Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: Au Hoggar : mission de 1922
Author: Kilian, Conrad
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.

*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Au Hoggar : mission de 1922" ***

                               AU HOGGAR

                     IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
             CENT TRENTE EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 130
                      ET NON MIS DANS LE COMMERCE



                            =CONRAD KILIAN=
                               * * * * *

                             =_Au Hoggar_=
                            MISSION DE 1922
                               * * * * *

    _Ouvrage orné de trois cartes et de seize planches hors-texte_

[Décoration]

                                 PARIS
                         =SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS=
                GÉOGRAPHIQUES, MARITIMES ET COLONIALES
               ANCIENNE MAISON CHALLAMEL, FONDÉE EN 1839
                         =17, rue Jacob (VIe)=
                               * * * * *
                                 1925



                                   A
                           M. E.-F. GAUTIER
                              EN HOMMAGE
                      DE RESPECTUEUSE ADMIRATION

                                         _C. K._



                            _INTRODUCTION_
                               * * * * *


_Au cours de l’année 1922, j’ai effectué une mission en Sahara
Central._

_Le but de cet ouvrage est de faire connaître les observations
diverses que j’ai pu faire pendant cette mission, soit nouvelles,
soit confirmant les observations antérieures (quand des explorateurs
m’avaient précédé), ainsi que les vues d’ensemble, les idées,
auxquelles ces observations m’ont parfois conduit._

_J’ai laissé de côté généralement ce qui avait trait aux
difficultés que j’ai rencontrées dans l’exécution de cette
mission, non que je n’en aie point eues, ou que je n’aie point
lieu d’être fier de la manière dont je les ai surmontées, mais
parce qu’il m’a paru que cela ne rentrait pas dans le cadre de
cet ouvrage._

_J’ai également laissé de côté en général toute allusion
aux dangers que j’ai pu courir ou affronter, à l’endurance dont
j’ai pu avoir à faire preuve, aux privations que j’ai pu avoir
à subir ou à m’imposer, bref au côté sportif de ma mission,
non que tout cela n’ait joué un rôle à certains moments et que
je n’aie eu parfois à sourire des situations auxquelles peuvent
mener en certaines régions du Sahara la curiosité scientifique,
la passion de connaître, celle de la pénétration, l’amour
du nouveau, de l’inconnu, ainsi qu’un penchant particulier à
jouer avec le paradoxe, les difficultés et le danger. Il m’a paru
également que cela sortait du cadre de cette étude et n’avait
d’ailleurs guère d’intérêt[1]._

_J’ai enfin également, en général, peu traité des questions
d’influence, de pénétration française, de politique indigène
(état de pacification, tranquillité des tribus, apprivoisement),
non que cette activité ne m’ait également passionné et que
je n’aie coopéré en Français, et en officier de réserve,
dans la mesure de mes moyens, à la grande œuvre des Officiers du
Sud, mais parce que d’une part depuis lors (c’était au début
de 1922) la situation ayant évolué, ce que je pourrais dire ne
serait plus d’actualité, et que d’autre part ce n’est pas à
moi qu’il convient de parler de cette œuvre collective, mais aux
chefs admirables qui la dirigent tout à l’honneur de la France._

_J’ai cru, par contre, devoir introduire dans ces études, afin de
les animer un peu, quelques impressions de voyage : on me pardonnera
peut-être le tour moins scientifique que j’ai tenté de donner
ainsi à cet ouvrage, si je suis arrivé, ce qui était mon but,
par ce moyen à en rendre la lecture moins aride._

_La partie géologique de ce travail est extraite d’une étude
intitulée :_ « Essai de synthèse de la géologie du Sahara
Sud-Constantinois et du Sahara Central » _livrée en mars 1923
pour paraître dans les comptes rendus du Congrès Géologique
International de Bruxelles de 1922, dont l’impression subit un
retard inexplicable et imprévu, car ces comptes rendus auraient
dû en effet déjà paraître._

_Ces résultats géologiques de ma mission sont donc en partie
inédits (en partie seulement, car certains points ont déjà fait
l’objet de notes à l’Académie des Sciences et à la Société
Géologique)._

_Leur rédaction est de date antérieure à la publication des travaux
de M. Jacques Bourcart, de la Mission Danoise Olufsen, de même que
mon exploration, qui fut faite avant le voyage de cette mission._

_M. Jacques Bourcart a confirmé en général les idées géologiques
nouvelles que j’avais émises sur le Sahara Central dans les
quelques notes publiées avant sa relation de voyage parue dans le
Bulletin du Comité de l’Afrique Française._


_Au début de cet ouvrage, je considère comme un devoir de témoigner
de ma reconnaissance envers tous ceux qui m’ont particulièrement
aidé dans mon œuvre d’exploration :_

_Je remercie M. le Gouverneur Général de l’Algérie, M. Steeg,
de la haute bienveillance qu’il voulut bien me témoigner, ainsi
que M. le Général Paulinier, commandant le 19e Corps d’armée._

_Je remercie également M. le Colonel Dinaux, MM. les Commandants
Béraud, Fournier et Duclos, les Capitaines Lhoilier, de Saint-Martin,
Dupré et Le Maître, le Dr Dario, les Lieutenants Brunet et Vella,
de la bienveillante attention avec laquelle ils m’ont suivi,
protégé, aidé, conseillé et renseigné._

Grâce aux Officiers des Territoires du Sud, j’ai pu triompher
des multiples difficultés que j’ai rencontrées, me tirer des
situations très critiques dans lesquelles je me suis trouvé et
obtenir des résultats scientifiques importants.

_Je les remercie pour les services qu’ils ont ainsi rendus pour
une meilleure connaissance des pays du Sahara Central en rendant
possibles des investigations scientifiques._

                               * * * * *


[Note 1 : De ce « côté sportif » des explorations, je crois
que l’on peut dire qu’il est passionnant à vivre, agréable à
raconter, supportable à écouter et odieux à lire. C’est pourquoi
je n’en ai point écrit ici.]



[Illustration : =Conrad KILIAN=

MISSION DE 1922 AU HOGGAR

ITINÉRAIRE GÉNÉRAL

Hoggar (Arabe). = Ahaggar (Tamahak).]


                           =PREMIÈRE PARTIE=
                               * * * * *
  DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES SUD-CONSTANTINOIS OU DU SAHARA ARABE
                           SUD-CONSTANTINOIS
                               * * * * *

                                   I

                          ÉTUDES GÉOLOGIQUES


Pour parvenir au Massif Central Saharien, il faut traverser
tout un pays de vastes plaines, le pays de la grande cuvette
crétacico-tertiaire sud-constantinoise, dont le fond est occupé
par l’oued Rhir et les chotts Melrir, Merouan et Djerid, dont
une partie de la surface est couverte par les sables du Grand Erg
Oriental et dont les bords sont constitués au N. par les monts
de l’Aurès et de l’Atlas saharien, à l’E. par les monts de
Matmata, au S. E. et au S. par la Hamada de Tinghert, au S. W. et
à l’W. par les plateaux du Tademaït et du Mzab.

Nous avons effectué cette traversée par Touggourt, Ouargla, Hassi
el Khollal, le Gassi Touil et Tanezrouft dans la Hamada de Tinghert.

Plusieurs problèmes se sont posés à nous dans ces régions. En
voici un exposé en passant :


               =De la mer saharienne plio-pléistocène.=


La mer n’a-t-elle pas occupé le fond de cette vaste cuvette
crétacico-tertiaire sud-constantinoise dans les temps pliocènes
et les premiers temps pléistocènes (quaternaires).

                                   *
                                  * *

J’entends la mer, sous la forme d’un golfe lagunaire
méditerranéen, avec de vastes formations deltaïques et
d’estuaires dont l’ampleur serait explicable par le peu de
résistance des formations drainées crétacico-tertiaires.

Cette lagune aurait eu des relations variables avec la mer suivant
le rythme des mouvements eustatiques[2] et finalement, séparée
au Pléistocène d’une façon définitive de la Méditerranée,
elle se serait mutée en lac saumâtre, elle se serait asséchée
progressivement et se serait réduite à un certain nombre de lacs
salés dont les derniers survivants, les Chotts, subsistent peut-être
parce que l’action de l’évaporation est équilibrée par les
venues considérables d’eaux artésiennes qui se produisent dans
ces régions et par l’apport des eaux superficielles.

Les oueds sahariens, cherchant à suivre le niveau de base dans ses
positions successives, en un nombre de cycles encore indéterminés,
se seraient progressivement et par stades gravés plus profondément
à l’amont et auraient essayé de s’individualiser des lits
vers l’aval, de se creuser des chenaux, de faire drainage, en
des chapelets de lacs, communiquant peut-être seulement de façon
intermittente lors des grandes crues, et dans lesquels ces oueds
étalaient largement leurs alluvions.

L’asséchement progressif de ce vaste golfe lagunaire, de ce grand
lac saumâtre, puis de ces lacs salés, ainsi que celui analogue
d’autres golfes lagunaires sahariens (par exemple les golfes
de l’Océan Atlantique vers le Djouf et vers Tombouctou) aurait
apporté des perturbations dans l’humidité de l’atmosphère,
à une période humide aurait succédé une période sèche et ces
oueds seraient « venus » de moins en moins souvent, de plus en
plus rarement, pour finalement ne plus jamais « venir » d’un
bout à l’autre, mais seulement sur des fractions de leur cours
et par extraordinaire, suivant des lits compliqués de barrages,
« limites de venues de l’oued », de barrages de dunes faites
par le vent, de bassins d’épandage, etc., etc.

En même temps, le climat désertique s’accentuant, le vent
aurait pris de plus en plus d’importance comme facteur dans
l’évolution du modelé saharien, vannant d’un côté les plages
détritiques, soit marines, soit fluvio-marines et fluvio-lacustres,
soit fluviatiles, entassant de l’autre les sables ainsi triés en
des endroits de prédilection, et joint aux crises de ruissellement,
à l’insolation diurne, à la gelée nocturne, à la sécheresse,
accentuant par creusement et surtout élargissant de vastes
dépressions ailleurs.

Le vent aurait mis un dernier accent aux modelés antérieurs en
leur donnant leur caractère essentiellement désertique.

                                   *
                                  * *

On sait que, depuis les travaux de Pomel et de Flamand principalement,
beaucoup d’auteurs ont rejeté l’hypothèse d’une mer saharienne
existant à la fin du Pliocène et au début du Pléistocène.


Et pourtant qu’y aurait-il d’invraisemblable à ce que la
mer, ayant eu un niveau[3] très supérieur à celui qu’elle a
aujourd’hui — plus élevé que le seuil de Gabès[4] — ait
pénétré au Pliocène et occupé une partie de cette cuvette,
pour en disparaître au Pléistocène suivant le processus indiqué,
quand on constate sur les côtes d’Algérie (d’après le Général
de Lamothe) des rivages marins anciens indiscutables de 60, 103,
148 et douteux de 204, 265 et 325 mètres d’altitude et qu’en
Egypte on a fait des constatations de même ordre.

La région du seuil de Gabès échapperait donc seule à ce
phénomène des variations du niveau de la Méditerranée[5].


Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler :

1º Que le général de Lamothe a observé que les pouddingues
fluviatiles de l’oued Biskra se terminent brusquement près de
l’oasis, à 50 ou 60 mètres au-dessus de la plaine et à la
cote 200 ;

2º Que Desor, Martin et Escher de la Linth ont trouvé dans le Souf,
près d’Hassi Bou Chama, des coquilles marines, entre autres _Nassa
gibbosula_ L., vivant actuellement dans la Méditerranée ;

3º Que Pomel lui-même a comparé certaines formations pléistocènes
du Sahara aux atterrissements de l’estuaire de la Macta ;

4º Que la présence de terrasses pliocènes, pléistocènes,
signalées par Flamand, de dunes anciennes dans le Souf, est très
compatible avec l’existence d’une lagune s’asséchant et
faisant varier les niveaux de base des cours d’eau sahariens ;

5º Que Flamand indique que le _Terrain des Gours_ (oligo
(?) miocène) d’atterrissements continentaux est séparé
des formations plus récentes de la région déprimée oued
Rhir-Ouargla-oued Mya de la fin du Pliocène et du Pléistocène,
par une falaise abrupte d’où se détachent de nombreux gours
(gara Krima entre autres) ;

6º Que les idées de Flamand relatives à la « Carapace
hamadienne » plio-pléistocène n’ont peut-être pas une grande
valeur pour les formations diverses du Sud-Constantinois. Ces
idées, fondées sur la seule découverte de deux exemplaires de
_Limnea Bouilleti_ Mich. dans la région de l’oued Gharbi sont
peut-être excellentes pour la « Carapace hamadienne » des hauts
pays de l’oued Gharbi, mais ne peuvent certainement être adoptées
pour celle du Sahara sud-constantinois, qui, par ses très faibles
altitudes, en dessous de 300 mètres, est très distincte, sans des
observations qui les confirment.

(Les observations de Flamand ne sont d’ailleurs pas plus probantes
pour réfuter l’hypothèse d’un golfe de l’Océan Atlantique
à l’Ouest, car elles ne portent pas sur les régions basses
de l’Ouest) ;

7º Enfin, que le _Cardium edule_ L. est abondant dans certains
dépôts pléistocènes.

On a déclaré que le _Cardium edule_ L. n’apportait ici aucune
certitude.

Evidemment, c’est un mollusque qui s’adapte à des milieux
très variés.

Dans la dépression qui suit le bord Sud de la Hamada de Tinghert,
près de Temassinin, dont il sera parlé plus loin, dépression
qui échappe pour le moment, par sa situation géographique
et son altitude (370 m.), à l’hypothèse d’avoir été,
au Pléistocène, une dépression marine ou en étroit voisinage
avec la mer, j’ai rencontré en abondance _Corbicula saharica_
P. Fischer, _Melania tuberculata_ Mâll., mais pas de _Cardium edule_.

D’autre part, Flamand dit lui-même qu’il ne connaît pas de
gisements de _Cardium edule_ dans le haut pays oranais. Il déclare
que les dépôts à _Cardium edule_ sont les termes ultimes à
l’aval des dépôts des oueds pléistocènes vers les Chotts
constantinois d’une part, et vers le Bas-Touat, le Djouf-Taoudenni,
d’autre part.

Comment se fait-il, s’il est vrai que le _Cardium edule_ a pu
vivre dans des nappes d’eau n’ayant jamais eu aucun passé marin,
aucune connexion avec la mer ou aucun étroit voisinage laguno-marin,
comment se fait-il qu’il ne se trouve pas au Sahara, répandu
d’une façon générale à l’état fossile, là justement où on
peut être à peu près _sûr_ que ce cas fut réalisé et qu’il se
trouve constamment en abondance à l’état fossile là précisément
où il peut y avoir discussion ?[6].

Quelle raison donner de cette absence en gros ?

Il est curieux d’autre part de constater, s’il est vrai que
le _Cardium edule_ vivait alors dans des espèces de chotts sans
liaison avec la mer, que ce mollusque ne vit pas actuellement dans
les chotts et nappes d’eau de l’intérieur.

Enfin, on ne doit pas oublier que dans les étangs du bord de la
Méditerranée, en communication directe avec la mer, le _Cardium
edule_ vit souvent actuellement sans être associé à d’autres
mollusques marins et qu’il vit généralement en nombre dans les
seuls étangs en communication avec la mer.

En général, il semble donc que le _Cardium edule_ ait nécessité,
sinon toujours des eaux laguno-marines, du moins toujours un étroit
voisinage laguno-marin qui n’est plus conservé dans certaines
régions où on trouve actuellement le _Cardium edule_ à l’état
fossile[7].


_Je conclus qu’on ne doit pas rejeter complètement pour le moment
l’hypothèse d’un golfe lagunaire méditerranéen dans le Sahara
sud-constantinois à la fin de l’époque pliocène et au début
du Pléistocène, ni même également d’un golfe de l’Océan
Atlantique vers le Bas-Touat, le Djouf et Taoudenni à la même
époque[8]._

La question est encore ouverte.

L’établissement d’une carte saharienne de répartition du
_Cardium edule_ arriverait peut-être à jeter un jour décisif
sur cette question. En dressant cette carte, les Officiers du Sud
rendraient un grand service.


             =De l’origine de la dépression Sud-Tinghert.=


N’y aurait-il pas dans ces régions des dépressions pour le
creusement desquelles on doit donner à l’action du vent un rôle
essentiel ?

                                   *
                                  * *

Jusqu’à maintenant, on avait admis l’existence, dans le Sahara
sud-constantinois, d’un immense oued, se formant dans les montagnes
de l’Ahaggar pour finir dans l’Oued Rhir et le Chott Melrir
après un cours de plus de 1.300 kilomètres : l’oued Igharghar.


Au cours de ma mission, j’ai fait au sujet de cet oued des
observations troublantes :


D’une part :

_a)_ A mon passage à Tanezrouft, j’ai constaté qu’en ce point
où l’on fait traverser la Hamada de Tinghert par l’Igharghar,
il y a bien un oued, mais qu’il coule du Nord vers le Sud, du Nord
de la daia Tanezrouft à la daia Tanezrouft, au lieu de se diriger
du Sud vers le Nord ;

_b)_ Il m’a semblé que la Hamada n’était franchie nulle
part par l’Igharghar. Des militaires qui avaient parcouru cette
région m’ont déclaré avoir eu la même impression. Je n’ai
encore pu trouver personne qui ait vu, autre part que sur la carte,
l’Igharghar traverser la Hamada ;

_c)_ Dans la dépression qui suit le Bâten (versant à falaises)
de la Hamada au Sud, on rencontre en abondance _Corbicula saharica_
P. Fischer et _Melania tuberculata_ Mâll., faune sub-actuelle qui
semble indiquer l’existence récente dans cette dépression d’une
vaste « daia » ou d’une série de « daia » dans laquelle ou
dans lesquelles les eaux venant du Sud se réunissaient.

Une partie de cette eau devait disparaître par évaporation,
une autre partie pouvait être absorbée par les graviers, grès
friables et autres formations crétacées perméables, s’enfoncer
sous le plateau crétacé suivant le pendage si régulier de ces
terrains vers le Nord et emprisonnées par les formations argileuses
et marneuses intercalées dans ce Crétacé, alimenter le Nord en
eaux artésiennes par une circulation sous pression en profondeur,
dans le fond de la vaste cuvette crétacée comme cela continue à
se produire actuellement.

Certaines « reculées » dans la Hamada de Tinghert, qui ont
d’ailleurs donné leur nom à la Hamada[9], semblent comme des
« manches » et des « culs-de-sac » d’absorption.

Et il convient de signaler également la présence d’entonnoirs
d’effondrements et d’absorptions dus aux formations de gypse dans
la Hamada, qui favorisent la disparition des eaux superficielles et
jouent un rôle important pour la compréhension de la circulation
souterraine de l’eau dans ces régions.


D’autre part :

_a)_ J’ai constaté, après d’autres observateurs, dans les
gassis du Grand Erg Oriental, l’existence de galets d’origine
vraisemblablement lointaine.

Si l’oued Igharghar ne traverse pas la Hamada de Tinghert
actuellement, il semble donc, ainsi que d’autres oueds de cette
région, qu’il l’ait traversée autrefois, avant d’être
décapité peut-être par l’accentuation du creusement de la
dépression Sud-Tinghert[10] ;

_b)_ A quoi attribuer la constitution des masses considérables de
sable du Grand Erg Oriental si l’oued Igharghar ne traverse pas
la Hamada, cet erg étant considéré jusqu’à maintenant comme
les alluvions de sa zone d’épandage remaniées et modelées par
le vent.

On doit admettre que le vent a étalé et entassé, étale et
entasse encore, en des endroits de prédilection, et suivant une
manière qui lui est propre, le sable obtenu par une sorte de
vannage, soit des plages détritiques marines, ou fluvio-marines,
ou fluvio-lacustres (les plus dépourvues d’humidité), soit des
formations d’atterrissements (les plus sèches) des nombreux oueds
descendant des bords élevés de la cuvette crétacico-tertiaire
(Zab, Gantra, Tademaït, Tinghert, Hamada El Homra, Hamada Neïla),
oueds ayant alluvionné et alluvionnant beaucoup dans cette partie
à pente faible de leur cours et en raison du peu de résistance des
formations drainées crétacico-tertiaires ; oueds dont certains,
parmi lesquels l’ancien Igharghar (dont on a peut-être exagéré
l’importance quant à sa contribution à la formation des sables du
Grand Erg Oriental) poussaient peut-être leur cours supérieur jusque
dans le Massif Central Saharien avant que le fossé Sud-Tinghert ne
se soit creusé profondément suivant le processus indiqué plus loin.

On doit admettre également une production importante de sable aux
dépens des formations crétacico-tertiaires par travail combiné de
la gelée, de l’insolation, des orages violents, de la sécheresse
et du vent[11] ;

_c)_ Enfin, à quoi attribuer le creusement ou l’achèvement et
l’accentuation du creusement de la dépression Sud-Tinghert si
l’Igharghar ne traverse pas, ou, plus exactement, ne traverse plus
la Hamada, pour donner une pente à des affluents latéraux et une
évacuation aux produits de leur travail.

Il y a lieu d’étudier cette dépression et de voir si c’est
une dépression fermée :

1º Peut-être suit-elle le « Bâten » de Tinghert vers la
Tripolitaine avec une légère pente vers l’Est plus ou moins
cachée par les sables. Alors elle aurait une issue vers l’Est :
c’est peu probable.

Un écoulement vers l’Ouest, vers In Salah, ne semble pas plus
probable ;

2º Peut-être y a-t-il une issue vers El-Biodt où je n’ai pas
passé et le lit de Tanezrouft serait un ancien lit abandonné
par un de ces phénomènes de capture si fréquents au Sahara et
dont j’ai observé des cas si typiques dans les Tassilis (par
exemple le haut de l’oued Tassirt capté au profit du Tahihaout,
et l’oued Tounourt, dont on voit un débouché abandonné sur la
vallée de l’Irrarar près d’Amguid).

Des personnes ayant passé par El-Biodt, que j’ai consultées,
n’ont pas eu cette impression ;

3º Peut-être doit-on voir là une sorte d’ancien lac, peut-être
permanent, en lequel s’élargissait l’Igharghar dans les
formations tendres de la base du Crétacé, avant de traverser les
formations plus dures du haut de la série en défilé, peut-être
avec légère contre-pente, dans lequel on doit expliquer, par cette
légère contre-pente du thalweg, par des mouvements très récents,
ou par des éboulements et des barrages limites de venues d’oued,
le changement de sens de l’oued qui, n’ayant plus son cours
régulier et _actif_ d’autrefois, aurait été impuissant à
rétablir son sens primitif ;

4º Peut-être enfin est-ce une véritable dépression fermée,
c’est-à-dire qui n’a pas d’écoulement superficiel facile
possible, pas d’issue.

Et alors le creusement de la dépression ou du système de
dépressions qui se trouve le long du versant méridional de la
Hamada de Tinghert se serait fait ou plus vraisemblablement achevé
depuis l’accentuation du caractère désertique du climat saharien,
et par suite de la mise à nu des couches tendres du Crétacé,
par combinaison de l’action alternée des orages violents[12], de
la sécheresse, de la gelée, de l’insolation et de la corrasion
(pour attaquer et réduire en poudre ces formations particulièrement
peu résistantes de la base du Crétacé supérieur) et de l’action
continue du _vent_, balayant au fur et à mesure les produits du
travail de ces agents.

Le capitaine Cortier a déjà signalé que l’oued Oahnet, dans
la Hamada de Tinghert, finissait en daia fermée sans traverser le
troisième kreb de la Hamada.

L’oued Igharghar s’arrêterait également à Tanezrouft sans
traverser ce troisième kreb dit d’In-Eddi — et ne serait donc
pas un cas unique.

Non loin de là, la dépression de l’oued El-Chiati également au
bas de la Hamada El-Homra (le prolongement de la Hamada de Tinghert
dans le Sud-Tripolitain) semble un cas analogue, car je n’en
connais pas d’écoulement certain.

L’oued Ech Chergui, au Fezzan, semble également finir dans la
sebkra de l’oasis Djedid sans écoulement superficiel.

Enfin, il y aurait là en l’espèce de la dépression ou du système
de dépressions Sud-Tinghert un cas analogue comme formation à
celui des dépressions d’Egypte dont on attribue le creusement aux
mêmes agents. (La dépression de Beharieh en particulier présente
un caractère de similitude très remarquable ; elle est creusée,
suivant Beadnelle, par ces mêmes agents dans les mêmes formations
tendres crétacées).

                                   *
                                  * *

Mais, jusqu’à maintenant on niait qu’il y ait dans le Sahara
français des dépressions pour la formation desquelles la part de
l’action du vent soit si considérable.

_Le cas de la « dépression Sud-Tinghert » me semble obliger à
ne pas être affirmatif et à admettre la possibilité du rôle
essentiel de l’action du vent combinée à celle alternée des
orages violents, de la gelée, de la sécheresse, de l’insolation
et de la corrasion, dans la formation de grandes dépressions dans
les sédiments crétacés du Sahara français sud-constantinois,
en attendant que de nouvelles observations sur cette dépression
nous fixent définitivement sur son origine._

On doit admettre que l’action du vent, jointe à celle des autres
agents énumérés plus haut, n’est pas négligeable et contribue
au moins à donner de l’ampleur aux effets de l’action des oueds.


                   =Des troncs d’arbres silicifiés.=


Quelle est la date à laquelle il faut faire remonter la constitution
des amas de bois et de troncs d’arbres, depuis silicifiés, que
l’on rencontre au Sahara ?

Flamand les place dans l’Albien.

Je m’élève contre cette affirmation.

Certains au moins des bois silicifiés du Sahara sont de date
postérieure. J’ai trouvé en effet au Nord de la Hamada de
Tinghert, près de Hassi Pujat (que les Arabes appellent Hassi
Bekbort), des formations considérables de bois silicifiés dont
certains troncs avaient plus de 50 centimètres de diamètre et
1 ou 2 mètres de long. Ces superbes débris jonchaient le sol et
témoignaient par leur abondance et la taille de certains d’entre
eux, de la formation de ces amoncellements de bois flottés et de
leur silicification en cet endroit même.

Or, ces dépôts reposent sur des formations post-crétacées, _ce
qui me fait admettre pour ces bois silicifiés l’âge tertiaire_.

Cette date ne semble pas exceptionnelle : Beadnelle, donne à certains
bois silicifiés de Beharieh, en Egypte, qui semblent tout à fait
comparables, l’âge post-éocène.

Quant aux bois silicifiés déclarés albiens ou crétacés, je
crois qu’une sévère révision de leurs conditions de gisement
pourrait bien amener un changement dans l’âge attribué à certains
d’entre eux.

Il est intéressant de noter que la silicification des bois semble à
certains auteurs avoir toujours été liée à l’existence d’un
climat désertique.

La démonstration de la présence de bois silicifiés dans plusieurs
niveaux du complexe crétacico-tertiaire sud-constantinois pourrait
donc être considérée, en admettant que la silicification n’ait
pas été opérée partout à la même date, comme un argument en
faveur de l’hypothèse de l’antiquité récurrente du climat
désertique dans ces régions, de l’existence de plusieurs époques
de ce climat au Crétacé et au Tertiaire avant l’époque actuelle.


                 =Du Crétacé de Tinghert et du Djoua.=


Ainsi donc, au Sud, au voisinage du Massif Central Saharien primaire,
les bords relevés (peut-être par des mouvements alpins) de la
cuvette crétacico-tertiaire constituent la Hamada de Tinghert.

Les formations crétacées y forment des plateaux doucement inclinés
vers le Nord et terminés en falaises ou krebs au Sud.

On distingue trois gradins principaux dont les krebs ont été
désignés par Cortier sous les noms de kreb d’In-Eddi, kreb
de Tefist et kreb du Djoua. (Le kreb du Djoua étant le plus
méridional et correspondant aux formations les plus basses de la
série crétacée.)

Les étages représentés d’une façon certaine sont le
_Cénomanien_, le _Turonien_ et le _Sénonien_, à facies en
général marno-calcaire (les argiles multicolores à gypse sont
très développées à la base du kreb du Djoua où elles sont,
semble-t-il, cénomaniennes et du kreb d’In-Eddi où elles
paraissent sénoniennes).

Une étude de cette série crétacée de Tinghert avec la distinction
de ses niveaux fossilifères paraîtra ultérieurement.

Quant à l’existence de l’Albien marin à la base de la
série, elle n’est pas certaine (pas plus qu’en Tripolitaine
d’ailleurs).

Le kreb du Djoua nous a fourni en abondance à sa partie supérieure
des fossiles marins cénomaniens.

Ces formations fossilifères sont supportées par des argiles
multicolores à gypse et à niveaux gréseux — formations lagunaires
— d’âge indéterminé.

Ce sont ces argiles avec leurs formations de sables et grès tendres
qui constituent le fond de la dépression du Djoua, qui longe le
kreb du Djoua au Sud.

Dans ce fond, Foureau a recueilli des fossiles[13] ; ils ont
été étudiés par M. Haug. Parmi eux, il n’est aucune espèce
caractéristique de l’Albien qui permette d’attribuer avec
certitude à l’Albien ces argiles, plutôt qu’au Cénomanien.

Plus au Sud, la dépression du Djoua est limitée par les sables de
l’Erg d’Isaouan.

Il semble que vers ce contact les argiles multicolores,
à niveaux sableux de plus en plus abondants passent à un
complexe argilo-sableux et argilo-gréseux, d’âge indéterminé
également, qui représente pour une part peut-être des formations
_continentales_ constituées au cours de la période d’émersion
post-carbonifère, ante-cénomanienne, sans qu’il soit possible
de préciser davantage.

Ainsi, il n’est pas prouvé, pour le moment, que la transgression
méso-crétacée ait atteint la région de Tinghert dès l’Albien.

_On ne connaît pas d’Albien marin certain à la base du Crétacé._
Les formations crétacées marines les plus basses datées d’une
façon incontestable sont cénomaniennes.

_La transgression crétacée marine n’est certaine que pour
l’époque cénomanienne._

A partir de l’Erg d’Isaouan vers le Sud on ne trouve plus de
formations crétacées ou secondaires avant le Soudan où le Crétacé
affleure au Sud du Massif Central Saharien ancien, suivant une bande
continue, entre le 16e et le 18e degrés de latitude, allant de la
région d’Agadès à Tabanckort, dans laquelle l’on retrouve le
pendant des krebs de Tinghert dans ceux de Tamaïa.

Au Sud de l’Erg d’Isaouan s’étendent donc les pays primaires
du Massif Central Saharien.

                               * * * * *


[Note 2 : Ou des mouvements épirogéniques.]

[Note 3 : Ou, si l’on préfère, « que l’Afrique du Nord ayant
été moins émergée au Pliocène qu’aujourd’hui la mer ait
occupé alors par le seuil de Gabès une partie de cette cuvette
pour en disparaître, etc. »]

[Note 4 : Altitude du seuil : 47 mètres ; le seuil rocheux a
été trouvé par les sondages de la mission Roudeyre à 15 mètres
seulement d’altitude. Ce seuil rocheux aurait provoqué la formation
d’une barre. Cette barre aurait contribué à l’établissement
d’un milieu de salure et de faune spéciale.]

[Note 5 : Ou, si l’on préfère, des mouvements épirogéniques
de la région méditerranéenne.]

[Note 6 : Il est vrai que dans les dépressions de l’oued Mzezem
et du Houd-ech-Cheb sur les bords sud-tunisiens du Grand Erg
Oriental, au Nord de Rhadamès et sur la frontière tripolitaine,
Pervinquière a signalé la présence en abondance du _Cardium edule_
et que ces cuvettes par leurs dépôts ne semblent pas pouvoir être
considérées comme ayant été nettement marines (absence de NaCl
dans les dépôts). Mais ces cuvettes peuvent avoir eu un étroit
voisinage marin ou des connexions éphémères avec la mer ; par
leur altitude (280 m.), elles ne pouvaient être très loin du golfe
méditerranéen ; enfin il a pu se produire une sorte de lessive ou
autre opération chimique dans ces dépôts qui expliquerait cette
absence de NaCl.]

[Note 7 : Je rappelle également la découverte d’une proue de
galère dans la région des Chotts.

Les Chotts, actuellement, ne se prêteraient guère à la vie active
d’une galère ; cette trouvaille peut faire penser ainsi que le
desséchement des résidus des golfes sahariens plio-pléistocènes
s’est parachevé pendant la période historique ; et l’on ne
saurait ne pas évoquer ici le souvenir du lac Triton des écrivains
latins.]

[Note 8 : Car la question de ce golfe se pose non moins
sérieusement ; mais j’ai traité plus particulièrement dans ce
paragraphe du golfe méditerranéen sud-constantinois qui rentre
seul dans le cadre de ce chapitre intitulé : « du Sahara arabe
sud-constantinois ».]

[Note 9 : Tinrert en Tamahak est un diminutif de _inrer_ qui veut
dire _ravin_.]

[Note 10 : Ou que cette présence soit due à l’influence de
la mer dont il est parlé plus haut ; mais cette hypothèse est
peu probable. Le golfe lagunaire ne semble pas avoir eu une si
vaste extension, et son caractère lagunaire ne permet peut-être
pas d’imaginer de pareils transports de galets qui paraissent
d’ailleurs originaires de l’Ahaggar.]

[Note 11 : Cette formation de sable aux dépens du sous-sol s’impose
particulièrement à l’esprit dans des régions voisines : les
régions d’affleurement des formations sableuses de la base de la
série crétacée.]

[Note 12 : L’action des orages violents se traduit en particulier
par l’action dissolvante des eaux de ruissellement pour
dissoudre les éléments solubles si abondants dans les formations
crétacées de cette région et jouer un rôle important dans leur
désagrégation.]

[Note 13 : Il convient de remarquer que cette faune du Djoua peut
être constituée par des éléments de dates diverses réunis par
les hasards de l’inondation, et qu’on ne sait pas bien ce qu’il
convient de considérer comme réellement originaire des argiles et
lentilles sableuses ou gréseuses du fond du Djoua. M. Haug a cru
pouvoir admettre que la _Desertella Foureaui_ avait été apportée
par les eaux. Cela ne donne pas grande confiance en l’homogénéité
réelle de cette faune.]



                  DU PROJET DE TRANSSAHARIEN SOULEYRE
                               * * * * *
              APTITUDE DU SOL A RECEVOIR UNE VOIE FERRÉE
                         ET RESSOURCES EN EAU
                  DANS LES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES
                           SUD-CONSTANTINOIS

               (Extrait d’un rapport fait pour M. Fock.)
                               * * * * *

                                  =I=

    =Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée dans les régions du
                     Gassi Touil et du Tinghert.=


                           _a)_ GASSI TOUIL.

J’ai longé le Gassi Touil par son bord Ouest[14] sur une longueur
de 100 kilomètres environ, jusqu’à sa terminaison Sud à Hassi
Pujat.

J’ai pu constater que le Gassi Touil offre dans cette partie, qui
est sa partie méridionale, à travers les masses considérables
de sable du Grand Erg Oriental, _un passage dégagé de sable —
très large (de 10 à 20 km. en moyenne, parfois 30 km. et même 40)
— au sol de cailloutis, de « reg » remarquablement plat._

Dans cette partie du Gassi Touil que j’ai vue, on trouve des îlots
de dunes d’une ampleur assez considérable, mais je n’ai pas
observé de chaînes de dunes _traversant_ le Gassi Touil d’une rive
à l’autre, ainsi que cela est fréquent dans les autres gassis.

Il semble donc que l’on puisse dans cette partie du Gassi Touil
se maintenir constamment sur un sol de reg, poser la voie ferrée
partout sur du reg.

Je ne puis donner sur le reste du Gassi Touil un avis fondé autrement
que sur des renseignements car je ne l’ai pas vu moi-même.

Mes renseignements me donnent lieu d’espérer que le Gassi Touil,
au point de vue qui nous intéresse, est de nature homogène et que
sa partie septentrionale est assez semblable à la partie méridionale
que je connais.

Ainsi donc, le Gassi Touil se prête, par la nature et la forme de
son sol, à l’établissement d’une voie ferrée — dans sa partie
méridionale, je peux l’affirmer — dans sa partie septentrionale,
cela me paraît vraisemblable.

La nature du pays n’est inquiétante qu’au point de vue des
suites de cet établissement.

Que résultera-t-il à son point de vue de la naissance de cette
voie ferrée dans le Gassi Touil ?

N’est-il pas à craindre que, obstacle opposé au libre
déchaînement des vents sahariens dans l’immensité si dépourvue
d’aspérités du Gassi Touil et au cœur du vaste pays de sable
du Grand Erg Oriental, la voie ne provoque son ensablement ?

Quelle ampleur pourrait prendre cet ensablement ? Arriverait-il à
empêcher la circulation des trains, ou resterait-il négligeable
ou seulement gênant ?

Au cas où cet ensablement se produirait et deviendrait inquiétant,
y aurait-il des moyens de lutter efficacement, y aurait-il moyen
de triompher indéfiniment ; si l’on ne pouvait que lutter
temporairement, la durée de cette lutte jusqu’au moment
inéluctable où la voie deviendrait inutilisable serait-elle
suffisamment longue et son prix de revient suffisamment faible
pour permettre, malgré cet ensablement prévu, de considérer
l’établissement de cette voie ferrée comme légitime cependant
et comme une bonne affaire ?

Telles sont les questions qui se présentent immédiatement —
et qu’il est nécessaire de soulever au passage dans cet aperçu
rapide — questions relatives à l’ensablement éventuel de la
voie du Gassi Touil.

J’ai tendance à croire qu’en prenant, par prudence, certaines
précautions, en particulier en faisant toujours passer la voie à la
distance la plus grande possible des rives du Gassi et des îlots de
dunes, l’ensablement de la voie ferrée du Gassi Touil — s’il
se produisait — n’arriverait pas à devenir désastreux dans
des délais inacceptables.

Mais, pour pouvoir tabler sur des certitudes, il conviendrait de
faire l’expérience suivante, par exemple : poser une centaine
de mètres de voies ferrées dans le Gassi Touil et observer si un
ensablement se produit au bout de quelques mois et ses proportions.

On ne peut guère considérer la voie ferrée Biskra-Touggourt
comme susceptible de donner des bases de prévision sur la question
ensablement dans le Gassi Touil, ces régions étant peu comparables
à ce point de vue spécial.


                      _b)_ LA RÉGION DU TINGHERT.

J’ai traversé la Hamada de Tinghert par Hassi Pujat et Tanezrouft
pour aboutir à Fort Flatters.

A Hassi Pujat et à Tanezrouft, j’ai ainsi eu l’occasion de voir
ce que l’on considère comme le lit de l’Igharghar.

Sans doute, il y a là un passage tentant pour l’établissement
d’une voie ferrée ; mais il convient de faire remarquer : d’une
part, qu’à Tanezrouft l’oued vient avec une grande violence
après la pluie[15] et qu’une voie ferrée suivant le fond de la
vallée sans dispositifs spéciaux en vue de la venue de l’oued
aurait à subir éventuellement de graves dommages[16] ; d’autre
part, que certaines des formations des flancs de la vallée, au Nord
de Tanezrouft (argiles à gypse), présentent de graves inconvénients
pour l’établissement d’une voie ferrée à flanc de coteau
(possibilités de glissements, eaux séléniteuses attaquant les
ciments, etc. (il est vrai qu’on fabrique maintenant des ciments
résistant aux eaux séléniteuses)[17].

Telles sont les difficultés à envisager pour l’établissement
d’une voie ferrée à travers la Hamada de Tinghert par la vallée
attribuée à l’Igharghar passant à Tanezrouft.

Je n’ai pas suivi la vallée au Sud de Tanezrouft, ayant dû passer
à travers la Hamada pour gagner directement Fort Flatters ; je n’en
ai eu qu’un aperçu du haut de la gara Tanezrouft : elle va[18] vers
le Sud-Ouest, vers la dépression Sud-Tinghert, en s’élargissant,
calme et majestueuse et offrant un passage évidemment tentant.

Pour la traversée de la Hamada de Tinghert, après avoir franchi
le défilé de Hassi Pujat qui s’impose pour échapper aux sables
qui couvrent les premiers plateaux, je crois qu’il serait bon de
rechercher un tracé passant sur les plateaux plutôt que par la
vallée de Tanezrouft.

Cela nécessiterait quelques travaux d’art pour franchir les krebs,
mais on y gagnerait un bon sol de hamada et la tranquillité lors des
pluies (on n’aurait plus alors à craindre les crises de violence
de l’oued Tanezrouft).

C’est une étude à faire.


                                 =II=

                         =Ressources en eau.=


Sur le parcours dont je viens d’étudier la viabilité, je
conçois l’établissement d’une Centrale d’eau au voisinage
de Temassinin.


                    _Centrale d’eau de Temassinin._

                        _a)_ EAUX ARTÉSIENNES.

Il existe à la Zaouia de Sidi Moussa un puits artésien. A mon
passage, j’y ai abreuvé mes chameaux et ai pu constater que
l’eau y jaillissait en abondance (pour ces régions).

Je ne saurais donner d’indication précise sur le débit de
ce puits, n’ayant fait que passer très rapidement et ayant eu
d’autres préoccupations. Ce n’est qu’une vague impression
que je peux indiquer ici : ce puits atteindrait un débit d’une
dizaine de litres à la seconde que je n’en serais pas surpris.

Le puits artésien de la Zaouia est déjà un élément précieux
et peut-être suffisant (j’ignore quels seraient les besoins de
la voie ferrée) ; son eau pourrait être amenée, par gravité et
par conduites, jusqu’au voisinage immédiat de la voie ferrée
(20 km. environ, puisqu’on est obligé de passer à cette distance
de Fort Flatters pour éviter les sables).

Il est vraisemblable que des recherches d’eau artésienne auraient
du succès dans cette dépression Sud-Tinghert, dans laquelle se
trouve Temassinin.

On peut espérer un sondage heureux, mais il faut escompter des
déboires et ne pas compter sur le succès du premier sondage.

Les eaux artésiennes sont vraisemblablement emprisonnées dans les
niveaux de grès sableux crétacés plus ou moins lenticulaires qui
sont pincés dans les marnes et argiles imperméables de la base du
Cénomanien ou leur sont inférieurs.

Tous ces niveaux sableux ne sont pas forcément des asiles d’eaux
artésiennes ; il faut qu’ils soient dans certaines conditions
particulières, et nous ne connaissons pas encore suffisamment le
bassin de Temassinin pour donner un diagnostic sûr.

On comprend dès lors que nous déclarions qu’il faut espérer un
sondage heureux.

Si l’on désire rechercher des eaux artésiennes dans la dépression
Sud-Tinghert, il conviendrait de ne pas agir par coups de sonde
désordonnés, ainsi que cela fut trop souvent le cas dans l’oued
Rhir.

Il conviendrait, croyons-nous, de pousser des sondages
méthodiquement, c’est-à-dire faire un premier sondage à un
emplacement indiqué sur le terrain par un géologue ayant quelque
expérience à ce sujet.

Faire suivre le sondage par le géologue en question qui serait en
observateur sur les lieux. Ce géologue aurait qualité pour arrêter
le sondage lorsqu’il estimerait que, par suite de l’âge ou de la
qualité des formations atteintes, il n’y a plus lieu de continuer.

