Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: Le trésor de la cité des dames de degré en degré et de tous estatz
Author: Christine, de Pisan, 1364?-1431?
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Le trésor de la cité des dames de degré en degré et de tous estatz" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



Le tresor de la cité des dames de degré en degré: et de tous estatz
selon dame cristine

[Illustration]



Prologue.


Et si par divin vouloir l'estat de majesté royalle & de seigneurie est
eslevé sur tous estatz mondains & que a la conduyte & doctrine d'iceluy
soit regi & gouverné le petit & menu peuple pour au monde estre en union
paix & concorde / bien licite est & convenable que ceulx et celles tant
femmes comme hommes que dieu a establis es haulx sieges de puissance &
domination de tant plus soient mieulx moriginés que autre gent & aornés
de belles doctrines & de bonnes meurs affin que la reputation de eulx en
soit plus venerable / & que comme ilz sont ensuys et imitez aux choses
mondaines et temporelles / pareillement en vie spirituelle soient a
toutes gens miroir & exemple de toutes beneuretez & faitz vertueux. Et
pource ma treschiere & tressouveraine dame Anne Royne de france
treschrestienne que vostre tresbenigne et royalle majesté tousjours
desire veoir bonnes choses et vertueuses. Je vostre treshumble et
tresobeissant serviteur a l'honneur & magnificence de vostre
trestriumphante souveraine je ay fait le livre des trois dames de
vertus / c'est assavoir Raison droicture & justice souveraines dames de
la noble cité des dames de vertus. Lequel livre fist & composa
tresredoubtee dame cristine a l'enseignement et exhortacion des Roynes
haultes dames et princesses par le commandement d'icelles nobles vertus.
Ad ce que lesdictes Roynes haultes dames & princesses soyent convocquees
a estre souveraines citoyennes / et comme telles mises & fichees en la
noble cité des dames de vertus. Et a l'exemple d'icelles les aultres
dames / damoiselles / bourgoises et femmes de commun peuple. Et si
demontre comment les bonnes princesses doivent aymer et craindre dieu
pour le premier et principal enseignement. Et qu'elles doivent prendre
le bon & saint advertissement qui vient pour l'amour & crainte de
nostreseigneur. Avecques plusieurs beaulx & vertueux enseignemens
contenus en celuy livre. Ainsi que vostre tresglorifique et beneuree
dignité en lisant le livre ou faisant lire par maniere de recreation
pourra veoir & congnoistre.

¶ Or dit dame cristine.

Aprés ce que j'eus edifié a l'aide & par le commandement des trois dames
de vertus / c'est assavoir Raison droicture & justice la cité des dames
par la forme & maniere que au contenu de ladicte cité est declairé. Je
comme personne, travaillee de si grant labeur avoir accomply et mis sus
mes membres & mon corps lassé pour cause du long & continuel excercite
estant en oyseuse et querant repos s'apparurent a moy gueres ne
tarderent les dessusdictes trois glorieuses en disant toutes trois
parolles d'une mesmes substance en telle maniere. Comment fille d'estude
as tu ja remis & fiché en mue l'ostil de ton entendement & delaissé en
secheressse encre plume & le labour de ta main dextre auquel tant te
soulois deliter. Veulx tu doncques donner oreille a la leçon de paresse
qui te chantera se croyre le veulx / tu as assez fait / temps est que tu
te reposes Comme ne scés / tu que doncques dit / que quoy que
l'entendement du sage aprés grant labeur se repose. Si n'est il nul
temps remis d'aulcune bonne oeuvre / non mie a toy appartient estre au
mombre d'iceulx qui emmy chemin sont trouvés recreans. Male honte ayt
chevalier qui se despart de la bataille ains la fin de la victoire. Car
a ceulx appartient la couronne de lorier qui perseverent. Or sus baille
ta main dresse toy / plus ne soyes accopie en la pouldriere de
recreantise. Entens nos sermons et tu feras bonne oeuvre / nous ne
sommes encores ressasiees ou saoulees de te mettre en besongne comme
chamberiere de nos vertueux labours avons advisé preparlé & conclud au
conseil de vertu et a l'exemple de dieu qui au commencement du siecle
qu'il eut creé vit son oeuvre bonne / la beneist. Puis fist homme &
femme & les animaulx. Ainsi nostredicte oeuvre precedente / ceste de la
cité des dames qui est bonne & utile soit benie et exaulcee par tout
l'universel monde que encores a l'acroissement d'icelle nous plaist que
tout ainsi comme le sage oyseleulx apppreste sa cage ains qu'il prengne
ses oyselons. Voulons que aprés ce que le heberge des dames honnorees
est faicte et preparee soyent semblablement que devant par tout ayde
pourpensés faitz & quis engins trebuchetz & rethz beaulx & nobles laciez
& ouvrez a neudz d'amours que nous te livrerons & tu les estendras par
la terre es lieux & es places et es angletz par ou les dames &
generallement toutes femmes passent et courent affin que celles qui sont
farouches et dures a dominer puissent estre happees prinses & trebuchees
en nos latz si que nulle ou pou qui s'embate ne puisse eschapper & que
toutes ou la plus grant partie d'elles soyent fichees en la caige de
nostre glorieuse cité / ou le doulx chant aprengnent de celles qui desja
y sont hebergees comme souveraines / et qui sans cesser deschantent
alleluya avecques la teneur des beneurés anges. Lors moy christine oyant
les voix series de mes tresreverables maistresses remplye de joye en
tressaillant / tost me dreçay & agenoillee devant elles m'offry a
l'obeissance de leurs dignes vouloirs. Et adonc je receu d'elles tel
commandement. Pren ta plume & escrips. Beneurez seront celles qui
habiteront en nostre cité pour acroistre le nombre des cytoyens de
vertu. A tout le college femenin & a leur devote religion soit notifié
le sermon et la leçon de sapience. Et tout premierement aux roynes
princesses & haultes dames. Et puis ensuyvant de degré en degré
chanterons semblablement nostre doctrine aux autres dames en toutes les
damoiselles & estatz des femmes affin que la discipline de nostre
escolle puisse estre a tous vaillable.

¶ Cy finist le prologue



¶ Cy commence la table de ce present livre du tresor de la cité des
dames / & contient trois parties a la premiere y a .xxvi. chapitres A la
deuxiesme .xiiii. chapitres / & a la troisiesme & derniere partie xiiii.
chapitres. Et premierement.

¶ Comment les haultes roynes & princesses doivent aymer & craindre dieu
Chap. premier.

¶ Comment les temptations pevent venir a haulte princesse. Chapitre. ii.

¶ Comment la bonne princesse qui aymera & craindra nostreseigneur pourra
resister aux temptations par divine inspiration. Chapitre. iii.

¶ Le bon & saint advertissement & congnoissance qui vient a la bonne
princesse par l'amour & crainte de nostreseigneur. chap. iiii.

¶ Des deux sainctes vies / c'est assavoir de la vie active & de la vie
comtemplative. chap. v.

¶ Cy devise la voye que la bonne princesse se delibere a tenir. Chapitre
vi.

¶ Comment la bonne princesse vouldra attraire a soy toutes vertus. Cha.
vii.

¶ Comment la saige princesse ou dame se peinera de mettre la paix entre
le prince & les barons s'il y a aulcun discord. cha. viii.

¶ Des voyes de devote charité que la bonne princesse tiendra. Chapitre.
ix.

¶ Des enseignemens moraulx que prudence mondaine prendra a la saige
princesse. chap. x.

¶ La maniere de vivre de la saige princesse par l'admonnestement de
prudence. chap. xi.

¶ Des sept principaulx enseignemens de prudence qui sont necessaires a
retenir a toute princesse qui ayme honneur. le premier est comment se
tiendra vers son seigneur generallement & particulierement. chap. xii.

¶ Le deuxiesme enseignement de prudence qui est comment la saige
princesse se contiendra vers les parens & amys de son seigneur Chapitre.
xiii.

¶ Le troisiesme enseignement de prudence qui est comment la sage
princesse sera songneuse de se prendre garde sur l'estat & gouvernement
de ses enfans. chap. xiiii.

¶ Le quatriesme enseignement de prudence qui est comment la princesse
tiendra discrette maniere vers ceulx qui ne l'aymeront pas & qui auront
envye sur elle. chap. xv.

¶ Le .v. enseignement de prudence qui est comment la sage princesse
mettra peine comment elle soit en la grace & benivolence de tous les
estatz de ses subjetz. chap. xvi.

¶ Le .vi. enseignement comment la sage princesse tiendra en belle
ordonnance les femmes de sa court. cha. xvii.

¶ Le .vii. enseignement devise comment la sage princesse se prendra
garde sur ces revenues & de ses finances & de l'estat de sa court.
Chapitre. xviii.

¶ En quelle maniere se doit estendre sa largesse et liberalité de la
saige princesse. chap. xix.

¶ Les excusations qui affierent aux bonnes princesses qui ne pourroyent
pour aucunes causes mettre a effect les choses dessusdictes. chap. xx.

¶ Du gouvernement a la sage princesse demouree vefve. ch. xxi.

¶ De ce mesmes a l'enseignement des jeunes princesses vefves. Chapitre.
xxii.

¶ Du gouvernement qui doit estre baillé & tenu a jeune princesse
nouvelle mariee. chap. xxiii.

¶ Les manieres que la sage dame ou damoiselle qui a en gouvernement
jeune princesse doit tenir pour maintenir sa maistresse en bonne
renommee & en l'amour de son seigneur. chap. xxiiii.

¶ De la jeune haulte dame qui se vouldroit esvoyer en folle amour &
l'enseignement que prudence donne a la dame ou damoiselle qui l'aura en
gouvernement. chap. xxv.

¶ La maniere des lectres que la sage dame peut envoyer a sa maistresse.
chapitre xxvi.

¶ Cy commence la deuxiesme partie de ce livre laquelle s'adresse aux
dames & damoiselles Et premierement a celles qui demeurent a court de
princesse ou haulte dame.

¶ Le premier chapitre parle comment les trois dames / c'est assavoir /
raison / droicture & justice recapitullent en brief ce qui est dit
devant. chap. xxvii.

¶ Des quatre pointz les deux bons a tenir / & les deux autres a
eschever. & comment dames & damoiselles de court doyvent aymer leur
maistresse & ce est le premier point. chap. xxviii.

¶ Le deuxiesme point qui est bon a tenir aux femmes de court qui est
comment elles doyvent eschever trop d'acointances. chap. xxix.

¶ Le .iii. point qui est le premier des deux qui sont a eschever parlant
de l'envye qui regne en court & dequoy elle vient. chap. xxx.

¶ De ce mesmes enseignement aux femmes comment se garderont entre elles
d'avoir le vice d'envye. chap. xxxi

¶ Le .iiii. point qui est le deuxiesme des deux qui sont a eschever &
parle comment femmes de court se doivent bien garder de mesdire et de
quelle chose vient mesdit ne a quelle cause ne occasion. Chapitre. xxxii

¶ De mesmes comment femmes de court se doyvent bien garder de dire mal
de leur maistresse. chap. xxxiii

¶ Comment il ne appartient a femmes de diffamer l'une l'autre ne dire
mal. chap. xxxiiii.

¶ Des dames baronnesses la maniere du sçavoir qui leur appartient. chap.
xxxv.

¶ Comment il appartient que les dames & damoiselles qui demeurent sur
les manoirs se gouvernent au fait de mesnage. ch. xxxvi.

¶ Des dames qui sont oultrageuses en leurs habitz atours et habillemens.
chap. xxxvii.

¶ Contre l'orgueil d'aucunes. chap. xxxviii

¶ Des manieres qui appartiennent a dames de religion. c. xxxix.

¶ Cy commence la tierce partie.

¶ Comment tout ce qui est dit devant peut toucher aussi bien les unes
comme les autres des femmes & de la maniere & gouvernement que femme
d'estat doit tenir au fait de son mesnage. Chapitre. xl.

¶ Comment femmes d'estat doivent estre ordonnees en leur habit et
comment se garderont de ceulx qui tachent a les decevoir. Chapitre. xli.

¶ Des femmes des marchans. chap. xlii.

¶ Des femmes vefves vieilles & jeunes. chap. xliii.

¶ Des jeunes filles & vieilles estans en l'estat de virginité. Chapitre.
xliiii.

¶ Comment anciennes femmes se doyvent maintenir vers les jeunes & des
meurs que avoir doyvent. chap. xlv

¶ Comment jeunes femmes se doivent maintenir vers les anciennes. chap.
xlvi.

¶ Des femmes des mestiers / comment gouverner se doyvent. Chapitre.
xlvii.

¶ Des femmes servantes & chamberieres. chap. xlviii

¶ Des femmes de folle vie. chap. xlix.

¶ Des femmes honnestes & chastes. chap. l.

¶ Des femmes des laboureurs. chap. li.

¶ De l'estat des povres. chap. lii.

¶ La fin & conclusion du livre. chap. liii.

¶ Cy fine la table de ce present livre.



¶ Cy commence le livre que fist dame cristine pour toutes roynes haultes
dames & princesses. Et premierement. Comment ilz doyvent aymer et
craindre dieu. chap. premier.


De par nous troys seurs filles de dieu nommees raison / droicture / &
justice. a toutes princesses empereys / roynes / duchesses / & haultes
dames en domination regnans sur la terre crestienne & generalement a
toutes femmes. Salut & dilection. Sçavoir faisons que comme amour
charitable nous contraigne a desirer le bien & accroissement l'honneur &
prosperité de l'université des femmes & a vouloir le decheement &
destruction de toutes les choses qui y pourroyent empescher / sommes
meuz a vous declairer & dire parolles de doctrine. Venes doncques toutes
a l'escolle de sapience dames esleues es haultz estatz & n'ayez honte
pour vous grandeurs de vous humilier & descendre aseoir bas pour ouÿr
noz leçons. Car selon la parolle de dieu Qui se humiliera sera exaulcé
quel chose est il en ce monde plus plaisant ne plus delectable a ceulx
qui desirent richesses mondaines / que or & pierres precieuses. mais ne
leur pourroient mye pourtant si embellir que font vertus aux corps qui
desirent bien vivre. car de tant que vertus sont plus nobles pource que
elles durent sans fin. & sont les tresors de l'ame qui est perpetuel &
les autres passent comme fumee de tant ceulx qui le goust en sentent &
assaveurent les desirent ardamment plus que autre chose mondaine ne
pourroit estre desiree. Et doncques n'appartient il a ceulx & a celles
qui sont assis par grace & bonne fortune es plus haultz estatz que ilz
soyent servis de tresmeilleurs choses. Et pource que vertus sont les
maitz de nostre table nous plaist il en distribuer premierement a celles
a qui nous parlons. C'est assavoir ausdictes princesses se fera le
fondement de nostre doctrine tout premierement sur l'amour de crainte de
nostreseigneur. Car celuy point est le principe de sapience dont toutes
les autres vertus yssent & dependent. Entendés doncques princesses &
dames honnorees sur la terre comment tout premierement sur toutes choses
vous advint amer & craindre nostreseigneur. Amer pourquoy pour son
infinie bonté & les tresgrans benefices que vous en recevés. Et craindre
pour sa divine & saincte justice qui riens ne laisse impugny. Et si
ceste amour & crainte avés bien devant les yeulx / sans faulte vous
estes au chemin qui conduyra au lieu dont nous vous preschons c'est
assavoir aux vertus. Or est il ainsi & n'est nulle doubte que il
convient que tout cueur qui bien ayme le demonstre par oeuvre. Sicomme
il mesme dit en l'evangille. Les ouailles de mon pere me ayment / & je
les garde Cest a dire que les creatures qui l'ayment suyvent les traces
que sont de vertu & il les garde de tous perilz / doncques est il ainsi
qui la princesse qui l'aymera le demonstrera si que pour quelconques
charges ou occupations que elle ayt a cause de la magnificence de son
estat ne se departira devant les yeulx la lumiere de droit chemin.
Laquelle lumiere se combatra contre les temptations & tenebres de pechés
& de vices & les vaincra & chassera selon la maniere que cy aprés est
contenue.



¶ Cy devise la maniere des temptations qui pevent venir a haulte
princesse. Chapitre .ii.


Quant la princesse ou haulte dame sera en son lict au matin reveillee de
son somme / & elle se verra couchee en son lit mol entre souefz draps
environnee de riches paremens & de toutes choses pour ayse du corps
dames & damoiselles entour elle qui l'ueil n'ont a autre chose fors a
adviser que riens ne lui faille de tous delices prestes de courir a elle
si elle souspire tant soit soit petit / ou s'elle sonne mot / les
genoulx flexis pour luy administrer tout service & obeir a tous ses
commandemens. Adonc souventesfois adviendra que temptation l'assauldra
qui luy chantera la leçon. Beau sire dieu est il en ce monde plus grant
maistresse de toy / ne plus auctorisee. de qui dois tu tenir compte ne
iroyes tu devant les autres ceste cy celle la quoy que elle soit mariee
a hault prince n'est point acomparee a toy / tu es plus riche ou plus
haultement en lignage / ou plus prisee pour tes enfans plus crainte et
plus renommee & auctorisee pour la puissance de ton seigneur. Qui seroit
ce doncques qui te oseroit faire quelconque desplaisir / ne t'en
vengerois tu pas bien par telle puissance et par telle. Il n'est si
grant doncques tu ne venisse bien a chief. Toutesfois tieulx & tieulx ou
telles & telles ont eu arrogance contre toy & ont cuydé par leur
oultrecuydance povoir a toy. & ont fait telz & telz choses en ton
desplaisir & prejudice. si t'en vengeras se tu peux ung temps viendra. &
a ce pourras tu moult bien faire par tel ayde & par telle puissance /
mais que convient il a ce faire nul ne fait riens tant soit grant
maistre ne riens n'est craint s'il n'a argent & grant finance. Si te
convient mettre peine a amasser tresor affin que en ton besoing tu t'en
puisses ayder / c'est le meilleur amy & plus seur moyen que tu puisses
avoir. qui sera celluy qui te desobeyra mais que tu ayes largement que
donner. pose que n'en donnasses se petit non. Si seroys tu voulentiers
servie en esperance & attendant d'en avoir mieulx puis que renom seroit
de ta richesse. Or soit elle morte qui ne tirera doncques a soy a toutes
mains qui que en soy grevé ne a qui il en desplaise. Ce pourras tu bien
faire mais que peine y mettes que as tu affaire si on en parle telz
parleurs ne te pevent nuyre ne grever. Quel soussy doibs tu avoir. Il ne
te fault sinon adviser a toutes choses qui plaire te pourront. Tu n'as
que ta vie en ce monde / vis a repos / de quoy te doibs tu embesongner
vins & viandes ne te pevent faillir / de ce peuz tu avoir a ta plaisance
& tous autres delices. Brief il ne te fault penser fors d'avoir toute la
joye et tous les esbatemens que tu pourras en ce monde. Nul n'a bon
temps s'il ne le se donne / aulcune gratieuse pensee te fault avoir qui
te resjouyra pour qui seras jolye / tieulx robbes tieulx paremens &
tieulx joyaulx tieulx abillemens / ainsi & ainsi fais et de tel devise
te fault avoir / tu n'en as nulz de si noble façon.



¶ Cy devise comment la bonne princesse qui aymera & craindra nostre
seigneur pourra resister aux temptations par divine insparation.
Chapitre .iii.


Toutes les choses dessusdictes ou les semblables sont les metz que
temptation administre a toute creature vivant en ayse & delices / mais
que fera la bonne princesse quant ainsi temptee se sentira Adoncques
sauldra en place l'amour et crainte de nostre seigneur dieu jhesucrist
qui luy chantera une autre leçon en disant en ceste maniere. Ha fole
musarde mal advisee que as tu pensé en petit de heure avoyes oublié la
congnoissance de toymesmes / ne scés tu pas bien que tu es une miserable
et povre creature fresle debile & subjecte a toutes enfermetez a toutes
passions maladies & autres douleurs que corps mortel peut souffrir /
quel avantage as tu ne que ung autre / neant plus que auroit ung tas de
terre couvert d'ung parement de celluy qui seroit soubz une povre
flessoie. Ha dolente creature encline a pecher & a tout vice te veulx tu
doncques mescongnoistre & oublier comment ce chetif vessel vuit de toute
vertu qui tant veult d'honneurs & d'aises deffauldra & mourra en peu de
terme sera viande aux vers / & aussi bien pourrira en terre que celluy
de la plus povre femme qui soit & que la lasse ame n'en portera riens ne
mais le bien ou le mal que le chetif corps aura commis sur terre / que
te vauldront lors honneurs avoirs ne ton grant parenté desquelles choses
en ce monde tu te aloses te yront ilz secourir en la peine ou tu seras
si tu as mal vescu en ce monde / certes non Ainçoys tout ce dequoy tu
auras mal use te tournera a ruyne Helasse dolente mieulx fust pour toy
avoir usé ta vie en l'estat d'une trespovre femme que estre eslevee en
tant d'estas qui seront / se tu ne t'en prens garde / la cause de ta
dampnation. Car forte chose seroit d'estre entre les flammes sans
brusler. Ne scés tu que dieu dist en l'evangile. que les povres seront
bieneurez / et que le royaulme des cieulx est pour eulx. Et ailleurs il
dist que neant plus que ung chamel chargié entreroit au pertuys de
l'eguille n'iroit ung riche en paradis. O dolente tu es si aveugle que
tu n'avises ton grant peril / mais ce fait le grant orgueil qui pour
cause de ses vains honneurs ou tu te vois envelopé estaint en toy si
toute raison que te semble il que tu ne cuydes mye seullement estre
princesse ne grant dame / mais comme une droicte deesse en ce monde. Ha
ce faulx orgueil comment le seuffres tu en toy et si scés par le raport
de l'escripture dieu le hayt tant qu'il ne le peut souffrir. Car pour
celle cause tresbucha il lucifer le prince des ennemys du ciel en enfer.
Et certes aussi fera il toy se tu ne te gardes. O orgueil racine de tous
maulx certainement je congnois que de toy viennent tous les aultres
vices et ce puis je congnoistre en moymesmes / car pour cause de toy &
non pour autre achoison je suis souvent embatue en ire desirant
vengance / sicomme je pensoye nagueres. & me fais sembler que je doye
estre redoubtee & prisee sur toutes les autres / & que je doye chascun
supediter & que pource je ne doy riens souffrir qui me desplaise / mais
tantost me venger tant soit le meffait petit. O vent perilleux en fleure
de couraige boce plaine de venin & de pourriture la chair ou tu es
fichee est en plus grant adventure que celle ou est la boce qui vient
d'epidimie. Perverse creature tu desire vengeance pource que il te
semble que es si grant que nul quoy que tu faces ne doit oser contredire
ne groucier a tes vouloirs / mais ton aveuglee ygnorance conduycte
d'orguelleuse arrogance te fait mecongnoistre comment toute personne
soit grant ou petite qui mauvaisement use ses jours dessert que toute
chose luy doye estre contraire si n'avises point en toy comment tu as
desservy & dessers par la maniere que tu tiens que tu ne soyes point en
la grace de maint. Par-*quoy n'est sans cause se plusieurs sont rebelles
et contredisans a tes voulentés & opinions & ainsi ton tort tu n'avises
point. Mais a tous propos quoy que tu faces te semble qu'il te laise a
supediter toutes autres voulentes & oppinions Et si aucuns y regibent ou
contredient tu les hés & pourpenses mal contre eulx & leur pourchasses
en secret ou en appert sans adviser le mal & le tresgrant peril qui s'en
pourroit ensuyvre a toy mesmes en ame & corps & a infinis autres / ou si
tu ne leur pourchasse pource que tu ne peuz au moins leur portes tu
mortel haine. En ce desloyal orgueil qui te fiche en la mer de perdicion
ne te met il aussi en teste a cause des boubans pour le desirer de
povoir accomplir ou tes vengences ou autres superfluités / comme tu
amasseras tresors sans regard de conscience. Ha doloreux tresor c'est
chose comme impossible que tu puisses estre amassé sans le prejudice de
plusieurs & contre leur vouloir pour alouer maulvaisement a ton
singulier vouloir. Saiches certainement & ne doubte du contraire que
l'avoir acquis & amasse indeuement tu ne useras ja joyeusement. Car la
ou tu l'auras assemblé en entente de l'employer en aucunes choses a ton
plaisir dieu t'envoyera d'aultre costé tant d'adversité ou de maladies
ou d'autre charges que il conviendra que ce mauldit tresor soit desploye
& mis en usage doloreux tout au contraire de ce que tu pensoyes. que
feras tu doncques de ce maudit tresor l'emporteras tu quant tu mourras.
Certes non ne mais autant que tu emporteras la charge de ce que
malacquis & usé l'auras. Mais regarde de rechief ou t'a bouté & empaint
ce maudit orgueil pource qu'il te fait acroire que tu passez les autres
en grandeur & auctorité. il fait ton cueur & de frire de paour que autre
te puisse actaindre & avenir en si hault estat que tu es. Pource que il
te fait tousjours desirer a estre la plus grant & s'il advient que tu
voyes ou saches personne plus ou tant auctorisee ou honnoré nulle peine
ne pourroit estre plus grande que le dueil que ton cueur emporte & ce te
faict devenir mesdisant ireuse & rancuneuse une autre infernalle flamete
te met orgueil en couraige. C'est que tu dis a toymesmes tu n'as mestier
de labourer ne de riens faire il ne te fault ne mais querir tes ayses
gesir grant matinee / puis aprés disner & reposer visiter tes coffres a
tes joyaulx & a tes paremens ce doit estre ton ouvrage. Et ainsi
maleureuse forcenee creature que tu es te semble il que dieu qui a donné
le temps a toute personne pour employer a bon usaige t'aye donné
auctorité de le passer en oyseuse plus que ung autre. Ha meschante
creature & tu as ouÿ prescher aultre-*fois que saint bernard sur
cantiques dit que oysiveté est la mere de toutes truffes & la marastre
des vertus. C'est celle qui mesmement l'omme fort & constant fait
tresbucher en peché qui estaint toutes les vertus nourrist orgueil &
fait le chemin d'enfer mais encore que advient il. Cestuy orgueil qui
ainsi te fait querir tes aises / et iceulx aises qui tant nourrissent
cel orgueil te font desirer les lescheries friandes en boires & en
mengiers / non mye des choses communes ne de viandes acoustumees. car de
ce es tu toute ennuyee / mais il fault que les queux pour te complaire &
pour bien desservir leurs gages pourpensent saveurs saulces & mistions
nouvelles pour plus plaire la viande a ton goust & ainsi des vins. Ha
doloreuse fault il ainsi emplir ce sac qui est viande a vers & vassel de
toute iniquité. Mais que en advient il quant il est ainsi emply que
demande il se maistre dieu tout ainsi que la bouche qui est le
nourrissement du feu lescherie & friandise & superfluités de vins & de
viandes est le nourrissement de charnalité c'est ce qui enflame
l'orgueil & qui fait encliner le courage a desirer en toutes voyes tout
ce qui au corps peut deliter / & certes la chair ainsi nourrie ressemble
le cheval lequel quant son maistre a bien tasché a l'engresser il est si
dru et si mignot que quant il se cuide aider il ne le peut tenir & le
maine maulgré qu'il en ait les voyes qui luy sont prejudiciables & a la
fin par son regibement et par ses saulx luy rompt le col. Tout ainsi tue
l'ame & les vertus le corps trop souef nourry & engressé de viandes
lecheresses mais l'orgueil qui se fiche en ce gras nourrissement te
faict tant desirer et vouloir superflux habitz joyaulx et paremens que a
pou tu ne penses a autres choses ne quoy qu'il doye couster ne dont il
doyve venir comment que tu les ayes a ton vouloir. Et avec cestuy vice &
les autres inconveniens malhonnestes et infinis ou il te maine il te
faict tant estre desdaigneuse et dangereuse a servir que a peine pourra
l'en trouver joyel habit ou parement qui te puist souffrir ne ou on ne
treuve a redire et ne sera ame qui te puisse faire ton gré & avecques
toutes ces choses tu es si oultrecuidee & presumptueuse que il ne te
semble mye que a peine dieu ny autre chose quelconques te peust grever.
O miserable chetive & adveuglee creature comment peut avoir en toy tant
de force cest oultrageulx orgueil que il te fait oblier les pugnitions
de dieu nonobstant qu'il te seuffre si longuement demourer plungé en
tant de deffaulx sans te payer de tes desertes / mais ne sçay tu que ung
saint docteur dit que de tant que la vengence de dieu plus retarde a
venir de tant est elle plus perilleuse quant elle vient / ainsi comme
l'arc qui est le plus fort tendu de tant est la fleche plus perçant
quant elle vient / as tu oublyé comme nostreseigneur pugnit par son
orgueil nabugodonosor qui estoit roy de babiloine & si grant prince que
il ne redoubtoit tout le monde semblablement le grant roy de perse
anthiochus. & aussi l'empereur xercés & grant nombre d'autres qui tant
estoyent grans & puissans que il n'estoit quelconque chose au ciel ne en
terre que ilz redoubtassent & toutes voyes furent par vengence &
voulenté de dieu par leurs desertes tant humiliez & ramenez a telz
perplexités que il n'estoit au monde homme ne plus miserable ne plus
infortuné que ilz se virent. Ha ne te souvient a ce propos que il est
escript ou livre de eclesiaste ou .x. chapitre si que tu as oy dire a
ton beau pere que dieu a destruyt les sieges des ducz orgueilleux & a
fait seoir les debonnaires pour eulx & sechié les racines des arrogans &
a planté les humiliez en leur lieu qui n'est autre chose a entendre fors
qu'il confont les orgueilleux & exaulce les humiliez. Si t'est bien
advenu si tu veulx estre confondue. O beau sire dieu a toy qui est une
simple femmelette qui n'as force puissance ne auctorité si elle ne t'est
donnee d'autruy / cuides tu pourtant si tu es voix envelopee en aises &
honneurs suppediter & surmonter le monde a ton vouloir.



Cy devise le bon & saint avertissement & congnoissance qui vient a la
bonne princesse par l'amour & crainte de nostreseigneur. chap. iiii


Ainsi la bonne princesse de dieu amonnestee qui aymera & craindra
nostreseigneur se reviendra a soy & quelque bonne qu'elle soit se
reputera estre la pire de toutes et aprés les subdictes choses pensees
elle dira a soymesmes. Or vois tu & congnois par grace de dieu les
tresgrans & espoventables perilz ou tu t'es fichee tout a cause de ce
dampnable orgueil que feras tu doncques le contumeras tu ainsi veulx tu
estre dampnee lequel te vault mieulx ou vivre a cestuy monde ung petit
espace de temps a ton ayse & non mye du tout a ton aise. car de tant que
plus te ficheras es delices du monde & plus te souviendra de divers
desirs / lesquelz te tourmenteront le cueur pource que acomplir ne les
pourras ne du tout avenir a tes vouloirs ne jamais ton cueur n'aura
souffisance et estre dampnee perpetuellement ou te refraindre de tes
superflues delices & vivre en l'amour et crainte de nostre seigneur &
estre sauvee ou royaulme sans fin. Helasse dampnee & qu'esse d'estre
dampnee. La saincte escripture dit que c'est estre privee a tousjours
sans fin de la vision de dieu & en tenebres espoventables en la
compaignie des horribles deables ennemys de nature humaine avecques les
ames dampnees qui gectent voix cris & plaintz terribles maudissans dieu
& leurs parens & eulx mesmes en torment inestimable en feu ardant et a
brief dire comment jacob en pueur merveilleuse & en perpetuelle orreur &
avec qui plus engrege le mal en esperance de jamais n'en yssir. O
dolente te veulx tu aller ficher en tel dampnation & perdre par ta folie
la grace que dieu te promet se tu la veulx deservir pour bien petit de
labour & que te promet il. il t'a promis par les merites de sa saincte
passion que si tu veulx garder ses saintz commandemens tu iras en
paradis. Saint gregoire es omelies en parlant de celle saincte cité de
paradis dit en brief qui est la langue & l'entendement qui peut
comprendre ne dire quelles ne comment grandes sont les joyes de paradis
estre tousjours present en la compaignie des anges avecques les benoitz
saintz fichés en la gloire de nostre createur veoir le visaige plain de
gloire de dieu & de la benoiste trinité face a face regarder veoir &
sentir sa lumiere incomprehensible estre asovy de tout desir avoir
congnoissance de toute science en repos eternel n'avoir jamais paour de
la mort & estre asseure de tousjours estre sans partir & remaindre en
celle gloire beneuree. O vois la difference des deux chemins lequel
prendras tu seras tu enragee que tu te fiches en la bourbe pour te noyer
& perir & laisses la saine belle & seure voye qui conduyt a sauvete /
nennil nennil tu ne seras pas si mal conseillee que tu laisses le bien
pour prendre le mal. O saincte trinité ung dieu en unité souverainne
puissance parfaicte sapience & infinie bonté conseillés moy et me
secourez aidés a saillir hors des tenebres d'ignorance qui tant m'ont
aveuglee vierge digne pure & sacree confort des desolez esperance des
biens creans tens moy la main de ta saincte misericorde si me tire hors
du palu de pechié & d'iniquité. Tressaint beneure colliege & court de
paradis anges & archanges cherubins & seraphins trosnes & dominations.
Sains apostres de dieu martirs confesseurs et toute l'université des
beneures martires vierges et continentes prieres pour moy & soyez en mon
ayde.



¶ Cy devise des deux sainctes vies / c'est assavoir de la vie active et
de la vie contemplative. Chap. v.


Or regardez doncques que tu as affaire se veux estre sauvee.
L'escripture fait mention de deux voyes qui mainent ou ciel & sans
suyvre les sentes d'icelles impossible est d'y entrer l'une s'appelle la
vie contemplative & l'autre la vie active. Et que est a dire la vie
contemplative & la vie active. La vie contemplative est une maniere &
estat de servir dieu ouquel la personne qui est amy tant & si ardamment
nostre seigneur que elle oublye entierement pere mere enfans tout le
monde & soymesmes pour la tresgrant et embrasee entente que elle a a son
createur sans cesser ne ailleurs ne pense et toutes aultres choses ne
luy sont riens ne il n'est povreté tribulation ne autre torment dequoy
autre creature puisse estre grevee qui au droit cueur contemplatif puist
estre empeschement ne dequoy il fist compte sa maniere de vivre &
despriser parfaictement tout ce qui est du monde & les joyes d'icelluy
se tenir solitaire & sustrait de toute gent les genoulx a terre les
mains joinctes les yeulx ou ciel le cueur eslevé par si haulte pensee
que elle va devant dieu contempler & regarder par saincte inspiration la
benoiste trinité la court du ciel & les joyes qui y sont & en cel estat
est le parfait contemplatif souventeffois tellement que il semble qu'il
ne soit mie en soymesmes & la consolation doulceur & joye que il sent
adonc ne pourroit estre a celle comparee. Car il sent ja & gouste des
gloires & joyes de paradis c'est assavoir il voit dieu en esperit par
contemplation il art a son amour si a souffisance parfaicte en ce monde.
car il ne veult ne desire autre chose & dieu le reconforte. Car il est
son servant & le repaist des doulx metz de son saint paradis c'est de
pures & des choses qui sont ou ciel et de parfaicte esperance d'aller a
celle joyeuse compaignie. Si n'est nulle joye pareille a celle. Ceulx
qui le scevent qui l'ont essayé combien que parler je n'en puis dont il
me poise fors ainsy que l'aveugle des couleurs. Et ceste vie soyt sur
toutes autres aggreable a dieu est apparu maintes fois au monde
visiblement si comme il est apparu & escript de plusieurs saintz &
sainctes contemplatis qui ont esté veuz quant ilz estoyent en leur
contemplation eslevés dessus terre par miracle de dieu si que il
sembloit que le corps voulsist suyvre la pensee qui montee estoit au
ciel de ceste saincte & treslevee vie ne suis digne assez de a son droit
parler ne la descripre si que a sa dignité appartient. mais de ce treuve
l'en assez de sainctes escriptures plaines qui plus en vouldra veoir. La
vie active est ung aultre estat de servir dieu qui est telle que la
personne qui la veult suyvre sera tant charitable que elle vouldroit si
elle povoit a tous servir pour l'amour de dieu. Si cerche les hospitaulx
visite les malades & les povres & les sequeure du sien et de la peine de
son corps pour l'amour de dieu selon son povoir / a si grant pitié des
creatures que elle voit en pechié ou en misere & tribulation que elle en
pleure comme de son mesmes fait ayme le bien de son prouchain comme le
sien propre tousjours est en labour de bien faire ne jamais n'est
oyseuse son cueur art sans cesser de desirer de acomplir les oeuvres de
misericorde esquelles s'employe de tout son povoir. Telle creature porte
toutes injures & tribulations paciemment pour l'amour de dieu & ceste
vie active sert sicomme tu peulx veoir plus au monde que la devantdicte.
Si sont toutes deux de grant excellence mais de la plus parfaictes des
deux nostreseigneur Jhesucrist luy mesmes donna la sentence lorsque
marie magdalene en qui est figuree la vie contemplative estoit seant aux
piez de nostre seigneur comme celle qui n'avoit le cueur a aultre chose
et qui toute ardoit de sa saincte amour et Marie marthe sa seur de
laquelle est entendue de la vie active qui estoit hostesse de nostre
seigneur et besongnoit aval l'hostel pour le service de luy et de ses
apostres se plaingnit a nostreseigner de ce que marie la sa seur ne luy
aydoit & nostreseigneur l'excusa en disant marie tu es moult dilligente
et ton oeuvre bonne & necessaire mais non pourtant marie a esleu la
meilleur partie pour laquelle partie de luy on peut sçavoir que non
obstant que la vie active soit de grant excellence / & necessaire pour
l'ayde & secours de plusieurs Toutesfoys la contemplation qui est de
laisser tout le monde & les embesongnemens qui y sont pour seullement
penser a luy est de plus grant dignité et plus parfaicte & pour celle
cause furent trouvez & establies des saintz prudhommes jadis les
religions qui est le plus hault estat vers dieu qui soit qui en faict
son devoir affin que ceulx qui vouldront vivre a contemplation puissent
la estre separés du monde au service de dieu sans autre soing & pleust a
eulx mesmes / car a dieu plairoit bien que chascun y fist son devoir.



¶ Cy devise de la voye que la bonne princesse se delibere a tenir.
Chapitre. vi


Adviser te convient ce dit a soymesmes la bonne princesse de dieu
inspiree laquelle de ses subdictes voyes tu veulx tenir il est dit
communement / et il est vray que discrecion est mere des vertus. Et
pourquoy est elle mere / pource que elle conduyt & maine les autres &
qui n'entreprent par elle quelconques chose que l'en veult faire tout
l'ouvraige vient a neant et est de nul effect / pource n'est necessaire
ouvrer par discrecion / comment par discrecion / c'est ce que doy
adviser ains que j'entrepreigne quelconque chose. Premierement la force
ou foiblesse de mon povre corps & la fragilité a qui je suis encline &
aussi a quel subgection il convient que je obeysse selon l'estat ou dieu
en ce monde m'a appellee & commise & si je considere au vray ces choses
je me treuve quelque bonne voulente que j'ay tresfoible de corps pour
souffrir grant abstinence & grant peine & foible d'esperit par fragilité
& inconstance & puis que je me sens telle je ne doy mye de moy mesmes
preserver que je soye de tel vertu non obstant que dieu dit tu lairras
pere & mere pour mon nom que je me pense du tout a ce disposer & laisser
mary enfans estat mondain & toutes occupations terriennes pour entendre
du tout a servir dieu en la vie contemplative sicomme ont fait les plus
perfaictes creatures. Si ne doy entreprendre chose ou a le perseverer je
peusse suffire. Que feray doncques chemineraige par voye active. Helas
heureulx sont ceulx qui prennent les oeuvres qui ont esté commandés
excercer Hé dieu que me eusses tu ores establie ou monde en l'estat
d'une povre femme affin que je te peusse en ycelle a tout le moins
parfaictement servir en administrant et faisant service a tes membres se
sont les povres pour l'amour de toy. Helas comment acomplirayge ce que
je ne me sens mye du tout disposee a vouloir a toutes fins de laisser
tout estat pour moy employer / beau sire dieu conseilles moy et me
inspires que je doy faire pour me saulver. Car quoy que je sache bien
que autre chose ne fait a aymer ne desirer que toy seul & que toute
aultre joye est neant je n'ay force en moy que je puisse du tout le
monde relenquir. Si suis moult espoventee que je feray / car tu dis que
impossible est que le riche soit saulvé. Adonc vient saincte informacion
a la bonne princesse qui luy dist en telle maniere. Or vecy que tu feras
dieu ne commande mye que on laisse tout pour le suyvre si ce n'est a
ceulx qui du tout veullent estre de la tresplus parfaicte vie. Si ce
peut chascun saulver en son estat & ce que dieu dist que impossible est
que ung riche soit saulvé est a entendre des riches sans vertus se leurs
richesses ne distribuent en aulmosnes & biensfais desquelz toute leur
felicité est en leur avoir n'est mye doubte que telz gens dieu hét & que
ja n'enterons ou ciel tant qu'ilz soyent telz et des povres dont il dit
que ilz sont bieneurez / c'est a entendre de povres d'esperit laquelle
chose peut estre mesmement ung tresriche et habondant homme. C'est
assavoir celluy qui ne prisera riens les richesses du monde & se il a il
les distribuera en bonnes oeuvres & au service de dieu ne pour honneur
ne se orgueillist ne pour richesse ne se tient plus grant et telle
creature quoy que elle habonde en biens mondains et povre d'esperit et
possedera le royaume des cieulx & tu le peuz veoir n'a il pas esté grant
foison de roys et de princes qui sont sains en paradis si comme sainct
loys de france et plusieurs aultres qui ne laissoyent pas le monde
ensois regnoyent & possedoyent leurs seigneuries au plaisir de dieu mais
ilz vivoyent justement ne pource n'assavouroyent en vaine gloire ne en
boubant les honneurs que on leur faisoit et reputoyent que l'honneur
fust a l'estat de sa seigneurie dont ilz estoyent vicaires de dieu en
terre et non mye a leurs personnes et semblablement a esté de roynes de
princesses moult grant foison qui sont sainctes en paradis si comme la
femme du roy de france aussi saincte baudour saincte helysabeth royne de
hongrie & assez d'autres. Si n'ayez point de doubte que dieu veult estre
servy de gens de tous estatz et en chascun estat on se peut saulver qui
veult. Car l'estat ne fait mye le dampnement mais n'en sçauroit user
sagement c'est ce qui damne la creature pource en conclusion je voy bien
que puis que je ne me sens de tel force que je puisse du tout en tout
eslire & suyvre l'une des deux dessusdictes vies je mettray peine a tout
le moins de tenir le moyen si comme saint pol le conseille & prendre de
l'une & de l'autre vie selon ma possibilité le plus que je pourray.



¶ Cy devise comment la bonne princesse vouldra attraire a soy toutes
vertus. Chapitre .vii.


