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Title: Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet, surintendant des finance et sur son frère l'abbé Fouquet
Author: Chéruel, Aldophe, 1809-1891 [Editor]
Language: French
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France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr



MÉMOIRES

SUR LA VIE PUBLIQUE ET PRIVÉE

DE FOUQUET

SURINTENDANT DES FINANCES

D'APRÈS SES LETTRES ET DES PIÈCES INÉDITES

CONSERVÉES

A LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE

PAR

A. CHÉRUEL

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

TOME PREMIER

PARIS

CHARPENTIER, ÉDITEUR

28, QUAI DE L'ÉCOLE

1862

Tous droits réservés.



TABLE DES MATIÈRES

TOME PREMIER

PRÉFACE.--Nécessité d'une étude complète sur la vie du surintendant
Fouquet et de son frère l'abbé.--Sources de cet ouvrage: utilité des
lettres de Mazarin et des papiers de Fouquet conservés à la Bibliothèque
impériale.--Division de la vie et des Mémoires de Fouquet en quatre
parties.


CHAPITRE PREMIER (1615-1650)

Famille de Nicolas Fouquet.--Il devient maître des requêtes (1635).--Il
est intendant dans l'armée du nord de la France et ensuite dans la
généralité de Grenoble.--Sa disgrâce en 1644.--Il est de nouveau nommé
intendant en 1647.--Son rôle pendant la première Fronde en 1648 et
1649.--Il achète la charge de procureur général au parlement de Paris
(1650), et en prend possession au mois de novembre de la même
année.--Puissance du parlement de Paris à cette époque.--Caractère du
premier président Mathieu Molé et d'autres magistrats du
parlement.--Rôle difficile de Nicolas Fouquet.--Défauts du parlement
considéré comme corps politique.--Contraste avec la conduite habile de
Mazarin.--Nicolas Fouquet s'attache à ce dernier et lui reste fidèle
pendant toute la Fronde.


CHAPITRE II (1651-1652)

Mazarin sort de France (mars 1651); son découragement.--Services que lui
rendirent en cette circonstance Nicolas et Basile Fouquet.--Caractère
de ce dernier.--Il brave les dangers pour se rendre près du cardinal
(avril-mai 1651).--Le procureur général, Nicolas Fouquet s'oppose à la
saisie des meubles de Mazarin.--Efforts des Fouquet pour rompre la
coalition des deux Frondes.--Ils y réussissent (juin 1651).--Tentatives
pour gagner à la cause de Mazarin quelques membres du
parlement.--Négociations de l'abbé Fouquet avec le duc de Bouillon et
Turenne son frère, qui se rallient à la cause royale (décembre
1651).--Mazarin rentre en France et rejoint la cour (janvier
1652).--Turenne prend le commandement de son armée (février
1652).--Dispositions de la bourgeoisie différentes de celles du
parlement.--Influence des rentiers dans Paris.--Rôle du coadjuteur Paul
de Goudi; il est nommé cardinal (février 1652).--Efforts inutiles de
l'abbé Fouquet pour gagner Gaston d'Orléans.--Négociations avec
Chavigny.--Importance du rôle de ce dernier pendant la Fronde.


CHAPITRE III

Rôle de Chavigny pendant la Fronde: son ambition; il est emprisonné,
puis exilé en 1648.--Intrigues de Chavigny et de Claude de Saint-Simon
pour renverser Mazarin (1649).--Erreur du duc de Saint-Simon, auteur des
Mémoires, relativement aux relations de son père avec Chavigny.--Claude
de Saint-Simon cherche à s'appuyer sur le prince de Condé pour enlever
le pouvoir à Mazarin.--Mémoire rédigé par Chavigny dans ce but.--Mazarin
parvient à déjouer les intrigues de ses ennemis.--Arrestation et
emprisonnement du prince de Condé (1650).--Chavigny et Saint-Simon
s'éloignent de Paris.


CHAPITRE IV (1651-1652)

Retour de Chavigny à Paris en 1651; il entre dans le ministère formé en
avril 1651 et est attaqué par le cardinal de Retz.--Courte durée de ce
ministère.--Chavigny entame des négociations avec Mazarin (janvier 1652)
par l'intermédiaire de Fabert et de l'abbé Fouquet.--Arrivée des troupes
espagnoles à Paris (5 mars 1652).--Fêtes et émeutes.--Prise d'Angers par
l'armée royale (7 mars).--Violences du parti des princes dans
Paris.--Émeute du 25 mars.--Inquiétude de Mazarin.--L'abbé Fouquet fait
afficher des placards contre Condé.--Arrivée de Condé à l'armée (1er
avril).--Combat de Bléneau (6 avril).--Condé vient à Paris (11
avril).--Il se rend au parlement (12 avril).--Paroles que lui adresse le
président le Bailleul.--Le procureur général Fouquet attaque le
manifeste du prince de Condé (17 avril).--Les princes sont mal
accueillis à la chambre des comptes et à la cour des aides (22 et 23
avril).--Dispositions peu favorables de l'Hôtel de Ville.--Arrestation
de l'abbé Fouquet (24 avril).--Les campagnes sont désolées par les
troupes des deux partis.--Destruction des bureaux d'entrée.--Plaintes
du prévôt des marchands adressées au parlement (20 avril).--Les princes
forcés de négocier avec la cour (28 avril).--État misérable de
Paris.--On engage le peuple à secouer le joug des princes.


CHAPITRE V (AVRIL-MAI 1652)

Négociations des princes avec la cour: Rohan, Chavigny et Goulas à
Saint-Germain (28-29 avril).--Prétentions des princes et de leurs
députés.--Mauvais succès de ces négociations.--Mécontentement de Condé,
du parlement et du cardinal de Retz.--Mission secrète de Gourville (mai
1652), propositions dont il est chargé.--Mazarin refuse de les accepter;
lettre confidentielle du cardinal à l'abbé Fouquet (5 mai).--Madame de
Châtillon continue de négocier au nom de Condé; caractère de cette dame;
elle se fait donner par Condé la terre de Merlou.--Mazarin profite de
toutes ces négociations et divise de plus en plus ses ennemis.--Le
prévôt des marchands est maltraite par la populace.--La bourgeoisie
prend les armes (5 mai).--Défaite de l'armée des princes à Étampes (5
mai).--Le parlement envoie le procureur général, Nicolas Fouquet, à
Saint-Germain.--Harangue qu'il adresse au roi.--Nouvelle mission de
Fouquet à Saint-Germain (10-14 mai).--Relation qu'il en fait au
parlement (16 mai).--Les princes rompent les négociations avec la cour
et reprennent les armes.


CHAPITRE VI (MAI-JUIN 1652)

Condé s'empare de la ville de Saint-Denis (11 mai), qui est bientôt
reprise par l'armée royale (13 mai).--Les princes s'adressent au duc de
Lorraine, qui s'avance jusqu'à Lagny à la tête d'une petite armée.--Son
arrivée à Paris (1er juin).--Caractère de ce duc et de ses
troupes.--Frivolité apparente du duc de Lorraine.--Ses temporisations
affectées.--Il négocie avec la cour par l'intermédiaire de madame de
Chevreuse et de l'abbé Fouquet.--Intimité de l'abbé Fouquet avec
mademoiselle de Chevreuse.--Lettre de l'abbé Fouquet à Mazarin (4 juin)
sur les négociations de madame de Chevreuse avec le duc de
Lorraine.--Lettre de Mazarin à madame de Chevreuse (5 juin).--Traité
signé avec le duc de Lorraine (6 juin).--Part qu'y a la princesse de
Guéménée (Anne de Rohan).--Le duc de Lorraine s'éloigne de
Paris.--Misère de cette ville.--Procession de la châsse de sainte
Geneviève (11 juin).--Conduite du prince de Condé à cette
occasion.--Murmures et menaces contre le parlement.--Violences exercées
contre les conseillers (21 juin).--Mazarin encourage l'abbé Fouquet à
exciter le peuple contre le parlement.--Tumulte du 25 juin.--Danger que
court le procureur général Nicolas Fouquet.--Les deux armées se
rapprochent de Paris.


CHAPITRE VII (JUILLET 1652)

Marche de l'armée des princes sous les murs de Paris (2 juillet).--Avis
donné par Nicolas Fouquet.--L'armée des princes est attaquée par
Turenne.--Escarmouches au lieu dit la _Nouvelle France_ et aux
Récollets.--Combat de la porte Saint-Antoine.--Danger du prince de Condé
et de son armée.--Il est sauvé par mademoiselle de Montpensier.--La
paille adoptée comme signe de ralliement des Frondeurs.--Assemblée
générale de l'Hôtel de Ville (4 juillet).--Tentative
d'incendie.--Résistance des archers de la ville.--Meurtre de plusieurs
conseillers.--L'Hôtel de Ville est envahi et pillé.--Le duc de Beaufort
éloigne la populace et délivre les conseillers.--Mademoiselle de
Montpensier sauve le prévôt des marchands.--Tyrannie des princes dans
Paris.--Élection d'un nouveau prévôt des marchands (6
juillet)--Condamnation et supplice de quelques-uns des
séditieux.--Négociations du parlement avec la cour.--Le roi annonce
l'intention de éloigner le cardinal Mazarin (11 juillet).--Opposition de
Condé aux propositions de la cour (13 juillet).--Il continue de négocie
secrètement avec Mazarin.--Rôle de Nicolas Fouquet et de son frère
pendant cette crise.


CHAPITRE VIII (JUILLET-AOÛT 1652)

Mémoire adressé par Nicolas Fouquet au cardinal Mazarin sur la conduite
que la cour doit tenir (14 juillet): il expose le danger de la situation
et la nécessité de prendre des mesures pour annuler les actes du
parlement et de l'Hôtel de Ville, dominés par la faction des
princes.--Il propose de publier un manifeste au nom du roi pour montrer
la mauvaise foi des princes, qui, après avoir demandé et obtenu
l'éloignement de Mazarin, refusent de déposer les armes et appellent les
ennemis dans l'intérieur de la France.--Il faut exiger que les princes
envoient immédiatement leurs députés à Saint-Denis pour traiter avec la
cour, et en attendant retenir dans cette ville les députés du
parlement.--Nécessité de transférer le parlement hors de Paris et moyen
de gagner une partie de ses membres.--Faute que l'on a commise en ne
s'opposant pas à la réception de Rohan-Chabot en qualité de duc et pair
par le parlement.--Lettre de Nicolas Fouquet, en date du 15 juillet: il
explique pourquoi les députés du parlement ne peuvent se rendre à
Saint-Denis.--Nécessité d'envoyer promptement des ordres au parlement et
de prendre une décision pour ou contre le départ du cardinal
Mazarin.--Indication des moyens à employer pour faire venir à Pontoise
un certain nombre de conseillers du parlement.--Arrêts du conseil du
roi, en date du 18 juillet et du 31 du même mois qui annulent les
élections de l'Hôtel de Ville et transfèrent le parlement de Paris à
Pontoise.--Projet de déclaration contre ceux qui n'obéiront pas aux
ordres du roi.--Lettre de Nicolas Fouquet à ses substituts pour les
mander à Pontoise.--Circulaire du même aux divers parlements de
France.--Pamphlets publiés à Paris contre la translation du
parlement.--Le parlement de Pontoise s'ouvre le 7 août 1652, et demande
l'éloignement de Mazarin.


CHAPITRE IX (JUILLET-SEPTEMBRE 1652)

Le duc d'Orléans est déclaré lieutenant général du royaume et le prince
de Condé généralissime des armées (20 juillet).--Conseil établi par les
princes; disputes de préséance; duel de Nemours et de Beaufort (30
juillet); querelle de Condé et du comte de Rieux (31
juillet).--Désordres commis par les troupes des princes.--Mécontentement
de la bourgeoisie parisienne; assemblées aux halles et au cimetière des
Innocents (20 août).--Mazarin s'éloigne pour quelque temps; sa
correspondance avec les deux Fouquet.--Chavigny négocie avec la cour au
nom des princes.--Inquiétude que le cardinal de Retz inspire à
Mazarin.--Retz se rend à la cour (9 septembre), et veut traiter avec la
reine au nom du duc d'Orléans.--Il n'y réussit pas.--L'abbé Fouquet
excite la bourgeoisie parisienne et négocie avec Chavigny.--Assemblée
des bourgeois au Palais-Royal (24 septembre); ils se déclarent
antifrondeurs.--Conférence de l'abbé Fouquet avec Goulas (20
septembre).--Il part pour la cour.--On intercepte une lettre de l'abbé
Fouquet adressée au secrétaire d'État le Tellier.


CHAPITRE X (OCTOBRE 1652)

L'abbé Fouquet s'obstine à continuer les négociations avec les
princes.--Sa passion pour la duchesse de Châtillon.--Mazarin l'avertit
vainement que le prince de Condé ne veut pas traiter sérieusement avec
la cour (5 octobre).--Il lui conseille de s'attacher à séparer le duc
d'Orléans de Condé.--L'intérêt véritable du roi conseille de repousser
les demandes de ce dernier.--Mazarin revient avec plus d'insistance sur
les mêmes idées (9 octobre); il sait positivement que Condé est entré
dans de nouveaux engagements avec les Espagnols et leur a promis de ne
pas traiter avec la France.--Madame de Châtillon est également dévouée
aux Espagnols.--Plaintes de Mazarin sur la prolongation de son exil; il
espère que le procureur général, Nicolas Fouquet, déterminera le
parlement de Pontoise à proclamer son innocence.--Il engage l'abbé
Fouquet à profiter de la rupture entre le prince de Condé et Chavigny
pour assurer le succès des négociations avec le duc d'Orléans.--Violence
de Condé envers Chavigny; maladie et mort de ce dernier (11
octobre).--Erreurs de Saint-Simon dans le récit de ces faits.--Attaques
dirigées à la cour contre l'abbé Fouquet; on lui enlève la direction des
négociations avec les princes.--Le procureur général, Nicolas Fouquet,
se plaint vivement à Mazarin de la conduite des ministres qui entourent
la reine et de la rupture des négociations.--Il pense que l'on devrait
profiter de la bonne disposition des Parisiens pour ramener le roi dans
son Louvre.--Le parlement siégeant à Pontoise est tout entier de cet
avis, et c'est en son nom qu'écrit le procureur général.


CHAPITRE XI OCTOBRE 1652.

Inquiétude que les divisions du parti royaliste inspirent à
Mazarin.--Dans sa réponse au procureur général, 12 octobre, il montre
que le prince de Condé n'a jamais traité avec sincérité et que,
n'espérant pas conclure la paix avec lui, il a dû en référer au conseil
du roi.--Il est disposé, quant à lui, à demeurer exilé toute sa vie si
le service du roi l'exige, et approuve le projet de ramener le roi à
Paris.--Peu de sincérité de cette lettre.--Mazarin est plus explicite
avec l'abbé Fouquet: il exprime le désir de voir continuer les
négociations particulières avec Goulas, et souhaite que l'on détermine
le duc d'Orléans à se retirer dans son apanage.--Mazarin souhaite
vivement entrer à Paris avec le roi; il va se rendre à Sedan et se tenir
près à rejoindre la cour, dès qu'il sera nécessaire.--Inquiétude que lui
inspirent le cardinal de Retz et ses relations avec l'hôtel de
Chevreuse.--L'abbé Fouquet reçoit d'un des confidents de Mazarin des
renseignements sur les causes de sa disgrâce.--Il conserve toute la
confiance du cardinal, qui le charge de hâter son retour, au moment où
la cour se rapproche de Paris.--Départ de Condé et du duc de Lorraine 13
octobre.--Entrée du roi à Paris (21 octobre).


CHAPITRE XII (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1652)

L'abbé Fouquet est chargé par Mazarin de préparer son retour à Paris, et
de soutenir ses intérêts auprès de la reine Anne d'Autriche (21
octobre).--Nécessité de punir les chefs de la révolte et surtout de
faire sortir de Paris le cardinal de Retz.--L'abbé Fouquet doit insister
sur ce point auprès du procureur général son frère.--Mazarin conseille
d'envoyer Retz en ambassade à Rome.--Il engage l'abbé Fouquet à se tenir
en garde contre les violences du Retz, qui a juré de se venger de
lui.--Nouvelles instances de Mazarin auprès des deux Fouquet pour qu'ils
disposent les esprits en sa faveur, et que les arrêts du parlement
contre lui soient annulés par une déclaration royale.--Zèle de l'abbé
Fouquet et du procureur général pour ruiner les ennemis de Mazarin, et
particulièrement le cardinal de Retz.--Négociations avec ce prélat;
elles sont rompues.--Lutte de l'abbé Fouquet contre Retz; il lui tient
tête partout et propose de lui enlever l'autorité épiscopale dans
Paris.--Arrestation du cardinal de Retz (19 décembre).--L'abbé Fouquet
en avertit le premier Mazarin; ruine du parti de la Fronde.--Services
rendus par les deux Fouquet.--Leur avidité et leur ambition.--Promesses
de Mazarin.


CHAPITRE XIII (JANVIER-FÉVRIER 1653)

Mazarin lève une petite armée et délivre la Champagne.--Il se joint à
Turenne.--État de Paris en son absence.--Divisions entre ses
partisans.--Lettre de le Tellier à Mazarin.--La place de surintendant
devient vacante 2 janvier.--Nicolas Fouquet demande cette place.--Il a
pour compétiteur Abel Servien, qui est vivement appuyé par plusieurs
partisans de Mazarin et par la Chambre des comptes.--Lettre adressée en
cette circonstance à Mazarin par son intendant J. B. Colbert.--L'abbé
Fouquet soutient son frère et se plaint vivement de le
Tellier.--Réconciliation apparente imposée par Mazarin.--Retour du
cardinal à Paris (3 février).--Il fait nommer 8 février deux
surintendants, Servien et Fouquet.


CHAPITRE XIV (1653)

Rôle de l'abbé Fouquet à cette époque; il est chargé sans titre officiel
de diriger la police; mémoire qu'il adresse à Mazarin sur l'état de
Paris.--Il découvre le complot de Bertaut et Ricous contre la vie de
Mazarin, les fait arrêter, surveille leur procès et presse leur
condamnation (23 septembre-11 octobre).--L'abbé Fouquet accusé d'avoir
voulu faire assassiner le prince de Condé; il se disculpe.--Il ne cesse
de veiller sur le parti frondeur, et instruit le cardinal des démarches
de mademoiselle de Montpensier et des relations du cardinal de Retz avec
le prince de Condé.--Attitude du parlement de Paris: services qu'y rend
le procureur général, Nicolas Fouquet.--L'abbé Fouquet obtient, de
l'Hôtel de Ville de Paris, de l'argent et des vêtements pour l'armée
royale.--Répression des factieux et dispersion des assemblées
séditieuses.--L'abbé Fouquet répond aux attaques de ses
ennemis.--Mazarin l'assure de son amitié.


CHAPITRE XV (1653-1654)

Administration financière pendant les années 1653 et 1654 racontée par
Nicolas Fouquet.--Règlement qui détermine les fonctions de chacun des
surintendants.--Erreurs du récit de Fouquet.--Embarras financiers
pendant l'année 1653, prouvés par la correspondance de Mazarin et de
Colbert.--Le cardinal Mazarin se fait traitant et fournisseur des
armées, sous un nom supposé.--Les surintendants se montrent d'abord
assez difficiles, et Colbert s'en plaint.--Fouquet profite d'une absence
de Servien (octobre 1653) pour régler les affaires d'après les désirs du
cardinal.--Mazarin exige que les deux surintendants vivent en paix.

CHAPITRE XVI

État de la France en 1654: elle est menacée à l'extérieur et troublée à
l'intérieur.--Le surintendant Nicolas Fouquet fournit de l'argent pour
l'entretien de l'armée: création de quatre nouveau intendants des
finances.--Translation du cardinal de Retz de Vincennes au château de
Nantes (30 mars).--Son évasion (8 août).--Son projet audacieux; il ne
peut l'exécuter.--Agitation à Paris à la nouvelle de cette évasion.--_Te
Deum_ chanté par ordre du chapitre; libelles publiés; Mazarin est pendu
en effigie.--L'abbé Fouquet lui donne avis de l'état de
Paris.--Tranquillité de Mazarin.--Les chanoines et les curés les plus
factieux sont mandés à Péronne.--Lettre de Mazarin à l'abbé Fouquet en
date du 24 août sur les mesures adoptées.--Victoire remportée par
l'armée française le 25 août.--Mazarin s'empresse de l'annoncer à l'abbé
Fouquet.--Il ne témoigne que du mépris pour les manifestations
turbulentes de Paris.--Fuite de Retz, qui se retire en Espagne, puis à
Rome.--La cour revient à Paris (5 septembre).--Nouveau règlement pour
les députés des rentiers qui sont nommés par le roi sur une liste
présentée par le prévôt des marchands, les échevins et les conseillers
de ville.--Nicolas Fouquet achète les principaux membres du parlement.


CHAPITRE XVII

Derniers actes d'opposition parlementaire à l'occasion de
l'enregistrement d'édits bursaux (20 mars 1655).--Les édits sont
vivement attaqués dans une séance du 9 avril.--Louis XIV impose silence
au parlement (13 avril).--Vaines doléances de ce corps.--Nicolas Fouquet
fait nommer Guillaume de Lamoignon premier président du parlement de
Paris.--Notes sur les membres de ce corps rédigées vers
1657.--Opposition prolongée des partisans du cardinal de Retz.--Efforts
tentés en faveur du commerce.--Mémoire remis à Fouquet sur ce
sujet.--Colbert propose aussi ses vues sur les moyens de ranimer
l'industrie et le commerce.--Zèle de Fouquet pour la marine et le
commerce.--Mesures favorables au commerce et aux colonies.--Fouquet a de
nouveau recours à de fâcheux expédients pour fournir aux dépenses de la
guerre.


CHAPITRE XVIII (1856-1657)

Éloges donnés à l'administration financière de Fouquet par Mazarin
(1656).--Le surintendant se plaint des exigences de Mazarin et de
Colbert.--Les lettres de Mazarin à Colbert pendant Tannée 1657 prouvent
que le cardinal et son intendant insistaient sans cesse auprès de
Fouquet pour en obtenir de l'argent.--Mazarin prélève des pots-de-vin
sur les marchés.--Fonds secrets, ou ordonnances de comptant.--Mazarin
fait payer par le surintendant ses dettes de jeu.--Sommes énormes
accumulées en huit ans par Mazarin.--Moyens qu'employait Fouquet pour
tromper Servien.--Connivence de son commis Delorme.--Dilapidations de
Fouquet.


CHAPITRE XIX (1655-1657)

L'abbé Fouquet dispose de la police.--Anecdote racontée à ce sujet par
Gourville.--Passion de l'abbé Fouquet pour madame de
Châtillon.--Portrait de cette dame.--Son avidité.--Elle s'enfuit à
Bruxelles après l'exécution de Bertaut et Ricous.--Puis elle revient en
France et conspire avec le maréchal d'Hocquincourt pour livrer Ham et
Péronne à Condé et aux Espagnols.--Lettre de la duchesse de Châtillon à
ce sujet (17 octobre 1655); elle est interceptée.--La duchesse de
Châtillon est arrêtée et confiée à la garde de l'abbé Fouquet.--Fureurs
jalouses de ce dernier.--Scène violente qu'il fait à la duchesse de
Châtillon (1656).--Rupture entre l'abbé Fouquet et madame de
Châtillon.--Désespoir de l'abbé.--Il tente de se réconcilier avec la
duchesse, mais sans succès.--Fin de madame de Châtillon.


CHAPITRE XX (1657)

Famille de Nicolas Fouquet.--Il épouse en premières noces Marie Fourché,
et en secondes noces Marie-Madeleine de
Castille-Villemareuil.--Positions élevées occupées par ses frères
François, Louis et Gilles.--Mariage de la fille ainée de Fouquet avec le
marquis de Charost 12 février 1657.--Projet rédigé par Fouquet pour se
mettre à l'abri de la vengeance de Mazarin.--Ham et Concarnau sont
désignés, dans la première rédaction du projet, comme les places fortes
où doivent se retirer les amis de Fouquet.--Rôle important qu'il donne à
la marquise du Plessis-Bellière.--Caractère de cette femme.--Elle marie
sa fille au duc de Créqui.--Madame d'Asserac est citée également dans le
projet de Fouquet.--Elle achète pour le surintendant le duché de
Penthièvre.--Rôle assigné à l'abbé Fouquet et à la famille du
surintendant.--Attitude que devaient prendre les gouverneurs amis de
Fouquet.--Personnages sur lesquels il comptait à la cour et dans le
parlement: le duc de la Rochefoucauld et son fils, le prince de
Marsillac, Arnauld d'Andilly, Achille de Harlay.--Il avait gagné
l'amiral de Neuchèse et un marin nommé Guinan.--Les frères et les amis
du surintendant devaient entretenir l'agitation dans les parlements et
le clergé.--Mesures à prendre dans le cas où Fouquet serait mis en
jugement.--Réponse de Fouquet à l'occasion du projet trouvé à
Saint-Mandé.--Il en reconnaît l'authenticité.--Il veut acheter une
charge de secrétaire d'État.--Travaux exécutés à Vaux-le-Vicomte, près
de Melun.--Fouquet se laisse enivrer par la flatterie.


CHAPITRE XXI (1658)

Rupture entre le surintendant et son frère l'abbé Fouquet.--Ce dernier
cherche à inspirer au surintendant des soupçons contre
Gourville.--Conduite insolente de l'abbé Fouquet, qui s'attire le blâme
de Mazarin.--Relations de l'abbé Fouquet avec mademoiselle de
Montpensier; elle le traite dédaigneusement.--L'abbé Fouquet s'attache à
madame d'Olonne.--Sa conduite perfide à l'égard du prince de
Marsillac.--Mazarin s'éloigne de l'abbé Fouquet et se fie de plus en
plus à Colbert.--Maladie de Nicolas Fouquet, juin 1658.--Le surintendant
achète Belle-Île et en veut faire sa forteresse dans le cas où il serait
attaqué.--Fortifications de Belle-Île.--Engagement de Deslandes envers
Nicolas Fouquet.--Ce dernier s'empare des gouvernements de Guérande, du
Croisic et du Mont-Saint-Michel sous le nom de la marquise
d'Asserac.--Nicolas Fouquet continue de s'occuper, jusqu'en 1661, de son
plan de résistance: ses relations avec l'amiral de Neuchèse.--Il achète,
pour le marquis de Créqui, la charge de général des
galères.--Possessions du surintendant Fouquet en Amérique.


CHAPITRE XXII (1658-1659)

Négociations pour le mariage du roi avec une princesse de la maison de
Savoie.--Fouquet envoie à Turin mademoiselle de Treseson, nièce de
madame du Plessis-Bellière, pour s'emparer de l'esprit de la princesse
Marguerite de Savoie.--Mademoiselle de Treseson arrive à Turin.--Sa
correspondance avec Fouquet.--Elle fait connaître le caractère de
Christine de France, duchesse de Savoie, de sa fille Marguerite et de
son fils Charles-Emmanuel.--Entrevue des cours de France et de Savoie à
Lyon (novembre-décembre 1658).--Cause de la rupture du mariage
projeté.--Mademoiselle de Treseson reste à la cour de Savoie, où elle
devient madame de Cavour.--La princesse Marguerite épouse le duc de
Parme.


CHAPITRE XXIII

Fouquet protecteur des lettres et des arts.--État de la littérature
après la Fronde.--Fouquet donne une pension à Pierre
Corneille.--Remercîment en vers que lui adresse Pierre
Corneille.--Représentation d'_Œdipe_ (1659).--Thomas Corneille reçoit
aussi des gratifications de Fouquet.--Pellisson s'attache à Fouquet.--Il
le met en relation avec mademoiselle de Scudéry et les
_précieuses_.--Caractère de cette littérature.--Lettres de mademoiselle
de Scudéry à Pellisson.--Elle y montre son affection pour Pellisson et
son attachement pour Fouquet.--Autres poëtes encouragés par le
surintendant, Boisrobert, Gombauld, Hesnault, Loret, Scarron.--Lettre
attribuée à madame Scarron; elle est apocryphe.--Lettres de madame
Scarron à madame Fouquet.


CHAPITRE XXIV

Fouquet encourage Molière et la Fontaine.--Ce dernier lui offre son
poëme d'_Adonis_.--Il reçoit une pension de Fouquet à condition de
lui payer une redevance poétique.--Engagement que prend la Fontaine
dans son _Épître à Pellisson_ (1659).--Il s'acquitte du premier
terme de la redevance par une ballade adressée à madame Fouquet
(juillet 1659).--Quittance en vers donnée par Pellisson.--Ballade
adressée, en octobre 1659, à Fouquet pour le payement du second
terme.--Ballade sur la paix des Pyrénées (décembre
1659).--Insouciance et indépendance de la Fontaine; il se plaint
dans une épître en vers de n'avoir pas été reçu par le
surintendant.--Fouquet écoute les plaintes de la Fontaine et sa
requête en faveur de sa ville natale (Château-Thierry).--La
redevance poétique, à laquelle s'était engagé la Fontaine, lui
devient onéreuse.--Fouquet ne lui continue pas moins sa
pension.--_Songe de Vaux_, poëme entrepris par la Fontaine et resté
inachevé.--Artistes protégés et encouragés par Fouquet.


APPENDICE, Tome I.

I. Sur le nom et les armes de Fouquet.

II. Rapport adressé par Fouquet, intendant de l'armée du nord, au cardinal Mazarin.

III. Lettre de Mazarin à Fouquet, 30 septembre 1617.

IV. Projet de Mazarin de faire roi de naples un prince de la maison de Savoie et d'assurer à la France la frontière des alpes.

V. Mémoire adressé au chancelier séguier sur Fouquet par le conseiller d'état de la fosse, (6 octobre 1661).

VI. Projet trouvé à Saint-Mandé.

VII. Relations de madame Scarron avec Fouquet.

VIII. Lettre autographe de mademoiselle de Treseson à Fouquet.

ADDITIONS ET CORRECTIONS, Tome I.



TOME SECOND


CHAPITRE XXV (1659)

Mort de Servien (17 février 1659).--Fouquet est nommé seul surintendant
des finances (21 février).--Son frère, Louis Fouquet, est nommé évêque
d'Agde (mars).--François Fouquet devient archevêque de Narbonne.--Son
entrée dans cette ville (mai).--Mazarin visite Vaux (juin).--Fouquet
reçoit la cour dans ce château (juillet).--Il est attaqué par Hervart,
contrôleur général des finances, et par Colbert.--Fouquet arrive à
Bordeaux, où se trouvait la cour, et découvre les projets de ses ennemis
(octobre).--Il envoie Gourville à Saint-Jean de Luz, où se trouvait
Mazarin, et s'y rend lui-même peu de temps après.--Lettre de Mazarin à
Colbert (20 octobre) sur sa conversation avec le surintendant.--Réponse
de Colbert (28 octobre).--Mazarin remet la décision à l'époque où il
aura rejoint la cour.--Signature de la paix des Pyrénées (7 novembre).


CHAPITRE XXVI (1659)

Pendant son séjour à la cour, Fouquet cherche à s'assurer de nouveaux
partisans.--Son frère, l'évêque d'Agde, est nommé aumônier du
roi.--Fouquet gagne Bartet.--Origine et caractère de ce dernier.--Sa
vanité.--Son aventure avec le duc de Cancale.--Erreur de Saint-Simon à
son égard.--Bartet resta jusqu'à la mort de Mazarin un de ses confidents
intimes; il l'avertissait de toutes les intrigues de cour.--Lettres
qu'il écrivait de Bordeaux et de Toulouse au cardinal, pendant que ce
dernier négociait à Saint-Jean de Luz.


CHAPITRE XXVII (NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1659)

Séjour de la cour à Toulouse (octobre-décembre 1659).--Le surintendant
et ses quatre frères s'y trouvent réunis.--François Fouquet, archevêque
de Narbonne, préside les états de Languedoc.--Arrivée de Mazarin (22
novembre).--Il défend à Fouquet de conclure aucun traité avec les
fermiers des impôts sans lui en faire connaître les
conditions--Inquiétude du surintendant.--Gourville persuade à Mazarin de
rendre à Fouquet la plénitude de son autorité.--Réconciliation du
surintendant avec le secrétaire d'État Michel le Tellier, et avec son
frère l'abbé Fouquet.--Le surintendant quitte Toulouse (décembre) et se
dirige vers Lyon.--Fausse couche de madame Fouquet.--Lettre de Bartet à
Fouquet (26 décembre).--Arrivée de Fouquet à Paris.


CHAPITRE XXVIII (JANVIER-OCTOBRE 1659)

Voyage de la cour dans le midi de la France; janvier-juillet
1660.--Fouquet envoie Gourville près de Mazarin pour lui rendre compte
de ses opérations financières.--Mariage de Gilles Fouquet avec la fille
du marquis d'Aumont (mai).--Mariage du roi avec Marie-Thérèse 9
juin.--La cour est reçue à Vaux par le surintendant (août).--Entrée du
roi et de la reine à Paris (26 août).--Pièce de vers que la Fontaine
adresse à ce sujet à Fouquet.--Jeu effréné, à la cour et chez le
surintendant.--Relations de Fouquet et de Hugues de Lyonne.


CHAPITRE XXIX (OCTOBRE 1660-MARS 1661)

Vie agitée et inquiète du surintendant.--Embarras pécuniaires.--Lettre
adressée par Fouquet à Bruant et réponse de ce dernier.--Avis donnés à
Fouquet sur l'hostilité de Turenne à son égard.--Craintes du
surintendant, qui communique à Gourville son projet contre
Mazarin.--Conseil que lui donne Gourville; Fouquet ne le suit
pas.--Maladie de Mazarin.--Détails sur les derniers temps de sa vie.--Il
se fait transporter à Vincennes.--Conseils qu'il donne à Louis
XIV.--Inquiétude de Fouquet.--Avis qu'il reçoit.--Mort de Mazarin (9
mars 1661).


CHAPITRE XXX (MARS 1661)

Résolution que prend Louis XIV à la mort de Mazarin.--La cour ne croit
pas qu'il puisse y persister.--Fouquet espère s'emparer du
ministère.--Portrait du surintendant à cette époque.--Il est trompé par
Louis XIV.--Caractère du jeune roi.--Ses maximes.--Son application au
travail.--Ministres dont il s'entoure et secret qu'il leur
impose.--Surveillance qu'il fait exercer sur Fouquet par Colbert.--Le
surintendant cherche à entourer le roi d'espions et espère le dominer
par ses maîtresses.--Société de madame la Comtesse.--Appuis que s'y
ménage Fouquet.


CHAPITRE XXXI (MARS-AVRIL 1661)

Bénigne de Meaux du Fouilloux, une des amies de la comtesse de Soissons,
reçoit une pension du surintendant.--Caractère de cette personne. Elle
s'efforce de gagner des partisans à Fouquet.--Le surintendant l'emploie
pour l'acquisition de la charge de capitaine général des galères.--Rôle
de mademoiselle de la Motte d'Argencourt dans cette affaire; sa
disgrâce.--Mademoiselle du Fouilloux avertit le surintendant de tout ce
qu'elle découvre des amours du roi.--Elle est dupe de la dissimulation
de Louis XIV.--Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.--Mademoiselle
de la Vallière.--Haine de mademoiselle de Fouilloux et de la comtesse de
Soissons contre elle.--Ce que serait devenu Louis XIV s'il eût été
subjugué par cette société.--Fermeté et discernement de Louis XIV au
milieu de cette cour dissolue.


CHAPITRE XXXII (MARS-MAI 1661)

Fouquet s'efforce de gagner la reine mère.--Caractère d'Anne
d'Autriche.--Elle reçoit les présents de Fouquet.--Son confesseur est
gagné par un des agents de Fouquet.--Les femmes de chambre de la reine
reçoivent des pensions du surintendant.--Madame de Beauvais; caractère
de cette femme; lettres qu'elle adresse à Fouquet.--Madame d'Uxelles
correspond également avec Fouquet.--Anne d'Autriche défend le
surintendant jusqu'en juillet 1661.


CHAPITRE XXXIII (MARS-MAI 1661)

Le surintendant est chargé par Louis XIV de diriger des négociations
particulières avec l'Angleterre.--Il y envoie la Bastide et réussit, à
préparer le mariage de Charles II avec Catherine de Portugal.--Fouquet
envoie Maucroix à Rome.--Instructions qu'il lui donne.--Pensions payées
à des étrangers.--Relations de Fouquet avec l'abbé de Bonzi.--Caractère
de ce dernier.--Il est chargé de conduire à Florence Marguerite-Louise
d'Orléans, mariée au prince de Toscane. Cosme de Médicis (avril
1661).--Lettre qu'il écrit à Fouquet.--Détails sur les nièces de Mazarin
et sur la cour de Toscane.


CHAPITRE XXXIV (AVRIL-JUILLET 1661)

Parti opposé à Fouquet.--Divisions dans le ministère.--L'abbé Fouquet;
cabale qu'il tente de former.--Delorme; surveillance que le surintendant
organise autour de son ancien commis.--Colbert et madame de
Chevreuse.--Voyage de la reine mère à Dampierre juillet 1661; elle se
déclare contre Fouquet.--Le surintendant en est averti.--Il avoue ses
fautes au roi et obtient son pardon.--On prétend que ses tentatives pour
séduire mademoiselle de La Vallière furent une des causes de sa perte.


CHAPITRE XXXV (JUILLET 1661)

Colbert engage Fouquet à vendre sa charge de procureur
général.--Magnificence du château de Vaux.--Fouquet y reçoit Henriette
d'Angleterre, duchesse d'Orléans.--Influence de cette princesse sur le
roi.--Son caractère.--Elle est célébrée par la Fontaine.--Loret décrit
dans sa gazette la fête donnée par Fouquet au duc et à la duchesse
d'Orléans.--Projet de voyage en Bretagne formé dès le 15
juillet.--Lettre de madame d'Asserac à ce sujet.--Le surintendant
continue d'embellir sa maison de Saint-Mandé et son château de
Vaux.--Loret décrit la fête donnée par Fouquet à la reine d'Angleterre,
au duc et à la duchesse d'Orléans.--Naissance d'un fils de
Fouquet.--Arrivée de l'archevêque de Narbonne (François Fouquet), à la
cour.--L'évêque d'Agde (Louis Fouquet) est nommé maître de l'Oratoire
royal.


CHAPITRE XXXVI (1661)

Fouquet et mademoiselle de Menneville.--Beauté célèbre de cette fille de
la reine.--Promesse de mariage que lui fait le duc de Damville et qu'il
refuse de tenir.--Intrigue entre cette fille d'honneur de la reine et le
surintendant Fouquet conduite par la femme la Loy.--Lettre de
mademoiselle de Menneville au surintendant.--Il lui donne cinquante
mille écus en billets sur l'Épargne pour faciliter son mariage avec
Damville.--Demande de bijoux, de points de Venise, etc.--Jalousie de
Fouquet contre Péguilin (plus tard Lauzun).--Obstacles aux
rendez-vous.--L'entremetteuse demande que l'argent des cinquante mille
écus soit déposé chez un notaire.--Avidité de Damville.--Nouvelle lettre
de mademoiselle de Menneville à Fouquet.--Pertes au jeu.--Les filles de
la reine font leur jubilé (mai 1661).--Ballet des Saisons dansé à la
cour (juillet 1661).--Maladie de Fouquet (août 1661).--L'abbé Fouquet
fait quelques tentatives auprès de mademoiselle de Menneville; elles
sont repoussées.--Fouquet part pour la Bretagne.--Erreurs de Brienne
dans le passage où il parle des relations du surintendant et de
mademoiselle de Menneville.


CHAPITRE XXXVII (AOÛT 1661)

Avis donnés à Fouquet sur les dispositions du roi à son égard.--Il se
détermine à vendre sa charge de procureur général--Elle est achetée par
Achille de Harlay.--Fête donnée au roi par le surintendant le 17
août.--Description qu'en fait la Fontaine pour son ami Maucroix.--On y
joue la pièce des _Fâcheux_ de Molière.--Irritation de Louis
XIV.--Fouquet s'aperçoit du déclin de sa faveur.--Sa tristesse.--Son
entretien avec Brienne avant de partir pour la Bretagne.--Louis XIV a
exposé lui-même dans ses Mémoires les motifs qui le déterminèrent à
faire arrêter Fouquet.


CHAPITRE XXXVIII (SEPTEMBRE 1661)

Voyage de Nantes.--Le roi s'y rend à cheval avec un petit nombre de
courtisans.--Fouquet s'embarque à Orléans, s'arrête à Angers et arrive à
Nantes.--Il souffre de la fièvre tierce.--Brienne le visite de la part
du roi (4 septembre).--Conversation de Fouquet et de Brienne.--Fouquet
croit que Colbert doit être arrêté le lendemain.--Seconde visite de
Brienne à Fouquet.--Avis menaçants reçus par ce dernier.--Louis XIV
remet à d'Artagnan une lettre de cachet pour arrêter Fouquet; précaution
qu'il prend pour tromper la curiosité des courtisans.--Partie de chasse
commandée pour le lendemain.--Conseil tenu au château (5
septembre).--Fouquet est arrêté par d'Artagnan à la sortie du
conseil.--Les papiers qu'il avait sur lui sont saisis et envoyés au
roi.--Précautions prises pour intercepter les communications entre
Nantes et Paris.--Fouquet est transféré immédiatement à
Angers.--Craintes de Lyonne; le roi le rassure.--Boucherat fait
l'inventaire des papiers de Fouquet.--Détresse de madame Fouquet, qui
est exilée à Limoges.--Inquiétude de Gourville; on le laisse en
liberté.--Arrestation de Pellisson.--Attitude des courtisans.--Désespoir
simulé du marquis de Gesvres.--Lettre de Louis XIV à sa mère.--Il
retourne à Fontainebleau (6 septembre).


CHAPITRE XXXIX (SEPTEMBRE-NOVEMBRE 1661)

La nouvelle de l'arrestation de Fouquet parvient à madame du
Plessis-Bellière avant l'arrivée du courrier expédié par Louis
XIV.--Elle tient conseil avec l'abbé Fouquet et Bruant des
Carrières.--L'abbé Fouquet veut brûler la maison de Saint-Mandé et tous
les papiers qu'elle renfermait.--Madame du Plessis-Bellière s'y
oppose.--Bruant parvient à s'échapper.--Sentiments de madame Fouquet la
mère à la nouvelle de l'arrestation de son fils.--Du Vouldy apporte au
chancelier les ordres du roi.--Mesures prises immédiatement par Séguier:
ordre de saisir à Fontainebleau, à Vaux, à Saint-Mandé et à Paris, les
papiers du surintendant et de les mettre sous le scellé.--Exil de madame
du Plessis-Bellière et de l'abbé Fouquet.--Lettres qu'écrivent à ce
dernier de Lyonne et Villars.--L'archevêque de Narbonne et l'évêque
d'Agde sont également disgraciés.--Exil de Jannart et d'Arnauld de
Pomponne.--La Fontaine annonce à Maucroix l'arrestation de Fouquet (10
septembre).--Gui-Patin l'annonce aussi à Falconnet.--Fouquet est
transféré de Nantes à Angers.--Maladie et abattement de Fouquet.--Lettre
qu'il écrit à le Tellier pour demander un confesseur.--Il aurait préféré
Claude Joly, curé de Saint-Nicolas des Champs.--Si on ne permet pas
qu'il l'assiste, il prie de laisser à sa mère le choix de
l'ecclésiastique auquel il ouvrira sa conscience.--Seconde lettre de
Fouquet au secrétaire d'État le Tellier; il y rappelle les services
qu'il a rendus au roi.--Récriminations contre Mazarin.--Fouquet invoque
le pardon que le roi lui a accordé.--Il demande que sa prison soit
changée en un exil au fond de la Bretagne.--Le roi le laisse au château
d'Angers jusqu'au 1er décembre.--Fouquet n'en sort que pour être
transféré dans une nouvelle prison.


CHAPITRE XL (SEPTEMBRE-NOVEMBRE 1661)

Saisie des papiers de Saint-Mandé.--Lettres adressées au chancelier par
l'un des commissaires, le conseiller d'État de la Fosse.--Des
mousquetaires enlèvent, par ordre de Colbert (25 septembre) une partie
des papiers de Saint-Mandé et les portent à Fontainebleau.--De la Fosse,
signale les conséquences fâcheuses de cette mesure.--Le maître des
requêtes Poucet rapporte les papiers à l'exception d'un certain nombre
de lettres de femmes (27 septembre).--Des maîtres des requêtes et
conseillers du parlement demandent à assister à l'inventaire comme
créanciers de Fouquet.--Avis donnés au chancelier sur la nature de
quelques pièces.--Détails sur un dessin trouvé à
Saint-Mandé.--Médailles, bibliothèque et curiosités de
Saint-Mandé.--Remarques sur les relations du premier président avec
Fouquet.--Précautions prises par Fouquet pour dissimuler l'étendue et la
magnificence des bâtiments de Saint-Mandé.--Les papiers inventoriés sont
déposés par les commissaires au château de Vincennes.


CHAPITRE XLI

Cassette de Fouquet trouvée à Saint-Mandé; nous n'avons pas toutes les
lettres qu'elle renfermait.--Analyse des papiers conservés par
Baluze.--On peut les diviser en cinq catégories: 1° Intrigues d'amour;
billet attribué à madame du Plessis-Bellière; 2° lettres d'intrigues et
d'affaires; rapports d'espions, détails sur madame de Navailles, sur
Delorme, sur madame d'Asserac, sur une personne, nommée Montigny,
séquestrée par ordre de Fouquet; 4° demandes d'argent; 5° lettres
d'affaires.--L'inventaire de ces papiers ne répondit pas à ce
qu'attendaient la curiosité et la malignité des courtisans; ils
inventent une fausse cassette de Fouquet.


CHAPITRE XLII (OCTOBRE-DÉCEMBRE 1661)

Lettres apocryphes attribuées à des dames de la cour.--Indignation que
cause la lecture des papiers de Fouquet--Lettre de Chapelain à ce
sujet.--Plaintes de madame de Sévigné.--Autres causes de l'irritation
contre Fouquet: misère des provinces attestée par les lettres de
Gui-Patin, les discours du président de Lamoignon et les correspondances
des intendants des provinces.--Famine et mortalité daim l'Orléanais et
le Blésois.--Prix excessif des denrées en Basse-Normandie.--Augmentation
du nombre des mendiants et des malades.--Lettre de l'intendant de Rouen
sur l'état misérable de cette ville et des environs.--Doléances des
échevins et députés de Marseille.--Pétition adressée au roi par les
pauvres de Paris.--Fouquet et Pellisson sont transférés d'Angers à
Amboise (1-4 décembre).--Pellisson est conduit à la Bastille (6-12
décembre).--Fouquet séjourne à Amboise jusqu'au 25 décembre.--Il est
transféré à Vincennes.--Imprécations du peuple contre lui.--Il est
enfermé au donjon de Vincennes.--D'Artagnan est chargé de la garde de ce
château et de la personne de Fouquet.


CHAPITRE XLIII (DÉCEMBRE 1661)

Projet de faire juger Fouquet par une commission de maîtres des requêtes
qu'aurait présidée le chancelier.--Ce projet est abandonné.--Chambre de
justice instituée pour la réforme des fiances et le jugement de tous les
officiers de finance accusés de prévarication.--Première séance de la
Chambre de justice (3 décembre 1661).--Discours du premier président
Guillaume de Lamoignon.--Membres qui composaient la Chambre de
justice.--Il s'y forme deux partis: à la tête du premier étaient Pierre
Séguier, Poucet, Voysin, Pussort.--Le second est dirigé par Guillaume de
Lamoignon.--La conduite de ce magistrat est critiquée par Colbert.--Il a
pour lui les membres du parlement de Paris et les maîtres des requêtes
Besnard de Rezé et Olivier d'Ormesson.


CHAPITRE XLIV (1661-1663)

Procès de Fouquet.--Monitoires publiés par ordre de la Chambre de
justice (décembre 1661).--Arrêts de prise de corps contre Boylève.
Bruant, Catelan et autres financiers.--Les registres des trésoriers de
l'Épargne sont saisis.--Ordre donné à tous ceux qui ont pris à ferme les
impôts, depuis 1655, à leurs veuves et héritiers, de remettre leurs baux
à la Chambre de justice.--Le procureur général demande à la Chambre
l'autorisation de poursuivre Fouquet comme principal auteur des abus de
l'administration financière (2 mars 1662).--Cette autorisation est
accordée, et Fouquet subit un interrogatoire devant deux commissaires de
la Chambre (juin 1662).--Fouquet après avoir protesté contre la Chambre,
répond à l'interrogatoire.--La Chambre décide qu'il sera jugé sur
pièces; ce qui entraînait des procédures lentes et
multipliées.--Sainte-Hélène et Olivier d'Ormesson sont nommés par le roi
rapporteurs du procès (octobre 1662).--Caractère d'Olivier
d'Ormesson.--Le chancelier Séguier remplace Guillaume de Lamoignon comme
président de la Chambre de justice décembre 1662.--Sa
partialité.--Reproches qu'il adresse aux rapporteurs.--Longueur du
procès inhérent à la nature de l'affaire.--Nécessité de compulser les
registres de l'Épargne et d'en donner communication à
l'accusé.--Requêtes de récusation présentées par Fouquet contre Talon.
Pussort, Voysin et le greffier Foucault; elles sont rejetées (février
1663).--Requête de Fouquet pour obtenir communication des pièces; elle
est accordée.--Les membres de la Chambre de justice sont appelés au
Louvre août 1663; recommandations que leur adresse le roi.--Efforts pour
gagner Olivier d'Ormesson, conseils que lui donne Claude le
Pelletier.--André d'Ormesson, père d'Olivier, est choisi pour remplir
les fonctions de chancelier dans la cérémonie du renouvellement de
l'alliance des Suisses (novembre 1663).--Talon est renvoyé de la Chambre
de justice et remplacé par Chamillart.


CHAPITRE XLV (1664)

Suite du procès de Fouquet.--Olivier d'Ormesson repousse les avances de
Chamillart.--Requêtes présentées par Fouquet contre le chancelier et
contre l'inventaire fait après la saisie de ses papiers (janvier
1664).--Olivier d'Ormesson fait la vérification des procès-verbaux de
l'Épargne à la Bastille, où avait été transféré Fouquet.--Travail assidu
de l'accusé.--Presses clandestines qui reproduisent ses
_Défenses_.--Lenteur de la procédure.--Plaintes du chancelier contre
Olivier d'Ormesson.--Réponse de ce dernier.--Impatience de
Pussort.--L'opinion publique commence à se prononcer en faveur de
Fouquet--Turenne déclare que l'on a fait la corde trop grosse pour
pouvoir l'étrangler.--Assiduité et exactitude d'Olivier d'Ormesson dans
l'accomplissement de ses devoirs (janvier-juillet 1664).--Il est privé
de l'intendance du Soissonnais et de la Picardie.--Violence de
Colbert.--Modération de le Tellier.--Colbert vient se plaindre au père
d'Olivier d'Ormesson de la conduite de son fils; réponse d'André
d'Ormesson.--On blâme généralement cette démarche de Colbert.--La
Chambre de justice est transférée à Fontainebleau (juin 1604), et
Fouquet enfermé à Moral.--On restreint ses relations avec ses avocats à
deux communications par semaine.--Fouquet présente à ce sujet une
requête à la Chambre.--Elle est renvoyée au roi.--Paroles adressées par
Louis XIV aux rapporteurs.--La requête de Fouquet est rejetée.--Il en
présente une nouvelle pour récuser Pussort et Voysin.--Colbert s'en
plaint vivement--Le Tellier sollicite, par ordre du roi, plusieurs
membres de la Chambre de justice.--La requête est rejetée.--Fermeté
d'Olivier d'Ormesson.--L'instruction du procès est terminée (novembre
1664).


CHAPITRE XLVI (1664)

L'opinion publique se prononce en faveur de Fouquet.--Causes de ce
changement: longueur et étendue du procès; nombreuses familles qui y
sont impliqués.--Relations des financiers avec la magistrature et la
noblesse.--Madame Duplessis-Guénégaud.--Caractère de Colbert.--Une
partie du clergé est favorable à Fouquet.--Remboursement des rentes (mai
1664); mécontentement qui en résulte.--Sonnet du poëte Hesnault contre
Colbert.--Loret ne veut pas croire aux crimes imputés à Fouquet.--Pierre
Corneille reste fidèle au surintendant malheureux et célèbre le courage
de ses défenseurs.--Élégie de la Fontaine aux _Nymphes de Vaux_.--Ode
adressée par ce poëte à Louis XIV pour solliciter la grâce de
Fouquet.--La Fontaine s'éloigne de Paris, probablement d'après un ordre
du roi.--Sympathie qu'excite le sort de Pellisson.--Lettre de Racine à
son sujet.--Légendes sur la captivité de Pellisson.--Mémoires et vers
qu'il compose en faveur de Fouquet.--Il est soumis à une surveillance
plus sévère--_Requête de Pellisson à la Postérité_.


CHAPITRE XLVII (NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1664)

Suite et fin du procès de Fouquet.--La Chambre de justice se rend à
l'Arsenal (14 novembre 1661) pour entendre et juger l'accusé.--On donne
lecture des conclusions du procureur général requérant la peine de
mort.--Déclaration du chancelier à l'occasion de lettres de femmes
publiées à l'époque de l'arrestation de Fouquet.--Fouquet sur la
sellette.--Il proteste contre la compétence de la Chambre à son
égard.--Principaux chefs d'accusation.--Premier interrogatoire de
Fouquet sur les pensions.--Second interrogatoire (17 novembre)
discussion entre le chancelier et Fouquet.--Troisième interrogatoire (18
novembre).--Intérêt qu'inspire le procès de Fouquet.--Maladie de la
reine Marie-Thérèse.--Emplâtre que lui envoie madame Fouquet la
mère.--Quatrième interrogatoire relatif au marc d'or (20
novembre).--Cinquième interrogatoire (21 novembre).--Impatience que
témoigne Fouquet.--Sixième interrogatoire (22 novembre).--Septième et
huitième interrogatoires (26 et 27 novembre).--Influences que l'on fait
agir sur le chancelier.--Parti nombreux et actif qui s'intéresse au
salut de Fouquet.--Neuvième interrogatoire (28 novembre).--Mort du
président de Nesmond (30 novembre).--Séances des 1, 2 et 3 décembre, où
Fouquet est interrogé sur les avances qu'il avait faites au trésor
public et sur ses dépenses excessives.--Dernier interrogatoire sur le
crime d'État (4 décembre); récriminations de Fouquet contre le
chancelier, auquel il reproche sa conduite pendant la Fronde; il y
oppose les services qu'il avait rendus à la même époque.--Olivier
d'Ormesson opine le premier et parle pendant quatre jours du (9 au 15
décembre).--Sainte-Hélène prend ensuite la parole (15-16
décembre).--Courage de M. de Massenau.--Folie de Berryer.--Pussort opine
avec beaucoup de force (17 décembre).--Suite de la délibération (18, 19
et 20 décembre).--L'avis d'Olivier d'Ormesson est adopté par treize voix
contre neuf.--Joie générale.--L'arrêt est signifié à Fouquet (22
décembre) et commué par le roi en un emprisonnement perpétuel dans la
forteresse de Pignerol.--On sépare de Fouquet son médecin Pecquet et son
valet de chambre la Vallée.--Exil des parents de Fouquet.--Persécutions
dirigées contre les juges qui avaient sauvé Fouquet: exil de Roquesante,
disgrâces de Pontchartrain et d'Olivier d'Ormesson.--La haine publique
poursuit les juges qui avaient opiné pour la mort de Fouquet; trois
d'entre eux (Hérault, Sainte-Hélène et Ferriol) ne tardent pas à
succomber; on attribue leur mort à la vengeance céleste.


CHAPITRE XLVIII (1661-1680)

Fouquet est transféré, à Pignerol et enfermé dans le donjon de cette
forteresse (décembre 1664--janvier 1605).--Vigilance et humanité de
d'Artagnan, chargé de la garde de Fouquet pendant le voyage.--Arrivé à
Pignerol (janvier 1665), il remet Fouquet à Saint-Mars.--Instructions
données à Saint-Mars.--Danger que court Fouquet au donjon de Pignerol
(juin 1665) par suite de l'explosion des poudres.--Fouquet est transféré
au château de la Pérouze où il passe un an juin 1665--(août
1666).--Efforts de Fouquet pour entretenir des correspondances avec ses
amis.--Ils sont déjoués par la vigilance de Saint-Mars.--Occupations de
Fouquet dans sa prison (1667-1668).--Il tombe malade.--Tentative de la
Forest pour gagner quelques-uns des soldats de la citadelle de Pignerol
(1669); elle est découverte, et la Forest exécuté (1670)--Lauzun
emprisonné à Pignerol (1671).--Ses relations avec Fouquet, auquel il
raconte ses aventures (1672).--Fouquet le croit fou.--Causes qui
contribuèrent à adoucir la captivité de Fouquet: influence d'Arnauld de
Pomponne et de madame de Maintenon.--Fouquet obtient la permission de
recevoir une lettre de sa femme (1672), puis de lui écrire et d'en
recevoir des nouvelles deux fois par an 1674.--Lettre de Fouquet à sa
femme (5 février 1675).--L'abbé Fouquet obtient la permission de revenir
à Barbeau (1678), et madame Fouquet de se rapprocher de son
mari.--Adoucissement à la captivité de Lauzun et de Fouquet (1679).--La
famille de Fouquet vient s'établir à Pignerol.--Rupture entre Lauzun et
Fouquet.--Mort de l'abbé Fouquet (1680).--Mort de Nicolas Fouquet (mars
1680).--Il est inhumé dans l'église des _Filles de la Visitation_ (28
mars 1681).--Mort de madame Fouquet la mère (1681), de l'évêque d'Agde
(1702) et de la veuve du surintendant (1716).--Vertus de madame de
Charost, fille de Fouquet.--Fils et fille nés du second mariage du
surintendant.--Le marquis de Belle-Isle (Louis Fouquet) continue la
postérité masculine de la famille Fouquet.--Illustration de ses fils, le
comte et le chevalier de Belle-Isle.--Légendes sur le surintendant
Fouquet.


APPENDICE.

I. Protection accordée par Fouquet aux lettres et aux arts dans les
derniers temps de son ministère.

II. Portrait d'Anne d'Autriche par le cardinal de Retz.

III. Extrait des Mémoires de madame de la Fayette et du marquis de la
Fare sur Fouquet.

ADDITIONS ET CORRECTIONS, Tome II.

NOTES



PRÉFACE

Le surintendant des finances Nicolas Fouquet a joué un grand rôle
pendant la première partie du règne de Louis XIV. Auxiliaire zélé de
Mazarin à l'époque de la Fronde, habile plus tard à fournir de l'argent
à un ministre avide, qui avait plusieurs armées à entretenir et qui
voulait pour lui-même amasser des trésors, il suffit pendant plus de dix
ans à cette lourde tâche. Cependant les Mémoires du temps et les
historiens modernes ne parlent guère que de la catastrophe de Nicolas
Fouquet. Les causes de l'élévation de ce personnage, ses relations avec
Mazarin, les services qu'il lui rendit pendant la Fronde, n'ont jamais
été complètement exposés. Le travail remarquable que M. P. Clément a
placé en tête de son _Histoire de Colbert_ n'embrasse que la disgrâce de
Fouquet et les causes qui l'ont amenée. Il en est de même des _Mémoires
sur madame de Sévigné_, par M. Walckenaer; on n'y trouve que le procès
du surintendant[1]. Je me propose de remonter plus haut et d'exposer
toute la vie de Nicolas Fouquet, en m'appuyant sur des documents d'une
authenticité incontestable.

L'abbé Fouquet, frère du surintendant, est encore moins connu. On le
voit, à la vérité, dans les Mémoires du dix-septième siècle, jouer les
personnages les plus divers: serviteur dévoué de Mazarin, il lutte
contre le prince de Condé et le cardinal de Retz; il brave tous les
dangers pour assurer le triomphe de la royauté sur la Fronde; plus tard,
il dispose de la police et de la Bastille; mais sa puissance est
occulte; il se plaît dans les menées souterraines, et les Mémoires du
temps signalent surtout son insolence et le scandale de ses mœurs, qui
finirent par le compromettre gravement, sans que le cardinal Mazarin,
auquel il avait rendu de grands services, ait jamais consenti à le
disgracier. Toutefois son importance fut amoindrie, tandis que celle du
surintendant grandissait chaque jour et arrivait à l'effacer
entièrement.

Je me hâte de déclarer qu'aucun des deux frères n'a laissé de Mémoires
historiques. On ne saurait, en effet, désigner sous ce titre les
_Défenses_, que Nicolas Fouquet composa à l'occasion du procès qui lui
fut intenté en 1661, et qui ne forment pas moins de quatorze volumes.
Mais il reste du surintendant et de son frère l'abbé un grand nombre de
lettres, qui ont été écrites au moment même où les événements
s'accomplissaient, et qui ont plus d'autorité historique que n'en
pourraient avoir des œuvres composées à loisir et destinées trop souvent
à tromper la postérité. Je me suis surtout servi de ces documents[2]
pour faire connaître le rôle politique des deux Fouquet.

J'ai adopté le titre de Mémoires, parce que cet ouvrage, qui embrasse la
vie privée aussi bien que la vie publique de Nicolas Fouquet et de son
frère l'abbé, ne saurait avoir la gravité de l'histoire. Il descend dans
des détails domestiques qui sont nécessaires lorsque l'on veut étudier à
fond le caractère et les passions d'un homme, mais que l'on doit
négliger dans les tableaux et les récits d'un intérêt plus général.
Enfin le titre de Mémoires me permet de laisser le plus souvent la
parole aux contemporains. Mazarin, qui a joué dans ces temps le
principal rôle, révèle dans ses lettres aux Fouquet bien des détails
secrets et des causes cachées. N'est-il pas juste, d'ailleurs,
d'entendre la défense de ce ministre que les frondeurs ont si
obstinément poursuivi? Les Mémoires de cette époque ne sont souvent
qu'une continuation des _Mazarinades_, une suite spirituelle et piquante
des pamphlets destinés à verser l'odieux et le ridicule sur le cardinal
et sur la reine Anne d'Autriche. Les lettres de Mazarin, écrites sous
l'impression même des événements, ont bien plus d'autorité que ces
souvenirs rétrospectifs, destinés à satisfaire avant tout la vanité de
l'auteur et à exagérer les proportions de son rôle.

Je suis loin cependant de contester l'utilité des Mémoires pour retracer
les événements de cette époque, et j'en ai fait un usage continuel.
Aucune période de notre histoire n'a été plus féconde en écrits de cette
nature. Plusieurs de ces ouvrages réunissent le mérite du style à
l'intérêt historique, le charme de la narration à l'authenticité des
faits, l'attrait romanesque et dramatique de la vie privée à la grandeur
des événements publics. Avant et pendant la Fronde, chaque parti, chaque
nuance même de parti, a son historien. La Châtre écrit pour glorifier la
cabale des _Importants_; la cour et Anne d'Autriche trouvent leur
apologiste dans madame de Motteville; la Rochefoucauld et Pierre Lenet
soutiennent de leur plume le parti des Princes, qu'ils avaient défendu
de leur épée et éclairé de leurs conseils; le parlement a pour lui,
quoique avec des nuances distinctes, Omer Talon, Olivier d'Ormesson,
l'_Histoire du temps_ et le _Journal de la Fronde_. Priolo, d'abord
attaché au duc de Longueville, se laisse gagner par Mazarin, et écrit,
dans l'intérêt du ministre, son histoire latine des premières années de
Louis XIV, histoire qui ressemble souvent à des Mémoires par le rôle
qu'y joue l'auteur et le soin avec lequel il se met en scène[3]. Gui
Patin exprime les sentiments de la bourgeoisie frondeuse. Le cardinal de
Retz et mademoiselle de Montpensier ne représentent guère qu'eux-mêmes,
leur esprit, leur vanité, leurs intrigues, leur héroïsme romanesque et
théâtral. Parmi ces Mémoires, dont il serait facile d'augmenter la
liste, quelques-uns sont considérés comme des œuvres éminentes pour
l'éclat pittoresque du style, la vivacité des tableaux et la peinture
des caractères.

Les Mémoires inédits m'ont aussi fourni quelques traits pour l'histoire
des deux Fouquet. Je citerai, entre autres, deux journaux, l'un de
Dubuisson-Aubenay, l'autre anonyme. Le premier s'étend de 1648 à
1652[4]; il a été écrit par un gentilhomme attaché au secrétaire d'État
Duplessis-Guénégaud, et par conséquent ennemi de la Fronde. On y trouve
sur cette époque de troubles et d'anarchie des particularités que l'on
chercherait vainement ailleurs[5]. Le second est également écrit par un
adversaire des frondeurs; il s'étend de 1648 à 1659, et m'a aussi fourni
pour l'histoire des deux frères des renseignements nouveaux et
authentiques.

En comparant ces Mémoires, dont les auteurs ont suivi des intérêts et
des partis opposés, on arrive souvent à découvrir la vérité; mais, quant
aux mobiles secrets qui ont fait agir les personnages, il est difficile
de les pénétrer, à moins qu'eux-mêmes n'aient pris soin de nous les
révéler dans des lettres confidentielles. C'est là ce qui donne un si
grand intérêt à la correspondance de Mazarin avec Nicolas Fouquet et
avec son frère. Les événements de la Fronde, qui, dans les Mémoires de
Retz et de la plupart des contemporains, sont présentés sous un jour
défavorable au ministre, apparaissent sous un tout autre aspect dans les
lettres du cardinal. La biographie de Nicolas Fouquet et celle de son
frère est trop étroitement liée à l'histoire de la Fronde pour que je
n'aie pas insisté sur cette époque, en faisant ressortir l'importance
des services que les deux frères rendirent alors à la cause royale.

Pour la période suivante, celle où Nicolas Fouquet, devenu surintendant,
administre les finances, abuse de son pouvoir et s'attire une disgrâce
méritée, j'ai fait également usage des Mémoires publiés et des documents
manuscrits. La _Muse historique_ de Loret sert à fixer les dates, et les
lettres de Gui-Patin fournissent quelques indications précieuses. On
trouve encore, pour l'histoire de Fouquet pendant cette époque, des
faits à recueillir dans les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, de
madame de Motteville, de Conrart, de Montglat, de Bussy-Rabutin, de
madame de la Fayette, du marquis de la Fare; mais ce sont des traits
dispersés. Les Mémoires réellement importants pour cette partie de
l'histoire de Fouquet sont ceux de Gourville, de l'abbé de Choisy et du
jeune Brienne. Gourville, un des principaux commis de Fouquet, insiste
tout spécialement sur le caractère et le rôle du surintendant. Mais il
veut trop souvent se mettre en scène, et s'attribue une importance qui
est démentie par des documents plus authentiques. J'ai pris soin de
signaler les passages entachés de ce défaut. L'abbé de Choisy, élevé à
la cour par une mère qui fut mêlée à toutes les intrigues du temps,
avait dix-huit ans à l'époque de la chute de Fouquet. Il a vu et
entretenu les personnages qu'il met en scène; il a beaucoup appris par
les courtisans qui fréquentaient la maison de sa mère. Son oncle, l'abbé
de Belesbat, passait pour un des familiers du surintendant, et la
calomnie lui a attribué une des lettres les plus honteuses que l'on fit
circuler comme tirées de la cassette de Fouquet. Le témoignage de l'abbé
de Choisy mérite donc d'être recueilli pour tout ce qui touche au
ministère et à la catastrophe de Fouquet.

Quant au jeune Brienne, il était secrétaire d'État en survivance à
l'époque de la disgrâce du surintendant. Sans doute, son esprit
romanesque diminue l'autorité de ses Mémoires. L'éditeur en a d'ailleurs
rajeuni le style au point d'en changer la physionomie et de remplacer la
marche un peu traînante de la prose du dix-septième siècle par des
allures sautillantes et légères qui mettent en défiance. Cependant le
fond n'a pas été altéré. J'ai eu sous les yeux le manuscrit provenant du
cardinal de Brienne; il n'y a de différences, entre ce manuscrit et les
Mémoires publiés, que pour le style. Toutefois le caractère du jeune
Brienne, ses aventures, son goût pour les détails singuliers et pour la
mise en scène, suffisent à le rendre suspect. On peut, heureusement,
contrôler son témoignage par le récit officiel de l'arrestation de
Fouquet, qu'a rédigé Foucault, greffier de la Chambre de justice
instituée en 1661, et par la lettre même où Louis XIV retrace à sa mère
toutes les circonstances de cet événement.

Les papiers trouvés dans la cassette de Fouquet et conservés à la
Bibliothèque impériale fournissent aussi des renseignements précieux et
authentiques pour les dernières années de son ministère. Depuis plus de
dix ans, je me suis occupé de ces correspondances. J'en devais
l'indication à M. Claude, dont le savoir et l'obligeance sont connus de
tous ceux qui font des recherches dans les manuscrits de la Bibliothèque
impériale. J'ai cité depuis longtemps les papiers de Fouquet[6] dans
plusieurs articles du _Journal général de l'instruction publique_, dans
mon _Histoire de l'administration monarchique en France_, et dans
l'édition que j'ai donnée des _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_.
Postérieurement à mes recherches, l'attention de plusieurs écrivains
s'est portée sur la cassette de Fouquet. M. Dreyss, dans son édition des
_Mémoires de Louis XIV_; M. Marcou, dans son _Étude sur Pellisson_, et
tout récemment M. Feuillet de Conches, dans ses _Causeries d'un
curieux_, en ont tiré plusieurs documents. M. Feuillet de Conches
surtout a signalé l'intérêt de cette cassette et en a déchiffré quelques
énigmes. Lui-même, du reste, a reconnu, en termes obligeants, que
j'avais déjà étudié ces correspondances. J'ai profité plus d'une fois de
ses travaux en indiquant les emprunts que je lui ai faits. Quant à
l'interprétation de quelques pièces, où je diffère d'avis avec lui, j'ai
donné mes raisons, tout en rendant pleine justice à son ingénieuse
sagacité.

Une des principales difficultés, lorsqu'on cherche à déchiffrer les
lettres que renferme cette cassette, consiste à retrouver les noms des
correspondants de Fouquet. Bien peu de lettres sont signées; souvent
même les noms des personnes et des lieux sont déguisés, et quelquefois
les correspondants ont poussé la précaution jusqu'à se servir d'une main
étrangère. Comment s'étonner que le lecteur hésite au milieu de tant de
difficultés et ne puisse reconnaître tous les auteurs de ces lettres?
Pour celles mêmes où l'on met un nom, il est difficile de ne pas avouer
qu'il y a toujours une part d'hypothèse dans les interprétations. Une
autre difficulté résulte de l'absence de dates: tous ces papiers ont été
jetés pêle-mêle dans la cassette, et jamais on n'a cherché à les
soumettre à un ordre chronologique. Je l'ai tenté pour les pièces dont
j'ai fait usage dans le corps de ces Mémoires, et, au lieu d'exposer
dans son ensemble tout ce que contient la cassette de Fouquet, j'en ai
successivement tiré les lettres qui établissaient les relations du
surintendant avec les personnes influentes de la cour et de la ville. Il
y a là bien des révélations honteuses sur les mœurs du temps, et l'on
éprouve d'abord de la répugnance à étaler de pareils scandales. A quoi
bon exhumer ces misères et ces turpitudes? Ne vaudrait-il pas mieux
laisser de semblables documents dormir dans la poussière où ils sont
ensevelis depuis plusieurs siècles?

Je n'aurais pas hésité à suivre ce parti, si Nicolas Fouquet
n'appartenait pas à l'histoire. On ne peut connaître et apprécier la vie
publique du surintendant qu'en fouillant dans sa vie privée et en y
cherchant les causes secrètes de ses dilapidations. L'histoire
n'instruit pas seulement en retraçant des vertus, mais en montrant les
conséquences des fautes et des vices. Raconter la vie d'un homme que de
rares talents, une conduite habile, le dévouement à la cause royale,
avaient élevé aux plus hautes dignités, puis le montrer enivré par la
grandeur et la passion, oubliant ce qu'il doit à la France et à
lui-même, et précipité de vice en vice et d'abîme en abîme jusqu'à ce
que la main de la justice s'appesantisse sur lui et le jette dans un
cachot, où il expiera pendant dix-neuf ans ses fautes et ses crimes,
n'est-ce pas là un des plus utiles enseignements de l'histoire?
D'ailleurs, en insistant sur la partie réellement importante de cette
correspondance, il sera facile d'éviter certains détails qui
blesseraient la morale et n'auraient que peu d'intérêt pour l'étude des
caractères et des événements historiques.

Relativement au procès de Fouquet, on a aussi des documents d'une
authenticité incontestable. Ce procès a été retracé dans tous ses
détails par le greffier de la Chambre de justice, Foucault, dont le
Journal inédit fait partie des manuscrits de la Bibliothèque impériale;
c'est un simple procès-verbal, mais très-complet. Le Journal d'Olivier
d'Ormesson, que j'ai publié dans la collection des _Documents inédite
relatifs à l'histoire de France_, a un autre caractère. Il peint la
physionomie des séances plutôt qu'il ne raconte les incidents du procès.
Olivier d'Ormesson, un des juges de Fouquet et un des magistrats les
plus intègres du dix-septième siècle, a une grande autorité lorsqu'il
dépose devant la postérité. Madame de Sévigné a puisé dans ses
entretiens les détails qu'elle a animés et colorés de son style si vif
et si brillant. Cependant il n'est pas inutile, en entendant Olivier
d'Ormesson, qui est l'organe du parti de la magistrature, de comparer à
son témoignage celui de Colbert. Ce ministre poursuivait Fouquet avec
une passion qui a nui à sa cause; mais il avait pour lui la justice.
J'ai cité quelques passages d'un Mémoire adressé au roi par Colbert, où
le contrôleur général blâme le premier président, Guillaume de
Lamoignon. J'ai rapproché ces autorités opposées, et, tout en signalant
les dilapidations du surintendant, j'ai cherché à montrer comment
l'opinion publique, touchée de ses malheurs et émue par les plaintes de
la Fontaine et de Pellisson, s'était déclarée pour le ministre déchu et
persécuté.

Ces Mémoires se divisent naturellement en quatre parties, comme la vie
même de Nicolas Fouquet. Jusqu'au mois de janvier 1653, il fut, avec son
frère, l'auxiliaire le plus actif de Mazarin. Après la Fronde, les deux
frères eurent part aux récompenses: Nicolas Fouquet devint surintendant
des finances avec Abel Servien. L'abbé son frère eut la direction de la
police: son rôle fut alors très-important; mais son audace, son
insolence et le scandale de ses mœurs, finirent par le compromettre. De
son côté, le surintendant commença à abuser de son crédit et à prodiguer
en plaisirs et en fêtes l'argent de l'État. Cependant la présence de son
collègue Servien le contint jusqu'en 1659. Mais, après la mort de
Servien (17 février), le surintendant s'abandonna sans frein à ses
passions. A cette époque, il semble atteint de démence, _vere
lymphatus_, comme dit un contemporain[7]. Bâtiments somptueux,
fortifications de Belle-Île, traités scandaleux avec les fermiers de
l'impôt, folles prodigalités pour les filles de la reine, tentatives
pour succéder à Mazarin dans la puissance suprême et tenir le roi dans
sa dépendance, voilà le spectacle que présente l'administration de
Fouquet, parvenu au comble de la puissance et entraîné par des passions
effrénées. La période de 1659 à 1661 marque à la fois l'apogée de sa
grandeur et le commencement de sa ruine. Arrêté le 5 septembre 1661, il
est traîné de prison en prison et enfin traduit devant un tribunal
composé en partie de ses ennemis. Pendant trois ans, son sort est en
suspens et sa vie menacée; c'est alors que, par une compassion naturelle
pour le malheur, l'opinion lui redevient favorable et applaudit à
l'arrêt qui le sauve du dernier supplice. Prisonnier à Pignerol, Fouquet
disparaît de la scène et expie dans une longue et obscure détention les
erreurs et les fautes de sa vie publique et privée. Ainsi, au début,
activité, énergie, habileté, dévouement à la cause royale; après la
Fronde, en 1653, récompense de ses services et enivrement du succès; de
1659 à 1661, prodigalités insensées et ambition criminelle; enfin, de
1661 à 1680, expiation: tel est le résumé de la vie de Nicolas Fouquet;
tel est aussi le plan de ces Mémoires.



MÉMOIRES

SUR

NICOLAS FOUQUET

SURINTENDANT DES FINANCES

ET SUR

SON FRÈRE L'ABBÉ FOUQUET



CHAPITRE PREMIER

1615-1650

Famille de Nicolas Fouquet.--Il devient maître des requêtes
(1635).--Il est intendant dans l'armée du nord de la France et
ensuite dans la généralité de Grenoble.--Sa disgrâce en 1644.--Il
est de nouveau nommé intendant en 1647.--Son rôle pendant la
première Fronde en 1648 et 1649.--Il achète la charge de procureur
général au parlement de Paris (1650), et en prend possession au
mois de novembre de là même année.--Puissance du parlement de Paris
à cette époque.--Caractère du premier président Mathieu Molé et
d'autres magistrats du parlement.--Rôle difficile de Nicolas
Fouquet.--Défauts du parlement considéré comme corps
politique.--Contraste avec la conduite habile de Mazarin.--Nicolas
Fouquet s'attache à ce dernier et lui reste fidèle pendant toute la
Fronde.


Nicolas Fouquet naquit en 1615; il était le troisième fils de François
Fouquet, conseiller du roi en ses conseils, et de Marie Maupeou. Les
Fouquet, dont le nom s'écrivait alors Foucquet[8], étaient originaires
de Bretagne. C'était une famille de négociants nantais. Le commerce des
îles lointaines, déjà en pleine vigueur au seizième siècle, avait dû
développer chez les Fouquet un génie hardi, aventureux, fécond en
ressources. Il semble que la ruse, la souplesse, l'esprit ambitieux et
parfois téméraire que déployèrent le surintendant et son frère, l'abbé
Fouquet, étaient une tradition de famille. Leur père, François Fouquet,
après avoir été conseiller au parlement de Rennes, acheta une charge au
parlement de Paris, et fut successivement conseiller, maître des
requêtes et enfin conseiller d'État. Il remplit plusieurs fois
d'importantes fonctions et fut pendant quelque temps ambassadeur en
Suisse[9]. On a prétendu qu'il fut un des juges du maréchal de Marillac,
et qu'il s'honora par l'indépendance et la fermeté dont il fit preuve
dans ce procès[10]. Cette opinion n'est pas fondée; on a le nom des
juges du maréchal de Marillac[11] et le procès-verbal des séances de la
chambre de justice qui le condamna: François Fouquet n'y figure pas. Ce
qui est vrai, c'est que ce conseiller d'État fut procureur général
d'une chambre de justice instituée, en 1631, pour poursuivre les
financiers, et siégeant à l'Arsenal[12].

Du côté maternel, Nicolas Fouquet descendait d'une ancienne famille
parlementaire, celle des Maupeou, qui a obtenu, au dix-huitième siècle,
une triste célébrité, mais qui n'était encore connue, au dix-septième
siècle, que par des traditions de vertus domestiques. Marie Maupeou,
mère des Fouquet dont nous nous occupons, contraste par la simplicité et
la pureté de sa vie avec l'éclat et la corruption de ses fils. Tandis
qu'ils abusaient des plus hautes dignités pour y étaler leur faste et
leurs vices, elle prodiguait des secours aux misères qu'avait
multipliées la Fronde. Il ne faut pas oublier, en effet, que pendant
cette époque si agitée par les factions, on vit se déployer, à côté
d'effroyables souffrances, une ardente charité, féconde en
établissements de bienfaisance. C'est alors que saint Vincent de Paul,
que l'on appelait M. Vincent de la Mission, établit à Saint-Lazare des
prêtres chargés de prêcher l'Évangile dans les campagnes et institua les
sœurs de la Charité. Il fut secondé par madame Legras (Louise de
Marillac), veuve d'un secrétaire des commandements de Marie de Médicis
et première supérieure de ces sœurs de la Charité ou sœurs grises, qui
ne tardèrent pas à se répandre dans toute la France pour soigner les
malades et instruire les jeunes filles pauvres. Madame de Miramion, si
connue par l'audacieuse tentative de Bussy-Rabutin, fonda, vers le même
temps, la maison de Sainte-Pélagie, qui offrait un asile aux femmes et
aux filles perverties. Marie Maupeou a sa place parmi ces saintes
femmes, qui se dévouaient au soulagement de la misère et de la
souffrance. Elle ne donna à ses fils que des exemples de vertu, qui
malheureusement furent peu suivis.

Douze enfants, six fils et six filles, naquirent du mariage de François
Fouquet et de Marie Maupeou. Toutes les filles furent religieuses. Des
six fils, trois furent d'église, deux de robe, et un troisième d'épée.
L'aîné, François Fouquet, devint archevêque de Narbonne et survécut à la
disgrâce du surintendant. Le second, Basile Fouquet, est connu sous le
nom d'_abbé Fouquet_, parce qu'il était abbé commendataire de
Barbeau[13]. Le troisième fut le surintendant, Nicolas Fouquet, qui
débuta par des fonctions de magistrature. Le quatrième, Yves,
appartenait aussi à la robe; il eut une charge de conseiller au
parlement de Paris; mais il mourut jeune et sans postérité. Le
cinquième, Louis, entra dans l'Église et fut, dans la suite, évêque
d'Agde. Enfin, le sixième, Gilles, fut premier écuyer de la petite
écurie du roi et s'allia à la noble famille des marquis d'Aumont. Ces
détails seront utiles pour suivre les vicissitudes de la famille
Fouquet, et comprendre la biographie du surintendant: voilà pourquoi
nous les avons rappelés dès le commencement de ces mémoires.

Nicolas Fouquet, dont nous nous occupons spécialement, entra dans la
magistrature à vingt ans (1635), en qualité de maître des requêtes.
C'était précisément l'époque où Richelieu venait de donner une
organisation fixe et permanente au corps des intendants[14]: tantôt ils
accompagnaient les armées, avec mission de pourvoir aux
approvisionnements, de rendre la justice et de surveiller la gestion
financière; tantôt ils administraient une circonscription territoriale
appelée généralité. Nicolas Fouquet fut d'abord nommé intendant de
l'armée qui défendait la frontière septentrionale de la France[15].
L'année suivante, il administrait la généralité de Grenoble; mais, à la
suite d'une révolte qu'il n'avait su ni prévenir ni réprimer, il fut
rappelé à Paris[16]. Mazarin ne le laissa pas longtemps inactif: il
avait apprécié l'esprit vif et souple du jeune magistrat, sa finesse
pour pénétrer les hommes, ses grâces insinuantes pour se les concilier.
Il espérait tirer parti, même de l'ambition de Nicolas Fouquet. En 1647,
il l'attacha de nouveau, en qualité d'intendant, à l'armée que
commandaient Gassion et Rantzau. Il nous reste, de la correspondance que
Nicolas Fouquet entretint alors avec Mazarin, un rapport adressé par
l'intendant au ministre sur quelques désordres survenus dans
l'armée[17]. Il s'y montre plus indulgent que sévère et disposé à
tempérer la violence de Gassion. Ce fut encore Fouquet qui annonça au
cardinal la mort de ce maréchal[18].

Lorsque la Fronde éclata, en 1648, Nicolas Fouquet resta dévoué à
Mazarin. Le cardinal le chargea, pendant la première guerre civile,
d'approvisionner l'armée royale. Mazarin écrivait sur ses carnets, en
décembre 1648[19], au moment où il prenait toutes les mesures pour
assiéger Paris: «Envoyer Fouquet en Brie, avec ordre d'y faire de grands
magasins de blé pour la subsistance de l'armée.» On voit, en effet,
Fouquet, établi à Lagny, lever des contributions de blé et d'avoine sur
les paysans de la Brie et de l'Île-de-France[20]. Il fut aussi chargé
par Mazarin de percevoir des taxes sur les riches habitants de Paris,
sous prétexte de sauver du feu leurs châteaux et leurs maisons de
campagne[21]. On a encore l'arrêt du conseil du roi qui confiait cette
périlleuse mission à Nicolas Fouquet, ainsi que le rôle des taxes,
rédigé à la suite de l'arrêt[22]. Le Parlement s'émut de ces
contributions forcées qui frappaient surtout les magistrats; il défendit
de les payer, et enjoignit à Nicolas Fouquet d'apporter au greffe de la
cour la commission qui lui ordonnait de les lever, sous peine
d'interdiction de son office de maître des requêtes[23]. La
correspondance de Fouquet prouve que ces menaces ne l'intimidèrent
point, et qu'il aima mieux obéir au roi qu'au parlement.

Son dévouement fut récompensé lorsque Mazarin eut triomphé de la Fronde
parlementaire. Fouquet fut alors appelé à des fonctions analogues à
celles d'intendant de l'Île-de-France[24]. Après l'arrestation des
princes, en janvier 1650, il accompagna le roi, qui se rendit en
Normandie pour prévenir la révolte que la duchesse de Longueville
s'efforçait d'y exciter[25]. Au retour des voyages de la cour, qui avait
parcouru, après la Normandie, la Bourgogne, le Poitou et la Guienne,
Nicolas Fouquet acheta, avec l'agrément du cardinal Mazarin, la charge
de procureur général au parlement de Paris. Les dates sont fixées par le
passage suivant du _Journal de Dubuisson-Aubenay_: «Ce soir, 10 octobre
1650, M. le duc d'Orléans retourne de Limours à Paris, et M. Fouquet,
maître des requêtes, le va prier pour l'agréer en la charge de procureur
général, dont M. Méliand lui a fait sa démission, acceptée en cour,
moyennant sa charge de maître des requêtes, estimée plus de cinquante
mille écus, par le fils dudit sieur Méliand, de longtemps conseiller en
parlement, et cent mille écus de plus en argent, desquels cent mille
écus la reine a fait expédier un brevet de réserve, ou sûreté, audit
sieur Fouquet, au cas qu'il vint à mourir dans ladite charge.»

Ce fut le 28 novembre 1650, à la rentrée du parlement, que Nicolas
Fouquet porta, pour la première fois, la parole en qualité de procureur
général[26]. Cette position lui donnait une haute influence dans un
corps puissant et généralement hostile à Mazarin. Fouquet n'en usa que
dans l'intérêt de son protecteur, auquel il se montra aussi fidèle dans
la mauvaise fortune que dans les jours de prospérité. Il lui fallut une
grande souplesse pour contenir et diriger une assemblée infatuée de ses
priviléges, qui se croyait supérieure aux états généraux[27], et qui
joignait à l'administration de la justice le contrôle des affaires
politiques et des attributions très-étendues et très-importantes en
matière de police et de finances. Plus de deux cents magistrats
siégeaient dans les huit chambres du parlement. Il y avait cinq chambres
des enquêtes, composées généralement des jeunes conseillers; deux
chambres des requêtes; et, enfin, la grand'chambre, qui était formée des
plus anciens conseillers ecclésiastiques et laïques, magistrats d'une
expérience consommée et d'une grande autorité judiciaire. C'était là que
siégeaient les présidents à mortier. Les membres du parlement n'étaient
pas seulement inamovibles, ils étaient propriétaires de leurs charges.
Lors-qu'ils avaient payé au trésor un droit nommé _paulette_, ils
pouvaient les transmettre à leurs fils. Ainsi s'étaient formées les
familles parlementaires qui ont été l'honneur de l'ancienne
magistrature. Les noms des Molé, des Potier, des Talon, des Lamoignon,
des de Harlay, des de Mesmes, réveillent des idées de science, de vertu
et de courage civil; mais l'union de ces magistrats pouvait devenir
redoutable à la royauté. La vaste circonscription territoriale
qu'embrassait le parlement de Paris ajoutait encore à sa puissance. Sa
juridiction comprenait l'Île-de-France, la Picardie, l'Orléanais, la
Touraine, l'Anjou, le Maine, le Poitou, l'Angoumois, la Champagne, le
Bourbonnais, le Berry, le Lyonnais, le Forez, le Beaujolais et
l'Auvergne[28].

En 1650, le parlement de Paris avait à sa tête le premier président
Mathieu Molé, qui est resté le type du magistrat honnête et ferme. Ce
n'était pas, comme l'a dit le cardinal de Retz, _un homme tout d'une
pièce_; Mathieu Molé avait beaucoup d'habileté politique et savait
parfaitement que les affaires de finance, de police, et, en général, de
gouvernement, ne se dirigent pas, comme l'administration de la justice,
d'après des maximes absolues. Il usait de tempéraments suivant les
circonstances, se ménageait entre la cour et le parlement, faisait
entendre à la première des vérités hardies et un langage énergique sans
rompre avec elle, et résistait aux entraînements factieux des jeunes
conseillers, tout en maintenant l'autorité de sa compagnie. Toutefois,
si Mathieu Molé n'avait eu que ce manége politique, il eût pu passer
pour un homme habile, mais il n'eût jamais mérité la réputation de grand
magistrat que lui a confirmée la postérité. C'est à son courage pendant
la Fronde qu'il a dû sa gloire. Un de ses adversaires, le cardinal de
Retz, l'a caractérisé en ces termes: «Si ce n'était pas une espèce de
blasphème de dire qu'il y a quelqu'un dans notre siècle de plus
intrépide que le grand Gustave et M. le Prince[29], je dirais que ç'a
été M. Molé, premier président.»

Autour du premier président se groupaient d'autres magistrats éminents
par l'esprit et par le caractère: le président Henri de Mesmes était un
des principaux. Il appartenait à une famille éminente, et son frère,
Claude de Mesmes, comte d'Avaux, avait été un des négociateurs de la
paix de Westphalie. Le cardinal de Retz, qui ne pardonnait pas au
président de Mesmes de s'être opposé à ce qu'il siégeât et eût voix
délibérative dans le parlement, l'accuse de lâcheté devant le peuple, et
de servilité à l'égard de la cour; il le montre _tremblant comme la
feuille_ en présence de l'émeute qui gronde aux portes du parlement.
Mais dans des récits plus impartiaux et plus véridiques, le président
de Mesmes nous apparaît sous un tout autre aspect. A la journée des
barricades, lorsque le peuple entoure, avec des cris de fureur, le
parlement, qui ne ramène pas Broussel, et veut le forcer à rentrer dans
le Palais-Royal, Henri de Mesmes ne s'enfuit pas comme d'autres membres
du parlement; il reste auprès de Mathieu Molé[30], il le conseille, le
dirige même au moment du danger. Inaccessible aux séductions du
pouvoir[31], dont il blâme sévèrement les excès[32], honnête et ferme,
il marche, comme le premier président, dans un sentier étroit et
difficile, entre les Mazarins et les Frondeurs. Il s'élève avec une
indignation éloquente contre le coadjuteur Paul de Gondi et les généraux
de la Fronde, qui repoussent le héraut d'armes envoyé par le roi, et
reçoivent un prétendu ambassadeur de l'archiduc Léopold[33]. Il _ne
tremble pas comme la feuille_ en présence de la populace qui pousse des
cris de mort; au contraire, lorsque le coadjuteur et le duc de Beaufort
refusent d'aller apaiser ce peuple qu'ils ont soulevé et dont peut-être
ils ne sont plus maîtres, le président de Mesmes veut affronter le
danger et présenter sa poitrine aux coups des séditieux[34]. Prudence,
habileté, courage civil, amour du devoir et du bien public, telles sont
les qualités par lesquelles brille ce magistrat.

Le parquet, ou, comme on disait alors, les _gens du roi_, se
distinguaient aussi par le talent et les vertus. Le parquet comprenait,
outre le procureur général et son substitut, deux avocats généraux. Il
suffira de citer les noms d'Omer Talon et de Jérôme Bignon, qui
remplissaient alors les fonctions d'avocats généraux, pour rappeler
l'éloquence parlementaire dans tout son éclat, aussi bien que
l'intégrité et la science de l'ancienne magistrature. Ces avocats
généraux savaient, comme Mathieu Molé, défendre les privilèges du
parlement, et cependant ménager l'autorité royale, tout en lui faisant
entendre d'utiles conseils. Nicolas Fouquet, que ses fonctions de
procureur général plaçaient au-dessus des avocats généraux, était loin
d'avoir dans le parlement la même autorité que les Talon et les Bignon.
Plus homme d'affaires que de robe, d'un génie souple et fécond en
expédients, sans principes bien arrêtés, il convenait mieux à Mazarin
que d'anciens et austères magistrats. Mais il lui fallut du temps, de la
souplesse et des manœuvres habiles pour se faire des partisans dans ce
grand corps, dont tous les membres n'étaient pas des Molé et des Talon.
Il y avait bien des misères et des bassesses cachées sous la robe
parlementaire: nous en aurons plus d'une fois la preuve. Ceux mêmes qui
étaient sincères dans leur opposition à la cour manquaient souvent de
lumières et d'intelligence politique.

Le type des magistrats populaires, qu'on appelait alors les _pères de la
patrie_, était Pierre Broussel, homme honnête et simple, qui, dans la
bonté de son cœur, trouvait des mouvements d'éloquence sympathiques au
peuple; mais il n'avait aucune expérience des affaires politiques, et
était persuadé que l'intérêt de la France exigeait des déclamations
violentes et continuelles contre la cour et les traitants. Dans les
premiers temps de la Fronde, Broussel fut le héros du peuple. Ce fut au
cri de _vive Broussel_! que s'élevèrent les barricades, et son retour
dans Paris fut un triomphe; mais le vide de ce tribun ne tarda pas à
paraître. Retz, qui le faisait agir, s'en moquait. Peu à peu les
factions s'en firent un jouet. Les partisans de la paix lui soufflaient
leurs conseils pacifiques par son neveu Boucherat[35]. Le bonhomme,
comme l'appellent les mémoires du temps, en vint à ne plus comprendre
ses avis[36], et à voter contre la Fronde en croyant la soutenir. Bien
d'autres orateurs parlementaires donnaient le triste spectacle de
déclamations où la violence le disputait au ridicule.

Lorsque l'on veut se faire une idée de l'infatuation et de l'aveuglement
du parlement à cette époque, il faut lire les pamphlets qui furent
inspirés par les passions de ce corps. Je me bornerai à citer quelques
extraits de l'_Histoire du temps_[37], un des principaux ouvrages
composés en l'honneur du parlement. L'auteur débute ainsi: «La France,
opprimée par la violence du ministère, rendait les derniers soupirs
lorsque les compagnies souveraines[38], animées par le seul intérêt
public, firent un dernier effort pour reprendre l'autorité légitime que
la même violence leur avait fait perdre depuis quelques années.» Après
une énumération des griefs de la nation contre le cardinal Mazarin,
l'auteur rappelle les premiers troubles de la Fronde et le commencement
de l'opposition du parlement. Cette assemblée est, à ses yeux, un
véritable sénat romain, qui repousse avec indignation les faveurs de la
royauté, lorsqu'elle tente de séparer le parlement des autres cours
souveraines, en l'exemptant de l'impôt que devaient payer les magistrats
pour avoir la propriété de leurs charges. «Messieurs de la Grand'Chambre
dirent qu'ils ne croyaient pas qu'il y eût personne dans la compagnie
qui eût été si lâche de s'assembler tant de fois pour son intérêt
particulier, et que c'était le mal général du royaume qui les affligeait
sensiblement et qui les avait portés à faire aujourd'hui un dernier
effort, et partant, si leur dessein demeurait imparfait, ils n'avaient
qu'à abandonner leurs personnes en proie à leurs ennemis, aussi bien que
leurs fortunes particulières; que l'intérêt de leurs charges n'était
point à présent considérable, et que si, dans cette occasion, ils en
désiraient maintenir l'autorité, ce n'était pas pour leur utilité
particulière, mais plutôt pour l'avantage public[39].»

Après la Grand'Chambre, l'auteur nous montre les Enquêtes «opinant avec
autant de confiance et de liberté que faisaient autrefois les sénateurs
dans l'ancienne Rome. Les désordres de l'État, les voleries, la
corruption et l'anéantissement des lois les plus saintes et les plus
inviolables, tout cela fut magnifiquement expliqué[40].» Broussel est le
héros de cet écrivain, comme il était l'idole du peuple. Lorsqu'il
arrive à l'arrestation de ce conseiller dans la journée du 26 août 1648,
l'historien s'exalte et apostrophe emphatiquement le lecteur: «C'est
ici, cher lecteur, que tu dois suspendre et arrêter ton esprit; c'est
sur ce héros que tu dois jeter les yeux. Il est beaucoup plus illustre
que ceux de l'antiquité, quand même tu prendrais pour vérités les fables
qu'on a inventées pour les rendre plus célèbres.» On ne s'étonne plus,
après cette apothéose de Broussel, de voir le Parlement transformé en
Hercule, qui a terrassé «les monstres qui se repaissent du sang des
peuples et de leur substance.»

Entre les parlements, trop souvent, égarés par la passion, et l'habile
politique de Mazarin, les esprits fins et pénétrants comme Fouquet ne
pouvaient pas hésiter. Mazarin, depuis son entrée au ministère, avait
suivi les traces de Richelieu et continué ses succès. En quelques
années, il avait obtenu de brillants résultats: la maison d'Autriche
avait été vaincue à Rocroi, Fribourg, Nordlingen et Lens. Turenne
menaçait l'Empereur jusque dans ses États héréditaires. Le Roussillon,
l'Artois et l'Alsace conquis, le Portugal délivré, la Catalogne envahie,
la Suède triomphante, la Hongrie détachée de l'Autriche, l'Italie
secouant le joug de l'Espagne, enfin l'Empire triomphant de l'Empereur,
tels étaient les fruits de cette glorieuse politique. Mazarin aurait
voulu assurer à la France ses limites naturelles. On en trouve la
preuve dans les instructions qu'il donna aux négociateurs français et
aux intendants des armées. «L'acquisition des Pays-Bas, écrivait-il aux
plénipotentiaires français de Munster[41], formerait à la ville de Paris
un boulevard inexpugnable, et ce serait alors véritablement que l'on
pourrait l'appeler le cœur de la France, et qu'il serait placé dans
l'endroit le plus sûr du royaume. L'on en aurait étendu la frontière
jusqu'à la Hollande, et, du côté de l'Allemagne, qui est celui d'où l'on
peut aussi beaucoup craindre, jusqu'au Rhin, par la rétention de la
Lorraine et de l'Alsace, et par la possession du Luxembourg et de la
comté de Bourgogne (Franche-Comté).» En même temps Mazarin voulait
assurer à la France la barrière des Alpes par l'acquisition de la Savoie
et du comté de Nice[42].

La réalisation de ces vastes desseins ne pouvait s'accomplir sans des
sacrifices pécuniaires qui excitaient les murmures de la nation.
Mazarin, qui connaissait peu les détails de l'administration intérieure,
avait confié le maniement des finances à un Italien, Particelli Emery,
ministre fécond en inventions fiscales, entouré de partisans avides, qui
pressuraient le peuple et étalaient un faste insolent. Quiconque a
parcouru les mémoires de la Fronde connaît les Montauron, les Bordier,
les La Raillière, les Bretonvilliers et tant d'autres traitants[43], qui
étaient les grands spéculateurs de cette époque. Ils prenaient à ferme
les impôts et en détournaient une partie considérable à leur profit. On
conçoit que des magistrats honnêtes se soient indignés de ces vols et
aient tenté de les réprimer; mais, dans leur zèle aveugle, ils allaient
jusqu'à priver l'État des ressources sans lesquelles il ne pouvait
continuer la lutte glorieuse qu'il soutenait contre la maison
d'Autriche, et assurer le succès des négociations de Munster. C'est
surtout à la Fronde qu'il faut attribuer le résultat incomplet du
congrès de Westphalie et la continuation de la guerre contre l'Espagne.

Rien ne nous porte à croire que Nicolas Fouquet ait hésité entre Mazarin
et le parlement, et qu'il se soit déterminé à s'attacher au cardinal par
des considérations générales d'intérêt public. Il est plus probable que
cet homme d'un esprit vif et facile, mais avide de pouvoir et de
richesses, peu délicat d'ailleurs sur les moyens, n'éprouva aucun
scrupule en se donnant à un ministre qui tenait surtout à trouver des
agents dociles et féconds en ressources. Sans nous faire illusion sur
les causes qui déterminèrent le procureur général à s'attacher à
Mazarin, nous ne pouvons qu'applaudir à la fidélité avec laquelle il le
servit dans la mauvaise comme dans la bonne fortune.



CHAPITRE II

1651-1652

Mazarin sort de France (mars 1651); son découragement.--Services
que lui rendirent en cette circonstance Nicolas et Basile
Fouquet.--Caractère de ce dernier. Il brave les dangers pour se
rendre près du cardinal (avril-mai 1651).--Le procureur général,
Nicolas Fouquet, s'oppose à la saisie des meubles de
Mazarin.--Efforts des Fouquet pour rompre la coalition des deux
Frondes.--Ils y réussissent (juin 1651).--Tentatives pour gagner à
la cause de Mazarin quelques membres du parlement.--Négociations de
l'abbé Fouquet avec le duc de Bouillon et Turenne son frère, qui se
rallient à la cause royale (décembre 1651).--Mazarin rentre en
France et rejoint la cour (janvier 1652).--Turenne prend le
commandement de son armée (février 1652).--Dispositions de la
bourgeoisie différentes de celles du parlement.--Influence des
rentiers dans Paris.--Rôle du coadjuteur Paul de Gondi; il est
nommé cardinal (février 1652).--Efforts inutiles de l'abbé Fouquet
pour gagner Gaston d'Orléans.--Négociations avec
Chavigny.--Importance du rôle de ce dernier pendant la Fronde.


Au commencement de l'année 1651, Mazarin semblait perdu. Le parti de
l'ancienne Fronde s'était uni avec la faction des princes et avait
contraint le cardinal à s'exiler. Mazarin fut loin de montrer, dans ces
circonstances, la décision et l'habileté dont quelques écrivains
modernes lui font honneur. Ils supposent que le cardinal, contraint de
quitter le pouvoir et de s'éloigner de la cour, alla délivrer le prince
de Condé, alors enfermé au Havre, pour le lancer au milieu des factions
comme un brandon de discorde, et qu'après cet acte audacieux il sortit
tranquillement de France et laissa les deux Frondes se détruire
mutuellement, bien sûr de profiter de leurs fautes et d'asseoir
solidement son autorité sur les ruines des factions. Les lettres de
Mazarin sont loin de nous le montrer aussi ferme dans sa politique et
aussi confiant dans l'avenir. Il semble, au contraire, avoir perdu
courage; il se plaint de ses amis et de ses serviteurs les plus dévoués:
de Le Tellier, de Servien, de de Lyonne. Il doute même de la reine, et
se croit obligé d'adresser à Brienne une longue apologie de son
ministère[44].

Au moment où Mazarin semblait s'abandonner lui-même, le procureur
général et son frère l'abbé Fouquet ne cessaient de soutenir son parti,
le premier avec une prudente habileté, le second avec une ardeur et une
décision qui contribuèrent puissamment à relever le courage du cardinal.

Basile Fouquet, que nous voyons paraître ici comme un des principaux
agents de Mazarin, avait été destiné à l'état ecclésiastique; mais il ne
fut jamais prêtre, et le titre d'abbé, qui est resté attachée à son nom,
indique simplement qu'il avait obtenu des bénéfices d'Église, dont il
touchait le revenu, sans remplir aucune fonction sacerdotale. Activité,
souplesse d'esprit, fécondité de ressources, intrépidité dans la lutte,
zèle et ardeur poussés jusqu'à la témérité, telles furent les qualités
que déploya d'abord l'abbé Fouquet. Après la victoire, ses vices
apparurent et le rendirent odieux; ambitieux, avide, insolent,
s'abandonnant aux plaisirs avec une scandaleuse effronterie, il provoqua
la haine publique et contribua à la chute de son frère. Mais nous ne
sommes encore qu'à l'époque où il servit Mazarin avec un zèle ardent et
s'en fit un protecteur qui, jusqu'à sa mort, couvrit les vices de l'abbé
de sa toute-puissante amitié.

Mazarin avait quitté la France, en mars 1651. Dès le mois d'avril,
l'abbé Fouquet se rendait près de lui, chargé des promesses et des
conseils de ses amis; il traversait, pour parvenir jusqu'au cardinal,
les postes des frondeurs et bravait tous les périls. «J'ai su, lui
écrivait Mazarin[45], le danger que vous aviez couru. Je serai toujours
ravi de vous voir; mais, au nom de Dieu, ne vous exposez plus à de
semblables hasards. Vous eûtes grand tort du vous séparer de la troupe;
il n'importait pas d'arriver deux jours plus tôt ou plus tard, pourvu
que vous le fissiez en sûreté.» Dans cette même lettre, le cardinal
exprimait sa reconnaissance pour Nicolas Fouquet, qui, en sa qualité de
procureur général, avait fait lever l'arrêt de saisie de ses meubles:
«Je remercie de tout mon cœur le procureur général, touchant la
main-levée de la saisie. Je n'en serai jamais ingrat. Je le prie de
continuer; car je n'ai qui que ce soit qui me donne aucun secours, et,
faute de cela, l'innocence court grand risque d'être opprimée. Si le
procureur général croyait qu'il fallût faire quelque présent à quelqu'un
qui soit capable de faire quelque chose à mon avantage, j'en suis
d'accord, et vous en pourrez parler à de Lyonne[46], qui donnera
là-dessus des ordres.»

L'abbé Fouquet avait trouvé le cardinal découragé; Mazarin critiquait
avec amertume tout ce que l'on avait fait depuis son départ et surtout
l'échange des gouvernements qui assurait à Condé de si grands avantages.
En effet, ce prince venait d'obtenir pour lui le gouvernement de
Guienne, qui le mettait en relation avec l'Espagne, et pour son frère,
le prince de Conti, la Provence, qui était en communication par terre et
par mer avec la Savoie, la Sardaigne, Naples et le duché de Milan[47].
On avait laissé à Condé, en Bourgogne et en Champagne, des places fortes
d'une grande importance. Ses partisans étaient pourvus de gouvernements
dans le centre du royaume: Damville[48] avait le Limousin; Montausier,
l'Angoumois et la Saintonge; le duc de Rohan, l'Anjou; Henri de Gramont,
comte de Toulongeon, le Béarn[49], etc. Ainsi, le prince de Condé
devenait, par lui ou par ses amis, maître d'une grande partie du
royaume. Chavigny, un des plus dangereux adversaires de Mazarin,
rentrait au ministère. En un mot, le cardinal voyait ses ennemis
s'élever au plus haut point de la puissance, pendant qu'on le laissait
dans l'oubli.

L'abbé Fouquet, qui avait plus de zèle que de prudence, ne manqua pas de
rapporter à de Lyonne les plaintes du cardinal; il paraît même qu'il les
exagéra, si l'on en croit une lettre de Mazarin en date du 18 mai[50]:
«Vous avez tiré de l'abbé Fouquet, écrivait le cardinal à de Lyonne,
beaucoup de choses que je n'ai pas dites, et, le croyant homme
d'honneur, je m'assure qu'il tombera d'accord de la vérité. Il a
pourtant eu tort de vous rapporter même ce que je lui dis en particulier
et justement ému comme j'étais, reconnaissant que son voyage n'avait
pour but que de retirer de moi ce qui était nécessaire pour achever
votre affaire, et que l'on était fort en repos du mauvais état des
miennes. M. Fouquet a eu d'autant plus de tort que je le priai de ne le
faire pas, et qu'il me le promit; mais n'importe. Je suis bien aise que
vous ayez su tout ce que j'avais sur le cœur.» Ces derniers mots
prouvent que, si l'abbé Fouquet avait été indiscret en dévoilant les
pensées secrètes et intimes de Mazarin, il n'avait guère altéré la
vérité. Du reste, cette impétuosité de caractère, qui lui fit commettre
tant de fautes par la suite, était la source de ses qualités. Il
continua de servir le cardinal avec la même ardeur, mais en la tempérant
par plus de circonspection.

De concert avec le procureur général, son frère, l'abbé Fouquet ne
négligea rien pour gagner des partisans à Mazarin et surtout pour rompre
le faisceau redoutable que formaient le parti des princes et la vieille
Fronde réunis. A la tête de celle-ci était le coadjuteur de l'archevêque
de Paris, Paul de Gondi, si connu par son ambition et par ses intrigues.
Il était blessé de la hauteur du prince de Condé et des _petits
maîtres_[51], qui composaient la nouvelle Fronde. L'abbé Fouquet sut
habilement envenimer les haines. Il fit agir près du coadjuteur une des
héroïnes de la vieille Fronde, la duchesse de Chevreuse, qui ne pouvait
pardonner au prince de Condé d'avoir rompu le mariage projeté de sa
fille, Charlotte de Lorraine, avec le prince de Conti. Les ressentiments
de la duchesse de Chevreuse furent adroitement aigris par l'abbé
Fouquet, et cette femme hautaine et ambitieuse, implacable dans ses
haines, parvint à briser le lien qui unissait les ennemis de Mazarin et
qui faisait leur force. C'était là un service capital, et le cardinal,
du fond de son exil, chargea l'abbé Fouquet d'en témoigner sa
reconnaissance à la duchesse[52]: «Je vous prie de remercier de la bonne
manière la dame qui a déclaré ce que vous me mandez à M. le coadjuteur,
et de lui dire qu'en quelque lieu et fortune que je puisse être, je
serai son très-humble serviteur.» Mazarin tint parole à la duchesse de
Chevreuse, qui, de son côté, se montra aussi fidèle dans ses
attachements qu'ardente dans ses haines.

Le procureur général et son frère réussirent à gagner à Mazarin quelques
partisans dans le parlement de Paris. L'avocat général, Omer Talon, qui
y avait une grande autorité comme magistrat et comme orateur, se rallia
au parti du cardinal. «Je vous prie, écrivait Mazarin à l'abbé
Fouquet[53], de remercier Talon de ma part, n'y ayant rien de si
agréable que la manière dont il se conduit à mon égard.» Le concours de
ce magistrat servit puissamment la politique de Nicolas Fouquet, qui, en
présence d'une compagnie hostile au cardinal, était obligé à des
ménagements et à des précautions infinies.

Son frère, au contraire, marchait hardiment dans sa voie et bravait les
ennemis que lui suscitait l'ardeur de son zèle pour le cardinal. Mazarin
se crut obligé de lui recommander la prudence. «Au nom de Dieu, lui
écrivait-il[54], ménagez-vous davantage; car je serais au désespoir, si,
à cause de moi, il vous arrivait la moindre chose qui vous fut
préjudiciable.» Mais la modération n'était pas dans la nature de l'abbé
Fouquet. Il ne cessait de souffler la discorde entre les deux Frondes et
de susciter des adversaires au prince de Condé. Plus accoutumé aux
luttes des champs de bataille qu'aux attaques parlementaires, le prince
finit par se lasser de cette guerre de la Grand Chambre, où l'audace du
coadjuteur, soutenue de l'astuce des Fouquet et de bon nombre d'épées,
balançait sa fortune. Il sortit de Paris (septembre 1651) et alla
chercher dans les provinces un champ de bataille qui convenait mieux à
son génie.

Ainsi la rupture des deux Frondes était consommée. Il s'agissait
maintenant de gagner dans la bourgeoisie et l'armée les hommes les plus
influents, afin de préparer le retour et la domination de Mazarin dans
Paris. Ce fut encore en grande partie l'œuvre de Nicolas et de Basile
Fouquet. Ils s'assurèrent, par l'influence de madame de Brégy[55], du
maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris[56], et s'efforcèrent
d'attirer au parti du cardinal le premier président Mathieu Molé et son
fils, le président de Champlâtreux[57], qui avaient longtemps soutenu la
cause du prince de Condé. Ils y réussirent complétement, et, dans la
suite, ces magistrats firent partie du parlement de Pontoise, que la
cour opposa au parlement de Paris. De toutes les conquêtes, ménagées par
les habiles négociations des deux frères, la plus importante de beaucoup
fut celle qui donna à Mazarin et au roi le duc de Bouillon et son frère
le maréchal de Turenne. Elle coûta cher à la France. Les Bouillon ne
s'étaient engagés dans la Fronde que pour obtenir une compensation de la
principauté de Sedan, dont Richelieu les avait dépouillés. Le cardinal,
qui connaissait l'esprit rusé et avide des princes de la maison de
Bouillon, s'en défia jusqu'au dernier moment et chargea l'abbé Fouquet,
comme son agent le plus habile, de sonder leurs projets. «Je vous prie
de reconnaître bien et dans le dernier secret, lui écrivait-il le 22
décembre 1651, si je puis faire un état assuré de M. de Bouillon et de
son frère.»

Mazarin revient avec beaucoup plus d'insistance sur le même sujet, dans
une lettre du 26 décembre; elle prouve qu'il tenait surtout à gagner le
maréchal de Turenne, dont l'épée valait une armée entière. «Pour M. de
Turenne, écrivait-il à l'abbé Fouquet, il sait l'estime et la tendresse
que j'ai eues pour lui, et il a appris de beaucoup d'endroits et de gens
qui, encore qu'ils soient de mes amis, ne le voudraient pas tromper, que
je suis toujours le même, nonobstant tout ce qui s'est passé,
l'affection que j'avais pour lui ayant jeté de trop profondes racines
pour pouvoir être arrachée par de semblables accidents. J'ai écrit déjà
fortement à la cour, afin qu'on trouve moyen de ne pas laisser inutile
un homme de sa considération, et j'espère qu'il sera satisfait sur ce
point-là. Il est injuste de se plaindre de ce que j'ai préféré d'autres
à lui pour la levée et le commandement des troupes qui m'accompagnent.
Il peut bien croire que j'aurais tenu à beaucoup d'honneur et d'avantage
qu'il eût voulu venir, ainsi que je l'en aurais conjuré, si j'eusse cru
qu'il en eût eu la moindre pensée; mais j'ai pensé que ce serait trop de
hardiesse et même impudence de m'adresser pour une affaire de cette
nature à une personne avec qui je n'avais aucune liaison. Du reste, il
voit l'état où je suis. Si ma fortune devient meilleure, j'ose répondre
qu'il s'en ressentira, étant résolu de chercher toutes les occasions de
faire quelque chose de solide pour lui et de l'obliger par ce moyen à
être de mes amis sans aucune réserve.» Peu de temps après, le cardinal
rentra en France (décembre 1651) à la tête d'une petite armée; Turenne
devait en prendre le commandement, mais il était encore retenu dans
Paris, d'où il ne parvint à s'échapper qu'à la fin de janvier 1652.

A la nouvelle de l'entrée de Mazarin en France, la fureur de ses ennemis
éclata avec une violence qui ne connut plus de bornes. Le parlement mit
sa tête à prix et ordonna de prélever sur la vente de sa bibliothèque la
somme qui serait payée au meurtrier. Deux conseillers furent envoyés à
Pont-sur-Yonne, pour l'arrêter; mais l'un prit la fuite, et l'autre,
nommé Bitaut, fut fait prisonnier. Il faillit payer les folies des
Frondeurs. «J'avais résolu d'abord, écrivait Mazarin à l'abbé
Fouquet[58], de renvoyer Bitaut généreusement; mais personne ne s'est
trouvé de cet avis, et tout le monde a conclu qu'on devait le retenir et
lui insinuer que, si les diligences continuelles que font quantité de
conseillers du parlement et autres, en suite du dernier arrêt, pour me
faire assassiner, produisent seulement la moindre tentative contre ma
vie, la sienne ne sera guère en sûreté et que je n'aurai pas assez de
pouvoir pour retenir le zèle et la main de tant de personnes à qui ma
conservation est chère. Je serai bien aise, néanmoins, de savoir vos
sentiments là-dessus.» Et plus loin: «Il faudrait aussi faire connaître
adroitement à M. le président Le Coigneux et aux autres parents que
Bitaut a dans le parlement, qui sont en grand nombre, qu'ils ont grand
intérêt de faire en sorte qu'on remédie à l'arrêt qui a été donné pour
m'assassiner, à cause du risque que leur parent en peut courir. Il ne
sera pas mal, à mon avis, de répandre le bruit que mes amis ne se
pourront pas empêcher de consigner de l'argent pour le donner à ceux qui
entreprendront contre quantité de conseillers du parlement ce qu'il a
ordonné que l'on entreprendrait contre ma vie. Car, à vous dire le vrai,
je vois les choses réduites en tels termes contre moi par les factieux
du parlement, que le seul moyen de les accommoder et de les pousser à
l'extrémité est de leur faire voir que je suis encore plus en état de
leur faire du mal qu'eux de m'en causer.»

Tout en employant les menaces pour intimider le parlement, Mazarin
faisait agir sous main le procureur général, Nicolas Fouquet, qui
détachait de la Fronde quelques-uns des principaux membres de la
magistrature. Ainsi le président de Novion, qui appartenait à la
puissante famille des Potier, se déclara pour la cause royale[59]. Le
président Perrot suivit son exemple. Le conseiller Ménardeau, qui
s'était signalé dans la première Fronde par sa violence contre Mazarin,
se montra un de ses partisans dévoués. Cependant la majorité des membres
du parlement et surtout les jeunes conseillers des enquêtes étaient
toujours hostiles au cardinal. Il n'en était pas de même de la
bourgeoisie.

L'abbé Fouquet, de concert avec le prévôt des marchands, qui était le
véritable chef de la bourgeoisie parisienne, parvint à gagner à la cause
royale les principaux conseillers de l'Hôtel de Ville. Ce serait, du
reste, une erreur de croire que cette assemblée ait partagé pendant la
Fronde les passions du parlement. Tandis que les magistrats, dirigés
surtout par l'intérêt personnel, proscrivaient le cardinal, les
rentiers, qui formaient une classe nombreuse et influente dans Paris, se
voyaient menacés dans leur fortune et tentaient de résister à
l'entraînement des factions. Les _Registres de l'Hôtel de Ville de Paris
pendant la Fronde_[60] attestent que les bourgeois qui composaient le
conseil de la cité n'étaient pas disposés à courir les risques d'une
guerre civile pour satisfaire l'ambition de quelques intrigants. Il
avait fallu, pour les entraîner dans la première lutte (1648-1649),
avoir recours à la terreur. Lorsqu'en 1649 le président de Novion se
rendit à l'Hôtel de Ville pour y faire exécuter les ordres du Parlement,
«il déclara à la compagnie qu'il fallait aller droit en besogne dans les
affaires présentes et que le premier qui broncherait serait jeté par les
fenêtres[61].» La bonne bourgeoisie, forcée de courber la tête sous le
joug, n'avait pas renoncé à ces sentiments de modération et n'attendait
qu'une occasion pour les manifester. L'abbé Fouquet, qui connaissait
bien ses dispositions, insistait vivement auprès de Mazarin pour que
l'on ménageât cette classe honnête et pacifique et que l'on en fît un
auxiliaire du pouvoir.

Le payement régulier des rentes (chose fort rare à cette époque) devait
contribuer plus qu'aucune autre mesure à gagner les Parisiens. Aussi
l'abbé Fouquet s'occupa-t-il tout spécialement de cette affaire: «Pour
les rentes, lui écrivait Mazarin[62], Sa Majesté donne plus de créance à
ce que vous mandez de la part de madame de Chevreuse et de M. le
coadjuteur qu'à toutes les autres lettres qui sont venues de Paris,
lesquelles, quoique de plus fraîche date, ne représentent pas l'émotion
des esprits aussi grande ni les affaires en si mauvais état que vous
faites. Le roi a donc résolu de rétablir les choses comme elles étaient,
et l'on envoie l'arrêt sur la minute que M. d'Aligre en a dressée. J'ai
emporté la chose et je crois que vous ne manquerez pas de la bien faire
valoir, afin que j'en acquière quelque mérite envers ceux qui y sont
intéressés.» Et ailleurs: «Par les nouvelles que nous avons de Paris, il
parait que l'on a satisfaction de ce qui s'est fait touchant les rentes,
et effectivement je n'omets aucuns soins pour empêcher que le payement
n'en soit discontinué, dont il ne sera pas mauvais que l'on informe le
public, comme vous avez déjà fait.»

Le peuple était plus difficile à gagner que la bourgeoisie. L'homme qui
en disposait réellement était Paul de Gondi. Il avait su, pendant la
première Fronde, tour à tour soulever et contenir la populace, sur
laquelle les curés, qui lui étaient dévoués, exerçaient la plus grande
influence. Depuis qu'il s'était rallié à la cour, il l'avait calmée, et
en même temps avait arrêté la plume des pamphlétaires qu'il avait si
longtemps employés à verser l'odieux et le ridicule sur Mazarin. Le
coadjuteur attendait la récompense des services qu'il venait de rendre à
la cour et se tenait dans une prudente réserve. Le retour de Mazarin
l'avait irrité; mais il n'osait éclater, tant qu'il n'aurait pas le
chapeau de cardinal, qu'on lui avait promis. Mazarin cherchait à le
retenir dans son parti, comme l'attestent ses lettres; mais, en même
temps, il lui demandait de donner des preuves de son dévouement pour la
cause royale: «Il faut, disait-il dans une lettre à l'abbé Fouquet, que
M. le coadjuteur prenne des résolutions pour agir, et il me semble
qu'ayant le roi de son côté, étant assuré que j'entreprendrai tout
hardiment pour l'appuyer, avec quantité d'amis que lui et M. le
surintendant (duc de la Vieuville) ont dans Paris, et agissant de
concert avec le prévôt des marchands et M. le maréchal de l'Hôpital, qui
est fort zélé pour le service du roi, il se peut mettre en état de
rompre aisément toutes les mesures des ennemis.»

En même temps, le cardinal lui envoyait de l'argent par l'abbé Fouquet;
mais il voulait qu'il le distribuât dans les couvents et en œuvres
charitables, afin de gagner le peuple. «Je vous ai déjà prié,
écrivait-il à l'abbé Fouquet, d'avancer six mille livres pour les lits
et autres dépenses de cette nature qu'il faudrait faire à Paris et dont
vous tâcherez d'obliger M. le coadjuteur à prendre la direction. Je vous
adresserai au premier jour une lettre de change payable à vue, qui fera
fonds pour employer encore tant à distribuer dans les religions
(couvents) que pour les autres dépenses que M. le coadjuteur jugera à
propos de faire selon les conjectures, si on se remet à lui de faire
parler par les voies qu'il jugera les meilleures au curé de Saint-Paul
et aux autres personnes qu'il croira capables de servir le roi.»

L'abbé Fouquet pressa, en effet, le cardinal de Retz de se déclarer, et
il le fit avec une vivacité dont le cardinal se plaint dans ses
mémoires. Il n'y peint pas l'abbé sous des couleurs favorables[63]: «Il
était dans ce temps-là fort jeune; mais il avait un certain air
d'emporté et de fou qui ne me revenait pas. Je le vis deux ou trois fois
sur la brune, chez Lefèvre de la Barre, qui était fils du prévôt des
marchands et son ami, sous prétexte de conférer avec lui pour rompre les
cabales que M. le Prince faisait pour se rendre maître du peuple. Notre
commerce ne dura pas longtemps, et parce que, de mon côté, j'en tirai
d'abord les éclaircissements qui m'étaient nécessaires, et parce que
lui, du sien, se lassa bientôt de conversations qui n'allaient à rien.
Il voulait, dès le premier moment, que je fusse _Mazarin_ sans réserve
comme lui; il ne concevait pas qu'il fût à propos de garder des
mesures.»

Les lenteurs calculées du cardinal de Retz inspiraient de l'inquiétude à
Mazarin. Il recevait des avis contre Paul de Gondi, et, au milieu même
de ses protestations d'amitié, on sent percer une certaine défiance.
«Pour M. le coadjuteur, écrivait-il encore à l'abbé Fouquet, je suis
incapable de croire qu'il manque jamais à la moindre chose de ce qu'il a
promis; et, de plus, quand ce serait une personne qui se conduirait par
le motif de ses intérêts particuliers, je connais fort bien qu'ils ne
lui conseilleraient pas le contraire, puisqu'il lui est sans doute bien
plus avantageux d'être dans ceux de Leurs Majestés et dans une parfaite
amitié avec moi que de consentir à un nouvel accommodement avec M. le
Prince, lequel personne ne croit qu'il durât plus que les autres. C'est
pourquoi, quelque chose que l'on me puisse mander au contraire, elle ne
fera point d'impression, et je jugerai toujours favorablement de ses
sentiments.»

Malgré ses déclarations, Mazarin était d'autant plus porté à la défiance
envers le coadjuteur que lui-même montrait peu de sincérité dans sa
conduite à son égard. Il avait espéré paralyser ses dispositions
hostiles par la promesse du chapeau de cardinal, et, en même temps, il
agissait à Rome pour empêcher le pape de le nommer[64]; mais les
combinaisons de ce politique furent trompées. Le pape Innocent X, qui
n'aimait pas Mazarin, saisit la première occasion de nommer Paul de
Gondi cardinal. Ce fut le 19 février 1652 qu'eut lieu la proclamation,
et dix jours après, le coadjuteur en recevait la nouvelle. Il se
prétendit affranchi de toute reconnaissance envers le ministre qui,
disait-il, avait chargé l'ambassadeur de France à Rome de s'opposer au
dernier moment à sa nomination, et, au lieu de seconder franchement la
cause royale, il tenta de constituer un tiers parti, qui repoussait
également Mazarin et le prince de Condé. Le duc d'Orléans, Gaston,
devait en être le chef nominal[65].

Ce prince, mobile dans ses affections, inconstant dans ses projets, et
dont la faiblesse salit toute la vie, hésitait entre ses divers
conseillers. La cour ne cessait de lui faire des avances[66], et l'abbé
Fouquet travaillait, par ordre de Mazarin, à gagner son entourage. Il
finit par mettre dans les intérêts du cardinal La Mothe-Goulas,
secrétaire des commandements du prince, Choisy, son chancelier, la
duchesse de Chevreuse, qui avait une grande influence sur Gaston
d'Orléans, et même la femme de ce prince, Marguerite de Lorraine[67].
Grâce aux efforts des familiers de Gaston, l'influence du coadjuteur sur
le prince fut paralysée. La jalousie avait surtout prise sur le duc
d'Orléans, et on ne manqua pas de l'aigrir contre le prince de Condé, en
lui rappelant ses victoires et sa hauteur. Aussi, Mademoiselle, fille de
Gaston, s'efforça-t-elle vainement de l'entraîner à Orléans et à la tête
des armées; elle put à peine obtenir la permission d'aller elle-même
défendre l'apanage de son père[68]. Tout ce qu'il fallut de souplesse et
d'habileté pour former, autour d'un prince ombrageux comme Gaston, un
cercle d'intrigues mystérieusement tissues et de plus en plus serrées,
ne peut s'apprécier que par la lecture des lettres de Mazarin. Outre le
coadjuteur, il fallait combattre un des politiques les plus habiles de
cette époque, le comte de Chavigny. Ce personnage travaillait alors à
unir le duc d'Orléans et le prince de Condé, pour chasser de France le
cardinal Mazarin. Comme Chavigny fut un des adversaires les plus ardents
et les plus habiles de ce ministre, il est nécessaire d'insister sur le
rôle qu'il joua pendant la Fronde. Il faut, pour le retracer, revenir
sur le passé et exposer des intrigues qui se rattachent à l'histoire des
premiers troubles.



CHAPITRE III

Rôle de Chavigny pendant la Fronde: son ambition; il est
emprisonné, puis exilé en 1618.--Intrigues de Chavigny et de Claude
de Saint-Simon pour renverser Mazarin (1649).--Erreur du duc de
Saint-Simon, auteur des Mémoires, relativement aux relations de son
père avec Chavigny.--Claude de Saint-Simon cherche à s'appuyer sur
le prince de Condé pour enlever le pouvoir à Mazarin.--Mémoire
rédigé par Chavigny dans ce but.--Mazarin parvient à déjouer les
intrigues de ses ennemis.--Arrestation et emprisonnement du prince
de Condé (1650).--Chavigny et Saint-Simon s'éloignent de Paris.


Léon Le Bouthillier, comte de Chavigny, avait été un des principaux
secrétaires d'État sous Richelieu[69]. Le cardinal avait pour lui une
bonté toute paternelle, qui excita plus d'une fois la verve satirique
des courtisans. Chavigny avait été un des amis et des protecteurs de
Mazarin, à l'époque où ce dernier s'introduisit à la cour de France, et
il croyait avoir des droits à sa reconnaissance. Plus tard, il fut
désigné par Louis XIII pour être un des membres inamovibles du conseil
de régence; mais, lorsque le parlement eut cassé le testament de Louis
XIII, Mazarin, qui redoutait l'ambition de Chavigny, le rendit suspect à
la reine et le tint dans une position secondaire. Chavigny n'avait alors
que trente ans et n'était pas disposé à se contenter de ce rôle
subalterne, après avoir eu, sous le ministère de Richelieu, le maniement
des affaires les plus importantes et les plus délicates: ambitieux avec
les apparences du désintéressement et de la modération philosophique,
incapable d'occuper le premier rang, et trop orgueilleux pour se
contenter du second, il perdit, en misérables intrigues, d'heureuses et
brillantes qualités.

Cependant, comme il joignait la prudence à l'ambition, il dissimula
quelque temps ses projets. Il crut le moment arrivé, en 1648; le
parlement était menaçant, la bourgeoisie murmurait contre les impôts, le
clergé était agité par le coadjuteur et les grands aspiraient à une
révolution, dans l'espérance de ressaisir le pouvoir que leur avait
enlevé Richelieu. En présence de ces dangers et au premier bruit des
mouvements populaires, Chavigny, affectant un zèle ardent pour
l'autorité royale, poussa aux mesures extrêmes. Ce fut lui surtout qui
conseilla l'arrestation de Broussel et de quelques autres membres du
parlement[70]. Ce coup d'État provoqua l'émeute connue sous le nom de
_Journée des barricades_, et la cour, passant de la colère à la peur,
recula devant le parlement et rendit les prisonniers. Quant à Chavigny,
dont la politique perfide n'avait pas échappé à Mazarin, il fut arrêté
dans le château de Vincennes[71], dont il était gouverneur (septembre
1648), puis transféré au Havre et enfin exilé dans une de ses terres
loin de Paris.

Ce fut là qu'un autre ambitieux, également mécontent de la cour et
impatient de son exil en Guienne, vint l'arracher à la modération
philosophique dont Chavigny affectait de masquer ses regrets. Le duc de
Saint-Simon, ancien favori de Louis XIII et son premier écuyer[72],
avait été relégué, dès 1637, dans son gouvernement de Blaye; il avait
vainement tenté de reprendre quelque influence après la mort de
Richelieu, et s'était vu forcé de vivre loin de la cour, sans se
résigner jamais à cette espèce d'exil. Il attendait du temps et des
circonstances une occasion de se venger de Mazarin, et de reparaître
avec éclat sur le théâtre de ses anciens succès. Attaché à la maison de
Condé et sûr de l'appui de son chef, il se décida à quitter Blaye et à
se rendre à la cour, lorsque la paix de Rueil (mars 1649) eut donné une
nouvelle importance au prince vainqueur de la Fronde. Saint-Simon
espérait devenir son conseiller intime et s'en servir pour renverser
Mazarin. Chavigny, dont il connaissait l'expérience et l'habileté, lui
devait être un utile auxiliaire pour arriver à ses fins. Avant de partir
de Blaye pour se rendre à Paris, Saint-Simon lui écrivit une lettre
datée du 31 mars 1649, dans laquelle se trouve le passage suivant[73].
«Je n'ajouterai aucune chose aux fidèles assurances que je vous donnai,
étant chez vous, de tous mes services. Je vous les répète de tout mon
cœur, vous suppliant d'avoir pour agréable que j'en dise autant à madame
votre femme avec tous les respects que je lui ai voués.»

Le ton de cette lettre et de celles que nous citerons plus loin donnent
un démenti éclatant au duc de Saint-Simon, l'auteur des Mémoires si
connus sur le règne de Louis XIV. Il prétend[74] qu'à la mort de Louis
XIII, en 1645, Chavigny enleva, par une fraude indigne, la charge de
grand écuyer à son père, Claude de Saint-Simon, pour la donner au comte
d'Harcourt. «A cette nouvelle, ajoute-t-il, on peut juger de
l'indignation de mon père; la reine lui étoit trop respectable, _et
Chavigny trop vil_; il envoya appeler le comte d'Harcourt.» Si l'on
ajoutait foi à ces assertions, il faudrait admettre que le duc Claude de
Saint-Simon rompit, dès 1643, toute espèce de relations avec un homme
qu'il jugeait _trop vil_ pour assouvir sur lui sa vengeance. Loin de là,
nous le verrons, dans des lettres autographes écrites en 1649, traiter
Chavigny de _frère_, et déclarer qu'il est à lui avec passion. Je
n'insisterai pas davantage sur cette erreur manifeste du duc de
Saint-Simon, l'auteur des Mémoires[75].

Claude de Saint-Simon fit lentement le voyage de Blaye à Paris, voulant
laisser aux événements et aux hommes le soin de se dessiner. Il ne
visita pas Chavigny, comme il en avait d'abord formé le projet; mais il
ne cessait de lui réitérer, dans ses lettres, ses assurances de
dévouement. «Vous honorant au point que je fais, lui écrivait-il le 22
juin 1649, je ne veux perdre aucune occasion de vous rendre mes
services, et croyez, s'il vous plaît, qu'il y a en moi pour vous une
passion bien fidèle, étant fort attaché à tous vos intérêts.» Dans la
suite de cette lettre, Claude de Saint-Simon parle à Chavigny de son
influence auprès du prince de Condé et lui promet d'en user en sa
faveur. «J'ai tout accès auprès de M. le Prince, lui écrit-il, et je
suis en possession de lui parler fort librement de tout. Le temps où
nous sommes me fera prendre encore plus de liberté, et, s'il y a quelque
chose à lui dire qui vous regarde ou autrement, préférez-moi à tout
autre. Je vous promets grand secret; je brûle les billets, si vous
n'aimez mieux que je les renvoie. Si vous avez agréable de m'envoyer un
chiffre pour parler du monde sans nommer, cela me semblerait bien. En un
mot, je vous conjure d'ordonner franchement sur le fondement que, _si
j'avais l'honneur d'être votre propre frère, je ne pourrais pas être à
vous plus passionnément que j'y suis_.»

Arrivé à la cour, qui résidait alors à Compiègne (août 1649), le duc de
Saint-Simon y trouva une ample matière pour exercer l'activité de son
esprit. Le prince de Condé, qui venait de réduire Paris révolté, se
plaignait de l'ingratitude de la reine et du cardinal. De son côté,
Mazarin, las de la hauteur et des prétentions du prince, se rapprochait
de la maison de Vendôme, cherchait à gagner le duc de Beaufort, un des
membres les plus influents de cette famille, comblait de faveurs les
duchesses de Montbazon et de Chevreuse, et négociait le mariage d'une de
ses nièces, Laura Mancini, avec le duc de Mercœur, frère aîné du duc de
Beaufort. Saint-Simon ne tarda pas à être au courant de ces intrigues de
cour, et il en rendait compte à Chavigny dans une lettre du 14 août
1649:

«J'ai différé, lui disait-il, à vous écrire de ce monde-ci, à cause que
les choses m'y paraissent assez incertaines et obscures pour embarrasser
un gazetier qui veut être fidèle et assuré. La résolution est prise, il
y a déjà quelques jours, de ramener le roi à Paris[76]. Ce n'a pas été
sans peine que l'on y a fait consentir les plus intéressés, M. le Prince
ayant employé toute sa force pour le persuader. C'est mercredi ou jeudi
sans faute le jour du départ par le chemin de Senlis. L'on travaille
encore pour faire venir M. de Beaufort; mesdames de Montbazon et de
Chevreuse y font les derniers efforts. Je tiens qu'ils ne seront pas
inutiles et qu'il se laissera vaincre à la fin par les dames. La
première a obtenu l'abbaye de Vendôme pour son fils, de six mille écus
de rente. L'autre a été très-bien reçue et caressée de toute la cour
jusqu'au point que l'on croit dessein d'alliance de sa fille[77] avec le
sieur de Mancini; mais l'âge est fort disproportionné, et la fille y
témoigne grande aversion. Madame la Princesse[78] est arrivée depuis
deux jours, fort caressée en toutes manières. Le roi et la reine furent
au-devant d'elles. La famille de Condé se réunit fort et par le
mouvement du chef.»

Ce fut sur cette famille et sur son chef que Saint-Simon fonda ses
principales espérances pour la ruine de Mazarin et l'avénement de
Chavigny au pouvoir. Il y travailla avec une ardeur qui ne se démentit
pas jusqu'à la catastrophe. En moins d'un mois, il avait fait de grands
progrès, si l'on en croit la lettre suivante, qu'il adressait à Chavigny
à la date du 6 septembre[79]: «Vous êtes à souhait dans la famille de M.
le Prince, et, si ses désirs étaient suivis, vous seriez où vous
méritez, dans la place où je vous souhaite toujours. Cela peut
importuner un philosophe[80]; mais je n'ai pu m'en retenir. La plus
grande nouvelle est le mariage de M. de Mercœur, conclu et arrêté avec
la nièce aînée de M. le cardinal. Ce n'est pas une bagatelle, et vous
l'avez toujours jugée chose importante. Aussi est-elle ressentie par M.
le Prince; il en est très-piqué, ayant fait entendre, il y a quelque
temps, nettement son aversion à cette affaire. Le cardinal Mazarin est
découvert pour le moindre des hommes, avec ses mauvaises qualités
manifestes à un chacun, et il est méprisé au dernier degré[81]. Les plus
sages sont persuadés de sa perte par diverses raisons; cela va au moins
ou au plus de temps. Les tireurs d'horoscopes sont fort de cet avis.»

Chavigny, provoqué par les instances du duc de Saint-Simon, sortit enfin
de cette indifférence philosophique, où il affectait de s'enfermer. Il
écrivit un manifeste, où il résumait avec habileté et vigueur les
principales accusations contre la politique intérieure et extérieure du
cardinal. Destiné à être communiqué a des hommes graves, ce document n'a
nullement le ton grossier des pamphlets connus sous le nom de
_mazarinades_; c'est une véritable accusation politique. Comme on
voulait gagner des hommes sincèrement religieux, qui, sans rien entendre
au gouvernement des États, n'avaient cessé de combattre Richelieu et
Mazarin, Chavigny enveloppa son attaque de formules dévotes. Il y
montrait partout la main de la Providence, châtiant la France, et
faisait de Mazarin un fléau de Dieu. On ne doit pas, d'ailleurs, oublier
que Chavigny affectait une grande dévotion et était lié avec le parti
janséniste. Je citerai quelques passages de ce manifeste, qui me paraît
la plus sérieuse attaque qu'un contemporain ait dirigée contre le
cardinal Mazarin. Il commence ainsi:

«Les maux qui sont à présent dans la France et la ruine épouvantable
dans laquelle ils la vont plonger, selon toutes les apparences, ne me
permettent pas de me taire, et je me sens obligé de rompre le silence
que j'avais résolu de garder toute ma vie, parce qu'il me semble qu'il
serait criminel, et que je trahirais ma patrie, si je ne l'avertissais
du misérable état auquel elle est et si je ne lui découvrais tout ce que
je connais de la grandeur de son mal. Après que la reine eut violé le
serment qu'elle avait fait sur les saints Évangiles, en présence du
parlement, des princes du sang et de tous les grands du royaume,
d'observer exactement la volonté du défunt roi son mari portée par sa
déclaration, et que le parlement même eut autorisé une si manifeste
infidélité, que l'interprétation de quelques hypocrites ne peut jamais
excuser devant Dieu ni devant les hommes qui ont tant soit peu d'honneur
et d'intelligence, Dieu ne fit pas éclater la colère qu'un éclat si
étrange lui devait avoir fait naître. Il réserva la punition qu'il en
devait faire dans le temps, et elle n'interrompit point le cours de sa
miséricorde dont la France ressentait les effets depuis longues années.
Il se servit de M. le Prince, encore jeune et sans expérience, pour
nous faire gagner la bataille de Rocroi, dont on le doit nommer
véritablement le Dieu, parce que, s'il n'eût aveuglé les Espagnols, ils
ne la pouvaient pas vraisemblablement perdre; il nous fit prendre
Thionville presque en même temps, et, jusqu'en 1648, il nous a donné
quantité d'autres avantages, sous la conduite de M. le Prince et de M.
le duc d'Orléans, dont la cause apparemment doit être référée à la piété
du roi Louis XIII, à qui Dieu continuait ses récompenses, ou à quelque
autre cause qu'il ne nous est pas permis de pénétrer.»

Chavigny montre ensuite Mazarin s'emparant de la confiance de la reine,
grâce aux intrigues de l'Anglais Montaigu, qui avait eu jadis le
maniement des affaires du duc de Buckingham près de cette princesse. Il
représente le cardinal comme «un esprit inconstant et variable, timide,
ambitieux, envieux, plein de soupçons et de défiances, sans ordre et
sans règle jusque dans sa maison, voulant faire le métier de tout le
monde, ne s'appliquant dans le sien qu'aux choses qu'il ne devrait pas
faire, sans secret, sans aucune fermeté ni fidélité pour ses amis, sans
foi et sans parole, avare, pipeur dans le jeu, fripon jusque dans les
moindres choses.» Après cette sortie violente, il rappelle toutes les
fautes du cardinal: le gouvernement du Languedoc et de la citadelle de
Montpellier donnés au duc d'Orléans, ceux de Champagne et de Stenay au
prince de Condé; sa conduite avec l'abbé de La Rivière, qu'il a comblé
d'argent et de biens d'église; son manque de prévoyance et d'habileté à
l'époque de l'élection du pape Innocent X; ses fautes dans l'expédition
d'Italie et pendant le siège d'Orbitello; enfin la mauvaise direction
donnée aux négociations pour la paix de Westphalie. Chavigny, qui
connaissait à fond la politique extérieure et l'avait dirigée sous le
cardinal de Richelieu, insistait particulièrement sur ce point:

«Je ne veux pas examiner, disait-il, si le cardinal Mazarin a voulu
faire la paix ou non; la discussion en serait trop longue. Je dirai
seulement que, s'il n'a jamais eu dessein de la faire, il a été très-mal
habile de ne pas connaître qu'elle seule pouvait affermir son
établissement dans l'État et le rendre nécessaire et considérable à tous
ceux à qui il était obligé de faire la cour pendant la guerre. S'il
avait résolu de la faire, faut-il avouer que c'est le plus présomptueux
et le plus incapable de tous les hommes par les voies dont il s'est
servi? Le sieur d'Avaux avait été destiné, dès le temps du défunt roi,
pour cette négociation, et il avait si bien réussi dans toutes les
précédentes dont il avait été chargé, qu'il n'osa pas lui ôter celle-ci
d'entre les mains; mais le cardinal Mazarin, craignant qu'il n'augmentât
la gloire qu'il avait déjà acquise dans ses emplois par celle que lui
donnerait la conclusion d'un traité si important, et sa jalousie et sa
faiblesse lui persuadant que cela irait à la diminution de celle qu'il
voulait prendre, il fit incontinent nommer le sieur Servien pour lui
être adjoint en cette ambassade. Ce n'est pas qu'il ne le connût pour un
esprit assez incompatible (insociable) et naturellement infidèle; qu'il
ne sût qu'étant procureur général dans le parlement de Dauphiné, ses
débauches avaient contraint le duc de Lesdiguières de lui donner des
coups de bâton et que lui-même n'eût contribué à le faire chasser de la
cour au temps du défunt roi; mais il lui fallait un semblable sujet pour
être un exécuteur aveugle de ses ordres, et il avait besoin d'un oncle
du sieur Lyonne[82] pour mettre en usage toute la mauvaise politique que
son petit sens lui suggérait[83]. Le sieur Servien n'avait garde de
manquer à se brouiller d'abord avec le sieur d'Avaux. Il savait trop
bien que c'était le premier pas qu'il devait faire pour plaire au
cardinal, et que c'était le véritable moyen pour être son confident dans
cette négociation. Cette division a fait assez d'éclat pour n'être
ignorée de personne, et les suites en ont été assez funestes pour être à
jamais conservées dans la mémoire des Français[84], qui ne sont que trop
éclaircis qu'elle a été le principal obstacle à la conclusion de la paix
générale qui était en nos mains.

«Le cardinal favorisait secrètement le sieur Servien, quoiqu'il affectât
souvent de paraître juge équitable entre lui et le sieur d'Avaux. Il
faisait tenir des conseils en sa présence pour juger leurs différends,
et le sieur Lyonne, qui recevait toutes les dépêches de Munster,
ajustait si bien toutes les écritures, que le sieur d'Avaux y avait
toujours du désavantage. Le but du cardinal était de le faire revenir,
parce qu'il ne voulait pas qu'il eût part au traité de la paix. Mais son
irrésolution naturelle, le respect qu'il portait au président de
Mesmes[85], et le peu d'apparence qu'il y avait de donner un si rude et
si infâme châtiment à un homme à qui on ne pouvait reprocher d'autre
faute que de n'être pas d'accord avec le sieur Servien, qui voulait en
toute manière être brouillé avec lui, lui faisait toujours différer
l'exécution de ce dessein.

«Cependant personne ne peut ignorer que, pendant le séjour que le sieur
d'Avaux a fait à Munster, le cardinal n'ait pu faire la paix également
glorieuse et avantageuse à cet État; qu'il ne se soit vanté plusieurs
fois publiquement qu'il en était le maître; qu'il ne l'ait promise,
tantôt dans un mois, tantôt dans six semaines, et qu'il n'ait dit qu'il
voulait que la reine lui fit couper le cou, s'il ne la lui faisait avoir
quand elle voudrait. Ce discours seul est capable de le faire passer
pour le plus vain et le moins judicieux de tous les hommes; car il ne
lui pouvait produire aucun avantage en faisant la paix, et, ne la
faisant pas, il le mettait infailliblement dans le décri où nous l'avons
vu depuis et le chargeait d'un crime dont il ne peut éviter la punition
que pour un temps, et qui lui est sans doute réservée quand il cessera
d'être l'instrument de la justice de Dieu contre ceux qu'il veut
châtier.»

Rendre Mazarin seul responsable de la continuation de la guerre, c'était
faire retomber sur lui tout l'odieux des calamités auxquelles la France
était eu proie, de l'aggravation des impôts et des troubles qui en
étaient résultés. Insistant sur ce grief, Chavigny citait des
particularités que sa position lui avait fait connaître et qu'il
tournait contre Mazarin. Puis il rappelait la conduite du cardinal à
l'égard du prince de Condé et son désir de le faire périr dans la guerre
de Catalogne: «Le siège de Lerida ayant été levé, le cardinal Mazarin
embarqua M. le Prince en Catalogne pour attaquer de nouveau cette place.
Ce fut alors que, dans les conversations secrètes qu'il eut avec la
reine, il l'obligea de donner les derniers éloges à son adresse, en lui
faisant connaître qu'il avait fait tomber M. le Prince dans le piège;
que, s'il prenait Lerida, le roi en tirerait beaucoup d'avantages, cette
ville, qui donne l'entrée libre dans l'Aragon, lui devant
infailliblement demeurer entre les mains, comme tout le reste des autres
que l'article des conquêtes lui donnait; s'il la manquait, il y perdrait
ou sa réputation, ou plus apparemment la vie qu'une telle disgrâce lui
ferait mépriser par désespoir. Ce qui ne serait pas moins utile à
l'État, non-seulement que la possession de Lerida, mais que la paix
présente même, quelque avantageuse qu'elle pût être, parce que les
Espagnols, perdant par la mort de ce prince toutes leurs espérances de
voir des brouilleries dans l'État, ne pourraient s'empêcher de nous
offrir ensuite les conditions que nous voudrions.»

De pareilles attaques étaient bien propres à exaspérer le prince de
Condé, qui n'était d'ailleurs que trop disposé à s'unir aux ennemis du
ministre. Il se rapprocha de Beaufort, du coadjuteur Paul de Condi et
de la vieille Fronde pour renverser cet Italien, dont on dévoilait
hautement les fautes et les turpitudes, et dont un homme d'État tel que
Chavigny signalait l'incapacité. Livré à la raillerie du peuple par des
pamphlets chaque jour plus violents, au mépris des hommes sérieux par un
ancien ministre élève de Richelieu, à la haine de tous par le cri
public, Mazarin semblait perdu. C'est surtout dans une pareille crise
qu'il faut admirer la prodigieuse habileté de ce joueur intrépide, qui
ne désespéra jamais des parties les plus compromises. Son premier soin
fut de rompre l'union de Condé et des Frondeurs. Pour y parvenir, il
signa une déclaration par laquelle il s'engageait à prendre l'avis de ce
prince dans toutes les affaires importantes[86]. Il écrivit sur ses
Carnets[87] les phrases suivantes, qui devaient probablement être
développées dans une conversation avec Condé ou avec quelqu'un de ses
amis: «Je tiens pour mes meilleurs amis ceux qui le sont de M. le
Prince. Je me séparerai des miens s'ils lui déplaisent, et je ne songe
qu'à le servir en tout et partout avec une résignation sans exemple, le
tout pour l'assurer qu'il n'a serviteur plus cordial, ferme et sûr que
moi, et afin qu'ayant tout à souhait, il agisse pour relever l'autorité
du roi. Ce qui est fort faisable, s'il s'y veut employer et y travailler
de la bonne sorte conjointement avec moi.»

Tout ce que le prince de Condé réclamait lui fut accordé immédiatement:
le duc de Longueville eut le Pont-de-l'Arche et le prince de Conti la
promesse d'un chapeau de cardinal. Mazarin annonça la résolution
d'enfermer ses nièces dans un couvent[88], afin que le prince de Condé
n'eût plus à se plaindre des projets de mariage entre Laura Mancini et
le duc de Mercœur. Enfin le cardinal, après toutes ces concessions, alla
souper avec le prince de Condé, et là il eut à supporter les railleries
insultantes des _petits-maîtres_, qui formaient le cortége ordinaire de
Condé[89]. Les courtisans, qui avaient compté sur ce prince pour
renverser Mazarin, ne prenaient pas au sérieux cette apparente
réconciliation. On le voit par une lettre de Saint-Simon à Chavigny, en
date du 17 septembre 1649:

«L'accommodement s'est fait hier et a été déclaré aujourd'hui par
l'entremise de M. le duc d'Orléans; le Pont-de-l'Arche est accordé. M.
le Prince en a remercié ce matin la reine et lui a fait de nouvelles
protestations de service et d'obéissance, assurant Sa Majesté qu'il
n'aurait pas été moins ferme et moins fidèle dans son devoir, quand bien
même il n'aurait pas reçu cette grâce de sa bonté. Monsieur ensuite a
commandé à M. le Prince de lui donner à souper, et il a fait entendre
qu'il y mènerait M. le cardinal, et, à l'heure que je tiens la plume,
ils sont à table avec peu d'allégresse. C'est une réconciliation en
apparence, dont beaucoup de gens sont présentement en peine, mais je
vous puis assurer qu'elle n'est point cordiale du côté du faubourg[90];
Mazarin est entamé, et sa ruine est résolue d'une telle façon, qu'il
faudra des miracles pour sa conservation. Ce sera doucement, sans
employer aucun moyen violent. Faites votre compte là-dessus; vous êtes
fort sur le tapis et très-fort dans le cœur de toute la maison de M. le
Prince; je n'oublierai aucune chose pour vous rendre toute sorte de
services. Vous devez écrire à M. le Prince, sur cette occasion, une
lettre pleine d'affection et d'espérance que ses soins et sa conduite
remettront l'État dans le bonheur. J'offre de rendre votre lettre; si
vous voulez dire davantage dans la mienne, je puis la faire voir. Ma
passion pour votre service est sans réserve; ordonnez franchement. Le
raccommodement fera quelques dupes.»

La dupe dans cette affaire, ce fut le duc de Saint-Simon, tout habile
qu'il se piquait d'être. Mazarin, en s'humiliant devant Condé et en
achetant si cher son pardon, n'avait qu'un but: semer des défiances
entre les deux Frondes, prouver aux princes de la maison de Vendôme, au
coadjuteur, à madame de Chevreuse, qu'ils ne pouvaient compter sur
Condé; isoler ainsi peu à peu le prince et ensuite frapper cet ennemi
désarmé. Il marcha à son but par les voies souterraines, qu'il
préférait, mais il y marcha sûrement et résolument. D'ailleurs Condé lui
fournissait des armes par ses imprudences. Il ne faut pas oublier qu'à
cette époque le prince, naturellement hautain et ambitieux, était dans
toute l'ivresse de sa fortune. Vainqueur à Rocroi, à Fribourg, à
Nordlingen et à Lens, il venait encore de triompher de la Fronde
parlementaire et de ramener le roi dans Paris. Bien loin de se faire
pardonner sa gloire en la couvrant de modération, il affectait pour ses
adversaires le plus insolent dédain. Ses airs méprisants, son ton
arrogant, lui avaient fait de nombreux ennemis. Les _petits-maîtres_,
qui l'entouraient, les Bouteville, les Chabot, les Jarzé, imitaient et
exagéraient sa hauteur dédaigneuse et traitaient avec mépris les gens de
robe et de plume qui avaient soutenu la première Fronde. Les
parlementaires s'en irritèrent, et les grands eux-mêmes ne supportèrent
pas longtemps une pareille arrogance. La vieille haine des maisons de
Lorraine et de Condé se réveilla et fut soigneusement fomentée. Comme au
temps de la cabale des Importants, madame de Longueville, réconciliée
avec son frère le prince de Condé, eut pour ennemis madame de Chevreuse,
les princes lorrains et la maison de Vendôme.

