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Title: L'oppidum de Bibracte
 - Guide historique et archéologique au Mont Beuvray; d'après les documents archéologiques les plus récents
Author: Anonymous, - To be updated
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'oppidum de Bibracte
 - Guide historique et archéologique au Mont Beuvray; d'après les documents archéologiques les plus récents" ***


[Illustration: RETRANCHEMENTS DE BIBRACTE (MONT BEUVRAY)]



L'OPPIDUM DE BIBRACTE

GUIDE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE
AU MONT BEUVRAY

D'APRÈS LES DOCUMENTS ARCHÉOLOGIQUES
LES PLUS RÉCENTS

1876



Ce guide a été publié par un membre de la Société Éduenne, à l'occasion
du Congrès scientifique d'Autun, d'après les notes et sous la direction
de M. J.-G. Bulliot, l'explorateur du mont Beuvray.



GUIDE DU BEUVRAY


_Phrourion Bibrachta_,
(STRABON, IV, 3.)


Le mont Beuvray, situé à 25 kilomètres d'Autun, occupe la pointe
méridionale de la chaîne du Morvan, à laquelle il n'est relié que par le
col de L'Echenaux, placé à 255 mètres au-dessous de sa cime. Les
nombreuses sources auxquelles il donne naissance forment autour de sa
base un fossé profond de 20 kilomètres de circonférence; les montagnes,
qui sont derrière lui, atteignent les Vosges à l'est et se prolongent
jusqu'aux extrémités de l'Armorique; l'Yonne, affluent de la Seine, naît
à ses pieds: le massif de 800 à 900 mètres d'élévation--dont il occupe
un des sommets--forme donc le point d'intersection des trois principaux
bassins de la Gaule centrale: ceux de la Loire, de la Seine et de
la Saône.

Sur le faîte de cette montagne, aujourd'hui en partie boisée, s'élevait
jadis une des plus importantes cités de la Gaule: BIBRACTE--la capitale
des Éduens, l'_oppidum maximae auctoritatis_ de César, le _Phrourion
Bibrachta_ de Strabon--dont le nom a persisté dans le _Biffractum_ des
chartes et dans celui de Beuvray.

L'occupation d'une pareille place expliquerait, à elle seule,
l'influence des Éduens sur les nations limitrophes. Bibracte, du haut de
ses plateaux, présentait le front à chacune d'elles, et pouvait lancer à
son gré des bandes dans leurs vallées qui s'ouvraient à ses pieds, ou
les replier en cas d'insuccès dans ses retranchements inexpugnables.

Si l'on songe aux conditions physiques où se trouvait la Gaule, à ces
guerres permanentes qui faisaient de ce pays un vaste champ-clos, dans
lequel les tribus n'étaient occupées qu'à s'attaquer ou à se défendre, à
soutenir ou à entreprendre des sièges, on doit convenir qu'il n'existe,
sur aucun point du territoire Éduen, un lieu plus merveilleusement
approprié que le mont Beuvray aux exigences d'un état de choses
aussi violent.

Avant de décrire les diverses parties de l'_oppidum_ de Bibracte, mises
à jour par les fouilles de ces dernières années, nous essaierons de
retracer brièvement l'histoire de cette forteresse dont la destinée se
liait à celle d'une puissante cité, et qui fut, pendant de longs
siècles, l'instrument de son salut et de sa grandeur.



I


APERÇU SUR L'HISTOIRE DE BIBRACTE


Des haches de bronze et quelques flèches en silex sont les premiers
indices du séjour de l'homme sur la montagne de Beuvray. A cette preuve
archéologique de l'ancienneté de la station, il convient d'en ajouter
une autre empruntée aux traditions religieuses: le culte des eaux et
des fontaines--le plus ancien de tous avec celui du feu--a laissé, en
effet, sur la montagne (où il fut apporté par les races d'émigrants
venus d'Asie) des traces qu'on ne saurait méconnaître et qui jusqu'ici
ont résisté à toutes les révolutions. La persistance de ce culte au
_même_ lieu, aux _mêmes_ époques--et suivant les _mêmes_ rites que l'on
voit observer encore aujourd'hui sur les bords du Gange et de l'Indus,
s'explique difficilement si l'on n'admet point que _dès les temps les
plus reculés_ le mont Beuvray a été fréquenté comme un lieu de
pèlerinage, et que les coutumes dont nous parlons puisent leur vitalité
dans la profondeur des âges.

La position escarpée de la montagne dut en faire, à l'origine, un refuge
pour les populations de chasseurs et de pasteurs nomades qui occupaient
le pays; d'autre part, la fête religieuse des sources du Beuvray fut un
puissant appât pour les industries qui trouvaient en même temps, dans
cette position retranchée, la sécurité indispensable à leur travail, et
l'écoulement facile de leurs produits.

Les arts et l'industrie des Gaulois éduens restèrent à l'état
rudimentaire jusqu'à l'époque où des peuples plus civilisés--les
Carthaginois et surtout les Marseillais--entrèrent en communication avec
eux par les deux grandes voies fluviales du Rhône et de la Saône.[1]

Il serait difficile de fixer la date de ces premières communications
(que l'histoire a enregistrées à une époque relativement récente); nous
savons seulement que, 123 ans avant Jésus-Christ, les Marseillais mirent
les Éduens en rapport avec Rome et obtinrent pour eux le titre de
_frères du peuple romain_.

A l'époque dont nous parlons (un siècle environ avant l'ère chrétienne)
la Gaule était divisée en clans restreints, sans lien entre
eux, sans littérature, et sans art proprement dit, presque sans
écriture--puisqu'il était défendu aux druides de s'en servir pour
conserver l'histoire et les dogmes.--Les Éduens étaient pourtant en
pleine prospérité, sous le rapport matériel. Nous n'en voulons pour
preuve que l'état de l'impôt et les entreprises financières de certains
chefs éduens--dont l'un, Dumnorix, fermier de tous les péages de la
cité, ne voyageait jamais sans avoir trois cents chevaux à sa
suite.--L'agriculture était très avancée; l'emploi de la marne et de la
chaux pour amender les terres--invention gauloise ou grecque--avait plus
que doublé la fertilité des champs. _Aedui calce uberrimos fecere
agros_.[2] Quant au bétail, il était nombreux et nourri dans de vastes
pâtures, situées quelquefois dans l'intérieur même des oppidum.

Cet état de prospérité fut sérieusement troublé dans le siècle qui
précéda l'ère chrétienne par les luttes des Éduens avec les Arvernes,
les Séquanais et surtout les Germains, appelés par ces derniers.

