Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
Author: Bonaparte, Napoléon, 1769-1821
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V." ***


made available by gallica (Bibliothèque nationale de France) at
http://gallica.bnf.fr.



OEUVRES DE NAPOLÉON BONAPARTE.

TOME CINQUIÈME.

PARIS, C.L.F. PANCKOUCKE, ÉDITEUR,

MDCCCXXI.



OEUVRES DE NAPOLÉON BONAPARTE.

CAMPAGNE DE RUSSIE.

LIVRE SEPTIÈME.



Gumbinnen, 20 juin 1812.

_Premier bulletin de la grande armée_.

A la fin de 1810, la Russie changea de système politique; l'esprit
anglais reprit son influence; l'ukase sur le commerce en fut le premier
acte.

En février 1811, cinq divisions de l'armée russe quittèrent à marches
forcées le Danube, et se portèrent en Pologne. Par ce mouvement, la
Russie sacrifia la Valachie et la Moldavie.

Les armées russes réunies et formées, on vit paraître une protestation
contre la France, qui fut envoyée à tous les cabinets. La Russie annonça
par là qu'elle ne voulait pas même garder les apparences. Tous les
moyens de conciliation furent employés de la part de la France: tout fut
inutile.

A la fin de 1811, six mois après, on vit en France que tout ceci ne
pouvait finir que par la guerre; on s'y prépara. La garnison de Dantzick
fut portée à vingt mille hommes. Des approvisionnemens de toute espèce,
canons, fusils, poudre, munitions, équipage de pont, furent dirigés sur
cette place; des sommes considérables furent mises à la disposition du
génie, pour en accroître les fortifications.

L'armée fut mise sur le pied de guerre. La cavalerie, le train
d'artillerie, les équipages militaires furent complétés.

En mars 1812, un traité d'alliance fut conclu avec l'Autriche: le mois
précédent, un traité avait été conclu avec la Prusse.

En avril, le premier corps de la grande armée se porta sur l'Oder;

Le deuxième corps se porta sur l'Elbe;

Le troisième corps, sur le Bas-Oder;

Le quatrième corps partit de Véronne, traversa le Tyrol, et se rendit en
Silésie. La garde partit de Paris.

Le 22 avril, l'empereur de Russie prit le commandement de son armée,
quitta Pétersbourg, et porta son quartier-général à Wilna.

Au commencement de mai, le premier corps arriva sur la Vistule à Elbing
et à Marienbourg;

Le deuxième corps, à Marienwerder;

Le troisième corps, à Thorn;

Le quatrième et le sixième corps, à Plock;

Le cinquième corps se réunit à Varsovie;

Le huitième corps, sur la droite de Varsovie;

Le septième corps, à Putavy.

L'empereur partit de Saint-Cloud le 9 mai, passa le Rhin le 13, l'Elbe
le 29, et la Vistule le 6 juin.



Wilkowisky, le 22 juin 1812.

_Deuxième bulletin de la grande armée._

Tout moyen de s'entendre entre les deux empires devenait impossible:
l'esprit qui dominait le cabinet russe le précipita à la guerre. Le
général Narbonne, aide-de-camp de l'empereur, fut envoyé à Wilna, et
ne put y séjourner que peu de jours. On acquérait la preuve que la
sommation arrogante et tout-à-fait extraordinaire qu'avait présentée le
prince Kourakin, où il déclara ne vouloir entrer dans aucune explication
que la France n'eût évacué le territoire de ses propres alliés, pour
les livrer à la discrétion de la Russie, était le _sine quâ non_ de ce
cabinet; et il s'en vantait auprès des puissances étrangères.

Le premier corps se porta sur la Prégel. Le prince d'Eckmülh eut son
quartier-général le 11 juin à Koenigsberg.

Le maréchal duc de Reggio, commandant le deuxième corps, eut son
quartier-général à Vehlau; le maréchal duc d'Elchingen, commandant le
troisième corps, à Soldapp; le prince vice-roi, à Rastembourg; le roi
de Westphalie, à Varsovie; le prince Poniatowski, à Pulstuk; l'empereur
porta son quartier-général, le 12, sur la Prégel, à Koenigsberg; le 17,
à Justerburg; le 19, à Gumbinnen.

Un léger espoir de s'entendre existait encore. L'empereur avait donné
au comte de Lauriston l'instruction de se rendre auprès de l'empereur
Alexandre, ou de son ministre des affaires étrangères, et de voir s'il
n'y aurait pas moyen de revenir sur la sommation du prince Kourakin,
et de concilier l'honneur de la France et l'intérêt de ses alliés avec
l'ouverture des négociations.

Le même esprit qui régnait dans le cabinet russe empêcha, sous différens
prétextes, le comte de Lauriston de remplir sa mission; et l'on vit pour
la première fois un ambassadeur ne pouvoir approcher ni le souverain, ni
son ministre dans des circonstances aussi importantes. Le secrétaire de
légation Prévost apporta ces nouvelles à Gumbinnen, et l'empereur donna
l'ordre de marcher pour passer le Niémen: «Les vaincus, dit-il, prennent
le ton de vainqueurs; la fatalité les entraîne, que les destins
s'accomplissent.» S.M. fit mettre à l'ordre de l'armée la proclamation
suivante:

Soldats,

La seconde guerre de Pologne est commencée. La première s'est terminée à
Friedland et à Tilsitt: à Tilsitt, la Russie a juré éternelle alliance à
la France, et guerre à l'Angleterre. Elle viole aujourd'hui ses sermens!
Elle ne veut donner aucune explication de son étrange conduite, que les
aigles françaises n'aient repassé le Rhin, laissant par là nos alliés à
sa discrétion.

La Russie est entraînée par la fatalité! Ses destins doivent
s'accomplir. Nous croirait-elle donc dégénérés? ne serions-nous donc
plus les soldats d'Austerlitz? Elle nous place entre le déshonneur et
la guerre. Le choix ne saurait être douteux. Marchons donc en avant!
passons le Niémen: portons la guerre sur son territoire. La seconde
guerre de Pologne sera glorieuse aux armées françaises, comme la
première; mais la paix que nous conclurons portera avec elle sa
garantie, et mettra un terme à cette orgueilleuse influence que la
Russie a exercée depuis cinquante ans sur les affaires de l'Europe.



Kowno, le 26 juin 1812.

_Troisième bulletin de la grande armée._

Le 23 juin, le roi de Naples, qui commande la cavalerie, porta son
quartier-général à deux lieues du Niémen, sur la rive gauche. Ce prince
a sous ses ordres immédiats les corps de cavalerie commandés par les
généraux comtes Nansouty et Montbrun; l'un composé des divisions aux
ordres des généraux comtes Bruyères, Saint-Germain et Valence; l'autre
composé des divisions aux ordres du général baron Vattier, et des
généraux comtes Sébastiani et Defrance.

Le maréchal prince Eckmülh, commandant le premier corps, porta son
quartier-général au débouché de la grande forêt de Pilwiski.

Le deuxième corps et la garde suivirent le mouvement du premier corps.

Le troisième corps se dirigea par Marienpol. Le vice-roi, avec les
quatrième et sixième corps restés en arrière, se porta sur Kalwary.

Le roi de Westphalie se porta à Novogorod avec les cinquième, septième
et huitième corps.

Le premier corps d'Autriche, commandé par le prince de Schwartzemberg,
quitta Lemberg le..., fit un mouvement sur sa gauche, et s'approcha de
Lublin.

L'équipage de ponts, sous les ordres du général Eblé, arriva le 23 à
deux lieues du Niémen.

Le 23, à deux heures du matin, l'empereur arriva aux avant-postes près
de Kowno, prit une capote et un bonnet polonais d'un des chevau-légers,
et visita les rives du Niémen, accompagné seulement du général du génie
Haxo.

A huit heures du soir, l'armée se mit en mouvement. A dix heures,
le général de division comte Morand fit passer trois compagnies de
voltigeurs, et au même moment trois ponts furent jetés sur le Niémen.
A onze heures, trois colonnes débouchèrent sur les trois ponts. A une
heure un quart le jour commençait déjà à paraître; à midi, le général
baron Pajol chassa devant lui une nuée de cosaques, et fit occuper Kowno
par un bataillon.

Le 24, l'empereur se porta à Kowno.

Le maréchal prince d'Eckmülh porta son quartier-général à Roumchicki;

Et le roi de Naples à Eketanoui.

Pendant toute la journée du 24 et celle du 25, l'armée défila sur les
trois ponts. Le 24 au soir, l'empereur fit jeter un nouveau pont sur la
Vilia, vis-à-vis de Kowno, et fit passer le maréchal duc de Reggio avec
le deuxième corps. Les chevau-légers polonais de la garde passèrent à la
nage. Deux hommes se noyaient, lorsqu'ils furent sauvés par des nageurs
du vingt-sixième léger. Le colonel Guéhéneuc s'étant imprudemment exposé
pour les secourir, périssait lui-même; un nageur de son régiment le
sauva.

Le 25, le duc d'Elchingen se porta à Kormelou; le roi de Naples se porta
à Jijmoroui: les troupes légères de l'ennemi furent chassées de tous
côtés.

Le 26, le maréchal duc de Reggio arriva à Janow; le maréchal duc
d'Elchingen arriva à Sgorouli; les divisions légères de cavalerie
couvrirent toute la plaine jusqu'à dix lieues de Wilna.

Le 24, le maréchal duc de Tarente, commandant le dixième corps, dont
les Prussiens font partie, a passé le Niémen à Tilsitt, et marche sur
Rossiena, afin de balayer la rive droite du fleuve et de protéger la
navigation.

Le maréchal duc de Bellune, commandant le neuvième corps, ayant sous ses
ordres les divisions Heudelet, Lagrange, Durutte, Partouneaux, occupe le
pays entre l'Elbe et l'Oder.

Le général de division comte Rapp, gouverneur de Dantzick, a sous ses
ordres la division Daendels.

Le général de division comte Hogendorp est gouverneur de Koenigsberg.

L'empereur de Russie est à Wilna avec sa garde et une partie de son
armée, occupant Ronikoutoui et Newtroki.

Le général russe Bagawout, commandant le deuxième corps, et une partie
de l'armée russe coupée de Wilna, n'ont trouvé leur salut qu'en se
dirigeant sur la Dwina.

Le Niémen est navigable pour des bateaux de deux à trois cents tonneaux
jusqu'à Kowno. Ainsi, les communications par eau sont assurées
jusqu'à Dantzick et avec la Vistule, l'Oder et l'Elbe. Un immense
approvisionnement en eau-de-vie, en farine, en biscuit, file de Dantzick
et de Koenigsberg sur Kowno. La Vilia, qui passe à Wilna, est navigable
pour de plus petits bateaux, depuis Kowno jusqu'à Wilna. Wilna, capitale
de la Lithuanie, l'est de toute la Pologne russe. L'empereur de Russie
est depuis plusieurs mois dans cette ville, avec une partie de sa cour.
L'occupation de cette place par l'armée française sera le premier
fruit de la victoire. Plusieurs officiers de cosaques et des officiers
porteurs de dépêches ont été arrêtés par la cavalerie légère.



Wilna, le 30 juin 1812.

_Quatrième bulletin de la grande armée._

Le 27, l'empereur arriva aux avant-postes à deux heures après-midi, et
mit en mouvement l'armée pour s'approcher de Wilna et attaquer, le 28, à
la pointe du jour, l'armée russe, si elle voulait défendre Wilna ou en
retarder la prise, pour sauver les immenses magasins qu'elle y avait.
Une division russe occupait Troki, et une autre division était sur les
hauteurs de Waka.

A la pointe du jour, le 28, le roi de Naples se mit en mouvement avec
l'avant-garde et la cavalerie légère du général comte Bruyères. Le
maréchal prince d'Eckmülh l'appuya avec son corps. Les Russes se
reployèrent partout. Après avoir échangé quelques coups de canon, ils
repassèrent en toute hâte la Vilia, brûlèrent le pont de bois de Wilna,
et incendièrent d'immenses magasins, évalués à plusieurs millions de
roubles; plus de cent cinquante mille quintaux de farine, un immense
approvisionnement de fourrages et d'avoine, une masse considérable
d'effets d'habillement furent brûlés. Une grande quantité d'armes, dont
en général la Russie manque, et de munitions de guerre, furent détruites
et jetées dans la Vilia.

A midi, l'empereur entra dans Wilna. A trois heures, le pont sur la
Vilia fut rétabli: tout les charpentiers de la ville s'y étaient portés
avec empressement, et construisaient un pont en même temps que les
pontonniers en construisaient un autre.

La division Bruyères suivit l'ennemi sur la rive gauche. Dans une légère
affaire d'arrière-garde, une cinquantaine de voitures furent enlevées
aux Russes. Il y eut quelques hommes tués et blessés; parmi ces derniers
est le capitaine de hussards Ségur. Les chevau-légers polonais de la
garde firent une charge sur la droite de la Vilia, mirent en déroute,
poursuivirent et firent prisonniers bon nombre de cosaques.

Le 15, le duc de Reggio avait passé la Vilia sur un pont jeté près
de Kowno. Le 26, il se dirigea sur Jonow, et le 27 sur Chatouï. Ce
mouvement obligea le prince de Wittgenstein, commandant le premier corps
de l'armée russe, à évacuer toute la Samogitie et le pays situé entre
Kowno et la mer, et à se porter sur Wilkomir en se faisant renforcer par
deux régimens de la garde.

Le 28, la rencontre eut lieu. Le maréchal duc de Reggio trouva l'ennemi
en bataille vis-à-vis Develtovo; La canonnade s'engagea: l'ennemi fut
chassé de position en position, et repassa avec tant de précipitation le
pont, qu'il ne put pas le brûler. Il a perdu trois cents prisonniers,
parmi lesquels plusieurs officiers, et une centaine d'hommes tués ou
blessés. Notre perte se monte à une cinquantaine d'hommes.

Le duc de Reggio se loue de la brigade de cavalerie légère que commande
le général baron Castex, et du onzième régiment d'infanterie légère,
composé en entier de Français des départemens au-delà des Alpes. Les
jeunes conscrits romains ont montré beaucoup d'intrépidité.

L'ennemi a mis le feu à son grand magasin de Wilkomir. Au dernier
moment, les habitans avaient pillé quelques tonneaux de farine; on est
parvenu à en recouvrer une partie.

Le 29, le duc d'Elchingen a jeté un pont vis-à-vis Souderva pour passer
la Vilia. Des colonnes ont été dirigées sur les chemins de Grodno et
de la Volhynie, pour marcher à la rencontre des différens corps russes
coupés et éparpillés.

Wilna est une ville de vingt-cinq à trente mille ames, ayant un grand
nombre de couvens, de beaux établissemens et des habitans pleins de
patriotisme. Quatre ou cinq cents jeunes gens de l'Université, ayant
plus de dix-huit ans, et appartenant aux meilleures familles, ont
demandé à former un régiment.

L'ennemi se retire sur la Dwina. Un grand nombre d'officiers
d'état-major et d'estafettes tombent à chaque instant dans nos mains.
Nous acquérons la preuve de l'exagération de tout ce que la Russie a
publié sur l'immensité de ses moyens. Deux bataillons seulement par
régiment sont à l'armée; les troisièmes bataillons, dont beaucoup
d'états de situation ont été interceptés dans la correspondance des
officiers des dépôts avec les régimens, ne se montent pour la plupart
qu'à cent vingt ou deux cents hommes.

La cour est partie de Wilna vingt-quatre heures après avoir appris notre
passage à Kowno. La Samogitie, la Lithuanie sont presque entièrement
délivrées. La centralisation de Bagration vers le nord a fort affaibli
les troupes qui devaient défendre la Volhynie.

Le roi de Westphalie, avec le corps du prince Poniatowski, le septième
et le huitième corps, doit être entré le 29 à Grodno.

Différentes colonnes sont parties pour tomber sur les flancs du corps de
Bagration, qui, le 20, a reçu l'ordre de se rendre à marche forcée
de Proujanoui sur Wilna, et dont la tête était déjà arrivée à quatre
journées de marche de cette dernière ville, mais que les événement ont
forcée de rétrograder et que l'on poursuit.

Jusqu'à cette heure, la campagne n'a pas été sanglante; il n'y a eu que
des manoeuvres: nous avons fait en tout mille prisonniers; mais l'ennemi
a déjà perdu la capitale et la plus grande partie des provinces
polonaises, qui s'insurgent. Tous les magasins de première, de deuxième
et de troisième lignes, résultat de deux années de soins, et évalués
plus de vingt millions de roubles, sont consumés par les flammes ou
tombés en notre pouvoir. Enfin, le quartier-général de l'armée française
est dans le lieu où était la cour depuis six semaines.

Parmi le grand nombre de lettres interceptées, on remarque les deux
suivantes; l'une de l'intendant de l'armée russe, qui fait connaître que
déjà la Russie ayant perdu tous ses magasins de première, de deuxième et
de troisième lignes, est réduite à en former en toute hâte de nouveaux;
l'autre, du duc Alexandre de Wurtemberg, faisant voir qu'après peu de
jours de campagne, les provinces du centre sont déjà déclarées en état
de guerre.

Dans la situation présente des choses, si l'armée russe croyait avoir
quelque chance de victoire, la défense de Wilna valait une bataille; et
dans tous les pays, mais surtout dans celui où nous nous trouvons, la
conservation d'une triple ligne de magasins aurait dû décider un général
à en risquer les chances.

Des manoeuvres ont donc seules mis au pouvoir de l'armée française une
bonne partie des provinces polonaises, la capitale et trois lignes
de magasins. Le feu a été mis aux magasins de Wilna avec tant de
précipitation, qu'on a pu sauver beaucoup de choses.



Au quartier général impérial de Wilna, le 1er juillet 1812.

_Ordre du jour sur l'organisation de la Lithuanie._

Il y aura un gouvernement provisoire de la Lithuanie, composé de sept
membres et d'un secrétaire-général. La commission du gouvernement
provisoire de la Lithuanie sera chargée de l'administration des
finances, des subsistances, de l'organisation des troupes du pays, de la
formation des gardes nationales et de la gendarmerie. Il y aura
auprès de la commission provisoire du gouvernement de la Lithuanie un
commissaire impérial.

Chacun des gouvernemens de Wilna, Grodno, Minsk et Byalistock sera
administré par une commission de trois membres, présidée par un
intendant. Ces commissions administratives seront sous les ordres de la
commission provisoire de gouvernement de la Lithuanie.

L'administration de chaque district sera confiée à un sous-préfet.

Il y aura, pour la ville de Wilna, un maire, quatre adjoints et un
conseil municipal composé de douze membres. Cette administration sera
chargée de la gestion des biens de la ville, de la surveillance des
établissemens de bienfaisance et de la police municipale.

Il sera formé à Wilna une garde nationale composée de deux bataillons.
Chaque bataillon sera de six compagnies. La force des deux bataillons
sera de quatre cent cinquante hommes.

Il y aura dans chacun des gouvernemens de Wilna, Grodno, Minsk et
Byalistock une gendarmerie commandée par un colonel ayant sous ses
ordres; savoir: ceux des gouvernemens de Wilna et de Minsk, deux chefs
d'escadron; ceux des gouvernemens de Grodno et de Byalistock, un chef
d'escadron. Il y aura une compagnie de gendarmerie par district. Chaque
compagnie sera composée de cent sept hommes.

Le colonel de la gendarmerie résidera au chef-lieu du gouvernement. La
résidence des officiers et l'emplacement des brigades seront déterminés
par la commission provisoire de gouvernement de la Lithuanie.

Les officiers, sous-officiers et volontaires gendarmes, seront pris
parmi les gentilshommes propriétaires du district: aucun ne pourra s'en
dispenser. Il seront nommés; savoir: les officiers, par la commission
provisoire de gouvernement de la Lithuanie; les sous-officiers et
volontaires gendarmes, par les commissions administratives des
gouvernemens de Wilna, Grodno, Minsk et Byalistock.

L'uniforme de la gendarmerie sera l'uniforme polonais.

La gendarmerie fera le service de police; elle prêtera main-forte
à l'autorité publique; elle arrêtera les traînards, maraudeurs et
déserteurs, de quelque armée qu'ils soient. Notre ordre du jour, en date
du ... juin dernier, sera publié dans chaque gouvernement, et il y sera,
en conséquence, établi une commission militaire.

Le major-général nommera un officier-général ou supérieur, français ou
polonais, des troupes de ligne, pour commander chaque gouvernement.
Il aura sous ses ordres les gardes nationales, la gendarmerie et les
troupes du pays.

NAPOLÉON.



Wilna, le 6 juillet 1812.

_Cinquième bulletin de la grande armée._

L'armée russe était placée et organisée de la manière suivante au
commencement des hostilités:

Le premier corps commandé par le prince Wittgenstein, composé des
cinquième et quatrième divisions d'infanterie, et d'une division de
cavalerie, formant en tout dix-huit cents hommes, artillerie et sapeurs
compris, avait été long-temps à Chawli. Il avait depuis occupé Rosiena,
et était le 24 juin à Keydanoui.

Le deuxième corps, commandé par le général Bagavout, composé des
quatrième et dix-septième divisions d'infanterie, et d'une division de
cavalerie présentant la même force, occupait Kowno.

Le troisième corps, commandé par le général Schomoaloff, composé de la
première division de grenadiers, d'une division d'infanterie et d'une
division de cavalerie, formant vingt-quatre mille hommes, occupait
New-Troki.

Le quatrième corps, commandé par le général Tutschkoff, composé des
onzième et vingt-troisième divisions d'infanterie et d'une division de
cavalerie, formant dix-huit mille hommes, était placé depuis New-Troki
jusqu'à Lida.

La garde impériale était à Wilna.

Le sixième corps, commandé par le général Doctorow, composé de deux
divisions d'infanterie et d'une division de cavalerie, formant dix-huit
mille hommes, avait fait partie de l'armée du prince Bagration. Au
milieu de juin, il arriva à Lida, venant de la Volhynie pour renforcer
la première armée. Ce corps était, à la fin de juin, entre Lida et
Grodno.

Le cinquième corps, composé de la deuxième division de grenadiers, des
douzième, dix-huitième et vingt-sixième divisions d'infanterie, et
de deux divisions de cavalerie, était le 30 à Wolkowisk. Le prince
Bagration commandait ce corps, qui pouvait être de quarante mille
hommes.

Enfin, les neuvième et quinzième divisions d'infanterie et une division
de cavalerie, commandées par le général Markow, se trouvaient dans le
fond de la Volhynie.

Le passage de la Vilia, qui eut lieu le 25 juin, et la marche du duc de
Reggio sur Janow et sur Chatoui, obligèrent le corps de Wittgenstein
à se porter sur Wilkomir et sur la gauche, et le corps de Bagawout
à gagner Dunabourg par Mouchnicki et Gedroitse. Ces deux corps se
trouvaient ainsi coupés de Wilna.

Les troisième et quatrième corps, et la garde impériale russe, se
portèrent de Wilna sur Nementschin, Swentzianoui et Vidzoui. Le roi de
Naples les poussa vivement sur les deux rives de la Vilia. Le dixième
régiment de hussards polonais, tenant la tête de colonne de la division
du comte Sébastiani, rencontra près de Lebowo un régiment de cosaques de
la garde qui protégeait la retraite de l'arrière-garde, et le chargea
tête baissée, lui tua neuf hommes et fit une douzaine de prisonniers.
Les troupes polonaises, qui jusqu'à cette heure ont chargé, ont montré
une rare détermination. Elles sont animées par l'enthousiasme et la
passion.

Le 3 juillet, le roi de Naples s'est porté sur Swentzianoui, et y a
atteint l'arrière-garde du baron de Tolly. Il donna ordre au général
Montbrun de la faire charger; mais les Russes n'ont point attendu, et se
sont retirés avec une telle précipitation, qu'un escadron de hulans,
qui revenait d'une reconnaissance du côté de Mikaïlitki, tomba dans nos
postes. Il fut chargé par le douzième de chasseurs, et entièrement pris
ou tué: soixante hommes ont été pris avec leurs chevaux. Les Polonais
qui se trouvaient parmi ces prisonniers ont demandé à servir, et ont
pris rang, tout montés, dans les troupes polonaises.

Le 4, à la pointe du jour, le roi de Naples est entré à Swentzianoui: le
maréchal duc d'Elchingen est entré à Miliatoui, et le maréchal duc de
Reggio à Avanta.

Le 30 juin, le maréchal duc de Tarente est arrivé à Rosiena; il s'est
porté de là sur Poneviegi, Chawli et Tesch.

Les immenses magasins que les Russes avaient dans la Samogitie ont été
brûlés par eux; perte énorme, non-seulement pour leurs finances, mais
encore pour la subsistance des peuples.

Cependant le corps de Doctorow, c'est-à-dire le sixième corps, était
encore, le 27 juin, sans ordres, et n'avait fait aucun mouvement. Le 28,
il se réunit et se mit en marche pour se porter sur la Dwina par une
marche de flanc. Le 30, son avant-garde entra à Soleinicki. Elle fut
chargée par la cavalerie légère du général baron Bordesoult, et chassée
de la ville. Doctorow se voyant prévenu, prit à droite, et se porta sur
Ochmiana. Le général baron Pajol y arriva avec sa brigade de cavalerie
légère, au moment où l'avant-garde de Doctorow y entrait. Le général
Pajol le fit charger; l'ennemi fut sabré et culbuté dans la ville. Il a
perdu soixante hommes tués et dix huit prisonniers. Le général Pajol a
eu cinq hommes tués et quelques blessés. Cette charge a été faite par le
neuvième régiment de lanciers polonais.

Le général Doctorow voyant le chemin coupé, rétrograda sur Olchanoui.
Le maréchal prince d'Eckmülh, avec une division d'infanterie, les
cuirassiers de la division du comte Valence et le deuxième régiment
de chevau-légers de la garde, se porta sur Ochmiana pour soutenir le
général Pajol.

Le corps de Doctorow, ainsi coupé et rejeté dans le midi, continua de
longer à droite, à marches forcées, en faisant le sacrifice de ses
bagages; sur Smoroghoui, Danowcheff et Kobouïluicki, d'où il s'est porté
sur la Dwina. Ce mouvement avait été prévu. Le général comte Nansouty,
avec une division de cuirassiers, la division de cavalerie du général
comte Bruyères et la division d'infanterie du comte Morand, s'était
portée à Mikaïlitchki pour couper ce corps. Il arriva le 3 à Swir,
lorsqu'il débouchait, et le poussa vivement, lui prit bon nombre de
traînards, et l'obligea à abandonner quelques centaines de voitures de
bagages.

L'incertitude, les angoisses, les marches et les contre-marches qu'ont
faites ces troupes, les fatigues qu'elles ont essuyées, ont dû les faire
beaucoup souffrir.

Des torrens de pluie ont tombé pendant trente-six heures sans
interruption.

D'une extrême chaleur, le temps a passé tout-à-coup à un froid très-vif.
Plusieurs milliers de chevaux ont péri par l'effet de cette transition
subite. Des convois d'artillerie ont été arrêtés dans les boues.

Cet épouvantable orage, qui a fatigué les hommes et les chevaux, a
nécessairement retardé notre marche, et le corps de Doctorow, qui a
donné successivement dans les colonnes du général Bordesoult, du général
Pajol et du général Nansouty, a été près de sa destruction.

Le prince Bagration, avec le cinquième corps, placé plus en arrière,
marche sur la Dwina. Il est parti le 30 juin de Wolkowski pour se rendre
sur Minsk.

Le roi de Westphalie est entré le même jour à Grodno. La division
Dombrowski a passé la première. L'hetman Platow se trouvait encore à
Grodno avec ses cosaques. Chargés par la cavalerie légère du prince
Poniatowski, les cosaques ont été éparpillés: on leur a tué deux
cents hommes et fait soixante prisonniers. On a trouvé à Grodno une
manutention propre à cuire cent mille rations de pain, et quelques
restes de magasins.

Il avait été prévu que Bagration se porterait sur la Dwina en se
rapprochant le plus possible de Dunabourg; et le général de division
comte Grouchy a été envoyé à Bognadow. Il était le 3 à Traboui. Le
maréchal prince d'Eckmülh, renforcé de deux divisions, était le 4 à
Wichnew. Si le prince Poniatowski a poussé vivement l'arrière-garde du
corps de Bagration, ce corps se trouvera compromis.

Tous les corps ennemis sont dans la plus grande incertitude, L'hetman
Platow ignorait, le 30 juin, que depuis deux jours Wilna fût occupé par
les Français. Il se dirigea sur cette ville jusqu'à Lida, où il changea
de route et se porta sur le midi.

Le soleil, dans la journée du 4, a rétabli les chemins. Tout s'organise
à Wilna. Les faubourgs ont souffert par la grande quantité de monde
qui s'y est précipitée pendant la durée de l'orage. Il y avait une
manutention russe pour soixante mille rations. On en à établi une autre
pour une égale quantité de rations. On forme des magasins. La tête des
convois arrive à Kowno par le Niémen. Vingt mille quintaux de farine et
un million de rations de biscuit viennent d'y arriver de Dantzick.



Wilna, le 13 juillet 1812.

_Sixième bulletin de la grande armée._

Le roi de Naples a continué à suivre l'arrière-garde ennemie. Le 5, il
a rencontré la cavalerie ennemie en position sur la Dziana; il l'a fait
charger par la brigade de cavalerie légère, que commande le général
baron Subervic. Les régimens prussiens, wurtembergeois et polonais
qui font partie de cette brigade, ont chargé avec la plus grande
intrépidité. Ils ont culbuté une ligne de dragons et de hussards russes,
et ont fait deux cents prisonniers, hussards et dragons montés. Arrivé
au-delà de la Dziana, l'ennemi coupa les ponts et voulut défendre le
passage. Le générai comte Montbrun fit alors avancer ses cinq batteries
d'artillerie légère, qui, pendant plusieurs heures, portèrent le ravage
dans les rangs ennemis. La perte des Russes a été considérable.

Le général comte Sébastiani est arrivé le même jour à Vidzoui, d'où
l'empereur de Russie était parti la veille.

Notre avant-garde est sur la Dwina.

Le général comte Nansouty était le 5 juillet à Postavoui. Il se porta,
pour passer la Dziana, à six lieues de là, sur la droite du roi de
Naples. Le général de brigade Roussel, avec le neuvième régiment de
chevau-légers polonais et le deuxième régiment de hussards prussiens,
passa la rivière, culbuta six escadrons russes, en sabra un bon nombre
et fit quarante-cinq prisonniers avec plusieurs officiers. Le général
Nansouty se loue de la conduite du général Roussel, et cite avec éloge
le lieutenant Boske, du deuxième régiment de hussards prussiens, le
sous-officier Krance, et le hussard Lutze. S.M. a accordé la décoration
de la Légion-d'Honneur au général Roussel, aux officiers et au
sous-officier ci-dessus nommés.

Le général Nansouty a fait prisonniers cent trente hussards et dragons
russes montés.

Le 3 juillet, la communication a été ouverte entre Grodno et Vilna par
Lida. L'hetmann Platow, avec six mille cosaques, chassé de Grodno, se
présenta sur Lida, et y trouva les avant-postes français. Il descendit
sur Ivie le 5.

Le général comte Grouchy occupait Wichnew, Traboui et Soubonicki. Le
général baron Pajol était à Perckaï; le généra! baron Bordesoult était à
Blakchtoui; le maréchal prince d'Eckmühl était en avant de Bobrowitski,
poussant des têtes de colonne partout.

Platow se retira précipitamment, le 6, sur Nikolaew.

Le prince Bagration, parti dans les premiers jours de juillet de
Wolkowisk, pour se diriger sur Wilna, a été intercepté dans sa route.
Il est retourné sur ses pas pour gagner Minsk; prévenu par le prince
d'Eckmühl, il a changé de direction, a renoncé à se porter sur la Dwina,
et se porte sur le Borysthène par Bobruisk, en traversant les marais de
la Bérésina.

Le maréchal prince d'Eckmühl est entré le 8 à Minsk, Il y a trouvé des
magasins considérables en farine, en avoine, en effets d'habillement,
etc. Bagration était déjà arrivé à Novoi-Sworgiew; se voyant prévenu, il
envoya l'ordre de brûler les magasins; mais le prince d'Eckmühl ne lui
en a pas donné le temps.

Le roi de Westphalie était le 9 à Nowogrodek; le général Reynier, à
Slonim. Des magasins, des voitures de bagages, des pharmacies, des
hommes isolés ou coupés tombent à chaque moment dans nos mains. Les
divisions russes errent dans ces contrées sans directions prévues,
poursuivies partout, perdant leurs bagages, brûlant leurs magasins,
détruisant leur artillerie, et laissant leurs places sans défense.

Le général baron de Colbert a pris à Vileika un magasin de trois mille
quintaux de farine, de cent mille rations de biscuit, etc. Il a trouvé
aussi à Vileika une caisse de vingt mille francs en monnaie de cuivre.

Tous ces avantages ne coûtent presque aucun homme à l'armée française:
depuis que la campagne est ouverte, on compte à peine, dans tous les
corps réunis, trente hommes tués, une centaine de blessés et dix
prisonniers, tandis que nous avons déjà deux mille à deux mille cinq
cents prisonniers russes.

Le prince de Schwartzenberg a passé le Bug à Droghitschin, a poursuivi
l'ennemi dans ses différentes directions, et s'est emparé de plusieurs
voitures de bagages. Le prince de Schwartzenberg se loue de l'accueil
qu'il reçoit des habitans, et de l'esprit de patriotisme qui anime ces
contrées.

Ainsi dix jours après l'ouverture de la campagne, nos avant-postes sont
sur la Dwina. Presque toute la Lithuanie, ayant quatre millions d'hommes
de population, est conquise. Les mouvemens de guerre ont commencé au
passage de la Vistule. Les projets de l'empereur étaient dès-lors
démasqués, et il n'y avait pas de temps à perdre pour leur exécution.
Aussi l'armée a-t-elle fait de fortes marches depuis le passage de ce
fleuve, pour se porter par des manoeuvres sur la Dwina, car il y a
plus loin de la Vistule à la Dwina, que de la Dwina à Moscou et a
Pétersbourg.

Les Russes paraissent se concentrer sur Dunabourg; ils annoncent le
projet de nous attendre et de nous livrer bataille avant de rentrer dans
leurs anciennes provinces, après avoir abandonné sans combat la Pologne,
comme s'ils étaient pressés par la justice, et qu'ils voulussent
restituer un pays mal acquis, puisqu'il ne l'a été ni par les traités,
ni par le droit de conquête.

La chaleur continue à être très-forte.

Le peuple de Pologne s'émeut de tous côtés. L'aigle blanche est arborée
partout. Prêtres, nobles, paysans, femmes, tous demandent l'indépendance
de leur nation. Les paysans sont extrêmement jaloux du bonheur des
paysans du grand-duché, qui sont libres; car, quoi qu'on dise, la
liberté est regardée par les Lithuaniens comme le premier des biens.
Les paysans s'expriment avec une vivacité d'élocution qui ne semble pas
devoir appartenir aux climats du nord, et tous embrassent avec transport
l'espérance que la fin de la lutte sera le rétablissement de leur
liberté. Les paysans du grand-duché ont gagné à la liberté, non qu'ils
soient plus riches, mais que les propriétaires sont obligés d'être
modérés, justes et humains, parce qu'autrement les paysans quitteront
leurs terres pour chercher de meilleurs propriétaires. Ainsi le noble
ne perd rien; il est seulement obligé d'être juste, et le paysan gagne
beaucoup. Ç'a dû être une douce jouissance pour le coeur de l'empereur,
que d'être témoin, en traversant le grand-duché, des transports de joie
et de reconnaissance qu'excite le bienfait de la liberté accordée à
quatre millions d'hommes.

Six régimens d'infanterie de nouvelle levée viennent d'être décrétés en
Lithuanie, et quatre régimens de cavalerie viennent d'être offerts par
la noblesse.



Wilna, le 16 juillet 1812.

_Septième bulletin de la grande armée._

S.M. fait élever sur la rive droite de la Vilia un camp retranché fermé
par des redoutes, et fait construire une citadelle sur la montagne où
était l'ancien palais des Jagellons. On travaille à établir deux ponts
de pilotis sur la Vilia. Trois ponts de radeaux existent déjà sur cette
rivière.

Le 8, l'empereur a passé la revue d'une partie de sa garde, composée des
divisions Laborde et Roguet, que commande le maréchal duc de Trévise,
et de la vieille garde, que commande le maréchal duc de Dantzick, sur
l'emplacement du camp retranché. La belle tenue de ces troupes a excité
l'admiration générale.

Le 4, le maréchal duc de Tarente fit partir de son quartier-général de
Rossiena, capitale de la Samogitie, l'une des plus belles et des plus
fertiles provinces de la Pologne, le général de brigade baron Ricard,
avec une partie de la septième division, pour se porter sur Poniewiez;
le général prussien Kleist, avec une brigade prussienne, a été envoyé
sur Chawli; et le brigadier prussien de Jeannerel, avec une autre
brigade prussienne, sur Telch. Ces trois commandans sont arrivés à leur
destination. Le général Kleist n'a pu atteindre qu'un hussard russe,
l'ennemi ayant évacué en toute hâte Chawli, après avoir incendié les
magasins.

Le général Ricard est arrivé, le 6 de grand matin, à Poniewiez. Il a eu
le bonheur de sauver les magasins qui s'y trouvaient, et qui contenaient
trente mille quintaux de farine. Il a fait cent soixante prisonniers,
parmi lesquels sont quatre officiers. Cette petite expédition fait le
plus grand honneur au détachement de hussards de la Mort prussien, qui
en a été chargé. S.M. a accordé la décoration de la Légion-d'Honneur
au commandant, au lieutenant de Raven, aux sous-officiers Werner et
Pommereit, et au brigadier Grabouski, qui se sont distingués dans cette
affaire.

Les habitans de la province de Samogitie se distinguent par leur
patriotisme. Ils ont un grief de plus que les autres Polonais: ils
étaient libres; leur pays est riche; il l'était davantage; mais leurs
destinées ont changé avec la chute de la Pologne. Les plus belles terres
ayant été données par Catherine aux Soubow, les paysans, de libres
qu'ils étaient, ont dû devenir esclaves. Le mouvement de flanc qu'a fait
l'armée sur Wilna, ayant tourné cette belle province, elle se trouve
intacte, et sera de la plus grande utilité à l'armée. Deux mille chevaux
sont en route pour venir réparer les pertes de l'artillerie. Des
magasins considérables ont été conservés. La marche de l'armée de Kowno
sur Wilna, et de Wilna sur Dunabourg et sur Minsk, a obligé l'ennemi
à abandonner les rives du Niémen, et a rendu libre cette rivière, par
laquelle de nombreux convois arrivent à Kowno. Nous avons dans ce moment
plus de cent cinquante mille quintaux de farine, deux millions de
rations de biscuit, six mille quintaux de riz, une grande quantité
d'eau-de-vie, six cent mille boisseaux d'avoine, etc. Les convois se
succèdent avec rapidité: le Niémen est couvert de bateaux.

Le passage du Niémen a eu lieu le 24, et l'empereur est entré à Wilna le
38. La première armée de l'Ouest, commandée par l'empereur Alexandre,
est composée de neuf divisions d'infanterie et de quatre divisions de
cavalerie. Poussée de poste en poste, elle occupe aujourd'hui le camp
retranché de Drissa, où le roi de Naples, avec les corps des maréchaux
ducs Elchingen et de Reggio, plusieurs divisions du premier corps, et
les corps de cavalerie des comtes Nansouty et Montbrun, la contient.
La seconde armée, commandée par le prince Bagration, était encore,
le premier juillet, à Kobrin, où elle se réunissait. Les neuvième et
quinzième divisions étaient plus loin, sous les ordres du général
Tormazow. A la première nouvelle du passage du Niémen, Bagration se
mit en mouvement pour se porter sur Wilna; il fit sa jonction avec les
cosaques de Platow, qui étaient vis-à-vis Grodno. Arrivé à la hauteur
d'Ivié, il apprit que le chemin de Wilna lui était fermé. Il reconnut
que l'exécution des ordres qu'il avait serait téméraire et entraînerait
sa perte, Soubotnicki, Traboui, Witchnew, Volojink, étant occupés par
les corps du général comte Grouchy, du général Pajol, et du maréchal
prince d'Eckmühl. Il rétrograda alors, et prit la direction de Minsk;
mais arrivé à demi-chemin de cette ville, il apprit que le prince
d'Eckmühl y était entré. Il rétrograda encore une fois: de Newij il
marcha sur Slousk, et de là il se porta sur Bobruisk, où il n'aura
d'autre ressource que de passer le Borysthène. Ainsi, les deux armées
sont entièrement coupées, et séparées entre elles par un espace de cent
lieues.

Le prince d'Eckmühl s'est emparé de la place forte de Borisow sur la
Bérésina. Soixante milliers de poudre, seize pièces de canon de siège,
des hôpitaux, sont tombés en son pouvoir. Des magasins considérables ont
été incendiés une partie cependant a été sauvée.

Le 10, le général Latour-Maubourg a envoyé la division de cavalerie
légère, commandée par le général Rozniecki, sur Mir. Elle a rencontré
l'arrière-garde ennemie à peu de distance de cette ville. Un engagement
très-vif eut lieu. Malgré l'infériorité du nombre de la division
polonaise, le champ lui est resté. Le général de cosaques Gregoriew a
été tué, et quinze cents Russes ont été tués ou blessés. Notre perte a
été de cinq cents hommes au plus. La cavalerie légère polonaise s'est
battue avec la plus grande intrépidité, et son courage a suppléé au
nombre. Nous sommes entrés le même jour à Mir.

Le 13, le roi de Westphalie avait son quartier-général à Nesvy.

Le vice-roi arrive à Dockchitsoui.

Les Bavarois, commandés par le général comte Gouvion-Saint-Cyr, ont
passé la revue de l'empereur le 14, à Wilna. La division Deroy et la
division de Wrede étaient très-belles. Ces troupes se sont mises en
marche pour Sloubokoe.

La diète de Varsovie s'étant constituée en confédération générale de
Pologne, a nommé le prince Adam Czartorinski son président. Ce prince,
âgé de quatre-vingts ans, a été, il y a cinquante ans, maréchal d'une
diète de Pologne. Le premier acte de la confédération a été de déclarer
le royaume de Pologne rétabli.

Une députation de la confédération a été présentée à l'empereur à
Wilna, et a soumis à son approbation et à sa protection l'acte de
confédération.



_Réponse de l'empereur au discours de M. le comte palatin Wibicki,
président de la députation de la confédération générale de Pologne._

MM. les députés de la confédération de Pologne, J'ai entendu avec
intérêt ce que vous venez de me dire. Polonais; je penserais et
j'agirais comme vous; j'aurais volé comme vous dans l'assemblée de
Varsovie: l'amour de la patrie est la première vertu de l'homme
civilisé.

Dans ma position, j'ai bien des intérêts à concilier et bien des devoirs
à remplir. Si j'eusse régné lors du premier, du second ou du troisième
partage de la Pologne, j'aurais armé tout mon peuple pour vous soutenir.
Aussitôt que la victoire m'a permis de restituer vos anciennes lois
à votre capitale et à une partie de vos provinces, je l'ai fait avec
empressement, sans toutefois prolonger une guerre qui eût fait couler
encore le sang de mes sujets.

J'aime votre nation: depuis seize ans, j'ai vu vos soldats à mes côtés,
sur les champs d'Italie, comme sur ceux d'Espagne.

J'applaudis à tout ce que vous avez fait: j'autorise les efforts que
vous voulez faire; tout ce qui dépendra de moi pour seconder vos
résolutions, je le ferai.

Si vos efforts sont unanimes, vous pouvez concevoir l'espoir de réduire
vos ennemis à reconnaître vos droits; mais, dans ces contrées si
éloignées et si étendues, c'est surtout sur l'unanimité des efforts de
la population qui les couvre, que vous devez fonder vos espérances de
succès.

Je vous ai tenu le même langage lors de ma première apparition en
Pologne; je dois ajouter ici que j'ai garanti à l'empereur d'Autriche
l'intégrité de ses états, et que je ne saurais autoriser aucune
manoeuvre ni aucun mouvement qui tendrait à le troubler dans la paisible
possession de ce qui lui reste des provinces polonaises. Que la
Lithuanie, la Samogitie, Witepsek, Polotzi, Mohilow, la Volhynie,
l'Ukraine, la Podolie, soient animées du même esprit que j'ai vu dans la
grande Pologne, et la providence couronnera par le succès, la sainteté
de votre cause; elle récompensera ce dévouement à votre patrie, qui vous
a rendus si intéressans, et vous a acquis tant de droits à mon estime
et à ma protection, sur laquelle vous devez compter dans toutes les
circonstances.



Glonbokoé, le 22 juillet 1812.

_Huitième bulletin de la grande armée._

Le corps du prince Bagration est composé de quatre divisions
d'infanterie, fortes de vingt-deux à vingt-quatre mille hommes; des
cosaques de Platow, formant six mille chevaux, et de quatre à cinq mille
hommes de cavalerie. Deux divisions de son corps (la neuvième et la
onzième) voulaient le rejoindre par Pinsk; elles ont été interceptées et
obligées de rentrer en Volhoynie.

Le 14, le général Latour-Maubourg, qui suivait l'arrière-garde de
Bagration, était à Romanow. Le 16, le prince Poniatowski y avait son
quartier-général.

Dans l'affaire du 10, qui a eu lieu a Romanow, le général Rozniecki,
commandant la cavalerie légère du quatrième corps de cavalerie, a
perdu six cents hommes tués ou blessés, ou faits prisonniers. On n'a à
regretter aucun officier supérieur. Le général Rozniecki assure que l'on
a reconnu sur le champ de bataille, les corps du général de division
russe comte Pahlen, des colonels russes Adrianow et Jesowayski.

Le prince de Schwartzemberg avait, le 13, son quartier-général à
Prazana. Il avait fait occuper, le 11 et le 12, la position importante
de Pinsk, par un détachement, qui a pris quelques hommes et des magasins
assez considérables. Douze houlans autrichiens ont chargé quarante-six
cosaques, les ont poursuivis pendant plusieurs lieues, et en ont pris
six. Le prince de Schwartzemberg marche sur Minsk.

Le général Reynier est revenu, le 19, à Slonim, pour garantir le duché
de Varsovie d'une incursion, et observer les deux divisions ennemies
rentrées en Volhynie.

Le 12, le général baron Pajol, étant à Jghoumen, a envoyé le capitaine
Vaudois, avec cinquante chevaux, à Khaloui. Ce détachement a pris là un
parc de deux cents voitures du corps de Bagration, a fait prisonniers
six officiers, deux canonniers, trois cents hommes du train, et a pris
huit cents beaux chevaux d'artillerie. Le capitaine Vaudois, se trouvant
éloigné de quinze lieues de l'armée, n'a pas jugé pouvoir amener ce
convoi, et l'a brûlé; il a amené les chevaux harnachés et les hommes.

Le prince d'Eckmühl était le 15 à Jghoumen; le général Pajol était à
Jachitsié, ayant des postes sur Swisloch: ce qu'apprenant, Bagration a
renoncé à se porter sur Bobruisk, et s'est jeté quinze lieues plus bas
du côté de Mozier.

Le 17, Je prince d'Eckmühl était à Golognino.

Le 15, le général Grouchy était à Borisow. Un parti qu'il a envoyé sur
Star-Lepel, y a pris des magasins considérables, et deux compagnies de
mineurs de huit officiers et de deux cents hommes.

Le 18, ce général était à Kokanow.

Le même jour, à deux heures du matin, le général baron Colbert est entré
à Orcha, où il s'est emparé d'immenses magasins de farine, d'avoine,
d'effets d'habillement. Il a passé de suite le Borysthène, et s'est mis
à la poursuite d'un convoi d'artillerie.

Smolensk est en alarme. Tout s'évacue sur Moscou. Un officier envoyé par
l'empereur pour faire évacuer les magasins d'Orcha, a été fort étonné de
trouver la place au pouvoir des Français; cet officier a été pris avec
ses dépêches.

Pendant que Bagration était vivement poursuivi dans sa retraite, prévenu
dans ses projets, séparé et éloigné de la grande armée, la grande armée,
commandée par l'empereur Alexandre, se retirait sur la Dwina. Le 14, le
général Sébastiani, suivant l'arrière-garde ennemie, culbuta cinq cents
cosaques et arriva à Drouïa.

Le 13, le duc de Reggio se porta sur Dunabourg, brûla d'assez belles
baraques que l'ennemi avait fait construire, fit lever le plan des
ouvrages, brûla des magasins et fit cent cinquante prisonniers. Après
cette diversion sur la droite, il marcha sur Drouïa.

Le 15, l'ennemi qui était réuni dans son camp retranché de Drissa, au
nombre de cent à cent vingt mille hommes, instruit que notre cavalerie
légère se gardait mal, fit jeter un pont, fit passer cinq mille hommes
d'infanterie et cinq mille hommes de cavalerie, attaqua le général
Sébastiani à l'improviste, le repoussa d'une lieue, et lui fit éprouver
une perte d'une centaine d'hommes, tués, blessés, et prisonniers, parmi
lesquels se trouvent un capitaine et un sous-lieutenant du onzième
de chasseurs. Le général de brigade baron Saint-Geniès, blessé
mortellement, est resté au pouvoir de l'ennemi.

Le 16, le maréchal duc de Trévise, avec une partie de la garde à pied
et de la garde à cheval, et la cavalerie légère bavaroise, arriva à
Gloubokoé. Le vice-roi arriva à Dockchitsié le 17.

Le 18, l'empereur porta son quartier-général à Gloubokoé.

Le 20, les maréchaux ducs d'Istrie et de Trévise étaient à Ouchatsch; le
vice-roi à Kamen; le roi de Naples à Disna.

Le 18, l'armée russe évacua son camp retranché de Drissa, consistant en
une douzaine de redoutes palissadées, réunies par un chemin couvert et
de trois mille toises de développement dans l'enfoncement de la rivière.
Ces ouvrages ont coûté une année de travail; nous les avons rasés.

Les immenses magasins qu'ils renfermaient ont été brûlés ou jetés dans
l'eau.

Le 19, l'empereur Alexandre était à Witepsek.

Le même jour, le général comte Nansouty était vis-à-vis Polotsk.

Le 20, le roi de Naples passa la Dwina, et fit inonder la rive droite
par sa cavalerie.

Tous les préparatifs que l'ennemi avait faits pour défendre le passage
de la Dwina, ont été inutiles. Les magasins qu'il formait à grands frais
depuis trois ans, ont été détruits. Il est tels de ses ouvrages qui, au
dire des gens du pays, ont coûté dans une année six mille hommes aux
Russes. On ne sait sur quel espoir ils s'étaient flattés qu'on irait les
attaquer dans des camps qu'ils avaient retranchés.

Le général comte Grouchy a des reconnaissances sur Rabinovitch et sur
Sienne. De tous côtés on marche sur la Oula. Cette rivière est réunie
par un canal à la Bérésina, qui se jette dans le Borysthène; ainsi, nous
sommes maîtres de la communication de la Baltique à la mer Noire.

Dans ses mouvemens, l'ennemi est obligé de détruire ses bagages, de
jeter dans les rivières son artillerie, ses armes. Tout ce qui est
Polonais profite de ces retraites précipitées pour déserter et rester
dans les bois jusqu'à l'arrivée des Français. On peut évaluer vingt
mille les déserteurs polonais qu'a eus l'armée russe.

Le maréchal duc de Bellune, avec le neuvième corps, arrive sur la
Vistule.

Le maréchal duc de Castiglione se rend à Berlin, pour prendre le
commandement du onzième corps.

Le pays entre l'Oula et la Dwina est très-beau et couvert de superbes
récoltes. On trouve souvent de beaux châteaux et de grands couvens. Dans
le seul bourg de Gloubokoé, il y a deux couvens qui peuvent contenir
chacun douze cent malades.



Bechenkoviski, le 25 juillet 1812.

_Neuvième bulletin de la grande aimée._

L'empereur a porté son quartier-général le 23 à Kamen, en passant par
Ouchatsack.

Le vice-roi a occupé, le 22, avec son avant-garde, le pont de
Botscheiskovo. Une reconnaissance de deux cents chevaux envoyée sur
Bechenkoviski a rencontré deux escadrons de hussards russes et deux de
cosaques, les a charges et leur a pris ou tué une douzaine d'hommes,
dont un officier. Le chef d'escadron Lorenzi, qui commandait la
reconnaissance, se loue des capitaines Rossi et Ferreri.

Le. 23, à six heures du matin, le vice-roi est arrivé à Bechenkoviski.
A dix heures, il a passé la rivière et a jeté un pont sur la Dwina.
L'ennemi a voulu disputer le passage; son artillerie a été démontée. Le
colonel Lacroix, aide-de-camp du vice-roi, a eu la cuisse cassée par une
balle.

L'empereur est arrivé à Bechenkoviski le 24, à deux heures après midi.
La division de cavalerie du général comte Bruyères et la division du
général comte Saint-Germain ont été envoyées sur la route de Witepsk;
elles ont couché à mi-chemin.

Le 20, le prince d'Eckmühl s'est porté sur Mohilow. Deux mille hommes,
qui formaient la garnison de cette ville, ont eu la témérité de vouloir
se défendre; ils ont été écharpés par la cavalerie légère. Le 21, trois
mille cosaques ont attaqué les avant-postes du prince d'Eckmühl; c'était
l'avant-garde du prince Bagration, venue de Bobruisk. Un bataillon du
quatre-vingt-cinquième a arrêté cette nuée de cavalerie légère, et l'a
repoussée au loin. Bagration parait avoir profité du peu d'activité avec
laquelle il était poursuivi, pour se porter sur Bobruisk, et de là il
est revenu sur Mohilow.

Nous occupons Mohilow, Orcha, Disna, Polotsk. Nous marchons sur Witepsk,
où il parait que l'armée russe est réunie.



Witepsk, le 3e juillet 1812.

_Dixième bulletin de la grande armée._

L'empereur de Russie et le grand-duc Constantin ont quitté l'armée et
se sont rendus dans la capitale. Le 17, l'armée russe a quitté le camp
retranché de Drissa, et s'est portée sur Polotsk et Witepsk. L'armée
russe qui était à Drissa consistait en cinq corps d'armée, chacun de
deux divisions et de quatre divisions de cavalerie. Un corps d'armée,
celui du prince Wittgenstein, est resté pour couvrir Pétersbourg; les
quatre autres corps, arrivés le 24 à Witepsk, ont passé sur la rive
gauche de la Dwina. Le corps d'Ostermann, avec une partie de la
cavalerie de la garde, s'est mis en marche le 25 à pointe du jour, et
s'est porté sur Ostrovno.

_Combat d'Ostrovno._

Le 25 juillet, le général Nansouty avec les divisions Bruyères et
Saint-Germain, et le huitième régiment d'infanterie légère, se rencontra
avec l'ennemi à deux lieues en avant d'Ostrovno. Le combat s'engagea.
Diverses charges de cavalerie eurent lieu. Toutes furent favorables aux
Français. La cavalerie légère se couvrit de gloire. Le roi de Naples
cite, comme s'étant fait remarquer, la brigade Piré, composée du
huitième de hussards et du seizième de chasseurs. La cavalerie russe,
dont partie appartenait à la garde, fut culbutée. Les batteries que
l'ennemi dressa contre notre cavalerie furent enlevées. L'infanterie
russe, qui s'avança pour soutenir son artillerie, fut rompue et sabrée
par notre cavalerie légère.

Le 26, le vice-roi marchant en tête des colonnes, avec la division
Delzons, un combat opiniâtre d'avant-garde de quinze à vingt mille
hommes s'engagea à une lieue au-delà d'Ostrovno. Les Russes furent
chassés de position en position. Les bois furent enlevés à la
baïonnette.

Le roi de Naples et le vice-roi citent avec éloges les généraux baron
Delzons, Huard et Roussel; le huitième d'infanterie légère, les
quatre-vingt-quatrième et quatre-vingt-douzième régimens de ligne, et le
premier régiment Croates, se sont fait remarquer.

Le général Roussel, brave soldat, après s'être trouvé toute la journée à
la tête des bataillons, le soir à dix heures, visitant les avant-postes,
un éclaireur le prit pour ennemi, fit feu, et la balle lui fracassa le
crâne. Il avait mérité de mourir trois heures plus tôt sur le champ de
bataille de la main de l'ennemi.

Le 27, à la pointe du jour, le vice-roi fit déboucher en tête la
division Broussier. Le dix-huitième régiment d'infanterie légère et la
brigade de cavalerie légère du baron Piré tournèrent par la droite. La
division Broussier passa par le grand chemin, et fit réparer un
petit pont que l'ennemi avait détruit. Au soleil levant, on aperçut
l'arrière-garde ennemie, forte de dix mille hommes de cavalerie,
échelonnée dans la plaine: la droite appuyée à la Dwina, et la gauche à
un bois garni d'infanterie et d'artillerie. Le général comte Broussier
prit position sur une éminence avec le cinquante-troisième régiment, en
attendant que toute sa division eût passé le défilé. Deux compagnies de
voltigeurs avaient pris les devants, seules; elles longèrent la rive
du fleuve, marchant sur cette énorme masse de cavalerie, qui fit un
mouvement en avant, enveloppa ces deux cents hommes, que l'on crut
perdus, et qui devaient l'être. Il en fut autrement; ils se réunirent
avec le plus grand sang-froid, et restèrent, pendant une heure entière,
investis de tous côtés; ayant jeté par terre plus de trois cents
cavaliers ennemis, ces deux compagnies donnèrent à la cavalerie
française le temps de déboucher.

La division Delzons fila sur la droite. Le roi de Naples dirigea
l'attaque du bois et des batteries ennemies; en moins d'une heure,
toutes les positions de l'ennemi furent emportées, et il fut rejeté dans
la plaine, au-delà d'une petite rivière qui se jette dans la Dwina sous
Witepsk, L'armée prit position sur les bords de cette rivière, à une
lieue de la ville.

L'ennemi montra dans la plaine quinze mille hommes de cavalerie et
soixante mille hommes d'infanterie. On espérait une bataille pour le
lendemain. Les Russes se vantaient de vouloir la livrer. L'empereur
passa le reste du jour à reconnaître le champ de bataille et à faire ses
dispositions pour le lendemain; mais, à la pointe du jour, l'armée russe
avait battu en retraite dans toutes les directions, se rendant sur
Smolensk.

L'empereur était sur une hauteur, tout près des deux cents voltigeurs
qui, seuls en plaine, avaient attaqué la droite de la cavalerie ennemie,
frappé de leur belle contenance, il envoya demander de quel corps ils
étaient. Ils répondirent: "_Du neuvième, et les trois-quarts enfans de
Paris!--Dites-leur, dit l'empereur, que ce sont de braves gens; ils
méritent tous la croix!_"

Les résultats des trois combats d'Ostrovno sont: dix pièces de canon
russes attelées, prises; les canonniers sabrés; vingt caissons de
munitions; quinze cents prisonniers; cinq ou six mille Russes tués ou
blessés. Notre perte se monte à deux cents hommes tués, neuf cents
blessés, et une cinquantaine de prisonniers.

Le roi de Naples fait un éloge particulier des généraux Bruyères, Piré
et Ornano, du colonel Radziwil, commandant le neuvième de lanciers
polonais, officier d'une rare intrépidité.

Les hussards rouges de la garde russe ont été écrasés; ils ont perdu
quatre cents hommes, dont beaucoup de prisonniers. Les Russes ont eu
trois généraux tués ou blessés; bon nombre de colonels et d'officiers
supérieurs de leur armée sont restés sur le champ de bataille.

Le 28, à la pointe du jour, nous sommes entrés dans Witepsk, ville
de trente mille habitans. Il y a vingt couvens. Nous y avons trouvé
quelques magasins, entre autres un magasin de sel évalué quinze
millions.

Pendant que l'armée marchait sur Witepsk, le prince d'Eckmühl était
attaqué à Mohilow.

Bagration passa la Bérésina à Bobruisk, et marcha sur Novoi-Bickow. Le
23, à la pointe du jour, trois mille cosaques attaquèrent le troisième
de chasseurs, et lui prirent cent hommes, au nombre desquels se trouvent
le colonel et quatre officiers, tous blessés. La générale battit: on en
vint aux mains. Le général russe Sieverse, avec deux divisions d'élite,
commença l'attaque: depuis huit heures du matin jusqu'à cinq heures du
soir, le feu fut engagé sur la lisière du bois et au pont que les Russes
voulaient forcer. A cinq heures, le prince d'Eckmühl fit avancer trois
bataillons d'élite, se mit à leur tête, culbuta les Russes, leur enleva
leurs positions, et les poursuivit pendant une lieue. La perte des
Russes est évaluée à trois mille hommes tués et blessés, et à onze
cents prisonniers. Nous avons perdu sept cents hommes tués ou blessés.
Bagration, repoussé, se rejeta sur Bickow, où il passa le Borysthène,
pour se porter sur Smolensk.

Les combats de Mohilow et d'Ostrovno ont été brillans et honorables
pour nos armées; nous n'avons eu d'engagé que la moitié des forces
que l'ennemi a présentées; le terrain ne comportait pas d'autres
développemens.



Witepsk, le 4 août 1812.

_Onzième bulletin de la grande armée._

Les lettres interceptées du camp de Bagration parlent des pertes qu'a
faites ce corps dans le combat de Mohilow, et de l'énorme désertion
qu'il a éprouvée en route. Tout ce qui était polonais est resté dans le
pays; de sorte que ce corps qui, en y comprenant les cosaques de Platow,
était de cinquante mille hommes, n'est pas actuellement fort de trente
mille hommes. Il se réunira, vers le 7 ou le 8 août, à Smolensk, à la
grande armée.

La position de l'armée, au 4 août, est la suivante:

Le quartier-général à Witepsk, avec quatre ponts sur la Dwina;

Le quatrième corps à Souraj, occupant Velij, Porietché et Ousviath;

Le roi de Naples à Roudina, avec les trois premiers corps de cavalerie;

Le premier corps, que commande le maréchal prince d'Eckmühl, est à
l'embouchure de la Bérésina dans le Borysthène, avec deux ponts sur ce
dernier fleuve, un pont sur la Bérésina, et des doubles têtes de pont;

Le troisième corps, commandé par le maréchal duc d'Elchingen, est à
Liozna;

Le huitième corps, que commande le duc d'Abrantès, est à Orcha, avec
deux ponts et des têtes de pont sur le Borysthène;

Le cinquième corps, commandé par le prince Poniatowski, est à Mohilow,
avec deux ponts et des têtes de pont sur le Borysthène;

Le deuxième corps, commandé par le maréchal duc de Reggio, est sur la
Drissa, en avant de Polotsk, sur la route de Sebej;

Le prince de Schwartzemberg est avec son corps à Slonim;

Le septième corps est sur Rozanna;

Le quatrième corps de cavalerie, avec une division d'infanterie,
commandé par le général comte Latour-Maubourg, est devant Bobruisk et
Mozier;

Le dixième corps, commandé par le duc de Tarente, est devant Dunabourg
et Riga;

Le neuvième corps, commandé par le duc de Bellune, se réunit à Tilsitt;

Le onzième corps, commandé par le duc de Castiglione, est à Stettin.

S. M. a mis l'armée en quartier de rafraîchissement. La chaleur est
excessive, et plus forte qu'en Italie. Le thermomètre est à vingt-six et
vingt-sept degrés: les nuits même sont chaudes.

Le général Kamenski, avec deux divisions du corps de Bagration, ayant
été coupé de ce corps, et n'ayant pu le rejoindre, est rentré en
Volhynie, s'est réuni à des divisions de recrues commandées par le
général Tormazow, et a marché sur le septième corps; il a surpris et
cerné le général de brigade Klengel, saxon, ayant sous ses ordres une
avant-garde de deux bataillons et de deux escadrons du régiment du
prince Clément. Après six heures de résistance, la plus grande partie de
cette avant-garde a été tuée ou prise: le général comte Reynier n'a pu
venir que deux heures après à son secours. Le prince Schwartzemberg
s'est mis le 30 juillet en marche pour rejoindre le général Reynier et
pousser vivement la guerre contre les divisions ennemies.

Le 19, le général prussien Grawert a attaqué les Russes à Ekan en
Courlande, les a culbutés, leur a fait deux cents prisonniers et leur
a tué bon nombre d'hommes. Le général Grawert se loue du major Stiern,
qui, avec le premier régiment de dragons prussiens, a eu une grande
part a l'affaire. Réuni au général Kleist, le général Grawert a poussé
vivement l'ennemi sur le chemin de Riga et a investi la tête de pont.

Le 30, le vice-roi a envoyé à Velij une brigade de cavalerie légère
italienne. Deux cents hommes ont chargé quatre bataillons de dépôt qui
se rendaient à Twer, les ont rompus, ont fait quatre cents prisonniers
et pris cent voitures chargées de munitions de guerre.

Le 31, l'aide-de-camp Triaire, envoyé avec le régiment de dragons de
la Reine de la garde royale italienne, est arrivé à Ousviath, a fait
prisonniers un capitaine et quarante hommes, et s'est emparé de deux
cents voitures chargées de farine.

Le 30, le maréchal duc de Reggio a marché de Polotsk sur Sebej. Il s'est
rencontré avec le général Wittgenstein, dont le corps avait été renforcé
de celui du prince Repnin. Un combat s'est engagé près du château de
Jacoubovo. Le vingt-sixième régiment d'infanterie légère s'est couvert
de gloire. La division Legrand a soutenu glorieusement le feu de tout le
corps ennemi.

Le 31, l'ennemi s'est porté sur la Drissa pour attaquer le duc de Reggio
par son flanc pendant sa marche. Le maréchal a pris position derrière la
Drissa.

Le 1er août, l'ennemi a fait la sottise de passer la Drissa, et de se
placer en bataille devant le deuxième corps. Le duc de Reggio a laissé
passer la rivière à la moitié du corps ennemi, et quand il a vu environ
quinze mille hommes et quatorze pièces de canon au-delà de la rivière,
il a démasqué une batterie de quarante pièces de canon qui ont tiré
pendant une demi-heure à portée de mitraille. En même temps, les
divisions Legrand et Verdier ont marché au pas de charge la baïonnette
en avant, et ont jeté les quinze mille Russes dans la rivière. Tous
les canons et caissons pris, trois mille prisonniers, parmi lesquels
beaucoup d'officiers, et un aide-de-camp du général Wittgenstein, et
trois mille cinq cents hommes tués ou noyés sont le résultat de cette
affaire.



Witepsk, 7 août 1812.

_Douzième bulletin de la grande armée._

Au combat de la Drissa, le général russe Koulniew, officier de troupes
légères très-distingué, a été tué. Dix autres généraux ont été blessés;
quatre colonels ont été tués.

Le général Ricard est entré avec sa brigade dans Dunabourg le 1er août.
Il y a trouvé huit pièces de canon; tout le reste avait été évacué.
Le duc de Tarente a dû s'y porter le 2. Ainsi Dunabourg, que l'ennemi
travaillait à fortifier depuis cinq ans, où il a dépensé plusieurs
millions, qui a coûté la vie à plus de vingt mille hommes de troupes
russes pendant la durée des travaux, a été abandonné sans tirer un
coup de fusil, et est en notre pouvoir, comme les autres ouvrages de
l'ennemi, et comme le camp retranché qu'il avait fait à Drissa.

En conséquence de la prise de Dunabourg, S. M. a ordonné qu'un équipage
de cent bouches à feu qu'il avait fait former à Magdebourg, et qu'il
avait fait avancer sur le Niémen, rétrogradât sur Dantzick et fût mis en
dépôt dans cette place. Au commencement de la campagne, on avait préparé
deux équipages de siége, l'un contre Dunabourg et l'autre contre Riga.

Les magasins de Witepsk s'approvisionnent; les hôpitaux s'organisent;
les manutentions s'élèvent. Ces dix jours de repos sont extrêmement
utiles à l'armée. La chaleur est d'ailleurs excessive. Nous ayons ici
plus chaud que nous ne l'avons eu en Italie. Les moissons sont superbes;
il paraît que cela s'étend à toute la Russie. L'année dernière avait été
mauvaise partout. On ne commencera à couper les seigles que dans huit ou
dix jours.

S. M. a fait faire une grande place devant le palais qu'elle occupe à
Witepsk. Ce palais est situé sur le bord de la rive gauche de la Dwina.
Tous les matins a six heures il y a grande parade, où se trouvent tous
les officiers de la garde. Une des brigades de la garde, en grande
tenue, défile alternativement.



Smolensk, 21 août 1812.

_Treizième bulletin de la grande armée._

Il paraît qu'au combat de Mohilow gagné par le prince d'Eckmühl sur
le prince Bagration, le 23 juillet, la perte de l'ennemi a été
considérable.

Le duc de Tarente a trouvé vingt pièces de canon à Dunabourg, au lieu
de huit qui avaient été annoncées. Il a fait retirer de l'eau plusieurs
bâtimens chargés de plus de quarante mille bombes et autres projectiles.
Une immense quantité de munitions de guerre a été détruite par l'ennemi.
L'ignorance des Russes, en fait de fortifications, se fait voir dans les
ouvrages de Dunabourg et de Drissa.

S. M. a donné le commandement de sa droite au prince Schwartzenberg, en
mettant sous ses ordres le septième corps. Ce prince a marché contre le
général Tormazow, l'a rencontré le 12, et l'a battu. Il fait le
plus grand éloge des troupes autrichiennes et saxonnes. Le prince
Schwartzenberg a montré dans cette circonstance autant d'activité que de
talent. L'empereur a fait demander de l'avancement et des récompenses
pour les officiers de son corps d'armée qui se sont distingués.

Le 8, la grande armée était placée de la manière suivante:

Le prince vice-roi était à Souraj avec le quatrième corps, occupant par
des avant-gardes Velij, Ousviath et Porietch. Le roi de Naples était à
Nikoulino, avec la cavalerie, occupant Inkovo.

Le maréchal duc d'Elchingen, commandant le troisième corps, était à
Liozna.

Le maréchal prince d'Eckmülh, commandant le premier corps, était à
Donbrowna.

Le cinquième corps, commandé par le prince Poniatowski, était à Mohilow.

Le quartier-général était à Witepsk.

Le deuxième corps, commandé par le maréchal duc de Reggio, était sur la
Drissa.

Le dixième corps, commandé par le duc de Tarente, était sur Dunabourg et
Riga.

Le 8, douze mille hommes de cavalerie ennemie se portèrent sur Inkovo et
attaquèrent la division du général comte Sébastiani, qui fut obligé de
battre en retraite l'espace d'une demi-lieue pendant toute la journée,
en éprouvant et faisant éprouver à l'ennemi des pertes à peu près
égales. Une compagnie de voltigeurs du vingt-quatrième régiment
d'infanterie légère, faisant partie d'un bataillon de ce régiment qui
avait été confié à la cavalerie pour tenir position dans le bois, a
été prise. Nous avons eu deux cents hommes, environ, tués et blessés;
l'ennemi peut avoir perdu le même nombre d'hommes.

Le 12, l'armée ennemie partit de Smolensk, et marcha par différentes
directions, avec autant de lenteur que d'hésitation, sur Porietch et
Nadra.

Le 10, l'empereur résolut de marcher à l'ennemi, et de s'emparer de
Smolensk en s'y portant par l'autre rive du Borysthène. Le roi de Naples
et le maréchal duc d'Elchingen partirent de Liozna, et se rendirent sur
le Borysthène, près de l'embouchure de la Bérésina, vis-à-vis Khomino,
où, dans la nuit du 13 au 14, ils jetèrent deux ponts sur le Borysthène.
Le vice-roi partit de Souraj, et se rendit par Janovitski et
Lionvavistchi à Rasasna, où il arriva le 14.

Le prince d'Eckmülh réunit tout son corps à Donbrowna le 13.

Le général comte Grouchy réunit le troisième corps de cavalerie à
Rasasna le 12.

Le général comte Eblé fit jeter trois ponts à Rasasna le 13.

Le quartier-général partit de Witepsk, et arriva à Rasasna le 13.

Le prince Poniatowski partit de Mohilow et arriva le 13 à Romanow.

Le 14, à la pointe du jour, le général Grouchy marcha sur Liadié; il
en chassa deux régimens de cosaques, et s'y réunit avec le corps de
cavalerie du général comte Nansouty.

Le même jour le roi de Naples, appuyé par le maréchal duc d'Elchingen,
arriva à Krasnoi. La vingt-septième division ennemie, forte de cinq
mille hommes d'infanterie, soutenue par deux mille chevaux et douze
pièces de canon, était en position devant cette ville. Elle fut attaquée
et dépostée en un moment par le duc d'Elchingen. Le vingt-quatrième
régiment d'infanterie légère attaqua la petite ville de Krasnoi à
la baïonnette avec intrépidité. La cavalerie exécuta des charges
admirables. Le général de brigade baron Bordesoult et le troisième
régiment de chasseurs se distinguèrent. La prise de huit pièces
d'artillerie, dont cinq de 12 et deux licornes, et de quatorze caissons
attelés, quinze cents prisonniers, un champ de bataille jonché de
plus de mille cadavres russes, tels furent les avantages du combat de
Krasnoi, où la division russe, qui était de cinq mille hommes, perdit la
moitié de son monde.

S. M. avait, le 15, son quartier-général à la poste de Kovonitza. Le 16,
au matin, les hauteurs de Smolensk furent couronnées; la ville présenta
à nos yeux une enceinte de murailles de quatre mille toises de tour,
épaisses de dix pieds et hautes de vingt-cinq, entremêlées de tours,
dont plusieurs étaient armées de canons de gros calibre.

Sur la droite du Borysthène, on apercevait et l'on savait que les corps
ennemis tournés revenaient en grande hâte sur leurs pas pour défendre
Smolensk. On savait que les généraux ennemis avaient des ordres réitérés
de leur maître de livrer la bataille et de sauver Smolensk. L'empereur
reconnut la ville, et plaça son armée, qui fut en position dans la
journée du 16. Le maréchal duc d'Elchingen eut la gauche appuyant
au Borysthène, le maréchal prince d'Eckmühl le centre, le prince
Poniatowski la droite; la garde fut mise en réserve au centre; le
vice-roi en réserve à la droite, et la cavalerie sous les ordres du roi
de Naples à l'extrême droite; le duc d'Abrantès, avec le huitième corps,
s'était égaré et avait fait un faux mouvement.

Le 16, et pendant la moitié de la journée du 17, on resta en
observation. La fusillade se soutint sur la ligne. L'ennemi occupait
Smolensk avec trente mille hommes, et le reste de son armée se formait
sur les belles positions de la rive droite du fleuve, vis-à-vis la
ville, communiquant par trois ponts. Smolensk est considéré par les
Russes comme ville forte et comme le boulevard de Moscou.

Le 17, à deux heures après midi, voyant que l'ennemi n'avait pas
débouché, qu'il se fortifiait devant Smolensk, et qu'il refusait la
bataille; que, malgré les ordres qu'il avait et la belle position
qu'il pouvait prendre, sa droite à Smolensk, et sa gauche au cours du
Borysthène, le général ennemi manquait de résolution, l'empereur se
porta sur la droite, et ordonna au prince Poniatowski de faire un
changement de front, la droite en avant, et de placer sa droite au
Borysthène, en occupant un des faubourgs par des postes et des batteries
pour détruire le pont et intercepter la communication de la ville avec
la rive droite. Pendant ce temps, le maréchal prince d'Eckmühl eut ordre
de faire attaquer deux faubourgs que l'ennemi avait retranchés à deux
cents toises de la place, et qui étaient défendus chacun par sept ou
huit mille hommes d'infanterie et par du gros canon. Le général comte
Friant eut ordre d'achever l'investissement, en appuyant sa droite au
corps du prince Poniatowski, et sa gauche à la droite de l'attaque que
faisait le prince d'Eckmühl.