Toutes ces choses ou les semblables pensera la bonne princesse par
divine information & pour les mettre a effet tiendra tel voye elle
vouldra estre bien informee par bons & saiges que est bien & que est mal
affin que le bien puist eslire & le mal eschever & quoy que toute
personne mortelle soit par nature encline en peché se gardera a son
povoir par especial de peschié mortel et vouldra faire tout ainsi que
faict le bon medecin qui cure la maladie par son contraire Si ensuyvra
la parolle de Crisostome sur l'evangille sainct Mathieu qui dit que qui
veult avoir la princesse celleste il luy convient ensuyvre humilité
terrestre. Car envers dieu n'est pas celluy le plus hault qui est icy le
plus grant & le plus eslevé en honneurs mais celluy qui est le plus
juste en terre est le greigneur ou ciel pource que elle congoistra que
les honneurs communement eslievent en orgueil son cueur se disposera en
toute humilité et pensera en soymesmes que non obstant que il
appartiengne a l'estat de son seigneur et du degré dont elle est que des
honneurs reçoyvent ja en quelque dominacion que elle se voye son cueur
n'en sera blecié en arrogance ne eslevé en pensee ains rendra graces a
dieu & luy attribuera tout l'honneur & de son cueur ne partira point la
pensee de congnoistre que elle est une povre creature mortelle fresle et
pecheresse & que l'estat que elle reçoit n'est que ung office dont luy
conviendra a dieu en brief temps luy en rendre compte. Car sa vie au
regard du perpetuel siecle n'est que ung petit trespas ceste noble
princesse doncques quoy que la dignité de son estat requiert que elle
reçoyve des gens grant reverence n'y prendra point de delict quand on
les luy fera & tout au moins que elle se pourra passer garde l'honneur
de son estat vouldra que on luy face son maintien son parler son port
sera doulx & benigne la chiere plaisante a yeulx baissez reddant salut a
toute creature qui la luy baillera en parolle tant humaine tant doulce
que aggreable soit a dieu & au monde. Et avecques ceste vertu d'humilité
la noble dame vouldra tant estre paciente que quoy que le monde livre
assez d'aversitez aussi bien aux grans seigneurs et aux grans dames que
aux petites gens selon leurs estatz pour chose qui luy adviengne ne sera
mené a impacience et toutes adversitez prendre en gré pour l'amour de
nostre seigneur. Et l'en remercyra de bon cueur Et mesmement tellement
se disposera en ceste vertu de pacience. que s'il advenoit ores que elle
receust aucun tord ou grief de quelque personne ou de quelques gens
comme on fait plusieursfois a maintes dames sans cause si ne querra elle
leur pugnicion ne pouchassera ne vouldra et s'il advient que pugnis
soyent par droit & par justice elle en aura pitié pensant que dieu
commande que on ayme ses enemys & que saint pol dit que cherité ne
quiert mye mesmes ce qui est sien. Si portera a dieu pour eulx qui leur
donne pacience et en ait mercy. Ceste noble dame ainsi disposee par
grant constance & force de courage ne fera pas grant compte des dars des
envieux. C'est assavoir que si elle sçoit ores que aucunes parolles
ayent esté dictes contre elle sicomme on fait tous les jours des
meilleurs ja si grans ne seront pourtant ne s'en troublera ne le tiendra
a grant meffait / ains le pardonnera de legier ne ja pour sa haultesse
ne reputera pou de mesprison se aulcun luy fait par grant injure pensant
les grans injures que nostre seigneur souffrit pour nous & si pria pour
ceulx qui le tourmentoyent. Si pensera la tresbonne dame que en aucune
maniere le peut avoir desservy & ainsi tiendra par vertu l'enseignement
de senecque qui dit en parlant aux princes & princesses ou puissans
personnes que c'est moult grant merite envers dieu louange au monde &
signe de noble vertu que de laissoir aller legierement le meffait dequoy
on se pourroit legierement venger & est chose de bon exemple aux petites
gens Et ce mesmes temoigne saint gregoire ou .xxii. livre de moralles
qui dit que nul n'est parfaict s'il n'a pacience sur les maulx que ses
prochains luy font. Car qui ne porte souffraument les maulx d'aultruy
est impatient & tesmoigne que il est loing de la plenitude des vertus &
en louant les patiens dit icelluy mesmes sainct que tout ainsi que la
rose fleure souef et est belle entre les espines poignans la patiente
creature resplandist victorieusement entre ceulx qui s'efforcent de luy
nuyre. Ceste princesse qui vouldra et se penera d'amasser vertus sus
vertus aura bien reccort que sainct pol dit que qui auroit en luy toutes
aultres vertus ne finast d'aourer allast en pelerinage fist grans jeunes
et grant abstinences & tout le bien que faire se pourroit & n'auroit en
soy charité tout ce ne luy prouffiteroit riens. Et pource elle de ce
tresbien informee vouldra avoir celle belle vertu en telle maniere que
elle sera tant piteuse envers toutes gens que le mal d'aultruy luy
vouldra comme le sien propre & ne luy souffira mie seullement en avoir
la desplaisance de veoir gens en desolation se elle mesmes ne met main a
la paste de tout son povoir pour leur ayder. Et si comme dit ung
tressaige docteur. Charité s'estent en plusieurs manieres et ne s'estent
mye seullement que on doye aultruy ayder de l'argent de sa bourse mais
aussi de l'ayde et reconfort de sa parolle & de son conseil ou il
eschiet & de tout le bien que on peut faire. Si fera ceste dame par pure
benigne & saincte charité advocate & moyenne entre le prince son mary &
son enfant se elle est veufve et son peuple ou toute gent a qui en bien
faisant selon que a elle appartiendra pourra ayder aucunesfoys adviendra
par adventure que le dit prince par maulvais conseil ou pour aulcune
cause vouldra grever son peuple d'aulcune charge par quoy les subjetz
qui sentiront leur dame plaine de pitié de bonté et de charité viendront
vers elle & treshumblement la supplieront que il luy plaise estre pour
eulx vers le prince. Car ilz sont trespovres & ne pourroyent sans trop
grant grief ou estre desers suffire a tel finance ou se il advient que
ilz soyent en aucune indignation vers le prince ou par maulvais raport
ou par aulcune deserte luy viendront supplier que elle face leur paix ou
se ilz ont a faire d'aucune grace ou d'aucun previliege la bonne
princesse parlera a eulx sans nul refus ne sans trop grant magnificence
de longue actente les recevera tresbenignement & orra a leur loysir &
bien entendra tout ce qu'ilz vouldront dire & sera acompaignee de saiges
preudhommes & de bonne vie qui seront de son conseil. Si fera sa
responce sage & convenable par le bon advis d'iceulx excusera son
seigneur et en dira bien si aulcunement pour quelque cas s'en tiennent
mal contens dira que elle se charge de tout son pevoir de en faire la
paix ou d'estre leur bonne amye en la peticion que ilz demandent & en
toutes autres choses a son povoir les prira que tousjours soyent loyaulx
& bons obeissans vers son seigneur et que a toutes heures pourront vers
elle a leurs besoings recourir & que point ne leur fauldra de chose que
elle puisse. Ainsi celle noble dame respondra tant sagement aux
embassadeurs du peuple ou des subgetz que quant ilz s'en partiront ilz
seront contens que se ilz avoyent devant aucune rancune rebellion ou
murmure en courage ilz seront tous pacifiez & la bonne dame ne les fera
mye muser en vaine esperance ains leur tiendra bien ce que promis leur
aura sans longue dilacion parlera a son seigneur bien & saigement & y
appellera des autres sages se mestier est treshumblement suppliera pour
le peuple. Monstrera les raisons dequoy elle sera tresbien informee
comment il est necessaire que prince se longuement il veult regner en
paix & glorieusement soit amé de ses subgetz & de son peuple luy
ramentera parolles selon la forme que senecque dit ou troisiesme livre
de ire / qu'il dit que quoy qu'il soit bien seant a toute personne
d'avoir benignité par espicial il est advisant a prince l'avoir vers ses
subjetz & a brief dire tant fera & tant pourparlera que elle aura tout
ou partie de sa requeste et si sagement le raportera ausdictz subgetz
que ilz se tiendront pour contens du prince & d'elle & treshumblement
l'en mercieront.



¶ Ce devise comment la sage princesse ou dame se pourra de mettre la
paix entre le prince & les barons s'il y a aucun discord. chap. viii


Ou s'il advient cas que aucun prince voisin ou estranger vueille mouvoir
guerre pour aucune chalange a son seigneur ou que son seigneur la
vueille mouvoir a autruy la bonne dame pesera moult ceste chose en
pensant les grans maulx et infinies cruaultés pertes occision de pays et
detraction de pays & de gens qui a cause de guerre viennent a la fin que
souventesfois en est merveilleuse / & advisera de toute sa puissance se
elle pourra tant faire en gardant l'honneur de son seigneur que ceste
guerre puisse estre eschevee & en ce vouldra travailler et labourer
songnousement en appellant dieu a son ayde et par bon conseil & tant
fera si elle peut que voye de paix sera trouvee Ou s'il advient que
aucun des princes du royaulme ou pays ou des barons ou des chevaliers ou
subgetz qui ayt puissance se soit d'aucune chose meffait mesmement
contre la magesté de son seigneur ou que il en soit en coulpe. Et elle
voit que de le prendre & pugnir ou movoir contre luy guerre peut venir
grant mal en la terre sicomme en cas pareil on a veu maintesfois en
france et ailleurs par les contes d'ung bien petit baron ou chevalier au
regard du roy de france qui est ung grant prince sont venus mains grans
maulx & dommages au royaulme sicomme racomptent les cronicques de france
du conte de corbeil du seigneur de montlehery & de plusieurs autres. Et
mesmement advint n'a pas long temps de messeir robert d'artoys lequel
par le contenus que le roy ot a luy dommaiga moult le royaulme de france
a l'ayde des angloys. Et pource la bonne dame qui aura regard a ces
choses et pitié de la destruction du peuple se vouldra travailler d'y
mettre paix si admonnestera le peuple son seigneur & son conseil d'avoir
sur ceste chose regard avant que on l'entreprengne veu le mal qui en
pourroit venir & ce que tout prince doit a son povoir eschever effusion
de sang & par especial sur les subgetz. Si n'est mye peu de chose
d'entreprendre nouvelle guerre qui ne se doit faire sans grant advis et
meure deliberation & que mieulx vauldroit adviser aulcune plus
convenable voye pour traire a accord par aucuns bons moyens. Ceste dame
ne s'en souffrira mye a tant ains fera tant qu'elle parlera ou fera
parler gardant son honneur et celle de seigneur a celluy ou ceulx qui
auront commis le meffait & les en reprendra en pongnant & en oygnant
disant que le meffaict est moult grant et que a bonne cause en est le
prince indignes & que sentence est de s'en venger sicomme il est raison
mais non pourtant elle qui tousjours vouldroit le bien de paix en cas
que ilz se vouldroyent amender ou en faire amende convenable mettroit
voulentiers peine d'essaier se pacifier les pourroit vers son seigneur
par telz voyes ou par telz parolles ou semblables la bonne princesse
sera tousjours moyenne de paix a son povoir sicomme estoit jadis la
bonne royne blanche mere de sainct loys qui en ceste maniere se penoit
tousjours de mettre accord entre le roy & les barons sicomme elle fist
du conte de champaigne & d'autres laquelle chose est le droit office de
saige & bonne royne & princesse d'estre moyenne de paix et concorde de
travailler que guerre soit eschevee pour les inconveniens qui advenir en
pevent & ad ce doyvent adviser principallement les dames. Car les hommes
sont par nature plus courageulx & plus chaulx & le grant desir qu'ilz
ont d'eulx venger ne leur laisse aviser les perilz ne les maulx qui
advenir en pevent / mais nature de femme est plus poureuse & aussi de
plus doulce condicion. Et pource si elles sont saiges si elles veullent
elles pevent estre le meilleur moyen a pacifier l'homme. Et a ce propos
dit salomon es proverbes au. xxvi chapitre. Doulceur & humilité
assouagist le prince & la langue mole. C'estadire la doulce parolle
fleichist & brise sa dureté. tout ainsi comme l'eaue par sa moisteur &
froidure estaint la chaleur de feu. O de quans grans biens ont
maintesfois esté cause au monde roynes & princesses en mettant paix
entre ennemys entre princes & barons & entre peuple rebelle & leurs
seigneurs les escriptures en sont toutes plaines. Si n'est en terre si
grant bien que de princesse & haulte dame bonne & saige. Eureux est le
païs & la contree qui telle l'a & de ce donnasse plusieurs exemples /
mais de ce est assez parlé a ce propos ou livre de la cité des dames Et
que advient il de tel princesse / il advient que tous les subgetz qui la
sentent de tel sçavoir & bonté afuient a elle a refuge non mye seulement
comme a leur maistresse mais ce semble a leur deesse en terre a qui ilz
ont souveraine esperance & fiance & elle est cause de maintenir la
contree en paix. Si ne sont mye ses oeuvres sans charité / ains sont
tant meritoires que plus grant bien ne pourroit estre fait.



¶ Cy devise des voyes de devote charité que la bonne princesse tendra.
Chap. ix.


Par ceste voye qui est de charité cheminera la bonne princesse. mais
avec ce encores fera elle plus sicomme si elle reputast en sa personne
dicte la parolle que dit saint basille ou y dit au riche ainsi si tu te
congnois & confesses que ses biens temporelz te soyent venuz de dieu &
tousjours tu scés bien que tu as plus largement que n'ont assez d'autres
qui sont meilleurs de toy penserois tu pour ceste cause que dieu ne fist
pas justice qui ne les a partis esgaument. Mais ce ne doit mye pourtant
estre pensé. car il a fait affin que en donnant & distribuant aux povres
tu puisses desservir / que dieu le te rende & que le povre puist estre
par sa souffrance & couronné du diademe de pacience. Si gardes que le
pain du fameilleux ne moisisse en ta huche que le costé du nu tu ne
laisses mengier aux vers que tu ne tienges enclos le soulier du
deschaulx & que tu ne possides l'argent du souffreteux. Car saches de
vray que les biens dont tu as trop grant largesse sont aux povres &
nonpas tiens si es larron ou laronnesse & embles a dieu si tu peux
secourir ton prouchain & tu ne le secours Et pour ce la bonne princesse
de ce bien advertie / affin que elle acomplisse les euvres de
misericorde nonobstant soit elle seant en sa magesté garde la vertu de
son estat elle aura tresbons ministres environ soy. car quoy qu'on die
des princes que ilz ont mauvais conseil ou mauvaise gent ou mauvais
ministres / je croy que ceulx de qui la voulenté est toute bonne leurs
conseilliers ne les oseroyent mesconseiller Et communement le maistre
quiert servant selon la condicion si le conseillent bien ou mal selon
qu'ilz sentent la voulenté du seigneur Pource ceste dame toute bonne
aura servant selon elle. A ceulx elle commetra que ilz sachent &
enquierent par la ville & par tout ou elle sera ou sont povres honteux
povres gentilz hommes ou povre gentis femmes malades ou dechus de leur
estat povres vefves mesnagiers souffreteux povres pucelles a marier
femmes acouchees escolliers prestres ou religieux en povreté a ceulx par
son aulmosnier que elle aura sceu devot charitable preudhomme & sans
couvoitise ains que en tel estat l'ait mis non mie comme plusieurs
seigneurs qui font du plus larron maistre. Car dieu scet comment il en
va du gouvernement d'aulcuns aulmosniers de seigneurs ou de prelatz par
icelluy ou par ung autre a ce commis evoyera a iceulx bonnes gens tout
secrettement sans que les povres mesmes saichent dont l'aumosne leur
vendra a l'exemple de monseigneur saint nicolas Et mesmement n'aura mye
honte la bonne princesse de visiter aucuneffois les hospitaulx & les
povres a tout son estat acompaignee grandement comme il appartient
parlera aux povres & aux malades les couchera & les reconfortera
doulcement en faisant son aumosne. & en ce fera elle son aumosne
souveraine & fleurie. car le povre est trop plus reconforté & plus prent
en gré la doulce parolle la visitacion & le reconfort d'une grant &
puissant personne que d'une autre / la cause si est qu'il luy est avis
et il est vray que tout se monde le desprise & luy semble que quant
personne puissant la daigne visiter ou la reforcer qu'il a recouvré
aucun honneur qui est chose que naturellement chascun desire & ainsi la
princesse ou grant maistresse en ce faisant acquiert plus grant merite
que une maindre en cas semblable ne feroit pour trois principalles
raisons. La premiere est que de tant que la personne est plus grant &
plus se humilie de tant plus croist sa bonté. La .ii. que elle donne
plus grant reconfort aux povres sicomme dist est. Et la tierce qui dit
que ce n'est mie petite raison que elle donne bonne exemple a ceulx qui
la voient faire telle euvre & si grant humilité. Car il n'est riens que
les subgetz et le peuple tire tant en exemple comme ce que faire vois a
son seigneur ou a sa dame. & pource est grant bien quant seigneurs &
dames & toutes gens qui ont a seigneurir autruy sont bien moriginez &
grant meschief du contraire. Et ne cuide point nulle tant soit grant
maistresse que se soit honte ne contre son estat d'aler elle mesmes
devotement & humblement aucunesfois visiter les pardons les eglises &
les sainctes places ne telz pensees ne sont que abusions / car se elle a
honte de bien faire elle a honte de soy sauver. mais tu me diras comment
fait la grant dame ses aulmosnes & ces choses se elle n'a argent. car
devant est dit que il y a peril a amasser tresors si te respons a ce que
n'est point de mal que la princesse ou grant dame amasse tresor de
l'argent ou de la revenue ou pension qui luy peut venir licitement de
son droit & sans extorcion faire. mais de ce tresor que fera elle. Sans
faille elle n'est point tenue mesmement selon dieu se elle ne veult de
donner tout aux povres. Mais en peult garder licitement pour ses
necessaires pour son estat et pour payer ses servans faire deux quant il
est expedient et payer ce qui est prins pour elle et ses debtes doibvent
estre payees. Car neant vauldroit faire aulmosne de l'autrui / mais si
la bonne dame restraint des superfluités que elle pourroit bien faire si
elle voulloit de tant de robbes / et de tant de joyaulx qui ne luy sont
necessaires pour employer en telz usaiges la ou est la pure et droicte
aulmosne et le grant merite. O comme est grant et bien conseillee celle
qui se fait celle peut par exemple estre comparee a ungz sages hommes de
qui il est escript que une fois il fut esleu pour estre maistre
gouverneur d'une cité luy qui estoit prudent et saige advisa que
plusieurs autres hommes qui avoyent esté mis & eslus en ce mesme office
en avoyent depuis esté deposez bennys povres & mis de tous biens en exil
en une certaine povre contree ou ilz mouroient de fain. Si dist a
soymesmes que il pourvoiroit tellement a celluy inconvenient que ou cas
que il seroit la envoyé. Il n'y mourroit pas de fain Si ordonna
tellement l'argent & l'avoir qui luy venoit de ses gaiges & de sa
revenue tandis que il fut en l'office que aprés son estat ric a ric
tenu. mettoit tout le demourant apert en lieu sauf. Si fut a la parfin
fait de luy comme des autres / mais la saige provision qu'il avoit
espergnee le sauva & garda de necessité. Tout ainsi l'avoir que on
restraint de superflu doit estre pour donner aux povres & bien faire
C'est le tresor qui est mis apart en saincte huche qui sert aprés la
mort / et garde l'exil d'enfer & ceste chose chante l'evangille qui ne
fait que crier. Thesaurisés en terre ou thesaurisés ou ciel Helas autre
chose on en emporte que iceluy tresor. C'est chose vroye si que
tesmoigne la saincte escripture. Si est sans faille souverainement bonne
mesnagere la princesse & toute femme qui entent a icelluy espargner. Et
a brief dire ceste noble vertu de charité qui ainsi comme dit est sera
entee au cueur de la bone princesse avec les autres choses dessusdictes
la rendra de si tresbonne voulenté envers toutes gens qu'il luy sera
avis que chascune personne vaille mieulx que elle Et pource son cueur
s'esjoyra du bien d'autruy comme du sien propre & la bonne renommee des
aultres luy sera tresdelectable chose a oÿr et a son povoir en toutes
choses donnera occasion aux bons de perseverer & au maulvais pour eulx
retraire.



¶ Cy commence a parler des enseignemens moraulx que prudence donna a la
sage princesse. Chap. .x.


Nous autres assés devise ce qui touche principallement les enseignemens
que l'amour & crainte de nostre seigneur donne & amonneste a la bonne
princesse ou haulte dame / si que devant fut touché. Si nous convient
doresnavant parler de la leçon & des enseignemens que prudence mondaine
luy admonneste lesquelz enseignemens & amonicions ne se despartent de
ceulx de dieu ains en viennent & dependent. Si parlerons du sage
gouvernement & maniere de vivre qui luy advisent selon prudence
premierement enseigne a la princesse ou haulte dame convient sur toutes
les choses de ce bas monde doit aimer honneur & bonne renommee & luy
dira il ne desplaist mye a dieu que creature vive en ce monde moralement
& si elle vit morallement elle aymera le bien de renommee / qui est
honneur & ce tesmoigne saint augustin ou livre de correction qui dit que
deux choses sont necessaires a bien c'est conscience & bonne renommee.
Et a ce s'accorde le saige ou livre de ecclesiastique qui dit ayes euvre
de bonne renommee car elle te demourra plus longuement que quelconques
autre tresor / pource dira la saige princesse a soy mesmes. Sur toutes
choses terrestres n'est nulle qui autant affiere a haulte gent que fait
honneur & quelz choses dira elle convient il a droit honneur. Certes a
proprement dire ce ne sont mye richesses mondaines au moins si elles y
servent selon la commune maniere du monde toutesvoyes a aller au droit
ce doit estre toute la maindre partie qui serve a parfaire l'honneur. Et
quelle chose doncques y sont plus convenables en verité ce sont bonnes
meurs elles parfont la creature noble & la font estre bien renommee. et
la est le droit parfait honneur / car il n'est point de doubte que
quelconques richesses qui soyent en prince ou en princesse ou d'autre se
il ne maine vie par laquelle on acquiert par bien faire bonne renommee
et los honneur ne luy affiert / ne il ne l'a que pour luy blandir &
avoir du sien quoy que on luy face acroyre. car droit honneur doit estre
sans reproche. Et combien doit aymer la haulte dame cest honneur Certes
plus que sa vie. Car plus chier a perdre la devroit que honneur La
raison y est bonne. car qui bien meurt il est sauvé. mais qui est
deshonnoré il reproche mort et vif a tousjours tant que de luy sera
memoire. O le tresgrant tresor de princesse & de toute autre dame que
bonne renommee. Certes nul si grant en ce monde ne pourroit avoir ne que
elle doie tant aymer amasser. Car le tressor commun ne le peut servir
que environ elle mais celuy de bon renom luy sert & pres & loing qui
eslieve son honneur par toute la terre. & est ainsi de bonne renommee en
une personne comme se il estoit possible que du corps d'une creature
yssist si grant odeur que elle s'espandist par tout le monde si que
toutes gens le fleurassent. Tout ainsi par l'odeur de la renommee qui
par tout court d'une vaillable personne toute gent peut avoir le goust &
le flair de bon exemple. De ces choses advertira prudence la saige
princesse & que fera elle pour les mettre a oeuvre elle disposera son
vivre principalement en deux choses l'une appartiendra aux meurs qu'elle
vouldra tenir & excercer. & l'autre en la maniere & ordre de vivre en
quoy elle vouldra estre riglee. Et quant aux meurs ensuyvans les vertus
dessusdictes deux autres par especial sont necessaires a princesse & a
toute haulte dame voire a toute femme qui desire grans honneurs avoir &
sans lesquelles ne le pourroit avoir vouldra tressingulierement en
especiaulté avoir / l'une est sobresse & l'autre est chateté. Icelle
sobresse qui est la premiere ne s'estendra pas seullement en boire ne en
menger / mais en toutes autres choses / esquelles elle pourra servir &
restaindre & de rapeticier superfluités. Icelle sobrieté la fera estre
non dangereuse a servir. Car elle ne vouldra point de service plus que
raison ne demande / nonobstant son grant estat elle le fera estre
contente de telz vins & de telles viandes que on luy administrera. Car
en ce n'aura tant soit petite son entente & encores ne prendra fors ric
a ric tant que necessité de vivre peut requerir elle la gardera de trop
dormir / pource que prudence luy dira que trop grant repos engendre
pechié & vice / & la gardera du vice d'avarice Car le pou d'avoir luy
donnera grant souffisance Superflus & oultrageux habis joyeulx a tous &
estat plus que raison luy deffendra a avoir sur toutes riens par
l'admonnestement de prudence qui ainsi luy dira sans faille il
appartient bien que toute princesse ou dame terrienne selon son degré
que elle soit richement atournee / tant de vestemens d'atours de
paremens & de joyaulx comme de grant court & de gent ou d'estat pour
l'honneur de l'office ou dieu l'a assise. mais ne doubtes pas que se toy
ou aultre n'estoyes contente de tel estat & abillemens que tes nobles
davanciers ont porté que tu voulsisses avoir plus grant ou commencer
nouvelles choses tu mesprendroyes & ferois contre ton honneur & contre
le bien de sobresse si ne le feras mye Car il n'appartient pas a nulle
de ainsi faire / voire se ce n'est par tel si que son seigneur par qui
elle doit estre riglee le voulsist a toutes fins ne doit riens
entreprendre sans bon advis ne conseil & ne juste cause. Ceste dicte
sobresse monstre en tous les sens de la dame aussi bien que es faitz &
habitz par dehors. Car elle luy rendra le regard tardif arresté & sans
vaqueté la gardera de curiosité de moult de souefves odeurs en quoy
assés de dames ont mis grant cure & despendu foison d'argent pource
qu'elle luy dira que l'on ne doit mye procurer ne donner au corps tant
de delices et que mieulx vault que tel argent soit donné aux povres et
aux indigens. Et avec ce ceste sobresse corrigera & chastira tellement &
ordonnera la bouche & le parler de la dame saige qu'elle la gardera
principallement de trop parler / qui moult est messeant chose a haulte
dame. voire en toute femme de value luy fera haïr de tout son cueur le
vice de mensonge & aymer verité laquelle sera tant acoustumement en sa
bouche que on croyra ce qu'elle dira & y adjoustera l'on foy comme a
elle que jamais on n'orra mentir / laquelle dicte vertu de verité affier
plus en bouche de prince & de princesse que en autres gens. pource que
il appartient que on le croye luy deffendra qu'elle ne dye parolle par
especial en lieu ou elle puisse estre pesee & raportee qu'elle n'ayt
avant bien examinee prudence & sobreté aprendront a la dame a avoir
parler ordonné & sage eloquence. & non pas mignote / mais rassise &
quoye assez basse & beaulx traitz sans faire mouvement du corps des
mains & grimaces du visaige la gardera de trop rire & non pas sans cause
luy deffendra sur toute rien que nullement ne mesdie d'autruy ne parolle
en blasmant / mais en exaulçant le bien & voulentiers tiengne en frain
parolles vagues & non honnestes ne luy souffrira a dire & en ses
joyeusetés luy conviendra a garder toute mesure & honnesteté luy
appartiendra a dire entre ses femmes & autre part quant il escherra et
sera bien seant parolles vertueuses & de bon exemple & telles que ceulx
& celles qui les orront ou seront raportees diront que c'est parolle
yssue de tresbonne sage & honneste dame la gardera de parler a ses
femmes & a ses servans maulgratieusement ne en tençant ne disant
villanie / mais les enseignera doulcement & les reprendra de leurs
deffaulx courtoisement les menaçant de les mettre hors s'ilz ne se
corrigent ou de  les pugnir / ou par quelque autre maniere. mais
toutesvoyes le parler d'elle sera tousjours quoy & sans villanye. car la
vilanie yssue de bouche de dame ou de quelconque femme retourne plus a
elle mesmes que a ceulx a qui elle la dit fera ses commandemens
raisonnables en lieu et en temps et a ceulx a qui il appartient chascun
en son office. Ceste dame lira voulentiers livres d'enseignemens et de
bonnes meurs. et aucuneffois de devotion et ceulx de deshonnesteté et
lubreté harra parfaictement et ne les vouldra avoir a sa court ne
souffrir que ilz soyent portés ne leuz devant fille parente ne femme
qu'ilz elle ait Car ce n'est point de doubte que les exemples soit de
bien ou de mal atraient les cueurs couraiges et voulentés de tous ceulx
ou celles qui les voyent ou oyent. & si ceste noble dame prent plaisir
en recorder bonnes parolles & dire fera semblant de les ouÿr & par
especial la parolle de dieu. Car elle qui sera de dieu orra voulentiers
la parolle en la maniere qui le tesmoigne en l'evangelle ou il dit.
Ceulx qui me ayment oyent voulentiers ma parolle & la gardent. Si orra
souvent par notables & bons clercz sermons & collations aux festes
annees & en tous temps. Et semblablement vouldra que ses filles & femmes
& toute sa famille y soit vouldra estre bien informee de tout ce qui
touche a nostre foy des articles & des commandemens & de tout ce qui
acquiert a sauvemen Et de ce qui appartient aux choses mondaines orra
voulentiers parler des vaillans gens / des preux chevaliers & gentilz
hommes de leurs faitz & de leurs proesses / de grans clercz & de leurs
sciences. de tous preudes hommes & de toutes preudes femmes / de leur
sens & de leur belle vie & iceulx aymera & leur fera grant honneur &
bonne chiere & beaulx dons leur donnera. Item avecques ce de gens de
belle & esleue vie en fait de devotion s'acointera & vouldra avoir leur
amitié humblement les recevera & parlera a eulx a secret / & moult
voulentiers les orra se recommandera a leurs prieres. Et ainsi par ceste
voye la vertu de sobresse reglera la bonne princesse. Si s'ensuyvra de
ceste regle. La .ii. des deux vertus que nous avons dit qu'elle vouldra
singulierement avoir / c'est assavoir chasteté de laquelle elle sera par
ceste maniere de vivre tant remplye & ramenee a telle purté que en fait
n'en dit semblant atour ne contenance maintien estat regard n'aura riens
ou il y ait a redire ne reprochier.



¶ La maniere de vivre par l'admonnestement de prudence. chap. .xi.


Prudence sicomme j'ay dit devant avertira la sage princesse comment
l'ordre de son vivre sera riglé et par elle par son ennortement tiendra
telle maniere elle se levera tous les jours assez matin & seront les
premieres parolles adressans a dieu en disant. Daigne nous sire garder
huy ceste journee de pechié de mort soudaine & de toute mauvaise
aventure ainsi soit il a tous nos parens & amys aux tespassés pardon & a
nos subjectz paix & transquilité amen. pater noster. Et au surplus
d'oraisons ce que devotion luy administrera ne requerra avoir entour
elle moult grant affaire de service. & ceste voye tenoit n'a pas moult
de temps qu'elle vivoit la bonne & saige royne Jehanne femme jadis du
roy charles de france .v. de ce nom qui se levoit tous les jours devant
le jour / allumoit ellemesmes sa chandelle pour dire ses heures & ne
souffroit que femme qu'elle eust se levast ne perdist son somme. Aprés
qu'elle sera preste ira ouÿr ses messes tant et en telle maniere &
quantité que sa devotion sera & que temps & loysir luy donnera. Car
n'est mie doubte que ceste dame a qui sont commis grans gouvernemens
comme plusieurs seigneurs font & ont fait a leurs femmes quant les
voyent bonnes & saiges & ilz alloyent hors ou estoyent occupés ailleurs
ilz bailloyent la charge a elles & auctorité de gouverner le fait de
leur seigneurie et estre chief du conseil. Et telles dames sont plus a
excuser mesmes depuis devers dieu se tant n'emploient de temps en
longues oraisons que celles qui plus ont loisir ne elles n'ont pas moins
de merite de bien et justement entendre a la chose publicque a leur
povoir qu'elles auroient de plus longuement vacquer en oraisons se ce
n'estoit qu'elles voulsissent du tout entendre a la contemplative &
laisser la vie active. Si que j'ay devant dit / car la vie contemplative
peut bien sans l'active. Mais la droicte bonne active ne peut sans
aucune partie de la contemplative. Ceste dame aura donné ordonnance /
que a l'issue de la chapelle soyent aulcuns povres a qui elle mesmes par
humilité & devotion / & en memoire & signe que elle ne doye mie
despriser les povres donnera de sa main l'aumosne & la endroit se
aucunes piteuses requestes luy sont affaire / elles les orra benignement
et donnera a chascun gracieuse responce & ceulx qu'elle pourra en brief
temps expedier ne tiendra pas longue dilation / & de ce faire croistra
l'aumosne & aussi la renommee Si y aura aulcuns preudhommes / pource
qu'elle ne pourroit par adventure entendre a toutes les requestes qui
luy viendront. Lesquelz preudhommes seront commis a y entendre. Et
vouldra que iceulx soyent charitables & tost expediens / & ellemesmes de
leurs meurs s'en prendra garde. Ces choses faictes si elle est dame qui
se mesle du gouvernement / comme dit est / elle s'en ira au conseil aux
jours que tenir se devera / l'aura a tel port telle maniere et telle
contenance quant en son hault siege sera assise que elle semblera bien
estre dame & maistresse de tous. Et chascun l'aura en grant reverence
comme leur sage maistresse de grant auctorité. Et si orra diligemment ce
qui sera propice et l'oppinion de tous et tant bien y mettra son entente
qu'elle entendra les principaulx pointz des matieres & des conclusions &
bien notera lesquelz diront mieulx & par la meilleur consideration &
advis & qui luy apperront les plus saiges & de la plus vive oppinion. Et
aussi notera en la diversité des oppinions quelz causes & quelz raisons
pourroyent mouvoir les disans. Et ainsi en toutes choses sera advisee /
& quant viendra a elle a parler ou respondre selon le cas qui escharra
si sagement se advisera du faire que elle ne puisse estre reputee simple
ygnorante / & se advant la main elle peut estre informee de ce qu'on
devera & que proposer sur ce se choses pesantes sont & elle se pourvoit
par sage conseil de responce ce n'est que bien. Avec ce ceste dame
establira certains preudhommes saiges en certaines quantités qui seront
de son conseil qu'elle sentira bons loyaulx de bonne vie & non trop
couvoiteux / car c'est ce qui honnit tout en tout plusieurs princes &
princesses que conseilliers remplis de couvoitise. Car selon leur
inclinacion ilz induysent & ennortent ceulx qui conseillent / & sans
faille ceulx qui habondent en tel vice ne pourroyent bien loyaument ne
au proffit de l'ame & honneur du corps conseiller & qu'ilz soyent de
bonne vie & de ce doit bien enquerir la prudente dame a ceulx elle se
conseillera par chascun jour a certaine heure des besongnes qu'elle aura
a faire aprés ce conseil du matin ira a table qui sera par especial aux
jours solennelz & aux festes voire le plus communement en salle ou
seront assises les dames & damoiselles & les personne a qui il
appartiendra par ordre selon leur estat / la sera servie selon qu'il
appartient a tel estat / & tandis que l'assiete durera selon la belle
ancienne coustume des roynes & des princesses aura ung preudhomme en
estat au chief du doy qui dira d'anciennes gestes d'aucuns bons
trespassés ou d'aucunes belles moralités ou exemples / la n'aura mye
grant noyse menee. Et aprés les tables levees & graces dictes s'il y a
princes ou seigneurs dames ou damoiselles ou d'aultres estranges vers
elle. Adonc celle qui sera en toutes choses enseignee & aprinse recepvra
chascun en tel honneur comme il luy appartiendra. Si que tous se
tendront pour contens parlera a eulx par maniere rassise a joyeulx
visaige aux anciens d'une guise plus pesante aux jeunes d'une aultre
plus riant et ce adonc vient la a parler ou a ouÿr d'aucuns esbatemens
ou d'aucunes joyeusetés elle s'i saura contenir par si plaisant maniere
que tous diront que c'est une gratieuse dame & qui bien scet son
maintien en tous endrois. Aprés les espices prises & qu'il sera temps de
retraire la dame s'en ira a sa chambre la ung petit se reposera se
besoing en a / puis aprés se il est jour ouvrier & elle n'a aucune autre
plus grande occupacion pour eschever oysiveté a aucun ouvraige se
prendra & environ elle fera semblablement ouvrer ses filles & ses femmes
& la a privé vouldra que chascune devise hardiment de toutes honnestes
joyeusetés si que il luy plaira & elle mesmes rira avecques elles &
s'esbatra en devisant si familierement que toute loueront sa grant
priveté & benigneté & l'aymeront de tout leur courage ainsi fera jusques
a heure de vespres que elle les yra oÿr en sa chapelle se il est jour de
feste se aucune grande occupation ne les empesche ou les dira sans
faillir avecques la chapellaine & aprés ce fait s'il est esté s'en ira
esbatre en aucun jardin jusques a heure de souper l'en viendra & ira
pour sa santé. Si vouldra que si aucuns ont a besongner a elle pour
certaines causes que ilz soyent lassez entrer & les orra. Vers le
coucher sera a dieu en oraisons & ainsi se finera l'ordre des communes
journees de la prudente princesse vivant en bonne & saincte activeté.
quant est d'autres esbatemens a quoy dames seulent prendre esbatemens &
plaisir sicomme de aller a la chasse aucunesfois voler en riviere ou a
autres jeux. Ces choses nous ne mettons point en l'ordre de nostre
discipline & enseignement. Car nous les laissons en la distribution &
vouloir de leurs maris & du leur aussi desquelles choses aucune licence
peut bien estre donnee en temps & en luy mesmes aux dames tresvertueuses
sans mesprendre mais que ce soit sans trop et que mesure soit gardee.



¶ Cy commence a parler des sept principaulx enseignemens de prudence qui
sont necessaires a retenir a toute princesse qui ayme honneur & est
premier comment se contiendra vers son seigneur generallement &
particulierement. Chapitre .xii.


Or avons assez devisé en termes generaulx & particulierement aussi tant
ce qui touche vers dieu premierement & les bonnes meurs comme la maniere
& ordre de leur vivre. Si nous plaise encores a deviser pour leur
ennortement sept principaulx enseignemens lesquelz selon prudence leur
sont necessaires a celles qui desirent sagement vivre et honneur veulent
avoir. Si prions & enjoingnons a elles & semblablement a toutes femmes
grandes moyennes & petites a qui se pourra apartenir que ces sept
enseignemens veullent bien retenir noter & mettre a effet car pour neant
oit doctrine qui ne la met a oeuvre. Le premier de ces sept pointz &
rigles que nous enseignons & que toute dame & semblablement toute femme
estant en ordre de mariage il appartient que elle ayme son mary & vivre
en en paix avecques luy ou autrement elle a ja trouvé les tourments
d'enfer ou n'a fors que toute tempeste. Et pource qu'il n'est point de
doubte que assez de femmes de tous estatz non obstant que elles les
ayment chierement ne scevent pas toutes les rigles ou par jeunesse ou
aultrement de le bien demonstrer vecy nostre leçon qui leur aprendra /
la noble princesse qui en toutes ces choses vouldra suyvre la rigle
d'onneur si maintiendra vers son seigneur vieil ou jeune en toutes les
manieres que en tel cas bonne foy & vraye amour commande. C'est assavoir
se rendre humble vers luy en fait en reverence et parolle l'obeyra sans
murmuration et gardera sa paix a son povoir curieusement par la maniere
que faisoit la bonne & sage royne hester sicomme il est escript en la
bible au premier chapitre. Et pource tant aymee & honnouree de son
seigneur que il n'estoit chose que elle voulsist que il luy veast
avecques ce demonstrera l'amour en ce que elle sera soygneuse et
curieuse de toutes les choses qui pourront appartenir au bien de sa
personne tant a l'ame comme au corps. A l'ame elle tiendra en amour son
confesseur parquoy se elle voit en son dit seigneur aucune tache de lait
peché duquel la coustumance luy peut tourner a dampnation & elle ne luy
osast dire de doubte que il ne luy en despleust & aussi qu'il ne luy
appartient pas elle luy fera dire par icelluy & luy dira que il luy
admonneste bien d'estre tousjours serf de nostreseigneur. Et aussy en
toutes ses aumosnes & biens fais dira priés Dieu pour monseigneur & pour
moy. Avecques la pourvoyance de l'ame sera ceste dame tressoygneuse du
corps de sondit seigneur. C'est assavoir qu'il soit en santé maintenu &
conservement de longue vie. Si vouldra souvent parler a ses phisiens /
leur enquerre de son estat & comme saige que elle sera vouldra ouÿr de
leurs oppinions & que present elle soyent faictes aucunesfois leurs
collations sur le fait de la dicte santé. Item vouldra sçavoir comment
il sera servy & de ce n'aura pas honte de s'en prendre garde
soygneusement quelques autres qui y soyent commis. Et pource que ce
n'est mie l'ordre d'estat royal que les dames soyent si communement
entour eulx que aultres femmes sont vers leurs marys elle enquerra
souventesfoys aux chambellans & aux autres d'environ luy de son estat
verra le plus souvent que elle pourra & du veoir sera tresjoyeuse &
quant elle sera vers luy dira a son povoir toutes choses qui plaire luy
devront & a joyeulx visaige se contiendra. mais pource que aucunnes nous
pourroyent par adventure icy respondre que nous comptons sans rabatre.
C'est assavoir que nous disons a toutes fins que les dames doyvent tant
aymer leurs seigneurs et en monstrer les signes. Mais nous ne parlons
mye se tous deservent vers leurs femmes que on le doye ainsi faire
Pource que on scet bien que il en est de telz qui se portent vers elle
tresfelonneusement & sans signe de nulle amour ou bien petite. Si
respondrons a icelles que nostre doctrine en ceste presente euvre ne
s'adrece point aux hommes quoy qu'il en fust besoing a plusieurs que ilz
fussent bien endottrinez. Et pource que nous parlons aux femmes tant
seulement tendons a leur prouffit pour enseigner les remedes qui pevent
estre vaillables a eschever deshonneur & donner bon conseil d'ensuyvre
bonne voye qui ne face le contraire & du bien & du mal leur prouffit.
Poson que le mary fust de merveilleuses meurs pervers et rudes
malamoureulx vers sa femme de quelque estat qu'il fust ou desvoyé en
amour d'autre femme qui que elle soit quant elle scet tout ce porter &
dissimuler sagement faire semblant que elle ne s'en apperçoit & que elle
n'en scet riens voirement s'il est ainsi que elle n'y peust mettre
remede. Car elle si pensera comme saige si tu luy disoyes rudement tu
n'y gaigneroys riens & s'il t'en menoit male vie tu poindroyes contre
l'aguillon il t'en eslongneroit par adventure & tant plus les gens s'en
mocqueroyent & croistroit la honte & le diffame & t'en pourroit encores
estre de pis il fault que tu vives & meures avecques luy quel qu'il
soit. Ces choses considerees la saige dame mettra peine par bel & par
doulceur de l'atraire a soy & se elle congnoist que ce soit le meilleur
de luy en dire quelque chose elle luy en touchera apart doulcement &
benignement une fois l'amonnestera par devocion / autre fois par pitié
qu'il doit avoir d'elle / autre fois en riant comme si elle se jouast /
avec ce luy fera dire par bonnes gens et par son confesseur / & avec ce
autre vertus ceste noble dame l'excusera se elle en ot parler aux autres
ne pourra souffrir ouÿr dire mal de luy ne aura cure que on luy en
raporte riens & elle deffendra. Car elle comme sage pensera que du
savoir n'aura fors tristesse et riens n'y gaigneroit / et quant toutes
ses voyes elle aura ung temps tenues & verra que il ne s'en vouldra
amender son refuge sera a dieu mettra toute peine de s'en mettre en paix
sans plus luy en parler Et celle dame ou femme qui qu'elle soit qui
ainsi fera soit certaine que ja l'homme si pervers ne sera que a la
parfin conscience & raison ne luy dye tu as grant tort & grant peché
contre ta bonne & honneste femme & que il ne s'amende & l'ayme plus ou
tant que font ceulx qui oncques ne se desvoyerent en ainsi aura sa cause
gaignee par bien souffrir. Et s'il advient que ledit seigneur voyse en
aulcun voyage loingtain ou perilleux ou en quelque guerre la bonne dame
priera dieu devottement & fera prier pour luy en processions & oblations
tressongneusement & croistra le nombre de ses aulmosnes se tendra
humblement et simplement d'estat de maintien & d'abit en tandis & a son
retour en grant joye & honneur le recevera et a toute sa compaignie fera
chiere joyeuse & bien vouldra estre informee des meilleurs de ses gens
des plus preux & des plus vaillans & comment ilz se seront portés &
tresvoulentiers en orra racompter si les recevera a grant honneur &
beaulx dons leur donra aussi vouldra sçavoir comment ceulx qui avoyent
la garde de son corps auront fait leur devoir & se seront vers luy
portez. Si guerdonnera les biensfaitz aux bons & aux plus songneux &
cestes manieres tenir sont de grant honneur a dames. Et pource quoy que
elle les face de bon cueur. Et vouldra elle bien toutesvoyes que elles
soyent manifestees & sceues au monde & non mye celees la cause si est
que elle ayme honneur & le bien de renommee comme dit est si luy
aprendra prudence que plus grant honneur ne peut estre dit de dame & de
toute femme que dire que elle soit vraye & loyalle vers son seigneur &
que bien fait semblant que elle l'ayme & par consequent luy est loyalle.
Car il est a penser a ung chascun que femme qui bien ayme son mary ne
luy fera ja faulceté. si ne peut faire autre certification de sa
loyaulté fors par l'amour qu'elle luy monstre & les signes de par dehors
par lesquelz on juge communement du couraige. Car autrement ne peut on
juger de l'entention des gens fors par les oeuvres lesquelles si elles
sont bonnes tesmoigne la personne bonne & aussi au contraire. Si
souffise quant a ce premier enseignement lequel est convenable a toute
preude femme que qu'elle soit.



¶ Cy devise le deuxiesme enseignement de prudence qui est comment la
saige princesse se contiendra vers les parens & amys de son seigneur.
Chap. .xiii.