Puis, avec l’enseignement de ce premier sondage, il pourrait en
être entrepris d’autres aux emplacements désignés par lui et
toujours suivis.

Le géologue se prononcerait également sur l’opportunité de
poursuivre chacun de ces sondages ou de les arrêter.

Ainsi, on évitera : de poursuivre un sondage alors que
scientifiquement il n’y a plus d’espoir d’un ordre dont on
puisse tenir compte ; de ne pas tirer de chaque sondage la leçon
précieuse qu’il peut procurer pour les recherches ultérieures
ou en cours.

Enfin, en cas d’insuccès répétés, dès qu’il estimera avoir
suffisamment d’éléments pour juger de la question, le géologue
se prononcera sur la nécessité de poursuivre l’ensemble des
recherches ou de les arrêter.

Au besoin, il pourra être adjoint un sourcier au géologue,
l’expérience ayant montré que, malgré beaucoup d’insuccès,
les indications de certains baguettisants peuvent parfois se trouver
justes, quoique la réalité de la sensibilité à l’eau ne soit
pas encore démontrée scientifiquement.

Le géologue pourrait choisir de préférence les points de sondage
qui lui seraient indiqués comme particulièrement propices à la
fois par sa science et par le sourcier. Cela pour mettre le plus de
chances de son côté.

Mais il conviendrait, croyons-nous, de donner tout pouvoir au
géologue, qui ne tiendrait compte des indications du sourcier que
s’il hésitait entre plusieurs emplacements également indiqués
au point de vue scientifique.

Le sourcier ne serait nullement nécessaire. Le géologue absolument
nécessaire si l’on veut travailler méthodiquement et arriver au
succès par le moins grand nombre de sondages.

Le géologue devrait auparavant se familiariser avec les recherches,
très spéciales, d’eaux artésiennes dans l’oued Rhir par
exemple, en suivant quelques sondages et en consultant les archives
des sondages passés, car les recherches d’eaux artésiennes ne
sont pas si simples qu’il paraît à première vue : un sondage
placé à 15 mètres d’un autre qui a trouvé l’eau à 50 mètres
pourra ne la trouver qu’à 70 mètres, etc.

Je n’ai pas la place dans ce rapport rapide de tenter d’exposer
comment il peut en être ainsi, mais je tiens à attirer l’attention
sur la complexité de la recherche des eaux artésiennes.

Il est vrai que dans les archives on ne trouverait peut-être pas de
renseignements géologiques bien précis sur les couches rencontrées
par chaque sondage ; la méthode du géologue observateur n’ayant
malheureusement pas, à ma connaissance, été suivie avec continuité
dans l’oued Rhir.

_Cette campagne de recherches d’eaux artésiennes, en cas de
succès, pourrait avoir une grande importance pour le développement
de la région de Temassinin._

Elle pourrait également, éventuellement, dans ces conditions, nous
révéler des choses intéressantes sur les ressources du sous-sol.


PROFONDEUR DES SONDAGES. — Il me semble me rappeler que le sondage
heureux de la Zaouia de Temassinin ne dépasse pas 20 mètres.

Quoi qu’il en soit, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, les
eaux artésiennes semblent se rencontrer à la base du Cénomanien.

Il en est de même en différents endroits du pourtour de la vaste
cuvette crétacico-tertiaire du Sud-Constantinois.

Les formations primaires, jusqu’à maintenant, ne se sont pas
révélées dans ces régions, d’une façon positive, détentrices
d’eaux artésiennes.

C’est donc aux formations primaires qu’il conviendrait
d’arrêter les sondages dans ces recherches d’eaux artésiennes.

Or, l’épaisseur des formations qui surmontent le Primaire dans
la dépression Sud-Tinghert ne semble pas considérable, quoique les
sables cachant le contact en surface au Sud de Temassinin empêchent
de donner des précisions avec sûreté.

Je crois qu’elles peuvent être considérées en moyenne comme
d’une épaisseur inférieure à 70 mètres, au maximum à 100
mètres.

Le succès peut évidemment se révéler avant cette profondeur,
puisqu’à la Zaouia, ainsi que je l’ai indiqué plus haut,
il me semble me rappeler qu’il fut obtenu avant 20 mètres.

Mais il est sage, pour le premier sondage, de partir de la prévision
de 100 mètres, c’est-à-dire partir avec un tubage de diamètre
suffisamment grand pour atteindre cette profondeur avec un bon
calibre.

En cas d’insuccès de ce premier sondage, c’est-à-dire au cas
où l’on aurait atteint les formations primaires sans rencontrer
d’eaux artésiennes, on pourra en déduire pour les autres sondages
à quelle profondeur approximative on rencontrera pour chacun le
Primaire et ainsi la profondeur approximative à laquelle on devra
pousser chaque sondage tant qu’il ne rencontrerait pas d’eaux
artésiennes, avant de l’arrêter.

Quant à pousser plus profond que le contact crétacico-primaire,
cela serait évidemment intéressant et satisferait la curiosité
de certains, mais ce ne serait pas les eaux artésiennes qui ont
« montré le nez » à la Zaouia, qui sont donc bien une réalité
— dont on ignore seulement l’extension et la répartition —
que l’on rechercherait, ce seraient des eaux artésiennes qui,
si elles existent, n’ont encore « montré le nez » nulle part
d’une façon décisive, dont on n’a encore aucune preuve de
l’existence, dont l’on peut tout juste prétendre considérer
comme des indices certains points d’eau situés dans le Carbonifère
et certaines sources très timides qui se rencontrent au contact des
Pays pré-tassiliens et de l’Enceinte tassilienne, contre les Grès
supérieurs des Tassilis, lorsqu’ils se dressent pour former les
bombements ou plateaux de l’Enceinte tassilienne, tels que Aïne
Ksob, Aïne Redjem, Tanelak, Tazzait, etc.

Et en admettant que ces points d’eaux et sources soient en relation
avec des eaux artésiennes en pression dans et sous les formations
des Pays pré-tassiliens, dans la région de Temassinin ces eaux ne
pourraient être rencontrées qu’à une grande profondeur, et on
ne peut conseiller la recherche d’eaux encore hypothétiques à
cette profondeur. Il faudrait qu’il n’y en ait pas d’autres
à envisager, ce qui n’est pas le cas, ou que l’on tienne à
s’édifier sur les ressources en eau de ces formations primaires.

Si l’on peut perdre quelque argent pour s’édifier à ce sujet,
l’on pourra pousser le premier sondage très profond (300 m.). Quant
aux autres sondages, naturellement il conviendra toujours — à
moins que le premier sondage n’ait révélé du nouveau — de
les arrêter aux formations primaires, car la recherche jusqu’à
ces formations est seule conseillée par la réalité.

On devra, dans le choix des emplacements de sondages, choisir de
préférence, à chance égale, les emplacements les plus près de
la voie ferrée.

Au total, pour la Centrale d’eau de la dépression Sud-Tinghert,
comme eaux artésiennes :


1º On peut compter sur un débit assez sérieux déjà existant à
la Zaouia de Sidi Moussa à Temassinin et que l’on pourrait amener
par conduite jusqu’à la voie ferrée ;

2º On peut espérer légitimement, par une campagne de sondages
méthodiques, faire jaillir d’autres eaux artésiennes.


Dans la dépression Sud-Tinghert, et en étant plutôt pessimiste
(car j’ai été volontairement plutôt pessimiste), on peut espérer
que la profondeur des sondages n’aura pas à dépasser 100 mètres.


                      _b)_ EAUX NON ARTÉSIENNES.

En plus de ces eaux artésiennes, il convient d’indiquer qu’il
existe un puits à Fort Flatters, d’une profondeur, à mon lointain
souvenir, d’environ 80 mètres, fournissant une excellente eau
potable.

On peut compter sur le succès certain de puits du même ordre
de profondeur dans la dépression Sud-Tinghert et, en raison de
l’existence de puits beaucoup moins profonds (Tab-Tab), il est
très fondé de l’espérer à une profondeur beaucoup moindre,
tout en étant plutôt pessimiste, comme je m’en fais un devoir
dans cette étude, afin de ne pas exposer à des désillusions.

L’emplacement exact en devrait être désigné autant que possible
par un géologue.


                           _c)_ CONCLUSIONS.

On voit que les ressources en eaux, dont pourrait disposer la Centrale
d’eau de la dépression Sud-Tinghert, sont très satisfaisantes,
soit par les éléments déjà existants, soit par ceux que l’on
est en droit d’espérer.


              _d)_ RECHERCHES D’EAU DANS LE GASSI TOUIL.

Cette eau pourra être refoulée sur une hauteur de la Hamada de
Tinghert pour alimenter par gravité la voie du Gassi Touil, car
au Nord de Tanezrouft, dont l’étude suit, l’étude des puits
existants, d’ailleurs rares et souvent morts[19], n’encourage pas
beaucoup à faire des recherches d’eau dans ces régions. Elles
ne donneraient probablement, vers 80 ou 100 mètres seulement
semble-t-il, que des eaux très mauvaises, non artésiennes,
peut-être peu abondantes et dont on ne peut affirmer qu’elles
dureraient longtemps, et au delà, si elles parvenaient à des eaux
artésiennes, ce qui serait sans précédent dans la région, ces
recherches n’obtiendraient vraisemblablement ce succès qu’à une
profondeur difficile à estimer en l’absence de précédents, mais
que l’on ne peut guère espérer, je crois, devoir être inférieure
à 200 mètres (profondeur à laquelle on peut espérer rencontrer
les argiles à niveaux sableux de la base du Cénomanien), si l’on
ne veut pas se bercer d’espoirs trop optimistes et s’exposer
avec de grandes probabilités à des déceptions douloureuses.


              _e)_ POINT D’EAU ACCESSOIRE DE TANEZROUFT.

Dans la Hamada de Tinghert, au Nord de la dépression Sud-Tinghert
dans laquelle il me paraît indiqué de placer une « Centrale
d’eau » en raison de la qualité, de l’abondance et, pour une
part, du caractère jaillissant des eaux existantes et éventuelles,
je dois attirer l’attention sur le point d’eau de Tanezrouft
qui serait sur le tracé même de la voie telle qu’on me l’a
indiquée.

Là, à une faible profondeur (2 ou 3-4 m. au maximum), on trouve,
d’après mes renseignements indigènes[20], de l’eau dans une
certaine abondance, mais extrêmement chargée en sels calcaires,
magnésiens et sodiques, impropre à l’alimentation et inutilisable
pour les chaudières sans distillation préalable (eau analogue
à celle d’El-Biodt probablement, et sans doute apparentée
à celles des puits du Gassi Touil qui proviendraient du même
niveau aquifère). Cette eau pourrait provenir en partie d’un
niveau aquifère affleurant dans le voisinage, en partie des eaux
de précipitation ; toutes ces eaux se rassemblent dans le fond de
la cuvette de Tanezrouft par gravité.

Quoi qu’il en soit, il y a là une cuvette assez humide, ainsi
que l’atteste d’ailleurs une belle végétation de tamarix,
coloquintes et autres plantes, et il n’est pas douteux que deux
ou trois puits de quelques mètres de profondeur, bien placés,
fourniraient une quantité d’eau appréciable, mais mauvaise.

C’est un appoint qu’il convenait de signaler ici.

Mais l’importance des eaux de Tanezrouft ne peut être mise
en parallèle avec celle des eaux de la dépression Sud-Tinghert
envisagées précédemment — qui est beaucoup plus considérable
et susceptible d’un tout autre développement.

                               * * * * *


[Note 14 : En raison de l’obligation où j’étais, pour nourrir
mes chameaux, de rester dans les régions de sable qui offrent
quelques ressources en pâturages alors que les gassis en sont
dépourvus.]

[Note 15 : J’ai passé après une « venue » de l’oued et j’en
parle en connaissance de cause.]

[Note 16 : Il convient en outre de signaler dans la cuvette de
Tanezrouft la présence de petites dunes. Mais elles ne constituent
pas un obstacle bien important : elles pourront être soit tournées
soit traversées facilement.]

[Note 17 : On trouvera sur le flanc Est de la vallée de Tanezrouft,
après le coude que domine la gara Tanezrouft, un banc de calcaires
massifs que l’on pourra exploiter pour moellons et peut-être pour
pierres de taille.]

[Note 18 : Je n’entends par cette expression nullement indiquer
le sens dans lequel coule l’oued dans cette partie de son cours,
mais simplement la direction de la vallée.]

[Note 19 : A mon passage, en janvier 1922, dans la région du Gassi
Touil, les puits Hassi Pujat, Hassi Tartrat, Hassi de la Roque
étaient morts.]

[Note 20 : Lorsque j’ai passé à Tanezrouft, une « venue »
récente de l’oued avait comblé le puits et laissé une daia à
laquelle furent abreuvés les chameaux. Je ne puis donc parler du
puits de Tanezrouft que par renseignements.]



                                  II

                           ÉTUDES BOTANIQUES
                               * * * * *

      DE LA FLORE DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES SUD-CONSTANTINOIS
                                  OU
                      DE LA FLORE DU SAHARA ARABE

                        (Caractères généraux.)
                               * * * * *


La flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois a une
physionomie à elle.

_Elle est caractérisée par le règne des Salsolacées_ qui sont
la note dominante de la végétation, ainsi que par sa relative
uniformité et monotonie.

Ces caractères la distinguent nettement de la flore du Massif
Central Saharien, ou flore du pays targui, variée, et dans laquelle
les Salsolacées jouent un rôle beaucoup moins important, un rôle
même effacé.

                                   *
                                  * *

Les _espèces essentielles_ de cette flore, répandues en grande
abondance, sont principalement :

_a)_ Dans les =ergs=, et presque exclusivement dans les ergs :

Salsolacées : le _Had_ (_Cornulaca monocantha_, Del.).

Graminées : le _Drinn_ (_Arthratherum pungens_, P. B.), le _Sboth_,
variété soyeuse.

Polygonacées : l’_Aricha_, 3e forme de _Calligonum comosum_,
L’Hérit., l’_Azelle_, 2e forme de _Calligonum comosum_,
L’Hérit.

Le _Drinn_ et le _Had_ se trouvent à la vérité plus au Sud dans
quelques ergs du pays targui, mais par suite du rôle considérable
joué par les ergs dont ces plantes sont l’apanage, en Sahara arabe,
ces espèces font plus partie de la physionomie de cette flore,
que de celle du Massif Central Saharien, du pays targui ;

_b)_ Dans les =terrains argilo-salés et humides= :

Salsolacées : le _Guetof_ (_Atriplex Halimus_ L.)

Plombaginées : le _Zita_ (_Limoniastrum Guyonianum_, Dur. et
var. _Ouarglense_, de Pomel).

Le _Guetof_ se trouve également en pays targui.

Le _Zita_ semble avoir besoin de plus de sel et d’humidité
que lui ;

_c)_ Sur les =plateaux calcaires=, dès qu’il y a un peu de sable :

Graminées : le _Sfar_ (_Arthratherum brachyatherum_, Coss. et Bal.) ;

_d)_ Associées, dans les =sols calcaires=, soit sur les hamadas plus
ou moins ensablées, soit dans les alluvions sablo-argilo-calcaires
des oueds, soit dans les sebka gypseuses :

Salsolacées : le _Baguel_ (_Anabasis articulata_, Moq.,
var. _elongata_), l’_Agerem_ (_Anabasis articulata_, type), le
_Bel-Bel_ (? _Anabasis articulata_, var. ou ? _Salsola tetragona_,
Del.).

Légumineuses : l’_R’tem_ (_Retama rtem_, Webb.).

Le _R’tem_ a une affection particulière pour les plateaux calcaires
légèrement ensablés et les oueds de hamada légèrement caillouteux
et sablonneux.

Je n’ai jamais observé l’_R’tem_ au Sud de la Hamada de
Tinghert ;

_e)_ Répandue =un peu partout= sur les plateaux, dans les sables
des plateaux, les sables d’oued, les petites dunes et à la base
des grandes dunes :

Salsolacées : le _Damran_ (_Traganum nudatum_ Del.).

[Illustration : PLANCHE I.

Pays crétacico-tertiaires. Pâturage à _Damran_ et à _Baguel_,
dans une plaine sablonneuse au Sud d’Ouargla]

Gnétacées : l’_Alenda_ (_Ephedra alata_, Decne).

L’_Alenda_ semble plus exigeant de sable que le _Damran_ qui, lui,
paraît plus éclectique de goût quant à la nature du sol ;

_f)_ Sur les « =regs= » caillouteux, dans les « _Gassis_ » :

Salsolacées : le _Ressel_ (_Halocnemon strobilaceum_, Moq.).

Graminées : le _Nessi_ (_Aristida plumosa_, L., var. _floccosa_,
Batt. et Trab.).

Le _Ressel_ n’apparaît que dans les parties Sud des gassis
du Grand Erg Oriental. (Je ne l’ai observé dans le Gassi Touil
qu’à partir d’un point situé à 90 kilomètres environ au Nord
de Hassi Pujat.)

Le _Nessi_ se trouve ailleurs que sur le reg où il forme des taches
dorées ; on le trouve un peu partout ; il pousse après la pluie en
touffes vert tendre, puis se conserve longtemps en touffes devenues
jaunes.

Ces deux espèces méritaient d’être réunies, associées, car
elles sont, en Sahara arabe, à peu près la seule végétation des
regs et gassis.

Telles sont les espèces de plantes persistantes qui constituent le
fond typique de la flore du Sahara arabe.

C’est cet ensemble qui constitue l’essentiel de la végétation
de la plus grande partie de la vaste cuvette (du vaste bassin)
crétacico-tertiaire sud-constantinoise.

                                   *
                                  * *

Au Sud et au Sud-Ouest, les bords relevés de cette cuvette,
le Tademaït et le Tinghert, ont une tendance à avoir une flore
individualisée par rapport à cet ensemble.

Il semble que cela soit dû :

1º Au caractère géologique particulier de ces pays de hamada à
vallées encaissées dans les calcaires et les argiles, vallées
relativement humides et abritées, constituant un milieu, un habitat
spécial ;

2º A la situation géographique : latitude plus faible et proximité
du pays targui.

C’est une flore de transition.

Dans ces vallées on trouve principalement :

_a)_ Les arbres ou arbustes suivants :

Tamaricinées : l’_Etel_ (_Tamarix articulata_, Vahl), le _Fersig_
(_Tamarix pauciovulata_, J. Gay).

Légumineuses : le _Teleh_ (_Acacia tortilis_, Hayne) ; l’_Rtem_,
déjà cité, est particulièrement abondant.

Rhamnées : le _Sedra_ (_Zizyphus Lotus_, Def.) qui est un jujubier.

_b)_ Comme plantes de petite taille dans les fonds humides :

Cucurbitacées : la _Coloquinte_ (_Citrullus Colocynthis_, Schrad.).

Crucifères : le _Chobrock_ (_Zilla macroptera_, Cosson), le _Krom_
(? _Moricandia divaricata_, Cosson et Dur.).

Géraniacées : le _Zemma_ (_Erodium glaucophyllum_, Ait.).

Resedacées : _Randonia africana_, Cosson, _Reseda villosa_,
Cosson, etc.


Certaines de ces plantes, les Tamaricinées (qui avec l’Rtem sont à
affinités méditerranéennes) entre autres, se rencontrent également
dans certaines vallées des plateaux de la région d’Inifel et de
Fort Miribel (le bord Ouest de la grande cuvette crétacico-tertiaire
sud-constantinoise) dans l’oued Mya et en d’autres rares coins
humides et plus ou moins abrités du Sahara arabe.

Mais ce sont les vallées ombreuses du Tademaït et du Tinghert qui
sont particulièrement leurs terres d’élection ; c’est là que
l’on trouve l’ensemble de ces espèces bien représentées
et que l’on est frappé par le cachet particulier de la
flore ainsi individualisée dans la flore générale des pays
crétacico-tertiaires sud-constantinois.

                                   *
                                  * *

Après les pluies, avec le _Nessi_, une végétation particulière
sort du sol et fleurit avec une rapidité stupéfiante : c’est
l’_acheb_ (ou « pâturage vert »).

L’_acheb_ est un ensemble de plantes tendres, vertes, gorgées
d’eau et en fleur, que la pluie fait sortir du sol comme par un
coup de baguette magique ; flore essentiellement éphémère, et qui,
vivant par cette humidité fugace, doit vite fleurir et grainer.

L’_acheb_ est en général à base de Crucifères ; par exemple :
le _Hennê_ (? _Henophyton deserti_, Cosson et Dur.), _Lehema_
(? _Malcomia aegyptiaca_, Spr.), le _Goulglane_ (? _Savignya
longistyla_, Boiss. et Reut.).


Que je rappelle la présence curieuse du _Populus euphratica_, Oliver,
dans l’oued Mya, que j’ai constatée après Inifel, aux environs
de Sejra Touila — dans mon itinéraire de retour — et celle,
intéressante, dans le Sud des Gassis du Grand Erg, du _Hyosciamus
Falezlez_, Cosson, ou jusquiame, _Bethina_ en arabe, _Efelehleh_ en
tamahak, que j’ai observée à une dizaine de kilomètres au Nord
de Hassi Pujat, sur le Gassi, et cette esquisse des traits généraux
de la flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois, tels
qu’ils me sont apparus lors de mon passage dans ces régions,
est terminée.

On trouvera plus loin, dans le paragraphe traitant de mon itinéraire,
l’énumération des associations principales de plantes essentielles
rencontrées de Ouargla à Temassinin.


             =Du pâturage et du pâturage en Sahara arabe.=


C’est là un des esclavages du Saharien. On finit par être
hypnotisé sur ce point de vue et la « question pâturage » devient
rapidement un des sujets de conversation dominant.

C’est que c’est une question vitale.

Le chameau en effet est très résistant, mais à la condition
qu’il mange presque tout le temps et que sa nourriture soit celle
qui lui plaît.

_On s’expose à des désastres si les chameaux n’ont pas
régulièrement chaque jour leurs heures de pâturage._

Car cet animal ne se « refait » pas en cours de route ; tout ce que
l’on peut espérer, et encore, c’est qu’il se conserve assez
près de sa forme de départ et il faut un pâturage régulier[21]
pour le maintenir ainsi à peu près en forme (en supposant
naturellement qu’on ne le fatigue pas trop), sinon sa bosse fond,
puis ses cuisses, l’animal a l’œil triste, et bientôt il tombe
« assel » et vous dit adieu sans se préoccuper du cruel embarras
dans lequel il vous met.

Le chameau est difficile quant à sa nourriture, non que les plantes
qu’il mange présentent toujours à notre œil humain un aspect
bien appétissant, mais il aime une certaine variété et si on abuse
de certains genres de pâturages trop longtemps, il erre tristement
avec un air distrait et pensif sans sembler songer à la présence
des plantes qu’il avalait goulûment la veille ; _il faut donc le
mettre en appétit par des changements fréquents si on veut qu’il
mange beaucoup et se maintienne en bonne forme_.

Certains ont une nature plus heureuse et sont toujours en appétit,
mais ce sont des cas particuliers.

Des considérations de saison et d’état des animaux jouent
aussi dans le choix des pâturages ainsi que des considérations
d’abreuvage.

Pour qu’un chameau profite des instants qu’on lui donne pour
paître, il est préférable qu’il soit nu et qu’il puisse
folâtrer à son aise. Quand on le peut, il vaut mieux le laisser
sans entraves : il y a beaucoup de fantaisie dans son caractère et
il faut qu’il puisse s’y abandonner à ces moments-là ; c’est
un grand enfant farceur : il aime aller de touffes en touffes en ne
donnant qu’un coup de dent à chacune ; bien souvent il refusera
d’une plante qu’on lui offre, pour se précipiter avec un air
affriandé vers une autre semblable et de même espèce ; il aime
à happer rapidement, et sous son nez, la touffe qu’un camarade
se préparait à tondre.

Les chameaux n’aiment pas manger avec la chaleur ; l’été,
il faut les faire paître le matin jusqu’à 10 heures ou
l’après-midi après 5 heures du soir, ou encore la nuit.

Si le chameau aime des plantes piquantes comme le _Had_ qu’il
dévore ainsi qu’un mets velouté, s’il aime des espèces de
paquets de verges comme le _Damran_ et l’_Ageran_, bref, si beaucoup
de ses mets préférés semblent trouver chez lui de l’affection par
suite d’un fond de vice dans sa nature, il a également un goût
marqué pour les fleurs les plus délicates, les plus parfumées
et les plus charmantes, comme les fleurs d’_Acheb_, de _Teleh_,
de _R’tem_, et semble ne pas être insensible, loin de là, à la
poésie et à la tendresse de cette nourriture.

C’est une stupeur, la première fois que l’on rencontre de
l’acheb, de voir tout ce parterre brillant et éclatant de fleurs
délicieuses de grâce et de couleurs, happé goulûment par sa
lèvre bavante et dégoûtante de chameau.

En cet animal si inattendu qu’il semble avoir été forgé un
jour de distraction, si repoussant qu’aucun art antique ne s’est
plu à en reproduire l’image, si abject que d’un commun accord
les textes anciens ont en général fait silence autour de lui,
je n’en vois qu’une excuse : ses bons yeux doux et profonds.


Des plantes du Sahara arabe, le chameau préfère le _Had_, le
_Sfar_, le _Damran_, le _Krom_, en fleurs ou portant ses graines,
le _Chobrock_ en fleurs et par dessus tout l’_Acheb_ (ou pâturage
vert).

Le _Drinn_, le _Sboth_ et le _Nessi_, quand ils ne sont pas trop
secs ou qu’ils portent leurs graines, sont aimés du chameau.

Le chameau mange l’_Azelle_, l’_Aricha_, le _Guetof_, le _Baguel_,
l’_Agerem_ et le _Bel-Bel_.

Il ne mange pas l’_R’tem_, sauf ses fleurs, ni l’_Alenda_,
ni le _Zemma_, ni le _Falezlez_.

Il n’accepte le _Ressel_ que quand cela lui passe par la tête
— et c’est assez rare.

On le voit parfois s’attaquer aux _Tamarix_.

Du _Teleh_ il mange les fleurs et les fruits en tire-bouchon, avec
grand plaisir. Les Touaregs, avec les fruits du _Teleh_, font,
en les pilant, des pâtées pour les jeunes.

Telle est la valeur des plantes essentielles du Sahara arabe pour
l’alimentation des chameaux.


On voit que les Salsolacées sont toutes, sauf le _Ressel_,
appréciées du chameau[22].

Ces Salsolacées, ainsi que nous l’avons dit plus haut, sont la
dominante de la végétation du Sahara arabe et sont répandues sur
d’immenses surfaces, d’ailleurs, chose curieuse, par vastes
étendues où souvent l’on ne trouve qu’une ou deux espèces
mais en quantité.

On voit ainsi l’étendue considérable de pâturages
quasi permanents dont disposent les tribus arabes (Chamba et
autres). _C’est là ce qui caractérise ces régions au point de vue
pastoral ; c’est la présence de vastes étendues de pâturages
quasi permanents de Salsolacées, de vastes plaines où l’on
peut vivre à peu près constamment (car là où le chameau vit,
l’homme peut subsister en se nourrissant du lait des chamelles et
des chèvres)._

Quand les animaux ont tout tondu, on change de camp.

La pluie a aussi une influence sur les déplacements, car dans les
régions d’_acheb_ les animaux ont plus de lait, ils ont besoin
de boire moins souvent et on s’établit de préférence là où
il a plu récemment.

Naturellement, dans ce nomadisme on est l’esclave des points
d’eau où il faut faire boire les chameaux régulièrement suivant
la saison et la qualité du pâturage de tous les trois jours à
tous les huit jours et, en général, les nomades s’établissent
près des puits, non seulement pour pouvoir abreuver facilement
leurs chameaux mais encore et surtout à cause des ânes, chèvres
et moutons qui demandent à boire plus souvent.

Quand il y a beaucoup d’_acheb_ et pas de plantes salées, les
chameaux peuvent se passer de boire très longtemps, mais c’est
un cas qui se produit surtout en pays targui.

_Ce sont les régions de sable, à_ Had, _qui sont les meilleurs
pâturages en toute saison en Sahara arabe._ Puis les étendues
sablonneuses à _Damran_.

[Illustration : PLANCHE II.

Pays crétacico-tertiaires. Camp dans les dunes, dans l’_Erg_,
près de Hassi el Khollal. Végétation typique d’_Erg_ : 1,
_Drinn_ ; 2, _Had_ et 3, _Azelle_.]

_Ce sont les regs des Gassis et les Hamadas non ensablées (à moins
qu’il n’ait plu récemment) qui constituent les pays les plus
déshérités au point de vue pastoral._

En pays targui, on n’a pas en général ainsi d’immenses étendues
de pâturages quasi permanents, mais salés, de Salsolacées. C’est
là l’apanage des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.

On trouvera, dans le paragraphe traitant de mon itinéraire,
les plantes composant les pâturages rencontrés successivement
d’Ouargla à Temassinin.

                               * * * * *


[Note 21 : En l’absence de pâturages il convient, quand l’on
peut, de se munir d’_Alef_, de _Drinn_, de _Bechna_ et autres
fourrages.]

[Note 22 : Mais étant salées elles obligent à faire boire les
chameaux souvent.]



                                  III

                           DE MON ITINÉRAIRE
                               * * * * *

                     IMPRESSIONS ET NOTES DE ROUTE
                               * * * * *


Mon itinéraire général à travers ces pays fut, à l’aller :
Touggourt, Ouargla, Hassi el Khollal, le Gassi Touil, Tanezrouft
et Temassinin.

Au retour : In Salah, Aïne Guettara, Inifel, Hassi Djemel, Ouargla
et Touggourt.

Nous ne parlerons que de l’itinéraire d’aller, de Touggourt à
Temassinin, cet itinéraire étant suffisant pour donner une idée
de ces pays.


                     =De Touggourt à Temassinin.=


                    _a)_ IMPRESSIONS DE ROUTE[23].

Le 8 janvier, à 9 heures du matin, je quitte Touggourt pour marcher
« vers le Sud ».

Quelle joie ! quelle fièvre ! de s’élancer au pas souple de son
méhari vers les espaces infinis du désert, vers le mystérieux et
prestigieux Ahaggar, vers « le nouveau », vers « l’inconnu ».

Les oasis de Temacine, Blidet Amar et Ouargla successivement
rencontrées sont tour à tour laissées en arrière, et tour à tour
s’effacent dans le lointain comme s’évanouit un trop beau songe,
la ligne verte de leurs palmeraies enchanteresses et les silhouettes
élancées et songeuses de leurs minarets blancs.

Bientôt c’est le vrai désert et les jours succèdent aux
jours dans l’immensité des sables moutonnants et des hamadas
caillouteuses.

Notre solitude n’est plus guère rompue qu’aux puits ; là on
trouve souvent quelque animation ; ce sont les lieux mondains et
vivants du Sahara ; caravanes de passage, nomades au pâturage non
loin de là, bêtes et gens se rencontrent au puits où la même
nécessité les mène : _boire_.

Et il y a grand échange de nouvelles relatives aux dernières
pluies, à l’état des pâturages, à celui des points d’eau,
aux récents « rezzous », grandes conversations sur les prix des
méharas, des moutons, des chèvres, des dattes, du thé, du sucre
et de la toile, au milieu des cris des hommes tirant l’eau et des
réclamations bruyantes des chameaux qui ont soif et attendent avec
impatience leur tour pour se désaltérer ou qui ne sont pas contents
parce qu’on ne les charge pas à leur convenance.

De nombreux oiseaux, apanage des points d’eau, amusent l’œil
de leurs vols et sautillements gracieux et affairés.

Et quelle joie lorsque les nomades possèdent quelques bêtes
laitières : chacun de se gorger et de remplir ensuite des outres
du lait des chamelles ou des chèvres.

Bien souvent également on trouve quelque objet de marchandage ou
d’échange et alors c’est une volupté très arabe de conduire
pendant des heures, en buvant de nombreux thés, la négociation
savante d’un de ces objets, si insignifiant soit-il, dont souvent
d’ailleurs ils n’ont même pas l’intention d’entrer en
possession ; ils parlent « douro » et « sourdi » et ils sont
heureux.

Enfin, les nomades ont parfois des femmes.

Quel attrait prend alors le puits : surprendre une gracieuse fille
voilée alors qu’elle est occupée à faire la provision d’eau
de sa famille, apercevoir un œil charmant par la déchirure d’une
tente, en voilà un bonheur !

Le point d’eau est pour ces pays sahariens comme un paradis et on
s’aperçoit vite qu’il est inutile de tenter à son approche de
conserver une allure modérée, tant l’impatience et la curiosité
des hommes sont grandes ou, lorsqu’il faut en partir, de le quitter
à l’heure fixée d’avance.

Il faut le quitter pourtant.

On arrive enfin à « décoller » ; l’on s’enfonce de nouveau
dans la solitude et les longues étapes recommencent de la petite
caravane perdue dans l’immensité saharienne, au bercement des
psalmodies et des flûtes mélancoliques, avec les aboiements des
chameliers pour pousser les chameaux ou les mieux grouper, qui
brisent de temps en temps la rêverie.

Chaque jour après l’étape on établit son camp ; après de
nombreux thés à la menthe bus religieusement, rituellement, à la
mode arabe, autour des feux qui mettent de violents et chauds accents
d’ombre et de lumière sur les figures et les amples vêtements
de laine blanche, des jeunes gens dansent longuement dans le bruit
scandé des derboucca ; puis les lueurs des feux meurent lentement,
les hommes s’étendent roulés dans leurs burnous et bientôt, sous
la clarté des étoiles, le silence infini du désert n’est plus
troublé que par le bruit de mâchoires des chameaux qui ruminent
étendus sur leurs genoux pliés et qui semblent ainsi un vol posé
de grands cygnes noirs avec leurs cols longs et souples.

Dans la pose pleine de majesté, de calme, de pensée et de mystère
de leurs têtes aux yeux doux et profonds dominant leurs corps
allongés, ils évoquent également, tandis qu’ils ruminent
longuement et gravement près du camp endormi, quelques sphynx
songeant sur le désert.

Je traverse ainsi le Grand Erg Oriental par Hassi-el-Khollal et le
Gassi Touil.

Je fais connaissance dans les dunes du Grand Erg avec la tempête
de sable ; spectacle impressionnant[24] :

Quand le vent commence à se faire violent, les crêtes des dunes
fument sous les rafales, le sable court sur le sol vite, très vite,
en longues traînées qui semblent des courants de vapeur, monte
à l’assaut des pentes et bientôt tout semble argenté par une
brume blanche qui glisse follement au ras du sol.

Ce n’est que le début : peu à peu le sable s’élève et tout
disparaît dans un brouillard pulvérulent qui empêche de distinguer
quoi que ce soit à quelques mètres devant soi ; on ne voit plus
le soleil ; on est perdu dans une obscurité jaune.

Alors on doit s’arrêter et attendre que le calme soit revenu,
roulé dans son burnous, le capuchon rabattu sur la figure pour se
protéger du bombardement serré du sable qui vous assiège.

Le Gassi Touil, entre les deux régions de dunes du Grand Erg
Oriental, est un passage absolument plat au sol de cailloutis,
large par endroits d’une cinquantaine de kilomètres.

Je le longe pendant une dizaine de jours.

Quel spectacle d’une infinie singularité que celui de cette
immensité plate et noire, d’une désolation inouïe, sans rien,
rien jusqu’à l’horizon ; c’est le pays le plus nu du monde
peut-être ; l’on n’y trouve pas la moindre végétation, le
moindre point d’eau (250 km. sans puits) ; les Arabes l’appellent
le « pays de la peur ».

O magie incroyable de la lumière saharienne sous les baisers ardents
du soleil, cette terre hostile anime sa nudité de teintes et de
mirages merveilleux ! Le Gassi Touil est par excellence le pays
du mirage.

Les hauteurs sont élastiques ; une touffe d’herbe au loin prend
parfois les dimensions d’un arbre ; un méhariste amplifié par
le mirage peut apparaître un instant d’une taille fantastique
et terrifiante, ou, absorbé par ce même mirage, disparaître
tout d’un coup comme par enchantement ; les distances ne peuvent
s’estimer ; on croit marcher dans un songe.

[Illustration : PLANCHE III.

Pays crétacico-tertiaires. Dans le Gassi Touil, un îlot de dunes.]

A l’horizon paraissent des dunes de l’autre rivage du Gassi Touil
teintées du bleu le plus tendre au rose le plus délicat ; par le
mirage elles sont déformées en falaises, en villes fortifiées ;
dans le mirage elles se noient, elles se reflètent comme dans des
nappes d’eau calmes et miroitantes, ainsi que des lacs d’argent ;
parfois il semble que l’on voit les ports lointains d’une paisible
mer d’azur.

Constamment le mirage change à l’horizon ; on n’a pas le temps
de s’en lasser qu’il s’est évanoui en une vision nouvelle et
qu’il a pris ce charme de plus d’avoir été trop éphémère.

Il semble que ce soit comme une consolation et que les pays les plus
déshérités matériellement soient ceux des plus beaux mirages, ceux
qui nous charment et nous envoûtent le plus de rêves insaisissables
et merveilleux.

Enfin, voilà la porte par laquelle je pénètre dans les marches
de guerre du pays targui : Tanezrouft dans la Hamada de Tinghert.

C’est un enchantement : je vois des arbres, des fleurs, de l’eau
et ce n’est pas un décevant mirage !...

Je n’ai rien vu de pareil depuis Ouargla et ce premier coin
verdoyant m’enivre d’enthousiasme.

Charmant salut targui :

De véritables prairies, d’innombrables fleurs, sont un tapis
grisant à mes pas ravis entre les bouquets ombreux d’étels
étoilés de pourpre et les massifs de r’tems aux blancs papillons
follement odorants.

Il a plu et c’est une abondance stupéfiante de végétation qui
a couvert en quelques jours le fond de cette vallée de Tanezrouft,
sans doute moins attrayante en temps ordinaire.

Mon méhari s’en donne à cœur joie. Toutes ces délicates et
gracieuses fleurs sont happées goulûment par sa lèvre prenante,
et son ventre prend vite des dimensions considérables : il gardera
sans doute comme moi un souvenir ému de Tanezrouft.

La végétation n’est pas seule à donner à Tanezrouft un
caractère inoubliable : la sortie du défilé qui traverse la
Hamada est commandée par une gara en forme de coupole dont la
silhouette mystérieuse fait planer sur ce pays un charme secret et
tout puissant.

Son sommet est couvert de caractères tifinar, cette écriture
très particulière des Touareg que le roman de l’Atlantide a
rendue célèbre ; c’est la première inscription de tifinar que
je rencontre ; nous sommes bien dans les marches extérieures du pays
targui et ces inscriptions ont sans doute été gravées pendant les
longues heures de veille par les sentinelles qui se sont succédé
sur cet observatoire traditionnel.

Car ce fut un point stratégique important : quand les Arabes Chamba
menaçaient les Touareg, ce défilé de Tanezrouft était la première
défense qu’ils rencontraient au sortir du Grand Erg et un point
d’eau ardemment souhaité.

Depuis, nous y avons soutenu également des combats ; entre autres
des tirailleurs y furent surpris et assiégés dans leur camp pendant
quatre jours, en 1918, par les pillards ; dix tombes témoignent
encore du caractère sérieux de ce combat.

C’est également un endroit où il ne fait pas bon être surpris
par un orage : l’oued y vient avec une rapidité foudroyante,
une violence considérable, et anéantit toute caravane se trouvant
alors sur son passage ; d’innombrables carcasses de chameaux noyés
dans ces désastres achèvent de donner une note tragique à ces
lieux aimables.

Les Sahariens vivent dans une perpétuelle terreur de la noyade :
à la vue de tous ces os blanchis qui jonchent le sol, on comprend
combien cette terreur est loin d’être puérile ; terreur cocasse en
vérité et ironique — oh combien ! — quand on souffre cruellement
de la soif, ce qui est courant dans ces pays.

Puis c’est Temassinin et la Zaouia de Sidi-Moussa, célèbre centre
musulman des Touareg.

[Illustration : PLANCHE IV.

Pays crétacico-tertiaires. Dans la Hamada de Tinghert, descente du
kreb du Djoua, dans les Argiles à Gypse cénomaniennes.]

Elle fut commencée sous El Hadj-el-Foki, un marabout targui et
achevée par son fils Sidi-Moussa dont la tombe est un objet de
grande vénération.

Il est peu de musulmans, surtout de la Confrérie des Tidjania,
de passage dans ces régions, qui ne se rendent pieusement en
pèlerinage à la petite « kouba » de « timchent » de Sidi-Moussa,
dont la simple blancheur reposant dans l’ombre des palmiers est
une charmante apparition, source de désirs de douceur et de paix
comme la vue d’une colombe sommeillant, menue et confiante, dans
l’obscure clarté d’une cathédrale.

Pendant que j’échange les salutations d’usage avec le caïd
de ces lieux, Mohammed-ag-Abdenneby, de la tribu des Forassi, la
tribu maraboutique très respectée de Sidi-Moussa, mes hommes se
partagent de petits bouts d’étoffes que le gardien du sanctuaire
leur a fait la faveur de leur accorder et qui viennent, paraît-il,
du lieu sacré. Ils les attachent à une lanière de cuir passée
autour du cou : nous n’avons désormais plus rien à craindre,
nous voilà sous la haute protection de Sidi-Moussa.

Le caïd m’offre des œufs et un poulet : aimable attention ! Je
n’en devais plus manger de longtemps, car les Touareg considèrent
cet animal comme impur et n’en mangent généralement pas. Si
Mohammed-ag-Abdenneby en mange quoique targui, c’est sans doute
qu’il a pris de mauvaises habitudes au voisinage des Français de
Fort Flatters.

Puis les jardins et les palmiers de Temassinin ne sont bientôt plus
qu’un souvenir et nous voilà de nouveau seuls dans les sables,
ceux de l’Erg d’Isaouan-n-Tifernin.


                       _b)_ NOTES DE ROUTE[25].

Touggourt est le point terminus de la voie ferrée, le point le plus
avant dans le Sahara où vous mène le rail.

C’est de là que je pars à chameau, le 8 janvier, vers le Sud,
après avoir reçu le très aimable accueil et les précieux conseils
des officiers des Affaires Indigènes (le Cmdt Béraud, le Cmdt
Fournier et le Cne Lhoilier), qui, ainsi que tous les officiers du
Sud, suivant la tradition saharienne, voient toujours d’un œil
sympathique les voyageurs qui viennent étudier leur cher Sahara.

L’oued Rhir est une traînée de palmeraies[26] qui se sont
admirablement développées, sous la direction française, par le
travail de la sonde artésienne ; on est heureux de voir là une
belle œuvre de la civilisation qui ainsi a créé de merveilleuses
palmeraies là où souvent il n’y avait rien, en faisant jaillir
des eaux abondantes.

A cette œuvre, le nom de Rolland et du Cmdt Pujat est attaché.

Je passe à Temacine, une oasis pittoresque dont le village est
établi sur un socle bâti avec des troncs de palmiers, et qui jouit
de la présence d’un lac ravissant.

