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Title: Contes des fées Author: Bonnières, Robert de Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Contes des fées" *** was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. CONTES DES FÉES PAR ROBERT DE BONNIÈRES INTRODUCTION En ce temps-là vivaient le Roi Charmant, Serpentin-Vert et Florine ma-mie, Et, dans sa tour pour cent ans endormie, Dormait encor la Belle-au-Bois-Dormant. C'était le temps des palais de féerie, De l'Oiseau Bleu, des Pantoufles de vair, Des longs récits dans les longs soirs d'hiver: Moins sots que nous y croyaient, je vous prie. LE ROSIER ENCHANTÉ COMMENT UNE GENTILLE FÉE ÉTAIT RETENUE DANS UN ROSIER, ET COMMENT ELLE OFFRIT SON AMOUR A JEANNOT Jeannot, un soir, cheminait dans le bois Et regagnait la maison d'un pied leste, Lorsqu'une Voix, qui lui parut céleste, L'arrêta net: --«Jeannot!» disait la Voix. Qui fut surpris? Dame! ce fut notre homme. Il ne s'était aucunement douté Qu'il cheminait dans le Bois Enchanté. S'il n'avait peur, ma foi! c'était tout comme. Il demeura tout sot et tout transi. --«Jeannot, mon bon Jeannot!» redisait-elle. Il n'était pas, certe, une voix mortelle Charmante assez pour supplier ainsi. Or, en ce lieu, poussait plus haut qu'un orme Un Rosier d'or aux roses de rubis. Le paysan eût eu mille brebis D'un seul fleuron de ce rosier énorme. La Voix partait de ces rameaux touffus, Car il y vit une gentille Fée, De diamants et de perles coiffée. Jeannot tira son bonnet, tout confus. --«Jeannot, je veux te conter ma misère,» Dit-elle; «écoute et remets ton bonnet. Je te demande une chose qui n'est Que trop plaisante à tout amant sincère.» Le jeune gars écarquillait les yeux, Comme en extase, et restait tout oreille. Il n'avait vu jamais beauté pareille, Ni de fichu d'argent aussi soyeux. La Fée était belle en beauté parfaite, Rare, en effet, et mignonne à ravir, Tant, qu'à jamais, pour l'aimer et servir, Je n'en voudrais pour moi qu'une ainsi faite! --«Mon bon Jeannot, aime-moi seulement,» Reprit la Fée; «il n'est point de tendresses Et de baisers et de bonnes caresses, Que je ne fasse à mon fidèle amant. Aime-moi bien, puisque je suis jolie, Aime-moi bien aussi, pour ma bonté. Je suis liée à cet arbre enchanté: Romps, en m'aimant, le charme qui me lie.» «Je ne dis non,» fit l'autre, «et je m'en vais Tout droit conter notre cas à ma mère. Conseil ne nuit: l'on cueille pomme amère Sans que pourtant le pommier soit mauvais.» Il fut conter la chose toute telle, Riant, pleurant, amoureux et dispos. Du coup, sa Mère en laissa choir deux pots Qu'elle tenait. --«Eh! mon gars,» lui dit-elle, «Fais à ton gré. Ce nous est grand honneur. Va, mon garçon, et pousse l'aventure. Nous aurons gens, malgré notre roture, Pour nous donner bientôt du Monseigneur!» Elle rêvait déjà vaisselle plate, Non plus salé, mais belle venaison, Vin en tonneaux et le linge à foison, Cotte de soie et robe d'écarlate. Jeannot courut. L'aurore jusqu'aux cieux Avait poussé sa lueur roselée; La Fée était bel et bien envolée Et tout le Bois rose et silencieux. MORALITÉ Ne tardez pas, quand l'heure heureuse sonne, Gentils amants. Aimez-vous sans façon. Le bel Amour n'a besoin de leçon, Le bel Amour ne consulte personne. BELLE MIGNONNE I COMMENT BELLE-MIGNONNE AIMA LE PAGE PARFAIT AU DÉTRIMENT DE BEAUX FILS DE ROIS L'Infante avait seize printemps, Dont je vous veux conter la vie. La légende que j'ai suivie Fait régner son père du temps Que l'histoire n'était écrite; Il n'importe. Mais je voudrais Faire aimer ses gentils attraits Selon leur grâce et leur mérite. Belle-Mignonne était son nom: Ce nom, s'il faut que j'en raisonne, Venait de ce que sa personne N'avait trait qui ne fut mignon. Parmi les plus belles merveilles, Il n'était point telle beauté, Tant que chaque Prince invité N'avait plus que soucis et veilles. Ils amenaient de grands présents En or, joyaux et haquenées, En étoffes bien façonnées, En santal, myrrhe et grains d'encens, Ce qui faisait bien mieux l'affaire Du Roi que les maigres cadeaux Qu'en sonnets, dizains et rondeaux, Les Poètes lui venaient faire. Parmi tous ces beaux fils de Roi, Etait un pauvre petit page; Il n'avait aucun équipage, Or, ni joyaux, ni palefroi: Le rang ne vaut âme bien faite. Son nom de page était Parfait, De ce que son âme, en effet, Comme sa mine, était parfaite. L'Infante l'aimait en secret, Bien qu'encore aucune parole, Bouquet parlant ou banderole Eût assuré l'amant discret, Et notre amant, mélancolique, D'autre part, ne pouvait oser A si grande Dame exposer Sa très amoureuse supplique. Ils faisaient pourtant de grands voeux, Ne voulant qu'être unis ensemble. Tout en n'avouant rien, ce semble, Ne peut-on compter pour aveux Rougeur et trouble en l'attitude Qui ne trompe le bien-aimé, Et par coup d'oeil à point nommé Leur bienheureuse inquiétude? II COMMENT BELLE-MIGNONNE AVAIT EU DE SA MARRAINE LE DON DE FAIRE NAITRE DES FLEURS SOUS SES PAS AUSSITOT QU'ELLE AIMERAIT Sachez, sans aller plus avant, Que Mignonne eut à sa naissance, D'une Fée, unique en puissance, En magie et charme savant, Le joli don de faire naître, Sous ses pas, des fleurs à foison, En tout temps et toute saison, Quand Amour se ferait connaître. Notre Marraine avait été Malicieuse autant que bonne, En cela contraire à Sorbonne, Qui n'a malice ni bonté. Il advint, comme bien on pense, Qu'à son fait, petit à petit, Leur même désir aboutit, Et qu'Amour eut sa récompense: Le page reçut, un beau jour, Un message de sa maîtresse, Qui lui mandait, par lettre expresse, De l'attendre au pied de sa tour, Qu'elle descendrait à sa vue, Et que le soir même elle irait, Avec le Page, où Dieu voudrait. Et de son seul amour pourvue. Dans un pli de satin léger L'Infante enferma son message, Et quelque linot de passage Fut au Page bon messager. La rencontre eut lieu, j'imagine. Et, cette nuit-là, par les champs Il fut dit bien des mots touchants, Et bien baisé deux mains