A deux heures après midi, la division de cavalerie du comte Bruyères,
ayant chassé les cosaques et la cavalerie ennemie, occupa le plateau qui
se rapproche le plus du pont en amont. Une batterie de soixante pièces
d'artillerie fut établie sur ce plateau, et tira à mitraille sur la
partie de l'armée ennemie restée sur la rive droite de la rivière,
ce qui obligea bientôt les masses d'infanterie russe à évacuer cette
position.

L'ennemi plaça alors deux batteries de vingt pièces de canon à un
couvent, pour inquiéter la batterie qui le foudroyait et celles qui
tiraient sur le pont. Le prince d'Eckmühl confia l'attaque du faubourg
de droite au général comte Morand, et celle du faubourg de gauche au
général comte Gudin. À trois heures, la canonnade s'engagea; à quatre
heures et demie commença une vive fusillade, et à cinq heures, les
divisions Morand et Gudin enlevèrent les faubourgs retranchés de
l'ennemi avec une froide et rare intrépidité, et le poursuivirent jusque
sur le chemin couvert, qui fut jonché de cadavres russes.

Sur notre gauche, le duc d'Elchingen attaqua la position que l'ennemi
avait hors de la ville, s'empara de cette position, et poursuivit
l'ennemi jusque sur le glacis.

A cinq heures, la communication de la ville avec la rive droite devint
difficile, et ne se fit plus que par des hommes isolés.

Trois batteries de pièces de 12, de brèche, furent placées contre les
murailles, à six heures du soir, l'une par la division Friant, et les
deux autres par les divisions Morand et Gudin. On déposta l'ennemi des
tours qu'il occupait, par des obus qui y mirent le feu. Le général
d'artillerie comte Sorbier rendit impraticable à l'ennemi l'occupation
de ses chemins couverts, par des batteries d'enfilade.

Cependant, dès deux heures après midi, le général ennemi, aussitôt qu'il
s'aperçut qu'on avait des projets sérieux sur la ville, fit passer deux
divisions et deux régimens d'infanterie de la garde pour renforcer
les quatre divisions qui étaient dans la ville. Ces forces réunies
composaient la moitié de l'armée russe. Le combat continua toute la
nuit: les trois batteries de brèche tirèrent avec la plus grande
activité. Deux compagnies de mineurs furent attachées aux remparts.

Cependant la ville était en feu. Au milieu d'une belle nuit d'août,
Smolensk offrait aux Français le spectacle qu'offre aux habitans de
Naples une éruption du Vésuve.

A une heure après minuit, l'ennemi abandonna la ville, et repassa la
rivière. A deux heures, les premiers grenadiers qui montèrent à l'assaut
ne trouvèrent plus de résistance; la place était évacuée; deux cents
pièces de canon et mortiers de gros calibre, et une des plus belles
villes de la Russie étaient en notre pouvoir, et cela à la vue de toute
l'armée ennemie.

Le combat de Smolensk, qu'on peut à juste titre appeler bataille,
puisque cent mille hommes ont été engagés de part et d'autre, coûte aux
Russes la perte de quatre mille sept cents hommes restés sur le champ de
bataille, de deux mille prisonniers, la plupart blessés, et de sept a
huit mille blessés. Parmi les morts se trouvent cinq généraux russes.
Notre perte se monte à sept cents morts et à trois mille cent ou trois
mille deux cents blessés. Le général de brigade Grabouski a été tué;
les généraux de brigade Grandeau et Dalton ont été blessés. Toutes les
troupes ont rivalisé d'intrépidité. Le champ de bataille a offert aux
yeux de deux cent mille personnes qui peuvent l'attester, le spectacle
d'un cadavre français sur sept ou huit cadavres russes. Cependant
les Russes ont été, pendant une partie des journées du 16 et du 17,
retranchés et protégés par la fusillade de leurs créneaux.

Le 18, on a rétabli les ponts sur le Borysthène que l'ennemi avait
brûlés: on n'est parvenu à maîtriser le feu qui consumait la ville
que dans la journée du 18, les sapeurs français ayant travaillé avec
activité. Les maisons de la ville sont remplies de Russes morts et
mourans.

Sur douze divisions qui composaient la grande armée russe, deux
divisions ont été entamées et défaites aux combats d'Ostrowno; deux
l'ont été au combat de Mohilow, et six au combat de Smolensk. Il n'y a
que deux divisions et la garde qui soient restées entières.

Les traits de courage qui honorent l'armée, et qui ont distingué tant de
soldats au combat de Smolensk, seront l'objet d'un rapport particulier.
Jamais l'armée française n'a montré plus d'intrépidité que dans cette
campagne.



Smolensk, 23 août 1813.

_Quatorzième bulletin de la grande armée._

Smolensk peut être considérée comme une des belles villes de la Russie.
Sans les circonstances de la guerre qui y ont mis le feu, ce qui a
consumé d'immenses magasins de marchandises coloniales et de denrées de
toute espèce, cette ville eût été d'une grande ressource pour l'armée.
Même dans l'état où elle se trouve, elle sera de la plus grande utilité
sous le point de vue militaire. Il reste de grandes maisons qui offrent
de beaux emplacemens pour les hôpitaux. La province de Smolensk est
très-fertile et très-belle, et fournira de grandes ressources pour les
subsistances et les fourrages.

Les Russes ont voulu, depuis les événemens de la guerre, lever une
milice d'esclaves-paysans qu'ils ont armés de mauvaises piques. Il y en
avait déjà cinq mille réunis ici; c'était un objet de dérision et de
raillerie pour l'armée russe elle-même. On avait fait mettre à l'ordre
du jour que Smolensk devait être le tombeau des Français, et que si l'on
avait jugé convenable d'évacuer la Pologne, c'était à Smolensk qu'on
devait se battre pour ne pas laisser tomber ce boulevard de la Russie
entre nos mains.

La cathédrale de Smolensk est une des plus célèbres églises grecques de
la Russie. Le palais épiscopal forme une espèce de ville à part.

La chaleur est excessive: le thermomètre s'élève jusqu'à vingt-six
degrés; il fait plus chaud qu'en Italie.


_Combat de Polotsk._

Après le combat de Drissa, le duc de Reggio, sachant que le général
ennemi Wittgenstein s'était renforcé de douze troisièmes bataillons de
la garnison de Dunabourg, et voulant l'attirer à un combat en-deçà
du défilé sous Polotsk, vint ranger les deuxième et sixième corps en
bataille sous Polotsk. Le général Wittgenstein le suivit, l'attaqua le
16 et le 17, et fut vigoureusement repoussé. La division bavaroise de
Wrede, du sixième corps, s'est distinguée. Au moment où le duc de
Reggio faisait ses dispositions pour profiter de la victoire et acculer
l'ennemi sur le défilé, il a été frappé à l'épaule par un biscayen. Sa
blessure, qui est grave, l'a obligé à se faire transporter à Wilna; mais
il ne paraît pas qu'elle doive être inquiétante pour les suites.

Le général comte Gouvion-Saint-Cyr a pris le commandement des deuxième
et sixième corps. Le 17 au soir, l'ennemi s'était retiré au-delà du
défilé. Le général Verdier a été blessé. Le général Maison a été
reconnu général de division, et l'a remplacé dans le commandement de sa
division. Notre perte est évaluée à mille hommes tués ou blessés. La
perte des Russes est triple; on leur a fait cinq cents prisonniers.

Le 18, à quatre heures après-midi, le général Gouvion-Saint-Cyr,
commandant les deuxième et sixième corps, a débouché sur l'ennemi, en
faisant attaquer sa droite par la division bavaroise du comte de Wrede.
Le combat s'est engagé sur toute la ligne; l'ennemi a été mis dans une
déroute complète et poursuivi pendant deux lieues, autant que le jour
l'a permis. Vingt pièces de canon et mille prisonniers sont restés au
pouvoir de l'armée française. Le général bavarois Deroy a été blessé.


_Combat de Valontina._

Le 19, à la pointe du jour, le pont étant achevé, le maréchal duc
d'Elchingen déboucha sur la rive droite du Borysthène, et suivit
l'ennemi. À une lieue de la ville, il rencontra le dernier échelon de
l'arrière-garde ennemie; C'était une division de cinq à six mille hommes
placés sur de belles hauteurs. Il les fit attaquer a la baïonnette par
le quatrième régiment d'infanterie de ligne et par le soixante-douzième
de ligne. La position fut enlevée et nos baïonnettes couvrirent le champ
de bataille de morts. Trois à quatre cents prisonniers tombèrent en
notre pouvoir.

Les fuyards ennemis se retirèrent sur le second échelon qui était placé
sur les hauteurs de Valontina. La première position fut enlevée par
le dix-huitième de ligne, et, sur les quatre heures après-midi,
la fusillade s'engagea avec toute l'arrière-garde de l'ennemi qui
présentait environ quinze mille hommes. Le duc d'Abrantès avait passé
le Borysthène à deux lieues sur la droite de Smolensk; il se trouvait
déboucher sur les derrières de l'ennemi; il pouvait, en marchant avec
décision, intercepter la grande route de Moscou, et rendre difficile
la retraite de cette arrière-garde. Cependant les autres échelons de
l'armée ennemie qui étaient à portée, instruits du succès et de la
rapidité de cette première attaque, revinrent sur leurs pas. Quatre
divisions s'avancèrent ainsi pour soutenir leur arrière-garde, entre
autres les divisions de grenadiers qui jusqu'à présent n'avaient pas
donné; cinq à six mille hommes de cavalerie formaient leur droite,
tandis que leur gauche était couverte par des bois garnis de
tirailleurs. L'ennemi avait le plus grand intérêt à conserver cette
position le plus long-temps possible; elle était très-belle et
paraissait inexpugnable. Nous n'attachions pas moins d'importance à la
lui enlever, afin d'accélérer sa retraite et de faire tomber dans
nos mains tous les chariots de blessés et autres attirails dont
l'arrière-garde protégeait l'évacuation. C'est ce qui a donné lieu au
combat de Valontina, l'un des plus beaux faits d'armes de notre histoire
militaire.

À six heures du soir, la division Gudin qui avait été envoyée pour
soutenir le troisième corps, dès l'instant qu'on s'était aperçu du grand
secours que l'ennemi avait envoyé à son arrière-garde, déboucha en
colonne sur le centre de la position ennemie, fut soutenue par la
division du général Ledru, et, après une heure de combat, enleva la
position. Le général comte Gudin, arrivant avec sa division, a été, dès
le commencement de l'action, atteint par un boulet qui lui a emporté la
cuisse; il est mort glorieusement. Cette perte est sensible. Le général
Gudin était un des officiers les plus distingués de l'armée; il était
recommandable par ses qualités morales, autant que par sa bravoure
et son intrépidité. Le général Gérard a pris le commandement de sa
division. On compte que les ennemis ont eu huit généraux tués ou
blessés; un général a été fait prisonnier.

Le lendemain, à trois heures du matin, l'empereur distribua sur le
champ de bataille des récompenses à tous les régimens qui s'étaient
distingués; et comme le cent-vingt-septième, qui est un nouveau
régiment, s'était bien comporté, S. M. lui a accordé le droit d'avoir
un aigle, droit que ce régiment n'avait pas encore, ne s'étant trouvé
jusqu'à présent à aucune bataille. Ces récompenses données sur le
champ de bataille, au milieu des morts, des mourans, des débris et des
trophées de la victoire, offraient un spectacle vraiment militaire et
imposant.

L'ennemi après ce combat a tellement précipité sa retraite, que dans la
journée du 20, nos troupes ont fait huit lieues sans pouvoir trouver de
cosaques, et ramassant partout des blessés et des traînards.

Notre perte au combat de Valontina a été de six cents morts et deux
mille six cents blessés. Celle de l'ennemi, comme l'atteste le champ
de bataille, est triple. Nous avons fait un millier de prisonniers, la
plupart blessés.

Ainsi, les deux seules divisions russes qui n'eussent pas été entamées
aux combats précédens de Mohilow, d'Ostrowno, de Krasnoi et de Smolensk,
l'ont été au combat de Valontina.

Tous les renseignemens confirment que l'ennemi court en toute hâte sur
Moscou; que son armée a beaucoup souffert dans les précédens combats, et
qu'elle éprouve en outre une grande désertion. Les Polonais désertent en
disant: vous nous avez abandonnés sans combattre; quel droit avez-vous
maintenant d'exiger que nous restions sous vos drapeaux? Les soldats
russes des provinces de Mohilow et de Smolensk profitent également de la
proximité de leurs villages pour déserter et aller se reposer dans leur
pays.

La division Gudin a attaqué avec une telle intrépidité, que l'ennemi
s'était persuadé que c'était la garde impériale. C'est d'un mot faire
le plus bel éloge du septième régiment d'infanterie légère, douzième,
vingt-unième et cent-vingt-septième de ligne qui composent cette
division.

Le combat de Valontina pourrait aussi s'appeler une bataille, puisque
plus de quatre-vingt mille hommes s'y sont trouvés engagés. C'est du
moins une affaire d'avant-garde du premier ordre.

Le général Grouchy, envoyé avec son corps sur la route de Donkovtchina,
a trouvé tous les villages remplis de morts et de blessés, et a pris
trois ambulances contenant neuf cents blessés.

Les cosaques ont surpris à Liozna un hôpital de deux cents malades
wurtembergeois, que, par négligence, on n'avait pas évacués sur Witepsk.

Du reste, au milieu de tous ces désastres, les Russes ne cessent de
chanter des _Te Deum;_ ils convertissent tout en victoire; mais malgré
l'ignorance et l'abrutissement de ces peuples, cela commence à leur
paraître ridicule et par trop grossier.



Slawkova, le 27 août 1812.

_Quinzième bulletin de la grande armée._

Le général de division Zayoncheick, commandant une division polonaise
au combat de Smolensk, a été blessé. La conduite du corps polonais à
Smolensk a étonné les Russes, accoutumé à les mépriser; ils ont été
frappés de leur constance et de la supériorité qu'ils ont déployée sur
eux dans cette circonstance.

Au combat de Smolensk et à celui de Valontina, l'ennemi a perdu vingt
généraux tués, blessés ou prisonniers, et une très-grande quantité
d'officiers. Le nombre des hommes tués, pris ou blessés dans ces
différentes affaires, peut se monter à vingt-cinq ou trente mille
hommes.

Le lendemain du combat de Valontina, S. M. a distribué aux douzième
et vingt-unième régimens d'infanterie de ligne, et septième régiment
d'infanterie légère, un certain nombre de décorations de la
légion-d'honneur pour des capitaines, pour des lieutenans et
sous-lieutenans, et pour des sous-officiers et soldats. Le choix en a
été fait sur-le-champ, au cercle devant l'empereur, et confirmé avec
acclamation par les troupes.

L'armée ennemie en s'en allant, brûle les ponts, dévaste les routes,
pour retarder autant qu'elle peut la marche de l'armée française. Le 21,
elle avait repassé le Borysthène à Slob-Pniwa, toujours suivie vivement
par notre avant-garde.

Les établissemens de commerce de Smolensk étaient tout entiers sur
le Borysthène, dans un beau faubourg; les Russes ont mis le feu à ce
faubourg, pour obtenir le simple résultat de retarder notre marche d'une
heure. On n'a jamais fait la guerre avec tant d'inhumanité. Les Russes
traitent leur pays comme ils traiteraient un pays ennemi. Le pays est
beau et abondamment fourni de tout. Les routes sont superbes.

Le maréchal duc de Tarente continue à détruire la place de Dunabourg;
des bois de construction, des palissades, des débris de blockhaus, qui
étaient immenses, ont servi à faire des feux de joie en l'honneur du 15
août.

Le prince Schwartzenberg mande d'Ossiati, le 17, que son avant-garde
a poursuivi l'ennemi sur la route de Divin, qu'il lui a fait quelques
centaines de prisonniers, et l'a obligé à brûler ses bagages. Cependant
le général Bianchi, commandant l'avant-garde, est parvenu à saisir luit
cents chariots de bagages que l'ennemi n'a pu ni emmener, ni brûler.
L'armée russe de Tormazow a perdu presque tous ses bagages.

L'équipage du siège de Riga a commencé son mouvement de Tilsitt pour se
porter sur la Dwina.

Le général Saint-Cyr a pris position sur la Drissa. La déroute de
l'ennemi a été complète au combat de Polotsk du 18. Le brave
général bavarois Deroy a été blessé sur le champ d'honneur, âgé de
soixante-douze ans, et ayant près de soixante ans de service: S. M. l'a
nommé comte de l'empire, avec une dotation de trente mille francs de
revenu. Le corps bavarois s'étant comporté avec beaucoup de bravoure, S.
M. a accordé des récompenses et des décorations à ce corps d'armée.

L'ennemi disait vouloir tenir à Doroghobouj. Il avait, à son ordinaire,
remué de la terre et construit des batteries; l'armée s'étant montrée
en bataille, l'empereur s'y est porté; mais le général s'est ravisé, a
battu en retraite, et a abandonné la ville de Doroghobouj, forte de dix
mille âmes; il y a huit clochers. Le quartier-général était, le 26, dans
cette ville; le 27, il était à Slawkova. L'avant-garde est sur Viazma.

Le vice-roi manoeuvre sur la gauche, à deux lieues de la grande route;
le prince d'Eckmühl sur la grande route; le prince Poniatowski sur la
rive gauche de L'Osma.

La prise de Smolensk paraît avoir fait un fâcheux effet sur l'esprit
des Russes. C'est _Smolensk-la-Sainte, Smolensk-la-Forte,_ la _clef de
Moscou,_ et mille autres dictons populaires. _Qui a Smolensk, a Moscou,_
disent les paysans.

La chaleur est excessive: il n'a pas plu depuis un mois.

Le duc de Bellune, avec le neuvième corps fort de trente mille hommes,
est parti de Tilsitt pour Wilna, devant former la réserve.



Viazma, le 31 août 1812.

_Seizième bulletin de la grande armée._

Le quartier-général de l'empereur était le 37 à Slaskovo, le 28 près de
Semlovo, le 29 à un château à une lieue en arrière de Viazma, et le 30
à Viazma; l'armée marchant sur trois colonnes, la gauche formée par le
vice-roi, se dirigeant par Kanouchkino, Znamenskoi, Kostarechkovo et
Novoé; le centre formé par le roi de Naples, les corps du maréchal
prince d'Eckmühl, du maréchal duc d'Elchingen, et la garde, marchant sur
la grande route; et la droite par le prince Poniatowski, marchant sur la
rive gauche de l'Osma, par Volosk, Louchki, Pokroskoé et Slouchkino.

Le 27, l'ennemi voulant coucher sur la rivière de l'Osma, vis-à-vis
du village de Riebké, prit position avec son arrière-garde. Le roi de
Naples porta sa cavalerie sur la gauche de l'ennemi, qui montra sept à
huit mille hommes de cavalerie. Plusieurs charges eurent lieu, toutes à
notre avantage. Un bataillon fut enfoncé par le quatrième régiment de
lanciers. Une centaine de prisonniers fut le résultat de cette petite
affaire. Les positions de l'ennemi furent enlevées, et il fut obligé de
précipiter sa retraite.

Le 28, l'ennemi fut poursuivi. Les avant-gardes des trois colonnes
françaises rencontrèrent les arrière-gardes de l'ennemi; elles
échangèrent plusieurs coups de canon. L'ennemi fut poussé partout.

Le général comte Caulaincourt entra à Viazma, le 29 à la pointe du jour.

L'ennemi avait brûlé les ponts et mis le feu à plusieurs quartiers de
la ville. Viazma est une ville de quinze mille habitans; il y a quatre
mille bourgeois, marchands et artisans; on y compte trente-deux églises.
On a trouvé des ressources assez considérables en farine, en savon, en
drogues, etc., et de grands magasins d'eau-de-vie.

Les Russes ont brûlé les magasins, et les plus belles maisons de la
ville étaient en feu à notre arrivée. Deux bataillons du vingt-cinquième
se sont employés avec beaucoup d'activité à l'éteindre. On est parvenu à
le dominer et à sauver les trois quarts de la ville. Les cosaques, avant
de partir, ont exercé le plus affreux pillage, ce qui a fait dire aux
habitans que les Russes pensent que Viazma ne doit plus retourner sous
leur domination, puisqu'ils la traitent d'une manière si barbare.
Toute la population des villes se retire à Moscou. On dit qu'il y a
aujourd'hui un million cinq cent mille âmes réunies dans cette grande
ville; on craint les résultats de ces rassemblemens. Les habitans disent
que le général Kutusow a été nommé général en chef de l'armée russe, et
qu'il a pris le commandement le 28.

Le grand-duc Constantin, qui était revenu à l'armée, étant tombé malade,
l'a quittée.

Il est tombé un peu de pluie qui a abattu la grande poussière qui
incommodait l'armée. Le temps est aujourd'hui très-beau; il se
soutiendra, à ce qu'on croit, jusqu'au 10 octobre; ce qui donne encore
quarante jours de campagne.



Ghjat, le 5 septembre 1812.

_Dix-septième bulletin de la grande armée._

Le quartier-impérial était, le 31 août, à Veritchero; le 1er et le 2
septembre, a Ghjat.

Le roi de Naples avec l'avant-garde avait, le 1er, son quartier-général
à dix verstes en avant de Ghjat; le vice-roi, à deux lieues sur la
gauche, à la même hauteur; et le prince Poniatowski, à deux lieues sur
la droite. On a échangé partout quelques coups de canon et des coups de
sabre, et l'on a fait quelques centaines de prisonniers.

La rivière de Ghjat se jette dans le Volga. Ainsi nous sommes sur le
pendant des eaux qui descendent vers la mer Caspienne. La Ghjat est
navigable jusqu'au Volga.

La ville de Ghjat a huit ou dix mille âmes de population; il y a
beaucoup de maisons en pierres et en briques, plusieurs clochers et
quelques fabriques de toile. On s'aperçoit que l'agriculture a fait de
grands progrès dans ce pays depuis quarante ans. Il ne ressemble plus en
rien aux descriptions qu'on en a. Les pommes de terre, les légumes et
les choux y sont en abondance; les granges sont pleines; nous sommes
en automne, et il fait ici le temps qu'on a en France au commencement
d'octobre.

Les déserteurs, les prisonniers, les habitans, tout le monde s'accorde à
dire que le plus grand désordre règne dans Moscou et dans l'armée russe,
qui est divisée d'opinions et qui a fait des pertes énormes dans les
différens combats. Une partie des généraux a été changée; il paraît que
l'opinion de l'armée n'est pas favorable aux plans du général Barclay de
Tolly; on l'accuse d'avoir fait battre ses divisions en détail.

Le prince Schwartzenberg est en Volhynie; les Russes fuient devant lui.

Des affaires assez chaudes ont eu lieu devant Riga; les Prussiens ont
toujours eu l'avantage.

Nous avons trouvé ici deux bulletins russes qui rendent compte des
combats devant Smolensk et du combat de la Drissa. Il paraît par ces
bulletins que le rédacteur a profité de la leçon qu'il a reçue à Moscou,
qu'il ne faut pas dire la vérité au peuple russe, mais le tromper par
des mensonges. Le feu a été mis à Smolensk par les Russes; ils l'ont mis
au faubourg le lendemain du combat, lorsqu'ils ont vu notre pont établi
sur le Borysthène. Ils ont mis le feu à Doroghobouj, à Wiazma, a Ghjat;
les Français sont parvenus à l'éteindre. Cela se conçoit facilement.
Les Français n'ont pas d'intérêt à mettre le feu à des villes qui leur
appartiennent, et à se priver des ressources qu'elles leur offrent.
Partout on a trouvé des caves remplies d'eau-de-vie, de cuir et de
toutes sortes d'objets utiles à l'armée.

Si le pays est dévasté, si l'habitant souffre plus que ne le comporte la
guerre, la faute en est aux Russes.

L'armée se repose le 2 et le 3 aux environs de Ghjat.

On assure que l'ennemi travaille à des camps retranchés en avant de
Mojaïsk, et à des lignes en avant de Moscou.

Au combat de Krasnoi, le colonel Marbeuf, du sixième de chevau-légers, a
été blessé d'un coup de baïonnette à la tête de son régiment, au milieu
d'un carré d'infanterie russe qu'il avait enfoncé avec une grande
intrépidité.

Nous avons jeté six ponts sur la Ghjat.



Mojaïsk, 12 septembre 1812.

_Dix-huitième bulletin de la grande armée._

Le 4, l'empereur partit de Ghjat et vint camper près de la poste de
Gritueva.

Le 5, à six heures du matin, l'armée se mit en mouvement. A deux heures
après midi, on découvrit l'armée russe placée, la droite du côté de la
Moskwa, la gauche sur les hauteurs de la rive gauche de la Kologha. A
douze cents toises en avant de la gauche, l'ennemi avait commencé à
fortifier un beau mamelon entre deux bois, où il avait placé neuf à dix
mille hommes. L'empereur l'ayant reconnu, résolut de ne pas différer
un moment, et d'enlever cette position. Il ordonna au roi de Naples de
passer la Kologha avec la division Compans et la cavalerie. Le prince
Poniatowski, qui était venu par la droite, se trouva en mesure de
tourner la position. A quatre heures, l'attaque commença. En une heure
de temps, la redoute ennemie fut prise avec ses canons, le corps ennemi
chassé du bois et mis en déroute, après avoir laissé le tiers de son
monde sur le champ de bataille. A sept heures du soir, le feu cessa.

Le 6, à deux heures du matin, l'empereur parcourut les avant-postes
ennemis: on passa la journée à se reconnaître. L'ennemi avait une
position très-resserrée. Sa gauche était fort affaiblie par la perte de
la position de la veille; elle était appuyée à un grand bois, soutenue
par un beau mamelon couronné d'une redoute armée de vingt-cinq pièces de
canon. Deux autres mamelons couronnés de redoutes, à cent pas l'un de
l'autre, protégeaient sa ligne jusqu'à un grand village que l'ennemi
avait démoli, pour couvrir le plateau d'artillerie et d'infanterie, et y
appuyer son centre. Sa droite passait derrière la Kologha en arrière du
village de Borodino, et était appuyée à deux beaux mamelons couronnés de
redoutes et armés de batteries. Cette position parut belle et forte. Il
était facile de manoeuvrer et d'obliger l'ennemi a l'évacuer; mais cela
aurait remis la partie, et sa position ne fut pas jugée tellement forte
qu'il fallût éluder le combat. Il fut facile de distinguer que les
redoutes n'étaient qu'ébauchées, le fossé peu profond, non palissadé ni
fraisé. On évaluait les forces de l'ennemi à cent vingt ou cent trente
mille hommes. Nos forces étaient égales; mais la supériorité de nos
troupes n'était pas douteuse.

Le 7, à deux heures du matin, l'empereur était entouré des maréchaux à
la position prise l'avant-veille. A cinq heures et demie, le soleil
se leva sans nuages; la veille il avait plu: «C'est le soleil
d'Austerlitz,» dit l'empereur. Quoiqu'au mois de septembre, il faisait
aussi froid qu'en décembre en Moravie. L'armée en accepta l'augure. On
battit un ban, et on lut l'ordre du jour suivant:

Soldats,

«Voilà la bataille que vous avez tant désirée! Désormais la victoire
dépend de vous: elle nous est nécessaire; elle nous donnera l'abondance,
de bons quartiers d'hiver, et un prompt retour dans la patrie!
Conduisez-vous comme à Austerlitz, à Friedland, à Witepsk, à Smolensk,
et que la postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite
dans cette journée: que l'on dise de vous: _Il était à cette grande
bataille sous les murs de Moscou!_

«Au camp impérial, sur les hauteurs de Borodino, le 7 septembre, à deux
heures du matin.»

L'armée répondit par des acclamations réitérées. Le plateau sur
lequel était l'armée, était couvert de cadavres russes du combat de
l'avant-veille.

Le prince Poniatowski, qui formait la droite, se mit en mouvement pour
tourner la forêt sur laquelle l'ennemi appuyait sa gauche. Le prince
d'Eckmühl se mit en marche le long de la forêt, la division Compans en
tête. Deux batteries de soixante pièces de canon chacune, battant la
position de l'ennemi, avaient été construites pendant la nuit.

A six heures, le général comte Sorbier, qui avait armé la batterie
droite avec l'artillerie de la réserve de la garde, commença le feu.
Le général Pernetty, avec trente pièces de canon, prit la tête de la
division Compans (quatrième du premier corps), qui longea le bois,
tournant la tête de la position de l'ennemi. A six heures et demie, le
général Compans est blessé. A sept heures, le prince d'Eckmühl a son
cheval tué. L'attaque avance, la mousqueterie s'engage. Le vice-roi,
qui formait notre gauche, attaque et prend le village de Borodino que
l'ennemi ne pouvait défendre, ce village étant sur la rive gauche de la
Kologha. A sept heures, le maréchal duc d'Elchingen se met en mouvement,
et sous la protection de soixante pièces de canon que le général Foucher
avait placées la veille contre le centre de l'ennemi, se porte sur le
centre. Mille pièces de canon vomissent de part et d'autre la mort.

A huit heures, les positions de l'ennemi sont enlevées, ses redoutes
prises, et notre artillerie couronne ses mamelons. L'avantage de
position qu'avaient eu pendant deux heures les batteries ennemies nous
appartient maintenant. Les parapets qui ont été contre nous pendant
l'attaque redeviennent pour nous. L'ennemi voit la bataille perdue,
qu'il ne la croyait que commencée. Partie de son artillerie est prise,
le reste est évacué sur ses lignes en arrière. Dans cette extrémité,
il prend le parti de rétablir le combat, et d'attaquer avec toutes ses
masses ces fortes positions qu'il n'a pu garder. Trois cents pièces de
canon françaises placées sur ces hauteurs foudroient ses masses, et ses
soldats viennent mourir au pied de ces parapets qu'ils avaient élevés
les jours précédens avec tant de soin, et comme des abris protecteurs.

Le roi de Naples, avec la cavalerie, fit diverses charges. Le duc
d'Elchingen se couvrit de gloire, et montra autant d'intrépidité que de
sang-froid. L'empereur ordonne une charge de front, la droite en avant:
ce mouvement nous rend maîtres des trois parts du champ de bataille. Le
prince Poniatowski se bat dans le bois avec des succès variés.

Il restait à l'ennemi ses redoutes de droite; le général comte Morand
y marche et les enlève; mais à neuf heures du matin, attaqué de tous
côtés, il ne peut s'y maintenir. L'ennemi, encouragé par ce succès,
fit avancer sa réserve et ses dernières troupes pour tenter encore la
fortune. La garde impériale en fait partie. Il attaque notre centre sur
lequel avait pivoté notre droite. On craint pendant un moment qu'il
n'enlève le village brûlé; la division Priant s'y porte; quatre vingt
pièces de canon françaises arrêtent d'abord et écrasent ensuite les
colonnes ennemies qui se tiennent pendant deux heures serrées sous la
mitraille, n'osant pas avancer, ne voulant pas reculer, et renonçant à
l'espoir de la victoire. Le roi de Naples décide leur incertitude; il
fait charger le quatrième corps de cavalerie qui pénètre par les brèches
que la mitraille de nos canons a faites dans les masses serrées des
Russes et les escadrons de leurs cuirassiers; ils se débandent de tous
côtés. Le général de division comte Caulaincourt, gouverneur des pages
de l'empereur, se porte à la tête du cinquième de cuirassiers, culbute
tout, entre dans la redoute de gauche par la gorge. Dès ce moment, plus
d'incertitude, la bataille est gagnée: il tourne contre les ennemis les
vingt-une pièces de canon qui se trouvent dans la redoute. Le comte
Caulaincourt qui venait de se distinguer par cette belle charge,
avait terminé ses destinées; il tombe mort frappé par un boulet: mort
glorieuse et digne d'envie!

Il est deux heures après midi, toute espérance abandonne l'ennemi: la
bataille est finie, la canonnade continue encore; il se bat pour sa
retraite et pour son salut, mais non plus pour la victoire.

La perte de l'ennemi est énorme: douze à treize mille hommes et huit
à neuf mille chevaux russes ont été comptés sur le champ de bataille;
soixante pièces de canon et cinq mille prisonniers sont restés en notre
pouvoir.

Nous avons eu deux mille cinq cents hommes tués et le triple de blessés.
Notre perte totale peut être évaluée à dix mille hommes: celle de
l'ennemi à quarante ou cinquante mille. Jamais on n'a vu pareil champ de
bataille. Sur six cadavres, il y en avait un français et cinq russes.
Quarante généraux russes ont été tués, blessés ou pris: le général
Bagration a été blessé.

Nous avons perdu le général de division comte Montbrun, tué d'un coup
de canon; le général comte Caulaincourt, qui avait été envoyé pour le
remplacer, tué d'un même coup une heure après.

Les généraux de brigade Compère, Plauzonne, Marion, Huart, ont été tués;
sept ou huit généraux ont été blessés, la plupart légèrement. Le prince
d'Eckmühl n'a eu aucun mal. Les troupes françaises se sont couvertes de
gloire et ont montré leur grande supériorité sur les troupes russes.

Telle est en peu de mots l'esquisse de la bataille de la Moskwa, donnée
à deux lieues en arrière de Mojaïsk et à vingt-cinq lieues de Moscou,
près de la petite rivière de la Moskwa. Nous avons tiré soixante mille
coups de canon, qui sont déjà remplacés par l'arrivée de huit cents
voitures d'artillerie qui avaient dépassé Smolensk avant la bataille.
Tous les bois et les villages, depuis le champ de bataille jusqu'ici,
sont couverts de morts et de blessés. On a trouvé ici deux mille morts
ou amputés russes. Plusieurs généraux et colonels sont prisonniers.

L'empereur n'a jamais été exposé; la garde, ni à pied, ni à cheval, n'a
pas donné et n'a pas perdu un seul homme. La victoire n'a jamais été
incertaine. Si l'ennemi, forcé dans ses positions, n'avait pas voulu les
reprendre, notre perte aurait été plus forte que la sienne; mais il a
détruit son armée en la tenant depuis huit heures jusqu'à deux sous le
feu de nos batteries, et en s'opiniâtrant à reprendre ce qu'il avait
perdu. C'est la cause de son immense perte.

Tout le monde s'est distingué: le roi de Naples et le duc d'Elchingen se
sont fait remarquer.

L'artillerie, et surtout celle de la garde, s'est surpassée. Des
rapports détaillés feront connaître les actions qui ont illustré cette
journée.

De notre camp impérial de Mojaïsk, le 10 septembre 1812.

_Aux évêques de France._

Monsieur l'évêque de...., le passage du Niémen, de la Dwina, du
Borysthène, les combats de Mohilow, de la Drissa, de Polotsk, de
Smolensk, enfin, la bataille de la _Moskwa_, sont autant de motifs pour
adresser des actions de grâces au Dieu des armées. Notre intention est
donc qu'à la réception de la présente, vous vous concertiez avec qui de
droit. Réunissez mon peuple dans les églises pour chanter des
prières, conformément à l'usage et aux règles de l'église en pareille
circonstance. Cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous
ait en sa sainte garde.

NAPOLÉON.



Moscou, 16 septembre 1812.

_Dix-neuvième bulletin de la grande armée._

Depuis la bataille de la Moskwa, l'armée française a poursuivi l'ennemi
sur les trois routes de Mojaïsk, de Svenigorod et de Kalouga sur Moscou.

Le roi de Naples était, le 9, à Koubiuskoë; le vice-roi à Rouza; le
prince Poniatowski à Femiskoë. Le quartier-général est parti de Mojaïsk
le 12; et a été porté à Peselina; le 13, il était au château de Berwska;
le 14, à midi, nous sommes entrés à Moscou. L'ennemi avait élevé sur la
montagne des Moineaux, à deux werstes de la ville, des redoutes qu'il a
abandonnées.

La ville de Moscou est aussi grande que Paris; c'est une ville
extrêmement riche, remplie des palais de tous les principaux de
l'empire. Le gouverneur russe, Rostopchin, a voulu ruiner cette belle
ville, lorsqu'il a vu que l'armée russe l'abandonnait. Il a armé trois
mille malfaiteurs qu'il a fait sortir des cachots; il a appelé également
six mille satellites et leur a fait distribuer des armes de l'arsenal.

Notre avant-garde, arrivée au milieu de la ville, fut accueillie par une
fusillade partie du Kremlin. Le roi de Naples fit mettre en batterie
quelques pièces de canon, dissipa cette canaille, et s'empara du
Kremlin. Nous avons trouvé à l'arsenal soixante-mille fusils neufs et
cent vingt pièces de canon sur leurs affûts. La plus complète anarchie
régnait dans la ville; des forcenés ivres couraient dans les quartiers,
et mettaient le feu partout. Le gouverneur Rostopchin avait fait enlever
tous les marchands et négocians, par le moyen desquels on aurait pu
rétablir l'ordre. Plus de quatre cents Français et Allemands avaient
été arrêtés par ses ordres; enfin, il avait eu la précaution de faire
enlever les pompiers avec les pompes: aussi l'anarchie la plus complète
a désolé cette grande et belle ville, et les flammes la consument. Nous
y avions trouvé des ressources considérables de toute espèce.

L'empereur est logé au Kremlin, qui est au centre de la ville, comme une
espèce de citadelle entourée de hautes murailles. Trente mille blessés
ou malades russes sont dans les hôpitaux, abandonnés, sans secours et
sans nourriture.

Les Russes avouent avoir perdu cinquante mille hommes à la bataille de
la Moskwa. Le prince Bagration est blessé à mort. On a fait le relevé
des généraux russes blessés ou tués à la bataille: il se monte de
quarante-cinq à cinquante.



Moscou, le 17 septembre 1812.

_Vingtième bulletin de la grande armée._

On a chanté des _Te Deum_ en Russie pour le combat de Polotsk; on en a
chanté pour les combats de Riga, pour le combat d'Ostrowno, pour celui
de Smolensk; partout, selon les relations des Russes, ils étaient
vainqueurs, et l'on avait repoussé les Français loin du champ de
bataille; c'est donc au bruit des _Te Deum_ russes que l'armée est
arrivée à Moscou. On s'y croyait vainqueur, du moins la populace; car
les gens instruits savaient ce qui se passait.

Moscou est l'entrepôt de l'Asie et de l'Europe; ses magasins étaient
immenses; toutes les maisons étaient approvisionnées de tout pour huit
mois. Ce n'était que de la veille et du jour même de notre entrée,
que le danger avait été bien connu. On a trouvé dans la maison de ce
misérable Rostopchin, des papiers et une lettre à demi-écrite; il s'est
sauvé sans l'achever.

Moscou, une des plus belles et des plus riches villes du monde n'existe
plus. Dans la journée du 14, le feu a été mis par les Russes à la
bourse, au bazar et a l'hôpital. Le 16, un vent violent s'est élevé;
trois à quatre cents brigands ont mis le feu dans la ville en cinq cents
endroits à la fois, par l'ordre du gouverneur Rostopchin. Les cinq
sixièmes des maisons sont en bois: le feu a pris avec une prodigieuse
rapidité; c'était un océan de flammes. Des églises, il y en avait seize
cents; des palais, plus de mille; d'immenses magasins: presque tout a
été consumé. On a préservé le Kremlin.

Cette perte est incalculable pour la Russie, pour son commerce, pour sa
noblesse qui y avait tout laissé. Ce n'est pas l'évaluer trop haut que
de la porter à plusieurs milliards.

On a arrêté et fusillé une centaine de ces chauffeurs; tous ont déclaré
qu'ils avaient agi par les ordres du gouverneur Rostopchin, et du
directeur de la police.

Trente mille blessés et malades russes ont été brûlés. Les plus riches
maisons de commerce de la Russie se trouvent ruinées: la secousse doit
être considérable; les effets d'habillement, magasins et fournitures de
l'armée russe ont été brûlés; elle y a tout perdu. On n'avait rien voulu
évacuer, parce qu'on a toujours voulu penser qu'il était impossible
d'arriver à Moscou, et qu'on a voulu tromper le peuple. Lorsqu'on a tout
vu dans la main des Français, on a conçu l'horrible projet de brûler
cette première capitale, cette ville sainte, centre de l'empire, et l'on
a réduit deux cent mille bons habitans à la mendicité. C'est le crime de
Rostopchin, exécuté par des scélérats délivrés des prisons.

Les ressources que l'armée trouvait, sont par-là fort diminuées;
cependant l'on a ramassé, et l'on ramasse beaucoup de choses. Toutes
les caves sont à l'abri du feu, et les habitans, dans les vingt-quatre
dernières heures, avaient enfoui beaucoup d'objets. On a lutté contre le
feu; mais le gouverneur avait eu l'affreuse précaution d'emmener ou de
faire briser toutes les pompes.

L'armée se remet de ses fatigues; elle a en abondance du pain, des
pommes de terre, des choux, des légumes, des viandes, des salaisons, du
vin, de l'eau-de-vie, du sucre, du café, enfin des provisions de toute
espèce.

L'avant-garde est à vingt werstes sur la route de Kasan, par laquelle
se retire l'ennemi. Une autre avant-garde française est sur la route de
Saint-Pétersbourg où l'ennemi n'a personne.

La température est encore celle de l'automne: le soldat a trouvé et
trouve beaucoup de pelisses et des fourrures pour l'hiver. Moscou en est
le magasin.



Moscou, 20 septembre 1812.

_Vingt-unième bulletin de la grande armée._

Trois cents chauffeurs ont été arrêtés et fusillés. Ils étaient armés
d'une fusée de six pouces, contenue entre deux morceaux de bois; ils
avaient aussi des artifices qu'ils jetaient sur les toits. Ce misérable
Rostopchin avait fait confectionner ces artifices en faisant croire
aux habitans qu'il voulait faire un ballon qu'il lancerait, plein de
matières incendiaires, sur l'armée française. Il réunissait, sous ce
prétexte, les artifices et autres objets nécessaires à l'exécution de
son projet.

Dans la journée du 19 et dans celle du 20, les incendies ont cessé. Les
trois quarts de la ville sont brûlés, entre autres le beau palais de
Catherine, meublé à neuf. Il reste au plus le quart des maisons.

Pendant que Rostopchin enlevait les pompes de la ville, il laissait
soixante mille fusils, cent cinquante pièces de canon, plus de cent
mille boulets et bombes, quinze cent mille cartouches, quatre cent
milliers de poudre, quatre cent milliers de salpêtre et de soufre. Ce
n'est que le 19 qu'on a découvert les quatre cent milliers de salpêtre
et de soufre, dans un bel établissement situé à une demi-lieue de
la ville; cela est important. Nous voilà approvisionnés pour deux
campagnes.

On trouve tous les jours des caves pleines de vin et d'eau-de-vie.

Les manufactures commençaient à fleurir à Moscou; elles sont détruites.
L'incendie de cette capitale retarde la Russie de cent ans.

Le temps paraît tourner à la pluie. La plus grande partie de l'armée est
casernée dans Moscou.



Moscou, 27 septembre 1812.

_Vingt-deuxième bulletin de la grande armée._

Le consul général Lesseps a été nommé intendant de la province de
Moscou. Il a organisé une municipalité et plusieurs commissions, toutes
composées de gens du pays.

Les incendies ont entièrement cessé. On découvre tous les jours des
magasins de sucre, de pelleteries, de draps, etc.

L'armée ennemie paraît se retirer sur Kalouga et Toula. Toula renferme
la plus grande fabrique d'armes qu'ait la Russie. Notre avant-garde est
sur la Pakra.

L'empereur est logé au palais impérial du Kremlin. On a trouvé au
Kremlin plusieurs ornemens servant au sacre des empereurs, et tous les
drapeaux pris aux Turcs depuis cent ans.

Le temps est à peu près comme à la fin d'octobre à Paris. Il pleut un
peu, et l'on a eu quelques gelées blanches. On assure que la Moskwa et
les rivières du pays ne gèlent point avant la mi-novembre.

La plus grande partie de l'armée est cantonnée à Moscou, où elle se
remet de ses fatigues.



Moscou, 9 octobre 1812.

_Vingt-troisième bulletin de la grande armée._

L'avant-garde, commandée par le roi de Naples, est sur la Nara, à vingt
lieues de Moscou. L'armée ennemie est sur Kalouga. Des escarmouches ont
lieu tous les jours. Le roi de Naples a eu dans toutes l'avantage, et a
toujours chassé l'ennemi de ses positions.

Les cosaques rôdent sur nos flancs. Une patrouille de cent cinquante
dragons de la garde, commandée par le major Marthod, est tombée dans
une embuscade de cosaques, entre le chemin de Moscou et de Kalouga. Les
dragons en ont sabré trois cents, se sont fait jour, mais ils ont en
vingt hommes restés sur le champ de bataille, qui ont été pris, parmi
lesquels le major, blessé grièvement.

Le duc d'Elchingen est à Boghorodock; l'avant-garde du vice-roi est à
Troitsa, sur la route de Dmitrow.

Les drapeaux pris par les Russes sur les Turcs dans différentes guerres,
et plusieurs choses curieuses trouvées dans la Kremlin, sont partis pour
Paris. On a trouvé une madone enrichie de diamans; on l'a aussi envoyée
à Paris.

Il paraît que Rostopchin est aliéné. A Voronovo, il a mis le feu à son
château, et a laissé l'écrit suivant attaché à un poteau:

«J'ai embelli pendant huit ans cette campagne, et j'y ai vécu heureux au
sein de ma famille. Les habitans de cette terre, au nombre de dix-sept
cent vingt, la quittent à votre approche, et moi je mets le feu à ma
maison pour qu'elle ne soit pas souillée par votre présence.--Français,
je vous ai abandonné mes deux maisons de Moscou avec un mobilier d'un
demi-million de roubles.--Ici, vous ne trouverez que des cendres.» Signé
comte FEDOR ROSTOPCHIN.

Le palais du prince Kurakin est un de ceux qu'on est parvenu à sauver de
l'incendie. Le général comte Nansouty y est logé.

On est parvenu avec beaucoup de peine à tirer des hôpitaux et des
maisons incendiées une partie des malades russes. Il reste encore
environ quatre mille de ces malheureux. Le nombre de ceux qui ont péri
dans l'incendie est extrêmement considérable.

Il a fait depuis huit jours, du soleil, et plus chaud qu'à Paris dans
cette saison. On ne s'aperçoit pas qu'on soit dans le Nord.

Le duc de Reggio, qui est à Wilna, est entièrement rétabli.

Le général en chef ennemi Bagration est mort des blessures qu'il a
reçues à la bataille de la Moskwa.

L'armée russe désavoue l'incendie de Moscou. Les auteurs de cet attentat
sont en horreur aux Russes. Ils regardent Rostopchin comme une espèce
de Marat. Il a pu se consoler dans la société du commissaire anglais
Wilson.

L'état-major fait imprimer les détails du combat de Smolensk et de la
bataille de la Moskwa, et fera connaître ceux qui se sont distingués.

On vient d'armer le Kremlin de cinquante pièces de canon, et l'on a
construit des flèches à tous les rentrans. Il forme une forteresse. Les
fours et les magasins y sont établis.



Moscou, 14 octobre 1812.

_Vingt-quatrième bulletin de la grande armée._

Le général baron Delzons s'est porté sur Dmitrow. Le roi de Naples est
à l'avant-garde sur la Nara, en présence de l'ennemi, qui est occupé à
refaire son armée, en la complétant par des milices.

Le temps est encore beau. La première neige est tombée hier. Dans vingt
jours il faudra être en quartiers d'hiver.

Les forces que la Russie avait en Moldavie ont rejoint le général
Tormazow. Celles de Finlande ont débarqué à Riga. Elles sont sorties et
ont attaqué le dixième corps. Elles ont été battues; trois mille hommes
ont été faits prisonniers. On n'a pas encore la relation officielle de
ce brillant combat, qui fait tant d'honneur au général d'Yorck.

Tous nos blessés sont évacués sur Smolensk, Minsk et Mohilow. Un grand
nombre sont rétablis et ont rejoint leurs corps.

Beaucoup de correspondances particulières entre Saint-Pétersbourg
et Moscou font bien connaître la situation de cet empire. Le projet
d'incendier Moscou ayant été tenu secret, la plupart des seigneurs et
des particuliers n'avaient rien enlevé.

Les ingénieurs ont levé le plan de la ville, en marquant les maisons
qui ont été sauvées de l'incendie. Il résulte que l'on n'est parvenu
à sauver du feu que la dixième partie de la ville. Les neuf-dixièmes
n'existent plus.



A Noilskoë, le 20 octobre 1812.

_Vingt-cinquième bulletin de la grande armée._

Tous les malades qui étaient aux hôpitaux de Moscou, ont été évacués
dans les journées du 15, du 16, du 17 et du 18 sur Mojaïsk et Smolensk.
Les caissons d'artillerie, les munitions prises, et une grande quantité
de choses curieuses, et des trophées, ont été emballés et sont partis le
15. L'armée a reçu l'ordre de faire du biscuit pour vingt jours, et de
se tenir prête à partir; effectivement, l'empereur a quitté Moscou le
19. Le quartier-général était le même jour à Desna.

D'un côté, on a armé le Kremlin et on l'a fortifié: dans le même temps,
on l'a miné pour le faire sauter. Les uns croient que l'empereur veut
marcher sur Toula et Kalouga pour passer l'hiver dans ces provinces, en
occupant Moscou par une garnison dans le Kremlin.

Les autres croient que l'empereur fera sauter le Kremlin et brûler les
établissemens publics qui restent, et qu'il se rapprochera de cent
lieues de la Pologne, pour établir ses quartiers d'hiver dans un pays
ami, et être à portée de recevoir tout ce qui existe dans les magasins
de Dantzick, de Kowno, de Wilna et Minsk, pour se rétablir des fatigues
de la guerre: ceux-ci font l'observation que Moscou est éloigné de
Pétersbourg de cent quatre-vingt lieues de mauvaise route, tandis qu'il
n'y a de Witepsk à Pétersbourg que cent trente lieues; qu'il y a de
Moscou à Kiow deux cent dix-huit lieues, tandis qu'il n'y a de Smolensk
à Kiow que cent douze lieues, d'où l'on conclut que Moscou n'est pas une
position militaire; or, Moscou n'a plus d'importance politique, puisque
cette ville est brûlée et ruinée pour cent ans.

L'ennemi montre beaucoup de cosaques qui inquiètent la cavalerie:
l'avant-garde de la cavalerie, placée en avant de Vinkovo, a été
surprise par une horde de ces cosaques; ils étaient dans le camp avant
qu'on pût être à cheval. Ils ont pris un parc du général Sébastiani de
cent voitures de bagages, et fait une centaine de prisonniers. Le roi de
Naples est monté à cheval avec les cuirassiers et les carabiniers, et
apercevant une colonne d'infanterie légère de quatre bataillons, que
l'ennemi envoyait pour appuyer les cosaques, il l'a chargée, rompue et
taillée en pièces. Le général Dery, aide-de-camp du roi, officier brave,
a été tué dans cette charge, qui honore les carabiniers.

Le vice-roi est arrivé à Fominskoë. Toute l'armée est en marche.

Le maréchal duc de Trévise est resté à Moscou avec une garnison.

Le temps est très-beau, comme en France en octobre, peut-être un peu
plus chaud. Mais dans les premiers jours de novembre on aura des froids.
Tout indique qu'il faut songer aux quartiers d'hiver. Notre cavalerie,
surtout, en a besoin. L'infanterie s'est remise à Moscou, et elle est
très-bien portante.



Borowsk, 23 octobre 1812.

_Vingt-sixième bulletin de la grande armée._

Après la bataille de la Moskwa, le général Kutusow prit position à
une lieue en avant de Moscou; il avait établi plusieurs redoutes pour
défendre la ville; il s'y tint, espérant sans doute en imposer jusqu'au
dernier moment. Le 14 septembre, ayant vu l'armée française marcher à
lui, il prit son parti, et évacua la position en passant par Moscou. Il
traversa cette ville avec son quartier-général à neuf heures du matin.
Notre avant-garde la traversa à une heure après midi.

Le commandant de l'arrière-garde russe fit demander qu'on le laissât
défiler dans la ville sans tirer: on y consentit; mais au Kremlin, la
canaille armée par le gouverneur, fit résistance et fut sur-le-champ
dispersée. Dix mille soldats russes furent, le lendemain et les jours
suivans, ramassés dans la ville, où ils s'étaient éparpillés par l'appât
du pillage: c'étaient d'anciens et bons soldats; ils ont augmenté le
nombre des prisonniers.

Les 15, 16 et 17 septembre, le général d'arrière-garde russe dit que
l'on ne tirerait plus, et que l'on ne devait plus se battre, et parla
beaucoup de paix. Il se porta sur la route de Kolomna, et notre
avant-garde se plaça à cinq lieues de Moscou, au pont de la Moskwa.
Pendant ce temps, l'armée russe quitta la route de Kolomna et prit celle
de Kalouga par la traverse. Elle fit ainsi la moitié du tour de la
ville, à six lieues de distance. Le vent y portait des tourbillons de
flammes et de fumée. Cette marche, au dire des officiers russes, était
sombre et religieuse. La consternation était dans les âmes: on assure
qu'officiers et soldats étaient si pénétrés, que le plus profond silence
régnait dans toute l'armée comme dans la prière.

On s'aperçut bientôt de la marche de l'ennemi. Le duc d'Istrie se porta
à Desna avec un corps d'observation.

Le roi de Naples suivit l'ennemi d'abord sur Podol, et ensuite se porta
sur ses derrières, menaçant de lui couper la route de Kalouga. Quoique
le roi n'eût avec lui que l'avant-garde, l'ennemi ne se donna que le
temps d'évacuer les retranchemens qu'il avait faits, et se porta six
lieues en arrière, après un combat glorieux pour l'avant-garde. Le
prince Poniatowski prit position derrière la Nara, au confluent de
l'Istia.

Le général Lauriston ayant dû aller au quartier-général russe le 5
octobre, les communications se rétablirent entre nos avant-postes et
ceux de l'ennemi, qui convinrent entre eux de ne pas s'attaquer sans
se prévenir trois heures d'avance; mais le 18, à sept heures du matin,
quatre mille cosaques sortirent d'un bois situé à demi-portée de canon
du général Sébastiani, formant l'extrême gauche de l'avant-garde, qui
n'avait été ni occupé ni éclairé ce jour-là. Ils firent un houra
sur cette cavalerie légère dans le temps qu'elle était à pied à la
distribution de farine. Cette cavalerie légère ne put se former qu'à un
quart de lieue plus loin. Cependant l'ennemi pénétrant par cette trouée,
un parc de douze pièces de canon et de vingt caissons du général
Sébastiani fut pris dans un ravin, avec des voitures de bagages, au
nombre de trente; en tout soixante-cinq voitures, au lieu de cent que
l'on avait portées dans le dernier bulletin.

Dans le même temps, la cavalerie régulière de l'ennemi et deux colonnes
d'infanterie pénétraient dans la trouée. Elles espéraient gagner le bois
et le défilé de Voconosvo avant nous; mais le roi de Naples était là: il
était à cheval. Il marcha, et enfonça la cavalerie de ligne russe
dans dix ou douze charges différentes. Il aperçut la division de six
bataillons ennemis commandée par le lieutenant-général Muller,
la chargea et l'enfonça. Cette division a été massacrée. Le
lieutenant-général Muller a été tué.

Pendant que ceci se passait, le prince Poniatowski repoussait une
division russe avec succès. Le général polonais Fischer a été tué d'un
boulet.

L'ennemi a non-seulement éprouvé une perte supérieure à la nôtre; mais
il a la honte d'avoir violé une trêve d'avant-garde, ce qu'on ne vit
presque jamais. Notre perte se monte à huit cents hommes tués, blessés
ou pris; celle de l'ennemi est double. Plusieurs officiers russes ont
été pris: deux de leurs généraux ont été tués. Le roi de Naples, dans
cette journée, a montré ce que peuvent la présence d'esprit, la valeur
et l'habitude de la guerre. En général, dans toute la campagne, ce
prince s'est montré digne du rang suprême où il est.

Cependant, l'empereur voulant obliger l'ennemi à évacuer son camp
retranché, et le rejeter à plusieurs marches en arrière, pour
pouvoir tranquillement se porter sur les pays choisis pour ses
quartiers-d'hiver, et nécessaires à occuper actuellement pour
l'exécution de ses projets ultérieurs, avait ordonné, le 17, par le
général Lauriston, à son avant-garde, de se placer derrière le défilé de
Winkowo, afin que ses mouvemens ne pussent pas être aperçus. Depuis que
Moscou avait cessé d'exister, l'empereur avait projeté ou d'abandonner
cet amas de décombres, ou d'occuper seulement le Kremlin avec trois
mille hommes; mais le Kremlin, après quinze jours de travaux, ne fut pas
jugé assez fort pour être abandonné vingt ou trente jours à ses propres
forces; il aurait affaibli et gêné l'armée dans ses mouvemens, sans
donner un grand avantage. Si l'on eût voulu garder Moscou contre les
mendians et les pillards, il fallait vingt mille hommes. Moscou est
aujourd'hui un vrai cloaque malsain et impur. Une population de deux
cent mille âmes, errant dans les bois voisins, mourant de faim, vient
sur ses décombres chercher quelques débris et quelques légumes de
jardins pour vivre. Il parut inutile de compromettre quoi que ce soit
pour un objet qui n'était d'aucune importance militaire, et qui est
aujourd'hui devenu sans importance politique.

Tous les magasins qui étaient dans la ville ayant été découverts avec
soin, les autres évacués, l'empereur fit miner le Kremlin. Le duc de
Trévise le fit sauter le 23, à deux heures du matin: l'arsenal, les
casernes, les magasins, tout a été détruit. Cette ancienne citadelle,
qui date de la fondation de la monarchie, ce premier palais des
czars, ont été! Le duc de Trévise s'est mis en marche pour Vereja.
L'aide-de-camp de l'empereur de Russie, Winzingerode, ayant voulu
percer, le 22, à la tête de cinq cents cosaques, fut repoussé et fait
prisonnier avec un jeune officier russe nommé Nariskin.

Le quartier-général fut porté le 19 au château de Troitskoe; il y
séjourna le 20: le 21, il était à Ignatiew, le 22, à Fominskoi, toute
l'armée ayant fait deux marches de flanc, et le 21 à Borowsk.

L'empereur compte se mettre en marche le 24, pour gagner la Dwina,
et prendre une position qui le rapproche de quatre-vingts lieues de
Pétersbourg et de Wilna, double avantage, c'est-à-dire plus près de
vingt marches des moyens et du but.

De quatre mille maisons de pierre qui existaient à Moscou, il n'en
restait plus que deux cents. On a dit qu'il en restait le quart,
parce qu'on y a compris huit cents églises, encore une partie en est
endommagée. De huit mille maisons de bois, il en restait à peu près cinq
cents. On proposa à l'empereur de faire brûler le reste de la ville pour
servir les Russes comme ils le veulent, et d'étendre cette mesure autour
de Moscou. Il y a deux mille villages et autant de maisons de campagne
ou de châteaux. On proposa de former quatre colonnes de deux cents
hommes chacune, et de les charger d'incendier tout à vingt lieues à la
ronde. Cela apprendra aux Russes, disait-on, à faire la guerre en règle
et non en Tartares. S'ils brûlent un village, une maison, il faut leur
répondre en leur en brûlant cent.

L'empereur s'est refusé à ces mesures qui auraient tant aggravé les
malheurs de cette population. Sur neuf mille propriétaires dont on
aurait brûlé les châteaux, cent peut-être sont des sectateurs du Marat
de la Russie; mais huit mille neuf cents sont de braves gens déjà
trop victimes de l'intrigue de quelques misérables. Pour punir cent
coupables, on en aurait ruiné huit mille neuf cents. Il faut ajouter que
l'on aurait mis absolument sans ressources deux cent mille pauvres serfs
innocens de tout cela. L'empereur s'est donc contenté d'ordonner la
destruction des citadelles et établissemens militaires, selon les
usages de la guerre, sans rien faire perdre aux particuliers, déjà trop
malheureux par les suites de cette guerre.

Les habitans de la Russie ne reviennent pas du temps qu'il fait depuis
vingt jours. C'est le soleil et les belles journées du voyage de
Fontainebleau. L'armée est dans un pays extrêmement riche, et qui peut
se comparer aux meilleurs de la France et de l'Allemagne.



Vereia, le 27 octobre 1812.

_Vingt-septième bulletin de la grande armée._

Le 22, le prince Poniatowski se porta sur Vereia. Le 23, l'armée allait
suivre ce mouvement, lorsque, dans l'après-midi, on apprit que l'ennemi
avait quitté son camp retranché, et se portait sur la petite ville de
Maloiaroslawetz. On jugea nécessaire de marcher à lui pour l'en chasser.

Le vice-roi reçut l'ordre de s'y porter. La division Delzons arriva le
23, à six heures du soir, sur la rive gauche, s'empara du pont, et le
fit rétablir.

Dans la nuit du 23 au 24, deux divisions russes arrivèrent dans la ville
et s'emparèrent des hauteurs sur la rive droite, qui sont extrêmement
favorables.

Le 24, à la pointe du jour, le combat s'engagea. Pendant ce temps,
l'armée ennemie parut tout entière, et vint prendre position derrière la
ville: les divisions Delzons, Broussier et Pino, et la garde italienne
furent successivement engagées. Ce combat fait le plus grand honneur au
vice-roi et au quatrième corps d'armée. L'ennemi engagea les deux tiers
de son armée pour soutenir la position; ce fut en vain: la ville
fut enlevée, ainsi que les hauteurs. La retraite de l'ennemi fut si
précipitée, qu'il fut obligé de jeter vingt pièces de canon dans la
rivière.

Vers le soir, le maréchal prince d'Eckmülh déboucha avec son corps; et
toute l'armée se trouva en bataille avec son artillerie, le 25, sur la
position que l'ennemi occupait la veille.

L'empereur porta son quartier-général le 24 au village de Ghorodnia. A
sept heures du matin, six mille cosaques, qui s'étaient glissés dans
les bois, firent un houra général sur les derrières de la position, et
enlevèrent six pièces de canon qui étaient parquées. Le duc d'Istrie se
porta au galop avec toute la garde à cheval: cette horde fut sabrée,
ramenée et jetée dans la rivière; on lui reprit l'artillerie qu'elle
avait prise, et plusieurs voitures qui lui appartenaient; six cents de
ces cosaques ont été tués, blessés ou pris; trente hommes de la garde
ont été blessés, et trois tués. Le général de division comte Rapp a eu
un cheval tué sous lui: l'intrépidité dont ce général a donné tant de
preuves, se montre dans toutes les occasions. Au commencement de
la charge, les officiers de cosaques appelaient la garde, qu'ils
reconnaissaient, _muscadins de Paris_. Le major des dragons Letort
s'était fait remarquer. A huit heures, l'ordre était rétabli.

L'empereur se porta à Maloiaroslawetz, reconnut la position de l'ennemi,
et ordonna l'attaque pour le lendemain; mais dans la nuit l'ennemi a
battu en retraite. Le prince d'Eckmülh l'a poursuivi pendant six lieues;
l'empereur alors l'a laissé aller, et a ordonné le mouvement sur Vereia.

Le 26, le quartier-général était à Borowsk, et le 25 à Vereia. Le prince
d'Eckmülh est ce soir à Borowsk; le maréchal duc d'Elchingen à Mojaïsk.

Le temps est superbe, les chemins sont beaux: c'est le reste de
l'automne: ce temps durera encore huit jours, et à cette époque nous
serons rendus dans nos nouvelles positions.

Dans le combat de Maloiaroslawetz, la garde italienne s'est distinguée;
elle a pris la position et s'y est maintenue. Le général baron Delzons,
officier distingué, a été tué de trois balles. Notre perte est de quinze
cents hommes tués ou blessés; celle des ennemis est de six à sept mille.
On a trouvé sur le champ de bataille dix-sept cents Russes, parmi
lesquels onze cents recrues habillées de vestes grises, ayant à peine
deux mois de service.

L'ancienne infanterie russe est détruite; l'armée russe n'a quelque
consistance que par les nombreux renforts de cosaques récemment arrivés
du Don. Des gens instruits assurent qu'il n'y a dans l'infanterie russe
que le premier rang composé de soldats, et que les deuxième et troisième
rangs sont remplis par des recrues et des milices, que, malgré la parole
qu'on leur avait donnée, on y a incorporées. Les Russes ont eu trois
généraux tués. Le général comte Pino a été légèrement blessé.



Smolensk, le 11 novembre 1812.

_Vingt-huitième bulletin de la grande armée._

Le quartier-général impérial était, le 1er novembre, à Viazma, et le 9
à Smolensk. Le temps a été très beau jusqu'au 6; mais, le 7, l'hiver a
commencé, la terre s'est couverte de neige. Les chemins sont devenus
très-glissans et très-difficiles pour les chevaux de trait. Nous en
avons perdu beaucoup par le froid et les fatigues; les bivouacs de la
nuit leur nuisent beaucoup.

Depuis le combat de Maloiaroslawetz, l'avant-garde n'avait pas vu
l'ennemi, si ce n'est les cosaques qui, comme les Arabes, rôdent sur les
flancs et voltigent pour inquiéter.

Le 2, à deux heures après-midi, douze mille hommes d'infanterie russe,
couverts par une nuée de cosaques, coupèrent la route, à une lieue de
Viasma, entre le prince d'Eckmülh et le vice-roi. Le prince d'Eckmülh et
le vice-roi firent marcher sur cette colonne, la chassèrent du chemin,
la culbutèrent dans les bois, lui prirent un général-major avec bon
nombre de prisonniers, et lui enlevèrent six pièces de canon; depuis on
n'a plus vu l'infanterie russe, mais seulement des cosaques.

Depuis le mauvais temps du 6, nous avons perdu plus de trois mille
chevaux de trait, et près de cent de nos caissons ont été détruits.

Le général Wittgenstein ayant été renforcé par les divisions russes de
Finlande et par un grand nombre de troupes de milice, a attaqua le
18 octobre, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr; il a été repoussé par ce
maréchal et par le général de Wrede, qui lui ont fait trois mille
prisonniers, et ont couvert le champ de bataille de ses morts.

Le 20, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, ayant appris que le maréchal duc
de Bellune, avec le neuvième corps, marchait pour le renforcer, repassa
la Dwina, et se porta à sa rencontre pour, sa jonction opérée avec
lui, battre Wittgenstein et lui faire repasser la Dwina. Le maréchal
Gouvion-Saint-Cyr fait le plus grand éloge de ses troupes. La division
suisse s'est fait remarquer par son sang-froid et sa bravoure. Le
colonel Guéhéneuc, du vingt-sixième régiment d'infanterie légère a été
blessé. Le maréchal Saint-Cyr a eu une balle au pied. Le maréchal duc de
Reggio est venu le remplacer, et a repris le commandement du deuxième
corps.

La santé de l'empereur n'a jamais été meilleure.



Molodetschino, le 3 décembre 1812.

_Vingt-neuvième bulletin de la grande armée._

Jusqu'au 6 novembre, le temps a été parfait, et le mouvement de l'armée
s'est exécuté avec le plus grand succès. Le froid a commencé le 9; dès
ce moment, chaque nuit nous avons perdu plusieurs centaines de chevaux,
qui mouraient au bivouac. Arrivés à Smolensk, nous avions déjà perdu
bien des chevaux de cavalerie et d'artillerie.

L'armée russe de Volhynie était opposée à notre droite. Notre droite
quitta la ligne d'opération de Minsk, et prit pour pivot de ses
opérations la ligne de Varsovie. L'empereur apprit à Smolensk, le 9, ce
changement de ligne d'opérations, et présuma ce que ferait l'ennemi.
Quelque dur qu'il lui parût de se mettre en mouvement dans une si
cruelle saison, le nouvel état des choses le nécessitait; il espérait
arriver à Minsk, ou du moins sur la Bérésina, avant l'ennemi; il partit
le 13 de Smolensk; le 16, il coucha à Krasnoi. Le froid, qui avait
commencé le 7, s'accrut subitement, et, du 14 au 15 et au 16, le
thermomètre marqua seize et dix-huit degrés au-dessous de glace.
Les chemins furent couverts de verglas; les chevaux de cavalerie,
d'artillerie, de train périssaient toutes les nuits, non par centaines,
mais par milliers, surtout les chevaux de France et d'Allemagne: plus de
trente mille chevaux périrent en peu de jours; notre cavalerie se trouva
toute à pied; notre artillerie et nos transports se trouvaient sans
attelage. Il fallut abandonner et détruire une bonne partie de nos
pièces et de nos munitions de guerre et de bouche.

Cette armée, si belle le 6, était bien différente dès le 14, presque
sans cavalerie, sans artillerie, sans transports. Sans cavalerie, nous
ne pouvions pas nous éclairer à un quart de lieue; cependant, sans
artillerie, nous ne pouvions pas risquer une bataille et attendre
de pied ferme; il fallait marcher pour ne pas être contraint à une
bataille, que le défaut de munitions nous empêchait de désirer; il
fallait occuper un certain espace pour ne pas être tournés, et cela sans
cavalerie qui éclairât et liât les colonnes. Cette difficulté, jointe à
un froid excessif subitement venu, rendit notre situation fâcheuse. Les
hommes que la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus
de toutes les chances du sort et de la fortune, parurent ébranlés,
perdirent leur gaîté, leur bonne humeur, et ne révèrent que malheurs et
catastrophes; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout, conservèrent leur
gaîté, leurs manières ordinaires, et virent une nouvelle gloire dans des
difficultés différentes à surmonter.

L'ennemi, qui voyait sur les chemins les traces de cette affreuse
calamité qui frappait l'armée française, chercha à en profiter. Il
enveloppait toutes les colonnes par ses cosaques, qui enlevaient,
comme les Arabes dans les déserts, les trains et les voitures qui
s'écartaient. Cette méprisable cavalerie, qui ne fait que du bruit, et
n'est pas capable d'enfoncer une compagnie de voltigeurs, se rendit
redoutable à la faveur des circonstances. Cependant l'ennemi eut à se
repentir de toutes les tentatives sérieuses qu'il voulut entreprendre;
il fut culbuté par le vice-roi au-devant duquel il s'était placé, et y
perdit beaucoup de monde.

Le duc d'Elchingen qui, avec trois mille hommes, faisait
l'arrière-garde, avait fait sauter les remparts de Smolensk. Il fut
cerné et se trouva dans une position critique: il s'en tira avec cette
intrépidité qui le distingue. Après avoir tenu l'ennemi éloigné de lui
pendant toute la journée du 18, et l'avoir constamment repoussé, à la
nuit, il fit un mouvement par le flanc droit, passa le Borysthène, et
déjoua tous les calculs de l'ennemi. Le 19, l'armée passa le Borysthène
à Orza, et l'armée russe fatiguée, ayant perdu beaucoup de monde, cessa
là ses tentatives.

L'armée de Volhynie s'était portée dès le 16 sur Minsk, et marchait sur
Borisow. Le général Dombrowski défendit la tête de pont de Borisow avec
trois mille hommes. Le 23, il fut forcé, et obligé d'évacuer cette
position. L'ennemi passa alors la Bérésina, marchant sur Bobr; la
division Lambert faisait l'avant-garde. Le deuxième corps, commandé par
le duc de Reggio, qui était à Tscherein, avait reçu l'ordre de se porter
sur Borisow pour assurer à l'armée le passage de la Bérésina. Le 24, le
duc de Reggio rencontra la division Lambert à quatre lieues de Borisow,
l'attaqua, la battit, lui fit deux mille prisonniers, lui prit six
pièces de canon, cinq cents voitures de bagages de l'armée de Volhynie,
et rejeta l'ennemi sur la rive droite de la Bérésina. Le générai
Berkeim, avec le quatrième de cuirassiers, se distingua par une belle
charge. L'ennemi ne trouva son salut qu'on brûlant le pont, qui a plus
de trois cents toises.

Cependant l'ennemi occupait tous les passages de la Bérésina; cette
rivière est large de quarante toises; elle charriait assez de glaces;
mais ses bords sont couverts de marais de trois cents toises de long, ce
qui la rend un obstacle difficile à franchir.

Le général ennemi avait placé ses quatre divisions dans différens
débouchés où il présumait que l'armée française voudrait passer.

Le 26, à la pointe du jour, l'empereur, après avoir trompé l'ennemi par
divers mouvemens faits dans la journée du 25, se porta sur le village
de Studzianca, et fit aussitôt, malgré une division ennemie, et en sa
présence, jeter deux ponts sur la rivière. Le duc de Reggio passa,
attaqua l'ennemi, et le mena battant deux heures; l'ennemi se retira
sur la tête de pont de Borisow. Le général Legrand, officier du premier
mérite, fut blessé grièvement, mais non dangereusement. Toute la journée
du 26 et du 27 l'armée passa.

Le duc de Bellune, commandant le neuvième corps, avait reçu ordre de
suivre le mouvement du duc de Reggio, de faire l'arrière-garde, et
de contenir l'armée russe de la Dwina qui le suivait. La division
Partouneaux faisait l'arrière-garde de ce corps. Le 27 à midi, le duc de
Bellune arriva avec deux divisions au pont de Studzianca.

La division Partouneaux partit à la nuit de Borisow. Une brigade de
cette division qui formait l'arrière-garde, et qui était chargée de
brûler les ponts, partit à sept heures du soir; elle arriva entre dix et
onze heures; elle chercha sa première brigade et son général de division
qui étaient partis deux heures avant, et qu'elle n'avait pas rencontrés
en route. Ses recherches furent vaines; on conçut alors des inquiétudes.
Tout ce qu'on a pu connaître depuis, c'est que cette première brigade,
partie à cinq heures, s'est égarée à six, a pris à droite au lieu de
prendre à gauche, et a fait deux ou trois lieues dans cette direction;
que dans la nuit, et transie de froid, elle s'est ralliée aux feux de
l'ennemi, qu'elle a pris pour ceux de l'armée française; entourée ainsi,
elle aura été enlevée. Cette cruelle méprise doit nous avoir fait perdre
deux mille hommes d'infanterie, trois cents chevaux et trois pièces
d'artillerie. Des bruits couraient que le général de division n'était
pas avec sa colonne, et avait marché isolément.

Toute l'armée ayant passé le 28 au matin, le duc de Bellune gardait la
tête de pont sur la rive gauche; le duc de Reggio, et derrière lui toute
l'armée, était sur la rive droite.

Borisow ayant été évacué, les armées de la Dwina et de Volhynie
communiquèrent; elles concertèrent une attaque. Le 28, à la pointe du
jour, le duc de Reggio fit prévenir l'empereur qu'il était attaqué; une
demi-heure après, le duc de Bellune le fut sur la rive gauche; l'armée
prit les armes. Le duc d'Elchingen se porta à la suite du duc de Reggio,
et le duc de Trévise derrière le duc d'Elchingen. Le combat devint vif;
l'ennemi voulut déborder notre droite; le général Doumerc, commandant
la cinquième division de cuirassiers, et qui faisait partie du deuxième
corps resté sur la Dwina, ordonna une charge de cavalerie aux quatrième
et cinquième régimens de cuirassiers, au moment où la légion de la
Vistule s'engageait dans les bois pour percer le centre de l'ennemi,
qui fut culbuté et mis en déroute. Ces braves cuirassiers enfoncèrent
successivement six carrés d'infanterie, et mirent en déroute la
cavalerie ennemie qui venait au secours de son infanterie: six mille
prisonniers, deux drapeaux et six pièces de canon tombèrent en notre
pouvoir.