Son caïd, Abd-el-Kader, me montre aimablement la curiosité de
l’endroit : les « _retass_ » ; ce sont des plongeurs qui curent
les puits artésiens arabes de la région ; c’est un spectacle
étonnant que celui de ces hommes qui peuvent supporter de plonger
trois à quatre minutes à une profondeur de 30 à 40 mètres, pour
remplir au fond du puits une corbeille de sable ; comment peuvent-ils
supporter cette pression et aussi longtemps ? C’est un problème ;
il paraît que c’est par suite d’un entraînement poursuivi de
génération en génération : ils sont « _retass_ » de père en
fils et forment une corporation à part, d’ailleurs très respectée
des autres indigènes. Ils disparaissent ; on n’en compte plus que
quelques-uns : leur métier ne rapporte plus, c’est l’introduction
de la sonde artésienne dans le pays qui en est la cause.

Après Temacine, c’est la Zaouia de Tamelet, de la Confrérie des
Tidjania, avec ses rues voûtées et fraîches, sa mosquée dotée
d’une belle coupole, ouvragée délicatement, et les tombes des
marabouts célèbres que cette coupole abrite.

Enfin, à Blidet Amar, je dis adieu aux oasis de l’Oued Rhir.

C’est maintenant un paysage de sables moutonnants à végétation
de _damran_.

Nous passons à Hassi Ma’mar, puis nous suivons la ligne des
poteaux télégraphiques jusqu’aux environs d’Ouargla ; c’est
là un bonheur de civilisés que cette vue d’alignements de poteaux
télégraphiques ; nous ne l’aurons plus après Ouargla.

Végétation de _Zita_, de _R’tem_ et de _Damran_.

Voilà Ouargla, la célèbre oasis où réside le Commandant du
Territoire des Oasis. J’y reçois l’accueil dont les Sahariens
ont le secret. Chacun me fait des recommandations, me donne des
conseils et des renseignements expérimentés dont je reconnaîtrai
dans la suite toute la valeur.

C’est toujours un brillant centre d’Officiers du Sud, de
ces « Chevaliers du Désert », comme on les a appelés, que
Ouargla. J’y trouve le Cne de Saint-Martin, le Dr Chéneby, le Lt
Giraudy ; au retour, j’y trouverai le Lt Brunet, etc. ; tous ces
noms sont bien connus des Sahariens.

Puis c’est le désert, le vrai désert, cette fois.


Départ par la brume, le 15 janvier.

Les palmiers s’espacent et adieu l’oasis.

Je ne verrai plus de vraies oasis de plusieurs mois.

La gara Krima est au loin devant nous qui émerge fièrement de la
brume ; c’est la célèbre gara chère aux Chamba d’Ouargla,
qu’ils salueront de mille démonstrations de joie dès qu’ils
la verront poindre à l’horizon au retour.

Au bas de la gara Krima se trouvent les ruines de Sedrata, ancienne
ville des Berbères (?) devenus les Mzabites par la suite, que
ceux-ci, éternels persécutés à cause de leur richesse et de leur
hérésie, durent fuir comme ils avaient abandonné Tiaret, pour se
réfugier finalement dans les plateaux inhospitaliers du Mzab, où ils
ont créé, à force de persévérance et d’efforts, les nombreuses
villes dans lesquelles vivent leurs femmes, où se trouvent leurs
foyers qu’ils visitent quand leur vie de commerçants le permet,
et que gouverne une oligarchie religieuse de prêtres : les Tolbas.

La gara Krima est un plateau escarpé d’accès difficile et de
défense facile. C’était sans doute autrefois un refuge en cas
de danger.

Un puits fut creusé sur ce plateau ; ainsi les populations qui
s’y réfugiaient étaient sûres de n’y pas mourir de soif.

Les nombreux instruments de pierre taillée qu’on y trouve montrent
l’antique importance, au point de vue humain, de la gara Krima.

Dans le fond salé que domine la gara Krima, on trouve une
végétation d’arbustes _Zita_.

Nous quittons ce fond à _Zita_ pour monter sur un plateau, en
laissant la gara Krima à gauche et la gara Teho à droite.

La surface du plateau est tachée de touffes de _Bel-Bel_.


_Le 16 janvier._ — Le matin, au départ, il y a un épais
brouillard, et c’est un spectacle curieux que les chameaux se
dessinant brusquement dans ce voile quand ils approchent de vous :
on dirait une apparition apocalyptique.

Nous cheminons dans la plaine de Tarfaia.

Nous trouvons _Bel-Bel_ et _Alenda_, _Sfar_, _Damran_ et _R’tem_,
du _Drinn_ quand il y a suffisamment de sable.

Le brouillard se lève lentement et bientôt disparaît ; il n’y
a plus que de gros cumulus.

Nous laissons à gauche la gara Mkhadma, la gara Tarfaia, Hassi
Tarfaia et la gara Smelteneckis ; nous laissons à droite la gara
Komfelhem et la gara et le Hassi Berouba.

Nous traversons quelques dunes, une plaine et arrivons sur un plateau,
où nous campons, avec _Sfar_, _Damran_ et _Alenda_.


_Le 17 janvier._ — De bonne heure, avec vent debout, nous apercevons
des gazelles qui broutent gracieusement du _Sfar_ dans la rosée
du matin. Elles se laissent approcher, puis fuient, légères,
dans une course admirablement souple et rapide. C’est une vitesse
folle qu’elles paraissent fournir sans effort, comme si c’était
un jeu. Dans leur fuite, elles ont la coquetterie délicieuse de
cueillir quelques touffes à droite et à gauche, comme si elles
nous narguaient.

Nous laissons la pittoresque gara Ksekis s’mehari à gauche,
ainsi que la gara Smiri.

Sur le sable nous trouvons des buissons d’_Azelle_.

Nous laissons à gauche l’Erg en Nos.

Pâturage de _Damran_ et _Agerem_.

Le soir se produit une ondée.


_Le 18 janvier._ — Près de Hassi Madjeira, nous subissons une
violente tempête de sable.


_Le 19 janvier._ — Je passe près d’une gara, la gara Beckri,
où une inscription arabe est gravée, disant : « Là est mort Ali
ben Mohammed ».

Nous laissons Hassi Madjeira à notre gauche.

Dans cette région, on observe la présence de vallons sinueux qui
manifestent nettement d’un passé humide avec des rivières actives.

Les pâturages sont de _Sfar_, _Agerem_ et _Azelle_, accompagnés
d’_Alenda_.

Nous laissons à droite l’erg Tomiet et l’erg et Hassi-Bou-Maza.

Dans les dépressions sableuses, nous trouvons _Azelle_ et _Alenda_
et sur les plateaux _Sfar_ et _Agerem_.


_Le 20 janvier._ — Départ avec ciel couvert. Temps gris.

Végétation de _Sfar_, _Damran_ et _Agerem_.

Nous laissons à droite l’erg Goret Naga, Goret Retmaia, Goret
Zotti ; à gauche, Goret Faouar et Hassi el Kezal.

Nous pénétrons dans des dunes avec _Drinn_, _Azelle_ et _Had_.

Nous trouvons de nombreux débris d’œufs d’autruche, dont de
grands, tous au même endroit, comme si l’œuf venait de se casser.


_Le 21 janvier._ — Le plateau rocheux apparaît de temps en temps,
avec _Damran_ et _Agerem_, _Damran_ et _Sfar_.

Dans la dune il y a toujours _Drinn_, _Azelle_ et _Had_.


_Le 22 janvier._ — Arrivée à Hassi-el-Khollal, creusé au fond
d’une dépression du plateau rocheux.

Dans la dune, au voisinage, se trouvent _Had_, _Drinn_, _Bel-Bel_.


_Le 23 janvier._ — Les chameaux sont passés au goudron à cause
de la gale.

Il a certainement plu ici il y a quelque temps car quelques fleurs
d’_Acheb_ poussent çà et là.


_Le 24 janvier._ — Pays d’erg. Pâturages de _Had_, _Drinn_,
_Damran_ et un peu d’_Acheb_ : _Hennê_ et _Lehema_.


_Le 25 janvier._ — Temps gris et menaçant.

Nous suivons un gassi.

Dans la dune il y a _Damran_, _Had_ et _Drinn_.

Nous campons au confluent de deux gassis.


_Le 26 janvier._ — Temps très menaçant.

Nous suivons un gassi. La végétation de _Damran_ disparaît. Il
n’y a aucune végétation sur le gassi ; c’est du reg.

Le gassi est barré par des chaînes de dunes que nous traversons.

Dans les dunes, toujours _Drinn_, _Had_ et _Azelle_ et un grand
arbuste, l’_Aricha_, qui atteint sur le sommet des dunes 5 à 6
mètres de hauteur.

Dans le gassi nous trouvons des débris de coquille d’œuf
d’autruche. On aurait tué une autruche par là il y a douze
ans. Ce serait la dernière autruche tuée dans tout le pays.

Pluie vers midi.


_Le 27 janvier._ — Deux ondées dans la nuit.

Nous suivons toujours le même gassi, large de 3 à 5 kilomètres
environ.

Dans la dune, de beaux _Arichas_.

Nous passons à un endroit du reg où les outils en silex taillé
sont abondants, ainsi que des nuclei. Beaucoup de silex sont de
taille inachevée ; il y avait donc là des ateliers de taille, jadis.

Cela ne peut se concevoir qu’avec l’existence d’un passé
humide.

Nous campons près de l’erg de la Bride, où est mort Legras.

Nouvel atelier de taille.

L’erg de la Bride est fort curieux ; il possède un entonnoir
très profond, analogue, semble-t-il, à celui d’Aïne Taïba,
mais sans eau.

D’après les guides, il y aurait ainsi, dans la partie orientale
du Grand Erg, des entonnoirs avec de petits lacs dans le genre
d’Aïne Taïba, avec même, auprès, les ruines d’une ville ;
mais on n’en sait plus le chemin.


_Le 28 janvier._ — Nous parvenons dans le Gassi Touil.

Le pays n’a plus aucune végétation ; les dunes sont absolument
nues ; je n’en ai jamais vues d’aussi nues ; elles ne portent
que quelques rares _Arichas_. Elles sont par massifs de direction
légèrement oblique par rapport à la direction du gassi. Ces
massifs semblent se montrer régulièrement de 3 en 3 kilomètres. La
direction dominante du vent, qui semble jouer le rôle essentiel
dans le modelé de ces grandes dunes, paraît être Nord-Ouest.


_Le 29 janvier._ — Nous suivons le Gassi Touil. La végétation
sur les dunes se réduit toujours à quelques rares _Arichas_ et un
peu de _Had_ et de _Drinn_.

Nous trouvons pour la première fois du _Ressel_ sur le reg.


_Le 30 janvier._ — Nous suivons toujours la rive Ouest du Gassi
Touil. L’erg est maintenant absolument nu ; rien que le sable
éclatant d’un côté et le reg noir de l’autre. Pas la moindre
végétation ; c’est d’une désolation inouïe.

Nous trouvons pourtant le soir un coin avec un peu de _Had_ et de
_Drinn_. Campons.


_Le 31 janvier._ — Le gassi se rétrécit progressivement.

Trouvons sur le reg beaucoup de _Nessi_ en taches dorées et
cendrées, suite d’une pluie sans doute, et du _Falezlez_.

Arrivons à Hassi Pujat, après avoir rencontré des amas de troncs
silicifiés, dont certains énormes.

Hassi Pujat est actuellement un puits mort, malgré sa profondeur
(75 m.).

Nous pénétrons dans la Hamada de Tinghert par une vallée qui serait
celle de l’oued Igharghar. Des falaises calcaires s’élèvent
progressivement de chaque côté de la vallée, surmontées encore
de dunes.


_Le 1er février._ — Nous descendons dans la cuvette de Tanezrouft,
encaissée dans les plateaux.

L’oued a coulé.

La végétation à Tanezrouft est étonnante : _Zemma_, _Damran_,
_Nessi_, _R’tem_ en fleurs, _Coloquinthes_, bouquets de beaux
_Tamarix_, _Guetof_, _Krom_, etc.

Et une « daia » à laquelle les chameaux se désaltèrent (ils
n’avaient pas bu depuis Hassi-el-Khollal).


_Le 2 février._ — Les chameaux pâturent.


_Le 3 février._ — Nous remontons un oued affluent de l’oued
Tanezrouft. De nombreuses flaques d’eau constituant des « redirs »
ont été laissées par la récente venue de l’oued.

Je fais la connaissance du _Teleh_, dont quelques beaux spécimens
ornent cette petite vallée. _R’tem_, _Resedas_.


_Le 4 février._ — Nous descendons deux krebs successifs.

Le plateau le plus bas est très fossilifère et couvert d’_Acheb_
(à base de _Goulglane_).

Et nous arrivons dans la dépression des argiles
cénomaniennes. Quelques palmiers, et c’est Fort Flatters.

                               * * * * *


[Illustration : PLANCHE v.

Pays crétacico-tertiaires. Modelé désertique dans les Argiles
cénomaniennes du Djoua.]


[Note 23 : Ces « impressions de route » tirées de mon journal
de route sont extraites du texte d’une conférence que j’ai
prononcée le 24 avril 1923 à Grenoble devant le _Club Alpin_
(Section de l’Isère) de même qu’un article « Seul au Hoggar »
que j’ai livré à la _Vie Tunisienne Illustrée_ en mai 1923 et
qui y a paru en décembre de la même année.]

[Note 24 : Les tempêtes de sables sont particulièrement fréquentes
lors des équinoxes.]

[Note 25 : Tirées de mon journal de route.]

[Note 26 : Certaines palmeraies de l’Oued Rhir sont organisées
vraiment industriellement ; et elles tirent par des dispositifs de
khandek et de seguia particulièrement étudiés, par des formules
d’écartement entre palmiers particulièrement au point, le maximum
de parti de l’eau qui leur est fournie par leurs puits artésiens.

Souvent des cultures interstitielles, des oliviers en quinconce
augmentent encore le rendement de l’eau.

Un service agricole des territoires du Sud, très actif, dirigé
par M. Lemmet, étudie avec de beaux résultats, par une station
d’essais, les moyens d’améliorer la qualité des dattes autant
que le rendement des palmiers.]



                           =SECONDE PARTIE=
                               * * * * *
             DU MASSIF CENTRAL SAHARIEN OU DU PAYS TARGUI

                          (AHAGGAR ET AJJER)
                               * * * * *

                                   I

                          ÉTUDES GÉOLOGIQUES
                               * * * * *


En opposition avec le Sahara arabe, bas pays, surtout de systèmes
immenses de dunes (_Ergs_) et de plateaux tabulaires calcaires
généralement peu saillants (_Hamadas_), le pays targui est un haut
pays avec de vraies montagnes (_Adrars_) de schistes cristallins, de
granits et de roches volcaniques, dont certaines atteignent environ
3.000 mètres, et des plateaux plus ou moins tabulaires gréseux
très saillants (_Tassilis_).


On peut distinguer dans ce très vaste « =Massif central saharien= »
deux ensembles montagneux : ce que nous appelons l’« _Enceinte
tassilienne_ », à la périphérie, le « _Pays cristallin_ »,
au centre ; et un ensemble à reliefs de moindre importance reconnu
au Nord-Ouest, Nord et Nord-Est de l’Enceinte tassilienne, entre
l’Enceinte tassilienne et le pays crétacé, que nous appelons
les « _Pays pré-tassiliens_ ».


                      =Des Pays pré-tassiliens.=


Entre les pays crétacés de la Hamada de Tinghert et l’Enceinte
tassilienne, telle que nous la définirons plus loin, se
trouvent donc des reliefs de moindre importance que ceux de
l’Enceinte tassilienne, souvent ensablés, ou ennoyés, d’un
caractère particulier ; ce sont ce que nous appelons « _les Pays
pré-tassiliens_ ».

Ils sont constitués par des formations primaires, postérieures à
celles de l’Enceinte tassilienne : formations _mésodévoniennes_
(?), _supra-dévoniennes_ et enfin, existant d’une manière
sporadique, _carbonifères_.

Il est possible que ces formations soient plus ou moins en
transgression et en discordance sur les formations de l’Enceinte
tassilienne, et que les Pays pré-tassiliens se séparent de
l’Enceinte tassilienne, non seulement par leurs formes différentes,
et l’âge différent de leurs formations, mais encore par une
discordance ou une lacune stratigraphique à la base du Dévonien
moyen (?) ou supérieur.

Dans cette zone, nous plaçons en particulier les pays d’Amzack au
Nord-Est et d’Isaouan au Nord des Tassilis de l’Ajjer, d’Iris et
d’Abadra dans le Nord de l’Emmidir, d’El-Ouatia et de l’erg
Ennefous (ou Tessegafi), dans le Nord de l’Ahnet, etc., etc.

Les plissements que ces pays peuvent avoir subi sont principalement
_hercyniens_ ; puis des mouvements alpins légers se manifestèrent
probablement aussi.

Jusqu’à maintenant on n’a pas constaté l’existence des
formations de cette zone, sur tout le pourtour du Massif Central
Saharien.

On l’a constaté surtout au Nord-Ouest, Nord et Nord-Est.

Dans ces régions, les Pays pré-tassiliens sont relativement
bien connus.

Des gisements et fossiles ont été étudiés. Nous ne nous
y attarderons donc pas et nous nous contenterons d’indiquer
la présence de formations _méso_ (?), _supra-dévoniennes_ et
_carbonifériennes_ et de séparer les pays de ces formations sous
le nom de « Pays pré-tassiliens » de l’Enceinte tassilienne,
à formations plus anciennes, principalement siluriennes.

[Illustration : PLANCHE VI.

Enceinte tassilienne. Le bord Sud des Tassilis externes, sur
le Tahihaout. Passage des Grès supérieurs aux Schistes à
Graptolithes.]


                      =De l’Enceinte tassilienne=

    (de Tasilé, terme de Tamahak désignant les plateaux gréseux
   de type particulier qui sont les éléments caractéristiques de
                         cette enceinte).


Nous appelons ainsi une ceinture de plateaux gréseux, plus ou
moins tabulaires, qui entourent le Pays cristallin : les Tassilis
de l’Ajjer, l’Emmidir, l’Ahnet, les Tassilis de l’Adrar,
les Tassilis de Tin Rerhoh et les Tassilis de l’Ahaggar, pour ne
citer que les plus importants.

                                   *
                                  * *

En poursuivant de Temassinin, où nous sommes parvenus, la marche
vers le Sud-Ouest, après avoir traversé les sables du Nord-Ouest
de l’Erg d’Isaouan, l’anticlinal de grès dur appelé
Adrar-n-Taserest (ou Djebel Tanelak), d’âge indéterminé en
raison de l’absence de fossiles (qui est peut-être dévonien ?),
et le Tineri-n-Taserest (région de l’oued In-Dekak), on arrive
à l’Enceinte tassilienne en une de ces parties que nous prenons
comme type, en raison de la clarté, rare dans ces régions, avec
laquelle se présente sa structure.

C’est =la région la plus occidentale des Tassilis de l’Ajjer=
(ou Azgueurs), la région des monts Relloulen, Terourirt et Ahellakan,
des oueds Tassirt, In Dekak, Iskaouen et du Mâder Tahihaout,
région que l’on peut désigner et que nous désignerons sous le
nom de =Tassirt-Iskaouen=.

Cette région des Tassilis ne nous paraît pas devoir être
considérée comme un ensemble dévonien, ainsi qu’il était admis
jusqu’à ce jour.

En réalité, elle se décompose en deux zones de plateaux bien
distinctes :


A) _Les Tassilis externes_ dont les escarpements Sud dominent
la région déprimée où passe l’Atafaït-Afa, la piste
d’In-Salah à Rhat, région déprimée du Tahihaout, de l’oued
Tigamaïn-n-Tisita, de l’oued Arami, de Tounourt.

Ces plateaux sont dévono-siluriens :

_a)_ A leur partie externe, les grès les plus supérieurs sont des
grès du Dévonien inférieur. On y trouve en effet des gisements
fossilifères dévoniens inférieurs (gisement de la partie basse
de l’oued Tassirt).

Dans ces grès, peut-être quelques bancs de conglomérats.

Au sujet de la concordance de ces grès dévoniens avec les « Grès
supérieurs » suivants, nous faisons toutes les réserves ;

_b)_ Constituant la partie élevée des plateaux en dessous des grès
précédents, qui ne constituent que des affleurements sur le bord
Nord et externe, se trouvent des grès dans lesquels nous n’avons
pas trouvé de fossiles et que nous appelons _Grès supérieurs des
Tassilis_, pour ne pas préjuger de leur âge exact (pour respecter
les anciennes attributions, comme nous ne pouvons pas prouver le
contraire, on peut les considérer comme appartenant au Dévonien
inférieur, mais il se peut qu’ils se révèlent ultérieurement,
ou entièrement ou partiellement siluriens supérieurs-gothlandiens) ;

_c)_ En dessous, affleurent _les Schistes argileux siluriens à
Graptolithes_ (gisements de Tamellelt ou _Tanout-Mellet_), d’une
façon continue à la base des escarpements Sud de ces Tassilis
externes, et nous avons pu observer leur concordance parfaite de
sédimentation avec les Grès supérieurs, le passage progressif,
par des grès argileux micacés, des Schistes argileux à ces Grès
supérieurs[27].

Dans ces schistes argileux, on rencontre des bancs de minerai de
fer, ayant une teneur en fer très élevée, allant jusqu’à 70
p. c. par endroits. Malheureusement, l’absence de charbon jusqu’à
maintenant au Sahara, ainsi que l’absence de main-d’œuvre,
font que cela ne peut guère avoir d’intérêt minier.

[Illustration : Les Tassilis

_Coupe schématique Tassirt-Iskaouen_

_selon A B (1)_

_(1) voir la carte de l’Enceinte Tassilienne_]


B) _Les Tassilis internes_, au Sud des précédents, qui se terminent
au Sud par les très hautes falaises et les grands escarpements des
monts Ahellakan et Ens-Iguelmamen, dominant le Pays cristallin de
l’Edjéré[28] et de l’Amadror.

Ces plateaux sont en grès quartziteux non fossilifères ; nous
avons pu observer la relation de ces grès avec les Schistes à
Graptolithes ; ils leur sont inférieurs ; ce sont donc des grès
siluriens ou cambriens. Dans l’absence de fossiles, on ne peut
affirmer qu’ils ne sont pas cambriens (tout ou partie). Nous les
appelons _Grès inférieurs des Tassilis_.

La transition avec les Schistes à Graptolithes se fait par un
ensemble puissant de grès à « rippel-marcks » de « _Grès à
colonnettes_ » (c’est ainsi que le commandant Besset a appelé,
suivant une expression très imagée, un facies très spécial de
ces grès de transition) et de schistes argileux multicolores,
qui affleurent dans la région déprimée de l’Atafaït-Afa,
du Tahihaout.

Ces grès massifs, d’une remarquable puissance, reposent très
nettement _en discordance_ angulaire sur les Schistes cristallins à
filons de pegmatite, donc anté-siluriens, peut-être antécambriens
de l’Edjéré et du Massif Central Saharien, par de beaux
_conglomérats de base_ à galets de quartz dont l’affleurement
est souvent caché sous les éboulis.

Nous appelons cette discordance : _la Discordance tassilienne_.


Ultérieurement, il paraîtra une étude sur les formations
fossilifères dévoniennes et siluriennes rencontrées par nous dans
cette région, avec des précisions sur leur âge.

Mais d’ores et déjà, nous pouvons indiquer que, pour la première
fois au Sahara, nous avons découvert des organismes siluriens autres
que des Graptolithes constituant les éléments d’un principe
de faune.

Ce sont des _Orthocères_, une glabelle de _Trilobite_, des
_Lamellibranches_ et quelques autres organismes. Le tout est associé
aux _Graptolithes_ dans le gisement fossilifère des Schistes argileux
de _Tanout-Mellet_.

On peut espérer, en cet endroit, trouver toute une faune variée
du Silurien ; j’espère qu’une nouvelle mission me permettra
d’exploiter cette découverte.


Ainsi, les sédiments siluriens jouent un rôle très important dans
la constitution de cette partie des Tassilis.

L’appellation de Tassilis dévoniens, employée jusqu’à ce jour,
est donc absolument incompatible avec la réalité et il convient
de lui substituer celle de « _Tassilis dévono-siluriens_ », qui,
elle-même, n’est peut-être pas encore exacte puisque le Cambrien
peut être également représenté, mais qui suffit tant que la
présence du Cambrien n’est pas démontrée par la découverte de
fossiles indiscutablement cambriens.

Ces observations relatives à la région Tassirt-Iskaouen jettent
un jour nouveau sur la constitution de l’Enceinte tassilienne.


=Dans la région des Irraren-n-Ahaggar= (_ou Iraouen_), un raid
rapide nous a permis de constater qu’après la traversée
de l’erg d’Amguid[29], la piste qui va d’Amguid à Hassi
Messeguem suit une dépression, qui est la continuation de la
dépression de l’Atafaït-Afa, c’est-à-dire dominée au Nord
par des escarpements dont la base est constituée par des Schistes
à Graptolithes, et le haut par des Grès supérieurs des Tassilis,
et qui est limitée au Sud par l’élévation progressive des Grès
inférieurs des Tassilis, qui forment des plateaux dans lesquels se
trouve un aguelmam temporaire que l’on m’a dit s’appeler Tarara
(appellation dont je ne suis pas certain, n’ayant pu la recouper
par plusieurs témoignages de Touareg).

[Illustration : PLANCHE VII.

Enceinte tassilienne. Le bord Sud des Tassilis internes, près d’In
Ebeggi, la « Discordance tassilienne » des Grès inférieurs sur
les Schistes cristallins.

Végétation : 1, de _Chobrok_ (en fleurs) ; 2, de _Mourkba_ et 3,
de _Teleh_.]


Passons à =l’Emmidir= (ou Mouydir)[30].

J’ai étudié =la corne Nord-Est du feston de l’Emmidir=. Quand
on vient d’Amguid, après la traversée Sud de l’erg d’Amguid
et de l’oued Raris, on rencontre un éperon venant du Nord, de
Grès inférieurs des Tassilis, appelé In-Touareren (ou Mongar-Tir)
dominant le Pays cristallin qui s’étend au Sud de cet éperon.

J’ai constaté la présence, à la base des grès, des beaux
conglomérats par lesquels la base de la série primaire tassilienne
repose en discordance (la Discordance tassilienne) sur les Schistes
cristallins dans la région Tassirt-Iskaouen.

Cet éperon, qui appartient donc à la zone des Tassilis internes,
est séparé par la large vallée de l’oued Tidilekerer de la
falaise Est des plateaux de Grès inférieurs des Tassilis internes
de l’Emmidir qui vont se joindre dans le Nord aux plateaux des
mêmes Grès inférieurs du pays d’Iraouen, dont nous avons parlé
précédemment.

Cet éperon se soude également vraisemblablement à eux dans le Nord,
dans la région d’Iraouen.

Après la traversée du reg de cet oued Tidilekerer, on arrive à
cette falaise Est de l’Emmidir qui, plus au Sud, se continue par
les monts Ihedran et de Raris.

Cette falaise, c’est l’escarpement des Grès inférieurs des
Tassilis qui termine la zone des Tassilis internes de l’Emmidir
sur les Pays cristallins ; ici elle est orientée Nord-Sud ; plus
au Sud, elle prend une orientation Nord-Est-Sud-Ouest, pour, après
avoir été Est-Ouest, se retourner Sud-Ouest-Nord-Est et gagner la
région de Tadjemout dont il sera question plus loin.

Cette falaise forme ainsi la limite Sud du feston des plateaux de
l’Emmidir — dominant le Pays cristallin de Raris et d’Aseksem.

Dans cette falaise, se trouve une échancrure faite par l’oued Tin
Tarahit, qui descend du plateau pour aller se jeter avec l’oued
Tidilekerer dans l’oued Raris, qui, lui-même, rejoint le grand
collecteur de ces pays, l’oued Ir’err’er, dans la région
d’Amguid.

C’est là que la piste escalade la falaise, et l’on parvient
sur des plateaux correspondant à la zone des Tassilis internes,
doucement inclinés vers l’Ouest, de la corne Nord-Est du croissant
de l’Emmidir. On descend progressivement dans une dépression
dite de Tiounkenin où affleurent, sur le flanc Ouest, les Schistes
argileux à Graptolithes. Cette dépression appartient à une zone
de dépressions qui sépare dans cette région des Tassilis internes
de Tassilis externes.

C’est l’analogue du Tahihaout, de la dépression de Tounourt, etc.

Là, se trouve un gisement abondant de _Graptolithes_ au voisinage
immédiat du puits Abankor de _Tiounkenin_.

Le sillon que nous avons indiqué dans la région type
Tassirt-Iskaouen, puis dans la région d’Iraouen, correspondant à
l’affleurement des Schistes à Graptolithes, existe donc également
dans la partie Nord-Est de l’Emmidir.

Vers le Sud de Tiounkenin, il se continue, toujours à l’Ouest
de la grande falaise terminale de Raris, limitant à l’Ouest la
zone des Tassilis internes de l’Emmidir, par la vallée où se
trouve l’aguelmam d’Afelanfela (ou aguelmam Deïtman), puis
l’oued Ir’err’er-oua-n-Isananen et, décrivant un feston,
gagne la cuvette de Taoulaoun dont il sera question plus loin.

Après Tiounkenin, nous rencontrons une seconde zone de plateaux, les
Tassilis externes de l’Emmidir, toujours inclinés vers l’Ouest
avec les monts de Khanget-el-Hadid, que traverse l’oued Tiounkenin
(ou Khanget-el-Hadid).

Vers la partie externe, après les Grès supérieurs des Tassilis,
on rencontre dans des grès un superbe gisement à Spiriferidés
du Dévonien inférieur, aux environs immédiats de l’aguelmam
Hindebera dans l’oued Tiounkenin (Khanget-el-Hadid).

Au sujet de la concordance de ce Dévonien avec les Grès supérieurs,
je fais toutes les réserves.

Ils m’ont paru en concordance.

Les Tassilis externes se terminent à l’Ouest par le plongement
des grès très inclinés sous la plaine du Mâder Amserha (ou
Mâder Khanget-el-Hadid).

J’ai pu suivre par leur côté Ouest les Tassilis externes vers
le Nord jusqu’à l’oued Henin (Tilia). Dans cette région,
leur plongement vers l’Ouest est constant et très accusé.

Vers le Sud, les Tassilis externes de l’Emmidir, constitués
probablement par les monts Ezzetorin et Tesadit, Talmest, Tifirin,
etc., s’incurvent pour prendre une direction Est-Ouest, puis
Sud-Est-Nord-Ouest, comme nous l’avons vu pour les Tassilis internes
à propos de leur falaise terminale sur le Pays cristallin.

Le pendage général restant constamment dirigé vers le centre
du croissant.


J’ai traversé =la corne Nord-Ouest du feston de l’Emmidir=[31],
à Aïne-Redjem. Là, l’Emmidir projette vers le Nord une apophyse,
une série de dômes allongés Nord-Sud ; ce sont les dômes allongés
de la montagne d’Aïne-Redjem, du Djebel Idjeran et du Djebel
Azaz-Aïne Kahla.

Entre ces dômes, des ensellements, dont le plus accusé est celui
par lequel l’oued Idergan traverse cette corne Ouest de l’Emmidir
et où se trouve Aïne-Redjem.

La surface générale de ces dômes allongés m’a paru constituée
par les Grès supérieurs des Tassilis.

L’anticlinal du Djebel Idjeran est éventré, et les Schistes
argileux à Graptolithes doivent être mis à nu au milieu du Djebel
Idjeran, probablement là où on signale des palmiers.

L’anticlinal d’Aïne Kahla est éventré plus encore : les
Schistes cristallins eux-mêmes sont entamés dans l’axe de
l’anticlinal.

Vers le Sud, cette région anticlinale qui constitue la
corne Nord-Ouest du feston de l’Emmidir semble largement
éventrée. D’après les travaux de M. Gautier sur le Mouydir
Ahnet, — ces travaux qui marquent une étape si importante dans
la connaissance de ces régions — il semble que cet éventrement
détermine une avancée du Pays cristallin vers le Nord qui sépare
les deux festons tassiliens de l’Emmidir et de l’Ahnet-Acedjerad
(situé au Sud-Ouest de l’Emmidir).

Autour de cette avancée du Pays cristallin, il semble qu’on puisse
distinguer toujours les mêmes zones : les lèvres supérieures
de « la plaie » en Grès supérieurs des Tassilis, puis la zone
déprimée des Schistes argileux (cuvette de Taoulaoun), puis les
Grès inférieurs des Tassilis qui se terminent en falaise au bord de
la cuvette de Tadjemout en discordance (la Discordance tassilienne)
sur les Schistes cristallins de l’avancée de Tadjemout-Arack.

Vers l’Est, ces zones vont se raccorder, suivant le feston de
l’Emmidir, et, comme nous l’avons indiqué précédemment,
aux pays de la corne Ouest qui bordent également un anticlinal
arasé, une avancée du Pays cristallin, l’anticlinal d’Amguid
qui sépare l’Emmidir des Tassilis qui nous ont servi de type.


Au Sud-Ouest de l’Emmidir, l’Enceinte tassilienne est
représentée par =l’Ahnet-Acedjerad=. Dans cette région, il
semble, toujours d’après les importants travaux de M. Gautier,
que l’on retrouve la même disposition que dans l’Emmidir : un
feston de deux séries de plateaux, avec une zone de dépressions
(la dépression d’Ouallen entre autres), correspondant à
l’affleurement des argiles et Schistes siluriens à Graptolithes,
feston en discordance (Discordance tassilienne) sur le Pays
cristallin, le long et au bas de la falaise de son bord externe qui
s’appelle ici le Bâten-Ahnet[32].


A l’Est de la région-type Tassirt-Iskaouen, l’_Enceinte
tassilienne prend une ampleur considérable_ particulière qu’il
convient de signaler. Ce sont les =vastes plateaux des Tassilis de
l’Ajjer=, terrains de parcours de toute une confédération de
Touareg, la Confédération des Touareg de l’Ajjer.

On distingue toujours deux séries de plateaux séparés par la bande
de dépressions de Tiremmar, de l’oued Iferniken, de l’oued Agou,
et de la piste de l’Atafaït-Afa jusqu’aux monts Ekohaouen vers
l’Est[33]. (Plus à l’Est, l’état des connaissances ne nous
permet pas de faire des précisions, mais je suis certain que les
explorations ultérieures constateront la continuité de structure
de l’Enceinte tassilienne dans ces régions.)

Les grands escarpements des monts Ahellakan se poursuivent et
les Tassilis internes dominent par leurs escarpements Sud le Pays
cristallin de Tihodaïn, d’Abada-Hegerin, d’Admer et de l’erg
d’Admer.


_Ainsi, dans toute la partie Nord, Nord-Ouest et Nord-Est de
l’Enceinte tassilienne, nous constatons une parfaite unité de
structure._

Ainsi, comme la région-type Tassirt-Iskaouen, dans toutes ces
parties de l’Enceinte tassilienne, on constate la présence des
Grès supérieurs, des Schistes argileux à Graptolithes siluriens et
des Grès inférieurs, des Tassilis externes et des Tassilis internes
et la présence d’une discordance (la Discordance tassilienne)
à la base des Grès inférieurs.

Il est probable qu’au Sud les autres segments de cette enceinte
(Tassilis de l’Ahaggar, Tassilis de l’Adrar, etc.) sont analogues.

Mais, s’ils présentent vraisemblablement la même structure
générale et sensiblement les mêmes formations, il semble qu’ils
diffèrent assez par certains côtés des parties Nord de l’Enceinte
tassilienne.

Ainsi, il semble que les couches de grès soient plus horizontales,
que les plateaux soient beaucoup moins en relief sur le Pays
cristallin et plus ensevelis dans des formations d’ennoyage,
et que cette partie de l’Enceinte tassilienne ait été moins
affectée par des plissements que la partie Nord-Ouest en particulier.

Maintenant que nous avons montré combien les différentes régions
de l’Enceinte tassilienne présentent de similitude de structure
avec la région Tassirt-Iskaouen, et combien il était fondé de les
réunir sous cette appellation commune « _Enceinte tassilienne_ »,
il convient de définir exactement ce que nous rangeons sous ce
nom. C’est :

L’ensemble des monts et des plateaux disposés autour du Pays
cristallin du Massif Central Saharien, qui sont constitués par les
mêmes formations ou par des formations du même âge que celles qui
constituent les monts et plateaux de la région Tassirt-Iskaouen dont
nous avons ébauché l’étude précédemment, c’est-à-dire Grès
inférieurs, Silurien, Grès supérieurs et Dévonien inférieur[34].

                                   *
                                  * *

Les parties Nord et Nord-Est de l’Enceinte tassilienne sont
ridées suivant une direction sub-méridienne, ainsi que cela a
été déjà souvent signalé, avec une tendance vers une direction
Nord-Ouest-Sud-Est[35].

Ces plissements provoquent la projection d’apophyses anticlinales
vers le Nord, comme celles dont font partie les monts de
Tisekfa, d’Adrar-n-Taserest (Djebel Tanelak), d’Aïne-Kahla,
d’Hassi-el-Khenig, enfin de Timerguerden, la crête entre Takcis
et oued Meraguem.

Cette dernière région anticlinale est prolongée vers le Nord
peut-être par les anticlinaux arasés de Bled-el-Mass et d’Aïn
Cheick-Aïn Chebbi où le cristallin semble à nu.

Nous distinguons d’une manière générale quatre régions
anticlinales de l’Est à l’Ouest, qui groupent ces rides :

Région de _Tisekfa_ entre les deux Isaouan, _d’Amguid_
entre l’Isaouan-n-Tifernin et les pays de l’oued Abadra,
d’_Aïne-Redjem_, entre les pays d’Abadra et de l’Ouest de
l’oued El Khenig-Elouatia, et enfin la région anticlinale de
l’Ouest de l’_Ahnet-Acedjerad_, entre les pays d’Elouatia et
les pays peu connus de l’Ouest.

Ces régions anticlinales provoquent le long du bord interne de
l’Enceinte tassilienne des avancées du Pays cristallin, qui
donnent une allure festonnée, une allure en guirlande à l’Enceinte
tassilienne dans ces régions Nord, Nord-Est et Nord-Ouest.

C’est ce que nous avons signalé pour les régions d’Amguid et
d’Aïne Redjem-Tadjemout, où cela est particulièrement net,
par qui sont séparés les festons des Tassilis de l’Ajjer, de
l’Emmidir et de l’Ahnet.

Les rides et ondulations sont généralement assymétriques, le
pendage du côté Est étant en général plus fort que le pendage
du côté Ouest.

Il semble que ces bombements, ces rides, soient comme des vagues
venant de l’Ouest, et de moins en moins accentuées à mesure que
l’on va vers l’Est.

Mais nos connaissances des régions Est des Tassilis de l’Ajjer
ne nous permettent pas de certitude au sujet de la continuation de
cette formule tectonique vers l’Est.

On a parlé pour certains de ces accidents de « flexures » des
grès, dues à des failles du socle cristallin en profondeur.

Cette manière de voir ne nous paraît pas très fondée pour
le moment :

Nous n’avons pas observé dans les parties de l’Enceinte
tassilienne de flexures typiques de cet ordre, mais généralement
des ondulations, bombements, rides, etc., très nets.

Par exemple, à Tidjoubar (ou Aïne-Bou-Mesis), à l’Est
d’Amguid, dans la zone des Tassilis internes des Tassilis de
l’Ajjer, se trouve un bombement allongé à peu près Nord-Sud,
très accentué et très caractéristique, qui incite à être très
prudent avant d’adopter cette hypothèse des formations de reliefs
dans l’Enceinte tassilienne par failles en profondeur et flexure
en surface.

Les plissements sont plus marqués dans la zone des Tassilis internes
que dans celle des Tassilis externes.

Il semble que les Schistes argileux à Graptolithes et leur cortège
de schistes argileux multicolores, qui paraissent assez plastiques,
aient amorti les mouvements et les aient transmis atténués dans
les Grès supérieurs.

_Quelle est l’histoire de ces mouvements de l’Enceinte
tassilienne ?_

Pour le moment, il est très difficile de formuler des affirmations,
étant données, d’abord l’incertitude qui existe encore sur
l’âge de certaines formations (Grès supérieurs, par exemple),
ensuite les difficultés d’observation des liens exacts qui existent
entre le Crétacé et les formations primaires et surtout entre
les formations dévoniennes (méso (?) et supra) et les formations
siluriennes (et (?) éo-dévoniennes).

Des lacunes peuvent échapper, ainsi que des formations de
transgression, etc.

D’autre part, certains de ces contacts sont ennoyés, cachés et
il est difficile de savoir si certains mouvements peu accusés ne
disparaissent pas sous des formations reposant en discordance dessus
(c’est le cas pour le Djebel Redjem).

C’est donc absolument sans certitude que l’on peut hasarder
quelque chose sur l’histoire de ces mouvements.

Il convient peut-être pour le moment, par rattachement de ces
mouvements à ceux constatés dans le Nord-Ouest (Touat et Saoura)
par M. Gautier et classés hercyniens, de considérer encore que les
formations de l’Enceinte tassilienne ont subi leurs plissements
et mouvements divers _à l’époque des plissements hercyniens_.

Je tiens à souligner cette remarque que _des mouvements calédoniens_
furent peut-être les principaux à intéresser les formations de
l’Enceinte tassilienne, mouvements auxquels se seraient ajoutés ou
superposés des mouvements hercyniens, et des mouvements alpins. A
vrai dire, les plissements se sont succédé dans ces régions en
épousant souvent plus ou moins les plissements précédents et il
est difficile de faire la part de chacun. Et cette remarque est non
moins importante pour les plissements du Pays cristallin dont nous
parlerons plus loin.

                                   *
                                  * *

Il semble qu’il y ait des variations légères de _facies_,
latéralement dans l’Enceinte tassilienne, en particulier le facies
gréseux paraît plus accentué à l’Est, le facies marno-argileux
à l’Ouest ; c’est ce qui, joint à une accentuation des
plissements vers l’Ouest, produirait des différences d’aspect
entre l’Emmidir et les Tassilis de l’Ajjer.

Ces deux caractères semblent d’ailleurs liés : les régions
où les facies profonds argileux, marneux, schisteux sont les
plus représentés, les régions Nord-Ouest, devaient être plus
intéressées par des plissements que des régions à facies
détritiques gréseux prédominant.

Ces Grès des Tassilis semblent franchement marins. Ils sont en
général régulièrement lités ; on trouve des fossiles marins, en
dessus et en dessous pour les Grès supérieurs, en dessus seulement,
mais bathiaux (?) (Graptolithes) pour les Grès inférieurs.

Il est possible que les mers aient remanié des ergs lors de leurs
transgressions.

Les Grès supérieurs se distinguent en général assez facilement
des Grès inférieurs.

En particulier, les Grès inférieurs sont généralement beaucoup
plus massifs.

Les plateaux de Grès inférieurs sont entaillés par des cañons
très profonds, à parois ruiniformes, d’aspect très différent
des cañons creusés dans les Grès supérieurs beaucoup moins
pittoresques.

Citons le magnifique cañon de l’oued Iskaouen, creusé dans les
Grès inférieurs.

                                   *
                                  * *

Nous avons vu que des avancées du Pays cristallin pénétraient
l’Enceinte tassilienne, dans les régions anticlinales
d’Aïne-Redjem et d’Amguid.

La mise a nu du cristallin dans l’axe de ces anticlinaux
correspond à des dépressions, sans doute parce que les Gneiss,
Granits et Micaschistes, roches hétérogènes, se désagrègent
plus facilement sous l’action de l’érosion saharienne[36],
que les grès quartziteux des Tassilis.