d'hermine. --Laissons-les, où qu'ils soient allés: Dès l'aube, une route fleurie Vers nos amants, en ma féerie, Nous conduira, si vous voulez; Car le don que de sa Marraine Eut Belle-Mignonne en naissant Fit que ses pieds allaient traçant Un beau chemin de fleurs, sans graine. Chacun de ses pas amoureux Avait fait naître oeillets, pervenches, Roses roses, rouges et blanches. Pavots divers et lys nombreux, Et naître mauves, pâquerettes, Herbe aux perles, reines des prés, Hyacinthes, glaïeuls pourprés, Folle avoine aux folles aigrettes, Et naître encore serpolets, Muguets, sauges et véroniques, Pivoines aux rouges tuniques, Soleils d'or, iris violets, Et roselettes centaurées, Basilics aux parfums troublants, Menthes, liserons bleus ou blancs Et belles-de-nuit azurées, --Et, s'il fallait dire en tout point Les fleurs qu'elle avait fait éclore, Pas plus que les jardins de Flore, Mon jardin n'y suffirait point. III COMMENT LE ROI ET LA COUR SUIVIRENT LES AMANTS A LA TRACE ET DÉCOUVRIRENT UN CHATEAU DE FLEURS AU LIEU DE FORET Quand les servantes éveillées Virent jusqu'aux horizons bleus Ce beau chemin miraculeux, Du haut des tours ensoleillées, En hâte, aux Dames du palais Elles furent conter la chose, Et les Princes, pour même cause, Furent cherchés par leurs valets. Ce fut un grand remue-ménage Dans le château, jusqu'à ce point Qu'ayant mis son plus beau pourpoint, Le Roi fut du pèlerinage. La Cour entière par les prés Marchait en bel ordre à sa suite, Suivant nos amants et leur fuite En tous ses détours diaprés. La surprise était infinie De ce que ce nouveau printemps Foisonnât de fleurs dans le temps Qu'il n'est aux champs qu'herbe jaunie. Or cet admirable chemin Menait à la forêt prochaine: Il n'était charme, orme, if ou chêne Qui ne fût tendu de jasmin, De chèvre-feuille, de glycine, De vigne vierge et d'autres fleurs, Mêlant et tramant leurs couleurs, D'une branche à l'autre voisine. Tant et si bien, qu'en ces beaux lieux Ce n'est plus, comme en l'entourage, Forêt d'automne sans ombrage, Mais plutôt palais merveilleux, Aux murs faits de branches taillées, Et bâtis de fleurs en arceaux Où chantaient de rares Oiseaux, Sur des corniches de feuillées. De leurs cent voix, l'écho chanteur Salua le Roi dès l'entrée, Dont l'âme encor fut pénétrée D'une même et fraiche senteur, Laquelle était si bien formée De tant de parfums différents, Qu'à mon embarras je comprends Qu'aucun auteur ne l'ait nommée. Le Roi, du portail, pas à pas Poussa jusques aux galeries Où figuraient ses armoiries De lys sur ne-m'oubliez-pas. Il fut touché de cet hommage De Fée à Monarque, d'autant Que les Oiseaux allaient chantant Ses hauts faits en humain ramage. IV COMMENT BELLE-MIGNONNE ET LE PAGE PARFAIT FURENT TROUVÉS L'UN PRÈS DE L'AUTRE ENDORMIS Les Oiseaux avaient leur secret Qui le précédaient par volée, Le menant d'allée en allée, De salon en grotte et retrait. Toute la noble multitude Cueillait des fleurs, chemin faisant, Et l'on parvint, en devisant De solitude en solitude, Jusqu'à l'Antre d'or où, parmi Des fleurs plus blanches que nature, Mignonne, en belle créature, Dormait près du Page endormi. Le Roi ne contint sa colère Devant ce spectacle nouveau: Tel cas à son royal cerveau Ne pouvait, vraiment, que déplaire. Et tout, dans le premier moment, En voyant ce tableau coupable. Il aurait bien été capable D'ordonner qu'on pendît l'amant. N'était-ce point un pauvre sire, N'ayant sou, ni maille, ni nom, Si mince et petit compagnon Qu'écuyer n'eut daigné l'occire! Ils étaient pourtant beaux ainsi, Tête contre tête penchée, Chevelure en blonde jonchée, Et bras enlacés à merci. Ils souriaient, et dans leur rêve, Aussi charmant qu'eux et léger, Ils semblaient encor prolonger L'heure aux amants toujours trop brève; Car ils balbutiaient entre eux Des mots si doux de voix si tendre, Qu'aux bois il n'est plus doux d'entendre Ensemble ramiers amoureux. --«Je vous aime, Belle-Mignonne;» --«Je vous aime, Page-Parfait;» Redisaient-ils. Amour de fait Autrement ni plus ne jargonne. Le bel Amour n'a jamais tort. Le Roi pouvait-il d'aventure Empêcher que, contre nature, Amant aimé fût le plus fort? Contre ouragan, feu, fer et flamme, Contre vent, marée et fureurs, Poisons, serpents, rois, empereurs, Prévaut force aimante de l'âme. Notre Roi donc, bien qu'à regret Et bien qu'il perdit l'assurance Des grands présents qu'en espérance Chaque Prince à sa fille offrait (Ce dont il faisait le décompte), Consentit bien à les unir, Ainsi qu'il devait advenir De la façon que je raconte. Tout bon courtisan approuva, Quoiqu'il en eût de jalousie. Il n'est royale fantaisie Qu'on ne suive comme elle va: Aussi fut-ce chants d'hymenée, Fleurs en bouquets et compliments Autour du réveil des amants Et de leur grand'joie étonnée. Les noces durèrent trois mois: Il faudrait pour les conter telles Les belles Muses immortelles De Ronsard, le grand Vendomois. Sachez seulement que la Reine Et le Roi n'oublièrent pas De faire prier au repas La malicieuse Marraine. MORALITÉ Ce chemin de fleurs peut montrer, Si ma fable vous embarrasse, Qu'Amour laisse après soi sa trace; Et d'où je veux encor tirer Qu'Amour est chose si fleurie. Qu'il ne se peut longtemps cacher, Ni ses belles fleurs empêcher D'être telles qu'on s'en récrie. SAUGE-FLEURIE I COMMENT SAUCE-FLEURIE AIMA LE FILS DU ROI Alors vivait sans crédit ni richesse Une Fée humble et seule; car il est Des rangs parmi ces Dames, s'il vous plaît, Comme, chez nous, de vilaine à duchesse. Bien qu'elle n'eût ni renom ni pouvoir Et qu'elle fut pauvre en sa confrérie, Pauvre jusqu'au besoin, Sauge-Fleurie --Tel est son nom--était charmante à voir. Au bord d'un lac tout fleuri de jonquilles, Elle habitait le tronc d'un saule creux Et ne quittait son réduit ténébreux Plus que ne font les perles leurs coquilles. Mais un beau jour que, chassant par le bois Avec sa meute un superbe équipage, Le fils du Roi menait à grand tapage Du bois au lac un dix cors aux