Mazarin sut habilement profiter de ces divisions qu'il avait semées. Ses
Carnets attestent qu'il se rapprocha de la maison de Vendôme et finit
par s'unir étroitement avec elle. On y lit[91]: «M. de Vendôme, après
m'avoir parlé de ses affaires ce matin, m'a dit que jamais les choses
n'avaient été en meilleure disposition pour retirer M. de Beaufort et le
donner à la reine entièrement; que le président de Bellièvre et le
coadjuteur y étaient tout à fait résolus en haine de madame de
Montbazon, qui voulait mettre tout en confusion pour ses intérêts
particuliers.» A partir de ce moment, les relations entre Mazarin et la
vieille Fronde devinrent chaque jour plus étroites. L'abbé Ondedei, un
des parents et des confidents intimes du cardinal, eut des entrevues
avec le marquis de La Boulaye, qui avait été un des plus ardents
Frondeurs. Madame de Chevreuse et le duc de Beaufort promirent à Mazarin
de le soutenir dans sa lutte contre Condé. Beaufort montrait autant de
zèle pour son nouvel allié qu'il en avait déployé antérieurement dans
l'intérêt de la Fronde. «La moindre chose qu'il promet dans cette
liaison d'amitié, écrivait Mazarin[92], c'est de calmer le royaume et de
mettre aux pieds de la reine les parlements et les peuples, et de faire
avoir autant d'amour pour moi qu'on a de haine.»

Cependant, au milieu des succès de sa politique tortueuse, Mazarin
redoutait toujours Chavigny. Il suivait avec inquiétude les menées de ce
rival dangereux, qui s'était rendu en Brie et de là avait de fréquentes
entrevues avec les Frondeurs, tels que Fontrailles et le président
Viole. «On m'assure, écrit Mazarin sur ses Carnets[93], que M. de
Chavigny a été deux heures à Paris et qu'il a vu M. le Prince.» Et un
peu plus loin[94]: «Chavigny reçoit le monde avec grande parade et a vu
M. le Prince.» Mazarin craignait que ce conseiller, plus habile que les
_petits-maîtres_, n'arrêtât le prince sur la pente fatale où son orgueil
l'entraînait et ne renouât les relations entre la Fronde parlementaire
et le parti des princes; enfin, comme il l'écrivait sur ses
Carnets[95]: «ne fit mille choses préjudiciables au service du roi et au
mien.» Malheureusement pour le prince de Condé, il cédait à des conseils
moins prudents que ceux de Chavigny et séparait de plus en plus sa cause
de celle des Frondeurs. Saint-Simon, écho du parti des _petits-maîtres_,
affectait aussi de dédaigner la vieille Fronde. Il écrivait à Chavigny,
le 27 novembre: «On vous conseille de fréquenter le moins que vous le
pourrez le pape des Frondeurs[96] et les autres de cette nature.»

En même temps que Condé rompait avec Beaufort et avec le coadjuteur, il
poussait aux dernières extrémités Anne d'Autriche et Mazarin par de
nouvelles insolences. Il se rendit coupable de l'insulte la plus grave
envers une femme et une reine; il prétendit lui imposer un amant, et
choisit pour ce rôle un des _petits-maîtres_, le marquis de Jarzé[97].
Cet outrage porta le désespoir dans l'âme d'Anne d'Autriche[98], et
Mazarin se hâta de prendre les dernières mesures avec les chefs de la
Fronde pour frapper un coup décisif; il gagna Retz par la promesse du
chapeau de cardinal, Vendôme et Beaufort par celle de l'amirauté. Madame
de Chevreuse lui répondit du faible Gaston d'Orléans.

Si l'on en croit les Carnets de Mazarin[99], il était temps que ce
ministre en finît avec Condé. Les gentilshommes dévoués à ce prince se
réunissaient en foule à Paris, et tout annonçait une lutte formidable.
Mazarin prévint le coup: le 18 janvier 1650, il fit arrêter au Louvre le
prince de Condé, son frère le prince de Conti et son beau-frère le duc
de Longueville. Cet acte de vigueur dispersa la faction des princes;
leurs partisans les plus dévoués se retirèrent dans les provinces et y
renouvelèrent la guerre civile. Quant à Chavigny, gardant toujours son
rôle de philosophe, il se retira dans ses terres et attendit que la
délivrance des princes (1651) lui fournît une occasion de renouer ses
intrigues. Le duc de Saint-Simon, qui voyait toutes ses prévisions
démenties, se hâta de regagner son gouvernement de Blaye et écrivit à
Mazarin pour lui offrir son épée. Le ministre ne fut pas dupe de ces
démonstrations tardives, et l'on voit assez par la lettre qu'il répondit
au duc de Saint-Simon, le 26 février 1650, que la fuite précipitée de ce
personnage avait inspiré au ministre de justes soupçons. «Vous pouviez,
lui écrivait Mazarin, changer la forme de ce départ et particulièrement
dans la conjoncture présente, où il a donné matière au peuple de faire
diverses spéculations et de craindre de mauvaises suites de la sortie de
la cour d'une personne de votre qualité, sans avoir pris congé de Leurs
Majestés.» Telle fut l'issue de l'intrigue ourdie en 1649 par
Saint-Simon et Chavigny. Le premier s'était promptement rallié, comme on
vient de le voir, au parti le plus fort[100]. Le second ne tarda pas à
reparaître sur la scène, où nous le retrouvons dirigeant la politique du
parti des princes et considéré avec raison comme l'âme de leurs
conseils.



CHAPITRE IV

Retour de Chavigny à Paris en 1651; il entre dans le ministère
formé en avril 1654 et est attaqué par le cardinal de Retz.--Courte
durée de ce ministère.--Chavigny entame des négociations avec
Mazarin (janvier 1652) par l'intermédiaire de Fabert et de l'abbé
Fouquet.--Arrivée des troupes espagnoles à Paris (5 mars
1652).--Fêtes et émeutes.--Prise d'Angers par l'armée royale (7
mars).--Violences du parti des princes dans Paris.--Émeute du 25
mars.--Inquiétude de Mazarin.--L'abbé Fouquet fait afficher des
placards contre Condé.--Arrivée de Condé à l'armée (1er
avril).--Combat de Bléneau (6 avril).--Condé vient à Paris (11
avril).--Il se rend au parlement (12 avril).--Paroles que lui
adresse le président Le Bailleul.--Le procureur général Fouquet
attaque le manifeste du prince de Condé (17 avril).--Les princes
sont mal accueillis à la chambre des comptes et à la cour des aides
(22 et 23 avril).--Dispositions peu favorables de l'Hôtel de
Ville.--Arrestation de l'abbé Fouquet (24 avril).--Les campagnes
sont désolées par les troupes des deux partis.--Destruction des
bureaux d'entrée.--Plaintes du prévôt des marchands adressées au
parlement (26 avril).--Les princes forcés de négocier avec la cour
(28 avril).--État misérable de Paris.--On engage le peuple à
secouer le joug des princes.


Ce fut après le premier exil de Mazarin, en 1651, que Chavigny fut
rappelé de Touraine à Paris. Il entra dans le ministère réorganisé sous
l'influence du prince de Condé, au mois d'avril 1651, et y fut considéré
comme le principal défenseur de ses intérêts dans le conseil[101]. Le
coadjuteur, qui aurait voulu y faire prédominer le parti du duc
d'Orléans, dont il était alors le conseiller intime, attaqua Chavigny
dans un pamphlet intitulé: _Les Contre-temps du sieur de Chavigny,
premier ministre de M. le Prince_[102]. «Il fallait, disait Retz, que
Chavigny quittât la solitude pour aller porter le flambeau de la
division dans la maison royale, pour servir d'un nouveau prétexte et
d'une nouvelle cause à la division de la reine et de S.A.R., et pour
conférer tous les jours sur ce sujet avec toutes les créatures du
cardinal Mazarin. Quel contre-temps à un homme établi de se venir jeter
dans la tempête, sur une mer pleine de périls et d'écueils, agitée
encore par les vents et par les orages, et dont les mouvements
incertains ne pouvaient qu'être évités par un esprit tant soit peu
judicieux; d'avoir prétendu de se vouloir rendre maître, dans un temps
où il n'y avait personne au monde qui pût pénétrer où elle devait
tomber; d'avoir espéré la confiance au moment que l'on ne pouvait
judicieusement fixer aucun dessein pour les choses même les plus
faciles; d'avoir cru que le cardinal la lui confiait de bonne foi dans
un État où ses amis les plus assurés lui étaient suspects; de s'être
imaginé de pouvoir perdre Monsieur et tous ses serviteurs par la liaison
de la reine et de M. le Prince, qu'un homme sage eût bien connu ne
pouvoir être de durée de la manière qu'elle s'était faite! Il ne faut
que jeter les yeux sur cette conduite pour la considérer avec pitié.»

Le coadjuteur donne lui-même un démenti à son prétendu mépris pour
Chavigny, par l'âpreté avec laquelle il poursuit ce rival redoutable. Il
avait raison, cependant, lorsqu'il déclarait que l'alliance de la reine
et de Condé ne serait pas longue, et qu'avec elle tomberait le ministère
de Chavigny. Il ne dura que quelques mois. Lorsque le prince de Condé
s'éloigna de Paris pour aller en Guienne allumer la guerre civile
(septembre 1651), Chavigny se retira dans ses terres; mais il n'y resta
pas longtemps en repos. Dès le mois de janvier 1652, il fit faire des
ouvertures à Mazarin par l'intermédiaire de l'abbé Fouquet; en même
temps il se servait de Fabert, gouverneur de Sedan, pour correspondre
avec le cardinal. Il lui promettait l'appui du prince de Condé, et même
celui du duc d'Orléans, sur lequel il se flattait d'exercer une grande
influence. Mazarin, qui connaissait à fond Chavigny, ne lui témoigna
qu'une médiocre confiance: «Je vous ai déjà mandé, répondait-il à l'abbé
Fouquet le 31 janvier 1652, que je n'avais d'animosité contre personne.
Si M. de Chavigny fait connaître évidemment qu'il veut se mettre dans le
bon chemin, et que pour cet effet il porte S.A.R. (Gaston d'Orléans) à
prendre les résolutions qu'elle doit pour le service du roi et pour le
bien de l'État, il se peut assurer qu'il n'aura pas sujet de se plaindre
de moi; mais il faut des effets et non pas des paroles.»

Chavigny s'en tint aux paroles, et le cardinal Mazarin, tout en
négociant avec lui, démêlait parfaitement le but de cet ambitieux. Il
écrivait un peu plus tard à l'abbé Fouquet: «Il me semble que M. de
Chavigny est le grand conseiller de Son Altesse Royale, à qui
assurément il fait croire qu'il sera en mauvais état s'il ne se déclare
et ne fait des démonstrations éclatantes et positives pour M. le Prince,
parce que autrement ledit prince, étant maître de l'armée, et voyant
qu'il ne peut se prévaloir de l'assistance et de l'amitié de Son Altesse
Royale, s'accommodera avantageusement avec la cour. Il ne faut pas
douter que cette appréhension ne soit capable de porter Son Altesse
Royale à tout ce qu'on lui conseillera à l'avantage de M. le Prince,
nonobstant la jalousie et même l'aversion qu'il a contre lui.» Et plus
loin: «M. de Chavigny, avec ses adhérents, gagne pays furieusement, et
avec l'assistance de M. le Prince il viendra à bout de tout: ce qui ne
peut être que très-préjudiciable à Leurs Majestés, à M. le cardinal de
Retz et à moi. Car je ne m'arrête nullement à tous les bruits que l'on
fait courir, avec tant d'artifice, que M. le cardinal de Retz est
d'accord avec M. de Chavigny, et qu'il s'est accommodé par son moyen
avec M. le Prince, sachant fort bien qu'il est incapable par mille
raisons d'une chose de cette nature.»

Le parti des princes devenait, en effet, chaque jour plus menaçant.
Pendant que le cardinal de Retz, qui avait enfin la pourpre romaine,
s'enfermait dans sa cathédrale et affectait de se retirer du monde, on
voyait arriver à Paris des troupes recrutées dans les Pays-Bas espagnols
et conduites par le duc de Nemours et par le baron de Clinchamp[103]. Ce
fut le 5 mars 1652 que le duc de Nemours entra dans Paris. Une lettre
datée de ce jour en avertissait Mazarin. «M. de Nemours, lui
écrivait-on, est arrivé ici cette après-dînée, accompagné de quatre
cents chevaux, y compris ce que l'on avait envoyé au-devant de lui; il a
traversé toute la ville en cet équipage, et est allé descendre au palais
d'Orléans (au Luxembourg).»

L'arrivée de ces renforts exalta les espérances des Frondeurs. Suivant
l'usage du temps, on mêla les fêtes et la danse à l'appareil militaire.
«En considération de M. de Clinchamp et de tous ses officiers, dit
mademoiselle de Montpensier dans ses Mémoires[104], Monsieur voulut que
l'on fît une grande assemblée chez moi, le jour de la mi-carême, à quoi
j'obéis volontiers. Il y eut un ballet assez joli: ce que M. de
Clinchamp admira moins que la beauté des dames de France, aussi bien que
tous les colonels. Car pour lui, quoiqu'il servît le roi d'Espagne, il
était Français, de la frontière de Lorraine. Il avait été, de jeunesse,
nourri en cette cour, et M. de Lorraine l'avait engagé au service des
Espagnols. Il me vint voir souvent, et me témoignait qu'il n'eût rien
souhaité avec plus de passion que de me voir maîtresse des Pays-Bas. Je
tournais ce discours en raillerie, ne le connaissant pas assez pour
pouvoir prendre cela autrement, comme j'ai fait depuis. Avant qu'il
partit d'ici, M. de Nemours et lui me prièrent qu'ils pussent voir
encore danser chez moi une fois avant de partir. Je lui donnai encore
un bal, mais il fut plus petit que l'autre.» Au milieu de ces fêtes et
de la joie que l'arrivée de ces auxiliaires causait aux Frondeurs, ils
apprirent avec effroi que l'armée royale venait de s'emparer d'Angers (7
mars) et poursuivait ses succès aux bords de la Loire. «L'on est, depuis
cette nouvelle, fort étonné au Luxembourg, écrivait à Mazarin un de ses
partisans. L'on y a fait monter les deux canons tirés de la Bastille, et
on dit aux spectateurs que c'est contre les _Mazarins_. L'on croit
qu'ils y demeureront pour la garde du Luxembourg. Quelques capitaines de
la ville, sur un avis supposé qu'on voulait enlever Son Altesse Royale,
ont été s'offrir avec leurs compagnies. Les bien intentionnés s'étonnent
de la conduite du chancelier[105], qui s'est venu fourrer à Paris pour
donner des conseils, avec Chavigny et Tubeuf[106], à M. le duc d'Orléans
contre le service du roi, et que les trois qui ont le plus vécu des
bienfaits du roi soient aujourd'hui ses plus grands ennemis. Le passage
des Espagnols nous le confirme à l'égard du premier. Plusieurs ont
trouvé à redire que l'on n'ait pas pourvu à ce passage de la Seine par
les Espagnols, et que les gouverneurs de Champagne et de Picardie
n'aient pas fait plus de diligence pour s'y opposer. Mais on excuse M.
d'Elbeuf, qui est assez occupé à faire danser des ballets et à se
poudrer. A Paris, les affaires sont en tel état, qu'on n'oserait y crier
la lettre du roi à M. le maréchal de l'Hôpital[107], d'autant que les
Frondeurs tiennent la prise d'Angers pour fausse, quoiqu'elle soit
très-assurée. Un colporteur a même, ce matin, été maltraité pour cela.
Il y a aussi quelques jours qu'un Suisse, qui parut tant à la cavalcade
de la majorité, pensa être très-maltraité pour avoir blâmé un colporteur
qui criait je ne sais quel pamphlet contre Son Éminence.»

Ainsi Paris commençait à être le théâtre de violences par lesquelles les
Frondeurs espéraient effrayer les partisans de Mazarin, entraîner les
indécis et triompher enfin du cardinal. Cependant l'irrésolution de
Gaston les inquiétait. «L'on voit l'esprit de M. le duc d'Orléans plus
embarrassé que jamais, écrivait un des agents de Mazarin. Chavigny et
Croissy[108] disent bien que Son Altesse Royale ne fait pas tout ce
qu'elle peut, parce qu'elle n'agit pas selon leurs sentiments. Ces
messieurs-là ne manquent pas d'animer l'esprit de M. le Prince. Toute
leur visée est maintenant de le rendre maître de toutes les troupes: ils
disposent tout pour cela. Son Altesse Royale en a très-grande défiance.»
La duchesse de Chevreuse, fidèle à la cause royale, contribuait à rendre
plus indécis le duc d'Orléans. Chavigny, désespérant enfin d'entraîner
Gaston, appela à Paris le prince de Condé, qui était encore en Guienne,
et, en attendant que le prince put arriver, il ne cessait d'exciter la
populace contre les _Mazarins_. A la fin de mars et au commencement
d'avril, il se forma sur le pont Neuf des rassemblements de Frondeurs,
qui se livrèrent à d'odieux excès[109]. Ils arrêtaient les carrosses,
faisaient descendre les personnes qui s'y trouvaient, hommes ou femmes,
et les forçaient de crier: _Vive le roi! point de Mazarin!_ maltraitant
ceux qui refusaient, et menaçant de les jeter à la Seine. Quelquefois
même la populace, à laquelle se joignaient des voleurs et des misérables
de la pire espèce, pillait et brisait les carrosses. La maréchale
d'Ornano, tante et mère adoptive de madame de Rieux-Elbeuf, fut forcée
de s'enfuir à pied avec ses gens. Madame Paget, femme d'un maître des
requêtes, crut se soustraire aux mauvais traitements en disant qu'elle
était femme d'un conseiller du parlement. «Tant mieux! s'écrièrent
quelques-uns des séditieux; ils sont cause de notre misère. Il faut tous
les jeter à la Seine.» Madame Paget ne s'échappa qu'avec peine de leurs
mains. Il en fut de même de madame La Grange-Le-Roy et de sa nièce, la
jeune et belle madame de Montchal. Elles eurent à subir les insultes et
même les coups de la populace.

Pendant près de trois heures, le pont Neuf fut le théâtre de scènes de
cette nature (2 avril). Vers cinq heures, le bruit se répandit dans
cette foule qu'un des leurs avait été blessé par les gens de l'hôtel de
Nevers[110] et y était enfermé. Aussitôt la multitude se précipita vers
l'hôtel, criant qu'il fallait tout piller et brûler. Ils commencèrent à
attaquer les portes et les murailles à coups de hache et de marteau, et
ils les auraient brisées sans l'arrivée d'une vingtaine de gardes du duc
d'Orléans, qui vinrent au secours de madame Duplessis-Guénégaud et la
délivrèrent. Ces scènes de violence se renouvelaient chaque jour. Le
lendemain 5 avril, de nouveaux attroupements se formèrent sur le pont
Neuf. Le carrosse de mademoiselle de Guise fut arrêté près de la
Samaritaine. Elle se tira de ce danger grâce à la prudence de son écuyer
La Chapelle, et vint au Luxembourg, où elle parla en princesse outragée
au duc et à la duchesse d'Orléans. On envoya quelques compagnies de
milices bourgeoises pour dissiper la foule, mais elles ne parvinrent pas
à rétablir l'ordre. Les orfèvres et autres marchands qui habitaient en
grand nombre dans le quartier du Palais de Justice fermèrent leurs
maisons, et pendant près de trois mois tout commerce resta suspendu.

Ces excès servaient la cause du roi et dégoûtaient la bourgeoisie de la
Fronde. Mazarin recommandait à l'abbé Fouquet de profiter de ces
dispositions. «Il serait bon, lui écrivait-il, de faire afficher des
placards contre M. le Prince, qui disent particulièrement qu'il veut
empêcher le retour du roi à Paris, et jeter, par ce moyen, les habitants
dans une dernière ruine. S'il est nécessaire de distribuer quelque
argent, je vous prie de le faire, et on le rendra ponctuellement.»
L'abbé Fouquet s'acquitta de cette tâche avec le zèle et l'ardeur qu'il
portait dans toutes les affaires. Un placard qu'il fit afficher, et
dont une partie seulement nous a été conservée[111], montrait l'armée
des princes affamant Paris, appelant les Espagnols, et livrant les
campagnes à une soldatesque effrénée. L'abbé Fouquet représentait Condé
faisant de la Guienne le théâtre de la guerre, la plongeant dans la plus
profonde misère, puis l'abandonnant, lorsque les barricades élevées à
Agen lui ont prouvé que les Gascons ne veulent pas se soumettre à son
joug. «Il est venu alors comme un désespéré vers Paris, ajoutait le
placard, pour tâcher d'y exciter la même révolte, le désordre et la
division du royaume étant le fondement unique de sa puissance.»

A l'époque où l'abbé Fouquet s'efforçait ainsi de soulever les passions
populaires contre Condé, ce prince avait déjà quitté la Guienne, et, par
une marche rapide et hardie à travers des provinces qu'occupaient les
troupes royales, il était venu se mettre à la tête de l'armée des
Frondeurs[112]. Il annonça sa présence par un de ces succès éclatants
qui le rendaient si populaire: le maréchal d'Hocquincourt avait dispersé
ses quartiers. Condé les enleva à Bléneau (1er avril) et tailla en
pièces une partie de l'armée royale. Sans l'habileté de Turenne, la
cour, qui était à Gien, serait tombée entre les mains de Condé. Après ce
combat, qui fut plus brillant que décisif, Condé se rendit à Paris, où
il espérait remporter des avantages aussi rapides et briser toutes les
résistances. Il y fit son entrée le 11 avril, et ne tarda pas à
reconnaître que la situation était difficile. Le duc d'Orléans, qui
l'accueillit en apparence avec empressement, était désolé de se voir
éclipsé par un rival aussi supérieur. Le coadjuteur, toujours hostile à
Condé, excitait la jalousie de Gaston. Le parlement était divisé. Les
rentiers et la bonne bourgeoisie gémissaient des violences du parti des
princes. Condé n'avait entièrement à sa disposition que la populace:
l'éclat de son nom, l'argent qu'il distribuait, ses défauts mêmes,
avaient séduit les classes inférieures. La figure de Condé, telle que la
retrace un contemporain, devait frapper vivement les imaginations déjà
éblouies de sa gloire: «M. le Prince, dit Bussy-Rabutin, avait les yeux
vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme
du visage longue, la physionomie d'un aigle.» Des soldats déguisés se
mêlaient au peuple, entretenaient son enthousiasme pour le héros de la
France, et l'excitaient à des actes de fureur et au massacre des
_Mazarins_. Pendant plusieurs mois (avril-juillet 1652), Paris fut
dominé par cette dangereuse faction. Il n'y eut plus de sécurité pour
les suspects; mais les excès mêmes de la nouvelle Fronde finirent par la
perdre.

Le prince de Condé ne se porta pas d'abord aux violences que lui
conseillaient son caractère et sa position comme chef de parti. Il
commença par s'adresser au parlement: il s'y rendit avec le duc
d'Orléans (12 avril). Peu s'en fallut que le parlement ne lui fermât ses
portes. Les présidents Le Bailleul, de Novion, de Mesmes et Le Coigneux
s'étaient assemblés avec le procureur général Fouquet, pour aviser aux
moyens de repousser un prince qui avait été reconnu criminel de
lèse-majesté par déclaration royale enregistrée au parlement de
Paris[113]. Ne se trouvant pas assez forts pour frapper ce coup décisif,
ils voulurent du moins lui prouver que sa conduite était sévèrement
blâmée par le parlement. Lorsque le prince eut pris séance avec le duc
d'Orléans, le président Le Bailleul, qui, en l'absence du premier
président Mathieu Molé[114], dirigeait les délibérations, manifesta en
termes énergiques sa désapprobation de la conduite du prince, et dit
qu'il n'eût pas voulu le voir siéger au parlement sous le coup d'une
accusation de lèse-majesté et les mains encore teintes du sang des
troupes royales[115]. Les partisans des princes cherchèrent à étouffer,
par leurs murmures, la voix du président Le Bailleul; mais le blâme n'en
avait pas moins porté coup, et quelques jours après (17 avril) le
procureur général Nicolas Fouquet se sentit assez fort pour venir
attaquer en plein parlement le manifeste publié par le prince. Condé y
avouait qu'il _avait fait des liaisons dedans et dehors le royaume pour
sa conservation_. C'était proclamer hautement son traité avec l'Espagne,
ennemie de la France. Le parlement ne pouvait s'associer à une pareille
déclaration sans approuver l'alliance avec des puissances en lutte
ouverte contre la nation. Il recula devant un acte aussi manifestement
criminel, et le prince fut obligé de consentir à rayer de sa
déclaration les mots incriminés par Fouquet[116].

Cet échec fut suivi de plusieurs autres, qui prouvèrent que le parti des
princes n'avait pas de racines profondes dans les grands corps de
l'État. Le 22 avril, le duc d'Orléans et le prince de Condé se
présentèrent à la chambre des comptes; mais tous les présidents, à
l'exception d'un seul, qui était intendant de la maison du prince de
Condé, se retirèrent, prétendant qu'on ne devait pas accorder aux
princes la place qu'ils voulaient occuper au-dessus d'eux[117]. A la
cour des aides, le premier président Amelot rappela en face au prince de
Condé la déclaration royale qui l'avait flétri comme criminel de
lèse-majesté, et qui avait été enregistrée au parlement. Il lui reprocha
d'avoir récemment combattu l'armée royale et fait battre le tambour dans
Paris pour lever des troupes contre le roi avec les deniers provenant de
l'Espagne[118]. Condé, surpris d'une attaque aussi vive, demanda au
premier président s'il parlait au nom de sa compagnie. Amelot répondit
qu'en la place qu'il occupait il avait le droit de dire son avis, et
n'avait jamais été démenti par la cour des aides. Le prince fut réduit,
pour se justifier, à nier les actes qu'on lui reprochait et qui
n'étaient cependant que trop constatés[119].

A l'Hôtel de Ville, le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris, et
le prévôt des marchands, le conseiller Lefèvre, ne se montrèrent pas
plus favorables à la faction des princes. Nous avons vu que l'abbé
Fouquet avait depuis longtemps gagné ces deux personnages à la cause
royale. Tout ce que les princes purent en obtenir, ainsi que des cours
souveraines[120], fut d'envoyer au roi des députations pour demander
l'éloignement du cardinal Mazarin; mais ces démonstrations, imposées par
l'intrigue et la violence, ne trompaient personne. Les princes voyaient
toute autorité légale leur échapper. En même temps on apprenait que
l'armée royale s'avançait vers Paris. Les partisans de la cour et du
cardinal s'agitaient. L'hôtel de Chevreuse était le centre de
mystérieuses conférences pour ouvrir au roi les portes de sa capitale.
Le marquis de Noirmoutiers, et surtout Laigues, partirent de Paris le 24
avril, chargés des instructions du parti royaliste, et les portèrent à
la cour. De son côté, l'abbé Fouquet se dirigea vers Corbeil, où Mazarin
venait d'arriver; mais il fut arrêté sur le chemin et conduit à l'hôtel
de Condé[121]. On saisit sur lui une lettre en partie chiffrée, qui
donnait avis au roi et au cardinal qu'on leur ouvrirait à une heure
déterminée les portes Saint-Honoré et de la Conférence. La première
s'élevait à l'angle formé maintenant par les rues Saint-Honoré et
Saint-Florentin; la seconde, entre la Seine et l'extrémité du jardin des
Tuileries; elle tirait son nom d'une conférence qu'y avaient tenue les
royalistes et les ligueurs sous le règne de Henri IV. L'abbé Fouquet,
vivement pressé de questions, répondit avec une fermeté qui ne déplut
pas au prince de Condé. On ne put jamais arracher de lui le nom de celui
qui avait écrit cette lettre. Les soupçons se portèrent sur plusieurs
personnes, et principalement sur le procureur général. Enfin, vers le
soir, l'abbé Fouquet fut reconduit chez son frère dans un carrosse de la
maison de Condé. Il resta pendant près d'un mois prisonnier sur
parole[122], sans discontinuer ses relations avec le cardinal Mazarin.

Les princes prirent à la hâte des mesures pour arrêter les troupes
royales qui s'avançaient. Tous les passages qui conduisaient à Paris
furent interceptés, et les ponts de Saint-Maur, de Charenton et de Lagny
coupés[123]. Les campagnes, ravagées par les deux partis, présentaient
l'aspect le plus déplorable. Les paysans effrayés se réfugiaient à
Paris, annonçant que les châteaux étaient brûlés, les champs dévastés,
les troupeaux enlevés. Les bureaux d'octroi furent détruits par cette
foule épouvantée et probablement aussi par les factieux, qui, en toute
révolte, se signalaient d'abord par des violences contre les maltôtiers
ou percepteurs d'impôts. Vainement le prévôt des marchands envoya les
archers de la ville pour contenir la multitude soulevée. Les archers
furent eux-mêmes maltraités par la populace.

Le lendemain (26 avril) le prévôt des marchands porta plainte au
parlement et s'éleva avec force contre la conduite des princes, première
cause de ce désordre. On voulut étouffer sa voix; mais l'avocat général
Talon, s'adressant au duc d'Orléans, lui représenta la nécessité
d'ouvrir les passages pour faciliter l'approvisionnement de Paris. Enfin
les princes furent obligés d'entamer des négociations avec la cour. Le
duc de Rohan, Chavigny et Goulas furent désignés pour aller négocier à
Saint-Germain, et s'y rendirent le 28 avril. En résumé, les embarras et
les difficultés se compliquaient: les principaux corps blâmaient la
conduite de Condé, la famine devenait menaçante, les campagnes étaient
désolées, et, après un éclat formidable et une entrée triomphale, le
prince de Condé se voyait réduit à tout remettre en négociation.

Quant au peuple, il commençait à souffrir des excès auxquels on l'avait
poussé. «Pauvre peuple! lui disait un des écrivains royalistes du
temps[124], pauvre peuple! qui t'exposes journellement à la famine en
faveur d'une ingrate grandeur, dont tu as éprouvé si souvent
l'inconstance ou l'infidélité! use de ta raison ou de ton expérience; ne
crois plus ces supérieurs intéressés ou corrompus qui t'engagent à les
servir pour se dégager de leurs téméraires entreprises. Ne vois-tu pas
bien que le Parlement se dégage le plus adroitement qu'il peut d'une
liaison qu'il avoue avoir mal faite, et que les mieux sensés pratiquent
sourdement leur accommodement pour se libérer de la punition qui pend
sur la tête des malheureux ou des coupables, et dont la faiblesse ou
l'indifférence des princes ne les tirera jamais? Demande la paix pour
jouir ou du fruit de ton travail et de tes peines, ou du bien de tes
pères. Demande le roi pour l'assurance et le sacré gage de cette paix,
la prompte punition des coupables et des interrupteurs de la paix qui ne
veulent que la confusion pour pêcher en eau trouble, et se rendre
importants et redoutables à tes dépens.»

L'auteur évitait adroitement de se déclarer en faveur de Mazarin, dont
le nom seul soulevait la haine populaire; mais il montrait dans
l'ambition et l'avidité des princes la cause principale des troubles et
de la misère publique. «Si le roi ne leur accorde pas ce qu'ils
demandent aux dépens des peuples, et si l'on ne donne pas à M. le Prince
le meilleur revenu du royaume, pour l'indemniser de la dépense qu'il a
faite pour te ruiner, aux dépens de tes rentes et des gages des
officiers[125]; si l'on ne fait pas Marchin[126] maréchal de France, ce
lâche déserteur de la Catalogne; si l'on ne satisfait pas madame de
Montbazon, les chères délices de ce grand génie le duc de Beaufort; si
l'on ne contente pas le marquis de la Boulaye; enfin, si le roi ne
souffre pas le partage de son État pour contenter tous ceux qui se sont
jetés dans leurs intérêts, l'on verra à l'instant des menaces de
l'établissement d'une tyrannie. L'on se vante de faire des assassinats
en pleine rue; l'on promet à la canaille des billets pour piller les
maisons, exposer chacun à ses ennemis particuliers, et ceux qui ont du
bien à l'avarice des filous. Il est temps que tu y donnes ordre et
promptement. Aussi bien la misère de tant de pauvres paysans qui ont
amené leurs bestiaux va te donner la peste, qui n'épargnera ni les
grands ni les petits, et qui aura bientôt rendu Paris désert, et désolé
la face de cette grande ville, le séjour des rois et l'ornement de
l'État.»

Il y a, dans cet écrit, des vérités adroitement et fortement présentées;
l'ambition des princes, la misère du peuple et la nécessité de la paix y
sont bien peintes. Les négociations qui suivirent prouvèrent combien
étaient justes les prévisions de l'auteur; les princes les firent
échouer par leurs prétentions excessives, et il fallut plusieurs mois de
guerres, d'excès et de calamités de toutes sortes pour que le parti de
la paix l'emportât enfin et chassât de Paris le duc d'Orléans et le
prince de Condé, avec leur cortège d'ambitieux et d'intrigants.



CHAPITRE V

AVRIL-MAI 1652

Négociations des princes avec la cour: Rohan, Chavigny et Goulas à
Saint-Germain (28-29 avril).--Prétentions des princes et de leurs
députés.--Mauvais succès de ces négociations.--Mécontentement de
Condé, du parlement et du cardinal de Retz.--Mission secrète de
Gourville (mai 1652); propositions dont il est chargé.--Mazarin
refuse de les accepter; lettre confidentielle du cardinal à l'abbé
Fouquet (5 mai).--Madame de Châtillon continue de négocier au nom
de Condé; caractère de cette dame; elle se fait donner par Condé la
terre de Merlou.--Mazarin profite de toutes ces négociations et
divise de plus en plus ses ennemis.--Le prévôt des marchands est
maltraité par la populace.--La bourgeoisie prend les armes (5
mai).--Défaite de l'armée des princes à Étampes (5 mai).--Le
parlement envoie le procureur général, Nicolas Fouquet, à
Saint-Germain.--Harangue qu'il adresse au roi.--Nouvelle mission de
Fouquet à Saint-Germain (10-14 mai).--Relation qu'il en fait au
parlement (16 mai).--Les princes rompent les négociations avec la
cour et reprennent les armes.


Les députés des princes, Rohan, Chavigny et Goulas, se rendirent à
Saint-Germain le 28 avril. Nous connaissons Chavigny: c'était le vrai
dépositaire des secrets du prince de Condé. Les deux autres n'eurent
qu'un rôle secondaire. Le duc de Rohan, désigné pendant longtemps sous
le nom de Chabot, avait fait sa fortune en épousant l'héritière de la
maison de Rohan. Il venait d'essuyer à Angers un échec, qui avait
terminé tristement une expédition commencée sous d'heureux auspices. On
disait de lui, à cette occasion, «qu'il avait débuté en Rohan et fini en
Chabot.» Quant à Lamothe-Goulas, secrétaire des commandements de
Monsieur, il semblait chargé plus spécialement de représenter les
intérêts de Gaston. Mais la correspondance secrète de Mazarin avec
l'abbé Fouquet prouve que Goulas était vendu à la cour et servait auprès
du duc d'Orléans les intérêts du cardinal.

On avait défendu aux négociateurs de traiter directement avec Mazarin;
mais à peine les conférences furent-elles commencées, que le cardinal
intervint et y joua le principal rôle. Il excellait dans l'art de
diviser ses ennemis, de nouer des intrigues et de semer des défiances.
En cette circonstance, il fut servi merveilleusement par les prétentions
exorbitantes des princes[127] et de leurs députés. Chavigny demanda,
avant tout, l'établissement d'un conseil qui aurait dirigé les affaires
publiques et annulé l'autorité de la régente. Il espérait avoir le
premier rang en l'absence de Mazarin, dont les princes exigaient
l'éloignement. L'établissement de ce conseil fut le point sur lequel
Chavigny insista particulièrement[128]. Quant aux intérêts particuliers
de Condé et de ses partisans, il parut disposé à les sacrifier. Le
prince demandait, entre autres choses, à être chargé d'aller négocier la
paix avec les Espagnols; mais, comme il était notoire qu'il avait des
intelligences et même un traité avec ces ennemis de la France, cette
condition fut rejetée.

Les négociateurs revinrent à Paris dès le 29 avril, sans avoir rien
conclu. Condé accusa Chavigny de n'avoir pas soutenu sa cause avec assez
de zèle et lui retira sa confiance. De son côté, le parlement se
plaignit de n'avoir pas été admis aux négociations[129], et ordonna au
procureur général, Nicolas Fouquet, de se rendre à Saint-Germain pour
demander au roi de recevoir une députation de la compagnie. Enfin le
cardinal de Retz, qui était également irrité d'avoir été laissé de côté
par les princes, fit répandre, par les pamphlétaires dont il disposait,
des écrits satiriques où l'on dévoilait l'ambition de Condé et le peu de
souci qu'il avait de l'intérêt public[130].

Condé n'en continua pas moins ses négociations secrètes avec la cour;
mais, au lieu de choisir des députés d'un rang élevé, il employa
Gourville, qui était attaché au duc de la Rochefoucauld et dont le rang
subalterne semblait mieux convenir à une négociation mystérieuse[131].
Esprit fin, délié, insinuant, Gourville était parfaitement propre à
lutter contre le génie rusé du cardinal et à démêler ses véritables
sentiments. Il était chargé de presser Mazarin de donner une réponse
positive à une série de demandes que Condé posait comme _ultimatum_. Ce
prince voulait être chargé d'aller négocier la paix avec les Espagnols,
et obtenir pour tous ceux qui l'avaient servi dans sa lutte contre la
royauté le rétablissement dans leurs charges et dignités. La Guienne,
qui s'était déclarée pour la Fronde, devait être délivrée d'une partie
des impôts. Il réclamait pour son frère, le prince de Conti, le
gouvernement de Provence; pour le duc de Nemours, celui d'Auvergne; pour
le président Viole, une charge de président à mortier; pour la
Rochefoucauld, un brevet semblable à celui du duc de Bouillon et du
prince de Guéménée; pour Marsin et du Dognon, le titre de maréchaux de
France; pour M. de Montespan, des lettres de duc; pour le duc de Rohan,
le gouvernement d'Angers; pour M. de la Force, le gouvernement de
Bergerac; enfin, pour le chevalier de Sillery, un brevet de l'ordre du
Saint-Esprit. Si le cardinal acceptait ces conditions et consentait à
s'éloigner pour quelque temps, Condé promettait de se séparer de la
Fronde, de ménager un prompt retour du ministre et de le soutenir contre
ses ennemis.

Mazarin ne repoussa pas tout d'abord les ouvertures du prince; son génie
et son intérêt le portaient également à négocier. Mais ses lettres
confidentielles prouvent qu'il n'était nullement disposé à accepter de
pareilles conditions. Quoique l'abbé Fouquet fût toujours prisonnier, le
cardinal trouvait moyen de lui faire parvenir ses ordres et ses
confidences. Il lui écrivait le 5 mai: «Ce que je vous puis dire sur les
propositions que l'on fait pour l'accommodement, c'est qu'il y a
beaucoup de choses captieuses. Car entre nous on veut commencer par mon
éloignement, et, dans la constitution présente des choses, j'ai sujet de
croire que, si j'étais une fois éloigné, on formerait des obstacles à
mon retour, qu'il serait plus difficile de vaincre. De plus, M. le
Prince insistant à vouloir être employé pour la paix générale, s'il
réussissait dans cette négociation, il lui serait fort aisé d'imprimer
dans l'esprit des peuples que ç'a été l'effet de mon éloignement et de
ses soins, et que, s'il n'avait pas traité avec les Espagnols et pris
les armes pour forcer le roi à donner les mains à la paix, je l'aurais
toujours éloignée, de sorte qu'au lieu que les Français ont de l'horreur
de la liaison qu'il a faite avec les ennemis de cette couronne et de sa
rébellion, ils croiraient qu'il a pris la meilleure voie pour terminer
la guerre étrangère et le considéreraient comme l'auteur du repos et du
bien public. C'est pourquoi le roi ne saurait jamais donner les mains à
cette condition, d'autant plus qu'il n'y a guère d'apparence qu'il fasse
son confident et son plénipotentiaire une personne qui a de si grands
engagements avec ses ennemis, et qui a encore les armes à la main contre
Sa Majesté.»

Cependant Mazarin continua toujours d'amuser le prince de Condé par des
négociations. Après Gourville, ce fut madame de Châtillon qui fut
chargée de les continuer au nom du prince. «Elle crut, dit la
Rochefoucauld[132], qu'un si grand bien que celui de la paix devait
être l'ouvrage de sa beauté.» Comme il sera souvent question de cette
dame dans nos mémoires, il est nécessaire de rappeler ici son origine.
Élisabeth-Angélique de Montmorency-Bouteville était une des beautés les
plus renommées de la cour d'Anne d'Autriche; elle avait débuté dans le
monde par une aventure romanesque. Elle s'était laissé enlever par le
duc de Coligny, en 1645[133], et elle l'avait épousé malgré l'opposition
du duc de Châtillon, père du ravisseur. Coligny, qui, après la mort de
son père, avait pris le titre de duc de Châtillon, fut tué en 1649 (8
février), dans la guerre de la première Fronde. «Sa femme, dit madame de
Motteville[134], fit toutes les façons que les dames qui s'aiment trop
pour aimer beaucoup les autres ont accoutumé de faire en de telles
occasions.» Ce fut alors que les galanteries de madame de Châtillon
firent un éclat dont les mémoires contemporains sont remplis. Nous
n'avons pas à nous en occuper. Il suffira de dire, avec madame de
Motteville, «que cette dame était belle, galante et ambitieuse, autant
que hardie à entreprendre et à tout hasarder pour satisfaire ses
passions; artificieuse pour cacher les mauvaises aventures qui lui
arrivaient, autant qu'elle était habile à se parer de celles qui étaient
à son avantage. Sans la douceur du ministre, elle aurait sans doute
succombé dans quelques-unes; mais, par ces mêmes voies, elle trouvait
toujours le moyen de se faire valoir auprès de lui, et d'en tirer des
grâces qui ont fait murmurer contre lui celles de notre sexe qui
étaient plus modérées. Le don de la beauté et de l'agrément, qu'elle
possédait au souverain degré, la rendait aimable, aux yeux de tous. Il
était même difficile aux particuliers d'échapper aux charmes de ses
flatteries; car elle savait obliger de bonne grâce et joindre au nom de
Montmorency une civilité extrême qui l'aurait rendue digne d'une estime
tout extraordinaire, si on avait pu ne pas voir en toutes ses paroles,
ses sentiments et ses actions, un caractère de déguisement et des façons
affectées qui déplaisent toujours aux personnes qui aiment la
sincérité.»

Dans les négociations entamées avec Mazarin, madame de Châtillon était
excitée par le désir de s'attacher un héros tel que le prince de Condé,
et aussi par sa haine contre la duchesse de Longueville[135].
«L'émulation, dit la Rochefoucauld, que la beauté et la galanterie
produisent souvent parmi les dames avaient causé une aigreur extrême
entre madame de Longueville et madame de Châtillon. Elles avaient
longtemps caché leurs sentiments; mais enfin ils parurent avec éclat de
part et d'autre, et madame de Châtillon ne borna pas seulement sa
victoire à obliger M. de Nemours de rompre la liaison qu'il avait avec
madame de Longueville, elle voulut ôter aussi à madame de Longueville la
connaissance des affaires et disposer seule de la conduite et des
intérêts de M. le Prince.» Le duc de la Rochefoucauld explique ensuite
qu'il fut, dans cette affaire, un des principaux intermédiaires entre
madame de Châtillon, le prince de Condé et le duc de Nemours; qu'il les
unit dans un même intérêt et porta le prince de Condé à donner à la
duchesse la terre de Merlou[136], qui valait plus de dix mille écus de
rente. On voit que madame de Châtillon n'agissait pas par un amour
désintéressé des princes et de la paix. En général, ce qui domine dans
la conduite de cette noble dame, ce n'est pas la générosité; elle se
montra toujours âpre au gain et subordonna toutes ses passions à
l'avarice. Munie d'un pouvoir illimité des princes, elle se rendit à la
cour. Mazarin la flatta et la combla d'espérances. Peut-être même
parvint-il à en faire une des auxiliaires de sa politique; la conduite
équivoque de madame de Châtillon a donné lieu de suspecter sa bonne foi.

Ce qui est certain, c'est que le cardinal tirait des avantages solides
de toutes ces négociations: il gagnait du temps, augmentait les soupçons
des cabales opposées, et il amusait le prince de Condé par l'espérance
d'un traité, pendant qu'on lui enlevait la Guienne et qu'on prenait ses
places. L'armée du roi, commandée par Turenne et d'Hocquincourt, tenait
la campagne; celle des princes, au contraire, était forcée de se
retirer dans Étampes. A Paris, le parlement se séparait de plus en plus
de Condé, et la bourgeoisie commençait à prendre les armes pour mettre
un terme à l'anarchie qu'entretenaient les factieux. Il était temps que
les bons citoyens montrassent quelque énergie pour repousser les dangers
qui les menaçaient: le prévôt des marchands, qui s'était rendu auprès du
duc d'Orléans, pour pourvoir de concert avec lui à l'approvisionnement
de la ville, avait failli être égorgé. La populace l'accabla d'injures
et le poursuivit jusque dans le palais du Luxembourg, qu'habitait le
prince. Gaston d'Orléans, sous prétexte de protéger le prévôt et deux
échevins qui l'accompagnaient, les reconduisit dans la cour du palais où
étaient rassemblés cinq ou six mille factieux, et dit à haute voix: «Je
ne veux pas qu'il leur soit fait aucune injure céans[137].» C'était les
livrer à la fureur populaire dès qu'ils auraient franchi le seuil du
palais. Aussi furent-ils poursuivis par les factieux, qui les auraient
mis en pièces, s'ils n'eussent trouvé asile dans une maison de la rue de
Tournon. «Cette insulte, faite au prévôt des marchands, étonna tous les
honnêtes gens, même du parti des princes[138].» Ainsi parle un grave
magistrat, organe des hommes modérés. Le maréchal de l'Hôpital,
gouverneur de Paris, le conseil de ville, les quarteniers et colonels,
vinrent demander justice au parlement contre l'attentat dont le chef de
la bourgeoisie parisienne avait failli être victime. Le parlement
montra peu d'énergie pour rétablir l'ordre et contenir les factieux;
aussi les bourgeois adoptèrent-ils la résolution de se protéger
eux-mêmes. Ils se firent donner l'ordre par le roi de prendre les armes
et occupèrent aussitôt les portes et tous les postes qui pouvaient
assurer la tranquillité de Paris (5 mai).

Pendant que le crédit des princes déclinait à Paris, leur armée,
surprise par Turenne près d'Étampes (5 mai), essuyait une sanglante
défaite. Le maréchal la força de s'enfermer dans cette ville, l'y tint
assiégée et conçut l'espérance de la détruire entièrement. Le parlement,
qui avait été blessé de ce que les princes avaient négocié avec la cour
sans sa participation, voulut alors prendre l'initiative de la paix, et
avant tout éloigner les troupes qui dévastaient les environs de Paris.
Le procureur général reçut ordre de se rendre à Saint-Germain et de
retracer au roi les doléances de sa bonne ville. Nous avons la harangue
que Nicolas Fouquet prononça dans cette circonstance[139]. Elle est d'un
style plus net et plus clair que celui des discours ordinaires de la
magistrature à cette époque. C'est un spécimen que je crois unique du
talent oratoire de Nicolas Fouquet[140], et c'est ce qui me détermine à
la publier textuellement:

«Sire,

«Votre parlement de Paris m'a envoyé vers Votre Majesté pour la supplier
très-humblement de vouloir accorder un jour à ses députés et à ceux des
autres compagnies pour faire les remontrances qui ont été ordonnées sur
la conjoncture des affaires présentes, et sur la cause des mouvements
dont l'État est misérablement agité. Outre plus, Sire, j'ai été chargé
de faire entendre à Votre Majesté l'extrémité de la misère à laquelle
sont réduits la plupart de vos sujets. Les crimes et les excès des gens
de guerre n'ont plus de bornes; les meurtres, les violements, les
incendies et les sacrilèges ne passent plus que pour des actions
ordinaires; on ne se cache plus pour les commettre, et les auteurs en
font vanité. Les troupes de Votre Majesté, Sire, vivent aujourd'hui dans
une telle licence et un tel désordre, qu'elles n'ont point de honte
d'abandonner leurs quartiers, même pour aller piller ceux de vos sujets
qui se trouvent sans résistance. Les soldats forcent les maisons des
ecclésiastiques, des gentilshommes et de vos principaux officiers, en
plein jour, à la vue de leurs chefs, sans crainte d'être connus et sans
appréhension d'être punis. Les pauvres habitants de la campagne,
misérablement pillés, outragés et massacrés, viennent tous les jours
demander justice à votre parlement, et votre parlement, dans
l'impuissance de la leur rendre, la demande à Votre Majesté pour eux.

«Je n'entreprends point, Sire, de représenter à Votre Majesté le grand
préjudice qu'apportera cette désolation publique à vos affaires et
l'avantage qu'en doivent tirer les ennemis, voyant les lois les plus
saintes publiquement violées, l'impunité des crimes solidement établie,
la source de vos finances tarie, les affections des peuples altérées et
votre autorité méprisée. Je viens seulement convier Votre Majesté, Sire,
au nom de son parlement et de tous ses sujets, de se laisser toucher de
pitié par les cris de son pauvre peuple, d'écouter les plaintes et les
gémissements des veuves et des orphelins, et de vouloir conserver ce qui
reste et qui a pu échapper à la furie de ces barbares qui ne respirent
que le sang et le carnage des innocents, et qui n'ont aucun sentiment
d'humanité. Sire, le mal est grand et pressant; mais il n'est pas sans
remède, si Votre Majesté s'y daigne appliquer sérieusement. C'est un
soin digne de sa générosité et de l'affection paternelle qu'elle doit à
ses sujets.

«Faites, Sire, faites connaître la tendresse de votre bon naturel dans
le commencement de votre règne, et que la compassion que vous aurez de
tant de misérables attire les bénédictions célestes sur les premières
années de votre majorité[141], qui seront sans doute suivies d'un grand
nombre d'autres beaucoup plus heureuses, si les souhaits et les vœux de
votre parlement et de tous vos bons sujets sont exaucés.

«Qu'il plaise à Votre Majesté, Sire, en attendant ce grand et seul
remède à nos malheurs présents, que demanderont au premier jour toutes
les compagnies de votre bonne ville de Paris, faire vivre au moins les
gens de guerre en quelque sorte de discipline, faire observer les
ordonnances, contenir les soldats et leurs officiers dans les quartiers,
punir les criminels et enfin obliger les chefs et commandants, sans
distinction des personnes, à livrer les coupables à la justice pour être
châtiés, ou demeurer responsables, en leurs propres et privés noms, de
tous les désordres qui auront été commis. Ce sont les très-humbles
supplications que votre parlement de Paris fait à Votre Majesté par ma
bouche.»

Ces remontrances ayant produit peu d'effet, le parlement renvoya les
gens du roi à Saint-Germain, où était Louis XIV, et les chargea de
demander expressément que les troupes fussent éloignées à dix lieues au
moins de Paris[142]. Au retour de cette mission, Nicolas Fouquet en
rendit compte au parlement. La relation, écrite entièrement de sa main,
est parvenue jusqu'à nous[143]:

«Nous partîmes vendredi au soir (10 mai), M. Bignon et moi, pour aller à
Saint-Germain, en exécution de l'arrêt rendu le même soir, et arrivâmes
fort tard. Nous ne pûmes voir M. le garde des sceaux[144], qu'il ne fût
près d'onze heures, au retour du conseil. Dès ce soir-là nous fîmes
entendre à mondit sieur le garde des sceaux le sujet de notre voyage et
l'intention de la compagnie pour l'éloignement des gens de guerre, et
parce que nous avions appris, depuis notre arrivée, qu'il y avait eu des
troupes commandées pour faire, cette nuit même, l'_attaque du pont de
Saint-Cloud_[145], nous fîmes nos efforts pour faire changer cette
résolution, dans l'appréhension que nous eûmes que les affaires ne se
portassent dans l'aigreur à cette occasion. Nous ne pûmes obtenir, pour
ce soir, ce que nous demandions, pour ce qu'il était trop tard, et que
l'on nous dit la chose engagée et peut-être faite; mais on nous fit
espérer de surseoir ce qui resterait.

«Le lendemain nous eûmes notre audience entre trois et quatre heures
après midi, et nous fûmes conduits à la chambre du sieur Duplessis[146],
secrétaire d'État, par le sieur Saintot, maître des cérémonies, et de là
dans le cabinet du roi, dans lequel nous fûmes introduits par ledit
sieur Duplessis. Dans le cabinet, le roi était assis et la reine à côté.
M. le duc d'Anjou[147] y était, M. le garde des sceaux, M. le prince
Thomas[148], MM. de Bouillon, de Villeroy, du Plessis-Praslin, Servien,
M. le surintendant[149], les quatre secrétaire d'État[150]. Nous nous
approchâmes du roi et lui fîmes entendre en peu de mots le sujet pour
lequel nous étions envoyés, suppliâmes Sa Majesté de vouloir délivrer sa
bonne ville de Paris de l'oppression en laquelle elle se trouvait
réduite par le séjour des troupes dans son voisinage, d'avoir la bonté
de les éloigner de dix lieues à la ronde au moins, et par ce moyen
faciliter le passage des vivres, la liberté du commerce et rétablir
l'abondance nécessaire à un si grand peuple; que le parlement demandait
seulement l'exécution des paroles portées, au nom de Sa Majesté, par M.
le maréchal de l'Hôpital, puisque l'occasion pour laquelle lesdites
troupes s'étaient approchées cessait au moyen de la déclaration faite le
jour précédent par M. le Prince en l'assemblée des chambres du
parlement, tant au nom de M. le duc d'Orléans qu'au sien, de retirer en
même temps les troupes sur lesquelles ils ont pouvoir; que pour le
surplus de ce qui nous était ordonné touchant la pacification des
troubles de son royaume, la cause et les remèdes, nous ne pouvions rien
ajouter aux remontrances faites depuis peu par les députés du parlement,
dont nous étions chargés de demander la réponse, et supplier Sa Majesté
de la vouloir rendre au plus tôt.

«Le roi nous dit que M. le garde des sceaux nous ferait entendre sa
volonté; lequel incontinent nous dit que le roi était dans l'intention
de donner à sa bonne ville de Paris, et à l'intercession du parlement,
toute la satisfaction que l'on pouvait attendre pour l'éloignement des
gens de guerre, lesquels ne s'en fussent point approchés si les autres
troupes ne se fussent saisi des passages, n'eussent empêché le commerce
ordinaire, pris des prisonniers, obligé d'avoir des passe-ports pour
venir trouver le roi; qu'il ne tiendrait pas à Sa Majesté que l'on ne
fit cesser tous ces actes d'hostilité dans Paris et dans les dix lieues
à la ronde, et que l'abondance, la paix et la tranquillité ne fussent
rétablies. Néanmoins, avant que nous rendre la réponse précise, puisque
Sa Majesté apprenait, par l'arrêt du parlement, que le maréchal de
l'Hôpital et un député, de la part de M. le duc d'Orléans, devaient
venir pour le même sujet, que Sa Majesté enverrait l'ordre audit sieur
maréchal et un passe-port, le nom en blanc, pour celui que Monsieur
voudrait nommer, et cependant que nous eussions à demeurer jusqu'à leur
arrivée; que l'on avait eu regret que l'affaire de Saint-Cloud fût
engagée avant notre arrivée; mais que, si nous étions venus par le
chemin ordinaire, nous avions pu voir filer les troupes qui étaient
commandées depuis longtemps, et que, pour ce qui restait à exécuter, le
roi ferait surseoir l'exécution des ordres qui étaient donnés.

«Le roi fit souvenir ensuite M. le garde des sceaux de parler de madame
de Bouillon[151], lequel nous dit que Sa Majesté trouvait étrange
qu'elle fût retenue prisonnière et qu'on eût souffert qu'une personne de
sa condition, sortant de la ville sous la foi des passe-ports, fût
maltraitée comme elle avait été. Nous répondîmes au roi que cette
affaire n'était point de notre connaissance, et que le parlement n'y
avait point de part; mais que, puisqu'il plaisait au roi nous
l'ordonner, nous en ferions rapport à la compagnie.

«Nous fûmes invités de grand nombre de personnes de qualité et de la
plupart de ceux que nous avons nommés, qui composent le conseil du roi,
lesquels voulurent rendre leurs respects et leurs civilités au parlement
en nos personnes. Nous passâmes ainsi le samedi et le dimanche matin,
attendant M. le maréchal de l'Hôpital, lequel n'arriva qu'environ le
midi avec le sieur comte de Béthune, envoyé par M. le duc d'Orléans, et
vinrent ensemble sur les trois heures, par ordre du roi, chez M. le
garde des sceaux, où nous avions dîné, pour conférer avec mondit sieur
le garde des sceaux, M. de Bouillon, M. le maréchal de Villeroy, les
sieurs le Tellier et Duplessis-Guénégaud, secrétaires des commandements
du roi, lesquels avaient eu ordre pareillement de s'y trouver.

«Après que nous eûmes de nouveau fait entendre le contenu en l'arrêt de
la cour et la supplication que nous étions chargés de faire au roi,
d'éloigner toutes les troupes dix lieues à la ronde de Paris, et que M.
le maréchal eut insisté à la même proposition, le comte de Béthune fit
entendre qu'il avait charge de M. le duc d'Orléans et de M. le Prince
d'assurer le roi qu'aussitôt que les troupes seraient retirées ils
feraient aussi retirer celles qu'ils avaient dans Paris et aux environs,
en leur donnant les passe-ports et escortes nécessaires pour aller en
sûreté à Étampes. A quoi il fut répondu par M. le garde des sceaux que
c'était une condition nouvelle dont M. le Prince n'avait point parlé
dans le Parlement; qu'il était juste de donner à ces troupes passe-ports
et escorte; mais de les conduire à Étampes, il n'était pas raisonnable,
puisque c'était une place attaquée ou qui le serait dans peu de jours,
et que, s'il voulait dire le nombre d'hommes pour l'exprimer dans les
passe-ports, on aviserait, suivant la quantité des troupes, du lieu où
elles seraient conduites. A quoi le comte de Béthune ayant reparti qu'il
n'avait aucune connaissance du nombre d'hommes, et qu'il ne le pouvait
apprendre sans aller à Paris, ou y envoyer un exprès, et que d'ailleurs
son ordre portait ce qu'il avait déjà dit pour Étampes et qu'il ne
pouvait s'en relâcher en aucune manière, M. le garde des sceaux dit
qu'il en ferait son rapport au roi pour connaître sa volonté.

«Le lendemain matin, mardi, nous fûmes avertis que le roi nous donnerait
audience à l'issue de son dîner, et sur les trois heures nous fûmes
conduits dans le cabinet du roi, en la même manière, et où étaient les
mêmes personnes que la première fois. Le roi nous dit que nous verrions
son intention dans un écrit qu'il nous mit entre les mains, et ensuite,
après avoir pris congé de Sa Majesté, nous partîmes le même jour et
vînmes coucher en cette ville.» La réponse remise aux députés contenait,
en substance, que l'armée royale s'éloignerait à dix lieues de Paris,
pourvu que le duc d'Orléans et le prince de Condé éloignassent de même
leurs troupes. Quant aux questions qui concernaient la pacification
générale du royaume, le parlement devait envoyer à Saint-Germain deux
présidents et deux conseillers qui entendraient la volonté du roi[152].

Ces négociations, conduites sans bonne foi et sans amour sincère de la
paix, n'étaient destinées qu'à amuser et à gagner les magistrats. Elles
couvraient des conférences plus sérieuses, où le procureur général
traitait directement avec Mazarin. Nicolas Fouquet y obtint qu'on
s'occupât de l'échange de son frère, qui était toujours prisonnier des
princes. Le cardinal écrivit le 12 mai à l'abbé Fouquet: «Le roi
trouvera bon de vous échanger avec une personne de qualité et de votre
profession. Il faudrait que ce fût madame de Puisieux[153] qui le fit
proposer à M. le Prince, et il semble qu'il n'y aurait aucune raison
pour rompre cet échange.» En effet, l'abbé Fouquet ne tarda pas à être
mis en liberté. Les lettres du cardinal attestent aussi que la cour
était très-disposée à accueillir et à flatter les députés du parlement.
Il devenait chaque jour plus facile de ramener les principaux membres de
ce grand corps, fatigué de la tyrannie des princes et des violences de
leur faction. Quant au duc d'Orléans et au prince de Coudé, ils parurent
indignés des négociations de la cour avec le parlement, rompirent toutes
les conférences et reprirent les armes[154].



CHAPITRE VI

MAI-JUIN 1652

Condé s'empare de la ville de Saint-Denis (11 mai), qui est bientôt
reprise par l'armée royale (13 mai).--les princes s'adressent au
duc de Lorraine, qui s'avance jusqu'à Lagny à la tête d'une petite
armée.--Son arrivée à Paris (1er juin).--Caractère de ce duc et
de ses troupes.--Frivolité apparente du duc de Lorraine.--Ses
temporisations affectées.--Il négocie avec la cour par
l'intermédiaire de madame de Chevreuse et de l'abbé
Fouquet.--Intimité de l'abbé Fouquet avec mademoiselle de
Chevreuse.--Lettre de l'abbé Fouquet à Mazarin (4 juin) sur les
négociations de madame de Chevreuse avec le duc de
Lorraine.--Lettre de Mazarin à madame de Chevreuse (5
juin).--Traité signé avec le duc de Lorraine (6 juin).--Part qu'y a
la princesse du Guéménée (Anne de Rohan).--Le duc de Lorraine
s'éloigne de Paris.--Misère de cette ville.--Procession de la
châsse de sainte Geneviève (11 juin).--Conduite du prince de Condé
à cette occasion.--Murmures et menaces contre le
parlement.--Violences exercées contre les conseillers (21
juin).--Mazarin encourage l'abbé Fouquet à exciter le peuple contre
le parlement.--Tumulte du 23 juin.--Danger que court le procureur
général Nicolas Fouquet.--Les deux armées se rapprochent de Paris.


Les troupes royales, campées à Saint-Germain, s'étaient avancées
jusqu'au pont de Saint-Cloud, dans l'espérance de s'en emparer sans
résistance. A cette nouvelle, Condé se hâta de se porter vers le bois de
Boulogne, et les Parisiens le suivirent en grand nombre[155]. Mais déjà
les troupes royales s'étaient retirées, sur un ordre venu de
Saint-Germain. Condé, voulant profiter de l'ardeur des soldats et des
bourgeois qui l'avaient accompagné, les mena à Saint-Denis, qui n'était
défendu que par un petit nombre de Suisses. Cette ville fut enlevée sans
difficulté (11 mai); mais deux jours après un des généraux de l'armée
royale, Miossens, qui devint plus tard le maréchal d'Albret, la reprit
aussi aisément. La bourgeoisie parisienne sortit pour le combattre, mais
à la première charge de la cavalerie ennemie elle tourna le dos[156]. On
ne fit que rire à Paris de cette expédition, et les bourgeois qui
jouaient au soldat devinrent l'objet de railleries, dont Loret s'est
fait l'écho dans sa _Muse historique_ du 19 mai:

    ...Étant dans leurs familles
    Avec leurs femmes et leurs filles,
    Ils ne disaient parmi les pots
    Que mots de guerre à tous propos:
    Bombarde, canon, couleuvrine,
    Demi-lune, rempart, courtine...
    Et d'autres tels mots triomphants,
    Qui faisaient peur à leurs enfants.

Avec de pareils soldats, Condé ne pouvait espérer soutenir son ancienne
gloire militaire. Quant à sa véritable armée, elle était bloquée à
Étampes et vivement pressée par Turenne. Dans cette situation critique,
il s'adressa à un prince étranger, Charles IV, duc de Lorraine, beau
frère du duc d'Orléans. Charles de Lorraine, dépouillé depuis longtemps
de ses États par Richelieu, menait la vie errante d'un aventurier à la
tête d'une petite armée, composée de vieux et bons soldats. Il
s'empressa de répondre à l'appel des princes, s'avança jusqu'à Lagny, à
la tête de huit cents hommes[157], y fit camper ses troupes, et se
rendit lui-même à Paris (1er juin). Il trouva sur la route le duc
d'Orléans et le prince de Condé, qui étaient venus jusqu'au Bourget pour
le recevoir. A Paris, le peuple manifesta la joie la plus vive de
l'arrivée de ce belliqueux auxiliaire. Sur le pont neuf, ce n'étaient
que mousquetades en l'honneur des Lorrains[158]. Le bon peuple de Paris
ne se doutait guère du caractère des alliés qu'il fêtait. Le duc de
Lorraine, habitué depuis longues années à la vie des camps, affichait
dans sa conduite et dans ses paroles un cynisme effronté. Il cachait,
sous une légèreté moqueuse, l'ambition et l'avidité d'un chef de
mercenaires; se jouait de sa parole et négociait avec Mazarin en même
temps qu'avec les princes. Ses soldats, habitués aux horreurs de la
guerre de Trente-Ans, étaient des pillards impitoyables[159], et il ne
fallut pas longtemps au peuple des campagnes pour en faire la triste
expérience.

Quant au duc, on prit d'abord ses façons brusques et libres pour la
franchise originale d'un soldat. Les dames surtout s'y laissèrent
séduire[160]. Le duc de Lorraine logea au palais du Luxembourg,
qu'habitaient son beau-frère et sa sœur, Gaston d'Orléans et Marguerite
de Lorraine. Après quelques jours donnés aux plaisirs, les princes
voulurent aller au secours d'Étampes; mais leur allié prenait tout sur
un ton de raillerie, chantait et se mettait à danser, «de sorte, dit
mademoiselle de Montpensier[161], que l'on était contraint de rire.» Le
duc d'Orléans l'ayant envoyé chercher un jour que le cardinal de Retz
était dans son cabinet, et voulant lui parler d'affaires, il répondit:
«Avec les prêtres, il faut prier Dieu; que l'on me donne un
chapelet[162].» Quelque temps après arrivèrent mesdames de Chevreuse et
de Montbazon, renommées par leur beauté et leur galanterie. Comme on
tenta encore de parler de choses sérieuses, le duc de Lorraine prit une
guitare, et leur dit: «Dansons, mesdames; cela vous convient mieux que
de parler d'affaires[163].» Pour échapper aux instances de mademoiselle
de Montpensier, il affectait un amour passionné pour madame de
Frontenac, _une des maréchales de camp_ de la princesse.

Cette apparence de frivolité couvrait, comme nous l'avons dit, beaucoup
de finesse, d'astuce et même de duplicité. Le duc de Lorraine n'avait
pas tardé à voir où était la force réelle. Du côté des princes, il n'y
avait que divisions. Gaston d'Orléans était jaloux du prince de Condé;
la duchesse d'Orléans détestait sa belle-fille, mademoiselle de
Montpensier, et servait le parti de la cour. Au contraire, la cause
royale, dirigée par Mazarin, présentait plus d'unité dans les vues, et
des espérances plus solides. La personne qui servit, dans cette
circonstance, à gagner complétement Charles IV fut madame de Chevreuse;
depuis près d'une année, elle s'était ralliée à la cause royale et la
servait avec zèle et habileté. Elle était entourée de _Mazarins_;
Laigues, qui la gouvernait à cette époque ([164]), était dévoué au
cardinal, et l'abbé Fouquet, qui s'était introduit dans son intimité,
exerçait un grand empire sur mademoiselle de Chevreuse, Charlotte de
Lorraine([165]). Madame de Chevreuse obtint d'abord que le duc, bien
loin de marcher en toute hâte au secours d'Étampes, traînerait en
longueur. Dès le 4 juin, l'abbé Fouquet en avertit Mazarin: «Madame de
Chevreuse a tiré parole de M. de Lorraine qu'il serait six jours dans sa
marche; qu'après-demain il séjournerait tout le jour, et qu'aujourd'hui
il ne ferait partir de Lagny que la moitié de son armée, quoiqu'il lui
fût aisé de faire partir le tout. Si dans l'intervalle on pouvait
achever l'affaire d'Étampes (s'en emparer), il en serait ravi, car il
est tout à fait dans les intérêts de la reine. Mais, si on ne le peut en
ce temps-là, il pense qu'il sera aisé de faire une proposition pour la
paix générale de concert avec lui, et il s'engage à servir la reine
comme elle le pourra souhaiter. Madame de Chevreuse dit qu'il serait bon
que la reine l'en remerciât par écrit. Elle pense que, si l'on envoyait
Laigues avec une résolution certaine sur Vie et Moyenvie (places que
réclamait le duc de Lorraine), on aurait contentement; il est nécessaire
de donner une réponse précise au plus tôt. Il faut que Votre Éminence,
si elle veut songer à cette affaire, fasse témoigner à M. de Lorraine
qu'elle servira ses enfants. C'est là tout son désir. Il serait bon que
Votre Éminence écrivit à madame de Chevreuse pour la remercier. Elle a
gagné deux jours sur l'esprit de M. de Lorraine.» Cette lettre
confidentielle prouve que le cardinal de Retz, qui parle dans ses
Mémoires de la négociation de madame de Chevreuse ([166]), n'en
connaissait pas les détails. Il est vrai qu'il avoue qu'à cette époque
il ne fréquentait plus guère l'hôtel de Chevreuse, et il laisse percer,
malgré lui, son dépit de n'avoir été «du secret ni de la mère ni de la
fille ([167]).» Mazarin s'empressa de profiter de l'ouverture de l'abbé
Fouquet, et la lettre qu'il adressa à madame de Chevreuse prouve quel
cas il faisait de ses services: «Le sieur de Laigues, lui écrivait-il le
5 juin, vous dira toutes choses pour ce qui regarde les affaires
générales. A quoi je n'ajouterai rien; mais je ne puis m'empêcher de
vous témoigner moi-même par ces lignes la satisfaction que j'ai de tout
ce que vous avez fait avec M. de Lorraine. Je n'ai point douté que vous
ne fissiez plus d'impression que personne sur son esprit; je suis ravi
de vous voir entièrement disposée pour le service du roi, et pour mon
intérêt particulier. J'espère une bonne suite de cette négociation, et
qu'elle se terminera avec beaucoup de gloire et d'avantage pour M. de
Lorraine, avec le rétablissement du repos de la France, et peut-être de
toute la chrétienté. Je vous prie de l'assurer bien expressément de la
continuation de mon estime et de mon amitié, et de le remercier, de ma
part, de tous les sentiments qu'il vous a déclaré si obligeamment avoir
pour moi.»

L'ancien garde des sceaux, Châteauneuf, qui était toujours resté en
relation avec madame de Chevreuse, fut chargé de régler les conditions
du traité avec le duc de Lorraine. Tout fut terminé dès le lendemain 6
juin, et, le même jour, Châteauneuf écrivait à la reine: «M. de Lorraine
est venu céans sur les dix heures, et nous sommes convenus des articles
que j'envoie à Votre Majesté; ils sont à peu près selon l'intention de
Sa Majesté et le pouvoir qu'Elle m'a donné. L'armée, qui est devant
Étampes, peut tout tenter jusqu'à mardi, quatre heures du matin; car,
encore que le jour du lundi[168] soit exprimé dans le traité, j'ai
retiré de M. de Lorraine un écrit particulier que ce mot de lundi
s'entend tout le jour, et il suffit que l'armée se retire le mardi à
quatre heures du matin; ainsi elle a le lundi tout entier. Je n'ai fait
la suspension d'armes que pour dix jours; et, si l'armée des princes
sort d'Étampes, celle de Votre Majesté la peut suivre toujours à quatre
lieues près. Si elle est suivie, elle est perdue en l'état qu'elle est,
et, cela cédé, M. de Lorraine obligera les princes à se soumettre à
telles conditions qu'il plaira à Votre Majesté. Aussitôt que le siège
d'Étampes sera levé, M. de Lorraine fait état d'aller saluer Vos
Majestés, et leur proposer son entremise pour la paix d'Espagne et celle
des princes. Après quoi, dit-il, il suppliera Vos Majestés de lui donner
la sienne et le recevoir à votre service envers tous, excepté les
Espagnols. Il m'a dit que jusqu'ici ni Monsieur ni M. le Prince ne
savaient rien de ces articles; qu'il voulait sortir de Paris, et que de
son camp il leur en donnerait part. Je doute de cela, et la suite nous
le fera connaître. J'ai promis d'ici à demain, qui est le 7, de lui
donner la ratification des articles, si Votre Majesté les a agréables.»

Ainsi, les conditions arrêtées étaient: 1° la levée du siège d'Étampes
qui devait avoir lieu le 10 juin; 2° une suspension d'armes de dix
jours, pendant laquelle les années resteraient à une distance d'au moins
quatre lieues l'une de l'autre; 3° la retraite du duc de Lorraine, qui
devait s'effectuer en quinze jours, par une route déterminée à l'avance,
et sans qu'il fût inquiété par les troupes royales. Les conditions
furent exécutées au grand étonnement des Frondeurs, qui s'aperçurent
trop tard qu'ils avaient été joués par le duc de Lorraine. «Tout Paris,
dit mademoiselle de Montpensier ([169]), était dans des déchaînements
horribles contre les Lorrains; personne ne s'osait dire de cette nation
de peur d'être noyé.»

Outre la duchesse de Chevreuse, la cour avait employé dans cette
négociation une autre dame également renommée pour sa beauté et sa
galanterie. C'était madame de Guéménée (Anne de Rohan), que les Mémoires
de Retz font parfaitement connaître. L'abbé Fouquet entretenait aussi
des relations avec cette dame, et ce fut sans doute lui qui la détermina
à servir la cour. On cacha à madame de Chevreuse cette nouvelle
intrigue; mais elle est parfaitement constatée par les lettres de
Mazarin. Il écrivait le 9 juin à l'abbé Fouquet: «Je vous fais seulement
ces trois mots pour vous dire dans la dernière confidence que M. de
Lorraine m'a écrit, et a fait dire à la reine que madame la princesse de
Guéménée a fort bien agi, et comme une personne tout à fait servante de
Sa Majesté et de mes amies particulières. La reine serait bien aise
qu'elle pût trouver quelque prétexte de venir ici pour y être en même
temps que M. de Lorraine, qui y sera demain, au moins à ce qu'il m'a
promis. Je recevrai beaucoup de joie d'avoir l'honneur de l'entretenir.
Sur tout, je vous prie, si elle veut prendre cette peine, qu'elle fasse
la chose en sorte que madame de Chevreuse ne puisse point pénétrer qu'on
l'ait invitée d'ici à y venir, et le secret en ceci est fort important.»

Tout réussit, comme le cardinal l'avait espéré, et le duc de Lorraine,
après avoir fait quelques démonstrations pour secourir Étampes,
s'éloigna de Paris, laissant les campagnes désolées. Mazarin a bien
soin, dans ses lettres, de rejeter ces calamités sur les princes. Il
écrivait à l'abbé Fouquet: «Vous aurez déjà su, je m'assure, à Paris, ce
qui s'est passé avec M. de Lorraine, et avec combien de sincérité on a
procédé avec lui, puisque M. de Turenne pouvant lui faire courir grand
risque, comme lui-même et le roi d'Angleterre ([170]) l'avoueront, il a
préféré à cet avantage l'exécution des ordres de la cour, qui lui
défendaient d'attaquer ledit sieur duc; mais il demanda qu'il voulût
rompre son pont, séparer ses troupes d'avec celles des princes et se
retirer à la frontière, comme il s'est engagé de faire. Il ne parle
point de venir à la cour; mais il assure qu'il est plus résolu que
jamais d'achever son accommodement particulier, étant bien persuadé de
l'avantage qu'il y trouvera, et que l'on veut traiter à la cour de bonne
foi. Les environs de Paris ne perdront pas à son éloignement, et il sera
bon de faire valoir que j'y ai contribué.»

La misère des campagnes fut en effet un peu allégée par le départ du duc
de Lorraine; mais la situation de Paris était toujours déplorable. Le
nombre des pauvres s'y accroissait d'une manière effrayante. On eut
recours, dans ces calamités, à sainte Geneviève, patronne de la
capitale. La châsse de cette sainte fut promenée dans la ville le 11
juin avec un cérémonial dont les Mémoires du temps nous ont laissé une
ample description ([171]). Le prévôt des marchands demanda et obtint,
pour cette procession, l'autorisation du chapitre de Notre-Dame et des
religieux de Sainte-Geneviève, puis s'adressa au parlement, qui fixa
l'époque de la cérémonie. Après un jeûne de trois jours, les religieux
de Sainte-Geneviève descendirent la châsse à une heure après minuit. Le
lieutenant civil d'Aubray, le lieutenant criminel, le lieutenant
particulier et le procureur du roi[172] la prirent en leur garde, en
répondirent à la communauté, et se tinrent pendant la procession autour
de la châsse. La marche était ouverte par les quatre ordres de religieux
mendiants, savoir: les cordeliers ou franciscains, les jacobins ou
dominicains, les augustins et les carmes. Venait ensuite le clergé des
principales paroisses subordonnées à Notre-Dame, avec les châsses
célèbres de saint Magloire, saint Médéric ou saint Merry, de saint
Landry, sainte Avoie, sainte Opportune, saint Marcel, et enfin la châsse
de sainte Geneviève portée par des bourgeois de Paris. L'abbé de
Sainte-Geneviève et les religieux, pieds nus, marchaient à la droite de
la châsse. A gauche se trouvait le clergé de Notre-Dame. Le parlement
suivait; on y remarquait les présidents de Bailleul, de Nesmond, de
Maisons, de Mesmes et le Coigneux. Le maréchal de l'Hôpital, gouverneur
de Paris, marchait entre les deux premiers présidents. Le parquet,
composé du procureur général, Nicolas Fouquet, et des avocats généraux,
Bignon et Talon, figura aussi à cette cérémonie, ainsi que la chambre
des comptes, la cour des aides, le prévôt des marchands, les échevins
et le conseil de ville.

«Pendant cette pieuse action, dit madame de Motteville[173], M. le
Prince, pour gagner le peuple et se faire roi des halles aussi bien que
le duc de Beaufort, se tint dans les rues et parmi la populace, tandis
que le duc d'Orléans et tout le monde était aux fenêtres pour voir
passer la procession. Quand les châsses vinrent à passer, M. le Prince
courut à toutes avec une humble et apparente dévotion, faisant baiser
son chapelet et faisant toutes les grimaces que les bonnes femmes ont
accoutumé de faire. Mais, quand celle de Sainte-Geneviève vint à passer,
alors comme un forcené, après s'être mis à genoux dans la rue, il courut
se jeter entre les prêtres; et, baisant cent fois cette sainte châsse,
il fit baiser encore son chapelet et se retira avec l'applaudissement du
peuple. Ils criaient tous après lui, disant: «Ah! le bon prince, et
qu'il est dévot!» Le duc de Beaufort, que M. le Prince avait associé à
cette feinte dévotion, en fit de même, et tous deux reçurent de grandes
bénédictions, qui, n'étant pas accompagnées de celles du ciel, leur
devaient être funestes sur la terre. Cette action parut étrange à tous
ceux qui la virent. Il fut aisé d'en deviner le motif qui n'était pas
obligeant pour le roi; mais il ne lui fit pas grand mal.»

Le peuple de Paris avait été un instant distrait de sa misère par ces
cérémonies religieuses; mais, comme il n'en recevait aucun soulagement,
il commença à éclater en murmures, à entourer le parlement et à le
menacer. Vainement le 18 juin on tint une grande assemblée où l'on
appela toutes les communautés ecclésiastiques, pour tâcher de soulager
les pauvres, dont la multitude s'accroissait chaque jour[174]. Les
secours étaient impuissants pour remédier à tant de maux, et le
parlement devenait de plus en plus impopulaire. C'était la conséquence
inévitable de la fausse position d'un corps qui proscrivait le cardinal
Mazarin et repoussait en même temps l'alliance des princes qui voulaient
l'entraîner à la guerre civile. Il était attaqué par les deux partis
extrêmes. Le 21 juin, la salle du Palais fut envahie par la populace;
les uns criaient: _Point de Mazarin_! les autres: _La paix_[175]! Les
seconds étaient, disait-on, des émissaires de l'abbé Fouquet. Depuis
qu'il avait recouvré la liberté, l'abbé se montrait plus ardent que
jamais pour la cause de Mazarin. Il avait recruté parmi la populace un
grand nombre de gens de sac et de corde, qu'il lançait contre le
parlement. Toutes les boutiques qui entouraient le Palais se fermèrent
au milieu de ce tumulte, le commerce qui souffrait depuis longtemps fut
ruiné, et la bourgeoisie commença à se joindre avec énergie à ceux que
l'abbé Fouquet payait pour demander la paix. Le parlement, menacé tout à
la fois par les partisans des princes et par les émissaires de l'abbé
Fouquet, n'avait pas de défenseurs capables d'opposer la force à la
force. Lorsque les conseillers sortirent de cette séance du 21 juin,
ils furent violemment assaillis[176]. Le même jour, le duc de Beaufort
réunit sa faction, l'après-dinée, à la place Royale, et promit de donner
une liste des _Mazarins_, dont les maisons devaient être livrées au
pillage[177].

Tel était, en juin 1652, le spectacle que présentait Paris, misère
profonde et irrémédiable, pillages, violences, tyrannie des factions,
impuissance des modérés[178]. Le parlement vint demander appui au duc
d'Orléans; mais, en sortant du Luxembourg, le président de Longueil, un
des chefs de la députation, fut attaqué, injurié et poursuivi à coups de
pierre[179]. Il fut contraint de se réfugier dans une maison où le
prince de Condé alla le délivrer. Le cardinal Mazarin, dont le parlement
avait mis la tête à prix, n'était pas fâché de voir ce corps réduit à
une aussi déplorable condition. Il écrivait, le 21 juin, à l'abbé
Fouquet: «J'ai reçu votre billet d'hier, que j'ai lu au roi et à la
reine. Leurs Majestés ont une entière satisfaction des diligences que
vous faites pour fomenter la disposition qui commence à paraître, dans
l'esprit du peuple, de demander hautement la paix. Je n'ai pas manqué de
leur faire valoir le zèle avec lequel M. le procureur général, M. le
prévôt des marchands, M. Villayer, M. de la Barre (fils du prévôt des
marchands), s'y emploient aussi. Je ne fais point réponse à madame de
Chevreuse, parce que n'ayant point de chiffre avec elle, je ne le
pourrais faire par cette voie, qui n'est point tout à fait sûre, sans
courir risque que cela lui préjudiciât dans cette conjoncture; mais vous
lui pourrez dire que j'ai lu sa lettre à la reine, qui a tout le
ressentiment imaginable de la manière dont elle agit. Sa Majesté désire
qu'elle demeure à Paris, parce que sa présence et ses soins peuvent être
utiles, en diverses rencontres, au bien des affaires; et pour les
menaces que lui fait M. le Prince, je pense qu'elle n'en a pas grande
peur, n'y ayant guère d'apparence qu'elles soient suivies d'aucun effet.
J'ai la même opinion à votre égard et des autres personnes qui lui sont
suspectes.

«On continue toujours de parler d'accommodement; mais il n'est pas près
d'être conclu, les princes insistant sur des conditions plus
préjudiciables au roi que la continuation de la guerre, quand même les
armes de Sa Majesté auraient de mauvais succès. C'est pourquoi vous
devez continuer, ce que vous avez commencé, de distribuer de l'argent
pour faire crier à la paix et d'afficher des placards, parce que cela
excitant le peuple pourra rendre les princes plus traitables et
faciliter l'accommodement, et vous pouvez bien croire que, s'il était en
l'état que l'on vous a dit, je vous en aurais mandé quelque chose. Il
serait bon de débaucher les cavaliers de l'armée des princes. Si vous
savez quelqu'un propre pour cela, vous l'y pourrez envoyer avec quelque
argent. Je serais bien aise de pouvoir, par ce moyen, remplir bientôt
mes compagnies de gendarmes et de chevau-légers.» En terminant, Mazarin
recommandait encore à l'abbé Fouquet de continuer à distribuer de
l'argent pour exciter le peuple à demander la paix à grands cris. Basile
Fouquet ne manqua pas de suivre les instructions du cardinal.

De son côté, le duc de Beaufort ameuta la canaille, qui, le 25 juin,
entoura le parlement, fit entendre des cris de menace et de mort, et,
malgré la protection des milices bourgeoises, insulta les conseillers au
moment où ils sortirent du Palais. «Il n'y eut pas un seul conseiller,
dit Omer-Talon[180], qui, étant reconnu pour tel (car plusieurs étaient
travestis), ne souffrît injures, malédictions, coups de poing ou coups
de pieds ou de bâton, et qui ne fût traité comme un coquin. Quatre de
messieurs les présidents furent attaqués de coups de fusil, coups de
pierre, coups de hallebarde, et, s'ils ne furent pas blessés, c'est une
espèce de merveille, parce que ceux qui étaient à leurs côté ou derrière
eux furent tués avec fureur, toutes les fenêtres et les toits des
maisons étant pleins de personnes qui criaient qu'il fallait tout tuer
et assommer; et tout ce peuple ainsi ému ne savait ce qu'il désirait ni
ce qu'il voulait demander, sinon qu'il voulait la paix ou que l'on fit
l'union avec les princes.» Les compagnies de la milice bourgeoise en
vinrent elles-mêmes aux mains sous un prétexte frivole, et, comme une de
ces compagnies était commandée par le conseiller Ménardeau-Champré, on
fit à cette occasion une Mazarinade sous le titre de _Guerre des
Ménardeaux_[181].

Le procureur général, Nicolas Fouquet, courut un sérieux danger dans
cette émeute. On tira sur le carrosse où il se trouvait. Mazarin, qui
était alors à Melun, écrivait le lendemain, 26 juin, à l'abbé Fouquet:
«Par le péril qu'a couru M. votre frère, parce qu'il était dans votre
carrosse et par les autres circonstances que vous me marquez, je suis
dans des transes continuelles de ce qui vous peut arriver, et, quoique
vos soins soient plus utiles que jamais dans les conjonctures présentes,
je ne puis m'empêcher de vous conjurer de vous ménager un peu et de
donner quelques limites à votre zèle, en sorte qu'il ne vous fasse pas
exposer à des dangers trop évidents. On suivra l'avis de s'approcher le
plus qu'on pourra de Paris, et cette approche, jointe aux forces du roi,
à la bonne disposition qui commence à paraître dans les esprits à Paris,
et aux diligences que les serviteurs du roi feront de leur côté, y
pourra peut-être causer une révolution favorable aux affaires de Sa
Majesté.» L'armée royale, commandée par Turenne, se rapprocha, en effet,
de Paris, et vint camper à Saint-Denis. Les princes, de leur côté,
amenèrent à Saint-Cloud les troupes qui avaient été assiégées dans
Étampes, et auxquelles le traité conclu avec le duc de Lorraine avait
rendu la liberté. Il était impossible que ces deux armées, ainsi
rapprochées, n'en vinssent pas bientôt aux mains. On touchait à la crise
définitive de cette lutte acharnée, mêlée d'incidents burlesques et de
scènes sanglantes.



CHAPITRE VII

--JUILLET 1652--

Marche de l'armée des princes sous les murs de Paris (2
juillet).--Avis donné par Nicolas Fouquet.--L'armée des princes est
attaquée par Turenne.--Escarmouches au lieu dit la _Nouvelle
France_ et aux Récollets.--Combat de la porte
Saint-Antoine.--Danger du prince de Condé et de son armée.--Il est
sauvé par mademoiselle de Montpensier.--La paille adoptée comme
signe de ralliement des Frondeurs.--Assemblée générale de l'Hôtel
de Ville (4 juillet).--Tentative d'incendie.--Résistance des
archers de la ville.--Meurtre de plusieurs conseillers.--L'Hôtel de
Ville est envahi et pillé.--Le duc de Beaufort éloigne la populace
et délivre les conseillers.--Mademoiselle de Montpensier sauve le
prévôt des marchands.--Tyrannie des princes dans Paris.--Élection
d'un nouveau prévôt des marchands (6 juillet).--Condamnation et
supplice de quelques-uns des séditieux.--Négociations du parlement
avec la cour.--Le roi annonce l'intention d'éloigner le cardinal
Mazarin (11 juillet).--Opposition de Condé aux propositions de la
cour (13 juillet).--Il continue de négocier secrètement avec
Mazarin.--Rôle de Nicolas Fouquet et de son frère pendant cette
crise.


L'armée royale, établie à Saint-Denis, était plus forte que celle des
princes. Turenne se prépara à les attaquer dans Saint-Cloud, et fit
jeter un pont sur la Seine; mais Condé, reconnaissant qu'il ne pourrait
résister aux troupes royales dans la position qu'il occupait, résolut de
gagner à la hâte Charenton. Il décampa dans la nuit du 1er au 2
juillet, et se présenta à la porte Saint-Honoré et à la porte de la
Conférence, dont nous avons indiqué plus haut la situation[182]. Il
espérait faire traverser Paris à son armée et gagner en sûreté le poste
de Charenton; mais les gardes des portes Saint-Honoré et de la
Conférence, qui étaient dévoués au maréchal de l'Hôpital et au prévôt
des marchands, refusèrent de les ouvrir, et il fallut que l'armée des
princes longeât les murs et les fossés de la ville depuis la porte
Saint-Honoré jusqu'à la porte Saint-Antoine. A cette époque, Paris était
entouré d'une enceinte fortifiée et bastionnée, que couvrait un large
fossé creusé sur l'emplacement où s'élèvent maintenant les boulevards.
Huit portes s'ouvraient dans la partie de l'enceinte située sur la rive
droite de la Seine. C'étaient les portes de la Conférence, Saint-Honoré,
Richelieu, Montmartre, Saint-Denis, Saint-Martin, du Temple et
Saint-Antoine. Les terrains qui s'étendaient au delà des fortifications
étaient en partie occupés par des villages, comme ceux du Roule et de la
Ville-l'Évêque, en partie cultivés. Il y avait beaucoup de monastères
dans cet espace. En s'en tenant aux principaux, on peut citer, à
Montmartre, une abbaye de femmes; à Saint-Lazare, un ancien monastère,
où saint Vincent de Paul venait d'établir les prêtres de la mission; au
faubourg Saint-Martin, les Récollets[183]; enfin, dans le faubourg
Saint-Antoine, l'abbaye de Saint-Antoine des-Champs, le couvent des
chanoinesses régulières de Saint-Augustin, et celui des religieuses de
Picpus.

Il fallait que l'armée des princes parcourût ce vaste espace en présence
de troupes supérieures en nombre, aux attaques desquelles elle prêtait
flanc. Aussi le prince de Condé et le duc d'Orléans s'efforcèrent-ils à
plusieurs reprises d'obtenir du conseil de ville que l'on livrât passage
à leur armée à travers Paris; mais les magistrats municipaux avaient
donné parole au roi de tenir les portes fermées, et ils persistèrent
dans leur résolution. La plus grande partie de la nuit s'écoula dans ces
négociations, pendant que l'armée des princes campait au cours de la
Reine. Ce fut seulement à l'approche du jour qu'elle se mit en marche à
travers la Ville-l'Évêque pour longer l'enceinte septentrionale de Paris
et aller rejoindre Charenton. Le procureur général, Nicolas Fouquet, qui
avait été informé des demandes des princes et du refus des magistrats
municipaux, se hâta de prévenir le cardinal: «On donne avis important et
pressé, écrivait-il, que l'armée des princes a passé sous la porte
Saint-Honoré, au pied de la sentinelle, par le milieu du Cours, et a
défilé par la Ville-l'Évéque et va tout autour des faubourgs gagner
Charenton. Ils ont sept pièces de canon que l'on a comptées, et marchent
dans le plus grand désordre du monde, les troupes et les équipages
pêle-mêle, en sorte que cinq cents chevaux, envoyés en diligence,
peuvent tout défaire aisément, si l'on veut. Cependant on amuse le roi
avec peu de gens que l'on fait paraître. Il faut se hâter: ils ont deux
défilés à passer: pourvu qu'on parte promptement, on y sera assez
tôt[184].»

Turenne n'était pas homme à négliger une pareille occasion. Il fit
avancer immédiatement une partie de son armée dans les terrains alors
inhabités, qui s'étendaient entre les hauteurs de Montmartre et la porte
Saint-Martin[185]. Cet espace, désigné sous le nom de _Nouvelle France_,
était compris entre les rues actuelles de Saint-Lazare, des Martyrs, du
Faubourg-Poissonnière et la place Saint-Georges. Ce fut là que la
cavalerie de Turenne assaillit l'arrière-garde de l'armée des princes.
Celle-ci ne put soutenir le choc et se réfugia au couvent des Récollets.
Il y eut là une nouvelle lutte, qui se termina encore à l'avantage de
l'armée royale. Les vaincus tentèrent vainement de se réfugier dans la
ville par la porte Saint-Martin. On leur en refusa l'entrée. Ils
atteignirent enfin le faubourg Saint-Antoine, toujours harcelés par la
cavalerie de Turenne. Ce fut seulement à neuf heures que l'armée des
princes parvint à se retrancher dans le faubourg Saint-Antoine, à l'aide
des fossés et des barricades qui avaient servi aux habitants pour
repousser les pillards du duc de Lorraine.

Le prince de Condé, ayant distribué les postes à ses soldats et occupé
les maisons qui dominaient les barricades, tint l'armée royale en échec
de neuf heures du matin à quatre heures (2 juillet), mais ce ne fut pas
sans essuyer des pertes cruelles. A la place Saint-Antoine aboutissaient
trois rues principales, celles du Faubourg Saint-Antoine, de Charonne
et de Charenton. Chacune d'elles était coupée par des barricades que se
disputèrent les deux armées. Sur les flancs de la place s'élevaient la
porte Saint-Antoine et les hautes tours de la Bastille, garnies de
canons qui pouvaient foudroyer tout le quartier. La porte Saint-Antoine
était gardée par des bourgeois, qui étaient dévoués à la cour et avaient
promis de ne pas recevoir l'armée des princes. Turenne, qui avait déjà
si maltraité les troupes de Condé dans leur retraite précipitée de la
porte Saint-Martin à la porte Saint-Antoine[186], espérait les écraser
dans ce dernier combat, et il est probable qu'il y eût réussi, si les
bourgeois eussent exécuté leurs promesses. Le roi s'était avancé sur les
hauteurs de Charonne pour assister au triomphe de son armée, et pressait
Turenne d'engager la bataille. Ce général aurait voulu attendre
l'arrivée de son artillerie et d'un renfort de trois mille hommes, que
devait lui amener le maréchal de la Ferté; mais l'impatience du jeune
Louis XIV ne lui permit pas de différer l'attaque[187]. Turenne enleva
successivement les trois barricades de la rue de Charonne, de la rue du
Faubourg-Saint-Antoine et de la rue de Charenton; mais le prince de
Condé, qui se multipliait dans le danger et se portait sur tous les
points menacés, fit payer cher cet avantage à l'armée royale:
Saint-Mégrin, Nantouillet, le jeune Mancini, neveu de Mazarin, et un
grand nombre d'autres officiers furent tués ou blessés dangereusement.
Du côté des princes, les ducs de Nemours et de la Rochefoucauld furent
obligés de quitter le champ de bataille. Le prince de Condé lui-même,
rejeté au pied de la porte Saint-Antoine, était dans un état pitoyable.
«Il avait, dit Mademoiselle[188] qui le vit en ce moment, deux doigts de
poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés; son collet et sa
chemise étaient pleins de sang, quoiqu'il n'eût pas été blessé; sa
cuirasse était toute pleine de coups, et il portait son épée à la main,
ayant perdu le fourreau.»

La situation des princes devenait de plus en plus critique: Turenne
avait enfin été rejoint par son artillerie et par les troupes du
maréchal de la Ferté. Il se préparait à envoyer deux détachements pour
attaquer Condé en flanc, en même temps qu'il marcherait droit sur lui et
l'écraserait au pied des murailles de Paris. A ce moment, la porte
Saint-Antoine s'ouvrit et le canon de la Bastille tira sur l'armée
royale. Le prince de Condé et ses troupes trouvèrent un asile dans
Paris, et Turenne fut obligé de battre en retraite devant une artillerie
qui foudroyait son armée. Ce changement fut l'œuvre de mademoiselle de
Montpensier, fille de Gaston d'Orléans. Vivement émue du danger des
princes, elle avait arraché à Gaston une lettre qui enjoignait au
gouverneur de Paris et au prévôt des marchands de lui obéir. Elle se
rendit aussitôt à l'Hôtel de Ville, et, à force d'instances et de
menaces, elle contraignit le maréchal de l'Hôpital et le conseil de
ville à lui donner un plein pouvoir pour faire ouvrir les portes de
Paris à l'armée des princes. Mademoiselle de Montpensier alla
immédiatement à la porte Saint-Antoine, et força la garde bourgeoise à
laisser passer les bagages et les blessés de Condé. De là elle courut à
la Bastille, dont le gouverneur la Louvière, fils du frondeur Pierre
Broussel, avait aussi reçu un ordre du duc d'Orléans qui lui enjoignait
d'obéir à sa fille. La princesse, montant sur les tours de la Bastille,
fit pointer les canons contre l'armée royale. Ce fut alors qu'elle
remarqua le mouvement que faisaient les troupes de Turenne pour
envelopper Condé, deux détachements se dirigeant, l'un par Popincourt et
l'autre du côté de Reuilly, tandis que le maréchal, avec le gros de son
armée, marchait vers la porte Saint-Antoine. Mademoiselle de Montpensier
se hâta d'avertir le prince[189], et Condé ordonna à ses troupes de
rentrer dans Paris, pendant que le canon de la Bastille protégeait sa
retraite. L'armée des princes traversa Paris, et alla par le pont Neuf
prendre ses quartiers au delà des faubourgs Saint-Jacques et
Saint-Victor. Les bourgeois témoins de cette retraite virent avec
étonnement le drapeau rouge d'Espagne flotter dans l'armée des princes,
mêlé aux écharpes bleues des frondeurs[190].

Le combat de la porte Saint-Antoine, qui aurait pu être décisif, ne
servit qu'à irriter les deux partis. L'armée royale, qui avait laissé
jusqu'alors les vivres entrer dans Paris, commença à intercepter les
communications avec la campagne et à affamer les habitants de la
capitale. De leur côté, les princes étaient décidés à entraîner la
bourgeoisie ou à la livrer à la fureur de la populace. Dès le 4 juillet,
les Parisiens furent forcés de porter à leurs chapeaux un signe
distinctif, s'ils ne voulaient pas être poursuivis comme _Mazarins_.
C'était un bouquet de paille[191]. On convoqua pour le même jour une
assemblée générale des bourgeois à l'Hôtel de Ville. Elle se composait
du gouverneur de Paris, du prévôt des marchands, des conseillers de la
ville, et d'un grand nombre de notables élus dans chaque quartier[192].
On devait y proposer l'union de la ville avec les princes et tenter
d'entraîner Paris dans la guerre contre l'autorité royale. Rien ne fut
négligé pour effrayer la bonne bourgeoisie, qui répugnait à prendre un
parti aussi violent. Dès le matin, la place de Grève était remplie d'une
populace excitée par les factieux, qui lui distribuaient de l'argent.
Plus de huit cents soldats travestis s'étaient mêlés à la multitude et
contribuaient à entretenir et à augmenter son exaltation[193].

Lorsque tous les députés furent réunis, et que le duc d'Orléans et le
prince de Condé furent arrivés, on donna lecture d'une lettre du roi qui
se plaignait que les bourgeois eussent ouvert les portes de Paris à
l'armée des princes. A cette occasion, le procureur du roi en l'Hôtel de
Ville prit la parole, et dit qu'il fallait envoyer une députation au roi
pour le supplier de revenir en sa bonne ville de Paris. Les partisans
des princes tentèrent d'étouffer par leurs clameurs les paroles du
procureur de la ville; mais une notable partie de l'assemblée parut
disposée à se ranger à son avis. Alors le duc d'Orléans et le prince de
Condé sortirent de la salle du conseil, et arrivés sur la place de
Grève: «Ces gens-là, dirent-ils[194], ne veulent rien faire pour nous;
ce sont tous Mazarins.» La populace n'attendait que ce signal pour se
porter aux derniers excès.

Il était six heures du soir lorsque les factieux commencèrent à tirer
dans les fenêtres de l'Hôtel de Ville; et, comme les coups, dirigés de
bas en haut, ne blessaient personne et se perdaient dans les plafonds,
les soldats déguisés qui s'étaient joints au peuple occupèrent les
maisons de la place de Grève, où l'on avait d'avance percé des
meurtrières, et de là ils tirèrent dans la salle des délibérations[195].
D'autres séditieux entassèrent aux portes de l'Hôtel de Ville des
matières enflammables, et y mirent le feu. En peu de temps la fumée et
la flamme enveloppèrent les bâtiments. Dans cette extrémité, quelques
députés jetèrent par les fenêtres des bulletins qui annonçaient que
l'union avec les princes était conclue. D'autres, connus pour
frondeurs, sortirent de l'Hôtel de Ville et tentèrent de haranguer le
peuple; mais ils s'adressaient à une foule ivre de vin[196] et de
fureur, qui ne distinguait plus amis ni ennemis. Miron, maître de la
chambre des comptes, fut une des premières victimes. A peine eut-il
franchi les degrés de l'Hôtel de Ville qu'il fut assailli à coups de
baïonnette et de poignard. Il tenta vainement de se faire connaître pour
un des chefs du parti des princes; il fut tué sur place[197]. Le
conseiller Ferrand de Janvry eut le même sort. Le président Charton, un
de ceux qui s'étaient le plus signalés dans la première Fronde, fut
accablé de coups. On peut juger, par le sort des frondeurs, du
traitement qu'essuyèrent les conseillers de ville qui étaient connus
pour adversaires des princes. Le maître des requêtes Legras et plusieurs
autres furent assassinés au moment où ils cherchaient à s'échapper sous
un déguisement.

Cependant les gardes du maréchal de l'Hôpital et les archers de la
ville, ayant élevé des barricades intérieures, réussirent pendant
longtemps à empêcher les séditieux de pénétrer dans l'Hôtel de Ville.
Ils en tuèrent même un certain nombre, mais le manque de munitions ne
leur permit pas de prolonger cette résistance. Le maréchal de l'Hôpital,
qui était une des victimes désignées à la vengeance du peuple, réussit à
s'enfuir déguisé. Le prévôt des marchands et les conseillers se
cachèrent dans des réduits obscurs, et à la faveur de la nuit trouvèrent
moyen de se dérober à la fureur de la populace. Les voleurs, qui
s'étaient mêlés à la foule, étaient plus occupés à piller qu'à tuer. Il
y en eut même qui consentirent, moyennant finance, à sauver quelques-uns
des conseillers. Conrart en cite plusieurs exemples. Le Journal inédit
de Dubuisson-Aubenay raconte que le président de Guénégaud promit dix
pistoles à des séditieux qui prirent son chapeau, son manteau et son
pourpoint de taffetas rayé, et, après l'avoir couvert de haillons, le
firent sortir de l'Hôtel de Ville; mais, au carrefour formé par les rues
de la Coutellerie, Jean-Pain-Mollet, Jean-de-l'Épine, ils furent arrêtés
par une barricade et un corps de garde. Le président fut tiraillé entre
deux bandes, qui se le disputaient et menaçaient de le mettre en pièces.
Les gardiens de la barricade l'emportèrent enfin, et le conduisirent à
la Monnaie[198]. Là, il obtint qu'on le déposât chez un bourgeois; mais
il fallut payer à ses _sauveurs_ cent livres. Le conseiller Doujat, et
bien d'autres, achetèrent de même leur salut.

Le pillage de l'Hôtel de Ville se prolongea jusqu'à onze heures.
Vainement on pressait le duc d'Orléans et le prince de Condé d'aller au
secours des conseillers qu'on égorgeait, et dont plusieurs étaient de
leur parti. Ni les meurtres ni l'incendie de l'Hôtel de Ville ne
parurent les toucher. Ils répondaient avec indifférence qu'ils n'y
pouvaient rien. Enfin ils se décidèrent, sur les onze heures du soir, à
envoyer le duc de Beaufort, qui était le plus populaire des princes. Il
ordonna de tirer des pièces de vin de l'Hôtel de Ville, de les rouler à
l'extrémité de la place de Grève, et de les livrer à la foule pour la
récompenser de ses exploits. Pendant qu'elle achevait de s'enivrer, il
fit sortir de l'Hôtel de Ville la plupart de ceux qui y étaient
enfermés[199]. Beaufort fut rejoint par mademoiselle de Montpensier,
fille de Gaston d'Orléans. Cette princesse n'arriva qu'après minuit, et
lorsque tout était calmé[200]. Elle se borna à délivrer le prévôt des
marchands, qui promit de donner sa démission.

Ce massacre de l'Hôtel de Ville fut, suivant l'expression de
Mademoiselle[201], «le coup de massue du parti des princes; il ôta la
confiance aux mieux intentionnés, intimida les plus hardis, ralentit le
zèle de ceux qui en avaient le plus.» Vainement les princes cherchèrent
à rejeter ces violences sur la fureur aveugle du peuple. Leur complicité
n'était que trop évidente. La présence de leurs soldats au milieu de
l'émeute démentait toutes leurs dénégations. On avait vu peu avant
l'attaque de l'Hôtel de Ville un bateau rempli de leurs hommes aborder à
la place de Grève[202]. Un conseiller de ville, nommé de Bourges, osa
dire en face au duc d'Orléans qu'il avait reconnu parmi les séditieux
des soldats du régiment de Languedoc, qui appartenait à ce prince, et
entre autres le major[203]. Un autre conseiller, nommé Poncet, avait
donné cent louis au trompette du régiment de Valois, qui, moyennant
cette rançon, consentit à le sauver[204].

Le résultat seul eût suffi pour prouver que les princes étaient les
auteurs du massacre de l'Hôtel de Ville: ils avaient voulu régner par la
terreur, et contraindre le parlement et l'Hôtel de Ville à se déclarer
hautement pour eux. Ils y réussirent; mais ces corps n'étaient plus que
l'ombre d'eux-mêmes. Tous les présidents à mortier étaient sortis de
Paris, ainsi que le procureur général, Nicolas Fouquet. Les deux avocats
généraux, Talon et Bignon, n'allaient plus au Palais[205]. On était
réduit à faire présider le parlement par le vieux conseiller Broussel.
L'Hôtel de Ville n'était pas moins complètement désorganisé: dès le 6
juillet, on avait élu un nouveau prévôt des marchands, et le choix était
encore tombé sur Broussel, qui était un instrument docile et aveugle des
passions des princes. Quant aux véritables représentants de la
bourgeoisie, ils s'abstenaient de paraître aux assemblées. Enfin la
division ne tarda pas à se mettre dans le parti victorieux. Le duc
d'Orléans n'avait jamais montré la même violence que le prince de Condé,
et il était jaloux de sa puissance. Il écoutait volontiers les conseils
du cardinal de Retz, ennemi implacable de Condé et de Chavigny, et la
cour espérait par son influence gagner le duc d'Orléans, ou du moins le
séparer de ses alliés. Mazarin écrivait, le 8 juillet, à l'abbé Fouquet:
«On persiste ici dans la résolution de ne point exécuter la proposition
que l'on a faite[206], que l'on ne sache auparavant si M. le cardinal de
Retz y voudra contribuer. C'est pourquoi il faut le faire expliquer
là-dessus sans perte de temps. Car, si l'on sait qu'il n'y ait aucune
assistance à espérer de ce côté-là, ce sera alors qu'on vous fera savoir
précisément ce qu'il y aura à faire. J'attendrai de vos nouvelles
aujourd'hui, et je vous prie que je les reçoive le plus tôt qu'il se
pourra. Je suis en grande inquiétude de vous voir exposé au danger où
vous êtes, et je vous conjure de me croire toujours le même à votre
égard.» Un second billet de Mazarin, adressé le même jour à l'abbé
Fouquet, insistait encore sur ce point: «Je souhaite que M. le cardinal
de Retz puisse réussir dans l'affaire qu'on lui propose, qui ne lui
serait pas moins glorieuse qu'utile à Sa Majesté dans les conjonctures
présentes. Si vous convenez de l'exécution, je vous prie de m'en
informer en toute diligence, afin que nous prenions là-dessus nos
mesures de notre côté. Je m'assure que le cardinal de Retz se fiera
assez à vous pour vous en parler librement, et, en cas que cela ne fût
pas, il faudrait que vous lui en fissiez parler par quelque personne à
qui il ne fit point scrupule de s'ouvrir.»

Ce projet, que nous ne connaissons que par des indications vagues et
énigmatiques, ne se réalisa pas. Quant aux princes, ils parurent dans
les premiers temps disposés à agir de concert et à sacrifier leurs
divisions et leurs passions personnelles aux intérêts généraux de leur
parti. Comme l'opinion publique s'élevait avec force contre le massacre
de l'Hôtel de Ville, ils voulurent lui donner satisfaction en
abandonnant à la justice quelques-uns des séditieux. On en arrêta deux
qui s'étaient présentés chez un marchand quincaillier de la rue de la
Ferronnerie, nommé Gervaise, pour réclamer l'argent qu'il leur avait
promis au moment du danger. Ils furent condamnés à être pendus et
exécutés immédiatement[207].

Malgré cet acte de vigueur, la confiance ne se rétablit pas dans Paris.
Chaque jour, on apprenait que des gens de condition, que les membres les
plus notables de la bourgeoisie et du parlement avaient quitté la ville
et s'étaient retirés près du roi. En même temps la cour annonçait
l'intention d'éloigner le cardinal Mazarin et d'enlever ainsi aux
factieux tout prétexte pour persister dans leur rébellion[208]. Dès que
cette résolution fut arrêtée, le garde des sceaux, Mathieu Molé, manda
les députés du parlement qui s'étaient rendus à Saint-Denis pour
négocier, leur en donna avis, et leur recommanda de l'annoncer au
parlement et aux princes. Ces derniers furent invités en même temps à
envoyer immédiatement des députés à Saint-Denis pour que la paix pût
être signée et le calme rétabli dans le royaume[209].

Cette nouvelle répandit la joie dans Paris; mais le prince de Condé n'y
vit qu'un piège tendu à son parti. Il se persuada que Mazarin, d'accord
avec la duchesse de Chevreuse et le cardinal de Retz, voulait faire
entrer au ministère le marquis de Châteauneuf et le maréchal de
Villeroy, ses ennemis[210]. Aussi s'éleva-t-il avec force contre les
propositions de la cour, lorsque le parlement fut appelé a en délibérer
le 13 juillet. Il demanda qu'avant tout le cardinal sortit de France, et
le parlement fut obligé de se plier à la volonté impérieuse des princes.
«Si les gens de bien, dit Omer-Talon[211], eussent été en liberté de
dire leur sentiment comme deux mois auparavant, le parlement et la ville
eussent embrassé la proposition de la cour et eussent obligé M. le
Prince de s'y accommoder; mais les actions de violence ayant porté la
frayeur et l'étonnement dans tous les esprits, M. le Prince était devenu
maître dans Paris avec une autorité despotique, conforme à son humeur.»

En s'opposant au traité du parlement avec la cour, Condé laissait
Chavigny poursuivre en son nom des négociations où l'intérêt personnel
du prince l'emportait de beaucoup sur l'intérêt public. Il s'engageait
à rétablir Mazarin au bout de trois mois, pourvu que ses partisans
obtinssent les récompenses qu'il avait stipulées antérieurement[212].
Mais cette dernière condition excitait l'indignation de tous ceux qui
s'étaient dévoués pour la cause royale; ils ne pouvaient souffrir que
les rebelles fussent récompensés, de préférence aux fidèles serviteurs
du roi[213]. Enfin Mazarin aurait voulu employer son exil de trois mois
à conclure la paix avec l'Espagne, tandis que Condé prétendait se
réserver cette importante négociation[214]. Nous avons déjà exposé les
motifs qui déterminaient Mazarin à ne pas laisser à son adversaire
l'honneur du traité de paix[215]. Ainsi tout restait en suspens.

Dans ces circonstances, le procureur général, Nicolas Fouquet, qui
s'était retiré près du roi presque aussitôt après le massacre de l'Hôtel
de Ville, fut un des conseillers les plus actifs et les plus
intelligents du cardinal. Il insista fortement pour qu'une ordonnance
royale transférât le parlement dans une autre ville. Ce serait,
disait-il, enlever aux frondeurs l'appui du premier corps de l'État et
frapper de nullité les actes des conseillers restés à Paris. Ils ne
seraient plus, s'ils persistaient dans leur opposition, qu'une troupe de
factieux sans autorité légale. Nicolas Fouquet n'insistait pas moins
vivement pour que la cour refusât de reconnaître la nouvelle
municipalité établie à l'Hôtel de Ville. Il n'y aurait plus alors que
deux camps: d'un côté, le roi avec la majesté de l'autorité souveraine,
que les frondeurs n'osaient pas rejeter ouvertement; et, de l'autre, des
princes rebelles soutenus par une troupe de factieux. Le Mémoire dans
lequel le procureur général développe ces idées est parvenu jusqu'à nous
et prouve que Nicolas Fouquet contribua à donner à la politique du
cardinal une direction plus ferme et plus intelligente.

Quant à l'abbé Fouquet, forcé de se tenir caché dans Paris, où régnait
tyranniquement la faction des princes, il ne cessait d'entretenir des
relations avec le cardinal, comme les lettres de Mazarin
l'attestent[216]. Souvent même il bravait tous les périls pour se rendre
près du cardinal et lui porter les avis et les propositions de ses
partisans. Ainsi les deux frères persistaient dans le rôle qu'ils
avaient habilement rempli depuis le commencement de la Fronde; ils
restèrent les soutiens zélés et énergiques d'une cause qui semblait
alors gravement compromise.



CHAPITRE VIII

--JUILLET-AOÛT 1652.--

Mémoire adressé par Nicolas Fouquet au cardinal Mazarin sur la
conduite que la cour doit tenir (14 juillet): il expose le danger
de la situation et la nécessité de prendre des mesures pour annuler
les actes du parlement et de l'Hôtel de Ville, dominés par la
faction des princes.--Il propose de publier un manifeste au nom du
roi pour montrer la mauvaise foi des princes, qui, après avoir
demandé et obtenu l'éloignement de Mazarin, refusent de déposer les
armes et appellent les ennemis dans l'intérieur de la France.--Il
faut exiger que les princes envoient immédiatement leurs députés à
Saint-Denis pour traiter avec la cour, et en attendant retenir dans
cette ville les députés du parlement.--Nécessité de transférer le
parlement hors de Paris et moyen de gagner une partie de ses
membres.--Faute que l'on a commise en ne s'opposant pas à la
réception de Rohan-Chabot en qualité de duc et pair par le
parlement.--Lettre de Nicolas Fouquet, en date du 15 juillet: il
explique pourquoi les députés du parlement ne peuvent se rendre à
Saint-Denis.--Nécessité d'envoyer promptement des ordres au
parlement et de prendre une décision pour ou contre le départ du
cardinal Mazarin.--Indication des moyens à employer pour faire
venir à Pontoise un certain nombre de conseillers du
parlement.--Arrêts du conseil du roi, en date du 18 juillet et du
31 du même mois, qui annulent les élections de l'Hôtel de Ville et
transfèrent le parlement de Paris à Pontoise.--Projet de
déclaration contre ceux qui n'obéiront pas aux ordres du
roi.--Lettre de Nicolas Fouquet à ses substituts pour les mander à
Pontoise.--Circulaire du même aux divers parlements de
France.--Pamphlets publiés à Paris contre la translation du
parlement.--Le parlement de Pontoise s'ouvre le 7 août 1652, et
demande l'éloignement de Mazarin.


Le 14 juillet, Nicolas Fouquet, qui se trouvait alors à Argenteuil avec
les députés du parlement de Paris, adressa au cardinal un Mémoire sur
la conduite à tenir avec le parlement et les frondeurs. Il était informé
de ce qui s'était passé la veille à la séance du parlement; il savait
que la majorité de ce corps était disposée à voter l'union avec les
princes; que l'on proposerait de nommer le duc d'Orléans lieutenant
général du royaume et le prince de Condé généralissime des armées, enfin
d'établir un conseil de gouvernement. Il fallait se hâter de frapper de
nullité de pareils actes, qui eussent détruit l'autorité royale. Ce fut
dans ce but qu'il rédigea son Mémoire, et l'envoya à un des familiers de
Mazarin en lui recommandant de le mettre sous les yeux du cardinal.
Nicolas Fouquet commençait par exposer le danger de la situation: «La
plupart de ceux qui sont à la cour, disait-il, aussi bien que ceux de
Paris, voyant toutes les affaires dans l'irrésolution et dans
l'incertitude, se ménagent des deux côtés, ne sachant pas ce que les
affaires deviendront; ce qui ne serait pas ainsi si les résolutions
étaient certaines et assurées de façon ou d'autre; et alors les
sentiments du roi agiraient avec plus de vigueur. Nous apprenons de
Paris que, nonobstant la réponse du roi, il y eut hier plusieurs avis
dans le parlement à faire l'union du parlement avec les princes et les
peuples, et d'écrire à tous les autres parlements et à toutes les
villes. Nous savons que l'on propose de faire un garde des sceaux, et
qu'il y a des gens de condition qui désirent cet emploi. Le nouveau
prévôt des marchands[217] ordonne des fortifications et des levées, et
peut-être au premier jour parlera-t-on de faire un régent et de déclarer
le roi prisonnier. Toutes les négociations et irrésolutions fortifient
ce parti, et il est certain que, tant qu'on flatte les peuples, on les
aigrit, et ils croient qu'on les appréhende, de sorte qu'il est
nécessaire ou de s'accommoder avec M. le Prince en prenant des sûretés
pour le retour[218], et ce bien promptement, ou bien d'agir avec
vigueur, et que chacun sache que le roi veut devenir le maître et
rétablir son autorité.

«Les plus intelligents mandent que le calme est maintenant dans Paris
pour ce qu'ils ont tout ce qui leur fait besoin, et que les auteurs des
séditions sont les maîtres et feront ce qu'il leur plaira.

«La journée de mardi[219] est à craindre, et, si on n'est pas d'accord,
il est à propos de prévenir les résolutions qui se prendront ce jour-là
par un parlement et un corps de ville, qui demeurent toujours dans
l'approbation du roi[220], puisqu'il n'a encore rien paru de contraire.
Si l'on veut donc se déterminer, il faut dresser une lettre de cachet en
forme de manifeste pour faire connaître aux habitants de Paris et à
toutes les villes des provinces le juste sujet que le roi a de se
plaindre des princes et de ceux de leur parti, lesquels ayant témoigné
ne désirer autre chose jusqu'à présent qu'une assurance de
l'éloignement de M. le cardinal Mazarin, dans la pensée qu'ils avaient
que le roi ne se relâcherait pas et n'accorderait pas à ses sujets une
demande de cette qualité; néanmoins Sa Majesté ayant voulu donner cette
marque de sa bonté et de son affection à ses peuples pour faire cesser
les prétextes, les princes ne veulent plus exécuter ce qu'ils ont
promis; au contraire, ils ont pris de nouvelles liaisons avec les
ennemis qu'ils attirent au dedans du royaume[221], et veulent que le roi
ait entièrement exécuté de sa part ce qu'ils souhaitent avant que se
mettre en devoir de donner aucun ordre pour l'exécution de leurs
paroles. Ce qui fait assez connaître leurs intentions; partant il faut
exhorter à la fidélité et à secourir le roi.

«Si on envoie un écrit de cette qualité pour prévenir les lettres
circulaires qui seront écrites au premier jour, il n'en faut pas faire
l'adresse au corps de ville de Paris pour ne le pas approuver; au
contraire, il est bon d'exagérer ce qui s'est passé dans Paris pour
parvenir à ce changement[222]. On peut aussi adresser au parlement
quelque chose de semblable, et, dès à présent, faire réponse aux députés
par écrit, conforme à ce que dessus, et leur dire que le roi écrira à
son parlement; qu'ils aient au premier jour, toutes choses cessantes, à
obliger les princes de députer vers le roi, suivant ce qu'il leur a été
mandé; autrement, ledit jour passé, que tous les officiers dudit
parlement qui restent à Paris aient à se rendre près de Sa Majesté pour
y recevoir ses ordres, et délibérer en sa présence sur le refus fait par
les princes.

«Pour cet effet, il faut faire des défenses aux députés[223] de
retourner à Paris et de désemparer la cour, et prendre garde
particulièrement que les présidents ne s'y en retournent pas[224], pour
ce qu'il est de la dernière importance qu'il n'y ait point là de
présidents, si l'on veut établir le parlement ailleurs: ce qui est
absolument nécessaire pour conserver l'autorité du roi; autrement, il ne
faut pas douter que tous les peuples ne suivent à la fin un parti, où le
parlement de Paris, le corps de ville et les princes du sang seront
unis. Mais, s'il s'établit un autre parlement, les affaires seront bien
balancées, et l'autorité du roi soutenue dans les provinces. Ceux de la
cour qui ont des grâces à espérer, et qui se ménagent avec le parlement
pour le besoin qu'ils en ont, ne reconnaîtront plus pour parlement que
celui qui sera autorisé par le roi, où seront tous les présidents et le
procureur général, qui sont ceux qui font le corps.

«Dans cette pensée, avant que le roi s'éloigne et que la difficulté des
chemins s'augmente, il faudrait, sans perte de temps, que chacun
travaillât à même dessein, et obliger ceux qui sont à la cour d'écrire à
leurs amis: M. le garde des sceaux[225], à son fils[226], son
gendre[227] et à ceux sur qui il a pouvoir; M. de Villeroy, à M.
Sève[228]; M. Servien, à M. Fraguier[229]; M. le Tellier, à d'autres; M.
Perrot, à M. Bénard[230], et à d'autres de sa chambre; M. de
Bragelonne[231], à son beau-frère; Bonneau[232], à son fils[233] et à
son neveu; Richebourg, des gabelles, à son fils et à son gendre; écrire
à Ménardeau[234] pour lui et son frère. Un mot à MM. Sévin[235],
Thibeuf[236], Prévost[237], Doujat[238] et autres, qui ne sont retenus
que par le calme présent et l'espérance d'un prompt accommodement; M. de
Verthamont[239], qui est à la cour, à son frère et d'autres, ses
parents.

«Enfin, il n'y a personne qui n'ait pouvoir sur quelqu'un, et cette
affaire mérite une application prompte, et il ne faut pas douter qu'en
deux fois vingt-quatre heures on n'en fasse sortir grand nombre,
lesquels, dès le premier jour que l'on voudra, avec M. le garde des
sceaux, les ducs et pairs que l'on pourra avoir, les conseillers
d'honneur, quatre maîtres des requêtes, feront un corps
très-considérable, lequel sera établi par le roi même au lieu où il
sera, et, après quelques jours, le nombre augmentant, sera envoyé dans
telle ville qui sera concertée; ils ne s'appliqueront qu'au service du
roi, et, étant unis dans une même volonté et dans le parti légitime, ils
serviront très-utilement.

«C'est notre avis, auquel vous êtes conjuré de faire réponse prompte;
autrement, si l'on ne prend cette résolution de bonne sorte, ou qu'on ne
s'accommode promptement, chacun, se croyant inutile, s'en va chez soi,
et ceux de Paris se porteront tous dans les intérêts des plus forts.

«Renvoyez-moi ce Mémoire et la réponse, laquelle je vous ferai rendre,
si vous le voulez.

«Il est étrange qu'hier tous les opposants à M. de Rohan[240] firent
défaut, et que le roi n'ait pas fait former une opposition par mon
substitut[241]; que M. de Bouillon n'ait pas fait trouver un avocat qui
ait plaidé trois heures durant sur la prééminence de Château-Thierry et
de ses autres terres[242]; que tous les autres gens de la cour n'aient
pas le cœur de traverser par la chicane une affaire, laquelle est contre
le service du roi présentement et contre leur intérêt pour ce que les
princes l'affectionnent. Il sera reçu demain, si on n'y donne ordre
avant l'entrée du Palais[243].

«Mandez-moi des nouvelles des armées, si vous en savez; de Lorraine[244]
et d'Espagne, et du lieu où le roi doit venir, si c'est chose qui soit
résolue et que l'on veuille bien dire; des nouvelles de la santé de M.
de Mancini[245]; assurez Son Éminence de mon service.»

Le lendemain, 15 juillet, Nicolas Fouquet, répondant à un des familiers
du cardinal Mazarin, insistait encore sur les mêmes idées. «J'ai reçu,
lui écrivait-il[246], votre billet fort tard; nos Messieurs[247] étaient
dispersés et engagés en divers lieux, en sorte qu'il s'est passé du
temps à les rejoindre. Ils n'ont pas cru pouvoir aller ce soir à
Saint-Denis, pour ce qu'il n'y a point ici d'escorte et qu'il eût fallu
bien du temps d'en envoyer querir une à l'armée, qui est à quatre
grandes lieues d'ici, et qu'il n'y a point de sûreté; mais la principale
raison est qu'ils croient qu'il est impossible d'aller sans être vus, et
d'être vus sans être suivis tout le jour et la nuit même de diverses
personnes qui les voudront retenir à souper et à coucher, chacun sachant
bien qu'ils n'ont point de gîte. Outre qu'y étant allés avant-hier et
ayant dit publiquement qu'ils retournaient chez eux et ne voulaient pas
demeurer à coucher, il est impossible que le soupçon ne tombât sur eux,
et ce à la veille d'une réponse au parlement. D'ailleurs, l'entrée dans
la maison de M. le cardinal[248] étant exposée à la vue des députés qui
observent tout, ils les auraient fait observer toute la nuit, et, en
l'état où sont les affaires, ces Messieurs estiment que le service
qu'ils pourraient rendre dans une telle conférence ne serait pas si
grand que le préjudice qu'ils apporteraient, et aux affaires publiques,
et aux leurs en particulier, si la chose était découverte, comme ils
n'en doutent pas. M. de Champlâtreux, d'ailleurs, ayant mandé qu'il
viendrait les voir cette après-dinée, ou demain matin, sur un billet
qu'ils lui avaient écrit, ils ne savent quel prétexte ils pourraient
avoir pour un changement si subit, et cent autres raisons qui leur font
croire le secret impossible.

«Nous estimons que les ordres sont à présent donnés au parlement. S'ils
ne le sont pas, et que l'on eût dessein d'avoir leur avis là-dessus, ils
n'en peuvent prendre d'autre que celui que je vous ai mandé, qui est
d'envoyer au parlement, dès la pointe du jour, une lettre de cachet du
roi pour leur faire savoir les intentions de Sa Majesté, lesquelles
intentions doivent être réglées sur la résolution à laquelle on se
déterminera: ce qu'il faut faire présentement, parce qu'en temporisant
et en négociant, tout périra inévitablement.

«Si l'on croit que M. le cardinal puisse demeurer et que les forces du
roi soient capables de résister à celles des ennemis, il faut retrancher
toute espérance de paix et d'accommodement, afin que chacun prenne son
parti et que le roi appuie son autorité de tout ce qui y pourra
contribuer; et, en ce cas, il faut que la lettre de cachet porte la
juste indignation du roi du refus qui a été fait de faire venir des
députés de la part des princes, et mander tout le reste du parlement.
Si, au contraire, M. le cardinal est dans le doute de pouvoir résister
et qu'il ait quelque pensée de se retirer, il faut dès aujourd'hui,
plutôt que demain, s'accorder avec M. le Prince solidement, pour ce que,
dans peu de jours, il ne le pourra peut-être plus ou refusera les
assurances du retour de M. le cardinal, et, les peuples devenant
insolents, M. le Prince n'en sera plus le maître. En un mot, il n'y a
personne en tout le royaume de tous ceux qui ne sont point intéressés en
cette affaire qui ne dise la même chose: prendre une résolution
certaine; il vaut mieux qu'elle ne soit pas si bonne, pourvu qu'elle
soit certaine, et que chacun sache sur quel fondement il a à travailler.

«Sitôt que nous aurons des nouvelles de ce qui aura été fait demain au
parlement, nous vous manderons nos sentiments là-dessus. Cependant nous
nous reposons dans l'assurance que nous serons avertis du temps du
départ et de la marche du roi.

«Si mon frère[249] est de retour, que M. le cardinal nous l'envoie bien
instruit de ses intentions; nous conférerons avec lui de tout ce qui se
peut faire.

«J'écrirai à mes gens, dès ce soir, pour ce que vous me mandez; mais ce
ne peut être que pour après-demain au plus tôt, encore si les lettres ne
se perdent point. Je suis en peine d'un paquet envoyé pour cet effet.

«J'ai regret de l'état où vous me mandez M. Mancini.

«Il est nécessaire que M. le garde des sceaux mande ici MM. les maîtres
des requêtes du quartier du conseil[250], pour venir faire leur quartier
à la suite du roi, et que l'on transfère la juridiction des requêtes de
l'Hôtel[251] au même lieu où sera le parlement.

«Il faut travailler à faire sortir le plus grand nombre qu'il se pourra
des officiers du parlement. M. Saintot[252] peut presser M. son frère;
Bonneau peut écrire à son fils; M. Jeannin[253], à ses beaux-frères. Il
faut écrire à M. Prévost, sa présence étant plus nécessaire que tout ce
qu'il peut faire à Paris. Il faut faire donner fonds de six mille livres
au moins, par l'ordre de M. de Guénégaud, pour ceux qui voudront partir;
ensuite de quoi ledit de Guénégaud[254] viendra; M. et madame de Turenne
écriront à M. de Saint-Martin[255]; M. Guitaut[256], à Verthamont; M. le
garde des sceaux, à ses amis et à son gendre, M. le Tellier, à
Catinat[257] et à Marle[258]; le Boultz, maître des requêtes, à
Metz[259]; M. de la Vrillière, à Phélypeaux[260], et en Touraine, à
quelques-uns de condition. Il faut adresser des lettres du roi pour
faire donner à Dutronchet et Bonneau-Rebel, et en tirer réponse; à
Bourges, à M. Fraguier. Son Éminence peut faire écrire à M. Godart[261]
et à M. Bénard. Si M. de Bellièvre[262] veut, M. Servin[263] viendra;
s'il est bien intentionné, il faut qu'il en donne cette preuve. M.
Servin peut faire venir M. de Bauquemare[264]. Si Gargan[265] est bien
avec la cour, il faut qu'il envoie son neveu de Larche[266]; et M. de la
Basinière[267], Voysin. Il faut faire écrire à M. Baillif, maître des
comptes, qu'il fasse venir un de ses gendres, M. le Prêtre ou M.
Lallement. Savoir du marquis de Mortemart s'il pourrait tenter
Foucaut[268], en lui promettant toutes les choses qui le peuvent
toucher. M. Ménardeau avait promis son frère. Écrire à M. de
Bellejambe[269] de faire venir son fils. Lefebvre la Barre[270] a
pouvoir sur le Vasseur[271] et sur Vassan[272]. Le marquis de la
Vieuville[273] pourrait écrire à Malo[274]; M. le grand prévôt[275], à
Nevelet[276], son beau-frère. Mais il faut parler à tous ces gens-là
avec chaleur et s'y appliquer fortement, et faire achever de donner aux
présents les mille francs promis, même à Bretinières et à Bordier[277],
et aux autres qui restent à payer, et avoir ici un intendant des
finances pour veiller à tout.»

Nicolas Fouquet mettait, comme on le voit, un zèle ardent à organiser ce
parlement qui devait paralyser l'influence des magistrats restés à
Paris. C'est certainement à son influence qu'il faut attribuer les deux
mesures que la cour adopta presque immédiatement: la première fut un
arrêt du conseil du roi, en date du 18 juillet, qui annulait l'élection
du prévôt des marchands faite dix jours auparavant, et maintenait dans
sa dignité l'ancien prévôt Lefèvre, alors absent de Paris. Le 31
juillet, un nouvel arrêt du conseil du roi ordonna la translation du
parlement de Paris à Pontoise, où la cour s'était rendue. Il fut enjoint
à tous les membres de ce corps de se transporter au lieu fixé, sous
peine d'interdiction et de privation de leurs charges. En même temps la
chambre des comptes, la cour des aides et le grand conseil étaient
transférés à Mantes. Tous ces actes de vigueur annonçaient l'intention
de relever l'autorité royale. Mais c'était peu de rendre des
ordonnances; il fallait en assurer l'exécution, surtout en ce qui
concernait le parlement. Ce fut encore Nicolas Fouquet qui s'en occupa.
Il rédigea un projet de déclaration pour contraindre le parlement à
obéir, adressa à ses substituts une lettre dans le même sens, et
écrivit à tous les parlements du royaume pour leur faire part des ordres
du roi.

Le projet de déclaration, écrit tout entier de la main du procureur
général, porte «que le roi avait eu dessein de tirer son parlement de
l'oppression en laquelle il s'est trouvé à Paris depuis quelque temps;
que, pour cet effet, Sa Majesté avait envoyé ses lettres de translation
du parlement en la ville de Pontoise, portant interdiction de toutes
fonctions et exercice de leurs charges en la ville de Paris et
injonction de cesser toutes délibérations; que lesdites lettres
patentes, après avoir été communiquées par le substitut du procureur
général du roi aux principaux de la compagnie, auraient été par lui
portées sur le bureau de la Grand'Chambre, toutes les chambres étant
assemblées, lequel leur avait fait entendre la teneur desdites lettres
et la volonté du roi[278]. Sur quoi, au lieu de déférer et cesser leurs
délibérations, ils auraient pris les voix, et, sans porter aucun respect
aux ordres de Sa Majesté, auraient arrêté que les lettres du roi ne
seraient point lues, et même aucuns d'entre eux auraient été si
téméraires de maltraiter et emprisonner des colporteurs qui vendaient
des copies imprimées de ladite translation, pour ôter au peuple la
connaissance des intentions de Sa Majesté; que non-seulement ils ont
continué leurs fonctions en la manière accoutumée, mais ont fait défense
aux échevins de lu ville de déférer aux ordres du roi, et ont été assez
osés de casser l'établissement du parlement en la ville de Pontoise,
quoiqu'il eût été fait par le roi en personne; auraient annulé les
arrêts du parlement légitime, et se seraient portés jusques à cet excès
d'avoir dressé des actes qu'ils qualifient du nom d'arrêts contre ceux
des officiers et fidèles serviteurs du roi qui ont témoigné leur
obéissance et tiennent le parlement par ses ordres, ne se voulant pas
contenter d'être dans la rébellion et félonie, mais voulant intimider
les autres et les empêcher de demeurer fidèles, et ce par un mépris et
une désobéissance punissables.

«A ces causes, leur enjoindre de se rendre dans trois jours, pour tous
délais, en ladite ville de Pontoise, satisfaire à la déclaration du
dernier juillet, autrement et à faute de ce faire, ledit temps passé,
que ceux qui continueront la fonction et exercice de leurs charges dans
Paris et assisteront aux assemblées tenues par lesdits officiers du
parlement, sous quelque prétexte que ce puisse être, seront déclarés
traîtres et rebelles au roi, leur procès fait et parfait suivant la
rigueur des ordonnances, leurs biens acquis et confisqués au roi, les
deniers en provenant appliqués au payement des gens de guerre, les
maisons rasées, les bois abattus et les offices supprimés, sans qu'ils
puissent revivre, pour quelque cause et occasion que ce soit, en faveur
d'eux, leurs résignataires, leurs veuves ou héritiers.

«Et parce qu'il ne serait pas raisonnable que ceux qui ont obtenu des
survivances fussent punis de la faute qu'ils n'auraient pas commise,
enjoint à eux de se rendre pareillement dans trois jours en ladite ville
de Pontoise, pour y exercer les charges èsquelles ils ont été reçus au
défaut de ceux qui les possèdent à présent; autrement les survivances
seront révoquées et les offices supprimés. Et, attendu la difficulté de
faire la signification à chacun des intéressés, en particulier, de
ladite déclaration, ordonne que la publication qui en sera faite et les
affiches qui en seront mises en cette ville de Pontoise serviront comme
significations faites à leur propre personne.»

En même temps, Nicolas Fouquet écrivait à ses substituts pour les
engager à se rendre à Pontoise. Le ton de sa lettre[279] était plus
modéré: «Messieurs, leur disait-il, le roi ayant voulu transférer le
parlement hors de Paris, je crois qu'en qualité de son procureur
général, je suis plus obligé de suivre ses ordres et exécuter ses
commandements qu'aucun de ses officiers et de ses sujets, et comme vous
êtes tous obligés de demeurer unis dans ce même dessein et dans une même
intention de vous conformer à tout ce que ma charge exige de moi,
j'espère qu'il n'y aura aucun de vous qui veuille ni desservir le roi en
lui désobéissant ni me désobliger en prenant une conduite contraire à la
mienne. C'est la raison pour laquelle j'ai cru à propos de vous informer
que mon intention est de demeurer ferme dans la fidélité que je dois au
roi; faire ma charge dans le parlement au lieu où il lui a plu de
l'établir par sa dernière déclaration, et de vous convier d'y venir
rendre le service que vous devez auprès de moi. Ceux qui y viendront me
feront plaisir. Je ne suis pas si déraisonnable que je prétende appeler
ceux qui, par des raisons domestiques, auraient peine à quitter leur
famille si promptement sans en recevoir de l'incommodité. Je laisse cela
en la liberté de chacun, et n'y puis trouver à redire; mais, au moins,
je souhaite que ceux qui demeureront à Paris n'aillent plus au Palais et
ne fassent plus de fonctions de substituts. Autrement j'aurais sujet de
me plaindre d'eux, et ils auraient regret de me l'avoir donné.»

Un manifeste royal, en forme de lettres patentes, fut adressé à tous les
parlements de France et leur fit connaître les motifs de la translation
du parlement de Paris à Pontoise. Nicolas Fouquet y joignit la
circulaire suivante aux procureurs généraux: «Vous apprendrez, par les
lettres patentes du roi, dont copie est ci-jointe, les raisons qui ont
obligé le roi de transférer son parlement de Paris en une autre ville,
lesquelles je n'entreprends point de vous répéter; seulement vous
dirai-je que les violences y ont été si grandes contre ceux qui se sont
montrés inébranlables dans la fidélité qu'ils doivent au roi, que la
plupart ont été obligés, il y a déjà longtemps, d'abandonner leurs
maisons et se retirer hors la ville. Pour moi, j'ai suivi leur exemple
en conséquence des ordres que j'en ai reçus du roi, lesquels ceux qui
ont l'honneur de posséder les charges que nous avons sont tenus
d'écouter avec plus de respect et plus exactement que tous les autres.
Je vous supplie de vouloir présenter à votre compagnie en diligence
lesdites lettres patentes et l'enregistrement de ces lettres en notre
parlement, et vouloir vous en procurer et envoyer la réponse au plus
tôt, la chose étant de très-grande importance pour le service du roi et
pour établir le calme et la tranquillité dans le royaume; à quoi nous
allons nous appliquer avec soin autant que la fonction de nos charges le
peut permettre. J'espère que vous en verrez bientôt des effets, si
messieurs de votre compagnie veulent s'unir et concourir avec nous dans
le même dessein.»

Les frondeurs ne se dissimulèrent pas la portée d'un acte qui allait
frapper d'illégalité toutes les mesures du parlement de Paris. Ils
éclatèrent en menaces et firent pleuvoir les pamphlets contre le
parlement de Pontoise. Le _Mercure de cour_, le _Parlement burlesque de
Pontoise_, la _Satire du parlement de Pontoise_, etc., s'efforcèrent de
verser le ridicule sur les magistrats qui avaient obéi aux ordres de la
cour. Mais la violence même des attaques atteste l'inquiétude que leur
inspirait cette assemblée. On voit aussi, par les noms cités dans les
mazarinades, que Nicolas Fouquet ne s'était pas trompé en désignant les
membres du parlement qui céderaient aux sollicitations des partisans de
la cause royale. Le premier président, Mathieu Molé, les présidents à
mortier de Novion et le Coigneux, l'évêque de Noyon, pair
ecclésiastique, les maréchaux de l'Hôpital et de Villeroy, pairs laïcs,
plusieurs conseillers de la Grand'Chambre, les présidents des enquêtes
Perrot et de Bragelonne, les conseillers de Sève, Lefèvre, Tambonneau,
de la Barre, Ménardeau, etc., enfin les maîtres des requêtes qui étaient
de quartier auprès du roi, se réunirent le 7 août en audience
solennelle, et, après avoir entendu la déclaration du roi que leur
apporta le procureur général Nicolas Fouquet, ils se constituèrent comme
véritable et seul parlement de Paris. Le lendemain, jeudi, ils
résolurent, de concert avec le cardinal Mazarin, d'adresser au roi de
très-humbles remontrances pour demander l'éloignement de ce
ministre[280]. Elles furent faites par le président de Novion, et le
roi, qui ne paraissait plus céder à des séditieux, mais déférer aux
doléances de sujets dociles, promit de prendre l'avis de son conseil. Ce
fut à la suite de ces délibérations que Mazarin, s'éloignant pour la
seconde fois, enleva tout prétexte à ceux qui prétendaient ne combattre
que l'autorité odieuse d'un ministre étranger et affectaient un respect
hypocrite pour le pouvoir royal.



CHAPITRE IX

--JUILLET-SEPTEMBRE 1652--

Le duc d'Orléans est déclaré lieutenant général du royaume et le
prince de Condé généralissime des armées (20 juillet).--Conseil
établi par les princes; disputes de préséance; duel de Nemours et
de Beaufort (30 juillet); querelle de Condé et du comte de Rieux
(31 juillet).--Désordres commis par les troupes des
princes.--Mécontentement de la bourgeoisie parisienne; assemblées
aux halles et au cimetière des Innocents (20 août).--Mazarin
s'éloigne pour quelque temps; sa correspondance avec les deux
Fouquet.--Chavigny négocie avec la cour au nom des
princes.--Inquiétude que le cardinal de Retz inspire à
Mazarin.--Retz se rend à la cour (9 septembre), et veut traiter
avec la reine au nom du duc d'Orléans.--Il n'y réussit pas.--L'abbé
Fouquet excite la bourgeoisie parisienne et négocie avec
Chavigny.--Assemblée des bourgeois au Palais-Royal (24 septembre);
ils se déclarent antifrondeurs.--Conférence de l'abbé Fouquet avec
Goulas (26 septembre).--Il part pour la cour.--On intercepte une
lettre de l'abbé Fouquet adressée au secrétaire d'État le Tellier.


En présence des ordres précis et de l'attitude décidée de la cour, les
princes n'avaient plus qu'à déposer les armes ou à déclarer ouvertement
la guerre au roi. Ils n'hésitèrent pas à prendre ce dernier parti. Le
parlement et la bourgeoisie, terrifiés par les dernières violences, les
suivirent pendant quelque temps et parurent adhérer à toutes leurs
résolutions. Dès le 20 juillet, le duc d'Orléans fut proclamé lieutenant
général du royaume par arrêt du parlement[281]; le prince de Condé fut
en même temps nommé généralissime des armées. «Ceux qui ne furent pas de
l'avis de l'arrêt, ajoute Omer-Talon, reconnurent, en sortant de la
Grand'Chambre, qu'il était bien heureux que leur avis n'eût pas été
suivi, parce que toutes choses étaient disposées pour la violence.» Le
premier soin du régent fut d'organiser un conseil de gouvernement, où
devaient siéger, avec les deux princes, le chancelier Pierre Séguier; le
duc de Nemours, prince de la maison de Savoie; le duc de Beaufort, qui
fut bientôt nommé gouverneur de Paris; le prince de Tarente, de la
maison de la Trémouille; le duc de Rohan, le prince de Guéménée et
plusieurs autres. A peine établi, ce conseil donna lieu à des querelles
de préséance et à des scènes sanglantes. Le duc de Nemours provoqua le
duc de Beaufort, son beau-frère, contre lequel il nourrissait une haine
invétérée. Le duel eut lieu le 30 juillet, et Nemours y fut tué[282]. Le
lendemain, le comte de Rieux, second fils du duc d'Elbeuf, ayant disputé
la préséance au prince de Tarente, Condé intervint avec sa hauteur
ordinaire, et, sur un mot blessant du comte de Rieux, il lui donna un
soufflet. Le comte riposta par un coup, qui n'atteignit Condé qu'à
l'épaule[283]. Au moment où le prince saisissait une épée, les témoins
de cette scène, et entre autres le duc de Rohan, se jetèrent entre lui
et le comte de Rieux. Ce dernier fut arrêté et conduit à la Bastille
par ordre du duc d'Orléans.

Ces luttes scandaleuses déconsidéraient le parti des princes, et en même
temps les excès de leurs troupes le rendaient odieux. Depuis le combat
du faubourg Saint-Antoine, elles campaient au faubourg Saint-Victor et
pillaient les villages voisins. Sur les plaintes des habitants[284], les
princes les éloignèrent, et on les dirigea vers Corbeil. Mais lorsque
les habitants de cette ville apprirent l'approche des bandes de
pillards, ils coupèrent leur pont et leur fermèrent le passage. Il
fallut ramener la petite armée des princes à Saint-Cloud, d'où elle
continua de dévaster les campagnes. Plus tard, on voulut de nouveau
l'établir dans les faubourgs Saint-Victor et Saint-Marceau; mais les
habitants se barricadèrent elles repoussèrent[285]. Pendant que les
troupes des princes se livraient à ces désordres, les ennemis
pénétraient dans le nord de la France et menaçaient les villes de
Gravelines et de Dunkerque, anciennes conquêtes du duc d'Orléans et du
prince de Condé. Ainsi les chefs de la Fronde sacrifiaient à leur
ambition le repos, l'intérêt et l'honneur de la France.

Il était impossible que la bourgeoisie honnête et éclairée ne gémît pas
d'une pareille oppression, surtout lorsqu'il fallut payer les taxes
établies par le conseil des princes. Elle commençait à murmurer, et, dès
qu'on fut certain que le cardinal Mazarin était parti, elle se
rassembla au cimetière des Innocents et sous les piliers des halles pour
délibérer sur la situation présente et y porter remède. Les Parisiens
résolurent d'envoyer des députations au duc d'Orléans pour le prier
d'éloigner ses troupes de la capitale, et décidèrent qu'ils
s'adresseraient directement au roi pour le supplier de revenir dans sa
bonne ville de Paris[286]. Le parlement exprima le même vœu, et les
princes déclareront qu'ils étaient disposés à s'y rendre, _pourvu que la
retraite du cardinal Mazarin fût sans apparence de retour_. Ils
espéraient, grâce à cette restriction, éluder les instances des
Parisiens. Mais les partisans de la cause royale avaient repris courage,
et ils ne cessèrent depuis cette époque de manifester leurs sentiments
avec énergie. Nous retrouvons toujours à leur tête les deux Fouquet.

Mazarin, qui s'acheminait lentement vers l'exil, écrivait, de Reims, à
l'abbé Fouquet (27 août): «Je vous remercie de tout mon cœur de la
continuation de vos soins et de votre affection. Je vous prie d'assurer
aussi M. le procureur général que j'ai une parfaite connaissance de la
manière dont il agit. Vous lui manderez qu'il faut que lui et les autres
du parlement portent les choses hautement et avec plus de vigueur que
jamais, comme il a été concerté, parce que ceux de Paris n'oublieront
rien pour affaiblir leurs résolutions ou mettre de la sédition entre
eux, n'ayant plus d'autre ressource; car sans cela il faudra bien qu'à
la fin ils se mettent à la raison. Il faudrait tâcher de faire en sorte
que les conseillers du parlement qui est à Pontoise ne désemparent
point, et d'y en faire venir d'autres. Je crois qu'il serait bon d'y
envoyer quelques-uns des maîtres des requêtes qui sont auprès du roi,
n'étant pas malaisé, ce me semble, d'en faire venir d'autres de Paris en
leur place, et ainsi l'on remédiera à l'inconvénient que vous me marquez
du petit nombre de membres du parlement.» En terminant, Mazarin
recommandait à l'abbé Fouquet de veiller à l'union et au concert de
tousses amis. «Je vous prie, lui disait-il, de faire mes compliments à
madame et à mademoiselle de Chevreuse, et surtout de contribuer en tout
ce qui dépendra de vos soins pour tenir tous mes amis bien unis
ensemble, particulièrement M. Servien et M. le Tellier[287] avec M. le
procureur général, afin qu'ils agissent de concert en tout ce qui
regarde le parlement et les propositions d'accommodement qui pourraient
être faites.»

Les princes, voyant que la bourgeoisie, le parlement et le clergé
étaient disposés à envoyer des députations au roi pour le supplier de
rentrer à Paris, annoncèrent l'intention de prendre part à cette
démarche, et firent demander des passe-ports pour le maréchal d'Étampes,
le comte de Fiesque et la Mothe-Goulas, qui devaient se rendre à
Compiègne où était la cour[288]. Leur demande fut rejetée, comme ils
s'y attendaient. Aussi avaient-ils adopté d'autres mesures. Ils
appelaient en France des auxiliaires allemands que leur amena le duc
Charles de Lorraine. Mécontent de la cour qui ne lui avait pas rendu ses
États et toujours avide de pillage, le duc de Lorraine vint de nouveau
apporter aux princes un secours aussi odieux et aussi inutile que le
premier. Les troupes des princes rivalisaient de violences avec les
Lorrains. Elles envahirent et pillèrent les faubourgs Saint-Germain,
Saint-Jacques et Saint-Marceau. Elles se répandirent ensuite sur les
deux rives de la Seine, aux faubourgs Saint-Victor et Saint-Antoine, et
continuèrent à vivre aux dépens des habitants.

Les bourgeois, irrités de la conduite des princes, se réunirent alors en
plus grand nombre et avec plus de hardiesse. «A quoi bon,
disaient-ils[289], tant de délais? Que n'allons-nous trouver le roi et
le prier de venir en sa bonne ville de Paris?» Les plus intrépides
déclarèrent aux frondeurs qu'ils étaient disposés à demander au roi des
troupes pour chasser les bandes de pillards qui ravageaient Paris et les
environs.

En même temps on recevait de tous côtés de mauvaises nouvelles pour le
parti des princes: Montrond (Cher), une de leurs principales
forteresses, était pris. Le chancelier, qui pendant quelque temps avait
suivi le parti des frondeurs, et le président de Mesmes, étaient allés
rejoindre le parlement de Pontoise, dont l'autorité commençait à
s'établir. Enfin, les politiques du parti des princes reconnaissaient
qu'il fallait songer à se réconcilier avec la cour. A leur tête était
Chavigny. «Je vous dirai, dans la dernière confidence, écrivait Mazarin
à l'abbé Fouquet le 5 septembre, que M. de Chavigny m'a fait savoir, par
le moyen de M. Fabert, que M. Goulas se devait aboucher avec vous, et,
comme vous ne m'en mandez rien, cela me met en peine. Il faudrait vous
conduire dans cette conférence, selon ce que vous diraient MM. Servien
et le Tellier, et je serais d'autant plus aise que les affaires
passassent par les mains de M. Goulas, que je le sais très-homme
d'honneur et extrêmement des amis de M. le procureur général. Vous
pouvez aller à Pontoise, et vous m'obligerez de dire à M. le procureur
général que j'ai la dernière confiance en lui sans aucune réserve.»

Le lendemain, 6 septembre, Mazarin écrivait au procureur général,
Nicolas Fouquet, les lettres suivantes, qui attestent à quel point il
comptait sur lui: «Je vous suis très-obligé du soin que vous avez voulu
prendre de m'informer de ce qui s'est passé à Pontoise depuis mon
départ, et de ce que vous avez appris du coté de Paris. Je n'ai pas
écrit une lettre à M. votre frère que je ne l'aie prié de vous bien
assurer de mon amitié, et que je me confie de tout en vous sans aucune
réserve. Je vous confirme la même chose, et j'ose vous dire que, si vous
pouviez voir là-dessus mes véritables sentiments, vous en seriez
assurément fort satisfait.

«C'est un mal que le nombre de ceux qui composent le parlement[290]
soit si petit; mais comme l'on me mande de Compiègne que l'on y envoyait
les maîtres des requêtes qui étaient auprès du roi, que je crois que M.
de Mesmes et son fils parlaient pour le même effet et en très-bonne
disposition de servir le roi, et que d'autres conseillers devaient
sortir de Paris pour s'y rendre, je m'assure qu'à présent la compagnie
sera bien augmentée.

