentiment
humains: tout ce qui fleurit en nous de libre et de naturel.

Brid’oison, c’est la «Fo-orme» sociale; le dogmatisme des mœurs, de
l’opinion, des lois: construction artificielle dont la sagesse moyenne
comporte encore beaucoup d’erreur, d’injustice et de mensonge.

Ce n’est pas être l’ennemi de la Société que de la vouloir plus éclairée
et plus consciente. Ce n’est pas manquer de respect aux idées reçues,
que de constater certaines de leurs tares et de souhaiter qu’elles
deviennent plus saines, à l’heure où les vertus de la race,
magnifiquement déployées par nos soldats, promettent une France plus
belle.

Une Société qui ne protège--ni comme jeune fille ni comme épouse--la
femme, matrice de ses plus fécondes réserves et de son plus sûr avenir;

Une Société qui n’assure pas la sécurité des enfants à naître et accepte
de s’étioler dans une dépopulation égoïste;

Une Société, qui laisse l’ouvrière rouler trop souvent à la
prostitution, et l’ouvrier croupir dans l’alcoolisme et la tuberculose;

Une Société qui ne fait presque rien pour rattacher le paysan à la terre
nourricière;

Une Société qui, sous l’armature de cadres monarchiques, tend à
l’expansion de la démocratie et n’a su encore l’organiser, sinon pour la
lutte de classes, au profit des politiciens et non des hommes d’action;

Une Société qui subit la tyrannie de l’argent et ne respecte que
l’argent, bien loin d’admettre la suprématie de l’intelligence;

Une Société, dont les riches inertes ne soutiennent pas de leurs
capitaux le labeur industriel et commercial;

Une Société qui ne tire pas assez parti de son sol, de ses moyens de
transport, de ses ressources économiques;

Une Société dont le Code, vieux de cent ans, et même de vingt siècles,
consacre des iniquités redoutables et impose à ses magistrats des
jugements parfois inouïs;

Une Société, qui n’a pas une Presse composée de l’Élite intégrale,
c’est-à-dire de toutes les valeurs pensantes et agissantes;

Une Société sans Esprit public pour la contrôler et la conduire;

Cette Société-là, si brillante soif sa façade, si vif l’élan qui
l’anime, si chaud et si noble le sang qui a coulé à flots de ses veines;
cette Société, si glorieux soit son passé et si grand le spectacle
qu’elle donne actuellement au Monde, cette Société-là n’est pas encore
la Société idéale.

Je ne suis pas de ceux qui croient à l’absolu, mais au relatif. Si
l’histoire démontre que le rayonnement d’un peuple, sa puissance et son
éclat ne sont pas toujours nécessairement en rapport avec sa moralité,
elle prouve aussi qu’aucune Association humaine ne peut vivre sans un
certain nombre de vertus. La solidarité, l’organisation, l’altruisme
sont de celles-là. La guerre, par l’admirable exemple de l’Union sacrée
du Front, aura illuminé cette vérité. La guerre a révélé les splendides
énergies en puissance de notre Société imparfaite. Le progrès va
lentement, conquérant plus de bien-être, plus de justice. J’ai foi en
cette vacillante, mais obstinée lumière.

De là, ces pages vouées à l’affranchissement de la Femme: notre mère,
notre sœur, notre compagne, la mère de nos enfants; de la Femme notre
victime, notre alliée et, surtout, notre égale.



LA GUERRE ET LES FEMMES


Un immense mouvement est en train de s’accomplir, la guerre aura libéré
la femme de sa servitude séculaire. Ce que ses revendications les plus
légitimes, ce que la voix des féministes, ce que congrès et associations
n’avaient pu obtenir, la nécessité l’a résolu.

Que l’homme y consente ou non, la guerre aura affranchi par centaines de
mille les jeunes filles et les épouses de la tutelle tendre ou rude,
mais toujours plus ou moins oppressive, de leur maître.

Ce n’est pas impunément que la femme aura dans les professions les plus
diverses, et souvent plus adaptées à ses qualités qu’à celles de
l’homme, témoigné de l’initiative, de la décision et une inlassable
énergie. Que n’a-t-elle su être à quoi l’on ne s’attendait guère!
Combien de carrières et de métiers se sont-ils ouverts pour elle, où le
mâle, absent, n’a pu la concurrencer! Aux champs, aux usines, aux
ouvroirs, aux hôpitaux, aux magasins, aux boutiques, dans les bureaux
des innombrables administrations, la femme a su agir, commander, vaincre
les difficultés, se débrouiller en un mot.

                   *       *       *       *       *

Et ce n’est là qu’un aspect de la question: l’aspect professionnel. La
femme naguère réclamait des droits politiques. Après l’emploi qu’elle a
fait de ses plus belles qualités, comment les lui refuser? Ouvrière de
la Cité en péril, qu’elle a aidé à sauver, il sera juste qu’elle y
coopère demain comme électrice, après-demain--pourquoi pas--comme
députée ou sénatrice?

A côté de la loi du mâle, conçue au seul profit du mâle, elle fera
coexister la loi de la femme; et cette loi sera plus prévoyante, plus
généreuse envers tous les opprimés et tous les faibles, plus consciente
de la préservation de la race minée par l’alcoolisme et la dépopulation.


                   *       *       *       *       *

Enfin, par l’enchaînement inflexible des choses, la femme s’émancipe à
un point de vue beaucoup plus grave: dans son être intime et profond,
dans son essence même. Le contact de la douleur et des réalités
physiques, pour beaucoup de femmes et de jeunes filles, dans les
ambulances d’une part, de l’autre les complications aventureuses des
événements, amours fortuites, maternités imprévues, abandons cruels,
auront hâté, hâtent chaque jour pour les femmes «l’évolution sexuelle»,
selon le mot heureux du Dr E. Toulouse[1].

  [1] _L’Évolution sexuelle_, livre emprunt du plus large et du plus
    généreux féminisme.

La guerre a déchiré le nuage blanc dont on entourait leur virginité;
trop de précisions brutales ont défloré l’oreille des jeunes filles.
Elles n’accepteront plus qu’on leur impose le dogme d’une fausse
ignorance. Créées pour l’amour et la fécondité, elles voudront qu’on les
instruise des risques et des responsabilités de leur mission, la plus
belle qui soit.

Après la guerre, beaucoup de vierges seront en surnombre, et leurs
chances d’union régulière d’autant plus diminuées. Elles tiendront à
conquérir leur indépendance par le travail, et, par leur courage à
accepter, avec l’enfant de l’amour, leur droit à l’amour.

Les répercussions d’une telle guerre, avec ses catastrophes et ses
misères, atténueront le préjugé contre la fille-mère; les besoins de la
repopulation grandiront le respect de la maternité, légale ou non.

La femme mariée, elle, consentira de moins en moins aux liens d’un
mariage qui l’opprime et où elle est traitée en mineure, dépossédée de
ses biens, privée de ses droits les plus légitimes de contrôle et
d’éducation; d’un mariage qui, malheureux, ne lui laisse que cette
alternative: tromper son tyran ou courir les chances d’une rupture d’où
elle sort amoindrie, parfois déconsidérée.

Un contrat plus souple et plus libre s’imposera. La morale publique, à
la soupape d’échappement incongrue qu’est l’adultère, n’hésitera pas à
préférer la porte silencieusement ouverte par le divorce, avec
consentement mutuel et même volonté d’un seul.

                   *       *       *       *       *

Que ce soit dans l’ordre économique, politique ou individuel, la guerre,
qui a bouleversé les valeurs anciennes, modifie de fond en comble les
statuts de l’éternelle serve.

La Paix de la Force et du Droit verra les Femmes nouvelles.



LA JEUNE FILLE


CE QU’ON LUI LAISSE IGNORER

L’instruction a tout prévu: l’indispensable et le superflu, le latin, le
grec, les humanités, la philosophie, les mathématiques, l’histoire et la
géographie, dix autres branches encore de l’Arbre de Science. Il n’y a
qu’un point sur lequel l’École et la Famille se refusent à renseigner
les adolescents en mal de curiosité légitime: c’est la transmission de
la vie, le mystère qui accompagne l’amour ou le plaisir; tranchons le
mot: l’initiation sexuelle.

Que les parents les meilleurs et les plus intelligents s’interrogent?
Ils le reconnaîtront: nulle question n’offre plus d’intérêt. De
l’instinct qui rapproche les êtres selon le rythme de l’invincible
attraction dépendent la constitution de la famille, cellule de l’ordre
social; toutes les modalités du sentiment et de la sensation, avec
l’union libre, l’adultère, la paternité, et des fléaux tels que la
prostitution, les vices secrets et les maladies prétendues honteuses.

La connaissance théorique, sommaire et suffisante des réalités physiques
influera fatalement sur la moralité, sur la santé, sur la valeur
personnelle et collective des jeunes gens.

Et ces mêmes parents, soucieux pourtant de l’épanouissement de leur
race, par tradition, par préjugé séculaire ou esprit religieux,--oui,
même chez les plus libérés,--jettent un voile de honte sur des
précisions d’une telle importance, que la destinée de leur enfant, leur
bonheur ou leur malheur futurs y sont étroitement liés.

Sincères et bons, ces parents préfèrent, au lieu d’être les conseillers
privilégiés de ceux qui leur tiennent tant à cœur, garder un silence
gêné, laisser l’imagination juvénile, si ardente, s’orienter d’elle-même
à l’heure de la puberté. Ils confient au hasard, aux lectures cachées,
aux propos surpris, aux mauvaises camaraderies ou aux pires rencontres,
la découverte d’un acte auquel l’adolescent attachera la tentation d’un
fruit défendu et,--ce qui est plus grave--la hantise malsaine d’une
perversité.

Aucune personne de bonne foi ne le niera; cette conduite est absurde
autant que dangereuse. On invoque les convenances, l’habitude, l’exemple
d’autrui; faibles motifs en matière si haute! Notre vaine prudence
expose nos enfants à des risques autrement profonds, et tels que leur
imagination et leur raisonnement en resteront irrémédiablement faussés
par la suite. Des illusions ridicules, des déceptions pénibles les
atteindront du fait qu’on ne leur aura pas appris à regarder en face
l’union des deux sexes comme une nécessité organique, simple, naturelle
et conforme au but de la Nature: créer la vie.

Faute d’éclaircissements salutaires, le jeune homme, en cherchant à
satisfaire un irrépressible instinct, croira accomplir un rite inavoué,
vouera à la femme d’abord un désir vicié; puis un injuste mépris, accru
par l’idée fausse d’une réciproque souillure.

La jeune fille, elle, arrivera au mariage peu ou point préparée, pour
subir une révélation brutale qui souvent lui laissera un écœurement et
une tenace rancune. En dehors du mariage, sa demi-ignorance l’expose aux
dangers d’une séduction, avec ses suites honnies: l’enfant, l’abandon;
parfois, comme pour l’homme, des maladies non certes honteuses, mais
d’une gravité redoutable.

Tous ces périls, une éducation franche les éviterait au moins en
partie... et d’autres qui tiennent à la promiscuité des lycées et
collèges.

S’il répugne aux parents de voir les éducateurs professionnels instruire
les adolescents des lois vitales, que ne le font-ils eux-mêmes avec
courage; que n’en appellent-ils à la confiance de leurs fils et de leurs
filles? Ne se rappellent-ils donc plus leur propre jeunesse, leurs
curiosités inquiètes, leurs recherches maladroites et leurs expériences
désabusées?

Sachons-le: c’est parce qu’un faux mystère entoure les impulsions du
désir, que l’imagination se dérègle vers tant d’images louches et
funestes; alors que la lumière du vrai, à elle seule, dissiperait le
maléfice des fantômes et des ombres.


LE MYTHE VIRGINAL

On sait quelle importance morale, sociale et religieuse a pris, de tout
temps, ce fragile obstacle.

En vain des médecins illustres ne le considèrent-ils plus que comme une
survivance physiologique sans utilité, et que le bistouri pourrait, non
seulement sans inconvénient, mais avec avantage supprimer, parce qu’elle
enclot de façon nuisible toute une flore microbienne. En vain le bon
sens nous convainc-t-il de l’exagération du symbole attribué à la
virginité. Une opinion vieille comme le monde persiste à en faire un
principe _tabou_.

Deux idées foncières entretiennent cette inconcevable idolâtrie. La
première sort de l’instinct barbare du mâle qui, à l’origine, vit là le
signe d’une valeur intacte, la garantie que l’objet de son plaisir
n’avait appartenu qu’à lui seul. Le progrès des idées et des mœurs
aurait sans doute eu raison, à la longue, de cette conception
rudimentaire. Mais le christianisme est venu y greffer la hantise du
péché. Et cette seconde idée, flétrissant les organes de la vie et de la
maternité, a donné une force exceptionnelle au mythe ancestral.

La virginité s’est parée, dès lors, d’une valeur mystique et idéale, est
devenue le gage de l’extrême pureté ou le stigmate de la plus coupable
transgression à l’ordre divin.

Tout un culte, toute une philosophie, tout un ensemble de doctrines et
de coutumes se sont fondée sur cette obsession maladive de parties du
corps réputées honteuses; et, par un enchaînement inévitable, l’attrait
du mystère s’est compliqué de toutes les aberrations imaginatives du
désir et de son accomplissement clandestin.

Bien d’autres conséquences, et plus que singulières, en ont résulté.
Ainsi, l’ignorance exigée de la vierge, comme un témoignage de sa
pureté: ignorance dont le but est de la livrer, non comme un être
intelligent et libre, mais comme une bête docile à la salacité de
l’homme et à ses tromperies sournoises par la suite; ignorance qui
ravale l’épouse au lieu de l’honorer, et la maintient en esclavage des
sens, de l’âme et du cerveau.

Autre conséquence, d’une invraisemblable niaiserie, celle qui fait de la
perte de la virginité une révélation idéale de l’amour. Rarement
mensonge fut plus artificieux; car mille femmes interrogées
répondraient, si elles sont sincères, que, loin de leur être agréable,
le premier contact avec la rudesse du mâle ne leur laissa qu’un dégoût
étonné. Pénétrant analyste, Camille Mauclair l’a dit, et rien n’est plus
vrai[2]. «Ce n’est pas dans cet obscur moment où, confuse et meurtrie,
elle subit une sorte de meurtre intime, que la révélation transforme à
jamais la femme, mais lorsque, longtemps après parfois, elle découvre la
volupté, dont les lois, les circonstances, les causes sont si
mystérieuses qu’elle l’ignore souvent avec un mari estimé, voire même
aimé, et en reçoit le foudroyant éclair d’un amant d’aventure, d’un
passant investi du don magique».

  [2] _L’Amour Physique_; beau livre où, à côté d’«anticipations» d’une
    curieuse audace, figurent de durables pages sur la déformation de
    l’instinct sexuel, et des Étude d’une rare acuité sur la «Fille».

Autre conséquence, et qui serait grotesque si elle ne s’avérait
scandaleuse: l’exhibition de nos mariages à grand orchestre et costumes
de gala, imposant à une foule grossière l’image en blanc du viol
nocturne. Autre conséquence encore, l’âpre possession garrottant la
femme dans le mariage, l’assimilant à un bien volé, la frappant des
pénalités de l’adultère, dérisoires avec les vingt-cinq francs d’amende,
tragiques avec le coup de couteau ou de revolver, excusés par le Code
pénal.

C’est un fleuve d’encre qu’en ses annales aura fait couler le mythe
virginal; c’est aussi un fleuve de sang: amoureux frénétiques, maris
jaloux, femmes égarées. Héréditaire et religieux, il trouble l’humanité.
N’exorciserons-nous pas un jour ce décevant mirage?

Une époque peut s’imaginer où l’homme cessera de voir, dans un simple
empêchement à son étreinte, soit une nécessité gênante, soit un plaisir
bestial. Une époque où les poètes, où les romanciers n’exalteront plus à
force d’épithètes désordonnées la servitude du corps féminin. Une époque
enfin où dans la virginité, dépossédée de sa religion et de son mystère,
on ne verra plus qu’une fatalité organique sans intérêt, étrangère par
elle-même à l’amour et aux fins de l’espèce.


LA MORALE SEXUELLE

Notre société laïque a une morale chrétienne: la morale sexuelle.

Il semblerait, à voir l’importance que celle-ci a prise, qu’elle soit la
seule morale. Elle régente, en effet, le cours de l’opinion, la cote des
valeurs privées; elle se fait espion pour savoir si on la transgresse;
elle s’institue juge pour condamner celui ou celle, surtout celle, qui
lui manque d’égards.

Vétilleuse et despotique, elle a tour à tour, et selon qu’on lui rend
hommage d’hypocrisie, d’incroyables complaisances, ou, si on la brave
par une loyale imprudence, des rigueurs sans merci.

La morale sexuelle remplace l’inquisition.

Suspectant les apparences, s’attachant aux on-dit, relevant avec
malignité ce que colportent les racontars d’office et les potins de
salon, colligeant les lettres anonymes, elle dresse en tous lieux et
contre chacun son dossier d’accusation. Sa sévérité néglige ce qui ne
relève pas essentiellement d’elle. Indulgente à ce qui est laid, bas,
vil, le mensonge, la calomnie, l’avarice, l’envie, la méchanceté des
êtres, elle ne traque que ce qui touche à leurs rapports pour l’amour et
le plaisir.

La morale sexuelle est une monomane, hantée par l’idée fixe de savoir si
Mlle Y... est encore vierge, et avec qui Mme Z... trompe son mari? Elle
flaire les amitiés suspectes, escompte les flagrants délits, tient le
compte des garçonnières, prête généreusement, à Mme T... qui est veuve
et à Mme R..., qui est divorcé, des amants imaginaires ou réels. Elle
pèse de son ombre sur les adolescents en mal de puberté; elle détermine
la conduite des grandes personnes avisées; elle influence, en cas de
crime passionnel, les jurys, après avoir armé le révolver d’un cocu ou
rempli de vitriol le bol d’une jalouse.

Sans critérium fixe, sans justification précise, la morale sexuelle
offre une incohérence dont les honnêtes gens peuvent s’affliger, mais
que les malins utilisent. Ils savent que la bonne dame, proxénète
bienveillante, ferme les yeux si on la ménage. Elle est comme ces
maîtresses de cérémonies qui pensent que tout est bien si les rites
protocolaires sont respectés. La morale sexuelle admet tout, pourvu
qu’un certain décorum soit gardé et, que la mince vitre d’aquarium
qu’est la façade mondaine ne soit pas brisée,--car, fêlée, passe encore!

Qu’un homme, épousant pour sa dot une jeune fille, la trompe indignement
et la ruine; qu’une femme mûre aux ardeurs cuisantes ridiculise par le
nombre de ses aventures un mari débonnaire; qu’un ménage à trois promène
de visites en dîners et soirées son élégant cynisme, la morale sexuelle
se bouchera volontiers les yeux.

Mais qu’une jeune fille soit abandonnée par son séducteur, qu’elle ait,
comble de honte! un enfant; mais que, ne pouvant s’épouser, un amant et
une maîtresse affichent courageusement leur union libre, fondent un
foyer probe, ne reculent pas devant le devoir d’être père et mère, quel
scandale affreux; et comme la morale sexuelle montre alors un visage
inexorable!

Comment en serait-il autrement? Les coupables n’ont-ils pas donné un
inadmissible éclat à «ce péché», à «cette souillure de la chair» qui ne
sont tolérables que sous la transparence protectrice, dans le louche et
trouble demi-jour du pacte social? Il y a des choses--la morale sexuelle
l’affirme--dont on ne parle qu’avec des réticences, des sous-entendus,
des demi-sourires discrets. Ce qui est parfaitement toléré dans les
coins, devient turpitude au grand jour.

Et c’est la condamnation paradoxale de la franchise au profit de la
duplicité, du courage au profit de la lâcheté, de la morale simple et
vraie, de la morale humaine au profit de la morale sexuelle.

Seulement, la guerre est venue, qui, là aussi, a brutalement cassé les
vieux moules sociaux.

La morale sexuelle ne s’en relèvera pas.


LE DROIT A L’AMOUR

A l’heure présente, la jeune fille, si elle ne se marie pas, n’a d’autre
avenir que la prostitution qui la flétrit ou le célibat qui la
ridiculise. La Morale sexuelle ne lui permet que le mariage. Et les
chances du mariage, déjà très réduites avant la guerre, deviendront des
plus précaires, après les coupes sombres exercées dans les rangs des
hommes de vingt à trente-cinq ans.

Sans doute, il y a quelques années, la loi de l’abbé Lemire,
l’excellente «loi d’amour» avait permis de se marier dès vingt-et-un an,
en se passant de toute autorisation parentale. Une petite signification
notariée au besoin, et passez muscade! C’était très bien. Sans doute la
guerre a vu beaucoup de ces mariages-là, d’autant plus touchants qu’ils
exprimaient chez l’adolescent l’exaltation vitale d’un avenir menacé, le
secret, l’obscur instinct de ne pas disparaître tout entier.

Mais, cette exception constatée, la majorité des filles attend encore,
comme elle attendait avant 1914.

Regardez autour de vous. De vingt et un à vingt-huit ans, vous verrez
quantité de jeunes filles jolies, instruites, pleines de bonne volonté
et de courage qui ne se marient pas. Les unes n’ont rien, les autres pas
grand-chose, quelques-unes possèdent une dot. Elles ne se marient pas
davantage.

En vain les mœurs, les sports, une éducation moins rigide et moins
étroite laissaient-elles plus de part à leur initiative, leur
permettaient de courir leur chance: en vain, pendant la guerre, les
rapprochements dans les ambulances, l’institution des marraines et
filleuls ont-ils facilité quelques mariages; combien les moyens d’action
de la jeune fille restent limités, en quel cercle étroit elle se meut!

Et quel droit la société laisse-t-elle aux jeunes filles dédaignées?

Celui de vieillir. Elles se faneront peu à peu, verront mourir leurs
beaux rêves; chaque jour desséchera leur beauté inféconde. La vieillesse
lente, une froide et interminable agonie du cœur et des sens: tel est
leur lot.

Et cela paraît tout naturel. Cette monstrueuse conception ne choque
personne. Minotaure vorace, la Morale sexuelle consomme des milliers de
vierges stériles, pures et désespérées.

Cependant, les idées marchent.

Balzac, grand maître es-sciences sociales, et dont la philosophie sagace
doublait l’intuition du plus puissant des romanciers, a, dans sa
_Physiologie du Mariage_, posé la question, sans oser la résoudre, de
l’émancipation des filles. Pourquoi n’auraient-elles pas le droit
d’aimer d’abord, et de sanctionner par le mariage ensuite une union
dont, au moins, elles auraient fait l’essai et qui leur donnerait
ensuite de rassurantes garanties? Léon Blum, dans son livre _du
Mariage_, a repris cette idée et, la poussant à ses extrêmes
conséquences, a proposé que les filles de condition bourgeoise--on
sait que pour les filles du peuple la question se tranche
d’elle-même,--puissent connaître l’amour, discret et sauvegardé par
certaines apparences, comme le font les jeunes hommes qui ne tiennent
pas à se compromettre. Il affirme qu’elles arriveraient au mariage bien
mieux préparées, et ayant jeté cette gourme d’illusions qui leur
réserve, dans notre état actuel, de si fâcheuses déceptions, soit dans
la fidélité, soit dans la trahison conjugales.

Sans aller si vite ni si loin, puisqu’il faut à tout des transitions,
pourquoi refuserait-on, à la jeune fille qui ne trouve pas de mari, le
droit de prendre un amant, soit avec des ménagements que lui imposera la
pudeur sociale, soit avec la franchise d’une union libre acceptée? Ce
lien, insuffisant et incomplet, de ce qu’il la protège moins que le
mariage, vaudra encore mieux pour elle que l’agonie d’une existence
inutile.

Et elles accompliront du moins, en devenant mères, et bonnes mères, leur
mission.


LE DROIT A L’ENFANT

Oui, cela semble révolutionnaire. Cela choque et indigne nos préjugés.
Point d’enfants hors du mariage!

Et cependant les sollicitations naturelles de l’amour, de l’instinct
sont là, pressantes, impérieuses. Toutes les jeunes filles ne se marient
pas, et, le voudraient-elles, toutes ne peuvent se marier.

Est-ce qu’après l’effroyable hécatombe de vies françaises qui se sont
offertes au sacrifice, pour sauver le passé, le présent, l’avenir de
notre race, nous accepterons que le stupide massacre des innocents
continue? Car c’est un massacre annuel que provoquent la théorie Moloch
de l’opprobre, la flétrissure inepte appliquée, comme un fer rouge, à la
fille-mère.

Pour celle-ci, à quelque classe qu’elle appartienne, l’enfant est une
terreur et une malédiction. Combien de germes anéantis, aux mains des
avorteuses, de petits corps étranglés ou enterrés vivants; combien de
nouveau-nés dont la mère, à l’hôpital, se détourne avec horreur et
qu’elle livre à l’Assistance publique!

Un enfant hors mariage: quelle _tolle!_ Quel scandale dans la famille et
dans la Société! Pour d’assez nombreuses qui, dans le peuple, bravent
courageusement coups et injures, railleries et dédain, les autres, la
majorité reculent devant l’aveu de cette chair, de cette âme pétries
d’elles-mêmes, suppriment ce triste fruit ou le dissimulent, surtout
dans le monde bourgeois, par un accouchement clandestin et l’éloignement
immédiat du pauvre petit être, placé en nourrice, au loin.