abois, Pour voir les chiens et la belle poursuite Et les pourpoints brillants des cavaliers, Elle quitta son arbre, et des halliers Voyait passer le Prince avec sa suite. Le Fils du Roi, qui saluait déjà (Car c'est de Fée à Prince assez l'usage) En voyant mieux un si charmant visage, S'arrêta court et la dévisagea. Sauge, sans plus se cacher dans les branches, En le voyant si beau, de son côté Le regardait devant elle arrêté, Droit dans les yeux de ses prunelles franches. Naïf amour par pudeur s'enhardit: Le Fils du Roi baissa les yeux par contre; Chacun s'en fut méditant la rencontre: --Tous deux s'aimaient et ne s'étaient rien dit. II COMMENT UNE MAITRESSE-FÉE CONDAMNA SAUGE-FLEURIE Or tout se sait: une Maîtresse-Fée Fit donc venir Sauge à son tribunal. Vêtue ainsi que l'oiseau cardinal, La Vieille était d'aspics ébouriffée: Elle était vieille, et par cela j'entends Que de jeunesse elle était ennemie. --On le va voir:--«Je veux, Sauge, ma mie, «Te corriger, s'il en est encor temps,» Lui dit la Vieille aigrement. «Sans mon zèle, Vous nous l'alliez donner belle à ravir Et par ma foi vous nous alliez servir Un joli plat d'amour, Mademoiselle. Passe un beau Sire et, sans plus de façons, Voilà mes gens amoureux face à face! Pardieu! plutôt que la chose se fasse Je ferai pendre ici dix beaux garçons.» Et ce disant en parut si méchante Qu'elle eût fait peur même au Roi Très Chrétien Par sa beauté, sa grâce et son maintien, Sauge-Fleurie était pourtant touchante. Mais rien ne fait contre haine et pouvoir. --«Il faudra bien que ton beau bec réponde, Car, sans chanter, il n'est poule qui ponde, Sauge ma mie--et je te vais pourvoir!» Je vous dirai, sans tarder davantage, Si votre coeur s'intéresse à son sort, Qu'aimer un homme était un cas de mort Pour Sauge, esprit n'ayant chair en partage: Ce que prouva la Vieille en un latin Qui dépassait l'intellect en puissance, Et distingua des cas de quintessence A dérouter Sauge et l'abbé Cotin. Sauge, pourtant, demeurait bouche close Et de cela ne voulait seulement Qu'aimer le Prince et mourir en l'aimant Comme disait la Vieille avec sa glose. Sans moi déjà vous avez pu songer Qu'en cette affaire ayant la loi formelle Et des aveux, notre juge femelle Condamna Sauge, et sans rien ménager. Et pensez bien que la Fée amoureuse Ne marchanda son immortalité, Et que du coup, comme on me l'a conté, Elle s'en fut-plus que vivante heureuse![1] [Note 1: Voir la note à la fin du volume.] III COMMENT SAUGE-FLEURIE ALLA TROUVER LE PRINCE EN SON CHATEAU Or nul pouvoir ne pouvait s'opposer, Malgré l'arrêt de notre Vieille en rage, Au libre emploi de son gentil courage Non plus qu'au choix de son premier baiser. --Sauge, à pied donc comme en pèlerinage, Alla trouver le Prince en son château, Et tout le long de la route un manteau Rude et grossier cacha son personnage. Elle arriva par la pluie et le vent, Sur elle ayant laissé crever la nue; Et, si d'abord fut des gens méconnue, Ne surprit point le Prince en arrivant. --«Mon coeur, dit-il, vous attendait, Princesse; Du bois au lac, je vous cherchais, ma Fleur, Et fatiguais du cri de ma douleur L'onde et le ciel, n'ayant repos ni cesse.» --Et ce disant, il se prit à baiser A deux genoux sa main mignonne et fine, Et puis voulut sur l'heure à la Dauphine Présenter Sauge avant de l'épouser: Il lui fit faire un peu de belle flamme Pour la sécher d'abord. Tant de beauté, De naturel et de simplicité En cet état le touchait jusqu'à l'âme. Il fit venir perles, saphirs, rubis, Bijoux montés et beaux luths de Vérone. Il fit de même apporter la couronne Et préparer des merveilleux habits. IV COMMENT SAUGE-FLEURIE FIT AU PRINCE UN NOBLE ET TOUCHANT DISCOURS Sauge admira ces objets sans envie Et dit: «Seigneur, les beaux jours sont comptés. Aimez-moi bien, et jamais ne doutez Du bel amour dont j'ai l'âme ravie. Est-il pour moi besoin de tant d'apprêt? N'aimez-vous point la belle solitude, Et des amants n'est-ce plus l'habitude De mieux s'aimer quand l'amour est secret? Restons ici sans plus, si bon vous semble; Nos yeux pourront se parler à loisir, Et nous n'aurons de si charmant plaisir Que seul à seul à demeurer ensemble. Auprès de vous, je sens mon coeur léger; Légère est l'heure aussi qui me convie Et là, tout beau! je vous donne ma vie. Prenez-la donc, mais sans m'interroger.» Elle lui fit un généreux sourire Ne regrettant ce qu'elle avait bien fait, N'y songeant même.--Et son bonheur parfait En mots humains ne se pourrait décrire. --Amour et Mort sont toujours à l'affût: Ne croyez pas que celle que je pleure Fut épargnée. Elle sécha sur l'heure Comme une fleur de sauge qu'elle fut. MORALITÉ Je compte peu qu'une femme ainsi m'aime Jusqu'à mourir: ceci montre, pourtant, Que pour aimer, ne fût-ce qu'en instant, L'on brave tout, Madame, et la Mort même. LES TROIS PETITES PRINCESSES COMMENT TROIS BONNES FEES FIRENT TROIS BEAUX DONS A TROIS PETITES PRINCESSES Trois filles d'un Roi sarrazin, Le même jour, furent priées Et le même jour mariées Aux trois fils d'un Prince voisin. Elles eurent mêmes grossesses: Au bout de neuf mois mêmement, Il leur naquit, pareillement, Trois petites princesses. Le Roi maure, dit le Conteur, Fit proclamer leur délivrance En Inde, en Perse et jusqu'en France, Et dépêcha son enchanteur Auprès de trois gentilles Fées Qui, dans trois chars tendus d'orfrois, Se présentèrent toutes trois, D'aurore et de lune attiffées. Après qu'il fut fait maint salut Et que luth et lyre eurent cesse, Chaque Fée à chaque Princesse Fit le plus beau don qu'il lui plut. A sa Princesse, la Première Donna pour don qu'elle serait Faite comme elle, trait pour trait, Et plus Belle que la lumière. --«Bien que soit richesse en honneur Chez les mortels, dit la Seconde, Mon don n'est perle de Golconde Mais belle perle de Bonheur.» Vint la Troisième.