Et dès qu’ils sont mis à nu, les facteurs d’érosion ayant
plus de prise sur eux, leur démolition est plus rapide.

C’est pour cette même cause sans doute que le contact des Grès
inférieurs des Tassilis et du Cristallin se traduit par la saillie
considérable des plateaux gréseux, sur le Pays cristallin, par un
bâten (falaise) imposant qui entoure comme une barrière tout le
Pays cristallin au Nord-Est, Nord et Nord-Ouest.

[Illustration : PLANCHE VIII.

Enceinte tassilienne. Le cañon de l’oued Iskaouen dans les Grès
inférieurs (Tassilis internes).

Un _Etel_ (_Tamarix articulata_).]

Pour expliquer la formation de cette imposante barrière, on a
invoqué la présence d’une faille qui suivrait le bord interne
des Tassilis internes.

Rien ne nous permet d’admettre l’existence de cette faille pour le
moment, tout au moins l’existence aussi générale de cette faille.

La présence de témoins des Grès inférieurs des Tassilis sur
le Pays cristallin très loin du « bâten » en question semble
obliger soit à rejeter l’explication par failles d’une manière
générale, soit à placer cette faille à une assez grande distance
du « bâten » actuel, dans le Pays cristallin.

Ainsi, la gara Holla, à une trentaine de kilomètres des Tassilis,
domine le Pays cristallin de l’Edjéré de son plateau escarpé,
de Grès inférieurs des Tassilis.

Nous croyons que, en l’absence d’autres explications générales
possibles actuellement, on doit admettre pour la formation de cette
falaise, l’explication donnée plus haut.

                                   *
                                  * *

L’Enceinte tassilienne dont nous venons d’ébaucher l’étude
et dont l’altitude ne dépasse guère 1.700 mètres, entoure un
pays dont les montagnes atteignent de grandes altitudes (Tahat,
3.000) ; c’est le Pays cristallin.

En outre, les Pays pré-tassiliens, l’Enceinte tassilienne, étaient
des pays à reliefs plus ou moins tabulaires, des pays tabulaires ;
le Pays cristallin, lui, n’a pas ce caractère.


                         =Du Pays cristallin.=


C’est l’immense pays de l’Ahaggar (ou Hoggar).

Vaste pays de schistes cristallins percés d’intrusions de
roches granitoïdes, injectés de pegmatites et de diverses roches
filoniennes, souvent recouverts d’épanchements et d’appareils,
et traversés de dykes volcaniques.


                      _Des Schistes cristallins._

Le Massif Central Saharien a été décapé de sa couverture primaire
(cambro (?)-silurienne) tout au moins à sa périphérie et les
Schistes cristallins que nous avons vu apparaître en discordance
sous l’Enceinte tassilienne, sont à nu sur une immense surface.

(On ne sait si la couverture primaire a couvert tout ce Pays
cristallin actuellement à nu, dans l’absence de témoins, reconnus
à ce jour, de cette couverture dans le centre du Pays cristallin ;
il se peut qu’une partie de l’Ahaggar depuis les mouvements
saharidiens dont il sera parlé plus loin soit toujours restée
émergée, que les mers primaires n’aient jamais complètement
recouvert le Pays cristallin, et qu’il y ait eu là un continent
permanent, un « asile » depuis les débuts de l’ère primaire
jusqu’à nos jours ?!.

On ne peut, pour le moment, affirmer quoi que ce soit à ce sujet.)

On trouve toute la gamme des schistes cristallins ; les gneiss
dominent.

Il semble que ces roches, métamorphisées de façon et à des degrés
variés, aient été des plus diverses avant leur transformation
par les différents métamorphismes : grès, marnes et calcaires,
roches d’épanchement volcaniques, etc., semblent avoir été
représentés.

Nous avons recueilli de nombreux échantillons de ces Schistes
cristallins.

L’étude minéralogique de ces échantillons, recueillis le long
d’un itinéraire filiforme dans le Pays cristallin ne rentre pas
dans le cadre de cet exposé général[37].

Nous laissons donc de côté l’étude minéralogique de ces Schistes
cristallins de l’Ahaggar en attendant que des études de longue
haleine nous permettent de les grouper suivant leur rapport avec les
îlots de roches intrusives, suivant les influences diverses qu’ils
ont pu subir : injections filoniennes, actions mécaniques, etc.,
et suivant les zones de profondeur auxquelles ils peuvent appartenir.

L’étude des Schistes cristallins de l’Ahaggar à ces points
de vue, pourra revêtir un grand intérêt général par suite de
la nudité de ces pays qui se prêtent plus qu’aucun autre à des
études de cet ordre.

Ce sur quoi nous désirons attirer l’attention, _c’est l’âge
de ces Schistes cristallins, ainsi que l’âge et la forme de leurs
plissements propres_.

                                   *
                                  * *

_L’âge des formations qui sont devenues les Schistes cristallins
est, peut-être, anté-cambrien._

En effet, nous avons vu que l’Enceinte tassilienne reposait en
discordance sur les Schistes cristallins plissés.

Dans cette enceinte, nous avons montré l’importance des formations
siluriennes.

Même dans l’éventualité de la démonstration de l’absence du
Cambrien à la base, on peut conclure avec beaucoup de probabilité
à l’âge anté-cambrien des Schistes cristallins : _car on peut
considérer comme très longue la période qui sépare la date du
dépôt des formations qui sont devenues par métamorphisme les
Schistes cristallins, de la date de la transgression marine qui
débuta par la formation des Conglomérats de base de la série
tassilienne_.

1º La transgression marine s’est faite en effet après le
plissement, après l’injection de tout ce complexe cristallin par
les pegmatites et après que l’érosion eut atteint ces filons de
pegmatite (car nous avons constaté que la couverture tassilienne
repose directement, en de nombreux points, sur un substratum de
Schistes cristallins injectés de pegmatite).

2º Avant cette transgression, en effet, le « rabotage » du massif
avait été très loin : le granit avait été atteint, ainsi que les
diverses roches intrusives profondes (nous avons vu en divers points
les Grès inférieurs reposer par les Conglomérats de base sur le
granit) et il ne restait aucun élément non métamorphisé sous la
couverture tassilienne, elle, non métamorphisée (nous n’avons vu
nulle part dans le Pays cristallin de sédiments non métamorphisés,
ni aucun explorateur).

3º Enfin le caractère général de cette discordance n’est pas en
effet pour inciter à croire courte la période qui s’est écoulée
entre plissement et transgression.

C’est pourquoi nous croyons ne pas nous écarter d’une
très grande probabilité en qualifiant les Schistes cristallins
d’anté-cambriens.

_Dans ces Schistes cristallins peut-on faire des divisions
stratigraphiques ?_

Cela est impossible encore.

On est tenté de distinguer des pays de Schistes cristallins de
caractère peut-être plus ancien.

Mais il n’est, pour le moment, pas prudent de s’abandonner à
cette séduction.

La présence de discordance typique stratigraphique sur laquelle on
puisse se fonder, avec conglomérats, dans les Schistes cristallins
n’a pas en effet été observée, ni par nos prédécesseurs ni
par nous-même.

Des quartzites (entre autres la pyramide de l’In Kaoukan dans
l’Anahef) ont été observés par M. Buttler en légère discordance
sur des gneiss sous-jacents.

Rien ne donne à cette discordance une importance suffisante
pour le moment, ni caractère nettement stratigraphique (absence
de conglomérats), ni grande extension, qui permette déjà
de fonder sur elle une coupure dans les Schistes cristallins
anté-cambriens. Mais elle laisse prévoir la possibilité d’une
pareille éventualité[38].

                                   *
                                  * *

On avait tout d’abord, à la suite des découvertes de la Mission
Flatters, rattaché les plissements propres aux Schistes cristallins,
qui apparaissent au Sud des Tassilis, aux plissements calédoniens.

Puis, les découvertes des Schistes du Tindesset par la Mission
Foureau-Lamy, considérés comme de la fin de l’Ordovicien, des
Schistes d’El-Khenig, par le Capitaine Cottenest, considérés
comme gothlandiens, avaient jeté quelque trouble dans les idées
admises jusque-là sur la date de ces mouvements.

Les conditions de gisement de ces Schistes à Graptolithes
n’ayant pu être éclaircies, on avait admis soit que ces schistes
appartenaient à une partie non métamorphisée de l’ensemble
des formations qui, métamorphisées, avaient donné les Schistes
cristallins, — et alors l’hypothèse calédonienne restait
absolument acceptable — soit que ces Schistes à Graptolithes
considérés tous comme siluriens supérieurs, étaient à la base du
complexe gréso-argileux dévonien, et alors il fallait admettre que
les plissements qui avaient intéressé les Schistes cristallins et
qui leur étaient propres étaient antérieurs à certains mouvements
calédoniens typiques.

Mais, par suite de l’incertitude régnant en Ecosse sur la question
de savoir si le Silurien supérieur avait été intéressé par
les mouvements calédoniens, on avait voulu y voir les premiers
mouvements calédoniens. C’est cette dernière opinion qui était
celle de Suess qui déclarait qu’on ne saurait prétendre que les
Saharides ne se révèleraient pas quelque jour comme le prolongement
des Calédonides.

Ces plissements propres aux Schistes cristallins de l’Ahaggar
furent dénommés _Saharides_ par Suess, en attendant que des
explorations ultérieures permettent de les rattacher avec certitude
aux Calédonides.

Maintenant que nous avons étudié les relations des Schistes argileux
à Graptolithes avec les Schistes cristallins, nous pouvons déclarer
que les Schistes cristallins ont été plissés avant le Silurien
— et vraisemblablement avant le Cambrien.

La possibilité de réaliser les espoirs de Suess et de rattacher
les Saharides aux mouvements calédoniens est donc écartée à
tout jamais.

Ces mouvements sont trop antérieurs aux mouvements calédoniens.

_Et nous croyons pouvoir admettre que les mouvements les plus
récents qui ont plissé les Schistes cristallins avant le dépôt en
discordance dessus de la couverture tassilienne, sont algonkiens_,
et faisons toutes les réserves sur l’existence de mouvements
antérieurs (discordance de l’In Kaoukan ?) intéressant une partie
des Schistes cristallins, qui peut être mise en lumière un jour
par l’étude approfondie du Pays cristallin.

_Ainsi, les Saharides (pour conserver l’appellation de Suess)
sont algonkiennes._

_C’est là un des résultats de notre mission dont nous sommes
fier que la démonstration de l’existence d’un_ « =Faîte
saharien= » _algonkien, comparable au « Bouclier canadien »[39],
au « Faîte sibérien » et au « Bouclier baltique »._


_Etudions maintenant les plissements eux-mêmes._

Tout d’abord, il convient de faire remarquer que l’état actuel
de plissement des Schistes cristallins est le résultat de mouvements
complexes.

Il est possible que pour certains des Schistes cristallins, les
mouvements algonkiens se soient déjà superposés à d’autres
antérieurs (discordance de l’In Kaoukan ?).

D’autre part, les Schistes cristallins plissés par les mouvements
algonkiens ont sans doute été repris (la partie voisine de
l’Enceinte tassilienne tout au moins) par les plissements
postérieurs que nous avons décrits dans l’Enceinte tassilienne
et qui ont déterminé l’allure festonnée de cette enceinte, par
le découpage des régions anticlinales provoquant des avancées du
Pays cristallin.

On ignore même si ces mouvements qui ont plissé l’Enceinte
tassilienne n’ont pas eu une grande ampleur dans l’Ahaggar,
et si cet Ahaggar ne présente pas actuellement le résultat de
la mise à nu du Cristallin par décapage d’un vaste bombement
d’âge alpin (?) ridé sensiblement Nord-Sud, avec tendance
vers une direction Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est (les rides les plus
accentuées se trouvant vers l’Ouest), par les mouvements hercyniens
ou calédoniens (?) ou hercyniens et calédoniens (?) qui ont agité
l’Enceinte tassilienne.

Ce dôme qui est décapé maintenant de sa couverture primaire
pouvait même être une région de violents plissements primaires
et les régions anticlinales de l’Enceinte tassilienne, dont nous
avons esquissé les traits, ne représenteraient peut-être que les
terminaisons mourantes vers le Nord des vastes rides de ce dôme
qui, dans les régions ahaggariennes auraient été beaucoup plus
accentuées, allant peut-être jusqu’au déversement et même à
des nappes de charriage[40].

Cette hypothèse n’a rien d’impossible :

L’Enceinte tassilienne avec son pendage vers la périphérie se
présente bien comme les bords d’un vaste bombement arasé et
sa disposition en guirlandes paraît bien être le résultat du
décapage d’un dôme plissé de rides sub-méridiennes (avec une
tendance vers une direction Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est).

Enfin, il est possible que le Pays cristallin ait été le théâtre
d’affaissements, de surrections, de mouvements épirogéniques en
relation avec les phénomènes volcaniques dont nous parlerons plus
loin, et avec les plissements tertiaires alpins dont ces incidents
pourraient avoir été le contre-coup : le contre-coup de l’Atlas.

_Il est donc difficile de déterminer, dans l’état actuel de
plissements des Schistes cristallins, la part des plissements
algonkiens, et la caractéristique de ces plissements._

Les observations que l’on peut faire au cours d’une rapide mission
d’exploration ne permettent pas de répondre avec précision
et certitude à ces questions ; une étude de longue haleine est
nécessaire.

_On a parlé d’une direction générale sub-méridienne des
plissements saharidiens._

En effet, on constate que beaucoup de crêtes de Schistes cristallins
dont certaines sont certainement de plissement surtout algonkien,
sont voisines de la direction Nord-Sud, mais toujours avec une
tendance vers Nord-Ouest-Sud-Est.

Ainsi, au mont Ahellakan où les Grès inférieurs des Tassilis
reposent très calmes sur les Schistes cristallins, ce qui permet de
considérer les plissements des Schistes cristallins dessous comme
purement algonkiens, on constate que la direction des plissements
est bien Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est.

Dans l’Edjéré, ces crêtes sont particulièrement nettes,
émergeant des coulées dont nous parlerons plus loin. Elles sont en
général plutôt Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est que Nord-Sud, avec le
pendage des Schistes dirigés vers l’Est, tout le long de l’oued
Tedjert en particulier.

Certaines crêtes sont dirigées presque Nord-Ouest-Sud-Est, en
particulier à l’Est de la gara Holla.

La gara Tersi est un synclinal de Schistes cristallins isolé en
« Monad-Nock », orienté Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est.

Dans la région Nord de l’Anahef, la région de l’In-Sakan,
les Schistes cristallins ont une allure très calme et forment
des plateaux ondulés, la direction des plissements semble encore
Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est.

(Je citerai parmi ces ondulations l’anticlinal-dôme de
l’In-Kaoukan.)

Dans la région d’In-Amdjel, les Schistes cristallins forment des
crêtes également sub-méridiennes. Là, ils semblent laminés ;
il se pourrait qu’il y ait eu des phénomènes de charriages.

_Ainsi on constate dans l’Ahaggar, dans les plissements des
Schistes cristallins, une direction dominante sub-méridienne
Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est, à laquelle ne semble pas être
étrangère la direction générale qui fut celle des mouvements
algonkiens, des Saharides dans l’Ahaggar._

Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler ici que la direction
Nord-Ouest-Sud-Est est la direction des plissements algonkiens,
entre la mer Blanche et le Nord de la Norvège.

D’autre part, il convient de faire remarquer que nous ne connaissons
ces plissements algonkiens que par les régions du Nord et du Centre
de l’Ahaggar, que ce n’est là qu’un aperçu relativement
local sur ces plissements et qu’il est possible que d’autres
explorations nous apprennent qu’ils ont une autre direction ailleurs
et sont plus ou moins disposés en virgation.

Des explorations de la région entre Ahaggar et Tibesti seraient
très intéressantes à ce sujet, ainsi que des explorations des
pays cristallins de l’Eglab.

Cette direction sub-méridienne Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est qui
déjà dans l’Ahaggar n’est pas absolument générale, ne peut
encore être considérée comme la direction générale des Saharides,
pour le moment.

Les plissements postérieurs semblent avoir épousé plus ou moins
les directions des plissements algonkiens, avoir tout au moins été
influencés par elles.

Et c’est à l’influence des plissements algonkiens en particulier
qu’on pourrait peut-être attribuer la tendance Nord-Ouest-Sud-Est
des rides sub-méridiennes de l’Enceinte tassilienne, de date
postérieure, sinon le caractère sub-méridien lui-même de ces
rides.


                  _Des intrusions de roches grenues._

Les Schistes cristallins sont percés par des massifs de roches
intrusives granitoïdes ou grenues[41] variées, qui font contraste
par leurs dômes luisants ennoyés à la base par les produits de la
desquamation (boules) avec les crêtes fines des Schistes cristallins.

Ces massifs de roches intrusives granitoïdes sont la note dominante
dans la partie axiale du Tifedest où ils semblent disposés en
chapelets d’intrusions elliptiques.

Citons en particulier dans cette grande région allongée
sub-méridiennement des monts du Tifedest, comme type de ces massifs
de roches intrusives granitoïdes, les massifs de l’In Takoulemout
et de l’Iskarneïer à l’Est de l’oued Martoutic et de l’oued
Aor et à l’Ouest de l’Ir’err’er.

Dans la Koudia, la partie la plus élevée de l’Ahaggar, les
intrusions de roches granitoïdes jouent un rôle également
important.

Citons entre autres :

Les reliefs à l’Ouest d’Ideles, entre Ideles et Irhafock (avec
de beaux types de désagrégation en boule) ;

Le flanc Nord-Ouest du Tahat et au Nord-Ouest du Tahat les régions
de l’oued Tellet-Mellel, de l’oued Ti-n-Iferan aux environs
d’une source remarquable par ses figuiers dont l’altitude est
voisine de 1.700 mètres, et de l’oued Arrou aux mêmes altitudes.

Dans la partie haute de la Koudia des roches grenues apparaissent
parfois sous les coulées, jusqu’à de très hautes altitudes.

Ces intrusions de roches grenues paraissent avoir eu, quant au choix
des endroits de leur mise en place, une certaine prédilection pour ce
qui est devenu les régions axiales des vastes systèmes anticlinaux
actuels des Schistes cristallins, ou pour ce qui est devenu les
régions de plus grand bombement du pays des Schistes cristallins.

Il est très difficile de savoir de quand date la mise en place
de ces diverses roches granitoïdes, dans l’absence actuelle
d’éléments datés reconnus, postérieurs aux Schistes cristallins
anté-cambriens, avec lesquels on en puisse observer les rapports.

Certaines de ces mises en place sont anté-siluriennes (ou
anté-cambriennes ?), car le long de la Discordance tassilienne sous
les Grès inférieurs et leurs Conglomérats de base, on constate
la présence de roches granitoïdes. C’est le cas dans la région
d’In-Ebeggi (Edjéré) et dans la région de Titahouine Tahart
(ou Aïne-Karma) près d’Amguid.

D’autre part, les filons de pegmatites diverses qui injectent les
Schistes cristallins si généralement, qui sont en relation possible
minéralogique et génétique avec ces massifs intrusifs de roches
granitoïdes, sont arrêtés, comme nous l’avons souvent observé,
par la discordance et ne poursuivent pas leur chemin (du moins nous
n’en avons pas observé qui poursuivent leur chemin) au travers
des Conglomérats de base et des Grès inférieurs des Tassilis.

Cela semble prouver que ces injections filoniennes de pegmatites
sont antérieures au Silurien (ou au Cambrien ?) ; et on peut
considérer, semble-t-il, que beaucoup des intrusions de roches
granitoïdes de l’Ahaggar ont eu une mise en place anté-silurienne
(ou anté-cambrienne ?).

Mais il est possible que certaines mises en place soient de date
postérieure.

Cependant, rien ne le prouve jusqu’à maintenant.

L’existence de mises en place anté-siluriennes (ou
anté-cambriennes ?) est seule prouvée pour le moment.


                     _Des injections filoniennes._

Les Schistes cristallins sont en général injectés de roches
filoniennes, particulièrement de pegmatites variées, entre autres
de pegmatites à tourmalines et à minéraux[42].

Les pegmatites sont injectées avec une telle constance et une
telle abondance dans les Schistes cristallins, que c’est un des
caractères dominants du Pays cristallin, surtout de l’Anahef,
d’être lardé de pegmatites, et qu’on pourrait presque le
définir par ce caractère et l’appeler : _le Pays cristallin
pegmatitifère_.

Nous avons vu que ces pegmatites paraissent en général
anté-siluriennes (ou anté-cambriennes ?).


                            _Des volcans._

Enfin, ces Schistes cristallins, avec leurs intrusions de
roches grenues et leurs injections de pegmatites et autres roches
filoniennes, sont souvent recouverts de roches d’épanchement et
d’appareils volcaniques (cratères, dômes, aiguilles, brêches,
tufs) et sont traversés par des dykes également volcaniques.

Ces pays ont été le théâtre d’éruptions d’une ampleur
considérable et d’époques diverses.

Leurs formes usées par tous les agents de l’érosion depuis les
lointains temps primaires, ont été ainsi rajeunies par ces reliefs
volcaniques surimposés, et protégées également dans une certaine
mesure contre l’action ultérieure de l’érosion.

Et ce sont des aiguilles, monts et plateaux volcaniques qui
constituent actuellement les parties culminantes de la Koudia de
l’Ahaggar : le mont Tahat, l’Ilaman, l’Amdai, l’Asekrem[43].

Certains de ces volcans sont très bien conservés ainsi que leurs
coulées et analogues aux puys, gravennes, planèzes et cheires du
Massif Central Français.

Il est très difficile de dater ces éruptions en raison de
l’absence d’éléments stratigraphiques datés, reconnus à ce
jour dans ce vaste Pays cristallin de l’Ahaggar.

[Illustration : PLANCHE IX.

Le Pays cristallin. Les Basaltes de Tin ed’ness (Egéré).]

C’est en vain que nous avons cherché dans les alluvions que
l’on trouve sous les coulées des restes d’organismes permettant
d’avoir une idée de l’âge des épanchements.

On en est réduit à faire uniquement pour le moment, entre les
différents volcans et leurs coulées, des comparaisons fondées sur
l’état de conservation des appareils volcaniques et les relations
des coulées entre elles (quand c’est possible).

                                   *
                                  * *

Les principaux centres volcaniques dont nous avons constaté
l’existence sont les suivants :

a) _Au Nord et au pied du massif de l’Oudan_, entre ce massif et
le mont Edjeleh, et plus près de ce massif que l’Edjeleh, nous
avons constaté la présence de coulées basaltiques étalées en
vastes nappes qui couvrent une assez grande surface.

Ces coulées semblent récentes.

Leur existence n’avait pas été signalée jusqu’à maintenant ;

b) _Dans l’Edjéré et à l’Ouest de Tisemt_ nous avons rencontré
des volcans et coulées, de l’Hanou Tin-a-degdeg dans l’oued
Tedjert à Tisemt sur les bords de la plaine de l’Amadror.

Ces volcans sont remarquablement bien conservés. Tous leurs appareils
noirâtres font contraste avec les crêtes des Schistes cristallins
qui émergent parées de vives couleurs par les jeux de lumières
étonnants de ces pays des sombres coulées basaltiques.

Ces coulées s’étalent en général comme de véritables lacs
occupant les fonds des vallées, et les oueds se sont réfugiés sur
leurs bords, en suivant leur contact avec les Schistes cristallins ;
ces oueds ont souvent leurs rives parées de magnifiques colonnades de
prismes basaltiques, en particulier l’oued Tedjert de l’abankor
Ahalléllen (au Sud de Hanou-Tin-a-degdeg, lui-même au Sud de
Hanou-Tin-Edéjerid), à l’abankor Tin-ed’ness (près du redir
El-Arab).

Sur les bords de cet oued Tedjert, à Tin-ed’ness, deux coulées
de ces basaltes des vallées sont superposées, la plus élevée
est donc la plus récente.

Non loin de là, à l’Est de Tin-ed’ness, et à l’Ouest de la
gara Maserof (en gneiss) une coulée plus élevée forme plateau.

Cette coulée semble plus ancienne que les deux précédentes,
qui se trouvent en contrebas.

On peut donc distinguer dans la région de Tin-ed’ness trois phases
dans l’activité volcanique.

Ces phases sont d’une époque antérieure à la présence de
l’homme de l’âge de la pierre taillée dans ces régions. En
effet :

A l’Est du point d’eau de Tin-ed’ness, dans des grottes
qui se trouvent sur les flancs d’un cratère, nous avons fait
la découverte en faisant une tranchée de fouille, de nombreux
instruments de l’âge de la pierre taillée bien en place,
de facture genre Tardenoisien, c’est-à-dire avec pièces
microlithiques et géométriques[44].

(Ces instruments sont, semble-t-il, contemporains des tombes
anté-islamiques à tumuli qui sont particulièrement abondantes
dans les fonds de cratères, peut-être parce que quelque croyance
religieuse s’attachait à ces entonnoirs infernaux et y voyait
quelque rapport avec le noir séjour des morts.)

Ces grottes avaient donc été habitées par des populations
préhistoriques comme elles l’ont été d’ailleurs souvent depuis
par les Touareg ainsi qu’il ressort de l’abondance des ustensiles
de touareg que l’on trouve abandonnés sur leur sol.

Ce volcan n’est peut-être pas le plus récent de la région de
Tin-ed’ness. Près de là, se trouvent des volcans que leur état
de conservation peut faire considérer comme postérieurs. Mais la
proximité de ces derniers fait que l’habitat des grottes voisines
lors de leur activité est peu vraisemblable.

Il ressort de cette observation que l’activité des volcans de
l’Edjéré est antérieure à la présence des hommes de l’âge
de la pierre taillée qui ont habité ces grottes.

Mais la civilisation de l’âge de la pierre semble très récente en
pays targui. Les Touareg conservent encore l’usage de l’emmanchure
néolithique pour leurs haches, et l’âge de la pierre taillée,
postérieur à la période d’activité des derniers volcans de
l’Edjéré, n’est peut-être pas très ancien.

Les éruptions de l’Edjéré paraissent pléistocènes par l’état
de conservation de leurs coulées et de leur cratère.

Les cratères de la région de Tin-ed’ness semblent alignés
sensiblement suivant des directions sub-méridiennes.

On peut distinguer à l’Est de Tin-ed’ness, et de l’Est à
l’Ouest, deux de ces alignements.

A l’Ouest de Tin-ed’ness on aperçoit une autre chaîne de
volcans (monts Iferekouassen), la plus importante par l’ampleur
de ses appareils.

Les volcans de l’Est de Tin-ed’ness paraissent en général moins
récents que ceux de l’Ouest, mais ce n’est que l’impression
qu’on peut avoir au cours d’un rapide passage, c’est-à-dire
bien sujette à caution.

Les volcans sont très développés également dans la région de
l’Ouest de l’oued In Reggi et du Nord-Ouest de Tisemt (monts
Tig’elouin) où ils forment un ensemble montagneux important.

On trouve quelques cratères et coulées près de Tisemt.

La montagne de Tisemt qui domine les deux salines si réputées en
pays targui est un curieux cratère.

L’entonnoir de ce cratère est rempli de cailloutis, sortes
d’alluvions, de morceaux de roches diverses et très variées
que nous n’avons trouvés que là, et épars sur le sol autour de
ce cratère.

Il existe un épanchement de ces cailloutis, sortes d’alluvions,
sur le flanc Est de ce cratère.

Ces morceaux de roches diverses sont sans doute des débris arrachés
à la cheminée et la dernière émission de ce volcan semble avoir
été une émission de cailloutis.

Il semble que nous ayons là un beau type de « neck ».

Outre son genre particulier d’activité, le cratère de Tisemt
est intéressant à un autre point de vue.

Dans les débris qui remplissent son entonnoir, nous avons trouvé
des calcaires travertineux que M. Buttler a observés en place,
non loin de la base.

Ainsi, ce cratère est postérieur à ces travertins, et le jour où
ces travertins se révèleront fossilifères, nous pourrons avoir
des données précises sur l’âge de ce volcan.

Au pied de ce cratère se trouvent les salines de Tisemt ; l’origine
de ces salines est mystérieuse encore !

La formation de ces amas de sels a-t-elle été en relation avec
les manifestations volcaniques ?

La forme des protubérances salines pourrait faire pencher vers
cette hypothèse, mais elle pourrait également faire croire à
l’existence passée de sources chargées de sel en cet endroit !!!,
sources plus ou moins artésiennes, provenant peut-être d’un seuil
rocheux, barrant l’issue des eaux cheminant en profondeur dans la
plaine de l’Amadror, les obligeant à remonter en surface et les
faisant sortir dans cette dépression qui est le point le plus bas de
la plaine de l’Amadror (en profondeur de la plaine de l’Amadror
se trouvent peut-être des dépôts salés qui chargeaient ces eaux
en sels, dépôts salés d’une sorte d’ancienne mer morte ;
le puits de Tisemt, très profond [80 m. environ], est salé, mais
pas artésien !).

Des analyses d’échantillons salins que M. Buttler a recueillis
dans cette saline nous fixeront peut-être dans la suite.

Dans toute la région Edjéré-Tisemt, l’ensemble volcanique peut
être considéré comme pléistocène et antérieur à la présence
de l’homme de l’âge de la pierre taillée dans cette région ;

c) _Au Sud-Est de la plaine de l’Amadror, dans le Nord de
l’Anahef_, le massif volcanique de l’Assgaffi est le témoin
d’une activité volcanique certainement antérieure à celle de
tous les volcans précédents.

Là, on ne constate plus la présence de cratères bien conservés
et les coulées sont perchées très au-dessus des vallées sur
des socles cristallins (c’est le cas pour le Tellerteba, dont
les parties les plus élevées sont d’épanchement volcanique),
ce qui suppose un long travail d’érosion.

Les coulées sont également de nature minéralogique différente.

Le centre volcanique de l’Assgaffi et du Tellerteba est très
ancien, aucune précision n’est possible pour le moment quant à
son âge : il est tertiaire vraisemblablement, c’est tout ce qu’on
peut en dire, et encore ! il pourrait être crétacé, mais alors il
faudrait admettre qu’il n’est pas en relation avec le contre-coup
des plissements alpins (Atlas) principaux sur un pays peu souple.

d) _Dans la région d’Idelès_, nous trouvons de nouveau un centre
volcanique d’activité récente, pléistocène probablement.

Les coulées et volcans sont bien conservés. Citons en particulier
les beaux basaltes prismés de l’oued Terrinet (affluent de la
rive Ouest de l’oued Telouhet) tout près d’Idelès ;

e) _Dans la Koudia_, les formations volcaniques ont un immense
développement.

Ce n’est que vastes coulées étagées, aiguilles, culots
volcaniques plus ou moins prismés, l’Irhafock à Tamanrasat.

Dans ces régions centrales de l’Ahaggar l’activité volcanique
s’est manifestée avec une ampleur particulière et en de nombreuses
périodes (trois principales, semble-t-il), suivant des modes divers
et avec des émissions variées.

La période la plus récente semble représentée par la coulée de
basalte de l’oued Echchil (ou Abedassen) et l’îlot volcanique
qui se trouve dans le fond de l’oued Ti-n-Iferan, au Nord-Ouest
du Tahat, au Sud de la Source des Figuiers.

La période la plus ancienne, peut-être contemporaine des éruptions
de l’Assgaffi, semble représentée par le plateau de l’Isekran
(p. c. avec Asekrem dans l’Atakor) qui domine les vastes coulées
étagées plus récentes dans lesquelles est encaissé l’oued
Teroummout, et également peut-être par la coulée de l’Adrian.

La période de plus grande activité semble intermédiaire entre ces
deux extrêmes et correspondant en particulier aux vastes coulées
étagées dans lesquelles est encaissé l’oued Teroummout.

                                   *
                                  * *

On voit par l’exposé qui précède que les manifestations
volcaniques au Pays cristallin de l’Ahaggar sont loin d’avoir
été un cas isolé, localisé, et sans ampleur.

Nous avons constaté la présence de centres volcaniques au Nord de
l’Oudan, dans l’Edjéré et la région Ouest de Tisemt, dans le
Nord-Ouest de l’Anahef, dans la région d’Idelès et dans toute
la Koudia.

Ce ne sont pas là encore tous les centres volcaniques du Pays
cristallin de l’Ahaggar ; d’autres ont été signalés : le
volcan d’In-Size, le Serkout, etc., etc.

_A mesure que les explorations se poursuivent, le Pays cristallin de
l’Ahaggar apparaît de plus en plus comme une terre de prédilection
du volcanisme, au Tertiaire et au Quaternaire._


                         _Des affaissements ?_

Les volcans de l’Ahaggar sont peut-être en relation avec des
affaissements[45], qui, comme nous le verrons plus loin, pourraient
expliquer certains des caractères morphologiques du Pays cristallin.

[Illustration : PLANCHE X.

Le Pays cristallin. « Monad nock » (Gara Maserof, dans la
paeneplaine de l’Avant-pays cristallin à l’Est de Tin ed’ness
(Edjéré).]

Il n’est pas possible de démontrer encore l’existence
d’affaissements et il est difficile pour le moment de préciser
leurs emplacements et de déterminer quelle fut leur ampleur.

Dans un pays à base de Schistes cristallins, c’est une étude
qui nécessiterait une longue série d’observations.

Il se pourrait, en particulier, qu’il y ait un affaissement à
l’origine de la plaine de l’Amadror.

Les volcans de l’Edjéré-Tisemt sur le bord Ouest de cette plaine
s’expliqueraient ainsi très bien.

Certains de ces volcans auraient peut-être provoqué dans la suite,
par des barrages dus à leurs coulées, un vaste lac ; que ce soit
avec lac ou sans lac, par alluvionnement, les oueds descendant des
parties hautes du Pays cristallin auraient comblé cette grande
dépression et ainsi se serait établi le vaste « reg » de la
haute-plaine de l’Amadror dont l’immensité remarquablement
plate de cailloutis et d’argile, située à l’altitude moyenne
de 1.000 mètres environ, est un des étonnements des explorateurs
qui l’ont vue.

Cet affaissement à l’origine de la plaine de l’Amadror n’est
encore qu’à l’état d’hypothèse.


                            _Morphologie._

Au point de vue morphologique on peut distinguer dans ce vaste Pays
cristallin[46] deux zones :

Le pourtour plus ou moins aplani ;

Le centre fortement montagneux.

De telle sorte qu’on peut comparer le Massif Central Saharien à un
vaste ensemble fortifié comprenant une enceinte ; à l’intérieur
de cette enceinte un vaste glacis, l’« _Avant-pays cristallin_ »
et, entourée par ce glacis, une imposante citadelle, le « _Massif
cristallin_ ».

Ce glacis, l’_Avant-pays cristallin_, est composé soit de pays
d’ennoyage à « reg » (plaine de cailloutis) prédominant, soit
de pays de Schistes cristallins, particulièrement paeneplainisés,
usés, « rabotés » par l’érosion, dont la monotonie est rompue
plus ou moins fréquemment par des « monad-nock », des parties
plus résistantes qui ont subsisté en relief et dont la silhouette
aiguë et déchiquetée ou en tas conique de boules, étonne souvent
au milieu de ces étendues relativement aplanies.

Citons dans cette zone : les pays de l’oued Tedjert et de
l’oued Taheret (au pied des monts Ahellakan), de l’Amadror,
d’Abada-Heg’erin, d’Admer, de Raris et de l’oued
Taremert-n-Akh, d’Ag’erar, d’Afedafeda, une partie (la partie
Est) du Tanezrouft-n-Ahnet, enfin les tanezroufts qui séparent les
Tassilis-n-Ahaggar du massif de l’Ahaggar[47].

Ces pays sont très évolués au point de vue morphologique.

La zone montagneuse, le _Massif cristallin_, constitue l’ossature
décharnée du Pays cristallin qui se dégage de ces contrées plus
ou moins aplanies, comme la carcasse blanchie d’un chameau en
décomposition sur le « reg ».

Il semble que l’œuvre des volcans n’ait pas été étrangère au
rajeunissement et à la conservation d’une partie de ces reliefs
centraux.

Elle comprend principalement :

Au Nord : une sorte d’arête, le Tifedest, de direction
sub-méridienne ;

Au Sud : cette arête, après un ensellement, s’empâte en une
vaste masse montagneuse semblant présenter dans la répartition de
ses parties culminantes une grossière direction Est-Ouest, vaste
système montagneux dont le massif le plus important, le plus élevé,
est appelé par les Touareg Atakor-n-Ahaggar (pommeau de l’Ahaggar)
ou Tehount-n-Ahaggar (grosse pierre de l’Ahaggar)[48] ; et dans
lequel les Touareg distinguent en particulier l’Ahaggar-oua-hegerin
(haut Ahaggar) et l’Ahaggar-oua-gezzoulen (bas Ahaggar), l’Anahef,
le Serkout, l’Ajjer, etc.[49].

Le Massif cristallin fait contraste avec l’Avant-pays cristallin
par son caractère réellement montagneux.

Il est prématuré pour le moment de chercher à distinguer quels
rôles exacts ont pu jouer des affaissements[50] ou ont joué des
volcans dans l’individualisation du Massif cristallin ou encore,
la résistance relative des roches qu’on y rencontre.


Dans le Massif cristallin les oueds ahaggariens présentent des
caractères d’évolution variés : _certaines vallées paraissent
très évoluées et présentent sur leurs flancs des terrasses
d’alluvions ; d’autres semblent en pleine jeunesse et sont fort
accidentées_.

Le contraste est souvent saisissant.

Il est vrai que les vallées ayant des caractères morphologiques
très différents dans les pays de roches grenues, dans ceux de
Schistes cristallins et dans ceux d’épanchements volcaniques,
il semble souvent que l’on constate l’existence de stades
d’évolution différents, alors qu’en réalité il s’agit de
façons d’évoluer différentes en rapport avec la nature du sol,
dont le caractère de divergence est accentué à un point rare dans
ces pays.

Sans doute aussi l’activité de creusement des oueds sahariens
s’est réfugiée, localisée progressivement, dans leur cours tout
à fait supérieur pour aplanir les derniers reliefs importants
qui subsistent du massif central et parce que ces monts élevés
reçoivent encore pas mal d’eau ; et les oueds sahariens conservent
là une certaine jeunesse qui est en antithèse avec le reste de
leur cours.

Des affaissements ont pu jouer un rôle important dans le
rajeunissement inégal de certains oueds par des bouleversements
divers dans leurs profils en long ; ainsi s’expliquerait en même
temps la présence de certaines terrasses.

Des oscillations du niveau marin dans des golfes sahariens[51] (dont
nous avons montré la possibilité d’existence dans le passé, au
début de ce travail), en un temps où les oueds sahariens auraient
coulé d’un bout à l’autre de leur cours et auraient ainsi été
comparables, dans leur activité, à de vrais fleuves et rivières,
pourraient expliquer également la formation de certaines terrasses
qui seraient ainsi la conséquence de ces variations d’un lointain
niveau de base ?!

Les volcans ont contribué, semble-t-il, par leurs épanchements
à changer la physionomie de certaines vallées et par des coulées
formant barrages ou occupant le fond des vallées le profil en long de
certains oueds, qui ont été ainsi amenés à modifier complètement
leur activité sur des niveaux de base nouveaux s’échelonnant
d’amont en aval ; d’une part ces oueds se sont mis à alluvionner
sur certaines parties de leur cours, d’autre part ils ont repris
une action de creusement dans d’autres ; une nouvelle formule
d’activité particulièrement compliquée a présidé à leur vie ;
on trouve là également l’explication de certaines terrasses.

Peut-être pourrait-on envisager la possibilité d’un _passé
glaciaire_ pour l’interprétation des formes de certaines vallées ;
certains modelés offrent des caractères de similitude curieux avec
ceux dus à l’action des glaciers.

Dans le massif du Tellerteba (2.200 m. environ) des cirques peuvent
évoquer la présence passée dans ce massif de glaciers suspendus,
mais ils peuvent aussi représenter les restes d’immenses cratères
très anciens et d’un type particulier.

Des vallées des régions hautes présentent parfois des espèces de
seuils rocheux que l’on pourrait assimiler à des verrous glaciaires
(les oueds post-glaciaires auraient creusé ces verrous dans la suite
et la présence de certaines terrasses à l’amont pourrait ainsi
encore être expliquée) ; mais ces seuils avec contre-pente peuvent
être expliqués aussi par la seule dureté relative du rocher.

Des terrasses ont un tel développement dans certaines vallées
qu’on pourrait y voir des terrasses de fonte de glaciers.

Il existe des roches moutonnées, mais l’effet de l’insolation
sur les roches grenues les explique aussi.

Il semble pour le moment que l’on doive attribuer la création de
ces contrastes, de ces terrasses et de ces formes suspectes au travail
très particulier des oueds de ces régions, combiné à l’action
de l’insolation, la gelée, les crises de ruissellement, les
alternatives d’humidité et de sécheresse et le vent[52], sur un
pays cristallin ayant été travaillé par des érosions antérieures
de formules différentes de celles dont il est l’objet actuellement,
ayant subi peut-être des mouvements variés et ayant été
certainement le théâtre de manifestations volcaniques violentes.


Dans tous les cas, les oueds ahaggariens réduits en général pour
le moment à une vie torrentielle discontinue et intermittente,
semblent avoir passé par une période de vie plus active pendant
laquelle ils devaient couler en surface, constamment, et sur tout
leur cours ; le Sahara semble avoir passé ainsi par une phase humide.

Ceci nous ramène à la question de la mer saharienne discutée au
début de ce travail.


Il convient d’ailleurs dans les considérations morphologiques
de ne pas oublier que le Pays cristallin est émergé depuis des
temps très lointains, peut-être depuis les temps permiens et,
pour une part peut-être, depuis des temps plus anciens encore.

                               * * * * *


[Note 27 : Dans les formations de transition, avec les
Grès supérieurs, M. Buttler aurait observé un niveau de
conglomérats. (Communication orale.)

Cette découverte pourrait prendre de l’importance dans la suite ;
c’est pourquoi je tiens à la signaler.]

[Note 28 : Ou Egéré.]

[Note 29 : Ou Amgid — ou encore Emegêdé — de _émi_, débouché,
et _égêde_, massif de dunes.]

[Note 30 : Il serait plus exact d’écrire Emidir de _émi_, porte,
et _édir_, lointain bas.]

[Note 31 : Ou Immidir.]

[Note 32 : Il semble en particulier que les grès marqués « Di″ »
sur la carte Gautier du Mouydir Ahnet correspondent aux Grès
inférieurs des Tassilis.]

[Note 33 : C’est à la zone des Tassilis externes qu’appartient le
plateau du Tindesset, célèbre parce que c’est dans les schistes
qui affleurent au pied et le long de ses escarpements Sud que la
mission Foureau-Lamy a découvert les premiers Graptolithes qu’on a
signalés dans le Sahara. Ils furent étudiés par Munier-Chalmas. Des
Graptolithes furent ensuite signalés près de Hassi-el-Khenig (Capne
Cottenest et à Aïn Cheikle (Capne de Saint-Martin). C’est à
nous qu’il appartint de retrouver ces formations à Graptolithes
au Sahara, d’en préciser les conditions de gisement et d’en
esquisser la répartition générale.]

