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Title: Curiosités judiciaires et historiques du moyen âge. Procès contre les animaux
Author: Agnel, Émile
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Curiosités judiciaires et historiques du moyen âge. Procès contre les animaux" ***


produced from images generously made available by the
Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



                               CURIOSITÉS
                       JUDICIAIRES ET HISTORIQUES
                              DU MOYEN ÂGE

                       PROCÈS CONTRE LES ANIMAUX

                            PAR ÉMILE AGNEL


                             Parler sans haine et sans crainte, dire
                             toute la vérité et rien que la vérité.

                                 PARIS

                        J. B. DUMOULIN, LIBRAIRE
                     QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 13

                                  1858



ON TROUVE À LA MÊME LIBRAIRIE:


AGNEL (E.). Observations sur la prononciation et le langage rustique des
environs de Paris. In-18. 3 fr.

ARCHIVES DE L'ART FRANÇAIS, recueil de documents inédits relatifs à
l'histoire des arts en France. _Paris_, 1851-1858. 8 vol. in-8º. 60 fr.

  Cette publication, qui se continue depuis 1851, s'adresse
  non-seulement aux amateurs de curiosités historiques, mais à tous ceux
  qu'intéresse sérieusement l'histoire de l'art national. Des études sur
  nos grands maîtres, tels que Lesueur, Puget, Greuze, etc., y alternent
  avec des documents variés, qui tantôt éclairent les détails les plus
  intimes de la vie des artistes, tantôt font connaître les
  circonstances dans lesquelles ils ont exécuté leurs travaux. C'est
  dans ce recueil, publié sous la direction de MM. de Chennevières et de
  Montaiglon, qu'a paru un des plus remarquables ouvrages du
  dix-huitième siècle, l'_Abecedario_ de Mariette, le savant et délicat
  amateur dont les jugements en matière d'art ont eu pendant longtemps
  et conservent encore une si légitime autorité. On peut donc
  recommander une publication qui répond si heureusement à son titre en
  révélant à l'art contemporain quelques-unes des pages les plus
  curieuses de son passé.

_(Note extraite de la Revue des Deux-Mondes, du 1er mai 1858.)_

BORDIER et LALANNE. Dictionnaire de pièces autographes volées aux
bibliothèques publiques de la France, précédé d'observations sur le
commerce des autographes. _Paris_, 1853. In-8º. 10 fr.

CHASSANT. Paléographie des chartes et des manuscrits du onzième au
dix-septième siècle. Pet. in-8º, avec planches in-4º. 8 fr.

  Approuvé par le ministre de l'instruction publique, d'après l'avis du
  comité des chartes, pour la lecture des anciennes écritures.

DU BOIS. Recherches archéologiques, historiques, biographiques et
littéraires sur la Normandie. _Paris_, 1843. In-8º br. 5 fr.

  Ce volume contient d'intéressants détails sur les possédés en
  Normandie, le poète Montchrestien, François de Civille trois fois mort
  et trois fois ressuscité, le chevalier de Clieu, qui dota la France du
  café, etc. La dernière partie de l'ouvrage est consacrée aux préjugés
  et superstitions, loups-garous, revenants, sortiléges, etc.

FILLON. Monnaies françaises inédites, _Paris_, 1853. In-8º, avec 10
planches représentant plus de 200 monnaies, br. 10 fr.

-- Considérations historiques et artistiques sur les monnaies de France.
_Fontenay_ (Vendée), 1850. In-8º, avec 4 planches, br. 7 fr.

LENOIR. Traité historique de la peinture sur verre, et description de
vitraux anciens et modernes, pour servir à l'histoire de l'art en
France. _Paris_, 1856. Gr. in-8º, avec 66 planches gravées sur cuivre.
Cart. 15 fr.

  Cette édition a été tirée à 85 exemplaires. On y a ajouté un
  supplément, deux tables et douze planches qui ne se trouvent pas dans
  l'édition précédente.

MÉMOIRES de l'Académie celtique, ou Recherches sur les antiquités
celtiques, gauloises et françaises. _Paris_, 1807-12. 6 vol. in-8º, fig.
48 fr.

MÉMOIRES inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie
royale de peinture et de sculpture, publiés d'après les manuscrits
conservés à l'école impériale des Beaux-Arts. _Paris_, 1854. 2 forts
vol. in-8º, br. 15 fr.

  Cet ouvrage, publié sous les auspices de M. le ministre de l'intérieur
  et auquel M. Vitet a consacré une longue étude dans le _Journal des
  Savants_, est, avec celui de d'Argenville, le travail le plus
  important que nous ayons sur l'histoire des artistes français. Les
  biographies qu'il contient proviennent toutes des anciennes archives
  de l'Académie; les unes sont l'oeuvre de ses historiographes, les
  autres sont les renseignements mêmes communiqués par les familles.

-- Le même ouvrage, _papier de Hollande (tiré à 25 exemplaires)_. 25 fr.

MÉMOIRES sur les langues, dialectes et patois, tant de la France que des
autres pays (avec la traduction de la parabole de l'Enfant prodigue en
85 patois différents). _Paris_, 1824. In-8º (t. VI des Ant. de France),
br. 6 fr.

WOILLEZ. Archéologie des monuments religieux de l'ancien Beauvoisis
pendant la métamorphose romane. _Paris_, 1856. Fort vol. in-fol., orné
de 129 planches représentant plus de 1,200 sujets; avec une carte
archéologique indiquant les abbayes et prieurés, etc. Cartonné, non
rogné. 50 fr.

  Cet ouvrage, fruit de longues années de travail, contient les
  monographies de plus de cent églises ou portions d'églises
  chrétiennes. Il constitue, par l'importance des monuments qui y sont
  décrits et la classification méthodique qui y est suivie, une
  véritable archéologie religieuse de la France jusqu'à la fin du
  douzième siècle. À ce point de vue, il s'adresse non-seulement à
  l'amateur d'histoire locale, mais encore au savant, à l'archéologue
  curieux d'étudier les différentes phases de notre architecture,
  surtout pendant la période si intéressante du moyen âge.



L'auteur se propose de publier sous ce titre une série de brochures sur
divers sujets se rattachant aux moeurs et usages du moyen âge.

Paris.--Imp. de Pillet fils aîné, rue des Grands-Augustins, 5.



CURIOSITÉS JUDICIAIRES ET HISTORIQUES DU MOYEN ÂGE.

PROCÈS CONTRE LES ANIMAUX.


Les singularités judiciaires sont nombreuses et variées au moyen âge, et
souvent les magistrats interviennent dans des circonstances si bizarres,
que nous avons peine à comprendre, de nos jours, comment ces graves
organes de la justice ont pu raisonnablement figurer dans de telles
affaires.

Toutefois notre but n'est pas de critiquer ici des usages plus ou moins
absurdes, mais d'en constater simplement l'existence. Nous bornons notre
rôle à raconter les faits, sauf au lecteur à en tirer lui-même les
conséquences.

Plusieurs siècles nous séparent de l'époque dont nous cherchons à
étudier les moeurs et les idées, qui forment avec les nôtres de si
étranges disparates; aussi n'est-ce qu'après de scrupuleuses recherches
faites dans les ouvrages des jurisconsultes et des historiens les plus
respectables, que nous avons osé présenter cette rapide esquisse.

Au moyen âge on soumettait à l'action de la justice tous les faits
condamnables de quelque être qu'ils fussent émanés, même des animaux.

L'histoire de la jurisprudence nous offre à cette époque de nombreux
exemples de procès dans lesquels figurent des taureaux, des vaches, des
chevaux, des porcs, des truies, des coqs, des rats, des mulots, des
limaces, des fourmis, des chenilles, sauterelles, mouches, vers et
sangsues.

La procédure que l'on avait adoptée pour la poursuite de ces sortes
d'affaires revêtait des formes toutes spéciales; cette procédure était
différente, suivant la nature des animaux qu'il s'agissait de
poursuivre.

Si l'animal auteur d'un délit--tel par exemple qu'un porc, une truie, un
boeuf--peut être _saisi, appréhendé au corps_, il est traduit devant le
tribunal criminel ordinaire, il y est assigné _personnellement_; mais
s'il s'agit d'animaux sur lesquels on ne peut mettre la main, tels que
des insectes ou d'autres bêtes nuisibles à la terre, ce n'est pas devant
le tribunal criminel ordinaire que l'on traduira ces délinquants
_insaisissables_, mais devant le tribunal ecclésiastique, c'est-à-dire
devant l'officialité.

En effet que voulez-vous que fasse la justice ordinaire contre une
invasion de mouches, de charançons, de chenilles, de limaces? elle est
impuissante à sévir contre les dévastations causées par ces terribles
fléaux; mais la justice religieuse, qui est en rapport avec la Divinité,
saura bien atteindre les coupables; elle en possède les moyens: il lui
suffit de fulminer l'excommunication.

Tels étaient, en matière de procès contre les animaux, les principes
admis par les jurisconsultes du moyen âge. Arrivons maintenant à la
preuve de cette assertion.

Parlons d'abord des procès poursuivis contre les animaux devant la
justice criminelle ordinaire.

Comme on le voit encore de nos jours dans certaines localités, les porcs
et les truies, au moyen âge, couraient en liberté dans les rues des
villages, et il arrivait souvent qu'ils dévoraient des enfants; alors on
procédait directement contre ces animaux par voie criminelle. Voici
quelle était la marche que suivait la procédure:

On incarcérait l'animal, c'est-à-dire le _délinquant_, dans la prison du
siége de la justice criminelle où devait être instruit le procès. Le
procureur ou promoteur des causes d'office, c'est-à-dire l'officier qui
exerçait les fonctions du ministère public auprès de la justice
seigneuriale, requérait la mise en accusation du coupable. Après
l'audition des témoins et vu leurs dépositions affirmatives concernant
le fait imputé à l'accusé, le promoteur faisait ses réquisitions, sur
lesquelles le juge du lieu rendait une sentence déclarant l'animal
coupable d'homicide, et le condamnait définitivement à être étranglé et
pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches
patibulaires, suivant la coutume du pays.

Du treizième au seizième siècle, les fastes de la jurisprudence et de
l'histoire fournissent de nombreux exemples sur l'usage de cette
procédure suivie contre des pourceaux et des truies qui avaient dévoré
des enfants, et qui, pour ce fait, étaient condamnés à être pendus.