Si l’on cherche cependant l’origine de la rigueur de l’Opinion et des
mœurs, on ne trouve rien que la Morale sexuelle, avec son idée fixe du
péché, l’obsession maladive d’une pureté imaginaire qui voit dans l’acte
normal un stupre; on retrouve aussi l’ancestrale, la féroce jalousie de
l’homme tenant à la virginité comme à la garantie d’un bien, d’une chose
réservée à son autorité et à son plaisir.

Origines barbare, origines mystiques, rien de conforme à une humanité
civilisée. Car, mal pour mal, le préjugé contre la fille-mère engendre
beaucoup plus de plaies sociales--la mort ou l’abandon de l’enfant, la
prostitution si fréquente pour la mère, que ne le ferait le libre jeu
d’institutions et de coutumes assurant à la maternité, d’où qu’elle
vînt, des soins matériels et des égards moraux, permettant à la jeune
mère de nourrir son enfant devant tous, sans s’exposer au blâme; car
toute vie est sacrée, et celle de l’enfant surtout, précieuse pour ce
qu’elle contient d’avenir.

C’est encore la Morale sexuelle qui, admettant cruellement le report, la
succession des responsabilités, frappe du même coup, non seulement la
mère coupable de légèreté, d’ignorance, d’imprudence ou parfois
d’honnête confiance et de sincère amour, mais aussi l’enfant qui, lui,
n’a pas demandé à naître, et envers qui rien ne justifie le discrédit
injuste que l’on fera peser sur lui.

Car l’enfant est la première, la principale, la plus lamentable victime
de cette Morale immorale, qui méconnaît les lois souveraines de la vie.
En vérité, que peut-on lui reprocher, à lui?

Avec les forces perdues qu’une Société comme la nôtre dédaigne ou
proscrit, avec les misères matérielles ou morales que son pharisaïsme
crée comme à plaisir, que d’énergies on pourrait utiliser pour le bien
et le bonheur, non seulement des individus, mais de cette Société
marâtre elle-même!

Il ne faut pas que la guerre, qui a tant détruit, soit suivie, après la
paix, de nouvelles ruines. Notre intérêt sacré nous ordonnera de
rebâtir, de ramener sur les champs de mort la fécondité. Toute femme qui
donne un enfant à notre pays devra être tenue en estime et respect.

Il ne doit plus y avoir de filles-mères, mais, simplement, des mères.
Mot magnifique par tout ce qu’il représente. Faisons-en un signe
d’honneur, et non plus de déconsidération!


PÈRE DÉCLARÉ

Il a fallu arriver au début du XXe siècle, et perdre plus de vingt-cinq
années en d’oiseuses discussions au Parlement et dans la Presse, pour
voir aboutir enfin la généreuse proposition de Gustave Rivet et
autoriser la recherche de la paternité.

Ce progrès est-il suffisant?

Non.

Il consacre le droit de la mère et de l’enfant, il n’impose pas son
devoir à l’homme. Il lui permet toutes les précautions anticipées, tous
les faux-fuyants de la mauvaise foi, et toutes les arguties de la
procédure. Il autorise une partie de cache-cache dérisoire et humiliante
pour les victimes, tenues à démontrer qu’il s’agit bien de ce père-là,
forçant le Tribunal à proclamer: «Coucou! le voilà!» Ce droit ne
garantit pas par lui-même les sanctions pécuniaires dues par le père
récalcitrant. Il ne le frappe pas de prison, s’il se refuse à
reconnaître son enfant.

Il ne suffit donc pas que la paternité puisse être recherchée par les
innocents laissés à l’abandon. Il faut qu’elle soit infligée comme une
obligation stricte au père oublieux, au séducteur égoïste, au lâche
gredin qui donne la vie et se refuse à la continuer.

Je ne vois qu’un moyen. Forcer le Père à déclarer à la mairie sa
paternité, sitôt celle-ci produite au jour. Et cela sans distinction
d’espèces. C’est par une monstruosité légale qu’il est actuellement
interdit au père adultérin ou même incestueux--le Code ne fait aucune
distinction entre eux--de reconnaître leur enfant et de subir leurs
nécessaires responsabilités.

Tout père de tout enfant devrait être astreint, sous peine de
poursuites, à faire sa déclaration dans les trois jours après la
naissance. N’objectez pas le fameux et éternel argument: la mère seule
est sûre de sa maternité, le père jamais. Il sait parfaitement si des
présomptions vraisemblables le dénoncent; il le sait si bien que, dans
la plupart des cas, la paternité peut se prouver par lettres,
témoignages sûrs, cohabitation avérée.

Alors, on ne pourra plus faire de l’amour ou du plaisir un passe-temps
sans lendemain? Finies, les surprises du sentiment ou des sens, avec
coup de chapeau ou baiser final: «Bonjour, ni vu ni connu!» On devra
payer l’addition? Mon Dieu oui! Qu’y voyez-vous d’immoral ou d’inique?

Est-ce que ce n’est pas à l’homme, créé pour la lutte de l’existence et
mieux armé pour elle, à endosser ses charges? On ne le forçait pas à
féconder; qu’il paye, de son nom d’abord, ensuite de sa bourse. Est-ce
que ce n’est pas un spectacle abominable, en regard de l’ignoble
désertion du mâle, que celui de ces femelles préférant avorter
misérablement, au risque de leur vie, en étouffant leur fruit en gésine,
ou l’abandonnant à l’Assistance Publique?

Déclarer son fils ou sa fille? Serait-ce une idée saugrenue, et n’est-ce
pas la chose la plus naturelle du monde? Y aurait-il une honte à faire
un enfant qui accroît le patrimoine du pays; soldat, saura le défendre;
ou femme, mettra au monde de nouvelles forces humaines? On déclare son
cheval, son chien, son automobile, ses revenus. Où donc est la raison
pour ne pas déclarer à l’État son enfant?

Quand tant de petits êtres meurent, faute de soins, ou par mauvaises
conditions d’hygiène, ou parce que la mère se débat contre la dure
pauvreté, est-il de l’intérêt social de parquer dans un enclos
disqualifié tant d’enfants débiles, sans protection, véritables parias,
menacés dans leur intégrité morale et leur vie physique, parce que le
père s’est esquivé comme un voleur.

Non, non! Il importe que toute échappatoire soit enlevée à ce triste
individu, à ce mauvais citoyen. Il faut qu’il sache d’avance, quand il
poursuivra son plaisir, ce à quoi il s’engage.

A tout enfant né, père déclaré!


MADEMOISELLE OU MADAME

J’écrivais il y a dix ans:

«Les idées les plus simples sont celles qui viennent le moins à
l’esprit. Rien n’égale la force des opinions reçues, sinon la poussée
lente des opinions en révolte. Ce que Napoléon Ier, à Sainte-Hélène
appelait le «terrible esprit de liberté».

Il souffle de partout en ce moment. De la lointaine petite Finlande, où
des femmes sont députées au Parlement; de la vaste Amérique, où elles
conquièrent presque toutes les professions; d’Angleterre, où les jeunes
filles s’émancipent de plus en plus; d’Italie, où le féminisme gagne et
s’étend. Cent ans ont suffi à la femme pour réclamer ses droits légaux,
sociaux, politiques, pour affirmer les débuts d’une révolution dont les
conséquences économiques et morales seront extraordinaires.

Entre les vœux le plus fréquemment formulés par les apôtres de la
revanche d’Ève sur l’oppression éternelle d’Adam, il en est un, tout
petit, mais gros de conséquences, auquel on ne saurait refuser plus
longtemps l’attention. Un rien, qui aiderait à modifier tout. Une simple
dénomination au lieu d’une autre. Que toute fille majeure fût appelée
madame et non plus mademoiselle.

Pourquoi, en effet, disent les porte-paroles du féminisme, cette
distinction entre les deux sexes, toute au profit du mâle et au
préjudice de la plus faible?

Monsieur, lui, est toujours Monsieur. Il l’est dès ses premières
culottes, et même avant.

La femme, au contraire, se voit classée, parquée en deux catégories
nettes, de signification brutale: selon qu’elle a reçu, par mariage et
non autrement, la consécration, l’empreinte masculine, ou qu’elle garde,
ou soit censée de garder, le trésor, même vieillissant, même inutile de
sa virginité.

Qui se soucie de celle de l’homme, sinon pour se moquer de celui qui ne
l’aurait pas--par grand miracle--dilapidée dans de médiocres, souvent
malpropres aventures? Et qui, au contraire,--Logique, où es-tu?--ne
s’informe de celle de la fille, dans le but avéré de la conspuer si elle
a commis, même par amour, même avec toutes les excuses et circonstances
atténuantes, la faute par laquelle elle perd on ne sait quoi
d’irrémédiable, subit un krach, une faillite sans réhabilitation?

La femme n’a pas le choix: rivée à la fatalité injuste de son sexe et à
l’inique répartition de la loi, elle est «Mademoiselle» ou bien elle est
«Madame». Ce n’est pas la nature, ce ne sont pas les droits de la raison
et du cœur, la force des instincts, la maternité même qui l’enferment à
droite ou à gauche de la barrière, dans le troupeau des vierges vraies
ou fausses, ou dans la caste des femmes pures ou non; c’est le mariage,
c’est-à-dire le joug légal ou arbitraire, le joug artificiel imposé par
l’homme.

Ne cherchez pas des raisons, vous n’en trouverez nulle autre que cette
rançon barbare et séculaire de la virginité, ce prix de la souffrance et
du sang, seul capable de rassurer la jalousie sauvage du mâle si égoïste
qu’il veut que la femme lui ait été fidèle avant, comme il entend
qu’elle lui soit fidèle pendant l’union, comme il voudrait--mais nous ne
sommes plus aux beaux temps des bûchers de l’Inde--qu’elle lui fût
fidèle jusque dans la mort.

Avez-vous vieilli obscurément sans rencontrer le mariage? Tant pis pour
vous, «Mademoiselle»! Votre vertu dédaignée des niais n’évoquera à leur
pensée, au lieu d’une discrète et touchante injustice du sort, que
l’image de ces couronnes de fleurs d’oranger qui se fanent sous globe,
dans la poussière et l’oubli, et dont vos compagnes mariées, plus
heureuses que vous, font l’offrande sur une cheminée aux invisibles
dieux lares.

Avez-vous obéi aux impulsions chaudes du sang, avez-vous aimé? Eh bien!
c’est du propre, «Mademoiselle»! Car en vain objecteriez-vous que vous
êtes femme et que vous avez payé, par assez de larmes peut-être, par la
cruauté de l’abandon ou le mépris public, le droit d’être appelée
«Madame». Vous n’êtes qu’une demoiselle qui a mal tourné. Et si votre
taille s’enfle, si votre ventre proclame la suprême déchéance d’une
maternité prochaine, n’espérez pas avoir gagné par là ce titre de
«Madame» réservé aux honnêtes épouses comme aux plus impudiques Mme
Marneffe. «Mademoiselle» vous êtes, «Mademoiselle» vous resterez. Et on
a inventé pour vous ce vocable d’une abominable hypocrisie:
«fille-mère,» comme si on pouvait être mère sans porter le nom réservé
aux femmes.

Sans doute fera-t-on remarquer qu’en fait beaucoup de femmes vivant avec
un compagnon choisi, soit du fait des circonstances, soit par
principe,--car l’union libre a déjà de nombreux adeptes,--prennent le
nom de leur ami, et qu’il se constitue ainsi beaucoup de ménages
parfaitement unis. Certes! Mais la malignité de la province, les
curiosités, les commérages! Ce titre de «Madame», si légitimement porté
aux yeux de la vraie morale, n’en reste pas moins indû, usurpé. Pour
tous les actes de la vie civile, il faudra le déposer, sous le regard
ironique ou gourmé des préposés officiels. Dans les bureaux de poste,
chez le notaire, aux banques, sur les feuilles de recensement, sur les
baux et loyers, «Madame», dès qu’elle agit en son nom personnel,
redevient «Mademoiselle».

Elle a pu lier sa vie à celle d’un brave homme, que, pour une raison ou
une autre, elle n’aura pas épousé; elle a pu avoir des enfants, elle
sera frappée dans ses sentiments les plus délicats et meurtrie dans ses
affections les plus chères; elle recevra en plein visage, comme
châtiment de n’avoir pu se marier, ou pas voulu, l’appellation
injurieuse qui semble lui dénier ses titres conjugaux et sa tendresse
maternelle.

«Mademoiselle» s’est offert un mari! «Mademoiselle» a osé mettre au
monde des enfants! Mais alors, que restera-t-il aux épouses consacrées
par M. le Maire et M. le Curé? Elles peuvent, celles-là, être des
compagnes irréprochables, des mères dévouées! elles peuvent aussi bien
compter parmi elles des gueuses, des prostituées, le même titre de
respectabilité les couvre: «Madame»! «Chère Madame»! «Madame»! gros
comme le bras!

Il n’importe que telle vaillante créature, accomplissant fièrement son
rôle, ait, comme certaines fortes femmes du peuple, donné cinq ou six
beaux enfants à son compagnon de vie. On est une «fille-mère». Mais que
telle bourgeoise patentée vive dans le mariage sans en connaître les
devoirs, «Madame» elle est, et elle reste. Ne vous récriez pas. La Cour
de Lyon,--il faut toujours en revenir à la jurisprudence, quand on veut
égayer d’exemples drolatiques un raisonnement sérieux,--la Cour de Lyon
n’a-t-elle pas autorisé un impuissant à se marier? Plus fort que cela!
La Cour de Cassation n’a-t-elle pas déclaré qu’une femme qui n’avait que
les apanages externes d’un sexe infertile devait, pour la plus grande
satisfaction de son mari, demeurer sa légitime épouse, une incontestable
«Madame».

Bien mieux, la Cour de Caen n’avait-elle pas décidé que--le mariage
étant avant tout l’union de deux personnes intelligentes et morales--la
femme, malgré une absence totale de moyens de reproduction, «ne peut
être rabaissée au point de ne voir en elle... qu’un organisme propre à
faire des enfants.» Si bien que ces personnes--on n’ose écrire: du sexe
féminin puisqu’elles n’en ont point--sont de très juridiques «madames»,
encore qu’elles ne puissent être ni femmes, ni mères.

L’absurdité de telles casuistiques ne donne-t-elle pas à réfléchir?

Voilà ce que font valoir les apôtres du féminisme; et ils auraient bien
des choses encore à ajouter, notamment ceci, à l’adresse des esprits
timorés qui s’inquiètent de ce qu’en penserait l’étranger, et qui se
demandent «si ça se fait» en Angleterre ou en Russie?

Le tribunal de Genève a rendu un récent arrêt par lequel il décide que
les vieilles filles ont _légalement_ droit au titre de «Madame», pourvu
qu’elles aient dépassé la trentaine. Ce jugement plein de bon sens vaut
bien, on en conviendra, ceux des cours de Lyon, de Caen et la Cour de
Cassation, cités plus haut. Ce n’est pas la première fois que la lumière
nous vient du libéral petit peuple suisse.

Ne la mettons pas sous le boisseau. Et si nous continuons à appeler
Mademoiselle les vierges sages ou les vierges folles qui le désireront,
concédons le titre de Madame à celles qui, légalement ou non, tout à
l’exemple de l’homme, ont fait prouve qu’elles ne sont plus même des
demi-vierges, et qu’elles sont femmes ou mères tout à fait.


LA CHASSE A LA DOT

La dot, voilà ce qui fascine notre bourgeoisie. Enfants et parents.

Eh bien, il faut avoir le courage de le dire: La dot est une plaie!

D’abord, sa poursuite est immorale. Surtout quand elle vient de jeunes
oisifs et d’incapables paresseux. Il y a là quelque chose qui répugne.
L’argent qui n’est pas le paiement d’un travail porte en soi quelque
chose d’abject. Seuls l’effort, le labeur, l’intelligence, la droiture,
la volonté employés à l’acquérir le purifient.

Ensuite, la dot a cela de vengeur qu’elle aveugle celui qui court après.
Sa femme sera-t-elle saine, lui donnera-t-elle de beaux enfants? Mais
oui, puisqu’elle est riche! Et il ne remarque pas, il ne _veut pas_
remarquer qu’elle a le sang pauvre, des tares héréditaires, des germes
morbides.

Sa femme sera-t-elle la bonne associée, la compagne instruite et
éclairée, le réconfort des heures difficiles? Mais oui, mais oui,
puisqu’elle est riche! Et il ne voit pas, il ne _veut pas_ voir qu’ils
n’ont pas un sentiment, un goût, une idée communs, qu’elle sera hostile,
étrangère, absente à son foyer.

Il ne vérifiera pas davantage s’il y a entre eux ces affinités
d’éducation, ces parités de milieu indispensables à l’entente, à la
compréhension mutuelles. Il ne se souciera pas des antécédents de
famille; il acceptera, les yeux fermés, tout ce qui pourra plus tard
devenir entre eux une cause de froideur, d’éloignement. Qu’importe cela?
Puisqu’elle est riche!

La dot lui bouche les yeux. Quant au bonheur, il ne doute pas qu’il ne
le possède avec l’argent. Le niais! Comme si le bonheur dépendait de la
fortune, comme si les besoins ne s’accroissaient pas en raison de ce
qu’on a, comme si la satiété ne suivait pas toute possession, comme si
on ne désirait pas avoir aussitôt davantage.

Quand la dot n’aurait que ce déplorable effet de détourner toute
clairvoyance, toute perspicacité, d’endormir tout soupçon, d’acheter, en
un mot, la conscience de l’homme, elle serait déjà odieuse et néfaste.

Son crime est plus grand, puisqu’elle supprime l’amour, ou, ce qui est
pire, apprend à le simuler, met au visage un masque effronté, aux lèvres
un sourire de séduction, aux yeux un regard de fièvre tendre qui vise
non la jeune fille, mais ce qu’elle apporte, le bienheureux portefeuille
bourré d’écus.

Voilà qui est tout à fait vilain, soit que, crédule, celle-ci ait la
candeur de se croire aimée pour elle-même,--quelle désillusion
l’attend!--soit que, consciente, elle se prête à un marché dont elle
sera plus ou moins dupe. Excellente entrée en ménage!

Mais, ce qu’il y a de pis, c’est qu’à trompeur, trompeuse et demi. La
dot n’est le plus souvent que le plus chimérique des attrape-nigauds.
Celui qui est refait, c’est le mari vorace, le glouton. Et, celui-là, je
ne le plains pas.

On la lui verse, sa dot, sa précieuse, sa gentille ou sa majestueuse
dot. Il la palpe, il la soupèse, il la serre sur son cœur. Va, mon ami,
rira bien qui rira le dernier! Ta subtile compagne, qui se croit le
droit de lever la tête parce qu’elle t’apporte ses beaux sous, a des
exigences de toilette, des goûts de luxe, des besoins de dépense qui
vont faire filer son argent et le tien. Oui, le tien! Tu ne t’attendais
pas à cela. Et le coulage, mon garçon! Le ménage à la dérive, les fuites
par tous les bouts. Si bien que le pauvre sire, qui a cru s’enrichir, se
trouve en définitive appauvri.

Madame le prend de haut; elle a été élevée ainsi; chez ses parents on ne
la privait de rien. Après tout, elle a versé sa rançon. Tant pis pour le
mari, si, au lieu de lui rapporter, elle lui coûte! Comédie de tous les
jours, drame parfois.

De là, pour tant de jeunes gens travailleurs, intelligents, courageux,
désintéressés même,--il y en a, pas beaucoup, mais il y en a,--la
difficulté de trouver la bonne compagne, celle qui saura tenir le ménage
avec économie et décence, s’associer aux travaux du mari, élever les
enfants. Ils cherchent une femme et ne voient autour d’eux que des
poupées.

La grande, l’utile, l’indispensable réforme qu’il faut attendre de la
conscience plus éclairée de notre bourgeoisie, de son intérêt même,
quand elle le comprendra, c’est la transformation du mariage, fondé non
plus sur l’argent et les convenances seulement, mais sur l’amour et le
mérite individuels.

Quand les jeunes hommes sauront qu’ils ne doivent compter que sur
eux-mêmes, leur initiative, leur travail; quand les jeunes filles se
rendront compte du rôle magnifique que la nature et la société exigent
d’elles et seront de plus en plus instruites, intelligentes, aptes à
tenir leur maison, sûres compagnes par avance de leur époux, le mariage
français rénové trouvera en lui-même ses garanties de force et de
moralité, ses chances de bonheur et de durée.

A l’heure où la natalité baisse de plus en plus, et où à la crise de la
vitalité française s’ajoute la crise du mariage, il n’est qu’une chance
de salut.

Elle est là et non ailleurs: supprimer la dot!


OBJECTIONS AU MARIAGE

L’union libre inquiète à raison la majorité de celles qui n’ont pas
encore trouvé d’épouseur. Il faut «sauter le pas». Et voilà ce qui
effraie tant de jeunes filles, averties par un secret instinct de
l’égoïsme et de la veulerie du mauvais compagnon qui les guette.

Le mariage, à option égale, demeurera, elles le savent, toujours
préférable.

Encore faut-il pouvoir se marier. Et nous tournons dans ce cercle
vicieux. La jeune fille voudrait bien; le jeune homme ne veut pas.

Demandons-lui pourquoi.

Les jeunes gens affirment que s’ils ne se marient pas, c’est de la faute
des jeunes filles et de leurs parents.

Comment cela?

«Nous gagnons notre vie, déclarent-ils, suffisamment pour nous,
célibataires. Le mariage nous appauvrirait. Il est donc légitime que
nous cherchions une dot représentant un avoir égal à nos revenus, qui,
remarquez-le, sont ceux d’un capital de travail toujours en mouvement et
d’efforts renouvelés.

«Or, lorsque nous nous adressons à une jeune fille possédant une dot,
même minime, dont nous nous efforcerions de nous contenter, les parents
et la jeune personne le prennent de haut et nous envoient promener.
Leurs prétentions passent fort au-dessus de notre tête. On nous fait
sentir que nous sommes bien audacieux d’oser prétendre à une union
semblable. Il faut au moins à la donzelle un mari deux ou trois fois
plus riche qu’elle.»

Voilà une objection de poids.

Bien des hommes mûrs et sérieux,--de vieux garçons à qui le mariage, ses
aléas, ses responsabilités font peur, formulent un autre argument; le
voici:

«Une femme doit veiller au foyer, entretenir le bien-être, surveiller
les enfants et la servante, être économe, raisonnable, gardienne
vigilante du nid familial. Or, nous ne trouvons plus de jeunes filles
décidées à remplir les devoirs de leur mission. Celles auxquelles nous
nous adressons sont coquettes, frivoles, dédaignent ces humbles et
utiles travaux qui sont indispensables dans les ménages moyens. Diriger
la cuisinière, mettre la main à la pâte, faire un point de couture,
veiller à l’entretien du linge, ranger les armoires, ah! bien, oui!
Mademoiselle n’a cure de cela! Elle n’a que chiffons en tête!»

Sans méconnaître ce qu’il y a de fondé dans l’une et dans l’autre de ces
objections, peut-être le double malentendu dont il s’agit n’est-il pas
si nouveau qu’il en a l’air. De tout temps on a désiré mieux que ce à
quoi l’on pouvait prétendre. Et si des jeunes filles sans dot ou avec
dot sont frivoles, exigeantes, élevées sans solidité, est-ce un
spectacle sans précédent? Et l’erreur des jeunes ou des vieux garçons
mécontents ne tiendrait-elle pas à ceci, qu’ils s’acharnent à chercher
leur femme dans des milieux où ils ne trouveront pas les qualités
morales qu’ils souhaitent?

Remarquez que l’idée viendra très rarement à un homme travaillant dans
cette caste demi-bourgeoise qui englobe les bureaux, les affaires,
l’industrie et le commerce, d’épouser une collègue de travail. Au
contraire, il a pour elle des sentiments de camaraderie tantôt
suffisamment cordiale et tantôt résolument hostile. Il la subit comme
associée de labeur; il ne pense pas à en faire sa compagne. On dirait
qu’à ses yeux le travail, au lieu d’être un honneur, est une tare. Il
rêve de la jeune fille bien habillée, qui ne fait rien de ses dix
doigts. Et il s’étonne ensuite qu’elle soit vaine, futile, et qu’elle
rêve, de son côté, au jeune homme bien mis, renté grassement et pourvu
d’une auto.

Il n’est pas douteux que, dans la classe bourgeoise moyenne, des goûts
de plaisir, de luxe et de frivolité aient remplacé les vertus ménagères
d’autrefois. Il n’y a pour cela qu’à comparer la différence des besoins
et des exigences des jeunes et des vieux, la simplicité d’il y a
quarante ans. Si on tient compte de la cherté accrue de la vie, on
s’explique que le mariage, considéré en France comme une affaire, chôme
de plus en plus.

Faut-il donc désespérer? Non. L’instinct de la vie est trop fort pour ne
pas triompher. Le courant des idées qui nous porte à plus d’audace, à
plus de liberté, à plus de franchise, ne s’endiguera pas de sitôt. Par
la force des choses, beaucoup de jeunes filles, à qui le mariage sera
refusé, iront à des unions volontaires que l’usage et les mœurs
ratifieront.

Un jour viendra où toute liaison d’amour et de dévouement, régulière ou
non, où toute naissance, légitime ou non, seront respectées comme elles
le méritent. En attendant, c’est le mariage qu’il faut conseiller: aux
jeunes hommes, puisque c’est d’eux surtout qu’il dépend, et aux jeunes
filles, puisque c’est là qu’elles trouveront le plus de stabilité.