De son côté, le duc de Bellune fit charger vigoureusement l'ennemi, le
battit, lui fit cinq à six cents prisonniers, et le tint hors la portée
du canon du pont. Le général Fournier fit une belle charge de cavalerie.

Dans le combat de la Bérésina, l'armée de Volhynie a beaucoup souffert.
Le duc de Reggio a été blessé; sa blessure n'est pas dangereuse; c'est
une balle qu'il a reçue dans le côté.

Le lendemain 29, nous restâmes sur le champ de bataille. Nous avions à
choisir entre deux routes, celle de Minsk et celle de Wilna. La route de
Minsk passe au milieu d'une forêt et de marais incultes, et il eût été
impossible à l'armée de s'y nourrir. La route de Wilna, au contraire,
passe dans de très-bons pays; l'armée, sans cavalerie, faible en
munitions, horriblement fatiguée de cinquante jours de marche, traînant
à sa suite ses malades et les blessés de tant de combats, avait besoin
d'arriver à ses magasins. Le 30, le quartier-général fut à Plechnitsi;
le 1er décembre à Slaiki, et le 3 à Molodetschino, où l'armée a reçu les
premiers convois de Wilna.

Tous les officiers et soldats blessés, et tout ce qui est embarras,
bagages, etc., ont été dirigés sur Wilna.

Dire que l'armée a besoin de rétablir sa discipline, de se refaire, de
remonter sa cavalerie, son artillerie et son matériel, c'est le résultat
de l'exposé qui vient d'être fait. Le repos est son premier besoin. Le
matériel et les chevaux arrivent. Le général Bourcier a déjà plus de
vingt mille chevaux de remonte dans différens dépôts. L'artillerie a
déjà réparé ses pertes; les généraux, les officiers et les soldats ont
beaucoup souffert de la fatigue et de la disette. Beaucoup ont perdu
leurs bagages par suite de la perte de leurs chevaux; quelques-uns
par le fait des embuscades des cosaques. Les cosaques ont pris nombre
d'hommes isolés, d'ingénieurs-géographes qui levaient les positions, et
d'officiers blessés qui marchaient sans précaution, préférant courir des
risques plutôt que de marcher posément et dans les convois.

Les rapports des officiers-généraux commandant les corps feront
connaître les officiers et soldats qui se sont le plus distingués, et
les détails de tous ces mémorables événemens.

Dans tous ces mouvemens, l'empereur a toujours marché au milieu de
sa garde, la cavalerie, commandée par le maréchal duc d'Istrie, et
l'infanterie, commandée par le duc de Dantzick. S. M. a été satisfaite
du bon esprit que sa garde a montré; elle a toujours été prête à
se porter partout où les circonstances l'auraient exigé; mais les
circonstances ont toujours été telles que sa simple présence a suffi, et
qu'elle n'a pas été dans le cas de donner.

Le prince de Neufchâtel, le grand-maréchal, le grand-écuyer et tous les
aides-de-camp et les officiers militaires de la maison de l'empereur,
ont toujours accompagné sa Majesté.

Notre cavalerie était tellement démontée, que l'on a dû réunir les
officiers auxquels il restait un cheval, pour en former quatre
compagnies de cent cinquante hommes chacune. Les généraux y faisaient
les fonctions de capitaines, et les colonels celles de sous-officiers.
Cet escadron sacré, commandé par le général Grouchy, et sous les ordres
du roi de Naples, ne perdait pas de vue l'empereur dans tous ses
mouvemens.

La santé de Sa Majesté n'a jamais été meilleure.



Paris, 18 décembre 1812.

_Note publiée dans le Moniteur au retour de l'empereur à Paris._

Le 5 décembre, l'empereur réunit au quartier-général de Smorgony, le roi
de Naples, le vice-roi, le prince de Neufchâtel, et les maréchaux ducs
d'Elchingen, de Dantzick, de Trévise, le prince d'Eckmülh, le duc
d'Istrie, et leur fit connaître qu'il avait nommé le roi de Naples son
lieutenant-général pour commander l'armée pendant la rigoureuse saison.

S. M. passant à Wilna accorda un travail de plusieurs heures à M. le duc
de Bassano.

S. M. voyagea _incognito_ dans un seul traîneau, avec et sous le nom du
_duc de Vicence_. Elle visita les fortifications de Praga, parcourut
Varsovie, et y passa plusieurs heures inconnue. Deux heures avant son
départ, elle fit chercher le comte Potocki et le ministre des finances
du grand-duché, qu'elle entretint long-temps.

S. M. arriva le 14, à une heure après minuit à Dresde, et descendit chez
le comte Serra, son ministre. Elle s'entretint long-temps avec le roi
de Saxe, et repartit immédiatement, prenant la route de Leipsick et de
Mayence.



Paris, 20 décembre 1812.

_Réponse de l'empereur aux députations du sénat et du conseil d'état,
envoyées pour le féliciter sur son retour de Russie._

_Au Sénat._

«Sénateurs,

«Ce que vous me dites m'est fort agréable. J'ai à coeur la gloire et la
puissance de la France; mais mes premières pensées sont pour tout ce
qui peut perpétuer la tranquillité intérieure, et mettre à jamais
mes peuples à l'abri des déchiremens des factions et des horreurs de
l'anarchie. C'est sur ces ennemies du bonheur des peuples que j'ai
fondé, avec la volonté et l'amour des Français, ce trône auquel sont
attachées désormais les destinées de la patrie.

«Des soldats timides et lâches perdent l'indépendance des nations; mais
des magistrats pusillanimes détruisent l'empire des lois, les droits du
trône, et l'ordre social lui-même.

«La plus belle mort serait celle d'un soldat qui périt au champ
d'honneur, si la mort d'un magistrat périssant en défendant le
souverain, le trône et les lois, n'était plus glorieuse encore.

«Lorsque j'ai entrepris la régénération de la France, j'ai demandé à la
Providence un nombre d'années déterminé. On détruit dans un moment, mais
on ne peut réédifier sans le secours du temps. Le plus grand besoin de
l'état est celui de magistrats courageux.

«Nos pères avaient pour cri de ralliement: _Le roi est mort, vive le
roi!_ Ce peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie.
Je crois avoir bien étudié l'esprit que mes peuples ont montré dans les
différens siècles; j'ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes
époques de notre histoire: j'y penserai encore.

«La guerre que je soutiens contre la Russie est une guerre politique.
Je l'ai faite sans animosité: j'eusse voulu lui épargner les maux
qu'elle-même s'est faits. J'aurais pu armer la plus grande partie de sa
population contre elle-même, en proclamant la liberté des esclaves:
un grand nombre de villages me l'ont demandé; mais lorsque j'ai connu
l'abrutissement de cette classe nombreuse du peuple russe, je me suis
refusé à cette mesure qui aurait voué à la mort et aux plus horribles
supplices bien des familles. Mon armée a essuyé des pertes, mais c'est
par la rigueur prématurée de la saison.

«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.»



_Au conseil d'état._

«Conseillers d'état,

«Toutes les fois que j'entre en France, mon coeur éprouve une bien vive
satisfaction. Si le peuple montre tant d'amour pour mon fils, c'est
qu'il est convaincu, par sentiment, des bienfaits de la monarchie.

«C'est à l'idéologie, à cette ténébreuse métaphysique, qui, en
recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur ses bases
fonder la législation des peuples, au lieu d'approprier les lois à la
connaissance du coeur humain et aux leçons de l'histoire, qu'il faut
attribuer tous les malheurs qu'a éprouvés notre belle France. Ces
erreurs devaient et ont effectivement amené le régime des hommes de
sang. En effet, qui a proclamé le principe d'insurrection comme un
devoir? qui a adulé le peuple en le proclamant à une souveraineté qu'il
était incapable d'exercer? qui a détruit la sainteté et le respect des
lois, en les faisant dépendre, non des principes sacrés de la justice,
de la nature des choses et de la justice civile, mais seulement de la
volonté d'une assemblée composée d'hommes étrangers à la connaissance
des lois civiles, criminelles, administratives, politiques et
militaires? Lorsqu'on est appelé à régénérer un état, ce sont des
principes constamment opposés qu'il faut suivre. L'histoire peint le
coeur humain; c'est dans l'histoire qu'il faut chercher les avantages et
les inconvéniens des différentes législations. Voilà les principes que
le conseil d'état d'un grand empire ne doit jamais perdre de vue; il
doit y joindre un courage à toute épreuve; et, à l'exemple des présidens
Harlay et Molé, être prêt à périr en défendant le souverain, le trône et
les lois.

«J'apprécie les preuves d'attachement que le conseil-d'état m'a données
dans toutes les circonstances. J'agrée ses sentimens.»



Au palais des Tuileries, 8 janvier 1813.

_Lettre de l'empereur au Sénat._

«Sénateurs,

«Nous avons jugé utile de reconnaître par des récompenses éclatantes
les services qui nous ont été rendus, spécialement dans cette dernière
campagne, par notre cousin le maréchal duc d'Elchingen.

«Nous avons pensé d'ailleurs qu'il convenait de consacrer le souvenir
honorable pour nos peuples, de ces grandes circonstances où nos armées
nous ont donné tant de preuves signalées de leur bravoure et de leur
dévouement, et que tout ce qui tendrait à en perpétuer la mémoire
dans la postérité était conforme à la gloire et aux intérêts de notre
couronne.

«Nous avons en conséquence érigé en principauté, sous le titre de
principauté de la Moskwa, le château de Rivoli, département du Pô, et
les terres qui en dépendent, pour être possédés par notre cousin le
maréchal duc d'Elchingen et ses descendans, aux closes et conditions
portées aux lettres patentes que nous avons ordonné à notre cousin le
prince archi-chancelier de l'empire de faire expédier par le conseil du
sceau des titres.

«Nous avons pris des mesures pour que les domaines de la-dite
principauté soient augmentés de manière à ce que le titulaire et ses
descendans puissent soutenir dignement le nouveau titre que nous
conférons, et ce, au moyen des dispositions qui nous sont compétentes.

«Notre intention est, ainsi qu'il est spécifié dans nos
lettres-patentes, que la principauté que nous avons érigée en faveur de
notre dit cousin le maréchal duc d'Elchingen, ne donne à lui et à ses
descendans d'autres rang et prérogatives que ceux dont jouissent les
ducs parmi lesquels ils prendront rang selon la date de l'érection du
titre.»

NAPOLÉON.



Paris, 14 février 1813.

_Discours de l'empereur à l'ouverture du corps-législatif._

«Messieurs les députés des départemens au corps-législatif,

«La guerre rallumée dans le nord de l'Europe offrait une occasion
favorable aux projets des Anglais sur la péninsule. Ils ont fait de
grands efforts. Toutes leurs espérances ont été déçues.... Leur armée
a échoué devant la citadelle de Burgos, et a dû, après avoir essuyé de
grandes pertes, évacuer le territoire de toutes les Espagnes.

«Je suis moi-même entré en Russie. Les armes françaises ont été
constamment victorieuses aux champs d'Ostrowno, de Polotsk, de Mohilow,
de Smolensk, de la Moskwa, de Maloiaroslawetz. Nulle part les armées
russes n'ont pu tenir devant nos aigles; _Moscou est tombé en notre
pouvoir._

«Lorsque les barrières de la Russie ont été forcées, et que
l'impuissance de ses armes a été reconnue, un essaim de Tartares ont
tourné leurs mains parricides contre les plus belles provinces de ce
vaste empire qu'ils avaient été appelés à défendre. Ils ont, en peu de
semaines, malgré les larmes et le désespoir des infortunés Moscovites,
incendié plus de quatre mille de leurs plus beau villages, plus de
cinquante de leurs plus belles villes, assouvissant ainsi leur ancienne
haine, et sous le prétexte de retarder notre marche en nous environnant
d'un désert. _Nous avons triomphé de tous ces obstacles!_ L'incendie
même de Moscou où, en quatre jours, ils ont anéanti le fruit des travaux
et des épargnes de quarante générations, n'avait rien changé à l'état
prospère de mes affaires..... Mais la rigueur excessive et prématurée
de l'hiver a fait peser sur mon armée une affreuse calamité. _En peu
de nuits, j'ai vu tout changer._ J'ai fait de grandes pertes. Elles
auraient brisé mon âme si, dans ces grandes circonstances, j'avais dû
être accessible à d'autres sentimens qu'à l'intérêt, à la gloire et à
l'avenir de mes peuples.

«A la vue des maux qui ont pesé sur nous, la joie de l'Angleterre a été
grande, ses espérances n'ont pas eu de bornes. Elle offrait nos plus
belles provinces pour récompense à la trahison. Elle mettait pour
condition à la paix le déchirement de ce bel empire: c'était, sous
d'autres termes, proclamer _la guerre perpétuelle_.

«L'énergie de mes peuples, dans ces grandes circonstances, leur
attachement à l'intégrité de l'empire, qu'ils m'ont montré, ont dissipé
toutes ces chimères, et ramené nos ennemis à un sentiment plus juste des
choses.

«Les malheurs qu'a produits la rigueur des climats ont fait ressortir
dans toute leur étendue la grandeur et la solidité de cet empire, fondé
sur les efforts et l'amour de cinquante millions de citoyens, et sur les
ressources territoriales des plus belles contrées du monde.

«C'est avec une vive satisfaction que nous avons vu nos peuples du
royaume d'Italie, ceux de l'ancienne Hollande et des départemens réunis,
rivaliser avec les anciens Français, et sentir qu'il n'y a pour eux
d'espérance, d'avenir et de bien, que dans la consolidation et le
triomphe du grand empire.

«Les agens de l'Angleterre propagent chez tous nos voisins l'esprit de
révolte contre les souverains. L'Angleterre voudrait voir le continent
entier en proie à la guerre civile et à toutes les fureurs de
l'anarchie; mais la Providence l'a elle-même désignée pour être la
première victime de l'anarchie et de la guerre civile.

«J'ai signé directement avec le pape un concordat qui termine tous
les différens qui s'étaient malheureusement élevés dans l'église. La
dynastie française règne et régnera en Espagne. Je suis satisfait de la
conduite de tous mes alliés. Je n'en abandonnerai aucun; je maintiendrai
l'intégrité de leurs états. Les Russes rentreront dans leur affreux
climat.

«Je désire la paix; elle est nécessaire au monde. Quatre fois, depuis
la rupture qui a suivi le traité d'Amiens, je l'ai proposée dans des
démarches solennelles. Je ne ferai jamais qu'une paix honorable et
conforme aux intérêts et à la grandeur de mon empire. Ma politique n'est
point mystérieuse; j'ai fait connaître les sacrifices que je pouvais
faire.

«Tant que cette guerre maritime durera, mes peuples doivent se tenir
prêts à toute espèce de sacrifices; car une mauvaise paix ferait
tout perdre, jusqu'à l'espérance, et tout serait compromis, même la
prospérité de nos neveux.

«L'Amérique a recouru aux armes pour faire respecter la souveraineté de
son pavillon; les voeux du monde l'accompagnent dans cette glorieuse
lutte. Si elle la termine en obligeant les ennemis du continent à
reconnaître le principe que le pavillon couvre la marchandise et
l'équipage, et que les neutres ne doivent pas être soumis à des
blocus sur le papier, le tout conformément aux stipulations du traité
d'Utrecht, l'Amérique aura mérité de tous les peuples. La postérité
dira que l'ancien monde avait perdu ses droits, et que le nouveau les a
reconquis.

«Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître, dans l'exposé de
la situation de l'empire, l'état prospère de l'agriculture, des
manufactures et de notre commerce intérieur, ainsi que l'accroissement
toujours constant de notre population. Dans aucun siècle l'agriculture
et les manufactures n'ont été en France à un plus haut degré de
prospérité.

«J'ai besoin de grandes ressources pour faire face à toutes les dépenses
qu'exigent les circonstances; mais moyennant différentes mesures que
vous proposera mon ministre des finances, je ne devrai imposer aucune
nouvelle charge à mes peuples.»



De notre palais de l'Elysée, le 30 mars 1813.

_Lettres-patentes._

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
Français, roi d'Italie; protecteur de la confédération du Rhin,
médiateur de la confédération suisse, etc., etc;

A tous ceux qui ces présentes verront, salut.

Voulant donner à notre bien-aimée épouse l'impératrice et reine
Marie-Louise, des marques de la haute confiance que nous avons en elle,
nous avons résolu de l'investir, comme nous l'investissons par ces
présentes, du droit d'assister aux conseils du cabinet, lorsqu'il en
sera convoqué pendant la durée de mon règne, pour l'examen des affaires
les plus importantes de l'état; et attendu que nous sommes dans
l'intention d'aller incessamment nous mettre à la tête de nos armées,
pour délivrer le territoire de nos alliés, nous avons également résolu
de conférer, comme nous conférons par ces présentes, à notre bien-aimée
épouse l'impératrice et reine, le titre de régente, pour en exercer les
fonctions, en conformité de nos intentions et de nos ordres, tels que
nous les aurons fait transcrire sur le livre de l'état; entendant
qu'il soit donné connaissance aux princes grands dignitaires et à
nos ministres, desdits ordres et instructions, et qu'en aucun cas,
l'impératrice ne puisse s'écarter de leur teneur, dans l'exercice des
fonctions de régente.

Voulons que l'impératrice-régente préside, en notre nom, le sénat, le
conseil-d'état, le conseil des ministres et le conseil privé, notamment
pour l'examen des recours en grâce, sur lesquels nous l'autorisons
à prononcer, après avoir entendu les membres dudit conseil privé.
Toutefois notre intention n'est point que par suite de la présidence
conférée à l'impératrice-régente, elle puisse autoriser par sa
signature, la présentation d'aucun sénatus-consulte, ou proclamer aucune
loi de l'état; nous référant à cet égard au contenu des ordres et
instructions mentionnées ci-dessus.

Mandons à notre cousin le prince archi-chancelier de l'empire, de donner
communication des présentes lettres-patentes au sénat, qui les fera
transcrire sur ses registres, et à notre grand-juge ministre de la
justice, de les faire publier au bulletin des lois, et de les adresser à
nos cours impériales, pour y être lues, publiées et transcrites sur les
registres d'icelles.

NAPOLÉON.



En notre palais de l'Elysée-Napoléon, le 3 avril 1813.

_Message de l'empereur et roi au Sénat._

Sénateurs,

Conformément aux constitutions de l'empire, nous vous présentons comme
candidats pour la place vacante au sénat par la mort du comte de
Bougainville, le baron Lacuée, premier président de la cour impériale
d'Agen, présenté par le collège électoral du département de
Lot-et-Garonne; le baron d'Haubersaert, premier président de la cour
impériale de Douai, présenté par le collège électoral du département
du Nord; le président Berthereau, présenté par le collège électoral du
département de la Seine.

Nous sommes bien aise que nos cours impériales voient dans le choix
de ces trois magistrats notre satisfaction de la manière dont elles
remplissent nos voeux pour l'administration de la justice.

NAPOLÉON.



En notre palais de l'Elysée-Napoléon, le 5 avril 1813.

_Message de l'empereur et roi au Sénat._

Sénateurs,

Nous avons nommé pour remplir les treize places vacantes au sénat:

Le cardinal Bayane, prélat distingué par ses vertus religieuses,
l'étendue de ses lumières et les services qu'il a rendus à la patrie; il
a travaillé au concordat de Fontainebleau, qui complète les libertés de
nos églises; oeuvre commencée par saint Louis, continuée par Louis XIV,
et achevée par nous; le baron Bourlier, évêque d'Evreux, le doyen de nos
évêques, l'un des docteurs les plus distingués de la Sorbonne de Paris,
société qui a rendu de si importans services à l'état, en démêlant, au
milieu des ténèbres des siècles, les vrais principes de notre religion,
d'avec les prétentions subversives de l'indépendance des couronnes. Nous
désirons que le clergé de notre empire voie dans ces choix un témoignage
de la satisfaction que nous avons de sa fidélité, de ses lumières et de
son attachement à notre personne.

Le comte Legrand, général de division, couvert d'honorables blessures,
et auquel nous avons les plus grandes obligations pour les services
qu'il nous a rendus dans les circonstances les plus importantes.

Le comte Chasseloup-Laubat, le comte Gassendi, et le comte Saint-Marsan,
conseillers en notre conseil-d'état. Nous désirons que notre conseil
voie dans cette distinction accordée à trois de ses membres, le
contentement que nous avons de ses services;

Le comte Barbé-Marnois, premier président de notre cour des comptes: en
peu d'années et par un travail assidu, notre cour des comptes a liquidé
tout l'arriéré, et atteint le but pour lequel nous l'avions instituée.

Le comte De Crois, l'un de nos chambellans, présenté par le collège
électoral du département de Sambre et Meuse: les officiers de notre
maison verront dans cette distinction accordée à l'un d'eux, la
satisfaction que nous avons de la fidélité et de l'attachement qu'ils
nous montrent dans toutes les circonstances.

Le duc de Cadore, ministre d'état, intendant-général de notre maison;
le duc de Frioul, notre grand-maréchal; le comte de Montesquiou, notre
grand-chambellan; le duc de Vicence, notre grand-écuyer; le comte de
Ségur, notre grand-maître des cérémonies.

Nous voyons de l'utilité à faire siéger au sénat les grands-officiers
de notre couronne; nous sommes bien aise de leur donner cette preuve de
notre satisfaction.

NAPOLÉON.



CAMPAGNE DE SAXE.

LIVRE HUITIÈME.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente.[1]

SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DARS LE NORD, AU 30 MARS.

[Note 1: Dans cette campagne et dans la suivante, Napoléon, comme
s'il eût prévu que la victoire allait l'abandonner pour toujours, cessa
d'envoyer dans sa capitale ces bulletins guerriers, fidèles témoignages
de ses succès sur les champs de bataille. Les nouvelles des armées
étaient adressées à l'impératrice, et Publiées par extrait dans le
Moniteur. Mais la rédaction n'en appartenait pas moins à l'empereur, et
c'est à ce titre que nous les publions. Il sera curieux de comparer la
peinture de nos revers tracée de la même main qui avait improvisé les
brillans bulletins d'Austerlitz, de Iéna et de Friedland.]

La garnison de Dantzick avait éloigné l'ennemi de toutes les hauteurs
d'Oliva, dans les premiers jours de mars.

Les garnisons de Thorn et de Modlin étaient dans le meilleur état. Le
corps qui bloquait Zamosc s'en était éloigné.

Sur l'Oder, les places de Stettin, Custrin et Glogau n'étaient pas
assiégées. L'ennemi se tenait hors de la portée du canon de ces
forteresses. La garnison de Stettin avait brûlé tous les faubourgs et
préparé tout le terrain autour de la place.

La garnison de Spandau avait également brûlé tout ce qui pouvait gêner
la défense de la place.

Sur l'Elbe, le 17, on avait fait sauter une arche du pont de Dresde, et
le général Durutte avait pris position sur la rive gauche. Les Saxons
s'étaient portés autour de Torgau.

Le vice-roi était parti de Leipsick, et avait porté, le 21, son
quartier-général à Magdebourg.

Le général Lapoype commandait à Wittenberg le pont et la place, qui
étaient armés et approvisionnés pour plusieurs mois. On l'avait remise
en bon état.

Arrivé à Magdebourg, le vice-roi avait envoyé le 22 le général Lauriston
sur la rive droite de l'Elbe. Le général Maison s'était porté à Mockern
et avait poussé des postes sur Burg et Ziczar; il n'a trouvé que
quelques pulks de troupes légères, qu'il a culbutés et sur lesquels il a
pris ou tué une soixantaine d'hommes.

Le 12, le général Carra-Saint-Cyr, commandant la trente-deuxième
division militaire, avait jugé convenable de repasser sur la rive gauche
de l'Elbe, et de laisser Hambourg à la garde des autorités et des gardes
nationales. Du 15 au 20, différentes insurrections se manifestèrent dans
les départemens des Bouches-de-l'Elbe et de l'Ems.

Le général Morand, qui occupait la Poméranie suédoise, ayant appris
l'évacuation de Berlin, faisait sa retraite sur Hambourg. Il passa
l'Elbe à Zollenpischer, et le 17, il fit sa jonction avec le général
Carra-Saint-Cyr. Deux cents hommes de troupes légères ennemies ayant
atteint son arrière-garde, il les fit charger et leur tua quelques
hommes. Le général Morand se porta sur la rive gauche, et le général
Saint-Cyr se dirigea sur Brème.

Le 24, le général Saint-Cyr fit partir deux colonnes mobiles, pour
se porter sur les batteries de Calsbourg et de Blexen, que des
contrebandiers aidés des paysans et de quelques débarquemens anglais
avaient enlevées. Ces colonnes ont mis les insurgés en déroute et repris
les batteries. Les chefs ont été pris et fusillés. Les Anglais
débarqués n'étaient qu'une centaine; on n'a pu leur faire que quarante
prisonniers.

Le vice-roi avait réuni toute son armée, forte de cent mille hommes et
de trois cents pièces de canon, autour de Magdebourg, manoeuvrant sur
les deux rives.

Le général de brigade Montbrun, qui, avec une brigade de cavalerie,
occupait Steindal, ayant appris que l'ennemi avait passé le bas Elbe
dans des bateaux près de Werden, s'y porta le 28, chassa les troupes
légères de l'ennemi, et entra dans Werden au galop. Le quatrième
de lanciers exécuta une charge à fond, dans laquelle il tua une
cinquantaine de cosaques et en prit douze. L'ennemi se hâta de regagner
la rive droite de l'Elbe. Trois gros bateaux furent coulés bas, et
quelques barques chavirèrent; elles pouvaient être chargées de soixante
chevaux et d'un pareil nombre d'hommes. On a pu sauver dix-sept
cavaliers, parmi lesquels se sont trouvés deux officiers, dont un
aide-de-camp du général Dornberg, qui commandait cette colonne.

Il paraît qu'un corps de troupes légères, d'un millier de chevaux, de
deux mille hommes d'infanterie et de six pièces de canon, est parvenu à
se diriger du côté de Brunswick, pour exciter à la révolte le Hanovre et
le royaume de Westphalie. Le roi de Westphalie s'est mis à la poursuite
de ce corps, et d'autres colonnes envoyées par le vice-roi arrivent sur
ses derrières.

Quinze cents hommes de troupes légères ennemies ont passé l'Elbe le 27,
près de Dresde, sur des batelets. Le général Durutte marche sur eux. Les
Saxons avaient laissé ce point dégarni, en se groupant autour de Torgau.

Le prince de la Moskwa était arrivé le 26 avec son quartier-général et
son corps d'armée à Wurtzbourg; son avant-garde débouchait des montagnes
de la Thuringe.

Le duc de Raguse a porté le 22 mars son quartier-général à Hanau; ses
divisions s'y réunissaient.

Au 30 mars, l'avant-garde du corps d'observation d'Italie était arrivée
à Augsbourg. Tout le corps traversait le Tyrol.

Le 27, le général Vandamme arrivait de sa personne à Brème. Les
divisions Dumonceau et Dufour avaient déjà dépassé Wesel.

Indépendamment de l'armée du vice-roi, des armées du Mein et du corps du
roi de Westphalie, il y aura dans la première quinzaine d'avril, près de
cinquante mille hommes dans la trente-deuxième division militaire, afin
de faire un exemple sévère des insurrections qui ont troublé cette
division. Le comte de Bentink, maire de Varel, a eu l'infamie de se
mettre à la tête des révoltés. Ses propriétés seront confisquées, et il
aura, par sa trahison, consommé à jamais la ruine de sa famille.

Pendant tout le mois de mars, il n'y a eu aucune affaire. Dans toutes
les escarmouches, dont celle du 28 (à Werden) est, de beaucoup, la plus
considérable, l'armée française a toujours eu le dessus.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU 5 AVRIL.

Les nouvelles de Dantzick étaient satisfaisantes. La nombreuse garnison
a formé des camps en dehors. L'ennemi se tenait éloigné de la place, et
ne paraissait pas en disposition de rien tenter. Deux frégates anglaises
s'étaient fait voir devant la place.

A Thorn, il n'y avait rien de nouveau. On y avait mis le temps à profit
pour améliorer les fortifications.

L'ennemi n'avait que très-peu de forces devant Modlin; le général
Daendels en a profité pour faire une sortie, a repoussé le corps ennemi,
et s'est emparé d'un gros convoi, où il y avait entre autres cinq cents
boeufs.

La garnison de Zamosc est maîtresse du pays à six lieues à la ronde,
l'ennemi n'observant cette place qu'avec quelque cavalerie légère.

Le général Frimont et le prince Poniatowski étaient toujours dans la
même position sur la Pilica.

Stettin, Custrin et Glogau étaient dans le même état. L'ennemi
paraissait avoir des projets sur Glogau dont le blocus était resserré.

Le corps ennemi qui, le 27 mars, a passé l'Elbe à Werden, et dont
l'arrière-garde a été défaite le 28 par le général Montbrun, et jetée
dans la rivière, s'était dirigé sur Luxembourg.

Le 29, le général Morand partit de Brême, et se porta sur Lunebourg, où
il arriva le premier avril. Les habitans, soutenus par quelques troupes
légères de l'ennemi, voulurent faire résistance; les portes furent
enfoncées à coups de canon, une trentaine de ces rebelles passés par les
armes, et la ville fut soumise.

Le 2, le corps ennemi qu'on supposait de trois à quatre mille hommes,
cavalerie, infanterie et artillerie, se présenta devant Lunebourg. Le
général Morand marcha à sa rencontre avec sa colonne, composée de huit
cents Saxons, et de deux cents Français, avec une trentaine de cavaliers
et quatre pièces de canon. La canonnade s'engagea. L'ennemi avait été
forcé de quitter plusieurs positions, lorsque le général Morand fut tué
par un boulet. Le commandement passa à un colonel saxon. Les troupes,
étonnées de la perte de leur chef, se replièrent dans la ville; et après
s'y être défendues pendant une demi-journée, elles capitulèrent le soir.
L'ennemi fit ainsi prisonniers sept cents Saxons et deux cents Français.
Une partie des prisonniers ont été repris.

Le lendemain, le général Montbrun, commandant l'avant-garde du corps
du prince d'Eckmühl, arriva à Lunebourg. L'ennemi, instruit de son
approche, avait évacué la ville en toute hâte et repassé l'Elbe. Le
prince d'Eckmühl, arrivé le 4, a forcé l'ennemi à retirer tous ses
partis de la rive gauche de l'Elbe, et a fait occuper Stade.

Le 5, le général Vandamme avait réuni à Brême les divisions Saint-Cyr et
Dufour. Le général Dumonceau, avec sa division, était à Minden.

Le vice-roi a rencontré, le 2 avril, une division prussienne en avant de
Magdebourg sur la rive droite de l'Elbe, l'a culbutée, l'a poursuivie
l'espace de plusieurs lieues, et lui a fait quelques centaines de
prisonniers.

La brigade bavaroise, qui fait partie de la division du général Durutte,
a eu, le 29 mars, une affaire à Coldiz avec la cavalerie ennemie. Cette
infanterie a repoussé toutes les charges que l'ennemi a tentées sur
elle, et lui a tué plus de cent hommes, parmi lesquels on a reconnu un
colonel et plusieurs officiers. La perte des Bavarois n'a été que de
seize hommes blessés. Depuis lors le général Durutte a continué son
mouvement sans être inquiété, pour se porter sur la Saale à Bernbourg.

Un détachement de cavalerie ennemie était entré le 5 dans Leipsick.

Le duc de Bellune était en observation à Calbe et Bernbourg sur la
Saale.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU 10 AVRIL

Le 5, la trente-cinquième division, commandée par le général Grenier,
a eu une affaire d'avant-postes sur la rive droite de l'Elbe, à quatre
lieues de Magdebourg. Quatre bataillons de cette division seulement
ont été engagés. L'infanterie a montré son intrépidité ordinaire, et
l'ennemi a été repoussé.

Le 7, le vice-roi étant instruit que l'ennemi avait passé l'Elbe à
Dessau, a envoyé le cinquième corps et une partie du onzième pour
appuyer le deuxième corps, commandé par le duc de Bellune. Lui-même il
s'est porté à Stassfurt, où son quartier-général était le 9, et il a
réuni son armée sur la Saale, la gauche à l'Elbe, la droite appuyée aux
montagnes du Hartz, et la réserve à Magdebourg.

Le prince d'Eckmühl, qui le 8 avait son quartier-général à Lunebourg, se
mettait en marche pour se rapprocher de Magdebourg.

L'artillerie des divisions du général Vandamme arrivait à Brême et à
Minden.

La tête d'un corps composé de deux divisions, qui doit prendre position
à Wesel, sous les ordres du général Lemarrois, commençait à arriver.

Le 10, le général Souham avait envoyé un régiment à Erfurt, où on
n'avait pas encore de nouvelles des troupes légères de l'ennemi.

Le duc de Raguse prenait position sur les hauteurs d'Eisenach.

L'armée française du Mein paraissait en mouvement dans différentes
directions.

Le prince de Neufchâtel était attendu à Mayence.

Une partie de l'état-major de l'empereur y était arrivée, ce qui faisait
présumer l'arrivée prochaine de ce souverain.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU 20 AVRIL.

Dantzick, Thorn, Modlin, Zamosc, étaient dans le même état.

Stettin, Custrin, Glogau, Spandau, n'étaient que faiblement bloqués.

Magdebourg était le point de réserve du vice-roi.

Wittemberg et Torgau étaient en bon état. La garnison de Wittemberg
avait repoussé l'attaque de vive force.

Le général Vandamme était en avant de Brême; le général Sébastiani entre
Celle et le Weser; le vice-roi dans la même position, la gauche sur
l'Elbe, à l'embouchure de la Saale, et la droite au Hartz, occupant
Bernbourg, sa réserve à Magdebourg.

Le prince de la Moskwa était à Erfurt; le duc de Raguse à Gotha,
occupant Langen-Saltza; le duc d'Istrie à Eisenach; le comte Bertrand à
Cobourg.

Le général Souham était à Weymar. La ville avait été occupée par trois
cents hussards prussiens, qui furent éparpillés dans la journée du 19
par un escadron du dixième de hussards, et un escadron badois, sous
les ordres du général Laboissière. On leur a pris soixante hussards et
quatre officiers, parmi lesquels se trouve un aide-de-camp du général
Blucher.



Mayence, le 24 avril 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

S. M. l'empereur a passé, le 22 du mois, la revue de quatre beaux
régimens de la vieille garde; il a témoigné sa satisfaction du bel état
des ces troupes; elles sont arrivées à Mayence en poste, et n'ont mis
que six jours pour faire la route; elles étaient si peu fatiguées,
qu'elles ont passé le Rhin sur-le-champ. Le général Curial est arrivé à
Mayence avec les cadres des douze nouveaux régimens de la jeune garde
qui s'organisent en cette ville. Toutes les fournitures destinées à
l'équipement de ces troupes sont arrivées à Mayence par les transports
accélérés.

Le duc de Castiglione a été nommé gouverneur militaire des grands-duchés
de Francfort et de Wurtzbourg. La citadelle de Wurtzbourg a été armée et
approvisionnée.

Les bruits qui avaient été répandus sur une prétendue défaite du général
Sébastiani et sur la mort de ses aides-de-camp sont faux et controuvés;
au contraire, se proposant d'attirer l'ennemi à lui, il ordonna au
général Maurin d'évacuer Celle; douze cents cosaques s'y jetèrent
sur-le-champ. Le 28, le général Maurin rentra précipitamment dans Celle,
pêle-mêle avec l'ennemi, qui fut mis dans une déroute complète, et
perdit une cinquantaine de tués, grand nombre de blessés et une centaine
de prisonniers.

Pendant ce temps, le général Sébastiani se portait sur Ueltzen; il
chassa de Gros-OEsingen un parti de six cents cosaques, qui se reploya
sur Sprakensehl, où l'ennemi avait réuni quinze cents cavaliers. Le
général Sébastiani les fit aussitôt charger et enfoncer; on leur a
tué vingt-cinq hommes, blessé beaucoup plus, et pris une vingtaine de
cosaques; les fuyards ont été poursuivis jusque près d'Ueltzen.

Le général Vandamme commande à Brême; il a sous ses ordres les trois
divisions Dufour, Saint-Cyr et Dumonceau.

L'effervescence des esprits se calme dans la trente-deuxième division
militaire; la quantité de forces qu'on voit arriver de tous côtés, les
exemples sévères qu'on a faits sur les chefs des complots, mais surtout
le peu de monde que l'ennemi a pu montrer sur ce point, ont comprimé la
malveillance.

Le duc de Reggio est parti le 23 de Mayence pour prendre le commandement
du douzième corps de la grande-armée.

Au 24, la plus grande partie de l'armée avait passé les montagnes de la
Thuringe.

Le roi de Saxe ayant jugé convenable de s'approcher le plus possible de
Dresde, s'est porté sur Prague.

S. M. l'empereur est parti le 24, à huit heures du soir, de Mayence.

Le duc de Dalmatie a repris les fonctions de colonel-général de la
garde. S. M. a envoyé à Wetzlar le duc de Trévise pour organiser le
corps polonais du général Dombrowski, et en former deux régimens
d'infanterie, deux régimens de cavalerie et deux batteries d'artillerie.
S. M. a pris ce corps à sa solde depuis le premier janvier.

Le prince d'Eckmühl s'est rendu dans la trente-deuxième division
militaire, pour y exercer, vu les circonstances, les pouvoirs
extraordinaires délégués par le sénatus-consulte du 3 avril.



Le 25 avril 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

La place de Thorn a capitulé; la garnison retourne en Bavière; elle
était composée de six cents Français et de deux mille sept cents
Bavarois: dans ce nombre de trois mille trois cents hommes, douze
cents étaient aux hôpitaux. Aucun préparatif n'annonçait encore le
commencement du siége de Dantzick: la garnison était en bon état et
maîtresse des dehors. Modlin et Zamosk n'étaient point sérieusement
inquiétés. A Stettin, un combat très-vif avait eu lieu. L'ennemi, ayant
voulu s'introduire entre Stettin et Dam, avait été culbuté dans les
marais, et quinze cents Prussiens y avaient été tués ou pris.

Une lettre reçue de Glogau faisait connaître que cette place, au 12
avril, était dans le meilleur état. Il n'y avait rien de nouveau à
Custrin. Spandau était assiégé: un magasin à poudre y avait sauté, et
l'ennemi ayant cru pouvoir profiter de cette circonstance pour donner
l'assaut, avait été repoussé après avoir perdu mille hommes tués ou
blessés. On n'a point fait de prisonniers, parce qu'on était séparé par
des marais.

Les Russes ont jeté des obus dans Wittenberg, et brûlé une partie de
la ville. Ils ont voulu tenter une attaque de vive force qui ne leur a
point réussi. Ils y ont perdu cinq à six cents hommes.

La position de l'armée russe paraissait être la suivante: un corps de
partisans, commandé par un nommé Dornberg qui, en 1809, était capitaine
des gardes du roi de Westphalie, et qui le trahit lâchement, était à
Hambourg et faisait des courses entre l'Elbe et le Weser. Le général
Sébastiani était parti pour lui couper l'Elbe.

Les deux corps prussiens des généraux Lecoq et Blucher paraissaient
occuper, le premier, la rive droite de la Basse-Saale; le second, la
rive droite de la Haute-Saale.

Les généraux russes Wintzingerode et Wittgenstein occupaient Leipsick;
le général Barclay de Tolly était sur la Vistule, observant Dantzick;
le général Saken était devant le corps autrichien, dans la direction de
Cracovie, sur la Pilica.

L'empereur Alexandre avec la garde russe, et le général Kutusow ayant
une vingtaine de mille hommes, paraissaient être sur l'Oder; ils
s'étaient fait annoncer à Dresde pour le 12 avril, ils s'y étaient fait
depuis annoncer pour le 20: aucune de ces annonces ne s'est réalisée.

L'ennemi paraissait vouloir se maintenir sur la Saale.

Les Saxons étaient dans Torgau.

Voici la position de l'armée française:

Le vice-roi avait son quartier-général à Mansfeld, la gauche appuyée à
l'embouchure de la Saale, occupant Calbe et Bernbourg, où est le duc
de Bellune. Le général Lauriston, avec le cinquième corps, occupait
Asleben, Sondersleben et Gerbstet. La trente-unième division était sur
Eisleben, la trente-sixième et la trente-cinquième étaient en arrière en
réserve. Le prince de la Moskwa avait son corps en avant de Weymar. Le
duc de Raguse était à Gotha; le quatrième corps, commandé par le général
Bertrand, était à Saalfeld; le douzième corps, sous les ordres du duc de
Reggio, arrivant à Cobourg.

La garde est à Erfurt, où l'empereur est arrivé le 25 à onze heures
du soir. Le 26, S. M. a passé la revue de la garde, et a visité les
fortifications de la ville et de la citadelle. Elle a fait désigner
des locaux pour y établir des hôpitaux qui pussent contenir six mille
malades ou blessés, ayant ordonné qu'Erfurt serait la dernière ligne
d'évacuation.

Le 27, l'empereur a passé en revue la division Bonnet, faisant partie du
sixième corps aux ordres du duc de Raguse.

Toute l'armée paraissait en mouvement: déjà tous les partis que l'ennemi
avait sur la rive gauche de la Saale se sont déployés. Trois mille
hommes de cavalerie s'étaient portés sur Nordhausen pour pénétrer dans
le Hartz, et un autre parti sur Heiligenstadt pour menacer Cassel: tout
cela s'est reployé avec précipitation, en laissant des malades, des
blessés, et des traînards qui ont été faits prisonniers. Depuis les
hauteurs d'Ebersdorf jusqu'à l'embouchure de la Saale, il n'y a plus
d'ennemis sur la rive gauche.

La jonction entre l'armée de l'Elbe et l'armée du Mein doit s'opérer le
27 entre Naumbourg et Mersebourg.



Le 28 avril 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur était le 28 à Naumbourg: le prince
de la Moskwa avait passé la Saale. Le général Souham avait culbuté une
avant-garde de deux mille hommes qui avait voulu s'opposer au passage
de la rivière. Tout le corps du prince de la Moskwa était en bataille
au-delà de Naumbourg.

Le général Bertrand occupait Jéna et avait son corps rangé sur le fameux
champ de bataille d'Jéna.

Le duc de Reggio, avec le douzième corps, arrivait à Saalfeld.

Le vice-roi débouchait par Halle et Mersebourg.

Le général Sébastiani s'était porté, le 24, sur Velzen; il avait culbuté
un corps de quatre mille aventuriers, commandés par le général russe
Czenicheff; il avait dispersé son infanterie; il avait pris une partie
de ses bagages et de son artillerie, et le poursuivait l'épée dans les
reins sur Lunebourg.



Le 30 avril 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 29, l'empereur avait porté son quartier général à Naumbourg.

Le prince de la Moskwa s'était porté sur Weissenfels. Son avant-garde,
commandée par le général Souham, arriva près de cette ville à deux
heures après midi, et se trouva en présence du général russe Lanskoi,
commandant une division de six à sept mille hommes de cavalerie,
d'infanterie et d'artillerie. Le général Souham n'avait pas de
cavalerie; mais, sans en attendre, il marcha à l'ennemi et le culbuta de
ses différentes positions. L'ennemi démasqua douze pièces de canon; le
général Souham en fit mettre un pareil nombre en batterie. La canonnade
devint vive et fit des ravages dans les rangs russes qui étaient à
cheval et à découvert, tandis que nos pièces étaient soutenues par des
tirailleurs placés dans des ravins et dans des villages. Le général
de brigade Chemineau s'est fait remarquer. L'ennemi essaya plusieurs
charges de cavalerie: notre infanterie le reçut en carré et par un
feu de file qui couvrit le champ de bataille de cadavres russes et de
chevaux. Le prince de la Moskwa dit qu'il n'a jamais vu à la fois plus
d'enthousiasme et de sang-froid dans l'infanterie. Nous entrâmes dans
Weissenfels; mais voyant que l'ennemi voulait tenir près de la ville,
l'infanterie marcha à lui au pas de charge, les schakos au bout des
fusils et aux cris de _vive l'empereur!_ La division ennemie se mit en
retraite. Notre perte en tués et blessés a été d'une centaine d'hommes.

Le 27, le comte Lauriston s'était porté sur Wettin, où l'ennemi avait un
pont. Le général Maison fit placer une batterie qui obligea l'ennemi à
brûler le pont, et il s'empara de la tête de pont, que l'ennemi avait
construite.

Le 28, le comte Lauriston se porta vis-à-vis Hall, où un corps prussien
occupait une tête de pont, culbuta l'ennemi et l'obligea d'évacuer cette
tête de pont et de couper le pont. Une canonnade très-vive s'en était
suivie d'une rive à l'autre. Notre perte a été de soixante-sept hommes;
celle de l'ennemi a été bien plus considérable.

Le vice-roi avait ordonné au maréchal duc de Tarente de se porter sur
Mersebourg. Le 29, à quatre heures après midi, ce maréchal arriva
devant cette ville; il y trouva deux mille Prussiens qui voulurent s'y
défendre; ces Prussiens étaient du corps d'Yorck, de ceux mêmes que le
maréchal commandait en chef et qui l'avaient abandonné sur le Niémen.
Le maréchal entra de vive force, leur tua du monde, leur fit deux cents
prisonniers, parmi lesquels se trouve un major, et s'empara de la ville
et du pont.

Le comte Bertrand avait, le 29, son quartier-général à Dornburg, sur la
Saale, occupant par une de ses divisions le pont d'Jéna.

Le duc de Raguse avait son quartier-général à Koesen sur la Saale; le
duc de Reggio avait son quartier-général à Saalfeld sur la Saale.

Ce combat de Weissenfels est remarquable parce que c'est une lutte
d'infanterie et de cavalerie en égal nombre et en rase plaine, et que
l'avantage y est resté à notre infanterie. On a vu de jeunes bataillons
se comporter avec autant de sang-froid et d'impétuosité que les vieilles
troupes.

Ainsi, pour le début de cette campagne, l'ennemi est chassé de tout ce
qu'il occupait sur la rive gauche de la Saale; nous sommes maîtres de
tous les débouchés de cette rivière; la jonction entre les armées de
l'Elbe et du Mein est opérée, et les villes importantes de Naumbourg, de
Weissenfels et de Mersebourg ont été occupées de vive force.



Weymar, le 30 avril 1813.

S. M. l'empereur et roi a passé ici le 28 à deux heures après midi. Le
duc de Weymar et le prince Bernard avaient été à sa rencontre jusqu'aux
limites du territoire. S. M. est descendue au palais et s'est entretenue
près de deux heures avec la duchesse; après quoi S. M. est montée à
cheval pour se rendre à six lieues d'ici, à Eckarsberg, où était son
quartier-général. Les princes ayant reconduit S. M. jusque-là, ont eu
l'honneur d'y dîner le soir avec elle à son quartier-général.

La quantité de troupes qui passe ici est innombrable. Jamais on n'a vu
de plus beaux trains d'artillerie ni de convois d'équipages militaires
en meilleur état.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

SITUATION DES ARMÉES FRANÇAISES DANS LE NORD, AU PREMIER MAI.

L'empereur avait porté son quartier-général à Weissenfels; le vice-roi
avait porté le sien à Mersebourg; le général Maison était entré à Halle;
le duc de Raguse avait son quartier-général à Naumbourg; le comte
Bertrand était à Stohssen; le duc de Reggio avait son quartier-général à
Jéna.

Il a beaucoup plu dans la journée de 30: le premier mai, le temps était
meilleur.

Trois ponts avaient été jetés sur la Saale, à Weissenfels: des ouvrages
de campagne avaient été commencés à Naumbourg, et trois ponts jetés sur
la Saale.

Quinze grenadiers du treizième de ligne se trouvant entre Saalfeld et
Jéna, furent entourés par quatre-vingt-quinze hussards prussiens.
Le commandant, qui était un colonel, s'avança en disant: _Français,
rendez-vous!_ Le sergent l'ajusta et le jeta par terre roide mort. Les
autres grenadiers se pelotonnèrent, tuèrent sept Prussiens, et les
hussards s'en allèrent plus vite qu'ils n'étaient venus.

Les différens partis de la vieille garde se sont réunis à Weissenfels;
le général de division Roguet les commande.

L'empereur a visité tous les avant-postes: malgré le mauvais temps, S.
M. jouit d'une très-bonne santé.

Le premier coup de sabre qui a été donné à ce renouvellement de
campagne, a coupé l'oreille au fils du général Blucher, général-major.
C'est par un maréchal-des-logis du dixième de hussards que ce coup de
sabre a été donné. Les habitans de Weymar ont remarqué que le premier
coup de sabre donné dans la campagne de 1806 à Saalfeld, et qui a tué le
prince Louis de Prusse, a été donné aussi par un maréchal-des-logis de
ce même régiment.



Le 2 mai, à neuf heures du matin.

_A. S. l'impératrice-reine et régente._

Le premier mai, l'empereur monta à cheval à neuf heures du matin, avec
le prince de la Moskwa et le général Souham. La division Souham se mit
en mouvement vers la belle plaine qui commence sur les hauteurs de
Weissenfels et s'étend jusqu'à l'Elbe. Cette division se forma en quatre
carrés de quatre bataillons chacun, chaque carré à cinq cents toises
l'un de l'autre, et ayant quatre pièces de canon. Derrière les carrés se
plaça la brigade de cavalerie du général Laboissière, sous les ordres du
comte de Valmy qui venait d'arriver. Les divisions Gérard et Marchand
venaient d'arriver en échelons et formées de la même manière que la
division Souham. Le maréchal duc d'Istrie tenait la droite avec toute la
cavalerie de la garde.

A onze heures, ces dispositions faites, le prince de la Moskwa, en
présence d'une nuée de cavalerie ennemie qui couvrait la plaine, se mit
en mouvement sur le défilé de Poserna. On s'empara de différens villages
sans coup férir. L'ennemi occupait, sur les hauteurs du défilé, une de
plus belles positions qu'on puisse avoir; il avait six pièces de canon,
et présentait trois lignes de cavalerie.

Le premier carré passa le défilé au pas de charge et aux cris de _vive
l'empereur_ long-temps prolongés sur toute la ligne. On s'empara de la
hauteur. Les quatre carrés de la division Souham dépassèrent le défilé.

Deux autres divisions de cavalerie vinrent alors renforcer l'ennemi avec
vingt pièces de canon. La canonnade devint vive; l'ennemi ploya partout:
la division Souham se dirigea sur Lutzen; la division Gérard prit
la direction de la route de Pegau. L'empereur voulant renforcer les
batteries de cette dernière division, envoya douze pièces de la garde,
sous les ordres de son aide-de-camp le général Drouot, et ce renfort
fit merveille. Les rangs de la cavalerie ennemie furent culbutés par la
mitraille.

Au même moment, le vice-roi débouchait de Mersebourg, avec le onzième
corps, commandé par le duc de Tarente, et le cinquième, commandé par le
général Lauriston: le corps du général Lauriston tenait la gauche sur la
grande route de Mersebourg à Leipsick; celui du duc de Tarente, où
était le vice-roi, tenait la droite. Le vice-roi ayant entendu la vive
canonnade qui avait lieu près de Lutzen, fit un mouvement à droite, et
l'empereur se trouva presqu'au même moment au village de Lutzen.

La division Marchand, et successivement les divisions Brenier et Ricard
passèrent le défilé; mais l'affaire était décidée quand elles entrèrent
en ligne.

Quinze mille hommes de cavalerie ont donc été chassés de ces belles
plaines, à peu près par un pareil nombre d'infanterie. C'est le général
Wintzingerode qui commandait ces trois divisions, dont une était celle
du général Lanskoi; l'ennemi n'a montré qu'une division d'infanterie.
Devenu plus prudent par le combat de Weissenfels, et étonné du bel ordre
et du sang-froid de notre marche, l'ennemi n'a osé aborder d'aucune part
l'infanterie, et il a été écrasé par notre mitraille. Notre perte se
monte à trente-trois hommes tués et cinquante-cinq blessés, dont un chef
de bataillon. Cette perte pourrait être considérée comme extrêmement
légère, en comparaison de celle de l'ennemi qui a eu trois colonels,
trente officiers et quatre cents hommes tués ou blessés, outre un grand
nombre de chevaux; mais par une de ces fatalités dont l'histoire de la
guerre est pleine, le premier coup de canon qui fut tiré dans cette
journée, coupa le poignet au duc d'Istrie, lui perça la poitrine, et
le jeta roide mort. Il s'était avancé à cinq cents pas du côté des
tirailleurs pour bien reconnaître la plaine. Ce maréchal qu'on peut à
juste titre nommer brave et juste, était recommandable autant par
son coup-d'oeil militaire, par sa grande expérience de l'arme de la
cavalerie, que par ses qualités civiles et son attachement à l'empereur.
Sa mort sur le champ d'honneur est la plus digne d'envie; elle a été si
rapide qu'elle a dû être sans douleur. Il est peu de pertes qui pussent
être plus sensibles au coeur de l'empereur; l'armée et la France entière
partageront la douleur que S. M. a ressentie.

Le duc d'Istrie, depuis les premières campagnes d'Italie, c'est-à-dire,
depuis seize ans, avait toujours, dans différens grades, commandé la
garde de l'empereur qu'il avait suivi dans toutes ses campagnes et à
toutes ses batailles.

Le sang-froid, la bonne volonté et l'intrépidité des jeunes soldats
étonne les vétérans et tous les officiers: c'est le cas de dire _qu'aux
âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années_.

S. M. a eu dans la nuit du 1er au 2 mai son quartier-général à Lutzen;
le vice-roi avait son quartier-général à Markrandstedt; le général
Lauriston était à Kiebersdorf; le prince de la Moskwa avait son
quartier-général à Kaya, et le duc de Raguse avait le sien à Poserna.
Le général Bertrand était à Stohssen; le duc de Reggio en marche sur
Naumbourg.

A Dantzick la garnison a obtenu de grands avantages et fait une sortie
si heureuse qu'elle a fait prisonnier un corps de trois mille Russes.

La garnison de Wittemberg paraît aussi s'être distinguée et avoir fait,
dans une sortie, beaucoup de mal à l'ennemi.



Le 2 mai 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Les combats de Weissenfels et de Lutzen n'étaient que le prélude
d'événemens de la plus haute importance. L'empereur Alexandre et le roi
de Prusse qui étaient arrivés à Dresde avec toutes leurs forces dans les
derniers jours d'avril, apprenant que l'armée française avait débouché
de la Thuringe, adoptèrent le plan de lui livrer bataille dans les
plaines de Lutzen, et se mirent en marche pour en occuper la position;
mais ils furent prévenus par la rapidité des mouvemens de l'armée
française; ils persistèrent cependant dans leurs projets, et résolurent
d'attaquer l'armée pour la déposter des positions qu'elle avait prises.

La position de l'armée française au 2 mai, à neuf heures du matin, était
la suivante:

La gauche de l'armée s'appuyait à l'Elster; elle était formée par le
vice-roi, ayant sous ses ordres les cinquième et onzième corps. Le
centre était commandé par le prince de la Moskwa, au village de Kaia.
L'empereur avec la jeune et la vieille garde était à Lutzen.

Le duc de Raguse était au défilé de Poserna, et formait la droite avec
ses trois divisions. Enfin le général Bertrand, commandant le quatrième
corps, marchait pour se rendre à ce défilé. L'ennemi débouchait et
passait l'Elster aux ponts de Zwenkau, Pegau et Zeist. S. M. ayant
l'espérance de le prévenir dans son mouvement, et pensant qu'il ne
pourrait attaquer que le 3, ordonna au général Lauriston, dont le corps
formait l'extrémité de la gauche, de se porter sur Leipsick, afin de
déconcerter les projets de l'ennemi, et de placer l'armée française,
pour la journée du 3, dans une position toute différente de celle où les
ennemis avaient compté la trouver et où elle était effectivement le 2,
et de porter ainsi de la confusion et du désordre dans leurs colonnes.

À neuf heures du matin, S. M. ayant entendu une canonnade du côté de
Leipsick, s'y porta au galop. L'ennemi défendait le petit village de
Listenau et les ponts en avant de Leipsick. S. M. n'attendait que le
moment où ces dernières positions seraient enlevées, pour mettre en
mouvement toute son armée dans cette direction, la faire pivoter sur
Leipsick, passer sur la droite de l'Elster, et prendre l'ennemi à
revers; mais à dix heures, l'armée ennemie déboucha vers Kaïa, sur
plusieurs colonnes d'une noire profondeur; l'horizon en était obscurci.
L'ennemi présentait des forces qui paraissaient immenses. L'empereur fit
sur-le-champ ses dispositions. Le vice-roi reçut l'ordre de se porter
sur la gauche du prince de la Moskwa; mais il lui fallait trois heures
pour exécuter ce mouvement. Le prince de la Moskwa prit les armes, et
avec ses cinq divisions soutint le combat, qui au bout d'une demi-heure
devint terrible. S. M. se porta elle-même à la tête de la garde derrière
le centre de l'armée, soutenant la droite du prince de la Moskwa. Le
duc de Raguse, avec ses trois divisions, occupait l'extrême droite. Le
général Bertrand eut ordre de déboucher sur les derrières de l'armée
ennemie, au moment où la ligne se trouverait le plus fortement engagée.
La fortune se plut à couronner du plus brillant succès toutes ces
dispositions. L'ennemi, qui paraissait certain de la réussite de son
entreprise, marchait pour déborder notre droite et gagner le chemin de
Weissenfels. Le général Compans, général de bataille du premier mérite,
à la tête de la première division du duc de Raguse, l'arrêta tout court.
Les régimens de marine soutinrent plusieurs charges avec sang-froid, et
couvrirent le champ de bataille de l'élite de la cavalerie ennemie. Mais
les grands efforts d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie, étaient
sur le centre. Quatre des cinq divisions du prince de la Moskwa étaient
déjà engagées. Le village de Kaia fut pris et repris plusieurs fois. Ce
village était resté au pouvoir de l'ennemi: le comte de Lobau dirigea le
général Ricard pour reprendre le village; il fut repris.

La bataille embrassait une ligne de deux lieues couvertes de feu, de
fumée et de tourbillons de poussière. Le prince de la Moskwa, le général
Souham, le général Girard, étaient partout, faisaient face à tout.
Blessé de plusieurs balles, le général Girard voulut rester sur le champ
de bataille. Il déclara vouloir mourir en commandant et dirigeant ses
troupes, puisque le moment était arrivé pour tous les Français qui
avaient du coeur, de vaincre ou de mourir.

Cependant, on commençait à apercevoir dans le lointain la poussière
et les premiers feux du corps du général Bertrand. Au même moment le
vice-roi entrait en ligne sur la gauche, et le duc de Tarente attaquait
la réserve de l'ennemi, et abordait au village où l'ennemi appuyait sa
droite. Dans ce moment, l'ennemi redoubla ses efforts sur le centre; le
village de Kaïa fut emporté de nouveau; notre centre fléchit; quelques
bataillons se débandèrent; mais cette valeureuse jeunesse, à la vue de
l'empereur, se rallia en criant _vive l'empereur!_ S. M. jugea que le
moment de crise qui décide du gain ou de la perte des batailles était
arrivé: il n'y avait plus un moment à perdre. L'empereur ordonna au
duc de Trévise de se porter avec seize bataillons de la jeune garde
au village de Kaia, de donner tête baissée, de culbuter l'ennemi,
de reprendre le village et de faire main basse sur tout ce qui s'y
trouvait. Au même moment, S. M. ordonna à son aide-de-camp le général
Drouot, officier d'artillerie de la plus grande distinction, de réunir
une batterie de quatre-vingts pièces, et de la placer en avant de la
vieille garde, qui fut disposée en échelons comme quatre redoutes, pour
soutenir le centre, toute notre cavalerie rangée en bataille derrière.
Les généraux Dulauloy, Drouot et Devaux partirent au galop avec leurs
quatre-vingts bouches à feu placées en un même groupe. Le feu devint
épouvantable. L'ennemi fléchit de tous côtés. Le duc de Trévise emporta
sans coup férir le village de Kaia, culbuta l'ennemi et continua à se
porter en avant en battant la charge. Cavalerie, infanterie, artillerie
de l'ennemi, tout se mit en retraite.

Le général Bonnet, commandant une division du duc de Raguse, reçut ordre
de faire un mouvement par sa gauche sur Kaïa, pour appuyer les succès
du centre. Il soutint plusieurs charges de cavalerie dans lesquelles
l'ennemi éprouva de grandes pertes.

Cependant le général comte Bertrand s'avançait et entrait en ligne.
C'est en vain que la cavalerie ennemie caracola autour de ses carrés;
sa marche n'en fut pas ralentie. Pour le rejoindre plus promptement,
l'empereur ordonna un changement de direction en pivotant sur Kaïa.
Toute la droite fit un changement de front, la droite en avant.

L'ennemi ne fit plus que fuir; nous le poursuivîmes une lieue et demie.
Nous arrivâmes bientôt sur la hauteur que l'empereur Alexandre, le roi
de Prusse et la famille de Brandebourg occupaient pendant la bataille.
Un officier prisonnier qui se trouvait là, nous apprit cette
circonstance.

Nous avons fait plusieurs milliers de prisonniers. Le nombre n'en a pu
être considérable, vu l'infériorité de notre cavalerie et le désir que
l'empereur avait montré de l'épargner.

Au commencement de la bataille, l'empereur avait dit aux troupes: _C'est
une bataille d'Égypte. Une bonne infanterie doit savoir se suffire._

Le général Gouré, chef d'état-major du prince de la Moskwa a été tué,
mort digne d'un si bon soldat! Notre perte se monte à dix mille hommes
tués ou blessés; celle de l'ennemi peut être évaluée de vingt-cinq à
trente mille hommes. La garde royale de Prusse a été détruite. Les
gardes de l'empereur de Russie ont considérablement souffert; les deux
divisions de dix régimens de cuirassiers russes ont été écrasées.

S. M. ne saurait trop faire l'éloge de la bonne volonté, du courage et
de l'intrépidité de l'armée. Nos jeunes soldats ne considéraient pas le
danger. Ils ont dans cette circonstance relevé toute la noblesse du sang
français.

L'état-major-général, dans sa relation, fera connaître les belles
actions qui ont illustré cette brillante journée, qui, comme un coup de
tonnerre, a pulvérisé les chimériques espérances et tous les calculs
de destruction et de démembrement de l'empire. Les trames ténébreuses
ourdies par le cabinet de Saint-James pendant tout un hiver, se trouvent
en un instant dénouées comme le noeud gordien par l'épée d'Alexandre.

Le prince de Hesse-Hombourg a été tué. Les prisonniers disent que
le jeune prince royal de Prusse a été blessé, que le prince de
Mecklenbourg-Strelitz a été tué.

L'infanterie de la vieille garde, dont six bataillons étaient seulement
arrivés, a soutenu par sa présence l'affaire avec ce sang-froid qui
la caractérise. Elle n'a pas tiré un seul coup de fusil. La moitié de
l'armée n'a pas donné, car les quatre divisions du corps du général
Lauriston n'ont fait qu'occuper Leipsick; les trois divisions du duc de
Reggio étaient encore à deux journées du champ de bataille: le comte
Bertrand n'a donné qu'avec une de ses divisions, et si légèrement,
qu'elle n'a pas perdu cinquante hommes; ses seconde et troisième
divisions n'ont pas donné. La seconde division de la jeune garde,
commandée par le général Barrois, était encore à cinq journées; il en
est de même de la moitié de la vieille garde, commandée par le général
Decouz, qui n'était encore qu'à Erfurth: des batteries de réserve
formant plus de cent bouches à feu n'avaient pas rejoint, et elles sont
encore en marche depuis Mayence jusqu'à Erfurth: le corps du duc de
Bellune était aussi à trois jours du champ de bataille. Le corps de
cavalerie du général Sébastiani, avec les trois divisions du prince
d'Eckmühl, étaient du côté du Bas-Elbe. L'armée alliée forte de cent
cinquante à deux cent mille hommes, commandée par les deux souverains,
ayant un grand nombre de princes de la maison de Prusse à sa tête, a
donc été défaite et mise en déroute par moins de la moitié de l'armée
française.

Les ambulances et le champ de bataille offraient le spectacle le plus
touchant: les jeunes soldats, a la vue de l'empereur, faisaient trêve à
leur douleur, en criant: _vive l'empereur!_--_Il y a-vingt ans,_ a dit
l'empereur, _que je commande des armées françaises; je n'ai pas encore
vu autant de bravoure et de dévouement._

L'Europe serait enfin tranquille, si les souverains et les ministres qui
dirigent leurs cabinets, pouvaient avoir été présens sur ce champ de
bataille. Ils renonceraient à l'espérance de faire rétrograder l'étoile
de la France; ils verraient que les conseillers qui veulent démembrer
l'empire français et humilier l'empereur, préparent la perte de leurs
souverains.



Le 3 mai, à neuf heures du soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur, à la pointe du jour du 3, avait parcouru le champ de
bataille. A dix heures, il s'est mis en marche pour suivre l'ennemi. Son
quartier-général, le 3 au soir, était à Pegau. Le vice-roi avait son
quartier-général à Wichstanden, à mi-chemin de Pegau à Borna. Le comte
Lauriston, dont le corps n'avait pas pris part à la bataille, était
parti de Leipsick, pour se porter sur Zwemkau où il était arrivé. Le duc
de Raguse avait passé l'Elster au village de Lietzkowitz, et la comte
Bertrand l'avait passé au village de Gredel. Le prince de la Moskwa
était resté en position sur le champ de bataille. Le duc de Reggio, de
Naumbourg devait se porter sur Zeist.

L'empereur de Russie et le roi de Prusse avaient passé par Pegau dans la
soirée du 2, et étaient arrivés au village de Loberstedt à onze heures
du soir; ils s'y étaient reposés quatre heures, et en étaient partis le
3, à trois heures du matin, se dirigeant sur Borna.

L'ennemi ne revenait pas de son étonnement de se trouver battu dans
une si grande plaine, par une armée ayant une si grande infériorité de
cavalerie. Plusieurs colonels et officiers supérieurs faits prisonniers,
assurent qu'au quartier-général ennemi, on n'avait appris la présence
de l'empereur à l'armée, que lorsque la bataille était engagée; ils
croyaient tous l'empereur à Erfurt.

Comme cela arrive toujours dans de pareilles circonstances, les
Prussiens accusent les Russes de ne pas les avoir soutenus; les Russes
accusent les Prussiens de ne s'être pas bien battus. La plus grande
confusion règne dans leur retraite. Plusieurs de ces prétendus
volontaires qu'on lève en Prusse, ont été faits prisonniers; ils font
pitié. Tous déclarent qu'ils ont été enrôlés de force, et sous peine de
voir les biens de leur famille confisqués.

Les gens du pays disent que le prince de Hesse-Hombourg a été tué: que
plusieurs généraux russes et prussiens ont été tués ou blessés; le
prince de Mecklenbourg-Strelitz aurait également été tué; mais toutes
ces nouvelles ne sont encore que des bruits du pays.

La joie de ces contrées d'être délivrées des cosaques ne peut se
décrire. Les habitans parlent avec mépris de toutes les proclamations et
de toutes les tentatives qu'on a faites pour les engager à s'insurger.

L'armée russe et prussienne était composée du corps des généraux
prussiens York, Blucher et Bulow; de ceux des généraux russes
Wittgenstein, Wintzingerode, Miloradowitch et Tormazow. Les gardes
russes et prussiennes y étaient. L'empereur de Russie, le roi de Prusse,
le prince-royal de Prusse, tous les princes de la maison de Prusse
étaient à la bataille.

L'armée combinée russe et prussienne est évaluée de cent cinquante à
deux cent mille hommes. Tous les cuirassiers russes y étaient, et ont
beaucoup souffert.



Le 4 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur était le 4 au soir à Borna;

Celui du vice-roi à Kolditz;

Celui du général comte Bertrand à Frohbourg;

Celui du général comte Lauriston à Moeelbus;

Celui du prince de la Moskwa à Leipsick;

Celui du duc de Reggio à Zeitz.

L'ennemi se retire sur Dresde dans le plus grand désordre et par toutes
les routes.

Tous les villages qu'on trouve sur la route de l'armée sont pleins de
blessés russes et prussiens.

Le prince de Neufchâtel, major-général, a ordonné que l'on enterrât, le
4 au matin, à Pegau, le prince de Mecklenbourg-Strelitz avec tous les
honneurs dus à son grade.

A la bataille du 2, le général Dumontier, qui commande la division de la
jeune garde, a soutenu la réputation qu'il avait déjà acquise dans les
précédentes campagnes. Il se loue beaucoup de sa division.

Le général de division Brenier a été blessé. Les généraux de brigade
Chemineau et Grillot ont été blessés et amputés.

Recensement fait des coups de canon tirés à la bataille, le nombre s'en
est trouvé moins considérable qu'on avait cru d'abord: on n'a tiré que
trente-neuf mille cinq cents coups de canon. A la bataille de la Moskwa
on en avait tiré cinquante et quelques mille.



Le 5 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur était à Colditz, celui du vice-roi
à Harta, celui du duc de Raguse derrière Colditz, celui du général
Lauriston à Wurtzen, du prince de la Moskwa à Leipsick, du duc de Reggio
à Altenbourg, et du général Bertrand à Rochlitz.

Le vice-roi arriva devant Colditz le 5 à neuf heures du matin. Le pont
était coupé, et des colonnes d'infanterie et de cavalerie avec de
l'artillerie défendaient le passage. Le vice-roi se porta avec une
division à un gué qui est sur la gauche, passa la rivière, et gagna le
village de Komichau, où il fit placer une batterie de vingt pièces de
canon: l'ennemi évacua alors la ville de Colditz dans le plus grand
désordre, et en défilant sous la mitraille de nos vingt pièces.

Le vice-roi poursuivit vivement l'ennemi; c'était le reste de l'armée
prussienne, fort de vingt à vingt-cinq mille hommes, qui se dirigea,
partie sur Leissnig, et partie sur Gersdorff.

Arrivées à Gersdorff, les troupes prussiennes passèrent à travers
une réserve qui occupait cette position: c'était le corps russe de
Miloradowitch, composé de deux divisions formant à peu près huit
mille hommes sous les armes; les régimens russes, n'étant que de deux
bataillons de quatre compagnies chaque, et les compagnies n'étant que
de cent cinquante hommes, mais n'ayant que cent hommes présens sous les
armes, ce qui ne fait que sept à huit cents hommes par régiment: ces
deux divisions de Miloradowitch étaient arrivées à la bataille au moment
où elle finissait, et n'avaient pas pu y prendre part.

Aussitôt que la trente-sixième division eut rejoint la trente-cinquième,
le vice-roi donna l'ordre au duc de Tarente de former les deux divisions
en trois colonnes, et de déposter l'ennemi. L'attaque fut vive:
nos braves se précipitèrent sur les Russes, les enfoncèrent et les
poussèrent sur Harta. Dans ce combat nous avons eu cinq à six cents
blessés, et nous avons fait mille prisonniers: l'ennemi a perdu dans
cette journée deux mille hommes.

Le général Bertrand arrivé à Rochlitz, y a pris quelques convois de
blessés, de malades et de bagages, et a fait des prisonniers; plus de
douze cents voitures de blessés avaient passé par cette route.

Le roi de Prusse et l'empereur Alexandre avaient couché à Rochlitz.

Un adjudant-sous-officier du dix-septième provisoire, qui avait été fait
prisonnier à la bataille du 2, s'est échappé et a raconté que l'ennemi
a fait de grandes pertes et se retire dans le plus grand désordre; que
pendant la bataille les Russes et les Prussiens tenaient leur drapeaux
en réserve, ce qui fait que nous n'en avons pas pu prendre; qu'ils
nous ont fait cent deux prisonniers, dont quatre officiers; que ces
prisonniers étaient conduits en arrière sous la garde du détachement
laissé aux drapeaux; que les Prussiens ont fait de mauvais traitemens
aux prisonniers; que deux prisonniers ne pouvant pas marcher par
extrême fatigue, ils leur ont passé le sabre au travers du corps; que
l'étonnement des Prussiens et des Russes d'avoir trouvé une armée si
nombreuse, aussi bien exercée et munie de tout, était à son comble;
qu'il y avait de la mésintelligence entre eux, et qu'ils s'accusaient
respectivement de leurs pertes.

Le général comte Lauriston, de Wurtzen, s'est mis en marche sur la
grande route de Dresde.

Le prince de la Moskwa s'est porté sur l'Elbe pour débloquer le général
Thielmann qui commande à Torgau, prendre position sur ce point et
débloquer Wittemberg: il paraît que cette dernière place a fait une
belle défense et repoussa plusieurs attaques qui ont coûté fort cher à
l'ennemi.

Des prisonniers racontent que l'empereur Alexandre, voyant la bataille
perdue, parcourait la ligne russe pour animer le soldat, en disant:
«Courage, Dieu est pour nous.»

Ils ajoutent que le général prussien Blucher est blessé, et qu'il y a
cinq généraux de division et de brigade prussiens tués ou blessés.



Le 6 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de S. M. l'empereur et roi était à Waldheim; celui
du vice-roi, à Ertzdorf; celui du général Lauriston était à Oschatz;
celui du prince de la Moskwa, entre Leipsick et Torgau; celui du comte
Bertrand, à Mittweyda; celui du duc de Reggio, à Penig.

L'ennemi avait brûlé à Waldheim un très-beau pont en bois d'une seule
arche; ce qui nous avait retardé de quelques heures. Son arrière-garde
avait voulu défendre le passage, mais s'était déployée sur Ertzdorf: la
position de ce dernier point est fort belle; l'ennemi a voulu la tenir.
Le pont étant brûlé, le vice-roi fit tourner le village par la droite et
par la gauche. L'ennemi était placé derrière des ravins. Une fusillade
et une canonnade assez vives s'engagèrent; aussitôt on marcha droit à
l'ennemi, et la position fut enlevée: l'ennemi a laissé deux cents morts
sur le champ de bataille.

Le général Vandamme avait, le 1er mai, son quartier-général à Harbourg.
Nos troupes ont pris un cutter de guerre russe armée de vingt pièces de
canon. L'ennemi a repassé l'Elbe avec tant de précipitation, qu'il a
laissé sur la rive gauche une infinité de barques propres au passage
et beaucoup de bagages. Les mouvemens de la grande armée étaient déjà
connus, et causaient une grande consternation à Hambourg. Les traîtres
de Hambourg voyaient que le jour de la vengeance était près d'arriver.

Le général Dumonceau était à Lunebourg.

A la bataille du 2, les officiers d'ordonnance Bérenger et Pretel ont
été blessés, mais peu dangereusement.



En notre camp impérial de Goldit, le 6 mai 1813.

_Lettre de l'empereur à la maréchale duchesse d'Istrie._

«Ma cousine, votre mari est mort au champ d'honneur. La perte que vous
faites et celle de vos enfans est grande sans doute, mais la mienne
l'est davantage encore. Le duc d'Istrie est mort de la plus belle mort
et sans souffrir. Il laisse une réputation sans tache; c'est le plus
bel héritage qu'il ait pu léguer à ses enfans. Ma protection leur est
acquise; ils hériteront aussi de l'affection que je portais à leur père.
Trouvez dans toutes ces considérations des motifs de consolation pour
alléger vos peines, et ne doutez jamais de mes sentimens pour vous.
Cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, ma chère
cousine, en sa sainte et digne garde.»

NAPOLÉON.



Le 9 mai au matin.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 7, le quartier-général de S. M. l'empereur et roi était à Nossen.

Entre Nossen et Wilsdruf, le vice-roi a rencontré l'ennemi placé
derrière un torrent et dans une belle position. Il l'en a déposté, lui a
tué un millier d'hommes et fait cinq cents prisonniers.