Les Éduens, trop faibles contre tant d'ennemis réunis, furent écrasés à
la bataille de _Magetobria_, dans laquelle leur noblesse périt presque
toute entière. Il fallut livrer des otages, et payer des tributs onéreux
pour obtenir la paix. Le druide Divitiacus refusa seul de souscrire à
l'humiliation de sa cité, et se réfugia à Rome, où il fut l'hôte de
Cicéron. Introduit dans le sénat--il parla debout, à la mode gauloise et
par interprète, appuyé sur un bouclier orné de diverses couleurs--qui
pour nous était un bouclier _émaillé_.[3] L'éloquence de Divitiacus
n'obtint qu'un médiocre succès. Ce n'est que lorsque les Helvètes
menacèrent la province romaine que la sympathie des Romains, éveillée
par leur intérêt, leur remit en mémoire la demande de secours de leurs
_frères_ éduens.

On connaît l'histoire de cette campagne où Bibracte est nommée pour la
première fois. César, manquant de vivres, se détourna de la route que
suivaient les Helvètes et prit celle de Bibracte, pour ravitailler son
armée qui était alors distante de cette ville d'environ dix-huit
milles--_quod a Bibracte... non amplius millibus passuum XVIII
aberat_.[4] Les ennemis, croyant que les Romains s'éloignaient d'eux par
crainte, revinrent sur leurs pas, et engagèrent l'action où ils
furent--comme on sait--taillés en pièces.

Après cette bataille--dite de Bibracte--les Éduens, malgré leurs
divisions intestines, marchèrent d'accord avec les Romains. Leur
cavalerie, commandée par Divitiacus, combattit même dans leurs rangs au
nord de la Gaule lors de l'insurrection des Rémois.

L'alliance dura jusqu'aux entreprises de Vercingétorix. A ce moment, un
parti puissant dans la cité éduenne cherchait à la détacher des Romains;
le vergobret venait d'être élu et il avait fallu l'intervention de César
pour pacifier les esprits et fixer le choix du magistrat suprême, mais
la cité n'en continuait pas moins à être travaillée par des factions
rivales. La cavalerie éduenne, sous les ordres de Litavie et de ses
frères, s'étant mise en marche pour rejoindre César au siège de
Gergovie, les chefs résolurent de faire passer leurs troupes non à
l'attaque mais à la défense de la place. César, informé de ces menées,
déjoua le complot: Litavie--l'un des auteurs de la conspiration--put
seul échapper aux Romains et passa à l'ennemi--avec son escorte; car,
dit l'auteur des _Commentaires, il est sans exemple qu'un client gaulois
abandonne son chef en péril de mort_.

L'échec des Romains au siège de Gergovie fut un encouragement pour le
parti qui leur était hostile, et l'insurrection s'étendit par toute
la Gaule.

Après la levée du siège et tandis que César descendait la rive gauche de
la Loire pour rallier Labienus, Litavie gagna rapidement la route de
Bibracte, et fut reçu par les Éduens:--_Litavicum Bibracte ab Eduis
receptum_.[5]--Le vergobret et le sénat ne tardèrent point à l'y
rejoindre.

César apprit cette nouvelle avec une inquiétude qui perce à travers son
style, en dépit de sa concision, et, comme pour se justifier de ne point
marcher sur Bibracte, il prononça ces mots qui marquent bien la position
imprenable de cette forteresse et l'impossibilité d'un siège:
_Bibracte ... quod est apud cos oppidum maximae autoritatis_.[6]

Au même moment, Vercingétorix accourait aussi à Bibracte pour entraîner
définitivement la cité dans son parti. L'assemblée générale des chefs
gaulois y fut convoquée:--_Totius Galliae concilium Bibracte
indicitur_.[7]

Le chef Arverne, acclamé par la foule, fut placé par l'enthousiasme
populaire à la tête de toutes les forces réunies de la Gaule, malgré
l'opposition des chefs éduens, humiliés de voir leur cité obéir à un
étranger. Ils fournirent, néanmoins, leur contingent pour la défense
d'Alesia, mais la conduite de plusieurs d'entre eux, faits prisonniers
par les Romains, a laissé subsister des doutes sur leur fidélité à la
cause nationale.

Après la prise d'Alesia, César rendit aux Éduens leurs prisonniers et
vint lui-même hiverner à Bibracte:--_Ipse Bibracte hicmare
constituit_.[8]

Il était occupé à y rendre la justice, lorsqu'il apprit que les
Bituriges préparaient une nouvelle insurrection. Ne voulant pas laisser
à l'ennemi le temps d'organiser ses forces, il quitta Bibracte la veille
des kalendes de janvier:--_Pridic kalendas januarias a Bibracte
proficisitur_,[9]--avec une faible escorte de cavalerie:--_cum manu
equitatis_,--et laissant Marc-Antoine à la garde des bagages, il rallia
la XIe légion campée dans le voisinage:--_quae proxiima erat_,--et la
XIIIe qui occupait la limite entre les Éduens et les Bituriges.
L'ennemi, pris à l'improviste, fut complètement défait. La conquête de
la Gaule était achevée.

Il ne paraît point que César soit revenu à Bibracte, du moins ni lui ni
ses historiens n'en ont fait mention. La forteresse est nommée encore
une fois par Strabon, quelques années plus tard, à une date difficile à
préciser: «Les Éduens--dit ce géographe--ont une _ville_,
Chalon-sur-Saône, et une _forteresse_, Bibracte.»

L'organisation nouvelle donnée à la Gaule par Auguste semble avoir
décidé de la suppression de l'ancien oppidum. Rome ne voulut pas laisser
entre les mains d'une population toujours remuante une forteresse de
cette importance qui, à un moment donné, pouvait offrir aux insurgés un
point d'appui des plus solides.

Bibracte fut détruite avec Gergovie et remplacée comme elle par une
ville de création romaine. Elles prirent l'une et l'autre le nom
d'Auguste: _Augustodunum--Augustonemetum_;--et Bibracte fut transportée
à Autun, comme Gergovie à Clermont.

Les Romains--ces maîtres dans l'art de coloniser--ont fait usage assez
fréquemment du moyen dont nous parlons, soit pour châtier une cité
rebelle, soit pour briser les dernières résistances d'un pays
récemment conquis.

Pausanias cite, entr'autres, un grand nombre de villes grecques
qu'Auguste, après la bataille d'Actium, dépeupla entièrement et dont il
transporta les habitants dans d'autres cités, pour les punir d'avoir
servi le parti d'Antoine.

En Gaule, la sévérité de la nouvelle administration transforma en peu de
temps les populations indigènes et leur fit oublier jusqu'à leur
langue.[10]

Les anciennes forteresses furent détruites, et les récalcitrants tués,
vendus à l'encan, ou transportés en masse.