Mais cette préférence, que les mœurs et les lois nous dictent, ne doit
pas être abusive et agressive. A côté du mariage parfois impossible,
l’union libre, lorsqu’elle est fondée sur la sincérité et la droiture,
doit avoir sa place, une place aussi haute et aussi digne d’égards; car
elle suppose souvent plus de difficultés vaincues et plus de douleurs
traversées.


CAS DE CONSCIENCE

L’illogisme des lois et des mœurs est souvent déconcertant. On sait à
quoi point le mariage, et le mariage fécond, nous semble une nécessité
vitale pour notre pays. Ce mariage, nous le souhaitons jeune, débarrassé
des vils soucis de dot, allégé de toutes formalités inutiles, de toute
tutelle parentale, facile à contracter, moins difficile à rompre.

Or, un cas de conscience très grave se pose pour l’individu et la
Société.

Oui, il faut se marier; oui, on doit revendiquer les devoirs, les
charges, les peines et les joies de la paternité et de la maternité.
Oui, la loi se doit de mettre le mariage à la portée de tous, riches et
pauvres, en supprimant toutes les paperasses inutiles, tous les actes
encombrants; en n’exigeant que la libre volonté des deux conjoints.

Mais, d’autre part, il conviendrait d’éclairer suffisamment la moralité
publique pour qu’un être malsain, contaminé, dangereux, ne risque pas
d’engendrer des enfants malades, d’apporter à sa compagne l’infection,
le désespoir, d’incurables dégoûts.

Ce cas de conscience, quiconque songe à se marier doit se le poser.

Eh bien, trop souvent l’influence des familles est néfaste et pousse à
des mariages qui sont de mauvaises actions et parfois de véritables
crimes. Parfois, je le veux bien, les parents se font des illusions et
sont de bonne foi. Ils croient que le mariage moralisera leur enfant,
qu’une vie régulière assainira sa santé perdue. Mais que de
circonstances aussi où ils font taire leurs scrupules, s’ils en ont, au
nom de leurs intérêts, et, s’ils se croient désintéressés pour
eux-mêmes, au nom de l’intérêt de leur fils ou de leur fille. Que de
fois ils assument une honteuse complicité, que la loi impuissante ne
châtie pas et que l’opinion indifférente ne flétrit pas. Il arrive aussi
qu’ils ignorent: mais c’est plus rare.

Et alors on voit cette abomination: par calcul, par égoïsme, par mille
motifs bas, un individu prend femme sans se soucier de la contagion
qu’il peut lui apporter, des petits malheureux qu’il risque d’engendrer.
Nul ne l’en empêche, et souvent ses proches l’y engagent. Un seul homme,
dans certains cas, a droit de conseil, et de conseil inécouté: ce
confesseur qu’est le médecin.

La belle avance!

Il parle, oui, mais pour un sourd, pour un aveugle, pour un être muré.
Et si celui qu’il s’efforce en vain d’endoctriner et de convaincre passe
outre, le médecin n’a qu’un devoir légal: se taire!

Il doit assister, les bras croisés, à ce que sa conscience lui démontre
une scélératesse. Le secret professionnel lui met sur la bouche un
bâillon, le ligote et l’étouffe.

Que de drames muets dans l’âme de praticiens intègres, que de sourdes
révoltes! Que de reproches amers qui ne franchissent pas les cloisons
d’une chambre ou d’un cabinet de consultation! Pris entre sa conscience
d’homme et sa conscience professionnelle, le médecin ne risquera pas le
blâme de ses confrères, le discrédit jeté sur sa carrière, un procès
perdu d’avance, l’amende, la punition exemplaire; car il serait puni,
oui, pour avoir fait son devoir de citoyen, sauvé une ou plusieurs
santés humaines.

Et voyez l’illogisme, l’absurdité de la loi inconsciente au point d’en
apparaître monstrueuse.

Non seulement elle favorise le mariage d’un avarié dangereux, d’un
tuberculeux avancé, puisqu’elle force à se taire le seul homme qui
pourrait l’avertir et l’empêcher, mais elle exige la consommation de ce
dommage public. Elle veut que l’avarié continue à avarier sa femme et
ses petits, car l’avarie n’est pas encore un cas de divorce formel,
dépend de procédures coûteuses, longues, de dénis de justice toujours
possibles, d’assistances judiciaires souvent refusées.

Quant au tuberculeux, au nom d’une fausse pitié, elle lui livre la
femme, les enfants nés, à naître. Elle se refuse à les délivrer. Elle
repousserait toute demande en divorce de ce chef. Tout autant,
maintient-elle le carcan conjugal s’il s’agit d’un demi-fou ou d’un fou
tout entier. Fût-il interné dans un asile ou une maison de santé, y
croupit-il depuis vingt ans, trente ans, pas d’espoir, pas d’évasion. Le
mariage à perpétuité.

Tout autant pour l’alcoolique vomissant les injures, frappant en brute
les siens. Chose inouïe: on dirait que la loi se désintéresse du mariage
dans ses meilleures comme dans ses plus funestes conséquences. Elle
semble dire: «Pour se marier, il faut l’autorisation de vos parents, du
commissaire de police, du maire, de votre concierge. Et puis,
débrouillez-vous. Du moment que vos paperasses sont en règle, cela ne me
regarde plus!»

Et chaque jour, autour de nous, un incroyable amas de misères et de
douleurs palpite, proteste, se tord en gémissements et en impuissantes
malédictions. Un seul homme pourrait intervenir à temps, et cet homme ne
le peut pas: la loi le lui défend.

Émus de cette situation aussi cruelle qu’absurde, des médecins se sont
demandé si l’on ne pouvait y remédier. Et l’un d’eux, le docteur
Cazalis, il y a une vingtaine d’années, a proposé que les fiancés
apportassent à la famille dans laquelle ils vont entrer le certificat
médical constatant qu’ils sont aptes au mariage, et qu’en tout cas,
aucune tare contagieuse ou de nature à rendre l’union intolérable ne les
démontre impropres à leur mission.

Ce serait en effet une solution. Et si elle entrait dans les mœurs, les
mœurs ne pourraient qu’y gagner. Malheureusement, le diable ne perdant
jamais ses droits, l’union libre bénéficierait--si toutefois, on peut
employer ce mot--de ce que perdrait le mariage; et à côté de celui-ci
fourmilleraient quantité d’unions irrégulières, viciées par la maladie,
les tares mentales, refuge de tous les invalidés du lien légal, de tous
les infirmes non reconnus valables pour l’hyménée.

Qui en pâtirait? Les enfants, encore et toujours.

Puis, on aurait beau jeu à opposer les inconvénients et les dangers de
cette conscription d’un nouveau genre, à en signaler les côtés comiques.
Les excès, les abus se montreraient vite. Tout pesé, il ne semble pas
que le certificat médical puisse revêtir un caractère d’autorité
publique. C’est alors que le mariage, déjà tardif, déjà peu
enthousiaste, deviendrait une institution précaire à laquelle l’État
serait forcé d’allouer des primes. Par amour-propre, par méfiance, par
crainte de l’avis du médecin, que de jeunes gens se soustrairaient à une
obligation désagréable et préféreraient séduire, sans risques, des
femmes qu’ils se promettraient de lâcher le jour où elles auraient cessé
de leur plaire.

Mais ce qu’on ne peut demander à la Société, on peut le réclamer de la
conscience de l’individu.

Nul ne devrait se marier sans avoir consulté son médecin, et nul ne
devrait outrepasser ses conseils ou ses injonctions. Celui qui, se
sachant malade et contagieux, se marie en risquant de contaminer sa
compagne et sa descendance; celui qui, malgré le désaveu des médecins,
commet froidement ce crime, devrait, en attendant les sévérités de la
loi et les justes compensations qu’elle exigera un jour, ne rencontrer
partout que le mépris des honnêtes gens, dressé contre son opprobre.


L’AMOUR DANS LE MARIAGE

Lorsque, devant la «Commission de réforme du Code civil», Paul Hervieu
proposa que l’_Amour_ fût inscrit parmi les obligations réciproques des
époux, il émit, pour l’étonnement de beaucoup et la raillerie du grand
nombre, une vérité d’ordre supérieur, capable, si elle entrait dans les
mœurs et recevait de la loi une sanction pratique, de transformer et de
purifier le mariage, presque toujours affaire de convenances et
d’intérêt, trop rarement union des cœurs.

L’Amour, oui, mis enfin à sa place, faisant disparaître l’antagonisme
que la morale bourgeoise institue entre l’élan de la passion, la chaleur
de l’affection, et le mariage tenu pour une association d’argent, une
transmission de biens aux enfants.

L’Amour, oui, sous toutes ses formes, allant de l’amitié tendre à
l’ardeur passionnée; l’amour fait de compréhension, de bonne volonté,
d’attentions mutuelles, de soutien réciproque, d’entente consentie;
l’amour rapprochant les époux à travers les épreuves, les penchant
enlacés sur le berceau de leurs enfants.

N’objectez pas que ce soit impossible, puisque, déjà, entre l’amour et
le mariage, grâce aux épousailles des vingt et un ans (et pourquoi pas
plus tôt?) la réconciliation se fait chaque jour, au profit de Roméo et
de Juliette, vainqueurs des oppositions de leurs parents.

--Déjeuner de soleil, expériences fragiles, murmure-t-on.

Eh! mon Dieu! on verra bien! Laissez faire, laissez passer l’amour.
C’est encore la seule, la vraie force de la vie. C’est lui qui inspire
le plus de courage, d’enthousiasme, de beaux efforts. Ce sera toujours
autant de pris. Et, quoi qu’on en dise, mieux vaut qu’il ennoblisse de
sa présence le foyer conjugal, plutôt, exilé de sa vraie place, que de
s’incarner dans les fantômes voilés, séduisants et périlleux du bonheur
clandestin, de la faute étrangère.

Après l’horreur du cataclysme actuel et l’empoisonnement des âmes par la
haine entre peuples, il faut que l’amour vienne vivifier la famille
française et régénère le monde enténébré.

Il doit réclamer sa place au soleil, ne plus être l’instinct calomnié,
le voleur de nuit que l’on redoute et qui apparaît d’autant plus
attirant par son mystère, dans l’ombre de péché où la morale religieuse
le reléguait et le relègue encore.

L’amour, en effet, a été de tout temps le grand banni. Morale fausse,
Société avare, religions pusillanimes se sont alliées pour le clouer,
comme Prométhée, sur un rocher. Mais par une équitable vengeance, le
vautour immortel s’est retourné contre ses persécuteurs, et il a enfoncé
dans leur cœur ses serres et son bec d’acier.

Tributaires de l’amour impérieux, les hommes et les femmes ont connu
toutes les hontes de la vindicte sociale, toutes les misères du mensonge
et toutes les affres de la persécution. Et ce fut justice, parce qu’ils
avaient outragé, méconnu l’essence de l’amour, le plus simple et le plus
pur des rythmes éternels de la vie, le grand facteur d’harmonie, l’ordre
suprême des choses.

L’amour, qui portait sur son visage la candeur charmante d’Abel, cet
Adonis biblique, a pris, au pourchas, la face crispée de Caïn. Il s’est
faufilé comme le maître des ruses, l’envoûteur ténébreux. Il a connu la
bêtise justicière d’une Société qui voyait en lui le spoliateur, alors
qu’il était l’ami des êtres et leur rachat, une providence aux mains
douces. Il a connu les prisons, les fosses de terre vive, les bûchers.
Son martyrologe emplit l’histoire des siècles. L’amour vécut des chaînes
aux pieds: on le lapida, on fouetta à vif son beau corps d’éphèbe ou de
jeune femme. Il n’est pas de jour encore où il ne marche ensanglanté.

Il triomphera pourtant.

Non seulement dans les unions qui, en face de la convention hypocrite,
dressent déjà la franchise de leur tendresse courageuse, mais de plus en
plus dans un mariage où soufflera, avec l’air du dehors, la liberté.



LA FEMME ET LA POLITIQUE


LA PART DES FEMMES

Oui, leur part. Pourquoi ne la réclameraient-elles pas? D’ailleurs,
ont-elles le choix? C’est ce que l’on ne se demande pas assez.

Le choix, comment l’auraient-elles? Ce ne sont pas elles qui ont codifié
les conditions de la vie moderne. Elles en sont les premières victimes.
Ce n’est pas d’hier que Michelet a poussé son cri d’alarme devant ce
qu’il appelait un sacrilège: la femme entrant dans l’arène, concurrente
de l’homme aux labeurs, aux salaires, lui disputant ce pain que, de
moins en moins, il partage avec elle.

La femme veut vivre, voilà tout. Et c’est son droit.

Elle n’a vécu jusqu’à présent que comme reflet, comme écho, comme
esclave, dans l’ombre de l’homme. Elle n’a pas eu de vie personnelle.
Elle y prétend. Et elle ne réclame que son dû.

La part des femmes? Mais si l’on y réfléchit, combien elle est mince
encore! Combien peu elles ont leur droit de cité, leur droit légal,
familial, leur droit humain! Loin de nous insurger contre ce qu’elles
ont acquis, disons-nous bien que c’est fort peu de chose à côté de ce
qu’il leur reste à acquérir.

Voyons ce qu’a conquis la femme, et voyons tout ce qu’elle n’a pu
conquérir encore et que détient l’orgueil masculin, la suprématie du
plus fort, de celui qui fait les lois et les applique.

La femme, c’est le fait primordial, est entrée dans l’enseignement. Elle
s’est fait reconnaître comme éducatrice. On l’avait vue femme de
lettres, actrice, ouvrière du luxe ou de la peine, commerçante,
infirmière; on l’avait vue peintre, sculpteur; on l’avait vue
courtisane. On ne l’avait pas encore vue professeur; elle l’est. Mais
depuis combien de temps?

C’est en 1869 que la première candidate au baccalauréat se vit renvoyée
durement à ces travaux ménagers, que l’Arnolphe de Molière assigne à la
femme: couture, broderie, etc. C’est de 1881 que date la fondation des
lycées de jeunes filles, en 1886 seulement que les femmes, admises
dix-huit ans plus tôt à la Faculté de médecine, concourent pour
l’internat.

En vérité, c’est d’hier. D’hier qu’elles sont doctoresses, avocates.
D’hier qu’elles travaillent à l’École des beaux-arts et à la Villa
Médicis.

Leurs victoires, on les chiffre moins à la quantité qu’à la qualité.
Contre tant d’hommes détenant places, fonctions, honneurs, on cite une
femme qui, par miracle, grâce à un ministre libéral, représente ses
millions de compagnes dans les assemblées de choix.

On cite, en 1888, une femme qui entre au Conseil supérieur de
l’Instruction publique. En 1900, une autre qui pénètre au Conseil
supérieur du travail, au ministère du commerce. Une encore, féministe
éminente, prend part aux travaux de la commission extra-parlementaire du
régime des mœurs. D’autres deviennent membres du Conseil supérieur de
l’assistance et de l’hygiène. Et Mme Curie a professé à la Sorbonne.

Exceptions!

En revanche, si la femme peut défendre en justice une cliente ou un
client, elle est inapte à juger. Toute sa connaissance du droit ne lui
permet pas de passer de la barre au tremplin du tribunal. Et quand a été
créée la grande commission de révision du Code civil, on a vu cette
iniquité: aucune femme ne venant s’asseoir à cette table d’hommes,
d’hommes légiférant sur des femmes.

La femme peut être témoin dans les actes de l’état civil, mais elle n’a
point qualité pour les dresser, les enregistrer, les prononcer. Elles ne
sont ni secrétaires de mairie, ni adjointe.

Pour une à la Sorbonne, en est-il à l’Institut? Certaines, dont le nom
vient à l’esprit immédiatement, dépareraient-elles l’Académie française?
N’y tiendraient-elles pas avantageusement la place de tel ou tel?
Combien sont chevalières de la Légion d’honneur? Combien ont la rosette?

Ceci pour les titres officiels.

Au point de vue de sa capacité civile, n’est-il pas invraisemblable que
la femme, en se mariant, abdique sa personnalité, et, au regard de son
mari et de ses enfants, devienne la première servante de la maison?
N’est-il pas révoltant qu’elle soit, dans son ménage, sans pouvoir, sans
argent, sans droits, dépossédée de son âme et de son corps?

Au point de vue politique, son rôle est nul.

En vain, deux projets de loi ont-ils été déposés et demeurent enterrés
sous la poussière et l’oubli; l’un proposait d’admettre aux élections
municipales, cantonales, législatives, les femmes célibataires, veuves
et divorcées; un autre, en 1906, plus libéral, appelait au vote les
femmes mariées, mais restreignait leur voix aux élections des conseils
municipaux, des conseils d’arrondissement et des conseils généraux.

En vain, le Conseil national des femmes organisait-il jadis un vaste
pétitionnement, qui ralliait l’appui du Comité central de la Ligue des
Droits de l’homme, soit 73.000 adhérents. La femme française, mineure en
son foyer, reste mineure en l’État.

Mais, patience!

S’il est vrai que l’union fait la force, cette vérité servira surtout
aux femmes, à leur merveilleux pouvoir d’action, de propagande. Les
ruches se réveillent, les fourmilières s’agitent.

Aujourd’hui, les femmes de presque tous les pays ont une arme de
revendications: c’est le Conseil international, qui, en 1888, naquit
d’un Congrès à Washington, et d’un autre à Chicago, en 1893.

D’année en année, le Conseil international des femmes, constitué par un
bureau de sept membres et tenant des assemblées quinquennales, a vu
s’affilier les groupements féministes constitués dans chaque pays en
Conseil national.

D’abord, le Canada, puis, successivement, la représentation des femmes
suédoises, anglaises, celles de la Nouvelle-Zélande. Puis ce fut le tour
de la République Argentine, de la Suisse, de l’Autriche, de la Norvège
et de la Belgique. En 1906, vingt et un Conseils nationaux étaient
entrés dans cette confédération des intérêts féminins.

L’avenir est là. On l’a vu aux Congrès de Londres, de Berlin, au Congrès
interquinquennal de Paris. On le verra de plus en plus, le jour où la
femme qui, jeune fille ou mariée, ne peut disposer de son argent,
pourra, grâce à de plus justes lois, disposer de ce qui lui appartient
et le mettre au service de la cause commune.

On ne saurait nier la magnifique éclosion d’idées, le mouvement que par
la presse, les revues et journaux féministes, les conférences, les
groupements, Sociétés, Congrès de toute nature, ont affirmé, en ces
dernières années, les efforts de la femme française.

Là, l’élite remplace le nombre. Mais le nombre viendra, soyons-en sûrs,
à l’élite par l’élan invincible des circonstances. Souvent, à la lenteur
du progrès, on ne mesure pas la marche des grands mouvements économiques
et sociaux. On entend des craquements, on voit des fissures, et l’on
perçoit bien qu’un grand fleuve souterrain circule.

Tel est le destin de la poussée féministe.

Elle s’amasse, elle s’accroît, elle rallie les hésitantes, elle fait
corps avec toutes les faibles, elle se lasse autour des révoltées.

Bientôt, le fleuve crèvera de terre. Et la femme aura accompli sa
révolution.


LA VOIX DES FEMMES

Parviendront-elles, après la guerre, à se faire entendre?
Amèneront-elles l’opinion, le Parlement à leur reconnaître ce droit de
suffrage, ce droit de vote et d’éligibilité qui devient peu à peu, pour
toutes les classes féministes, le but commun?

Que la femme doive pouvoir voter, une fois remanié le suffrage
universel, cela ne fera aucun doute pour ceux qui reconnaissent en elle
l’égale ou l’équivalente de l’homme. Comme lui elle pense, comme lui
elle vaut, et surtout comme lui elle travaille. C’est là son titre
indéniable, ses véritables lettres patentes. C’est ce qui lui donne
titre à parler, c’est ce qui l’autorise à prendre sa part des
responsabilités civiques, puisqu’elle assume, elle aussi, sa part des
charges économiques.

Six millions de femmes, avant la guerre, exerçaient une profession. Et
combien plus? à présent! Six millions de femmes,--chiffre déjà
énorme!--maniaient l’aiguille, la plume, l’ébauchoir, le livre
d’enseignement, le scalpel, le Code, les leviers, les volants, les
manettes à l’usine, la machine à écrire dans les bureaux, la bêche et la
brouette aux champs. Qu’elles montent sur les planches, reines d’un
soir, ou qu’elles récurent les casseroles et mijotent le ragoût,
servantes de tous étages; que de leurs doigts agiles elles
confectionnent le chapeau coquet ou la robe harmonieuse; qu’elles aunent
du ruban ou aident les bébés à naître, six millions de femmes en temps
normal luttent, triment, gagnent leur pain, et quelques-unes la brioche,
au prix de leur labeur; et combien là-dessus ne gagnent même pas, avec
les chômages et les mortes-saisons, sans parler des grèves, de quoi
manger à leur faim!

Dites-vous que près de trois millions de paysannes se courbent sur la
terre, qu’on compte près d’un million de domestiques femmes, près d’un
autre de couturières de divers métiers, près d’un autre encore
d’ouvrières d’usine. Le solde se compose de milliers et de milliers
d’institutrices, d’employées, de modistes, d’accoucheuses, de quelques
centaines, de doctoresses, d’écrivains, d’artistes.

Refusera-t-on à ces laborieuses le droit de choisir des mandataires
conscients ou conscientes de leurs intérêts; et n’ont-elles pas le droit
et le devoir de s’intéresser aux grandes questions d’assistance ou de
protection de l’espèce, qui, pour elles particulièrement, sont des
questions vitales?

Après l’admirable labeur fourni, pendant la guerre, par les femmes
françaises, après l’organisation civile et militaire des femmes
anglaises conquérant ainsi de haute lutte leur droit de _suffragettes_,
il est superflu de revenir sur les raisons de principe qui militent en
faveur du suffrage des femmes. Assez de faits acquis démontrent que les
femmes peuvent voter avec sagesse, sans nuire à leur rôle familial, et
qu’elles seront les meilleures artisanes du progrès social.

Le suffrage des femmes en France n’est point, au surplus, la nouveauté
qu’on croit. Elles ont voté pour les États généraux, et exercé ce droit,
par procureur, il est vrai. Les noms des femmes côtoient ceux des hommes
sur les listes électorales des États généraux de 1789. Elles ont figuré
aussi aux assemblées communales, en raison du rang qu’elles occupaient
dans la commune, la ville ou le fief. En 1848 elles ont réclamé leurs
droits, lorsque le suffrage universel a été accordé aux hommes.

Reproduira-t-on le sot argument que la femme ne paie pas l’impôt de la
guerre? Mais d’une statistique, d’ailleurs délicate et complexe à
établir, il semble résulter que la maternité, le plus périlleux des
devoirs et le plus lourd, a sacrifié cinq à dix fois plus de femmes
qu’il n’est tombé d’hommes sur les champs de bataille. Ceux qui refusent
aux femmes le bulletin de vote, sous prétexte qu’elles ne paient pas
l’impôt du sang, devraient logiquement accorder de cinq à dix bulletins
supplémentaires à chaque mère.

N’est-il pas extraordinaire de penser que le suffrage universel met le
bulletin de vote dans les mains d’une masse d’esprits ignorants,
d’alcooliques, d’êtres immoraux et tarés, et qu’il le refuse à des
milliers de femmes courageuses, laborieuses, force de la race et soutien
véritable du pays? Songez donc qu’en Angleterre, il y a déjà 312
doctoresses, 190 médecins-femmes dentistes, 10 vétérinaires, 380
journalistes, 98 agents de change, 453 huissiers, 3,699 peintres,
photographes ou dessinateurs attachées à la presse. Songez qu’en
Amérique, dans les compagnies de chemin de fer, des femmes sont chefs de
traction, directrices, membres actifs des conseils d’administration.

Il n’est que de constater ce qu’elles ont fait, dans les pays où elles
votaient il y a déjà dix ans. Les résultats sont d’une rare éloquence.

Aux États-Unis le droit de vote politique fut accordé aux femmes dans
quelques États de l’Ouest. Mais c’est à la Nouvelle-Zélande et en
Australie que le mouvement a pris le plus d’ampleur.

Dans ce dernier pays, l’influence des femmes a fait voter une excellente
législation pour la protection des ouvrières: journée de huit heures,
hygiène exemplaire, salaires suffisants. L’influence des femmes a fait
améliorer la législation des industries pour les hommes eux-mêmes. Elle
a contribué à la protection des enfants, au relèvement du niveau moral
du peuple, à la lutte contre l’alcoolisme et la passion du jeu, à la
grande œuvre humanitaire des retraites générales pour la vieillesse qui,
sur le budget de l’État et sans contribution des intéressés, doit
assurer une retraite à tous les Australiens âgés de plus de 65 ans.

Dans la Nouvelle-Zélande, le suffrage des femmes, dû à sir Robert Stout,
a exercé la plus heureuse influence. Il a instauré une législation
antialcoolique dont pourraient s’inspirer nos législateurs, et en vertu
de laquelle la plupart des districts ruraux ont voté l’interdiction
absolue de la vente de l’alcool. Les villes ont suivi peu à peu
l’exemple, et dans un temps prochain, grâce aux femmes, l’alcoolisme et
ses terribles dangers auront vécu à la Nouvelle-Zélande.