Le deuxiesme point & enseignement que prudence demonstre a la princesse
& generallement a toute femme saige est qui se elle a chier honneur par
quoy bien veult que on sache que elle ayme son mary si que dit est cy
devant elle aymera & honnorera les parens de son seigneur & demonstrera
en tel maniere elle leur fera honneur & tresbonne chiere de toutes pars
que ilz vendront & devant les gens meilleur que aux siens propres si
mettra peine en toutes manieres raisonnables & licites de les complaire
& faire leur gré les attrayra amyablement & a chere joyeuse sera
procureresse pour eulx vers son seigneur si besoing est & s'il advenoit
qu'il y eust aucun contens entre eulx elle se mettra en peine d'en faire
la paix elle dira bien de eulx & les essaucera. si gardera bien d'y
prendre estrif de parolles & en toutes manieres eschevera a son povoir
que contens ne aucune rancune naisse ou sourde entre elle & eulx. Poson
que aucun feust dangereux & maltraictable mettra peine a le sçavoir
avoir par la meilleur voye selon sa condicion en gardant toutes voyes
l'honneur que a elle appartient si n'aymera mie seullement les parens de
son seigneur. mais aussi tous que elle sçaura qu'il ayme. suppose ores
qu'elle sceust qu'il en y eust de maulvais si leur fera elle bonne
chiere la cause si pource que elle ne les pourroit faire estre bons ne
aussi par adventure empescher ne destourner l'amour & la hantise que son
seigneur y a Si ne seroit que riote & noise s'elle leur monstroit
mauvais semblant & acqueroit tant plus d'ennemys. Et si diroit on que
voirement est il vray que femme n'aimera ja personne que son mary ayme /
bien est la verité que se elle sçait que son seigneur soit encliné a la
croire & elle soit certaine que iceulx soyent vicieulx & mauvais & que
mal en faict ou en murs puisse venir a sondit seigneur par les hanter
elle luy dira & monstrera appert coyment & doulcement ou fera dire. Et
de tenir ces manieres sondit seigneur luy sçaura tresgrant gré aura la
grace & benivolence de ses parens qui moult luy pourra valoir & garder
de mains autres perilz & encombriers & plus seure sera quand elle aura
la seureur des parens de son seigneur. Car on a veu maint mal avoir a
femmes maintes fois a cause des parens de leurs maris. Et cestuy signe
avec les autres donnera plus grant certification de l'amour & loyaulté
que elle a son seigneur.



¶ Cy devise du .iii. enseignement de prudence qui est comment la saige
princesse sera songneuse de se prendre garde sur l'estat et gouvernement
de ses enfans. chap. .xiiii.


Le troisiesme enseignement de prudence a la princesse saige est que
s'elle a enfans de se prendre garde d'eulx & de leur gouvernement aux
filz non obstant qu'il appartiengne au pere de leur querir maistre &
bailler telz gouverneurs qui soyent bons & convenables toutesvoyes la
dame qui maine par adventure tant de charge de diverses choses & que
aussi nature de mere est communement plus encline au regard de ses
enfans doit moult adviser tout ce qui leur appartient & plus a ce qui
touche discipline de meurs & d'enseignemens que au gouvernement du
corps. Et pource la saige princesse prendra garde comment on les
ordonnera quelz sont ceulx qui les auront en gouvernement & comment ilz
en feront leur devoir et non mye s'en attendre au rapport d'autruy /
mais elle mesmes souvent les visitera en leurs chambres les verra
coucher & lever & comment ilz seront ordonnés & telle chose faire a
princesse n'est ce honneur non. Car c'est le plus grant port seureté &
parement que elle puisse avoir que enfans & tel par aventure souvent
avient vouldroit bien nuyre a la mere qui n'endureroit pour la doubte
des enfans si les dois bien tenir chierement & est grant los de dire que
elle en soit soigneuse. Car c'est signe que elle est sage & bonne.
doncques la sage dame qui chierement les aymera sera diligente que ilz
soyent endoctrinés & que ilz aprengnent tout premierement a servir dieu
soyent enseignes en lettres & que le maistre soit songneux de les faire
aprendre aux heures competentes mettra peine la saige dame qu'il plaise
au pere qu'ilz soyent introduitz en latin & que aucunement s'entendent
es sciences. Laquelle chose est moult convenable a enfans de princes et
de seigneurs. Elle vouldra aussi quant leur aage croistra & qu'ilz
auront entendement qu'ilz soyent admonnestés des choses du monde du
gouvernement qui leur affiert / et de toutes choses qui a sçavoir a
princes appartiennent que tous admonnestemens de vertus leur soyent dis
& demonstrés enseigner la voye de fuyr les vices. Ceste dame se prendra
bien garde des meurs du maistre & de la sapience aussi des autres qui
seront entour eulx. Si les fera oster s'ilz ne sont bons & mettre
nouveaulx / vouldra que lesditz enfans soyent souvent menez vers elle.
Considerera leurs manieres & faitz & ditz & les reprendera ellemesmes
tresfort s'ilz mesprennent / se fera craindre a eulx & vouldra qu'ilz
luy portent grant honneur / elle les arraisonnera pour sentir de leur
entendement & de leur sçavoir saigement les enseignera. Ses filles fera
gouverner par bonnes & sages dames & ainçois qu'elle commette a nulle le
gouvernement sera bien informee du sens des moeurs & de la vie d'elle.
Car a ceste chose doit bien prendre garde & que la dame ou damoyselle a
qui baillera en gouvernement sa fille soit de bon renom & devote envers
dieu & de sens & honneur mondain sage & prudente affin qu'elle luy sache
bien monstrer le bien & la contenance & maintien qui appartient a fille
de prince a avoir & sçavoir / & doit estre icelle assez agee / affin
qu'elle soit plus saige en meurs & plus prisee & doubtee mesmes de
l'enfant qu'elle gouvernera / & aussi de tous les autres de la court
plus auctorisee & crainte. Car il appartient a dame qui a tel charge
qu'elle se prengne bien garde que environ la fille du prince ne repaire
fille ne femme ou y ait reproche ne qui soit mal conditionee legiere ou
folle ne de layde maniere affin que l'enfant n'y peust prendre aucun
maulvais exemple. Et vouldra la princesse que quant elle sera en aagee
qu'elle apreigne a lire aprés qu'elle sçaura ses heures & son service
qu'on luy baille et administre livres de devotion et contemplation / ou
qui parlent de bonnes meurs / ne nulz de choses vaines de folies ou de
dissolution ne souffrera que devant elle soyent portés pour ce que la
doctrine & enseignement que l'enfant retient en sa premiere jeunesse il
en est communement recors toute sa vie aussi saige princesse se prendra
bien garde du gouvernement et de la doctrine de ses filles & autant que
leur aage croistra tant plus en sera songneuse. Si les aura le plus du
temps environ soy les tiendra en crainte & le saige maintien & vaillance
d'elle sera exemple aux filles de semblablement eulx gouverner.



¶ Cy devise le .iiii. enseignement de prudence qui est comment la
princesse tiendra discrete maniere vers ceulx qui ne l'aymeront pas et
qui auront envye sur elle. Chapitre .xv.


Le quatriesme enseignement de prudence a la sage princesse est tout
d'autre matiere & tout soit il differencié du dessusdit se n'est il mye
de moindre maistrise a le sçavoir bien conduyre / car l'autre est
naturel comme ce soit chose acoustumee que toute saige mere a soing du
gouvernement & de la doctrine de ses enfans / mais cestuy qui est de
sçavoir vaincre & corriger le propre couraige & voulenté de soy mesmes
est chose comme par dessus nature. Et pource de tant que plus est fort a
faire de tant est plus digne de recommandation / & la personne qui bien
en scet user en fait plus a louer. Car c'est signe de tresgrant force &
constance de courage qui est entre les vertus cardinalles de grant
excellence & toutesfois n'est mye doubte qu'il est necessité a toute
sage princesse qui ayme le pris d'honneur & de renommee sçavoir user de
ceste force ou autrement sa prudence ne se peut bonnement ne du tout
monstrer ne faire congnoistre n'estre parfaicte. Si nous convient plus
particulierement declarer a ce que nous voulons dire. Il n'est point de
doubte que selon le corps du monde & les mouvemens de fortune il n'est
nul si grant prince en ce monde / tant soit juste ne fut oncques prince
seigneur ne dame ne aultre homme ne femme qui ayt peu estre ne soit de
tous aymé. Car posons que une creature fust toute parfaicte si ne
souffiroit point la despitable envie qui se fiche en cueur humain que la
personne fust au gré de tous ne aymee de chascun. Et ce povons veoir par
la personne de Jhesucrist qui fut seul tout parfait / & toutesfois envye
le fist mourir / & si a elle faict mains autres bons vaillans que je
pourroye traire a exemple. Et de tant que la personne est meilleure &
plus vertueuse de tant plus fait envye bien souvent greigneur guerre &
si n'est nul ne nulle tant puissant ne oncques ne fut fors dieu qui de
tous se peut venger. Et pource a nostre propos la saige princesse &
semblablement toutes celles que vouldront ouvrer de prudence sera de ce
tresbien avertie & pourveue de remede / dont s'il advient que fortune la
vueille assaillir par aucun endroit si qu'elle a fait & fait mainte
bonne gent et elle apperçoyve & saiche que aucun ou aulcunes personnes
puissans ne luy veullent point de bien l'ayent en male grace & qu'ils
luy nuyroyent s'ilz povoyent & s'eslongeroyent de l'amour & de la grace
de son seigneur qui les croyroit par adventure pour leurs blandices &
flateries ou la mettoyent par les faulx rapors mal des barons des
subgetz ou du peuple elle ne fera de ce nul semblant qu'on s'en
aperçoive ne que on les repute ne tienne ses ennemys Ainçois pour la
bonne chere qu'elle leur monstrera donnera a croyre qu'elle tient
grandement ses amys & jamais ne croyroit que aultrement fust & que plus
que en autre y a fiance / mais il conviendra que celle de bonne chere
soit ordonnee par tel sens et si rassise que nul ne puisse appercevoir
que sainctement le face. Car si une fois estoit trop grande & autre fois
a yeulx felons sicomme de cueur qui est plain qu'on voit bien que le ris
en est a force tout seroit honny pource est le sens a garder mesure en
cest endroit & fault bien que le courage en soit pourveu avant le coup /
si faindra qu'elle se veult gouverner par eulx & par leur conseil & les
appellera en ses estroitz conseilz comme elle monstrera a semblant leur
dira des choses communes par grant secret & fiance qui seront contre sa
pensee / mais conviendra que ce soit fait par bonne maniere qu'ilz ne
s'en donnent de garde & qu'elle soit maistresse de sa bouche. Car se
aucun mot disoit d'eulx en derriere contraire a ses semblans qui fust
raporté ce seroit peril / car il n'est si grant seigneur ne si grant
dame a qui tous ses servans soyent loyaulx. Si doit on bien regarder
devant qui on parle / mais cueur qui est gros & plain a peine seuffre la
bouche tousjours taire de ce qui luy desplaist Et la est la maistresse
elle gasteroit tout son affaire. Car ce seroit sa honte & amenuisant sa
grandeur que ces ennemys apperceussent que elle sceust qu'ilz ne
l'aymeroyent pas & leur fist tel semblant. Car ilz penseroyent que elle
le fist par crainte. Si en seroyent plus orgueilleux et plus hardis de
luy nuyre. Et l'en priseroyent moins / si se sçaura bien de ce garder.
Et se aucune personne luy en rapporte riens et elle pense que a iceulx
sa responce puist estre raportee / elle blasmera les rapporteurs & dira
qu'elle scet bien que ceulx de qui ilz parlent vouldroyent son bien &
son honneur / & qu'ilz sont tresbons et loyaulx & ses amys. Et pensons
que iceulx ennemys fissent ou dissent aucune chose a son prejudice de la
chose se peut couvrir nullement que pour aucune autre cause que pour mal
d'elle l'ayent fait ou dit. Encores fera elle si la simple ou ygnorante
que ne l'aperçoyve & monstrera semblant que ce ne luy touche point &
qu'elle n'a nulle pensee ne suspecion contre eulx / mais nonobstant
toutes ces choses & ses grans dissimulations se guettera d'eulx de tout
ce qu'elle pourra & sera dessus ses gardes. Ainsi la sage dame usera de
ceste discrete dissimulation & prudence cautelle laquelle chose ne croye
nul que ce soit vice mais c'est grant vertu quant faicte est pour cause
de bien & de paix & sans faire a nul injure pour eschever greigneur
inconveniens. Et voicy le mal qu'elle eschevera et le bien qui luy en
suyvra se semblant faisoit qu'elle apperceust leur crisme. Ce seroit
raison qu'elle print debat & contens a eulx & mist peine a s'en venger.
Si conviendroit qu'elle en emeust grant noise & mist en guerre & en
peril ses amys / & peut estre que son seigneur les croyroit mieulx que
elle ou les autres barons & subgetz. Si engregeroit adoncques le contens
& viendroit a plus grant meschief & si ne s'en verroit ja par adventure
vengee / si auroit de tant plus grant dueil / & par la susdicte voye de
souffrance & dissimulation est a presumer qu'elle appaisera l'ire et le
maltalant de ses ennemys / & a tout le moins n'auroient ilz jamais le
cueur de tant luy nuyre comme s'elle se monstroit ennemye. Car trop
seroit desloyal celluy qui vouldroit faire mal a la personne qui le
reputast son amy. Et posons qu'ilz ne s'en souffrissent leur trahyson &
leur maulvaistie sera de trop plus grande & de plus apparoit au monde /
si en seroyent de tant plus reprins & plus deshonnorez & moins
viendroyent a leur entente. Car chascun leur donneroit le tort / & ne
peut a toutes fins que la dame ne gaigne plus en tel cas a tenir si
saincte maniere que par voye de rigueur & n'est pas doubte que cest
enseignement affiere a tenir / non mye seullement aux princesses &
dames / mais aussi generallement a toutes femmes. car en mains contens
viennent en mariage par faulx rappors de flateurs aux maris que maintes
ne scevent pas bien ou ne pevent dissimuler / ce scet dieu aussi font
autres.



¶ Cy devise le v. enseignement de prudence qui est comment la saige
princesse mettra peine comment elle soit en la grace & benivolence de
tous les estatz de ses subgetz Chapitre .xvi.


Pource qu'il appartient a la sage princesse qui par prudence veult
ordonner tous ses faictz qu'elle quiere et tienne toutes les voyes que
honneur demander vouldra pour ceste cause qui est le cinquiesme
enseignement estre bien du clergié / & en leur grace tant de gens des
religions & des docteurs comme des prelatz & des gens du conseil & aussi
des bourgois & mesmes de ceux du peuple. Mais aucuns se pourroient
merveiller pourquoy nous disons plus nommeement de ceulx icy que des
barons & des nobles. Si est la responce pource que nous suposons qu'elle
en ja en soit bien si que c'est plus de commun usaige que lesditz barons
& nobles elle frequente Si vouldra estre des dessus nommés bien pour
deux principaulx causes L'une si est affin que les bons & devots prient
dieu pour elle. & l'autre pource qu'elle soit louee d'eulx en leurs
sermens et collations si que leurs voix & parolles luy puissent estre se
mestier est escu & deffence contre les murmures & rappors de ses ennemys
mesdisans. & les puissent estaindre par quoy elle en ait mieulx l'amour
de son seigneur & aussi du commun peuple qui bien leur dame orra dire &
qu'elle fust soustenue des plus puissans se besoing luy en venoit. Si
sera bien informee lesquelz des clercz & des maistres tant des religieux
comme d'autres seront les plus souffisans & de la greigneur auctorité &
a qui on adjouste plus de foy a leurs ditz Iceulx mandera de fois a
autre vers elle puis les ungs puis les autres parlera a eux moult
amyablement vouldra avoir leur conseil & en user les fera aucunefois
disner a sa court acompaignés de son confesseur & des gens de sa
chappelle qui tous seront honnorables gens leur portera grant honneur /
& vouldra que des siens soient honnorés qui est chose qui bien affiert.
Car vrayment ceulx qui sont anoblis de science doivent estre honnorés /
leur fera du bien de sa puissance donnera a leurs colleges & a leurs
convens. Et combien que aulmosne doye estre faicte secrettement la cause
si est telle / affin que la personne qui la fait n'en puisse monter en
vaine gloire qui est trop mortel peché. mais se ladicte personne n'en
n'avoit nulle elevation en son cueur mieulx seroit la donner
publicquement que en secret pource qu'elle donneroit bon exemple a
aultruy. & qui en celle intencion le fait double son merite & fait
bien / dont ceste sage dame qui bien se sçaura garder d'icelluy vice
vouldra bien que les dons & aulmosnes qu'elle fera par celle voye soyent
sceuz & registrez s'ilz sont notables comme pour refaire leurs eglises &
leurs convens ou autres necessaires en perpetuelle memoire en tableaulx
en leurs eglises / affin que les gens prient dieu / ou autres registres
ou ilz le dient publicquement / si y prendront exemple de pareillement
donner d'avoir accointance mieulx pour avoir renommee par eulx s'il
semble qu'elle touche aucun rain d'ypocrisie ou qu'elle en prengne le
nom. toutesfois se peut elle nommer par maniere de parler juste
ypocrisie. Car elle tend affin de bien & eschevement de mal. Car nous
n'entendons mye que soubz umbre de ceste chose maulx et pechiez se
doivent commettre ne que une grant vaine gloire en doyve sourdre en
courage. Si disons de rechief que ceste maniere de juste ypocrisie est
comme necessaire par especial a princes & princesses qui ont a dominer
autruy a qui plus reverence affiert que a autre & certainement aussi ne
messiet elle point a toute personne qui desire honneur le faisant a
cause de bien. Et a ce propos il est escript au livre de valere que
anciennement les princes faignoient qu'ilz fussent parens aux dieux
affin que leurs subgetz les eussent en plus grant reverence & plus les
craingnissent. Aussi vouldra la sage dame estre bien des gens du conseil
de son seigneur soient prelatz chanceliers ou autres ordonnera qu'ilz
viennent vers elle / les recevera honnorablement & parlera a eulx par
sages parolles & le plus qu'elle pourra les tiendra en amour et ceste
maniere de tenir luy sera vaillable en plusieurs choses. C'est assavoir
car ilz loueront le sens & gouvernement d'elle qu'ilz verront notable.
Aussi s'il advenoit que aucun envieux voulsisse quelque chose machiner
contre elle ilz ne souffreroient passer en conseil riens a son prejudice
et desmouveroyent le prince s'il estoit mal informé par aucuns autres /
& aussi s'elle desiroit aucune chose estre passee en conseil ilz luy
seroyent amys & plus favorables. Avec ce ladicte dame vouldra avoir la
bien vueillance des clercz qui se meslent des causes comme du peuple
comme nous dirions a paris avocas en parlement & ailleurs de tieulx
semblables deffendeurs des causes si vouldra veoir a certains jours les
presidens & principaulx d'entre eulx & des autres plus notables avec
eulx & devisera a eulx amiablement & vouldra qu'ilz sachent & voyent de
son honnorable estat non mye qu'elle leur die par maniere de vengence
mais qu'ilz apperçoyvent par l'effet de son maintien & grant sçavoir &
telle maniere tenir pourra estre vaillable a l'acroissement de son
honneur et los / & la cause si est pource que tous estatz & de toutes
manieres de gens de justice les principaulx bourgois des cités & villes
de sa seigneurie de son seigneur & aussi des gros marchans & mesmement
aucuns des plus honnestes des gens de mestier vouldra qu'ilz viengnent
de fois a autre vers elle si leur fera tresbonne chere & mettra peine a
estre bien d'eulx affin que s'elle avoit aucun affaire qu'ilz fussent
devers elle & que se necessité leur venoit de quelque finance faire
qu'elle peust par lesditz marchans de leur bon gré & voulentiers estre
secourue laquelle chose il convient qu'elle emprunte se elle veult bien
garder tous les termes & pointz de honneur doit rendre sans faillir a
jour nommé affin que la verité de sa parolle soit tousjours tenue en
toutes choses entieres & sans faillir & que plus grant foy on y
adjouste. Pource que nous avons dit en cestuy chapitre .v. des .vii.
enseignemens comment la saige princesse doit estre bien de ses subgetz
si que dit est & pourroit sembler a aulcuns mal advisés que chose
superflue soit de ce dire & que il n'appartiengne que princesses prengne
cure de atraire ses subgés ains doit commander baudement ses plaisirs &
que ilz doivent obeir & mettre peine de l'attraire a amour & non mye
elle eulx ou autrement ne seront ilz mye subgés & elle maistresse mais a
ce nous respondrons que sauve la grace des diseurs ce appartient a faire
non mye seulement a princesses mais aux princes par maintes raisons /
mais de deux nous passerons. Car moult se pourroit ceste matiere plus
eslargir. L'une si est que quoy que le prince soit seigneur maistre des
subgetz / toutesfois les subgetz font le seigneur & non mye le seigneur
les subgetz. Et trouveroient trop plus legierement qui les reputeroit a
subgetz se ils luy vouloyent estre mauvais que il ne trouveroit qui le
recepveroit a seigneur & pour celle cause & aussi qu'il ne pourroit luy
tout seul forçoyer contre eulx si luy estoient rebelles / & s'il avoit
ores la puissance de les destruyre il mesmes se deffendroit. Et s'il est
necessité que il les tiengne a amour en telle maniere que de celle amour
viengne crainte plus que par rigueur ou autrement sa seigneurie est en
balence. Si est vray le proverbe commun que l'en dit / il n'est mye sire
de son païs qui de ses hommes est haÿs. Et de les tenir en amour
vrayement plus grant sens ne pourroit faire se a droit veult estre nommé
seigneur Car il ne pourroit avoir cité ne forteresse d'aussi grant
deffence force & puissance comme luy peut estre l'amour & benivolence
des vrays subgetz. L'autre raison si est pource que poson que subgetz
ayent bonne voulenté vers prince & princesse si n'auroyent ilz jamais le
hardement d'aler familierement vers eulx se ilz ne les mandoient ne il
n'appartiendroit aussi. Si doit doncques venir le premier acueil du
prince ou de la princesse mais il est bien raison que les subgetz facent
de ce tresgrant joye & feste & qu'i s'en tiennent bien honnorez & en
doit doubler en eulx leur amour & loyaulté tant que plus de doulceur &
trouvent. Et a ce propos dit ung saige qu'il n'est chose qui plus
suprengne le cueur des subgetz ne qui tant les tire vers leur seigneur
comme quant ilz treuvent benignité et doulceur en luy si que il est
escript d'un bon empereur qui disoit qu'il vouloit estre tel a ses
subgetz que eulx mesmes desiroyent qu'il leur fust. & de ceste chose
bien advisee la sage princesse le fera ainsi leurs femmes la visiteront
aucunesfois & elle leur fera tresbonne chere et parlera a toutes si
amyablement que tres contentes se tendront & loueront son sçavoir et sa
tresgrant court tiendra et feste a ses gesines et aux nopces de ses
enfans vouldra que elles soyent en la compaignie des dames & des
damoiselles. Pour laquelle chose elle acquerra moult amour de tous & de
toutes.



¶ Cy devise comment la saige princesse tiendra en belle ordonnance ses
femmes de sa court. Chapitre xvii.


Le vi. enseignement de prudence est que la saige princesse tout ainsi
que le bon pasteur se prent garde que ses brebis soyent maintenues en
santé & se aucune en devient rongneuse il la separe du troupel de peur
qu'elle peust empirer les autres elle se prendra garde sur le
gouvernement de ses femmes lesquelles aura terres a son povoir toutes
bonnes & honnestes car aultres ne vouldra avoir en tour elle. Et pource
que c'est chose assez acoustumee que chevaliers et escuyers et tous
hommes qui frequentent en tour femmes par especial les aucuns ont
maniere de les prier d'amours & de les attraire se ilz pevent / la saige
princesse par ses ordonnances tiendra telle maniere qu'il n'aura nul
repairant a sa court si hardy qui a nulle de ses femmes ose conseiller
apart ne faire semblant d'atrait & se il le fait ou que il soit apperceu
en aucun signe que tantost telle chere luy soit monstree qu'il ne s'i
osera plus embatre. Et ainsi selon seigneur maisgnee duicte la dame qui
toute honneste sera vouldra que toutes ses femmes le soyent sur peine
d'estre mises hors de sa compaignie si vouldra qu'elles s'ebatent a
jeulx honnestes & non tieulx que hommes s'en puissent mocquer ne tenir
leurs parolles ainsi que voulentiers font de femmes quoy qu'ilz s'en
rient & jouent avecques elles se contiennent entre chevaliers & escuyers
& tous hommes par beau maintien dient leurs parolles coyment &
simplement s'esbatent & solacent soit en dances ou autres esbatemens
gracieusement & sans liberté ne soyent baudes saillans n'effrayees en
parolles contenance maintien ris & ne voysent la teste levee comme cerfz
ramages lesquelles contenances seroyent trop mal seans & grant mocquerie
a femmes de court ou plus doibt avoir honnesteté bonnes meurs & courtois
maintiens que en nulles autres. Car la ou est le plus d'onneur doivent
estre les plus parfaictes meurs & maintiens & de ce deceveroient trop
les femmes de court se aucun païs en avoit de telle opinion qui
cuydassent que plus leur apartenist a estre baudes & saillans que autres
femmes / mais pource que nous esperons que yceste nostre doctrine soit
portee par le temps advenir en mains royaulmes affin que en tous lieux
ou il auroit en cest endroit aucune deffaulte peust estre vaillable.
Nous disons generaument a toutes & de tous pays que il appartient a
toute dame & damoiselle de court estre plus saige plus rassise & mieulx
moriginee en toutes choses soit jeune ou vieille que autre. Car elles
doyvent estre exemplaire de tout bien & de tout honneur aux autres
femmes & se autrement le foisoient point ne feroyent d'honneur a leur
maistresse ne a elle mesmes. Avecques ce vouldra la sage princesse affin
que toutes choses en honnesteté se correspondent que les robes & les
atours de ses femmes quoy qu'ilz soyent beaulx & riches comme il
appartient bien soyent d'honneste façon bien mis & bien seans
honnestement & nettement maintenus mais n'y ait nulle desguisure ne
deshonnesteté de trop grans collectz ou d'autres oultaiges & en toutes
choses la saige princesse ordonnera ses femmes / tout ainsi que la
prudente & bonne abbesse fait son convent en telle maniere que mauvais
rapport en estranges contrees ne aval la ville ne autre part n'en puisse
estre fait / & sera ladicte princesse tant crainte & redoubtee par le
sage gouvernement que on luy verra tenir que nul ne nulle ne sera si
hardy aucunement desobeir a ses commandemens ne lever l'ueil
senestrement ne mal apoint / car il n'est nulle doubte que une dame est
plus crainte & doubtee & tenue en plus grant reverence quant on la voit
saige & de pesans meurs & honneste / & posons que elle soit benigne &
doulce que ne seroit male & diverse / car le seul regard de la saige &
chiere attrempee est assés souffisant signe pour corriger ceulx & celles
qui mesprennent & les faire craindre.



¶ Cy devise comment la sage princesse se prendra garde sur ses revenues
& de ses finances & de l'estat de sa court.


Le .vii. enseignement de prudence a la sage princesse est que elle
prendra garde soigneusement au fait de sa revenue & de sa despence
laquelle chose doyvent adviser nonpas seullement princes & princesses /
mais semblablement toutes gens que veulent vivre par ordre de saigesse
n'aura point de honte elle mesmes de vouloir sçavoir la somme de ses
revenues ou de ses pensions & que les comptes de ses receveurs &
despenciers de ses finances soyent a certains jours fais devant elle
vouldra sçavoir comment ses maistres d'ostel gouvernent ses gens &
ordonnent son commun & distribuent les viandes & semblablement des
autres offices de sa court dont elle ne vueille bien estre informee que
ilz soyent prudens de bonne vie & prudens hommes ains que les prengne &
se le contraire scet que tost ne les mette hors si sçaura combien monte
la despence de son hostel vouldra sçavoir ce que on a prins des marchans
& sus le peuple pour elle & pour sa despence & ordonnera qu'il soit bien
payé a certain jour / car nullement ne vouldra leurs mauldissons ne
estre a leur haine. si ne vouldra riens devoir mieulx aimera se passer a
moins & plus sobrement despendre. deffendra qu'on ne prengne riens sus
le peuple maulgré eulx & que ce ne soit a juste pris tantost payer & non
mye faire aller les povres gens des villaiges & d'ailleurs a leur grant
coust & destourbier & frais. Cent fois et plus a tout une cedule en sa
chambre aux dames & a ses receveurs ains qu'ilz puissent estre payés ne
vouldra point que ses tresoriers ou distributeurs de finances usent du
stille commun / c'est assavoir soyent menteurs ne pourmenans les gens de
terme en terme comme ilz pourront penser que ilz puissent payer. Ceste
sage dame ordonnera l'avoir de ses revenues en la maniere qui s'ensuyt.
Elle le partira en cinq parties. La premiere sera la part & porcion que
elle vouldra mettre en aulmosnes & donner aux povres. La seconde en la
despence de son hostel la somme elle sçaura que elle monte / voire s'il
est ainsi que sur sa revenue & pention la doye querir et que son
seigneur ne luy administre sans que elle s'en mesle. La tierce a payer
ses officiers & ses femmes. La quarte en dons a estrangiers ou autres
qui luy auront desservy extraordinairement. Et La .v. mettra en tresor &
dessus prendra a sa plaisance ce que elle vouldra mettre pour elle en
joyaulx robes & autres abillemens & sera chascune part & portion de
telle quantité comme elle verra que elle puisse faire selon sa revenue.
Et ainsi par ceste voye tenir riglement pourra avoir droit ordre en
toutes ses choses sans confusion ne que argent faille pour assovyr
aucunes des dessusdictes choses parquoy il convient faire finances
estranges ou chevances non licites a grans dommaiges & frais. En ceste
maniere par les sept dessusditz enseignemens de prudence tenir avec les
autres vertus lesquelles choses ne sont mye fortes a faire / ains
embellissent & sont plaisans mais que bon cueur s'i vueille disposer &
que ung petit l'ait acoustumé pourra la saige dame acquerir la gloire
renommee & grant honneur au monde & a la fin paradis qui est promis aux
biens vivans.



¶ Cy devise en quelle maniere se doit estendre la largesse & liberalité
de la saige princesse. Chap. .xix.


Et pource que nous avons parlé des autres vertus convenables a princesse
assés au long & plus en brief avons touché la largesse mondaine qui en
dons luy affiert a avoir hors l'ordre commune de sa despence &
extraordinairement comme ce soit chose advisant a princesse que en ce
soit advisee en parlerons plus au large la saige princesse qui vouldra
qu'il n'y ait riens a reproucher en ses faitz se gardera bien que le
vice de chetiveté & de non deue echarceté ne soit point veu en elle &
aussi de folle largesse qui n'est mye maindre vice. Et pourtant par
grant discretion & prudence usera & fera de ces dons / car c'est une des
choses du monde qui plus exaulce la renommee des grans seigneurs & dames
que largesse & ce tesmoigne jehan de sabberieuse en policraticion ou
tiers livre ou .xiiii. chapitre a demonstrer que la vertu de largesse
soit necessaire a ceulx qui ont le gouvernement sur la chose publicque.
exemple de titus le noble empereur qui acquist telle renommee par sa
largesse que on l'apelloit le secours & l'aide de toute personne & il
avoit tel amour a ceste vertu de largesse que le jour qu'il n'avoit fait
don aucun il ne povoit estre joyeulx & pour ce aquist la generalle amour
de tous. Si demonsterra la sage dame sa largesse en telle maniere se
elle a puissance de donner & il luy vient a congnoissance se que elle
soit bien informee que aucuns gentilz hommes estrangiers ou aultres
aient par longue prison ou rançon moult perdu du leur ou soient a grant
souffreté elle leur aidera voulentiers du sien & de bon usaige largement
selon son povoir. & pource que largesse ne s'estend mie tant seulement
en dons comme dit ung saige / mais aussi en reconfort de parolles en
leur donnant esperance elle les confortera de meilleur fortune & ce
reconfort par adventure leur fera autant ou plus de bien que l'argent
que elle leur donra car moult est chose agreable a personne si que ja
est touché si devant quant prince ou princesse luy donne reconfort &
mesmes de sa parolle. Et aussi si ceste dame voit aucun gentilhomme soit
chevalier de bon couraige qui ait grant voulenté de soy avancer en
honneur. mais n'ait mye grant chevance pour soy habiller si qu'il
affiert & elle voit que de luy ayder soit bien employé & que il le
vaille la gentille dame qui aura en soy toutes nobles meurs pour
honneurs de gentillesse & pour tousjours eslever noblesse de vaillance
luy aidera. Et ainsi en divers cas qui peut advenir s'estendra la saige
& bien ordonnee largesse de ceste dame & s'il advient que aucuns presens
ou dons luy soyent faitz de par aucuns grans seigneurs elle donnera si
grandement aux messagiers que ilz s'en puissent louer & plus se ilz sont
estrangiers que aux autres affin que en leurs païs en facent mention a
leurs seigneurs & vouldra que tous soyent expediez. Et se les presens
viennent de grans dames elle leur envoyera semblablement de ses joyaulx
& de ses belles choses plus largement Mais se povre ou simple personne
luy fait aucun service ou luy presente quelque chose estrange par bon
vouloir elle regardera la faculté de la personne & son estat & la
grandeur du service ou la value ou bonté ou beaulté ou estrangeté du don
selon le cas si le remunerera quoyque ce soit si grandement que l'en
s'en puisse & doye louer & avec ce par si joyeuse chere recevra la chose
que ce sera a pou moitié poiment. Et non mie sera sicomme nous veismes
une fois & n'a pas moult de nos yeulx avenir dont moult nous pesa a une
court du monde de prince ou de princesse que ce fust la fut mandee une
personne que on reputoit a saige pour oÿr & congnoistre de son sçavoir.
Si y frequanta plusieurs fois / & se tenoit on tresfort content de ses
faitz & de ses ditz & de l'effect de son sçavoir duquel il avoit fait
audit prince ou princesse aucuns services justes bons & loysibles dignes
de recommandation & desserte. En cestuy mesmes temps & espace
frequentoit a icelle mesme court une autre persone qu'on reputoit a
folle qui a coustume avoit de servir les seigneurs & dames de bourdes &
rappors de ce qu'on faisoit par tout & de parolles de nulle value
sicomme par maniere de truffes & de faire rire. Advint que on voult
remunerer & faire dons a la personne que on reputoit a saige & qui avoit
desservy de son sçavoir & a la personne qu'on reputoit a folle qui avoit
servy seulement de dire les bourdes / si fut donné a ladicte folle ung
don qui fut extimé a la value de .vl. escus. & a l'autre ung don de
douze escus / de laquelle chose quant ce vismes entre nous troys seurs /
raison / doctrine & justice muçasmes nos faces de honte de veoir si
desconvenable extimation et tant aveuglee descongnoissance en court que
on dit autentique. non mye pour la value du don / mais pour l'extimation
des personnes & de leurs faitz Si ne fera mye ainsi la saige princesse
qui des folz ou des folles ou qui le contrefont / ou de raporteurs de
parolles et de choses de nulle value gueres ne s'acointera ne la
estandra mye ses dons mais aux vertueux & a ceulx a qui le bien est
employé.



¶ Cy devisent les excusations qui affierent aux bonnes princesses qui ne
pourroyent pour aucunes causes mettre a effect les choses dessusdictes.
Cha .xx.

Or avons dit ce qui appartient & touche a la largesse de la saige
princesse / mais avant que nous passions oultre affin que oblié ne soit
nous convient icy toucher par especial questions qui nous pourroient
estre faictes sur deux pointz que touchié avons cy devant C'est assavoir
l'un que nous avons dit & devisé comme il appartient que la saige
princesse se face accointer des gens de tous les estatz & subgetz. Et
l'autre a la liberalité que doit avoir. si que dernierement avons dit du
premier point. Pourroit souldre telle question vous dictes qu'il
appartient a saige princesse d'avoir la benivolence des subgetz pource
se doit d'eulx accointer. Mais comment pourroit cestuy enseignement
servir a toutes car il n'est point de doubte qu'il est assés que quoy
qu'elles soyent tressaiges & prudentes si ont elles maris de
merveilleuses meurs & qui si court les tiennent que a peine osent elles
parler mesmes a leurs serviteurs et aux gens de leur ostel. si ne se
pourroient icelles femmes de nul acointer & ne sert a nul envers elle
cestuy enseignement. Item a l'autre point semblablement qu'il est assés
de princes & d'autres hommes qui tant tiennent leurs femmes courtes
d'argent qu'elles n'ont ung denier. Si ne pourroient celles par effect
quelque bon vouloir qu'elles eussent user de celle vertu de largesse. Si
respondrons a ces deux questions ensemble tout en unemesmes sentence.
c'est assavoir que nous n'entendons mye de celles qui sont gardees par
telles extremités. Car aux dames & princesses ou autres tenues en tel
servage prudence ne peut donner autre enseignement & sil n'est il pas
petit fors prendre en pacience faire tousjours bien a leur povoir &
obeir pour avoir paix. Mais parlons a celles que nous supposons qui
ayent auctorité sens & puissance de ce faire si que ja avons dit. Et
aussi n'entendons mye des jeunes qui encores sont soubz l'administration
d'autres dames vray est que cest nostre doctrine s'elles l'estudient &
retiennent leur pourra servir d'aprendre a elles gouverner par telle
prudence que quant seront en aage de plus grant discrection les maris &
seigneurs qui les verront de semblable ordonnance & gouvernement leur
pourront bien donner auctorité de faire & gouverner semblablement qu'il
est dit & que nous dirons cy aprés en temps & en lieu a leur ennortement
& l'homme est trop fol de quelque estat qu'il soit quant il voit qu'il a
bonne femme & saige s'il ne luy donne auctorité de gouverner se besoing
est. combien qu'il en soit assés de si malostrus & de si descongnoissans
qu'ilz ne sçavent veoir ne congnoistre / ou bonté & sens sont assis & se
fondent sur l'oppinion que en sens de femme ne peut avoir grant
gouvernement. de laquelle chose nous veons souvent le contraire. Si
disons de rechief en concluant que se celles dames ainsi courtes tenues
ne pevent en ces pointz mettre a effect leur prudence tant en ce qui
touche d'elles faire a congnoistre a leurs subgectz & aussi en faisant
largesse elles en sont a excuser. mais neant plus que une grant lumiere
se pourroit si fort mucier que par aulcun anglet ne fust apperceue ne
les pourront tant empescher leurs maris que s'elles sont bonnes saiges &
de bon amour a leurs subgetz que elles ne soyent bien aymees de tous &
reputé leur bonne voulenté pour faict pour les discretes et bonnes
apparences qu'on verra d'elles / & que louees & renommees ne soyent en
tous lieux Et souffice quant a ce propos.



¶ Cy devise du gouvernement a la saige princesse demouree vefve. chap.
.xxi.


Parlé avons assés de ce qui touche les enseignemens des princesses
mariees / mais affin que nostre doctrine soit en tous les estatz des
dames vaillable dirons encore a ce propos parlant aux dames & princesses
vefves tant aux jeunes comme aux anciennes en differences de leurs aages
Si disons ainsi s'il advient que la saige princesse demeure vefve n'est
point de doubte qu'elle plorera sa partie si que bonne foy le donne se
tiendra close ung temps. aprés le service & obseques a petite lumiere de
jour en piteux & dolent habit selon honneste usaige. Si n'oubliera pas
la bonne ame de son seigneur / ains en priera & fera prier
tresdevottement par grant soing en mesmes services aulmosnes offrandes
et oblations. & moult la fera recommander a toutes gens de devotion / et
ne durera pas ung pou de temps ceste memoire & ses biensfaitz / mais
tant comme elle vivra. Neantmoins a ceste dame qui sera de grant sçavoir
prudente dira / & l'admonnesteront souvent son beau pere & ceulx a qui
il appartiendra que nonobstant sa tresgrant perte & son grant dueil &
regretz de la mort de son seigneur & de la bonne lealle amour qu'elle
luy portoit il convient estre pacient de tout ce qui plaist au seigneur
estre faist & que nous sommes nez pour aller celle voye quant il luy
plaira. Si pourroit bien pecher & courroucer nostreseigneur de tant
estre adolee & par si long temps & espace Si convient qu'elle prengne
autre maniere de vivre ou grever pourroit son ame & sa santé. si n'en
seroit mye de mieulx a ses nobles enfans qui encores ont tout mestier
d'elle. Ceste dame ainsi admonnestee de raison & de bon conseil pour
aucunement mieulx passer ceste grant tribulation se prendra a se donner
de garde de ses besongnes. Tout premierement vouldra avoir congnoissance
du testament de son seigneur & mettra toute sa peine au plustost que
faire ce pourra pour allegier la benoiste ame de celluy qu'elle aymoit
qu'il soit accomply. Apres s'elle a des enfans & le pere ne les a partis
en son vivant prendra grant cure que les partaiges des terres et des
seigneuries soyent faitz entre eulx par bon regard & advis des barons &
des saiges du conseil si que au gré d'un chascun soit s'elle peut s'en
travaillera de tout son povoir de les tenir en amour sans debat ensemble
& que tous les moindres servent & honnorent l'aisné leur seigneur si que
raison est. Avec ce advisera ce que a elle apartient tant au faict de
meubles comme a son douaire. Et s'elle n'a nulz enfans & aucun luy
vueille faire tort de ce qu'il luy appartient / sicomme souventesfois on
fait aux dames vefves soyent grandes ou petites elle appellera bon
conseil & en usera en gardant et deffendant son droit hardiment par
droit & raison sans s'eschauffer en hastiveté de parolles vers nulluy.
ains dira sa raison ou fera dire courtoisement a tous. mais elle gardera
son droit & tant comme elle vivra tiendra en amour a son pouvoir les
parens de son seigneur & grant honneur leur portera. & de ce faire sera
grandement louee & prisee Mais s'il advient cas que la princesse demeure
vefve a tout son aisné filz encores jeune & moindre de aage et que par
adventure guerre & contens sourde entre les barons. et pour cause du
gouvernement la convient il qu'elle employe toute sa prudence & son
sçavoir pour les mettre & les tenir en paix. car nulle guerre
d'estranges ennemys ne luy pourroit estre tant perilleuse comme ceste.
Et pource la saige dame qui toute sera saige sera si bonne moyenne entre
eulx par son prudent maintien & sçavoir pensant le mal qui pourroit
venir de leurs debatz / veu son enfant encores petit & jeune que bien
les sçaura apaiser. Et pource faire querre les plus convenables manieres
& le plus qu'elle pourra le traictera par doulceur & par bel. & vouldra
que tout soit fait par bon & loyal conseil / ou s'il advient que
aulcunes terres se rebellent ou que la contree soit assaillie d'ennemys.
sicomme souventesfois advient aprés mort de prince a enfans moindres
d'eage pourquoy conviengne avoir et maintenir guerre / bien aura besoing
la prudente dame & princesse qui desirera a garder le bien des enfans
que elle mette a oeuvre son grant sçavoir. Adonc luy aura mestier tenir
en amour les barons chevaliers & seigneurs de son païs affin que
tousjours soyent bons & loyaulx & de bon conseil a son enfant. Aussi les
chevaliers escuyers & gentilz hommes / affin que de plus grant cueur
voulentiers & hardiement se combatent se mestier est / & maintenant la
guerre pour leur jeune seigneur le peuple aussi affin que plus
voulentiers y aydent du leur se besoing est pour maintenir la guerre. Et
pource affin qu'ilz soyent tousjours plus loyaulx subgetz & que autre ne
les peust esmouvoir au contraire parlera a eulx aucunesfois par bel en
disant par doulces parolles qu'il ne leur vueille ennuyer se adonc sont
aucunement grevez pour la grant charge de la guerre & d'autres affaires
que si dieu plaist ce ne durera mye longuement & que bien luy en
souviendra et ramentevera a son filz le bien & la loyaulté qui est
trouvee entre eulx Et telle maniere de parler leur dira la saige dame &
princesse qui pourront estre vaillables en tel cas. Car ce les esmouvera
a plus voulentiers y mettre du leur & a les garder de rebellion
Lesquelles rebellions adviennent le plus souvent en peuple par estre
trop oppressé de seigneurs & mené par rudesse. Et n'est pas de doubte
que estre extimé ne pourroit le bien que telle princesse peut faire en
royaulme & contree.



Cy dit de ce mesmes a l'enseignement des jeunes princesses vefves Chap.
.xxii.