Les quartiers industriels de Bibracte, les maisons de bois, les ateliers
de forgerons et d'orfèvres ont été indistinctement brûlés; les maisons
en pierres, plus riches, ont été déménagées. Les matériaux de luxe--tels
que les mosaïques--ou simplement utiles--tels que les placages en pierre
calcaire--furent partout enlevés pour être employés, sans aucun doute,
dans les constructions d'Augustodunum.

La nouvelle capitale fut bâtie--selon l'usage romain--avec une rapidité
bien faite pour nous étonner, mais dont la création des cités
américaines nous offre encore aujourd'hui l'exemple. «En quelques
mois--dit Viollet-le-Duc--les Romains créaient une ville», et il décrit
leurs procédés.

L'intervalle de temps qui sépare l'époque où Strabon cite Bibracte, de
celle où apparaît pour la première fois le nom d'Augustodunum dans
Tacite, peut être évalué à un _maximum_ de 25 années.

Les médailles fournissent d'ailleurs sur l'abandon de Bibracte et les
commencements d'Augustodunum des renseignements qui concordent avec ceux
de l'histoire.

Parmi les deux mille et quelques monnaies trouvées au Beuvray, les plus
récentes sont le petit bronze frappé en Gaule au revers de l'autel de
Lyon et la pièce gauloise de Germanus, fils d'Indutillus, qu'on regarde
comme le petit-fils de l'Indutiomar des _Commentaires_.

Ces deux types, les derniers en date au mont Beuvray, sont les premiers
qu'on rencontre à Autun.[11]

La ruine de Bibracte et la somptuosité toujours croissante
d'Augustodunum ne tardèrent point à faire oublier quelque peu la
première de ces villes.

Attirées par la curiosité ou l'intérêt vers le nouveau centre qui
réunissait l'administration, les écoles et le commerce, les populations
ne connurent bientôt plus le vieil oppidum que par son pèlerinage et
sa foire.

Eumène, à la fin du troisième siècle, cite Bibracte en passant, une fois
encore, et comme à titre de mention historique. La désignation de
Florentia, qu'il ajoute à son nom, semble elle-même indiquer que cette
fête du printemps l'empêchait d'être entièrement oubliée.[12]

Tel ne fut pourtant pas son sort, malgré les invasions barbares, qui
portèrent le dernier coup à tout ce qui se rattachait aux anciens
centres gaulois, confondus souvent, par la communauté d'un même
désastre, avec les villes de création plus récente.[13]

Le nom de Bibracte fut conservé à la montagne, et se transforma peu à
peu en celui de Beuvray qui--pour le philologue--est exactement le même.

Au seizième siècle, Gaucher, chanoine d'Autun, parlant de deux de ses
amis qui se rendaient au Beuvray pour la foire du premier mercredi de
mai, écrit ces mots: «_... qui ibant Bibracte._»

Jean Bouchet, dans ses _Chroniques d'Aquitaine_, parle de Libracte
(_sic_)... «qui était une petite ville d'Authun qu'on appelle de
présent Beuvray.»

Dans tout le bassin de l'Arroux les registres des paroisses mentionnent
à la même époque: La Comelle-sous-Bibracte, St-Léger-sous-Bibracte, etc.

Le passage que le célèbre jurisconsulte Guy-Coquille consacre au mont
Beuvray dans son «_Histoire du Nivernais_» est à citer en entier:

«La montagne de Beuvray, en la cime de laquelle était l'ancienne
Bibracte, est aujourd'hui en dedans le duché et pays de Nivernois.

Il est vray-semblable que les plus anciennes villes, bâties après le
déluge, ayent été mises ès-cimes des montagnes, et depuis, à cause de
l'incommodité des lieux hauts, ayent été transférées en lieux plus bas
et de plus facile accès; ainsi les habitants de ce haut Beuvray se
soient transférés au lieu ou est de présent Authun, et pour l'honneur
d'Auguste César l'ayent nommé Augustodunum.»

La tradition populaire, qui n'est pas moins explicite, témoignerait à
elle-même, par son étonnante persistance à travers les âges, de la
grandeur de l'antique Bibracte, et de sa situation, même en l'absence de
textes écrits et de faits matériels:

«En faisant visiter les terrassements qui enveloppent les différents
sommets de la montagne, les paysans rapportent que: «là était autrefois
la capitale de tout le pays... que la nuit on entend les charriots, les
hommes et les chevaux courir sur les retranchements...» Ils montrent
l'emplacement des portes qui, lorsqu'on les ouvrait le matin, criaient
sur leurs gonds, de façon qu'on les entendait jusqu'à Nevers.»

Sur les pentes abruptes qui conduisent à la montagne, «il
fallait--disent-ils encore--du temps de la _vieille ville_, cinq paires
de boeufs pour monter un char.» Ils ajoutent que la ville fut ruinée et
montrent près du Beuvray un mamelon par lequel l'ennemi déboucha: une
bergère aurait révélé le point vulnérable, et pour sa récompense, le
chef des ennemis lui aurait percé le coeur d'un coup d'épée, dans la
crainte qu'un repentir tardif ou une nouvelle indiscrétion n'avertît
trop tôt les habitants que la trahison était consommée. Après la
destruction de la ville, suivie d'un grand massacre, les survivants
auraient quitté la montagne et fondé Autun.

Quand l'Histoire est muette, il faut se contenter de la Légende--tel est
le cas présent--mais, hâtons-nous de le dire, celle-ci n'a rien
d'invraisemblable; en effet, bien que la première ne nous fournisse
aucun détail sur la fin de Bibracte et les commencements d'Augustodunum,
il est fort à croire que la forteresse éduenne ne fut point anéantie
sans qu'il y ait eu quelques résistances de la part de la population
indigène. D'un autre côté, il est à peu près démontré que de graves
insurrections--dont les historiens ont à peine parlé--éclatèrent en
Gaule avant le commencement de l'empire, et furent réprimées, avec une
cruauté dont César n'avait que trop donné l'exemple.

Un détail fourni par la numismatique vient à l'appui de notre dire, car
il accuse assez nettement l'impuissante rancune du peuple éduen contre
Auguste, patron de la nouvelle cité et destructeur de l'ancienne.

Sur les lisières d'Augustodunum, dans les quartiers pauvres, voisins des
remparts où la population des ouvriers gaulois semblait avoir été
parquée, on a recueilli avec soin une grande quantité de médailles
d'Auguste de tous les modules. Presque toutes ont le cou ou la face
marquée d'un trait fait par un instrument tranchant. Nos antiquaires
appellent ces pièces des «Auguste à cou coupé.»

L'usage de mutiler les pièces de monnaie, par haine du maître, date de
loin, comme on le voit.