Un cosaque qui a été arrêté, était porteur de l'ordre de brûler les
bagages de l'arrière-garde russe. Effectivement, huit cents voitures
russes ont été brûlées, des bagages et vingt pièces de canon ont été
ramassés par nous sur les routes; plusieurs colonnes de cosaques sont
coupées: on les poursuit.

Le 8, à midi, le vice-roi est entré à Dresde. L'ennemi, indépendamment
du grand pont qu'il avait rétabli, avait jeté trois ponts sur l'Elbe. Le
vice-roi ayant fait marcher des troupes dans la direction de ces ponts,
l'ennemi y a mis le feu sur-le-champ; les trois têtes de pont qui les
couvraient ont été enlevées.

Le même jour 8, à neuf heures du matin, le comte Lauriston était arrivé
à Meissen. Il y a trouvé trois redoutes avec des blockhaus que les
Prussiens y avaient construites: ils avaient brûlé le pont.

Toute la rive de l'Elbe est libre de l'ennemi.

S. M. l'empereur est arrivé à Dresde le 8, à une heure après-midi.
L'empereur, en faisant le tour de la ville, s'est porté sur-le-champ au
chantier de construction à la porte de Pirna, et de là au village de
Prielsnitz, où S. M. a ordonné qu'on jetât un pont. S. M. est revenue à
sept heures du soir de sa reconnaissance, au palais où elle est logée.

La vieille garde a fait son entrée à Dresde à huit heures du soir.

Le 9, à trois heures du matin, l'empereur a fait placer lui-même sur
un des bastions qui domine la rive droite, une batterie qui a chassé
l'ennemi de la position qu'il occupait de ce côté.

Le prince de la Moskwa marche sur Torgau.

La relation que l'ennemi a faite de la bataille de Lutzen n'est qu'une
série de faussetés. On assure ici que l'ordre avait été donné de chanter
un _Te Deum_, mais que des gens du pays qui leur étaient affidés ont
fait sentir que ce serait ridicule; que ce qui pouvait être bon en
Russie, serait par trop absurde en Allemagne.

L'empereur de Russie a quitté Dresde hier matin.

Le fameux Stein est l'objet du mépris de tous les honnêtes gens. Il
voulait révolter la canaille contre les propriétaires. On ne revenait
pas de surprise de voir des souverains comme le roi de Prusse, et
surtout comme l'empereur Alexandre, que la nature a doués de belles
qualités, prêter l'appui de leurs noms à des menées aussi criminelles
qu'atroces.

Indépendamment des canons et des bagages pris à la poursuite de
l'ennemi, nous avons fait à la bataille cinq mille prisonniers, et pris
dix pièces de canon. L'ennemi ne nous a pris aucun canon; mais il a fait
cent onze prisonniers. Le général en chef Koutouzow est mort à Bautzen,
de la fièvre nerveuse, il y a quinze jours. Il a été remplacé dans le
commandement en chef par le général Wittgenstein, qui a débuté par la
perte de la bataille de Lutzen.



Le 10 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 9, le colonel Lasalle, directeur des équipages de pont, a commencé
à faire établir des radeaux pour le pont qu'on jette au village de
Prielsnitz. On y a établi également un _va-et-vient_. Trois cents
voltigeurs ont été jetés sur la rive droite, sous la protection de vingt
pièces de canon placées sur une hauteur.

A dix heures du matin, l'ennemi s'est avancé pour culbuter ces
tirailleurs dans l'eau. Il a pensé qu'une batterie de douze pièces
serait suffisante pour faire taire les nôtres; la canonnade s'est
engagée: les pièces de l'ennemi ont été démontées; trois bataillons
qu'il avait fait avancer en tirailleurs ont été écrasés sous notre
mitraille: l'empereur s'y est porté; le général Dulauloy s'est placé
avec le général Devaux et dix-huit pièces d'artillerie légère sur la
gauche du village de Prielsnitz, position qui prend à revers toute la
plaine de la rive droite: le général Drouet s'est porté avec seize
pièces sur la droite: l'ennemi a fait avancer quarante pièces de canon;
nous en avons mis jusqu'à quatre-vingts en batterie.

Pendant ce temps, on traçait un boyau sur la rive droite, en forme de
tête de pont, où nos tirailleurs s'établissaient à couvert. Après avoir
eu douze à quinze pièces démontées, et quinze à dix-huit cents hommes
tués ou blessés, l'ennemi comprit la folie de son entreprise, et à trois
heures de l'après-midi il s'éloigna.

On a travaillé toute la nuit au pont; mais l'Elbe a crû; quelques ancres
ont dérivé; le pont ne sera terminé que ce soir.

Aujourd'hui 10, l'empereur a fait passer dans la ville neuve, en
profitant du pont de Dresde, la division Charpentier. Ce soir, ce pont
se trouve rétabli; toute l'armée y passe pour se porter sur la rive
droite. Il paraît que l'ennemi se retire sur l'Oder.

Le prince de la Moskwa est à Wittemberg; le général Lauriston est à
Torgau; le général Reynier a repris le commandement du septième corps,
composé du contingent saxon et de la division Durutte.

Les quatrième, sixième, onzième et douzième corps passeront sur le pont
de Dresde demain à la pointe du jour. La garde, jeune et vieille, est
autour de Dresde. La deuxième division de la garde, commandée par le
général Barrois, arrive aujourd'hui à Altenbourg.

Le roi de Saxe, qui s'était dirigé sur Prague, pour être plus près de sa
capitale, sera rendu à Dresde dans la journée de demain. L'empereur a
envoyé une escorte de cinq cents hommes de sa garde, avec son aide de
camp le général Flahaut pour le recevoir et l'accompagner.

Deux mille hommes de cavalerie ennemie ont été coupés de l'Elbe, ainsi
qu'un grand nombre de bagages, de patrouilles de troupes légères et de
cosaques. Il paraît qu'ils se sont réfugiés en Bohême.



Le 11 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le vice-roi s'était porté, avec le onzième corps, à Bischoffswerda; le
général Bertrand, avec le quatrième corps, à Koenigsbruck; le duc de
Raguse, avec le sixième corps, à Reichenbach; le duc de Reggio, à
Dresde; la jeune et la vieille garde, à Dresde.

Le prince de la Moskwa est entré le 11 au matin à Torgau, et a pris
position sur la rive droite, à une journée de cette place; le général
Lauriston est arrivé le même jour à Torgau avec son corps, à trois
heures de l'après-midi.

Le duc de Bellune, avec le deuxième corps, s'est mis en marche sur
Wittemberg, ainsi que le corps de cavalerie du général Sébastiani.

Le corps de cavalerie commandé par le général Latour-Maubourg a passé le
11 sur le pont de Dresde, à trois heures après-midi.

Le roi de Saxe a couché à Sedlitz. Toute la cavalerie saxonne doit
rejoindre dans la journée du 13 à Dresde. Le général Reynier a repris le
commandement du septième corps à Torgau: ce corps est composé de deux
divisions saxonnes, formant douze mille hommes.

S. M. a passé toute la journée sur le pont, à voir défiler ses troupes.

Le colonel du génie Bernard, aide-de-camp de l'empereur, a mis une
grande activité dans la réparation du pont de Dresde.

Le général Rogniat, commandant en chef le génie de l'armée, a tracé les
ouvrages qui vont couvrir la ville neuve, et servir de tête de pont.

On a intercepté un courrier du comte de Stackelberg, ex-ambassadeur de
Russie à Vienne, au comte de Nesselrode, secrétaire d'état, accompagnant
l'empereur de Russie à Dresde. On a aussi intercepté plusieurs
estafettes venant de Berlin et de Prague.



Le 12 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente.

Le 12, à dix heures du matin, la garde impériale a pris les armes, et
s'est mise en bataille sur le chemin de Pirna jusqu'au Gross-Garten.
L'empereur en a passé la revue. Le roi de Saxe, qui avait couché la
veille à Sedlitz, est arrivé à midi. Les deux souverains sont descendus
de cheval, et se sont embrassés, et ensuite sont entrés à la tête de
la garde, dans Dresde, aux acclamations d'une immense population. Cela
formait un très-beau spectacle.

A trois heures, l'empereur a passé la revue de la division de cavalerie
du général Fresia, composée de trois mille chevaux, venant d'Italie. S.
M. a été extrêmement satisfaite de cette cavalerie, dont la bonne tenue
est due aux soins et à l'activité du ministre de la guerre du royaume
d'Italie, Fontanelli, qui n'a rien épargné pour la mettre en bon état.

L'empereur a donné ordre au vice-roi de se rendre à Milan pour y remplir
une mission spéciale. S. M. a été extrêmement satisfaite de la conduite
que ce prince a tenue pendant toute la campagne: cette conduite a acquis
au vice-roi un nouveau titre à la confiance de l'empereur.



_Proclamation de l'empereur à l'armée._

«Soldats,

Je suis content de vous! vous avez rempli mon attente! vous avez suppléé
à tout par votre bonne volonté et par votre bravoure. Vous avez, dans
la célèbre journée du 2 mai, défait et mis en déroute l'armée russe et
prussienne commandée par l'empereur Alexandre et le roi de Prusse. Vous
avez ajouté un nouveau lustre à la gloire de mes aigles; vous avez
montré tout ce dont est capable le sang français. La bataille de Lutzen
sera mise au-dessus des batailles d'Austerlitz, d'Jéna, de Friedland et
de la Moskwa! Dans la campagne passée, l'ennemi n'a trouvé de refuge
contre nos armes qu'en suivant la méthode féroce des barbares ses
ancêtres. Des armées de Tartares ont incendié ses campagnes, ses
villes, la sainte Moscou elle-même. Aujourd'hui ils arrivaient dans nos
contrées, précédés de tout ce que l'Allemagne, la France et l'Italie
ont de mauvais sujets et de déserteurs, pour y prêcher la révolte,
l'anarchie, la guerre civile, le meurtre. Ils se sont faits les apôtres
de tous les crimes. C'est un incendie moral qu'ils voulaient allumer
entre la Vistule et le Rhin, pour, selon l'usage des gouvernemens
despotiques, mettre des déserts entre nous et eux. Les insensés! ils
connaissaient peu l'attachement à leurs souverains, la sagesse, l'esprit
d'ordre et le bon sens des Allemands. Ils connaissaient peu la puissance
et la bravoure des Français!

«Dans une seule journée, vous avez déjoué tous les complots parricides
... Nous rejetterons ces Tartares dans leurs affreux climats qu'ils ne
doivent pas franchir. Qu'ils restent dans leurs déserts glacés, séjour
d'esclavage, de barbarie et de corruption, où l'homme est ravalé à
l'égal de la brute. Vous avez bien mérité de l'Europe civilisée;
soldats! l'Italie, la France, l'Allemagne vous rendent des actions de
grâces!

«De notre camp impérial de Lutzen, le 3 mai 1813.»

NAPOLÉON.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

La place de Spandau a capitulé. Cet événement étonne tous les
militaires. S. M. a ordonné que le général Bruny, le commandant de
l'artillerie et le commandant du génie de la place, ainsi que les
membres du conseil de défense qui n'auraient pas protesté, fussent
arrêtés et traduits devant une commission de maréchaux, présidée par le
prince vice-connétable.

S. M. a également ordonné que la capitulation de Thorn fût l'objet d'une
enquête.

Si la garnison de Spandau a rendu sans siège une place forte environnée
de marais, et a souscrit à une capitulation qui doit être l'objet
d'une enquête et d'un jugement, la conduite qu'a tenue la garnison de
Wittemberg a été bien différente. Le général Lapoype s'est parfaitement
conduit, et a soutenu l'honneur des armes dans la défense de ce point
important, qui du reste est une mauvaise place, n'ayant qu'une enceinte
à moitié détruite, et qui ne pouvait devoir sa resistance qu'au courage
de ses défenseurs.

Le baron de Montaran, écuyer de l'empereur, suivi d'un homme des
écuries, s'était égaré le 6 mai, deux jours avant d'arriver à Dresde. Il
est tombé dans une patrouille de cavalerie légère de trente hommes, et a
été pris par l'ennemi.

Un nouveau courrier adressé de Vienne par M. de Stackelberg à M. de
Nesselrode à Dresde, vient d'être intercepté. Ce qui est singulier,
c'est que les dépêches sont datées du 8 au soir, et que pourtant elles
contiennent des félicitations de M. Stackelberg à l'empereur Alexandre
sur la victoire éclatante qu'il vient de remporter, et sur la retraite
des Français au-delà de la Saale.

La grande-duchesse Catherine a reçu à Toeplitz une lettre de son frère
l'empereur Alexandre, qui lui apprend cette grande victoire du 2. La
grande duchesse, comme de raison, a donné lecture, de cette lettre à
tous les buveurs d'eau de Toeplitz. Cependant le lendemain elle a appris
que l'empereur Alexandre était revenu sur Dresde, et qu'elle-même devait
se rendre à Prague. Tout cela a paru extrêmement ridicule en Bohême. On
y a vu le nom d'un souverain compromis sans aucun motif que la politique
pût justifier. Tout cela ne peut s'expliquer que comme une habitude
russe, résultant de la nécessité qu'il y a en Russie d'en imposer à une
populace ignorante, et de la facilité qu'on trouve à lui faire tout
accroire. On aurait bien dû adopter un autre usage dans un pays civilisé
comme l'Allemagne.



Le 14 mai au matin.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'armée de l'Elbe a été dissoute, et les deux armées de l'Elbe et du
Mein n'en font plus qu'une seule.

Le duc de Bellune était le 13 au soir sur Wittemberg.

Le prince de la Moskwa partait de Torgau pour se porter sur Lukau.

Le comte Lauriston marchait de Torgau sur Dobrilugk.

Le comte Bertrand était à Koenigsbruck.

Le duc de Tarente, avec le onzième corps, était campé entre
Bischoffswerda et Bautzen. Il avait dans les journées du 11 et du 12,
poursuivi vivement l'armée ennemie. Le général Miloradowitch avec une
arrière-garde de vingt mille hommes et quarante pièces de canon, a
voulu, le 12, tenir les positions de Fischbach, de Capellenberg, et
celle de Bischoffswerda, ce qui a donné lieu à trois combats successifs,
dans lesquels nos troupes se sont conduites avec la plus grande
intrépidité; la division Charpentier s'est distinguée à l'attaque de
droite; l'ennemi a été tourné dans ses positions et débusqué sur tous
les points; une de ses colonnes a été coupée. Nous lui avons fait cinq
cents prisonniers. Il a eu plus de quinze cents hommes tués ou blessés.
L'artillerie du onzième corps a tiré deux mille coups de canon dans ce
combat.

Les débris de l'armée prussienne, conduite par le roi de Prusse, qui
avaient passé à Meissen, se sont dirigés par Koenigsbruck sur Bautzen
pour se réunir à l'armée russe.

Le corps du duc de Reggio a passé hier à midi le pont de Dresde.

L'empereur a passé la revue du corps de cavalerie et des beaux
cuirassiers du général Latour-Maubourg.

On dit que les Russes conseillent aux Prussiens de brûler Potsdam et
Berlin, et de dévaster toute la Prusse. Ils commencent eux-mêmes à
donner l'exemple; ils ont brûlé de gaîté de coeur la petite ville de
Bischoffswerda.

Le roi de Saxe a dîné le 13 chez l'empereur.

La deuxième division de la jeune garde, commandée par le général
Barrois, est attendue demain 15 à Dresde.



Le 16 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 15, S. M. l'empereur et S. M. le roi de Saxe ont passé la revue de
quatre régimens de cavalerie saxons (un de hussards, un de lanciers,
et deux régimens de cuirassiers), qui font partie du corps du général
Latour-Maubourg. Ensuite LL. MM. ont visité le champ de bataille et la
tête de pont de Prielnitz.

Le duc de Tarente s'était mis en mouvement le 15, à cinq heures du
matin, pour se porter vis-à-vis Bautzen.

Il a rencontré au débouché du bois l'arrière-garde ennemie; quelques
charges de cavalerie ont été essayées contre notre infanterie, mais sans
succès. L'ennemi ayant voulu tenir dans cette position, la fusillade
s'est engagée, et il a été déposté.

Nous avons eu deux cent cinquante hommes tués ou blessés dans cette
affaire d'arrière-garde. On estime la perte de l'ennemi de sept à huit
cents hommes, dont deux cents prisonniers.

La deuxième division de la jeune garde, commandée par le général
Barrois, est arrivée hier à Dresde.

Toute l'armée a passé l'Elbe.

Indépendamment du grand pont de Dresde, il a été établi un pont de
bateaux en aval, et un autre en amont de la ville. Trois mille ouvriers
travaillent à couvrir la nouvelle ville par une tête de pont.

La gazette de Berlin, du 8 mai, contenait le règlement de la
_landsturm._ On ne peut pousser la folie plus loin; mais il est à
prévoir que les habitans de la Prusse ont trop de sens, et sont trop
attachés aux vrais principes de la propriété, pour imiter des barbares
qui n'ont rien de sacré.

A la bataille de Lutzen, un régiment composé de l'élite de la noblesse
prussienne, et qui se faisait appeler _cosaques prussiens,_ a été
presque entièrement détruit; il n'en reste pas quinze hommes; ce qui a
mis en deuil toutes les familles.

Ces cosaques singeaient réellement les cosaques du Don. De pauvres
jeunes gens délicats avaient à la main la lance, qu'ils soutenaient à
peine, et étaient costumés comme de vrais cosaques.

Que dirait Frédéric, dont les ouvrages sont pleins d'expressions de
mépris pour ces hideuses milices, s'il voyait que son petit-neveu y
cherche aujourd'hui des modèles d'uniforme et de tenue!

Les cosaques sont mal vêtus; ils sont sur de petits chevaux presque sans
selle et sans harnachement, parce que ce sont des milices irrégulières
que les peuplades du Don fournissent, et qui s'établissent à leurs
frais. Aller chercher là un modèle pour la noblesse de Prusse, c'est
montrer à quel point est porté l'esprit de déraison et d'inconséquence
qui dirige les affaires de ce royaume.



Le 18 mai 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur était toujours à Dresde. Le 15, le duc de Trévise était parti
avec le corps de cavalerie du général Latour-Maubourg et la division
d'infanterie de la jeune garde du général Dumoutier.

Le 16, la division de la jeune garde commandée par le général Barrois
partait également de Dresde.

Le duc de Reggio, le duc de Tarente, le duc de Raguse et le comte
Bertrand étaient en ligne vis-à-vis Bautzen.

Le prince de la Moskwa et le général Lauriston arrivaient à
Hoyers-Verda.

Le duc de Bellune, le général Sébastiani et le général Reynier
marchaient sur Berlin. Ce qu'on avait prévu est arrivé: à l'approche du
danger, les Prussiens se sont moqués du règlement du _landsturm;_ une
proclamation a fait connaître aux habitans de Berlin qu'ils étaient
couverts par le corps de Bulow; mais que, dans tous les cas, si les
Français arrivaient, il ne fallait pas prendre les armes, mais les
recevoir suivant les principes de la guerre. Il n'est aucun Allemand qui
veuille brûler ses maisons ou qui veuille assassiner personne. Cette
circonstance fait l'éloge du peuple allemand. Lorsque des furibonds,
sans honneur et sans principes, prêchent le désordre et l'assassinat, le
caractère de ce bon peuple les repousse avec indignation. Les Schlegel,
les Kotzbue et autres folliculaires aussi coupables, voudraient
transformer en empoisonneurs et en assassins les loyaux Germains; mais
la postérité remarquera qu'ils n'ont pu entraîner un seul individu, une
seule autorité, hors de la ligne du devoir et de la probité.

Le comte Bubna est arrivé le 16 à Dresde. Il était porteur d'une lettre
de l'empereur d'Autriche pour l'empereur Napoléon. Il est reparti le 17
pour Vienne.

L'empereur Napoléon a offert la réunion d'un congrès à Prague, pour
une paix générale. Du côté de la France, arriveraient à ce congrès les
plénipotentiaires de la France, ceux des États-Unis d'Amérique, du
Danemarck, du roi d'Espagne, et de tous les princes alliés; et du côté
opposé, ceux de l'Angleterre, de la Russie, de la Prusse, des insurgés
espagnols et des autres alliés de cette masse belligérante. Dans ce
congrès seraient posées les bases d'une longue paix. Mais il est douteux
que l'Angleterre veuille soumettre ses principes égoïstes et injustes à
la censure et à l'opinion de l'univers; car il n'est aucune puissance,
si petite qu'elle soit, qui ne réclame au préalable les privilèges
adhérens à sa souveraineté, et qui sont consacrés par les articles du
traité d'Utrecht, sur la navigation maritime.

Si l'Angleterre, par ce sentiment d'égoïsme sur lequel est fondée sa
politique, refuse de coopérer à ce grand oeuvre de la paix du monde,
parce qu'elle veut exclure l'univers de l'élément qui forme les trois
quarts de notre globe, l'empereur n'en propose pas moins la réunion à
Prague de tous les plénipotentiaires des puissances belligérantes, pour
régler la paix du continent. S. M. offre même de stipuler, au moment où
le congrès sera formé, un armistice entre les différentes armées, afin
de faire cesser l'effusion du sang humain.

Ces principes sont conformes aux vues de l'Autriche. Reste à voir
actuellement ce que feront les cours d'Angleterre, de Russie et de
Prusse.

L'éloignement des États-Unis d'Amérique ne doit pas être une raison pour
les exclure; le congrès pourrait toujours s'ouvrir, et les députés des
États-Unis auraient le temps d'arriver avant la conclusion des affaires,
peur stipuler leurs droits et leurs intérêts.



Le 22 mai 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur Alexandre et le roi de Prusse attribuaient la perte de la
bataille de Lutzen à des fautes que leurs généraux avaient commises dans
la direction des forces combinées, et surtout aux difficultés attachées
à un mouvement offensif de cent cinquante à cent quatre-vingt mille
hommes. Ils résolurent de prendre la position de Bautzen et de
Hochkirch, déjà célèbre dans l'histoire de la guerre de sept ans; d'y
réunir tous les renforts qu'ils attendaient de la Vistule et d'autres
points en arrière; d'ajouter à celle position tout ce que l'art pourrait
fournir de moyens, et là, de courir les chances d'une nouvelle bataille,
dont toutes les probabilités paraissaient être en leur faveur.

Le duc de Tarente, commandant le onzième corps, était parti de
Bischoffswerda, le 15, et se trouvait, le 15 au soir, à une portée
de canon de Bautzen, où il reconnut toute l'armée ennemie. Il prit
position.

Dès ce moment, les corps de l'armée française furent dirigés sur champ
de Bautzen.

L'empereur partit de Dresde le 18; il coucha à Harta, et le 19, il
arriva, à dix heures du matin, devant Bautzen. Il employa toute la
journée à reconnaître les positions de l'ennemi.

On apprit que les corps russes de Barclai de Tolly, de Langeron et de
Sass, et le corps prussien de Kleist avaient rejoint l'armée combinée,
et que sa force pouvait être évaluée de cent cinquante à cent soixante
mille hommes.

Le 19 au soir, la position de l'ennemi était la suivante: sa gauche
était appuyée à des montagnes couvertes de bois, et perpendiculaires au
cours de la Sprée, à peu près à une lieue de Bautzen. Bautzen soutenait
son centre. Cette ville avait été crénelée, retranchée et couverte
par des redoutes. La droite de l'ennemi s'appuyait sur des mamelons
fortifiés qui défendent les débouchés de la Sprée, du côté du village
de Nimschütz: tout son front était couvert sur la Sprée. Cette position
très-forte n'était qu'une première position.

On apercevait distinctement, à trois mille toises en arrière, de la
terre fraîchement remuée, et des travaux qui marquaient leur seconde
position. La gauche était encore appuyée, aux mêmes montagnes, à deux
mille toises en arrière de celles de la première position, et fort en
avant du village de Hochkirch. Le centre était appuyé à trois villages
retranchés, où l'on avait fait tant de travaux, qu'on pouvait les
considérer comme des places fortes. Un terrain marécageux et difficile
couvrait les trois quarts du centre. Enfin leur droite s'appuyait en
arrière de la première position, à des villages et à des mamelons
également retranchés.

Le front de l'armée ennemie, soit dans la première, soit dans la seconde
position, pouvait avoir une lieue et demie.

D'après cette reconnaissance, il était facile de concevoir comment,
malgré une bataille perdue comme celle de Lutzen, et huit jours de
retraite, l'ennemi pouvait encore avoir des espérances dans les chances
de la fortune. Selon l'expression d'un officier russe à qui on demandait
ce qu'ils voulaient faire: _Nous ne voulons_, disait-il, _ni avancer, ni
reculer._--_Vous êtes maîtres du premier point_, répondit un officier
français; _dans peu de jours, l'événement prouvera si vous êtes maîtres
de l'autre._ Le quartier-général des deux souverains était au village de
Natchen.

Au 19, la position de l'armée française était la suivante:

Sur la droite était le duc de Reggio, s'appuyant aux montagnes sur la
rive gauche de la Sprée, et séparé de la gauche de l'ennemi par cette
vallée. Le duc de Tarente était devant Bautzen, à cheval sur la route de
Dresde. Le duc de Raguse était sur la gauche de Bautzen, vis-à-vis le
village de Niemenschütz. Le général Bertrand était sur la gauche du duc
de Raguse, appuyé à un moulin à vent et à un bois, et faisant mine de
déboucher de Jaselitz sur la droite de l'ennemi.

Le prince de la Moskwa, le général Lauriston et le général Reynier
étaient à Hoyerswerda, sur la route de Berlin, hors de ligne et en
arrière de notre gauche.

L'ennemi ayant appris qu'un corps considérable arrivait par Hoyerswerda,
se douta que les projets de l'empereur étaient de tourner la position
par la droite, de changer le champ de bataille, de faire tomber tous
ses retranchemens élevés avec tant de peine, et l'objet de tant
d'espérances. N'étant encore instruits que de l'arrivée du général
Lauriston, il ne supposait pas que cette colonne fût de plus de dix-huit
à vingt mille hommes. Il détacha donc contre elle, le 19 à quatre heures
du matin, le général York, avec douze mille Prussiens, et le général
Barclay de Tolly, avec dix-huit mille Russes. Les Russes se placèrent au
village de Klix, et les Prussiens au village de Weissig.

Cependant le comte Bertrand avait envoyé le général Pery, avec la
division italienne, à Koenigswartha, pour maintenir notre communication
avec les corps détachés. Arrivé à midi, le général Pery fit de mauvaises
dispositions; il ne fit pas fouiller la forêt voisine. Il plaça mal ses
postes, et à quatre heures il fut assailli par un _hourra_ qui mit du
désordre dans quelques bataillons. Il perdit six cents hommes, parmi
lesquels se trouve le général de brigade italien Balathier, blessé;
deux canons et trois caissons; mais la division ayant pris les armes,
s'appuya au bois, et fit face à l'ennemi.

Le comte de Valmy étant arrivé avec de la cavalerie, se mit à tête de la
division italienne, et reprit le village de Koenigswartha. Dans ce même
moment, le corps du comte Lauriston, qui marchait en tête du prince de
la Moskwa pour tourner la position de l'ennemi, parti de Hoyerswerda,
arriva sur Weissig. Le combat s'engagea, et le corps d'York aurait été
écrasé, sans la circonstance d'un défilé à passer, qui fit que nos
troupes ne purent arriver que successivement. Après trois heures de
combat, le village de Weissig fut emporté, le corps d'York, culbuté fut
rejeté sur l'autre côté de la Sprée.

Le combat de Weissig serait seul un événement important. Un rapport
détaillé en fera connaître les circonstances.

Le 19, le comte Lauriston coucha donc sur la position de Weissig; le
prince de la Moskwa à Mankersdorf, et le comte Reynier à une lieue en
arrière. La droite de la position de l'ennemi se trouvait évidemment
débordée.

Le 20, à huit heures de matin l'empereur se porta sur la hauteur en
arrière de Bautzen. Il donna ordre au duc de Reggio de passer la Sprée,
et d'attaquer les montagnes qui appuyaient la gauche de l'ennemi; au duc
de Tarente de jeter un pont sur chevalets sur la Sprée, entre Bautzen et
les montagnes; au duc de Raguse de jeter un autre pont sur chevalets sur
la Sprée, dans l'enfoncement que ferme cette rivière sur la gauche, à
une demi-lieue de Bautzen; au duc de Dalmatie, auquel S. M. avait donné
le commandement supérieur du centre, de passer la Sprée pour inquiéter
la droite de l'ennemi; enfin, au prince de la Moskwa, sous les ordres
duquel étaient le troisième corps, le comte Lauriston et le général
Reynier, de s'approcher sur Klix, de passer la Sprée, de tourner
la droite de l'ennemi, et de se porter sur son quartier-général de
Wurtchen, et de là sur Weissemberg.

A midi, la canonnade s'engagea. Le duc de Tarente n'eut pas besoin de
jeter son pont sur chevalets: il trouva devant lui un pont de pierre,
dont il força le passage. Le duc de Raguse jeta son pont; tout son corps
d'armée passa sur l'autre rive de la Sprée. Après six heures d'une vive
canonnade et plusieurs charges que l'ennemi fit sans succès, le général
Compans fit occuper Bautzen; le général Bonnet fit occuper le village de
Niedkayn, et enleva au pas de charge un plateau qui le rendit maître de
tout le centre de la position de l'ennemi; le duc de Reggio s'empara des
hauteurs, et à sept heures du soir, l'ennemi fut rejeté sur sa seconde
position. Le général Bertrand passa un des bras de la Sprée; mais
l'ennemi conserva les hauteurs qui appuyaient sa droite, et par ce moyen
se maintint entre le corps du prince de la Moskwa et notre armée.

L'empereur entra à huit heures du soir à Bautzen, et fut accueilli par
les habitans et les autorités avec les sentimens que devaient avoir
des alliés, heureux de se voir délivrés des Stein, des Kotzbue et des
cosaques. Cette journée qu'on pourrait appeler, si elle était isolée,
_la bataille de Bautzen,_ n'était que le prélude de la bataille de
Wurtchen.

Cependant l'ennemi commençait à comprendre la possibilité d'être forcé
dans sa position. Ses espérances n'étaient plus les mêmes, et il
devait avoir dès ce moment le présage de sa défaite. Déjà toutes ses
dispositions étaient changées. Le destin de la bataille ne devait plus
se décider derrière ses retranchemens. Ses immenses travaux, et trois
cents redoutes devenaient inutiles. La droite de sa position, qui était
opposée au quatrième corps, devenait son centre, et il était obligé
de jeter sa droite, qui formait une bonne partie de son armée, pour
l'opposer au prince de la Moskwa, dans un lieu qu'il n'avait pas étudié
et qu'il croyait hors de sa position.

Le 21, à cinq heures du matin, l'empereur se porta sur les hauteurs, à
trois quarts de lieue en avant de Bautzen.

Le duc de Reggio soutenait une vive fusillade sur les hauteurs que
défendait la gauche de l'ennemi. Les Russes qui sentaient l'importance
de cette position, avaient placé là une forte partie de leur armée,
afin que leur gauche ne fût pas tournée. L'empereur ordonna aux ducs de
Reggio et de Tarente d'entretenir le combat, afin d'empêcher la gauche
de l'ennemi de se dégarnir et de lui masquer la véritable attaque dont
le résultat ne pouvait pas se faire sentir avant midi ou une heure.

A onze heures, le duc de Raguse marcha à mille toises en avant de sa
position, et engagea une épouvantable canonnade devant les redoutes et
tous les retranchemens ennemis.

La garde et la réserve de l'armée, infanterie et cavalerie, masqués par
un rideau, avaient des débouchés faciles pour se porter en avant par
la gauche ou par la droite, selon les vicissitudes que présenterait
la journée. L'ennemi fut tenu ainsi incertain sur le véritable point
d'attaque.

Pendant ce temps, le prince de la Moskwa culbutait l'ennemi au village
de Klix, passait la Sprée, et menait battant ce qu'il avait devant lui
jusqu'au village de Preilitz. A dix heures il enleva le village;
mais les réserves de l'ennemi s'étant avancées pour couvrit le
quartier-général, le prince de la Moskwa fut ramené et perdit le village
de Preilitz. Le duc de Dalmatie commença à déboucher à une heure
après-midi. L'ennemi qui avait compris tout le danger dont il était
menacé par la direction qu'avait prise la bataille, sentit que le seul
moyen de soutenir avec avantage le combat contre le prince de la Moskwa,
était de nous empêcher de déboucher. Il voulut s'opposer à l'attaque du
duc de Dalmatie. Le moment de décider la bataille se trouvait dès-lors
bien indiqué. L'empereur, par un mouvement à gauche, se porta, en vingt
minutes, avec la garde, les quatre divisions du général Latour-Maubourg
et une grande quantité d'artillerie, sur le flanc de la droite de la
position de l'ennemi, qui était devenue le centre de l'armée russe.

La division Morand et la division wurtembergeoise enlevèrent le mamelon
dont l'ennemi avait fait son point d'appui. Le général Devaux établit
une batterie dont il dirigea le feu sur les masses qui voulaient
reprendre la position. Les généraux Dulauloy et Drouot, avec soixante
pièces de batterie de réserve, se portèrent en avant. Enfin, le duc de
Trévise, avec les divisions Dumoutier et Barrois de la jeune garde, se
dirigea sur l'auberge de Klein-Baschwitz, coupant le chemin de Wurtchen
à Baugen.

L'ennemi fut obligé de dégarnir sa droite pour parer à cette nouvelle
attaque. Le prince de la Moskwa en profita et marcha en avant. Il prit
le village de Preisig, et s'avança, ayant débordé l'armée ennemie, sur
Wurtchen. Il était trois heures après midi, et lorsque l'armée était
dans la plus grande incertitude du succès, et qu'un feu épouvantable se
faisait entendre sur une ligne de trois lieues, l'empereur annonça que
la bataille était gagnée.

L'ennemi voyant sa droite tournée se mit en retraite, et bientôt sa
retraite devint une fuite.

A sept heures du soir, le prince de la Moskwa et le général Lauriston
arrivèrent à Wurtchen. Le duc de Raguse reçut alors l'ordre de faire un
mouvement inverse de celui que venait de faire la garde, occupa tous les
villages retranchés, et toutes les redoutes que l'ennemi était obligé
d'évacuer, s'avança dans la direction d'Hochkirch, et prit ainsi
en flanc toute la gauche de l'ennemi, qui se mit alors dans une
épouvantable déroute. Le duc de Tarente, de son côté, poussa vivement
cette gauche et lui fit beaucoup de mal.

L'empereur coucha sur la route au milieu de sa garde à l'auberge de
Klein-Baschwitz. Ainsi, l'ennemi, forcé dans toutes ses positions,
laissa en notre pouvoir le champ de bataille couvert de ses morts et de
ses blessés, et plusieurs milliers de prisonniers.

Le 22, à quatre heures du matin, l'armée française se mit en mouvement.
L'ennemi avait fui toute la nuit par tous les chemins et par toutes les
directions. On ne trouva ses premiers postes qu'au-delà de Weissemberg,
et il n'opposa de résistance que sur les hauteurs en arrière de
Reichenbach. L'ennemi n'avait pas encore vu notre cavalerie.

Le général Lefèvre-Desnouettes, à la tête de quinze cents chevaux
lanciers polonais et des lanciers rouges de la garde, chargea, dans la
plaine de Reichenbach, la cavalerie ennemie, et la culbuta. L'ennemi,
croyant qu'ils étaient seuls, fit avancer une division de cavalerie,
et plusieurs divisions s'engagèrent successivement. Le général
Latour-Maubourg, avec ses quatorze mille chevaux et les cuirassiers
français et saxons, arriva à leur secours, et plusieurs charges de
cavalerie eurent lieu. L'ennemi, tout surpris de trouver devant lui
quinze à seize mille hommes de cavalerie, quand il nous en croyait
dépourvus, se retira en désordre. Les lanciers rouges de la garde se
composent en grande partie des volontaires de Paris et des environs. Le
général Lefèvre-Desnouettes et le général Colbert, leur colonel, en font
le plus grand éloge.

Dans cette affaire de cavalerie, le général Bruyères, général de
cavalerie légère de la plus haute distinction, a eu la jambe emportée
par un boulet.

Le général Reynier se porta avec le corps saxon sur les hauteurs
au-delà de la Reichenbach, et poursuivit l'ennemi jusqu'au village de
Hotterndorf. La nuit nous prit à une lieue de Goerlitz. Quoique la
journée eût été extrêmement longue, puisque nous nous trouvions à huit
lieues du champ de bataille, et que les troupes eussent éprouvé tant
de fatigues, l'armée française aurait couché à Goerlitz; mais l'ennemi
avait placé un corps d'arrière-garde sur la hauteur en avant de cette
ville, et il aurait fallu une demi-heure de jour de plus pour la tourner
par la gauche. L'empereur ordonna donc qu'on prît position.

Dans les batailles des 20 et 21, le général wurtembergeois Franquemont
et le général Lorencez ont été blessés. Notre perte dans ces journées
peut s'évaluer à onze ou douze mille hommes tués ou blessés. Le soir de
la journée du 22, à sept heures, le grand-maréchal duc de Frioul, étant
sur une petite éminence à causer avec le duc de Trévise et le général
Kirgener, tous les trois pied à terre et assez éloignés du feu, un des
derniers boulets de l'ennemi rasa de près le duc de Trévise, ouvrit le
bas-ventre au grand-maréchal, et jeta roide mort le général Kirgener. Le
duc de Frioul se sentit aussitôt frappé à mort; il expira douze heures
après.

Dès que les postes furent placés et que l'armée eut pris ses bivouacs,
l'empereur alla voir le duc de Frioul. Il le trouva avec toute sa
connaissance, et montrant le plus grand sang-froid. Le duc serra la main
de l'empereur, qu'il porta sur ses lèvres. _Toute ma vie_, lui dit-il,
_a été consacrée à votre service, et je ne la regrette que par l'utilité
dont elle pouvait vous être encore!_--_Duroc,_ lui dit l'empereur, _il
est une autre vie! C'est là que vous irez m'attendre, et que nous nous
retrouverons un jour!_--_Oui, sire; mais ce sera dans trente ans, quand
vous aurez triomphé de vos ennemis, et réalisé toutes les espérances de
notre patrie.......J'ai vécu en honnête homme; je ne me reproche rien.
Je laisse une fille, V. M. lui servira de père._

L'empereur serrant de la main droite le grand-maréchal, resta un
quart-d'heure la tête appuyée sur la main gauche dans le plus profond
silence. Le grand-maréchal rompit le premier ce silence. _Ah! sire,
allez-vous-en! ce spectacle vous peine!_ L'empereur, s'appuyant sur le
duc de Dalmatie et sur le grand-écuyer, quitta le duc de Frioul sans
pouvoir lui dire autre chose que ces mots, _adieu donc, mon ami!_ S. M.
rentra dans sa tente, et ne reçut personne pendant toute la nuit.

Le 23, à neuf heures du matin, le général Régnier entra dans Goerlitz.
Des ponts furent jetés sur la Neiss, et l'armée se porta au-delà de
cette rivière.

Au 23, au soir, le duc de Bellune était sur Botzemberg; le comte
Lauriston avait son quartier-général à Hochkirch, le comte Reynier en
avant de Trotskendorf sur le chemin de Lauban, et le comte Bertrand
en arrière du même village; le duc de Tarente était sur Schoenberg;
l'empereur était à Goerlitz.

Un parlementaire, envoyé par l'ennemi, portait plusieurs lettres, où
l'on croit qu'il est question de négocier un armistice.

L'armée ennemie s'est retirée, par Banalau et Laubau, en Silésie. Toute
la Saxe est délivrée de ses ennemis, et dès demain 24, l'armée française
sera en Silésie.

L'ennemi a brûlé beaucoup de bagages, fait sauter beaucoup de parcs,
disséminé dans les villages une grande quantité de blessés. Ceux qu'il
a pu emmener sur des charrettes n'étaient pas pansés; les habitans en
portent le nombre à dix-huit mille. Il en est resté plus de dix mille en
notre pouvoir.

La ville de Goerlitz, qui compte huit à dix mille habitans, a reçu les
Français comme des libérateurs.

La ville de Dresde et le ministère saxon ont mis la plus grande activité
à approvisionner l'armée, qui jamais n'a été dans une plus grande
abondance.

Quoiqu'une grande quantité de munitions ait été consommée, les ateliers
de Torgau et de Dresde, et les convois qui arrivent, par les soins du
général Sorbier, tiennent notre artillerie bien approvisionnée.

On a des nouvelles de Glogau, Custrin et Stettin. Toutes ces places
étaient dans un bon état.

Ce récit de la bataille de Wurtchen ne peut être considéré que comme
une esquisse. L'état-major-général recueillera les rapports qui feront
connaître les officiers, soldats et les corps qui se sont distingués.

Dans le petit combat du 22, à Reichenbach, nous avons acquis la
certitude que notre jeune cavalerie est, à nombre égal, supérieure à
celle de l'ennemi.

Nous n'avons pu prendre de drapeaux; l'ennemi les retire toujours du
champ de bataille. Nous n'avons pris que dix-neuf canons, l'ennemi ayant
fait sauter ses parcs et ses caissons. D'ailleurs l'empereur tient sa
cavalerie en réserve; et jusqu'à ce qu'elle soit assez nombreuse, il
veut la ménager.



Le 25 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le prince de la Moskwa, ayant sous ses ordres les corps du général
Lauriston et du général Reynier, avait forcé, le 24 mai, le passage de
la Neiss, et le 25 au matin, le passage de la Queiss, et était arrivé à
Buntzlau. Le général Lauriston avait son quartier-général à mi-chemin de
Buntzlau à Haynau.

Le quartier-général de l'empereur était, le 25 au soir, à Buntzlau.

Le duc de Bellune était à Wehrau, sur la Queiss.

Le général Bertrand était entré, le 24, à Lauban, et le 25 il avait
suivi l'ennemi.

Le duc de Tarente, après avoir passé la Queiss, avait eu un combat avec
l'arrière-garde ennemie. L'ennemi, encombré de charrettes de blessés
et de bagages, voulut tenir. Le duc de Tarente eut ses trois divisions
engagées. Le combat fut vif; l'ennemi souffrit beaucoup. Le duc de
Tarente avait, le 25 au soir, son quartier-général à Stegkigt.

Le duc de Raguse était à Ottendorf.

Le duc de Reggio était parti de Bautzen, marchant sur Berlin par la
route de Luckau.

Nos avant-postes n'étaient plus qu'à une marche de Glogau.

C'est à Buntzlau que le général russe Koutouzow est mort, il y a six
semaines. Nos armées n'ont trouvé dans ce pays aucune exaltation. Les
esprits y sont comme à l'ordinaire. La _landwehr_, la _landsturm_ n'ont
existé que dans les journaux, du moins dans ce pays-ci; et les habitans
sont bien loin d'adhérer au conseil des Russes, de brûler leurs maisons
et de dévaster leur pays.

Le général Durosnel est resté en qualité de gouverneur à Dresde. Il
commande toutes les troupes et garnisons françaises en Saxe.

Plusieurs corps français se dirigent sur Berlin, où il paraît que l'on
déménage, et où l'on s'attend depuis quelques jours à voir arriver
l'armée.



Le 27 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 26, le quartier-général du comte Lauriston était à Haynau. Un
bataillon du général Maison a été chargé inopinément, à cinq heures du
soir, par trois mille chevaux, et a été obligé de se reployer sur un
village. Il a perdu deux pièces de canon et trois caissons qui étaient
sous sa garde. La division a pris les armes. L'ennemi a voulu charger
sur le cent cinquante-troisième régiment; mais il a été chassé du
champ de bataille, qu'il a laissé couvert de morts. Parmi les tués, se
trouvent le colonel et une douzaine d'officiers des gardes-du-corps de
Prusse, dont on a apporté les décorations.

Le 27, le quartier-général de l'empereur était à Liegnitz, où se
trouvaient la jeune et la vieille garde, et les corps du général
Lauriston et du général Reynier. Le corps du prince de la Moskwa était
à Haynau; celui du duc de Bellune manoeuvrait sur Glogau. Le duc de
Tarente était à Goldberg. Le duc de Raguse et le comte Bertrand étaient
sur la route de Goldberg à Liegnitz.

Il paraît que toute l'armée ennemie a pris la direction de Jauer et de
Schweidnitz.

On ramasse bon nombre de prisonniers. Les villages sont pleins de
blessés ennemis.

Liegnitz est une assez jolie ville, de dix mille habitans. Les autorités
l'avaient quittée par ordres exprès; ce qui mécontente fort les habitans
et les paysans du cercle. Le comte Daru a été en conséquence chargé de
former de nouvelles magistratures.

Tous les gens de la cour et toute la noblesse qui avaient évacué Berlin,
s'étaient retirés à Breslau; aujourd'hui ils évacuent Breslau, et une
partie se retire en Bohême.

Les lettres interceptées ne parlent que de la consternation de l'ennemi
et des pertes énormes qu'il a faites à la bataille de Wurtchen.



Le 29 mai au matin.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le duc de Bellune s'est porté sur Glogau. Le général Sébastiani a
rencontré près de Sprottau un convoi ennemi, l'a chargé, lui a pris
vingt-deux pièces de canon, quatre-vingts caissons et cinq cents
prisonniers.

Le duc de Raguse est arrivé le 28 au soir à Jauer, poussant
l'arrière-garde ennemie, dont il avait tourné la position sur ce point.
Il lui a fait trois cents prisonniers. Le duc de Tarente et le comte
Bertrand étaient arrivés à la hauteur de cette ville.

Le 28, à la pointe du jour, le prince de la Moskwa, avec les corps du
comte Lauriston et du général Reynier, s'était porté sur Neumarck.
Ainsi, notre avant-garde n'est plus qu'à sept lieues de Breslau.

Le 29 mai, à dix heures du matin, le comte Schouvaloff, aide-de-camp
de l'empereur de Russie, et le général Kleist, général de division
prussien, se sont présentés aux avant-postes. Le duc de Vicence a été
parlementer avec eux. On croit que cette entrevue est relative à la
négociation de l'armistice.

On a des nouvelles de nos places, qui sont toutes dans la meilleure
situation.

Les ouvrages qui défendaient le champ de bataille de Wurtchen sont
très-considérables; aussi l'ennemi avait-il dans ses retranchemens la
plus grande confiance. On peut s'en faire une idée, quand on saura que
c'était le travail de dix mille ouvriers pendant trois mois; car c'est
depuis le mois de février que les Russes travaillaient à cette position
qu'ils considéraient comme inexpugnable.

Il paraît que le général Wittgenstein a quitté le commandement de
l'armée combinée: c'est le général Barclay de Tolly qui la commande.

L'armée est ici dans le plus beau pays possible; la Silésie est un
jardin continu, où l'armée se trouve dans la plus grande abondance de
tout.



Le 30 mai 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Un convoi d'artillerie d'une cinquantaine de voitures, parti
d'Augsbourg, s'est éloigné de la route de l'armée, et s'est dirigé
d'Augsbourg sur Bayreuth; les partisans ennemis ont attaqué ce convoi
entre Zwickau et Chemnitz, ce qui a occasionné la perte de deux cents
hommes et de trois cents chevaux qui ont été pris; de sept à huit pièces
de canon, et de plusieurs voitures qui ont été détruites; les pièces ont
été reprises. S. M. a ordonné de faire une enquête pour savoir qui a
pris sur soi de changer la route de l'armée. Que ce soit un général ou
un commissaire des guerres, il doit être puni selon la rigueur des lois
militaires, la route de l'armée ayant été ordonnée d'Augsbourg par
Wurtzbourg et Fulde.

Le général Poinsot, venant de Brunswick avec un régiment de marche de
cavalerie, fort de quatre cents hommes, a été attaqué par sept à huit
cents hommes de cavalerie ennemie près Halle; il a été fait prisonnier
avec une centaine d'hommes; deux cents hommes sont revenus à Leipsick.

Le duc de Padoue est arrivé à Leipsick, où il réunit sa cavalerie pour
balayer toute la rive gauche de l'Elbe.



Le 31 mai au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le duc de Vicence, le comte de Schouvaloff et le général Kleist ont eu
une conférence de dix-huit heures, au couvent de Watelstadt, près de
Liegnitz. Ils se sont séparés hier 30, à cinq heures après-midi. Le
résultat n'est pas encore connu. On est convenu, dit-on, du principe
d'un armistice, mais on ne paraît pas d'accord sur les limites qui
doivent former la ligne de démarcation. Le 31, à six heures du soir, les
conférences ont recommencé du côté de Striegau.

Le quartier-général de l'empereur était à Neumarck; celui du prince de
la Moskwa, ayant sous ses ordres le général Lauriston et le général
Reynier, était à Lissa. Le duc de Tarente et le comte Bertrand étaient
entre Jauer et Striegau. Le duc de Raguse était entre Moys et Neumarkt.
Le duc de Bellune était à Steinau sur l'Oder. Glogau était entièrement
débloqué. La garnison a eu constamment du succès dans ses sorties. Cette
place a encore pour sept mois de vivres.

Le 28, le duc de Reggio ayant pris position à Hoyerswerda, fut attaqué
par le corps du général Bulow, fort de quinze à dix-huit mille hommes.
Le combat s'engagea; l'ennemi fut repoussé sur tous les points et
poursuivi l'espace de deux lieues.

Le 22 mai, le lieutenant-général Vandamme s'est emparé de Wilhelmsburg,
devant Hambourg.

Le 24, le quartier-général du prince d'Eckmülh était à Harbourg.
Plusieurs bombes étaient tombées dans Hambourg, et les troupes russes
paraissant évacuer cette ville, les négociations s'étaient ouvertes
pour la reddition de cette place; les troupes danoises faisaient cause
commune avec les troupes françaises.

Il devait y avoir, le 25, une conférence avec les généraux danois,
pour régler le plan d'opérations. M. le comte de Kaas, ministre de
l'intérieur du roi de Danemarck, et chargé d'une mission auprès de
l'empereur, était parti pour se rendre au quartier-général.



Le 2 juin 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur était toujours à Neumarkt; celui
du prince de la Moskwa était à Lissa; le duc de Tarente et le comte
Bertrand étaient entre Jauer et Striegau; le duc de Raguse au village
d'Eisendorf; le troisième corps, au village de Titersdorf; le duc de
Bellune entre Glogau et Liegnitz.

Le comte de Bubna était arrivé à Liegnitz, et avait des conférences avec
le duc de Bassano.

Le général Lauriston est entré à Breslau le 1er juin, à six heures du
matin. Une division prussienne de six à sept mille hommes qui couvrait
cette ville en défendant le passage de la Lohe, a été enfoncée au
village de Neukirchen.

Le bourgmestre et quatre députés de la ville de Breslau ont été
présentés à l'empereur, à Neumarkt, le 1er juin, à deux heures
après-midi.

S. M. leur a dit qu'ils pouvaient rassurer les habitans; que quelque
chose qu'ils eussent faite pour seconder l'esprit d'anarchie que les
Stein et les Scharnhorss voulaient exciter, elle pardonnait à tous.

La ville est parfaitement tranquille, et tous les habitans y sont
restés. Breslau offre de très-grandes ressources.

Le duc de Vicence et les plénipotentiaires russe et prussien, le
comte Schouvaloff et le général de Kleist, avaient échangé leurs
pleins-pouvoirs, et avaient neutralisé le village de Peicherwitz.
Quarante hommes d'infanterie et vingt hommes de cavalerie, fournis
par l'armée française, et le même nombre d'hommes fournis par l'armée
alliée, occupaient respectivement les deux entrées du village. Le 2 au
matin, les plénipotentiaires étaient en conférence pour convenir de la
ligne qui, pendant l'armistice, doit déterminer la position des
deux armées. En attendant, des ordres ont été donnés des deux
quartiers-généraux afin qu'aucunes hostilités n'eussent lieu. Ainsi,
depuis le 1er juin, à deux heures de l'après-midi, il n'a été commis
aucune hostilité de part ni d'autre.



Le 4 juin au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'armistice a été signé le 4, à deux heures après midi.

S. M. l'empereur part le 5, à la pointe du jour, pour se rendre à
Liegnitz. On croit que pendant la durée de l'armistice, S. M. se tiendra
une partie du temps à Glogau, et la plus grande partie à Dresde, afin
d'être plus près de ses états.

Glogau est approvisionné pour un an.



Le 6 juin 1813.

_A. S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur était, le 6, à Liegnitz.

Le prince de la Moskwa était toujours à Breslau.

Les commissaires nommés par l'empereur de Russie, pour l'exécution
de l'armistice, étaient le comte de Schouvaloff, aide-de-camp de
l'empereur, et M. de Koutousoff, major-général, aide-de-camp de
l'empereur. Les commissaires nommés de la part de la France, sont le
général de division Dumoutier, commandant une division de la garde,
et le général de brigade Flahaut, aide-de-camp de l'empereur.--Ces
commissaires se tiennent à Neumarkt.

Le duc de Trévise porte son quartier-général à Glogau, avec la jeune
garde. La vieille garde retourne à Dresde, où l'on croit que S. M. va
porter son quartier-général.

Les différens corps d'armée se sont mis en marche, pour former des camps
dans les différentes positions de Goldberg, de Loewenberg, de Buntzlau,
de Liegnitz, de Sprottau, de Sagan, etc.

Le corps polonais du prince Poniatowski, qui traverse la Bohême, est
attendu à Zittau le 10 juin.



Le 7 juin 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de S. M. l'empereur était à Buntzlau. Tous les corps
d'armée étaient en marche pour se rendre dans leurs cantonnemens. L'Oder
était couvert de bateaux qui descendaient de Breslau à Glogau, chargés
d'artillerie, d'outils, de farine et d'objets de toute espèce pris à
l'ennemi.

La ville de Hambourg a été reprise le 30 mai, de vive force. Le prince
d'Eckmülh se loue spécialement de la conduite du général Vandamme.
Hambourg avait été perdu, pendant la campagne précédente, par la
pusillanimité du général Saint-Cyr: c'est à la vigueur qu'a déployée
le générai Vandamme, du moment de son arrivée dans la trente-deuxième
division militaire, qu'on doit la conservation de Brême, et aujourd'hui
la prise de Hambourg. On y a fait plusieurs centaines de prisonniers.
On a trouvé dans la ville deux ou trois cents pièces de canon, dont
quatre-vingts sur les remparts. On avait fait des travaux pour mettre la
ville en état de défense.

Le Danemarck marche avec nous: le prince d'Eckmülh avait le projet de se
porter sur Lubeck. Ainsi, la trente-deuxième division militaire et tout
le territoire de l'empire sont entièrement délivrés de l'ennemi.

Des ordres ont été donnés pour faire de Hambourg une place forte: elle
est environnée d'un rempart bastionné, ayant un large fossé plein d'eau,
et pouvant être couvert en partie par des inondations. Les travaux sont
dirigés de manière que la communication avec Hambourg se fasse par les
îles, en tout temps.

L'empereur a ordonné la construction d'une autre place sur l'Elbe, à
l'embouchure du Havel. Koenigstein, Torgau, Wittemberg, Magdebourg,
la place du Havel et Hambourg, compléteront la défense de la ligne de
l'Elbe.

Les ducs de Cambridge et de Brunswick, princes de la maison
d'Angleterre, sont arrivés à temps à Hambourg, pour donner plus de
relief au succès des Français. Leur voyage se réduit à ceci: ils sont
arrivés, et se sont sauvés.

Les derniers bataillons des cinq divisions du prince d'Eckmülh,
lesquelles sont composées de soixante-douze bataillons au grand complet,
sont partis de Wesel.

Depuis le commencement de la campagne, l'armée française a délivré la
Saxe, conquis la moitié de la Silésie, réoccupé la trente-deuxième
division militaire, confondu les espérances de nos ennemis.



Le 10 juin 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur était arrivé le 10, à quatre heures du matin, à Dresde. La
garde à cheval y était arrivée à midi. La garde à pied y était attendue
le lendemain 11.

S. M., arrivée au moment où on s'y attendait le moins, avait ainsi rendu
inutiles les préparatifs faits pour sa réception.

A midi, le roi de Saxe est venu voir l'empereur, qu'on a logé au
faubourg, dans la belle maison Marcolini, où il y a un grand appartement
au rez-de-chaussée et un beau parc; le palais du roi, qu'habitait
précédemment l'empereur, n'ayant pas de jardin.

A sept heures du soir, l'empereur a reçu M. de Kaas, ministre de
l'intérieur et de la justice du roi de Danemarck.

Une brigade danoise de la division auxiliaire mise sous les ordres du
prince d'Eckmülh, avait pris, le 2 juin, possession de Lubeck.

Le prince de la Moskwa était, le 10, à Breslau; le duc de Trévise,
à Glogau; le duc de Bellune, à Crossen; le duc de Reggio, sur les
frontières de la Prusse, du côté de Berlin. L'armistice avait été publié
partout. Les troupes faisaient des préparatifs pour asseoir leurs
baraques et camper dans leurs positions respectives, depuis Glogau et
Liegnitz, jusqu'aux frontières de la Bohême et à Goerlitz.



Le 14 juin au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Toutes les troupes sont arrivées dans leurs cantonnemens. On élève des
baraques et l'on forme les camps.

L'empereur a paradé tous les jours à dix heures.

Quelques partisans ennemis sont encore sur les derrières. Il y en a qui
font la guerre pour leur compte, à la manière de Schill, et qui refusent
de reconnaître l'armistice. Plusieurs colonnes sont en mouvement pour
les détruire.



Le 15 juin 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le baron de Kaas, ministre de l'intérieur de Danemarck, et envoyé avec
des lettres du roi, a été présenté à l'empereur.

Après les affaires de Copenhague, un traité d'alliance fut conclu entre
la France et le Danemarck: par ce traité, l'empereur garantissait
l'intégrité du Danemarck.

Dans le courant de 1811, la cour de Suède fit connaître à Paris le désir
qu'elle avait de réunir la Norwège à la Suède, et demanda l'assistance
de la France. L'on répondit que, quelque désir qu'eût la France de faire
une chose agréable à la Suède, un traité d'alliance ayant été conclu
avec le Danemarck, et garantissant l'intégrité de cette puissance, S. M.
ne pouvait jamais donner son consentement au démembrement du territoire
de son allié.

Dès ce moment, la Suède s'éloigna de la France, et entra en négociation
avec ses ennemis.

Depuis, la guerre devint imminente entre la France et la Russie. La
cour de Suède proposa de faire cause commune avec la France, mais en
renouvelant sa proposition relative à la Norwège. C'est en vain que la
Suède fit entrevoir que des ports de Norwège une descente en Écosse
était facile; c'est en vain que l'on fit valoir toutes les garanties que
l'ancienne alliance de la Suède donnerait à la France de la conduite
qu'on tiendrait avec l'Angleterre. La conduite du cabinet des Tuileries
fut la même: on avait les mains liées par le traité avec le Danemarck.

Dès ce moment, la Suède ne garda plus de mesures; elle contracta une
alliance avec l'Angleterre et la Russie; et la première stipulation de
ce traité fut l'engagement commun de contraindre le Danemarck à céder la
Norwège à la Suède.

Les batailles de Smolensk et de la Moskwa enchaînèrent l'activité de la
Suède; elle reçut quelques subsides, fit quelques préparatifs, mais ne
commença aucune hostilité. Les événemens de l'hiver de 1812 arrivèrent,
les troupes françaises évacuèrent Hambourg. La situation du Danemarck
devint périlleuse; en guerre avec l'Angleterre, menacée par la Suède et
par la Russie, la France paraissait impuissante pour le soutenir. Le
roi de Danemarck, avec cette loyauté qui le caractérise, s'adressa à
l'empereur pour sortir de cette situation. L'empereur, qui veut que
sa politique ne soit jamais à charge à ses alliés, répondit que le
Danemarck était maître de traiter avec l'Angleterre pour sauver
l'intégrité de son territoire, et que son estime et son amitié pour le
roi ne recevraient aucun refroidissement des nouvelles liaisons que la
force des circonstances obligeait le Danemarck à contracter. Le roi
témoigna toute sa reconnaissance de ce procédé.

Quatre équipages de très-bons matelots avaient été fournis par le
Danemarck, et montaient quatre vaisseaux de notre flotte de l'Escaut. Le
roi de Danemarck ayant témoigné, sur ces entrefaites, le désir que ces
marins lui fussent rendus, l'empereur les lui renvoya avec la plus
scrupuleuse exactitude, en témoignant aux officiers et aux matelots la
satisfaction qu'il avait de leurs bons services.

Cependant les événemens marchaient.

Les alliés pensaient que le rêve de Burke était réalisé. L'empire
français, dans leur imagination, était déjà effacé du globe, et il faut
que cette idée ait prédominé à un étrange point, puisqu'ils offraient
au Danemarck, en indemnité de la Norwège, nos départemens de la
trente-deuxième division militaire, et même toute la Hollande, afin de
recomposer dans le Nord une puissance maritime qui fît système avec la
Russie.

Le roi de Danemarck, loin de se laisser surprendre à ces appâts
trompeurs, leur dit: «Vous voulez donc me donner des colonies en Europe,
et cela au détriment de la France?»

Dans l'impossibilité de faire partager au roi de Danemarck une idée
aussi folle, le prince Dolgorouki fut envoyé à Copenhague pour demander
qu'on fit cause commune avec les alliés, et moyennant ce, les alliés
garantissaient l'intégrité du Danemarck et même de la Norwège.

L'urgence des circonstances, les dangers imminens que courait le
Danemarck, l'éloignement des armées françaises, son propre salut firent
fléchir la politique du Danemarck. Le roi consentit, moyennant la
garantie de l'intégrité de ses états, à couvrir Hambourg, et à tenir
cette ville à l'abri même des armées françaises, pendant toute la
guerre. Il comprit tout ce que cette stipulation pouvait avoir de
désagréable pour l'empereur; il y fit toutes les modifications de
rédaction qu'il était possible d'y faire, et même ne la signa qu'en
cédant aux instances de tous ceux dont il était entouré, qui lui
représentaient la nécessité de sauver ses états; mais il était loin
dépenser que c'était un piège qu'on venait là de lui tendre. On voulait
le mettre ainsi en guerre avec la France, et après lui avoir fait perdre
de cette façon son appui naturel dans cette circonstance, on voulait lui
manquer de parole; et l'obliger de souscrire à toutes les conditions
honteuses qu'on voudrait lui imposer.

M. de Bernstorf se rendit à Londres; il croyait y être reçu avec
empressement et n'avoir plus qu'à renouveler le traité consenti avec
le prince Dolgorouki: mais quel fut son étonnement, lorsque le prince
régent refusa de recevoir la lettre du roi, et que lord Castlereagh lui
fit connaître qu'il ne pouvait y avoir de traité entre le Danemarck et
l'Angleterre, si, au préalable, la Norwège n'était cédée à la Suède.
Peu de jours après, le comte de Bernstorf reçut ordre de retourner en
Danemarck.

Au même moment, on tint le même langage au comte de Moltke, envoyé de
Danemarck auprès de l'empereur Alexandre. Le prince Dolgorouki fut
désavoué comme ayant dépassé ses pouvoirs, et pendant ce temps les
Danois faisaient leur notification à l'armée française, et quelques
hostilités avaient lieu!

C'est en vain qu'on ouvrirait les annales des nations pour y voir une
politique plus immorale. C'est au moment que le Danemarck se trouve
ainsi engagé dans un état de guerre avec la France, que le traité auquel
il croit se conformer est à la fois désavoué à Londres et en Russie,
et qu'on profite de l'embarras où cette puissance est placée, pour lui
présenter comme _ultimatum,_ un traité qui l'engageait à reconnaître la
cession de la Norwège!

Dans ces circonstances difficiles le roi montra la plus grande confiance
dans l'empereur; il déclara le traité nul. Il rappela ses troupes de
Hambourg, Il ordonna que son armée marcherait avec l'armée française, et
enfin il déclara qu'il se considérait toujours comme allié de la France,
et qu'il s'en reposait sur la magnanimité de l'empereur.

Le président de Kaas fut envoyé au quartier-général français avec des
lettres du roi.

En même temps le roi fit partir pour la Norwège le prince héréditaire de
Danemarck, jeune prince de la plus grande espérance, et particulièrement
aimé des Norvégiens. Il partit déguisé en matelot, se jeta dans une
barque de pêcheur et arriva en Norwège le 22 mai.

Le 30 mai les troupes françaises entrèrent à Hambourg, et une division
danoise, qui marchait avec nos troupes, entra à Lubeck.

Le baron de Kaas se trouvant à Altona, eut à essuyer une autre scène de
perfidie égale à la première.

Les envoyés des alliés vinrent à son logement et lui firent connaître
que l'on renonçait à la cession de la Norwège, et que sous la condition
que le Danemarck fit cause commune avec les alliés, il n'en serait plus
question; qu'ils le conjuraient de retarder son départ. La réponse de M.
de Kaas fut simple: «J'ai mes ordres, je dois les exécuter.» On lui
dit que les armées françaises étaient défaites; cela ne l'ébranla pas
davantage, et il continua sa route.

Cependant, le 31 mai une flotte anglaise parut dans la rade de
Copenhague; un des vaisseaux de guerre mouilla devant la ville, et M.
Thornton se présenta. Il fit connaître que les alliés allaient commencer
les hostilités, si, dans quarante-huit heures, le Danemarck ne
souscrivait à un traité, dont les principales conditions étaient de
céder la Norwège à la Suède, en remettant sur-le-champ en dépôt la
province de Drontheim, et de fournir vingt-cinq mille hommes pour
marcher avec les alliés contre la France, et conquérir les indemnités
qui devaient être la part du Danemarck. On déclarait en même temps que
les ouvertures faites à M. de Kaas, à son passage à Altona, étaient
désavouées et ne pouvaient être considérées que comme des pourparlers
militaires. Le roi rejeta avec indignation cette injurieuse sommation.

Cependant le prince royal arrivé en Norvège, y avait publié la
proclamation suivante:

«Norwégiens!

«Votre roi connaît et apprécié votre fidélité inébranlable pour lui
et la dynastie des rois de Norwège et de Danemarck, qui, depuis des
siècles, règne sur vos pères et sur vous. Son désir paternel est
de resserrer encore davantage le lien indissoluble de l'amitié
_fraternelle_ et de l'union qui lie les peuples des deux royaumes. Le
coeur de Frédéric VI est toujours avec vous, mais ses soins pour toutes
les branches de l'administration de l'état le privent de se voir entouré
de son peuple norwégien. C'est pour cela qu'il m'envoie près de vous,
comme gouverneur, pour exécuter ses volontés comme s'il était présent;
ses ordres seront mes lois. Mes efforts seront de gagner votre
confiance. Votre estime et votre amitié seront ma récompense. Peut-être
que des épreuves plus dures nous menacent ... Mais ayant confiance dans
la Providence, j'irai sans crainte au-devant d'elles, et avec votre
aide, fidèles Norwégiens; je vaincrai tous les obstacles. Je sais que je
puis compter sur votre fidélité pour le roi, que vous voulez conserver
l'ancienne indépendance de la Norwège, et que la devise qui nous réunit
est: _Pour Dieu, le roi et la patrie!_

_Signé_ CHRISTIAN-FRÉDÉRIC.



La confiance que le roi de Danemarck a eue dans l'empereur se trouve
entièrement justifiée, et tous les liens entre les deux peuples ont été
rétablis et resserrés.

L'armée française est à Hambourg: une division danoise en suit les
mouvements, pour la soutenir. Les Anglais ne retirent de leur politique
que honte et confusion; les voeux de tous les gens de bien accompagnent
le prince héréditaire de Danemarck en Norwège. Ce qui rend critique la
position de la Norwège, c'est le manque de subsistances; mais la Norwège
restera danoise; l'intégrité du Danemarck est garantie par la France.

Le bombardement de Copenhague, pendant qu'un ministre anglais était
encore auprès du roi, l'incendie de cette capitale et de la flotte sans
déclaration de guerre, sans aucune hostilité préalable, paraissaient
devoir être la scène la plus odieuse de l'histoire moderne; mais la
politique tortueuse qui porte les Anglais à demander la cession d'une
province, heureuse depuis tant d'années sous le sceptre de la maison
de Holstein, et la série d'intrigues dans laquelle ils descendent pour
arriver à cet odieux résultat, seront considérées comme plus immorales
et plus outrageantes encore que l'incendie de Copenhague. Ou y
reconnaîtra la politique dont les maisons de _Timor_ et de _Sicile_ ont
été victimes, et qui les a dépouillées de leurs états. Les Anglais se
sont accoutumés dans l'Inde à n'être jamais arrêtés par aucune idée de
justice. Ils suivent cette politique en Europe.

Il paraît que dans tous les pourparlers que les alliés ont eus avec
l'Angleterre, les puissances les plus ennemies de la France ont été
soulevées par l'exagération des prétentions du gouvernement anglais.
Les bases même de la paix de Lunéville, les Anglais les déclaraient
inadmissibles comme trop favorables à la France. Les insensés! ils se
trompent de latitude, et prennent les Français pour des Hindous!



Le 21 juin 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le huitième corps commandé par le prince Poniatowski, qui a traversé la
Bohême, est arrivé à Zittau en Lusace. Ce corps est fort de dix-huit
mille hommes, dont six mille de cavalerie. Tous les ordres ont été
donnés pour compléter son habillement, et pour lui fournir tout ce qui
pourrait lui manquer.

S. M. a été le 20 à Pirna et à Koenigstein.

Le président de Kaas, envoyé par le roi de Danemarck, a reçu son
audience de congé, et est parti de Dresde.

Les corps francs prussiens levés à l'instar de celui de Schill, ont
continué, depuis l'armistice, à mettre des contributions, et à arrêter
les hommes isolés. On leur a fait signifier l'armistice dès le 8;
mais ils ont déclaré faire la guerre pour leur compte; et comme ils
continuaient la même conduite, on a fait marcher contre eux plusieurs
colonnes. Le capitaine Lutzow, qui commandait une de ces bandes, a été
tué; quatre cents des siens ont été tués ou pris, et le reste dispersé.
On ne croit pas que cent de ces brigands soient parvenus à repasser
l'Elbe. Une autre bande, commandée par un capitaine Colombe, est
entièrement cernée, et on a l'espoir que sous peu de jours la rive
gauche de l'Elbe sera tout-à-fait purgée de la présence de ces bandes,
qui se portaient à toute espèce d'excès envers les malheureux habitans.

L'officier envoyé à Custrin est de retour. La garnison de cette place
est d'environ cinq mille hommes, et n'a que cent cinquante malades. La
place est dans le meilleur état, et est approvisionnée pour six mois en
blé, riz, légume, viandes fraîches, et tous les objets nécessaires.

La garnison a toujours été maîtresse des dehors de la place jusqu'à
mille toises. Pendant ces quatre mois, le commandant n'a pas cessé
de travailler à augmenter les moyens de son artillerie et les
fortifications de la place.

Toute l'armée est campée; ce repos fait le plus grand bien à nos
troupes. Les distributions régulières de riz contribuent beaucoup à
entretenir la santé du soldat.



Le 25 juin 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 24, l'empereur a dîné chez le roi de Saxe. Le soir, la comédie
française a donné sur le théâtre de la cour une représentation d'une
pièce de Molière, à laquelle LL. MM. ont assisté.

Le roi de Westphalie est venu à Dresde, voir l'empereur.

Le 25, l'empereur a parcouru les différens débouchés des forêts de
Dresde, et a fait une vingtaine de lieues. S. M., partie à cinq heures
après midi, était de retour à dix heures du soir.

Deux ponts ont été jetés sur l'Elbe, vis-à-vis la forteresse de
Koenigstein. Le rocher de Silienstein, qui est sur la rive droite, à
une demi-portée de canon de Koenigstein, a été occupé et fortifié. Des
magasins et autres établissemens militaires sont préparés dans cette
intéressante position. Un camp de soixante mille hommes, appuyé ainsi à
la forteresse de Koenigstein, et pouvant manoeuvrer sur les deux rives,
serait inattaquable par quelque force que ce fût.

Le roi de Bavière a établi autour de Nymphenbourg, près de Munich, un
camp de vingt-cinq mille hommes.

L'empereur a donné au duc de Castiglione le commandement du corps
d'observation de Bavière. Cette armée se réunit à Wurtzbourg. Elle est
composée de six divisions d'infanterie et de deux de cavalerie.

Le vice-roi réunit entre la Piave et l'Adige l'armée d'Italie, composée
de trois corps. Le général Grenier en commande un.

Le nouveau corps qui vient d'être formé à Magdebourg, sous le
commandement du général Vandamme, compte déjà quarante bataillons et
quatre-vingt pièces d'artillerie.

Le prince d'Eckmühl est à Hambourg. Son corps a été renforcé par des
troupes venant de France et de Hollande, de sorte que sur ce point il y
plus de troupes qu'il n'y en a jamais eu. La division danoise qui est
réunie au corps du prince d'Eckmühl est de quinze mille hommes.

Le deuxième corps, que commande le duc de Bellune, n'avait qu'une
division pendant la campagne qui vient de finir; ce corps a été
complété, et le duc de Bellune commande aujourd'hui les trois divisions.

Les circonstances étaient si urgentes au commencement de la campagne,
que les bataillons d'un même régiment se trouvaient disséminés dans
différens corps. Tout a été régularisé, et chaque régiment a réuni ses
bataillons. Chaque jour il arrive une grande quantité de bataillons
de marche qui passent l'Elbe à Magdebourg, à Wittemberg, à Torgau, à
Dresde. S. M. passe tous les jours la revue de ceux qui arrivent par
Dresde.

Les équipages militaires de l'armée ont aujourd'hui, soit en caissons
d'ancien modèle, soit en caissons du nouveau modèle (dit no. 2), soit
en voitures à la comtoise, de quoi transporter des vivres pour toute
l'armée pour un mois. S. M. a reconnu que les voitures à la comtoise,
ainsi que les caissons d'ancien modèle, ont des inconvéniens, et elle
a prescrit que désormais les équipages, au fur et à mesure des
remplacemens, fussent établis sur les modèles des caissons no. 2,
attelés de quatre chevaux et qui portent facilement vingt quintaux.

L'armée est pourvue de moulins portatifs pesant seize livres, et faisant
chaque jour cinq quintaux de farine. On a distribué trois de ces moulins
par bataillon.

On travaille avec la plus grande activité à augmenter les fortifications
de Glogau.

On travaille également à augmenter les fortifications de Wittemberg. S.
M. veut faire de cette ville une place régulière; et comme le tracé en
est défectueux, elle a ordonné qu'on la fit couvrir par trois couronnes
en suivant à peu près la même méthode que le sénateur Chasseloup Laubat
a mise en pratique à Alexandrie.

Torgau est en bon état.

On travaille aussi avec une grande activité à fortifier Hambourg. Le
général du génie Haxo s'y est rendu pour tracer la citadelle et les
ouvrages à établir dans les îles pour lier Harbourg avec Hambourg. Les
ingénieurs des ponts et chaussées y construisent deux ponts volans dans
le même système que ceux d'Anvers, un pour la marée montante, l'autre
pour la marée descendante.

Une nouvelle place sur l'Elbe a été tracée par le général Haxo du côté
de Verden, à l'embouchure de la Havel.

Les forts de Cuxhaven, qui étaient en état de soutenir un siége, mais
qu'on avait abandonnés sans raison, et que l'ennemi avait rasés, se
rétablissent. On y travaille avec activité; ce ne seront plus de simples
batteries fermées, mais un fort qui, comme le fort impérial de l'Escaut,
protégera l'arsenal de construction et le bassin, dont l'établissement
est projeté sur l'Elbe, depuis que l'ingénieur Beaupré, qui a employé
deux ans à sonder ce fleuve, a reconnu qu'il avait les mêmes propriétés
que l'Escaut, et que les plus grandes escadres pouvaient y être
construits et réunies dans ses rades.