Nous mentionnerons à ce sujet les sentences et exécutions suivantes:

_Année 1266._--Pourceau brûlé à Fontenay-aux-Roses, près Paris, pour
avoir dévoré un enfant[1].

_Septembre 1394._--Porc pendu à Mortaing, pour avoir tué un enfant de la
paroisse de Roumaigne[2].

_Année 1404._--Trois porcs suppliciés à Rouvres, en Bourgogne, pour
avoir tué un enfant dans son berceau[3].

_17 juillet 1408._--Porc pendu à Vaudreuil pour un fait de même nature,
conformément à la sentence du bailly de Rouen et des consuls, prononcée
aux assises de Pont-de-l'Arche tenues le 13 du même mois[4].

_24 décembre 1414._--Petit pourceau traîné et pendu par les jambes de
derrière, pour meurtre d'un enfant, suivant sentence du mayeur et des
échevins d'Abbeville[5].

_14 février 1418._--Autre pourceau coupable du même fait et pendu de la
même manière, en vertu d'une sentence du mayeur et des échevins
d'Abbeville[6].

_Vers 1456._--Porc pendu en Bourgogne pour une cause semblable[7].

_10 janvier 1457._--Truie pendue à Savigny pour meurtre d'un enfant âgé
de cinq ans[8].

_Année 1473._--Pourceau pendu à Beaune par jugement du prévôt de cette
ville, pour avoir mangé un enfant dans son berceau[9].

_10 avril 1490._--Pourceau pendu pour avoir _meurdri_ (tué) _ung enffant
en son bers_ (berceau). Le _Livre rouge_ d'Abbeville, qui mentionne ce
fait, ajoute que la sentence du maire d'Abbeville fut prononcée par ce
magistrat sur les _plombs de l'eschevinage, au son des cloches, le 10e
jour d'avril 1490_[10].

_14 juin 1494._--Sentence du grand mayeur de Saint-Martin de Laon qui
condamne un pourceau à être pendu pour avoir _defacié_ et étranglé un
jeune enfant dans son berceau[11].

_Année 1497._--Truie condamnée à être assommée pour avoir mangé le
menton d'un enfant du village de Charonne. La sentence ordonna en outre
que les chairs de cette truie seraient coupées et jetées aux chiens; que
le propriétaire et sa femme feraient le pèlerinage de Notre-Dame de
Pontoise, où étant le jour de la Pentecôte, ils crieraient: _Merci!_ de
quoi ils rapportèrent un certificat[12].

_18 avril 1499._--Sentence qui condamne un porc à être pendu, à Sèves,
près Chartres, pour avoir donné la mort à un jeune enfant[13].

_Année 1540._--Pourceau pendu à Brochon, en Bourgogne, pour un fait
semblable, suivant sentence rendue en la justice des chartreux de
Dijon[14].

_20 mai 1572._--Sentence du maire et des échevins de Nancy qui condamne
un porc à être étranglé et pendu pour avoir dévoré un enfant à
Moyen-Moutier[15].

Les jugements et arrêts en cette matière étaient mûrement délibérés et
gravement prononcés; voyez ce passage d'une sentence rendue par le juge
de Savigny, le 10 janvier 1457; il s'agit d'une truie:

«... C'est assavoir que pour la partie dudit demandeur, avons cité,
requis instamment en cette cause, en présence dudit défendeur présent et
non contredisant, pourquoi nous, juge, avons dit, savoir faisons à tous
que nous avons procédé et donné notre sentence définitive en la manière
qui suit; c'est assavoir que veu le cas est tel comme a esté proposé
pour la partie du dit demandeur et duquel appert à suffisance, tant par
tesmoing que autrement dehuement hue. Aussi conseil avec saiges et
praticiens[16] et aussi concidérer en ce cas l'usage et coustume du païs
de Bourgoigne, aïant Dieu devant les yeulx, nous disons et prononçons
pour notre sentence définitive et à droit et à icelle notre dicte
sentence, déclarons la truie de Jean Bailli, _alias_ (autrement dit)
Valot, pour raison du multre et homicide par icelle truie commis...
estre pendue par les pieds du derrière à un arbre esproné, etc.»

L'exécution était publique et solennelle; quelquefois l'animal
paraissait habillé en homme. En 1386 une sentence du juge de Falaise
condamna une truie à être mutilée à la jambe et à la tête, et
successivement pendue pour avoir déchiré au visage et au bras et tué un
enfant. On voulut infliger à l'animal la peine du talion. Cette truie
fut exécutée sur la place de la ville, en habit d'homme; l'exécution
coûta dix sous dix deniers tournois, plus un gant neuf à l'exécuteur des
hautes oeuvres[17]. L'auteur de l'_Histoire du duché de Valois_, qui
rapporte le même fait[18], ajoute que ce gant est porté sur la note des
frais et dépens pour une somme de six sous tournois, et que dans la
quittance donnée au comte de Falaise par le bourreau, ce dernier y
déclare qu'il s'y tient pour _content et qu'il en quitte le roi notre
sire et ledit vicomte_. Voilà une truie condamnée bien juridiquement!

Nous trouvons aussi dans un compte du 15 mars 1403[19] les détails
suivants sur la dépense faite à l'occasion du supplice d'une truie, qui
fut condamnée à être pendue à Meulan pour avoir dévoré un enfant:

«Pour dépense faite pour elle dedans la geole, six sols parisis[20];

«_Item_, au maître des hautes oeuvres, qui vint de Paris à Meulan faire
ladite exécution par le commandement et ordonnance de nostre dit maistre
le bailli et du procureur du roi, cinquante-quatre sols parisis;

«_Item_, pour voiture qui la mena à la justice, six sols parisis;

«_Item_, pour cordes à la lier et hâler, deux sols huit deniers parisis;

«_Item_, pour gans, deux deniers parisis.»

En octroyant des gants au bourreau, on voulait sans doute, d'après les
moeurs du temps, que ses mains sortissent pures de l'exécution d'une
_bête brute_.

Un compte de 1479, de la municipalité d'Abbeville, nous apprend qu'un
pourceau également condamné pour meurtre d'un enfant fut conduit au
supplice dans une charrette; que les sergents à masse l'escortèrent
jusqu'à la potence, et que le bourreau reçut soixante sous pour sa
peine[21].

Pour une semblable exécution faite en 1435 à Tronchères, village de
Bourgogne, le _carnacier_ (le bourreau) reçut également une somme de
soixante sous[22].

Les formalités étaient si bien observées dans ces sortes de procédures,
que l'on trouve au dossier de l'affaire du 18 avril 1499, ci-dessus
mentionnée, jusqu'au procès-verbal de la signification faite au pourceau
dans la prison où l'on déposait les condamnés avant d'être conduits au
lieu d'exécution.

On procédait aussi par les mêmes voies judiciaires contre les taureaux
coupables de meurtres. Dans la poursuite on observait des formalités
identiques avec celles que nous venons d'indiquer.

En effet, écoutons l'auteur de l'_Histoire du duché de Valois_, qui
rapporte[23] le fait suivant:

«Un fermier de village de Moisy laissa échapper un taureau indompté. Ce
taureau ayant rencontré un homme, le perça de ses cornes; l'homme ne
survécut que quelques heures à ses blessures. Charles, comte de Valois,
ayant appris cet accident au château de Crépy, donna ordre d'appréhender
le taureau et de lui faire son procès. On se saisit de la bête
meurtrière. Les officiers du comte de Valois se transportèrent sur les
lieux pour faire les informations requises; et sur la déposition des
témoins ils constatèrent la vérité et la nature du délit. Le taureau fut
condamné à être pendu. L'exécution de ce jugement se fit aux fourches
patibulaires de Moisy-le-Temple. La mort d'une bête expia ainsi celle
d'un homme.

«Ce supplice ne termina pas la scène. Il y eut appel de la sentence des
officiers du comte, comme juges incompétents, au parlement de la
Chandeleur de 1314. Cet appel fut dressé au nom du procureur de
l'hôpital de la ville de Moisy. Le procureur général de l'ordre
intervint. Le parlement reçut plaignant le procureur de l'hôpital en cas
de saisine et de nouvelleté, contre les entreprises des officiers du
comte de Valois. Le jugement du taureau mis à mort fut trouvé fort
équitable; mais il fut décidé que le comte de Valois n'avait aucun droit
de justice sur le territoire de Moisy, et que les officiers n'auraient
pas dû y instrumenter[24].»

Cette condamnation n'est pas la seule de cette espèce. En 1499 un
jugement du bailliage de l'abbaye de Beaupré, ordre de Cîteaux, près
Beauvais, rendu sur requête et information, condamna à la potence
jusqu'à mort inclusivement un taureau «pour avoir par furiosité occis un
joine fils de quatorze à quinze ans,» dans la seigneurie du Cauroy, qui
dépendait de cette abbaye[25].

Les chevaux étaient aussi poursuivis criminellement à raison des
homicides qu'ils avaient commis. Les registres de Dijon constatent qu'en
1389 un cheval, sur l'information faite par les échevins de Montbar, fut
condamné à mort pour avoir _occis_ un homme[26].

Dès le treizième siècle Philippe de Beaumanoir, dans ses _Coutumes du
Beauvoisis_, n'avait pas craint de signaler en termes énergiques
l'absurdité de ces procédures dirigées contre les animaux à raison des
homicides qu'ils avaient commis. «Ceux, disait-il, qui ont droit de
justice sur leurs terres font poursuivre devant les tribunaux les
animaux qui commettent des meurtres; par exemple lorsqu'une truie tue un
enfant, on la pend et on la traîne; il en est de même à l'égard des
autres animaux. Mais ce n'est pas ainsi que l'on doit agir, car les
bêtes brutes n'ont la connaissance ni du bien ni du mal; et sur ce point
c'est justice perdue: car la justice doit être établie pour la vangeance
du crime et pour que celui qui l'a commis sache et comprenne quelle
peine il a méritée. Or le discernement est une faculté qui manque aux
bêtes brutes. Aussi est-il dans l'erreur celui qui, en matière
judiciaire, condamne à la peine de mort une bête brute pour le méfait
dont elle s'est rendue coupable; mais que ceci indique au juge qu'elle
est en pareille circonstance l'étendue de ses droits et de ses
devoirs[27].»