MAis se la princesse demeure vefve sans enfans ou qu'elle vueille vivre
plus a son aise et en paix quant revestue sera de ce qu'il appartient Et
du douaire assigné elle ira demourer sur la terre & la advisera comment
elle se gouvernera bien & sagement selon sa revenue. Si mandera tantost
les principaulx de ses hommes & aussi tous les prevotz & baillifz de ses
chastellenies. Si vouldra sçavoir par bonne enqueste comment ilz se
seront gouvernez et portés le temps passé & s'ilz sont preudommes se
informera des coustumes du pays & se iceulx officiers sont bons ilz ne
se bougeront / & se mauvais sont les ostera & mettra nouveaulx desquelz
elle aura bonne relation. Et ne vouldra nullement que ses prevostez
soyent baillees pour argent aux plus offrans & derniers encherissans /
sicomme on fait maintenant communement en france. Et pource en sieges en
beaucop de lieux a de tresmauvaise ribauldaille mengeurs de gens & pires
que ne sont larrons / car il n'est mauvaistie qu'ilz ne facent pour
tirer argent Et pour sçavoir le vray / l'experience commune le demonstre
& certifie. Pource ne vouldra la bonne dame qui sera informee & avertie
que sesdictes prevostés soyent loués vendues ne baillees a ferme / mais
baillees par election aux plus preudhommes & aux plus sages ainsi que
faire se doit. si leur conviendra expressement qu'ilz gardent que
justice soit bien gardee / ou que autrement elle les desposeroit &
pugniroit / & avec ses officiers fera expresse deffence & aux gens de
son hostel que nul ne soit si hardy de faire grief a nul de ses subgetz
ne prengnent riens sans payer / car elle ne vouldra pas son ame charger
de l'avoir des povres gens pource que toute informee sera des grans
excions que preneurs de seigneurs & de dames font souvent sus le
commun / desquelles extortions pourtant s'ilz ne le servent ne seront
pas excusés vers dieu lesditz seigneurs & dames Car ilz le doivent
sçavoir & ne le souffrir pas: les vouldra tenir en paix & garder de tous
maulx a son povoir. Et a brief dire de toutes choses les tiendra en
amour / vouldra estre par eulx & par leurs femmes visitee souvent &
bonne chere leur fera. Les dames & damoiselles du pays & les bourgoises
semblablement viendront vers elle si les recevra joyeusement & honnorera
chascune selon son droit. & les mandera pour en estre acompaigniee quant
seigneurs ou estrangiers vouldront venir vers elle a ceste noble dame
mesmement les petites femmes de village qui l'aymeront de tout leur
cueur luy apporteront de leurs petis presens comme fruytz ou autres
choses. & elle les fera venir vers elle et les vouldra veoir / recevra
leurs chosettes joyeusement & de pou de chose fera grand compte et grant
feste / & dira qu'il n'est riens si bon ne si beau. si les remercira
cherement parlera avec elle / & leur tiendra parolles du faict de leur
nourriture de leur mesnage / parquoy les bonnes femmes quant seront a
leurs maisons feront grant feste & parlement de la chere que leur dame
leur aura faicte & moult honnorees s'en tiendront. & grant quaquet en
meneront avecques leurs voisins. Ceste noble dame n'aura pas honte de
visiter les acouchees & povres et riches. aux povres donnera pour dieu /
& les riches honnorera / tiendra sur fons de leurs enfans / & a brief
dire en toutes choses bonnes se tiendra & demonstrera tant
charitablement tant doulce & humaine vers ses subgetz qu'ilz ne
parleront que d'elle prians pour elle & de tout leur cueur l'aymeront.
Ces voyes bonnes sçavoyent bien tenir les tresnobles roynes de france &
princesses en leurs veufvages que j'ay cy devant nommés / c'est assavoir
la royne Jehanne la royne blanche la duchesse d'orleans fille jadis du
roy charles .iiii. & semblablement d'autres que en telle maniere se
gouvernent en toute bonté & saigeté qu'a tousjoursmais pourront estre
exemplaire de bien et sagement vivre a celles advenir. Et cy est la fin
des enseignemens que prudence donne a la saige princesse qui est en aage
de congnoistre bien & mal. Si dirons ung petit puis que entrees ou
propos sommes de la jeune princesse vefve & puis dirons des jeunes
mariees il apartient a jeune princesse vefve que tant qu'elle sera en
tel estat soit soubz la baille de ses parens obeysse a leurs vouloirs &
se gouverne toute par eulx & par leur ordonance ne riens n'entrepreigne
sans leur sceu & voulenté. Tenir se doit simplement d'abit & d'atour
selon les usaiges des pays ou elle est coyment & doulcement en
contenance que maintien jeux trop renvoisiés toutes dances estroictes
robes & toutes jolivetés luy sont deffendues & quoy qu'elle soit joyeuse
par nature & que jeunesse l'amonneste de rire de jouer & chanter. Si
convient il si elle veult garder son honneur qu'elle s'en deporte au
moins se ce n'est bien a son privé & non devant hommes & doit par
especial entre segneurs & dames ou chevaliers estranges ou autres
gentilz hommes moult faire le sage avoir contenance rassise pour parler
& simplement regarder. Et lors diront les gens que c'est moult belle
chose a si jeune dame avoir si beau maintien & si asseuree contenance il
ne luy apartient point de tenir parolles appart ne conseil a hommes
quelz qu'ilz soyent ne que chevaliers escuyers ne autres frequentent
trop ne sans raisonnables achoisons environ elle ne a sa chambre / car
par telz choses son bien en pourroit estre desavencé & cheoir en aucunes
parolles qui moult tost & a peu d'achoison sont levees & de ce doit bien
prendre garde la principal dame qui l'a en gouvernement mais pour
eschever ennuy & oyseuse elle se doibt aux festes esbatre et jouer aux
martres avec ses femmes & autres jeux simples & cois et aux jours
ouvriers a faire aucuns ouvraiges elle se doit bien garder que elle ne
tiengne parolles de mariage a quelconque personne a part en recelé ne
sans le sceu de ses amys ne qu'elle en escoute nulles parolles se on les
vouloit dire. Car ce ne seroit mye son honneur & si pourroit bien estre
deceue. Si s'en doit du tout attendre a sesdis amys & bien garder que
riens n'en face sans eulx car de se marier a sa voulenté sans leur bon
consentement acquerroit grant blasme & se elle assenoit a mauvaise
partie & que mal luy en prensist jamais ne seroit plainte & si perdroit
leur grace. Si doit penser que ilz sauront mieulx congnoistre ce que luy
est bon que elle mesmes ne feroit



¶ Cy devise du gouvernement qui doit estre baillé & tenu a jeune
princesse nouvelle mariee. Chapitre .xxiii


Nous commençasmes cy devant a dire le maniere comment la sage princesse
veult & ordonne que ses filles soyent nourries & introduyctes en enfance
& jeunesse. Si nous convient en continuant ceste matiere parler et
deviser de l'ordonnance qui a la fille appartient a tenir c'est assavoir
a la jeune princesse qui veult vivre si qu'il appartient depuis le temps
qu'elle est mariee & hors le bail de ses parens si dirons ainsi il
appartient a la jeune princesse qui de nouvel est mariee luy soit baillé
estat d'hommes & de femmes tel & si grant comme a la haultesse du prince
et seigneur a qui elle est donnee appartient. Si seront esleuz pour
estre ses serviteurs gentilz hommes non mye trop jeunes ne trop emperlez
ne mygnons mais sages & attrempés & preudhommes & s'ilz sont mariés tant
mieulx vault & par especial ceulx qui la serviront a table & qui plus
frequenteront environ elle & de ses femmes & se il eschiet est bien
seant que leurs femmes demeurent semblablement a court les maistres
d'hostel gens meurs & de bon sçavoir & pour la jeune princesse mieulx
aprendre & endoctriner de ce qui apartient au sauvement de l'ame & de sa
conscience luy doit on eslire confesseur religieux sage clerc en
divinité prudent en meurs & de sens naturel preudhomme d'onneste & de
bonne vie. Et au fait de ses femmes pource que c'est droit que des
anciennes dames & damoyselles & aussi des jeunes y soyent mises doibt
bien estre advisee quelles de quel sens et estat et vie sont & ont esté
celles ains que mises y soyent trop plus y doit estre visité que a
celles que on prent a court de plus ancienne princesse. Car nonobstant
que en toutes cours soit bien seant que les femmes y soyent de honnestes
meurs. Toutes voyes pourroit cheoir plus grant peril en compaignie de
jeune princesse que en aultre pour deux especiaulx raisons. L'une que on
juge communement a l'estat & maintien que on voit a la maisgnie de
l'estre & condicion du seigneur ou de la dame pourquoy se les femmes
n'estoyent de belle ordonnance aucuns pourroyent supposer que non feust
la maistresse laquelle chose pourroit estre le descroissement de
l'honneur d'elle. Item la deuxiesme raison est que mesmement ladicte
maistresse jeune & enfant y pourroit prendre aucun enseignement &
exemple non bien convenable entre ses femmes doibt avoir une dame ou
damoiselle assez d'aage saige prudente bonne honneste & devote a qui on
aura beillé par fiance le gouvernement de la jeune dame combien que par
adventure en y aura a la court maintes de plus grant lignage & des
parentes peut estre a ladicte princesse mises par honneur & compaignie &
neantmoins ceste aura le soing & la garde principal d'elle. Si n'aura
mye ceste dame cy se bien veult faire son devoir petite charge ne peu de
soing ne regard. Car il convient que elle tende a deux choses
principalles. L'une est qu'elle induyse & maintiengne sa maistresse en
sage gouvernement & bonnes meurs & telles que nulles voix ne parolles
puissent souldre contre son honneur & l'autre que elle la tiengne en
amour & qu'elle ayt tousjours sa grace. Lesquelles deux choses c'est
assavoir donner correction & enseignement a jeune gent & avoir ensemble
leur amour & grace est souvent moult fort a faire si y convient ouvrer
par grant discretion & ce peut faire par tel maniere. C'est trop plus
fort chose d'estaindre le feu quant il a emprins & embrasé une maison /
que il n'est a garder que il ne s'i esprengne Et pource la sage
mesnagere qui a toutes heures est sur sa garde d'eschever les perilz qui
pevent advenir cerche souvent par sa maison par especial au soir de
paour que aulcune mesgnie mal songneuse ayt laissé chandelle ou
moucheron ou autre chose dont dommage puisse venir tout ainsi ceste dame
pourveue de ce qu'elle aura a faire en la maniere que on ploye la verge
quant elle est jeune sicomme on veult adviser a son povoir de mettre en
tel ploy sadicte maistresse se qu'a tousjours mais y puisse demourer. Et
pource de loings & non mye tout a coup que la verge ne brise ira querre
ses commencemens pour venir & attaindre a ses conclusions & a ce qu'elle
vouldra mettre a fin. Car tout premierement elle prendra toute la peine
qu'elle pourra par belle et courtoise maniere & par luy donner aucunes
chosettes qui plaisent a jeunes gens & par ce monstrer amiable pour
avoir l'amour de sa jeune maistresse & commandera que la bonne dame qui
sera ja de aage ou ancienne aucunesfois en jeux ou esbatemens quant ilz
seront a part & a prime ainsi que l'enfant & la jeune dira aucuneffois
des fables & des comptes que on dit a enfans. Et tout ce fera elle pour
attraire sa maistresse affin qu'elle prengne mieulx en gré quant il
conviendra que elle la reprengne et corrige / car se elle se monstroit
tousjours de pesant maniere sans ris & sans jeux jeunesse qui est
encline a joye & soulas ne la pourroit souffrir & l'airoit en si grant
crainte que desplaisance y prendroit & mal en gré ses corrections. Et
quant elle verra que elle sera bien en sa grace & que elle sera ainsi
que toute mignote sur elle / adonc selon l'eage ou le sentement que
appercevera en elle luy prendra a compter comptes quant ilz seront en
leurs chambres et a leurs devis de dames & damoiselles qui se sont bien
gouvernees comment il leur est bien prins & l'onneur que elles en ont &
par le contraire comment mal est ensuyvy a celles qui follement se sont
portees dira que elle l'a veu advenir de son temps & les fera avant tous
nouveaulx que elle n'en dye pour autre chose fors ainsi que l'en compte
des aventures & de si bonne maniere les sçaura dire que elle mouvera le
courage de sa maistre & des autres qui l'orront & seront toutes
atroupelees entour elle & voulentiers l'escouteront dira aucunesfois
histoires de sains & de saintes de leurs vies & passions & aucunesfois
parmy pource que devis n'ennuye dira quelque truffe a rire & ainsi
vouldra que les autres dient affin que chascune devise a son tour /
icestes manieres tiendra la sage dame quant au fait d'actraire la jeune
princesse a elle aimer / mais a ce qui touche a la correction &
enseignement elle introduira par belles & courtoises parolles qu'elle se
lieve assés de bonne heure. Si luy apprendra quelques bonnes & briefves
oraisons et l'enortera qu'elle les dye en se levant. Salve premierement
nostreseigneur & la vierge marie & dira que elle a ouÿ dire que personne
qui a de coustume d'adresser ses premieres parolles de bon cueur a
nostreseigneur en se levant n'aura ja la journee mauvaise adventure & de
ce dira elle verité Car ainsi le tiengnent plusieurs & est la coustume
moult bonne la fera vestir & atourner sicomme il appartiendra sans y
mettre si longuement que assés de dames font qui est une si grant perte
de temps & une coustume malordonnee aler a la messe & dire ses heures
devottement & songneusement & avecques ses choses tout le bel maintien
ou parler contenance atours & vestemens qui appartiennent a princesse de
hault paraige luy ennortera a faire et maintenir en telle maniere qu'il
n'y ait que redire & tant fera a brief dire par ses saiges
ammonnestemens qu'elle la mettra en tel division que chascun dira que de
son jeune aage on ne vit oncques dame de tel maintien ne mieulx aprinse.
& diront d'elle les gens. O comment affiert grant louenge a jeune cueur
estre viel & meur par bonnes meurs voire je supose que ladicte jeune
dame soit de si bonne condicion que elle vueille et seuffre estre
introduyte & vueille bien retenir. car estre pourroit si diverse que la
dame seroit a excuser s'elle ne la povoit duire ne mettre en bonne
rigle. Si doivent estre les menaces de la sage dame telles quant elle
reprent sa maistresse de quelque faulte sicomme jeunes gens font. Il
n'est si parfait si elle est bonne & doulce & que bien l'ait a main que
se elle fait autrement ou que plus face ou die telles choses que la
lairra & s'en ira chés elle ne jamais ne la servira & que ce n'est pas
belle chose ne bien fait a telle dame comme elle est d'ainsi se
gouverner & adonc se la jeune princesse est bonne & doulce & que elle
aime la dame aura paour que elle la laisse & se chastiera de pou de
menaces mais se elle est revesche & de diverses condicions despite & de
pou d'amour elle luy dira a part tout asprement sache bon gré ou mal gré
& que elle le dira a ses parens & amis ou son seigneur se besoing est se
autrement ne se gouverne. Et quoy que ceste dicte dame ait la charge
d'endoctriner & aprendre tel maintien qu'il convient a sa jeune
maistresse nonpourtant elle qui sera saige sçaura bien qu'il convient
jeunesse se joue & rie si luy en donra & souffrera assés espace
convenablement a certaines heures avec les jeunes de ses femmes & qu'il
n'y ait ame estrange selon la condicion & que elle verra encline sadicte
maistresse. Car on ne peut mye ne ne doit on voer aux jeunes gens tous
leurs plaisirs mais que ilz ne soyent mal honnestes ne desconvenables.
Et de ce propos / c'est assavoir des meurs & contenances qui affierent a
la bien ordonnee jeune princesse ne parlerons plus cy endroit pource que
si aprés en l'espitre que la dame ancienne envoye a sa maistresse se en
sera parlé.



Cy devise les manieres que la sage dame ou damoiselle qui a en
gouvernement jeune princesse doit tenir pour maintenir sa maistresse en
bonne renommee & en l'amour de son seigneur. chap. .xxiiii


Et avec ces choses / pource que jeunesse nourrie en grans delices
aucunesfois peut de legier estre encline a trop grant gayeté pourroit
desvoyer la jeune personne qui point n'a de malice de se garder convient
par especial mettre frain de longue main si que ja est touché si devant
ains que l'inconvenient adviengne Si peut estre le remede tel la saige
dame qui aura en gouvernement la jeune princesse qui verra amour entre
le prince son seigneur & sa maistresse si que communement jeunes gens
nouveaulx mariés ont ensemble mettra toute la peine que elle pourra &
les nourrira en celle amour & les ennortera de dire doulces parolles &
amoureuses tousjours l'un a l'autre & faire tous plaisirs & prendra
grant cure de elle mesmes rapporter entre eulx gratieulx messages & dons
de choses plaisans recommandations & salus pour les nourrir tousjours en
celle paix & amour & bien se traveillera que toutes choses au contraire
soyent destourbees & eschevees & a part quant le seigneur n'y sera & la
jeune princesse se couchera l'ancienne dame luy en tiendra plait en la
ramentevant & devisant les bons motz qu'elle luy aura ouÿ dire de
l'amour qu'il a en elle et comment il est bon & comme il est bel &
gratieulx que bonne nuyt luy doint dieu & toutes telles choses. Et
avecques ce pource que est de coustume que les seigneurs chevaliers &
escuyers estranges et autres vont aucuneffois devers les princesses &
dames & que leurs seigneurs & parens mesmes les y mainent il convient
que elles voient & parlent a plusieurs & qu'elles les festoyent sicomme
il apartient en festes & en dances aucunesfois ou parler ou autres
esbatemens / si que il eschiet donc il avient aucuneffois que aucuns
d'iceulx a telles assembles sont ferus de l'amour des dames ou veulent
faire semblant que ilz le soyent donc la saige gouverneresse qui
tousjours sera pres de sa maistresse prendra bien garde aux semblans &
manieres de tous se elle pourra appercevoir par quelque semblant que
aucuns ou aucun y voulsist penser & s'il advient que il luy semble en
apercevoir quelque chose n'en dira riens a personne ains les tiendra
secret a son couraige. Et quant vendra que ilz seront departis & la
feste faillie & sa maistresse sera retraicte pourra advenir se sadicte
maistresse est privee d'elle luy entrera elle mesmes en parolles disans
nous avons bien dancé telz & telz sont gracieulx ou ilz ne sont mye en
quelque autre chose. & adonc la saige princesse pourra respondre telz
manieres de parolles je ne sçay que c'est / mais je ne voy nul qui me
semble tant plaisant ne tant bel & gratieux que fait monsieur & m'en
suis bien prinse garde / mais il m'est advis que entre les autres c'est
celuy a qui plus advient toutes choses a faire. Et se ledit seigneur est
vieil ou lait dira. certes je ne prenois garde a nul de la compaignie
sinon a monseigneur. Car il m'est advis que entre les autres il sembloit
si bien seigneur & prince / & comment le fait il si bon ouÿr parler qui
parle sagement. Et posons qu'il n'y ait esté si le pourra elle
ramentevoir en quelque guise disant bien de luy. mais de ce que pensé
aura ne dira riens & se prendra bien garde se celuy ou ceulx de qui elle
aura ymaginé se mettent en peine de frequenter entour sa maistresse & se
ilz querront voyes & manieres cy avoir acointance ou aux parens ou
autres qui les y puisse mener ou se eulx ou aucuns de leurs gens si
vouldront acointer d'aulcunes des femmes Et se elle voit que aprés
ladicte feste ou assemblee nul de ceulx qu'elle a pensé ne se traveille
par choses qu'elle y voye s'en mettra en paix & hors de suspection. Mais
se elle apperçoit les signes dessusditz ou semblables elle ne aura pas
euvre laissee ne son couraige sans grant soing ou cure se pener se veult
de y mettre remede a faire son devoir Si conviendra que elle oeuvre bien
sagement. Car de le descouvrir a personne s'elle est sage & prudente se
gardera bien / & seroit trop mal fait. Mais que fera elle pour le mieulx
et pour ouvrer plus sagement / quant verra bien que ce sera a certes que
aulcun par grant diligence se vouldra mettre en peine d'estre en grace
pour telle amour de sa maistresse ains qu'il ait eu espace de luy en
touchier aucune chose. posons qu'il eust le hardement elle luy fera si
bel acueil que achoison luy donnera que il s'acointe d'elle / et ce fera
il moult voulentiers / car il cuydera pource que c'est la plus prochaine
de la dame que sa besoigne en doyve mieulx valoir & pourrira la chose
qu'il s'enhardira de luy dire ce qu'il aura sur le cueur avec les grans
offres des services & de tous biens qu'il luy fera selon la coustume des
hommes en tel cas. Adonc la dame qui sera pourveue de sa responce & qui
parlera a luy sans le sceu de la dame & le moins qu'elle pourra luy
repondra sans nul effroy bassement par telles parolles. & s'il est tel
qu'il appartient dira: monseigneur vrayement je me suis bien donné garde
par voz semblans que vous aviez en couraige ce que vous m'avez dit. &
pource que vouloye que telles parolles venissent de vous premierement je
desiroye que j'eusse telle acointance de vous que le me dissiés affin
que je le sceusse ains que aulcune autre personne par qui la chose peut
estre raportee & mal selee la sceust ou s'en apperceust. si suis bien
ayse que j'ay a present advisé de vous faire la responce sur ce que dit
m'avez telle qu'elle est affermee en mon courage & qui jour de ma vie
pour mourir en ce prometz je a dieu & a vous ne changera & sans vous
faire de ce long sermon ne tenir trop de parolles vous dy tout a ung
brief mot & une fois pour toutes que tant que je soye vivant & je soye
en sa compaignie ceste jeune dame qui par la fiance que ses amys & son
seigneur ont en moy tant n'en soye digne m'ont baillé en gouvernement /
ne fera mal ne chose dont reproches ne parolles autres qu'il appartient
a avoir a dame telle qu'elle est & du noble sang dont elle est yssue /
car de ce a l'ayde de dieu la cuyderay je bien deffendre nonobstant
qu'elle en est legiere a garder. Car je sçay bien que toute s'amour est
en son seigneur ainsi qu'elle doit estre & qu'elle est toute bonne &
bien condicionnee / ne que de telz amours elle n'a que faire ne n'y
pense. & si sçay bien tant d'elle que se vous ou autre luy aviez dit ou
qu'elle s'en apperceust qu'elle hairoit sur toutes choses celluy qu'elle
cuyderoit qui a telle chose vers elle pensast. Si vous suplie
monseigneur tant comme je puis que vous en vueillés oster du tout & plus
n'y penser. Car je vous jure ma crestienté que vous perdriés vostre
peine. Et affin que vous n'y ayez plus nulle esperance pour veoir dire.
Je vous jure mon ame que posons qu'elle le voulsist / ce que je sçay
bien que jamais ne feroit: j'y mettroye telles barres qu'elle ne
pourroit. Si me croyés seurement & plus ne faictes telz allees ne telz
venues ne telz semblans que sur l'ame de moy je ne les pourroye souffrir
& conviendroit que je le disse a telz qui ne vous en sçauroyent nul gré
& qui bien la garderoye de voz mains. Car je n'ay que d'une mort a
mourir / laquelle chose aymeroye mieulx que il me advint que je
consentisse ne veisse le deshonneur de ma maistresse. Si vault mieulx
que n'en soit plus & que la chose demeure a tant. Telle responce ou
semblable fera la sage dame / ne pour promesse don ofre ne menace ne
changera son propos ne lors ne autres fois ne riens ne fera qui la
puisse flechir au contraire. Si se gardera bien que n'ayt point la chere
muee ne enflambee ne les yeulx felons quant elle partira de luy / mais
aura le visaige rassis et la maniere asseuree sicomme se de autres
choses eussent parlé. affin que personne ne se peust de ce appercevoir.
Aussi ladicte dame se gardera bien que nul mot n'en sonnera a sa
maistresse ne a autre soit son privé ou privee / ne nul semblant n'en
fera / mais ne la laissera tant soit pou / & se prendra bien garde que
nulle femme ou des servans ou aultre ne conseille a elle en maniere
qu'elle puisse apercevoir que telle chose peust toucher. Car tantost
l'appercevra a la maniere du rire & du parler / posons que elle ne les
ouÿst & s'elle en aperçoit certainement quelque chose ne s'en taire mye
ains menacera la personne de la faire bouter hors s'elle se mesle de
plus conseiller a sa maistresse car ce n'appartient mye & si de pres
s'en prendra garde que personne ne aura loisir de luy faire aulcun
rapport. Si pourra advenir que celluy ne se souffrera mye pourtant & yra
& viendra par aulcune voye cautelleuse qu'il aura trouvee de quelque
acointance parquoy de foys a autre y pourra hanter & ce ne pourra la
dame pas bien empescher / car se elle ce disoit trop grant mal en
pourroit venir / si s'en souffrera. & de pres gardera sa dame et
maistresse / mais s'il advient que de si pres ne la puisse garder qu'il
ne conviengne que sadicte maistresse apperçoyve ou voye par les semblans
ou parolles couvertes que celluy dira l'intencion & voulenté de luy
encores ne s'en effroyera elle de riens pource que bien sçaura que
maintes dames & damoiselles sont aymees & priees a qui bien petit en
chault. & qui pourtant ne les ayme mye. Mais elle se prendra bien garde
se elle pourra appercevoir que la jeune dame ou princesse y prengne
aucun plaisir. & si elle en parlera plus voulentiers que d'ung autre ou
si elle s'esjouyra quant elle le verra / ou s'elle muera aulcune
contenance Si mettra toute peine par belles & doulces parolles de traire
de sa bouche a privé qu'il n'y ayt que elles deux ce qu'elle aura sur
son cueur de celluy homme / & s'il luy en aura point touché ou parle. Et
adoncques selon ce qu'elle chantera ou dira elle luy pourra respondre.
Et s'il advient qu'elle mesmes die que voyrement l'apperçoyve ou que il
luy ayt dit / et qu'elle en est bien troublee & courroucee / & qu'il luy
en poise la dame qui sera saige & discrete appercevera bien aucunement
des parolles s'elle la veult bien sagement enquerre & par bonne maniere
sans se monstrer au commencement trop rebelle si la dame le dit
fainctement & pour luy donner acroire qu'elle n'y veult point penser ou
s'elle le dit tout a certes / dont s'il advient qu'elle congnoisse
qu'elle ayt bonne voulenté de non y avoir aucune pensee elle sera bien
joyeuse & l'ennortera de toute sa puissance que se tienne en son bon
propos / si luy dira de tous exemples du mal qui peut advenir & qui
maintesfois est advenu a plusieurs par telles follies le grant
deshonneur & reproches qui en sourdent & les decevemens qui sont en
hommes. Si l'ennortera qu'elle garde bien comment elle respondera
saigement a celluy toutes les fois qui luy en parlera & luy die tout a
ung mot qu'il pert sa peine / & luy jure & afferme bien a certes que
jamais pour toute sa puissance ne l'en demouvera qu'il luy desplaise de
telles parolles ne de ses semblans n'a que faire / & avec ces parolles
qu'elle l'estrange & eslongne tout le plus qu'elle pourra. Et qu'elle se
garde bien que des yeulx de parolle de ris ne de contenance quelconques
ne luy face nul semblant parquoy le puist attraire ne luy donner aucune
esperance. Ainsi luy toute la maniere que tenir devra pour courtoisement
l'estranger luy fera dire quant il viendra qu'elle se repose ou qu'elle
est occuppee d'aulcune chose & qu'il ne luy desplaise qu'elle ne le peut
veoir pour ceste foys. Et ainsi luy face dire par plusieursfoys que par
la continuation de tenir tieulx manieres longuement il apperçoyve bien
qu'il perdroit sa peine de plus y muser. Et avecques ces choses la sage
dame ennortera bien a sadicte maistresse qu'elle se garde bien que de
ceste chose ne parle a homme ne a femme. car mal en pourroit venir & que
c'est le plus grant sens de s'en taire / & n'est point honneur a femme
se vanter de telle chose. Et ceste deffence luy fera pource qu'elle le
disoit se pourroit adresser a tel ou a telle qui ne luy donneroit mye
bon conseil ains la conforteroit par adventure & ficheroit en la follie.
ou qui le celeroit maulvaisement Si en pourroit saillir aucune fumee &
venir mal / & ainsi par ceste saige tenue fera tant la bonne dame
qu'elle estaindera & aneantira toute ceste chose & n'en fera plus qui
que l'en doye haïr ou luy chaudra de telle hayne & ne la craindra pour
bien faire. Car qui que l'en hait au premier l'en aymera au dernier &
prisera mille foys plus quant on verra sa grant prudence & sa constant
bonté car bien fait vault tousjours quoy qu'il demeure. Si fera cause
que ladicte jeune princesse soit en son temps une tressage bonne &
honneste dame & ayt les belles vertus que declairees avons cy devant.



¶ Cy devise de la jeune haulte dame qui se vouldroit esvoyer en fole
amour & l'enseignement que prudence donne a la dame ou damoyselle qui
l'aura en gouvernement. Chapitre .xxv.


Mais pource que toutes gens ne sont pas d'une condition / & qu'il est
assez de hommes & de femmes si pervers que quelque bonne correction &
enseignement que on leur donne si suyvront ilz tousjours leur mauvaise
inclination / & leur monstrer n'est que chose perdue & ne acquiert on
que leur haine. Dirons icy a l'enseignement de la bonne dame qui aura en
garde et gouvernement aulcune jeune princesse ou dame la maniere qu'elle
devera tenir au cas que la maistresse verroit desvoyer en folle amour &
qui ne vouldroit user de son saige & bon conseil. Si disons ainsi Et
s'il advient que aucune jeune princesse ou haulte dame ne soit mye de
tel sçavoir ne constance qu'elle puisse ou saiche ou vueille resister
aux admonnestemens que celluy qui met toute sa peine a l'attraire a
s'amour par divers semblans & manieres sicomme hommes scevent bien faire
en tel cas. & que la dame qui l'a en garde voye & aperçoyve par signes &
semblans que son cueur y trait quoy qu'elle luy face entendre & qu'elle
luy die le contraire elle sera dolente de ceste chose de tout son cueur.
mais non obstant quelque haine que avoir en doye d'elle fera son devoir
de l'admonnester de son bien ne point ne dissimulera ne luy celera de
luy dire a part puis par bel puis par menaces. s'elle l'avoit continué
luy monstrer le grant mal & peril & le tresgrant prejudice qui en peut
venir & sans cesser de ce la tournera tant par adventure que pour la
destourber de faict & par l'admonition de ses parolles la pourra
demouvoir et oster de celle pensee ains que la folie soit allee plus
avant mais s'il advient que tout ne vaille riens & que elle la voye
conseiller a part a aulcunes de ses autres femmes qu'elle pourra penser
qui saiche de sa convenue & intencion & qu'on mettra peine de conseiller
a messaiges qui viendront dehors & qu'on fera divers signes & se gardera
l'en d'elle sur toutes riens & que ja sa maistresse qui sera fiere & de
haultain couraige ne vueille plus souffrir d'elle / ains luy semble
qu'elle n'est plus enfant pour estre en sa gouvernance & correction &
que mal prendra en gré ce qu'elle luy dira / respondra fierement demy en
menaçant / & qu'elle luy rechignera & grongnera. parquoy on pourra
apparcevoir qu'elle sera en sa male grace & qu'elle en vouldroit estre
delivre a toutes fins pour mieulx faire a sa voulenté. & orra par
adventure qu'elle dira aucuneffois a part aucunes de ses femmes jeunes
qui mieulx sera en sa grace que dyable ferons nous de ceste vieille elle
ne fait que rechigner le feu d'enfer l'arde / ja n'en serons delivres.
Et l'autre respondra Se m'aist dieu ma dame il fault semer des pois sur
les degrés si se rompra le col. Et telles manieres de parolles. Que fera
doncques la saige dame puis qu'elle verra que remede n'y peut estre mis
& que elle a fait tout son devoir & a quite sa conscience de luy avoir
monstré & luy fait dire par son beau pere les maulx qui pour ceste folie
faire luy pourroient advenir / et que sadicte maistresse est si attainte
que remede n'y pourroit estre mis. & a ja la voye trouvee de faire sa
voulenté vueille ou ne vueille & a qui que doye desplaire. Car
impossible est de garder personne qui ne veult garder d'elle mesmes / et
que on en commence ja a murmurer & a s'en appercevoir & mesmes entre ses
femmes par l'envye qu'elles ont sur celle ou celles qui scevent du
secret a la jeune dame qui sont les mieulx aymees et en orra ja dire
plusieurs nouvelles qui moult luy feront grant mal Adoncques quoy que
son cueur en soit dolent merueillesement elle comme sage advisera la
meilleure partie en pensant le mal et peril qui luy pourroit advenir de
ceste chose se plus demouroit en court. Car posons que elle ne fust pas
consentant du fait / laquelle chose ne consentiroit pour mourir & la
chose venoit a congnoissance ou des parens ou du mary elle en auroit
toute la charge. car ilz diroient / pourquoy ne le nous disiés vous /
nous y eussions mis remede. Car nous nous en attendions a vous. Laquelle
chose pour riens ne diroit pour les perilz & maulx qui s'en pourroyent
ensuyvre. Car qui a conscience & sens doit bien redoubter a faire
rapport de telles choses aux maris ne aux amis / ne qui que ce soit / &
qui plus est d'y demourer ne seroit mie sans ung autre grant peril qui
luy pourroit venir de par la haine de sa maistresse / ou de celuy a qui
auroit son cueur. Pource que aulcunnement ilz la doubteroyent & leur
seroit advis qu'elle les empescheroit. Et pource elle qui sera sur
toutes choses advisee usera a ceste fois de son grant savoir & mestier
en sera. si se taira du tout de ceste chose / ne bien ne mal plus a sa
maistresse n'en parlera. et ne fera chiere ne semblant que au cueur en
ait nul desplaisir / mais tout au plus tost qu'elle pourra par aucune
bonne voye que ja de loings aura ouverte des le commencement que les
condicions de sa maistresse vit changier se departira de court par le
bon vouloir du seigneur se elle peut / mais se elle est bonne & saige se
gardera bien que ne puisse appercevoir pourquoy se veult partir. si
trouvera achoison se elle scet que il la voulsist a toutes fins retenir
ou de maladie ou vieillesse ou d'aucune impotence & inconvenient qui luy
soit venu a son propre corps ou se il vuloit trop enquerir de la cause
de sa despartie dira avant que congé ne ayt du partir que elle n'est
propice d'estre entour telle dame pour aulcun mal qui luy est venu tant
qu'elle soit garie. Et ainsi se excusera & pourra advenir que sa mesme
maistresse pource que veu aura que elle ne luy en parlera plus sera
courroucee de sa despartie pource que elle penseroit que meilleur loysir
auroit de faire ce que elle vouldroit tant qu'elle fust avecques elle.
Car les gens ne parleroyent my sitost quant acompaignee seroit d'une
telle dame si la vouldra flater & luy fera promesses affin qu'elle
demeure. Mais la bonne dame de ce bien & saigement se sçaura excuser en
disant que sans faulte elle est malade / mais elle guarie pourra bien
retourner ne pour chose que le cueur luy face mal du partir ne pour
tendreté qu'elle ayt a sa maistresse se gardera bien se elle est sage de
demourer pour quelconques blandissemens. car aprés s'en repentiroit.
Mais s'il advient que la dame soit joyeuse de sa despartie quant viendra
au despartir / l'ancienne dame parlera a elle a part agenoillee
humblement la remercyera des biens et des honneurs qu'elle luy a faitz
luy priera que pardonner luy vueille & si bien & deuement ne l'a servye
comme a l'estat d'elle luy appartiendroit ou s'elle a faict ou dit chose
aulcune qui luy soit desplaisante que ce luy a fait faire la grant amour
& jalousie qu'elle avoit a elle & qu'il luy fait bien mal de laisser.
mais qu'elle est vieille & impotent & ne peut plus servir ou que par
adventure vieillesse la fait estre rechinee & si maugratieuse qu'elle ne
scet suporter ainsi que devroit les esbatemens des jeunes et pource a
plus cher se partir & que ce soit par son bon congié & que elle luy
supplie que elle se parte a tout sa bonne grace. car de tant peut bien
estre certaine que jamais jour de sa vie n'aura femme qui mieulx ne plus
loyaulment ayme elle ne son honneur que elle a fait & fera toute sa vie
& que tousjours sera en celle voulenté. Telles manieres de parolles la
dame dira a sa maistresse au departir / laquelle par adventure luy
respondra belles parolles pour la joye que de sa departie aura / ou par
adventure qu'elle l'aura longuement gouvernee & peut estre de son
enfance le cueur luy sera mal. Et luy dira peut estre que de riens ne
luy a sceu mauvais gré fors de ce que elle ne pensa oncques / et telles
manieres de excusations aux quelles choses la dame qui point ne vouldra
arguer a elle pource que bien sçaura que riens ne vouldra respondre que
voirement peut bien estre advenu que de sa folie pour la grant paour
qu'elle avoit d'elle avoit eu aucunes suspections. Si luy priera que
tout luy vueille pardonner & que elle soit certaine que jamais jour de
sa vie quelque suspection que elle y ait eu ne quoy qu'il en ait esté sa
bouche n'en mouvera a personne ne oncques ne feist fors a elle pour son
bien & ainsi se departira. Pource que l'espitre qui est contenue au
livre du duc des vrays amans ou il est mis que Sebille de la tour
l'envoya a la duchesse peut servir au propos que au chapitre cy aprés
ensuyt sera de rechief recordé si la peut passer oultre qui veult si au
lire luy ennuye ou se autreffois l'a veue quoy qu'elle soit bonne &
prouffitable a ouÿr & noter a toutes dames & autres a qui ce peut
appartenir.



¶ Cy devise la maniere des lettres que la saige dame peut envoyer a sa
maistresse Chapitre. xxvi.


