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Title: Le specule des pecheurs
Author: Castel, Jean de
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Le specule des pecheurs" ***


images generously made available by the Bibliothèque
nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)



Le specule des pecheurs

Jean Castel



En ce present volume sont contenus troys livres. Le premier est nommé le
specule des pecheurs. Le second livre est appellé l'exortation des
mondains tant gens d'eglise comme seculiers. Le tiers livre se nomme
l'exemple des dames et damoiselles et de tout le sexe femenin. Le
premier nommé le specule des pecheurs contient quinze chapitres
principaulx. Le premier chappitre admonneste comment on se doit inciter
a bien faire et se repentir de ses pechés envers dieu. Le second
chappitre recite comment il fait bon retenir les paroles en ce livre
escriptes en soy desprisant et le monde.  Le tiers chappitre enseigne
comment on doit penser qu'on est viande a vers et qu'on deviendra a la
fin cendre. Le quatriesme chappitre demonstre comment aucun parent ne
amy ne peut secourir son prochain a l'eure de la mort et des grandes
douleurs qu'on y seuffre. Le cinquiesme chappitre parle comment on put
comme charougne après la mort et comment les plusgrans clers se doyvent
humilier en leur science. Le sixiesme chappitre enseigne comment les
plusgrans clers dessusdicts ne sont pas les plus consciencieux
aucunesfois. comme dit saint bernard. Le septiesme chappitre demonstre
comment nous devons penser que c'est toute povreté et misere de nostre
conception Le huytiesme chappitre enseigne comment ce nous est grant
abus de vestir de vestemens precieux nous corps qui seront en la fin
pourris pour devestir nostre ame de vertus. Le .ix. chappitre enseigne
comment nous devons penser que sont devenus les plusgrans du temps passé
qui furent comme nous sommes et que peu leur ont profité leurs honneurs.
Le .x. chappitre demonstre comment nous devons souvent regarder aux
eglises les sepultures et aux charniers des cymetieres les ossemens de
ceulx qui jadis furent. Le xi. chappitre parle de l'orreur horrible
qu'on a des visions qu'on veoit a l'eure de la mort et après mort sans
aide d'ami Le .xii chappitre parle de la maniere du terrible et
espoventable jour du divin jugement ou chacun viendra conter de ses
mesfaictz. Le .xiii. chappitre recite comment les dannés seront en corps
et en ame tourmentés après le jour du jugement. Le .xiiii. chappitre
contient les principales peines des dannés en demonstrant que leur ont
prouffité chasteaulx terres possessions et richesses. Le .xv. chappitre
recite les principalles joies de paradis selon les divines escriptures
des saincts sacrés docteurs

Le second livre nommé l'exortation des mondains tant d'eglise comme
seculiers contient six chappitres principaulx divisés en six balades. Le
premier chappitre en balade demonstre comment l'omme doit vivre pour
avoir paix a dieu et au monde pour contempner toutes richesses et
amander sa vie. dont le refrain est Par ce moien nous aurons tousjours
paix. Le second chappitre compris en balade parle contre ceulx et
principallement gens de court qui aiment ce maleureux monde pour perdre
la vie eternelle dont le refrain c'ensuyt Homme desfait et a perdicion.
Le troisiesme chappitre en balade remonstre comment toutes gens d'eglise
et en especial parle aux prelas comment ilz se doivent despriser et le
monde aussi en menant bonne vie dont le refrain s'ensuyt en deux vers
Mais sçais tu quant demain par adventure. Ou aujourd'uy pourtant donne
toy garde Le quatriesme chappitre en balade bien proufitable contient
les principalles joyes de paradis et les peines d'enfer dont le refrain
s'ensuyt Qui tousjours dure et qui jamais ne cesse. Le cinquiesme
chappitre en balade remonstre comme on doit aprendre a bien vivre pour
bien mourir et renuncier au monde dont le refrain s'ensuit Pour bien
mourir et vivre longuement. Le sixiesme chappitre en balade remontre
comment on doit acquerir le tresor des cieulx et despriser toutes
richesses don le refrain s'ensuit. Ou chacun peut sans riens mettre tout
prendre

Le tiers livre nommé le mirouer des dammes et damoiselles et l'exemple
de tout le sexe femenin contient en effect comment toute beaulté
richesse puissance renon honneur noblesse possession et toute domination
tourne et fine en douleur en povreté et en tristesse par quoy on doit si
bien vivre sur terre en soy desprisant devant la mort qu'on puisse
regner sans fin lassus ou est vie perpetuelle



Cy commance le specule des pecheurs fait et compilé pour le salut des
ames sur pluseurs divines escriptures des saincts docteurs par frere
jehan de castel religieux de l'ordre saint benoist et croniqueur de
france.

Et pource que pluseurs profons clers ne se delectent pas a oyr choses
faites et versifiees toutes en françois ou en prose. ne aussi pluseurs
gens simples lais a escouter livres en latin tant en proses comme en
mettres affin que les clers et les lais soient aucunement contans ledit
specule a esté fait et composé tant en latin comme en françois mixtionné
en pluseurs lieux a la requeste de reverend pere en dieu messire jehan
du bellay noble homme evesque de poitiers et abbé de saint florent près
de saulmur au dyocese d'angiers l'an de grace mil quatre Cens .lxviii



Le premier chappitre du premier livre


    Sens sans conseil et aussi sans prudence
    Ce dit moyse _utinam saperent_
    En oultre plus dit pour l'intelligence
    Du temps futur _et intelligerent
    Novissima atque providerent_
    Pour ung chacun de bien faire advertir
    Helas pourtant vueillons nous convertir

    Considerons nostre fragilité
    Et regardons nous jours qui sont si cours
    Las nous voions guerre et mortalité
    Venir vers nous las plus tost que le cours
    Si tost aller et n'y voulons attendre
    Las pensons y pour dieu sans plus attendre

    O sentence de dieu salut portante
    Par la quelle nous est instruction
    De sapience et aussi confortante
    De contenence humble amonition
    De divine grace acquisition
    Exaulcement aussi de penitence
    Semblablement mirouer de providence

    O de jesus nostre doulx createur
    Et plasmateur _miranda bonitas_
    O de jesus nostre vray curateur
    Et redempteur _maxima caritas_
    O du sauveur _dulcis benignitas_
    Qui ses servans de mort a vie a mis

    Nous sommes serfs mais a dieu bien servir
    Le temps passé feusmes trop negligens
    Dont la grace n'avons peu desservir
    De la quelle sommes tres indigens
    Helas pourtant soions plus diligens
    Le temps futur tant que serons en vie
    Et de bien faire aions tousjours envie

    Mauvais sommes et desservi avons
    Mort plus que vie et si cognoissons bien
    Que nous mourrons et l'eure ne savons
    Ne de nous jours le nombre aussi combien
    Et toutesfois pour nous mouvoir a bien
    Qui a tout mal est tousjours different
    Dieu nous conseille _utinam saperent_

    Qui est l'omme s'il a entendement
    Qui ne se doyve en cueur trop resjouir
    Quant il congnoist que de son sauvement
    L'advise dieu comme icy peut oyr
    Pour le fayre du royaume jouir
    Lassus sans fin que ceulx possideront
    _Qui precepta sua_ bien garderont

    Pourtant sur tout les mandemans gardons
    _Studiose atque impleamus_
    De les briser bien nous contregardons
    _Sed devote ea diligamus_
    Et a yceulx _hic obediamus_
    Ou aultrement saint pol dit que nous sommes
    Miserables sur tous les meschans hommes

    Mais pour le mettre a execution
    Il nous convient premierement savoir
    Que nous devons de toute affection
    Sur toute rien dieu en grant crainte avoir
    Nostre prochain amer sans decevoir
    Pareillement ce qui peut a dieu plaire
    Et haïr tout ce qu'il luy peut desplaire

    Or acomplir ceci on ne pourroit
    Aucunement sans la grace acquerir
    Mais qui sa grace acquerir bien vourroit
    De cueur contrit le fauldroit requerir
    Bien pur et net pour le moyen querir
    D'avoir son aide et son conseil ensemble
    Car par ces points nous l'aurons se me semble

    Helas pourtant en estat nous mettons
    En requerant a dieu misericorde
    Et desoresmais chose ne commetons
    Dont nous soions envers luy en discorde
    Mais ung chacun de moyse recorde
    Le saint prophete homme en dieu reverend
    Ceste leçon _utinam saperent_



Le second chappitre


    O chers freres _queso que legitis_
    Retenés bien _et intelligite
    Et inquantum deum diligitis
    Oblivisci hec verba nolite_
    Car qui bien pense en ceste auctorité
    Il mect remede en son temps advenir
    Par quoy encore a bien peut parvenir