Cependant les critiques du célèbre jurisconsulte ne furent point
écoutées, et ce mode de poursuites continua à être suivi dans tous les
procès de cette espèce, qui devinrent si nombreux du quatorzième au
seizième siècle.

En effet, aux époques dont nous parlons, la jurisprudence, se basant
d'ailleurs sur l'autorité des livres saints[28], avait adopté l'usage
d'infliger aux animaux des peines proportionnées aux délits dont ils
étaient convaincus[29].

On pensait que le supplice du gibet appliqué à une bête coupable d'un
meurtre imprimait toujours l'horreur du crime, et que le propriétaire de
l'animal ainsi condamné était suffisamment puni par la perte même qu'il
faisait de cet animal. Telles étaient les idées de nos pères sur le
point qui nous occupe; mais elles se modifièrent successivement. En
effet, à partir de la seconde moitié du seizième siècle, les annales de
la jurisprudence ou les historiens ne nous offrent plus d'exemples de
condamnations _capitales_ prononcées contre des boeufs ou des pourceaux,
à raison du meurtre d'un homme ou d'un enfant. C'est qu'à cette époque
on avait presque renoncé à ce mode de procédure aussi absurde que
ridicule contre les animaux, et que pour la poursuite des faits dont ils
s'étaient rendus coupables, on était revenu aux seuls et vrais principes
sur cette matière, en condamnant à une amende et à des dommages-intérêts
le propriétaire de l'animal nuisible. On ne faisait plus le procès à la
bête malfaisante, on ordonnait purement et simplement qu'elle fût
assommée.

Au quinzième et au seizième siècle, dans certains procès où figurait un
homme accusé d'avoir commis avec un animal un crime que nous ne pouvons
désigner, l'homme convaincu de ce crime était toujours condamné à être
brûlé avec l'animal qu'il avait eu pour complice[30], et même on livrait
aux flammes les pièces du procès, afin d'ensevelir la mémoire du fait
atroce qui y avait donné lieu.

Quelquefois l'animal était étranglé avant d'être mis sur le bûcher,
faveur que n'obtenait pas le principal accusé[31].

Un jurisconsulte fort renommé, Damhoudère, qui fut conseiller de
Charles-Quint dans les Pays-Bas et qui publia vers le milieu du seizième
siècle un traité sur le droit criminel[32], y soutenait encore que dans
les circonstances dont il est question l'animal, bien que dénué de
raison et n'étant pas coupable, devait cependant être condamné à la
peine du feu, parce qu'il avait été l'instrument du crime[33].

Il paraît que cette pratique fut modifiée au dix-huitième siècle, car
dans un arrêt rendu par le parlement de Paris, le 12 octobre 1741, on
remarque que le coupable seul fut condamné au feu. L'animal fut tué et
jeté dans une fosse recouverte ensuite de terre[34].

Avant de passer à un autre ordre d'idées, nous devons citer le fait
suivant, qui est rapporté en ces termes dans le _Conservateur suisse_:

«La superstition, dit l'auteur de ce recueil, persuadait jadis au peuple
que les coqs faisaient des oeufs et que de ces oeufs maudits sortait un
serpent et même un _basilic_. Gross raconte dans sa _Petite chronique de
Bâle_ qu'au mois d'août 1474 un coq de cette ville fut accusé d'un
pareil méfait, et qu'ayant été dûment atteint et convaincu, il fut
condamné à mort; la justice le livra au bourreau et celui-ci le brûla
publiquement avec son oeuf au lieu dit _Kohlenberger_, au milieu d'un
grand concours de bourgeois et de paysans rassemblés pour voir cette
bizarre exécution[35].»

Cette condamnation se rattache évidemment aux procès de sorcellerie, qui
furent si multipliés pendant le quinzième et le seizième siècle. En
effet on reprochait aux sorciers qui voulaient se mettre en rapport avec
Satan d'employer dans leurs pratiques, entre autres moyens d'évocation,
les oeufs de coq, sans doute parce que ces oeufs étaient réputés
renfermer un serpent et que ces reptiles plaisent infiniment au diable.
Il ne doit donc pas sembler étonnant que dans un temps où la
superstition outrageait à la fois la religion, la raison et les lois, un
malheureux coq fût condamné au feu avec l'oeuf qu'il était réputé avoir
pondu, puisque cet oeuf, dans l'esprit même des juges, était considéré
comme un objet de terreur légitime, comme une production du démon[36].

Occupons-nous maintenant des procès intentés pendant le moyen âge contre
les insectes et autres animaux nuisibles aux productions du sol, tels
que mouches, chenilles, vers, charençons, limaces, rats, taupes et
mulots.

Souvent les récoltes sont dévorées par des quantités innombrables
d'insectes qui font invasion sur le territoire d'un canton, d'une
commune.

Au moyen âge l'histoire mentionne fréquemment des calamités de ce genre.
Ces fléaux produisaient d'autant plus de ravages, que la science
agronomique, presque dans l'enfance à cette époque, offrait moins de
moyens pour combattre ces désastreuses invasions.

Afin de conjurer ces maux sans remèdes humains, les populations désolées
s'adressaient aux ministres de la religion. L'Église écoutait leurs
plaintes; leur accordant sa sainte intervention, elle fulminait
l'anathème contre ces ennemis de l'homme, qu'elle considérait comme
envoyés par le démon.

Alors l'affaire était portée devant le tribunal ecclésiastique, et elle
y prenait le caractère d'un véritable procès, ayant d'un côté pour
_demandeurs_ les paroissiens de la localité, et de l'autre pour
_défendeurs_ les insectes qui dévastaient la contrée. L'official,
c'est-à-dire le juge ecclésiastique, décidait la contestation. On
suivait avec soin dans la poursuite du procès toutes les formes des
actions intentées en justice. Pour donner une idée exacte de ce genre de
procédure et de l'importance qu'on attachait à en observer les formes,
nous extrairons quelques détails d'une consultation qui fut faite sur
cette matière par un célèbre jurisconsulte du seizième siècle[37].
L'auteur de cette consultation, ou plutôt de ce traité _ex professo_,
était Barthélemi de Chasseneuz ou Chassanée[38], successivement avocat à
Autun, conseiller au parlement de Paris et premier président du
parlement d'Aix.

Après avoir parlé dès le début de l'usage où sont les habitants du
territoire de Beaune de demander à l'officialité d'Autun
l'excommunication de certains insectes plus gros que des mouches, et
appelés vulgairement hurebers (_huberes_)[39], ce qui leur est toujours
accordé, Chasseneuz traite la question de savoir si une telle procédure
est convenable. Il divise son sujet en cinq parties, dans chacune
desquelles il saisit l'occasion d'étaler l'érudition la plus vaste et
souvent la plus déplacée; mais cette habitude, comme on le sait, était
ordinaire aux écrivains de cette époque.

Chasseneuz, pour consoler les Beaunois du fléau qui les afflige, leur
apprend que les hurebers dont ils se plaignent ne sont rien en
comparaison de ceux que l'on rencontre dans les Indes. Ces derniers
n'ont pas moins de trois pieds de long; leur jambes sont armées de
dents, dont on fait des scies dans le pays. Souvent on les voit
combattre entre eux avec les cornes qui surmontent leurs têtes. Le
meilleur moyen de se délivrer de ce fléau de Dieu, c'est de payer
exactement les dîmes et les redevances ecclésiastiques, et de faire
promener autour du canton une femme les pieds nus et dans l'état que
Chasseneuz désigne en ces termes: _Accessu mulieris, menstrualis, omnia
animalia fructibus terræ officientia flavescunt et sic ex his apparet
unum bonum ex muliere menstrua resultare_[40].

Indiquant le nom latin qui convient le mieux aux terribles hurebers,
notre jurisconsulte prouve qu'ils doivent être appelés _locustæ_; il
fortifie son opinion par des citations qu'il emprunte encore à tous les
auteurs de l'antiquité sacrée et profane.

L'auteur discute le point de savoir s'il est permis d'assigner les
animaux dont il s'agit devant un tribunal, et finit après de longues
digressions par décider que les insectes peuvent être cités en
justice[41].

Chasseneuz examine ensuite si les animaux doivent être cités
_personnellement_, ou s'il suffit qu'ils comparaissent par un _fondé de
pouvoir_. «Tout délinquant, dit-il, doit être cité personnellement. En
principe, il ne peut pas non plus se faire représenter par un fondé de
pouvoir; mais est-ce un délit que le fait imputé aux insectes du pays de
Beaune? Oui, puisque le peuple en reçoit des scandales, étant privé de
boire du vin, qui, d'après David, réjouit le coeur de Dieu et celui de
l'homme, et dont l'excellence est démontrée par les dispositions du
droit canon, portant défense de promouvoir aux ordres sacrés celui qui
n'aime pas le vin[42].»

Cependant Chasseneuz conclut qu'un défenseur nommé d'office par le juge
peut également se présenter pour les animaux assignés, provoquer en leur
nom des excuses pour leur non-comparution et des moyens pour établir
leur innocence, et même des exceptions d'incompétence ou déclinatoires;
en un mot, proposer toutes sortes de moyens en la forme et au fond[43].

Après avoir discuté fort longuement la question de savoir devant quel
tribunal les animaux doivent être traduits, il décide que la
connaissance du délit appartient au juge ecclésiastique, en d'autres
termes, à l'official[44].

Enfin, dans la dernière partie de son traité, Chasseneuz se livre à de
longues recherches sur l'anathème ou excommunication. Il développe de
nombreux arguments au moyen desquels il arrive à conclure que les
animaux peuvent être excommuniés et maudits. Parmi ces arguments, qui
sont au nombre de douze, nous ferons remarquer ceux-ci:

«Il est permis d'abattre et de brûler l'arbre qui ne porte pas de fruit;
à plus forte raison peut-on détruire ce qui ne cause que du dommage.
Dieu veut que chacun jouisse du produit de son labeur.

«Toutes les créatures sont soumises à Dieu, auteur du droit canon; les
animaux sont donc soumis aux dispositions de ce droit.