«Je ne vois pas que de la cour on ait inclination à permettre à M. de
Longueil d'y aller sans tout le reste de la famille, parce que, s'il y
était, il semble que cela pourrait empêcher en quelque façon que l'on
n'agit contre ses proches. Néanmoins, je vous prie d'en mander votre
sentiment à MM. Servien et le Tellier aussi bien que toutes les pensées
qui vous viendront dans l'esprit sur d'autres matières, parce que je
sais qu'à la cour on y déférera extrêmement.

«Je sais ce que vous a mandé M. Goulas; c'est une personne pour qui j'ai
estime et affection, et que je crois fort homme d'honneur et bien
intentionné. Mais je veux bien vous dire qu'il semble qu'il use d'une
manière de menaces dans son écrit, et qu'elles sont fort superflues à
mon égard. Car je vous jure devant Dieu que je me confinerais avec joie
en Canada, si je croyais que cela pût établir la tranquillité du
royaume, et que l'on se trompe fort si ou croit que le désir de mon
retour puisse contribuer en aucune façon à me faire faire un pas de plus
ou de moins en ce que je ne croirai pas être du service du roi.

«J'ai trouvé très-judicieux et bien conçu ce que vous me mandez sur le
refus qu'on a fait des passe-ports[291], et je ne crois pas que la
seconde fois il y eût un inconvénient de les accorder conditionnés comme
vous le marquiez et avec les mêmes précautions, c'est-à-dire de ne
souffrir les députés traiter avec personne, et de leur imposer silence,
s'ils voulaient parler d'autre chose au roi que de remercîments et des
offres d'exécuter ce que Sa Majesté désirait. Mais à présent qu'elle
s'est encore plus engagée à ce refus, je crois que l'on y doit
persister, parce que l'on ne pourrait pas retourner en arrière, sans que
cela fût imputé à faiblesse.

«Je vous dirai de plus sur ce sujet, dans la dernière confidence, que M.
de Chavigny m'a fait savoir, par le moyen de M. Fabert, que l'on était
fort porté à Paris à l'accommodement, et que M. Coulas se devait
aboucher avec M. votre frère, qui néanmoins ne m'en a rien écrit; de
sorte qu'en ce cas il n'est plus besoin de députation, et il nous est
bien plus avantageux que les choses se passent par cette voie, parce
que, si cette conférence ne produit rien de bon pour nous, il sera fort
aisé à Leurs Majestés de dire qu'elles n'en ont eu aucune connaissance,
en cas que les princes en voulussent tirer avantage en la publiant, et
il n'en serait pas de même d'une députation publique, où il ne se
passerait rien que tout le monde ne sût.

«Je vous prie de faire mes recommandations à mes amis de delà, et
particulièrement à ceux qui sont du grand secret, et surtout à M. le
Coigneux, de qui, à vous parler franchement, je vous dirai que la
manière me plaît au dernier point, et que je prétends, à quelque prix
que ce soit, qu'il soit mon ami de la bonne sorte.

«Il est impossible que le cardinal de Retz ne remue quelque chose en
tout ceci; il faut bien prendre garde à lui; car assurément il n'a rien
de bon dans l'âme, ni pour le roi, ni pour l'État, ni pour moi. J'en ai
écrit au long à MM. Servien et le Tellier, et je vous conjure aussi de
n'oublier rien de votre côté pour rompre ses desseins, en cas que vous
les puissiez pénétrer.

«Je vous prie aussi de voir si, par le moyen des amis que vous avez à
Paris, on pourrait adroitement, même en y employant quelque argent,
ramener les esprits à mon égard, puisqu'ils commencent déjà à être mal
satisfaits des princes, et qu'il y a apparence qu'ils le seront toujours
de plus en plus.»

Une seconde lettre, du même jour, montre quelles étaient, à ce moment,
les inquiétudes du cardinal. Il redoutait surtout le marquis de
Châteauneuf et le cardinal de Retz; il connaissait leur habileté, leur
ambition et leurs intrigues. «Je vous fais ce mot à part, écrivait-il à
Nicolas Fouquet, pour vous dire qu'il est faux que M. le Prince ait
envoyé vers moi, comme M. de Châteauneuf a assuré, s'il ne veut entendre
ce que M. de Chavigny a écrit à M. Fabert. J'eusse été de votre avis à
l'égard de la proposition que ledit Châteauneuf avait faite d'envoyer
une personne de confiance en secret à Paris; car, comme vous dites, on
aurait pu tout désavouer, si l'intérêt du roi l'eût ainsi requis. Mais,
si l'abbé Fouquet a vu Goulas, ce sera la même chose, et beaucoup
mieux, puisque ledit Châteauneuf ne sera pas même de l'affaire.

«Je vous conjure de vous appliquer à rompre, par toutes sortes de voies,
les desseins du cardinal de Retz, et de croire comme un article de foi,
que, nonobstant toutes les belles choses qu'il fera et les protestations
de sa passion au service de la reine et de vouloir me servir sincèrement
et de pousser M. le Prince, il n'a rien de bon dans l'âme, ni pour
l'État, ni pour la reine, ni pour moi. Il faut donc bien garder les
dehors et empêcher qu'il ne s'introduise et qu'il ne puisse jouer en
apparence, ni à la cour ni à Paris, le personnage de serviteur du roi
bien intentionné; car il est incapable de l'être jamais en effet. Vous
n'aurez pas grand'peine avec la reine sur ce sujet; car elle le connaît
trop bien pour s'y fier jamais.

«Si par les artifices du cardinal de Retz ou autrement, il s'élevait
quelque orage contre moi à Paris, comme de parler au roi contre mon
retour, ou choses semblables, je crois qu'on pourrait faire en sorte que
toute la maison du roi, y comprenant les officiers des gardes françaises
et suisses, ceux des gardes du corps et des chevau-légers et gendarmes,
parlât avec grand respect au contraire, disant avoir jugé à propos de
dire en ce rencontre leurs sentiments à Sa Majesté, afin qu'elle sût
qu'ils étaient tous prêts à périr pour soutenir son autorité en une
affaire de cette importance, dans laquelle la cabale et l'artifice
agissaient pour des intérêts particuliers et non pas pour le motif de
son service. Cette proposition est indigeste, et j'espère qu'on ne sera
pas obligé d'en venir là; mais je vous dis en confidence mes pensées,
afin que vous y fassiez réflexion en cas de besoin, sans en parler à qui
que ce soit qu'à la reine.

«Peut-être c'est un soupçon mal fondé; mais je doute que MM. d'Épernon
et de Candale tireront de longue à faire une réponse définitive sur le
mariage[292], et que, donnant toujours de bonnes paroles, ils tâcheront
cependant de tirer tous les avantages qu'ils pourront. C'est pourquoi je
crois qu'il ne leur en faut accorder aucun, mais tenir les choses en
suspens, et se conduire en sorte qu'ils connaissent qu'on ne veut rien
faire qu'on ne voie auparavant la résolution qu'ils prendront sur ledit
mariage, et il ne serait pas mal que vous en dissiez un mot comme de
vous à M. de Miossens[293].»

On voit, par ces lettres, que Mazarin était vivement préoccupé des
intrigues du cardinal de Retz, et qu'il cherchait à les déjouer. En
effet, cet ancien chef de la Fronde, toujours ambitieux et prêt à
profiter des circonstances, voyait le parti des princes en décadence, et
la bourgeoisie avide de paix, mais encore hostile à Mazarin; il espéra
que le tiers parti, qu'il avait tenté plusieurs fois d'établir, pourrait
enfin triompher[294]. Sous prétexte d'aller recevoir la barette, ou
bonnet de cardinal, des mains du roi, il résolut de se rendre un grande
pompe à Compiègne, qu'habitaient alors Louis XIV et la reine Anne.
L'abbé Fouquet s'opposa avec beaucoup d'énergie à ce que la cour reçût
cet ambitieux. C'est Retz lui-même qui nous l'apprend. «L'abbé Fouquet,
dit-il[295], revenait à la charge, et soutenait que les intelligences
qu'il avait dans Paris y rétabliraient le roi au premier jour, sans
qu'il en eût obligation à des gens qui ne proposaient de l'y remettre
que pour être plus en état de s'y maintenir eux-mêmes contre lui.» Ce
témoignage d'un ennemi ne laisse aucun doute sur le zèle que mettait
l'abbé Fouquet à soutenir les intérêts de Mazarin. Il dut céder en cette
occasion, et, le 9 septembre, le cardinal de Retz partit en grande pompe
pour Compiègne. Il dit lui-même, dans ses Mémoires[296], qu'il avait
dans son cortège près de deux cents gentilshommes et cinquante gardes du
duc d'Orléans. Les députés du chapitre de Notre-Dame, les curés de Paris
et des congrégations religieuses, telles que celles de Saint-Victor,
Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Prés, Saint-Martin des Champs, le
suivaient et remplissoient vingt-huit carrosses à six chevaux[297].

Le 11 septembre, M. de Berlise, introducteur des ambassadeurs, vint
prendre dans un carrosse du roi le camérier du pape et le cardinal de
Retz. Il les conduisit au château de Compiègne, où le roi remit au
cardinal le bonnet rouge. Le cardinal prononça ensuite une harangue,
qu'il a eu soin de nous conserver[298]. Il y retraçait les maux de la
France: «Nous voyons, disait-il, nos campagnes ravagées, nos villes
désertes, nos maisons abandonnées, nos temples violés, nos autels
profanés.» Pour mettre un terme à ces malheurs, il exhortait le roi à
rentrer dans sa bonne ville de Paris, et à imiter les exemples de
clémence que lui avait donnés son aïeul Henri IV. Le roi manifesta, dans
sa réponse, des dispositions bienveillantes pour les Parisiens, mais en
se tenant dans de vagues généralités.

Après ces pompeuses cérémonies et ces discours d'apparat, qui étaient
bons pour amuser la foule, le cardinal de Retz voulut entrer dans le
secret des affaires[299]. Il promit, au nom du duc d'Orléans, que Gaston
se séparerait du prince de Condé et signerait la paix de bonne foi,
pourvu que Condé conservât ses gouvernements. Un l'écouta; mais on ne
prit pas au sérieux ses propositions. Lui-même avoue que l'abbé Fouquet,
qui se trouvait alors à Compiègne avec la mission d'éclairer toutes ses
démarches, se moquait de la dépense qu'il faisait[300]. «Il est vrai,
ajoute Retz, qu'elle fut immense pour le peu de temps qu'il dura. Je
tenais sept tables servies en même temps, et j'y dépensais huit cents
écus par jour.» Le cardinal prétend qu'il fut dédommagé de ces dépenses
excessives et des railleries de la cour par l'accueil qu'il reçut à
Paris. Ce qui est certain, c'est que sa négociation échoua complètement.
L'abbé Fouquet, au contraire, réussit à provoquer dans Paris une
manifestation énergique en faveur de la cause royale. Quant à l'intrigue
secrète qu'il avait nouée avec Chavigny et Goulas, il la poursuivit
mystérieusement jusqu'au jour où il devint inutile de dissimuler les
projets et les forces du parti de la cour.

Le but principal de cette négociation était de séparer le duc d'Orléans
du prince de Condé, Mazarin était persuadé que le second ne voulait pas
sincèrement la paix. «M. le Prince, écrivait-il à l'abbé Fouquet le 24
septembre, n'a veine qui tende à l'accommodement, entrant en de nouveaux
engagements et se liant tous les jours de plus en plus avec les
Espagnols. Quoi qu'il en soit, il importe d'en être éclairci promptement
et de façon ou d'autre, pour prendre résolution là-dessus. J'ai écrit au
long à M. le Tellier sur ce sujet, et comme l'on vous aura donné
connaissance de tout pour vous former la réponse que vous avez eue à
faire à Paris, je n'ai rien à ajouter sur cette matière. C'est à ceux
qui agissent sur les lieux par ordre de Leurs Majestés à y mettre la
dernière main. Surtout la diligence est nécessaire, et il ne faut plus
faire de renvoi vers moi pour cet effet.

«Il faut cultiver soigneusement les bonnes intentions de M. Goulas et
s'en prévaloir pour détacher Son Altesse Royale de M. le Prince, en cas
que M. le Prince ne veuille point la paix. Il faudra aussi se souvenir
en son temps de ce qu'il propose pour le cardinal de Retz. Cependant je
vous prie de l'assurer de la bonne manière de mon amitié et de mon
estime.

«C'est bien fait d'insinuer à M. de Chavigny qu'il ne sera pas épargné,
si M. le Prince commence une fois à maltraiter, les serviteurs du roi en
leurs biens. Au reste, je ne sais quel sujet nouveau il peut avoir de me
haïr depuis les protestations qu'il me fit du contraire à
Saint-Germain[301], et qu'il m'a confirmées par diverses voies.

«La reine a grande raison d'être satisfaite de M. le procureur général.
Je ne vous puis celer l'inquiétude que j'ai de voir que vous me mandez
qu'il mérite bien qu'on prenne quelque soin de le ménager; car si cela
regarde la confiance, je pense que M. le Tellier n'en use point
autrement avec lui qu'il ferait avec moi-même. Et pour l'affection, je
ne cède à personne, comme je crois qu'il est entièrement de mes amis.

«Ce que vous m'écrivez à l'égard de madame la Palatine[302] est
superflu. S'il est besoin qu'elle agisse, vous n'avez qu'à conférer avec
M. Servien et M. le Tellier de ce qu'elle aura à faire, et après, sur un
mot de la reine, je vous assure qu'elle fera tout ce qu'on voudra sans
hésiter. Ce qui est d'autant plus vrai que je puis vous dire
confidemment qu'elle n'est pas trop satisfaite du cardinal de Retz.»

La fin de la lettre de Mazarin est surtout remarquable. Elle prouve
qu'il avait le cœur plus français que ces princes qui laissaient les
Espagnols s'emparer de Gravelines et de Dunkerque. Après avoir parlé de
la difficulté de secourir Barcelone, qui était encore au pouvoir des
Français, il ajoutait: «Je vous avoue que je suis fort touché de voir
que, nonobstant toutes les peines que j'ai prises, la Catalogne se perd,
et le roi en souffre un préjudice qu'on ne saurait réparer en des
siècles entiers.»

Le jour même où Mazarin écrivait cette lettre, 24 septembre, quatre ou
cinq cents bourgeois, dirigés par M. le Prévost, chanoine de Notre-Dame
de Paris et conseiller clerc de la Grand'Chambre, se réunirent au
Palais-Royal, et, plaçant à leurs chapeaux des morceaux de papier au
lieu de la paille des frondeurs, annoncèrent l'intention de rappeler le
roi dans Paris, malgré les princes[303]. Le duc d'Orléans envoya le
maréchal d'Étampes pour connaître le but de cette réunion. Les bourgeois
ne le dissimulèrent pas, et quelques-uns même, poussant des cris de
menace et de provocation, s'écrièrent: _La paille est rompue. Point de
princes; vive le roi, notre seul souverain[304]!_ Le maréchal d'Étampes,
bien loin de pouvoir réprimer ce mouvement royaliste, fut obligé de
prendre le signe du parti et de rompre la paille. L'abbé Fouquet n'avait
pas manqué de se trouver à cette assemblée. «Dès que j'y fus,
écrivait-il au secrétaire d'État le Tellier, les bourgeois, qui étaient
réunis en grand nombre, sont venus à moi avec la dernière joie, me
demandant ce qu'ils avaient à faire et quel ordre il y avait pour eux.
Ils voulaient aller au palais d'Orléans[305] et exciter des séditions
par les rues. Je n'ai pas cru que l'affaire se dût mal embarquer; j'ai
pensé qu'il était nécessaire que j'envoyasse en diligence demander les
hommes de commandement que l'on voulait mettre à leur tête. Il ne faut
pas perdre un moment de temps pour les envoyer. Le maréchal d'Étampes
passa; ils l'ont obligé à prendre du papier, dont il a été assez
embarrassé, et sur ce que je lui ai dit qu'il en verrait bien d'autres,
il m'a répondu qu'il ne fallait point faire de rodomontades, et qu'il
fallait conclure la paix.

«M. le duc d'Orléans a souhaité de me voir; j'ai été une bonne heure
avec lui; j'ai trouvé seulement qu'il a un peu insisté sur les
troupes[306], disant qu'il ne voulait que sortir honorablement de cette
affaire. Je lui ai dit que, quand même on les accorderait, elles
seraient cassées au premier jour. Il a ajouté que, si l'on en réformait
d'autres, il consentait que celles-là le fussent aussi. Il m'a dit qu'il
n'était point d'avis que l'on mit par un article séparé, que M. de
Beaufort sortirait de Paris; qu'il lui ferait faire ce qu'il trouverait
juste; que, pour le parlement, il serait bien aise que la réunion[307]
se fit de manière qu'elle ne blessât point l'autorité du roi; mais
qu'il serait bien aise que le parlement ne fût pas mal satisfait de lui.
Et par-dessus, M. de Chavigny m'a assuré que, quand M. le Prince ne
s'accommoderait point, Monsieur s'accommoderait. J'ai vu qu'il voulait
être médiateur entre la cour et M. le Prince, ayant voulu entrer dans le
détail de tous les articles. Nous aurons contentement, pourvu qu'il ne
vienne point de faux jours à travers qui détournent M. le duc d'Orléans.
Tous les amis de M. le Prince approuvent les propositions de la manière
dont la cour souhaite qu'elles passent. J'espère une trêve dès demain.
Il y a une chose que M. de Chavigny me propose: c'est que M. le duc
d'Orléans aurait peine à consentir que M. le cardinal fût nommé dans
l'amnistie; qu'il était bon que l'on cassât tous les arrêts qui ont été
donnés, et que M. le cardinal fût justifié par une déclaration
particulière, et la raison de cela est qu'il fallait que Monsieur reçût
l'amnistie, et qu'il aimait mieux solliciter secrètement la
justification.

«Autant que je puis conjecturer, les affaires réussiront bien. Peut-être
demandera-t-on quelque argent pour le rétablissement de
Taillebourg[308]. Quant à Jarzé[309], n'ayant ordre de rien accorder, je
me tiendrai ferme là-dessus. M. de Broussel s'est démis de la prévoie
des marchands et s'en est repenti deux heures après, et, sur ce
repentir, M. le duc d'Orléans demanda à M. de Chavigny ce qu'il, avait
à faire. Il lui répondit: _Il s'en est démis, sans vous en parler;
parlez-lui en, sans le rétablir._ Si les affaires s'échauffent un peu,
c'est un homme que je vois bien qu'on pourra accabler.

«Le cardinal de Retz fut hier deux heures avec M. de Lorraine, et lui
fit espérer de grands avantages, s'il se voulait lier avec lui, et dit
en même temps qu'il a fait avertir les _têtes de papier_ (c'est ainsi
que l'on nomme la nouvelle union), qu'il gouvernait tout à la cour, et
qu'ils ne réussiraient jamais s'ils ne le demandaient pour leur
chef[310]. Sur ce, la plupart me sont venus demander avis; je leur ai
dit qu'il était bon d'avoir des gens de guerre à leur tôle; qu'il
fallait faire beaucoup de civilités au cardinal de Retz, et même, s'il a
des amis, lui demander secours; mais que, pour suivre ses ordres, cela
n'était pas nécessaire. Demain, à dix heures du matin, j'aurai la
dernière résolution de toutes choses. M. le Prince, si la paix ne se
conclut point, ne voyant plus de sûreté pour lui dans Paris, emmènera
son armée. Il est nécessaire que l'on nous envoie des placards
imprimés.»

Le lendemain, 26 septembre, l'abbé Fouquet, après être resté trois
heures en conférence avec Goulas et avoir pris les derniers
arrangements, se mit en route pour rejoindre la cour[311].

Le parti royaliste introduisit dans Paris une centaine d'hommes résolus,
soldats déguisés, qui devaient se porter aux dernières violences contre
les frondeurs obstinés[312]. Si l'on ajoute à ces négociations et à ces
agitations intérieures les succès de l'armée de Turenne campée à
Villeneuve-Saint-Georges, l'approche de la cour, qui s'établit à
Pontoise, la maladie et le découragement du prince de Condé, on
comprendra que la Fronde expirait, et qu'il ne s'agissait plus que de
lui porter les derniers coups. Un incident en retarda la ruine. La
lettre de l'abbé Fouquet, que nous venons de citer, fut
interceptée[313], et le duc d'Orléans, pour ne pas rompre ouvertement
avec le prince de Condé, suspendit pendant quelque temps les
négociations avec Mazarin.



CHAPITRE X

--OCTOBRE 1652--

L'abbé Fouquet s'obstine à continuer les négociations avec les
princes.--Sa passion pour la duchesse de Châtillon.--Mazarin
l'avertit vainement que le prince de Condé ne veut pas traiter
sérieusement avec la cour (5 octobre).--Il lui conseille de
s'attacher à séparer le duc d'Orléans de Condé.--L'intérêt
véritable du roi conseille de repousser les demandes de ce
dernier.--Mazarin revient avec plus d'insistance sur les mêmes
idées (9 octobre); il sait positivement que Condé est entré dans de
nouveaux engagements avec les Espagnols et leur a promis de ne pas
traiter avec la France.--Madame de Châtillon est également dévouée
aux Espagnols.--Plaintes de Mazarin sur la prolongation de son
exil; il espère que le procureur général, Nicolas Fouquet,
déterminera le parlement de Pontoise à proclamer son innocence.--Il
engage l'abbé Fouquet à profiter de la rupture entre le prince de
Condé et Chavigny pour assurer le succès des négociations avec le
duc d'Orléans.--Violence de Condé envers Chavigny; maladie et mort
de ce dernier (11 octobre).--Erreurs de Saint-Simon dans le récit
de ces faits.--Attaques dirigées à la cour contre l'abbé Fouquet;
on lui enlève la direction des négociations avec les princes.--Le
procureur-général, Nicolas Fouquet, se plaint vivement à Mazarin de
la conduite des ministres qui entourent la reine et de la rupture
des négociations.--Il pense que l'on devrait profiter de la bonne
disposition des Parisiens pour ramener le roi dans son Louvre.--Le
parlement siégeant à Pontoise est tout entier de cet avis, et c'est
en son nom qu'écrit le procureur général.


Lorsque l'abbé Fouquet, qui s'était rendu à Compiègne avec les dernières
conditions des princes, fut de retour à Paris, il trouva le duc
d'Orléans plus froid. Les princes exigeaient de nouvelles garanties, et
il était facile de reconnaître que le traité était ajourné. Cependant
l'abbé, qui portait dans la conduite des affaires plus d'ardeur que de
prudence, ne se découragea pas. Il était d'ailleurs entraîné dans cette
circonstance par un autre sentiment. La duchesse de Châtillon, qui était
toujours chargée de soutenir les intérêts de Condé, avait un charme
irrésistible pour l'abbé Fouquet, et cette passion ne lui laissait plus
toute sa liberté d'esprit pour discerner la vérité. Mazarin lui répétait
vainement que le prince de Coudé ne voulait pas traiter sérieusement, et
qu'il en donnait aux Espagnols des assurances positives. «Il est aisé à
voir, lui écrivait-il encore le 5 octobre, que M. le Prince se moque de
nous et n'a nulle envie de conclure. Vous vous étiez très-bien conduit à
l'égard de S.A.R. (Gaston d'Orléans), et vous aviez mis les choses au
point que nous pouvions souhaiter, pour nous assurer de S.A.R., de ceux
qui étaient de la conférence et des autres, en cas que M. le Prince ne
se fut pus satisfait des conditions que vous lui portiez, comme son
Altesse Royale et les autres vous témoignent de croire qu'il le devrait
être. Mais je crains que le malheur de votre dépêche, qui a été
interceptée, n'empêche que nous ne recevions pas du côté de S.A.R. tous
les avantages que nous pouvions raisonnablement attendre. «Je veux
croire néanmoins que l'on trouvera quelque expédient pour tout réparer,
et que vous n'oublierez rien auprès de M. de Choisy[314] et de M.
Goulas, qui témoignent avoir bonne intention et qui sont intéressés à
la chose, afin qu'ils pressent S.A.R. à ne marchander plus en cette
occasion de se séparer de M. le Prince, qui fait voir clairement n'avoir
autre but que la continuation de la guerre; et ce serait le plus grand
service que vous puissiez rendre à l'État.

«Pour ce qui est de M. le Prince, quand il serait autant de l'avantage
du service du roi, comme il y est tout à fait opposé, qu'on lui accordât
tout ce qu'il demande, ce relâchement serait attribué à l'impatience que
j'aurais de mon retour, puisque déjà l'on dit qu'il me le fera acheter
par rétablissement de la fortune de tous ses amis; mais cela ne me
mettrait guère en peine, car si M. le Prince avait une véritable envie
de s'accommoder, et que l'intérêt du roi obligeât Sa Majesté à consentir
à toutes les choses qu'il demande, je serais le premier à prendre la
hardiesse de les conseiller à Sa Majesté. Il me serait aisé de faire
voir que ce n'aurait pas été par le motif de mon retour à la cour,
puisque je ne bougerais pas d'ici[315] ou de Sedan.

«J'écris au long à M. le Tellier sur toutes les choses que vous avez
rapportées. C'est pourquoi je ne vous fais pas une longue lettre, vous
priant seulement de m'aimer toujours et de croire que vous n'aurez
jamais meilleur ami que moi, et d'assurer M. votre frère de la même
chose.»

Le 9 octobre, Mazarin revenait avec une nouvelle insistance sur
l'impossibilité de se fier au prince de Condé: «Je suis surpris de voir
que vous n'ayez pas encore reconnu que M. le Prince ne veut point
d'accommodement, et que toutes les vétilles auxquelles il s'arrête sont
des prétextes qu'il prend et non pas la véritable cause qui l'empêche de
conclure, ce qui est si vrai que si on pouvait, sans exposer à un
dernier mépris l'autorité du roi, lui accorder non-seulement les choses
auxquelles il insiste, mais même d'autres pour ses intérêts ou ceux de
ses amis, je mettrais ma vie qu'il ne s'accommoderait point, et je ne
hasarderais point grande chose, sachant dans quel engagement il est
encore de nouveau avec les Espagnols par des promesses positives que
Saint-Agoulin[316] a fait de sa part au roi d'Espagne, et par celles
qu'il a fait faire au comte de Fuensaldagne, lequel n'a jamais été plus
assuré qu'il ne l'est à présent de M. le Prince. Quelque chose qu'on lui
puisse offrir, il ne conclura rien qu'au préalable le roi d'Espagne
n'ait reçu les satisfactions qu'il souhaite pour la paix générale. Et
comme il y a diverses personnes à Paris du parti de M. le Prince qui
savent ce que dessus, je croyais qu'il vous aurait été aisé de
l'apprendre.

«Je vous dirai encore, dans la dernière confidence, que les Espagnols se
tiennent aussi assurés de madame de Châtillon qu'ils le sont de M. le
Prince, et que Viole et Croissy[317] savent cela encore mieux que moi.
Je vous conjure de n'en parler à qui que ce soit: car vous savez à quel
point je me fie en vous, mais croyez qu'il n'y a rien de si vrai que ce
que je vous dis.

«Vous vous souviendrez bien qu'à Sedan vous me témoignâtes que vous
croyiez que M. le Prince s'accommoderait à de bien moindres conditions
que celles que vous lui avez portées, et peut-être qu'en ce temps madame
de Châtillon avait d'autres idées que celles qu'elle a présentement.

«Hier au soir, j'ai eu nouvelle que le gouverneur de Charlemont avait
dit que M. le Prince avait dépêché au comte de Fuensaldagne, depuis que
vous traitiez avec lui, pour l'avertir de ne s'alarmer pas, quelque
chose qu'il entendît dire de son accommodement, à cause des conditions
avantageuses qu'on lui offrait, et qu'il fût bien assuré qu'il tiendrait
la parole qu'il lui avait donnée; mais qu'il était obligé de se conduire
d'une certaine façon, afin d'entretenir les peuples de l'union avec
S.A.R., leur faisant toujours croire qu'il avait passion de
s'accommoder, et se servant de divers prétextes pour ne le faire pas.

«Pour ce qui est de la peur dans laquelle vous étiez, par la tendresse
que vous avez pour moi, que la délibération que l'on devait faire dans
le conseil du roi ne me fit tort, vous n'en devez point avoir
d'inquiétude; car je vous assure que je n'en ai pas la moindre, quelque
chose que l'on y puisse résoudre, tant je suis persuadé que rien n'est
capable de faire accommoder présentement M. le Prince.

«Au reste, si l'on trouve que j'aie jamais promis des lettres de duc à
madame de Châtillon et le rétablissement des fortifications de
Taillebourg[318], je veux passer pour un infâme, n'ayant jamais dit
autre chose, à l'égard du prince de Tarente, si ce n'est que le roi
ferait examiner favorablement ses raisons pour le rang qu'il prétend; et
que pour les dommages qui avaient été faits en sa maison, M. le Prince
pourrait donner telle somme que bon lui semblerait sur celle que le roi
lui accorderait.»

Dans la suite de cette lettre, Mazarin se plaint vivement de la
prolongation de son exil, qui, d'après les promesses qu'on lui avait
faites, ne devait durer que peu de temps. Il aurait voulu que son
innocence fût proclamée par le parlement de Pontoise. L'on sent percer
dans cette partie de sa dépêche l'impatience et l'inquiétude. «Je suis
assuré, écrivait-il, de divers parlements qui n'attendent que de
recevoir la déclaration de mon innocence pour rectifier les affaires. Il
me semble que je me suis conduit en sorte, depuis ma retraite de la
cour, que je n'ai pas démérité des bonnes intentions que les principaux
du parlement de Pontoise, qui savent le secret, avaient pour moi. Je
devais être éloigné de la cour un mois, sans sortir du royaume.
Cependant, il y en a tantôt deux que je suis parti, et trente-six jours
que je suis en une petite chambre de ce château de Bouillon, sans que
j'aie encore dit un seul mot, quoique vous sachiez que ce n'est qu'un
trou, et que j'y suis exposé aux incuries du temps. Il ne m'est pas même
possible de me parer du vent et de la pluie; mais comme je me fie
autant en M. votre frère qu'en moi-même, je m'assure qu'il n'oubliera
rien pour surmonter tous les obstacles que l'on pourra faire à ma
justification, étant ce me semble assez raisonnable qu'un homme qui a
toujours été innocent cesse d'être criminel.

«Je suis en peine si vous avez reçu ma dépêche du 24 du passé, dont vous
ne m'avez rien mandé. Je m'assure que si vous voyez quelque chose qui
n'aille pas bien pour mes intérêts, vous m'en avertirez avec l'affection
que vous m'avez toujours témoignée, et que vous et M. votre frère
profiterez auprès de MM. de Chavigny et Goulas de la mauvaise intention
de M. le Prince pour les obliger à porter S.A.R. à se réunir avec Leurs
Majestés, à quoi vous servira beaucoup la brouillerie que vous me mandez
être entre M. le Prince et M. de Chavigny.»

La colère de Condé contre Chavigny, à laquelle Mazarin fait allusion
dans cette lettre, devint fatale à l'ambitieux négociateur. Le prince
était malade, comme on l'a dit plus haut. Chavigny alla le visiter; mais
il en fut très-mal reçu. Condé s'emporta avec sa violence ordinaire; ses
paroles furent si amères et probablement si vraies dans leur rudesse,
qu'elles émurent profondément Chavigny; il fut saisi de la fièvre, et en
rentrant chez lui, il se mit au lit pour ne plus se relever. Le cardinal
de Retz alla le voir, mais Chavigny ne le reconnut pas. Il en fut de
même du prince de Condé. Ce dernier étant dans la chambre où expirait
Chavigny: _Ce fut chez moi_, dit-il, _que le mal lui prit_.--_Il est
vrai_, répliqua la duchesse d'Aiguillon, _il est vrai, monsieur, ce fut
chez vous qu'il prit le mal; ce fut chez vous, en effet._ Son ton et son
geste, ajoute Conrart[319], faisaient assez entendre sa pensée.

Ainsi se termina, à l'âge de quarante-quatre ans, une vie empoisonnée
par l'ambition. Chavigny, au milieu des richesses, affectait une
indifférence philosophique pour les honneurs et même le rigorisme
religieux; mais il ne sut jamais ni se résigner au repos ni saisir le
pouvoir qu'il poursuivait avec une ardeur passionnée. Il espéra d'abord
arriver à la direction des affaires par le testament de Louis XIII; mais
il se vit annulé dans le conseil par Mazarin. Il tenta ensuite de faire
une cabale dans le palais du duc d'Orléans et de dominer ce prince; mais
il fut supplanté par l'abbé de la Rivière. Il voulut profiler des
désordres de la cour et du parlement pour devenir leur arbitre, et
s'élever au premier rang dans le conseil; il en fut puni par la prison
et l'exil. L'intrigue qu'il noua en 1649, avec le duc de Saint-Simon et
le prince de Condé[320], n'aboutit qu'à l'arrestation des princes.
Lorsque le cardinal eut quitté la France en 1651, Chavigny revint à
Paris et entra au ministère, mais ce fut pour quelques mois seulement;
il ne fit qu'y semer la discorde et y recueillir l'exil. Enfin sa
dernière négociation fut une de ces menées souterraines où il chercha à
tromper tout le monde: Mazarin, en lui promettant de le réconcilier à la
fois avec le duc d'Orléans et avec Condé: les deux princes, en s'en
servant pour parvenir au pouvoir. Mais sa politique égoïste fut enfin
démasquée, et il périt victime de son ambition.

Saint-Simon, le grand peintre du dix-septième siècle, a saisi avec sa
vigueur ordinaire les principaux traits de cette physionomie, mais en
mêlant le vrai et le faux: «Il est difficile, dit-il[321], d'avoir un
peu lu des histoires et des Mémoires de Louis XIII, et de la minorité du
roi son fils, sans y avoir vu M. de Chavigny faire d'étranges
personnages auprès du roi, du cardinal de Richelieu, des deux reines, de
Gaston, à qui, bien que secrétaire d'État, il ne fut donné pour
chancelier, malgré ce prince, que pour être son espion domestique. Il ne
se conduisit pas plus honnêtement, après la mort du roi, avec les
principaux personnages, avec la reine, avec le cardinal Mazarin, avec M.
le Prince, père et fils[322], avec la Fronde, avec le parlement, et ne
fut fidèle à pas un des partis qu'autant que son intérêt l'y engagea. Sa
catastrophe ne le corrigea point. Ramassé par M. le Prince, il le trompa
enfin, et il fut découvert au moment qu'il s'y attendait le moins. M. le
Prince, outré de la perfidie d'un homme qu'il avait tiré d'une situation
perdue, éclata et l'envoya chercher. Chavigny, averti de la colère de M.
le Prince dont il connaissait l'impétuosité, fit le malade et s'enferma
chez lui; mais M. le Prince, outré contre lui, ne tâta point de cette
nouvelle duperie, et partit de l'hôtel de Condé, suivi de l'élite de
cette florissante jeunesse de la cour qui s'était attachée à lui, et
dont il était peu dont les pères, ou eux-mêmes, n'eussent éprouvé ce que
Chavigny savait faire, et qui ne s'étaient pas épargnés à échauffer M.
le Prince. Il arriva, ainsi escorté, chez Chavigny, à qui il dit ce qui
l'amenait, et qui, se voyant mis au clair, n'eut recours qu'au pardon.
Mais M. le Prince, qui n'était pas venu chez lui pour le lui accorder,
lui reprocha ses trahisons sans ménagement, et l'insulta par les termes
et les injures les plus outrageants. Les menaces les plus méprisantes et
les plus fâcheuses comblèrent ce torrent de colère, et Chavigny de rage
et du plus violent désespoir. M. le Prince sortit après s'être soulagé
de la sorte en si bonne compagnie. Chavigny, perdu de tous côtés, se vit
ruiné, perdu sans ressources et hors d'état de pouvoir se venger. La
fièvre le prit le jour même et l'emporta trois jours après.» Toute cette
mise en scène est dramatique et fait honneur à l'imagination de
Saint-Simon; mais une grande partie est de pure invention. La visite de
Condé à Chavigny, le cortège qui l'entoure et qui l'excite à la
vengeance, tout cela a été imaginé par Saint-Simon, comme le prouvent
les récits contemporains de Monglat, de Conrart et du cardinal de
Retz[323]. La mort de Chavigny ne suspendit pas les négociations. Goulas
continuait de traiter au nom du duc d'Orléans, et madame de Châtillon
défendait les intérêts du prince de Condé avec d'autant plus de succès,
que l'abbé Fouquet, épris d'une folle passion, n'était plus en état de
discerner les pièges qu'elle lui tendait. Les ennemis de l'abbé ne
tardèrent pas à s'en apercevoir. La violence de son caractère, ses
imprudences et son avidité lui avaient suscité, même à la cour, de
nombreux adversaires. Parmi eux se plaçait le secrétaire d'État, Michel
le Tellier. D'un caractère froid et réservé, d'apparence modeste, habile
à dominer ses passions et à deviner celles des autres, le Tellier
s'était maintenu auprès de la reine à force de zèle, d'application à ses
devoirs, de finesse d'esprit et d'obséquiosité de caractère. L'abbé
Fouquet, avec ses emportements et ses passions impétueuses, n'avait pas
les sympathies de ce secrétaire d'État. Mazarin, qui les dominait et
savait se servir de la finesse de le Tellier comme de l'ardeur de l'abbé
Fouquet, les avait maintenus en bonne harmonie. Mais, depuis
l'éloignement du cardinal, le Tellier avait fait ressortir dans le
conseil du roi les fautes de l'abbé Fouquet et sa passion aveugle pour
madame de Châtillon. Ce fut d'après son avis que la reine enleva à
l'abbé la direction des négociations, qui se continuaient avec le duc
d'Orléans, et le remplaça par le conseiller d'État, Étienne d'Aligre,
grave personnage, qui devint chancelier de France après la mort de
Séguier.

L'abbé Fouquet et son frère le procureur général furent profondément
blessés de cette espèce de disgrâce. Le procureur général surtout le
prit sur un ton assez haut. Il accusa le conseil du roi d'avoir rompu
les négociations et empêché ainsi le retour du cardinal on France. Il
évitait de parler de la disgrâce de son frère, mais il déplorait la
faute de ceux qui s'opposaient au rétablissement de la paix. Dans cette
lettre, le procureur général avait soin de ne pas parler en son nom,
mais au nom du parlement réuni à Pontoise[324].

«J'ai grand déplaisir, écrivait Nicolas Fouquet à Mazarin, de voir les
serviteurs de Votre Éminence déchus de l'espérance qu'ils avaient eue de
la voir présentement rentrer dans l'autorité avec l'agrément et
satisfaction de tous les peuples, du consentement des princes et du
parlement et dans la réjouissance d'une paix si universellement
souhaitée. Cependant je ne sais par quel malheur ou mauvaise conduite on
a rendu toutes ces bonnes dispositions inutiles, et il semble qu'on
prend à tâche de les ruiner, en sorte qu'elles ne puissent plus être
rétablies. Votre Éminence aura appris les articles qui étaient en
contestation, les tempéraments dont on convenait, et je ne puis croire
qu'elle n'y eût donné les mains. L'article de la cour des aides[325],
étant remis à six mois, était un lien nécessaire, au moins pendant ce
temps, entre Votre Éminence et M. le Prince; autrement il eût rendu
cette condition inutile, aussi bien que celle des troupes et la plupart
des autres qui sont remises à un autre temps; il eût eu l'obligation à
Votre Éminence d'avoir terminé l'affaire avec confiance de part et
d'autre, et on eût pu prendre des mesures secrètes contre les ennemis
communs. Cependant les peuples, lassés d'une si longue guerre, se
fussent remis en leur devoir, les troupes se seraient séparées,
l'autorité du roi rétabli, son âge plus avancé, Votre Éminence bien
confirmée; et on renverse tout sans que personne puisse en pénétrer le
fondement!

«Si les armes du roi étaient de beaucoup supérieures aux autres, que le
duc de Lorraine fût détaché des Espagnols, qu'il y eût espérance prompte
d'une paix au dehors et que le roi n'eut plus qu'à réduire les rebelles,
j'aurais estimé qu'il vaudrait mieux encore souffrir un peu et faire une
paix plus ferme et plus durable, en la faisait plus honorable; mais,
après avoir négligé les bonnes dispositions de Paris et avoir coulé tout
ce temps favorable sans en profiter, avoir laissé fortifier leurs armées
de celles des Espagnols qui sont prêtes à entrer, et dépérir les nôtres,
persuader les peuples que ceux du conseil du roi ne veulent point de
paix, et se rendre aujourd'hui plus difficiles quand la guerre est plus
mal aisée à soutenir, c'est un raisonnement que peu de personnes peuvent
comprendre.

«Pour faire échouer cette affaire, on s'est servi du prétexte de suivre
exactement un mot tiré des lettres de Votre Éminence, _qu'il fallait
communiquer cette affaire au conseil_, et ce prétexte va faire naître de
nouveaux obstacles, la jalousie entre ceux du conseil et le dessein de
plans à la reine, ou d'avoir plus de part au secret les uns que les
autres, feront toujours échouer toutes les préparations qui seront
remises pour y être délibérer à moins qu'elles seront entièrement
résolues auparavant par Votre Éminence, et je suis si convaincu de cette
vérité, que je suis assuré qu'il n'y en a aucun en son âme qui ne juge
l'accommodement nécessaire, et qui n'y eût donné les mains, si la chose
avait été conduite par son ordre et de sa participation. Ceux de notre
compagnie, qui sont les plus fermes et les mieux intentionnés, sont dans
cette même pensée et ont grand regret de voir échapper une occasion si
favorable du retour de Votre Éminence et de voir cesser les troubles. Il
y a des temps où il faut perdre quelque chose pour en sauver davantage.
La conjoncture du souhait que faisaient les peuples de Paris de revoir
le roi était si avantageuse, qu'il est à craindre que les mêmes choses
accordées dans un autre temps ne soient pas reçues avec une même joie,
après que les peuples animés auront repris leur ancienne rage. La
lettre, qui fut surprise au valet de mon frère, avait laissé une
défiance dans l'esprit des chefs du parti contraire, laquelle étant
cultivée après l'accommodement terminé, les aurait empêchés de jamais se
rejoindre. En un mot, pour ne point ennuyer Votre Éminence sur cet
article, je suis persuadé que les affaires de deçà n'iront pas bien
qu'il n'y ait une personne qui décide avec plein pouvoir des affaires de
cette qualité; mais, d'une autre part, il est à craindre que le retour
de Votre Éminence ne fasse quelque méchant effet, si l'on n'est
d'accord, ou si nos forces ne sont supérieures, ou si le roi ne se rend
maître de Paris, auquel cas Paris est si fatigué, qu'il ne remuera plus
pour quelque cause que ce puisse être.

«Pour se rendre maître de Paris, il n'y a aucun des serviteurs du roi,
ni dedans, ni dehors, qui ne soit d'accord qu'il n'y a qu'à le vouloir,
et que, si le roi envoie demander deux des portes aux habitants pour
être gardées par son régiment des gardes, et qu'il aille ensuite dans le
Louvre, que tout Paris ne se déclare d'une si grande hauteur, et que les
princes seront contraints de s'enfuir. Il est certain que, dès le
premier jour, les ordres du roi seront exécutés par tous. Les officiers
légitimes seront rétablis en leurs fonctions; les portes seront fermées
aux ennemis; l'amnistie sera publiée telle que Votre Éminence le peut
souhaiter, et notre compagnie[326] réunie dans le Louvre en présence du
roi. La joie en sera si universelle, les acclamations publiques si
hautes, qu'il n'y a aucun homme assez hardi pour y trouver à redire, et
j'estime que cette justification de Votre Éminence dans Paris par la
compagnie réunie est plus honorable et plus avantageuse que tout ce que
l'on peut penser. J'ose dire à Votre Éminence qu'il n'y a qu'une action
de cette qualité qui puisse tout bien rétablir, et qu'elle est si facile
et si indubitable, qu'il n'y a point de gens qui osent la contrarier, si
ce n'est par jalousie. L'armée des princes étant décampée favorisera le
passage du roi. On fortifiera les gardes des autres troupes, le roi,
demeurant maître de deux portes qu'il ne faut plus jamais quitter, ira
et viendra comme il lui plaira. La Bastille n'oserait refuser d'obéir en
donnant quelque médiocre récompense[327], et, dans cette première joie,
en prenant bien ses avantages, le roi peut tout ce qu'il voudra. La
conjoncture de la maladie de M. le Prince est favorable. Il n'y faut pas
perdre un moment. Ni les Lorrains ni les Espagnols ne s'engageront point
dans Paris, et bientôt vous aurez la paix, ou du moins la guerre au
dehors.

«Je supplie Votre Éminence et la conjure de considérer que ce que
j'écris n'est point intéressé; que tous ceux qui n'ont point de jalousie
les uns contre les autres pour traverser leurs avis ou se prévaloir du
désordre sont tous dans ce sentiment. Tous ceux de notre compagnie,
après s'être bien éclaircis du dedans de Paris dont chacun reçoit par
jour plusieurs lettres, sont tous dans la même pensée. MM. les
présidents de Novion, le Coigneux, de Mesmes, M. Ménardeau, mon frère,
et cinq ou six autres conseillers, et généralement tous conviennent d'un
même principe. Nous savons tout ce qui se dit au contraire; nous savons
les sentiments de ceux du conseil, et, après tout bien examiné, nous
convenons tous, sans aucune contradiction, qu'il faut promptement, ou
l'accommodement en quelque manière que ce soit, comme il est proposé, ou
le voyage du roi prompt à Paris, et nous croyons la chose si certaine,
que nous irons tous avec le roi et donnerons les arrêts que l'on voudra
dans le Louvre. Tous ceux qui restent un peu bien intentionnés se
joindront à nous, et les autres, auteurs du mal, n'osant y paraître, le
roi sera maître des délibérations. Ce que j'écris à Votre Éminence est
au nom de tous ces Messieurs, qui m'ont chargé de vous écrire, et qui
vous écriraient aussi s'ils avaient un chiffre. Nous supplions Votre
Éminence de nous faire savoir une réponse prompte, les moments étant
précieux en cette occasion.»

Il y a, dans toute cette lettre, un ton du vigueur et de fermeté qui
atteste que les Fouquet avaient le sentiment de leur importance et des
services qu'ils rendaient au cardinal. On y sent en même temps
l'autorité d'un parti triomphant, qui croit pouvoir ramener le roi dans
son Louvre et qui s'indigne de retards pusillanimes. Mazarin était le
principal auteur de ces délais, parce qu'il aurait voulu accompagner
Louis XIV dans sa rentrée solennelle à Paris. Mais, n'osant pas
découvrir le fond de sa pensée, il s'attacha, dans sa réponse à Nicolas
Fouquet, à expliquer et à justifier la rupture des négociations avec les
princes.



CHAPITRE XI

--OCTOBRE 1652--

Inquiétude que les divisions du parti royaliste inspirent à
Mazarin.--Dans sa réponse au procureur général (12 octobre), il
montre que le prince de Condé n'a jamais traité avec sincérité et
que n'espérant pas conclure la paix avec lui, il a dû en référer au
conseil du roi.--Il est disposé, quant à lui, à demeurer exilé
toute sa vie si le service du roi l'exige, et approuve le projet de
ramener le roi à Paris.--Peu de sincérité de cette lettre.--Mazarin
est plus explicite avec l'abbé Fouquet: il exprime le désir de voir
continuer les négociations particulières avec Goulas, et souhaite
que l'on détermine le duc d'Orléans à se retirer dans son
apanage.--Mazarin souhaite vivement entrer à Paris avec le roi; il
va se rendre à Sedan et se tenir prêt à rejoindre la cour, dès
qu'il sera nécessaire.--Inquiétude que lui inspirent le cardinal de
Retz et ses relations avec l'hôtel de Chevreuse.--L'abbé Fouquet
reçoit d'un des confidents de Mazarin des renseignements sur les
causes de sa disgrâce.--Il conserve toute la confiance du cardinal,
qui le charge de hâter son retour, au moment où la cour se
rapproche de Paris.--Départ de Condé et du duc de Lorraine (13
octobre).--Entrée du roi à Paris (21 octobre).


Mazarin voyait avec peine la division se mettre dans le parti royaliste
au moment où son triomphe semblait assuré. Il se hâta d'écrire au
procureur général et à l'abbé Fouquet pour les apaiser. Il parla au
premier avec les ménagements qu'exigeait la dignité d'un magistrat,
interprète des opinions et des vœux du parlement fidèle. Quant à l'abbé
Fouquet, il s'efforçait de lui ouvrir les yeux et de lui prouver qu'il
était dupe de madame de Châtillon, mais il évitait de blesser la vanité
d'un partisan aussi dévoué. C'est seulement dans la lettre d'un
confident du ministre que l'on trouve toute sa pensée. Ce dernier
plaisante l'abbé Fouquet sur l'influence qu'exercent les beaux yeux de
madame de Châtillon, et, en même temps, il lui fait entendre que c'est
le secrétaire d'État le Tellier qui l'a desservi près de la reine, et
lui a fait enlever la direction de la négociation avec les princes. Le
ton de ces trois lettres marque bien les nuances et fait connaître les
intrigues secrètes qui s'agitaient à la cour en l'absence du cardinal.
Voici d'abord la lettre que Mazarin écrit au procureur général, Nicolas
Fouquet, en réponse à ses plaintes:

«Je vous suis très-obligé des bons avis que vous me donnez de concert
avec MM. les présidents, auxquels je vous prie d'en faire mes
remercîments, et de les assurer que je conserverai toujours une
particulière reconnaissance de l'affection qu'ils me témoignent. Il n'y
aurait rien de plus fort ni de plus judicieux que le raisonnement que
vous faites touchant l'accommodement avec les princes, si le principal
fondement sur lequel vous l'établissez pouvait subsister; mais vous
présupposez que M. le Prince donnerait volontiers les mains à
l'accommodement, et il n'y a rien de si certain que jamais il n'en a été
plus éloigné qu'à présent et n'a été plus persuadé de pouvoir aisément
faire réussir ses desseins, étant pour cet effet entré en de nouveaux
engagements avec les Espagnols, qui sont si étroits et si précis, que,
quand même il lui viendrait des pensées de s'accommoder, il ne passerait
pas outre, qu'au préalable il ne leur eût fait donner satisfaction par
la paix générale, comme il est porté par son traité, et comme depuis peu
il en a fait faire des promesses positives de sa part à don Louis de
Haro par Saint-Agoulin, qui est en Espagne, et à Fuensaldagne par
Saint-Romain et par d'autres qu'il lui a dépêchés après lui, le priant
de ne concevoir aucun soupçon du contraire sur le bruit des négociations
qui seraient sur le tapis, auxquelles il était obligé de prêter
l'oreille, pour ne s'attirer pas la haine des peuples et pour ne donner
pas sujet à M. le duc d'Orléans de se séparer de lui. C'est la pure
vérité que je vous dis, et je n'ai pas eu grande peine à me confirmer
dans cette créance, après avoir vu le refus qu'il a fait des marques si
extraordinaires de la bonté du roi, que M. l'abbé Fouquet lui avait
portées; de sorte que ce n'est pas le plus ou le moins des conditions du
traité qui en arrête la conclusion, mais le défaut de volonté en M. le
Prince.

«Je demeure d'accord de ce que vous dites que, pour rétablir l'autorité
royale, pacifier le dedans du royaume et faire cesser les maux que la
guerre civile fait souffrir, le roi se devrait beaucoup relâcher, et
vous voyez bien aussi à quel point on l'a fait, puisque toute la cour en
a murmuré jusqu'à dire que je faisais bon marché de l'intérêt du roi,
parce que cela servait au mien particulier. Enfin, il est assez
vraisemblable que, si M. le Prince avait eu la moindre disposition à
s'accommoder, il ne se serait pas arrêté de le faire pour la
suppression de la cour des aides et pour procurer plus ou moins
d'avantages au comte du Daugnion.

«En outre, il faut considérer que M. le duc d'Orléans, qui témoigne une
si grande passion de faire son accommodement avec M. le Prince, est
tombé d'accord qu'on lui accorde plus de grâces qu'on ne devait. En
dernier lieu, S.A.R. et M. de Lorraine se sont laissés entendre sur ce
sujet à diverses personnes, qu'on n'avait pas grand soin à la cour de
ménager la dignité du roi, et vous aurez même su que M. de Châteauneuf a
publié partout qu'il avait offert de faire conclure l'accommodement à
des conditions bien plus honorables et plus avantageuses pour Sa Majesté
que celles qu'on a envoyées à M. le Prince par M. votre frère.

«Il est vrai que, lorsque j'ai vu que tout ce qui se traitait avec M. le
Prince était public, tant à Paris qu'à la cour, et qu'il n'y avait pas
grande apparence de rien conclure, j'écrivis que j'estimais du service
du roi que l'on examinât cette affaire dans le conseil, afin de ne
demeurer pas seul garant de l'événement, et qu'on ne donnât pas sujet à
ceux dudit conseil qui n'étaient pas de ce secret, de blâmer également
la conduite qu'on aurait tenue, soit que la chose réussit ou ne réussît
pas.

«Vous me dites que mon retour à la cour dans la condition présente des
affaires pourrait peut-être faire un méchant effet. Cependant, lorsque
j'en partis, l'on ne présupposait pas que les princes se dussent
accommoder; mais au contraire que, mon éloignement n'empêchant pas que
la guerre ne continuât, les peuples se dessillant les yeux
connaîtraient à la fin que je n'étais que le prétexte et non pas la
cause des maux qu'on leur faisait souffrir; ce qui étant, je pourrais
m'en retourner auprès de Leurs Majestés avec toute sorte de raison et de
bienséance, et avec l'applaudissement de tout le monde. Cependant, sur
le point de mon retour, je vous puis assurer avec sincérité que je n'en
ai nulle démangeaison, et que, si je croyais que ma demeure pour toute
ma vie en ce lieu pût, en quelque façon, contribuer au service du roi et
au bonheur de ses sujets, je l'y établirais avec plaisir, sans que
personne m'en pût empêcher. Mais j'ose dire, sans aucune préoccupation
et sans autre égard que celui du bien de l'État, que ma présence à la
cour peut être encore plus utile, les mouvements présents continuant,
que s'ils étaient apaisés, et je me flatte dans la créance que les
intérêts de MM. les présidents, les vôtres et ceux de tout le parlement
se rencontrent dans cette pensée.

«Pour ce qui est de nos forces, je vous assure qu'elles ne sont pas si
peu considérables, que nous soyons en état de beaucoup appréhender les
ennemis, et qu'elles augmenteront tous les jours, en sorte que je ne
crois pas qu'il nous soit fort mal aisé de les empêcher de prendre des
quartiers d'hiver en France. Si raccommodement se fait avec M. le duc
d'Orléans, comme il y a grande apparence, tout ira à souhait, et, quand
il y aurait des difficultés, je m'assure que Son Altesse Royale voyant
le roi s'approcher de Paris en résolution d'y entrer, elle ne
l'empêcherait pas du passer outre.

«Par les avis que je reçois, je vois que la disposition de la ville de
Paris est aussi bonne qu'elle a jamais été; que le roi est en état d'en
profiter, et que tout le monde s'applique à la cour, afin que Sa Majesté
le puisse faire avec une entière sûreté. Sur quoi j'ai écrit comme je
devais, étant de votre avis qu'un semblable coup peut extrêmement
contribuer à rétablir l'autorité du roi et mettre ses affaires en tel
état, que, quand il sera contraint à continuer la guerre étrangère et
domestique, ayant Paris de son côté, il en ait plus de moyen et de
facilité.

«Je crois que ce que vous me dites de faire la réunion du parlement dans
le Louvre est en cas qu'il ne se fit point d'accommodement. Car cela
étant, il serait bien plus avantageux, et pour le roi, et pour vous
autres, Messieurs[328], que les officiers qui sont à Paris sortissent
pour tenir quelques séances à Pontoise. A quoi j'estime d'autant plus
qu'ils consentiraient, que M. de Besançon m'a assuré de la part de M. de
Nesmond que, si le roi les mandait pour aller à Saint-Germain, ils y
obéiraient très-volontiers. Je lui ai fait réponse là-dessus que je ne
me mêlais de rien; mais que, s'il avait quelque chose à proposer, il se
devait adresser ou à vous ou à quelqu'un des ministres du roi.»

Cette lettre, destinée à être montrée aux membres du parlement siégeant
à Pontoise, est loin d'exprimer toute la pensée de Mazarin: il glisse
rapidement sur son désir de rentrer à Paris avec la cour, et il ne parle
que de l'intérêt public dans une circonstance où il était dirigé avant
tout par son intérêt personnel. Quant à la disgrâce de l'abbé Fouquet,
il s'en tait aussi bien que le procureur général, quoiqu'elle fut la
véritable cause du ton de dignité offensée qu'on remarque dans la
première partie de la lettre de ce dernier. Mazarin se borne à expliquer
pourquoi il a dû soumettre la question de la paix au conseil du roi.
Avec l'abbé Fouquet, le cardinal est beaucoup plus explicite: il ne
craint pas d'aborder le point délicat. Il montre à son confident qu'il
s'est trompé sur les dispositions de Condé et de madame de Châtillon;
mais il conserve l'espoir qu'il pourra diriger, par l'intermédiaire de
Goulas, une négociation séparée avec le duc d'Orléans et le déterminer à
se retirer dans son apanage de Blois. Enfin Mazarin insiste sur son vif
désir de rentrer à Paris avec le roi. «J'avais eu quelque chagrin, lui
écrit-il, de ce que vous n'étiez plus retourné à Paris, et qu'on eût
employé un autre que vous en la négociation avec Son Altesse Royale;
mais je vois que les choses continuent toujours à se traiter par
l'intelligence qui est entre votre frère et M. Goulas. Je m'assure que
l'affaire ne changera point de face et que vous aurez l'un et l'autre la
principale part à la conclusion, à laquelle il me semble que
l'opiniâtreté de M. le Prince, la bonne intention de M. Goulas et
beaucoup d'autres raisons contribuent extrêmement.

«J'attends cependant avec impatience des nouvelles de ce qui se devait
dire en la conférence qui devait être faite, si l'accommodement se peut
faire avec Son Altesse Royale en la manière que vous me l'écrivez, et
qu'elle demeure d'accord de s'en aller dans son apanage. C'est tout ce
que nous saurions souhaiter, et ce serait un grand malheur s'il
demeurait à Paris gouverné par M. le cardinal de Retz, M. de Châteauneuf
et autres de cette cabale-là, puisque, par ce séjour, nous serions
exposés aux mêmes inconvénients où l'on est tombé par le passé.

«Je vous remercie du conseil que vous me donnez de m'approcher, et du
désir que vous témoignez que je sois en état de pouvoir accompagner le
roi à Paris. Je vous avoue confidemment que c'est une chose que je
souhaiterais, et pour la dignité de Leurs Majestés, et pour ma
réputation, et pour l'avantage qu'en retireront messieurs du parlement
de Paris qui est à Pontoise, par le concert avec lequel on agirait en
toutes choses, et surtout par l'intelligence que j'aurais avec M. votre
frère, duquel je ferai toujours une estime particulière, et je m'y fie à
un tel point que je n'oublierai rien, afin qu'il soit toute ma vie un de
mes plus intimes amis.

«Je fais donc état de partir un de ces jours pour aller à Sedan. Je ne
m'avancerai pas plus avant, mais je me tiendrai prêt pour me rendre en
diligence à la cour, aussitôt que l'on le jugera nécessaire, et comme
vous avez bien pris d'autres peines pour moi, je m'assure que vous ne
refuserez pas de prendre encore celle de m'écrire toujours quand vous
aurez quelque chose d'important à me faire savoir sur ces sujets ou sur
tel autre que ce puisse être.

«J'avais oublié de vous dire que je sais de source certaine que le
cardinal de Retz est dans le dernier bien avec M. de Lorraine, de façon
que, s'il est vrai, comme tout le monde dit, que celui-ci ait tout
pouvoir sur l'esprit de M. le Prince, il ne faut pas douter qu'il ne
vienne à bout de seconder ledit cardinal, dans la pensée que, pendant
que lui et M. le Prince tiendront la campagne avec les ennemis, ils
auront Son Altesse Royale de leur côté, le laissant entre les mains du
cardinal de Retz, qui paraît agir de concert en toutes choses avec
madame de Chevreuse.»

Cette insinuation contre madame de Chevreuse, qui avait pendant quelque
temps soutenu énergiquement Mazarin, n'est pas la seule que l'on trouve
dans les lettres du cardinal. Les Mémoires de Retz parlent aussi de
tentatives de rapprochement qui eurent lieu à cette époque entre lui et
l'hôtel de Chevreuse[329]: mais il ajoute qu'il ne s'y prêta pas. Ce qui
est certain, c'est que les pamphlets du temps signalèrent ce
rapprochement des chefs de la vieille Fronde et la conformité de leur
génie. Une des mazarinades, intitulée la _Vérité_, insiste sur ce point:
«On examine la conduite de la duchesse de Chevreuse; on n'y rencontre
jamais qu'une importune suite de souplesses qui s'engagent
insensiblement l'une après l'autre, et dont elle ne se dégage jamais. On
examine l'économie du cardinal de Retz, et la même confusion la rend
désagréable. La première ne vit que par les tempêtes qu'elle a
soulevées: point d'ordre, point de calme, point d'économie dans sa
conduite. Le cardinal de Retz ne se brouille pas moins. Sa conduite
n'est autre chose qu'une suite de souplesses entrelacées les unes avec
les autres; il ne finit jamais, parce que, en sortant d'un abîme, il
tombe dans un autre. Il a l'intrigue inépuisable.»

L'abbé Fouquet, initié à tous les secrets de l'hôtel de Chevreuse,
savait à quoi s'en tenir sur les avances que l'on faisait de ce côté au
cardinal de Retz. On voulait amener Paul de Gondi à conclure un traité
qui l'éloignât de Paris et du duc d'Orléans qu'il gouvernait. Ce qui
inquiétait davantage l'abbé Fouquet, c'était le parti qui se formait à
la cour contre lui, et qui déjà lui avait infligé une sorte de disgrâce.
Un de ses amis, qui avait suivi le cardinal dans son exil, lui donna sur
ce point d'utiles renseignements. Nous ne pouvons affirmer quel était
cet ami qui garde l'anonyme. Il est probable cependant que c'était un
des secrétaires intimes de Mazarin, Roussereau ou Roze. Le premier est
peu connu; le second, qui devint après la mort de Mazarin, secrétaire de
Louis XIV et qui _tint la plume_, comme on disait alors, avait un esprit
piquant, libre et hardi pour un homme de cour. Il sut tenir tête aux
Condé[330]. Je pense que la lettre suivante est de lui. Ce qui est
certain, c'est qu'elle fait bien connaître la situation de l'abbé
Fouquet à cette époque, les accusations de ses ennemis, les espérances
ambitieuses qu'ils lui prêtaient, et l'estime qu'en faisait Mazarin.

«Je ne m'étais pas trompé, quand je vous ai écrit que vous ne manqueriez
pas d'envieux qui tâcheraient de censurer votre conduite pour vous
discréditer. Diverses personnes de la cour ont écrit contre vous, vous
accusant particulièrement d'être contraire à l'affaire de Paris[331],
soit parce qu'on ne vous en avait pas donné part dans le commencement,
ou parce que vous aviez si fort dans l'esprit l'accommodement de M. le
Prince, par lequel même on marque que vous prétendiez vous élever à la
pourpre, que vous ne pouviez goûter aucune autre voie que l'on voulût
prendre pour avancer le service du roi. On a été jusqu'à dire que,
quelque esprit qu'eût madame de Châtillon, ses yeux sont encore plus
éloquents que sa bouche, et qu'il n'y a point de raisons qui ne cèdent à
leur force. Enfin, ils concluaient que tout le monde connaissant à
présent clairement que M. le Prince ne veut point de paix, la passion
que vous témoigniez était une marque, ou de peu de clairvoyance, ou
d'opiniâtreté, ou de préoccupation. Mais je vous puis assurer sans
déguisement que tout ceci ne vous a point nui auprès du patron, et que
vous y êtes mieux que jamais. Je vous supplie cependant de tenir ce que
dessus secret, parce qu'il serait bien difficile, si vous en témoigniez
quelque chose, qu'on ne se doutât que c'est moi qui vous en ai averti,
M. le Tellier étant un de ceux qui vous a porté le plus de charité.

«Aussitôt que Son Éminence vit que l'on vous avait substitué M.
d'Aligre, elle me témoigna en être fort fâchée. Je lui dis que, si on
pouvait vous accuser de quelque chose, ce ne saurait être que de
n'avoir peut-être pas assez d'expérience pour les grandes affaires. Il
me répliqua que vous aviez assez de capacité, et que vous étiez connu
pour un homme d'honneur; que tout le monde, par cette raison, se fierait
en vous, et que vous étiez plus propre qu'aucun autre à cette
négociation, outre que Goulas étant un de vos amis, il serait plus aise
de traiter avec vous qu'avec aucun autre; enfin, qu'en toutes façons, il
ne faisait aucune comparaison de M. d'Aligre avec vous, et qu'il était
marri de ce choix. Ce qu'il m'a encore confirmé ce matin dans son lit,
et m'a chargé de vous le mander, ne voulant pas vous en écrire lui-même.

«Je vous supplie de nous faire retourner bientôt à Paris en quelque
façon que ce soit, car ce n'est que là que je peux rétablir ma santé,
qui est encore languissante. Il n'y a point de nouvelles de la cour dont
je sois si curieux et si impatient, que de savoir comment je suis en
l'honneur de votre bienveillance; car n'ayant reçu aucune marque de
votre souvenir depuis votre départ, je ne sais point si vous ne m'avez
point disgracié, quoique je sois plus que jamais votre très-humble
serviteur.»

Les lettres de Mazarin à l'abbé Fouquet prouvent également qu'il avait
conservé toute la confiance du cardinal. C'est à lui que Mazarin s'en
remet du soin de gagner les Parisiens pour préparer sa rentrée dans la
capitale en même temps qu'aura lien celle du roi. «Leurs Majestés, lui
écrivait-il le 17 octobre, s'approchent de Paris avec un dessein formé
d'y entrer. Je vois que c'est une résolution prise et qui ne peut être
que très-utile; mais je vous dirai confidemment que j'aurais souhaité
pour la dignité du roi, pour l'intérêt même des Parisiens, pour celui du
parlement qui est à Pontoise, et particulièrement des amis que j'ai dans
cette compagnie, et pour ma propre réputation[332], que l'on eût fait en
sorte que j'eusse eu l'honneur d'y accompagner Leurs Majestés. A quoi ce
me semble on n'aurait pas trouvé d'obstacle. Si les choses étaient
encore en cet état, comme je le crois, que cela se pût faire, je me
promets que vous y contribueriez en tout ce qui dépendrait de vous pour
me donner cette nouvelle marque de votre amitié.»

Mazarin n'obtint pas la satisfaction qu'il désirait si vivement; mais du
moins la victoire du parti royaliste fut complète. Condé, abandonné
depuis longtemps par le duc d'Orléans, avait quitté Paris en même temps
que le duc de Lorraine (15 octobre). La cour était venue s'établir à
Saint-Germain, où elle avait reçu des députations des bourgeois pour
presser le roi de rentrer dans Paris. Déjà le maréchal de l'Hôpital
avait été rétabli dans la dignité de gouverneur, et l'ancien prévôt des
marchands, le conseiller Lefèvre, était rentré en fonctions (17-19
octobre). Cependant Mazarin, qui suivait les mouvements des partis et
qui recevait sans cesse les avis les plus détaillés, était loin d'être
sans inquiétude. La présence du cardinal de Retz à Paris et l'influence
qu'il exerçait sur le duc d'Orléans le préoccupaient vivement. «On
m'assure, écrivait-il à l'abbé Fouquet (17 octobre), que madame de
Chevreuse et le cardinal de Retz sont dans la meilleure intelligence;
que beaucoup de personnes sont de cette intrigue, et qu'assurément il y
a sur le tapis quelque chose qui doit bientôt éclater. Je vous prie de
dire au _fidèle_[333] d'y prendre bien garde et de tâcher de pénétrer ce
qui en est par le moyen qu'il a, puisqu'il n'y en peut avoir de
meilleur[334]. C'est, à mon avis, la chose à laquelle on doit le plus
s'appliquer dans l'état présent des affaires. Je vous prie d'en parler à
la reine, et il serait bon aussi de savoir de la Palatine ce que le
cardinal de Retz se promet[335]. On dit qu'il est raccommodé avec M. le
Prince par le moyen du duc de Lorraine, et que tous les deux contribuent
à le rendre maître de l'esprit de Son Altesse Royale. Je ne le crois pas
tout à fait; mais on doit tout appréhender du naturel des gens à qui
nous avons affaire.»

Ce qui paraît certain, au milieu des intrigues compliquées de cette
époque, c'est que Retz ne négligea rien pour s'emparer de l'esprit du
duc d'Orléans[336] et lui inspirer des résolutions énergiques. Tout ce
qu'il put obtenir du prince fut de rester au Luxembourg et d'y attendre
l'arrivée du roi. Gaston, qui avait eu un si triste rôle pendant la
Fronde, ne pouvait compter ni sur le peuple ni sur l'armée. A la
première injonction, il se retira à Blois. Louis XIV fit son entrée à
Paris le 21 octobre au milieu des acclamations qui saluaient le retour
de l'ordre et de la paix, après avoir trop souvent retenti en l'honneur
des factions et même des armées étrangères[337]. Le lendemain, le roi
tint au Louvre un lit de justice et fit lire quatre déclarations. Par la
première, il accordait l'amnistie; la seconde rétablissait le parlement
à Paris; la troisième exilait un certain nombre de frondeurs et
défendait au parlement de se mêler des affaires publiques. Enfin, par la
quatrième, le roi instituait une chambre des vacations.



CHAPITRE XII

--OCTOBRE-DÉCEMBRE 1652--

L'abbé Fouquet est chargé par Mazarin de préparer son retour à
Paris, et de soutenir ses intérêts auprès de la reine Anne
d'Autriche (21 octobre).--Nécessité de punir les chefs de la
révolte et surtout de faire sortir de Paris le cardinal de
Retz.--L'abbé Fouquet doit insister sur ce point auprès du
procureur général son frère.--Mazarin conseille d'envoyer Retz en
ambassade à Rome.--Il engage l'abbé Fouquet à se tenir en garde
contre les violences de Retz, qui a juré de se venger de
lui.--Nouvelles instances de Mazarin auprès des deux Fouquet pour
qu'ils disposent les esprits en sa faveur, et que les arrêts du
parlement contre lui soient annulés par une déclaration
royale.--Zèle de l'abbé Fouquet et du procureur général pour ruiner
les ennemis de Mazarin, et particulièrement le cardinal de
Retz.--Négociations avec ce prélat; elles sont rompues.--Lutte de
l'abbé Fouquet contre Retz; il lui tient tête partout et propose de
lui enlever l'autorité épiscopale dans Paris.--Arrestation du
cardinal de Retz (10 décembre).--L'abbé Fouquet en avertit le
premier Mazarin; ruine du parti de la Fronde.--Services rendus par
les deux Fouquet.--Leur avidité et leur ambition.--Promesses de
Mazarin.


Le jour même où le roi rentrait à Paris (21 octobre), Mazarin écrivait à
l'abbé Fouquet: «Prenez bien garde que l'on formera des difficultés pour
empêcher ou au moins pour retarder mon retour, particulièrement après
que les Parisiens seront satisfaits par celui du roi en leur ville. Le
cardinal de Retz ne sera pas un de ceux qui y travailleront le moins. Je
vous prie de n'oublier rien pour inspirer de plus en plus aux habitants
des sentiments favorables pour moi. En quoi je m'assure que vous serez
bien secondé par ceux qui ont agi pour le service du roi à Paris dans
ces dernières rencontres, et notamment par M. de Pradelle[338]. En cas
que quelque chose n'aille pas bien à mon égard, dites-le hardiment à la
reine, et proposez les expédients que vous jugerez à propos pour y
remédier.» Ainsi c'est l'abbé Fouquet qui devient l'intermédiaire entre
la reine et Mazarin exilé.

Le 24 octobre, le cardinal, qui venait de recevoir la nouvelle de
l'entrée de Louis XIV à Paris, insiste sur les mesures nécessaires pour
assurer le triomphe de la cause royale. «Je suis ravi, écrivait-il à
l'abbé Fouquet, de la manière en laquelle le roi est entré à Paris, et
de la résolution qu'on a prise d'en faire sortir les factieux; mais j'ai
bien peur que quelques-uns d'entre eux, ou par l'entremise de leurs amis
à la cour, ou autrement, ne trouvent moyen d'en éluder l'exécution.
C'est pourquoi, je vous prie de nouveau, de dire à la reine confidemment
de ma part qu'il faut faire avec hauteur et fermeté ce qui a été arrêté
là-dessus, parce que si on souffrait que quelques-uns de ces chefs
d'émeute, comme Broussel ou autres, restassent à Paris, ce serait y
laisser une semence de révolte, et cette tolérance serait réputée une
manifeste faiblesse, parce que l'on verrait qu'en même temps que l'on
punit quelques séditieux, ou en épargne les chefs principaux. Il n'y a
personne qui puisse être avec raison d'autre avis que celui où je vois
que vous êtes, et j'en ai beaucoup de satisfaction, m'assurant que c'est
aussi le sentiment de M. votre frère.»

Parmi les chefs de la sédition que Mazarin craignait que l'on
n'épargnât, le cardinal de Retz était toujours au premier rang. Il
insiste sur ce point avec l'abbé Fouquet, comme avec le procureur
général. «Je crois, écrivait-il à l'abbé Fouquet, qu'il est impossible
que le repos et l'obéissance envers le roi puissent s'ajuster avec le
séjour du cardinal de Retz à Paris. Il donnera des méfiances et
embarrassera, autant qu'il pourra, l'esprit de S.A.R. pour l'empêcher de
s'accommoder et de sortir de Paris[339], et, en cas qu'elle y soit
contrainte, il n'oubliera rien, afin qu'elle ne s'en éloigne pas, et
fera de continuelles cabales pour le faire revenir et pour troubler les
affaires plus qu'elles n'ont jamais été. Je vous prie donc de dire à M.
le procureur général qu'il faut s'appliquer sérieusement à ceci, comme à
la chose, qui, à mon avis, est la plus importante. Il n'y a personne qui
le connaisse mieux que vous, et vous savez si j'ai rien négligé pour
l'obliger à être de mes amis, et que toutes mes diligences et ses
paroles n'ont abouti à rien, parce que le fonds de la probité n'y est
pas. Si on le pouvait envoyer à Rome, comme il l'a fait offrir lui-même,
par la princesse Palatine[340], d'y aller quand le roi voudrait, ce
serait un grand coup; mais je ne crois pas qu'il s'y résolve jamais de
son gré. Je vous prie d'en conférer avec M. votre frère, et de dire
après à la reine de ma part tout ce que vous aurez jugé à propos sur ce
sujet.

«Comme vous êtes des témoins irréprochables de tout ce qui s'est passé
entre lui et moi, et que vous savez son peu de foi et ses mauvaises
intentions, je sais qu'il vous appréhende fort, et que sur ce que vous
marquiez quelque chose à son désavantage dans votre lettre qui a été
interceptée[341], il a dit qu'il se vengerait de vous. A quoi je vous
conjure de prendre bien garde; car c'est un homme dont l'humeur et la
conduite vous doivent faire croire que, s'il en avait la facilité, il le
ferait encore plutôt qu'il ne le dit.»

La présence du cardinal de Retz à Paris était la principale cause qui
s'opposait à l'entrée de Mazarin dans cette ville. De là sa haine
violente contre un adversaire qui l'empêchait de réaliser le plus ardent
de ses désirs. Toutes ses lettres recommandent d'user de sévérité envers
les ennemis, et, en même temps, on y voit percer l'impatience de revenir
à Paris. Après avoir remercié l'abbé Fouquet d'avoir réchauffé en sa
faveur le zèle du prévôt des marchands nouvellement rétabli: «C'est une
occasion, lui disait-il, en laquelle tous les bons serviteurs du roi
doivent faire les derniers efforts pour relever son autorité, étant
certain que l'on fera plus de chemin maintenant en un jour que l'on ne
saurait faire dans un autre temps en six mois, et j'ai été bien aise de
voir par votre lettre que vous n'approuviez pas certaines tendresses que
l'on avait pour des gens attachés au parti des princes, parce qu'il est
certain qu'elles ne sont pas de saison, et il sera très à propos, après
que vous en aurez concerté avec M. votre frère, que vous preniez
occasion d'en parler souvent à la reine, lui disant que je vous en ai
chargé et prenant garde que personne n'en ait connaissance.»

Mazarin écrivait dans le même sens au procureur général. «J'attends, lui
disait-il, les ordres de la cour pour être informé de la volonté de
Leurs Majestés, et l'on m'a déjà mandé que l'on était sur le point de me
les envoyer. J'avais estimé que, dans la bonne disposition où était la
ville de Paris, l'on aurait bien pu me donner des ordres afin que je
m'avançasse cri diligence pour avoir l'honneur d'y accompagner le roi,
puisque cela se pouvait sans inconvénient, et même qu'il aurait été
avantageux pour la réputation de Sa Majesté. Mais je veux croire que ce
que l'on a fait a été pour le mieux, et que l'on aura eu en cela des
raisons que je ne puis peut-être savoir ici.

«J'attends avec impatience la déclaration[342], que vous avez pris la
peine de dresser avec M. Servien et M. le Coigneux, dont je vous suis
fort obligé; ce n'est pas que j'aie besoin de la voir pour être persuadé
que ce sera une pièce achevée. Je suis ravi de voir la vigueur et la
fermeté avec laquelle on agit: c'est le moyen le plus sûr et le plus
prompt pour rétablir l'autorité du roi et rendre ses succès heureux.
Sans avoir su vos sentiments sur les autres choses dont vous m'écrivez,
les miens s'y étaient rencontrés tout conformes. Sur quoi je me remets à
vous entretenir plus particulièrement à mon retour. Pour ce qui est de
M. de Lyonne[343], je suis toujours dans les mêmes dispositions pour lui
que je vous ai témoignées et que je lui ai fait savoir à lui-même devant
que partir de Pontoise.

«Vous verrez ce que j'écris à M. votre frère, qui parlera fortement à la
reine de ma part sur toutes les choses dans lesquelles il pourrait y
avoir difficulté, et que vous jugerez absolument nécessaires pour le
service du roi.

«Enfin, je suis assuré que vous ne vous endormirez pas à présent que
l'on peut agir dans Paris avec espérance de bon succès. Je me tourmente
continuellement pour fortifier notre armée. J'ai déjà assemblé plus de
six cents chevaux, et j'espère que, dans dix jours, il y en aura plus de
mille[344]. Vous jugerez bien que ce n'est pas un petit renfort dans le
temps où nous sommes, et qu'il pourra être employé utilement pour
empêcher que tous nos ennemis unis ensemble ne viennent à bout du
dessein qu'ils ont de prendre des quartiers d'hiver en France. Le comte
de Fuensaldagne devait pour cet effet être hier à Montcornet[345] pour
faire aujourd'hui la jonction avec M. le Prince[346] et M. de Lorraine;
mais j'espère avec beaucoup de fondement qu'ils n'auront pas en cela le
bon marché qu'ils se sont proposé.

«Il faut seulement que les bons serviteurs que le roi a dans le
parlement songent de bonne heure à des moyens de faire avoir quelque
somme au roi, sans qu'ils soient à la charge du peuple; car avec cela
j'ose vous répondre que les affaires se rétabliront, et bientôt.

«Je vous prie d'assurer M. le président le Coigneux de mon estime et de
mon amitié, et de lui dire que je n'oublierai rien pour l'obliger à me
conserver la sienne. Je m'assure que vous et lui ferez tout ce qu'il
faut, afin que les officiers qui étaient à Pontoise tiennent le haut du
pavé dans la compagnie, à présent que la réunion est faite; en quoi ils
peuvent être assurés qu'ils seront bien appuyés du côté de la cour.
C'est tout ce que je vous dirai par cette lettre, attendant avec grande
impatience de vous pouvoir entretenir plus au long sur toutes choses.»

Les deux frères agirent en cette circonstance avec la vigueur que leur
recommandait Mazarin. L'abbé surtout montra la décision et l'impétuosité
de son caractère dans la lutte qu'il engagea contre le cardinal de Retz.
Il trouvait en lui un adversaire redoutable, habile à s'entourer
d'hommes résolus, comme les Fontrailles, les Montrésor et tant d'autres
nourris dans les intrigues de la Fronde et habitués à manier l'épée.
Retz avait d'ailleurs conservé un grand ascendant sur le clergé de
Paris, malgré le scandale de ses mœurs. Une partie du peuple lui était
dévouée. Il se tenait enfermé dans l'archevêché, à l'ombre des tours de
Notre-Dame, dans un asile dont il profanait le caractère sacré[347]. Sa
renommée semblait encore doubler ses forces, et il fallait, pour
s'attaquer à un pareil homme, le caractère énergique et téméraire de
l'abbé Fouquet. Cet abbé était depuis longtemps le rival en amour du
cardinal de Retz: il lui avait disputé madame de Guéménée et enlevé
mademoiselle de Chevreuse. Il était alors excité par cette jeune fille,
qui, si l'on en croit les Mémoires de Retz, haïssait ce dernier autant
qu'elle l'avait aimé.

Cependant, avant d'en venir aux dernières extrémités, on tenta de
traiter avec le cardinal. La reine avait fait sonder ses dispositions
par madame de Chevreuse et par la princesse palatine, Anne de Gonzague.
Retz répondit, si on l'en croit, aux avances de la première avec une
froide politesse. Quant à la Palatine, il avait plus de confiance en
elle, et il ne refusa pas d'entrer en négociation. Il prétend même que
la cour était si pressée de traiter, qu'on lui envoya un des secrétaires
d'État, Abel Servien, celui-là même qui avait négocié la paix de
Westphalie. On lui aurait offert, outre l'ambassade de Rome et
l'intendance des affaires du roi en Italie, le payement de la plus
grande partie de ses dettes. En un mot, comme il le dit lui-même[348],
on voulait lui faire un pont d'or pour qu'il sortit de Paris et laissât
la place libre au cardinal Mazarin. Ces offres magnifiques tentèrent un
instant la vanité de Retz; mais il aurait, dit-il, regardé comme une
lâcheté de sacrifier à son avantage personnel les intérêts de ses amis,
de Brissac, d'Argenteuil, de Montrésor, de Fontrailles et de tant
d'autres frondeurs, qui avaient couru sa fortune et devaient partager
son sort.

Il ne faut croire qu'avec circonspection ces Mémoires de Retz, si
spirituels, si piquants, mais composés longtemps après les événements
pour amuser madame de Caumartin et faire ressortir l'héroïsme de
l'auteur. Toutefois les lettres de Mazarin attestent à quel point il
était préoccupé de la présence de Retz à Paris, de ses cabales, de son
audace à tenter un coup de main. On a vu qu'il exhortait l'abbé Fouquet
à se tenir sur ses gardes, et qu'il croyait Retz capable de se porter
aux dernières extrémités[349]. Aussi l'abbé Fouquet prenait-il ses
précautions; il avait à ses ordres des hommes de sac et de corde[350],
de véritables coupe-jarrets, et le cardinal de Retz prétend qu'il tenta
plusieurs fois de le faire assassiner[351]. Ce qui est certain, c'est
qu'après la rupture des négociations, l'abbé Fouquet redevint le
principal antagoniste de Retz. Il lui tint tête partout où il le
rencontra: «Vous connaissant comme je fais, lui écrivait Mazarin à la
date du 21 novembre, je m'imagine de quel ton vous aurez parlé à M. le
cardinal de Retz chez la personne où vous l'avez vu, et je ne doute
point qu'étant aussi bien informé que vous l'êtes, de quelle sorte les
choses se sont passées, vous ne lui en ayez dit librement vos
sentiments; je compterai cela parmi tant d'autres choses de cette nature
que vous faites pour l'amour de moi, et dont je ne perdrai jamais le
souvenir.»

Le cardinal de Retz ne se vante pas de la scène à laquelle fait allusion
Mazarin, et qui eut probablement lieu à l'hôtel de Chevreuse. La fille
de madame de Chevreuse, la jeune Charlotte de Lorraine, dont les amours
ont été si outrageusement profanés par Retz, venait d'être enlevée par
une fièvre maligne (7 novembre). Le cardinal rapporte qu'il visita
madame de Chevreuse pendant la maladie de sa fille[352], et c'est
probablement dans cette circonstance qu'il se trouva en présence de
l'abbé Fouquet.

Comme Retz tirait sa principale force du caractère épiscopal dont il
était revêtu et des fonctions que lui laissait remplir l'archevêque de
Paris, son oncle, l'abbé Fouquet conseilla au cardinal Mazarin de se
servir du vieux Gondi pour enlever au coadjuteur toute autorité sur le
clergé. «J'ai fait réflexion, lui répondit Mazarin, à ce que vous me
mandâtes dernièrement, que l'on pourrait obliger M. l'archevêque de
Paris à faire une déclaration publique qu'il ne prétend point que le
cardinal de Retz fasse aucune fonction d'archevêque, et qu'il défend à
tous ceux de son diocèse de le reconnaître, et comme ce serait ôter au
cardinal de Retz les principales armes dont il prétend se servir pour
pouvoir demeurer à Paris, je crois, si la reine le jugeait à propos,
qu'on ne doit rien oublier pour faire roussir cet expédient. Je vous
prie d'y travailler sans perte de temps, après en avoir reçu les ordres
de Sa Majesté.» L'abbé Fouquet fit sans doute, avec son zèle ordinaire,
des démarches pour assurer le succès d'une mesure qu'il avait suggérée,
et que rendait plus facile la jalousie de l'archevêque de Paris envers
son neveu. En cas de succès, l'abbé Fouquet eût pu devenir vicaire
général et administrateur du diocèse de Paris[353]. Peut-être
entrevoyait-il déjà la pourpre romaine, dont lui avait malicieusement
parlé un de ses correspondants? Quoi qu'il en soit, il ne fut pas
nécessaire d'employer contre Retz l'autorité archiépiscopale: il se
laissa aveugler et tomba dans le piège que lui tendaient ses ennemis.

Le roi avait donné l'ordre de l'arrêter. Pradelle[354], un des officiers
de l'abbé Fouquet, était spécialement chargé de veiller à toutes les
démarches de Retz et d'exécuter cet ordre. En cas de résistance, il
devait le tuer. Il en avait commandement exprès, écrit de la main de
Louis XIV[355]. La difficulté était d'attirer le cardinal hors de
l'archevêché, où il s'obstinait à rester enfermé sous la garde d'un bon
nombre de gentilshommes d'un dévouement à toute épreuve. Il fallut user
de ruse pour le faire sortir de sa forteresse: une des femmes qui
avaient le plus de crédit sur Retz le décida. La duchesse de
Lesdiguières, dans laquelle il avait une pleine confiance et qu'il
croyait bien instruite des projets de la cour, le pressa de se rendre au
Louvre, en lui disant que, s'il pouvait y aller en sûreté, la bienséance
exigeait qu'il s'y présentât. Retz objecta qu'il ne pouvait le faire
avec sûreté. «N'y a-t-il, reprit madame de Lesdiguières, que cette
considération qui vous arrête?» Sur la réponse affirmative du cardinal,
elle ajouta: «Allez-y demain; car nous savons le dessous des
cartes[356].» Sur cette affirmation d'une personne qu'il croyait sincère
et bien avertie, le prélat oublia sa prudence ordinaire, et, pour un
homme réputé habile, fit une faute étrange. A peine eut-il mis le pied
au Louvre, le 19 décembre 1652, qu'il fut arrêté par le capitaine des
gardes Villequier, transféré immédiatement à Vincennes sous bonne
escorte et enfermé dans le château.

Ce fut l'abbé Fouquet, qui, le premier, avertit Mazarin de ce coup
décisif. La réponse du cardinal est curieuse; il s'efforce de dissimuler
sa joie, et affecte des regrets hypocrites. «C'est votre courrier,
écrit-il à l'abbé Fouquet (24 décembre), c'est votre courrier qui m'a
apporté le premier la nouvelle que le cardinal de Retz avait été arrêté
par ordre de Leurs Majestés. Je suis marri que sa conduite les ait
obligées à prendre cette résolution contre un cardinal, et, à la vérité,
il parait assez par les offres avantageuses qu'ils avaient eu la bonté
de lui faire pour l'envoyer à Rome, dissimulant tout ce qu'il avait
recommencé à faire contre leur service, qu'elles s'y sont portées avec
grande répugnance, mais enfin je n'ai rien à dire à ce qu'elles font
pour le bien de l'État.»

Le cardinal de Retz s'était persuadé qu'à la première nouvelle de son
arrestation les Parisiens prendraient les armes; mais personne ne
bougea. Quelques-uns de ses partisans, et entre autres le marquis de
Château-Renaud[357], cherchèrent vainement à soulever les quartiers dont
les habitants paraissaient dévoués à Retz; ils trouvèrent, dit le
cardinal lui-même[358], les femmes dans les larmes, et les hommes dans
l'inaction et la frayeur. Retz et ses partisans se trompaient d'époque;
ils se croyaient encore au temps on l'on élevait des barricades pour
Broussel[359] et pour quelques conseillers du parlement, tandis que le
peuple de Paris, corrigé par une rude expérience, était las de ces
agitations factieuses et aspirait au repos. Restait la cour de Rome, qui
pouvait s'irriter de l'arrestation d'un prince de l'Église. Mazarin se
chargea de l'apaiser. Il écrivit au pape pour lui faire connaître les
motifs de cette mesure. «Le cardinal de Retz, lui disait-il, se laissant
emporter à son naturel, qui est très-fier, a fait vanité de ne rien
craindre et l'a publié. Comme si la dignité, de laquelle il est
redevable au roi, le rendait indépendant de son autorité, et qu'il lui
fui permis de violer le respect que sa sujétion établit, ainsi que les
lois les plus saintes de la monarchie, il s'est exempté de venir au
Louvre, et en a déclaré les raisons qu'il avait: que c'était un lieu où
il pouvait être arrêté; qu'ailleurs il était en sûreté,» etc. Après
avoir rappelé tout ce que la cour avait fait pour gagner le cardinal de
Retz, Mazarin montrait en lui un rebelle obstiné, que le roi avait
justement puni de ses crimes envers l'État.

L'arrestation du cardinal de Retz fut le coup de mort pour la Fronde.
Depuis cette époque, le parlement, déjà abattu, rentra décidément dans
le devoir. La bonne bourgeoisie manifesta hautement ses sentiments, et
les voix qui tentèrent de protester furent facilement étouffées. Le rôle
des deux Fouquet avait été, dans ces circonstances, utile et honorable.
Ils n'avaient pas dévié un instant de la voie qu'ils s'étaient tracée.
L'un avait, par un mélange d'adresse et de fermeté, calmé les esprits
des membres du parlement, ramené les moins passionnés, défendu
habilement les intérêts du cardinal, et, lorsque la crise fut parvenue à
son dernier période, il avait donné des conseils énergiques pour séparer
les magistrats fidèles d'une assemblée de factieux. La translation du
parlement à Pontoise avait été son œuvre. L'autre, audacieux jusqu'à la
témérité, avait bravé tous les dangers pour porter au cardinal les
conseils et les encouragements de ses partisans fidèles; il avait tenu
tête, dans Paris, aux Frondeurs exaltés, gagné une partie des bourgeois,
lutte jusqu'à la dernière extrémité contre la faction des princes, et en
même temps négocié avec une persévérance et une habileté qui ne se
démentirent qu'au moment où sa passion pour madame de Châtillon commença
à l'aveugler. Enfin, le principal ennemi de Mazarin avait trouvé dans
l'abbé Fouquet un rival aussi décidé, aussi violent, aussi téméraire que
lui, et, malgré des dédains affectés, on voit percer, dans les Mémoires
de Retz, trop de haine contre cet adversaire pour qu'il ne l'ait pas
jugé redoutable.

Mazarin proclamait hautement les services des deux frères. Il écrivait à
l'abbé Fouquet, le 25 décembre: «Je ne puis assez louer l'application
avec laquelle vous embrassez toutes les occasions d'agir pour le service
du roi, sans que la considération des ennemis que vous pouvez vous
mettre sur les bras soit capable de vous refroidir; mais ce n'est pas
par des paroles qu'il faut témoigner le gré que l'on vous en doit
savoir, vous étant obligé au point que je suis des marques d'amitié que
vous me donnez tous les jours sans aucune réserve.» Les services de
l'abbé Fouquet n'étaient pas désintéressés. Dès le mois d'octobre, il
avait sollicité pour son frère le cordon bleu que laissait vacant la
mort de Chavigny. La dignité de trésorier de l'ordre du Saint-Esprit,
dont Chavigny était investi, donnait, en effet, le droit de porter cet
insigne qu'ambitionnaient les personnages du plus haut rang[360].
Mazarin ne put, en cette circonstance, céder aux instances de l'abbé
Fouquet; mais son refus est exprimé en des termes qui devaient consoler
l'abbé et lui faire concevoir pour l'avenir de hautes espérances. «J'ai
beaucoup de déplaisir, lui écrivait-il, de ne pouvoir m'employer pour
faire avoir la charge de trésorier de l'ordre à M. le procureur général;
mais vous le pouvez assurer sur ma parole qu'en quelque autre occasion
je le servirai aussi solidement, souhaitant avec passion de l'obliger à
être toujours de mes meilleurs amis, comme je veux être toute ma vie des
siens.»

L'abbé Fouquet, déjà pourvu d'une riche abbaye, sollicitait, quoiqu'il
ne fût pas prêtre, un grand vicariat de l'église de Paris. Mazarin avait
d'abord hésité à appuyer cette demande; mais ensuite il y vit un moyen
d'opposer, dans le clergé même de Notre-Dame, un rival au cardinal de
Retz, qui n'était pas encore arrêté à cette époque, et il répondit à
l'abbé Fouquet: «Bien que je vous aie mandé que je remettrais à mon
retour à parler à la reine pour le grand vicariat que vous demandez,
ayant néanmoins depuis fait réflexion que la chose pourrait presser, et
qu'étant nécessaire d'en établir un vous pourriez être prévenu, j'écris
à Sa Majesté pour la supplier de vous faire donner cette commission,
croyant qu'un homme qui n'est pas prêtre ne laisse pas d'en pouvoir
faire la fonction. Je vous adresse ma lettre pour Sa Majesté, afin que
vous la lui rendiez vous-même, et je vous prie de croire que j'aurai
toujours beaucoup de plaisir de pouvoir contribuer à ce que vous
souhaiterez.»

Les deux frères avaient des vues encore plus ambitieuses. Ils savaient
qu'ils avaient des adversaires dans le conseil du roi: ils aspiraient,
sinon à les écarter, du moins à y faire entrer leurs amis pour balancer
le crédit des anciens ministres. Michel le Tellier avait, dans une
circonstance récente, témoigné à l'abbé Fouquet des _charités_ (je cite
le mot même de la lettre attribuée à Roze)[361], dont le vindicatif abbé
lui gardait rancune. N'espérant pas faire disgracier Michel le Tellier,
les deux frères travaillèrent à introduire dans le conseil du roi Hugues
de Lyonne, avec lequel ils étaient en liaison intime. Ils y mirent une
insistance qui fatigua le cardinal, malgré ses dispositions favorables
pour de Lyonne; il voulait, en effet, ne s'occuper de cette affaire
qu'après son retour à la cour. «Je suis surpris, écrivait-il à l'abbé
Fouquet, de ce que vous me marquez que M. le procureur général ne
comprend rien à ce que je lui ai écrit touchant de Lyonne, puisqu'il me
semble m'être assez bien expliqué en lui disant, comme je le lui réitère
encore, que je suis toujours dans les mêmes sentiments que j'ai fait
témoigner au sieur de Lyonne même, et comme je sais qu'il en est fort
satisfait, je crois, par conséquent, que le procureur général le doit
être aussi. Après tout, il faudrait que j'eusse perdu tout crédit auprès
de Leurs Majestés, si je ne venais à bout de résoudre le retour de M. de
Lyonne à la cour. Je crois pourtant très à propos qu'on ne sache pas,
pour son avantage même, que j'ai cette intention. Je ne fais point de
réponse plus particulière à M. le procureur général, parce que, comme
nous nous reverrons bientôt, je remets tout à la vive voix, vous priant
seulement de le remercier de ma part de toutes les marques qu'il me
donne de son amitié, et de lui dire que je suis ravi de le voir si
appliqué à tout ce qui peut rétablir l'autorité du roi au point où elle
doit être.»



CHAPITRE XIII

--JANVIER-FÉVRIER 1653--

Mazarin lève une petite armée et délivre la Champagne.--Il se joint
à Turenne.--État de Paris en son absence.--Divisions entre ses
partisans.--Lettre de le Tellier à Mazarin.--La place de
surintendant devient vacante (2 janvier).--Nicolas Fouquet demande
cette place.--Il a pour compétiteur Abel Servien, qui est vivement
appuyé par plusieurs partisans de Mazarin et par la Chambre des
comptes.--Lettre adressée en cette circonstance à Mazarin par son
intendant J. B. Colbert.--L'abbé Fouquet soutient son frère et se
plaint vivement de le Tellier.--Réconciliation apparente imposée
par Mazarin.--Retour du cardinal à Paris (3 février).--Il fait
nommer (8 février) deux surintendants, Servien et Fouquet.


Le cardinal avait attendu, pour rentrer dans Paris, que le parti de la
Fronde fût entièrement abattu; mais cependant il n'était pas resté
inactif. Il avait rassemblé une petite armée, comme on l'a vu plus
haut[362], et avait réussi à la porter à quatre mille hommes. Il s'était
alors avancé jusqu'à Saint-Dizier, et s'était présenté comme le
libérateur de la Champagne, que le prince de Condé menaçait à la tête
d'une armée espagnole. Puis, ayant rejoint le maréchal de Turenne, il
avait repris avec lui une partie des places dont les Espagnols
s'étaient rendus maîtres, et entre autres Bar-le-Duc, Ligny,
Château-Porcien. Ces conquêtes, accomplies pendant l'hiver (décembre
1652-février 1653), avaient préparé à Mazarin un retour glorieux. Il
rentra à Paris, le 3 février, et sa modération seule empêcha la cour de
déployer en son honneur un faste royal.

Pendant l'absence du cardinal, ses partisans s'étaient de plus en plus
divisés. Le Tellier se plaignait des attaques que l'on dirigeait contre
lui et dont les Fouquet étaient probablement les principaux ailleurs.
«J'ai appris, écrivait ce ministre à Mazarin, dès le 1er janvier
1653, par le bruit commun, qu'il s'est formé ici une cabale pour
déchirer auprès de Votre Éminence; ce qui m'a été confirmé par les
discours qu'un des associés a tenus assez imprudemment à plusieurs
personnes, marquant le détail de ce qui a été écrit de concert sur ce
sujet-là; et d'autant que j'ai eu appréhension que, ai je faisais
témoigner à Votre Éminence que j'en eusse connaissance, vous n'eussiez
quelque inquiétude du soupçon que vous prendriez que cela peut nuire à
l'exécution des choses qui étaient à faire ici pour l'avancement du
service du roi, je me suis fait violence et me suis abstenu de vous en
écrire. Mais à présent qu'il n'y a plus rien à faire, que Votre Éminence
a reconnu par expérience que rien n'est capable de retarder à mon égard
ce qui est de mon devoir, et que j'appréhende que mes ennemis me fassent
un nouveau crime de mon silence, j'ai pensé que Votre Éminence n'aurait
point désagréable que je me défendisse des écritures de ces messieurs,
et que je la suppliasse de tout mon cœur, comme je fais
très-humblement, de n'ajouter aucune foi à tout ce qu'ils ont pu dire ou
écrire sur ce qui me regarde, qu'elle ne m'ait fait l'honneur de
m'entendre, me faisant en cela la même justice qu'elle a fait au moindre
du royaume en toutes occasions; ce que j'estime d'autant plus de sa
bonté que je suis très-passionnément,» etc.

Une des causes qui faisaient éclater les jalousies et les haines entre
les partisans du cardinal était la lutte pour la place de surintendant,
qui était devenue vacante par la mort du duc de la Vieuville (2 janvier
1653). Cette charge, qui donnait la direction du trésor public, à une
époque de désordre et d'anarchie dans l'administration financière,
excitait les convoitises les plus ardentes. C'était le surintendant qui
traitait avec les fermiers des impôts et partageait trop souvent avec
eux les énormes bénéfices qu'ils faisaient dans leurs avances à l'État.
C'était lui qui donnait des assignations ou mandats sur le trésor
public. Comme ces mandats étaient assignés sur un fonds spécial, et que
ce fonds était quelquefois épuisé, il fallait obtenir du surintendant
qu'il désignât une autre brandie des revenus publics pour le payement
des billets de l'épargne, ou, comme on disait alors, qu'il les
réassignât. En un mot, cette charge rendait faciles les spéculations
scandaleuses et les honteux trafics, dont les d'Émery, les Maisons, les
d'Effiat, les Bullion, n'avaient que trop donné l'exemple.

Les compétiteurs furent nombreux, et un des principaux fut le procureur
général, Nicolas Fouquet. Dès le lendemain de la mort du surintendant la
Vieuville, il écrivait à Mazarin[363]: «J'attendais avec impatience le
retour de Votre Éminence pour l'entretenir à fond de tout ce que j'ai
connu de la cause des désordres passés et des remèdes; mais, comme la
mauvaise administration des finances est une des principales raisons du
décri des affaires publiques, la mort de M. le surintendant et la
nécessité de remplir sa place m'obligent d'expliquer à Votre Éminence
par celle-ci, ce que je m'étais résolu de lui proposer de bouche à son
arrivée, et lui dire l'importance qu'il y a de choisir des personnes de
probité connue, de crédit dans le public et de fidélité inviolable pour
Votre Éminence. J'oserais lui dire que, dans l'application que j'ai eue
en m'informant des moyens de faire cesser les maux présents et d'en
éviter de plus grands à l'avenir, j'ai trouvé que le tout dépendait de
la volonté des surintendants; peut-être ne serais-je pas inutile au roi
et à Votre Éminence si elle avait agréable de m'y employer. J'ai examiné
les moyens d'y réussir. Je sais que ma charge[364] n'est point
incompatible, et plusieurs de mes amis qui m'ont donné cette pensée
m'ont offert d'y faire des efforts pour le service du roi assez
considérables pour n'être pas négligés, de sorte que c'est à Votre
Éminence à juger de la capacité que dix-huit années de service dans le
conseil, en qualité de maître des requêtes et en divers emplois, me
peuvent avoir acquise; et pour l'affection et la fidélité à votre
service, je me flatte de la pensée que Votre Éminence est persuadée
qu'il n'y a personne dans le royaume à qui je cède. Mon frère en sera
caution, et je suis assuré qu'il ne voudrait pas en donner sa parole à
Votre Éminence, quelque intérêt qu'il ait en ce qui me touche, s'il ne
voyait clair, et dans mes intentions et dans la conduite que j'ai tenue
jusques ici, et si nous n'avions parlé à fond des intérêts de Votre
Éminence dans cette rencontre; et je puis lui protester de nouveau
qu'elle ne sera jamais trompée quand elle fera un fondement solide sur
nous, puisque personne au monde n'a plus de zèle et de passion pour les
avantages et la gloire de Votre Éminence. Je la supplie que personne au
monde n'entende parler de cette affaire qu'elle ne soit conclue[365].»

Malgré la reconnaissance de Mazarin pour les services que lui avait
rendus le procureur général, il hésita entre les divers candidats à la
surintendance. Un journal inédit de l'époque[366] énumère les
personnages qui prétendaient à cette charge: «M. le président de Maisons
se fondait sur l'injure qu'il avait reçue d'en avoir été ôté. M. Servien
alléguait ses longs et fidèles services. MM. les maréchaux de l'Hôpital
et de Villeroy ajoutèrent aux leurs quantité de raisons particulières et
de bienséance. M. de Bordeaux, intendant des finances, se mettait aussi
sur les rangs et prétendait y avoir bonne part. M. Fouquet même,
procureur général au parlement, n'y renonçait pas, ni quelques autres
encore.»

Parmi ces candidats un des plus autorisés était Abel Servien, qui avait
rendu d'éminents services dans la diplomatie et pendant la Fronde. Il se
plaignait de n'en avoir pas été récompensé, dans une lettre qu'il
adressait à Mazarin, dès le 1er janvier 1653[367]: «Pour moi, je ne
manquerai jamais à mon devoir, quoi qu'il arrive; mais l'exemple du
traitement que je reçois (chacun voyant comme je sers) pourra refroidir
beaucoup de gens. Je n'ose pas dire à Son Éminence tout ce que j'ai dans
l'âme sur ce sujet, et combien je serais malheureux si ceux qui ont plus
de crédit que moi sur l'esprit de la reine pouvaient empêcher que mes
services ne fussent agréables à Sa Majesté. Son Éminence sait bien que
le plus grand de tous les déplaisirs est de _servir y no agradir_[368].
Je ne laisserai pas d'avoir la patience qu'elle m'ordonne; car, outre
qu'elle ne peut pas être bien longue à un homme de soixante ans, il ne
serait pas bienséant d'en manquer à cet âge. Je suis le seul du royaume
qui, depuis vingt ans, sois allé en rétrogradant, et qui, même dans un
temps où tout le monde s'avance et s'établit avec tant de facilité,
n'aie ni charge ni aucun établissement solide, après trente-six ans de
fidèles services, et, si je l'ose dire, assez considérables pour un
homme de ma condition.»

Un des partisans dévoués de Mazarin insistait vivement en faveur de
Servien; après avoir signalé les vices de l'administration financière
et les qualités nécessaires dans un surintendant, il continuait ainsi:
«Je sais qu'il est rare de trouver un homme avec ces belles qualités;
mais, si je ne craignais moi-même de passer pour intéressé, j'en
nommerais un qui pourtant ne m'a jamais fait ni mal ni bien, et je
pourrais bien jurer avec vérité que j'en espère si peu, qu'il y a plus
d'un mois que je ne l'ai vu ni ne suis entré dans sa maison. Votre
Éminence se le peut déjà imaginer, c'est M. Servien, qui a déjà la voix
publique et pour qui je sais qu'on a fait publiquement en cette
rencontre des vœux dans la chambre des comptes et à la cour des aides;
mais on ajoute qu'il ne les aura pas, parce qu'il ne fera point
d'offres[369]. Je sais aussi qu'il se défend d'y prétendre; mais, quand
même il n'en voudrait pas, les plus sensés que j'entende discourir
disent qu'ils ne voient pas comment étant si homme de bien, si capable
et si avant dans les affaires, Votre Éminence peut se dispenser de les
lui offrir.» Ce même correspondant parlait d'un des compétiteurs dans
des termes qui me paraissent désigner Nicolas Fouquet: «Pourquoi,
disait-il, les deux plus importantes charges entre les mains d'un seul
homme, charges auxquelles pour parvenir et se rendre nécessaire, au lieu
d'agir avec vigueur, il a fait mille tours de souplesse? Je ne saurais
oublier les paroles que je lui entendis proférer dans le Palais-Royal un
peu avant la sortie de Votre Éminence de Paris, _que les pierres qui
enfermaient les princes s'élèveraient contre ceux qui les avaient
emprisonnés_. Deux charges si importantes à un seul font tort aux plus
habiles qui n'en ont point et qui l'ont mérité, et j'ose dire que la
gloire, la vanité et la corruption n'ont jamais été ainsi en vue, et
que, si on pouvait encore monter plus haut, on ne serait pas content.»
L'accusation de cumul semble désigner Fouquet qui était déjà procureur
général, et le trait de la fin est sans doute une allusion à sa devise
_Quo non ascendam_ (jusqu'où ne monterai-je pas)? Quant aux paroles
qu'on lui prête, il n'est pas impossible que le procureur général les
ait prononcées dans une de ces harangues où, parlant au nom du
parlement, il était obligé d'adopter son langage.

Malgré les instances des divers partis, Mazarin hésitait toujours, et,
sans contester le mérite de Servien, il prétendait qu'il était peu
propre à l'administration des finances. «C'est un grand malheur pour
moi, écrivait Servien à l'un des confidents de Mazarin, que Son
Éminence, qui a vu de tout temps des emplois plus pénibles que celui-là
réussir assez heureusement entre mes mains, juge le soin des finances
trop laborieux pour moi. Cela veut dire qu'elle ne me juge pas capable
de grand chose, n'y ayant point de charge où il faille moins de travail,
et l'exercice de celle-ci consistant plus à avoir de la prévoyance, de
la fermeté et de la probité qu'à être laborieux, dont il ne faut point
d'autres preuves que l'exemple de M. de Bullion, qui l'a fort bien faite
de son temps, quoiqu'il n'en ait jamais su le détail, qu'il ne le
travaillât presque jamais et qu'une des principales parties lui manquât,
qui est la probité; M. d'Effiat[370] n'avait pas aussi beaucoup
d'application aux affaires et travaillait fort peu. M. d'Émery et M. de
Maisons donnèrent plus de leur temps aux intrigues de la cour, à
l'entretien des dames, aux festins, au jeu et aux autres plaisirs qu'au
travail des affaires dont ils se reposaient sur des inférieurs, et, pour
vous dire le vrai, il faut conclure qu'un homme qui n'est pas capable de
faire la charge de surintendant est indigne pour jamais de toutes les
grandes charges du royaume, où il faut nécessairement apporter plus de
travail et d'assiduité qu'en celle-là.»

Au milieu de toutes les sollicitations qui assiégeaient Mazarin, et qui
étaient si manifestement intéressées, on aime à entendre la voix d'un
homme alors obscur, mais destiné à réparer les fautes des surintendants,
ses prédécesseurs. J. B. Colbert, simple intendant de Mazarin, lui
écrivait le 4 janvier 1653: «La reine me fit hier l'honneur de me
demander si M. le surintendant défunt avait fait de si grandes affaires
pour Votre Éminence et de telle nature, que, pour les tenir secrètes,
elle fût obligée de laisser les affaires en l'état qu'elles étaient,
sans donner l'autorité aux directeurs[371], afin de la conserver à M. de
Bordeaux. Je fis réponse à Sa Majesté qu'il ne s'était passé aucune
affaire, dont je ne fisse le rapport à Sa Majesté en présence de deux
mille personnes. Elle me dit qu'elle le croyait, mais que M.
Ondedei[372], avec la princesse Palatine, lui avaient voulu persuader
le contraire. Je ne ferais pas ce discours à Votre Éminence, s'il
n'avait été fait par la reine même, de qui Votre Éminence le peut
savoir, et je crois être obligé en conscience de lui faire rapport d'un
discours de cette nature. Je la supplie seulement que personne ne voie
ma lettre.

«Pour ce qui est de l'établissement[373] à faire, Votre Éminence voit et
connaît fort bien tous les sujets qui en sont dignes, et je voudrais que
personne ne se mêlât de lui donner son avis sur cette matière délicate.
Ma raison est que je vois peu d'avis qui ne soient fort intéressés, et
je le connais si bien, que, crainte que, si j'en disais quelque mot à
Votre Éminence, le mien ne fût mis au rang des autres, j'aime mieux m'en
taire tout à fait, joint que je crois certainement que Votre Éminence
choisira beaucoup mieux, quand elle aura l'esprit libre et débarrassé de
tous les avis et de tous les rapports de personnes intéressées à
proposer et à exclure. Je ne puis pourtant m'empêcher de lui dire ces
deux mots: qu'elle se donne de garde de ceux qui sont d'esprit à
sacrifier et à donner beaucoup aux subalternes pour avoir plus de
facilité de tromper le principal. C'est en deux mots le désordre du
temps passé, qui est celui de tous qui peut apporter le plus de
préjudice aux affaires de Son Éminence et à l'État.»

L'abbé Fouquet fut dans cette lutte l'auxiliaire le plus dévoué du
procureur général. Il s'était rendu auprès de Mazarin et avait tenté,
mais en vain, d'emporter la nomination immédiate de son frère. Cet
échec donna plus de hardiesse à ses ennemis, et surtout au secrétaire
d'État le Tellier. De retour à Paris, l'abbé Fouquet se vit attaqué par
l'envie et la calomnie; il s'en plaignit vivement à Mazarin: «Je suis
obligé, lui écrivait-il, de rendre compte à Votre Éminence de la
civilité que la reine m'a faite depuis mon retour. Je ne sais si Votre
Éminence aurait eu la bonté pour moi de lui en écrire quelque chose, ou
si ce sera une suite de la politique de M. le Tellier qui, pour rendre
un méchant service à mon frère, dans le temps qu'il a besoin de la
reine, ne lui aurait point dit du bien de moi et du mal de lui, pour
témoigner que c'est la vérité seule qui le fait parler de cette
manière-là et non pas l'animosité qu'il a contre moi, puisque même il a
contribué au bon traitement que l'on me fait.

«Quoi qu'il en soit, je tiens que c'est un piège, parce que j'ai appris
qu'il a dit à beaucoup de gens que je m'étais offert de poignarder le
cardinal de Retz; que j'étais un étourdi et beaucoup d'autres choses que
l'on m'a dit que l'on ne me voulait pas dire. Je nommerai les personnes
qui m'ont fait ces rapports, à Votre Éminence, qui sait bien que je lui
ai dit simplement ce qui nous avait brouillés et que je me suis abstenu
de dire beaucoup de choses, lesquelles j'ai peur que Votre Éminence ne
trouve mauvais que je lui aie tenues secrètes. On a même fait courir un
bruit de ma prison, afin de pouvoir engager plus de personnes à parler
contre moi, et ce bruit a été fondé sur ce qu'on disait que, Votre
Éminence m'ayant refusé la surintendance pour mon frère, je m'étais
emporté à dire des choses peu respectueuses à Votre Éminence, qui peut
se ressouvenir du respect avec lequel j'en ai usé, et que cette calomnie
se détruit d'elle-même.

«Tout cela m'a obligé de prier la reine de commander à M. le Tellier de
s'abstenir de semblables discours, parce qu'ayant beaucoup de respect
pour elle, et sachant à quel point Sa Majesté le considérait, je ne
doutais point que je ne fisse une chose qui lui serait fort désagréable,
si je venais à faire des manifestes pour me défendre; mais que, si cela
continuait, je serais obligé de pousser les choses à toute extrémité
contre M. le Tellier, ne voyant pas un seul homme qui ne me dise quelque
chose de nouveau qu'il a avancé contre moi; ce qui ne m'a pas empêché de
le voir avec toute la civilité possible et de lui rendre moi-même votre
lettre. L'assurance qu'il dit avoir de la surintendance l'a rendu plus
fier que jamais; ce qui n'empêchera pas que je ne vive avec lui de la
manière que vous m'ordonnez.» Mazarin réussit, en effet, à rétablir une
concorde, au moins apparente, entre ses partisans. L'abbé Fouquet lui
répondait le 26 janvier: «J'écrirai à M. le Tellier de la manière dont
Votre Éminence me commande, et même je vois que, depuis que la reine lui
a parlé, il ne me revient plus aucune chose qu'il ait dite. Au
contraire, il affecte de paraître sans crédit et dit qu'il ne se mêle de
rien; il n'est pas malaisé de voir la cause du changement.

«Vendredi dernier, les rentiers firent beaucoup de bruit à l'entrée de
MM. du parlement, et même en appelèrent quelques-uns _Pontoisiens_[374].
Il y va de si peu de chose pour les satisfaire que l'on ne saurait
croire qu'il n'y ait un peu de connivence de la part de ceux qui manient
les finances. Feu M. de la Vieuville leur donnait quatre-vingt-huit
mille livres par semaine; on leur en offre cinquante, et le prévôt des
marchands se faisait fort de les apaiser pour soixante-huit. La présence
de Votre Éminence serait absolument nécessaire; car, pour peu qu'elle
leur fît donner en une rencontre pareille, elle s'acquerrait leur bonne
volonté, et l'on aurait châtié fort aisément les _cabalistes_, desquels
le parti augmentant, il y a des gens qui croient que Votre Éminence ne
reviendra pas et qu'ils auront toute l'autorité.

«J'ai donné avis à la reine que M. de Brissac[375] était à Paris; elle a
donné ordre pour l'arrêter. Je crois que M. de Gauville a écrit à Votre
Éminence qu'un gendarme de M. le Prince, qui est ici, donnerait avis de
ceux qui viendraient de sa part. On arrêta l'autre jour un valet de
Guitaut[376], à qui l'on ne trouva rien d'important. Après demain,
quelques gens du marquis de Sillery doivent revenir pour emmener sa
vaisselle. On a donné ordre pour tout arrêter, nonobstant qu'un desdits
gens ait un passe-port. Ce que la reine a trouvé fort mauvais, ayant
découvert qu'une dame, que je ne nomme point, était dans les intérêts de
M. le Prince.

«On tâche de répandre parmi le peuple que Votre Éminence retarde pour
faire ses préparatifs pour emmener le roi hors de Paris, et je ne vois
aucun des serviteurs de M. le cardinal qui ne soit persuadé que sa
présence est ici absolument nécessaire.»

Rappelé avec tant d'insistance par ses partisans les plus dévoués,
Mazarin revint enfin à Paris, le 3 février, et un de ses premiers actes
fut la nomination à la surintendance. Il partagea cette charge entre
Servien et Nicolas Fouquet[377]. Ce dernier reçut en même temps le titre
de ministre d'État. Les mémoires du temps attestent que la nomination de
Nicolas Fouquet, qui restait toujours procureur général, fût loin
d'obtenir la même approbation que celle de Servien[378]. A la suite de
ces mesures, le cardinal, voulant donner quelque satisfaction aux
candidats évincés, multiplia les charges de finances. Il adjoignit aux
deux surintendants trois directeurs des finances, un contrôleur général
et huit intendants. «Leurs appointements, dit l'auteur du journal que
j'ai déjà cité[379], et les gratifications ordinaires qu'ils recevaient
ne consommaient guère moins d'un million de livres par an.»

La commission donnée par le roi aux surintendants, en date du 8 février
1653, ne subordonne point Fouquet à Servien, comme l'a prétendu un
historien dont l'exactitude ordinaire s'est trouvée ici en défaut[380].
Les trésoriers de l'épargne avaient ordre d'obéir à l'un comme à
l'autre. Cependant un ambitieux comme le procureur général, ne pouvait
être entièrement satisfait d'une décision qui lui donnait un collègue
que son âge et l'opinion publique plaçaient au-dessus de lui. Il voyait
dans Servien un surveillant attentif et sévère, qui défendrait
énergiquement les intérêts du trésor public. Mais la prudence de Nicolas
Fouquet égalait son ambition, et elle lui imposait la plus grande
réserve en présence d'un pareil collègue. S'effacer et attendre que les
embarras financiers le rendissent nécessaire à Mazarin et l'appelassent
au principal rôle, telle fut sa tactique; elle réussit complètement. Il
était d'ailleurs soutenu par son frère, qui restait toujours le
confident le plus intime et le plus dévoué de Mazarin.



CHAPITRE XIV

--1653--

Rôle de l'abbé Fouquet à cette époque; il est chargé sans titre
officiel de diriger la police; mémoire qu'il adresse à Mazarin sur
l'état de Paris.--Il découvre le complot de Bertaut et Ricous
contre la vie de Mazarin, les fait arrêter, surveille leur procès
et presse leur condamnation 23 septembre-11 octobre.--L'abbé
Fouquet accusé d'avoir voulu faire assassiner le prince de Condé;
il se disculpe.--Il ne cesse de veiller sur le parti frondeur, et
instruit le cardinal des démarches de mademoiselle de Montpensier
et des relations du cardinal de Retz avec le prince de
Condé.--Attitude du parlement de Paris: services qu'y rend le
procureur général, Nicolas Fouquet.--L'abbé Fouquet obtient, de
l'Hôtel de Ville de Paris, de l'argent et des vêtements pour
l'armée royale.--Répression des factieux et dispersion des
assemblées séditieuses.--L'abbé Fouquet répond aux attaques de ses
ennemis.--Mazarin l'assure de son amitié.


L'abbé Fouquet ne s'était pas oublié dans la distribution des faveurs.
Comblé de bénéfices ecclésiastiques, il fut chargé, sans titre officiel,
de la police secrète et de la direction de la Bastille. Sa position
auprès de Mazarin rappelle celle du P. Joseph auprès de Richelieu. Le
célèbre capucin n'avait pas plus de titre officiel que l'abbé Fouquet,
et cependant les affaires les plus considérables de la France et de
l'Europe passaient par ses mains. Avec moins de grandeur, l'abbé Fouquet
fut une sorte de ministre de la police, chargé tout spécialement de
veiller à la sûreté du cardinal et de déjouer les complots que les
factions vaincues ne manquèrent pas de tramer contre lui.

Un mémoire qu'il rédigea pour Mazarin fait connaître la situation des
affaires. Il les divise en trois chefs, pour me servir de ses
expressions. «Le premier, dit l'abbé, regarde le parlement qui se vante
d'éclater, si la chambre de justice n'est révoquée, pour la révocation
de laquelle le premier président a écrit en cour, à ce qu'ils disent.
Ils se promettent d'y faire joindre tous les autres parlements et
espèrent être protégés par les mécontents qui ne sont pas en petit
nombre. Le second regarde l'état de la religion qui commence à se
brouiller ouvertement, chacun prenant parti, et cela de la même manière
que les choses se passèrent en France, lorsque l'hérésie de Calvin fut
condamnée; à quoi il serait très à propos de remédier. Si Son Éminence
m'ordonnait d'en conférer avec M. le chancelier, qui est fort
intelligent et très-zélé, l'on pourrait trouver des remèdes à ce mal,
qui deviendra grand, s'il est négligé; bien entendu toutefois qu'après
avoir trouvé les expédients, on les communiquerait à Son Éminence sans
l'ordre de laquelle rien ne serait exécuté. Le troisième concerne l'état
du peuple que l'on suscite par toutes sortes de voies en semant dans les
esprits de très-pernicieuses opinions sur la conduite des affaires, sur
l'éloignement du roi, sur son éducation et sa manière de vivre
particulière. Il arrive ici tous les jours des gens de M. le Prince,
surtout depuis que M. le prince de Conti et madame de Longueville ont
liberté d'y envoyer qui bon leur semble.» Ainsi, veiller sur le
parlement et sur les débris des factions, déjouer les complots tramés
par les partisans de Retz et du prince de Condé, tel fut le rôle de
l'abbé Fouquet à une époque où les passions étaient encore frémissantes,
et où la Fronde menaçait de renaître de ses ruines.

Tant que la cour habita Paris, le parlement et la bourgeoisie furent
paisibles. On n'eut guère à s'occuper que des complots qui menaçaient la
vie du ministre. Des émissaires de Condé furent arrêtés et accusés
d'avoir voulu attenter à la vie du cardinal. On avait vu récemment un
exemple de leur audace. Ils s'étaient avancés jusqu'à Grosbois, près de
Paris, et avaient enlevé le directeur des postes, nommé Barin. Ils
l'emmenèrent à Dainvilliers, et il n'obtint sa délivrance qu'en payant
une forte somme d'argent. Il était donc nécessaire d'avoir une police
qui prévînt et déconcertât de semblables attentats, ce fut surtout la
mission de l'abbé Fouquet. Des lettres interceptées le mirent sur la
trace d'un projet d'assassinat contre le cardinal. Il en découvrit
habilement les auteurs, dont l'un, grand maître des eaux et forêts de
Bourgogne, se nommait Christophe Bertaut, et l'autre était un aventurier
appelé Ricous ou Ricousse, qu'on regardait comme un émissaire du prince
de Condé et de madame de Châtillon. L'abbé Fouquet se chargea de les
faire arrêter. «Ricous, écrivait-il à Mazarin le 16 septembre 1653, est
en cette ville (Paris), et s'en ira à Merlou[381], s'il peut échapper.
S'il plaît à Votre Éminence de donner à du Mouchet, chevau-léger, qui
s'est fort bien conduit et avec affection, huit des gardes de Votre
Éminence, il ira demain, à la pointe du jour, à Pierrefitte[382], qui
est un passage, où, indubitablement, donnera Ricous. Mouchet le connaît.
J'ai des espions en dix endroits pour l'attraper, et, voyant qu'il y va
du service de Votre Éminence, je ne fais autre chose qu'y travailler
jour et nuit, et j'ose dire avec assez de risque, puisque, étant
découvert, on n'en veut plus qu'à moi.»

Ricous fut, en effet, arrêté ainsi que Bertaut, et tous deux jugés par
une chambre de justice, qui fut établie à l'Arsenal et que présida le
chancelier Séguier. L'abbé Fouquet ne cessa de diriger cette affaire,
comme l'attestent ses lettres à Mazarin. «J'envoie à Votre Éminence, lui
écrivit-il le 25 septembre, le sieur du Mouchet, qui a fort bien servi
dans la prise de Ricous, et par qui l'avis est venu du lieu où il était.
Je l'ai fait conduire à Saint-Magloire, qui est une prison de laquelle
nous sommes assurés, pour de là être mené à Vincennes. M. de Breteuil
l'a interrogé; il dit qu'il croit que c'est madame de Châtillon qui l'a
fait prendre, et dit que les offres qu'il a faites de donner de l'argent
au nommé du Chesne ont été pour éprouver sa fidélité, et pour voir si,
par argent, il pouvait se fier en lui et s'en servir, désavouant tout
autre dessein. Je ne sais pas ce qu'il dira quand on lui confrontera les
lettres qu'il a écrites.

«Je n'écris point celle-ci de ma main, étant bien aise qu'il ne
paraisse point que je me mêle de choses qui ne sont pas de ma
profession, à laquelle je ne prendrai point garde, quand il ira du
service de Votre Éminence, quoique j'aie appris, depuis votre départ,
qu'il y avait des gens auprès d'elle qui m'y avaient rendu méchant
office, dont je n'ai point trouvé d'autres raisons, sinon que, la
surintendance ne leur valant pas ce qu'elle avait fait autrefois, ils
veulent rétablir leurs amis et nous détruire, en commençant par moi et
finissant par mon frère, ou nous obliger d'acheter leur protection.

«Le nommé Bertaut ne veut point répondre, même au Châtelet; on prendra
le parti de lui faire son procès comme à un muet.

«M. d'Igby[383], sachant que madame de Châtillon se plaignait du sieur
de Cambiac[384], que M. d'Amiens a présenté à la reine, et qui a promis
de n'être plus dans des intérêts contraires à ceux du roi, l'a pris dans
le chemin de Pontoise et mené à Merlou pour l'obliger à demander pardon
à ladite dame, qui l'a fait relâcher; on dit qu'elle a la petite vérole
et la fièvre continue.

«Je prie derechef Votre Éminence que je ne sois pas nommé dans cette
affaire. Le sieur du Mouchet lui fait la même prière pour lui.»

Une seconde lettre du même jour contenait de nouveaux détails sur le
procès instruit par la chambre de justice. «M. de Nangis, écrivait
l'abbé Fouquet, s'en allant demander l'agrément de Votre Éminence pour
le régiment de Picardie, du prix duquel j'ai trouvé, à mon retour,
qu'il était convenu à vingt et deux mille écus, j'ai été bien aise de
prendre cette occasion pour rendre compte à Votre Éminence de ce qui se
passe à la chambre de justice. MM. de la Marguerie et Méliand,
commissaires députés pour instruire le procès de Bertaut, furent hier à
la Bastille, et, n'osant faire venir Bertaut, lui firent entendre la
lecture de la commission du roi et l'arrêt de la chambre. Bertaut
demeura fort surpris, et, après avoir fait relire plusieurs fois ladite
commission, il dit qu'il ne voulait point reconnaître les deux
commissaires pour ses juges; que cela était contraire aux ordonnances et
déclarations de Sa Majesté, et qu'il était appelant au parlement des
procédures faites par le lieutenant civil, et signa ce qu'il dit. Demain
matin, la chambre s'assemble, où l'on donnera arrêt que Bertaut sera
tenu de répondre, sinon qu'on procédera contre lui comme contre un muet.
Aussitôt les deux commissaires retourneront à la Bastille signifier
ledit arrêt à Bertaut, et, s'il ne répond point, on le jugera comme
muet[385].»

L'abbé Fouquet ne cessait de hâter la procédure, levant les difficultés
qu'elle pourrait présenter, stimulant le zèle des juges, et s'occupant
de la confiscation des biens des accusés, dont l'un, Bertaut, avait une
fortune considérable. Il écrivait le 5 octobre à Mazarin:
«L'interrogatoire des criminels est achevé. Bertaut, qui, après les
protestations, s'était résolu de répondre et l'avait fait, demeurait
d'accord qu'il était à M. le Prince, déniait pourtant la lettre que les
maîtres à écrire ont dit être de lui. Quand on l'a confronté à Ricous et
à du Chesne, qui lui ont soutenu qu'il leur avait donné de l'argent, il
n'a plus voulu répondre, et ses parents ont présenté une requête. Dans
une lettre de Ricous, il y a un article où il semble envelopper M. le
Prince. Je ne sais par quel motif on ne s'est point éclairci de la
vérité. Je m'en vas m'appliquer à voir comment on pourra réparer la
faute[386]. Mercredi au plus tard le procès criminel sera jugé; il n'y a
plus qu'à en faire le rapport qui ne saurait durer deux matinées. Il
serait bon de songer à la confiscation de ceux qui ont quelque chose.
Les juges ont méchante opinion de l'affaire pour les criminels.»

Le lendemain, 6 octobre, le procureur général, Nicolas Fouquet, annonça
à Mazarin que l'instruction du procès était achevée, et que les accusés
allaient comparaître devant la chambre: «Hier, après midi, toute la
procédure contre Bertaut fut achevée, et, quoiqu'il eût répondu à
l'interrogatoire qui lui avait été fait le jour précédent, si est-ce
que, lorsqu'il fut question hier au matin de le confronter avec Ricous
et du Chesne, ledit Bertaut s'avisa de ne vouloir point prêter le
serment et de ne point répondre, croyant par là se garantir. Cette
confrontation ne lui a pas sans doute été fort agréable, d'autant que
lesdits Ricous et du Chesne sont toujours demeurés fermes dans ce qu'ils
disent contre Bertaut touchant l'assassinat. Aussitôt que toute la
procédure eût été hier achevée, qui fut environ les quatre heures du
soir, M. de la Marguerie m'envoya le procès, comme c'est la coutume et
la forme, afin que je prisse des conclusions définitives. J'ai gardé le
procès pendant la nuit dernière, que j'ai travaillé à le voir, et ce
matin je l'ai rendu audit sieur de la Marguerie tout en état, ne restant
plus que le rapport. Sur les dix heures du matin cejourd'hui, on s'est
assemblé et on y a travaillé jusques à midi et demi. Demain, on
s'assemble, dès huit heures du matin, pour examiner le procès, et
mercredi sans doute on entendra les accusés dans la chambre, et dans le
même temps les juges opineront. Ce procès est tout à fait bien instruit,
et la preuve est bien établie. Il ne reste que l'opinion des juges.»

Comme le zèle de quelques-uns des commissaires paraissait moins vif au
moment de prononcer la condamnation, l'abbé Fouquet se chargea de les
stimuler. «Je verrai aujourd'hui, écrivait-il à Mazarin le 10 octobre,
M. de la Marguerie, de la part de Votre Éminence. Il semble qu'il se
refroidisse un peu, à ce que m'ont dit deux ou trois de la chambre.» Dès
le lendemain, 11 octobre, la condamnation était prononcée, et l'abbé
Fouquet, en l'annonçant à Mazarin, lui transmettait le résumé des aveux
arrachés par la torture aux deux condamnés: «J'envoie à Votre Éminence
la déposition que Bertaut et Ricous ont faite quand on leur a donné la
question. Celui qui me parait le plus chargé dedans la suite de
l'affaire est le nommé Cambiac, qui, depuis le commencement jusques à la
fin, est fort chargé. Madame de Châtillon et le président Larcher le
sont aussi, en ce qu'il dit que, Frarin devant assassiner M. le Prince,
ils se sont entretenus de quelque dessein contre Votre Éminence, de qui
on attend ici les ordres de ce qu'il y a à faire, et si elle juge que
l'on doive décréter contre eux et continuer l'affaire. Pour moi, je me
donnerai l'honneur de lui aller rendre mes respects au premier jour.

«Pour la confiscation de Bertaut, Votre Éminence n'a qu'à commander à un
secrétaire d'État d'expédier le don en blanc, c'est-à-dire le don des
biens, sans spécifier la charge qu'il faudra songer à faire supprimer
pour la faire après revivre, à cause des créanciers qui feraient
opposition au sceau, si l'on donnait les biens. J'expliquerai ce détail
à Votre Éminence. Celui qui a fait prendre Bertaut me commanda de dire à
Votre Éminence qu'il lui devait quatre mille livres qu'il demande à
présent et promet de grands services. Votre Éminence me commanda de les
lui promettre.

«Il serait bon que Votre Éminence fit écrire un mot de remercîment à MM.
le chancelier, garde des sceaux[387], aux rapporteurs, et à M. de
Breteuil, et que ce dernier fût chargé de voir tous les autres juges de
sa part en qualité d'homme du roi à la Chambre.

«Comme je finis ma lettre, des gens que j'avais envoyés pour tenir la
main a l'exécution sont revenus. Tout s'est passé fort doucement. Les
lettres ont été brûlées par la main du bourreau, et les criminels ont
été étranglés avant que d'être roués.»

Ces exécutions sanglantes, et le rôle qu'y avait joué l'abbé Fouquet, le
signalaient à la vengeance du parti ennemi; il ne l'ignorait pas et se
tint sur ses gardes. Ses espions l'avertissaient de toutes les démarches
de Condé. On prétendit même qu'il avait voulu faire assassiner ce
prince; l'accusation s'accrédita tellement, que l'abbé Fouquet fut
obligé de se justifier auprès du cardinal: «J'ai su, lui écrivait-il le
2 octobre, que l'on avait fait entendre à Votre Éminence que j'avais
donné un billet au nommé Lebrun[388]; et que cela donnait lieu à M. le
Prince de se plaindre de vous et au peuple de parler. Je supplie
très-humblement Votre Éminence de croire que je ne suis pas imprudent
jusques au point de confier un billet à un fripon qui trahit son maître,
et pour un sujet sur lequel Votre Éminence a toujours dit qu'elle ne
voulait rien entendre. Il est aisé de fermer la bouche aux gens qui
parlent autrement qu'ils ne devraient. Votre Éminence n'a qu'à faire
dire à M. le Prince qu'elle ne croit point que j'aie écrit; mais que,
s'il se trouve un billet de ma main, comme il en a voulu faire courir le
bruit, Votre Éminence me remettra entre ses mains, et que, n'ayant
jamais entendu par moi aucune proposition sur ce sujet, elle ne prend
point d'intérêt à la vengeance qu'il en fera; et je puis assurer Votre
Éminence que si, après la parole que je lui en donne, il se trouve
quelque chose contre M. le Prince écrit de ma main, ou que j'aie jamais
vu ce baron de Veillac, à qui M. le Prince a dit que j'avais parlé, je
suis prêt de m'aller mettre, entre ses mains; ce que je ferais dès
aujourd'hui, si je croyais que Votre Éminence ne me fît pas l'honneur
d'ajouter foi à ce que je lui mande.

«Votre Éminence se souviendra, s'il lui plait, que, de ces sortes de
gens, je n'en ai jamais vu que deux, le premier desquels a servi à
découvrir l'écriture de Bertaut, et, par ce moyeu, détourner un homme
d'entreprendre contre la personne de Votre Éminence; et de là l'on est
venu à la connaissance de tout le reste. A l'égard de celui-là, si ma
conduite a été mauvaise, ç'a été en ce que je me suis mis vingt fois en
danger d'être assassiné, me trouvant seul en des lieux écartés; mais,
quoiqu'il en puisse arriver, quand je croirai que Votre Éminence
affectionnera quelque chose, je risquerai tout pour en venir à bout.

«Pour Lebrun, il s'adressa à M. d'Aurillac, qui est major du régiment
d'infanterie de Votre Éminence. Aurillac le mena à M. de Besemaux[389],
par qui je reçus l'ordre de Votre Éminence de l'entendre. D'Aurillac me
dit que, les amis de M. le Prince étant sur le point d'entreprendre sur
Marcoussis, Lebrun en avait fait avertir Son Altesse Royale; ce qui fit
que l'on prit un peu plus de créance en lui, la créance n'allant pas à
lui rien confier, mais à l'entendre et à lui donner de quoi subsister.
Il s'offrit de se remettre entre les mains du roi toutes les fois qu'il
donnerait un avis jusques à ce qu'il fût exécuté, et fil un écrit que
j'ai, par lequel il dit que, pour chaque cavalier qu'il fera défaire, il
demande une pistole, et un écu par fantassin, et il me dit qu'il était
nécessaire que M. de Beaujeu, qui commandait sur la frontière, lui
donnât quelques cavalière pour l'avertir de tout. Je lui dis que j'en
écrirais; mais je ne lui donnai aucune lettre pour cela. Il fit d'autres
propositions qui furent rebutées, et je lui répétai mille fois, en
différentes visites, que l'on n'y voulait point songer. Voilà ma
conduite sur ce sujet. Si M. le Prince ne m'aime pas, pour ce qu'il me
croit à Votre Éminence autant que j'y suis, et qu'il apprend que de
temps en temps on a découvert quelque chose de ses mauvais desseins, je
ne crois pas que cela me doive être imputé à blâme par Votre Éminence,
laquelle je crois me fera bien la justice de ne pas donner lieu à tous
les méchants offices que l'on me voudrait rendre là-dessus, ne doutant
pas que beaucoup de gens ne m'accusent d'imprudence et de commettre
Votre Éminence mal à propos. Je le répète encore à Votre Éminence: je la
supplie de m'envoyer pieds et poings liés à M. le Prince, si tout ce que
l'on a dit là-dessus n'est faux.

«J'écris une lettre à un des officiers de l'armée de M. le Prince et le
prie de la lui faire voir. J'en ai donné des copies ici à mes amis, et,
si les amis de M. le Prince continuent ici de soutenir que j'ai donné un
billet à Lebrun, je supplie Votre Éminence de trouver bon que je ne le
souffre pas.»

Mazarin lui-même avait été impliqué dans cette accusation de tentative
d'assassinat contre le prince de Condé. Il écrivait, à cette occasion, à
l'abbé Fouquet: «Tout le monde doit être assez persuadé que je ne suis
pas un grand _assassinateur_, et mes ennemis mômes me peuvent faire la
justice de le croire ainsi. Avec tout cela, le vous assure que j'ai un
très-sensible déplaisir qu'on publie que l'homme que le prince de Condé
a fait arrêter a déclaré qu'il était envoyé auprès de lui par mon ordre
pour lui faire du mal. Le temps qui protège la vérité découvrira
colle-ci à la confusion des imposteurs, et, s'il n'arrive audit prince
autre mal que celui que je lui ferai par de semblables moyens, il vivra
longtemps. 11 ne tiendra qu'à lui de faire, s'il veut, avec moi, trêve
d'assassinats, et vous tomberez bien d'accord que je ne perdrai rien
dans la conclusion de ce traité.»

Quant aux mesures préventives et à la police vigilante de l'abbé
Fouquet, elles obtinrent de Mazarin l'assentiment le plus complet. «Il
ne faut rien épargner, lui écrivait-il, pour découvrir les
correspondants de M. le Prince à Paris, étant certain qu'il y en a
beaucoup qui lui écrivent et qui y demeurent pour quelque mauvais
dessein, à ce que vous avez pu assez connaître dans les papiers que M.
d'Amiens m'a envoyés. La meilleure diligence est celle que vous faites
de faire visiter les cabarets et chambres garnies, et il le faut
continuer.» Il ajoutait dans une autre lettre: «Le capitaine Claude
aurait pu découvrir tous les desseins de ceux qui se cachent dans Paris,
s'il eût été pris, et surtout la personne qui a écrit la dernière lettre
que vous savez. C'est pourtant un très-grand avantage que celui que l'on
reçoit de l'épouvante des méchants, qui sont relancés par vos soins, en
sorte qu'ils n'osent pas s'arrêter longtemps dans Paris. Je vous en ai
en mon particulier grande obligation.»

L'ancien parti de la Fronde s'était d'abord contenté de faire des vœux
pour le prince de Coudé; mais à peine Mazarin fut-il parti pour l'armée,
emmenant le jeune Louis XIV, que les agitations recommencèrent. On
craignit même l'arrivée à Paris de mademoiselle de Montpensier. Tandis
que son père, Gaston d'Orléans, avait, suivant son usage, sacrifié ses
partisans et ceux mêmes qu'il avait entraînés dans la révolte, sa fille
était restée en relation avec le prince de Condé[390]. Elle avait le
cœur trop noble pour abandonner ses amis, et l'esprit trop romanesque
pour ne pas tenter de nouvelles aventures. L'abbé Fouquet, qui
entretenait des espions dans les plus illustres familles, apprit que
Mademoiselle avait envoyé un gentilhomme à madame d'Épernon pour la
prier de se trouver à Brie-Comte-Robert[391]. «Aussitôt, écrit-il à
Mazarin le 30 septembre, j'y ai envoyé un gentilhomme de mes amis et le
sieur du Mouchet, l'un, pour la suivre et l'observer, l'autre, pour me
dire ce qu'il aura appris. Je crois qu'on ne veut point l'arrêter: mais,
si l'on prenait cette pensée, il n'y a qu'un officier des gardes du
corps qui le puisse. La seule cavalerie que l'on a ici, ce sont les
gardes du maréchal de l'Hôpital et ceux de Votre Éminence, qui sont en
Brie avec les chevau-légers; encore ceux-là sont fort éloignés. Il est
nécessaire, si elle venait ici déguisée, que l'on ait des ordres de ce
qu'il y a à faire.» Quelques jours après, les craintes que cette
dénonciation avait données à l'abbé Fouquet étaient dissipées, ou du
moins ajournées. Il écrivait le 30 octobre à Mazarin: «La demoiselle,
qui devait aller à Brie-Comte-Robert, s'est contentée d'y envoyer un
relais. Elle avait écrit de sa main une lettre à madame d'Épernon, mais
elle a dit à Monsieur qu'elle l'avait brûlée. Madame de Brégy me donna
hier avis que la même demoiselle avait dessein de venir en cette ville;
qu'elle voulait encore attendre quinze jours, et que le lieu secret où
elle prendrait ses relais était chez M. du Chemin, trésorier de ladite
demoiselle, qui est à moitié chemin entre le logis de M. de Chavigny, où
elle est, et Brie-Comte-Robert, et que ledit sieur du Chemin était celui
qui faisait tenir toutes ses lettres. Je ne me suis expliqué à madame de
Brégy ni de ce que m'a va il dit M. d'Épernon, ni à lui de ce que
m'avait dit madame de Brégy, de qui l'on pourrait avoir des avis,
beaucoup de gens s'adressant à elle; elle servirait fort bien, si elle
voulait présentement.

«M. d'Épernon m'a dit ce matin que M. de Lusignan était un homme
dangereux, qu'il n'était point d'avis qu'on le laissât ici, et qu'il ne
savait point s'il avait pris l'amnistie.

«L'abbé Roquette m'est venu dire qu'il avait appris que Votre Éminence
le tenait suspect; qu'il venait offrir de se mettre en cachot s'il
avait eu aucune correspondance avec M. le Prince depuis qu'il était
sorti de Paris contre le service du roi; qu'il avait toute son attache à
M. le prince de Conti, duquel il donnerait par écrit l'assurance qu'il
se dégagerait, s'il faisait jamais rien contre le service.»

Ces avis, qui venaient de sources diverses et souvent de grands
personnages, prouvent quelles étaient l'activité et l'influence de
l'abbé Fouquet. Il ne cessait d'exercer une surveillance active sur
Retz, qui avait conservé de nombreux partisans à Paris et dans l'armée
des princes. «Je juge, écrivait-il à Mazarin, par une lettre que j'ai
reçue d'un lieu secret et qui m'est tout à fait assuré, que le cardinal
de Retz a des nouvelles, et qu'un homme est allé de sa part à
Charleville et à Mézières. L'on ne m'a point nommé l'homme; mais l'on me
donne avis fie prendre garde à moi, parce que celui qui y est allé a dit
que j'étais celui contre qui il était le plus animé. Il (le cardinal de
Retz) donne avis à MM. les gouverneurs, ses amis, qu'il ne quittera
point sa coadjutorerie et n'ira point à Rome. J'écris pour savoir le nom
de celui qui a passé, et je pourrais même peut-être bien le faire
arrêter au retour, si Votre Éminence le trouvait bon.» L'abbé Fouquet
s'alarmait des sentiments de pitié qu'exprimaient les soldats chargés de
veiller sur Retz. «M. de Pradelle, écrivait-il encore à Mazarin le 28
septembre, m'a dit que les gardes du corps témoignent avoir grande
compassion du cardinal de Retz, et, quand ils parlent de lui, ils disent
_le pauvre M. le cardinal de Retz_, et que cela vient de ce qu'on ne
leur donne pas un denier. Il prie pourtant qu'on ne le cite pas
là-dessus.» Mazarin répondit immédiatement (29 septembre) à l'abbé
Fouquet: «Vous pourrez dire confidemment à MM. les surintendants ce que
vous me marquez, que vous a dit Pradelle touchant les gardes du corps
qui compatissent si fort à M. le cardinal de Retz, afin qu'ils donnent
ordre à leur payement.»

Le parlement avait été si récemment abattu qu'il n'osait guère murmurer.
Plusieurs de ses membres étaient encore exilés; le procureur général et
son frère veillaient sur les autres. Le nom du cardinal Mazarin, qui
naguère encore soulevait des tempêtes dans la Grand-Chambre, «y a
retenti avec le respect qu'on lui doit, écrivait Colbert à Mazarin dès
le 10 mai. M. le procureur général dans sa harangue, M. le président le
Coigneux et M. Ménardeau ont fortement parlé et fait valoir les
suffrages de Votre Éminence en faveur de la compagnie.» Peu de temps
après, le parlement enregistra sans opposition les lettres patentes qui
donnaient à Mazarin les gouvernements de la Rochelle, d'Artois,
d'Alsace, etc., et l'autorité de sénéchal dans ces contrées, avec
dispense d'information de vie et de mœurs et de prêter serment en
personne, ce qui ne s'était jamais vu en pareille matière[392]. «Votre
Éminence, ajoutait Colbert, a été servie en cette occasion, comme elle
devait l'être par M. le premier président, M. le procureur général et M.
Ménardeau, qui en a été rapporteur.»

Lorsqu'au mois de septembre on établit une chambre de justice à
l'Arsenal pour juger Bertaut et Ricous, il y eut quelques murmures parmi
les magistrats contre ce tribunal exceptionnel. Le président de Maisons
se signala entre tous et chercha à former une cabale. Mais il n'y avait
alors de conseillers réunis que les membres de la chambre des vacations,
et ils n'osèrent agir en corps. «Jusqu'à présent, écrivait le procureur
général le 6 octobre, la chambre des vacations n'a rien fait contre la
commission de l'Arsenal. Il y a eu, il est vrai, des requêtes répandues
au nom de cette chambre; mais elles sont l'œuvre de quelques
particuliers.» Ainsi, dans une question qui le touchait directement et
en présence d'une juridiction exceptionnelle, le parlement gardait le
silence.

L'Hôtel de Ville n'était pas seulement docile: il se montrait empressé à
fournir de l'argent et des vêtements pour l'armée et à venir en aide au
trésor public. C'était encore l'abbé Fouquet qui avait négocié cette
affaire avec le prévôt des marchands et le gouverneur de Paris. «Je
crois, écrivait-il à Mazarin le 25 septembre, que Votre Éminence n'a pas
sujet d'être mal satisfaite de ce que la ville a accordé au roi, ni de
la précaution que j'avais prise, qu'il ne fallait point qu'elle donnât à
condition de le reprendre sur les cinquante mille écus; elle en prie
seulement le roi, de sorte que la chose est en la disposition de Votre
Éminence, aussi bien que d'avoir de l'argent au lieu d'habits, et M. le
maréchal de l'Hôpital m'a dit que l'on pouvait tirer la somme que je lui
ai dite, de douze mille écus, que l'on aimait autant que ce que la ville
avait accordé, de sorte que, si Votre Éminence le trouve à propos, il
faudrait écrire à M. de l'Hôpital que, les justaucorps ne pouvant
peut-être être prêts au temps auquel il est nécessaire de les avoir, la
difficulté de les transporter par la saison qui commence d'être
mauvaise, fait que le roi se contente du tiers des habits, c'est-à-dire
de cinq cents justaucorps, bas-de-chausses et paires de souliers; et
que, pour ce qu'ils lui ont donné, qu'il l'estime à douze mille écus et
plus, et qu'il leur laisse quatre mille écus pour ce tiers, et que la
ville lui envoie huit mille écus. M. le maréchal de l'Hôpital et moi
croyons qu'il vaut mieux d'en user de la sorte que de demander le tout
en argent, outre que l'on pourra encore représenter qu'il y a des draps
à Châlons et à Reims, où l'on en fera faire. J'attends les ordres de
Votre Éminence là-dessus. Ce que l'on fera ici servira d'exemple aux
autres villes; mais il ne faut pas laisser traiter la ville avec des
marchands, si l'on veut de l'argent.»

Quelques factieux tentèrent encore d'agiter Paris; mais ils
rencontraient une vive résistance et une sévère répression. «On fait ici
force cabales, écrivait l'abbé Fouquet à Mazarin, pour les rentes de
l'Hôtel de Ville; on distribue des libelles, on vole, et même hier au
soir (10 septembre 1653) on tira des coups de pistolet dans des
carrosses sans demander la bourse. Je puis assurer Votre Éminence que je
ne manque pas ici d'occupation.» Mazarin approuvait fort cette activité.
«Il faut, répondait-il à l'abbé Fouquet, réprimer la licence avec
laquelle on recommence à parler, à publier des libelles séditieux et à
faire de nouvelles assemblées, et en public et en particulier, contre
le service du roi; il faut faire en sorte que l'on soit délivré de toute
inquiétude du côté de Paris pendant l'absence de Sa Majesté, et procéder
avec la dernière sévérité contre ceux qui s'en voudraient prévaloir pour
exciter de nouveaux troubles.»

L'abbé Fouquet ne manqua pas d'énergie pour étouffer la Fronde
renaissante. Il annonçait à Mazarin la répression des troubles en même
temps que leur commencement[393]: «L'absence du roi avait ameuté
quelques séditieux, dont le nombre s'augmentait au Luxembourg. J'ai
envoyé force gens pour les observer; s'en étant aperçus, ils se sont
dispersés avec frayeur. Ils se réduisent à quelques libelles, qu'ils
prétendent faire imprimer au premier jour contre Votre Éminence. J'en
découvrirai les auteurs, et même j'espère en faire arrêter quelqu'un.»

Ainsi tous les détails de la police et de la sûreté générale étaient
abandonnés par Mazarin à l'abbé Fouquet. Le cardinal lui écrivait encore
le 27 novembre: «Si on peut trouver la femme qui parla si insolemment
dans l'église Sainte-Elisabeth, on fera bien de la mettre aux
Petites-Maisons. Vous ferez ce que je vous écrivais par ma lettre
ci-jointe touchant M. de Lusignan. Il est certain que ç'a toujours été
un fort méchant homme; mais il ne faut pas donner matière de dire qu'on
le recherche à présent pour les choses passées. Il faut qu'il paraisse
clairement qu'il n'est arrêté que pour ce qu'il a fait depuis
l'amnistie, et, en cas qu'il ne se trouve pas coupable, le roi veut
qu'il soit relâché. Il est vrai que j'ai promis à M. le premier
président[394] de m'employer auprès du roi pour obtenir de Sa Majesté le
retour de M. de Thou[395], et vous lui pouvez confirmer que, à notre
retour à Paris, je ferai en cela ce qu'il désirera; mais il se
souviendra aussi que lui et les autres amis dudit sieur de Thou devaient
l'obliger à tenir dorénavant une conduite contraire à celle qu'il a
tenue jusqu'ici. Je crois qu'il serait fort à propos de faire faire le
procès aux payeurs des rentes qui se sont le plus signalés dans la
révolte qu'ils ont voulu émouvoir dernièrement.»

Les fonctions que l'abbé Fouquet remplissait avec un zèle si dévoué lui
gagnaient de plus en plus la confiance de Mazarin, mais elles excitaient
contre lui l'envie et la haine. Il n'ignorait pas que les accusations de
ses ennemis parvenaient jusqu'au cardinal. Il chargea un de ses agents,
qui se rendait auprès de Mazarin, de le défendre, et lui remit un
mémoire pour sa justification: «Le sieur Mouchet[396] m'obligera de dire
à Son Éminence que je l'ai chargé de lui faire entendre que je lui
demande la grâce de m'avertir de ce qu'on lui dira contre moi, afin que
j'aie lieu de me justifier ou d'avouer ce qu'on aura dit; ce que je
ferai toujours avec grande sincérité, et ferai voir si je l'ai dit ou
fait, à quelle intention je l'ai pu faire, qui ne peut jamais être que
bonne, et, pour deuxième faveur, je supplie Son Éminence d'avoir la
bonté de demander pour moi la même grâce au roi et à la reine, parce
que, sans cela, je ne saurais m'appliquer à aucune sorte d'affaire, et
je m'en retirerais tout à fait, mon honneur m'étant préférable à toute
autre chose.