La troisième division de la jeune garde, que commande le général
Laborde, officier d'un mérite consommé, est campée dans les bois en
avant de Dresde, sur la rive droite de l'Elbe.

La quatrième division de la jeune garde, que commande le général Friant,
débouche par Wurtzbourg. Des régimens de cette division ont déjà dépassé
cette ville, et se portent sur Dresde.

La cavalerie de la garde compte déjà plus de neuf mille chevaux.
L'artillerie a déjà plus de deux cents pièces de canon. L'infanterie
forme cinq divisions, dont quatre de la jeune garde et une de la
vieille.

Le septième corps, que commande le général Reynier, composé de la
division Durutte, qui est une division française, et de deux divisions
saxonnes, reçoit son complément. Ce corps est campé en avant de
Goerlitz. Toute la cavalerie légère saxonne y est réunie, et va être
également complétée. Le roi de Saxe porte aussi ses deux beaux régimens
de cuirassiers à leur complet.

S. M. a été extrêmement satisfaite des rois et des grands-ducs de la
confédération. Le roi de Wurtemberg s'est particulièrement distingué. Il
a fait, proportion gardée, des efforts égaux à ceux de la France, et
son armée, infanterie, cavalerie et artillerie, a été portée au grand
complet. Le prince Émile de Hesse-Darmstadt, qui commande le contingent
de Hesse-Darmstadt, s'est constamment fait distinguer dans la campagne
passée et dans celle-ci par beaucoup de sang-froid et beaucoup
d'intrépidité. C'est un jeune prince d'espérance, que l'empereur,
affectionne Beaucoup. Les seuls princes de Saxe sont en arrière pour le
contingent.

Non-seulement la citadelle d'Erfurt est en bon état et parfaitement
approvisionnée, mais les fortifications ont été relevées; elles sont
couvertes par des ouvrages avancés, et désormais Erfurt sera une place
forte de première importance.

Le congrès n'est pas encore réuni: on espère pourtant qu'il le sera
sous quelques jours. Si on a perdu un mois, la faute n'en est pas a la
France.

L'Angleterre, qui n'a pas d'argent, n'a pu en fournir aux coalisés; mais
elle vient d'imaginer un expédient nouveau. Un traité a été conclu entre
l'Angleterre, la Russie et la Prusse, moyenant lequel il sera créé pour
plusieurs centaines de millions d'un nouveau papier garanti par les
trois puissances. C'est sur cette ressource que l'on compte pour faire
face aux frais de la guerre.

Dans les articles séparés, l'Angleterre garantit le tiers de ce papier,
de sorte qu'en réalité, c'est une nouvelle dette ajoutée à la dette
anglaise. Il reste à savoir dans quel pays on émettra ce nouveau papier.
Lorsque cette idée lumineuse a été conçue, on espérait probablement que
cette émission aurait lieu aux dépens de la confédération du Rhin et
même de la France, notamment dans la Hollande, dans la Belgique et
dans les départemens du Rhin. Cependant le traité n'en a pas moins été
ratifié depuis l'armistice. La Russie fait la dépense de son armée avec
du papier, que les habitans de la Prusse sont obligés de recevoir; la
Prusse elle-même fait son service avec du papier: l'Angleterre aussi a
son papier. Il paraît que chacun de ces papiers isolé n'a plus le crédit
suffisant, puisque ces puissances prennent le parti d'en créer un en
commun. C'est aux négocians et aux banquiers à nous faire connaître s'il
faut multiplier le crédit du nouveau papier par le crédit des trois
puissances, ou bien si ce crédit doit être le quotient.

La Suède seule paraît avoir reçu de l'argent de l'Angleterre, à peu près
cinq à six cent mille livres sterling.

La garnison de Modlin est en bon état; les fortifications sont
augmentées. On déchiffrait au quartier-général les rapports des
gouverneurs de Modlin et de Zamosc. Les garnisons de ces deux places
sont restées maîtresses du pays à une lieue autour d'elles, les troupes
qui les bloquaient n'étant que des milices mal armées et mal équipées.

L'empereur a pris à sa solde l'armée du prince Poniatowski, et lui a
donné une nouvelle organisation. Des ateliers sont établis pour fournir
à ses besoins. Avant vingt jours, elle sera équipée à neuf et remise en
bon état.

Quelque brillante que soit cette situation, et quoique S. M. ait
réellement plus de puissance militaire que jamais, elle n'en désire la
paix qu'avec plus d'ardeur.

L'administration a fait acheter une grande quantité de riz, afin que
pendant toute la grande chaleur cette denrée entre pour un quart dans
les rations du soldat.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le comte de Metternich, ministre d'état et des conférences de S. M.
l'empereur d'Autriche, est arrivé à Dresde, et a déjà eu plusieurs
conférences avec le duc de Bassano.

La Russie vient d'obtenir du roi de Prusse que le papier russe ait un
cours forcé dans les états prussiens, et comme le papier prussien perd
déjà soixante-dix pour cent, cette ordonnance ne semble pas propre à
relever le crédit de la Prusse.

La ville de Berlin est tourmentée de toutes les manières, et chaque jour
les vexations s'y font sentir davantage. Cette capitale compare déjà sa
situation à celle de plusieurs villes de France en 1793.

S. M. l'empereur a fait le 28 une course de huit à dix heures aux
environs de Dresde.

On a reçu des nouvelles de Modlin et de Zamosc. Ces places sont dans la
meilleure situation, soit pour les vivres et les munitions de guerre,
soit pour les fortifications.



Magdebourg, le 12 juillet 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur est arrivé aujourd'hui ici à sept heures du matin. S. M. est
aussitôt montée à cheval, et a visité les fortifications, qui rendent
Magdebourg une des plus fortes places de l'Europe.

S. M. est partie de Dresde le 10, à trois heures du matin. Elle a
déjeuné à Torgau, a visité les fortifications de cette place, et y a vu
la brigade de troupes saxonnes commandée par le général Lecocq. A six du
soir, elle est arrivée à Wittemberg, et en a visité les fortifications.

Le 11, à cinq heures du matin, S. M. a passé en revue trois divisions
(les cinquième, sixième et sixième _bis_) arrivant de France; elle a
nommé aux emplois vacans, et a accordé des récompenses à plusieurs
officiers et soldats.

Parti de Wittemberg à trois heures après-midi, l'empereur est arrivé à
six heures à Dessau, où S. M. a vu la division du général Philippon.

S. M. a quitté Dessau à deux heures du matin, et dès cinq heures elle se
trouvait à Magdebourg, où sont campées les trois divisions du corps du
général comte Vandamme.



Dresde, le 15 juillet 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur est parti de Magdebourg le 13, après avoir vu les divisions
du corps du général Vandamme, et s'est rendu à Leipsick.

Le 14, à cinq heures du matin, S. M. a vu le troisième corps de
cavalerie, que commande le duc de Padoue.

Dans l'après-midi, S. M. a vu sur la grande place de Leipsick le reste
des troupes du duc de Padoue, qu'elle n'avait pas pu voir le matin. Elle
est montée ensuite en voiture, à cinq heures du soir, pour Dresde, où
elle est arrivée à une heure après minuit.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le duc de Vicence, grand-écuyer, et le comte de Narbonne, ambassadeur
de France à Vienne, ont été nommés par l'empereur ses ministres
plénipotentiaires à Prague.

Le comte de Narbonne était parti le 9.

On croit que le duc de Vicence partira le 18.

Le conseiller intime d'Anstett, plénipotentiaire de l'empereur de
Russie, était arrivé le 12 juillet à Prague.

Une convention avait été signée à Neumarkt pour la prolongation de
l'armistice jusqu'à la mi-août.



De notre camp impérial de Dresde, le 14 août 1813.

_Lettre de l'empereur au duc de Massa, grand-juge ministre de la
justice._

«Monsieur le duc de Massa, notre grand-juge ministre de la justice,

«Nous avons appris avec la plus grande peine la scène scandaleuse qui
vient de se passer à Bruxelles, aux assises de la cour impériale. Notre
bonne ville d'Anvers, après avoir perdu plusieurs millions par la
déprédation publique et avouée des agens de l'octroi, a perdu son procès
et a été condamnée aux dépens. Le jury, dans cette circonstance, n'a pas
répondu à la confiance de la loi, et plusieurs jurés, trahissant leur
serment, se sont livrés publiquement à la plus honteuse corruption. Dans
cette circonstance, quoiqu'il soit dans nos principes et dans notre
volonté que nos tribunaux administrent la justice avec la plus grande
indépendance, cependant, comme ils l'administrent en notre nom et à la
décharge de notre conscience, nous ne pouvons pas ignorer et tolérer un
pareil scandale, ni permettre que la corruption triomphe et marche tête
levée dans nos bonnes villes de Bruxelles et d'Anvers.

«Notre intention est qu'à la réception de la présente lettre, vous ayez
à ordonner à notre procureur impérial près la cour de Bruxelles de
réunir les juges qui ont présidé la session des assises, et de dresser
procès-verbal en forme d'enquête de ce qui est à leur connaissance, et
de ce qu'ils pensent relativement à la scandaleuse déclaration du jury
dans l'affaire dont il s'agit. Notre intention est que vous fassiez
connaître à notre procureur impérial près la cour de Bruxelles, que le
jugement de la cour rendu en conséquence de ladite déclaration du jury,
doit être regardé comme suspendu; qu'en conséquence les prévenus doivent
être remis sous la main de la justice, et le séquestre réapposé sur
leurs biens. Enfin notre intention est qu'en vertu du paragraphe 4
de l'article 55 du titre 5 des constitutions de l'empire, vous nous
présentiez, dans un conseil privé que nous autorisons à cet effet la
régente, notre chère et bien-aimée épouse, à présider, un projet de
sénatus-consulte pour annuler le jugement de la cour d'assises de
Bruxelles y et envoyer cette affaire à notre cour de cassation qui
désignera une cour impériale pardevant laquelle la procédure sera
recommencée et jugée, les chambres réunies et sans jury. Nous désirons
que si la corruption est active à éluder l'effet des lois, les
corrupteurs sachent que les lois, dans leur sagesse, ont su pourvoir
à tout. Notre intention est aussi que vous donniez des instructions à
notre procureur impérial, qui sera à cet effet autorisé par un article
du sénatus-consulte, pour qu'il poursuive ceux des jurés que la clameur
publique accuse d'avoir cédé à la corruption dans cette affaire. Nous
espérons que notre bonne ville d'Anvers sera consolée par cette juste
décision souveraine, et qu'elle y verra la sollicitude que nous portons
à nos peuples, même au milieu des camps et des circonstances de la
guerre.

«Sur ce, nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.»

NAPOLÉON.



Le 20 août 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Les ennemis ont dénoncé l'armistice le 11, à midi, et ont fait connaître
que les hostilités commenceraient le 19 après minuit.

En même temps, une note de M. le comte de Metternich, ministre des
relations extérieures d'Autriche, adressée à M. le comte de Narbonne,
lui fait connaître que l'Autriche déclarait la guerre à la France.

Le 17 au matin, les dispositions des deux armées étaient les suivantes:

Les quatrième, douzième et septième corps, sous les ordres du duc de
Reggio, étaient à Dahme.

Le prince d'Eckmühl, avec son corps, auquel les Danois étaient réunis,
campait devant Hambourg, son quartier-général étant à Bergedorf.

Le troisième corps était à Liegnitz, sous les ordres du prince de la
Moskwa.

Le cinquième corps était à Goldberg, sous les ordres du général
Lauriston.

Le onzième corps était à Loewenberg, sous les ordres du duc de Tarente.

Le sixième corps, commandé par le duc de Raguse, était à Bunzlau.

Le huitième corps, aux ordres du prince Poniatowski, était à Zittau.

Le maréchal Saint-Cyr était, avec le quatorzième corps, la gauche
appuyée à l'Elbe, au camp de Koenigstein et à cheval sur la grande
chaussée de Prague à Dresde, poussant des corps d'observation jusqu'aux
débouchés de Marienberg.

Le premier corps arrivait à Dresde, et le deuxième corps à Zittau.

Dresde, Torgau, Wittemberg, Magdebourg et Hambourg avaient chacun leur
garnison, et étaient armés et approvisionnés.

L'armée ennemie était, autant qu'on en peut juger, dans la position
suivante:

Quatre-vingt mille Russes et Prussiens étaient entrés, dès le 10 au
matin, en Bohême, et devaient arriver vers le 21 sur l'Elbe. Cette armée
est commandée par l'empereur Alexandre et le roi de Prusse, les généraux
russes Barclay de Tolly, Wittgenstein et Miloradowitch, et le général
prussien Kleist. Les gardes russe et prussienne en font partie; ce qui,
joint à l'armée du prince Schwartzenberg, formait la grande armée et une
force de deux cent mille hommes. Cette armée devait opérer sur la rive
gauche de l'Elbe, en passant ce fleuve en Bohême.

L'armée de Silésie, commandée par les généraux prussiens Blucher et
Yorck, et par les généraux russes Sacken et Langeron, paraissait se
réunir à Breslau; elle était forte de cent mille hommes.

Plusieurs corps prussiens, suédois et des troupes d'insurrection
couvraient Berlin, et étaient opposés à Hambourg et au duc de Reggio.
L'on portait la force de ces armées qui couvraient Berlin, à cent dix
mille hommes.

Toutes les opérations de l'ennemi étaient faites dans l'idée que
l'empereur repasserait sur la rive gauche de l'Elbe.

La garde impériale partie de Dresde, se porta le 15 à Bautzen, et le 18
à Goerlitz.

Le 19, l'empereur se porta à Zittau, fit marcher sur-le-champ les
troupes du prince Poniatowski, força les débouchés de la Bohême, passa
la grande chaîne des montagnes qui séparent la Bohême de la Lusace, et
entra à Gobel, pendant le temps que le général Lefèvre-Desnouettes, avec
une division d'infanterie et de cavalerie de la garde, s'emparait de
Hambourg, franchissait le col des montagnes à Georgenthal, et que le
général polonais Reminski s'emparait de Friedland et de Reichenberg.

Cette opération avait pour but d'inquiéter les alliés sur Prague, et
d'acquérir des notions certaines sur leurs projets. On apprit là ce que
nos espions avaient déjà fait connaître, que l'élite de l'armée russe
et prussienne traversait la Bohême, se réunissant sur la rive gauche de
l'Elbe.

Nos coureurs poussèrent jusqu'à seize lieues de Prague.

L'empereur était de retour de Bohême à Zittau le 20 à une heure du
matin; il laissa le duc de Bellune avec le deuxième corps à Zittau, pour
appuyer le corps du prince Poniatowski; il plaça le général
Vandamme, avec le premier corps, à Rumbourg, pour appuyer le général
Lefèvre-Desnouettes, ces deux généraux occupant en force le col, et
faisant construire des redoutes sur le mamelon qui domine sur le col.
L'empereur se porta par Lauban en Silésie, où il arriva le 20 avant sept
heures du soir.

L'armée ennemie de Silésie avait violé l'armistice, traversé le
territoire neutre dès le 12. Ils avaient le 15 insulté tous nos
avant-postes, et enlevé quelques vedettes.

Le 16, un corps russe se plaça entre le Bober et le poste de Spiller,
occupé par deux cents hommes de la division Charpentier. Ces braves qui
se reposaient sur la foi des traités, coururent aux armes, passèrent
sur le ventre des ennemis et les dispersèrent. Le chef de bataillon la
Guillermie les commandait.

Le 18, le duc de Tarente donna l'ordre au général Zucchi de prendre
la petite ville de Lahn; il s'y porta avec une brigade italienne; il
exécuta bravement son ordre, et fit perdre à l'ennemi plus de cinq cents
hommes: le général Zucchi est un officier d'un mérite distingué. Les
troupes italiennes ont attaqué, à la baïonnette, les Russes, qui étaient
en nombre supérieur.

Le 19, l'ennemi est venu camper à Zobten. Un corps de douze mille Russes
a passé le Bober et a attaqué le poste de Siebenicken, défendu par trois
compagnies légères. Le général Lauriston fait prendre les armes à une
partie de son corps, part de Loewenberg, marche à l'ennemi et le culbute
dans le Bober. La brigade du général Lafitte, de la division Rochambeau,
s'est distinguée.

Cependant, l'empereur, arrivé le 20 à Lauban, était, le 21, à la pointe
du jour, à Loewenberg, et faisait jeter des ponts sur le Bober. Le corps
du général Lauriston passa à midi. Le général Maison culbuta, avec sa
valeur accoutumée, tout ce qui voulut s'opposer à son passage, s'empara
de toutes les positions, et mena l'ennemi battant jusqu'auprès de
Goldberg. Le cinquième et le onzième corps l'appuyèrent. Sur la gauche,
le prince de la Moskwa faisait attaquer le général Saken par le
troisième corps, en avant de Bunzlau, le culbutait, le mettait en
déroute, et lui faisait des prisonniers.

L'ennemi se mit en retraite.

Un combat eut lieu le 23 août devant Goldberg. Le général Lauriston s'y
trouvait à la tête des cinquième et onzième corps. Il avait devant lui
les Russes qui couvraient la position de Flensberg, et les Prussiens qui
s'étendaient à droite sur la route de Liegnitz. Au moment où le général
Gérard débouchait par la gauche sur _Nieder-au_, une colonne de
vingt-cinq mille Prussiens parut sur ce point; il la fit attaquer au
milieu des baraques de l'ancien camp; elle fut enfoncée de toutes parts;
les Prussiens essayèrent plusieurs charges de cavalerie qui furent
repoussées à bout-portant; ils furent chassés de toutes leurs positions,
et laissèrent sur le champ de bataille près de cinq mille morts, des
prisonniers, etc. A la droite, _le Flensberg_ fut pris et repris
plusieurs fois; enfin, le cent trente-cinquième régiment s'élança sur
l'ennemi et le culbuta entièrement. L'ennemi a perdu sur ce point mille
morts et quatre mille blessés.

L'armée des alliés se retira en désordre et en toute hâte sur Jauer.

L'ennemi ainsi battu en Silésie, l'empereur prit avec lui le prince
de la Moskwa, laissa le commandement de l'armée de Silésie au duc
de Tarente, et arriva le 25 à Stolpen. La garde vieille et jeune,
infanterie, cavalerie et artillerie, fit ces quarante lieues en quatre
jours.



Le 28 août 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 26, à huit heures du matin, l'empereur entra dans Dresde. La grande
armée russe, prussienne et autrichienne, commandée par les souverains,
était en présence; elle couronnait toutes les collines qui environnent
Dresde, à la distance d'une petite lieue par la rive gauche. Le maréchal
Saint-Cyr, avec le quatorzième corps et la garnison de Dresde,
occupait le camp retranché et bordait de tirailleurs les palanques qui
environnaient les faubourgs. Tout était calme à midi; mais, pour l'oeil
exercé, ce calme était le précurseur de l'orage: une attaque paraissait
imminente.

A quatre heures après-midi, au signal de trois coups de canon, six
colonnes ennemies, précédées chacune de cinquante bouches à feu, se
formèrent, et peu de momens après descendirent dans la plaine; elles se
dirigèrent sur les redoutes. En moins d'un quart-d'heure la canonnade
devint terrible. Le feu d'une redoute étant éteint, les assiégeans
l'avaient tournée et faisaient des efforts au pied de la palanque des
faubourgs, où un bon nombre trouvèrent la mort.

Il était près de cinq heures: une partie des réserves du quatorzième
corps était engagée. Quelques obus tombaient dans la ville; le moment
paraissait pressant. L'empereur ordonna au roi de Naples de se porter
avec le corps de cavalerie du général Latour-Maubourg sur le flanc droit
de l'ennemi, et au duc de Trévise de se porter sur le flanc gauche.
Les quatre divisions de la jeune garde, commandées par les généraux
Dumoutier, Barrois, Decouz et Roguet, débouchèrent alors, deux par la
porte de Pirna et deux par la porte de Plauen. Le prince de la Moskwa
déboucha à la tête de la division Barrois. Ces divisions culbutèrent
tout devant elles; le feu s'éloigna sur-le-champ du centre à la
circonférence, et bientôt fut rejeté sur les collines. Le champ de
bataille resta couvert de morts, de canons et de débris. Le général
Dumoutier est blessé, ainsi que les généraux Boyeldieu, Tindal et
Combelles. L'officier d'ordonnance Béranger est blessé à mort; c'était
un jeune homme d'espérance. Le général Gros, de la garde, s'est jeté le
premier dans le fossé d'une redoute où les sapeurs ennemis travaillaient
déjà à couper des palissades: il est blessé d'un coup de baïonnette.

La nuit devint obscure et le feu cessa, l'ennemi ayant échoué dans
son attaque et laissé plus de deux mille prisonniers sur le champ de
bataille, couvert de blessés et de morts.

Le 27, le temps était affreux; la pluie tombait par torrens. Le soldat
avait passé la nuit dans la boue et dans l'eau. A neuf heures du matin,
l'on vit distinctement l'ennemi prolonger sa gauche et couvrir les
collines qui étaient séparées de son centre par le vallon de Plauen.

Le roi de Naples partit avec le corps du duc de Bellune et les divisions
de cuirassiers, et déboucha sur la route de Freyberg pour attaquer cette
gauche. Il le fit avec le plus grand succès. Les six divisions qui
composaient cette aile furent culbutées et éparpillées. La moitié, avec
les drapeaux et les canons, fut faite prisonnière, et dans le nombre se
trouvent plusieurs généraux.

Au centre, une vive canonnade soutenait l'attention de l'ennemi, et des
colonnes se montraient prêtes à l'attaquer sur la gauche.

Le duc de Trévise, avec le général Nansouty, manoeuvrait dans la plaine,
la gauche à la rivière et la droite aux collines.

Le maréchal Saint-Cyr liait notre gauche au centre, qui était formé par
le corps du duc de Raguse.

Sur les deux heures après midi, l'ennemi se décida à la retraite, il
avait perdu sa grande communication de Bohême par sa gauche et par sa
droite.

Les résultats de cette journée sont vingt-cinq à trente mille
prisonniers, quarante drapeaux et soixante pièces de canon.

On peut compter que l'ennemi a soixante mille hommes de moins. Notre
perte se monte, en blessés, tués ou pris, à quatre mille hommes.

La cavalerie s'est couverte de gloire. L'état-major de la cavalerie fera
connaître les détails et ceux qui se sont distingués.

La jeune garde a mérité les éloges de toute l'armée. La vieille garde a
eu deux bataillons engagés; ses autres bataillons étaient dans la ville,
disponibles en réserve. Les deux bataillons qui ont donné ont tout
culbuté à l'arme blanche.

La ville de Dresde a été épouvantée et a couru de grands dangers.

La conduite des habitans a été ce qu'on devait attendre d'un peuple
allié. Le roi de Saxe et sa famille sont restés à Dresde, et ont donné
l'exemple de la confiance. Le 30 août 1813.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 28, le 29 et le 30, nous avons poursuivi nos succès. Les généraux
Gustex, Doumerc et d'Audenarde, du corps du général Latour-Maubourg,
ont pris plus de mille caissons ou voitures de munitions, et ramassé
beaucoup de prisonniers. Les villages sont pleins de blessés ennemis; on
en compte plus de dix mille.

L'ennemi a perdu, suivant les rapports des prisonniers, huit généraux
tués ou blessés.

Le duc de Raguse a eu plusieurs affaires d'avant-garde qui attestent
l'intrépidité de ses troupes.

Le général Vandamme, commandant le premier corps, a débouché le 25 par
Koenigstein, et s'est emparé, le 26, du camp de Pirna, de la ville et de
Hohendorf. Il a intercepté la grande communication de Prague à Dresde.
Le duc de Wurtemberg, avec quinze mille Russes, avait été chargé
d'observer ce débouché. Le 28, le général Vandamme l'a attaqué, battu,
lui a fait deux mille prisonniers, lui a pris six pièces de canon, et
l'a poussé en Bohême. Le prince de Reuss, général de brigade, officier
de mérite, a été tué.

Dans la journée du 29, le général Vandamme s'est placé sur les hauteurs
de la Bohême, et s'y est établi. Il fait battre le pays par des coureurs
et des partis, pour avoir des nouvelles de l'ennemi, l'inquiéter et
s'emparer de ses magasins.

Le prince d'Eckmülh était, le 24, à Schwerin. Il n'avait encore eu
aucune affaire majeure. Les Danois s'étaient distingués dans plusieurs
petites affaires.

Ce début de la campagne est des plus brillans, et fait concevoir de
grandes espérances. La qualité de notre infanterie est de beaucoup
supérieure à celle de l'ennemi.



Le 1er septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 28 août, le roi de Naples a couché à Freyberg avec le duc de Bellune;
le 29, à Lichtenberg; le 30, à Zetau; le 31, à Seyda.

Le duc de Raguse, avec le sixième corps, a couché le 28, à
Dippoldiswalda, où l'ennemi a abandonné douze cents blessés; le 29, à
Falkenhain; le 30, à Altenberg, et le 31, à Zinnwald.

Le quatorzième corps, sous les ordres du maréchal Saint-Cyr, était le 28
à Maxen; le 29, à Reinhards-Grimma; le 30, à Dittersdorff, et le 31, à
Liebenau.

Le premier corps, sous les ordres du général Vandamme, était le 28 à
Hollendorff, et le 29, à Peterswalde, occupant les montagnes.

Le duc de Trévise était en position, le 28 et le 29, à Pirna.

Le général Pajol, commandant la cavalerie du quatorzième corps, a fait
des prisonniers.

L'ennemi se retira dans la position de Dippoldiswalda et Altenberg.
Sa gauche suivit la route de Plauen, et se replia par Tharandt sur
Dippoldiswalda, ne pouvant faire sa retraite par la route de Freyberg.
Sa droite ne pouvant se retirer par la chaussée de Pirna, ni par celle
de Dohna, se retira sur Maxen, et de là sur Dippoldiswalda. Tout ce qui
était en partisan et détaché de Meissen, se trouva coupé. Les bagages
russes, prussiens, autrichiens, s'étaient entassés sur la chaussée de
Freyberg; on y prit plusieurs milliers de voitures.

Arrivé à Altenberg, où le chemin de Toeplitz à Dippoldiswalda devient
impraticable, l'ennemi prit le parti de laisser plus de mille voitures
de munitions et de bagages. Cette grande armée rentra en Bohême après
avoir perdu partie de son artillerie et de ses bagages.

Le 29, le général Vandamme passa avec huit ou dix bataillons le col de
la grande chaîne et se porta sur Kulm: il y rencontra l'ennemi, fort de
huit à dix mille hommes; il s'engagea: ne se trouvant plus assez
fort, il fit descendre tout son corps d'armée: il eut bientôt culbuté
l'ennemi. Au lieu de rentrer et de se replacer sur la hauteur, il
resta et prit position à Kulm, sans garder la montagne; cette montagne
commande la seule chaussée; elle est haute. Ce n'était que le 30 au soir
que le maréchal Saint-Cyr et le duc de Raguse arrivaient au débouché
de Toeplitz. Le général Vandamme ne pensa qu'au résultat de barrer le
chemin de l'ennemi, et de tout prendre. A une armée qui fuit, il faut
_faire un pont d'or, ou opposer une barrière d'acier:_ il n'était pas
assez fort pour former cette barrière d'acier.

Cependant l'ennemi voyant que ce corps d'armée de dix-huit mille hommes,
était seul en Bohème, séparé par de hautes montagnes, et que tout le
reste était encore au pied en-deçà des monts, se vit perdu s'il ne le
culbutait. Il conçut l'espoir de l'attaquer avec succès, sa position
étant mauvaise. Les gardes russes étaient en tête de l'armée qui battait
en retraite: on y joignit deux divisions autrichiennes fraîches; le
reste de l'armée ennemie s'y réunit à mesure qu'elle débouchait, suivie
par les deuxième, sixième et quatorzième corps. Ces troupes débordèrent
le premier corps. Le général Vandamme fit bonne contenance, repoussa
toutes les attaques, enfonça tout ce qui se présentait, et couvrit de
morts le champ de bataille. Le désordre gagna l'armée ennemie, et l'on
voyait avec admiration ce que peut un petit nombre de braves contre une
multitude dont le moral est affaibli.

A deux heures après-midi, la colonne prussienne du général Kleist,
coupée dans sa retraite, déboucha par Peterswalde pour tâcher de
pénétrer en Bohême; elle ne rencontra aucun ennemi, arriva sur le haut
de la montagne sans résistance, s'y plaça, et là, vit l'affaire qui
était engagée. L'effet de cette colonne sur les derrières de l'armée,
décida l'affaire.

Le général Vandamme se porta sur-le-champ contre cette colonne, qu'il
repoussa: il fut obligé d'affaiblir sa ligne dans ce moment délicat. La
chance tourna: il réussit cependant à culbuter la colonne du général
Kleist, qui fut tué; les soldats prussiens jetaient leurs armes et
se précipitaient dans les fossés et les bois. Dans cette bagarre, le
général Vandamme a disparu; on le croit frappé à mort.

Les généraux Corbineau, Dumonceau et Philippon se déterminèrent à
profiter du moment, et à se retirer partie par la grande route, et
partie par d'es chemins de traverse, avec leur division, en abandonnant
tout le matériel, qui consistait en trente pièces de canon et trois
cents voitures de toute espèce, mais en ramenant tous les attelages.
Dans la position où étaient les affaires, ils ne pouvaient pas prendre
un meilleur parti. Les tués, blessés et prisonniers doivent porter notre
perte dans cette affaire à six mille hommes. L'on croit que la perte de
l'ennemi ne peut être moindre que de quatre à cinq mille hommes.

Le premier corps se rallia, à une lieue du champ de bataille, au
quatorzième corps. On dresse l'état des pertes éprouvées dans cette
catastrophe, due à une ardeur guerrière mal calculée.

Le général Vandamme mérite des regrets: il était d'une rare intrépidité.
Il est mort sur le champ d'honneur, mort digne d'envie pour tout brave.



Le 2 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 21 août, l'armée russe, prussienne et autrichienne, commandée par
l'empereur Alexandre et le roi de Prusse, était entrée en Saxe, et
s'était portée le 22 sur Dresde, forte de cent quatre-vingt à deux
cent mille hommes, ayant un matériel immense, et pleine de l'espérance
non-seulement de nous chasser de la rive droite de l'Elbe, mais encore
de se porter sur le Rhin, et de nourrir la guerre entre le Rhin et
l'Elbe. En cinq jours de temps, elle a vu ses espérances confondues:
trente mille prisonniers, dix mille blessés tombés en notre pouvoir,
ce qui fait quarante mille; vingt mille tués ou blessés, et autant de
malades par l'effet de la fatigue et du défaut de vivres (elle a été
cinq à six jours sans pain), l'ont affaiblie de près de quatre-vingt
mille-hommes.

Elle ne compte pas aujourd'hui cent mille hommes sous les armes; elle
a perdu plus de cent pièces canon, des parcs entiers, quinze cents
charrettes de munitions d'artillerie, qu'elle a fait sauter ou qui sont
tombées en notre pouvoir; plus de trois mille voitures de bagages,
qu'elle a brûlées ou que nous avons prises. On avait quarante drapeaux
ou étendards. Parmi les prisonniers, il y a quatre mille Russes.
L'ardeur de l'armée française et le courage de l'infanterie fixent
l'attention.

Le premier coup de canon tiré des batteries de la garde impériale dans
la journée du 27 août, a blessé mortellement le général Moreau qui était
revenu d'Amérique pour prendre du service en Russie.



Le 6 septembre au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 2 septembre, l'empereur a passé, à Dresde, la revue du premier corps,
et en a conféré le commandement au comte de Lobau. Ce corps se compose
des trois divisions Dumonceau, Philippon et Teste. Ce corps a moins
perdu qu'on ne l'avait cru d'abord, beaucoup d'hommes étant rentrés.

Le général Vandamme n'a pas été tué; il a été fait prisonnier. Le
général du génie Haxo, qui avait été envoyé en mission auprès du général
Vandamme, se trouvant dans ce moment avec ce général, a été fait
également prisonnier. L'élite de la garde russe a été tuée dans cette
affaire.

Le 3, l'empereur a été coucher au château de Harta, sur la route de
Silésie; et le 4, au village de Hochkirch (au-delà de Bautzen). Depuis
le départ de S. M. de Loevenberg, des événemens importans s'étaient
passés en Silésie.

Le duc de Tarente, à qui l'empereur avait laissé le commandement de
l'armée de Silésie, avait fait de bonnes dispositions pour poursuivre
les alliés, et les chasser de Jauer: l'ennemi était poussé de toutes ses
positions; ses colonnes étaient en pleine retraite: le 26, le duc de
Tarente avait pris toutes ses mesures pour le faire tourner; mais
dans la nuit du 26 au 27, le Bober et tous les torrens qui y affluent
débordèrent; en moins de sept à huit heures, les chemins furent couverts
de trois à quatre pieds d'eau et tous les ponts emportés. Nos colonnes
se trouvèrent isolées entre elles. Celle qui devait tourner l'ennemi
ne put arriver. Les alliés s'aperçurent bientôt de ce changement de
circonstances.

Le duc de Tarente employa les journées du 28 et du 29 à réunir ses
colonnes séparées par l'inondation. Elles parvinrent à regagner Bunzlau,
où se trouvait le seul pont qui n'eût pas été emporté par les eaux du
Bober. Mais une brigade de la division Puthod ne put pas y arriver. Au
lieu de chercher à se jeter du côté des montagnes, le général voulut
revenir sur Loewenberg. Là, se trouvant entouré d'ennemis et la rivière
à dos, après s'être défendu de tous ses moyens, il a dû céder au nombre.
Tout ce qui savait nager dans ses deux régimens se sauva; on en compte
environ sept à huit cents: le reste fut pris.

L'ennemi nous a fait dans ces différentes affaires trois à quatre mille
prisonniers, et nous a pris deux aigles de deux régimens, avec les
canons de la brigade.

Après ces circonstances qui avaient fatigué l'armée, elle repassa
successivement le Bober, la Queiss et la Neiss. L'empereur la trouva
le 4 sur les hauteurs de Hochkirch. Il fit, le soir même, réattaquer
l'ennemi, le fit débusquer des hauteurs du Wohlenberg, et le poursuivit
pendant toute la journée du 5, l'épée dans les reins, jusqu'à Goerlitz.
Le général Sébastiani exécuta des charges de cavalerie a Reichenbach, et
fit des prisonniers.

L'ennemi repassa en toute hâte la Neiss et la Queiss, et notre armée
prit position sur les hauteurs de Goerlitz, au-delà de la Neiss.

Le 6, à sept heures du soir, l'empereur était de retour à Dresde.

Le conseil de guerre du troisième corps d'armée a condamné à la peine de
mort le général de brigade Jomini, chef d'état-major de ce corps, qui,
du quartier-général de Liegnitz, a déserté à l'ennemi au moment de la
rupture de l'armistice.



Le 7 septembre 1813

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le duc de Reggio, avec les douzième, septième et quatrième corps, s'est
porté le 23 août sur Berlin. Il a fait attaquer le village de Trebbin,
défendu par l'armée ennemie, et l'a forcé. Il a continué son mouvement.

Le 24 août, le septième corps n'ayant pas réussi dans le combat de
Gross-Beeren, le duc de Reggio s'est reporté sur Wittemberg.

Le 3 septembre, le prince de la Moskwa a pris le commandement de
l'armée, et s'est porté sur Interbock. Le 5, il a attaqué et battu le
général Tauensien; mais le 6, il a été attaqué en marche par l'armée
ennemie, commandée par le général Bulow. Des charges de cavalerie sur
ses derrières ont mis le désordre dans ses parcs. Il a dû se retirer sur
Torgau. Il a perdu huit mille hommes tués, blessés ou prisonniers, et
douze pièces de canon. La perte de l'ennemi doit avoir été aussi très
forte.



Le 11 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

La grande armée ennemie, battue à Dresde, s'était réfugiée en Bohême.
Instruits que l'empereur s'était porté en Silésie, les alliés ont réuni
un corps de quatre-vingt mille hommes, composé de Russes, de Prussiens
et d'Autrichiens, et se sont portés, le 5, sur Hottendorf; le 6, sur
Gieshubel, et le 7, sur Pirna.

Le 9, l'armée française marcha sur Borna et Furstenwalde. Le
quartier-général de l'empereur fut à Liebstadt.

Le 10, le maréchal Saint-Cyr se porta du village de Furstenwalde sur le
Geyersberg, qui domine la plaine de la Bohême. Le général Bonnet,
avec la quarante-troisième division, descendit dans la plaine près de
Toeplitz. L'on aperçut l'armée ennemie qui cherchait à se rallier
après avoir rappelé tous ses détachemens de la Saxe. Si le débouché du
Geyersberg avait été praticable pour l'artillerie, cette armée aurait
été attaquée en flanc pendant sa marche; mais tous les efforts faits
pour descendre du canon furent inutiles.

Le général Ornano déboucha sur les hauteurs de Peterswalde, pendant que
le général Dumonceau y arrivait par Hollendorff.

Nous avons fait quelques centaines de prisonniers, dont plusieurs
officiers. L'ennemi a constamment évité la bataille, et s'est retiré
précipitamment dans toutes les directions.

Le 11, l'empereur est retourné à Dresde.



Le 13 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur était à Dresde.

Le duc de Tarente, avec les cinquième, onzième et troisième corps,
s'était placé sur la rive gauche de la Sprée. Le prince Poniatowski,
avec le huitième corps, était à Stolpen. Toutes ces forces étaient ainsi
concentrées à une journée de Dresde, sur la rive droite de l'Elbe.

Le comte de Lobau, avec le premier corps, était à Hollendorff, en avant
de Peterswalde; le duc de Trévise, à Pirna; le maréchal Saint-Cyr, sur
les hauteurs de Borna, occupant les débouchés de Furstenwalde et du
Geyersberg; le duc de Bellune, à Altenberg.

Le prince de la Moskwa était à Torgau avec les quatrième, septième et
douzième corps.

Le duc de Raguse et le roi de Naples, avec la cavalerie du général
Latour-Maubourg, se portaient sur Grossen-Hayn.

Le prince d'Eckmülh était sur Ratzeburg.

L'armée ennemie de Silésie était sur la droite de la Sprée. Celle de la
Bohême était: les Russes et les Prussiens, dans la plaine de Toeplitz,
et un corps autrichien à Marienberg. L'armée ennemie de Berlin était à
Interbock.

Le général français Margaron, avec un corps d'observation, occupait
Leipsick.

Le château de Sonnenstein, au-dessus de Pirna, avait été occupé,
fortifié et armé.

S. M. avait donné le commandement de Torgau au comte de Narbonne.

Les quatre régimens des gardes-d'honneur avaient été attachés, le
premier, aux chasseurs à cheval de la garde; le deuxième, aux dragons;
le troisième, aux grenadiers à cheval; et le quatrième, au premier
régiment de lanciers. Ces régimens de la garde leur fournissaient des
instructeurs, et toutes les fois qu'on marchait au combat, y joignaient
de vieux soldats pour renforcer leurs cadres et les guider. Un escadron
de chaque régiment des gardes-d'honneur était toujours de service auprès
de l'empereur, avec l'escadron que fournit chaque régiment de la garde;
ce qui portait à huit le nombre des escadrons de service.



Le 17 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 14, l'ennemi déboucha de Toeplitz sur Nollendorf, et menaça de
tourner la division Dumonceau, qui était sur la hauteur. Cette division
se retira en bon ordre sur Gushabel, où le comte de Lobau réunit son
corps. L'ennemi ayant voulu attaquer le camp de Gushabel, fut repoussé
et perdit beaucoup de monde.

Le 15, l'empereur partit de Dresde, et se porta au camp de Pirna. Il
dirigea le général Mouton-Duvernet, commandant la quarante-deuxième
division, par les villages de Langenhenersdorf et de Bera, tournant
ainsi la droite de l'ennemi. En même temps, le comte de Lobau l'attaqua
de front. L'ennemi fut mené l'épée dans les reins tout le reste de la
journée.

Le 16, il occupait encore les hauteurs au-delà de Peterswalde. A midi,
on se mit à sa poursuite, et il fut délogé de sa position. Le général
Ornano fit faire de belles charges à sa division de cavalerie de la
garde et à la brigade de chevau-légers polonais du prince Poniatowski.
L'ennemi fut poussé et jeté en Bohême dans le plus grand désordre. Il
a fait sa retraite avec tant d'activité, qu'on n'a pu lui prendre que
quelques prisonniers, parmi lesquels se trouve le général Blucher,
commandant l'avant-garde, et fils du général en chef prussien Blucher.

Notre perte a été peu considérable.

Le 16, l'empereur a couché à Péterswalde, et le 17, S. M. était de
retour à Pirna.

Thielmann, général transfuge du service de Saxe, avec un corps de
partisans et de transfuges, s'est porté sur la Saale. Un colonel
autrichien s'est aussi porté en partisan sur Colditz.

Les généraux Margaron, Lefèvre-Desnouettes et Piré se sont mis avec des
colonnes de cavalerie et d'infanterie à la poursuite de ces partis,
espérant en avoir bon compte.



Le 19 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente_

Le 17, à deux heures après-midi, l'empereur est monté à cheval, et au
lieu de se rendre à Pirna, est allé aux avant-postes. Ayant aperçu que
l'ennemi avait fait une grande quantité d'abattis pour défendre la
descente de la montagne, S. M. le fit attaquer par le général Duvernet,
qui, avec la quarante-deuxième division, s'empara du village d'Abessau
et repoussa l'ennemi dans la plaine de Toeplitz. Il était chargé de
manoeuvrer de manière à bien reconnaître la position de l'ennemi, et à
l'obliger de démasquer ses forces. Ce général réussit parfaitement à
exécuter ses instructions. Il s'engagea une vive canonnade hors de
portée, et qui fit peu de mal; mais une batterie autrichienne de 24
pièces ayant quitté sa position pour se rapprocher de la division
Duvernet, le général Ornano l'a fait charger par les lanciers rouges
de la garde: ils ont enlevé ces vingt-quatre pièces, et sabré tous les
canonniers, mais on n'a pu ramener que les chevaux, deux pièces de canon
et un avant-train.

Le 18, le comte de Lobau était resté dans la même position, occupant le
village d'Arbessau et tous les débouchés de la plaine. A quatre heures
après-midi, l'ennemi envoya une division pour tâcher de surprendre la
hauteur au village de Keinitz. Cette division fut repoussée l'épée dans
les reins, et mitraillée pendant une heure.

Le 18, à neuf heures du soir, S. M. est arrivée à Pirna, et le 19, le
comte de Lobau a repris ses positions en avant de Nollendorf et au camp
de Gushabel.

La pluie tombait par torrent.

Le prince de Neufchâtel est un peu incommodé d'un accès de fièvre.

S. M. se porte très-bien.



Le 26 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur a passé les journées du 19 et du 20 à Pirna, S. M. y a fait
jeter un pont, et établir une tête de pont sur la rive droite.

Le 21, l'empereur est venu coucher à Dresde, et le 22, il s'est porté
à Hartau: il a sur-le-champ fait déboucher au-delà de la forêt de
Bischoffswerda, le onzième corps, commandé par le duc de Tarente, le
cinquième corps, commandé par le général Lauriston, et le troisième
corps, commandé par le général Souham.

L'armée ennemie de Silésie qui s'était portée, la droite, commandée par
Sacken, sur Kamenz, la gauche, commandée par Langeron, sur Neustadt
aux débouchés de Bohême, et le centre, commandé par Yorck, sur
Bischoffswerda, se mit sur le champ en retraite de tous côtés. Le
général Gérard, commandant notre avant-garde, la poussa vivement, et lui
fit quelques prisonniers. L'ennemi fut mené battant jusqu'à la Sprée. Le
général Lauriston entra dans Neustadt.

L'ennemi refusant ainsi la bataille, l'empereur est revenu le 24 à
Dresde, et a ordonné au duc de Tarente de prendre position sur les
hauteurs de Weissig.

Le huitième corps, commandé par le prince Poniatowski, a repassé sur la
rive gauche.

Le comte de Lobau, avec le premier corps, occupe toujours Gushabel.

Le maréchal Saint-Cyr occupe Pirna et la position de Borna.

Le duc de Bellune occupe la position de Freyberg.

Le duc de Raguse, avec le sixième corps et la cavalerie du général
Latour-Maubourg, était au-delà de Grossenhayn. Il avait repoussé
l'ennemi sur la rive droite au-delà de Torgau, pour faciliter le passage
d'un convoi de vingt mille quintaux de farine qui remontait l'Elbe sur
des bateaux, et qui est arrivé à Dresde.

Le duc de Padoue est à Leipsick; le prince de la Moskwa entre Wittenberg
et Torgau.

Le général comte Lefèvre-Desnouettes était, avec quatre mille chevaux, à
la suite du transfuge Thielmann. Ce Thielmann est Saxon, et comblé
des bienfaits du roi. Pour prix de tant de bienfaits, il s'est montré
l'ennemi le plus irréconciliable de son roi et de son pays. A la tête de
trois mille coureurs, partie Prussiens, partie cosaques et Autrichiens,
il a pillé les haras du roi, levé partout des contributions à son
profit, et traité ses compatriotes avec toute la haine d'un homme qui
est tourmenté par le crime. Ce transfuge, décoré de l'uniforme de
lieutenant-général russe, s'était porté à Naumbourg, où il n'y avait ni
commandant ni garnison, mais où il avait surpris trois à quatre cents
malades. Cependant le général Lefèvre-Desnouettes l'avait rencontré à
Freybourg le 19, lui avait repris les trois ou quatre cents malades que
ce misérable avait arrachés de leurs lits pour s'en faire un trophée;
lui avait fait quelques centaines de prisonniers, pris quelques bagages,
et repris quelques voitures dont il s'était emparé. Thielmann s'était
alors réfugié sur Zeitz, où le colonel Munsdorff, partisan autrichien
qui parcourait le pays, s'était réuni à lui: le général comte
Lefèvre-Desnouettes les a attaqués le 24, à Altenbourg, les a rejetés
en Bohême, leur a tué beaucoup de monde, entre autres un prince de
Hohenzollernn et un colonel.

La marche de Thielmann avait apporté quelques retards dans les
communications d'Erfurth et de Leipsick.

L'armée ennemie de Berlin paraissait faire des préparatifs pour jeter un
pont à Dessau.

Le prince de Neufchâtel est malade d'une fièvre bilieuse; il garde le
lit depuis plusieurs jours.

S. M. ne s'est jamais mieux portée.



Le 29 septembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur a donné le commandement d'un corps de la jeune garde au duc
de Reggio.

Le duc de Castiglione s'est mis en marche avec son corps pour venir
prendre position sur les débouchés de la Saale.

Le prince Poniatowski s'est porté avec son corps sur Penig.

Le général comte Bertrand a attaqué, le 26, le corps de l'armée ennemie
de Berlin qui couvrait le pont jeté sur Wartenbourg, l'a forcé, lui a
fait des prisonniers, et l'a mené battant jusque sur la tête de pont.
L'ennemi a évacué la rive gauche et a coupé son pont. Le général
Bertrand a sur-le-champ fait détruire la tête de pont.

Le prince de la Moskwa s'est porté sur Oranienbaum, et le septième corps
sur Dessau. Une division suédoise qui était à Dessau s'est empressée de
repasser sur la rive droite. L'ennemi a été également obligé de couper
son pont, et on a rasé sa tête de pont.

L'ennemi a jeté des obus sur Wittenberg par la rive droite.

Dans la journée du 28, l'empereur a passé la revue du deuxième corps de
cavalerie sur les hauteurs de Weissig.

Le mois de septembre a été très-mauvais, très-pluvieux, contre
l'ordinaire de ce pays. On espère que le mois d'octobre sera meilleur.

La fièvre bilieuse du prince de Neufchâtel a cessé: le prince est en
convalescence.



Le 4 octobre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le général comte Lefèvre-Desnouettes a été attaqué le 28 septembre, à
sept heures du matin, à Altenbourg par dix mille hommes de cavalerie et
trois mille hommes d'infanterie. Il a fait sa retraite devant des forces
aussi supérieures; il a opéré de belles charges, et a fait beaucoup de
mal à l'ennemi. Il a perdu trois cents hommes de son infanterie; il est
arrivé sur la Saale. L'ennemi était commandé par l'hetman Platow et
le général Thielmann. Le prince Poniatowski s'est porté le 2 sur
Altenbourg, par Nossan, Waldheim et Colditz. Il a culbuté l'ennemi, lui
a fait plus de quatre cents prisonniers et l'a chassé en Bohême.

Le 27, le prince de la Moskwa s'est emparé de Dessau, qu'occupait une
division, et a rejeté cette division sur sa tête de pont. Le lendemain,
les Suédois sont arrivés pour reprendre la ville. Le général Guilleminot
les a laissés avancer à portée de mitraille, a démasqué alors ses
batteries, et les a repoussés en leur faisant beaucoup de mal.

Le 3 octobre, l'armée ennemie de Silésie s'est portée par Koenigsbruck
et Elterswerda, sur Elster, a jeté un pont au coude que forme l'Elbe à
Wartembourg, et a passé le fleuve. Le général Bertrand était placé sur
l'isthme, dans une fort belle position, environnée de digues et de
marais. Depuis neuf heures du matin, jusqu'à cinq heures du soir,
l'ennemi a faits sept attaques et a toujours été repoussé. Il a laissé
six mille morts sur le champ de bataille; notre perte a été de cinq
cents hommes tués ou blessés. Cette grande différence est due à la bonne
position que les divisions Morand et Fontanelli occupaient. Le soir,
le général Bertrand voyant déboucher de nouvelles forces, jugea devoir
opérer sa retraite, et prit position sur la Mulde avec le prince de la
Moskwa.

Le 4 le prince de la Moskwa était sur la rive gauche de la Mulde
à Dalitzch. Le duc de Raguse et le corps de cavalerie du général
Latour-Maubourg étaient à Eulenbourg, le troisième corps était sur
Torgau.

Deux cent cinquante partisans commandés par un général-major russe, se
sont portés sur Mulhausen, et apprenant que Cassel était dégarni de
troupes, ils ont tenté une surprise sur les portes de Cassel. Ils ont
été repoussés; mais le lendemain les troupes westphaliennes s'étant
dissoutes, les partisans entrèrent dans Cassel, ils livrèrent au pillage
tout ce qui leur tomba sous la main, et peu de jours après en sortirent.
Le roi de Westphalie s'était retiré sur le Rhin.



Paris, 7 octobre 1813.

_Discours de l'impératrice au sénat_[2].

«Sénateurs,

»Les principales puissances de l'Europe, révoltées des prétentions de
l'Angleterre, avaient, l'année dernière, réuni leurs armées aux nôtres
pour obtenir la paix du monde et le rétablissement des droits de tous
les peuples. Aux premières chances de la guerre, des passions assoupies
se réveillèrent. L'Angleterre et la Russie ont entraîné la Prusse et
l'Autriche dans leur cause. Nos ennemis veulent détruire nos alliés,
pour les punir de leur fidélité. Ils veulent porter la guerre au sein
de notre belle patrie, pour se venger des triomphes qui ont conduit nos
aigles victorieuses au milieu de leurs états. Je connais, mieux que
personne, ce que nos peuples auraient à redouter, s'ils se laissaient
jamais vaincre.

Avant de monter sur le trône où m'ont appelée le choix de mon auguste
époux et la volonté de mon père, j'avais la plus grande opinion du
courage et de l'énergie de ce grand peuple. Cette opinion s'est accrue
tous les jours par tout ce que j'ai vu se passer sous mes yeux. Associée
depuis quatre ans aux pensées les plus intimes de mon époux, je sais de
quels sentimens il serait agité sur un trône flétri et sous une couronne
sans gloire.

«Français! votre empereur, la patrie et l'honneur vous appellent!»

[Note 2: Nous insérons ce discours de Marie-Louise parce que
personne n'ignore qu'il fut dicté par Napoléon.]



Le 15 octobre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 7, l'empereur est parti de Dresde. Le 8, il a couché à Wurzen; le 9,
à Eulenbourg, et le 10, à Duben.

L'armée ennemie de Silésie, qui se portait sur Wurzen, a sur-le-champ
battu en retraite et repassé sur la rive gauche de la Mulde; elle a
eu quelques engagemens où nous lui avons fait des prisonniers et pris
plusieurs centaines de voitures de bagages.

Le général Reynier s'est porté sur Wittenberg, a passé l'Elbe, a marché
sur Roslau, a tourné le pont de Dessau, s'en est emparé, s'est ensuite
porté sur Aken et s'est emparé du pont. Le général Bertrand s'est porté
sur les ponts de Wartenbourg et s'en est emparé. Le prince de la
Moskwa s'est porté sur la ville de Dessau; il a rencontré une division
prussienne; le général Delmas l'a culbutée, et lui a pris trois mille
hommes et six pièces de canon.

Plusieurs courriers du cabinet, entr'autres le sieur Kraft, avec des
dépêches de haute importance, ont été pris.

Après s'être ainsi emparé de tous les ponts de l'ennemi, le projet de
l'empereur était de passer l'Elbe, de manoeuvrer sur la rive droite,
depuis Hambourg jusqu'à Dresde; de menacer Potsdam et Berlin, et de
prendre pour centre d'opération Magdebourg, qui, dans ce dessein, avait
été approvisionné en munitions de guerre et de bouche. Mais le 13,
l'empereur apprit à Deiben que l'armée bavaroise était réunie à l'armée
autrichienne et menaçait le Bas-Rhin. Cette inconcevable défection fit
prévoir la défection d'autres princes, et fit prendre à l'empereur le
parti de retourner sur le Rhin; changement fâcheux, puisque tout avait
été préparé pour opérer sur Magdebourg; mais il aurait fallu rester
séparé et sans communication avec la France pendant un mois; ce n'avait
pas d'inconvénient au moment où l'empereur avait arrêté ses projets; il
n'en était plus de même lorsque l'Autriche allait se trouver avoir deux
nouvelles armées disponibles: l'armée bavaroise et l'armée opposée à la
Bavière. L'empereur changea donc avec ces circonstances imprévues, et
porta son quartier-général à Leipsick.

Cependant le roi de Naples, qui était resté en observation à Freyberg,
avait reçu le 7 l'ordre de faire un changement de front, et de se porter
sur Gernig et Frohbourg, opérant sur Wurzen et Vittenberg. Une division
autrichienne, qui occupait Angustusbourg, rendant difficile ce
mouvement, le roi reçut l'ordre de l'attaquer, la défit, lui prit
plusieurs bataillons, et après cela opéra sa conversion à droite.
Cependant la droite de l'armée ennemie de Bohème, composée du corps
russe de Wittgenstein, s'était portée sur Altenbourg, à la nouvelle du
changement de front du roi de Naples. Elle se porta sur Frohbourg, et
ensuite par la gauche sur Borna, se plaçant entre le roi de Naples et
Leipsick. Le roi n'hésita pas sur la manoeuvre qu'il devait faire; il
fit volte face, marcha sur l'ennemi, le culbuta, lui prit neuf pièces de
canon, un millier de prisonniers, et le jeta au-delà de l'Elster, après
lui avoir fait éprouver une perte de quatre à cinq mille hommes. Le 15,
la position de l'armée était la suivante:

Le quartier-général de l'empereur était à Reidnitz, à une demi-lieue de
Leipsick.

Le quatrième corps, commandé par le général Bertrand, était au village
de Lindenau.

Le sixième corps était à Libenthal.

Le roi de Naples, avec les deuxième, huitième et cinquième corps, avait
sa droite à Doelitz et sa gauche à Liberwolkowitz.

Les troisième et septième corps étaient en marche d'Eulenbourg pour
flanquer le sixième corps.

La grande armée autrichienne de Bohême avait le corps de Giulay
vis-à-vis Lindenau; un corps à Zwenckau, et le reste de l'armée, la
gauche appuyée à Grobern, et la droite à Neuendorf.

Les ponts de Wurzen et d'Eulenbourg sur la Mulde, et la position de
Taucha sur la Partha, étaient occupés par nos troupes. Tout annonçait
une grande bataille.

Le résultat de nos divers mouvemens dans ces six jours, a été cinq
mille prisonniers, plusieurs pièces de canon, et beaucoup de mal fait à
l'ennemi. Le prince Poniatowski s'est dans ces circonstances couvert de
gloire.



Le 16 octobre au soir.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 15, le prince de Schwartzenberg, commandant l'armée ennemie, annonça
à l'ordre du jour, que le lendemain 16, il y aurait une bataille
générale et décisive.

Effectivement le 16, à neuf heures du matin, la grande armée alliée
déboucha sur nous. Elle opérait constamment pour s'étendre sur sa
droite. On vit d'abord trois grosses colonnes se porter, l'une le long
de la rivière de l'Elster, contre le village de Doelitz; la seconde
contre le village de Wachau, et la troisième contre celui de
Liberwolkowitz. Ces trois colonnes étaient précédées par deux cents
pièces de canon.

L'empereur fit aussitôt ses dispositions.

A dix heures, la canonnade était des plus fortes, et à onze heures
les deux armées étaient engagées aux villages de Doelitz, Wachau et
Liberwolkowitz. Ces villages furent attaqués six à sept fois; l'ennemi
fut constamment repoussé et couvrit les avenues de ses cadavres. Le
comte Lauriston, avec le cinquième corps, défendait le village de gauche
(Liberwolkowitz); le prince Poniatowski, avec ses braves Polonais,
défendait le village de droite (Doelitz), et le duc de Bellune défendait
Wachau.

A midi, la sixième attaque de l'ennemi avait été repoussée, nous étions
maîtres des trois villages, et nous avions fait deux mille prisonniers.

A peu près au même moment, le duc de Tarente débouchait par Holzhausen,
se portant sur une redoute de l'ennemi, que le général Charpentier
enleva au pas de charge, en s'emparant de l'artillerie et faisant
quelques prisonniers.

Le moment parut décisif.

L'empereur ordonna au duc de Reggio de se porter sur Wachau avec deux
divisions de la jeune garde. Il ordonna également au duc de Trévise de
se porter sur Liberwolkowitz avec deux autres divisions de la jeune
garde, et de s'emparer d'un grand bois qui est sur la gauche du village.
En même temps, il fit avancer sur le centre une batterie de cent
cinquante pièces de canon, que dirigea le général Drouot.

L'ensemble de ces dispositions eut le succès qu'on en attendait.
L'artillerie ennemie s'éloigna. L'ennemi se retira, et le champ de
bataille nous resta en entier.

Il était trois heures après midi. Toutes les troupes de l'ennemi avaient
été engagées. Il eut recours à sa réserve. Le comte de Merfeld qui
commandait en chef la réserve autrichienne, releva avec six divisions
toutes les troupes sur toutes les attaques, et la garde impériale russe,
qui formait la réserve de l'armée russe, les releva au centre.

La cavalerie de la garde russe et les cuirassiers autrichiens se
précipitèrent par leur gauche sur notre droite, s'emparèrent de Doelitz
et vinrent caracoler autour des carrés du duc de Bellune.

Le roi de Naples marcha avec les cuirassiers de Latour-Maubourg, et
chargea la cavalerie ennemie par la gauche de Wachau, dans le temps que
la cavalerie polonaise et les dragons de la garde, commandés par le
général Letort, chargeaient par la droite. La cavalerie ennemie fut
défaite; deux régimens entiers restèrent sur le champ de bataille. Le
général Letort fit trois cents prisonniers russes et autrichiens. Le
général Latour-Maubourg prit quelques centaines d'hommes de la garde
russe.

L'empereur fit sur-le-champ avancer la division Curial de la garde, pour
renforcer le prince Poniatowski. Le général Curial se porta au village
de Doelitz, l'attaqua à la baïonnette, le prit sans coup férir, et fit
douze cents prisonniers, parmi lesquels s'est trouvé le général en chef
Merfeld.

Les affaires ainsi rétablis à notre droite, l'ennemi se mit en retraite,
et le champ de bataille ne nous fut pas disputé.

Les pièces de la réserve de la garde, que commandait le général Drouot,
étaient avec les tirailleurs; la cavalerie ennemi vint les charger.
Les canonniers rangèrent en carré leurs pièces, qu'ils avaient eu la
précaution de charger à mitraille, et tirèrent avec tant d'agilité,
qu'en un instant l'ennemi fut repoussé. Sur ces entrefaites, la
cavalerie française s'avança pour soutenir ces batteries.

Le général Maison, commandant une division du cinquième corps, officier
de la plus grande distinction, fut blessé. Le général Latour-Maubourg,
commandant la cavalerie, eut la cuisse emportée d'un boulet. Notre
perte, dans cette journée, a été de deux mille cinq cents hommes, tant
tués que blessés. Ce n'est pas exagérer que de porter celle de l'ennemi
à vingt-cinq mille hommes.

On ne saurait trop faire l'éloge de la conduite du comte Lauriston et
du prince Poniatowski dans cette journée. Pour donner à ce dernier une
preuve de sa satisfaction, l'empereur l'a nommé sur le champ de bataille
maréchal de France, et a accordé un grand nombre de décorations aux
régimens de son corps.

Le général Bertrand était en même temps attaqué au village de Lindenau
par les généraux Giulay, Thielmann et Liechtenstein. On déploya de part
et d'autre une cinquantaine de pièces de canon. Le combat dura six
heures, sans que l'ennemi pût gagner un pouce de terrain. A cinq heures
du soir, le général Bertrand décida la victoire en faisant une charge
avec sa réserve, et non-seulement il rendit vains les projets de
l'ennemi, qui voulait s'emparer des ponts de Lindenau et des faubourgs
de Leipsick, mais encore il le contraignit à évacuer son champ de
bataille.

Sur la droite de la Partha, à une lieue de Leipsick, et à peu près à
quatre lieues du champ de bataille, où se trouvait l'empereur, le duc de
Raguse fut engagé. Par une de ces circonstances fatales, qui influent
souvent sur les affaires les plus importantes, le troisième corps, qui
devait soutenir le duc de Raguse, n'entendant rien de ce côté, à dix
heures du matin, et entendant au contraire une effroyable canonnade du
côté où se trouvait l'empereur, crut bien faire de s'y porter, et perdit
ainsi sa journée on marches. Le duc de Raguse, livré à ses propres
forces, défendit Leipsick et soutint sa position pendant toute la
journée, mais il éprouva des pertes qui n'ont point été compensées
par celles qu'il a fait éprouver à l'ennemi, quelque grandes qu'elles
fussent. Des bataillons de canonniers de la marine se sont faiblement
comportés. Les généraux Compans et Frederichs ont été blessés. Le soir,
le duc de Raguse, légèrement blessé lui-même, a été obligé de resserrer
sa position sur la Partha. Il a dû abandonner dans ce mouvement
plusieurs pièces démontées et plusieurs voitures.



Le 24 octobre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

La bataille de Wachau avait déconcerté tous les projets de l'ennemi;
mais son armée était tellement nombreuse, qu'il avait encore des
ressources. Il rappela en toute hâte, dans la nuit, les corps qu'il
avait laissés sur sa ligne d'opération et les divisions restées sur la
Saale; et il pressa la marche du général Benigsen, gui arrivait avec
quarante mille hommes.

Après le mouvement de retraite qu'il avait fait le 16 au soir et pendant
la nuit, l'ennemi occupa une belle position à deux lieues en arrière. Il
fallut employer la journée du 17 à le reconnaître et à bien déterminer
le point d'attaque. Cette journée était d'ailleurs nécessaire pour faire
venir les parcs de réserve et remplacer les quatre-vingt mille coups de
canon qui avaient été consommés dans la bataille. L'ennemi eut donc le
temps de rassembler ses troupes qu'il avait disséminées lorsqu'il se
livrait à des projets chimériques, et de recevoir les renforts qu'il
attendait.

Ayant eu avis de l'arrivée de ces renforts, et ayant reconnu que la
position de l'ennemi était très-forte, l'empereur résolut de l'attirer
sur un autre terrain. Le 18, à deux heures du matin, il se rapprocha de
Leipsick de deux lieues, et plaça son armée, la droite à Connewitz,
le centre à Probstheide, la gauche à Staetteritz, en se plaçant de sa
personne au moulin de Ta. De son côté, le prince de la Moskwa avait
placé ses troupes vis-à-vis l'armée de Silésie, sur la Partha; le
sixième corps à Schoenfeld, et le troisième et le septième le long de
la Partha à Neutsch et à Teckla. Le duc de Padoue avec le général
Dombrowski, gardait la position et le faubourg de Leipsick, sur la route
de Halle.

A trois heures du matin, l'empereur était au village de Lindenau. Il
ordonna au général Bertrand de se porter sur Lutzen et Weissenfels, de
balayer la plaine et de s'assurer des débouchés sur la Saale et de
la communication avec Erfurt. Les troupes légères de l'ennemi se
dispersèrent; et à midi, le général Bertrand était maître de Weissenfels
et du pont sur la Saale.

Ayant ainsi assuré ses communications, l'empereur attendit de pied ferme
l'ennemi.

A neuf heures, les coureurs annoncèrent qu'il marchait sur toute la
ligne. A dix heures, la canonnade s'engagea.

Le prince Poniatowski et le général Lefol défendaient le pont
de Connewitz. Le roi de Naples, avec le deuxième corps, était à
Probstheide, et le duc de Tarente à Holzhausen.

Tous tes efforts de l'ennemi, pendant la journée, contre Connewitz et
Probstheide, échouèrent. Le duc de Tarente fut débordé à Holzhausen.
L'empereur ordonna qu'il se plaçât au village de Staetteritz. La
canonnade fut terrible. Le duc de Castiglione qui défendait un bois sur
le centre, s'y soutint toute la journée.

La vieille garde était rangée en réserve sur une élévation, formant
quatre grosses colonnes dirigées sur les quatre principaux points
d'attaque.

Le duc de Reggio fut envoyé pour soutenir le prince Poniatowski, et le
duc de Trévise pour garder les débouchés de la ville de Leipsick.

Le succès de la bataille était dans le village de Probstheide. L'ennemi
l'attaqua quatre fois avec des forces considérables, quatre fois il fut
repoussé avec une grande perte.

A cinq heures du soir, l'empereur fit avancer ses réserves d'artillerie,
et reploya tout le feu de l'ennemi, qui s'éloigna à une lieue du champ
de bataille.

Pendant ce temps, l'armée de Silésie attaqua le faubourg de Halle.
Ses attaques, renouvelées un grand nombre de fois dans la journée,
échouèrent toutes. Elle essaya, avec la plus grande partie de ses
forces, de passer la Partha à Schoenfeld et à Saint-Teekla. Trois fois
elle parvint, à se placer sur la rive gauche, et trois fois le prince de
la Moskwa la chassa et la culbuta à la baïonnette.

A trois heures après-midi, la victoire était pour nous de ce côté contre
l'armée de Silésie, comme du côté où était l'empereur contre la grande
armée. Mais en ce moment l'armée saxonne, infanterie, cavalerie et
artillerie, et la cavalerie wurtembergeoise, passèrent toutes entières à
l'ennemi. Il ne resta de l'armée saxonne que le général Zeschau, qui la
commandait en chef, et cinq cents hommes. Cette trahison, non-seulement,
mit le vide dans nos lignes, mais livra à l'ennemi le débouché important
confié à l'armée saxonne, qui poussa l'infamie au point de tourner
sur-le-champ ses quarante pièces de canon rentre la division Durutte. Un
moment de désordre s'ensuivit; l'ennemi passa la Partha et marcha sur
Reidnitz, dont il s'empara: il ne se trouvait plus qu'à une demi-lieue
de Leipsick.

L'empereur envoya sa garde à cheval, commandée par le général Nansouty,
avec vingt pièces d'artillerie, afin de prendre en flanc les troupes qui
s'avançaient le long de la Partha pour attaquer Leipsick. Il se porta
lui-même avec une division de la garde, au village de Reidnitz. La
promptitude de ces mouvemens rétablit l'ordre, le village fut repris, et
l'ennemi poussé fort loin.

Le champ de bataille resta en entier en notre pouvoir, et l'armée
française resta victorieuse aux champs de Leipsick, comme elle l'avait
été aux champs de Wachau.

A la nuit, le feu de nos canons avait, sur tous les points, repoussé à
une lieue du champ de bataille le feu de l'ennemi.

Les généraux de division Vial et Rochambeau sont morts glorieusement.
Notre perte dans cette journée peut s'évaluer à quatre mille tués ou
blessés; celle de l'ennemi doit avoir été extrêmement considérable.
Il ne nous a fait aucun prisonnier, et nous lui avons pris cinq cents
hommes.

A six heures du soir, l'empereur ordonna les dispositions pour la
journée du lendemain. Mais à sept heures, les généraux Sorbier et
Dulauloy, commandant l'artillerie de l'armée et de la garde, vinrent à
son bivouac lui rendre compte des consommations de la journée: on avait
tiré quatre-vingt-quinze mille coups de canon: ils dirent que les
réserves étaient épuisées, qu'il ne restait pas plus de seize mille
coups de canon; que cela suffisait à peine pour entretenir le feu
pendant deux heures, et qu'en suite on serait sans munitions pour les
événemens ultérieurs; que l'armée, depuis cinq jours, avait tiré plus
de deux cent vingt mille coups de canon, et qu'on ne pourrait se
réapprovisionner qu'à Magdebourg ou à Erfurt.

Cet état de choses rendait nécessaire un prompt mouvement sur un de nos
deux grands dépôts: l'empereur se décida pour Erfurt, par la même raison
qui l'avait décidé à venir sur Leipsick, pour être à portée d'apprécier
l'influence de la défection de la Bavière.

L'empereur donna sur-le-champ les ordres pour que les bagages, les
parcs, l'artillerie, passassent les défilés de Lindenau; il donna le
même ordre à la cavalerie et à différens corps d'armée; et il vint dans
les faubourgs de Leipsick, à l'hôtel de Prusse, où il arriva à neuf
heures du soir.

Cette circonstance obligea l'armée française à renoncer aux fruits des
deux victoires où elle avait; avec tant de gloire, battu des troupes de
beaucoup supérieures en nombre et les armées de tout le continent.

Mais ce mouvement n'était pas sans difficulté. De Leipsick à Lindenau,
il y a un défilé de deux lieues, traversé par cinq ou six ponts. On
proposa de mettre six mille hommes et soixante pièces de canon dans la
ville de Leipsick, qui a des remparts, d'occuper cette ville comme tête
de défilé, et d'incendier ses vastes faubourgs, afin d'empêcher l'ennemi
de s'y loger, et de donner jeu à noire artillerie placée sur les
remparts.

Quelque odieuse que fût la trahison de l'armée saxonne, l'empereur ne
put se résoudre à détruire une des belles villes de l'Allemagne, à la
livrer à tous les genres de désordre inséparables d'une telle défense,
et cela sous les yeux du roi, qui, depuis Dresde, avait voulu
accompagner l'empereur, et qui était si vivement affligé de la conduite
de son armée. L'empereur aima mieux s'exposer à perdre quelques
centaines de voitures que d'adopter ce parti barbare.

A la pointe du jour, tous les parcs, les bagages, toute l'artillerie,
la cavalerie, la garde et les deux tiers de l'armée avaient passé le
défilé.

Le duc de Tarente et le prince Poniatowski furent chargés de garder les
faubourgs, de les défendre assez de temps pour laisser tout déboucher,
et d'exécuter eux-mêmes le passage du défilé vers onze heures.

Le magistrat de Leipsick envoya, à six heures du matin, une députation
au prince de Schwartzenberg, pour lui demander de ne pas rendre la ville
le théâtre d'un combat qui entraînerait sa ruine.

A neuf heures, l'empereur monta à cheval, entra dans Leipsick et alla
voir le roi. Il a laissé ce prince maître de faire ce qu'il voudrait,
et de ne pas quitter ses états, en les laissant exposés à cet esprit de
sédition qu'on avait fomenté parmi les soldats. Un bataillon saxon avait
été formé à Dresde, et joint à la jeune garde. L'empereur le fit ranger
à Leipsick, devant le palais du roi, pour lui servir de garde, et pour
le mettre à l'abri du premier mouvement de l'ennemi.

Une demi-heure après, l'empereur se rendit à Lindenau, pour y attendre
l'évacuation de Leipsick, et voir les dernières troupes passer les ponts
avant de se mettre en marche.

Cependant l'ennemi ne tarda pas à apprendre que la plus grande partie
de l'armée avait évacué Leipsick, et qu'il n'y restait qu'une forte
arrière-garde. Il attaqua vivement le duc de Tarente et le prince
Poniatowski; il fut plusieurs fois repoussé; et, tout en défendant les
faubourgs, notre arrière-garde opéra sa retraite. Mais les Saxons restés
dans la ville tirèrent sur nos troupes de dessus les remparts; ce qui
obligea d'accélérer la retraite et mit un peu de désordre.

L'empereur avait ordonné au génie de pratiquer des fougasses sous le
grand pont qui est entre Leipsick et Lindenau, afin de le faire sauter
au dernier moment; de retarder ainsi la marche de l'ennemi, et de
laisser le temps aux bagages de filer. Le général Dulauloy avait chargé
le colonel Monfort de cette opération. Ce colonel, au lieu de rester sur
les lieux pour la diriger et pour donner le signal, ordonna à un caporal
et à quatre sapeurs de faire sauter le pont aussitôt que l'ennemi se
présenterait. Le caporal, homme sans intelligence, et comprenant mal sa
mission, entendant les premiers coups de fusil tirés des remparts de la
ville, mit le feu aux fougasses, et fit sauter le pont: une partie de
l'armée était encore de l'autre côté, avec un parc de quatre-vingt
bouches à feu et de quelques centaines de voitures.

La tête de cette partie de l'armée, qui arrivait au pont, le voyant
sauter, crut qu'il était au pouvoir de l'ennemi. Un cri d'épouvante se
propagea de rang en rang: _L'ennemi est sur nos derrières, et les ponts
sont coupés!_--Ces malheureux se débandèrent et cherchèrent à se sauver.
Le duc de Tarente passa la rivière à la nage; le comte Lauriston moins
heureux, se noya; le prince Poniatowski monté sur un cheval fougueux,
s'élança dans l'eau et n'a plus reparu. L'empereur n'apprit ce désastre
que lorsqu'il n'était plus temps d'y remédier; aucun remède même n'eût
été possible. Le colonel Monfort et le caporal de sapeurs sont traduits
à un conseil de guerre.

On ne peut encore évaluer les pertes occasionnées par ce malheureux
événement; mais on les porte, par approximation, à douze mille hommes,
et à plusieurs centaines de voitures. Les désordres qu'il a portés
dans l'armée ont changé la situation des choses: l'armée française
victorieuse arrive à Erfurt comme y arriverait une armée battue. Il
est impossible de peindre les regrets que l'armée a donnés au prince
Poniatowski, au comte Lauriston et à tous les braves qui ont péri par la
suite de ce funeste événement.

On n'a pas de nouvelles du général Reynier; on ignore s'il a été pris ou
tué. On se figurera facilement la profonde douleur de l'empereur,
qui voit, par un oubli de ses prudentes dispositions, s'évanouir les
résultats de tant de fatigues et de travaux.

Le 19, l'empereur a couché à Markraustaed; le duc de Reggio était resté
à Lindenau.

Le 20, l'empereur a passé la Saale à Weissenfels.

Le 21, l'armée a passé l'Unstrut à Frybourg; le général Bertrand a pris
position sur les hauteurs de Coesen.

Le 22, l'empereur a couché au village d'Ollendorf.

Le 23, il est arrivé à Erfurt.