En Europe, les femmes votent en Finlande, elles votent en Norvège.
L’expérience faite en Finlande n’a pas été moins rassurante que dans le
Nouveau-Monde. Là encore les femmes ont fait voter l’interdiction
absolue de la vente de l’alcool, fixer à huit heures la journée de
travail dans la boulangerie, discuter un grandiose projet d’assistance
maternelle, d’après lequel les mères nécessiteuses resteraient salariées
six semaines avant et huit semaines après l’accouchement, tout en
cessant leur travail. En 1907, dix-neuf femmes ont siégé à la Diète
finlandaise, et vingt-cinq en 1908. Parmi ces députées, on trouvait une
inspectrice du travail, une directrice de bureau de placement ouvrier,
six institutrices, cinq couturières, une blanchisseuse, deux
domestiques, deux ouvrières de fabrique, une ancienne étudiante et une
doctoresse.

La moitié de ces députées sont des mères de famille ou des femmes
mariées, qui attestent ainsi la compatibilité de leur fonction politique
avec leur fonction maritale ou maternelle.

Voilà donc qui est établi; aux deux bouts extrêmes du monde, mues par le
même instinct de solidarité généreuse, les femmes ont fait voter la
protection de l’ouvrière et de l’ouvrier, l’abolition de l’alcoolisme,
ont réclamé la retraite pour la vieillesse et l’assistance aux mères.

Que répondre à cela? Il ne s’agit pas de plaidoiries pour ou contre,
d’incursions en Utopie; nous nous trouvons devant des réalités. Et je ne
parle pas d’autres revendications, comme, en Finlande, le droit à
l’héritage pour les enfants naturels, des peines sévères pour les
mauvais traitements infligés aux enfants, l’extension des droits de la
femme mariée, la création par les communes d’établissements d’éducation
pour les enfants pauvres et abandonnés, etc. Toutes mesures inspirées
d’un esprit noble, d’un sens élevé de la justice.

Mais si aucune des craintes que l’on pouvait avoir ne s’est justifiée,
si la famille n’a subi aucune atteinte, si l’on n’a pas vu le mari et la
femme séparés d’opinions, ou la femme désertant son logis pour courir
les clubs alors que ses marmots braillent ou que le rôti brûle,
si--crainte plus sérieuse--on n’a pas vu les suffrages féminins modifier
l’orientation politique, en revanche on a pu mesurer les bienfaits de
leur immixtion dans la vie publique.

Le régime parlementaire s’en est trouvé assaini du coup, relevé comme
niveau moral. Peut-être le rigorisme des femmes australiennes a-t-il été
un peu excessif dans son traditionalisme, puisqu’elles n’ont admis comme
candidats que des époux et des pères de famille irréprochables, excluant
ainsi de la vie publique quelques personnalités de valeur dont la vie
privée était indépendante. Mais ce sont excès où le mieux est l’ennemi
du bien. Cela se tassera. Les femmes deviendront de plus en plus
libérales, affranchies des dogmes rigoureux ou des morales trop
étroites.

Ce qu’elles ont fait déjà est admirable. On ne le saura jamais assez. On
ne le dira jamais trop. Elles ont conquis par là pour leurs sœurs de
tous pays le bulletin de vote mondial.



LA FEMME ET LE MARIAGE


LE VIEUX MARIAGE

Nous vivions sous la loi d’un vieux mariage, à peine rajeuni par le
divorce étroit et l’indulgence blasée des juges en matière d’adultère.

La guerre est venue.

Elle a été la pierre de touche de bien des unions. Affranchie de la
présence du mari, parfois avec regret, parfois avec soulagement, la
femme s’est trouvée exposée à mille tentations nées de sa liberté
nouvelle, de l’occasion facilitée, des contacts imprévus, de l’oubli
involontaire qui, au cours des longues absences, efface jusqu’à la
précision des visages, enfin des ardeurs secrètes de l’abstinence,
ardeurs exaspérées par l’atmosphère nerveuse de l’époque, et souvent
même, aux villes frontières, par l’imminence du péril.

Sachant ce à quoi la présence brutale de l’ennemi les exposait, combien
de femmes, dans un affolement de l’âme et des sens, ont préféré
s’abandonner à ceux qui luttaient pour les défendre! Que de liaisons
ainsi jaillies au choc de la curiosité, de l’entraînement, parfois du
vice, au profit des nôtres et de nos alliés!

Sans doute un grand nombre d’épouses qui aimaient, ou qu’un devoir plus
haut, une ferme conscience a retenues, se sont conservées pures. Mais
elles n’en font ressortir que davantage les licences prises par les
autres, licences expiées par des meurtres conjugaux, l’accroissement
très sensible des divorces de guerre, prélude d’innombrables divorces de
paix, quand les combattants revenus règleront leurs comptes.

Pour certains ménages raffermis, quantité, qui ne subsistaient que par
la force de l’habitude ou pour la femme, le joug de la nécessité, vont
se dissoudre.

La guerre, constatons-le, aura porté un coup mortel au vieux mariage, au
mariage séculaire.

Et c’est une question redoutable.

Jamais, en effet, la famille n’aura eu besoin de se constituer sur des
bases plus solides par la stabilité et la continuité. Jamais, après un
pareil bouleversement qui a livré tant d’enfants à eux-mêmes, aux
tentations de la paresse et de la rue, n’apparaît plus indispensable
d’assurer, à ces consciences encore débiles, une direction parentale
consciente, une sûre et ferme protection morale. Et tout témoigne que,
par une antinomie fatale et irrésistible, le mariage d’autrefois, déjà
ébranlé, va subir, subit déjà une crise formidable.

Momentanée? Je ne crois pas. On ne goûte pas impunément à la liberté. Et
les conquêtes qu’elle sanctionne restent acquises. La femme redeviendra
de moins en moins l’esclave de l’homme. Une minorité reprendra le joug,
la majorité, point. La femme défendra non seulement les avantages gagnés
dans l’ordre économique, mais ce qu’elle considérera comme la justice
pour ses droits civils. Et les heurts rudes et peut-être cruels, qui
résulteront de conflits maritaux certains, l’irriteront sans la
soumettre, la pousseront à s’affirmer encore plus un être, sinon égal,
du moins équivalent à l’homme.

C’en sera fini de l’infériorité humiliante consacrée par le Code, sous
diverses formes: obéissance, devoir conjugal, pénalités de l’adultère.
La femme n’acceptera plus que son mari ait une excuse valable à la tuer,
s’il la surprend avec un amant. Elle se révoltera à l’idée qu’il puisse
réclamer encore,--le Code n’a point abrogé l’article 337,--son
emprisonnement comme pour une voleuse. Elle ne supportera pas davantage
l’idée de faire, sans tendresse, abandon de son corps au mari, et de
subir des grossesses auxquelles sa volonté n’aura point eu de part. Elle
jugera révoltant le devoir conjugal que ne purifie pas un peu
d’affection, ou que ne justifie pas l’élan réciproque du désir ou de la
procréation.

Et si, épouse, elle entend être traitée avec égards et loyauté, mère,
elle réclamera sa part d’autorité dans l’éducation de ses filles et de
ses fils. Aujourd’hui l’homme décide. Seul, il peut envoyer ses enfants
soit dans une école religieuse, soit au lycée. Seul, si l’enfant se
rebelle, il peut exercer le droit de correction et le faire emprisonner
dans une maison spéciale. La femme n’acceptera plus son rôle d’îlote.
Elle l’acceptera d’autant moins qu’elle se sera rendu compte que, dans
la procréation, son rôle est, sinon prépondérant, du moins le plus
méritoire, le plus pénible et le plus sacrifié.

Compagne et associée dans le mariage, la femme enfin, à juste titre,
voudra ne plus être victime de contrats qui inféodent ses biens au bon
vouloir, au caprice, aux déprédations du mari et l’exposent à la ruine,
elle et ses enfants, sans qu’elle puisse s’y opposer.

Le vieux mariage ne se rajeunira et ne s’assainira que dans la
conscience de la liberté mutuelle qu’y apporteront l’homme et la femme.
C’est un mouvais moyen que la contrainte pour plier les individus, car
ils ne songent dès lors qu’à l’éluder; et la fréquence des adultères,
jadis surtout masculins, aujourd’hui réciproques et en plus grand nombre
féminins, en fait foi.

Entre l’union libre et le mariage libéré, il n’y a pas d’hésitation
possible; et si le second semblait, ce qui n’est pas démontré, inférieur
au mariage d’autrefois, mieux vaudrait qu’il perdurât sous cette forme
que de disparaître peu à peu, comme une vieille machine grinçante,
boiteuse et disloquée.


LA FEMME MARIÉE ET L’OBÉISSANCE

Le Code crée aux époux, à côté de devoirs égaux, fidélité, secours,
assistance, des devoirs illégaux: à l’homme la protection, à la femme
l’obéissance.

Partage dolosif, car si trop souvent la protection de l’homme est
illusoire, l’obéissance de la plus faible est trop réelle, et permet au
protecteur tous les abus de la force physique et de l’autorité légale.

L’obéissance de la femme se justifie de moins en moins depuis que,
sortie de sa servitude, elle s’est affirmée, par son travail et son
intelligence, l’égale de l’homme. Cette obéissance se justifie d’autant
moins qu’elle n’est ni précise ni limitée et s’entend dans un sens
absolu.

En fait, l’article 213 du Code civil place la femme sous la main-mise
totale du mari. Le mari peut, en vertu de l’article 214, imposer à sa
compagne le choix de leur résidence, si lointaine ou malsaine qu’elle
soit, et la contraindre à y habiter. Chef de la communauté, il dispose
de l’argent à sa guise; père de famille, seul il a la haute main sur
l’éducation des enfants. Investi, cela va de soi, du droit de possession
conjugale, il peut infliger à sa femme une cohabitation parfois
répugnante et des rapports qui violentent odieusement l’âme et le corps.
La loi ne laisse à la femme mariée aucune échappatoire: elle est
formelle et dure comme un coup de bâton... «Obéissance au mari». Vlan!

Il est facile d’objecter qu’en fait, très fréquemment par sa patience,
par son astuce, ou par son énergie selon les cas, par l’influence aussi
de ses charmes, dont elle s’abaisse à jouer comme d’un appât et d’une
récompense, la femme conquiert au foyer une autorité sans conteste.
C’est sa revanche contre le Code: et les plus malignes mènent des maris
impérieux par le bout du nez, tout en ayant l’air de leur céder.
D’autres, sachant la faiblesse de leur compagnon, n’y mettent pas tant
d’égards, et, à force de tracasseries ou de scènes agressives, obligent
le malheureux «protecteur» à acheter, par sa soumission récalcitrante,
le bienfait sans prix, cause de toutes les lâchetés intimes; la paix du
ménage.

Pour celles-là l’article 213 prouve ironiquement son inutilité. Pour les
autres, les timides, les dociles, les résignées, celles qui, pétries par
l’éducation religieuse, subissent comme un devoir ou une expiation
terrestre la volonté de leur mari, l’article 213 apparaît d’autant plus
inique, dans sa rigueur vieillotte, que tout aujourd’hui dans les mœurs
et l’opinion consacre l’émancipation de la femme, devenue, dans les
innombrables actes de la pensée et de l’action, la concurrente de
l’homme.

On se demande en vertu de quel impératif moral la femme doit, parce
qu’elle est mariée, se voir privée d’ester en justice, et aussi, même
non commune et séparée de biens, empêchée de donner, aliéner,
hypothéquer, acquérir, à titre gratuit ou onéreux, sans l’autorisation
de son mari. Et on n’en trouve pas d’autre que la sordide conception
bourgeoise du mariage: une association d’intérêts au seul profit de
l’homme.

L’obéissance de la femme, saura-t-on jamais quelles souffrances morales
elle aura engendrées, quels désespoirs contenus, quelles révoltes
sourdes de la part de celle qui, riche, n’est que l’usufruitière de ses
biens, et, mère, n’est qu’une servante en titre sans droits sur ses
enfants! Que de fois, devant le chantage de son «protecteur»,
devra-t-elle payer rançon pour voir tenir compte de ses plus légitimes
désirs! L’obéissance de la femme, qui dira ce que, dans le peuple, elle
représente quotidiennement de misères, de coups assénés par des brutes
ivres ou violentes? Et sans le moindre recours à la loi, qui ne punit
pas le mari bourreau de prison ou d’amende, qui se garde d’intervenir,
puisqu’elle a prescrit à la femme l’obéissance sans limites. Que de
complicités peureuses et désolées dans les mauvaises actions et jusque
dans les crimes, où la femme arguerait en vain, devant les juges
impitoyables, de ce devoir d’obéissance qui, en équité, devrait lui
servir au moins d’excuse et de sauvegarde!

Superflu pour les bons ménages, où l’accord naît de la confiance et
d’une réciproque bonne volonté, l’article 213 ne sort à rien ou sert
beaucoup trop. Il écrase les seules victimes intéressantes que devrait
«protéger» la sage volonté de l’homme. Il consacre de la souffrance
imméritée. Il n’est plus qu’un anachronisme.

Abrogeons-le!


LE BESOIN D’AIMER

Théodore de Banville, devant un livre appelé: _Le Besoin d’aimer_,
s’écriait que l’auteur avait trouvé là un titre à faire reculer
d’horreur les étoiles.

Qu’eût-il dit devant celui-ci: _Le devoir conjugal_?

Si deux mots jurent d’être accouplés de la sorte, ne sont-ce pas
ceux-là?

Comme si le devoir--puisque devoir il y a--avait lieu d’être prescrit à
ceux qui s’aiment; et comme si, en l’imposant à ceux qui ne s’aiment
pas, la loi ne se montrait pas malpropre. Est-il en effet rien de plus
répugnant à penser que, pour la femme surtout, réceptive et passive, le
devoir conjugal soit infligé dès la première nuit de noces, sans souci
de ses pudeurs et de ses délicatesses, et imposé par la suite, quelque
aversion qu’elle puisse éprouver contre un mari brutal, ou malade, ou
aliéné, ou tuberculeux ou alcoolique, parfois même, sans qu’elle le
sache, syphilitique? N’est-il pas révoltant de penser que ce devoir
conjugal est si bien un devoir pour elle, que, en s’y refusant, elle
s’expose à ce que le mari frustré obtienne contre elle le divorce?

Le devoir conjugal est cependant la pierre angulaire du mariage, non
seulement religieux, mais civil, celui-ci reflétant comme toujours, avec
la loi du mâle primitif, la morale sexuelle: c’est-à-dire vingt siècles
de Christianisme.

Le Devoir conjugal!

L’Église a eu le mérite de le purifier en lui assignant ce but unique,
la procréation, si par contre elle l’a abaissé en instituant le
confesseur arbitre de l’alcôve, et en permettant à la casuistique
d’entrer dans des détails singulièrement choquants.

Le droit civil, lui, n’a point inscrit le devoir conjugal parmi les
obligations des époux, mais il l’a admis implicitement en reconnaissant,
par la voix des tribunaux, que le refus du conjoint à l’acte d’amour ou
de plaisir peut entraîner le divorce pour injure grave.

Allant plus loin, la Cour de Rome a retenu parmi les causes de nullité
du mariage l’impuissance, qui est l’impossibilité matérielle d’accomplir
le devoir conjugal. Elle l’a même proclamé, par une décevante
interprétation, dans certains cas bizarres: telle, citée par Dumas fils
«l’impuissance» de ce capitaine de cavalerie qui avait eu de sa femme
plusieurs enfants.

Le droit civil, plus pusillanime, n’a pas voulu que l’impuissance
caractérisée fût une cause de nullité, alors que, logiquement ce devrait
être une des premières. Et voyez l’absurdité, l’impuissance ne figure à
l’article 313 que pour conclure à ce beau résultat;--le père impuissant
ne pourra désavouer l’enfant de sa femme adultère; mais, par contre, le
fait innocent d’épouser sans dispenses préalables son beau-frère ou sa
belle-sœur est qualifié d’inceste et provoque la nullité du mariage.

Ce n’est pas à la loi que nous demanderons de supprimer le devoir
conjugal, puisqu’elle ne l’a pas formellement ordonné, mais aux mœurs et
à l’opinion, plus puissantes que les lois. Un homme d’honneur devrait
rougir de violer brutalement sa femme le soir des noces, sans avoir
obtenu son assentiment et préparé les conditions les plus favorables à
envelopper de douceur et délicatesse cette opération intime. Un homme
d’honneur devrait avoir honte d’imposer ensuite son contact au dégoût, à
l’aversion dissimulée ou seulement à la froideur de sa femme. Seul, un
goujat pourra, dans des temps prochains, exiger comme un droit le devoir
conjugal. Songer que des milliers de femmes subissent, à ce titre, les
baisers et la luxure de tuberculeux, de syphilitiques, d’alcooliques et
de sadiques, soulève le cœur et révolte la pensée.

On peut constater ainsi combien Paul Hervieu avait vu juste en demandant
que l’amour figurât au nombre des obligations réciproques des époux.
Avec l’amour ou à défaut l’amitié tendre, point de devoir conjugal, la
libre possession. Avec l’amour ou l’amitié tendre, plus de ces procès
ignobles où, preuves en mains, on arrache les draps du lit et on expose
la nudité des êtres, pour cause de refus d’accomplir le devoir charnel.

En vérité, balayant les miasmes du confessionnal et l’odeur moisie du
Code, il est temps d’ouvrir les fenêtres de la chambre à coucher.


LA FIDÉLITÉ ET L’ADULTÈRE

L’article 212 du Code civil prescrit aux époux une réciproque fidélité:
ce qui est rationnel autant que juste. Il y fixe cette double sanction.

1º L’adultère est une cause de divorce; 2º l’adultère entraîne, sur la
poursuite du conjoint lésé, une pénalité correctionnelle.

Seulement, l’homme ayant fait la loi, l’a faite comme d’habitude
indulgente pour lui et rigoureuse pour la femme. Inégalité de
traitement, là comme partout; la morale sexuelle est venue encore peser
de tout son poids.

Si le divorce suit également pour les deux sexes l’adultère constaté, il
convient de se rappeler que cette identification est récente; l’ancien
texte ne permettait à la femme de demander le divorce pour adultère du
mari, que lorsque celui-ci avait tenu sa concubine dans la maison
commune, c’est-à-dire, presque jamais. Pas si bête!

Pour la pénalité de l’adultère, l’injustice du contraste est manifeste.
Aucune répression contre le mari volage s’il papillonne au dehors; même
pris en flagrant délit, il restera impuni. C’est seulement s’il a été
convaincu d’entretenir une concubine dans la maison conjugale (cas
exceptionnel), qu’il est taxé d’une amende de cent à deux mille francs.

D’une amende, remarquez-le, et non de la prison!

Quant à la femme, ah! la femme, c’est autre chose! A elle la culpabilité
majeure, contre elle la répression léonine! L’article 337 lui inflige un
emprisonnement de trois mois au moins et de deux ans au plus, tandis
qu’à son complice l’article 338 inflige le même emprisonnement et en
plus une amende de cent à deux mille francs.

Si cette vindicte est légère en comparaison des anciennes cruautés dont
la loi barbare frappait la femme adultère et son complice, de cette
variété inimaginable de tortures:--le feu, le pal, l’amputation, le
poison, l’étouffement, la strangulation, la pendaison, l’écartèlement,
l’ébouillantement, le dépècement, l’exposition aux bêtes, la
noyade,--les mœurs en s’adoucissant et la révolte du sentiment général
n’en ont pas moins conduit les tribunaux à juger trop sévères encore les
articles 332, 338 et 339. En fait, et presque toujours par application
de circonstances atténuantes, ils suppriment la prison pour la femme et
le complice, et abaissent le châtiment au prix dérisoire de vingt-cinq
francs d’amende, ce que vaudrait un délit de chasse sur la terre du
voisin.

Il est apparu de plus en plus à tout le monde, en effet, que l’adultère,
dénonçable par l’homme seul et suspensible à son gré, puisqu’il pouvait
annuler la poursuite en reprenant sa femme, n’était pas un délit d’ordre
public, mais un délit d’ordre particulier, privilégié en quelque sorte,
où la Société n’avait pas à intervenir, sinon, ayant proclamé le devoir
de fidélité, pour en constater l’infraction et prononcer le divorce, au
cas où le mari outragé se refuserait à pardonner.

L’abaissement d’une pénalité, qui jadis n’était pas moindre que la mort,
et la mort affreuse, à une bagatelle de vingt-cinq francs d’amende,
cette transposition du tragique au burlesque, ont tellement déconsidéré
la vengeance du mari,--car pour lui ce n’est jamais qu’une vengeance
médiocre et basse,--que celle-ci même sombre dans le ridicule et ne
relève plus que des couplets de revue.

En 1910, M. Viollette, devant la Chambre des députés, produisait un
rapport pour l’adoption de la loi proposée par M. Paul Meunier:
suppression pure et simple des pénalités de l’adultère. M. Viollette
faisait remarquer avec humour que là où les supplices les plus raffinés
ont échoué à maintenir la fidélité de la femme, ce n’est pas avec
vingt-cinq francs d’amende qu’on l’imposera mieux. Il concluait à
l’abrogation des articles précités et par suite du prix réduit de
vingt-cinq francs: vingt-cinq francs, juste de quoi acheter dans un
grand magasin, avant la guerre, un parapluie ou une paire de bottines
pour se rendre au rendez-vous d’amour illicite et courir le risque bien
suffisant du divorce. Divorce que, par une pudeur légitime presque tous
les maris déguisent sous un prétexte moins désobligeant pour eux, tel
que l’abandon du domicile conjugal ou l’injure par lettre.

Ce projet, qui est à reprendre, servira la cause du bon sens et de la
justice.


L’ADULTÈRE ET LE MEURTRE

C’est encore M. Paul Meunier qui proposa avant la guerre l’abrogation de
la deuxième partie de l’article 324 du Code Pénal, de cet abominable
article rouge, éclaboussé du sang d’innombrables victimes: l’article
séculaire qui consacre, dans leur sauvagerie ancestrale, les droits
abusifs de l’homme sur «sa chose»; l’excuse du meurtre commis par lui
sur sa femme ainsi que sur le complice, s’il les surprend en flagrant
délit dans la maison conjugale.

Dans la permanence jusqu’à nos jours d’un semblable texte de loi, il est
impossible de ne pas voir la double empreinte de la morale chrétienne et
de l’antique barbarie familiale. Rien n’excuse le meurtre d’un être,
sinon la légitime défense. Et quel rapport y a-t-il entre la souffrance
d’amour-propre ou la douleur jalouse infligée par la femme, et le coup
de révolver ou de couteau qui remplace aujourd’hui la framée franque ou
la hache de pierre de l’homme des cavernes?

L’article 324 étiquette un long martyrologe de malheureuses non vengées;
car on sait avec quelle indulgence révoltante les Jurys, si durs envers
les attentats qui touchent à la propriété, absolvent les crimes dits
passionnels, sans doute parce que très souvent ils n’ont même pas
l’excuse de la passion. Étrange amour, en effet, que celui qui assouvit
dans le sang sa férocité possessive, à peine explicable par un
aveuglement de taureau chez des brutes impulsives ou alcooliques!
Étrange amour que celui qui, trop souvent, ne traduit chez le bourreau
que souci lâche de l’opinion, terreur du ridicule; car là est le secret
de tant de cocus sinistres qui se croient moins grotesques en se faisant
terribles. Et combien d’autres obéissent à des idées toutes faites,
niaiseries féroces inspirées par des phrases de mélo ou de roman,
d’adages familiaux, de bribes d’histoire et de légende! Combien
invoquent, comme ne manque pas de le faire, avec de larges effets de
manche, leur avocat, les grands mots d’honneur, respect de la famille,
pureté du foyer... etc!

En vérité, tuer une femme pour un délit que la loi n’estime pas à plus
de vingt-cinq francs d’amende, offre un contraste dont l’insanité aurait
dû supprimer depuis longtemps, pour les jurys, cette dérisoire excuse de
meurtre. Or, on sait qu’il n’en est rien. L’abrogation de la deuxième
partie de l’article 324 s’impose donc. La guerre à elle seule l’aurait
rendu indispensable, en multipliant l’infidélité chez beaucoup de femmes
et en abolissant chez beaucoup de maris, entraînés à la violence, le
respect de la vie humaine.

L’excuse du meurtre nous vient de la loi romaine, d’une époque où le
père avait le droit de tuer, non seulement sa femme, mais sa fille et le
complice s’il surprenait leur adultère dans la maison familiale.

Encore fallait-il, pour le mari, qu’il tuât du même coup le complice, et
un complice disqualifié déjà par sa condition sociale, tel qu’un
esclave, un affranchi ou un repris de justice.

Le Christianisme accrut encore la sévérité des lois; d’ordre public, la
femme adultère fut punie de mort.

L’article 324 consacre pour le mari un privilège d’autant plus excessif
que ce privilège est refusé à la femme. L’article 324 offre encore cet
illogisme que, s’ils se défendent contre le mari et le tuent, l’épouse
et le complice se trouvent, en vertu de la première partie dudit
article, en état de légitime défense et bénéficient de cette excuse
même.

De tous les crimes passionnels, le meurtre pour adultère est un des plus
monstrueux: il est aussi vil que les vengeances des femmes délaissées ou
trahies qui lancent le bol de vitriol.