Si pourra advenir aprés ces subzdictes choses que la jeune dame se
gouvernera si mal advisement despuys la departie de celle qui gouverner
la souloit que parolles seront eslevees contre l'onneur d'elle & tant se
multiplieront que la bonne sage dame dessusdicte qui l'avoit en
gouvernement et ores demeure a son mesnaige en orra parler / de laquelle
chose sera tant doulente de ainsi veoir amendrir l'honneur de sa
maistresse qui tant a mis peine de bien l'endoctriner enseigner &
apprendre que plus ne pourra. Si ne sçaura bonnement que faire de ceste
chose & conclusion quant assez aura pensé sur ceste chose sera
contraincte par grant amour quel que bon gré ou maulgré que avoir en
doye pource que ce qui est escript en lettres est aucunesfoys mieulx
retenu et plus perce le cueur que ce qui est dit de bouche de luy
escripre & signifier par lettres de rechief l'amonnestement que dire luy
souloit pour veoir se aulcune chose y pourroit prouffiter. Si escripra
telles ou les semblables parolles en une lettre & par ung prestre qui
escriptes en confession les aura tressecretement les luy envoyera.
Maistresse doubtee dame je me recommande a vous tant & si treshumblement
comme je puis ma tresredoubtee dame plaise vous a ne me sçavoir aucun
mauvais gré se je me suys a present meue de vous escripre pour vostre
bien ce que grant aymer me contraint a faire. Car ma tresredoubtee dame
il m'est advis que je suis jeune de vous admonnester vostre bien comme a
celle qui a esté en ma gouvernance depuis enfance jusques a ores tout
n'en feusse je mye digne me semble que je mesprendroye de moy taire de
ce que sçauroye qui vous peust tourner a aucun grief se ne le vous
signifioye. Et pource chere dame je escrips en ces presentes ce qui
s'ensuyt de laquelle chose treshumblement je vous prie derechief que
maulvais gré ne m'en vueillés sçavoir aucunement. Car vous povez estre
trescertaine que tresgrant amour & desir de l'acroissement de mieulx en
mieulx de vostre noble renommee & honneur me meut a ce faire. ma dame
j'ay entendu aucunes nouvelles de vostre gouvernement telles que j'en
suis dolente de tout mon cueur pour la peur que j'ay du decheement de
vostre bon los & sont telles comme il me semble que comme il soit de
droit & de raison que toute princesse & haulte dame tout ainsi comme
elle est hault eslevee en honneur & estat sur les autres qu'elle doye
estre en bonne sagesse meurs conditions & manieres excellente sur toutes
affin qu'elle soit exemplaire par lequel les autres dames et mesmement
toutes femmes se doibvent rigler en tout maintien & comme il
appartiengne qu'elle soit devote vers dieu & quelle ayt contenance
asseuree quoye & rassise en ses esbatemens attrempee et sans effroy rie
bas & non sans cause ayt haulte maniere humble chere & grant port. Soit
a tous doulce responce & aymable parolle son habit & atour riche & non
trop cointe. A estrangiers d'acueil seignery parlant a dangier non trop
acointable de regard tardif & non volage. A nulle heure n'appaire male
felle ne despite ne a servir trop dangereuse a ses femmes & serviteurs
humaines & amiables non trop haultaine en dons large par raison
ordonnee. Saiche congnoistre de toutes gens lesquelz sont les plus
dignes en bonté et preudhommie & de ses servans les meilleurs & ceulx &
celles tire vers soy & leur guerdonne selon leurs merites ne croire ne
adjouster foy a flateurs ne flateuses ains les congnoisse & chasse de
soy ne croire de legier parolles raportees / n'ait coustume de souvent
conseiller a estrange ne privé en lieu secret ne apart mesmement a nul
de ses gens ou de ses femmes si que on ne puisse juger que plus sache de
son secret l'une que l'autre & ne dye devant gens a personne quelconques
en riant aucuns motz couvers que chascun n'entende / affin que les oyans
ne supposent aucun vice secret entre eulx trop enclose en chambre ne
trop solitaire ne se doit tenir / ne aussi trop commune a la veue des
gens. Mais a certaine heure retraire & aucuneffois plus convenables. Et
comme sesdictes condicions & toutes autres manieres convenables a haulte
princesse feussent en vous le temps passé estes a present toute changee
sicomme on dit. Car vous estes devenue trop plus esgaree plus emparlee &
plus jolie que ne souliés estre & c'est ce qui faict communement jugier.
les cueurs changent quant les contenances se changent / car vous voules
estre seulle & retraire de gens fors d'une ou de deux de vos femmes ou
aucuns de vos serviteurs a qui vous conseillés & riés mesmes devant gens
& dictes parolles couvertes comme se vous vous entre entendissiés bien &
ne vous plaist fors la compaignie d'iceulx / ne les autres ne vous
pevent servir a gré. Lesquelles choses & contenances sont cause de
mouvoir a envye vos autres servans & de juger que vostre cueur soit en
amouré ou que ce soit a ma tresredoubtee dame pour dieu mercy prenés
garde qui vous estes a la haultesse ou dieu vous a eslevee ne ne vueille
vostre ame & vostre honneur pour aucune vaine plaisance mettre en oubly
& ne vous fiés en vaines pensees que plusieurs jeunes femmes ont qui se
donnent a croire que ce n'est point mal d'aymer par amours / mais qu'il
n'y ait villenie car je me rens certaine que autrement ne le vouldriés
penser pour mourir & que on vit plus liement & que de ce faire on faict
ung homme vaillant & renommé a tousjours. Ha ma chere dame il va tout
autrement. Et pour dieu ne vous y decevés ne laissés decevoir & prenes
exemples a de telles grans maistresses avés vous veu en vostre temps qui
pour seullement estre souppesonnees de telle amour sans que la verité en
fust oncques attaincte en perdoyent l'honneur & la vie de telles y eut.
Et si tiens sur mon ame que peché ne coulpe vilanie n'y avoyent & leurs
enfans en avés reprouchiés & moins prisés / et combien que a toute femme
soit povre ou riche telle folle amour deshonnorable encores trop plus
est messeant & prejudiciable en princesse ou haulte dame de tant que est
plus grande / & la raison y est bonne / car le nom d'une princesse est
porté par tout le monde parquoy s'il y a en son renom aucune chose a
redire plus est sceu par les estranges contrees que des simples femmes.
Et aussi pour cause de leurs enfans qui doyvent seigneurir les terres &
estre princes de aultres gens. Si est grant meschief quant il y a aucune
suspection qu'ilz ne soyent droitz hoirs & maint meschief en peut venir.
car posons qu'il n'y ait meffait de corps si ne le croyroient mye ceulx
qui seullement l'orront dire telle dame est amoureuse. Et pour ung petit
de vice semblant par adventure fait par jeunesse & sans malices
mauvaises langues jugeront & y adjousteront des choses qui oncques ne
furent ne faictes ne pensees / & ainsi va tel langaige de bouche en
bouche qui mye n'est apeticié ains est acreu. Et ainsi est necessaire a
une chascune grant maistresse avoir plus grant regard en toutes ses
manieres contenantes & paraboles que a autres femmes. La cause si est /
car quant on vient en la presence d'une haulte dame toute personne
adresse son regard a elle & ses oreilles a ouÿr ce qu'elle dira & son
entendement a noter tout son fait. Si ne peut la dame ouvrir l'ueil dire
parolle rire ou faire semblant a aucun que tout ne soit recueilly &
retenu de plusieurs personnes & puis raporté en maintes places. Et que
cuidés vous ma treschiere dame que ce soit mauvaise contenance a une
grant maistresse voire a toute femme quant plus qu'elle ne seul deul
devient esgaree jolye & plus veult oÿr parler d'amours & puis quant son
cueur se change pour aucun cas tout a coup devient rechinee malgratieuse
tenceresse & ne la peut on servir a gré & ne luy chault de son habit &
atour. Certes adonc dient les gens que elle souloit estre amoureuse.
mais ne l'est plus. Ma dame si n'est mye maniere que dame doye avoir Car
elle doit prendre garde encore quelque pensee qu'elle ait que tousjours
soit d'un maintien et contenance a celle fin que telz jugemens ne
puissent estre faitz sur elle. Mais peut bien estre que fort seroit en
la vie amoureuse garder telle mesure. Et pource le plus seur est du tout
l'eschever & fuir. Si povés veoir chiere dame que toute grant maistresse
& semblablement toute femme doit trop plus estre couvoiteuse d'acquerir
bon renom que quelconques autre tresor. Car il la fait reluyre en
honneur & demeure tousjours a elle & ses enfans redoubtee dame ainsi
comme devant est touchié / je suppose bien et pense les raisons qui
pevent mouvoir la jeune dame a soy encliner a si faicte amour aise &
joyeuseté luy fait penser Tu es jeune il ne te fault fors que ta
plaisance tu peulz bien aymer sans villanie & n'est point de mal puis
qu'il n'y ait peché tu feras ung vaillant homme on n'en sçaura riens tu
en vivras plus joyeusement & auras acquis ung vray serviteur & loyal amy
& ainsi telles choses. Ha ma dame pour dieu soiés advisee que telles
folles oppinions ne vous deçoyvent. Car quant a la plaisance soyés
certaine que en amours a deux foys plus de dueil nuysances & dangiers
perilleux par especial du costé des dames qu'il n'y a de plaisance. Car
avec ce amours livre de soy maintes diverses amertumes la peur de perdre
honneur & qu'il soit sceu leur demeure ou cueur qui chier acheter leur
fait telle plaisance. Et quant a dire ce ne sera mye mal puis que fait
de peché n'y a. Helas ma dame ne soit nul ne nulle si asseuree de soy
qu'elle se rende certaine quelque bon propos qu'elle ait de garder
tousjours mesure en si faicte amour et que ne soit sceu comme j'ay cy
devant dit. Certes c'est chose impossible. Car feu n'est point sans
fumee. mais fumee est souvent sans feu. Et a dire je feray ung homme
vaillant. Certes je dis que c'est trop grant folie de soy destruyre pour
accoistre ung autre. Posons que vaillant en deust devenir & celle bien
se destruyt qui pour refaire ung aultre se deshonnoure. Et quant a dire
j'auray acquis ung vray amy et serviteur dieu dequoy pourroit servir si
fait amy a la dame. car s'elle avoit aulcun afaire il ne se feroit
porter en nul cas pour elle / pour peur de son deshonneur dequoy
doncques luy pourra servir si fait serviteur qui s'osera employer pour
le bien d'elle. mais ilz sont aucuns qui dient qu'ilz servent leur dames
quant ilz font beaucoup de choses soit en armes ou autrefois. Mais je dy
qu'ilz servent eulx mesmes. Car l'honneur & le preu leur est demouré &
non mye a la dame. Encores ma dame se vous ou autres vous voulés excuser
en disant j'ay mauvaise partie qui pou de loyaulté & de plaisir me fait.
pource puis je sans mesprendre avoir plaisir en aucun autre pour oublier
melencolie & passer le temps. mais certes telles excusations / saulve
vostre bonne reverence & de toutes autres qui ce dient / ne vallent
riens. car trop fait grant folie celluy qui met le feu en sa maison pour
ardoir celle de son voisin. mais se celle qui a tel mary le porte
patiemment & sans soy empirer tant acroist plus le merite de son ame &
son honneur en bon los & quant a avoir plaisance. Certainement une si
grant maistresse voire toute femme s'elle veult elle peut assés trouver
de loisibles & bonnes plaisances a quoy s'entendre & passer le temps
sans melencolie sans telle amour. Celles qui ont enfans plus gratieuse
plaisance & plus delectable peut on demander que de souvent les veoir &
prendre garde que bien soyent nourris & endoctrinés sicomme il
appartient a leur haultesse & estat. & les filles ordonner en telle
maniere que en enfance prengnent rigle de bien & de deuement vivre par
exemple de suyvre & estre en bonne compaignie. Helas & se la mere
n'estoit toute saige quel exemple seroit ce aux filles & a celles qui
enfans n'ont. Certes n'est ce honneur non a tout haulte dame. Aprés ce
qu'elle a dit son service de soy prendre & faire aulcun ouvraige ou
besongne pour eviter oysiveté ou faire faire fins linges estrangement
ouvrés / ou draps de soye ou autre choses dequoy elle peust user
justement. & telles occupations sont bonnes / & destourbent a penser
choses vaines. Et je ne dis mye que une grant maistresse ne se puisse
bien esbatre rire & jouer en temps & en lieu mesmement ou il y ait
seigneurs & gentilz hommes / & qu'elle ne doye honnorer les estrangiers
selon que a sa haultesse appartient chascun selon son degré / mais ce
doit estre fait si rassisement & de si beau maintien qu'il n'y ait ung
seul regard ne ris ne parolle que tout ne soit a mesure & par raison.
Assés & tousjours doibt estre sur sa garde que on ne puisse appercevoir
en parolle ou regard ou contenance en elle chose desconvenable ne mal
seant. Ha dieu se toute grande maistresse voire toute femme sçavoit bien
comment beau maintien luy est advenant plus mettroit peine a l'avoir que
quelque autre parement. Car il n'est joyau precieux qui tant la peust
parer Et encores ma tresredoubtee dame reste a parler des perilz et
dangiers qui sont en celle amour / lesquelz sont sans nombre. Le premier
et greigneur est que l'en courrouce dieu. Aprés que se le mary s'en
appercevoit ou les parens la femme est morte ou cheute en reproche ne
jamais puis n'aura bien. Et encores suppose que n'aviengne disons du
costé des amans encores que tous fussent loyaulx secretz vrays disans ce
qu'ilz ne sont mye / ainçois scet on assés qui comunement sont faintz &
pour les dames decevoir dient ce qu'ilz ne pensent ne vouldroient faire.
Touteffois c'est chose vraye que l'ardeur de / telle amour ne dure mye
longuement mesmes aux plus loyaulx & est ceste chose certaine. Ha chiere
dame comment cuydés vous que quant il advient que celle amour est
deffaillie & que la dame qui aura esté aveuglee par l'enveloppement de
folle plaisance s'en repent durement quant elle s'avertist & pourpense
les follies & divers perilz ou maintes fois s'est trouvee / & combien
elle vouldroit qui luy eust cousté & oncques ne luy fust advenu & que
tel reproche de elle ne peust estre dicte. Certes vous ne pourriez
penser la grant repentance & desplaisant pensee qui au cueur leur en
demeure Et oultre se vous & toutes les autres povés veoir quelle follie
c'est de mettre son corps et son honneur es dangiers de langues & es
mains de telz servanz puis que serviteurs s'apellent / mais la fin du
service est communement telle que quoy qu'ilz vous ayent promis & juré
de tenir secret ilz ne s'en taisent mye & en la fin de telle amour
souventesfois le blasme & parler de gens aux dames en demeure ou a tout
le moins la crainte & paour en leurs cueurs que ceulx mesmes en qui se
sont fiees le dient & s'en vantent ou aulcun autre qui le fait saiche /
et ainsi se sont mises de franchise en servaige & veés la fin du service
de celle amour. Comment cuydés vous ma Dame qu'il semble a ses servans
grant honneur de dire et eulx vanter qu'ilz soyent aimés ou ayent esté
d'une grant maistresse ou femme de renom. Et comment en tairoient ilz la
verité. car dieu scet comment ilz mentent. Et que pleust a dieu que
entre vous mes dames le sceussiés bien. Car cause auriés de vous en
garder. Oultreplus les servans qui scevent vos secretz & en qui convient
que vous vous fiez cuydez vous qu'ilz s'en taisent. combien que leur
ayés fait jurer. Certes la plus grant partie sont telz qu'ils seroyent
bien dolens que l'on ne sceust que plus grant priveté & hardiesse ont
vers vous que les autres. et s'ilz ne dient de bouche vos secretz ils
les monstreront au doy par divers semblans couvers qui veullent bien que
on note. He dieu quel servitude a une dame & a toute autre femme en tel
cas qui n'osera reprendre ne blasmer son servant ou sa servante posons
qu'elle les voye grandement mesprendre quant elle se sent en leur
dangier & seront montés contre elle en tel orgueil que mot n'osera
sonner ains conviendra qu'elle leur seuffre a faire et dire chose
qu'elle n'endureroit de nul autre. Et que pensés vous que dient ceulx &
celles qui ce voyent & notent ilz ne pensent fors ce qui y est & soyés
certaine qu'ilz en murmurent assés. Et s'il advient que la dame se
courrouce ou donne congié a telz servans / dieu scet se tout est revelé
& dit en plusieurs places. et toutesfois souvent advient qu'ilz sont &
ont esté moyens & procureurs d'icelle amour bastir / laquelle chose ilz
ont voulentiers pourchassee & a grant diligence pour traire a eulx dons
ou offices ou autres emolumens. Tresredoubtee dame que vous en dirois
je / soyés certaine que aussi tost espuiseroit on une abisme comme on
pourroit racompter tous les perilz et maulx qui sont en ceste vie
amoureuse. & ne doubtés du contraire. Car il est ainsi. Et pource
treschiere dame ne vous vueillés ficher en si fait peril. Et se aulcune
pensee y avés eue / pour dieu vueillés vous en retraire ainçois que plus
grant mal vous en ensuyve. Car trop mieulx vault tost que tard / & tard
que jamais. Et ja povés veoir quelz parolles en seroyent se plus ce
continuoyent vos nouvelles manieres quant ja sont apperceues parquoy
parolles s'en espandent en maint lieu. Si ne vous sçay plus que
respondre fors que de toute ma puissance vous supplye humblement que de
ce ne me sachez aucun maulvais gré / mais vous plaise de adviser le bon
vouloir qui le me fait dire / & au fort mieulx doit vouloir faire mon
devoir & vous loyaulment admonnester & en deusse avoir vostre mal talent
que de vous conseiller vostre destruction ou de l'attraire pour avoir
vostre bon gré. Tresresoubtee princesse & ma treschere dame je prie a
dieu qu'il vous doint bonne vie et longue / et en la fin paradis.
Escript. &c.



¶ Cy commence la deuxiesme partie de ce livre laquelle s'adresse aux
dames & damoiselles. Et premierement a celles qui demeurent a court de
princesse ou haulte dame. Le premier chapitre parle comment les trois
dames / c'est assavoir raison droicture et justice recapitulent en brief
ce qui est dit devant. chap. .xxvii.


Apres ce que avons parlé aux roynes princesses & haultes dames / c'est
assavoir en ce qui touche la doctrine qui est proprice tant aux
enseignemens de ce qui affiert a l'ame comme aux meurs vertueux & bons
qui leur sont propices & appartiennent a leur haulte noblesse & a leur
estat qui d'honneur est adornee sur toutes autres s'adressera nostre
leçon doresenavant en ceste .ii. partie de la presente collation aux
dames & damoiselles & femmes tant a celles qui sont demourans a court de
princesses pour leur service & estat comme a celles qui demeurent sur
leurs terres en chasteaulx manoirs villes fermes & bours / mais a ce
commencement faisons protestation que nonobstant qu'il appartienne &
affiere une mesmes doctrine par especial en plusieurs choses tant a
l'ame comme aux vertus & meurs aussi bien aux dames & damoiselles & a
toutes femmes comme aux princesses ne pensons mye a relater & dire de
rechief tout ce qui est dit devant / car peine seroit sans necessité & a
ennuy pourroit tourner aux lisans si serve ce que dit est pour toutes ou
il eschiet & en prengne chascune ce dequoy sentira que elle ayt besoing
au bien & au proffit de son ame & de ses meurs. Car semblablement que
aux plus grans maistresses est mestier aux dames damoiselles & autres
femmes qu'elles ayent tousjours & en tous leurs faitz devant les yeulx &
en leur memoire l'amour & crainte de nostreseigneur qui leur ramentoyve
les biens qu'elles reçoyvent de luy / c'est assavoir l'ame qui est creé
a son ymage laquelle s'elles y veullent mettre peine possedera a
tousjours le royaulme des cieulx. Ce n'est mye petit don l'entendement
pour congnoistre dieu & que est bien & mal force de corps pour mettre le
bien a effect santé & foison d'autres grans graces parquoy l'amour a
quoy elles sont obligees vers luy qui est mesmes ung des commandemens de
la foy et le premier qui dit tu aimeras dieu sur toutes choses ne doit
jamais partir de leur memoire La crainte aussi en pensant la grant
punition de sa justice en quoy se mettent en peril les creatures qui ne
vont droite voye Ceste amour & crainte se a droit & en leurs couraiges
les deffendra de vices & conduyra aux vertus / abessera en elles orgueil
& essaucera humilité chassera ire & amenera pacience deboutera avarice &
y mettra charité. leur tollira envye & leur donnera amour vers leurs
prochains. eslongnera paresse & approuchera diligence de bien faire Leur
fera haÿr gloutonnye et aymer sobrieté. bennira luxure et attraira
chasteté Et ainsi donera toutes les vertus propice a l'ame. & chassera
les vices qui nuyre y pourroyent. Et avec ce aussi bien &
semblablemement affiert aux dames damoiselles & autres femmes avoir
prudence mondaine pour ordonner en bonne guise leur maniere de vivre
chascune selon son estat & qu'elles ayment honheur le bien de renommee &
de bon los que aux princesses. Si commencerons ainsi



Cy devise des quatre pointz les deux bons a tenir & les deux autres a
eschever & comment dames & demoiselles de court doivent aymer leur
maistresse. & ce est le premier point. chap. .xxviii.


Derechief disons nous trois seurs / filles de dieu nommees raison /
droicture / & justice comme dessus. Premierement a vous dames
damoiselles & femmes de court au service de princesses et haultes dames
tout ce que dit avons qui toucher peut au bien de vos dames & a
l'acroissement de vos meurs Mais avec les bons admonnestemens dessusditz
adjousterons quatre pointz les deux premiers bons a suyvre / & les
autres a eschever. & ne sont pas simplement ne sans plus les deux
premiers bons a tenir / mais vous sont tresnecessaires pour le bien de
voz ames & l'honneur de vos personnes. De ces deux pointz le premier est
que de tout vostre cueur devés amer comme vous mesmes vostre maistresse.
c'est assavoir la princesse / auquel service ou compaignie vous estes.
L'autre point est que vous devés estre en vos manieres parolles & tous
faitz non trop acointables ne privees a divers hommes. Et des causes qui
nous meuvent vous enseignerons les raisons cy aprés. Et quant est des
autres belles manieres qui a tenir vous affierent pource qu'il est ja
dit cy devant comment la saige princesse vous maintiendra en bel ordre
en habitz simples & beaulx sans desguiseure. mais riches assés / & bien
ordonnez sicomme il affiert comme en contenances rassises & coyes en
parolles maintiens jeux & ris honnestes passerons oultre ces pointz
pource que cy devant au xviii. chap. de la premiere partie de ce livre
la peut on veoir qui veult. Selon nostre premier point & enseignement
des deux dessusditz la dame ou damoiselle de court ou toute servante est
tenue de aymer tresfort & de tout son cueur sa dame & maistresse soit
bonne ou mauvaise / ou doulce / ou autrement elle se dampne et faict que
tresmauvaise creature & semblablement je dis de tous servans puis que
ilz sont aux gaiges pensions ou loyer de qui que ce soit. & si tu
vouloies dire voire mais si mon maistre ou maistresse est mauvaise
personne ou ne me fait gueres de bien suis je doncques tenue a l'aymer /
nous te respondons que ouÿ sans faulte / car s'il te semble qu'ilz
soyent mauvais & que n'y faces ton proffit: tu t'en dois partir se bonté
semble non mye y demourer pour mal y faire ton devoir & ne luy porter
tel amour & tel foy que tu doibs. posons qu'il face mal son debvoir
pourtant ne doibs laisser a faire le tien tant que tu y es / ou t'en
aller. Car saches si ainsi ne le fais tu te dampnes en servant. Si est a
declairer nostre propos en quoy s'estendra celle amour que la dame ou
damoyselle de court aura a sa maistresse sera en luy portant foy &
loyaulté en toutes manieres / comment foy & loyaulté. c'est qu'elle
aymera premierement le bien de son ame. en telle maniere qu'elle luy
procurera et ennortera de son povoir & que a elle appartiendra tout bien
a faire & ne luy donnera ocasion du contraire. gardera sa paix a son
povoir en bien faisant. Et en ces choses icy fait entendre qu'elle ne
luy fera rapors nulz quelz qu'ilz soyent qui a l'empirement de son ame
puisse tourner / c'est assavoir ne en mesdisant d'autruy ne contre le
bien de honnesteté ne de honneur. ne aussi en parolles felonnesses ou
responces parquoy elle puisse troubler sadicte maistresse. Avecques ce
elle gardera sauvement le sien en ce qu'il appartiendra a elle a faire &
en destournant les autres a son povoir se oultrages non convenables
appartenoyent en aucuns. & sur toutes riens soustiendra son honneur de
toute sa puissance en fait en dit & en parolle plus en derriere que en
devant & essaucera sa bonne renommee. Se gardera bien pourtant sur ce
qu'elle ayme le bien de son ame que vers elle ne use de flaterie pour
mieulx avoir sa grace. si que font plusieurs servans de tous estatz
maistres & maistresses et par especial a grans seigneurs & dames qui est
chose qui trop desplaist a dieu & que la saincte escripture blasme a
merveilles. Mais pour plus proprement declarer que c'est flaterie affin
que nul ne soit deceu de entendre. dirons la difference d'entre bien
servir & flater. Si est assavoir que si tu sers bien & loyaulment de
tout ton povoir & tressongneusement garde bien l'honneur & proffit en
toutes manieres de maistre & maistresse & metz grant cure & dilligence
de luy faire plaisir & service en toutes choses licites & honnestes.
Mesmement tant pour faire ton devoir comme pour acquerir sa grace affin
qu'il t'en face mieulx pource qu'il t'en est besoing & que se il a mal &
desplaisir que tu en soyes dolent ou dolente comme du tien propre &
semblablement joyeulx ou joyeuse de son bien & prosperité & soyes triste
a mathe chiere quant luy voys avoir desplaisir & joyeulx quant bien luy
vient & non mye devant luy seullement. mais plus en derriere & le
excuses se mal oys dire & luy portes honneur & bonne renommee telz
choses faictes de bon cueur ne sont mie flateries ains est vraye amour &
pure loyaulté portee de bon servant ou servante a maistre ou a
maistresse & ce en sont les signes. Le pur flateur est si tu sçayes que
ton maistre ou maistresse eust aucune inclination vicieuse & contre le
bien de son ame & de son honneur & bonnes meurs & se sur ce tu le
confortoyes. en luy donnant conseil qui le peust soustenir & nourrir en
son vice & peché & que tu portasses ses mesmes faitz en dit & en fait ou
que tu luy ouÿsses dire parolles non vrayes contre le bien d'autruy ou
soustenir oppinions mauvaises ou deshonnestes & tu disoyes monseigneur
ou ma dame dit voir ou que tu luy feisses entendant qu'il soit bel ou
bon ou saige ou que bien seroit que il fist quelque chose que tu
penseroyes qui luy plairoit et ta conscience te disoit tout le contraire
se telz choses & aultres semblables qui pourroyent advenir faisoyes
vrayement tu flateroyes & pecheroye tresmortellement & avec ce que tu te
dampneroyes pareillement seroyes cause de son dampnement. Mais non
pourtant dieu scet tout comment plusieurs servans de jeunes gens &
d'autres se gouvernent en telz cas car pour avoir leur grace & traire
d'eulx plusieurs y a ne les soustiennent pas seullement en maulx faire
ains eulx mesmes quierent & pourchassent les voyes de tirer & faire
mettre maistres & mesmement maistresses aucunesfois en plusieurs vices &
laiz pechés & telz gens ne sont pas loyaulx servans ains sont faulx &
maulvais / mais ceux qui les treuvent quant ilz les scevent telz sont
eulx mesmes si aveuglez qu'ilz ne s'en donnent de garde. Et pource dist
trop bien ung saint docteur que le flateur par sa parolle fait tout
ainsi que se il fichoit ung clou en l'oeil de son maistre ou maistresse
c'est a dire qu'il l'aveugle par ses blandices. Mais a descendre a
nostre propos on pourroit icy faire une telle question sçavoir mon se
une dame ou damoiselle sert une princesse ou aultre dame quelle que elle
soit & il advient que sa maistresse vueille mettre son cueur en folle
amour vers quelque homme si la servante est tenue par la loyaulté que
elle luy doit de la soustenir & porter en son fait / car peut estre que
aulcuns ne cuyderoyent mye mesprendre en pensant j'ay pluscher a garder
l'honneur de ma maistresse & celer son faict mesmement veu que je n'ay
mye bastie la chose / mais elle la veult faire & si en moy elle ne se
fioyt en quelque autre se fieroit qui par adventure ne la celeroit mye
si bien que je feroye. La vraye responce a ceste question est que elle
feroit mal quelque cas qui y peust advenir & mal faire n'a point
d'excusation si ne peux porter ne soustenir ta maistresse en peché
faisant que toy mesmes ne peches ne soye participant du mal. Et avecques
ce posons que tu dies que pour garder son honneur le faces si tu
espeluches bien ta conscience tu trouveras que aultre cause te y encline
plus c'est assavoir pour avoir mieulx sa grace & en prouffiter en
chevance. Mais quelque cause qui t'y maine tu fais mal & en ce faisant
resembles l'aveugle qui maine ung autre aveugle & tous deux trebuchent
en la fosse. Mais vecy que tu feras si tu veulx user de sens & de bonne
conscience se ta maistresse se fie de tant en toy qu'elle te die son
secret en tel cas tu luy feras si faicte ou semblable responce / ma dame
je vous mercye dont tel fiance avez en moy que tant me dictes de vostre
tresprivé secret & si vous n'aviés fiance en moy ne le me diriés si
n'ayez jour de vostre vie quelconque doubte qui ne soit bien celé. Car
je vous prometz loyaulment que tant que je vivray ne sera par moy sceu /
mais vrayement il me poise de tout mon cueur de ce que vostre entente
avez mise ou voulez mettre en tel chose. Car il ne vous en peut venir
fors dampnement a l'ame & grant peril & deshonneur au corps & se par
nulle voye estoit en ma puissance de vous oster de celle voulenté &
pensee il n'est riens que je n'en feisse. Mais quant est de moy & me
pardonnés je aymeroye mieulx le bien de mon ame & de ma consciece qui en
seroit chargee que je ne fais vostre service et m'en deussiés vous haÿr
& bouter hors. Car je doy avoir pluscher vostre hayne pour bien faire
que vostre grace pour consentir mal si ne m'en mesleroye nullement
mieulx vouldroye mourir / je sçay bien que je suis a vous & que obeyr je
vous doy mais en tel cas je pecheroye laquelle chose je ne suis tenu de
faire pour personne vivant. Telle responce doit faire la bonne servante
en tel cas a sa maistresse / mais s'elle est sage & vraye se gardera
bien pourtant de l'aler disant ça & la pour soy aloser comme assez en
est par adventure qui pour faire les bonnes y soyent disant elle m'a
requise de tel chose / mais je l'ay bien & bel escondite je aymeroye
mieulx que elle fust arse & telz choses dont mieulx leur vauldroit taire
ainsi se doit gouverner la bonne & discrete dame ou damoyselle ou autre
vers sa maistresse. mais non pourtant affin que nous n'oublions riens a
dire que bon soit a ce propos n'est mye a entendre cest admonnestement
que s'il advenoit aucun inconvenient a la maistresse par quelque cas que
la bonne servante ne la doye garder en tous perilz & deffendre comme
elle feroit son enfant sicomme il est dit d'une dame qui fut gardee
d'estre sourprise en cas dont elle eust perdu son honneur par sa
damoiselle laquelle quant elle sceut l'adventure ala tantost comme bien
advisee bouter le feu a la granche affin que tout courussent la & que sa
maistresse en ce tandis se peust descouvrir. Et comme une autre qui
trouva sa maistresse qui se vouloit desesperer & occire ellemesmes de
honte que elle avoit de ce qu'elle estoit grosse sans estre mariee si la
reconforta & l'osta de ce maulvais vouloir & ellemesmes affin que quant
l'enfant viendroit qu'elle peust dire que il fust sien fist entendant
qu'elle estoit grosse & par celle voye la saulva de mort & garda de
deshonneur & telz choses faire puis que la chose est faicte & le conseil
en est prins pour garder autruy de desesperance ou de prendre mauvaise
voye mais que au fait de peché on ne soit consentant n'est pas mal. mais
est tresgrant charité & doit chascun avoir pitié du pecheur. Car dieu ne
veult pas sa mort. mais que il se convertise & vive. Et tel est cheu en
peché que aprés se relieve & maine juste vie & non mye seullement en cas
d'amours ne doibt estre consentant la servante de la maistresse: mais
aussi en tous autres ou il pourroit avoir peché & vice. car nul n'est
tenu d'obeyr a aultruy pour desobeyr a dieu.



¶ Cy devise du .ii. point qui est bon a tenir aux femmes de court qui
est comment elles doibvent eschever trop d'acointances. Chapitre .xxix.


Le .ii. point & enseignement si que nous avons dit est que femmes de
court de quelque estat qu'elles soyent se doivent garder de trop avoir
d'acointances a divers hommes nous convient dire les raisons qui nous
meuvent Car maintes par aventure pourroyent suposer & cuider que plus
leur loysist & apartenist est acointables que autres femmes: mais celles
qui le penseroyent se deceveroient & nous le te monstrerons par deux
principaulx raisons / l'une est pource que sur toutes autres les femmes
de court ont a garder honneur / l'autre raison te dirons aprés. Quant a
ceste pourquoy disons nous que plus que autres ont a garder honneur
pource que leur honneur ou deshonneur refiert & redonde en leur
maistresse. car se ilz sont ou bien ou mal ordonnees elle en aura le los
ou le blasme si que ja est touché en la premiere partie de ce livre. Or
il est ainsi que il n'est autre dame a qui tant d'honneur soit deue
comme a princesse si seroit a son empirement si aucune tache avoit en
femmes. Car on diroit selon seigneur meisgnie duite. Et pource je
conclus que plus que autres se doivent garder. Si n'est point de doubte
a venir a nostre propos que femmes qui que elles soyent qui se delictent
avoir plusieurs acointances a hommes & suppose qu'elles n'y pensent a
nul mal ne mais pour rire & esbatre a peine le pourront continuer qu'il
n'en soit senestrement parlé & non mye seullement des estrangiers
envyeulx qui sans cesser avisent comment pourront aultruy mordre / mais
certes de plusieurs de ceulx mesmes a qui elles feront bonne chiere. Car
ne pensent point le contraire femmes ne si aveuglent que ja hommes
plusieurs ne les frequentent longuement que aucuns ou le plus d'iceulx
ne pensent a elles atraire si pevent & quant ils voyent que plusieurs
hantent ou lieu ou chascun voulsist estre seul receu ilz en parlent mal
& contreuvent l'ung sur l'autre & en derriere s'en rigollent quelque
chere que aux dames & damoiselles facent en devant ne quoy que ils se
monstrent bien gracieulx & c'est chose vraye lesquelz rigolages &
parolles sont raportees en ville de bouche en bouche par les tavernes &
ailleurs & chascun y adjouste & met du sien Et par telle voye sans cause
& sans raison quant a pechié / mais seullement par la simplesse des
femmes qui n'y pensent sont souvent plusieurs a tort blasmés mesmes de
ceulx a qui elles font bonne chiere et qui ne le croit si en enquiere.
Car pleust a nostre seigneur que dames & damoiselles de court / voire
toutes femmes d'ailleurs sceussent bien que telz acomtes dient d'elles
cause auroient d'elles retraire de si faictes bonnes chiere. & mieulx
leur vauldroit moins d'esbatement que de tant de parolles & par ce que
ilz leur rient en devant & promettent corps & service a peine le
pourroyent croyre. mais tu nous pourroyes demander comment ne vault il
pas mieulx mesmes a honneur garder faire bonne chiere a chascun & que
autant en emporte l'un que l'autre seullement que le faire a ung ou a
deux & aussi que les autres puissent dire il ne hante en tel lieu que
telz ou telz ilz sont en grace autres n'y sont congnuz. Nous te
respondons que sans faille de ces deux maulx il n'y a nul qui face a
tenir / car mal est / c'est assavoir contre honneur si plusieurs en
hantent si que dit est & mal seroit ou est si on n'y voit frequenter
seullement ung deux ou trois en maniere que on y peust avoir souspecion.
Si n'est l'une maniere ne l'autre bonne. Mais tu nous diras comment
seront doncques femmes par especial de court si subgetz que elles ne
oseront ame veoir ne elle esbatre sans mal penser a compaignie ou il y
ait gentilz hommes. Si te respons a ce que la subgection est bonne quoy
que elle desplaise quant elle garde de plus grant inconvenient tout
ainsi que la bride ennuye & desplaist au cheval mais non pourtant elle
le garde aucunesfois de trebucher ou fossé. Et quant est que elles ne
facent bonne chiere ou il appartient & en temps & en lieu s'esbatent
convenablement en compaignie d'honneur n'est pas nostre entente de les
vouloir a ce restraindre. Et ne disons pas que s'il advient a quelque
court que ce soit en france ou autre part que le prince ou princesse
reçoyve estrangiers ou princes ou autres vaillans chevaliers ou escuyers
que il n'apartiengne bien qu'ilz soient festoyés & entre dames &
damoiselles bien venus / car ce seroit contre honneur qui ne le feroit /
mais entendons seullement de ceulx qui par droictes bauldes
acoustumeement frequenteroyent sans autre achoison y avoir fors de jouer
& esbatre es chambres de l'estat des dames & damoiselles. Et ces choses
que nous disons ne doyvent ennuyer a nulle soit jeune ou joyeuse ou
autre si elle ayme honneur ne que il doit desplaire a celuy qui sa santé
a chiere quant le medecin luy dit vous userés de tel remede contre telle
maladie & suffise quant a la premiere raison. Mais a venir a l'autre
laquelle peut aussi bien toucher aux autres femmes d'onneur comme a
celles de court est telle. Chascun qui tant est une chose plus digne
plus noble & de greigneur value plus doit estre tenue en grant chierté &
moins commune. Or est il ainsi que toute femme honnorable bonne et saige
doit este reputee comme ung beau tresor & une notable & singuliere chose
digne d'onneur & de reverence. doncques puis que elle est telle et y
veult estre tenue il n'appartient point que trop grant marché ne
largesse face de ses tresgrans tresors c'est assavoir de l'acointance de
sa treshonnorable personne. Car de tant que elle la tiendra en plus
grant charté vers tous hommes non mye par orgueil / mais par une
grandeur bien seant a femme de tant sera elle tenue en plus grant
reverence & en fera l'en plus grant compte / car chose n'est tant
voulentiers veue ne desiree que celle que on voit a dangier quant elle
est bonne & belle. pource disons que non estre trop accointable a femme
bien siet & que largesse de langaige & d'atrais accueillans luy
messieent.



¶ Cy dit du .iii. point qui est le premier des deux qui sont a eschever
parlant de l'envye qui regne en court & dequoy elle vient. cha. xxx.


Or viendrons aux autres deux dessusditz poins lesquelz a femmes de court
principallement & aprés a toutes femmes d'onneur sont a eschever.
lesquelz quoy qu'ilz soyent assés communs par tout regnans par especial
treshabondeement a toutes cours plus que autre part. ce sont deux vices
mauvais & dampnables merveilleusement & en attrayent infinis d'aultres.
L'un & le principal des deux mortelz vices est le trespiteable & de dieu
hay pechié d'envye / & l'autre est le vice de mesdire. Et du premier
dirons & de l'autre aprés Et pource que nous tendons a bien de vous
toutes nous plaist vous admonnester les remedes que nous enseignons a
toute personne qui user veult de justice & de bonne conscience. Et tout
premierement pour mieulx congnoistre la qualité ou nature de ceste
faulce envye est a adviser de quelle chose & a quel cause elle naist si
disons sans faille qu'elle sourt & vient purement d'orgueil qui
l'engendre es creatures qui ne sont sur leurs gardes d'avoir tousjours
devant leurs yeulx leur povre fragilité & leur venue de neant ains
s'oultrecuident par une arrogance fole que orgueilleux met en teste si
qu'ilz oublient leurs miseres & leurs vices & reputent & cuident estre
dignes de grans honneurs et de grans biens mesmes sans l'avoir desservy.
Et pource que le plus communement toute creature est en soy mesmes ainsi
deceue / advient que chascun tend a suppediter son prochain & le
surmonter / non mye en vertus / mais en grandeur d'estat de honneur ou
d'avoir / mais quant il advient qu'il y fault & qu'il y voit autre plus
avancé de luy ou qu'il cuyde ou qu'il a paour qu'il adviengne aussi
hault. la est l'envye toute formee. En pourtant que a la court des
princes & des princesses les honneurs et les estatz mondains sont
distribués plus generallement que une aultre part disons nous / & il est
vray que la regne principallement envye pource que chascun qui y
frequente vouldroit avoir d'iceulx biens et honneurs la plus grant part.
Mais a descendre a nostre propos en parlant a toute femme de court de
quelque estat qu'elle soit qui soit la demourant pour estat ou pour
service de princesse que se elle veult user de bon conseil pourvoyera si
bien son couraige de saige & de bon advis que elle n'aura en soy le
mortel ver de celle faulce envye qui destruyt l'ame a qui la porte &
ronge & desfait l'intention.



¶ Cy dit encores de ce mesmes enseignement aux femmes comment se
garderont entre elles d'avoir le vice d'envye. chap. xxxi


Que fera doncques pour eschever ce faulx arcison d'envye & qu'il ne soit
nullement en son couraige la saige & bonne dame ou autre demourant en
court elle estrivera par bon remede contre les choses qui s'ensuyvent
lesquelles sont les causes dont sourt envye a court de princesse en
couraige / c'est assavoir que quelque grande qu'elle soit s'il advient
qu'elle voye ou apperçoyve ou qu'il luy soit advis que sa maistresse ait
plus en grace quelque autre que elle ou souvent l'appelle en ses conselz
& vueille le plus sache de son secret & soit plus entour elle ja pource
le cueur ne luy vouldra / ne le vice d'envye ne la surmontera.
nonobstant que les aguillons & poinctures en couraige de celle faulce
envye en tel cas soyent telz. Et pourquoy peut ce estre que ma dame a
plus en grace ceste icy ou ceste la que toy & plus la veult & plus
l'appelle en ses secretz & environ soy / n'es tu de son lignaige ou plus
noble que celle n'est si en fust mieulx paree / ou tu es plus sage ou
plus preudefemme ou mieulx taillee de y estre. Et appartient il aussi
que telle & telle qui est venue de neant / ou qui ne scet ou qui ne
vault ne peut de se mettre si avant ne qu'elle prengne tel peine d'estre
en grace devant les autres / ne aussi que ma dame la doyve tant avancer
ne faire telle chiere qu'elle luy faict ne tel harnois / & luy baille
tel estat. Ja est plus avancee en ce pou de temps qu'elle y a demouré
que toy qui y es de ton enfance / pourquoy peut ce estre quelque cause y
a. mais je y mettray barres se je puis & la desavanceray Je sçay bien
comment telles choses & telles sçay sur elle / & si je ne le sçay si le
controuveray ou mettray du sel plus que je ne sçay avant que je ne la
desavance. elle se veult trop mallement mettre avant et ja fait la
maistresse & veult supediter les autres & mettre arriere mais je y
mettray barres se je sçay quoy que advenir en doye. ne quelque peine que
je y doye mettre. Je n'en pourroye plus souffrir en mon renc mesme se
veult elle ja mettre / et ma dame luy souffre & la porte & veult qu'elle
voise devant les autres mais ainsi n'ira mye. Telz ou semblans sont les
admonnestemens de envye. mais tantost par bon advis & juste conscience
les boutera arriere la saige dame ou damoiselle de court qui se
reviendra a soy Ha folle musarde & dequoy t'es tu advisee mais pour dieu
que te chault il de toutes ces faulsetés si tu fais ce que tu peulx
loyaulment en toutes choses & tu n'en as si grans guerdons en ce monde
comme ung autre dieu qui seul est juste & vray juge & qui congnoist tous
couraiges. & a qui riens ne peut estre celé le scet bien si le te rendra
& n'y fauldra point. & en luy seul dois avoir ton esperance. Car celluy
est mauldit qui a son esperance & la fiance es princes ne es hommes. Et
pourtant se ung autre a bien en ce monde qui n'est que ung trespas comme
ung pelerinaige des biens de fortune plus que a toy ce te semble. que
t'en apartient il a murmurer ne en avoir dueil. veulx tu garder les
princes & les princesses & les puissans personnes qu'ilz ne facent du
leur a leur voulenté: Si ta maistresse ou dame donne du sien a ung autre
plus que a toy quel tort te faict elle. certes nul. Et de ce donna bien
exemple nostreseigneur en la parolle dont l'evangille parle des ouvriers
qui furent mis en la vigne / dont les aucuns vindrent a soleil levant.
les autres a midy & les autres a vespres. Et quant vint a faire le
payement de leur journee le seigneur de la vigne partit & donna tout
autant a ceulx qui estoyent venus a vespres comme a ceulx du point du
jour de laquelle chose les premiers murmuroyent / & le seigneur leur
respondist. Mes amys quel tort vous fais je. Je vous paye de vostre
journee bien & bel ce que avez esté louez. & s'il me plaist de donner a
ceulx icy autant ou plus comme a vous ce n'est riens du vostre si n'avez
cause d'en parler. Tout ainsi & semblablement n'as tu nulle cause de
groucier si ta maistresse donne le sien ou il luy plaist quand ce n'est
rien du tien. Et aultre si peut advenir que toymesmes ne congnois pas
tes propres deffaulx par ce que tu es envers toy trop favorable & ta
dame les congnoist bien qui voit ung autre plus saige plus abille &
mieulx condicionnee & plus parfaicte de toy quoy qu'il te semble que tu
vaille mieulx s'il a plus chere environ soy. Et aussi si tu veulx bien
regarder au vray de ta conscience & lire en tes faitz tu trouveras ce
peut estre que tu le peves bien avoir desservy pour telle chose et telle
que tu fais. & telles parolles que tu dis luy furent rapportees / dont
elle se courrouça qui ne fut bien fait ne dit a toy / & elle ne t'en
ayme mye mieulx. assez d'autres t'eussent mise hors si est par ta
coulpe. pource tu n'as cause de tant t'en courroucer tu estoyes trop
ayse & trop orgueilleuse. & te sembloit que riens ne te povoit nuyre /
or en prens ce que tu en as & ne te en plains que a toy. Et avec ce que
scés tu: quel bien & quel service vers dieu peut avoir fait ceste
creature qui tant est en grace quoy qu'il te semble qu'elle n'en soye
mye digne. Parquoy il la veult par ceste voye en ce monde guerredonner.
car tu as ouÿ dire comment sont couvers les secretz de dieu / si
n'appartient a personne de en juger pour chose qu'il voye tant luy apere
merveilleuse Et pour ce ne te dois empescher d'estat d'autruy / mais
pense de ton ame & de te gouverner sagement & faire tousjours bien ton
devoir / si le congnoistra bien dieu & tel maistre fait il bon servir
qui est tout saige tout bon & tout puissant & tout autre service n'est
que vent & empeschement. Et gardes bien sur quanques vers luy tu peulx
meffaire que ne muses a autruy par faulse envie en faict en dit ne en
quelconques pourchas / car tu te dampneroyes. posons que on le te eust
desservy. Car dieu ne veult pas que l'on se venge de tant que en as
pensé crie en mercy a nostreseigneur. & ne te chaille qui va devant ne
qui va derriere. qui soit en grace ne qui non. car de chose qui faicte
en soit tu n'en vauldras de riens pis. Et avec ce ceulx & celles qui te
verront ainsi gracieusement suporter l'orgueil & oultrecuydance d'autruy
sans en faire parolles ne semblans t'en priseront & aymeront mieulx. Et
si tu veulx garder ton reng entre les autres que il te appartient sans
vouloir supediter autruy si le gardes gracieusement. Mais prens toy bien
garde que ta conscience ne soit point blessee pour telz fatras / ne que
tu donnes cause a autruy de troublemens ne de empeschemens car le peché
en descenderoit sur toy. Telz & semblables sont les remedes que la saige
dame de court bien pourveue si peut mettre contre les pointures &
aguillons d'envie. Et de cestuy mauvais peché pour demonstrer comment
toute personne le doit fuyr dict ung saige: Je ne sçay fait il comment
toute creature raisonnable deboute de soy sur tous autres vices le peché
d'envie / car a adviser la qualité de tous les autres peches il n'y a
celluy qui en l'exerçant ou faisant n'ayt aucun delit comme en vaine
gloire ou orgueil ou a delit d'honneurs en gloutonnie plaisir ou menger
en charnalité delit de corps & ainsi aux autres / lesquelz plaisirs
pevent attraire la creature a les aymer quoy qu'ilz soyent l'ame
deffendus. Mais celluy dyabolicque peché d'envie il ne fait ne donne a
la personne qui plus en est souprinse nul plaisir ne mais dueil de
pensee & deffrichement de couraige triste et desguise de visaige
tourment qui perce l'ame & tous maulx & tous desplaisirs. Et a brief
dire encline a tous maulx & a toutes felonnies. ne autre bien ne rend a
son maistre cestuy infernal vice. Et que les envieux facent a haïr dit
contre eulx de rechief ung autre saige pleust a dieu que l'envieux eust
si grans yeulx qu'il peust veoir toute la prosperité & la joye qui est
esparse par tout le monde. & plusieurs gens a celle fin qu'il eust cause
d'estre plus tourmentés.



¶ Cy dit du quatriesme point qui est le deuxiesme des deux qui sont a
eschever. Et parle comment femmes de court se doibvent bien garder de
mesdire / et de quelle chose vient mesdit ne a quelle cause ne occasion.
Chap. .xxxii.


Nous venons au deuxiesme point qui est l'autre vice duquel la dame ou
damoiselle & femme de court & toute autre se doibt garder. c'est
assavoir du peché de mesdire. Et tout premierement pource que mesdit ne
peut estre excusé par nulle bonne raison / & aussi pour mieulx venir a
noz termes toucherons trois causes / dont communement il vient & sourt &
qui toutes sont communes a court & aucunesfois de toutes troys ensemble.
L'une des causes si est par hayne. la .ii. pour cause d'oppinion. &
l'autre pour pure envye. Si sont ces trois causes maulvaises / mais non
pourtant celle qui vient d'envie faict le moins a excuser. Et pource que
tous trois sont a eschever et que en nul cas mesdire ne est loisible /
ains est peché mortel tresdeffendu Car c'est contre des deux des
commandemens de dieu l'ung qui dit. Ne fais a aultruy ne que tu
vouldrois qu'il te fist. Et l'autre / ayme ton prochain comme toymesmes:
nous en dirons & enseignerons aux dessusdictes dames les remedes de s'en
garder. Et premierement toucherons sur la premiere cause qui est hayne &
sur ce formerons quattre principalles a demonstrer pourquoy par hayne on
ne doit mesdire d'autruy quelque injure que on ayt receue. On ne hait
point de fformee hayne communement si ce n'est a cause d'aucune injure
receue d'aultruy ou que on la se repute avoir receue soit a tort ou a
droit en la personne qui est ou qui se tient injuriee. Adonc est
tresencline par la haine & mal talent qu'elle porte de mesdire dont elle
se repute estre blessee comme quoy & a nostre propos qui est chose qui
souvent advient a court une dame ou autre femme de court sçaura que
aucunes gens ou certaine personne luy nuyra & la tiendra a la faire mal
de sa maistresse ou du seigneur ou des amys d'elle ou de la faire bouter
hors & par adventure viendra a son entente parquoy ladicte dame ou
damoyselle en perdra son service son bien & son estat / & par adventure
son honneur par les choses qui luy seront mises sus / peut estre sans
cause / & posons que a cause fust: si herra elle la personne qui ce luy
aura pourchassé: si mesdira n'est pas doubte a part et en publicque si
la personne n'est si grant qu'elle n'ose. Mais trop fort fera si
aulcunement n'en murmure / car le cueur luy deuldra trop & n'est
merveille en disant de ladicte personne mal & villennie & ce qu'elle
sçaura & ce qu'elle ne sçaura mye. Ceste cause de mesdire c'est assavoir
par hayne par quelque meffaict sembleroit a aucunes gens qu'elle peut
estre juste. mais sans faille non est. Et voicy nostre premiere raison
qui le demonstre. Dieu veult et commande expressement qu'on ayme son
ennemy & qu'on luy rende bien pour mal. & qui fait contre le
commandement de dieu se dampne & si ne gaigne riens: pourquoy seroit
mieulx son prouffit se taire. Item avec ce ung autre inconvenient luy en
vient / & est nostre .ii. raison c'est qu'il fait ou elle fait contre
son honneur / & voicy la raison. une personne de grant couraige jamais
ne mesdiroit de son ennemy / pource que elle scet bien qu'il pourroit
sembler aux gens que vengier se vouldroit de parolles laquelle chose est
la vengeance des gens de pou de puissance & de foible de cueur et de
quoy pou de saiges gens usent. Item la .iii. raison est que ceulx qui
orront mesdire aux hayneulx de son adversaire ou ennemy ne la croyront
mye / car ilz diront qu'i le dist par hayne si ne doibt estre creu. Et
la quarte raison est que la personne qui ja luy a nuy ou peu nuyre sera
de tant plus indignee contre luy quant dire orra qu'elle en mesdit / si
purra engreger l'injure & luy faire encores pis si seroit moins mal
recevoir ung desplaisir que deux. Et pource en concluant fut trop bien
comparé par exemple a mesdit ce qui est escript d'un qui vouloit prendre
guerre au ciel / & tiroit d'ung arc contre les nues et les fleches
retournoyent sur son chief & le navroyent. Tout ainsi le mesdit que le
haineux fait de son adversaire retourne sur luy & navre son ame & son
honneur / sicomme par les dessusdictes quatre raisons est demonstré.