«Tout ce qui existe a été créé pour l'homme; ce serait méconnaître
l'esprit de la création que de tolérer des animaux qui lui soient
nuisibles[45].

«La religion permet de tendre des piéges aux oiseaux ou autres animaux
qui détruisent les fruits de la terre. C'est ce que constate Virgile,
dans ces vers du premier livre des _Géorgiques_:

                      _Rivas deducere nulla
    Relligio vetuit, segeti prætendere sepem,
    Incidias avibus moliri._

«Or le meilleur de tous les piéges est sans contredit le foudre de
l'anathème[46].

«On peut faire pour la conservation des récoltes même ce qui est défendu
par les lois: ainsi les enchantements, les sortiléges prohibés par le
droit, sont permis toutes les fois qu'ils ont pour objet la conservation
des fruits de la terre; on doit, à plus forte raison, permettre
d'anathématiser les insectes qui dévorent les fruits, puisque, loin
d'être défendu comme le sont les sortiléges, l'anathème est au contraire
une arme autorisée et employée par l'Église[47].»

À l'appui de ces assertions, l'auteur cite des exemples de semblables
anathèmes, tels que ceux de Dieu envers le serpent et le figuier; il en
rapporte plusieurs comme ayant eu lieu à des époques récentes.

Il parle d'une excommunication prononcée par un prêtre contre un verger
où des enfants venaient cueillir des fruits, au lieu de se rendre au
service divin. Ce verger demeura stérile jusqu'au moment où
l'excommunication fut levée à la demande de la mère du duc de
Bourgogne[48].

Chasseneuz signale aussi l'excommunication fulminée par un évêque contre
des moineaux qui auparavant souillaient de leurs ordures l'église de
Saint-Vincent et venaient troubler les fidèles[49].

Mais, ajoute notre auteur, nous avons dans ces derniers temps des
exemples encore plus décisifs. Il raconte alors qu'il a vu à Autun des
sentences d'anathème ou d'excommunication prononcées contre les rats et
les limaces par l'official de ce diocèse et par ceux de Lyon et de
Mâcon; il entre dans le détail de cette procédure; il donne d'abord le
modèle de la requête des paroissiens qui ont éprouvé le dommage
occasionné par les animaux dévastateurs. Il fait observer que sur cette
plainte on nomme d'office un avocat, qui fait valoir au nom des animaux,
_ses clients_, les moyens qu'il croit convenable à leur défense;
l'auteur rapporte la formule ordinaire d'anathème. Cette formule est
conçue en ces termes: «Rats, limaces, chenilles et vous tous animaux
immondes qui détruisez les récoltes de nos frères, sortez des cantons
que vous désolez et réfugiez-vous dans ceux où vous ne pouvez nuire à
personne. Au nom du Père, etc.[50].»

Enfin Chasseneuz transcrit textuellement[51] les sentences fulminées par
les officiaux d'Autun et de Lyon; on en remarque contre les rats, les
souris, les limaces, les vers, etc.

Ces sentences sont presque toutes semblables; la différence qui existe
entre elles n'est relative qu'au délai accordé aux animaux pour
déguerpir; il y en a qui les condamnent à partir de suite; d'autres leur
accordent trois heures, trois jours ou plus; toutes sont suivies des
formules ordinaires d'anathème et d'excommunication.

Tel était le mode de procédure observé devant le tribunal ecclésiastique
dans les poursuites contre les insectes ou autres animaux nuisibles à la
terre.

La consultation de Chasseneuz, dont nous venons de donner une courte
analyse, acquit à son auteur, qui n'était alors qu'avocat à Autun, une
grande réputation comme jurisconsulte; elle lui valut, vers 1510, d'être
désigné par l'officialité d'Autun, comme avocat des rats et de plaider
leur cause dans les procès qu'on intenta à ces animaux par suite des
dévastations qu'ils avaient commises en dévorant les blés d'une partie
du territoire bourguignon.

Dans la défense qu'il présenta, dit le président de Thou, qui rapporte
ce fait[52], Chasseneuz fit sentir aux juges, par d'excellentes raisons,
que les rats n'avaient pas été ajournés dans les formes; il obtint que
les curés de chaque paroisse leur feraient signifier un nouvel
ajournement, attendu que dans cette affaire il s'agissait du salut ou de
la ruine de tous les rats. Il démontra que le délai qu'on leur avait
donné était trop court pour pouvoir tous comparaître au jour de
l'assignation; d'autant plus qu'il n'y avait point de chemin où les
chats ne fussent en embuscade pour les prendre. Il employa ensuite
plusieurs passages de l'Écriture sainte pour défendre ses clients, et
enfin il obtint qu'on leur accorderait un plus long délai pour
comparaître.

Le théologien Félix Malléolus, vulgairement appelé Hemmerlin, qui vivait
un siècle avant Chasseneuz et qui avait publié un traité des
exorcismes[53], s'était également occupé, dans la seconde partie de cet
ouvrage, de la procédure dirigée contre les animaux. Il parle d'une
ordonnance rendue par Guillaume de Saluces, évêque de Lausanne, au sujet
d'un procès à intenter contre les sangsues, qui corrompaient les eaux du
lac Léman et en faisaient mourir les poissons. Un des articles de cette
ordonnance prescrit qu'un prêtre, tel qu'un curé, chargé de prononcer
les malédictions, nomme un procureur pour le peuple; que ce procureur
cite, par le ministère d'un huissier, en présence de témoins, les
animaux à comparaître, sous peine d'excommunication, devant le curé à
jour fixe. Après de longs débats cette ordonnance fut exécutée le 24
mars 1451, en vertu d'une sentence que l'official de Lausanne prononça,
sur la demande des habitants de ce pays, contre les criminelles
sangsues, qui se retirèrent dans un certain endroit qu'on leur avait
assigné, et qui n'osèrent plus en sortir.

Le même auteur rend compte aussi d'un procès intenté dans le treizième
siècle contre les mouches cantharides de certains cantons de l'électorat
de Mayence, et où le juge du lieu, devant lequel les cultivateurs les
avaient citées, leur accorda, attendu, dit-il, l'exiguïté de leur corps
et en considération de leur jeune âge[54], un curateur et orateur, qui
les défendit très dignement et obtint qu'en les chassant du pays on leur
assignât un terrain où elles pussent se retirer et vivre convenablement.
«Et aujourd'hui encore, ajoute Félix Malléolus[55], les habitants de ces
contrées passent chaque année un contrat avec les cantharides susdites
et abandonnent à ces insectes une certaine quantité de terrain, si bien
que ces scarabées s'en contentent et ne cherchent point à franchir les
limites convenues.»

L'usage de ces mêmes formes judiciaires nous est encore révélé dans un
procès intenté, vers 1587, à une espèce de charançon (le _rynchites
auratus_) qui désolait les vignobles de Saint-Julien, près Saint-Julien
de Maurienne. Sur une plainte adressée par les habitants à l'official de
l'évêché de Maurienne, celui-ci nomma un procureur aux habitants et un
avocat aux insectes, et rendit une ordonnance prescrivant des
processions et des prières, et recommandant surtout le payement exact
des dîmes. Après plusieurs plaidoiries, les habitants, par l'organe de
leur procureur, firent offrir aux insectes un terrain dans lequel ils
devraient se retirer sous les peines de droit. Le défenseur des insectes
demanda un délai pour délibérer, et les débats ayant été repris au bout
de quelques jours, il déclara, au nom de ses clients, ne pouvoir
accepter l'offre qui leur avait été faite, attendu que la localité en
question était stérile et ne produisait absolument rien; ce que nia la
partie adverse. Des experts furent nommés. Là s'arrêtent malheureusement
les pièces connues du procès, et l'on ignore si l'instance fut reprise
et quelle décision prononça l'official[56]. Mais ces détails, réunis à
ceux que nous avons donnés précédemment, suffisent pour montrer quelles
étaient, il y a trois siècles, les formes suivies dans ces singulières
procédures.

Nous n'avons pas besoin de nous étendre sur les motifs qui avaient
déterminé l'Église à employer l'excommunication contre les animaux. On
comprend quel avantage ce moyen pouvait offrir au clergé, d'un côté par
l'influence qu'il exerçait sur l'esprit timide et crédule des
populations alors ignorantes et superstitieuses; d'un autre côté par le
résultat pécuniaire, qui était toujours le but occulte de ses
persévérants efforts. Toutefois, après plusieurs siècles, et grâce à la
diffusion des lumières, ces pratiques vicieuses cessèrent, et on vit
enfin disparaître ces abus de l'excommunication également contraires à
la sublime morale de l'Évangile et aux vrais principes de la foi
catholique.

Mais poursuivons nos investigations.

La première excommunication fulminée contre les animaux remonte au
douzième siècle. En effet Saint-Foix, dans ses _Essais historiques sur
Paris_[57], nous apprend que l'évêque de Laon prononça en 1120
l'excommunication contre les chenilles et les mulots, à raison du tort
qu'ils faisaient aux récoltes.

De la part des tribunaux ecclésiastiques, l'usage de faire des procès
aux insectes ou autres animaux nuisibles à la terre et de fulminer
contre eux l'excommunication, était en pleine vigueur au quinzième et au
seizième siècle.

Voici, par ordre de dates, plusieurs sentences relatives à notre sujet:

Sentence prononcée en 1451 par l'official de Lausanne contre les
sangsues du lac Léman[58].

Sentence rendue à Autun le vendredi 2 mai 1480 contre les _hurebers_
(insectes plus gros que les mouches), en faveur des habitants de Mussy
et de Pernan, par les vicaires généraux d'Antoine de Châlon, évêque
d'Autun, par laquelle il est enjoint aux curés de la lire en chaire et
de répéter l'excommunication _donec appareat effectus_[59].

Sentence rendue contre les limaces le 6 septembre 1481 par Jehan
Noseret, chanoine de Beaujeu, chantre de Mâcon et vicaire général du
cardinal Philibert Hugonet, évêque de Mâcon, dans laquelle on cite
l'exemple de saint Mammet, évêque de Vienne, qui conjura de cette
manière certains diables qui avaient pris la figure de loups et de porcs
et qui dévoraient les enfants jusque dans les rues de la ville[60].