Au surplus, le rétablissement du divorce l’a rendu odieux en donnant à
l’adultère la seule sanction qu’il comporte. On objecte que le divorce
n’a pas supprimé le meurtre; il supprime en tout cas la seule excuse que
pouvait invoquer le mari rivé, son existence durant, à celle qui le
trompait et le bafouait.

Chaque jour la conscience publique, plus éclairée, les mœurs plus douces
font apparaître hors de notre temps, comme un phénomène, le mari qui
tue. Qu’un trait de plume sur six lignes du Code lui rende sa véritable
qualité: celle d’assassin!


BIGAMES

Il est permis de s’étonner de la sévérité à la fois comique et barbare,
qui frappe ce crime vaudevillesque: la bigamie.

N’objectez pas qu’elle est rare. Elle l’est sans doute, mais n’en compte
pas moins de naïfs et singuliers héros, souvent martyrs, quand on songe
à la dureté de l’expiation qui les attend. Des travaux forcés à temps,
rien que cela!

C’est à tomber d’étonnement qu’il y ait malgré cela des bigames. Et non
seulement il y en a, mais les tribunaux nous révèlent souvent des
trigames; et rappelez-vous, il y a quelques années, ce gaillard qui
possédait à lui seul cinq femmes, toutes épousées devant monsieur le
maire.

Les travaux forcés à temps, et même peine pour l’officier de l’état
civil complice, peste!

Voilà le mariage bien protégé!

La polygamie légale mène en cour d’assises. Mais la polygamie illégale,
elle, n’est châtiée que dérisoirement ou pas du tout. Et y a-t-il rien
de plus illogique que de considérer le cas suivant assez répandu, on
l’avouera?

Monsieur a son foyer, où il vit plus ou moins, et d’où il sort pour se
rendre dans un autre foyer, plus agréable à son cœur. Que la justice,
sur la plainte de sa femme nº 1, s’émeuve, ce point de droit se posera:
Monsieur est-il remarié frauduleusement, ou vit-il en union libre avec
sa femme nº 2? Premier cas, les galères. Second cas, on le laisse
parfaitement tranquille.

Tout au plus, une séparation ou un divorce sont-ils dans l’air. Y a-t-il
cependant une proportion entre ce châtiment rigoureux et cette impunité?

Quelle différence y a-t-il entre ces ménages où naissent et grandissent
souvent des enfants, légitimes ici, illégitimes là?

Aucune, selon la loi naturelle.

Cette différence, au point de vue social et religieux, que dans un cas
il y a mariage et dans l’autre il n’y en a point.

Est-ce assez pour justifier une telle variation de pénalités? Le bon
sens dit: Non.

Aujourd’hui, où l’on peut affirmer sans paradoxe que l’adultère est la
soupape de sûreté du mariage bourgeois, aujourd’hui où le mariage se
peut définir--point du tout comme le disait Napoléon, premier consul:
«Une union des âmes»--mais bien une monogamie tempérée par l’adultère,
c’est-à-dire par une bigamie ou une trigamie libres, il est permis de
juger l’article 340 aussi féroce qu’inepte.

Si on ne l’a pas adouci plus tôt, c’est certainement à cause du peu de
fréquence de son emploi, et parce que personne ne l’a pris au sérieux.
L’idée qu’un homme, pour tromper sa femme, éprouve le besoin d’y être
autorisé par monsieur le maire, complice inconscient, est en effet de
celles qui font rire et transportent au prétoire une scène du
Palais-Royal.

Bigame! Avoir deux femmes légitimes, quand tant de gens ne songent qu’à
se défiler de leur chez-eux légal; s’offrir deux belles-mères, risquer,
spectacle bouffe! de les mettre aux prises et de les voir se dévorer
entre elles, tandis que les deux épouses réciproquement trahies, selon
leur caractère, tombent en attaque de nerfs ou se précipitent chacune
sur sa moitié de mari, il y a de quoi dilater notre rate gauloise. Elle
ne s’en fait pas faute.

Et nous avons blagué ces bons Mormons, que la justice de leur pays a
fini par traquer sévèrement; nous avons trouvé très ridicules ces
patriarches qui s’adjugeaient leur douzaine d’épouses, avec la
demi-douzaine en plus quelquefois. Et nous ne nous sommes pas demandés
si, après tout, il n’y avait pas lieu d’envisager telle évolution de nos
mœurs où une polygamie régularisée, limitée par les lois, serait non
seulement licite, mais souhaitable, autant pour le bonheur des individus
que pour la sélection de l’espèce?

Vous souriez? Verriez-vous pourtant un grand mal, par exemple, à ce
qu’un homme qui n’aurait point d’enfants de sa femme, prît une seconde
femme qui lui en donnât?

Qui nous dit que la guerre, en raréfiant le nombre des hommes, maris
futurs, en laissant stériles d’innombrables femmes, alors qu’une prompte
repopulation sera indispensable; qui nous dit que la guerre ne fera pas
entrevoir comme possible une bigamie légale, entourée de certaines
précautions et de certains égards vis-à-vis de la première femme et
aussi de la seconde?

La bigamie autorisée, en pareil cas, ne sacrifierait complètement
personne, ni les deux épouses, ni le mari, ni l’enfant de la nouvelle
union. Et en quoi serait-elle immorale, je le demande, une fois acceptée
par l’opinion et sanctionnée par l’usage? Pourquoi refuserions-nous
d’accepter au grand jour ce que nous tolérons parfaitement comme plus ou
moins clandestin ou même avéré?

Cet exemple est-il le seul? N’en pourrait-on découvrir d’autres?
Assurément, la fidélité est le plus noble idéal l’union, légale ou non,
entre l’homme et la femme. Mais ne nous payons pas de mots: il peut se
trouver, il se rencontrera des circonstances où l’infidélité trouvera,
sinon une excuse, du moins une explication.

Outre qu’elle est d’essence humaine et tient à la nature des êtres et
spécialement de l’homme, elle peut être provoquée par des évènements
indépendants de notre volonté, la maladie, la différence des âges, la
transformation des sentiments. Plus d’une femme, qui aime encore et qui
se sent moins aimée, préférerait garder une part du foyer, souffrir même
la douleur de se savoir une rivale, l’accepter, que de passer par les
fourches caudines d’un divorce, conséquence fatale des griefs, des
plaintes, des fureurs, de la discorde jalouse et impatiente.

Il se trouverait des situations où la bigamie, tolérée par la loi,
apparaîtrait comme préférable au divorce tout autant qu’à l’adultère. Il
se créerait des liens de garantie dont le législateur pourrait fixer le
mode, et qu’on soumettrait, au besoin, à l’assentiment de l’épouse.

Paradoxe! direz-vous. Qui sait? Ces vastes questions sont complexes.
Nous ne pouvons nier que l’enfant, né hors du mariage, ne soit
injustement sacrifié. Il est inique de penser que, naturel et non
reconnu, il n’ait aucun droit sur les biens de ses père et mère. Il est
extraordinaire de constater qu’un cousin au 12e degré sera parent du
père et de la mère, alors que l’enfant naturel ne le sera pas de son
grand-père. Il est déconcertant de voir que, si l’enfant adultérin né du
père est sacrifié, celui qu’introduit la mère est privilégié, soit qu’il
naisse à terme, à sept mois, et ait pour père le mari absent ou séparé,
soit que, le ménage vivant ensemble au moment de l’adultère, le mari
endosse.

Qui sait si nous n’aurions pas avantage, en certains cas, à sauvegarder
l’enfant par la légitimation d’un double mariage?

Je ne demande pas, on m’entend bien, un immédiat projet de loi. Ce sont
seulement des jalons de réflexion que je pose. Et celui-ci entre autres:
la bigamie vaut-elle les travaux forcés à temps, quand l’adultère n’est
qu’à vingt-cinq francs et le plus souvent à rien du tout?


L’ASSOCIATION DES ÉPOUX

Que le mariage soit une association et doive être, à ce titre, considéré
et légiféré comme tel, cela ressort du premier article consacré au
contrat de mariage et aux droits respectifs des époux, l’article 1367.

Suivent 194 articles réglant les diverses formes de cette association,
et établissant la mainmise de l’homme sur la fortune de la femme, tout
au moins sur la direction et le maniement de cette fortune.

A quel point notre mariage est un mariage d’intérêts, un mariage fondé
sur la possession et la transmission des biens familiaux, le titre V du
Code civil le démontre à l’excès, puisqu’à lui seul il tient, avec ses
195 articles, une place démesurée dans le Code civil.

Tout est prévu, les différents régimes sous lesquels les époux
s’associent; et qu’il s’agisse de la communauté, de la séparation de
biens et du régime dotal, partout nous retrouvons la même injustice
foncière. Le mariage est en fait la seule association où règne
l’immoralité du partage des charges et des responsabilités: la seule où
celui, (en réalité celle) qui apporte presque toujours le plus se trouve
dépouillée de ce qu’elle a apporté au profit de l’homme, déclaré chef et
maître de la famille et des intérêts qui la constituent. C’est là
qu’apparaît le plus, avec une évidence choquante, la volonté d’un Code
qui, refoulant les justes principes de la Révolution, en revint à
l’ancien droit, sans tenir compte des revendications légitimes que «la
plus faible» pourrait, devrait faire entendre un jour.

Ces revendications, une loi qui s’est fait attendre de longues années,
mais qui a fini par aboutir avant la guerre, la loi Goiran, sur le
salaire de la femme mariée, cette loi leur donne satisfaction et
constitue par avance les éléments du titre V, transformé comme il le
sera certainement, quand tout ce qu’il contient de vieillot et
d’oppressif frappera tous les yeux.

Il est surprenant et, dans l’avenir, il semblera extraordinaire que tant
de précautions de méfiance, d’hostilité aient été prises réciproquement
entre époux, pour un contrat léonin conçu d’ailleurs au seul profit du
mari. On s’étonnera alors qu’il ait pu exister un régime dotal,
véritable Bastille de restrictions, d’empêchements, de difficultés
telles qu’elle a entraîné dans des oubliettes ténébreuses la ruine
souvent des époux les mieux intentionnés. On admirera ironiquement les
dispositions prises pour le régime de la séparation de biens et celui de
la communauté entière ou réduite aux acquêts.

Très certainement le titre V du Code civil, remanié dans l’avenir,
prévoira l’égalité de droits des conjoints à la disposition et à
l’entretien de la fortune du ménage, fixera des devoirs d’apport commun
aux charges familiales au cas où chacun des époux y pourrait participer
et, en tout cas, respectera la liberté réciproque du mari et de la femme
en ce qui touche l’emploi de l’argent de l’un ou de l’autre.

L’union, l’entente, la confiance de la bourse commune ou le choix des
bourses séparées seront des actes libres et volontaires, et non plus une
sanction anticipée de défiance, de rancune et d’oppression.


L’AMITIÉ DANS LE MARIAGE

On sait que la sagesse bourgeoise des parents, quand ce n’est pas la
méfiance réciproque des fiancés, exclut _a priori_ l’amour du mariage.
Il y a, pour justifier cet ostracisme, des phrases toutes faites;
«L’amour n’a qu’un temps». «Fonder son bonheur sur la passion, c’est
bâtir sur le sable». Et encore: «La beauté passe, la laideur reste». Les
plus francs ajoutent: «On ne se marie pas pour être heureux, mais pour
créer une famille. Pour cela il faut de l’argent.» Traduisez: «Une dot
bien grasse».

C’est la honte de notre mariage français que ce souci de l’argent. Tout
homme qui a du cœur et de l’intelligence devrait considérer comme une
charge d’honneur de faire vivre de son travail sa femme et ses enfants.
Ceux-ci, une fois un solide métier dans les mains, n’auront qu’à faire
comme lui, travailler et se marier jeunes. Mais une idolâtrie vaniteuse,
imbécile et touchante pousse les parents bourgeois à vouloir que leurs
enfants soient riches et travaillent le moins possible; leur idéal
déçu--mais trop tard!--c’est des fils à papas qui dilapident, en faisant
la noce, le patrimoine accumulé, ou des filles livrées, avec trousseau
luxueux et bonnes valeurs, à un gendre qui souvent croque la dot et
trompe la femme.

Juste revanche de l’amour banni!

Certes l’amour n’est pas tout dans le mariage. Après des illusions que
la réalité peut dissiper, il expose lui aussi à d’étranges mécomptes.
Mais il a cela d’avoir existé, et ennobli un mariage qui n’est trop
souvent qu’un contrat d’argent. L’amour, comme tout ce qui vit, se fane
et meurt? Il se peut, dans bien des cas. Mais sur les époux qui l’ont
connu, il laisse toujours un rayonnement et, entre eux, la beauté du
souvenir. L’amour peut se transformer en tendresse, en amitié; et dès
lors le mariage, s’il devient un lien moins rigoureux, n’en reste pas
moins solide. Union et confiance facilitent les rapports des époux, les
parents protègent de leur sollicitude les enfants. En vérité, c’est une
très belle chose, la passion une fois affaiblie--et il est des cœurs où
elle ne s’éteint jamais--que cet automne chaud encore de sentiments
affectueux.

Ceux qui voient luire cette lumière connaissent la vérité. Eux seuls
savent ce qu’il faut apporter à la pratique du jour à jour d’égards
mutuels, de soins désintéressés, d’attentions délicates. Eux seuls ne
font pas du mariage une horrible solitude morne, où chacun, mû par des
intérêts différents ou opposés, bâille d’ennui et grelotte de froid. Eux
seuls ne se livrent pas le hideux combat pour la domination, où l’homme
apporte son instinct de conquête, son instinct brutal de mâle, et la
femme tantôt une prostitution calculée pour l’asservir doucereusement,
tantôt les aigreurs harcelantes qui le lassent et le domptent, humilié,
acceptant tout pour avoir la paix.

Seul, le mariage où l’on s’est aimé conserve, à travers les médiocrités
du terre à terre quotidien, à travers les épreuves inévitables, sa
dignité, sa noblesse simple et discrète.

Rien de pareil dans un mariage conçu par égoïsme, avidité et lucre,
n’ayant pour l’animer que le désir du moindre effort, le goût bas du
plaisir ou de la vanité, un mariage qui ne serait, selon le mot de
l’admirable romancier anglais Thomas Hardy, «qu’un contrat sordide, basé
sur des convenances matérielles d’impôt, d’héritage en terre ou en
argent pour les enfants», un mariage qui n’est trop souvent «qu’un
adultère légal, fondé sur d’abjects intérêts».

Ce mariage-là, qui crée la discorde intérieure, les trahisons secrètes,
les hontes dissimulées, apparaîtra dans la Société future une survivance
de la barbarie. Seul le mariage basé sur l’amitié tendre ne fait pas de
l’alcôve un bourbier; seul il donne à la vie de l’élévation, à la
vieillesse de la sérénité et de la grandeur à la mort.



LA FEMME ET L’ENFANT


LE DEVOIR MATERNEL

Si la femme doit être soustraite au devoir conjugal qui lui répugne, si
tous les droits que l’injuste loi de l’homme lui a refusés doivent lui
être rendus, un nécessaire équilibre veut qu’elle accepte de remplir
tous ses devoirs.

Le plus essentiel est la maternité, la maternité voulue et consentie.

Non seulement, en l’accomplissant, la femme perpétue sa véritable
mission et sert les fins naturelles pour lesquelles elle est créée; mais
elle remplit aussi son obligation de Française en augmentant la richesse
plastique d’un pays où tarit la sève, et qu’une dépopulation croissante
conduirait rapidement au déclin et à la mort.

Voilà quarante ans que, complice de l’homme, la femme élude ses charges
de maternité. Égoïsme chez les unes, lâcheté physique ou morale chez
d’autres, pour beaucoup besoin d’un confort ou d’un luxe que l’enfant
restreindrait, difficultés matérielles de logement et de vie chère pour
d’innombrables ménages bourgeois, pauvreté trop souvent excusable dans
le peuple: il n’est pas de mauvaises ou de bonnes raisons que la femme
n’ait données pour se soustraire à sa fonction vitale.

Non contente d’éviter la fécondité par tous les moyens
préventifs,--moyens que la propagande anti-malthusienne a enseignés à
toutes,--des quantités de femmes mariées, et non seulement de filles
libres ou même de jeunes filles, se confient aux mains des avorteuses et
s’estropient pour la vie, quand elles n’en meurent pas. Le mal affirmé
par de fréquents scandales d’avortements en clientèle a pris une telle
extension que des projets de lois répressives ont été déposés au
Parlement et devront être promulgués au plus tôt, si l’on veut enrayer
ce massacre scélérat des innocents.

Les conséquences tragiques de cette stérilité réfléchie chez la femme,
on a pu la mesurer à la lueur de l’invasion, des bombardements et des
ruines...

Impossible de nier l’évidence! Nous avons failli périr et la guerre ne
s’est tant prolongée que parce que notre dépopulation extrême n’offrait
pas à l’ennemi, malgré l’admirable fermeté de nos soldats, une masse
aussi compacte et un bélier d’assaut aussi formidable que le sien.

Comme moi, vous avez entendu ce cri touchant, mais irraisonné de tant de
pauvres mères:

--A quoi bon faire des enfants pour qu’on vous les tue!

Hélas, il est trop évident qu’à quantité égale de combattants la guerre
eût été moins meurtrière et plus tôt finie. La défaite de l’Allemagne
nous eût coûté moins de sang, moins d’argent, moins d’efforts. La
France, contrainte à repousser l’inévitable et sauvage agression, a
expié son imprévoyance de n’avoir à son acquit que quelques centaines de
mille naissances depuis 70, alors que l’Allemagne engendrait plus de
vingt-cinq millions d’enfants.

Sachons-le bien, le grenier de réserve pour l’avenir,--un avenir de paix
et non plus de guerre, souhaitons-le,--la richesse et la force
reconquises du pays consisteront en son grand nombre d’enfants.

Cette vérité, contre laquelle on regimbait avant la guerre, finit par
frapper tous les esprits éclairés. C’est à la femme aujourd’hui de se
convaincre qu’elle a beaucoup à réparer. Elle a mis en danger, parfois
en désaccord, le plus souvent d’accord avec son compagnon, dans une
responsabilité inégale, mais suffisamment lourde pour elle, le
patrimoine national, le beau cheptel de la race.

Elle doit maintenant, bonne ouvrière de la Cité, refaire du sang neuf,
des muscles, un cerveau et un cœur à la Patrie. Elle doit, non par
devoir conjugal, mais par libre volonté, concevoir, engendrer et
allaiter les milliers de petits Français qui, comblant les vides béants,
reprendront l’œuvre des morts et incarneront les destinées nouvelles de
la France.


TOUS, ENFANTS LÉGITIMES

Vis-à-vis de la Femme qui acquitte intégralement son devoir de mère, la
Société doit acquitter aussi le sien, qui est double: devoir de
protection sociale, devoir de protection humaine.

Le premier exige un vaste réseau de lois prévoyantes, assurant à la
femme enceinte comme à l’accouchée le repos nécessaire, la subsistance
durable, des primes maternelles graduées, des dégrèvements de toutes
sortes aux familles nombreuses, du lait en abondance aux enfants, des
conseils d’hygiène gratuits, des contrôles médicaux sévères: en un mot,
tout ce qui pourra encourager et soutenir la maternité, permettre à
l’enfant de s’épanouir autrement que dans la crasse et la misère.

Ce faisant, la Société ne sera pas quitte envers la mère. Elle a pour
second devoir de l’entourer du respect dû à sa fonction loyalement
remplie, en ne sériant plus les enfants sous des étiquettes arbitraires,
en ne les parquant plus dans des castes inégales, au bénéfice de ceux
qui sont nés dans le mariage, et au dommage des autres.

«Tous les enfants sont naturels!» s’écrie une femme d’esprit et de cœur,
dans une pièce célèbre. Ce n’est pas assez! Tous devraient être
légitimes!

On ne voit pas que la nature dispense la femme de souffrir moins de neuf
mois, ni d’échapper aux tortures de l’accouchement, parce qu’elle met au
monde un être en dehors du mariage; on ne voit pas non plus que le
nouveau-né diffère, par quelque infériorité physique ou morale, des
enfants dits légitimes; pas plus qu’on ne constate ces différences chez
les enfants d’un second ou d’un troisième lit. Dès lors, pourquoi la Loi
marque-t-elle de honte, dépouille-t-elle de sa part d’héritage,
tient-elle à l’écart comme un mendiant ou un paria, l’enfant
non-légitime?

Toujours l’idée chrétienne, la Morale sexuelle; avec sa morbide idée de
souillure:

    L’œuvre de chair ne désireras,
    Qu’en mariage seulement.

Comme si c’était toujours humain toujours possible!

Et il y a aussi l’idée bourgeoise, indigne d’une Société laïque bien
organisée, que le mariage est avant tout un contrat d’intérêts, une
transmission régulière d’héritage aux enfants nés sous l’empire de ce
contrat.

Comme si les autres n’étaient pas également fils et filles de leur père
et mère; comme si on pouvait, sans inhumanité, leur refuser leur place
au soleil; comme s’ils étaient eux, les innocents, responsables de cette
tare fictive de leur naissance!

Ce n’était pas assez pour le Code de disqualifier l’enfant naturel. Il a
osé identifier l’enfant adultérin, né d’un libre amour, avec l’enfant
incestueux, né de rapports contre nature entre le père et la fille ou le
fils et la mère!

Pour permettre la reconnaissance de l’enfant adultérin, il a fallu des
années de discussion devant la Chambre et le Sénat, sous l’effort
courageux du parti socialiste. Une loi plus humaine autorise en certains
cas, grâce au mariage des parents, la légitimation de l’enfant
adultérin, mais cette largesse est bien insuffisante, car très souvent,
et malgré le désir des intéressés, le mariage reste impossible. Ce n’est
donc pas le mariage des parents, leur vie ou leur mort en suspens qui
doivent régler le sort des enfants: mais l’admission de fait de tous les
nouveau-nés au titre d’enfant légitime.

Voyons clair! En dehors de toute pitié et de tout bon sens, la question
des enfants nés hors mariage tire de leur accroissement, surtout depuis
la guerre, une gravité extrême. Combien, en effet, seront nés de
rencontres hasardeuses, de liaisons passagères, ou au rapprochement des
permissions, dans ces faux-ménages que, par l’allocation à la femme
restée seule, l’État avec justice a considérés comme autant de vrais
ménages.

Déjà, avant août 1914, le nombre des enfants naturels augmentait dans
des proportions inquiétantes. Rien qu’à Paris, ils représentaient plus
du tiers de la natalité.

L’ostracisme exercé contre l’enfant né hors mariage est cause que
beaucoup d’entre eux meurent à leur naissance ou peu après, soit par
l’infanticide, soit par ignorance ou absence de soins. Et cela quand
nous avons manqué de soldats pendant la guerre (car sans nos alliés!...)
Et cela quand nous allons manquer de main-d’œuvre pour rebâtir sur les
ruines et redonner au pays sa vie économique! Et cela, quand il faut
vingt ans pour faire un homme!

Est-il bien sage, devant la tâche écrasante de demain, de rejeter le
tiers de notre natalité dans la poubelle des préjugés, de la livrer à la
vindicte d’une morale aussi féroce que sénile?

La Nécessité se dresse. Elle affirme que l’enfant, d’où qu’il vienne,
est une valeur trop précieuse pour qu’il soit stupidement sacrifié aux
sordides intérêts du mariage d’argent. L’enfant, mais c’est la réserve
et la puissance du grenier national. Dans un pays qui proclame tous les
citoyens égaux en droits, ne commençons pas par enlever les leurs à
d’innombrables petits êtres, qui seront, tout comme leurs frères et
sœurs jusqu’ici privilégiés, des soldats, des artisans, des penseurs,
toutes les forces vives de l’avenir français!


LES ENFANTS ADULTÉRINS

Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire.

Il est encore trop de cas où un enfant adultérin, irresponsable de
l’entraînement de ses parents, est injustement frappé dans la tare de sa
naissance. Cette iniquité doit être réparée. Elle devra l’être d’autant
plus qu’à un jour prochain, espérons-le, l’adultère n’étant plus reconnu
comme un délit, l’ignoble article rouge ayant disparu, des modifications
étant apportées aux lois qui régissent les biens des conjoints, la dot
étant moins recherchée, la maternité, légale ou non, jouissant du
respect qu’elle mérite, on verra s’atténuer les préjugés qui sont encore
vivaces contre l’enfant né lorsqu’un des époux est encore retenu dans
les liens du mariage.

Le 28 mai 1893, Alfred Naquet déposait un projet de loi appelant à la
succession de leurs parents, à titre égal, tous les enfants légitimes,
naturels ou adultérins.

C’était mettre le doigt sur la plaie de notre mariage bourgeois, de
notre mariage d’argent. C’est, en effet, au nom de la conservation des
biens au profit des enfants légitimes que se sont élevées les objections
contre le projet, même chez des républicains et des esprits laïques,
libérés, croyaient-ils, de l’influence de la morale sexuelle et
religieuse.

Alfred Naquet était cependant dans la vérité humaine et généreuse,
contre l’égoïsme de caste, les préjugés séculaires; il demeurait dans la
tradition de la Convention et de ses décrets du 6 juin 1793 et 12
brumaire de l’an II. C’est le Code civil qui revint aux errements du
passé, malgré la belle déclaration de Cambacérès devant le Comité de
Législation: «Personnellement, j’estime que tous les enfants, même les
adultérins et les incestueux, ont le droit de succéder à ceux qui leur
ont donné l’existence».