[Note 34 : Au cas où les grès du Dévonien inférieur se
révèleraient en discordance avec les Grès supérieurs, ou
séparés par une lacune de ces grès, s’ils se révèlent de plus
en concordance avec du Mésodévonien lui-même en concordance avec le
Dévonien supérieur, on devra les rattacher aux Pays pré-tassiliens
et non les conserver dans les éléments constitutifs de l’Enceinte
tassilienne ; dans tout autre cas, pour des raisons morphologiques,
je crois qu’il conviendra de les considérer comme faisant partie
des formations de l’Enceinte tassilienne.]

[Note 35 : On peut se demander si les plissements alpins n’ont pas
eu pour contre-coup de provoquer un bombement d’ensemble du Massif
Central Saharien ; ils ne se traduiraient ainsi pas par des rides,
eux, mais par ce vaste bombement et son orientation générale.]

[Note 36 : En particulier de l’insolation qui, sur des éléments
de couleur et de nature différente, provoque un échauffement
différent, une dilatation différente, ce qui conduit fatalement
à la désagrégation de la roche.]

[Note 37 : L’étude des échantillons des Schistes cristallins
que nous avons rencontrés fera peut-être l’objet d’un travail
ultérieur.]

[Note 38 : Il est peut-être bon également de signaler que nous
n’avons aucune certitude que ces quartzites et leur cortège
supérieur cristallin n’appartiennent pas à la couverture
primaire dont ils représenteraient des parties métamorphisées
à la suite des plissements hercyniens (ou calédoniens ?) qui ont
agité l’Enceinte tassilienne voisine et dont nous ignorons encore
la forme et l’ampleur dans ces régions. Dans cette éventualité,
pour qu’il n’y ait pas de confusion, nous devons préciser que
dans toute cette étude du Pays cristallin, quand nous parlons des
Schistes cristallins, nous entendons par là surtout ceux qui sont
antérieurs aux formations de l’Enceinte tassilienne, les seuls
certains à ce jour.]

[Note 39 : Le parallèle pourrait être poussé assez loin en
particulier avec le Bouclier canadien et le « Bouclier baltique ».]

[Note 40 : J’ai constaté la présence de roches écrasées,
de granits écrasés en particulier.]

[Note 41 : L’étude des échantillons de ces roches grenues fera
peut-être l’objet d’un travail ultérieur.]

[Note 42 : Une étude des échantillons des roches d’injection
filoniennes fera peut-être également l’objet d’une étude
ultérieure.]

[Note 43 : Dans tout cet exposé sur les volcans de l’Ahaggar,
nous avons dû nous abstenir de donner des déterminations de roches
volcaniques, par prudence, étant donnée l’absence momentanée de
nos échantillons. Ces déterminations feront peut-être l’objet
d’un travail ultérieur.]

[Note 44 : La fouille méthodique de ces grottes serait très
intéressante au point de vue de la préhistoire.

Il y eut là un centre de vie préhistorique particulièrement
important, semble-t-il, à une époque relativement humide (comme
il ressort d’une coquille de mollusque terrestre que m’a fourni
un rapide tamisage).]

[Note 45 : Ou avec la surrection du Massif cristallin par rapport
à l’Avant-pays cristallin.]

[Note 46 : J’ai fait abstraction dans cette étude du Pays
cristallin de l’Adrar-n-Ahnet qui n’en fait peut-être pas partie,
et de l’Adrar-n-Ajjer, qui est dans le même cas.]

[Note 47 : Dans cette zone nous devons signaler la présence de
travertins, en relation avec l’oued Tedjert, et près de Tisemt,
observée par M. Buttler (communication orale).]

[Note 48 : Ou encore Takerkort-n-Ahaggar (le crâne de l’Ahaggar).]

[Note 49 : Je ne m’attarde pas sur ces divisions morphologiques,
M. Jacques Bourcart en ayant fait une remarquable étude dans le
bulletin de l’Afrique Française.]

[Note 50 : Ou la surrection du Massif cristallin par rapport à
l’Avant-pays cristallin.]

[Note 51 : Ou si l’on préfère, de vastes mouvements orogéniques
faisant osciller en ampleur les pénétrations marines dans le
Sahara.]

[Note 52 : Il convient de ne pas oublier non plus la neige ; elle
tombe encore parfois sur le Tahat. La neige a pu être plus abondante
et plus fréquente à certaines époques du passé.]



                  DU PROJET DE TRANSSAHARIEN SOULEYRE
                               * * * * *
              APTITUDE DU SOL A RECEVOIR UNE VOIE FERRÉE
                         ET RESSOURCES EN EAU
                  DANS LE MASSIF CENTRAL SAHARIEN[53]
                               * * * * *

                                  =I=

 =Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée de la Hamada de Tinghert
        aux Tassilis et dans les régions d’Amguid et de Raris.=


              a) _De la Hamada de Tinghert aux Tassilis._

A condition de passer à une vingtaine de kilomètres à l’Ouest
de Fort Flatters, à cause des sables, on pourra, de la Hamada de
Tinghert aux Tassilis, faire passer la voie ferrée constamment
sur un beau sol de « reg » (cailloutis) dont j’ai constaté
l’immensité du haut de la pointe Nord du Djebel Tanelak (ou
Adrar-n-Taserest) ; (ce reg est l’œuvre des oueds Ir’err’er
et In-Dekak, dont j’ai aperçu les cours et le confluent du point
précédent).

Eviter dans le tracé de passer dans le lit supposé de
l’Ir’err’er et de l’In-Dekak : c’est la seule précaution
à prendre dans cette région qui est exceptionnellement propice à
l’établissement d’une voie ferrée.

                   b) _Région d’Amguid et de Raris._

Je ne connais pas le passage de l’Ir’err’er d’In-K’ebir
(sur la carte In-Salah 1/1.000.000) à l’erg d’Amguid.

En effet, après avoir traversé le Tiniri-n-Taserest, j’ai gagné
Tanout-Mellel (ou Tamellelt) dans l’oued In-Dekak.

Par contre j’ai séjourné un mois à Amguid et cette région
m’est familière.

Sur le bord Est de la vallée de l’Ir’err’er on trouvera des
terrasses d’alluvions très propices à l’établissement de
la voie.

De nombreux mechbed très anciens montrent d’ailleurs le chemin
à la voie ferrée.

Ensuite, après Titahouin-Tahart, la voie aura à éviter quelques
sables puis pourra, en Pays cristallin, gagner Tesnou dans de
très bonnes conditions par le vaste et plat pays de Raris à reg
prédominant et les pays analogues et aussi propices de l’oued
Taremert-n-Akh.

Dans ce pays de Raris et de l’oued Taremert-n-Akh la nature et
la forme du sol (pays cristallin paeneplainisé) me paraissent ne
donner _aucun sujet d’inquiétude_, ni soulever aucune difficulté
à signaler.


                                 =II=

                         =Ressources en eau.=


Sur le parcours dont je viens d’étudier la viabilité, je conçois
l’établissement d’une Centrale d’eau au voisinage d’Amguid.


                      _Centrale d’eau d’Amguid._

a) EAUX DE SOURCE. — Dans la région d’Amguid, les sources
actuellement existantes que je connais pour y avoir abreuvé mes
chameaux, sont :


1º _La source de Titahouin-Tahart_ (T) ou Aïne-Kerma (A) ou Source
du Figuier (F).

Cette source, située à la base de la falaise de Grès
inférieurs des Tassilis qui forme le flanc Est de la vallée de
l’Ir’err’er au voisinage des Conglomérats de base et de la
Discordance tassilienne, ne tarit jamais (d’après les Touareg),
son eau est toujours pure, claire, renouvelée et n’a rien d’une
eau stagnante ; son abord est difficile, en raison des joncs et
figuiers (de là son nom) qui en défendent l’accès et c’est
une des raisons pour lesquelles, quoique l’eau y soit excellente,
on y abreuve moins souvent ses chameaux qu’à Tin-Eselmaken, car
les animaux sont effrayés par les joncs, refusent d’approcher
jusqu’à l’eau et pour les désaltérer on doit apporter un
abreuvoir et se fatiguer à le remplir d’eau par un va-et-vient
de « dalou », ce que l’on évite en allant à Tin-Eselmaken qui
se présente mieux à ce point de vue très spécial.

La Source du Figuier a permis autrefois de cultiver un jardin dont
il existe encore les ruines. Quelques palmiers subsistent également,
dont deux au moins sont en très bonne santé.

Je crois qu’en améliorant les conditions de captage, on pourra
tirer de cette source une quantité d’eau appréciable.

La position de la Source du Figuier, assez au-dessus du lit de
l’Ir’err’er, au pied de la falaise des Grès inférieurs des
Tassilis, permettra d’amener son eau par gravité en conduite
jusqu’à la Centrale d’eau d’Amguid ;


2º _Tin-Eselmaken._ — Par une profonde entaille dans la falaise
qui forme le flanc Est de la vallée de l’Ir’err’er débouche
la profonde gorge de Tin-Eselmaken, encaissée jusque-là dans les
plateaux de Grès inférieurs des Tassilis internes.

_Les observations que j’ai pu faire sur la mare de Tin-Eselmaken
sont les suivantes :_

_a)_ Le fond n’est pas rocheux ; par suite l’on ne saurait
assimiler cette mare à un aguelmam typique, tel Afelanfela, près de
Tiounkenin (dans l’Emmidir), tels Ens-Iguelmamen (dans l’Oudan,
gara Ti-Djanoun), tel In-Ebeggi (dans le massif de l’Assgaffi,
etc., etc.) ;

_b)_ L’eau à l’amont de cette mare est toujours pure alors
qu’il n’en est pas de même à la partie aval.

Après un mois de séjour à Amguid, en même temps que des tribus de
Touareg (Eaohen-n-ada et Kel-Amguid), qui possédaient un important
cheptel de chameaux et surtout de chèvres, j’eus l’occasion de
constater que en même temps que l’élargissement terminal aval de
la mare avait considérablement diminué d’importance (en effet,
alors qu’à mon arrivée c’était un plaisir d’y nager, à
mon départ une grande partie était à sec et ce qui subsistait
de cet élargissement terminal ne permettait pas des ébats de cet
ordre), ce qui y restait d’eau était devenu une eau imbuvable,
épouvantablement chargée d’urine de chèvre et de chameau,
à tel point que, seul l’élargissement terminal de la mare se
prêtant à l’abreuvage des bêtes (pour des raisons d’accès)
et l’eau en étant refusée même par les chameaux, les Touareg
avaient dû renoncer à abreuver leurs troupeaux à Tin-Eselmaken
et recourir à la Source du Figuier, malgré le caractère fatigant
qu’y ont les opérations d’abreuvage ;

_c)_ De nombreux poissons (_Barbus biscarensis_) animent les eaux
de Tin-Eselmaken ; certains atteignent une taille de 20 et même
30 centimètres.

A mon arrivée dans la région d’Amguid ces poissons mettaient
de la vie dans toute la mare ; dans la suite ils se réfugièrent
en amont, là où l’eau était restée pure, ainsi que gyrinides,
dysticides et autres bêtes de ces eaux[54] ;

_d)_ De nombreux lauriers-roses (Defla) couvrent les berges de la
mare de Tin-Eselmaken ; on compte trois palmiers.

_De ces observations il résulte qu’on peut considérer la mare
de Tin-Eselmaken comme permanente et constamment alimentée en amont._

Cette eau semble avoir pour origine la venue en surface de l’eau
absorbée en amont lors des pluies par les alluvions de l’oued
Tin-Eselmaken et qui jusque-là avait cheminé en profondeur dans
ces alluvions.

On ne peut affirmer que cette source de Tin-Eselmaken n’est pas
également en relation avec le contact à proximité en profondeur des
Grès inférieurs avec les Schistes cristallins par les Conglomérats
de base.

Les Grès inférieurs semblent en effet susceptibles d’être
l’objet d’un réseau intérieur de circulation d’eau.

Au-dessus de Tin-Eselmaken on peut voir en effet, dans la falaise,
et sur le flanc gauche, une ouverture à mi-hauteur d’où, lors
des pluies, et pendant quelques jours après, l’eau sortirait en
cascade (renseignements touareg).

Entre Tin-Eselmaken et la Source du Figuier, à mi-chemin à
peu près, on peut également observer dans la falaise de Grès
inférieurs et, assez au-dessus du contact par les Conglomérats
de base avec les Schistes cristallins, une sorte de replat herbeux
formant tache verte. Les Touareg me dirent qu’il y avait là une
source appelée Tin-Tarabin par certains, alors tarie, mais qui
coulait parfois après les pluies ; j’ai grimpé jusqu’en ce
lieu escarpé et j’ai constaté la présence, au replat herbeux,
d’un puisard (sans doute pour puiser l’eau absorbée par les
terres du replat), ce qui confirme bien les dires des Touareg de
l’existence d’un point d’eau à cet endroit ; un mechbed dans
les éboulis et de nombreux tombeaux anté-islamiques (?) montrent
que ce point d’eau fut même assez fréquenté et assez important.

Il n’y a donc pas de doute, les Grès inférieurs peuvent abriter
dans leur sein une assez importante circulation d’eau.

Il n’en est pas de même en général dans les mêmes proportions
_et de la même manière tout au moins_ des roches granitoïdes et
des Schistes cristallins.

On comprend dès lors que le contact de ces deux roches puisse
provoquer le rassemblement ou la liaison des eaux selon la ligne
de contact, le gorgement par elles des fentes et divers chemins
possibles de circulation d’eau au bas des Grès inférieurs et
provoquer, par suite, des sources au voisinage du contact.

Lorsqu’il y a des fissures dans les Schistes cristallins ou
des filons, les eaux peuvent descendre en dessous du contact,
suivre les fissures ou cheminer entre la roche filonienne et la
roche encaissante ; ainsi s’expliquent des sources en dessous
de ce contact, dans le Cristallin, comme In-Ebeggi (des Tassilis)
et d’autres situées le long de l’escarpement du bord interne
des Tassilis internes. Ces sources sont rarement très en dessous du
contact et il apparaît clairement que leurs conditions d’existence
sont liées à l’existence voisine de ce contact.

On comprend donc que de même que pour la Source du Figuier,
l’on puisse croire, pour la source de Tin-Eselmaken, qu’il y
ait peut-être, outre les relations avec la nappe phréatique de
l’oued Tin-Eselmaken, quelques relations entre son existence et
le voisinage du contact des Grès inférieurs par les Conglomérats
de base avec les Schistes cristallins.

Cette discussion théorique n’est pas déplacée ici, la
détermination d’un mode habituel de gisement d’eau dans ces
régions pouvant aider dans des recherches ultérieures.

Quel est le débit que l’on peut espérer de la source de
Tin-Eselmaken ?

J’ai séjourné à Amguid en pleine chaleur ; l’évaporation
était donc très intense ; la surface offerte par la mare d’Amguid
est assez considérable ; le nombre de bêtes abreuvées par
jour était d’environ 300 chèvres et 30 chameaux en moyenne ;
la venue d’eau n’équilibrait pas cette perte d’eau puisque
l’élargissement terminal fut en partie asséché en un mois.

_Je crois néanmoins que, dans de bonnes conditions de captage,
on peut espérer tirer de Tin-Eselmaken un litre à la seconde._

L’eau de Tin-Eselmaken pourra être amenée par gravité jusqu’à
la Centrale d’eau ;


3º _Source de Tihoubar_ (ou _Aïne-Bou-Mesis_). — Si l’on
remonte l’oued Arami (ou oued Tounourt), cet oued qui débouche
dans la vallée de l’Ir’err’er à quelques kilomètres au Nord
de Tin-Eselmaken et du lieu-dit d’Amguid, on parvient après une
quinzaine de kilomètres à un point d’eau très important appelé
Tihoubar ou Aïne-Bou-Mesis[55].

Là, j’ai constaté la présence d’une source assez abondante
d’eau excellente ; plusieurs palmiers, des ruines de jardins
importants, de nombreux lauriers-roses, des roseaux, attestent de
la richesse relative en eau de ces lieux.

La culture fut abandonnée récemment (il y a trois ou quatre ans),
paraît-il, par suite de l’insécurité du pays.

Il semble qu’il y eut deux sources, mais une seule a subsisté,
l’autre n’ayant pas été entretenue sans doute.

Cette source de Tihoubar est permanente (d’après les Touareg,
entre autres Amaïs qui la connaît très bien, Aïne-Bou-Mesis étant
dans son terrain de parcours un endroit de pâturage affectionné ;
c’est Amaïs également qui récolte les quelques dattes que
donnent les palmiers d’Aïne-Bou-Mesis).

Je crois qu’en améliorant le captage, en particulier en creusant
plusieurs drains, on pourrait tirer du vallon d’Aïne-Bou-Mesis
plus d’un litre à la seconde.

On pourrait amener par gravité cette eau jusqu’à la Centrale
d’eau.

Telles sont les trois sources que l’on trouve dans le voisinage
d’Amguid et qui pourraient alimenter la Centrale-Eau d’Amguid ;


_b)_ EAUX DE PUITS. — Mais là ne se bornent pas les ressources
en eau dont pourra disposer cette Centrale-Eau ; si elles ne
se montraient pas suffisantes, ou leur débit en dessous de mes
prévisions, on pourra avoir plus d’eau par des puits :


1º _Puits de Tounourt._ — A l’endroit où l’oued Arami
débouche dans la dépression de Tounourt (à quelques kilomètres
d’Amguid) se trouve un puits peu profond (2 ou 3 m.) très abondant,
appelé Tin-Tedjert, d’eau excellente[56] ; ce point fournira un
apport sérieux. On pourra y mettre trois ou quatre puits.

D’autre part, des indices certains (présence de Tourha (T) ou
Kerenka (A)[57] donnent le droit de compter dans la dépression de
Tounourt, au parfait succès de puits de quelques mètres (4 à
6 m.) de profondeur ; les Tourha pourront servir d’indicateurs
d’emplacements de puits.

Enfin, des puits seraient particulièrement bien placés juste avant
(en amont) et dans le défilé par lequel l’oued Arami sort de la
dépression de Tounourt et traverse la masse fortement relevée des
Grès inférieurs pour se jeter dans l’oued Ir’err’er.

La dépression de Tounourt permet donc l’établissement d’un
précieux champ de puits de faible profondeur (4 à 6 m.) bien
alimentés, semble-t-il, particulièrement à l’entrée et vers la
sortie de l’oued Arami (ou oued Tounourt) et à quelques kilomètres
de la Centrale d’eau.


2º _Puits de l’Ir’err’er._ — Enfin on pourra creuser un
puits dans les alluvions de l’oued Ir’err’er.

Ce puits serait bien placé à la hauteur du défilé de l’oued
Arami (d’ailleurs, sur la carte au 1/800.000, il est marqué un
puits en cet endroit : les Touareg en ont été très étonnés et
m’ont dit n’avoir aucun souvenir qu’il y ait eu jamais un puits
là, je n’ai donc pu avoir aucun renseignement sur la profondeur
de ce puits) ; l’emplacement indiqué sur la carte serait excellent.

Ce puits sera vraisemblablement très bien alimenté : n’est-ce pas
dans cette région d’Amguid que se réunissent probablement dans
les alluvions, en profondeur, toutes les eaux du bassin supérieur
si vaste de l’Ir’err’er ?

Je ne peux donner aucune indication sur la profondeur à laquelle
on trouvera le roc et jusqu’à laquelle on devrait creuser le
puits pour traverser toutes les nappes aquifères de ces alluvions
et avoir le rendement maximum en eau.

On a déclaré qu’il y avait là, en profondeur, des eaux
artésiennes ; je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible,
des niveaux argileux pouvant emprisonner des eaux en charge (la
charge venant de l’amont).


_c)_ CONCLUSION. — _On voit que les ressources en eaux dont pourrait
être dotée la Centrale-Eau d’Amguid sont très satisfaisantes
pour le pays (et pourtant je n’ai envisagé que les eaux très
proches d’Amguid et n’ai parlé ni des barrages-citernes, que
l’on pourrait établir, ni des eaux que l’on pourrait rechercher
par sondage en roche)._

Cependant je tiens à attirer l’attention sur ce que le pays
d’Amguid n’ayant jamais été l’objet d’une succion d’eau
aussi intense que celle qui serait faite au cas où on réaliserait
ce projet, on peut craindre à la suite de périodes sèches trop
longues le tarissement de certaines sources et de certains puits,
mais je ne crois pas de la totalité.

_L’emplacement de cette Centrale-Eau qui serait le plus favorable,
serait le point de la voie qui nécessiterait la moindre longueur
de connexions avec les différents points d’eau._

_Je crois qu’elle serait bien placée à côté du puits de
l’Ir’err’er._

                               * * * * *


[Note 53 : Extrait d’un rapport fait pour M. Fock par l’auteur
de ce travail.]

[Note 54 : L’absence de _Branchipus_ à Tin-Eselmaken semble
indiquer que les eaux de Tin-Eselmaken ne sont pas stagnantes.]

[Note 55 : Il n’est pas marqué sur la carte au 1/1.000.000.]

[Note 56 : Lorsque j’ai passé à Tounourt ce puits était comblé,
l’oued Arami étant « venu » récemment. J’ai fait boire mes
chameaux à un « abankor » voisin qui traduisait l’état encore
très gorgé d’eaux des alluvions de l’oued Arami, par suite de
cette dernière venue.]

[Note 57 : _Calotropis procera_.]



                                  II

                           ÉTUDES BOTANIQUES
                               * * * * *

                DE LA FLORE DU MASSIF CENTRAL SAHARIEN
                                  OU
                      DE LA FLORE DU PAYS TARGUI

                         (Caractères généraux)
                               * * * * *

Nous avons vu précédemment que la flore des pays
crétacico-tertiaires sud-constantinois, du Sahara arabe,
flore de pays de vastes sables et d’immensités calcaires en
général à faibles reliefs tabulaires, de pays géologiquement et
morphologiquement plutôt monotones constituait une végétation dont
la note dominante caractéristique était donnée par l’abondance
des Salsolacées et était elle-même une flore monotone et peu
variée.

La flore du Massif Central Saharien[58] au contraire est variée,
diverse, et les Salsolacées n’en sont plus la note essentielle.

Elle est plus variée, en effet, d’aspect général déjà et pour
l’œil d’un observateur non spécialement botanique car alors
qu’en Sahara arabe la végétation se borne d’ordinaire à des
buissons et à des touffes, ici, dans le Massif Central Saharien
les arbres sont bien représentés et souvent fort beaux dans les
lits d’oueds.

Ceci est un des caractères du pays des touareg, qui a frappé tous
les explorateurs qui l’ont visité ; il a même prêté à des
exagérations issues du contraste que l’on voulait marquer entre le
Sahara que l’on venait de traverser et le pays où l’on arrivait.

Ce caractère tient à ce qu’en pays targui les oueds encaissés et
humides sont nombreux, alors que dans les pays crétacico-tertiaires
sud-constantinois c’est une rareté, limitée en général dans les
régions que nous avons parcourues au Tademaït et au Tinghert (dont
nous avons noté précédemment les quelques arbustes et arbres).

                                   *
                                  * *

                DES ARBRES ET ARBUSTES DU PAYS TARGUI.

L’étude de ces arbres va à elle seule nous montrer le caractère
varié de la flore ahaggarienne en même temps que le changement qui
se produit dans la végétation quand l’on passe du Sahara arabe
en pays targui.

1º Le _Tourha_ (T) ou _Kerenka_ (A) ou _Calotropis procera_ Ait.[59].

C’est là un arbre qui frappe dès que l’on arrive en pays targui
par ses feuilles d’un vert franc et grandes.

Je ne l’ai pas trouvé dans le Sahara arabe.

Je l’ai observé dès Tanout-Mellel (où un bel exemplaire est
situé à quelques mètres du puits), dans le Tahihout, l’oued
Tounourt, l’oued Khanget-el-Hadid et l’oued Tilia, etc.

On voit que sa limite Nord correspond à peu près à celle du pays
targui, du Massif Central Saharien, vers le Nord.

Il est très répandu dans l’Ahaggar où on en voit de très beaux
exemplaires qui atteignent une taille de 5 ou 6 mètres. Citons ceux
de l’oued Iskaouen (dans les Tassilis internes), en particulier à
Inémiragen, ceux du cirque intérieur du Tellerteba, ceux des ravins
du massif du Tala-Malet qui débouchent dans l’oued Inouaouen, etc.

C’est un arbre qui ne croît que dans les lieux très humides ;
il est un indice sûr qu’en creusant on trouvera de l’eau au
maximum à 4 mètres de profondeur.

Il est très répandu au Soudan.

Voilà déjà une des caractéristiques de la flore targuia :
on y trouve de nombreuses plantes actuellement, principalement
répandues au Soudan et inconnues dans les pays crétacico-tertiaires
sud-constantinois ;

2º Le _Telôkat_ (T) ou _Ficus eucalyptoïdes_, Batt. et Trab. Voilà
un arbre spécial à l’Ahaggar et il est fort beau. Lui aussi
a des feuilles, de vraies feuilles, qui ressemblent à celles de
l’Eucalyptus ; c’est une chose qu’on n’est pas accoutumé
à voir en Sahara arabe où les quelques arbres que l’on trouve
(je fais abstraction du _Populus Euphratica_, qui est localisé dans
l’oued Mya), les Tamaricinées n’ont rien de comparable comme
appareil foliaire.

J’en ai vu deux superbes exemplaires, l’un dans le massif du
Briri, au-dessus de la source appelée Naher, et l’autre dans
l’Oudan, au bas de la célèbre gara Ti-Djanoun, à quelques mètres
de l’aguelmam de l’oued Ens-Iguelmamen, où il est associé au
_Nerium Oléander_ ; enfin, j’en ai vu de nombreux exemplaires
de petite taille, un vrai peuplement, sur le flanc Ouest du Briri,
en aval de Naher.

D’après les Touareg, cet arbre est répandu dans les vallées
profondes et humides du Tifedest-Ta-Settefet.

Jusqu’à maintenant il n’était connu que par la description
de Battandier et Trabut, d’après les rameaux et fructifications
transmis par le général Laperrine à ces savants botanistes ;
il était indiqué des Tassilis de l’Ajjer.

D’après mes observations, il est donc répandu également dans
le Pays cristallin, dans le Tifedest ;

3º Le _Telôkat_ (T) ou _Ficus Telôkat_ Bat. et Trabut.

Je n’ai pas rencontré cet arbuste voisin du précédent ; il est
cité du Tassili de l’Ajjer ; il est probable qu’il se trouve
également dans le Pays cristallin, dans le Tifedest en particulier.

Ces deux _Ficus_ ne sont connus que du Massif Central Saharien :
leur existence souligne l’individualité de cette flore ;
ils appartiennent à une section de _Ficus_ dont ils sont les
représentants les plus septentrionaux : ils accusent donc également
des affinités soudanaises beaucoup plus que septentrionales dans
les caractères essentiels de la flore persistante du Massif Central
Saharien ; c’est ce que l’on constate en général aux altitudes
point trop élevées ;

4º Le _Tamat_ ; c’est un _Acacia_ voisin du _Teleh_, que nous avons
cité comme apparaissant dans le Tademaït et la Hamada de Tinghert
(et venant du Sud).

Il s’en distingue par ses fleurs en boules jaune d’or (alors que
celles du _Teleh_ sont de couleur blanchâtre) très parfumées,
par ses fruits non en tire-bouchon comme ceux du _Teleh_, par son
allure particulière et son habitat (en général il est plus exigeant
d’humidité que le _Teleh_).

Chudeau le qualifie d’_Acacia arabica_ Willd. ou _A. Adansonii_
Guill. et Perr., mais il lui donne une répartition très
méridionale.

Dans les comptes rendus de la mission Foureau-Lamy il est qualifié
d’_Acacia Trentiniani_ A. Chev. Mais il est indiqué comme sans
feuilles ni fleurs de février à octobre, et j’ai vu des _Tamats_
en feuilles en mai.

Le Dr Bonnet le considère comme étant l’_Acacia Seyal_ Delc.

Il semble que sa limite Nord soit celle du Massif Central Saharien,
qu’il ne pénètre pas dans les pays crétacico-tertiaires
sud-constantinois.

Je l’ai trouvé en particulier représenté par un beau peuplement
à Titahouine Tahart (près d’Amguid) et à Tihobar (appelé
Aïne-bou-Mesis par les Arabes), près de l’oued Arami (également
dans la région d’Amguid). C’est encore un arbre plus ou moins
soudanais, qui apparaît en venant du Nord, dès qu’on pénètre
dans le pays targui. Sa taille n’atteint généralement pas celle
du _Teleh_ et il est presque toujours en forme de parasol ;

5º L’_Ahtès_ (T), peut-être ? l’_Acacia albida_ Del.

C’est un arbre généralement de grande taille mais plutôt
rare. Je ne l’ai rencontré qu’en trois endroits : à Tihoubar,
ou Aïne-bou-Mesis (à l’est d’Amguid), dans l’oued In-Ebeggi
(près de l’oued In-Sakan) et dans l’oued Terrinet (près
d’Idelès) (là associé à une plante grimpante, une sorte de
liane accrochée aux basaltes) ; ces trois endroits étaient très
humides, il semble donc qu’il exige beaucoup d’humidité.

Ces localités suffisent pour montrer qu’il est répandu dans tous
le pays targui et remonte au Nord jusqu’à ses confins.

Il est cité comme du Damergou par Fouraut ; encore une limite à
remonter vers le Nord, jusqu’aux confins septentrionaux du Massif
Central Saharien.

Décidément, là vraiment, quand on vient du Nord, il y a un brusque
changement, de nombreuses apparitions simultanées d’espèces
nouvelles, là vraiment apparaît une flore nouvelle : la flore
targuia ;

6º Le _Teleh_ (A) ou _Abser_ (T) ou _Acacia tortilis_ Hayne.

C’est un des arbres les plus répandus du pays targui et
nous avons vu qu’il remontait au Nord jusque dans les pays
crétacico-tertiaires (Tademaït et Tinghert). Il arrive à une fort
belle taille (7 à 8 m.) et forme souvent de véritables bois.

Citons les beaux peuplements de _Teleh_ d’In-Delah (au débouché
de l’oued Iskaouen, sur le Tahihaout), de l’oued Iskaouen et des
oueds qu’il reçoit, de l’oued Tigamaïn-n-Tisita, de l’oued
Inouaouen (contre le massif du Tala-Malet), etc.

Les fruits du _Teleh_ servent à faire une nourriture reconstituante
pour les chameaux ; les fruits et les feuilles sont très appréciés
des chèvres (et des gazelles d’ailleurs) et bien souvent, pour
nourrir les chèvres, les Touareg incisent ses grosses branches à
leur naissance, de façon à ce qu’elles pendent et deviennent
accessibles aux chèvres.

On voit de beaux arbres ainsi complètement abîmés et l’on se
demanderait pourquoi, si l’on n’avait vécu avec les Touareg.

Ses épines servent d’aiguilles aux femmes touareg.

Je dois citer un _Teleh_ qui est sacré : c’est celui de Tihoubar ou
Aïne-el-Hadj-el-Bekri (dans l’Emmidir), situé près de la tombe
du marabout targui El Hadj-el-Bekri, un des fils de El Hadj-el-Foki
(le frère de Cheik Othman que Duveyrier a rendu célèbre), un des
frères de Sidi-Moussa.

Ce _Teleh_ doit au voisinage de cette tombe très respectée où
l’on va faire ses dévotions, d’être lui-même sacré : il est
défendu de l’abîmer pour que les pèlerins trouvent toujours
près de lui une ombre agréable avec la chaleur ; quand on passe
par là, il est d’usage de camper sous cet arbre.

Cette tombe est très respectée également parce que El Hadj-el-Bekri
fut le père d’un amenokal célèbre : El Hadj-Ahmed.

Le _Teleh_ est encore un arbre du Massif Central Saharien qui est
plus ou moins soudanais ;

7º L’_Atil_ (A) ou _Agar_ (T).

C’est le _Moerua rigida_ R. Br. et, d’après Chudeau, parfois
le _Cadaba farinosa_ Forsk.

Je l’ai trouvé dès l’oued Tassirt, dans les Tassilis externes
(qui se jette dans l’oued In-Dekak) ; il est assez répandu un
peu partout dans le Massif Central Saharien ; c’est un arbre sans
épines et à petites feuilles.

C’est également un arbre soudanais : nous constatons donc encore
qu’une espèce soudanaise remonte jusqu’aux confins septentrionaux
du pays targui, du Massif Central Saharien.

Son nom, en tamâhak, semble voisin du verbe _éger_ (lancer une
pierre contre quelque chose) ; c’est qu’en effet cet arbre
serait l’abri de mauvais génies et que les Touareg ont coutume,
pour les chasser, de lancer des pierres contre son tronc.

Cet arbre est souvent beau et atteint 5 ou 6 mètres ;

8º Le _Tabourak_ (T) ou _Balanites aegyptiaca_ Delile, et

9º L’_Irak_ ou _Salvadora persica_ L., que l’on trouve très
localisée (en particulier dans l’oued Tarat [Tassili-n-Ajjer]
et à Silet), sont encore des arbres qui apparaissent au Sud des
pays crétacico-tertiaires sud-constantinois, dans le Massif Central
Saharien.


A côté du groupe des arbres précédents, surtout soudanais,
que l’on rencontre jusqu’à environ 1.600 mètres d’altitude
dans une zone de végétation que nous sommes tenté d’appeler
« _première zone_ » de végétation du pays targui, un autre
groupe d’arbres, plutôt méditerranéens semble-t-il, monte à
des altitudes plus élevées que lui dans une zone de végétation
que nous serions tenté d’appeler pour cette raison la « _zone
méditerranéenne_ » de l’Ahaggar, de 1.600 à 2.000 mètres, qui
précède une troisième zone de 2.000 à 3.000 mètres dépourvue
d’arbres et arbustes généralement et que pour cela nous appelions
la « _zone dénudée_ »[60].

Il est constitué par :

1º Le _Laurier-rose_ ou _Defla_ (A), ou _Elel_ (T), ou _Nerium
Oleander_.

Nous l’avons rencontré dans l’oued Echchil, à 1.730 mètres
environ d’altitude, dans l’oued Abedassen, vers 1.800 mètres. Il
ne vit que dans les lieux très humides, où il forme parfois
de vrais bosquets, charmants quand ils sont en fleurs, ainsi à
Tin-Eselmaken (près d’Amguid), à Tihoubar (dans la même région),
à Ens-Iguelmamen (au bas de la gara Ti-Djenoun), dans l’oued Aorr
(près de l’oued Martoutic, dans le Tifedest), à In-Ebeggi (dans
le haut de l’oued In-Takoufi), dans l’oued Teroummout (en amont
de Tamanrasat), etc., etc. ; ils sont nombreux.

Mais ils sont la terreur de tout le monde et on évite soigneusement
de pâturer dans leur voisinage, car les chameaux sont assez bêtes
pour parfois en manger, sans s’en apercevoir, et en mourir.

Son bois est très apprécié des Touareg parce que droit et
souvent bifurqué au bout ; ils s’en servent en particulier comme
support pour accrocher les outres et les bâtons de laurier-rose font
partie de leur matériel de campement ; comme tels ils les emportent
généralement dans leurs déplacements. Des petites branches ils
font souvent des tuyaux de pipes.

2º L’_Aleo_ (T), ou _Olea Laperrini_ Batt. et Trabut.

C’est un arbre à port d’olivier ; je l’ai rencontré dans
l’Anahef (dans le cours supérieur de l’oued In-Sakan), à environ
1.400 mètres d’altitude, dans le cirque intérieur du Tellerteba,
vers 1.500 mètres, sur le flanc Nord et Nord-Ouest du massif du
Tahat, de 1.700 à 1.900 mètres (et même peut-être 2.000 m.),
où on en trouve souvent de grosses souches.

3º Le _Tafeltast_ (T).

C’est là un arbuste très particulier, dont la feuille est odorante
lorsqu’on l’écrase. Il n’a pas encore été déterminé.

Je l’ai rencontré sur les contreforts Nord-Ouest du Tahat,
associé à l’_Aleo_ et à un troisième arbuste dont je n’ai
alors pas même pu connaître le nom targui.

Dans le même vallon il y avait sur les arbustes une espèce de
liane non moins étonnante.

Ces contreforts Nord et Nord-Ouest du Tahat mériteraient une étude
botanique approfondie.

Nous avons retrouvé le _Tafeltast_ à In-Ebeggi, au sommet de
l’oued In-Takoufi (dans le Tifedest) à une altitude moindre.


Enfin, on rencontre encore dans le Massif Central Saharien :

1º Des _Tamaricinées_ :

_a)_ L’_Etel_[61] (A), ou _Tabarekkat_ (T), ou _Tamarix articulata_
Vahl.

[Illustration : PLANCHE XI.

Le Pays cristallin. Groupe d’_Etels_ dans l’oued Telouhet,
près d’Idelès (Ahaggar) et Schistes cristallins.]

C’est un arbre souvent très beau qui constitue parfois des
peuplements si magnifiques que l’on conçoit que les premiers
explorateurs de l’Ahaggar les aient qualifiés de forêts ; citons
ceux de l’oued Telouhat (près d’Idelès), des oueds Arrou et
Tessert (entre le Tahat et In-Amdjel, dans les contreforts Nord-Ouest
du massif de l’Ahaggar). Il est souvent associé au _Tarfa_, mais en
général forme de plus beaux ombrages ; il ne semble pas monter aussi
haut, je ne l’ai observé que jusqu’à 1.550 mètres environ.

Il aime les terrains salés où il est souvent associé au _Guetof_ ;

_b)_ Le _Tarfa_ (A), _Azaoua_ (T).

Il correspond au Sahara à plusieurs espèces de _Tamarix_, comme
j’ai eu l’occasion de le constater par les floraisons.

Le _Tamarix gallica_, ou _T. nilotica_ Ehr., à fleurs petites et
grappes grêles, paraît le plus courant dans l’Ahaggar, et c’est
lui qui paraît monter le plus haut : j’en ai observé de très
beaux peuplements jusqu’à 1.700 mètres environ d’altitude, sur
les contreforts Nord-Ouest de l’Atakor (dans l’oued Tiniferan
et l’oued Arrou, associé au _Jedari_ et au _Figuier_) ; citons
les beaux exemplaires d’Hirafok.

Ces _Tamarix_ sahariens mériteraient une étude précise. C’est un
groupe d’arbres plutôt méditerranéens et on voit que le _Tarfa_
monte en effet à l’assaut de l’Ahaggar jusque vers 1.700 mètres,
dans la zone de 1.600 à 2.000 mètres, que je suis tenté d’appeler
méditerranéenne ;

2º Le _Jedari_ (A), ou _Tahounek_ (T), ou _Rhus Oxyacanthoïdes_
Dum. Cours.

Encore un arbuste méditerranéen qui remonte dans le massif de
l’Ahaggar jusque vers 1.700 mètres : j’en ai observé de très
beaux exemplaires dans les oueds Arrou et Tiniferan (des contreforts
Nord-Ouest de l’Atakor) ; je l’ai observé également dans le
cirque intérieur du Tellerteba.

Le bois de _Jedari_ est recherché par les Touareg pour faire des
instruments de cuisine de préférence au bois de _Tamarix_ ;

3º Le _Figuier_ ou _Kerma_ (A), _Tahart_ (T), ou _Ficus carica_ L.

Il est peut-être spontané ?!.

J’ai constaté sa présence, vers 1.700 mètres, dans l’oued
Tiniferan, au pied Nord-Ouest du Tahat.

Nous voyons que cet arbre méditerranéen remonte également jusque
dans la deuxième zone de végétation.

Dans les « arrem » (centres de cultures) il est souvent accompagné
de la _Vigne_ (_Vitis vinifera_).

Le Figuier et la Vigne peuvent avoir été introduits dans l’Ahaggar
à la même date (ou peu après) que les cultures méditerranéennes
dans les oasis du Fezzan (par l’influence des Romains [?]) —
on sait que les Touareg ont eu des relations très étroites avec
le Fezzan dont certains groupes prétendent être originaires.


Après ces arbres traduisant encore des affinités méditerranéennes
il ne nous reste plus qu’à ne pas oublier dans les arbres et
arbustes de l’Ahaggar :

1º Le _Jujubier_ ou _Cédar_ (A), ou _Tabakat_ (T), dont les
espèces sont le _Zizyphus Saharae_ Batt. et Trab., assez répandu,
que l’on trouve en particulier à Amguid, et peut-être le _Zizyphus
Spina-Christi_ Wild., jujubier de grande taille qu’il m’a semblé
reconnaître dans l’oued Tessirt (dans les contreforts Nord-Ouest
de l’Atakor, entre l’oued Arrou et In-Amdjel).

Les Touareg se servent des feuilles de _Tabâkat_, hachées menues,
pour soigner les blessures ;

2º Une espèce spéciale au Massif Central Saharien, le _Myrtus
Nivelli_ Batt. et Trab., trouvé dans l’Ifetessen et qui
vraisemblablement existe également dans le Pays cristallin ;

3º Le _Cafrier_ ou _Capparis Spinosa_ L., que j’ai rencontré
à Tin-ed’ness, dans l’Edjéré ; c’est un arbuste plutôt
méditerranéen ;

4º Le _Palmier-dattier_ ou _Nakhla_ (A), ou _Tazzaït_ (T), ou
_Phœnix dactylifera_, que l’on rencontre près d’un certain
nombre de points d’eau et dans les « arrem » jusqu’à une assez
haute altitude (à Idelès par exemple il y a de nombreux palmiers
et c’est à environ 1.300 mètres).

                                   *
                                  * *

Le simple examen de ces arbres et arbustes montre bien _une grande
variété_ dans la flore persistante du Massif Central Saharien
(quand on la compare à celle du Sahara arabe).

Il accuse en outre d’abord de fortes affinités d’une part
méditerranéennes et d’autre part soudanaises, ensuite une
personnalité propre, _une province botanique distincte_ que marque
nettement l’existence d’espèces spéciales : les _Ficus
eucalyptoïdes_ et _Telokat_, l’_Olea Laperrini_, le _Myrtus
Nivellii_, et enfin peut-être le _Tafeltast_, un ou deux autres
arbustes et des lianes (?).

De cet aperçu également se dégage, dans la répartition en
altitude, l’existence de _trois zones de végétations_, une
_première zone_, jusqu’à 1.600 mètres environ, à arbres
ou arbustes soudanais, méditerranéens ou propres, une zone
plus élevée, de 1.600 à 2.000 mètres environ, à laquelle
ne parviennent que certains arbustes comprenant l’_Aleo_ en
particulier et le _Tafeltast_, à caractères originaux ou plutôt
méditerranéens que soudanais, comme d’ailleurs cela est logique
quand on ne considère que la température, que nous avons appellée
_zone méditerranéenne_, et une troisième zone de 2.000 à 3.000
mètres, dépourvue en général d’arbres ou arbustes, et que nous
avons appelée la _zone dénudée_[62].

On peut dire également ce que cette étude rapide des arbres
et arbustes touareg laisse apercevoir : _le paradoxe botanique
de l’Ahaggar_ : placé au milieu du Sahara sa _végétation
persistante_ réduite pourtant en général à peu près au fond des
oueds au dehors desquels on trouve le désert, _est de caractère
propre peu désertique_ quand on la compare à celle du Sahara arabe.

La présence de nombreux arbres à vraies feuilles, inconnus du
pays arabe, est à ce sujet très démonstrative, surtout quand ces
arbres ou arbustes, et c’est le cas des _Telôkat_, sont spéciaux
à l’Ahaggar.