«Que si Son Éminence entrait dans le détail de ce qu'on dit contre moi,
le sieur du Mouchet lui dira seulement deux choses: la première, que
l'on a promis de faire entendre à Son Éminence que, pour me rendre
nécessaire, j'étais bien aise de brouiller les affaires et de les
multiplier. Sur quoi il lui faudra faire observer que, si je me veux
éclaircir avec Son Éminence sur cela, ce n'est pas que je craigne qu'on
le persuade à mon préjudice; car il sait par expérience que ce que je
fais tend plutôt à éclaircir les affaires et à les terminer qu'à les
embrouiller et à les multiplier; mais c'est afin que Son Éminence
connaisse que ceux qui lui parlent sont instruits par la cabale, comme
nous l'avons remarqué dans nos dépêches.

«La deuxième, qu'on doit insinuer adroitement dans son esprit que je me
fais de fête, que je me vante des services que j'ai rendus à Paris, à
Bordeaux, etc.; que j'ai de l'ambition. A quoi je réponds que je me
contente de servir quand l'occasion s'en présente, laissant à Son
Éminence à juger avec Leurs Majestés du mérite de mes services, et me
souciant fort peu qu'ils viennent; à la connaissance des autres. Si
j'étais homme à me vanter de ce que je fais, je n'aurais pas conservé,
comme j'ai fait, le secret dans toutes les affaires que j'ai maniées,
et notre commerce n'aurait pas manqué d'être découvert, depuis un an
qu'il a commencé et qu'il continue sans interruption.

«Enfin le sieur du Mouchet me fera plaisir, pour conclusion, de dire à
Son Éminence que je n'ai jamais été ni ne veux jamais être à personne,
ni dépendre de qui que ce soit au monde que de Leurs Majestés et de Son
Éminence. Je sens bien que par là je m'attire l'envie de plusieurs; mais
c'est de quoi je ne me mets guère en peine.»

Mazarin se borna à répondre quelques mots de sa main pour prouver à
l'abbé Fouquet qu'il appréciait ses services et qu'il le soutiendrait
contre ses ennemis: «Je vous prie de vous mettre l'esprit en repos; car
vous êtes trop bien assuré pour que vos ennemis mêmes puissent avoir
mauvaise opinion de vous, nonobstant tous les artifices dont on pourra
user pour faire soupçonner quelque chose à votre préjudice. En tout cas,
mon amitié ne vous manquera en aucun temps.»



CHAPITRE XV

--1653-1654--

Administration financière pendant les années 1653 et 1654 racontée
par Nicolas Fouquet.--Règlement qui détermine les fonctions de
chacun des surintendants.--Erreurs du récit de Fouquet.--Embarras
financiers pendant l'année 1653, prouvés par la correspondance de
Mazarin et de Colbert.--Le cardinal Mazarin se fait traitant et
fourisseur des armées, sous un nom supposé.--Les surintendants se
montrent d'abord assez difficiles, et Colbert s'en plaint.--Fouquet
profite d'une absence de Servien (octobre 1653) pour régler les
affaires d'après les désirs du cardinal.--Mazarin exige que les
deux surintendants vivent en paix.


Les plus grands embarras de cette époque venaient de la détresse des
finances: il fallait pourvoir à la guerre et à l'entretien des armées,
et réparer le mal causé par les troubles des cinq dernières aimées.
C'est alors surtout que des financiers intégres et habiles eussent été
nécessaires. Malheureusement Servien, homme supérieur dans les
négociations, était peu versé dans ces matières, et quant à Fouquet, il
appliqua tous ses soins à trouver l'argent que demandait le cardinal,
sans s'inquiéter de grever l'avenir par les intérêts énormes qu'il
fallait payer aux traitants. Lui-même, il prit part à ces prêts
usuraires, et entra dans la voie déplorable qui devait le conduire à sa
perte. Toutefois, il sut pendant longtemps dissimuler ses dilapidations.
Il avait beaucoup de ménagements à garder en présence d'un collègue,
qui, par son âge et sa réputation, tenait le premier rang. S'effacer et
attendre que les embarras financiers le fissent rechercher par Mazarin,
tel fut le plan de conduite qu'il adopta et suivit fidèlement en 1653.
Si l'on en croyait l'apologie que Nicolas Fouquet a publiée sous le nom
de _Défenses_[397], il n'aurait pas agi ainsi par calcul, mais par ordre
du cardinal. Dans la partie de ses _Défenses_, où il raconte son
administration pendant les années 1653 et 1654, le surintendant prend le
ton de l'histoire, et on voit qu'il aspire à tracer de véritables
Mémoires, mais il manque souvent de sincérité.

«Dans cette première année 1653, dit-il[397a], M. Servien, par ordre de
M. le cardinal, agissait seul, réglait les affaires de toute nature. Je
lui disais bien ma pensée; mais il en usait comme il lui plaisait, ne
faisait à mon égard autre chose que m'envoyer les expéditions qu'il
avait signées, pour y mettre mon nom, suivant les ordres que j'en avais
reçus de M. le cardinal, qui ne s'adressait alors qu'audit sieur
Servien, mon ancien, d'une grande réputation pour la variété et
l'importance des emplois par où il avait déjà passé.

«Nous eûmes plusieurs différends ensemble, ledit sieur Servien et moi.
Il se fâcha que j'eusse écrit de ma main un fonds sur une ordonnance.
Nous portâmes nos différends l'un et l'autre à M. le cardinal pour les
régler, et fûmes ouïs ensemble par lui. Ledit sieur Servien soutenait
devoir écrire les fonds tout seul. Je disais, au contraire, que ce
n'était pas une prérogative de l'ancien, et que cela devait être fait
sans affectation[398] par lui, ou moi, ou M. Hervart, selon les
occasions, comme avaient fait les précédents surintendants.

«M. le cardinal, prévenu par le sieur Colbert, auquel ledit sieur
Hervart faisait de grands biens pour avoir sa protection, régla que,
puisque nous ne pouvions nous accorder, nous n'écririons les fonds ni
l'un ni l'autre, et que ce serait ledit sieur Hervart, qui les mettrait
tous de sa main, Son Éminence le considérant comme un homme de son
secret domestique.

«M. Servien porta ce règlement avec beaucoup d'impatience; il alléguait
toujours audit sieur cardinal que M. Hervart, auquel il était dû de
grandes sommes pour d'anciennes assignations, ayant seul la connaissance
des fonds par son registre et écrivant les assignations de sa main sur
les ordonnances et billets, était maître de toutes les finances,
écrivant fort mal, lui étant facile, après avoir mis un fonds qui ne
valait rien en notre présence, et que nos signatures étaient apposées,
de le changer, les billets se rompant à l'épargne, et n'y ayant plus de
preuve que par son registre. D'ailleurs il l'accusait de beaucoup de
choses dont il rapportait des circonstances particulières, et disait que
ce règlement était comme entre un maître et son secrétaire, lequel
voudrait prétendre que, à cause qu'il écrit quelquefois des lettres, le
maître ne pourrait plus écrire de sa main. Cela demeura en cette forme
pendant toute l'année 1654.»

Si l'on en croit Fouquet, les ressources financières étaient loin de
manquer à cette époque[399]: «Ces deux années, dit-il, on ne manqua pas
d'argent; les gens d'affaires payaient ponctuellement et faisaient
volontiers des prêts et des avances. D'autres particuliers mêmes, en
leur donnant des fonds à 15 pour 100 d'intérêt, ou avec des billets de
remboursement de vieilles dettes au lieu d'intérêts, fournissaient des
sommes considérables. La raison de cette facilité provenait du rabais
des monnaies, les pistoles ayant été réduites de douze livres à dix,
l'argent blanc à proportion, et la réduction ne s'en faisant que peu à
peu en divers termes, de trois mois en trois mois; tous ceux qui
voulaient éviter la perte apportaient leur argent avant le terme ou le
prêtaient aux traitants de leur connaissance. Ainsi tout le monde avait
alors du crédit. Cela dura dix-huit mois et plus, à cause de quelque
prolongation du dernier terme. On atteignit par ce moyen la fin de
septembre 1654.

«Cette facilité fit consommer par avance le fonds des deux années
suivantes, 1655 et 1656, et toutes les affaires dont on avait pu
s'aviser. Son Éminence fit payer beaucoup d'assignations des années
précédentes, qui n'avaient pu être acquittées depuis les désordres de
1649.

«Les troupes prirent leur quartier d'hiver dans le cœur du royaume
pendant ces deux années 1653 et 1654, et avaient ruiné dans leurs
logements tout le plat pays des meilleures généralités. «Le mois de
septembre arrivant, il fallait s'assurer des fonds pour diverses
dépenses pressées, dont le plus grand effort pendant la guerre tombait
sur les derniers mois de l'année et les premiers de la suivante. Les
receveurs généraux avaient fait leurs plaintes publiques de la
désolation de leurs généralités et de la perte sans ressource, si on
continuait à y mettre des troupes. Les fermiers des gabelles pour les
provinces d'impôt représentaient la même chose; les uns et les autres
avaient traité des années suivantes, à condition d'en être exemptés,
avaient fait leurs promesses pour 1655 et 1656, et les promesses étaient
déjà consommées en dépenses du passé, par la facilité d'en trouver de
l'argent. «Les monnaies étant réduites à leur prix, le crédit manqua
tout à coup; la raison qui l'avait fait trouver cessant, les
particuliers auxquels on avait racheté des rentes et payé des dettes,
comme il est notoire qu'on faisait de toutes parts, se trouvant chargés
de leurs deniers, pour éviter la perte de l'intérêt et d'un sixième de
leur bien par cette diminution d'espèces, les avaient donnés, quoique
avec crainte, aux gens d'affaires. Mais, faisant réflexion sur la
banqueroute de 1648, aussitôt que le prix des monnaies fut fixé, ils ne
songeaient plus qu'à les retirer. On se trouva lors en grande
perplexité; la saison pressait, et de loger encore les troupes dans les
provinces pour y consommer les tailles, c'était épuiser les provinces,
tout révolter et faire une seconde banqueroute aux gens d'affaires, qui
avaient avancé les deniers des tailles et payé d'autres sommes pour
l'exemption de ce logement.

«Personne ne voulait faire des avances sur 1657, les termes du
remboursement étant trop éloignés. D'ailleurs le crédit était cessé, et
la parole de M. Servien n'était pas fort bien établie, plusieurs se
plaignant qu'il y avait manqué.

«Nous fûmes mandés par M. le cardinal, MM. Servien, Hervart et moi,
priés de nous engager chacun en notre particulier et faire les efforts
que nous pourrions. M. le cardinal emprunta aussi en son nom, et nous
fîmes tous quelque somme, qui fut bientôt consommée, à cause de la
multiplicité des dépenses, tant ordinaires qu'extraordinaires, qui
s'accumulaient tous les jours. On demeura tout d'un coup à sec et notre
crédit épuisé; les gardes françaises criaient, les Suisses voulaient se
retirer, la maison du roi ne voulait plus fournir.

«M. le cardinal proposa plusieurs fois de toucher aux rentes et faire
une banqueroute nouvelle; mais il n'osait. On voyait l'orage tout prêt à
fondre et tout disposé à un nouveau bouleversement. Il fil tous ses
efforts pour persuader aux uns et aux autres de patienter; il parla aux
gens d'affaires lui même, menaça de leur ôter leurs assignations, les
fit assembler pour aviser ensemble ce qui se pourrait, et tout cela ne
produisit rien, sinon que plus on paraissait alarmé, plus on publiait le
mal, et plus les bourses se fermaient. Le sieur Colbert ne demandait pas
les finances alors, et, quand il les eût eues, lui qui veut son compte
et sa sûreté partout, y eût été bien empêché. Il se réservait pour la
paix, quand il n'y aurait rien à risquer.

«Les choses demeurèrent ainsi jusqu'à la fin de novembre, tout étant à
la veille d'une confusion plus grande que jamais. En décembre 1654, le
sieur cardinal me prit en particulier, et me dit que M. Servien ne
répondait nullement à son attente en cette charge; me demanda si je la
pourrais exercer seul, et me conjura de l'assister et lui dire mon avis,
et qu'il ne me dissimulait pas qu'il croyait tout perdu, ne voyant aucun
fonds certain de deux ans et peu de personnes en pouvoir et en volonté
de prêter sur des fonds éloignés; que les moyens extraordinaires étaient
pour la plupart épuisés et les succès trop incertains pour y faire
quoique fondement, et qu'ayant à prendre des mesures pour de grands
desseins de guerre qu'il méditait au printemps, c'était une chose
cruelle de n'avoir devant soi aucun fonds assuré, et n'en avoir aucun
pour l'avenir. Je lui remis l'esprit, lui disant que je ne jugeais pas
les choses si désespérées ni la subsistance de l'État impossible; que je
ne m'y étais pas appliqué parce qu'il ne m'avait pas semblé le désirer,
et qu'il connaissait l'humeur de M. Servien, qui ne s'accommodait pas
volontiers aux pensées d'autrui; mais que je n'estimais pas bonne la
conduite qu'on avait tenue jusqu'alors, et qu'il n'y avait meilleur
moyen pour subsister que d'en prendre une toute opposée; qu'il fallait
ne manquer jamais de parole pour quelque intérêt que ce fût, mais
ramener les personnes à la raison par douceur et de leur consentement;
ne menacer jamais de banqueroute et ne parler de celle de 1648 qu'en cas
de besoin, et pour la détester comme la cause des désordres de l'État,
afin qu'il ne pût tomber en la pensée qu'on fût capable d'en faire une
seconde; ne toucher jamais aux rentes ni aux gages et n'en pas laisser
prendre le soupçon, afin que la tranquillité et l'affection, qui sont
une autre source de crédit, ne fussent jamais altérées; ne point tant
parler de taxes sur les gens d'affaires, les flatter et, au lieu de
leur, disputer des intérêts et profits légitimes, leur faire des
gratifications et indemnités de bonne foi quand ils avaient secouru à
propos, et que le principal secret, en un mot, était de leur donner à
gagner, étant la seule raison qui fait que l'on veut bien courir quelque
risque; mais surtout de s'établir la réputation d'une sûreté de parole
si inviolable, qu'on ne croit pas même courir aucun danger.

«Je le convainquis de tant de choses sur cette matière, que, après y
avoir bien médité quelques jours, il me dit que j'avais raison, et me
pria instamment de prendre soin de tout, et qu'il dirait à M. Servien de
me laisser agir. Je lui fis entendre qu'il serait importuné de nos
différends tous les jours, et qu'il nous donnât par écrit ce que nous
avions chacun à faire, afin que les fautes de l'un ne fussent pas
imputées à l'autre; ce qui fut fait. Le règlement est du 24 décembre
1654.» Par cet arrêté, Servien était chargé exclusivement des dépenses,
et Fouquet des recettes; ce dernier traitait seul avec les fermiers des
impôts et les financiers qui faisaient des prêts à l'État. Ainsi toute
la partie délicate du système financier était exclusivement attribuée à
Fouquet. Voici le passage du règlement qui détermine les fonctions qui
lui étaient réservées: «Il pourvoira au recouvrement des fonds et des
sommes de deniers qui devront être portés à l'épargne, et, à cet effet,
ledit sieur Fouquet fera compter les fermiers et traitants, leur
allouant en dépense tout ce qu'ils auront payé en vertu des quittances
et billets de l'épargne, expédiés à leur décharge sur les ordres desdits
sieurs surintendants. Il arrêtera aussi tous les traités, prêts et
avances, examinera les propositions de toutes les affaires qui se
présenteront, fera que les édits, déclarations et arrêts nécessaires
soient dressés, et en fera poursuivre l'enregistrement partout où besoin
sera.» Ainsi Fouquet était seul chargé de fournir les sommes dont
Servien réglait l'emploi.

«Après ce règlement signé, ajoute Fouquet[400], ce n'était pas tout: il
fallait de l'argent. L'état des affaires que j'ai représenté ci-devant
ne permettait pas d'en espérer. M. le cardinal me dit des choses si
extraordinaires que je ne serais pas cru si je les rapportais; mais sans
exagération, il me parla comme n'espérant son salut que de moi et
n'ayant d'autre ressource à sa fortune et à son ministère que mon zèle
au service du roi, mon affection et ma reconnaissance pour lui en son
particulier, mes soins et mes engagements personnels et de tous mes
amis, m'offrant aussi quand je voudrais, m'autoriser, de la part du roi,
pour tout ce que je voudrais faire, et me laissant maître absolu
d'accorder telles remises, donner tels intérêts et telles gratifications
qu'il me plairait, et généralement faire tout ce que je jugerais à
propos, pourvu qu'on tirât les sommes indispensablement nécessaires,
dont il me donnerait des états par chacun an, moyennant quoi il
consentait que je lisse du reste comme je l'entendrais. Ce sont choses
véritables, dites en présence d'aucunes personnes, répétées en plusieurs
de ses lettres, écrites par MM. Roussereau ou Roze, ses secrétaires, qui
ne peuvent être ignorées de MM. de Lyonne, le Tellier et Colbert, et de
M. de Fréjus[401], si constantes et si publiques que, quand même on ne
voudra pas me représenter mes lettres, personne n'en pourra douter.

«Peu de jours après[401a], il m'envoya l'état général des sommes dont il
voulait que je fisse le fonds en argent comptant par chacun mois, pour
la guerre, les vaisseaux, les galères, l'artillerie, les fortifications,
et un autre état pour toucher pareillement en argent comptant d'autres
sommes par mois pour les dépenses des ambassadeurs, pensions étrangères,
ligues des Suisses, jeu et divertissement du roi, ballets, comédies,
deuil de la cour, renouvellement de meubles, vaisselle et choses
semblables; de toutes lesquelles dépenses il se chargeait à forfait en
gros, sans entrer avec moi dans le détail de chacune. Il voulait que les
sommes en fussent payées manuellement à ceux qu'il commettait pour cet
effet, argent comptant, aux termes portés par lesdits états, sans
vouloir prendre d'assignations, observer les formes ni faire expédier
les ordonnances et quittances des parties prenantes, le tout ou la
plupart se recevant par des commis sur des récépissés et promesses de
tenir compte et fournir décharges, ou sur des ordonnances de comptant,
lesdites décharges ne se rapportant que longtemps après, et
quelques-unes point du tout.»

Le récit de Fouquet sur son administration financière pendant les années
1653 et 1654 ne peut être admis sans examen. Il importe de rechercher la
part de la vérité et celle de l'invention, en s'appuyant sur des
documents qui n'ont pas été fabriqués après coup dans l'intérêt d'une
cause. Telle est, par exemple, la correspondance de Mazarin et de
Colbert. Il en résulte, si je ne me trompe, que plusieurs des assertions
du surintendant sont inexactes. Ainsi, en 1653, les finances, bien loin
d'avoir été dans un état prospère, comme le prétend Fouquet, étaient si
misérables que, dans les besoins les plus pressants, on ne pouvait
trouver à l'épargne la somme de cent mille livres. Il fallait, pour se
la procurer, engager les pierreries du cardinal et emprunter à des
partisans, qui s'indemnisaient ensuite largement aux dépens du trésor
public. Quant à Fouquet, s'il parut d'abord s'effacer devant son
collègue Servien, c'était pour se faire rechercher. Servien était probe,
mais brusque et dur; ses manières éloignaient les gens d'affaires, que
séduisait l'affabilité de Fouquet. Servien n'entendait rien à cet art
dangereux de procurer des ressources à l'État, en engageant l'avenir et
en livrant à vil prix les fermes des impôts pour un grand nombre
d'années. Fouquet le laissa aux prises avec le cardinal, qui se lassa
bientôt de sa roideur; puis, profitant d'une absence de Servien, il
montra la souplesse et la fécondité de son génie financier. Voilà ce qui
résulte des lettres de Mazarin à Colbert; ce dernier était alors chargé
de l'administration des biens du cardinal, et il lui servait
d'intermédiaire dans ses relations avec les surintendants. C'est à
Colbert que Mazarin ouvre son cœur et dévoile ses pensées les plus
secrètes, avouant même ses défauts[402] et se laissant gourmander par
son confident[403].

Au sortir de la Fronde, les gouverneurs de villes et de provinces se
regardaient encore comme indépendants, et il fallut plus d'une fois
acheter leur soumission. L'un de ces gouverneurs, Manicamp, refusait de
rendre la Fère-Champenoise, place d'une haute importance à une époque où
la frontière septentrionale de la France était menacée par une armée
espagnole. Il fallut, pour le décider à ouvrir les portes de la ville à
l'armée royale, que Mazarin lui promit une somme considérable. Il
écrivait à cette occasion à Colbert, le 18 juillet 1653: «Pour avoir la
Fère et tenir la parole que j'ai donnée par le moyen de M. le maréchal
d'Estrées, il faut payer cent cinquante mille livres, et, afin d'achever
cette affaire, sans qu'il puisse être exposé à aucun inconvénient, il
faudrait que ladite somme fut prête dans tout le jour du dimanche
prochain. J'en écris un mot à MM. les surintendants, et je vous prie, en
leur rendant le billet, de les conjurer de ma part à faire un effort en
cette rencontre, pour leur faciliter le moyen de la trouver; mais, en
cas qu'il ne leur fui possible de la faire ou en tout ou en partie, je
vous prie de prendre d'autres mesures et vous employer en sorte, suit en
engageant mes pierreries, soit en vous prévalant de l'argent que j'ai à
Lyon, que cette somme puisse être prête dans le temps marqué ci-dessus,
et nous ferons nos diligences, afin que les louis soient reçus à douze
livres. Cette affaire est si importante pour le roi et si bonne pour
moi, que je m'assure que vous n'oublierez rien pour la faire réussir.»

Il ajoutait encore à la fin de la lettre: «Je vous fais ce mot à part
pour vous dire que, en cas que MM. les surintendants, à qui vous ferez
voir la lettre ci-jointe, ne se disposent à envoyer les cent mille
livres, je désire que vous n'oubliiez rien pour m'envoyer en toute
diligence ce que vous pourrez, vous servant pour cela des expédients que
je vous écrivis et d'autres que vous jugerez à propos; mais je ne doute
pas que MM. les surintendants ne fassent l'impossible en cette
rencontre. Vous vous souviendrez aussi de leur dire que, outre les cent
mille livres, vous en chercherez cinquante mille pour acquitter les
lettres que je tirerai sur vous pour payer ceux qui les auront prêtées,
afin que mesdits sieurs les surintendants fassent un fonds pour cela. Il
sera bon de dire à la reine de les presser, en cas qu'il en soit besoin,
et que Sa Majesté croie que nous faisons une bonne affaire et
très-importante pour le service du roi.»

Le lendemain, nouvelle lettre de Mazarin plus pressante. «L'affaire est
très-délicate, écrivait-il à Colbert le 19 juillet, à cause du peu de
confiance qu'on peut prendre en Manicamp, si le roi s'éloigne une fois
de ces quartiers-ci sans qu'elle soit achevée, d'autant plus que les
ennemis ne sont pas trop loin, le prince de Ligne se trouvant avec un
corps à portée pour se pouvoir jeter dans la Fère en une marche. Tout le
monde a été d'avis, et moi plus que personne, de conseiller le roi à
faire mettre toutes pièces en œuvre pour obliger Manicamp à sortir de la
Fère dès aujourd'hui avec sa garnison. Et, comme j'avais écrit à M. le
maréchal d'Estrées qu'on ne prétendait pas cela de Manicamp, qu'il n'eût
sa récompense, soit par le moyen du gouvernement de Saint-Quentin avec
quelque argent, soit en l'équivalent, qui serait de cinquante mille écus
au moins, j'ai dépêché audit Manicamp cette nuit un gentilhomme qu'il
avait envoyé ici pour faire quantité de demandes et prendre temps à
remettre la place, et j'ai déclaré de la part du roi et en la présence
de Sa Majesté audit gentilhomme, à M. de Brancas, avec qui il était
venu, et à M. le maréchal d'Estrées, à qui il était adressé, que le roi
voulait coucher ce soir à la Fère; qu'il n'y voulait trouver aucune
garnison; que dès aujourd'hui on donnerait ici à la personne que ledit
Manicamp nommerait la somme de cinquante mille écus en argent comptant;
qu'il pourrait entrer dans Chauny, s'il voulait, pour y commander dès à
présent, et avec permission de récompenser le gouvernement de son
argent, en cas qu'il ne pût pas traiter de celui de Saint-Quentin, qui
sont les choses qu'on lui avait promises; que je ferais une obligation
particulière à M. le maréchal d'Estrées pour la somme de vingt-deux
mille six cents livres, payables dans cette année pour le remboursement
de quatre mille écus que Manicamp, entrant à la Fère, paya pour la
récompense du lieutenant de roi, dont il a l'assignation dans le
Soissonnais, et pour dix mille six cents livres qui lui sont dues par sa
place, et que MM. les surintendants eurent dernièrement ordre du roi de
payer; que M. le maréchal d'Estrées, ayant mes promesses, lui ferait la
sienne de ladite somme en son propre et privé nom, et qu'au surplus le
roi ne voulait pas lui accorder aucune des autres choses qu'il
demandait, ni différer seulement jusqu'à demain son entrée dans la Fère.

«En suite de quoi Sa Majesté ordonna, en la présence dudit gentilhomme
de Manicamp, que les maréchaux des logis allassent faire son logement à
la Fère, et que les gardes partissent dès le lendemain pour s'y en
aller, comme il a été exécuté.

«L'on avait déjà dépêché dès hier à l'armée pour la faire évacuer, et
nous croyons qu'elle pourra être le soir à Marle, et ayant aussi fait
arrêter M. de Bar, qui a mille chevaux auprès de Saint-Quentin, nous
avons, par ce moyen, pris les précautions nécessaires pour faire obéir
le roi par force, en cas que Manicamp refusât de le faire
volontairement.

«Je vous mande tout le détail de cette affaire, afin que vous en
informiez la reine et MM. les surintendants, les conjurant, de ma part,
le plus pressamment que vous pourrez de faire un effort pour nous
assister en ce rencontre, en quoi vous contribuerez ce qui pourra
dépendre de vous, leur donnant même mes pierreries, afin qu'ils puissent
trouver de l'argent dessus, ainsi que je vous écrivis hier plus
particulièrement. Vous direz aussi à MM. les surintendants que j'emploie
au payement de la somme qu'on doit donner à Manicamp les vingt-deux
mille écus qu'ils ont envoyés par un commis de M. de la Bazinière, les
deux mille louis qu'ils firent donner au roi par Girardin, les mille
louis que vous me donnâtes en partant avec cinq mille que j'avais encore
dans ma cassette, et que, pour le surplus, je travaille avec M. le
Tellier pour voir si on le pourra trouver parmi ceux qui sont à la suite
de la cour, et déjà je me suis assuré de plus de quinze cents louis par
MM. de Villeroy, de Roquelaure, de Créqui et de Beringhen, et, s'il me
manque quelque chose pour parfaire la somme, je tâcherai de le faire
contenter d'une lettre que je lui donnerai sur vous, payable à vue, dont
M. le maréchal d'Estrées lui répondra.

«Cependant la vérité est que, le soir après payement, il n'y aura plus
un sou à la cour, non-seulement pour donner à l'armée ce que MM. les
surintendants avaient envoyé, mais même pour subsister. C'est pourquoi
je vous prie, sans perdre un moment de temps, de presser MM. les
surintendants de nous envoyer un prompt secours au moins de cent mille
francs, et, s'ils veulent mes pierreries pour avoir plus de facilité de
trouver cette somme sur-le-champ, vous les leur donnerez. Avec cette
somme on pourvoira à ce qui sera nécessaire pour les travaux et pour
l'hôpital, pour faire quelque gratification aux principaux officiers des
régiments auxquels on l'a promis à Paris et pour donner lieu au roi
d'employer deux mille pistoles, comme il avait résolu de faire, aussi
bien que pour rendre une partie de ce que j'aurai emprunté aux personnes
ci-dessus, qui en auront besoin pour leur subsistance. En cas qu'où ne
put pas trouver à l'instant ladite somme entière, il faudrait au moins
en envoyer demain la moitié droit à la Fère, et, le jour suivant, le
reste; et on pourrait prendre quelques gardes de la reine pour en
assurer la voiture, n'oubliant pas de recommander à ceux qui en seront
chargés de marcher avec toute la diligence possible, vous priant
d'assister de votre côté MM. les surintendants en tout ce que vous
pourrez, afin que l'on gagne des moments dans l'exécution de ce que
dessus.»

Mazarin s'était chargé, pour cette même année 1653, de la fourniture du
pain de munition à l'armée de Champagne. Il se faisait traitant sous un
nom supposé, et espérait réaliser des bénéfices considérables; mais pour
cela il avait besoin de la connivence des surintendants. Il rencontra
d'abord une résistance qu'on ne peut attribuer qu'à la rigide probité de
Servien. Colbert s'en plaignit vivement: «Le malheureux pain de
munition de Champagne, écrivait-il à Mazarin, nous va accabler par la
dépense des mois de mai, juin, juillet, que l'on doit demander dans peu
de jours, sans avoir moyen d'en fournir. Votre Éminence s'est toujours
voulu charger de la sollicitation de cette affaire. Je voudrais bien
qu'elle se voulût charger aussi du payement.» Le lendemain, Colbert
revenait encore sur cette affaire: «Au nom de Dieu, je conjure Votre
Éminence de me permettre d'écrire à M. de Fabert que MM. les gouverneurs
des places frontières députent ici pour presser MM. les surintendants de
pourvoir à leur pain pour les cinq mois qui restent de cette année, et
d'en avertir aussi mesdits sieurs les surintendants. Votre Éminence doit
bien connaître que cette affaire ne lui peut être qu'à charge; et, par
ainsi, le plus tôt que nous pourrons nous en défaire, ce ne sera que le
mieux, bien entendu qu'il ne faut pas se déclarer de ce dessein qu'après
avoir eu les assignations, pour prendre les meilleures pour
remboursement de ce que nous avons avancé.»

Enfin, le 26 juillet, il écrivait encore sur cette matière avec une
nouvelle insistance, et, en se plaignant des surintendants, qui ne
voulaient pas satisfaire à toutes les exigences du cardinal: «Je conjure
une seconde fois Votre Éminence de me permettre de déclarer à MM. des
finances qu'elle ne pourvoira plus au pain de Champagne, et d'écrire la
même chose sur la frontière, afin que nous sortions une fois pour toutes
de cette sollicitude. Votre Éminence se peut tenir quitte des
remercîments qu'elle avait dessein de faire à MM. les surintendants. Il
est vrai que les cinq cent mille écus de remboursement sont assignés
sur la généralité de Paris pour 1654. L'on vient à bout avec force de
tout ce que l'on demande à longs jours, à la charge que ce que l'on
donne se trouvera diverti[404] à point nommé. Pour tout ce que l'on
demande comptant, l'on vous donne des traites de l'élection d'Issoudun,
de Coquerel et autres de même nature, que l'on n'oserait avoir offert au
dernier homme du royaume.»

Mazarin, en répondant à cette lettre le 25 juillet, se contentait de
dire: «Je serai à Paris dans trois ou quatre jours; je verrai avec vous
de quelle manière l'on en devra user.» Il parait que, dans ces
conférences avec les surintendants, Mazarin trouva plus de souplesse
chez Fouquet; car ce dernier devint, dès lors, le principal confident du
cardinal pour les questions financières. Une lettre de Mazarin à l'abbé
Fouquet, du 30 septembre 1655, en fournit une preuve, en même temps
qu'elle constate la détresse des finances: «Je vous fais ce mot à part,
écrivait le cardinal, pour vous dire que j'ai été surpris au dernier
point lorsque j'ai vu, par la dépêche que je viens de recevoir de MM.
les surintendants, qu'ils retranchent deux millions de la somme qu'ils
avaient tant de fois promise pour le quartier d'hiver des troupes; et,
ce qui augmente mon déplaisir, c'est que, nonobstant que deux termes
soient déjà échus, on n'ait pas envoyé un sou pour commencer à donner
aux troupes de quoi subsister, entrant en quartier. J'ai écrit à ces
messieurs les surintendants, me plaignant extrêmement de ce qu'ils
aient changé pour la somme et pour le temps, et, comme M. le procureur
général m'a parlé si positivement sur cette affaire, et que vous m'en
avez écrit en termes très-précis de sa part, je vous ai voulu faire part
de mon déplaisir, afin que M. le procureur général en ait connaissance,
étant persuadé qu'il n'oubliera rien pour y remédier, puisque, sans
exagération, il n'y a rien de si important. Je serai le premier à opiner
qu'il faut renvoyer les troupes, si on ne leur envoie de quoi
s'entretenir et se fortifier sur la frontière. Le plus grand
inconvénient de tous, c'est que le roi manque de forces pour rétablir
son autorité et contraindre les ennemis à la paix.» Il résulte de cette
lettre que, dès 1653, Nicolas Fouquet était celui des surintendants dans
lequel Mazarin avait le plus de confiance. Il la justifia en lui
fournissant les fonds qu'il désirait. Ce fut pendant une absence de
Servien, qui avait été mandé par le cardinal au commencement d'octobre,
que l'affaire fut conduite par Fouquet avec la dextérité dont plus lard
il donna tant de preuves. A cette occasion, un des confidents du
cardinal écrivait à Colbert le 12 octobre[405]: «Vous pourrez dire à M.
le procureur général qu'il n'a pas perdu son temps durant qu'il a été
seul. Il le peut connaître par la lettre que Son Éminence vous écrit,
outre ce qu'elle lui mande à lui-même.» Mazarin parlait dans le même
sens à l'abbé Fouquet: «Je suis très-obligé à M. le procureur général de
la manière dont il en use et pour ce qui regarde le service du roi et
pour mes intérêts particuliers. Je l'en remercie par la lettre que je
lui écris; mais je vous prie de lui témoigner encore le ressentiment que
j'en ai.»

Quelques jours après, le cardinal exprimait son contentement dans une
lettre à Colbert en date du 16 octobre: «Je vous dirai que je suis
très-aise de voir que vous avez mis en bon état les affaires que vous
poursuiviez auprès de MM. les surintendants, ne doutant pas que M.
Servien ne concoure à ce qui a été fait par M. le procureur général.» Le
10 novembre, Mazarin, écrivant à l'abbé Fouquet, parle encore de son
frère en termes qui prouvent qu'il était satisfait de sa conduite: «Je
vous prie, lui disait-il[406], d'assurer M. le procureur général de mon
amitié et service, et lui dire qu'il importe extrêmement que je sache au
plus tôt si les deux ternies des quartiers d'hiver sont prêts, comme on
m'a promis et comme j'en ni assuré toutes les troupes de la part du
roi.»

Enfin un des confidents de Mazarin disait le 18 novembre 1653 à l'abbé
Fouquet: «Il (le cardinal Mazarin) m'a fort demandé comment MM. les
surintendants vivaient ensemble, et m'a dit qu'il fallait qu'ils se
missent tous deux dans l'esprit de ne se pouvoir pas détruire l'un
l'autre. Je ne puis pas vous mander tout le détail de cette
conversation, mais j'y ai fait mon devoir: et, voyant qu'il penchait un
peu à croire que vous seriez relui qui vous accommode, riez le moins
bien avec M. Servien, je l'en ai détrompé et lui ai dit qu'il ne se
pouvait rien ajouter aux avances que vous aviez faites pour bien vivre
avec lui; que j'étais assuré qu'elles étaient sincères et que vous ne
commenceriez pas le premier à rompre.» Il résulte de toutes ces lettres
que, bien loin de s'effacer devant son collègue, Fouquet devenait peu à
peu le personnage principal dans l'administration des deniers publics.
Mazarin avait reconnu en lui le financier peu scrupuleux et fécond en
expédients, dont il avait besoin pour fournir aux dépenses de l'État et
élever sa propre fortune. Les deux Fouquet lui rendaient d'ailleurs
d'autres services, Nicolas comme procureur général, et l'abbé comme
chargé de l'administration de la police.



CHAPITRE XVI

--1654--

État de la France en 1651: elle est menacée à l'extérieur et
troublée à l'intérieur.--Le surintendant Nicolas Fouquet fournit de
l'argent pour l'entretien de l'armée: création de quatre nouveaux
intendants des finances.--Translation du cardinal de Retz de
Vincennes au château de Nantes (30 mars).--Son évasion (8
août).--Son projet audacieux; il ne peut l'exécuter.--Agitation à
Paris à la nouvelle de cette évasion.--_Te Deum_ chanté par ordre
du chapitre; libelles publiés; Mazarin est pendu en
effigie.--L'abbé Fouquet lui donne avis de l'état de
Paris.--Tranquillité de Mazarin.--Les chanoines et les curés les
plus factieux sont mandés à Péronne.--Lettre de Mazarin à l'abbé
Fouquet en date du 24 août sur les mesures adoptées.--Victoire
remportée par l'armée française le 25 août.--Mazarin s'empresse de
l'annoncer à l'abbé Fouquet.--Il ne témoigne que du mépris pour les
manifestations turbulentes de Paris.--Fuite de Retz, qui se retire
en Espagne, puis à Rome.--La cour revient à Paris 5
septembre.--Nouveau règlement pour les députés des rentiers qui
sont nommés par le roi sur une liste, présentée par le prévôt des
marchands, les échevins et les conseillers de ville.--Nicolas
Fouquet achète les principaux membres du parlement.


L'année 1654 fut une des plus critiques pour Mazarin. L'invasion du
prince de Condé dans l'Artois à la tête d'une armée espagnole, et la
fuite du cardinal de Retz, menacèrent en même temps la sécurité des
frontières et la tranquillité intérieure. Le surintendant Nicolas
Fouquet fournit l'argent nécessaire pour opposer à Condé une armée
victorieuse. De son côté, l'abbé Fouquet travailla avec succès à
réprimer les mouvements séditieux.

Dans la détresse du trésor royal, Nicolas Fouquet eut recours à une
mesure trop souvent employée sous l'ancienne monarchie. Il créa de
nouvelles charges et les vendit aux plus offrants. On ajouta quatre
nouveaux intendants des finances aux huit qui avaient été établis
l'année précédente[407]: le premier nommé fut un maître des requêtes,
appelé Paget. Les autres charges furent laissées au choix des
surintendants, à condition qu'ils tireraient de chacun des nouveaux
intendants une somme de deux cent mille francs. C'était toujours Fouquet
qui, dans ces affaires, avait le principal rôle. Mazarin, qui s'était
rendu à Sedan, écrivait le 11 juillet à l'abbé Fouquet: «Je suis fort
obligé à M. votre frère des pensées qu'il a pour faciliter le
remboursement des cinquante mille écus que j'ai avancés aux officiers de
l'armée, et je vous prie de l'en remercier. Je m'étonne que M. Servien
ne lui ait encore rien dit des intendants. Lorsque j'ai écrit sur cette
matière, ç'a toujours été en commun. L'on envoie à présent la commission
pour M. Paget et une autre en blanc, que les surintendants pourront
remplir de quelque personne qui se trouvera capable pour cela et qui
donnera les deux cent mille livres en argent comptant. Quand ces deux
charges seront remplies, on se défera plus aisément des deux autres,
pour lesquelles il sera aisé de l'aire expédier les commissions, et on
pourra songer ensuite à les faire ériger en titres d'offices en
finançant, ce qui pourra être une affaire qui produira quelque bonne
somme.»

Les surintendants vendirent les trois charges laissées à leur
disposition aux sieurs Boislève, Housset et Brisacier[408]. Le premier
était un avocat au conseil, qui avait pris part aux traités pour la
fourniture des vivres. Housset avait été trésorier des parties
casuelles, c'est-à-dire chargé de recevoir l'argent que versaient au
trésor les magistrats pour devenir propriétaires de leurs charges. Enfin
Brisacier avait été successivement commis du comte de Brienne,
secrétaire d'État chargé des affaires étrangères, puis maître à la
Chambre des comptes. Ce fut grâce aux huit cent mille livres que
produisit la vente de ces charges que Mazarin put entretenir l'armée
avec laquelle il tint tête aux Espagnols.

En même temps que le surintendant fournissait des fonds pour continuer
la guerre, l'abbé Fouquet veillait à la sûreté intérieure. «J'ai toute
la reconnaissance possible, lui écrivait Mazarin le 7 août, de l'amitié
que vous continuez de me témoigner, et vous croirez bien que je ne suis
pas sans inquiétude des mauvais desseins que l'on a contre vous, dont
j'espère néanmoins que vous saurez bien vous garantir. J'ai été bien
aise de voir ce que M. le procureur général m'a écrit sur l'arrêt que le
parlement a donné touchant les syndics. On considérera toujours
particulièrement en ces matières-là l'avis de M. le premier président et
le sien. Je vous envoie le billet pour la résignation de l'abbaye de
Noailles. Je vous adresse aussi la réponse que je fais à M. l'évêque
d'Avranches et la lettre de cachet pour la préséance du sieur de
Boislève sur le sieur Housset, me remettant du surplus à la vive voix de
votre secrétaire. Je vous envoie la lettre ci-jointe pour M. de Sève,
que le roi a choisi pour remplir la charge de prévôt des marchands. Il
ne le sait pas encore, et je vous adresse cette lettre, afin que, la
recevant de votre main, cela l'oblige de lier une plus étroite amitié
avec M. le procureur général et vous. Je lui mande qu'il tienne la chose
secrète jusqu'à ce qu'on lui rende une lettre du roi qui la déclare
publiquement; ce qui sera dans deux jours au plus tard.»

Vers cette époque, la fuite du cardinal de Retz vint fournir aux deux
frères une nouvelle occasion de signaler leur zèle. Cette crise fut une
des pins dangereuses que le cardinal eut à traverser depuis la Fronde.
Retz avait conservé de nombreux amis, dont le dévouement éclata surtout
à l'occasion de son emprisonnement à Vincennes. MM. de Caumartin et
d'Hacqueville se signalèrent entre les plus ardents. Le clergé de Paris
ne cessa de faire des prières publiques pour la délivrance du cardinal
de Retz[409], pendant que le nonce adressait au roi des remontrances en
sa faveur[410], et que ses gardes mêmes s'attendrissaient sur son
sort[411]. Plusieurs d'entre eux se laissèrent gagner et remettaient à
Retz des billets de ses amis[412]. Il était parfaitement au courant de
la situation de Paris et de l'armée des princes. Les gouverneurs de
Mézières, de Charleville et de la forteresse appelée le mont Olympe (non
loin de Charleville) promettaient de le soutenir. Les curés de Paris, à
l'exception d'un seul, le curé de Saint-Barthélemy, lui étaient dévoués,
et, dès que l'archevêché de Paris devint vacant par la mort de son oncle
(20 mars 1654), il en prit possession par procureur.

L'agitation que les partisans du cardinal de Retz entretenaient dans le
royaume inquiétait Mazarin. Il entama avec lui une négociation, par
l'intermédiaire du premier président de Bellièvre, pour obtenir sa
démission de l'archevêché de Paris. A cette condition, il lui promettait
la liberté et de riches bénéfices. L'abbé Fouquet s'opposa énergiquement
à ce projet[413], et, n'ayant pu en détourner Mazarin, il employa un des
gardiens de Retz pour l'empêcher de donner sa démission. C'était ce même
Pradelle, qui était plus à l'abbé Fouquet qu'à Mazarin, et qui savait
que son protecteur ne voulait en aucune manière la liberté de Retz[414].
Ce dernier, après avoir quelque temps hésité, se décida enfin par cette
considération qu'une démission donnée au donjon de Vincennes ne
l'engageait à rien. Rassuré par cette restriction mentale, Retz accepta
les conditions imposées, sortit de Vincennes le 30 mars 1654, et fut
confié à la garde du maréchal de la Meilleraye, qui le conduisit au
château de Nantes pour y demeurer prisonnier en attendant que sa
démission eût été acceptée par le pape[415]. Mais Innocent X ayant
refusé son approbation au traité, la captivité de Retz se prolongea
jusqu'au moment où, secondé par des amis dévoués, il parvint à
s'échapper du château de Nantes (8 août 1654).

L'intention de Retz était de se rendre directement à Paris, de s'y faire
installer comme archevêque dans la cathédrale, et de braver plus
audacieusement que jamais l'autorité du roi et du ministre. Les
circonstances semblaient favorables: Mazarin, emmenant avec lui le roi
et la cour, avait quitté Paris pour se rendre à l'armée. L'Artois était
envahi par le prince de Condé à la tête de trente-deux mille hommes et
d'une formidable artillerie: la ville d'Arras était assiégée. Les
gouverneurs de Mézières, de Charleville et du Mont-Olympe n'attendaient
qu'une occasion pour se déclarer. Quant à Paris, les dispositions de la
population encourageaient le cardinal de Retz. Le chapitre de Notre-Dame
était si dévoué à son archevêque qu'à la première nouvelle de l'évasion
de ce prélat, il fit chanter un _Te Deum_ solennel. Servien, en
l'annonçant à Mazarin le 14 août, manifestait son indignation contre un
pareil attentat: «Son Éminence, lui écrivait-il, apprendra de divers
endroits l'action insolente du chapitre de Notre-Dame, qui a fait
chanter un _Te Deum_ et sonner la grosse cloche aussitôt qu'il a su
l'évasion du cardinal de Retz. Si cette entreprise, faite pour déplaire
au roi dans sa ville capitale, demeure sans punition éclatante, elle
donnera une très-mauvaise opinion de l'autorité royale à Paris, tant
dedans le royaume qu'aux pays étrangers.»

Un accident empêcha le cardinal de Retz de donner suite à l'audacieux
projet de se rendre à Paris pour exciter l'ardeur de ses partisans et
rallumer la guerre civile. Il se démit l'épaule en tombant de cheval et
fut obligé d'aller se faire soigner en Bretagne dans les domaines de sa
famille[416]. Il se rendit chez le duc de Retz, à Machecoul
(Loire-Inférieure).

Ces événements enlevèrent à l'évasion du cardinal de Retz une partie de
sa gravité; cependant elle fournit l'occasion à tous les factieux de
s'agiter et de troubler Paris, les curés par leurs prédications, et le
parlement par des assemblées dont le tumulte rappelait les désordres de
la Fronde; enfin sous le nom des rentiers, les anciens Frondeurs
reparurent, attaquèrent le gouvernement et menacèrent Mazarin. Il y eut
des placards affichés, des libelles publiés, et même on éleva des
potences où le cardinal fut pendu en effigie. L'abbé Fouquet s'empressa
d'en donner avis à Mazarin; mais le ministre ne s'émut guère de ces
vaines agitations. Sa conduite et celle de ses partisans montrèrent
combien depuis deux ans l'autorité royale s'était affermie. Les
opérations militaires ne furent point suspendues, et les succès
brillants remportés par Turenne contribuèrent à calmer les esprits et à
rétablir l'ordre dans Paris.

L'abbé Fouquet et le procureur général s'y étaient activement employés.
Dans une lettre du 19 août, ils avaient fait connaître à Mazarin la
situation de Paris et les mesures à prendre: saisir tous les revenus du
cardinal, chasser du chapitre les factieux et les emprisonner, s'opposer
énergiquement à ce que le prélat démissionnaire fut reconnu en qualité
d'archevêque de Paris, et s'adresser, pour le remplacer, à l'archevêque
de Lyon comme primat des Gaules, enfin fournir au maréchal de la
Meilleraye, gouverneur de Bretagne, les ressources nécessaires pour
s'emparer de Retz ou le forcer à quitter la Bretagne. Le cardinal
approuva ces mesures. «Leurs Majestés, ajoutait-il, ont été très-aises
des personnes qui ont été arrêtées par la diligence du procureur
général.»

Les curés et les chanoines les plus compromis furent mandés à Péronne,
où était la cour. Ils furent exilés en divers lieux, et Mazarin
témoignait contre eux, dans ses lettres à l'abbé Fouquet, une vive
indignation; il paraissait d'abord disposé à traiter en criminels tous
ceux qui avaient été d'avis de chanter le _Te Deum_, et attaquait
surtout le curé de Saint-Paul, auquel il attribuait des intentions
coupables. «Je sais de science certaine, écrivait-il le 24 août à l'abbé
Fouquet, qu'il est le plus ambitieux des hommes. Il a prétendu être
évêque, et, par cette raison, a caché quelque temps le jansénisme qu'il
avait dans le cœur et a fait ostentation d'être ennemi du cardinal de
Retz: mais, n'ayant pas été élevé à cette dignité, il n'a rien oublié
pour témoigner son chagrin, allumant le feu partout et se signalant en
tout ce qu'il pouvait croire qui déplairait au roi. L'on m'a écrit que
c'est lui qui a fait la réponse au nom des curés à la lettre que le
cardinal de Retz leur a écrite. Elle est fort imprudente, et je m'assure
que M. le procureur général et vous l'avez jugée de même.

«Vous ne me mandez pas, ni M. le chancelier non plus, qu'on ait rien
fait contre le curé de Saint-Merri, qui assurément est le plus coupable
de tous, n'y ayant rien de plus séditieux et de plus grand mépris pour
le roi que ce qu'il a dit dans son prône, et d'autant plus qu'il a eu
l'insolence de le faire après les défenses du roi. Je vous prie de me
faire savoir quelle résolution ou prendra là-dessus.

«On ne manquera pas de faire connaître à Rome l'intention du cardinal de
Retz dans les retranchements que ses prétendus vicaires ont faits des
deux mots si essentiels, _apostolique et romaine_; et, au surplus,
oubliant de prier pour la reine et voulant qu'on prie pour le prince de
Condé, qui est de la maison royale, ils se contredisent, n'étant pas
possible de demander à Dieu des bons succès pour le roi contre ses
ennemis, et le prier aussi pour M. le prince de Condé, puisque ledit
prince travaille autant pour la prise d'Arras que le roi pour
l'empêcher.

«J'ai reçu le papier de M. l'archevêque de Toulouse[417]; je vous prie
de l'en remercier de ma part et de l'assurer du secret. Au surplus, il y
aura temps de résoudre ce qu'il y aura à faire, et, pour moi, je crois
que l'expédient contenu dans cette lettre est le meilleur.

«Vous avez été bien averti que le cardinal de Retz enverrait ici; car à
l'instant que je reçus votre lettre, il arriva un gentilhomme de sa
part, avec des lettres pour le roi et M. de Brienne, auquel il
s'adressa; mais il n refusé de les recevoir et lui a dit qu'il était
bien hardi de se présenter ici âpres ce que ledit cardinal a fait, et
que Sa Majesté n'entendrait parler de lui que lorsqu'il serait
prisonnier à Nantes. On fera ce qu'il faut à Machecoul, et on donne à M.
le maréchal de la Meilleraye toutes les troupes, officiers d'artillerie,
canons, vaisseaux, galères, petits bâtiments, et généralement tout ce
qu'il pourra désirer pour pousser l'affaire à bout, et c'est, à mon
avis, le langage qu'il faut tenir au cardinal de Retz pour l'obliger à
prendre les résolutions auxquelles il témoigne être si contraire.[418]

«Je suis très-aise de ce qui s'est passé au parlement, et je n'ai pas
manqué de faire valoir auprès de Leurs Majestés l'adresse et la sage
conduite de M. le premier président. Il sera bon de savoir quelle
réponse il faudra faire à la lettre qu'il écrira au roi; bien entendu
que Sa Majesté n'accordera pas de procéder à cette députation des
syndics, que les brouillons et malintentionnés poursuivent sous le nom
et le prétexte des rentiers, qui n'ont rien à souhaiter, étant payés
avec ponctualité, et le roi voulant que cela continue toujours sans que,
par quelque accident que ce puisse être, il y puisse avoir le moindre
changement. Je vous dirai aussi que le roi est si résolu à empêcher la
continuation du parlement pendant les vacations, qu'il n'y a moyen
duquel Sa Majesté ne se serve pour l'empêcher.

«Je n'ai pas manqué de faire remarquer à Leurs Majestés l'utilité que
leur service ressent de gagner temps en l'affaire du parlement. On songe
sérieusement aux précautions pour l'assemblée générale du clergé, et
j'espère que tout ira bien. J'envoie les nouvelles du siège d'Arras à M.
le chancelier, qui en fera part au conseil. Je vous prie de les dire à
M. le président de ma part. En un mot, ce qu'il y a d'essentiel, c'est
que, demain jeudi, Saint-Louis, on donnera aux lignes, avec les trois
armées composées de dix-sept mille hommes de pied, onze mille chevaux,
quatre mille officiers et ce qui sortira d'Arras pour le même effet, qui
fera bien son devoir. Le succès est entre les mains de Dieu, et le roi a
à gagner beaucoup sans hasarder qu'Arras.

«Je vous prie d'assurer M. le procureur général de mon amitié, ainsi que
je suis persuadé que vous l'êtes entièrement.»

L'attaque que Mazarin annonçait pour le 25 août réussit complètement, et
les Espagnols furent forcés de lever le siège d'Arras. Cette victoire
adoucit le cardinal et la cour. Les curés, qui avaient été mandés à
Péronne, furent traités avec plus de mépris que de sévérité. «On
renverra, écrivait Mazarin à l'abbé Fouquet, le curé de
Saint-Côme[419], et le chanoine qui a fait chanter le _Te Deum_ à
l'Hôtel-Dieu; car on a bien reconnu qu'ils n'ont pas péché par malice.
Joly[420], étant le plus coupable de tous, Leurs Majestés ont été
surprises qu'il n'ait pas accompagné les autres chanoines. Pour le curé
de Saint-Paul, je suis très-aise qu'il veuille changer de conduite et
bien servir le roi à l'avenir, et je le serai encore davantage si je
vois qu'il tienne parole. On me mande que Vassé tient de très-méchants
discours sur le sujet du cardinal de Retz, de qui il est parent. Je vous
prie de vous en informer et m'en faire savoir la vérité. Je ne m'étonne
pas de ce que Pontcarré dit. Il serait bon que M. le premier président
en eût connaissance comme d'une chose que je vous ai écrite; car c'est
un esprit qui ne fera jamais bien à Paris. J'ai su que le président
Lottin a fait rage dans la dernière assemblée du parlement, ayant ouvert
l'avis de continuer le parlement pour faire et établir les députés des
rentes.

«Il ne faut pas s'étonner de la liberté avec laquelle vous me dites que
l'on parle à Paris; car cela arrive toujours quand le parlement
s'assemble et témoigne mauvaise volonté, et quand des personnes de
qualité font connaître d'être disposées au remuement. Je suis persuadé
que chacun modérera ses passions, voyant contre leur attente les
bénédictions qu'il plaît à Dieu de verser sur le roi par tant
d'importants et glorieux succès qu'il fait remportera ses armes, et que
l'on voudra bien attendre d'autres occasions moins favorables pour
montrer leur venin; mais comme ce serait une grande imprudence de
prétendre à force de victoires et de conquêtes contenir un chacun dans
son devoir, il est absolument nécessaire que le roi donne ordre à ses
affaires, en sorte que, quelque événement qu'aient ses desseins et ceux
des ennemis, il ne soit pas exposé à éprouver la mauvaise volonté des
malintentionnés de son royaume.

«Je me réjouis avec vous, et M. le procureur général, de l'avantage que
le roi a remporté à Arras, qui est assez décisif. Vous en avez reçu le
premier la nouvelle; je vous prie de faire mes compliments là-dessus à
M. le premier président et l'assurer toujours de mon amitié et de la
passion que j'ai de lui en donner des marques. Les potences, les
libelles, les méfiances parmi les rentiers, les remuements de noblesse
et choses semblables, sont des armes avec lesquelles combat d'ordinaire
le cardinal de Retz; mais, à mon avis, elles seront faibles pour
résister à celles avec lesquelles on l'attaque et ses principaux
fauteurs. Et pour moi je vous dirai ce que le duc de Savoie et le duc
d'Ossone dirent, quand ils eurent avis d'avoir été, l'un pendu à Gênes
et l'autre à Venise, que, pourvu que l'original se portât bien, ils ne
se mettaient point en peine de ce qui arriverait à l'effigie. Soyez en
repos sur ce que l'on fera à Machecoul; le roi en sera absolument
maître. Je ferai partir au plus tôt de mes gardes.»

En effet, le duc de Retz, n'osant lutter contre la royauté, engagea le
cardinal, auquel il avait donné asile, à s'enfuir à Belle-Isle, où il ne
passa que peu de temps; de là il gagna l'Espagne, et enfin Rome. Ainsi
s'évanouirent les dangers qui avaient menacé Mazarin: d'un côté, les
Espagnols étaient vaincus et l'Artois délivré; de l'autre, Retz n'était
plus qu'un fugitif qui allait demander asile au saint-siège. Ses biens
étaient mis sous le séquestre, et on excitait ses créanciers, qui
étaient nombreux, à le poursuivre. L'abbé Fouquet se signala, si l'on en
croit Retz[421], par son ardeur à piller les biens de l'archevêché et à
en faire un usage scandaleux. Il eût voulu aller encore plus loin et
enlever à Retz la dignité archiépiscopale, dont il prétendait qu'il
avait donné sa démission. Il est probable qu'il reprit alors ses projets
de vicariat général[422]; mais le vieux Gondi était mort et le chapitre
peu disposé à se prêter aux vues ambitieuses de l'abbé Fouquet. Il
fallut se contenter d'avoir éloigné de France un prélat turbulent.
Mazarin confia à de Lyonne la mission d'aller déjouer à Rome les
intrigues de Retz; il était surtout chargé de le représenter comme un
protecteur des jansénistes, que condamnait le saint-siège. «Il est
certain, écrivait Mazarin à de Lyonne, qu'il n'y a pas un plus grand
janséniste que le prétendu vicaire du cardinal de Retz. Il fait du pis
qu'il peut, remue ciel et terre pour cabaler dans Paris et exécute
aveuglément tout ce qui lui est suggéré par les adhérents du cardinal de
Retz; mais il se tient si bien caché que l'on ne peut savoir où il est.
On a pourtant assuré que le nonce l'a retiré chez lui; ce qui serait une
chose étrange que le ministre du pape devint le protecteur du jansénisme
et un exécuteur des attentats du cardinal de Retz. Sa Sainteté a fait au
cardinal de Retz une réponse digne de sa prudence, quand elle lui a dit
qu'elle tenait sa croyance en suspens et que le temps l'éclaircirait de
la vérité; après quoi elle ferait justice fort exactement. Mais ce n'est
pas ce que cherche ledit cardinal, n'y ayant rien qui lui soit plus
contraire que la vérité et la justice.»

Après la défaite des Espagnols et la fuite de Retz, il ne restait plus
de dangers sérieux. Le parlement et les rentiers, qui s'étaient agités,
n'avaient pas réussi à soulever la population parisienne. Cependant la
cour étant revenue à Paris, Mazarin s'occupa, de concert avec les
surintendants, à terminer l'affaire des rentiers. Ils avaient
antérieurement des syndics, dont les assemblées et les représentations
violentes avaient été une des causes des agitations de Paris; on
supprima ce syndicat électif, et on y substitua des commissaires des
rentes choisis par le roi sur une liste de notables que formeraient le
prévôt des marchands, les échevins et autres officiers de l'Hôtel de
Ville. Une assemblée, convoquée le 15 septembre, procéda à la formation
de cette liste de candidats[423]. On y remarquait des magistrats d'une
probité et d'une capacité reconnues, comme Catinat, conseiller au
parlement et père du célèbre maréchal, et Bossu-le-Jau, maître de la
chambre des comptes. La liste des commissaires fut définitivement
arrêtée par le roi, et, au lieu d'assemblées tumultueuses qui
inquiétaient les rentiers et faisaient de l'Hôtel de Ville un foyer de
séditions, on n'eut plus qu'un conseil de bourgeois honnêtes et
expérimentés, qui se renfermèrent dans leurs attributions et ne
transformèrent pas les questions de finances en affaires politiques.

Quant au parlement, l'opposition qui s'y était manifestée fit comprendre
de plus en plus au procureur général la nécessité de s'y créer de
nombreux partisans. Nicolas Fouquet préférait la douceur à la violence,
et le trésor royal, dont il disposait, était un moyen puissant de
séduction: il l'employa avec succès. Un des hommes qui le servirent le
mieux en cette circonstance fui Gourville, qui, depuis peu de temps,
s'était attaché à son service[424]. Après avoir appartenu au duc de la
Rochefoucauld et au prince de Condé, Gourville était devenu un des
agents les plus dévoués du surintendant Fouquet. Homme d'action et
d'intrigue, peu scrupuleux sur les moyens, habile à pénétrer les
caractères, à en saisir le faible et à les diriger, Gourville convenait
parfaitement pour cette œuvre de corruption. On dressa une liste des
conseillers qui, dans chaque chambre, avaient le principal crédit et
entraînaient leurs collègues. Gourville en vit quelques-uns et fit
sonder les autres par leurs parents ou leurs amis. Il leur offrait, de
la part du surintendant, une gratification de cinq cents écus, et leur
fit espérer des avantages plus considérables pour l'avenir. Ce trafic,
que Gourville raconte comme la chose la plus naturelle[425], ne parait
pas avoir excité les scrupules des vénérables membres du parlement.

Quelquefois la gratification prenait une forme plus délicate, quand il
s'agissait de personnages plus importants ou plus scrupuleux. Ainsi
Fouquet, voulant gagner le président le Coigneux, Gourville lui dit
qu'il allait quelquefois à la chasse avec lui et qu'il trouverait bien
moyen de lui parler et de le prendre. En effet, comme le président Le
Coigneux l'entretenait des constructions qu'il faisait faire à sa maison
de campagne et des dépenses qu'elles entraînaient, Gourville lui dit
qu'il fallait faire en sorte que le surintendant l'aidât à achever une
terrasse qu'il avait commencée. Deux jours après il lui apporta deux
mille écus de la part de Fouquet, et lui fit espérer d'autres présents
par la suite. Peu de temps après, il se présenta une affaire au
parlement, où l'appui du président le Coigneux fut énergique et
efficace[426].



CHAPITRE XVII

--1655-1657--

Derniers actes d'opposition parlementaire à l'occasion de
l'enregistrement d'édits bursaux 20 mars 1655.--Les édits sont
vivement attaqués dans une séance du 9 avril.--Louis XIV impose
silence au parlement (13 avril).--Vaines doléances de ce
corps.--Nicolas Fouquet fait nommer Guillaume de Lamoignon premier
président du parlement de Paris.--Notes sur les membres de ce corps
rédigées vers 1657.--Opposition prolongée des partisans du cardinal
de Retz.--Efforts tentés en faveur du commerce.--Mémoire remis à
Fouquet sur ce sujet.--Colbert propose aussi ses vues sur les
moyens de ranimer l'industrie et le commerce.--Zèle de Fouquet pour
la marine et le commerce.--Mesures favorables au commerce et aux
colonies.--Fouquet a de nouveau recours à de fâcheux expédients
pour fournir aux dépenses de la guerre.


Le parlement, en partie gagné par Nicolas Fouquet, tenta cependant, en
1655, une dernière lutte; mais elle tourna à sa confusion, et, depuis
cette époque, on peut le considérer comme définitivement vaincu. Le
surintendant avait fait enregistrer dans un lit de justice, en présence
du roi, le 20 mars 1655, plusieurs édits bursaux portant création de
nouveaux offices, aliénation de droits du domaine, marque ou timbre du
papier et du parchemin destinés aux actes notariés, etc. Malgré
l'appareil solennel déployé dans ce lit de justice, le parlement
murmura. L'avocat général Bignon s'éleva avec énergie contre l'édit du
timbre; il dit «que celui qui avait osé donner l'avis de mettre la main
dans le sanctuaire de la justice, en voulant imposer un droit honteux et
inouï sur les actes les plus légitimes et les plus nécessaires à la
sûreté publique, était digne du dernier supplice; mais enfin que la
France espérait que Sa Majesté, à l'exemple de son aïeul, ce grand et
incomparable monarque Henri IV, prendrait un jour elle-même le soin de
ses affaires et apporterait un tempérament si doux et si convenable aux
maux de son État, que son nom et son règne en seraient à jamais en
vénération très-particulière dans toute l'étendue de son empire[427].»

Les autres compagnies souveraines, comme la chambre des comptes et la
cour des aides, devaient aussi enregistrer les édits bursaux; elles ne
firent pas un meilleur accueil à ceux qui vinrent les présenter au nom
du roi. Philippe de France, frère de Louis XIV, remplit cette mission à
la chambre des comptes. Là il entendit un orateur qui, dans le langage
souvent bizarre de m l'époque, compara les édits bursaux aux poisons de
Médée, «dont la composition était si subtile et si dangereuse, que, pour
ne pas en être atteinte elle-même, cette fameuse sorcière était
contrainte d'en détourner le visage lorsqu'elle y travaillait.»

Le parlement, toujours plus puissant et plus hardi que les autres cours,
ne s'en tint pas à cette opposition de paroles. Il prétendit qu'il avait
le droit de soumettre à une discussion régulière les édits qu'il avait
été contraint d'enregistrer en présence du roi, sans pouvoir les
examiner. Cette prétention, qui serait juste et naturelle dans une
assemblée représentant réellement la nation, était exorbitante de la
part d'un corps judiciaire dont les membres nommés par le roi n'avaient
ni mission ni autorité politiques. L'inscription d'un édit sur leurs
registres était une simple formalité dans l'origine, une notification de
la loi au parlement, afin qu'il en fit l'application. Peu à peu les
cours souveraines s'étaient arrogé le droit d'accorder ou de refuser cet
enregistrement, et il avait fallu, pour les réduire au silence, que les
rois vinssent tenir un lit de justice, où ils paraissaient dans tout
l'éclat de leur souveraineté et imposaient l'obéissance. Annuler un
enregistrement exigé par l'autorité royale, c'était placer le parlement
au-dessus du roi et transférer la souveraineté dans la Grand'Chambre.
Voilà ce qu'avait tenté la Fronde sans oser l'avouer, et ce que les
magistrats entreprenaient de nouveau en proposant de déclarer nulles et
non avenues les ordonnances enregistrées en présence du roi.

Louis XIV, alors âgé de dix-sept ans, était à Vincennes, où il chassait.
Il apprit que le parlement s'était réuni le 9 avril et avait soumis à un
nouvel examen les édits qu'il avait fait enregistrer le 20 mars. Ces
édits furent vivement attaqués et mal défendus. Le chancelier, Pierre
Séguier, n'aimait pas le surintendant Fouquet; il déclara qu'il n'avait
eu aucune connaissance des ordonnances, et en rejeta toute la
responsabilité sur le surintendant. Matthieu Molé, qui était alors garde
des sceaux, ne se montra pas plus disposé à défendre le ministère. Il
déclara qu'il n'avait vu ces édits qu'en les scellant le jour même où on
les avait portés au parlement. Les membres du conseil du roi déclinaient
aussi toute responsabilité dans cette affaire. Il fallait, ou se
soumettre au parlement et accepter sa tutelle, ou briser cette
résistance. Le jeune Louis XIV n'aimait pas le parlement, dont
l'opposition avait agité les premières années de son règne. On se
rappelle qu'à l'âge de dix ans il avait dit, en apprenant la victoire de
Lens: «_Le parlement sera bien mécontent_.» Depuis cette époque, son
pouvoir s'était affermi et son caractère s'était développé. Il était
assez fort pour imposer l'obéissance et était décidé à user de son
pouvoir. Averti que le parlement s'était réuni de nouveau le 15 avril,
il partit subitement de Vincennes dans son costume de chasse avec un
justaucorps rouge, un chapeau gris et de grosses bottes[428], et se
rendit droit au parlement. Il y montra le visage sévère et imposant que
lui donnent déjà les portraits de cette époque, et y tint le langage
d'un maître. S'adressant aux magistrats: «Chacun sait, leur dit-il,
combien vos assemblées ont excité de troubles dans mon État, et combien
de dangereux effets elles y ont produits. J'ai appris que vous
prétendiez encore les continuer, sous prétexte de délibérer sur les
édits qui naguère ont été lus et publiés en ma présence. Je suis venu
tout exprès pour vous en défendre la continuation (il montrait en même
temps du doigt les chambres des enquêtes, dont la turbulence était
connue), ainsi que je le fais absolument, et à vous, monsieur le premier
président (et il montrait aussi du doigt le premier président, Pomponne
de Bellièvre), de les souffrir, ni de les accorder, quelque instance
qu'en puissent faire les Enquêtes[429].»

Pas un seul membre du parlement n'osa prendre la parole, et le roi, se
levant immédiatement, sortit de l'assemblée, se rendit au Louvre, et de
là à Vincennes, où l'attendait le cardinal Mazarin. Cette scène fut un
coup de foudre pour le parlement; il en resta accablé. Ses doléances
prouvèrent sa faiblesse; il se plaignit du costume insolite du roi, qui
avait semblé vouloir insulter le parlement en y paraissant en habit de
chasse. On ajoutait même qu'il avait un fouet à la main, et, qu'aux
remontrances du premier président qui lui parlait de l'intérêt de
l'État, il avait répondu: «L'État, c'est moi.» Ces détails sont de pure
invention. Il n'y eut point de remontrances du premier président. Mais,
quoique dépouillée des incidents dramatiques qui se sont gravés dans les
esprits et que répètent la plupart des histoires, la scène que nous
venons de rappeler produisit son effet et réduisit le parlement au
silence.

Ce fut seulement quelques jours après que le premier président alla
trouver le cardinal Mazarin à Vincennes et lui fit part des doléances de
la compagnie. Il lui représenta qu'elle était dans une consternation
profonde d'avoir encouru l'indignation du roi, qui s'était manifestée
non-seulement par ses paroles, mais par son costume insolite et son
arrivée imprévue. Le cardinal répondit par des généralités et protesta
des intentions bienveillantes de Louis XIV; il promit même que, dans
quelques mois, le parlement pourrait s'assembler pour faire des
remontrances. Mais cette concession parut trop considérable aux
secrétaires d'État et aux surintendants, et elle fut retirée. Vainement
les Enquêtes continuèrent de demander l'assemblée des chambres avec leur
turbulence ordinaire; le premier président les prévint «qu'il y avait
des carrosses préparés pour enlever ceux d'entre eux qui feraient
irruption dans la Grand'Chambre contrairement aux ordres du roi.» Cette
menace suffit pour arrêter les plus ardents. La Fronde était
définitivement vaincue. Il n'en paraissait de loin en loin qu'un
fantôme, que faisait évanouir le premier regard un peu sévère de Louis
XIV.

Nicolas Fouquet, qui comme surintendant et procureur général, avait un
double intérêt à l'apaisement du parlement, ne cessa d'y travailler.
Lorsque le premier président de Bellièvre mourut, la cour voulut avoir à
la tête de ce corps un magistrat qui n'eût point d'engagements avec la
Fronde, et qui n'appartint même pas aux anciennes familles
parlementaires. Fouquet recommanda un maître des requêtes, Guillaume de
Lamoignon, qui est devenu la tige d'une maison célèbre dans la
magistrature. Elle lui a dû sa première illustration, et peut-être la
plus éclatante. Lamoignon sut concilier, dans la haute position qu'il
occupa, ses devoirs envers le parlement et la soumission à l'autorité
royale. Fouquet se vantait avec raison du choix qu'il avait inspiré:
«M. le premier président de Lamoignon, écrivait-il dans son trop fameux
projet, m'a obligation tout entière du poste qu'il occupe, auquel il ne
serait jamais parvenu, quelque mérite qu'il ait, si je ne lui en avais
donné le dessein, si je ne l'avais cultivé et pris la conduite de tout
avec des soins incroyables.»

Lamoignon n'était pas seulement un magistrat habile et intègre, il
aimait les lettres, et il ne cessa d'en donner des preuves jusqu'à la
fin de sa vie. Boileau lui a dédié une de ses compositions les plus
ingénieuses. Ce poëte était, avec Racine, un des hôtes les plus assidus
du château de Bâville, où Lamoignon réunissait l'élite des beaux
esprits. A Paris, l'hôtel du premier président était également le
rendez-vous d'écrivains distingués et quelquefois même brillants, qui
venaient y donner lecture de travaux littéraires. L'abbé Fleury y
parlait d'Hérodote et de Platon; Pellisson y dissertait sur le Tasse. Le
P. Rapin et Bourdaloue s'y rencontraient avec les Arnauld et le
sceptique Gui Patin. Ce fut une gloire pour Fouquet d'avoir donné au
parlement un chef aussi éminent.

Quant aux anciens frondeurs, le procureur général ne cessa de les
surveiller. Des notes rapides et peu bienveillantes furent rédigées vers
cette époque sous son inspiration et signalèrent le caractère et les
relations de chaque membre du parlement en indiquant le moyen de s'en
emparer et de le dominer[430]. Je me bornerai à quelques extraits
relatifs aux conseillers frondeurs. Le président Viole est caractérisé
comme «un esprit actif, inquiet, entreprenant, fougueux, vindicatif,
dévoué aux intérêts du prince de Condé; il s'est vu, ajoute l'auteur de
la note, l'un des chefs de la Fronde, et avec grand crédit dans le
parlement. Le dépit d'avoir été exclu de la charge de chancelier de la
reine l'a emporté; il a donné tout à l'ambition.» Le président Charton,
un de ceux pour lesquels on avait fait des barricades, n'est pas mieux
traité: «Esprit brusque, turbulent, qui se pique d'intelligence, de
capacité et de justice; il veut de grandes déférences et de grands
honneurs, et se rend facilement; songe néanmoins à ses intérêts; s'était
embarrassé au canal de Loire[431]; a été grand frondeur; a sa brigue
dans sa chambre, en laquelle il trouve de l'estime, s'y comportant bien
pour l'expédition des affaires. Sa femme a pouvoir sur lui, M. de
Périgny, son parent, est fort bien avec lui.»

Ces notes pouvaient servir, comme on le voit, à diriger le surintendant
dans les gratifications qu'il faisait distribuer aux conseillers et dans
les divers moyens qu'il'employait pour s'en faire des créatures.
L'argent du trésor et les menaces du roi réussirent à corrompre ou à
intimider l'assemblée, et, de ce côté, la victoire fut complète. Les
partisans du cardinal de Retz se soumirent moins facilement. Leurs
murmures et leur opposition agitèrent l'assemblée du clergé en
1657[432]. Ils répandaient des libelles contre Mazarin. «Il faut
n'épargner rien, écrivait le cardinal à Colbert, pour découvrir et
châtier les écrivains, les imprimeurs et ceux qui délivrent les pièces.
Parlez-en à MM. le chancelier et le procureur général.» Le moyen
qu'adoptèrent ces magistrats fut décisif; on soumit tous les ouvrages à
la censure préalable du chancelier[433], et, quant aux libelles
clandestins, on en poursuivit les auteurs et les imprimeurs avec une
rigueur impitoyable.

Le surintendant profita des moments de calme qui suivirent tant
d'agitations pour s'occuper du commerce et de la navigation. Enrichir la
France par l'industrie et le trafic, c'était le meilleur moyen d'assurer
au gouvernement les ressources pécuniaires qu'il se procurait trop
souvent par des ventes d'offices de judicature, par des traités onéreux
avec des financiers ou par l'aliénation du domaine et des impôts. Il
semble que Fouquet ait eu quelques velléités de sortir de ce désordre et
de donner au commerce une impulsion nouvelle. Un mémoire qu'on lui remit
vers cette époque constate le fâcheux état de la France au point de vue
commercial et industriel. Quant aux causes et aux remèdes qu'il indique,
on peut en contester l'efficacité; mais il n'en reste pas moins établi
que le surintendant s'occupait alors de ces questions.

«Le plus grand avantage, dit l'auteur de ce mémoire[434], que les États
puissent avoir, est celui que le négoce leur produit. Le royaume de
France, qui, par la Providence de Dieu, abonde en tout ce qui est
nécessaire pour l'utilité de la vie par sa fertilité, reçoit encore de
très-grandes richesses par un effet merveilleux de l'adresse et de
l'industrie de ceux qui l'habitent et par le commerce qu'ils ont avec le
reste du monde. Ce qui se fait par le moyen des grandes et célèbres
fabriques de toutes sortes de marchandises qu'ils dispersent dans tous
les pays étrangers, attirant ainsi de grandes quantités d'or et
d'argent. C'est pourquoi les rois de France ont donné de si belles
prérogatives à ceux qui se sont employés au négoce, et c'est un trésor
que l'on doit garder chèrement, puisque c'est par lui que Sa Majesté
reçoit de grandes assistances dans le besoin de ses sujets. On ne doit
donc rien oublier, non-seulement pour le maintenir, mais encore pour
l'augmenter. On voit pourtant que, depuis cinq ou six années, il est
extrêmement diminué, de telle sorte que les diverses fabriques qu'il y a
dans le royaume sont presque anéanties. Ceux qui n'ont pas pénétré dans
le fond des choses en ont attribué la cause aux guerres, aux subsides et
aux logements des troupes dans les provinces, mais on n'a pas trouvé la
véritable raison. Il n'y en a point d'autre que le transport de l'or et
de l'argent hors du royaume, qui se fait par plusieurs voies, et la
privation de celui qui venait de l'étranger.

«Pour connaître bien cette raison, il faut considérer que, depuis
quelques années, ce qui faisait venir l'or et l'argent en France a
manqué, qui était la vente des blés hors du royaume du côté de la mer
Méditerranée, en Catalogne et en Italie, et le transport des
marchandises fabriquées dans les provinces de Languedoc et Dauphiné,
qu'on portait au Levant et dans toute l'étendue des États de Turquie. La
vente des blés ne subsiste plus, d'autant que le pays de Catalogne étant
paisible, les récoltes s'y font avec facilité et abondance. L'Italie
tire des blés de Sicile et d'autres pays où ils sont à beaucoup moindre
prix qu'en France, et c'est là ce qui fait que, le Languedoc et Arles,
qui sont des pays qui n'abondent qu'en cela, ne trouvent pas à les
débiter, et sont, par ce moyen, privés de l'argent qui venait de toutes
parts. On a vu, les trois dernières années, que la recette a été
très-petite, et pourtant les blés ont été à un prix fort bas. Par suite,
le pays de Provence et de Languedoc a été privé depuis quelques années
de recevoir de l'argent étranger.

«On n'en a pas non plus reçu de la vente des marchandises, d'où on avait
coutume de tirer des sommes très-considérables, parce que le commerce
qui se faisait ordinairement des marchandises de France en Levant a été
changé et détruit par le transport de l'or et de l'argent, qu'on a
inventé en le transformant en des basses monnaies d'argent, sur
lesquelles on espère quelque plus-value en les portant auxdits pays du
Levant, de sorte qu'on a abandonné le transport des marchandises et
qu'on ne porte plus que de l'argent effectif. C'est ce qui a causé et
cause, même à présent, la perte et la destruction des fabriques du
royaume par plusieurs raisons: la première, parce que les marchands
abandonnent les fabriques, ne trouvant plus le débit de leurs
marchandises, et ensuite parce que la France est épuisée d'argent pour
la fabrication de ces basses monnaies qui consistent en pièces de cinq
sous. Faute de billon étranger, on refond, pour les fabriquer, dans les
hôtels des monnaies, tous les écus blancs et les autres espèces
d'argent. Comme ces pièces de cinq sous passent avec un bénéfice un peu
considérable au Levant, on y en porte quantité sans espoir de retour.
Mais le profit n'est qu'apparent, car les marchandises qu'on reçoit en
échange sont augmentées à proportion, ce qui est contraire au commerce
et l'a détruit. Antérieurement, l'on ne portait que des marchandises de
fabriques françaises, lesquelles, par la quantité des étoffes qu'elles
produisaient, donnaient à gagner à tous ceux qui habitaient les
provinces. A présent, ils sont pour la plupart réduits, faute de cela, à
la mendicité, ledit trafic des pièces de cinq sous n'étant avantageux
que pour certaines personnes, qui ont intelligence et commerce avec les
maîtres des monnaies. Ceux-ci, pour gagner un petit intérêt, causent en
France une disette d'argent qui ne pourra de longtemps se réparer, et
cela est même cause que l'on ne voit point en ces provinces de petites
espèces, faute de quoi le public souffre beaucoup.

«Par la rétention de ces petites espèces dans le royaume, les sujets de
Sa Majesté trouveraient un soulagement extrême en ce que les négociants
seraient obligés de faire valoir les fabriques abandonnées et de les
remettre en état, et, par ce moyen, les pauvres et autres personnes qui
sont maintenant oisives auraient de quoi s'occuper et profiter. Chacun
pourrait jouir de l'avantage de ces basses monnaies, dont on est
entièrement privé par le lucre de trois ou quatre pour cent que les
maîtres des monnaies perçoivent de ceux qui font ce transport. Ce qui
est contraire à la volonté de Sa Majesté, qui n'en a permis la fabrique
que pour le soulagement de son peuple et pour la facilité du commerce
dans son royaume, par suite des humbles remontrances qui lui ont été
faites. Et cependant on n'en jouit aucunement dans les provinces
obligées à ne travailler absolument que pour ceux qui pratiquent le
transport de ces pièces, sans que personne autre puisse en avoir. Ce
transport est contraire aux ordonnances du roi, qui le défendent sous
des peines très-sévères; il porte un notable préjudice au public. Nous
donnons cet avis afin que Sa Majesté, en étant informée, ordonne ce qui
sera de son bon plaisir.»

Colbert s'occupait, de son côté, des moyens de ranimer le commerce. Le
mémoire qu'il remit à Mazarin atteste des vues plus justes et plus
élevées. Liberté et sécurité, voilà pour Colbert les deux causes
principales de la prospérité commerciale. Pour assurer la liberté, il
réclamait des relations faciles avec l'étranger et la suppression des
entraves qui gênaient le transport des marchandises à l'intérieur du
royaume. Quant à la sécurité, elle était menacée à cette époque par des
pirates qu'il était de l'intérêt commun des peuples civilisés de faire
disparaître[435]. «Bien que l'abondance, disait Colbert, dont il a plu à
Dieu de douer la plupart des provinces de ce royaume, semble le pouvoir
mettre en état de se suffire à lui-même, néanmoins la Providence a posé
la France en telle situation, que sa propre fertilité lui serait inutile
et souvent à charge et incommode sans le bénéfice du commerce, qui porte
d'une province à l'autre et chez les étrangers ce dont les uns et les
autres peuvent avoir besoin pour en attirer à soi toute l'utilité.»

Après avoir rappelé les effets désastreux des troubles civils, Colbert
continue ainsi: «Pour remettre le commerce, il y a deux choses
nécessaires: la sûreté et la liberté. La sûreté dépend d'une mutuelle
correspondance à empêcher les pirates et courses des particuliers, qui,
au lieu de s'appliquer en leur navigation à l'honnête exercice du
commerce, rompent avec violence le lien de la société civile par lequel
les nations se secourent les unes les autres en leurs nécessités. Cette
sûreté ne se peut établir que par des défenses respectives, dans les
deux États de France et d'Angleterre[436], de faire des prises sur les
marchands des nations.» Colbert conseillait a Mazarin de permettre aux
Anglais d'introduire et de vendre leurs draps en France, à condition
qu'ils ouvriraient leurs ports aux vins français. Ainsi, bien loin
d'être, comme on l'a prétendu, un partisan exclusif et absolu du système
prohibitif, il réclamait, dans une sage mesure, la liberté du commerce.

Pour l'intérieur, Colbert demandait également la suppression des
entraves imposées par la routine, ou par des intérêts privés, à la libre
circulation des marchandises. Quelques passages de ces lettres à Mazarin
suffisent pour le prouver: «Il est très-important, lui écrivait-il, de
remédier aux défenses faites par M. de Roannez, de son autorité privée,
de porter des blés de Poitou en Aunis, pour avoir lieu de donner ses
passe-ports et d'en tirer un profit considérable. Ce qui ne doit point
être souffert, ni pour le service du roi, ni pour l'avantage particulier
de Votre Éminence, attendu que ces défenses troublent entièrement le
commerce de ces gouvernements[437], et qu'elles rendent nuls les
passe-ports du roi que l'on distribue à la Rochelle. Il faut, pour
empêcher cette intrigue, une lettre du roi audit sieur de Roannez, pour
lui en défendre la continuation et lui ordonner de laisser la liberté du
commerce aux sujets de Sa Majesté.» Et ailleurs: «Votre Éminence a su
que de Vendôme[438] avait envoyé les deux vaisseaux de Neuchèse à
l'embouchure des rivières de Sèvre et de Charente pour faire payer les
droits doubles à toutes les marchandises qui en sortent; ce qui ruine
entièrement le commerce, et particulièrement celui du sel, s'il n'y est
promptement remédié.»

Ces désordres prouvent que tout était à créer pour les relations
commerciales. Le surintendant Fouquet, dans les attributions duquel
rentrait cette branche d'administration, se fait honneur, dans ses
_Défenses_[439], du zèle qu'il montra pour le commerce, et rappelle que
son père s'était déjà signalé dans les conseils tenus sous Richelieu
pour les affaires de cette nature: «Tant que mon père a vécu, dit-il,
tout le détail des embarquements s'est fait par ses soins; tout se
résolvait en des assemblées tenues chez lui. Il y avait des compagnies
pour le Canada, Saint-Christophe et les autres îles, pour Madagascar,
pour le Sénégal, le cap Vert, le cap Nord et autres lieux. Par son
application, plus de vingt mille personnes avaient fait des colonies
volontaires et des établissements à l'honneur de la France, si
avantageux à notre nation que, si les étrangers qui nous ont succédé
n'avaient point pris à tâche de tout ruiner pour de légers intérêts,
c'eût été une chose très-considérable dans la suite. Depuis la mort de
mon père, M. le cardinal de Richelieu m'a continué dans cette
commission. Je lui ai rendu compte des affaires, conjointement avec M.
d'Aligre, à qui mon père avait aussi procuré cet emploi. Sitôt que j'ai
pu en jeter des semences dans l'esprit de M. le cardinal Mazarin, je
l'ai fait. Dans les derniers temps[440], il avait tellement approuvé les
pensées de mer et de compagnies de commerce, qu'il m'avait chargé de
m'en instruire davantage et d'y travailler.»

Le recueil des ordonnances de cette époque prouve, en effet, que, le
gouvernement s'occupa du commerce et des colonies. Il accorda des
encouragements aux armateurs qui équipaient des vaisseaux pour les deux
Amériques[441]. Une compagnie du Nord fut organisée avec privilège
exclusif pour exploiter le trafic des huiles de baleine[442]. Afin de
protéger le commerce français, on préleva un droit de cinquante sous par
tonneau sur les navires étrangers[443]. Diverses ordonnances
prescrivirent l'établissement de manufactures de bas de soie[444] et de
la Halle aux vins[445], le dessèchement des marais[446]; enfin la
rédaction d'un terrier ou cadastre du royaume[447], qui aurait permis de
faire une répartition plus équitable de l'impôt. On s'occupa aussi de
creuser de nouveaux canaux et de donner plus d'activité à
l'administration des postes[448].

Malheureusement les mesures destinées à multiplier et accélérer les
communications, à rendre l'industrie plus féconde et le commerce plus
actif, ne pouvaient avoir de résultats immédiats pour augmenter la
richesse du pays et les ressources du trésor. Mazarin était pressant,
et Fouquet, chargé de fournir de l'argent pour les armées et pour tous
les services publics, voyait le trésor épuisé, les revenus de plusieurs
années engagés à des traitants; en un mot, la détresse d'un côté, des
besoins urgents de l'autre. Il s'engagea de plus en plus dans les
spéculations funestes qui devaient le conduire à sa perte. Pour se
défendre, il alléguait les ordres de Mazarin et la nécessité. «Rien de
ce qui a été fait, dit-il dans ses _Défenses_[448a], ne l'a été que par
ordre de M. le cardinal. Je maintiens que ce que mes accusateurs
appellent confusion a été le salut de l'État. Après une banqueroute qui
avait produit la guerre civile et ôté le crédit au roi, il n'y avait que
l'espérance du gain, les remises, les intérêts, les facilités, les
gratifications faites à ceux qui avaient du crédit et de l'argent, qui
pussent les obliger de faire des prêts au roi et qui pussent faire
avancer les sommes et les secours nécessaires. Cet expédient fut proposé
à M. le cardinal comme le seul et souverain remède, après qu'il eut
étudié et tenté inutilement tous les autres. Il fut accepté, autorisé et
approuvé par Son Éminence.»

Et ailleurs[448b]: «Pendant une longue guerre, l'argent était le salut
de l'État; donc, s'il a fallu, pour avoir de l'argent pendant la guerre,
faire les choses qu'on appelle aujourd'hui désordre et confusion, j'ai
eu raison de dire que ce que l'on appelle désordre et confusion était en
ce temps-là le salut de l'État.» Sans doute l'histoire ne peut absoudre
Fouquet, parce qu'il a déféré aux exigences de Mazarin; cependant, pour
être complétement équitable envers lui, il faut entendre ses
justifications et les rapprocher des textes qui les confirment ou les
démentent.



CHAPITRE XVIII

--1656-1657--

Éloges donnés à l'administration financière de Fouquet par Mazarin
(1656).--Le surintendant se plaint des exigences de Mazarin et de
Colbert.--Les lettres de Mazarin à Colbert pendant l'année 1657
prouvent, que le cardinal et son intendant insistaient sans cesse
auprès de Fouquet pour en obtenir de l'argent.--Mazarin prélève des
pots-de-vin sur les marchés.--Fonds secrets, ou ordonnances de
comptant.--Mazarin fait payer par le surintendant ses dettes de
jeu.--Sommes énormes accumulées en huit ans par Mazarin.--Moyens
qu'employait Fouquet pour tromper Servien.--Connivence de son
commis Delorme.--Dilapidations de Fouquet.


Fouquet invoquait avec raison le témoignage favorable que Mazarin avait
rendu à son administration financière. Il suffit, pour s'en convaincre,
de parcourir les lettres du cardinal. Il écrivait, le 24 juillet 1656, à
l'abbé Fouquet: «J'ai été surpris de l'effort que M. le procureur
général a fait, et je reconnais de plus en plus qu'il fait bon d'avoir
des amis si zélés et effectifs comme lui et vous. Je suis fort touché de
la manière dont il en a usé, et, quoique je lui fasse mes remercîments,
je vous prie de les lui vouloir faire encore de ma part. Il eût été bon
de laisser à Paris une partie de la somme qu'il a envoyée ici; car il y
faut faire plusieurs dépenses pour les chevaux et pour les autres
choses que le sieur Colbert doit acheter, et quelque chose pour
l'artillerie, et je doute qu'on trouve à point nommé ce qui peut être
nécessaire pour cela.»

Fouquet n'avait pas seulement à pourvoir aux besoins des armées; il
fallait encore satisfaire aux exigences de Mazarin et de son intendant
Colbert. Il s'en plaint dans ses _Défenses_[449], et des documents
authentiques confirment ses assertions: «Sans mon crédit, sans mon
affection et sans les risques que j'ai courus, dont j'avais entre mes
papiers mille témoignages authentiques, par les lettres de M. le
cardinal, les affaires n'auraient pas réussi comme elles ont fait, et le
succès en aurait été bien plus avantageux si le sieur Colbert n'avait
pas eu soin d'amasser des trésors d'argent comptant et de les mettre
hors du commerce dans les lieux où ils se sont trouvés après la mort de
Son Éminence, sans qu'il ait paru aucune dette et sans ce qu'on n'a pas
encore divulgué. C'est ce qu'on doit appeler mauvaise disposition quand
il se trouve que tout l'État s'appauvrit et qu'un étranger seul met des
millions à couvert dedans et dehors le royaume, abusant de son autorité
absolue, et non pas en accuser un subalterne, qui n'agit que sous ses
ordres, qui se trouve sans biens, qui tâche de soutenir le crédit par
politique, se sentant intérieurement épuisé et consommé par un supérieur
insatiable.»

Il y a dans ce passage (et il serait facile d'en citer plusieurs
semblables) une double accusation: la première contre Mazarin, qui
enleva au trésor public les millions dont il enrichit sa famille, et la
seconde contre Colbert, qui, pour assurer au cardinal cette immense
fortune, exerçait sur le surintendant une oppression tyrannique. Nous
avons déjà vu que Colbert était l'intendant et l'homme de confiance de
Mazarin, qui lui avait remis le soin de ses affaires. Colbert ne songea,
pendant l'époque qui nous occupe, qu'à les faire prospérer, même aux
dépens de l'État. Mazarin s'était fait traitant sous des noms supposés;
il avançait des fonds qu'il se faisait rembourser, et il est certain
qu'il en tirait, comme tous les financiers, des bénéfices énormes,
quoiqu'il affirme qu'il ne demandât pas d'intérêts. Mazarin se chargeait
aussi de la fourniture des vivres pour les armées, et réalisait des
sommes considérables par ces spéculations. Fouquet eut le tort de se
prêter aux coupables exigences du ministre; mais il faut reconnaître que
la faute ne retombe pas sur lui seul. L'histoire serait injuste si elle
ne signalait pas les dilapidations d'un premier ministre tout-puissant.

La correspondance de Mazarin avec Colbert prouve que Fouquet essayait
quelquefois de résister. Le 23 mai 1657, Colbert écrivait au cardinal:
«Je ne manquerai pas de proposer à M. le procureur général d'assigner
les trois cent seize mille livres pour une année de Brisach[450] sur
l'aliénation des rentes sur les entrées; ce que je ne doute point qu'il
n'accepte, puisque cela le déchargera d'un grand argent qu'il serait
obligé de donner. J'ajouterai à cela que je trouvais que Votre Éminence
avait dans sa maison assez de bien sur le roi[451].» Mazarin lui
répondait en marge: «Il serait bien mieux d'avoir de l'argent comptant;
mais, au défaut de cela, une rente sur les entrées ne sera pas mauvaise,
parce que même on la pourra vendre. Souvenez-vous seulement que, pour
cela, M. le procureur général ne laissera pas de donner le reste en
argent comptant, ainsi qu'il a promis faire depuis longtemps.»

Fouquet, sans refuser positivement les rentes, montrait la difficulté
d'en procurer immédiatement. «J'ai parlé à M. le procureur général,
écrivait Colbert à Mazarin le 24 mai de la même année, pour me donner
des rentes, en déduisant les cinquante mille livres d'argent comptant
qu'il a promises, il y a si longtemps. Il m'a dit qu'il payerait dans
peu de jours les cinquante mille livres; mais que, pour les rentes, il
aurait beaucoup de peine à en pouvoir donner, pour ce qu'elles étaient
distribuées entièrement; qu'il allait néanmoins travailler à en retirer
pour la plus grande somme qu'il lui serait possible.»

Colbert voyait avec peine le cardinal s'engager dans les entreprises de
fournitures pour l'armée. Après avoir parlé d'autres affaires analogues,
il ajoutait: «J'oserais dire la même chose du pain de munition[452] de
l'armée de Catalogne, qui assurément donnera du déplaisir à Votre
Éminence. L'armée sera mal servie, le ménage sera peu considérable, et,
par-dessus tout, il coûtera une infinité d'argent à Votre Éminence.
Quand j'ai ouï parler de ce dessein, je croyais que le fonds de cette
fourniture se payerait par mois, comme les autres dépenses de la guerre;
mais M. le procureur général m'ayant dit qu'il lui était impossible de
donner autre chose que des assignations, et que Votre Éminence ne lui
avait demandé que cela, je commence à connaître que nous avancerons la
plus grande partie de cette fourniture, et peut-être tout entière, avant
que nous puissions recevoir aucune chose. Le recouvrement des
assignations ne se peut faire ensuite qu'avec quelque mauvais effet,
étant impossible d'empêcher que le nom de Votre Éminence ne paraisse
point, et que ceux sur qui on est assigné ne le publient partout, parce
qu'ils en tirent quelque considération. Par exemple, M. le procureur
général m'ayant dit qu'il assignerait cette dépense sur une fabrique de
menue monnaie que l'on va faire dans tout le royaume, il est impossible
d'empêcher que les traitants ne connaissent que ces assignations auront
été données pour le remboursement de Votre Éminence, et qu'ils ne disent
ensuite, dans toutes les provinces, que cette fabrique est pour elle.»

Mazarin, dans sa réponse à Colbert, insiste toujours pour être payé,
surtout en argent comptant: «Vous direz à M. le procureur général qu'il
m'avait fait espérer de ne donner pas seulement de bonnes assignations
pour le pain de Catalogne, mais aussi une partie en argent comptant,
puisque les garnisons ont été entretenues jusqu'à présent et que l'on a
fourni du pain à l'armée il y a déjà quelque temps. Je vous prie de lui
en parler et de le presser là-dessus, lui faisant connaître que, lors
même que l'on dépense le tiers davantage dans la fourniture du pain pour
celle de Catalogne, MM. les surintendants ne se sont jamais défendus de
donner à l'avance une somme d'argent comptant.»

Quant à la part qu'il prenait aux marchés avec les traitants, Mazarin
indique un moyen facile de la dissimuler: «On peut remédier à cet
inconvénient en faisant paraître le nom d'Albert ou tel autre que vous
jugerez à propos, étant absolument nécessaire que mon nom ne paraisse
pas.»

Le cardinal mettait la plus vive insistance pour presser le
remboursement de ses avances. Il écrivait encore à Colbert le 12 juin
1657: «M. le procureur général m'a mandé qu'il avait ajusté avec vous
diverses choses tendant à me rembourser, et M. l'abbé Fouquet, qui me
rendit sa lettre, me confirma la même chose de vive voix. Je serais bien
aise de savoir ce que c'est; et cependant je vous dirai que, par le
retour du même abbé, j'ai fort pressé le procureur général de me tenir
la parole qu'il m'a donnée de me sortir des avances que j'ai faites
depuis l'année passée, étant plus qu'équitable de le faire, au même
temps que, par la quantité d'affaires qu'on a faites en dernier lieu,
lui, procureur général, sort de tous les engagements où il était entré
pour le service du roi, avec une différence que je n'ai jamais tiré un
sol d'intérêt de tous les miens. Je vous prie de parler en cette
conformité et presser pour les deux cent mille écus qu'on a envoyés ou
qu'on doit envoyer en Allemagne. Il m'a écrit aussi qu'il emploierait
Contarini et Cenami[453] dans la fabrique des petites monnaies, et
l'abbé a ajouté qu'on avait ménagé en général un donatif[454], duquel je
pourrais disposer. Vous vous informerez donc de la chose, et vous saurez
aussi de Cenami si la compagnie qui veut entreprendre la chose fera le
donatif dont il m'a autrefois parlé.»

La correspondance de Mazarin et de Colbert est remplie de détails de
cette nature. Il s'agit toujours des avances faites par le cardinal et
de ses instances pour en être remboursé. Je me bornerai à une dernière
citation. Colbert écrivait au cardinal le 22 juin: «M. le procureur
général m'a dit qu'il faisait état de donner sur une affaire qu'il avait
proposée à Votre Éminence, qui regarde les intendances des finances,
trois cent mille livres pour le roi de Suède, le remboursement de ce qui
reste dû à Votre Éminence de l'année dernière et les cent mille livres
du pain de Piémont. Pour la garnison de Brisach, il m'a dit que, toutes
les rentes étant engagées, il n'en avait pu retirer que pour vingt-deux
mille cinq cents livres de rentes, faisant cent cinquante mille livres
en principal, et qu'il me ferait payer cinquante mille livres d'argent
comptant.»

Ces conditions ne satisfont pas encore Mazarin. Il répond à Colbert:
«Vous pourrez dire à M. le procureur général qu'il eût été bon que
j'eusse été remboursé de ces dernières avances sur des affaires faites,
et non pas sur celles qu'il projette de faire; et il me semble que, sans
présomption, je pourrais être considéré comme les autres, qui ont fait
des avances et qui ont été remboursés sur les dernières affaires qu'on a
faites et qui sont payés des intérêts jusques au dernier sol, pendant
que je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un denier d'intérêt.»

Outre ces entreprises de fournitures pour les armées et les avances
faites à l'État, il y avait des fonds secrets dans lesquels Mazarin
puisait à pleines mains; on les appelait alors _ordonnances de
comptant_. Le roi, ou plutôt le ministre, écrivait sur l'ordonnance de
payement: «_Je sais le motif de cette dépense._» On en dérobait, autant
que possible, le contenu à Servien; quoique ce ministre fût spécialement
chargé des dépenses, c'était Fouquet qui en avait le secret. Mazarin
écrivait à Colbert, le 20 mai 1657: «Je vous envoie une ordonnance de
comptant de trois cent mille livres, de laquelle vous vous servirez
auprès de M. Servien, comme M. le procureur général vous dira, prenant
garde que autre personne que lui n'en ait connaissance. Cette ordonnance
regarde en partie M. le Tellier[455]; mais vous prendrez tel prétexte
avec M. Servien que vous concerterez avec ledit sieur procureur général,
afin qu'il paraisse que cela regarde les affaires générales plus que
les particulières des personnes que le roi a résolu de gratifier.»

Dans la même lettre, le cardinal insistait encore pour le payement de
diverses sommes, et entre autres de celles qu'il avait perdues au jeu;
c'était toujours à Nicolas Fouquet que Colbert devait s'adresser pour
obtenir les remboursements. «Je crois, écrivait Mazarin à son intendant,
que cette lettre vous arrivera plutôt que le maréchal de Gramont, qui
vous présentera deux billets de ma part et plusieurs ordonnances,
desquelles vous recevrez ci-joint un mémoire que le sieur de
Villacerf[445a] a fait. Un des billets est pour payer huit mille et tant
de livres qu'il m'a gagnées, et vous reprendrez cette somme sur le fonds
que je vous ai mandé. L'autre est pour parler de ma part, à M. le
procureur général, pour faire acquitter les ordonnances qui regardent le
maréchal sur le courant de ce mois et du prochain,» etc.

Fouquet, contraint d'obéir aux exigences du cardinal, a voulu lui faire
supporter la plus grande part de la responsabilité de son
administration. «Chacun sait, dit-il dans ses _Défenses_, que, durant ma
surintendance, défunt M. le cardinal Mazarin, en qualité de premier
ministre, gouvernait absolument, avec la permission et sous l'autorité
du roi, toutes les affaires de France et même celles de finances, de
manière que l'on peut dire avec vérité qu'il était le premier et
principal ordonnateur, et que je n'agissais que sous ses ordres, et que
ceux qui ont eu quelque part dans la direction des finances, du vivant
dudit sieur cardinal, savent et peuvent certifier que le détail des
trois quarts de la fonction de surintendant, et la recette et dépense
des deniers les plus clairs du royaume, se faisaient en son hôtel et sur
ses ordres par le ministère dudit sieur Colbert, de Ondedei, Roze,
Roussereau, Villacerf, le Bas[456], Berryer, Picon[457], et autres qui
agissaient sous lui dans les affaires.»

Dans un autre passage de ses _Défenses_[458], Fouquet indique quel fut
pour Mazarin le résultat de cette administration, dont il était
l'arbitre souverain: «L'extrême nécessité dudit sieur cardinal Mazarin,
en 1653, est publique; son extrême richesse depuis ce temps-là paraît en
partie par les mariages de ses nièces, par la lecture de ce mystérieux
testament que l'on a tenu caché jusqu'à présent, contre tout ordre et
raison, par autorité absolue.» Les mariages dont parle Fouquet avaient
placé les nièces de Mazarin dans les maisons de Condé, de Modène, de
Savoie-Carignan, de La Meilleraye, etc. Quant à son testament, on a
évalué à plus de trois cents millions de notre monnaie les sommes que
Mazarin avait accumulées en huit ans.

En faisant les affaires du cardinal, le surintendant ne négligeait pas
les siennes, Colbert, qui, dès cette époque, surveillait sa conduite,
nous apprend comment Fouquet trompait la vigilance de son collègue
Servien. Il accuse surtout un commis de Servien, nommé Delorme, d'avoir
été complice de Fouquet, mais en couvrant habilement sa connivence sous
le masque de l'opposition. Delorme répétait à Servien, dit Colbert[459],
«qu'il devait toujours être en garde contre les actes d'un esprit
entreprenant et de grande cabale, et ne laissait pas de lui faire faire
tout ce que le sieur Fouquet désirait. La première affaire considérable
qu'il fit par cette intrigue fut la ferme générale des gabelles. Deux
compagnies se présentèrent pour cette grande ferme: la première, celle
du sieur Cusot, qui était plus agréable à M. Servien, et celle du sieur
Girardin, qui était accommodé surtout avec Fouquet. Dès la première
direction[460], où l'on parla de cette affaire, avant que M. Servien se
fut prononcé, le sieur Fouquet se déclara pour Cusot, dit que cette
ferme ne pouvait être mieux régie que par lui et qu'il la lui voulait
donner. Delorme exagéra le déplaisir que M. Servien recevrait de cette
déclaration du sieur Fouquet, en lui faisant connaître que, s'il ne
s'opposait fortement aux commencements, l'autre s'attirerait toute
l'autorité; il le fit ainsi résoudre à donner l'exclusion à Cusot et à
faire tomber la ferme à Girardin.

«Cette déclaration connue, Fouquet s'y oppose fortement et veut toujours
que Cusot soit préféré. Lorsque ces contrariétés furent assez
ressenties pour en faire une affaire considérable entre les deux
surintendants, le sieur de Lyonne, neveu du sieur Servien, qui s'était
accommodé avec le sieur Fouquet pour jouer un rôle en cette comédie, est
proposé par Delorme pour s'entremettre de l'accommodement, dans lequel
le sieur Servien avait la satisfaction de donner la ferme au sieur
Girardin, qui était l'homme de Fouquet; mais aussi le sieur Servien fit
une affaire considérable pour le sieur Fouquet, pour le récompenser de
ce qu'il s'était relâché, et lui délaissa une gratification considérable
pour sa favorable entremise. Le sieur Delorme, qui avait donné un
conseil dont le succès avait été si avantageux, devint le confident et
le patron jusque-là qu'après que cette comédie fut entièrement finie par
le partage des fonctions de la surintendance, le sieur Servien le mena
lui-même chez le sieur Fouquet, le conjurant instamment de le prendre
pour son commis, et le lui recommanda comme le plus fidèle ami qu'il eût
jamais eu.»

Il est difficile de supposer que Colbert ait complétement inventé les
faits dans un Mémoire destiné à Louis XIV; mais, lors même qu'on
l'admettrait, il existe contre le surintendant d'autres accusations dont
il ne s'est pas lavé. Ainsi, il est constant qu'il prélevait sur les
fermes des impôts des pensions considérables. Pour n'en citer que
quelques-unes, il recevait des fermiers des aides[461] cent quarante
mille livres par an. Deux des commis de Fouquet, en exigeant des
fermiers qu'ils payassent cette pension au surintendant, y ajoutèrent
pour eux-mêmes une somme de vingt mille livres. Les fermiers qui se
soumettaient à ces conditions s'en vengeaient sur le peuple, et c'était
lui qui, en dernière analyse, portait tout le fardeau. Les fermiers des
gabelles, ou de l'impôt sur le sel, payaient à Fouquet une pension
annuelle de cent vingt mille livres; ceux du _convoi de Bordeaux_[462],
cinquante mille, etc. Fouquet disait, il est vrai, pour sa défense,
qu'une partie de ces pensions était destinée au cardinal Mazarin, qui
n'en donnait jamais de reçus. Le fait est constant, d'après les lettres
que nous avons citées; mais il n'en reste pas moins établi que le
surintendant participait à ces profits illicites.

Il est également constaté par les pièces du procès que Fouquet, comme
Mazarin, prenait à ferme des impôts sous des noms supposés; ainsi il
avait la ferme des octrois, les péages, ou douanes, appelés _parisis_,
l'impôt sur les sucres et les cires de Rouen, etc. Enfin il se servait
des sommes énormes qu'il dérobait ainsi au trésor pour faire des avances
à l'État, toujours sous de faux noms, et il se les faisait rembourser
avec des intérêts usuraires. Ce qui rend encore plus odieuses ces
dilapidations, c'est l'usage qu'en faisaient le surintendant et son
frère l'abbé Fouquet; elles servaient à payer leurs débauches, leurs
palais somptueux et les fortifications qu'ils élevaient pour se mettre à
l'abri de la vengeance royale.



CHAPITRE XIX

--1655-1657--

L'abbé Fouquet dispose de la police.--Anecdote racontée à ce sujet
par Gourville.--Passion de l'abbé Fouquet pour madame de
Châtillon.--Portrait de cette dame.--Son avidité.--Elle s'enfuit à
Bruxelles après l'exécution de Berthaut et Ricous.--Puis elle
revient en France et conspire avec le maréchal d'Hocquincourt pour
livrer Ham et Péronne à Condé et aux Espagnols.--Lettre de la
duchesse de Châtillon à ce sujet (17 octobre 1655); elle est
interceptée.--La duchesse de Châtillon est arrêtée et confiée à la
garde de l'abbé Fouquet.--Fureurs jalouses de ce dernier.--Scène
violente qu'il fait à la duchesse de Châtillon (1656).--Rupture
entre l'abbé Fouquet et madame de Châtillon.--Désespoir de
l'abbé.--Il tente de se réconcilier avec la duchesse, mais sans
succès.--Fin de madame de Châtillon.


Tant que la lutte contre la Fronde fut sérieuse, le surintendant et son
frère, l'abbé Fouquet, restèrent unis: ils avaient à combattre des
ennemis implacables, et ils savaient que de leur union dépendait leur
force. Mais, lorsque la victoire fut assurée, et qu'il ne s'agit plus
que de partager les dépouilles, les liens de famille et d'amitié se
relâchèrent. L'abbé Fouquet ne tarda pas à se laisser emporter par ses
passions et devint pour son frère un obstacle et un danger. Nous sommes
encore loin de la catastrophe; mais déjà les deux frères sont entraînés
vers l'abîme par une ambition et des passions qu'ils ne savent plus
dominer. Basile Fouquet, qui n'avait jamais montré la même prudence que
le surintendant, porta dans l'exercice du pouvoir une violence et un
arbitraire qui le compromirent, en même temps qu'il soulevait des haines
violentes par le scandale de ses amours.

L'abbé Fouquet avait été comblé de faveurs par Mazarin. Le cardinal
avait ajouté à son pouvoir occulte des dignités et des titres qui en
faisaient presque un grand seigneur. L'abbé avait acheté, dès 1654, la
survivance de la charge de procureur général au parlement de Paris,
qu'exerçait son frère, et devenait ainsi un des chefs de ce grand corps
de magistrature, quoiqu'il n'eût été antérieurement que conseiller au
parlement de Metz, et cela pendant six semaines seulement[463]. Peu de
temps après il acheta la charge de chancelier de l'ordre du
Saint-Esprit, et porta, au grand scandale de la noblesse, le cordon
bleu, qui était réservé aux princes et aux personnages les plus éminents
par le rang et la naissance[464]. Enfin, à une époque où la liberté
individuelle n'était garantie par aucune loi, l'homme qui dirigeait la
police et disposait de la Bastille était investi d'une puissance
redoutable. On en trouve une preuve dans l'anecdote suivante.

Gourville, un des commis de Nicolas Fouquet, avait été mis à la Bastille
pour avoir mécontenté Mazarin. Il n'en sortit que grâce à l'abbé
Fouquet. «Sachant, dit-il[465], que M. l'abbé Fouquet était fort employé
par M. le cardinal pour faire mettre des gens à la Bastille, et qu'il en
faisait aussi beaucoup sortir, je tournai toutes mes pensées vers ce
côté-là. A ce propos, je me souviens d'un procureur, homme d'esprit et
grand railleur, qu'il y avait fait mettre. Comme nous nous promenions un
jour ensemble, il entra un homme dans la cour, qui, y trouvant un
lévrier, en fut surpris, et demanda pourquoi il était là. Le procureur
répondit avec un air goguenard: «Monsieur, c'est qu'il a mordu le chien
«de M. l'abbé Fouquet.» Je fis proposer de parler à M. le surintendant,
et de voir avec M. son frère si, en parlant de temps à autre à M. le
cardinal, comme il avait coutume, des autres prisonniers, il ne pourrait
pas trouver moyen de me faire sortir. Cela réussit si bien, que, M. le
cardinal devant partir, deux ou trois jours après, pour aller à la Fère,
M. l'abbé Fouquet lui porta la liste de tous les prisonniers de la
Bastille, comme il faisait de temps en temps, il ordonna la sortie de
trois, dont je fus un.»

Armé de cette autorité arbitraire, l'abbé Fouquet ne sut pas en user
dans l'intérêt, je ne dis pas de la justice (ce serait trop demander à
de pareils caractères), mais dans l'intérêt véritable de son élévation
et de la grandeur de sa famille. Il se compromit par de folles amours et
par de téméraires rivalités avec les plus grands seigneurs. Nous avons
déjà vu quelle était l'audace de l'abbé Fouquet: il s'était attaqué aux
plus grandes dames, et, entre autres, à mademoiselle de Chevreuse[466],
puis à la duchesse de Châtillon. Celle-ci, issue de l'illustre famille
des Montmorency, alliée aux Coligny, parente de Condé, était une des
beautés les plus célèbres de la cour de la reine Anne. Elle avait
débuté, ainsi que nous l'avons dit antérieurement[467], par des
aventures romanesques, et s'était bientôt rendue fameuse par ses
intrigues et ses amours. Elle avait cependant une réputation de bel
esprit et figurait au nombre des _précieuses_, à une époque où Molière
n'avait pas encore rendu ce titre ridicule. C'est d'elle que le poëte
Segrais a dit:

    Obligeante, civile et surtout _précieuse_,
    Qui serait le brutal qui ne l'aimerait pas?

L'éloge s'accorde avec le témoignage de madame de Motteville, qui, comme
nous l'avons vu plus haut[468], n'est pas partiale en faveur de madame
de Châtillon.

Le portrait de cette dame figure dans la galerie que nous a laissée
mademoiselle de Montpensier[469]. Il est flatté, sinon au physique, du
moins au moral. Quel qu'en soit l'auteur (car il est peu probable,
malgré le titre, qu'il ait été composé par madame de Châtillon
elle-même), il est bon de le rapprocher des autres jugements que nous
ont laissés les contemporains sur cette femme célèbre. C'est madame de
Châtillon elle-même qui parle: «Le peu de justice et de fidélité que je
trouve dans le monde fait que je ne puis m'en remettre à personne du
soin de faire mon portrait, de sorte que je veux moi-même vous le donner
le plus au naturel qu'il me sera possible et dans la plus grande naïveté
qui fut jamais. C'est pourquoi je puis dire que j'ai la taille des plus
belles et des mieux faites qui se puisse voir. Il n'y a rien de si libre
et de si aisé. Ma démarche est tout à fait agréable, et, en toutes mes
actions, j'ai un air infiniment spirituel. Mon visage est un ovale des
plus parfaits, selon toutes les règles; mon front est un peu élevé, ce
qui sert à la régularité de l'ovale. Mes yeux sont bruns, fort brillants
et bien fendus[470]; le regard en est fort doux et plein de feu et
d'esprit. J'ai le nez assez bien fait[471] et, pour la bouche, je puis
dire que je l'ai non-seulement belle et bien colorée, mais infiniment
agréable par mille petites façons qu'on ne peut voir en nulle autre
bouche. J'ai les dents fort belles et bien rangées. J'ai un fort joli
petit menton. Je n'ai pas le teint très-clair; mes cheveux sont d'un
châtain clair et tout à fait lustrés. Ma gorge est plus belle que laide.
Four les bras et les mains, je ne m'en pique pas; mais, pour la peau, je
l'ai fort douce et fort déliée. On ne peut voir la jambe ni la cuisse
mieux faites que je l'ai, ni le pied mieux tourné.

«J'ai l'humeur naturellement fort enjouée et un peu railleuse; mais je
corrige cette inclination par la crainte de déplaire. J'ai beaucoup
d'esprit, et j'entre agréablement dans les conversations. J'ai le ton de
la voix tout à fait agréable et l'air fort modeste. Je suis fort
sincère[472] et n'ai pas manqué à mes amis. Je n'ai pas un esprit de
bagatelle ni de mille petites malices contre le prochain. J'aime la
gloire et les belles actions. J'ai du cœur et de l'ambition. Je suis
fort sensible au bien et au mal; je ne me suis pourtant jamais vengée de
celui qu'on m'a fait, quoique ce soit assez mon inclination; mais je me
suis retenue pour l'amour de moi-même. J'ai l'humeur fort douce et
prends mon plaisir à servir mes amis, et ne crains rien tant que les
petits démêlés des ruelles, qui d'ordinaire ne vont qu'à des choses de
rien. C'est à peu près de cette sorte que je me trouve faite en ma
personne et en mon humeur, et je suis tellement satisfaite de l'une et
de l'autre, que je ne porte envie à qui que ce soit. Ce qui fait que je
laisse à mes amis, ou à mes ennemis, le soin de chercher mes défauts.»

Il n'y a d'incontestable, dans ce portrait de madame de Châtillon, que
l'éloge de sa beauté. A trente ans (c'était l'âge de la duchesse de
Châtillon en 1656), elle en avait conservé tout l'éclat, et le relevait
par la richesse de sa parure. Mademoiselle de Montpensier, qui ne
l'aimait pas, est forcée d'en convenir. Elle la vit à cette époque même
au château de Chilly: «Rien, dit-elle[473], n'était plus pompeux que
madame de Châtillon; elle avait un habit de taffetas aurore, tout brodé
d'un cordonnet d'argent. Elle était plus blanche et plus incarnate que
je ne l'ai jamais vue, avait plus de diamants aux oreilles, aux doigts,
aux bras; enfin, elle était dans une dernière magnificence.» Le jeune
Louis XIV ne fut pas insensible aux charmes de la duchesse: la cour le
remarqua, et Benserade en fit un couplet:

    Châtillon, gardez vos appas
     Pour une autre conquête.
      Si vous êtes prête,
      Le roi ne l'est pas.
      Avec vous il cause;
     Mais, mais, en vérité,
      Pour votre beauté
    Il faut bien autre chose
    Qu'une minorité.

Un autre roi, mais un roi exilé, se rangea aussi parmi les adorateurs de
madame de Châtillon: Charles II, roi d'Angleterre, qui habitait alors la
France. Un des seigneurs attachés aux Stuarts possédait près de Merlou
une maison de campagne où Charles II allait souvent chasser. Le jeune
prince visita madame de Châtillon, et se laissa prendre facilement à sa
beauté et à sa coquetterie. Mademoiselle de Montpensier prétend, dans
ses _Mémoires_[474], que la duchesse aurait voulu se faire épouser par
le roi d'Angleterre, et que déjà ses gens la berçaient de cette
espérance. Une de ses femmes de chambre lui aurait dit en la coiffant:
«Vous seriez une belle reine! «Mais Henriette de France, veuve de
Charles Ier, rompit cette intrigue.

L'abbé Fouquet osa devenir le rival des rois; il connaissait la duchesse
de Châtillon depuis longtemps, et c'était surtout en négociant avec
elle, en 1652[475], qu'il avait commencé à s'éprendre d'une passion qui
troubla la netteté de son jugement. La duchesse de Châtillon, qui avait
besoin de l'abbé, employa avec lui ces manèges de coquetterie féminine
qui lui avaient tant de fois réussi. Nemours, Beaufort, Condé, les
Anglais Craf et Digby, pour ne citer que les plus connus[476], avaient
subi le pouvoir de ses charmes. Quant à la duchesse, elle n'avait guère
ressenti les passions qu'elle faisait éprouver; elle paraît n'avoir été
sincèrement attachée qu'à un seul amant, le duc de Nemours. Pour le
prince de Condé, le duc de Beaufort, le maréchal d'Hocquincourt, elle
fut bien aise de les traîner à son char comme un ornement, et surtout
d'en tirer des présents considérables; car ce qui flétrit le plus cette
conduite scandaleuse d'une Montmorency, alliée à tant d'illustres
familles, c'est son avidité. Elle s'était fait donner par le prince de
Condé la terre de Merlou[477], et, lorsqu'elle se résigna à encourager
les galanteries de l'abbé Fouquet, ce fut pour profiter de sa puissance
et s'enrichir de ses présents.

Il ne faudrait pas, du reste, se représenter l'abbé Fouquet avec les
traits sérieux et le costume austère que son titre rappelle. Les deux
belles gravures de Nanteuil, qui sont à peu près de l'époque qui nous
occupe, lui prêtent une physionomie séduisante. L'œil est fin et doux;
l'ensemble du visage respire la jeunesse et l'esprit. Ces portraits sont
loin de justifier l'assertion de Bussy-Rabutin, qui prétend que l'abbé
Fouquet avait la mine basse. Ce mot s'applique mieux au caractère qu'à
la figure de l'abbé. Quoique Basile Fouquet eût alors plus de quarante
ans, il ne porte pas cet âge dans la gravure de Nanteuil. Son costume
est celui des gens de cour. Rien n'y rappelle l'homme d'Église; il porte
le cordon bleu qui était réservé aux seigneurs de la plus haute
noblesse. L'abbé Fouquet venait, en effet, d'acheter, comme nous l'avons
dit, la charge de chancelier de l'ordre du Saint-Esprit, qui lui donnait
le droit d'en porter les insignes[478]. Mais ce ne furent pas ces
avantages extérieurs qui touchèrent madame de Châtillon; elle vit dans
l'abbé Fouquet, frère du surintendant et favori du cardinal Mazarin, un
homme qui pouvait puiser dans le trésor public et lui donner part au
trafic des impôts qui servait à enrichir le surintendant et ses
créatures. La duchesse de Châtillon sacrifia à cette honteuse
considération son nom et son rang, sa fidélité même au parti qu'elle
avait embrassé et jusqu'à la vie des malheureux qu'elle avait excités à
conspirer contre Mazarin[479]. Elle subit les fureurs jalouses de l'abbé
Fouquet, pour augmenter les trésors qu'elle ne cessa d'accumuler jusqu'à
la fin de sa vie.

Quant à l'abbé, il fut tourmenté pendant plusieurs années par la passion
que lui inspirait cette femme artificieuse; toute sa politique eut alors
pour but de l'amener de Merlou à Paris et de la mettre entre ses mains.
Madame de Châtillon avait été impliquée dans la conspiration de Bertaut
et Ricous; mais on ne l'arrêta point à cette époque, soit qu'elle eût
trahi ses complices, soit que Mazarin, qui connaissait la passion de
l'abbé Fouquet, voulût la ménager. Après l'exécution de Bertaut et
Ricous, vers la fin d'octobre ou le commencement de novembre 1653,
l'abbé Fouquet écrivait au cardinal: «La dernière exécution faite sur la
personne des deux pestes d'État qui furent pris naguère, était
non-seulement nécessaire pour couper racine aux entreprises de la nature
de celle dont ils ont été convaincus, mais elle parle si haut en faveur
de l'autorité royale, qu'il ne s'est rien fait de plus utile et qui
aille plus loin que cette justice. Ce n'est pas tout néanmoins: car il
est certain que, tant que madame de Châtillon demeurera où elle est
(c'est-à-dire à Merlou), il y aura toujours des intrigues entre elle et
M. le Prince, lequel conserve de secrètes intelligences dans sa maison,
où est le rendez-vous secret et l'entrepôt de ceux qui vont et viennent
vers M. le Prince, qui a auprès de lui un Ricous, frère de celui qui a
été exécuté, et dont la femme, qui est Écossaise et se nomme Foularton,
est domestique de ladite dame et sert fort à tous leurs mystères.»

Mazarin répondit à l'abbé Fouquet le 10 novembre: «Pour madame de
Châtillon, j'ai fait différer l'ordre du roi, afin qu'elle eût le temps
de le donner à ses affaires; mais, comme on juge absolument nécessaire
de l'éloigner, en sorte qu'elle ne puisse avoir facilité dans le
commerce avec Paris et le prince de Condé, je ne pourrai pas empêcher
qu'on ne lui envoie dans trois ou quatre jours l'ordre de s'éloigner.
Cependant je suis très-aise qu'elle ait écrit, comme vous me mandez.» Si
l'on en croyait Bussy-Rabutin, l'abbé Fouquet aurait profité de la
terreur qu'il avait su inspirer à la duchesse de Châtillon, impliquée
dans un crime capital, pour l'enlever et la tenir cachée pendant quelque
temps. Ce roman, auquel des écrivains modernes ont attaché trop
d'importance[480], est complétement démenti par les lettres de Mazarin à
l'abbé Fouquet. Elles prouvent que la duchesse de Châtillon s'enfuit, en
effet, de Merlou, mais pour se rendre en Belgique auprès de Condé.
Mazarin écrivait le 18 novembre à son confident: «Le voyage de madame de
Châtillon à Bruxelles ne sera pas de grande réputation pour elle. Vous
savez de quelle manière j'en ai usé à son égard, et je vous puis dire
avec sincérité que ç'a plutôt été par votre considération que par aucun
autre motif.»

Madame de Châtillon ne tarda pas à rentrer en France, où elle continua
ses étranges relations avec Condé, avec l'abbé Fouquet et avec plusieurs
autres personnages. Parmi les amants qu'elle prenait pour donner des
alliés à Condé, on trouve le maréchal d'Hocquincourt, gouverneur de
Péronne. A cette époque, les gouverneurs étaient à peu près
indépendants, et déjà, pendant la Fronde, d'Hocquincourt avait promis de
livrer Péronne aux rebelles par amour pour madame de Montbazon. Tout le
monde connaît son billet: _Péronne est à la belle des belles_. La
duchesse de Châtillon n'eut pas moins de puissance sur lui que madame de
Montbazon. Elle arracha au maréchal la promesse de livrer au prince de
Condé Péronne et Ham, qui lui appartenaient. Mazarin fut instruit des
intrigues de madame de Châtillon, et il est probable que ce fut son
agent ordinaire, l'abbé Fouquet, qui les découvrit; c'est du moins dans
ses papiers que se trouve la lettre adressée par madame de Châtillon à
Condé, lettre qui fut interceptée et fournit une preuve positive du
complot:

«Vasal est arrivé, écrivait-elle à Condé le 17 octobre 1655[481], comme
j'étais à la cour, et je suis partie le lendemain pour vous faire
réponse avec toute la diligence que vous désirez; ce qui est nécessaire
pour vous avertir que l'on a grand'peur que vous ne fassiez quelque
chose avec la bonne compagnie que vous avez. Mais, comme je suis
persuadée que vous ne vous y épargnerez pas, je ne vous dirai rien pour
vous faire voir le besoin que vous en avez et la facilité que vous y
trouverez. Vous êtes assez éclairé sur toutes choses pour qu'il ne soit
pas à propos de dire seulement un pauvre mot sur ce chapitre, si bien
que je le vais finir pour vous parler d'un autre. Je ne puis comprendre
que vous ne me remerciiez pas d'un présent de senteur que je vous ai
envoyé il y a plus d'un mois. Dame! il était si beau et si bon que je ne
suis pas consolable que vous ne l'ayez point reçu. C'était un homme de
Chavagnac qui vous le portait, et, comme il avait assurément ordre de
voir Marsin, j'appréhende, selon ce que Bouteville[482] me mande qu'il
en use avec vous, qu'il n'ait renvoyé l'homme sans vous le faire voir,
afin de détourner son maître de vous aller trouver. Mais enfin je vous
mandais que j'avais vu M. le maréchal d'Hocquincourt, qui m'avait dit
des choses dont on pouvait faire son profit; c'est, en un mot, que vous
fassiez en sorte que Fuensaldagne lui envoie un homme de créance pour
traiter avec lui sur le bruit qui court qu'il est mal avec la cour, et,
pour peu que l'on soit raisonnable, il y a toute apparence que l'on fera
affaire; mais, afin que Fuensaldagne soit sans soupçon, nous avons jugé
à propos que vous disiez que le maréchal n'est point assez de vos amis
pour que l'affaire se fasse par vous. Néanmoins vous ne manquerez pas de
vous entendre avec le maréchal d'Hocquincourt; je l'ai fait jurer plus
de mille fois, et je ne doute point que l'on ne soit dans la dernière
peine de ne rien voir de ce que l'on attendait sur cela. M. de Duras ira
faire un tour à Merlou pour voir le maréchal d'Hocquincourt et
l'encourager en cas qu'il fût changé, sur ce qu'il n'a point ouï parler
de Fuensaldagne. Je lui en expliquerai la cause, et vous donnerez ordre
pour que cette aventure soit réparée au plus tôt. J'envoie pour cela un
nouveau courrier en diligence.

«Je vous jure que je me fais un effort furieux de ne vous point parler
des choses sur lesquelles vous paraissez la plus aimable créature du
monde, et je prétends vous faire voir par là que je préfère votre
intérêt au mien dans toutes les aventures, parce que j'en trouve un
assez complet dans cette affaire. Mon frère[483] m'en parle encore;
mais je ne vous en dirai rien pour cette fois, ayant trop d'impatience
que vous receviez cette lettre-ci. Enfin, mon cousin, je vous dirai
seulement, en passant, que j'ai fait par avance tout ce que vous me
mandez que vous désirez que je fasse et que je pense sur ce que je vois.
J'ai peur que je n'aille jusqu'au point où vous dites que vous voulez
que

    De la même ardeur que je brûle pour elle,
      Elle brûle pour moi.

«Adieu, mon cousin, je pense que je suis folle; mais c'est parce que
vous êtes très-éloigné et que vous me faites pitié, car, sans cela, je
conserverais toujours mon bon sens et la gravité que Dieu m'a donnée.»

L'abbé Fouquet, excité par la jalousie et par l'intérêt de l'État,
poussa Mazarin à faire arrêter madame de Châtillon. Livrer Ham et
Péronne à Condé et aux Espagnols, c'était livrer la frontière
septentrionale de la France et menacer Paris; il fallait pourvoir à ce
danger par de promptes mesures. La duchesse de Châtillon fut arrêtée à
Merlou, transférée à Paris et confiée à la garde de l'abbé Fouquet, «ce
qui, écrivait madame de Sévigné[484], parut plaisant à tout le monde.»
La cour entra ensuite en négociation avec le maréchal d'Hocquincourt
pour l'empêcher de recevoir l'ennemi dans Péronne. Il en coûta au trésor
deux cent mille écus; moyennant cette somme, le maréchal livra les deux
places au roi. Le gouvernement de Péronne fut laissé au marquis
d'Hocquincourt, fils du maréchal, et celui de Ham donné à l'abbé
Fouquet, en récompense des bons services que sa police vigilante avait
rendus à la France. L'abbé atteignait en même temps un autre but qu'il
poursuivait depuis longtemps: il était chargé de la garde de la duchesse
de Châtillon. Mais, à peine parvenu au comble de ses vœux, il commença à
éprouver les inquiétudes et les tourments de la jalousie. Les ruses et
la coquetterie de la duchesse de Châtillon le mettaient au désespoir. Il
voyait bien que, tout en acceptant ses présents, elle se moquait de
lui[485] et continuait son commerce de lettres avec le prince de Condé.
La jalousie de l'abbé allait souvent jusqu'à la fureur; il voulut même
s'empoisonner, si l'on en croit Bussy-Rabutin. Ce qui est plus certain,
c'est qu'il s'emporta jusqu'à faire à la duchesse de Châtillon des
scènes violentes dont la cour et la ville étaient scandalisées. En voici
une, entre autres, que raconte mademoiselle de Montpensier.

L'abbé Fouquet s'était absenté de Paris; la duchesse de Châtillon en
profita pour reprendre des lettres qu'elle avait eu l'imprudence de lui
confier. Comme elle était connue des gens de l'abbé Fouquet et
considérée comme la maîtresse du logis, elle pénétra dans son cabinet,
ouvrit les cassettes qui renfermaient ses papiers et s'en empara. A son
retour, l'abbé Fouquet entra en fureur, et, se rendant chez la duchesse,
il éclata en reproches et lui dit tout ce que la colère et la passion
lui suggérèrent de plus violent. Il brisa même les miroirs à coups de
pied et la menaça d'envoyer saisir ses meubles et ses pierreries, qu'il
prétendait lui avoir donnés. Madame de Châtillon, qui avait tout à
craindre de l'emportement de l'abbé, fut obligée de faire défendre sa
maison et ensuite de se réfugier chez madame de Saint-Chaumont[486].
«Jamais affaire n'a fait tant de bruit que celle-là, ajoute mademoiselle
de Montpensier. C'est une étrange chose que la différence des temps! Si
l'on avait dit à l'amiral de Coligny: «La femme de votre petit-fils sera
maltraitée par l'abbé Fouquet,» il ne l'aurait pas cru, et il n'était
nulle mention de ce nom-là de son temps, non plus que du temps des
connétables de Montmorency et du brave Bouteville, père de madame de
Châtillon[487].»

Cette scène violente entraîna une rupture, qui mit l'abbé Fouquet au
désespoir. Il chercha par tous les moyens à renouer ses relations avec
madame de Châtillon. Il n'avait plus la ressource des affaires
politiques, la duchesse ne donnant alors aucune prise de ce côté. Il fit
intervenir la religion et se servit de sa mère, dont la simplicité fut
dupe des fourberies de l'abbé. Apprenant que la duchesse de Châtillon
était au couvent de la Miséricorde du faubourg Saint-Germain[488], il
s'y rendit avec sa mère. Lorsque madame de Châtillon l'aperçut, elle dit
à madame de Brienne, qui l'accompagnait: «Ah! que vois-je? Quoi! cet
homme devant moi[489]!» Mais la mère Madeleine, supérieure de la
communauté, gagnée par la mère de l'abbé Fouquet, et ne voyant dans
cette scène de comédie qu'une œuvre charitable, suppliait madame de
Châtillon de mettre ses ressentiments aux pieds du crucifix. «Au nom de
Jésus-Christ, lui disait-elle, regardez-le en pitié.» Madame Fouquet
joignait ses instances à celles de la mère Madeleine, et leurs prières
finirent, si l'on en croit mademoiselle de Montpensier, par triompher
des ressentiments de la duchesse de Châtillon. «Ce fut, comme dit la
princesse, une farce admirable.»

Cependant, depuis cette époque, la réconciliation ne fut jamais
complète, et, lorsque mademoiselle de Montpensier revint à Paris en
1658, elle fut encore témoin d'une scène assez ridicule entre la
duchesse de Châtillon et l'abbé Fouquet. Un soir que la princesse était
à la foire Saint-Germain[490] avec Monsieur, frère de Louis XIV,
qu'accompagnaient la princesse Palatine, Anne de Gonzague, et d'autres
dames de la cour, la duchesse de Châtillon vint les rejoindre. Peu de
temps après, l'abbé Fouquet arriva; aussitôt madame de Châtillon dit à
Monsieur: «Permettez-moi de mettre un masque; j'ai froid au front[491].»
Elle se couvrit le visage d'un de ces légers masques de velours que
l'usage permettait aux femmes de porter; elle le garda tant qu'elle fut
en présence de l'abbé Fouquet. Comme le prince et ces dames visitaient
diverses boutiques de la rue de Tournon, ils furent plusieurs fois
séparés. Dès que la duchesse de Châtillon se trouvait dans un lieu où
n'était point l'abbé Fouquet, elle ôtait son masque et le remettait dès
qu'il paraissait. De son côté, l'abbé affectait pour la duchesse un
dédain qu'il était loin d'avoir. «Il y eut hier comédie au Louvre,
écrivait Olympe Mancini le 20 août 1658[492]; Mademoiselle y était,
ainsi que madame de Châtillon, l'abbé Fouquet aussi, lequel dit toujours
qu'il ne se soucie point de la belle, et même il s'en moqua tout hier
soir. Mais je crois que tout ce qu'il en fait, ce n'est que par colère,
et je jurerais qu'ils se raccommoderont.»

Repoussé par madame de Châtillon, l'abbé Fouquet ne tarda pas à porter
ailleurs ses volages amours. Il s'attacha à une des beautés célèbres de
cette époque, à madame d'Olonne, et devint le rival des Marsillac, des
Candale, des Guiche, en un mot de toute la brillante jeunesse de la
cour. Quant à la duchesse de Châtillon, lorsqu'elle vit les adorateurs
s'éloigner d'elle, elle songea à faire une fin et épousa un prince
allemand, Christian-Louis, duc de Mecklembourg. Depuis cette époque,
elle s'occupa surtout de satisfaire sa passion dominante, celle des
richesses; elle entassa de l'or, de l'argent, des meubles précieux, des
pierreries. Cependant elle conserva longtemps des restes de beauté, et
madame de Sévigné, parlant d'un voyage qu'elle fit, en 1678, à l'armée
de son frère le maréchal duc de Luxembourg, la compare à Armide au
milieu des guerriers[493]. Saint-Simon, qui nous fait assister à la fin
de toutes les grandeurs du dix-septième siècle, a retracé les derniers
moments de Henriette de Montmorency-Bouteville, qui mourut sans aucun
retour vers des sentiments plus élevés[494]. Enfin madame de Sévigné
s'est chargée de son oraison funèbre. Annonçant la mort de la duchesse
de Mecklembourg à madame de Grignan: «Comment peut-on, dit-elle[495],
garder tant d'or, tant d'argent, tant de meubles, tant de pierreries, au
milieu de l'extrême misère des pauvres, dont on était accablé dans les
derniers temps? Mais comment peut-on vouloir paraître aux yeux du monde,
de ce monde dont on veut l'estime et l'approbation au delà du tombeau,
comment veut-on lui paraître la plus avare personne du monde, avare pour
les pauvres, avare pour ses domestiques, à qui elle ne laisse rien;
avare pour elle-même, puisqu'elle se laissait quasi mourir de faim, et,
en mourant, lorsqu'elle ne peut plus cacher cette horrible passion,
paraître aux yeux du public l'avarice même!»



CHAPITRE XX

--1657--

Famille de Nicolas Fouquet.--Il épouse en premières noces Marie
Fourché, et en secondes noces Marie-Madeleine de
Castille-Villemareuil.--Positions élevées occupées par ses frères
François, Louis et Gilles.--Mariage de la fille aînée de Fouquet
avec le marquis de Charost (12 février 1657).--Projet rédigé par
Fouquet pour se mettre à l'abri de la vengeance de Mazarin.--Ham et
Concarneau sont désignés, dans la première rédaction du projet,
comme les places fortes où doivent se retirer les amis de
Fouquet.--Rôle important qu'il donne à la marquise du
Plessis-Bellière.--Caractère de cette femme.--Elle marie sa fille
au duc de Créqui.--Madame d'Asserac est citée également dans le
projet de Fouquet.--Elle achète pour le surintendant le duché de
Penthièvre.--Rôle assigné à l'abbé Fouquet et à la famille du
surintendant.--Attitude que devaient prendre les gouverneurs amis
de Fouquet.--Personnages sur lesquels il comptait à la cour et dans
le parlement: le duc de la Rochefoucauld et son fils, le prince de
Marsillac, Arnauld d'Andilly, Achille de Harlay.--Il avait gagné
l'amiral de Neuchèse et un marin nommé Guinan.--Les frères et les
amis du surintendant devaient entretenir l'agitation dans les
parlements et le clergé.--Mesures à prendre dans le cas où Fouquet
serait mis en jugement.--Réponse de Fouquet à l'occasion du projet
trouvé à Saint-Mandé.--Il en reconnaît l'authenticité.--Il veut
acheter une charge de secrétaire d'État.--Travaux exécutés à
Vaux-le-Vicomte, près de Melun.--Fouquet se laisse cuivrer par la
flatterie.


Nicolas Fouquet n'imita pas d'abord la fougue ni les emportements de son
frère l'abbé. Il s'était toujours montré plus prudent et plus modéré que
lui. A l'époque où nous sommes parvenus, sa conduite est celle d'un
ambitieux qui marche vers son but avec une habile circonspection. Il
prépare de loin sa puissance, se fait des amis et des partisans de haut
rang, étend ses domaines, et s'efforce de poser solidement les bases de
sa fortune. Il avait épousé, en premières noces, Marie Fourché, dame de
Quehillac, qui lui avait apporté une dot assez considérable. On l'évalue
à trois ou quatre cent mille livres, dans un mémoire dont l'auteur
s'attache à diminuer la fortune de Fouquet, afin de rendre ses
dilapidations plus frappantes[496]. Marie Fourché mourut bientôt,
laissant une fille qui devint plus tard marquise, puis duchesse de
Charost.

Vers 1650, époque où il acheta la charge de procureur général au
parlement de Paris, Nicolas Fouquet épousa, en secondes noces,
Marie-Madeleine de Castille-Villemareuil, fille unique de François de
Castille, qui fut successivement maître des requêtes et président d'une
des chambres des enquêtes au parlement de Paris. Fouquet eut, dit-on, de
ce second mariage, quatre ou cinq cent mille livres[497]. Les Castille
étaient une famille de marchands réputés fort riches, et qui avaient
contracté de grandes alliances. Le président Jeannin, ministre de Henri
IV et négociateur célèbre[498], avait marié sa fille à Pierre Castille,
qui, de marchand de soie, était devenu receveur du clergé. Nicolas
Jeannin-de-Castille et Marie-Madeleine de Castille-Villemareuil étaient
les descendants de ce Pierre Castille; le premier devint marquis de
Montdejeu et trésorier de l'épargne; la seconde épousa Nicolas Fouquet.

La femme du surintendant resta dans l'ombre tant que son mari fut riche
et puissant; mais, après sa disgrâce, elle montra un courage et un
dévouement qui honorent sa mémoire. Elle s'efforça, de concert avec la
mère de Fouquet, d'exciter la pitié des juges et de désarmer la colère
du roi. Ces deux femmes se tenaient presque chaque jour à la porte de
l'Arsenal, où siégeait la chambre de justice, et présentaient des
requêtes en faveur de l'accusé[499]. Après la condamnation du
surintendant, sa femme s'enferma avec lui dans la forteresse de
Pignerol, et y resta jusqu'à la mort de Nicolas Fouquet. Elle lui
survécut trente-six ans, entourée du respect que méritaient ses vertus.
«Elle mourut à Paris, en 1716, dit Saint-Simon[500], dans une grande
piété, dans une grande retraite et dans un exercice continuel de bonnes
œuvres pendant toute sa vie.» La mère et la femme de Fouquet
contrastaient par leurs qualités simples et modestes avec le reste de la
famille.

Nicolas Fouquet avait alors deux frères évêques: l'aîné, François, avait
longtemps occupé l'évêché d'Agde; mais la faveur croissante de sa
famille le porta, en 1656, à la coadjutorerie de l'archevêché de
Narbonne. Il assura trente mille livres de rente, en bénéfices d'Église,
au neveu de l'archevêque, et obtint ainsi le titre de coadjuteur de
Narbonne[501]. En même temps il résigna son évêché d'Agde en faveur de
son frère cadet, Louis Fouquet, qui avait été récemment pourvu d'une
charge de conseiller au parlement de Paris. Enfin un troisième frère du
surintendant, Gilles, entra dans la maison du roi, et finit par devenir
premier écuyer de la grande écurie. Son mariage avec la fille unique du
marquis d'Aumont releva la famille un peu roturière des Fouquet[502]. Le
marquis d'Aumont se démit, en faveur de son gendre, du gouvernement de
Touraine et des châteaux forts qui en dépendaient.

Nicolas Fouquet était, par son crédit, le principal auteur de cette
rapide fortune de sa famille. On trouva même, dans ces papiers, la
preuve que le trésor public avait payé les dignités et les alliances des
Fouquet. Le surintendant aspirait à un mariage brillant pour la fille
unique qu'il avait eue de son premier mariage, et il y parvint. Elle
épousa, le 12 février 1657[503], le fils aîné du comte de Charost,
gouverneur de Calais et capitaine des gardes du roi. Pour acheter cette
alliance illustre, Nicolas Fouquet avait donné six cent mille livres de
dot à sa fille[504], et avait fait rembourser au comte de Charost cinq
cent mille livres qui lui étaient dues pour d'anciens services. On
célébra ces noces avec une pompe extraordinaire.

Les Charost étaient une branche de la maison de Béthune, à laquelle la
France avait dû Sully, ministre de Henri IV. Le comte de Charost avait
rendu de grands services au cardinal de Richelieu et rempli sous son
administration des fonctions importantes. Il resta en faveur sous le
ministère de Mazarin, et s'en montra digne par sa fidélité et son
dévouement à la cause royale. En mariant son fils à la fille du
surintendant, il s'assura le payement d'anciennes dettes que la couronne
avait contractées envers lui, et se prépara de nouvelles faveurs aux
dépens du trésor public.

La Gazette en vers de Loret ne manqua pas de célébrer ce mariage. On lit
dans la lettre qui porte la date du 7 février 1657:

    Le fils du comte de Charaut[505],
    Jeune seigneur qui beaucoup vaut.
    Avec une allégresse extrême
    Se maria ce jour-là même
    A mademoiselle Fouquet,
    Que Dieu préserve de hoquet;
    Car, outre qu'elle est très-bien née,
    Et de plusieurs dons ornée,
    Diverses gens m'ont raconté
    Que c'est un trésor de bonté,
    Et qu'elle est fort spirituelle;
    Mais aussi de qui tiendrait-elle?
    Puisqu'on peut dire avec raison
    Qu'elle est fille d'une maison
    Qui paraît une pépinière
    De sagesse, sens et lumière:
    Témoin son oncle paternel[506],
    Digne d'un bonheur éternel,
    Par l'excellence naturelle
    De son âme tout à fait belle;
    Témoin aussi son cher papa,
    Dont l'esprit jamais ne chopa
    Dans ces deux charges d'importance
    Qu'il exerce en servant la France.
    Enfin c'est un rare trésor.

Malgré les progrès de sa puissance et de ses richesses, le surintendant
n'était pas sans inquiétude. Le cardinal Mazarin connaissait son
ambition et prêtait l'oreille à ses ennemis. Nicolas Fouquet se tint sur
ses gardes, songea à se préparer un asile en cas de disgrâce, et rédigea
en 1657 le fameux projet qui fut trouvé à Saint-Mandé. Dans un long
préambule[507] il expliquait le motif de ses craintes: la défiance du
cardinal contre tous les hommes puissants, les inimitiés que lui,
Fouquet, s'est attirées comme surintendant, et que les fonctions de son
frère l'abbé ont encore aggravées, enfin la persuasion que Mazarin ne
les attaquera que s'il croit pouvoir les ruiner et les perdre
complétement. «Il faut donc, ajoute-t-il, craindre tout et le prévoir,
afin que, si je me trouvais hors de la liberté de m'en pouvoir
expliquer, on eût recours à ce papier pour y chercher les remèdes qu'on
ne pourrait trouver ailleurs.»

Le surintendant voulait avant tout s'assurer une place forte où il pût
braver la colère du cardinal. Depuis Richelieu, les principaux
ministres avaient eu leur ville de refuge. Richelieu s'était fait donner
le Havre et avait fortifié cette place, dont le gouverneur et la
garnison ne dépendaient que de lui. Mazarin était maître de Brouage. Le
surintendant songea d'abord à Concarneau et à Ham. La première de ces
villes était un petit port de Bretagne que, dès 1656, l'abbé Fouquet
avait acheté avec l'argent fourni par le surintendant. Les deux frères
s'étaient efforcés de donner une certaine importance à Concarneau, et y
avaient fait construire un grand vaisseau du port de huit cents
tonneaux, auquel ils donnèrent le nom de l'_Écureuil_[508]. Quant à la
forteresse de Ham, elle avait été donnée à l'abbé Fouquet, en récompense
des services qu'il avait rendus en découvrant les projets de la duchesse
de Châtillon sur Péronne et en les faisant échouer[509]. Dans la
première rédaction du projet de résistance, que Nicolas Fouquet écrivit
de sa main en 1657[510] il désigna Ham et Concarneau comme les places
fortes où ses amis devaient se retirer s'il était disgracié.

Ce projet, sur lequel il est nécessaire d'insister, se divise en deux
parties. Dans l'une, le surintendant prévoit le cas où il serait
seulement arrêté, et dans l'autre celui où on le mettrait en jugement.
La première précaution à prendre, si on l'arrêtait, serait de veiller à
la sûreté des forteresses; et, pour cela, on devrait s'adresser à madame
du Plessis-Bellière, «à qui je me fie de tout, ajoute Fouquet, et pour
qui je n'ai jamais eu aucun secret ni aucune réserve. Elle connaît mes
véritables amis, et il y en a peut-être qui auraient honte de manquer
aux choses qui seraient proposées pour moi de sa part.»

Madame du Plessis-Bellière, que nous trouvons ici pour la première fois,
reviendra trop souvent dans l'histoire de Fouquet pour que nous n'en
parlions pas avec quelques détails. Suzanne de Bruc était veuve depuis
trois ans du marquis du Plessis-Bellière, lieutenant général des armées
du roi, brave et habile officier qui n'avait jamais manqué à la fidélité
pendant les années de troubles et de révolte qu'il avait traversées. Sa
veuve était, de l'avis de tous les contemporains, une femme d'esprit et
de tête. Elle s'empara complétement de Nicolas Fouquet, et les Mémoires
du temps font assez connaître la nature des relations qui existaient
entre eux. On lui prête même une lettre[511] qui la ferait descendre au
rang de basse et ignoble entremetteuse. Il est difficile de concilier
ces faits avec les amitiés illustres que conserva madame du
Plessis-Bellière. Madame de Sévigné ne cessa de témoigner la plus vive
affection à l'amie dévouée de Fouquet[512]. Simon-Arnauld de Pomponne et
madame de Motteville lui écrivaient[513]. Saint-Simon lui-même, en
annonçant la mort de la marquise du Plessis-Bellière, n'en parle qu'avec
un sentiment de respect et de sympathie[514]. Il est remarquable que,
dans les lettres qui sont parvenues jusqu'à nous, on ne trouve qu'un
seul billet qui puisse faire soupçonner la vertu de madame du
Plessis-Bellière; elle ne s'occupe le plus souvent que de questions
d'intérêt. Ambitieuse, elle visait pour sa fille à un mariage brillant,
et pour elle-même à la place de gouvernante des enfants de France. Cette
dernière charge fut donnée à madame de Montausier, si célèbre par son
bel esprit, son rôle de précieuse à l'hôtel de Rambouillet et sa
renommée de vertu, où il y avait plus d'apparat que d'austérité réelle.

Madame du Plessis-Bellière réussit mieux dans les projets d'alliance
pour sa fille. Le surintendant, qui lui avait assuré de riches pensions
sur les fermes d'impôts[515], contribua sans doute par ses largesses à
faciliter le mariage de Catherine du Plessis-Bellière avec François de
Créqui, qui devint dans la suite maréchal de France et un des plus
grands seigneurs du royaume. Ce qui est certain, c'est que Fouquet donna
plus tard deux cent mille livres pour assurer à François de Créqui la
charge de général des galères de France, en même temps qu'il ménageait
au fils de madame du Plessis-Bellière celle de vice-amiral des flottes
de l'Océan, que possédait le commandeur de Neuchèse. Ce dernier était
aussi un des obligés de Fouquet; il avait reçu du surintendant l'argent
nécessaire pour payer sa charge, et avait promis de s'en démettre en
faveur du fils de la marquise du Plessis-Bellière[516]. On voit combien
de motifs cette femme ambitieuse avait pour être dévouée au
surintendant. Elle ne manqua pas, du reste, à la reconnaissance et
s'honora par son dévouement pour Fouquet disgracié. Le surintendant
avait raison de compter sur le zèle de cette amie pour stimuler ses
partisans dans le cas où il serait arrêté.

Madame du Plessis-Bellière devait s'entendre immédiatement avec les
gouverneurs de Ham et Concarnau, et munir ces places de troupes et de
vivres, afin de résister à une attaque. Fouquet comptait
particulièrement sur le gouverneur de Concarnau, nommé Deslandes, «dont
je connais, disait-il, le cœur, l'expérience et la fidélité. Il faudrait
lui donner avis de mon emprisonnement et ordre de ne rien faire d'éclat
en sa province, ne point parler et se tenir en repos, crainte que d'en
user autrement ne donnât occasion de nous pousser; mais il pourrait,
sans dire mot, fortifier sa place d'hommes et de munitions de toutes
sortes, retirer les vaisseaux qu'il aurait à la mer, et tenir toutes
choses en bon état, acheter des chevaux et autres choses pour s'en
servir, quand il serait temps.»

Une autre femme, que nous trouvons aussi pour la première fois dans
l'histoire de Fouquet, madame d'Asserac, devait, aussitôt après avoir
reçu la nouvelle de l'arrestation, venir à Paris pour s'entendre avec
madame du Plessis-Bellière. Qu'était cette dame d'Asserac? Quelles
étaient ses relations avec Fouquet? Pélagie de Rieux, marquise
d'Asserac, possédait en Bretagne de vastes domaines qui touchaient à
ceux de Fouquet. Les papiers du surintendant renferment plusieurs
lettres de cette dame[517], qui prouvent que, dévouée à Fouquet, elle
avait su concilier son affection avec ses devoirs, et qu'elle faisait
mentir le proverbe: _Jamais surintendant n'a trouvé de cruelle_. Dès le
mois d'août 1656, elle lui écrivait une lettre d'affaires[518]. La
seconde lettre atteste que Pélagie de Rieux avait su résister à Fouquet
sans rompre avec lui: «De ma vie, lui écrivait-elle, je n'éprouvai si
bien la force que j'ai sur moi-même que je fis avant-hier. Il ne s'en
fallait rien qu'elle ne me manquât quand je vous quittai, et je me
saurai bon gré toute ma vie de l'avoir su garder jusques au bout. Enfin,
monsieur, voyez les desseins que le changement des vôtres m'a fait
prendre: ils sont de travailler toute ma vie à vous le faire reprocher à
vous-même, et si pendant tout ce temps il s'en trouve un où vous soyez
en situation de faire un discernement juste des gens, vous pourrez voir
que les moindres obligations font chez moi ce que les plus grandes,
ailleurs, ont peine d'y établir. Voyez si mon ressentiment est à
craindre[518a].»