C’est l’honneur du socialisme,--qui par ailleurs a émis tant d’idées
discutables,--d’avoir, à plusieurs reprises, lutté pour la
reconnaissance de ce principe, en déclarant inadmissible de voir
souffrir un être par la loi, du fait d’une situation qu’il n’a pas créée
et qu’il ne peut modifier. C’est l’appui du socialisme qui a permis,
après des discussions et des obstructions réitérées, de faire à l’enfant
adultérin une place plus large au foyer: une place d’autant plus
justifiée qu’on ne voit pas, d’une part, que la loi exclue de la
succession les enfants légaux de lits différents, pas plus qu’on ne voit
en quoi ce souci des successions importe à la plus grande masse du
peuple ouvrier, qui ne laisse le plus souvent aucun héritage
appréciable.

Déjà, comme le faisait remarquer M. Jean de Bonnefon dans un fort
intéressant article de l’_Intransigeant_, une loi de nécessité,
promulguée en 1917 et due à la guerre, a très heureusement déclaré
légitime l’enfant né avant le mariage des parents et après la mort du
père soldat. Loi incomplète au surplus, car elle ne vise que les
mobilisés (les civils mouraient aussi, bien qu’avec moins d’émouvant
intérêt), loi incomplète encore, parce qu’elle ne faisait pas de la mère
«une veuve» légale, la laissait mère tout court, non mariée. La guerre,
là encore, aura démontré la nécessité de compléter la loi sur les
enfants adultérins.

Actuellement la légitimation est autorisée lorsqu’il est né plus de 180
jours après l’ordonnance de l’article 878 rendu après comparution vaine
de conciliation devant le Président du Tribunal, ce qui revient à dire
qu’elle est refusée à l’enfant né moins de 180 jours après ladite
ordonnance.

Il en résulte que, dans le mariage des «complices», il peut coexister un
enfant adultérin sans droits, à côté d’un enfant adultérin légitimé.
Question de dates, tranchée par le couperet des 180 jours. Comment une
telle différence de traitement pourrait-elle être maintenue? Est-ce
qu’elle ne joint pas l’odieux à l’absurde?

Le projet de loi Viollette, présenté en janvier 1916 à la Chambre,
portait: «Les enfants nés hors mariage sont légitimés par le mariage
subséquent de leur père et mère, lorsque ceux-ci les ont légalement
reconnus avant leur mariage et qu’ils les reconnaissent au moment de sa
célébration». Cette prévision comporte un heureux, un sensible progrès.

Toutefois le mariage, on le voit, demeure la condition de la
légitimation des enfants adultérins; or, le mariage a pu être rendu
impossible, soit par la mort anticipée de la mère, ou du père, soit par
l’absence accidentelle et prolongée de l’un ou de l’autre. Pourquoi ne
pas supprimer résolument la barrière qui sépare les enfants parias et
les enfants privilégiés? Pourquoi ne pas répéter, en faisant la loi
définitive, le joli mot de théâtre--vérité de demain et de toujours:
«Tous les enfants sont naturels?».

Et conclure:

«Tous les enfants sont légitimes».


LE LAIT D’UNE AUTRE

Si le devoir de la femme est d’enfanter, ce n’est pas pour elle un
moindre devoir que d’allaiter son enfant. Donner la vie est bien, la
continuer est mieux; et la meilleure garantie de santé et de force pour
l’enfant est le lait de sa mère.

N’objectez pas, Mesdames, que votre frêle santé... Les accoucheurs, et
le plus célèbre d’entre eux, le docteur Pinard, ont fait justice de
cette mauvaise excuse masquant la frivolité, l’égoïsme, la coquetterie,
ou la crainte qu’une trop longue abstinence ne lasse la fidélité du
mari. Les médecins vous répondent que votre lait appartient à votre
enfant, qu’aucun prétexte ne vous autorise à l’en frustrer; que, presque
toujours, vous pouvez le nourrir un certain temps, et qu’il est capital
pour ce fragile petit d’être allaité par vous les six premiers mois, et,
en cas d’impossibilité, les trois premiers au moins.

Les médecins vous répéteront que rien ne remplace pour le nouveau-né cet
aliment précieux, et que vous commettez en l’en privant un crime de
lèse-maternité. Ils ajoutent, ce qui est vrai, que l’allaitement sera
pour vous une source de plaisir ignoré, plaisir compensant, et au-delà,
la fatigue que vous ressentirez; car vous connaîtrez la joie profonde,
indicible, en tenant au sein votre enfant, de le voir de jour en jour
s’alourdir et se fortifier par vous, grâce à vous.

--Mais, objectez-vous, je puis prendre une nourrice!

Un temps, qui n’est peut-être pas si éloigné, viendra où cette réponse
n’aura aucun sens, parce qu’il n’y aura plus de nourrices, ou si peu que
seules des raisons exceptionnelles, un péril de mort pour l’enfant,
autoriseront un pareil recours. Il n’y aura plus de nourrices, parce que
l’opinion et la loi seront intervenues pour déclarer immoral et
inadmissible cet achat d’une mère et de son lait, au détriment de
l’enfant de cette mère. Le nombre de petits malheureux sevrés, aux mains
des gardeuses ou des nourrices sèches du village, ont engraissé les
cimetières en nombre incalculable. Aujourd’hui même, malgré la
surveillance administrative, il en meurt encore trop. Ni la pauvreté, ni
une ignoble cupidité ne justifieront un jour prochain l’emploi des
nourrices.

Tout a été dit, mais inutilement sur leur compte, et le danger de
l’abdication de la mère au profit d’une femme parfois dévouée, mais
souvent âpre, goinfre, menteuse, exigeante. Brieux a eu le courage
d’indiquer, dans les _Remplaçantes_, le danger de l’avarie communiquée
au petit téteur de luxe, au buveur de lait dû à un autre et acheté à
prix d’argent. Ce qu’on a beaucoup moins démontré, c’est l’injustice
d’un tel pacte. A chaque enfant, le lait de sa mère, dira une morale
égalitaire.

Et si vous, Madame, n’avez pas le courage ou le moyen de nourrir votre
petit, ayez du moins le soin de l’élever «vous-même» au lait stérilisé.

--Mais cela me demandera beaucoup d’attention et des soins minutieux?

--Vous les prendrez; la vie de votre enfant vaut bien que vous vous
donniez cette peine, et ne l’abandonniez pas à l’indifférence d’une
salariée.

--Mais le lait stérilisé ne vaut pas le lait maternel que je pourrais me
procurer avec une grosse nounou à rubans roses...

--Pensez-vous que le lait stérilisé soit meilleur pour le fils ou la
fille de la nounou? Il ou elle s’en contente cependant. Pourquoi
monsieur votre «héritier» ne s’en accommoderait-il pas aussi? Il n’est
pas formé d’une pâte différente: il a les mêmes organes et remplit les
mêmes fonctions animales.

--Mais...

--D’ailleurs, rassurez-vous, si vous avez nourri au moins pendant trois
mois votre bébé, il y a de grandes chances, si vous surveillez la
qualité du lait stérilisé, pour qu’il s’en accommode. Au besoin, vous
trouverez dans les Laboratoires des laits préparés pour se conserver et
excellents.

Ainsi prendra fin cette spéculation éhontée des vaches à lait humaines,
ces bureaux de nourrices qui sentent le lait aigre, la sueur et les
langes; ainsi cessera cette exploitation lamentable de leurs petits,
ramenés au pays en paquets hurlants ou muets sur les banquettes des
troisièmes classes, exposés aux pneumonies l’hiver et aux diarrhées
infantiles l’été.

Ainsi, pour les humbles comme pour les riches, se rehaussera la fonction
sacrée. Une mère qui allaitera son propre enfant inspirera l’intérêt et
la sympathie qu’elle mérite. On n’aura plus le spectacle attristant des
nourrices bavardes et paresseuses qui, dans les jardins publics, rouges
et repues au sortir d’un repas copieux, gavent de leur lait l’enfant
d’une étrangère, alors que le leur, là-bas au village, crie peut-être de
faim ou râle d’une maladie meurtrière.

Jolie Madame, pensez à cela. Ne volez plus le lait des petits pauvres!


ÉDUCATION FAMILIALE

Si mille signes évidents ne nous attestaient pas la nécessité de former,
par une éducation méthodique, les cerveaux de nos fils et de nos filles,
nous serions bien aveugles. Et l’avenir paierait cher la négligence du
présent. Ces signes abondent. Défaillance constatée de l’enseignement
primaire, surtout depuis la guerre. Nombre formidable des illettrés.
Insuffisance de l’École et encore plus de la famille. Car la famille
française, en effet, est sentimentale et maternelle; elle n’est pas
éducatrice. Elle couve l’enfant, elle ne l’instruit pas.

Nous soucions-nous, en effet, assez d’instruire l’enfant, surtout
lorsqu’il est petit, pétulant, et qu’il nous harcèle de ses questions
comme une mouche du battement de ses ailes et du picotement de ses
pattes.

--Pourquoi ceci? Pourquoi cela? demande-t-il, car toute son existence
émerveillée et curieuse, primesautière et instable, se résume en un
perpétuel Pourquoi?

--Parce que, répondons-nous.--Parce que quoi? Et trop souvent, quand la
réponse exigerait trop d’explications, ou quand nous ne savons pas, et
que cela nous déplaît de l’avouer, nous répliquons:--Parce que c’est
comme cela, ou:--Tu m’ennuies, va jouer.

Nous pensons: «Il a bien le temps d’apprendre ces choses, ce petit. Et
l’instituteur, le professeur s’en chargeront.»

Est-ce bien sûr? Ils ont tant à faire. Certes, elle est belle, la
mission de l’éducateur officiel, mais elle est lourde aussi, et nous
devrions la lui faciliter de tout notre concours cordial et empressé. Au
lieu de cela, combien de parents surveillent, d’un œil soupçonneux et
méfiant, l’éducation reçue par leurs fils à l’école, au collège, au
lycée, critiquent le maître, se froissent des reproches ou des mauvaises
notes comme si cela les visait directement.

Former l’esprit de l’enfant? «Eh, mon Dieu, le maître est là pour ça!»
Et trop souvent la famille est une force jalouse et ombrageuse dirigée
contre l’éducateur, au lieu d’être une alliée, un renfort.

Nous n’honorerons jamais assez le bon instituteur; le professeur dévoué
à ce labeur ingrat. L’éducateur, en effet, a dit Louis Havet, «parmi
tant d’hommes occupés de grossir leurs profits, représente les idées
hautes et impersonnelles. C’est lui qui révèle aux humbles la fierté,
aux ignorants la beauté du savoir, aux égoïstes les mille devoirs qui
nous lient tous.»

Soutenons-le donc! Et d’abord les parents de toutes classes, et surtout
de la grande foule agricole et ouvrière, devraient, bien qu’il leur en
coûte et que le sacrifice soit souvent rude pour eux, envoyer l’enfant à
l’instituteur le plus tôt possible et le retirer le plus tard possible.
Le temps des études est trop court. De là tant de choses emmagasinées va
comme je te pousse, et le stérile oubli qui s’étend en poussière, en
crasse, sur ces notions mal assimilées.

En dehors des heures de classe, l’enseignement familial devrait
reprendre ses droits. Rien de meilleur. Ce que l’enfant entendra, il
l’entendra deux fois; il l’entendra avec des nuances qui lui permettront
de saisir des aspects différents; il comparera, et connaîtra mieux.

Et n’objectons pas que nous n’avons rien à lui apprendre en dehors de ce
qu’on lui enseigne: nous avons tout à lui apprendre. Tout peut et doit
lui être leçons de choses et, de notre part, enseignement simple et
distrayant. N’objectons pas l’ignorance de beaucoup de parents, leur
esprit peu cultivé, leurs connaissances bornées. Chacun dans sa sphère
sait beaucoup de choses. Est-ce que nous savons, bourgeois, distinguer
les plantes de la terre, les arbres, les récoltes? Le plus humble paysan
le sait. Saurions-nous expliquer ce que tant d’ouvriers connaissent par
la pratique? «Tout ce que les parents savent, tout ce qu’ils apprennent
chaque jour, ils doivent chercher sans cesse à le faire comprendre à
leur enfant.»

Ils sont bien placés pour chercher à développer en lui l’esprit
d’_observation_. Est-ce que tout n’est pas matière à la curiosité, à
l’examen? La borne kilométrique qui jalonne la route, la ville qui est
au bout de celle-ci, le facteur qui passe sac au dos, le boucher dans sa
carriole, le soldat suivi d’autres soldats qui se glissent le long des
haies, se terrent dans les chemins creux. Voici un nid: la vie des
oiseaux intéressera l’enfant comme un merveilleux poème. Son cerveau
assemblera ainsi, petit à petit, les connaissances. Il prendra--sachons
le lui inculquer--le goût de chercher et de vérifier personnellement.

Eh! oui, personnellement. Plus il aura l’habitude de raisonner par
lui-même, de contrôler ce qu’il voit et remarque, plus il sera protégé
dans la suite contre les pièges de la mauvaise foi et les embûches de la
crédulité.

Les occasions, pour les parents, d’instruire l’enfant sont innombrables.
Sur un sou de la République, un petit sou, il peut apprendre des siens
sous quel gouvernement il vit, et, à la comparaison d’un sou de
l’Empire, comprendre la différence des époques et la succession des
régimes. Mettre à profit toutes les circonstances du travail et du
repos, tous les incidents de la vie commune et privée, il y a là une
source féconde et intarissable d’enseignement. Le pain qu’on mange, le
pétrole de la lampe, le cycliste qui passe, le menuisier qui rabote, le
journal qu’on déplie, tout est utile, tout sert à l’éducation
rationnelle.

Mais, de même qu’il faut séparer le bon grain de l’ivraie, les parents
se garderont de fausser l’intelligence naïve qui les écoute en lui
confiant ce qui est faux, absurde: la superstition du nombre 13, celle
du vendredi, les remèdes de bonne femme, surtout ceux qui dans les
campagnes sont d’usage si malpropre; la foi aux somnambules, aux cartes;
la peur des esprits et des fantômes: que sais-je? L’éducateur digne de
ce nom ne doit faire entrer dans le cerveau fragile, dont il a la garde
et la responsabilité morale, que ce à quoi il croit fermement lui-même.

Ceux qui ne sont pas sûrs de leur pensée, auront tout à gagner à ne pas
initier l’enfant à ce qui divise les hommes. Leur champ d’action demeure
si vaste et si large: n’ont-ils pas à faire croître dans l’âme de leurs
fils la bonté, la justice, le courage et la sincérité?

N’ont-ils pas à leur apprendre à devenir citoyens solidaires les uns des
autres, de bons Français, épris de liberté et sachant le prix de la
discipline, ouverts à la sympathie envers les peuples qui en sont
dignes, mais préférant leur Patrie à toute autre; car on peut détruire
sa propre patrie, on ne détruit pas les patries. Et plus l’homme vaut,
plus il sait, plus il sent, plus il veut, et plus en lui la conscience
de patrie s’élève. Élémentaire chez les plus humbles, qu’asservissent
les besoins essentiels, elle devient complexe chez ceux qui arrivent à
prendre d’elle une conception supérieure. Mais, restreinte ou agrandie,
elle s’impose à tous. Combien cette affreuse guerre nous l’aura fait
comprendre! Et les _pères_ et les _mères_ qui méritent ce beau nom
sauront, sous mille formes, faire aimer à l’enfant cette terre, cet air
qui de partout l’enveloppent, riches d’idées, de souvenirs, gonflés de
la sève de la vie en marche.

Morale individuelle, morale civique seront donc l’aboutissant de
l’éducation familiale comme elles en auront été le point de départ.

C’est, en effet, par-dessus tout, le caractère que nous devons chercher
à développer. La haine du mensonge, de la lâcheté, de l’égoïsme sera à
la base des préceptes que nous nous devons de transmettre à nos enfants.
Car tout se tient, et l’éducation intellectuelle contribue à l’éducation
morale; si bien que tout ce qui sert à l’esprit profite au cœur.



LA FEMME ET LE DIVORCE


LE DIVORCE ET SES ADVERSAIRES

Même fondé sur l’amour ou l’affection, le mariage peut, au frottement
des caractères, aux défaillances des volontés, sous l’empire
d’influences extérieures, aux secousses de l’instinct, aux frénésies de
la passion, à l’usure de l’habitude, au lent empoisonnement des griefs,
par l’effet de mille causes tenant à l’imperfection humaine, devenir
pour l’homme et la femme, ou l’un des deux, une chaîne intolérable.

Un divorce limité, reconquis par l’État républicain et non sans peine
contre la Morale sexuelle et religieuse, permet en certains cas, très
insuffisants, la rupture de cette chaîne.

En fait, c’est la femme que le plus souvent le divorce libère. C’est à
la requête des femmes que le plus souvent il est prononcé. Réduites à
réclamer une liberté dont elles sont presque toujours victimes, parce
qu’elles les vouent au discrédit bourgeois, elles témoignent bien ainsi
combien, dans le mariage et même en dehors ensuite, la Loi de l’homme
les opprime.

Elles surtout pourraient dire, aux adversaires du divorce, la nécessité
de ce pis-aller qui n’est un bienfait que par son rôle chirurgical...
Elles surtout, dolentes, meurtries par la cruelle opération, sauraient
dire à ceux qui voudraient leur retirer cette triste délivrance, à quel
point cependant elle est conforme à la justice et à l’intérêt de la
Société.

C’est qu’en effet, les adversaires du divorce n’ont pas désarmé.

Après la guerre,--ce n’est ni manquer à l’Union sacrée, ni vouloir
raviver des polémiques fâcheuses, que de le constater,--le divorce sera
remis en question--il l’est déjà! Une récente brochure de propagande,
signée par M. J. Massabuau, ancien député, avocat à la Cour d’appel,
indique bien comment se produira l’assaut et avec quels arguments.

Ce sont les mêmes que l’on nous opposait, à mon frère et à moi, lors de
nos campagnes de presse et par le livre et le théâtre, de 1898 à 1905,
comme on les avait déjà opposées à Alfred Naquet, lorsque sa courageuse
ténacité arrachait en 1881 à ses adversaires, après huit ans d’efforts,
la loi actuelle du divorce.

Le premier argument est d’ordre politique et religieux: il n’est valable
que pour les fervents de l’Église et perd toute sa valeur dès qu’il
prétend régenter ceux qui n’appartiennent pas ou ne se considèrent plus
comme appartenant au culte catholique. Qu’un époux de cette confession
ne veuille pas plaider en divorce, c’est son droit le plus respectable;
mais le droit de son conjoint, plaidant contre lui, n’est pas moins
légitime. A quel titre le catholique, consentant ou résigné à la
séparation de corps, prétendrait-il imposer cette forme de demi-rupture
à celui ou à celle qui réclame la rupture entière? Sans doute par la
conversion, au bout de trois ans, de la séparation de corps en divorce,
le catholique subit une situation contraire à ses principes et à sa foi;
mais, s’il ne la subissait pas, c’est donc son conjoint qui se verrait
sacrifié. Or, le divorce ne contraignant pas le catholique à se
remarier, mais permettant de le faire à celui qui ne pratique pas ou ne
pratique plus, il apparaît bien que cette solution, qui permet la
renaissance d’un foyer et la procréation de nouveaux enfants, soit la
plus conforme à l’équité en même temps qu’aux droits inaliénables de
l’individu.

Le second argument, d’ordre philosophique, se réclame de la biologie. La
famille étant la cellule-type de la Société, tout ce qui l’affaiblit,
tout ce qui la détruit comme le divorce, est malsain. Cela serait fort
exact, si la cellule qu’est la famille baignait dans un milieu
incorruptible, si elle était toujours elle-même parfaite et intacte, si
elle échappait aux lois destructrices de la vie. Mais que de fois
s’infecte-t-elle, la cellule-type! Que de fois met-elle en péril le
corps entier! Toute la question est de savoir s’il y a avantage, pour
l’agrégat des cellules, pour la Société, de subsister en menace ou en
état de pourriture, ou s’il vaut mieux qu’elle soit assainie par le
bistouri brutal du divorce. N’est-ce pas se refuser à l’évidence, que
d’affirmer préférables les mauvais ménages, les unions détestables et
détestées, les mensonges de l’adultère, sa trivialité basse ou ses
drames, les accouchements clandestins, les meurtres dont l’écho se
répercute en cour d’assises?

--Sacrifiez l’individu à la Société! C’est vite dit! Il faudrait
démontrer que la Société, collection d’individus, a intérêt aux misères,
aux vains sacrifices, aux révoltes scandaleuses et aux souffrances
désespérées de ces individus dont l’on fait si bon marché! Jamais cette
preuve n’a été apportée.

Le troisième argument est celui des enfants, victimes, affirme-t-on, du
divorce. Mais ce n’est pas du divorce, c’est de la mésintelligence,
hélas! des parents que l’enfant souffre, c’est des scènes ignobles,
c’est des exemples vils, c’est de la lutte haineuse des siens. Le
divorce n’en est que le témoignage déchirant. Ceux qui évoquent
l’intérêt des enfants n’ont donc jamais vu ce que ceux-ci deviennent
dans un ménage en discorde! Ils n’ont jamais vu leurs pauvres yeux
d’angoisse, leurs lèvres serrées qui tremblent, leur pâleur et leur
façon de se terrer, de se faire tout petits! Si, dans le divorce,
l’enfant était confié à celui qui l’aime et saura l’élever le mieux, il
serait beaucoup moins à plaindre que vivant dans un foyer contaminé.
D’ailleurs, il ne restera pas toujours un enfant: il grandit, il
comprend, il juge, il s’affranchit, il s’éloigne et fait sa vie.

On objecte[3] qu’à travers les dissentiments du mariage indissoluble, la
résignation viendrait et que les époux procréeraient de nouveaux
enfants, nécessité urgente après la guerre. Il serait bien improbable,
vraiment, que les mauvais ménages se missent à contribuer à la
repopulation, alors que tant de bons ménages se font volontairement
stériles!

  [3] M. MASSABUAU, la _Famille_, le _Divorce_.

Reconnaissons le mariage pour ce qu’il vaut: aux yeux de la société
laïque, ce n’est pas un sacrement, c’est une libre association, noble
dans son but, et qui, comme toute organisation humaine, comporte des
risques de faillite. Le divorce a l’avantage de liquider cette faillite;
seulement il s’y prend mal et incomplètement parce que ceux qui l’ont
rétabli n’ont pas osé lui donner son ampleur et son véritable caractère.


LA PORTÉE DU DIVORCE

En rétablissant le divorce, les législateurs de 1884 ne parurent pas
apercevoir sa portée et ses conséquences. Ils semblèrent oublier que, si
la Restauration supprimait en 1816 le divorce, décrété par la Révolution
en 1792, ce fut à la requête de M. de Ronald, sur le rapport de M. de
Lamoignon soutenu par M. de Luzerne, évêque de Langres, et M. de
Clermont-Tonnerre, évêque de Chalons. La Monarchie, puis le Second
Empire, pendant soixante-dix-neuf ans, imposèrent à la France nouvelle
machine arrière. En 1848 le temps manquait, dans le remous de l’époque
enfiévrée, pour que la proposition de Crémieux, tendant au
rétablissement du divorce, se réalisât. Un Parlement républicain avait
donc la partie belle pour voter une loi large et sage. Il recula par
timidité ou imprévision. Il ne vit pas surtout le grand point,--et il ne
semble pas que les Parlements successifs Paient vu davantage--:
l’importance d’un acte qui libérait la Société civile, l’affranchissait
de la domination de l’Église.

Là cependant était l’intérêt vital du problème. Avant que le divorce fût
rétabli, notre mariage civil ne différait pas dans ses conséquences du
mariage religieux, fondé sur l’indissolubilité. Le divorce a nettement
séparé le contrat civil du sacrement religieux. Grâce à lui, l’État
laïque soustrayait la femme, et par elle l’enfant, parfois même le mari,
à l’emprise du confesseur, représentant du pouvoir théocratique. Par le
divorce, l’État laïque vivifiait la Société et l’individu du souffle de
l’esprit moderne: il complétait par avance la séparation de l’Église et
de l’État; il préparait l’évolution des idées de libre examen, dégagées
de la gangue du passé.

Il ne peut être ici question de sectarisme. La Foi est utile à trop
d’êtres pour être combattue par l’État laïque qui se borne à ne
privilégier aucun culte particulier. Ce n’est pas en ennemie de l’Église
que la Société civile doit se poser pour récupérer ses droits, mais en
puissance autonome, accomplissant ses destinées propres et tendant à des
fins différentes.

Les législateurs de 1884 ne l’ont pas compris. Le divorce qu’ils
réinstauraient fut sans doute un progrès considérable, mais incomplet.
Ils laissèrent les Tribunaux donner au prononcement alors parcimonieux
des divorces un air de châtiment. Ils entourèrent la rupture du mariage
d’une procédure scandaleuse, d’un étalage de boue, au lieu de la
soumettre au huis-clos. Par suite, une disqualification bien naturelle
poursuivit les divorcés, surtout les divorcées, rejaillit sur les
enfants.

Ce faisant, députés et sénateurs méconnurent la valeur sociale de la loi
qu’ils édictaient, son caractère de relative bienfaisance. Le divorce ne
prétend point, en effet, comme ses ennemis l’en accusent, à assurer le
bonheur de l’individu aux dépens de la Société, ni à permettre à chacun
de «vivre sa vie» égoïste ou passionnelle. Il n’a d’autre raison d’être
que de réserver à ceux qui souffrent un malheur moindre.