Sentence des grands vicaires de Jean Rollin, cardinal évêque d'Autun,
donnée à Mâcon le 17 août 1487. Informés que les limaces dévastent
depuis plus d'un an plusieurs terres du diocèse, ces vicaires mandent
aux curés de faire des processions générales pendant trois jours sur
leurs paroisses, et d'y enjoindre aux limaces de vider leur territoire
sous un semblable délai, sinon de les maudire[61].

Sentence des grands vicaires d'Antoine Cabillon, évêque d'Autun, donnée
à Autun le 2 mai 1488. Sur la requête présentée par plusieurs paroisses
des environs de Beaune, les grands vicaires mandent aux curés
d'enjoindre, pendant les offices ou les processions, aux _urebers_ de
cesser leurs ravages, ou de les excommunier[62].

Sentence du grand vicaire de l'église de Mâcon, donnée à Beaujeu le 8
septembre 1488, sur les plaintes de plusieurs paroissiens. Même mandat
aux curés de faire trois invitations aux limaces de cesser leurs dégâts,
et faute par elles d'obtempérer à cette injonction, de les
excommunier[63].

Sentence d'excommunication prononcée par le juge ecclésiastique dans les
premières années du seizième siècle, contre les sauterelles et les
bruches (_becmares_) qui désolaient le territoire de Millière en
Cotentin, et qui dès lors périrent toutes[64].

Sentence de l'official de Troyes en Champagne, du 9 juillet 1516. «En
cette année les habitants de Villenauxe, au diocèse de Troyes,
présentent requête à l'official de cette ville, disant qu'ils sont
excessivement incommodés depuis plusieurs années par des chenilles
qu'ils appelaient _hurebets_[65]: _Adversus bruchos seu erucas, vel alia
non dissimilia ANIMALIA gallice hurebets_. Ce juge ecclésiastique
ordonne d'abord, sur les conclusions du promoteur, une information et
une descente de commissaires, qui reconnurent que les dommages causés
par les animaux dont on se plaignait étaient très-considérables: sur
quoi première ordonnance qui enjoint aux habitants de corriger leurs
moeurs. Bientôt une nouvelle requête dans laquelle ceux-ci promettent de
mener une meilleure conduite. Seconde ordonnance de l'official, qui
enjoint aux _hurebets_ de se retirer dans six jours des vignes et
territoires de Villenauxe, même de tout le diocèse de Troyes, avec
déclaration que si dans le terme prescrit ils n'obéissent pas, ils sont
déclarés maudits et excommuniés. _Au surplus enjoint aux habitants
d'implorer le secours du ciel, de s'abstenir d'aucuns crimes, et de
payer sans fraude les dîmes accoutumées[66]._»

Procès intenté en 1585 aux chenilles du diocèse de Valence. Ces
chenilles s'étaient tellement multipliées en cette année dans cette
contrée, que les murailles, les fenêtres et les cheminées des maisons en
étaient couvertes, même dans les villes. «C'était, dit Chorier, une vive
et hideuse représentation de la plaie d'Égypte par les sauterelles. Le
grand vicaire de Valence les fit citer devant lui; il leur donna un
procureur pour se défendre. La cause fut plaidée solennellement; il les
condamna à vider le diocèse, mais elles n'obéirent pas. La justice
humaine n'a pas d'empire sur les instruments de la justice de Dieu.

«Il fut délibéré de procéder contre ces animaux par anathème et par
imprécation et, comme l'on parlait, par malédiction et par
excommunication. Mais deux théologiens et deux jurisconsultes ayant été
consultés, ils firent changer de sentiment au grand vicaire, de sorte
que l'on n'usa que d'abjuration, de prières et d'aspersion d'eau bénite.
La vie de ces animaux est courte, et la dévotion ayant duré quelques
mois, on lui attribua la merveille de les avoir exterminés[67].»

Un savant théologien qui vivait au seizième siècle, Navarre, dont le
vrai nom était Martin Azpilcueta, rapporte qu'en Espagne un évêque
excommunia du haut d'un promontoire les rats, les souris, les mouches et
autres animaux semblables qui dévastaient les blés et autres fruits de
la terre, leur commandant de sortir du pays dans trois heures pour tout
délai, et qu'au même instant la plupart de ces animaux s'enfuirent à la
nage dans une île qui leur avait été désignée, se faisant un devoir
d'obéir au commandement de l'évêque[68].

Ainsi, d'après le texte des diverses sentences que nous venons de
rapporter, l'excommunication était ordinairement précédée de monitions,
c'est-à-dire d'avertissements donnés aux animaux de cesser leurs dégâts
ou de quitter le pays. Ces monitions étaient faites par les curés des
paroisses. Le plus souvent elles étaient au nombre de trois; entre
chacune desquelles on laissait deux jours d'intervalle. Quelquefois
aussi on se contentait d'une seule monition, ce qui d'ailleurs est
autorisé par le droit canon, lorsqu'il s'agit d'une affaire
extraordinairement pressée.

Mais comme il arrivait fréquemment que les monitions ne produisaient pas
l'effet qu'on pouvait en espérer, et que les animaux, malgré ces
avertissements, persistaient à rester dans les lieux dont on demandait à
ce qu'ils sortissent, l'excommunication était définitivement prononcée.

Dans le dix-septième siècle on ne rencontre plus que quelques rares
procès intentés par les officialités contre les animaux; c'est qu'en
effet l'Église, à cette époque, avait presque renoncé à ces ridicules
procédures; aussi voit-on alors dans les règlements des différents
diocèses de France introduire certaines prohibitions destinées à
corriger ces abus. Ainsi par exemple, dans le rituel d'Evreux de 1606,
le cardinal Duperron défend à toute sorte de personnes d'exorciser les
animaux et d'user à leur occasion de prières, oraisons, etc., sans sa
permission expresse et donnée par écrit: «_Caveat sacerdos ne vel ipse
hoc munus exerceat, neve alios ad ipsum exercendum admittat, nisi prius
habita in SCRIPTIS facultate a reverendissimo Ebroicensi episcopo._»

De leur côté, les meilleurs canonistes du temps ne craignaient pas de
censurer énergiquement ces excommunications fulminées contre les
animaux[69]. Écoutons ce qu'écrit à ce sujet le chanoine Éveillon dans
son _Traité des excommunications_, publié en 1651, ouvrage qui jouit en
cette matière d'une réputation méritée.

Parlant de ces sortes de procès:

«J'en représenterai, dit-il (p. 520), un ici en propres termes, à ce
qu'on voit comme souvent les peuples se laissent embrouiller de
plusieurs erreurs et opinions absurdes auxquelles les supérieurs
ecclésiastiques doivent prendre garde de se laisser emporter par une
trop facile condescendance, sous prétexte de charité; car de cette trop
grande facilité naissent souvent des coutumes préjudiciables à la foi et
à la religion, qu'il est certainement difficile d'extirper par après
sans grand scandale et désordre; les peuples s'opiniâtrent à toute
extrémité à défendre des superstitions et abus publics pour ce qu'ils
croyent que ce sont des sainctes sentences de la piété de leurs
ancêtres, desquels ils révèrent la mémoire, principalement quand il y a
intérêt à leur profit.»

Après avoir rapporté en son entier le texte de la sentence du 9 juillet
1516, sentence que nous avons mentionnée ci-dessus, le même auteur (p.
521) continue en ces termes:

«Voici donc un échantillon de la fausse piété des peuples à laquelle les
supérieurs ecclésiastiques se sont laissé décevoir. Ils étaient si
simples que de faire le procès à ces bestioles pour les formes, les
citer, leur donner un advocat pour les défendre, faire des enquêtes des
dommages par elles faits et autres semblables. Puis ils conjuraient les
divers animaux, leur déclarant qu'ils eussent à sortir de tout le
territoire et se transporter en lieu où ils ne puissent nuire. Si le mal
ne cessait par cette conjuration, le juge ecclésiastique prononçait
sentence d'anathème et de malédiction, dont il adressait l'exécution aux
curés, prêtres et habitants, les conviant de faire pénitence de leurs
péchés, pour punition desquelles Dieu envoie ordinairement telles
calamités.»

«C'est une chose certaine en théologie, ajoute ce canoniste (p. 522),
qu'il n'y a que l'homme baptisé qui puisse être excommunié.»

Après quelques développements sur ce point, Éveillon finit par conclure
(p. 524) que les animaux ne peuvent être excommuniés, qu'on peut
seulement les exorciser ou adjurer dans les termes et suivant les
cérémonies prescrites, sans superstition et sans observer comme
autrefois une ridicule poursuite suivie d'une sentence d'anathème et de
malédiction[70].

Dulaure[71] signale encore l'existence d'un procès intenté, dans les
premières années du dix-huitième siècle, contre les chenilles qui
désolaient le territoire de la petite ville de Pont-du-Château, en
Auvergne. Un grand vicaire, appelé Burin, excommunia ces chenilles et
renvoya la procédure au juge du lieu, qui rendit une sentence contre ces
insectes et leur enjoignit solennellement de se retirer dans un
territoire inculte qui leur était désigné.

Ces procédures n'étaient pas seulement suivies en Europe, mais leur
usage s'était propagé jusqu'en Amérique. On y fulminait
l'excommunication contre des oiseaux et contre des insectes.

Le baron de la Hontan, qui, vers la fin du dix-septième siècle, passa de
longues années au Canada, raconte que «le nombre des tourterelles était
si grand dans ce pays, que l'évêque avait été obligé de les excommunier
plusieurs fois par le dommage qu'elles faisaient aux biens de la
terre[72].»