Cette flore peu désertique doit être _une flore résiduelle_ :
sans doute ces arbres et arbustes dans une époque plus humide,
furent répandus d’une manière plus ou moins continue dans le
Massif Central Saharien ; maintenant l’_Aleo_, les _Telôkat_,
etc., sont isolés dans des stations plutôt rares et souvent très
éloignées les unes des autres, endroits plus particulièrement
humides où ils ont pu subsister, témoins très nets d’un âge
antérieur plus favorisé[63] (étant spéciaux au Massif Central
Saharien et à fruits lourds, on ne peut guère, à notre sens,
donner d’autres explications).


Quelle explication donner de cette survivance de toute une flore
persistante peu désertique, dans l’Ahaggar, quand en Sahara arabe
la flore persistante caractéristique des temps humides semble avoir
totalement disparu ou si une partie a survécu, semble s’être
fortement transformée, adaptée par mutations ? (Il n’y a qu’un
exemple de survivance sans grandes modifications en pays arabe :
celle du _Populus Euphratica_, dans l’oued Mya.)

On doit attribuer, semble-t-il, à des causes géologiques et
morphologiques la survivance de cette flore en pays targui ; à
l’existence dans le Massif Central Saharien de vallées soit à
roches encaissantes imperméables, soit très profondes, qui drainent
l’humidité comme par des gouttières, vallées souvent pourvues
de seuils, dans leurs profils en long, qui font cran pour retenir
l’eau dans leurs alluvions en amont, de telle sorte que l’eau
que reçoit la région, quoique peu considérable sans doute par
rapport à celle qui tombait jadis dans ces pays, est ramassée
dans les alluvions des lits de ces oueds qui sont ainsi gorgés
d’eau jusque souvent très près de la surface, particulièrement
en amont immédiat des « crans », des « seuils de retenue »,
y est totalisée, y dure longtemps, étant ainsi soustraite dans
une forte mesure à l’évaporation, et constitue ainsi quand même
un milieu suffisamment humide pour permettre la survivance de cette
flore en des endroits privilégiés.

(Parfois même, quand la gorge est profonde, l’eau forme de
petites mares permanentes alimentées par l’amont ; ces mares se
trouvent en particulier dans les coins des vallées très profondes,
placées de telle manière qu’elles soient la plupart du temps à
l’ombre, subissant ainsi une moindre évaporation et tirant tout
le parti possible de leur alimentation en eau par l’amont, qui
forcément n’est jamais très considérable, ni très continue ;
ces petites mares sont souvent dans des creux des seuils rocheux ou
au bas de ces seuils.)

Le résultat général est la diminution de la quantité des surfaces
suffisamment humides mais non la disparition complète de milieux
suffisamment humides.

Bref, c’est la localisation de plus en plus grande aux oueds
et même souvent seulement à des points privilégiés de leurs
cours d’une flore jadis répandue beaucoup plus largement, avant
peut-être un desséchement plus complet atteignant les oueds
même dans leurs vallées les plus profondes et leurs points les
mieux disposés pour la résistance et la disparition entière de
cette flore.

Par suite de la concentration de l’humidité précédemment
exposée il n’y a guère d’humidité diffuse s’étendant
continuellement en dehors du réseau des lits d’oueds, par suite
peu de végétation persistante en dehors de ce réseau (sauf dans
les rares ergs du Massif Central Saharien).

De là le paradoxe : des lits d’oueds souvent en permanence très
humides, avec végétation peu désertique conservée et en dehors le
désert (à moins de pluie récente, car alors il y a de l’_acheb_),
plus absolu souvent que le désert arabe, plus dépourvu encore de
plantes persistantes.

Au contraire, en Sahara arabe en général, par suite de l’abondance
des sables répandus sur d’immenses surfaces, soit d’ergs,
soit de vastes plaines ou terrasses de terrains alluviaux, par
suite du caractère généralement calcaire ou argilo-calcaire du
sous-sol et par suite des caractères morphologiques de ce bas-pays
à reliefs mous, dépourvus généralement d’oueds à lit fortement
individualisé, les eaux ne sont pas totalement centralisées dans
des lits d’oueds ; la plus grande partie reste diffuse longtemps
dans les sables dans lesquels elle chemine lentement par suite de la
perte de charge due au frottement ; une fois les sables traversés,
de ce qui n’est pas resté en humidité diffuse ou reprise par un
mouvement ascensionnel dû à la capillarité et à la succion vers
la surface et vers l’évaporation, une partie va alimenter des
nappes d’eaux artésiennes, en profondeur, est donc perdue pour
la végétation naturelle du pays ; une autre partie alimente sous
les sables ou dans les alluvions, des nappes d’eau trop profondes
pour qu’elles puissent servir à une végétation normale, car
il faut aller la chercher au moyen de puits profonds ; une partie
est absorbée par les diaclases des calcaires ; finalement ce qui se
ramasse dans les oueds, quand il en existe, à leur surface ou près
de leur surface, n’est qu’une faible part de ce qui tombe sur
leur région ; ce qui fait que la diminution des précipitations
atmosphériques s’est traduite en gros par une diminution de
l’humidité du sol partout, avec conservation générale d’une
certaine humidité diffuse partout, les oueds généralement larges
et mal délimités, quand il en existe, n’étant que légèrement
plus humides (en surface) et non surtout par un desséchement complet
de certaines régions de plus en plus étendues avec la conservation
corrélative de milieux également constamment très humides à
surface de plus en plus restreinte.

De là, en général, pour des causes géologiques et morphologiques
la survivance, sans mutations adaptatives, presque impossible en
Sahara arabe, à part des exceptions rares, d’espèces typiques
de la flore persistante peu désertique des temps humides ; de là
également, en général, la non-limitation plus ou moins stricte
de la flore persistante à un réseau de lits d’oueds et ainsi la
valeur en plantes persistantes des grandes plaines et des ergs.


Une des conséquences de ces considérations c’est qu’une
partie de la flore persistante du Sahara algérien, par suite de
la variation continue et progressive de l’humidité du sol, a pu
évoluer sur place lentement et que ses Salsolacées et autres plantes
caractéristiques sont peut-être dans leur pays d’évolution
et d’origine.

Ces considérations expliqueraient également le caractère monotone
et uniforme, _la pauvreté de cette flore persistante du Sahara
arabe_ :

1º N’y sont guère que les plantes de jadis qui ont pu s’adapter
et avec la même vitesse d’adaptation que celle du dessèchement,
c’est-à-dire les plantes de jadis suffisamment près du type
nécessaire ;

2º L’humidité étant à peu près également faible partout la
végétation est peu diverse ;

3º Les plantes persistantes des régions non désertiques ne peuvent
guère pénétrer et s’acclimater en des points de ces régions,
dans l’absence de réseau de pénétration de terres plus humides,
d’une humidité non désertique ;

4º Il n’est rien resté ou presque rien qui n’ait une forme
adaptée au désert, de la flore des temps humides antérieurs
(à part le _Populus Euphratica_).

_La flore persistante du Sahara algérien peut être considérée
comme homogène, autochtone et typique au point de vue désertique._


Il n’en est pas de même de la flore persistante du Massif Central
Saharien : comme nous l’avons vu elle est en comparaison _riche,
variée et peu désertique_.

_Elle est hétérogène_ : en effet, à côté des espèces qui
paraissent être le reliquat d’une flore de jadis existent des
espèces qui semblent d’origine diverse : les unes soudanaises et
d’autres méditerranéennes.

Est-elle hétérogène vraiment, c’est-à-dire d’origines
diverses ?

Il faudrait savoir si les espèces plutôt soudanaises ne sont pas
devenues surtout soudanaises parce qu’elles ont cessé d’être
surtout ahaggariennes, par suite par exemple du balancement du
« climat désertique », l’hypothèse chère à Chudeau.

Il est bien difficile également de savoir si les espèces dites
méditerranéennes sont venues de la Méditerranée.

On peut, dans l’hypothèse d’un golfe méditerranéen
sud-constantinois, très bien imaginer le développement d’espèces
méditerranéennes au Sud : elles auraient subsisté sur place après
le retrait vers le Nord.

Ce golfe méditerranéen, puis sa suppression, pourrait expliquer
par le même coup beaucoup de caractères de la flore persistante du
Sahara sud-constantinois, en particulier les Salsolacées, plantes
que l’on pourrait considérer comme maritimes à l’origine,
adaptées secondairement au Sahara[64].

C’est certainement l’_Olea Laperrini_ dont la présence est
la plus curieuse à constater ; c’est peut-être un résidu
dégénéré de vieilles cultures.

Quoi qu’il en soit, cette flore d’arbres et d’arbustes est en
tous les cas hétérogène d’aspect : beaucoup de plantes qu’on
y trouve se rencontrant surtout au Soudan actuellement et beaucoup
d’autres surtout dans la province méditerranéenne, certaines
enfin lui étant propres.


_La flore persistante du pays targui, ainsi que nous l’avons
indiqué plus haut, n’est pas largement répandue, diffuse : elle
est réduite, concentrée aux lits d’oueds en un réseau favorisé
(et peu désertique)._

Ce réseau est d’autant plus serré et riche que l’on est
sur les contreforts ou dans un massif montagneux plus important,
les précipitations atmosphériques y étant plus considérables,
le réseau hydrographique y étant plus dense et plus profondément
gravé et enfin par suite des seuils, des « crans de retenue »
dont nous avons déjà parlé, cette eau ne fuyant pas normalement,
rapidement vers l’aval, en dehors de la crise de venue de l’oued.

De là l’explication, en partie, de ce que la valeur au point de
vue humain des différentes régions du pays targui est souvent
en rapport direct avec leur caractère plus ou moins montagneux
(indépendamment de la question de l’_acheb_).

                                   *
                                  * *

_J’espère que ces conclusions seront de plus en plus renforcées
par les explorations à venir_ et que la province botanique du
Massif Central Saharien avec son individualité, sa richesse, sa
variété et sa forme typique de végétation, sera de plus en plus
couramment distinguée du reste du Sahara : Sahara arabe au Nord,
soudanais au Sud, etc.

Des études approfondies de la flore du pays targui ne feront,
je crois, que montrer de plus en plus l’individualité et le
caractère varié de cette flore.

Cette étude serait fertile en découvertes dans ce sens
particulièrement, à mon avis, dans l’Oudan, le Tifedest et les
contreforts Nord-Ouest de l’Atakor.

Dans les vallées de l’Oudan surtout ; la légende célèbre de la
Garet-el-Djenoun n’est peut-être pas très loin de la réalité :
s’il y a des vallées suspendues sur son vaste plateau terminal
encore vierge d’exploration, peut-être une flore étonnante s’y
est-elle concentrée.

En tous cas, des vallées profondément entaillées de ses
contreforts il y a beaucoup à espérer ; je n’ai vu que le bas
d’une de ces vallées, l’oued Ens Iguelmamen ; la végétation
en était exubérante pour le Sahara et j’ai vu là un très beau
_Telokat_. Que nous réservent les régions en amont ?

Quant aux contreforts Nord-Ouest de l’Atakor j’ai eu là,
dans l’oued Arrou, la volupté de cheminer pendant plusieurs
heures auprès d’un ruisseau chantant, au milieu de _Tarfa_ des
plus ombreux et sur de vraies prairies avec menthes, véroniques,
graminées, etc. ; des Touareg m’ont affirmé que cet oued coulait
toujours ; c’est là un coin dont l’étude botanique serait,
je crois, des plus intéressante également, avec celle encore des
coins humides du Tifedest-Ta-Mellet (citons en particulier dans
le Tifedest-Ta-Mellet, l’oued Timakhatin [affluent de l’oued
In-Takoufi], les environs d’In-Ebeggi, de l’oued Aorr [au pied
de l’Iscarneier] et de l’oued Entenecha).


Il est intéressant de constater que nous sommes amené par cette
étude botanique à une conclusion analogue à une de celles de la
partie géologique de ce travail à laquelle amènent également les
études zoologiques, à savoir _la croyance à un passé plus humide,
notamment plus humide dans les régions du Sahara arabe comme dans
celles du Massif Central Saharien_[65].

                                   *
                                  * *

L’étude des arbres et arbustes du pays targui, que je viens
de faire, m’a permis une mise au point des caractéristiques
générales de sa flore.

Dès lors un examen détaillé du reste de cette flore pourrait
paraître fastidieux.

Si j’envisage l’éventualité d’en publier une étude,
j’estime qu’elle n’aurait pas de raison d’être ici, dans ce
travail destiné surtout à des mises au point plutôt synthétiques.


            =Du pâturage dans le Massif Central Saharien.=

                        =De l’élevage targui.=


Dans le Massif Central Saharien, le chameau se nourrit principalement
d’_Arta_[66], de _Chobrok_[67], de _Guetof_, de _Had_, de _Drinn_,
de _Mourkba_[68], d’un sous-arbrisseau à tiges et feuilles
velues qui pousse dans la montagne, de _Nessi_, de _Chgar_, de
_Krom_, de _Girgir_, de _Chereg_, de _Kach_, de _Chaliate_, de
_Rabié_, de _Lehema_ et autres plantes d’_Acheb_ dont un _Rumex_
(_R. vesicarius_ E. L.).

Les Touareg distinguent plusieurs variétés de pâturages par des
mots spéciaux.

A part l’_Arta_, spécialité en général des grands et larges
oueds sablonneux et des « mader », et qui a son moment, le _Had_,
localisé dans les sables, le _Drinn_ que l’on trouve dans les
sables et dans certains « mader » ensablés et qui est souvent
réservé pour la récolte de son grain, le _Guetof_ des fonds de
vallées argileuses et salées, le _Chobrok_ limité aux lits des
oueds, qui résiste un certain temps à la sécheresse, mais n’est
réellement très apprécié du chameau qu’aux alentours de sa
floraison, le _Mourkba_ et le _Nessi_ qui se maintiennent en touffes
sèches longtemps, mais alors ne constituent plus qu’un maigre
pâturage (à moins que le _Mourkba_ ne porte ses graines), le chameau
se nourrit principalement dans le Massif Central Saharien de plantes
éphémères qui suivent la pluie, de pâturage vert d’_Acheb_.

Nous n’avons plus en pays targui en général ces vastes étendues
de _Salsolacées_, ces vastes pâturages quasi permanents, qui en
Sahara arabe permettaient de ne pas être lié étroitement au point
de vue pâturage, à la pluie, ce qui en été était fort précieux.

Ici, le réseau de végétation persistante étant somme toute de
surface restreinte, on est d’une manière générale étroitement
attaché à la pluie, beaucoup plus qu’en Sahara arabe, et l’été
principalement les pâturages sont parfois rares, il ne reste que
les quelques pâturages persistants à _Had_, _Drinn_, _Guetof_,
_Arta_, etc.

Aussi, les Kel-Ahaggar sont, par l’absence de pluies, contraints
parfois, les pâturages permanents ne suffisant pas alors, de
faire nomadiser une partie de leurs chameaux dans des régions plus
favorisées, hors de leur noble pays, dans l’Adrar des Iforas,
dans l’Aïr, etc., et suivant les fantaisies de la pluie, certaines
fractions sont contraintes de faire pâturer leurs chameaux dans des
terrains de parcours qui ne sont pas les leurs[69], ce qui ne va pas
sans négociations diverses, car chacun s’efforce de garder alors
pour lui seul les régions précieuses où les bêtes profitent,
où « il y a à manger ». C’est l’été surtout que ces crises
se produisent.

Ceci nous montre tout le prix du réseau de pâturages persistants[70]
du pays des Kel Ahaggar, surfaces restreintes, propriétés de tribus,
jalousement réservées souvent pour les périodes dures et auxquelles
des plantes particulières constituant un facteur nécessaire dans
la bonne alimentation du chameau (qui doit en manger à certains
moments suivant les formules compliquées de cette alimentation très
spéciale sur laquelle je n’ai pas la place de m’étendre ici)
donnent encore plus de prix.

Aussi les quelques coins du pays targui, susceptibles de
développement agricole, correspondant souvent au meilleur de ces
quelques pâturages résistants, de ces quelques pâturages de
garantie contre la sécheresse et de grande nécessité pour le
cycle alimentaire du chameau, on comprend qu’un développement
agricole[71] de l’Ahaggar, outre les obstacles qu’il rencontrerait
du côté de la main-d’œuvre puisse se heurter à l’hostilité
des Touareg à qui il enlèverait des éléments nécessaires à
leur vie pastorale.

Le nomadisme des chameaux n’est pas toujours celui des individus
accompagnés de leurs ânes, chèvres et moutons ; souvent les
Touareg, principalement les femmes, restent avec les chèvres,
les moutons et les ânes en terre d’Ahaggar, dans leur terrain
ancestral de parcours auquel ils sont très attachés et continuent
à transhumer suivant leurs traditions, leurs habitudes, très
casanièrement pourrait-on dire, pendant que les chameaux sont
emmenés prendre de la bosse ou l’entretenir, où ils trouvent bon
pacage et les pâturages qui conviennent à la saison et à leur
état. Il semble que l’on trouve là un reflet dans les mœurs,
de cette évolution de l’humidité du climat au Sahara dont il
est souvent question dans ce travail.

Il est d’ailleurs constant que pour certaines régions actuellement
peu sympathiques du pays des Kel Ahaggar, les Touareg vous parlent
d’un temps assez proche (une centaine d’années, pas plus) où
elles étaient plus favorisées sous le rapport des pâturages et des
points d’eau ; à citer en particulier à ce sujet les voisinages
de l’Amadror.

Le pâturage vert est excellent pour remettre en état un chameau,
il est agréable aussi parce qu’il diminue la fréquence de la
nécessité des opérations d’abreuvoir[72], mais c’est un
pâturage fade — aussi les Touareg, quand ils ne peuvent recourir
à un pâturage salé, donnent du sel à leurs chameaux.

L’alimentation du chameau a d’ailleurs un tas de nécessités
qui rendent très complexes son élevage et son entretien, ces
nécessités se superposant avec la question de la pluie. Son étude
détaillée sortirait du cadre de ce travail.


Les mehara de l’Ahaggar sont souvent des animaux petits fins,
nerveux, musclés et à ligne élégante.

Les vrais mehara de l’Ahaggar proviennent d’une véritable
sélection, alors qu’en pays arabe, c’est surtout le choix,
le dressage et la castration qui font le mehari.

Le mehari Ahaggar, de race pure, se distingue généralement bien
des mehara provenant des autres élevages :

le mehari de l’Adrar est généralement grand, a une ligne
majestueuse, un pas magnifique, mais est généralement moins fin et
moins léger que le mehari Ahaggar et sa figure est moins éveillée ;

le mehari du Fezzan est plutôt un chameau mixte qu’un mehari,
il a de très solides qualités ;

le mehari de l’Aïr est souvent de robe pie et d’allure
délicate ;

le pays arabe ne produit guère de beaux mehara ; sa spécialité, ce
sont les chameaux porteurs, les chameaux lourds, supportant de grosses
charges. (Le commandant Pujat distingue d’ailleurs les chameaux
arabes des autres chameaux du Sahara, en fait une espèce différente,
originaire d’Asie, amenée par les invasions arabes, alors que
les chameaux touareg seraient d’origine essentiellement africaine,
en tous les cas, d’introduction plus ancienne en Afrique.)

Le mehari de l’Ahaggar est le mehari par excellence, le chameau
de guerre ; il est agréable à monter, a un pied extraordinairement
sûr, passe partout dans la montagne, supporte bien l’amble et le
trot, peut couvrir de grandes distances (jusqu’à 120 km. dans la
journée), est capable de courir en course en terrain accidenté,
enfin est susceptible de marcher au galop et même de partir au
galop de pied ferme.

On l’accuse d’être parfois un peu plus délicat que les
autres chameaux et d’être peu à son aise dans les sables, mais
c’est là peut-être une fausse réputation : car au bon, au vrai
_mehari_ de l’Ahaggar on a fait subir en général dans sa jeunesse
l’entraînement, l’accoutumance à tous les terrains et à tous
les genres de pâturages, à toutes les régions en particulier par
la vie de rezzous et il est très résistant quand on sait le mener
surtout, si après son dressage, on lui a laissé se constituer
de la bosse de plus d’un an et qu’on le prend avec cette bosse
ferme et confirmée.

Mais c’est dire que la formation d’un vrai mehari Ahaggar est
une œuvre de longue haleine, qui nécessite tout un art et une
succession de combinaisons compliquées, aussi les Kel Ahaggar ne se
défont pas facilement de leurs excellentes montures qui représentent
tant de soins, d’attention, de dressage et de formation savante,
et, en général, nous n’arrivons pas à en posséder — de là
sûrement une réputation injustifiée, car il y a des mehara touareg
dont la résistance est extraordinaire.

Enfin les mehara touareg sont souvent éduqués avec beaucoup de
douceur et d’intelligence, ils en arrivent à avoir un caractère
autrement plus fin et sympathique que les stupides chameaux arabes
abrutis par la brutalité de leurs maîtres ; le mehari targui
connaît son maître et manifeste discrètement pour lui, par de
petits cris, ses impressions diverses, sa joie, son étonnement, etc.,
animant ainsi la route de ses réflexions gentilles et remplissant
le rôle d’un camarade discret, dévoué et affectueux. Il est
même parfois trop familier et s’oublie à mettre pensivement sa
tête sur votre épaule[73].

Les mehara ne sont qu’une minorité dans l’ensemble des chameaux
touareg : les Touareg en effet élèvent principalement des chameaux
pour leur lait, pour leur viande et pour porter ; les animaux qui ne
sont pas encore « sedes » font nombre aussi ; et tout cela constitue
des troupeaux ; ces troupeaux de chameaux sont le principal de la
richesse en pays targui.

Les campagnes de ces dernières années ont porté un coup très rude
à l’élevage ahaggar et son cheptel camelin a de la difficulté
à se remonter.

Les Touareg sont gens de chameaux et aussi gens de chèvres. Les
chèvres sont leur grand élevage avec les chameaux ; ils en ont
de grands troupeaux, mais c’est plutôt l’accessoire de la
richesse. Elles leur fournissent du lait, du beurre, des fromages,
de la viande.

Toute une partie de la population, les plébéiens, est appelée
Kel-oulli (gens de chèvres) plutôt qu’imrad — ce dernier terme
étant méprisant alors que le premier ne l’est pas.

Souvent, comme je l’ai dit précédemment, les tentes touareg ne
circulent qu’avec leurs chèvres, leurs ânes et quelques mehara
— le gros des chameaux menant une vie de pâturage distincte.

Pour les chevreaux, les Touareg édifient de petites tours basses
dans lesquelles ils les entassent la nuit — il convient de ne pas
confondre ces petits abris avec des tombeaux ou autres monuments
lithiques.

Les chèvres demandent à boire tous les jours et mangent un peu
de tout.

Les cuirs de chèvres peuvent évidemment faire l’objet d’un
certain commerce[74] ; mais il conviendrait de ne pas exagérer
les possibilités de rendement de l’élevage ahaggar, qui déjà
semble trouver ses pâturages insuffisants à certains moments,
ni de fonder de trop grands espoirs sur le commerce de ces peaux
qui nécessiteraient, pour pouvoir jouer un rôle sur le marché
des cuirs (des peaux de gants par exemple), d’être tannées
avec soin, ce qui imposerait la création d’un centre de tannage
dans l’Ahaggar — et un traitement des chèvres durant leur vie,
qui permette de compter sur la qualité de leur peau après leur mort.

Les Touareg font avec le lait de chèvre du beurre et du fromage
qu’ils vont vendre souvent fort loin.

Avec les chèvres, les Touareg possèdent des moutons (sans laine),
plus rares ; ces moutons sont souvent croisés avec des chèvres
et donnent des produits bizarres mâtinés chèvre et mouton, avec
longue queue, poil long et cornes de chèvres.

Enfin, des ânes font partie du cheptel inséparable des tentes
touareg ; ce sont de jolis ânes gris argent, avec les pattes
zébrées et une croix noire veloutée sur le dos ; souvent ils
s’échappent et mènent une vie sauvage.

Les Touareg possèdent un cheval, celui de l’Amenoukal, grand
sujet de conversation, car ils en sont très fiers, et qu’ils
nourrissent complètement au lait — ce qui ne lui réussit pas mal.

Quand j’aurai signalé quelques zébus dans les « arrem »,
originaires du Soudan (on leur fait faire la traversée du Tanesrouft
au printemps), j’aurai terminé cet exposé sur l’élevage des
Touareg dont on peut dire qu’après guerriers féodaux, ils sont
essentiellement pasteurs de chèvres et de chameaux.

                               * * * * *


[Note 58 : Cette étude botanique et l’étude zoologique qui la
suit s’appliquent essentiellement à l’Enceinte tassilienne
et au Pays cristallin — les Pays pré-tassiliens constituent un
glacis biologiquement pauvre ou sans intérêt particulier du Massif
Central Saharien — et en général nous n’avons pas pensé à
sa misérable ou banale existence dans ces études.]

[Note 59 : Asclepiadée.]

[Note 60 : La végétation soudanaise paraît remonter plus haut
sur le versant Sud du Massif cristallin que sur le versant Nord et
en même temps être plus richement représentée.]

[Note 61 : Le pluriel d’_Etel_ est _Tilia_ ; cependant nous adoptons
_Etels_ comme nous avons fait souvent au cours de cet ouvrage pour
les pluriels de noms arabes ou de Tamahak, quoique leurs pluriels
vrais soient différents.]

[Note 62 : Cette dernière serait particulièrement intéressante
à étudier. On y a signalé des conifères ??!!?.]

[Note 63 : Des auteurs ont attribué le déboisement du Sahara à
l’action de l’homme. Nous ne nous attarderons pas à réfuter
cette explication ; elle vaut par son caractère enfantin celle des
naturalistes du moyen âge, à propos des gisements de fossiles,
qui voulaient y voir l’œuvre des pèlerins jetant leurs coquilles
en des endroits de prédilection et constituant ainsi ces amas de
coquilles marines loin de la mer.]

[Note 64 : Ce qui paraît être le milieu par excellence des
Salsolacées actuellement, cela paraît être avant tout _le sable_
— souvent le sable salé.]

[Note 65 : La région du Massif Central Saharien, à cause de
ses montagnes et de sa situation tropicale, a dû, semble-t-il,
recevoir toujours plus de précipitations atmosphériques que le
Sahara arabe. Cette différence a dû (?) toujours rester à peu
près indépendante de la variation générale du climat dont ces
deux régions ont dû être affectées à peu près également.]

[Note 66 : _Calligonum comosum_ L’Hérit., 1re forme.]

[Note 67 : En pays targui le _Chobrok_ correspond souvent à _Zilla
myagroïdes_ et non plus seulement à _Zilla macroptera_.]

[Note 68 : _Panicum turgidum_ — graminées — et autres graminées
geniculées.]

[Note 69 : Quoique souvent chaque terrain de parcours ait été
délimité par l’usage de telle sorte qu’il puisse suffire
à la vie pastorale complète de sa tribu, qu’il possède tous
les éléments nécessaires au cycle d’alimentation du chameau,
pâturage salé, pâturage doux, pâturage d’été, pâturage
d’erg, pâturage de plaine et pâturage de montagne.]

[Note 70 : Et tout le prix ainsi à certains moments des quelques
ergs du pays targui et de certaines régions ensablées.]

[Note 71 : Il est certain que de nombreux points de l’Ahaggar
pourraient devenir des centres de cultures prospères. Outre les
« _édelés_ » déjà existant, ou ceux que l’on pourrait
remettre en état, j’ai noté nombre de points et en particulier
de nombreuses terrasses d’alluvions (qui ont l’avantage entre
autres d’être à l’abri des venues de l’Oued) qui seraient
susceptibles autant par leur sol que par leurs ressources en eaux
d’un développement agricole appréciable.

L’Ahaggar pourrait se nourrir largement lui-même et même exporter
vers d’autres régions sahariennes. Outre les céréales, beaucoup
de cultures peuvent réussir en terre d’Ahaggar ainsi que les
essais entrepris à Tamanrasat l’ont montré : tomates, oignons,
radis, pommes de terre, arbres fruitiers, vignes, etc.]

[Note 72 : Souvent les chameaux sont laissés seuls dans un pâturage
pendant que les tentes avec les ânes et les chèvres continuent
leur transhumance : ils vivent très bien sans que personne les mène
boire ; il est vrai qu’ils connaissent parfois les points d’eau
où alors ils vont boire tout seuls. On rencontre très souvent,
en pays ahaggar, des chameaux vivant ainsi librement sans bergers.]

[Note 73 : Les chameaux touareg sont habitués en outre à une forme
de caravane particulière : au lieu que les bêtes soient en troupes
désordonnées comme c’est le cas pour les convois arabes, elles
sont chez les Touareg groupées par files d’animaux attachés les
uns aux autres par la mâchoire. Cette forme de convois a l’avantage
de permettre une plus grande vitesse, un silence remarquable et un
faible personnel.]

[Note 74 : Je n’ai pas la place de traiter dans cet ouvrage du
rendement et de l’avenir possible de l’Ahaggar. On peut dire
pour être bref qu’au point de vue commercial et du développement
économique de ce pays la question qui se pose n’est pas de savoir
ce que l’on pourrait vendre aux Touareg, car ils sont extrêmement
avides de tout, mais bien au contraire de savoir ce qu’on pourrait
leur acheter pour qu’ils aient de l’argent à dépenser à des
achats auxquels ils ne demandent qu’à se livrer.

Mais pourquoi ne laisserait-on pas ce peuple charmant de chevaliers
et de pasteurs, d’amoureux et de poètes, continuer de constituer
dans le monde un merveilleux anachronisme.

Si l’on arrivait à développer considérablement des cultures
diverses pour que l’Ahaggar produise céréales et fruits secs
(raisins, figues, etc.), et si l’on arrivait à créer des
industries diverses de cuirs, de conserves de viandes ; si l’on
parvenait à exploiter des mines variées (fer, or, etc.) et
à capter l’énergie immense des vents sahariens (turbines à
vent, etc.) ou celle du soleil, ne serait-ce point en fixant ce
peuple délicieusement nomade, en lui enlevant de son splendide
isolement, en supprimant son beau désordre et en l’affublant
des pitoyables attributs de notre civilisation ?! et il faudrait
sans doute dire adieu aux « gestes » de ces derniers chevaliers,
aux libres « meharées », aux mélodies des « imzaden »,
aux tendres « Ahals » près des tentes et aux poèmes du rythme
« ilâner-ialla ! »...]



                                  III

                          ÉTUDES ZOOLOGIQUES
                               * * * * *

              =De la faune dulcaquicole du pays targui.=


Au point de vue zoologique, le Massif Central Saharien est
intéressant par sa faune dulcaquicole ; alors que les pays
crétacico-tertiaires ne possèdent pas en général (en dehors des
oasis) d’eaux permanentes en surface, le Massif Central Saharien
avec ses vallées profondes, ses eaux totalisées plus ou moins dans
les lits de ses vallées et ses seuils de retenue, présente en un
certain nombre de points des petites mares permanentes.

Chose curieuse étant donné l’éloignement actuellement
réciproque de ces mares et leur éloignement global d’autres
milieux dulcaquicoles, ces points d’eau possèdent une faune
aquatique complète.


Au premier abord l’on peut remarquer d’abondants
_insectes_ d’eau ; les _Dytiscides_, les _Gyrinides_, les
_Hémiptères-Népides_ (_Noctonètes_ et autres) sont nombreux.

A citer particulièrement pour les insectes aquatiques les points
d’eau d’Entenecha, de Tahara, d’In-Ebeggi et d’Ens-Iguelmamen,
dans le Tifedest, d’In-Ebeggi, dans l’Anahef, de Tin-Eselmaken,
dans les Tassilis.


Un examen plus attentif permet de reconnaître, outre la présence des
larves de ces animaux et de larves de moustiques, celles de _Vers_.


Enfin l’on a la, surprise de trouver parfois des _Poissons_
en abondance ; dans la mare permanente de Tin-Eselmaken, près
d’Amguid, en particulier j’ai eu l’occasion d’observer la
présence de nombreux poissons dont certains atteignaient une taille
de 30 centimètres environ ; je suis arrivé à en capturer deux qui
ont été déterminés par le docteur Pellegrin, du Museum[75] ;
ce sont deux exemplaires du _Barbus biscarensis_ Boulenger, des
environs de Biskra.

Une autre espèce de barbeau, le _Barbus Deserti_ Pellegrin,
a été récoltée dans la mare d’Ifedil, dans les Tassilis
également, associée à l’espèce précédente et décrite par le
Dr Pellegrin ; il est probable que cette espèce existe également
à Amguid.

Tels sont les deux points du Massif Central Saharien où la
présence des poissons a été reconnue avec certitude et les
espèces déterminées.

Ces barbeaux se rencontrent certainement en d’autres mares
permanentes du Tassili de l’Ajjer, en particulier probablement
dans l’oued Mihero ; les Touareg m’en ont signalé également
dans l’Emmidir (dans un aguelmam de l’oued Arak).

Ils se rencontrent peut-être également dans le Pays cristallin.

Foureau a signalé des _Clarias_ (Siluridés) dans les Tassilis de
l’Ajjer ; je n’en ai point rencontré et je me demande s’il
n’y aurait pas eu confusion.

Les Touareg ne mangent pas les poissons sous prétexte qu’ils sont
impurs, se nourrissant, disent-ils, d’excréments !

C’est la même raison qui leur fait ne pas manger de poulet
(disent-ils) ; mais il se peut qu’il y ait plutôt dans ces coutumes
une cause ancienne religieuse.


Si l’on examine ces eaux avec une grande attention on y trouve
de nombreux _Crustacés_ de petite taille ; j’ai observé en
particulier la présence de _Branchipus_ en trois aguelmams
différents : l’un près de Tin-Edness, vers 900 mètres
d’altitude, dans lequel ils étaient très nombreux ; l’autre
dans le Telleret’ba, vers 1.500 mètres d’altitude, le troisième
dans l’oued Ens-Iguelmamen (au pied de la gara Ti-Djenoun).


Les _Batraciens_ ne sont pas absents : le Cne Cortier a recueilli la
_Rana mascareniensis_ D. B. (déterminée par le Dr Pellegrin) dans
la mare d’Ifedil ; il est vraisemblable que d’autres espèces
sont répandues dans le Massif Central Saharien ; j’ai observé de
nombreux tétards en divers points d’eau, mais en particulier dans
l’oued Terroummout, la partie amont de l’oued Tamanrasat où,
chose curieuse, ils étaient là répandus en abondance dans des
flaques d’eau laissées par la « venue » récente de l’oued
(un aguelmam permanent placé en amont permet, je crois, d’expliquer
ce curieux peuplement) et à Idelès où les grenouilles pullulaient
quand j’ai passé.

La présence de Batraciens est aussi étonnante que celle de Poissons
au Sahara.


Enfin, c’est une chose fort surprenante que la présence
de _Crocodiles_ en pays targui (car là le peuplement par
l’intermédiaire des pattes d’oiseaux n’est guère
vraisemblable).

C’est au Cne Nieger que revient l’honneur d’avoir permis
la détermination de l’espèce exacte de ces crocodiles déjà
signalés par Duveyrier et de Bary.

C’est le _Crocodilus niloticus_ Lour., des grands fleuves africains
(déterminé par le Dr Pellegrin).

Les Touareg m’ont souvent d’ailleurs signalé l’existence
de crocodiles dans des aguelmams des Tassilis (en particulier dans
celui de l’oued Mihero).

Il semble avoir existé plus à l’Ouest, car au Sud de Tiounkenin,
dans l’Emmidir, se trouvent deux aguelmams permanents[76], les plus
grands et les plus profonds que j’ai vus au Sahara, et, paraît-il
aussi, plus vastes et profonds que les plus avantagés à ce point
de vue, des Tassilis de l’Ajjer : ce sont les aguelmams Afelanfela
(ou Deïtman) ; mes Touareg me déclarèrent qu’il y avait là un
grand crocodile et qu’il avait même le meurtre du grand-père de
l’un d’eux à son actif (!) ; je m’empressai de me rendre à
cet endroit ; je constatai la présence des aguelmams en question
mais pas de leur hôte terrible, ni de traces quelconques qu’on
puisse lui attribuer ; je n’allai point cependant jusqu’à tenter
l’expérience de l’appât, en me permettant de nager dans ce
lac ainsi que ce m’était un plaisir dans les autres aguelmams ;
mes Touareg ayant mis tout leur talent de persuasion à me convaincre
que ce n’était pas prudent.

Il semble que ce vieux crocodile solitaire soit mort, car les
témoignages de mes Touareg étaient très précis et comme eux
je ne doute pas qu’un crocodile ait pu vivre là : la taille de
ces aguelmams, leur profondeur, leur richesse en algues et plantes
aquatiques, leurs alentours à végétation exubérante, permettent
très bien d’imaginer qu’il pût en être ainsi.

Le capitaine Duprè m’a dit avoir trouvé une mâchoire de crocodile
en un point d’eau des Tassilis de l’Ajjer.


Telle est la physionomie générale de la faune dulcaquicole du Massif
Central Saharien ; on voit que les groupes aquicoles principaux :
Poissons, Reptiles, Batraciens, Crustacés, Vers, etc., y sont
représentés.

Cette faune aquatique[77] mériterait des recherches suivies[78],
entre autres l’exploration systématique des mares permanentes et
quasi-permanentes, peu nombreuses d’ailleurs, du Massif Central
Saharien, en particulier _dans les Tassilis de l’Ajjer_ des mares
d’Ifedil, de Mihero, de Taragaïn (dans l’oued Iskaouen), de
l’oued In-Tmanahen et de Tin-Eselmaken ; _dans l’Emmidir_,
des mares d’Afelanfela (ou Deïtman, près de Tiounkenin),
de l’oued Arak ; _dans le Pays cristallin_, des mares de
Tin-ed’ness (Edjéré), du cirque intérieur du Tellerteba
(Anahef), du Tala-Malet, de l’oued Terrinet (près d’Idelès,
beaux marécages), de Tahara (Tifedest), de l’oued Ens-Iguelmamen
(Oudan) — particulièrement des mares du Tifedest-ta-Mellet et
de l’Oudan.


Que penser de la présence d’une faune dulcaquicole complète, avec
Poissons, Reptiles et Batraciens, localisée dans les rares mares
permanentes du pays targui, isolée au milieu du Sahara, _sinon que
c’est un héritage des temps humides, une « faune résiduelle »_.

_C’est dans cette fin que nous avons cru devoir faire cette petite
mise au point zoologique malgré qu’elle ne contienne que quelques
précisions nouvelles._


Quant à dégager les caractères propres, les éléments originaux et
particuliers de cette faune résiduelle, ses relations et échanges
passés avec le voisinage, c’est ce qu’il est encore impossible
de faire, étant donné les précisions encore peu nombreuses que
l’on en a[79].

On peut tout de même indiquer, ce qui est logique, que ses
relations se sont faites probablement surtout par versants, que
la ligne de partage des eaux a une grande importance à ce sujet,
ce qu’indique la présence du _Barbus biscarensis_ ou barbeau
de Biskra à Tin-Eselmaken et à Ifedil, c’est-à-dire justement
sur des points du réseau hydrographique ancien qui relèvent de la
région des Chotts comme l’oued Biskra.

Il est difficile de déterminer si ce poisson est de passé plutôt
ahaggarien que zibanais.

Nous nous bornons à cet exposé sur la faune dulcaquicole du Massif
Central Saharien ; au point de vue zoologique c’est ce qui nous
paraît le plus intéressant à signaler pour le moment dans ces pays
et, d’autre part, le reste nous entraînerait hors des proportions
imposées à ce travail.

                               * * * * *


[Note 75 : Par l’intermédiaire de M. le Profr Leger.]

[Note 76 : Probablement alimentés par une source importante, comme
un bouillonnement en surface semble l’indiquer.]

[Note 77 : La flore aquatique aussi d’ailleurs.]

[Note 78 : J’avais fait des recherches dans ce sens et je me
promettais de présenter, comme suite de mon expédition, une
étude détaillée de la faune dulcaquicole du Sahara central ;
malheureusement les matériaux recueillis dans ce but ont été
victimes d’accidents dus à la malveillance, qui me privent de la
possibilité de présenter cet ensemble qui eût été intéressant
par sa nouveauté.]

[Note 79 : Et que malheureusement par suite des incidents signalés
précédemment je n’ai pu rapporter.]



                                  IV

                           DE MON ITINÉRAIRE
                               * * * * *
                     IMPRESSIONS ET NOTES DE ROUTE
                               * * * * *

          _a)_ =De Temassinin à In-Salah, par l’Ahaggar[80].=

                      =Impressions de route[81].=


Enfin voilà des montagnes ; nous sommes cette fois en vrai pays
targui : ce sont les plateaux nus et brûlants des Tassilis dont les
vallées encaissées cachent dans le fond de gorges fantastiques des
bosquets de lauriers-roses et de mimosas[82] fleuris et odorants,
de petits lacs qu’animent de nombreux poissons et des marécages
touffus, retraites noires de quelques vieux crocodiles.

En parcourant ces oueds de légendes dans les replis desquels
les surprises se succèdent aux yeux émerveillés, je comprends
maintenant les yeux nostalgiques des officiers sahariens au moindre
souvenir des pays touareg ; ne nous a-t-il pas paru à tous comme
une île enchantée, ce pays targui, après la traversée monotone
du Sahara arabe ? et comme il m’apparaît naturel maintenant le
prestige extraordinaire du nom « Hoggar » sur toutes les populations
sahariennes : pays fabuleux et magique en vérité quand on le compare
aux autres régions sahariennes, et dont on ne peut considérer les
descriptions merveilleuses comme le fallacieux effet de l’emphase
arabe que tant qu’on ne le connaît pas ! A mesure qu’il se
dévoile, il apparaît digne de sa renommée.

Je renonce à décrire ces vallées ombreuses et parfumées des
Tassilis enserrées dans leurs hautes murailles comme un trésor
dont la terre garde un soin jaloux ; ne serait-ce pas un sacrilège ?

On y surprend souvent au détour d’une gorge, soit la timide
gazelle aux gracieux effrois, reposant mignonnement à l’ombre du
térébinthe ou du mimosa, soit le sauvage mouflon au front noble
et vaillant buvant longuement à quelque flaque d’eau miroitante
laissée dans le creux du rocher par une récente pluie.

Dans les Tassilis, au Tahihaout, je rencontre des traces récentes
de chèvres, d’ânes et de chameaux ; des tribus de Touareg
nomadisent donc non loin ; j’ai besoin d’un guide ; j’envoie
mon méhariste, Mahomed-ben-Hamouillah, sur leurs traces essayer de
m’en trouver un ; il revient bientôt, et voici un Targui devant
moi : Amdor-ag-Amadou, des Eaohen-n-ada.


C’est un guerrier mystérieux et superbe : haute taille, port fier
et hardi, démarche souple, muscles longs, attaches fines, teint
de bronze doré ; peu d’hommes réunissent tant d’éléments de
beauté pour la splendeur de leur corps.

Ce beau corps est paré avec une coquetterie raffinée (n’est-il
pas un guerrier ?) ; un bracelet de serpentine au-dessus du coude
fait valoir le nu d’un bras dont Adonis eût été jaloux ; une
sorte de gandourah très décolletée laisse admirer le galbe rare
du cou et des épaules.