    Car pour certain _hujus sentencie
    Supradicte consideratio
    Est medela false malicie
    Superbie atque destructio
    Similiter evacuatio_
    De venteté qui n'est que vanité
    Parfection aussi de sanctité

    _Luxurieque effugatio_
    Et d'envie c'est toute extinction
    _Discipline atque constructio_
    Et de salut c'est preparation
    Et pourtant dieu pour la salvation
    Des negligens _ut bonum facerent_
    Dit a moyse _utinam saperent_

    _Heu heu quam pauci sunt_ au monde
    _Qui sapiant_ de dieu ceste sentence
    Ne qui tiennent leur conscience munde
    Ou qui portent de leurs maulx penitence
    Ne qui facent auchune resistence
    Contre la chair le monde et l'annemi
    S'aucuns le font ce n'est pas a demy

    Dieu que peu sont qui aient congnoissance
    Que leur chair soit cendre et corruption
    Ne qui pensent en leur ville naissance
    N'a leur pechés n'a leur salvation
    Encore moins qui recordation
    Aient d'enfer ne de leur mort soudainne
    Tant les deceoit ceste vie mondainne

    Pourtant dieu veult que tousjours en prudence
    Soit des pecheurs le cueur et la pensee
    Et pource affin que par la providence
    Sa majesté ne feust plus offensee
    Par malice souuant d'eulx pourpensee
    Et qu'a leur fin _bene concuperent_
    Dire leur fist _utinam saperent_

    Las et pourtant chers freres concevés
    Ceste sentence et ne l'oubliés pas
    Car vous sçavés et bien aparcevés
    Que ce monde n'est que ung petit trespas
    Ou nous courons trop plus tost que le pas
    Sans y mettre provision future
    Las pensons y comme a dit l'escripture

    Trescher frere ceste admonition
    _Cum studio_ de cueur ferme et estable
    Et par grande deliberation
    Conceoy souvant qu'elle est proufitable
    Tesmoing moyse homme tant veritable
    A tout pecheur qui bonne fin veult faire
    Et ses briefs jours en bonne euvre parfaire

    Car tout ainsi comme l'audeur d'encens
    S'il n'est au feu tu ne sens propement
    Ne plus ne moins des saincts escrips ton sens
    La sentence ne conceoit nullement
    _Nisi primo sapias_ clerement
    _Intelligas et sepe studeas
    Novissima atque provideas_

    _Ecce frater carissime tibi
    Tria in hec ponuntur_ cest science
    Premierement _que ponitur ibi_
    Qui procede de vraye sapience
    Intelligence et aussi providence
    Ce sont trois temps que savoir te convient
    Le temps passé le present et qui vient

    Pourtant dieu veult cher frere que tu saches
    Que la vie presente est fugitive
    Pleine d'orgueil d'envie et d'autres taches
    Toute pollue umbreuse et transitive
    D'avarice corrumpue et chetive
    Dont l'antree est plourable et douloureuse
    Et l'issue terrible et langoureuse

    Pource de tant que plus aparcevons
    Ce perilleux monde estre miserable
    De tant plus tost contempner le devons
    Comme une chose orde et vituperable
    Pour acquerir le païs pardurable
    Lassus sans fin ou dieu tient son empire
    Et ou nostre ame et nostre cueur suspire

    Dieu veult aussi que tu penses comment
    Tu es fragile et povre de nature
    Et que du ventre yssis premierement
    De ta mere trespovre creature
    La quelle mere est terre et porriture
    Et en la fin retourneras en terre
    Ou y fauldra que ton corps on enterre

    En la misere et povreté aussi
    De ce monde tu entras devenu
    Pleurant tes jours et aussi tout ainsi
    Retourneras comme tu es venu
    Puis que de eve naistre il t'a convenu
    Qui fut creee en paradis terrestre
    Et nee en terre il te fauldra terre estre

    Doncques tes jours comme est dit _lugendo
    In hunc mundum nudus introisti_
    Et en labour _ad mortem currendo_
    De jour en jour _transis et transisti_
    Et non obtant que _dives fuisti
    Et habeas adhuc divitias
    Quid valet hoc_ puis que a mourir cy as

    _Substancia terrena_ comparee
    _Perpetue et eterne vice_
    La quelle vie au peuple est preparee
    Qui a bien fait et tout mal evité
    Lequel de dieu est lassus invité
    _Ubi est pax et summum gaudium_
    Est charge et fés _et non subsidium_

    _Comparata vita temporalis_
    A l'eternelle es cieux felicité
    _Sine fine promissa non malis
    Sed electis_ qui ont adversité
    Aux quelz promise en la haulte cité
    La couronne dieu qui sans fin vie a
    _Magis mors est dicenca quam vita_



Le troisiesme chappitre


    Entens aussi car comme en la valee
    De misere tu languis ung pou cy
    Toute ta vie en decours tost allee
    Tu es en peine en douleur et soucy
    Malade ou vain de vertus povre aussi
    Plein de peché du corps et de l'ame ort
    En attendant prochainement la mort

    Et après mort mangé seras de vers
    Pource tousjours _vive deo gratus_
    Et nuyt et jour en recordant ces vers
    _Toti mundo esto tumulatus
    Mundus corde transire paratus_
    Monstrant exemple _omnibus tibique_
    Car mort t'atant nuyt et jour _ubique_

    O comme eureux l'omme et benoist sera
    Et son ame plaisant a jesus christ
    Qui nuyt et jour en son cueur pensera
    Les proverbes qui sont cy en escript
    Bien est conseillé celuy qui escript
    _Intelligit_ ces choses _et videt
    Novissima sapitque providet_

    _Frater ergo time et diligas
    Deum tuum_ de cueur pur et parfait
    _Quid sapias et quid intelligas_
    Desoresmais advisé en ton fait
    Ou aultrement tu es homme defait
    _Nisi serves supradicta dicta_
    Que dieu pour nous a moyse escript a

    _Restat ergo modo providere
    Novissima_ par le conseil du sage
    _Qui nos in hoc voluit docere_
    En ses escrips disant en son langage
    Que nous devons remambrer en courage
    Tousjours la fin aussi en tous nous euvres
    Pource cher frere il fault qu'en cecy euvres

    Et par ainsi tu ne pecheras point
    _Ineternum._ par quoy sauvé seras
    Mais encores scavoir te fault ung point
    Par le quel point sauvement tu auras
    C'est qu'a present tu t'apareilleras
    Disant je suis tout prest et conseillé
    D'estre au conseil de dieu appareillé.

    _Videlicet ut pacis capiam
    A cetero_ le chemin et la voye
    Le temps passé _etiam sapiam_
    Et le present _intelligam_ et voye
    _Novissima pariter_ je pourvoye
    Que nous devons le temps futur entendre
    Si qu'après mort l'ame a dieu puisse rendre

    _Sed dic michi que sunt novissima
    Providere nisi terribilis
    Illa hora et amarissima
    In qua tua anima labilis
    Pauperrima et miserabilis_
    Hors de ton corps tramblant vouldra saillir
    Quant les mauvais la vouldront assaillir

    Croy moy doncques toy qui peus ceci lisre
    Car se tu as consideration
    Du temps futur mieulx ameras elisre
    D'y pourveoir pour ta salvation
    Que du monde la domination
    Car comme lon dit la fin tousjours couronne
    Mais qui n'y pense il n'aura ja couronne

    _Frater ergo si bene saperes
    Que dei sunt_ tousjours dieu doubteroies
    Semblablement _si intelligeres
    Que mundi sunt_ les cieux desireroies
    Et en après se tu consideroies
    Que c'est d'enfer ta fin _provideres_
    Et grant horreur en ton cueur _haberes_



Le quatriesme chappitre


    Qui est celuy de tous tes chers amis
    Et bons parens qui viendra par effort
    Pour toy aider a ta mort _cum armis
    Et gladiis_ pour te donner confort
    Certainement tu n'as parent si fort
    N'amy aussi ne verras a quelque heure
    De ton trespas qui t'aide ou te sequeure

    Deça dela assés regarderas
    Vers les hommes quant tu vouldras mourir
    S'ilz t'aideront mais tu ne trouveras
    Parent n'amy qui vueille a toy courir
    Ne qui te puisse aider ne secourir
    Mais ton refuge adoncques seulement
    Sera sans aultre. A dieu totellement.