L'ennemi, qui avait été consterné des batailles du 16 et du 18, a
repris, par le désastre du 19, du courage et l'ascendant de la victoire.
L'armée française, après de si brillans succès, a perdu son attitude
victorieuse.

Nous avons trouvé à Erfurt, en vivres, munitions, habits, souliers, tout
ce dont l'armée pouvait avoir besoin.

L'état-major publiera les rapports des différens chefs d'armée sur les
officiers qui se sont distingués dans les grandes journées de Wachau et
de Leipsick.



Le 31 octobre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Les deux régimens de cuirassiers du roi de Saxe, faisant partie du
premier corps de cavalerie, étaient restés avec l'armée française.
Lorsque l'empereur eut quitté Leipsick, il leur fit écrire par le duc de
Vicence, et les renvoya à Leipsick, pour servir de garde au roi.

Lorsqu'on fut certain de la défection de la Bavière, un bataillon
bavarois était encore avec l'armée: S. M. a fait écrire au commandant de
ce bataillon par le major-général.

L'empereur est parti d'Erfurt le 25.

Notre armée a opéré tranquillement son mouvement sur le Mein. Arrivé le
29 à Gelnhausen, on aperçut un corps ennemi de cinq à six mille hommes,
cavalerie, infanterie et artillerie, qu'on sut par les prisonniers être
l'avant-garde de l'armée autrichienne et bavaroise. Cette avant-garde
fut poussée et obligée de se retirer. On rétablit promptement le pont
que l'ennemi avait coupé. On apprit aussi par les prisonniers que
l'armée autrichienne et bavaroise, annoncée forte de soixante à
soixante-dix mille hommes, venant de Braunau, était arrivée à Hanau, et
prétendait barrer le chemin à l'armée française.

Le 29 au soir, les tirailleurs de l'avant-garde ennemie furent poussés
au-delà du village de Langensebolde; et à sept heures du soir,
l'empereur et son quartier-général étaient dans ce village au château
d'Issenbourg.

Le lendemain 30, à neuf heures du matin, l'empereur monta à cheval. Le
duc de Tarente se porta en avant avec 5,000 tirailleurs sous les ordres
du général Charpentier. La cavalerie du général Sébastiani, la division
de la garde, commandée par le général Friant, et la cavalerie de la
vieille garde, suivirent; le reste de l'armée était en arrière d'une
marche.

L'ennemi avait placé six bataillons au village de Ruchingen, afin de
couper toutes les routes qui pouvaient conduire sur le Rhin. Quelques
coups de mitraille et une charge de cavalerie firent reculer
précipitamment ces bataillons.

Arrivés sur la lisières du bois, à deux lieues de Hanau, les tirailleurs
ne tardèrent pas à s'engager. L'ennemi fut acculé dans le bois jusqu'au
point de jonction de la vieille et de la nouvelle route. Ne pouvant rien
opposer à la supériorité de notre infanterie, il essaya de tirer parti
de son grand nombre; il étendit le feu sur sa droite. Une brigade de
deux mille tirailleurs du deuxième corps, commandée par le général
Dubreton, fut engagée pour le contenir, et le général Sébastiani fit
exécuter avec succès, dans l'éclairci du bois, plusieurs charges sur les
tirailleurs ennemis. Nos cinq mille tirailleurs continrent ainsi toute
l'armée ennemie, en gagnant insensiblement du temps, jusqu'à trois
heures de l'après-midi.

L'artillerie étant arrivée, l'empereur ordonna au général Curial de se
porter au pas de charge sur l'ennemi avec deux bataillons de chasseurs
de la vieille garde, et de le culbuter au-delà du débouché; au général
Drouot de déboucher sur-le-champ avec cinquante pièces de canon; au
général Nansouty, avec tout le corps du général Sébastiani et la
cavalerie de la vieille garde, décharger vigoureusement l'ennemi dans la
plaine.

Toutes ces dispositions furent exécutées exactement.

Le général Curial culbuta plusieurs bataillons ennemis.

Au seul aspect de la vieille garde, les Autrichiens et les Bavarois
fuirent épouvantés.

Quinze pièces de canon, et successivement jusqu'à cinquante, furent
placées en batterie avec l'activité et l'intrépide sang-froid qui
distinguent le général Drouot. Le général Nansouty se porta sur la
droite de ces batteries et fit charger dix mille hommes de cavalerie
ennemie par le général Levêque, major de la vieille garde, par la
division de cuirassiers Saint-Germain, et successivement par les
grenadiers et les dragons de la cavalerie de la garde. Toutes ces
charges eurent le plus heureux résultat. La cavalerie ennemie fut
culbutée et sabrée; plusieurs carrés d'infanterie furent enfoncés; le
régiment autrichien Jordis et les hulans du prince de Schwartzenberg ont
été entièrement détruits. L'ennemi abandonna précipitamment le chemin de
Francfort qu'il barrait, et tout le terrain qu'occupait sa gauche. Il se
mit en retraite et bientôt après en complète déroute.

Il était cinq heures. Les ennemis firent un effort sur leur droite pour
dégager leur gauche et donner le temps à celle-ci de se reployer. Le
général Friant envoya deux bataillons de la vieille garde à une ferme
située sur le vieux chemin de Hanau. L'ennemi en fut promptement
débusqué et sa droite fut obligée de plier et de se mettre en retraite.
Avant six heures du soir, il repassa en déroute la petite rivière de la
Kintzig.

La victoire fut complète.

L'ennemi, qui prétendait barrer tout le pays, fut obligé d'évacuer le
chemin de Francfort et de Hanau.

Nous avons fait six mille prisonniers et pris plusieurs drapeaux et
plusieurs pièces de canon. L'ennemi a eu six généraux tués ou blessés.
Sa perte a été d'environ dix mille hommes tués, blessés ou prisonniers.
La nôtre n'est que de quatre à cinq cents hommes tués ou blessés. Nous
n'avons eu d'engagés que cinq mille tirailleurs, quatre bataillons de
la vieille garde, et à peu près quatre-vingts escadrons de cavalerie et
cent vingt pièces de canon.

A la pointe du jour, le 31, l'ennemi s'est retiré, se dirigeant sur
Aschaffenbourg. L'empereur a continué son mouvement, et à trois heures
après-midi, S. M. était à Francfort.

Les drapeaux pris à cette bataille et ceux qui ont été pris aux
batailles de Wachau et de Leipsick, sont partis pour Paris.

Les cuirassiers, les grenadiers à cheval, les dragons ont fait de
brillantes charges. Deux escadrons de gardes-d'honneur du troisième
régiment, commandés par le major Saluces, se sont spécialement
distingués, et font présumer ce qu'on doit attendre de ce corps au
printemps prochain, lorsqu'il sera parfaitement organisé et instruit.

Le général d'artillerie de l'armée Nourrit, et le général Devaux, major
d'artillerie de la garde, ont mérité d'être distingués; le général
Letort, major des dragons de la garde, quoique blessé à la bataille de
Wachau, a voulu charger à la tête de son régiment, et a eu son cheval
tué.

Le 31 au soir, le grand quartier-général était à Francfort.

Le duc de Trévise, avec deux divisions de la jeune garde et le premier
corps de cavalerie, était à Gelnhaussen. Le duc de Reggio arrivait à
Francfort.

Le comte Bertrand et le duc de Raguse étaient à Hanau.

Le général Sébastiani était sur la Nida.



Francfort, le 1er novembre 1813.

_Extrait d'une lettre de l'empereur à l'impératrice._

«Madame et très-chère épouse, je vous envoie vingt drapeaux pris par mes
armes aux batailles de Wachau, de Leipsick et de Hanau; c'est un hommage
que j'aime à vous rendre. Je désire que vous y voyiez une marque de ma
grande satisfaction de votre conduite pendant la régence que je vous ai
confiée.»

NAPOLÉON.



Le 3 novembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 30 octobre, dans le moment où se livrait la bataille de Hanau, le
général Lefèvre-Desnouettes, à la tête de sa division de cavalerie et du
cinquième corps de cavalerie commandé par le générât Milhaud,
flanquait toute la droite de l'armée, du côté de Bruckoebel et de
Nieder-Issengheim. Il se trouvait en présence d'un corps de cavalerie
russe et alliée, de six à sept mille hommes: le combat s'engagea;
plusieurs charges eurent lieu, toutes à notre avantage; et ce corps
ennemi formé par la réunion de deux ou trois partisans, fut rompu et
vivement poursuivi. Nous lui avons fait cent cinquante prisonniers
montés. Notre perte est d'une soixantaine d'hommes blessés.

Le lendemain de la bataille de Hanau, l'ennemi était en pleine retraite;
l'empereur ne voulut point le poursuivre, l'armée se trouvant fatiguée,
et S. M., bien loin d'y attacher quelque importance, ne pouvant voir
qu'avec regret la destruction de quatre à cinq mille Bavarois, qui
aurait été le résultat de cette poursuite. S. M. se contenta donc de
faire poursuivre légèrement l'arrière-garde ennemie, et laissa le
général Bertrand sur la rive droite de la Kintzig.

Vers les trois heures de l'après-midi, l'ennemi sachant que l'armée
avait filé, revint sur ses pas, espérant avoir quelque avantage sur
le corps du général Bertrand. Les divisions Morand et Guilleminot lui
laissèrent faite ses préparatifs pour le passage de la Kintzig; et quand
il l'eut passée, marchèrent à lui à la baïonnette, et le culbutèrent
dans la rivière, où la plus grande partie de ses gens se noyèrent.
L'ennemi a perdu trois mille hommes dans cette circonstance.

Le général bavarois de Wrede, commandant en chef de cette armée, a été
mortellement blessé, et on a remarqué que tous les parens qu'il avait
dans l'armée ont péri dans la bataille de Hanau, entre autres son gendre
le prince d'Oettingen.

Une division bavaroise-autrichienne est entrée le 30 octobre à midi à
Francfort; mais à l'approche des coureurs de l'armée française, elle
s'est retirée sur la rive gauche du Mein, après avoir coupé le pont.

Le 2 novembre, l'arrière-garde française a évacué Francfort, et s'est
portée sur la Nidda.

Le même jour à cinq heures du matin l'empereur est entré à Mayence.

On suppose, dans le public, que le général de Wrede a été l'auteur et
l'agent principal de la défection de la Bavière. Ce général avait été
comblé des bienfaits de l'empereur.



Le 7 novembre 1813.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le duc de Tarente était à Cologne, où il organise une armée pour la
défense du Bas-Rhin.

Le duc de Raguse était à Mayence.

Le duc de Bellune était à Strasbourg.

Le duc de Valmi était allé prendre à Metz le commandement de toutes les
réserves.

Le comte Bertrand, avec le quatrième corps, composé de quatre divisions
d'infanterie et d'une division de cavalerie, et fort de quarante mille
hommes, occupait la rive droite en avant de Cassel. Son quartier-général
était à Hocheim. Depuis quatre jours, on travaillait à un camp retranché
sur les hauteurs à une lieue en avant de Cassel. Plusieurs ouvrages
étaient tracés et fort avancés.

Tout le reste de l'armée avait passé le Rhin.

S. M. avait signé, le 7, la réorganisation de l'armée et la nomination à
toutes les places vacantes.

L'avant-garde commandée par le comte Bertrand, n'avait pas encore vu
d'infanterie ennemie, mais seulement quelques troupes de cavalerie
légère.

Toutes les places du Rhin s'armaient et s'approvisionnaient avec la plus
grande activité.

Les gardes nationales récemment levées se rendaient de tous côtés dans
les places pour en former la garnison et laisser l'armée disponible.

Le général Dulauloy avait réorganisé les deux cents bouches à feu de la
garde. Le général Sorbier était occupé à réorganiser cent batteries à
pied et à cheval, et à réparer la perte des chevaux qu'avait éprouvée
l'artillerie de l'armée.

On croyait que S. M. ne tarderait pas à se rendre à Paris.

S. M. l'empereur est arrivée le 9, à cinq heures après-midi, à
Saint-Cloud.

S. M. avait quitté Mayence le 8, à une heure du matin.



Paris, 14 novembre 1813.

_Réponse de l'empereur à une députation du sénat._

«Sénateurs,

«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.

«Toute l'Europe marchait avec nous il y a un an; toute l'Europe marche
aujourd'hui contre nous: c'est que l'opinion du monde est faite par
la France ou par l'Angleterre. Nous aurions donc tout à redouter sans
l'énergie et la puissance de la nation.

«La postérité dira que si de grandes et critiques circonstances se sont
présentées, elles n'étaient pas au-dessus de la France et de moi.»



Au palais des Tuileries, 14 décembre 1813.

_Lettre de l'empereur à S. Exc. M. Reinhard, landamman de la Suisse._

«Monsieur le landamman, j'ai lu avec plaisir la lettre que vous avez
chargé MM. de Ruttimann et Vieland, envoyés extraordinaires de la
confédération, de me rendre. J'ai appris, avec une particulière
satisfaction, l'union qui a régné entre tous les cantons et entre toutes
les classes de citoyens. La neutralité que la diète a proclamée à
l'unanimité est à la fois conforme aux obligations de vos traités et à
vos plus chers intérêts. Je connais cette neutralité, et j'ai donné les
ordres nécessaires pour qu'elle soit respectée. Faites connaître aux
dix-neuf cantons qu'en toute occasion ils peuvent compter sur le vif
intérêt que je leur porte, et que je serai toujours disposé à leur
donner des preuves de ma protection et de mon amitié.

«Sur ce, je prie Dieu, monsieur le landamman, qu'il vous ait en sa
sainte et digne garde.»

NAPOLÉON.



Paris, 19 décembre 18l3.

_Discours de l'empereur à l'ouverture extraordinaire du
corps-législatif._

«Sénateurs, conseillers-d'état, députés des départemens au
corps-législatif,

«D'éclatantes victoires ont illustré les armes françaises dans cette
campagne. Des défections sans exemple ont rendu ces victoires inutiles.
Tout a tourné contre nous. La France même serait en danger sans
l'énergie et l'union des Français. «Dans ces grandes circonstances, ma
première pensée a été de vous appeler près de moi. Mon coeur a besoin de
la présence et de l'affection de mes sujets.

«Je n'ai jamais été séduit par la prospérité: l'adversité me trouverait
au-dessus de ses atteintes.

«J'ai plusieurs fois donné la paix aux nations, lorsqu'elles avaient
tout perdu. D'une part de mes conquêtes, j'ai élevé des trônes pour des
rois qui m'ont abandonné.

«J'avais conçu et exécuté de grands desseins pour la prospérité et le
bonheur du monde! ... Monarque et père, je sens que la paix ajoute à la
sécurité des trônes et à celle des familles. Des négociations ont
été entamées avec les puissances coalisées. J'ai adhéré aux bases
préliminaires qu'elles ont présentées. J'avais donc l'espoir qu'avant
l'ouverture de cette session, le congrès de Manheim serait réuni; mais
de nouveaux retards, qui ne sont pas attribués à la France, ont différé
ce moment que presse le voeu du monde.

«J'ai ordonné qu'on vous communiquât toutes les pièces originales qui
se trouvent au portefeuille de mon département des affaires étrangères.
Vous en prendrez connaissance par l'intermédiaire d'une commission. Les
orateurs de mon conseil vous feront connaître ma volonté sur cet objet.

«Rien ne s'oppose de ma part au rétablissement de la paix. Je connais et
je partage tous les sentimens des Français: je dis des Français, parce
qu'il n'en est aucun qui désirât la paix au prix de l'honneur.

«C'est à regret que je demande à ce peuple généreux de nouveaux
sacrifices; mais ils sont commandés par ses plus nobles et ses plus
chers intérêts. J'ai dû renforcer mes armées par de nombreuses levées:
les nations ne traitent avec sécurité qu'en déployant toutes leurs
forces. Un accroissement dans les recettes devient indispensable. Ce que
mon ministre des finances vous proposera, est conforme au système de
finances que j'ai établi. Nous ferons face à tout sans emprunt qui
consomme l'avenir, et sans papier-monnaie qui est le plus grand ennemi
de l'ordre social.

«Je suis satisfait des sentimens que m'ont montrés dans cette
circonstance mes peuples d'Italie.

«Le Danemarck et Naples sont seuls restés fidèles à mon alliance.

«La république des États-Unis d'Amérique continue avec succès sa guerre
contre l'Angleterre.

«J'ai reconnu la neutralité des dix-neuf cantons suisses.

«Sénateurs, conseillers-d'état, députés des départemens au
corps-législatif,

«Vous êtes les organes naturels de ce trône: c'est à vous de donner
l'exemple d'une énergie qui recommande notre génération aux générations
futures. Qu'elles ne disent pas de nous: «Ils ont sacrifié les premiers
intérêts du pays! ils ont reconnu les lois que l'Angleterre a cherché en
vain, pendant quatre siècles, à imposer à la France!»

«Mes peuples ne peuvent pas craindre que la politique de leur empereur
trahisse jamais la gloire nationale. De mon côté, j'ai la confiance que
les Français seront constamment dignes d'eux et de moi!»



Paris, 23 décembre 1813.

_Lettre de l'empereur au président du corps-législatif._

«Monsieur le duc de Massa, président du corps-législatif, nous vous
adressons la présente lettre close pour vous faire connaître que notre
intention est que vous vous rendiez demain, 24 du courant, heure de
midi, chez notre cousin le prince archi-chancelier de l'empire, avec la
commission nommée hier par le corps-législatif, en exécution de notre
décret du 20 de ce mois, laquelle est composée des sieurs Raynouard,
Lainé, Gallois, Flaugergue et Biran; et ce, à l'effet de prendre
connaissance des pièces relatives à la négociation, ainsi que de la
déclaration des puissances coalisées, qui seront communiquées par le
comte Regnaud, ministre d'état, et le comte d'Hauterive, conseiller
d'état, attaché à l'office des relations extérieures, lequel sera
porteur desdites pièces et déclaration.

«Notre intention est aussi que notre dit cousin préside la commission.

«La présente n'étant à d'autres fins, je prie Dieu qu'il vous ait,
monsieur le duc de Massa, en sa sainte garde.»

NAPOLÉON.



Paris, 30 décembre 1813.

_Réponse de l'empereur à une députation du sénat._

«Je suis sensible aux sentimens que vous m'exprimez.

«Vous avez vu, par les pièces que je vous ait fait communiquer, ce
que je fais pour la paix. Les sacrifices que comportent les bases
préliminaires que m'ont proposées les ennemis, et que j'ai acceptées, je
les ferais sans regret; ma vie n'a qu'un but, le bonheur des français.

«Cependant, le Béarn, l'Alsace, la Franche-Comté, le Brabant, sont
entamés. Les cris de cette partie de ma famille me déchirent l'ame!
J'appelle les Français au secours des Français! J'appelle les Français
de Paris, de la Bretagne, de la Normandie, de la Champagne, de la
Bourgogne et d'autres départemens, au secours de leurs frères! Les
abandonnerons-nous dans leur malheur? Paix et délivrance de notre
territoire, doit être notre cri de ralliement. A l'aspect de tout ce
peuple en armes, l'étranger fuira ou signera la paix sur les bases qu'il
a lui-même proposées. Il n'est plus question de recouvrer les conquêtes
que nous avions faites.



Paris, 31 décembre 1813.

_Réponse de l'empereur à une députation envoyée par le corps
législatif_[3].

[Note 3: Cette députation était chargée de présenter à l'empereur
le rapport fait par la commission nommée par le corps législatif
pour examiner les actes officiels relatifs aux négociations entamées
jusqu'alors pour la paix. On doit se rappeler combien ce rapport irrita
l'empereur. Aussi sa réponse indique toute son indignation. Nous croyons
faire plaisir à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux cette pièce
importante. La voici telle quelle fut prononcée dans le corps législatif
par M. Raynouard, membre de la commission:

«Nous avons examiné avec une scrupuleuse attention les pièces
officielles que l'empereur a daigné mettre sous nos yeux. Nous nous
sommes regardés alors comme les représentans de la nation elle-même,
parlant avec effusion à un père qui les écoute avec bonté. Pénétrés
de ce sentiment si propre à élever nos ames et à les dégager de toute
considération personnelle, nous avons osé apporter la vérité au pied du
trône; notre auguste souverain ne saurait souffrir un autre langage.

«Des troubles politiques dont les causes furent inconnues rompirent
la bonne intelligence qui régnait entre l'empereur des Français et
l'empereur de toutes les Russes; la guerre fut sans doute nécessaire,
mais elle fut entreprise dans un temps où nos expéditions devenaient
périlleuses. Nos armées marchèrent avec celles de tous les souverains du
Nord contre le plus puissant de tous. Nos victoires furent rapides, mais
nous les payâmes cher. Les horreurs d'un hiver inconnu dans nos climats
changèrent en défaites toutes nos victoires, et le souffle du Nord
dévora l'élite des armées françaises. Nos désastres parurent des crimes
à nos alliés. Les plaintes publiques de la Prusse, les sourds murmures
du cabinet autrichien, les inquiétudes des princes de la confédération,
tout dès-lors dut faire présager à la France les malheurs qui ne
tardèrent pas à fondre sur elle. Les armes de l'empereur de Russie
avaient traversé la Prusse et menaçaient l'Allemagne chancelante.
L'Autriche offrit sa médiation aux deux souverains et s'affranchit
elle-même par un traité secret des craintes d'un envahissement. Les
funestes conséquences de nos premiers désastres ne tardèrent pas à se
manifester par des désastres nouveaux. Dantzick et Torgau avaient été
l'asyle de nos soldats vaincus; cette ressource nous fut enlevée par la
déclaration de la Prusse; ces places furent enveloppées, et nous fûmes
privés par la force des choses de quarante mille hommes en état de
défendre la patrie. Le mouvement simultané de la Prusse devint pour
l'Europe le signal d'une défection solennelle.

«En vain l'armistice de juillet semblait porter les puissances à un
accord que tous les peuples désiraient. Les plaines de Lutzen et de
Bautzen furent signalées par de nouveaux exploits; il semble dans ces
mémorables journées que le soleil éclaira le dernier de nos triomphes.
Un prince fidèle à son alliance appela dans le coeur de ses états
l'armée française et son auguste chef; Dresde devint le centre des
opérations militaires. Mais tandis que la cour de Saxe se distinguait
par sa fidélité généreuse, une opinion contraire fermentait au milieu
des Saxons et préparait l'inexcusable trahison qu'une inimitié mal
placée aurait dû laisser prévoir.

«La Bavière avait, depuis la retraite de Moscou, séparé sa cause de la
nôtre; le régime de notre administration avait déplu à un peuple dès
long-temps accoutumé à une grande indépendance dans la répartition de
ses contributions et dans la perception des impôts. Mais il y avait loin
de la froideur à l'agression; le prince bavarois crut devoir prendre ce
dernier parti aussitôt qu'il jugea les Français hors d'état de résister
à l'attaque générale dont nos ennemis avaient donné le signal. Un
guerrier né parmi nous, qui avait osé préférer un trône à la dignité
de citoyen français, voulut asseoir sa puissance par une éclatante
protestation contre la main bienfaisante à laquelle il devait son titre.
Ne scrutons point la cause d'un si étrange abandon, respectons sa
conduite, que la politique doit tôt ou tard légitimer, mais déplorons
des talens funestes à la patrie. Quelques journées de gloire furent
suivies de désastres plus affreux peut-être que ceux qui avaient anéanti
notre première armée. La France vit alors contre elle l'Europe soulevée,
et tandis que le héros de la Suède guidait ses phalanges victorieuses au
milieu des confédérés, la Hollande brisait les liens qui l'attachaient
à nous; l'Europe enfin cherchait à embraser la France du feu dont elle
était dévorée. Nous n'avons, messieurs, à vous offrir aucune image
consolante dans le tableau de tant de malheurs. Une armée nombreuse
emportée par les frimats du Nord fut remplacée par une armée dont les
soldats ont été arrachés à la gloire, aux arts et au commerce; celle-ci
engraissé les plaines maudites de Leipsick, et les flots de l'Elster ont
entraîné des bataillons de nos concitoyens. Ici messieurs, nous devons
l'avouer, l'ennemi porté par la victoire jusque sur les bords du Rhin, a
offert à notre auguste monarque une paix qu'un héros accoutume à tant de
succès a pu trouver bien étrange. Mais si un sentiment mâle et héroïque
lui a dicté un refus avant que l'état déplorable de la France eût
été jugé, ce refus ne peut plus être réitéré sans imprudence lorsque
l'ennemi franchit déjà les frontières de notre territoire. S'il
s'agissait de discuter ici des conditions flétrissantes, Sa Majesté
n'eût daigné répondre qu'en faisant connaître à ses peuples les projets
de l'étranger; mais on veut non pas nous humilier, mais nous renfermer
dans nos limites et réprimer l'élan d'une activité ambitieuse si fatale
depuis vingt ans à tous les peuples de l'Europe.

«De telles propositions nous paraissent honorables pour la nation,
puisqu'elles prouvent que l'étranger nous craint et nous respecte. Ce
n'est pas lui qui assigne des bornes à notre puissance, c'est le monde
effrayé qui invoque le droit commun des nations. Les Pyrénées, les Alpes
et le Rhin renferment un vaste territoire dont plusieurs provinces ne
relevaient pas de l'empire des lis, et cependant la royale couronne de
France était brillante de gloire et de majesté entre tous les diadèmes.
(Ici le président interrompt l'orateur en ces termes: «Orateur, ce que
vous dites-lá est inconstitutionnel.» M. Raynouard a répondu: il n'y a
ici d'inconstitutionnel que votre présence, et a continué.)

«D'ailleurs, le protectorat du Rhin cesse d'être un titre d'honneur
pour une couronne, dès le moment que les peuples de cette confédération
dédaignent cette protection.

«Il est évident qu'il ne s'agit point ici d'un droit de conquête, mais
d'un titre d'alliance utile seulement aux Germains. Une main puissante
les assurait de son secours; ils voulent se dérober à ce bienfait comme
à un fardeau insupportable, il est de la dignité de S. M. d'abandonner à
eux-mêmes ces peuples qui courent se ranger sous le joug de l'Autriche.
Quant au Brabant, puisque les coalisés proposent de s'en tenir aux bases
du traité de Lunéville, il nous a paru que la France pouvait sacrifier
sans perte des provinces difficiles à conserver, où l'esprit anglais
domine presque exclusivement, et pour lesquelles enfin le commerce avec
l'Angleterre est d'une necessité si indispensable que ces contrées
ont été languissantes et appauvries tant qu'a duré notre domination.
N'avous-nous pas vu les familles patriciennes s'exiler du sol
hollandais, comme si les flêaux dévastateurs les avaient poursuivies, et
aller porter chez l'ennemi les richesses et l'industrie de leur patrie?
Il n'est pas besoin sans doute de courage pour faire entendre la vérité
au coeur de notre monarque; mais dussions-nous nous exposer à tous les
périls, nous aimerions mieux encourir sa disgrâce que de trahir sa
confiance, et exposer notre vie même, que le salut du la nation que nous
représentons.

«Ne dissimulons rien; nos maux sont à leur comble; la patrie est
menacée sur tous les points de ses frontières; le commerce est anéanti,
l'agriculture languit, l'industrie expire, et il n'est point de Français
qui n'ait dans sa famille ou dans sa fortune une plaie cruelle à guérir.
Ne nous appesantissons pas sur ces faits: l'agriculteur, depuis cinq
ans, ne jouit pas, il vit à peine, et les fruits de ses travaux servent
à grossir le trésor qui se dissipe annuellement par des secours que
réclament des armées sans cesse ruinées et affamées. La conscription est
devenue pour toute la France un odieux fléau, parce que cette mesure a
toujours été outrée dans l'exécution. Depuis deux ans on moissonne trois
fois l'année; une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement
une jeunesse arrachée à l'éducation, à l'agriculture, au commerce, et
aux arts. Les larmes des mères et les sueurs des peuples sont-elles donc
le patrimoine des rois? Il est temps que les nations respirent; il est
temps que les puissances cessent de s'entrechoquer et de se déchirer
les entrailles; il est temps que les trônes s'affermissent, et que l'on
cesse de reprocher à la France de vouloir porter dans tout le monde les
torches révolutionnaires. Notre auguste monarque, qui partage le zèle
qui nous anime, et qui brûle de consolider le bonheur de ses peuples,
est le seul digne d'achever ce grand ouvrage. L'amour de l'honneur
militaire et des conquêtes peut séduire un coeur magnanime; mais le
génie d'un héros véritable qui méprise une gloire achetée au dépens
du sang et du repos des peuples, trouve sa véritable grandeur dans la
félicité publique qui est son ouvrage. Les monarques français se sont
toujours glorifiés de tenir leur couronne de Dieu, du peuple et de leur
épée, parce que la paix, la morale et la force sont, avec la liberté, le
plus ferme soutien des empires.»]

Le corps législatif ayant ensuite de ce rapport présenté une adresse à
l'empereur, en a reçu une réponse où on remarque ces passage:

J'ai supprimé l'impression de votre adresse; elle était incendiaire. Les
onze douzièmes du corps législatif sont composés de bons citoyens, je
les reconnais et j'aurai des égards pour eux; mais une autre douzième
renferme des factieux, et votre commission est de ce nombre (cette
commission était composée de messieurs Lainé, Raynouard, Maine de Biran
et Flaugergue). Le nommé Laine est un traître qui correspond avec le
prince régent par l'intermédiaire de Desèze; je le sais, j'en ai la
preuve; les quatre autres sont des factieux. Ce douzième est composé
de gens qui veulent l'anarchie et qui sont comme les Girondins. Où
une pareille conduite a-t-elle mené Vergneau et les autres chefs? à
l'échafaud. Ce n'est pas dans le moment où l'on doit chasser l'ennemi
de nos frontières que l'on doit exiger de moi un changement dans la
constitution; il faut suivre l'exemple de l'Alsace, de la Franche-Comté
et des Vosges. Les habitans s'adressent à moi pour avoir des armes
et que je leur donne des partisans; aussi j'ai fait partir des
aides-de-camp. Vous n'êtes point les représentans de la nation, mais
les députés des départemens. Je vous ai rassemblés pour avoir des
consolations; ce n'est pas que je manque de courage; mais j'espérais que
le corps législatif m'en donnerait; au lieu de cela, il m'a trompé; au
lieu du bien que j'attendais il a fait du mal, peu de mal cependant,
parce qu'il n'en pouvait beaucoup faire. Vous cherchez dans votre
adresse à séparer le souverain de la nation. Moi seul je suis le
représentant du peuple. Et qui de vous pourrait se charger d'un pareil
fardeau? Le trône n'est que du bois recouvert de velours. Si je voulais
vous croire, je céderais à l'ennemi plus qu'il ne me demande: vous aurez
la paix dans trois mois ou je périrai. C'est ici qu'il faut montrer de
l'énergie; j'irai chercher les ennemis et nous les renverrons. Ce n'est
pas au moment où Huningue est bombardé, Béfort attaqué qu'il faut se
plaindre de la constitution de l'état et de l'abus du pouvoir. Le corps
législatif n'est qu'une partie de l'état qui ne peut pas même entrer en
comparaison avec le sénat et le conseil d'état; au reste je ne suis à
la tête de cette nation que parce que la constitution de l'état me
convient. Si la France exigeait une autre constitution et qu'elle ne me
convînt pas, je lui dirais de chercher un autre souverain.

C'est contre moi que les ennemis s'acharnent plus encore que contre les
Français; mais pour cela seul faut-il qu'il me soit permis de démembrer
l'état?

Est-ce que je ne sacrifie pas mon orgueil et ma fierté pour obtenir la
paix? Oui, je suis fier parce que je suis courageux; je suis fier parce
que j'ai fait de grandes choses pour la France. L'adresse était indigne
de moi et du corps législatif; un jour je la ferai imprimer, mais ce
sera pour faire honte au corps législatif et à la nation.

Retournez dans vos foyers....... En supposant même que j'eusse des
torts, vous ne deviez pas me faire des reproches publics; c'est en
famille qu'il faut laver son linge sale. Au reste, la France a plus
besoin de moi que je n'ai besoin de la France.



Paris, 23 janvier 1814

_Lettres-patentes signées au palais des Tuileries le 23 janvier 1814,
et par lesquelles l'empereur confère à S. M. l'impératrice et reine
Marie-Louise le titre de régente._

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération suisse, etc.

A tous ceux qui ces présentes verront, salut:

Voulant donner à notre bien-aimée épouse l'impératrice et reine
Marie-Louise des marques de la haute confiance que nous avons en elle,
attendu que nous sommes dans l'intention d'aller incessamment nous
mettre à la tête de nos armées pour délivrer notre territoire de la
présence de nos ennemis, nous avons résolu de conférer, comme nous
conférons par ces présentes, à notre Bien-aimée épouse l'impératrice et
reine, le titre de régente pour en exercer les fonctions en conformité
de nos intentions et de nos ordres, tels que nous les aurons fait
transcrire sur le livre de l'état; entendant qu'il soit donné
connaissance aux princes grands dignitaires et à nos ministres desdits
ordres et instructions, et qu'en aucun cas l'impératrice ne puisse
s'écarter de leur teneur dans l'exercice des fonctions de régente.
Voulons que l'impératrice-régente préside, en notre nom, le sénat, le
conseil d'état, le conseil des ministres et le conseil-privé, notamment
pour l'examen des recours en grâce, sur lesquels nous l'autorisons
à prononcer, après avoir entendu les membres dudit conseil-privé.
Toutefois, notre intention n'est point que, par suite de la présidence
conférée à l'impératrice-régente, elle puisse autoriser par sa signature
la présentation d'aucun sénatus-consulte, ou proclamer aucune loi de
l'état, nous référant, à cet égard, au contenu des ordres et intentions
mentionnés ci-dessus.

Mandons à notre cousin le prince archichancelier de l'empire, de
donner communication des présentes lettres-patentes au sénat, qui les
transcrira sur ses registres, et à notre grand-juge ministre de la
justice de les faire publier au Bulletin des lois, et de les adresser à
nos cours impériales pour y être lues, publiées et transcrites sur les
registres d'icelles.

NAPOLÉON.



Paris, 24 janvier 1814.

S. M. l'empereur et roi devant partir incessamment pour se mettre à la
tête de ses armées, a conféré pour le temps de son absence, la régence à
S. M. l'impératrice-reine, par lettres-patentes datées d'hier 23.

Le même jour, S. M. l'impératrice-reine a prêté serment, comme régente,
entre les mains de l'empereur, et dans un conseil composé des princes
français, des grands-dignitaires, des ministres du cabinet et des
ministres d'état.



Paris, 25 janvier 1814.

Ce matin, à sept heures, S. M. l'empereur et roi est parti pour se
mettre à la tête de ses armées.



CAMPAGNE DE FRANCE.

LIVRE NEUVIÈME.



Saint-Dizier, 28 janvier 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'ennemi était ici depuis deux jours, y commettant les plus affreuses
vexations: il ne respectait ni l'âge ni le sexe; les femmes et les
vieillards étaient en butte à ses violences et à ses outrages. La femme
du sieur Canard, riche fermier, âgée de cinquante ans, est morte des
mauvais traitemens qu'elle a éprouvés: son mari, plus que septuagénaire,
est à la mort. Il serait trop douloureux de rapporter ici la liste des
autres victimes. L'arrivée des troupes françaises entrées hier dans
notre ville a mis un terme à nos malheurs. L'ennemi ayant voulu opposer
quelque résistance, a été bientôt mis en déroute avec une perte
considérable. L'entrée de S. M. l'empereur a donné lieu aux scènes les
plus touchantes. Toute la population se pressait autour de lui; tous les
maux paraissaient oubliés. Il nous rendait la sécurité pour tout ce
que nous avons de plus cher. Un vieux colonel, M. Bouland, âgé de
soixante-dix ans, s'est jeté à ses pieds, qu'il baignait de larmes de
joie. Il exprimait tout à la fois la douleur qu'un brave soldat avait
ressentie en voyant les ennemis souiller le sol natal, et le bonheur de
les voir fuir devant les aigles impériales.

Nous apprenons que le même enthousiasme qui a éclaté ici s'est manifesté
à Bar, à l'arrivée de nos troupes. L'ennemi avait déjà pris la fuite.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Après la prise de Saint-Dizier, l'empereur s'est porté sur les derrières
de l'ennemi à Brienne, l'a battu le 29, et s'est emparé de la ville et
du château après une affaire d'arrière-garde assez vive.



Brienne, 31 janvier 1814.

_A S.M. l'impératrice-reine et régente._

Ce n'est pas seulement une arrière-garde, c'est l'armée du général
Blücher, forte de quarante mille hommes, qui était ici lorsqu'elle a été
attaquée le 29 par notre armée. Le combat a été très-vif. L'ennemi a
laissé la grande avenue qui mène au château, les rues, les places et les
vergers encombrés de ses morts. Sa perte est au moins de quatre mille
hommes, non compris beaucoup de prisonniers.

Le général Blücher ne savait pas que l'empereur était à l'armée.

M. de Hardenberg, neveu du chancelier de Prusse, et commandant le
quartier-général, a été pris au bas de la montée du château. Le général
Blücher descendait alors du château, à pied, avec son état-major. Il a
été lui-même au moment d'être fait prisonnier.

L'ennemi, pour embarrasser la poursuite des Français, a mis le feu aux
maisons de la grande rue, qui étaient les plus belles de la ville. Il
y a bien peu de nos citoyens qui n'aient éprouvé des violences
personnelles pendant le court séjour de l'ennemi; il n'en est aucun qui
n'ait été dépouillé de tout ce qu'il possédait.

Notre armée a poursuivi l'ennemi jusqu'à trois lieues de Bar-sur-Aube.
Elle est belle, nombreuse et pleine d'ardeur. On est occupé à rétablir
les différent ponts sur l'Aube.



Le 3 février 1814.

_A S.M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur est entré à Vitry le 26 janvier.

Le général Blücher, avec l'armée de Silésie, avait passé la Marne et
marchait sur Troyes. Le 27, l'ennemi entra à Brienne, et continua sa
marche; mais il dut perdre du temps pour rétablir le pont de Lesmont sur
l'Aube.

Le 27, l'empereur fit attaquer Saint-Dizier. Le duc de Bellune se
présenta devant cette ville; le général Duhesme culbuta l'arrière-garde
ennemie qui y était encore, et fit quelques centaines de prisonniers. A
huit heures du matin, l'empereur arriva à Saint-Dizier; il est difficile
de se peindre l'ivresse et la joie des habitans dans ce moment. Les
vexations de toutes espèces que commettent les ennemis, et surtout les
cosaques, sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire.

Le 28, l'empereur se porta sur Montierender.

Le 29, à huit heures du matin, le général Grouchy, qui commande la
cavalerie, fit prévenir que le général Milhaud, avec la cinquième corps
de cavalerie, était en présence, entre Maizières et Brienne, de l'armée
ennemie commandée par le général Blücher, et qu'on évaluait à quarante
mille Russes et Prussiens, les Russes commandés par le général Sacken.

A quatre heures, la petite ville de Brienne fut attaquée. Le général
Lefèvre-Desnouettes, commandant une division de cavalerie de la garde,
et les généraux Grouchy et Milhaud, exécutèrent plusieurs belles
charges, sur la droite de la route, et s'emparèrent de la hauteur de
Perthe.

Le prince de la Moskwa se mit à la tête de six bataillons en colonne
serrée, et se porta sur la ville par le chemin de Maizières. Le général
Château, chef d'état-major du duc de Bellune, à la tête de deux
bataillons, tourna par la droite, et s'introduisit dans le château de
Brienne par le parc.

Dans ce moment l'empereur dirigea une colonne sur la route de
Bar-sur-Aube, qui paraissait être la retraite de l'ennemi; l'attaque
fut vive et la résistance opiniâtre. L'ennemi ne s'attendait pas à une
attaque aussi brusque, et n'avait eu que le temps de faire revenir ses
parcs du pont de Lesmont, où il comptait passer l'Aube pour marcher en
avant. Cette contre-marche l'avait fort encombré.

La nuit ne mit pas fin au combat. La division Decouz, de la jeune garde,
et une brigade de la division Meusnier furent engagées. La grande
quantité de forces de l'ennemi et la belle situation de Brienne lui
donnaient bien des avantages, mais la prise du château, qu'il avait
négligé de garder en force, les lui fit perdre.

Vers les huit heures, voyant qu'il ne pouvait plus se maintenir, il mit
le feu à la ville, et l'incendie se propagea avec rapidité, toutes les
maisons étant de bois.

Profitant de cet événement, il chercha à reprendre le château, que le
brave chef de bataillon Henders, du cinquante-sixième régiment, défendit
avec intrépidité. Il joncha de morts toutes les approches du château, et
spécialement les escaliers du côté du parc. Ce dernier échec décida la
retraite de l'ennemi, que favorisait l'incendie de la ville.

Le 30, à onze heures du matin, le général Grouchy et le duc de Bellune
le poursuivirent jusqu'au-delà du village de la Rothière, où ils prirent
position.

La journée du 31 fut employée par nous à réparer le pont de
Lesmont-sur-Aube, l'empereur voulant se porter sur Troyes pour opérer
sur les colonnes qui se dirigeaient par Bar-sur-Aube et par la route
d'Auxerre sur Sens.

Le pont de Lesmont ne put être rétabli que le premier février au matin.
On fît filer sur-le-champ une partie des troupes.

A trois heures après-midi, l'ennemi ayant été renforcé de toute son
armée, déboucha sur la Rothière et Dienville que nous occupions encore.
Notre arrière-garde fit bonne contenance. Le général Duhesme s'est fait
remarquer en conservant la Rothière, et le général Gérard en conservant
Dienville. Le corps autrichien du général Giulay, qui voulait passer de
la rive gauche sur la droite et forcer le pont, a eu plusieurs de ses
bataillons détruits. Le duc de Bellune tint toute la journée au hameau
de la Giberie, malgré l'énorme disproportion de son corps avec les
forces qui l'attaquaient.

Cette journée, où notre arrière-garde tint dans une vaste plaine centre
toute l'armée ennemie et des forces quintuples, est un des beaux faits
d'armes de l'armée française.

Au milieu de l'obscurité de la nuit, une batterie d'artillerie de la
garde suivant le mouvement d'une colonne de cavalerie qui se portait
en avant pour repousser une charge de l'ennemi, s'égara et fut prise.
Lorsque les canonnières s'aperçurent de l'embuscade dans laquelle ils
étaient tombés, et virent qu'ils n'avaient pas le temps de se mettre en
batterie, ils se fermèrent aussitôt en escadron, attaquèrent l'ennemi et
sauvèrent leurs chevaux et leurs attelages. Ils ont perdu quinze hommes
tués ou faits prisonniers.

A dix heures du soir, le prince de Neufchâtel visitant les postes,
trouva les deux armées si près l'une de l'autre, qu'il prit plusieurs
fois les postes de l'ennemi pour les nôtres. Un de ses aides-de-camp se
trouvant à dix pas d'une vedette, fut fait prisonnier. Le même accident
est arrivé à plusieurs officiers russes qui portaient le mot d'ordre et
qui se jetèrent dans nos postes croyant arriver sur les leurs.

Il y a eu peu de prisonniers de part et d'autre. Nous en avons fait deux
cent cinquante.

Le 2 février, à la pointe du jour, toute l'arrière-garde de l'armée
était en bataille devant Brienne. Elle prit successivement des positions
pour achever de passer le pont de Lesmont et de rejoindre le reste de
l'armée.

Le duc de Raguse, qui était en position sur le pont de Rosnay, fut
attaqué par un corps autrichien qui avait passé derrière les bois. Il le
repoussa, fit trois cents prisonniers et chassa l'ennemi au-delà de la
petite rivière de Voire.

Le 3 février, à midi, l'empereur est entré dans Troyes.

Nous avons perdu au combat de Brienne le brave général Baste. Le général
Lefêvre-Desnouettes a été blessé d'un coup de baïonnette. Le général
Forestier a été grièvement blessé. Notre perte dans ces deux journées
peut s'élever de deux à trois mille hommes tués ou blessés. Celle de
l'ennemi est au moins du double.

Une division tirée du corps d'armée ennemi qui observe Metz, Thionville
et Luxembourg, et forte de douze bataillons, s'est portée sur Vitry.
L'ennemi a voulu entrer dans cette ville que le général Montmarie et les
habitans ont défendue. Il a jeté en vain des obus pour intimider les
habitans; il a été reçu à coups de canon et repoussé à une lieue et
demie. Le duc de Tarente arrivait à Châlons et marchait sur cette
division.

Le 4 au matin, le comte de Stadion, le comte Razumowski, lord
Castlereagh et le baron de Humboldt sont arrivés à Châtillon-sur-Seine
où était déjà le duc de Vicence. Les premières visites ont été faites
de part et d'autre, et le soir du même jour la première conférence des
plénipotentiaires devait avoir lieu.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur a attaqué, hier, à Champaubert, l'ennemi fort de douze
régimens, et ayant quarante pièces de canon.

Le général en chef Ousouwieff a été pris avec tous ses généraux, tous
ses colonels, officiers, canons, caissons et bagages.

On avait fait six mille prisonniers; le reste avait été jeté dans un
étang, ou tué sur le champ de bataille.

L'empereur suit vivement le général Sacken, qui se trouve séparé d'avec
le général Blücher.

Notre perte a été extrêmement légère; nous n'avons pas deux cents hommes
à regretter.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 11 février, au point du jour, l'empereur, parti de Champaubert après
la journée du 10, a poussé un corps sur Châlons, pour contenir les
colonnes ennemies qui s'étaient rejetées de ce côté.

Avec le reste de son armée, il a pris la route de Montmirail.

A une lieue au-delà, il a rencontré le corps du général Blücher, et,
après deux heures de combat, toute l'armée ennemie a été culbutée.

Jamais nos troupes n'ont montré plus d'ardeur.

L'ennemi, enfoncé de toutes parts, est dans une déroute complète:
infanterie, artillerie, munitions, tout est en notre pouvoir ou culbuté.

Les résultats sont immenses; l'armée russe est détruite.

L'empereur se porte à merveille, et nous n'avons perdu personne de
marque.



_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 12 février l'empereur a poursuivi ses succès. Blücher cherchait à
gagner Château-Thierry. Ses troupes ont été culbutées de position en
position.

Un corps entier qui était resté réuni, et qui protégeait sa retraite, a
été enlevé.

Cette arrière-garde était composée de quatre bataillons russes, trois
bataillons prussiens, et de trois pièces de canon. Le général qui la
commandait aussi été pris.

Nos troupes sont entrées pêle-mêle avec l'ennemi dans Château-Thierry,
et suivent, sur la route de Soissons, les débris de cette armée, qui est
dans une horrible confusion.

Les résultats de la journée d'aujourd'hui sont trente pièces de canon,
et une quantité innombrable de voitures de bagages.

On comptait déjà trois mille prisonniers: il en arrive à chaque instant.
Nous avons encore deux heures de jour.

On compte parmi les prisonniers cinq à six généraux, qui sont dirigés
sur Paris.

On croit le général en chef Saken tué.



Le 7 février 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 3 février, deux heures après son entrée à Troyes, S. M. a fait partir
le duc de Trévise pour les Maisons-Blanches. Une division autrichienne,
commandée par le prince Liechtenstein, s'était portée sur ce point, qui
est à deux lieues de la ville; elle a été vivement repoussée et rejetée
à deux lieues plus loin.

Le 4 au soir, le quartier-général de l'empereur de Russie était à
Lusigny près Vandoeuvre, à deux lieues de Troyes, où se trouvaient la
garde russe et l'armée ennemie. L'ennemi voulait entrer le soir dans
Troyes. Il marcha sur le pont de la Guillotière; il y éprouva une vive
résistance. Sa première attaque fut repoussé. Des cavaliers prisonniers
lui apprirent que l'empereur était à Troyes. Il jugea alors devoir
faire d'autres dispositions. Au même moment, le duc de Trévise faisait
attaquer le pont de Clérey, qu'occupait la division du général Bianchi.
L'ennemi fut chassé. Le général de division Briche, avec ses dragons,
fit une charge dans laquelle il prit cent soixante hommes, et en tua une
centaine à l'ennemi.

Le lendemain 5, l'empereur se disposait à passer le pont de la
Guillotière et à attaquer l'ennemi, lorsque S. M. apprit qu'il avait
battu en retraite et rétrogradé d'une marche sur Vandoeuvre.

Le 6, les dispositions furent faites pour menacer Bar-sur-Seine.
Quelques attaques eurent lieu sur cette route. On prit à l'ennemi une
trentaine d'hommes, une pièce de canon et un caisson.

Pendant ce temps, l'armée se mettait en marche pour Nogent, afin de
tomber sur les colonnes ennemies qui ont occupé Châlons et Vitry, et qui
menaçaient Paris par la Ferté-sous-Jouarre et Meaux.

Le 7 au matin, le duc de Tarente avait son quartier-général près de
Chaville, entre Épernay et Châlons.

Les divisions de gardes nationales d'élite venues à Montereau de
Normandie et de Bretagne, se sont mises en mouvement, sous le
commandement du général Pajol.

La division de l'armée d'Espagne, commandée par le général Leval, est
arrivée à Provins; les autres suivent. Ces troupes sont composées de
soldats qui ont fait les campagnes d'Autriche et de Pologne. Elles sont
remplacées à l'armée d'Espagne par les cinq divisions de réserve.

Aujourd'hui 7, à midi, l'empereur est arrivé à Nogent.

Tout est en mouvement pour manoeuvrer.

L'exaspération des habitans est à son comble. L'ennemi commet partout
les plus horribles vexations.

Toutes les mesures sont prises pour qu'au premier mouvement rétrograde
il soit enveloppé de tous côtés.

Des millions de bras n'attendent que ce moment pour se lever. La terre
sacrée que l'ennemi a violée, sera pour lui une terre de feu qui le
dévorera.



Le 12 février 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 10, l'empereur avait son quartier-général à Sézanne.

Le duc de Tarente était à Meaux, ayant fait couper les ponts de la Ferté
et de Tréport.

Le général Sacken et le général Yorck étaient à la Ferté; le général
Blücher à Vertus, et le général Alsuffiew à Champ-Aubert. L'armée de
Silésie ne se trouvait plus qu'à trois marches de Paris. Cette armée,
sous le commandement en chef du général Blücher, se composait des corps
de Sacken et de Langeron, formant soixante régimens d'infanterie russe,
et de l'élite de l'armée prussienne.

Le 10, à la pointe du jour, l'empereur se porta sur les hauteurs de
Saint-Prix, pour couper en deux l'armée du général Blücher. A dix
heures, le duc de Raguse passa les étangs de Saint-Gond, et attaqua
le village de Baye. Le neuvième corps russe, sous le commandement du
général Alsuffiew, et fort de douze régimens, se déploya et présenta
une batterie de vingt-quatre pièces de canon. Les divisions Lagrange et
Ricart, avec la cavalerie du premier corps, tournèrent les positions de
l'ennemi par sa droite. A une heure après-midi, nous fûmes maîtres du
village de Baye.

A deux heures, la garde impériale se déploya dans les belles plaines qui
sont entre Baye et Champ-Aubert. L'ennemi se reployait et exécutait sa
retraite. L'empereur ordonna au général Girardin de prendre, avec deux
escadrons de la garde de service, la tête du premier corps de cavalerie,
et de tourner l'ennemi, afin de lui couper le chemin de Châlons.
L'ennemi, qui s'aperçut de ce mouvement, se mit en désordre. Le duc de
Raguse fit enlever le village de Champ-Aubert. Au même instant, les
cuirassiers chargèrent à la droite, et acculèrent les Russes à un bois
et à un lac entre la route d'Épernay et celle de Châlons. L'ennemi avait
peu de cavalerie; se voyant sans retraite, ses masses se mêlèrent.
Artillerie, infanterie, cavalerie, tout s'enfuit pêle-mêle dans les
bois; deux mille se noyèrent dans le lac. Trente pièces de canon et deux
cents voitures furent prises. Le général en chef, les généraux, les
colonels, plus de cent officiers et quatre cents hommes furent faits
prisonniers.

Ce corps de deux divisions et douze régimens devait présenter une force
de dix-huit mille hommes: mais les maladies, les longues marches, les
combats, l'avaient réduit à huit mille hommes: quinze cents à peine sont
parvenus à s'échapper à la faveur des bois et de l'obscurité. Le général
Blücher était resté à son quartier-général des Vertus, où il a été
témoin des désastres de cette partie de son armée sans pouvoir y porter
remède.

Aucun homme de la garde n'a été engagé, à l'exception de deux des quatre
escadrons de service, qui se sont vaillamment comportés. Les cuirassiers
du premier corps de cavalerie ont montré la plus rare intrépidité.

A huit heures du soir, le général Nansouty ayant débouché sur la
chaussée, se porta sur Montmirail avec les divisions de cavalerie de la
garde des généraux Colbert et Laferrière, s'empara de la ville et de six
cents cosaques qui l'occupaient.

Le 11, à cinq heures du matin, la division de cavalerie du général Guyot
se porta également sur Montmirail. Différentes divisions d'infanterie
furent retardées dans leur mouvement par la nécessité d'attendre leur
artillerie. Les chemins de Sézanne à Champ-Aubert sont affreux. Notre
artillerie n'a pu s'en tirer que par la constance des canonnières et
qu'au moyen des secours fournis avec empressement par les habitans, qui
ont amené leurs chevaux.

Le combat de Champ-Aubert, où une partie de l'armée russe a été
détruite, ne nous a pas conté plus de deux cents hommes tués ou blessés.
Le général de division comte Lagrange est du nombre de ces derniers; il
a été légèrement blessé à la tête.

L'empereur arriva le 11, à dix heures du matin, à une demi-lieue en
avant de Montmirail. Le général Nansouty était en position avec la
cavalerie de la garde, et contenait l'armée de Sacken, qui commençait
à se présenter. Instruit du désastre d'une partie de l'armée russe, ce
général avait quitté la Ferté-sous-Jouarre le 10 à neuf heures du
soir, et marché toute la nuit. Le général Yorck avait également quitté
Château-Thierry. A onze heures du matin, le 11, il commençait à se
former, et tout présageait la bataille de Montmirail, dont l'issue
était d'une si haute importance. Le duc de Raguse, avec son corps et le
premier corps de cavalerie, avait porté son quartier-général à Étoges,
sur la route de Châlons.

La division Ricart et la vieille garde arrivèrent sur les dix heures du
matin. L'empereur ordonna au prince de la Moskwa de garnir le village de
Marchais, par où l'ennemi paraissait vouloir déboucher. Ce village fut
défendu par la brave division du général Ricart avec une rare constance;
il fut pris et repris plusieurs fois dans la journée.

A midi, l'empereur ordonna au général Nansouty de se porter sur la
droite, coupant la route de Château-Thierry, et forma les seize
bataillons de la première division de la vieille garde sous le
commandement du général Friant en une seule colonne le long de la route,
chaque colonne de bataillon étant éloignée de cent pas.

Pendant ce temps, nos batteries d'artillerie arrivaient successivement.
A trois heures, le duc de Trévise, avec les seize bataillons de la
deuxième division de la vieille garde, qui étaient partis le matin de
Sézanne, déboucha sur Montmirail.

L'empereur aurait voulu attendre l'arrivée des autres divisions; mais
la nuit approchait. Il ordonna au général Friant de marcher avec quatre
bataillons de la vieille garde, dont deux du deuxième régiment de
grenadiers et deux du deuxième régiment de chasseurs, sur la ferme de
l'Épine-aux-Bois, qui était la clef de la position, et de l'enlever. Le
duc de Trévise se porta avec six bataillons de la deuxième division de
la vieille garde sur la droite de l'attaque du général Friant.

De la position de la ferme de l'Épine-aux-Bois dépendait le succès de la
journée. L'ennemi le sentait. Il y avait placé quarante pièces de canon;
il avait garni les haies d'un triple rang de tirailleurs, et formé en
arrière des masses d'infanterie.

Cependant, pour rendre cette attaque plus facile, l'empereur ordonna au
général Nansouty de s'étendre sur la droite, ce qui donna à l'ennemi
l'inquiétude d'être coupé et le força de dégarnir une partie de son
centre pour soutenir sa droite. Au même moment, il ordonna au général
Ricart de céder une partie du village de Marchais, ce qui porta aussi
l'ennemi à dégarnir son centre pour renforcer cette attaque, dans la
réussite de laquelle il supposait qu'était le gain de la bataille.

Aussitôt que le général Friant eut commencé son mouvement, et que
l'ennemi eut dégarni son centre pour profiter de l'apparence d'un succès
qu'il croyait réel, le général Friant s'élança sur la ferme de la
Haute-Epine avec les quatre bataillons de la vieille garde. Ils
abordèrent l'ennemi au pas de course, et firent sur lui l'effet de la
tête de Méduse. Le prince de la Moskwa marchait le premier, et leur
montrait le chemin de l'honneur. Les tirailleurs se retirèrent
épouvantés sur les masses qui furent attaquées. L'artillerie ne put plus
jouer; la fusillade devint alors effroyable, et le succès était balancé;
mais au même moment, le général Guyot, à la tête du premier de lanciers,
des vieux dragons et des vieux grenadiers de la garde impériale, qui
défilaient sur la grande route au grand trot et au cris de _vive
l'empereur_, passa à la droite de la Haute-Epine; ils se jetèrent sur
les derrières des masses d'infanterie, les rompirent, les mirent en
désordre, et tuèrent tout ce qui ne fut pas fait prisonnier. Le duc de
Trévise, avec six bataillons de la division du général Michel, secondait
alors l'attaque de la vieille garde, arrivait au bois, enlevait le
village de Fontenelle, et prenait tout un parc ennemi.

La division des gardes d'honneur défila après la vieille garde sur la
grande route, et arrivée à la hauteur de l'Epine-aux-Bois, fit un à
gauche pour enlever ce qui s'était avancé sur le village de Marchais.
Le général Bertrand, grand-maréchal du palais, et le maréchal duc de
Dantzick, à la tête de deux bataillons de la vieille garde, marchèrent
en avant sur le village et le mirent entre deux feux. Tout ce qui s'y
trouvait fut pris ou tué.

En moins d'un quart d'heure, un profond silence succéda au bruit du
canon et d'une épouvantable fusillade. L'ennemi ne chercha plus son
salut que dans la fuite: généraux, officiers, soldats, infanterie,
cavalerie, artillerie, tout s'enfuit pêle-mêle.

A huit heures du soir, la nuit étant obscure, il fallut prendre
position. L'empereur prit son quartier-général à la ferme de
l'Épine-aux-Bois.

Le général Michel, de la garde, a été blessé d'une balle au bras. Notre
perte s'élève au plus à mille hommes tués ou blessés. Celle de l'ennemi
est au moins de huit mille tués ou prisonniers; on lui a pris beaucoup
de canons et six drapeaux. Cette mémorable journée, qui confond
l'orgueil et la jactance de l'ennemi, a anéanti l'élite de l'armée
russe. Le quart de notre armée n'a pas été engagé.

Le lendemain 12, à neuf heures du matin, le duc de Trévise suivit
l'ennemi sur la route de Château-Thierry. L'empereur, avec deux
divisions de cavalerie de la garde et quelques bataillons, se rendit à
Vieux-Maisons, et de là prit la route qui va droit à Château-Thierry.
L'ennemi soutenait sa retraite avec huit bataillons qui étaient arrivés
tard la veille et qui n'avaient pas donné. Il les appuyait de quelques
escadrons et de trois pièces de canon. Arrivé au petit village des
Carquerets, il parut vouloir défendre la position qui est derrière le
ruisseau, et couvrir le chemin de Château-Thierry.

Une compagnie de la vieille garde se porta sur la Petite-Noue, culbuta
les tirailleurs de l'ennemi, qui fut poursuivi jusqu'à sa dernière
position. Six bataillons de la vieille garde à toute distance de
déploiement, occupaient la plaine, à cheval sur la grande route.

Le général Nansouty, avec les divisions de cavalerie des généraux
Laferrière et Defrance, eut ordre de faire un mouvement à droite et de
se porter entre Château-Thierry et l'arrière-garde ennemie. Ce mouvement
fut exécuté avec autant d'habileté que d'intrépidité. La cavalerie
ennemie se porta de tous les points sur sa gauche pour s'opposer à la
cavalerie française; elle fut culbutée et forcée de disparaître du champ
de bataille.

Le brave général Letort, avec les dragons de la seconde division de la
garde, après avoir repoussé la cavalerie de l'ennemi, s'élança sur
les flancs et les derrières de huit masses d'infanterie qui formaient
l'arrière-garde ennemie. Cette division brûlait d'égaler ce que les
chevaux-légers, les dragons et les grenadiers à cheval du général Guyot
avaient fait la veille. Elle enveloppa de tous côtés ces masses, et en
fit un horrible carnage. Les trois pièces de canon, le général russe
Freudenreich, qui commandait cette arrière-garde, ont été pris. Tout ce
qui composait ses bataillons a été tué ou fait prisonnier. Le nombre de
prisonniers faits dans cette brillante affaire s'élève à plus de deux
mille hommes. Le colonel Carely, du dixième de hussards, s'est fait
remarquer. Nous arrivâmes alors sur les hauteurs de Château-Thierry,
d'où nous vîmes les restes de cette armée fuyant dans le plus grand
désordre, et gagnant en toute hâte ses ponts. Les grandes routes leur
étaient coupées; ils cherchèrent leur salut sur la rive droite de la
Marne. Le prince Guillaume de Prusse, qui était resté à Château-Thierry
avec une réserve de deux mille hommes, s'avança à la tête des faubourgs
pour protéger la fuite de cette masse désorganisée. Deux bataillons de
la garde arrivèrent alors au pas de course. A leur aspect, le faubourg
et la rive gauche furent nettoyés; l'ennemi brûla ses ponts, et démasqua
sur la rive droite une batterie de douze pièces de canon: cinq cents
hommes de la réserve du prince Guillaume ont été pris.

Le 12 au soir, l'empereur a pris son quartier-général au petit château
de Nesle.

Le 13, dès la pointe du jour, on s'est occupé à réparer les ponts de
Château-Thierry.

L'ennemi ne pouvant se retirer ni sur la route d'Épernay, qui lui était
coupée, ni sur celle qui passe par la ville de Soissons, que nous
occupons, a pris la traverse dans la direction de Reims. Les habitans
assurent que de toute cette armée il n'est pas passé à Château-Thierry
dix mille hommes, dans le plus grand désordre. Peu de jours auparavant,
ils l'avaient vue florissante et pleine de jactance. Le général d'Yorck
disait que dix obusiers suffiraient pour se rendre maître de Paris. En
allant, ces troupes ne parlaient que de Paris; en revenant, c'est la
paix qu'elles invoquaient.

On ne peut se faire une idée des excès auxquels se livrent les cosaques;
il n'est point de vexations, de cruautés, de crimes que ces hordes de
barbares n'aient commis. Les paysans les poursuivent, les attaquent dans
les bois comme des bêtes féroces, s'en saisissent et les mènent partout
où il y a des troupes françaises. Hier, ils en ont conduit plus de trois
cents à Vieux-Maisons. Tous ceux qui se sont cachés dans les bois pour
échapper aux vainqueurs, tombent dans leurs mains, et augmentent à
chaque instant le nombre des prisonniers.



Le 15 février au matin.

_A S. M. l'impératrice reine et régente._

Le 13, à trois heures après midi, le pont de Château-Thierry fut
raccommodé. Le duc de Trévise passa la Marne, et se mit à la suite de
l'ennemi, qui, dans un épouvantable désordre, paraît s'être retiré sur
Soissons et sur Reims, par la route de traverse de la Fère en Tardenois.

Le général Blücher, commandant en chef toute l'armée de Silésie, était
constamment resté à Vertus pendant les trois jours qui ont anéanti son
armée. Il recueillit douze cents hommes des débris du corps du général
Alsuffiew battu à Champ-Aubert, qu'il réunit à une division russe
du corps de Langeron, arrivée de Mayence et commandée par le
lieutenant-général Ouroussoff. Il était trop faible pour entreprendre
quelque chose; mais le 13 il fut joint par un corps prussien du général
Kleist, composé de quatre brigades. Il se mit alors à la tête de ces
vingt mille hommes et marcha contre le duc de Raguse, qui occupait
toujours Étoges. Dans la nuit du 13 au 14, ne jugeant pas ses forces
suffisantes pour se mesurer contre l'ennemi, le duc de Raguse se mit en
retraite et s'appuya sur Montmirail, où il était de sa personne le 14 à
sept heures du matin.

L'empereur partit le même jour de Château-Thierry à quatre heures
du matin, et arriva à huit heures à Montmirail. Il fit sur-le-champ
attaquer l'ennemi, qui venait de prendre position avec le corps de ses
troupes au village de Vauchamp. Le duc de Raguse attaqua ce village. Le
général Grouchy, à la tête de la cavalerie, tourna la droite de l'ennemi
par les villages et par les bois, et se porta à une lieue au-delà de la
position de l'ennemi. Pendant que le village de Vauchamp était attaqué
vigoureusement, défendu de même, pris et repris plusieurs fois, le
général Grouchy arriva sur les derrières de l'ennemi, entoura, et
sabra trois carrés, et accula le reste dans les bois. Au même instant,
l'empereur fit charger par notre droite ses quatre escadrons de service,
commandés par le chef d'escadron de la garde La Biffe. Cette charge fut
aussi brillante qu'heureuse. Un carré de deux mille hommes fut enfoncé
et pris. Toute la cavalerie de la garde arriva alors au grand trot, et
l'ennemi fut poussé l'épée dans les reins. A deux heures, nous étions
au village de Fromentières; l'ennemi avait perdu six mille hommes faits
prisonniers, dix drapeaux et trois pièces de canon.

L'empereur ordonna au général Grouchy de se porter sur Champ-Aubert à
une lieue sur les derrières de l'ennemi. En effet, l'ennemi continuant
sa retraite, arriva sur ce point à la nuit. Il était entouré de tous
côtés, et tout aurait été pris si le mauvais état des chemins avait
permis à douze pièces d'artillerie légère de suivre la cavalerie du
général Grouchy. Toutefois, et quoique la nuit fût obscure, trois
carrés de cette infanterie furent enfoncés, tués ou pris, et les autres
poursuivis vivement jusqu'à Étoges; la cavalerie s'empara aussi de trois
pièces de canon. L'arrière-garde ennemie était faite par la division
russe; elle fut attaquée par le premier régiment de marine du duc
de Raguse, abordée à la baïonnette, rompue, et on lui fit mille
prisonniers, avec le lieutenant-général Ouroussoff qui la commandait, et
plusieurs colonels.

Les résultats de cette brillante journée sont dix mille prisonniers,
dix pièces de canon, dix drapeaux et un grand nombre d'hommes tués à
l'ennemi.

Notre perte n'excède pas trois ou quatre cents hommes tués ou blessés;
ce qui est dû à la manière franche dont les troupes ont abordé l'ennemi
et à la supériorité de notre cavalerie qui le décida, aussitôt qu'il
s'en aperçut, à mettre son artillerie en retraite; de sorte qu'il a
marché constamment sous la mitraille de soixante bouches à feu, et que
des soixante pièces de canon qu'il avait, il ne nous en a opposé que
deux ou trois.

Le prince de Neufchâtel, le grand-maréchal du palais, comte Bertrand, le
duc de Dantzick et le prince de la Moskwa, ont constamment été à la tête
des troupes.

Le général Grouchy fait le plus grand éloge des divisions de cavalerie
Saint-Germain et Doumerc. La cavalerie de la garde s'est couverte de
gloire; rien n'égale son intrépidité. Le général Lion, de la garde, a
été légèrement blessé. Le duc de Raguse fait une mention particulière du
premier régiment de marine; le reste de l'infanterie, soit de la garde,
soit de la ligne, n'a pas tiré un coup de fusil.

Ainsi, cette armée de Silésie, composée des corps russes de Sacken et de
Langeron, des corps prussiens d'Yorck et de Kleist, et forte de près de
quatre-vingt mille hommes, a été, en quatre jours, battue, dispersée,
anéantie, sans affaire générale, et sans occasionner aucune perte
proportionnée à de si grands résultats.



Le 17 février au matin.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur, en partant de Nogent le 9, pour manoeuvrer sur les corps
ennemis qui s'avançaient par la Ferté et Meaux sur Paris, laissa les
corps du duc de Bellune et du général Gérard en avant de Nogent; le
septième corps du duc de Reggio, à Provins, chargé de la défense des
ponts de Bray et de Montereau, et le général Pajol sur Montereau et
Melun.

Le duc de Bellune, ayant eu avis que plusieurs divisions de l'armée
autrichienne avaient marché de Troyes dans la journée du 10, pour
s'avancer sur Nogent, fit repasser la Seine à son corps de l'armée,
laissant le général Bourmont avec douze cents hommes à Nogent pour la
défense de la ville.

L'ennemi se présenta le 11 pour entrer dans Nogent. Il renouvela
ses attaques toute la journée, et toujours en vain; il fut vivement
repoussé, avec perte de quinze cent hommes tués ou blessés.

Le général Bourmont avait barricadé les rues, crénelé les maisons, et
pris toutes ses mesures pour une vigoureuse défense. Ce général, qui est
un officier de distinction, fut blessé au genou; le colonel Ravier
le remplaça. L'ennemi renouvela l'attaque le 12, mais toujours
infructueusement. Nos jeunes troupes se sont couvertes de gloire.

Ces deux journées ont coûté à l'ennemi plus de deux mille hommes.

Le duc de Bellune, ayant appris que l'ennemi avait passé à Bray, jugea
convenable de faire couper le pont de Nogent, et se porta sur Nangis.
Le duc de Reggio ordonna de faire sauter les ponts de Montereau et de
Melun, et se retira sur la rivière d'Yères.

Le 16, l'empereur est arrivé sur l'Yères, et a porté son
quartier-général à Guignes.

Le soir de la bataille de Vauchamp (le 14), le duc de Raguse fit
attaquer l'ennemi à huit heures sur Etoges; il lui a pris neuf pièces de
canon, et il a achevé la destruction de la division russe: on a compté
sur ce seul point, au champ de bataille, treize cents morts.

Les succès obtenus à la bataille de Vauchamp ont été beaucoup plus
considérables qu'on ne l'a annoncé.

L'exaspération des habitans de la campagne est à son comble. Les
atrocités commises par les cosaques surpassent tout ce que l'on peut
imaginer. Dans leur féroce ivresse, ils ont porté leurs attentats sur
des femmes de soixante ans et sur des jeunes filles de douze; ils ont
ravagé et détruit les habitations. Les paysans, ne respirant que la
vengeance, conduits par des vieux militaires réformés, et armés avec des
fusils de l'ennemi ramassés sur le champ de bataille, battent les bois,
et font main-basse sur tout ce qu'ils rencontrent: on estime déjà à plus
de deux mille hommes ceux qu'ils ont pris; ils en ont tué plusieurs
centaines. Les Russes épouvantés se rendent à nos colonnes de
prisonniers, pour y trouver un asile. Les mêmes causes produiront
les mêmes effets dans tout l'empire; et ces armées, qui entraient,
disaient-elles, sur notre territoire pour y porter la paix, le bonheur,
les sciences et les arts, y trouveront leur anéantissement.



_A. S. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur a fait marcher, le 18 au matin, sur les ponts de Bray et de
Montereau.

Le duc de Reggio s'est porté sur Provins.

S. M. étant informée que le corps du général de Wrede et des
Wurtembergeois était en position à Montereau, s'y est porté avec les
corps du duc de Bellune et du général Gérard, la garde à pied et à
cheval.

De son côté, le général Pajol marchait de Melun sur Montereau.

L'ennemi a défendu la position.

Il a été culbuté et si vivement, que la ville et les ponts sur l'Yonne
et la Seine ont été enlevés de vive force; de sorte que ces ponts sont
intacts, et nous les passons pour suivre l'ennemi.

Nous avons dans ce moment environ trois mille prisonniers bavarois et
wurtembergeois, dont un général et cinq pièces de canon.



Le 19 février 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le duc de Raguse marchait sur Châlons lorsqu'il apprit qu'une colonne de
la garde impériale russe, composée de deux divisions de grenadiers, se
portait sur Montmirail. Il fit volte-face, marcha à l'ennemi, lui prit
trois cents hommes, le repoussa sur Sézanne, d'où les mouvemens de
l'empereur ont obligé ce corps à se porter à marches forcées sur Troyes.

Le comte Grouchy, avec la division d'infanterie du général Leval
et trois divisions du deuxième corps de cavalerie, passait à la
Ferté-sous-Jouarre.

Les avant postes du duc de Trévise étaient entrés à Soissons.

Le 17, à la pointe du jour, l'empereur a marché de Guignes sur Nangis.
Le combat de Nangis a été des plus brillans.

Le général en chef russe Wittgenstein était à Nangis avec trois
divisions qui formaient son corps d'armée.

Le général Pahlen, commandant les troisième et quatorzième divisions
russes et beaucoup de cavalerie, était à Mormant.

Le général de division Gérard, officier de la plus haute espérance,
déboucha au village de Mormant sur l'ennemi. Un bataillon du
trente-deuxième régiment d'infanterie, toujours digne de son ancienne
réputation, qui le fit distinguer il y a vingt ans par l'empereur aux
batailles de Castiglione, entra dans le village au pas de charge. Le
comte de Valmy, à la tête des dragons du général Treilhard venant
d'Espagne, et qui arrivaient à l'armée, tourna le village par sa gauche.
Le comte Milhaud, avec le cinquième corps de cavalerie, le tourna par sa
droite. Le comte Drouot s'avança avec de nombreuses batteries. Dans un
instant tout fut décidé. Les carrés formés par les divisions russes
furent enfoncés. Tout fut pris, généraux et officiers: six mille
prisonniers, dix mille fusils, seize pièces de canon et quarante
caissons sont tombés en notre pouvoir. Le général Wittgenstein a manqué
d'être pris: il s'est sauvé en toute hâte sur Nogent. Il avait annoncé
au sieur Billy, chez lequel il logeait à Provins, qu'il serait le 18
à Paris. En retournant, il ne s'arrêta qu'un quart d'heure, et eut
la franchise de dire à son hôte: «J'ai été bien battu; deux de mes
divisions ont été prises; dans deux heures vous verrez les Français.»

Le comte de Valmy se porta sur Provins, avec le duc de Reggio; le duc de
Tarente sur Donnemarie.

Le duc de Bellune marcha sur Villeneuve-le-Comte. Le général de Wrede,
avec ses deux divisions bavaroises, y était en position. Le général
Gérard les attaqua et les mit en déroute. Les huit ou dix mille hommes
qui composaient le corps bavarois étaient perdus, si le général
L'héritier, qui commande une division de dragons, avait chargé comme il
le devait; mais ce général, qui s'est distingué dans tant d'occasions, a
manqué celle qui s'offrait à lui. L'empereur lui en a fait témoigner
son mécontentement. Il ne l'a pas fait traduire à un conseil d'enquête,
certain que, comme à Hoff en Prusse et à Znaïm en Moravie, où il
commandait le dixième régiment de cuirassiers, il méritera des éloges,
et réparera sa faute.

S. M. a témoigné sa satisfaction au comte de Valmy, au général Treilhard
et à sa division, au général Gérard et à son corps d'armée.

L'empereur a passé la nuit du 17 au 18 au château de Nangis.

Le 18, à la pointe du jour, le général Château s'est porté sur
Montereau. Le duc de Bellune devait y arriver le 17 au soir. Il s'est
arrêté à Salins: c'est une faute grave. L'occupation des ponts de
Montereau aurait fait gagner à l'empereur un jour, et permis de prendre
l'armée autrichienne en flagrant délit.