Nous trouvons aussi l'excommunication pratiquée au Brésil contre des
fourmis ou cabas. Nous y voyons au commencement du dix-huitième siècle
les religieux du monastère de Saint-Antoine intenter une action en
violation de propriété contre ces insectes, afin de les faire, sous
peine d'excommunication, déguerpir des lieux qu'ils avaient envahis. Le
Père Manoel Bernardes, dans sa _Nova Floresta_[73], a donné la relation
de ce singulier procès. Nous croyons intéressant de mettre sous les yeux
du lecteur ce curieux document, transmis par cet écrivain portugais. En
voici la traduction exacte:

«_Procès extraordinaire qui a eu lieu entre les Frères mineurs de la
province de Piedade no Maranhao et les fourmis dudit territoire._

«Il est arrivé (à ce que raconte un religieux dudit ordre et de cette
province) que les fourmis, qui dans cette capitainerie sont nombreuses
et très-grandes et nuisibles, afin d'agrandir leur empire souterrain et
de grossir leurs greniers, ont de telle façon miné les caves des frères
en creusant la terre sous les fondations, que le bâtiment menaçait
ruine. Et, ajoutant délit à délit, elles volèrent la farine que l'on y
gardait pour l'usage quotidien de la communauté. Comme les multitudes
ennemies étaient serrées et infatigables à toute heure de jour et de
nuit,

   _Parvula, nam exemplo est, magni formica laboris
    Ore trahit quodcumque potest, atque addit acervo
    Quem struit_[74],

les religieux en vinrent à souffrir du besoin de la faim et à y chercher
un remède; et comme les moyens dont ils firent l'essai furent sans
résultat, parce que l'accord dans cette multitude y fut un obstacle
insurmontable, en dernier ressort, un religieux, mû par un instinct
supérieur (chose que l'on peut bien croire), donna le conseil que,
recourant à cet esprit d'humilité et de simplicité qui faisait que leur
séraphique patriarche nommait frères toutes les créatures: frère soleil,
frère loup, soeur hirondelle, etc., ils élevassent une action contre ces
soeurs fourmis devant le tribunal de la divine Providence, et nommassent
des procureurs tant pour les demandeurs que pour les défenderesses, et
que leur prélat fût le juge qui, au nom de la suprême équité, eût
connaissance du procès et décidât la cause.

«Le plan fut approuvé; et après avoir tout disposé de la sorte, le
procureur des religieux présenta une requête contre les fourmis, et
comme elle fut contestée par la partie de ces dernières, il articula que
les demandeurs, se conformant aux statuts de leur ordre mendiant,
vivaient d'aumônes qu'ils recueillaient à grand'peine dans les
habitations de ce pays, et que les fourmis, animal dont l'esprit est
totalement contraire à l'Évangile, et qui était abhorré par cette raison
de saint François, leur père, ne faisaient que les voler, et
non-seulement procédaient en larrons fourmiliers, mais encore que par
des actes de violence manifeste, elles prétendaient les expulser de leur
maison et la ruiner; et que par conséquent elles étaient tenues de
donner leurs motifs, et sinon, il concluait qu'elles devaient toutes
mourir de quelque peste ou être noyées par quelque inondation, ou tout
au moins être pour toujours exterminées dans ce district.

«Le procureur du petit peuple noir, répliquant à ces conclusions,
allégua avec justice pour ses clients, en premier lieu: qu'ayant reçu du
Créateur le bienfait de la vie, elles avaient le droit naturel de la
conserver par les moyens que le Seigneur lui-même leur avait
enseignés.--_Item_, que dans la pratique et l'exécution de ces moyens,
elles servaient le Créateur en donnant aux hommes l'exemple des vertus
qu'il leur a ordonnées, savoir, de la prudence en pensant à l'avenir et
en économisant pour les temps de misère: _Formicæ populus infirmus, qui
præparat in messe cibum sibi_[75]; de la diligence, en amassant en cette
vie des mérites pour la vie future selon saint Jérôme: _Formica dicitur
strenuus quisque et providus operarius, qui presenti vita, velut in
æstate, fructus justitiæ quos in æternum recipiet sibi recondit_[76]; de
la charité, en s'aidant les unes les autres, quand la charge est plus
grande que leurs forces: _Pacis et concordiæ_ (dit un savant) _vivum
exemplum formica reliquit, quæ suum comparem, forte plus justo oneratum,
naturali quadam charitate alleviat_[77]; et aussi de la religion et de
la piété, en donnant la sépulture aux morts de leur espèce, comme
l'écrit Pline: _Sepeliuntur inter se viventium solæ, præter
hominem_[78]; et que le moine Marchus a observé à l'appui de sa
doctrine: _Hæ luctu celebri corpora defuncta deportabant_[79].--_Item_,
que la peine qu'elles avaient dans leurs travaux était beaucoup plus
rude que celle des demandeurs pour recueillir, parce que la charge était
bien souvent plus grande que leur corps, et leur courage supérieure à
leurs forces.--_Item_, que, en admettant qu'ils fussent des frères plus
nobles et plus dignes, cependant devant Dieu ils n'étaient aussi que des
fourmis, et que l'avantage de la raison compensait à peine leur faute
d'avoir offensé le Créateur en n'observant pas les lois de la raison
aussi bien qu'elles observaient celles de la nature; c'est pourquoi ils
se rendaient indignes d'être servis et secourus par aucune créature, car
ils avaient commis un plus grand crime en portant atteinte de tant de
façons à la gloire de Dieu, qu'elles ne l'avaient fait en dérobant leur
farine.--_Item_, qu'elles étaient en possession des lieux avant que les
demandeurs ne s'y établissent, et par conséquent qu'elles ne devaient
pas en être expulsées, et qu'elles appelleraient de la violence qu'on
leur ferait devant le trône du divin Créateur, qui a fait les petits
comme les grands et qui a assigné à chaque espèce son ange gardien.--Et
enfin qu'elles concluaient que les demandeurs défendissent leur maison
et leur farine par les moyens humains, qu'elles ne leur contestaient
pas; mais que malgré cela elles continueraient leur manière de vivre,
puisque la terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur et non pas
aux demandeurs: _Domini est terra et plenitudo ejus_[80].

«Cette réponse fut suivie de répliques et de contre-répliques, de telle
sorte que le procureur des demandeurs se vit contraint d'admettre que le
débat étant ramené au simple for des créatures, et faisant abstraction
de toutes raisons supérieures par esprit d'humilité, les fourmis
n'étaient pas dépourvues de tout droit. C'est pourquoi le juge, vu le
dossier de l'instruction, après avoir médité d'un coeur sincère ce
qu'exigeait la justice et l'équité selon la raison, rendit un jugement
par lequel les frères furent obligés de fixer dans leurs environs un
champ convenable pour que les fourmis y demeurassent, et que celles-ci
eussent à changer d'habitation et à s'y rendre de suite, sous peine
d'excommunication majeure, vu que les deux parties pouvaient être
conciliées sans aucun préjudice pour l'une ni pour l'autre, d'autant
plus que ces religieux étaient venus dans le pays par esprit d'obédience
pour semer le grain évangélique, et que l'oeuvre de leur entretien était
agréable à Dieu, tandis que les fourmis pouvaient trouver leur
nourriture ailleurs au moyen de leur industrie et à moins de frais. Cet
arrêt rendu, un autre religieux, par ordre du juge, alla le signifier au
nom du Créateur à ces insectes, en le lisant à haute voix devant les
ouvertures des fourmilières. Chose merveilleuse et qui prouve combien
l'Être suprême, dont il est écrit qu'il joue avec ses créatures: _Ludens
in orbe terrarum_, fut satisfait de cette demande, immédiatement: _It
nigrum campis agmen_, on vit sortir en grande hâte des milliers de ces
petits animaux qui, formant de longues et épaisses colonnes, se
rendirent directement au champ qui leur était assigné, en abandonnant
leurs anciennes demeures; et les saints religieux, affranchis de leur
insupportable oppression, rendirent grâces à Dieu d'une si admirable
manifestation de son pouvoir et de sa providence.»

Manoel Bernardes ajoute que cette sentence fut prononcée le 17 janvier
1713, et qu'il a vu et compulsé les pièces de cette procédure dans le
monastère de Saint-Antoine, où elles étaient déposées.

Un autre procès du même genre eut lieu dans le dix-huitième siècle au
Pérou. Une excommunication y fut prononcée contre des termites (espèce
de fourmis blanches), désignées dans le pays sous le nom de _comejones_,
lesquelles s'étaient introduites dans une bibliothèque et en avaient
dévoré un grand nombre de volumes.

Telles étaient les singulières procédures dont nous avons essayé de
retracer l'histoire. Lorsqu'on voit de pareils moyens sérieusement mis
en pratique, comment ne pas croire à la vertu des sciences occultes?

Dans un siècle d'activité intellectuelle comme le nôtre, on est à se
demander si nos aïeux n'avaient pas bien du temps à perdre pour le
dépenser à de semblables absurdités.


FIN.



NOTES.

1: _Histoire du diocèse de Paris_, par l'abbé Lebeuf, 1757, t. IX, p.
400.

2: Pièce copiée dans les manuscrits de la bibliothèque impériale et
reproduite dans le tome VIII des _Mémoires de la société des antiquaires
de France_; _Rapport_ par M. Berriat Saint-Prix, p. 439.

3: Courtépée, _Description générale et particulière du duché de
Bourgogne_. Dijon, 1847. t. II, p. 238.

4: _Mémoires de la société des antiquaires_, t. VIII, p. 440.

5: Extrait du _Livre rouge_; M. Louandre, _Histoire ancienne et moderne
d'Abbeville_, 1834, p. 214.

6: M. Louandre, ouvrage précité, p. 415.

7: _Guypape_, _decisio._ quest. 238, édition de 1667, in folio.

8: _Mémoires de la société des antiquaires de France_, t. VIII, p. 441.

9: Courtépée, _Description du duché de Bourgogne_, t. II, p. 285.

10: M. Louandre, _Histoire d'Abbeville_, p. 415.

11: Cette sentence est rapportée en entier dans l'_Annuaire du
département de l'Aisne_, publié par Miroy-Destournelles, année 1812,
pages 88 et 89; elle se termine ainsi: «Nous, en detestation et horreur
du dit cas, et afin d'exemplaire et gardé justice, avons dit, jugé,
sentencié, prononcé et appointé que le dit pourceaulz estant détenu
prisonnier et enfermé en la dicte abbaye, sera, par le maistre des
hautes oeuvres, pendu et estranglé en une fourche de bois, auprès et
joignant des fourches patibulaires et hautes justices des dits religieux
estant auprès de leur cense d'Avin; En temoing de ce, nous avons scellé
la présente de nostre scel.--Ce fut fait le 14e jour de juing, l'an
1494, et scellé en cire rouge; et sur le dos est écrit: Sentence pour
ung pourceaulz exécuté par justice, admené en la cense de Clermont et
estranglé en une fourche lez gibez d'Avin.