    Cher frere _ergo_ pense _quo timore_
    Est ce bon dieu _ubique timendus_
    Repense aussi _tecum cum amore_
    Est ce seigneur _semper diligendus
    Quo honore_ aussi _venerandus_
    Qui en la mort seul donne _auxilium_
    Et paradis _post hoc exilium_

    _Reduc ergo_ et remembre en tes fais
    L'eure et le jour souvant que tu mourras
    Et des mesfais que piessa tu as fais
    Confesse toy le plus tost que pourras
    Car pas icy tousjours ne demourras
    Pource avant mort fais icy tant de bien
    Qu'après trespas ton ame voise bien

    _Hujusmodi consideratio_
    Certainement conceoit contriction
    De cueur contrit _venit compunctio
    Compunctio_ prent contemplation
    Et tout selon la bonne affection
    Qu'on a en dieu par seure confience
    De son aide sa bonté et clemence

    Frere dy moy qui est la chose au monde
    Sur tous les ars qui plus facillement
    Face tenir en conscience munde
    Homme et femme comme avoir pensement
    Qu'on devient terre après trespassement
    Memoire aussi de sa corruption
    Et de la mort consideration

    Qui bien y pense il n'est iniquité
    Qu'il ne boutet tout hors de son courage
    Et qui ne vive en toute humilité
    Et saincteté tout le temps de son aage
    Jusqu'a la mort sans faire a nul dommage
    Par la quelle pour tout conclure en somme
    Et en effect est fait homme non homme

    _Hoc est quando ipse egrotescit
    Egrotando_ tousjours en acroisance
    Monte son mal et lors _expavescit_
    L'omme pecheur tant qu'il pert cognoissance
    Et tellement que sa force et puissance
    Et sa vertu commance a decliner
    Ainsi se veoit en declinant finer

    Et a ceste heure horrible et perilleuse
    Que homme et femme qui sont vivent _nescit_
    Advient chose terrible et merveilleuse
    C'est que le cueur pleure _et contremescit_
    Le vis palist _facies nigrescit_
    De plus en plus les yeulx _tenebrescunt_
    Tournent en teste _et aures surdescunt_

    En oultre plus la teste _constupescit_
    Le sens default et de riens ne souvient
    Le nes sent mal _virtus exarescit_
    Langue et bouche begue et muet devient
    La chair flatrist au cueur fraieur advient
    Et adoncques _carnis pulchritudo
    Efficitur fetor et putredo_

    _Et sic homo in vermem vertitur_
    Dedans la fosse ou on le fait descendre
    _Et ibidem statim resolvitur_
    Comme dit est en porriture et cendre
    Vela fin que nous devons attendre
    Nous savons bien que nous trespasserons
    Et ignorons quant au trespas serons

    _Ecce frater satis spectaculum
    Horribile_ et trop espoventable
    _Sed est nimis utile speculum_
    Qui bien s'i mire et a tous proufitable
    Pource pensons a ce jour redoubtable
    Et en vers dieu faisons si bon devoir
    Qu'en bon estat nous vuelle recevoir

    _Quia nulla artis medicina
    Sic superat_ d'orgueil le mauvais vice
    _Nec revocat sic ulla doctrina
    A peccato nec sic vincit_ malice
    _Nec extinguit_ luxure n'avarice
    _Nec sic calcat mundum_ la vaine gloire
    Comme d'avoir souvent de mort memoire



Le cinquiesme chappitre


    Est il chose comme homme mort plus ville
    Du quel le corps _nunquam permittitur_
    Estre en maison troys jours en champs ou ville
    Pour la pueur mais hors _projicitur_
    Et au parfont de terre _absconditur_
    Comme charougne a la terre donnee
    _Et vermibus_ viande abandonnee

    _Erubescat igitur_ l'orguilleux
    D'elacion _plenus et cecatus
    Et timeat_ dieu qui est merveilleux
    Le maleureux pecheur _de ire inflatus_
    D'impatience _etiam fedatus_
    Au quel plus plaist de platon la science
    Que du sage la vraie sapience

    Plus prend plaisir a recorder les fables
    Des poetes que la sainte doctrine
    Du saint apostre et des saints inefables
    Donc la terre l'escripture enlumine
    En delaissant la sainte loy divine
    Et aime mieulx la loy mondainne eslire
    Que recorder les faictz des saints et lire



Le siziesme chappitre


    _Ex simili studio_ les mondains
    _Scientiam_ semblable a eulx convient
    C'est qu'ilz cueillent tant sont folz et soudains
    Fueilles assez mais les fruitz ne receoivent
    _Non virtutes sed verba_ apparceoivent
    De parolles ilz battent l'air souvent
    _Et proferunt_ leurs parolles au vent

    Ilz langaigent et en langaigent souvent
    Par ventence sans l'escripture ensuivre
    Leur voix en l'air tant que l'air en resonne
    Et de ceulx dit le psalmiste en son livre
    _Turbati sunt et moti sunt_ comme yvre
    Leur sapience est toute devouree
    Car d'eux n'est point science savouree

    Comme ung homme yvre ignore ce qu'il fait
    Et ou il va ainsi semblablement
    Les mondains clers folz seculiers leur fait
    Ne congnoissent au monde auchunement
    Tant est leur sens et leur entendement
    Mis et bouté en la mondanité
    Et leur science en folle vanité

    _Scientiam satis multiplicant_
    Les grans livres et volumes ilz hument
    Et devorent _sed male applicant_
    Car en leurs sens se conturbent et fument
    Et d'eulx maismes si grant orgueil presument
    Que leur science ilz ne pensent n'entendent
    Jusqu'a la mort la fin a quoy ilz tendent

    Et par ainsi les mondains clers s'abusent
    Qui de leur fin ne pensent ou font conte
    Et de leur sens et science mal usent
    Par quoy des siens dieu lassus ne les conte
    Et de telz clers saint bernard nous raconte
    Et dit moult sont qui bien science acquerent
    Mais pou en sont qui conscience querent

    _O utinam_ telz clers bien savourassent
    Entendissent ces choses et pourveussent
    Et nuyt et jour le temps considerassent
    Passé present et futur comme ilz deussent
    S'ainsi estoit meilleurs qu'ilz ne sont feussent
    _Mox percussi divino amore
    Preterriti etiam timore_

    Et de l'estude aussi de vanité
    A l'estude de verité viendroient
    De l'estude de curiosité
    A l'estude d'umilité iroient
    Et par ainsi le chemin ilz prendroient
    _Scientie et sapientie_
    En delaissant _viam stulticie_

    De l'escolle luxure et pravité
    _Ad studium irent bonitatis_
    Et de l'estude aussi d'iniquité
    _Ad studium irent sanctitatis
    Domo domum irent discipline_
    Car utile est qu'on soi discipline

    Comme au psaultier par david recité
    Au second pseaulme est ainsi qu'on peut lire
    Le quel david dit _apprehendite
    Disciplinam_ affin que noustre sire
    Encontre vous auchunement ne se ire
    Et perissiés hors de la juste voie
    Pour prendre celle en la quelle on forvoye

    _O quam illa_ terrible et redoutable
    _Sentencia_ est a ceulx qui feront
    La voulenté de leur chair deletable
    Et en ce monde affligés ne seront
    _Qui etiam non apprehenderunt
    Disciplinam_ dont moyse nous dit
    Qu'ilz periront comme peuple maudit

    _Notanda sunt_ tresattentivement
    _Ista verba_ comment l'ame sera
    Du tout pardue après trespassement
    Qui devant mort ne la corrigera
    Affligera ou disciplinera
    C'est assavoir _per correctionem
    Morum cordisque contrictionem_

    _Et ideo qui non susceperit
    Discipline et penitentie
    Modo tempus_ dela _non poterit_
    Trouver n'avoir lieu _indulgentie
    Apud deum nec tempus gratie_
    Car qui pourra vivant et ne vourra
    Quant il vourra mourant il ne pourra

    _Quapropter nunc_ pecheur plain de peché
    Charougne a vers que les vers point ne lessent
    Corps orguilleux de tout mal enteché
    Dont nuyt et jour les vermines se paissent
    Qui s'engendrent de toimesmes et naissent
    Vanité gette et d'orgueil te repren
    Luxure fuy et discipline pren

    _Ne pereas_ de la voye salvable
    Qu'ont tenu ceulx _qui sunt in superis_
    Et regarde comme homme resonnable
    _Quid fuisti quid es et quid eris
    Videbis quod modicum cineris_
    Tu fus tu es et après mort seras
    Ce sauras tu quant tu trespasseras



Le septiesme chappitre


    Se tu penses que feras et com fus
    _Ante ortum_ et après naissement
    Jusqu'a ta fin te trouveras confus
    Tant y verras grant esbaïssement
    Se tu du tout metz en ton pensement
    Comme après mort seras et deviendras
    Pour povre et vil tousjours tu te tiendras