¶ De mesmes comment femmes de court se doyvent bien garder de dire mal
de leur maistresse. Chap. xxxiii


La deuxiesme cause dont vient & sourt mesdit est de oppinion en telle
maniere ou semblable une personne aura oppinion que une autre soit
mauvaise ou deffaillant en aucunes choses ou en toutes / ou que elle ne
se gouverne pas bien en tous cas ou en aucuns & pour ceste cause sans
sçavoir la verité de la chose laquelle est par adventure toute autre
qu'elle ne la pense en mesjurera & mesdira abondamment et plainement a
petite consideration pour bien pou d'achoison. Et tel cas advient
communement par tout. Car sans faille a cause de oppinion et sans
sçavoir de certaine science mesdient plus ceulx qui ont la tache de
mesdire. Si n'est mye communement court de prince & de princesse sans
telz mesdisans / lesquelz a tel cause / c'est assavoir d'oppinion sans
plus n'espargnent ame / et mesmes ne maistre ne maistresse. Et pource en
parlant de ce vice chiet a dire du grant mal que fait toute personne qui
diffame & dit mal d'autruy & par especial de qui le paist & nourrist
dont il a son estat & son vivre / mais nonpourtant il advient a mainte
court que se les servans ou servantes ou ceulx ou celles qui y demeurent
voyent ou leur semble veoir en maistre ou maistresse tant soit petit
signe de quelque vice tantost a cause d'oppinion les chargeront de grant
langaige disant que la chose est faicte que ilz ont pensee. Et a nostre
propos parlant aux femmes quoy qu'il peut aussi bien aux hommes toucher.
Assés de femmes de court en mains pays est il de tous estatz que si
elles voyent leur dame ou maistresse sans plus parler bas a une personne
une fois ou deux ou quelque signe de priveté ou d'amitié ou quelque ris
ou quelque joyeuseté faicte par adventure par jeunesse ou ygnorance &
sans mal penser se ladicte maistresse se est tant soit petit joyeuse ou
en ses habillemens gente & propre qui sont choses qui a mainte personne
viennent de droicte condicion plus aux unes que aux autres tantost ilz
seront prestz d'en mesjuger. & non mye seullement en cestuy cas mais
aussi bien en tous autres dequoy par petite achoison aucunesfois
prendront quelque maulvaise oppinion de leur dicte maistresse mais du
mesjugement c'est du moins ilz feront pis / car pourtant se elle est
leur dame et qu'ilz soyent nourris repeuz & a beaulx gaiges de ses biens
que ilz facent ou qu'elles facent bien les obeissans les genoulx a terre
a grant reverence & assez de flateries si ne s'en tairont ilz mye / ains
diront leur advis l'une a l'autre & s'acointeront a conseil & a brief
dire seront tout ainsi que la maulvaise brebis qui est rongneuse donne &
depart de sa rongne aux autres / mais toutefvoyes bien se garderont que
leur maistresse ne l'apperçoyve ne oye & leur suffira mais que a elle
seulle soit celé & mesmement de ce que eulx ou elles luy accorderont &
soustendront disant que sera bien faict d'ainsi faire s'en mocqueront &
en parleront en derriere & y adjousteront plus qu'il n'y a & qu'il n'y
scevent assez de servans & de servantes le font aussi. mais a nostre
propos les dames damoiselles femmes de court qui ainsi le font trop
grandement mesprennent & font trop plus grant peché que se d'autres ou
d'entre elles mesdisoyent pour cinq principaulx raisons. La premiere
pource que de tant qu'elle est plus grant maistresse son honneur ou
deshonneur est plus renommé par tout pays que d'une autre simple femme
pource fait pis que la diffame car celluy diffame peut voller en maintes
contrees. La deuxiesme pource qu'elles font trahyson a qui ilz monstrent
bel semblant & obeissent. Tiercement ilz font contre leur serment qui
fut tel elles garderoyent son bien & son honneur. Quartement qu'elles
rendent mal pour bien a celles de qui & par qui sont soustenus &
nourries & ont leur estat. Et quintement que elles jugent autruy qui est
contre le commandement de dieu qui dit ne juges si tu ne veulx estre
juge. Et posons ores qu'elles sceussent tout clerement seur leur
maistresse sicomme ja est dit devant / & qu'elle fust une tresmauvaise &
perverse creature si ne la doibvent ilz diffamer ne entre elles ne
aultre part. car parolles ne sçauront ja estre dictes si celeement que
raportees ne soyent & elles sont tenues de garder son honneur & couvrir
sa honte & que se autres en oyent mal dire de abaisser les parolles &
l'excuser. Et en verité celles qui font le contraire font leur grant
deshonneur et les en doibt on mains priser ne excuser ne s'en pevent.
Car se tu nous dis je voy de quoy j'ay cause de parler & mesdire le
service n'est ne bel ne bon nous te respondons si t'en va s'il ne te
plaist. Et s'il te est besoing de servir parquoy ne t'en puisses aller
que trop grant prudence n'y eusses si tentais a tout le moins & fay
semblant que tu n'y voyes goute & que riens n'y apperçoys puis qu'il
n'est en toy d'y mettre remede ne quel ne te appartient fay bien et
loyaulment ce qu'il te appartient & de plus ne te mesle prie dieu qu'il
la vueille amender & luy doint congnoissance se tu y vois mal & se a
autre en oys parler abesse les parolles se tu peulz ou sinon t'en tays &
de ce seras tu mieulx prisee / mais ce que ja devant est dit certes il
va tout autrement Car dieu scet que maintes parlent de leur maistresse
qui le font plus par despit de ce que elles ne sont appellees au secret
et par l'envye que autres femmes en scevent plus que pour autre
precieuté ne cause. Mais toutesfois voicy ce que la bonne & loyalle dame
damoyselle ou autre de court fera qui vouldra user de bonne conscience &
aymera le bien & honneur de sa maistresse que elle verra dechoir de son
honneur & en peril de grant inconvenient si ne luy oseroit dire ne le
admonnester / elle s'en yra au confesseur de sa maistresse & non a autre
si luy dira secrettement & en confession ce que on dit d'elle & le peril
ou elle se met & le mal qui luy en pourroit venir luy priera pour dieu
qu'il luy monstre / & ne l'accuse mye.



¶ Cy dit comment il n'appartient a femmes de diffamer l'une l'autre ne
dire mal. Chapitre .xxxiiii.


Avecques ce que les femmes de court doyvent garder semblablement que dit
est de blasmer ne diffamer l'une l'autre pour le peché & autres causes
ja assignees / comme aussi que qui diffame autruy de secret que luy
mesmes soit diffamé. Car n'est pas doubte que la personne qui sçaura que
on le diffame diffamera aussi celuy ou ceulx qui le diffameront & le
deust controuver ne nul ne nulle n'est si juste qui doye dire je ne
crains ame que pourroit on dire sur moy je me sens net ou nette pource
puis parler des autres hardiement / mais c'est follement penser a ceulx
et celles qui ainsi le cuident / car par tout a a redire & quelque
maniere & ce tesmoigne l'escripture qui dit il n'est homme sans crime
c'estadire sans peché & ce tu n'as ung vice tu en as ung autre par
adventure pire ou deux ou trois & si tu ne lisoyes bien en ta conscience
tu y trouveroyes assés a redire. car pourtant si ton pechié est secret
au monde n'est il pas a dieu mucé & luy seul scet qui est bon pelerin.
Et avec ces choses c'est trop grant honneur que aval la ville ou autre
part on puisse dire les dames & femmes de court mesdient trop bien l'une
de l'autre j'ay ouÿ dire a telle dame ou damoiselle tel chose et telle
de tel autre. Car court de princesse en tel cas doit estre ainsi que une
abbaye bien ordonnee dont les moynes ont serment que aux seculiers ne
dehors ne diront riens de chose qui adviengne entre eulx ne de leurs
secretz tout ainsi se doivent aymer & porter l'une l'autre comme seurs
dames & femmes de court non mye tencer ensemble es chambres des dames ne
de traire en derriere comme feroyent harengieres. Car telles choses sont
trop mal seans a court de princesse & ne les devroit on souffrir. Nous
avons cy devant que la troiziesme cause qui fait mesdire est envye & que
c'est celle qui fait le moins a excuser. C'est assavoir est la plus
mauvaise & la plus loing de droit & de toute raison & il est vray car se
le haineux mesdit de celluy qui luy a meffait c'est chose naturelle que
chascun dueille de sa blessure & si dieu ne le deffendoit par la raison
susdicte selon droit sensuel te seroit chose juste aussi qui mesdit par
oppinion se peut aucunement fonder sur aucune apparence ou couleur qui
luy appert comme il luy semble de ce qu'il dit / mais qui mesdit par
envye il n'a autre cause ne mais pure mauvaistie qui est & habonde en
son courage & pource est le plus dampnable a celle ou celluy qui le dit
& le plus perilleux a celluy ou celle de qui il dit que quelzconques
autres mesdit. Car oncques morsure de serpent coup d'espee ou autre
pointure ne fut venimeuse ne si perilleuse comme langue de personne
envieuse / car elle frape & tue souvent soy & autre & aucuneffois en ame
& corps. Car se nous y voulons regarder beau sire dieu quans royaulmes
quantes contrees & quantes bonnes personnes ont esté destruyctes par
maulvais rapors dont le fondement venoit & sourdoit d'envie a merveilles
nous en trouvons plusieurs exemples lesquelz je laisse pour briefveté.
Et que il est vray que le mesdit de l'envieux viengne par pure
mauvaistie sans autre achoison il y pert. Car dequoy a deservy celuy ou
celle qui est bonne personne ou qui a plusieurs des biens de grace de
nature & de fortune que on die mal de luy ou que il luy pourchasse
encombrier pourtant se ces choses luy viennent bien ou se il est eureux
& bien fortuné cestuy mesdit ne vient de nul droit pource concluons ce
que dit est devant c'est assavoir de pure mauvaistie il vient / &
pourtant est le plus dampnable & de ceste envye pource que cy devant en
est assez parlé au quatriesme & cinquiesme chapitre de ceste deuxiesme
partie n'en dirons plus & suffise a tant quant a parler des dames
damoiselles & femmes de court.



Cy parle de dames baronesses la maniere du sçavoir qu'il leur
appartient. chap. .xxxv.


Or advient a parler aux dames et damoiselles qui demeurent en chasteaulx
ou en autres manoirs sur leurs terres ou en villes fermees ou bours / si
nous fault adviser que nous pourrons dire qui leur soit propice. Et
pource que leurs estatz & puissances soyent differens nous convient
parler en aucunes choses differentement c'est assavoir de l'estat ordre
& maniere de leurs vivre / mais quant aux meurs et biensfaitz vers dieu
tout leur affiert ce que dit est devant aussi bien que aux princesses &
dames de la court. C'est a entendre ensuyvir les vertus & fuyr les vices
si le pourront la veoir si leur plaist. & pource que en diverses
seigneuries sont demourans plusieurs puissans dames. Sicomme baronesses
& grans terriennes qui pourtant ne sont pas appellees princesses lequel
nom de prince n'affiert estre dit ne mais des emperis des roynes & des
duchesses se ce n'est aux femmes de ceulx a qui a cause de leurs terres
sont appellees princesses par le droit nom du lieu sicomme il en a en
ytalie & ailleurs & quoy que les contesses ne soyent mye en tous pays
nommees princesses / mais pource que suyvent assés le renc des duchesses
selon la dignité des terres entendons d'elles ou nombre dessusdit des
princesses parlerons icy premierement ausdictes baronnesses dont assés y
a en france en bretaigne & autre part qui passeroient en honneur &
puissance moult de contesses est il quoy que le nom de baron ne soit si
hault que de conte / mais moult est la puissance grant d'aulcuns barons
a cause de leurs terres & seigneuries & la noblesse qui y est dont leurs
femmes tiennent moult grant estat & a dire d'icelles ce que a leur
gouvernement appartient est assavoir qu'il affiert trespeciallement a
baronnesses qu'elles soyent saiges & prudentes & plus communement que
les autres femmes. Si nous convient deviser comment s'estendra son
sçavoir / ce que elle se sache entendre de toutes choses / car dit le
philozophe que celluy n'est pas saige qui ne congnoist aucune chose de
chascune part. Et aussi luy appartient a avoir sicomme couraige d'homme.
Si n'est mye a dire que elle doye estre nourrie trop en chambre ne soubz
grans & feminines mignotes. Or est a parler des causes [qui nous
meuvent. Il n'est pas doubte que il apertient a tout baron, se il veult
estre honnourez en son degré, que le moins du temps demoure sus ses
manoirs et en son propre lieu, car suivre armes, la court de son prince,
et voyagier sont ses offices. Or demeure la dame, sa compaigne, laquelle
doit representer son lieu: quoy que il ait assez baillis, prevosts,
receveurs et gouverneurs, il affiert que souveraine soit sur tous. Et
pour ce convient ce faire: veult selon son droit que elle se gouverne
par tel savoir que craintte soit et aussi amee. Car c'est la meilleur
craintte qui soit que celle qui vient d'amour, si que dit est devant, et
que ses hommes puissent recourir a elle pour tous reffuges aprés le
seigneur, et en cas que on leur feroit aucun tort: et pour ce est droit
que elle sache de toutes choses, afin que en chascun cas puist donner
response convenable. Soit toute enseignee et aprise des usages, drois et
coustumes du lieu, et quelz choses y apertiennent; bien enlangagee,
haultaine, se besoing est, par bonne discrecion contre ceulx qui la
vouldroient mespriser ou qui aucunement seroient rebarbatis et rebelles,
et doulce, humble, et charitable vers les gens obeissans; si doit ouvrer
par les gens du conseil de son seigneur en tous ses fais, et oïr les
opinions des anciens sages afin que elle ne soit reprise de chose que
elle face ne que on ne die que elle vueille ouvrer de sa teste. Nous
avons dit aussi que elle doit avoir cuer d'omme, c'est qu'elle doit
savoir des drois d'armes et toutes choses qui y affierent afin que elle
soit preste d'ordonner ses hommes se besoings est, et le sache faire
pour assaillir et pour deffendre se le cas s'y adonne; prendre garde que
ses forteresses soient bien garnies; se elle est en aucun doubte ou avis
que elle entrepregne aucun fait, essaie ses gens et sache de leurs
courages et voulentez ains que trop s'y fie, regarde quelle puissance
elle a de gens et quel secours puet avoir se besoing en a; et que elle
en soit certaine, non mie se attendre en vain ne en foibles promesses,
prengne garde comment pourra fournir ains que son seigneur viegne, et
quel finance elle a et puet avoir pour ce faire; se garde le plus que
elle pourra de grever ses hommes, car c'est chose de quoy on acquiert
trop leur haine; parle hardiement et constamment a ses gens de ce qui
sera deliberé par son conseil a faire, non pas die hui une raison et
demain une autre; donne par ses bonnes et belles paroles courage aux
gens] d'armes & a ses hommes d'estre bons & loyaulx et de bien faire
ainsi & par tel voye sont ces manieres convenables a tenir a la saige
baronnesse son mary estant dehors se il luy en a donne la charge & la
commission se il advient que aucun autre baron ou puissant homme luy
vueille faire quelque chalenge d'aucune chose. et avecques ce luy sont
expedians & propices les manieres que avons ja devisees cy devant ou
chap. des princesses vefves lesquelles choses par une autre raison luy
sont prouffitables a aprendre & que elle sache tout le fait de son
gouvernement si que dit est / des le vivant de son mary / c'est assavoir
que se vefve demouroit qu'elle ne fust pas trouvee ignorante de sçavoir
son estre si que chascun la voulsist fouler et emporter sa piece.



¶ Cy devise la maniere comment il appartient que les dames & damoiselles
qui demeurent sur leurs manoirs se gouvernent ou fait de mesnage. chap.
.xxxvi.


Que autre maniere d'estat & de vivre appartient aux simples dames et
damoiselles demourans es fors ou sur leurs terres dehors les bonnes
villes que aux baronnesses mais nonpourtant pource que semblablement que
les barons et encores plus communement les chevaliers escuyers & gentilz
hommes voyagent & suyvent guerres est convenable a leurs femmes qu'elles
soyent sages de grant gouvernement & voyent cler en leurs faitz pource
le plus de temps elles demeurent a leurs mesnaiges sans leurs marys qui
a court sont ou en divers pays. si convient qu'elles ayent tout le soing
de gouvernement & faire valoir leurs revenues et leurs meubles. Si
appartient a chascune dame de tel estat s'elle veult user de sens
qu'elle sache combien monte par an & vault la revenue de sa terre. Et
doit tant faire s'elle peut ceste saige dame vers son mary par doulces
parolles & bons admonnestemens que ilz advisent ensemble & disposent de
tenir tel estat comme leurdicte revenue pourra fournir / & non mye si
grant par dessus que au bout de l'an se treuvent en debtes vers leurs
maisgnies ou autres crediteurs Car sans faille ce n'est point honte de
tenir estat selon sa terre ou rente soit ores petit. Mais c'est honte de
le tenir si grant que les debteurs viennent tous les jours crier &
braire a l'ostel & lever les basteaux telle fois ou qu'il conviengne par
necessité qu'on griefve ses hommes ou ses hostes ou qu'on face quelques
autres extorcions il appartient a telle dame ou damoiselle / qu'elle
soit toute aprinse es droitz des fiefz d'arriere fiefz de censives &
droictures de champars de prises de plusieurs mains / et de toutes
telles choses qui sont en droit de seigneurie selon les coustumes des
pays / affin qu'elle n'y puisse estre deceue. Et pource qu'il est tout
plain de gouverneurs de terres & de jurisdicions de seigneurs qui
voulentiers trompent doit estre de tout ce advisee & bien s'en prendra
garde & ne luy sera point de deshonneur s'elle se congnoist en comptes &
que souvant les oye & vueille sçavoir comment iceulx se gouvernent vers
ces choses ou hommes qu'ilz ne les trompent ne griefvent oultre raison.
Car ce seroit a la charge de l'ame de son mary & d'elle ou fait des
amendes aux povres gens doit estre pour l'amour de dieu plus piteuse que
rigoureuse. Avecques ces choses luy affiert a estre tresbonne
mesnagiere. & qu'elle se congnoisse en labour & en quel temps et en
quelle saison on doit donner aux terres & aux labourages les façons / de
quelle maniere est le meilleur que les talons aillent selon l'assiete du
gueret s'il est en païs sec ou moiste & de la profondeur et qu'ilz
soyent droitz & vivement fais semés a point de telz grains que les
terres desirent et pareillement se congnoistre au labour des vignes se
c'est pays ou il y ait vignoble se doit garder qu'elle ait bons
laboureux & maistres en tel office / & ne prengne pas gens qui changent
maistre de terme en terme / car c'est mauvais signe ne trop vieulx / car
ilz seroyent paresseux & foibles / ne trop jeunes. car trop seroient en
jeux / si soit soigneuse de les faire lever matin / ne s'en attendre a
nul s'elle est droite mesnagere / ains elle mesme se lieve et affuble
une houppelande / voise a sa fenestre & huche tant qu'elle les voye
saillir dehors. car de ce sont ilz le plus volentiers paresseux / se
voise souvent esbatre aux champs veoir comment ilz labourent. Car assés
en est il qui voulentiers se passeroient de grater sans plus la terre
par dessus pour eulx en delivrer s'ilz cuidoient qu'on n'y prenist garde
et qui bien se scevent dormir aux champs soubz l'ombre d'ung arbre et
laisser leurs chevaulx du labour ou les beufz entandis paistre en ung
pré et ne leur chault / mais qu'ilz puissent dire au soir qu'ilz ont
fait leur journee. Et pource la saige mesnagiere s'en prendra garde.
Avec quant les bledz seront sur leur meurir des le mois de may
n'attendra pas la cherté / mais baillera son aoust a soyer a compaignons
bons fors & diligens / a eulx marchandera & composera a argent ou a bled
Et quant viendra au temps qui seront en telle office se prendra garde
qu'ilz ne laissent riens derriere eulx ou qu'ilz ne facent assez
d'autres faulcetés que telz gens scevent bien faire qui n'est dessus &
semblablement es autres labours se lievent voulentiers matin car en
l'hostel ou la dame gist communement grande matinee a peine ira bien le
mesnage / voise aval l'hostel assez trouvera commander. car peu chault a
mesgnie communement comment voise qui n'est dessus / face mettre les
bestes hors a heure. prengne garde au bergier comment il les gouverne. &
s'il en est maistre / & qu'il ne soit despiteux / car il les font
nourrir quant ilz veullent en despit de la maistresse ou du maistre / &
quelles soyent nettement tenues gardees de trop ardant soleil & de pluye
garies de la rongne / elle yra s'elle est saige souvent au toyt avecques
une de ses femmes veoir comment on les ordonne. & ainsi sera le bergier
plus songneux qu'il n'y ayt que redire. en fera bien penser au temps
qu'elles devront agneler. & prendre grant soing des aigneaulx car
souvent se meurent par faulte d'en penser. sera songneuse de lever des
nourritures / soit present au tondre & que ce soit en saison. En ces
hostelz qui seront en pays ou il aura grans praries & herbaiges tiendra
grant foison bestes a cornes. & se foison a avaines qui pou se vendent
tiengne des beufz en creche dont fera grant argent quant seront gras /
s'elle a bocaiges la tiendra haras qui est prouffitable chose a qui bien
s'en scet chevir advisera en yver que les gens sont a bon marché adonc
leur fera coper ses saussoyes ou couldroyes & faire des eschaillas pour
vendre en la saison aussi embesongnera les varletz a coper bois pour le
chauffage de l'hostel ou deffricher quelque champ & s'il fait trop fort
temps les fera batre en granche / & ainsi jamais ne les lerra oyseux.
Car il n'est chose plus gaste en ung hostel que mesgnie oyseuse. Et
semblablement embesongnera ses femmes les chamberieres de penser du
bestial de faire a menger aux laboureux & des letaiges sarcler les
courtilz aller a l'herbe & estre crotees jusques aux genoulx / elle ses
filles & damoiselles s'embesongnera de draper de trier celle laine &
sortir. mettre les coletz & la fine a part pour faire fins draps pour
son mary & pour elle & pour vendre se mestier est. des gros pour les
petis enfans & pour ses femmes et maignie fera des couvertures de gros
bourions de la laine. & des fumiers fera cultiver des chanvres que
toilleront & filleront au soir en yver ses chamberies pour faire des
grosses toilles Et toutes telz choses & autres semblables qui trop long
seroit a dire en plat pays ont mestier a mesnage / & celle qui plus en
est diligente quelque grande qu'elle soit fait le plus que saige & en
doit estre treslouee / & ceste voye tenir a saige mesnagiere rend
aucunesfois plus de prouffit que la droicte revenue de la terre /
sicomme le sçavoit bien faire la saige mesnagiere contesse de Eu mere du
bon jeune conte qui mourut en voyage de hongrie qui n'avoit point de
honte de se employer en tout honneste labeur de mesnaige tant que plus
valoit par an le prouffit qui yssoit que toute la revenue de sa terre.
Et de telle femme se peut bien dire la louenge que recite l'espitre de
salomon de la saige femme.



¶ Cy devise de celles qui sont oultrageuses en leurs habitz atours &
habillemens. Chap. .xxxvii.


ET pource que nous avons touché au chap. sidevant que les dames &
damoiselles demourans dehors sur leurs manoirs & heritages doivent
adviser & conseiller leurs maris de leur estat. C'est assavoir: que plus
grans ne seront tenus que leurs revenues peut fournir. Nous semble bon
admonnester a celles qui saigement veullent vivre & ensuyvre nostre
doctrine qu'elles se veullent garder des superfluités & oultrages que
aucunes font par especial en deux choses venues a cause de grant orgueil
qui court entre plusieurs d'elles quoy que ailleurs soyent assez
communs / mais pource que nostre present propos chiet en la matiere &
que iceulx vices & deffaulx pevent tourner a grant prejudice de leurs
ames et ne sont bons ne beaulx mesmes au corps en parlerons / l'ung est
des tresoultrageux atours & habitz qu'ilz prennent / & l'autre des
harnois qu'ilz font d'aller l'une devant l'autre ensemble sont. Et
premierement de ce qui touche aux habitz a declarer que celles qui tant
se delictent mesprennent n'est pas doubte que par les belles anciennes
coustumes les habitz des roynes n'osassent prendre les duchesses / ne
ceulx des duchesses les contesses. ne ceulx des contesses les simples
dames / ne ceulx des dames les damoiselles / mais a present que tout est
desordonné y pert comment tout va. car il n'y a es habitz ne es atours
rigle tenu / car qui plus en peut faire de quelque estat que ce soit
soyent femmes ou hommes leur semble qu'ilz besongnent le mieulx & tout
ainsi que les brebis suyvent l'une l'autre / s'il y a aucun homme ou
femme qui voye faire a autre quelque oultrage ou desordonnance en habit
tantost les autres le suyvent & dient qu'il fault faire comme les
autres / mais ilz dient voir il fault que ung autre oultrageux suyve ung
autre oultrageux. mais se la plus grant partie des gens estoient bien
amoderés & de bon sçavoir on ne suyvroit point l'un l'autre en faisant
de riens oultraige / ains celluy qui l'auroit commencee en seroit moins
prise & demouroit seul en la follie. Je ne sçay quelle plaisance ce peut
estre & n'est que faulte de sens qui ainsi abuse les creatures / car par
telz oultraiges d'estat d'abitz on n'en est de riens mieulx prisé / mais
moins de ceulx & celles qui ont sens car il n'est plus grant mocquerie
que de veoir a personne qui quelque soit grant & oultrageux estat & on
scet bien qu'il ne luy appartient ou qu'il n'y a dequoy le maintenir et
le temps est ores venu que on ne voit autre chose. Et se telz gens ont
de la povreté par decoste que mal leur en prengne on ne les doibt pas
plaindre car plusieurs en desertent et mettent a povreté par telz
oultraiges qui fussent bien ayses se amoderement voulsissent vivre. &
plus grant honte y a a plusieurs des debtes que souvent sont a
cousturiers peletiers drapiers & orfevres desquelz sont a la fois
executés & fault qu'ilz baillent une robe en gaige pour avoir l'autre.
Et dieu scet se on leur salle bien ce qu'ilz prennent a creance & la
denree leur couste au double. Et ces choses nous disons pour ceulx &
celles qui le font en cuidant par celle voye surmonter leurs voisins.
mais ce fait tout l'abondance du grant orgueil qui regne au jourd'huy
sans faille plus que oncques mais / car a nul ne suffit son estat ains
vouldroyent chascun sembler ung roy / & sera force que tel orgueil dieu
punisse quelque fois lourdement. car il ne le peut souffrir. Et n'est ce
pas grant oultraige voirement & chose superflue ce que comptoit l'autre
jour ung taillandier de robes de paris qu'il avoit fait pour une dame
simple qui demeure en gastinois une cotte hardie ou il a mis cinq aulnes
a la mesure de paris de drap de brouxelles de la grant moison / et
traine bien par terre trois quartiers de queue & aux manches a bonbardes
qui vont jusques aux pedz / mais dieu scet se selon cest habit comment
large atour & haultes cornes qui est en verité ung tres layt habillement
& qui messiet n'est pas doubte a qui cler y voit / le moyen est le plus
doulx & le plus plaisant: Et cecy est quant aux dames de france / car es
autres pays se tiennent plus longuement communement les coustumes que
ont tant hommes que femmes en leurs habillemens non mye changant de an
en an comme icy qui va tousjours en croissans oultraiges. Mais encores
comme il nous semble sont plus a priser les habillemens de ytalie par
especial & d'aucuns aultres lieux voire quant a la coustange car quoy
qu'ilz soyent de plus grant veue couvers de perles d'or & de pierrerie
si ne coustent ilz point tant car c'est chose qui dure et se peut mettre
de robe a autre. Mais telz oultraiges de draps & de pennes trainans se
usent & fault tantost des autres. Et semblablement des atours des testes
sont plus beaulx les leurs. Car il n'est au monde plus gracieulx atour a
femmes que beaulx cheveulx blons. Et ce mesmes tesmoigne assez saint
paul qui dit que cheveulx est le parement des femmes.



¶ Ce parle contre l'orgueil d'aucunes. Chap. .xxxviii.


Mais l'orgueil de ces habitz dessusditz suyt ung aultre oultraige.
certes moult desplaisant a qui droit y vise / c'est le harnoys que
plusieurs font quant es compaignies a nopces & assemblees de femmes
d'aller l'une devant l'autre / dieu scet les envies qui pour ceste cause
sourdent / & les mautalens / & mesmement en laissent plusieurs y a a
acointer l'une a l'autre & faire amytiés ensemble pensant. se je
acointoye celle la qui se tient grande il conviendroit que je allasse au
dessoubz d'elle & que devant moy fust mise / si ne le pourroit mon cueur
souffrir. pource n'iray je point en sa compaignie. Et ainsi pour celle
cause font plusieurs femmes tant estranges l'une de l'autre qu'elles se
entreregardent es compaignies par dessus l'espaulle comme s'elles
voulsissent / dire. celle la ne me vault mye. Et ce tour scevent bien
faire mesmes a paris assez en est il dont qu'elles soient venues mais
que leurs marys soyent ung pou montés par quelque office de roy. mais
qui pir est encores a parler d'icelles dames & damoiselles ou autres de
ce qu'elle en font en l'eglise de dieu auquel lieu par especiaulté doit
estre eschevé tout peche qui plus est grief & grant quant il est fait ou
pensé la que autre part / car c'est la place d'oraison au service de
dieu le createur. sicomme luymesmes tesmoigne en la saincte evangille.
Le harnois qu'elles font de aller a l'offrande l'une devant l'autre qui
est tel & si oultrageux. Et plus est encores ceste coustume maintenue en
picardie & bretaigne que en ceste france. Car on a veu mainte fois
d'aucunes tant oultrecuydees que pour celle cause se prenoyent aux mains
en l'eglise mesmes & s'entrefaisoient & disoyent de grans oultrages. Et
semblablement de prendre le paix. Mais pis y a que les maleureux maris
voire de telz y a la nourrissent & introduisent en celle folie & le
veullent / ou autremens se ainsi ne le faisoient ilz se courrousseroyent
a elles pensant. Je suis plus gentilhomme que tel / si doit ma femme
aller devant la sienne. Et l'autre repensera. Mais moy suis plus riche
ou plus grant en office ou pareil. si ne souffriray point que sa femme
prengne l'honneur devant la mienne. Et par ainsi aucuneffois que pour
ceste cause mesmes les folz hommes s'en entrebatent. Ha dieu quelz
oultrages & quelle faulte de sens & sans faillir on ne deveroit point
souffrir entre crestiens telz oultraiges. Et les curés & prestres ou les
evesques mesmement qui plus ont puissance se les simples prestres
n'osent deveroyent deffendre en leurs jurisdicions telles injures faire
par especial en l'eglise. Car en verité mieulx vauldroit que telles
femmes fussent en leurs maisons que de mener la faitz si oultrageux. Et
les prestres qui a telz boubans les voyent venir a l'autel par semblant
d'offrir a dieu a elles offrent au prince d'enfer qui est pere d'orgueil
se deveroient tourner a n'attendre leur offrende & semblablement de la
paix on leur deveroit attacher a ung clou & l'alast baiser qui
vouldroit. Et sans faille celles dont nous parlons baisent bien l'oustil
que on dit paix / mais pourtant ne la prennent mye ains prennent guerre
puis que leur cueur en est en rancune par l'eslevance de grant orgueil
Et c'est certes une mauvaise & laide coustume d'ainsi s'entreenvoyer la
paix a la messe comme on fait & ung grant destourbier & empeschement de
devotion car tel l'envoye a ung autre qui auroit grant despit s'il la
prenoit Et que vallent donc telz serimonies. Car puis que elle signifie
la communion de paix qui doit estre entre crestiens aussi bien
appartient elle aux petis comme aux grans. Et les choses qui sont de
dieu toute personne a qui elles viennent ne les doit refuser pour
envoyer a ung autre. Et vrayement a tout dire telz coustumes sont a
reprouver entre crestiens. mais pource qu'il ne souffist mye dire de sa
maladie qui ne touche & parle du remede a la curer qui sans faille pour
oster l'enfleure de tel orgueil acoustume a maintenir en ceste maniere /
laquelle chose grant charité et bien seroit pour le prouffit des dames
de plusieurs* si que ja avons touché cy devant que les evesques se
penassent d'oster ces laides coustumes en telle maniere que ilz
excommuniassent aprés la deffence tous ceulx & celles qui maintenir le
vouldront & grant bien seroit. et a parler des creatures qui se veullent
par arrogance eslever en si fais boubans certes grans folye les y
conduyt. Car homme se tu veulx bien adviser la misere de ton
commencement / ou tu es / ou tu yras tu n'auras cause de toy orgueillir.
Et se tu veulx dire que ce fait gentillesse qui te conduyt & maine a
desirer telz honneurs nous te faisons assavoir que il n'est noble si n'a
aultre gentillesse ne mais des vertus & des bonnes meurs & se tu ne les
suis et as en toy qui que tu soyes ne n'est point gentil ne gentillesse.
Et se tu le cuides estre folle opinion te deçoit. Et ce mesmes
tesmoignent tous les sains docteurs qui a ce propos ont parlé en disant
que celuy n'est pas le plus grant qui plus est eslevé en estat. mais
celuy qui est le plus vertueux. Et saint augustin au livre des parolles
de nostreseigneur nommeement parlant a vous. C'est assavoir a ceulx qui
cuident estre nobles seulement pour le sang & ne font force des vertus.
O fait il gent deceue par cuider / vous vous delictes en haultesse &
estre reputés grans & trenchiés a y monter / mais vous n'en sçavés pas
bien le chemin ains vous y forvoyés / car vous cuidés attaindre & monter
hault & vous descendés par ce que le premier degré ou voulés asseoir
vostre pié est orgueil qui est tresbasse & vile fosse / mais je vous
adresseray mieulx au degré par ou on monte se croyre me voulés. C'est le
degré d'humilité qui est le premier & puis les autres vertus ensuyvant &
ce par la montés vous serés tresnobles & yrés tant hault que vous
vouldrés sans que nulle mauvaise fortune vous puist nuyre. Aprés ces
choses reste a parler des dames & damoiselles qui demeurent aux bonnes
villes & es cités fermees affin qu'en difference de toutes pensions dire
quelque chose qui a l'acroissement de leur bien & honneur puist estre.
Si est assavoir qu'il advient aulcunesfois & souvent que les gentilz
hommes marient de leurs filles a de riches hommes demourans es cités &
bonnes villes. dont les ungs sont chevaliers ou officiers du roy. les
autres bourgois ou grans marchans. Et celles ne sont pas tousjours le
pis mariees s'elles le veullent prendre en gré & se oppinion ne les
deçoit / mais il advient aucunesfois a d'aucunes par faulte de sens et
habondance d'orgueil que elles ne s'en tiennent par pour contentes / par
ce qu'elles reputent leurs maris villains envers elles qui est grant
folie si que ja est prouvé si devant / car nul n'est villain s'il ne
fait vilenie ne gentil s'il n'est vertueulx / & pource se elles sont
nobles & gentilz femmes le doivent monstrer par bonnes meurs & oeuvres
vertueuses. Car si que il est contenu ou livre de ecclesiaste Se tu es
grant & tu te humilies de tant croistra plus ta grandeur & ton honneur.
Car de tant seras tu mieulx prisé. A propos icelles gentilz femmes de
tant que plus se humilieront devant leurs marys en obeissance &
reverence & la foy que mariaige requiert de tant plus croistra leur
honneur. Car quoy qu'il appartiengne a toutes femmes la faire encores
icelles plus que les autres en seront prisees. Et se es compaignies des
autres femmes sont trouvees courtoises humbles & humaines & a leur
maisgnie non trop maistriseuses ne trop curieuses de grant service
entour elles & a toutes gens amiables & benignes de honorable port
maintien & habit sans oultrage elles seront de bon exemple aux autres
femmes & dira l'en d'elles ce qui est dit au proverbe commun Qui des
bons est souef flaire.



¶ Cy devise des manieres qui appartiennent a dames de religion. chap.
.xxxix.


Pource que nous avons parlé a la doctrine des dames & damoiselles /
auquel estat noble les dames de religion de qui qu'elles soyent nees
pour reverence de dieu a qui elles sont donnees & mariees pevent bien
aller ou renc voire devant toutes a droit juger quant a honneur / pour
reverence de leur espoux & d'ordre de religion qui est entre les estatz
selon dieu de moult grant hautesse. Et affin que nostre doctrine soit
generalle en tous les estatz des femmes parlerons a elles en ramentevant
la forme de leur vivre. Laquelle nous disons il est vray / doit estre
fondee sur sept principalles vertus desquelles vertus parlerons selon
les ditz de jhesucrist & le tesmoignage des saintz docteurs. Et est a
entendre que par la louenge des vertus sont les vices blasmes. Car se
bien faire est bien il s'ensuyt que mal faire soit mal. Et pource que
c'est plaisant chose d'oïr parler du bien et du mal. Nous plaist pour la
reverence du sainct ordre tenir ceste forme en cestuy procés. Si disons
ainsi a vous dames de religion combien que les leçons de vos status et
rigles de tenir et ensuyvir les institucions establies par voz premiers
fondateurs le vous notent & enseignent assez ne vous soit grief oÿr de
rechief recorder par nous vos aymes si vous plaist les principalles
vertus qui vous conviennent & sont necessaires / lesquelles sont sept
especialles. C'est assavoir la premiere obedience sur laquelle est
fondee toute ordre. La .ii. humilité. La .iii. sobresse. La quarte
pacience. La .v. sollicitude. La .vi. chasteté. La .vii. concorde &
benivolence. Et d'icelles nonobstant que nostre parolle s'adresse a
entre vous religieuses doit estre entendu que semblablement y pevent
tendre l'oreille toutes femmes & prendre ce qui peut toucher a leur
proffit. Et aussi se aucune gouste ou miette en peut cheoir sur les
hommes ne la vueillent pas despris escourre ne gecter la aval. Car bonne
doctrine se peut comparer au bon & loyal amy. Lequel quant il ne peut
ayder aumoins ne nuyst il point de ceste vertu d'obedience surquoy
religion est fondee ne povons dire plusgrant louenge que ce que la
saincte escripture mesmes en dit de nostreseigneur que il mesmes
l'approuvant en sa personne qu'il fut trouvé obedient jusques a la mort.
Si est a entendre obedience en trois choses principalles. C'est assavoir
obeir a dieu en tenant ses commandemens car devant elle ne doit aller
quelconque autre puis aux loys establies & aprés a son souverain. Si est
doncques ainsi que la religieuse doit souverainement garder les
commandemens de dieu. Aprés tenir la loy establye de son ordre qui est a
entendre les pointz & rigles. Et tiercement obeir a son abbeesse ou
prieure. Quant est du premier chascun scet assés quiconques trespasse
commandemens de dieu il peche mortellement. Mais pource que ordre de
religion est plus digne que autre estat & plus grant degré peche plus
mortellement religieux ou religieuse si chiet en pechié que autre ne
fait & y a plusieurs causes dont l'une est ja dicte. C'est assavoir
pource que ilz sont en plus saint estat tout ainsi que pis seroit le
chambellan du roy s'il commettoit quelque crime contre la magesté que ne
feroit celuy qui au roy n'auroit foy ne fiance ne aucun office. Aprés
qu'elles feroient contre leurs veulx qui tous touchent que dieu
serviront singulierement de toute leur force & qui peche ne le sert
pas / ains fait tout le contraire Si devés bien garder entre vous dames
que vous ne trepassés nulz des pointz de vostre ordre. Car durement
pecheriés & tel chose a vous seroit pechié qui aux seculiers ne le
seroit mye pource que ce seroit contre vos institucions a qui
desoberiés. Avecques ce les commandemens de vostre soubz prieure ne vous
doibvent estre griefz pensant la grant merite que en obeissant
humblement acquerés La deuxiesme vertu est humilité sans laquelle se
toutes autres aviés ne pourriés a dieu plaire. Et que ceste vertu soit
aggreable a dieu tesmoigne la saincte escripture que l'humilité de la
vierge marie plus agrea a nostre seigneur que mesmes sa virginité Et
comme elle luy fut agreable le tesmoigne elle mesmes en sa chançon de
magnificat ou elle dit il regarde l'umilité de son ancelle. Et certes
qui vouldroit bien espeluchier & cuillir les louenges de ceste vertu
d'umilité ce que la saincte escripture en dit seroit si comme une
droicte abisme. La tierce vertu est sobrieté en laquelle est contenue
abstine. Et a demonstrer qu'elle vous soit convenable le certifierons
par les parolles de saint augustin ou livre aux sainctes vierges ou il
dit que sobresse est la garde & tutelle de la pensee du sens & de tout
le corps. C'est la custode de chasteté / c'est la voisine de vergongne
la compaigne de paix & d'amistié & l'ensevelissement de tous vices. Item
oregenes de ce mesmes dit que tout ainsi que yvresse est la naissance de
tous vices / aussi sobrieté est la mere de toutes vertus. Pacience en la
quarte qui pourroit tous racompter les grans biens de ceste vertu. Mais
pour tout dire ainsi comme il appert par la vie de nostreseigneur qui en
voult estre le droit acteur si pevent appeller les paciens drois filz de
dieu. Et pource les appelle l'evangille beneurés. Car pour eulx
proprement est le royaulme des cieulx. La quinte vertu qui a religieuse
convient est solicitude ou diligence. Et pour mieulx declarer que elle
luy soit convenable sans que nous querons aultres preuves de ceste vertu
dit saint hierosme sur le psaultier qu'elle vint ce qu'il dit &
suppedite nature par vertueuse diligence affin que les haulx biens ne te
soyent empeschés c'est que tu faces tant que tu maistries mesmes le
sommeil corporel & tous tes sens lesquelles choses tu peulz faire par
diligence. Car mesmes nature peult estre maistrisee et domptee par celle
vertu / c'est a dire par grant cure de vouloir attaindre a gouverner
selon l'esperit son propre corps / lesquelles choses sont necessaires a
bonne religieuse. La sixiesme vertu est chasteté a laquelle se conforme
toute honnesteté tant d'abit & atour comme de parolles et de maintien.
Si vous deffend ceste vertu se a droit la voulés tenir tout vestement &
atour ou il ait tant soit petit de mondanité ne curiosité. ains soit
tres simple et honneste chascune selon son ordre et est contre aucunes
qui veullent estre jolies en leurs vestemens & atours estraintes
espinglees / laquelle chose est treslaide & lubre a dame de religion ne
plus deshonneste chose a veoir ne nulle autre que femme de religion en
habit desordonnee. Mais encores croist trop plus le mechief quant
aucunes veullent dancer baler ou jouer a jeux balufres & entre hommes
certes se me semble ennemys ainsi transfigurés ne riens n'est plus lait
ne plus abhominable que vos parolles se elles se desrivent de la rigle
de pureté & d'onnesteté & celles qui se tiennent en tel estat ne pensent
pas le contraire que l'ennemy d'enfer ne soit entre elles / Si sont ces
choses contre chasteté. Lesquelles pour dieu treschieres amyes ne
veullés avoir en vous. Car vous mesleries poison angoisseuse avec miel
pour vostre dampnement / mais vous delictes en celle vertu de chasteté
de laquelle dit sainct ambroise ou livre de virginité en la louant.
Chateté dit il fait d'homme aignel. Car qui la garde il est aignel / et
qui la pert il est dyable quil la garde il est citoyen & bourgois de
paradis de ceste dit saint bernard que tout ainsi que la baulme a
proprieté de garder char de pourriture chasteté garde l'ame sans
corruption et tient en netteté & conferme la renommee ou bonne odeur. Et
pource fut dit de la bonne dame judith louee de tout le peuple tu es la
gloire de jherusalem tu es la lyesse d'israel tu es l'honneur de nostre
peuple a qui dieu a donné force d'homme de laquelle tu as ouvré pource
que tu as aymé chasteté. La septiesme est concorde ou benivolence
laquelle est necessaire entre vous et que vous la doyés aymer et tenir
chiere en vos couvens comme le droit lien de paix entendés que saint
ambroise ou premier livre des offices dit. Benivolence fait il est ainsi
que la commune mere de tous / car elle couple & ajoint tellement gens
ensemble que ilz sont comme freres loyaulx aymans le bien l'ung de
l'autre & tristes du contraire. Et qui osteroit benivolence d'une
assemblee de gens autant vauldroit que on leur ostast le soleil. Et puis
dist il benivolence est ainsi comme une fontaine qui rassasie ceulx qui
ont soif. Benivolence est une lumiere qui luist a soy & a autruy.
benivolence engendre paix brise le glaive de courroux elle fait tout ung
de plusieurs & a tout dire elle est de si grant puissance qu'elle peut
par sus nature. Par ces choses povés entendre trescheres dames qu'en
vraye loyalle amour devés entendre & vivre ensemble comme seurs en union
de paix. Et a tant souffise la deuxiesme partie de ce livre. Cy fine la
seconde partie.