De la figure on ne voit que deux yeux hiératiques, agrandis au kohl
et entre les yeux la naissance du nez ; le reste est caché sous
un voile indigo[83] disposé savamment autour de la tête en un
mouvement fixé peut-être depuis des siècles, surmonté d’une
sorte de « bourrelet »[84], de diadème, de laines et de soies
multicolores, qui donne à la tête une allure casquée ; les cheveux
jaillissent parfois ainsi qu’un cimier de ce casque d’étoffe ;
parfois aussi ils sont tressés à la manière lybienne.

[Illustration : PLANCHE XII.

Le Pays cristallin. Le bord Sud-Est de la plaine de _reg_ de
l’Amadror avec le massif du Tellerteba (Anahef).]

Au côté un glaive de ligne sobre et pure gainé de cuir écarlate
évoque les chevaliers.

Ainsi m’apparaît, superbe et mystérieux, le guerrier targui
Amdor ag Amadou.


Je le prends comme guide.

Je m’aperçois bien vite qu’il n’est pas que son visage qu’il
voile : qu’importe ! ne sont-ils pas tous plus ou moins ainsi les
Touareg ; ils ne disent jamais tout : un de leurs proverbes dit,
dans le style sybillique qu’ils affectionnent : « La moitié pour
nous deux, l’autre je la garde », ce qui signifie : « Je ne me
livre jamais entièrement », et c’est très targui !

Enfin, il prend la responsabilité de me conduire où je désire
aller, cela me suffit.

Après le noir pays de l’Egéré aux nombreux cratères souvent
occupés par de très vieux tombeaux comme si les anciens habitants du
pays avaient cru que ces sombres entonnoirs avaient quelques rapports
avec l’obscur séjour des morts et le reg[85] désespérant de
la plaine de l’Amadror, voici le massif du Tallerteba, imposante
forteresse de près de 2.200 mètres d’altitude qui se dresse au
seuil du pur Hoggar.

Des points d’eau se cachent dans ses flancs mystérieux ; c’est
souvent un repaire de pillards. J’en fais l’exploration et
l’ascension, malgré mon guide qui refuse de m’en faire les
honneurs.

Quelle joie d’y découvrir un cirque intérieur dissimulé dans ses
vastes flancs, avec végétation de térébinthes, mimosa, tamarix,
laurier-rose, kerenka, etc., et même, ô surprise ! un petit ruisseau
qui sort du cirque par une suite de cascades en une profonde entaille,
pleine d’ombre et de fraîcheur, dans laquelle il se repose, entre
deux bonds, en des vasques charmantes de porphyre[86] poli et bleu.

Quelle joie de gravir cette cime orgueilleuse et célèbre chez les
Touareg, que je suis le premier à vaincre.

Après avoir étudié la région de l’oued In Sakan et de l’Adrar
Idekel, dans le terrain de parcours des Eitlohen, dont des guerriers
plus ou moins Senoussistes (comme pas mal des Touareg des confins
du pays Ajjer dans lesquels j’ai circulé) assassinèrent le Père
de Foucault à Tamanrasat, je gagne Idelès par l’oued Inouaouen.

Quelle surprise ! que ce centre de culture d’Idelès[87], le
premier que je vois : au milieu des montagnes, à 1.300 mètres
environ d’altitude, voici des palmiers, des figuiers, des cultures
de blé et de mil, de beaux pieds de vigne et un animal surprenant en
plein Sahara, un zébu, un bœuf à bosse du Soudan, dressé, qui,
par un va-et-vient régulier, au moyen d’un appareil astucieux,
tire l’eau d’un puits.

Des noirs travaillent aux cultures d’Idelès.

Les Touareg ne s’attachent pas à la glèbe : c’est là travail
d’esclave et non de noble targui ; les Touareg se contentent
en général, dans les _arrems_[88] du Hoggar, de toucher des
redevances : ce sont des seigneurs.

[Illustration : PLANCHE XIII.

Le Pays cristallin. Le massif du Tellerteba (Anahef), vu de l’oued
In Sakan (c’est-à-dire face Sud-Est).

Un groupe d’_Etels_ (_Tamarix articulata_).]

Quelle volupté que l’ombre fraîche des figuiers d’Idelès ;
comme je suis tenté de m’arrêter quelques jours ici.

Nous continuons cependant notre route et gagnons les hautes régions
de l’Atakor, le massif du Tahat qui, avec ses 3.000 mètres
d’altitude, est le point culminant, la clef de voûte du Sahara
central, et je descends en raid sur Tamanrasat, de l’autre côté
de la Koudia où, avec le lieutenant Vella, le résident du Hoggar,
je fais le pèlerinage sacré : la tombe du Père de Foucauld,
le monument du Général Laperrine et de son ami, et le château
du Père de Foucauld contre les murs duquel il fut assassiné —
chose surprenante d’ailleurs pour un prêtre en pays musulman.

Ensuite je remonte dans l’Atakor dont je n’oublierai jamais,
je crois, les cimes étranges et déchiquetées, ni les aurores
merveilleuses quand, dans la fraîcheur du matin, alors que le
soleil levant fait rougeoyer les aiguilles fantastiques de la Koudia,
la caravane s’ébranle dans l’ombre d’une vallée.

Je gagne l’oued Arrou dans les contreforts Nord-Ouest de
l’Atakor ; oued enchanté : sa gorge est toute bruyante de la
chanson d’un ruisseau, de la délicieuse chanson de l’eau et
c’est une joie immense ! toute la journée en le suivant, c’est
de la folie.

C’est une des surprises de ces contreforts Nord et Nord-Ouest de
l’Atakor ; on y trouve des ruisseaux, de vrais ruisseaux bondissants
et joyeux, dans de l’herbe et des fleurs, sous de frais bosquets
de Tamarix, de Térébinthes et de Jujubiers.

Enfin, c’est dans l’Atakor que l’on rencontre en général
l’élite de la tahouggera (noblesse) des Kel-Ahaggar, des
Kel-Ettebel (fils de suzeraineté) : les Kel-Rala, tribu dans
laquelle est choisi l’Amenoukal (roi) des Kel-Ahaggar, dont
la souveraineté d’ailleurs n’est plus établie sur tous les
Kel-Ahaggar, mais principalement sur les Kel-Efella (gens du haut)
seulement, les Kel-Ataram (gens d’aval) constituant actuellement
un ettebel (ensemble de vassaux) distinct du grand ettebel (celui
des Kel-Rala et des Tedjéhé-Mellet, celui de l’Amenoukal),
l’ettebel des Taitok[89].

Alors que les nobles guerriers de l’Ahaggar, leurs époux, sont
en expédition lointaine, c’est là, dans les hautes vallées
principalement, que vivent leurs femmes et leurs enfants avec les
troupeaux, les biens de la famille, à l’abri, autant qu’on peut
l’être, des rezzous.

C’est là le centre, le cœur de l’Ahaggar et son ultime réduit.

C’est d’ailleurs une région privilégiée de pâturage vert
(d’Acheb), car les pluies tombent relativement souvent sur
ces hautes montagnes et elles sont fréquemment couvertes d’un
véritable manteau de fleurs violettes (le Krom) ainsi que d’une
sorte de rougeoyante oseille, qui font le bonheur des chamelles et des
chèvres et permettent à leurs maîtres de vivre dans l’abondance
du lait, d’être des heureux du Sahara.

Ces hauts plateaux de l’Atakor sont donc souvent très habités,
et très noblement habités ; on mène alors dans la société targui
une vie mondaine infiniment attachante.


La vie en Koudia ! que de douceur de vivre est contenue dans ces
mots pour un targui.

J’ai vécu avec les Touareg, comme les Touareg, et leur vie
mondaine de guerriers, d’amoureux et de poètes m’a profondément
enchanté.

On n’oublie pas le charme de leurs Ihallen (pl. d’Ahal, réunion),
au doux son des Imzaden (pl. d’Imzad, violon monocorde).

L’ahal est très en honneur dans l’aristocratie targuia, et pour
l’ahal, les chevaliers touareg accourent de très loin sur leurs
plus beaux mehara, le glaive (takouba) au côté, dans l’espoir
d’avoir l’occasion d’y briller devant dames et damoiselles
et plus particulièrement devant celles dont leurs vers célèbrent
la beauté.

[Illustration : PLANCHE XIV.

Le Pays cristallin.

Une aiguille volcanique près de Tamanrasset.]

[Illustration : Le Pays cristallin. Idelès, dans
l’Ahaggar. Palmiers et figuiers.]

[Illustration : La Tamenoukalt de l’Ettebel des Kel-Rala (femme
d’Aramouk).

Oued In-Fergan (Atakor).]

Et l’ahal succède à l’ahal, ici et là, fleurissant la vie de
l’Ahaggar (noble) de ses notes gaies et charmantes.

C’est en vain que de retour dans la civilisation moderne, on
cherche à reprendre goût à sa vie d’Européen ! Peut-on oublier
les soirées merveilleuses où l’on devise gaiement sous les
plus limpides clairs de lune que la terre connaisse, dans le chant
caressant, le tendre chant des Imzaden et parfois le bruit guerrier
que font les sabres frappés en cadence des esclaves dansants,
ou encore les timides voix des chœurs alternés de jeunes filles...


D’un col nous découvrons soudain, à nos pieds, tapi dans la
vallée de l’oued In-Fergan, un gros campement de riches tentes
en peaux.

C’est la « cour » de la Tamenoukalt (reine), femme d’Aramouk.

Après qu’un de mes hommes eut été avertir de mon arrivée
imminente et qu’un Targui eut fait signe, en agitant un long voile,
qu’on nous attendait, nous marchons au galop, selon l’usage, vers
les trois principaux seigneurs du camp qui viennent à notre rencontre
dans toute la pompe de leurs voiles et de leurs « dokkali »[90].

Du haut de mon mehari, je reçois l’hommage qu’ils doivent
à l’officier français, ainsi que le salut et les souhaits
de bienvenue de la Tamenoukalt. Puis sous une tente rapidement
dressée à l’endroit que l’on me demande de désigner selon
mon bon plaisir, nous nous lions rapidement dans les nombreux thés
de rigueur.

En l’absence d’Aramouk, son khalifat me fait les honneurs qu’un
vassal de la France doit à un officier français (palabre, repas
de fête, etc.), puis je me rends en la tente de la Tamenoukalt,
en sa tente aux piliers sculptés.

Après les nombreuses salutations d’usage :

« Ma-t-toulid ? » (Comment vas-tu ?), « Elkhir-râs » (le bien
seulement), etc., qui se succèdent longuement et cérémonieusement,
la reine entourée de ses nombreuses suivantes m’offre le thé. Les
trois verres parfumés de menthe sont bus religieusement ; les
suivantes chantent ou disent des poèmes de bienvenue en tamahak et
commencent ensuite les imzaden de chanter langoureusement...

Je me retire bientôt, suivi de mon monde et du khalifat, et me rends
à ma tente très lentement, selon les rites, pour marquer mon regret
de m’éloigner de la charmante reine qui vient de me recevoir.

Le soir, la femme du khalifat et ses amies viennent jouer de l’imzad
dans ma tente et causer, de peur que je ne m’ennuie tout seul,
jusqu’à ce que, vaincu par la fatigue, je m’abandonne aux doux
bras de Morphée.

Un soir, il y a « ahal » en mon honneur ; c’est une réunion
galante de jeunes gens et de jeunes filles, de guerriers et de
jeunes femmes, une vraie cour d’amour de jadis avec président
et présidente (amrar et tamrart-n-ahal), où l’on pose des
questions insidieuses sur l’amour, sur la beauté des assistantes,
où l’on chante sa belle, où l’on fait assaut de poèmes,
et jusque fort tard, sous la clarté lunaire les imzaden, de leurs
soupirs caressants, invitent à la volupté pendant que l’on se
conte fleurette à mi-voix.

Enfin, une grande coupe de lait passe de bouche en bouche... c’est
le signal du départ... On se disperse, et, si l’on a été heureux
en amour, l’on se rend vers des rendez-vous plus doux.

Le matin hélas, il faut partir... il faut s’arracher à cette
cour enchanteresse... ; dans la splendeur du soleil levant ce sont
les adieux pleins de regrets, puis le départ au galop d’un mehari
écumant et fougueux dans les _ou ! ou !_ frénétiques, frémissants
des femmes...


Je rencontre ainsi de nombreux campements que je quitte chaque fois à
regret... N’ont-ils pas tous quelques beaux yeux pour vous retenir ?

Elles s’appellent Guida, Dohata, Melloullen, Marenia, Lallaryée,
Ossou, Smana, Dacine...

Elles vivent pour la musique, la poésie et l’amour.

On n’oublie pas leur beauté :

Ni la blancheur souvent éclatante de leur teint (qu’elles
défendent jalousement contre les ardeurs du soleil, hors de leurs
tentes, par d’immenses chapeaux et des poudres ocrées) ;

Ni leurs mains, que de foi ! longues et fines comme il en est peu ;

Ni l’ovale parfois si pur de leur visage ;

Ni leurs lèvres généralement voluptueusement dessinées ;

Ni, enfin, surtout, leurs yeux, tour à tour de velours et de feu,
caressants et brûlants, qui tantôt langoureusement vous prennent,
vous enferment dans l’ombre intime et tendre de leurs longs cils
et grands sourcils noirs, tantôt soudainement vous embrasent comme
de traits enflammés lancés par des arcs d’ébène.


Je circule ainsi dans l’Atakor, le Briri, le Tifedest, l’Oudan.

Parfois je n’ai plus de vivres pour subsister, je dois manger
des racines amères ou du berdi, sorte de jonc sucré, ou encore me
rationner à quelques dattes par jour.

Parfois le point d’eau est loin encore et c’est une lutte
continuelle pour prudemment économiser l’eau, ne boire que quand
la langue devient pâteuse et se colle au palais... ce qui arrive
vite d’ailleurs avec la chaleur...

Parfois, je dois forcer les étapes et je passe seize à dix-huit
heures de suite sur mon brave mehari « Ilaman », luttant contre
la fatigue, contre mes yeux qui cherchent à se fermer.

Parfois je rencontre des traces inquiétantes et c’est l’anxiété
pendant quelques heures, anxiété particulièrement grande quand
c’est à l’approche d’un point d’eau nécessaire.

Quelle vie grisante on mène à alterner ainsi les périodes de
solitude, de fatigue et de danger avec les repos animés et sûrs
de campements amis ; dans l’enivrement d’avoir de l’espace,
d’être libre, de jouer avec le danger, d’avoir, au bercement
de sa monture, devant ses Touareg silencieux, pour songer des jours
entiers, et dans celui de trouver un accueil enchanteur dans quelque
tribu amie, parmi les _ou ! ou !_ passionnés des femmes.


Je rencontre en particulier les campements du célèbre
Anaba-ag-Amellal, qui trempa dans le massacre de la Mission Flatters,
et qui revient de dissidence (car il a toujours fait partie du parti
hostile à notre influence, et dans ces derniers temps agités il
était aux côtés de ceux qui voulurent briser l’amitié française
avec Ahmoud, avec les Sénoussistes) ; je suis sans doute le premier
Français qui le voit depuis ses dernières incartades.

Il se conduit cependant convenablement, et boit vaillamment la coupe
d’amertume que doit être pour lui l’obligation de me traiter
en suzerain et de me faire les honneurs de ses tentes.

Cependant il éprouve le besoin de me faire admirer sa carabine
italienne — sa carabine d’insoumis — dont il apprécie
particulièrement, dit-il, le chargeur à six cartouches et la
baïonnette-appui. Je dois lui faire remarquer que les carabines
françaises semblent en général ne pas manquer leurs buts,
pour qu’il cesse de mettre sur ma poitrine un canon de carabine
chargée dont le contact m’était désagréable et adopte le ton
qui convient à la situation.

Ses tentes ne sont pas gaies : sa femme Raima est en deuil de la
mort de son frère, le célèbre amenoukal Moussa-ag-Amastan, et
mène une retraite des plus sévère. Un autre deuil fait que les
imzaden sont muets le soir dans les campements d’Anaba.

Et c’est dommage, car il y a de fort gentilles dames et damoiselles
de haut lignage dans les campements d’Anaba et l’ahal eût été
charmant, certainement.


Je passe au pied de la célèbre Gara-ti-Djanoun, la terminaison
Nord de l’Oudan.

[Illustration : PLANCHE XV.

Le Pays cristallin. Le massif de l’Oudan avec la célèbre
Gara-ti-Djenoun.

Deux assez beaux _Telehs_ (_Acacia tortilis_).]

La légende de cette haute montagne (2.700 m. environ), la plus
impressionnante et la plus étrange que j’aie vue avec le
Tellerteba, au pays des Kel-Ahaggar, a peut-être servi de thème
à l’Atlantide... (Connaît-on toujours les sources de M. Pierre
Benoît ?...), car je rencontre près d’Ens Iguelmamen, au bas de
ce mont, des femmes qui me racontent ceci :

Deux amis, disent-elles, étaient partis pour tenter de monter sur
cette cime inaccessible ; un seul en revint racontant que là-haut
son compagnon était resté dans des jardins merveilleux couvrant le
plateau terminal jusque-là inviolé... avec des femmes surnaturelles,
et que lui n’avait pu qu’à grand’peine s’arracher à leurs
étreintes ensorcelantes pour redescendre vers sa fiancée.

Depuis lors nul parmi les Touareg ne tenterait pour rien au monde
l’ascension de cette montagne hantée, de si charmantes déités
pourtant !

« Les femmes le défendent ! » me disent toutes fières de leur
pouvoir les deux jolies Targuias qui me racontent cette légende.


A Amguid, je subis une crise d’appendicite et je dois y séjourner
un mois en attendant que ma crise passe. Quoique beaucoup des Touareg
qui nomadisent par là soient Senoussistes, et en soumission assez
discontinue et douteuse, ils se conduisent cependant bien vis-à-vis
de moi et je goûte alors tout particulièrement le charme de
cette vie primitive d’un peuple, guerrier et pasteur de chèvres,
qu’est la vie des Touareg, charme analogue un peu à celui qui se
dégage des chants d’Homère sur les anciens Hellènes.

Vient l’époque où le _Drinn_ est mûr :

Toute la jeunesse quitte alors les campements pour plusieurs jours
et s’établit souvent fort loin des parents dans les étendues
à _Drinn_.

Dans la journée, le _Drinn_ est coupé à la faucille et les femmes
le vannent et en moulent le grain (l’Oullen) entre deux pierres.

Puis, au coucher du soleil, chacun se met dans ses plus beaux
atours et il y a ahal près de quelque bel Etel où l’on se donne
rendez-vous.

L’on chante, l’on danse dans le bruit scandé des derboucca et
les mélodies lascives des imzaden... et l’on parle d’amour.


Je rentre à In-Salah par l’Emmidir après avoir été faire
un raid d’études au Tahihaout. C’est en mai, la chaleur est
déjà obsédante, la marche n’est possible que le matin et
le soir. Dans la journée, il faut s’arrêter et attendre avec
souvent une cinquantaine de degrés que la fraîcheur du soir apporte
sa délivrance.

_J’arrive enfin à In-Salah le 2 juin, ayant étudié dans des
conditions presque sans précédents[91], à ma connaissance,
d’isolement et d’improvisation, les régions parmi les moins
connues et les plus difficiles du pays des Kel-Ahaggar._


            _b)_ =De Temassinin à In-Salah, par l’Ahaggar.=

                         =Notes de route[92].=


Nous partons de Fort Flatters (Temassinin) le 7 février et cheminons
dans des dunes.

Le 8, passons à Teouit (ou El Bir) situé dans une plaine
allongée entre des dunes et où affleurent des grès. Pâturage de
_Damran_. Les chameaux boivent.

Le 9, marchons tout le jour sur un vaste reg à végétation de
_Ressel_ et _Nessi_, pour arriver le soir au Djebel Tanelak (ou
Adrar-n-Taserest), vers la terminaison Nord de cette chaîne de
Tanelak, contre laquelle, face Est, trouvons un intéressant pâturage
à _Had_, _Ageran_, _Nessi_, _Acheb_ (_Goulglane_) et _Chgar_.

Nous avons rencontré les traces d’un canon de 80 qui a passé
par là il y a trois ans, paraît-il, lors d’une campagne contre
les Touareg de l’Ajjer. Le désert conserve bien les traces.

Contre la montagne, nous trouvons des amas de troncs d’arbres
magnifiques, qui nous servent à faire nos feux ; ces amas de bois
semblent témoigner en faveur d’un passé plus humide, encore
assez récent, car actuellement comme arbres il n’y a plus rien
dans cette région.

Je monte sur le haut de la montagne contre laquelle nous sommes
adossés ; de là, j’aperçois la gara Khamfoussa (Egeleh) à
l’Est, et au Nord-Nord-Ouest le confluent de l’oued In-Dekak et
de l’Ir’err’er, ainsi qu’un immense _Teleh_ isolé au milieu
du reg.

Sur ce sommet un tombeau (ou un signal ?) avec deux branches
divergentes.

Nous établissons le camp non loin d’une tranchée, témoin des
luttes des Touareg de l’Ajjer contre nous.

Le 10, traversons le Djebel Tanelak ; c’est un simple anticlinal
de grès, d’âge indéterminé, subméridien, avec une tendance
vers la direction Nord-Ouest-Sud-Est, un peu ensablé ; traversons
un vaste reg, un tiniri, où ne pousse que du _Ressel_ rare, pour
arriver, après une soixantaine de kilomètres, à des collines
de l’autre côté de ce tiniri ; contre ces collines, il y a un
léger ensablement avec _Had_ et _Nessi_.

Le 11, repos pendant que les chameaux vont s’abreuver à quelques
kilomètres à un aguelmam (Redir) (A) laissé par les dernières
pluies.

Je monte sur les collines voisines ; nous sommes encore contre le
flanc Est d’un anticlinal plus ou moins subméridien de grès.

Le 12, marchons sur le reg, vers le Sud-Sud-Est, c’est-à-dire à
distance des reliefs de notre droite. _Ressel_ et _Nessi_.

Campons dans un pâturage d’_Arta_ et de _Had_ près d’un _Teleh_
visible de loin.

Trouvons des débris d’œufs d’autruche.

Le 13, en continuant notre marche vers le Sud-Sud-Est, nous trouvons
des oueds avec une végétation beaucoup plus riche, au bas des
montagnes des Tassilis ; nombreux _Telehs_ et pâturages excellents.

J’observe la présence de nombreux tombeaux, dont un remarquable,
avec autour des pierres levées en cercle. Il y a des tombes de
modèles divers.

Nombreux fossiles dévoniens.

Campons dans un bosquet de _Telehs_.

Le 14, remontons la gorge de l’oued Tassirt qui traverse les
Tassilis externes ; à l’entrée de cette gorge, encore des tombes
de modèles variés ; la gorge est encaissée ; j’y observe un
premier et bel _Agar_.

Dans cet oued de très nombreux mechbeds marquent l’importance de
ce passage.

Puis arrivons à un col d’où l’on découvre la dépression
du Tahihaout au Sud. Il y a là une « capture » en train de
s’accomplir et le haut de l’oued Tassirt semble encore hésiter
entre l’oued qui descend vers le Tahihaout et celui que je viens
de suivre.

Descendons vers la dépression du Tahihaout dans des schistes argileux
blancs ou violacés (Silurien). Surprenons un mouflon.

Campons au pied de la gara Tabahout, une gara d’argiles schisteuses
violettes (Silurien) où l’on trouve de nombreux tombeaux ; il y
a là une belle végétation de _Tamarix_, d’_Arta_, etc.

Dans les schistes argileux de la gara sont creusées des excavations
qui m’intriguent beaucoup : sont-ce des tombes vides ou de futures
tombes ?

Le 15, gagnons par une marche Ouest-Est, dans la dépression du
Tahihaout, le point d’eau de Tanout-Mellel qui se trouve à
l’issue de ce mader vers l’oued In-Dekak.

Nombreux et beaux _Tamarix_, _Arta_, _Chobrok_, _Kerenka_, etc.

Passons près d’une gara avec de nombreux tombeaux islamiques
(avec enceintes orientées vers la Mecque par des Mirabs) et une
inscription de tifinar. Nombreuses gazelles.

Campons près du puits de Tanout-Mellel, à l’entrée de la gorge
de l’oued In-Dekak.

Le 16, repos à Tanout-Mellel. Les chameaux s’abreuvent.

Je monte sur la crête des Tassilis externes, d’où j’aperçois au
Nord la barre rosée des dunes de l’Erg d’Isaouan-n-Tifernin, et
au Sud, belle vue sur la dépression intra-tassilienne correspondant
aux Schistes à Graptolithes ; plus au Sud les Tassilis internes
bordent l’horizon ; on y distingue les lignes sinueuses,
profondément gravées des oueds Iskaouen, In-Defar, etc.

Le 17, j’étudie le bord Nord du Tahihaout, c’est-à-dire le bas
des escarpements qui terminent les Tassilis externes sur le Tahihaout,
les gara Idaouaren et Timakaratin.

Je trouve dans les Schistes argileux un gisement de Graptolithes.

Traversons ensuite le Tahihaout, laissant à gauche l’erg Tahihaout
qui ensable les escarpements au Sud-Est de Tanout-Mellel, et gagnons
l’entrée de la gorge de l’oued Iskaouen dans les Tassilis
internes.

Campons là à In-Dela, près d’un vrai bois de superbes _Telehs_,
non loin des garas Tinihesser et Tinakerkor.

Le Tahihaout est une étendue de pâturages qui joue un rôle
important, ainsi que ses points d’eau, sur la grande piste
Est-Ouest d’In-Salah à Rat, à la limite des terrains de parcours
de l’Ahaggar et de l’Ajjer.

C’est un mader où les Touareg de l’Ahaggar nomadisent volontiers
quand ils ne craignent pas les rezzous des Touareg de l’Ajjer.

Le 18, je remonte l’oued Iskaouen, un magnifique « cañon »
creusé dans les Grès inférieurs.

Il y a beaucoup d’humidité, une belle végétation, des
_Lauriers-roses_, des _Tamarix_, des _Kerenka_, des _Telehs_ et de
nombreux abankors (tilmas [A]) qu’il faut connaître.

A Taragaïn, un marécage permanent avec _Berdi_ (Typha) où les
mouflons viennent boire.

Nous campons au confluent de l’oued Oihaken et de l’oued Iskaouen,
près d’un point d’eau tenant de l’abankor et de l’aguelmam :
In-Emiragen. La végétation est là fort belle ; entre autres, il y a
de très beaux _Kerenka_[93]. Ce confluent est une rencontre grandiose
de gorges magnifiques et partout les affluents ont constitué des
reculées ruiniformes extraordinairement pittoresques.

Le 19, nous remontons toujours l’oued Iskaouen dans notre marche
vers le Sud.

La vallée, d’abord encore étroite et encaissée, avec toujours
de beaux arbres (_Teleh_, _Etel_, _Kerenka_) et _Chobrok_, _Girgir_,
_Arta_, un peu de _Bel-Bel_, _Lavande_ (?), _Réséda_, _Mourkba_,
s’élargit et le Cristallin que laissaient pressentir les nombreux
et gros cailloux de roches aux couleurs vives et variées de granits,
gneiss, etc. du thalweg de l’oued jusque-là, apparaît sous les
Grès inférieurs, placés en discordance dessus.

La vallée s’élargit de plus en plus, les grès étant réfugiés
de plus en plus haut avec leurs falaises, sur des flancs de vallée
en Cristallin couverts d’éboulis.

On a une impression de vraie montagne. Il y a de nombreuses terrasses
d’alluvions sur le bord de l’oued qui, ici, s’ouvre après
sa gorge étroite en un réseau confus de nombreux petits affluents
sillonnant le Cristallin.

Nombreuses tombes variées et en particulier une tombe de marabout
auprès de laquelle s’élèvent des pyramides de pierres, tumuli
créés par le respect des passants qui se traduit ainsi.

Des mosquées à la manière targuia, c’est-à-dire constituées
par la différenciation d’un lieu de prières sur le sol dessiné
par des pierres et orienté par rapport à la Mecque, se montrent
nombreuses (j’avais aperçu la première à Teouit).

Un homme tue un lièvre ; c’est un gibier courant en pays targui,
et j’aurai dorénavant souvent l’occasion d’en manger.

Nous nous élevons difficilement dans un chaos confus de boules
énormes provenant de la démolition des granits, et, par endroits,
au milieu de schistes cristallins injectés de pegmatites roses,
jusqu’à un col qui marque la fin du bassin de réception de
l’oued Iskaouen et le seuil de la région tassilienne.

Là se trouve la source d’In-Ebeggi ; dans les flaques d’eau
d’In-Ebeggi se trouvent de nombreux tétards.

Puis nous descendons dans la zone déprimée de l’Avant-pays
cristallin.

Nous campons dans l’oued Tin-Sebra, avec _Chobrok_ et _Mourkba_,
ayant terminé la traversée de l’Enceinte tassilienne, Tassilis
externes (oued Tassirt) et internes (oued Iskaouen). Les falaises
haut perchées des Tassilis internes dominent ce Pays cristallin
au Nord. Nous sommes dans une avancée de ce Pays cristallin qui
pénètre les Tassilis à la faveur de l’oued Tin-Sebra.

Le 20, même campement dans l’oued Tin-Sebra. Repos pour les
chameaux, et je vais escalader le mont Bellellen, à l’Est du camp,
mont couronné par une avancée des Grès inférieurs.

Le Targui Amdor, parti à la chasse dans les Tassilis, tue un
mouflon. Les mouflons sont particulièrement abondants dans
l’Enceinte tassilienne.

Le soir, l’orage gronde ; notre camp est dans le lit de
l’oued. Amdor craint que l’oued ne vienne et que ce ne soit
un désastre pour nous ; je le vois dans la nuit et la pluie,
courir en cercle autour du camp, un brandon enflammé à la main ;
c’est sans doute pour conjurer le mauvais sort et établir un
cercle protecteur selon de vieilles croyances, un cercle sacré. On
sait que les Touareg observent le passage des gazelles qui est faste
ou néfaste. On observe ainsi nombre de souvenirs religieux divers,
reliquats de croyances anté-islamiques.

Le 21, nous atteignons, à travers un pays de schistes cristallins,
sans végétation et pas montagneux, usé, raboté et plus ou moins
ennoyé dans son ensemble, le coude de l’oued Tidjert où nous
trouvons un pâturage à _Chobrok_ et des bouquets d’assez beaux
_Etels_.

A l’Ouest, deux montagnes escarpées, la gara Tersi et la gara
Holla, se dressent très haut, surtout la seconde, et étonnent par
leur fière allure au milieu de ce pays raboté dans son ensemble.

A l’Ouest, au loin, les crêtes des Djebel Zelaten et Timbelleret.

Le 22, par une marche Ouest-Est, je gagne la gara Holla, en passant
au Nord de la gara Tersi et à son pied.

La gara Tersi est un synclinal des Schistes cristallins qui reste
curieusement en relief sur les pays aplanis qui l’entourent.

La gara Holla possède un couronnement de Grès inférieurs.

Je fais l’ascension de la gara Holla, ascension difficile car le
plateau terminal de Grès inférieurs qui la couronne est entouré
par une très haute falaise. Il faut l’aborder par le Nord-Ouest.

Du sommet, la vue est extrêmement étendue et superbe sur
l’Avant-pays cristallin, les Tassilis, l’Edjéré, etc.

Ce point conviendrait bien comme point géodésique pour établir
la carte, étant visible de fort loin ; la gara Ti Djenoun, la
gara Maserof et le sommet du Tellerteba, joint à la gara Holla
constitueraient de bons points pour établir le canevas.

Je fais un tour d’horizon.

On aperçoit les escarpements des monts Iguelmamen, les monts Iadjen,
les trois garas Ierden, la gara Tiski, les monts Ifedaniouen, l’erg
Tihodaïn, le massif de l’Ounan, l’oued Isoras, la plaine de
l’Amadror, peut-être le Tellerteba, la gara Maserof, l’Egéré
avec l’Oudan et la gara Ti-Djenoun, le Djebel Tin-Tirelalamin, et
la vallée de Tanombella, le Djebel Timbelleret, avec le Oilahunka
et le Touferert, le Djebel Zelaten, la gara Tersi, l’éperon des
monts Ahellakan et l’oued et l’erg Taheret.

Puis, par une marche Nord-Est-Sud-Ouest, nous regagnons l’oued
Tedjert.

Le 23, nous suivons l’oued Tedjert, oued avec une belle
végétation et de très beaux pâturages de _Chobrok_ et d’_Acheb_
(_Chaliate_). Nous passons aux points d’eau de Tin Edejerid et
Tinadegdeg.

_Cette voie de l’oued Tedjert paraît avoir joué un rôle des plus
important (c’est d’ailleurs un parcours excellent), car il y a
un développement très grand de mechbeds et de nombreux signaux,
tombes variées, mosquées, abris à chevreaux et emplacements de
tentes, en particulier à Tinadegdeg, qui paraît avoir été un
point extrêmement important._

Il y a des tombes musulmanes avec témoins, des tombes en tumuli
coniques, parfois tronquées au sommet et présentant un creux (comme
un cratère), des tombes simplement en gâteau rond soigneusement
bâties, avec une sorte d’ouverture au milieu, des tombes enfin avec
tout un système de cercles, de guirlandes, de pierres, de tumuli,
d’allées, le tout orienté, que les Touaregs considèrent comme
des lieux sacrés, et qui ne sont peut-être pas des tombes (?).

Les mosquées, toutes orientées, sont de dessins variés.

Les redjems, signaux aux formes multiples, paraissent dépendre
d’une sorte de code et permettraient sans doute, en en possédant
la clef, de se diriger et de vivre seul dans ces régions au moyen
de leurs indications, que certains Touareg, sinon tous, paraissent
comprendre mais tenir secrètes.

Il y a peut-être parmi eux des sortes de monuments votifs ?

Tous ces monuments lithiques mériteraient une étude précise,
mais elle sortirait du cadre de ce travail.

Ces monuments divers mériteraient en particulier des fouilles
méthodiques pour savoir ce qui est tombe. La région de l’oued
Tedjert se présente comme particulièrement intéressante à ce
point de vue.

Nous campons à l’abankor Ahallellen.

Le 24, nous arrivons, toujours en remontant l’oued Tedjert à
l’abankor Tin-Edness au milieu des basaltes.

Là a campé et s’est abreuvée la mission Flatters avant de
traverser l’Amadror. Les deux palmiers existent encore entre
lesquels fut fait le puisard qui servit à abreuver la mission.

On compte six palmiers à Tin-Edness.

Actuellement, un puisard bien alimenté se trouve un peu en amont.

La vallée est assez humide ; en aval et en amont se trouvent quelques
aguelmams, dont In-Arab, à sec cette année, alors que les autres
possèdent encore de l’eau.

J’aperçois des perdrix. Dans un petit aguelmam de nombreux
crustacés, et un canard mort.

On tue un serpent très fin.

La colonnade de basalte de la rive gauche de l’oued de Tin-Edness
est couverte d’inscriptions verticales de tifinars, élégantes
et solides archives ; je prends la copie d’une partie de ces
inscriptions.

Au Sud-Est dans le voisinage immédiat de l’abankor se trouve
un de ces systèmes anciens et orientés d’allées, de cercles,
de tumuli qui sont peut-être de vieilles tombes, et, brochant sur
le tout, une tombe plus récente, pas encore musulmane, en gâteau
rond, bien bâtie.

Le 25, même camp. Je gagne la gara Maserof, dont je fais
l’ascension. De là, on a une belle vue sur les volcans et les
coulées étagées de la région de Tin-Edness.

Je passe près d’un volcan dont les brèches des flancs sont
creusées de nombreuses cavernes.

Ces grottes ont été très habitées ; de nombreux mechbeds
sillonnent les environs de ce volcan à cavernes et attestent de
l’importance de cette montagne au point de vue humain.

Dans une de ces cavernes, une des plus belles, je trouve de vieilles
selles, de vieux ustensiles touareg en bois (grands récipients,
sortes de pelles sculptées, etc.) et des instruments de pierre
taillée.

Près de la gara Maserof se trouve une tombe (Aseka) célèbre —
les Touareg du moins disent que c’est une tombe — ; c’est un
monument lithique orienté. J’observe encore dans ces régions
des tombes en gâteau rond bien bâties, avec un trou circulaire
au milieu.

Il y a d’autres monuments lithiques divers, dont je prends toujours
les croquis.

Le 26, même camp. Je retourne à la montagne des cavernes ; je fais
des fouilles légères dans la caverne principale, c’est-à-dire
une petite tranchée dont je passe les terres au tamis.

Cela me permet de découvrir tout un outillage de pierre taillée,
dont des pièces très fines et de matière choisie avec recherche. Je
trouve également des fragments de coquilles d’œufs d’autruche
percés pour en faire des colliers, des agates travaillées également
en perles pour colliers, des poteries avec ornementation due à un
moule de vannerie, etc., etc.

La chose la plus curieuse certainement est la présence de nombreux
débris d’Amazonites (Feldspath vert émeraude) apportés là
pourquoi ?... Cela fait penser aux célèbres émeraudes garamantiques
de Carthage...

A signaler également la présence d’une coquille de mollusque
terrestre. C’est là, semble-t-il, une preuve encore que ces
régions ont jadis possédé un climat plus humide.

J’étudie toute la montagne et, dans une autre caverne, je trouve
deux beaux fusils à pierre à long canon avec crosses ornées
d’incrustations de nacre et de corail et finement sculptées,
avec canons et batteries signées, l’un de Marseille, l’autre de
Londres... Ces deux fusils sont de fabrication ancienne (Louis XV) ;
que font-ils ici ?...

Ce fait est peut-être à rapprocher des lames de glaives touareg
avec devises françaises que l’on rencontre souvent... Ce sont
là probablement de vieilles armes razziées jadis dans le Nord et
utilisées comme on a pu...

Dans la caverne où je trouve ces deux fusils, il y a un amoncellement
de cornes de gazelles, mouflons, etc... Quel ravage firent ces deux
fusils dans les gazelles d’antan !

Sur un méplat de la crête du volcan, je trouve un curieux monument
lithique : c’est un croissant sans grand relief, soigneusement
bâti, avec en son milieu une dépression et une fine lame de schiste
fichée dedans ; ce croissant est posé sur une partie plane de la
crête du volcan d’où on a une superbe vue.

Je fouille ce croissant et ne trouve rien légitimant l’hypothèse
d’une tombe. Je me demande si ce ne serait pas un très soigné
signal.

Je n’ai pas observé un seul autre monument analogue en pays targui.

Dans la partie Sud de cette montagne se trouvent des tombes (?) en
gâteaux ronds, mais avec des branches divergeant du centre et
ailleurs de très grands tumuli coniques tronqués.

Le 27, continuons les fouilles de la caverne.

Le 28, également.

_Toute cette montagne a donc été un centre très habité, et de
longue date ; la fouille en règle de ces cavernes, tombes, tumuli,
etc., donnerait peut-être des résultats intéressants sur les
civilisations qui semblent s’y être succédé._

Le 1er mars, nous passons près d’un ancien point d’eau dont les
environs sont abondants également en monuments lithiques divers, _qui
indiquent encore combien cette route de l’oued Tedjert a dû être
importante ; elle a dû être une route transsaharienne d’autant
plus fréquentée qu’elle passait par la saline de l’Amadror_[94].

D’ailleurs elle paraît encore utilisée quand les démêlés
entre gens de l’Ajjer et gens de l’Ahaggar n’enlèvent pas
toute confiance dans ces régions situées entre les terrains de
parcours de ces deux groupes de Touareg.

Gagnons un cratère à double pente, admirablement conservé, à
l’Est du pays montagneux : il comporte deux entonnoirs accolés
et des tufs ruiniformes avec cavernes, jadis habités aussi, car on
y trouve des instruments taillés.

Dans les entonnoirs, au fond, se trouvent de grands tumuli ;
ce qui me fait penser que les tombes en grands tumuli coniques
sont contemporaines des dernières industries de la pierre dans
ces régions. Les grands tumuli ont été placés, semble-t-il,
de préférence dans les cratères, où j’en ai observé
régulièrement.

De petits cratères d’explosion se trouvent au pied Est de ce
volcan.

Gagnons, au milieu des volcans et des coulées, l’oued In-Reggi,
où nous campons. Beaux pâturages avec superbes _Teleh_.

Le 2, arrivons au volcan, dont je fais l’escalade, et à la saline
célèbre de Tisemt de l’Amadror.

Apercevons au loin une grande antilope.

Puis campons dans le bois d’_Arremen_ et _Tamarix_, qui se trouve
à quelques kilomètres de la saline.

Il y aurait eu là autrefois, d’après Anaba-ag-Amellal, un puits
profond d’eau salée.

Le 3, nous commençons la traversée de l’Amadror en suivant à
travers le reg le mechbed Nord-Sud des convois de sel, puis appuyons
sur le bord Ouest pour tenter de trouver un peu de pâturage ; il
n’y a pas grand’chose, qu’un peu de _Nessi_ et de _Chobrok_
très sec ; à signaler la présence de _Phar-phar_ ; il paraît que
cette plante mangée à jeun, sans autre nourriture, est dangereuse
pour les chameaux.

Le 4, nous continuons à traverser la vaste plaine de l’Amadror,
en appuyant sur le bord Ouest.

Je trouve une boule de grès, parfaitement ronde, qui me paraît
œuvre humaine ; serait-ce un boulet de catapulte ? Les Romains
seraient-ils venus jusqu’ici ?

Toujours le reg, avec toujours quelques maigres touffes de _Nessi_
et un peu de _Chobrok_.

On aperçoit le superbe massif de Tellerteba sur l’autre rive,
silhouette magnifique, dont les mirages se jouent.

Nous modifions notre marche qui devient Nord-Ouest-Sud-Est, pour venir
camper dans l’oued Amadror où nous trouvons quelques arbustes et
du _Chobrok_.

Le 5, nous continuons notre marche sur le Tellerteba, marche
presque Ouest-Est maintenant. Nous passons près d’un beau bouquet
d’_Etel_, isolé dans la plaine de l’Amadror sur une butte de
terre maintenue par ses racines. C’est là sans doute un reste
des temps plus favorisés. Nous campons sur le reg nu.

Dans la plaine de l’Amadror, Voinot signale qu’il a vu des traces
d’autruches ; je n’en ai point vu ; donc, depuis, l’autruche
semble avoir encore accentué sa retraite vers le Sud.

Le 6, nous arrivons à l’autre bord de la désolée plaine de
l’Amadror, au pied Ouest du Tellerteba. C’est un magnifique
massif, très romantique, que le Tellerteba, avec sa profonde entaille
pleine d’ombre dont on se demande à quels lieux infernaux elle
mène, au milieu de ces monts vertigineux et prismés.

C’est toujours du Cristallin avec du Volcanique ancien surimposé
et que l’inversion du relief a perché, ainsi que peut-être
également un effondrement.

Après avoir pâturé dans l’oued Tihourag où nous trouvons de
l’_Arta_, nous contournons le Tellerteba et arrivons dans l’oued
In Sakan, où nous rencontrons de beaux bouquets d’_Etel_, de
bons pâturages avec _Arta_, _Chobrok_, _Mourkba_, etc., et dans la
montagne du _Chereg_ et du _Girgir_.

Campons près du confluent avec l’oued In Ebeggi, dans des _Etels_.