--«Il est encore, Dit-elle, un don plus précieux!» En couvrant l'enfant jusqu'aux yeux D'un suaire tissé d'aurore. En faisant ce don, elle était Si bonne, si douce et si tendre, Qu'on ne se lassa pas d'attendre Le grand bien qu'elle promettait. Grand bien n'est pas ce qu'on présente Souvent pour tel; car là, tout beau! On mit la petite au tombeau, Qui mourut à l'aube naissante. MORALITÉ Mieux que Bonheur et Beaux Appas Vaut la Mort, pour ce qu'est la Vie: Ne la plaignez: Qui ne l'envie Ne vécut et ne m'entend pas. LE PETIT CASTEL DE CIRE I COMMENT ROSE-ROSE AVAIT LE DON D'ENTENDRE LE LANGAGE DES ABEILLES, CE QU'EXPOSE L'AUTEUR EN MANIÈRE D'INTRODUCTION Parmi tous les dons de vertu. De beauté, de grâce et décence Que Rose-Rose, à sa naissance, Eut d'une Fée, elle avait eu Le don d'entendre sans étude Les Abeilles en leurs fredons, Aussi bien que nous entendons Le bon français par habitude. Et grâce à ce rare savoir, Elle avait sur le Roi, son père, Pour gouverner l'État prospère, Tout crédit, conseil et pouvoir: L'hiver n'empêchait pas les roses D'éclore en ces temps merveilleux, Et les Abeilles en tous lieux En savaient long sur toutes choses. Ceci n'est qu'un conte amoureux Que je dédie aux coeurs fidèles. Aimez seulement mes modèles Aussi bien que je fais pour eux. II COMMENT ROSE-ROSE ET MYRTIL EURENT UN SONGE SEMBLABLE, ET DES PROPOS QUE ROSE-ROSE EUT AVEC LES ABEILLES Rose-Rose, à peine éveillée, Dès la première aube appela Ses femmes, et ce matin-là, De blanc voulut être habillée: Elle fut donc vêtue ainsi Que sont les blanches fiancées. Mais nul ne savait ses pensées. L'amour n'avait pu jusqu'ici Troubler une dame aussi sage. On assurait qu'il n'était point De prétendant qui, sur ce point, Eût vu rougir son beau visage. Quand on eut peigné ses cheveux, Plus blonds qu'une moisson dorée, Et qu'elle fut ainsi parée Et belle assez selon ses voeux, Elle fit, contre l'habitude, Éloigner ses Dames d'honneur, Comme si son secret bonheur S'augmentait de sa solitude. Elle s'en fut seule au jardin Pour causer avec les Abeilles. --Des parterres et des corbeilles, Des bosquets, des gazons, soudain Toutes s'empressèrent vers elle, Et par mille souhaits charmants, Grâces, bonjours et compliments, Lui témoignèrent de leur zèle. Après tous ces gentils discours, Prenant sa voix la plus menue, Rose leur dit:--«Je suis venue Vous demander aide et secours; Et tout d'abord je vous rends grâce De ce que vous ne m'avez fait Encor défaut d'aucun bienfait: Voici le cas qui m'embarrasse. «J'aime un Prince que je n'ai vu Qu'en songe encor, cette nuit même; Rien ne m'est plus, sinon qu'il m'aime Et qu'il m'a prise au dépourvu. Amour donc jamais ne nous laisse Sans aimer, car je ne suis plus, Malgré mes dédains résolus, Que joie, espoir, trouble et faiblesse! --«Le lieu de mon songe était tel, Que je vis en cette aventure Ce même jardin en peinture, Ces fleurs et ce petit Castel Que vous m'avez sur la colline Tout bâti de cire, au dessus Du petit lac aux bords moussus Et de ce jardin qui décline. Ce fut là qu'il me vint chercher Et me put expliquer sa flamme En mots si vrais, que jusqu'à l'âme Son bel amour me sut toucher: Et comme en un miroir immense Je me voyais lui souriant Et lui de même me priant Tout obtenir de ma clémence. --«Je suis fils de Roi, disait-il, Et je veux vous aimer sans cesse. Vous pouvez, sans honte, Princesse, M'aimer aussi! J'ai nom Myrtil. --«Mon nom, lui dis-je, est Rose-Rose, --«Et, dans l'instant, nos jeunes fronts Furent, ainsi que nous serons, Couronnés de myrte et de rose. En me voyant si belle ainsi, Et lui plus beau que la lumière, Je donnai mon amour première Au beau Prince que j'ai choisi.» Songe alors n'était pas mensonge, Car Myrtil eut, de son côté, Comme on l'a depuis rapporté, Cette même nuit même songe: Il vit, dans le même moment, Au même lieu, sa même image A Rose-Rose rendre hommage. Et lui faire même serment, Dans ce même Castel de cire Où, sans penser au lendemain, Rose avait bien promis sa main, A n'en douter, à ce beau Sire. Et Rose dit en même temps: --«Allez vite, Abeilles fidèles. Vite autant que vous aurez d'ailes. Dire à Myrtil que je l'attends! Allez du couchant à l'aurore, Et ne revenez pas sans lui; Allez, et dites à celui Que j'aime, au pays que j'ignore, Lorsque vous l'aurez rencontré, Qu'approuvée ou que combattue, Toute de blanc ainsi vêtue, En ce Castel je l'attendrai Chaque jour, à cette même heure, A chaque aube que Dieu fera, Et que, s'il faut, l'on m'y verra Venir jusqu'au jour que je meure!» III COMMENT LES ABEILLES ENTREPRIRENT UN LONG VOYAGE ET COMMENT ROSE-ROSE ATTENDIT LEUR RETOUR On ne pouvait pas, en effet, Contredire en cette occurrence, Car il n'était pas même en France De Prince en tout point si parfait: Et les Abeilles, à l'entendre, D'une part avaient approuvé Tout ce que Rose avait rêvé De beau, de sincère et de tendre, Mais, d'autre part, le pire était Que par mainte et mainte contrée Elles la savaient séparée De Myrtil, et qu'il habitait Au delà des terres connues, En des pays si fort distants, Qu'il leur faudrait bien bien longtemps Avant que d'être revenues. Car le monde est grand, ce dit-on. Pourtant, nos bonnes confidentes, Quoique très sages et prudentes, N'objectèrent rien sur ce ton, Sachant que l'amour ne raisonne Et n'en veut qu'à son bon plaisir, N'ayant le goût ni le loisir De croire ou d'entendre personne. --En rien donc ne contrariant Son dessein, l'ambassade ailée Après s'être au ciel assemblée, Tourna son vol vers l'Orient: Elle allait si fort admirée, Comme un globe d'or dans les cieux. Et paraissait à tous les yeux Si prompte, si belle et dorée, Que telle ambassade, je crois, N'alla du Louvre ou de Versailles Négocier les fiançailles D'aucune fille de nos rois! Rose ainsi fit qu'aux messagères Elle avait dit qu'elle ferait; Chaque jour, elle se parait D'étoffes blanches et légères; Les myrtes aux roses mêlés Ceignaient son front, et sûre d'elle Et de son bel amour fidèle, Malgré bien des jours écoulés Dans l'attente et la solitude, En son Castel, chaque matin, Elle attendait l'époux lointain Sans trouble et sans incertitude. Et tel était son sentiment Et sa foi, que la longue attente Ne la rendait que plus constante, Et que l'on admirait comment Sa magnifique indifférence Mettant la Cour en désarroi Déconcertait maint fils de Roi Venu dans une autre espérance, Son Père était tout déconfit Et le pauvre homme en cette affaire Ne savait vraiment plus que faire: Et que vouliez-vous bien qu'il fit? Larmes, prières, étaient vaines; Et ce fut tout de même en vain Qu'il s'enquit d'un fameux devin Et qu'il ordonna des neuvaines. Rose n'entendait pas raison. Et revenait, sans être lasse, Chaque jour à la même place Consulter le pâle horizon Dès l'aube.