II


REMPARTS ET PORTES DE L'OPPIDUM


Les remparts de l'oppidum ont--depuis l'époque gauloise--toujours servi
de limite pour les droits d'usage des populations. Ils suivent les
mouvements naturels du terrain--comme ceux des plus anciennes villes
grecques et italiennes--et descendent fréquemment dans les gorges, parmi
les sinuosités des vallées qui déchirent les flancs de la montagne.

Cette dernière disposition était commandée par la nécessité de s'assurer
la possession des sources et des petits réservoirs établis en aval, dont
on a retrouvé les bassins parfaitement corroyés. Sur les pentes trop
ardues pour y élever des habitations, les remparts remontent; ils ont
même parfois de deux à trois étages construits, selon la nécessité des
lieux, soit pour défendre les chemins, soit pour mieux garantir certains
points plus accessibles.

Le périmètre des fortifications embrasse environ 135 hectares sur une
longueur de plus de cinq kilomètres, non compris les ouvrages
avancés.[14]

Les murs, fouillés sur plusieurs centaines de mètres, ont été reconnus
exactement conformes à la description donnée par César de ceux
d'Avaricum. Ils étaient formés de grillages superposés en poutres
croisées, reliées entre elles à mi-bois et fixées par des chevilles de
25 à 35 centimètres de longueur.

Dans les explorations on a retrouvé les trous de poutres et nombre de
fiches de fer encore en place.

Jusqu'ici on n'a encore exploré qu'une seule des Portes--celle du
Rebout.

Elle se composait de deux bastions, entre lesquels passait la voie
d'entrée, et dont l'un formait sur celui d'en face un angle saillant
d'environ quarante mètres, du haut duquel on pouvait lancer des traits
sur l'ennemi, en cas d'attaque de la porte.

Cette saillie, dont l'isolement eût pu créer un danger, était défendue
elle-même par une espèce de tour rectangulaire établie de l'autre côté
du chemin.

Chacun des deux bastions était lui-même couronné d'une tour en bois dont
on a retrouvé les bases--de 11 mètres de côté--et les débris incendiés.

Un large fossé suivait la ligne des remparts jusqu'aux vallées voisines
où il était remplacé par un terrassement dont la crête formait un chemin
de ronde de 8 mètres de large qui longeait le pied de toute la
circonvallation.

L'entrée de l'oppidum--comme dans certains châteaux du moyen
âge--formait un couloir plus étroit que la voie, au fond duquel était le
seuil des portes, resserré encore par deux fossés taillés dans le roc,
suivant un profil très régulier. Ces fossés étaient établis pour créer
une gêne aux assaillants et faciliter l'écoulement des eaux.



III


INTÉRIEUR DE L'OPPIDUM


L'oppidum est traversé dans toute sa longueur par la grande voie de la
_Croix du Rebout_. A l'extrémité du plateau triangulaire--dit du
_Champlain_,--cette voie est rejointe par un embranchement qui part du
hameau de l'_Echeneaux_ et remonte la vallée de l'_Ecluse_.

La surface comprise dans l'intérieur de la couronne supérieure des
remparts est partagée en trois régions bien distinctes, formées par
trois plateaux, divisés par des vallées.

Le plateau supérieur--appelé LA TERRASSE--occupe une langue de terre
très allongée parallèle au rempart du côté du levant. Du haut de ce
plateau, la vue s'étend sur des espaces sans limites, au-delà du
Puy-de-Dôme et du mont Blanc.

Le deuxième plateau, dit PARC AUX CHEVAUX,--inférieur au précédent de 10
à 12 mètres d'altitude, et séparé de lui par la vallée de la GOUTTE
DAMPIERRE,--se termine au couchant par le _Theureau de la Roche_,
monticule de grès qui domine d'une part le cours de la _Séglise_ et de
l'autre la VALLÉE DE L'ÉCLUSE, située entre ce plateau et celui du
CHAMPLAIN.

Ce dernier, resserré entre deux vallées, forme une esplanade
triangulaire au sud de laquelle s'élève un mamelon analogue à celui du
Theureau de la Roche.

La vallée de LA COME-CHAUDRON sépare le Champlain des pentes escarpées
qui montent à la pointe de la Terrasse où se trouve le _Porrey_, point
culminant du Beuvray, à 820 mètres d'altitude au-dessus du niveau de
la mer.



TERRASSE.

Ce plateau renferme le Temple, le Forum et le Champ de foire.

_Temple et Forum_.

Le temple du Beuvray--ainsi que le forum et autres dépendances qui
l'entourent--parait avoir été créé uniquement en vue du pèlerinage et de
la foire à l'époque où l'oppidum fut abandonné de gré ou de force par
les populations qui l'habitaient.

Les substructions qu'on rencontre sur son emplacement ont révélé les
traces d'installations antérieures remplacées par l'édifice cité
plus haut.[15]

Construit avec la solidité des travaux romains, ce temple était flanqué
de trois autres constructions au nord, à l'ouest et au sud.

La partie qui regarde le levant comprenait un très gros mur à hauteur
d'appui, qui soutenait tout le terrassement du plateau et laissait la
vue libre de ce côté.

Au nord et à l'ouest étaient des boutiques marchandes; au sud le
logement des bestiaux et la boucherie, dépendance obligée du temple.

Une rangée de boutiques--à l'usage des marchands qui se rendaient à la
foire--longeait les vieux côtés de la grande voie, séparée d'elle par un
trottoir et un portique couvert.

Le temple était entouré d'un portique semblable à celui des boutiques.
Il se composait de deux parties: d'un _pronaós_ ou vestibule de 7 à 8
mètres de côté, et d'une _cella_ surélevée, plus étroite que le
vestibule auquel elle faisait suite.

Quand le christianisme pénétra dans les montagnes du Morvan, le temple
du Beuvray fut transformé en chapelle; mais la partie la plus
ancienne--c'est-à-dire le vestibule--fut seule conservée. La _cella_, où
étaient les idoles, fut entièrement rasée; car on sait que les premiers
apôtres n'admettaient pas que les sacrés mystères soient célébrés dans
le sanctuaire même des fausses divinités.--On la remplaça par une abside
demi-circulaire précédée d'une partie droite plus étroite que le
vestibule, et l'édifice prit ainsi la forme des basiliques
constantiniennes du quatrième siècle.

La maçonnerie des parties reconstruites est irrégulière comme un travail
fait à la hâte et par des ouvriers inexpérimentés; le mortier et les
moellons en sont aussi également médiocres.