    Une aultre chose encore a penser as
    _Quod non pensas necque pensavisti_
    C'est q'ung temps fut _in quo tu non eras
    Et postea in hoc mundo tristi_
    Ou maternel ventre fait _fuisti_
    De matiere orde _et cum putredine
    Menstruali nutritus sanguine_

    Et en ce ventre ou tant vil habitoies
    _Ante ortum_ d'une orde peau qu'on nomme
    _Secundina_ envelopé estoies
    La quelle peau vest au ventre tout homme
    Qui vient d'adam qui mordit en la pomme
    Ainsi pour vray vestu et aourné
    Vins en ce monde en pleurs et paour né

    _Nec memores quomodo sit vilis_
    Ta naissance miserable et fragile
    Et ta nature _abhominabilis_
    Homme mortel meschant homme et debile
    Mais que te vault estre expert et abile
    Ne ton angin ne ta subtillité
    Quant rien ne vient a fruit ne utillité

    Rien ne te vault l'entendement parfont
    Raison aussi ne le doit pas permettre
    Car vraiement quatre choses te font
    _Frater quid es_ du tout en oubli mettre
    Comme escript est cy dessoubz en beau mettre
    C'est assavoir _forma mundi favor
    Opes atque juvenilis fervor_

    _Hec quatuor_ de toy _abstulerunt_
    La congnoissance _ibi totaliter_
    Et de ton cueur les yeulx _velaverunt
    Et clauserunt etiam taliter_
    Que tu ne peus les choses _firmiter
    Suspicere_ qui sont celestielles
    Tant est fiché aux choses temporelles

    _Quid est homo ex parte corporis
    Vis tu ferre_ saint bernard nous afferme
    _Dicens homo est saccus stercoris_
    Viande a vers tresord et puant sperme
    Conceu et fait de matiere et de germe
    En tenebres au ventre de la mere
    Dont la naissance est a la mere amere

    Pour quoy est l'omme orgueilleux et pervers
    Pour quoy monte homme en exaltation
    _Vita labor_ et tribulation
    _Nasci pena et mori_ necessaire
    Puisque orgueil est a son ame adversaire

    Homme orguilleux pour quoy te devestu
    D'umilité qui tant est gracieuse
    _Cur impugnas_ pour quoy aussi ves tu
    Ta chair pouldre de chose precieuse
    Pour quoy mets tu chose delicieuse
    Sur ta chair cendre en delictz trop nourrie
    Puis qu'en terre sera bien tost pourrie



Le huytiesme chappitre


    Robes de soye ou de fin drap d'or n'as
    Vestu ta chair que a plaire _hominibus
    Et animam tuam non adornas_
    En ce monde _bonis operibus
    Nec decoras sanctis virtutibus_
    Qui est a dieu _et ejus angelis
    Presentanda post mortem in celis_

    Que ne fais tu en ce monde tandis
    Que tu es vif ton ame a dieu plaisante
    _Cur animam tuam vilipendis
    Et preponis ei_ ta chair puante
    C'est grant abus et chose trop meschante
    Que de souffrir la dame _ancillari
    Et ancillam_ aussi _dominari_

    Et se du dictz _non possum spernere
    Istum mundum_ n'aussi semblablement
    _Carnem meam odio habere_
    Tant l'aime fort et naturellement
    Je te demande homme d'entendement
    Or me respon et assavoir mon dy
    En quel lieu sont _amatores mundi_



Le .ix. chappitre


    Qui nagaires bonne chere faisoient
    Avecques nous en joye et en liesse
    En grant honneur et en grant bruit estoient
    N'a pas longc temps en pompe et en richesse
    Or ont passé leur temps et leur jeunesse
    Et d'eux au monde on n'a point de demeure
    Fors que la cendre et les vers ne demeure

    _Ergo modo_ pense qui sont et furent
    Hommes furent comme toy et regnerent
    Semblablement ilz mangerent et burent
    Ainsi que toy et rirent et jouerent
    _In bonisque dies suos_ menerent
    De harpe aussi et d'aultre instrument dirent
    _Et in puncto_ es enfers descendirent

    _Ibi caro eorum vermibus_
    Est donnee se sont choses creables
    Et leur ame pardela _ignibus
    Deputatur_ entre les mains des dyables
    Jusques atant que leurs corps miserables
    Et leur ame après le jugement
    Soient en feu perpetuellement

    Car pour certain tous ceulx qui en delices
    _In hoc mundo socii fuerunt_
    Et qui une amour conjoinct et lie en vices
    Une peine mesme aussi souffreront
    Certainement ceulx _qui peccaverunt_
    Ensemble icy et sont en couple uniz
    Seront dela d'une peine pugnis

    Leur gloire icy que leur a proufité
    Richesse aussi _brevis leticia_
    Puisqu'en enfer sont en necessité
    Que leur valut _mundi potentia
    Mala_ aussi _concupiscentia_
    Grande famille et volupté charnelle
    Puis que dela sont en peine eternelle

    Ou est david et salomon le sage
    _Absalonque vultu mirabilis_
    Ou est sanson de force et de courage
    Tant merveilleux _dux invincibilis_
    Et alixandre _incomparabilis_
    Aristote tules et sa loquence
    Dont tant piteuse en fut la consequence

    _Tot presules_ et roys _mundi hujus
    Tot principum ducumque forcia_
    Mort mect au bas mort mect en la fin jus
    Car contre mort trop peu de force y a
    _Tot proceres tot retro spacia_
    En ung moment _omnia clauduntur
    Revertuntur_ en terre _et truduntur_



Le .x. chappitre


    Les empereurs roys ducs contes et princes
    Jadis regnans que sont ilz devenus
    Les empires royaulmes et provinces
    Tindrent soubz pié mais _nichilominus_
    Laissé ont tout et en terre mis nus
    Mangés de vers sont et leurs corps pourris
    Qui furent tant bien parés et nourris

    Aux eglises regarde et cymetieres
    Sans ceulx qui sont autre part entassés
    Et aux charniers et aux aultres frontieres
    Les ossemens de tant de trespassés
    Las en verras d'ungs et d'aultres assés
    Mais tu n'auras d'aucun d'eux congnoissance
    Qui fut noble homme ou vilain de naissance

    Se descendu tu es du sang royal
    Ou d'aultre lieu que bien noble on renomme
    Pour quoy veus tu se tu n'es desloyal
    Que virtueux et noble homme on te nomme
    Noble et vilain vindrent du premier homme
    Mais tant soit noble il est vilain parfait
    Qui vilain fait a son escient fait

    T'est il advis que sus en paradis
    Soit saint pierre pourtant s'il fut pecheur
    Plus bas q'ung roy si le roy fust jadis
    Plus hault que luy sur terre homme pecheur
    Tu n'orras pas prescher a bon prescheur
    _Quod acceptor personarum_ soit dieu
    Car les plus bas met souvent en hault lieu

    Mais les mauvais puissans _evidenter_
    Divers tormens souffreront puissanment
    _Juxta illud potentes potenter
    Patientur_ tormens incessanment
    Par l'euvangile on peut savoir comment
    Ceci est vray ou il fait mention
    _De divite_ mis a dannation

    _Ubi risus ubi jactantia
    Ubi jocus et ubi_ arrogance
    _De tanta hic_ joye _et leticia
    Quanta illic_ et tristesse et meschante
    Après luxure arderont sans doubtance
    Et de leur feste et exultation
    Seront de la en tribulation

    Car comme on dit _in apocalipsi_
    Ceulx qui deça se glorifieront
    En delices _in inferno ipsi_
    Divers tourmens sans fin endureront
    Et de tant plus comme ilz s'exausseront
    De tant plus fort seront humiliés
    Et des liens de l'ennemi liés

    Et tout ce qu'est escheut ou escherra
    Aux desusdictz te peut il eschoir
    Et s'il leur est mescheut ou mescherra
    Semblablement te peut il meschoir
    Et aussi bien peux errer et choir
    Comme ilz sont cheus et comme ilz ont erré
    Car tu es homme _et de limo terre_

    _In quam terram cras vel modo
    Carissime frater reverteris_
    Car tu mourras et ne sçais _quomodo
    Ubi quando nec diem funeris
    Et postquam scis quod tu morieris_
    Et mort t'atant par tout pour deceveoir
    Soies par tout prest pour la recevoir