--Et la belle songeuse Ne songeait à rien qu'à l'amant, Que lui ramenait sûrement Son ambassade voyageuse. IV COMMENT MYRTIL FIT A TRAVERS LE MONDE UN VOYAGE MERVEILLEUX QUI DURA CENT ET CINQUANTE ANNEES. Myrtil s'était mis en chemin, Guidé par les bonnes Abeilles. Lorsqu'il les eut de ses oreilles Ouï, comme en langage humain, Qui contaient l'histoire suivie De son beau songe trait pour trait, Et comment Rose l'attendrait S'il le fallait, toute la vie, Aussitôt le Prince amoureux, Malgré tout le noble entourage, Qui ne craignait que son courage En ce départ aventureux, Prit une belle et bonne armée Et se mit en marche à travers Tant et tant de peuples divers, Pour retrouver sa bien aimée, Qu'il n'est Monarque ou Conquérant Qui, pour de moins belles victoires Et des travaux moins méritoires, N'en ait reçu le nom de Grand. L'Amant, dont la fortune heureuse N'avait que des coups surprenants, Par les mers et les continents Promenait sa gloire amoureuse. --Mais, si je tire du récit, Dont j'ai suivi le commentaire, Qu'il venait du bout de la terre, Notre monde se rétrécit Et n'a plus la même apparence; Car, outre les pays connus Dont bien des gens sont revenus, Tels que Chine, Inde, Egypte et France, Il avait encor parcouru Bien des mers depuis ignorées Et de fabuleuses contrées Qui de ce monde ont disparu: La mer où chantaient les Sirènes Et les vallons mélodieux Peuplés de Héros et de Dieux Encor chers aux Muses sereines. Le jardin d'Eden, où tomba Adam et la race insoumise Des hommes, la Terre Promise Et le Royaume de Saba, La côte d'Ophir et, près d'elle, L'or en montagne accumulé, Le Venusberg, l'île Thulé, Où mourut le Vieux Roi fidèle, Et les terres des Paladins, Et la Forêt où j'imagine Que vivaient Morgane et Brangine, L'Ile d'Armide et ses jardins Avant Renaud et la Croisade, Et tout l'Orient enchanté, En mille et une nuits conté Par la bonne Schéhérazade: Et Myrtil allait à travers Le monde, entrainant à sa suite, En son amoureuse poursuite, Tous les peuples de l'Univers! Car les Abeilles étaient Fées, Et, dès que son glaive avait lui, Les rois vaincus dressaient pour lui Des colonnes et des trophées. Si le voyage fut si grand Que je n'ai pu faire le compte Des merveilles qu'on en raconte, Je puis, du moins, en comparant Les dates qui m'en sont données. Conclure que, pour parcourir L'Univers et le conquérir, Il mit cent et cinquante années.[1] [Note 1: Ce calcul est insuffisant, Car alors la belle durée Des longs ans était mesurée Autrement qu'elle est à présent. (Note de l'auteur)] V COMMENT MYRTIL VIT LE PETIT CASTEL DE CIRE ET LES ADMIRABLES CHANGEMENTS QUI S'ÉTAIENT FAITS DANS LA NATURE DU JARDIN Il est clair qu'un si grand concours De peuples en tel équipage Ne se meut point sans grand tapage. Donc, par les chemins les plus courts, Tous les courriers de la frontière Revenaient en hâte, annonçant A Rose qu'un Roi tout Puissant Avait conquis la terre entière Et n'avait plus qu'à conquérir Ce seul royaume, en telle sorte Que son armée était si forte, Qu'il entrerait sans coup férir. Rose ouït ce préliminaire Comme Reine, sans s'émouvoir, Ayant hérité du pouvoir De son père mort centenaire, (On vivait très vieux en ce temps). Mais l'on s'étonnait que la Reine Demeurât d'humeur si sereine Devant ces périls éclatants. Or, sans vous creuser la cervelle. Vous avez deviné comment Rose ne s'émut nullement En entendant cette nouvelle, Car vous pouvez vous figurer Que quelque Abeille avant-coureuse Avait dit à notre amoureuse Plus que de quoi la rassurer. La Mouche-Fée, à son oreille, Comme une clochette d'or fin, Sonna si doucement, qu'enfin Rose n'eut joie autre ou pareille. Comme moi, vous pouvez déjà Conclure de cette arrivée Que, dès que l'aube fut levée Dans le ciel et se propagea, Myrtil avait quitté sa tente, Et précédé du bel Essaim Qui le servait en son dessein, Poursuivait sa course constante, Et cela de telle façon, Que Myrtil, comme je vais dire, Vit le Petit Castel de cire Dont notre Essaim fut le maçon. Toutes choses étaient changées Sinon de lieu, du moins de fait: Les mêmes lilas, en effet, Et les buis en belles rangées, Avec l'âge étaient devenus Si grands, si grands, que les grands chênes, Que l'on voit aux forêts prochaines, N'étaient que brins d'herbe menus, Et que les reines marguerites, Ainsi que les jeunes rosiers, Abeilles, où vous vous posiez, Sans rien perdre de leurs mérites, Etaient en telle floraison, Qu'en une rose, n'en déplaise, Rose aurait dormi mieux à l'aise Qu'en son lit, par comparaison. Et l'odeur fraîche et pénétrante De tant de parfums, dit l'auteur, Avait fait une eau de senteur De l'onde unie et transparente Du lac, qui s'était tant porté Hors de ses bornes naturelles, Que ses eaux pouvaient bien entre elles Couvrir notre monde habité. Car toutes choses, au contraire De s'enlaidir, avaient été Vieillissant en telle beauté Qu'il est malaisé de pourtraire Les admirables changements Qui s'étaient faits dans la nature Du jardin qu'avaient, en peinture, Montré deux songes si charmants. VI COMMENT LES COLOMBES BLANCHES ACCOMPAGNÈRENT ROSE-ROSE JUSQU'AU CASTEL DE CIRE ET COMMENT MYRTIL L'Y REJOIGNIT. Si la blancheur est un des signes De la vieillesse, je dirai Que les Biches au poil doré, Les Tourtereaux bleus et les Cygnes Plus noirs alors que les corbeaux, Si