La tradition populaire attribue cette transformation à saint Martin
lui-même, et l'on doit convenir qu'à défaut de preuves elle a au moins
pour elle d'assez graves présomptions:

La circonstance qui milite le plus en faveur de l'opinion que nous
émettons, c'est que la médaille romaine--la dernière en date parmi
celles trouvées dans cette ruine--est exactement contemporaine de saint
Martin. Cette même médaille était aussi la dernière de celles qui
accompagnaient l'_ex voto_ de la Dea Bibracte trouvé--comme on sait--au
fond d'un puits scellé d'une dalle, dans l'enclos du petit séminaire
d'Autun.[16]

Le premier établissement chrétien du Beuvray disparut à une époque
difficile à préciser. On sait seulement qu'au douzième siècle, on éleva
sur le même emplacement un nouvel édifice, dédié à saint Martin, qui fut
ruiné vers 1570 par les soldats de Coligny, et fit place à une chapelle
plus petite encore; celle-ci s'étant écroulée peu d'années avant la
Révolution, ne fut remplacée que par une simple croix de bois.

En 1851, un membre de la Société Éduenne se rendant au congrès de
Nevers, traversa la route du Beuvray. S'étant détourné quelque peu pour
aller visiter le plateau de la Terrasse, il trouva la croix de
Saint-Martin gisante sur le sol et brisée par la vétusté.

Les membres du congrès, informés de ce fait, et soucieux de perpétuer le
souvenir du passage de saint Martin sur le Beuvray, votèrent par
acclamation un crédit pour l'érection de la croix de pierre qui se voit
au devant de la chapelle actuelle. Cette dernière fut construite par
souscription vingt ans plus tard, et Mgr Landriot, archevêque de Reims,
en posa la première pierre en 1871.

_Foire du Beuvray._

L'exploration des terrains autour du temple et du forum a permis--en
l'absence de textes écrits--de retracer l'histoire archéologique de
cette foire--la plus ancienne de France et peut-être du monde entier.

Elle se tient encore chaque année, au premier mercredi de mai, sur un
vaste emplacement dont la destination n'a jamais varié depuis l'époque
gauloise. On y recueille de nombreuses pièces de cités appartenant à la
Gaule, des silex taillés, des morceaux de hache de bronze, des
verroteries, des fibules, des objets de toilette, des émaux, et enfin
toutes espèces de fragments de poteries.

Viennent d'abord les poteries gauloises; la céramique romaine[17]--dont
les débris ne se trouvent que dans les boutiques et aux alentours du
champ de foire--fait suite dans cette série par rang d'ancienneté où
elle précède les poteries mérovingiennes, ardoisées, et ornementées de
grillages, trouvées en grande quantité sur le même emplacement.

On arrive ainsi aux poteries carlovingiennes blanches et rayées de
rouge, puis à celles du moyen âge et de la renaissance, et enfin à
l'époque moderne.

Les monnaies suivent la même série qui est ininterrompue de
Philippe-Auguste (1180) jusqu'à nos jours.

Ainsi,--depuis le temps où l'on taillait des silex pour en faire des
flèches--toutes les générations ont laissé des traces et en quelque
sorte gravé leur âge sur ce plateau célèbre. Fait unique en archéologie:
car autant vaudrait, pour un géologue, trouver au même lieu la série
complète des assises terrestres à partir du granit.

A l'époque gauloise, les populations accouraient en foule sur la
montagne, attirées non-seulement par la facilité de la vente ou de
l'achat des denrées, mais aussi par la grande fête religieuse qu'on
célébrait à la même époque. Les Éduens allaient porter leurs
voeux--_referre vota_--à la fée nationale, la DEA BIBRACTE et jeter dans
le bassin de sa source sacrée des oeufs, des pièces de monnaie ou autres
offrandes.

Sous la domination romaine, le Beuvray, malgré l'abandon de Bibracte,
n'en fut pas moins le rendez-vous de toutes les populations
d'alentour au moment de sa foire et de son pèlerinage, car les
Romains--contrairement à une opinion reçue--furent très tolérants pour
la religion des vaincus, _toutes les fois qu'elle ne touchait point à la
politique_, et acceptèrent avec la plus grande facilité les génies des
sources et des rivières, les fées des fontaines, les maires..., etc., en
un mot toutes les divinités des Gaulois.

Les coutumes religieuses du pays éduen étaient d'ailleurs d'une si
grande ténacité que le christianisme lui-même eut grand'peine à les
détruire. Saint Éloi, au sixième siècle, défendait expressément de
chômer au mois de mai; aujourd'hui encore, nous retrouvons la trace de
ces coutumes dans les pratiques superstitieuses en usage chez les
paysans de nos montagnes:

Les nourrices viennent comme autrefois aux sources de la fée
Bibracte--sanctifiées par les noms de Saint-Pierre et de
Saint-Martin--se laver le sein avant l'aurore pour obtenir un bon
nourrissage et jettent dans l'eau une pièce de monnaie ou un fromage.

Les hommes vont de même, à l'heure matinale, attacher des cordons de
lisière autour de la croix et y déposer des bouquets composés de cinq
espèces d'herbes magiques--à la mode des druides--pour préserver du
mauvais oeil leur bétail ou leurs champs; puis ils s'avancent devant la
croix, le dos tourné vers elle, et jettent derrière leur épaule gauche
une baguette de coudrier--l'arbre du mal.[18]

On retrouve dans toutes ces pratiques les restes de traditions communes
à tous les peuples issus des plateaux de l'Asie centrale.

Les forums, au moyen âge, furent détruits à une date inconnue et
remplacés par de petites loges dispersées sur le même terrain.

La foire du Beuvray pendant cette période était non-seulement un
rendez-vous religieux, mais aussi servait de prétexte à ces sortes de
plaids, dont César a cité quelques exemples chez les Gaulois.

Les seigneurs de Glux et de la Roche-Milay, possesseurs de la montagne,
y réunissaient chaque année tous leurs vassaux pour en faire le
dénombrement, et tenaient cour plénière.

Les fêtes se terminaient généralement par un tournoi auquel prenait part
toute la noblesse des environs.

La foule avant de se livrer aux affaires se rendait à la chapelle où
étaient célébrés les offices religieux, et où l'on faisait des offrandes
comme au temps d'Eumène--_referunt vota templis_.

La foire du Beuvray au seizième siècle est ainsi décrite par Guy
Coquille:

«En la dite cime du Beuvray se tient une foire renommée par toute la
France ... qui représente beaucoup d'antiquité car elle se tient chacun
an le premier mercredy du mois de may.

«Au temps du paganisme les marchands soulaient sacrifier et faire leurs
voeux a Maja déesse fille d'Atlas, et à Mercure son fils, en ce mois de
may, pour avoir leur faveur au trafic de leurs marchandises.

Le mois de may est dit _majus_, en l'honneur de la dite Maja du temps
des Romains, ainsi que dit Ovide au cinquième livre des _Fastes_;
Mercure était le dieu des marchands comme se voit au prologue de la
comédie de Plaute, _Amphytrion_. Et on voit encore aujourd'huy que cette
foire est à jour de mercredy dit de _Mercure_ et au mois de may dit
de _Maja_.»