¶ Le premier chapitre parle comment tout ce qui est dit devant peut
toucher aussi bien les unes comme les autres des femmes et de la maniere
et gouvernement que femme d'estat doit tenir ou fait de son mesnage.
chap. .xl.


Au commencement de ceste .iii. partie suyvant la route des princesses
qui devant vont & puis les dames & damoiselles de court & dehors nous
convient si que nous promismes parler aux femmes d'estat des cités.
C'est assavoir a celles qui sont mariees aux clercz gens de conseil de
roys ou de princes ou gardans justice ou en divers offices & aussi a
celles qui sont mariees au bourgois des cités & bonnes villes qui en
aucuns pays sont appellees nobles quant ilz sont de lignages anciens. Et
aprés dirons aux autres estatz des femmes / affin que toutes se sentent
de nostre doctrine. Et si que ja avons touché plusieurs fois cy devant
c'est nostre entente que tout ce que recordé avons aux autres dames tant
es vertus comme au gouvernement de vivre en ce qui peult a chascune
femme appartenir de quelque estat qu'elle soit / soit aussi bien dit
pour les unes que pour les autres si peut chascune prendre telle piece
qu'elle voit qui luy appartient. et ne vueille mye faire comme aulcune
folz ou folles qui sont trop aises quant ilz sont au sermon & le
prescheur parle sur la charge d'aucun estat qui ne leur touche & trop
bien le notent & dient qu'il dit vray & que c'est bien dit. mais quant
vient a ce qui leur peut appartenir ilz baissent la teste & cloent les
oreilles / & leur semble qu'on leur fait grant tort de en parler & ne
prennent point garde a leurs faictz / mais ouy bien aux autres. Et
pource le saige prescheur doit trop bien adviser quelz estatz de gens a
a son sermon & s'il parle bien aux ungz doit si bien toucher les autres
que l'ung ne se puisse mocquer de l'autre ne murmurer. Si dirons
doncques ainsi de rechief nous troys vertus comme dessus disons a vous
femmes d'estat & bourgoises de cités & bonnes villes que l'oreille
vueillés tendre sur les enseignemens qui vous pevent appartenir
principallement sur .iiii. quoy qu'ilz soyent ailleurs touchés aprés ce
que nous supposons que ja vers dieu soyés bonnes & devotes / mais a ce
qui touche prudence mondaine l'un des quatre. Et le premier est a ce qui
appartient a l'amour & foy que devés avoir a vos maris / et comment vers
eulx vous vous devés porter. Le second point au fait du gouvernement de
vostre mesnaige. Et le tiers touche vos vestures & habillemens. Le quart
comment vous garderés de blasme et de cheoir en diffame Et quant au
premier qui est de l'amour & foy que debvés a vos parties / et comment
vers eulx vous appartient a gouverner soyent vos maris vielz ou jeunes
bons ou mauvais paisibles ou rioteux de petite loyaulté vers vous ou
preudhommes affin que ne redisions ce que devant est ja dit / mais vous
envoyrons cercher au tresiesme chapitre de la premiere partie de cestuy
livre ou la en est assés a plain desclairé. Mais avec ce affin que plus
vous embellisse a tenir vers eulx les manieres qui vous pevent touchier
qui la sont devisees vous reduirons a memoire trois biens qui de vous
gouverner bien et saigement vers eulx qui qu'ilz soyent et leur garder
la foy et loyaulté promise tenir en bonne paix et en toutes choses faire
vos devoirs vous peut venir. L'ung est grant merite a l'ame que acquerés
faisant vos devoirs L'autre est grant honneur au monde. Et le tiers est
que on a veu maintes fois et voit on souvent que quoy que plusieurs
riches hommes de plusieurs et divers estatz ayent esté / et soyent
merveilleux a leurs femmes en tous temps / que quant vient a la mort que
conscience les reprent et advisent le bien de leurs femmes qui si
bonnement les ont supportez et le tort qu'ilz ont eu vers elles que ilz
les laissent dames et maistresses de tout quant qu'ilz ont vaillant. Le
second point de nostre enseignement et doctrine que avons dit qu'il vous
convient qui touche au faict de mesnage / c'est que vous devés mettre
grant cure et diligence de distribuer saigement et mettre au prouffit
les biens et la chevance que vos maris par leur labour office ou rente
amainent ou pourchassent a l'ostel. Et est l'office de l'homme
d'acquerre & faire venir en la maison les provisions / et les femmes les
doivent ordonner et dispenser par bonne discrection & ordre convenable
sans trop grant escharceté. Et aussi bien se doit garder de folle
largesse Car c'est ce qui vuide et desemplit la bource et met la
personne a povreté Bien adviser en toutes choses que degast ne excés
n'en puisse estre faict ne s'en attendre mye du tout a la mesgnie.
Ainçois elle mesmes estre dessus & s'en prendre souvent garde & de ses
choses vouloir avoir le compte. Ceste saige dame ou mesnagiere se doit
congnoistre en toutes choses de mesmement en appareiller a menger affin
qu'elle le sache ordonner & commander a ses servans ou servantes parquoy
elle puist tousjours garder la paix de son mary s'il semons gens
d'honneur en son hostel / si doibt ellemesmes se besoing est aller en la
cuysine & ordonner comment ilz seront servis / doit bien garder que son
hostel & sa maison soit tenue nettement & toutes choses en leur place &
par ordre. ses enfans bien enseignés & endoctrinés ne quoy que qu'ilz
soyent petis que on ne les oye point mignoter ne aussi mener grant
noise. soyent nettement tenus & riglement gouvernez ne que drappeaulx a
nourrices ne riens qui leur appartienne ne traine point aval l'hostel /
doit estre songneuse que son mary soit nettement tenu en robes & aultres
choses. car le nect adornement du mary est l'honneur de la femme qui
soit bien servy & sa paix gardee / & quant il vient a l'hostel pour
prendre son repas que tout soit prest & ordonné tables & dressoir selon
l'estat / & s'elle veult user de prudence & avoir les loz du monde & de
son mary s'il est homme de bien luy soit a toutes heures faire bonne
chiere affin que s'il advient qu'il soit aulcunement troublé en couraige
sicomme en diverses choses que les hommes ont affaire livrent
aucunesfois mains desplaisirs qu'elle luy puisse par son gracieux
accueil faire aulcunement entreoublier. Car n'est point de doubte que
c'est grant recreation a homme de bien quant il vient en son hostel &
s'il a quelque ennuy en pensee & treuve sa femme qui saigement &
gratieusement l'acueille & c'est bien raison que ainsi soit faict. Car
celluy qui pourchasse le vivre & l'estat. & qui en a la peine & le
soussy ne peut au moins que d'estre bien acueilly en son hostel ne doit
point ceste femme tencier / rechigner ne rioter sa maisgnie a table.
mais s'il y a aulcune chose qu'ilz ayent faict mal a point les doit
reprendre en briefves parolles sans tençons. Car a refection laquelle
doit estre prinse joyeusement est trop dure chose a oÿr celle note: Et
se son mary est mauvais ou rioteux le doit appaiser a son povoir par
belles parolles ne luy enquerre point de ses besongnes ne autres choses
aucunement secrettes a tables ne devant mesgnie. mais a part et en sa
chambre. Ceste saige mesnagiere avec ce que dit est sera songneuse de
lever matin. Et quant elle aura ouÿ messe & dictes ses devotions &
retournee a son hostel commandera a ses gens de ce que besoing sera puis
se prendra a faire aucune bonne oeuvre ou a filler ou a couldre quelque
autre chose. Et quant ces chamberieres auront fait leur mesnaige vouldra
que semblablement facent / ne filles ne femmes ne ellemesmes ne vouldra
veoir ne souffrir nulles heures oyseuses / elle achetera du lin a bon
marché aux foires / fera filler en ville aux povres femmes mais se garde
bien que leur peine elle ne retiengne par quelque engignement ou par sa
maistrise. car elle se damneroit ne ja a son proffit n'iroit. Si fera
faire toilles grosses & deliees nappes & touailles & autres linges & de
ce sera tressoigneuse. car c'est le plaisir naturel aux femmes qui n'est
lait ne villain mais honneste & licite si fera tant que elle aura de
tres beau linge delié large a parer & bien ouvrer. Si le tiendra blanc &
souef flairant bien ployé en coffre & de ce sera tressoigneuse si en
seront servis les gens d'honneur que son mary amenera dont elle sera
prisee & louee. Ceste saige femme prendra bien garde que riens ne
pourrisse aval son hostel / & ne voise a gast dequoy povres se peussent
aucunement ayder / ne que relief n'y endurcisse robbes ne soyent mengees
de vers si les fera donnera aux povres. Mais s'elle ayme le bien de son
ame & la vertu de charité ne fera pas seullement de ce ses aulmosnes
mais du vin de sa propre boisson & de la viande de sa table aux povres
acouchees a malades ou a ses povres voisins souventesfoys & ce fera elle
de bon cueur s'elle est saige & a dequoy. Car c'est tout le tresor
qu'elle emportera ne ja plus povre n'en sera / mais toutesvoyes elle
doibt bien regarder a qui & que par discretion soit faict avecques ces
choses ceste femme sera saige gracieuse c'est adire de plaisant chere
honneste a couvert langaige accueildra & recevra les amys & acointes de
son mary / elle parlera beau a toutes gens. se fera aymer de ses voisins
leur fera compaignie & amytié se besoing en ont / ne fera refus de
prester petites chosettes ne a ses maisgnies ne sera male mauldisant ne
disant villennie ne tout le jour rioter pour ung beau neant: mais les
reprendra voirement quant ilz mesprendront / & menacera de les mettre
hors s'ilz ne s'amendent mais ce sera sans tonner ne mener grant harou
si que on ne l'oye de loing. Sicomme aulcunes folles font a qui il
semble que parestre bien malles & tencer fort a leurs maris & a leur
mesgnie de neant que on les tiendra a sages & bonnes mesnagieres & a
faire bien les embesongnees de pou de chose & trouver par tout a redire
& toute jour caqueter / mais ce mesnaige la nest point de nostre
doctrine. Car nous voulons que nos disciples soyent en tous leurs faitz
saiges / & nul sens ne pourroit estre sans attrempance laquelle ne
demande malice ne felonnie ne trop de langaige qui est chose qui moult
messiet a femme.



¶ Cy devise comment femmes de estat doivent estre ordonnees en leur
habit / et comment se garderont de ceulx qui tachent a les decevoir.
chap. .xli.


Le tiers point que voulons notifier a entre vous femmes d'estat de
bonnes villes & aux bourgoises / lequel touche vos vestures &
habillemens est qu'en iceulx ne vueillés point estre oultrageuses tant
es coustumes comme es façons. & y a .v. especialles raisons qui vous
doivent mouvoir a vous en garder. L'une que c'est pechié & chose qui
desplaist a dieu d'estre tant curieux ou curieuse de son corps La .ii.
que de faire oultrage on n'en est ja plus prisié / mais mains / ains que
ailleurs est ja dit. La .iii. que c'est gastement d'argent apovrissement
& vuidenge de bource. La quatriesme que on donne mauvais exemple a
autruy / c'est assavoir cause de ainsi faire ou plus. Car il semblera a
une dame qui verra a une damoiselle prendre si grant estat ou a une
bourgoise que de tant qu'elle est plus grande devera encores plus
croistre son estat / & c'est ce qui fait tous les jours multiplier &
croistre les estatz & les boubans par ce que chascun tend tousjours a
surmonter l'autre / dont maintes gens sont grevés & apovris en france &
autre part. La cinquiesme que on donne par desordonné & oultrageux habit
occasion a aultruy de pechier ou en murmuration ou en couvoitise
desordonnee / qui est chose qui trop desplaist a dieu. Et pource chieres
aymees veu que ce ne vous peut riens valoir & beaucoup nuire ne vous
vueillés en telles faulcetés trop delicter / non pourtant c'est bien
droit que chascune porte tel habit & estat que appartient a son mary & a
elle / mais s'elle est bourgoise qu'elle se porte telle comme une
damoiselle et la damoiselle comme une dame / et ainsi de degré en degré
monstant sans faire c'est chose hors ordre de bonne police en laquelle
s'elle est bien ordonné en quelque pays que ce soit toutes choses
doivent estre limitees. Or vient a parler du quatriesme point qui est
comme vous vous garderés de blasme & de cheoir en diffame. Auquel point
se peult encores touchier le faict de voz habillemens tant en
l'oultraige du trop grant coust comme en la maniere des façons en ceste
maniere il est assavoir que posons que une femme soit de tresbonne
voulenté & sans mauvais fait ne pensee de son corps si ne le croyra pas
le monde puis que desordonnee en habit on la verra & seront fais sur
elle mains mauvais jugemens quelque bonne qu'elle soit Si appartient
doncques a toute femme qui veult garder la bonne renommee qu'elle soit
honneste & sans desguisure en son habit & habillement non trop
estraincte ne trop grans colletz ne autres façons malhonnestes ne grant
trouveresse de choses nouvelles par especial constances & non honnestes
Et avec ce la maniere & contenance y fait moult. Car si que ja est
touchié cy devant il n'est riens plus desseant a femmes que laide
maniere & mal rassise / aussi ne chose plus plaisant que belle
contenance & coy maintien quoy qu'elle soit jeune doibt estre en ses
jeux & ris attrempee & sans desordonnance a les sçavoir prendre par
appoint si qu'ilz soyent bien seans & le parler sans mignotise mais soit
propre & doulx ordonné & attrait en regard simple tardif & non vague &
joyeuse par apoint. Mais ensuyvant la matiere de dessus est assavoir que
avec le mauvais langaige & blasme qui peult sourdre a femme par habit
desordonné & par maniere mal honneste y a ung autre plus perilleux
inconvenient c'est l'amusement des folz hommes qui pevent penser qu'elle
le face pour estre couvoitee & desiree par folle amour. Et elle par
adventure n'y pensera / ains le fera seullement pour la plaisance de
soymesmes & par sa propre condition qui luy enclinera. Si y a des hommes
de mains estatz qui tacheront par grant diligence a les attraire en les
poursuyvant par divers semblans & moult s'en peneront. Mais que doit
faire la saige femme qui cheoir ne veult en blasme & qui bien est
advisee que de tel amour ne peut venir que tout mal prejudice &
deshonneur parquoy nulle voulente n'a d'entendre a telz musars & ne
veult mye faire comme aucunes musardes a qui trop bien plaist que on les
poursuyve par grans semblans & leur semble belle chose de dire si suis
aymee de plusieurs c'est signe que je suis belle & qu'il y a en moy
assez de bien. Je n'aymeray nul pourtant / mais a tous feray bonne
chere / & autant y aura l'ung que l'autre et tous les tiendray en
parolles. ceste voye n'est mye de garder l'honneur ains est impossible
que longuement soit maintenue par femme qui qu'elle soit que n'en chee
en blasme. Et pource la sage dessusdicte si tost qu'elle aperçoit par
aucun signe ou semblance que quelque homme a devers elle pensee elle luy
doit donner toutes occasions de s'en retraire en manieres parolles et
semblans & tant faire qu'il apperçoive qu'elle n'y a courage ne n'y
veult avoir. Et s'il advient qu'il luy die elle luy doit respondre &
dire sur ceste forme et maniere. Sire se vous avés a moy pensee vueillés
vous en retraire / car je vous prometz & jure ma foy que en tel amour
n'ay mon intencion ne n'auray jour de ma vie de ce puys je bien jurer /
car de ce suis je bien affermee en tel voulenté qu'il n'est homme ne
chose nulle qui oster m'en peust & toute ma vie demoureray en ce point
de ce soyés vous certain si perdriez vostre peine tant plus vous y
museriés / & vous prie tant comme je puis que ne me faciés plus telz
semblans ne disiés ces parolles que en bonne foy je y prendroye grant
desplaisir & me garderoye a mon povoir d'aller ou vous seriés. Si le
vous dy une fois pour toutes et croyés fermement que jamais en autre
propos ne me trouverez & a dieu vous dy. Ainsi en brief & sans
longuement escouter doit respondre la bonne & saige jeune femme qui ayme
son honneur a tout homme qu'il la prie & avec ce que aussi soyent les
semblans pareilz aux parolles. C'est assavoir que de regard ne de
maintien ne face aucun semblant parquoy y puisse nullement penser que
jamais y puist advenir. Et s'il y envoye dons quelz qu'ils soyent que
elle garde bien que nulz n'en prengne Car qui don prent se vent Et s'il
advient que aucune personne luy en face quelque messaige que elle die
expressement & a rechinié visaige que jamais plus ne luy en parle. Et se
chamberiere ou varlet qu'elle ait s'en hardist a luy dire qu'elle ne le
tiengne point en son hostel. Car tel maisgnie n'est pas seure si treuve
voye par bonne maniere de le mettre hors pour quelque aultre achoison
sans noise & sans tençon / mais garde bien comment qu'il soit que a son
mary ne le dye. Car quelque bonne voulenté qu'elle ait le pourroit
mettre en tel frenaisie que ne l'en osteroit pas quant elle vouldroit &
est trop grant peril et aussi n'en est nul besoing s'en garde sagement
et s'en taise Car n'en sera ja homme si en grant que s'elle veult au
long aller par tenir saiges manieres qu'il ne s'en retraye ne aussi dire
ne le doit a voisin ne a voisine ne autre / car parolles sont raportees
par quoy il advient aucunesfois que hommes contreuvent mauvaisties sur
les femmes par despit de ce qu'ilz sont refusés & que ilz scevent
qu'elles en parlent ou ont parlé. Si ne griefve riens taire la chose
dequoy on ne peut de riens mieulx valoir la dire. Et n'est point belle
vantance a femme. Avec ce femmes qui se veulent garder de blasme se
doibvent garder d'aler en compaignies qui ne soyent bonnes & honnestes
ne en assemblees faictes en jardins ou en autres lieux par prelatz ou
par seigneurs ou autres faictes soubz quelque umbre ou couverture de
festoier gens & que ce soit pour autre machination de quelque broullerie
ou par elles ou par autres. Et posons que une femme saiche bien que pour
elle ne soit faicte telle assemblee / si se doit elle bien garder
qu'elle ne face umbre a autre. Car cause seroit du mal & du peché si n'y
doit aller se elle le scet ou aucun souppeçon y a / & ains qu'elle voise
nulle part si elle est saige doit bien adviser ou avecques comment et
que doit estre ou elle va ne de trouver ses pelerinages hors la ville a
faire pour aller quelque part jouer / ou mener la galle en quelque
compaignie joyeuse n'est fors peché & mal a qui le fait. Car c'est faire
de dieu umbre & chape a pluye ne sont point bons ne aussi tant aller
trotant par ville a jeunes femmes au lundy a saincte avoye / au jeudy je
ne sçay ou. au vendredy a saincte katherine & ainsi es autres jours si
aucunes le font n'en est ja grant besoing non pas que nous vueillons
empescher le bien a faire. Mais sans faille veu le peril de jeunesse la
legiereté et la grant couvoitise que hommes ont communement a attraire
femmes et les parolles qui tost en sont levees & a pou d'achoison est le
plus seur mesmes pour le prouffit des ames & l'honneur du corps estre
coustumieres de tant troter ça & la. Car dieu est par tout qui exaulce
les oraisons des devotz deprians ou qu'ilz soyent & qui veult que toutes
choses soyent faictes par discretion & non mye du tout a voulenté. Aussi
de baigneries d'estuves et de commerages trop hanter a femmes & telz
compaignies sans necessité ou bonne cause ne sont que despens superflus
sans quelque bien que en peust venir. Et pource de toutes telles choses
& d'autres semblables: femme si elle est saige qui aime honneur et
eschever veult blasme se doit garder.



¶ Cy devise des femmes des marchans. Chapitre. xlii.


Desormais or viendrons a parler des marchans C'est assavoir de femmes
aux hommes qui se meslent de marchandises dont a paris & ailleurs a de
moult riches et desquelz les femmes portent grant & cousteux estat &
plus hault en aucunes autres contrees & villes que a paris sicomme a
venise a jennes a florence a lucques avignon & autre part Mais iceulx
lieux nonobstant que nulle part ne soit oultrage mieulx soit a excuser
ce que elles ne sont que en ces parties de france ne seroit pource qu'il
n'y a pas tant de differences des haulx estatz comme a paris & ceste
part / c'est assavoir roynes et duchesses contesses & autres dames &
damoiselles parquoy les estatz sont plus differenciés Et pource en
france qui est le plus noble royaulme du monde et ou toutes choses
doivent estre les plus ordonnees selon qui est contenu des anciens
usaiges de france n'appartient point quoy qu'elles facent ailleurs si
que ja est plusieursfois touché devant que la femme d'ung laboureur de
plat païs porte tel estat que la femme d'un homme d'honneste mestier de
paris ne celle d'ung homme commun de mestier comme une bourgoise / ne
une bourgoise comme une damoiselle ne la damoiselle comme la dame ne la
dame comme une contesse ou duchesse / ne la contesse comme la royne /
ains se doit chascune tenir en son propre estat & ainsi qu'il y a
difference & maniere de vivre des gens doit avoir es estas / mais ces
rigles ne sont mye bien gardees aujourd'uy ne maintes autres bonnes qui
y souloyent estre. Et pource y pert a l'effect qui ensuyt. Car sans
faille oncques les orgueilz ne les estatz n'y furent en toutes manieres
de gens depuis les grans jusques aux moindres si oultraigeulx que ores
sont & ce peut on veoir par les croniques & anciennes histoires. Et
pource que nous avons dit qu'en ytalie encore les femmes portent plus
grant estat quoy qu'il soit vray ne sont ilz point de si grans frais qui
si endroit sont a tout regarder veu les compaignies & boubans en maintes
manieres & choses que elles font esquelles aussi bien que es robes /
chascune s'efforce de surmonter l'une l'autre. Car puis que nous sommes
a parler des marchandes ne fut ce pas voirement grant oultraige a celle
femme de marchant de vivre voire comme marchant n'est mye comme ceulx de
venise ou de jennes qui vont oultre mer & par tout païs ont leurs
facteurs achetent en gros & font grant faitz. Et puis semblablement
envoyent leurs marchandises en toutes terres a grans fardeaux / et ainsi
gaignent grans richesses & telz sont appellés nobles marchans mais
celles dont nous disons achatte en gros & vent a detail pour quatre
soubz de denrees se besoing est ou pour plus ou pour moins quoy qu'elle
soit riche et portant grant estat & assés de telles y a que elle fist a
une gesine d'ung enfant que elle eut n'a pas longtemps Car ains que on
entrast en sa chambre on passoit par deux aultres chambres moult belles
ou il avoit en chascune ung grant lit de parement bien & richement
encourtiné. Et en la deuxiesme ung grant dressoir couvert comme ung
autel tout chargié de vaisselle d'argent blanche. Et puis de celle on
entroit en la chambre de la gisant laquelle estoit grande et belle toute
encourtinee de tapisserie faicte a la devise d'elle / ouvree
tresrichement de fin or de chippre le lit grant & bel encourtiné tout
d'ung parement / et les tappis d'entour le lit mis par terre sur quoy on
marchoit tous parelz a or ouvrés les grans draps de parement qui
passoient plus d'ung espan par soubz la couverture de si fine toille de
rains que ilz estoient prisez a trois cens frans & tout par dessus ledit
couvertouer a or tissu avoit ung autre grant drap de lin aussi delyé que
soye tout d'une piece et sans cousture / qui est une chose nouvellement
trouvee a faire et de moult grant coust que on prisoit deux cens frans
et plus qui estoit si grant et si large que il crouvroit de tous lez le
grant lit de parement / et passoit le bort dudit couvertouer qui
traisnoit de tous les costés. Et en celle chambre avoit ung grant
dressouer tout paré couvert de vaisselle doree. En ce lit estoit la
gisant vestue de drap de soye taint en cramoisi appuyee de grans
oreillees de pareille soye a gros boutons de perles / atournee comme une
damoiselle et dieu scet les autres superflus despens de festes /
baigneries de diverses assemblees / selon les usaiges & coustumes de
paris a acouchees / les une plus que les autres qui la furent faictes en
celle gesine / et pource que cest oultraige passe les autres quoy que on
en face plusieurs grans est digne d'estre mis en livre. Si fut ceste
chose raportee en la chambre de la royne dont aulcuns dirent que les
gens de paris avoient trop de sang dont l'abondance aucunesfois
engendroit plusieurs maladies. C'estoit a dire que la grant abondance
des richesses les pourroit bien faire desvoyer. Et pource seroit leur
mieulx que le roy les chargast d'aulcun aide emprunt ou taille parquoy
leurs femmes ne se allassent pas comparer a la roine de france gueres
plus n'en feroit. Si sont telz choses desordonnees & viennent de
presumption & non de sens / car ceulx & celles qui les font en
acquierent non mye pris / mais despris / car quoy qui prennent les
estatz des haultes dames ou des princesses si ne le sont elles pas ne on
ne les y appelle pas. ains ne perdent point le non de marchandes ou
femmes de marchans voire telz que on les appelleroit en lombardie non
mye marchans / mais revendeurs / puis qu'ilz vendent a detail. Si est
trop grant folie de revestir d'aultruy habit quant chascun scet bien a
qui il est c'est a entendre de prendre estat qui appartient a aultre non
mye a soy / mais se ceulx et celles qui telz oultrages font soit en
habit ou estat laissoient leur marchandise & prensissent du tout les
grans chevaulx & les estatz des seigneurs leur estre s'ensuyvroit mais
c'est trop sotte chose de n'avoir pas honte de vendre ses denrees &
faire sa marchandise & avoir honte de porter l'abit. Voire qui est bel
grant & honneste qui a droit si maintient & est l'estat de marchant bel
& honnorable en france & en tous païs. Si se pevent telz gens appeller
gens desguisés & ne disons mye pour les amenuisés d'honneur / car ainsi
que dit est estat de marchant est bel & bon qui a droit le maintient
ains le disons en bonne entente affin de donner conseil & advis aux
femmes a qui nous parlons d'elles garder de telz superfluités qui bonnes
ne sont a corps ne ame & pevent estre cause que leurs maris soient
chargés d'aucun nouvel subside. Si est leur meilleur & leur plus grant
sens que leurs habitz propres chascune selon soy qui sont beaulx riches
& honnestes portent sans prendre autres posons que riches soient. Ha
dieu que pevent telz gens faire de bien certes se ilz theraurisoient au
ciel selon l'admonnestement de l'euvangille ilz seroient bien
conseillés / car ceste vie est tresbriefve & celle est a tousjours si
que ja est dit devant si seroit pour eulx bonne espargne pour le temps
advenir que de leurs tresgrans richesses departissent aux povres par
vraye charité & si font les plusieurs n'est pas doubte il est bien
besoing car par celle bonne noble vertu de charité que a tant aggreable
dieu / pevent achater le champ dont l'evangille parle en parolle ou est
le grant tresor mucié c'est la joye de paradis: Et ung noble mot
d'icelle saincte vertu dit leon pape au sermon de l'apparicion ou il dit
tant tresgrande est la vertu de charitable misericorde que sans elle les
autres vertus ne pevent proffiter / car combien que aucune creature soit
abstinent se garde de peché soit devot & ayt toutes autres vertus sans
icelle qui faict les autres valoir tout est neant / car au derrain jour
du jugement elle sera portant la baniere devant toutes vertus pour ceulx
qui en ce monde l'auront exercee & aymee qui les conduyra en paradis &
confondra ceulx nostre seigneur en qui elle n'aura esté trouvee donnant
sa diffinitive semence ce nous tesmoigne le texte de l'evangille. Si
vous povez par celle voye saulver entre vous riches femmes voire en vous
gardant de fraudes & de baratz en voz marchandises contre voz
prouchains.



¶ Cy devise des femmes veufves vieilles & jeunes. Chap. .xliii.


Pour entendre nostre oeuvre plus acomplie au proffit de tous les estatz
des femmes parlerons aux vefves des communs estatz quoy que dessus ayons
dit en l'estat des princesses dirons en telle maniere. Cheres amys nous
mues par pitié de vous cheues en l'estat de vefveté par mort qui
despoullés vous a de voz maris qui qu'ilz soient ou fussent auquel
piteux estat sont livrees communement maintes angoisses & assez
d'enuieux affaires: mais c'est en diverses manieres. Car a celles qui
sont riches d'une guise & a celles qui mye ne le sont en une autre. Si
est livré meschief aux riches par ce que on bee communement a leur oster
& aux povres ou a celles qui ne sont mye riches par ce que en leurs
affaire ne treuvent pitié sicomme en nulluy. Si y a avec la douleur que
avez d'avoir perdu voz parties qui assez deust souffrir trois
principaulx maulx qui moult generaulment soient povres ou riches vous
convient sus. L'ung qui est ja touchié est que vous trouvés communement
durté pou de pris & de pitié en toute personne & telz vous souloyent
honnorer ou temps de voz maris qui officiers ou de grant estat estoyent
qui ores en font pou de compte & pou les trouvés amys. Le deuxiesme mal
dequoy estes assaillies est de divers plais & demandes de plusieurs gens
en faitz de debtes ou de chalenges de terres ou de rentes. Et le tiers
est le maulvais langaige des gens que de commun cours est enclin a vous
courroseure si que a peines sçaurés si bien faire que on n'y trouve a
redire. Et pource que vous avez besoing d'estre armees de bon sens
contre ces pestilences & de toutes autres qui advenir vous pevent nous
plaist vous admonnester de ce qui vous peut estre vaillable combien que
peult estre que en avons ailleurs parlé mais pource qu'il eschiet a
propos de rechief le ramentrons. Quant a la durté que vous trouvés en
toute gent communement qui est le premier des trois dessusditz maulx y a
aussi trois remedes: L'ung que tout premierement vous tourniés vers dieu
qui tant veult souffrir pour creature humaine. & se bien y pensez ce
vous apprendra a estre patientes qui est chose qui bien vous a besoing /
& vous conduyre en point se bien y mettés le cueur que pou tiendrés de
compte du pris & de l'honneur du monde. Car ores a primes pourrés
apprendre comment les choses du monde sont tournables. Le deuxiesme
remede est que il convient que vous disposez vostre cueur a estre
doulces & benignes en parolles & en reverence a toute gent si que par
celle voix vous matiez & flechissiés les couraiges des felons et par
doulces prieres & humbles requestes. Item le troiziesme remede est que
non obstant les dessusdictes choses & que en parolles habitz &
contenance soyent doulces humbles que vous advisiés par bonne prudence &
saige gouvernement comment vous vous deffendrés & garderés de ceulx qui
trop vous vouldront fouller. C'est assavoir que vous escheviez leurs
compaignies n'avoir que faire avecques eulx se vous povez vous tenir
closement en voz hostelz ne prendre debat a voisin ne a ung ne a autre
ne mesmes a varlet ne chamberiere / tousjours parler bel et garder
vostre droit / & par ainsi faire & par pou vous mesler avecques diverses
gens se besoing ne vous en est / escheverés que vous ne soyez foullees
ne suppeditees par autruy. Au fait des plais ceulx qui vous assauldront
qui est le deuxiesme mal debvés sçavoir que eschever debvez plait et
procés le plus que vous povez. car c'est chose qui trop peut grever
femme vefve pour plusieurs raisons. L'une qu'elle ne se congnoit & est
simple en telz choses. L'autre qu'il convient qu'elle se mette en
dangier d'aultruy pour faire solliciter ses besongnes & gens sont
communement mal dilligens des besongnes aux femmes & voulentiers les
trompent & mettent en despens huyt solz pour six. Et l'autre qu'elle n'y
peut a toutes heures aller comme feroit ung homme. Et pource est le
meilleur conseil qu'elle laisse avant aller aucune partie de son droit
mais que ce ne soit a trop grant oultraige que elle si fiche & se doit
metre en tous ses devoirs offrir raisonnables offres par bon conseil de
ce qu'on luy demande ou s'il fault qu'elle soit demanderesse qu'elle
pourchasse avant le sien courtoisement & regarder se par aultre voye ou
moyen le pourra traire. Se on l'assault par debtes regarder quelle
action & quelle cause les demandeurs ont. Et posons toutesfois qu'il n'y
ayt lettre ou tesmoingtz se sa conscience sent que quelque chose soit
deue garde soy bien qu'elle ne retienne le droit d'autruy car elle
chargeroit l'ame de son mary & la sienne & dieu luy sçauroit bien
envoyer tant de pertes au feur l'emplaige d'autre costé que la perte
doubleroit. Mais se saigement se scet garder des cauteleux qui demandent
sans cause elle fait ce qu'elle doit Mais se a toutes fins convient
qu'elle entre en procés doit sçavoir que troys choses principalles sont
necessaires a toute personne qui plaide. L'une est ouvrer par conseil
des saiges coustumiers & clercz bien aprins es sciences de droit & de
loys / l'autre est grant soing & grant dilligence de soliciter la
cause / & l'autre est avoir argent assez pour ce faire. car sans doubte
se l'une de ces trois choses faillent quelque bonne cause que la
personne ayt en peril sera de la perdre. Si est mestier a la femme vefve
en ce party qu'elle se tire vers les anciens coustumiers les plus
usaigiers de diverses causes & non mye devers les plus jeunes leur
monstrer sa raison ses lettres & tiltres entendre bien ce qu'ilz diront
ne leur cele riens de ce qui peut appartenir a la cause / soit pour elle
ou contre elle. Car conseiller ne la pevent fors par ce qu'elle leur dit
& se leur conseil plaide ou accorde aux parties par leur advis / mais se
en procés entreface diligence & paye bien / si en sera meilleure sa
cause. Si luy conviendra bien pour ces choses faire et pour resister a
tous les aultres ennemys se a chief en veult venir qu'elle prengne cueur
de homme / c'est assavoir constant fort & saige pour adviser & pour
poursuyvre ce qui luy est bon a faire non mye comme simple femme
s'acrouppir en plours & en larmes sans autre deffence. comme ung povre
chien qui s'aculle en ung coingnet & tous les autres luy courent sus.
Car par ainsi faire entre vous femmes trouveriés assez de gens sans
pitié qui le pain vous osteroyent de la main et vous reputeroit on
ygnarans & simples / ne ja pource plus de pitié ne trouveriés en ame /
si ne devés pourtant ouvrer de vostre teste ne en vostre sens vous fiez.
Mais tout par bon conseil par especial es grans choses que vous ne
sçavez. Et ainsi par telle voye vous devez gouverner entre vous vefves
en voz affaires c'est a entendre celles qui sont ja d'aage & qui plus
nourir ne se veullent. car quant des jeunes il appartient qu'elles
soyent gouvernees par leurs parens & amys tant que remariees soyent se
tiennent doulcement & simplement avec eulx & en tel guyse que maulvaise
renommee n'en puisse saillir car ce seroit l'achoison de faire perdre
leur bien & avancement. Le tiers remede contre les trois maulx
dessusditz aux femmes vefves qui sont au dangier du mauvais langaige des
gens est qu'elles se doivent garder en toutes manieres de non donner
occasion de mal parler sus elles en contenances maintiens & habitz qui
doibvent estre simples & honnestes coyes doubteuses du fait de leur
corps qu'on ne puisse en mal murmurer. ne soyent trop acointables ne
privees a hommes que on voye frequenter souvent en leur maison s'ilz ne
sont leurs parens. & encores que ce soit fait discretement ne beau pere
prestres ne freres pou ou neant quelque devote qu'elle soit: Pource que
le monde est tant enclin a dire mal & se garder de tenir mesgnie ou l'en
puist avoir aucune suspecion ne moult grant priveté ne familiarité
quelque bons qu'elle les saiche / ne quoy que a nul mal n'y pensast ne
leur face ne au fait de sa despence affin qu'on n'en puist parler &
aussi pour mieulx garder le sien ne tiengne trop grant estat ne en gens
ne en robes ne en viandes car c'est droit estat de femme vefve estre
sobre & sans superfluités de quelque chose. Et pource que en l'estat de
veufveté a tant de durté pour les femmes sicomme nous disons & il est
vray pourroit sembler a aulcunes gens que doncques seroit leur meilleur
que toutes se remariassent. Si pourroit a ceste question estre respondu
que s'il estoit ainsi que en la vie de mariage eust tout repos & paix
vrayement seroit sens a femme de s'i rebouter mais parce qu'on voit tout
le contraire le doit moult eslongner toute femme quoy que aux jeunes
soit chose comme de necessité ou tresconvenable. Mais a celles qui ja
ont passé jeune aage. Et qui assez ont du leur ne povreté ne les y
contraint c'est toute follie quoy que aucunes qui le veullent faire
dient ce n'est riens d'une femme seulle & si pou se fient en leur sens
qu'elles se excusent que gouverner ne sçauroient. mais le comble des
follies & la grant mocquerie est quant une vieille prent ung jeune
homme. dont petit voit on longuement bonne chanson chanter. mais tant y
a que de leur malle meschance on ne les plaint point a bon droit.



¶ Cy parle a l'enseignement des jeunes filles & vieilles estans en
l'estat de virginité. Chap. .xliiii.


Ce n'est mye droit que au procés de noz lecons soyent oubliees les
femmes ou filles qui sont en l'estat de virginité dont on peut parler
d'elles en deux differences d'estas. c'est assavoir de celles qui ont
propos de garder leur virginité tout le temps de leur vie pour l'amour
de nostreseigneur & de celles qui attendent le temps de mariage par
l'ordonnance de voulenté de leurs parens. Et ainsi comme il y a
difference en leur propos doit semblablement avoir en leur habitz
conversation & maniere de vivre mesmement au monde. Car a celles qui du
tout se sont disposees de jamais ne l'enfraindre appartient vie
tresdevote & sollitaire & quoy qu'elle soit a toutes bien seant /
neantmoins a cestes affiert plus que a autres. Et si leur est necessaire
faire aulcun ouvraige pour avoir leur vie ou qu'elles servent en aucun
lieu elles doivent regarder que toute leur occupation soit aprés ce que
leur labour necessaire ont faict au service de dieu en devotes oraisons
et aussi en jeunes & abstinences faictes par discretion non mye aprés
qu'elles ne le puissent porter ne continuer ne que leur serueil en
puisse estre trouble Car riens de trop grant aspreté ne doibt estre
prins sans bon conseil. Si se doibvent garder de tous pechez
singulierement en fait & en pensee affin que le bien qu'elles font de
une part ne perdent pas de l'autre car petit vauldroit estre vierge ou
chaste faire abstinences & devotions & que avec ce on fust ung tresgrant
pecheur ou pecheresse / si doibt toute personne qui se met a bien faire
garder qu'elle offre a dieu offrande nette / car qui presenteroit au roy
une tresbelle & bonne viande toute entremeslee de ordure & punaisie on
ne luy feroit nul plaisir. & si la reffuseroit & a bon droit. Si
doibvent estre leurs parolles bonnes simples devotes & sans trop de
languaige. leur habit honneste & sans nulle cointerie maintien simple &
courtois & treshumble chere les yeulx bessez & la parolle basse / si
doit estre leur joye ouÿr la parolle de dieu & frequenter l'eglise &
celles qui ceste vie ont esleue sont de bonne heure nees. car elles ont
prinse la meilleur partie Les autres pucelles qui attendent l'estat de
mariage autressi doibvent estre en contenances maintiens & belles
parolles attrempees & honnestes & par especial en l'eglise coyes
regardans sur leurs livres ou leurs yeulx abaissiés en rues & par voye
simples & rassises / & a l'hostel non oyseuses / mais soient tousjours
occupees en quelque oeuvre de leur mesnaige leurs habis & vestures bien
faictz jointz & pollis mais que deshonnesteté n'y ayt & nettement tenus
leurs cheveulx bien ordonnés & non mye trainans par les joues ne
sailles / le parler amyable & courtois a toutes gens humble maniere non
trop emparlees. & se a festes sont a dances ou a assemblees la / doivent
bien estre sur leur garde que bien soyent de belle maniere & de beau
maintien / pource que plus de gens ont les yeulx sur elles. et dancent
simplement / chantent bassement ne soit leur regard vague ne traceant ça
ne la qui trop ne s'enpressent entre hommes / mais tousjours se tirent
vers leurs meres ou les autres femmes Cestes pucelles se doivent garder
de prendre debat ne tençon a quelque personne ne a varlet ne a
chamberiere. C'est trop layde chose a pucelle estre tenceresse &
renponneuse & en pourroit perdre son bien par les maulvais & mensongeux
rapors que mesgnies font souventesfois a pou d'achoison. Pucelle ne soit
nullement saillant effrayee ne ribaulde par especial a hommes qui qu'ilz
soyent ne a clercz de l'ostel ne varletz ne autres mesgnies & si ne
seuffre en nulle guise homme la touche ne se joue a elle des mains ne de
trop rigollages. Car ce seroit trop grant empirement de l'honnesteté que
avoir doit & de son bon loz. Si affiert aussi a pucelle estre devote par
especial vers nostre dame vers saincte Katherine & toutes vierges / &
s'elle scet lire en lise voulentiers les vies / jeune aucuns jours &
soit sobre sur toutes riens en boire & en menger & contente d'assez pou
de viande & de foibles vins car gloutonnie a pucelle sur vin & sur
viande sur toutes choses est layde tache. Pource doit bien garder qu'on
ne la voye nulle fois changee par vin prendre trop largement / car se
telle tache avoit on n'y esperoit quelconque autre bien si doit de
droicte coustume toute pucelle mettre largement de l'eaue en son vin / &
acoustumer a petit boire aussi avecques les bonnes taches & manieres qui
luy affierent appartient estre a toute pucelle humble et obeissant a
pere & a mere & les servir diligemment de tout son povoir. s'attendre de
son mariage du tout a eulx & non mye que de elle mesmes le face & sans
leur consentement / ne quelconques parolles n'en doibt tenir ne escouter
personne. Et sont pucelles par ceste maniere aprinses & endoctrinees
sont a desirer aux hommes qui marier se veullent.



¶ Cy devise comment anciennes femmes se doivent maintenir vers les
jeunes et des meurs que avoir doibvent. Chap. .xlv.