j'en crois l'auteur que je cite, Etaient en ce merveilleux site Si blancs de vieillesse et si beaux, Que de race en race engendrée Jusqu'à leurs derniers rejetons, Aux pays que nous habitons Leur blancheur en est demeurée. C'est seulement depuis ce temps Que nous voyons le blanc plumage Des colombes au doux ramage, Biches blanches et merles blancs. Quoi qu'il soit de cette origine, Vous eussiez vu là ce matin Les belles brouteuses de thym, Plus blanches que l'on n'imagine. S'arrêter de brouter pour voir Passer la blanche fiancée Grave et dès longtemps exercée Au long amour de son devoir: Tandis que la troupe fidèle Des colombes allait volant Jusqu'au Castel, et s'emmélant Par couple léger autour d'elle. Car les colombes, par milliers, Que ce bel amour intéresse, Escortaient leur bonne maîtresse A ses rendez-vous journaliers. Vous dirai-je encor davantage? Si d'une part les verts ormeaux Et les cèdres aux noirs rameaux, A mesure de leur grand âge, Avaient poussé leur front serein Et leur taille extraordinaire Bien haut au dessus du tonnerre, D'autre part, l'effort souterrain De leurs racines biscornues, Travaillant la colline, avait Fait que le Castel se trouvait Comme un temple parmi les nues. Et ce n'était plus comme avant Colline humble, pente et mi-côte, Mais pic d'azur, montagne haute Où ne peut atteindre le vent. L'accès au Prince en fut facile, Soit qu'alors un char enchanté Ou quelque autre engin l'ait porté Auprès de Rose en cet asile D'amour, de gloire et de repos, D'où l'on voyait par les vallées Dix mille villes assemblées, Comme en leurs parcs, de blancs troupeaux, Les mers et les eaux miroitantes, Et les moissons et les forêts, Et sur cent mille arpents, auprès Du lac profond, cent mille tentes! VII COMMENT ROSE ACCUEILLIT MYRTIL ET DU DISCOURS QU'ELLE LUI TINT Myrtil s'avançait au milieu Des Colombes, parmi les nues, Et des Abeilles revenues De leur voyage en ce haut lieu, D'où Rose eut le monde en offrande. Mais cette fois le Conquérant, Au monde même indifférent, Trouve enfin que la terre est grande Assez, puisqu'il a retrouvé Rose-Rose et son doux sourire, Et, tel que je l'ai pu décrire, Le Castel qu'il avait rêvé. Et comme il déposait son glaive En s'agenouillant sur le seuil, Rose s'en vient lui faire accueil De ses deux bras et le relève: --«Heureux le jour où je te vois, Myrtil, heureuses les années Qui rassemblent nos destinées!» Dit-elle. Et le son de sa voix, Limpide comme une fontaine, Est frais comme les belles eaux Où viennent boire les oiseaux Après une course lointaine. «Heureux le songe où je t'ai vu! Et vous, compagnes dévouées De son retour, soyez louées, Abeilles, pour avoir pourvu De tant d'honneur son beau courage, Et pour me l'avoir ramené Aux lieux où notre amour est né, Dans le premier temps de notre âge. Cher époux, tu m'es donc rendu, Mais je n'eus que joie à t'attendre, Puisque je t'ai d'un coeur plus tendre, En toute assurance, attendu: Et cette assurance était telle Et me faisait vivre si fort Que j'eusse attendu sans effort Jusqu'à devenir immortelle! Non, non, les ans n'ont apporté A notre amour aucun dommage, Amour a toujours le même âge, Et t'ai-je seulement quitté! Car, malgré les longues années, Tu vois que sur mon front les fleurs Dont nos noms portent les couleurs, Ne sont point seulement fanées. Viens, Myrtil, donne-moi la main. Et bien que ta vertu connaisse L'arche d'amour et de jeunesse, Je veux te montrer le chemin, Et comment en notre demeure Pour nous un même trône est prêt Où j'avais dit qu'on me verrait Venir jusqu'au jour que je meure!» Et sur leur trône radieux Ils furent, comme deux statues Augustes et de blanc vêtues, Comme on imagine les dieux Auprès des déesses insignes: Et leurs cheveux en s'argentant Etaient devenus blancs autant Que les colombes et les cygnes: Car, puisqu'il faut vous dire tout En un mot, sachez, je vous prie, (Bien qu'un miracle de féerie Eût été bien mieux de mon goût) Que l'âge en cette conjoncture Avait de même, parait-il, Rendu Rose-Rose et Myrtil Aussi vieux qu'était la nature. Oh! que s'il m'eût été permis, Ainsi qu'aux poètes antiques. De créer des dieux authentiques, Je les eusse en un temple mis Parmi les plus touchants exemples D'amour et de fidélité, Chacun contre l'autre accoté, Sous un dais de pourpre aux plis amples, Tels quels avec leurs blancs habits Ainsi qu'avec les myrtes pâles Changés soudain en fleurs d'opales Parmi des roses de rubis: Car en même temps leurs prunelles Et leur sourire, en vérité, Avaient pris l'immobilité Qui n'est qu'aux choses éternelles! De cela, vous ne doutez pas, Comme il apparaît, ce me semble, Qu'ils étaient réunis ensemble Et passés de vie à trépas, Dans le petit Castel de cire Qui devint ainsi leur tombeau: Et leur sort m'a paru si beau, Qu'il m'a plu de vous le décrire. VIII COMMENT LES ABEILLES CHANTÈRENT, CE QUE L'AUTEUR EXPOSE EN MANIÈRE DE CONCLUSION Le vieux conte que j'ai suivi, Dit encore, entre autres merveilles, Que sur ce les bonnes Abeilles, S'empressant toutes à l'envi, De miel et de cire embaumée Vinrent murer le monument Où notre glorieux amant Dormait avec sa bien-aimée; Et que notre Essaim tout autour De cette belle sépulture, Dont il avait clos l'ouverture, Forma jusqu'au déclin du jour Des chants faits de si doux bruits d'ailes, Qu'il était plus croyable encor Qu'il célébrât les noces d'or Des Epoux à jamais fidèles. LES DEUX TALISMANS COMMENT LA FEE ARBIANNE AVAIT DEUX AMANTS La Fée Arbianne avait deux talismans: Un Casque d'or qui rendait invisible, Et, d'autre part, une Épée invincible. Arbianne avait de même deux amants. Si je l'en blâme, au moins que l'on m'accorde, Au lieu d'aller se creuser le cerveau, Qu'en avoir trois chez nous n'est pas nouveau, Et qu'aux beaux luths, il n'est point qu'une corde. Son choix ne fut ni bas ni hasardeux: Tous deux étaient fils de Roi, dit le conte. Elle donna l'Épée à l'un pour compte, Le Casque à l'autre, et les aima tous deux. --De