Le général Château arriva devant Montereau à dix heures du matin;
mais dès neuf heures le général Bianchi, commandant le premier corps
autrichien, avait pris position avec deux divisions autrichiennes et
la division wurtembergeoise, sur les hauteurs en avant de Montereau,
couvrant les ponts et la ville. Le général Château l'attaqua; n'étant
pas soutenu par les autres divisons du corps d'armée, il fut repoussé.
Le sieur Lecouteulx, qui avait été envoyé le matin en reconnaissance,
ayant eu son cheval tué, a été pris. C'est un intrépide jeune homme.

Le général Gérard soutint le combat pendant toute la matinée. L'empereur
s'y porta au galop. A deux heures après-midi, il fit attaquer le
plateau. Le général Pajol, qui marchait par la route de Melun, arriva
sur ces entrefaites, exécuta une belle charge, culbuta l'ennemi et le
jeta dans la Seine et dans l'Yonne. Les braves chasseurs du septième
débouchèrent sur les ponts, que la mitraille de plus de soixante pièces
de canon empêcha de faire sauter, et nous obtînmes le double résultat
de pouvoir passer les ponts au pas de charge, de prendre quatre mille
hommes, quatre drapeaux, six pièces de canon, et de tuer quatre à cinq
mille hommes à l'ennemi.

Les escadrons de service de la garde débouchèrent dans la plaine.
Le général Duhesme, officier d'une rare intrépidité et d'une longue
expérience, déboucha sur le chemin de Sens; l'ennemi fut poussé dans
toutes les directions, et notre armée défila sur les ponts. La vieille
garde n'eut qu'à se montrer: l'ardeur des troupes du général Gérard et
du général Pajol l'empêcha de participer à l'affaire.

Les habitans de Montereau n'étaient pas restés oisifs; des coups de
fusil tirés par les fenêtres augmentèrent les embarras de l'ennemi.
Les Autrichiens et les Wurtembergeois jetèrent leurs armes. Un général
wurtembergeois a été tué. Un général autrichien a été pris, ainsi que
plusieurs colonels, parmi lesquels se trouve le colonel du régiment de
Collorédo, pris avec son état-major et son drapeau.

Dans la même journée, les généraux Charpentier et Alix débouchèrent
de Melun, traversèrent la forêt de Fontainebleau et en chassèrent les
cosaques et une brigade autrichienne. Le général Alix arriva à Moret.

Le duc de Tarente arriva devant Bray.

Le duc de Reggio poursuivit les partis ennemis de Provins sur Nogent.

Le général de brigade Montbrun, qui avait été chargé avec dix-huit cents
hommes, de défendre Moret et Fontainebleau, les avait abandonnés et
s'était retiré sur Essonne. Cependant la forêt de Fontainebleau pouvait
être disputée pied à pied.

Le major-général a ordonné la suspension du général Montbrun et l'a
envoyé devant un conseil d'enquête.

Une perte qui a sensiblement affecté l'empereur est celle du général
Château. Ce jeune officier, qui donnait les plus grandes espérances, a
été blessé mortellement sur le pont de Montereau, où il était avec
les tirailleurs. S'il meurt, et le rapport des chirurgiens donne peu
d'espoir, il mourra du moins accompagné des regrets de toute l'armée,
mort digne d'envie et bien préférable à l'existence, pour tout militaire
qui ne la conserverait qu'en survivant à sa réputation, et en étouffant
les sentimens que doivent lui inspirer dans ces grandes circonstances la
défense de la patrie et l'honneur du nom français.

Le palais de Fontainebleau a été conservé. La général autrichien
Hardeck, qui est entré dans la ville, y avait placé des sentinelles pour
le défendre des excès des cosaques, qui sont cependant parvenus à piller
des portiers et à enlever des couvertures dans les écuries. Les habitans
ne se plaignent point des Autrichiens, mais de ces Tartares, monstres
qui déshonorent le souverain qui les emploie et les armées qui les
protègent. Ces brigands sont couverts d'or et de bijoux. On a trouvé
jusqu'à huit et dix montres sur ceux que les soldats et les paysans ont
tués: ce sont de véritables voleurs de grands chemins.

L'empereur a rencontré dans sa marche les gardes nationales de Brest et
du Poitou. Il les a passées en revue: «Montrez, leur dit-il, de quoi
sont capables les hommes de l'Ouest; ils furent de tout temps les
fidèles défenseurs de leur pays, et les plus fermes appuis de la
monarchie.»

S. M. a passé la nuit du 19 au château de Surville, situé sur les
hauteurs de Montereau.

Les habitans se plaignent beaucoup des vexations du prince royal de
Wurtemberg.

Ainsi, l'armée de Schwartzenberg se trouve entamée par la défaite de
Kleist, ce corps en ayant toujours fait partie, par la défaite
de Wittgenstein, par celle du corps bavarois, de la division
wurtembergeoise et du corps du général Bianchi.

L'empereur a accordé aux trois divisions de la vieille garde à cheval
cinq cents décorations de la légion-d'honneur; il en a accordé également
à la vieille garde à pied. Il en a donné cent à la cavalerie du général
Treilhard, et un pareil nombre à celle du général Milhaud.

On a recueilli une grande quantité de décorations de Saint-Georges, de
Saint-Wladimir, de Sainte-Anne, prises sur les hommes qui couvrent les
différens champs de bataille.

Notre perte dans les combats de Nangis et de Montereau ne s'élève pas
à plus quatre cents hommes tués ou blessés, ce qui, quoique
invraisemblable, est pourtant l'exacte vérité.

La ville d'Épernay ayant eu connaissance des succès de notre armée, a
sonné le tocsin, barricadé ses rues, refusé le passage à une colonne de
deux mille hommes et fait des prisonniers. Que cet exemple soit imité
partout, et il est à présumer que bien peu d'hommes des armées ennemies
repasseront le Rhin.

Les villes de Guise et de Saint-Quentin ont aussi fermé leurs portes et
déclaré qu'elles ne les ouvriraient que s'il se présentait devant elles
des forces suffisantes et de l'infanterie. Elles n'ont pas fait comme
Reims, qui a eu la faiblesse d'ouvrir ses portes à cent cinquante
cosaques, et qui, pendant huit jours, les a complimentés et bien
traités. Nos annales conserveront le souvenir des populations qui ont
manqué à ce qu'elles devaient à elles-mêmes et à l'honneur. Elles
exalteront, au contraire, celles qui, comme Lyon, Chalons-sur-Saône,
Tournus, Sens, Saint-Jean-de-Losne, Vitry, Châlons-sur-Marne, ont payé
leurs dettes envers la patrie, et se sont souvenues de ce qu'exigeait
la gloire du nom français. La Franche-Comté, les Vosges et l'Alsace ne
l'oublieront pas au moment du mouvement rétrograde des alliés. Le duc de
Castiglione, qui a réuni à Lyon une armée d'élite, marche pour fermer la
retraite aux ennemis.



Le 21 février 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le baron Marulaz, commandant à Besançon, écrit ce qui suit:

Le 31 janvier, l'ennemi a fait une attaque du côté de Bréguille, dans
la nuit; il a fait jouer sur la ville deux batteries d'obusiers et de
canons, et il a tenté une attaque sur le fort de Chandonne: il a partout
été repoussé, aux cris de _vive l'empereur_. Il a perdu plus de douze
cents hommes. Quelque part que l'ennemi se présente, nous sommes en
mesure de le bien recevoir.

Tous les cosaques qui s'étaient répandus jusqu'à Orléans, se reploient
en toute hâte. Partout les paysans les poursuivent, et prennent et tuent
un grand nombre. A Nogent, ces Tartares, qui n'ont rien d'humain, ont
incendié des granges, auxquelles ils mettaient le feu à la main. Les
habitans étant sortis pour venir l'éteindre, les cosaques les ont
chargés et ont rallumé le feu. Dans un village de l'Yonne, les cosaques
s'amusant à incendier une belle ferme, le tocsin sonna, et les habitans
en jetèrent une trentaine dans les flammes.

L'empereur Alexandre a couché le 17 à Bray; il avait fait marquer son
quartier-général pour le jour suivant à Fontainebleau. L'empereur
d'Autriche n'a pas quitté Troyes.

L'empereur Napoléon a eu le 20 au soir son quartier-général à Nogent.

Toute l'armée entière se dirige sur Troyes.

Le général Gérard est arrivé avec son corps et la division de
cavalerie du général Roussel, à Sens; il a son avant-garde à
Villeneuve-l'Archevêque. L'avant-garde du duc de Reggio est à moitié
chemin de Nogent à Troyes, à Châtres et à Mesgrigny; celle du duc de
Tarente est à Pavillon. Le duc de Raguse est à Sézanne, observant les
mouvemens du général Wintzingerode, qui, ayant quitté Soissons, s'est
porté par Reims sur Châlons, pour se réunir au débris de général
Blücher. Le duc de Raguse tomberait sur son flanc gauche s'il
s'engageait de nouveau.

Soissons est une place à l'abri d'un coup de main. Le général
Wintzingerode, à la tête de quatre à cinq mille hommes de troupes
légères, la somma de se rendre. Le général Rusca répondit comme il
devait. Wintzingerode mit ses douze pièces de canon en batterie;
malheureusement le premier coup tua le général Rusca. Mille hommes de
gardes nationales étaient la seule garnison qu'il y eût dans la place;
ils s'épouvantèrent, et l'ennemi entra à Soissons, où il commit toutes
les horreurs imaginables. Les généraux qui se trouvaient dans la place,
et qui devaient prendre le commandement à la mort du général Rusca,
seront traduits à un conseil d'enquête; car cette ville ne devait pas
être prise.

Le duc de Trévise à réoccupé Soissons le 19, et en a réorganisé la
défense.

Le général Vincent écrit de Château-Thierry que deux cent cinquante
coureurs ennemis étant revenus à Fère-en-Tardenoy, M. d'Arbaud-Missun
s'est porté contre eux, avec soixante chevaux du troisième régiment des
gardes-d'honneur qu'il a réunis, et avec le secours des gardes nationaux
des villages, il a battu ces coureurs, en a tué plusieurs, et a chassé
le reste.

Le général Milhaud a rencontré l'ennemi à Saint-Martin-le Bosnay, sur
la vieille route de Nogent à Troyes. L'ennemi avait huit cents chevaux
environ. Il l'a fait attaquer par trois cents hommes, qui l'ont culbuté,
lui ont fait cent soixante prisonniers, tué une vingtaine d'hommes et
pris une centaine de chevaux. Il a poursuivi l'ennemi et le poursuit
encore l'épée dans les reins.

Le duc de Castiglione part de Lyon avec un corps d'armée considérable,
composé de troupes d'élite, pour se porter en Franche-Comté et en
Suisse.

Le congrès de Châtillon continue toujours, mais l'ennemi y porte toute
espèce d'entraves. Les cosaques arrêtent à chaque pas les courriers, et
leur font faire des détours tels, que, quoiqu'on ne soit qu'à trente
lieues de Châtillon en ligne droite, les courriers n'arrivent qu'après
quatre à cinq jours de course. C'est la première fois qu'on viole ainsi
le droit des gens. Chez les nations les moins civilisées, les courriers
des ambassadeurs sont respectés, et aucun empêchement n'est mis aux
communications des négociateurs avec leur gouvernement.

Les habitans de Paris devaient s'attendre aux plus grands malheurs, si,
l'ennemi parvenant à leurs portes, ils lui eussent livré leur ville sans
défense. Le pillage, la dévastation et l'incendie auraient fini les
destinées de cette belle capitale.

Le froid est extrêmement vif. Cette circonstance a été favorables à nos
ennemis, puisqu'elle leur a permis d'évacuer leur artillerie et leurs
bagages par tous les chemins. Sans cela, plus de la moitié de leurs
voitures seraient tombées en notre pouvoir.



Le 24 février 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'empereur s'est rendu le 22, à deux heures après midi, dans la petite
ville de Mery-sur-Seine.

Le général Boyer a attaqué à Mery les débris des corps des généraux
Blücher, Sacken et Yorck, qui avaient passé l'Aube pour rejoindre
l'armée du prince de Schwartzenberg à Troyes. Le général Boyer a poussé
l'ennemi au pas de charge, l'a culbuté et s'est emparé de la ville.
L'ennemi, dans sa rage, y a mis le feu avec tant de rapidité, qu'il a
été impossible de traverser l'incendie pour le poursuivre. Nous avons
fait une centaine de prisonniers.

Du 22 au 23, l'empereur a eu son quartier-général au petit bourg de
Châtres.

Le 23, le prince Wenzel-Lichtenstein est arrivé au quartier-général. Ce
nouveau parlementaire était envoyé par le prince Schwartzenberg pour
proposer un armistice.

Le général Milhaud, commandant la cavalerie du cinquième corps, a fait
prisonniers deux cents hommes à cheval, entre Pavillon et Troyes.

Le général Gérard, parti de Sens et marchant par
Ville-neuve-l'Archevêque, Villemont et Saint-Liebaut, a rencontré
l'arrière-garde du prince Maurice de Lichtenstein, lui a pris six pièces
de canon et six cents hommes montés, qui ont été entourés par la brave
division de cavalerie du général Roussel.

Le 23, nos troupes investissaient Troyes de tous côtés. Un aide-de-camp
russe est venu aux avant-postes, pour demander le temps d'évacuer la
ville, sans quoi elle serait brûlée. Cette considération a arrêté les
mouvemens de l'empereur.

La ville a été évacuée dans la nuit, et nous y sommes entrés ce matin.

Il est impossible de se faire une idée des vexations auxquelles les
habitans ont été en proie pendant les dix-sept jours de l'occupation
de l'ennemi. On se peindrait aussi difficilement l'enthousiasme et
l'exaltation des sentimens qu'ils ont montrés à l'arrivée de l'empereur.
Une mère qui voit ses enfans arrachés à la mort, des esclaves qui voient
briser leurs fers après la captivité la plus cruelle, n'éprouvent pas
une joie plus vive que celle que les habitans de Troyes ont manifestée.
Leur conduite a été honorable et digne d'éloges. Le théâtre a été
ouvert tous les soirs, mais aucun homme, aucune femme, même des classes
inférieures, n'a voulu y paraître.

Le sieur Gau, ancien émigré, et le sieur Viderange, ancien
garde-du-corps, se sont prononcés en faveur de l'ennemi, et ont porté
la croix de Saint-Louis. Ils ont été traduits devant une commission
prévôtale et condamnés à mort. Le premier a subi son jugement; le
deuxième a été condamné par contumace.

La population entière demande à marcher. «Vous aviez bien raison,
s'écriaient les habitans, en entourant l'empereur, de nous dire de
nous lever en masse. La mort est préférable aux vexations, aux mauvais
traitemens, aux cruautés que nous avons éprouvés pendant dix-sept
jours.»

Dans tous les villages, les habitans sont en armes; ils font partout
main-basse sur les ennemis qu'ils rencontrent. Les hommes isolés, les
prisonniers se présentent d'eux-mêmes aux gendarmes, qu'ils ne regardant
plus comme des gardiens, mais comme des protecteurs.

Le général Vincent écrit de Château-Thierry, le 22, que l'ennemi ayant
voulu frapper des réquisitions sur les communes de Bazzy, Passi et
Vincelle, les gardes nationaux se sont réunis et ont repoussé l'ennemi,
après lui avoir pris et blessé plusieurs hommes. Le même général écrit
à la même date, qu'un parti de cavalerie russe et prussienne s'étant
approché de Château-Thierry, il l'a fait attaquer par un détachement du
troisième régiment des gardes-d'honneur, commandé par le chef d'escadron
d'Andlaw, et soutenu par les gardes nationales de Château-Thierry, et
des communes de Blesmes et Cruzensi. L'ennemi a été chassé et mis en
déroute; douze cosaques et quatorze chevaux ont été pris. Les gardes
nationaux étaient à la recherche du reste de cette troupe, qui
s'est sauvée dans les bois. S. M. a accordé trois décorations de
la légion-d'honneur au détachement du troisième régiment des
gardes-d'honneur, et un pareil nombre aux gardes nationaux.

Le comte de Valmy s'est dirigé, aujourd'hui 24, sur Bar-sur-Seine.
Arrivé à Saint-Paar, il a trouvé l'arrière-garde du général Giulay, l'a
fait charger, l'a mise en déroute et lui a fait douze cents prisonniers.
Il est probable que le comte de Valmy sera ce soir à Bar-sur-Seine.

Le général Gérard est parti du pont de la Guillotière, soutenu par le
duc de Reggio; il s'est porté sur Lusigny, et a passé la Barce. Le
général Duhesme a pris position à Montieramey, près Vandoeuvre.

Le comte Flahaut, aide-de-camp de l'empereur Napoléon, le comte
Ducca, aide-de-camp de l'empereur d'Autriche, le comte Schouvaloff,
aide-de-camp de l'empereur de Russie, et le général de Rauch, chef du
corps du génie du roi de Prusse, sont réunis à Lusigny, pour traiter des
conditions d'une suspension d'armes.

Ainsi, dans la journée du 24, la capitale de la Champagne a été
délivrée, et nous avons fait environ deux mille prisonniers, dont un bon
nombre d'officiers. On a de plus trouvé dans les hôpitaux de la ville un
millier de blessés, officiers et soldats, abandonnés par l'ennemi.



Le 27 février 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le 26, le quartier-général était à Troyes.

Le duc de Reggio était à Bar-sur-Aube, avec le général Gérard, et le
second corps de cavalerie, commandé par le comte de Valmy.

Le duc de Tarente avait son quartier-général à Mussy-l'Evêque, et ses
avant-postes à Châtillon; il marchait sur l'Aube et sur Clairvaux.

Le duc de Castiglione, qui a sous ses ordres une armée de quarante mille
hommes, dont une grande partie se compose de troupes d'élite, était en
mouvement.

Le général Marchand était à Chambéry, le général Dessaix sous les murs
de Genève, et le général Meusnier était entré à Mâcon.

Bourg et Nantua étaient également en notre pouvoir; le général
autrichien Bubna, qui avait menacé Lyon, était en retraite de tous
côtés; dès le 20, on évaluait sa perte, sur différens points, à quinze
cents hommes, dont six cents prisonniers.

Le prince de la Moskwa est à Arcis-sur-Aube, le duc de Bellune à Plancy,
le duc de Padoue à Nogent; on marchait sur les derrières des corps de
Blücher, Sacken, Yorck et Kleist, qui avaient reçu des renforts de
Soissons, et qui manoeuvraient sur le corps du duc de Raguse, qui se
trouvait à la Ferté-Gaucher.

Le général Duhesme a enlevé Bar-sur-Aube à la baïonnette, et en faisant
des prisonniers, parmi lesquels sont plusieurs officiers bavarois.



Le 5 mars 1814.

_A S.M. l'impératrice-reine et régente._

S.M. l'empereur et roi avait, le 5, son quartier-général à Bery-le-Bac,
sur l'Aisne.

L'armée ennemie de Blücher, Sacken, Yorck, Winzingerode et de Bulow
était en retraite; sans la trahison du commandant de la ville de
Soissons, qui a livré ses portes, cette armée était perdue.

Le général Corbineau est entré, le 5, à Reims, à quatre heures du matin.

Nous avons battu l'ennemi aux combats de Lisy-sur-Ourcq et de May.

Le résultat des diverses affaires, est: quatre mille prisonniers, six
cents voitures de bagages, plusieurs pièces de canon, et la délivrance
de la ville de Reims.



Craonne, le 7 mars 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Il y a eu aujourd'hui ici une bataille très-glorieuse pour les armées
françaises.

S. M. l'empereur et roi a battu les corps des généraux ennemis
Witzingerode, Woronzoff et Langeron, réunis aux débris du corps du
général Sacken.

Nous avons déjà deux mille prisonniers et plusieurs pièces de canon.

Notre armée est à la poursuite de l'ennemi sur la route de Laon.



Le 9 mars 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

L'armée du général Blücher, composée des débris des corps des généraux
Sacken, Kleist et Yorck, se retira, après les batailles de Montmirail
et de Vauchamp, par Reims, sur Châlons. Elle y reçut les deux dernières
divisions du corps du général Langeron, qui étaient encore restées
devant Mayence, et elle y reforma ses cadres. Sa perte avait été telle,
qu'elle fut obligée de les réduire à moitié, quoiqu'il lui fût arrivé
plusieurs convois de recrues de ses réserves.

L'armée dite du nord, composée de quatre divisions russes, sous les
ordres des généraux Witzingerode, Woronzoff et Strogonow, et d'une
division prussienne sous les ordres du général Bulow, remplaçait, à
Châlons et à Reims, l'armée de Silésie.

Celle-ci passa l'Aube à Arcis, pendant que le prince de Schwartzenberg
bordait la droite de la Seine, et, par suite des combats de Nangis et de
Montereau, évacuait tout le pays entre la Seine et l'Yonne.

Le 22 février, le général Blücher se présenta devant Méry. Il avait déjà
passé le pont lorsque le général de division Boyer marcha sur lui à la
baïonnette, le culbuta et le rejeta de l'autre côté de la rivière; mais
l'ennemi mit le feu au pont et à la petite ville de Méry, et l'incendie
fut si violent, que pendant quarante-huit heures il fut impossible de
passer.

Le 24, le corps du duc de Reggio se porta sur Vandoeuvre, et celui du
duc de Tarente sur Bar-sur-Seine.

Il paraît que l'armée de Silésie s'était portée sur la gauche de l'Aube,
pour se réunir à l'armée autrichienne et donner une bataille générale;
mais l'ennemi ayant renoncé à ce projet, le général Blücher repassa
l'Aube le 24, et se porta sur Sézanne.

Le duc de Raguse observa ce corps, retarda sa marche, et se retira
devant lui sans éprouver aucune perte. Il arriva le 25 à la
Ferté-Gaucher, et fit le 26, à la Ferté-sous-Jouarre, sa jonction avec
le duc de Trévise, qui observait la droite de la Marne et les corps de
l'armée dite du nord qui étaient à Châlons et à Reims.

Le 27, le général Sacken se porta sur Meaux, et se présenta au pont
placé à la sortie de Meaux sur le chemin de Nangis, qui avait été
coupé. Il fut reçu avec de la mitraille. Quelques-uns de ses coureurs
s'avancèrent jusqu'au pont de Lagny.

Cependant l'empereur partit de Troyes le 27, coucha le même jour au
village d'Herbisse, le 28 au château d'Esternay, et le 1er mars à
Jouarre.

L'armée de Silésie se trouvait ainsi fortement compromise; Elle n'eut
d'autre parti à prendre que de passer la Marne. Elle jeta trois ponts,
et se porta sur l'Ourcq.

Le général Kleist passa l'Ourcq et se portait sur Meaux par Varède. Le
duc de Trévise le rencontra le 28 en position au village de Gué-à-Trême,
sur la rive gauche de la Térouenne. Il l'aborda franchement. Le général
Christiani, commandant une division de vieille garde, s'est couvert de
gloire. L'ennemi a été poussé l'épée dans les reins pendant plusieurs
lieues. On lui a pris quelques centaines d'hommes, et un grand nombre
est resté sur le champ de bataille.

Dans le même temps, l'ennemi avait passé l'Ourcq à Lisy. Le duc de
Raguse le rejeta sur l'autre rive.

Le mouvement de retraite de l'armée de Blücher fut prononcé. Tout filait
sur la Ferté-Milon et Soissons.

L'empereur partit de la Ferté-sous-Jouarre le 3; son avant-garde fut le
même jour à Rocourt.

Les ducs de Raguse et de Trévise poussaient l'arrière-garde ennemie; ils
l'attaquèrent vivement le 3 à Neuilly-Saint-Front.

L'empereur arriva de bonne heure le 4 à Fismes. On fit des prisonniers
et l'on prit beaucoup de voitures de bagages.

La ville de Soissons était armée de vingt pièces de canon et en état
de se défendre. Le duc de Raguse et le duc de Trévise se portèrent sur
cette ville pour y passer l'Aisne, tandis que l'empereur marchait sur
Mezy. L'armée ennemie était dans la position la plus dangereuse; mais
le général qui commandait à Soissons, par une lâcheté qu'on ne saurait
définir, abandonna la place le 3, à quatre heures après midi, par une
capitulation soi-disant honorable, en ce que l'ennemi lui permettait de
sortir de la ville avec ses troupes et son artillerie, et se retira
avec la garnison et son artillerie sur Villers-Cotterets. Au moment où
l'armée ennemie se croyait perdue, elle apprit que le pont de Soissons
lui appartenait et n'avait pas même été coupé. Le général qui commandait
dans cette place et les membres du conseil de défense sont traduits à
une commission d'enquête. Ils paraissent d'autant plus coupables, que
pendant toutes les journées du 2 et du 3, on avait entendu de la ville
la canonnade de notre armée qui se rapprochait de Soissons, et qu'un
bataillon de la Vistule qui était dans la place, et qui ne la quitta
qu'en pleurant, donnait les plus grands témoignages d'intrépidité.

Le général Corbineau, aide-de-camp de l'empereur, et le général de
cavalerie Laferrière s'étaient portés sur Reims, où ils entrèrent le 5 à
quatre heures du matin, en tournant un corps ennemi de quatre bataillons
qui couvrait la ville, et dont les troupes furent faites prisonnières.
Tout ce qui se trouvait dans Reims fut pris.

Le 5, l'empereur coucha à Bery-au-Bac. Le général Nansouty passa de vive
force le pont de Bery, mit en déroute une division de cavalerie qui le
couvrait, s'empara de ses deux pièces de canon, et prit trois cents
cavaliers, parmi lesquels s'est trouvé le colonel prince Gagarin, qui
commandait une brigade.

L'armée ennemie s'était divisée en deux parties. Les huit divisions
russes de Sacken et de Witzingerode avaient pris position sur les
hauteurs de Craonne, et les corps prussiens sur les hauteurs de Laon.

L'empereur vint coucher le 6 à Corbeni. Les hauteurs de Craonne furent
attaquées et enlevées par deux bataillons de la garde. L'officier
d'ordonnance Caraman, jeune officier d'espérance, à la tête d'un
bataillon, tourna la droite. Le prince de la Moskowa marcha sur la ferme
d'Urtubie. L'ennemi se retira, et prit position sur une hauteur, qu'on
reconnut le 7 à la pointe du jour. C'est ce qui donna lieu à la bataille
de Craonne.

Cette position était très-belle, l'ennemi ayant sa droite et sa gauche
appuyées à deux ravins, et un troisième ravin devant lui. Il défendait
le seul passage, d'une centaine de toises de largeur, qui joignait sa
position au plateau de Craonne.

Le duc de Bellune se porta, avec deux divisions de la jeune garde, à
l'abbaye de Vauclerc, où l'ennemi avait mis le feu. Il l'en chassa, et
passa le défilé que l'ennemi défendait avec soixante pièces de canon. Le
général Drouot le franchit avec plusieurs batteries. Au même instant,
le prince de la Moskowa passa le ravin de gauche et débouchait sur la
droite de l'ennemi. Pendant une heure, la canonnade fut très-forte. Le
général Grouchy, avec sa cavalerie, déboucha. Le général Nansouty, avec
deux divisions de cavalerie, passa le ravin sur la droite de l'ennemi.
Une fois le défilé franchi et l'ennemi forcé dans sa position, il fut
poursuivi pendant quatre lieues, et canonné par quatre-vingts pièces de
canon à mitraille; ce qui lui a causé une très-grande perte. Le plateau
par lequel il se retirait ayant toujours des ravins à droite et à
gauche, la cavalerie ne put le déborder et l'entamer.

L'empereur porta son quartier-général à Bray.

Le lendemain 8, nous avons poursuivi l'ennemi jusqu'au delà du défilé
d'Urcel, et le jour même nous sommes entrés à Soissons, où il a laissé
un équipage de pont.

La bataille de Craonne est extrêmement glorieuse pour nos armes.
L'ennemi y a perdu six généraux; il évalue sa perte de cinq à six mille
hommes. La nôtre a été de huit cents hommes tués ou blessés.

Le duc de Bellune a été blessé d'une balle. Le général Grouchy,
ainsi que le général Laferrière, officier de cavalerie d'une grande
distinction, ont également été blessés en débouchant à la tête de leurs
troupes.

Le général Belliard a pris le commandement de la cavalerie.

Le résultat de toutes ces opérations est une perte pour l'ennemi de dix
à douze mille hommes, et d'une trentaine de pièces de canon.

L'intention de l'empereur est de manoeuvrer avec l'armée sur l'Aisne.



Le 12 mars 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le lendemain de la bataille de Craonne (le 8), l'ennemi fut poursuivi
par le prince de la Moskowa jusqu'au village d'Étouvelles. Le général
Voronzoff, avec sept ou huit mille hommes, gardait cette position,
qui était très-difficile à aborder, parce que la route qui y conduit
chemine, pendant une lieue, entre deux marais impraticables.

Le baron Gourgault, premier officier d'ordonnance de S. M., et officier
d'un mérite distingué, partit à onze heures du soir de Chavignon avec
deux bataillons de la vieille garde, tourna la position, et se porta par
Challevois sur Chivi. Il arriva à une heure du matin sur l'ennemi, qu'il
aborda à la baïonnette. Les Russes furent réveillés par les cris de
_vive l'empereur!_ et poursuivis jusqu'à Laon. Le prince de la Moskowa
déboucha par le défilé.

Le lendemain 9, à la pointe du jour, on reconnut l'ennemi, qui s'était
réuni aux corps prussiens. La position qu'il occupait était telle, qu'on
la jugea inattaquable. On prit position.

Le duc de Raguse, qui avait couché le 8 à Corbeni, parut à deux heures
après midi à Veslud, culbuta l'avant-garde ennemie, attaqua le village
d'Athies, qu'il enleva, et eut des succès pendant toute la journée. A
six heures et demie, il prit position. A sept heures, l'ennemi fit un
_houra_ de cavalerie à une lieue sur les derrières, où le duc de Raguse
avait un parc de réserve. Le duc de Raguse s'y porta vivement; mais
l'ennemi avait eu le temps d'enlever dans ce parc quinze pièces de
canon. Une grande partie du personnel s'est sauvée.

Le même jour, le général Charpentier, avec sa division de jeune garde,
enleva le village de Clacy. Le lendemain, l'ennemi attaqua sept fois ce
village, et sept fois il fut repoussé. Le général Charpentier fit quatre
cents prisonniers. L'ennemi laissa les avenues couvertes de ses morts.
Le quartier-général de l'empereur a été, le 9 et le 10, à Chavignon.

S. M. jugeant qu'il était impossible d'attaquer les hauteurs de Laon, a
porté le 11 son quartier-général à Soissons. Le duc de Raguse a occupé
le même jour Bery-au-Bac.

Le général Corbineau se louait à Reims du bon esprit de ses habitans.

Le 7, à onze heures du matin, le général Saint-Priest, commandant une
division russe, s'est présenté devant la ville de Reims, et l'a sommée
de se rendre. Le général Corbineau lui a répondu avec du canon. Le
général Defrance arrivait alors avec sa division de gardes-d'honneur. Il
fit une belle charge et chassa l'ennemi. Le général Saint-Priest a fait
mettre le feu à deux grandes manufactures et à cinquante maisons de
la ville qui se trouvent hors de son enceinte, conduite digne d'un
transfuge; de tout temps, les transfuges furent les plus cruels ennemis
de leur patrie.

Soissons a beaucoup souffert; les habitans se sont conduits de la
manière la plus honorable. Il n'est point d'éloges qu'ils ne donnent au
régiment de la Vistule, qui formait leur garnison; il n'est pas d'éloges
que le régiment de la Vistule ne fasse des habitans. S. M. a accordé à
ce brave corps trente décorations de la légion-d'honneur.

Le plan de campagne de l'ennemi paraît avoir été une espèce de _houra_
général sur Paris. Négligeant toutes les places de Flandres, et
n'observant Berg-op-Zoom et Anvers qu'avec des troupes inférieures en
nombre de moitié aux garnisons de ces villes, l'ennemi a pénétré
sur Avesnes. Négligeant les places des Ardennes, Mézières, Rocroy,
Philippeville, Givet, Charlemont, Montmédy, Maestricht, Venloo, Juliers,
il a passé par des chemins impraticables, pour arriver sur Avesnes et
Rethel. Ces places communiquent ensemble, ne sont pas observées, et
leurs garnisons inquiètent fortement les derrières de l'ennemi. Au même
instant où le général Saint-Priest brûlait Reims, son frère était arrêté
par les habitans et conduit prisonnier à Charlemont. Négligeant toutes
les places de la Meuse, l'ennemi s'était avancé par Bar et Saint-Dizier.
La garnison de Verdun est venue jusqu'à Saint-Mihiel. Auprès de Bar, un
général russe resté quelques momens, avec une quinzaine d'hommes, après
le départ de sa troupe, a été tué, ainsi que son escorte, par les
paysans, en représailles des atrocités qu'il avait ordonnées. Metz
pousse ses sorties jusqu'à Nancy. Strasbourg et les autres places de
l'Alsace n'étant observées que par quelques partis, on y entre, on en
sort librement, et les vivres y arrivent en abondance. Les troupes de
la garnison de Mayence vont jusqu'à Spire. Les départemens s'étant
empressés de compléter les cadres des bataillons qui sont dans toutes
ces places, où on les a armés, équipés et exercés, on peut dire qu'il y
a plusieurs armées sur les derrières de l'ennemi. Sa position ne peut
que devenir tous les jours plus dangereuse. On voit, par les rapports
que l'on a interceptés, que les régimens de cosaques dont la force était
de deux cent cinquante hommes, en ont perdu plus de cent vingt, sans
avoir été à aucune action, mais par la guerre que leur ont faite les
paysans.

Le duc de Castiglione manoeuvre sur le Rhône, dans le département de
l'Ain et dans la Franche-Comté. Les généraux Dessaix et Marchand ont
chassé l'ennemi de la Savoie. Quinze mille hommes passent les Alpes pour
venir renforcer le duc de Castiglione.

Le vice-roi a obtenu de grands succès a Borghetto, et a repoussé
l'ennemi sur l'Adige.

Le général Grenier, parti de Plaisance le 2 mars, a battu l'ennemi sur
Parme, et l'a jeté au-delà du Taro.

Les troupes françaises qui occupaient Rome, Civita-Vecchia, la Toscane,
entrent en Piémont pour passer les Alpes.

L'exaspération des populations entières s'accroît chaque jour dans la
proportion des atrocités que commettent ces hordes, plus barbares
encore que leurs climats, qui déshonoreraient l'espèce humaine, et dont
l'existence militaire a pour mobile, au lieu de l'honneur, le pillage et
tous les crimes.

Les conférences de Lusigny, pour la suspension d'armes, ont échoué. On
n'a pu s'arranger sur la ligne de démarcation. On était d'accord sur
les points d'occupation au nord et à l'est; mais l'ennemi a voulu,
non-seulement étendre sa ligne sur la Saône et le Rhône, mais en
envelopper la Savoie. On a répondu à cette injuste prétention, en
proposant d'adopter pour cette partie le _statu quo,_ et de laisser le
duc de Castiglione et le comte Bubna se régler sur la ligne de leurs
avant-postes. Cette proposition a été rejetée. Il a donc fallu
renoncer à une suspension d'armes de quinze jours, qui offrait plus
d'inconvéniens que d'avantages. L'empereur n'a pas cru, d'ailleurs,
avoir le droit de remettre de nombreuses populations sous le joug de fer
dont elles avaient été délivrées. Il n'a pu consentir à abandonner nos
communications avec l'Italie, que l'ennemi avait essayé tant de fois
et vainement d'intercepter, lorsque nos troupes n'étaient pas encore
réunies.

Le temps a été constamment très-froid. Les bivouacs sont fort durs dans
cette saison; mais on en a ressenti également les souffrances de part et
d'autre. Il parait même que les maladies font des ravages dans l'armée
ennemie, tandis qu'il y eu a fort peu dans la nôtre.



Le 14 mars 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le général Saint-Priest, commandant en chef le huitième corps russe,
était depuis plusieurs jours en position à Châlons-sur-Marne, ayant une
avant-garde à Sillery. Ce corps, composé de trois divisions qui devaient
former dix-huit régimens et trente-six bataillons, n'était réellement
que de huit régimens ou seize bataillons, faisant cinq à six mille
hommes.

Le général Jagow, commandant la dernière colonne de la réserve
prussienne, et ayant sous ses ordres quatre régimens de la landwehr de
la Poméranie prussienne et des Marches, formant seize bataillons ou
sept mille hommes qui avaient été employés au siége de Torgau et de
Wittemberg, se réunit au corps du général Saint-Priest, dont les
forces se trouvèrent être de quinze à seize mille hommes, cavalerie et
artillerie comprises.

Le général Saint-Priest résolut de surprendre la ville de Reims, où
était le général Corbineau, à la tête de la garde nationale et de trois
bataillons de levée en masse, avec cent hommes de cavalerie et huit
pièces de canon. Le général Corbineau avait placé la division de
cavalerie du général Defrance à Châlons-sur-Vesle, à deux lieues de la
ville.

Le 12, à cinq heures du matin, le général Saint-Priest se présenta aux
différentes portes. Il fit sa principale attaque sur la porte de Laon,
que la supériorité de son nombre lui donna le moyen de forcer. Le
général Corbineau opéra sa retraite avec les trois bataillons de la
levée en masse et ses cent hommes de cavalerie, et se replia sur
Châlons-sur-Vesle. La garde nationale et les habitans se sont très-bien
comportés dans cette circonstance.

Le 13, à quatre heures du soir, l'empereur était sur les hauteurs
du Moulin-à-Vent, à une lieue de Reims. Le duc de Raguse formait
l'avant-garde. Le général de division Merlin attaqua, cerna et prit
plusieurs bataillons de landwehr prussienne. Le général Sébastiani,
commandant deux divisions de cavalerie, se porta sur la ville. Une
centaine de pièces de canon furent engagées, tant d'un côté que de
l'autre. L'ennemi couronnait les hauteurs en avant de Reims. Pendant
qu'elles étaient attaquées, on réparait les ponts de Saint-Brice, pour
tourner la ville. Le général Defrance fit une superbe charge avec les
gardes d'honneur, qui se sont couverts de gloire, notamment le général
comte de Ségur, commandant le troisième régiment. Ils chargèrent entre
la ville et l'ennemi, qu'ils jetèrent dans le faubourg, et auquel ils
prirent mille cavaliers et son artillerie.

Sur ces entrefaites, le général comte Krasinski ayant coupé la route de
Reims à Bery-au-Bac, l'ennemi abandonna la ville, en fuyant en désordre
de tous côtés. Vingt-deux pièces de canon, cinq mille prisonniers,
cent voitures d'artillerie et de bagages, sont les résultats de cette
journée, qui ne nous a pas coûté cent hommes.

La même batterie d'artillerie légère qui a frappé de mort le général
Moreau devant Dresde, a blessé mortellement le général Saint-Priest, qui
venait à la tête des Tartares du désert, ravager notre belle patrie.

L'empereur est entré à Reims à une heure du matin, aux acclamations
des habitans de cette grande ville, et y a placé son quartier-général.
L'ennemi s'est retiré, partie sur Châlons, partie sur Rethel, partie sur
Laon. Il est poursuivi dans toutes ces directions.

Le dixième régiment de hussards s'est, ainsi que le troisième régiment
des gardes-d'honneur, particulièrement distingué.

Le général comte de Ségur a été blessé grièvement, mais sans danger pour
sa vie.



Le 20 mars 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le général Wittgenstein, avec son corps d'armée, était à Villenoxe. Il
avait jeté des ponts à Pont, où il avait passé la Seine, et il marchait
sur Provins.

Le duc de Tarente avait réuni ses troupes sur cette ville. Le 16,
l'ennemi manoeuvrait pour déborder sa gauche. Le duc de Reggio engagea
son artillerie, et toute la journée se passa en canonnade. Le mouvement
de l'ennemi paraissait se prononcer sur Provins et sur Nangis.

D'un autre côté, le prince Schwartzenberg, l'empereur Alexandre et le
roi de Prusse étaient à Arcis-sur-Aube.

Le corps du prince-royal de Wurtemberg s'était porté sur
Villers-aux-Corneilles.

Le général Platow, avec trois mille barbares, s'était jeté sur
Fère-Champenoise et Sézanne.

L'empereur d'Autriche venait d'arriver de Chaumont à Troyes.

Le prince de la Moskwa est entré le 16 a Châlons-sur-Marne.

L'empereur a couché le 17 à Épernay; le 18, à Fère-Champenoise, et le
19, à Plancy.

Le général Sébastiani, à la tête de sa cavalerie, a rencontré à
Fère-Champenoise le général Platow, l'a culbuté et l'a poursuivi jusqu'à
l'Aube, en lui faisant des prisonniers.

Le 19, après-midi, l'empereur a passé l'Aube à Plancy. A cinq heures du
soir, il a passé la Seine à un gué, et a fait tourner Méry, qui a été
occupé.

A sept heures du soir, le général Letort, avec les chasseurs de la
garde, est arrivé au village de Châtre, coudant la route de Nogent à
Troyes; mais l'ennemi était déjà partout en retraite. Cependant le
général Letort a pu atteindre son parc de pontons, qui avait servi à
faire le pont de Pont-sur-Seine; il s'est emparé de tous les pontons sur
leurs haquets attelés, et d'une centaine de voitures de bagages; il a
fait des prisonniers.

Dans la journée du 17, le général de Wrede avait rétrogradé rapidement
sur Arcis-sur-Aube. Dans la nuit du 17 au 18, l'empereur de Russie
s'était retiré sur Troyes. Le 18 les souverains alliés ont évacué
Troyes, et se sont portés en toute hâte sur Bar-sur-Aube.

S. M. l'empereur est arrivé à Arcis-sur-Aube le 20 au matin.



Boulevent, le 25 mars 1814.

_A S. M. l'impératrice-reine et régente._

Le quartier-général de l'empereur est ici. L'armée française occupe
Chaumont, Brienne; elle est en communication avec Troyes, et ses
patrouilles vont jusqu'à Langres. De tout côté, on ramène des
prisonniers.

La santé de S. M. est très-bonne.



Le 29 mars 1814.

_A S.M. l'impératrice-reine et régente._

Le 26 de ce mois, S.M. l'empereur a battu à Saint-Dizier, le général
Witzingerode, lui a fait deux mille prisonniers, lui a pris des canons
et beaucoup de voitures de bagages. Ce corps a été poursuivi très-loin.



Le 31 mars 1814.

_A S.M. l'impératrice-reine et régente._

Le général de division Béré est entré à Chaumont le 25, et a ainsi coupé
la ligne d'opération de l'ennemi; il a intercepté beaucoup de courriers
et d'estafettes, et enlevé à l'ennemi des bagages, plusieurs pièces de
canon, des magasins d'habillement et une grande partie des hôpitaux. Il
a été parfaitement secondé par les habitans de la campagne, qui sont
partout en armes et montrent la plus grande ardeur. M. le baron de
Wissemberg, ministre d'Autriche en Angleterre, revenant de Londres avec
le comte de Pulsy, son secrétaire de légation; le lieutenant-général
suédois Sessiole de Brand, ministre de Suède auprès de l'empereur
de Russie, avec un major suédois; le conseiller de guerre prussien,
Peguilhen; MM. de Tolstoï et de Marcof, et deux autres officiers
d'ordonnance russes, allant tous en mission aux différens
quartiers-généraux des alliés, ont été arrêtés par les levées en masse,
et conduits au quartier-général. L'enlèvement de ces personnages, et de
leurs papiers, qui ont tous été pris, est d'une grande importance.

Le parc de l'armée russe et tous ses équipages étaient à Bar-sur-Aube. A
la première nouvelle des mouvemens de l'armée, ils ont été évacués sur
Bedfort; ce qui prive l'ennemi de ses munitions d'artillerie, de ses
transports de vivres de réserve, et de beaucoup d'autres objets qui lui
étaient nécessaires.

L'armée ennemie ayant pris le parti d'opérer entre l'Aube et la Marne,
avait laissé le général russe Witzingerode à Saint-Dizier, avec huit
mille hommes de cavalerie et deux divisions d'infanterie, afin de
maintenir la ligne d'opérations, et faciliter l'arrivée de l'artillerie,
des munitions et des vivres dont l'ennemi a le plus grand besoin.

La division de dragons du général Milhaud, et la cavalerie de la garde,
commandée par le général Sébastiani, ont passé le gué de Valcoeur le 22
mars, ont marché sur cette cavalerie, et, après de belles charges, l'ont
mise en déroute. Trois mille hommes de cavalerie russe; dont beaucoup de
la garde impériale, ont été tués ou pris. Les dix-huit pièces de
canon qu'avait l'ennemi, lui ont été enlevées, ainsi que ses bagages.
L'ennemi, a laissé les bois et les prairies jonchés de ses morts. Tous
les corps de cavalerie se sont distingués à l'envi les uns des autres.
Le duc de Reggio a poursuivi l'ennemi jusqu'à Bar-sur-Ornain, où il est
entré le 27. Le 29, le quartier-général de l'empereur était à Troyes.
Deux convois de prisonniers, dont le nombre s'élève à plus de six mille
hommes, suivent l'armée.

Dans tous les villages, les habitans sont sous les armes; exaspérés par
la violence, les crimes et les ravages de l'ennemi, ils lui font une
guerre acharnée, qui est pour lui du plus grand danger.



Le 1er avril 1814.

L'empereur qui avait porté son quartier-général à Troyes le 29, s'est
dirigé à marches forcées par Sens sur la capitale. S. M. était le 31 à
Fontainebleau; elle a appris que l'ennemi, arrivé vingt-quatre heures
avant l'armée française, occupait Paris, après avoir éprouvé une forte
résistance, qui lui a coûté beaucoup de monde.

Les corps des ducs de Trévise, de Raguse et celui du général Compans,
qui ont concouru à la défense de la capitale, se sont réunis entre
Essonne et Paris, où S.M. a pris position avec toute l'armée qui arrive
de Troyes.

L'occupation de la capitale par l'ennemi est un malheur qui afflige
profondément le coeur de S.M., mais dont il ne faut pas concevoir
d'alarmes; la présence de l'empereur avec son armée, aux portes de
Paris, empêchera l'ennemi de se porter à ses excès accoutumés, dans une
ville si populeuse, qu'il ne saurait garder sans rendre sa position
très-dangereuse.



_Proclamation._

L'empereur se porte bien et veille pour le salut de tous.

S.M. l'impératrice et le roi de Rome sont en sûreté.

Les rois frères de l'empereur, les grands dignitaires, les ministres, le
sénat et le conseil d'état, se sont portés sur les rives de la Loire, où
le centre du gouvernement s'établit provisoirement.

Ainsi l'action du gouvernement ne sera pas paralysée; les bons citoyens,
les vrais Français, peuvent être affligés de l'occupation de la
capitale; mais ils n'en doivent pas concevoir de trop vives alarmes;
qu'ils se reposent sur l'activité de l'empereur, et sur son génie, du
soin de notre délivrance! Mais qu'ils sentent bien que c'est dans ces
grandes circonstances que l'honneur national, et nos intérêts bien
entendus, nous commandent plus que jamais de nous rallier autour de
notre souverain! Secondons ses efforts, et ne regrettons aucun sacrifice
pour terminer enfin cette lutte terrible contre des ennemis qui, non
contens de combattre nos armées, viennent encore frapper chaque citoyen
dans ce qu'il a de plus cher, et ravager ce beau pays dont la gloire
et la prospérité furent, dans tous les temps, l'objet de leur haine
jalouse.

Malgré les succès que l'armée coalisée vient d'obtenir et dont elle ne
s'enorgueillira pas long-temps, le théâtre de la guerre est encore loin
de nous; mais si quelques coureurs, attirés par l'espoir du pillage,
osaient se répandre dans vos campagnes, ils vous trouveraient armés pour
défendre _vos femmes, vos enfans, vos propriétés_.



Blois, 3 avril 1814.

_Proclamation de l'impératrice-reine et régente._

Français,

Les événemens de la guerre ont mis la capitale au pouvoir de l'étranger.

L'empereur, accouru pour la défendre, est à la tête de ses armées si
souvent victorieuses.

Elles sont en présence de l'ennemi, sous les murs de Paris. C'est de la
résidence que j'ai choisie, et des ministres de l'empereur, qu'émaneront
les seuls ordres que vous puissiez reconnaître.

Toute ville au pouvoir de l'ennemi cesse d'être libre; toute direction
qui en émane est le langage de l'étranger, ou celui qu'il convient à ses
vues hostiles de propager.

Vous serez fidèles à vos sermens, vous écouterez la voix d'une princesse
qui fut remise à votre foi, qui fait sa gloire d'être Française, d'être
associée aux destinées du souverain que vous avez librement choisi.

Mon fils était moins sûr de vos coeurs au temps de nos prospérités.

Ses droits et sa personne sont sous votre sauve-garde.

MARIE-LOUISE.



_Discours de Napoléon à sa garde lorsqu'il apprit l'entrée des alliés à
Paris._

«Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde! l'ennemi nous
a dérobé trois marches, il est entré dans Paris. J'ai fait offrir à
l'empereur Alexandre une paix achetée par de grands sacrifices: la
France avec ses anciennes limites, en renonçant à ses conquêtes, et
perdant tout ce que nous avons gagné depuis la révolution. Non-seulement
il a refusé, il a fait plus encore; par les suggestions perfides
d'hommes à qui j'ai accordé la vie, que j'ai comblés de bienfaits,
il les autorise à porter la cocarde blanche, et bientôt il voudra la
substituer à notre cocarde nationale.... Dans peu de jours, j'irai
l'attaquer dans Paris. Je compte sur vous.... Ai-je raison? (Ici
s'élevèrent des cris nombreux: _vive l'empereur_, oui, à Paris, à
Paris).... Nous irons leur prouver que la nation française sait être
maîtresse chez elle; que si elle l'a été souvent chez les autres, elle
le sera toujours sur son sol, et qu'enfin elle est capable de défendre
sa cocarde, son indépendance et l'intégrité de son territoire. Allez
communiquer ces sentimens à vos soldats.»



Fontainebleau, 4 avril 1814.

_Ordre du jour._

L'empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et
principalement parce qu'elle reconnaît que la France est en lui, et
non pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et
l'infortune de son général, son honneur et sa religion. Le duc de Raguse
n'a pas inspiré ces sentimens à ses compagnons d'armes; il est passé aux
alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a
fait cette démarche; il ne peut accepter la vie ni la liberté de la
merci d'un sujet. Le sénat s'est permis de disposer du gouvernement
français; il a oublié qu'il doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse
maintenant; que c'est lui qui a sauvé une partie de ses membres de
l'orage de la révolution, tiré de l'obscurité et protégé l'autre
contre la haine de la nation. Le sénat se fonde sur les articles de la
constitution, pour la renverser; il ne rougit pas de faire des reproches
à l'empereur, sans remarquer que, comme le premier corps de l'état, il a
pris part à tous les événemens. Il est allé si loin qu'il a osé accuser
l'empereur d'avoir changé des actes dans la publication; le monde entier
sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices: un signe était un ordre
pour le sénat, qui toujours faisait plus qu'on ne désirait de lui.
L'empereur a toujours été accessible aux sages remontrances de
ses ministres, et il attendait d'eux dans cette circonstance, une
justification la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si
l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et discours publics, alors
l'empereur a été trompé; mais ceux qui ont tenu ce langage, doivent
s'attribuer à eux-mêmes la suite funeste de leurs flatteries. Le sénat
ne rougit pas de parler des libelles publiés contre les gouvernemens
étrangers; il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein. Si long-temps
que la fortune s'est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont
restés fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du
pouvoir. Si l'empereur avait méprisé les hommes, comme on le lui a
reproché, alors le monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des
raisons qui motivaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de
la nation; eux seuls pouvaient l'en priver: il l'a toujours considérée
comme un fardeau, et lorsqu'il l'accepta, c'était dans la conviction que
lui seul était à même de la porter dignement. Son bonheur paraissait
être sa destination: aujourd'hui, que la fortune s'est décidée contre
lui, la volonté de la nation seule pourrait le persuader de rester plus
long-temps sur le trône. S'il se doit considérer comme le seul
obstacle à la paix, il fait ce dernier sacrifice à la France: il a, en
conséquence, envoyé le prince de la Moskwa et les ducs de Vicence et
de Tarente à Paris, pour entamer les négociations. L'armée peut être
certaine que son bonheur ne sera jamais en contradiction avec le bonheur
de la France.



Au palais de Fontainebleau, le 11 avril 1814.

_Acte d'abdication de l'empereur Napoléon._

Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était
le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur
Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce, pour lui et
ses héritiers, aux trônes de France et d'Italie, et qu'il n'est aucun
sacrifice personnel, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire à
l'intérêt de la France.



_Dernière allocution de Napoléon à sa garde._

«Généraux, officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, je
vous fais mes adieux: depuis vingt ans, je suis content de vous; je vous
ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.

«Les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi; une partie
de l'armée a trahi ses devoirs, et la France elle-même a voulu d'autres
destinées.

«Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu
entretenir la guerre civile pendant trois ans; mais la France eût été
malheureuse, ce qui était contraire au but que je me suis proposé.

«Soyez fidèles au nouveau roi que la France s'est choisi; n'abandonnez
pas notre chère patrie, trop long-temps malheureuse! Aimez-la toujours,
aimez-la bien cette chère patrie.

«Ne plaignez pas mon sort; je serai toujours heureux, lorsque je saurai
que vous l'êtes.

«J'aurais pu mourir; rien ne m'eût été plus facile; mais je suivrai sans
cesse le chemin de l'honneur. J'ai encore à écrire ce que nous avons
fait.

«Je ne puis vous embrasser tous; mais j'embrasserai votre général....
Venez, général.... (Il serre le général Petit dans ses bras.) Qu'on
m'apporte l'aigle.... (Il la baise.) Chère aigle! que ces baisers
retentissent dans le coeur de tous les braves!... Adieu, mes enfans!...
Mes voeux vous accompagneront toujours; conservez mon souvenir....»



LIVRE DIXIÈME.

1815.



Au golfe Juan, le 1er mars 1815.

PROCLAMATION.

_Au peuple français._

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'État, empereur
des Français, etc., etc., etc.

«Français, la défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à
nos ennemis, l'armée dont je lui avais confié le commandement était, par
le nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes
qui la composaient, à même de battre le corps d'armée autrichien qui lui
était opposé, et d'arriver sur les derrières du flanc gauche de l'armée
ennemie qui menaçait Paris.

Les victoires de Champ-Aubert, de Montmirail, de Château-Thierry,
de Vauchamp, de Mormans, de Montereau, de Craone, de Reims,
d'Arcis-sur-Aube et de Saint-Dizier; l'insurrection des braves paysans
de la Lorraine, de la Champagne, de l'Alsace, de la Franche-Comté et
de la Bourgogne, et la position que j'avais prise sur les derrières
de l'armée ennemie, en la séparant de ses magasins, de ses parcs de
réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l'avaient placée dans
une situation désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point
d'être plus puissans, et l'élite de l'armée ennemie était perdue sans
ressource; elle eût trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu'elle
avait si impitoyablement saccagées, lorsque la trahison du duc de Raguse
livra la capitale et désorganisa l'armée. La conduite inattendue de ces
deux généraux qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur
bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse
de l'ennemi était telle, qu'à la fin de l'affaire qui eut lieu devant
Paris, il était sans munitions par sa séparation de ses parcs de
réserve.

Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon coeur fut déchiré, mais
mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l'intérêt de la patrie;
je m'exilai sur un rocher au milieu des mers. Ma vie vous était et
devait encore vous être utile. Je ne permis pas que le grand nombre de
citoyens qui voulaient m'accompagner partageassent mon sort, je crus
leur présence utile à la France, et je n'emmenai avec moi qu'une poignée
de braves nécessaires à ma garde.

Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est
illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts,
de nouvelles institutions, une nouvelle gloire, qui ne peuvent être
garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans
ces nouvelles circonstances. Un prince qui régnerait sur vous, qui
serait assis sur mon trône par la force des mêmes armes qui ont ravagé
notre territoire, chercherait en vain à s'étayer des principes du droit
féodal; il ne pourrait assurer l'honneur et les droits que d'un petit
nombre d'individus ennemis du peuple, qui, depuis vingt-cingt ans, les
a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité
intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

Français! dans mon exil j'ai entendu vos plaintes et vos voeux; vous
réclamez ce gouvernement de votre choix, qui seul est légitime. Vous
accusiez mon long sommeil; vous me reprochiez de sacrifier à mon repos
les grands intérêts de la patrie.

J'ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce; j'arrive
parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres. Tout ce que
les individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je
l'ignorerai toujours: cela n'influera en rien sur le souvenir que je
conserve des services importans qu'ils ont rendus; car il est des
événemens d'une telle nature, qu'ils sont au-dessus de l'organisation
humaine.

Français! il n'est aucune nation, quelque petite qu'elle soit, qui n'ait
eu le droit, et ne se soit soustraite au déshonneur d'obéir à un prince
imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII
rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri V, il reconnut
tenir son trône de la vaillance de ses braves, et non d'un prince régent
d'Angleterre.

C'est aussi à vous seuls et aux braves de l'armée, que je fais et ferai
toujours gloire de tout devoir.

NAPOLÉON.



Gap, le 6 mars 1815.

_Aux habitans des départements des Hautes et Basses-Alpes._

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'empire,
empereur des Français, etc., etc., etc.

Citoyens,

J'ai été vivement touché de tous les sentimens que vous m'avez montrés;
vos voeux seront exaucés; la cause de la nation triomphera encore! Vous
avez raison de m'appeler votre père; je ne vis que pour l'honneur et
le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes;
il garantit la conservation de toutes les propriétés; l'égalité entre
toutes les classes, et les droits dont vous jouissiez depuis vingt-cinq
ans, et après lesquels nos pères ont tous soupiré, forment aujourd'hui
une partie de votre existence.

Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me
rappellerai toujours avec un vif intérêt tout ce que j'ai vu en
traversant votre pays.

NAPOLÉON.



Grenoble, 9 mars 1815.

_Aux habitans du département de l'Isère._

Citoyens,

Lorsque, dans mon exil, j'appris tous les malheurs qui pesaient sur la
nation, que tous les droits du peuple étaient méconnus, et qu'il me
reprochait le repos dans lequel je vivais, je ne perdis pas un moment.
Je m'embarquai sur un frêle navire; je traversai les mers au milieu des
vaisseaux de guerre de différentes nations; je débarquai sur le sol de
la patrie, et je n'eus en vue que d'arriver avec la rapidité de l'aigle
dans cette bonne ville de Grenoble, dont le patriotisme et l'attachement
à ma personne m'étaient particulièrement connus.

Dauphinois, vous avez rempli mon attente.

J'ai supporté, non sans déchirement de coeur, mais sans abattement, les
malheurs auxquels j'ai été en proie il y a un an; le spectacle que m'a
offert le peuple sur mon passage, m'a vivement ému. Si quelques nuages
avaient pu arrêter la grande opinion que j'avais du peuple français, ce
que j'ai vu m'a convaincu qu'il était toujours digne de ce nom de grand
peuple, dont je le saluai il y a plus de vingt ans.

Dauphinois! sur le point de quitter vos contrées pour me rendre dans
ma bonne ville de Lyon, j'ai senti le besoin de vous exprimer toute
l'estime que m'ont inspirée vos sentimens élevés. Mon coeur est tout
plein des émotions que vous y avez fait naître; j'en conserverai
toujours le souvenir.

NAPOLÉON.



Lyon, 13 mars 1815.

_Aux habitans de la ville de Lyon._

Lyonnais!

Au moment de quitter votre ville pour me rendre dans ma capitale,
j'éprouve le besoin de vous faire connaître les sentimens que vous
m'avez inspirés. Vous avez toujours été au premier rang dans mon
affection. Sur le trône ou dans l'exil, vous m'avez toujours montré les
mêmes sentimens. Ce caractère élevé qui vous distingue spécialement
vous a mérité toute mon estime. Dans des momens plus tranquilles, je
reviendrai pour m'occuper de vos besoins et de la prospérité de vos
manufactures et de votre ville.

NAPOLÉON.



Lyon, 13 mars 1815.

_Décret._

Napoléon, etc., etc., etc.

Considérant que la chambre des pairs est composée en partie de personnes
qui ont porté les armes contre la France, et qui ont intérêt au
rétablissement des droits féodaux, à la destruction de l'égalité entre
les différentes classes, à l'annullation des ventes des domaines
nationaux, et enfin à priver le peuple des droits qu'il a acquis par
vingt-cinq ans de combats contre les ennemis de la gloire nationale;

Considérant que les pouvoirs des députés au corps législatif étaient
expirés, et que dès-lors, la chambre des communes n'a plus aucun
caractère national; qu'une partie de cette chambre s'est rendue indigne
de la confiance de la nation, en adhérant au rétablissement de la
noblesse féodale, abolie par les constitutions acceptées par le peuple,
en faisant payer par la France des dettes contractées à l'étranger pour
tramer des coalitions et soudoyer des armées contre le peuple français;
en donnant aux Bourbons le titre de roi légitime, ce qui était déclarer
rebelles le peuple français et les armées, proclamer seuls bons Français
les émigrés qui ont déchiré, pendant vingt-cinq ans, le sein de la
patrie, et violé tous les droits du peuple en consacrant le principe que
la nation était faite pour le trône, et non le trône pour la nation.

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. La chambre des pairs est dissoute.

2. La chambre des communes est dissoute; il est ordonné à chacun des
membres convoqué, et arrivé à Paris depuis le 7 mars dernier, de
retourner sans délai dans son domicile.

3. Les collèges électoraux des départemens de l'empire seront réunis
à Paris, dans le courant du mois de mai prochain, en _Assemblée
extraordinaire du Champ-de-Mai,_ afin de prendre les mesures convenables
pour corriger et modifier nos constitutions selon l'intérêt et la
volonté de la Nation, et en même temps pour assister au couronnement
de l'impératrice, notre très-chère et bien-aimée épouse, et à celui de
notre cher et bien-aimé fils.

4. Notre grand-maréchal, faisant fonctions de major-général de la grande
armée, est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication
du présent décret.

NAPOLÉON.



Paris, 26 mars 1815.

_Réponse de Napoléon à une adresse de ses ministres._

Les sentimens que vous m'exprimez sont les miens. _Tout à la nation et
tout pour la France!_ voilà ma devise.

Moi et ma famille, que ce grand peuple a élevés sur le trône des
Français, et qu'il y a maintenus malgré les vicissitudes et les tempêtes
politiques, nous ne voulons, nous ne devons, et nous ne pouvons jamais
réclamer d'autres titres.



_Réponse de Napoléon à une adresse du conseil d'état._

Les princes sont les premiers citoyens de l'état. Leur autorité est plus
ou moins étendue, selon l'intérêt des nations qu'ils gouvernent. La
souveraineté elle-même n'est héréditaire que parce que l'intérêt des
peuples l'exige. Hors de ces principes, je ne connais pas de légitimité.

J'ai renoncé aux idées du grand empire, dont depuis quinze ans
je n'avais encore que posé les bases. Désormais le bonheur et la
consolidation de l'empire français seront l'objet de toutes mes pensées.



_Réponse de Napoléon à une adresse de la cour de cassation._

Dans les premiers âges de la monarchie française, des peuplades
guerrières s'emparèrent des Gaules. La souveraineté, sans doute, ne
fut pas organisée dans l'intérêt des Gaulois, qui furent esclaves ou
n'eurent aucuns droits politiques; mais elle le fut dans l'intérêt de la
peuplade conquérante. Il n'a donc jamais été vrai de dire, dans aucune
période de l'histoire, dans aucune nation, même en Orient, que les
peuples existassent pour les rois; partout il a été consacré que les
rois n'existaient que pour les peuples. Une dynastie, _créée_ dans
les circonstances qui ont _créé_ tant de nouveaux _intérêts_, ayant
_intérêt_ au maintien de tous les droits et de toutes les propriétés,
peut seule être naturelle et légitime, et avoir la confiance et la
force, ces deux premiers caractères de tout gouvernement.



_Réponse de Napoléon à une adresse de la cour des comptes._

Ce qui distingue spécialement le trône impérial, c'est qu'il est élevé
par la nation, qu'il est par conséquent _naturel_, et qu'il garantit
tous les intérêts: c'est là le vrai caractère de la légitimité.
L'intérêt impérial est de consolider tout ce qui existe et tout ce qui
a été fait en France dans vingt-cinq années de révolution; il comprend
tous les intérêts, et surtout l'intérêt de la gloire et de la nation,
qui n'est pas le moindre de tous.



_Réponse de Napoléon à une adresse de la cour impériale de Paris._

Tout ce qui est revenu avec les armées étrangères, tout ce qui a été
fait sans consulter la nation est nul. Les cours de Grenoble et de Lyon,
et tous les tribunaux de l'ordre judiciaire que j'ai rencontrés, lorsque
le succès des événemens était encore incertain, m'ont montré que ces
principes étaient gravés dans le coeur de tous les Français.



_Réponse de Napoléon à une adresse du conseil municipal de la ville de
Paris._

J'agrée les sentimens de ma bonne ville de Paris. J'ai mis du prix à
entrer dans ces murs à l'époque anniversaire du jour où, il y a quatre
ans, tout le peuple de cette capitale me donna des témoignages si
touchans de l'intérêt qu'il portait aux affections qui sont le plus près
de mon coeur. J'ai dû pour cela devancer mon armée, et venir seul me
confier à cette garde nationale que j'ai créée, et qui a si parfaitement
atteint le but de sa création. J'ambitionne de m'en conserver à moi-même
le commandement. J'ai ordonné la cessation des grands travaux de
Versailles, dans l'intention de faire tout ce que les circonstances
permettront pour achever les établissemens commencés à Paris, qui doit
être constamment le lieu de ma demeure et la capitale de l'empire; dans
des temps plus tranquilles, j'achèverai Versailles, ce beau monument des
arts, mais devenu aujourd'hui un objet accessoire. Remerciez en mon nom
le peuple de Paris de tous les témoignages d'affection qu'il me donne.



Au palais des Tuileries, le 25 mars 1815.

_Décrets impériaux._

Napoléon, empereur des Français, etc., etc., etc.

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. Les biens rendus aux émigrés par le dernier gouvernement
depuis le 1er avril 1814, et qu'ils auraient aliénés en forme légale et
authentique avant nos décrets du 13 du présent mois, ne sont pas compris
dans les mesures de séquestres ordonnées par lesdits décrets, sauf aux
agens de l'enregistrement à poursuivre, sur les tiers-acquéreurs, le
paiement de ce qui pourra être dû sur le prix des aliénations.

2. Si quelques-unes de ces aliénations, bien qu'antérieures à nos
décrets du 13 mars présent mois, portaient le caractère de la fraude
et de la simulation, la régie de l'enregistrement devra en poursuivre
l'annulation devant les tribunaux ordinaires, après avoir rassemblé tous
les documens propres à établir la fraude.

3. Les ventes faites par les émigrés désignés aux articles précédens,
depuis nos décrets du 13 mars, sont déclarées nulles, sauf aux
acquéreurs à prouver devant nos tribunaux qu'elles ont été faites de
bonne foi.

4. Les biens que des émigrés rentrés avec la famille des Bourbons
auraient acquis depuis le 1er avril 1814 ne seront point soumis au
séquestre. Néanmoins, lesdit émigrés seront tenus de vendre, ou mettre
hors de leurs mains ces biens, dans le délai de deux ans.

5. Nos décrets du 13 mars, présent mois, seront exécutés dans le surplus
de leurs dispositions non contraires aux présentes.



Au palais des Tuileries, le 11 avril 1815.

_Au général Grouchy._

«Monsieur le comte Grouchy, l'ordonnance du roi en date du 6 mars, et
la déclaration signée le 13 à Vienne par ses ministres, pouvaient
m'autoriser à traiter le duc d'Angoulême comme cette ordonnance et cette
déclaration voulaient qu'on traitât moi et ma famille; mais constant
dans les dispositions qui m'avaient porté à ordonner que les membres
de la famille des Bourbons pussent sortir librement de France, mon
intention est que vous donniez les ordres pour que le duc d'Angoulême
soit conduit à Cette, où il sera embarqué, et que vous veilliez à sa
sûreté et à écarter de lui tout mauvais traitement. Vous aurez soin
seulement de retirer les fonds qui ont été enlevés des caisses
publiques, et de demander au duc d'Angoulême qu'il s'oblige à la
restitution des diamans de la couronne qui sont la propriété de la
nation. Vous lui ferez connaître en même temps les dispositions des lois
des assemblées nationales, qui ont été renouvelées, et qui s'appliquent
aux membres de la famille des Bourbons qui entreraient sur le territoire
français. Vous remercierez en mon nom les gardes nationales du
patriotisme et du zèle qu'elles ont fait éclater et de l'attachement
qu'elles m'ont montré dans ces circonstances importantes.»

NAPOLÉON.



Paris, le 22 avril 1815.

_Acte additionnel aux constitutions de l'empire._

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
Français, à tous présens et à venir, salut.

Depuis que nous avons été appelés, il y a quinze années, par le voeu
de la France, au gouvernement de l'état, nous avons cherché á
perfectionner, à diverses époques, les formes constitutionnelles,
suivant les besoins et les désirs de la nation, et en profitant des
leçons de l'expérience. Les constitutions de l'empire se sont ainsi
formées d'une série d'actes qui ont été revêtus de l'acceptation
du peuple. Nous avions alors pour but d'organiser un grand système
fédératif européen, que nous avions adopté comme conforme à l'esprit du
siècle, et favorable aux progrès de la civilisation. Pour parvenir à le
compléter et à lui donner toute l'étendue et toute la stabilité dont
il était susceptible, nous avions ajourné l'établissement de plusieurs
institutions intérieures, plus spécialement destinées à protéger la
liberté des citoyens. Notre but n'est plus désormais que d'accroître la
prospérité de la France par l'affermissement de la liberté publique. De
là résulte la nécessité de plusieurs modifications importantes dans
les constitutions, sénatus-consultes et autres actes qui régissent cet
empire. A ces causes, voulant, d'un côté, conserver du passé ce qu'il
y a de bon et de salutaire, et de l'autre, rendre les constitutions de
notre empire conformes en tout aux voeux et aux besoins nationaux, ainsi
qu'à l'état de paix que nous désirons maintenir avec l'Europe, nous
avons résolu de proposer au peuple une suite de dispositions tendantes
à modifier et perfectionner ses actes constitutionnels, à entourer les
droits des citoyens de toutes leurs garanties, à donner au système
représentatif toute son extension, à investir les corps intermédiaires
de la considération et du pouvoir désirables, en un mot, à combiner le
plus haut point de liberté publique et de sûreté individuelle avec
la force et la neutralisation nécessaire pour faire respecter par
l'étranger l'indépendance du peuple français, et la dignité de notre
couronne. En conséquence, les articles suivans, formant un acte
supplémentaire aux constitutions de l'empire, seront soumis à
l'acceptation libre et solennelle de tous les citoyens, dans l'étendue
de la France.

Titre 1er--_Dispositions générales._

Art 1er. Les constitutions de l'empire, nommément l'acte constitutionnel
du 23 frimaire an 8, les sénatus-consultes des 14 et 16 thermidor an 10,
et celui du 28 floréal an 12, seront modifiés par les dispositions qui
suivent. Toutes les autres dispositions sont confirmées et maintenues.

2. Le pouvoir législatif est exercé par l'empereur et deux chambres.

3. La première chambre, nommée chambre des pairs, est héréditaire.

4. L'empereur en nomme les membres, qui sont irrévocables, eux et leurs
descendans mâles, d'aîné en aîné en ligne directe. Le nombre des pairs
est illimité. L'adoption ne transmet point la dignité de pair à celui
qui en est l'objet. Les pairs prennent séance à vingt-un ans, mais n'ont
voix délibérative qu'à vingt-cinq.

5. La chambre des pairs est présidée par l'archi-chancelier de l'empire,
ou, dans le cas prévu par l'article 51 du sénatus-consulte du 18 floréal
an 12, par un des membres de cette chambre désigné spécialement par
l'empereur.

6. Les membres de la famille impériale, dans l'ordre de l'hérédité, sont
pairs de droit. Ils siègent après le président. Ils prennent séance à
dix-huit ans, mais n'ont voix délibérative qu'à vingt-un.

7. La seconde chambre, nommée chambre des représentans, est élue par le
peuple.

8. Les membres de cette chambre sont au nombre de six cent vingt-neuf.
Ils doivent être âgés de vingt-cinq ans au moins.

9. Le président de la chambre des représentans est nommé par la chambre,
à l'ouverture de la première session. Il reste en fonctions jusqu'au
renouvellement de la chambre. Sa nomination est soumise à l'approbation
de l'empereur.

10. La chambre des représentans vérifie les pouvoirs de ses membres et
prononce sur la validité des élections contestées.

11. Les membres de la chambre des représentans reçoivent, pour frais
de voyage, et durant la session, l'indemnité décrétée par l'assemblée
constituante.

12. Ils sont indéfiniment rééligibles.

13. La chambre des représentans est renouvelée de droit en entier tous
les cinq ans.

14. Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut être arrêté,
sauf le cas de flagrant délit, ni poursuivi en matière criminelle ou
correctionnelle, pendant les sessions, qu'en vertu d'une résolution de
la chambre dont il fait partie.

15. Aucun ne peut être arrêté ni détenu pour dettes, à partir de la
convocation, ni quarante jours après la session.

16. Les pairs sont jugés par leur chambre, en matière criminelle ou
correctionnelle, dans les formes qui seront réglées par la loi.

17. La qualité de pair et de représentant est compatible avec toutes
fonctions publiques, hors celles de comptables. Toutefois les préfets
et sous-préfets ne sont pas éligibles par le collège électoral du
département ou de l'arrondissement qu'ils administrent.

18. L'empereur envoie dans les chambres des ministres d'état et des
conseillers d'état qui y siègent et prennent part aux discussions, mais
qui n'ont voix délibérative que dans le cas où ils sont membres de la
chambre comme pair ou élu du peuple.

19. Les ministres qui sont membres de la chambre des pairs ou de celle
des représentans, ou qui siègent par mission du gouvernement, donnent
aux chambres les éclaircissemens qui sont jugés nécessaires, quand leur
publicité ne compromet pas l'intérêt de l'état.

20. Les séances des deux chambres sont publiques. Elles peuvent
néanmoins se former en comité secret; la chambre des pairs, sur la
demande de dix membres, celle des représentans sur la demande de
vingt-cinq. Le gouvernement peut également requérir des comités secrets
pour des communications à faire. Dans tous les cas, les délibérations et
les votes ne peuvent avoir lieu qu'en séance publique.

21. L'empereur peut proroger, ajourner et dissoudre la chambre des
représentans. La proclamation qui prononce la dissolution, convoque les
collèges électoraux pour une élection nouvelle, et indique la réunion
des représentans dans six mois au plus tard.

22. Durant l'intervalle des sessions de la chambre des représentans, ou
en cas de dissolution de cette chambre, la chambre des pairs ne peut
s'assembler.

23. Le gouvernement a la proposition de la loi; les chambres peuvent
proposer des amendemens. Si ces amendemens ne sont pas adoptés par
le gouvernement, les chambres sont tenues de voter sur la loi, telle
qu'elle a été proposée.

24. Les chambres ont la faculté d'inviter le gouvernement à proposer une
loi sur un objet déterminé, et de rédiger ce qui leur paraît convenable
d'insérer dans la loi. Cette demande peut être faite par chacune des
deux chambres.

25. Lorsqu'une rédaction est adoptée dans l'une des deux chambres, elle
est portée à l'autre, et si elle y est approuvée, elle est portée à
l'empereur.