    Soions tousjours comme les sages vierges
    En attendant les peuples desja prests
    Qui leurs lampes plus ardantes que cierges
    Tindrent cleres en faisant leurs aprests
    D'estre aux nopces bien parees après
    Le grant seigneur _sponsum immortalem_
    Affin d'entrer dedans hierusalem

    Trescher frere _si carnem sequeris_
    C'est a dire luxure auchunement
    Saiches pour vray _quod punitus eris_
    En l'autre monde _in carne_ proprement
    Si vestemens tu quiers pour ornemens
    Ta couverture _erunt vermes certe
    Et tinea sternetur super te_

    Car dieu qui est tresraisonnable juge
    Fort patient et doulx ne jugera
    Jamais homme ne n'a jugé ne juge
    Tant est juste que selon qu'il fera
    Car il rendra _secundum opera_
    Peine aux mauvais qui l'auront desservi
    Et joye aux bons qui l'auront bien servi

    _Qui diligit_ plusfort _mundum istum_
    Qui tant est faulx mauvais et decevable
    _Quam dominum nostrum jesum christum_
    Et a ce ciel plus que cloistre aggreable
    Gloutonnie que abstinence amiable
    Et est lubrique en la fin _peribit_
    Le dyable ensuyt et en enfer _ibit_

    O du pecheur _anima misera_
    Qui n'as icy tant soit peu de demeure
    _O peccator miser considera
    Diem mortis_ que tu ne sçais ne l'eure
    Ton temps pardu sur toutes choses pleure
    _Meditando_ en quelle part yra
    Ta povre ame quant elle partira

    Quant tu seras _in ultima gravi
    Morbitate et ad mortem ductus_
    En attendant que tu soies ravi
    _Inter maris infernalis fluctus
    Ubi semper clamor est et luctus_
    La quelle mer est de pleurs toute pleine
    Pense en quel dueul tu mourras et quelle peine

    Pense en quelle peine et en quantes douleurs
    L'omme est _inter longa suspiria_
    Pense comment en diverses couleurs
    Son visage est quant tel martire y a
    Quantes paours _quanta martiria_
    Sentira l'omme et plus qu'oncques martir
    Quant de son corps vouldra l'ame partir

    _Tunc veniet corpus in palorem_
    Viande a vers _erit atque vermis
    Convertetur_ en cendre _et fetorem_
    Quant il sera en terre o les vers mis
    Tout alentour seront les ennemis
    Dudit corps mort pour en devorer l'ame
    Devant qu'il soit en terre soubz la lamme



Le unziesme chappitre


    Or pense en toy qui te confortera
    A ceste heure quant l'ame vouldras rendre
    Qui sera ce qui te rachetera
    Des ennemis quant ilz te vouldront prendre
    Di moy comment tu te pourras defendre
    Quant tu verras de dyables si grant nombre
    Et seras mis de tenebres en l'ombre

    Quant tu verras plus d'une legion
    Adversaires pour ton ame destruire
    Qui sera ce qui en la region
    Incongneue te pourra lors conduire
    Ou pourras tu trouver secours ne fuire
    Comment pourras eschapper des peris
    Ton ame tant trouvera desperis



Le doziesme chappitre


    Au jour aussi te vueille souvenir
    Du jugement _quam subito_ doit estre
    Au quel fauldra bons et mauvais venir
    C'est assavoir les bons du costé destre
    Et les mauvais d'autre part a senestre
    Pour rendre a dieu conte des dictz et faictz
    Qu'on aura cy pourpensés dictz et faicts

    Et en ce jour horrible qui viendra
    _In corpore prout gesserimus_
    Soit bien soit mal dieu alors nous le rendra
    _Et secundum hec que fecerimus
    Ibi ante judicem erimus
    Rationem omnes reddituri_
    Et sa sentence aussi _audituri_

    C'est assavoir venés _benedicti_
    Ceste parolle aux benoists dieu dira
    Et aux mauldis _ite maledicti_
    Les quelz sans fin en enfer pugnira
    En corps et ame ainsi chacun ira
    En gloire ou peine en sa place ordonnee
    La sentence du grant juge donnee

    La ne vauldroit _cum presentaberis_
    Sillogismes fallaces ne deffences
    De tes pechés _tu accusaberis_
    Non pas des faitz ne des grandes offences
    Tant seullement ne de ce que tu penses
    _Corde malo et malicioso
    Et de omni verbo occioso._

    _Angelorum cunctis agminibus_
    Tous tes pechés clerement _patebunt
    Similiter et sanctis omnibus_
    Visiblement _ibi apparebunt
    Et sic omnes_ tes vices _videbunt_
    Non seulement _cogitationum.
    Sed actuum et locutionum_

    _Ille judex_ ton accuseur sera
    Et _ante_ luy les saincts te jugeront
    Ta conscience aussi te jugera
    Tous esperis la contre toy seront
    Bons et mauvais les quelz t'acuseront
    Et _sic deus tunc non parcet tibi
    Angustie erunt_ par tout _ibi_

    Car d'ung costé sera mis chacun vice
    En t'acusant de ton iniquité
    Et d'aultre part la terrible justice
    _Subtus patrus_ d'enfer l'obscurité
    _Judex saper_ en furosité
    La conscience ardente par dedans
    Et par dehors _totus mundus ardens_

    Helas helas toy pecheur en ce point
    Deprehensus ou fouyras n'en quel place
    La ne verras ne ne trouveras point
    Qui voie ou lieu pour t'en fuir te face
    Dieu te verra ou quel devant la face
    Intollerable _erit apparere
    Et impossibile etiam latere_

    La sentence du juge redoutable
    Sur toy pecheur maudit et douloureux
    _Semel lata_ sera inrevocable
    Ce jour amer terrible et paoureux
    Et tost après les bourreaux rigoureux
    _Sentencia data_ intollerable
    Te meneront en torment pardurable



Le .xiii. chappitre


    Non seulement _eris in tormento
    Sed tormentis_ tousjours sans intervalle
    Car la sans fin _et temperamento_
    Seront tormens en la fosse infernalle
    Ou il fauldra que ton corps on avalle
    Plein de macule et ton ame polue
    Par ta vie mauvaise et dissolue

    Trop grant paour et doubte vehemente
    _Turbabunt te_ lors que tu escherras
    En ce torment qui plus que aultre tormente
    Et devant toy la terre ouvrir verras
    Pour trangloutir et tout a coup cherras



Le .xiiii. chappitre


    _In caminum ignis exardentis
    Et in stannum sulphuris fetentis_

    _Carnem tuam ignis exterius_
    En cest estain de souffre brulera
    Semblablement _vermis interius_
    Ta conscience en enfer rongera
    Torment en feu et souffre fouffrera
    Ton ame et corps ainsi _sine fine_
    Se tu as mal ton temps ici finé

    Tous les tormens d'enfer surmontera
    _Privatio dei visionis_
    Ceste chose moult te tormentera
    Pareillement _et carere bonis
    Que tempore acquisitionis_
    C'est assavoir _dum vivens fuisti
    Acquirere bene potuisti_

    _Ibi loca patebunt penarum
    Atque chaos_ qui est confusion
    _Caligoque umbra tenebrarum_
    Douleur fraieur horrible vision
    Angoisse et dueil haine et division
    Chartre obscure _tribulationis_
    Et profond lac _desperationis_

    La en ardeur _inextinguibili_
    Seront ouys _clamores flentium_
    La en froidure _inenarrabili_
    Seront ouys _stridores dentium_
    La on orra _voces gementium
    Peccatorum dicentium ve ve
    Ve iterum ve filiis eve_



Le xv. chappitre.