Le marquis d'Asserac mourut en 1657, ainsi que le prouve la _Gazette_ de
Loret (à la date du 29 septembre):

    D'Asserac, ce brave marquis,
    Qui par bonheur s'était acquis
    Une épouse de haut lignage,
    Et dont l'esprit et le visage
    Enflammeraient les plus glacés,
    Est décédé ces jours passés;
    Dont sadite épouse éplorée
    Dans un couvent s'est retirée
    Pour y soupirer à loisir,
    Touchant son présent déplaisir.
    Puis, quand ses yeux pourvus de charmes
    Auront, de quantité de larmes,
    Fait sacrifice à son époux,
    On la reverra parmi nous
    Avec ses appas ordinaires;
    Car ayant de grandes affaires
    Pour régler sa noble maison,
    Ce ne serait pas la raison
    Qu'une veuve si renommée
    Demeurât longtemps enfermée.

La marquise d'Asserac resta l'amie de Fouquet et continua de lui donner
d'utiles conseils, comme on le voit par la lettre suivante: «Je
m'aperçois que l'amitié dans mon cœur ne peut perdre ses droits, et vous
ne sauriez croire l'impatience que je sentis de vous mander ce qui m'est
revenu par deux personnes de qualité et de croyance, c'est que l'oncle
d'une personne qui est votre proche alliée, et ce que vous avez
d'ennemis dans le parlement, et force autres même, font une espèce de
ligue et entreprennent de vous mettre mal dans les esprits de celles qui
ne vont pas au voyage, et, pour y parvenir, cherchent jusques aux choses
les plus particulières, et même dans votre famille. Songez-y; ne
négligez rien. L'envie est d'ordinaire l'ombre des grandes fortunes:
plus la vôtre s'élèvera, plus l'effort de vos ennemis et leur haine
seront grands. Je m'admire de vous faire ici une espèce de discours
instructif. J'en retranche ce que je puis, et je vous assure qu'il ne
vous paraît que ce que je ne puis retenir. Il eût été mieux de vous
écrire seulement ce que j'ai appris, et de finir comme je vais faire,
en vous assurant que je serai toute ma vie dans vos intérêts sans
empressement de vous le dire, à moins qu'il n'y aille de vous servir.»

Telle était cette dame d'Asserac, amie dévouée, qui avait su résister
aux dangereuses séductions du surintendant. Ces lettres, que nous
reproduisons dans toute leur simplicité et leur vérité, attestent que
Fouquet avait une puissance sympathique qui lui gagnait des âmes élevées
et généreuses, et que lui-même, malgré la faiblesse de son cœur et
l'entraînement de ses passions, savait comprendre la vertu et ses nobles
instincts. Ainsi s'explique le dévouement des amis nombreux qui
restèrent fidèles à son infortune. Madame d'Asserac servit Fouquet avec
beaucoup de zèle dans les acquisitions qu'il fit en Bretagne[519]. Ce
fut sous son nom qu'il acheta, du financier Boislève, le duché de
Penthièvre, qui avait pour ville principale Guingamp (département des
Côtes-du-Nord). Le prix était fixé à un million neuf cent mille livres.
Madame d'Asserac, qui, à la mort de son mari, était criblée de
dettes[520], n'aurait pu faire pour elle-même une pareille acquisition,
et Fouquet devint sous son nom propriétaire d'un duché qui étendait son
influence dans le nord de la Bretagne. Madame d'Asserac possédait
l'Île-Dieu, sur les côtes de cette province, et Fouquet recommande, dans
son projet, qu'elle ait soin de mettre cette île en état de défense, et
d'y réunir des vaisseaux pour porter des secours partout où il serait
nécessaire.

L'abbé Fouquet ne joue, dans ce plan de résistance, qu'un rôle
secondaire. Son frère, qui n'avait pas encore rompu avec lui, commençait
à s'en défier. En recommandant à ses amis de s'adresser à l'abbé Fouquet
et de le laisser agir, il ajoute: «pourvu qu'il conserve pour moi
l'amitié à laquelle il est obligé et dont je ne puis douter.» La famille
du surintendant, sa mère, sa femme, ses frères, son gendre, devaient se
réunir pour obtenir par leurs instances qu'on lui laissât une partie de
ses gens qu'il désigne nominativement. Fouquet les engageait à faire
tous leurs efforts pour se mettre en relation avec lui et entretenir un
commerce régulier, soit par le moyen d'autres prisonniers, soit en
gagnant ses gardiens. Ils devaient en même temps voir sous main tous
ceux que la reconnaissance obligeait d'être dans ses intérêts. C'est
toujours à madame du Plessis-Bellière que Fouquet leur recommande de
s'adresser.

Après avoir consacré trois mois à se reconnaître et à s'entendre, les
amis de Fouquet devaient commencer à prendre une attitude menaçante: le
comte de Charost, dont le fils avait épousé sa fille, se retirerait à
Calais, dont il était gouverneur, mettrait la place et la garnison en
bon état, et si son fils, le marquis de Charost, n'était point de
service auprès du roi, où le retenait souvent sa charge de capitaine des
gardes, il s'enfermerait aussi à Calais avec son père et y mènerait sa
femme, fille du surintendant. C'était surtout cette jeune femme qui
devait stimuler le zèle de son mari et de son beau-père en faveur de
Fouquet. «Il faudrait, ajoutait-il, que madame du Plessis-Bellière lui
rappelât en cette occasion toutes les obligations qu'elle m'a, et
l'honneur qu'elle peut acquérir en tenant monsieur son beau-père et son
mari dans mes intérêts.»

Fouquet énumérait ensuite les gouverneurs qui devraient, à l'exemple du
comte de Charost, s'enfermer dans leurs places et s'y préparer à une
résistance armée. Il citait, entre autres, MM. de Bar, de Créqui et de
Feuquières. De Bar, gouverneur d'Amiens, avait été chargé par Mazarin,
de veiller à la garde des princes enfermés au Havre en 1650. Il avait
conservé de grandes intelligences dans cette place, ainsi que dans
Hesdin et Arras. On espérait obtenir, par son concours, que MM. de
Bellebrune, gouverneur de Hesdin, et Montdejeu, gouverneur d'Arras,
s'enfermassent aussi dans leurs forteresses et y prissent une attitude
capable d'intimider Mazarin. Fabert, gouverneur de Sedan, était trop
dévoué au cardinal pour que l'on se flattât de l'en détacher. Mais le
marquis de Créqui lui rappellerait la parole formelle qu'il avait donnée
à Fouquet et à lui-même, de soutenir les intérêts du surintendant. Si
Fabert persistait dans les mêmes sentiments, on lui demanderait
d'écrire, en son nom et au nom de tous les gouverneurs indiqués
ci-dessus, une lettre pressante au cardinal Mazarin pour obtenir la
liberté de Fouquet, en s'engageant à lui servir de caution.

Les amis du surintendant ne devaient pas se servir de la poste pour
leurs communications, mais envoyer des agents, sur le dévouement
desquels on pût compter. Langlade et Gourville étaient désignés comme
les principaux auxiliaires de madame du Plessis-Bellière pour donner des
ordres et organiser la résistance. Ils ne resteraient pas à Paris, mais
auraient soin de se mettre en sûreté, en laissant Paris des personnes
dévouées. A la cour, MM. de la Rochefoucauld, de Marsillac et de
Bournonville pourraient être d'utiles alliés. «J'ai beaucoup de
confiance en M. de la Rochefoucauld, écrit Fouquet, et en sa capacité.
Il m'a donné des paroles si précises d'être dans mes intérêts, bonne ou
mauvaise, fortune, envers et contre tous, que, comme il est homme
d'honneur et reconnaissant de la manière que j'ai tenue avec lui, et des
services que j'ai eu intention de lui rendre, je suis assuré que lui et
M. de Marsillac ne me manqueront pas.» C'était Gourville, autrefois
attaché au duc de la Rochefoucauld, qui avait fait sa liaison avec le
surintendant. Le futur auteur des _Maximes_, fidèle à ses principes
égoïstes, avait profité de la faveur et des prodigalités de Fouquet;
mais il témoigna peu de sympathie pour son malheur. On vit alors combien
étaient vrais les traits sous lesquels la Rochefoucauld lui-même s'était
peint[521]: «Je suis peu sensible à la pitié, et je voudrais ne l'y être
point du tout. Cependant, il n'est rien que je ne fisse pour le
soulagement d'une personne affligée, et je crois effectivement que l'on
doit tout faire jusqu'à lui témoigner même beaucoup de compassion de son
mal, car les misérables sont si sots, que cela leur fait le plus grand
bien du monde; mais je tiens aussi qu'il faut se contenter d'en
témoigner et se garder bien soigneusement d'en avoir. C'est une passion
qui n'est bonne à rien au dedans d'une âme bien faite, qui ne sert qu'à
affaiblir le cœur et qu'on doit laisser au peuple.» Cette théorie de
l'égoïsme réel et de la sensibilité en paroles s'affiche ici avec un
cynisme qui révolte; mais les contemporains de la Rochefoucauld, qui ne
lisaient pas au fond de son cœur, se laissaient prendre à ses belles
paroles, à ses semblants d'affection et de dévouement. Telle fut sans
doute la cause de l'illusion de Fouquet dans ses relations avec le duc.

Quant au prince de Marsillac, fils de la Rochefoucauld, il présentait
avec son père le contraste le plus complet. Il avait l'esprit aussi
fermé et aussi terne que le duc l'avait ouvert et brillant, et ce fut,
si l'on en croit Saint-Simon[522], la cause principale de sa faveur
auprès de Louis XIV. Le roi était fatigué des beaux-esprits dont sa cour
était remplie. Il préféra Marsillac, qui, bien loin de l'importuner par
son éclat comme les Candale, les Guiche, les Vardes, subissait son
ascendant avec toute la docilité et la bassesse d'un courtisan. Il fut
bientôt de toutes les parties du roi. Le surintendant ne pouvait pas
plus compter sur Marsillac que sur son père, et Gourville avait raison
de lui dire, lorsqu'il lui montra son projet, que, parmi les personnes
qu'il citait comme ses amis, plusieurs ne seraient fidèles qu'à sa
fortune.

Tels ne furent pas les Arnauld, que Fouquet énumère aussi parmi ses
amis les plus dévoués. Il cite particulièrement Arnauld d'Andilly, qui,
depuis plusieurs années, s'était retiré à Port-Royal des Champs. Ce
personnage, longtemps mêlé aux affaires politiques, semblait y avoir
renoncé complétement pour la vie solitaire. Cependant, malgré sa piété,
il conserva toujours quelques relations dans le monde et à la cour; il
aimait à obliger ses amis, et il est probable qu'il en recommanda
quelques-uns au surintendant, et qu'il le remercia de ses services par
des protestations de dévouement. Ce qui est certain, c'est que le
solitaire de Port-Royal et sa famille restèrent fidèles à Fouquet après
sa disgrâce. C'est à Simon Arnauld de Pomponne, fils d'Arnauld
d'Andilly, que sont adressées les lettres si touchantes de madame de
Sévigné sur le procès de Fouquet. Le jeune Arnauld avait même été exilé
à l'époque de l'arrestation du surintendant. Ce qui fait supposer que
des relations intimes existaient entre lui et Fouquet. Plus tard,
lorsque Olivier d'Ormesson eut contribué, par son rapport, à sauver la
vie du surintendant, Arnauld d'Andilly lui en exprima sa joie et sa
reconnaissance avec effusion. Ce vieillard de quatre-vingts ans avait
conservé toute la vivacité de cœur de la jeunesse. Madame de Sévigné lui
présenta, à Livry, le rapporteur du procès de Fouquet. «Il me fit mille
embrassades, dit Olivier d'Ormesson dans son _Journal_, avec des
témoignages d'estime et d'amitié les plus obligeants du monde; il se
porte bien et agit avec un feu admirable.»

Parmi les membres du parlement sur lesquels Fouquet croyait pouvoir
compter, on trouve MM. de Harlay, Maupeou, Miron et Chanut. Le premier,
qui lui succéda comme procureur général du parlement, portait un nom
illustre dans la magistrature; il en était digne par l'étendue, les
lumières et la sagacité de son esprit; mais, à en croire le témoignage
suspect de Saint-Simon[523], il aurait déshonoré son nom par la bassesse
de son caractère: «Issu de grands magistrats, Harlay en eut toute la
gravité, qu'il outra en cynique; il en affecta le désintéressement et la
modestie, qu'il déshonora, l'une, par sa conduite, l'autre, par un
orgueil raffiné mais extrême, qui, malgré lui, sautait aux veux. Il se
piqua surtout de probité et de justice, dont le masque tomba bientôt.
Entre Pierre et Jacques, il conservait la plus exacte droiture; mais,
dès qu'il apercevait un intérêt ou une faveur à ménager, tout aussitôt
il était vendu.» Si l'on s'en rapportait à Saint-Simon[524], Fouquet
aurait été encore moins heureux dans le choix de ses amis au parlement
qu'en fait de grands seigneurs et de courtisans.

Les marins lui furent plus dévoués. Comme la Bretagne, sur laquelle le
surintendant fondait ses principales espérances, est surtout accessible
par mer, il avait eu soin de s'assurer des flottes et des amiraux. Il
cite surtout, dans son projet, l'amiral de Neuchèse: «Il est bon,
dit-il, que mes amis soient avertis que M. le commandeur de Neuchèse me
doit le rétablissement de sa fortune; que sa charge de vice-amiral a été
payée des deniers que je lui ai donnés par la main de madame du Plessis,
et que jamais un homme n'a donné des paroles plus formelles que lui
d'être dans mes intérêts en tout temps, sans distinction et sans
réserve, envers et contre tous. Il est important que quelqu'un d'entre
eux lui parle et voie la situation de son esprit, non pas qu'il fût à
propos qu'il se déclarât immédiatement pour moi; car, de ce moment, il
serait tout à fait incapable de me servir. Mais, comme les principaux
établissements sur lesquels je me fonde sont maritimes, il est bien
assuré que, le commandement des vaisseaux tombant en ses mains, il
pourrait nous servir bien utilement en ne faisant rien, et, lorsqu'il
serait en mer, trouvant des difficultés qui ne manquent jamais quand on
veut.»

Fouquet avait aussi gagné un marin expérimenté, nommé Guinan[525], homme
de conseil, d'entreprise et d'exécution, disent les pièces du procès. Il
comptait sur lui pour mettre Concarnau et le Havre en état de défense:
«Il faudrait que M. Guinan, lequel a beaucoup connaissance de la mer et
auquel je me fie, contribuât à munir toutes nos places de choses
nécessaires et d'hommes qui seraient levés par les ordres de Gourville
ou des gens ci-dessus nommés. C'est pourquoi il serait important qu'il
fût averti en diligence de se mettre en bon état et de se rendre à
Concarnau ou au Havre; ce dernier serait le meilleur.»

Fouquet connaissait la puissance de l'argent et n'avait pas négligé d'en
amasser pour être en état d'équiper des vaisseaux et de s'assurer des
défenseurs. Il savait aussi quel parti on pouvait tirer des parlements,
du clergé et des nations étrangères. Il avait songé à tous ces moyens
d'agitation, de résistance et de guerre. Son frère, Louis Fouquet, nommé
depuis peu de temps à l'évêché d'Agde, avait été pendant longtemps
conseiller au parlement de Paris; il y avait des amis. Le surintendant
lui recommandait de les faire agir à l'occasion des levées d'impôts, et
de susciter au ministre des embarras qui le rendraient plus timide et
plus disposé à traiter. Le clergé, où les jansénistes et les partisans
du cardinal de Retz étaient nombreux, formait, comme les parlements, un
corps puissant et peu docile. Deux des frères de Fouquet y occupaient de
hautes fonctions, François, comme coadjuteur de Narbonne, Louis, comme
évêque d'Agde. Leur mission devait être d'exciter le clergé à s'unir à
la noblesse pour demander les états généraux, ou, s'ils ne le pouvaient,
de convoquer des conciles nationaux en des lieux éloignés des garnisons,
«et là, ajoute Fouquet, on pourrait proposer mille matières délicates.»
Enfin les troubles des derniers temps n'avaient que trop montré quelles
forces les factieux pouvaient tirer de l'étranger. Bordeaux avait reçu
une garnison espagnole, et plus d'une fois les princes avaient appelé en
France le duc de Lorraine. Fouquet n'oubliait pas de parler «des secours
qu'on pouvait tirer des autres royaumes et États,» et désignait la
personne qui devait se charger de négocier avec eux.

Telle était la première partie du plan. Fouquet n'y prévoyait que le cas
où il serait arrêté; mais, si l'on allait plus loin et qu'on voulût lui
faire son procès, des mesures plus énergiques devaient être adoptées;
les gouverneurs s'empareraient des deniers publics et lanceraient leurs
garnisons sur les routes pour intercepter les communications entre le
pouvoir central et les provinces. Le capitaine Guinan armerait en
brûlots et corsaires tous les navires qu'il pourrait saisir sur la Seine
entre le Havre et Rouen. Les amis de Fouquet feraient les plus grands
efforts pour s'emparer de quelque personnage considérable, tel que le
secrétaire d'État le Tellier, qui servirait d'otage pour le
surintendant. En même temps, ils se concerteraient pour enlever le
rapporteur du procès et tous les papiers. Quant aux meubles et
argenterie du surintendant, on aurait eu soin, dès l'origine, de les
mettre en sûreté dans des maisons religieuses. La guerre des pamphlets,
qui avait été si redoutable entre les mains des frondeurs, ne devait pas
être négligée. Fouquet désignait Pellisson comme une des plumes les plus
habiles et les plus sûres de son parti. Enfin, il comptait que le
parlement de Paris, dirigé par un premier président qui lui devait sa
charge[526], ne souffrirait pas qu'un de ses principaux officiers, son
procureur général, fût livré à une commission judiciaire, en violation
des privilèges de ce corps. Il y avait, dans cette dernière partie du
projet, un véritable plan de guerre civile. L'armement des corsaires, la
saisie des recettes, les hostilités des garnisons, pouvaient être
hautement qualifiés d'attentats à la sûreté publique et de crimes de
lèse-majesté.

Fouquet n'a jamais nié la réalité de ce projet. Il dit d'abord, dans ses
_Défenses_, qu'il n'avait voulu que se mettre à l'abri du mauvais
vouloir de Mazarin sans conspirer contre le roi. «Il pourrait y avoir,
dit-il[527], des personnes qui soutiendraient que, le nom du roi n'étant
point en tout ce discours, s'agissant seulement de repousser la violence
et se garantir d'une oppression dernière faite par un homme, qui n'était
point le maître légitime, contre un sujet du roi qui l'avait servi et
servait encore avec honneur et courage, hasardant tout pour la gloire de
son souverain et le bien de son État, on aurait pu très-légitimement
employer toutes voies pour empêcher cette injustice, et d'autant plus à
mon égard qu'il est notoire qu'on ne me la voulait faire que par la
jalousie de M. le cardinal, qui, abusant de son crédit et de l'amitié du
roi, ne rendait jamais de témoignage à la vérité, dissimulant les
services des particuliers, s'appropriant l'honneur de tous les bons
événements où il avait le moins contribué, se déchargeant de ses propres
fautes, et ôtant à tout le monde l'accès auprès de Sa Majesté, pour
empêcher que la vérité ne lui fût connue.

«Ledit sieur cardinal était gouverné lui-même par Colbert, son
domestique, lequel, sous prétexte d'amasser des trésors à son maître,
s'était emparé de son cœur et de son esprit, et le portait à me détruire
pour profiter de mon emploi, lui inspirant une avarice insatiable et
m'accablant avec une insupportable dureté de demandes continuelles,
auxquelles je ne pouvais subvenir, le tout pour flatter son maître et
pour me faire succomber, sans considérer le besoin de l'État et la ruine
des peuples, et sans se pouvoir satisfaire de quarante ou cinquante
millions, dont M. le cardinal et les siens se sont trouvés enrichis,
sans aucune dette, depuis le mois de février 1653, que j'entrai dans les
affaires.

«On pourrait, dis-je, soutenir que, ne faisant rien contre le roi, ne
cherchant aucun secours chez les ennemis de l'État, où il était facile
d'en trouver en 1657 et 1658, lorsque ce papier a été écrit, ce ne
serait pas un crime d'avoir exécuté la plus grande partie du contenu en
ce projet et d'avoir garanti sa vie, en faisant peur audit sieur
cardinal par ce moyen, puisque toute voie de se sauver d'une pareille
injustice est naturelle et doit en quelque façon recevoir excuse.»

Fouquet ne présente cette explication que sous forme de doute: _On
pourrait dire_. Pour lui, il s'attache surtout (et ce fut le parti
qu'adoptèrent ses amis) à soutenir qu'il n'a jamais sérieusement songé à
l'exécution de ce projet; qu'il avait jeté quelques pensées sur le
papier dans un moment d'inquiétude et d'irritation, mais sans y attacher
d'importance. Ce papier, abandonné dans un coin de sa maison de
Saint-Mandé, ne pouvait devenir, selon le surintendant et ses amis, un
chef sérieux d'accusation. Nous reviendrons plus tard sur ces
allégations de Fouquet. Ce qu'il importe de constater en ce moment,
c'est que le projet était bien authentique, et que, pendant plusieurs
années, le surintendant ne cessa de se préparer à la résistance et de
prodiguer l'argent pour étendre ses domaines et se concilier de nouveaux
partisans. Il avait eu soin, en fournissant à Bussy-Rabutin une partie
de l'argent nécessaire pour acheter la charge de mestre de camp général
de la cavalerie, de stipuler qu'il pourrait, au bout de trois ans,
racheter cette charge au même prix. Il la destinait à un de ses
gendres[527a]. Il voulait même acquérir la charge de secrétaire d'État
des affaires étrangères, et fit offrir deux millions quatre cent mille
livres à Henri-Louis de Loménie, comte de Brienne, qui en avait la
survivance[527b]. La négociation échoua, mais les acquisitions de
domaines sous des noms supposés continuèrent et ne servirent qu'à
augmenter la jalousie contre le surintendant.

A la même époque, Fouquet faisait exécuter des travaux considérables à
son château de Vaux-le-Vicomte, près de Melun, et, comme on commençait à
se plaindre des sommes énormes qu'il y prodiguait, il recommandait à ses
agents d'user de prudence. Le 8 février 1657, il écrivait à Courtois,
qui avait l'intendance de Vaux: «Un gentilhomme du voisinage, qui
s'appelle Villevessin[527c], a dit à la reine qu'il a été ces jours-ci à
Vaux, et qu'il a compté à l'atelier neuf cents hommes. Il faudrait, pour
empêcher cela autant qu'il se pourra, exécuter le dessein qu'on avait
fait de mettre des portières et de tenir les portes fermées. Je serais
bien aise que vous avanciez tous les ouvrages le plus que vous pourrez
avant la saison où tout le monde va à la campagne, et qu'il y ait en vue
le moins de gens qu'il se pourra ensemble[527d].» D'autres billets
relatifs aux travaux exécutés à Vaux et à Saint-Mandé prouvent que
Fouquet cherchait à dissimuler les immenses dépenses qu'il faisait dans
ses domaines. Elles auraient trop manifestement révélé ses
dilapidations. Mais en même temps la vanité le portait à étaler son luxe
aux yeux de la cour. En novembre 1657, il reçut à Saint-Mandé le roi et
le cardinal Mazarin. La _Gazette_ de Loret, du 17 novembre, parle de la
visite faite à Fouquet par ces hôtes illustres:

    Notre roi, dimanche au matin,
    Jour et fête de Saint-Martin,
    Étant suivi de l'Éminence
    Et d'autres gens de conséquence,
    Ayant ouï messe et prié Dieu.
    Fut voir cet agréable lieu,
    Qui Saint-Mandé, sans faute nulle,
    Se qualifie et s'intitule,
    Où le Seigneur de la maison[528],
    Dont, avec justice et raison,
    On fait cas, par toute la France,
    Bien moins pour sa surintendance,
    Ni pour sa charge au parlement,
    Que pour son grand entendement,
    Où, dis-je, cet homme notable,
    Cet homme toujours honorable,
    Reçut admirablement bien
    Ce roi très-sage et très-chrétien,
    Qui très-content témoigna d'être,
    Tant de ce logis que du maître.

Vainement quelques amis tentèrent par leurs conseils d'arrêter Fouquet
dans la route dangereuse où il s'égarait. La flatterie étouffait leur
voix. Le surintendant y était tellement sensible, qu'il s'en laissait
enivrer. C'est ce que déclare formellement Gourville[529]: «M. Fouquet
aimait fort les louanges et n'y était pas même délicat. Un jour, partant
de Vaux pour aller à Fontainebleau, et m'ayant fait mettre dans son
carrosse avec madame du Plessis-Bellière, M. le comte de Brancas et M.
de Grave, ses plus grands louangeurs, il leur contait comment il s'était
tiré d'affaire avec M. le cardinal sur un petit démêlé qu'il avait eu
avec lui, dont il était fort applaudi, et je me souviens que,
précisément en montant la montagne dans la forêt, je lui dis qu'il était
à craindre que la facilité qu'il trouvait à réparer les fautes qu'il
pouvait faire ne lui donnât lieu d'en hasarder de nouvelles, ce qui
pourrait peut-être un jour lui attirer quelque disgrâce avec M. le
cardinal. Je m'aperçus que cela causa un petit moment de silence, et que
madame du Plessis changea de propos; ce qui fit peut-être que personne
ne répondit rien à ce que je venais de dire.»



CHAPITRE XXI

--1658--

Rupture entre le surintendant et son frère l'abbé Fouquet.--Ce
dernier cherche à inspirer au surintendant des soupçons contre
Gourville.--Conduite insolente de l'abbé Fouquet, qui s'attire le
blâme de Mazarin.--Relations de l'abbé Fouquet avec mademoiselle de
Montpensier; elle le traite dédaigneusement.--L'abbé Fouquet
s'attache à madame d'Olonne.--Sa conduite perfide à l'égard du
prince de Marsillac.--Mazarin s'éloigne de l'abbé Fouquet et se fie
de plus en plus à Colbert.--Maladie de Nicolas Fouquet, juin
1658.--Le surintendant achète Belle-Île et en veut faire sa
forteresse dans le cas où il serait attaqué.--Fortifications de
Belle-Île.--Engagement de Deslandes envers Nicolas Fouquet.--Ce
dernier s'empare des gouvernements de Guérande, du Croisic et du
Mont-Saint-Michel sous le nom de la marquise d'Asserac.--Nicolas
Fouquet continue de s'occuper, jusqu'en 1661, de son plan de
résistance: ses relations avec l'amiral de Neuchèse.--Il achète,
pour le marquis de Créqui, la charge de général des
galères.--Possessions du surintendant Fouquet en Amérique.


A l'époque où le surintendant écrivit la première rédaction de son
projet de résistance, il était parfaitement d'accord avec son frère
l'abbé Fouquet. La place de Ham, qui dépendait de ce dernier, était
citée comme la forteresse du parti. Mais, dans les premiers mois de
1658, les deux frères, qui suivaient chacun avec impétuosité les
entraînements de leurs passions, commencèrent à se diviser. L'abbé
Fouquet s'efforça d'enlever au surintendant un de ses serviteurs les
plus habiles et les plus dévoués, Gourville, qui, après avoir passé de
la maison de la Rochefoucauld dans celle de Condé, s'était enfin attaché
à Nicolas Fouquet. L'abbé machina toute une histoire[530], et, pour
qu'elle obtînt plus de créance, il la fit transmettre au surintendant
comme une révélation de confesseur, consentie par le pénitent. Il fit
choix, dans ce but, d'un jésuite qu'il crut être bien aise de faire sa
cour, et lui envoya un des émissaires dont il disposait sous prétexte de
se confesser à lui. A la fin de sa confession, le prétendu pénitent pria
le jésuite de vouloir bien l'éclairer sur un cas de conscience. Il lui
dit que, étant venu un jour pour parler à Gourville et étant entré dans
sa chambre comme il venait d'en sortir, il eut peur, l'ayant entendu
revenir, d'être surpris, et s'était caché derrière un rideau. Gourville
était alors entré avec un autre homme qui lui demanda un entretien
secret. Les portes fermées, cet homme dit qu'une grande cabale s'était
formée contre le surintendant et proposa à Gourville d'y entrer.
L'entretien continua, mais à voix basse, de telle sorte que l'individu
caché derrière le rideau n'en put saisir que quelques mots sans suite.

Le jésuite déclara au prétendu pénitent qu'il le croyait obligé, en
conscience, d'avertir le surintendant du danger qu'il courait, et se
chargea, à sa prière, de prévenir lui-même Fouquet, et, si la chose
était nécessaire, de lui faire connaître l'auteur de cette révélation.
Ce dernier laissa l'indication de sa demeure, pour qu'on pût le
retrouver au besoin. Le surintendant, averti par le confesseur et
inquiet comme tous les ambitieux, fit venir le pénitent et l'interrogea.
L'émissaire de l'abbé répéta, avec une apparence de bonne foi et de
naïveté, la leçon qui lui avait été dictée. Fouquet lui demanda s'il
pourrait reconnaître la personne qui avait fait ces confidences à
Gourville. Le pénitent répondit qu'il l'avait vue à peine; mais que
cependant il pourrait la reconnaître si elle se présentait à lui. Le
surintendant fit aussitôt appeler Vatel, son maître d'hôtel, dans lequel
il avait une pleine confiance, et lui ordonna de conduire cet homme au
Louvre, afin qu'il vît tous ceux qui entreraient et tâchât de
reconnaître le confident de Gourville.

Pendant trois jours consécutifs, Vatel conduisit notre homme au Louvre.
Ce fut seulement le troisième jour que, ayant aperçu le duc de la
Rochefoucauld, qui s'appuyait sur un bâton, le pénitent déclara que
c'était la personne qu'il avait vue chez Gourville; qu'il se souvenait
que, pendant l'entretien, il avait laissé tomber son bâton, et que
Gourville l'avait ramassé. Le personnage était bien choisi. Ancien
maître de Gourville, la Rochefoucauld avait conservé sur lui de
l'ascendant. Aussi la fable, quoique assez grossière, ne laissa pas de
produire de l'effet. Gourville remarqua une certaine froideur chez le
surintendant, et ce ne fut que longtemps après qu'il en connut la cause
par une conversation où Vatel lui raconta tous ces détails.

L'abbé Fouquet chercha encore à priver le surintendant du crédit sans
lequel il n'aurait pu trouver de l'argent et satisfaire aux exigences
souvent tyranniques de Mazarin. Il gagna Delorme, qui avait déjà trahi
Servien[530a], et, comme ce commis avait des relations avec les
principaux financiers, l'abbé se persuada que, par sa connivence, il
enlèverait à son frère des ressources sans lesquelles le gouvernement
devenait impossible. Mais son plan fut découvert, et Gourville parvint à
le déjouer[530b]. Il conseilla au surintendant de s'adresser à Hervart,
qui, après avoir amassé une fortune énorme, était devenu contrôleur
général des finances. Hervart consentit à faire au surintendant des
avances considérables, et d'autres banquiers suivirent son exemple.
Lorsque le surintendant se fut ainsi assuré des ressources suffisantes,
il fit connaître aux financiers habitués à traiter avec Delorme qu'ils
eussent à s'adresser désormais à Gourville, s'ils voulaient continuer un
trafic qui les enrichissait. Delorme fut aussitôt abandonné par les
traitants et chassé par Fouquet.

Une autre intrigue de l'abbé ne réussit pas mieux. Bussy-Rabutin avait
acheté, comme nous l'avons vu plus haut, la charge de mestre de camp
général avec l'argent que lui avait prêté le surintendant, à condition
qu'il la lui revendrait dans trois ans au prix convenu; mais Bussy
prétendit que le surintendant ne lui avait pas payé ses appointements et
ne lui faisait pas obtenir la compensation qu'il lui avait promise.
L'abbé Fouquet, instruit de ces démêlés entre Bussy et le surintendant,
excita le premier à porter plainte au cardinal; mais l'affaire n'eut
pas de suites[531]. Ainsi toutes les tentatives de l'abbé pour renverser
son frère tournèrent à sa honte. Cependant il conserva encore pendant
quelque temps du crédit auprès de Mazarin; mais, à la longue, sa
conduite compromit le cardinal, qui, sans le disgracier entièrement, lui
relira sa confiance et toute influence dans le gouvernement.

L'abbé Fouquet s'était lié avec un des seigneurs les plus brillants et
les plus corrompus de cette époque, François-René du Bec, marquis de
Vardes. Ce courtisan recherchait en mariage mademoiselle de Nicolaï à
cause de sa grande fortune, et prétendait l'emporter de haute lutte. Les
Nicolaï, alliés aux principales familles de la robe, se montrèrent peu
favorables à Vardes. Les Molé-Champlâtreux les soutinrent, et, comme on
redoutait les audacieuses entreprises de Vardes, on mena mademoiselle de
Nicolaï chez le président de Champlâtreux, dont l'hôtel paraissait un
asile inviolable. Vardes, irrité, s'en plaignit à l'abbé Fouquet, qui
disposait encore de la puissance occulte de la police. L'abbé se
concerta avec un autre seigneur, aussi brillant et aussi présomptueux
que Vardes, le duc de Candale, fils du duc d'Épernon. Candale était
colonel des gardes françaises. Il leur fit prendre les armes. Les gardes
partirent de leur quartier, tambour battant, et vinrent entourer l'hôtel
du président de Champlâtreux, qui était situé sur la place Royale.
C'était à cette époque le quartier le plus brillant et le plus fréquenté
de Paris; on peut juger du bruit que fit ce mouvement de troupes. La
magistrature tout entière prit parti pour le président de Champlâtreux.
Le cardinal, averti, s'empressa d'envoyer l'ordre de ramener les troupes
dans leur quartier, et adressa de sévères reproches à l'abbé Fouquet. Ce
fut un cri général contre les insolences de cet abbé, qui aurait mérité
d'être plus rudement châtié[532].

Il ne tarda pas à recevoir une nouvelle leçon de mademoiselle de
Montpensier, qui revint à la cour en 1657. Elle connaissait à peine
l'abbé Fouquet, quoique depuis longtemps il l'eût entourée de ses
espions. Dès 1655, il surveillait ses démarches[533]. Parmi les femmes
qui avaient suivi Mademoiselle dans son exil de Saint-Fargeau,
quelques-unes entretenaient des relations avec l'abbé. De ce nombre
était madame de Fiesque[534]. Lorsque la princesse se fut réconciliée
avec Mazarin et eut permission de revenir à la cour, l'abbé Fouquet fut
le seul des confidents du cardinal qui ne vînt pas la visiter. Il se
permit même de critiquer la conduite de mademoiselle de Montpensier à
l'égard de la comtesse de Fiesque. Dans la suite, il envoya à la
princesse l'évêque d'Amiens et le duc de Bournonville pour s'excuser,
alléguant qu'on avait voulu lui rendre de mauvais offices[535], et qu'il
n'avait pas tenu les propos qu'on lui prêtait. Mademoiselle répondit
avec hauteur et dédain, déclarant qu'elle ne savait ce qu'on voulait lui
dire. «Si l'abbé Fouquet, ajouta-t-elle, m'a manqué de respect, je suis
bien fâchée que tout le monde le sache et que je l'ignore; mais, comme
on me connaît assez fière et assez prompte, on aura voulu me cacher ce
qu'il a fait, sachant que je ne suis pas personne à le souffrir. Tout ce
que j'ai à vous dire, c'est que je ne me soucie pas de voir l'abbé
Fouquet. S'il a manqué au respect qu'il me doit, directement ou
indirectement, M. le cardinal m'en fera raison[536].»

Comme on le voit, la princesse le prenait de haut avec cet abbé Fouquet
qu'elle connaissait à peine de nom, et qui prétendait lutter contre une
personne de son rang. Vainement les ambassadeurs envoyés par l'abbé
voulurent faire comprendre à mademoiselle de Montpensier que Basile
Fouquet était un personnage considérable[537], qui pouvait rendre de
grands services à ses amis; elle leur répondit avec sa hauteur
ordinaire: «Je suis d'une qualité à ne pas chercher les ministres
subalternes. J'irai toujours droit à M. le cardinal, et ne me soucie
guère de votre abbé Fouquet. J'ai fort méchante opinion d'un ministre,
ou d'un homme qui veut passer pour tel, et qui fait sa capitale amie de
la comtesse de Fiesque.»

Cependant Mademoiselle consentit à recevoir l'abbé Fouquet[538],
présenté par l'évêque de Coutances et le duc de la Rochefoucauld. Il
s'excusa, en rejetant sur ses ennemis les bruits qu'on avait répandus,
et prétendit qu'on lui imputait des idées et des paroles auxquelles il
n'avait jamais songé. La princesse reçut sa justification avec dédain,
et elle ne manqua pas de s'en vanter devant la petite cour qui
l'entourait: «L'abbé Fouquet, disait-elle ironiquement, est un grand
seigneur pour menacer les gens d'insulte! il n'y a personne qui en
mérite tant que lui[539].»

Malgré ces leçons réitérées, l'abbé Fouquet n'en continua pas moins de
rivaliser avec les plus grands seigneurs. Repoussé par la duchesse de
Châtillon, il s'attacha à madame d'Olonne, qui était alors une des
beautés les plus renommées et les plus compromises de la cour. Fille
aînée du baron de la Loupe, longtemps célèbre pour sa vertu comme pour
sa beauté, comptée au nombre des précieuses, et des habituées de l'hôtel
de Rambouillet, Henriette-Catherine d'Angennes ne résista pas à
l'influence d'une cour corrompue, et ce fut une des personnes qui
gardèrent le moins de retenue dans le vice et l'emportement des
passions. Le duc de Candale, le marquis de Sillery, de la famille des
Brulart de Puysieux, le comte de Guiche, fils du maréchal de Gramont, le
prince de Marsillac, fils du duc de la Rochefoucauld, se disputaient
l'amour de madame d'Olonne. C'étaient, avec Vardes, les jeunes seigneurs
les plus renommés, vers 1658, pour leur éclat et leurs galanteries.
L'abbé Fouquet, ne pouvant lutter avec eux, s'efforça de les diviser. Sa
nature, jalouse et envieuse, tournait de plus en plus à l'aigreur et à
la bassesse. Blessé par le prince de Marsillac, il chercha à s'en
venger en se faisant livrer les lettres qu'il avait écrites à madame
d'Olonne[540]. Lorsqu'il les eut entre les mains, il voulut s'en servir
pour rompre le mariage projeté entre Marsillac et sa cousine,
mademoiselle de Liancourt, que l'on élevait dans la pieuse retraite de
Port-Royal. Ce mariage, sur lequel la maison de la Rochefoucauld
comptait pour relever sa fortune, dépendait surtout du vieux duc de
Liancourt. L'abbé eut soin de lui faire parvenir les lettres de
Marsillac à madame d'Olonne; mais, bien loin de s'en indigner, le duc de
Liancourt répondit que l'on ne rompait pas un mariage pour quelques
galanteries. «Pour moi, qui ai été galant, ajouta-t-il[541], j'en estime
davantage Marsillac de l'être, et je suis bien aise de voir qu'il écrit
aussi bien que cela. Je doutais qu'il eût autant d'esprit, et je vous
assure que cette affaire avancera la sienne.» En effet, le mariage se
fit quelque temps après[542].

L'abbé Fouquet ne continua pas moins de poursuivre de sa haine le prince
de Marsillac. Il montra au cardinal Mazarin quelques lettres de ce
courtisan, où il manquait de respect au roi et à la reine mère.
Apprenant que Marsillac disait partout que, sans la considération qu'il
avait pour le procureur général, il ferait donner des coups de bâton à
son frère[543], l'abbé chercha à armer contre lui quelques-uns des
spadassins qu'il entretenait à ses gages. Il choisit un des officiers
des gardes de Mazarin, nommé Biscara, et le chargea de faire une insulte
publique au prince de Marsillac. Biscara affecta de ne pas saluer le
prince au cours de la Reine, qui était alors la promenade la plus
fréquentée. Il le rencontra quelques jours après au Louvre et passa
encore sans le saluer. Cette affectation fut remarquée, et Marsillac,
s'adressant à Biscara, lui demanda pourquoi il en usait ainsi. «Parce
que cela me plaît,» fut la seule réponse qu'il obtint du spadassin.
Marsillac s'emporta, lui dit que, s'il était dans un autre lieu, il lui
apprendrait le respect qu'il lui devait, et ajouta force menaces. Cette
scène fit craindre un plus grand scandale, et on mit à la Bastille
Marsillac et Biscara, le premier, sous la surveillance d'un exempt ou
officier des gardes, et l'autre d'un simple garde, pour marquer la
différence de rang[544]. La conduite de l'abbé Fouquet, qui avait excité
cette querelle, fut universellement blâmée; le cardinal Mazarin comprit
de plus en plus que l'abbé Fouquet, après avoir été un serviteur dévoué
et utile dans les époques de troubles et d'agitation, devenait un
courtisan dangereux et compromettant dans les temps de calme et de
régularité, et il lui enleva peu à peu la direction des affaires de
police, dont il lui avait laissé jusqu'alors le maniement.

Ce fut Colbert qui devint en tout et pour tout l'homme de confiance de
Mazarin. Le cardinal avait éprouvé sa fidélité et son dévouement dans
l'administration de son immense fortune; il l'employa pour les affaires
publiques avec le même succès. Colbert était en tout l'opposé de
Fouquet. Froid, impassible, _vir marmoreus_, comme l'appelle Gui-Patin,
il savait dominer ses passions; travailleur infatigable, dur à lui-même
et aux autres, il ne poursuivait qu'un but et y appliquait toutes les
forces de son esprit. Mazarin avait su reconnaître les qualités de son
intendant. Ce fut lui qu'il employa pour toutes les affaires délicates,
comme le prouve sa correspondance pendant les dernières années de sa
vie. Il le chargeait de surveiller les partisans du cardinal de Retz,
les pamphlétaires, tous ceux en un mot qui cherchaient à ranimer la
Fronde. C'était jadis la mission de l'abbé Fouquet, que Colbert avait
complétement remplacé dans la confiance intime du cardinal.

Dès le 16 mai 1657, Colbert rendait compte à Mazarin de ses conférences
avec le chancelier sur l'assemblée du clergé et sur l'agitation
janséniste. «M. le chancelier m'a dit que les jansénistes avaient
échauffé beaucoup d'esprits dans le parlement contre la dernière bulle
du pape et les lettres d'adresse qui y devaient être portées; qu'il ne
croyait pas que l'enregistrement en pût passer à présent; mais, quand on
serait assuré qu'il dût passer, qu'il n'était point d'avis de le
hasarder, de crainte que, dans une assemblée des chambres, les amis du
cardinal de Retz ne profitassent de cette occasion pour brouiller.»
Mazarin, toujours inquiet des menées des Frondeurs, recommandait à
Colbert de veiller sur les pamphlétaires que Retz avait à ses ordres:
«Je vous prie de dire à toutes les personnes qu'il faudra faire la
guerre aux imprimeurs et tâcher de punir quelqu'un des faiseurs de
libelles; car autrement cette escarmouche durera longtemps, et il n'y a
rien qui débauche tant les esprits que ces écrits factieux. On m'assure
que le dessein du cardinal de Retz, de ses adhérents, et
particulièrement des jansénistes, est d'en jeter toutes les semaines, et
qu'ils ont résolu de les envoyer toutes les semaines par les ordinaires
(les courriers) à Paris. Il faut faire une exacte diligence pour se
saisir de ces libelles, quand ils viendront, étant aisé de connaître les
paquets qui en seront chargés. Il faut s'appliquer à cela et n'épargner
rien pour découvrir et châtier les écrivains, les imprimeurs et ceux qui
délivrent les pièces. Parlez-en à MM. le chancelier et le procureur
général, en sorte qu'ils reconnaissent qu'il y faut travailler de la
bonne manière.» Ces citations suffisent pour prouver que le rôle de
l'abbé Fouquet était maintenant rempli par Colbert, qui y déployait le
même zèle et la même vigilance avec plus de conscience et d'honnêteté.

Quant au surintendant son frère, qui avait rompu avec l'abbé aussi bien
que Mazarin, une maladie dangereuse l'avait tenu pendant quelque temps
éloigné des affaires. La _Gazette_ de Loret, à la date du 29 juin, parle
de son rétablissement en même temps qu'elle signale le danger qu'il
avait couru:

    .....Monsieur Fouquet,
    Ce grand ornement du parquet,
    Dont la personne tant prisée,
    Pour être lors indisposée,
    D'un dangereux mal de côté,
    Était presque à l'extrémité;
    Mais, comme cet homme notable
    Est bienfaisant et charitable,
    On a tant prié Dieu pour lui,
    Qu'il se porte mieux aujourd'hui.

Après sa guérison, le surintendant songea à remplacer la forteresse de
Ham, qui dépendait de son frère, par une place qui lui appartiendrait et
qui pourrait lui servir d'asile. Il obtint du cardinal la permission
d'acheter Belle-Île, sur les côtes de Bretagne. Mazarin avait vu avec
inquiétude cet ancien domaine de la maison de Retz occupé quelque temps
par Paul de Gondi après sa fuite du château de Nantes. Il aimait mieux
qu'il fût entre les mains de Nicolas Fouquet, dont il connaissait et
partageait les dilapidations, mais dont la fidélité ne lui était pas
encore suspecte. En conséquence, il n'hésita pas à autoriser le
surintendant à acheter, en 1658, l'île et forteresse de Belle-Île[544a].
Il lui fit expédier, le 20 août 1658, un brevet qui portait que la terre
et marquisat de Belle-Île, étant dans une situation forte et
indépendante, il importait que cette place ne tombât pas au pouvoir de
personnes suspectes. Par ce motif, le roi, qui avait pleine confiance
dans la fidélité de Nicolas Fouquet, lui permettait d'acheter Belle-Île,
et même l'y engageait. Toutefois, comme il importait de ne pas divulguer
les dépenses du surintendant, la vente se fit sous un nom supposé. Le
contrat, qui est du 5 septembre 1658, porte que le sieur Floriot,
secrétaire du roi, devient acquéreur de Belle-Île, moyennant une somme
de treize cent mille livres, dont quatre cent mille seront payées
comptant, et le reste à divers créanciers indiqués par l'acte[545].

Une fois en possession de Belle-Île, Nicolas Fouquet se fit délivrer une
déclaration par le sieur de Montatelon, commandant de la garnison de
cette place, qui s'engageait à ne la remettre qu'entre les mains de
madame du Plessis-Bellière et de M. de Créqui, son gendre[546]. C'est
alors que le surintendant modifia son projet de résistance, substitua
Belle-Île à Ham et au Havre, et effaça partout le nom de son frère. Mais
il n'en continua que plus activement de préparer ses moyens de défense
en fortifiant Belle-Île et en s'emparant de toute la puissance navale de
la France. Ce fut à Belle-Île qu'il recommanda à ses amis de se
rassembler; ce fut là que le capitaine Guinan dut réunir une petite
flotte, armer des corsaires et des brûlots. La Bretagne, où Fouquet
avait déjà Concarnau, Guingamp et le duché de Ponthièvre, allait devenir
son fief et presque son royaume. Il lui importait d'en défendre les
abords. Aussi le voyons-nous, pendant les années 1658, 1659 et 1660,
s'emparer des gouvernements du Mont-Saint-Michel, du Croisic et de
Guérande, exiger de nouveaux engagements des gouverneurs et se préparer
à une lutte sérieuse en cas d'attaque.

Ce fut en 1658 que Deslandes, gouverneur de Concarnau, un des hommes sur
lesquels Fouquet comptait le plus, lui remit un engagement par écrit
conçu en ces termes: «Je promets et donne ma foi à M. le procureur
général, surintendant des finances de France et ministre d'État, de
n'être jamais à autre personne qu'à lui, auquel je me donne et m'attache
du dernier attachement que je puis avoir, et lui promets de le servir
généralement contre toutes sortes de personnes sans exception, et de
n'obéir à personne qu'à lui, et même de n'avoir aucun commerce avec ceux
qu'il me défendra, et de lui rendre la place de Concarnau qu'il m'a
confiée, toutes les fois qu'il me l'ordonnera, ou à telle autre personne
qu'il lui plaira, de quelque qualité et condition qu'il puisse être,
sans excepter dans le monde un seul. Pour assurance de quoi, je donne
avec ma foi le présent billet écrit et signé de ma main, de ma propre
volonté, sans qu'il l'ail même désiré, ayant la bonté de se fier à ma
parole qui lui est assurée, comme le doit un bon serviteur à son maître.
Fait à Paris le 2 juin 1658[547].»

Quant aux gouvernements de Guérande, du Croisic et du mont Saint-Michel,
Fouquet les avait fait donner à la marquise d'Asserac, qui les tenait au
nom de son fils mineur[548]. On a vu plus haut[549] quel était le
dévouement de cette dame pour Fouquet. D'ailleurs, il avait eu la
précaution, comme l'établit un acte du 26 février 1659, d'exiger de
madame d'Asserac une résignation en blanc du gouvernement du mont
Saint-Michel[550], et il pouvait en investir qui bon lui semblerait.
Belle-Île se trouvait ainsi couverte par des gouvernements voisins, dont
disposait le surintendant. Quant à cette place, Fouquet la fortifia
avec le plus grand soin. Un mémoire écrit de sa main[551] indiquait les
fonderies de canons, les corps de garde, les écuries, les bastions, les
fossés, les ponts, les magasins, hôpitaux, logements pour les soldats,
etc., qu'on devait y établir. Il fit acheter des vaisseaux et des canons
en Hollande[552], et, pendant plusieurs années, des ingénieurs
travaillèrent à faire de Belle-Île une citadelle redoutable.

Comme cette place ne pouvait être attaquée que par mer, il était du plus
haut intérêt pour Fouquet de s'emparer des forces navales de la France.
L'amiral de Neuchèse lui devait sa charge, comme lui-même a pris soin de
le rappeler dans son projet[553], et il lui resta fidèle jusqu'au
dernier moment. On en trouve la preuve dans des lettres d'agents que
Fouquet entretenait à Bordeaux[554]. L'un d'eux écrivait de cette ville,
le 29 août 1661, peu de jours avant l'arrestation de Fouquet: «J'ai
rendu à M. le commandeur de Neuchèse la lettre que monseigneur le
surintendant lui écrit. Nous avons pris des mesures, pour ce qui regarde
le service de monseigneur. Assurément, il ne peut pas être plus zélé
qu'il l'est pour le service de monseigneur.»

Ce même agent de Fouquet était chargé de faire à Bordeaux des achats de
poudre, de biscuit, de chanvre pour Belle-Île, et on voit par les
lettres qu'il adresse au surintendant que l'amiral de Neuchèse lui
donnait toutes les facilités possibles pour l'acquisition et
l'embarquement de ces munitions. Il écrivait à Fouquet, le 29 août 1661:
«J'ai rendu votre lettre à M. le commandeur de Neuchèse; il l'a reçue
avec respect en me marquant les obligations qu'il vous a et son
attachement pour vos intérêts. Sur le moment, il envoya quérir M. Lanet,
lieutenant de l'amirauté, et lui dit la considération qu'il avait pour
moi, et que, pour les choses que je voudrais embarquer, il me fût
favorable en tout ce qu'il pourrait. Il lui répondit que M. l'amiral
l'aurait pour agréable, et que, pour cet effet, il lui en écrirait pour
lui en faire donner l'ordre.

«Nous sommes demeurés d'accord qu'il m'écrirait une lettre, par où il me
prierait de lui faire faire de la poudre de bombe, et de faire emplète
de chanvre et faire faire du biscuit; c'est à peu près ce qui est
nécessaire à Belle-Île. Je lui ai dit le prix de tout; il m'a dit qu'il
vous en écrirait pour vous faire voir ce que les choses coûteront pour
son armement. Le quintal de poudre nous coûte cinquante et une livres,
aussi est-elle faite fidèlement; le boulet sept livres douze sous. Le
chanvre coûte à cette heure dix-huit livres dix sous, et jusques à
dix-neuf livres. Pour le biscuit, cela dépend du prix du blé.

«Si vous jugez à propos que je reste ici pour votre service, je crois,
monseigneur, que ce ne serait pas mal que, pour les choses qu'il faut
faire pour les armements des vaisseaux, les ordres du roi me fussent
envoyés.

«Je suis fort connu en cette ville depuis la guerre, et, voyant le
séjour que j'y fais, ils en tirent mille conséquences et ne savent à
quoi l'attribuer; tantôt ils croient que le roi veut établir la gabelle
en ce pays et autres choses, et que je suis votre correspondant. Il est
vrai que cela est dit sourdement; ils ne s'en osent expliquer à moi.
S'ils m'en veulent parler, je les renverrai bien loin. Ils sont
mortifiés étrangement.

«Je disais bien, monseigneur, que vous triompheriez de vos ennemis, et
que vous fouleriez à vos pieds l'envie. Tous les bruits qui ont couru se
sont si fort dissipés, que l'on ne parle que de votre génie, du crédit
que vous avez sur l'esprit du roi; vous êtes trop juste, et vous aimez
trop l'État pour que Dieu ne bénisse pas toutes vos affaires.» Il est
assez curieux de se rappeler que, huit jours plus tard, Fouquet était
arrêté. Mais ce qui résulte surtout de cette lettre, c'est que le
surintendant continuait de fortifier Belle-Île en 1661 et avait sous sa
main les forces navales de la France.

Le général des galères était à cette époque le marquis de Créqui, gendre
de madame du Plessis-Bellière. C'était le surintendant qui avait payé
les deux cent mille livres que cette charge avait coûté[555]. L'affaire
n'avait été terminée qu'en 1661 après de longues négociations, dans
lesquelles Fouquet avait mis une vive insistance pour déterminer le
marquis de Richelieu à se désister de ses prétentions. La correspondance
intime du surintendant prouve que les sacrifices d'argent n'avaient pas
suffi pour obtenir le consentement de Richelieu. Il avait fallu avoir
recours à mademoiselle de la Motte, une des filles d'honneur de la
reine, qui avait grand crédit sur ce personnage. Fouquet, une fois en
possession de cette charge pour un homme qui dépendait de lui, eut à sa
disposition les flottes de la Méditerranée en même temps qu'il était
maître de celles de l'Océan par l'amiral de Neuchèse. Ainsi, de 1657 à
1661, il n'avait cessé de poursuivre l'exécution de son plan de
résistance et de continuer, par la fortification des places de sûreté et
par l'équipement des flottes, de se mettre en état de tenir tête au
premier ministre et même au roi. On ne peut dire, avec ses amis, et
comme il l'a sans cesse répété dans ses _Défenses_, que le projet trouvé
à Saint-Mandé était le résultat d'une inquiétude momentanée, et qu'il
avait été abandonné aussitôt après avoir été imaginé. On voit, au
contraire, que, pendant quatre années, au milieu des préoccupations les
plus diverses, Fouquet s'occupa sans cesse de l'exécution de ce plan. Il
le modifie après sa rupture avec son frère; il remplace Ham et le Havre
par Belle-Île, dont il vient de faire l'acquisition. Il accumule dans
cette place les moyens de résistance: canons, vaisseaux, soldats
dévoués. Il a soin de placer les gouvernements qui l'entourent entre des
mains fidèles, pendant que les amiraux de Neuchèse et de Créqui lui
répondent des flottes de l'Océan et de la Méditerranée.

Enfin Fouquet, étendant ses vues et ses possessions jusqu'en Amérique,
où il pouvait se ménager un asile plus assuré, y achetait l'Île de
Sainte-Lucie, que l'on appelait alors Sainte-Alouzie[556]. Il obtint le
titre de vice-roi d'Amérique[557], qui lui donnait dans ces contrées la
disposition des forces de la France et joignait à ses immenses richesses
un droit de souveraineté. Si l'on ajoute à cette vaste puissance
maritime les gouvernements dont il disposait dans l'intérieur du
royaume, on comprend que son ambition n'ait plus connu de bornes. Sa
devise: _Quo non ascendam?_ (jusqu'où ne monterai-je pas?) exprime le
fond de sa pensée. Ses amis, en lui parlant de Belle-Île, l'appelaient
_son royaume_; et, en réalité, les mesures prises par le surintendant
n'allaient à rien moins qu'à former un État dans l'État. Mais il était
trop prudent pour démasquer ses projets, et, en même temps qu'il
préparait sa résistance, il cherchait à se donner de nouveaux appuis
près de Louis XIV.



CHAPITRE XXII

--1658-1659--

Négociations pour le mariage du roi avec une princesse de la maison
de Savoie.--Fouquet envoie à Turin mademoiselle de Treseson, nièce
de madame du Plessis-Bellière, pour s'emparer de l'esprit de la
princesse Marguerite de Savoie.--Mademoiselle de Treseson arrive à
Turin.--Sa correspondance avec Fouquet.--Elle fait connaître le
caractère de Christine de France, duchesse de Savoie, de sa fille
Marguerite et de son fils Charles-Emmanuel.--Entrevue des cours de
France et de Savoie à Lyon (novembre-décembre 1658).--Cause de la
rupture du mariage projeté.--Mademoiselle de Treseson reste à la
cour de Savoie, où elle devient madame de Cavour.--La princesse
Marguerite épouse le duc de Parme.


On songeait sérieusement, en 1658, à marier le jeune roi à une princesse
de Savoie, Marguerite, sœur du duc Charles-Emmanuel. Les deux cours de
France et de Savoie devaient se rencontrer à Lyon pour l'entrevue de
Louis XIV et de la princesse Marguerite. Fouquet, informé de ces
projets, tenta de s'emparer de la future reine de France, en plaçant
près d'elle une personne qui lui fût dévouée. L'exécution de ce projet
exigeait une grande habileté pour s'insinuer dans les bonnes grâces de
la princesse et de sa mère; il fallait dissimuler l'ambition du
surintendant, tout en promettant son appui pour la réalisation des
projets de mariage, enchaîner doucement par la reconnaissance la maison
de Savoie à la cause de Fouquet, et se servir de la future reine dans
l'intérêt de sa puissance.

Le surintendant confiait de préférence à ses maîtresses la conduite des
affaires de cette nature. Madame du Plessis-Bellière était devenue le
plus actif auxiliaire de ses projets ambitieux. C'était à elle que
Fouquet, dans le plan dont nous avons parlé, remettait la direction de
tous ses amis. Ce fut elle encore qui se chargea de mener l'intrigue de
la cour de Savoie. Elle avait appelé près d'elle une jeune Bretonne, sa
nièce, mademoiselle de Treseson, dont l'esprit était vif et délié et les
principes peu austères. Fouquet avait exercé sur la jeune Treseson une
séduction qui ne s'explique pas seulement par la richesse et la
puissance du surintendant, mais qui tenait encore aux charmes de son
esprit. Ce fut elle qui fut choisie pour se rendre à la cour de Savoie
et y jouer un rôle qui exigeait autant de finesse que de
dévouement[558].

Elle partit au mois d'août 1658 pour se rendre à Turin. Une première
lettre qu'elle écrivit à Fouquet est datée de Grenoble, et n'exprime que
les regrets de l'éloignement: «Je reçus hier en arrivant ici une lettre
de vous qui m'y attendait. Je ne vous ferai point de compliment sur la
peine que vous avez eue à l'écrire, et vous dirai librement qu'il est
bien juste que vous preniez quelque soin de me consoler pendant mon
voyage, puisque vous êtes cause que je le fais avec bien de la
mélancolie. Si le petit cabinet m'est assez fidèle pour vous faire
souvenir de moi, je lui promets d'augmenter l'amitié que j'avais pour
lui, et de redoubler mes souhaits pour le voir bientôt. Je vous conjure
de continuer d'en faire pour mon retour, et de croire que vous ne me
sauriez procurer rien de plus agréable que l'honneur de vous voir.»

Cette lettre en dit assez sur les relations antérieures de Fouquet et de
mademoiselle de Treseson, et sur l'étrange ambassadeur qui allait
représenter les intérêts du surintendant à la cour de Savoie.

Mademoiselle de Treseson arriva à la cour de Savoie au mois d'août 1658,
et y fut présentée comme parente du comte de Brulon, qui y avait de
nombreuses et puissantes relations. Elle n'avait qu'une beauté médiocre,
mais, avec de l'esprit et les recommandations secrètes du surintendant,
elle s'insinua promptement dans les bonnes grâces de la duchesse
douairière de Savoie, Christine de France, que l'on appelait
habituellement Madame Royale; elle devint une de ses filles d'honneur.
Dès le mois de septembre suivant, elle écrivait à Fouquet: «L'on me
témoigne ici autant d'amitié qu'à mon arrivée, et je trouve même qu'elle
s'augmente tous les jours. Je vous mande ceci afin de vous faire voir
une marque de celle que Madame Royale et la princesse Marguerite ont
pour vous, en témoignant une estime très-particulière pour une personne
que vous avez eu la bonté de leur recommander.» Et plus loin: «Madame
Royale m'a entretenue plus d'une heure aujourd'hui de tous les intérêts
de sa famille. Les caresses qu'elle me fait donnent de l'envie sans
causer du soupçon; car l'on est assez accoutumé à lui voir une amitié
particulière.» Le soupçon que redoutait mademoiselle de Treseson, et
qu'elle s'efforçait d'éloigner, était celui de sa liaison avec Fouquet
et de la mission qu'elle avait reçue du surintendant pour lui gagner la
cour de Savoie. Elle réussit quelque temps à bien dissimuler son rôle,
et elle profita de cet intervalle pour s'emparer des trois personnes
qu'il était le plus important de lier à la cause du surintendant: la
duchesse douairière de Savoie, la princesse Marguerite et le jeune duc
de Savoie Charles-Emmanuel.

La duchesse douairière était Christine de France, fille de Henri IV, et
régente de Savoie depuis plus de vingt ans. Elle avait alors cinquante
ans, et conservait encore des restes de son ancienne beauté.
Mademoiselle de Montpensier, qui la vit vers la même époque et qui ne la
juge pas avec bienveillance, convient qu'elle avait un air de grandeur:
«Il paraît qu'elle a été belle, dit-elle dans ses _Mémoires_[559]; mais
elle est plus vieille qu'on ne l'est d'ordinaire à son âge. Elle me
parut ressembler à mon père (Gaston d'Orléans, fils de Henri IV), mais
plus cassée, quoiqu'elle fît tout ce qu'elle pût, par son ajustement,
pour soutenir son reste de beauté. Elle a la taille gâtée, mais cela ne
l'empêche pas d'avoir bonne mine et l'air d'une grande dame.» Madame
Royale désirait ardemment le mariage de sa fille Marguerite avec Louis
XIV, et, comme toutes les personnes qu'entraîne la passion, elle
trahissait ses sentiments avec une franchise imprudente, se livrait
aveuglément à ceux qui flattaient ses projets, et recherchait tous les
auxiliaires qui pouvaient concourir à leur réalisation. Il n'est donc
pas étonnant qu'elle ait témoigné une bienveillance particulière à la
jeune Treseson, nièce de madame du Plessis-Bellière, et protégée du
surintendant. Le 11 octobre 1658, mademoiselle de Treseson écrivait à
Fouquet: «Madame Royale m'a dit qu'elle était assurée du voyage du roi à
Lyon (c'était là que devait avoir lieu l'entrevue des deux cours). J'ai
encore recommandé le secret avec un grand soin, et l'on me promet de le
bien garder. Je mange toujours avec Madame Royale, et deux fois elle a
porté la santé de nos communs amis de Paris. Je lui ai dit que je le
leur manderais, mais en même temps je l'ai suppliée de ne leur plus
faire cet honneur si publiquement, car je crois cela tout à fait propre
à faire soupçonner quelque chose ici. Vous ne devez pas douter que je
n'apporte tous mes soins pour empêcher qu'il n'arrive aucun accident.»

Ainsi c'était la jeune Bretonne qui donnait des leçons de prudence dans
cette cour frivole. En même temps qu'elle entretenait et contenait tout
à la fois les espérances de la duchesse douairière, et qu'elle
s'insinuait dans les bonnes grâces de sa fille Marguerite, elle jouait
vis-à-vis du jeune duc Charles-Emmanuel un rôle difficile. Dans toute la
fougue de l'âge, et peu maître de ses passions, ce prince de
vingt-quatre ans se montra empressé près de mademoiselle de Treseson.
Quoique cette jeune fille fût plus spirituelle que jolie[560], elle sut
lui inspirer une passion utile à ses projets[561], mais elle
n'accueillit ses galanteries qu'en plaisantant, et le tint à distance
sans rompre avec lui. Tout ce manège de diplomatie et d'intrigue
féminine est clairement exposé dans une lettre que, le 25 octobre 1658,
elle écrivait à Fouquet. Elle y repousse les soupçons que le
surintendant avait laissé percer à l'occasion des relations de
mademoiselle de Treseson et du duc de Savoie:

«Si l'amitié que j'ai pour vous ne se trouvait pas offensée par les
reproches que vous me faites, j'y aurais pris bien du plaisir, et
j'aurais appris avec quelque sentiment de joie l'inquiétude où vous êtes
de savoir ce qui se passe ici, puisque assurément ce n'est point une
marque que vous ayez de l'indifférence pour moi; mais, quoique j'en
fasse ce jugement, qui ne m'est point désagréable, je ne puis m'empêcher
de m'affliger extrêmement que vous en ayez fait de moi un si injuste et
si désavantageux; car je vous assure que ce n'est point manque de
confiance, ni par aucune préoccupation de ce côté-ci, que j'ai manqué à
vous écrire cent petites choses que j'ai cru des bagatelles pour vous et
que j'ai fait scrupule de vous mander, de crainte de vous importuner
dans les grandes occupations où vous êtes tous les jours; mais enfin,
puisque je vois que vous avez pour moi une bonté que je n'avais osé
espérer, quoique j'aie toujours désiré la continuation de votre amitié
plus que toutes les choses du monde, je vous dirai qu'il ne se passe
rien entre M. de Savoie et moi qui soit désavantageux ni pour vous ni
pour moi. J'ai trouvé le moyen de m'en faire craindre et de m'en faire
estimer malgré lui. J'ai toujours pris en raillant ce qu'il m'a dit de
plus sérieux. Il me parle autant qu'il peut par l'ordre de Madame
Royale, qui est bien aise que j'aie quelque crédit auprès de lui, parce
que je ne suis ni brouillonne ni ambitieuse, et que je ne lui inspire
que de la douceur et de la complaisance. Tout le monde est le confident
de M. de Savoie. Vous pouvez juger de là si je m'y fie en nulle façon.
Jusqu'ici il ne s'est rien passé de particulier entre nous, et l'on a
toujours su nos conversations et nos querelles, quand nous en avons.
Cette dernière chose arrive assez souvent: j'ai été une fois huit jours
sans lui parler, parce qu'il avait dit quelque chose de trop libre
devant moi. Pendant ce temps-là, il en passa trois dans une maison de
campagne, et manda à Madame Royale qu'il ne reviendrait point auprès
d'elle que je ne lui eusse pardonné. Depuis, il ne lui est pas arrivé de
retomber dans une pareille faute. Toutes les galanteries qu'il peut
faire, il les fait pour moi, comme de musique, de collations et de
promenades à cheval. Il me prête toujours ses plus beaux chevaux et m'a
fait faire deux équipages fort riches.

«Je connais bien que toutes ces choses ne seraient pas tout à fait
propres à faire trouver un établissement en ce pays-ci. Aussi je vous
assure que, sans l'affaire que vous savez, je les empêcherais
absolument; mais je vous avoue que, dans cette pensée, je ne m'applique
qu'à sauver ma réputation aussi bien comme j'ai sauvé mon cœur, qui, je
vous assure, est toujours aussi fidèle comme je vous ai promis.

«Pour ce qui regarde la princesse Marguerite, M. de Savoie lui témoigne
beaucoup d'amitié et lui parle souvent de celle qu'il a pour moi, et
même une fois il l'a obligée de m'envoyer prier d'aller la voir à son
appartement, où je l'ai trouvée avec la musique et une collation. Il l'a
même priée, quand elle serait ma maîtresse[562], de m'obliger à me
souvenir de lui. La princesse Marguerite me témoigna beaucoup de
complaisance et même de grands respects. Ce n'est pas une personne qui
soit beaucoup familière; elle me parle toutefois bien souvent du voyage
que nous allons faire mardi[563]. Elle a grand'peur qu'il ne réussisse
pas comme nous le souhaitons[564].

«Mandez-moi, s'il vous plaît, de quelle manière je dois continuer de
vous écrire du lieu où nous allons, et soyez persuadé que mes discours
ni mes actions ne seront jamais contraires à l'amitié que je vous ai
témoignée. Personne ne paraît mon ennemi dans ce pays, et j'en attribue
l'obligation à l'amitié de Madame Royale ni à celle de M. de Savoie. Il
y a ici deux ou trois personnes avec lesquelles j'ai fait une espèce
d'amitié, afin de les obliger de m'avertir de tout ce qui se dit de moi,
et je les ai priées de ne me pardonner rien. Madame Royale m'a donné
depuis peu des boucles de diamants[565]. J'ai su depuis huit jours que
les perles dont elle m'avait fait présent venaient de M. de Savoie, qui
avait obligé Madame Royale à me les donner comme venant d'elle. Je vous
assure que la reconnaissance que j'ai de tous ces soins ne va pas au
delà de ce qu'elle doit aller.

«Je ne crois pas que je puisse écrire à madame du Plessis; car
l'ordinaire (le courrier) est près de partir. Si vous voulez m'obliger
extrêmement, vous lui conseillerez, comme de vous-même, de m'envoyer une
jupe comme on les porte, sans or ni argent. L'on ne trouve ici quoi que
ce puisse être. Je vous demande pardon de cette commission, et vous
rends mille remercîments des effets que j'ai reçus de votre part. Je les
ai presque tous donnés à la princesse Marguerite. Adieu, je vous
demande pardon de vous avoir donné sujet de penser que je ne vous aime
pas plus que toutes les personnes du monde. Si le mariage que vous savez
s'accorde, je vous supplierai de prendre la peine d'écrire à Madame
Royale, afin qu'elle me donne à la princesse Marguerite.»

Malgré les explications plus ou moins vraies de mademoiselle de
Treseson, la voix publique la proclamait maîtresse du duc de Savoie.
Fouquet en était informé, et lui adressa des reproches auxquels elle
répondait: «Sans que je m'imagine[566] que ce n'est que pour me faire la
guerre que vous me mandez que vous me soupçonnez de vous manquer de
parole, je vous ferais bien des reproches d'avoir cette mauvaise opinion
de moi, et je vous assure que j'aurais raison de vous en faire; car je
vous promets que le souvenir du petit cabinet touche plus mon esprit que
toutes les choses que peut faire M. de Savoie pour témoigner qu'il
m'aime. Je ne me laisse point éblouir au faux éclat, et tous les grands
divertissements de ce lieu-ci ne m'empêchent point de souhaiter
très-ardemment de revoir celui que je vous ai nommé.»

Madame Royale et ses filles partirent enfin pour Lyon dans les premiers
jours de novembre, et mademoiselle de Treseson les accompagna. Le duc de
Savoie ne les rejoignit que plus tard. Mademoiselle de Treseson écrivit
à Fouquet pendant le voyage, et dans cette lettre elle insiste
particulièrement sur le caractère de Marguerite de Savoie, que
jusqu'alors elle avait laissé dans l'ombre. Elle trouvait en elle la
prudence qui manquait à sa mère: «C'est, disait-elle, la plus discrète
et la plus secrète personne du monde, et en laquelle on peut se fier.
Pour de grandes confiances (_sic_), elle n'en a jamais eu pour personne
que pour une femme qu'elle aime depuis dix ans. De la civilité et de la
douceur, elle en a pour tout le monde, et beaucoup pour moi, à laquelle
elle a dit des choses fort obligeantes touchant les affaires présentes,
et le compliment que je lui ai fait pour lui témoigner l'envie que j'ai
d'avoir l'honneur d'être à elle en a été fort bien reçu.» Plus loin
mademoiselle de Treseson insiste encore sur le même sujet: «Il faut que
je revienne à la princesse Marguerite, et que je vous fasse encore
quelque réponse sur son chapitre. Je ne la crois pas assez hardie pour
oser résister en rien à M. le cardinal; mais elle aimera toujours ceux à
qui elle aura promis l'amitié, et ne manquera jamais de reconnaissance
pour les personnes qui l'auront obligée. Elle a beaucoup de bonté, une
fort grande douceur, mais beaucoup de timidité. Voilà ce que je crois de
plus important à vous faire savoir, et j'aurais grande honte de vous
écrire si mal, si je ne pouvais m'excuser de l'incommodité que j'ai
d'écrire sur le bord des grands précipices où je passe, qui me donnent
bien de la frayeur.»

Ainsi les trois principaux personnages de la cour de Savoie, Madame
Royale, la princesse Marguerite et le jeune duc Charles-Emmanuel,
avaient été étudiés et caractérisés par mademoiselle de Treseson dès les
premiers temps de son séjour à la cour de Turin. Elle avait
complètement gagné la duchesse douairière, et s'efforçait de modérer et
de diriger son ardeur, qui pouvait tout compromettre. La princesse
Marguerite montrait plus de réserve et de finesse; mais elle ne pensait
pas qu'on trouvât en elle un appui assez ferme pour résister à Mazarin.
Quant au jeune duc, il était étourdi, impétueux; mais mademoiselle de
Treseson se vantait de le dominer et de le conduire, sans céder à ses
passions.

On s'étonne, en lisant ces appréciations, de ne pas trouver un mot sur
les qualités ou les défauts physiques des personnages. Rien n'eût été
plus naturel en parlant de la future reine de France: mademoiselle de
Treseson avait dû l'observer avec la finesse et la curiosité naturelles
à son sexe et à son âge. Une autre femme, parlant des mêmes personnages,
supplée au silence de la jeune Bretonne. Mademoiselle de Montpensier,
qui assista cette année même (1658) à l'entrevue des deux cours dans la
ville de Lyon, n'a pas négligé le portrait physique des princes et
princesses de la maison de Savoie. Nous avons déjà vu comment elle avait
tracé à grands traits la physionomie de Madame Royale, son air de
grandeur, ses ressemblances de famille, et aussi sa caducité prématurée.
«Pour la princesse Marguerite, dit-elle ailleurs[567], elle est petite;
mais elle a la taille assez jolie, à ne bouger de place; car, quand elle
marche, elle parait avoir les hanches grosses, et même quelque chose qui
ne va pas tout droit. Elle a la tête trop grosse pour sa taille; mais
cela paraît moins par devant que par derrière, quoique ce soit une
chose fort disproportionnée. Elle a les yeux beaux et grands, le nez
gros, la bouche point belle, et le teint fort olivâtre, et cependant
avec tout cela elle ne déplaît point. Elle a beaucoup de douceur,
quoiqu'elle ait l'air fier. Elle a infiniment d'esprit, adroit, fin, et
il y a paru à sa conduite.» Enfin le duc Charles-Emmanuel est aussi
dépeint en quelques lignes[568]: «On le trouva fort bien fait; il est de
moyenne taille, mais il l'a la plus fine, déliée et agréable, la tête
belle, le visage long, mais les yeux beaux, grands et fins, le nez fort
grand, la bouche de même; mais il a le ris agréable, la mine fière, un
air vif en toutes ses actions, brusque à parler. Il avait fort bonne
mine.»

Ce fut le 28 novembre 1658 que la duchesse de Savoie et ses filles
arrivèrent à Lyon. La cour de France y était depuis plusieurs jours, et
elle s'empressa d'aller au-devant de Madame Royale. Le roi, Anne
d'Autriche, mademoiselle de Montpensier, le maréchal de Villeroy et
madame de Noailles se trouvaient dans le même carrosse, et les Mémoires
de mademoiselle de Montpensier retracent un tableau fidèle de tout ce
qui se passa en cette circonstance[569]. La cour de Savoie cherchait à
éblouir les yeux par la pompe de ses livrées et la magnificence de son
train. La route était couverte d'équipages aux armes de Savoie, avec
housses de velours noir et cramoisi. Les pages de Madame Royale, ses
gardes avec casaques noires galonnées d'or et d'argent, quantité de
carrosses à six chevaux, précédaient la princesse, et annonçaient ses
prétentions à étaler un faste royal. Au moment même où les cours
allaient se rencontrer, Anne d'Autriche laissait percer son peu de
sympathie pour le mariage projeté; mais elle s'y résignait dans la
pensée qu'il agréait à son fils. «Si je pouvais avoir l'Infante,
disait-elle, je serais au comble de la joie; mais, ne le pouvant pas,
j'aimerai tout ce qui plaira au roi. J'avoue que j'ai bien de
l'impatience de savoir comment il trouvera la princesse Marguerite.»
Louis XIV n'était pas moins impatient; il monta à cheval à l'approche
des princesses et alla au-devant d'elles, puis revint au galop, mit pied
à terre, et, s'adressant à la reine avec la mine la plus gaie du monde
et la plus satisfaite: «Elle est plus petite que madame la maréchale de
Villeroi, lui dit-il, mais elle a la taille la plus jolie du monde; elle
a le teint...» Il hésita un instant; enfin il ajouta: «olivâtre; mais
cela lui sied bien. Elle a de beaux yeux; enfin elle me plaît.»

A ce moment, les princesses de Savoie arrivèrent. Madame Royale
descendit de carrosse, salua la reine, lui baisa les mains, et chercha à
la gagner par ses manières caressantes. Lorsqu'elle lui eut présenté ses
filles, toutes les princesses montèrent dans la voiture royale, et
firent ainsi leur entrée à Lyon. Le roi se plaça auprès de la princesse
Marguerite, et l'on remarqua la vivacité et la familiarité de leur
conversation. Il entretint la princesse de ses mousquetaires, de ses
gendarmes, de ses chevau-légers, du régiment des gardes, du nombre de
ses troupes, de ceux qui les commandaient, de leur service, etc.
C'étaient là ses sujets favoris. Puis ils parlèrent des plaisirs de
Paris et de Turin, et, pendant toute cette entrevue, la princesse montra
une grande aisance et un certain abandon. Quant à la duchesse
douairière, elle fatigua la reine et la cour par l'exagération et la
prolixité de ses compliments. Cependant les dispositions paraissaient
jusqu'alors favorables au mariage projeté; mais, lorsque la reine se fut
séparée de la duchesse de Savoie, Mazarin la suivit dans son cabinet, et
lui annonça qu'il lui apportait une nouvelle à laquelle elle ne
s'attendait pas. «Est-ce que le roi mon frère m'envoie offrir l'Infante?
s'écria la reine; c'est la chose du monde à laquelle je m'attends le
moins.--Oui, madame, c'est cela,» lui répondit le cardinal. En même
temps il lui remit une lettre de Philippe IV, par laquelle il mandait à
la reine sa sœur qu'il souhaitait la paix et le mariage de sa fille avec
le roi de France. Le roi d'Espagne, inquiet de l'alliance étroite qui se
préparait entre la France et la Savoie, avait envoyé à Lyon don Antonio
Pimentelli, qui s'y introduisit secrètement le jour même où les
princesses y faisaient leur entrée solennelle, et remit à Mazarin la
lettre de Philippe IV.

Quoique la reine et le ministre se défiassent de la sincérité des
Espagnols, ils ne montrèrent plus, depuis ce moment, le même
empressement pour la cour de Savoie. Lorsque le duc Charles-Emmanuel
arriva, le 1er décembre, il fut accueilli froidement par les princes
français, que blessèrent ses prétentions à la préséance; il ne passa à
Lyon que peu de jours, et quitta la France en lui jetant cet adieu:
«Adieu, France, pour jamais: je te quitte sans regret.» Il y avait eu
cependant un bal brillant donné en son honneur; mais on remarqua que le
roi, qui, le premier jour, avait témoigné tant de joie à la vue de la
princesse Marguerite, affectait de ne plus lui parler. Mademoiselle de
Treseson, qui ne cessa d'assister aux fêtes et aux entrevues, commençait
à perdre l'espérance de voir se réaliser le mariage. Pour comble de
malheur, sa parenté avec madame du Plessis-Bellière, qu'elle avait
cachée si soigneusement, était reconnue et divulguée par plusieurs
seigneurs de la cour de France. Les vues secrètes de Fouquet allaient se
découvrir. Mademoiselle de Treseson l'avertit, le 3 décembre, de ces
fâcheux incidents:

«Encore que je sache, lui écrivait-elle, que M. de Lyonne et d'autres
personnes vous informent de toutes les choses qui se passent ici, je ne
veux pas manquer à vous rendre compte aussi bien comme eux de l'état des
choses de ce pays-ci. Je vous dirai donc que je ne trouve pas qu'elles
aillent trop bien, et nous n'en avons pas l'espérance que nous en avions
le premier jour. La princesse n'a pas déplu au roi; mais M. le cardinal
veut traîner les choses en longueur. M. de Lyonne a fait aujourd'hui
parler à S.A.R.[570], et lui a fait savoir qu'il était dans son intérêt;
car, jusqu'à cette heure, il n'avait point voulu qu'on eût dit son nom.
Mais S.A.R. n'est pas tout à fait persuadée, et elle m'a dit aujourd'hui
que M. de Lyonne devait faire un voyage en Espagne pour négocier
l'autre mariage[571]. J'ai dit tout ce que j'ai pu pour l'empêcher
d'avoir cette opinion, et l'ai assurée qu il eût fallu que vous eussiez
été trompé le premier.

«J'ai voulu savoir aussi si M. de Savoie avait quelque disposition à
épouser une nièce du cardinal. Je crois qu'avec Pignerol il y pourrait
consentir.

«Il faut que je vous dise que je suis assez embarrassée avec les
compliments que tout le monde me vient faire sur l'honneur que j'ai
d'être nièce de madame du Plessis. Le maréchal de Clérambault a dit
partout qu'il avait fort connu ma mère; que madame du Plessis et elle
étaient sœurs. Je ne dis là-dessus ni oui ni non, et réponds seulement
que c'est M. de Brulon qui m'a placée dans cette cour. En vérité, il
était bien difficile que l'on pût cacher la parenté; car il n'y a
personne qui ait été dans mon pays qui ne la sache.»

La situation ne s'améliora pas les jours suivants, et la duchesse
douairière commença à se plaindre avec vivacité. On l'apaisa par des
promesses et par un écrit attestant que le roi épouserait la princesse
Marguerite, si le mariage avec l'Infante n'avait pas lieu. Ce fut le 6
décembre que se passa cette scène, dont mademoiselle de Treseson se hâta
d'informer Fouquet: «Je m'imagine, lui écrivait-elle, que toutes les
lettres que l'on vous écrit aujourd'hui vous apprennent les mêmes
nouvelles, c'est-à-dire que la chose que vous savez est si éloignée,
qu'on la croit rompue. Cependant Madame Royale m'a dit ce soir à son
coucher qu'elle avait, ce jour, retiré un écrit par lequel on
s'engageait que, si avant le mois de mai le roi n'épousait pas l'infante
d'Espagne, il épouserait la princesse Marguerite. M. le cardinal s'est
mis plusieurs fois en colère de ce que Madame Royale voulait une
écriture; mais enfin, elle l'a pourtant obtenue. Je ne crois pas qu'il
arrive d'autres changements avant dimanche, qui est le jour de notre
départ. Je ne vous saurais témoigner l'affliction où je suis de penser
que l'honneur de vous voir est si reculé pour moi; en vérité, je repasse
les montagnes avec un déplaisir que rien ne peut soulager, et ce qui
l'augmente extrêmement, c'est que tout le monde sait ma parenté avec
madame du Plessis, quoique je ne l'aie avouée à personne. Par malheur il
s'est trouvé ici mille gens qui en avaient une parfaite connaissance.
Cela me cause un chagrin et une inquiétude qu'il n'est pas en mon
pouvoir de vous témoigner; mais, si toutes les choses se tournent de
façon à vous faire tort, je vous supplie de n'avoir aucune considération
pour mon avantage, et de me sacrifier entièrement à vos intérêts. Je
vous réponds que je n'en murmurerai pas, et que je me tiendrais tout à
fait heureuse de pouvoir, même par la perte de ma vie, vous témoigner
que l'on n'a jamais eu plus de reconnaissance et de respect que je n'en
ai pour vous.»

La princesse Marguerite montra beaucoup plus de calme et de dignité que
sa mère, au milieu de ces péripéties qui renversaient ses espérances de
fortune et de grandeur. «On ne lui vit point de changement, dit
mademoiselle de Montpensier[572]; elle fut toujours dans une
tranquillité admirable, et agit dans cette affaire comme si ç'avait été
celle d'une autre; et pourtant elle en était touchée comme elle le
devait, ayant autant de cœur que l'on en pouvait avoir.» Enfin, le
dimanche 8 décembre, la duchesse de Savoie et ses filles quittèrent Lyon
pour regagner Turin, n'emportant qu'une bien faible espérance de voir se
renouer un jour les négociations matrimoniales. Mademoiselle de
Treseson, qui avait compté revenir à Paris comme fille d'honneur de la
jeune reine, n'était pas la moins attristée de cette mésaventure; son
chagrin perce dans toutes ses lettres. Elle écrivait à Fouquet le 13
décembre: «L'on ne peut pas être plus affligée que je la suis, et jamais
absence n'a paru plus ennuyeuse[573] que la vôtre me la paraît.
Toutefois, malgré l'extrême envie que j'ai d'avoir l'honneur de vous
voir, je vous supplie de ne songer pas à me le faire recevoir, s'il y a
le moindre danger pour vous.»

Le séjour de mademoiselle de Treseson à la cour de Savoie se prolongea
encore près d'une année, et pendant cet intervalle elle continua
d'avertir Fouquet de tout ce qui se passait d'important et de lui
transmettre les communications de la duchesse. Ainsi, lorsqu'en février
1659 Fouquet fut nommé seul surintendant des finances après la mort de
Servien, mademoiselle de Treseson lui écrivit: «Madame Royale vous
assure qu'elle prend beaucoup de part à la nouvelle preuve que vous avez
reçue de l'estime du roi et de M. le cardinal, et je vous assure qu'elle
témoigne pour vous plus de reconnaissance que vous ne sauriez imaginer.
La princesse Marguerite est toujours de son humeur ordinaire,
c'est-à-dire douce et mélancolique.»

Les projets de mariage pour le duc de Savoie préoccupaient alors la
duchesse douairière. Jusqu'à cette époque elle avait exercé la plénitude
du pouvoir et tenu son fils en tutelle; elle craignait une alliance qui
lui aurait donné une rivale. Il avait été plusieurs fois question de
marier le jeune duc avec mademoiselle de Montpensier; mais le caractère
hautain et l'esprit romanesque de cette princesse la faisaient redouter
de Christine de France. «On a mandé à Madame Royale, écrivait
mademoiselle de Treseson le 22 mars 1659, que Mademoiselle a prié la
reine de la proposer à S.A.R. de Savoie pour sa belle-fille, et que l'on
lui a répondu qu'il y avait déjà des propositions pour mademoiselle de
Valois sa sœur[574], qui seraient assurément approuvées de part et
d'autre. L'on a encore mandé que la première (mademoiselle de
Montpensier) faisait ici de grandes libéralités pour se faire des
créatures, mais qu'elle me craignait[575]. Je ne suis pas trop fâchée de
cette dernière chose; car cela n'a pas fait un méchant effet auprès de
Madame Royale, qui me témoigne toujours ses bontés ordinaires. Elle
craint fort Mademoiselle et soupçonne qu'elle n'ait intelligence avec
M. de Savoie; mais d'ici nous n'en saurions rien découvrir, car il est
le plus artificieux des hommes.»

A ces inquiétudes s'en joignaient de plus vives sur la résolution
définitive qu'allait prendre la cour de France. «L'on est ici dans de
grandes impatiences, écrivait mademoiselle de Treseson le 4 avril,
d'apprendre les nouvelles que doit apporter le courrier qui est allé en
Espagne. Madame Royale et la princesse Marguerite ne parlent dans leur
particulier que de la crainte et de l'espérance qu'elles ont de cette
affaire. La première est bien plus forte que l'autre.» Mademoiselle de
Treseson écrivait encore le 18 avril: «Pour la princesse Marguerite,
elle est toujours mélancolique à son ordinaire, et même encore plus;
elle dit qu'elle ne pense déjà plus au roi; mais, pour moi, je suis
persuadée qu'elle y pense plus que jamais.» Enfin, au commencement de
mai, on apprit que les projets de mariage étaient définitivement rompus.
Mademoiselle de Treseson l'annonçait à Fouquet dans une lettre du 3 mai:
«Madame Royale m'a ordonné de vous faire savoir qu'elle est dans la plus
grande affliction du monde du mauvais succès de ses desseins. L'on a su
qu'on n'en devait plus avoir de ce côté-là. Vous pouvez aisément juger
le chagrin où tout le monde est ici.» Le 20 mai elle insistait sur le
même sujet: «L'on est ici fort irrité contre M. le cardinal, qui ne
s'est pas contenté de n'avoir pas servi la princesse Marguerite; il a
mandé à Madame Royale qu'elle s'était méfiée de lui et avait voulu
traiter en secret avec les ennemis, de sorte qu'elle appréhende fort
que les intérêts de M. de Savoie ne soient pas bien conservés dans les
articles de la paix[576]. Ils feront partir bientôt une personne de
qualité pour aller en prendre soin.» Après des protestations de
dévouement pour Fouquet et de son vif désir de retourner en France,
mademoiselle de Treseson ajoutait: «Je crois vous devoir dire que la
personne à qui Madame Royale a pensé pour moi est de la plus grande
qualité et aura un jour plus de cent mille livres de rente.»

La jeune Bretonne ne s'était pas oubliée, et cette phrase, jetée au
milieu d'une lettre, prouve qu'elle songeait à ses intérêts autant qu'à
ceux de Fouquet. Les services qu'elle avait rendus, et que la conscience
du lecteur saura qualifier, furent récompensés par une grande alliance;
mademoiselle de Treseson devint comtesse de Cavour[577]. Quant à la
princesse Marguerite, elle épousa, en 1660, le duc de Parme. «On fut
fort étonné, dit mademoiselle de Montpensier[578], que, après avoir pu
épouser le roi, elle voulût d'un petit souverain d'Italie. Cela ne
répondait point à la manière dont elle avait soutenu la rupture de son
mariage.»



CHAPITRE XXIII

Fouquet protecteur des lettres et des arts.--État de la littérature
après la Fronde.--Fouquet donne une pension à Pierre
Corneille.--Remercîment en vers que lui adresse Pierre
Corneille.--Représentation d'_Œdipe_ (1659).--Thomas Corneille
reçoit aussi des gratifications de Fouquet.--Pellisson s'attache à
Fouquet.--Il le met en relation avec mademoiselle de Scudéry et les
_précieuses_.--Caractère de cette littérature.--Lettres de
mademoiselle de Scudéry à Pellisson.--Elle y montre son affection
pour Pellisson et son attachement pour Fouquet.--Autres poëtes
encouragés par le surintendant, Boisrobert, Gombauld, Hesnault,
Loret, Scarron.--Lettre attribuée à madame Scarron; elle est
apocryphe.--Lettres de madame Scarron à madame Fouquet.


Au milieu des soucis de la politique, Fouquet n'oubliait pas les lettres
et les arts; c'est là son plus beau titre. Du reste, s'il fut un Mécène
pour les poëtes et les peintres, ils le lui ont bien rendu parla
fidélité qu'ils lui témoignèrent dans sa disgrâce. Ils contribuèrent
plus que personne à cette réaction de l'opinion publique qui a sauvé
Fouquet et s'est perpétuée jusqu'à nos jours, malgré les preuves
accablantes de ses dilapidations. Le surintendant avait l'esprit cultivé
et ingénieux; il aimait la société des gens de lettres, et, lorsqu'il
les protégeait, c'était avec un sentiment de délicatesse et de
libéralité que les vrais poëtes et les vrais artistes appréciaient
encore plus que les pensions et les faveurs. «M. Pellisson m'a fait
l'honneur de se donner à moi,» répondait Fouquet à ceux qui le
félicitaient d'avoir attaché à sa fortune ce bel esprit, qui était, vers
1659, un des arbitres du goût. Les femmes que recherchait le
surintendant se distinguaient presque toutes autant par l'esprit que par
la beauté. Madame du Plessis-Bellière, madame d'Asserac, mademoiselle de
Treseson, écrivaient avec une pureté et une élégance rares à cette
époque, même parmi les femmes de cour. Le surintendant appréciait
l'esprit de madame de Sévigné. N'ayant pu en faire sa maîtresse, il en
fit une de ses amies les plus dévouées. Il gardait ses lettres dans sa
mystérieuse cassette, quoique les billets que lui adressait madame de
Sévigné ne fussent remplis que de détails d'affaires et de bruits de
cour. Il les aimait pour leur tour vif, naturel, piquant.

A l'époque de la grande puissance de Fouquet, en 1659, les lettres
étaient dans un triste état. Corneille vieillissait, et, depuis l'échec
de _Pertharite_, en 1653, il s'était éloigné du théâtre. Scarron et les
poëtes bouffons de son école avaient gâté le goût public; la Fronde les
avait mis à la mode. On applaudissait à leurs grossières plaisanteries
et au travestissement burlesque des œuvres les plus sublimes. Ces
débauches d'esprit avaient amené, dans quelques cercles d'élite, une
réaction qui eut aussi ses excès. Les _précieuses_ affectaient un
langage et des sentiments raffinés, et, si quelques-unes s'arrêtaient à
la limite du ridicule, d'autres s'y précipitaient et compromettaient la
littérature par un genre faux et maniéré. Là régnaient mademoiselle de
Scudéry et ses romans, que la raison sévère de Boileau a condamnés à
tout jamais, et qu'une critique paradoxale tenterait vainement de faire
revivre. Il y avait bien, à côté des poëtes vieillis, des bouffons et
des précieuses, une école d'un genre tout autrement élevé et sévère:
l'école de Port-Royal. Elle venait de produire les _Provinciales_ et
préparait les _Pensées_; mais ces solitaires, qui fuyaient le monde et
ses dangers, n'attendaient ni ne sollicitaient les faveurs du
surintendant. C'était dans la méditation des vérités chrétiennes et dans
l'étude des écrivains de l'antiquité que s'était formé leur génie. Il en
était de même de Bossuet, qui commençait à briller dans la chaire
chrétienne.

Le mérite de Fouquet fut de chercher partout le talent et de
l'encourager; il ramena Corneille au théâtre et s'efforça de réveiller
son génie. Il oublia les plates injures de Scarron et secourut sa
vieillesse. Pellisson, qui vivait dans l'intimité du surintendant, était
l'ami des précieuses et faisait le charme des _samedis_ de mademoiselle
de Scudéry. Le surintendant entretenait avec Port-Royal des relations
amicales: témoin Arnauld d'Andilly et son fils, Simon de Pomponne. Enfin
il eut le mérite de discerner et de stimuler des génies naissants, comme
Molière et la Fontaine. Les _Fâcheux_ de Molière furent représentés à
Vaux avec un prologue de Pellisson, et, quant à la Fontaine, encouragé
par la munificence de Fouquet, il s'attacha à lui avec toute l'ardeur de
son âme candide. Après avoir assisté à tant de misères et d'intrigues,
il n'est pas sans intérêt de s'arrêter un instant sur un spectacle plus
digne de mémoire, celui de la puissance et de la richesse sollicitant et
récompensant le génie.

Pierre Corneille fut un des premiers poëtes auxquels s'adressa Fouquet.
Agé de plus de cinquante ans et découragé par son dernier échec, le
poëte avait abandonné le théâtre. Les misérables pièces de Scarron et de
son école avaient détrôné le _Cid_, _Horace_, _Cinna_, _Polyeucte_. Le
surintendant fit un acte honorable en relevant Corneille de son
découragement et en l'engageant à rentrer dans la carrière dramatique.
Il lui donna une pension, probablement dès 1657. Ce fut vers cette
époque que Corneille lui adressa une pièce de vers[579], où il lui
promet de répondre à son appel. Voici quelques passages de cette pièce,
où l'on trouve des traces du génie de l'auteur du _Cid_:

    Oui, généreux appui de tout notre Parnasse,
    Tu me rends ma vigueur lorsque tu me fais grâce.
    Et je veux bien apprendre à tout notre avenir
    Que tes regards benins ont su me rajeunir.
    .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
    Je sens le même feu, je sens la même audace
    Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace.
    Et je me trouve encore la main qui crayonna
    L'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna.
    Choisis-moi seulement quelque nom dans l'histoire
    Pour qui tu veuilles place au temple de la Gloire,
    Quelque nom favori qu'il te plaise arracher
    A la nuit de la tombe, aux cendres du bûcher.
    Soit qu'il faille ternir ceux d'Énée et d'Achille
    Par un noble attentat sur Homère et Virgile,
    Soit qu'il faille obscurcir par un dernier effort
    Ceux que j'ai sur la scène affranchis de la mort;
    Tu me verras le même, et je te ferai dire,
    Si jamais pleinement ta grande âme m'inspire,
    Que dix lustres et plus n'ont pas tout emporté
    Cet assemblage heureux de force et de clarté,
    Ces prestiges secrets de l'aimable imposture.
    Qu'à l'envi m'ont prêtés et l'art et la nature.
    N'attends pas toutefois que j'ose m'enhardir,
    Ou jusqu'à te dépeindre, ou jusqu'à t'applaudir.
    Ce serait présumer que d'une seule vue
    J'aurais vu de ton cœur la plus vaste étendue.
    Qu'un moment suffirait à mes débiles yeux
    Pour démêler en toi ces dons brillants des cieux.
    De qui l'inépuisable et perçante lumière,
    Sitôt que tu parais, fait baisser la paupière.
    J'ai déjà vu beaucoup en ce moment heureux.
    Je t'ai vu magnanime, affable, généreux,
    Et ce qu'on voit à peine après dix ans d'excuses,
    Je t'ai vu tout à coup libéral pour les Muses.
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    Hâte-toi cependant de rendre un vol sublime
    Au génie amorti que ta bonté ranime,
    Et dont l'impatience attend pour se borner
    Tout ce que tes faveurs lui voudront ordonner.

Ce remercîment atteste que Corneille avait reçu de Fouquet une faveur
signalée, comme il le dit lui-même, et qu'il avait promis au
surintendant de traiter le sujet de tragédie que ce dernier lui
indiquerait. Fouquet lui en proposa trois et lui laissa le choix.
Corneille préféra _Œdipe_, et fit représenter cette pièce en 1659.
«Chacun sait, dit-il dans l'_Avis au lecteur_ public en tête de cette
tragédie, que ce grand ministre n'est pas moins le surintendant des
belles-lettres que des finances; que sa maison est aussi ouverte aux
gens d'esprit qu'aux gens d'affaires, et que, soit à Paris, soit à la
campagne, c'est dans les bibliothèques[580] qu'on attend ces précieux
moments qu'il dérobe aux occupations qui l'accablent, pour en gratifier
ceux qui ont quelque talent d'écrire avec succès. Ces vérités sont
connues de tout le monde; mais tout le monde ne sait pas que sa bonté
s'est étendue jusqu'à ressusciter les Muses ensevelies dans un long
silence, et qui étaient comme mortes au monde, puisque le monde les
avait oubliées. C'est donc à moi à le publier après qu'il a daigné m'y
faire revivre si avantageusement, non que de là j'ose prendre l'occasion
de faire ses éloges. Nos dernières années ont produit peu de livres
considérables, ou pour la profondeur de la doctrine, ou pour la pompe et
la netteté de l'expression, ou pour les agréments et la justesse de
l'art, dont les auteurs ne se soient mis sous une protection si
glorieuse, et ne lui aient rendu les hommages que nous devons tous à ce
concert éclatant et merveilleux de rares qualités et de vertus
extraordinaires, qui laissent une admiration continuelle à ceux qui ont
le bonheur de l'approcher. Les téméraires efforts que j'y pourrais faire
après eux ne serviraient qu'à montrer combien je suis au-dessous d'eux.
La matière est inépuisable, mais nos esprits sont bornés, et, au lieu de
travailler à la gloire de mon protecteur, je ne travaillerais qu'à ma
honte. Je me contenterai de vous dire simplement que, si le public a
reçu quelque satisfaction de ce poëme [581], et s'il en reçoit encore de
ceux de cette nature et de ma façon qui pourront le suivre, c'est à lui
qu'il en doit imputer le tout, puisque, sans ses commandements, je
n'aurais jamais fait Œdipe, et que cette tragédie a plu assez au roi
pour me faire recevoir de véritables et solides marques de son
approbation, je veux dire ses libéralités, que j'ose nommer des ordres
tacites, mais pressants, de consacrer aux divertissements de Sa Majesté
ce que l'âge et les vieux travaux m'ont laissé d'esprit et de
vigueur[582].» C'est à ce réveil du poëte, provoqué par Fouquet, que la
postérité doit Sertorius et Othon[583].

Thomas Corneille eut aussi part aux bienfaits de Fouquet. Il lui dédia
une de ses tragédies et s'occupa du sujet de _Camma_, un des trois
canevas proposés par Fouquet à Pierre Corneille[584]. Traitée par un
génie tel que Pierre Corneille, cette pièce aurait pu exciter les
émotions de terreur et de pitié que recherche surtout la poésie
dramatique. Camma avait vu son époux assassiné par un rival qui
ambitionnait sa main; elle feignit, pour assurer sa vengeance, de se
rendre aux désirs du meurtrier. Arrivée au pied de l'autel où leur hymen
devait être consacré, elle lui présenta une coupe comme symbole d'union;
mais la coupe était empoisonnée, et le meurtrier y but la mort. Ce sujet
tragique, qui n'est pas sans analogie avec celui de Mérope, fut traité
faiblement par Thomas Corneille. Du reste (et c'est ce que nous voulons
surtout faire ressortir), la générosité de Fouquet envers les poëtes
même médiocres est constatée par la dédicace que Thomas Corneille a
placée en tête de sa tragédie de la _Mort de Commode_. Il y parle à
plusieurs reprises des «généreuses marques d'estime» et des «bienfaits»
qu'il a reçus de Fouquet; il lui dit: «Je voulais m'offrir et vous
m'avez attiré.» Enfin il vante sa générosité sans exemple et le parfait
discernement qu'il sait faire de toutes choses[585].

Parmi les beaux esprits de cette époque, un de ceux qui eut le plus à se
louer de Fouquet fut Pellisson[586]. Né à Castres, en 1624, Paul
Pellisson-Fontanier suivit d'abord la carrière du barreau et publia un
ouvrage de jurisprudence. Plus tard, il vint s'établir à Paris et se lia
avec Conrart et d'autres gens de lettres; ce fut alors qu'il composa son
_Histoire de l'Académie française_, qui lui valut l'honneur d'être nommé
membre surnuméraire de la docte compagnie. Il connut vers le même temps
mademoiselle de Scudéry, qui était dans tout l'éclat de sa gloire
littéraire. Pellisson devint bientôt l'âme des _samedis_ de la Sapho
moderne. On y faisait des madrigaux; on y raffinait la langue au point
de la rendre inintelligible. Cette littérature, il faut bien l'avouer,
n'a pas une grande portée. L'hôtel de Rambouillet, où les _précieuses_
s'étaient jadis réunies autour de Catherine de Vivonne et de sa fille,
Julie d'Angennes, avait épuré la langue et inspiré le goût et le
sentiment des beautés délicates. Malgré le tour d'esprit un peu
recherché et maniéré des Voiture et des Benserade, il y avait eu là un
travail utile. Les nouvelles _précieuses_ qui, après la Fronde, se
groupèrent autour de mademoiselle de Scudéry, n'eurent qu'un mérite: ce
fut de faire pénétrer dans les classes bourgeoises ce goût du fin, du
délicat, du recherché, qui avait été jusqu'alors le partage de
l'aristocratie. Le titre de _précieuse_ donna un brevet de distinction,
comme on dit aujourd'hui, et tout ce qu'il y avait de beaux esprits et
de femmes élégantes ambitionna l'honneur d'aller le recevoir des mains
de mademoiselle de Scudéry et de Pellisson.

Parmi les personnes qui assistaient aux samedis, on voit surtout figurer
des bourgeoises, entre autres madame Cornuel, si connue par ses bons
mots, et ses deux belles-filles, mesdemoiselles Legendre et Marguerite
Cornuel[587]. Madame du Plessis-Bellière, qui était d'un rang plus
élevé, était aussi en relation avec mademoiselle de Scudéry. C'était
Pellisson, comme nous l'apprennent ses lettres, qui avait conduit son
amie chez madame du Plessis-Bellière. Dès le 2 novembre 1636, il
écrivait à mademoiselle Legendre[588]: «J'ai trouvé toute la civilité du
monde en madame du Plessis-Bellière. M. l'abbé de Bruc, son frère, avant
qu'il allât en Bretagne, où il est, m'avait proposé de lui mener notre
amie[589]. Il me sera tout à fait aisé de le faire quand il sera de
retour, parce que j'ai assez de familiarité avec lui; mais avant cela
même, puisque vous le jugez à propos, bien loin d'en éviter l'occasion
ou de la négliger, je la rechercherai avec soin, quoique je me présente
plus rarement aux lieux où il faut aller pour cela, par la crainte de
jouer ce personnage d'importun dont vous parlez si agréablement, et que
vous ne sauriez pourtant jouer quand vous le voudriez. Cependant,
mademoiselle, vous savez bien que je ne suis qu'à vingt pas de M. le
procureur général[590]; je dois ajouter que je connais assez
particulièrement la plupart de ses commis. S'il y a quelque chose où je
puisse être employé dans l'affaire secrète dont vous me parlez, vous
n'avez qu'à ordonner, et je vous assure qu'elle ne sera pas moins
secrète pour me l'avoir communiquée.»

Pellisson se lia de plus en plus avec madame du Plessis-Bellière, et
cette femme, dont tous les contemporains ont vanté l'esprit, fut charmée
de celui de l'ami de mademoiselle de Scudéry. Elle les fit connaître
tous deux au surintendant, qui s'empressa de se les attacher par des
pensions. Pellisson paya la dette de mademoiselle de Scudéry par un
_Remercîment du siècle à M. le surintendant Fouquet_, et bientôt il en
adressa un nouveau en son nom[591]. C'est Apollon qui parle par la voix
de Pellisson, et dans un langage qui rappelle celui de la _Carte de
Tendre_, dressée par les précieuses, il fait traverser au poëte le
royaume des allégories, la région des hyperboles, des anachronismes, des
prophéties, pour arriver enfin au pays des bienfaits et de la
reconnaissance. Là s'élèvent des colonnes de marbre avec des chapiteaux
de bronze et des inscriptions en lettres d'or. On y lit «les noms
d'Auguste, de Mécène, de François Ier, de Henri III, de Louis le
Juste et du grand Armand[592].» Fouquet y a sa place marquée par la
reconnaissance. Dans ce pays imaginaire, Apollon montre au poëte des
remercîments de toute espèce, remercîments de refus, remercîments
intéressés, remercîments ambitieux. Il y a ça et là quelques traits
satiriques qui relèvent la fadeur de l'allégorie. Enfin Pellisson trouve
les _remercîments de cœur_; c'étaient ceux qu'il cherchait et qu'il
adresse à son bienfaiteur.

A partir de 1656, Pellisson devint un des principaux commis de Fouquet;
mais les soucis des affaires ne le détournèrent jamais complètement de
la littérature. Devenu maître de la chambre des comptes de Montpellier,
en 1659, il continua de s'occuper de vers et de finances. Fouquet
l'employait à traiter avec les fermiers des impôts et à corriger les
billets galants qu'il écrivait[593]. Mais Pellisson, et c'est là son
principal titre à nos yeux, était l'intermédiaire entre Fouquet et les
gens de lettres; c'était par lui que Boisrobert, Loret, Scarron,
Gombauld, Hesnault et d'autres étaient signalés au surintendant, qui ne
fut jamais insensible à leur misère. La position officielle de Pellisson
auprès du surintendant n'interrompit point ses relations avec
mademoiselle de Scudéry. Quoique défiguré par la petite vérole, et
célèbre pour sa laideur, il avait inspiré à Sapho (c'était le nom de
mademoiselle de Scudéry parmi les précieuses) une passion dont elle ne
se défendait pas. Dans des vers, où Pellisson était désigné sous le nom
d'Acante, Sapho s'adressait à lui en ces termes:

    Enfin, Acaute, il se faut rendre;
    Votre esprit a charmé le mien.
    Je vous fais citoyen de _Tendre_[594].
    Mais de grâce n'en dites rien.

Les amours de Pellisson et de mademoiselle de Scudéry donnèrent lieu à
des chansons et à des épigrammes, où l'on n'oubliait pas les allusions à
la Laideur de Pellisson:

    L'amour met tout sous son empire,
    Et ce n'est pas une chanson;
    Sapho même soupire
    Pour le docte Pellisson.
    --Eh bien! eh bien, qu'en voulez-vous dire?
    N'est-il pas joli garçon?

Les vers que l'amour pour mademoiselle de Scudéry inspira à Pellisson ne
s'élèvent guère au-dessus du médiocre. La recherche du bel esprit les
gâte presque toujours. Cependant, on trouve ça et là quelques traits
heureux. Il fait ainsi parler les fleurs qu'il lui envoie le jour de sa
fête:

    A la plus belle des journées,
    Nous arrivons sèches, fanées;
    Mais n'en soyez point en courroux.
    Par là nous prétendons vous plaire:
    N'entendez-vous point ce mystère?
    Ainsi l'on sèche loin de vous.

Sapho, de son côté, écrivait à Pellisson. Les papiers de Fouquet[595]
renferment des lettres que mademoiselle de Scudéry adressait à Pellisson
pendant son voyage à Nantes, où il accompagnait le surintendant. Elles
méritent d'être conservées, parce qu'elles expriment avec vérité et
(chose extraordinaire pour une précieuse), avec naturel, l'affection de
mademoiselle de Scudéry pour Pellisson. On y trouve en même temps
quelques détails sur le surintendant et sur la société de gens de
lettres au milieu de laquelle vivait mademoiselle de Scudéry. La cour
était alors à Fontainebleau; mademoiselle de Scudéry revenait d'une
propriété appelée les _Pressoirs_, et était inquiète du silence prolongé
de Pellisson. La première lettre est datée de vendredi à six heures du
matin[596]: «Je pars dans un quart d'heure pour Paris. Je ne pus
m'embarquer hier, parce qu'il fit un temps effroyable, de sorte que je
prends le carrosse de M. de Prémont[597], qui me le donne de fort bonne
grâce. Je laisse la petite Marianne à M. Pineau avec la sienne, et je
suis si mal de ma tête que j'en perds patience. Peut-être que quelques
remèdes me soulageront. Je vous en écrirai demain plus au long, et je ne
vous écris aujourd'hui que pour vous demander de vos nouvelles et pour
vous prier de m'envoyer un billet pour M. Longuet, qui lui témoigne que
vous affectionnez l'affaire de M. Pineau; car, comme vous ne lui
écrivîtes pas en lui envoyant les lettres dont il s'agit, il ne s'est
pas pressé de le faire. Je vous demande pardon; mais je ne puis refuser
cela à ceux qui m'en prient. Adieu, jusqu'à demain. Souvenez-vous de
moi, plaignez-moi et m'aimez toujours. Je ne puis vous dire que cela
aujourd'hui. J'en pense bien davantage.»

Le lendemain, mademoiselle de Scudéry écrivit de Paris à Pellisson:
«J'arrivai hier fort tard ici après avoir laissé le pauvre M. Jacquinot
et madame sa femme en larmes. Sincèrement, je leur suis bien obligée de
l'amitié qu'ils m'ont témoignée en partant. Je prétendais vous écrire
une longue lettre aujourd'hui; mais, quoique je n'aie fait savoir mon
arrivée à personne, j'ai été accablée de monde, et le comte Tott[598],
qui va arriver, sera cause que je ne vous dirai pas tout ce que je
voudrais. Ma santé est toujours de même. Deslis vient d'être reprise de
la fièvre pour la troisième fois. Madame de Caen[599] vous baise mille
fois les mains. Mademoiselle Boquet[600] et madame du Val en font
autant. Je commence déjà, malgré les caresses de mes amies et de mes
amis, de regretter les Pressoirs[601] du temps que vous y veniez.

«Au reste, l'exil de mademoiselle de la Motte[602] fait grand bruit ici;
mais comme je sais qu'on vous a mandé cette histoire, je ne vous en dis
rien. On dit que M. le surintendant doit laisser revenir le roi et aller
de Bretagne à Belle-Île. Je crois qu'il serait bien qu'il y soit le
moins qu'il pourra, afin d'ôter à ses ennemis la liberté de dire qu'il
ne s'arrête que pour fortifier Belle-Île. L'intérêt particulier que je
prends à ce qui le regarde m'oblige de vous parler ainsi. On dit fort
ici, dans le monde de Paris, qu'il est mieux que personne dans l'esprit
du roi. Fontainebleau est si désert que l'herbe commence de croître dans
la cour de l'ovale. M. Ménage a été ici, qui vous baise mille fois les
mains. Si je ne craignais pas de vous fâcher, je vous dirais que madame
V. M. (votre mère) dit et fait de si étranges choses tous les jours, que
l'imagination ne peut aller jusque-là, et tout le monde vous plaint
d'avoir à essuyer une manière d'agir si injuste et si déraisonnable.
Pour moi, je souffre tout cela avec plaisir, puisque c'est pour l'amour
d'une personne qui me tient lieu de toutes choses. Je ne vous en dirais
rien, si la chose n'allait à l'extrémité, et si je ne jugeais pas qu'il
est bon qu'en général vous sachiez son injustice. Ne vous en fâchez
pourtant pas; car cela ne tombe ni sur vous ni sur moi. A votre retour,
je vous dirai un compliment que les dames de la Rivière me firent en
suite de quelque chose que madame V. M. (votre mère) avait dit. Mais,
après tout, il faut laisser dire à cette personne ce qu'il lui plaira,
et s'en mettre l'esprit en repos. Madame Delorme[603] me fait des
caresses inouïes, et madame de Beringhen aussi. Je ne sais ce qu'elles
veulent de moi. En voilà plus que je ne pensais, et cependant ce n'est
pas tout ce que je voudrais vous dire. Souvenez-vous de moi, je vous en
prie. Mandez-moi quand vous reviendrez, et m'écrivez un pauvre petit mot
pour me consoler de votre absence qui m'est la plus rude du monde.»

Enfin, ne recevant pas de réponse de Pellisson, mademoiselle de Scudéry
lui adresse une troisième lettre le 7 septembre, deux jours après son
arrestation: «Voici la troisième fois que je vous écris, sans avoir
entendu de vos nouvelles depuis mon départ des Pressoirs. Il me semble
pourtant que vous pouviez m'écrire un pauvre petit billet de deux lignes
seulement pour me tirer de l'inquiétude où votre silence me met; car
enfin il y a douze jours que vous êtes parti. Je ne vous demande point
de longue lettre; je ne veux qu'un mot qui me dise comment vous vous
portez. Car, pour peu que je sache que vous vivez, je présupposerai que
vous m'aimez toujours, et qu'il vous souvient de moi autant que je me
souviens de vous. J'aurais quatre mille choses à vous dire de
différentes manières; mais il faut les garder pour votre retour.

«M. de Méringat[604], qui est à Paris, vous baise les mains. M. de la
Mothe-le-Vayer en fait autant et m'a chargée de vous donner un petit
livre de sa façon que je vous garde. M. Nublé m'a promis la harangue que
fit M. le premier président de la chambre des comptes[605], lorsque
Monsieur[606] fut porter des édits à sa compagnie. Ce discours est fort
hardi; on le loue fort à Paris, et l'on en fait grand bruit partout. Si
je l'ai devant que de fermer mon paquet, je vous l'enverrai.

«On dit toujours que M. le surintendant va droit à être premier
ministre, et ceux mêmes qui le craignent commencent à dire que cela
pourrait bien être.

«On travaille à l'accommodement de mademoiselle de la Motte. Madame la
comtesse de la Suze[607] a enfin été démariée, de sorte que c'est tout
de bon qu'elle est madame la comtesse d'Adington. Au reste, on dit hier
chez une personne de qualité et du monde, que madame du Plessis-Bellière
pourrait bien épouser M. le duc de Villars, et qu'elle sera gouvernante
de M. le dauphin. Mais on parle parmi tout cela de Belle-Île, de sorte
qu'il est assez bon de se précautionner contre tout ce que l'on peut
dire. Je vous mande tout ce que je sais; vous en ferez ce qu'il vous
plaira.

«Au reste, j'ai été bien surprise de trouver ici, à mon retour, entre
les mains de plusieurs personnes, les vers que M. le surintendant fit
pour répondre aux vôtres; car j'en faisais un grand secret. Lambert les
a donnés à madame de Toisy et à ma belle-sœur, et il leur a dit qu'il a
eu commandement d'y faire un air, et en effet il en a fait un. On montre
aussi une contre-réponse que vous avez faite, qui n'est point de ma
connaissance.

«On a fait quatre vilains vers pour l'aventure de mademoiselle de la
Motte, que madame de Beauvais[608] a fait chasser. C'est le bon M. de la
Mothe qui me les a dits. Il y a une vilaine parole; mais n'importe! ce
n'est pas moi qui l'y ai mise:

    Ami, sais-tu quelque nouvelle
    De ce qui se passe à la cour?
    --On y dit que la maq....
    A chassé la fille d'amour.

«Tout le monde blâme M. le marquis de Richelieu[609].

«Adieu, en voilà trop. Pour vous, j'ajouterai cependant que madame votre
mère a dit à M. Ménage des choses qui vous épouvanteraient, si vous le
saviez, tant elles sont déraisonnables, emportées et hors de toute
raison. Aussi Boisrobert fait-il une comédie de toutes ces belles
conversations. Je ne vous en aurais rien dit si plusieurs personnes ne
m'étaient venues dire que j'étais obligée de vous avertir d'une partie
de la vérité. Pardonnez-le-moi, et croyez que, pour ce qui me regarde,
je sacrifie toutes choses à votre plaisir, pourvu que vous me conserviez
toujours votre affection. Vous le devez, et je vous en conjure par la
plus sincère, par la plus tendre et la plus fidèle amitié du monde.
C'est tout ce que je puis vous dire de si loin. Bonsoir; écrivez-moi un
mot, car votre silence me tue.

«Mille amitiés à M. de la Bastide et à M. du Mas[610]. Donnez, s'il vous
plaît, au premier, une lettre que M. Pineau lui écrit. Madame de Caen
vous baise les mains, elle vous a envoyé une lettre pour M. le
surintendant. Le pauvre M. de Montpellier vous prie toujours de ne
l'oublier pas, quand vous serez de retour, et dit que, s'il y a
quelqu'un dans sa compagnie qui ne plaise pas, on n'a qu'à le lui dire.
Ce pauvre homme me promet des merveilles; mais, comme vous le savez, je
ne vous demande jamais que ce que vous devez et que ce qui vous plaît.»

Ces lettres font regretter que mademoiselle de Scudéry ait si souvent
cherché l'esprit au lieu de suivre sa première inspiration. Le ton en
est vif et les sentiments vrais. L'affection pour Pellisson et pour le
surintendant s'y peint naturellement, et en même temps on y trouve des
conseils de prudence, qui malheureusement n'avaient pas été suivis.

Parmi les personnes que cite mademoiselle de Scudéry, on remarque
Boisrobert, qui avait figuré, dès le temps du cardinal de Richelieu, au
nombre des poëtes de la cour. Il sollicita et obtint des secours de
Fouquet. Ses _Épîtres en vers_[611] sont remplies d'éloges intéressés,
où le poëte mendie les faveurs du surintendant et de ses commis.
Gombauld, qui avait paru avec honneur dans les réunions littéraires de
l'hôtel de Rambouillet, montra plus de dignité; ayant obtenu le payement
de sa pension, il se borna à dédier à Fouquet sa pièce des _Danaïdes_ en
1658. Le traducteur de la _Pharsale_, Brébeuf, fut aussi encouragé par
la générosité du surintendant. Le poëte Hesnault, qui plus lard s'honora
par sa fidélité à Fouquet malheureux et lança contre Colbert un sonnet
resté célèbre, touchait une pension pour des vers moins dignes de
récompense. Hesnault était épicurien et affichait hautement son
matérialisme. Il continuait la tradition des Théophile et d'autres
poëtes libertins, qui devaient trouver dans Chaulieu et dans la société
du Temple de trop fidèles imitateurs. Le gazetier Loret était habitué à
tendre la main à tous les ministres; il ne manqua pas de solliciter les
bienfaits du surintendant et en obtint une pension. Scarron, vieux et
infirme, assiégeait Fouquet de placets; il l'appelait _son généreux,
son adorable maître_, et se qualifiait de _son humble valet_. Malgré le
souvenir encore récent des mazarinades, Scarron obtint de Fouquet une
pension et de fréquentes gratifications. On a prétendu que madame
Scarron, qui était alors dans tout l'éclat de la beauté et bien loin des
brillantes destinées que lui réservait la fortune, ne fut pas étrangère
aux libéralités de Fouquet. On cite une prétendue lettre de cette dame
au surintendant[612]; mais cette pièce n'a aucune authenticité, et si
j'y fais allusion, c'est que la calomnie se répète encore tous les
jours, et attribue ce honteux billet à celle qui devait être madame de
Maintenon. Le surintendant, il faut le proclamer à sa louange, n'avait
pas besoin de pareils motifs pour secourir un poëte qui implorait son
secours.

On connaît, d'ailleurs, par les lettres mêmes de madame Scarron[613],
ses relations avec la famille Fouquet; elles furent toujours pleines de
convenance et de dignité. C'est à madame Fouquet que madame Scarron
adresse ses lettres. Elle lui écrivait le 25 mai 1658 pour la remercier
d'un service qu'elle venait de recevoir du surintendant: «Madame, je ne
vous importunerai plus de l'affaire des déchargeurs: elle est
heureusement terminée par la protection de ce héros, auquel nous devons
tout et que vous avez le plaisir d'aimer. Le prévôt des marchands a
entendu raison, dès qu'il a entendu le grand nom de M. Fouquet. Je vous
supplie, madame, de trouver bon que j'aille vous en remercier à Vaux.
Madame de Vassé m'a assurée que vous me continuez vos bontés, et que
vous ne me trouveriez pas de trop dans ces allées, où l'on pense avec
tant de raison, où l'on badine avec tant de grâce.»

Madame Fouquet goûta l'esprit et l'amabilité de madame Scarron, au point
de vouloir la retenir auprès d'elle. Cette faveur eût été dangereuse, et
madame Scarron l'éluda avec un tact et une habileté qui répondent à
toutes les calomnies. Elle écrivit à madame Fouquet[614]: «Madame, les
obligations que je vous ai ne m'ont pas permis d'hésiter sur la
proposition que madame Bonneau m'a faite de votre part: elle m'est si
glorieuse, je suis si dégoûtée de ma situation présente, j'ai tant de
vénération pour votre personne, que je n'aurais pas balancé un instant,
quand même la reconnaissance que je vous dois ne m'aurait point parlé.
Mais, madame, M. Scarron, quoique votre redevable et très-humble
serviteur, ne peut y consentir. Mes instances ne l'ont point fléchi: mes
raisons ne l'ont point persuadé. Il vous conjure de m'aimer moins, ou
de m'en donner des marques qui coûtent moins à l'amitié qu'il a pour
moi. Lisez sa requête, madame, et pardonnez-en la vivacité à un mari,
qui n'a d'autre ressource contre l'ennui, d'autre consolation dans tous
ses maux qu'une femme qu'il aime. J'ai dit à madame Bonneau que, si vous
vouliez abréger le terme, j'aurais peut-être son consentement; mais je
vois qu'il est inutile de m'en flatter, et que j'avais trop présumé de
mon pouvoir. Je vous prie, madame, de me continuer votre protection:
personne ne vous est plus attaché que moi, et ma reconnaissance ne
finira qu'avec ma vie.»



CHAPITRE XXIV

Fouquet encourage Molière et la Fontaine.--Ce dernier lui offre son
poëme d'_Adonis_.--Il reçoit une pension de Fouquet à condition de
lui payer une redevance poétique.--Engagement que prend la Fontaine
dans son _Épître à Pellisson_ (1659).--Il s'acquitte du premier
terme de la redevance par une ballade adressée à madame Fouquet
(juillet 1659).--Quittance en vers donnée par Pellisson.--Ballade
adressée, en octobre 1659, à Fouquet pour le payement du second
terme.--Ballade sur la paix des Pyrénées (décembre
1659).--Insouciance et indépendance de la Fontaine; il se plaint
dans une épître en vers de n'avoir pas été reçu par le
surintendant.--Fouquet écoute les plaintes de la Fontaine et sa
requête en faveur de sa ville natale (Château-Thierry).--La
redevance poétique, à laquelle s'était engagé la Fontaine, lui
devient onéreuse.--Fouquet ne lui continue pas moins sa
pension.--_Songe de Vaux_, poëme entrepris par la Fontaine et resté
inachevé.--Artistes protégés et encouragés par Fouquet.


A l'exception de Pierre Corneille, les poëtes que nous avons vus jusqu'à
présent encouragés par Fouquet n'intéressent guère la postérité; mais on
trouve, sur la liste de ceux qui reçurent ses bienfaits, deux noms qui
demandent grâce pour lui: Molière et la Fontaine. Le premier venait de
se fixer à Paris avec sa troupe, jusqu'alors nomade, et commençait, dans
le _Dépit amoureux_ et dans les _Précieuses ridicules_, à opposer le
vrai comique aux bouffonneries de Scarron. Il est probable que, dès
cette époque, il fut encouragé par Fouquet, pour lequel nous le verrons
bientôt composer la pièce des _Fâcheux_. Quant à la Fontaine, il était
venu à Paris vers 1658, appelé par son oncle Jannart, substitut du
procureur général. Ce fut Jannart qui le présenta à Fouquet, et le lui
recommanda comme un bel esprit[615]. La Fontaine avait déjà publié une
traduction de l'_Eunuque_ de Térence et composé un poëme d'_Adonis_,
qu'il offrit à Fouquet avec une dédicace en vers:

    Fouquet, l'unique but des faveurs d'Uranie.
    Digne objet de mes chants, vaste et noble génie.
    Qui seul peux embrasser tant de soins à la fois,
    Honneur du nom public, défenseur de nos lois;
    Toi dont l'âme s'élève au-dessus du vulgaire,
    Qui connais les beaux-arts, qui sais ce qui doit plaire.
    Et de qui le pouvoir, quoique peu limité,
    Par le rare mérite est encor surmonté,
    Vois de bon œil cet œuvre, et consens pour ma gloire
    Qu'avec toi l'on le place au temple de Mémoire:
    Par toi je me promets un éternel renom;
    Mes vers ne mourront point, assistés de ton nom.
    Ne les dédaigne pas, et lis cette aventure
    Dont pour te divertir j'ai tracé la peinture.

L'_Adonis_ ne manque pas de mérite. Des idées gracieuses, rendues en
vers ingénieux, annonçaient déjà un véritable poëte. C'est dans
l'_Adonis_ que se trouve ce vers si souvent cité:

    Et la grâce plus belle encor que la beauté.

En 1659, Fouquet accorda à la Fontaine une pension annuelle de mille
francs, à condition qu'il lui enverrait une pièce de vers pour le
payement de chaque quartier. La Fontaine souscrivit à cet engagement
dans une pièce adressée à Pellisson; il était alors dans toute l'ardeur
de l'enthousiasme pour un surintendant aussi spirituel que généreux, qui
encourageait avec une grâce délicate et se disait l'obligé de ceux qu'il
enrichissait. Il aimait Pellisson, par lequel passaient les dons de
Fouquet; aussi se montre-t-il d'abord tout de feu pour s'acquitter de
ses engagements.

    Je vous l'avoue, et c'est la vérité,
    Que monseigneur[616] n'a que trop mérité
    La pension qu'il veut que je lui donne.
    En bonne foi, je ne connais personne
    A qui Phébus s'engageât aujourd'hui
    De la donner plus volontiers qu'à lui;
    Son souvenir qui me comble de joie
    Sera payé tout en belle monnoie
    De madrigaux, d'ouvrages ayant cours.
    Cela s'entend, sans manquer de deux jours
    Aux termes pris, ainsi que je l'espère.
    Cette monnoie est sans doute légère.
    Et maintenant peu la savent priser;
    Mais c'est un fonds qu'on ne peut épuiser.
    Plût aux destins, amis de cet empire,
    Que de l'épargne[617] on en pût autant dire!
    J'offre ce fonds avec affection;
    Car, après tout, quelle autre pension
    Aux demi-dieux pourrait être assinée[618]?
    Pour acquitter celle-ci chaque année,
    Il me faudra quatre termes égaux:
    A la Saint-Jean, je promets madrigaux
    Courts et troussés, et de taille mignonne,
    Longue lecture en été n'est pas bonne;
    Le chef d'octobre aura son tour après;
    Ma muse alors prétend se mettre en frais.
    Notre héros, si le beau temps ne change,
    De menus vers aura pleine vendange.
    Ne dites point que c'est menu présent;
    Car menus vers sont en vogue à présent.
    Vienne l'an neuf, ballade est destinée:
    Qui rit ce jour, il rit toute l'année.
    Or la ballade a cela, ce dit-on,
    Qu'elle fait rire, ou ne vaut un bouton.
    Pâques, jour saint, veut autre poésie:
    J'enverrai lors, si Dieu me prête vie;
    Pour achever toute la pension,
    Quelque sonnet plein de dévotion:
    Ce terme-là pourrait être le pire,
    On me voit peu sur tels sujets écrire;
    Mais tout au moins je serai diligent,
    Et si j'y manque, envoyez un sergent;
    Faites saisir, sans aucune remise,
    Stances, rondeaux, et vers de toute guise;
    Ce sont nos biens: les doctes nourrissons
    N'amassent rien, si ce n'est des chansons.

    Ne pouvant donc présenter autre chose,
    Qu'à son plaisir le héros en dispose.
    Vous lui direz qu'un peu de son esprit
    Me viendrait bien pour polir chaque écrit.
    Quoi qu'il en soit, je me fais fort de quatre;
    Et je prétends, sans un seul en rabattre,
    Qu'au bout de l'an le compte y soit entier:
    Deux en six mois, un par chaque quartier.
    Pour sûreté, j'oblige par promesse
    Le bien que j'ai sur le bord du Permesse,
    Même au besoin notre ami Pellisson
    Me pleigera[619] d'un couplet de chanson.
    Chanson de lui tient lieu de longue épître;
    Car il en est sur un autre chapitre.
    Bien nous en prend; nul de nous n'est fâché
    Qu'il soit ailleurs jour et nuit empêché.

    A mon égard, je juge nécessaire
    De n'avoir plus sur les bras qu'une affaire.
    C'est celle-ci: j'ai donc intention
    De retrancher toute autre pension,
    Celle d'Iris même[620]; c'est tout vous dire;
    Elle aura beau me conjurer d'écrire,
    En lui payant, pour ses menus plaisirs,
    Par an trois cent soixante et cinq soupirs
    (C'est un par jour, la somme est assez grande).
    Je n'entends point après qu'elle demande
    Lettre ni vers, protestant de bon cœur
    Que tout sera gardé pour monseigneur.

La Fontaine était sincère lorsqu'il prenait cet engagement, et il
l'exécuta d'abord avec scrupule. La première échéance de la rente qu'il
devait au surintendant tombait au mois de juillet 1659; il paya
exactement et largement sa dette. Ce fut à madame Fouquet, femme du
surintendant, qu'il adressa sa ballade:

    Comme je vois monseigneur votre époux
    Moins de loisir qu'homme qui soit en France,
    Au lieu de lui, puis-je payer à vous?
    Serait-ce assez d'avoir votre quittance?
    Oui, je le crois; rien ne tient en balance
    Sur ce point là mon esprit soucieux.
    Je voudrais bien faire un don précieux;
    Mais si mes vers ont l'honneur de vous plaire,
    Sur ce papier promenez vos beaux yeux.
    En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

    Je viens de Vaux, sachant bien que sur tous
    Les Muses font en ce lieu résidence;
    Si leur ai dit, en ployant les genoux,
    Mes vers voudraient faire la révérence
    A deux soleils de votre connaissance,
    Qui sont plus beaux, plus clairs, plus radieux
    Que celui-là qui loge dans les cieux.
    Partant, vous faut agir dans cette affaire,
    Non par acquit, mais de tout votre mieux.
    En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

    L'une des neuf m'a dit d'un ton fort doux
    (Et c'est Clio, j'en ai quelque croyance):
    Espérez bien de ses yeux et de nous.
    J'ai cru la Muse; et sur cette assurance
    J'ai fait ces vers, tout rempli d'espérance.
    Commandez donc, en termes gracieux,
    Que, sans tarder, d'un soin officieux,
    Celui des Ris qu'avez pour secrétaire
    M'en expédie un acquit glorieux.
    En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

    ENVOI

    Reine des cœurs, objet délicieux,
    Que suit l'enfant qu'on adore en des lieux
    Nommés Paphos, Amathonte et Cythère,
    Vous qui charmez les hommes et les dieux,
    En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

Ce fut Pellisson qui donna la quittance du quartier de rente payé par la
Fontaine. Il la fit en vers et en double expédition; l'une est une
quittance publique par-devant notaire, et l'autre une quittance sous
seing privé. Voici la première:

    Par-devant moi, sur Parnasse notaire,
    Se présenta la reine des beautés
    Et des vertus le parfait exemplaire,
    Qui lut ces vers, puis les ayant comptés,
    Pesés, revus, approuvés et vantés,
    Pour le passé voulut s'en satisfaire;
    Se réservant le tribut ordinaire,
    Pour l'avenir, aux termes arrêtés.
    Muses de Vaux, et vous leur secrétaire,
    Voilà l'acquit tel que vous souhaitez.
    En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

La quittance sous seing privé continue ces jeux d'esprit:

    De mes deux yeux, ou de mes deux soleils,
    J'ai lu vos vers, qu'on trouve sans pareils,
    Et qui n'ont rien qui ne me doive plaire.
    Je vous tiens quitte et promets vous fournir
    De quoi partout vous le faire tenir,
    Pour le passé, mais non pour l'avenir.
    En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

Le second terme, celui d'octobre, commence à peser à la Fontaine. Il
aimait avec délices le sommeil et la paresse; il ne rimait qu'à ses
heures et sur des sujets de son choix. La contrainte lui était odieuse;
il me semble qu'elle se trahit dans la ballade qu'il adressa à Fouquet
pour son nouveau payement. Il y a toujours de la finesse et de la
malice; mais, si je ne me trompe, on y sent l'effort:

    Trois fois dix vers, et puis cinq d'ajoutés,
    Sans point d'abus, c'est ma tâche complète;
    Mais le mal est qu'ils ne sont pas comptés:
    Par quelque bout il faut que je m'y mette.
    Puis, que jamais ballade je promette!
    Dussé-je entrer au fin fond d'une tour.
    Nenni, ma foi, car je suis déjà court;
    Si que je crains que n'ayez rien du nôtre;
    Quand il s'agit de mettre une œuvre au jour.
    Promettre est un, et tenir est un autre.

    Sur ce refrain, de grâce, permettez
    Que je vous conte en vers une sornette.
    Colin, venant des Universités,
    Promit un jour cent francs à Guillemette.
    De quatre-vingts il trompa la fillette,
    Qui, de dépit, lui dit, pour faire court:
    Vous y viendrez cuire dans notre four!
    Colin répond, faisant le bon apôtre:
    Ne vous fâchez, belle, car en amour
    Promettre est un, et tenir est un autre.

    Sans y penser, j'ai vingt vers ajustés,
    Et la besogne est plus qu'à demi faite.
    Cherchons-en treize encor de tous côtés,
    Puis ma ballade est entière et parfaite.
    Pour faire tant que l'ayez toute nette,
    Je suis en eau, tant que j'ai l'esprit lourd;
    Et n'ai rien fait, si par quelque bon tour
    Je ne fabrique encore un vers en _ôtre_;
    Car vous pourriez me dire à votre tour:
    Promettre est un, et tenir est un autre.

    ENVOI

    O vous, l'honneur de ce mortel séjour,
    Ce n'est pas d'hui que ce proverbe court;
    On ne l'a fait de mon temps ni du vôtre:
    Trop bien savez qu'en langage de cour
    Promettre est un, et tenir est un autre.

Dans l'intervalle entre le second et le troisième terme, un événement
politique d'une haute importance vint fournir au poëte l'inspiration qui
commençait à lui manquer. La paix des Pyrénées fut signée le 7 novembre
1659. La Fontaine s'empressa de la chanter, et paya son terme de
décembre par la ballade suivante:

    Dame Bellone, ayant plié bagage,
    Est en Suède avec Mars son amant.
    Laissons-les là; ce n'est pas grand dommage:
    Tout bon Français s'en console aisément.
    Jà n'en battrai ma femme assurément.
    Car que me chaut si le Nord s'entrepille,
    Et si Bellone est mal avec la cour?
    J'aime mieux voir Vénus et sa famille,
    Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.

    Le seul espoir restait pour tout potage;
    Nous en vivions, encor bien maigrement,
    Lorsqu'en traités Jules[621] ayant fait rage,
    A chassé Mars, ce mauvais garnement.
    Avec que nous, si l'almanach ne ment,
    Les Castillans n'auront plus de castille[622];
    Même au printemps on doit, de leur séjour,
    Nous envoyer avec certaine fille[623]
    Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.

    On sait qu'elle est d'un très-puissant lignage,
    Pleine d'esprit, d'un entretien charmant,
    Prudente, accorte, et surtout belle et sage,
    Et l'Empereur y pense aucunement;
    Mais ce n'est pas un morceau d'Allemand,
    Car en attraits sa personne fourmille;
    Et ce jeune astre, aussi beau que le jour,
    A pour sa dot, outre un métal qui brille,
    Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.

    ENVOI

    Prince amoureux de dame si gentille,
    Si tu veux faire à la France un bon tour,
    Avec l'Infante enlève à la Castille
    Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.

A cette ballade, la Fontaine joignit un madrigal pour la reine, comme au
terme précédent il avait ajouté à la ballade pour Fouquet un madrigal
sur le mariage de mademoiselle d'Aumont et de M. de Mezière. Ainsi,
pendant l'année, le poëte paya sa rente assez largement; mais, comme
nous l'avons dit, tout travail obligé lui devenait un fardeau
intolérable. Dormir, songer, promener ça et là ses rêveries et ses
amours volages, rimer quelque conte emprunté à Boccace, à l'Arioste ou à
Machiavel, voilà ce qui plaisait au poëte. Pellisson, son ami, avait
soin de faire valoir au surintendant ses moindres œuvres et d'excuser
ses retards. Il vantail avec raison la candeur naïve de l'épitaphe que
venait de se composer la Fontaine, et qui peint si bien son indifférence
pour la richesse:

    Jean s'en alla comme il était venu.
    Mangea le fonds avec le revenu.
    Tint les trésors chose peu nécessaire;
    Quant à son temps, bien sut le dispenser:
    Deux parts en fit, dont il soulait passer
    L'une à dormir, et l'autre à ne rien faire.

Ce rêveur, qui mangeait si légèrement son fonds, n'aurait pas longtemps
porté la chaîne d'un poëte de cour. On sent à chaque instant dans ses
vers la liberté du vrai génie qui se révolte contre l'apparence de la
domesticité. Au milieu de tous ces poëtes faméliques qui imploraient les
bienfaits du surintendant, on aime l'indépendance de la Fontaine. En
veut-on une nouvelle preuve? Il avait attendu à Saint-Mandé une audience
de Fouquet sans être admis, et, quoiqu'il fût entouré de cette riche
bibliothèque qu'admirait Corneille[624], quoiqu'il pût contempler les
curiosités que Fouquet avait tirées à grands frais de l'Orient et
surtout de l'Égypte, il s'impatienta, s'irrita et se plaignit de ce
manque d'égards dans une épître au surintendant:

    Dussé-je une fois vous déplaire,
    Seigneur, je ne me saurais taire:
    Celui qui, plein d'affection,
    Vous promet une pension,
    Bien payable et bien assinée[625],
    A tous les quartiers de l'année;
    Qui pour tenir ce qu'il promet
    Va souvent au sacré sommet,
    Et, n'épargnant aucune peine,
    Y dort après tout d'une haleine
    Huit ou dix heures règlement
    Pour l'amour de vous seulement,
    J'entends à la bonne mesure,
    Et de cela je vous assure;
    Celui-là, dis-je, a contre vous
    Un juste sujet de courroux.

    L'autre jour, étant en affaire
    Et le jugeant peu nécessaire,
    Vous ne daignâtes recevoir
    Le tribut qu'il croit vous devoir
    D'une profonde révérence.
    Il fallut prendre patience,
    Attendre une heure, et puis partir.
    J'eus le cœur gros, sans vous mentir,
    Un demi-jour, pas davantage.
    Car enfin, ce serait dommage
    Que, prenant trop mon intérêt,
    Vous en crussiez plus qu'il n'en est.
    Comme on ne doit tromper personne,
    Et que votre âme est tendre et bonne,
    Vous m'iriez plaindre un peu trop fort,
    Si, vous mandant mon déconfort,
    Je ne contais au vrai l'histoire;
    Peut-être même iriez-vous croire
    Que je souhaite le trépas
    Cent fois le jour: ce qui n'est pas.

    Je me console, et vous excuse:
    Car, après tout, on en abuse;
    On se bat à qui vous aura.
    Je crois qu'il vous arrivera
    Chose dont aux courts jours se plaignent
    Moines d'Orbais, et surtout craignent:
    C'est qu'à la fin vous n'aurez pas
    Loisir de prendre vos repas.
    Le roi, l'État, votre patrie,
    Partagent toute votre vie;
    Rien n'est pour vous, tout est pour eux.
    Bon Dieu! que l'on est malheureux
    Quand on est si grand personnage!
    Seigneur, vous êtes bon et sage,
    Et je serais trop familier,
    Si je faisais le conseiller.
    A jouir pourtant de vous-même
    Vous auriez un plaisir extrême:
    Renvoyez donc en certains temps
    Tous les traités, tous les traitants,
    Les requêtes, les ordonnances,
    Le parlement et les finances,
    Le vain murmure des frondeurs,
    Mais, plus que tous, les demandeurs.
    La cour, la paix[626], le mariage,
    Et la dépense du voyage,
    Qui rend nos coffres épuisés
    Et nos guerriers les bras croisés.
    Renvoyez, dis-je, cette troupe,
    Qu'on ne vit jamais sur la croupe
    Du mont où les savantes sœurs
    Tiennent boutique de douceurs,
    Tant que pour les amants des Muses
    Votre Suisse n'ait point d'excuses,
    Et moins pour moi que pour pas un.
    Je ne serai pas importun:
    Je prendrai votre heure et la mienne.
    Si je vois qu'on vous entretienne,
    J'attendra fort paisiblement
    En ce superbe appartement,
    Où l'on a fait d'étrange terre,
    Depuis peu, venir à grand'erre
    (Non sans travail et quelque frais)
    Des rois Cephrim et Kiopès
    Le cercueil, la tombe ou la bière:
    Pour les rois, ils sont en poussière.
    C'est là que j'en voulais venir.
    Il me fallut entretenir
    Avec ces monuments antiques,
    Pendant qu'aux affaires publiques
    Vous donniez tout votre loisir,
    Certes, j'y pris un grand plaisir.
    Vous semble-t-il pas que l'image
    D'un assez galant personnage
    Sert à ces tombeaux d'ornement?
    Pour vous en parler franchement.
    Je ne puis m'empêcher d'en rire.
    Messire Orus, me mis-je à dire,
    Vous nous rendez tout ébahis:
    Les enfants de votre pays
    Ont, ce me semble, des bavettes
    Que je trouve plaisamment faites.
    On m'eût explique tout cela;
    Mais il fallut partir de là
    Sans entendre l'allégorie.

    Je quittai donc la galerie,
    Fort content, parmi mon chagrin,
    De Kiopès et de Cephrim,
    D'Orus et de tout son lignage,
    Et de maint autre personnage.
    Puissent ceux d'Égypte en ces lieux.
    Fussent-ils rois, fussent-ils dieux.
    Sans violence et sans contrainte,
    Se reposer dessus leur plinthe
    Jusques au bout du genre humain!
    Ils ont fait assez de chemin
    Pour des personnes de leur taille.

    Et vous, seigneur, pour qui travaille
    Le temps qui peut tout consumer,
    Vous que s'efforce de charmer
    L'antiquité qu'on idolâtre,
    Pour qui le dieu de Cléopâtre,
    Sous nos murs enfin abordé,
    Vient de Memphis à Saint-Mandé,
    Puissiez-vous voir ces belles choses
    Pendant mille moissons de roses!
    Mille moissons, c'est un peu trop;
    Car nos ans s'en vont au galop.

    Jamais à petites journées.
    Hélas! les belles destinées
    Ne devraient aller que le pas.
    Mais quoi! le ciel ne le veut pas.
    Toute âme illustre s'en console,
    Et pendant que l'âge s'envole,
    Tâche d'acquérir un renom
    Qui fait encor vivre le nom
    Quand le héros n'est plus que cendre.
    Témoin celui qu'eut Alexandre
    Et celui du fils d'Osiris
    Qui va revivre dans Paris.

Fouquet acceptait de bonne grâce les boutades du poëte et lui pardonnait
ses impatiences. Lui-même n'avait que trop besoin d'indulgence, hélas!
et, tandis que la Fontaine le croyait absorbé par les affaires, il était
tout entier aux plaisirs. C'est du moins ce que dit un contemporain,
l'abbé de Choisy: «Il se chargeait de tout, et prétendait être premier
ministre sans perdre un instant de ses plaisirs. Il faisait semblant de
travailler seul dans son cabinet de Saint-Mandé, et, pendant que toute
la cour, prévenue de sa future grandeur, était dans son antichambre,
louant à haute voix le travail infatigable de ce grand homme, il
descendait par un escalier dérobé dans un petit jardin où ses nymphes,
que je nommerais bien si je voulais, et même les mieux cachées, lui
venaient tenir compagnie au prix de l'or.» Les lettres que nous citerons
dans la suite ne prouvent que trop la vérité de ce qu'avance l'abbé de
Choisy. C'est à Saint-Mandé que Fouquet recevait ordinairement
mademoiselle de Menneville, une des filles de la reine les plus
renommées par sa beauté. Les lettres de l'entremetteuse, qui
transmettait les messages et l'argent de Fouquet, sont encore
conservées à la bibliothèque impériale, et attestent les prodigalités du
surintendant et l'illusion de ceux qui le croyaient, comme la Fontaine,
tout occupé des affaires publiques.

En condamnant les folles dépenses du surintendant, on ne peut s'empêcher
de louer sa générosité et sa délicatesse envers un poëte comme la
Fontaine. Il lui laissait toute liberté de se plaindre et n'en prêtait
pas moins une oreille favorable à ses requêtes en faveur de ses
compatriotes. Le pont de Château-Thierry, où la Fontaine était né, avait
été emporté pendant l'hiver de 1659. Le poëte s'adressa aussitôt à
Fouquet:

    Dans cet écrit, notre pauvre cité
    Par moi, seigneur, humblement vous supplie,
    Disant qu'après le pénultième été
    L'hiver survint avec grande furie.
    Monceaux de neige et gros randons[627] de pluie.
    Dont maint ruisseau, croisant subitement,
    Traita nos ponts bien peu courtoisement.
    Si vous voulez qu'on les puisse refaire,
    De bons moyens j'en sais certainement.
    L'argent surtout est chose nécessaire.

    Or, d'en avoir, c'est la difficulté;
    La ville en est de longtemps dégarnie.
    Qu'y ferait-on? Vice n'est pauvreté;
    Mais cependant, si l'on n'y remédie.
    Chaussée et pont s'en vont à la voirie.
    Depuis dix ans, nous ne savons comment.
    La Marne fait des siennes tellement,
    Que c'est pitié de la voir en colère.
    Pour s'opposer à son débordement,
    L'argent surtout est chose nécessaire.

    Si, demandez combien en vérité
    L'œuvre en requiert, tant que soit accomplie
    Dix mille écus en argent bien compté.
    C'est justement ce de quoi l'on vous prie.
    Mais que le prince en donne une partie.
    Le tout, s'il veut, j'ai bon consentement
    De l'agréer, sans craindre aucunement.
    S'il ne le veut, afin d'y satisfaire,
    Aux échevins on dira franchement:
    L'argent surtout est chose nécessaire.

    ENVOI.

    Pour ce vous plaise ordonner promptement
    Nous être fait des fonds suffisamment,
    Car vous savez, seigneur, qu'en toute affaire.
    Procès, négoce, hymen, ou bâtiment,
    L'argent surtout est chose nécessaire.

La veine du poëte était féconde lorsqu'il n'écoutait que son cœur ou la
reconnaissance; mais, quand il fallait payer sa rente, le travail imposé
lui redevenait pénible. Au premier terme de 1660, il se contenta d'un
dizain pour madame Fouquet et de madrigaux adressés au roi. Pour être
courtes, les pièces n'étaient pas meilleures; on y sent encore plus que
dans la ballade à Fouquet la contrainte et l'ennui d'un débiteur pressé
par son créancier[628]. Le surintendant, qui était homme de goût, fut
peu satisfait, et, ne voulant pas blesser la Fontaine en parlant de la
qualité des vers, il ne se plaignit que du petit nombre. La Fontaine,
piqué du reproche, répondit par un dizain plein de charme et qui
effaçait bien des vers faibles et négligés:

    Trois madrigaux, ce n'est pas votre compte.
    Et c'est le mien: que sert de vous flatter?
    Dix fois le jour au Parnasse je monte,
    Et n'en saurais plus de trois ajuster.
    Dieu vous dirai qu'au nombre s'arrêter
    N'est pas le mieux, seigneur, et voici comme:
    Quand ils sont bons, en ce cas tout prud'homme
    Les prend au poids »u lieu de les compter;
    Sont-ils méchants, tant moindre en est la somme.
    Et tant plutôt on s'en doit contenter.

Depuis ce moment, Fouquet, reconnaissant à quelle nature de poëte il
avait affaire, ne le pressa plus pour le payement de sa rente, et lui
rendit sa liberté en lui continuant sa pension. La Fontaine, que cette
générosité touchait, et qui avait pour Fouquet une affection sincère,
entreprit de chanter les merveilles de Vaux. Il commença, sous le nom de
_Songe de Vaux_, une œuvre dont il n'a écrit que des fragments. Il y
évoquait la peinture, l'architecture, tous les arts qui avaient
contribué à embellir cette splendide demeure. Mais, malgré ses efforts
et sa bonne volonté, il ne put achever ce poëme, destiné à célébrer son
bienfaiteur. Dans les fragments qui en restent, on ne peut admirer que
quelques vers. Tel est surtout ce tableau de la Nuit:

    . . . . . . . . . . . . . .
    Voyez l'autre plafond où la Nuit est tracée.
    Cette divinité, digne de vos autels,
    Et qui, même en dormant, fait du bien aux mortels.
    Par de calmes vapeurs mollement soutenue,
    La tête sur son bras, et son bras sur la nue,
    Laisse tomber des fleurs et ne les répand pas;
    Fleurs que les seuls Zéphyrs font voler sur leurs pas.
    Ces pavots qu'ici-bas pour leur suc on renomme,
    Tout fraîchement cueillis dans les jardins du Somme.
    Sont moitié dans les airs et moitié dans sa main;
    Moisson plus que toute autre utile au genre humain!
    Qu'elle est belle à mes yeux, cette Nuit endormie!

Un sent ici que le poëte chante un des biens qu'il appréciait le plus,
ce sommeil, qui fait oublier à l'homme les soucis, les inquiétudes, les
agitations du monde; mais, considérés dans leur ensemble, les fragments
inachevés du _Songe de Vaux_ sont bien inférieure à l'_Adonis_. La
Fontaine n'a jamais pu forcer son génie. La prospérité et les
libéralités du surintendant l'ont moins bien inspiré que son malheur.
C'est pour Fouquet déchu et accusé que la Fontaine a trouvé dans son
cœur d'admirables accents. Avoir inspiré une telle affection à ce libre
et poétique génie, avoir compris et respecté son indépendance, c'est
pour Fouquet une gloire immortelle. Son nom est resté lié à celui de la
Fontaine, et c'est au poëte que le surintendant a dû surtout la
sympathie de la postérité.