26. Aucun discours écrit, excepté les rapports des commissions, les
rapports des ministres sur les lois qui sont présentées et les comptes
qui sont rendus, ne peut être lu dans l'une ou l'autre des chambres.

Titre II.--_Des collèges électoraux et du mode d'élection._

27. Les collèges électoraux de département et d'arrondissement sont
maintenus, conformément au sénatus-consulte du 16 thermidor an 10, sauf
les modifications qui suivent.

28. Les assemblées de canton rempliront chaque année, par des élections
annuelles, toutes les vacances dans les collèges électoraux.

29. A dater de l'an 1816, un membre de la chambre des pairs, désigné
par l'empereur, sera président à vie et inamovible de chaque collège
électoral de département.

30. A dater de la même époque, le collège électoral de chaque
département nommera, parmi les membres de chaque collège
d'arrondissement, le président et deux vice-prèsidens. A cet effet,
l'assemblée du collège de département précédera de quinze jours celle du
collège d'arrondissement.

31. Les collèges de département et d'arrondissement nommeront le nombre
de représentans établi pour chacun par l'acte et le tableau.

32. Les représentans peuvent être choisis indifféremment dans
toute l'étendue de la France. Chaque collége de département ou
d'arrondissement qui choisira un représentant hors du département ou de
l'arrondissement, nommera un suppléant qui sera pris nécessairement dans
le département ou l'arrondissement.

33. L'industrie et la propriété manufacturière et commerciale auront
une représentation spéciale. L'élection des représentans commerciaux et
manufacturiers sera faite par le collége électoral de département,
sur une liste d'éligibles dressée par les chambres de commerce et les
chambres consultatives réunies suivant l'acte et le tableau.

Titre III.--_De la loi de l'impôt._

34. L'impôt général direct, soit foncier, soit mobilier, n'est voté
que pour un an; les impôts indirects peuvent être votés pour plusieurs
années.

Dans le cas de la dissolution de la chambre des représentans, les
impositions votées dans la session précédente sont continuées jusqu'à la
nouvelle réunion de la chambre.

35. Aucun impôt direct ou indirect en argent ou en nature ne peut être
perçu, aucun emprunt ne peut avoir lieu, aucune inscription de créance
au grand-livre de la dette publique ne peut être faite, aucun domaine ne
peut être aliéné ni échangé, aucune levée d'hommes pour l'armée ne peut
être ordonnée, aucune portion du territoire ne peut être échangée qu'en
vertu d'une loi.

36. Toute proposition d'impôt, d'emprunt ou de levée d'hommes, ne peut
être faite qu'à la chambre des représentans.

37. C'est aussi à la chambre des représentans qu'est porté d'abord,
1º budget général de l'état, contenant l'aperçu des recettes et la
proposition des fonds assignés pour l'année à chaque département du
ministère; 2º le compte des recettes et dépenses de l'année ou des
années précédentes.

Titre IV.--_Des ministres et de la responsabilité._

38. Tous les actes du gouvernement doivent être contre-signés par un
ministre ayant département.

39. Les ministres sont responsables des actes du gouvernement signés par
eux, ainsi que de l'exécution des lois.

40. Ils peuvent être accusés par la chambre des représentans, et sont
jugés par celle des pairs.

41. Tout ministre, tout commandant d'armée de terre ou de mer peut être
accusé par la chambre des représentans, et jugé par la chambre des
pairs, pour avoir compromis la sûreté ou l'honneur de la nation.

42. La chambre des pairs, en ce cas, exerce, soit pour caractériser le
délit, soit pour infliger la peine, un pouvoir discrétionnaire.

43. Avant de prononcer la mise en accusation d'un ministre, la chambre
des représentans doit déclarer qu'il y a lieu à examiner la proposition
d'accusation.

44. Cette déclaration ne peut se faire qu'après le rapport d'une
commission de soixante membres tirés au sort. Cette commission ne fait
son rapport que dix jours au plus tôt après sa nomination.

45. Quand la chambre a déclaré qu'il a lieu à examen, elle peut appeler
le ministre dans son sein pour lui demander des explications. Cet appel
ne peut avoir lieu que dix jours après le rapport de la commission.

46. Dans tout autre cas, les ministres ayant département ne peuvent être
appelés ni mandés par les chambres.

47. Lorsque la chambre des représentans a déclaré qu'il y a lieu à
examen contre un ministre, il est formé une nouvelle commission de
soixante membres tirés au sort, comme la première, et il est fait, par
cette commission, un nouveau rapport sur la mise en accusation. Cette
commission ne fait son rapport que dix jours après sa nomination.

48. La mise en accusation ne peut être prononcée que dix jours après la
lecture et la distribution du rapport.

49. L'accusation étant prononcée, la chambre des représentans nomme cinq
commissaires pris dans son sein, pour poursuivre l'accusation devant la
chambre des pairs.

50. L'article 75 du titre VIII de l'acte constitutionnel du 22 frimaire
an 8, portant que les agens du gouvernement ne peuvent être poursuivis
qu'en vertu d'une décision du conseil-d'état, sera modifié par une loi.

Titre V.--_Du pouvoir judiciaire._

51. L'empereur nomme tous les juges. Ils sont inamovibles et à vie, dès
l'instant de leur nomination, sauf la nomination des juges de paix et
des juges de commerce, qui aura lieu comme par le passé.

Les juges actuels nommés par l'empereur aux termes du sénatus-consulte
du 12 octobre 1807, et qu'il jugera convenable de conserver, recevront
des provisions à vie avant le 1er janvier prochain.

52. L'institution des jurés est maintenue.

53. Les débats en matière criminelle sont publics.

54. Les délits militaires seuls sont du ressort des tribunaux
militaires.

55. Tous les autres délits, même commis par les militaires, sont de la
compétence des tribunaux civils.

56. Tous les crimes et délits qui étaient attribués à la haute cour
impériale, et dont le jugement n'est pas réservé par le présent acte à
la chambre des pairs, seront portés devant les tribunaux ordinaires.

67. L'empereur a le droit de faire grâce, même en matière
correctionnelle, et d'accorder des amnisties.

58. Les interprétations des lois demandées par la cour de cassation,
seront données dans la forme d'une loi.

Titre VI--_Droit des citoyens._

59. Les Français sont égaux devant la loi, soit pour la contribution aux
impôts et charges publiques, soit pour l'admission aux emplois civils et
militaires.

60. Nul ne peut, sous aucun prétexte, être distrait des juges qui lui
sont assignés par la loi.

61. Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu, ni exilé que dans les
cas prévus par la loi et suivant les formes prescrites.

62. La liberté des cultes est garantie à tous.

63. Toutes les propriétés possédées ou acquises en vertu des lois, et
toutes les créances sur l'état, sont inviolables.

64. Tout citoyen a le droit d'imprimer et de publier ses pensées, en les
signant, sans aucune censure préalable, sauf la responsabilité légale,
après la publication, par jugement par jurés, quand même il n'y aurait
lieu qu'à l'application d'une peine correctionnelle.

65. Le droit de pétition est assuré à tous les citoyens. Toute pétition
est individuelle. Les pétitions peuvent être adressées, soit au
gouvernement, soit aux deux chambres: néanmoins, ces dernières mêmes
doivent porter l'intitulé: à S. M. l'Empereur. Elles seront présentées
aux chambres sous la garantie d'un membre qui recommande la pétition.
Elles sont lues publiquement, et si la chambre les prend en
considération, elles sont portées à l'Empereur par le président.

66. Aucune place, aucune partie du territoire ne peut être déclarée
en état de siége que dans le cas d'invasion de la part d'une force
étrangère, ou de troubles civils. Dans le premier cas, la déclaration
est faite par un acte du gouvernement. Dans le second cas, elle ne peut
l'être que par la loi. Toutefois, si, le cas arrivant, les chambres ne
sont pas assemblées, l'acte du gouvernement déclarant l'état de siége
doit être converti en une proposition de loi, dans les quinze premiers
jours de la réunion des chambres.

67. Le peuple français déclare en outre que, dans la délégation qu'il a
faite et qu'il fait de ses pouvoirs, il n'a pas entendu et n'entend pas
donner le droit de proposer le rétablissement des Bourbons ou d'aucun
prince de cette famille sur le trône, même en cas d'extinction de la
dynastie impériale, ni le droit de rétablir, soit l'ancienne noblesse
féodale, soit les droits féodaux et seigneuriaux, soit les dîmes, soit
aucun culte privilégié et dominant, ni la faculté de porter aucune
atteinte à l'irrévocabilité de la vente des domaines nationaux; il
interdit formellement au gouvernement, aux chambres et aux citoyens,
toute proposition à cet égard.



Paris, 30 avril 1815.

_Décret._

En convoquant les électeurs des collèges en assemblée du Champ-de-Mai,
nous comptions constituer chaque assemblée électorale de département en
bureaux séparés, composer ensuite une commission commune à toutes, et,
dans l'espace de quelques mois, arriver au grand but, objet de nos
pensées.

Nous croyions alors en avoir le temps et le loisir, puisque notre
intention étant de maintenir la paix avec nos voisins, nous étions
résigné à souscrire à tous les sacrifices qui déjà avaient pesé sur la
France.

La guerre civile du midi à peine terminée, nous acquîmes la certitude
des dispositions hostiles des puissances étrangères, et dès-lors il
fallut prévoir la guerre, et s'y préparer.

Dans ces nouvelles occurrences, nous n'avions que l'alternative
de prolonger la dictature dont nous nous trouvons investi par les
circonstances et par la confiance du peuple, où d'abréger les formes
que nous nous étions proposé de suivre pour la rédaction de l'acte
constitutionnel. L'intérêt de la France nous a prescrit d'adopter ce
second parti. Nous avons présenté à l'acceptation du peuple un acte qui
à la fois garantit ses libertés et ses droits, et met la monarchie à
l'abri de tout danger de subversion. Cet acte détermine le mode de la
formation de la loi, et dès-lors contient en lui-même le principe
de toute amélioration qui serait conforme aux voeux de la nation,
interdisant cependant toute discussion sur un certain nombre de points
fondamentaux déterminés qui sont irrévocablement fixés.

Nous aurions voulu aussi attendre l'acceptation du peuple avant
d'ordonner la réunion des collèges, et de faire procéder à la nomination
des députés; mais également maîtrisé par les circonstances, le plus
haut intérêt de l'état nous fait la loi de nous environner, le plus
promptement possible, des corps nationaux.

A ces causes, nous avons décrété et décrétons ce qui suit:

Art. 1er. Quatre jours après la publication du présent décret au
chef-lieu du département, les électeurs des collèges de département et
d'arrondissement se réuniront en assemblées électorales au chef-lieu
de chaque département et de chaque arrondissement; le préfet pour le
département, les sous-préfets pour les arrondissemens, indiqueront le
jour précis, l'heure et le lieu de l'assemblée, par des circulaires et
par une proclamation qui sera répandue avec la plus grande célérité dans
tous les cantons et communes.

2. Pour cette année, à l'ouverture de l'assemblée, le plus ancien d'âge
présidera, le plus jeune fera les fonctions de secrétaire, les trois
plus âgés après le président seront scrutateurs. Chaque assemblée ainsi
organisée provisoirement nommera son président; elle nommera aussi deux
secrétaires et trois scrutateurs; ces choix se feront à la majorité
absolue.

3. On procédera ensuite aux élections des députés à la chambre des
représentans, conformément à l'acte envoyé pour être présenté à
l'acceptation du peuple, et inséré au Bulletin des lois, nº 19, le 22
avril présent mois.

4. Les préfets des villes, chefs-lieux d'arrondissemens commerciaux,
convoqueront, à la réception du présent, la chambre de commerce et les
chambres consultatives pour faire former les listes de candidats sur
lesquelles les représentans de l'industrie commerciale et manufacturière
doivent être élus par les collèges électoraux, appelés à les nommer,
conformément à l'acte joint à celui énoncé en l'article précédent.

5. Les députés nommés par les assemblées électorales se rendront à Paris
pour assister à l'assemblée du Champ-de-Mai, et pouvoir composer la
chambre des représentans, que nous nous proposons de convoquer après la
proclamation de *de l'acceptation de l'acte constitutionnel.

NAPOLÉON.



Paris, 24 mai 1815.

_Réponse de l'empereur à une députation des fédérés de Paris._

Soldats fédérés des faubourgs St.-Antoine et St.-Marceau,

Je suis revenu seul, parce que je comptais sur le peuple des villes, les
habitans des campagnes et les soldats de l'armée, dont je connaissais
l'attachement à l'honneur national. Vous avez tous justifié ma
confiance. J'accepte votre offre. Je vous donnerai des armes; je vous
donnerai pour vous guider des officiers couverts d'honorables blessures
et accoutumés à voir fuir l'ennemi devant eux. Vos bras robustes et
faits aux pénibles travaux, sont plus propres que tous autres au
maniement des armes. Quant au courage, vous êtes Français; vous serez
les éclaireurs de la garde nationale. Je serai sans inquiétude pour la
capitale, lorsque la garde nationale et vous vous serez chargés de sa
défense; et s'il est vrai que les étrangers persistent dans le projet
impie d'attenter à notre indépendance et à notre honneur, je pourrai
profiter de la victoire sans être arrêté par aucune sollicitude.

Soldats fédérés, s'il est des hommes dans les hautes classes de la
société, qui aient déshonoré le nom français, l'amour de la patrie et
le sentiment d'honneur national se sont conservés tout entiers dans le
peuple des villes, les habitans des campagnes et les soldats de l'armée.
Je suis content de vous voir. J'ai confiance en vous: _Vive la Nation!_



Paris, 1er juin 1815.

_Discours de l'empereur au Champ-de-Mai._

Messieurs les électeurs des collèges de département et d'arrondissement,

Messieurs les députés de l'armée de terre et de mer au Champ-de-Mai,

Empereur, consul, soldat, je tiens tout du peuple. Dans la prospérité,
dans l'adversité, sur le champ de bataille, au conseil, sur le trône,
dans l'exil, la France a été l'objet unique et constant de mes pensées
et de mes actions.

Comme ce roi d'Athènes, je me suis sacrifié pour mon peuple dans
l'espoir de voir se réaliser la promesse donnée de conserver à la France
son intégrité naturelle, ses honneurs et ses droits.

L'indignation de voir ces droits sacrés, acquis par vingt-cinq années
de victoires, méconnus et perdus à jamais, le cri de l'honneur français
flétri, les voeux de la nation m'ont ramené sur ce trône qui m'est cher
parce qu'il est le _palladium_ de l'indépendance, de l'honneur et des
droits du peuple.

Français, en traversant au milieu de l'allégresse publique les diverses
provinces de l'empire pour arriver dans ma capitale, j'ai dû compter
sur une longue paix; les nations sont liées par les traités conclus par
leurs gouvernemens, quels qu'ils soient.

Ma pensée se portait alors toute entière sur les moyens de fonder notre
liberté par une constitution conforme à la volonté et à l'intérêt du
peuple. J'ai convoqué le Champ-de-Mai.

Je ne tardai pas à apprendre que les princes qui ont méconnu tous les
principes, froissé l'opinion et les plus chers intérêts de tant de
peuples, veulent nous faire la guerre. Ils méditent d'accroître le
royaume des Pays-Bas, de lui donner pour barrières toutes nos places
frontières du nord, et de concilier les différens qui les divisent
encore, en se partageant la Lorraine et l'Alsace.

Il a fallu se préparer à la guerre.

Cependant, devant courir personnellement les hasards des combats, ma
première sollicitude a dû être de constituer sans retard la nation. Le
peuple a accepté l'acte que je lui ai présenté.

Français, lorsque nous aurons repoussé ces injustes agressions, et que
l'Europe sera convaincue de ce qu'on doit aux droits et à l'indépendance
de vingt-huit millions de Français, une loi solennelle, faite dans les
formes voulues par l'acte constitutionnel, réunira les différentes
dispositions de nos constitutions aujourd'hui éparses.

Français, vous allez retourner dans vos départemens. Dites aux citoyens
que les circonstances sont grandes!!! Qu'avec de l'union, de l'énergie
et de la persévérance, nous sortirons victorieux de cette lutte d'un
grand peuple contre ses oppresseurs; que les générations à venir
scruteront sévèrement notre conduite; qu'une nation a tout perdu quand
elle a perdu l'indépendance. Dites-leur que les rois étrangers que j'ai
élevés sur le trône, ou qui me doivent la conservation de leur couronne,
qui, tous, au temps de ma prospérité, ont brigué mon alliance et la
protection du peuple français, dirigent aujourd'hui tous leurs coups
contre ma personne. Si je ne voyais que c'est à la patrie qu'ils en
veulent, je mettrais à leur merci cette existence contre laquelle ils se
montrent si acharnés. Mais dites aussi aux citoyens, que tant que les
Français me conserveront les sentimens d'amour dont ils me donnent tant
de preuves, cette rage de nos ennemis sera impuissante.

Français, ma volonté est celle du peuple; mes droits sont les siens; mon
honneur, ma gloire, mon bonheur, ne peuvent être autres que l'honneur,
la gloire et le bonheur de la France.



Paris, 7 juin 1815.

_Discours de l'empereur à l'ouverture de la chambre des représentans._

Messieurs de la chambre des pairs et de la chambre des représentans,
depuis trois mois les circonstances et la confiance du peuple m'ont
investi d'un pouvoir illimité, et je viens aujourd'hui remplir le
premier désir et le besoin le plus pressant de mon coeur en ouvrant
votre session et en commençant ainsi la monarchie constitutionnelle.

Les hommes sont impuissans pour fixer les destinées des nations; ce
n'est que par des institutions sages que leur prospérité peut être
établie sur des bases solides. La monarchie est nécessaire à la France
pour assurer sa liberté et son indépendance. Nos constitutions sont
encore éparses, et un de nos premiers soins sera de les réunir et d'en
coordonner les différentes parties en un seul corps de loi. Ce travail
recommandera l'époque actuelle à la postérité. J'ambitionne de voir la
France jouir de toute la liberté possible, je dis possible, parce que
l'anarchie conduit les peuples au despotisme.

Une coalition formidable d'empereurs et de rois en veut à notre
indépendance; la frégate _la Melpomène_ a été prise, après un combat
sanglant, par un vaisseau anglais de 74; ainsi le sang a coulé pendant
la paix. Nos ennemis comptent sur nos dissensions intestines, et
cherchent à en profiter; on communique aujourd'hui avec Gand comme on
communiquait en 1789 avec Coblentz.

Des mesures législatives seront nécessaires pour réprimer ces complots;
je confie à vos lumières et à votre patriotisme les destinées de
la France et la sûreté de ma personne. La liberté de la presse est
inhérente à nos institutions; on n'y peut rien changer sans porter
atteinte à la liberté civile, mais des lois sages seront nécessaires
pour en prévenir les abus: je recommande à votre attention cet objet
important.

Mes ministres vous feront connaître successivement la situation de nos
affaires: nos finances offriraient de plus grandes ressources sans les
sacrifices indispensables qu'ont exigés les circonstances, et si les
sommes portées dans le budget rentraient aux époques déterminées. Il
est possible que le premier devoir des princes m'appelle à la tête des
enfans de la patrie. L'armée et moi nous ferons notre devoir. Vous,
pairs, et vous, représentans, secondez nos efforts en entretenant la
confiance par votre attachement au prince et à la patrie, et la cause
sainte du peuple triomphera. Paris, 11 juin 1815.



_Réponse de l'empereur à une députation de la chambre des pairs._

Monsieur le président et messieurs les députés de la chambre des pairs,

La lutte dans laquelle nous sommes engagés est sérieuse. L'entraînement
de la prospérité n'est pas le danger qui nous menace aujourd'hui. C'est
sous les Fourches Caudines que les étrangers veulent nous faire passer!

La justice de notre cause, l'esprit public de la nation et le courage de
l'armée, sont de puissans motifs pour espérer des succès; mais si nous
avions des revers, c'est alors surtout que j'aimerais à voir déployer
toute l'énergie de ce grand peuple; c'est alors que je trouverais dans
la chambre des pairs des preuves d'attachement à la patrie et à moi.

C'est dans les temps difficiles que les grandes nations, comme les
grands hommes, déploient toute l'énergie de leur caractère, et
deviennent un objet d'admiration pour la postérité.

Monsieur le président et messieurs les députés de la chambre des pairs,
je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez au nom de la chambre.



Paris, 11 juin 1815.

_Réponse de l'empereur à une députation de la chambre des représentans._

Monsieur le président et messieurs les députés de la chambre des
représentans,

Je retrouve avec satisfaction mes propres sentimens dans ceux que vous
m'exprimez. Dans ces graves circonstances, ma pensée est absorbée par la
guerre imminente, au succès de laquelle sont attachés l'indépendance et
l'honneur de la France.

Je partirai cette nuit pour me rendre à la tête de mes armées;
les mouvemens des différens corps ennemis y rendent ma présence
indispensable. Pendant mon absence, je verrais avec plaisir qu'une
commission nommée par chaque chambre méditât sur nos constitutions.

La constitution est notre point de ralliement; elle doit être notre
étoile polaire dans ces momens d'orage. Toute discussion publique qui
tendrait à diminuer directement ou indirectement la confiance qu'on doit
avoir dans ses dispositions, serait un malheur pour l'état; nous nous
trouverions au milieu des écueils, sans boussole et sans direction.
La crise où nous sommes engagés est forte. N'imitons pas l'exemple du
Bas-Empire, qui, pressé de tous côtés par les Barbares, se rendit la
risée de la postérité en s'occupant de discussions abstraites, au moment
où le bélier brisait les portes de la ville.

Indépendamment des mesures législatives qu'exigent les circonstances
de l'intérieur, vous jugerez peut être utile de vous occuper des lois
organiques destinées à faire marcher la constitution. Elles peuvent être
l'objet de vos travaux publics sans avoir aucun inconvénient.

Monsieur le président et messieurs les députés de la chambre des
représentons, les sentimens exprimés dans votre adresse me démontrent
assez l'attachement de la chambre à ma personne, et tout le patriotisme
dont elle est animée. Dans toutes les affaires, ma marche sera toujours
droite et ferme. Aidez-moi à sauver la patrie. Premier représentant du
peuple, j'ai contracté l'obligation que je renouvelle, d'employer dans
des temps plus tranquilles toutes les prérogatives de la couronne et le
peu d'expérience que j'ai acquis, à vous seconder dans l'amélioration de
nos institutions.



Charleroy, le 15 juin, à neuf heures du soir.

NOUVELLES DE L'ARMÉE EN 1815.

_(Extrait du Moniteur.)_

L'armée a forcé la Sambre, pris Charleroy, et poussé des avant-gardes à
moitié chemin de Charleroy à Namur, et de Charleroy à Bruxelles. Nous
avons fait quinze cents prisonniers, et enlevé six pièces de canon.
Quatre régimens prussiens ont été écrasés. L'empereur a perdu peu de
monde, mais il a fait une perte qui lui est très-sensible, c'est celle
de son aide-de-camp, le général Letort, qui a été tué sur le plateau de
Fleurus, en commandant une charge de cavalerie.

L'enthousiasme des habitans de Charleroy, et de tous les pays que nous
traversons, ne peut se décrire.

Dès le 13, l'empereur était arrivé à Beaumont. Sur toute la route,
des arcs de triomphe étaient élevés dans toutes les villes, dans les
moindres villages. Le 14, S. M. avait passé l'armée en revue, et porté
son enthousiasme au comble par la proclamation suivante, datée d'Avesnes
le même jour.

Soldats,

C'est aujourd'hui l'anniversaire de Marengo et de Friedland, qui
décidèrent deux fois du destin de l'Europe. Alors, comme après
Austerlitz, comme après Wagram, nous fûmes trop généreux; nous crûmes
aux protestations et aux sermens des princes que nous laissâmes sur
le trône. Aujourd'hui cependant, coalisés entre eux, ils en veulent
à l'indépendance et aux droits les plus sacrés de la France. Ils ont
commencé la plus injuste des agressions; marchons à leur rencontre: eux
et nous, ne sommes-nous plus les mêmes hommes!

Soldats, à Jéna, contre ces mêmes Prussiens aujourd'hui si arrogans,
vous étiez un contre trois, et à Montmirail un contre six. Que ceux
d'entre vous qui ont été prisonniers des Anglais, vous fassent le récit
de leurs pontons et des maux affreux qu'ils y ont soufferts.

Les Saxons, les Belges, les Hanovriens, les soldats de la confédération
du Rhin gémissent d'être obligés de prêter leurs bras à la cause de
princes ennemis de la justice et des droits de tous les peuples. Ils
savent que cette coalition est insatiable. Après avoir dévoré douze
millions de Polonais, douze millions d'Italiens, un million de Saxons,
six millions de Belges, elle devra dévorer les états du second ordre de
l'Allemagne.

Les insensés! un moment de prospérité les aveugle; l'oppression et
l'humiliation du peuple français sont hors de leur pouvoir.

S'ils entrent en France, ils y trouveront leur tombeau.

Soldats, nous avons des marches forcées à faire, des batailles à livrer,
des périls à courir; mais, avec de la constance, la victoire sera à
nous; les droits de l'homme et le bonheur de la patrie seront reconquis.
Pour tout Français qui a du coeur, le moment est arrivé de vaincre ou de
périr.

NAPOLÉON.



Charleroi, le 15 juin au soir.

_(Extrait du Moniteur.)_

Le 14, l'armée était placée de la manière suivante.

Le quartier impérial à Beaumont.

Le premier corps, commandé par le général d'Erlon, était à Solre, sur la
Sambre.

Le deuxième corps, commandé par le général Reille, était à
Ham-sur-Heure.

Le troisième corps, commandé par le général Vandamme, était sur la
droite de Beaumont.

Le quatrième corps, commandé par le général Gérard, arrivait à
Philippeville.

Le 15, à trois heures du matin, le général Reille attaqua l'ennemi et
se porta sur Marchiennes-au-Pont. Il eût différens engagemens, dans
lesquels sa cavalerie chargea un bataillon prussien et fit trois cents
prisonniers.

A une heure du matin, l'empereur était à Jamignan-sur-Heure.

La division de cavalerie légère du général Daumont sabra deux bataillons
prussiens et fit quatre cents prisonniers.

Le général Pajol entra à Charleroi à midi. Les sapeurs et les marins
de la garde étaient à l'avant-garde, pour réparer les ponts. Ils
pénétrèrent les premiers en tirailleurs dans la ville.

Le général Clari, avec le premier de hussards, se porta sur Gosselines,
sur la route de Bruxelles, et le général Pajol sur Gilly, sur la roule
de Namur.

A trois heures après midi, le général Vandamme déboucha avec son corps
sur Gilly.

Le maréchal Grouchy arriva avec la cavalerie du général Excelmans.

L'ennemi occupait la gauche de la position de Fleurus; à cinq heures
après-midi, l'empereur ordonna l'attaque. La position fut tournée et
enlevée. Les quatre escadrons de service de la garde, commandés par le
général Letort, aide-de-camp de l'empereur, enfoncèrent trois carrés;
les vingt-sixième, vingt-septième et vingt-huitième régimens prussiens
furent mis en déroute. Nos escadrons sabrèrent quatre à cinq cents
hommes et firent cent cinquante prisonniers.

Pendant ce temps, le général Reille passait la Sambre à
Marchiennes-au-Pont, pour se porter sur Gosselies avec les divisions du
prince Jérôme et du général Bachelu, attaquait l'ennemi, lui faisait
deux cent cinquante prisonniers, et le poursuivait sur la route de
Bruxelles.

Nous devînmes ainsi maîtres de toute la position de Fleurus.

A huit heures du soir, l'empereur rentra à son quartier-général à
Charleroi.

Cette journée coûte à l'ennemi cinq pièces de canon et deux mille
hommes, dont mille prisonniers. Notre perte est de dix hommes tués et de
quatre-vingt blessés, la plupart des escadrons de service qui ont fait
les charges, et des trois escadrons du vingtième de dragons, qui ont
aussi chargé un carré avec la plus grande intrépidité. Notre perte,
légère quant au nombre, a été sensible à l'empereur, par la blessure
grave qu'a reçue le général Letort, son aide-de-camp, en chargeant à
la tête des escadrons de service. Cet officier est de la plus grande
distinction; il a été frappé d'une balle au bas-ventre, et le chirurgien
fait craindre que sa blessure ne soit mortelle.

Nous avons trouvé à Charleroi quelques magasins. La joie des Belges
ne saurait se décrire. Il y a des villages qui, à la vue de leurs
libérateurs, ont formé des danses, et partout c'est un élan qui part du
coeur.

Dans le rapport de l'état-major-général on insérera les noms des
officiers et soldats qui se sont distingués.

L'empereur a donné le commandement de la gauche au prince de la Moskowa,
qui a eu le soir son quartier-général aux Quatre-Chemins, sur la route
de Bruxelles.

Le duc de Trévise, à qui l'empereur avait donné le commandement de la
jeune garde, est resté à Beaumont, malade d'une sciatique qui l'a forcé
de se mettre au lit.

Le quatrième corps, commandé par le général Gérard, arrive ce soir au
Châtelet. Le général Gérard a rendu compte que le lieutenant-général
Bourmont, le colonel Clouet et le chef d'escadron Villoutreys ont passé
à l'ennemi.

Un lieutenant du onzième de chasseurs a également passé à l'ennemi.

Le major-général a ordonné que ces déserteurs fussent sur-le-champ jugés
conformément aux lois.

Rien ne peut peindre le bon esprit et l'ardeur de l'armée. Elle regarde
comme un événement heureux la désertion de ce petit nombre de traîtres
qui se démasquent ainsi.



Philippeville, le 19 juin 1815.

_(Extrait du Moniteur.)_

Le 17, à dix heures du soir, l'armée anglaise occupa Mont-Saint-Jean par
son centre, se trouva en position en avant de la forêt de Soignes: il
aurait fallu pouvoir disposer de trois heures pour l'attaquer, on fut
donc obligé de remettre au lendemain.

Le quartier-général de l'empereur fut établi à la ferme de Caillou près
Planchenois. La pluie tombait par torrens.

_Bataille de Mont-Saint-Jean._

A neuf heures du matin, la pluie ayant un peu diminué, le premier corps
se mit en mouvement, et se plaça, la gauche à la route de Bruxelles, et
vis-à-vis le village de Mont-Saint-Jean, qui paraissait le centre de la
position de l'ennemi. Le second corps appuya sa droite à la route de
Bruxelles, et sa gauche à un petit bois à portée de canon de l'armée
anglaise. Les cuirassiers se portèrent en réserve derrière, et la garde
en réserve sur les hauteurs. Le sixième corps avec la cavalerie du
général d'Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destiné à se
porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien
qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans
l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait
été connue par nos rapports, et par une lettre d'un général prussien,
que portait une ordonnance prise par nos coureurs.

Les troupes étaient pleines d'ardeur. On estimait les forces de l'armée
anglaise à quatre-vingt mille hommes; on supposait qu'un corps prussien
qui pouvait être en mesure vers le soir, pouvait être de quinze mille
hommes. Les forces ennemies étaient donc de plus de quatre-vingt-dix
mille hommes, les nôtres moins nombreuses.

A midi, tous les préparatifs étant terminés, le prince Jérôme,
commandant une division du deuxième corps, et destiné à en former
l'extrême gauche, se porta sur le bois dont l'ennemi occupait une
partie. La canonnade s'engagea; l'ennemi soutint par trente pièces de
canon les troupes qu'il avait envoyées pour garder le bois. Nous fîmes
aussi de notre côté des dispositions d'artillerie. A une heure, le
prince Jérôme fut maître de tout le bois, et toute l'armée anglaise se
replia derrière un rideau. Le comte d'Erlon attaqua alors le village de
Mont-Saint-Jean, et fit appuyer son attaque par quatre-vingts pièces
de canon. Il s'engagea là une épouvantable canonnade, qui dut beaucoup
faire souffrir l'armée anglaise. Tous les coups portaient sur le
plateau. Une brigade de la première division du comte d'Erlon s'empara
du village de Mont-Saint-Jean; une seconde brigade fut chargée par un
corps de cavalerie anglaise, qui lui fit éprouver beaucoup de perte. Au
même moment, une division de cavalerie anglaise chargea la batterie du
comte d'Erlon par sa droite, et désorganisa plusieurs pièces; mais les
cuirassiers du général Milbaud chargèrent cette division, dont trois
régimens furent rompus et écharpés.

Il était trois heures après midi. L'empereur fit avancer la garde pour
la placer dans la plaine, sur le terrain qu'avait occupé le premiers
corps au commencement de l'action, ce corps se trouvant déjà en avant.
La division prussienne, dont on avait prévu le mouvement, s'engagea
alors avec les tirailleurs du comte Lobau, en prolongeant son feu sur
tout notre flanc droit. 11 était convenable, avant de rien entreprendre
ailleurs, d'attendre l'issue qu'aurait cette attaque. A cet effet, tous
les moyens de la réserve étaient prêts à se porter au secours du comte
Lobau, et à écraser le corps prussien lorsqu'il se serait avancé.

Cela fait, l'empereur avait le projet de mener une attaque par le
village de Mont-Saint-Jean, dont on espérait un succès décisif; mais par
un mouvement d'impatience, si fréquent dans nos annales militaires,
et qui nous a été souvent si funeste, la cavalerie de réserve s'étant
aperçue d'un mouvement rétrograde que faisaient les Anglais pour se
mettre à l'abri de nos batteries, dont ils avaient déjà tant souffert,
couronna les hauteurs de Mont-Saint-Jean et chargea l'infanterie. Ce
mouvement, qui, fait à temps, et soutenu par les réserves, devait
décider de la journée, fait isolément et avant que les affaires de la
droite ne fussent terminées, devint funeste.

N'y ayant aucun moyen de le contremander, l'ennemi montrant beaucoup
de masses d'infanterie et de cavalerie, et les deux divisions de
cuirassiers étant engagées, toute notre cavalerie courut au même moment
pour soutenir ses camarades.

Là, pendant trois heures, se firent de nombreuses charges gui nous
valurent l'enfoncement de plusieurs carrés et six drapeaux de
l'infanterie anglaise, avantage hors de proportion avec les pertes
qu'éprouvait notre cavalerie par la mitraille et les fusillades.

Il était impossible de disposer de nos réserves d'infanterie jusqu'à ce
qu'on eût repoussé l'attaque de flanc du corps prussien. Cette attaque
se prolongeait toujours et perpendiculairement sur notre flanc droit;
l'empereur y envoya le général Duhesme avec la jeune garde et plusieurs
batteries de réserve. L'ennemi fut contenu, fut repoussé, et recula: il
avait épuisé ses forces, et l'on n'en avait plus rien à craindre. C'est
ce moment qui était celui indiqué pour une attaque sur le centre de
l'ennemi. Comme les cuirassiers souffraient par la mitraille, on envoya
quatre bataillons de la moyenne garde pour protéger les cuirassiers,
soutenir la position, et, si cela était possible, dégager et faire
reculer dans la plaine une partie de notre cavalerie.

On envoya deux autres bataillons pour se tenir en potence sur l'extrême
gauche de la division qui avait manoeuvré sur nos flancs, afin de
n'avoir de ce côté aucune inquiétude; le reste fut disposé en réserve,
partie pour occuper la potence en arrière de Mont-Saint-Jean, partie sur
le plateau en arrière du champ de bataille qui formait notre position en
retraite.

Dans cet état de choses, la bataille était gagnée; nous occupions toutes
les positions que l'ennemi occupait au commencement de l'action; notre
cavalerie ayant été trop tôt et mal employée, nous ne pouvions plus
espérer de succès décisifs. Mais le maréchal Grouchy ayant appris le
mouvement du corps prussien, marchait sur le derrière de ce corps, ce
qui nous assurait un succès éclatant pour la journée du lendemain. Après
huit heures de feu et de charges d'infanterie et de cavalerie, toute
l'armée voyait avec satisfaction la bataille gagnée et le champ de
bataille en notre pouvoir.

Sur les huit heures et demie, les quatre bataillons de la moyenne garde
qui avaient été envoyés sur le plateau au-delà de Mont-Saint-Jean pour
soutenir les cuirassiers, étant gênés par la mitraille, marchèrent à la
baïonnette pour enlever les batteries. Le jour finissait; une charge
faite sur leur flanc par plusieurs escadrons anglais les mit en
désordre; les fuyards repassèrent le ravin; les régimens voisins qui
virent quelques troupes appartenant à la garde à la débandade, crurent
que c'était de la vieille garde et s'ébranlèrent: les cris _tout
est perdu, la garde est repoussée_, se firent entendre; les soldats
prétendent même que sur plusieurs points, des malveillans apostés ont
crié _sauve qui peut!_ Quoi qu'il en soit, une terreur panique se
répandit tout à la fois sur tout le champ de bataille; on se précipita
dans le plus grand désordre sur la ligne de communication; les soldats,
les canonniers, les caissons se pressaient pour y arriver; la vieille
garde, qui était en réserve, en fut assaillie, et fut elle-même
entraînée.

Dans un instant, l'armée ne fut plus qu'une masse confuse; toutes les
armes étaient mêlées, et il était impossible de reformer un corps.
L'ennemi, qui s'aperçut de cette étonnante confusion, fit déboucher des
colonnes de cavalerie; le désordre augmenta; la confusion de la nuit
empêcha de rallier les troupes et de leur montrer leur erreur.

Ainsi une bataille terminée, une journée de fausses mesures réparées,
de plus grands succès assurés pour le lendemain, tout fut perdu par un
moment de terreur panique. Les escadrons même de service, rangés à côté
de l'empereur, furent culbutés et désorganisés par ces flots tumultueux,
et il n'y eut plus d'autre chose à faire que de suivre le torrent. Les
parcs de réserve, les bagages qui n'avaient point repassé la Sambre, et
tout ce qui était sur le champ de bataille sont restés au pouvoir de
l'ennemi. Il n'y a eu même aucun moyen d'attendre les troupes de
notre droite; on sait ce que c'est que la plus brave armée du monde,
lorsqu'elle est mêlée et que son organisation n'existe plus.

L'empereur a passé la Sambre à Charleroi le 19, à cinq heures du matin;
Philippeville et Avesne ont été donnés pour points de réunion. Le prince
Jérôme, le général Morand et les autres généraux y ont déjà rallié une
partie de l'armée. Le maréchal Grouchy, avec le corps de la droite,
opère son mouvement sur la Basse-Sambre.

La perte de l'ennemi doit avoir été très-grande, à en juger par les
drapeaux que nous lui avons pris, et par les pas rétrogrades qu'il
avait faits. La nôtre ne pourra se calculer qu'après le ralliement des
troupes. Avant que le désordre éclatât, nous avions déjà éprouvé des
pertes considérables, surtout dans notre cavalerie, si funestement et
pourtant si bravement engagée. Malgré ces pertes, cette valeureuse
cavalerie a constamment gardé la position qu'elle avait prise aux
Anglais, et ne l'a abandonnée que quand le tumulte et le désordre du
champ de bataille l'y ont forcée. Au milieu de la nuit et des obstacles
qui encombraient la route, elle n'a pu elle-même conserver son
organisation.

L'artillerie, comme à son ordinaire, s'est couverte de gloire. Les
voitures du quartier-général étaient restées dans leur position
ordinaire, aucun mouvement rétrograde n'ayant été jugé nécessaire. Dans
le cours de la nuit, elles sont tombées entre les mains de l'ennemi.

Telle a été l'issue de la bataille de Mont-Saint-Jean, glorieuse pour
les armées françaises, et pourtant si funeste.



Philipeville, 19 juin 1815.

_Extrait d'une lettre de l'empereur à son frère Joseph._

..... Tout n'est point perdu; je suppose qu'il me restera, en réunissant
mes forces, cent cinquante mille hommes. Les fédérés et les gardes
nationaux qui ont du coeur, me fourniront cent mille hommes; les
bataillons de dépôt cinquante mille. J'aurai donc trois cents mille
soldats à opposer de suite à l'ennemi; j'attellerai l'artillerie avec
des chevaux de luxe; je lèverai cent mille conscrits; je les armerai
avec les fusils des royalistes et des mauvaises gardes nationales;
je ferai lever en masse le Dauphiné, le Lyonnais, la Bourgogne, la
Lorraine, la Champagne; j'accablerai l'ennemi; mais il faut qu'on m'aide
et qu'on ne m'étourdisse point. Je vais à Laon; j'y trouverai sans doute
du monde. Je n'ai point entendu parler de Grouchy. S'il n'est point pris
(comme je le crains), je puis avoir dans trois jours cinquante mille
hommes; avec cela j'occuperai l'ennemi et je donnerai le temps à Paris
et à la France de faire leur devoir. Les Autrichiens marchent lentement;
les Prussiens craignent les paysans et n'osent pas trop s'avancer.
Tout peut se réparer encore; écrivez-moi l'effet que cette horrible
échauffourée aura produit dans la chambre. Je crois que les députés se
pénétreront que leur devoir, dans cette grande circonstance, est de
se réunir à moi pour sauver la France. Préparez-les à me seconder
dignement; surtout du courage et de la fermeté.

NAPOLÉON.



Le 20 juin 1815.

_Fragment d'un discours de l'empereur dans une séance du conseil d'état,
tenue à l'Elysée._

.... Je n'ai plus d'armée, je n'ai plus que des fuyards. Je retrouverai
des hommes, mais comment les armer? Je n'ai plus de fusils. Cependant
avec de l'union, tout pourrait se réparer. J'espère que les députés me
seconderont, qu'ils sentiront la responsabilité qui va peser sur eux;
vous avez mal jugé, je crois, de leur esprit; la majorité est bonne, est
française. Je n'ai contre moi que Lafayette, Lanjuinais, Flaugergues et
quelques autres. Ils ne veulent pas de moi, je le sais, je les gêne. Ils
voudraient travailler pour eux..... Je ne les laisserai pas faire. Ma
présence ici les contiendra.....

..... Nos malheurs sont grands. Je suis venu pour les réparer, pour
imprimer à la nation, à l'armée, un grand et noble mouvement. Si la
nation se lève, l'ennemi sera écrasé; si, au lieu de levée, de mesures
extraordinaires, on dispute, tout est perdu. L'ennemi est en France.
J'ai besoin, pour sauver la patrie, d'un grand pouvoir, d'une dictature
temporaire. Dans l'intérêt de la nation, je pourrais me saisir de ce
pouvoir, mais il serait utile et plus national qu'il me fût donné par
les chambres....

.....La présence de l'ennemi sur le sol national rendra, je l'espère,
aux députés, le sentiment de leurs devoirs. La nation ne les a pas
envoyés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne les crains
point. Quelque chose qu'ils fassent, je serai toujours l'idole du peuple
et de l'armée. Si je disais un mot, ils seraient tous assommés. Mais en
ne craignant rien pour moi, je crains tout pour la France. Si nous nous
querellons entre nous au lieu de nous entendre, nous aurons le sort
du Bas-Empire, tout sera perdu. Le patriotisme de la nation, son
attachement à ma personne, nous offrent encore d'immenses ressources,
notre cause n'est point désespérée.....



Au palais de l'Elysée, le 22 juin 1815.

_Déclaration au peuple français._

Français! en commençant la guerre pour soutenir l'indépendance
nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les
volontés, et le concours de toutes les autorités nationales. J'étais
fondé à en espérer le succès, et j'avais bravé toutes les déclarations
des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées. Je
m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils
être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir jamais voulu qu'à
ma personne! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils sous
le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels
formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L'intérêt que je
porte à mon fils m'engage à inviter les chambres à organiser sans délai
la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public et pour
rester une nation indépendante.

NAPOLÉON.



Paris, 22 juin 1815.

_Réponse de l'empereur à une députation de la chambre des représentans,
envoyée pour le féliciter sur sa seconde abdication._

Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez; je désire que mon
abdication puisse faire le bonheur de la France, _mais je ne l'espère
point_; elle laisse l'état sans chef, sans existence politique. Le temps
perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France
en état d'écraser l'ennemi. Je recommande à la chambre de renforcer
promptement les armées; qui veut la paix doit se préparer à la guerre.
Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers. Craignez
d'être déçus dans vos espérances. _C'est là qu'est le danger._ Dans
quelque position que je me trouve, je serai toujours bien si la France
est heureuse.



Paris, 23 juin 1815.

_Discours de Napoléon aux ministres, en apprenant que la chambre des
représentans venait de nommer une commission de gouvernement composée de
cinq membres._

Je n'ai point abdiqué en faveur d'un nouveau directoire; j'ai abdiqué en
faveur de mon fils. Si on le proclame point, mon abdication est nulle et
non avenue. Les chambres savent bien que le peuple, l'armée, l'opinion,
le désirent, le veulent, mais l'étranger les retient. Ce n'est point en
se présentant devant les alliés, l'oreille basse et le genou à terre,
qu'elles les forceront à reconnaître l'indépendance nationale. Si elles
avaient eu le sentiment de leur position, elles auraient proclamé
spontanément Napoléon II. Les étrangers auraient vu alors que vous
saviez avoir une volonté, un but, un point de ralliement; ils auraient
vu que le 20 mars n'était point une affaire de parti, un coup de
factieux, mais le résultat de l'attachement des Français à ma personne
et à ma dynastie. L'unanimité nationale auraient plus agi sur eux que
toutes vos basses et honteuses déférences.



La Malmaison, le 25 juin 1815.

PROCLAMATION.

_Aux braves soldats de l'armée devant Paris._

Soldats!

Quand je cède à la nécessité qui me force de m'éloigner de la brave
armée française, j'emporte avec moi l'heureuse certitude qu'elle
justifiera par les services éminens que la patrie attend d'elle, les
éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent pas lui refuser.

Soldats! je suivrai vos pas, quoiqu'absent. Je connais tous les corps,
et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne
rende justice au courage qu'il aura déployé. Vous et moi nous avons été
calomniés. Des hommes indignes d'apprécier vos travaux ont vu, dans les
marques d'attachement que vous m'avez données, un zèle dont j'étais le
seul objet; que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie
pardessus tout que vous serviez en m'obéissant; et que si j'ai quelque
part à votre affection, je la dois à mon ardent amour pour la France,
notre mère commune.

Soldats! encore quelques efforts et la coalition est dissoute. Napoléon
vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter.

Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français; soyez jusqu'à la fin,
tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles!

NAPOLÉON.



Paris, 25 juin 1815.

_Discours de l'empereur à un membre de la chambre des représentans, en
apprenant que MM. de Lafayette, de Pontécoulant, de Laforêt, d'Argenson,
Sébastiani et Benjamin Constant (ce dernier en qualité de secrétaire),
étaient nommés par le gouvernement provisoire pour se rendre auprès des
souverains alliés._

...........Lafayette, Sébastiani, Pontécoulant, Benjamin Constant ont
conspiré contre moi; ils sont mes ennemis, et les ennemis du père ne
seront jamais les amis du fils. Les chambres, d'ailleurs, n'ont point
assez d'énergie pour avoir une volonté indépendante; elles obéissent à
Fouché. Si elles m'eussent donné tout ce qu'elles lui jettent à la tête,
j'aurais sauvé la France; ma présence seule à la tête de l'armée aurait
plus fait que toutes vos négociations; j'aurais obtenu mon fils pour
prix de mon abdication; vous ne l'obtiendrez pas. Fouché n'est point
de bonne foi. Il jouera les chambres, et les alliés le joueront. Il se
croit en état de tout conduire à sa guise; il se trompe: il verra qu'il
faut une main autrement trempée que la sienne, pour tenir les rênes
d'une nation, surtout lorsque l'ennemi est chez elle.... La chambre des
pairs n'a point fait son devoir; elle s'est conduite comme une poule
mouillée. Elle a laissé insulter Lucien et détrôner mon fils; si elle
eût tenu bon, elle aurait eu l'armée pour elle, les généraux la lui
auraient donnée. Son ordre du jour a tout perdu. Moi seul je pourrais
tout réparer, mais vos meneurs n'y consentiront jamais; ils aimeraient
mieux s'engloutir dans l'abîme que de s'unir avec moi pour le fermer.



La Malmaison, 27 juin 1815.

En abdiquant le pouvoir, je n'ai point renoncé au plus noble droit de
citoyen, au droit de défendre mon pays.

L'approche des ennemis de la capitale ne laisse plus de doutes sur leurs
intentions, sur leur mauvaise foi.

Dans ces graves circonstances, j'offre mes services comme général, me
regardant encore comme le premier soldat de la patrie.

NAPOLÉON.



La Malmaison, 27 juin 1815.

_Plaintes de Napoléon à ses amis, en apprenant que les membres du
gouvernement provisoire refusaient d'acquiescer à sa demande de servir
sa patrie en qualité de général._

Ces gens-là sont aveuglés par l'envie de jouir du pouvoir et de
continuer de faire les souverains; ils sentent que s'ils me replaçaient
à la tête de l'armée, ils ne seraient plus que mon ombre, et ils nous
sacrifient, moi et la patrie, à leur orgueil, à leur vanité. Ils
perdront tout.... Mais pourquoi les laisserais-je régner? J'ai abdiqué
pour sauver la France, pour sauver le trône de mon fils. Si ce trône
doit être perdu, j'aime mieux le perdre sur le champ de bataille qu'ici.
Je n'ai rien de mieux à faire pour vous tous, pour mon fils et pour moi,
que de me jeter dans les bras de mes soldats. Mon apparition électrisera
l'armée; elle foudroiera les étrangers; ils sauront que je ne suis
revenu sur le terrain que pour leur marcher sur le corps, ou me faire
tuer; et ils vous accorderaient, pour se délivrer de moi, tout ce que
vous leur demanderez. Si, au contraire, vous me laissez ici ronger mon
épée, ils se moqueront de vous. Il faut en finir: si vos cinq empereurs
ne veulent pas de moi pour sauver la France, je me passerai de leur
consentement. Il me suffira de me montrer, et Paris et l'armée me
recevront une seconde fois en libérateur....

_(Le duc de Bassano lui représentant que les chambres ne seraient pas
pour lui)_... Allons, je le vois bien, il faut toujours céder... Vous
avez raison, je ne dois pas prendre sur moi la responsabilité d'un tel
événement. Je dois attendre que la voix du peuple, des soldats et des
chambres me rappelle. Mais comment Paris ne me demande-t-il pas? On ne
s'aperçoit donc pas que les alliés ne vous tiennent aucun compte de mon
abdication? _(Bassano repart qu'on paraît se fier à la générosité des
souverains alliés.)_ Cet infâme Fouché vous trompe. La commission se
laisse conduire par lui; elle aura de grands reproches à se faire. Il
n'y a là que Caulincourt et Carnot qui vaillent quelque chose, mais ils
sont mal appareillés. Que peuvent-ils faire avec un traître (Fouché),
deux niais (Quinette et Grenier) et deux chambres qui ne savent ce
qu'elles veulent? Vous croyez tous, comme des imbéciles, aux belles
promesses des étrangers. Vous croyez qu'ils vous mettront la poule au
pot, et vous donneront un prince de leur façon, n'est-ce pas? Vous vous
abusez: Alexandre, malgré ses grands sentimens, se laissera influencer
par les Anglais; il les craint; et l'empereur d'Autriche fera, comme en
1814, ce que les autres voudront.



Rochefort, le 13 juillet 1815.

_Au prince-régent d'Angleterre._

Altesse royale,

En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus
grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et
je viens, comme Témistocle, m'asseoir aux foyers du peuple britannique.
Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre
altesse royale, comme le plus puissant, le plus constant et le plus
généreux de mes ennemis.

NAPOLÉON.



DIVERSES PIÈCES COMMUNIQUÉES APRÈS L'IMPRESSION.

Passeriano, le 4 vendémiaire an 6.

_A Barcas._

Citoyen,

Je suis malade et j'ai besoin de repos; je demande ma démission,
donnes-là si tu es mon ami; deux ans dans une campagne près de Paris
rétabliraient ma santé, et redonneraient à mon caractère la popularité
que la continuité du pouvoir ôte nécessairement... Je suis esclave de ma
manière de sentir et d'agir, et j'estime le coeur bien plus que la tête.

BONAPARTE.



Du camp impérial de Boulogne, le 10 fructidor an 13.

_Copie d'une lettre de Napoléon à M. Dejean._

Monsieur Dejean, le ministre de la guerre a dû vous faire passer
différens ordres, pour mettre en état de faire la guerre, une armée
d'Italie et du Rhin; vous pouvez la regarder comme certaine. «J'ai donné
des ordres pour pourvoir aux capotes et souliers nécessaires à l'armée;
faites-moi connaître si vous avez quelque chose de disponible à Paris.»
J'ai besoin que vous donniez des ordres à tous les régimens de cavalerie
de se remonter à toute force. Je ne vois pas d'inconvénient à leur
distribuer pour cela un million. J'ai mis à votre disposition une somme
extraordinaire de deux millions deux cent mille francs, dont un million
pour l'achat de chevaux de train et d'artillerie, et un million deux
cent mille francs pour les capotes et souliers. Occupez-vous du
charrois; faites construire à Sampigny; il y a un marché pour des
transports ici; voyez à lui donner une plus grande extension. J'imagine
que vous avez pourvu à ce que j'aie du biscuit à Mayence et Strasbourg;
j'en ai ici beaucoup. Il faut faire manger la partie faite depuis vingt
mois; il restera ici plus de vingt mille bouches; la partie qui est
faite depuis douze mois pourra être conservée. Il se peut que les
affaires s'arrangent après quelques batailles, et que je revienne sur la
côte. Faites hâter la fourniture de draps de l'an 14, c'est de la plus
grande urgence.

Vous allez avoir, dans toute la cinquième division militaire, depuis
Mayence jusqu'à Schelestatt, cinq à six mille chevaux d'artillerie,
neuf mille chevaux de dragons, huit ou neuf mille de chasseurs et de
hussards, quatre à cinq mille de grosse cavalerie, et quinze cents de
la garde, indépendamment de tous ceux de l'état-major. Je désire que le
service soit fait par la même administration qu'à Boulogne, surtout pour
le pain et la viande. Ne perdez pas un moment à faire accaparer des vins
et des eaux-de-vie à Landau, Strasbourg et Spire. Landau sera un des
principaux points de rassemblement.

J'imagine que Vanderberghe envoie à Strasbourg les mêmes individus qu'à
Boulogne. Les premières divisions sont parties; voyez-les pour cela. «Je
vous ai demandé cinq cent mille rations de biscuit à Strasbourg, je
ne verrais pas d'inconvénient à les diviser ainsi: deux cent mille à
Strasbourg, deux cent mille à Landau, et cent mille à Spire. J'attends
de vous deux états, dont le premier me fasse connaître le nombre
existant des chevaux propres au service de chaque régiment de cavalerie;
ce qui existe en caisse de leur masse, et l'état des chevaux qu'ils
peuvent se procurer: le second état me fera connaître la situation de
l'habillement de tous les corps de la grande armée, et le temps où ils
auront l'habillement de l'an 14.» Le ministre de la guerre vous aura
envoyé l'organisation de la grande armée partagée en sept corps. Pensez
aux ambulances, et occupez-vous sans délai des détails de l'organisation
de cette immense armée. Je vous dirai, mais pour vous seul, que je
compte passer le Rhin le 5 vendémiaire; organisez tout en conséquence.
Il me reste à vous ajouter que cette lettre doit être pour vous seul,
et qu'elle ne doit être lue par personne. Dissimulez, dîtes que je fais
seulement marcher trente mille hommes pour garantir mes frontières du
Rhin. Avec les chefs de service auxquels on ne peut rien dissimuler,
vous leur ferez sentir l'importance de dire la même chose que vous. Sur
ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

NAPOLÉON.



Ingolstadt, le 18 avril 1809, à cinq heures du soir.

_Instruction._

Le capitaine Galbois retournera sur-le-champ près du maréchal Davoust;
il passera par Vohbourg et Neustadt, et de là à Ratisbonne: aussitôt
qu'il aura causé avec le maréchal Davoust, il reviendra me rendre
compte.

Il fera connaître au maréchal Davoust qu'il apprendra ce qui s'est passé
dans la journée au corps du duc de Dantzick; que je n'en ai aucune
connaissance, mais que je suppose que le corps du duc de Dantzick,
fort de trente mille hommes, a battu la plaine jusqu'à l'Isère, et l'a
secouru si cela a été nécessaire.

Le général Demont est à Vohbourg avec sa division, huit mille hommes de
cavalerie.

La division Nansouty et la cavalerie wurtembergeoise sont en colonne sur
la route d'ici à Vohbourg.

Le général Vandamme, avec douze mille Wurtembergeois, couche ce soir à
Ingolstadt.

Le duc de Rivoli, avec le général Oudinot et quatre-vingt mille hommes,
doivent arriver à Pfaffenhoffen.

L'empereur, à une heure du matin, se décidera à se porter de sa personne
à Neustadt, après qu'il aura reçu le rapport de la journée; il lui
importe donc bien de connaître la situation du duc d'Auerstaedt et des
différens corps de l'ennemi.

Si cela ne détourne pas cet officier, il verra le général Wrede ou le
duc de Dantzick, pour causer avec eux et leur donner connaissance de ces
détails.

NAPOLÉON.

_P.S._ Cet officier engagera celui qui commande à Vohbourg, celui qui
commande à Neustadt et les généraux de division bavarois, de m'envoyer
des officiers et les rapports de ce qui se serait passé ou de ce qu'ils
apprendraient.



_Commission et pleins-pouvoirs donnés aux commandans de place en juin
1815._

NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
Français, etc., etc.

La place de Vitry étant en état de siège, armée, bien approvisionnée, à
l'abri de toute attaque, pouvant soutenir un siège, nous avons résolu
de nommer pour commandant supérieur de cette place un officier d'une
bravoure distinguée, dont nous aurions éprouvé le zèle et la fidélité
dans maints combats; nous avons pris en considération les services du
sieur Baron, adjudant-commandant de nos armées, et nous l'avons nommé et
nommons, par ces présentes signées de notre main, commandant supérieur
de la place de Vitry en état de siège. Nous lui enjoignons de ne plus
sortir des remparts de ladite place, au moins au-delà d'une portée
de fusil de ses ouvrages avancés, sous quelque prétexte que ce soit;
d'inspecter et de visiter fréquemment les approvisionnemens de siège
et les magasins d'artillerie, d'avoir soin qu'ils soient abondamment
fournis et conservés à l'abri des attaques de l'ennemi et de
l'intempérie des saisons. Nous lui enjoignons de prendre toutes les
précautions pour accroître lesdits approvisionnemens et pour que les
babilans aient pour six mois de vivres, faisant sortir de la ville tous
ceux qui n'auraient pas ledit approvisionnement. Nous lui ordonnons
de nous conserver cette place et de ne jamais la rendre sous aucun
prétexte. Dans le cas où elle serait investie et bloquée, il doit être
sourd a tous les bruits répandus par l'ennemi, ou aux nouvelles qu'il
lui ferait parvenir, lors même qu'il voudrait lui persuader que l'armée
française a été battue, que la capitale est envahie, etc. Il n'en
résistera pas moins à ses insinuations, comme à ses attaques, et ne
laissera point ébranler son courage. Sa règle constante doit être
d'avoir le moins de communications que possible avec l'ennemi. Il
aura toujours devant les yeux les conséquences inévitables d'une
contravention à nos ordres ou d'une négligence à remplir les devoirs qui
lui sont imposés. Il n'oubliera jamais qu'une conduite différente lui
ferait perdre notre estime et encourir toute la sévérité des lois
militaires, qui condamnent à mort tout commandant et son état-major,
s'il livre la place sans avoir fixé l'impossibilité de soutenir un
second assaut, et s'il n'a satisfait à toutes les obligations qui lui
sont imposées par notre décret du 24 décembre 1811. Enfin, nous voulons
et entendons qu'il coure les hasards d'un assaut, pour prolonger la
défense et augmenter la perte de l'ennemi. Il songera qu'un Français
doit compter sa vie pour rien, si elle doit être mise en balance avec
son honneur, et que cette idée doit être le mobile de toutes ses
actions; la reddition de la place ne devant être que le dernier terme
de tous ses efforts, et le résultat d'une impossibilité absolue de
résister, nous lui défendons d'avancer cet événement malheureux par son
consentement, ne fût-ce que d'une heure, et sous le prétexte d'obtenir
par là une capitulation plus honorable.

Nous voulons que toutes les fois que le conseil de défense sera réuni
pour consulter sur les opérations, il y soit fait lecture desdites
lettres-patentes, à haute et intelligible voix.

Donné au palais de l'Elysée, le neuvième jour du mois de juin de l'an de
grâce mil huit cent quinze.

NAPOLÉON.

_Par l'empereur,

Le ministre secrétaire-d'état._

H. B. MARET.



L'Éditeur poursuivra, suivant toute la rigueur des lois, les
contrefacteurs et vendeurs des oeuvres qu'il publie.


Afin de satisfaire l'impatience des nombreux souscripteurs des Oeuvres
de Napoléon Bonaparte, nous joignons au tome troisième de la collection
deux pièces originales qui appartiennent au tome premier, et qu'il
faudra plus tard faire relier à la fin de ce premier volume.

Les plus habiles bibliographes savaient très-bien que Bonaparte avait
publié au commencement de la révolution les deux brochures que nous
plaçons ici; mais on croyait impossible de se procurer ces deux écrits
de la jeunesse d'un sous-lieutenant d'artillerie, devenu depuis le
souverain maître de l'Europe. Le style et les idées du jeune soldat à
la naissance de la révolution, comparés aux discours de l'empereur,
offriront sans doute des rapprochemens intéressans; on y trouvera
peut-être déjà quelques points de départ de cette carrière où la
fortune, après avoir comblé un mortel de tous ses dons les plus
brillans, semble s'être plu à les lui ravir en un instant, pour le
frapper, à la fin de sa carrière, de ses coups les plus déchirans. Après
beaucoup de recherches que nous avions même cru désormais infructueuses,
nous sommes parvenus à ces découvertes importantes dans la collection
des _oeuvres_ d'un homme aussi extraordinaire.

La lettre à M. Buttafoco, député de la Corse à l'Assemblée nationale,
nous a été communiquée par l'imprimeur même de cette brochure, qui en
conservait un exemplaire précieusement: nous en devons la communication
à M. J. B, Joly, imprimeur à Dôle[4].

[Note 4: Nous avons depuis eu connaissance d'un autre exemplaire de
la lettre à M. Buttafoco, qui se trouve dans la bibliothèque d'un de
nos jurisconsultes les plus distingués: une faute d'impression y est
corrigée de la main même de Bonaparte.]

Bonaparte était alors lieutenant d'artillerie à Auxonne. Il vint trouver
M. Joly avec son frère Louis, auquel il enseignait les mathématiques:
l'ouvrage fut imprimé à ses frais au nombre de cent exemplaires, et il
les fit passer dans la Corse.

Bonaparte avait aussi composé un ouvrage qui aurait pu former deux
volumes, sur l'histoire politique, civile et militaire de la Corse. Il
engagea M. Joly à aller le voir à Auxonne pour traiter de l'impression
de cet ouvrage. M. Joly s'y rendit en effet. Bonaparte occupait, au
pavillon, une chambre presque nue, ayant pour tous meubles un mauvais
lit sans rideaux, une table placée dans l'embrasure d'une fenêtre, et
chargée de livres et de papiers, et deux chaises: son frère couchait sur
un mauvais matelas, dans un cabinet voisin. On fut d'accord sur le prix
d'impression; mais il attendait d'un moment à l'autre une décision pour
quitter Auxonne ou pour y rester. Cet ordre arriva en effet quelques
jours après: il partit pour Toulon, et l'ouvrage ne fut pas imprimé. Il
est douteux que l'on puisse jamais retrouver cet écrit dont il ne reste
aucune trace. On lui avait confié le dépôt des ornemens d'église de
l'aumônier du régiment, qui venait d'être supprimé. Il les fit voir à
M. Joly, et ne parla des cérémonies de la religion qu'avec décence: _Si
vous n'avez pas entendu la messe_, ajoutât-il, _je puis vous la dire._

Pour constater davantage l'authenticité de cette lettre, nous citerons
le passage suivant du Journal de Dijon, du 4 août 1821.

«L'exemplaire que nous possédons nous a été donné, il y a environ
dix-neuf ans, par une personne d'Auxonne, qui le tenait elle-même _ex
autoris dono_.

«Deux fautes d'impression, l'une à la première ligne de la page 8, et
l'autre à la fin de la sixième ligne de la page 9, sont corrigées de la
main de l'auteur.

«Il n'y avait pas long-temps que nous étions en possession de notre
exemplaire, lorsque dans un voyage à Dôle (Jura) nous eûmes occasion de
visiter M. Joly (Jos.-Fr.-Xav.), imprimeur en cette ville, possesseur
d'une bibliothèque qui atteste ses connaissances et son bon goût. Nos
yeux se promenaient avec complaisance sur les richesses bibliographiques
de son cabinet; ils s'arrêtèrent sur un volume fort mince, qui se
faisait distinguer, au milieu d'une quantité de reliures de luxe, par
la recherche qui avait été mise à la sienne: c'était la _Lettre de M.
Buonaparte à M. Matteo-Buttafoco_. Nous apprîmes alors, de la bouche de
M. Joly, que cette brochure était sortie de ses presses, en 1790;
que Bonaparte, qui était alors lieutenant au régiment de la Fère,
artillerie, en garnison à Auxonne, en avait revu lui-même les dernières
épreuves; qu'à cet effet il se rendait à pied à Dôle, en partant
d'Auxonne à quatre heures du matin; qu'après avoir vu les épreuves il
prenait, chez M. Joly, un déjeuner extrêmement frugal, et se remettait
bientôt en route pour rentrer dans sa garnison, où il arrivait avant
midi, ayant déjà parcouru dans la matinée huit lieues de poste.»

«Bonaparte entra dans le corps royal de l'artillerie en 1785. Du
régiment de la Fère, où il fit ses premières armes, il passa dans celui
de Grenoble, en garnison à Valence, où il était en 1791, le quatrième
des premiers lieutenans de première classe (Voyez l'_État militaire du
corps de l'artillerie de France pour l'année 1791_, imprimé chez
Firmin Didot, petit in-12 de 166 pages). Nous remarquons que le nom de
Bonaparte qui est employé trois fois dans l'_État militaire_ cité, y est
écrit, page 60, _Buonaparté_, tandis qu'on lit, pages 94 et 139, _Buona
parté_.»



La petite brochure intitulée: _Le souper de Beaucaire_, semblait devoir
ne pas échapper à l'oubli. Bonaparte passait, en 1793, à Beaucaire;
il s'y trouva à souper dans une auberge le 29 juillet, avec plusieurs
commerçans de Montpellier, de Nîmes et de Marseille. Une discussion
s'engagea sur la situation politique de la France: chacun des convives
avait une opinion différente.

Bonaparte, de retour à Avignon, profita de quelques momens de repos pour
consigner ce dialogue dans une brochure qu'il intitula: _Le souper de
Beaucaire_. Il fit imprimer cet opuscule chez Sabin Tournal, rédacteur
et imprimeur du Courier d'Avignon.

L'ouvrage ne fit alors aucune sensation; ce ne fut que lorsque Bonaparte
devint général en chef, que M. Loubet, secrétaire du feu M. Tournal, qui
en avait conservé un exemplaire, y attacha quelque prix, parce que cet
exemplaire était signé de la main de son auteur. Il le montra alors à
plusieurs personnes d'Avignon. M. Loubet étant mort, on s'est adressé à
son fils par l'intermédiaire de M. M...., et on a obtenu la copie
exacte de cet opuscule, dont il n'existe plus sans doute que ce seul
exemplaire.



GALERIE MILITAIRE
DE NAPOLÉON BONAPARTE

RECUEIL DE TOUS LES TABLEAUX ET MONUMENS
OU SONT REPRÉSENTÉS
LES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENS DE SA CARRIÈRE MILITAIRE;

PAR DAVID, GÉRARD, GIRODET, GROS, GUÉRIN, LBJEUNE, LETHIERS, GAUTHEROT,
TAUNAY, (Carle et Horace) VERNET, VINCENT, BACLER D'ALBE, BERTBON,
BOURGEOIS, CALLET, CARTELLIER, CLODION, DEBRET, DESEVE, ESPERCIEUX,
MEYNIER, MONGIN, PAJOU, PONCE CAMUS, RHOEN, THÉVENIN, etc., etc.

(FAISANT SUITE AUX OEUVRES DE NAPOLÉON.)


Gravés par G. NORMANT père et fils.
C.L.F. PANCKOUCKE, ÉDITEUR,


L'ouvrage contient QUARANTE planches in-folio sur papier vélin superfin.
Il paraîtra en CINQ livraisons de chacune HUIT planches.

Le prix de chaque livraison est de SIX FRANCS, et de tout l'ouvrage
TRENTE FRANCS.

Il faut ajouter trente centimes pour recevoir chaque livraison franc de
port.

Lorsque la victoire, qui avait guidé nos phalanges en Italie et en
Égypte sous la conduite de Napoléon, l'eut élevé sur les débris d'un
gouvernement éphémère, il sembla, pendant quelque temps, vouloir suivre
l'exemple qu'il avait donné lui-même, d'ériger des monumens à la gloire
nationale. C'était en effet à la patrie qu'avaient été consacrés les
chefs-d'oeuvre des arts, les plus beaux prix de nos conquêtes, par
l'armée d'Italie, dont les triomphes avaient peuplé ce Musée, devenu le
point de réunion des plus magnifiques productions de l'art antique et
moderne. Ce fut alors que le ciseau de nos plus habiles statuaires, que
le pinceau des disciples de Raphaël et de Michel-Ange s'empressèrent de
perpétuer les nombreux exploits de nos plus grands guerriers. Quelque
jaloux que fût Napoléon d'occuper seul les cent voix de la renommée,
pour entretenir cette ardeur belliqueuse, il fallut que sa gloire se
confondît avec la gloire nationale, qu'elles fussent toutes deux réunies
dans des monumens consacrés à l'utilité publique, aux hommes éminens
par la bravoure et le mérite, qui avaient bien servi la patrie, ou qui
étaient morts pour elle dans les combats.

Dans cette collection, nous avons placé les tableaux qui retracent la
carrière militaire de Napoléon Bonaparte, parce qu'il y est représenté
entouré des guerriers qui ont parcouru avec lui cette longue et
brillante période. En réunissant ces tableaux, le lecteur suivra, avec
les progrès de notre gloire militaire, ceux des efforts de tous les arts
pour l'immortaliser: chaque dessin rappellera à la mémoire le souvenir
de plusieurs événemens.

En célébrant ainsi de nouveau cette suite de hauts faits, nous rendrons
en même temps hommage au génie de nos grands artistes, aux David,
Gérard, Girodet, Gros, Guérin, Lejeune, Taunay, Vernet, etc., etc.

La galerie fondée par le prince Berthier contient huit tableaux, sujets
de batailles, par nos premiers artistes; nous avons obtenu de les faire
dessiner.

Nous avons cru devoir aussi nous réduire à un simple trait, suffisant
pour donner exactement le dessin des objets, et révéler toute la pensée
de l'artiste.

_Voici la liste et tordre dans lequel nous présenterons ce Recueil._
Les gravures sont classées dans l'ordre chronologique, et forment
une suite de tableaux historiques de la vie de Napoléon Bonaparte.


PREMIÈRE LIVRAISON.

(10 mai 1796.) Passage du pont de Lodi, peint par Taunay: salon de
1818.--(15 novembre 1796.) Bataille d'Arcole, peint par Bacler d'Albe:
salon de 1804.--(13 janvier 1797.) Bataille de Rivoli, peint par
Lafitte: salon de 1804.--(14 janvier 1797.) Bataille de Rivoli, peint
par C. Vernet: salon de 1810.--(18 avril 1797.) Préliminaires de la
paix de Léoben, peint par Lethiers: salon de 1806,--(8 octobre 1797.)
Établissement de la république cisalpine, peint par Lafitte: salon de
1804.--(13 juillet 1798.) Harangue aux Pyramides, peint par Gros: salon
de 1810.--(25 juillet 1798.) Bataille des Pyramides, peint par Vincent:
salon de 1810.


DEUXIÈME LIVRAISON.

(21 octobre 1798.) Révolte du Kaire, peint par Girodet: salon de
1810.--(29 octobre 1798.) Pardon accordé aux révoltés du Kaire, peint
par Guérin: salon de 1808.--(3 mars 1799.) Les pestiférés de Jaffa,
peint par Gros: salon de 1804.--(15 juillet 1799.) Bataille d'Aboukir,
peint par Lejeune: salon de 1804.--(15 juillet 1799.) Bataille
d'Aboukir, peint par Gros: salon de 1806.--(mai 1800.) Passage de
l'armée de réserve dans le défilé d'Albarède, peint par Mongin: salon de
1812.--(mai 1800.) Passage du Mont-Saint-Bernard, peint par Thévenin:
salon de 1806.--(17 mai 1800.) Bonaparte au sommet du Saint-Bernard,
peint par David: salon de 1806.


TROISIÈME LIVRAISON.

(14 juin 1800.) Bataille de Marengo, peint par Lejeune.--(15 juin 1800.)
Mort de Dessaix, peint par Broc: salon de 1806--(12 octobre 1805.)
Harangue de Napoléon à l'armée, peint par Gautherot: salon de
1808.--(octobre 1805) Napoléon honorant le malheur des blessés ennemis,
peint par Debret: salon de 1806.--(octobre 1806.) Napoléon au tombeau du
Grand-Frédéric, peint par Ponce-Camus: salon de 1800.--(novembre 1806.)
Napoléon recevant à Berlin les députés du sénat, peint par Berthon:
salon de 1810.--(17 octobre 1805.) Capitulation devant Ulm (quatrième
bas-relief de l'arc du Carrousel), par Cartelier.--(24 octobre 1805.)
Entrée à Munich (deuxième bas-relief de l'arc du Carrousel), par
Clodion.


QUATRIÈME LIVRAISON.

(13 novembre 1805.) Napoléon recevant les clefs de Vienne peint par
Girodet: salon de 1808.--(13 novembre 1805.) Entrée dans Vienne
(troisième bas-relief de l'arc du Carrousel), par Desenne.--(2 décembre
1805.) Le matin de la bataille d'Austerlitz, peint par Carle Vernet:
salon de 1808.--(2 décembre 1805.) Bataille d'Austerlitz, peint par
Gérard: salon de 1810.--(2 décembre 1805.) Victoire d'Austerlitz
(cinquième bas-relief de l'arc du Carrousel), par Espercieux: salon de
1810.--(2 janvier 1805.) Fin de la bataille d'Austerlitz, peint par
Meynier: salon de 1810.--(5 décembre 1805.) Entrevue des deux empereurs,
peint par Gros: salon de 1812.--(décembre 1806.) Napoléon à Osterode,
peint par Ponce-Camus: salon de 1810.


CINQUIÈME LIVRAISON.

(19 décembre 1806.) Entrée à Varsovie, peint par Callet.--(8
février 1807.) Champ de bataille d'Eylau, peint par Gros: salon
de 1808.--(juillet 1807.) Distribution des décorations de la
légion-d'honneur, aux braves de l'armée russe, peint par Debret: salon
de 1808.--(4 septembre 1808.) Prise de Madrid, peint par Gros: salon de
1810.--(23 avril 1809.) Prise de Ratisbonne, peint par Thévenin.--(22
mai 1809.) Rentrée dans l'île de Lobau, peint par Meynier: salon de
1812.--(31 mai 1809.) Napoléon aux derniers momens du duc de Montebello,
peint par Bourgeois: salon de 1810.--(6 juillet 1809.) Bataille de
Wagram, peint par Gros: salon de 1810.

_Ces planches sont gravés avec la perfection reconnue de_ Mr. C.
Normant.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V." ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home