La Révolution, en sécularisant le mariage, avait fort bien senti qu’il
n’est qu’un pacte, un contrat de fidélité, de secours, d’assistance
réciproque, «une association libre entre époux» devait dire M. Viviani.
La Révolution avait fort bien senti que la loi, qui proscrit comme
contraire aux mœurs les contrats personnels, la loi qui n’autorise pas
qu’on se vende à titre d’esclave ni qu’on prononce au couvent des vœux
éternels, cette loi ne pouvait déclarer que le mariage comporterait des
serfs à perpétuité, ferait des époux les contractants d’un vœu
infrangible. Elle était logique avec elle-même, en considérant que le
manquement de l’un des deux conjoints au libre contrat devait en
entraîner la dissolution.

Les législateurs de 1884 montrèrent une pusillanimité fâcheuse en
restreignant les causes du divorce, en écartant les barreaux de la geôle
avec tant d’étroitesse que les évadés du mariage durent les forcer
douloureusement, en spectacle public, poursuivis par la médisance des
spectateurs, éclaboussés par la diffamation des plaidoiries.

Ce fut de la part d’un Parlement républicain une regrettable erreur.


UNION FORCÉE ET UNION LIBRE

Quelques ménagements que la guerre exige envers ceux dont on ne partage
pas les convictions, il faut bien aborder ici le problème religieux.

Le divorce élargi conduit à l’union libre: tel est le grand argument de
nos adversaires.

Que vient-elle faire ici, la pauvre union libre?

Je ne crois pas que les plus déterminés partisans du divorce l’aient
réclamée comme une évolution sociale souhaitable avant longtemps, avant
si longtemps qu’il n’y a pas lieu, en vérité, d’en envisager
l’avènement.

Ce qu’est l’union libre, ce qu’elle peut être, ce qu’elle comporte en
certains cas de profonde tendresse et d’honorable dignité, nul ne le
contestera.

Qu’il vienne une époque où une humanité meilleure puisse se passer de
tout contrat, de tout engagement d’ordre social, il se peut: rien de
plus désirable. Si cet avenir doit se réaliser, si l’union familiale
trouve en elle-même ses éléments de force et de durée, ce sera une des
meilleures preuves de la perfectibilité de l’espèce humaine et de la
réalisation du progrès.

Mais Salente n’est pas encore construite, il s’en faut; la cité idéale
ne nous apparaît encore que dans les nuages d’une aurore confuse. Nous
vivons en 1918 et non quelques siècles en avant.

Partisans du divorce, nous savons que l’union libre, entrée brusquement
dans les mœurs, ne conviendrait ni à celles-ci ni à l’éducation morale
si incomplète de la masse. Nous savons qu’elle ne protégerait
qu’insuffisamment, à l’heure actuelle, la femme et l’enfant.

Ce n’est pas entre l’union libre et le mariage catholique que se place
le problème, mais entre le mariage tel que le conçoit la Société civile
et le mariage tel qu’un parti religieux et politique entend le
monopoliser.

Et, là encore, faudrait-il ne pas jouer sur les mots. Il est fort
éloquent de vanter les vertus de la fidélité, du dévouement, de l’amour
maternel et paternel, comme si tout le monde n’était pas d’accord pour
déclarer qu’en effet rien n’est plus à désirer, et que c’est le plus
noble idéal qui soit.

Il s’agit de savoir ce que deviennent ces vertus aux prises avec la
douleur, l’humiliation, la honte, le dégoût quotidiens, et si une classe
de citoyens, au nom de respectables croyances religieuses ou politiques,
a le droit de condamner d’autres citoyens, tout aussi dignes de respect
et d’estime, à la torture d’unions mal assorties, aussi pénibles pour
eux que déplorables pour leurs enfants.

Il s’agit de savoir comment les adversaires du divorce mettent d’accord
leurs principes avec les contingences médiocres de la vie, et si le
stoïcisme qu’ils préconisent ne faiblit pas, pour eux comme pour tout le
monde, quand la souffrance les tenaille. Pour ceux-ci, n’est-ce pas le
recours à Rome, cette «nullité» du mariage qui n’est autre chose qu’un
divorce religieux. Pour ceux-là, ne sont-ce pas les compromis de la
morale aristocratique ou bourgeoise: la bigamie, la polygamie discrète
refleurissant pour la plus grande consolation des uns et le plus grand
plaisir des autres?

Toute la question est de savoir si l’adultère, plus ou moins dissimulé,
vaut mieux que le divorce et un remariage loyal, au plein jour. Toute la
question est de savoir si le divorce religieux, «la nullité» prononcée
en Cour de Rome, ne constitue pas une rupture de mariage aussi absolue
que le divorce laïque.

Le doute, dès lors, n’est plus possible. Où est la vérité? Elle est dans
ce qui est juste. Elle est dans ce qui est humain. Et il est juste et
humain que le divorce, dans quantité de cas particuliers, délivre un
homme ou une femme, ou tous deux, d’un servage devenu insupportable.


LE DIVORCE ET SES CAUSES

Elles se réduisent actuellement à trois.

La condamnation à une peine afflictive et infamante.

L’adultère établi.

Les excès, sévices, injures graves.

Or, la condamnation à une peine afflictive et infamante, telle que la
mort, les travaux forcés, la déportation, la détention ou la réclusion
constituent, on l’avouera, des cas plutôt rares. Par contre, on ne tient
nul compte du vol, de l’escroquerie, de l’abus de confiance, de
l’outrage à la pudeur, de l’attentat aux mœurs qui sont cependant de
nature à altérer profondément les sentiments conjugaux.

L’adultère? Mais ce grief qui a l’inconvénient de ridiculiser et de
salir non seulement les conjoints, mais aussi leurs enfants, n’est pas
si facile à constater légalement, avec les exigences du Parquet,
l’enquête plus ou moins discrète du commissaire, les chinoiseries de
l’heure légale; et la preuve par témoignage ou celle par correspondance
dépendent de l’art illusionniste des avocats, des dispositions
hasardeuses des juges.

Hors ces deux causes péremptoires, il ne reste à invoquer que les
sévices, excès, injures graves: c’est-à-dire les fantaisies du droit,
les marécages des gloses, les sables mouvants de la jurisprudence. Aucun
tribunal n’a encore fixé de façon stable où commencent, où s’arrêtent
les excès, sévices et injures graves. Battre sa femme ici est un cas de
divorce, ailleurs de déboutement. Les mots grossiers, ignobles devant
témoins, ici comptent, et là point. C’est le brouillard des
interprétations, le chaos des jugements et des arrêts.

Ajoutez les traquenards de la procédure, le piège de «réconciliation» où
l’adversaire avisé s’efforce de faire tomber son conjoint, afin
d’annuler son instance en divorce. Ajoutez les lenteurs de l’inscription
au rôle, la complication des formalités et des paperasses, l’ajournement
des débats qui peuvent user la patience et la bourse pendant deux ans,
trois ans, cinq ans ou davantage. Ajoutez le processus moyen-âgeux, la
transcription tendancieuse des enquêtes. Ajoutez le dégoût des procès
plaidés devant les salles curieuses, amusées, friandes de scandale; et
vous vous demanderez pourquoi les législateurs de 1884 n’ont pas: 1º
précisé davantage et mieux les motifs du divorce, 2º instauré la seule
forme de rupture honorable, parce qu’elle est silencieuse et propre: le
consentement mutuel.

Au lieu de ce titre vague: excès, sévices, injures graves, pourquoi
n’a-t-on pas inscrit des griefs formels, dont la validité apparaît
cependant probante? Est-ce que toute brutalité constatée, toute injure
ignominieuse, est-ce que l’alcoolisme et l’ivrognerie, est-ce que
l’aliénation mentale durable, est-ce que l’absence volontaire pendant
deux ans au moins, et la séparation volontaire de fait pendant un an,
est-ce que l’impuissance, est-ce que les infirmités dégoûtantes et
incurables cachées frauduleusement au moment du mariage, est-ce que les
fausses dénonciations et les calomnies d’un époux contre l’autre, est-ce
que l’acquisition d’un gain déshonnête, est-ce que les dissentiments
religieux, est-ce que l’aversion invincible ne devraient pas figurer
comme causes péremptoires du divorce?

Quant au consentement mutuel, on sait que les conjoints qui se
respectent y recourent, sous une forme déguisée (adultère d’accord,
injures convenues, abandon simulé du domicile conjugal). Comédie sans
difficulté lorsqu’il s’agit de personnages notoires, ou appartenant
seulement au monde bourgeois. Dispensé de plaidoiries détaillées, le
divorce en pareil cas est, surtout à Paris, prononcé rapidement. Quel
obstacle voit-on à le rétablir dans la loi? Son absence est d’autant
plus inexplicable que le divorce fondé sur le consentement mutuel est le
seul rationnel, et le plus légitime. Il éviterait la comédie superflue
ou dérisoire, qu’on joue pour le remplacer. M. Louis Martin l’avait
proposé à la Chambre, et en 1917 M. Violette présentait un rapport
favorable.

Le consentement mutuel s’impose au bon sens public.


LE DIVORCE PAR LA VOLONTÉ D’UN SEUL

Reste une dernière cause de divorce, la plus discutée, celle qui, lors
de notre campagne d’idées nous valut les attaques les plus vives, à mon
frère et à moi, je veux dire le divorce par la volonté d’un seul.

Que de réprobations n’a-t-il pas soulevées! Que d’arguties empruntées au
droit romain et coutumier, au Code civil, à la morale, à la valeur du
contrat synallagmatique! Que de colères contre un texte de loi, dont
Paul Hervieu, dans les _Tenailles_, faisait dire à son Hélène Fergan,
malheureuse et ligotée: «Il y a une époque toute récente encore où,
ici-même, en France, la décision d’un seul des époux suffisait à faire
rompre le mariage.»

La volonté d’un seul! Mais «c’est la répudiation!» ont protesté les uns;
et, se targuant d’une vaine générosité, ils ont fait ressortir
l’inconstance naturelle du mâle, l’abandon de la femme livrée à son
caprice brusque et à son facile oubli des serments jurés.

Oui, c’est la répudiation, mais ne feignez pas de l’ignorer, la
répudiation _réciproque_, dont l’emploi appartiendra également aux deux
époux. Le fait que la femme en usera et que c’est elle, le plus souvent
lésée, qui fournit la majorité des instances en divorce, contrebalance
et au-delà le droit régalien de l’homme.

Cette répudiation à titre réciproque sera-t-elle l’ailleurs si
fréquente? Sa menace ne servira-t-elle pas souvent d’avertissement et de
frein? On tient d’ordinaire à ce que l’on craint de perdre. Supposons
que, par un reste de tendresse ou par intérêt,--cas le plus banal--les
époux ou l’un deux malgré tout tiennent au maintien du mariage et y
trouvent leur compte. Croit-on que d’idée d’en sacrifier les avantages
moraux ou matériels n’atténuera pas les angles, n’adoucira pas les chocs
quotidiens, ne prédisposera pas les époux à plus d’égards et à plus
d’indulgence, surtout lorsque le mal vient, comme presque toujours, du
conflit des caractères?

D’autres ont rappelé la valeur du contrat synallagmatique. Un accord
conclu par une double volonté ne peut être rompu par une seule. Et
pourquoi, je le demande, cet accord de double volonté serait-il maintenu
aussi par une seule, contre la volonté de l’autre? On a été deux à
conclure, il faut être deux pour maintenir. Dans la pratique, on voit
presque toujours d’un côté une victime, de l’autre celui ou celle qui
l’opprime. Si des griefs motivés justifient de la part d’un des époux le
divorce par la volonté d’un seul, quel intérêt, dites-le-moi donc,
offrira celui ou celle qui, se cramponnant à un être qui ne l’aime plus,
qui le déteste parfois avec raison, ne peut motiver son refus à divorcer
que par la rancune, la vengeance, la jalousie ou l’âpreté d’argent?
Trouvez-vous donc immoral que, contre ce conjoint sans noblesse, sans
bonté, intolérant et cupide, l’autre exerce la répudiation?

Mais il peut advenir que celui qui n’a rien à se reprocher se voit
délaissé par l’autre, envoûté par une passion subite ou par l’espoir
d’une fortune supérieure. Une telle situation, certes, est douloureuse
et digne de pitié. Mais cette pitié ne sera méritée qu’autant que la
victime innocente n’impose pas un refus de représailles, ou une
revendication à conserver des bénéfices sociaux. Quelle âme vraiment
élevée, sincèrement désintéressée, voudrait maintenir à ses côtés de
force celui ou celle qui veut le quitter? Quelle âme délicate ne
rendrait, fût-ce au prix du plus cruel déchirement, sa liberté à
l’ingrat, au volage, au déserteur ou à la déserteuse? Peut-on se
prévaloir d’un contrat qui ne tire sa vertu que de son exécution libre
et volontaire? S’aliène-t-on devant le maire, quoiqu’il puisse survenir
par la suite? Est-ce qu’on se marie pour subir le dol, le mensonge, la
trahison, la souffrance? Est-ce que le fait seul que le contrat cesse
d’être exécuté d’une part ou de l’autre, n’entraîne pas sa résiliation?

Mais le dommage commis, dira-t-on, envers le délaissé ou la délaissée?
Ah! disons s’il vous plaît, envers la délaissée seule! Un homme a des
bras, un cerveau pour travailler, et ne saurait sans déshonneur réclamer
une compensation pécuniaire!

Il est bien certain que, pour la délaissée, le dommage devra être évalué
et taxé; il est bien évident que, à l’épouse quittée injustement et
spoliée des profits de l’union, une réparation devra être donnée.

Mais, objecte-t-on encore, s’il s’agit d’un coup de tête, de la part du
demandeur ou de la demanderesse, n’est-il pas à craindre qu’un divorce
trop hâtif ne brise un lien qui eût pu se renouer par la suite?

Exigez en ce cas que la volonté de divorcer se manifeste à des
intervalles fixes, et ne prononcez le divorce qu’après, s’il le faut,
trois ans et significations manifestes et réitérées. Mais ne condamnez
plus des êtres libres, et qui n’ont pas prononcé des vœux éternels, à
rester rivés pour leur honte et leur douleur à un conjoint qui peut,
comme cela existe aujourd’hui encore, peser sur lui de son poids
abhorré, l’empêcher de recréer un ménage, le condamne ou à un célibat
morne ou à une liaison irrégulière et des enfants adultérins.

La volonté d’un seul, entourée de prudentes garanties, doit avoir sa
place dans un divorce élargi, rendu plus libre et plus humain.


LE PARTAGE DE L’ENFANT

Oui, le sort de l’enfant, des enfants dans le divorce est à plaindre. Il
en est de sensibilité vive, à qui les nouvelles conditions de vie
imposées par le jugement causent de la souffrance, passagère ou
profonde, mais en tout cas transitoires puisque le propre de l’enfant
est de grandir, d’évoluer, de s’adapter surtout avec la souplesse
particulière aux êtres jeunes. Sans doute, pour celui qui aime son père
ou sa mère, le fait d’être déplanté en deux foyers distincts, et parfois
dans celui qui convient le moins à sa tendresse, ou encore d’être placé
prématurément dans une pension, sont des causes d’amertume profonde.

Le partage de l’enfant est certainement déplorable, mais il condamne
moins le divorce, liquidation d’une faillite, que ceux, ou celui ou
celle qui ont provoqué cette faillite par leurs torts et causé ainsi à
l’innocent, qui n’en peut mais, une situation aussi pénible.

Quand on plaint les enfants, on oublie que trop souvent, dans un ménage
en discorde, leur instinct les attache, par des préférences souvent
inexpliquées, soit à leur père, soit à leur mère, et que, de
l’attribution après divorce à celui-ci ou à celle-là, dépend que ces
petits êtres soient heureux ou malheureux.

Si le partage de l’enfant était appliqué toujours par les tribunaux avec
discernement et équité, les chances de souffrir seraient sinon
entièrement épargnées, du moins très diminuées pour lui. Il veut aimer
et être aimé lorsque sa nature est tendre. Sinon il lui suffit d’être
amusé et gâté, ce qui est le cas le plus ordinaire, et permet souvent au
moins intéressant des époux de se créer une influence déloyale et
corruptrice.

Le malheur veut que les Tribunaux, s’estimant liés par un article du
Code empreint de la pire Morale sexuelle,--toujours elle!--donnent
presque toujours l’enfant au conjoint qui a obtenu le divorce, comme si
celui-là était nécessairement le meilleur, le plus digne éducateur, le
plus qualifié. Par là et dans ses conséquences, le divorce se montre
bien un châtiment légal, surtout lorsqu’il est la suite de l’adultère.

On étonnerait beaucoup de gens--et cependant ce n’est là que l’exacte
vérité--en assurant que l’adultère n’est pas toujours criminel, et qu’il
peut faire valoir des excuses chez un conjoint malheureux et poussé à
bout. On étonnerait singulièrement les mêmes gens en leur disant que ce
n’est pas selon l’idée sexuelle de la souillure de la chair et
l’opprobre du péché, qu’il convient d’apprécier la valeur morale de
celui contre lequel le divorce est prononcé.

Il se peut que «le» ou «la» coupable soit malgré «sa faute» apparente ou
réelle, bien mieux désigné que l’autre époux pour entourer d’amour et de
sollicitude l’enfant. Combien de fois, sous prétexte d’indignité, les
Juges refusent-ils celui-ci à la mère uniquement parce que le père, lui,
a profité de tous les alibis de son métier d’homme et a su tromper
impudemment sa femme sans se faire prendre. Combien de fois l’enfant
grandirait plus heureux, plus aimé, mieux élevé, plus instruit, dans un
second ménage irrégulier, que chez celui ou celle qui, fort de sa
légalité pharisienne, conserve une hypocrite façade!

N’objectez pas que les décisions, prises en matière de garde d’enfants,
sont toujours modifiables et révocables; sept fois sur dix, l’enfant
n’est jamais confié à celui ou à celle qui se consacrerait, fût-il
«coupable», à son développement physique et moral.

Heureusement que la plupart des enfants ont un don d’illusion et une
ignorance de la vie qui ouatent autour d’eux les contacts et leur
permettent de croître sans trop de dépaysement et sans une sensation
trop cruelle d’isolement. Voyez, sauf exceptions rares, avec quelle
facilité l’enfant, s’il est encore petit, accepte et supporte la mort de
l’un des siens; voyez comme il se plie à la servitude souvent odieuse de
l’école ou du lycée. Il faut se dire surtout que sa vie personnelle
occupera bientôt de plus en plus son égoïsme ingénu. Une fois grand,
l’adolescent le plus aimant, le plus aimé, se détache comme un fruit de
l’arbre familial et fait sa propre destinée, souvent loin de ses
parents.

Serait-il juste qu’au nom de souffrances provisoires, et rarement
exceptionnelles de leurs enfants, les parents renoncent à leurs propres
chances de se réserver pour plus tard une existence tolérable, sinon de
bon heur par fait, du moins de malheur réduit? L’humanité répond:

--Non.


CHINOISERIES DU DIVORCE

Cette histoire-là, c’est du Courteline, du bon, du très bon Courteline!
Ça a la simplicité d’une fable et l’infaillible rigueur d’un théorème.
C’est moral et c’est absurde. C’est du comique éternel.

Il y avait une fois,--oh! pas avant le déluge, avant-hier,
simplement,--un brave homme désireux d’obtenir son divorce. Il était...
(le mot est dans Molière). Il l’était, non imaginaire, mais réel. Sa
douce moitié convolait en d’illicites noces et de frauduleux rendez-vous
avec un amant enthousiaste, dans un de ces appartements garnis de façon
modeste, mais suffisante, qui abritent le vice aimable.

Il voulait donc la pincer, au figuré s’entend, la pincer en
flagrant-délit.

Rien de plus simple, pensez-vous. Erreur, erreur grave. Rien de plus
compliqué, rien de plus difficile au contraire.

Vous n’ignorez pas que la loi n’intervient qu’à certaines heures, dites
légales. Si bien qu’il suffit de remonter exactement sa montre et de
s’assurer qu’elle ne retarde pas, pour ne se faire jamais prendre en
contravention.

D’ailleurs, même pour une constatation en règle, le commissaire ne se
laisse pas déranger si facilement. L’affirmation de l’intéressé ne lui
suffit pas. Il faut qu’on lui présente des papiers paraphés: être... ce
que vous savez, n’est ni une preuve ni une excuse. Il importe que le
parquet, saisi de la plainte, ait mis en quelque sorte la Loi au service
du mari, actionne valablement le commissaire.

Or, notre homme,--c’est le mari que je veux dire,--n’avait pu encore,
pour un motif ou un autre, faire constater son infortune: soit que les
coupables ne se vissent qu’aux heures où le respect de la liberté
individuelle empêche le commissaire d’opérer, soit que cet honorable
fonctionnaire ne voulût pas ceindre son écharpe sans mandat, soit qu’il
se fût dérangé une fois pour rien, soit que le nez du mari ne lui revînt
pas, soit pour toute autre raison.

Et cependant l’adultère se consommait toujours, il se consommait avec
frénésie, avec insolence, avec défi.

Une nuit, le mari, las de surveiller la rue et la maison du crime,
voyant poindre l’aube blême et songeant que l’alouette matinale allait
réveiller Roméo et sa bien-aimée et les séparer jusqu’au prochain
rendez-vous, le mari, à la fois exaspéré et ravi, se précipita chez le
commissaire de police.

«Cette fois, je les tiens, pensait-il avec rage et délices! Oui, mais si
je dis au commissaire la simple, la nue, oh! probablement très nue
vérité, il m’enverra promener, comme les autres fois. Il me faut donc
user d’artifice et l’amener, sans qu’il s’en doute, à verbaliser
congrûment».

Sur ce, arrivé au commissariat, il fit un tapage du diable. Le
commissaire dormait: tant pis, qu’on le réveillât!--Mais!... Il n’y
avait pas de mais! Il voulait voir le commissaire, et sur l’heure!
Affaire urgente, question d’État!

On réveille le commissaire, et quand ce magistrat, les yeux bouffis de
sommeil, consent à l’écouter, l’astucieux mari dévide l’histoire
ingénieuse qui suit:

--Ah! monsieur le Commissaire! Comme en a raison de dire que l’amour
perdit Troie! Il m’a perdu, moi qui vous parle, moi et mon portefeuille,
avec quinze cents francs dedans! L’amour, était-ce l’amour?... Au moins
le désir, le libertin désir; car, un père de l’Église l’a dit, vous ne
l’ignorez pas, la chair est faible. Une femme passe, on la suit. Ça vous
mène loin; au plus prochain hôtel meublé. Et là, l’entôlage! Entôlé,
monsieur le Commissaire: mon portefeuille, mes beaux billets bleus!...
Vous avouerez que c’est cher, trop cher pour une minute d’égarement.
Mais venez, venez vite! La voleuse, comme la pie, est encore au nid!
Venez l’arrêter et me rendre mon portefeuille avec mes quinze cents
francs!...»

Il en dit tant, et avec une émotion si pathétique que le
commissaire,--on ne saurait trop admirer son zèle et son sentiment du
devoir,--l’accompagna immédiatement: le temps de prendre son écharpe et
son chapeau.

On arrive:--Toc! Toc! Ouvrez, au nom de la loi!

Chuchotements derrière la cloison, bruit d’une chaise qui tombe, et le
Commissaire aperçoit, blottie entre les draps d’un lit large pour deux,
une femme, d’ailleurs agréable et, debout, fort penaud, un monsieur en
chemise.

Un ricanement de triomphe. C’est le mari, se redressant de toute sa
taille, qui, la voix mordante, déclare:

--Et maintenant, monsieur le Commissaire, j’ai l’honneur de vous
présenter ma femme, qui me trompe,--vous n’en douterez pas,--et Monsieur
qui est son amant. Verbalisez, Monsieur, verbalisez, s’il vous plaît!

Que vouliez-vous que fît le Commissaire? La chambre, les complices, les
oreillers, le lit, tout parlait, tout criait le flagrant délit. Il
verbalisa.

Satanique, le mari se frottait les mains: Il aurait son divorce, il
l’avait déjà, il le tenait.

Le Commissaire avait rédigé son procès-verbal. Il le fit signer à
Madame, à Monsieur, et à l’autre. Puis se retournant vers le mari.

--C’est parfait. Seulement, comme vous vous êtes fichu de moi, comme
vous avez extorqué mon intervention sous un motif fallacieux,--ce qui
est attentatoire au respect de la justice et ridiculise mon caractère
officiel,--je vais vous poursuivre pour outrages à la magistrature.

Tableau!

Et l’admirable est que le Commissaire est dans son droit. Le mari aussi.
Et les amants pourraient plaider qu’ils y étaient également: ils le
plaideront, soyez-en sûr. Le mari sera sans doute débouté, sous prétexte
qu’il a fait constater l’adultère par fraude en dehors de l’heure
légale. Et il sera, c’est vraisemblable, condamné, pour avoir indûment
dérangé le Commissaire.

Alors, il devait rester cocu (tant pis, le mot est dans Molière!) toute
sa vie?...

Oui.

N’est-ce pas que cette histoire est drôle? Drôle et amère. On voit
qu’elle est vraie.