    _Ubi ignis est materialis
    Inestinguibile_ et froit inenarrable
    _Famus fetor vermis immortalis
    Timor dolor_ et peine intollerable
    _Mors corporis et anime_ durable
    Tousjours sans fin sans espoir ne mercy
    Et plus d'orreur qu'on ne peut nommer cy

    _Quis poterit_ en ce feu perilleux
    En tenebres _aut cum sempiternis
    Ardoribus_ n'en ce froit merveilleux
    _Habitare_ labas _in advernis_
    Ou les dannés sont tous ars et ternis
    _Et facies eorum combuste
    Qui in vita vixerunt injuste_

    Quant ses tormens desusdictz treshorribles
    L'ame en enfer _que dannata erit_
    Endurera et d'aultres trop terribles
    _Plusquam dici potest nec poterit
    Audierit viderit senserit
    Qualis quantus et quam magnus timor
    Terror erit_ en elle _atque tremor_

    _Que mens potest penas et tormenta
    Cogitare nec lingua dicere
    Quis poterit_ en si grans _tormenta
    Habitare sive remanere
    Et quis liber potest exponere_
    Ce que saint pol en enfer ravi vit
    Qui des vivans _nunc in terra vivit_

    _Quid proderunt illis cupiditas
    Dignitates sive potentie
    Quid proderunt pompaque vanitas
    Mundi hujus sive jactantie
    Quid proderunt illis scientie_
    Des bien d'aultruy faulse detention
    _Honorisque_ mondaine ambicion

    _Quid proderunt illis appetitus
    Luxurieque superfluitas
    Cibi sive cibus exquisitus
    Dulcis potusque curiositas_
    Du vestement _et speciositas_
    Du chaussement _etiam crapula
    Ebrietas procedens a gula_

    _Quid proderunt_ je t'en fais la demande
    Des haulx chateaux _alta constructio
    Quid proderunt_ aussi je te demande
    Des grans maisons _hic acquisitio
    Quid proderunt tunc aggregatio_
    De richesses puis qu'en la fin tout fault
    Et que raison rendre au juge il en fault

    _Nunquid in hoc mundum defecerunt
    Dimittendo se sic decipere
    Nunquid viam_ aultre _potuerunt_
    Que ceste cy plus seure _arripere
    Et animam suam eripere
    Rugientis de ore leonis_
    Et de fauce _horrendi drachonis_

    _Hanc igitur lectionem legat_
    Qui d'amour est mondaine _implicatus
    In peccatis atque se protegat_
    Qui du vice est lubrique _excecatus_
    Au quel plus plaist tant est _hebetatus
    Cadaveris lubrici voluptas_
    Que de son ame _integra sanitas_

    _Et plus studet hanc vitam terrenam
    Circa martham_ dont la vie est active
    _Quam celestem circa magdalenam_
    Dont la vie es est cieulx contemplative
    _Et de mundo_ qui vie est transitive
    _Vult plus esse et lege mundana
    Quam de christo et lege divina_

    _Consideret diligenter_ et voye
    _Metuendam semitam_ qu'il tiendra
    Et bien specule en ce mirouer la voye
    _Et premissis_ en la quelle il viendra
    Et le chemin tenebreux qu'il tiendra
    Les mains aussi par ou le fault passer
    Quant de ce monde il vouldra trespasser

    _O peccator stultissime quare
    Discrectio tua ista nescit
    Quare non vis hec considerare_
    Et pource en toy grant orgueil _tumescit
    Luxuria etiam flamescit_
    Avarice _similiter ligat_
    Et en ton cueur paresse _fatigat_

    Ta pensee _non ista cogitat_
    Et envie _non vult hoc videre_
    Par quoy en toy _ira exagitat
    Atque gula vult te occidere
    Quia non vis ista previdere_
    Pource en ton ame ou grant malice y a
    _Excruciat semper malicia_

    _Quam horrida et quam innumera
    Sunt tormenta_ c'est chose non pareille
    _Frigus ignis fetor et cetera_
    Ton oeil ne vit ne oyt ton oreille
    En ta vie l'orreur qu'on t'apareille
    Après ta mort si bien tu ne t'en gardes
    Et ne t'en chault ne point tu n'y regardes

    _Et idcirco sepe efficeris_
    Comme a tout mal faire _destinatus
    Hic contumax igitur tu eris
    In tormentis predictis dannatus_
    Puis que tu es ainsi _obstinatus_
    Et ne te veulx de tes pechés douloir
    Ne n'as aussi de t'amender vouloir

    _Quia sicut vir contempciosus
    A divino opere recedis
    Et ut piger et accidiosus
    Negligenter ad deum accedis_
    Ne ne prens garde a ses faits n'a ses ditz
    Ne n'as vouloir d'y mettre amendement
    Ne de obeir a son commandement



Le .xv. chappitre


    _Quare quia providere non vis_
    Devant trespas _post mortem quo vadis_
    Ne pensement tu n'as n'en toy advis
    Que ton temps passe _et in mortem cadis_
    Dont la gloire tu pers de paradis
    Ou les benoists en la joye ou iront
    De quatre dons principaulx jouiront

    Premierement de _de fruitione
    Dei patris_ les benoists _gaudebunt_
    Secundement _et de visione
    Celi justi qui ut sol fulgebunt_
    Auront liesse _et quia videbunt_
    Assés d'aultres creatures moult belles
    Precieusement cleres et corporelles

    Après de la glorification
    Du corps avec l'ame _similiter_
    Quant ilz auront l'association
    Des saintz anges et hommes _pariter_
    Quant ilz pourront _perpetualiter_
    Lassus user de ces dons et jouir
    Bien se devront amer et resjouir

    _Pater atque natus cum flamine_
    Ung dieu en trois _ibi videbitur_
    Face a face _sine velamine
    amabitur atque laudabitur
    Ibi justus_ sans fin _letabitur_
    Car il aura jeunesse sans vueillesse
    Vie sans mort et joie sans tristesse

    La est tousjours lumiere sans tenebre
    La est beauté _que nunquam palescit_
    La tousjours feste et nopces on celebre
    La est amour _qui nunquam tepescit
    Senectusque que nunquam marcescit
    Ibi nullus gemitus auditur
    Ibi malum nec dolor sentitur_

    La _omnia genera insonant
    Musicorum_ en jubilation
    La _immensa domini resonant
    Epulantes_ en exaltation
    La oit on voix de consolation
    _Quia deus_ qui les acorde y a
    Mis paix sans fin _sine discordia_

    _Ibi nichil quod deest amatur_
    Rien ne deffault _in illa curia
    Ibi nichil quod absit optatur_
    La est tout bien _sine penuria_
    La _voluntas sine injuria
    Regnum sine commutatione_
    Et paix _sine perturbatione_

    Et en ce lieu ou est _leticia
    Pax caritas fides fortitudo
    Prudentia et temperantia
    Justicia et mansuetudo_
    En deux s'estent _hec beatitudo_
    C'est qu'on est las de tout mal en l'asence
    Et de tout bien aussi en la presence

    Saint paul qui fut _spiritualiter
    Raptus dicit oculus non vidit
    Nec audivit auris similiter
    Neque in cor hominis ascendit
    Hoc quod deus hic_ sa jus _descendit
    Preparavit diligentibus se_
    Lassus es cieulx comme ung tresor muscé

    _O quam felix_ l'ame la hault _erit
    Que videre deum creatorem
    Ipsum patrem luminis poterit
    Siderumque lune conditorem
    Prepotentem cunctorum factorum
    Sempiternum solem justicie
    Genitoremque sapientie_

    _Frater michi dic supplico tibi
    Quantum festum quanta jocunditas
    Qualis amor esse potest ibi
    Que dulcedo quanta suavitas
    Quantus splendor que lux que caritas_
    Ou on voit dieu _lumen in lumine_
    Dont paradis est tout enluminé

    _Ibi est lux_ enluminant le jour
    _Et perennis vita viventium
    Dulcis melos_ sans fin et sans sejour
    _Patriaque dux redeuntium
    Et corona spes morientium
    Morientes pro christi nomine
    Qui passus est mortem pro homine_

    La est honneur _decus et dignitas_
    La est _candor lucis estivalis
    Vernalisque semper amenitas_
    Et abundance aussi _autompnalis_
    La est repos sans fin _hiemalis_
    La voit on gloire et chose après mort telle
    Qu'oncques ne vit creature mortelle

    O doulce vie _o vita vitalis
    O superna et clara civitas_
    Ou est _vita semper memoralis
    Sine morte atque securitas
    Et secura semper tranquillitas
    Tranquillaque_ aussi joieuseté
    _Et jocunda_ sans fin beneureté

    _Felix_ aussi la est _eternitas
    Eterna lux_ joie et beatitude
    _Et beata spes nostri trinitas_
    Qui nous a fait a sa similitude
    Et jectés hors de mort et servitute
    Et de chartre infernale et maudite
    Pour nous donner la vie dessusdicte

    En la quelle benoiste et sainte vie
    _Perducat nos creator cunctorum_
    Et après mort soit nostre ame ravie
    _Inter choros omnium sanctorum
    Angelorum et archangelorum_
    Ou nous puissons voir sans fin sa face
    Amen amen amen ainsi se face


Cy finist le mirouer des pecheurs



S'ensuit le second livre nommé l'exortation des mondains tant gens
d'eglise que seculiers



Balade pour avoir paix a dieu et au monde Pour contempner toutes
richesses et pour amander sa vie