De nos jours, quoique singulièrement déchue, cette foire subsiste
encore; elle est même l'occasion, entre les paysans, de rixes parfois
sanglantes, car on s'ajourne au premier mercredi de mai pour vider en
champ clos les anciennes querelles sur le sommet de la Terrasse.



PARC AUX CHEVAUX.

Il commence aux pentes inférieures de la Terrasse et se prolonge
jusqu'au _Theureau de la Roche_ entre les vallées de la
Goutte-Dompierre et de l'Écluse.

Des fouilles pratiquées sur ce plateau, au début des explorations, par
M. le vicomte d'Aboville, ont mis à jour les substructions de plusieurs
maisons construites avec un certain luxe, et renfermant même des
mosaïques,--bien qu'on n'y ait trouvé que des médailles gauloises.

On rencontra dans ces fouilles les aqueducs et les premières salles
d'une vaste habitation, dont les proportions dépassent tout ce qui a été
découvert jusqu'à ce jour au mont Beuvray.

Cette maison--dite du Parc-aux-Chevaux--est construite sur le plan des
maisons romaines, mais nous n'hésitons pas à l'attribuer aux derniers
temps de l'indépendance de la Gaule, car on y a trouvé quarante
médailles gauloises et pas une seule médaille de l'empire.

Elle se compose--comme les maisons luxueuses de l'antiquité--d'un
_atrium_ entouré de couloirs ou _fauces_ qui desservent les
appartements distribués sur les quatres faces.

Pendant les trois années qu'ont duré les fouilles de ce vaste bâtiment,
on chercha inutilement l'entrée principale aux trois parties les mieux
exposées, sud, est, ouest, et c'est avec surprise qu'à la fin du travail
on la découvrit en plein nord dans des conditions qui prouvent que nos
aïeux étaient aguerris contre les intempéries des saisons et la rudesse
de _l'Hiems gallica_.

On accédait au seuil par des marches de granit conduisant à un petit
vestibule couvert, qui débouchait lui-même sur une cour; d'autres cours
s'étendaient à droite et à gauche et étaient entourées de dépendances
considérables.

Les appartements--dans plusieurs desquels on a reconnu des traces de
mosaïque, des carrelages carrés et triangulaires en schiste ou formés
par des briquettes posées sur champ et imitant la feuille de fougère,
comme nos parquets, des traces de placage en calcaire oolithique autour
des pieds-droits des portes, des cheminées aux _brasseros_ en briques
parfaitement construits...--font de cette maison une sorte de petit
palais dont il nous est impossible de préciser la destination, mais que
nous oserions presque attribuer au vergobret si nous avions l'assurance
que ce magistrat suprême--pris dans toutes les parties de la cité
indistinctement--avait à Bibracte une résidence fixe. Dans cette
hypothèse, il faudrait admettre que les Gaulois possédaient des
bâtiments publics.

Une belle source, située dans l'arrière-cour, et qui, depuis s'est fait
jour par dessous le massif de glaise sur lequel repose l'habitation, va
former la fontaine du _Loup-Bourrou_, qui sort à 150 mètres plus loin,
et conserve encore aujourd'hui une partie de sa voûte gauloise
construite en tuileaux et en terre glaise.

Le bâtiment dont on vient de parler--établi dans une anfractuosité qui
le mettait à l'abri des coups de vent et de la foudre--était adossé du
côté du levant aux pentes que coupe la grande voie du Rebout et situé le
long d'une chaussée empierrée, non encore explorée.

Au nord et à l'ouest s'étendent de vastes espaces couverts de ruines,
principalement dans le bois dit _des Queudres_, et à la pointe du
_Theureau de la Roche_.

Entre ce mamelon et le rempart se dresse le rocher de la
_Pierre-Salvée_. L'analogie de ce rocher avec la _Pierre de
la Wivre_ permet d'y voir une tribune de justice.

Au sud de ce quartier jusqu'à la fontaine Saint-Pierre et même au-delà,
les mouvements du terrain indiquent d'autres ruines où quelques sondages
ont été pratiqués: on y a découvert entre autres une vaste écurie dont
les cases--au nombre de quatre-vingts--formées par des poteaux
carbonisés, à un mètre de distance les uns des autres, devaient servir
non à des chevaux mais à des boeufs,--pour qui cet espace était
suffisant. L'aire d'une grande cheminée demi-circulaire de 1m 70 de
diamètre, composée d'un béton de tuileaux et de terre glaise dur comme
la pierre, de 0m 80 d'épaisseur, a été trouvée derrière cette écurie.

La fontaine Saint-Pierre, située à quelques pas de là, se répand dans un
espèce de massif bétonné, entouré de murs, et dans lequel on a trouvé un
grand nombre de tuiles à rebords provenant--selon toute apparence--de la
chute d'une toiture de lavoir.



LE CHAMPLAIN.

A droite de l'entrée de l'oppidum s'élève un mamelon triangulaire
compris entre le rempart et les vallées de l'Écluse et de la
Come-Chaudron.

Une voie longeant le retranchement conduit à un petit plateau rocheux
escarpé de trois côtés, et dominé par un monticule dont il n'est séparé
que par une esplanade demi-circulaire.

Au centre du plateau s'élève un bloc de quelques mètres de hauteur,
taillé--disent les géologues--par la main de l'homme, et ménagé dans la
masse d'un roc aplani qui forme l'aire environnante.

C'est la _pierre de la Wivre_. Elle recouvre--suivant la légende--un
trésor accessible seulement dans la nuit de Noël--où la pierre, à
l'heure de minuit, fait une révolution sur elle-même.

Le sommet, auquel on accède par une rampe étroite, est rasé à l'avant en
forme de siège; à l'arrière est une excavation ordinairement remplie
d'eau pluviale et désignée dans le pays sous le nom de _Fontaine des
Larmes_. Ces traditions, rapprochées de la disposition singulière du
lieu, lui donnent un intérêt historique qu'il est impossible de
méconnaître: la légende du trésor rappelle le _locus consecratus_--dont
parle César--si fréquent dans les cités gauloises, où les populations
déposaient en plein air leurs offrandes aux génies et aux dieux sous la
garde du serpent sacré.[19]

Le plateau, d'autre part--grâce à son escarpement isolé, et son
inclinaison sur toutes faces qui facilite l'écoulement des eaux--se
prête mieux que tout autre point de l'_oppidum_ à la réunion d'un corps
délibérant.

Abrité par sa situation de l'oreille des curieux, ce _locus
consecratus_--qui dans toutes les cités antiques était celui du
conseil--est pour nous la salle en plein air du sénat gaulois. Elle
pouvait contenir facilement plus de 500 personnes--chiffre auquel César
évalue le nombre des chefs d'une des grandes cités de la Gaule.