12: Carlier, _Histoire du duché de Valois_, t. II, p. 207.

13: _Mémoires de la société des antiquaires de France_, t. VIII, p. 443.

14: Courtépée, _Description du duché de Bourgogne_, t. II, p. 170.

15: Lionnois, _Histoire de Nancy_, t. II, p. 373 et suiv. Nancy, 1811.
L'auteur rapporte en entier le procès-verbal de la remise du porc. On y
lit entre autres détails que le porc a été _prins et mis en prison_; que
cet animal, lié d'une corde, a été conduit près d'une croix au delà du
cimetière; que de toute ancienneté, la justice du seigneur (l'abbé de
Moyen-Moutier) a coutume de délivrer au prévôt de Saint-Diez, près de
cette croix, les condamnés _tous nus_, pour en faire faire l'exécution
et _ad cause que le dict porc est une beste brute, les Maire et Justice
le delibvrent en ce dict lieu et laissent le dict porc lié d'icelle
corde de grace speciale_ et sans préjudice du droit qui appartient au
seigneur de délivrer les criminels _tous nus_.

16: À cette époque, l'usage s'était introduit d'attacher à chaque siége
de justice quelques praticiens ou légistes qui prenaient place aux
audiences. L'article 73 de l'ordonnance de juillet 1493 les désigne sous
le nom d'_officiers praticiens et autres gens de bien_ des sénéchaussés,
bailliages et prévôtés. Les articles 87 et 94 de l'ordonnance de mars
1498 les dénomment _conseillers et praticiens des siéges et auditoires_.

17: _Statistique de Falaise_, 1827, t. I, p. 83.

18: T. III, p. 407.

19: _Mémoires de la société des antiquaires de France_, t. VIII, p. 433.

20: Dans une quittance délivrée le 16 octobre 1408 par un tabellion de
la vicomté de Pont de l'Arche au geôlier des prisons de cette ville, les
frais de nourriture journalière d'un pourceau incarcéré pour cause de
meurtre d'un enfant, sont portés au même taux que ceux indiqués dans le
compte pour la nourriture individuelle de chaque homme alors détenu dans
la même prison. (_Ibid._, p. 440 et 441.)

21: M. Louandre, _Histoire d'Abbeville_, p. 215.

22: _Annuaire du département de la Côte-d'Or pour l'an 1827_, par
Amanton, 2e partie, p. 91.

23: Carlier, t. 2, p. 207.

24: Saint-Foix, dans ses _Essais historiques sur Paris_, t. V, p. 100,
édition de 1776, rappelle également cet arrêt.

25: _Voyage littéraire de deux bénédictins_ (D. Durand et D. Martène).
Paris, 1717, in-4º, 2e partie, p. 166 et 167. L'_Histoire du duché de
Valois_, t. II, p. 207, mentionne aussi ce fait.

26: _Annuaire du département de la Côte-d'Or pour l'an 1827_, par
Amanton, 2e partie, p. 91, note 1.

27: «Li aucun qui ont justices en lor terres, si font justice des bestes
quant eles metent aucun a mort; si comme se une truie tue un enfant, il
le pendent et trainent, ou une autre beste; mais c'est noient à fere,
car bestes mues n'ont nul entendement qu'est biens ne qu'est maus; et
por ce est che justice perdue. Car justice doit estre fete por la
venjance du meffet, et que cil qui a fet le meffet sace et entende que
por cel meffet il emporte tel paine; mais cix entendemens n'est pas
entre les bestes mues. Et porce se melle il de nient qui en maniere de
justice met beste mue à mort por meffet; mais faicent li sires son
porfit, comme de se coze qui li est aquise de son droit.» (_Coutumes du
Bauvoisis_, de Philippe de Beaumanoir, édition publiée par M. le comte
Beugnot, t. II, p. 485.)

28: L'Exode, chapitre XXI, verset 28, porte: «_Si bos cornu percusserit
virum aut mulierem, et mortui fuerint, lapidibus obruetur; et non
comedentur carnes ejus._» M. le procureur général Dupin, dans ses
_Règles de droit et de morale tirées de l'Écriture sainte_ (Paris.
1858), ajoute au bas de ce texte, page 215, la note suivante: «Il est
raisonnable de faire abattre un animal dangereux, par exemple un boeuf
qui joue de la corne. Mais empêcher de le manger ne se justifie pas au
point de vue de l'hygiène et de l'économie domestique.»

Le Lévitique, chapitre XX, verset 15, s'exprime en ces termes: «_Qui cum
jumento et pecore coierit, morte moriatur; pecus quoque occidite._»

29: La charte d'Éléonore, rédigée en 1395 et appelée _Carta de logu_,
charte qui renferme le corps complet des lois civiles et criminelles de
la Sardaigne, porte que les boeufs et vaches sauvages ou domestiques
peuvent être tués légalement, quand ils sont pris en maraudage. Les ânes
atteints et convaincus du même délit, ce qui ne leur arrive guère moins
souvent, sont traités avec plus d'humanité. On les assimile en pareil
cas à des voleurs d'une condition plus relevée. La première fois qu'on
trouve un âne dans un champ cultivé qui n'est pas celui de son maître,
on lui coupe une oreille. La récidive lui fait couper la seconde. Puis
une troisième fois en flagrant délit, le coupable n'est pas pendu, comme
ceux de l'autre espèce, mais il est dûment confisqué au profit du
prince, dont il va immédiatement grossir le troupeau. (Mimaut, _Histoire
de Sardaigne_, ou _la Sardaigne ancienne et moderne_, t. Ier, p. 445 et
446).

30: Dans un compte de la prévôté de Paris de l'année 1465 on lit ce qui
suit:

«Frais du procès fait à Gillet Soulart, exécuté pour ses démérites à
Corbeil. Premièrement, pour avoir porté le procès du dit Gillet en la
ville de Paris; et icelui avoir fait voir et visiter par gens de
Conseil, vingt deux sols parisis. _Item_ pour trois pintes de vin qui
furent portées au gibet pour ceux qui firent les fosses pour mettre
l'attache et la truye, pour ce, deux sols parisis. _Item_ pour l'attache
de quatorze pieds de long ou environ, deux sols parisis. _Item_ à
Henriet Cousin, exécuteur des hautes justices, qui a exécuté et brûlé le
dit Gillet Soulart et la truye, pour deux voyages qu'il est venu faire
en la ville de Corbeil, pour ce, six livres douze deniers parisis.
_Item_ pour trois pintes de vin qui furent portées à la justice pour le
dit Henriet et Soulart, avec un pain, pour ce, deux sols un denier
parisis. _Item_ pour nourriture de la dite truye et icelle avoir gardée
par l'espace de onze jours, au prix chacun jour de huit deniers parisis,
valent ensemble sept sols quatre deniers parisis. _Item_ à Robinet et
Henriet, dits les Fouquiers frères, pour cinq cents de bourrées et
coterets pris sur le port de Morsant, et iceux faire amener à la justice
de Corbeil, pour arrivage et achat, pour chaque cent, huit sols parisis,
valent ensemble quarante sols parisis; toutes lesquelles parties montent
ensemble à neuf livres seize sols cinq deniers parisis.» (Sauval,
_Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris_, t. III, p.
387.)

Nous aurions pu citer de nombreux exemples de procès de ce genre, mais
un sentiment de bienséance facile à comprendre nous défend d'entrer dans
plus de détails sur des turpitudes qui outragent l'humanité.

31: _Thémis_, ou _Journal du jurisconsulte_, t. VIII, 2e partie, p. 58
et 59.

32: _La Practique et inchiridion des causes judiciaires_, par Josse
Damhoudère; Louvain, 1554: in-4º, chap. XCVI. Il y a du même ouvrage une
autre édition imprimée à Paris en 1555, sous le titre de _Practique
judiciaire ès causes criminelles_.

33: C'est ce qu'un siècle après Damhoudère disait également Claude
Lebrun de la Rochette, dans son ouvrage intitulé: _Procès civil et
criminel_, Rouen, 1647, t. II, p. 23.

34: Du Rousseau de la Combe, _Traité des matières criminelles_, 1re
partie, ch. II, sect. 1re, dist. 8e.

35: Le _Conservateur suisse_ ou _Recueil complet des étrennes
helvétiennes_, publié à Lausanne, en 1811, t. IV, p. 414. L'auteur de
l'ouvrage intitulé _Promenades pittoresques dans l'évêché de Bâle_,
imprimé à la Haye en 1808, et le _Journal du département du Nord_,
numéro du 1er novembre 1813, mentionnent également ce singulier procès.
Nous devons à la gracieuse obligeance de M. Pacile, bibliothécaire de
Lille, la communication de ce curieux document.

36: Le savant Lapeyronie, dans les _Mémoires de l'Académie des sciences_
pour l'année 1710 (p. 553 et suiv.), a donné des détails fort
intéressants sur les prétendus oeufs de coq. Il y démontre la fausseté
de cette erreur populaire, qui était encore de son temps partagée par
les gens du monde. Les oeufs dont il s'agit sont des oeufs de poule
incomplets dont le jaune s'est échappé dans le passage de l'_oviductus_.

37: Cet ouvrage, qui se trouve dans les _Concilia D. Bartholomæi a
Chasseneo_, Lugduni, 1588, in-folio, est intitulé: _Concilium primum
quod tractatus jure dici potest, propter multiplicatem et reconditam
doctrinam, ubi tuculenter, et acuratè tractatur questio illa: de
excommunicatione animalium insectorum_.

38: «On l'appelle communément Chassanée, dit le président Bouhier (tome
1er de ses oeuvres, page XIX, note 2), ce qui vient de ce que lui-même,
dans les dernières éditions de ses ouvrages, s'appelait _Bartholomæus a
Chassaneo_; mais son vrai nom, que j'ai rétabli ici, se trouve
non-seulement dans une inscription qu'il rapporte lui-même et dans son
contrat de mariage que j'ai vu en original; mais encore dans ce distique
qu'il mit au-devant de la première édition de son commentaire sur notre
coutume (de Bourgogne):

   _Hedua nunc tenet auctorem Bartholomæum, quem
      Yssiacus genuit, nomine de Chasseneuz._»

39: En 1460, ces insectes occasionnèrent de si grands ravages dans les
vignes, que pour y remédier il fut décidé avec les gens d'Église à
Dijon, qu'on ferait une procession générale le 25 mars; que chacun se
confesserait, et que défense serait faite de jurer, sous rigoureuses
peines. Cela fut encore réglé en 1540. (_Annuaire du département de la
Côte d'Or pour l'an 1827_, par Amanton, p. 92.)