DÉLAIS ET PAPERASSES

Le divorce, dit-on, s’est beaucoup simplifié depuis 1885: c’est exact.
Exact pour les époux d’une certaine qualité bourgeoise qui consentent à
un accord tacite et s’en remettent à leurs avoués pour formuler des
griefs pertinents et admissibles.

En ce cas, en effet, la procédure est simple, elle se borne aux
conclusions du demandeur: _Attendu que Mme X... a gravement manqué à la
foi conjugale..._

Et aux conclusions de la demanderesse: _Attendu que la demande de Mme
X... n’est ni recevable ni fondée..._

On épingle la réponse sur la demande, et, pour peu que les plaideurs
soient honnêtes, et les griefs du demandeur fondés (une habile
simulation y suffit), le Tribunal évite aux époux mal assortis les
lenteurs du rôle, l’éclat des plaidoiries et prononce le divorce.
Affaire d’un mois.

Mais il y a, et c’est assez fréquent pour justifier le divorce par la
volonté d’un seul, des conjoints résolus à défendre une mauvaise cause
et, en certains cas rares, une bonne cause, soit qu’ils y voient un
avantage matériel, soit qu’ils assouvissent aussi leur rancune ou leur
jalousie. Alors, paperasses et délais se multiplient comme autant de
chevaux de frise et de fils de fer barbelés.

Suivons un de ces divorces.

Le demandeur présente sa requête au président, qui fixe la date de
comparution des parties. Il les reçoit en conciliation et libelle son
ordonnance. Assignation est donnée, le tribunal est saisi. L’affaire,
inscrite au rôle, est appelée, remise. Si la demande ne s’établit pas
_de plano_, on ordonne l’enquête. L’affaire est rappelée, remise,
revient, disparaît comme le bouchon sur la vague. Enfin le tribunal
statue.

Comptons maintenant les actes et le temps qu’il faut pour les accomplir.

  1º Requête de divorce, qui doit être présentée au
  Président par le demandeur lui-même. A Paris, le magistrat
  impose en général au demandeur un délai de trois semaines
  à un mois entre le jour où la requête est déposée et celui
  où il reçoit la demande                                     1 mois

  2º Tentative de conciliation. L’ordonnance édictant les
  mesures provisoires arrive à l’avoué au bout de 15 jours    1/2 mois

  3º Assignation devant le Tribunal, mise au rôle, grimoires
  d’avoués, procès de greffe                                  1 mois 1/2

  4º Conclusions de l’adversaire, pour lesquelles la loi
  accorde quinze jours et l’usage deux mois                   2 mois

  5º Quand ces conclusions sont posées, l’affaire prend le
  rôle. Elle y dort                                           6 mois

  6º Entrée en jeu des avocats. Pour que l’affaire soit
  plaidée, il faut l’accord du Tribunal et des deux avocats:
  ci:                                                         3 mois

  7º Jugement ordonnant les enquêtes. Il faut le «coucher
  sur la feuille» le lever, le signifier, encore de nombreux
  grimoires                                                   2 mois

  8º Enquête. Le jour en est laissé au bon plaisir du
  juge-commissaire qui le fixe en général 2 mois après        2 mois

  9º Après les enquêtes, on échange de nouvelles
  significations à conclusions, on fait revenir l’affaire à
  l’audience                                                  3 mois

  10º Rentrée des avocats, nouvelles plaidoiries              3 mois

  Enfin jugement!                                            -----------
                                                      Total:  24 mois

Autant en appel, autant en cassation. C’est le minimum! Total: SIX ANS!

Je ne prétends pas que cela se voie tous les jours. Mais que ce soit
possible, c’est, on l’avouera, une chose renversante. Le divorce par
consentement d’un seul, avec de rigoureux délais--trois ans,--prendrait
moitié moins de temps.


UNE LOI SAGE

Il ne semble pas qu’on ait assez commenté, lorsqu’elle a paru,--onze ans
de cela!--l’ordonnance du prince de Monaco octroyant le divorce à la
Principauté.

Et pourtant, combien intéressant le paraphe noir par lequel Albert Ier,
par la grâce de Dieu souverain de Monaco, son Conseil d’État entendu,
signa la loi qui modifiait dans ses États le Code civil en usage
jusqu’alors.

De ce petit pays sortit ce jour-là un grand exemple. Une leçon de bon
sens, de justice et de progrès.

Car le divorce monégasque allait libéralement bien au-delà de notre
droit civil français, puisqu’il reconnaît, à la rupture des unions mal
assorties, les causes déterminées suivantes:

L’aliénation mentale.

L’épilepsie.

Le délire alcoolique.

La syphilis.

Nous n’avons pas encore cela en France... Et pourtant que de lettres
navrantes nous avons reçues! Une femme nous racontait que depuis
vingt-quatre ans, vous lisez bien: _vingt-quatre_ ans, elle demeurait
rivée au cadavre vivant d’un mari aliéné, loque humaine dans un hospice.
Aucun moyen pour cette malheureuse d’avoir pu refaire sa vie, sinon en
devenant une concubine et en vivant hors la loi.

Quant à l’épilepsie, qui crée des impulsifs brutaux et meurtriers, qui
aliène soudain la personnalité du malade, quant au délire alcoolique,
quant à la syphilis, il n’est pas question encore, chez nous, d’y
remédier par le divorce libérateur.

Et cependant!... Là encore que de confessions lamentables: femmes qui
vivent dans la crainte de l’alcoolique, menacées de mort, frappées de
coups, spoliées de vive force, vouées aux gémonies de la misère, voyant
souffrir et pleurer leurs petits, condamnés à une terreur de tous les
instants!

L’alcoolisme ronge comme un ulcère quantité de nos départements, flétrit
la race, tarit les forces saines du peuple;--et pas un député n’a songé
encore à préserver le lit de la femme et le berceau de l’enfant; car
l’alcoolique est un terrible créateur de tares physiologiques:
crétinisme, épilepsie, paralysie générale, etc.

La syphilis? Cette contamination abominable, toujours fatale aux
victimes, la femme, l’enfant à naître, croiriez-vous que nos casuistes
du Palais, avocats, avoués, juges, ont perdu trente ans à se demander si
seulement on devait la considérer comme une injure grave, et partant,
comme une cause de divorce?

On croit rêver quand on voit des choses pareilles. S’il est un motif à
rompre le lien conjugal, certes, il n’en est guère de plus justifié.
Combien faudra-t-il en France d’articles de presse, quelle pression de
l’Opinion publique, combien de discussions oiseuses, combien de joutes
oratoires au Parlement pour obtenir ce que, avec un sens si éclairé, le
prince de Monaco, dans ses terres, a tranché d’un trait de plume!

Prenons exemple, croyez-moi, sur ce petit État qui semble, dans son
décor magique de ciel et d’eau, un paradis terrestre artificiel.

Cette loi, qui semble n’importer qu’aux quinze cents habitants et aux
trois cent cinquante ménages environ de la Principauté, aurait dû avoir
un effet puissant sur les populations qui l’entourent, le pays des
trente-six millions d’êtres qui l’enlace.

Et la répercussion aurait dû aller plus loin encore; car si la France
côtoie, de partout, le rocher de Monaco et les jardins de Monte-Carlo,
le monde entier aboutit à ce palais des fêtes où l’orchestre des
représentations d’art couvre le bruit sourd des râteaux de l’or, voisine
avec le brouhaha des Palaces et le crépitement du tir aux pigeons.

Une comparaison éloquente aurait dû s’imposer.

Quoi, dans ce coin de terre ensoleillé, la loi humaine est en harmonie
avec la splendeur des choses; quoi, un ménage monégasque pourra en
quelques mois, s’il est malheureux, se dissoudre et se reformer pour des
unions meilleures; et, à cent mètres, à dix mètres de là, un ménage
français devra agoniser lentement, croupir dans l’étau d’un Code
inhumain et suranné!

Voilà qui devrait parler à l’esprit, au cœur, à la conscience.

Et comme me le fit remarquer M. Roussel, rapporteur de l’ordonnance
devant le Conseil d’État, ce n’était pas seulement la contamination par
syphilis qui motive le divorce, mais le seul risque de contamination, et
alors même que l’intéressé, sinon l’intéressant personnage, pourrait
arguer de son ignorance.

La loi,--et le cas est assez rare pour que nous le remarquions--se
faisait préservatrice; elle n’attendait pas que le mal ait eu lieu, que
le crime, volontaire ou non, fût commis. Elle sauvait d’abord les
innocents; et rien que ce noble souci eût honoré la nouvelle loi
monégasque.

Il y a mieux. Le huis-clos était spécialement ordonné dans les cas
précisés plus haut; et c’est de haute moralité. Chez nous, des divorces
semblables seraient un combat honteux à coups de déloyales et malpropres
procédures, de plaidoiries assassines, de débats scandaleux.

Nous ne pouvons qu’applaudir à un tel respect de la dignité humaine.

Tenons-nous-en, pour aujourd’hui, à méditer l’ordonnance signée, le 3
juillet 1907, à bord du yacht _Princesse-Alice_, à Trondhjem, Norvège.
Elle figura au long dans le _Journal de Monaco_ où nos députés et nos
sénateurs peuvent la relire, avec profil.

Le prince de Monaco a lancé une bonne semence. A nous de la faire
fructifier. Pour cela, comme Candide, bêchons notre jardin. A chaque
jour, sa peine. Nul effort n’est perdu!


HISTOIRE D’UNE IDÉE

Peut-être m’est-il permis de rappeler les étapes de la campagne que nous
fîmes, mon frère et moi, il y a vingt ans, en faveur du divorce. Elle
débuta en 1899 par une série d’articles féministes dans l’_Écho de
Paris_, ouvert alors aux idées les plus larges et riche des plus belles
collaborations littéraires. Nous y posions nettement la question du
divorce élargi, tant par le consentement mutuel que par la volonté d’un
seul.

En décembre 1900 nous allumions le premier brûlot par une «lettre
ouverte» aux sénateurs et aux députés, que publia le _Figaro_. La même
année parut dans la _Presse_ une enquête qui réunissait les noms les
plus divers des lettres et de la politique, enquête qui s’élargit l’an
d’après dans la _Revue_ de M. Jean Finot, après publication de notre
étude: _Mariage et Divorce_. Au divorce par consentement mutuel se
ralliaient: MM. Raymond Poincaré, Abel Hermant, Marcel Prévost, Auguste
Dorchain, Louis Barthou, René Viviani, Me Henri Coulon, les députés
Beauquier, Gerville-Réache, Périllier; au divorce par la volonté d’un
seul, avec des réserves parfois et des conditions de garantie: Jules
Case, Lucien Descaves, Édouard Estaunié, J.-Joseph Renaud, Georges
Lecomte, Pierre Louys, Me Louis Leduc, le président Magnaud, Jeanne
Marni, Alfred Naquet, Georges de Porto-Riche, Henri de Régnier, Georges
Renard, Jules Renard, J.-H. Rosny, le président Seré de Rivières,
Camille de Sainte-Croix, Marcelle Tinayre, Gustave Toudouze, Octave
Uzanne, Émile Zola, Masson-Forestier, Henry Bérenger, Urbain Gohier,
Bradamante (de la Fronde), les députés Morinaud, Gustave Rivet, le
sénateur Delpech.

En 1902, paraissait notre roman _Les Deux Vies_, accompagné d’une
pétition au Parlement reproduite dans tous les journaux et que M.
Gustave Rivet voulut bien déposer sur le bureau de la Chambre. Renvoyée
sur son rapport à la Commission de Législation, elle y fut proprement
enterrée, ainsi que devaient l’être un projet de loi du Président
Magnaud et un autre, de Me Henri Coulon. A la Chambre le groupe de la
Libre-pensée, sous la Présidence de M. Lafferre, nous conviait à exposer
nos idées, auxquelles la presse entière, par des discussions
passionnées, prêtait un retentissant éclat.

En 1902 également paraissait notre brochure l’_Élargissement du
Divorce_. Nous y formulions, avec la collaboration discrète du très haut
et libéral magistrat qu’est M. Léon Bulot, un projet de loi soustrayant
aux Tribunaux la juridiction des divorces et la confiant, non à
l’assemblée de famille qui siégea de 1792 à 1803, mais à un tribunal
arbitral de trois personnes.

Ce projet, sur l’adoption duquel nous ne nous faisions aucune illusion,
avait un avantage: les arbitres devaient se borner à enregistrer les
déclarations de volonté espacées et réitérées des deux ou de l’un des
époux; du coup demeuraient supprimés les dossiers boueux, les procédures
compliquées, les plaidoiries diffamatoires. Il laissait, en cas de
causes déterminées, les arbitres juges du bien-fondé des griefs; ces
arbitres devaient être mariés ou l’avoir été.

Une solution encore plus simple, au moins pour le consentement mutuel et
la volonté d’un seul, consisterait en de simples déclarations avec
délais fixes, dans les bureaux des mairies. L’État-civil déclare les
mariages, pourquoi ne proclamerait-il pas leur dissolution?

Faute de mieux, et tant que les Tribunaux apprécieront les causes de
divorce, le moins qu’on puisse exiger d’eux, c’est la rapidité et le
huis clos.

En 1903, un livre de G. Fonsegrive tentait contre nos idées une
réfutation courtoise. En 1904 le très beau roman de Paul Bourget, _Le
Divorce_, remettait en pleine lumière des arguments diamétralement
opposés aux nôtres. _Femina_, dans un de ses numéros, publiant à cette
occasion une lettre de Paul Bourget et une de nous, ouvrait auprès des
lectrices après cette lutte courtoise une enquête où, selon les
conclusions de M. Jacques de Nouvion, notre loyal adversaire, avec 1557
voix contre 1505 à notre actif, obtenait «une majorité relative et nous
une minorité de faveur».

En 1905, notre pièce _Le Cœur et la Loi_, tirée des _Deux Vies_ et très
discutée à l’Odéon, puis le grand succès en 1908, au Vaudeville, de _Un
Divorce_ de Paul Bourget et André Cury, opposaient pour la seconde fois,
entre le grand écrivain et nous, la bonne foi de nos plaidoyers
adverses. Ce fut, avec notre livre: _Quelques Idées_, et notre campagne
dans le _Petit Bleu_ et la _Dépêche de Toulouse_, comme le bouquet de ce
feu d’artifice d’idées brûlantes.

Une accalmie suivit.

Est-ce à dire que la question du divorce soit résolue? Elle en est loin.
Une idée de justice et de liberté ne s’arrête pas avant d’avoir atteint
son logique et suprême aboutissement.

Attendons!


LE BILAN D’UNE CAMPAGNE

Si l’on se demande maintenant par quoi s’est traduit, depuis vingt ans,
au point de vue législatif, toute l’agitation causée dans les milieux
juridiques, féministes ou mondains, dans les journaux, dans le roman, au
théâtre, par la campagne en faveur du divorce, non seulement il faut
reconnaître que les résultats sont minces et lents, mais encore qu’ils
n’ont été obtenus que contre des résistances surprenantes, où
républicains et monarchistes contractaient l’alliance la plus disparate.

Récapitulons:

La loi du complice a passé: elle permet à ceux dont le conjoint a
divorcé pour grief d’adultère de réparer le tort fait à leur nouveau
compagnon de vie, et de légitimer cette seconde union. C’est un pas de
fait vers la justice.

Mais, pour être complète, cette loi, que nous devons devant la Chambre à
l’initiative courageuse de M. Louis Barthou soutenu par M. Raymond
Poincaré, et devant le Sénat au plaidoyer chaleureux de M. Lintilhac,
cette loi devait comporter la légitimation dans tous les cas des enfants
adultérins. Il était par trop inique que ceux-ci, innocents toujours et
toujours irresponsables, n’ayant pas demandé à naître, restassent des
sacrifiés et des hors la loi, alors que leurs parents rentraient tête
haute dans la vie régulière.

La seconde victoire, arrachée après combat à l’inertie du Sénat, a été
la transformation de droit, au bout de trois ans, de la séparation de
corps en divorce à la requête de l’une des parties. Il fallut pour en
arriver là, une véritable bataille: il sembla, tant les débats prirent
d’ampleur, que le divorce fut de nouveau remis en cause; et l’on put
mesurer, à l’esprit de réaction qui se dessinait chez des républicains
eux-mêmes, à quelles objections se heurteraient le projet de loi du
divorce par consentement mutuel et celui pour cause d’absence prolongée
ou de folle avérée et durable, extrême limite en ce moment des réformes
en train.

Voilà où nous en sommes: loin, on le voit, des espoirs de milliers
d’êtres qui souffrent, se débattent, appellent une ère de libération.

Si on n’a pas facilité beaucoup la sortie du mariage, débouclé les
cadenas et tiré les verrous, on n’a pas davantage débarrassé
suffisamment l’entrée du mariage. Il reste asservi à des formalités
encombrantes et dispendieuses qui découragent le peuple.

Peut-être le parti républicain et spécialement le parti socialiste
comprendra-t-il toute l’importance de la question du divorce, et à quel
point elle soutient et défend les droits de l’État laïque contre la
séculaire domination de l’Église.

En tout cas, le large mouvement d’opinions, la crue montante à laquelle,
modestes ouvriers, nous avons mon frère et moi contribué pour notre
faible part, ne s’arrêtera pas de sitôt et n’avortera pas, stagnant et
enlisé. Il y a trop de souffrances, trop de misères en attente et qui
poussent et se soulèvent flot sur flot.

Ce n’est pas en vain que les penseurs, les écrivains, les féministes
ardentes, les sociologues se sont jetés dans cette mêlée contre les
forces pesantes du dogmatisme, la lourde barrière du passé... Ce n’est
pas en vain qu’on a vu naître des œuvres hardies comme celles de Léon
Richer: _Le Divorce_; d’Hugues Le Roux: _Le bilan du Divorce_; de
Camille Mauclair: l’_Amour Physique;_ de Léon Blum: _du Mariage_, entre
les vibrants plaidoyers de Naquet, l’_Union libre_; de Paul Adam: _la
Morale de l’Amour_; de Paul Abram: l’_Évolution du mariage_, et de bien
d’autres encore. Ce n’est pas en vain qu’on aura vu s’organiser des
forces éclairées comme le Comité de la réforme du Mariage, sous les
auspices de Me Henri Coulon et de René de Chavagnes. Ce n’est pas en
vain que la question du divorce a sollicité les juristes et empli les
thèses des nouveaux docteurs en droit, s’est imposée aux réunions
publiques, aux conférences, a rempli les journaux, agité la scène, fait
palpiter le livre.

Le divorce intégral, qu’on le veuille ou non, fait partie du programme
des libertés de demain. Il rend à l’individu sa valeur humaine et à la
Société, au lieu de foyers d’infection, des cellules nouvelles en pleine
énergie. Il est un des plus puissants facteurs de l’émancipation morale
de la femme et de l’enfant.

Donnons-lui, en l’élargissant, en le complétant, sa valeur
assainissante, sa vertu rédemptrice.



LA FAMILLE ET LA SOCIÉTÉ


Éducation sexuelle de la jeune fille (et du jeune homme), préparation au
mariage pour l’union de cœur et non plus d’intérêts, suppression de la
dot, droit à l’amour et même à l’enfant pour la jeune fille, lorsque le
mariage lui est impossible, respect dû à la maternité légale ou non:
autant de réformes qui ne sont encore que des _Anticipations_, selon le
mot de Wells, et qui ne pourront se réaliser que lorsque l’opinion, les
mœurs et les lois seront à l’unisson. Il dépend du moins de chacun de
nous de hâter cet avènement.

Par contre, toutes les réformes qui relèveraient la condition de la
femme dans l’ordre public ou civil, sont mûres et à point, et ne
dépendent plus que de textes de lois définitifs.

Pour que la femme soit électrice ou même éligible,--et le plus tôt sera
le mieux!--tout au plus convient-il d’attendre qu’on ait modifié notre
système électoral; car, juste en idéologie et parfaitement injuste dans
la pratique, le suffrage universel appelle au scrutin des masses
ignorantes ou crédules, sans préparation à la dignité de leur acte que
les promesses emphatiques des candidats, le recrutement d’un
enthousiasme abreuvé chez les bistros.

Il faut avoir le courage de dire ce que tout le monde pense. Le suffrage
universel a fourni les preuves de son imperfection, d’abord par le choix
de Parlements médiocres, composés presque uniquement par les professions
libérales et non par les compétences économiques et professionnelles;
ensuite par le choix de parlements ne représentant pas, en raison des
abstentions, l’image fidèle d’une opinion publique que trop d’électeurs
blasés et rebutés renoncent à exprimer.

De là, cette atmosphère de malaise, de suspicion et d’hostilité même qui
enveloppe d’une généralisation parfois injuste les représentants de la
nation, et qui excite chez eux une irritation incompréhensive d’autant
plus sincère qu’ils s’estiment naïvement délégués à leur poste par
l’élan de la nation entière. Pour ces raisons trop évidentes, l’élection
des femmes gagnera à dépendre d’un scrutin amélioré où le nombre aveugle
ne fera plus sentir sa pression incertaine, mais où tout ce qui compte
et a le droit de compter dans le pays aura sa part d’action morale.

                   *       *       *       *       *

Quant à la femme mariée, veuve ou divorcée, il convient de lui accorder,
d’urgence, tous les droits d’éducation des enfants et de contrôle dans
la conduite du ménage; il convient aussi de l’affranchir au même titre
que l’homme, en lui garantissant la disposition, non seulement de ce
qu’elle gagne par son travail, mais de ce qu’elle apporte de son chef.

Mariée, elle ne doit plus être dans son foyer une serve de corps et de
volonté. La suppression du délit d’adultère, de l’excuse de meurtre pour
le mari, l’établissement du divorce pour des causes déterminées, par
consentement mutuel et même par la volonté d’un seul s’imposent d’autant
plus immédiats, que certaines de ces mesures, à la veille de la guerre,
étaient l’objet de propositions de lois et de rapports devant la
Chambre.

Mais, disent les partisans du _statu quo_, cramponnés aux pierres
branlantes d’un édifice qui de partout craque, mais alors vous détruisez
la famille, cellule de la société, la famille sur laquelle tout repose:
l’organisation et la force de la Patrie?

Eh! non, nous ne détruisons pas la famille. C’est elle-même qui,
d’elle-même, comme tout ce qui est humain, comme tout ce qui vit, évolue
et évoluera. Pourquoi une cellule enkystée et pétrifiée, au lieu d’une
cellule vivante, en fonction d’énergie et en réaction de l’ambiance?

Mais elle a évolué de tout temps, la famille! Il n’est que d’ouvrir les
yeux pour le constater. Est-ce que les rapports des enfants et des
parents sont ce qu’ils étaient avant la Révolution? Est-ce que, à
l’autorité sévère et distante d’autrefois, n’a pas succédé une direction
plus douce et plus familière? Est-ce que les lois récentes sur le
mariage jeune, le remariage avec son complice, est-ce que la
transformation au bout de trois ans de la séparation de corps en
divorce, est-ce que la possibilité de légitimer des enfants adultérins
n’ont pas modifié déjà profondément la famille?

Pourquoi donc resterait-elle immuable dans le courant universel? Par
quel arbitraire et infructueux abus d’autorité prétendez-vous la
paralyser?

La famille restera toujours la famille, et sur cette forte assise
vraisemblablement reposera toujours la Société; mais plus il entrera
d’air, de lumière, de souplesse dans cet organisme essentiel, plus
l’intérêt général en profitera. Est-ce que, selon les pays, la famille
ne subit pas des modalités différentes? Est-ce que les événements, les
bouleversements sociaux ne la transforment pas? Est-ce que la guerre
l’aura secouée en vain?

C’est fatal, rien n’y peut: vivre, c’est changer! La famille
d’aujourd’hui a vécu; soit, mais celle de demain est déjà vivante!



TABLE DES MATIÈRES


  AVANT-PROPOS                             1
  Pourquoi ce livre                        3

  LES FEMMES ET LA GUERRE                  8
  La jeune fille                          15
  Ce qu’on lui laisse ignorer             17
  Le mythe virginal                       21
  La morale sexuelle                      25
  Le droit à l’amour                      29
  Le droit à l’enfant                     33
  Père déclaré                            37
  Mademoiselle ou madame                  41
  La chasse à la dot                      49
  Objections au mariage                   54
  Cas de conscience                       59
  L’amour dans le mariage                 66

  LA FEMME ET LA POLITIQUE                71
  La part des femmes                      78
  La voix des femmes                      80

  LA FEMME ET LE MARIAGE                  89
  Le vieux mariage                        91
  La femme et l’obéissance                96
  Le devoir conjugal                     100
  La fidélité et l’adultère              104
  L’adultère et le meurtre               108
  Bigames                                112
  L’association des époux                118
  L’amitié dans le mariage               121

  LA FEMME ET L’ENFANT                   125
  Le devoir maternel                     127
  Tous, enfants légitimes                131
  Les enfants adultérins                 136
  Le lait d’une autre                    141
  Éducation familiale                    146

  LA FEMME ET LE DIVORCE                 153
  Le divorce et ses adversaires          155
  La portée du divorce                   161
  Union forcée et union libre            166
  Le divorce et ses causes               169
  Le divorce par la volonté d’un seul    173
  Le partage de l’enfant                 178
  Chinoiseries du divorce                182
  Délais et paperasses                   188
  Une loi sage                           192
  Histoire d’une idée                    197
  Le bilan d’une campagne                202

  LA FAMILLE ET LA SOCIÉTÉ               207


IMPRIMERIE BUSSIÈRE--SAINT-AMAND (CHER).



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