L'hémicycle aplani, dont nous avons parlé, séparé du lieu du _concilium_
par une levée de terre assez prononcée, était destiné vraisemblablement
à loger les chariots des chefs et leurs chevaux, qui, pendant le
conseil--d'après les lois les plus anciennes des tribus
celtiques--devaient rester attachés au piquet.[20]

Toute cette partie de l'_oppidum_ était inhabitée. On n'a rencontré
autour du monticule qu'une seule maison dans laquelle fut trouvé un vase
couvert d'ornements gaulois.

Les habitations n'existaient que dans la partie orientale voisine de la
grande voie de la _Croix du Rebout_. La plupart étaient possédées par
des artisans--notamment des fabricants de bronze dont les creusets et
les scories ont été recueillis en grande quantité; on a trouvé de
distances en distances des cases funéraires--renfermant jusqu'à 50 ou 60
amphores--qui appartenaient--ainsi qu'on a pu le constater depuis--aux
différents corps de métier occupant cette région.



VALLÉES DE LA GOUTTE DAMPIERRE, DE L'ÉCLUSE ET DE LA COME-CHAUDRON.

Ces trois vallées sont suivies chacune par un ruisseau où vont se
réunir, par bassins respectifs, les vingt-deux sources comprises dans
l'intérieur de l'enceinte.

Une seule de ces vallées--celle de la Come-Chaudron--a été suffisamment
explorée pour qu'on puisse en parler ici:

Le quartier de la Come-Chaudron, parallèle à celui du Champlain, est
situé à gauche de la grande voie, et se compose d'une partie supérieure
légèrement inclinée à l'est et d'une vallée profonde traversée par un
faible ruisseau. Les régions fouillées le plus complètement sont à
l'entrée même de la place et servaient de demeure exclusive à des
métallurgistes.

Le premier établissement était une fonderie, où, dans de petits fours
bien construits, on extrayait le fer directement par la méthode
catalane. Plus loin, des forges isolées, creusées dans le sol et munies
de buses en terre réfractaire, assez semblables aux nôtres, un grand
atelier de forgerons de 47 mètres de long, de vastes hangars construits
avec des charpentes et de la terre battue ont offert partout les débris
de la sidérurgie dans toutes ses variétés. Les habitations, sur la pente
de la vallée, enterrées de deux mètres à l'arrière et de plain-pied à la
façade, étaient construites, la plupart du temps, en pisé et en poteaux
fixés dans le sol; les parties enfouies étaient seules en maçonnerie de
pierres sans chaux, quelques-unes même cloisonnées avec de simples
planches. C'est dans ces réduits, espèces de tannières, où le soleil ne
pénétrait que par la porte, quand elle n'était point abritée sous un
auvent, que les fabricants de Bibracte exerçaient leurs industries,
parmi lesquelles une des plus curieuses est celle de l'émaillerie. Le
travail des émaux, qui confine à l'art, apparut pour la première fois au
centre de la Gaule, avec des dates certaines, lors des fouilles de la
Come-Chaudron, en 1869; car, on ne mit point seulement à jour quelques
échantillons isolés, mais tout un centre de fabrication, dont les
ateliers--comme dans certaines fouilles de Pompéï--n'auraient paru
fermés que de la veille, si l'état d'altération d'un grand nombre
d'objets n'eût témoigné d'un long séjour au sein de la terre.

Les ustensiles gisaient pêle-mêle, les fours étaient encore remplis de
charbon; à côté de spécimens complètement terminés, on en voyait
d'autres à peine ébauchés, d'autres en pleine période de fabrication;
tout autour, des fragments d'émail brut, des creusets de terre, des grès
à polir, une quantité considérable de déchets, des bavures, des rognures
provenant de la taille; des coques vitreuses qui conservaient
l'empreinte des dessins du bronze, et, par-dessus tout, le témoin même
des opérations, c'est-à-dire la médaille.[21]

Le procédé, employé par les Gaulois pour émailler les bronzes, diffère
peu du travail de la niellure, dans lequel les populations du Caucase
ont excellé de tout temps.

Il consistait à graver des traits ou des dessins sur la pièce à décorer,
puis à la recouvrir uniformément, sur toute sa surface, d'une couche
d'émail dont on enlevait ensuite l'excès à l'aide de pierres de grès et
de polissoirs.

Un assez grand nombre de ces émaux primitifs de la Gaule ont
été trouvés au Beuvray et déposés dans les vitrines du musée de
Saint-Germain-en-Laye; ce sont--pour la plupart--des bossettes, des
clous-ornements, des fleurons..., etc., en un mot, des objets relatifs à
l'attelage et au harnachement, incisés de tailles profondes remplies
d'émail rouge.

Les lignes parallèles ou brisées, les chevrons, les feuilles de fougères
et les quadrillés qui composent le dessin de ces émaux ont un caractère
purement gaulois. L'ornementation est la même que celle qu'on voit
figurer sur le bouclier du guerrier gaulois dont la statue est au musée
d'Avignon. Il est donc de toute vraisemblance que les couleurs
mentionnées par les écrivains et dont nous avons parlé plus haut comme
resplendissant sur les boucliers des chefs gaulois, n'étaient autres que
des émaux.



IV


EXTÉRIEUR DE L'OPPIDUM


Nous ne citerons que pour mémoire différentes lignes de retranchements
échelonnés sur les flancs de la montagne.

En-dehors de l'oppidum, quelques plateaux placés sur les contreforts,
devaient être occupés au moins en temps de guerre. Ils n'ont point
été explorés.

On sait que dans le système gaulois chaque tribu faisait bande à part.
Ainsi César rapporte, qu'autour de Gergovie, les Gaulois avaient couvert
la montagne de camps particuliers: _Galli usque ad murum oppidi collem
compleverant_.

Ce mode de campement n'a rien que de très naturel, si l'on songe que les
oppidum étaient un lieu de refuge universel et que l'occupation des
mamelons était nécessaire pour garantir les abords de la place.

Tels étaient à Bibracte: le mont Glandure au N., le Plat des Gaulx à
l'E., le Ceris et le mont Audué au S. qui forment une longue et étroite
chaussée dominant d'une part la vallée de Malvaux, et la route taillée
dans le roc qui longe cette vallée, et de l'autre les voies et passages
qui conduisent à l'oppidum du côté du sud-est.

La chaussée se termine par un promontoire qui commande la vallée de la
Roche-Milay et le cours de la Séglise. C'est au milieu de cette crête
qu'est situé le rocher dit du _Pas de l'âne_, au sommet duquel se trouve
une petite excavation ordinairement remplie par les eaux pluviales.