40: Folio 1, verso, nº 3.

41: Folio 3.

42: Folio 3, verso, numéros 6 et 7.

43: Folio 5, numéros 45 et 46.

44: Folio 5, verso, nº 5.

45: Folio 14, verso, nº 91.

46: Folio 16, verso, nº 111.

47: Folio 16, verso, numéros 116 et 117.

48: Folio 17, nº 120.

49: Folio 17, nº 123. Guillaume, abbé de Saint-Théodoric, qui a écrit la
vie de saint Bernard, rapporte que ce saint, prêchant un jour dans
l'église de Foigny (l'une des premières abbayes qu'il avait fondées en
1121 dans le diocèse de Laon), des mouches en quantité prodigieuse
s'étaient introduites dans cette église, et par leurs bourdonnements et
leurs courses indécentes, troublaient et importunaient incessamment les
fidèles. Ne voyant d'autre remède pour arrêter ce scandale, le saint
s'écria: _Je les excommunie_ (_eas excommunico_); et le lendemain toutes
les mouches se trouvèrent frappées de mort. Leurs corps jonchèrent les
pavés de la basilique, qui fut pour toujours délivrée de ces
irrespectueux insectes. Ce fait devint tellement célèbre et inspira tant
de vénération dans tous les pays circonvoisins, que cette malédiction
des mouches passa en proverbe parmi les peuples d'alentour. (_Theophili
Regnaudi opera_, t. XIV, p. 482, nº 6, _De monitoris ecclesiasticis et
timore excommunicationis_.)

50: _Adjuro vos limaces, et vermes, et omnia animalia immunda, alimenta
hominum dissipantia et corrodentia hoc in territorio et parochianatu
existentia, ut à dicto territorio et parochianatu, et tota parochia
dissedatis, et ad loca, in quibus nullis nocere possitis, accedatis, in
nomine Patris, et Filii et Spiritus sancti, Amen._ (Folio 17, verso nº
124.)

51: Folio 17, verso, nº 125 et suivants.

52: _Historiarum_, lib. IV, ann. 1550. Contrairement au témoignage de ce
grave historien, on a prétendu que ce n'était point Chasseneuz qui avait
été désigné à cette époque par l'officialité d'Autun pour plaider en
faveur des rats. Toutefois ce point de controverse historique nous
semble indifférent dans la circonstance qui nous occupe. Peu importe en
effet que ce soit Chasseneuz ou tout autre avocat qui ait été chargé de
cette défense. Mais ce qu'il est intéressant de constater ici, c'est
qu'à l'occasion de faits semblables à ceux que nous venons de signaler,
les officialités étaient dans l'usage de nommer un avocat d'office aux
animaux poursuivis devant la juridiction ecclésiastique. Voilà ce qui
est hors de contestation.

53: _Tractatus de exorcismis._ Ce traité se trouve dans le volume
intitulé: _Clarissimi viri juriumque doctoris Felicis Hemmerlin cantoris
quondam Thuricencis variæ oblectationis opuscula et tractatus_, 1496,
petit in-folio en caractères gothiques. La partie dans laquelle l'auteur
parle des procès contre les animaux, a pour titre: _Alias tractatus
exorcismorum, seu adjurationum_.

54: _Propter suorum corporum exiguitatem et etatis minoritatem._
L'auteur rappelle à ce sujet les dispositions du droit romain contenues
au titre du Digeste: _De minoribus viginti quinque annis._

55: _Et ita factum est: Et odie rite servatur et ipsis cantarides per
annos singulos in tempore suo terræ portio certissima conservatur; et
ibidem conveniunt et nullus de cetero per ipsos angariant._

56: _Mémoires de la société royale académique de Savoie_. Tom. XII.
Chambéry, 1846.

57: Tom. II, p. 167, édition de 1766.

58: Elle est rapportée ci-dessus, p. 29 et 30.

59: Chasseneuz, ouvrage précité, folio 19.

60: Chasseneuz, même folio.

61: Chasseneuz, folio 19.

62: _Ibid._

63: Chasseneuz, ouvrage précité, folio 19.

64: _Theophili Raynaudi opera_, t. XIV, _De monitoriis ecclesiasticis,
et timore excommunicationis_, p. 482.

65: Ce sont évidemment les mêmes insectes dévastateurs des récoltes que
Chasseneuz, dans la consultation ci dessus analysée, nomme _urebers_.

66: _Somme décisoire de questions ecclésiastiques_, par Jean Rochette,
avocat et conseiller à la prevosté de Troyes, imprimée en 1610; in-8º.
Saint-Foix (_Essais sur Paris_, t. I, p. 176, de l'édition de 1776)
raconte aussi le même fait, mais avec moins de détails. Grosley, dans
ses _Ephémérides_, édition donnée par Pâris Dubreil, Paris, 1811, t. I,
p. 168, a rapporté le texte latin de cette sentence.

67: _Histoire générale du Dauphiné_, Lyon, 1672, in-folio, t. II, p.
712.

68: _D. Martini Azpilcuetæ Navarri opera_, t. II, _consiliorum_, lib. V,
tit. _De sententia excommunicationis_, _consiliorum_, 52, nº 7, édition
de Venise, 1601, p. 190.

69: Il est bon de remarquer que dès le seizième siècle, un moine
espagnol de l'ordre de Saint-Benoît, Léonard Vair, dans son livre
intitulé: _De fascino libri tres_, qu'il publia à Venise chez Alde, en
1459, avait critiqué très-vivement cet usage d'excommunier les animaux.
Nous rapporterons le passage suivant d'après la traduction que Julien
Boudon a faite de cet ouvrage, et qui a été imprimée à Paris, chez
Nicolas Chesnau, en 1583: «Il y a abus, dit cet auteur, qui a cours en
quelques endroicts, lequel mérite d'estre blâmé et supprimé. Car quand
les villageois veulent chasser les sauterelles et autre dommageable
vermine, ils choisissent un certain conjureur pour juge, devant lequel
on constitue deux procureurs, l'un de la part du peuple et l'autre du
costé de la vermine. Le procureur du peuple demande justice contre les
sauterelles et chenilles, pour les chasser hors des champs; l'autre
répond qu'il ne les faut point chasser. Enfin toutes cérémonies gardées,
on donne sentence d'excommunication contre la vermine, si dans certain
temps elle ne sort. Cette façon de faire est pleine de superstition et
d'impiété; soit pour ce qu'on ne peut mener procès contre les animaux,
qui n'ont aucune raison et comme ainsi soit qu'elles sont engendrées de
la pourriture de la terre, elles sont sans aucun crime; soit pour ce
qu'on pèche et blasphème griefvement quand on se moque de
l'excommunication de l'Église, car de vouloir soubmettre les bestes
brutes à l'excommunication, c'est tout de mesme que si quelqu'un voulait
baptiser un chien ou une pierre.» (P. 315 et 316.) _Perinde et enim est
excommunicationi velle subjicere an si quis canem aut lapidem
baptizaret._ (P. 159 et 160 du texte latin.)

70: Au reste on avait abusé de l'excommunication dans bien d'autres
circonstances auxquelles elle devait rester étrangère: ainsi «il est
constant, dit un de nos plus célèbres jurisconsultes, qu'autrefois les
officiaux excommuniaient les débiteurs lorsqu'ils ne satisfaisaient
point leurs créanciers à jour préfix. Et quoique les canonistes crussent
qu'il n'était pas permis de se soumettre par convention à la peine
d'encourir les censures de l'Église, néanmoins le mauvais usage l'avait
emporté sur la raison.» (M. le procureur général Dupin, _Manuel du droit
ecclésiastique français_, p. 53.)

«L'excommunication, dit aussi M. Faustin Hélie (_Traité de l'instruction
criminelle_, t. Ier, p. 385), était l'arme habituelle de l'Église: après
avoir commencé par l'appliquer aux coupables, par en châtier les crimes,
elle s'en servit pour la défense de ses intérêts, pour étendre ses
pouvoirs; puis elle en frappa les magistrats qui résistaient à ses
prétentions ou n'apportaient pas assez de zèle à les seconder. Cette
mesure extraordinaire, qui jetait l'épouvante dans les populations,
devint l'instrument le plus redoutable de la politique de Rome; mais
elle fut à la fois la base la plus nécessaire de la justice
ecclésiastique. Il est évident que cette justice, privée des peines
temporelles, n'avait pas de sanction ni par conséquent de puissance
réelle; ce n'est que par le prestige des peines spirituelles qu'elle
acquit passagèrement une suprématie qui s'évanouit à mesure que ce
prestige s'effaça. L'excommunication fit toute la force des cours
d'Église; elles tombèrent avec elle.»

71: _Histoire de Paris_, t. VII, p. 267, note 1.

72: _Nouveaux Voyages dans l'Amérique septentrionale_, La Haye, 1703, t.
Ier, p. 80.

73: Lisboa, 1706 à 1728. Cet extrait de la _Nova Floresta_, de Manoel
Bernardes, a été reproduit dans une revue portugaise intitulée _Jornal
de Timon_, p. 386 et suiv. Lisboa, 1858, numéros 11 et 12. Un de nos
philologues les plus érudits et les plus expérimentés, M. Ferdinand
Denis, conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève, nous a
communiqué cet ouvrage. Nous sommes heureux de saisir cette occasion
pour le remercier de son extrême obligeance et de son bienveillant
intérêt.

74: Horat., lib. I. _Sat._ I.

75: _Prov._ XXX, 25.

76: D. Hieron, _in illud._, _Prov._ VI, _Vade ad formicam_, etc.

77: Absalon Abbas apud Picinellum, in _Mundo symbolico_, lib. VIII, c.
X.

78: Plin., lib. XI, 36, 2.

79: S. Hieron., in _Vita Malchi_.

80: _Psalm._ XXIII, 1.





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