Les artistes trouvèrent aussi dans Fouquet un protecteur éclairé. Le
Poussin, qui vivait à Rome, fut encouragé par ses bienfaits. Mais le
Brun, son peintre favori, fut chargé d'orner de fresques le château de
Vaux. Il s'en acquitta admirablement et ne fut pas moins charmé du goût
et de la bonne grâce de Fouquet que de sa munificence. Il lui resta
fidèle après son malheur, et exprima plusieurs fois à Olivier
d'Ormesson, le rapporteur du procès de Fouquet, sa sympathie pour
l'accusé. Il voulut même faire le portrait du magistrat intègre qui
avait contribué à sauver la vie du surintendant. Quoique Colbert
continuât de lui confier de grands travaux d'art, il se plaignait de sa
dureté (c'est ainsi qu'il qualifiait la sévère économie du contrôleur
général des finances). Peut-être aussi le nouveau ministre n'avait-il
pas, au même degré que Fouquet, le goût des arts et cette appréciation
délicate des chefs-d'œuvre, qui est la plus précieuse récompense du
génie. D'autres artistes, tels que Levau, Le Nôtre, furent aussi
encouragés par Fouquet. Le premier dirigea la construction du château,
dont on louait les belles proportions: le second dessina les jardins et
le parc de Vaux, dont les perspectives étaient admirées des
contemporains. On apercevait du perron une multitude de fontaines
jaillissantes qui charmaient la vue. Au centre était une vaste pièce
d'eau entourée de grands parterres, et de chaque côté des cascades
ménagées avec art. D'innombrables statues s'élevaient de toutes parts et
lançaient des jets d'eau, qui, frappés par la lumière et agités par les
vents, formaient mille tableaux enchanteurs. La Fontaine, dans le _Songe
de Vaux_, a cherché à exprimer ces effets de l'art:

    L'eau se croise, se joint, s'écarte, se rencontre.
    Se rompt, se précipite au travers des rochers.
    Et fait comme alambics distiller leurs planchers.

Ailleurs il fait parler le génie qui a présidé à la disposition de ces
eaux:

    Je donne au liquide cristal
    Plus de cent formes différentes.
    Et le mets tantôt en canal,
    Tantôt en beautés jaillissantes.

    On le voit souvent par degrés
    Tomber à flots précipités.
    Sur des glacis je fais qu'il roule
    Et qu'il bouillonne en d'autres lieux.
    Parfois il dort, parfois il coule.
    Et toujours il charme les yeux.

Sur les vastes bassins de Vaux flottaient de petites barques peintes et
dorées, qui conduisaient dans le grand canal. Le Nôtre avait déployé
dans ce parc toutes les merveilles de son art, et Versailles n'a fait
plus tard qu'en imiter les magnificences.



APPENDICE

SUR LE NOM ET LES ARMES DE FOUQUET.


On lit dans le tome XIII (fº 428) des manuscrits de Conrart[629] le
passage suivant: «Lorsque Foucquet estoit surintendant des finances et
procureur général au Parlement, le Brun, célèbre peintre, qui faisoit
tous les dessins de Vaux, les rapportoit presque tous aux armes de la
famille des Foucquet qui sont un écureuil (cette famille est venue de
Bretagne, où l'on appelle un écureuil un _Foucquet_), et principalement
au mot: _Quo non ascendet?_ qu'on lui avoit donné pour ame de la devise
qu'il avoit choisie de ce mesme écureuil de ses armes. Quelqu'un qui ne
l'aimoit pas fit représenter un gibet fort haut avec l'écureuil qui y
grimpoit et le mesme mot: _Quo non ascendet?_ Mais depuis sa disgrâce et
pendant qu'on lui faisoit son procès, on feignit que l'écureuil estoit
par terre entre trois lézards d'un costé et une couleuvre de l'autre (ce
sont les armes de MM. le Tellier et Colbert) avec ce mot: _Quo fugiam?_
Ce qui fut trouvé heureusement imaginé.»

D'après d'autres écrivains, c'est dans le patois angevin qu'un écureuil
s'appelle un _Foucquet_.


II

RAPPORT ADRESSÉ PAR FOUQUET, INTENDANT DE L'ARMÉE DU NORD, AU CARDINAL
MAZARIN[630].

(Ann. 1617, voy. ci-dessus, p. 5.)


Tout le monde demeure d'accord que M. le mareschal de Gassion s'est
emporté mal à propos à battre le capitaine, du régiment de Son Altesse
Royale outrageusement, comme il a fait. Ce capitaine estait de garde. M.
le mareschal avoit défendu de laisser aller personne au fourrage.
Néantmoins étant sorti et ayant rencontré plusieurs personnes qui
estoient sorties de la ligne en une charette appartenant à M. de la
Feuillade, il vint au capitaine de garde et en furie le battit de telle
sorte qu'il lui laissa tout le visage marqué de coups. On dit que ceux
qui estoient sortis de la ligne estoient passés par ailleurs que par où
estoit cet officier. Il est vrai qu'à force, de prières des gens de M.
de la Feuillade, il avoit laissé passer sa charette, croyant que ce fust
une grâce qui se pust accorder à un officier principal; mais jamais M.
le mareschal ne voulut escouter d'excuses.

Tout le monde a blasmé ce procédé et a cru que M. le mareschal devoit
l'envoyer en prison, ou mesme le frapper d'un coup d'épée, ou lui tirer
son pistolet, s'il croyoit qu'il eust failli, encore qu'il eust mieux
fait de ne passer pas à cette extrémité. Je n'ay point sçu qu'il ait mis
le capitaine en arrest entre les mains du lieutenant colonel. Ce que je
sais est que tout le régiment vouloit s'en aller, et que les officiers
avoient desjà desfait leurs tentes, indignés de ce mauvais traitement.
Ce que M. de Vieuxpont empescha, mais il ne put empescher que chacun ne
parlast avec grande liberté. M. de Brancas trouva les officiers du
régiment de cavalerie de Son Altesse qui faisoient la mesme chose et se
plaignoient de ce que M. le mareschal n'avoit pas considéré un corps qui
portoit le nom de Son Altesse: mais ledit sieur de Brancas les apaisa
fort bien.

Le lendemain, M. de la Feuillade fit tous ses efforts auprès de M. le
mareschal et le résolut à faire quelque sorte de satisfaction au corps
du régiment et dire qu'il estoit fasché de ce qui estoit arrivé; qu'il
estimoit le corps et respectoit le nom qu'il portoit: mais il disoit
tousjours que cet officier lui avoit manqué de respect, n'avoit pas osté
son chapeau et lui avoit présenté la pique; ce que personne néanmoins
n'a vu, que lui. M. de la Feuillade fit tout ce qu'il put pour faire que
le corps se contentast de cette satisfaction, et y envoya Vieuxpont et
Brancas leur en parler, mais inutilement. Voilà où les choses estoient
demeurées.

Le sieur de Montigny, capitaine aux gardes, estant mort. Vieuxpont
s'informa de M. de Palluau où estoit M. le mareschal, et sur ce qu'on
lui dit qu'il estoit sur le chemin de Béthune, il partit, disant qu'il
alloit lui demander congé d'aller courre la campagne; mais ne l'ayant
point rencontré, il passa outre et renvoya prier M. l'intendant par le
major du régiment de dire à M. le mareschal qu'il le prioit de l'excuser
s'il estoit parti sans congé: mais que n'ayant pu le rencontrer et
estant avancé sur le chemin, il avoit cru qu'il ne trouveroit pas
mauvais qu'il le continuast, afin d'avoir quelque avance sur les autres;
ce qui fut fait. Mais M. le mareschal dit qu'il en escriroit à la cour
et s'en plaindroit, et que, s'il revenoit à l'armée, il le feroit
arrester. Voilà tout ce que j'en ai sçu. Vieuxpont a eu tort; car M. le
mareschal a accordé le congé à tous les autres; mais pour l'autre
affaire, je sçais qu'il n'y a pas failli et estoit affligé de
l'obstination du corps, ayant peur, disoit-il à M. de La Feuillade, que
cela ne nuisist à ses affaires particulières.


III

LETTRE DE MAZARIN À FOUQUET[631].

30 septembre 1617.

Monsieur,

Je viens de recevoir vostre lettre de hier, par le courrier que vous
m'avez dépesché. Vous pouvez juger par la qualité de la nouvelle que
vous m'avez mandée, quelle est l'affliction qu'elle, m'a causé, autant
pour l'affection et la tendresse que j'ay pour M. le mareschal de
Gascion, que pour le préjudice que le service du roy peut souffrir de
cet accident. Vous avez fort bien fait de ne pas perdre un moment de
temps à vous rendre à l'armée. Cependant je vous prie d'assister de vos
bons conseils, et de tout ce qui dépendra de vostre diligence, à présent
que M. le comte de Rantsau est malade, et de conférer tousjours avec M.
de Paluau sur ce qui se doit et peut faire de mieux pour le service du
roi, et de me croire, etc.


IV

PROJET DE MAZARIN DE FAIRE ROI DE NAPLES UN PRINCE DE LA MAISON DE
SAVOIE ET D'ASSURER À LA FRANCE LA FRONTIÈRE DES ALPES. (1646.)


Le Cardinal Mazarin est surtout remarquable par la supériorité de son
génie diplomatique; pendant dix-huit ans, à travers toutes les
vicissitudes de la fortune, il poursuit les projets de Richelieu pour
réunir à la France l'Alsace et le Roussillon. Les traités de Westphalie
et des Pyrénées, qui donnèrent à la France sa frontière naturelle au
nord et au sud, sont trop connus pour y insister. On sait aussi que
Mazarin, dépassant la pensée même de Richelieu, voulut faire de la
Belgique une province française. «L'acquisition des Pays-Bas[632],
écrivait-il aux plénipotentiaires français de Munster[633], formerait à
la ville de Paris un boulevard inexpugnable, et ce seroit alors
véritablement que l'on pourroit l'appeler le cœur de la France, et qu'il
seroit placé dans l'endroit le plus sûr du royaume. L'on en auroit
étendu la frontière jusqu'à la Hollande, et du côté de l'Allemagne, qui
est celui d'où l'on peut aussi beaucoup craindre, jusqu'au Rhin, par la
rétention de la Lorraine et de l'Alsace, et par la possession du
Luxembourg et de la comté de Bourgogne (Franche-Comté).»

Ce que l'on sait moins, c'est que Mazarin voulut aussi donner à la
France la barrière des Alpes, et que ce projet se rattachait à sa
politique générale sur l'Italie. Ce pays était depuis Charles-Quint sous
la domination de la maison d'Autriche. Les Deux-Siciles et le Milanais
étaient gouvernés par des vice-rois espagnols, et la plupart des petits
souverains d'Italie, Toscane, Parme et Plaisance, Modène, les papes
eux-mêmes, recevaient le mot d'ordre de Madrid. Henri IV et Richelieu
avaient lutté contre cette prépondérance de l'Espagne en Italie. Ils
avaient gagné la maison de Savoie, et c'était une princesse française,
Christine, fille de Henri IV, qui régnait à Turin, au nom de son fils
mineur, à l'époque où Mazarin succéda à Richelieu.

Les historiens modernes ont reproché à Mazarin de n'avoir pas profité
des mouvements de l'Italie pour soustraire cette contrée à la domination
espagnole. Ils ont accusé le cardinal italien de n'avoir songé qu'à son
influence personnelle dans les États pontificaux. Il voulait,
disent-ils, que son frère, Michel Mazarin, devint aussi cardinal, et
voilà pourquoi il fit la malheureuse campagne d'Orbitello (1646). M.
Henri Martin (et je le cite comme un des plus autorisés parmi nos
historiens modernes), s'appuyant sur un écrivain du dix-septième siècle,
Montglat, soutient que, si Richelieu eut été vivant, la révolte de
Naples eût eu une bien plus grande suite. «Mazarin, ajoute-t-il[634],
perdit tout pour avoir tout voulu régler à loisir dans le cabinet, au
lieu de se contenter de suivre la fortune. Anne d'Autriche s'était,
prétend-on, retrouvée un peu Espagnole en voyant sa maison si près de sa
ruine, et avait dit que, si les Napolitains voulaient pour roi le duc
d'Anjou, son second fils, elle les soutiendrait de toute sa puissance,
mais qu'elle aimait mieux Naples entre les mains de son frère que du duc
de Guise. Ce mot impolitique de la reine mère semblerait excuser jusqu'à
un certain point Mazarin, qui ne pouvait rien que par Anne, et le
décharger de la responsabilité d'une grande faute.»

M. Henri Martin ne fait ici que reproduire les reproches plusieurs fois
adressés à Mazarin par les contemporains ou par des historiens modernes.
Cette partie de son ouvrage a été acceptée sans contestation, et a reçu
la sanction des suffrages les plus imposants. On peut donc considérer
cette critique de la politique de Mazarin et d'Anne d'Autriche,
relativement à l'Italie, comme généralement approuvée. Cependant elle
s'évanouit lorsqu'on étudie les pièces authentiques émanées du ministre
et de la reine, et spécialement les instructions données au chef de
l'expédition de 1646. Mazarin, qui connaissait parfaitement la situation
de l'Italie, voulait enlever Naples aux Espagnols, placer sur le trône
des Deux-Siciles un prince de la maison de Savoie, Thomas du Carignan;
mais il demandait pour la France des garanties, entre autres plusieurs
ports en Italie et l'abandon de la Savoie à la France, dans le cas où la
branche de Savoie-Carignan viendrait à succéder au Piémont, et à réunir
Naples et le nord de l'Italie sous une même domination. Ces projets de
Mazarin, qui semblent une divination de la politique moderne de la
France, devaient aboutir à un double résultat: assurer à la France ses
frontières naturelles des Alpes et lui donner la principale influence en
Italie. En exposant ce plan d'après les pièces originales, nous
rectifierons une erreur de l'histoire, et nous fournirons une preuve de
plus du génie diplomatique de Mazarin.

A peine entré au ministère, le cardinal poursuivit avec une ardeur
infatigable les plans de son prédécesseur sur l'Italie. Il envoya son
secrétaire, Hugues de Lyonne, qui a été dans la suite un des ministres
les plus éminents de Louis XIV, visiter les petits princes italiens. De
Lyonne s'arrêta surtout à Parme où régnaient les Farnése, à Modène
soumise à la maison d'Este, et à Florence où les Médicis ne brillaient
plus que par le souvenir de leurs ancêtres. Il travailla à réconcilier
ces princes et la république de Venise avec le pape Urbain VIII. Le
traité fut signé en 1644, sous la médiation de la France, qui prit dès
lors une forte situation dans l'Italie centrale, en même temps qu'elle
opposait dans le nord la puissance du Piémont à celle des gouverneurs
espagnols de Milan. La correspondance de Mazarin avec d'Aigues-Bonnes,
qui représentait la France à Turin, atteste avec quel zèle et quel
succès le cardinal entretint et resserra l'alliance entre les deux
régentes de France et de Savoie.

Malheureusement le succès de cette habile politique fut compromis par la
mort du pape Urbain VIII (Barberini), arrivée en 1643. Il eut pour
successeur Innocent X (Pamphilio), qui se déclara ouvertement en faveur
de l'Espagne. Le nouveau pape laissa sans pasteurs les églises de
Portugal et de Catalogne, parce que ces deux pays étaient en guerre avec
Philippe IV. Dans une promotion de huit cardinaux qui eut lieu au
commencement de son pontificat, il ne nomma que des ennemis de la
France. Cette partialité d'Innocent X menaçait de rendre aux Espagnols
la supériorité dans les affaires d'Italie. Mazarin se hâta d'envoyer à
Rome M. de Grémonville, ambassadeur de France à Venise, afin de tenter
de ramener le pape à de meilleurs sentiments. Grémonville essaya d'abord
de gagner Innocent X, et fit pressentir que le roi accorderait quelque
présent au neveu du pontife. «Sans me donner le loisir d'achever, ajoute
l'ambassadeur[635], il me demanda si Sa Majesté désiroit donner quelque
abbaye à son neveu. Je ne crus pas devoir différer d'offrir une chose
qui étoit demandée avec tant d'avidité. Je lui expliquai la pensée de Sa
Majesté en faveur du cardinal Pamphilio, exagérant le plus que je pus la
grandeur du bienfait et la grâce dont on l'accompagnoit. Alors le visage
du saint-père se rasséréna et sembla rajeunir de dix ans, et son
éloquence redoubla pour mieux faire ses remercîments, en disant: _Vous
avez été les premiers à nous gratifier._»

Mais Innocent X, après avoir accepté pour son neveu l'abbaye de Corbie,
qui valait vingt-cinq mille livres de rente, ne se soucia plus des
réclamations de la France. Il éluda les demandes relatives au Portugal,
à la Catalogne et à l'archevêque de Trêves, dont la France prenait la
défense contre la maison d'Autriche. Bien plus, dans sa partialité pour
l'Espagne, il assura l'impunité aux coupe-jarrets dont cette puissance
se servait pour intimider ses ennemis, et laissa sans vengeance
l'attentat commis contre un député du clergé de Portugal, vieillard
respectable qui s'était mis sous la protection de la France. «Comme il
revenoit de la Madona del Popolo, écrivait Grémonville en mars 1645,
parmi tout le peuple de Rome qui venoit de voir passer une cavalvade des
ambassadeurs extraordinaires de Lucques, il fut attaqué par cinquante
bandits napolitains ou domestiques de l'ambassadeur d'Espagne, lesquels,
à coups d'arquebuse et d'épée, se ruèrent sur son carrosse, tuèrent un
gentilhomme qui étoit avec lui, blessèrent grièvement son cocher, et,
ayant tiré sur lui trois coups dont ils pensoient l'avoir tué, le
laissèrent sur la place sans que néanmoins il ait été blessé. Ensuite
ces assassins se retirèrent effrontément, à la barbe des sbires, dans le
palais de l'ambassadeur d'Espagne.»

Grémonville, décidé à obtenir satisfaction ou à rompre avec Innocent X,
lui demanda audience sur-le-champ et fit entendre les plaintes les plus
énergiques. «Dès le lendemain, lui dit-il, on saurait s'il seroit pape
ou non, c'est-à-dire s'il vouloit régner avec autorité ou se rendre
honteusement le capelan des Espagnols.» Grémonville exigeait que, dans
les vingt-quatre heures, l'ambassadeur d'Espagne livrât les assassins ou
sortit des États pontificaux. En cas de refus, il menaçait de quitter
lui-même Rome avec tous les Français. Innocent X tergiversa, et
l'ambassadeur, reconnaissant que la force seule pourrait ramener le pape
à de meilleures dispositions pour la France, quitta Rome vers la fin
d'avril 1645.

Ce fut alors que Mazarin résolut de porter un coup décisif pour
conserver et étendre l'influence de la France en Italie. Il fit équiper
une flotte à Toulon et en donna le commandement à l'amiral de Brézé,
avec ordre d'aller attaquer les _présides de Toscane_. On désignait sous
ce nom plusieurs villes que les Espagnols possédaient dans l'Italie
centrale, et au moyen desquelles ils essayaient de maintenir ce pays
sous leur domination, pendant que le duché de Milan et le royaume de
Naples leur assuraient la possession des deux extrémités septentrionale
et méridionale. Le but avoué de l'expédition française était l'attaque
de ces villes: mais il y avait d'autres desseins plus secrets et qui
furent conduits avec un profond mystère.

Mazarin avait fait étudier par de Lyonne et par ses agents en Italie la
situation de tout le pays et particulièrement celle du royaume de
Naples. Un mémoire, qu'on lui remit vers 1645, parle de l'irritation
profonde qui se manifestait dans cette contrée et faisait présager une
révolution. On y remarquait que les Napolitains avaient été
systématiquement exclus du gouvernement de toutes les places, et qu'ils
aspiraient à secouer le joug de l'Espagne; mais en même temps l'on
ajoutait qu'ils n'étaient pas disposés à remplacer cette domination par
celle de la France. La vivacité française les effrayait et provoquait
leur jalousie[636]. Ce qu'il leur fallait, c'était un roi italien,
choisi hors de leur pays, pour éviter les rivalités naturelles aux
grandes familles napolitaines. Le mémoire se terminait par l'indication
de plusieurs points de la côte où l'on pouvait débarquer eu toute
sécurité, et surprendre les places qui n'étaient pas suffisamment munies
de vivres ni de garnisons.

Ainsi renseigné sur la vraie situation de Naples, Mazarin résolut de
choisir, pour occuper le trône de ce pays, un prince italien dévoué à la
France, d'une puissance médiocre et hors d'état de se soutenir par
lui-même contre l'Espagne. Le prince Thomas de Carignan, d'une branche
cadette de la maison de Savoie, réunissait ces conditions. Après avoir
été pendant plusieurs années l'allié et presque le serviteur de
l'Espagne, il s'était attaché, dès le temps de Louis XIII et de
Richelieu, à l'alliance de la France, et Mazarin comptait sur son
dévouement, d'ailleurs il se réservait de prendre ses précautions avec
lui et de s'assurer, au cœur même de l'Italie, de places fortes qui
rendraient le pape plus impartial et tiendraient le nouveau roi dans une
demi-servitude. Enfin, prévoyant le cas où le prince Thomas de Carignan
viendrait, par la mort de son neveu, à hériter du Piémont et à réunir
Naples et Turin sous un même sceptre, il demandait la Savoie pour la
France, et portait jusqu'aux limites naturelles des Alpes les frontières
du royaume.

Ce fut d'après ces principes que fut préparé un projet de traité
secret[637] entre le roi du France et le prince Thomas. Comme c'est un
document entièrement inconnu, je le donnerai textuellement en abrégeant
quelques formules et en rajeunissant légèrement le style: «Sa Majesté
cédera, pour elle et ses successeurs rois, à M. le prince Thomas et à
ses descendants, les droits de la couronne de France sur le royaume de
Naples, et en fera une plus ample renonciation en faveur de M. le prince
Thomas et de ses descendants, aux conditions ci-après déclarées.
Moyennant ce, M. le prince Thomas s'obligera de reconnaître le
saint-siège apostolique comme ont fait les rois de Naples, et l'on
estime qu'il sera même avantageux d'y ajouter quelques marques de plus
grand respect envers l'Église, afin que les papes, trouvant en ce
changement un traitement plus avantageux que celui qu'ils reçoivent des
Espagnols, ils n'aient pas sujet de se rendre favorables à leurs
desseins, y ayant toutes sortes d'apparence qu'ils n'omettront rien pour
engager Sa Sainteté contre celui qui les aura chassés du royaume de
Naples.

«Le prince Thomas cédera au roi la rade et la place de Gaëte en la mer
de Toscane, et un autre port et place en la mer Adriatique, ou en
quelque autre endroit, ainsi qu'il en sera convenu avec lui, afin de
faire connaître à tout le monde que la reine régente ne s'est pas hâtée
d'abandonner les droits du roi son fils sans en tirer récompense et
utilité, et, en outre, pour avoir moyen d'assister M. le prince Thomas
sans en être empêché, quand même il y aurait un parti puissant formé
contre lui dans le royaume de Naples. La garnison de ces deux postes
sera entretenue par la France en la manière qui sera convenue.

«M. le prince Thomas fera ligue offensive et défensive avec Sa Majesté
et promettra, de sa part, de l'assister envers et contre tous, soit
contre les ennemis de l'État au dehors, soit contre les factieux au
dedans, s'il arrivait quelque soulèvement dans le royaume. En cas de
guerre contre qui que ce soit ou de trouble dans le royaume, M. le
prince Thomas, étant roi de Naples, assistera Sa Majesté d'un nombre de
vaisseaux, de galères et de troupes, qu'il entretiendra à ses dépens
tant que la guerre étrangère ou intestine durera. L'on conviendra de ce
nombre de vaisseaux et galères, et il s'obligera de les fournir et
entretenir et de les unir aux armes de Sa Majesté, soit pour la défense
de ses États, soit pour quelque entreprise qu'elle veuille faire.

«M. le prince Thomas, étant établi eu la possession du royaume de
Naples, laissera à la disposition de Sa Majesté une des principautés,
duchés ou autre État notable, de ceux qui sont tenus présentement par
les Espagnols ou par leurs vassaux et sujets qui suivront leur parti et
sur lesquels il y aura justice de les confisquer. Sa Majesté en
disposera en faveur de telle personne que bon lui semblera, à condition
de reconnaître le roi de Naples en la même manière qu'il se fait à
présent.

«Non-seulement on conservera à M. le duc de Parme tout ce qui lui
appartient dans le royaume de Naples, mais se conduisant comme on
l'espère d'un prince qui fait profession d'être ami de la couronne de
France, Sa Majesté lui promet tous les avantages possibles. L'on en
usera de la même sorte envers M. le duc de Modène, et l'on trouvera
moyen avec le temps de le faire payer de ce qui lui est dû dans le
royaume de Naples par le roi d'Espagne, tant pour le douaire de sa
grand'mère que pour les pensions échues, ou bien on lui donnera quelque
État pour son dédommagement. On laissera jouir le roi de Pologne des
revenus qu'il a dans le royaume de Naples, et semblablement le prince de
Monaco, afin de décharger Sa Majesté de ce qu'elle est obligée de lui
donner de son domaine dans le royaume.

«M. le prince Thomas remettra à la disposition de Sa Majesté la part
qu'il a eue pour lui et les siens de feu madame la comtesse de Soissons,
à la charge de récompenser madame la princesse sa femme en autres
choses[638].

«Le prince Thomas ou ses descendants venant à succéder au duché de
Savoie et à la principauté de Piémont, après leur établissement en la
possession du royaume de Naples, il cédera à Sa Majesté pour elle et ses
successeur le duché de Savoie et tout ce qui est en deçà des monts
proche de la France, en récompense de l'assistance que Sa Majesté lui
aura donnée pour la conquête du royaume de Naples et de la cession
qu'elle lui aura faite des droits qu'elle y prétend. Pour la
conservation du Piémont et de tout ce qui appartiendra en ce cas-là au
prince Thomas dans la Lombardie, Sa Majesté promettra de l'assister en
la manière dont il sera convenu, en sorte qu'il les possède paisiblement
et sûrement.»

Ce projet de traité, qui est revêtu de la signature du roi et du
contre-seing du ministre le Tellier, ne devait être ratifié qu'après la
prise d'Orbitello, une des villes que l'Espagne possédait sur la côte de
Toscane. Le siège fut entrepris au mois de mai 1646; mais la mort de
l'amiral de Brézé tué dans une bataille navale, les maladies qui
décimèrent l'armée française, le retard des secours qu'on lui envoyait,
firent échouer l'expédition. Mazarin, qui y attachait la plus haute
importance, ordonna immédiatement l'équipement d'une nouvelle flotte.
Malgré l'état déplorable des finances, les préparatifs furent poussés
avec vigueur. Quelques mois après l'échec d'Orbitello, une autre ville
de Toscane, Piombino, tombait aux mains des Français; le pape intimidé
proclamait cardinal le frère de Mazarin et s'engageait à garder une
stricte neutralité entre la France et l'Espagne. Ce fut là tout ce que
put obtenir le cardinal. La révolte qui se préparait depuis longtemps à
Naples éclata, il est vrai, comme Mazarin l'avait prévu; mais ce fut un
mouvement populaire, provoqué par des passions aveugles, mal dirigé par
le pêcheur Masaniello, et bientôt étouffé par les intrigues espagnoles.

Lorsque le feu se ralluma l'année suivante, la présence du duc de Guise
sembla donner un chef plus habile à la révolte; mais Mazarin avait peu
de confiance dans ce héros de roman; d'ailleurs la Fronde commençait, et
l'opposition aveugle du parlement refusait au ministre les ressources
nécessaires pour continuer une guerre lointaine. Le duc de Guise,
abandonné à ses propres forces, ne tarda pas à succomber.

Si donc les plans de Mazarin sur l'Italie ne furent qu'imparfaitement
réalisés, ce n'est pas à lui, mais à ses adversaires, qu'il faut
l'imputer; la gloire de les avoir conçus lui reste tout entière. Avoir
marqué avec tant de justesse le but auquel devait tendre la France, lui
avoir assigné ses limites naturelles et réalisé en partie ces
prévisions, c'est là un titre que rien ne saurait effacer. On pourra
accuser Mazarin de misérables intrigues, dévoiler les faiblesses de son
caractère et les vices de son cœur; ou abaissera l'homme, mais
l'histoire impartiale ne saurait méconnaître la supériorité du ministre.
Le Roussillon, l'Artois et l'Alsace conquis, le Portugal délivré, la
Catalogne envahie, la Suède triomphante, la Hongrie détachée de
l'Autriche, l'Italie se soulevant contre l'Espagne, enfin l'Empire
triomphant de l'Empereur, sont la réponse la plus éloquente à tous les
pamphlets des frondeurs.


V

MÉMOIRE ADRESSÉ AU CHANCELIER SÉGUIER SUR FOUQUET PAR LE CONSEILLER
D'ÉTAT DE LA FOSSE[639] (6 octobre 1661).


M. Fouquet père n'estoit point riche; il a voit épousé dame Marie de
Maupeou, qui avoit du bien; mais ledit Fouquet l'ayant prédécédée,
c'est-à-dire étant mort avant elle, et laissé de leur mariage dix ou
douze enfants, six mâles et cinq à six filles, tous ces enfants n'ont
jusques à présent recueilli que la succession bien modique de leur père,
leur mère estant encore vivante et jouissant de son bien, tellement que
l'on ne peut pas penser que M. Nicolas Fouquet, fils puisné desdits
sieur Fouquet et dame de Maupeou, ait encore recueilli de ses ancestres
plus de trente ou quarante mille livres.

Aussi trouve-t-on parmi les papiers inventoriés dans sa maison de
Saint-Mandé que, dès l'époque qu'il estoit maistre des requestes et
devant qu'il fust procureur général au parlement de Paris, il estoit
débiteur à diverses personnes de plusieurs sommes montant apparemment à
plus de six vingt mille livres. D'où il faut inférer que, traitant
environ l'an 1650 de ladite charge de procureur général pour le prix de
quatre cent mille livres, il lui a fallu emprunter plus de deux cent
mille livres, et que partant en ladite année il a esté débiteur de plus
de trois cent mille livres, encore qu'il ait retiré de sa charge de
maistre des requestes cinquante-cinq ou soixante mille escus, suivant le
prix de ce temps-là.

Il est vrai que le dit Nicolas Fouquet jouissoit pour lors du bien de su
première et défunte femme, que l'on dit avoir valu en principal trois ou
quatre cent mille livres. Mais ayant esté fait surintendant des finances
dès le commencement de l'année 1653, il maria incontinent[640] sa fille,
de sa première femme, au marquis de Charrost, à laquelle fille il laissa
non-seulement tout le bien de sa mère, mais encore il lui bailla du sien
et sur sa succession à eschoir deux cent mille livres, qu'il peut dire
avoir pris sur le bien de sa seconde femme qu'il espousa environ l'an
1650, et en mesme temps qu'il fut fait procureur général, et que l'on
dit lui avoir apporté quatre ou cinq cent mille livres.

Depuis l'an 1653 qu'il a esté appelé à la surintendance des finances,
_vere lymphatus est_ en despenses infinies et sans exemple,
d'acquisitions, de bastiments, d'achats de meubles, de livres, de
tables, d'entretiens de gens de guerre, de dons à hommes et femmes et
généralement en toute sorte de luxe. Pour se maintenir en quoy, dans la
prévoyance qu'il a eue que sa conduite le pourroit disgracier et
destruire, il a dressé une instruction ou autrement un _agenda_ qui
s'est trouvé escrit de sa main entre ses papiers dans un cabinet appelé
secret par ses domestiques, par lequel agenda il ordonne à ses amis et
affidés y nommés ce qu'il faudra qu'ils fassent au cas qu'on lui veuille
faire son procès, sçavoir et en sommaire, que plusieurs d'entre eux,
gouverneurs de places frontières, se jettent dans leurs places: que le
vice-amiral se saisisse des vaisseaux qu'il pourra et se rende maistre
de la mer, et que tous fassent connoistre qu'ils entreront dans une
rébellion ouverte, si l'on ne le met en liberté, et à l'extrémité que
l'on cherche un homme d'entreprise et capable d'exécuter un grand coup:
ce qui est répété, et mesme il s'est trouvé parmi ses papiers, et dans
le mesme cabinet secret où s'est trouvé le dit agenda, un crayon ou
image d'un demi-corps d'homme tirant sur l'âge, ayant la barbe ronde et
le côté percé et rougi comme s'il y portoit du sang avec un poignard ou
cousteau sans estre tenu de personne, ayant la pointe rougie ou
sanglante tournée vers le costé percé, comme si elle n'en faisoit que
sortir, ces mots ou subscription estant au bas de cette figure:
_Explicanti præmium dabitur_, le dit crayon ou image estant frippé et
ayant sur les quatre coins de son revers de la colle séchée, comme si
elle avoit esté collée et affichée en quelque endroit d'où elle auroit
esté tirée et arrachée. L'on ne veut point donner à ceci
d'interprétation sinistre pour le présent, mais bien veut-on marquer que
cela mérite un interrogatoire. Le greffier de la commission a envoyé le
dit crayon à M. Colbert.

Nous trouvons de plus parmi les dits papiers et dans le dit cabinet
secret une promesse signée de tous les intéressés dans la ferme des
gabelles faite pour neuf années à commencer en 1656, par laquelle les
dits intéressés promettent à une personne, dont le nom est en blanc,
pour s'estre départi d'un cinquième qu'il avoit en la dite ferme, six
vingt mille livres par chacune année, dont la première est payée à
l'avance, ainsy que porte leur promesse, et dans la marge d'icelle sont
les reçus de la dite somme pour les années 1657, 1658 et 1659. Dans les
mesmes papiers et dans le mesme cabinet secret s'est aussi trouvée une
pièce qui marque et porte que le Roy ayant imposé cinq sous pour chacun
muid de vin vendu en gros en la ville de Rouen, six deniers sur chacune
livre de sucre et six deniers sur chacune livre de cire entrant ès ports
et havres de Normandie, avec le parisis des dits droits, par édit du 26
octobre 1657, et qu'Estienne Reiny s'estant rendu adjudicataire des dits
droits pour les deux tiers, verse et transporte, non-seulement
incontinent, mais mesme à l'avance, sçavoir est, le 13 du dit mois
d'octobre 1657, les deux tiers des dits droits à M. Fouquet,
surintendant, pour la somme de 400,000 livres que le dit papier on acte
porte avoir esté payée comptant.

Par les pièces inventoriées, le dit Fouquet se trouve possesseur de
beaucoup de droits sur le Roy; ce qui peut avoir donné lieu à ses
excessives dépenses et à ses présents immenses, comme de 200,000 fr. à
M. de Créqui, 200,000 fr. au marquis de Richelieu (cet article peut
estre approuvé), à une dame qui le remercie de ce qu'elle a acquis dans
Paris une maison de ses bienfaits. Une autre le remercie de ce qu'il luy
a baillé 30,000 livres et luy mande que n'ayant pas de perles pour aller
au grand bal, s'il veut achever la grâce, il l'obligera; une autre le
remercie de 4,000 livres. Il a baillé pour une seule fois 32,000 livres
à M. de Clérambault; il bailloit 1,600 livres de gages au poëte Scarron,
et il a mis 1,200 livres dans la loterie de madame de Beau, etc.

Pour Belle-Isle, l'acquisition en est reprochable, et encore plus les
bastiments et fortifications qui s'y font, la garnison qui s'y
entretient, l'achat des autres isles de la mer de Bretagne, comme
l'isle-Dieu, et les autres places fortes et maritimes de la dite
province, comme Concarnau, le Croisie, Ancenis, Pimpol, etc., la
construction des ports et forteresses qui se font à Belle-Isle, et le
grand nombre d'artillerie, poudre et munitions de guerre et de touche
qui s'y mettent, toutes les acquisitions, bastiments et emmeublements de
Vaux (dont je ne sais rien que par ouy-dire), la bibliothèque de
Saint-Mandé composée de 7,000 volumes in-fº, de 8,000 in-octavo et de
plus de 12,000 in-4º.

Le dit sieur Fouquet a acquis en 1657 le marquisat d'Asserac, par décret
fait sur le marquis d'Asserac. Du depuis la dame d'Asserac, veuve du dit
marquis, parente de M. Fouquet et portant le mesme nom que lui[641],
retira le dit marquisat par retrait lignager, et après elle l'échangea
avec le sieur Boislève pour le duché de Penthièvre, et ensuite la dite
dame passa un acte ou contre-lettre avec le dit sieur Boislève, par
laquelle il est déclaré qu'encore qu'ils aient convenu d'un eschange,
par où elle lui laisse son marquisat d'Asserac et autres terres pour le
dit duché de Penthièvre, néantmoins la vérité est que les parties n'ont
point entendu que le dit sieur de Boislève retinst le dit marquisat
d'Asserac, et qu'il ne doit retenir que telles et telles autres terres
pour le prix et somme d'environ 900,000 livres, et pour le restant du
prix convenu à la somme de 1,900,000 livres pour le dit duché de
Penthièvre, la dite dame le lui doit payer dans un certain temps.

Voilà comment Boislève est dépossédé du dit duché, qui tombe pour
1,900,000 livres entre les mains de la dite dame, laquelle estant dès
devant le décès de son mari, avenu sur la fin de 1657, criblée de dettes
(comme il est notoire), ne sera jamais présumée avoir esté capable de
faire une si chère acquisition pour elle; mais bien est-il aisé de
présumer que cette dame estant et paroissant, par une infinité de
papiers de nostre inventaire, la confidente et agente ordinaire et
familière du dit sieur Fouquet pour les grandes affaires qu'il avoit en
Bretagne; que cette dame, dis-je, n'a fait la dite acquisition que pour
le dit sieur Fouquet, qui vraisemblablement est demeuré seigneur
d'Asserac, de Penthièvre, aussi bien que de Belle-Isle, que quelques-uns
de ses flatteurs, en luy escrivant, appellent son royaume, des autres
terres susdites et de beaucoup de droits sur les terres du Roy en la
dite province.

Il s'est encore trouvé dans un autre cabinet, en façon de garde-meubles,
une liasse contenant les estats des comptes du domestique du dit sieur
Fouquet, que ses commis luy ont rendus pour les années 1653, 1654, 1655,
1656 et une partie de 1658, par où il s'aperçoit qu'il se mettoit en
soin de faire chercher des billets des particuliers pour en former la
recette (et croira-t-on que ces billets lui constassent autant qu'il en
retirait?) et où l'on voit une recette et une despense prodigieuses
pesle-meslées de plusieurs choses reprochables.

Que s'il s'est comporté de cette sorte, tandis qu'il a eu un compagnon
habile et son ancien dans la direction des finances, que doit-ce estre
des autres comptes semblables pour les années 1659[642] et 1660, que
nous n'avons point trouvés, et pendant lequel temps il a esté seul dans
la dite direction? Bon Dieu! quelle profusion dans une saison où les
peuples estoient accablés des charges que la nécessité de la guerre
exigeoit d'eux! Bon Dieu! quelle impudence! Bon Dieu! quel aveuglement!
Hélas! où en eust esté réduite la pauvre France, si Dieu n'eust ouvert
les yeux et touché le cœur du Roy pour y mettre ordre!

Je ne parle point des meubles, ustensiles, qui ne sont pas ici (à
Saint-Mandé) fort considérables. Nous n'y trouvons ni or, ni argent, ni
pierreries, ni mesme vaisselle d'argent, qu'en fort petit nombre, le
surplus ayant été porté à Vaux lors du grand festin, à ce que les
serviteurs nous disent. Quant aux jardins, il y a deux cents grands
orangers, quelques statues et force plantes de noms à moi inconnus et
barbares, dont j'ai pourtant dressé l'inventaire par l'organe de deux
jardiniers allemands, l'un d'icy et l'autre mandé à cette fin du jardin
royal.

J'escris ceci en gros et à la haste, de quoy indubitablement M. Colbert
aura esté informé par ceux avec lesquels je travaille[643]; mais, quoy
qu'il en soit, voicy le sommaire de l'affaire et l'élixir de nostre
inventaire divisé en liasses dont les principales sont celles qui
regardent les affaires du Roy, la conduite du dit sieur Fouquet, l'isle
de Belle-Isle, circonstances et dépendances, et l'intérest des
créanciers ou de la succession, lesquelles liasses nous avons
distinguées et paraphées, de telle sorte que dans demain j'espère que
nous pourrons finir nostre commission et sortir d'icy, ayant reçu une
lettre de mondit sieur Colbert qui nous fait espérer d'heure à autre un
ordre pour la seureté des papiers et de cette maison.

Lorsque j'ai commencé à mettre la plume sur ce papier, je pensois ne
faire qu'un mémoire et l'accompagner d'une lettre meslée des respects
dont je suis si estroitement obligé; mais escrivant à la dérobée, et
ayant meslé quelques termes qui ressentent la lettre missive, je suis
contraint de la présenter ainsy au meilleur et au plus indulgent de tous
les bienfaiteurs, et qui accordera facilement le pardon que je luy
demande très-humblement de ma trop grande liberté.

Son très-humble, très-obéissant
et très-obligé serviteur,

LA FOSSE.

De Saint-Mandé, le 6 octobre 1661.


VI

PROJET TROUVÉ A SAINT-MANDÉ.


Un manuscrit de la Bibliothèque impériale (des 500 de Colbert, nº 235 C,
fº 86 et suivants), contient le texte du projet trouvé à Saint-Mandé. Il
est précédé des lignes suivantes extraites du procès-verbal des
commissaires de la chambre de justice, chargés d'interroger
Fouquet[644]: «Nous avons représenté au respondant six demy-feuilles de
papier pliées par la moitié avec un quart de feuillet, le tout escrit
entièrement de toutes parts avec diverses ratures au-dessus
corrigées[645], duquel escrit ensuit la copie figurée.» Suit la copie,
qui n'est pas un _fac-simile_, mais qui reproduit les corrections.

_Copie figurée de l'escrit trouvé dans le cabinet appelé secret de la
maison de monsieur Foucquet, à Saint-Mandé_.

L'esprit de S. E. susceptible naturellement de toute mauvaise impression
contre qui que ce soit, et particulièrement contre ceux qui sont en un
poste considérable et en quelque estime dans le monde, son naturel
deffiant et jaloux, les dissentions et inimitiez qu'il a semées avec un
soin et un artifice incroiable dans l'esprit de tous ceux qui ont
quelque part dans les affaires de l'Estat, et le peu de reconnoissance
qu'il a des services receus quand il ne croit plus avoir besoin de ceux
qui les lui ont rendus, donnant lieu à chacun de l'appréhender, à quoy
ont donné plus de lieu en mon particulier, et le plaisir qu'il témoigne
trop souvent et trop ouvertement prendre à escouter ceux qui luy ont
parlé contre moy, auxquels il donne tout accez et toute créance, sans
considérer la qualité des gens, l'intérest qui les pousse et le tort
qu'il se fait à luy-mesme, de décréditer un surintendant qui a tousjours
une infinité d'ennemis que luy attire inévitablement un employ, lequel
ne conciste qu'à prendre le bien des particuliers pour le service du
Roy, outre la haine et l'envye qui suivent ordinairement les finances.
D'ailleurs les commissions qu'il a données à mon frère[646] contre M. le
Prince et les siens, contre le cardinal de Retz et tous ceux que S. E. a
voulu persécuter, ne pouvant qu'il ne nous ait attiré un nombre
d'ennemis considérables qui[647] attendent l'occasion de nous perdre, et
travaillent sans discontinuation près de S. E. mesme, connoissant son
foible à luy mettre dans l'esprit des deffiances et soubçons mal fondez.
Ces choses, dis-je, et les connoissances particulières qu'il a données à
un grand nombre de personnes de sa mauvaise volonté, m'en faisant
craindre avec raison les effets, puisque le pouvoir absolu qu'il a sur
le roy et la reyne luy rendent facile tout ce qu'il veut entreprendre;
et considérant que la timidité naturelle qui prédomine en luy ne luy
permettra jamais d'entreprendre de m'esloigner simplement, ce qu'il
auroit exécuté desjà s'il n'avoit pas esté retenu par l'appréhention de
quelque vigueur en mon frère l'abbé[648] et en moy, un bon nombre d'amis
que l'on a servis en toutes occasions, quelque intelligence que
l'experience m'a donnée dans les affaires, une charge considérable dans
le parlement, des places fortes, occupés par nous ou nos proches[649],
et des alliances assez advantageuses, outre la dignité de mes deux
frères dans l'Église. Ces considérations qui paraissent fortes d'un
costé à me retenir dans le poste où je suis, d'un autre ne peuvent
permettre que j'en sorte sans que l'on tente tout d'un coup de nous
accabler et de nous perdre: pour ce que, par la connoissance que j'ay de
ses pensées et dont je l'ay ouï parler en d'autres occasions, il ne se
résoudra jamais de nous pousser s'il peut croire que nous en
reviendrons, et qu'il pourroit estre exposé au ressentiment de gens
qu'il estime hardis et courageux.

Il faut donc craindre tout et le prévoir, afin que si je me trouvois
hors de la liberté de m'en pouvoir explicquer, lors on eust recours à ce
papier pour y chercher les remèdes qu'on ne pourrait trouver ailleurs,
et que ceux de mes amis qui auront esté advertis d'y avoir recours
sçachent qui sont ceux ausquels ils peuvent prendre confiance.

Premièrement, si j'estois mis en prison et que mon frère l'abbé n'y fust
pas, il faudrait suivre son advis et le laisser faire, s'il estoit en
estat d'agir et qu'il conservast pour moy l'amitié qu'il est obligé
[d'avoir], et dont je ne puis douter[650]. Si nous estions tous deux
prisonniers, et que l'on eust la liberté de nous parler, nous donnerons
encore les ordres de là[651], tels qu'il les faudroit suivre, et ainsi
cette instruction demeurerait inutile, et ne pourroit servir qu'en cas
que je fusse resserré, et ne peusse avoir commerce avec mes véritables
amis.

La première chose donc qu'il faudrait tenter seroit que ma mère, ma
femme, ceux de mes frères qui seraient en liberté, le marquis de Charost
et mes autres parens proches, fissent par prières et sollicitations tout
ce qu'ils pourraient, premièrement pour me faire avoir un valet avec
moy, et ce valet, s'ils en avoient le choix, serait Vatel; si on ne
pouvoit l'obtenir, on tenterait pour Longchamps, sinon pour Courtois ou
la Vallée[652].

Quelques jours après l'avoir obtenu, ou feroit instances pour mon
cuisinier, et on laisserait entendre que je ne mange pas, et que l'un ne
doit pas refuser cette satisfaction à moins d'avoir quelque mauvais
dessein.

Ensuite on demanderait des livres, permission de me parler de mes
affaires domestiques qui dépérissent, ce dont j'ai seul connoissance. On
tascheroit de m'envoyer Bruant[653]. Peu de temps après on dirait que je
suis malade, et on tascheroit d'obtenir que Pecquet[654], mon médecin
ordinaire, vinst demeurer avec moi et s'enfermer dans la prison.

On ferait tous les efforts d'avoir commerce par le moyen des autres
prisonniers, s'il y en avoit au mesme lieu, ou en gagnant les gardes; ce
qui se fait toujours avec un peu de temps, d'argent et d'application.

Il faudrait laisser passer deux ou trois mois dans ces premières
poursuites, sans qu'il parût autre chose que des sollicitations de
parents proches, et sans qu'aucun autre de nos amis fist paroistre de
mécontentement qui pust avoir des suites, si on se contentait de nous
tenir resserrés, sans faire autre persécution.

Mais néantmoins cependant il faudrait voir tous ceux que l'alliance,
l'amitié et la reconnoissance obligent d'estre dans nos intérests, pour
s'en assurer et les engager de plus en plus à savoir d'eux jusqu'où ils
voudroient aller.

Madame du Plessis-Bellière, à qui je me fie de tout, et pour qui je n'ai
jamais eu aucun secret ni aucune réserve, seroit celle qu'il faudroit
consulter sur toutes choses, et suivre ses ordres si elle estoit en
liberté, et mesme la prier de se mettre en lieu seur.

Elle connoist mes véritables amis, et peut-estre qu'il y en a qui
auraient honte de manquer aux choses qui seraient proposées pour moi de
sa part.

Quand on auroit bien pris ses mesures, qu'il se fust passé environ ce
temps de trois mois à obtenir de petits soulagements dans ma prison, le
premier pas seroit de faire que M. le comte de Charost allast à Calais;
qu'il mist sa garnison en bon estat; qu'il fist travailler à réparer sa
place et s'y tinst sans en partir pour quoi que ce fust. Si le marquis
de Charost n'estoit point en quartier de sa charge de capitaine des
gardes, il se retireroit aussi à Calais avec M. son père et y mènerait
ma fille, laquelle il faudrait que madame du Plessis fist souvenir, en
cette occasion, de toutes les obligations qu'elle m'a, de l'honneur
qu'elle peut acquérir en tenant par ses caresses, par ses prières et sa
conduite son beau-père et son mari dans mes intérests, sans qu'il
entrast en aucun tempérament là-dessus.

Si M. de Bar, qui est homme de grand mérite, qui a beaucoup d'honneur et
de fidélité, qui a eu la mesme protection autrefois que nous et qui m'a
donné des paroles formelles de son amitié, vouloit aussi se tenir dans
la citadelle d'Amiens, et y mettre un peu de monde extraordinaire et de
munitions, sans rien faire néantmoins que de confirmer M. le comte de
Charost et s'assurer encore de ses amis et du crédit qu'il m'a dit avoir
sur M. de Bellebrune, gouverneur de Hesdin[655], et sur M. de Mondejeu,
gouverneur d'Arras. (La phrase est ainsi coupée dans le manuscrit.)

Je ne doute point que madame du Plessis-Bellière n'obtinst de M. de Bar
tout ce que dessus, et à plus forte raison de M. le marquis de Créquy,
que je souhaiterois faire le mesme personnage et se tenir dans sa place.

Je suis assuré que M. le marquis de Feuquières feroit le mesme au
moindre mot qu'on luy en dirait.

M. le marquis de Créquy pourroit faire souvenir M. Fabert des paroles
formelles qu'il m'a données et à luy par escrist d'estre dans mes
intérests, et la marque qu'il faudroit luy en demander, s'il persistoit
en cette volonté, serait que luy et M. de Fabert escrivissent à Son
Éminence en ma faveur fort pressamment pour obtenir ma liberté; qu'il
promist d'estre ma caution de ne rien entreprendre, et s'il ne pouvoit
rien obtenir, qu'il insinuast que tous les gouverneurs ci-dessus nommés
donneroient aussi leur parole pour moy. Et en cas que M. de Fabert ne
voulust pas pousser l'affaire et s'engager si avant, M. le marquis de
Créquy pourroit agir et faire des efforts en son nom et [au nom] de tous
lesdits gouverneurs par lettres, et se tenant dans leurs places.

Peut-estre M. d'Estrades ne refuseroit pas aussi une première tentative.

Je n'ay point dit cy-dessus la première chose de toutes par où il
faudroit commencer, mais fort secrettement, qui seroit d'envoyer au
moment de nostre détention les gentilshommes de nos amis et qui sont
assurez, comme du Fresne, La Garde, Devaux, Bellegarde et ceux dont ils
voudroient respondre, pour se jetter sans esclat dans Ham[656].

M. le chevalier de Maupeou pourroit donner des sergens assurez et y
faire filer quelques soldats tant de sa compagnie que de celles du ses
amis[657].

Et comme il y a grande apparence que le premier effort seroit contre
Ham[658], que l'on tascheroit de surprendre, et que M. le marquis
d'Hocquincourt même, qui est voisin, pourroit observer ce qui s'y passe
pour en donner avisa la cour, il faudrait dès les premiers moments que
M. le marquis de Créquy envoyast des hommes le plus qu'il pourroit, sans
faire néantmoius rien mal à propos[659].

Que Devaux y mist des cavaliers, et en un mot que la place fust munie de
tout[660].

Il faudroit pour cet effet envoyer un homme en diligence à Concarnau
trouver Deslandes, dont je comtois le cœur, l'expérience et la fidélité,
pour luy donner advis de mon emprisonnement et ordre de ne rien faire
d'esclat en sa province; ne point parler et se tenir en repos, crainte
que d'en user autrement ne donnast occasion de nous faire nostre procès
et nous pousser; mais il pourroit, sans dire mot, fortifier sa place
d'hommes, de munitions de toutes sortes, retirer les vaisseaux qu'il
aurait à la mer, et tenir toutes les affaires en bon estat, acheter des
chevaux et autres choses, pour s'en servir quand il serait temps.

Il faudrait aussi dépescher un courrier à madame la marquise d'Asserac,
et la prier de donner les ordres à l'Isle-Dieu qu'elle jugeroit à propos
pour exécuter ce qu'elle manderait de Paris où elle viendrait conférer
avec madame du Plessis.

Ce qu'elle pourroit faire seroit de faire venir quelques vaisseaux à
l'Isle-Dieu[661], pour porter des hommes et des munitions où il seroit
besoin, à Concarnau ou à Tombelaines[662], et faire les choses qui lui
seroient dites et qu'elle pourroit mieux exécuter que d'autres, pour ce
qu'elle a du cœur, de l'affection, du pouvoir, et que l'on s'y doibt
entièrement fier, et qu'elle ne seroit pas suspecte. C'est pourquoy il
faudroit qu'elle observast une grande modération dans ses paroles.

Il seroit important que du Fresne fust adverty de se tenir à
Tombelaine[663], y mettre le nombre d'hommes, d'armes, et de munitions
et vivres nécessaires, et le plus important est d'y faire des fours et
y mettre de la farine, afin de n'avoir pas besoin d'aller ailleurs
chercher des vivres, ledit lieu de Tombelaine pouvant estre de grande
utilité comme il sera dit cy-après.

Si madame du Plessis se trouvoit obligée de sortir de Paris, il
faudroit, après avoir donné ordre à son mesnage qu'elle allast dans
l'abbaye du Pont-aux-Dames s'enfermer quelque temps[664] pour y conférer
et donner les ordres aux gens dont on se voudroit servir.

Prendre garde surtout à ne point escrire aucune chose importante par la
poste, mais envoyer partout des hommes exprès, soit cavaliers, ou gens
de pied, ou religieux.

Le Père des Champs-Neufs n'a pas tout le secret et toute la discrétion
nécessaire[665]; mais je suis tout à fait certain de son affection, et
il pourroit estre employé à quelque chose de ce commerce de lettres par
des jésuites de maison en maison.

Ceux du conseil desquels il se faudroit servir sur tous les autres, ce
seroient M. de Brancas, MM. de Langlade et de Gourville, lesquels
assurément m'ayant beaucoup d'obligation[666], et ayant esprouvé leur
conduite et leur fidélité en diverses rencontres, et leur ayant confié
le secret de toutes mes affaires, ils sont plus capables d'agir que
d'autres, et de s'assurer des amis qu'ils connoissent obligés à ne me
pas abandonner.

J'ay beaucoup de confiance en l'affection de M. le duc de la
Rochefoucauld et en sa capacité; il m'a donné des paroles si précises
d'estre dans mes intérests en bonne ou mauvaise fortune, envers et
contre tous, que comme il est homme d'honneur et reconnoissant la
manière dont j'ay vescu avec luy et des services que j'ay eu l'intention
de luy rendre, je suis persuadé que lui et M. de Marsillac ne me
manqueroient pas à jamais.

Je dis la mesme chose de M. le duc de Bournonville, lequel asseurément
seroit capable de bien agir en diverses rencontres, et je ne doute pas
qu'il ne portast avec chaleur toutes les paroles que l'on voudroit au
roy, à la reyne et à M. le cardinal, pour obtenir ma liberté et
représenter les soins que j'ay pris de contenir dans le devoir un grand
nombre d'amis que j'ay, qui peut-estre se seroient eschappés.

M. le duc de Bournonville pourroit encore agir sous main au parlement
près de ses amis pour me les conserver et empescher qu'il ne se fist
rien à mon préjudice.

On peut confier à M. de Bournonville toutes choses sur sa parole.

Je ne serois pas d'advis néantmoins que le parlement s'assemblast pour
me redemander avec trop de chaleur, mais tout au plus une fois ou deux
par bienséance, pour dire qu'il en faut supplier le roy, et il seroit
très-important que de cela mes amis en fussent advertis au plus tost,
particulièrement M. de Harlay, que j'estime un des plus fidèles et des
meilleurs amis que j'aye, et MM. de Maupeou, Miron et Jannart, de
crainte que l'on ne prist le parti de dire que le roy veut me faire mon
procès et que cela ne mist l'affaire en pires termes.

Pour les affaires qui pourroient survenir de cette nature, lesdits
sieurs de Harlay, de Maupeou, Miron, Jannart et M. Chanut devroient
estre consultez, estant très-capables et fidèles.

Il faudroit que quelqu'un prist grand soin de bien eschauffer ledit
sieur Jannart, mon substitut, le picquant d'honneur et de
reconnoissance, pour ce que c'est un des plus agissans et des plus
capables hommes que je connoisse en affaires du palais.

Une chose importante est d'advertir mes amis qui commandent à Ham[667],
à Concarnau, à Tombelaine, que les ordres de madame du Plessis doivent
estre exécutés comme les miens.

M. Chanut me feroit un singulier plaisir de venir prendre une chambre au
logis où sera ma femme pour lui donner conseil en toute sa conduite et
qu'elle y prenne créance entière et ne fasse rien sans son advis.

Une des choses les plus nécessaires à observer est que M. Langlade et M.
de Gourville sortent de Paris, se mettent en sûreté, fassent sçavoir de
leurs nouvelles à madame du Plessis, au marquis de Créquy, à M. de
Brancas et autres, et qu'ils laissent à Paris quelque homme de leur
connoissance capable d'exécuter quelque entreprise considérable, s'il en
estoit besoin[668].

Il est bon que mes amis soient advertis que M. le commandeur de
Neuf-Chaise[669] me doibt le rétablissement de sa fortune; que sa charge
de vice-admiral a esté payée des deniers que je luy ay donnés par les
mains de madame du Plessis, et que jamais un homme n'a donné des paroles
plus formelles que luy d'estre dans mes intérests en tout temps, sans
distinction et sans réserve envers et contre tous.

Qu'il est important que quelques-uns d'entre eux luy parlent et voient
la situation de son esprit, non pas qu'il fust à propos qu'il se
déclarast pour moy; car de ce moment il seroit tout à fait incapable de
me servir; mais comme les principaux establissements sur lesquels je me
fonde sont maritimes, comme Belle-Isle, Concarnau, le Havre et Calais,
il est bien asseuré que le commandement des vaisseaux tombant entre ses
mains, il pourroit nous servir bien utilement en ne faisant rien, et
lorsqu'il seroit en mer trouvant des difficultez qui ne manquent jamais
quand on veut.

Il faudroit que M. de Guinant, lequel a beaucoup de connoissance de la
mer et auquel je me fie, contribuast à munir toutes nos places des
choses nécessaires et des hommes qui seroient levez par les ordres de
Gourville, ou des gens cy-dessus nommez, et c'est pourquoi il seroit
important qu'il fust adverty de se rendre à Belle-Isle[670].

Comme l'argent seroit nécessaire pour toutes ces dépenses, je laisseray
ordre au commandant de Belle-Isle d'en donner autant qu'il en aura sur
les ordres de madame du Plessis, de M. de Brancas, de M. d'Agde[671], ou
de M. de Gourville; mais il le faut mesnager, et que mes amis en
empruntent partout pour n'en pas manquer.

M. d'Andilly est de mes amis et on pourroit sçavoir de luy en quoy il
peut servir; en tout tas, il eschauffera M. de Feuquières, qui sans
doute agira bien.

M. d'Agde[672] par sous main-conduira de grandes négociations, et dans
le parlement sur d'autres sujets que le mien, et mesme par mes amis
asseurés dans les autres parlements, où on ne manque jamais de matière,
à l'occasion des levées (impôts), de donner des arrests et troubler les
receptes; ce qui fait que l'on n'est pas sy hardy dans ces temps-là à
pousser une violence, et on ne veut pas avoir tant d'affaires à la fois.

Le clergé peut encore par son moyen, et de M. de Narbonne[673], fournir
des occasions d'affaires en si grand nombre que l'on voudra, en
demandant les estats généraux avec la noblesse, ou des conciles
nationaux, qu'ils pourroient convoquer d'eux-mesmes en lieux esloignez
des troupes et y proposer mille matières délicates.

M. de la Salle, qui doibt avoir connoissance de tous les secours qu'on
peut tirer par nos correspondances des autres royaumes et Estats, y peut
aussy estre employé et donner des assistances à nos places.

Voilà l'estat où il faudroit mettre les choses, sans faire d'autres pas,
si on se contentoit de me tenir prisonnier; mais si on passoit outre et
que l'on voulust faire mon procez, il faudroit faire d'autres pas. Et
après que tous les gouverneurs auroient escrit à S. Ém. pour demander ma
liberté, avec termes pressans comme mes amis, s'ils n'obtenoient
promptement l'effet de leur demande et que l'on continuast à faire la
moindre procédure, il faudroit en ce cas monstrer leur bonne volonté, et
commencer tout d'un coup, sous divers prétextes de ce qui leur seroit
deub, à arrester tous les deniers des receptes, non-seulement de leurs
places, mais des lieux où leurs garnisons pourroiont courre, faire faire
nouveau serment à tous leurs officiers et soldats, mettre dehors tous
les habitants ou soldats suspects peu à peu, et publier un manifeste
contre l'oppression et la violence du gouvernement.

C'est en ce cas où Guinant pourroit avec ses cinq[674] vaisseaux,
s'asseurant en diligence du plus grand nombre d'hommes qu'il pourroit,
matelots et soldats, principalement estrangers, prendre tous les
vaisseaux qu'il rencontreroit dans la rivière du Havre à Rouen, et par
toute la coste, et mettre les uns pour bruslosts et des autres en faire
des vaisseaux de guerre, en sorte qu'il auroit une petite armée assez
considérable retraite en de bons ports, et y mèneroit toutes les
marchandises dont un pourroit faire argent, dont il faudroit que les
gouverneurs fussent advertis pour avoir créance en luy et luy donner
retraite et assistance.

Il est impossible, ces choses estant bien conduites, se joignant à tous
les mal-contens par d'autres intérests, que l'on ne fist une affaire
assez forte pour tenir les choses longtemps en balance et en venir à une
bonne composition, d'autant plus qu'on ne demanderoit que la liberté
d'un homme qui donneroit des cautions de ne faire aucun mal.

Je ne dis point qu'il faudroit oster tous mes papiers, mon argent, ma
vaisselle et les meubles plus considérables de mes maisons de Paris, de
Saint-Mandé, de chez M. Bruant, et les mettre dès le premier jour à
couvert dans une ou plusieurs maisons religieuses[675], et s'asseurer
d'un procureur au parlement fidèle et zélé, qui pourroit être donné par
M. de Maupeou, le président de la première[676].

Je crois que M. le chevalier de Maupeou occuperoit dans ce temps-là
quelque poste advantageux et agiroit comme on voudroit; mais un tout cas
il pourroit choisir à se retirer dans une des places susdites avec ses
amis.

Une chose qu'il ne faudroit pas manquer de tenter seroit d'enleve des
plus considérables hommes du conseil, au mesme moment de la rupture,
comme M. le Tellier ou quelques autres de nos ennemis plus
considérables, et bien faire sa partie pour la retraite; ce qui n'est
pas impossible.

Si on avoit des gens dans Paris assez hardis pour un coup considérable
et quelqu'un de teste à les conduire, si les choses venoient à
l'extrémité et que le procès fust bien advancé, ce seroit un coup
embarrassant de prendre de force le rapporteur et les papiers; ce que M.
Jannart ou autre de cette qualité pourroit bien indiquer, par le moyen
de petits greffiers que l'on peut gaigner, et c'est une chose qui a peu
estre pratiquée au procès de M. de Chenailles le plus aisément du monde,
où, si les minutes eussent esté prises, il n'y avoit plus de preuves de
rien.

M. Pellisson est un homme d'esprit et du fidélité auquel ou pourroit
prendre créance et qui pourroit servir utilement à composer les
manifestes et autres ouvrages dont on auroit besoin, et porter des
paroles secrètes des uns aux autres.

Pour cet effet encore, mettre des imprimeurs en lieu seur; il y en aura
un à Belle-Isle.

M. le premier président de Lamoignon, qui m'a l'obligation tout entière
du poste qu'il occupe, auquel il ne seroit jamais parvenu, quelque
mérite qu'il ait, si je ne luy en avois donné le dessein, si je ne
l'avois cultivé et pris la conduite de tout, avec des soins et
applications incroyables, m'a donné tant de paroles de reconnoissance et
de mérite, répétées si souvent à M. Chanut, à M. de Langlade et à madame
du Plessis-Guenegaud et autres, que je ne puis douter qu'il ne fist les
derniers efforts pour moy; ce qu'il peut faire en plusieurs façons, en
demandant luy-mesme personnellement ma liberté, en se rendant caution,
en faisant connoistre qu'il ne cessera point d'en parler tous les jours
qu'il ne l'ayt obtenu; que c'est son affaire; qu'il quitteroit plustost
sa charge que se départir de cette sollicitation, et faisant avec amitié
et avec courage tout ce qu'il faut. Il est asseuré qu'il n'y a rien de
si facile à luy que d'en venir à bout, pourveu qu'il ne se rebute pas,
et que l'on puisse estre persuadé qu'il aura le dernier mescontentement
si on le refuse, qu'il parle tous les jours sans relasche, et qu'il
agisse comme je ferois pour un de mes amis en pareille occasion et dans
une place aussi importante et aussi asseurée.

M. Amproux, frère de M. Delorme et conseiller au parlement, est de mes
amis; il m'a quelque obligation. Je ne doute point, estant homme
d'honneur, qu'il ne me serve avec affection et fidélité aux occasions;
on s'y peut fier.

Son usage est et (_sic_) au parlement[677] pour toutes choses, soit en
attaquant ou en deffendant; mesme on le peut consulter sur ce qu'il
estimera qui pourroit estre fait.

Il peut encore servir en Bretagne, où il a des amis et des habitudes,
soit pour la conservation de ce qui m'y appartient, ou pour avoir des
nouvelles.

Il peut encore sçavoir ce qui se passe et agir avec les gens de la
religion[678], et voir dans la maison d'Estrée ce que l'un y machine,
ayant de grandes habitudes auprès de M. l'évesque de Laon.

Madame la première présidente de la chambre des comptes de Bretagne, qui
est sœur de madame du Plessis-Bellière et demeure à Rennes, a des
parents et amis au parlement de Bretagne. Je l'ay servie en quelque
occasion, et tant à cause de sa sœur que de mon chef je puis m'asseurer
qu'elle agira avec fidélité et affection en ce pays-là. On peut s'y
confier pour ce qui regarderoit la Bretagne, où mes establissements me
donnent des affaires; et il ne faut pas manquer d'escrire à tous mes
amis de ces quartiers-là de se réunir, et veiller qu'il ne se passe rien
contre mes intérests pendant mon malheur.

M. de Cargret (de Kergroet), maistre des requestes, est homme de
condition qui m'a promis et donné parole plusieurs fois de me servir
envers et contre tous. Il peut estre d'un grand usage, et pour ladite
province de Bretagne où il a des amis et des parens dont il m'a
respondu, et dans le conseil, les jours que l'on apprendra qu'il s'y
doibt passer quelque chose, et dans le parlement où il peut entrer quand
on voudra, et parmy les maistres des requestes, si quelque occasion
venoit à les esmouvoir. M. de Harlay peut le faire agir.

M. Foucquet, conseiller en Bretagne, est celuy de mes parents de cette
province auquel j'ay eu plus de confiance, qui a eu la conduite de
toutes mes affaires domestiques en ce pays, qui connoist mes amis et mes
parens, et auquel on peut prendre créance pour ce qui seroit à faire de
ce costé-là; mesme sçait l'argent à peu près qu'on y peut trouver.»

       *       *       *       *       *

A la suite de la transcription du projet, on lit[679]:

«Et aurions interpellé le respondant de déclarer si lesdictes six
dernières feuilles et demie sont escrites entièrement de sa main, mesme
les ratures et corrections estant en icelles; à quoy le respondant,
après avoir veu, leu et teneu à loisir chacune des dictes six feuilles
et demie et tout autant que bon luy a semblé, a dit et déclaré que
l'escriture estant en icelles, mesme les ratures et corrections estant
pareillement sur icelles, estre entièrement de sa main et les avoir
escrites de l'escriture dont il se sert ordinairement.»


VII

RELATIONS DE MADAME SCARRON AVEC FOUQUET.

Voy. ci-dessus p. 448.


Je n'avais pas sous les yeux, lorsque j'ai écrit le chapitre où il est
question de madame Scarron, l'ouvrage de M. Feuillet de Conches,
intitulé _Causeries d'un curieux_, etc. J'ai trouvé dans ce livre si
riche en précieux documents une nouvelle preuve de la réserve que madame
Scarron mettait dans ses relations avec Fouquet. M. Feuillet de Conches
cite (p. 514) le passage suivant des _Souvenirs de madame de Caylus_:
«Je me souviens d'avoir ouï raconter que madame Scarron étant un jour
obligée d'aller parler à M. Foucquet, elle affecta d'y aller dans une si
grande négligence que ses amis étaient honteux de l'y mener. Tout le
monde sait ce qu'était alors M. Foucquet, et combien les plus huppées et
les mieux chaussées cherchaient à lui _plaire_.»


VIII

LETTRE AUTOGRAPHE DE MADEMOISELLE DE TRESESON À FOUQUET[680].


J'ai indiqué dans une note (p. 404) que les noms étaient changés dans
ces lettres de manière à dérouter le lecteur. Je donne ici le texte
d'une de ces lettres avec les noms de convention:

«Si l'amitié que j'ai pour vous ne se trouvoit pas offensée par les
reproches que vous me faites, j'aurois pris bien du plaisir à les lire
et j'aurois appris avec quelque sentiment de joie l'inquiétude où vous
êtes de savoir ce qui si passe ici touchant mademoiselle _de Bel-Air_
(mademoiselle de Treseson), puisque assurément ce n'est point une marque
que vous ayez de l'indifférence pour elle; mais quoique j'en fasse ce
jugement qui ne m'est point désagréable, je ne puis m'empêcher de
m'affliger extrêmement que vous en ayez fait un de moi si injuste et si
désavantageux: car je vous assure que ce n'est point manque de confiance
ni par aucune préoccupation de ce côté-ici que j'ai manqué à vous écrire
cent petites choses que j'ai cru des bagatelles pour vous et que j'ai
fait scrupule de vous mander, de crainte de vous importuner dans les
grandes occupations où vous êtes tous les jours; mais enfin puisque je
vois que vous avez une bonté pour moi que je n'aurois osé espérer,
quoique j'aie toujours désiré la continuation de votre amitié plus que
toutes les choses du monde, je vous dirai qu'il ne se passe rien entre
mademoiselle de _Bel-Air_ et M. _du Clos_ (le duc de Savoie) qui soit
désavantageux ni pour vous ni pour elle. Elle a trouvé le moyen de s'en
faire craindre et de s'en faire estimer malgré lui. Elle a toujours pris
en raillant ce qu'il lui a dit de plus sérieux. Il lui parle tout autant
qu'il le peut par l'ordre de madame _Aubert_ (Christine de France,
duchesse douairière de Savoie), qui est bien aise que cette demoiselle
ait quelque crédit auprès de lui, parce qu'elle n'est ni brouillonne ni
ambitieuse et ne lui inspire que de la douceur et de la complaisance, et
sur toute chose elle en dépend entièrement, au moins pour ce qui regarde
ce pays-ci. Tout le monde est confident de M. _du Clos_. Vous pouvez
juger de là si mademoiselle _de Bel-Air_ s'y fie en nulle façon.
Jusqu'ici il ne s'est point passé de chose particulière entre eux, et
l'on a toujours su leurs conversations et leurs querelles, quand ils en
ont. Cette dernière chose arrive assez souvent: elle a été une fois huit
jours sans lui parler, parce qu'il avoit dit quelque chose de trop libre
devant elle. Pendant ce temps-là, il en passa trois dans une maison de
la campagne et manda à madame _Aubert_ qu'il ne reviendroit point auprès
d'elle que mademoiselle _de Bel-Air_ ne lui eût pardonné. Du depuis il
ne lui est pas arrivé de retomber dans une pareille faute. Toutes les
galanteries qu'il peut faire pour elle, il les fait, comme de musique,
de collations et de promenades à cheval. Il lui prête toujours ses plus
beaux chevaux et lui a fait faire deux équipage fort riches.

Je connois bien que toutes ces choses ne seroient pas tout à fait
propres à faire trouver un établissement en ce pays-ci, aussi je vous
assure que sans l'affaire que savez je les empêcherois absolument: mais
je vous avoue que, dans cette pensée, je ne m'applique qu'à sauver ma
réputation, aussi bien comme j'ai sauvé mon cœur, qui, je vous assure,
est toujours aussi fidèle comme je vous l'ai promis.

Pour ce qui regarde mademoiselle _Le Roy_ (Marguerite de Savoie), M. _du
Clos_ lui témoigne beaucoup d'amitié et lui parle assez souvent de celle
qu'il a pour mademoiselle _de Bel-Air_, et même une fois il l'a obligée
d'envoyer prier cette fille d'aller la voir à son appartement, où elle
le trouva avec la musique et une collation. Il l'a même priée, que quand
elle seroit sa maîtresse, de l'obliger à se souvenir de lui.
Mademoiselle _Le Roy_ lui témoigne beaucoup de complaisance et même de
grands respects. Ce n'est pas une personne qui soit beaucoup familière;
elle me parle toutefois bien souvent du voyage que nous allons faire
mardi. Elle a grande peur qu'il ne réussisse pas comme nous le
souhaitons.

Mandez-moi, s'il vous plaît, de quelle manière je dois continuer de vous
écrire du lieu où nous allons, et soyez persuadé que mes discours ni mes
actions ne seront jamais contraires a l'amitié que je vous ai témoignée.
Personne ne paroit ennemi de mademoiselle _de Bel-Air_, et l'on ne lui a
voulu faire aucune pièce. Elle en attribue l'obligation à l'amitié de
madame _Aubert_ et à celle de M. _du Clos_. Il y a ici deux ou trois
personnes avec lesquelles j'ai fait une espèce d'amitié, afin de les
obliger à m'avertir de tout ce qui se dit de cette demoiselle et les ai
priées de ne lui pardonner rien. Madame _Aubert_ lui a donné depuis peu
des boucles de diamants. J'ai su depuis huit jours que les perles, dont
elle lui avoit fait un présent, venoient de M. _du Clos_, qui avoit
obligé cette dame à les lui donner comme venant d'elle. Je vous assure
que la reconnoissance que j'ai de tous ces soins ne va point au delà de
ce qu'elle doit aller.

Je ne crois pas que vous disiez de cette lettre ce que vous avez dit des
petits billets que je vous ai écrits, et que vous ne croirez pas qu'elle
vous soit écrite par manière d'acquit. Si elle vous ennuie,
prenez-vous-en à vous-même; car j'aime mieux qu'elle ait ce malheur-là
que de n'éviter pas celui de vous donner sujet de croire que je sois
capable de vous oublier.

Je ne crois pas que je puisse écrire ce voyage à madame _du Ryer_
(madame du Plessis-Bellière), car l'ordinaire est près de partir. Si
vous voulez m'obliger extrêmement, vous lui conseillerez comme de
vous-même de m'envoyer une jupe comme l'on les porte, sans or ni argent.
L'on ne trouve ici quoi que ce puisse être. Je vous demande pardon de
cette commission et vous rends mille remercîments des effets que j'ai
reçus de votre part. Je les ai presque tous donnés à mademoiselle _le
Roy_. Adieu, je vous demande pardon de vous avoir donné sujet de penser
que je ne vous aime pas plus que tontes les personnes du monde.

Si le mariage que savez s'accorde, je vous supplierai de prendre la
peine d'écrire à madame _Aubert_, afin qu'elle donne mademoiselle _de
Bel-Air_ à mademoiselle _le Roy_. Je ne puis bien démêler vos lettres
d'avec celles de madame _du Ryer_; mais, depuis que je suis arrivée, je
n'ai manqué que deux voyages à vous écrire à l'un ou à l'autre, parce
que j'eus peur que les adresses ne fussent pas sûres. J'ai reçu toutes
les vôtres.»


ADDITIONS ET CORRECTIONS


Préface, page 2. Il faut ajouter aux ouvrages relatifs au surintendant
Fouquet, cités dans la préface, la _Vie de Nicolas Fouquet_, par
d'Auvigny, dans le tome V des _Vies des hommes illustres_.

Page 4, ligne 21. _Premier écuyer de la petite écurie_, sez: _Premier
écuyer de la grande écurie_.

Page 6, à la fin de la note 1. ajoutez: _à l'Appendice du tome Ier_.

Page 7, titre courant, lisez 1615, au lieu de 1515.

Page 7, ligne avant-dernière, lire: _pour le fils_, au lieu de: _par le
fils_.

Page 11, note 1, lisez 565, au lieu de 563.

Page 26, ligne 16, lisez: _que_, au lieu de: _qu_.

Page 33, ligne 10, lisez: _c'est_, au lieu de: _c'es_.

Page 65, note 1, ajoutez un point après _mémoires_ et _avril_. Page 65,
note 2, _a femme_, lisez _la femme_.

Page 85, note 1. lisez: _fº 296 et suiv._ au lieu de: fº 296 sq.

Page 88, note 2. ôtez la virgule après _Fouquet_.

Page 90, ligne 27, lisez: _saisies_ au lieu de _saisi_.

Page 120, ligne 24, lisez _inflammables_, au lieu de: _enflammables_.

Page 152, note 3 et page 156 note 1. lisez: _Dubuisson-Auberay_, au lieu
de _Dubuisson-Aubernay_ et _Dubuisson-Auberay_.

Page 235, note 1, dernier vers de la citation tirée de Loret, lisez:
_Autant que l'on le aurait être_.

Page 247, ligne 14, mettre une virgule après le mot _charge_.

Page 255, ligne 25, ôter la virgule après le mot _occasion_.

Page 257, ligne 7, lisez. _Et pour_, au lieu de: _Et que pour_.

Page 308, ligne 14, _canal de Loire_ est pour _canal de Briare_ et non
_canal de Loing_, comme on l'a mis dans la note.

Page 315, ligne 23, _de Vendôme_, lisez: _M. de Vendôme_.

Page 361. note 2. _Voy. lettres du 9 décembre 1664 et du 29 avril 1672_,
lisez: _Voy. la lettre du 29 avril 1672_.

Page 364. ligne avant-dernière: _Jamais surintendant ne trouva de
cruelles_ est un vers de Boileau, _Sat._ VIII, V. 208.

Page 402. ligne 12, au lieu de: _Les mesures prises par le surintendant
n'allaient à rien moins qu'à_ etc., lisez: _Les messures prises par le
surintendant n'allaient pas à moins qu'à_, etc.

Page 404. ligne 12, _Treseson_, lisez partout: _Trécesson_.

Page 431. note 1 Dernier vers de la citation de Loret, au lieu de:
_imitable_, lisez: _inimitable_.

Page 440, ligne 1er et note 1. au lieu de: _Jacques Graindorge de
Prémont_, dont il est question dans cette note, il faut lire: _Charles
le Sart, seigneur de Prémont, qui fut dans la suite chambellan de
Monsieur, frère de Louis XIV_.

Page 441, note 3. Je n'avais pu déterminer exactement la position des
_Pressoirs_. Voici des notes qui viennent de M. Aubergé, notaire à
Fontainebleau, et qui donnent sur ce point les détails les plus
complets: «L'hôtel des Pressoirs du Roy est une maison ainsi nommée à
cause de deux pressoirs et cuves que l'on voit dans un grand corps de
bâtiment situé sur le bord de la rivière de Seine, du côté de la Brie, à
cinq quarts de lieue de Fontainebleau, et que les chiffres et devises de
François Ier que l'on y voit sur les murs font attribuer à ce roi,
qui, chassant, dit-on, dans la forêt un cerf qui passa l'eau à l'endroit
où est bâtie cette maison, et ayant une soif extrême, envoya dans une
maison voisine demander du vin, qui lui parut si bon, qu'il acheta
aussitôt cinquante arpens de terre et plus, de l'endroit d'où on lui dit
qu'il provenoit; les fit planter de nouvelles vignes choisies dans les
vignobles de France les plus exquis, et fit bastir ces cuves et
pressoirs que l'on nomma Pressoirs du Roy.

«On conserve en cette maison le lit de la belle Gabrielle d'Estrées, qui
y logeoit souvent avec Henry.»

(Extrait de la _Description historique de Fontainebleau_,
par l'abbé Guilbert. Paris, 1751, 2 vol.; t. II, p. 144.)

«Cette maison (les Pressoirs du Roy) fut vendue par Henry le Grand à
Nicolas Jacquinot, son premier valet de chambre, le dernier jour de
décembre 1597. Depuis ce temps-là, le sieur Jacquinot et ses descendants
en ont toujours joui jusqu'au 25 juin 1732, époque à laquelle
Claude-Anne de Breuillard de Coursan, seul héritier de défunte
Marie-Anne Jacquinot, veuve de Charles de Barville, vendit cette maison
et les héritages qui en dépendaient à Philippe le Reboullet, trésorier
de feu monseigneur le comte de Toulouse, qui y fit des dépenses
considérables.

«Elle est passée ensuite dans la maison Dusaillan, et aujourd'hui (1857)
elle appartient à M. le comte de Traversay.»

(Extrait de la _Salamandre ou Histoire abrégée de Fontainebleau_,
par Mion, p. 149. Fontainebleau, 1857, 1 vol. in-12.)


«Aujourd'hui, les Pressoirs sont une maison de campagne sur la rive
droite de la Seine, dépendant de la commune de Samoreau, canton de
Fontainebleau.

«Les Pressoirs n'ont jamais appartenu a Fouquet. Ils étaient possédés au
temps de sa splendeur par la famille Jacquinot, ainsi qu'on l'a vu
ci-dessus. Il a pu y venir, comme le témoigne mademoiselle de Scudéri,
dans les voyages qu'il faisait à Fontainebleau avec la cour. Il existe
au château de Fontainebleau un corps d'hôtel, appelé la Surintendance
des Finances, qui servait au logement exclusif du surintendant. Le nom
de Fouquet, comme souvenir de cette destination, s'y rattache
particulièrement.»

Page 452, ligne 7. En 1658, la Fontaine adressa à Fouquet une longue
épître dédicatoire pour lui offrir son poème d'_Adonis_[681]. «Votre
esprit, lui disait-il, est doué de tant de lumières, et fait voir un
goût si exquis et si délicat pour tous nos ouvrages, particulièrement
pour le bel art de célébrer les hommes qui vous ressemblent avec le
langage des dieux, que peu de personnes seroient capables de vous
satisfaire.» Plus loin, la Fontaine, parlant des sentiments de tout ce
qu'il y a d'honnêtes gens en France pour Fouquet, dit: «Vous les
contraignez par une douce violence de vous aimer.» Il termine en
rappelant avec quelle vivacité l'affection générale pour Fouquet avait
éclaté à l'occasion de la maladie que le surintendant avait éprouvée en
1658, et dont nous avons parlé ci-dessus, p. 394-395.


FIN DU PREMIER VOLUME.

       *       *       *       *       *



MÉMOIRES

DE LA VIE PUBLIQUE ET PRIVÉE

DE FOUQUET

SURINTENDANT DES FINANCES

ET SUR

SON FRÈRE L'ABBÉ FOUQUET

D'APRÈS SES LETTRES ET DES PIÈCES INÉDITES

CONSERVÉES

A LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE

PAR

A. CHÉRUEL

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

TOME SECOND



CHAPITRE XXV

--1659--

Mort de Servien (17 février 1659).--Fouquet est nommé seul
surintendant des finances (21 février).--Son frère, Louis Fouquet,
est nommé évêque d'Agde (mars).--François Fouquet devient
archevêque de Narbonne.--Son entrée dans cette ville
(mai).--Mazarin visite Vaux (juin).--Fouquet reçoit la cour dans ce
château (juillet).--Il est attaqué par Hervart, contrôleur général
des finances, et par Colbert.--Fouquet arrive à Bordeaux, où se
trouvait la cour, et découvre les projets de ses ennemis
(octobre).--Il envoie Gourville à Saint-Jean de Luz, où se trouvait
Mazarin, et s'y rend lui-même peu de temps après.--Lettre de
Mazarin à Colbert (20 octobre) sur sa conversation avec le
surintendant.--Réponse de Colbert (28 octobre).--Mazarin remet la
décision à l'époque où il aura rejoint la cour.--Signature de la
paix des Pyrénées (7 novembre).


L'année 1659 marque le plus haut point de la grandeur de Fouquet.
Servien, son collègue dans la surintendance, avait toujours conservé le
premier rang, et, quoique souvent dupe des ruses de Fouquet, il le
tenait en bride. Mais Servien étant mort le 17 février 1659, Nicolas
Fouquet fut nommé quatre jours après seul surintendant, et les termes
dont se servit le roi, pour lui conférer la direction absolue des
finances, ajoutèrent encore à cette éclatante faveur[682]. La lettre
royale adressée à Nicolas Fouquet s'exprimait ainsi: «Le poids et la
difficulté de l'administration des finances augmentant tous les jours
par les dépenses extraordinaires auxquelles la continuation de la guerre
nous oblige, et étant arrivé le décès du sieur Servien, auquel,
conjointement avec vous, nous en avions commis la surintendance, nous
aurions lieu de penser au choix d'un sujet capable de remplir la place
qu'il occupait, si la confiance que nous avons en votre fidélité,
_éprouvée pendant six années en cette fonction_, la preuve[683] et le
zèle que vous y avez fait connaître, l'assiduité et la vigilance que
vous y avez apportées, avec l'expérience que vous avez acquise et
l'épreuve que nous avons faite de votre conduite en cet emploi et en
plusieurs autres occasions pour notre service, ne nous donnaient toute
assurance que non-seulement il n'est pas nécessaire de partager les
soins de cette charge et de vous en soulager par la jonction d'un
collègue, mais aussi qu'il importe au bien de notre dit État et de notre
service, pour la facilité des affaires et la promptitude des
expéditions, que l'administration de nos finances ne soit pas divisée,
et que, vous étant entièrement commise et à vous seul, nous en soyons
mieux servi, et le public avec nous.»

Peu de jours après cette déclaration si honorable et si avantageuse pour
Fouquet, son frère Louis Fouquet, qui était depuis plusieurs années
coadjuteur d'Agde, fut sacré évoque dans la maison professe des
jésuites[684]. Nous avons déjà vu que Louis Fouquet, qui était
conseiller au parlement de Paris, avait été pourvu de la coadjutorerie
d'Agde; mais le sacre n'eut lieu qu'au mois de mars 1659. Loret en parle
dans sa gazette du 8 mars:

    Dimanche, dans les Jésuites,
    Ce prélat si plein de mérites,
    Par le monde tant estimé,
    Évoque d'Agde étant nommé,
    Prélat d'esprit extr'ordinère. (sic),
    Dont monseigneur Fouquet est frère,
    De sa maison digne ornement.
    Fui sacré solennellement
    Par le pasteur de Rothomage[685],
    Qu'on tient fort savant et fort sage,
    Ayant alors pour assistants
    Deux autres prélats importants,
    Et de vertu considérée,
    Savoir Évreux et Césarée.

    Diverses gens, en quantité,
    Furent à la solennité
    De cette action que j'annonce.
    Entre autres monseigneur le Sonce,
    Dont l'esprit est tout à fait lion,
    Et l'illustre Armand de Bourbon[686]
    Avec son aimable princesse.
    Miroir d'honneur et de sagesse,
    Et pleine d'autant de bonté
    Qu'aucune de sa qualité.
    Le surintendant des finances,
    Si propre à servir les puissances,
    Et si bien intentionné,
    Qui dudit évêque est l'aîné,
    Et ceux de son noble lignage
    Virent aussi de bon courage
    Ce sacre qui certainement
    Excita grand contentement
    En toute la belle assemblée,
    Qui d'allégresse en fut comblée,
    Et jugea, de belle hauteur,
    Qu'un jour cet aimable pasteur
    Serait, par sa prudence exquise,
    Un des ornements de l'Église.

Le frère aîné des Fouquet, François, ne tarda pas à céder à son frère le
siége d'Agde, et prit lui-même, après la mort du titulaire, possession
du siége de Narbonne, dont il était coadjuteur. Cet archevêché était un
des plus anciens et des plus importants de la France; il avait la
primatie du Languedoc. L'archevêque de Narbonne était de droit président
des états de la province et un des principaux dignitaires
ecclésiastiques du royaume. C'est encore à Loret que nous devons des
renseignements sur l'avènement de François Fouquet au siège
archiépiscopal:

    L'ancien pasteur de Narbonne,
    Qui fut grand docteur de Sorbonne,
    Zélé, de tout temps, pour la loi,
    Pour Dieu, pour l'État, pour le roi,
    Le ferme appui des catholiques,
    Le modèle des politiques,
    Et bref, homme de haut crédit,
    Est aussi mort, à ce qu'on dit.
    On me l'a dit, et la nouvelle
    En est si vraie et si réelle,
    Que monsieur son coadjuteur,
    Autre mémorable pasteur,
    Que le ciel à jamais bénisse!
    Acceptant ce beau bénéfice,
    En a fait à Sa Majesté
    Le serment de fidélité.
    Mais pour t'instruire davantage,
    Lecteur, touchant ce personnage,
    C'est ce prélat sage et savant,
    Évêque d'Agde ci-devant,
    Qui, n'ayant pas encor neuf lustres,
    Est l'aîné des Fouquets illustres,
    Tous cinq hommes très-excellents,
    Possédant tous de beaux talents.
    Et toute la vertu requise
    Pour servir l'État et l'Église.

La lettre du 17 mai raconte l'entrée de l'archevêque dans la ville de
Narbonne:

    De l'archevêque de Narbonne
    Nous avons nouvelle assez bonne,
    A savoir qu'avec grand éclat
    On a reçu ledit prélat
    Dans cette ville florissante,
    Antique et toutefois charmante,
    Et la plus belle, en vérité,
    De son archépiscopauté.
    Par discours valant des oracles,
    Par quantité de beaux spectacles,
    Musiques, canons et clairons,
    Messieurs du clergé, les barons,
    Et mêmement la populace
    Ont témoigné de bonne grâce
    A cet archevêque nouveau,
    Digne un jour du rouge chapeau.
    L'allégresse vraie et non feinte
    Qui dans leurs cœurs était empreinte.
    Monsieur le comte de Quincé[687],
    Brave guerrier et bien sensé,
    Escorté de cent gentilshommes,
    Et, du moins, d'autant d'autres hommes,
    Lui fut au-devant assez loin.
    Et, venu qu'il fut, prit le soin
    De faire un banquet magnifique
    A ce grand ecclésiastique,
    L'appui, dans cette région,
    De la bonne religion.
    Enfin par tout son diocèse
    Tout le monde a paru fort aise
    D'avoir pour digne directeur
    Ce candide et sage pasteur,
    Dont le lignage ou la famille
    En de rares hommes fourmille,
    Tous capables d'un haut emploi,
    Et tous grands serviteurs du roi.

En même temps que la famille de Fouquet prenait possession de ces hautes
dignités ecclésiastiques, le surintendant recevait Mazarin et la cour
dans sa splendide demeure de Vaux. Le cardinal s'y arrêta au mois de
juin, lorsqu'il partit de Paris pour se rendre à Saint-Jean-de-Luz. La
cour, qui devait aller s'établir à Bordeaux pendant les mois d'août et
de septembre, vint à son tour visiter le château de Vaux, et fut traitée
magnifiquement par le surintendant:

    Durant mon séjour au château,
    Comme est dit, de Fontainebleau.
    Cette ravissante demeure,
    J'entendais parler à toute heure,
    Mais non sans admiration,
    De la belle réception,
    A jamais, dit-on, mémorable,
    Et du festin incomparable,
    Poli, délicat, abondant,
    Que monsieur le surintendant,
    Qui sait user avec largesse
    De ses biens et de sa richesse,
    Fit à Leurs Majestés dans Vaux,
    Où par cent régales nouveaux,
    Dont on peut garnir une table.
    Et par un ordre inimitable.
    Où ne survint nul désarroi,
    Il charma la reine et le roi,
    Et toute leur nombreuse suite,
    Qui fut volontiers introduite
    Dans cette admirable maison,
    Dont on peut dire avec raison,
    Que merveilleuse elle doit être,
    Aussi bien que son sage maître,
    Digne, sans mentir, d'être aimé,
    Et qui fut alors estimé
    La merveille des magnifiques
    Aussi bien que des politiques.

Fouquet, délivré d'un collègue dont la sévérité et la haute réputation
le retenaient, s'abandonna de plus en plus à ses goûts de dépense et à
ses passions effrénées. De là une administration dont les désordres
provoquèrent des plaintes très-vives, qui parvinrent jusqu'à Mazarin. Un
des financiers qui paraissait avoir le plus de crédit, le contrôleur
général Hervart[688], écrivait au cardinal, le 22 juillet 1659[689]: «Je
me suis donné l'honneur, monseigneur, d'écrire à Votre Éminence, le 22
du mois passé, que j'estimais nécessaire de différer les publications et
adjudications des fermes jusqu'à son retour. Je suis dans les mêmes
sentiments, et je crois, monseigneur, d'être obligé d'avertir Votre
Éminence que, aussitôt qu'elle a été partie, M. le surintendant est
rentré dans son naturel et a repris la conduite qu'il tenait lorsqu'elle
était à Lyon. Il m'ôte, autant qu'il peut, la connaissance et confond
le passé avec le présent, afin que je ne puisse distinguer ce qui est
légitimement dû d'avec ce qui ne l'est pas, et que personne ne puisse
voir clair dans les finances que lui et ses créatures. Votre Éminence
jugera par là, s'il lui plaît, s'il est à propos qu'elle en écrive,
ainsi qu'elle avait résolu de faire avant son départ. Je la supplie
seulement de me faire la grâce de m'ordonner comment elle veut que
j'agisse.»

Mazarin n'avait pas assez de confiance dans Hervart pour donner suite à
ses plaintes. Nous verrons même plus loin qu'il le regardait comme un
homme vaniteux et sur lequel on ne pouvait faire aucun fonds. Aussi le
surintendant continua-t-il à se livrer à ses goûts de faste et de
prodigalité. Les plaisirs, auxquels il s'abandonnait, furent troublés
cependant par un malheur domestique et par des avis qu'il reçut de la
cour. Au commencement de septembre, un de ses fils mourut; c'est une
lettre de madame Scarron à madame Fouquet qui nous en instruit. Elle
écrivait, le 4 septembre 1659, à sa protectrice[690]:

«Madame,

«La perte que vous venez de faire est une perte publique, par la part
que la cour et la ville y prennent. Si quelque chose pouvait en adoucir
l'amertume, ce serait sans doute la preuve que ce triste événement vous
donne de l'estime que toute la France a pour vous et pour monseigneur
le surintendant. La mort du duc d'Anjou[691] n'aurait pas été plus
pleurée. Pour moi, madame, qui suis votre redevable à tant de titres,
j'ai bien plus besoin de consolation que je ne suis en état d'en donner.
J'aimais cet enfant avec des tendresses infinies; j'avais souvent lu
dans ses yeux une félicité et une gloire à laquelle Dieu n'a pas voulu
qu'il parvint. Que son saint nom soit béni! Le ciel vous l'a ravi,
madame; il ne vous l'a ravi que pour le rendre plus heureux.»

       *       *       *       *       *

Quant au danger qui menaçait Fouquet du côté de la cour, ce fut
Gourville qui l'en avertit. Colbert, qui, comme nous l'avons vu, était
devenu le principal confident de Mazarin, se joignit à Hervart pour
accuser le surintendant. Dans un Mémoire qu'il adressa à Mazarin[692],
il demandait l'établissement d'une chambre de justice tout à fait
semblable à celle qui fut instituée après l'arrestation de Fouquet.
Colbert proposait de choisir dans chaque parlement du royaume un
conseiller, et d'en former une chambre de justice, où siégeraient
également plusieurs maîtres des requêtes et des magistrats de la chambre
des comptes, de la cour des aides et du grand conseil. Toutes les
affaires de finances, les baux des fermes, la gestion du surintendant et
des trésoriers de l'épargne, devaient être déférés à ce tribunal investi
d'une autorité souveraine.

Fouquet, qui avait des espions partout et entre autres dans les postes,
fut informé des attaques dirigées contre lui par Hervart et Colbert; il
parvint même à se procurer le projet présenté par ce dernier au
cardinal[693]. Il se hâta d'envoyer Gourville, un de ses principaux
confidents, à Saint-Jean-de-Luz[694], pour se plaindre à Mazarin de ce
qu'il appelait un _complot_ tramé contre lui[695]. Le cardinal était
alors tout occupé de la négociation qui devait, en rendant la paix à
l'Europe, élever la France au premier rang des nations. Cependant il
écouta Gourville, qui, si l'on en croit ses Mémoires[696], s'acquitta
avec dextérité de sa mission. Il représenta au cardinal qu'il courait
des bruits fâcheux pour le surintendant; on parlait d'une cabale qui se
formait contre lui et qui ne tendait pas à moins qu'à lui enlever la
direction des finances. Gourville, sans nommer Colbert, insinua
adroitement qu'il n'était pas étonnant qu'un poste aussi éminent que
celui de Fouquet excitât l'envie, et qu'il n'était point de démarches
que l'on ne fit pour s'y élever. Il termina en disant qu'il était à
craindre que ces bruits n'ébranlassent le crédit du surintendant et ne
l'empêchassent de trouver de l'argent, dont on avait si grand besoin.
Mazarin fut surtout touché de cette dernière considération, et, sans
vouloir encore se prononcer, il parut écouter Gourville favorablement.
Cependant ce dernier crut le cas assez pressant pour se rendre à Paris
auprès du surintendant[697] et l'amener à Saint-Jean-de-Luz.

Fouquet arriva dans cette ville le 17 octobre[698], et se plaignit
vivement à Mazarin de la conduite d'Hervart; mais il eut soin de ménager
Colbert. Il réussit à ramener complètement le cardinal, qui, en se
séparant de lui, le 20 octobre, écrivit à Colbert[699]: «Je vous dirai
que M. le surintendant m'a fait des plaintes des discours qu'Hervart
tenait à son préjudice, disant à ses plus grands confidents que lui,
surintendant, sortirait bientôt des finances; que c'était une chose
résolue; qu'il agissait en cela de concert avec vous et que vous l'aviez
conseillé de tenir le tour bien secret. M. le surintendant m'a ajouté
que, vous ayant pratiqué longtemps, il avait eu le moyen de vous
connaître un peu, et qu'il se doutait que vous n'aviez plus pour lui la
même affection que par le passé, s'étant aperçu depuis quelque temps
que vous lui parliez froidement, quoiqu'il n'y eût pas donné sujet;
qu'il avait, au contraire, pour vous la dernière estime et souhaitait
avec passion avoir votre amitié, sachant d'ailleurs l'affection et la
confiance que j'avais en vous. Sur quoi il s'est fort étendu, ne lui
étant pas échappé une parole qui ne fût à votre avantage, et se
plaignant seulement de la liaison en laquelle vous étiez entré avec
Hervart et l'avocat général Talon à son préjudice, et d'autant plus que
vous ne pouviez pas douter que je n'avais qu'un mot à dire pour qu'il me
remît non-seulement la surintendance, mais la charge de procureur
général.

«Je lui témoignai être étonné de ce qu'il me disait, puisque je n'en
avais pas la moindre connaissance, et qu'au contraire je pouvais
répondre que vous m'aviez toujours parlé de lui comme de la personne du
monde dont vous estimiez le plus les grandes lumières et talents. Il m'a
répliqué qu'il savait de source certaine tout ce qu'il m'avait dit, et
qu'en outre Hervart vous avait donné plusieurs Mémoires, et que, si je
n'en avais reçu touchant les finances, je le devais recevoir bientôt;
car il était assuré que vous y travailliez.

«Ce sont les paroles précises qu'il m'a dites, et vous pouvez aisément
vous imaginer à quel point j'en ai été surpris. Mais je me suis démêlé
ensuite de tout cela de telle sorte, que le surintendant est demeuré
persuadé que vous ne m'aviez rien mandé à son préjudice. Vous pouvez
parler et vous éclaircir avec lui en cette conformité; car je reconnais
qu'il souhaite furieusement de bien vivre avec vous et de profiter de
vos conseils, m'ayant dit qu'autrefois vous les lui donniez avec
liberté, ce que vous ne faites plus depuis quelque temps. Hervart n'a
jamais été secret, et, par le motif d'une certaine vanité qui n'est
bonne à rien, il dit à plusieurs personnes tout ce qu'il sait, et je ne
doute pas que ces discours n'aient donné lieu au surintendant de
pénétrer les choses qu'il m'a dites.»

Colbert jugea, avec plus de raison, que Fouquet n'avait été instruit que
par une indiscrétion de quelque agent de la poste. La réponse qu'il
adressa à Mazarin est pleine de bon sens et de vraie dignité; elle
rappelle ses relations antérieures avec le surintendant, les causes qui
les ont interrompues, et fait connaître la conduite qu'il tiendra à son
égard. Cette lettre mérite d'être citée textuellement; elle est datée de
Nevers, 28 octobre 1659: «Je reçus hier à Decize les dépêches de Votre
Éminence, auxquelles je ferai double réponse. Celle-ci servira, s'il lui
plaît, pour le discours fait par M. le procureur général et le Mémoire
que j'ai envoyé à Votre Éminence. Il est vrai, monseigneur, que j'ai
entretenu une amitié assez étroite avec lui depuis les voyages que je
fis, en 1650, avec Votre Éminence[700], et que je l'ai continuée depuis,
ayant toujours eu beaucoup d'estime pour lui, et l'ayant trouvé un des
hommes du monde le plus capable de bien servir Votre Éminence et de la
soulager dans les grandes affaires dont elle est surchargée. Cette
amitié a continué pendant tout le temps que M. de Servien a eu la
principale autorité dans les finances, et souvent j'ai expliqué à Votre
Éminence la différence que je faisais de l'un à l'autre.

«Mais dès lors que, par le partage que Votre Éminence fit en 1655[701],
toute l'autorité des finances fut tombée entre les mains du procureur
général, et que, par la succession des temps, je vins à connaître que sa
principale maxime n'était pas de fournir, par économie et par ménage,
beaucoup de moyens à Votre Éminence pour étendre la gloire de l'État, et
qu'au contraire il n'employait les moyens que cette grande charge lui
donnait qu'à acquérir des amis de toute sorte et à amasser, pour ainsi
dire, des matières pour faire réussir, à ce qu'il prétendait, tout ce
qu'il aurait voulu entreprendre, et même pour se rendre nécessaire; en
un mot, qu'il a administré les finances avec une profusion qui n'a point
d'exemples: à mesure que je me suis aperçu de cette conduite, à mesure
notre amitié a diminué. Mais il a eu raison de dire à Votre Éminence que
je me suis souvent ouvert à lui et que je lui ai même donné quelques
conseils, parce que, pendant tout ce temps-là, je n'ai laissé passer
aucune occasion de lui faire connaître, autant que cette matière le
pouvait permettre, combien la conduite qu'il tenait était éloignée de
ses propres avantages; qu'en administrant les finances avec profusion,
il pouvait peut-être amasser des amis et de l'argent, mais que cela ne
se pouvait faire qu'en diminuant notablement l'estime et l'amitié que
Votre Éminence avait pour lui; au lieu qu'en suivant ses ordres,
agissant avec ménage et économie, lui rendant compte exactement, il
pouvait multiplier à l'infini l'amitié, l'estime et la confiance qu'elle
avait en lui, et que, sur ce fondement, il n'y avait rien de grand dans
l'État, et pour lui et pour ses amis, à quoi il ne pût parvenir.

«Quoique j'eusse travaillé inutilement jusqu'en 1657, lorsqu'il chassa
Delorme[702], je crus que c'était une occasion très-favorable pour le
faire changer de conduite; aussi redoublai-je mes diligences et mes
persuasions, lui faisant connaître qu'il pouvait rejeter toutes les
profusions passées sur Delorme, pourvu qu'il changeât de conduite, et
lui exagérant fortement tous les avantages qu'il pourrait tirer d'une
semblable conjoncture. Je ne me contentai pas de faire toutes ces
diligences; je sollicitai encore M. Chanut[703], pour lequel je sais
qu'il a estime et respect, de se joindre à moi, l'ayant trouvé dans ces
mêmes sentiments.

«Je fus persuadé pendant quelque temps qu'il suivait mes avis, et,
pendant tout ce temps, notre amitié fut fort réchauffée; mais, depuis,
l'ayant vu retomber plus fortement que jamais dans les mêmes désordres,
insensiblement je me suis retiré, et il est vrai que, depuis quelque
temps, je ne lui parle plus que des affaires de Votre Éminence, parce
que je me suis persuadé qu'il n'y a rien qui le puisse faire changer.
Mais il est vrai qu'il n'y a rien que j'aie tant souhaité et que je
souhaite tant que de voir le procureur général quitter ses deux
mauvaises qualités, l'une de l'intrigue et l'autre de l'horrible
corruption dans laquelle il s'est plongé, parce que, si ses grands
talents étaient séparés de ces deux grands défauts, j'estime qu'il
serait très-capable de bien servir Votre Éminence.

«Quant à ma liaison avec MM. Hervart et Talon, dont il a parlé à Votre
Éminence, je ne saurais lui désirer un plus grand bien et un plus grand
avantage que d'être éloigné de toutes liaisons de ces deux côtés autant
que je le suis. Je suis fortement persuadé, et par inclination naturelle
et par toute sorte de raisonnement, que la seule liaison que l'on puisse
et que l'on doive avoir ne consiste qu'à bien servir son maître, et que
toutes les autres ne font qu'embarrasser. Mais, quand je serais d'esprit
à chercher ces liaisons, la dernière personne avec qui j'en voudrais
faire, ce serait M. Hervart, pour lequel je n'ai jamais conservé aucune
estime. Pour M. Talon[704], il est vrai que j'ai beaucoup d'estime pour
lui et que je l'ai vu trois fois cet été à Vincennes, chez lui et en mon
logis; mais aussi est-il vrai que j'ai cru qu'il était peut-être bon
pour le service du roi et pour la satisfaction de Votre Éminence de
garder avec lui quelques mesures pour le faire souvenir, dans les
occasions qui se peuvent présenter, des protestations qu'il m'a souvent
faites de bien servir le roi et Votre Éminence, pourvu qu'on lui fasse
savoir dans les occasions ce qu'on désire de lui, avouant lui-même qu'il
peut quelquefois se tromper.

«Pour ce qui est de la connaissance que le procureur général a témoigné
avoir du Mémoire que j'ai envoyé à Votre Éminence, je puis lui dire avec
assurance que, s'il le sait, il a été bien servi par les officiers de la
poste[705], avec lesquels je sais qu'il a de particulières habitudes,
n'y ayant que Votre Éminence, celui qui a transcrit le Mémoire et moi
qui en ayons eu connaissance, et ne pouvant pas douter du tout de celui
qui l'a transcrit, et qui, depuis seize ans, me sert avec fidélité en
une infinité de rencontres plus importantes que celle-ci.

«Ce Mémoire n'a été fait sur aucun qui m'ait été donné par le sieur
Hervart, duquel je n'en ai jamais voulu recevoir, ne l'estimant pas
assez habile homme pour bien pénétrer une affaire et pour dire la
vérité. Ce que Votre Éminence trouvera de bon dans ce Mémoire vient
d'elle-même, n'ayant fait autre chose que de rédiger par écrit une
petite partie des belles choses que je lui ai entendu dire sur le sujet
de l'économie des finances. Pour ce qui est rapporté du fait de la
conduite du surintendant, Votre Éminence sait tout ce que j'en ai pu
dire, et je suis bien assuré qu'il n'y a personne en France qui souhaite
plus que moi que sa conduite soit réglée en sorte qu'elle plaise à
Votre Éminence et qu'elle puisse se servir de lui. Quant à tous les
discours que le sieur Hervart a faits, et que le procureur général
m'attribue en commun, et qu'il dit savoir de la source, je crois bien
qu'il les sait du sieur Hervart, parce qu'il a des espions chez lui;
mais je ne suis pas garant de l'imprudence de cet homme-là, avec lequel
j'ai toujours agi avec beaucoup de retenue, m'étant aperçu, en une
infinité de rencontres, qu'il se laisse souvent emporter à dire même
tout ce qu'il avait appris de Votre Éminence.

«Si, dans ce discours et dans le Mémoire que j'ai envoyé à Votre
Éminence, la vérité ne parait sans aucun fard, déguisement, envie de
nuire ni autre fin indirecte de quelque nature que ce soit, je ne
demande pas que Votre Éminence ait jamais aucune créance en moi, et il
est même impossible qu'elle la puisse avoir, parce que je suis assuré
que je ne puis jamais lui exposer la vérité plus à découvert et plus
dégagée de toutes passions. Outre que Votre Éminence pourra le découvrir
assez par le discours même, si elle considère que je ne souhaite la
place de personne, que je n'ai jamais témoigné d'impatience de monter
plus haut que mon emploi, lequel j'ai toujours estimé et estime plus que
tout autre, puisqu'il me donne plus d'occasions de servir
personnellement Votre Éminence, et que d'ailleurs, si j'avais dessein de
tirer des avantages d'un surintendant, je ne pourrais en trouver un plus
commode que celui-là; ce qui paraît assez clairement à Votre Éminence
par l'envie qu'il lui a témoignée de vouloir bien vivre avec moi; Votre
Éminence jugera, dis-je, assez facilement qu'il n'y a eu aucun autre
motif que la vérité et ses ordres qui m'aient obligé de dire ce qui est
porté par le Mémoire, et que les discours du sieur Hervart n'y ont aucun
rapport.

«Quant à l'envie que M. le surintendant a fait paraître à Votre Éminence
même de vouloir bien vivre avec moi, il n'y aura pas grand'peine, parce
que, ou il changera de conduite, ou Votre Éminence agréera celle qu'il
tient, ou Votre Éminence l'excusera par la raison de la disposition
présente des affaires, et trouvera peut-être que ses bonnes qualités
doivent balancer et même emporter ses mauvaises. En quelque cas que ce
soit, je n'aurai pas de peine à me renfermer entièrement à ce que je
reconnaîtrai être des intentions de Votre Éminence, lui pouvant
protester devant Dieu qu'elles ont toujours été et seront toujours les
règles des mouvements de mon esprit.»

Mazarin, tout entier aux négociations de la paix des Pyrénées, renvoya
la décision de cette affaire à l'époque où il rejoindrait la cour. Il
passa encore à Saint-Jean-de-Luz la fin d'octobre et une partie du mois
suivant. La paix ne fut signée que le 7 novembre 1659, et ce fut alors
seulement que le cardinal put s'éloigner de la frontière d'Espagne et
aller rejoindre la cour, qui s'était rendue de Bordeaux à Toulouse.



CHAPITRE XXVI

--1659--

Pendant son séjour à la cour, Fouquet cherche à s'assurer de
nouveaux partisans.--Son frère, l'évêque d'Agde, est nommé aumônier
du roi.--Fouquet gagne Bartet.--Origine et caractère de ce
dernier.--Sa vanité.--Son aventure avec le duc de Candale.--Erreur
de Saint-Simon à son égard.--Bartet resta jusqu'à la mort de
Mazarin un de ses confidents intimes; il l'avertissait de toutes
les intrigues de cour.--Lettres qu'il écrivait de Bordeaux et de
Toulouse au cardinal, pendant que ce dernier négociait à
Saint-Jean-de-Luz.


Pendant son séjour à Bordeaux, Fouquet n'avait pas négligé de se
concilier de nouveaux partisans. Il avait placé près du roi, en qualité
d'aumônier, son frère l'évêque d'Agde. Madame de Beauvais, première
femme de chambre de la reine, était depuis longtemps dans ses intérêts,
et elle lit l'éloge du nouvel aumônier avec un empressement et une
emphase qui manquèrent de mesure et d'adresse. Bartet, un des
secrétaires du cabinet du roi, reçut une pension de Fouquet, et se donna
au surintendant avec une ardeur qu'atteste sa correspondance. Comme les
_Mémoires_ de Saint-Simon donnent sur Bartet des renseignements qui
manquent d'exactitude, il est nécessaire d'insister sur ce personnage,
de montrer quelle était alors son importance et quelles furent ses
relations avec Fouquet. Fils d'un paysan de Béarn, Bartet se fit
remarquer de bonne heure par un esprit souple, délié, insinuant et en
même temps entreprenant et audacieux[706]. Il ne tarda pas à s'élever
au-dessus de la condition de ses pères. Dans un voyage qu'il fit à Rome,
il trouva moyen de gagner la faveur de Casimir Wasa, qui devint roi de
Pologne et nomma Bartet son résident à la cour de France. Son esprit
plut à Mazarin, qui l'attacha à sa personne. Bartet le servit
fidèlement. Pendant la Fronde, il portait au cardinal les dépêches de la
reine Anne d'Autriche et rapportait les réponses de Mazarin. Il
rivalisa, à cette époque, de fidélité et de dévouement avec l'abbé
Fouquet[707]. Comme lui, il en fut récompensé après le triomphe du
cardinal, devint secrétaire du cabinet et eut, comme notre abbé, la
prétention d'aller de pair avec les plus grands personnages de la
cour[708]. Fier de l'appui de Mazarin, il osa lutter contre le duc de
Candale, fils du duc d'Épernon.

Le duc de Candale était, en 1655, un des plus brillants seigneurs de la
France. Sa beauté, sa magnificence et l'éclat de ses aventures l'avaient
mis en renom auprès des dames. Bartet, son rival en amour, cherchait à
le déprécier. Il dit devant plusieurs personnes que, si l'on ôtait au
duc de Candale ses longs cheveux, ses grands canons[709], ses grandes
manchettes et ses grosses touffes de galants[710], il serait moins que
rien et ne paraîtrait plus qu'un squelette et un atome[711]. Le duc de
Candale ne tarda pas à être informé de l'insolence de Bartet, et il s'en
vengea avec une audace qui prouve combien les courtisans se croyaient
alors au-dessus des lois. Il chargea un de ses écuyers, soutenu par une
troupe armée, d'arrêter le carrosse de Bartet en plein jour, dans la rue
Saint-Thomas-du-Louvre, où se trouvaient plusieurs hôtels de grandes
familles, et entre autres l'hôtel de Chevreuse. Bartet ne reçut pas la
bastonnade, comme le dit Saint-Simon dans ses _Mémoires_[712]. Mais les
gens du duc de Candale lui firent un affront encore plus sensible:
pendant que les uns arrêtaient les chevaux et menaçaient le cocher de
leurs armes, d'autres envahirent le carrosse, se saisirent de Bartet,
lui arrachèrent son rabat, ses canons et ses manchettes, et lui
coupèrent la moitié des cheveux et de la moustache. Ce fut le 28 juin
1655 qu'eut lieu cette aventure, qui peint les mœurs de l'époque.

Mazarin était alors absent de Paris. Bartet se hâta de lui envoyer son
frère avec la lettre suivante: «Je dépêche mon frère à Votre Éminence
pour lui rendre compte d'une malheureuse affaire qui m'est survenue ce
matin. Je sortais à dix heures de chez M. Ondedei, à qui je n'avais
point parlé, parce qu'il était avec l'évêque d'Amiens, et m'en allais
dans mon carrosse avec deux petits laquais derrière. A l'entrée de la
rue Saint-Thomas-du-Louvre, du côté du quai, j'ai vu venir à moi
quatorze hommes à cheval, avec quelques valets à pied, tous armés
d'épées, et de pistolets, et de poignards, qui ont crié à mon cocher
qu'il arrêtât. J'ai tiré la tête à la portière et ai cru d'abord qu'ils
me prenaient pour un autre, ne me sachant aucune méchante affaire; mais
les ayant reconnus pour être des valets de chambre et des parents d'un
conseiller[713] de la province dont je suis, avec qui j'ai une querelle
de famille, il y a plus de dix ou douze ans, je n'ai plus douté qu'ils
ne fussent là pour m'assassiner. Je leur ai donc demandé, comme ils sont
venus à moi le pistolet et le poignard à la main, s'ils voulaient me
tuer, et leur ai dit même qu'ils me trouvaient en fort mauvaise
condition; mais deux d'entre eux sont montés dans mon carrosse, et ayant
tiré des ciseaux, m'ont coupé le côté droit de mes cheveux, et m'ont
arraché un canon, et s'en sont allés sans ajouter aucune voie de fait à
cet outrage.

«Comme mes laquais, mon cocher, un de mes amis familiers qui était dans
mon carrosse, et moi, les avons reconnus pour être des gens de mon pays,
amis, parents et serviteurs de celui avec qui j'ai cette vieille
querelle dont je viens de parler à Votre Éminence, je me suis retiré
chez moi, et d'abord me suis pourvu par les voies de la justice, comme
plus propres à ma profession et plus conformes à mon naturel. Je supplie
donc Votre Éminence, monseigneur, que je demeure encore ici peut-être
quinze jours qu'il faudra que j'emploie à faire les informations, qui
sont déjà commencées, et mettre ma poursuite en état qu'elle puisse
aller son chemin, par les formes de la justice, en mon absence. Ainsi je
supplie encore Votre Éminence qu'il lui plaise d'ordonner à M. de
Langlade qu'il serve ce commencement de quartier jusqu'à mon arrivée.

«Je demanderais à Votre Éminence la puissance de sa protection, si celle
de la justice ordinaire ne suffisait pas, et si je ne croyais trouver au
moins autant d'amis et de considération dans Paris qu'un homme de
province qui est réduit à des assassins et à un assassinat. Il ne me
reste donc qu'à demander en grâce à Votre Éminence qu'elle croie que je
ne puis pas rien oublier au monde, de quelque nature qu'ils puissent
être, des moyens honnêtes et légitimes pour la réparation de mon
honneur, et pour venger un outrage dont l'impunité me rendrait
méprisable dans le monde et bien indigne de l'honneur que j'ai d'être au
roi par la libéralité de la reine et celle de Votre Éminence qui l'a
produite, de celui que j'ai encore d'être ministre du roi de Pologne, et
d'être cru au point que je suis serviteur de Votre Éminence et sous
votre protection particulière en cette qualité-là.»

Bartet ne resta pas longtemps dans l'erreur sur le véritable auteur de
l'attentat dont il avait été victime. Dès le 1er juillet, il écrivait
à Mazarin: «Il m'est arrivé un bien plus grand malheur que celui dont je
rendis compte à Votre Éminence avant-hier, par mon frère, puisque c'est
M. de Candale qui dit avoir commandé l'assassinat que je croyais avoir
été fait par ce conseiller de la province avec qui j'ai une querelle de
famille. Il faut bien, monseigneur, que mes ennemis l'aient emporté sur
son esprit d'un artifice bien terrible et qu'ils l'aient circonvenu bien
cruellement pour moi, puisqu'ils lui ont persuadé divers discours qu'ils
m'attribuent avec une si injuste précipitation, qu'ils ne lui ont pas
seulement laissé le temps de les examiner, de les vérifier et de les
tenir pour établis dans le monde. Ç'a donc été par ses propres
domestiques et par d'autres gens de mon pays que je fus assassiné
avant-hier, en la manière que j'ai pris la liberté de l'écrire à Votre
Éminence.

«Dans la première interprétation de mes assassins et de mon assassinat,
je ne demandais point à Votre Éminence une protection particulière,
parce que la qualité de l'action même, celle de mon ennemi prétendu, et
la justice ordinaire m'en donnaient une assez puissante. Mais
aujourd'hui qu'un homme de la puissance, pour ainsi dire, et de la
qualité de M. de Candale se vante publiquement de m'avoir fait
assassiner, je n'ai presque point de protection à espérer après celle
des lois, si le roi ne m'en donne une particulière par la faveur de
Votre Éminence, par laquelle Sa Majesté laisse faire la justice
ordinaire de son royaume, et comme son sujet et comme ayant l'honneur
d'être son domestique, et encore résident à sa cour d'un roi étranger,
qui me couvre du droit des gens, si inviolable en toutes les cours du
monde.»

Bartet, après avoir rappelé les bruits qui avaient couru et excité
contre lui la vengeance du duc de Candale, repousse les imputations
calomnieuses, auxquelles ce seigneur n'aurait pas dû, disait-il, ajouter
foi si légèrement. «Faire assassiner les gens, ajoute Bartet, sur un _on
dit_ qu'on n'établit point et dont il ne pourra jamais donner de preuve,
est une manière de se faire justice à soi-même qui n'est pratiquée en
aucun lieu de la terre. Il se plaint encore que je lui ai parlé chez M.
de Nouveau[714], il y a un mois, avec irrévérence (c'est le mot dont il
se sert). Cela est si vague et si général, qu'il n'y a point
d'irrévérence qu'on ne se puisse forger tous les jours.»

Bartet explique ensuite qu'il ne s'agissait que d'une discussion
grammaticale, pour savoir si on pouvait dire un _esprit fretté_.
L'expression était attribuée à Bartet par le duc de Candale. Une
précieuse, qui avait un grand renom d'esprit, madame Cornuel, demanda à
Bartet ce qu'il pensait de cette locution[715]. Après s'être excusé sur
son ignorance et sur son pays, en disant qu'un pauvre Gascon n'était
guère fait pour prononcer sur la langue française, Bartet, qui se
piquait néanmoins de littérature, déclara que l'expression lui semblait
mauvaise, et aussitôt madame Cornuel de s'écrier que Bartet prétendait
n'avoir jamais rien dit de semblable. Ce démenti donné au duc de
Candale, et les discours contre ce seigneur que Bartet avait tenus en
présence de Mazarin, avaient contribué à préparer la scène dont nous
avons parlé.

Bartet ajoutait que le duc de Candale avait dit à un des gens qui
avaient fait le coup, en présence d'un grand nombre de personnes de
qualité: _C'est moi qui l'ai ordonné; je le dis afin que tout le monde
le sache, et si Bartet s'en prend à personne qu'à moi, je le ferai
encore assassiner et tuer dans les rues, et s'il fait encore aucune
poursuite, je le ferai assassiner et tuer_. «Votre Éminence, continuait
Bartet, qui sait si bien la science des rois, sait bien qu'ils ne
parlent ni ne font comme M. de Candale, et les tyrans mêmes, qui font un
usage tyrannique de l'autorité qui est légitime aux rois, n'en font
point un de la qualité de M. de Candale. Je me mets donc, monseigneur,
s'il vous plaît, sous la protection du roi par celle de Votre Éminence,
et je la conjure par tous les endroits qui lui peuvent donner quelque
sensible pour la disgrâce où je me trouve, de laisser faire la justice
au parlement de Paris.»

Le cardinal parut compatir à l'affront de Bartet et lui promit de le
soutenir. Mais il était alors engagé dans des affaires d'une tout autre
importance, et il aurait craint d'offenser la noblesse en prenant trop
vivement la défense d'un favori insolent, dont la vanité avait blessé
toute la cour. Les contemporains riaient de l'avanie faite à Bartet.
Madame de Sévigné en plaisante dans une lettre adressée à
Bussy-Rabutin[716] et trouve le tour très-bien imaginé. On fit alors sur
l'aventure de Bartet une chanson, dont on a retenu le couplet suivant:

      Comme un autre homme
    Vous étiez fait, monsieur Bartet;
    Mais, quand vous iriez chez Prud'homme[717].
    De six mois vous ne seriez fait
      Comme un autre homme.

L'affaire en resta là, et Bartet chansonné fut réduit à avaler
l'affront. Cependant il ne serait pas vrai de dire, avec
Saint-Simon[718], que «là commença son déclin, qui fut rapide et court.»
Bartet resta, au contraire, le confident de Mazarin[719]. Pendant le
voyage de la cour à Bordeaux et à Toulouse, en 1659, il est en
correspondance avec Mazarin, et ses lettres font connaître tous les
détails des intrigues qui s'agitaient à la cour. Il écrivait, de
Bordeaux, au cardinal, le 23 septembre 1659: «Le roi témoigne assez
d'impatience pour son mariage[720], et disait à la reine, il y a trois
jours, qu'il serait fort ennuyé, s'il le croyait différé encore
longtemps. Il est certain que son esprit paraît fort libre et assez
dégagé[721], et il semble qu'il s'affectionne bien plus qu'il ne
faisait. Sans doute que la cessation des commerces[722], à laquelle
Votre Éminence a mis la main si utilement, l'a mis en cet état et l'y
maintient. C'est assurément pour lui une situation d'un grand repos. Sa
santé était visiblement altérée et se sentait des impressions de son
esprit.

«La cour grossit à cette heure si extraordinairement, qu'il ne se peut
rien voir de plus en un lieu si éloigné de Paris. M. le duc de Guise,
MM. d'Harcourt, M. de Langres, MM. d'Albret et de Roquelaure, comtes de
Béthune, d'Estrées, de Brancas et cinquante autres particuliers de
qualité, sont arrivés ici depuis peu, à trois ou quatre jours les uns
des autres, et de la façon qu'ils parlent, je crois que M. le commandeur
de Jars se trouvera seul dans Paris de tous les gens qui vont au Louvre,
tous ceux qui y sont demeurés se disposant à venir ici.

«M. le duc de Guise s'en va voir M. le duc de Lorraine à la conférence
et ne demeurera ici que très-peu de jours.

«Le roi va, à cette heure, à la comédie presque tous les soirs; il en
fit représenter une le jour de la naissance de l'Infante; il prit un
habit magnifique, fit faire un grand feu aux gardes françaises et
suisses et à ses mousquetaires; tout le canon de la ville fut tiré. Il y
eut grand bal où il dansa. L'on fit _media noche_[723], et il dit à la
reine, n'y ayant que moi et deux personnes, que c'était le moins qu'il
pouvait faire, puisqu'il était le principal acteur de la comédie, pour
s'expliquer dans les mêmes termes que le roi d'Espagne.

«M. de Roquelaure perdit hier dix mille écus contre M. de Cauvisson au
piquet. Celui-ci n'en gagna que deux mille; mais M. de Brancas, qui
pariait pour lui, en gagna six mille[724]. M. de Roquelaure n'a joué que
deux fois contre M. de Cauvisson, et il a perdu quarante mille francs
qu'il a pariés. Je vous écris avec cette certitude, parce que je les lui
ai vu perdre. Sa chère n'en est pas moins grande; car il la fait
très-bonne.

«M. de Gourville est passé ici, qui a dit qu'il allait quérir M. le
surintendant[725].

«M. de Langlade y est arrivé sans doute pour servir son quartier[726].

«M. de Vardes en est parti, il y a quatre jours, pour se rendre auprès
de Votre Éminence et s'y tenir. Rien n'est égal à la manière dont il a
parlé à tout le monde de ses intérêts, disant qu'il n'aurait jamais de
volonté que celle de Votre Éminence et qu'il y était si résigné, qu'il
prendrait le mal même pour le bien, quand il viendrait de la main et du
choix de Votre Éminence. Il a édifié tout le monde par sa tristesse et
par sa modestie[727].

«M. de Bouillon est arrivé de la campagne, où il était allé pour chasser
quinze jours.

«Il arriva ici avant-hier des comédiens français; ils ont passé à la
Rochelle. On les appelle les comédiens de mademoiselle Marianne[728]
parce qu'elle les faisait jouer tous les jours. Ils vinrent hier chez la
reine, comme elle entrait au cercle. Elle leur fit diverses questions à
ce propos et les engagea à dire qu'il n'y avait jamais eu que
mademoiselle Marianne qui les eût vus jouer, et que les demoiselles ses
sœurs n'avaient jamais vu la comédie. Je regardai le roi, qui fit
assurément les mêmes réflexions que Votre Éminence fait dans ce moment.

«M. de Noirmoutiers est ici, prêt à donner l'estocade à Votre Éminence
pour la survivance du Mont-Olympe[729]. Il a envoyé monsieur son fils à
Bayonne, pour faire le voyage de Madrid avec M. le maréchal de
Gramont[730]. Il est fort alerte sur la nature de l'accommodement de M.
le Prince[731], un chacun étant appliqué à voir s'il est fait de manière
qu'il puisse établir entre vous de la confiance et de l'amitié, et Votre
Éminence sait que ces messieurs-là (j'entends ses amis) ont plus
d'intérêt que les autres gens à ces affaires-là par la manière dont ils
sont restés avec M. le Prince. Je l'ai étonné ce matin au pied du lit du
roi (car j'ai vu qu'il n'en savait rien), quand je lui ai dit que
j'étais assuré que Caillet, par ordre de M. le Prince, avait été trouver
Votre Éminence trois fois pour vous dire qu'il mettait aux pieds du roi
toutes les grâces que les Espagnols lui voulaient faire, et qu'il n'en
prétendait que de la bonté de Sa Majesté.

«Voilà, monseigneur, l'état de ce parti. Le marquis de Villeroi a
toujours la dyssenterie avec un peu de fièvre; on n'en a point mauvaise
opinion; mais M. Félix[732] m'a dit que ce qui ne serait point dangereux
en un autre l'était en ce corps-là.»

Bartet suivit la cour à Toulouse, et là, aussi bien qu'à Bordeaux, il
continua d'envoyer au cardinal une sorte de gazette, qui peint au
naturel les mœurs et les caractères de cette époque. On y voit que Louis
XIV, dominé par la comtesse de Soissons (Olympe Mancini), oubliait de
plus en plus sa passion pour Marie Mancini. La politique de Mazarin, qui
tenait le jeune roi comme prisonnier de ses nièces et l'enlaçait dans
leurs chaînes, se montre à découvert dans les lettres de Bartet, aussi
bien que les intrigues des femmes de chambre et leurs querelles devant
la reine mère. Bartet écrivait à Mazarin, le 28 octobre: «Nous attendons
la fin de ces éternelles conférences comme le Messie. Le roi se flatte
qu'il n'y en aura plus que deux, l'une pour la signature, l'autre pour
la séparation. Cette dernière m'a paru mystérieuse aux plis du visage
de la reine et je jurerais que Votre Éminence y traitera avec D. Louis
d'autres matières que de celles du congé, et que la reine en a
connaissance. Rien n'est plus joli que ce que Votre Éminence écrit de la
comédie et des acteurs; nous l'avons tous loué à la reine, et vous êtes
ici tout comme si vous n'en étiez point absent; encore auriez-vous ici
votre modestie contre vous, si vous étiez présent.

«La manière dont M. le duc de Lorraine s'est séparé du roi d'Espagne n'a
point surpris la reine; car elle connaît ce prince en perfection; il
prend mal son temps de bouder contre lui à cette heure que Votre
Éminence nous fait de si bons amis.

«La reine attend avec grande impatience la lettre que M. le maréchal de
Gramont lui a promise pour savoir ce qu'il pense de la beauté et des
agréments de l'Infante.

«Le roi paraît en tout cela comme un homme curieux et rien de plus, et
considère toutes ces choses plutôt comme nouvelles que comme de fort
grandes choses; néanmoins, à mesure que le temps et les personnes
s'approcheront, son esprit et son humeur s'échaufferont aussi, et il y
sera plus appliqué, quand vous lui donnerez plus d'application étant
ici, où personne ne prend soin ni de son humeur ni de son esprit, et où
tout le monde ne cherche qu'à vivre, hors messieurs nos deux
ministres[733], dont le ministère meurt et ressuscite à l'arrivée de
tous les courriers; car ils ne prennent aucune sorte de vie que par là,
et nous les voyons mourir dans l'intervalle des courriers qui nous
arrivent.

«Ne croyez pas, s'il vous plaît, que la chute de la reine soit si peu de
chose que Votre Éminence ne lui en doive faire un compliment; elle a
encore le genou tout noir, et on y fait des remèdes. Je lui disais hier
au soir que Votre Éminence avait trop d'amis à la cour pour ne lui en
pas écrire un petit mot; ce qui ne lui fut pas désagréable.

«Le roi entend à cette heure la plus grande partie de l'espagnol. Il
joue toujours grand jeu chez madame la Comtesse et ne joue que là; il en
coûte vingt mille écus à M. de Roquelaure qu'il y a perdus, et je
pourrais dire vingt et cinq mille. Le roi et madame la Comtesse jouent
de moitié à petite prime. Le roi tient la carte, et elle le conseille;
ils gagnèrent hier dix-neuf cents pistoles, et, après avoir fait _media
noche_, le roi seul poussa M. de Roquelaure au tout pour mille louis.
Les joueurs sont depuis quelques jours MM. le duc de Roquelaure, de
Jacquier et de Varangeville. M. de Launay est malade et M. d'Estrade
absent.

«Le roi dit à M. le surintendant, le jour qu'il arriva, qu'il voulait
deux à trois mille pistoles, et le jour après il lui en demanda quatre
mille, qu'il lui a données. Je vous assure que, tant que le roi ne
jouera que sous la main et par le conseil de madame la Comtesse, il
jouera son argent en barbon, car elle est barbonne elle-même.

«La reine a ses joueurs de reste; mais le roi ne joue jamais à
l'archevêché: ce que madame de Beauvais regarde avec synderèse[734];
car, au grand jeu qu'on joue tous les jours et aux fréquentes reprises
qu'on fait, elle y gagnerait plus de vingt louis d'or par jour.

«Il se passa, il y a trois jours, à la toilette, une manière de
spectacle; c'est une pièce qui a succédé à celle de M. de Beaumont,
écuyer de la reine. Madame de Beauvais[735] s'avisa de louer las talents
de M. l'évêque d'Agde[736] d'une manière si pleine d'affectation et qui
parut si injuste et si excessive à madame de Laubardemont[737], qui est
une créature chagrine et contredisante, qu'elle lui repartit à tout avec
tant d'aigreur ou tant de raison, que madame de Beauvais fut réduite à
se donner cette sorte d'autorité qu'elle prend, quand elle est près de
la reine. Néanmoins l'autre, qui a un certain fonds de dévotion bien ou
mal entendue, qui lui donne aussi quelque considération et de l'estime
dans l'esprit de la reine, se défendit avec une audace si insupportable
à madame de Beauvais, qu'elles en vinrent aux grosses injures, en sorte
que madame de Laubardemont lui reprocha en face les amitiés suspectes de
M. l'archevêque de Sens, disant qu'elle se faisait tous les jours des
héros, et la poussa là-dessus d'une si étrange manière, que la reine ne
voulut point s'y mêler, et les laissant faire elles se dirent toute
sorte de choses croyables et incroyables.

«Cependant M. l'évêque d'Agde s'est trouvé embarrassé en tout cela,
parce qu'en un instant, comme c'était presque l'heure de la messe, toute
la cour en fut remplie, n'y ayant point encore ce jour-là de matière
étrangère sur le tapis, de sorte que ce début de la connaissance de
madame de Beauvais l'a, si je ne me trompe, fort rebuté, et je ne pense
pas qu'il lui donne lieu, par ses fréquentes visites, à le louer, comme
elle a fait, avec une affectation qui eût paru mystérieuse à ceux qui ne
sauraient pas qu'ils n'ont jamais eu aucune sorte de commerce ensemble.

«L'affaire des états[738] paraît prendre, à l'arrivée de M. le
surintendant, des dispositions à se tourner tout à la satisfaction que
le roi et Votre Éminence s'en sont proposée.

«M. le marquis de Gèvre est charmé de la lettre que Votre Éminence lui a
fait l'honneur de lui écrire; il en a savouré toutes les paroles avec
moi, qu'il est venu voir ce matin, et, sans mes réflexions, il a senti
en tous les endroits par lui-même que vous vouliez si fort l'obliger,
que vous aviez presque du chagrin de ne le pouvoir pas faire; et
véritablement votre lettre est là-dessus si expresse et si pressamment
expresse, qu'il ne se peut rien ajouter de plus obligeant pour lui.
Quand j'aurai l'honneur d'être auprès de Votre Éminence, je lui dirai
pourquoi il a demandé si publiquement un gouvernement; c'est une chose
sur laquelle il ne vous fera jamais de la peine; car, m'ayant tout dit
là-dessus, je le trouve en tout raisonnable, et j'oserais dire à Votre
Éminence même que vous le trouverez raisonnable aussi.

«MM. d'Avaux et d'Arcy sont partis aujourd'hui pour se rendre auprès de
Votre Éminence.

«J'attends toujours ici votre retour ou vos ordres pour les choses
auxquelles Votre Éminence m'a fait l'honneur de me destiner.

«Il y a trois mois que Monsieur n'a pas un sol; il tombe dans des ennuis
extraordinaires par intervalles, et j'admire comme il en sort après par
de petites choses.

«Monsieur le Premier (Beringhen, premier écuyer du roi) n'a pas trouvé
les chevaux d'Espagne si beaux que le roi; mais Sa Majesté est demeurée
dans son opinion, et de la manière qu'il en parle, je ne le vois pas
disposé à la quitter; car il affecte à les louer, et réellement c'est
qu'il les trouve fort beaux, et, quand la calèche qu'il médite et les
harnais seront faits, ils paraîtront encore bien plus fiers et plus
glorieux qu'ils ne font à les mener en main dans le jardin de
l'archevêché, et ceux qui sont pour la selle, quand ils seront montés
par un homme qui s'en sache servir.»

Bartet était, comme le prouvent ces lettres, dans l'intime confidence de
Mazarin. Il importait au surintendant d'avoir un pareil homme à sa
dévotion, et il le gagna par une pension dont ses papiers fournissent la
preuve. Dès ce moment Bartet envoya à Fouquet aussi bien qu'à Mazarin
une gazette détaillée de la cour; mais le ton de la correspondance
diffère. Il est plus prétentieux avec Fouquet, et le vaniteux Bartet
n'épargne pas au surintendant les avis et même les remontrances.



CHAPITRE XXVII

--NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1659--

Séjour de la cour à Toulouse (octobre-décembre 1659).--Le
surintendant et ses quatre frères s'y trouvent réunis.--François
Fouquet, archevêque de Narbonne, préside les états de
Languedoc.--Arrivée de Mazarin (22 novembre).--Il défend à Fouquet
de conclure aucun traité avec les fermiers des impôts sans lui en
faire connaître les conditions--Inquiétude du
surintendant.--Gourville persuade à Mazarin de rendre à Fouquet la
plénitude de son autorité.--Réconciliation du surintendant avec le
secrétaire d'État Michel le Tellier, et avec son frère l'abbé
Fouquet.--Le surintendant quitte Toulouse (décembre) et se dirige
vers Lyon.--Fausse couche de madame Fouquet.--Lettre de Bartet à
Fouquet (26 décembre).--Arrivée de Fouquet à Paris.


La cour s'était rendue de Bordeaux à Toulouse dès le mois d'octobre
1659; on y attendait Mazarin, qui revenait avec la gloire d'une paix
avantageuse, comme couronnement de son long ministère. De son côté, le
surintendant et ses quatre frères se trouvaient réunis à Toulouse.
L'archevêque de Narbonne (François Fouquet), qui était venu présider les
états de Languedoc; l'abbé Fouquet, dont il a été question dans les
chapitres précédents; Louis Fouquet, évêque d'Agde, et Gilles Fouquet,
avaient accompagné la cour: le second en qualité d'aumônier du roi, et
le troisième comme premier écuyer de la grande écurie. L'accord ne fut
pas parfait entre les membres de la famille; le surintendant ne
s'entendait que médiocrement avec ses deux frères aînés, François et
Basile, tandis que l'évêque d'Agde et le premier écuyer lui étaient tout
dévoués. Nous ignorons les causes qui divisaient le surintendant et son
frère l'archevêque de Narbonne. Peut-être ce prélat, fier de sa haute
position dans l'Église, avait-il promptement oublié qu'il la devait
surtout à la protection du surintendant.

Quoi qu'il en soit, dès le commencement d'octobre, François Fouquet
avait fait l'ouverture des états de Languedoc par un discours dont Loret
vante l'éloquence[739]:

    Le premier jour de ce mois-ci
    (Du moins on me le mande ainsi
    Avec trois lignes d'écriture),
    Dans Toulouse on fit l'ouverture
    Des sieurs états du Languedoc,
    Où maint homme de grand estoc,
    D'esprit, d'honneur et de créance,
    Chacun à son rang, prit séance.

    Là cet honorable pasteur,
    Qui des vertus est amateur[740],
    Dont l'âme est si noble et si bonne.
    Digne archevêque de Narbonne.
    Président né desdits états,
    Et dont partout on fait grand cas,
    Employant, comme il faut, sa langue,
    Fit une si sage harangue
    Et d'un style si peu commun,
    Qu'il en fut prisé de chacun.

La cour, en attendant l'arrivée de Mazarin, ne fit que se livrer aux
plaisirs et aux intrigues frivoles que retracent les lettres de
Bartet[741]. Mais, dès que le cardinal fut de retour (22 novembre), il
s'occupa de la question des finances. Sans vouloir sacrifier Fouquet,
Mazarin reconnaissait la nécessité de mettre un terme à ses
dilapidations. La lettre si mesurée et si digne de Colbert[742] avait
certainement fait impression sur son esprit. Il défendit formellement au
surintendant de conclure aucun traité avec les fermiers des impôts sans
lui en mander les conditions[743]. Cette mesure annonçait que la
conduite de Fouquet était suspecte au cardinal. Elle pouvait d'ailleurs
s'expliquer naturellement par le rétablissement de la paix: les marchés
onéreux que le surintendant avait conclus antérieurement, l'aliénation
pour plusieurs années des droits du domaine, les intérêts énormes qu'il
payait aux financiers, tout ce désordre avait trouvé son excuse dans le
besoin d'argent pour l'entretien des armées. Mais, après la signature du
traité des Pyrénées, il semblait naturel d'adopter un système nouveau
qui rétablît l'ordre dans les finances. Telle n'était pas l'intention de
Fouquet et de ses créatures. Se rappelant le Mémoire de Colbert et le
plan de réformes qu'il avait proposé au cardinal, le surintendant se
crut perdu. Il fit appeler Gourville[744]. Ce dernier trouva Fouquet se
promenant à grands pas avec le comte de Brancas, qui devint plus tard
chevalier d'honneur de la reine. Brancas, qui recevait une pension du
surintendant[745], n'était pas moins abattu que lui.

Si l'on en croit Gourville, qui aime un peu trop à se mettre en scène et
à s'attribuer une grande influence sur Mazarin, ce fut lui qui se
chargea d'aller trouver le cardinal et de faire changer ses
dispositions[746]. Il lui aurait représenté que les besoins de l'État
étaient considérables et exigeaient une somme de vingt-huit millions,
outre les dépenses ordinaires. Paralyser, dans ces circonstances, le
crédit du surintendant en le tenant en suspicion, c'était le mettre hors
d'état d'obtenir de l'argent des financiers et entraver la marche du
gouvernement. Que si, au contraire, le cardinal se bornait à exiger que,
dans un délai convenu, le surintendant lui fournît trente millions, sans
suspendre les autres dépenses, il serait facile d'obtenir cette somme,
grâce au crédit dont jouissait Fouquet. A son retour, Mazarin trouverait
l'épargne remplie et pourrait se procurer les fonds nécessaires pour
solder l'arriéré. Si tout se réalisait, comme l'annonçait Gourville, le
cardinal resterait toujours libre, après le payement des dettes de
l'État, de faire rendre gorge aux financiers en établissant une chambre
de justice. Gourville ne se borna pas à montrer à Mazarin la nécessité
de laisser tout son crédit à l'homme qui avait la confiance des
traitants. Il attaqua Villacerf, un des intendants du cardinal, qui, par
suite de ses relations avec le Tellier et Colbert, n'était pas des amis
de Fouquet.

Il est probable que le surintendant ne se contenta pas de faire agir son
commis. Il s'était acquis de nombreuses créatures en distribuant des
pensions avec une prodigalité qui ne coûtait qu'au trésor public. Nous
verrons bientôt Bartet, un des affidés de Mazarin écrire à Fouquet comme
à son bienfaiteur et à l'arbitre des destinées de la France. Ce qui est
certain, c'est que le cardinal parut lui rendre toute sa confiance, et
le renvoya à Paris en lui laissant la libre disposition des finances.

Fouquet voulut, avant de quitter Toulouse, se réconcilier avec ceux de
ses ennemis qu'il regardait comme les plus dangereux. Il redoutait
surtout le secrétaire d'État le Tellier, dont la prudence égalait
l'ambition, et qui ne laissait jamais prise aux attaques. Il lui demanda
une entrevue et eut avec lui un éclaircissement sur leurs différends
antérieurs, «en sorte que depuis ce temps, dit Fouquet dans ses
_Défenses_[747], nous avons fort bien vécu ensemble, M. le Tellier et
moi.» Il est certain que, pendant le procès de Fouquet, le Tellier fut
loin de montrer la même passion que Colbert. Il se renferma dans une
circonspection mystérieuse, dont on trouve des preuves dans le _Journal
d'Olivier d'Ormesson_. Ce rapporteur du procès de Fouquet, qui fut
persécuté par Colbert, trouva, au contraire, dans le Tellier de la
bienveillance et presque de l'affection, mais tempérée par une prudence
excessive. L'abbé Fouquet avait aussi accompagné la cour à Toulouse, et
son frère se réconcilia avec lui[748], mais sans lui rendre sa
confiance; le surintendant s'inquiéta même de l'intimité qui semblait
s'établir entre son frère et Gourville, et recommanda à ce dernier de ne
pas s'ouvrir avec l'abbé[749].

Fouquet quitta enfin Toulouse, au mois de décembre 1659, pour revenir à
Paris, en passant par Lyon. Sa femme, qui était enceinte, l'avait
accompagné pendant ce long voyage. Les fatigues et la rigueur de la
saison lui furent funestes. Elle fit une fausse couche, et aussitôt
poëtes et courtisans d'écrire des élégies et des lettres de condoléance.
La Fontaine seul, fidèle à sa joyeuse humeur, le prit sur un ton moins
triste[750]:

    Puis-je ramentevoir[751] l'accident plein d'ennui
    Dont le bruit en nos cœurs mit tant d'inquiétudes?
    Aurai-je bonne grâce à blâmer aujourd'hui
    Carrosses en relais, chirurgiens un peu rudes?

    Fallait-il que votre œuvre imparfait fut laissé?
    Ne le deviez-vous pas rapporter de Toulouse?
    A quoi songeait l'amour qui l'avait commencé,
    Et sont-ce là des traits de véritable épouse?

    Ne quittant qu'avec peine un mari par trop cher,
    Et le voyant partir pour un si long voyage,
    Vous le voulûtes suivre; il ne put l'empêcher;
    De vos chastes amours vous lui dûtes ce gage
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La Fontaine continue avec cette légèreté, qui ne paraît pas trop à sa
place en pareil sujet. Madame Scarron, dont nous avons déjà indiqué les
relations avec la femme du surintendant, avait bien mieux compris la
douleur d'une mère dans la lettre qu'elle avait adressée à madame
Fouquet[752].

Gui-Patin qui parle aussi de cet accident, indique qu'il eut lieu près
de Carcassonne. Il écrit à Falconnet le 16 décembre 1659: «On dit que M.
le procureur général s'est arrêté à Carcassonne pour une fausse couche
de madame sa femme.»

Le surintendant s'arrêta encore à Lyon, et il écrivit de cette ville à
Bartet pour rassurer la cour sur la santé de madame Fouquet, et stimuler
le zèle de ses partisans. Bartet répondit, à sa lettre, le 26
décembre[753]:

«Votre grande lettre de Lyon, du 19 décembre[754], a donné toute la joie
que vous pouvez penser par les inquiétudes que vous nous aviez vues dans
toutes nos lettres, et véritablement vous et tous vos amis doivent louer
Dieu d'avoir mis sa bénédiction à un voyage si incertain et si
dangereux. Comme il ne nous est point revenu de nouvelle d'auprès de
vous, touchant la santé de madame votre femme, qui fût mauvaise, et
qu'on n'a ouï parler d'aucun accident qui lui soit arrivé, le monde n'en
a plus rien dit. On doit ce grand silence-là à l'état de sa santé et à
la conduite avec laquelle vous l'avez si sagement et si heureusement
gouvernée. Ce serait donc une manière de contre-temps de remuer cela
dans la cour par un éclaircissement préparé. Mais, parlant de votre
arrivée à Lyon, on en dira assez de choses presque négligemment pour
faire connaître, en passant, toutes les précautions de votre conduite. A
la reine seulement j'en ferai, moi, tout le détail en particulier, parce
que ce fut elle qui s'y arrêta davantage et qui s'y intéressait si
obligeamment, qu'elle a plus de besoin que les autres de cette sorte
d'éclaircissement, que je ferai tomber sur M. Bernard[755], qu'on sait
m'avoir écrit par Bontemps[756] une assez grande lettre de Lyon.

«Pour moi, je vous puis assurer que je fis de vous peut-être le même
jugement que vous auriez fait vous-même, c'est que, dans ces
circonstances de maux et dangers, l'on fait d'ordinaire le mieux que
l'on peut, et vous ferez tout ce qui se pourra faire; mais vous savez
que les malheurs sont des matières délicates, et qu'ils ont cela de
commun avec les choses les plus parfaites, ils réveillent le monde, et
le monde s'y attache pour nous plaindre un peu et pour nous blâmer
beaucoup.

«Vous voilà donc à Paris, Dieu merci, et, s'il plaît à Dieu, en parfaite
santé. Il n'est plus question que de vous y conduire, comme vous le
savez mieux que personne; mais, comme vous m'avez ordonné de vous dire
toujours les choses qui pourraient vous regarder, je ne veux pas avoir à
me reprocher d'en oublier aucune. Les principales et presque les seules
ne sont pas celles qui sont en vous; ce sont celles qui sont hors de
vous et auprès de vous par les personnes qui vous approchent et qui, se
donnant toujours dans la cour des mouvements incommodes, tiennent les
yeux de la cour toujours ouverts sur eux et sur vous.

«Il n'est donc pas question de ne les point aimer ou de ne leur point
faire du bien; il ne s'agit pas de ne les point voir et de ne les pas
écouter. Toutes ces choses-là doivent être prises dans le fond de votre
sagesse; ce sont tous mouvements qui se doivent exciter en vous par vous
seul, et tous vos amis vous doivent trop aimer tout comme vous vous
aimez, pour entrer dans ces endroits-là de votre cœur, que vous devez
gouverner à votre mode.

«En mon particulier, Dieu m'est témoin si je ne donnerais pas toujours
mon suffrage pour les aimer et pour leur bien faire, toutes les fois
qu'il vous sera honorable d'en user ainsi et qu'ils s'en rendront dignes
par leur affection et par leur conduite.

«Mais, par leur faute, ou par leur malheur, ou par leur art, ou par leur
nature, ou par trop d'industrie concertée entre eux, ou par une avidité
de gouvernement découverte, ou par s'aimer eux-mêmes infiniment plus
qu'ils ne vous aimaient, ou pour perpétuer dans le monde cette vanité
qu'ils y avaient établie sur votre amitié, qui est un désordre de
l'amour-propre, Dieu vous a fait la grâce de comprendre vous-même (car
pour moi je vous ai trouvé là-dessus tout plein de lumières) les
inconvénients terribles que cela a si longtemps produits dans le _ciel
empirée_[757], et les préjudices continuels que vous en avez remarqués
dans la cour et dans le monde.

«Je ne voudrais donc pas les éloigner de vous pour leur ruine; mais je
voudrais bien qu'ils ne s'en approchassent pas pour ne vous nuire point.
Je ne voudrais pas leur retrancher le commerce familier de votre amitié
pour leur attirer ce malheur de ne l'avoir plus; mais je voudrais qu'ils
s'en abstinssent au moins extérieurement, parce que cela vous est
ruineux. Comme ce sont vos biens que je cherche et non pas leurs maux,
je voudrais qu'ils fussent heureux; mais je ne voudrais pas qu'ils le
fussent à vos dépens ni par vos disgrâces. Or c'en sont de véritables
que d'avoir jeté dans votre sagesse la confusion qu'ils y ont jetée un
si long temps, et d'avoir si fort corrompu les plus purs endroits de
votre prudence et de votre conduite par leur vanité, que le monde a vécu
longtemps dans ce désordre de ne pouvoir séparer ce qui était de vous ou
ce qui était d'eux, et si on entrait ou si on sortait de vos affections
par votre choix ou par le leur.

«Comme j'ai encore plus de connaissance de ce qui s'est passé dans la
cour que de ce qui s'est fait auprès de vous ou dans le monde, je puis
mieux dire aussi ce qui m'y a paru, et il est certain que ce cercle de
personnes concertées y était bien plus une société faite pour se
conserver eux-mêmes que pour servir leurs amis. Je veux dire que pour le
seul esprit de les servir. Et c'est de cet esprit-là, composé d'intérêts
et plein d'art, que sont si souvent venues des craintes données sans
fondement ou sur de faux fondements, quand elles étaient propres pour se
donner de la considération; c'est de là que sortaient des choses
ramassées dans le public et recueillies de toutes parts, auxquelles ils
donnaient des formes suivant leurs desseins et leurs intérêts, et que
jamais il ne vous a été rien proposé par eux qui n'eût été devant résolu
en eux-mêmes, au milieu de gens qui quelquefois vous aimaient, et qui
souvent ne vous aimaient pas.