Cette cuvette qui--selon toute apparence--était l'objet d'une vénération
particulière chez les Gaulois a été transformée, par la légende
chrétienne en une empreinte du pas de l'âne de Saint-Martin.

L'apôtre, poursuivi jusqu'en ce lieu par les païens, aurait fait
franchir d'un bond à sa monture toute la vallée de Malvaux, et serait
allé s'abattre au _Foudon_, où l'on montre une autre pierre de
Saint-Martin.

Les villageois attribuent à l'eau qui séjourne dans le creux du rocher,
la même vertu qu'à celle de la fontaine St-Pierre. On s'en sert comme
d'un préservatif contre les fièvres, et il n'est pas rare d'y rencontrer
des pièces de monnaie, des oeufs ou autres offrandes. Les pauvres seuls
ont le droit d'y toucher; car celui qui, sans nécessité, y porterait la
main, prendrait la maladie dont a été guéri le donateur.



TABLE DES MATIÈRES


I. Aperçu sur l'histoire de Bibracte

II. Remparts et portes de l'oppidum

III.  Intérieur de l'oppidum

             Terrasse

             Parc aux Chevaux

             Champlain

             Vallées de la Goutte Dampierre, de l'Écluse et de
              la Come-Chaudron

IV.  Extérieur de l'oppidum



ERRATA DU PLAN

Au lieu de: Chapelle St-Pierre; lisez: Chapelle St-Martin.

Au lieu de: Croix du Rebours; lisez: Croix du Rebout.


NOTES:

[Note 1: L'influence grecque dans les poteries et dans les quelques
objets de métal trouvés dans les fouilles du Beuvray, est tellement
évidente qu'il n'est pas possible de supposer aux Éduens d'autres
instituteurs dans les arts que les Grecs et les Marseillais.]

[Note 2: Ce passage de Pline, quoique postérieur de plus de cent
ans à l'époque dont nous parlons, n'en est pas moins probant, car
plusieurs des espèces de marne que cite cet auteur ont des
noms gaulois.]

[Note 3: Voir ce qui est relatif à l'émaillerie gauloise au
paragraphe de la _Come-Chaudron_.]

[Note 4: Caesar. _Bell. Gall._ I, 22.]

[Note 5: Caesar, _Bell. Gall._ VII, 55.]

[Note 6: Caesar, _Bell. Gall._ VII, 55.]

[Note 7: Caesar. _Bell. Gall._ VII, 63.]

[Note 8: Caesar. _Bell. Gall._ VII, 90.]

[Note 9: Hirt. _Bell. Gall._ VIII, 2.]

[Note 10: Tandis que le fond de la nation française est de race
celtique, la langue française n'a conservé qu'un nombre insignifiant de
mots qui puissent être ramenés à une origine gauloise. Fait bien étrange
et qui mieux encore que l'histoire politique montre combien fut
absorbante la puissance romaine. (A. Brachet, _Grammaire historique_,
p. 21.)]

[Note 11: Celui de Germanus est fort rare et ne se trouve que dans
les quartiers pauvres.]

[Note 12: Voir pour la discussion de ce texte le remarquable
travail de notre savant collègue, M. Roidot, président du tribunal
d'Autun. (_Mémoires de la Société Éduenne_, t. I de la nouvelle
série, p. 274.)]

[Note 13: On a identifié quelquefois la forteresse gauloise de
Bibracte avec Augustodunum, ville essentiellement romaine. Edme Thomas,
entre autres, n'admet pas que «_Bibracte Eduorum_ ait été placée sur ce
petit désert qu'on appelle Beuvray.»

«Si Beuvray était l'antique Bibracte--s'écrie naïvement le bon
chanoine--ne devrait-on pas y retrouver les traces de sa grandeur ...
des ruines de temples, de palais, de théâtres, de portiques, de
pyramides, de sépulcres, de colonnes, de statues, d'aqueducs?... etc.»
(Edme Thomas, _Histoire de l'antique cité d'Autun._ p. 11 de la
nouvelle édition.)

Les moeurs et les institutions gauloises mieux connues, l'étude de la
numismatique locale, les recherches de la philologie moderne,
l'exploration des retranchements du Beuvray, et surtout les fouilles
poursuivies depuis tantôt dix ans, ont fait justice d'une erreur
accréditée par des érudits qui rêvaient de villes gauloises bâties sur
le modèle de Rome et d'Athènes.]

[Note 14: Bibracte est le plus grand oppidum gaulois conçu. Le mur
païen de Sainte-Odile (Alsace), Alexia, Gergovie, ont à peine cent
hectares de superficie.]

[Note 15: Ce temple était vraisemblablement dédié à la Dea
Bibracte, fée des sources du Beuvray.]

[Note 16: Ce puits était évidemment une cachette où furent déposés
par les derniers adorateurs de la déesse Bibracte les _ex voto_ du
temple du Beuvray, lors de sa destruction par saint Martin.]

[Note 17: Parmi les débris de poteries romaines, on en a trouvé un
marqué du monogramme du Christ.]

[Note 18: Voir, pour plus de détails, _Le culte des eaux sur les
plateaux éduens_, par M. J.-G. Bulliot. (Collection des mémoires lus à
la Sorbonne 1867, archéologie, p. 11.)]

[Note 19: Le nom conservé à telle pierre se prête de lui-même à
notre interprétation: la wivre est un serpent fantastique.

La _Fontaine des Larmes_ a une signification analogue: dans le Morvan,
l'usage de prêter serment sur certaines pierres paraît avoir existé de
tout temps, et l'on admettait jadis que quand un parjure étendait la
main la pierre suintait de l'eau.

En Bretagne, les Kerguelvans ou pierres des larmes sont très communes,
et on leur attribue la même vertu.

La Fontaine des Larmes se retrouve du reste dans un grand nombre
d'_oppidum_ gaulois, parmi lesquels nous pouvons citer le mur païen de
la montagne de Sainte-Odile (Alsace).]

[Note 20: Le _Senchus-Mor_, recueil de lois irlandaises dont
quelques-unes remontent à deux siècles avant l'ère chrétienne, porte
entre autres: «Celui qui coupe la bride d'un chef pendant le conseil
doit payer la valeur des dommages d'honneur aux sept plus nobles
personnages de la réunion.»--«Celui qui mine le tertre appelé lieu
d'assemblée devra remplir de lait le trou qu'il aura fait.»]

[Note 21: Voir pour plus de détails l'_Art de l'Émaillerie chez les
Éduens avant l'ère chrétienne_, par MM. J.-G. Bulliot et Henry de
Fontenay, Autun, 1875.]





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 - Guide historique et archéologique au Mont Beuvray; d'après les documents archéologiques les plus récents" ***


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