garde au pied de sa tour d'émeraude, L'un de l'Épée allait tout pourfendant, Monstre, dragon, harpie et prétendant, Et la gardait, en se gardant de fraude. --L'autre invisible allait surprendre ainsi La Fée à point en son bain d'eau de rose, Et, comme on dit, ce ne fut point en prose Qu'il lui conta son amoureux souci. MORALITÉ L'amant au Casque est l'amant qu'on préfère: Et je déduis d'Amour et de ses lois, Que vaillants coups d'épée et beaux exploits Ne valent pas prudence et savoir faire. MULOT ET MULOTTE COMMENT MULOT ET MULOTTE REÇURENT DANS LEUR CABANE UNE VIEILLE HORRIBLE Deux vieux époux, pauvres et gens de bien, Vivaient du temps de ma Grand'Mère l'Oie, Comme beaucoup des héros que j'emploie. Ils se nommaient, si je me souviens bien, L'homme Mulot et la femme Mulotte. Tous deux étaient couchés dans le moment, Et, dans leurs lits, ils dormaient chaudement: Vieil amour même empêche qu'on grelotte. Cette remarque est ici de saison; La neige avec la bise faisait rage Tant et si bien, qu'en cette nuit l'orage Menaçait fort d'emporter la maison. Je dis maison, je veux dire cabane. Car au maçon, qui n'usa de cordeau, Il ne fallut qu'un peu de terre et d'eau, Non plus de bois que la charge d'un âne. Comme ils dormaient, une Voix appela, Une et deux fois, puis trois, de telle sorte Qu'il était clair que quelqu'un à la porte Demandait aide. --«Eh! Parbleu, me voilà!» Fit le bonhomme, en quittant sa paillasse. Et rien n'est plus cruel que lorsqu'il faut Quitter ainsi pour l'air froid le lit chaud. En aurions-nous fait autant à sa place? --«Oh! Pour l'amour de Dieu!» demandait-on D'une voix douce autant que douloureuse. Mulot ouvrit. Mais une Vieille affreuse Entra: La voix, du coup, changea de ton. --«Fort bien!» dit-elle. Elle était secouée De fièvre ensemble et de froid, les pieds nus, Et puis lépreuse, à des signes connus, Car elle avait une voix enrouée Comme ont les chiens après de longs abois, La face ardente avec les chairs putrides, L'oeil clair dans l'ombre, et sur la peau des rides Rèches autant que l'écorce du bois. Vous auriez eu la preuve à voir sa mine, Ses yeux méchants et ses ongles crochus, Que pour bons coeurs il n'est gens si déchus, Puisqu'en pitié l'on prit cette vermine Et que nos gens la mirent en leur lit. Mulot jeta dans l'àtre une bourrée, Donna le linge, et Mulotte affairée Eut du courage aux soins qu'elle accomplit. II COMMENT CETTE VIEILLE ÉTAIT UNE BELLE FÉE, ET COMMENT ELLE OFFRIT DE DONNER A MULOT ET A MULOTTE RICHESSES ET HONNEURS Comme on lavait cette triple Mégère Voilà-t-il pas que, sans désemparer. Elle en vient toute à se transfigurer, Tant qu'en beauté le Conteur n'exagère, Et qu'elle en a blonds cheveux à monceaux, Les traits charmants, les chairs amignonnées Comme au matin des roses fleuronnées, Et les yeux bleus du bleu profond des eaux. --D'un trait à l'autre on ne vit le passage-- Et puis drap d'or, taffetas et satin, Couleur d'iris et couleur du matin Lui font gentils cotillon et corsage. Elle sauta du lit pour mieux causer, Ayant un astre au front, qui l'illumine. Lors elle était de si gentille mine, Qu'il eût fallu le Roi pour l'épouser! C'était alors une ordinaire chose Que Fée errante et Fantômes changeants: Aussi ni l'un ni l'autre de nos gens Ne s'étonna de la métamorphose. --«Ami, je suis satisfaite de vous,» Leur dit la Fée; et sa voix naturelle Etait ainsi qu'un chant de tourterelle, Et son sourire encor était si doux, Que nos bons vieux en furent vite à l'aise. --«Ça, faites-moi de grands souhaits, je veux En un moment accomplir tous vos voeux,» Reprit la Fée. MULOT «Eh! ne vous en déplaise, De votre part, c'est bien de la bonté. LA FÉE «Dis, que veux-tu pour bonne récompense? MULOT «Dam! rien. LA FÉE «Quoi! rien? MULOT «Rien du moins que je pense.» LA FÉE --«Oh! oh! Le cas est rare en vérité, Et je vois bien qu'il faut que je vous aide. --«Et je sais trop, se dit-elle en songeant, «Par où le prendre: il n'est souci d'argent Que l'homme riche ou pauvre ne possède.» Et ce disant la Feé avait raison: Dépense induit en nouvelle dépense. Richesse autant que misère dispense D'avoir un sou vaillant à la maison. LA FÉE «Ami Mulot, veux-tu devenir riche A ton souhait? MULOT «Et ne le suis-je pas? Ma femme et moi faisons nos deux repas, Ma belle Dame, et mon bien n'est en friche. J'ai pour ma vache assez de foin fauché, Mes trois pommiers emplissent dix corbeilles. «Je mouds vingt sacs de seigle, et les abeilles Valent, par an, deux écus au marché. Je puis encor tous les jours de l'année --Sans vous fâcher--donner aux pauvres gens, Clercs en voyage ou moines indigents, L'aide du ciel que je vous ai donnée. LA FÉE (à part.) --«Le Roi toujours n'eut si bon compagnon, Et noble coeur fait souche de noble homme. Mulot, ma foi! serait bon gentilhomme. On en a vu bien d'autres: pourquoi non? (S'adressant à Mulot.) «Maître Mulot, veux-tu que je te fasse Seigneur céans, écuyer ou baron? J'attacherai moi-même l'éperon. Tu prendras nom Mulot de Bonne-Face; Et tu pourras porter en mon honneur Le champ d'azur de mon blason de Fée Dragon d'argent et colombe coiffée. Et si sur ce quelque beau raisonneur Vient à gloser, il l'ira dire à Rome!» MULOT --«Je suis certain, belle Dame, à vous voir Que vous avez magnifique pouvoir Et ne voulez vous rire d'un pauvre homme. Mais, voyez-vous, honneurs sont dangereux. L'autre semaine en notre voisinage Un vieux Seigneur, à peu près de mon âge, Fut bien occis aux croix du chemin creux. Il fut, pourtant, charitable en sa vie, De bon esprit comme de bon aloi. Je ne pourrais, en mon nouvel emploi, Non mieux que lui, me garder de l'envie. Car je ne suis bien savant ni bien fort, Et n'eus jamais encrier ni rapière. Et sans compter que mon cousin Grand-Pierre Se gausserait certe, et n'aurait pas tort.» III COMMENT LA FÉE VOULUT RENDRE A MULOT ET A MULOTTE LA JEUNESSE, ET DE LA BONNE ODEUR DE LILAS QUI SE RÉPANDIT DANS LA CABANE Quoiqu'un peu sotte en toute cette affaire, La