«Il y a eu des temps où les choses que je désigne vous ont été aussi
claires que les rayons du soleil. Quand leurs principaux amis ont eu des
intérêts considérables et que tous ensemble y ont trouvé des résistances
en vous, ils ne vous ont pas marchandé un moment et ont mieux aimé
faire leur main et trouver leur compte, comme si c'eût été la dernière
action de la vie que de s'accommoder à vos difficultés et peut-être à
vos impuissances. Ils ont été tous orateurs et déclamateurs: ils vous
ont montré des abîmes qu'ils venaient de creuser eux-mêmes de leurs
propres mains, et plutôt que de manquer de faire à point nommé ce qu'ils
venaient de résoudre, ils donnaient à vos amis et à vos ennemis, par ces
conduites-là, les plus pernicieux et les plus dangereux exemples qu'on
peut jamais inventer contre un ennemi déclaré.

«Quand, après cela, par la suite du temps, qui sert ordinairement à
sortir des erreurs et à découvrir le mensonge, les affaires du roi vous
ont amené à la cour, et que vous vous y êtes conduit à votre mode,
c'est-à-dire (et vous le savez) avec l'agrément si facile de nos maîtres
et les affections de tous les honnêtes gens qui vous ont donné à
vous-même cet exemple si unique de n'avoir aucun intérêt, vous avez vu
tenir à ces messieurs-là une conduite étonnée; vous les avez remarqués
chancelants et ébranlés dans leurs actions et dans leurs paroles, et
leur déconcertement a été si rude et si dur, qu'il a été connu de tout
le monde.»

Après avoir conseillé à Fouquet de ne compter que sur lui-même et de ne
pas rechercher des amis de cour, qui prenaient son argent et songeaient
surtout à établir leur crédit, Bartet continue ainsi:

«Tous les gens qui aimeront votre gloire vous parleront comme moi et
feront de même. Il faut se rendre inutile pour vous le plus qu'on peut
dans le _ciel empirée_, parce qu'il faut que vous lui paraissiez
vous-même sans le besoin ni le secours de qui que ce soit que de vous et
de lui, principalement pour les choses importantes et pour les conduites
principales. Les temps deviennent pour cela très-favorables, puisque
voici vraisemblablement notre dernier grand voyage[758], et par
conséquent peu de longues absences. J'instrumente contre moi-même quand
je cherche à m'annihiler; mais il le faut quand on vous aime
parfaitement, et enfin il faut laisser ou donner cette leçon à ces
messieurs-là, et vous voir en vos mains, et non pas en des mains de
tribut (mercenaires).

«Cependant, parce que ce qu'ils font pourrait produire d'autant plus de
mal qu'ils rechercheront à se rendre précipitamment nécessaires à
l'_avenir_ (Fouquet), et que nous n'avons pas une parfaite connaissance
de ce qu'ils font, j'ai laissé entrevoir à M. de Fréjus[759], par la
participation de l'_Être de raison_ et la _Sardine_[760], les doutes que
j'avais que ces messieurs-là ne changeassent de conduite sur votre
sujet, et l'ai prié d'y prendre garde dans le _ciel empirée_, et pour
l'amour de vous, et pour l'amour de moi-même, qui assurément, par toute
la suite de ma vie, vous donnerai toujours sujet de m'estimer et de
m'aimer.

«Je n'ai presque plus vu ni M. de Narbonne ni M. l'abbé, et je me suis
senti m'aliéner et m'éloigner d'eux à mesure que je les ai trouvés peu
disposés à entrer dans les raisons dans lesquelles je crois que je
mourrai.

«M. l'abbé m'en fit encore hier au soir une seconde fois reproche dans
la chambre de Son Éminence, mais il me le fit très-obligeamment. M.
l'évêque d'Agde semble se dévouer et à votre personne par choix et à
votre fortune par intérêt. C'est un sujet dans lequel je trouve de si
excellentes choses, qu'il faut que les plus honnêtes gens de ses amis
travaillent délicatement à mettre sa nature au-dessus de son intérêt, et
à régler son ambition et l'amour du bien d'une manière qui compatisse
avec la nature d'un fort honnête homme; car les intérêts légitimes et
bien entendus y compatissent toujours, à moins d'avoir une nature
rebelle.

«Je ne suis pas si faible que vous croyez sur le sujet de M. l'abbé; car
j'ai eu la force de dire à MM. de Brancas et de Grave, à M. le comte de
Soissons et à M. de Varengeville les mêmes choses que je vous ai
écrites. Les deux premiers en étaient plus capables que moi[761] par
eux-mêmes, et j'en ai rendu les autres en partie[762].

«Il est arrivé de M. l'abbé pour le jeu ce que je vous en avais écrit:
la veille de Noël, il perdit contre l'abbé de Gordes, tête à tête,
enfermés ensemble, onze mille quatre-vingts pistoles. Et Son Éminence
part demain, et la cour après-demain!

«Son Éminence me dit hier au soir, en lisant les dépêches de don
Louis[763], qu'il lui écrivait le 9 de ce mois de Madrid, qu'il
enverrait incessamment la satisfaction et la dépêche pour la
dispense[764]; que cependant il me rendait mon voyage de Rome[765] le
plus honorable qu'il pouvait en me chargeant des pensions que le roi
donne aux cardinaux de notre faction, et de plus que cela du chapeau de
la nomination du roi pour M. Mancini, son beau-frère, oncle de madame la
comtesse de Soissons. Je m'assure que cette circonstance de mon voyage
vous donne d'autant plus de joie que vous la trouverez plus honorable.
Je vous supplie de la tenir secrète, ne sachant pas encore si Son
Éminence veut qu'elle soit sue.

«Je voudrais que vous pussiez voir et connaître parfaitement les soins
et le zèle de l'_Être de raison_ et de la _Sardine_.

«Quand je vous parle de M. de Fréjus, mettez-vous bien, s'il vous plaît,
dans l'esprit, qu'il ne prendra ni mission, ni ministère, ni caractère;
mais il veillera seulement sur ceux qui en ont ou qui le prennent, et
fera le bien sans faire aucun mal, et le temps vous fera connaître la
sainteté de cette parole. Pour la vérité, c'est qu'il ne sait d'aucune
chose du monde que pour servir à faire le bien et à empêcher le mal, en
la manière que je viens de vous le dire, et que je vous rendrais plus
sensible si j'en avais le temps.

«L'affaire de M. le prince de Conti est accommodée honorablement et
utilement pour lui, mais avec peu d'agrément de sa part ni de madame sa
femme auprès de Son Éminence, de sorte que cela va bien présentement
pour leurs affaires et mal pour leurs personnes.

«Je vous donnerai des nouvelles de Carcassonne. Au nom de Dieu,
aimez-moi toujours autant que vous avez fait ici et à Lyon; car pour moi
j'appelle cela ma mesure comble.

«Remarquez donc bien, s'il vous plaît, combien abandonnèment j'entre en
vous, de confiance, en corps et en âme.»

Fouquet, qui voyageait à petites journées, n'arriva à Paris qu'à la fin
de l'année 1659. Loret se hâta d'annoncer son retour[766]:

    Ce modèle du vrai prudent,
    Monseigneur le surintendant,
    Dont les bontés me sont si chères,
    Est de retour depuis naguères
    De Toulouse en cette cité,
    Grâce au ciel, en bonne santé.
    Plusieurs, avec impatience,
    Souhaitant sa chère présence.
    Dont ils attendaient des effets,
    Ont sujet d'être satisfaits;
    Car telles gens sont nécessaires
    Pour régler les grandes affaires.
    Soit en gros, ou soit en menu;
    Qu'il soit donc le très-bien venu.



CHAPITRE XXVIII

--JANVIER-OCTOBRE 1660--

Voyage de la cour dans le midi de la France (janvier-juillet
1660).--Fouquet envoie Gourville près de Mazarin pour lui rendre
compte de ses opérations financières.--Mariage de Gilles Fouquet
avec la fille du marquis d'Aumont (mai).--Mariage du roi avec
Marie-Thérèse (9 juin).--La cour est reçue à Vaux par le
surintendant (août).--Entrée du roi et de la reine à Paris (26
août).--Pièce de vers que la Fontaine adresse à ce sujet à
Fouquet.--Jeu effréné à la cour et chez le surintendant.--Relations
de Fouquet et de Hugues de Lyonne.


Fouquet était revenu à Paris, se croyant plus affermi que jamais. Les
confidents de Mazarin lui étaient vendus. Il avait des partisans zélés
dans la société intime de la comtesse de Soissons, où le roi paraissait
oublier son amour pour Marie Mancini. Le surintendant reprit alors le
projet qu'il avait ajourné après la rupture des négociations pour le
mariage de Louis XIV avec Marguerite de Savoie[767]; il s'efforça
d'enlacer le jeune roi dans un cercle d'intrigues habilement tissues et
de succéder à la puissance du cardinal, dont les forces semblaient
épuisées. Endormir le roi dans les plaisirs et gouverner sous son nom,
tel fut le but que poursuivit Fouquet avec une habile persévérance;
mais, toujours prudent dans son ambition, il se garda de laisser percer
ses desseins, et, s'enveloppant de mystère, il dissimula ses intrigues,
pendant que la cour parcourait les provinces méridionales de la France.
Louis XIV visita successivement le bas Languedoc et la Provence[768]; ce
fut pendant ce voyage qu'eut lieu le mariage de mademoiselle de Gramont
avec le duc de Valentinois, fils du prince de Monaco. «C'était, dit
mademoiselle de Montpensier[769], une belle et aimable personne.» Elle
était du cercle intime de madame la Comtesse, et on lui attribuait
d'étroites relations avec Fouquet, comme nous le verrons dans les
chapitres suivants.

Pendant ce voyage, le surintendant, qui connaissait par expérience
l'habileté de Gourville et qui voulait s'en servir pour dissiper tous
les soupçons de Mazarin, l'envoya en Provence rejoindre le cardinal et
lui exposer ses opérations financières[770]. Mazarin s'en montra
très-satisfait, si l'on en croit Gourville. Quant à la sincérité des
comptes présentés par Fouquet, elle est fort douteuse. Nous savons, en
effet, qu'il chercha plus tard à tromper Louis XIV, en diminuant les
recettes et en exagérant les dépenses, et que, sans l'intervention de
Colbert et sa connaissance approfondie des matières de finances, tout
contrôle aurait été impossible. Gourville lui-même avoue que, par suite
des anticipations sur les revenus des années suivantes et par la
confusion des assignations bonnes et mauvaises, il devenait presque
impossible de se reconnaître dans le dédale des finances. Fouquet
continua de traiter avec les maltôtiers à des conditions ruineuses pour
l'État, mais fort avantageuses pour lui et ses amis.

Ce fut vers cette époque (mai 1660) que son frère Gilles, premier écuyer
de la grande écurie du roi, épousa la fille du marquis d'Aumont, et
rehaussa par cette noble alliance l'éclat de la famille. Loret
s'empressa de chanter cette union, qui lui semblait parfaitement
assortie[771]:

    Le cadet, jeune, mais prudent,
    De monsieur le surintendant[772].
    Jouvenceau de belle espérance,
    Oui d'esprit a grande abondance.
    Bref, de mise et de bon aloi.
    Et premier écuyer du roi,
    S'est aussi joint par l'hyménée
    A fille d'illustre lignée,
    Fille du sieur marquis d'Aumont.

Après avoir fait l'éloge des deux familles, Loret termine en prédisant
que les enfants qui naîtront de leur mariage

    Auront, sans doute, infiniment
    De l'esprit et du jugement.
    Si (comme il faut que l'on l'espère)
    Ils ressemblent à père et mère;
    Cette dame en a du plus fin,
    Et messieurs les Fouquets enfin.
    Dignes d'une éternelle estime,
    En ont tous et du plus sublime.

La cour, après avoir parcouru la Provence, revint vers les Pyrénées dans
les premiers jours du mois de mai et se rendit à Saint-Jean-de-Luz. Ce
fut là que fut célébré le mariage du roi et de l'infante Marie-Thérèse,
le 9 juin. La cour partit peu de temps après pour retourner à Paris;
elle s'arrêta d'abord à Fontainebleau, et Fouquet eut l'honneur de la
recevoir à Vaux. «C'est un lieu enchanté,» dit mademoiselle de
Montpensier, qui accompagnait le roi et les reines. Loret ne manque pas,
à cette occasion, de célébrer la magnificence du surintendant[773]:

    Fouquet, bien-aimé des puissances,
    Seul surintendant des finances,
    De plus procureur général,
    Étant de ses biens libéral,
    Traita, lundi, la cour royale
    Par un superbe et grand régale
    Dans sa belle maison de Vaux,
    Où, par ses soins et ses travaux
    Et ses honorables dépenses,
    Paraissent cent magnificences,
    Soit pour la structure, ou les eaux.
    Pour les dorures, ou tableaux,
    Ou pour les jardins délectables,
    Qui ne sont pas moins qu'admirables.
    Ce fut donc en ce lieu pompeux,
    Que bien décrire je ne peux,
    D'autant qu'il passe ma portée,
    Que ladite cour fut traitée;
    Mais, outre le zèle et l'ardeur,
    Ce fut avec tant de splendeur,
    Ce fut avec tant d'abondance,
    Et même en si belle ordonnance,
    Que les banquets d'Assuérus,
    Prédécesseur du grand Cyrus.
    Soit pour les pâtures exquises,
    Soit pour les rares friandises,
    Les breuvages, les fruits, les fleurs,
    Conserves de toutes couleurs,
    Fritures et pâtisseries,
    N'étaient que des pargoteries
    En comparaison du banquet
    Que fit alors monsieur Fouquet.

Le mois suivant, la reine fit son entrée solennelle à Paris (26 août).
La Fontaine en profita pour payer son tribut ordinaire à Fouquet. Ce fut
à cette occasion qu'il adressa au surintendant l'épître suivante[774]:

«Monseigneur,

«Comme je serai bientôt votre redevable, j'ai cru que la magnificence de
ces jours passés était une occasion de m'acquitter et que je ne pouvais
rien faire de mieux que de vous entretenir d'une si agréable matière. Je
vous dirai donc que l'entrée ne se passa point sans moi, que j'y eus ma
place aussi bien que beaucoup d'autres provinciaux, et que ce monde de
regardants est une des choses qui me parut la plus belle en cette
action.

      De toutes parts on y vit
      Une nombreuse affluence,
      Et je crois qu'elle se fit
      Aux yeux de toute la France.
    Ce jour-là le soleil fut assez matineux;
    Mais, pour mieux laisser voir ce pompeux équipage.
      Il tempéra son éclat lumineux;
      En quoi je tiens qu'il fut sage;
      Car, quand il eût eu des habits
       Tout parsemés de rubis
    Et couverts des trésors du Pactole et du Tage,
    Qu'il eût paru plus beau qu'il n'est au plus beau jour,
      Le moins brillant des seigneurs de la cour
        Eût brillé cent fois davantage.

    La cour ne se mit pas seule sur le bon bout,
    Et le luxe passa jusqu'à la bourgeoisie.
    Chacun fit de son mieux: ce n'était qu'or partout;
        Vous n'avez vu de votre vie
        Une si belle infanterie;
    On eût dit qu'ils sortaient tous de chez le baigneur:
        Imaginez-vous, monseigneur,
        Dix mille hommes en broderie.

    Ce fut un bel objet que messieurs du conseil;
    Aussi Leurs Majestés s'en tiennent honorées;
    On n'en peut trop louer le pompeux appareil
       Leur troupe était des mieux parée.
    Tout le monde admira leurs superbes atours,
      Leurs cordons d'or, leurs housses de velours,
       Et leurs différentes livrées.
       Leur chef[775], vêtu de brocart d'or
       Depuis les pieds jusqu'à la tête,
       Ce jour-là parut un Médor,
       Et fut un des beaux de la fête.
       Je ne puis assez dignement
       Louer le riche accoutrement
       Qui le para cette journée,
    Ni le coffret des sceaux, que portait fièrement
       La chancelière haquenée,
       Nommée ainsi très-justement.

    De vouloir peindre aussi les trois cours souveraines[776]
       Et leur auguste majesté.
    Ma muse n'y perdrait que son temps et ses peines;
    C'est un sujet trop vaste et trop peu limité.
      Messieurs de ville eurent en vérité
    Bonne part de l'honneur en cette illustre fête
       Je trouvai surtout bien monté
       Celui qui marchait à la tête[777].
       Il n'est pas jusqu'à Recollet
       Qui ne fût sur sa bonne mine:
       Son cheval, qui n'était pas laid
       Et semblait de taille assez fine,
       Lui secouait un peu l'échine,
       Et pensa mettre en désarroi
       Ce brave serviteur du roi.

       Si je m'étais trouvé plus près
       Des harangueurs et des harangues,
       Vous auriez en vers quelques traits
       De ce qu'ont dit ces doctes langues,
       Sans mentir, j'ai beaucoup perdu
       De n'en avoir rien entendu;
       Car, en fait de magnificence,
       Les compliments sur tes habits
       L'ont emporté, comme je pense;
       Mais tout cela n'est rien au prix
       Des mulets de Son Éminence[778].
      Leur attirail doit avoir coûté cher,
    Ils se suivaient en file ainsi que patenôtres.
    On envoyait d'abord vingt et quatre marcher.
    Puis autres vingt et quatre, et puis vingt et quatre autres.
    Les housses des premiers étaient d'un fort grand prix;
    Les seconds les passaient, passés par les troisièmes;
       Mais ceux-ci n'ont, à mon avis,
       Rien laissé pour les quatrièmes.
    Monsieur le cardinal l'entend en bonne foi;
    Car après ces mulets marchaient quinze attelages.
       Puis sa maison, et puis ses pages,
       Se panadant[779] en bel arroi,
       Montés sur chevaux aussi sages
       Que pas un d'eux, comme je croi.
       Figurez-vous que dans la France
       Il n'en est point de plus haut prix;
       Que l'un bondit, que l'autre danse.
       Et que cela n'est rien au prix
       Des mulets de Son Éminence.

     Bientôt après, les seigneurs de la cour,
     Propres, dorés et beaux comme des ange.
       Ou comme le dieu d'Amour,
       Attirèrent nos louanges[780].
    J'entends le dieu d'Amour, quand il tient du dieu Mars
    Et qu'il marche tout fier du pouvoir de ses dards;
      Car ces seigneurs, qui sont près d'une belle
         Aussi doux que des moutons,
         Sont pires que vrais lions
         Quand ils ont une querelle,
         Ou que le bruit des canons
         Leur échauffe la cervelle.
        En habits sous l'or tout caches,
        En chevaux bien enharnachés.
        Ils avaient fait grosse dépense;
        Et quant à moi, je fus surpris
        De voir une telle abondance.
        Et n'estimai plus rien au prix
        Les mulets de Son Éminence.

        Incontinent on vit passer
        Des légions de mousquetaires.
        C'est un bel endroit à tracer;
    Mais, sans que je m'attire un tel nombre d'affaires.
    Leur maître n'a que trop de quoi m'embarrasser.
        Vous le voyez quelquefois:
    Croyez-vous que le monde ait eu beaucoup de rois.
    Ou de taille aussi belle, ou de mine aussi bonne?
    Ce n'est pas mon avis, et lorsque je le vois,
    Je crois voir la grandeur elle-même en personne[781].

      Comme jadis le monarque des cieux
         Dans le ciel fit son entrée,
    Après avoir puni l'orgueil audacieux
         Des suppôts de Briarée;
    Ou bien comme Apollon, des traits de son carquois
    Ayant du fier Python percé l'énorme masse,
         Triompha sur le Parnasse;
    Ou comme Mars entra pour la première fois
         Dans la capitale de Thrace;
    Ainsi je crois encor voir le prince qui passe.
      Et vous pouvez choisir de ces trois-là
         Celui qu'il vous plaira.

    Mais comment de ces vers sortir à mon honneur?
    Ceci de plus en plus m'embarrasse et m'empêche;
    Et de fièvre en chaud mal me voici, monseigneur.
         Enfin tombé sur la calèche.
    On dit qu'elle était d'or, et semblait d'or massif.
         Et qu'il s'en fait peu de pareilles;
    Mais je ne la pus voir, tant j'étais attentif
         A regarder d'autres merveilles.
    Ces merveilles étaient de fort beaux cheveux blonds.
    Une vive blancheur, les plus beaux yeux du monde;
        Et d'autres appas sans seconds
        D'une personne sans seconde.
         Qu'on ne me demande pas
         Qui c'était que la personne
         En qui logeaient tant d'appas;
         La question serait bonne!
        Tant d'agrément, tant de beauté.
      Tant de douceur et tant de majesté.
        Tant de grâces si naturelles,
    Où l'on trouvait de quoi faire un million de belles,
         Ne peuvent en bonne foi
         Se trouver qu'en la merveille,
         Sans égale et sans pareille.
         Qui donne aux autres la loi
         Et qui dort avec le roi.

Le jeu était une des plus ardentes passions de cette époque. Les lettres
de Bartet à Mazarin et à Fouquet attestent qu'elle était portée aux
derniers excès. Le surintendant et les financiers qui l'entouraient
hasardaient des sommes énormes. Gourville raconte[782] que, pour son
début, il gagna sept à huit cents pistoles à MM. Hervart et de la
Basinière, l'un contrôleur général des finances et l'autre trésorier de
l'épargne. Peu de temps après, étant à Saint-Mandé, dans la maison de
campagne du surintendant, il gagna encore dix-sept cents pistoles[783].
On jouait également chez madame Fouquet, et, parmi les dames qui
hasardaient de grosses sommes, on trouve une précieuse, madame de
Launay-Gravé[784], qui devint marquise de Piennes. Gourville gagna un
jour chez madame Fouquet dix-huit mille livres au comte d'Avaux. On ne
mettait pas d'argent sur table; mais, à la fin de la partie, chacun
écrivait sur une carte ce qu'il devait à son adversaire et la lui
remettait. On jouait souvent des bijoux de prix, des points de Venise
d'une grande valeur, et même des rabats estimés soixante-dix ou
quatre-vingts pistoles chacun.

Fouquet, jouant contre Gourville, perdit jusqu'à soixante mille livres
et les regagna d'un seul coup. Le contrôleur général d'Hervart perdit le
même jour cinquante mille livres. M. de la Basinière ayant invité le
surintendant et sa femme à souper dans son hôtel, situé sur le quai
Malaquais[785], Gourville les accompagna et gagna au marquis de
Richelieu cinquante-cinq mille livres en un demi quart d'heure. Le
marquis vendit pour le payer une terre qu'il possédait en
Saintonge[786].

Ces folles dépenses mettaient une grande partie des courtisans à la
merci du surintendant. Il leur fournissait de l'argent, leur donnait des
pensions, ou du moins une part dans les compagnies de finance, qui
assuraient d'énormes bénéfices à ceux qui pouvaient fournir les
premières avances. Il arrivait cependant quelquefois que cette mise de
fonds était une source d'embarras pour des courtisans prodigues. Je ne
citerai qu'un exemple de ces misères de la cour. Un des hommes les plus
éminents de l'époque, Hugues de Lyonne, s'était mis dans la dépendance
de Fouquet par son amour des plaisirs et les prodigalités où il
l'entraînait. Ses lettres au surintendant n'attestent que trop à quel
triste rôle ce secrétaire de Mazarin, qui fut une des gloires de la
France, était réduit en 1660. Il écrivait à Fouquet, le 19 octobre[787]:
«Je me trouve depuis deux jours tellement accablé de tous côtés de
dettes qu'on me presse de payer sans que je puisse être aidé d'aucun
endroit de ce qui m'est dû, que je suis forcé de recourir à vous pour
trouver quelque remède à mon embarras, que je vous avoue que je ne dis
qu'à la dernière extrémité. M. de Gourville m'avait fait espérer que,
pour les intérêts du prêt de Dauphiné, on me baillerait au moins quinze
mille francs comptant et le reste en bonnes assignations. Cependant je
ne vois rien venir ni pour ces intérêts-là ni pour le principal même,
dont il m'est dû encore une portion bien considérable, et vous savez
comment cette affaire s'est passée; ce qui m'en devait revenir quand je
m'y engageai sur votre parole, ce que j'empruntai, ce que je pouvais
retirer et que je ne fis pas, parce que vous le désirâtes de la sorte,
et comme je m'y trouve aujourd'hui embourbé et pour principal et pour
intérêts.

«Je vois que mon affaire de la charge tirera de longue sous divers
prétextes, et que ce n'est pas un secours présent à mon mal. Ainsi, si
vous ne pouvez rien faire présentement sur cette affaire de M. de
Gourville, le plus court et le plus facile serait à mon avis de me tirer
sans délai de l'autre grande, dont je vous ai si souvent parlé, qui me
mettrait bien au large, et qu'aussi d'ailleurs j'ai grand intérêt de
finir, quand ce devrait être même sans aucun avantage, ne pouvant vivre
dans cette inquiétude ni supporter un si grand poids que de voir
toujours en risque la plus considérable partie de mon bien et ce que
j'ai même emprunté. Il y a plus d'un mois que le terme qu'il vous avait
plu de me désigner pour terminer cette affaire est expiré. La compagnie
dont est question sait, il y a longtemps, par où sortir de ce qu'on lui
demande. Ainsi tous les obstacles me paraissent cessés à présent pour
finir avec avantage; mais, quand cela ne serait pas, je vous aurais
obligation de me débarrasser même but à but et sans y avoir profité de
rien. Quand je m'y suis embarqué, sur l'espoir de votre faveur, j'avais
cru que je pourrais, par votre crédit, être au moins déchargé d'une
partie des avances, qui est une grâce qu'un surintendant, à mon sens,
peut faire à ses amis; mais, cela n'ayant pu être, je tiendrai, comme je
dis, à obligation d'en sortir sans y gagner ni perdre, et
particulièrement si cela peut être dans une conjoncture où je suis dans
un dernier besoin. Je vous prie aussi de voir si vous ne pourriez point
me faire donner quelque assistance comptant pour les intérêts de
l'affaire de M. de Gourville, ainsi qu'il me l'avait fait espérer. Je
veux croire que lui ou quelque autre ne refuseront pas d'en faire
l'avance en leur donnant leurs sûretés. Enfin je me remets entre vos
bras dans une extrême nécessité. Je suis tout à vous.»

Le 28 octobre, le surintendant recevait de de Lyonne une lettre encore
plus pressante: «Je vous assure, lui disait-il, que je ne sais plus où
donner de la tête, pour soixante-dix mille francs qu'on me demande de
divers côtés. Je passai, il y a quatre jours, chez M. Bruant[788]; mais
il y a quatre mois que cela dure, je vois bien que, s'il ne vous plaît y
mettre la bonne main, je languirai encore longtemps. Je vous en conjure
autant qu'il m'est possible.

«M. le cardinal me dit hier le nouvel état de l'affaire de la charge de
chancelier de la reine pour les difficultés de M. de Bonnelle[789]; je
ne vous en dirai mot, parce que Son Éminence vous en a parlé, à ce
qu'elle m'a dit.

«Je vous prie de vous souvenir de faire mettre nettement sur le papier
aux gens que vous savez toutes leurs pensées. J'ai toujours oublié en
cette affaire-ci à vous parler du point principal, et sans lequel
j'aurais peine à me résoudre d'y entendre, qui est que vous me ferez la
faveur de me donner mademoiselle votre fille pour mon fils si l'affaire
réussit. Je ne serais pas assez impertinent pour faire cette proposition
et cette instance si je n'étais persuadé (je ne sais si je me trompe)
que de la donner à un secrétaire d'État, titulaire de la charge des
étrangers, peut être aussi avantageux que de la placer dans une maison
de duc et pair, et peut-être plus, ayant votre protection. Si vous
m'accordez cette grâce, il serait bien aisé de faire dès à présent des
conventions où chacun trouverait son compte, et où l'on ne manquerait
pas de l'argent qu'il faut pour venir à bout de l'affaire. Je ne vous
presse pourtant de rien à quoi vous puissiez avoir la moindre
répugnance, sans que je m'en départe aussitôt. Je vous dis cela, parce
que vous pouvez avoir d'autres vues plus avantageuses, qui le seront
aussi à moi-même, dans la profession que je veux faire toute ma vie
d'être plus à vous qu'à moi.»

L'ouverture faite par de Lyonne pour le mariage de son fils avec la
seconde fille du surintendant ne fut pas rejetée par Fouquet. Il demanda
à de Lyonne de rédiger les conditions par écrit[790]. La réponse de de
Lyonne prouve qu'il était question d'acheter la charge de secrétaire
d'État, dont Brienne était titulaire, moyennant huit cent mille livres.
Pour le payement de cette somme, Fouquet devait s'engager à faire
rembourser à Brienne une valeur d'environ trois cent mille livres
d'anciens billets de l'épargne, en les faisant assigner sur des fonds
disponibles, et, en outre, à lui payer comptant deux cents ou deux cent
cinquante mille livres, qui seraient regardées comme avancement
d'hoirie, «en sorte, ajoutait de Lyonne, que si, au temps que le mariage
se pourrait consommer, il venait à manquer par la volonté de mon fils,
il serait obligé de vous rendre cette somme à vous ou aux vôtres, et, en
cas que le mariage manquât par votre volonté ou celle de votre fille, si
elle était alors en état de trouver un meilleur parti, que ladite somme
avancée demeurerait à mon fils.» Si, au contraire, comme l'espérait de
Lyonne, le mariage avait lieu, les avances faites par Fouquet seraient
comptées comme partie de la dot qu'il se proposait de constituer à sa
fille. En terminant, de Lyonne déclarait qu'il était disposé à se
soumettre à toutes les conditions que Fouquet voudrait lui imposer. Ce
projet n'eut pas de suite; mais de Lyonne n'en resta pas moins enchaîné
au surintendant par les liens les plus forts, ceux de la nécessité. Ses
passions et ses plaisirs le livraient à la merci de l'homme qui
disposait du trésor public.



CHAPITRE XXIX

--OCTOBRE 1660-MARS 1661--

Vie agitée et inquiète du surintendant.--Embarras
pécuniaires.--Lettre adressée par Fouquet à Bruant et réponse de ce
dernier.--Avis donnés à Fouquet sur l'hostilité de Turenne à son
égard.--Craintes du surintendant, qui communique à Gourville son
projet contre Mazarin.--Conseil que lui donne Gourville; Fouquet ne
le suit pas.--Maladie de Mazarin.--Détails sur les derniers temps
de sa vie.--Il se fait transporter à Vincennes.--Conseils qu'il
donne à Louis XIV.--Inquiétude de Fouquet.--Avis qu'il
reçoit.--Mort de Mazarin 9 mars 1661.


Fouquet était lui-même aussi tourmenté que les joueurs passionnés qui
imploraient son secours. Il était obligé de répondre aux exigences de
Mazarin, de payer les créanciers les plus pressés et de se créer sans
cesse de nouvelles ressources. En même temps, il lui fallait veiller sur
ses ennemis et entretenir partout des espions. Mener une vie de plaisirs
et d'intrigues, au milieu des soucis des affaires et des préoccupations
de la politique, tel fut le problème que le surintendant s'efforça de
résoudre. Nous le voyons tantôt au milieu de ses commis, Gourville,
Pellisson, Bruant, Girardin, chercher comment il fera face aux dépenses
imminentes; puis, troublé par les avis souvent contradictoires qui lui
arrivaient de tous côtés, reprenant son plan de résistance et de guerre
civile. Enfin, tourmenté des longs entretiens de Louis XIV avec le
cardinal mourant, il s'efforce d'en pénétrer le mystère et ne reçoit que
des révélations incertaines, parfois même opposées, qui ajoutent à la
perplexité de son esprit. Parvenu presque au comble de la puissance, il
n'en est que plus agité et plus inquiet. Tel est le spectacle que
présente la vie du surintendant depuis le mois d'octobre 1660 jusqu'en
mars 1661, époque de la mort de Mazarin.

Fouquet écrivait, en octobre 1660, à Bruant des Carrières, un de ses
principaux auxiliaires dans l'administration des finances[791]: «Je me
suis trouvé un peu incommodé et n'irai pas à Paris aujourd'hui.
Mandez-moi ce que vous avez fait avec Catelan.

«Voyez ce soir M. de Champlâtreux, de ma part, pour savoir les sûretés
qu'il peut désirer, et que M. Girardin le voie et le fasse visiter.

«Il est nécessaire que vous m'envoyiez le compte de M. Charron à
présent, c'est-à-dire au juste ce qui reste dû de la dernière
ordonnance, et que vous lui mandiez, outre les cent vingt mille livres
de Gourville, que vous le priez de recevoir un billet encore de cent
mille francs de vous pour argent comptant, et donnez-lui pour huitaine.
Entre ci et là, on aura de l'argent; car je l'ai employé dans le compte,
et il est nécessaire qu'il dise l'avoir reçu.

«Son Éminence presse aussi pour cent mille francs à M. Bernard.

«Mandez-moi à quoi se montent par an les appointements payés à M. Rose,
combien à M. de la Rose et combien à M. Roussereau, et en quelles
qualités; ce qui a été payé à M. le premier président pour cette année
et ce qui reste dû tant de ses remboursements que de ses gages et
pensions.

«Mandez-moi quel projet vous faites pour les trois cent mille livres de
l'emprunt des parties casuelles, afin que je ne blesse point M. Girardin
et que je satisfasse Son Éminence.

«Je ne sais plus ce que vous faites pour le taillon, ni si l'affaire de
Caen est finie.

«Mandez-moi d'où provient l'ordonnance du marquis de Richelieu et d'où
venait celle que l'on a payée. Cela presse; car je dois demain donner
ces mémoires à Son Éminence.

«Envoyez-moi l'état de tous les billets des particuliers qui pressent et
demandent payement, en un mot tout ce que vous avez; car demain je dois
régler le tout, et il sera difficile d'y revenir.»

Bruant répondait sur la marge aux questions de Fouquet: «Je n'ai point
rendu compte à monseigneur de toutes choses, parce que j'ai attendu
jusqu'à midi sans sortir. Je vis hier soir M. Catelan, auquel je
proposai de se conserver eux quatre, et de payer dix-huit cent mille
livres à la déduction de trente mille livres de gages et droits. Il
goûta fort cela; mais il me parla de l'impuissance de MM. Galand et
Chastelain, qui ont des emportements extraordinaires et ne peuvent pas
payer un sol. Ce qui a fait que nous avons repris la proposition de
faire huit offices pour servir deux par quartier, l'un au conseil et
l'autre à la direction[792], de faire payer les deux millions au roi par
les quatre nouveaux, et deux cent mille livres aux quatre anciens, en
sorte qu'elles ne seront plus que de sept cent mille, anciennes et
nouvelles. J'en ai dit un mot à M. Bechameil, qui ne s'en est pas
éloigné, et je crois que monseigneur trouvera la chose fort juste et
fort faisable, et, si ces messieurs n'en veulent pas, on trouvera
d'autre monde.»

Bruant entre ensuite dans de longues explications sur ses relations avec
le président de Champlâtreux, fils de Mathieu Molé. Il s'agissait de
l'acquisition, par le surintendant, d'une terre qui appartenait à M. de
Champlâtreux, et dont Bruant était chargé de négocier l'acquisition.

Puis viennent les comptes relatifs à Charron. Après les avoir établis,
Bruant parle du billet de cent mille francs que ce financier doit
recevoir comme argent comptant: «Je prierai, ajoute-t-il, le sieur
Charron de dire qu'il a reçu cette somme, et je crois qu'il le fera,
c'est-à-dire son commis, car il est aux champs.

«Les appointements de M. Rose et ceux de M. Roussereau[793] sont de
dix-sept mille trois cents livres chacun; je l'ai pris sur leurs
billets.

«Il reste dû à M. le premier président quinze mille livres des trente
mille livres de son second remboursement. Il n'a reçu, sur les seize
mille livres de l'année courante, que quatre mille livres du premier
quartier. Reste à lui payer quinze mille livres d'une part et huit mille
pour les quartiers échus[794].» Suivent des détails sur d'autres
affaires de finances, dont le surintendant devait rendre compte au
cardinal.

Au milieu de ces travaux financiers, Fouquet recevait des avis qui
excitaient son inquiétude et réveillaient en lui les soucis de
l'ambition. Il entretenait des espions dans les classes les plus élevées
et parmi les créatures les plus viles. Ses papiers sont remplis de
lettres honteuses, dont nous ne parlerons qu'en passant. La femme d'un
sieur de la Loy, qui habitait le Palais-Royal et avait une maison à
Saint-Mandé, servait d'espion à Fouquet, en même temps que
d'entremetteuse. Elle lui écrivait, le 19 octobre 1660[795]:

«Monseigneur,

«J'ai cru être obligée de vous donner avis que, hier, j'ai su de
personnes de condition, et qui disaient le savoir de bonne part, que M.
le maréchal de Turenne portait fort M. Delorme contre vous envers M. le
cardinal, et que même M. l'abbé (Fouquet) appuyait fort cela. Je vous
demande pardon si je prends la liberté de vous mander ces choses; mais
j'ai cru y être obligée, étant une créature aussi à vous que j'y suis.»
Et, à la fin de la lettre, elle ajoute: «Je vous conjure, monseigneur,
de me continuer l'honneur de votre bienveillance et de me croire la
personne du monde la plus à vous, et en qualité de votre très-humble et
très-obéissante et obligée servante.» Ainsi, d'un côté, bassesse et
platitude; de l'autre, inimitiés ardentes et ambition inquiète, tracas
des affaires, poursuite insensée des plaisirs, âpreté au gain et folles
prodigalités, telle était la vie de Fouquet.

Le surintendant avait partout des créatures qui recevaient son argent,
mais il se trompait en croyant pouvoir compter sur leur dévouement en
cas de danger. C'est ce que Gourville lui représenta avec raison,
lorsque Fouquet lui montra le plan qu'il avait rédigé pour sa défense,
et dont nous avons parlé plus haut[796]. Le surintendant l'avait
conservé à Saint-Mandé et n'en avait jamais abandonné l'exécution. Il le
lut à Gourville vers cette époque, dans les derniers mois de 1660.
Gourville lui représenta qu'il était dupe d'une dangereuse illusion et
l'engagea à renoncer à ce plan chimérique. «Il faut donc le brûler?» lui
dit Fouquet, et, sur la réponse affirmative de Gourville, il déclara
qu'il suivrait son conseil[797]. Le surintendant se rendit alors dans un
cabinet qui communiquait par un souterrain avec son château, et qui
avait une sortie particulière dans le parc de Vincennes; mais, au lieu
de brûler ce projet, qui formait un cahier assez volumineux, il le mit
derrière une glace, où le trouvèrent dans la suite les commissaires
chargés de faire l'inventaire de ses papiers.

Dès le mois d'août, Mazarin, contre lequel Fouquet songeait encore à se
défendre, avait commencé à ressentir les effets du mal qui devait le
conduire au tombeau. Gui-Patin, qui n'aimait pas le cardinal, annonçait
à son ami Falconnet qu'on s'occupait de son successeur[798]: «Un honnête
homme des premiers de sa robe m'a dit aujourd'hui (ce mardi 17 août)
que, dans peu de temps, nous aurons de bonnes nouvelles; quelques-uns
croient que c'est qu'on parle du cardinal de Retz. Bien que le cardinal
Mazarin se porte mieux, on ne laisse pas de songer qui serait celui qui
pourra attraper sa place. On parle fort de quatre, savoir: le maréchal
de Villeroi, M. le Tellier, M. Fouquet, surintendant des finances, et le
seigneur Ondedei, évêque de Fréjus[799]. J'aimerais mieux le cardinal de
Retz que tout cela; mais je n'en serai pas cru.» Le frondeur Gui-Patin
est très-libre de faire des vœux pour son patron, et il ne s'en fait pas
faute dans maint passage de ses lettres, en même temps qu'il se plaît à
peindre la pâleur et l'abattement de Mazarin[800].

A ces attaques renouvelées de la Fronde il faut opposer le récit d'un
témoin oculaire, qui nous montre le cardinal conservant jusqu'au
dernier moment la puissance de son esprit. Mazarin contribua encore à
cette époque à accroître l'influence de la France, que le dernier traité
avait portée si haut. Médiateur entre les États du nord de l'Europe, il
prépara leur pacification à Oliva. En même temps, il négociait avec le
pape pour l'engager à restituer aux souverains de Parme et de Modène les
villes qu'il leur avait enlevées et maintenir l'équilibre des puissances
italiennes. Ainsi, jusqu'aux derniers temps de sa vie, le cardinal ne
cessa de s'occuper de la grandeur de la France.

On peut lui reprocher d'avoir négligé l'administration intérieure, et, à
ce point de vue, il est inférieur au cardinal de Richelieu. Cependant
une lettre écrite par l'abbé Viole, qui paraît avoir été attaché à
Mazarin, quoique son nom rappelât un ardent frondeur, indique que, sur
son lit de mort, le cardinal nourrissait de grandes pensées. Il voulait
achever le Louvre; mais il n'en eut pas le temps, et le palais des rois
de France a attendu pendant deux siècles un complément indispensable, et
a présenté, au milieu de ses splendeurs, l'aspect d'un monument en
ruine. Mazarin songeait aussi à substituer une vaste place à l'ancien
marché aux chevaux; ce projet fut exécuté quelques années plus tard, et
donna naissance à la place Louis-le-Grand (aujourd'hui place Vendôme),
qui est restée un des ornements de Paris. La même lettre, qui porte la
date du 4 février 1661, parle des projets formés pour soulager le
cardinal des détails de l'administration. La copie, qui se trouve dans
les papiers de Fouquet conservés à la Bibliothèque impériale[801],
semble avoir été faite par des agents de la poste vendus au
surintendant. Cette circonstance prouve avec quel soin il se faisait
informer de tous les détails de la santé du ministre. On a écrit au dos
de la lettre cette note, probablement destinée à Fouquet: _Quelque chose
à lire_.

«Il y a près de quinze jours, écrit l'abbé Viole, que M. le
président[802] est malade et que je ne le quitte point. Difficilement
puis-je savoir de grandes nouvelles; ce n'est pas que, dans les ruelles,
il ne s'en débite beaucoup, et que mon frère n'ait vu grand monde, mais
en vérité j'ai plus songé à son mal qu'à toutes choses. Il est mieux,
Dieu merci! et commencera à sortir demain, et ses affaires seraient en
bon état si M. le cardinal avait une meilleure santé. Toute la semaine
lui a été assez mauvaise, et mercredi il se leva en rochet et put faire
ses dévotions à la messe, dont il fut si fatigué, que l'on le recoucha,
et toutes les nuits un médecin le veille. Dieu lui en ôte le danger!
Jamais on ne vit une fermeté égale à la sienne. Son infirmité, qui est
dangereuse, ne lui donne aucun chagrin et ne l'empêche point de former
des desseins qui ne se peuvent exécuter qu'avec dix ans de vie; il veut
vendre sa maison à M. de Longueville, dont l'on veut abattre
l'hôtel[803] à cause du Louvre, et, si Son Éminence faisait cette
affaire, il prétend bâtir un palais à la place du marché aux chevaux au
même endroit, y faire une grande place comme celle que nous appelons la
Royale. L'on ne lui parle point d'affaires, et il en arrive toujours à
régler dans un si grand État qu'est le nôtre. L'on dit que l'on va faire
un conseil, composé de MM. de Turenne, le chancelier, Villeroy, le
surintendant, le Tellier, de Lyonne, qui décidera des affaires
ordinaires; mais les importantes, Son Éminence les déterminera. Ce n'est
seulement que pour le soulager de la bagatelle. Nous sommes fort mal
avec le pape, qui n'a fait aucune considération des instances que les
deux couronnes lui ont faites pour la restitution de Castro au duc de
Parme et de Comacchio au duc de Modène, et, quoique l'ambassadeur
d'Espagne à Rome eût ordre de presser cette affaire, il ne l'a fait
qu'avec langueur, ménageant le pape à cause du Portugal[804]. Cependant
ces terres se trouvent réunies à l'État ecclésiastique: et, sur ce que
l'on a remontré à Sa Sainteté qu'elle aurait eu raison d'en faire part
aux couronnes, il a reparti que, comme les couronnes ne lui avaient
donné aucune participation de cette grande paix, il faisait aussi les
affaires tout seul.

«L'on a volé M. d'Anjou dans le cabinet des bains du roi, et lui a-t-on
pris dans une armoire qu'il y a six mille quatre cents louis d'or avec
deux bagues. Dans ce même endroit étaient toutes les bagues de la
couronne, sans que l'on y ait touché. L'on ne sait point encore ce que
c'est; il est important d'en faire une exacte recherche, pour les suites
qu'une insolence impunie pourrait produire. L'on dit que c'est une
personne de la cour que l'on veut cacher; car le roi a rendu la somme
volée, et l'on n'en parle plus.»

Mazarin ne se montra pas toujours aussi ferme envers la mort, si l'on en
croit les écrivains contemporains. Le jeune Brienne, qui vivait à la
cour et presque dans l'intimité du cardinal, rappelle plusieurs scènes
caractéristiques. Pendant la maladie de Mazarin, le feu prit au Louvre
(6 février 1661). «Je courus, dit Brienne[805], à l'appartement du
cardinal. Je le rencontrai comme il sortait de sa chambre, soutenu sous
les bras par son capitaine des gardes. Il était tremblant, abattu, et la
mort paraissait peinte dans ses yeux, soit que la peur qu'il avait eue
d'être brûlé dans son lit l'eût mis en cet état, soit qu'il regardât ce
grand embrasement comme un avertissement que le ciel lui donnait de sa
fin prochaine. Jamais je ne vis homme si pâle ni si défait. Je ne
laissai pas de m'approcher de lui comme les autres; mais, quand je vis
qu'il ne répondait à personne, je ne lui dis mot, et me contentai de me
faire voir à lui. Il monta dans sa chaise sur le haut du degré et le
descendit ainsi à l'aide de quatre porteurs et de ses gardes, tandis que
les Suisses, rangés sur les marches à droite et à gauche, se passaient
de main en main les seaux d'eau ou couraient les jeter sur les flammes,
qui dévoraient déjà l'appartement dont le cardinal venait de sortir.»

Mazarin se retira dans son palais, qui est aujourd'hui la bibliothèque
impériale[806], et là, au milieu de toutes les richesses qu'il avait
entassées, il voyait avec terreur s'avancer la mort, «Je me promenais à
quelques jours de là, dit le jeune Brienne[807], dans les appartements
neufs de son palais; j'étais dans la petite galerie où l'on voyait une
tapisserie tout en laine, qui représentait Scipion, exécutée sur les
dessins de Jules Romain. Elle avait appartenu au maréchal de
Saint-André; le cardinal n'en avait pas de plus belle. Je l'entendis
venir au bruit que faisaient ses pantoufles, qu'il traînait comme un
homme fort languissant et qui sort d'une grande maladie. Je me cachai
derrière la tapisserie, et je l'entendis qui disait: «_Il faut quitter
tout cela_!» Il s'arrêtait à chaque pas; car il était très-faible et se
tenait tantôt d'un côté tantôt de l'autre, et, jetant les yeux sur
l'objet qui lui frappait la vue, il disait: «_Il faut quitter tout
cela_!» Et, se tournant, il ajoutait: «_Et encore cela! Que j'ai eu de
peine à acquérir ces choses! Puis-je les abandonner sans regret?... Je
ne les verrai plus où je vais_.» J'entendis ces paroles
très-distinctement; elles me touchèrent peut-être plus qu'il n'en était
touché lui-même.» Le jeune Brienne raconte encore plusieurs anecdotes où
se peint la terreur de Mazarin à l'approche de la mort[808].

Ces regrets et ces sentiments d'effroi n'empechèrent pas Mazarin de
s'occuper sérieusement des affaires publiques jusqu'à sa dernière heure.
Il s'était fait transporter à Vincennes, dont il était gouverneur; ce
fut là qu'il eut avec le jeune Louis XIV ces entretiens prolongés, où il
lui donna les plus sages conseils et lui signala avec une intelligence
supérieure les qualités et les défauts de chacun des ministres. Fouquet
était justement inquiet du mystère qui couvrait ces entretiens du
cardinal et du roi. Ses papiers prouvent qu'il s'efforçait d'en pénétrer
le secret; mais les avis qu'il recevait étaient souvent contradictoires
et le laissaient de plus en plus perplexe.

Ce fut vers cette époque, en janvier 1661, que le surintendant eut avec
son frère une querelle très-vive dans l'antichambre même du cardinal, et
les reproches qu'ils s'adressèrent devant un grand nombre de courtisans
n'étaient pas de nature à relever leur crédit et leur réputation[809].
L'abbé dit au surintendant qu'il était un voleur, qu'il avait dépensé
dix-huit millions en bâtiments, que sa table lui coûtait autant que
celle du roi, et qu'il entretenait un grand nombre de femmes qu'il lui
nomma. De son côté, le surintendant reprocha à son frère ses ridicules
amours avec madame de Châtillon. Cette scène scandaleuse parvint au
cardinal. L'abbé Fouquet, si l'on en croit Gui-Patin, chargea tellement
son frère, «qu'on tenait le surintendant en état d'être pendu.»

Gui-Patin, qui n'aimait pas les financiers, est suspect dans ses
assertions contre Fouquet. Celui-ci crut cependant nécessaire de se
justifier dans un entretien avec le cardinal et de faire agir auprès de
lui quelques-uns de ses confidents. Il se servit surtout d'Hugues de
Lyonne, qui avait été longtemps secrétaire de Mazarin et qui était resté
un de ses familiers. De Lyonne écrivait à Fouquet, le 16 février[810]:
«Je vous avertirai que Son Éminence m'a dit que vous lui aviez tenu un
discours qui l'avait infiniment satisfait. Je suis au désespoir que,
quand il me disait cela, M. le chancelier est entré, qui a rompu cet
entretien, dans lequel, s'il fût entré dans le détail, j'avais la plus
belle occasion du monde de pousser la chose et de dire peut-être ce que
vous n'aviez pas dit. Je compte néanmoins pour beaucoup que votre
discours lui ait plu, et il me semble qu'il y a à en tirer des
conjectures fort avantageuses.»

D'autres avis étaient moins favorables. Une personne de la cour, dont
l'écriture ne nous est pas connue, révélait nettement au surintendant
les dispositions hostiles de Mazarin. Elle lui écrivait, le 4 mars:
«Quelqu'un de chez le maréchal[811] dit hier soir que vous lui aviez
rendu de fort mauvais offices auprès de M. le cardinal, lequel n'a pas
tant témoigné de considération pour lui au roi qu'il espérait. On dit
que le cardinal ne lui a parlé avantageusement que de MM. de Lyonne et
le Tellier; que, s'il ne meurt point, vous êtes perdu, et que vous avez
donné quantité d'argent chez la reine pour vous y faire des créatures.
Dans l'état où sont les choses, ne pensez point, s'il vous plaît, à me
voir. Il ne faut point vous divertir de vos affaires, et, quand je
n'aurai plus rien qui vous regarde à vous apprendre, je plaindrai fort
le temps que vous perdriez à un entretien aussi peu agréable que le
mien.»

D'autres tenaient Fouquet au courant des progrès de la maladie.
«Pellisson me dit l'autre jour, écrit au surintendant une dame de la
cour[812], que vous ne seriez pas fâché de savoir ce que l'abbé de Maure
avait jugé du mal de M. le cardinal. Si M. d'Épernon vous a vu depuis,
je suis persuadée qu'il ne vous en aura rien celé; mais, comme je n'en
suis pas assurée, je vous dirai que, de la manière dont on le traite, il
ne croit pas qu'il en puisse réchapper ni même qu'il puisse longtemps
continuer les remèdes qu'on lui donne.» La même personne, qui paraît
sincèrement dévouée à Fouquet, lui écrivait encore, le 2 mars[813]: «Je
ne sais rien de nouveau aujourd'hui, qu'une chose qui me déplairait
infiniment si elle se trouvait véritable: c'est que la parole est donnée
du mariage de mademoiselle Marianne[814] avec le marquis de Villeroi.
J'en craindrais les suites avantageuses pour lui, et je ne puis
m'empêcher de le haïr depuis que je sais qu'il n'est pas de vos amis.»

Ces bruits n'étaient pas fondés; mais il n'est pas sans intérêt de voir
l'agitation qui régnait à la cour, les nouvelles qui y circulaient, les
partis qui se dessinaient, les noms des candidats désignés comme
successeurs de Mazarin. Le maréchal de Villeroi, ancien gouverneur de
Louis XIV, était un des prétendants à la place de premier ministre, et
le crédit qu'un mariage avec une nièce du cardinal aurait donné à son
fils semblait en faire un compétiteur redoutable pour Fouquet. Ainsi
raisonnaient les courtisans, qui ne connaissaient guère mieux la vérité
que le bourgeois Gui-Patin, dont les lettres répètent à peu près les
mêmes nouvelles, avec assaisonnement de remarques satiriques.

Ce qui paraît certain, au milieu de ces bruits souvent contradictoires,
c'est que Mazarin révéla au roi les dilapidations et les vues
ambitieuses de Fouquet, tout en reconnaissant qu'il avait de grands
talents, et qu'il serait capable de bien servir l'État si on pouvait le
guérir de sa passion pour les femmes et mettre un terme à ses
prodigalités dans la construction des bâtiments. C'est ce qui résulte
d'une déclaration de la reine mère, révélée par son confesseur[815].
Outre de Lyonne et le Tellier, Mazarin recommanda à Louis XIV son
intendant Colbert. Les paroles du cardinal méritent d'être conservées.
«Sire, je vous dois tout, dit-il au roi, mais je crois m'acquitter en
quelque manière en vous donnant Colbert[816].»

Peu de temps avant sa mort, Mazarin conclut un mariage qui semblait
assurer un brillant avenir à une de ses nièces, Hortense Mancini. Elle
épousa Jean-Armand de la Porte, fils du maréchal de la Meilleraye, qui
prit le nom de duc de Mazarin. Hortense Mancini lui apporta en dot trois
millions six cent mille livres d'argent comptant, les gouvernements de
la Fère, de Vincennes, et les duchés de Ponthieu et de Mayenne[817].

Mazarin mourut le 9 mars 1661. Ce fut le jeune Brienne qui l'annonça le
premier à Fouquet[818]. Il rencontra le surintendant, qui se rendait à
pied de sa maison de Saint-Mandé au château de Vincennes, en traversant
les jardins. Brienne fit aussitôt arrêter son carrosse, en descendit et
prévint Fouquet. «Le cardinal est donc mort? répliqua celui-ci avec
quelque surprise. Je ne sais plus à qui me fier; les gens ne font jamais
les choses qu'à demi. Ah! que cela est fâcheux! Le roi m'attend, et je
devrais être là des premiers. Mon Dieu! monsieur de Brienne, dites-moi
ce qui s'est passé, afin que je ne fasse pas de fautes par ignorance.»
Le jeune secrétaire d'État lui conta tout en peu de mots, et continua sa
route vers Paris pour avertir le chancelier. Quant à Fouquet, lorsqu'il
arriva à Vincennes, il trouva déjà le roi en conférence avec les
secrétaires d'État de Lyonne et le Tellier.



CHAPITRE XXX

--MARS 1661--

Résolution que prend Louis XIV à la mort de Mazarin.--La cour ne
croit pas qu'il puisse y persister.--Fouquet espère s'emparer du
ministère.--Portrait du surintendant à cette époque.--Il est trompé
par Louis XIV.--Caractère du jeune roi.--Ses maximes.--Son
application au travail.--Ministres dont il s'entoure et secret
qu'il leur impose.--Surveillance qu'il fait exercer sur Fouquet par
Colbert.--Le surintendant cherche à entourer le roi d'espions et
espère le dominer par ses maîtresses.--Société de madame la
Comtesse.--Appuis que s'y ménage Fouquet.


Le lendemain de la mort de Mazarin, Louis XIV réunit le chancelier
Pierre Séguier, le surintendant Fouquet, et les ministres d'État le
Tellier, de Lyonne, Loménie de Brienne, Duplessis-Guénégaud, Phélypeaux
de la Vrillière; et, s'adressant au chancelier: «Monsieur, lui
dit-il[819], je vous ai fait assembler avec mes ministres et mes
secrétaires d'État pour vous dire que jusqu'à présent j'ai bien voulu
laisser gouverner mes affaires par feu M. le cardinal: il est temps que
je les gouverne moi-même. Vous m'aiderez de vos conseils quand je vous
les demanderai. Hors le courant du sceau[820], auquel je ne prétends
rien changer, je vous prie et vous ordonne, monsieur le chancelier, de
ne rien sceller en commandement que par mes ordres et sans m'en avoir
parlé, à moins qu'un secrétaire d'État ne vous les porte de ma part.»
Ensuite le roi se tourna vers les secrétaires d'État, et leur dit: «Et
vous, messieurs, je vous défends de rien signer, pas même une sauvegarde
ou un passe-port sans mon commandement; de me rendre compte chaque jour
à moi-même, et de ne favoriser personne dans vos rôles du mois. Et vous,
monsieur le surintendant, je vous ai expliqué mes volontés; je vous prie
de vous servir de Colbert, que feu M. le cardinal m'a recommandé[821].»

On crut que le roi, qui s'imposait une si lourde tâche, s'en fatiguerait
bientôt. Un prince de vingt-trois ans, accoutumé à laisser au cardinal
Mazarin et à sa mère le soin des affaires publiques, ne paraissait pas
capable d'une pareille application au travail. On ne connaissait pas
encore Louis XIV; mais peu à peu on vit se développer ses grandes
qualités: il avait une volonté forte et persévérantes[822], un profond
sentiment des devoirs que son rang lui imposait, une dignité majestueuse
en toutes choses[823], enfin un instinct supérieur du bon et du beau
qui suppléait souvent aux défauts de son éducation. Il savait discerner
le mérite et le récompenser. Pénétré de la nécessité du travail, il
voulut tout connaître par lui-même, finances, justice, guerre, politique
extérieure; et il s'y appliqua avec un zèle qui se soutint pendant
cinquante-quatre ans. Au mérite d'un souverain actif et résolu,
intelligent et laborieux, Louis XIV joignait un profond secret. Personne
ne fut plus maître de lui-même, et Fouquet ne tarda pas à éprouver à
quel point le jeune roi savait porter la dissimulation. En même temps
Louis XIV était convaincu de la nécessité de concentrer fortement son
autorité: «On doit demeurer d'accord, disait-il à son fils[824], qu'il
n'est rien qui établisse avec tant de sûreté le bonheur et le repos des
provinces que la parfaite réunion de toute l'autorité dans la personne
du souverain.» Il ne parlait qu'avec indignation des monarchies où le
roi est forcé de se soumettre à la volonté nationale[825]: «Il est
certain que cet assujettissement, qui met le souverain dans la nécessité
de prendre la loi de ses peuples, est la dernière calamité où puisse
tomber un homme de notre rang.»

En 1661, l'orgueil et l'infatuation de la puissance n'avaient pas encore
altéré les qualités de Louis XIV. Les idées que lui-même a exposées sur
les devoirs des souverains méritent d'être rappelées et méditées: «Il
ne faut pas vous imaginer, dit-il à son fils[826], que les affaires
d'État soient comme ces endroits épineux et obscurs des sciences, où
l'esprit tâche avec effort de s'élever au-dessus de lui-même, le plus
souvent pour ne rien faire, et dont l'inutilité, au moins apparente,
nous rebute autant que la difficulté. La fonction des rois consiste
principalement à laisser agir le bon sens, qui agit toujours
naturellement sans peine. Ce qui nous occupe est quelquefois moins
difficile que ce qui nous amuserait seulement. L'utilité suit toujours.
Un roi, quelque éclairés et habiles que soient ses ministres, ne porte
point la main à l'ouvrage sans qu'il y paraisse. Le succès, qui plaît en
toutes les choses du monde jusqu'aux moindres, charme en celle-ci comme
on la plus grande de toutes, et nulle satisfaction n'égale celle de
remarquer chaque jour quelque progrès à des entreprises glorieuses et
hautes, et à la félicité des peuples, dont on a formé soi-même le plan
et le dessein. Tout ce qui est le plus nécessaire à ce travail est en
même temps agréable: car c'est, en un mot, mon fils, avoir les yeux
ouverts sur toute la terre, apprendre incessamment des nouvelles de
toutes les provinces et de toutes les nations, le secret de toutes les
cours, l'humeur et le faible de tous les princes et de tous les
ministres étrangers, être informé d'un nombre infini de choses qu'on
croit que nous ignorons, voir autour de nous-mêmes ce qu'on nous cache
avec le plus de soin, et découvrir les vues les plus éloignées de nos
propres courtisans.»

Fouquet et les autres ministres étaient bien loin de croire au zèle
réfléchi et sérieux que le jeune Louis XIV apportait à son _métier de
roi_, pour me servir de ses propres expressions. La persévérance dans
cette application aux affaires leur paraissait surtout impossible pour
un prince entouré de tant de séductions. Le surintendant résolut de
laisser s'épuiser cette première ardeur. Il espérait entraîner ensuite
Louis XIV dans un tourbillon de plaisirs qui lui feraient oublier le
soin du gouvernement, et alors, déployant cette grâce naturelle qui
charmait tous ceux qui l'approchaient, il comptait s'emparer de l'esprit
du prince et le décharger du fardeau des affaires. Tel fut son but et
son plan de conduite pendant les six mois qui s'écoulèrent de la mort de
Mazarin jusqu'à son arrestation, du 9 mars au 5 septembre 1661. C'est à
démêler cette intrigue, où le surintendant mit tout en œuvre pour
s'emparer du pouvoir, que nous devons nous attacher. D'un côté un
ministre astucieux, servi par d'innombrables espions, secondé par Olympe
Mancini et par la foule des courtisans, semble marcher à la souveraine
puissance; de l'autre, un jeune roi, que l'on croyait incapable de
diriger l'État, mais qui, plein du sentiment de ses devoirs et des plus
hautes pensées, aspirait à élever l'autorité royale et la France avec
elle, surveille avec vigilance toutes les démarches de ses ministres,
découvre les fraudes du surintendant, déjoue ses projets ambitieux et
triomphe de ses intrigues. Ce spectacle, où se montre le génie de Louis
XIV, avec sa finesse et sa force, mérite d'être étudié dans ses moindres
détails.

Louis XIV commença par former son conseil de trois ministres
exclusivement, afin de donner aux actes de son gouvernement ce secret
profond dont il aimait à s'envelopper. Il n'y appela que le Tellier, de
Lyonne et Fouquet: le premier avait une longue expérience des affaires,
et sa fidélité avait été éprouvée pendant les troubles de la
minorité[827]. De Lyonne était instruit à fond des affaires étrangères,
et le cardinal mourant l'avait recommandé au roi. Quant à Fouquet, «l'on
pourra trouver étrange, dit Louis XIV dans ses _Mémoires_[828], que
j'aie voulu me servir de lui, quand on saura que dès ce temps-là ses
voleries m'étaient connues; mais je savais qu'il avait de l'esprit et
une grande connaissance du dedans de l'État, ce qui me faisait imaginer
que, pourvu qu'il avouât ses fautes passées et promit de se corriger, il
pourrait me rendre de bons services.»

Les contemporains nous ont peint les trois ministres que Louis XIV
appelait à son conseil[829]. Michel le Tellier, secrétaire d'État depuis
1643, avait toutes les grâces de l'extérieur, que retracent fidèlement
ses portraits: un visage agréable, les yeux brillants, les couleurs du
teint vives, un sourire spirituel. Son esprit était doux, facile,
insinuant. Il parlait avec tant de mesure et de circonspection, qu'on le
croyait toujours plus habile qu'il n'était; souvent sa réserve, qui
venait de l'ignorance, passait pour sagesse. Modeste sans affectation,
cachant sa faveur avec autant de soin que ses richesses, il n'avait
point oublié que son grand-père avait été simple conseiller à la cour
des aides. Il ne fit jamais vanité d'une pompeuse et fausse généalogie,
et, bien loin d'exciter l'envie par son faste, comme Fouquet, il vivait
avec simplicité et se contentait d'une modeste campagne à Chaville. Le
Tellier se connaissait assez lui-même et était assez maître de ses
passions pour ne pas aspirer au premier rang; mais il remplissait avec
exactitude les fonctions de sa charge, et ne s'en laissait jamais
distraire par les plaisirs. Facile et poli dans le commerce ordinaire de
la vie, il était ennemi dangereux, et attendait avec patience l'occasion
de frapper ceux qui l'avaient offensé. Sa réconciliation avec Fouquet,
pendant le séjour de la cour à Toulouse, avait été plus apparente que
réelle. Il redoutait les intrigues du surintendant et était scandalisé
de ses folles prodigalités. Ainsi Fouquet ne pouvait compter sur lui
pour la réalisation de ses vues ambitieuses.

Il n'en était pas de même d'Hugues de Lyonne. Nous avons déjà vu par
quels liens ce ministre était enchaîné à Fouquet[830]. Joueur et
dissipateur, entraîné par les plaisirs et n'épargnant rien pour
satisfaire ses goûts, de Lyonne présentait un mélange de vertus et de
vices: ardent au travail et infatigable quand la nécessité l'exigeait,
mais d'ordinaire distrait par les plaisirs et ne donnant que quelques
heures aux affaires publiques, il regagnait par la vivacité de son
esprit le temps que ses passions lui faisaient perdre. Son génie vif et
perçant s'était encore aiguisé par la pratique des affaires et son
commerce habituel avec le cardinal Mazarin. Louis XIV, qui connaissait
bien de Lyonne, ses faiblesses comme ses qualités, s'en servait pour les
affaires étrangères, auxquelles il était éminemment propre. Mais il ne
lui laissait aucune influence sur le gouvernement intérieur. Les deux
Brienne, père et fils, qui possédaient la charge de secrétaires d'État
pour les affaires étrangères, ne faisaient que signer les dépêches
rédigées par de Lyonne, quoique ce dernier n'eût encore que le titre de
ministre d'État.

Fouquet était évidemment le seul des trois ministres appelés au conseil
secret que l'on pût considérer comme le successeur de Mazarin. Le
Tellier n'aspirait pas à une si haute fortune, et de Lyonne était
renfermé dans des attributions spéciales. Le surintendant seul, par le
nombre de ses créatures, l'éclat de son nom, la magnificence qu'il
étalait, semblait destiné au rang de premier ministre. Il avait
l'intelligence rapide, le travail prompt et facile. Sa conversation
était vive et légère, ses manières aisées et nobles. Son esprit cultivé
charmait tous ceux qui l'entretenaient. Il avait l'abord facile et
répondait toujours des choses agréables, de telle sorte qu'il renvoyait
à demi contents tous ceux qui venaient à son audience, lors même qu'il
ne leur ouvrait pas sa bourse. Pour suffire aux occupations de ses deux
charges et aux plaisirs d'une vie dissipée, Fouquet passait une partie
des nuits à écrire, dans son lit, les rideaux fermés[831]; il disait que
le grand jour lui donnait de perpétuelles distractions. Ce mélange de
plaisirs et de travaux ne tarda pas à altérer sa santé. Il était sujet,
en 1661, à des accès de fièvre intermittente; mais ni les conseils de
ses amis, ni le soin de sa santé, ni les avertissements de sa
conscience, ne purent prévaloir sur ses passions et l'arrêter dans la
voie fatale où il était entraîné.

Louis XIV, qui était décidé à mettre un terme aux dilapidations de
Fouquet, n'avait pas encore résolu de le perdre. Il le prit en
particulier et lui déclara qu'il voulait être roi et avoir une
connaissance exacte et complète des affaires[832]; qu'il commencerait
par les finances, comme la partie la plus importante de
l'administration, et s'efforcerait d'y rétablir l'ordre et la
régularité. Il demanda au surintendant de l'instruire exactement de tous
les détails, et le conjura de ne lui rien cacher, déclarant qu'il se
servirait toujours de lui, pourvu qu'il le reconnût sincère. Quant au
passé, il était disposé à l'oublier; mais il voulait qu'à l'avenir le
surintendant lui fit connaître avec vérité l'état des finances. Fouquet
protesta de son dévouement et de sa bonne foi; mais, au lieu de profiter
de l'occasion que lui offrait le roi pour sortir des voies tortueuses et
criminelles où il s'était engagé, il s'y plongea de plus en plus.

Cependant, si l'on en croit un contemporain qui se dit bien
informé[833], les sages avis ne manquèrent pas au surintendant. Il avait
réuni ses commis, Bruant, Pellisson, Girardin[834], et leur avait fait
part des paroles du roi. Ils lui firent remarquer qu'il y avait autant
de bonté que de fermeté dans les demandes du prince, et qu'il serait
dangereux de ne pas déférer à ses ordres. Mais Fouquet se moqua d'eux et
prétendit qu'un jeune roi, livré à ses passions, ne serait pas longtemps
fidèle à ses projets de travail. Il lui faudrait, disait-il, consacrer
au moins huit heures par jour à des détails fastidieux. Comment supposer
qu'il s'y appliquerait avec persévérance, pendant que les plaisirs
l'appelaient de toutes parts? Confiant dans cette pensée, Fouquet
présenta à Louis XIV des états falsifiés. Pendant cinq mois le
surintendant tenta de tromper ainsi le roi, sans que la patience du
prince se lassât. Chaque jour Fouquet exposait à Louis XIV les dépenses
en grand détail; il les exagérait, et au contraire diminuait les
recettes. Le roi remettait tous les soirs ces états à Colbert, qu'il
avait nommé intendant des finances, avec mission spéciale de surveiller
Fouquet. Colbert indiquait au roi les faussetés de ces états, et le
lendemain Louis XIV insistait auprès de Fouquet pour obtenir la
rectification des erreurs, sans cependant lui découvrir qu'il était
instruit de ses fraudes. Fouquet persistait dans ses mensonges et
croyait que le roi en était dupe.

Ce qui contribuait à entretenir l'illusion du surintendant, c'est qu'il
avait gagné la plupart de ceux qui entouraient Louis XIV, et il se
croyait parfaitement instruit de toutes ses pensées. Langlade et
Bartet, deux des secrétaires du cabinet, lui étaient vendus. Les jeunes
courtisans qui paraissaient les compagnons assidus du roi, les
Marsillac, les Guiche, les Vardes, recevaient et souvent sollicitaient
du surintendant des pensions ou gratifications. Marsillac surtout, que
les contemporains représentent comme l'ami du roi, était (du moins
Fouquet le croyait) complètement dans ses intérêts[835]. C'était à ce
courtisan que Louis XIV écrivait, après l'avoir nommé grand maître de la
garde-robe: «Je me réjouis comme votre ami du présent que je vous ai
fait comme votre maître[836].»

Fouquet se croyait également sûr des femmes au milieu desquelles vivait
le roi. Louis XIV semblait alors dominé par la comtesse de Soissons,
dont nous avons déjà parlé antérieurement[837]. Olympe Mancini avait
repris sur ce prince l'ascendant qu'elle avait jadis exercé. Mariée
depuis deux ans au prince Eugène de Savoie-Carignan, comte de Soissons,
elle n'était plus désignée que sous le nom de madame la Comtesse. Sa
charge de surintendante de la maison de la reine, l'éclat de sa beauté,
celle des jeunes femmes dont elle savait s'entourer, leur esprit
d'intrigue et de galanterie, tout contribuait à faire de madame la
Comtesse l'arbitre de la mode et de l'opinion. Son règne fut court, mais
brillant. La reine mère avait d'abord vu avec plaisir l'ascendant
d'Olympe Mancini sur le roi[838]. C'était un moyen de faire oublier
Marie Mancini, dont la passion tout autrement profonde aspirait au
trône. Mais elle ne tarda pas à s'apercevoir des dangers que présentait
cette cabale.

La société de madame la Comtesse était trop avide et trop peu
scrupuleuse pour que le surintendant n'y fit pas de faciles conquêtes.
Parmi les femmes qui y brillaient du plus vif éclat, on remarquait
madame de Valentinois, fille du maréchal de Gramont et sœur du comte de
Guiche. Si l'on en croit Conrart et Valant[839], qui ont transcrit dans
leurs recueils de prétendues lettres trouvées dans la cassette de
Fouquet, madame de Valentinois aurait été une des maîtresses du galant
surintendant. Mais la lettre qu'ils lui attribuent paraît venir d'une
entremetteuse vulgaire. D'ailleurs, j'ai déjà fait remarquer que ces
lettres n'avaient aucune authenticité. Toutefois d'autres documents, qui
méritent plus de confiance, prouvent que madame de Valentinois était, en
effet, signalée par la chronique scandaleuse comme entretenant des
intrigues avec Fouquet. Il a déjà été question des lettres d'une
entremetteuse, nommée la Loy, lettres qui forment la plus grande partie
des papiers saisis dans la cassette de Fouquet et conservés par Baluze.
Cette femme fait plusieurs fois allusion aux bruits qui avaient couru
sur les relations de Fouquet avec madame de Valentinois. Racontant une
conversation des filles de la reine, elle écrit à Fouquet[840]: «Comme
l'on parla de choses et d'autres, et que l'on vint à tomber sur votre
chapitre, mademoiselle de Fouilloux nous dit qu'elle savait de bonne
part que vous étiez passionnément amoureux de mademoiselle de
Valentinois, et que mademoiselle de Beaulieu[841] faisait l'intrigue. Je
vis que mademoiselle de Menneville[842] changea de couleur, et devint
rouge et les yeux étincelants. Les larmes lui tombèrent. En même temps,
comme elle vit cela, elle se leva et s'en alla vers la fenêtre, feignant
d'avoir mal à la tête et aux yeux. J'ai peur que mademoiselle de
Fouilloux n'ait pris garde à cela; car elle la regarda fort, et, après
qu'elle fut sortie, je fis ce que je pus pour lui remettre l'esprit,
disant qu'assurément c'était une même plaisanterie que celle qu'on avait
voulu faire de mademoiselle de Pons; mais, quelque chose que je lui
pusse dire, je ne pus lui ôter l'inquiétude.»

Comment s'étonner d'ailleurs que madame de Valentinois ait été en butte
à la médisance ou à la calomnie, lorsqu'on la voit, dans les _Mémoires_
de Saint-Simon, jouer un si étrange personnage? Lauzun en était épris et
se crut trompé par cette belle et galante dame. Il s'en vengea avec une
audace inouïe. «Une après-dînée d'été qu'il était allé à Saint-Cloud,
il trouva Madame[843] et sa cour assises à terre sur le parquet pour se
rafraîchir, et madame de Monaco[844], à demi couchée, une main renversée
par terre. Lauzun se met en galanterie avec les dames et tourne si bien,
qu'il appuie son talon dans le creux de la main de madame de Monaco, y
fait la pirouette et s'en va. Madame de Monaco eut la force de ne point
crier et de s'en taire[845].» Une autre anecdote, également racontée par
Saint-Simon, prouverait, si l'on en croyait le Gascon Lauzun, que madame
de Valentinois entretenait avec Louis XIV un commerce régulier de
galanterie. Il ne serait pas étonnant que cette beauté fragile n'eût pas
résisté aux séductions du surintendant.

Ce qui est certain, c'est que plusieurs des filles d'honneur de la reine
qui brillaient dans la société d'Olympe Mancini recevaient des pensions
de Fouquet. Une chanson de l'époque énumère ces filles d'honneur, en
caractérisant leur esprit et leur beauté[846]. En voici deux couplets
qui s'appliquent à celles qui figureront dans l'histoire du
surintendant:

    FOUILLOUX, sans songer à plaire,
    Plaît pourtant infiniment
    Par un air libre et charmant.
    C'est un dessein téméraire
    Que d'attaquer sa rigueur.
    Si j'eusse été sans affaires,
    La belle aurait eu mon cœur.
    . . . . . . . . . . . . . .
    Toute la cour est éprise
    De ces attraits glorieux
    Dont vous enchantez les yeux,
    MENNEVILLE; ma franchise
    S'y devrait bien engager;
    Mais mon cœur est place prise,
    Et vous n'y sauriez loger.
    . . . . . . . . . . . . . .

Bénigne de Meaux du Fouilloux, dont il est question dans le premier
couplet, était amie intime de la comtesse de Soissons; elle recevait une
pension de Fouquet, le servait avec zèle dans toutes les intrigues de
cour, et l'instruisait des mystères de cette cabale où des dehors légers
couvraient de dangereuses passions. C'est ce qui résulte de documents
parfaitement authentiques. On y voit assez clairement les efforts de
cette cabale pour enchaîner Louis XIV et l'endormir dans les plaisirs.



CHAPITRE XXXI

--MARS-AVRIL 1661--

Bénigne de Meaux du Fouilloux, une des amies de la comtesse de
Soissons, reçoit une pension du surintendant.--Caractère de cette
personne. Elle s'efforce de gagner des partisans à Fouquet.--Le
surintendant l'emploie pour l'acquisition de la charge de capitaine
général des galères.--Rôle de mademoiselle de la Motte d'Argencourt
dans cette affaire; sa disgrâce.--Mademoiselle du Fouilloux avertit
le surintendant de tout ce qu'elle découvre des amours du
roi.--Elle est dupe de la dissimulation de Louis XIV.--Henriette
d'Angleterre, duchesse d'Orléans.--Mademoiselle de la
Vallière.--Haine de mademoiselle de Fouilloux et de la comtesse de
Soissons contre elle.--Ce que serait devenu Louis XIV s'il eût été
subjugué par cette société.--Fermeté et discernement de Louis XIV
au milieu de cette cour dissolue.


Mademoiselle du Fouilloux avait fait son apparition à la cour en 1652;
elle y fut remarquée immédiatement pour sa beauté et sa grâce[847]:

    Une fleur fraîche et printanière,
    Un nouvel astre, une lumière,
    Savoir l'aimable du Fouilloux,
    Dont plusieurs beaux yeux sont jaloux,
    D'autant que cette demoiselle
    Est charmante, brillante et belle,
    Ayant pour escorte l'Amour,
    A fait son entrée à la cour.
    Et pris le nom, cette semaine,
    De fille d'honneur de la reine;
    Et le roi, se ramentevant[848]
    Que son feu frère ci-devant
    Était mort, lui, rendant service
    Dans le métier de la milice,
    Lui donne en rétribution
    Deux mil livres de pension.

Vive, spirituelle, aimable et peu scrupuleuse, mademoiselle du Fouilloux
obtint bientôt une sorte de célébrité dans cette cour brillante et de
mœurs faciles. Mademoiselle de Menneville la surpassait en beauté[849];
mais mademoiselle du Fouilloux avait plus d'esprit et de gaieté. On la
voit figurer dans la plupart des ballets, où Louis XIV lui-même aimait à
jouer un rôle. Loret, qui chante sur un ton moitié sérieux, moitié
burlesque, toutes les fêtes de la cour, ne manque jamais d'y mêler
l'éloge de mademoiselle du Fouilloux[850]. Il dit en parlant d'un ballet
dansé en janvier 1658:

    Fouilloux, l'une des trois pucelles,
    Comme elle est belle entre les belles,
    Par ses attraits, toujours vainqueurs,
    Y faisait des rafles de cœurs.

En 1661, mademoiselle du Fouilloux avait encore conservé tout l'éclat de
sa beauté. Le jeune Racine, qui était alors relégué au fond d'une
province, voulant citer à son ami la Fontaine des types de beauté, n'en
trouve pas de plus connus que ceux de mesdemoiselles du Fouilloux et de
Menneville[851]: «Je ne me saurais empêcher de vous dire un mot des
beautés de cette province... Il n'y a pas une villageoise, pas une
savetière, qui ne disputât de beauté avec les Fouilloux et les
Menneville... Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une
façon qui leur est la plus naturelle du monde; et pour ce qui est de
leur personne.

Color verus, corpus solidum et succi plenum.»

Ainsi, d'après la citation même de Racine, l'éclat du teint, qui n'avait
pas besoin des artifices de la parure, les charmes de la jeunesse et de
la santé, se réunissaient pour faire de ces filles de la reine des
modèles d'une beauté parfaite.

Fouquet s'y laissa séduire et s'efforça en même temps de faire de
mademoiselle du Fouilloux un auxiliaire de sa politique. Nous avons déjà
vu une jeune fille[852] mettre la finesse et les grâces de son esprit au
service des vues ambitieuses du surintendant. Je n'insisterai pas sur
les relations de mademoiselle du Fouilloux et de Fouquet. Il est
difficile de supposer que le voluptueux surintendant et une jeune fille
célèbre pour sa beauté et de mœurs légères n'aient traité que des
questions politiques dans leurs fréquentes entrevues, constatées par la
correspondance de l'entremetteuse. On voit même que cette femme a la
précaution d'éviter que mademoiselle du Fouilloux n'aille chez Fouquet
en même temps que mademoiselle de Menneville. Elle écrivait au
surintendant[853]: «Mademoiselle du Fouilloux m'a dit qu'elle ne pouvait
vous aller parler aujourd'hui, parce qu'elle est obligée d'aller avec
Madame à la chasse. Elle m'a dit de savoir de vous quelle heure vous
sera la plus commode demain, à deux heures après-midi ou à quatre
heures; car elle n'y pourra aller qu'à l'une ou l'autre de ces
heures-là. Pour la personne que vous savez[854], je crois qu'il n'est
pas à propos qu'elle aille chez vous avec Fouilloux. Assurément elles
nuiraient l'une à l'autre; il faut qu'elles y aillent séparément. Je
crois que Fouilloux ira seule avec une gouvernante. Que je sache, s'il
vous plaît, demain matin l'heure qui vous sera la plus commode.»

Ce qui est établi par cette lettre et par bien d'autres, c'est que
mademoiselle du Fouilloux avait des entrevues avec Fouquet, et il est
prouvé d'ailleurs que cette personne, qui joignait le goût du solide et
du positif à un ardent esprit d'intrigue, recevait une pension du
surintendant. L'entremetteuse était chargée de la toucher et de la lui
transmettre. «Je vous dirai, écrivait-elle à Fouquet[855], que j'ai vu
Fouilloux prête à me prier de trouver moyen de vous dire, comme de mon
chef, que je savais bien que vous lui feriez un grand plaisir, si sur la
pension de cette année vous lui vouliez avancer cent pistoles.»

En se vendant à Fouquet, mademoiselle du Fouilloux avait cherché, en
fille prudente et avisée, à s'assurer un mari pour l'époque où elle
voudrait faire une fin. Elle avait jeté les yeux sur un des seigneurs de
la cour, personnage de noble famille et d'humeur débonnaire, le marquis
d'Alluye (Paul d'Escoubleau). Elle sut l'enivrer et le fasciner au point
de le tenir pendant près de dix années sous son empire. Dès le temps du
voyage de Louis XIV à Lyon, en 1658, elle entretenait avec lui des
relations qui étaient connues de toute la cour[856]. Comme la famille du
marquis d'Alluye s'opposait à son mariage avec une personne sans fortune
et d'une conduite justement suspecte, il fallut attendre jusqu'en 1666,
époque où la mort de Charles d'Escoubleau, père du marquis, leva le
principal obstacle[857]. Dans cet intervalle, mademoiselle du Fouilloux
ne cessa de veiller sur le marquis; les espions du surintendant étaient
à ses ordres et lui rendaient bon compte de la conduite de Paul
d'Escoubleau. «J'ai dit à mademoiselle du Fouilloux, écrivait
l'entremetteuse à Fouquet, ce que vous m'avez mandé touchant le marquis
d'Alluye. Elle m'a priée d'aller vous trouver, à quelque prix que ce
fût, et de vous supplier, de sa part, de savoir si c'est lui qui cherche
à se marier: que tous les jours il lui écrit des lettres du contraire,
où il lui fait mille protestations d'amitié; que, pour son père, elle
sait qu'il fait tout ce qu'il peut pour l'obliger à se marier. C'est
pourquoi elle vous supplie de vous informer lequel c'est qui fait les
pas pour cela et de qui l'on parle.»

Mademoiselle du Fouilloux ne rendait pas à Fouquet moins de services
qu'elle n'en recevait. Le surintendant l'employa particulièrement pour
décider le marquis de Richelieu à céder la charge de général des galères
au marquis de Créqui, gendre de madame du Plessis-Bellière. Fouquet
attachait une grande importance à cette affaire, par des raisons que
nous avons exposées plus haut[858]. Il s'agissait pour lui de s'emparer
de la flotte de la Méditerranée et d'ajouter à la puissance navale, dont
il disposait déjà, les galères de Toulon et de Marseille. L'affaire
parut d'abord difficile. Fouquet chargea mademoiselle du Fouilloux d'en
parler à mademoiselle de la Motte-d'Argencourt, une des filles de la
reine, qui avait grand crédit sur le marquis de Richelieu[859].
L'entremetteuse, rendant compte du résultat de ces démarches à Fouquet,
lui écrivait[860]: «Mademoiselle du Fouilloux m'a promis de faire tout
ce qu'elle pourrait humainement pour l'affaire que vous savez; mais elle
m'a dit que mademoiselle de La Motte n'avait pas sur M. de Richelieu le
pouvoir qu'il a sur elle; qu'il lui faisait faire une partie de ce qu'il
veut, et que, elle, n'en usait pas de même. Elle a même ajouté qu'il
n'y avait que deux jours que M. de Richelieu lui avait dit qu'il y
périrait ou qu'il aurait cette charge, et qu'il n'avait pas de l'argent
rien que pour les galères; mais qu'il en avait encore pour le
gouvernement du Havre, et que l'argent pour tout cela était tout prêt.
Il l'avait même priée de parler encore à madame la Comtesse pour lui,
mais qu'à votre considération elle (mademoiselle de La Motte) ne le fera
pas, et qu'au contraire elle fera tout ce qu'elle pourra pour détourner
les bons sentiments que madame la Comtesse a pour M. de Richelieu. Car
elle m'a dit de vous avertir que madame la Comtesse se déclare fort pour
M. de Richelieu contre M. de Créqui. Elle a ajouté que madame de
Beauvais[861] fait tout ce qu'elle peut envers la reine mère. Elle m'a
priée de vous aller avertir de toutes ces choses, et de vous assurer
qu'il n'y avait rien qu'elle ne fit pour vous et qu'elle y fera tout ce
qu'il se pourra dans cette rencontre, comme en tout ce à quoi vous
voudrez l'employer. Mais elle vous prie que tout ce qu'elle vous fera
dire soit fort secret, et elle ne veut pas que qui que ce soit autre que
moi sache qu'elle a relation avec vous. Elle m'a dit de vous voir tous
les jours si cela se peut et que je sache ce que vous voudrez qu'elle
dise et fasse, et par même moyen elle me dira ce qu'elle apprendra. Elle
m'a répété qu'elle a peur que vous n'ayez pas satisfaction dans cette
affaire.

«Pendant mon absence elle était dans la plus grande peine du monde que
je fusse de retour pour vous dire, de sa part, que vous fissiez grande
civilité à madame la comtesse de Soissons; que vous ayez cent petites
complaisances pour elle, et elle m'a dit de vous dire que elle ne vous
mandait pas cela sans raison et que dans peu elle me les dirait pour
vous les répéter. En vérité, elle m'a parlé tout à fait de bonne façon.»
Cette lettre se termine comme la plupart des billets de l'entremetteuse
par une demande d'argent: «Mademoiselle du Fouilloux m'a assuré que de
tout l'argent que vous lui avez fait donner, elle n'en a pas payé un
sou, et elle a tout joué.»

Quelques jours après, la même personne écrivait encore à Fouquet[862],
pour lui annoncer que l'affaire paraissait en meilleure voie. Elle ne
manque pas d'insister sur les services rendus au surintendant par
mademoiselle du Fouilloux et la comtesse de Soissons. «J'ai vu
mademoiselle du Fouilloux, qui m'a dit qu'elle avait parlé à madame la
Comtesse, et qu'elle vous promettait qu'elle ne serait point contre vos
sentiments. Elle lui parlera encore aujourd'hui. Elle m'a dit de vous
dire qu'elle avait su de mademoiselle de La Motte que le marquis de
Richelieu lui a dit qu'il avait présentement cinq cent mille livres, et
qu'il lui fallait encore deux cent mille livres; qu'il était allé à
Paris pour les trouver, si bien que comme cela il n'a pas trop son
argent comptant. Elle croit même qu'il en a encore moins qu'il ne dit.
Le marquis de Richelieu est de retour de cette après-dînée[863]. Elle
dit qu'elle lui parlera encore ce soir et qu'elle en tirera ce qu'elle
pourra, et, comme elle part demain matin pour aller à Paris, elle m'a
dit que, s'il y avait quelque chose de conséquence, elle me laisserait
un billet pour vous.

«Mademoiselle du Fouilloux m'a fait entendre qu'elle était dans la
confidence du roi et de Madame, et que le roi lui avait témoigné qu'il
était fâché de ce qu'elle allait à Paris et lui avait dit jusqu'à trois
fois qu'elle ne manquât pas de revenir jeudi. Vous savez que le roi n'a
jamais aimé personne qu'il n'ait voulu qu'elle fût de la
confidence[864], si bien que je crois qu'il en est ici de même; elle m'a
chargée aussi de vous dire que, si vous souhaitez de faire dire quelque
chose, soit touchant cette charge ou autre chose, par Madame au roi,
qu'elle le fera, sans que vous y paraissiez en rien. Enfin elle m'a dit
tout ce qui pouvait se dire là-dessus. Elle a ajouté que, si elle voyait
qu'il fût à propos, elle intéresserait mademoiselle de La Motte de
quelque chose.»

L'affaire particulière dont Fouquet s'occupait alors, et pour laquelle
il avait employé mademoiselle du Fouilloux, réussit. Le marquis de
Richelieu vendit au marquis de Créqui la charge de capitaine général des
galères, moyennant une somme de deux cent mille livres, qui fut payée
par Fouquet. Mademoiselle de La Motte d'Argencourt, dont il a été
plusieurs fois question dans cette négociation, avait comme mademoiselle
du Fouilloux une réputation de beauté et de grâce. Loret l'a célébrée
dans sa lettre du 19 janvier 1658:

    Et la mignonne d'Argencour.
    Nouveau miracle de la cour.
    Avec des douceurs sans pareilles.
    Faisait adorer ses merveilles.
    Et soumettait, par ses beautés.
    Cent précieuses libertés.

L'éclat des amours du marquis du Richelieu et de mademoiselle de La
Motte entraîna quelques mois plus tard la disgrâce de cette fille de la
reine. Cet événement est raconté dans une des lettres trouvées dans la
cassette de Fouquet. «Il ne s'est rien passé de considérable en cette
cour, depuis que vous en êtes parti, que le congé donné à mademoiselle
de La Motte par la reine mère. Ce fut M. de Guitry[865] qui eut ordre de
le lui dire la veille du départ du roi. La reine mère souhaitait que la
chose se fît sans éclat et que La Motte se retirât sous prétexte de
maladie ou quelque autre raison. Mais elle fut chez madame la Comtesse
le lendemain de bon matin, et, après avoir appelé madame de Lyonne au
conseil, il fut résolu qu'on engagerait la reine à prier la reine mère
en sa faveur. Cette résolution prise, on chercha les moyens d'engager la
reine à faire cette prière. On crut que la voie de Molina[866] était la
meilleure; on la prit, et l'abbé de Gordes fut dépêché vers elle. Il
s'acquitta fort heureusement de son message. Molina promit de s'employer
de tout son pouvoir et de faire agir la reine. En effet, comme la reine
mère revenait de la promenade, elle fut priée de la part de la reine
d'entrer dans son appartement seule, et y étant, la reine la pria avec
des termes pressants de pardonner à La Motte. Elle lui dit qu'elle
savait bien qu'elle n'aimait pas la galanterie; que si, après ce pardon,
La Motte ne vivait pas avec la dernière régularité et ne servait pas
d'exemple aux filles de la reine mère et aux siennes, elle serait la
première à prier la reine mère de la chasser. Et voyant que toute cette
éloquence était inutile, elle fit sortir La Motte tout en pleurs de son
cabinet où elle avait été enfermée toute l'aprés-dînée, qui vint se
jeter aux pieds de la reine mère, qui craignant de s'attendrir, ou,
comme elle a dit depuis, ne voulant pas lui reprocher sa mauvaise
conduite, passa dans le grand cabinet de la reine et fut entendre une
très-mauvaise comédie espagnole.

«Depuis, La Motte a fait prier la reine mère par la reine de souffrir
qu'elle se retirât au Val-de-Grâce; ce qui lui a été refusé par la reine
mère, parce qu'elle a dit qu'il y allait trop de monde, et on la met à
Chaillot.

«Le sujet de sa disgrâce est conté diversement. Les uns disent qu'elle a
écrit une lettre où elle traite le marquis de Richelieu de traître et de
perfide pour l'avoir abandonnée, et que cette lettre a été interceptée.
Les autres que le marquis a voulu se rengager dans ce même commerce avec
elle et qu'on l'a appréhendé; qu'il lui a écrit une lettre plus tendre
que toutes celles qu'il avait écrites autrefois et qu'on a su qu'il
l'avait écrite. On fait d'étranges contes d'elle, et c'est ce qui fait
qu'elle veut entrer dans un couvent que la reine mère lui choisira,
parce que, autrement, elle ne pourrait se justifier.»

Je n'ai pu reconnaître l'écriture de la personne qui écrit ces nouvelles
au surintendant. Il ne serait pas impossible que ce fût mademoiselle du
Fouilloux elle-même. Ce qui est certain, c'est qu'elle ne cessa pendant
toute cette époque de donner des renseignements à Fouquet sur l'état de
la cour et sur les intrigues amoureuses de Louis XIV. Afin de vendre
plus cher ses services, l'entremetteuse ne manquait pas de répéter sans
cesse à Fouquet que mademoiselle du Fouilloux était de toutes les
confidences du roi, et qu'elle partageait tous ses plaisirs. Elle
insistait avec un soin particulier sur les scènes qui pouvaient donner
au surintendant une haute idée du crédit de mademoiselle du Fouilloux et
de son influence sur Louis XIV; témoin le passage suivant[867]: «J'ai vu
mademoiselle du Fouilloux, qui m'a dit que mardi le roi s'enferma avec
Madame, madame la Comtesse, madame de Valentinois et les filles de
Madame, et ne voulut qu'aucun homme ni d'autre personne y fût. Elle me
dit qu'ils firent mille folies, jusqu'à se jeter du vin les uns aux
autres; que le roi lui parla fort et lui témoigna mille bontés; qu'elle
vous assure que ce ne sera rien que La Vallière, et que tout le tendre
va a Madame. Elle m'a dit que le roi a la dernière confiance en madame
la Comtesse, et qu'il lui dit les choses les plus particulières, même
touchant les reines, et cent autres choses de cette force; qu'il n'y a
que deux jours l'on parla fort de vous au roi, lui en disant cent
biens, et elle a ajouté que ce ne fut pas elle qui en dit le moins.»

Cette lettre prouve que mademoiselle du Fouilloux fut dupe, aussi bien
que Fouquet et la plus grande partie de la cour, de la dissimulation de
Louis XIV. On le croyait épris de sa belle-sœur la duchesse d'Orléans,
et en réalité c'était une des filles d'honneur de Madame, la tendre et
gracieuse La Vallière, qui avait tout son amour. Une passion vive et
sincère, jointe à la dignité de son caractère, que blessaient ces
orgies, sauva Louis XIV de la vie molle et voluptueuse où la comtesse de
Soissons et quelques filles de la reine auraient voulu l'enchaîner. On
le croyait sous le charme et comme captif dans ces jardins d'Armide;
mais il les traversait sans danger. L'amour vrai et profond le
préservait de la débauche. Il faut d'ailleurs distinguer avec soin les
personnes que réunit et semble confondre cette honteuse correspondance.
Henriette d'Angleterre, dont il est souvent question sous le nom de
Madame, est loin de ressembler à la comtesse de Soissons: Olympe Mancini
était ambitieuse et violente dans ses passions; elle ne recula pas
devant le crime, et fut plus tard gravement compromise dans l'affaire
des poisons. Henriette d'Angleterre, élevée dans l'exil, d'une santé
délicate, d'une sensibilité exquise, d'un esprit charmant et cultivé, ne
connut jamais les entraînements de l'ambition et de la débauche. Elle
aimait à plaire et y réussissait. Entourée de jeunes courtisans habitués
à l'audace et au succès, elle n'eut pas toujours la prudence et la
réserve qui l'auraient mise au-dessus du soupçon; mais on ne saurait
comparer la légèreté de sa conduite à la licence de celle de madame la
Comtesse.

Henriette d'Angleterre, qui avait épousé, à la fin de mars 1661,
Philippe de France, duc d'Orléans, paraissait recherchée par Louis XIV,
et il ne fut bruit à la cour que de cette galanterie; mais, en réalité,
Madame n'était que le prétexte. Les hommages du roi s'adressaient à une
des filles d'honneur de Henriette, Louise de La Baulme le Blanc,
marquise, et plus tard duchesse de La Vallière. Cette jeune fille, moins
brillante et moins spirituelle que la plupart des beautés du cercle de
madame la Comtesse, avait un charme particulier. C'est pour elle que
semble avoir été fait le vers de l'_Adonis_ de la Fontaine:

Et la grâce plus belle encor que la beauté.

Pendant les premiers temps, la société de madame la Comtesse ne voulut
pas croire à la passion du roi pour cette jeune fille, d'une beauté
médiocre et d'un esprit insignifiant. On ne vit dans l'empressement de
Louis XIV auprès de mademoiselle de la Vallière qu'un moyen ingénieux de
cacher son amour pour sa belle-sœur. C'était ce que soutenait
mademoiselle du Fouilloux. Mais, lorsqu'on reconnut que le roi aimait
réellement mademoiselle de La Vallière, il y eut dans le cercle intime
de la comtesse de Soissons un véritable déchaînement contre la fille
d'honneur de Madame. Mademoiselle du Fouilloux était des plus violentes.
«Elle se mit à me parler de mademoiselle de La Vallière, écrit
l'entremetteuse à Fouquet[868], et, pour vous dire le vrai, je vis fort
qu'elle doit enrager de n'être point en cette confidence-là. Elle
déclama fort contre mademoiselle de La Vallière, disant que ce n'était
pas son coup d'essai, et qu'elle on avait fait bien d'autres; et, par
tout ce qu'elle me dit, je vis bien qu'elle en veut faire dire quelque
méchant discours au roi, afin que cela l'en dégoûte. Elle me dit qu'il
n'y a rien que La Vallière n'ait mis en pratique pour faire que le roi
en fût amoureux, et que, si d'autres avaient voulu faire la moitié de
ces avances, elle ne l'aurait pas eu.»

Madame la Comtesse et ceux qui l'entouraient n'épargnèrent ni perfides
insinuations ni complots habilement traîné pour détourner Louis XIV de
sa passion naissante. N'ayant pu y réussir, ils fabriquèrent une lettre
écrite en espagnol et destinée à dévoiler à la reine[869] les amours du
roi. Cette lettre tomba entre les mains de Louis XIV; et, comme il ne
tarda pas en connaître les auteurs, il rompit complètement avec cette
dangereuse cabale qui avait prétendu le dominer; madame la Comtesse,
Vardes et leurs complices, furent chassés de la cour. Cependant ils
obtinrent plus tard la permission d'y revenir, et, si l'on veut se faire
une idée du danger qu'eût présenté pour la France le règne de ces
intrigants qui ne reculaient devant aucun crime pour atteindre le but de
leur ambition, il faut voir comment se termina la vie de ces femmes qui
paraissaient si brillantes et si spirituelles en 1661. Mademoiselle du
Fouilloux réussit, après la chute de Fouquet, à se maintenir dans les
bonnes grâces du roi: elle est citée dans une lettre de Louis XIV à
Colbert, en date du mois de mai 1664[870], au nombre des dames de la
cour admises à la loterie royale. En 1667, délivrée enfin du père du
marquis d'Alluye, non sans soupçon d'avoir hâté sa mort, elle put
épouser le mari qu'elle s'était assuré depuis longtemps.

Toujours intimement liée avec la comtesse de Soissons, elle fut
compromise avec elle dans l'affaire des poisons, et fut entraînée
presque malgré elle hors de France. Madame de Sévigné nous fait assister
à cette scène[871]: «Pour madame la comtesse de Soissons, elle n'a pu
envisager la prison. On a bien voulu lui donner le temps de s'enfuir si
elle est coupable. Elle jouait à la bassette mercredi: M. de
Bouillon[872] entra; il la pria de passer dans son cabinet, et lui dit
qu'il fallait sortir de France ou aller à la Bastille. Elle ne balança
point, elle fit sortir du jeu la marquise d'Alluye; elles ne parurent
plus. L'heure du souper vint; on dit que madame la Comtesse soupait en
ville. Tout le monde s'en alla persuadé de quelque chose
d'extraordinaire. Cependant on fit beaucoup de paquets: on prit de
l'argenterie, des pierreries; on fit prendre des justaucorps gris aux
laquais, aux cochers; on fit mettre huit chevaux au carrosse. Elle fit
placer auprès d'elle, dans le fond, la marquise d'Alluye, qu'on dit qui
ne voulait pas aller, et deux femmes de chambre sur le devant. Elle dit
à ses femmes qu'elles ne se missent point en peine d'elle, qu'elle était
innocente; mais que ces coquines de femmes[873] avaient pris plaisir à
la nommer: elle pleura. Elle passa chez madame de Carignan, et sortit de
Paris à trois heures du matin. On dit qu'elle va à Namur.»

Madame d'Alluye était accusée, dans ce triste procès, d'avoir empoisonné
son beau-père. Mais, soit faute de preuves, soit indulgence de la cour
qui craignait de trouver trop de coupables, on lui permit de rentrer en
France. Elle y vécut jusqu'à une extrême vieillesse, toujours occupée
d'intrigues. Elle s'attacha à Monsieur, frère de Louis XIV, et sa maison
resta jusqu'à la fin le rendez-vous de toutes les galanteries de la cour
et de la ville[874]. Elle mourut à plus de quatre-vingts ans, telle
qu'elle avait vécu; elle retrouvait au Palais-Royal, qu'elle habitait
pendant la régence[875], les habitudes de licence de sa jeunesse, et un
règne tel qu'elle l'avait souhaité à Fouquet. Heureusement pour la
France, elle avait été trompée dans ses espérances.

Que serait devenu Louis XIV, si la fermeté de son caractère et la
passion qu'il éprouvait pour mademoiselle de la Vallière ne l'eussent
soustrait à l'empire de ces femmes perverses? Enivré de plaisirs, il eût
puisé à longs traits dans cette coupe des voluptés l'oubli de ses
devoirs et de sa dignité. Il serait tombé au rang de ces rois fainéants,
qui abandonnèrent à des ministres souvent incapables ou corrompus le
soin du gouvernement. Voilà ce que rêvait Fouquet: un jeune prince
endormi dans les plaisirs et lui confiant l'administration du royaume.
On ne peut envisager sans effroi le chaos où serait tombée la France
sous un pareil gouvernement: ruine des finances, épuisement et misère du
peuple, troubles et révolutions, tel en aurait été le résultat
inévitable. Heureusement le roi de vingt-deux ans trompa les prévisions
d'une cour corrompue, et brisa les fers dont elle croyait l'enchaîner,
sans qu'elle soupçonnât même qu'il échappait à sa domination.



CHAPITRE XXXII

--MARS-MAI 1661--

Fouquet s'efforce de gagner la reine mère.--Caractère d'Anne
d'Autriche.--Elle reçoit les présents de Fouquet.--Son confesseur
est gagné par un des agents de Fouquet.--Les femmes de chambre de
la reine reçoivent des pensions du surintendant.--Madame de
Beauvais; caractère de cette femme; lettres qu'elle adresse à
Fouquet.--Madame d'Huxelles correspond également avec
Fouquet.--Anne d'Autriche défend le surindentant jusqu'en juillet
1661.


La reine mère avait gardé une grande puissance pendant le ministère de
Mazarin, et on devait supposer qu'elle la conserverait après sa mort.
Elle-même était persuadée que le roi son fils ne supporterait pas
longtemps le travail pénible et fastidieux qu'il s'était imposé. Elle
attendait ce moment pour reprendre son ascendant et gouverner sous son
nom. Anne d'Autriche avait montré, pendant toute la minorité, et surtout
pendant les troubles de la Fronde, du discernement et une grande fermeté
de caractère. Au milieu d'une cour divisée par l'intrigue et l'ambition,
en face d'un parlement qui voulait la diriger et en était incapable,
entourée de courtisans avides et frivoles, elle sut reconnaître où était
le vrai mérite. Elle donna sa confiance à un étranger, dans lequel elle
devina le vrai successeur de Richelieu. On a cherché à expliquer cette
faveur de Mazarin par des causes moins honorables pour la reine. En
admettant même, ce qui restera toujours sujet à contestation, qu'Anne
d'Autriche ait obéi à l'amour, il reste à expliquer comment cette
passion, d'ordinaire si mobile, a résisté pendant plus de dix ans à
toutes les épreuves, à la mauvaise fortune, à l'absence, à la calomnie,
au déchaînement universel contre l'homme qui en était l'objet. Anne
d'Autriche, qui avait apprécié les vues de Mazarin pour la grandeur de
la France, son génie supérieur dans la diplomatie, son activité
infatigable, le soutint avec une constance inébranlable. A ces qualités,
la reine mère joignait une dignité extérieure que son fils Louis XIV
porta au plus haut degré; elle excellait à tenir une cour et à maintenir
dans un ton de décence et de respect les femmes et les seigneurs qui la
composaient.

Le cardinal de Retz, qui s'est amusé à tracer des portraits en
antithèses, a représenté la reine Anne d'Autriche comme incapable. Je ne
citerai ce passage que pour montrer une fois de plus combien il faut se
défier de ce bel esprit intrigant. «La reine, dit-il[876], avait plus
que personne que j'aie jamais vu, de cette sorte d'esprit qui lui était
nécessaire pour ne pas paraître sotte à ceux qui ne la connaissaient
pas. Elle avait plus d'aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de
grandeur, plus de manière que de fond, plus d'inapplication à l'argent
que de libéralité, plus de libéralité que d'intérêt, plus d'intérêt que
de désintéressement, plus d'attachement que de passion, plus de dureté
que de fierté, plus de mémoire des injures que des bienfaits, plus
d'intention de piété que de piété, plus d'opiniâtreté que de fermeté, et
plus d'incapacité que de tout ce que dessus.» Ce portrait de fantaisie,
où la vérité est sacrifiée au clinquant des antithèses, ne saurait faire
illusion à ceux qui portent dans l'étude de l'histoire un esprit
impartial. Anne d'Autriche avait reconnu la supériorité de Mazarin sur
Gondi, et avait préféré le génie politique à l'intrigue. Voilà son vrai
crime aux yeux du cardinal de Retz.

Après la mort de Mazarin, la reine mère, parvenue à un âge avancé, et
éloignée des affaires publiques par Louis XIV, se tourna de plus en plus
vers la dévotion. Les influences qui la dirigeaient venaient surtout des
couvents. La supérieure de la Miséricorde[877] avait un grand pouvoir
sur elle. Cette religieuse provençale, qui s'appelait la mère Madeleine,
était venue à Paris, en 1651, pour fonder un couvent de son ordre, sous
les auspices de la reine. Fouquet, qui avait des espions partout, était
informé des relations d'Anne d'Autriche et de la mère de la Miséricorde.
Le billet suivant, qui se trouve dans ses papiers, en est une preuve:
«J'attendais toujours d'avoir l'honneur de vous entretenir pour vous
dire bien des choses. Je ne sais si vous savez le pouvoir que la mère de
la Miséricorde a sur l'esprit de la reine, et l'intrigue secrète qui
s'y fait. M. le Tellier et M. de Lestrade la voient tous les jours. On
m'en a dit bien des choses avec le dernier secret. Si cela vous est
utile, faites-le-moi savoir. Vous savez que je suis tout à vous, et
qu'il n'y a rien que je ne fasse pour vous le témoigner.» Le
surintendant connaissait, par sa mère, Marie Maupeou, la mère de la
Miséricorde[878], et il est probable qu'il ne négligea pas l'avis que
l'on venait de lui donner.

Anne d'Autriche offrait encore prise à l'ambitieux surintendant par
l'impatience avec laquelle elle supportait son éloignement des affaires.
Mazarin, affermi après la paix des Pyrénées, avait tenu la reine mère en
dehors du gouvernement, et, sur son lit de mort, il avait engagé Louis
XIV à en user de même. Fouquet, au contraire, flatta Anne d'Autriche et
lui laissa entrevoir qu'elle régnerait, s'il devenait premier ministre.
Les propositions suivantes, écrites de la main même du
surintendant[879], étaient destinées à être mises sous les yeux de la
reine mère, et devaient être développées, selon toute probabilité, par
un de ses confidents vendus à Fouquet[880]: «On ne veut point que la
bonté qu'elle a lui soit à charge; on aime mieux prendre tout sur soi
que de la commettre. Si on a quelques sentiments ou quelque conduite
qu'elle n'approuve pas, on lui demande en grâce de le dire. Un mot
réglera tout sur le pied qu'il lui plaira. On la conjure d'accorder sa
confiance et de faire connaître toutes les choses qu'elle affectionnera,
de quelque nature qu'elles soient, et celles qu'elle voudra faire
réussir sans y paraître, et on demande cela avec la plus grande instance
du monde, n'ayant point de plus forte passion que de rendre quelque
service agréable, et le zèle n'empêchera pus que l'on ait la discrétion
nécessaire. Tout le monde appréhende la domination nouvelle de M. le
Prince[881], et que Son Éminence ne puisse résister à ses
flatteries[882], et que l'on ait le déplaisir de le voir, sous divers
prétextes, triompher de ceux qui ont servi longtemps contre lui. Secret
et dissimulation, sans exception, à tout le monde. M. Le Tellier vit
fort honnêtement en apparence, mais peut avoir jalousie et craindre que
sa faveur n'aille d'un autre côté. Si elle trouve bon qu'on lui rende
compte de ce qu'on apprend, ou s'il y a quelque chose dont elle désire
savoir la vérité, en s'ouvrant un peu, on tâchera de la satisfaire.»

Nous ignorons quelle fut la réponse de la reine mère à ces insinuations;
mais d'autres documents de l'époque font supposer qu'elle ne les
repoussa pas complètement. Cette princesse avait souvent besoin
d'argent, et le surintendant lui ouvrait le trésor public. Pendant que
l'abondance régnait chez Fouquet, les palais royaux présentaient
l'aspect de la détresse. C'est Louis XIV lui-même qui nous l'apprend
dans ses _Mémoires_. Anne d'Autriche n'eut pas la force de résister à
des offres si séduisantes pour une princesse avide de pouvoir et
d'argent. Le marquis de Brancas, qui devint bientôt son chevalier
d'honneur, et le comte de Grave, qui avait un rang officiel dans la
maison de Monsieur, frère du roi, recevaient déjà des pensions de
Fouquet. Le second fut chargé de distribuer six cent mille livres par an
à la reine mère, à Monsieur et à Madame. C'est ce qu'atteste une lettre
de la comtesse de Maure, Anne Doni d'Attichy. Cette dame, qui avait un
certain rang parmi les beaux esprits de l'époque, et qui était en
correspondance habituelle avec la marquise de Sablé, lui parle de
l'interrogatoire de M. de Grave, qui, après l'arrestation de Fouquet,
fut appelé devant les commissaires de la chambre de justice pour rendre
compte de l'argent qu'il avait reçu du surintendant. Fouquet n'est pas
nommé dans cette lettre; mais il ne peut être question que de lui. Quel
autre aurait pu répandre ainsi l'or à pleines mains[883]? «Ne savez-vous
pas, écrit la comtesse de Maure à la marquise de Sablé, ce qu'a produit
l'interrogatoire de Grave[884]? Il a dit qu'il avait reçu longtemps
cinq cent mille francs; mais qu'il ne pouvait dire qu'au roi ce qu'il en
avait fait, et l'on dit qu'il les a donnés à la reine mère, à Madame et
à Monsieur, et que depuis cela la reine mère paraît tout altérée. Pour
moi, je ne trouve rien de plus pauvre que d'avoir voulu recevoir deux
cent mille francs de cet homme, en manière de présent; car c'est bien
ainsi, puisqu'elle ne l'a pas dit au roi, et je trouve épouvantable que,
les ayant pris, elle se soit laissé porter à être contre lui, du moins
sans les rendre. S'il a fallu qu'elle consentît à sa perte, j'aurais
voulu lui rendre, disant: «_Je me suis repentie d'avoir pris cela sans
le su du roi_.» Mais, vraiment, si elle avait été la vraie cause de sa
perte, comme vous savez qu'on l'a tant dit, ce serait bien encore autre
chose; mais, selon qu'on peut démêler tout cela, on trouve qu'elle a
résisté au roi quelque temps, et puis qu'elle s'est rendue (cela
s'appelle), quand elle a été gagnée par madame de Chevreuse[885].»

Fouquet ne se borna pas à acheter la faveur d'Anne d'Autriche, il voulut
connaître ses secrets les plus intimes en corrompant son confesseur. Un
des agents de Fouquet s'en chargea. Les lettres par lesquelles il
transmet au surintendant les révélations du cordelier, confesseur de la
reine mère, nous ont été conservées[886]. Elles sont curieuses par les
détails qu'elles donnent sur les relations d'Anne d'Autriche avec le
roi, et sur les intrigues de la cour. La première est du 2 avril 1664,
et prouve qu'à cette époque Louis XIV conservait encore pour Marie
Mancini un amour que les deux reines s'efforçaient en vain de déraciner:
«Je n'ai rien su du cordelier depuis ma dernière lettre; mais j'appris
hier au soir, de la personne qui connaît le père Annat[887], que la
reine mère et la reine l'avaient envoyé chercher pour tâcher à détourner
le roi de l'inclination qu'il a pour mademoiselle Marie Mancini[888],
comme d'une chose mauvaise; qu'il en a parlé au roi, qui promit de
suivre son conseil, et qui, depuis, à ce qu'on m'a assuré, n'avait pas
paru si ardent pour elle. Car, sur plusieurs petites grâces qu'elle lui
avait demandées, il avait remis à lui répondre dans quelques jours. Ce
qui fit paraître que, n'ayant osé la refuser tout à fait, il a pris un
milieu, et a été, du moins apparemment, retenu par ce qui lui en avait
été dit.

«Voilà ce que j'aurais dit à monseigneur si j'avais eu l'honneur de le
voir ce matin. Je n'aurais rien à y ajouter qui méritât la peine d'être
lu, si je n'étais comme forcé de lui dire, par l'envie que j'ai de lui
plaire, que je m'estimerai le plus heureux de tous les hommes si le
zèle et la fidélité inviolable que j'ai voués à son service et si ce que
je fais présentement lui est agréable; je suis au moins assuré que, si
le caractère de mon peu d'esprit n'est aussi relevé ni aussi capable que
je le souhaiterais pour lui rendre mes très-humbles services, du moins
ma manière est entièrement opposée à l'inconsidération et à
l'étourderie, et que j'ai en quelque sorte ce bonheur d'être par là
moins indigne d'avoir quelque part en son estime.»

La résolution du roi de tenir sa mère éloignée du gouvernement est
nettement marquée dans une lettre du 22 avril: «Le père cordelier dit
hier à la personne dont j'ai parlé à monseigneur que la reine mère lui
avait conté un mécontentement qu'elle avait eu du roi sur ce que l'autre
jour, entrant fort brusquement dans sa chambre, il lui fit reproche de
ce qu'elle avait prié M. de Brienne de quelque affaire, et qu'il lui dit
en propres termes et fort en colère: «Madame, ne faites plus de
pareilles choses sans m'en parler[889].» Qu'à cela la reine ne répondit
rien et ne fit que rougir. Il a encore dit que Monsieur se plaignait et
qu'il avait dit depuis à quelqu'un que le roi le traitait comme un
chien.

«Au reste, il assure que la reine mère croit que M. le Prince pense fort
à se mettre dans les affaires; qu'elle dit avoir remarqué une patience
extrême en lui pour faire sa cour; que le roi l'estime fort, et que sur
toutes les choses qu'il fait il demande aux gens si M. le Prince les
approuve. Il est même très-constant qu'il tâche à cabaler. Il a été voir
ce bonhomme de cordelier, et la reine mère, quoiqu'elle ait une furieuse
défiance de lui, l'aimerait encore mieux que rien; car il la recherche.
Je tâcherai d'écrire quelque chose à monseigneur du père Annat; mais,
comme c'est un homme fort réservé, je n'ose rien promettre.

«J'oubliai à dire à monseigneur que, bien que le cordelier doive être
très-content de l'arrêt de Saintes, il ne témoigne en être obligé qu'à
la reine mère, qu'il prétend absolument l'avoir ordonné à monseigneur le
procureur général. Ainsi il ne le faut pas tant regarder comme un homme
entièrement affectionné, et je ne vois pas même qu'il y ait une grande
sûreté en lui ni qu'il prenne trop bien les choses: je n'écrirai plus
rien de lui à monseigneur de fort longtemps; car, comme les personnes
avec qui j'ai commerce ne sont pas à Fontainebleau[890], je n'aurai plus
moyen d'en savoir des choses si particulières. Cependant, si monseigneur
m'ordonne d'aller à la cour, comme je le connais assez, je pourrais
toujours en tirer quelque nouvelle. Je ferai en cela, comme en toutes
sortes de rencontres, ce qu'il lui plaira de me commander. Je le conjure
seulement de se souvenir que je ne souhaite rien avec plus de passion
que de lui plaire, et que n'ayant nulle affaire qui me retienne à Paris,
je serai avec un plaisir extrême en des lieux où je me puisse flatter de
quelque espérance de lui être agréable, et où je lui puisse faire
connaître avec quel attachement et quel respect je suis à lui.»

La correspondance resta, en effet, suspendue pendant deux mois avec la
personne qui s'efforçait de pénétrer les secrets du confesseur d'Anne
d'Autriche. Mais Fouquet entretenait auprès de la reine mère d'autres
espions qui ne cessaient de l'avertir de tout ce qui se passait dans son
intérieur. Anne d'Autriche avait de tout temps laissé beaucoup
d'influence aux personnes qui l'entouraient, à ses femmes de chambre
comme à ses dames d'honneur. Il y en avait même dont l'audace était
devenue proverbiale; telle était madame de Beauvais, cette Catherine
Belier, que la reine ne désignait que sous le nom de _Catau_. Cette
femme, d'une réputation plus qu'équivoque, était en relation avec les
principaux personnages du temps. Le chancelier Séguier en recevait des
avis sur la situation de la cour et les dispositions du roi[891]. Elle
s'insinuait dans ses bonnes grâces en lui parlant du crédit de son
petit-fils, le chevalier de Coislin, et en même temps lui demandait de
l'argent. C'était une de ces femmes dont l'esprit actif et intrigant a
besoin de se mêler à toutes les affaires. Comment serait-elle restée
étrangère au surintendant? Un double intérêt la portait vers lui: le
besoin d'argent et l'ambition. Nous avons déjà vu[892] avec quelle
chaleur un peu inconsidérée madame de Beauvais vantait devant la reine
mère l'évêque d'Agde, frère de Fouquet. Elle écrit au surintendant,
tantôt pour lui faire une recommandation au nom de la reine, tantôt
pour ses propres intérêts. Ainsi, du vivant de Mazarin, elle priait
Fouquet de procurer à son fils un avantage qui n'est pas spécifié dans
la lettre: «Je vois, lui écrivait-elle[893], et j'apprends de toutes
parts la bonté que vous avez pour moi, monsieur, de sorte que je ne sais
par où je dois commencer si Dieu ne me donne une occasion de vous en
faire paraître ma sensible reconnaissance, et je vous conjure d'en être
persuadé pour le reste de mes jours. M. de Guitry ne me parle d'autre
chose toute la journée, et me fait assez connaître comme quoi vous
agissez comme si c'était pour vous-même. Je sais que l'affaire ne dépend
que de vous, et comme je crois que c'est un avantage pour mon fils,
lequel est celui de mes enfants qui me tient le plus au cœur, je vous
supplie de juger combien je vous serai obligée si vous voulez bien
terminer la chose. M. le cardinal me demande tous les jours: _Eh! que
faut-il faire? je le ferai, dites-moi_. Enfin, je suis très-assurée
qu'il ne demande pas mieux. Faites-moi la grâce de me dire si vous
désirez qu'il vous en reparle.»

C'est madame de Beauvais qui recommande au surintendant les maisons
religieuses que protège la reine mère[894]: «J'ai toujours de bonnes
commissions, monsieur; mais je dois obéir. La reine, ma maîtresse, me
commanda hier fort tard de ne pas manquer de grand matin de vous écrire
ce mot pour prière de sa part, que dans la recherche que vous faites
faire des entrées de vin pour les religieux de Paris, elle vous prie de
faire augmenter[895] aux Petits-Augustins de la reine Marguerite. C'est
une chose qu'elle leur a promise de longue main et que je suis assurée
que vous lui ferez plaisir [d'accorder]. Il sera bon que [pour] la grâce
que vous leur ferez de l'augmentation, ils sachent que c'est Sa Majesté
qui vous les a recommandés, afin que cela ne porte point de conséquence
pour d'autres, et, comme ceux-là ne touchent pas le fonds qu'ils
devraient avoir du roi, vous les pouvez obliger sans conséquence. Vous
aurez la bonté de faire que M. de Grave[896] en rende réponse à la
reine.»

Les sollicitations d'argent, en son nom ou au nom de la reine, sont
l'objet le plus ordinaire de la correspondance de madame de Beauvais
avec Fouquet. Je me bornerai à citer une de ces lettres[897]: «La reine
me commanda hier en se couchant de vous faire, monsieur, un billet tout
nouveau pour le pauvre M. Richard, lequel, par son commandement et celui
du roi, avait fait par deux fois le voyage, et pour ce elle lui avait
fait donner une ordonnance de douze cents livres, laquelle, monsieur, je
vous ai envoyée avec un autre billet de moi. Mais je crains qu'elle ne
vous ait pas été remise. Vous aurez la bonté de me le faire dire par M.
de Grave ou par lui-même à la reine. Je suis, autant qu'on la peut être,
votre très-humble et très-obligée servante.»

On n'ignorait pas l'influence que madame de Beauvais exerçait sur la
reine mère et les pensions qu'elle recevait du surintendant. Gui Patin,
qui mêle dans ses lettres le faux et le vrai, dit, en parlant de Fouquet
et des impôts nouveaux qu'il se proposait d'établir[898]: «Il ne peut
autrement subsister dans sa charge, vu que du temps de Mazarin, il
n'avait qu'à donner au Mazarin, lequel tirait tant qu'il pouvait, mais
aujourd'hui il faut qu'il donne au roi, à la reine, et encore bien plus
à la reine mère, sa bonne patronne qui le maintient et le conserve
contre ses ennemis et envieux. On dit même qu'il est obligé de faire de
grands présents à ceux qui sont auprès d'elle, et surtout à madame de
Beauvais, qui est une harpie, et à plusieurs autres.»

Fouquet ne recevait pas directement les avis de madame de Beauvais. Il
se servait d'intermédiaires, tels que MM. de Brancas et de Grave. Nous
trouvons aussi dans ses papiers la preuve qu'une dame, remarquable par
son esprit et ses nombreuses relations, madame d'Huxelles, recevait les
nouvelles de la cour par madame de Beauvais, et les lui communiquait.
Madame d'Huxelles était fille elle-même d'un ancien surintendant, le
président Le Bailleul. Saint-Simon, qui la connut dans sa vieillesse,
l'a caractérisée en quelques mots[899]: «C'était une femme de beaucoup
d'esprit, qui avait eu de la beauté et de la galanterie, qui avait été
du grand monde toute sa vie, mais point de la cour. Elle était
impérieuse, et s'était acquis un droit d'autorité. Des gens d'esprit et
de lettres et des vieillards de l'ancienne cour s'assemblaient chez
elle, où elle soutenait une sorte de tribunal fort décisif.»

Madame d'Huxelles ne se bornait pas à communiquer au surintendant les
nouvelles données par madame de Beauvais. Elle les discutait et les
contrôlait avec autorité. En même temps elle était en relation avec un
certain nombre de financiers et de gens de la chambre des comptes. Elle
s'efforçait de les unir étroitement avec le surintendant, et, lorsque
des dissentiments s'élevaient entre eux, elle travaillait à les calmer.
Elle écrivait à Fouquet, le 13 mai[900]: «Je pars pour m'en aller à
Magni, bien en peine de savoir comme vous avez pris tout ce que je vous
ai mandé. Je vous assure, monsieur, que c'est avec grande douleur que je
vois le peu de satisfaction que vous témoignez avoir de gens qui ne
paraissent pas avoir eu dessein de se brouiller avec vous. Je fais tout
mon possible pour leur faire entendre qu'assurément vous n'étiez pas
d'humeur à commencer. M. Tubeuf[901] m'a dit que, pour le premier
article de votre lettre, il ne savait qu'une affaire qui ne regardait
point le roi, _mais bien un nommé Louis Michel, qui demandait un
remboursement de sept cent mille livres, au rapport de M. Tarteron_; que
si M. Bruant, qui était présent lorsqu'on en parla, lui en eût dit un
mot de votre part, il n'eût pas été contraire, mais qu'il n'en parla à
personne de la Chambre; que, lorsque _vous avez voulu avoir deux
domaines de la reine en Bretagne_, il l'avait fait sans en parler à la
reine; qu'il n'y avait rien qu'il n'ait fait pour mériter vos bonnes
grâces; qu'il voit bien que M. Bertillac[902] a pris des mesures avec
vous pour le perdre; qu'il aurait perdu le sens s'il avait pensé à faire
réussir les bruits qui ont couru; et, s'il se trouve qu'il en ait parlé
à personne, il ne veut jamais qu'on le tienne pour homme d'honneur.
Quant aux sommes immenses que vous dites qu'il vous demande, il m'assure
que vous en étiez convenu et qu'il avait travaillé à vous mener des gens
pour faire le prêt de Riom; mais qu'il fut fort surpris de voir changer
les choses et de ce que vous lui dites que vous ne pouviez rien faire
sans parler à M. Bertillac; que M. Jeannin étant présent dit qu'il
avait, depuis trois jours, l'ordonnance de M. Bertillac; il avoue que
dans le moment il fut si étonné, qu'il sortit de votre chambre et s'en
alla à la reine lui faire ses plaintes et lui dire que, si M. Bertillac
faisait sa charge, il ne pouvait plus se mêler de ses affaires. La reine
lui dit qu'elle vous en parlerait. Il revint à Paris avec MM. de Maisons
et de Bertillac. Ils reparlèrent de l'affaire ensemble. Il dit qu'il
connut bien que M. de Bertillac n'était pas de ses amis.

«Il m'a dit qu'il avait vu madame de Beauvais, à qui il avait fait ses
plaintes. Je n'entends rien à toute la manière des gens. Elle lui dit
d'une façon, et je crois qu'elle vous parle d'une autre. Je ne suis pas
persuadée qu'il ait rien fait contre votre service. Je vous mande toute
notre conversation; je ne me suis point engagée de vous l'écrire. Vous
en userez comme il vous plaira. Je vous supplie de me faire la justice
de croire que je n'y prends aucun intérêt que le vôtre, et que, lorsque
je vous en ai écrit avec empressement, ce n'a été que dans la crainte
que cela fit des affaires. Faites-moi l'honneur de me mander quelle
conduite vous voulez que j'y tienne; et soyez persuadé que mes
sentiments sont sincères; que j'ai pour vous toute la fidélité que je
dois à la personne du monde à qui je suis le plus.»

Une seconde lettre, en date du 19 mai[903], parle surtout de relations
avec des membres de la magistrature: «M. de Moussy[904] a mis l'arrêt au
greffe, comme vous l'avez désiré. Je crois que vous devez compter sur
lui dans les occasions. M. Miron[905] avait été pour vous dire adieu, et
vous rendre compte du mariage de mademoiselle Miron. Il ne put vous
voir; il vous en écrit et adresse ses lettres à M. de Charrost, qui doit
vous les avoir rendues. Je crois que c'est une bonne affaire. C'est un
homme qui a de l'esprit, et fort estimé dans sa compagnie; il vous sera
une augmentation de serviteurs. Il m'a bien témoigné qu'il chercherait
les occasions de vous rendre ses services.

«J'ai dit à M. de Novion ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire;
il s'en tient extrêmement obligé et ne se brouillera point avec vous.
J'ai vu une lettre que vous avez écrite à M. de Chalin[906]; je l'ai
trouvée admirable. Il faut avouer que vous êtes incomparable en toute
votre conduite. Je lui dis qu'il devait en faire un bon usage et voir
que vous aviez raison; qu'assurément vous aviez bien fait des ingrats.
Je ne sais ce qu'il vous mandera.

«Tout est assez calme ici[907]: les plus habiles souhaitent la
continuation de votre emploi et disent que vous êtes le seul capable de
conseiller le bien et de l'exécuter. Tous les bruits qui ont couru ne
vous ont pas été si fâcheux que l'on a cru. Je me trouvai l'autre jour
parmi des gros marchands, qui me dirent que vous êtes capable de
remettre les choses _dans l'ordre; que les autres sont trop avares et
qu'ils gâteront tout par leur ménage_[908]. Ce discours me donna de la
joie de les entendre raisonner sur votre conduite. Je vis bien que vous
étiez aimé; tout cela ne paraît rien à des gens; mais pour moi, qui fais
cas de votre réputation, ce m'est quelque chose. Cela s'écrit dans les
pays étrangers et fait son effet dans les temps. Je vous mande le bien
et le mal sans nul déguisement, étant votre très-humble servante.

«On attend des nouvelles de madame de Beauvais, qui doit écrire toutes
choses.»

Anne d'Autriche, entourée de personnes vendues au surintendant, recevant
elle-même ses présents et sollicitant sans cesse des gratifications pour
ses créatures, fut pendant plusieurs mois un auxiliaire utile, une
vraie patronne pour Fouquet, comme dit Gui Patin. Ce fut seulement en
juillet 1661, dans le voyage qu'elle fit à Dampierre, que ses
dispositions changèrent, et qu'elle passa dans le camp des ennemis du
surintendant.



CHAPITRE XXXIII

--MARS-JUILLET 1661--

Le surintendant est chargé par Louis XIV de diriger des
négociations particulières avec l'Angleterre.--Il y envoie La
Bastide et réussit à préparer le mariage de Charles II avec
Catherine de Portugal.--Fouquet envoie Maucroix à
Rome.--Instructions qu'il lui donne.--Pensions payées à des
étrangers.--Relations de Fouquet avec l'abbé de Bonzi.--Caractère
de ce dernier.--Il est chargé de conduire à Florence
Marguerite-Louise d'Orléans, mariée au prince de Toscane, Cosme de
Médicis (avril 1661).--Lettre qu'il écrit à Fouquet.--Détails sur
les nièces de Mazarin et sur la cour de Toscane.


Pour remplacer Mazarin il ne suffisait pas de se faire des créatures
avec l'argent de l'État. Ce ministre avait, pendant dix-huit ans, dirigé
la politique extérieure de la France avec une supériorité que l'histoire
impartiale ne saurait méconnaître[909]. Fouquet aurait voulu comme lui
jouer un grand rôle dans l'Europe. Louis XIV, soit pour éprouver sa
capacité, soit pour endormir sa vigilance, lui confia la direction de
quelques négociations étrangères. Il chargea, entre autres, Fouquet
d'une affaire délicate, les relations avec le Portugal. Louis XIV, qui
venait de signer le traité des Pyrénées avec les Espagnols, ne pouvait,
sans violation flagrante de sa parole, se déclarer en faveur du
Portugal, alors en guerre avec l'Espagne. D'un autre côté, il ne voulait
pas laisser accabler les Portugais et s'accroître outre mesure la
puissance espagnole. «Je voyais, dit-il lui-même dans ses Mémoires[910],
que les Portugais, s'ils étaient privés de mon assistance, n'étaient pas
suffisants pour résister seuls à toutes les forces de la maison
d'Autriche. Je ne doutais point que les Espagnols, ayant dompté cet
ennemi domestique, entreprendraient plus aisément de troubler les
établissements que je méditais pour le bien de mon État. Et néanmoins je
faisais scrupule d'assister ouvertement le Portugal à cause du traité
des Pyrénées. L'expédient le plus naturel pour me tirer de cet embarras
était de mettre le roi d'Angleterre en état d'agréer que je donnasse
sous son nom au Portugal toute l'assistance nécessaire.»

Vient ensuite une théorie contestable sur la fidélité due aux traités.
«Ce n'est pas, dit Louis XIV, que je ne susse fort bien que les traités
ne s'observent pas toujours à la lettre, et que les intérêts des
couronnes sont de telle nature que les princes, qui en sont chargés, ne
sont pas toujours en liberté de s'engager à leur préjudice. J'étais même
autorisé dans cette maxime par le propre exemple des Espagnols, qui si
souvent en pleine paix s'étaient ouvertement déclarés protecteurs de
ceux qui s'étaient révoltés en France. Et sans doute que le dessein que
j'avais formé de protéger un roi légitime, qui ne pouvait subsister
sans mon secours, n'était pas si difficile à soutenir que celui de
défendre par pure animosité une populace mutinée. Mais, quoi qu'il y
eût, en effet, dans mon procédé d'honnête et de généreux, j'étais bien
aise encore d'en retrancher tout ce qui eût pu donner aux Espagnols
quelque sujet de plainte contre moi, par le moyen du mariage en
question.»

Ce mariage, qui devait unir Charles II avec l'infante de Portugal, fut
négocié très-secrètement par Fouquet, à l'insu des autres ministres et
même du comte d'Estrades, qui fut nommé, en 1661, ambassadeur de France
en Angleterre[911]. Le surintendant envoya en Angleterre un de ses
affidés appelé La Bastide[912], qui avait séjourné à Londres du temps de
Cromwell et s'y était acquitté avec succès de quelques négociations. Les
Espagnols ne négligèrent rien pour faire échouer le mariage proposé: ils
opposèrent à l'infante de Portugal une princesse de Parme, qu'ils
promettaient de doter comme une fille du roi d'Espagne[913]. Cette
proposition ayant été écartée, ils mirent en avant la fille du prince
d'Orange; mais cette nouvelle négociation n'eut pas plus de succès que
la précédente. Charles II se décida à épouser l'infante de Portugal,
Catherine, dans l'espérance que Louis XIV lui ferait donner chaque
année deux cent mille écus, qui seraient destinés à secourir le
Portugal[914].

Ainsi, la première négociation conduite par Fouquet avait pleinement
réussi[915]. Mais le surintendant ne se contenta pas de traiter pour le
roi, il voulut avoir ses ambassadeurs à lui et se créer des partisans
dans les principales cours de l'Europe aussi bien que dans celle de
France. Aussitôt après la mort du cardinal Mazarin, il avait envoyé à
Rome un chanoine de Reims, François de Maucroix, ami intime de Jean de
la Fontaine[916]. Maucroix était un homme d'un esprit agréable et
cultivé; il a laissé quelques poésies et des Mémoires[917]. Il valait
encore mieux que ses œuvres, si l'on en juge par ses amis et par
l'importance de la mission qui lui fut confiée. Maucroix devait se
présenter à Rome comme simple particulier, sous le nom d'abbé de
Crusy[918]. Afin de pénétrer plus facilement dans la société romaine et
d'en étudier les dispositions, Maucroix devait se lier avec les peintres
et les artistes les plus célèbres, tels que le Poussin, le cavalier
Bernin, le chevalier del Pozzo. La maison de ces artistes étant le
rendez-vous de l'élite de la société romaine, Maucroix parviendrait
aisément, en se présentant comme un amateur des arts libéraux, à en
connaître les principaux membres et les moyens de s'y faire des
partisans. Il aurait soin de faire valoir la puissance de Fouquet, son
mérite et ses libéralités, et de signaler l'influence que lui donnaient
les deux charges de surintendant des finances et de procureur général du
parlement de Paris. Il devait surtout s'attacher à gagner le cardinal
Chigi, neveu du pape Alexandre VII, et lui représenter que Fouquet ne
négligeait rien pour servir ceux qui étaient dans ses intérêts. On
espérait faire goûter au cardinal-neveu les grandes pensées du
surintendant. «La beauté d'un dessein, disait l'instruction en parlant
des vues de Fouquet, a plus de force pour l'attirer que toutes les
difficultés du monde n'en ont pour le rebuter.»

Des pensions et même de petits présents suffiraient pour se créer des
amis dans cette cour, «où il faut moins d'argent pour gagner les gens
qu'il n'en faut en plusieurs autres[919].» En même temps Maucroix
profiterait de son séjour à Rome pour acheter des curiosités et des
antiques, destinés à orner les palais de Fouquet. Il pourrait
s'adresser, pour se diriger dans ces acquisitions, à l'abbé Elpidio
Benedetti, qui avait eu la gestion des biens de Mazarin en Italie et
était resté un des agents du gouvernement français à Rome. Ce fut ce
même Benedetti qui plus tard porta au cavalier Berain la lettre de Louis
XIV pour l'inviter à se rendre en France.

L'instruction recommandait encore à Maucroix de couvrir toutes ces
négociations d'un profond mystère et d'adresser les lettres destinées au
surintendant à trois personnes différentes, en employant des noms
supposés et des écritures diverses pour dérouter ceux qui les auraient
interceptées. Les registres de Bruant des Carrières, un des principaux
commis de Fouquet, ceux de madame du Plessis-Bellière et du surintendant
lui-même, prouvaient que ces négociations n'étaient pas restées sans
effet, et que plusieurs personnages influents de Rome avaient reçu des
pensions[920]. On sait quelle était à cette époque la puissance
temporelle du clergé, et combien il pouvait peser sur les résolutions du
roi. Louis XIV, malgré sa puissance et sa fermeté, s'arrêta plus d'une
fois devant l'opposition de la cour de Rome[921]. Fouquet faisait donc
preuve d'habileté et de sage prévoyance en s'assurant l'appui de cette
cour, pour s'élever au rang de premier ministre; en même temps le
mystère dont il enveloppait ses intrigues avec l'étranger atteste qu'il
en comprenait la gravité et le péril. C'était un sujet qui se
substituait au souverain et usurpait son rôle et son caractère.

Le résultat de la mission de Maucroix ne nous est, du reste,
qu'imparfaitement connu, et il semble que Fouquet n'en fut que
médiocrement satisfait, car il jugea nécessaire de lui adjoindre, au
mois de juillet 1661, l'abbé de Bonzi. Cet Italien, qui avait été élevé
à l'école de Mazarin, se distinguait par la finesse de son esprit et la
souplesse de son caractère. Saint-Simon, qui le connut dans sa
vieillesse, en a laissé un portrait tracé avec sa verve ordinaire[922]:
«C'était un petit homme trapu, qui avait eu un très-beau visage, à qui
l'âge en avait laissé de grands restes, avec les plus beaux yeux noirs,
les plus parlants, les plus perçants, les plus lumineux, et le plus
agréable regard, le plus noble et le plus spirituel que j'aie jamais vu
à personne; beaucoup d'esprit, de douceur, de politesse, de grâce, de
bonté, de magnificence, avec un air uni et des manières charmantes.
Supérieur à sa dignité[923], toujours à ses affaires, toujours prêt à
obliger; beaucoup d'adresse, de finesse, de souplesse, sans friponnerie,
sans mensonges et sans bassesse; beaucoup de grâce et de facilité à
parler. Son commerce, à ce que j'ai ouï dire à tout ce qui a vécu avec
lui, était délicieux, sa conversation jamais recherchée et toujours
charmante; familier avec dignité, toujours ouvert, jamais enflé de ses
emplois ni de sa faveur. Avec ces qualités, et un discernement fort
juste, il n'est pas surprenant qu'il se soit fait aimer à la cour et
dans les pays étrangers.»

L'abbé de Bonzi, qui devait faire une brillante fortune dans l'Église et
dans la diplomatie, était alors au début de sa carrière. Il fut nommé
ambassadeur extraordinaire par le grand-duc de Toscane, et chargé de
demander pour son fils la main de la fille aînée de Gaston d'Orléans et
de Marguerite de Lorraine. Cette jeune princesse était éprise de
Charles de Lorraine, et sa passion avait éclaté avec violence. Cependant
le mariage eut lieu le 11 avril 1661[924], et l'abbé de Bonzi fut chargé
de conduire à Florence Marguerite-Louise d'Orléans. Le départ fut
signalé par des incidents romanesques que mademoiselle de Montpensier,
qui accompagnait sa sœur, a racontés en grand détail. En sortant de
Paris, les princesses s'arrêtèrent à l'abbaye de Saint-Victor[925] pour
y entendre la messe, et ce fut là que la duchesse de Toscane se sépara
de sa mère. Elle s'arrêta quelques jours à Fontainebleau et désola
l'abbé de Bonzi par le manque de dignité et de gravité. Il en fut de
même à Saint-Fargeau, où elle fut reçue par mademoiselle de Montpensier.
Elle y fut rejointe par le prince Charles de Lorraine. Il l'accompagna,
ainsi que mademoiselle de Montpensier, jusqu'à Cosne, où se fit la
séparation avec les marques de la plus vive douleur. La jeune princesse
jetait les hauts cris, dit mademoiselle de Montpensier[926], et tout le
monde pleurait. Ces détails préparent à ce que l'abbé de Bonzi écrira à
Fouquet sur la situation de la duchesse à Florence.

Bonzi n'était pas seulement chargé par Fouquet de lui faire connaître la
cour de Toscane; il allait retrouver en Italie une des nièces de
Mazarin, Marie Mancini, dont le mariage avait eu lieu presque en même
temps que celui de Marguerite-Louise d'Orléans. Elle avait épousé le
prince romain Lorenzo Colonna, connétable du royaume de Naples. Le
surintendant avait eu soin de mettre dans ses intérêts cette nièce du
cardinal, qui avait failli devenir reine de France. Elle l'assurait, le
14 avril, qu'elle aurait toute sa vie la dernière reconnaissance des
bontés qu'il lui avait témoignées; qu'elle le reconnaîtrait toujours
pour le plus fidèle de ses amis, et qu'il pourrait, en quelque lieu
qu'elle fût, compter sur elle comme sur la plus affectionnée, de ses
servantes[927]. Peu de temps après, Marie Mancini partit pour l'Italie,
emportant des richesses considérables, si l'on en croit Gui Patin, qui
écrivait à son ami Falconnet, le 18 avril 1661: «La petite Marie, nièce
du cardinal Mazarin, a été mariée par procureur avec le prince Colonne,
et est partie le 13 de ce mois, par ordre du roi, pour aller trouver son
mari. Elle emporte d'ici un million d'argent comptant. C'est ainsi que
la France nourrit les petits poissons d'Italie.» Louis XIV avait donné
une nouvelle preuve de sa fermeté d'âme en rompant avec Marie Mancini et
en la renvoyant en Italie. C'était d'ailleurs un moyen de soustraire à
sa funeste influence sa sœur Hortense Mancini, qui était devenue depuis
peu duchesse de Mazarin[928].

Le cardinal avait fiancé Hortense, peu de temps avant sa mort (24
février 1661), avec le fils du maréchal de la Meilleraye. Il lui avait
donné en dot des sommes considérables ainsi que plusieurs
gouvernements, et avait fait prendre à son mari le titre de duc de
Mazarin. Cette union ne fut pas heureuse. Hortense était belle, vive,
légère, sans principes et sans esprit de conduite. Son mari se montra
jaloux, dur et avare. Les conseils des autres nièces du cardinal, et
particulièrement de Marie Mancini, contribuèrent encore à accroître la
mésintelligence entre le duc et la duchesse de Mazarin. L'abbé de Bonzi,
comme tous les familiers du palais Mazarin, se montre favorable à la
duchesse dans une lettre qu'il écrit à Fouquet á la date du 18 juillet
1661[929].

Il commence par des protestations de dévouement: «Il est vrai,
monseigneur, que je vous dois beaucoup lorsque vous prenez la plume pour
m'écrire, sachant bien les grandes occupations que vous avez; mais il
est aussi vrai que je vous honore et vous révère avec un si profond
respect, que je crois, sans vous flatter, que vous n'avez nulle personne
plus attachée que moi, et vous ne trouverez pas étrange que je souhaite
d'avoir souvent de vos nouvelles; car, outre que, dans mon malheur, vous
seul faites toute ma joie, je vous aime avec tant de tendresse, que je
voudrais tous les jours en avoir, et il faut que je vous avoue que votre
dernière lettre du 16 m'a été bien chère. Car j'appréhendais d'être hors
de votre souvenir; mais, puisque je vois que vous m'aimez toujours et
que vous souhaitez que j'aille à Rome, j'ai pris la dernière résolution
d'y aller dans la semaine prochaine, tellement que les lettres que vous
recevrez de moi ne seront plus de Florence. Je tâcherai de vous faire
paraître toujours plus l'ambition et la passion que j'ai de vous servir.
Je ne doute pas aussi que vous ne fassiez votre possible pour relever
mes petits services et je vous supplie passionnément, à la première
ouverture que le roi vous donnera sur mon sujet, de le porter à me
charger de quelque commission qui regarde son service et son intérêt à
Rome; car, à moins que ce ne soit une chose impossible, je me promets
sans vanité de pouvoir faire beaucoup des choses qu'aucun ministre
étranger ne saurait jamais obtenir dans cette cour. Les amis que j'y ai
sont très-puissants, et, quoique le pape[930] soit le plus difficile
homme de la nature peut-être, j'aurais des moyens pour le fléchir, que
d'autres n'auraient jamais. Enfin je me suis détaché tout à fait de mon
pays natal[931], et de l'attachement que j'avais à mon ancien maître,
pour pouvoir mieux obéir à vos ordres et faire les choses que vous me
commanderez.

«C'est donc à vous autres, messieurs, à m'employer et me donner lieu que
je puisse toujours plus acquérir de bienveillance du roi. Je lui ferais
écrire tout aussitôt par la connétable[932] sur mon sujet et retour,
mais de la bonne manière, et je vous donnerai avis de tout, afin que,
s'il vous demande votre avis, vous sachiez comment l'animer sur cela.

«J'ai songé encore à l'expédient de prendre la qualité d'agent de
l'archiduc d'Insprück, et, pour parvenir à mes desseins, je suis bien
aise que vous retardiez le troisième payement de la Saint-Jean, afin que
ces princes connaissent que, quand j'étais en France, les choses
allaient un peu mieux, et je leur ferai valoir qu'à mon retour je
remettrai leurs affaires en bon chemin, pourvu qu'ils me donnent cette
qualité, ne voulant d'ailleurs prendre la peine de retourner à la cour
de France sans avoir ce caractère. Enfin je leur ferai valoir ma
personne; mais il faut que vous me secondiez, en disant toujours à ceux
qui vous parleront de ce troisième payement que vous n'avez point
d'argent, et que plutôt que de proposer à qui que ce soit de donner cent
mille francs par mois, vous le ramassiez ensemble pour donner les quatre
cent mille dans quelque temps, selon que le roi répondra sur les
instances pressées que la connétable lui fera pour mon retour. C'est par
cette raison que je n'ai voulu faire aucune proposition à l'archiduc qui
se trouve ici, où il demeurera jusqu'au mois de septembre, et cependant
il achève l'argent qu'il a tiré jusques à cette heure, au jeu et dans
les voyages, au grand déplaisir de vieux Allemands qui sont avec lui.
Vous aurez bien vu par la prière que je vous ai faite par ma précédente
lettre, que j'aurais été bien aise que vous eussiez _difficulté_ (sic)
ce troisième payement, parce que cela fait beaucoup d'effet à mon
avantage, pourvu que vous teniez bon quelques mois, sans vous mettre au
reste en peine du bruit que l'archiduc en pourrait faire; car il ne
songera à cela de quelque temps, tant qu'il aura de l'argent qu'il a
reçu, duquel il ne tirera pas le moindre profit pour ses peuples et ses
États, et je crois que vous autres ministres n'en serez pas fâchés.

«Il faut que vous excusiez la duchesse de Mazarin, si elle s'est
raccommodée avec le duc de Mazarin, et si elle a joué avec la duchesse
de la Meilleraye et refusé les lettres de la connétable; car on la
conseille de faire cela pour sortir des mains du maréchal et de la
maréchale, et elle serait encore allée plus volontiers au bout du monde,
qu'au voyage avec le duc, et, comme elle avait défense de recevoir les
lettres de la connétable, elle rejeta quelques lettres qu'on lui
présentait en présence des valets dépendant de ces bêtes.

«Je vous laisse à penser si j'ai été bien aise d'apprendre de vous les
traitements que le roi a faits au duc de Mazarin, quoique beaucoup
d'autres l'aient écrit. Je n'en doute plus, et, puisque cet homme en a
si mal usé avec le roi, je crois que, seulement pour lui faire dépit, il
me devrait rappeler, outre qu'il vengerait en quelque sorte le tort que
ce brutal animal a fait à la connétable.

«Par cet ordinaire, je mande au roi l'entière guérison de son ami[933],
qui se trouve présentement à Rome, tellement que j'y vais avec grande
joie, et je lui mande les relations des fêtes que l'on a faites ici, et
l'avis de mon départ pour la semaine prochaine.

«Il faut que je vous donne un peu des nouvelles de cette cour et de la
princesse de Toscane, lesquelles je n'ai pas voulu mander au roi; car,
puisqu'il fait voir mes lettres, je ne veux pas que quelqu'un me rende
de mauvais offices auprès du grand-duc; mais, si vous ou votre ami[934]
le voulez dire au roi, vous le pouvez faire.

«Il faut que vous sachiez en premier lieu que la princesse de Toscane a
donné à madame du Belloy[935] toute la vaisselle de table que le roi lui
avait fait donner, lit et tapisseries, au grand déplaisir de ses gens
d'ici; mais l'on dit que c'est la méthode de France.

«Ladite dame du Belloy est fort mal satisfaite de cette cour à cause
qu'elle prétendait d'être traitée comme madame d'Angoulême[936], qui a
dîné en public avec tous les princes de la maison et les princesses, et
elle partira dans huit jours pour s'en retourner en France.

«Pour madame la duchesse d'Angoulême, elle fait état de demeurer ici
jusques au mois de septembre et faire après le voyage de
Notre-Dame-de-Lorette et de Rome. Elle reçoit toutes les satisfactions
imaginables et est fort satisfaite aussi du pays et des traitements
qu'on lui fait.

«Madame la princesse[937] a voulu que ses pages et ses valets de pied
soient habillés à la française, et non pas à l'italienne, comme l'on
aurait voulu. L'on dit que son tailleur a demandé trois cents brasses
d'étoffe pour lui faire un habit, et son cuisinier emploie plus de
viande et de volaille en un jour que l'on n'était accoutumé de faire en
dix. L'on dit encore qu'un marchand, par l'ordre du grand-duc, lui porta
plusieurs pièces d'étoffe pour se faire un habit, afin qu'elle choisit
la plus belle, et, comme elle les trouva toutes à son gré, elle fit
remercier le grand-duc et renvoya le marchand vide.

«Le prince n'a couché avec elle que trois fois, et toutes les fois qu'il
n'y va pas il envoie un valet de chambre dire à madame qu'elle ne
l'attende pas, de quoi les filles et femmes françaises qui sont ici sont
fort surprises de ces compliments. Elle trouve que les après-dîners sont
fort longs; car elle ne dort point, comme font tous ceux qui sont ici,
et ne s'applique à rien. L'on cherche à la divertir; mais, comme elle
est toujours triste, l'on est fort embarrassé, et jamais ils ne parlent
ensemble. Madame trouve autant étrange la façon de vivre de ces pays,
que l'on est ici surpris de voir la liberté qu'ont les valets français
qu'elle a amenés, de sortir et entrer dans sa chambre à toute heure.
Enfin je pourrais faire une longue lettre sur cela; mais, comme je ne
sais pas si vous êtes indifférent (_sic_) de savoir les petites choses,
je ne vous en dirai pas davantage.

«J'ai envie de les mander à votre ami[938] dans une lettre ostensible,
afin qu'il les lise au roi avec quelque autre particularité assez
considérable. Car je ne sais pas s'il est vrai ou faux ce que l'on mande
toutes les semaines de France, que le cardinal de Retz sera bientôt
rétabli et que assurément le roi se servira de lui comme il faisait de
l'autre[939].

«Toute l'Italie est persuadée de cela, et je ne doute pas que Rome ne
soit aussi toute remplie de ces discours, et, comme je le crois faux, je
crois aussi que le pape le croira véritable. Ce sera le motif qu'il
n'osera rien entreprendre contre cet homme.

«Je m'en vais écrire à votre ami et au roi, et en finissant je vous prie
très-passionnément de m'aimer toujours.»