Refrain

    Par ce moyen nous aurons tousjours paix


    De par le roy de justice assaulx faits
    Soubz l'estendart paré d'aversité
    De querir armes sont souvent pour les faits
    Du peuple enflé et plein d'iniquité
    Rempli d'orgueil vuide d'umilité
    Dont mainte eglise illustrante et cité
    Mise a esté bas arse et desconfite
    Et mains vaillans la saison preterite
    De glesve occis pourtant chacun s'acquite
    Et selon dieu vive desores mais
    Destruite ainsi sera guerre mauldite
    Par ce moyen nous aurons tousjours paix

    Pense ung chacun qu'il portera son faiz
    Et qu'après mort sera resuscité
    Pour rendre a dieu conte de ses meffais
    En jugement ou il sera cité
    La luy sera tout son temps recité
    La dieu dira aux benoists _venite_
    Et aux maudis _ite_ ceste voix dicte
    Chacun aura droit selon son merite
    Les mauvais gloire et lyesse infinite
    Et les dannés tristesse a tousjours mais
    Las pensons y car c'est chose licite
    Par ce moyen nous aurons tousjours paix

    Prince mortel nostre vie est petite
    Et nous suit mort a tout son dart subite
    Pourtant faisons des biens plus qu'oncques mais
    Tant qu'après mort nostre ame es cieulx habite
    Par ce moien nous aurons tousjours paix



Le second chappitre

Balade contre ceulx et principallement gens de court qui ayment ce
maleureux monde pour lesser la vie eternelle


Refrain

    Homme deffait et a perdition


    Las et pour quoi prens tu si grant plaisir
    Home abusé plain de presumption.
    En ce faulx monde ou n'a que desplaisir.
    Envie orgueil guerre et dissention.
    Qui maleureuse est ton affection
    Que penses tu as tu plus grant envie
    De vivre en doubte en ceste courte vie
    Qui les mondains a la mort d'enfer maine
    Que seurement vivre en vie certaine
    Las tu sces bien se tu n'es insensible
    Que c'est chose forte voire impossible
    D'avoir ça jus ton aise entierement
    Et après mort lassus pareillement
    Helas pourtant change condition
    Et te ravise ou tu es aultrement
    Homme deffait et a perdition

    Le quel veult tu ou vie ou mort choisir
    Choisi des deux tu as discretion
    Ayme tu mieulx de ton corps le desir
    Pour ton ame mettre a dampnation
    Que vivre un peu en tribulation
    Et qu'après mort soit ton ame ravie
    En gloire es cieulx qui de nul deservie
    Estre ne peut en ceste vie humaine
    S'il ne laisse terre avoir et demaine
    Et pere et mere et tout s'il est possible
    Et vivre en paine et en labour terrible
    Ensuivant dieu tousjours paciemment
    C'est le chemin qui conduit seurement
    Après trespas l'omme a salvation
    Et qui va aultre il va a dempnement
    Homme deffait et a perdition

    Cuide tu ci tousjours avoir leisir
    D'avoir pardon sans satifation
    Et toute nuit en beau lit mol gesir.
    Puis asejours sans operation
    Passer le jour en delectation
    Tant que du tout ta char soit assouvie
    Penses tu point qu'il faille qu'on define
    Helas oi car mort vendra soudaine
    Et prengne fin la plaisance mondaine
    Une heure a toi atout son dart horrible
    Si tresacop comme chose invisible.
    Que pas n'auras lesir aucunement
    De dire a dieu _peccavi_ seulement
    Ainsi morras tost sans contricion
    Dont tu seras par divin jugement.
    Homme deffait et a perdition

    Homme en peril saiches certainement
    Que se tu n'as aultre vouloir briefvement
    De t'amender n'autre devotion
    Tu te verras ung jour subitement
    Homme deffaict et a perdition



Le .iii. chappitre

Balade et exortation a tous prelatz d'eglise pour despriser soy et le
monde et mener saincte vie


Refrain

    Mais sçais tu quant demain par adventure
    Ou aujourd'uy pourtant donne toy garde


    Homme mortel creé de terre et fait
    Du createur formé a la semblance
    Las recongnois le bien que dieu t'a fait
    Puis que tu es homme privé d'enfance
    Remanbre toy et ayes souvenance
    Cueur dur ingrat rempli de vanité
    Du hault degré et de la dignité
    Ou dieu t'a mis indigne creature
    Tant riche et noble eslue en prelature
    Dont tu rendras conte estroit quoy qu'il tarde
    Mais sçais tu quant demain par adventure
    Ou aujourd'ui pourtant donne toy garde

    Homme arme toy contre l'eure future
    Forte et dure car mort de la pointure
    Te picquera de sa cruelle darde
    Mais sçais tu quant demain par adventure
    Ou aujourd'uy pourtant donne toy garde



Le .iiii. chappitre

Ballade proufitable et utile contenant les principalles joies de paradis
et les peines d'enfer


Refrain

    Qui tousjours dure et qui jamais ne cesse


    Puis qu'ansi est qu'il nous faille fenir
    Et après fin conte a dieu de tout rendre
    Las desoresmais vueillons nous maintenir
    Si saintement sans taiche et sans mesprendre
    Qu'a l'eure horrible ou mort nous vouldra prendre
    Nostre povre ame a present vicieuse
    Soit de vertus tant riche et precieuse
    Que voler puisse en la haulte cité
    Ou est plaisir joie et felicité
    Salut vertus feste et paix pardurable
    Vie sans mort beauté santé jeunesse
    Le pris povoir et force insuperable
    Qui tousjours dure et qui jamais ne cesse

    Pourtant vueillons par cueur bien retenir
    Tous ces poins cy et a bien faire entendre
    Siqu'après mort nous puissons parvenir
    Au hault royaume ou nous devons tous tendre
    Qui tant riche est que sens ne peut comprendre
    La voit on dieu o face glorieuse
    La oit on son o voix melodieuse
    La ont les corps impassibilité
    Agilité clarté subtillité
    Et les ames sapience admirable
    Puissance honneur sureté et lyesse
    Concorde amour et gloire inseparable
    Qui tousjours dure et qui jamais ne cesse

    Las nous voions tous les jours mort venir
    Qui est la fin que nous devons attendre
    Et ne sçavons que puent revenir
    Les esperis quant les corps sont en cendre
    Les bons vont sus les mauvais fault descendre
    En une chartre obscure et tenebreuse
    Ou est vermine immortelle angoisseuse
    Misere ennuy faulte et necessité
    Faim soif pleur cri et toute adversité
    Horreur fraieur paeur inenarrable
    Mort sans mourir desespoir et tristesse
    Feu sans lumiere et froit intollerable
    Qui tousjours dure et qui jamais ne cesse

    O mauvais riche enflé d'iniquité
    Rude aux povres las que t'a proufité
    Ton riche habit ta plantureuse table
    Puis que tu es povre pour ta richesse
    Et as soif ore et faim insaciable
    Qui tousjours dure et qui jamais ne cesse



Le .v. chappitre

Balade pour aprendre a bien mourir et renuncier du tout au monde


Refrain

    Pour bien mourir et vivre longuement


    Puis qu'ansi est que la mort soit certaine
    Plus qu'autre rien terrible et douloureuse
    Et que chose ne peut estre incertaine
    Plus qu'en est l'eure horrible en angoisseuse
    Et soit si briefve et partant perilleuse
    Las nostre joie en ce val miserable
    Il m'est advis pour le plus convenable
    Que nous devrions du tout entierement
    Mettre soubz pié ce monde pou durable
    Pour bien mourir et vivre longuement

    Delaissier doit toute joie mondaine
    Et mener vie humble et religieuse
    Qui monter veult a la tressouverainne
    Cité des cieulx qui tant est glorieuse
    La contempler doit tousjours l'ame eureuse
    Qui aime dieu et het euvre de dyable
    Suivre les bons estre a tous charitable
    Soy confesser souvent devotement
    Et messe ouyr qui tant est proufitable
    Pour bien mourir et vivre longuement

    Trop s'abuse tout homme qui demaine
    Orgueil en luy et vie ambicieuse
    Quant il sçait bien que la mort tout amaine
    Qui vient souvant soubdainne et merveilleuse
    Mais doit penser la passion piteuse
    Du redempteur et la peine doubtable
    D'enfer sans fin qui est inenarrable
    Le jour hatif du divin jugement
    Et ses pechés comme sage notable
    Pour bien mourir et vivre longuement

    O mortel homme et ame raisonnable
    Se tu ne veulx estre après mort dannable
    Tu dois le jour une fois seulement
    Penser du moins ta fin abhominable
    Pour bien mourir et vivre longuement



Le .vi. chappitre

Balade pour acquerir le tresor des cieulx et despriser toutes richesses
terriennes