bonne Fée eut le coeur de chercher Quel nouveau don le pourrait bien toucher Et quel grand bien elle lui pourrait faire: Et tout à coup elle lui demanda: --«Aimes-tu bien ta femme? MULOT «Il n'est, pardienne! Bonne besogne encore que la sienne. LA FÉE «Et l'as-tu bien toujours aimée? MULOT «Oui-da! Je m'en souviens, elle était de votre âge, C'était le mois qui suivit la moisson, Il se peut bien alors qu'un bon garçon Fasse sa cour sans manquer à l'ouvrage. Et, sans avoir le teint que vous avez, Elle était bonne et belle à sa manière Et fraîche ainsi qu'une fleur printanière. Bref, en deux mois nous étions arrivés (Nous connaissant déjà de longue date) A nous aimer. Si bien que les voisins En me voyant ramener ses poussins, Fendre le bois et lui porter sa jatte, Disaient:--A quand la noce et le repas? Quoique la chose encor ne fût pas faite, Car les parents sont toujours de la fête. Et cependant ils ne se trompaient pas. J'étais un gars de quelque économie, Et je sus bien, le jour qu'il en fut temps, Aller quérir vingt bons sous d'or comptants Pour les bailler aux parents de ma mie. Et depuis, dam! j'ai semé notre blé, Et nous avons vécu toujours ensemble. N'est-ce pas tout vous dire, ce me semble? Le temps, ainsi que l'eau coule, a coulé.» --«Maître Mulot,» lui dit la bonne Fée, --Et dans l'instant, le vent de renouveau Qui remplit l'air vous eût pris le cerveau, Comme un parfum de lilas par bouffée.-- «Maître Mulot, veux-tu redevenir Jeune, et revivre une jeunesse telle Avec Mulotte?--Et Mulotte veut-elle En même temps que Mulot rajeunir? Parle, Mulot,--et parle aussi, Mulotte; Car jusqu'ici tu n'as beaucoup parlé, Et Fée ou femme, en notre démêlé, N'eût pas manqué de porter la culotte.» Mulotte, ainsi qu'elle eût fait à vingt ans, Baissa les yeux; car, pour femme soumise, Parler devant son homme n'est de mise: L'exemple est bon aux femmes de tous temps. Et Mulot dit: --«Si ma pensée est nette, Respect gardé, pourtant je ne puis point Vous satisfaire encore sur ce point Non plus que faire une réponse honnête. Excusez-en, Madame, un vieux barbon. Vivre deux fois est-il un avantage, Et si je fais peau neuve en mon grand âge, Serais-je bien Mulot pour tout de bon? L'homme se prend aux ruses qu'il machine. Et je préfère encor ne rien changer, Bon bûcheron n'a son fagot léger, Et les ans lourds, qui me courbent l'échine, M'ont plu comme un fagot à fagoter, Et bien qu'encor la charge soit pesante, Je crois qu'avec Mulotte, ici présente, Nous viendrons bien à bout de la porter. Votre bonté passe en tout mon envie, Et pour ma part j'ai le sens trop étroit Pour être induit à tenter par surcroit Le sort chanceux d'une seconde vie.» IV COMMENT LA FÉE EN BONNE PERSONNE BUT ET MANGEA AVEC MULOT ET MULOTTE Le Conteur dit que l'on ne poussa pas, Et que la Fée était bonne personne. --«Chacun, dit-elle, à sa mode en raisonne, Ami Mulot. Vous êtes, en tout cas, De braves gens,--le reste vous regarde.» Puis, honorant Mulot comme il voulait, Elle trempa du pain bis dans du lait Et but avec nos bons vieux. Dieu les garde! LE PRINCE AZUR COMMENT GENEVIEVE ATTENDAIT LE PRINCE AZUR, ET DE LA MORALITÉ GÉNÉRALE QUE CHACUN PEUT TIRER DES CONTES DES FÉES Geneviève a quinze ans. Elle aime les étoiles: A l'heure où l'araignée aux herbes tend ses toiles. Le bois devient pour elle un lieu d'enchantement: La nuit s'emplit de Voix magiques. Par moment, L'effroi surnaturel des choses l'enveloppe: Elle frémit ainsi qu'une blanche antilope Qu'émeut l'errant amour de son époux lointain. Elle a dans sa main frêle une branche du thym, Et dans ses cheveux noirs des fleurs de renoncule. Sous la lune, en un pâle et moite crépuscule, Confiante, elle attend que quelque char ailé L'emporte doucement vers le ciel étoilé, Et croit, sitôt qu'un souffle anime les broussailles, Que le beau Prince Azur vient pour des fiançailles; Mais craintive pourtant du Prince ravisseur, Comme pour se garder, joint les mains sur son coeur. Garde, garde ton coeur, ô petite amoureuse! Et crains que le grand mal d'aimer, un jour, ne creuse Un amer et profond sillon sous tes beaux yeux: Victime dévouée à l'Amour soucieux, Crains, trop aimante enfant, que, dans ton choix peu sûre, Tu ne joignes les mains, un jour, sur la blessure Que te fera de tous le seul qui t'aura plu, Mais qui n'était pas tel que tu l'avais voulu! ÉPILOGUE _La ruse n'en n'est pas nouvelle: --Le vieux Conteur que j'ai cité N'a jamais encore existé Autre part que dans ma cervelle. Tout ce que je vous en ai dit Est pour donner à chaque conte Que j'invente et que je raconte Plus de force et plus de crédit, Je connais la nature humaine, Et sais qu'un poète inconnu N'en serait autrement venu A vous mener où je vous mène. 9 novembre 1880._ NOTE Jamais amour n'a pu mieux s'exprimer Qu'en quatre mots que je cite à mon aise, Et j'aime fort la Dame Lyonnaise Qui fît ce vers comme elle sut aimer! --Pour le plaisir d'écrire oeuvre si belle Je veux citer tout entier le sonnet. --N'aimez la Dame autrement si ce n'est De tout l'amour que je me sens pour elle. SONNET Oh! si j'étais en ce beau sein ravie De celui-là pour lequel vais mourant, Si avec lui vivre le demeurant De mes courts jours ne m'empêchait envie. Si m'accolant, me disait: Chère Amie, Contentons-nous l'un l'autre, s'assurant Que ja tempête, Euripe, ni courant Ne nous pourra desjoindre en notre vie, Si de mes bras le tenant accolé, Comme du Lierre est l'arbre encercelé, La mort venant, de mon aise envieuse: Lorsque souef plus il me baiserait, Et mon esprit, sur ses lèvres fuirait, Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse. Cf. Oeuvres de Louise Labé, Lyonnaise, Sonnet XIII TABLE INTRODUCTION LE ROSIER ENCHANTÉ BELLE-MIGNONNE SAUGE-FLEURIE LES TROIS PETITES PRINCESSES LE PETIT CASTEL DE CIRE LES DEUX TALISMANS MULOT ET MULOTTE LE PRINCE AZUR ÉPILOGUE NOTE TABLE *** End of this LibraryBlog Digital Book "Contes des fées" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.