Le 7, le 8, le 9, le 10, j’étudie cette région où on a prétendu
que Flatters avait passé et où il aurait trouvé des émeraudes ;
en réalité, il a passé par l’oued Tibiokin et c’est dans cet
oued, s’il a trouvé des émeraudes, qu’il en aurait plutôt
trouvé, lors du camp de plusieurs jours qu’il dut y tenir pour
faire reposer ses chameaux, les abreuver à l’aguelmam In-Saman,
et recruter des guides.

C’est peut-être une légende cette mine d’émeraudes, comme les
ruines signalées près de Tisemt à l’occasion de cette mission,
ruines que je n’ai pas vues.

Au confluent des oueds In-Ebeggi et In-Sakan, se trouve une superbe
terrasse d’alluvions.

A In-Ebeggi, nous n’avons pas besoin d’avoir recours à
l’abankor, l’aguelmam est plein d’eau, avec mêmes _Dysticides_
et _Vers_.

Le point d’eau d’In-Ebeggi paraît très important ; un grand
mechbed y aboutit. Le long de ce mechbed, aux environs d’In-Ebeggi,
on trouve d’abondants débris de jaspes rouges (?).

Le 11, je remonte l’oued In-Sakan, profondément incisé dans
les Schistes cristallins, en amont de l’abankor In-Sakan. Sur les
terrasses d’alluvions, des tombeaux.

Je pousse une pointe dans l’Est de l’oued In-Sakan et étudie
l’Adrar Idekel. Au cours de ce raid, je rencontre une source avec
de beaux lauriers-roses et j’observe la présence de l’_Aleo_
dans ces régions. L’Anahef est loin d’être dépourvu d’eau
et de sources, ainsi que l’a dit Motylinski.

Je rentre par l’In-Kaoukan.

Le 12, je gagne le pied Ouest du Tellerteba en faisant l’étude
des flancs de ce massif, par une marche à mi-côte ; sur le flanc
Sud il y a un cirque où se trouvent quelques beaux arbres (_Teleh_,
_Agar_) et de nombreux emplacements de campements touareg. Peut-être
y a-t-il là encore un point d’eau, un abankor ?

Le 13, je fais l’ascension du Tellerteba. Je pars de l’altitude
de 1.050 mètres environ. Après l’escalade difficile de la barre
rocheuse qui en constitue les défenses avancées et après l’avoir
franchie à 1.500 mètres environ d’altitude, je descends dans un
vaste cirque intérieur. Le fond de ce cirque est très humide ;
il y a là un abankor permanent. Par une très aiguë et profonde
entaille dans le rempart que j’ai franchi, un oued sort de ce
cirque. Il coule dans une gorge de sortie qui n’a pas plus de 2
mètres de largeur et s’amuse en cascades et vasques.

Dans le cirque, assez haut, se trouve un beau tombeau anté-islamique,
peut-être signal en même temps, et, non loin de lui, un trou dans
le rocher, une fente profonde avec de l’eau peuplée de crustacés
(_Branchipus_) ; si l’abankor du bas du cirque est certainement
un point d’eau permanent, cet autre point d’eau ne l’est
peut-être pas.

Je monte au sommet du Tellerteba ; mon altimètre marque
2.100. L’ascension est longue. Je laisse près du sommet un flacon
fermé à l’émeri avec un parchemin et la date de mon passage.

Vers le sommet j’observe la présence de sous-arbrisseaux à odeur
résineuse et aromatique ; malheureusement pendant mon retour les
rameaux que j’en avais gardé se sont perdus.

Serait-ce ce que l’on a signalé comme genévrier — au-dessus
de 2.000 mètres — dans l’Atakor ?

Je redescends par un ravin vertigineux vers le bas duquel se trouve
un _Aleo_.

Les traces de mouflons sont nombreuses, et certains petits mechbeds
doivent être leur œuvre, comme sur le reg on trouve souvent des
mechbeds de gazelles.

Je sors du cirque par un épaulement au Sud de l’entaille de
l’oued, car cette entaille, semée de hautes cascades, est
impraticable ; je suis tout surpris de trouver, pour gagner la
plaine à partir de cet épaulement, un mechbed pour chameaux,
dessinant une descente compliquée et vertigineuse dans les rochers.

Ce Tellerteba paraît donc bien une forteresse de pillards, ainsi
que mes renseignements l’indiquaient, et son cirque est en effet
un poste de guerre naturel admirable : on peut s’y dissimuler
avec ses chameaux, y tenir longtemps puisqu’il y a point d’eau
et pâturages, et l’accès peut en être facilement défendu.

Du Tellerteba on peut surveiller la route du sel, de Tisemt, et
piller toute caravane qui s’y aventure.

Je comprends la mauvaise réputation de cette belle montagne,
qu’elle partage avec l’Ounan à son Nord-Est.

Le 14, par une marche Est-Ouest dans la plaine de l’Amadror, après
avoir traversé des étendues jonchées d’innombrables grenats
provenant de la démolition de micaschistes, nous gagnons l’oued
Oidenki-Amorelli, où nous campons au milieu de buttes à _Etels_,
dans un pâturage de _Guetof_ et de _Drinn_.

Le 15, nous quittons la plaine de l’Amadror pour suivre la large
vallée de l’oued Inouaouen. D’abord point de végétation, puis,
contre le massif du Tala-Malet, nous trouvons de très beaux _Telehs_,
_Agars_, _Kerenkas_ et du pâturage.

Là, une très belle mosquée targuia ; l’enceinte, très grande,
en est faite avec de grosses pierres et représente un gros travail.

Je fais une incursion dans le massif de Tala-Malet, pour reconnaître
si l’intérieur de ce massif possède des points d’eau, ainsi
qu’on me l’a dit, puis nous continuons à suivre l’oued
Inouaouen jusqu’au col, à 1.300 mètres, où nous campons au
milieu d’_Arta_, près d’un ancien camp de la colonne Charlet,
dont les défenses sont très bien conservées.

Beaucoup de _Chihe_[95].

Le 16, nous traversons successivement l’oued Tadjeret, l’oued
Terressoutin, et nous campons dans l’oued Telouhat, au milieu
de magnifiques bouquets d’_Etels_, peut-être les plus beaux que
j’aie vus.

Nous trouvons là des Eitlohen ; ils ont quitté la région du
Tellerteba précipitamment il y a peu, craignant, disent-ils, un
rezzou de Touareg de l’Ajjer (?!).

Le 17, nous suivons l’oued Terrinet jusqu’à un
important marécage avec _Taheli_ (T) (_Berdi_ [A] ; _Typha
angustifolia_ ?). Vallée charmante, avec ses colonnades de basaltes
et sa belle végétation. Nombreux redjems ; certains, en forme de
petits dolmens, semblent indiquer les abankors ; tous ces redjems,
comme je l’ai déjà dit, on leur langage, mais je ne suis pas
encore assez sûr de leur interprétation pour la donner ici.

Quoi qu’il en soit, _quand on a vu ces redjems, ces tombeaux,
ces mosquées touareg, ces monuments lithiques divers qui jalonnent
les principales routes de nomadisme au Sahara, on comprend mieux
les monuments mégalithiques de France dont certains devaient être
ainsi des redjems jalonnant les grandes routes de nomadisme ou de
commerce d’alors, d’autres aussi des lieux, des enceintes sacrés,
d’autres, enfin, des tombeaux_.

Puis nous quittons l’oued Telouhat et marchons vers le Nord-Ouest,
en montant sur le plateau volcanique d’où émerge par endroits
le Cristallin et que surmontent des volcans. Nous passons un col et
apercevons Idelès et ses palmiers, dominé par la belle gara Taderaz.

Le 18, nous gagnons Hirafock, au milieu des granites décomposés
en boules qui forment parfois des tas coniques ou _taourirts_, très
pittoresques, qui semblent comme les tas de boules de quelque Titan.

Nous traversons les oueds El-Ilou, Tahahift et Tafidjert (avec
abankor). J’observe pour la première fois un cercle sacré (?), un
cercle de quelques mètres de rayon, dessiné très soigneusement par
trois rangs de pierres contigus formant un ruban en circonférence
d’une régularité parfaite. J’insiste sur la facture très
soignée de cet ouvrage, qui le met très à part dans la série des
monuments lithiques sahariens. Cet ouvrage est situé au milieu des
granits décomposés.

Pâturage à _Guetof_.

Hirafock est un centre de culture, un peu abandonné, semble-t-il. Ce
ne sont pas les emplacements de centres de cultures qui manquent
dans l’Ahaggar, ni l’eau, mais la main-d’œuvre. J’ai noté
nombre d’endroits qui se prêteraient très bien à la culture.

A Hirafock, on trouve de beaux _Tarfas_ et des figuiers.

Le 19, suivons l’oued Hirafock jusqu’à ce qu’il tourne vers
le Nord.

Là, c’est une admiration béate : l’oued coule ; il paraît
qu’il y aurait toujours un filet d’eau en cet endroit.

Nous quittons l’oued et prenons dans la montagne (Schistes
cristallins) la direction de l’Ouest.

Les chameaux se régalent de _Chereg_.

Au Nord des coulées constituent plusieurs nappes étagées avec
cratères, comme près d’Idelès.

Nous campons dans un fond à _Chobrok_ et _Teleh_, d’où l’on
a une belle vue sur l’Atakor, avec la masse du Tahat et des hauts
plateaux.

Le 20, nous montons dans l’Atakor, en suivant un chemin très bien
établi ; le réseau hydrographique est dense et compliqué. Nous
trouvons des truffes blanches (_terfes_ [A]), en particulière
abondance. Ces _terfes_, avec le _Dahnoun_ (A) et le _Berdi_ (A)
sont des ressources en cas d’absence de vivres. Nous campons dans
l’oued Tikeneouin.

Et le temps qui était menaçant depuis quelques jours devient
mauvais et nous subissons un orage.

Les nuages sont très fréquents autour du massif du Tahat et des
massifs montagneux les plus élevés du Massif cristallin qu’ils
entretiennent ainsi dans une certaine humidité.

Le 21, nous campons dans l’oued Echchil près d’un abankor avec
lauriers-roses, au pied du Tahat. L’altimètre marque 1.730 mètres.

Le 22, nous gagnons par le Nord du Tahat, par un épaulement du Tahat
à plus de 2.000 mètres, l’oued Ti-n-Iferan situé beaucoup plus
bas ; campons dans cet oued près de son confluent avec l’oued
Tellet-Mellel, et près d’une source située dans le voisinage de
beaux figuiers ; l’altimètre marque alors 1.720 mètres. Aperçu
un tombeau et une roche gravée de tifinars.

Le 23, même camp.

Le 24, retour à l’oued Echchil.

Le 25, je gagne l’oued In-Fergan en remontant l’oued Abedassen
d’abord, puis en appuyant à l’Est dans des plateaux semés de
majestueuses aiguilles volcaniques.

Le 26, je descends vers l’oued Terroummout par de vastes coulées
étagées d’où émerge à ma gauche le pittoresque Akrakar ;
à droite l’Isekram.

Je trouve un _Calosome_. Les Coléoptères au Sahara sont surtout
représentés par des _Ténébrionidés_ (_Pimelia_, _Blaps_, etc.),
des _Curculionidés_ (_Cleones_, _Apions_, etc.) et des _Carabidés_
(en particulier le _Tamanrasat_).

Puis sous les coulées, vers le bas, réapparaît le Cristallin avec
un point d’eau important agrémenté de palmiers et dans lequel
je trouve de nombreux papillons noyés — parmi lesquels de très
beaux _Sphynx_.

L’oued devient très humide dans les Schistes cristallins,
profondément gravé, et sa végétation assez belle ; en particulier,
il y a de fort beaux lauriers-roses. Il prend plus loin le nom
d’oued Tamanrasat.

Je campe au pied d’une aiguille de lave prismée au milieu des
tentes du caïd Oini.

Le 27, le 28 et le 29, Tamanrasat.

Le 30, le 31 et le 1er avril, retour par la même voie jusqu’à
l’oued Echchil. Je rencontre en particulier les campements d’Anaba
et ceux de la Tamenoukalt, que j’avais déjà rencontrés à
l’aller.

Je gagne, de l’oued Echchil, l’oued Tikeneouin, où je passe,
le 2, non loin d’un abankor.

Le 3, retour à l’oued Echchil.

Le 4, le 5 et le 6, repos et étude de l’oued Echchil et de ses
environs.

Le 7, je gagne l’oued Tamzizek par l’oued Tiniferan et l’oued
Arrou, ce dernier d’abord encaissé très pittoresquement dans
les roches grenues, ensuite dans les Schistes cristallins ; beaucoup
d’eau partout.

Le 8, je gagne In-Amdjel par l’oued Arrou, puis l’oued Tessert
à l’Est de l’oued Arrou, puis l’oued In-Tayet, à l’Est de
l’oued Tessert. Beau développement de terrasses d’alluvions ;
quelques abankors à fleur de terre.

A signaler de beaux Cipolins dans la région de l’oued Tessert.

Belle végétation arborescente, en particulier dans les oueds Arrou
et Tessert.

Le 9 et le 10, In-Amdjel.

Je visite le centre de culture d’In-Amdjel.

Un jeune Targui, Retaman-ag-Baba Ahmed me rappelle étonnamment
un buste de Toutankamon. Il est de race targui pure. L’on
attribue souvent une origine lybique et peut-être égyptienne aux
Touareg. Leurs cheveux tressés, les croix abondamment répandues
comme ornements sur tout ce qui est targui, leur type n’est pas
pour faire rejeter cette origine orientale des Touareg[96].

A In-Amdjel passe la piste automobile qui traverse le Sahara et mène
au Niger ; une équipe travaille à la réparer pour le passage du
raid Citroën qui ne sera pas la première traversée du Sahara
en auto car le lieutenant =Fenouil= _l’a déjà traversé avec
plusieurs autos à roues. De la première traversée du Sahara en
auto l’honneur revient à nos officiers_.

Le 11, je gagne Teneleft près du Touferert (Toufrik). C’est une
curieuse aiguille de roche grenue. Je campe dans les campements
d’Abadoroul des Kel-Terourirt.

Le 12, pays de granits. Je passe par l’Anou (puits)
oua-n-Tinifouk. A gauche les monts In-Tafargui, et à droite et en
arrière les monts Igematen.

On aperçoit encore au Sud le Tahat.

Je gagne le bas du massif de Briri où je campe près de l’oued
Amelak. Beaucoup d’_Acheb_, _Lehema_ et _Rabiè_.

Le 13, je longe le massif du Briri et je campe près de l’oued
Teneleft, dans le voisinage des tentes de Mohamed-ag-Iknane des
Kelindrar.

Les granits ont là des formes extraordinaires dues à une corrasion
intense superposée à l’insolation.

Je vais voir dans la montagne une petite source permanente : Naher,
accessible aux ânes seulement.

Le 14, repos.

Le 15, je gagne l’oued Adenek et le Anou (puits) Adenek, en laissant
à droite les monts Isk, Iskaouen, Ahellakan, les oueds Tin-Sebra
et Tinian.

Je rencontre un superbe cercle, dans le genre de celui rencontré
entre Idelès et Hirafock, mais de diamètre beaucoup plus grand. Au
milieu se trouve un petit carré dessiné par des pierres. Peut-être
l’emplacement du feu sacré, car d’aucuns prétendent que ces
cercles sont des restes du culte persan du feu[97] que les Touareg
auraient eu avant d’être musulmans, ce qui est possible.

Je remonte l’oued Adenek jusqu’à un beau _Tarfa_ près duquel
j’établis mon camp.

Le 16, je suis l’oued Adenek un moment, puis le quitte et suis
un mechbed en direction du mont Iskarneier. Je passe dans l’oued
Tintamahé (qui se jette dans l’oued Abezzou), puis dans l’oued
Entenecha où se trouve un bon abankor, puis dans l’oued Martoutic.

Je remonte l’oued Martoutic ; sur sa rive droite, dans la montagne,
je vais visiter l’abankor Tahara (avec palmiers, lauriers-roses
et joncs [_Juncus maritimus_]) et je campe au confluent des oueds
Aor et Tintahouin, qui forment l’oued Martoutic.

L’Iskarneier et l’Intakoulmont sont, à l’Est de l’oued
Martoutic, deux cimes élevées très importantes du Tifedest,
remarquables en particulier comme type de desquamation des granits,
car ce sont d’étonnantes coupoles polies émergeant d’un
amoncellement de boules.

Le 17, je vais voir l’abankor de l’oued Aor, puis je gagne la
source d’In-Ebeggi, par l’oued Ehan-nebra, le mont Babaia étant
à l’Est.

Nous laissons à droite l’Adrar Hellelè et gagnons l’oued
In-Takoufi (qui continue l’oued Ehan-nebra, après In-Ebeggi)
par l’oued Goulgoul, affluent de sa rive droite.

A gauche, la montagne Hogeda et Adrar Dinaleouin ; à droite, Adrar
Oscindida, Adrar Agenora, Agelaga, Amerê.

[Illustration : PLANCHE XVI.

Le Pays cristallin. L’aguelmam Tahara, près de l’oued Martoutic
(Tifedest).

Végétation avec _Juncus maritimus_, palmier et laurier-rose en
fleurs. — Un Targui et son méhari.]

De l’oued In-Takoufi, traversant son affluent de droite,
l’oued Timaratin, dont la vallée amont abrite des points d’eau
importants et doit être très intéressante, je gagne le passage
de l’Henderiqui où nous campons. Pâturage d’_Arta_. Nombreuses
antilopes mohor.

Le 18, traversons l’oued Intounin, dont l’amont est important par
ses puits, l’oued Ouhet, également riche en eau à l’amont,
laissons à droite l’oued Agellagan, contournons le mont
Tileouin-Hanker et campons près de l’oued Ens-Iguelmamen, au
pied de la gara Ti-Djenoun, de l’Oudan, après avoir abreuvé les
chameaux à l’aguelmam d’Ens-Iguelmamen.

L’impression générale qui se dégage des régions du Tifedest
que nous avons parcourues est qu’il est très avantagé à
divers points de vue, et en particulier que les centres de culture
y pourraient être nombreux (il y en a plusieurs abandonnés) sans
l’absence de main-d’œuvre agricole que la suppression théorique
de l’esclavage a créée dans ces pays.

_Le Tifedest possède au plus haut degré l’avantage d’avoir des
vallées humides ; il joue un rôle important dans la richesse des
Issekemaren, les riches plébéiens des Kel-Ahaggar, et ses produits
d’élevage camelin sont parmi les meilleurs de l’Ahaggar._

_C’est certainement une des régions les plus richement dotées du
pays des Kel-Ahaggar en même temps que vraiment des plus pittoresques
et originales._

Le 19, je gagne directement le confluent de l’oued Taremert-n-Akh
avec l’Igharghar, près d’Egeleh. C’est maintenant un
tanesrouft, le pays plat de l’Avant-pays cristallin, pays
absolument nu.

J’aperçois une grande antilope près d’Egeleh.

A signaler des tombeaux (?) nombreux, en gâteaux ronds bien bâtis,
avec des sortes de branches radiées, généralement deux. Sont-ce
des tombeaux ou des signaux ?

Je campe dans l’oued Taremert-n-Akh, près d’un peu d’_Arta_
sec.

Le 20, je gagne Amguid, où je retrouve de la végétation (de
l’_acheb_) et des montagnes : l’Enceinte tassilienne.

Le 21 et le 22, repos à Amguid.

Le 22 et le 23, raid à Iraouen.

Du 24 au 1er mai, repos forcé à cause de mon état de santé.

Certains de mes Touareg également sont malades ou blessés ; et
j’ai ainsi l’occasion de voir des femmes touareg dans le rôle
de médecin ; car ce sont, en pays targui, les femmes qui connaissent
les vertus des simples et l’art de guérir.

Pour les blessures elles font usage en particulier d’applications
de plantes, principalement de cédrat ; en médecine générale elles
font grand usage de la saignée et de sortes de cornets avec lesquels
elles tirent du sang en des endroits choisis, particulièrement à la
nuque ; ces cornets jouent un peu le rôle de ventouses scarifiées ;
elles mettent aussi des applications de crottin sur les tempes ;
elles connaissent les propriétés laxatives du senné (qui pousse
en terre d’Ahaggar), etc., etc.

Les 2, 3, 4 et 5, raid au Tahihaout, par Tounourt Tin-Tedjert,
l’oued Arami, Tihoubar (source avec vrais roseaux [_Phragmites
communis_]), l’oued Ti-Gamahen et l’oued In-Tmanahen (point
d’eau permanent et aguelmam).

Tuons des mouflons.

C’est la chasse préférée des Touareg que celle du mouflon
(ils méprisent la chasse à la gazelle, dans laquelle excellent
par contre les Arabes).

Quand le Targui part pour chasser, il cherche à ne pas être vu ;
cela porte malheur ainsi que les souhaits ; et à son retour il
vous fait les honneurs de la bête en vous apportant sa tête avec
la queue coupée mise entre les dents.

Le mouflon séché, boucané, est un des éléments constitutifs de
leurs réserves de vivres ; ils en font également le commerce ;
du poil des manchettes, ils font des cordes très résistantes,
ainsi que des chasse-mouches de nobles seigneurs ; des cornes,
quand elles sont grandes, des récipients pittoresques.

Le mouflon est considéré, semble-t-il, comme un des produits des
terrains de parcours et, comme tel, la chasse n’en semble admise
pour les tribus que sur leurs propres terrains de parcours.

Nous rencontrons de nombreuses mosquées à la manière targuia et
un tombeau de marabout.

Dans le Tahihaout, j’essaie de m’emparer à la course d’ânes
redevenus sauvages que l’on m’avait signalés. Ce n’est
pas facile.

Du 6 au 19, je suis retenu à Tounourt et Amguid par une violente
crise d’appendicite qui préludait depuis quelques jours.

Les Touareg me soignent et je garde un souvenir reconnaissant en
particulier aux Forassi de la descendance d’El-Hadj-el-Foki qui
m’entourent d’affection.

C’est une section raffinée des Touareg ; leurs femmes sont très
recherchées pour leur beauté, leur finesse et leur bonne éducation,
et la dot que doit donner leur mari est particulièrement élevée.

Et je vérifie encore combien est nuancé le code de la civilité
touareg et combien ils ont de formes de respect pour les femmes de
haut lignage, pour les vieillards, etc., etc.

J’y apprends également combien ils craignent la déesse
Némésis. Il convient par exemple de ne jamais les féliciter sur
le nombre de leurs chameaux ou de leurs jeunes bébés chameaux
quand ils vous font l’honneur de leurs troupeaux, car cela porte
malheur, disent-ils, un rezzou est si vite arrivé qui change la
face des choses ! Il convient de ne même pas dire avec admiration :
« Qu’il y en a ! », il convient tout juste de dire : « Il y en
a quelques-uns », quand il y en a beaucoup.

Les Touareg cachent leur fortune ; s’ils sont voilés quant à leur
figure, ils le sont aussi quant à leurs biens et d’ailleurs quant
à tout. Nous ne savons pas en particulier ce qu’ils cachent dans
leurs grottes secrètes, ce qu’ils y entassent. Ces cachettes,
placées en général dans le terrain de parcours de leur tribu,
où ils mettent leurs biens, leurs provisions, ont souvent fait
trotter mon imagination quand ils allaient y chercher des vivres
(dattes, blé, mouflon séché, etc.). Depuis des siècles des
objets curieux s’y sont peut-être entassés !... Les deux fusils
que j’ai trouvés près de Tin-Edness appartenaient, paraît-il,
au père d’un Eitlohen (Oinkara) ; ils lui venaient de son père,
etc., etc., et ils étaient depuis longtemps cachés dans la grotte
que lui seul connaissait, où je les découvris. Dans ces cachettes
peuvent donc dormir des armes anciennes des Touareg (celles en tous
les cas qu’on leur voit arborer dans les grandes cérémonies et
qui sortent alors comme par enchantement) et beaucoup de vieilles
choses. Peut-être là trouverait-on quelques éléments pour
l’histoire des Touareg, si informe encore.

Que de voiles encore à déchirer couvrent les mystérieux
Touareg[98].

Pendant ces quelques jours je subis de nombreux vents de sable.

C’est d’ailleurs habituel en avril-mai. Aussi est-ce une période
peu sûre dans ces régions, car les Touareg, sachant que leurs traces
seront ainsi effacées, profitent souvent des vents de sables pour
faire leurs raids de pillages.

Le 19, je vais à la Source du Figuier pour m’assurer de mon
rétablissement.

A signaler contre la montagne un groupe de tombeaux (?) orientés,
à guirlandes, allées, tumuli, etc., près de Tin-Tarabin, à
mi-chemin entre Tin-Eselmaken et Tit-Tahart.

Le 20, gagnons l’oued Raris en traversant l’erg d’Amguid.

Le 21, je passe au pied de la pointe des Grès inférieurs
d’In-Touareren ; là, un tombeau (?) ancien, orienté, à guirlandes
de pierres, tumuli, etc., en vague croissant, est à signaler.

Traversons l’oued Tidilekerer ; remontons sur les Tassilis internes
de l’Emmidir par l’oued Tin-Tarahit (au Nord, l’oued Asaouen
mène à l’oued Tilia ou Henin). Tombes islamiques[99].

Descendons dans la cuvette de Tiounkenin, poussons une pointe au Sud,
jusqu’à l’aguelmam Afelanfela (ou Deïtman), dans le voisinage
duquel je dois signaler également un monument lithique du type à
allées, guirlandes de pierres et tumuli.

Le 22, passons à l’abankor de Tiounkenin.

Gisement de Graptolithes.

Après la traversée des Tassilis externes par l’oued
Khanget-el-Hadid, où se trouve l’aguelmam Hindebera, arrivons
dans le mader Amserha, d’où nous remontons vers le Nord, vers
les puits de l’oued Tilia.

Le 23, 24 et 25, oued Tilia. Beau pâturage de _Had_ et de _Drinn_.

Le 26, le 27 et le 28, traversons les Pays pré-tassiliens par
l’oued Abadra (abreuvage à un puits), pour aboutir à Aïn-Redjem.

Le 29, Aïn-Ksob.

C’est la fin du Ramadan, et pour marquer ce jour mes Touareg
édifient une mosquée à leur manière dans laquelle ils se livrent
à de nombreuses prières.

Le 30, Aïn-El-Hadj-el-Bekri (Tihoubar).

Tombeaux d’El-Hadj-el-Bekri et autres membres de sa famille.

Des dattes sont déposées sous la protection du marabout, ainsi
que d’autres objets.

Je crois qu’une partie est destinée à la famille d’El
Hadj-el-Foki, sinon tout. On ne doit pas toucher à ces provisions,
paraît-il, que si l’on est près de mourir de faim, en danger de
mort, et les remplacer ensuite dès qu’on le peut.

Ce qu’il y a de curieux, c’est que les Touareg, pourtant pillards
dans l’âme, respectent cette règle ; ils n’aiment d’ailleurs
que le vol à main armée, qui seul est noble, et qui d’ailleurs
n’est pas toujours un vol, puisque c’est souvent un vieux compte
que l’on règle.

Le 31, je fais d’une traite le parcours Tihoubar,
Foggaret-el-Arab. La région est désolée ; il y a absence complète
de pâturage : c’est bien le Tidikelt.

Le 1er juin, repos à Foggaret-el-Arab.

Le 2, Foggaret-el-Arab-In-Salah.

J’apprends, à mon arrivé, que l’on m’avait cru assassiné
ou grièvement blessé et que non seulement des patrouilles avaient
été à la recherche de renseignements sur mon sort, mais encore
qu’on s’était préparé à monter une mission pour aller à
mon secours ou me venger si cela avait été nécessaire.

                               * * * * *


[Note 80 : Ou Hoggar.]

[Note 81 : Ces « impressions de route », tirées de mon journal
de route, sont extraites du texte d’une conférence que j’ai
prononcée le 24 avril 1923 à Grenoble devant le _Club Alpin_
(Section de l’Isère) de même qu’un article « Seul au Hoggar »
que j’ai livré à la revue _La Vie Tunisienne Illustrée_ en mai
1923 et qui y a paru en décembre de la même année.]

[Note 82 : C’est ainsi que l’on peut appeler d’un nom descriptif
et point trop inexact puisque le mimosa de France est un Acacia,
les _Tamat_, _Teleh_ et _Ahtés_ (_Acacia Seyal_, _Acacia albida_
et _Acacia tortilis_).]

[Note 83 : Tagoulmoust (T).]

[Note 84 : Dans le sens héraldique du mot.]

[Note 85 : Le sol de la Crau rappelle assez certains sols de reg. Il
y aurait peut-être lieu de se demander si ce sol de la Crau ne
s’est pas constitué lors d’un climat plus ou moins désertique.

De nombreuses raisons géologiques me font soupçonner que cette
hypothèse n’est pas loin de la vérité.]

[Note 86 : Porphyre est ici employé dans le sens vulgaire.]

[Note 87 : _Edelés_ en Tamahak veut dire « lieu cultivé ». Idelès
est un des plus beaux _Edelés_ de l’Ahaggar.]

[Note 88 : _Arrem_ en Tamahak veut dire « village », « centre de
sédentaires », Kel arrem (sédentaires) est opposé à nomades.]

[Note 89 : Dans le Massif Central Saharien on distingue de l’Ouest
à l’Est trois groupes de Touareg : le groupe des Kel-Ahaggar de
l’Ettebel des Taïtok, avec l’Ahnet comme centre ; celui des
Kel-Ahaggar du Grand Ettebel, avec l’Atakor de l’Ahaggar et,
enfin, celui des Kel-Ajjer, avec l’Ajjer.]

[Note 90 : Sortes de toges blanches ornées de bandes écarlates ou
pourpres et de points bleus.]

[Note 91 : Sinon celles des explorations de Duveyrier.]

[Note 92 : Tirées de mon journal de route.]

[Note 93 : D’après les Touareg il ne faudrait pas approcher son
visage des belles fleurs roses des Kerenka ; cela donnerait mal
aux yeux.]

[Note 94 : La grande piste saharienne qui passe par l’Oued Tedjert,
Tisemt et l’Amadror est certainement une des ces vieilles pistes
sahariennes essentielles comme la piste d’In Size dont nous trouvons
déjà l’indication dans les cartes espagnoles du xve siècle.]

[Note 95 : _Artemisia_.]

[Note 96 : Les Touareg ont souvent des clochettes pendues au cou de
leur mehari ; tout ce qui est Arabe ne se sert pas de clochettes ;
les cloches et clochettes ont quelque chose de chrétien ; les
Touareg ont-ils passé dans les premiers siècles de notre ère par
une phase chrétienne à laquelle des relations avec la Lybie et
l’Egypte n’auraient pas été étrangères ? C’est là une
question encore sans réponse sûre.]

[Note 97 : Le culte du feu existerait chez certaines tribus du
Soudan Egyptien, ce qui est déjà plus près de l’Ahaggar que la
Perse et par suite pourrait nous éclairer peut-être davantage sur
beaucoup de questions encore très mystérieuses qui se posent en
terre d’Ahaggar.]

[Note 98 : Je ne me suis guère étendu dans cet ouvrage sur
les Touareg (caractère, mœurs, droit, organisation sociale,
etc.). Duveyrier en a admirablement traité à propos de sa
pénétration des Touareg de l’Ajjer, et on ne saurait en écrire
après lui.

Plus on connaît les Touareg plus on s’aperçoit de l’exactitude
de Duveyrier à leur sujet. Je suis fier de rappeler ici que ce
premier explorateur du pays targui était un jeune géologue
de 23 ans. C’est un bel exemple entre d’autres du rôle
glorieux qu’ont joué les scientifiques, dans la conquête et la
pénétration du Sahara Central.]

[Note 99 : On doit remarquer que les tombes nettement islamiques,
c’est-à-dire avec pierres-témoin plutôt rares en pays targui,
quand on compare leur nombre à celui des monuments lithiques divers
qu’on y rencontre.]



                              CONCLUSIONS
                               * * * * *


Dans ce travail l’étude géologique et morphologique du pays
nous a permis de distinguer, dégager et définir un certain nombre
de régions et sous-régions, un certain nombre « _d’unités
structurales_ ».

I. Les pays crétacico-tertiaires sud-constantinois avec leur bord
relevé à la périphérie constituant au Sud la Hamada de Tinghert
et le Tademaït.

II. Le Massif Central Saharien comprenant :

  1. Les Pays pré-tassiliens ;

  2. L’Enceinte tassilienne avec :

    _a)_ Les Tassilis externes ;

    _b)_ Les Tassilis internes ;

  3. Le Pays cristallin avec :

    _a)_ L’Avant-pays cristallin ;

    _b)_ Le Massif cristallin.

_La distinction de ces unités de structure homogène nous paraît
importante au point de vue géologique et géographique._

                                   *
                                  * *

Nous avons indiqué par une rapide mise au point botanique et
zoologique combien la distinction inspirée par les considérations
géologiques et morphologiques entre les pays crétacico-tertiaires
sud-constantinois et le Massif Central Saharien était légitimée
aussi par les caractères de la végétation et de la faune.

On constate un grand changement dans la flore quand l’on passe du
Sahara arabe dans le pays targui.

On remarque en outre :


la concentration de la végétation persistante sur le réseau
hydrographique auquel elle est étroitement limitée (sauf cas de
sable, cas plutôt rare), alors qu’en pays crétacico-tertiaires
(particulièrement atteints par la « maladie des sables ») la
végétation persistante est largement diffuse ;

les caractères de cette flore persistante beaucoup moins adaptée
à la sécheresse, donc beaucoup moins désertique que celle des
pays crétacico-tertiaires ;

la conservation d’une flore persistante de pays humides et d’une
faune dulcaquicole complète composées d’espèces survivantes,
à représentants dispersés de temps beaucoup plus humides.


(Les autres massifs sahariens géologiquement et morphologiquement
comparables, les autres massifs cristallins du « Faîte saharien »,
avec leurs enveloppes primaires, sont peut-être ainsi de même au
point de vue zoologique et botanique en opposition avec les pays de
calcaires secondaires ou tertiaires et de sables qui les entourent
plus ou moins au Nord et au Sud).

                                   *
                                  * *

C’est ainsi que la flore et la faune du Massif Central Saharien
semblent témoigner de l’existence d’un passé humide au Sahara.

On peut croire que le réseau hydrographique du Sahara en
disproportion avec l’activité actuelle des oueds est également
un héritage de ce passé humide.

Et ainsi la flore, la faune du pays targui et le réseau
hydrographique saharien fournissent un faisceau de raisons de croire
qu’un passé humide a régné sur le Sahara.

Nous ne sommes pas le premier à émettre cette hypothèse, mais
la question nous a paru ne pouvoir que gagner à une mise au point,
appuyée souvent de précisions nouvelles.

Pour l’explication de ce passé humide, qui reste encore un point
à éclaircir, nous avons cru devoir faire un exposé de la question
de la mer saharienne car, au cas où des golfes méditerranéens
et de l’Océan Atlantique auraient pénétré profondément le
Sahara on s’expliquerait des précipitations atmosphériques plus
considérables desquelles l’influence de volcans en activité et
une plus grande élévation du Massif Central Saharien ne semblent
des explications ni suffisantes, ni bonnes.

Et nous avons conclu que contrairement à l’opinion généralement
admise actuellement _la question n’est pas réglée définitivement_
et qu’on ne peut rejeter encore, sans éléments nouveaux,
l’hypothèse des golfes sahariens.

                                   *
                                  * *

Au cours de cet exposé par unités structurales, nous avons mis
en lumière le rôle joué par les sédiments siluriens dans les
formations de l’Enceinte tassilienne.

Nous avons montré que les Grès inférieurs des Tassilis internes
sont plus anciens que les Schistes à Graptolithes (siluriens) et
qu’ainsi toute une partie des Tassilis est plus ancienne qu’on
ne le croyait.

Nous avons esquissé la carte générale d’affleurement de ces
Schistes siluriens à Graptolithes et des Grès qui leur sont
inférieurs.

Ces résultats ont une notable répercussion sur la géologie des
vastes domaines de grès de l’Afrique Centrale et Occidentale
française dont ils peuvent contribuer à démêler les traits
par analogie.

Ces résultats permettent ainsi de croire que les sédiments siluriens
jouent un rôle important dans ces immenses pays[100].

Nous avons également indiqué que l’on peut maintenant considérer
les Schistes cristallins de l’Ahaggar comme plissés à l’époque
algonkienne et comme eux-mêmes anté-cambriens.

On peut admettre également cet âge anté-cambrien pour les
Schistes cristallins d’immenses régions du Sahara, ainsi que leur
plissement à l’époque algonkienne, entre autres les régions de
l’Adrar des Iforas, de l’Aïr, du Tibesti (la partie qui est en
Schistes cristallins), de l’Eglab et d’Amseiga (au nord d’Atar,
en Mauritanie).

Et c’est tout un « bouclier algonkien », un « faîte ancien »
qui est révélé, le « =Faîte saharien= »[101].


Dans ces conclusions, nous n’irons pas plus avant dans la mise en
relief des résultats scientifiques de notre exploration exposés
au cours de ce travail.

Ceux-là, rappelés dans ces dernières lignes, suffisent déjà,
croyons-nous, à légitimer la mission[102] scientifique en Sahara
central au point de vue géologique, géographique et biologique
dont nous avait chargé, en 1921, M. le Ministre de l’Instruction
Publique.

  _Grenoble, le 15 mars 1924._


[Illustration : MASSIF CENTRAL SAHARIEN DE L’AHAGGAR

Croquis Schématique de l’“ Enceinte Tassilienne ” par Conrad
Kilian 1922]


[Note 100 : Cette hypothèse paraît particulièrement vraisemblable
quand on rapproche ces observations de celle de M. Sainclair.]

[Note 101 : Nous nous proposons dans des missions ultérieures
d’étudier ces différentes régions du « _Faîte saharien_ »
avec leurs enveloppes primaires en particulier par une mission
d’exploration _d’Est en Ouest_ du Sahara d’Atar en Mauritanie
à Bardaï dans le Tibesti en passant par ses régions médianes et
en coupant les pistes transahariennes par leur milieu, l’aller,
passant par le Djouf et Tamanrasat ; le retour par Tummo Tamanrasat,
In Size, Ouallen, le Sud d’Ouallen, l’Eglab et le Hank.

Les régions inconnues du coude du Tafassasset, où certains
prétendent qu’existent les ruines d’une ville antique, et de
l’Ouest de l’Acedjerad rentrent en particulier dans ce programme
d’exploration.

Nous espérons qu’on nous donnera les moyens de la réaliser.]

[Note 102 : Mission _gratuite_, c’est-à-dire non aux frais du
gouvernement.]



                          TABLE DES PLANCHES
                               * * * * *

            =Pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.=

                                                                   Pages

     I.  —  Plaine au Sud d’Ouargla                                   40

    II.  —  Dans les dunes près de Hassi et Khollal                   46

   III.  —  Dans le Gassi Touil                                       52

    IV.  —  Dans la Hamada de Tinghert                                54

     V.  —  Modelé désertique dans le Djoua                           62

                      =Massif Central Saharien.=

                         ENCEINTE TASSILIENNE

    VI.  —  Le bord des Tassilis externes qui domine le Tahihaout     64

   VII.  —  Le bord des Tassilis internes, près d’In Ebeggi           68

  VIII.  —  La gorge de l’oued Iskaouen dans les Tassilis internes    78

                           PAYS CRISTALLINS

    IX.  —  Les Basaltes de Tin ed’ness (Egéré)                       90

     X.  —  « Monad nock » à l’Est de Tin ed’ness (Egéré)             96

    XI.  —  Dans l’oued Telouhet, près d’Idelès (Ahaggar)            120

   XII.  —  La haute-plaine de l’Amadror et le Tellerteba            146

  XIII.  —  Le Tellerteba vu de l’oued In Sakan (Anahef)             148

   XIV.  —  Idelès, dans l’Ahaggar. — La Tamenoukalt. — Une
            aiguille volcanique                                      150

    XV.  —  La Gara-ti-Djenoun (Oudan)                               154

   XVI.  —  Tahara, près de l’oued Martoutic (Tifedest)              176

                                CARTES

  1. Carte d’itinéraire général                                       10

  2. Coupe géologique de l’Enceinte tassilienne                       66

  3. Carte du Massif Central Saharien avec le figuré de l’Enceinte
     tassilienne en rouge                                            186

                               * * * * *



                          TABLE DES MATIÈRES
                               * * * * *

                                                                   Pages

  INTRODUCTION                                                         7

                           =PREMIÈRE PARTIE=

            DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES SUD-CONSTANTINOIS
                 OU DU SAHARA ARABE SUD-CONSTANTINOIS

    I. —  =Études géologiques.=

            De la mer saharienne plio-pléistocène                     11

            De l’origine de la dépression Sud-Tinghert                17

            Des troncs d’arbres silicifiés                            22

            Du Crétacé du Tinghert et du Djoua                        23

         =Du projet de Transsaharien Souleyre.= (Région du Gassi Touil
             et du Tinghert.)

            Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée                27

            Ressources en eau                                         31

   II. —  =Etudes botaniques.=

              De la flore des pays crétacico-tertiaires
              sud-constantinois                                       39

            Du pâturage et du pâturage en Sahara arabe                43

  III. —  =De mon itinéraire.=

           _De Touggourt à Temassinin. — Impressions de route._       49

             Notes de route                                           55

                           =SECONDE PARTIE=

             DU MASSIF CENTRAL SAHARIEN OU DU PAYS TARGUI
                          (AHAGGAR ET AJJER)

    I. —  =Etudes géologiques.=

            Des Pays pré-tassiliens                                   64

            De l’Enceinte tassilienne                                 65

            Du Pays cristallin                                        79

          =Du projet de Transsaharien Souleyre.= (Région d’Amguid).

            Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée               103

            Ressources en eau                                        104

   II. —  =Etudes botaniques.=

              De la flore du Massif Central Saharien                 113

            Du pâturage dans le Massif Central Saharien et de
            l’élevage targui                                         131

  III. —  =Etudes zoologiques.=

            De la faune dulcaquicole du pays targui                  139

   IV. —  =De mon itinéraire.=

            _De Temassinin à In-Salah par l’Ahaggar. — Impressions
            de route_                                                143

              De Temassinin à In-Salah, par l’Ahaggar. — Notes de
              route                                                  156

  CONCLUSIONS                                                        183

                               * * * * *


                                               SOC. AN. M. WEISSENBRUCH
                                             IMPRIMEUR DU ROI. BRUXELLES



Note du transcripteur:


  Page 74, " direction sud-méridienne " a été remplacé
  par " sub-méridienne ".

  Page 75, la phrase " monts de Tisekfa, d’Adrar-n’Taserest
  (Djebel Tanelak), " qui est dupliquée a été supprimée.

  Page 110, note 57, " _Calatropis procera_ " a été remplacé
  par " _Calotropis_ ".

  Page 120, la référence à la note 61 était absente. Il a été
  placé juste après " _a)_ L’_Etel_ ".

  Page 122, " plutôt mériterranéen " a été remplacé
  par " méditerranéen ".

  Page 131, note 66, " _Colligonum comosum_ " a été remplacé
  par " _Calligonum_ ".

  Page 171, " _Typha augustifolia_ " a été remplacé
  par " _angustifolia_ ".

  La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques
  corrections mineures.




*** End of this LibraryBlog Digital Book "Au Hoggar : mission de 1922" ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home