Refrain

    Ou chacun peut sans riens mettre tout prendre


    Puis que la chartre obscure de tristesse
    Mere de dueil qui joie desherite
    Thesauriser ne peut n'avoir richesse
    Nul prisonnier qui en sa fosse assiste
    Sans charge d'ame et de corps exercite
    Et que tout bien terrien se decline
    De cueur contrict la majesté divine
    Requerons tous qu'après mort aspre et dure
    Le beau tresor desploier et destendre
    Nous vueille es cieulx qui tousjours sans fin dure
    Ou chacun peut sans riens mettre tout prendre

    La verrons nous sa face et sa haultesse
    En son royaume ou beauté se delicte
    La verrons nous la court et la noblesse
    De sa mere qui ne peut estre dicte
    Des apostres le palays et l'eslite
    Et des martirs la sale et gloire fine
    Des confesseurs la chappelle tresdigne
    Et des vierges le temple et l'amour pure
    La nostre cueur doit soupirer et tendre
    Pour vivre au lieu de tous biens sans mesure
    Ou chacun peut sans riens mettre tout prendre

    Qui aujourd'uy regne au monde en jeunesse
    Pense en son cueur que sa vie est petite
    Et que ces deux maladie et viellesse
    Pour le mener droit a la mort subite
    Le suivent près et selon son merite
    Aura après joie ou dueil sans termine
    Pourtant congneu que tout ainsi se fine
    Et sommes cy de perdre en adventure
    Vivons en dieu si bien qu'après mort rendre
    Nous nous puissons des cieulx a l'ouverture
    Ou chacun peut sans riens mettre tout prendre

    Prince mortel du monde et de nature
    Faillent les biens et devenons tous cendre
    Pourtant d'avoir paradis mettons cure
    Ou chacun peut sans riens mettre tout prendre

Cy finist l'exortation des mondains



Cy c'ensuit le mirouer de dames et damoiselles et l'exemple de tout le
sexe femenin


    Mirés vous cy dames et damoiselles
    Mirés vous cy et regardés ma face
    Helas pensés se vous estes bien belles
    Comment la mort toute beauté efface

Comment beauté humaine tourne plus a desplaisir après mort qu'elle ne
pleut en vie

    Je fus jadis tant belle et tant plaisante
    Que de beauté j'estoie l'exemplaire
    Et ores suis tant laide et desplaisante
    Que plus desplais qu'oncques je ne peus plaire

La fin des beaux cheveux et du chief atourné

    Las et que sont maintenant devenus
    Les beaux cheveux de mon chief atourné
    De l'orde terre estoient tous venus
    Et en terre s'en est tout retourné

La fin des beaulx ieulx

    Las comment sont mes beaux ieulx vers changés
    Et de ma face aussi tout le surplus
    Las tellement les ont les vers mangés
    Qu'on n'i voit plus que les partus sans plus

La fin de la beauté de la face

    Las advisés hors ma face et dedans
    Qui jadis fut tant belle et coulouree
    Laissé n'i ont le vers fors que les dens
    Las bien peu m'est ma beauté demouree

La fin du beau col

    Las je souloie aussi droit q'une tour
    Avoir le col plus blanc que lis et beau
    Environné d'ung collier d'or autour
    Et maintenant plus noir est q'ung corbeau

La fin de la beauté de la poitrine

    Las maintenant qu'est aussi devenue
    Ma poitrine tant blanche et tant refaite
    Las qui la voit maintenant toute nue
    Horreur en a tant est laide et deffaite

La fin de la beauté des mains et des piés

    Las et ou est la beauté de mes mains
    Aornees de diamens richement
    Las et ou sont pour denser soirs et mains
    Mes piés polis chaussés mignotement

La fin de la beauté du corps

    Las ors souloit mon corps estre tenu
    Tant bel et gent et souefment nourri
    Et maintenant qui l'advise tout nu
    Conte n'en fait ne que d'un sac pourri

La fin des precieux vestemens

    Las de draps d'or de damas et de soye
    Jadis souloie estre toute couverte
    Et maintenant fault que d'une serqueul soie
    Envelopee et demi descouverte

La fin des riches fourreures

    Las je souloie estre jadis d'ermines
    Toute fourree et de fins menus vers
    Et maintenant je porte les vermines
    Et me rongent les gros et menus vers

La fin des sumptueux edifices

    Las je souloie avoir mes beaulx logis
    En hauls palais chambres et lis parfons
    Et en ung coffre a present desclos gis
    Desoubz la terre ou les vers sont au fons

La fin du demainne terres possessions et revenues

    Las je souloie avoir si grant demainne
    Possessions terre et revenue
    Et ores suis par mort qui tout amainne
    Tant miserable et povre devenue

Ci s'ensuit du grant renom et de la domination

    Las j'avoye du temps que j'estois vive
    Si grant renom et domination
    Et maintenant si petit n'est qui vive
    Qui n'ait de moy abhomination

Des biens de fortune qui ne durent rien

    Las fortune jadis tant me prisa
    Que des prisés estoie en tout prisee
    Et par la mort qui tout mon pris prins a
    Des desprisés suis ore desprisee

Comment les plus belles sont après mort finees

    Las près de moy jadis on se tenoit
    Et maintenant chacun de moy s'eslongne
    Ma grant beaulté chacun veoir venoit
    Et on me fuit comme une orde charongne

Bon exemple de la mort qu'on deviendra

    Las remirez qu'après respas serés
    Ne plus ne moins mon fait le vous figure
    Et recordés que vous trespasserez
    Et porterés comme moy la figure

Comment beauté devient horrible après mort

    Las tant belle m'avoit faicte nature
    Que ma beauté les cueurs des beaulx perçoit
    Et ores n'est si laide creature.
    Qu'il n'est horreur si tost qu'il m'apersoit

Comment beauté fault acoup

    Or est toute ceste beauté passee
    Plus tost que vent en ainsi peu d'espace
    Et tout acoup suis jeune trespassee
    Et perdue se dieu ne me fait grace

Comment par beauté on pert souvent l'ame

    Las de beauté que j'ay peu nommer ci
    Que perdue ai ne du corps soubz la lame
    Ne me chault ja se dieu me fait merci
    Si que sans fin n'en soit perdue l'ame

Comment pour gloire terrienne on pert la gloire eternelle pour estre
danné

    Mais c'est pitié quant pour joie si briefve
    On pert des cieulx la gloire en ung moment
    Pour estre en dueil tousjours dont plus en griefve
    Ung jour que si deux cens jours de tourment

Comment honneur plaisance et estat mondain faillent acoup

    Que vault honneur doncques qui tant peu dure
    Que vault estat qui si tost devient cendre
    Que vault plaisance en corps si plain d'ordure
    Que vault monter pour si tost bas descendre

Comment il fault rendre conte de tout après mort

    Que vault pompe ne bruit qui si tost fault
    Las mieulx vauldroit le moien estat prendre
    Puis qu'on sçait bien qu'en la fin il en fault
    Tresestroit conte au juste juge rendre

La fin des plus belles du viel testament

    Las et ou sont celles qui piessa furent
    Dont les beautés raconte mainte histoire
    Judich hester qui tant grant beauté eurent
    Dont mention fait la bible et memoire

La fin de la beauté des plus belles de jadis

    Las et ou sont de helaine et lucresse
    Les grans beautés et de sidoine aussi
    Faillies sont et mortes en destresses
    Passé long temps et vous mourrés aussi

Comment domination dure peu et est tost oubliee. après mort

    On me souloit nommer maistresse et dame
    Et plaisir faire et service jadis
    Et maintenant je ne saiche au monde ame
    Qui dist pour moi ung seul _de profundis_

Conclusion qu'on doit si bien vivre sur terre qu'on puisse acquerir vie
eternelle es cieulx

    Helas pourtant vous qui regnés sur terre
    Dont après mort on ne fera plus conte
    Vivés si bien devant qu'on vous enterre
    Qu'après mort vifs dieu en sa court vous conte


Cy finist l'exemple des dames et damoiselles et de tout le sexe femenin



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NOTES SUR LA TRANSCRIPTION

L'orthographe et la ponctuation sont conformes à l'original. Néanmoins
pour faciliter la lecture, on a distingué les lettres i/j, u/v, et
introduit cédilles, apostrophes et accents. Les symboles d'abréviation
conventionnels ont été remplacés par les lettres correspondantes
(exemple: Comme au lieu de Cõme).

On a corrigé une douzaine de cas de substitution entre lettres de forme
semblables (qni pour qui, Dt pour Et, etc.), non signalés ici en détail.

On a rendu _entre signes soulignés_ les mots latins imprimés dans
l'original en caractères plus petits.





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