Pource que assez communement a debat & discord tant en oppinions comme
en parolles entre vieilles gens & les jeunes si que a peine se pevent
entresouffrir comme s'ilz fussent de deux especes laquelle chose fait
l'aage qui tout ainsi qu'il est differencié met difference en leurs
meurs & condicions nous semble bon pour mettre paix de celle guerre
entre les femmes de divers aages qui nostre doctrine pourront ouÿr que
nous ramentevions aucunes choses qui bonnes y pevent estre. Mais dirons
premierement aux anciennes les meurs qui leur advisent. Il appartient a
toute femme d'aage qu'elle soit sage en fait en habit contenance &
parolle. en fait doibt estre saige / par ce que advis doibt avoir &
memoire des choses que veues a advenir en son temps. Et pource avant
aucune chose qui veult faire ou entreprendre doit ouvrer par l'exemple
d'icelles. car s'elle a veu mal ou bien advenir a elle / ou a autre par
tenir aulcunes manieres penser peult que ainsy luy adviendra par
semblablement faire. Et pource dit on que vieilles gens sont communement
plus saiges que les jeunes. Et est vray pour deux raisons. L'une pource
que leur entendement est plus parfait & a plus grant consideration. Et
l'autre qu'ilz ont plus grant experience des choses passees: pource
qu'ilz ont plus veu. Si leur appartient doncques estre plus saiges / &
s'ilz ne le sont plus sont a reprendre. Et sans faille quant vieilles
gens sont sans sens ou nices ou qu'ilz facent les follies que jeunesse
admonneste aux jeunes & dont mesmes on les reprent il n'est si grant
mocquerie. Et pource l'ancienne femme doibt bien estre pourveue qu'elle
ne face chose dont on y puist noter follie ne luy appartient dancer
baller ne rire follement mais s'elle est joyeuse de sa condicion doit
toutesfoys regarder qu'elle prengne ses joyeusetés par apoint non mye de
la maniere des jeunes gens: mais plus rassisement die ses parolles a
trait & gracieusement face ses esbatemens / & sans nul effroy / car quoy
que nous disons que saige doibt estre & rassise n'entendons par pourtant
que rechignee soit malle ramponneuse ne maulgratieuse pour donner a
croire que c'est tout sens. Car ainçois se doit garder de telles
passions si viennent communement a vieilles gens. C'est assavoir d'estre
ireulx maugracieux & rechinés pource la saige ancienne quant elle
sentira que son couraige sera enclin a tencer ou se courroucer elle la
moderera par telle sage distrecion disant a soy mesmes dieu & que as tu
que demandes tu est ce fait de saige femme d'ainsi se demener ou
troubler se ces choses te semblent maufaictes / il n'est mye en toy de
tout amender soies plus en paix ne parle pas si maugracieusement se tu
te voies comment ta chere est maugracieuse quant tu es en tel despit
grant orreur en auroies soies plus conversable & plus debonnaire a tes
gens et ceulx que tu dois chastier reprens les plus courtoisement et te
garde de tel ire / car c'est chose qui desplaist a dieu & en vault pis
ton corps & moins en es aymee. Il appartient a avoir pacience. Telles
choses & semblables doit dire a soy mesmes la saige femme ancienne quant
les mouvemens d'ire luy viennent avec ce sens doit estre l'ancienne
femme vestue large et d'abillement honneste. Car a ce propos dit ung
vray mot machault vieille coincte et jolie est matiere de mocquerie / sa
contenance de beau port & honnorable. Car en verité quoy que nul die
c'est beau parement et chose de grant honneur et reverence en une place
& qui bien y tient son lieu souventesfois que une ancienne personne soit
homme ou femme quant elle est saige ou de honnorable maniere en toutes
choses la parolle de ceste saige femme ancienne doit estre toute meue
par discretion se garde bien que de sa bouche n'isse folles parolles
deshonnestes / car chose de plus grant derision n'est que sotte parolle
& mal honneste en vieille gens / pource les doit dire toutes de bon
exemple Et a venir a ce que nous avons dit devant. C'est assavoir a
parler du contens et mal accord qui est communement entre vieilles gens
& jeunes gens la saige ancienne femme doit estre sur ce advisee en telle
maniere que quant aucun mouvement luy viendra en pensee ou en parolle
contre jeunes gens pour leurs jeunesses que elles ne puissent pas bien
soufrir pensee en soy mesmes. Beau sire dieu tu as esté jeune advise
bien quelles choses tu faisoies en ce temps eusses tu voulu qu'on
parlast ainsi de toy pourquoy leurs cours tu tant seur advise comment
sont grans les aguillons de jeunesse tu en dois avoir pitié Car tu es
passee par ces pas on doit jeunes gens reprendre & tencer voirement de
leurs follie. Mais non mye pourtant les haïr ne diffamer / car ilz ne
scevent qu'ilz font & ne congnoissent pource les supporteras benignement
& chastieras par bonne maniere ceulx & celles qui te touchent & se les
autres le blasment ou diffament tu les excuseras par pitié advisant
l'ignorance de jeunesse qui leur toust a avoir plus grant congnoissance.
Ha dieu advises en toy mesmes que se tu n'as a present en toy les
mouvemens que jeunesse a ne plus ne te delictes en telz folies par
vieille qui t'a meuree & refroide tu n'es mye pourtant sans pechié ains
en as par adventure de plus grans et de plus gros que tu n'avoyes de tel
aage ou que assés de jeunes gens n'ont & se ces vices la t'ont delaisee
d'autres plus mauvais t'ont acueillie comme envie couvoitise ire
impacience gloutonnie par especial de vins en quoy tu fais souvent de
grans deffaultes. Et toy qui dois estre saige n'a pas puissance de y
resister par ce que l'inclination de vieillesse tire tempte & admonneste
& tu veulx que iceulx jeunes soient plus saiges que toy / c'est assavoir
que ilz resistent aux temptations que jeunesse leur met en couraige et
facent ce que tu ne peus faire si laisses en paix jeunes gens & plus ne
murmures contre eulx. Car se bien te regardes assés as affaire de toy
mesmes. & se les vices de jeunesse t'ont laissee ce n'est mye par ta
vertu / mais par ce que nature plus ne s'i encline et pour ce te
semblent ilz si abhominables.



¶ Cy devise comment jeunes femmes se doivent maintenir vers les
anciennes. chap. .xlvi


Si viendrons aux enseignemens qui pevent garder les jeunes gens de
contendre arguer mesaymer ne despriser les anciens / mais les avoir en
toute reverence. & leur dirons ainsi. O enfans & entre vous jeunes gens
qui estes abilles a retenir & aprendre entendés la leçon qui vous peut
introduire prouffitablement en meurs & coustumes qui a tenir vous
affierent vers les treshonnorables estatz des anciens. Laquelle leçon
vous peut introduire en cinq principaulx pointz. dont le premier point
appartient a la reverence que porter leur devés. Le deuxiesme a
l'obeissance. Le troisiesme a la crainte Le quatriesme en l'aide &
reconfort. Et le cinquiesme a adviser le bien qu'ilz vous font & que par
eulx. dont quant au premier point qui est de la reverence que par
droicte ordonnance leur devés est escript que il fut ung roy en grece
que on nommoit figurgus / qui maintes belles lois trouva & entre les
autres en establit une telle que les jeunes gens portassent tresgrant
honneur & reverence aux anciens. Si advint une fois que celluy roy ou
autre sien successeur avoit envoyé ses ambassadeurs en une autre contree
avec lesquelz estoient alés pour les garder servir & acompaigner de
nobles gens du païs Advint que quant temps fut de faire leur legation la
presse estoit moult grande ou lieu ou assis estoient / car la fut
assemblee la gent pour ouÿr ce que dire vouloyent si estoient les places
toutes prinses. Si y vint ung ancien homme pour ouÿr comme les aucies &
ala traçant tout a l'environ pour trouver a se seoir & nul de sa nation
trouva si courtois qui point de lieu luy presentast mais quant il vint a
l'endroit ou seoient les jeunes estrangiers dessusditz tantost selon les
lois de leur païs se leverent & firent reverence & place au vieillart.
laquelle chose fut tresgrandement notee & prisee de tous. Et ceste
mesmes maniere tenoient semblablement les rommains au temps qui se
gouvernoyent par souveraines ordonnances. Et pourtant entre vous enfans
& jeunes gens cest exemple par enseignement vous soit doctrine / car
sachiés que droit & raison veult que honneur leur soit portee & mesmes
la saincte escripture le tesmoigne & soyés certains que en ce faisant
vostre tresgrant los y sera. Car l'honneur n'est mye a celluy a qui on
le fait. Et s'il est ainsi que honneur leur devés il s'ensuyt que
souverainement vous devés garder de les mocquer ne dire ou faire
derisions injures oultrages ne vilennies quelconques desplaisir ne
arguer a ceulx sicomme font aucuns mauvais enfans qui trop en sont a
reprendre / qui les appellent vieillars ou vieilles / mais c'est ung bel
reproche a qui bien le gouverne. Le deuxiesme point qui est comment leur
devés obeir touche comment devés croire certainement que ilz sont plus
saiges que vous si appartient que vous vous tenés a leurs oppinions plus
que aux vostres / c'est a entendre des anciens saiges que usiés de leur
conseil & de vos plus grans fais ordonnés & riglés par eulx et par ainsi
ne pourrés estre aprins. Le quatreiesme point est que tous ne soient ilz
pas fors de corps pour vous batre / et que ja n'ayés celle doubte si les
devés vous craindre sicomme s'ilz fussent tous vos peres & vos meres. La
raison est pource qu'ilz ont avecques eulx en leurs sens Et sçavoir le
baston de correction qui vous appartient pource vous affiert redoubter
leur presence / c'est assavoir vous garder de mesprendre la ou ilz sont:
car tost l'apercevroient Le quatriesme est que vous leurs devez ayder &
reconforter de la force de vostre corps & aussi de voz biens piteusement
en leurs maladies & foiblesses a ceulx qui besoing en ont par humaine
compassion pensant que semblablement devendrés impotens & foibles se
vous tant vivés si vouldriés bien adonc que on vous reconfortast & aussi
pour la tresgrande charité & aulmosne que c'est envers dieu / car plus
grant enfermeté n'est que vieillesse. Item le cinquiesme point qui est
du bien que par eulx recevés lequel plus vous doit esmouvoir a les
suporter & avoir compassion d'eulx est que ce sont mesmement les loys
par ce estes enseignés & riglés en ordre de droit si ne pourriés jamais
rendre ces grans benefices & qui aussi soustiennent tous les jours en
toutes terres païs & royaulmes les belles rigles & ordonnances du monde.
car non obstant la grant force des jeunes se ne fussent les saiges
anciens le monde yroit a confusion / & ce mesme tesmoigne la saincte
escripture qui dit mal pour la terre dont le roy ou seigneur est enfant
c'est a dire jeune de meurs et aussi & par ces rigles entre vous jeunes
vous devez ordonner & maintenir vers les anciens affin que le bien de
vous & de vostre renommee mesme en croisse. Car moult est grant
auctorité la bonne renommee qui est recitee par la bouche de saige
ancienne personne de la relation d'autruy & y adjouste l'en grant foy
parquoy se les jeunes qui la desirent estoyent bien advisés ilz
devroyent mettre trop grant peine d'estre en leur grace par bonnes meurs
affin que d'eulx ilz fussent loués. Si touche cest admonnestement que
dit avons en ce pas tant les jeunes hommes comme les jeunes femmes. Mais
pour descendre a nostre propos a l'enseignement des femmes pource que
les sens et les biens dessusdictz sont es anciennes / c'est assavoir en
ceulx & celles qui sont honnorables & saiges car nostre entente n'est
mye d'aucuns maleureux vieillars ou vieilles endurcis en leurs pechés &
vices ou n'a quelconques sens ne bonté & ceulx sont a fuyr plus que
chose nee / mais de bonnes & honnestes se doibt voulentiers accointer
toute jeune femme qui desire honneur aller a festes ou a quelconque lieu
que ce soit voulentiers en leur compaignie plus que avec les jeunes /
car plus en sera louee & plus seurement yra & se aulcune chose venoit en
l'assemblee mal apoint ja le diffame ou blasme ne sera sur telle qui en
honnorable compaignie d'ancienne femme bien nommee sera. Si doibt si que
dit est la jeune femme servir & honnorer & porter grant reverence a
l'ancienne & suporter d'elle posons qu'elle feust aucunement male ou
dangereuse recevoir en gré sa correction ne luy respondre point
maulgracieusement mais se taire ou parler courtoisement l'apaisier par
bel se elle peut & se garder de faire les choses qu'elle scet qui la
peut mouvoir a ire & de ce faire sera tres louee. Et par ces voyes tenir
de vieilles gens aux jeunes gens & de jeunes aux vieulx pourra estre
gardee & maintenue[**u/n entre eulx qui souventesfois sont en grans
desaccors.



¶ Cy devise des femmes des mestiers comment gouverner se doivent. Chap.
.xlvii.


Or nous convient parler de l'ordre de vivre des femmes mariees aux
hommes des mestiers qui demeurent es cités & bonnes villes sicomme a la
ville de paris & autre part non obstant que tout le bien que devant est
dit pevent prendre en leur usaige se il leur plaist. mais non pourtant
que les mestriers soyent plus honnestes les ungs que les aultres sicomme
orfevre brodeur armurier tapissier & autres plusieurs que ne sont maçons
cordonniers & telz semblables a toutes appartient que elles soyent
tressoigneuses & dilligentes se chevances veullent avoir par honneur de
solliciter leurs maris ou leurs ouvriers de eulx prendre matin a la
besongne & tard laisser / car sans faille il n'est nul si bon mestier
que qui n'y met dilligences a peines peut on aller de pain a autre. Et
avec ce que tel femme doibt solliciter les aultres a ellemesmes
appartient mettre les mains a la paste tant faire que elle se congnoisse
en l'ouvrage affin que elle saiche deviser a ses ouvriés se le mary n'y
est reprendre s'ilz ne font pas bien doibt estre dessus pour les garder
d'oiseuseté car par ouvriers mausongneux est aucunesfois desert le
maistre & quant marchés viennent a son mary de faire aucun ouvraige
aucunement dangereux & non acoustumé elle le doibt admonnester par bel
que il garde bien que il n'en prengne marché ou il puist perdre & luy
conseille que le moins qu'il puisse face de creances s'il ne scet bien
ou & a qui / car par ce plusieurs viennent a povreté quoy que
aucunesfois la couvoitise de plus gaigner ou de la grant offre que on
leur fait / leur face faire. Avec ce doibt tenir son mary en amour le
plus qu'elle peut a celle fin que plus voulentiers se treuve a l'hostel
& que il n'ayt cause de suyvre les sottes compaignies d'aultres jeunes
hommes en tavernes & autres superflus & oultrageuses despenses si que
assez de gens de mestier & par especial a paris font desquelles par
doulcement traicter le doibt garder le plus que elle peut. Car on dit
que trois choses chassent l'homme de son hostel femme rioteuse cheminee
qui tient fumee & maison ou il pleut. Avec ce elle se doit tenir
voulentiers a l'hostel non mye allant tous les jours trotant ça & la
voisinant pour sçavoir que chascun fait ne visitant souvent commeres /
car c'est faict de maulvaises mesnagieres si ne luy sont bien seans tant
de compaignies faire par ville ne troter a pelerinages trouvés sans
besoing qui ne sont toutes fors despences sans necessité. Avec ce doit
admonnester son mary que ilz vivent si sobrement que la despence ne
passe la gaigne si que au bout de l'an se treuvent en debtes se elle a
enfans leur face aprendre premierement a l'escolle affin qu'ilz puissent
& sachent mieulx servir dieu aprés soyent mis a aulcun mestier par quoy
leur vie puissent avoir. Car grant avoir donne a son enfant qui luy
donne science marchandise ou mestier & les garder de mignotises & de
friandises sur toutes riens. car en verité c'est une chose qui moult
honnist les enfans de bonnes villes qui est grant peché a peres & a
meres lesquelz doibvent estre cause du bien & des bonnes meurs de leurs
enfans & ilz sont aucunesfois achoison par les friandises en quoy ilz
les nourrissent & les grans mignotises que ilz leur font de leur mal &
perdicion.



¶ Cy devise des femmes servantes & chamberieres. chap. .xlviii.


Affin que tout se sente de nostre admonnestement en bien vivre parlerons
mesmement aux femmes servantes & chamberieres de paris & d'aultre part &
pource que en plusieurs lieux la necessité de gaigner leur vie & assez
en est il par ce que elles ont esté mises bien jeunes a servir
l'occupation du service mondain leur a par adventure empeschié de
sçavoir si largement des choses qui appartiennent a sauvement comme
autres font & aussi a servir dieu en oyant messes sermons et disans
patenostres & oraisons dont peut estre desplaisir a auculnes bonnes mais
besoing de servir ne leur seuffre nous semble bon parler ung petit de la
maniere en fait oeuvre ou pensee qui pour leur sauvement a tenir leur
est prouffitable & aussi de ce qu'elles doibvent eschever. Si doit
sçavoir toute femme servante qu'elle faict a excuser de toutes choses
mesmement vers dieu se elle ne les fait que sa maistresse ou autre femme
aisee n'en sera pas excusee / c'est assavoir que se elle est en service
par necessité de son vivre & il convient que pour son service mieulx
acomplir tire grant peine lieve matin & couche tard disne & souppe aprés
les autres & mal a son loysir / mais aille mengeant ça & la tousjours en
servant & par adventure non mye bien largement aura sa substentation /
mais assez escharcement & ric a ric se telle femme ne jeusnes mesmes
tous les jours commandés de l'eglise elle en faict vers dieu a excuser
voire se elle sent que sans grever son corps lequel par adventure
deffauldroit si qu'elle ne pourroit gaigner sa vie ne le peut faire non
mye que elle brise son jeune par gloutonnie & par folle presumption
disant je suis servante je ne doy mye jeusner. Et pource discretion &
bonne conscience doivent faire la difference & en estre juges Car il est
des chamberieres plus aises de toutes choses que assez de mesnagiers est
il qui jeusnent ou font abstinences pour l'amour de dieu si ne le disons
mye pour icelles. Et semblablement disons d'aller en l'eglise & estre en
oraisons. que doit faire la bonne servante qui veult deservir estre
sauvee certainement elle doit avoir que dieu qui tant congnoist voit ne
demande que le bon cueur vers luy ne fauldra a bien ouvrer et pour celle
qui tel aura & se sauvera en tel maniere que elle se gardera de tous
lais & mauvais pechés portera loyaulté en faict & en dict a maistre & a
maistresse et songneusement les servira et mesmes en faisant la la
besongne pourra dire ses patenostres & ses devotions & se elle peut
estre de fait au moustier le cueur y sera par bonne voulenté &
toutesfoys n'est mye a croyre que nulle ou pou soit occupee que s'elle
veult prendre la peine de lever matin qu'elle ne puisse bien avoir
espace d'oÿr une messe le plus des jours se recommander a dieu puis s'en
retourner faire sa besongne & telle voye tenir avec les autres biens que
bonne servante peut faire sans faille les conduyront a sauvement. Mais
tenir la maniere que aucunes gouliardes & mauvaises font est chemin
dampnable. Et pour les reprendre de leurs mauvaisties & follies en
dirons il est aucunes faulces gloutes chamberieres que par ce qu'elles
scevent assez du bas vouler et bien servir pour mieulx flater es grans
hostelz des bourgois & riches gens on leur baille grant gouvernement
pource qu'elles scevent bien faire les bonnes mesnagieres si ont office
d'acheter la viande et aller a la chair ou trop bien batent le cabas qui
est mot communement dit qui est a entendre faire acroire que la chose
couste plus que elle ne fait & retenir l'argent / si font entendant que
le quartier de mouton leur couste quatre soulz que elles ont pour dix
blans ou moins & ainsi des autres choses si pevent par celle voye faire
aval l'annee grant dommaiges / et plus font telz jours est / car elles
apportent a part ung morcellet de friandise si font faire ung pasté et
sur la taille de leur maistre le content au four. Et puis quant leur
maistre est au palais ou en la ville & leur maistresse a l'eglise a la
grant messe la desjeunerie est faicte en la cuisine a bon gaudeamus et
n'est pas sans bien boire et du meilleur et la viennent les autres
chamberieres de la rue qui sont du flot des chamberieres et autres
commeres & dieu scet comme la se fourrent et aucune porte le pasté en la
chambre que elle a en la ville. et la vient le gentil gallant et ainsi
se rigollent / s'il y a femmes qui repairent en l'ostel qui aident a
faire les lessives & a escurer les potz celles sont de la cordelle de la
chamberiere / car elles font la besongne de l'hostel tandis que icelle
va jouer affin que le maistre & la maistresse treuvent tout prest quant
ilz vendront si les envoye bien a heure / mais dieu scet comment boudees
de vin & de viandes si leur servent d'ung autre office. car aucunesfois
quant on fait la lessive a l'hostel & la maistresse qui en sera bien
embesongnee cuidera que sa chamberiere soit a la riviere pour laver la
lessive & elle est aux estuves paix & aise / et a ses femmes qui luy
font sa besongne / mais ne les paye pas du sien / si a ses cousins & ses
comperes qui la viennent demander a l'hostel & veoir aucunesfois & dieu
scet que les cousinages & les chalandises de maintes commeres qu'elles a
en la ville coustent a l'ostel maintes bouteillees de vin / mais s'il
advient quel tel femme serve en lieu ou il y ait jeune maistresse
nouvelle mariee / et ung pou nicette elle est bien arrivee. Car bien se
sçaura pener de flater le maistre & de parler a luy bien en preude femme
& dire fy de flatars / affin que se fie bien a elle de sa femme & de
tout / mais ne fault pas a luy tirer bien les vers du nés / car d'autre
coste raflatera la jeune fille / si que par celle maniere les tendra
tous deux qu'ilz ne croiront a autre dieu & adonc vin & viande chandelle
pain lart sel & toute despence d'ostel sera bien gouverné & se le
maistre dit aucunesfois que les garnisons y faillent trop tost
incontinent aura sa responce preste disant que c'est pource qui faict de
grans disners & semont tant les gens de boire / mais s'il advient que
aucun galant luy promette ou donne chapperon ou robe pour faire ung
message a sa maistresse se elle ne le fait de bonne maniere que elle
soit arse de telles gloutes chambrieres est il aucunesfois si est moult
grant peril en ung hostel. Car par le beau service que elles scevent
faire leurs flateries bien appareiller & beau respondre aveuglent
tellement les gens que on ne se prent garde de leurs mauvaisties / car
elle se meslent de devotion parmy pour mieulx tout couvrir & vont au
monstier a tout patenostres & la est le peril. Si vous en prenés garde
entre vous qui estes servis que ne soyés deceus. Et a vous qui servés le
disons affin que abhomination aiés de telz choses faire. Car sans faille
celles qui le font se damnent & desservent mort d'ame & de corps / car
de telles sont arses ou vives enfouyes qui tant ne l'ont desservy.



¶ Cy parle a l'enseignement des femmes de folle vie. Chapitre .xlix.


Tout ainsi comme le soleil luyst sur les bons & sur les mauvais n'aurons
point de honte d'espandre nostre doctrine mesmes sur les femmes qui sont
folles legeres & desordonnees vie quoy qu'il ne soit riens plus
abhominable & ce ne devons mye avoir pensant que la digne personne de
jesucrist n'eut pas orreur de leur tenir resne en les convertissant
donques pour charité & intention de bien & affin que aucunes d'elles
puist se l'aventure si a donné que elle l'oye recueillir & retenir de
noz enseignemens quelque chose qui puisse estre cause de la retraire de
vie folle. Car plus grant aumosne ne peut estre faicte que de retraire
le pecheur de mal & de peché dirons ainsi ouvrés les yeulx de
congnoissance entre vous miserables femmes donnees a peché tant
deshonnestement retrahés vous tandis que la lumiere du jour avés & ains
que la nue vous surprengne / c'est a dire tandis que vie au corps vous
dure que mort ne vous assaille & prengne em peché qui vous conduise en
enfer. Car nul ne scet l'eure de la fin avisés la grant ordure de vostre
maniere de vivre tant abhominable que avec ce que vous estes en l'ire de
dieu le monde vous desprise que toute personne honneste vous fuyt comme
chose excommuniee & en rue destourne sa veue que ne vous voye. Et
pourquoy dure en vous tant ville couraige que on parle de telle
abhominacion vous tenez plungiees comment peut estre ramenee a tel vice
femme qui de sa nature & condition est honneste simple & honteuse
qu'elle puisse endurer tant de deshonnesteté vivre boire & menger entre
hommes plus vilz que pourceaulx ne d'autre gens n'avez congnissance qui
vous batent traisnent & menassent & desquelz estes tous les jours en
peril d'estre occises. Helas pourquoy est simplesse & honnesteté de
femme ramenee en vous a telle paillardise. A pour dieu femmes qui portés
le nom de crestienté & qui le convertisés en si vil office levez sus
vous sourdés de la boue tant abhominable & ne vueillés plus souffrir voz
povres ames chargees des ordures commises par les villains corps. Car
dieu tout piteux est apareillé vous recevoir a mercy se repentir vous
voulez & criés mercy par grant contriction. Si prenez exemple a la
benoiste marie egiptienne qui de folle vie se repentit & a dieu se
convertit qui est glorieuse saincte en paradis. Semblablement la
benoiste saincte affre qui offrit son corps dequoy elle avoit pechié a
martirer pour honneur de nostre seigneur & autres pareillement qui ont
esté sauvees Et se aucunes de vous se vouloit excuser disant que ce
feroit elle volentiers / mais trois raisons l'en destournent. L'une
pource que les deshonnestes hommes qui la hantent ne luy souffreroyent.
L'autre que le monde qui l'a en abhomination la debouteroit & chasseroit
de tous lez & pource puis qu'elle est tant a honte jamais ne se oseroit
veoir entre gens. La tierce que elle n'airoit dequoy vivre car elle ne
scet nul mestier Si dirons que ces raisons riens ne vallent Car remede
peut avoir en toutes Le premier est tel savoir doivent qu'il n'est point
de doubte que femme n'est tant commune ne acointe de plusieurs que se
elle veult bien a certes se disposer a retraire de pechié quoy que
advenir luy en doye crier mercys a dieu par repentance & se tirer devers
luy par ferme propos de jamais n'y renchoir il la gardera bien de tous
ceulx qui l'en vouldroient destourber / mais que elles mesmes s'en
vueille garder en fait & maintien laisse tantost son tresdehonneste
habit & se veste & affuble de robe large & honneste & fuye les repaires
que hanter souloit se traye vers le monstier & l'eglise en devotes
oraisons suyve les sermons devottement & en grant repentance &
contricion se confesse a saige confesseur. Et a tous ceulx qui
l'admonnesteront de pechié respondre plainement que plus tost offreroit
son corps a martire que elle le souffrist. Car dieu luy a donné grace de
soy repentir & retraire si ne luy adviendra jour de sa vie pour mourir.
Et par celle voye tenir n'est point de doubte apellant dieu a son aide
qu'i n'y aura si grant goliard donc elle bien ne se delivre & se ores
aucun trouvoit si mauvais qu'elle ne peust resister tantost contast son
fait a justice qui pitié en auroit & y seroit pourveu. A l'autre raison
qui est que le monde la despiteroit ne doit avoir telle oppinion ne
pource laisser. Car le vray est tout au contraire & ne face nulle doubte
que toutes les creatures qui la verront ainsi convertie & honteuse de
son peché & folle vie en auroient tresgrant pitié l'appelleroient vers
eulx luy diroient bonnes parolles & luy donroient occasion de perseverer
& bien faire & pourroit estre veue & si bonne & si honneste vie tant
devote doulce & humble que la ou elle souloit estre deboutee de chascun
seroit apellee de toutes bonnes gens & cher tenue & ainsi par bien faire
& la grace de dieu auroit recouvré honneur pour honte. Et pour quoy ne
seroit. Car quant dieu luy auroit pardonné & prinse en grace ne seroit
pas raison que le monde la boutast Helas sans faille toute femme ainsi
donnee a honte & peschié deveroit bien desirer estre remise en cestuy
estat laquelle chose seroit se disposer se vouloit / la tierce raison
qui est qu'elle n'auroit dequoy vivre ne vault. Car se elle a corps fort
& puissant pour mal faire & pour souffrir maintes batures & assez de
mescheances elle l'auroit bien a gaigner sa vie / mais que ainsi fust
disposee comme nous disons / car chascun la prendroit voulentiers a
aider a faire les lessives en ces grans hostelz si en auroient pitié &
voulentiers luy donneroient a gaigner / mais que bien gardast que on ne
veist en elle ordure ne mauvaistie en nul endroit filleroit garderoit
des accouchees & des malades demoureroit en une petite chambre en bonne
rue & entre bonnes gens la vivroit simplement & sobrement si que on la
veist nulle fois yvre ne malle ne tenceresse ne grande quaqueteresse &
gardast bien que de sa bouche n'issist quelconques parolles de lubreté
ne de deshonnesteté / mais tousjours courtoise humble & doulce & de bon
service a toutes bonnes gens & bien se gardast que homme n'attraist. Car
elle perdroit tout Et par ceste voye pourroit servir dieu & gaigner sa
vie si luy feroit plus de bien ung denier que cent receus en pechié.



¶ Cy parle en louant les femmes honnestes & chastes. Chap. .l.


Tout ainsi comme le blanc du noir se differe et que contre l'ung l'autre
mieulx est apperceue la difference nous plaist pour donner plus grant
veue aux femmes chastes & honnestes parler a elles en les louant non mye
pour les orgueillir / mais affin que perseverance de bien faire leur
soit plaisir et que toutes femmes desirent estre de ce renc si en dirons
aprés ce que nous avons parlé aux povres pecheresses. car tout ainsi
comme a icelles deffaillans se pevent par grace de dieu relever
convertir les bonnes par temptation d'ennemy & fragilité pervertir &
estre peries & dampnees. Car point n'est congneue la constance du bon
pelerin jusques a ce qu'il ayt acomply le terme de son voyage. Et pource
considere la povre fragilité humaine tost encline a trebuscher nul ne
doit presumer de soy que il soit plus fort que fut saint pierre ne que
david salomon & aultres de grant sçavoir qui trebucherent en peché. Si
dirons ainsi a vous femmes honnestes de chaste vie. Salut par dilection
amys cheres le plaisir que nous prenons a la lueur de chasteté nous
desduit a vous escripre tant les proprietés d'icelle noble fleur comme
les louenges qui luy sont donnees a celle fin que tout ainsi que quant
on loue le bon ouvrier par le bon ouvraige de plus en plus il se delicte
a bien ouvrer faciés semblablement. Et quoy que assez suffise descripre
toutes ses proprietés seroit fort neantmoins aulcunes belles & bonnes
voulons en brief ramentevoir. Chasteté a telle proprieté qu'elle rend la
personne en qui elle est & demeure agreable devant dieu sans laquelle
nul n'y pourroit plaire. Et il y pert par ce que recite sainct ambroise
quant il dit que de creature humaine fait devenir ange. Et celle mesmes
sentence accorde saint bernard ainsi disant que plus belle chose fait il
peut estre que chasteté qui de creature humaine conceue d'orde matiere &
semence & en peché peut faire ung tresnet & plaisant habitacle a dieu.
Chasteté dit il est la seulle vertu qui mesmes en ce monde mortel
represente l'immortalité de lassus / c'est assavoir que les creatures
qui l'ont en eulx se pevent comparer aux saintz esperitz du ciel si sont
infinies les proprietés & louenges que la saincte escripture recorde de
ceste vertu celeste. Et avec ce que elle est tant tesmoignee estre
haulte devant dieu l'experience nous demonstre semblablement au monde &
a la louenge exaulcee / car il ne sçaura estre creature remplye de tant
de defaulx que s'il est renom que elle soit chaste que on ne l'ait en
reverence & se elle est renommee du contraire d'aucune personne quelque
bien qu'elle face que on ne s'en mocque en derriere & que moins n'en
soit prisee. Si vous y vueillés doncques delicter de plus en plus entre
vous preudes femmes / non mye par faintise montrer par signes & parolles
que le soyés & que couvertement ait en vous le contraire. Car dieu a qui
riens n'est mucé le sçauroit bien qui vous en pugniroit / mais en realle
verité soit telle vostre conscience par droit effect. Et ne faictes
comme aucunes folles qui cuident par parler des aultres mucier leurs
follies ou faire acroire que moult sont preudes femmes & que tel fait
ont en abhomination / mais telle maniere fait a despriser. car quelque
bonne que une femme soit de tant comme elle est bonne luy appartient
plus se taire en tel cas pource que elle doit penser que les autres
pareillement le sont. Car n'est point signe que elle soit quant tant
treuve sur les autres a dire. Car en ce cas luy affiert prendre son
cueur a autruy. Si ne vous devés doncques orgueillir pour vostre
chasteté suppeditant ne mocquant les autres posons que sceussiés de vray
leurs vices n'en parler en mal pour vous aloser & monstrer que mieulx
vaillés pour deux principaulx raisons. L'une car vous ne sçavés qui vous
est a advenir ne comment temptees serés Car dit le proverbe commun.
quant la brebis est vieille si l'emporte aucunesfois le loup L'autre que
si vous n'avez celuy peché vous en avés peut estre d'autres pires envers
dieu si que en ce livre est aucunesfois touché / quoy qu'ilz ne soyent
mye par adventure si deshonnestes au monde. Si devez avoir pitié des
deffaillantes prier pour elles leur donner occasion d'elles retraire &
louer dieu de ce que de tel mal vous a gardés luy prier qu'il vous doint
perseverance / fuir les occasions qui vous pourroient faire encliner a
pechié vous tenir humbles vers dieu & ne vous fier en vous mesmes / mais
tousjours estre craintives & ainsi & par ceste voye tenir pourrés
conduyre vostre charroy jusques a fin & terme de gloire / laquelle dieu
vous ottroit.



¶ Cy dit des femmes des laboureux. chap. li.


Or nous convient tirer vers la fin de nostre procés dont il est temps
desormais parlant aux simples femmes de labour es villages auquelles
n'est mestier deffendre les grans paremens ne oultrageux habitz. Car de
ce sont bien gardees & non pourtant quoy que elles soyent nourries
communement de pain bis de lart de potage & de eaue abuvrees & que assés
de peine trayent est leur vie plus seure & en plusgrant souffisance que
de telles sont bien hault assises. Et pource que toute creature de
quelque estat qu'elle soit a mestier d'introduction & bien vivre nous
plaist que elles soyent participans en nos leçons si leur dirons ainsi
entendés simplettes femmes qui demourés es villaiges es platz païs ou es
montaignes qui ne povez mye souvent ouÿr ce que l'eglise admoneste a
toute creature pour son sauvement si n'est par vos curés ou chapelains
au dimenche au prosne en brief sicomme dire le scevent retenés nostre
leçon a vous adrecee s'il est ainsi que aller puisse jusques a vos
oreilles affin que ignorance qui vous peut decevoir par faulte de plus
sçavoir ne vous destourner de sauvement. Si devés sçavoir tout
premierement qu'il est ung seul dieu tout puissant tout bon tout juste &
tout saige a qui nulles choses sont celees qui rend guerdon a toute
personne ou de bien ou de mal selon ce qu'il a deservy celuy seul doit
estre parfaictement aimé & servy. mais pource qu'il est tant bon qu'il a
aggreable tout service que bon cueur luy presente & tant saige qu'il
scet la possibilite des gens luy suffit que chascun face vers luy selon
sa possibilité & souffist mais que le cueur y soit. Et pource entre vous
de qui il est necessité que le monde soit secouru au labour qui est pour
la sustentacion vie & nourrissement de toute creature humaine parquoy ne
povés tant vacquer ne entendre a le servir en faisant jeusnes disans
oraisons ne aller a l'eglise comme autres femmes de bonnes villes &
toutesvoyes avés aussi bien besoing de sauvement que autres ont comment
doncques qui les servés par autre voye sicomme nous vous dirons / c'est
assavoir en cueur & en voulenté en faitz en dis et en pensee. C'est
assavoir en tant que vous l'aimez de tout vostre cueur vous garderés de
faire a vos voisines ou autres gens ne que vouldriés qu'ilz vous
feissent & que de ce admonnestés bien vos marys / c'est assavoir quant
ilz labourent terres pour autruy qu'ilz le facent bien & loyaulment
comme pour eulx feroient & se c'est a moisson payent leur maistre du
froment qui aura creu en la terre si tel est le marchié & non mye mesler
seigle avec & faire entendant que autre n'a rendu / ne mucent pas les
bonnes brebis ne les meilleurs moutons ches les voisins ou autre part
pour payer le maistre quant vient au partaige des pires ne face acroire
que mortes sont par luy / luy monstrer les peaux d'autres bestes ne le
payent des pires toisons des laines / ne mauvais compte ne luy rendent
de ses voitures ne de ses choses ou de sa volaille. & ne voisent coupper
en aultruy bois sans congié pour lever leurs maisons / & quant vignes
prennent a faire soyent diligent de les faire de toutes façons & en
bonne saison. Et quant ilz seront commis pour leurs maistres de prendre
des autres ouvriers s'ilz les louent six blans le jour ne face mye
acroire que sept coustent et ainsi de toutes telles choses les bonnes
femmes doivent adviser leurs marys qu'ilz s'en gardent / car ilz se
damneroyent & par bien faire & loyaulment leur labeur prennent en gré
leur vie sans faille ilz se sauvent & est vie bonne & aggreable a dieu &
elles mesmes leur doivent aider en ce que elles pevent & bien garder
qu'elles ne voisent ne seuffrent aller leurs enfans rompant hayes pour
en autruy courtilz embler les raisins par nuyt ou par jour / ne autruy
fruitaiges / ne quelconques courtillaiges ne autres choses / ne leurs
bestes ne mettent paistre en gaignages ne au prés de leurs voisins ne
quelconques chose ne tollent autruy ne qu'elles vouldroient que on leur
tollist. voisent a l'eglise le plus qu'elles pourront & payent a dieu
loyaulment leurs dismes & non mye des pires choses & dient des
patenostres paisibles soient avec les voisins sans leur faire dommage en
plait pour pou de chose. Si que assés de villages font que ja ne seront
aises se ilz ne plaident croyent bien en dieu & ayent pitié de ceulx a
qui verront mal avoir & par ces voyes tenir si pourront les bonnes gens
sauver tant hommes comme femmes.



¶ Cy parle a l'estat des povres. chap. .lii.


Si que nous commençasmes aux riches & aprés ce que parlé avons a tous
les communs estas des femmes nous convient terminer nostre euvre aux
estas de dieu aymés & du monde haïs / des povres tant de hommes comme de
femmes en les ennortant de pacience par l'esperance de la couronne qui
leur est promise en disant. O beneurez povres par la sentence de dieu
recordee en l'evangille attendans la possession du ciel par le merite de
povreté paciemment portee resjoyssés vous en ceste haulte promesse de la
joye qui toutes passe & a qui autre n'est comparee & n'est pas promise
aux Roys ne aux princes ne aux riches s'ilz ne sont de vostre regne en
esperit c'est povre de voulenté si que ilz desprisent les richesses &
boubans du monde ne point ne les assavourent. amys treschiers de dieu
aymés plaise vous a retenir nostre admonition se jusques a vostre
congnossance peult aller par quoy elle vous ramentoive ce qui vous peut
aider contre les aguillons d'impacience quant ilz vous poignent de
divers & tresgrans laises que vous portés. C'est assavoir souventesfois
fain & soif froit maulvais logis impotence vieillesse sans amys maladie
sans resconfort & avec ce le despris villennie & deboutemens du monde
sicomme a peu si vous estiés une autre espece de gent & non mye
crestiens. Adonc quant la pointure d'icelle impacience vous assault
affin que par elle ne perdés pas lesditz tresgrans tresors qui promis
vous sont vienne dame esperance aymee de patience atout l'escu de foy
qui fort se combatent contre elle si qu'elle la desconfisse & que la
victoire en soit vostre & l'envaïse fort par telz cinq dars Le premier
qu'elle luy gettera sera tel O povre pecheur ou pecheresse que as tu qui
te complains povreté est il homme au monde qui ne se tenist pour bien
payé d'estre vestu des robbes du roy & de sa livree. He mon createur
tout puissant roy sur tous roys / & moy ta povre creature qui suis
vestue de tes robes en ame & en corps n'ay pas souffisance en ame entant
que tu l'as faicte a ton ymage / en corps que j'ay chair humaine si que
tu veulx avoir & vestu de povreté laquelle robbe tu veulx avoir toute la
vie. Et bien monstras que tu auctorisoyes l'estat de ceste prophecion de
povreté plus que nul aultre quant pour toymesmes l'esleuz or pert il
bien que tes jugemens ne sont pas pareilz a ceulx des hommes. Car qui
fut oncques en ce monde plus povre que toy quant il te pleut naistre en
une povre estable comme en lieu destourné entre bestes mues en temps
d'yver enveloppé en povres drapelletz & toute ta vie user en telle
povreté que oncques n'euz riens propre fortz ce qu'on te donnoit pour
aulmosne souffris maintesfoys fain soif & toutes mesaises vous mourir
tourmenter tout nud & si povre que tu n'avois pas ung povre oreiller a
reposer ton digne chief / helas moy miserable creature me dois je
plaindre d'estre de ton convent. Beau sire dieu je te rens graces quant
tant me daignes honnorer que j'en soye Car tu veulx que par la fain
transitoire que a present je seuffre & endure je soye rassise la sus a
ta saincte table a tousjours s'il me plaist & le vueil tresdoulx sire
que ta saincte voulenté soit faicte. Le deuxiesme dard que elle gettera
sera tel. Et si tu es ores malade & pou reconfortee dieu le veult /
affin que par la pacience que tu y peulx prendre ton merite soit de tant
plus grant. Le troiziesme dard est / se tu es vieil & n'as nulz amys que
te chault / iceulx amys que te feroyent ilz. Certes ta vieillesse ne te
osteroient ilz pas / ne ilz ne te accroisteroyent pas ton merite / & de
tant que tu es plus vieil c'est mieulx pour toy. Car tant es tu plus
pres d'aller au terme de ton voyage & vers ton dieu qui par sa saincte
misericorde se tu es patient te remettra en force & en jeunesse de toute
gloire & felicité. Le quatriesme dard est / se tu gis maintenant sur ung
pou de fiens qui ung petit de temps t'a a durer ou en ung pouvre &
mesaise logis ou tu n'as dequoy te aysier / quel mechief est ce pour toy
advisant le benoist logis de paradis sur tous beau & dectable ou tu ne
peulx faillir se a toy ne tient. Le cinquiesme dard est. se le monde te
desprise ou deboute tu es bien blecé mais pour dieu or advises que
vallent aux roys aux grans & aux riches trespassés les honneurs que en
leurs vies on leur faisoit au siecle. Helas n'est pas doubte que cause
ont esté de dampner mainte a qui mieulx vaulsist avoir esté de ton
estat. Ainsi & par ces dartz entre vous povres & indigens vous povez
vaincre & mater les assaulx de impacience qui ne sont pas petis quant
ilz viennent par grant oppression de necessité par prendre en gré vostre
povreté avoir fiance en dieu ne couvoiter autre chose fors ce qui luy
plaist. Et par ceste voye povez acquerir plus noble possession / & plus
de richesses que cent mille mondes ne pourroient contenir & a tousjours
durer. Si avez cause a tout regarder si bien ne voulez user de louer
dieu de l'estat ou il vous a appellés quoy qu'il soit dur a porter. Et
entre vous bonnes & povres femmes qui voz povres maris avez les devez
par ces poins reconforter & eulx aussi vous servir l'ung l'autre le
mieulx que vous pourrés. Les povres veufves aussi se reconforter en dieu
en attendant la joye qui n'a fin laquelle dieu vous octroye. Et a celluy
mesmes te recommandons christine amye chiere. Et de nostre oeuvre ainsi
nous departons



¶ La fin & conclusion d'icelluy livre.



¶ Cy dit des femmes des laboureux. Chap. .liii.


A tant se teurent les trois dames qui a coup s'evanoyrent & je christine
demouray presque lassee par longue escripture. mais tresrejouye
regardant la tresbelle oeuvre de leurs dignes leçons lesquelles de moy
racapitulees veues & reveues me apparoient estre de mieulx en mieulx
tresproffitables au bien & augmentation des meurs & vertueux en
accroissement d'honneur aux dames & a toute l'université des femmes
presens & advenir la ou se pourroit ceste dicte oeuvre estendre & estre
veue Et pource se moy leur servante ja ne soye suffisante pour tousjours
selon mon usaige m'employer au service du bien d'elles si que
continuellement je le desire me pensay que ceste noble oeuvre
multipliroye par le monde en plusieurs coppies quelque en fust le coust
seroit presentee en divers lieux. A roynes princesses & haultes dames
affin que plus fust honnoree & essaucee si qu'elle en est digne & que
par elle peusse estre semee entre les autres femmes laquelle dicte
pensee & desir mys a effect si que ja est entreprins sera espandue et
publié en tous pays tant soit elle en langue françoise / mais par ce que
ladicte langue est plus commune par l'universel monde que quelconques
autre ne demoura pourtant vague & non utille nostre dicte oeuvre qui
durera au siecle sans decheement par diverses copies. si la verront &
orront vaillans dames & femmes d'auctorité au temps present & en celluy
advenir qui prieront dieu pour leur servante christine desirans que de
leur temps fust sa vie au siecle ou que veoir la puissent ausquelles
toutes plaise que tant que au monde sera vivant la vueillent avoir en
grace & memoire par amyables salus prians a dieu que par sa pitié soit
favorable de mieulx en mieulx a son entendement si que telle lumiere de
science & vraye sapience luy ottroye que employer le puisse tant que ça
jus aura duree au noble labeur d'estude & l'essaucement & elevation de
vertus en bons exemples a toute humaine creature. Et aprés ce que l'ame
du corps sera partie en merite & guerdon de son service leur laisse
offrir a dieu pour elle patenostres oblacions & devotions pour
l'alegement des peines par ses deffaultes deservies si qu'elle soit
presentee devant dieu au siecle sans fin lequel vous octroit.

Amen.



¶ Cy finist le tresor de la cité des dames selon dame christine Imprimé
a Paris par Michel le noir libraire demourant sur le pont saint Michel a
l'ymage saint Jehan l'evangeliste. Le .iiii. jour de decembre. L'an mil
cinq cens & trois.

[Marque d'imprimeur: .Michel. .Lenoir.]



--------------------------
NOTES SUR LA TRANSCRIPTION

L'orthographe et la ponctuation sont conformes à l'original. Néanmoins
pour faciliter la lecture, on a distingué les lettres i/j, u/v, et
introduit cédilles, apostrophes et accents. Les symboles d'abréviation
conventionnels ont été remplacés par les lettres correspondantes
(exemple: Comme au lieu de Cõme).

Les coquilles les plus manifestes ont été corrigées: interversion de
lettres (p. ex. sinacte pour saincte), substitution entre lettres
semblables (tn pour tu), ou lettres ou mots en double (didire pour
dire), etc.

Le passage allant de "qui nous meuvent. Il n'est pas doubte" à "courage
aux gens" a été tiré d'une autre édition, la page correspondante du
document d'origine n'étant pas disponible sur Gallica.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Le trésor de la cité des dames de degré en degré et de tous estatz" ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home