Cette lettre, quoique écrite par un personnage qui se distingua dans la
diplomatie, se ressent du caractère du surintendant, auquel elle est
adressée. Il s'y agit moins d'affaires sérieuses que d'intrigues de
cour. C'est là qu'excelle Fouquet, et rien ne montre mieux combien il
était inférieur au ministre qu'il aspirait à remplacer. Mazarin, dans le
détail infini des négociations européennes, s'inquiétait surtout de la
grandeur et de la dignité de la France. Fouquet s'occupe de querelles de
ménage et d'intrigues d'alcôve. Le surintendant portait le même esprit
dans le gouvernement intérieur: il a peu de souci de développer le
commerce, d'enrichir la nation, d'améliorer les lois et la situation des
Français, de rendre les communications plus faciles, de fertiliser les
campagnes, d'embellir les villes, d'en assurer la sécurité et la
salubrité; il n'a qu'un but: se créer des appuis auprès du roi et des
reines, et se servir des finances et de la police pour consolider sa
puissance, se bâtir des palais et satisfaire ses passions. La diminution
de trois millions sur les tailles[940], qui était pour le peuple un
soulagement considérable, fut due à la volonté personnelle de Louis XIV.
Il se persuadait, dit-il lui-même[941], qu'il ne pouvait mieux
s'enrichir qu'en empêchant ses sujets de tomber dans la ruine dont ils
étaient menacés.



CHAPITRE XXXIV

--AVRIL.-JUILLET 1661--

Parti opposé à Fouquet.--Divisions dans le ministère.--L'abbé
Fouquet; cabale qu'il tente de former.--Delorme; surveillance que
le surintendant organise autour de son ancien commis.--Colbert et
madame de Chevreuse.--Voyage de la reine mère à Dampierre (juillet
1661); elle se déclare contre Fouquet.--Le surintendant en est
averti.--Il avoue ses fautes au roi et obtient son pardon.--On
prétend que ses tentatives pour séduire mademoiselle de La Vallière
furent une des causes de sa perte.


Fouquet avait de dangereux ennemis parmi les ministres, à la cour, dans
la bourgeoisie parisienne et même dans sa famille. Les ministres que
Louis XIV avait admis à son conseil secret ne purent marcher longtemps
d'accord. Chacun d'eux voulait s'emparer de la confiance du roi et de la
principale autorité. «Le triumvirat, qui a jusqu'ici subsisté en bonne
intelligence, écrivait Gui Patin[942], donne à soupçonner qu'il ne
durera plus guère, et qu'il commence à y avoir entre eux quelque
mésintelligence, sur ce qu'ils aspirent d'avoir l'oreille du roi plus
les uns que les autres.» Fouquet et de Lyonne paraissaient toujours
d'accord, mais Le Tellier était regardé comme leur ennemi. «On n'écrit
pas contre vous, mandait au surintendant une personne bien informée des
secrets de la cour, mais contre M. Le Tellier. M. de Lyonne l'appelle
traître, ainsi que M. de Turenne, qui est au désespoir, et, sans vous
flatter, on vous donne toute l'autorité[943].» Louis XIV, sans
s'inquiéter des dissentiments de ses ministres, fit concourir aux vues
de sa politique les caractères et les passions les plus opposés. Il ne
souffrit pas qu'aucun d'eux dirigeât les affaires; il se servit de leurs
talents et contint leur ambition. Les mesures qu'il leur imposa pour le
soulagement des peuples et la grandeur de la France n'avaient pas
d'autre principe que sa volonté.

Fouquet ne redoutait pas seulement les menées de Le Tellier; il
surveillait les démarches de son frère l'abbé, qui avait toujours
conservé un parti à la cour et aspirait aussi à jouer un rôle politique.
Une lettre écrite par un des familiers du cardinal Mazarin, peu de temps
après la mort de ce ministre, fait supposer que Basile Fouquet cherchait
à s'appuyer sur une cabale, dont Hortense Mancini, devenue duchesse de
Mazarin, aurait eu la direction. Cette lettre est datée des premiers
jours d'avril[944]: «Je vous ai envoyé, mon adorable maître, une lettre
datée du 3 avril, avec une dépêche pour votre cher ami[945], que
j'espère que vous aurez reçue, et suis en impatience s'il a rendu ma
lettre au roi. Je serai encore ici jusques à mardi ou mercredi prochain;
en attendant vos ordres, je me donnai l'honneur de vous écrire, encore
hier, un petit billet avec ce qui était à ma connaissance touchant M.
l'abbé Fouquet; mais j'ai à vous dire de plus, que, nonobstant toutes
les intrigues découvertes, il s'est hasardé à écrire un billet à madame
la duchesse[946], qu'il a envoyé par la fille appelée la Voyer, que l'on
a chassée, et que, étant ces jours-ci allée voir madame la duchesse,
elle lui rendit le billet de M. l'abbé, que Madame porta incontinent à
son mari. Cette affaire n'est à la connaissance que de très-peu de gens,
et le duc[947] a eu le billet de sa femme après qu'il est retourné ici
l'autre fois. Une personne qui l'a vu m'a dit qu'il croit que M. l'abbé
eut d'autres projets que la galanterie, et que plutôt il voulait se
rendre familier et entrer dans la confidence pour se mettre bien dans
l'esprit du roi par ce moyen. Les personnes qui étaient dans sa cabale
sont, à ce que l'on m'a dit, mesdames de Brancas, d'Oradoux, de
Courcelles, et une autre que vous seriez surpris si je vous la nommais;
mais elle ne m'a pas surpris, me souvenant que vous me dites une fois
qu'elle n'était pas de vos amies, à cause de quelque chose qu'elle avait
dit que vous aviez confié à son mari.

«Madame est allée à La Fère[948] pour y demeurer longtemps avec le
marquis d'Effiat. Ils ont intercepté des lettres de la sœur
éloignée[949] et de son ami, que vous voyez souvent, et un certain
gentilhomme, nommé Ballarin, a trahi la pauvre duchesse; car elle lui
avait baillé des lettres pour sa sœur, que cet homme remit entre les
mains du mari.

«J'ai changé de logis plusieurs fois, et demain j'en ferai de même, et
je vous supplie très-humblement, pour mon repos, de me donner avis si
vous avez reçu mon papier d'avant-hier, d'hier et cette lettre, qui sera
la dernière pour cette fois, que je vais écrire d'ici, à moins que je
n'aie quelque autre chose à vous communiquer.

«Bellinzan[950] s'en va à la cour demain ou après-demain avec le duc. Je
crois qu'il ne serait pas mal à propos de le faire auteur des nouvelles
que je vous donne; car ce sont des choses qui ne sont à la connaissance
de personne, comme la lettre, écrite depuis peu par M. l'abbé Fouquet,
donnée au duc par sa femme.

«Je vous supplie très-humblement de me continuer toujours vos bontés;
car je serai entièrement à vous jusque dans le tombeau.»

La cabale formée par l'abbé Fouquet n'avait rien de sérieux; il suffit,
pour s'en convaincre, de voir les noms des personnes qui la composaient.
Madame de Brancas était Suzanne Garnier, fille d'un trésorier aux
parties casuelles, nommé Matthieu Garnier. Ni sa naissance ni sa
conduite ne lui donnaient la considération nécessaire pour diriger une
cabale politique. Madame de Courcelles (Sidonie de Lenoncourt) était
aussi connue par la légèreté de son caractère et la licence de ses
mœurs que par sa beauté et son esprit; c'était la digne amie d'Hortense
Mancini. De pareilles femmes, dirigées par l'abbé Fouquet, pouvaient
troubler ou amuser la cour par leurs intrigues et leurs scandales; mais,
pour changer le gouvernement, il fallait des vues plus élevées et des
esprits plus sérieux. Cependant, si l'abbé Fouquet était incapable
d'arriver lui-même au pouvoir, il pouvait gêner le surintendant par ses
intrigues, et cette considération suffit pour expliquer la surveillance
dont Fouquet l'entoura.

Le surintendant redoutait aussi les cabales d'un de ses anciens commis,
Delorme. Il paraît que Delorme avait gardé des pièces importantes et
capables de compromettre Fouquet. Madame d'Huxelles se chargea de les
retirer de ses mains, en faisant agir auprès de lui un ecclésiastique
qu'elle avait gagné[951]. Elle écrivait à Fouquet, vers le mois d'avril
1661: «J'ai vu l'ecclésiastique touchant l'affaire de M. Delorme, qui
m'a demandé si je croyais que vous fussiez bien aise de ravoir les
papiers où vous aviez raturé votre écriture; qu'il savait que vous aviez
employé madame de Brancas pour cela, mais que, jusqu'à cette heure, M.
le premier président l'avait empêché et lui avait conseillé de prendre
un office de secrétaire du roi pour se mettre à couvert. Il m'a dit
qu'il pensait en venir à bout. Je lui ai témoigné que M. Delorme était
mal conseillé, et qu'il devait vous les avoir portés et n'en plus
parler. Mandez-moi ce que vous voulez que je conseille; par lui je sais
tous leurs désirs. Il est en grande intelligence avec le
grand-maître[952] et son père[953].»

Un nommé Devaux, qui commandait une compagnie de chevau-légers, se
servait de ses hommes pour surveiller les ennemis de Fouquet. Il rendait
compte au surintendant, avec une exactitude minutieuse, de toutes les
démarches de Delorme. «Monseigneur saura, écrivait-il à Fouquet, les
amis de M. Delorme intimes: premièrement, M. de l'Estrade, M. de la
Basinière, M. de Rive; ils vont voir les dames ensemble. M. Boye est le
véritable, en qui il a le plus de confiance; c'est celui qui lui fournit
les gens d'intrigue. Comme marque de cela, il est venu hier me trouver
un homme qui m'a quelque obligation, pour m'avertir que Boye l'a donné à
Delorme pour faire son possible de gagner quelqu'un de mes gens. Il y a
deux mois que Delorme le presse pour cela. Il lui a promis de lui faire
sa fortune; il lui a dit de faire en sorte de savoir sur toutes choses,
quoi qu'il coûte, qu'était devenue une femme que l'on avait tirée de la
Bastille huit ou dix jours avant carême-prenant, et qu'un homme de la
Bastille l'avait averti que l'on me l'avait mise en main et que je
l'avais enlevée; mais que, s'il devait coûter cent mille écus, il
fallait savoir où elle était, parce que M. le procureur général était
son ennemi capital, mais qu'il s'en vengerait. Il lui dit: «J'ai trois
hommes pour l'observer et le suivre partout (parlant de moi). Vous êtes
celui en qui j'ai le plus de confiance,» dit-il à Gode, à qui il
parlait, qui est celui qui m'a averti; il lui dit: «L'autre est Dupuy,
lieutenant du prévôt de l'Île[954].»

«Je sais qu'il fait gouverner ledit sieur Dupuy par une femme, à qui il
a répété ce que Delorme lui avait dit, mais en ajoutant qu'il s'était
contenté de me faire suivre trois ou quatre fois; qu'il n'osait
lui-même, parce que j'étais homme à lui faire mauvais parti si je le
savais. Si bien qu'en voilà deux. Il ne reste plus qu'un qui est encore
exempt du prévôt de l'Île. On me l'a dépeint; je ne sais pas encore son
nom; mais, de la manière que l'on me l'a figuré, je l'ai vu deux ou
trois fois près de mon logis. Je demande à monseigneur qu'il me permette
de lui faire donner ce qu'il mérite, sitôt que je saurai son nom; je
crois que je trouverai bien quelque moyen de le faire parler aussi bien
que l'autre.

«Ce n'est pas que je me fie en Gode; il peut jouer les deux. Il m'a dit
néanmoins toutes les circonstances et m'a offert de le faire parler sur
tout ce que je voudrai; mais il m'a surtout recommandé le secret et la
discrétion, parce que, si vous saviez cela, vous le perdriez; qu'il
fallait ménager cela adroitement. Il lui a dit de faire en sorte de
gagner mon homme, ou bien M. Olery, ou bien quelque servante; mais qu'il
n'épargnât pas l'argent. Il lui fait accroire, à ce qu'il dit, qu'il me
suit tous les jours. Je supplie monseigneur de me dire quel ordre il
veut que je tienne. Il me craint; il croit qu'il ne fait pas un pas que
je ne le sache. Il croit être suivi partout; il a dit même à Gode qu'il
y a quelque temps que je le rencontrai chez M. le procureur général, que
je le saluai. Aussi est-il vrai que, étant dans ce lieu-là, je crus le
devoir faire; mais il dit aussi que, quand je le trouve ailleurs, je le
traite comme un homme de rien; que cependant c'était lui qui m'avait
fait don de la récompense[955] de ma compagnie, du temps de M. Servien.
De quelque manière que ce soit, je suis obligé à Gode et à l'autre,
Dupuy; car il dit à cette femme qu'il serait ravi que je susse la chose.
Monseigneur verra bien que tous ces gens-là ne sont pas grand'chose;
mais il est nécessaire d'en avoir. Ils peuvent vous rendre mille petits
offices qui, en apparence, ne sont rien, mais dans la suite deviennent
des affaires importantes.

«Je proteste à monseigneur que la passion que j'ai de remettre ma
compagnie n'est que pour donner la paye à cinq ou six que j'ai à Paris.
Cela fait merveille à la moindre chose que vous voulez savoir; ce n'est
pas que je ne leur fasse tout ce que je puis. Monseigneur sait bien
qu'il y en a trois qui ont servi en bien de petites choses, auxquels je
ne puis pas manquer de procurer quelque avantage, et avec cela
j'accommoderais tout le monde, sans être importun à monseigneur, et, de
plus, je le servirais plus utilement que je ne fais. Comme ils voient
que monseigneur est tout-puissant, ils me désespèrent pour leur faire
donner des emplois. L'autre me donne tous les jours des billets pour
les faire payer. C'est ce dont je ne parle jamais à monseigneur, crainte
que cela lui fasse peine.

«Il faut que Delorme ait quelqu'un dans la Bastille à lui. L'ordre du
roi est nécessaire; il le faut obtenir en date du 10 septembre 1658.
C'est le temps qu'elle a été arrêtée la première fois[956].»

Delorme et ses amis, surveillés par la police de Fouquet, n'étaient pas
des adversaires bien redoutables. Colbert, que Louis XIV avait placé
près de lui comme intendant des finances avec la mission de contrôler
ses actes, était un ennemi tout autrement dangereux. Vainement les
espions de Fouquet l'entouraient, lui et ses commis. Leurs rapports
prouvaient seulement que les dilapidations de Fouquet étaient connues;
mais on n'avait aucune prise sur Colbert, dont l'intégrité était à
l'abri de toute attaque. Un de ces rapports de police, daté du 28 avril,
signale l'hostilité de Colbert et de ses commis contre Fouquet. «Il y a,
écrit l'agent du surintendant, un cabaret devant la maison de M.
Colbert, où quatre hommes s'étaient réunis à dîner. L'un des quatre
était un homme qui se dit à M. Colbert, qui fait vendre les charges de
chez la reine. Il se dit commis de mondit sieur Colbert; il s'appelle M.
Guimbert. Il est de Pernes, un gros garçon. L'un des trois qui est avec
lui m'a dit qu'il leur dit en dînant, et en mangeant un plat de raie,
que M. le procureur général ne serait plus guère surintendant; qu'on
lui avait fait rendre compte et qu'il était en décadence à la cour,
parce qu'il ne faisait pas sa charge; qu'il se fiait en ses commis, qui
s'enrichissaient en trois ans de temps. Afin de mieux connaître ledit
commis, voici de son écriture, en ce billet[957] et signé de lui. Je le
donne à monseigneur, qui le fera voir s'il le désire; mais, si on le
donnait, il saurait bien celui qui l'aurait dit des trois qui étaient
avec lui. Il mérite châtiment; car il dit d'autres impertinences que je
ne puis dire à monseigneur que de bouche, comme je dirai aussi à
monseigneur le nom de celui qui l'a dit, s'il le souhaite savoir.»

Ainsi, dès le mois d'avril 1661 les commis de Colbert annonçaient
hautement la chute du surintendant. Depuis cette époque jusqu'au mois de
juillet, l'influence de Colbert auprès du roi ne fit que s'accroître.
Cependant la reine mère, entourée des amis de Fouquet, persistait à le
défendre et arrêtait seule Louis XIV. On se servit, pour gagner Anne
d'Autriche, de son ancienne favorite, de la duchesse de Chevreuse. Dès
le mois de juin, elle avait tenté de gagner le confesseur de la reine
mère[958]; mais ce fut seulement dans les premiers jours de juillet 1661
que le parti de la duchesse de Chevreuse l'emporta décidément près de la
reine mère sur celui de Fouquet, soutenu par M. de Brancas et madame de
Beauvais. La cour, qui résidait alors à Fontainebleau, s'était rendue à
Dampierre[959], où elle fut reçue par la duchesse de Chevreuse. A
Dampierre, Anne d'Autriche, entourée des ennemis de Fouquet, céda à
leurs instances. Le surintendant en fut averti par la personne qui
entretenait des relations avec le confesseur; elle lui écrivait de
Paris, le 21 juillet: «Je n'ai pu rien savoir de plus particulier de
chez madame de Chevreuse; mais depuis peu le bonhomme de confesseur est
venu ici pour voir la personne dont j'ai eu l'honneur de vous parler
autrefois. Il lui a conté tout ce qu'il savait, et, entre autres choses,
lui a dit que, depuis quelque temps, madame de Chevreuse lui avait fait
de grandes recherches; qu'elle lui avait envoyé Laigues[960] plusieurs
fois; qu'il lui avait parlé fort dévotement pour le gagner, mais surtout
qu'il lui avait parlé contre vous, monseigneur. Je ne m'étendrai point
de quelle sorte; car ce bonhomme a dit qu'il l'avait conté à M.
Pellisson. Il me suffira donc de vous faire savoir sur cela que le
bonhomme de cordelier se plaint un peu de ce que, en faisant un
éclaircissement à la reine mère, vous l'aviez comme cité, et que lui
disant qu'elle allait à Dampierre parmi vos ennemis et qu'on lui avait
dit des choses contre vous, comme elle niait qu'on lui eût jamais parlé
de cette sorte, vous lui dites de le demander au père confesseur; que le
lendemain la reine lui avait dit qu'elle ne pouvait comprendre comment
vous saviez toutes choses, et que vous aviez des espions partout.

«La reine a encore dit qu'elle voyait une cabale dans la cour fort
méchante qu'elle ne connaissait point et qu'elle ne pouvait encore
pénétrer[961]; qu'elle avait su que depuis peu on avait fait coucher le
roi avec une jeune personne, de laquelle ce bonhomme-ci n'a pu redire le
nom, et que la reine avait encore ajouté que le roi se relâchait fort
sur la dévotion; qu'il ne se confessait ni ne communiait pas si souvent,
et que le P. Annat était un pauvre homme et si timide, qu'il n'osait
dire aucune chose au monde au roi, de peur que cela n'allât contre ses
intérêts. Au reste, j'ai su, d'un autre côté, je ne sais si l'avis est
bon ou mauvais, que les jésuites ont pensée de mettre auprès du roi pour
confesseur le P. Le Clerc, après la mort de celui-ci, et que, comme ce
sont des gens qui prennent leurs mesures de loin, ils songent à cela dès
à cette heure.

«Il a encore dit (et ceci il l'a donné pour un fort grand secret) qu'il
y a plusieurs personnes à la cour qui veulent perdre M. de Rennes;
qu'ils ont recherché des choses inouïes contre lui et contre sa vie;
qu'on a écrit de gros cahiers de ses déportements et des faussetés qu'il
a faites, et que, tout cela étant des choses de fait qui seront
prouvées, il est impossible que cela ne le détruise pas. La personne qui
donne ces mémoires-là est celui à qui il a résigné son évêché, et ces
papiers doivent être mis entre les mains de l'archevêque de Sens.

«Il a encore dit que la reine mère, en parlant des mécontentements
qu'elle avait sur Madame, lui avait assuré qu'elle était une profonde
coquette et une artificieuse, mais qu'aussi la jeune reine lui donnait
bien de la peine avec ses larmes et toutes ses façons de faire.

«Il a ajouté encore que depuis peu le roi lui avait dit que M. le
cardinal, en mourant, lui avait protesté, en lui parlant contre elle,
_quelle ne se passerait jamais d'homme_[962]; qu'il prît garde à elle,
et qu'assurément elle ferait un mariage _de conscience_ avec quelqu'un.
Au reste, ce bonhomme assure que la reine mère reçoit tous les jours des
avis contre tous les ministres, et que tantôt vous êtes bien et tantôt
mal dans son esprit; qu'on vous y rend souvent de très-méchants offices,
et que, dans ces temps-là, elle est fort déchaînée contre vous.

«Voilà, monseigneur, tout ce qui est venu à ma connaissance. Je ne doute
point que je ne vous écrive là bien des choses inutiles. J'espère que
vous aurez la bonté de les excuser par le zèle que j'ai pour votre
service et par l'envie que j'ai de vous faire paraître avec quel respect
et quelle passion je suis à vous.

«Je n'ai osé envoyer cette lettre depuis trois ou quatre jours que par
cette voie assurée que j'ai trouvée aujourd'hui.»

De son côté, une dame de la cour, ancienne maîtresse de Fouquet, se hâta
de lui expédier un courrier pour l'avertir des attaques dirigées contre
lui. «J'attends toujours de vos nouvelles, lui disait-elle dans cette
lettre, et le chiffre que vous m'aviez promis. Il se dit plusieurs
choses contre vous qui me paraissent bagatelles: mais je me trouve
obligée de vous envoyer ce laquais exprès pour vous faire savoir que
M...[963] a fait de grandes liaisons avec le confesseur de la reine et
la mère de la Miséricorde[964]. Il est déchaîné contre vous; il a fait
donner des mémoires à la reine qui portent que vous avez dissipé cent
millions; qu'il le fera voir quand il plaira au roi. C'est lui qui a
fait dire au roi de vous défendre d'arrêter aucun état de distribution,
particulièrement avec Monnerot[965]; qu'il fera voir tout ce que vous
avez fait et les dépenses les plus secrètes; que les quinze cent mille
livres que vous lui devez, il les donne de bon cœur à la mère de la
Miséricorde pour faire bâtir un couvent, pourvu que le roi soit
instruit. Il a fait écrire cet homme sous lui. Enfin je suis si
épouvantée de tout ce que j'ai appris, que j'ai obligé cet homme de vous
aller trouver lui-même et vous apprendre ce qu'il sait. Je lui ai dit
que, pour parler à vous, il n'avait qu'à vous écrire un billet, et vous
faire dire son nom. Je lui ai promis le secret. Il est bon que ce soit
par lui que vous sachiez toutes choses, afin de le convaincre de son
ingratitude et de voir que des gens que vous avez comblés de biens
soient vos plus grands ennemis. Il a promis à cet homme l'amitié du duc
de Créqui et de bien d'autres de la cour. Faites-moi savoir de vos
nouvelles et croyez que je suis votre servante.

«J'oubliais à vous dire qu'il dit qu'il est allé à la cour pour vous
traverser. Je ne vous exagère rien.

«Faites chauffer ma lettre et vous souvenez comme on vous écrivait.»

Les lignes qui ont reparu sous l'action du feu, sont les suivantes:

«C'est le procureur fiscal au bailliage d'Orléans et domaine de Forez
(ces derniers mots sont presque illisibles, à cause des brûlures); c'est
maître Bernard et maître Grimault.

«La reine a défendu à son confesseur d'avoir aucun commerce avec vous,
et a dit que vous aviez un million pour corrompre ses gens.»

Averti du danger qui le menaçait, Fouquet résolut de s'ouvrir au roi et
d'implorer son pardon; il lui rappela, dans une entrevue qui eut lieu à
Fontainebleau[966], que le cardinal Mazarin avait gouverné les finances
avec une autorité absolue, sans observer aucune formalité, et l'avait
contraint, lui surintendant, à faire beaucoup d'actes qui pourraient
être l'objet de poursuites. Il ne nia pas ses fautes personnelles et
avoua que ses dépenses avaient été excessives. Il supplia le roi de lui
pardonner tout le passé, et promit de le servir fidèlement à l'avenir.
Le roi, instruit depuis longtemps dans l'art de dissimuler, écouta avec
une bienveillance apparente les aveux de Fouquet, et le surintendant se
crut mieux affermi que jamais[967]; mais, dès ce moment, Louis XIV était
décidé à ne jamais lui pardonner. Si l'on en croit les Mémoires du
temps, il ne voulait pas seulement punir les prévarications du
surintendant; mais il avait appris que, dans ses audacieuses tentatives,
Fouquet avait osé s'attaquer à mademoiselle de La Vallière[968]. Le fait
était généralement admis par les contemporains, et Conrart nous a
conservé une lettre attribuée à madame du Plessis-Bellière, qui raconte
au surintendant les vains efforts qu'elle avait faits pour séduire cette
fille d'honneur de Madame[969]: «Je ne sais plus ce que je dis et ce que
je fais lorsqu'on résiste à vos intentions. Je ne puis sortir de colère
lorsque je songe que la petite demoiselle de La Vallière a fait la
capable avec moi. Pour captiver sa bienveillance, je l'ai assurée sur sa
beauté, qui n'est pas pourtant bien grande, et puis, lui ayant fait
connaître que vous empêcheriez qu'elle manquât jamais de rien et que
vous aviez vingt mille pistoles pour elle, elle se gendarma contre moi,
disant que deux cent cinquante mille livres n'étaient pas capables de
lui faire faire un faux pas, et elle me répéta cela avec tant de fierté,
quoique je n'aie rien oublié pour l'adoucir avant de me séparer d'elle,
que je crains fort qu'elle n'en parle au roi, de sorte qu'il faut
prendre des devants pour cela. Ne trouvez-vous pas à propos de dire,
pour le prévenir, qu'elle vous a demandé de l'argent et que vous lui en
avez refusé Pour la grosse femme[970], Brancas et Grave vous en rendront
bon compte; quand l'un la quitte, l'autre la reprend. Enfin je ne fais
point de différence entre vos intérêts et mon salut. En vérité, on est
heureux de se mêler des affaires d'un homme comme vous; votre mérite
aplanit tous les obstacles. Si le ciel vous faisait justice, nous vous
verrions un jour la couronne fermée.» La couronne fermée était un signe
de souveraineté, et, si la pièce est authentique, on peut se figurer
l'indignation de Louis XIV à la lecture d'une lettre qui lui montrait
dans Fouquet un rival d'amour et de puissance.



CHAPITRE XXXV

--JUILLET 1661--

Colbert engage Fouquet à vendre sa charge de procureur
général.--Magnificence du château de Vaux.--Fouquet y reçoit
Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.--Influence de cette
princesse sur le roi.--Son caractère.--Elle est célébrée par La
Fontaine.--Loret décrit dans sa gazette la fête donnée par Fouquet
au duc et à la duchesse d'Orléans.--Projet de voyage en Bretagne
formé dès le 15 juillet.--Lettre de madame d'Asserac à ce
sujet.--Le surintendant continue d'embellir sa maison de
Saint-Mandé et son château de Vaux.--Loret décrit la fête donnée
par Fouquet à la reine d'Angleterre, au duc et à la duchesse
d'Orléans.--Naissance d'un fils de Fouquet.--Arrivée de
l'archevêque de Narbonne François Fouquet, à la cour.--L'évêque
d'Agde Louis Fouquet est nommé maître de l'Oratoire royal.


Lorsque la perte de Fouquet eut été résolue et que la reine mère y eut
consenti, le roi prit soin d'endormir le surintendant, de le bercer
d'espérances trompeuses et de le mettre hors d'état d'opposer une
sérieuse résistance. Sa charge de procureur général était un obstacle
aux projets de la cour: un des officiers du parlement ne pouvait être
jugé que par ce corps, et Fouquet y comptait trop de partisans pour
qu'on espérât en obtenir sa condamnation. On s'efforça donc de le
déterminer à donner sa démission de cette charge. Plusieurs de ceux qui
recevaient des pensions de Fouquet étaient vendus à ses ennemis, et le
conduisaient à sa perte en flattant sa vanité. Si l'on en croit l'abbé
de Choisy[971], Colbert et le roi lui-même s'unirent à eux. Colbert
feignit de se réconcilier avec Fouquet. Quant à Louis XIV, il témoigna
au surintendant la plus grande bienveillance après l'entrevue de
Dampierre; il l'envoyait chercher à toute heure, décidait d'après son
avis la plupart des questions, lui accordait toutes les grâces qu'il
demandait, et nommait son frère, l'évêque d'Agde, maître de l'Oratoire
de la chapelle royale.

Colbert, qui avait à cette époque de fréquentes relations avec Fouquet,
ne cessait de lui vanter la faveur du roi et de faire valoir toutes les
grâces qu'il lui accordait. Il l'engageait en même temps à témoigner sa
reconnaissance en remplissant l'épargne, sans avoir recours aux traités
avec les partisans, qui étaient si onéreux pour l'État. «Je vendrais de
bon cœur, lui dit Fouquet, tout ce que j'ai au monde pour donner de
l'argent au roi.» Sans le presser plus vivement, Colbert continua la
conversation, et eut soin de la faire tomber sur la charge de procureur
général. Fouquet lui dit qu'on lui en avait offert quinze cent mille
livres. «Mais, monsieur, reprit Colbert, est-ce que vous la voudriez
vendre? Il est vrai qu'elle vous est assez inutile: un surintendant
ministre n'a pas le temps de voir des procès.»

L'affaire n'alla pas plus loin pour le moment; mais ils y revinrent dans
la suite, et Fouquet, se croyant assuré des bonnes grâces du roi, dit
un jour à Colbert qu'il avait envie de vendre sa charge, pour en faire
un sacrifice au roi. Colbert applaudit à cette résolution, et Fouquet
alla sur-le-champ en faire part à Louis XIV, qui l'en remercia et
accepta l'offre sans balancer. «J'ai appris ces particularités, dit
l'abbé de Choisy, de Perrault, à qui Colbert les a contées plus d'une
fois.»

Tout en admettant le récit de l'abbé de Choisy, il ne faut pas oublier
que la vanité fut un des principaux mobiles de la conduite de Fouquet.
Des flatteurs, peut-être même de faux amis, lui firent entrevoir la
prochaine réalisation de ses vues ambitieuses. On annonçait qu'il allait
être élevé à la place de premier ministre; mais on ajoutait qu'il ne
pourrait y parvenir qu'en renonçant à la robe, et en devenant
exclusivement homme de cour. «Le roi, dit le jeune Brienne[972], lui fit
espérer de le faire chevalier de l'ordre, en le déclarant son principal
ministre, dès qu'il ne serait plus procureur général.» La vanité de
Fouquet fut flattée de la perspective de cet avenir brillant, où il
marcherait l'égal des seigneurs de la plus haute naissance, et
remplacerait la toge du magistrat par l'habit de cour. Dès le mois de
juillet 1661, il paraissait décidé à vendre sa charge de procureur
général. Gui Patin l'annonçait à Falconnet, et accompagnait cette
nouvelle de réflexions satiriques à son ordinaire. Il écrivait, le 12
juillet 1661: «Je viens d'apprendre que M. Fouquet a vendu sa
charge[973] de procureur général seize cent mille livres à M. de
Fieubet, maître des requêtes. On prétend par là qu'il est fort en crédit
près du roi, et qu'il est assuré d'autre chose, puisqu'il a abandonné le
Palais, qu'il sera ministre d'État ou chancelier de France, si la corde
ne rompt; mais d'autres soupçonnent pis.» Trois jours après, ces bruits
étaient démentis. Gui Patin l'annonçait le 15 juillet: «Le président
Miron m'a dit aujourd'hui que c'est un roman tout ce qu'on a dit de la
vente de la charge de procureur général, mais bien que l'on a remis en
bonne intelligence les deux frères, savoir, l'abbé Fouquet avec le
surintendant son frère, et néanmoins il croit que M. le surintendant se
défera de sa charge de procureur général, et qu'il y en a qui la
marchandent. Il ne faut plus que de l'argent pour être grand; la vertu
ne sert plus de rien:

Si fortuna volet, fies de rhetore consul[974].

_O fortuna, quantos tibi ludos facïs in vita mortalium_[975]!» Le roi ne
voulait pas seulement enlever à Fouquet la protection du parlement de
Paris, il fallait, pour achever de le désarmer, s'emparer de ses
forteresses de Bretagne. On n'a pas oublié quelle était la puissance de
Fouquet dans cette province. Maître de Belle-Île, du Croisie, de
Concarnau, de Guérande, du duché de Penthièvre, disposant par ses amis
des forteresses du Mont-Saint-Michel et de Tombelaine, il considérait la
Bretagne comme son royaume, et ses partisans flattaient sa vanité en
répétant qu'il en était le souverain. Il avait une cabale dans le
parlement de Bretagne. Le président de Maridor s'était engagé par écrit
à le défendre envers et contre tous. Le conseiller Amproux ne lui était
pas moins dévoué[976]. Si l'on ajoute que la flotte de l'Océan était
sous les ordres de l'amiral de Neuchèse, qui devait à Fouquet la charge
qu'il avait achetée, on pouvait craindre que cette province, de tout
temps peu docile au joug de la royauté, ne profitât de l'arrestation du
surintendant pour s'agiter et revendiquer ses vieilles libertés.

En présence de ce danger, Louis XIV agit avec prudence et dissimulation.
Comme les ressources pécuniaires manquaient, on proposa d'augmenter la
contribution des pays d'états. Cet impôt, déguisé sous le nom de don
gratuit, était voté par les assemblées provinciales. La présence du roi
parut nécessaire pour déterminer les états de Bretagne à faire un
sacrifice pécuniaire plus considérable[977], et Fouquet lui-même
conseilla au prince de se rendre à Nantes, où devait se réunir
l'assemblée de la province. Le voyage fut décidé dès la première moitié
du mois de juillet, comme le prouve la lettre suivante de madame
d'Asserac à Fouquet. Elle porte la date du 15 juillet: «Je savais, lui
écrit-elle[978], tout ci que M. Devaux[979] m'a voulu apprendre, et
personne ne prend plus de part que moi à la joie que vous doit donner le
bon état des choses. Votre prospérité augmentera sans doute plutôt que
de diminuer, du mérite que vous avez; mais, comme il ne se peut faire
autrement que la foule et les divertissements continuels n'accompagnent
vos pas partout et surtout en ce voyage que le roi va faire en Bretagne,
vous me dispenserez, s'il vous plaît, d'en être. Je ne m'accommode ni de
l'un ni de l'autre. Je vous suis très-obligée du souhait que vous faites
de me trouver en ce lieu, et sans doute j'y serais s'il y allait de vous
faire voir, par des services, comme je suis à vous.»

Fouquet se croyait, comme le disait madame d'Asserac, plus puissant que
jamais, et il s'abandonna sans frein aux deux passions qui le dominaient
et qui absorbaient tout l'argent qu'il volait à l'État, les femmes et
les bâtiments. Il avait acquis à Paris le magnifique hôtel construit par
le surintendant d'Émery, non loin du lieu où l'on a ouvert la place
Louis-le-Grand (aujourd'hui place Vendôme). Sa maison de Saint-Mandé se
composait primitivement de deux propriétés qu'il avait achetées de
madame de Beauvais, afin d'être à proximité de Vincennes, où le cardinal
Mazarin passait une partie des étés. Les jardins du surintendant
communiquaient avec le parc royal, et il pouvait se rendre au château en
les traversant. Peu à peu il donna à cette maison de plaisance de
Saint-Mandé des développements qui la transformèrent. Elle renfermait
six cours entourées de bâtiments, et n'était pas encore achevée lorsque
Fouquet fut arrêté. Il avait en soin de dissimuler la magnificence des
constructions du côté qui regardait Vincennes, afin de ne pas exciter
l'envie par cette maison bâtie à proximité et en quelque sorte sous
l'œil du roi; mais à l'intérieur elle faisait l'admiration des étrangers
par la beauté des galeries, la rareté des livres et la multitude
d'objets curieux que le surintendant y avait entassés[980]. Enfin le
château de Vaux, que Fouquet habitait pendant que la cour séjournait à
Fontainebleau, étalait une magnificence vraiment royale. Le surintendant
y reçut en juillet et en août 1661 le roi, les princes et la cour tout
entière. Ce fut d'abord la reine d'Angleterre, Henriette de France,
veuve de Charles 1er, sa fille Henriette d'Angleterre, et son gendre
Philippe de France, duc d'Orléans, qui honorèrent de leur présence le
château de Vaux et les fêtes données par le surintendant.

Henriette d'Angleterre, que les mémoires du temps appellent Madame,
passait alors pour avoir une grande influence sur son beau-frère, le roi
Louis XIV. La cabale de la comtesse de Soissons prétendait même qu'il
en était épris, et que ses assiduités auprès de mademoiselle de la
Vallière, fille d'honneur de Madame, servaient à couvrir ses relations
avec cette princesse. Mademoiselle du Fouilloux l'avait fait répéter
plusieurs fois à Fouquet par l'entremetteuse, en lui recommandant de
gagner la confiance et les bonnes grâces de la duchesse d'Orléans. Ces
bruits avaient pris une nouvelle consistance pendant le séjour de la
cour à Fontainebleau. Les promenades du roi et de Madame, qui se
prolongeaient pendant une partie des nuits, exerçaient la malignité des
courtisans. Il est vrai que mademoiselle de la Vallière était de toutes
ces fêtes, et que quelques esprits plus pénétrants devinaient que
c'était réellement à elle que s'adressaient les hommages du roi; mais la
foule s'y trompait et croyait à la puissance absolue d'Henriette
d'Angleterre sur Louis XIV. Fouquet était averti de tout par les espions
qu'il s'était ménagés dans la place.

Les lettres de la femme la Loy sont remplies de détails de cette nature,
que mademoiselle du Fouilloux la chargeait de transmettre au
surintendant ou qu'elle recueillait près des autres filles de la reine.
Le 4 juillet, elle avertissait Fouquet que la reine d'Angleterre avait
été appelée à Fontainebleau par la reine mère pour parler à sa fille
Henriette de sa conduite avec le roi, et faire cesser le scandale
qu'elle causait dans la cour. C'est de mademoiselle de la
Motte-d'Argencourt, qui était encore fille de la reine à cette époque,
que la femme la Loy tenait cette nouvelle. Elle y revient le 7 juillet,
et écrit à Fouquet[981]: «Ce que je voulais mander de la reine
d'Angleterre, c'est que l'on tient que son voyage n'est causé ici que
pour parler à Madame touchant le roi, et que c'est la reine mère qui
fait tout cela.»

Fouquet ne négligea rien pour gagner une princesse dont l'influence
pouvait contribuer à lui assurer la succession de Mazarin. Madame
brillait encore plus par l'esprit que par la beauté. «Elle avait
l'esprit solide et délicat, dit un des contemporains qui l'ont le mieux
connue[982], du bon sens, connaissant les choses fines, l'âme grande et
juste, éclairée sur tout ce qu'il faudrait faire, mais quelquefois ne le
faisant pas. Elle mêlait dans toute sa convention une douceur qu'on ne
trouvait point dans toutes les autres personnes royales. Ce n'est pas
qu'elle eût moins de majesté, mais elle en savait user d'une manière
plus facile et plus touchante, de sorte qu'avec tant de qualités toutes
divines, elle ne laissait pas d'être la plus humaine du monde. On eût
dit qu'elle s'appropriait les cœurs, au lieu de les laisser en commun,
et c'est ce qui a aisément donné sujet de croire qu'elle était bien aise
de plaire à tout le monde et d'engager toutes sortes de personnes. Pour
les traits de son visage, on n'en voit pas de si achevés; elle avait les
yeux vifs sans être rudes, la bouche admirable, le nez parfait. Son
teint était blanc et uni au delà de toute expression; sa taille
médiocre, mais fine. On eût dit qu'aussi bien que son âme, son esprit
animait tout son corps. Elle en avait jusqu'aux pieds, et dansait mieux
que femme du monde. Pour ce je ne sais quoi tant rebattu, donné si
souvent en pur don à tant de personnes indignes, ce je ne sais quoi qui
descendait d'abord jusqu'au fond des cœurs, les délicats convenaient que
chez les autres il était copie, qu'il n'était original qu'en Madame;
enfin, quiconque l'approchait demeurait d'accord qu'on ne voyait rien de
plus parfait qu'elle.»

Pour gagner une pareille princesse, il fallait avoir recours aux
plaisirs qui charment l'esprit plus encore qu'à la magnificence qui
éblouit les yeux. Fouquet n'y manqua pas; il la fit célébrer par les
écrivains qui lui devaient un tribut, et, dans les fêtes qu'il lui
donna, les plaisirs de l'esprit ne furent pas oubliés. La Fontaine
chanta le mariage d'Henriette d'Angleterre avec Philippe de France. En
envoyant son ode à Fouquet, il lui écrivait:

«Monseigneur,

«Le zèle que vous avez pour toute la maison royale me fait espérer que
ce terme-ci vous sera plus agréable que pas un autre, et que vous
accorderez la protection qu'il vous demande. Avec ce passe-port, qui n'a
jamais été violé, il vous ira trouver sans rien craindre. J'y loue la
merveille que nous ont donnée les Anglais. Encore que sa naissance
vienne des dieux, ce n'est pas ce qui fait son plus grand mérite: mille
autres qualités, toutes excellentes, font qu'elle est l'ornement aussi
bien que l'admiration de notre cour. C'est ce qu'on peut dire de plus à
l'avantage de cette princesse; car notre cour est telle à présent, que
son approbation serait même glorieuse à la mère des Grâces.
L'entreprise de louer dans le même ouvrage le digne frère de notre
monarque était infiniment au-dessus de moi.»

L'ode où la Fontaine célèbre le mariage du frère du roi et de la
princesse d'Angleterre est, en effet, au-dessous du sujet. Le poëte n'a
pas le souffle lyrique: et, pour chanter la beauté et l'esprit
d'Henriette, il ne trouve que des vers sans originalité:

    Elle reçut la beauté
    De la reine de Cythère.
    De Junon la majesté,
    Des Grâces le don de plaire;
    L'éclat fut pris du Soleil.
    Et l'Aurore au teint vermeil
    Donna les lèvres de roses.
    Lorsque d'un mélange heureux
    Le Ciel eut uni ces choses.
    Il en devint amoureux.

Toute cette mythologie est bien languissante, et d'un pauvre effet.
J'aime mieux ces trois vers:

    La princesse tient des cieux
    Du moins autant par son âme
    Que par l'éclat de ses veux.

Molière fut mieux inspiré que la Fontaine, lorsque Fouquet lui demanda
de composer une comédie pour la fête qu'il devait donner à la princesse.
Il écrivit à cette occasion un de ses premiers chefs-d'œuvre, qui fut
représenté à Vaux, au mois de juillet 1661, en présence des hôtes
illustres que recevait le surintendant.

Loret, qui touchait une pension de Fouquet, mais qui avait ordre, comme
il l'avoue lui-même, de modérer l'essor de sa muse burlesque en parlant
du surintendant, Loret put chanter en toute liberté, sur un ton moitié
sérieux, moitié bouffon, les magnificences de cette fête[983], qui
n'était que le prélude d'une réception encore plus brillante:

    Fouquet, dont l'illustre mémoire
    Vivra toujours dans notre histoire,
    Fouquet, l'amour des beaux esprits,
    Et dont un roman de grand prix
    Dépeint le génie sublime
    Sous le nom du _grand Cléonime_[984]:
    Ce sage donc, ce libéral,
    Du roi procureur général.
    Et plein de hautes connaissances
    Touchant l'État et les finances,
    Lundi dernier traita la cour
    En son délicieux séjour,
    Qui la maison de Vaux s'appelle,
    Où le Brun, de ce temps l'Apelle,
    A mis (je ne le flatte point)
    La peinture en son plus haut point,
    Soit par les traits incomparables.
    Les inventions admirables.
    Et les dessins miraculeux,
    Dont cet ouvrier merveilleux
    Délicatement représente
    L'inclination excellente
    De ce sage seigneur de Vaux,
    Qui par ses soins et ses travaux,
    Ses nobles instincts, ses lumières.
    Et cent qualités singulières.
    Se fait aimer en ce bas lieu
    Presqu'à l'égal d'un demi-dieu.

    J'en pourrais dire davantage;
    Mais à ce charmant personnage
    Les éloges ne plaisent pas;
    Les siens sont pour lui sans appas.
    Il aime peu que l'on le loue,
    Et, touchant ce sujet, j'avoue
    Que l'excellent sieur Pellisson
    M'a fait plusieurs fois ma leçon;
    Mais, comme son rare mérite
    Tout mon cœur puissamment excite,
    Et que ce sujet m'est très-cher,
    J'aurais peine à m'en empêcher.

    Ici je passe sous silence
    La multitude et l'excellence
    Et même la diversité
    Des jets d'eau, dont la quantité
    Sont des choses toutes charmantes,
    Sont des merveilles surprenantes,
    Qui passent tout humain discours;
    Et le soleil faisant son cours
    Dessus et dessous l'antarctique
    Ne voit rien de si magnifique;
    C'est ainsi que me l'ont conté
    Diverses gens de qualité.

    Mais pour dire un mot des régales
    Qu'il fit aux personnes royales[985]
    Dans cette superbe maison,
    Admirable en toute saison;
    Après qu'on eut de plusieurs tables
    Desservi cent mets délectables.
    Tous confits en friands appas.
    Qu'ici je ne dénombre pas,
    Outre concerts et mélodie.
    Il leur donna la comédie,
    Savoir: l'_École des maris_,
    Charme à présent de tout Paris,
    Pièce nouvelle et fort prisée
    Que sieur _Molier (sic)_ a composée.
    Sujet si riant et si beau.
    Qu'il fallut qu'à Fontainebleau
    Cette troupe ayant la pratique
    Du sérieux et du comique,
    Pour reines et roi contenter,
    L'allât encor représenter.

Tout semblait alors sourire à Fouquet. Sa femme lui donnait un fils,
dont la Fontaine chantait l'heureuse naissance[986]. Ses frères, réunis
à Paris, répandaient un nouveau lustre sur sa famille. L'archevêque de
Narbonne, François Fouquet, venait offrir à Louis XIV les hommages et le
don gratuit de la province de Languedoc[987]. L'évêque d'Agde, Louis
Fouquet, déjà aumônier du roi, achetait, avec les deniers que lui
fournissait son frère, la charge de maître de l'Oratoire du roi, qui le
mettait à la tête de tous les clercs de la chapelle royale. Le
surintendant se crut plus affermi que jamais: et, au lieu d'en profiter
pour remettre de l'ordre dans les finances, comme il l'avait promis à
Louis XIV, il ne songea qu'à s'abandonner aux plaisirs. Ce fut surtout à
cette époque que sa passion pour une des filles de la reine,
mademoiselle de Menneville, l'entraîna dans de scandaleuses
prodigalités.



CHAPITRE XXXVI

--1661--

Fouquet et mademoiselle de Menneville.--Beauté célèbre de cette
fille de la reine.--Promesse de mariage que lui fait le duc de
Damville et qu'il refuse de tenir.--Intrigue entre cette fille
d'honneur de la reine et le surintendant Fouquet conduite par la
femme la Loy.--Lettre de mademoiselle de Menneville au
surintendant.--Il lui donne cinquante mille écus en billets sur
l'Épargne pour faciliter son mariage avec Damville.--Demande de
bijoux, de points de Venise, etc.--Jalousie de Fouquet contre
Péguilin (plus tard Lauzun).--Obstacles aux
rendez-vous.--L'entremetteuse demande que l'argent des cinquante
mille écus soit déposé chez un notaire.--Avidité de
Damville.--Nouvelle lettre de mademoiselle de Menneville à
Fouquet.--Pertes au jeu.--Les filles de la reine fout leur jubilé
mai 1661.--Ballet des Saisons dansé à la cour (juillet
1661).--Maladie de Fouquet (août 1661).--L'abbé Fouquet fait
quelques tentatives auprès de mademoiselle de Menneville; elles
sont repoussées.--Fouquet part pour la Bretagne.--Erreurs de
Brienne dans le passage où il parle des relations du surintendant
et de mademoiselle de Menneville.


Mademoiselle de Menneville ou Manneville[988] était une des filles
d'honneur de la reine Anne d'Autriche. Elle était citée comme un type de
beauté. Les chansons de l'époque vantent sa supériorité sur ses
compagnes:

    Cachez-vous, filles de la reine.
         Petites;
    Car Menneville est de retour.
         M'amour.

Racine, dans la lettre à la Fontaine que nous avons citée plus
haut[989], la nomme, à côté de mademoiselle du Fouilloux, comme une des
personnes les plus remarquables de l'époque. Son portrait, en tête d'une
des dédicaces rimées de la Serre, justifie cette réputation[990]. Il
porte la date de 1661. Mademoiselle de Menneville, qui avait alors
vingt-cinq ans, réunissait l'éclat éblouissant du teint à la beauté et à
la régularité des formes. Quant au caractère de cette fille de la reine,
il présente, autant qu'on peut en juger par nos correspondances, un
mélange de vanité et de mollesse. Mademoiselle de Menneville n'avait pas
l'esprit d'intrigue de mademoiselle du Fouilloux; mais elle voulait
briller dans cette cour voluptueuse. Elle tenait surtout à devenir
duchesse, et elle avait eu soin de se ménager parmi les seigneurs
d'illustre naissance un adorateur, qui, en 1657, lui avait signé une
promesse de mariage en bonne forme: c'était François-Christophe de Lévi,
duc d'Amville ou de Damville[991]. Elle avait fait un assez triste
choix, si l'on en juge par les détails que fournissent les papiers de
Fouquet. Damville, qui avait alors plus de cinquante ans, était réduit à
emprunter à mademoiselle de Menneville l'argent que lui donnait le
surintendant. Mais le titre de duc effaçait tous les défauts aux yeux de
cette beauté frivole.

Madame de Motteville[992], parlant de la mort de Damville, qui arriva au
mois de septembre 1661, explique le motif qui empêcha ce mariage de se
réaliser: «Le duc de Damville, le Brion de jadis, mourut dans le même
temps. Par sa mort, il échappa des chaînes qu'il s'était imposées
lui-même en s'attachant d'une liaison trop grande à mademoiselle de
Menneville, fort belle personne, fille d'honneur de la reine mère. Il
lui avait fait une promesse de mariage, et ne la voulait point épouser.
Le roi et la reine mère le pressant de le faire, il reculait toujours,
et, quand il mourut, sa passion était tellement amortie, qu'il avait
fait supplier la reine mère de leur défendre à tous deux de se voir. Il
offrait de satisfaire à ses obligations par de l'argent; mais elle, qui
espérait d'en avoir par une autre voie, voulait qu'il l'épousât pour
devenir duchesse. La fortune et la mort s'opposèrent à ses désirs, et la
détrompèrent de ses chimères. Son prétendu mari s'était aperçu qu'elle
avait eu quelque commerce avec le surintendant Fouquet, et qu'elle avait
cinquante mille écus de lui en promesses. Elle ne les reçut pas, et
perdit honteusement en huit jours tous ses biens, tant ceux qu'elle
estimait solides que ceux où elle aspirait par sa beauté, par ses soins
et par ses engagements. Ils paraissaient honnêtes à l'égard du duc de
Damville, et n'étaient pas non plus tout à fait criminels à l'égard du
surintendant. On le connut clairement; car il arriva, pour son bonheur,
que l'on trouva de ses lettres dans les cassettes du prisonnier, qui
justifièrent sa vertu.»

Madame de Motteville a poussé ici l'indulgence trop loin ou n'a pas été
bien informée. Les lettres trouvées dans la cassette de Fouquet sont
loin de justifier mademoiselle de Menneville[993]. Elles prouvent, au
contraire, jusqu'à l'évidence, qu'elle s'était vendue au surintendant,
et qu'en même temps elle voulait contraindre le duc de Damville
d'exécuter sa promesse de mariage. Cette honteuse intrigue est conduite
par cette femme la Loy, dont nous avons déjà parlé. C'est elle qui
livre la fille d'honneur au surintendant, qui fixe l'heure des
rendez-vous et y conduit mademoiselle de Menneville; c'est elle surtout
qui se charge des demandes d'argent et les renouvelle dans presque
toutes ses lettres avec une insistance digne de sa profession et de son
caractère.

Cette intrigue commence vers la fin de l'année 1660. L'entremetteuse
nous initie par ses lettres aux manœuvres employées pour entraîner
mademoiselle de Menneville. Elle écrit a Fouquet, le 8 décembre
1660[994]: «Je ne manquai pas de faire dès hier ce que vous m'ordonnâtes
touchant mademoiselle de Menneville. Je lui dis les bontés que vous
m'aviez témoignées pour elle, quoiqu'elle n'en eût pas usé, semblait-il,
de la manière qu'elle devait. Elle s'en excusa fort, disant
qu'assurément elle ne vous avait pas vu. Elle m'a fort priée de faire en
sorte de pouvoir avoir l'honneur de vous voir et vous rendre grâce des
bontés que vous avez pour elle, et m'a même témoigné de souhaiter avec
passion de vous pouvoir parler, et vous en faire ses compliments
elle-même, me disant qu'elle s'informerait lorsque vous seriez chez la
reine, et qu'elle y descendrait pour vous parler: mais de la manière
qu'elle m'a parlé il me semble qu'elle souhaiterait de vous parler
particulièrement; car elle ma dit que, puisque vous aviez tant de bonté
pour elle, vous pouviez beaucoup plus la servir[995] lorsque la chose
serait secrète que quand vous vous déclareriez être dans ses intérêts;
je lui ai promis que je ferais mon possible pour avoir l'honneur de vous
parler.»

Le 13 décembre, l'entremetteuse écrit encore[996]: «Depuis ma dernière,
mademoiselle de Menneville m'a fort demandé si j'avais eu l'honneur de
vous voir, et si je vous avais fait son compliment. Je lui ai dit que
votre indisposition était cause que je n'avais pas cherché les moyens de
vous pouvoir parler. J'ose vous supplier de me mander ce que vous
souhaitez que je lui dise.»

Enfin, dans une lettre du 21 décembre[997], l'intrigue commence à se
nouer, et, à en croire l'entremetteuse, mademoiselle de Menneville
aurait fait les avances: «Elle m'a priée de vous voir demain, qui est
mardi, et conférer avec vous comme elle pourrait faire pour avoir
l'honneur de vous parler, le souhaitant beaucoup. Si vous avez un moment
de temps à perdre et que vous me fassiez la grâce de me le mander, je
vous irai rendre compte de tout; car je lui ai promis que je ne
manquerais pas d'y aller demain au soir lui rendre compte de ce que vous
m'aurez dit et du jour où elle vous pourrait parler, et où ce pourrait
être.»

Quelques jours après, nouvelle lettre de l'entremetteuse, qui insiste
toujours pour une entrevue secrète: «Je suis en peine si vous avez reçu
une lettre que je vous écrivis mercredi au soir; je vis hier encore
mademoiselle de Menneville, qui me gronda fort de ce que je n'avais pas
eu l'honneur de vous voir, et elle m'avait priée que je fisse tout ce
que je pourrais pour vous voir hier et savoir vos sentiments sur sa
visite. Elle parla hier à la reine plus d'une grande heure; mais je ne
sais pas encore ce qu'elle lui dit. J'irai ce matin pour la voir.
Commandez-moi par un billet ce que vous souhaitez que je fasse; car je
crois que je ne pourrai avoir l'honneur de vous parler que ces
fêtes[998]. J'ai appris quelque chose qui vous concerne. Je le dirai à
M. votre frère pour vous le dire, afin que par là il ne se doute pas que
j'ai l'honneur de vous voir.»

Le surintendant répondit par une lettre destinée à être montrée à
mademoiselle de Menneville. Il engageait la fille d'honneur à mettre en
lui sa confiance, et provoquait une explication qui ne se fit pas
attendre. Mademoiselle de Menneville s'empressa de lui répondre[999]:
«J'ai vu la lettre que vous avez eu la bonté d'écrire, dont je vous suis
la plus obligée du monde. Je vous assure, monsieur, que vous ne pouvez
vous employer pour personne qui en ait plus de reconnaissance. Je vous
prie, trouvez bon que je vous dise que je suis un peu scandalisée contre
vous de la mauvaise opinion que vous avez de moi de croire que je n'ai
pas la dernière confiance en vous. Je ferai toute ma vie ce que je
pourrai pour vous persuader du contraire. La personne qui vous rendra ma
lettre vous dira en l'état que sont les choses. C'est une femme que
j'aime fort et à qui j'ai beaucoup de confiance.»

L'entremetteuse, si bien traitée à la fin de cette lettre, ne cessait de
hâter un dénoûment dont elle espérait tirer parti. Elle offrait
mademoiselle de Menneville au surintendant, et en même temps elle
représentait à cette fille de la reine que, pour devenir duchesse, il
fallait obtenir du surintendant l'argent qui aplanirait toutes les
difficultés. Elle la décida à écrire de nouveau à Fouquet le billet
suivant: «Vous m'avez tant témoigné de bonté, que j'espère que vous
aurez celle de me vouloir servir dans une affaire qui m'est de la
dernière conséquence. C'est que mon affaire avec M. d'Amville a fait
aujourd'hui un fort grand éclat, dont madame de Prémont[1000] vous dira
le détail. Je vous supplie donc de vouloir faire tout ce qu'elle vous
dira pour cela; je vous en aurai la dernière obligation[1001].»

Fouquet s'empressa de venir au secours de mademoiselle de Menneville; il
eut avec elle une entrevue et lui donna un billet de cinquante mille
écus, qui devait décider Damville à exécuter sa promesse de mariage.
L'entremetteuse insiste, dans ses lettres à Fouquet, sur la
reconnaissance de mademoiselle de Menneville, et fait entendre qu'elle
éprouve pour le surintendant un sentiment plus vif et plus tendre:
«Comme je ne pus pas parler à mademoiselle de Menneville le soir même,
et savoir comme cela s'était passé avec vous, elle m'a envoyé querir ce
matin et m'a priée de vous voir de sa part, et vous témoigner qu'elle
vous est obligée de vos bontés et de la manière obligeante dont vous en
usâtes hier, et qu'enfin l'on ne peut pas plus en avoir de ressentiment
qu'elle en a. Je vous assure, monseigneur, que cette pauvre fille est
changée de moitié depuis hier; il y a longtemps que je ne lui ai trouvé
tant de gaieté qu'aujourd'hui. Elle m'a dit que, de quelque manière que
pût tourner son affaire, elle vous aurait toujours les dernières
obligations de la manière dont vous aviez agi. Elle a ajouté qu'elle fut
si surprise de toutes vos bontés et si interdite, qu'elle en parut toute
bête, et qu'elle est fort mal satisfaite d'elle-même. Elle m'a dit cent
choses que je ne vous peux mander; elle m'a renvoyée fort promptement,
afin qu'à quelque prix que ce soit, je vous pusse parler. Mais, comme je
ne crois pas que, présentement que vous allez au Louvre, je puisse avoir
cet honneur-là, mandez-moi ce que vous souhaitez que je lui dise; et, si
vous le jugez à propos, vous m'écrirez une lettre que je puisse faire
voir; et, par un autre petit mot, vous me ferez savoir ce que vous
souhaitez que je fasse pour toute chose. Je prends la liberté,
monseigneur, de vous faire encore de nouvelles protestations de ma
fidélité, et je vous proteste, monseigneur, que je suis si absolument à
vous, qu'il n'y a rien au monde que je ne fasse pour vous en assurer,
vous étant la créature du monde la plus acquise. J'ai fait l'affaire
avec madame de Charonne[1002]; je vous en rendrai compte lorsque
j'aurai l'honneur de vous voir; mais je vous puis dire que la chose est
comme vous la souhaitez.»

A partir du commencement de l'année 1661, l'intrigue est engagée, et
l'unique soin de l'entremetteuse est d'en tirer le meilleur parti
possible. Presque toutes ses lettres contiennent des demandes d'argent,
de bijoux, de dentelles. «Je passai hier au Louvre, en m'en revenant,
écrit-elle à Fouquet[1003]; mais je ne pus parler à la personne que vous
savez[1004] à cause que M. d'Amville y était déjà. Je l'ai vue ce matin;
elle était dans la plus grande inquiétude du monde de savoir si je vous
avais parlé. Je lui ai rendu compte de tout ce que vous m'aviez dit et
de la prière que vous lui faisiez si elle avait besoin de quelque chose,
et que par là vous connaîtriez qu'elle aurait confiance en vous. Elle
m'a priée de vous remercier de sa part, et de vous dire que non pas sur
cet article-là, mais sur toutes les actions de sa vie, elle vous ferait
voir une si grande confiance, que, assurément, vous n'auriez pas lieu de
vous en plaindre.» Et, plus loin[1005]: «Je vous dis hier qu'elle
m'avait priée de lui faire avoir des points de Venise; et aujourd'hui,
devant que je lui dise toutes ces choses, elle m'avait priée encore que
je lui fisse avoir quelques bagues et quelques bijoux de chez un
orfèvre. Je vous assure qu'après que je lui eus parlé, elle ne m'osait
plus faire la même prière; et, quoique je sache que bien des fois elle
n'ait pas beaucoup d'argent, c'est la personne la plus généreuse.

«Quant à son affaire[1006], elle parla encore hier à la reine, qui
l'assura toujours de M. d'Amville: mais elle vous supplie que vous
essayez de lui dire un mot, comme au P. Annat[1007]; on l'avertit qu'il
met dans l'esprit du roi que M. d'Amville n'est pas obligé de l'épouser.
Elle vous demande en grâce de faire parler à ce jésuite, et aussi au
confesseur de la reine. Elle m'a dit que, si vous le trouviez à propos,
elle vous enverrait une copie de sa promesse[1008] et de tous ses
papiers; mais elle croit que l'on n'ira pas vers les jésuites, et que
cela est inutile; que, pourvu que l'on puisse gagner le P. Annat pour
parler au roi d'une autre manière, ce sera beaucoup.»

Cette intrigue amoureuse fut troublée par un peu de jalousie, qui ne
servit qu'à la rendre plus piquante. Fouquet redoutait un jeune Gascon,
Péguilin, qui commençait à paraître à la cour, et qui ne tarda pas à y
faire grande figure sous le nom de duc de Lauzun. L'entremetteuse, en
prodiguant les assurances de la passion de mademoiselle de Menneville
pour Fouquet, cherche à le rassurer: «J'ai relu votre lettre, lui
écrit-elle[1009], à la personne que vous savez, qui a autant
d'impatience de vous voir que vous, et je l'ai trouvée dans le dessein
de hasarder toutes choses; mais il ne faut pas s'en tenir à ce qu'elle
dit, il faut faire les choses prudemment. Je lui dis ce que nous avions
résolu, que je leur donnerais la collation chez nous, et que vous seriez
en un petit cabinet où elle pourrait vous voir un moment. Tout aussitôt
elle m'a dit qu'elle en était ravie et qu'elle le voulait; mais, comme
mademoiselle du Fouilloux est malade, et qu'il est plus à propos qu'elle
y soit, je suis d'avis que l'on attende à demain, et, s'il arrivait
quelque changement, je vous en avertirais de bonne heure. C'est une
chose qu'il ne faut pas hasarder souvent; car je vous assure que plus
j'y songe et plus je la trouve délicate, et il faut assurément, sans
balancer davantage, faire venir madame sa mère.

«Je lui ai parlé de ce que vous m'aviez dit pour ses affaires[1010], et
ce qu'il fallait qu'elle dise au roi; mais elle dit qu'elle n'ose le
dire elle-même, et qu'elle le fera dire par le grand prévôt[1011] ou par
mademoiselle du Fouilloux. Pour moi, je n'approuve pas que cela se fasse
ainsi; et, à moins qu'elle ne le dise elle-même, cela ne fera pas son
effet.

«Je me suis informée de ce que c'était que Péguilin; il est amoureux de
la petite mademoiselle de Beauvais, et assurément elle (mademoiselle de
Menneville) ne lui parle jamais. Ce qu'elle lui dit, c'était que, de la
part de mademoiselle de Beauvais, elle lui demandait qui était une
personne qui était dans la chapelle. Ne soyez point en peine comme j'ai
fait cela; je l'ai fait si adroitement, que l'on ne sait par quelle
raison j'ai demandé tout cela.

«Je vous écris celle-ci dans son alcôve pendant qu'elle dîne. Je vous
demande la grâce, quand vous aurez lu ma lettre, de m'envoyer ce billet
pour madame du Puy[1012]; c'est que je n'ose plus venir céans si je ne
lui donne. Elle m'a dit aussi de vous en prier; car elle souhaite encore
plus que moi que je me maintienne bien avec elle. Je dirai que c'est M.
votre frère qui me le laissa hier en s'en allant. Ne me mandez que ce
que vous voudrez qu'elle voie. Comme elle ne veut pas que je sorte que
ce laquais ne soit de retour, elle voudra lire la lettre. Elle m'a dit
que d'abord qu'elle aurait dîné, elle vous allait écrire.»

Le billet de mademoiselle de Menneville à Fouquet, qu'annonce
l'entremetteuse, est probablement le suivant[1013]: «Vous ne pouvez pas
douter de mon amitié sans m'offenser furieusement, après les marques que
je vous en ai données. Je trouve le temps aussi long que vous de ne vous
point voir, et, si j'avais pu apporter quelque remède, je n'y aurais pas
manqué. Je n'ose pas essayer jusques à cette heure. Si je voulais croire
le bruit du monde, je serais persuadée que vous y avez moins de peine
que moi. Je fais tout ce qui se peut pour n'en rien croire. Cela serait
fort vilain à vous de n'agir pas d'aussi bonne foi que moi. L'on vous
dira les moyens que je cherche pour vous voir. Adieu, je suis à vous
sans réserve.»

La plupart des lettres qui suivent roulent sur ces trois points: hâter
le mariage avec Damville, ménager des rendez-vous, enfin assurer à
l'entremetteuse des avantages de toute nature, part dans les affaires de
finance, argent comptant, bijoux, construction de maison, etc. Elle
demande le plus souvent au nom de mademoiselle de Menneville; mais, sans
exagérer le désintéressement des filles d'honneur, on doit supposer que
la plus grande partie de l'argent donné par le surintendant revenait à
la femme la Loy. Voici d'abord quelques passages d'une lettre où elle
mêle la question du mariage de mademoiselle de Menneville avec des
affaires de jaugeage, où elle voulait entrer par la protection de
Fouquet: «M. le grand-prévôt, écrit-elle au surintendant, doit avoir
grande conférence avec M. d'Amville et elle, si bien qu'elle me dit que,
si elle venait, ce ne serait que fort tard; mais enfin que, si vous le
souhaitiez, elle irait à quelque heure que ce fût, et même qu'elle
quitterait plutôt tout que d'y manquer. Comme j'ai vu cela, j'ai dit
qu'il valait mieux remettre la partie à demain; car c'est jour de fête:
vous aurez, à ce que je crois, plus de temps, outre que j'ai peur que
vous en aller si tard, cela ne vous fît mal. Pour l'affaire de la jauge,
le traitant a dit que vous en aviez parlé à M. Pellisson, et que, lui,
avait dit que M. Pellot lui en avait écrit de la Rochelle. Il jure que
je ne peux pas être de la jauge dont il entend parler, mais bien du
courtage, parce qu'il proteste qu'il n'a encore fait aucune chose pour
établir la jauge en ce pays-là, et que pour preuve qu'il dit vrai, si
vous avez la bonté de vous en informer à M. Chevrier, il pourra vous en
assurer, et s'offre toujours à promettre que, si vous avez la bonté de
lui donner l'arrêt qu'il demande, et que dans la suite il fasse le
moindre bruit, il consent que vous le supprimiez.»

Les obstacles imprévus aux rendez-vous sont aussi un des sujets qui
reviennent souvent dans cette correspondance. «Je vous demande mille
pardons, écrit l'entremetteuse à Fouquet[1014], si je ne vous fis point
hier savoir de nouvelles. Toute la journée nous fûmes enfermées dans le
Palais-Royal, sans en pouvoir sortir. Je croyais toujours qu'assurément
nous irions vous voir, et je vous jure que ce ne fut pas la faute de la
personne que vous savez; car elle en avait la plus grande envie, et elle
avait jeté ses mesures sur ce que M. d'Amville lui avait dit qu'il irait
coucher au faubourg, et qu'il lui viendrait parler sur les deux heures,
si bien qu'il l'a fait attendre toute la journée, et n'est venu que sur
les six heures, et a dit qu'il coucherait au Louvre. Je vous proteste
qu'elle en a eu de la douleur. Je ne pus vous le faire savoir hier au
soir. Elle ira aujourd'hui sans faute, à ce qu'elle me vient de mander.
Je crois que ce sera sur les six heures et demie. J'irai l'y attendre.
Faites tenir M. de la Forest à la porte pour ce temps-là. S'il arrivait
du changement, je vous le manderais.»

Quelquefois c'est mademoiselle de Menneville elle-même qui s'excuse sur
sa santé. Elle écrit à l'entremetteuse, qui envoie son billet à
Fouquet[1015]: «Quoique malade à la mort, je n'ai pas laissé d'envoyer à
votre logis pour vous prier de venir me prendre chez ma mère pour aller
où vous savez. J'ai tout le déplaisir imaginable de n'y pouvoir aller ce
jour; il y a beaucoup de votre faute: c'est pourquoi n'en pensez pas
crier la première. Je vous donne le bonjour, et je vous prie d'aller où
vous savez, et faites mes excuses. Adieu, je suis à vous sans réserve.»

L'entremetteuse la presse et cherche à l'inquiéter. «Je lui dis,
écrit-elle à Fouquet, que j'avais pu remarquer (non pas que vous me
l'eussiez dit) que cela vous fâchait fort de voir toujours les plus
beaux acheminements de parties, et toujours manquer, si bien que je l'ai
fort inquiétée; mais je crois que ce n'est pas mal à propos. Elle est
toujours fort mal d'un gros rhume.»

Dans une autre circonstance, c'est la maladie de sa mère qui retient
mademoiselle de Menneville: «Il est impossible que la personne que vous
savez aille aujourd'hui vendredi chez vous, parce que madame sa mère est
fort mal. Les médecins en désespèrent, et l'on ne croit pas qu'elle
puisse aller jusques à demain, si son mal ne diminue, si bien qu'elle
est en une affliction la plus grande du monde. Cela ne l'aurait pas
empêchée d'y aller, sinon que M. d'Amville y doit aller sur les trois
heures, et la doit ramener au Louvre. Elle ira dimanche ou lundi, selon
que vous le jugerez à propos. Je lui dis tout ce que vous me dites hier.
Elle est fort résolue de ne le lui point donner[1016] qu'il ne fasse les
choses; mais elle souhaiterait fort que l'argent fût chez un notaire,
afin qu'elle en puisse parler à M. de Guitaut[1017], et qu'elle puisse
faire voir à l'autre (Damville) que, en cas qu'il veuille faire
l'affaire, assurément on ne le fourbe point.»

Tantôt c'était un ordre imprévu qui soumettait les filles de la reine à
une surveillance plus sévère et les retenait au Louvre. Il était
impossible que l'œil si perçant et si peu charitable des courtisans ne
découvrit pas quelques-uns des mystères de ces légères beautés. De là
les défenses qui, si l'on en croit les lettres de la cassette,
désolaient mademoiselle de Menneville[1018]. «La reine envoya querir au
soir madame Dupuy (c'était probablement une sous-intendante de la maison
de la reine, charger de la garde des filles d'honneur), et lui défendit
de laisser sortir les filles, pendant qu'elle n'y serait pas, si ce
n'était pour aller chez la jeune reine, et de ne les laisser promener
qu'avec elle, si bien qu'elle (mademoiselle de Menneville) est enragée
et dit que, nonobstant cela, demain elle ira voir madame de Froulay, et
qu'elle fera tous ses efforts pour lier la partie pour mercredi. Elle
m'a dit que, si vous vouliez, elle feindrait d'avoir une affaire à
solliciter, et qu'elle vous irait voir demain; mais je crois que cela
ferait trop d'éclat. Si vous le souhaitez pourtant, cela sera. M.
d'Amville est de retour, mais sans contrat. Il fait toujours les plus
belles protestations du monde, et jure ses grands dieux que, dans un
mois, elle sera madame d'Amville. De tout cela, je n'en crois guère.»

Il paraît, à en juger par les lettres suivantes, que Damville se
montrait très-avide et ne cessait d'emprunter à mademoiselle de
Menneville l'argent que lui donnait le surintendant: «La personne que
vous savez, écrit l'entremetteuse[1019], me vient d'envoyer prier, au
nom de Dieu, de lui envoyer tout présentement deux cents pistoles ou
cent, si je n'en pouvais trouver davantage, outre les cinquante que je
lui donnai. Comme j'ai vu cela, je lui ai dit que je n'en avais pas
tant, et je me suis contentée de lui en envoyer quatre-vingts. C'est
pour donner à cet homme[1020]. Vous pouvez voir déjà combien en voilà
que je lui donne; et, de plus, je suis assurée qu'elle a une bague et
une table de bracelets, qui vont à quatre-vingts pistoles, dont je ne
recevrai jamais un sou. Elle est prompte furieusement. Je lui dis que
vous lui conseilliez de dire à la reine l'argent qu'elle lui prêtait;
elle me dit tout franc qu'elle ne le pourrait faire. Assurément cet
homme-là se moque d'elle. Pour moi, je suis au désespoir de toutes ces
choses.»

Lorsque la cour quitta Paris, au mois de mai, pour se rendre à
Fontainebleau, les rendez vous devinrent plus difficiles. Cependant
Fouquet surmonta tous les obstacles, et mademoiselle de Menneville en
témoigna sa satisfaction dans le billet suivant, qu'elle lui
adressa[1021]: «Mon impatience n'est pas moins grande que la vôtre. L'on
m'a donné aujourd'hui bien de la joie de l'expédient que vous avez
trouvé pour nous voir. Je vous assure qu'il ne se présentera point
d'occasion de le faire que je ne le fasse de tout mon cœur. Je vous prie
de n'en point douter. Je suis bien honteuse de ne vous avoir pu encore
remercier de ce que vous avez fait en partant. Adieu, je vous prie que
l'absence ne diminue point l'amitié que vous m'avez promise. Vous ne
pouvez me l'ôter sans injustice. Quand vous serez en dévotion, je vous
prie, faites-le-moi savoir. Bonsoir, je vous prie de croire que je vous
aime de tout mon cœur.»

Il paraît, toutefois, qu'à Fontainebleau les relations devinrent moins
fréquentes, et que mademoiselle de Menneville commençait à douter de la
constance du surintendant. Il eut manqué quelque chose à cette intrigue,
si Fouquet, qui ne se piquait de fidélité pour personne, n'eût pas
éveillé les soupçons de mademoiselle de Menneville. L'entremetteuse fait
peut-être les frais de toute cette passion: mais il faut la suivre
jusqu'au bout. Elle écrit à Fouquet, en mai[1022]: «Quant à la personne
que vous savez, je lui ai donné votre billet. Elle était dans la plus
grande colère du monde contre moi d'avoir été si longtemps dehors, et
croyait qu'absolument vous ne songiez plus à elle. Je lui ai fait
connaître que, moi n'y étant point, vous ne pouviez lui écrire. Elle m'a
dit pour toute raison que par mon petit garçon vous pouviez bien lui
faire savoir, et m'a dit qu'elle savait bien des choses, sans me vouloir
expliquer rien, sinon que j'ai vu qu'elle a une jalousie enragée. Je
vous peux dire que votre lettre lui a tout remis l'esprit, et ce que je
lui dis que vous m'aviez envoyé chercher beaucoup de fois, pendant que
je n'y étais pas. Assurément, monseigneur, je suis tout à fait persuadée
qu'elle vous aime infiniment. En vérité, elle m'a dit cent choses que je
ne vous peux mander, et il sera bon que je vous parle demain, si cela se
peut, pour bien des choses; faites-moi la grâce de me mander si je le
pourrai.

«Elle m'a dit que, pour la messe du roi, vous saviez bien que la reine
mère n'y est pas allée. Elle est fort embarrassée pour son jubilé[1023];
car enfin il faut qu'elle le fasse; cela ferait un trop grand éclat, et
moi-même je le lui ai conseillé; car cela est de trop grande
conséquence. Comme nous parlions, elle se mit à pleurer, me disant
qu'elle était bien malheureuse de s'être engagée aussi fortement avec
vous qu'elle l'était, et de voir tant d'obstacles. Elle m'a dit que
pour demain elle ne pouvait vous voir; mais elle m'a voulu faire
comprendre que, lorsque la reine serait partie, elle le pourrait
facilement. Elle vous aurait écrit; mais, comme je lui veux faire faire
son jubilé, je ne lui ai voulu parler de rien.

«Je vous assure, monseigneur, qu'elle m'a fait aujourd'hui pitié de la
voir touchée comme elle était, et de voir la peur qu'elle a de vous
perdre. Elle m'a dit que M. le duc d'Enghien lui en veut fort conter et
en fait fort l'amoureux; mais qu'elle vous prie de croire que lui, non
plus que tous les autres, ne la touchent nullement, et Fouilloux et
d'autres personnes m'ont dit des choses, sans que je fisse mine de rien,
qui me font connaître qu'assurément elle en use bien; cela m'a
satisfaite tout à fait. Elle a beaucoup perdu en mon absence; mais elle
ne me l'a jamais osé dire. Elle m'a priée de lui prêter de ces bijoux
que j'ai pour faire voir, comme crochets, bagues et autres bagatelles,
me disant que c'était pour les mettre; mais je crois, pour vous dire le
vrai, que c'est pour les donner aux uns et aux autres pour l'argent
qu'elle leur doit.

«Comme j'ai vu qu'elle ne me le voulait pas dire, je n'ai pas voulu
faire mine de le savoir. Mandez-moi, si vous jugez à propos que je le
fasse, et si vous le trouvez bon; car elle m'a déjà perdu, comme je vous
avais mandé, une bague et une table de bracelets de quatre-vingts
pistoles. Toutes ces filles-là se ruinent; elles n'ont point d'autre
divertissement que de jouer; mais elles jouent beaucoup plus petit jeu
qu'elles ne faisaient. J'attends vos ordres pour tout.»

Les filles de la reine font, en effet, leur jubilé, conduites par la
femme la Loy, qui rend compte de tout à Fouquet: «Je fis hier mon jubilé
avec elles toutes, et, si vous eussiez vu de la manière qu'elle
(mademoiselle de Menneville) s'y prit, je suis assuré que vous eussiez
ri de bon cœur. Il fallut que j'allasse avant elle à confesse, afin de
lui faire un fidèle rapport s'il était doux ou méchant. Je vous assure
que cela se passa plaisamment, et, quand j'aurai l'honneur de vous voir,
je suis assurée que je vous en ferai rire.

«Demain, sans faute, l'on travaille à mon bâtiment; c'est pourquoi je
vous supplie, monseigneur, si vous voyez M. de Ratabon[1024], vous le
prierez de ne point trouver mauvais si je le fais faire au même endroit
que j'en avais eu dessein la première fois, ne se pouvant faire à profit
de l'autre côté. J'appréhende si fort cet homme-là, que j'aimerais mieux
parler au roi qu'à lui.

«J'ai peur que la personne que vous savez ne soit fâchée contre moi.
Elle m'envoya encore hier demander des bijoux. Comme je ne savais point
si vous l'approuviez ou non, et que, sur ce que je vous en ai mandé,
vous ne m'avez pas fait savoir votre volonté, je ne lui envoyai qu'un
petit crochet de quatre cents livres et une bague de deux cents, et la
priai de me les renvoyer, parce que ceux à qui ils étaient, d'abord que
je serais de retour à Paris, voudraient ravoir leurs nippes ou de
l'argent, et qu'elle considérât qu'elle en avait déjà eu pour huit cents
livres, et qu'il faudrait bien trouver de l'argent pour payer tout
cela. Je ne sais comme elle aura reçu cela; car je ne l'ai pas vue
depuis. Je la verrai demain matin, et saurai d'elle si elle pourra venir
l'après-dînée.»

La cour imposait alors de grandes dépenses aux personnes qui prenaient
part à ses fêtes; les jeunes seigneurs y rivalisaient de splendeur avec
le roi. Le comte de Saint-Aignan se distinguait entre tous[1025]: il fit
dresser un théâtre dans une allée du parc de Fontainebleau; il y avait
des fontaines naturelles et des perspectives; on y servit une collation,
et on y représenta une comédie nouvelle. La fête enfin fut si
magnifique, qu'on pensa que Saint-Aignan n'en était que l'ordonnateur.
Le célèbre ballet des _Saisons_, dont les paroles avaient été composées
par Benserade, et les airs par Lulli, fut aussi dansé pendant cet été de
1661. Louis XIV lui-même y figura, et les principales filles de la reine
y jouèrent un rôle. Ce fut une occasion de dépense. Mademoiselle de
Menneville voulait y paraître avec une magnificence digne de sa beauté.
De là les sollicitations adressées par l'entremetteuse au surintendant
pour qu'il fît les frais des perles, des bracelets, des bijoux, qui
devaient parer mademoiselle de Menneville. «Elle est fort inquiète de
trouver de l'argent, écrit l'entremetteuse, parce que vous savez la
dépense qu'il faut qu'elle fasse pour ce ballet; elle ne m'ose dire de
vous en demander, mais elle me prie de lui en trouver; car elle n'a pas
un sou. A tout cela je n'ai rien répondu.» Il est question plus loin
d'un collier de perles de la valeur de dix mille écus, que l'on peut
avoir pour dix-huit ou vingt mille francs. Mademoiselle de Menneville
n'ose pas le demander; mais, ajoute l'entremetteuse, «je vous peux dire
qu'elle donnerait jusqu'à sa chemise pour l'avoir. Je suis fort touchée
qu'elle m'oblige à vous dire ces choses.»

Continuant sur ce ton, la femme la Loy prétend que, pour elle, elle ne
cesse de s'élever contre de pareilles prodigalités; mais que le
surintendant gâte tout par sa facilité, «Hier je comptais à la personne
que vous savez la dépense que vous avez faite et faisiez pour l'amour
d'elle; je lui comptais mon bâtiment, la maison que vous avez meublée,
l'argent que vous avez donné. En vérité, cela monte à beaucoup; elle en
fut tout étonnée; car elle sait bien que vous ne faites faire tout ce
bâtiment-ci que pour l'amour d'elle. Elle me témoigna sur tout cela
mille sentiments de reconnaissance.» Et, dans une des lettres suivantes:
«En vérité, vous me permettrez de vous dire que vous me gâtez tout. Je
vous fais fort fâché, et, quand on vous voit, vous témoignez tout le
contraire, si bien que l'on ne fait que me traiter de menteuse, et l'on
croit que c'est de mon chef que je fais tout cela.»

Au mois d'août 1661, Fouquet commença à être atteint d'une fièvre
intermittente dont il souffrait encore au moment de son arrestation, le
5 septembre. La maladie du surintendant ne suspendit pas entièrement la
correspondance de l'entremetteuse. Elle écrit à Fouquet[1026]: «En
vérité, monseigneur, je ne vous peux exprimer à quel point votre
indisposition me touche. Je vous dirai que la personne que vous savez ne
manqua pas à venir hier, et vous attendit jusqu'à une heure passée,
nonobstant qu'elle attendait M. d'Amville. Je reçus votre billet comme
elle s'en allait, fort fâchée de ne vous avoir point vu; mais elle me
parut beaucoup plus touchée, quand elle apprit par votre billet votre
indisposition; je vous peux assurer qu'elle en a eu de la véritable
douleur et qui part du cœur. Elle me pria plus que Dieu qu'à son réveil,
ce matin, elle pût avoir de vos nouvelles.

«Je ne me peux empêcher de vous dire une honnêteté qu'elle a eue pendant
votre absence, qui me plut fort, qui est que mademoiselle de Bonneuil,
qui est présentement mariée, donna dimanche à dîner à ses compagnes et à
elle. M. votre frère l'abbé s'y trouva; il voulut fort entrer en
commerce avec elle, et, comme elle vit cela, elle quitta la compagnie
qui y passait l'après-dînée. Elle me vint trouver, et me conta que le
lundi M. de la Basinière[1027] leur voulut donner à toutes un dîner, où
M. votre frère devait être de la partie. Ses compagnes y furent; elle
n'y voulut jamais aller, quelque prière que l'on lui pût faire. L'on a
fort pesté contre elle.

«Pour ce que je vous mandais que la mère me priait fort de leur prêter
de l'argent, elle m'en parla encore au soir, et me fit connaître que, si
par moi ou mes amis je pouvais lui faire prêter quatre ou cinq mille
livres, ils me les rendraient assurément dans un an ou dix-huit mois
tout au plus; qu'ils avaient des bois qu'ils vendraient pour cela, si
bien que là-dessus vous me manderez ce que vous souhaitez que je fasse.»

Une lettre qui précéda de peu de jours le départ de Fouquet pour la
Bretagne[1028] parle encore des inquiétudes que donnait sa santé: «Je
vous peux protester que la personne que vous savez est sensiblement
touchée de votre mal. Elle a envoyé ici depuis hier quatre fois pour
apprendre des nouvelles de votre santé, et c'est tout vous dire que son
frère le chevalier m'a dit aujourd'hui qu'elle en pleurait. Elle m'a
mandé qu'elle me viendrait voir, et qu'elle me priait, à quelque prix
que ce soit, que je lui pusse dire l'état de votre santé, et de savoir
si, en cet état-là, vous iriez en Bretagne, et dit que, si vous y allez,
elle sera assez malheureuse que la cause de votre mal empêchera qu'elle
ne pourra vous voir. Si vous souhaitez qu'elle aille chez vous, elle n'y
manquera pas; car, pour mademoiselle du Fouilloux, elle ne l'y mènera
pas, parce qu'elle ne veut pas que personne sache qu'elle vous va
parler.»

Mademoiselle de Menneville elle-même écrivit à Fouquet au moment de son
départ pour la Bretagne[1029] (août 1661): «Rien ne me peut consoler,
lui disait-elle, de ne vous avoir point vu, si ce n'est quand je songe
que cela vous aurait pu faire mal. Ce serait la chose du monde qui me
serait le plus sensible. Je trouverai le temps fort long de votre
absence. Vous me feriez un fort grand plaisir de me faire savoir de vos
nouvelles. J'aurai bien de l'inquiétude de votre santé. Pour mes
affaires[1030], elles sont toujours en même état. Il n'a point voulu
dire de temps à Leurs Majestés, disant toujours qu'il le ferait. A moi,
il me fait toujours les plus grands serments du monde. Je n'ai point
pris de résolution de rompre ou d'attendre, que je n'aie su votre avis.
Je suis toute à vous; je vous prie que l'absence ne diminue point
l'amitié que vous m'avez promise. Pour moi, je vous assure que la mienne
durera toute ma vie. Adieu, croyez que je vous aime de tout mon cœur et
que je n'aimerai jamais que vous.»

Les amours de mademoiselle de Menneville et de Fouquet n'avaient pu
échapper à la malignité des courtisans. Le jeune Brienne raconte, dans
ses Mémoires[1031], qu'il s'en aperçut peu de temps après la fête que
Fouquet avait donnée à la cour (17 août): «A quelques jours de là,
dit-il, je m'aperçus de l'amour que M. Fouquet portait à la belle
Menneville, fille d'honneur de la reine mère; et ce fut dans la
chapelle, où l'on entre par la salle des Cent-Suisses, que je m'en
aperçus la première fois. M. Fouquet était fou à lier: il donna
cinquante mille écus à cette fille, et madame du Plessis-Bellière servit
de confidente à cet impudent, qui, à la vue de toute la cour, faisait de
si grands frais en amour. Menneville trompa le bon Guitaut, capitaine
des gardes de la reine mère, et lui donna d'abord son argent à garder.
Elle rendit depuis cette somme au surintendant, qui lui promit de la
faire valoir; mais tout fut perdu par sa disgrâce.»

Brienne mêle ici le vrai et le faux. Nous pouvons, grâce aux lettres que
nous venons de citer, rectifier ses erreurs. Ce n'est point madame du
Plessis-Bellière qui conduit cette intrigue, mais une entremetteuse
d'assez bas étage, qui servait aussi d'espion à Fouquet. Le personnage
que l'on voulait tromper n'est pas Guitaut, mais Damville. Il n'est
question de Guitaut, dans toute la correspondance, que comme d'un ami
commun, que l'on employait pour obtenir de Damville l'exécution de ses
promesses.



CHAPITRE XXXVII

--AOUT 1661--

Avis donnés à Fouquet sur les dispositions du roi à son égard.--Il
se détermine à vendre sa charge de procureur général--Elle est
achetée par Achille de Harlay.--Fête donnée au roi par le
surintendant le 17 août.--Description qu'en fait la Fontaine pour
son ami Maucroix.--On y joue la pièce des _Fâcheux_ de
Molière.--Irritation de Louis XIV.--Fouquet s'aperçoit du déclin de
sa faveur.--Sa tristesse.--Son entretien avec Brienne avant de
partir pour la Bretagne.--Louis XIV a exposé lui-même dans ses
Mémoires les motifs qui le déterminèrent à faire arrêter Fouquet.


Au milieu des plaisirs et des splendeurs de Vaux, Fouquet recevait des
avis menaçants. La personne qui, par ses relations avec le confesseur de
la reine mère, pénétrait les mystères de la cour, lui écrivait au
commencement du mois d'août: «L'on m'a dit hier que, il y a peu de
jours, la reine mère, en parlant de vous, monseigneur, dit: «Il se croit
à cette heure bien mieux que M. d'Agde à la charge de maître de la
chapelle du roi, qu'on a achetée trois fois plus qu'elle ne valait; il
verra, il verra à quoi cela lui a servi et ce qu'a fait sur l'esprit du
roi tout l'argent qu'il a baillé de sa propre bourse pour le marquis de
Créqui[1032]. Le roi aime d'être riche et n'aime pas ceux qui le sont
plus que lui, puisqu'ils entreprennent des choses qu'il ne saurait faire
lui-même et qu'il ne doute point que les grandes richesses des autres ne
lui aient été volées.»

«Madame de Chevreuse, lorsqu'elle fut ici, fut voir deux fois le
confesseur de la reine mère. Cependant ce bonhomme cacha cela à M.
Pellisson, qui, l'ayant été voir, lui demanda s'il ne l'avait point vue;
ce qu'il lui nia, comme il a dit ici depuis. Il a encore dit ici des
choses qu'il a données sous un fort grand secret, et qui sont de
très-grande conséquence. La personne qui les sait fait difficulté de me
les dire, parce que madame de Chevreuse y est mêlée et que, lui étant
aussi proche, elle a peine à me les dire. Je ne manquerai point de vous
les apprendre dès que je les saurai, ne doutant point qu'on ne me les
dise enfin. Si M. Pellisson voit le bonhomme, il ne faut pas qu'il fasse
l'empressé avec lui, ni qu'il témoigne savoir ce qu'il n'a pas voulu lui
dire.»

La même personne détournait vivement le surintendant de se défaire de la
charge de procureur général; mais elle enveloppait ses conseils de
précautions oratoires, que rendait nécessaires la vanité de Fouquet. «Le
zèle et la passion extrêmes que j'ai pour votre service m'avaient fait
penser en général, comme à plusieurs de vos serviteurs, qu'il ne vous
serait point avantageux, en aucune sorte, de vous défaire de votre
charge de procureur général. Cependant, par la connaissance et par
l'admiration que j'ai pour votre prudence et pour votre jugement,
j'étais entièrement persuadé qu'il n'y avait rien de mieux, et que,
personne ne pouvant aller si loin ni juger si bien par ses propres
lumières que vous, vous ne deviez prendre conseil que de vous-même.
Cependant, monseigneur, j'ai appris aujourd'hui que vos ennemis sont
ceux-là mêmes qui souhaitent avec passion que vous fassiez ce que vous
avez résolu en cette rencontre; que ce sont eux qui vous y portent sous
main, et que vous devez même vous défier du bon accueil et du bon visage
que vous fait le roi, et des vues qu'on vous donne sur d'autres choses.
Madame de Chevreuse a été ici, et l'on m'a promis de m'apprendre des
choses qui vous sont de la dernière conséquence sur cela, sur le voyage
de Bretagne, sur certaines résolutions très-secrètes du roi et sur des
mesures prises contre vous. Comme je n'ai pas voulu paraître fort
empressé pour savoir ce qu'on avait à me dire, je n'ai pas osé presser
la personne qui m'a parlé, ni m'opiniâtrer à demander une chose que je
saurai demain, naturellement et sans affectation.

«La reine mère dit, dimanche dernier, sur vous, que M. le cardinal avait
dit au roi que, si l'on pouvait vous ôter les bâtiments et les femmes de
la tête, vous étiez capable des grandes choses, mais que surtout il
fallait prendre garde à votre ambition; et c'est par là qu'on prétend
vous nuire. J'ai compris aussi que, de plusieurs personnes qui vous
rapportent ce qu'ils peuvent attraper, il y en a beaucoup qui s'y
gouvernent étourdiment et qui font les choses d'une manière qui fait
voir qu'ils ne veulent savoir que pour vous rapporter ce qu'ils savent;
ce qui a fait dire à la reine mère encore depuis peu que vous aviez des
espions partout.»

Soit que Fouquet ajoutât moins de foi à ces conseils qu'aux caresses de
ses ennemis, soit qu'il se crût trop engagé pour reculer, il persista
dans la pensée de vendre sa charge. Plusieurs magistrats y aspiraient:
le» principaux étaient MM. de Fieubet, de Harlay et le président
Larcher, de la chambre des comptes de Paris. Gourville négocia avec le
premier[1033], et il fut convenu qu'elle lui serait vendue moyennant
quatorze cent mille livres; mais Fouquet ne voulut pas y consentir par
des motifs qu'explique longuement Gourville. Quant au président Larcher,
il avait pour lui mademoiselle du Fouilloux, que l'on trouve mêlée dans
toutes les intrigues du temps. «Mademoiselle du Fouilloux m'envoya
querir hier, écrit l'entremetteuse à Fouquet[1034], pour me prier de
vous aller trouver et vous dire qu'elle est un peu fâchée contre vous de
ce que vous ne lui avez point dit, lorsqu'elle vous a parlé de votre
charge pour le président Larcher, que vous étiez engagé avec M. Fieubet
(car l'on a dit que vous aviez traité avec celui que je vous nomme, et
que même il a demandé l'agrément à la reine[1035]). Elle souhaite fort
que vous me disiez ce qu'il en est et vous prie de le lui mander par
moi, et que, si cela est, comme on le dit, elle vous demande la grâce de
ne dire à personne que M. le président Larcher y ait songé.»

Fouquet se décida pour Achille de Harlay, son ami et son parent[1036].
Il lui vendit sa charge quatorze cent mille livres, dont une partie lui
fut payée comptant. Il fit porter un million à Vincennes, où le roi le
voulut garder pour ses dépenses secrètes[1037]. La gazette de Loret fixe
à peu près la date de la démission de Fouquet; on voit que ce fut dans
la première quinzaine d'août qu'il vendit sa charge. En effet, la lettre
du 14 août en parle comme d'un fait accompli:

    Ce politique renommé
    Qui par ses bontés m'a charmé,
    Ce judicieux, ce grand homme,
    Que monseigneur Fouquet on nomme,
    Si généreux, si libéral,
    N'est plus procureur général.
    Une autre prudente cervelle,
    Que monsieur Harlay l'on appelle,
    En a, par sa démission,
    Maintenant la possession.

Pour endormir complètement le surintendant et lui prouver que sa faveur
était plus affermie que jamais, Louis XIV accepta la fête que Fouquet
lui offrit dans son château de Vaux. Plus de six mille personnes de la
cour et de la ville y avaient été invitées.

Le roi partit de Fontainebleau le 17 août 1661, et se rendit à Vaux dans
une voiture où avaient pris place Monsieur, la comtesse d'Armagnac, la
duchesse de Valentinois et la comtesse de Guiche. La reine mère y alla
dans son carrosse, et Madame en litière[1038]. La jeune reine manqua
seule à cette fête; elle était retenue à Fontainebleau par sa
grossesse[1039]. Le roi et la cour commencèrent par visiter le parc et
le château, où l'on admirait de toutes parts des eaux jaillissantes, la
cascade, la gerbe d'eau, la fontaine de la couronne, les monstres
marins. Des tuyaux de plomb, enfouis sous terre, alimentaient toutes ces
sources, qui jaillissaient et retombaient en pluie brillante. Les
parterres ornés de fleurs et de statues, les bassins et les canaux
couverts de barques peintes et dorées, charmèrent tous les spectateurs.
Le château n'étalait pas moins de merveilles; on y admirait surtout les
peintures de le Brun. Louis XIV fut, dit-on, frappé et irrité d'un
tableau allégorique, où cet artiste avait placé le portrait du
mademoiselle de la Vallière. Il eut la pensée de faire arrêter Fouquet à
l'instant même et dans son château; mais la reine mère l'en
détourna[1040].

Les courtisans, auxquels rien n'échappait, remarquèrent que les plafonds
et les ornements d'architecture portaient la devise du surintendant;
c'était un écureuil qui montait sur un arbre, avec ces paroles: _Quo non
ascendam_? (Où ne monterai-je pas?) On voyait alors dans ces armes un
symbole de l'ambition de Fouquet; mais, après sa disgrâce, on remarqua
qu'il y avait aussi des couleuvres et des lézards qui semblaient menacer
l'écureuil, et que ces animaux figuraient dans les armes de Colbert et
de Michel le Tellier[1041].

Lorsque la cour eut terminé la visite du parc et du château, on tira une
loterie où tous les invités gagnèrent des bijoux, des armes, etc.; puis
on servit un magnifique souper, dirigé par Vatel. «La délicatesse et la
rareté des mets furent grandes; mais la grâce avec laquelle M. le
surintendant et madame la surintendante firent les honneurs de leur
maison le fut encore davantage.» La magnificence du service éblouit la
cour. Lorsqu'on fit l'inventaire des meubles de Vaux, peu de jours
après, on y trouva trente-six douzaines d'assiettes d'or massif et un
service de même métal[1042]. Le roi, ajoute l'auteur de cette note, n'en
a point de semblable. Il y avait là encore cinq cents douzaines
d'assiettes, qui avaient servi pour ce souper, dont la dépense fut
évaluée à cent vingt mille livres.

Les plaisirs de l'esprit se mêlaient toujours à Vaux au luxe des
festins. Après le souper, on se rendit à l'allée des sapins, où un
théâtre avait été dressé.

      En cet endroit, qui n'est pas le moins beau
      De ceux qu'enferme un lieu si délectable,
    Au pied de ces sapins et sous la grille d'eau,
        Parmi la fraîcheur agréable
    Des fontaines, des bois, de l'ombre et des zéphyrs,
        Furent préparés les plaisirs
        Que l'on goûta cette soirée.
    De feuillages touffus la scène était parée
        Et de cent flambeaux éclairée.

Les décorations furent magnifiques; la Fontaine n'a pas manqué de les
décrire:

    On vit des rocs s'ouvrir, des termes se mouvoir,
    Et sur son piédestal tourner mainte figure.
        Deux enchanteurs pleins de savoir
        Firent tant, par leur imposture,
        Qu'on crut qu'ils avaient le pouvoir
        De commander à la nature.
    L'un de ces enchanteurs est le sieur Torelli,
    Magicien expert et faiseur de miracles;
    Et l'autre, c'est le Brun, par qui Vaux embelli
    Présente aux regardants mille rares spectacles:
    Le Brun dont on admire et l'esprit et la main,
    Père d'inventions agréables et belles,
    Rival des Raphaëls, successeur des Apelles,
    Par qui notre climat ne doit rien au romain.
    Par l'avis de ces deux la chose fut réglée.
        D'abord aux yeux de l'assemblée
        Parut un rocher si bien fait,
        Qu'on le crut rocher en effet;
    Mais insensiblement se changeant en coquille,
      Il en sortit une nymphe gentille,
        Qui ressemblait à la Béjart,
        Nymphe excellente dans son art,
        Et que pas une ne surpasse.
    Aussi récita-t-elle avec beaucoup de grâce
    Un prologue estimé l'un des plus accomplis
        Qu'en ce genre on pût écrire,
        Et plus beau que je ne dis
        Ou bien que je n'ose dire:
        Car il est de la façon
        De notre ami Pellisson.

Dans ce prologue, la Béjart, qui représentait la nymphe de la fontaine
où se passait l'action, commandait aux divinités soumises à son empire
de sortir des marbres où elles étaient enfermées et de contribuer de
tout leur pouvoir aux plaisirs du roi. Pellisson avait mis dans sa
bouche un éloge de ce prince,

    Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste.
    Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste.
    Régler et ses États et ses propres désirs,
    Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs,
    En ses justes projets jamais ne se méprendre;
    Agir incessamment, tout voir et tout entendre,
    Oui peut cela peut tout: il n'a qu'à tout oser,
    Et le ciel à ses vœux ne peut rien refuser.
    Ces termes marcheront, et, si Louis l'ordonne,
    Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone.
    Hôtesses de leurs troncs, moindres divinités,
    C'est Louis qui le veut, sortez, Nymphes, sortez.

A la voix de la nymphe, les termes, les statues et les arbres se mirent
en mouvement. Il en sortit des Dryades, des Faunes, des Satyres, qui
firent l'une des entrées du ballet. A ce premier divertissement succéda
la comédie des _Fâcheux_, que Molière avait composée en quelques jours
pour cette fête. Quoique inférieure à l'_École des maris_, qui avait été
représentée dans ces mêmes lieux un mois auparavant, la nouvelle pièce
eut un grand succès. Le goût n'était plus aux bouffonneries, qu'on
avait trop longtemps admirées. La Fontaine marque ingénieusement le
caractère nouveau imprimé par Molière à la comédie:

    C'est un ouvrage de Molière.
    Cet écrivain par sa manière
    Charme à présent toute la cour.
    ...............................
    J'en suis ravi; car c'est mon homme.
    Te souvient-il bien qu'autrefois
    Nous avons conclu d'une voix
    Qu'il allait ramener en France
    Le bon goût et l'air de Térence?
    Plaute n'est plus qu'un plat bouffon,
    Et jamais il ne fit si bon
    Se trouver à la comédie.
    ..........................
    ..........................
    Jodelet n'est plus à la mode.
    Et maintenant il ne faut pas
    Quitter la nature d'un pas.

Le ballet, qui avait été approprié à la comédie, représenta des fâcheux
de divers genres. A ce spectacle succéda celui d'un feu d'artifice.

    Figure-toi qu'en même temps
    On vit partir mille fusées,
    Qui par des routes embrasées
    Se firent toutes dans les airs
    Un chemin tout rempli d'éclairs,
    Chassant la nuit, brisant ses voiles.
    As-tu vu tomber des étoiles?
    Tel est le sillon enflammé,
    Ou le trait qui lors est formé.
    Parmi ce spectacle si rare,
    Figure-toi le tintamare,
    Le fracas et les sifflements
    Qu'on entendait à tous moments.
    De ces colonnes embrasées
    Il renaissait d'autres fusées.

Au moment où le roi revenait au château et se préparait à retourner à
Fontainebleau, la lanterne du dôme qui surmontait le château de Vaux
s'enflamma et vomit des nuées de fusées et de serpenteaux; ce fut le
dernier éclat de cette fête splendide. Elle eut un retentissement
incomparable; tous les poëtes du temps la célébrèrent. Loret en remplit
sa gazette du 20 août. Les magnificences de Vaux, qui effaçaient de
beaucoup Fontainebleau et toutes les maisons royales[1043], avaient
profondément blessé Louis XIV. «Ah! madame, disait-il à la reine mère,
est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à tous ces gens-là?» On ne
manquait pas d'exaspérer le roi, en opposant la pauvreté des habitations
royales au luxe étalé par le surintendant. Un mémoire[1044] écrit par
Colbert marque vivement ce contraste. «Les bâtiments, les meubles,
l'argent et autres ornements n'étaient que pour les gens de finances et
les traitants, auxquels ils faisaient des dépenses prodigieuses, tandis
que les bâtiments de Sa Majesté étaient bien souvent retardés par le
défaut d'argent; que les maisons royales n'étaient point meublées, et
qu'il ne se trouvait pas même une paire de chenets d'argent pour la
chambre du roi.»

Fouquet, malgré les ménagements de Louis XIV et les feintes caresses de
quelques courtisans, pouvait apercevoir des signes menaçants, qui
présageaient sa chute prochaine. Un jeune seigneur, le comte de
Saint-Aignan, lui parla avec hauteur devant tout le monde dans
l'antichambre du roi, et lui déclara qu'il renonçait à son amitié. Le
comte de Saint-Aignan était un des favoris de Louis XIV, et on le savait
trop prudent pour rompre ouvertement avec un ministre qu'il eût cru
solidement établi[1045]. Fouquet essuya encore, dans le conseil, un
échec qui lui fut pénible. Le roi proposa de supprimer les ordonnances
de comptant, qui servaient à couvrir les dépenses secrètes des
surintendants. Le chancelier, qui avait été appelé à ce conseil, appuya
fortement la proposition. Fouquet, outré d'une mesure qui le dépouillait
d'une des prérogatives auxquelles il tenait le plus, s'écria: «Je ne
suis donc plus rien?» A peine avait-il laissé échapper cette exclamation
qu'il sentit qu'il avait eu tort, et s'efforça de réparer sa faute en
disant qu'il fallait trouver d'autres moyens pour cacher les dépenses
secrètes de l'État. Le roi répondit qu'il y pourvoirait et ne laissa
percer aucune émotion qui pût trahir ses sentiments; mais il n'en fut
pas de même des ministres. Le jeune Brienne, qui assistait à ce conseil
avec son père, raconta à l'abbé de Choisy[1046] que, au moment où
Fouquet laissa échapper les paroles qui dévoilaient ses secrètes
pensées, le Tellier donna un coup de coude significatif au bonhomme
Brienne, qui était auprès de lui.

La maladie du surintendant contribuait encore à rendre plus triste le
voyage de Bretagne, qui se préparait sous de si fâcheux auspices.
Fouquet était atteint depuis quelque temps d'une fièvre intermittente,
dont les accès épuisaient ses forces et contribuaient à l'abattre. Ce
fut dans cette disposition que le trouva le jeune Brienne, qui le vit et
l'entretint, la veille même de son départ pour Nantes[1047]. Il sortait
de son accès de fièvre et questionna fort Brienne sur ce que l'on disait
du voyage de Nantes, qu'il avait, disait-il, conseillé au roi. «Ma foi,
répondit Brienne, je n'en sais rien du tout.--M. votre père ne vous
a-t-il rien dit?--Non, monsieur.--Mais le marquis de Créqui sort d'avec
moi et vient de m'avertir que la duchesse de Chevreuse m'a rendu de
très-mauvais offices.--Je ne sais point cela non plus.--La reine mère
m'a fait dire par Bartillac[1048] de me garder de la duchesse.--C'est
vous, monsieur, qui me l'apprenez.--Je ne suis plus procureur général et
je ne serai plus longtemps surintendant. On me leurre d'un collier de
l'ordre qu'on ne me donnera peut-être jamais, et me voilà perdu sans
ressource. J'ai même prêté au roi le million que M. de Harlay m'a payé
sur le prix de ma charge, dont il me doit encore quatre cent mille
livres. J'ai quelque argent sur les aides; mais ces fonds ne sont guère
assurés[1049]. J'ai bien encore quelque somme assez considérable entre
les mains d'un de mes plus fidèles amis[1050]; mais tout cela est peu de
chose, si l'on doit m'ôter la surintendance. Je dois plus de quatre
millions, auxquels je m'étais engagé pour les dépenses de l'État. (Il
disait tout cela, ajoute Brienne, d'un air triste et abattu.) Mais,
quoi! il faut se résoudre à tout. Je ne saurais croire que le roi
veuille me perdre.--Le roi, lui dis-je, monsieur, vous a trop promis
pour vous tenir tant de choses. Croyez-vous qu'il veuille avoir un
premier ministre? Et, pour le collier de l'ordre, je le tiens fort mal
assuré. Vous n'êtes plus procureur général; la faute est faite. Le
meilleur parti que vous puissiez prendre est de parler à la reine mère,
qui vous aime et qui vous a fait donner l'avis de la mauvaise volonté
que la duchesse de Chevreuse a pour vous[1051].--Je l'ai fait, et elle
ne m'a rien dit que de général, et peut-être ne sait-elle rien des
desseins du roi contre ma personne. Pourquoi le roi va-t-il en Bretagne
et précisément à Nantes? Ne serait-ce point pour s'assurer de
Belle-Île?--Si j'étais à votre place, j'aurais cette crainte, et je la
croirais bien fondée.--Le marquis de Créqui m'a dit la même chose que
vous, et madame du Plessis-Bellière aussi. Je suis fort embarrassé, je
vous l'avoue, à prendre une bonne résolution. Nantes, Belle-Île!
Nantes, Belle-Île! Il répéta plusieurs fois ces deux noms, ajoute
Brienne. Enfin il me dit:--M'enfuirai-je? C'est ce qu'on serait
peut-être bien aise que je fisse. Me cacherai-je? Cela serait peu
facile; car quel prince, quel État, si ce n'est peut-être la république
de Venise, oserait me donner sa protection? Irai-je à Livourne? Cela
n'est guère honorable pour moi. Vous voyez ma peine; dites-moi ou
écrivez-moi exactement tout ce que vous apprendrez de ma destinée, et
surtout gardez-moi le secret.» Fouquet prit ensuite congé de Brienne,
et, en l'embrassant, il avait les larmes aux yeux. «Je ne pus m'empêcher
de pleurer, ajoute Brienne; il me faisait une vraie compassion, et il en
était digne.»

Il faut rapprocher de ces récits dramatiques, mais un peu suspects
d'invention romanesque, l'exposé que fait Louis XIV lui-même des motifs
qui le déterminèrent à frapper le surintendant. Il est possible qu'il y
ait des sous-entendus dans ces pages que le grand roi écrit pour
l'instruction de son fils; mais les principaux motifs y sont exprimés
dans un langage ferme et noble: «Depuis le temps que je prenais soin de
mes affaires, dit Louis XIV[1052], j'avais de jour en jour découvert de
nouvelles marques des dissipations du surintendant. La vue des vastes
établissements que cet homme avait projetés, et les insolentes
acquisitions qu'il avait faites[1053], ne pouvaient faire qu'elles ne
convainquissent mon esprit du dérèglement de son ambition, et la
calamité générale de tous mes peuples[1054] sollicitait sans cesse ma
justice contre lui. Mais ce qui le rendait plus coupable envers moi
était que, bien loin de profiter de la bonté que je lui avais témoignée
en le retenant dans mes conseils, il en avait pris une nouvelle
espérance de me tromper, et, bien loin d'en devenir plus sage, il
tâchait seulement d'en être plus adroit. Mais, quelque artifice qu'il
pût pratiquer, je ne fus pas longtemps sans reconnaître sa mauvaise foi;
car il ne pouvait s'empêcher de continuer ses dépenses excessives, de
fortifier des places, d'orner des palais, de former des cabales et de
mettre sous le nom de ses amis des charges importantes qu'il leur
achetait à mes dépens[1055], dans l'espoir de se rendre bientôt
l'arbitre souverain de l'État.

«Quoique ce procédé fût assurément fort criminel, je ne m'étais d'abord
proposé que de l'éloigner des affaires; mais, ayant depuis considéré
que, de l'humeur inquiète dont il était, il ne supporterait point ce
changement de fortune sans tenter quelque chose de nouveau, je pensai
qu'il était plus sur de l'arrêter. Je différai néanmoins l'exécution de
ce dessein, et ce dessein me donna une peine incroyable; car je voyais
que, pendant ce temps-là, il pratiquait de nouvelles subtilités pour me
voler. Mais ce qui m'incommodait davantage était que, pour augmenter la
réputation de son crédit, il affectait de me demander des audiences
particulières, et que, pour ne pas lui donner de défiance, j'étais
contraint de les lui accorder et de souffrir qu'il m'entretînt de
discours inutiles, pendant que je connaissais à fond toute son
infidélité. Vous pouvez juger que, à l'âge où j'étais, il fallait que ma
raison fit beaucoup d'efforts sur mes ressentiments pour agir avec tant
de retenue. Mais, d'une part, je voyais que la déposition du
surintendant avait une liaison nécessaire avec le changement des fermes,
et, d'autre côté, je savais que l'été, où nous étions alors, était celle
des saisons de l'année où ces innovations se faisaient avec le plus de
désavantage, outre que je voulais avant toutes choses avoir un fonds
entre mes mains de quatre millions pour les besoins qui pourraient
survenir. Ainsi je me résolus d'attendre l'automne pour exécuter ce
projet; mais, étant allé vers la fin du mois d'août à Nantes, où les
états de Bretagne étaient assemblés, et de là, voyant de plus près
qu'auparavant les ambitieux projets de ce ministre, je ne pus m'empêcher
de le faire arrêter en ce lieu même, le 5 septembre.

«Toute la France, persuadée aussi bien que moi de la mauvaise conduite
du surintendant, applaudit à cette action et loua particulièrement le
secret dans lequel j'avais tenu, durant trois ou quatre mois, une
résolution de cette nature, principalement à l'égard d'un homme qui
avait des entrées si particulières auprès de moi, qui entretenait
commerce avec tous ceux qui m'approchaient, qui recevait des avis du
dedans et du dehors de l'État, et qui de soi-même devait tout
appréhender par le seul témoignage de sa conscience.»



CHAPITRE XXXVIII

--SEPTEMBRE 1661--

Voyage de Nantes.--Le roi s'y rend à cheval avec un petit nombre de
courtisans.--Fouquet s'embarque à Orléans, s'arrête à Angers et
arrive à Nantes.--Il souffre de la fièvre tierce.--Brienne le
visite de la part du roi (4 septembre).--Conversation de Fouquet et
de Brienne.--Fouquet croit que Colbert doit être arrêté le
lendemain.--Seconde visite de Brienne à Fouquet.--Avis menaçants
reçus par ce dernier.--Louis XIV remet à d'Artagnan une lettre de
cachet pour arrêter Fouquet; précaution qu'il prend pour tromper la
curiosité des courtisans.--Partie de chasse commandée pour le
lendemain.--Conseil tenu au château (5 septembre).--Fouquet est
arrêté par d'Artagnan à la sortie du conseil.--Les papiers qu'il
avait sur lui sont saisis et envoyés au roi.--Précautions prises
pour intercepter les communications entre Nantes et Paris.--Fouquet
est transféré immédiatement à Angers.--Craintes de Lyonne; le roi
le rassure.--Boucherat fait l'inventaire des papiers de
Fouquet.--Détresse de madame Fouquet, qui est exilée à
Limoges--Inquiétude de Gourville; on le laisse en
liberté.--Arrestation de Pellisson.--Attitude des
courtisans.--Désespoir simulé du marquis de Gesvres.--Lettre de
Louis XIV à sa mère.--Il retourne à Fontainebleau (6 septembre).


Le roi quitta Fontainebleau dans les derniers jours du mois d'août
1661[1056], et se rendit à Orléans en carrosse, accompagné du prince de
Condé, du duc d'Enghien, du maréchal de Turenne, des ducs de Beaufort et
de Bouillon, de MM. de Villequier, de Saint-Aignan, d'Armagnac, de la
Feuillade, de Gesvres, de Soyecour, de Villeroy, de Gramont et d'un
petit nombre d'autres courtisans. A Orléans, le roi quitta le carrosse
et monta à cheval avec toute son escorte. A Blois, il prit la poste, et,
malgré quelques légers accidents que raconte le duc de Saint-Aignan, il
arriva trois jours après à Nantes (1er septembre).

Fouquet était parti en carrosse un jour avant le roi pour se rendre à
Orléans, et, comme il avait fait disposer des relais de distance en
distance, il avait atteint rapidement cette ville. Il était accompagné
de sa femme et de son ami Hugues de Lyonne. A Orléans, il s'embarqua
pour descendre la Loire jusqu'à Nantes. Le jeune Brienne suivait la même
route; il vit passer, un peu au-dessus d'Ingrande, le navire qui portait
Fouquet et qui s'avançait rapidement sous l'impulsion de plusieurs
rameurs. Peu de temps après, il arriva un autre bateau sur lequel se
trouvaient le Tellier et Colbert. Un des compagnons de Brienne remarqua
cette coïncidence: «Ces deux cabanes[1057], dit-il, que nous voyons
encore l'une et l'autre se suivent avec autant d'émulation que si les
rameurs disputaient un prix sur la Loire. L'une des deux,
ajouta-t-il[1058], doit faire naufrage à Nantes.»

Fouquet, qui était souffrant, s'arrêta à Angers[1059]; mais il en
repartit promptement et arriva à Nantes avant le roi. Louis XIV
s'établit au château. Le surintendant avait pris son logement à l'autre
extrémité de la ville, dans une maison qui communiquait avec la Loire au
moyen d'un canal souterrain; il pouvait, par cette voie, gagner le
fleuve et se sauver à Belle-Île, dans le cas où on aurait tenté de
l'arrêter[1060]. Fouquet se trouvait alors dans un assez triste état; la
fatigue du voyage avait redoublé ses accès de fièvre. Le roi chargea le
jeune Brienne d'aller savoir de ses nouvelles. Brienne raconte qu'il
trouva, en entrant chez le surintendant, Péguilin ou Puyguilhem, qui
sortait de sa maison, et qui s'efforça de lier conversation avec
lui[1061]. Péguilin, qui allait bientôt devenir duc de Lauzun,
commençait à s'insinuer dans les bonnes grâces du roi. Il l'avait
accompagné au voyage de Nantes et cherchait, en avouant avec une
jactance cynique qu'il avait reçu de l'argent de Fouquet, à faire parler
Brienne et à découvrir les pensionnaires du surintendant. Brienne éluda
les questions de Péguilin, et, entrant chez Fouquet, il trouva sa femme
qui faisait danser devant elle des paysannes de Belle-Île. Il fut frappé
de la beauté de ces jeunes filles, de leurs danses nationales et de
leurs vêtements écarlates, bordés de velours noir en zigzag[1062].

Comme Fouquet était dans son accès de fièvre, Brienne eut quelque peine
à pénétrer jusqu'à lui. Cependant il insista, en déclarant qu'il venait
de la part du roi, et on le fit monter. Il trouva le surintendant étendu
sur son lit, enveloppé dans sa robe de chambre et tremblant la fièvre.
Il lui dit que le roi était en peine de sa santé et l'envoyait pour
savoir de ses nouvelles. Fouquet exprima la reconnaissance que lui
inspirait la bonté du roi, et pria Brienne de lui dire qu'il répondait
des états de Bretagne; que plusieurs députés l'étaient venus voir et
avaient promis de faire tout ce que Sa Majesté désirait, et au
delà[1063].

Brienne voulait se retirer, de peur de le fatiguer et d'aggraver son
mal, mais Fouquet le retint, le pria de s'asseoir au chevet de son lit
et lui dit d'un air gai: «Monsieur, vous êtes de mes amis; je vais
m'ouvrir à vous. Colbert est perdu; ce sera demain le plus beau jour de
ma vie.» Il lui demanda ensuite s'il n'y avait rien de nouveau à la
cour. Brienne lui apprit que l'on n'entrait plus chez le roi par le
chemin ordinaire; il fallait passer par un petit corridor fort étroit,
où Rose, secrétaire du cabinet, écrivait sur une petite table et était
obligé de se lever pour faire place à chaque personne qui entrait. Le
marquis de Gesvres, capitaine des gardes du corps en quartier, et
Chamarante, premier valet de chambre du roi, se tenaient seuls à la
porte. Le roi avait été enfermé toute la matinée dans son cabinet avec
M. le Tellier, et, lorsque Brienne y avait pénétré, après avoir été
annoncé par Rose, le roi avait jeté un grand morceau de taffetas vert
sur une table couverte de papiers. Ces arrangements mystérieux, ajouta
Brienne, donnaient à penser aux courtisans. Fouquet lui répondit que
tout cela concernait Colbert[1064]. «J'ai moi-même donné les ordres,
ajouta-t-il, pour le faire conduire au château d'Angers, et c'est
Pellisson qui a payé les ouvriers qui ont mis la prison hors d'état
d'être insultée.»

Brienne alla rendre compte au roi de l'état où il avait trouvé Fouquet,
et en reçut ordre d'y retourner le soir pour lui recommander de se
trouver le lendemain au conseil à sept heures du matin, parce que le roi
voulait aller à la chasse. Lorsque Brienne visita de nouveau le
surintendant, il remarqua que toute la rue était remplie de
mousquetaires, et que la maison en était environnée. Fouquet était remis
de son accès de fièvre; mais il lui arrivait de tous côtés des avis
menaçants. «Monsieur, dit-il à Brienne, on vient de me donner avis que
Chevigny[1065], capitaine aux gardes, est monté sur deux grands bateaux
avec sa compagnie pour aller se saisir de Belle-Île. Gourville me presse
de me sauver par l'aqueduc.» Fouquet découvrit alors à Brienne qu'il y
avait entre la maison qu'il habitait et la Loire un canal souterrain,
par où il pouvait, malgré tous les mousquetaires du monde, gagner le
fleuve et un bateau qui l'y attendait. «Mais, ajouta-t-il, je n'en veux
rien faire; il faut courir le risque. Je ne peux croire que tout cela
soit contre moi.» Il promit de se trouver le lendemain au conseil à
l'heure fixée. Brienne rendit compte de sa mission au roi, qui lui
recommanda d'aller le lendemain, à six heures du matin, chez le
surintendant et de l'amener au conseil, parce qu'il voulait partir de
bonne heure pour la chasse.

Ces démarches avaient rempli la journée du 4 septembre. Pendant ce
temps, Louis XIV avait fait écrire par le Tellier tous les ordres
nécessaires pour l'arrestation de Fouquet, et en avait confié
l'exécution à un homme dont la fidélité était à toute épreuve. Il se
défiait du marquis de Gesvres, capitaine des gardes en quartier: il le
regardait comme un des pensionnaires de Fouquet. Il fit choix de
d'Artagnan, sous-lieutenant de la compagnie des mousquetaires[1066].
Lorsque d'Artagnan, mandé par le roi, se fut rendu au château, Louis XIV
le reçut en présence de plusieurs courtisans, l'interrogea sur l'état de
sa compagnie et témoigna le désir d'en voir le rôle. D'Artagnan le lui
ayant remis entre les mains, le roi entra dans son cabinet en le lisant,
en ferma lui-même la porte; d'Artagnan l'avait suivi. Louis XIV, après
quelques paroles qui témoignaient de la confiance qu'il avait en lui,
ajouta que, étant mécontent de la conduite de Fouquet, il avait résolu
de le faire arrêter, et qu'il l'avait choisi, lui d'Artagnan, pour
exécuter cet ordre. Il lui recommanda d'agir avec prudence et adresse,
et lui remit un paquet qui contenait les différents ordres. Il lui dit
d'aller l'ouvrir immédiatement chez le secrétaire d'État le Tellier;
mais, comme l'attention des courtisans avait dû être éveillée par
l'audience secrète et prolongée que le roi avait donnée à d'Artagnan, il
recommanda à ce dernier de les payer de quelque défaite.

D'Artagnan déclara, en effet, à ceux qu'il rencontra en sortant du
cabinet du roi, qu'il venait de demander une faveur qui lui avait été
accordée de la meilleure grâce du monde; puis il se rendit chez le
Tellier, qu'il trouva entouré d'une foule de solliciteurs. Il lui dit
tout haut que le roi venait de lui accorder une grâce dont il lui avait
ordonné de demander immédiatement l'expédition. Le Tellier l'emmena
aussitôt dans son cabinet, et là d'Artagnan ouvrit le paquet, où il
trouva une lettre de cachet qui lui ordonnait d'arrêter Fouquet, et une
seconde qui lui traçait la route qu'il devait suivre et tout ce qu'il
avait à faire pour conduire Fouquet au lieu fixé pour sa prison. Une
troisième lettre lui enjoignait d'envoyer à Ancenis un brigadier et dix
mousquetaires pour y exécuter l'ordre qui leur serait adressé le
lendemain de leur arrivée. On espérait, en prenant cette précaution,
arrêter les courriers, autres que ceux du roi, qui seraient expédiés à
Paris pour annoncer l'arrestation du surintendant. Enfin il y avait
encore dans le paquet plusieurs lettres adressées aux gouverneurs des
places. Toutes ces dépêches étaient écrites de la main du secrétaire
d'État le Tellier.

Le lendemain, 5 septembre, sous prétexte de la chasse que le roi avait
annoncée pour ce jour, les mousquetaires, les chevau-légers et les
gardes du corps étaient à cheval et rangés en bataille de grand matin.
Fouquet les vit en se rendant au conseil à sept heures; mais il crut ou
feignit de croire que ces préparatifs avaient pour but la chasse
commandée par le roi. Le conseil se prolongea jusqu'à onze heures, et le
roi retint encore quelque temps Fouquet pour l'entretenir de diverses
affaires. Pendant ce temps, le Tellier allait trouver le maître des
requêtes, Boucherat, qui avait été mandé au château. Le Tellier lui
remit une lettre de cachet, qui lui enjoignait de se rendre au logement
de Fouquet aussitôt qu'il aurait été arrêté, et de saisir ses papiers.
Il devait également mettre sous le scellé tous ceux qui se trouveraient
dans la maison de Pellisson[1067].

Cependant Brienne, qui, d'après l'ordre du roi, s'était rendu de bonne
heure chez le surintendant, avait trouvé la porte gardée par six
mousquetaires; son cœur se serra à cette vue. Il retourna à l'instant au
château, et, en y entrant, il vit un carrosse fermé de treillis de
fer[1068] et entouré de mousquetaires. Fouquet venait d'être arrêté par
d'Artagnan, au moment où il avait déjà franchi la porte du château et
atteint une petite place voisine de la cathédrale; il était dans sa
chaise. Sur l'injonction de d'Artagnan, il en sortit, et, après avoir lu
l'ordre qui prescrivait de l'arrêter, il se borna à dire qu'il avait cru
être mieux dans l'esprit du roi qu'aucune autre personne du
royaume[1069]; il pria ensuite d'Artagnan d'éviter tout éclat.
D'Artagnan le fit entrer dans la maison qui se trouvait la plus proche;
c'était celle du grand archidiacre de Nantes, dont Fouquet avait épousé
en premières noces la nièce, Marie Fourché. Fouquet aperçut à ce moment
une de ses créatures, le sieur Codur, auquel il dit en passant: «_A
madame du Plessis, à Saint-Mandé_.»

Aussitôt après l'arrestation, d'Artagnan envoya au roi un des
gentilshommes servants[1070], nommé Desclaveaux[1071], pour lui faire
connaître comment tout s'était passé, et en même temps il dépêcha à
Ancenis un mousquetaire pour donner l'ordre au brigadier qu'on y avait
envoyé le jour précédent d'arrêter tous autres courriers que ceux du
roi. D'Artagnan demanda ensuite à Fouquet tous les papiers qu'il avait
sur lui, en fit un paquet qu'il cacheta, et chargea le sieur de
Saint-Mars, maréchal des logis de la compagnie des mousquetaires, de le
porter au roi avec un billet écrit de sa main, par lequel il annonçait à
Louis XIV que, aussitôt qu'il aurait fait prendre un bouillon à Fouquet
et que le sieur de Saint-Mars serait de retour auprès de lui, il
conduirait le prisonnier au château d'Angers. En effet, dès que
Saint-Mars fut revenu, d'Artagnan fit monter Fouquet dans un des
carrosses du roi, où prirent place, en même temps que lui, Bertaut,
Maupertuis et Desclaveaux, gentilshommes servants[1072].

L'arrestation de Fouquet, quoique vaguement prévue, fut un coup de
foudre pour les amis du surintendant, et même pour les nombreux
courtisans qui recevaient de lui des pensions et des présents de toute
nature. Louis XIV l'annonça avec sa dignité ordinaire. S'adressant à
tous les seigneurs présents: «J'ai fait arrêter le surintendant, leur
dit-il[1073]; il est temps que je fasse mes affaires moi-même.» De
Lyonne, l'ami intime de Fouquet, était pâle et défait; il avait l'air à
demi mort[1074]. Le roi le rassura et lui adressa des paroles
obligéantes. «Les fautes sont personnelles, lui dit-il; vous étiez son
ami, mais je suis content de vos services. Brienne, ajouta-t-il en se
tournant vers ce secrétaire d'État, vous continuerez de recevoir de
Lyonne mes ordres secrets. La disgrâce de Fouquet n'a rien de commun
avec lui.»

Boucherat arriva en ce moment; il venait de terminer l'inventaire des
papiers de Fouquet, et remit au roi les plus importants. Il avait trouvé
madame Fouquet inquiète du sort de son mari; elle demandait avec
instance où il était et s'il ne lui serait pas permis de l'accompagner.
Le procès-verbal officiel, rédigé par les ennemis de Fouquet, reconnaît
que cette dame montra beaucoup de courage, et ne fit rien d'inconvenant
ni qui témoignât de la faiblesse. Elle se trouvait tout à coup plongée
de l'opulence dans la misère, et, sans Gourville, elle eût été privée de
toutes ressources. Il lui prêta deux mille pistoles[1075]. Cette somme
permit à madame Fouquet de se rendre à Limoges, qui lui avait été
assigné pour lieu d'exil. Gourville la fit accompagner par un
gentilhomme de ses amis[1076].

Lui-même se sentait menacé. On vint l'avertir que Pellisson et un autre
commis de Fouquet avaient été arrêtés. Il balança quelque temps sur le
parti qu'il avait à prendre; mais, voyant qu'il n'y avait point d'ordre
contre lui, il se décida à aller trouver le secrétaire d'État le Tellier
pour connaître son sort. On lui refusa l'entrée; mais le Tellier,
l'ayant aperçu, consentit à le recevoir. Gourville lui demanda quelle
était sa destinée; le secrétaire d'État répondit qu'il n'avait aucun
ordre contre lui, et qu'il pouvait suivre la cour en sûreté jusqu'à
Paris. Gourville, trouvant dans le Tellier la modération et le ton
d'affabilité que ce ministre savait toujours conserver, se hasarda à lui
représenter que Fouquet était souffrant et qu'il serait de sa bonté et
de sa générosité de lui faire donner son médecin. Le Tellier promit d'en
parler au roi, et, en effet, peu de temps après, Pecquet, médecin
ordinaire de Fouquet, obtint la permission de partager sa
captivité[1077], avec un de ses valets de chambre, nommé la Vallée.

Pellisson, moins heureux que Gourville, avait été arrêté par quatre
mousquetaires dans la maison qu'il habitait à Nantes et ensuite
transféré dans le château de cette ville. Il y resta pendant quelque
temps sous la garde du maréchal de la Meilleraye, gouverneur de
Bretagne; enfin, sur un ordre de Louis XIV, il fut conduit au château
d'Angers et de là à la Bastille.

Quant aux courtisans qui entouraient Louis XIV au moment de
l'arrestation de Fouquet, et qui, pour la plupart, avaient la conscience
d'avoir participé aux dilapidations du surintendant, leur physionomie
était curieuse à observer. Le marquis de Gesvres, capitaine des gardes,
ne se consolait pas de n'avoir pas été choisi pour exécuter les ordres
du roi. «Pourquoi me déshonorer? disait-il[1078]. J'aurais arrêté mon
père, à plus forte raison mon meilleur ami. Est-ce que le roi soupçonne
ma fidélité? Qu'il me fasse couper le cou.» Et autres paroles de cette
espèce, qu'il disait fort haut, afin que le roi les entendit. Le
maréchal de Villeroi s'efforçait de le calmer, et Brienne, qui était
parent du marquis de Gesvres, joignit ses conseils à ceux du maréchal.
Le roi n'était pas dupe de ce manège de courtisan. «Gesvres, disait-il à
M. le Prince, est bien en colère, mais je l'apaiserai.» Un autre
courtisan, la Feuillade, qui était connu comme pensionnaire de Fouquet,
faisait des postures de possédé[1079]; mais le roi n'y fit aucune
attention.

Toujours calme et maître de lui-même au milieu de cette cour agitée,
Louis XIV se voyait enfin arrivé au but qu'il poursuivait depuis
plusieurs mois avec une prudente persévérance. Il était délivré d'un
ministre prévaricateur, dont les vols lui étaient connus. Il l'avait
fait arrêter au milieu de ses amis et de la province qui lui semblait le
plus dévouée, sans que rien eût bougé. Le jour même (5 septembre), il
écrivit à sa mère pour lui annoncer cette nouvelle, qu'elle attendait à
Fontainebleau[1080]:

«Madame ma mère,

«Je vous ai déjà écrit ce matin l'exécution des ordres que j'avais
donnés pour faire arrêter le surintendant. Je suis bien aise de vous
mander tout le détail de cette affaire. Vous savez qu'il y a longtemps
que je l'avais sur le cœur; mais il m'a été impossible de la faire plus
tôt, parce que je voulais qu'il fît payer auparavant trente mille écus
pour la marine, et que d'ailleurs il fallait ajuster diverses choses qui
ne se pouvaient faire en un jour; et vous ne sauriez vous imaginer la
peine que j'ai eue seulement à trouver moyen de parler en particulier à
Artagnan; car je suis accablé tout le jour par une infinité de gens fort
alertes, et qui, à la moindre apparence, auraient pu pénétrer bien
avant. Néanmoins il y avait deux jours que je lui avais commandé de se
tenir prêt et de se servir de Desclaveaux et de Maupertuis, au défaut
des maréchaux des logis et brigadiers de mes mousquetaires, dont la
plupart sont malades. J'avais la plus grande impatience du monde que
cela fût achevé, n'y ayant plus autre chose qui me retint en ce pays.
Enfin, ce matin, le surintendant étant venu travailler avec moi à
l'accoutumée, je l'ai entretenu tantôt d'une matière, tantôt d'une
autre, et fait semblant de chercher des papiers, jusqu'à ce que j'aie
aperçu, par la fenêtre de mon cabinet, Artagnan dans la cour du château,
et alors j'ai laissé aller le surintendant, qui, après avoir causé un
peu au bas du degré avec la Feuillade, a disparu dans le temps
qu'Artagnan saluait le sieur le Tellier, de sorte que le pauvre Artagnan
croyait l'avoir manqué, et m'a envoyé dire par Maupertuis qu'il
soupçonnait que quelqu'un lui avait dit de se sauver; mais il l'a
rattrapé dans la place de la grande église et l'a arrêté de ma part,
environ sur le midi. Il lui a demandé les papiers qu'il avait sur lui,
dans lesquels on m'a dit que je trouverais l'état au vrai de Belle-Île;
mais j'ai tant d'autres affaires, que je n'ai pu les voir encore.

«Cependant j'ai commandé au sieur Boucherat d'aller sceller chez le
surintendant, et au sieur Pellot chez Pellisson, que j'ai fait arrêter
aussi. J'avais témoigné que je voulais aller ce matin à la chasse, et,
sous ce prétexte, fait préparer mes carrosses et monter à cheval mes
mousquetaires. J'avais aussi commandé les compagnies des gardes qui sont
ici pour faire l'exercice dans la prairie, afin de les avoir toutes
prêtes à marcher à Belle-Île. Incontinent donc que l'affaire a été
faite, on a mis le surintendant dans un de mes carrosses, suivi de mes
mousquetaires, qui le mène au château d'Angers et m'y attendra en
relais, tandis que sa femme, par mon ordre, s'en va à Limoges.
Fourilles[1081] a marché à l'instant avec mes compagnies des gardes, et
ordre de s'avancer à la rade de Belle-Île, d'où il détachera
Chevigny[1082], capitaine, pour commander dans la place avec cent
Français et soixante Suisses qu'il lui donnera; et si, par hasard, celui
que le surintendant y a mis voulait faire quelque résistance, je leur ai
commandé de le forcer. J'avais résolu d'abord d'en attendre des
nouvelles, mais tous les ordres sont si bien donnés, que, selon toutes
les apparences, la chose ne peut manquer; ainsi je m'en retourne sans
différer davantage, et celle-ci est la dernière lettre que je vous
écrirai de ce voyage.

«J'ai discouru ensuite sur cet accident avec ces messieurs qui sont ici
avec moi; je leur ai dit franchement qu'il y avait quatre mois que
j'avais formé mon projet; qu'il n'y avait que vous seule qui en eussiez
connaissance, et que je ne l'avais communiqué au sieur le Tellier que
depuis deux jours, pour faire expédier les ordres. Je leur ai déclaré
aussi que je ne voulais plus de surintendant, mais travailler moi-même
aux finances avec des personnes fidèles, qui agiront sous moi,
connaissant que c'était le vrai moyen de me mettre dans l'abondance et
de soulager mon peuple. Vous n'aurez pas de peine à croire qu'il y en a
eu de bien penauds; mais je suis bien aise qu'ils voient que je ne suis
pas si dupe qu'ils s'étaient imaginé, et que le meilleur parti est de
s'attacher à moi. J'oubliais à vous dire que j'ai dépêché de mes
mousquetaires partout sur les chemins, et jusqu'à Saumur, afin d'arrêter
tous les courriers qu'ils rencontreront allant à Paris, et d'empêcher
qu'il n'y en arrive aucun devant celui que je vous ai envoyé. Ils me
servent avec tant de zèle et de ponctualité, que j'ai tous les jours
plus de sujet de m'en louer. Et, en cette dernière occasion, quoique
j'eusse donné plusieurs ordres, ils les ont si bien exécutés, que tout
s'est fait en un même temps, sans que personne ait pu rien pénétrer. Au
reste, j'ai déjà commencé à goûter le plaisir qu'il y a de travailler
soi-même aux finances, ayant, dans le peu d'application que j'y ai donné
cette après-dînée, remarqué des choses importantes, dans lesquelles je
ne voyais goutte, et l'on ne doit pas douter que je ne continue. J'aurai
achevé dans demain tout ce qui me reste à faire ici, et à l'instant je
partirai avec une joie extrême de vous aller embrasser et vous assurer
moi-même de la continuation de mon amitié.»

       *       *       *       *       *

Quoique cette longue lettre reproduise plusieurs des détails que nous
avons déjà donnés, je n'en ai voulu rien retrancher. Elle prouve, en
effet, avec quelle sollicitude minutieuse Louis XIV avait pris ses
précautions pour prévenir toute résistance, et avec quelle persévérance
il avait suivi son plan. On y voit à quel point il pratiquait ce que
madame de Motteville appelle une laide, mais nécessaire vertu, la
dissimulation.

Dès le lendemain, le roi partit de Nantes pour retourner à
Fontainebleau. Il passa à Angers, où Fouquet était alors emprisonné. La
curiosité publique était vivement excitée, et on cherchait, sur la
figure des courtisans, à lire les sentiments qu'ils refoulaient dans
leur cœur. L'abbé Arnauld, qui se trouvait alors auprès de son oncle
l'évêque d'Angers, ne manque pas d'en faire la remarque[1083]. «Nous
vîmes revenir M. de Lyonne, qui avait fait le voyage avec M. Fouquet. Il
était dans une grande inquiétude; mais son mérite et le besoin qu'on eut
de lui, puisqu'il était presque le seul qui eût connaissance des
affaires étrangères, l'affermirent, et il fut bientôt après élevé à la
charge de ministre et secrétaire d'État. M. Colbert marchait avec plus
d'assurance, comme ayant eu part, à ce qu'on croyait, au dessein qui
venait d'éclater.»



CHAPITRE XXXIX

--SEPTEMBRE-NOVEMBRE 1661--

La nouvelle de l'arrestation de Fouquet parvient à madame du
Plessis-Bellière avant l'arrivée du courrier expédié par Louis
XIV.--Elle tient conseil avec l'abbé Fouquet et Bruant des
Carrières.--L'abbé Fouquet veut brûler la maison de Saint-Mandé et
tous les papiers qu'elle renfermait.--Madame du Plessis-Bellière
s'y oppose.--Bruant parvient à s'échapper.--Sentiments de madame
Fouquet la mère à la nouvelle de l'arrestation de son fils.--Du
Vouldy apporte au chancelier les ordres du roi.--Mesures prises
immédiatement par Séguier: ordre de saisir à Fontainebleau, à Vaux,
à Saint-Mandé et à Paris, les papiers du surintendant et de les
mettre sous le scellé.--Exil de madame du Plessis-Bellière et de
l'abbé Fouquet.--Lettres qu'écrivent à ce dernier de Lyonne et
Villars.--L'archevêque de Narbonne et l'évêque d'Agde sont
également disgraciés.--Exil de Jannart et d'Arnauld de
Pomponne.--La Fontaine annonce à Maucroix l'arrestation de Fouquet
(10 septembre).--Gui-Patin l'annonce aussi à Falconnet.--Fouquet
est transféré de Nantes à Angers.--Maladie et abattement de
Fouquet.--Lettre qu'il écrit à le Tellier pour demander un
confesseur.--Il aurait préféré Claude Joly, curé de Saint-Nicolas
des Champs.--Si on ne permet pas qu'il l'assiste, il prie de
laisser à sa mère le choix de l'ecclésiastique auquel il ouvrira sa
conscience.--Seconde lettre de Fouquet au secrétaire d'État le
Tellier; il y rappelle les services qu'il a rendus au
roi.--Récriminations contre Mazarin.--Fouquet invoque le pardon que
le roi lui a accordé.--Il demande que sa prison soit changée en un
exil au fond de la Bretagne.--Le roi le laisse au château d'Angers
jusqu'au 1er décembre.--Fouquet n'en sort que pour être
transféré dans une nouvelle prison.


A Paris, la nouvelle de la disgrâce de Fouquet causa les sentiments les
plus divers. Elle parvint d'abord à madame du Plessis-Bellière. Un des
valets de chambre de Fouquet, nommé la Forêt, profita des relais que son
maître avait établis, de sept lieues en sept lieues, pour se rendre à
Paris en toute hâte[1084]. Il devança de douze heures un des
gentilshommes ordinaires du roi, nommé du Vouldy, qui était parti en
poste pour porter au chancelier l'ordre d'apposer les scellés sur tous
les papiers du surintendant.

A la première nouvelle de l'arrestation de Fouquet, madame du
Plessis-Bellière envoya chercher l'abbé Fouquet et Bruant des Carrières.
Ils tinrent conseil sur les mesures à prendre. L'abbé voulait qu'on mît
le feu à la maison de Saint-Mandé, et qu'on détruisît ainsi tous les
papiers dont on pourrait se servir contre le surintendant. Madame du
Plessis-Bellière combattit cet avis, et déclara qu'agir ainsi ce serait
perdre absolument Fouquet, et avouer que ses papiers renfermaient la
preuve des crimes qu'on lui imputait. Elle soutint qu'on ne pouvait rien
lui reprocher depuis que le roi gouvernait par lui-même, et que, pour
les époques antérieures, il n'avait fait qu'obéir aux ordres du cardinal
Mazarin. Son opinion prévalut. Madame du Plessis et l'abbé Fouquet
attendirent les ordres du roi, pendant que Bruant, après avoir rassemblé
quelque argent et ses principaux papiers, se cacha dans un couvent. Il
échappa à toutes les recherches, et passa ensuite dans les pays
étrangers. Là il rendit à Louis XIV des services qui lui méritèrent sa
grâce. Dans la suite, il devint résident du roi à Liège[1085].

La Forêt avait aussi porté à madame Fouquet la mère la nouvelle de
l'arrestation de son fils. Cette femme, d'une vertu si pure, n'avait
jamais été éblouie par les grandeurs du surintendant. Elle gémissait de
ses erreurs, et ses prières n'avaient cessé de demander au ciel son
retour à des sentiments meilleurs. En apprenant qu'il était prisonnier,
elle se jeta à genoux, en s'écriant: «Je vous remercie, mon Dieu! je
vous ai toujours demandé son salut; en voilà le chemin[1086].»

Cependant du Vouldy était arrivé à Fontainebleau, et avait remis au
chancelier les ordres du roi, prescrivant de faire apposer les scellés
sur tous les papiers du surintendant, d'enjoindre à madame du
Plessis-Bellière de s'éloigner de Paris, de s'assurer des commis de
Fouquet, et d'arrêter les comptes de l'Épargne, afin qu'on n'y pût rien
ajouter. La réponse du chancelier au roi fait connaître les mesures
qu'il adopta immédiatement[1087]: «J'ai reçu la lettre qu'il a plu à
Votre Majesté m'écrire, portant les ordres de faire sceller aux maisons
de M. le surintendant. J'ai fait voir à la reine vos commandements; et,
après avoir reçu sa volonté, j'ai été au logis du surintendant, où j'ai
fait apposer le scellé en ma présence, en toutes ses chambres et
cabinets. Il y a un de ses secrétaires, qui s'appelle L'Épine, qui loge
dans son logis, et avait les papiers de sa charge. L'on a muré les
fenêtres et scellé les portes, avec un garde pour conserver le scellé.
Les sieurs Paget et Albertas[1088], qui étaient seuls à Fontainebleau,
sont allés à Vaux avec huit gardes; ils ont ordre de mettre dehors tous
les domestiques, et de faire sceller en tous les lieux de la maison.
Quant à Pellisson, il était logé dans une hôtellerie en ce lieu[1089]:
j'ai fait ouvrir sa chambre, avec ordre de murer la fenêtre et de fermer
la porte avec des barres de fer. L'on a envoyé des gardes à Saint-Mandé
pour s'assurer de la maison, en attendant que des maîtres des requêtes
ou M. le lieutenant civil apposent le scellé comme à sa maison de Paris,
avec des gardes pour donner la sûreté au scellé. L'on a omis de penser à
Bruant; j'écris à Paris pour l'arrêter, s'il y est, et de faire sceller
en sa maison et la garder. Quant à Pellisson, je donnerai ordre de
s'assurer de sa personne et de sa maison. L'on dit qu'il est à la suite
de Votre Majesté. Si cela est, l'on le peut arrêter. Madame du
Plessis-Bellière n'est pas à Fontainebleau. Le sieur du Vouldy est parti
pour aller à Charenton, où l'on m'a dit qu'elle était, et lui faire
commandement de partir. Il ne s'est trouvé aucun valet de pied en ce
lieu; il fait état d'en prendre à Paris. Je crois qu'il est bien à
propos de faire sceller chez elle comme chez Gourville. Le trésorier de
l'Épargne doit représenter son état pour l'arrêter, afin que l'on n'y
puisse ajouter. Je lui manderai de venir ici et de l'apporter. Enfin,
sire, je n'oublierai rien de ce qui regardera, en cette occasion, le
service de Votre Majesté avec la même fidélité que je lui dois et que je
continuerai jusqu'à la mort, priant Dieu, sire, qu'il la comble de ses
saintes grâces et bénédictions. J'espère donner compte à Votre Majesté
de l'exécution de ses ordres lorsqu'elle sera de retour, ce que je
souhaite au plus tôt. En attendant cette grâce, j'assurerai Votre
Majesté de mon humble obéissance, etc.»

Madame du Plessis-Bellière reçut, en effet, l'ordre de se retirer à
Montbrison; mais ensuite on lui permit de demeurer à Châlons[1090].
Basile Fouquet ne tarda pas à être exilé dans ses abbayes[1091]. De
Lyonne s'honora par l'affection qu'il lui témoigna dans sa disgrâce. Il
lui écrivit de Fontainebleau, le 20 septembre[1092]: «Je ne participe
pas seulement, comme je le dois, au déplaisir de toute votre famille;
mais comme je prends une part très-sensible à tout ce qui vous regarde
personnellement, je reprends la plume pour vous témoigner ma nouvelle
douleur sur l'ordre qu'on m'assure vous avoir été envoyé de sortir de
Paris. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il vous donne, monsieur, toute
la force dont vous avez besoin pour supporter avec constance de si rudes
coups, et vous prie cependant de croire que j'imputerai à singulière
bonne fortune les occasions de vous faire paraître en ces rencontres-ci
et en toute autre que je suis fort véritablement, monsieur, votre
très-humble et très-obéissant serviteur.»

Le marquis de Villars avait déjà antérieurement adressé à l'abbé Fouquet
une lettre de condoléances sur les malheurs de sa famille. On aime à
recueillir ces témoignages honorables au milieu de toutes les lâches
désertions qui suivent une disgrâce: «Je suis persuadé, monsieur,
écrivait le marquis de Villars à l'abbé Fouquet, que vous serez touché
du malheur de M. votre frère, comme si vous n'aviez jamais eu sujet de
vous en plaindre, et que, dans cette triste occasion, vous vous
retrouverez toute la tendresse que vous avez eue autrefois pour lui. Je
vous offre, monsieur, en cette rencontre, tout ce que je peux vous
offrir, si vous me jugiez propre à quelque chose, et je vous supplie de
croire que personne ne prend plus de part à tout ce qui vous touche que
moi.»

L'archevêque de Narbonne et l'évêque d'Agde furent exilés[1093], comme
l'abbé Fouquet, et ne rentrèrent jamais en grâce. Jannart fut relégué un
peu plus tard en Limousin. Enfin, Simon Arnauld de Pomponne fut
enveloppé dans cette catastrophe et envoyé à Verdun[1094]. Au bout d'un
an seulement, il obtint la permission de s'établir à la
Ferté-sous-Jouarre, et enfin de revenir à Pomponne. Quelle fut la cause
de la rigueur qu'on montra à son égard? Quelles étaient ses relations
avec Fouquet? C'est ce qu'il n'est pas facile de déterminer. On trouve,
à la vérité, dans la cassette de Fouquet, conservée à la Bibliothèque
impériale, un certain nombre de lettres qui semblent écrites de la main
d'Arnauld de Pomponne; mais c'est une femme qui parle et donne à Fouquet
des avis et des conseils. Il est possible que, pour mieux dissimuler ses
relations avec le surintendant, quelque dame de la cour se soit servie
de la main d'Arnauld de Pomponne, et que la découverte de ces billets
ait causé son exil. Ce n'est là qu'une hypothèse; mais l'on est obligé
d'en faire beaucoup à l'occasion de cette mystérieuse cassette.

Les Créqui, les Charost, furent pendant quelque temps disgraciés, parce
que leurs familles s'étaient alliées à celles de Fouquet et de madame du
Plessis-Bellière. Bartet fut chassé de la cour. Quant à M. de Grave, une
lettre que nous avons citée plus haut prouve qu'il fut appelé à répondre
devant les commissaires chargés d'instruire le procès de Fouquet.

La Fontaine ne fut pas des moins affligés en apprenant la catastrophe de
Fouquet, témoin la lettre qu'il écrivit à son ami Maucroix, le 10
septembre 1661[1095]: «Je ne puis te rien dire de ce que tu m'as écrit
sur mes affaires, mon cher ami; elles me touchent (_sic_) pas tant que
le malheur qui vient d'arriver au surintendant. Il est arrêté, et le roi
est violent contre lui, au point qu'il dit avoir entre les mains des
pièces qui le feront pendre... Ah! s'il le fait, il sera autrement cruel
que ses ennemis, d'autant qu'il n'a pas, comme eux, intérêt d'être
injuste. Madame de B...[1096] a reçu un billet où on lui mande qu'on a
de l'inquiétude pour M. Pellisson; si ça est, c'est encore un grand
surcroît de malheur. Adieu, mon cher ami, t'en dirais (_sic_) beaucoup
davantage si j'avais l'esprit tranquille présentement; mais la prochaine
fois je me dédommagerai pour aujourd'hui.

Feriunt summos fulmina montes.»

Gui-Patin parle aussi de l'arrestation de Fouquet, dans ses lettres des
19 et 21 septembre: la première se borne à annoncer le fait; dans la
seconde, il en prend occasion pour frapper sur quelques médecins et sur
les jésuites. «M. Fouquet, dit-il, est toujours dans le château
d'Angers, malade d'une fièvre quarte. Avant sa prison, il avait pris du
quinquina, et avait été saigné par le conseil de Valot, et néanmoins il
n'est pas guéri. Les jésuites sont bien fâchés de sa perte; il était
leur grand patron. Ils ont tiré de lui plus de six cent mille livres
depuis peu d'années.»

Pendant que l'opinion publique s'occupait de l'arrestation du
surintendant, d'Artagnan le conduisait de prison en prison jusqu'au
château d'Angers. Il l'avait d'abord mené à Oudon[1097], à peu de
distance d'Ancenis. Là il demanda à Fouquet, au nom du roi, un ordre
écrit de sa main et adressé au gouverneur de Belle-Île, pour remettre
cette place entre les mains de celui que Louis XIV y enverrait. Fouquet
obéit sur-le-champ, et le billet fut porté au roi par Maupertuis. Le
prisonnier coucha à Oudon, et, le lendemain, d'Artagnan le conduisit à
Ingrande, où il passa la nuit. Le roi, qui retournait à Fontainebleau,
traversa cette petite ville quelques heures après l'arrivée de Fouquet.
Enfin, le 7 septembre, d'Artagnan et son prisonnier atteignirent Angers.
Fouquet fut enfermé dans le château, dont la garde fut remise à
d'Artagnan, qui avait sous ses ordres soixante mousquetaires, avec les
sieurs de Saint-Mars et de Saint-Léger, maréchaux des logis de la
compagnie.

Fouquet resta près de trois mois, du 7 septembre au 1er décembre,
dans cette citadelle féodale, hérissée de tours, et de l'aspect le plus
sombre. Sa maladie, aggravée par la fatigue et les émotions, ne tarda
pas à inspirer de vives inquiétudes. Ce fut alors qu'il écrivit à Le
Tellier une lettre touchante, où l'on voit cet homme, naguère si vain et
si enflé de sa puissance, abattu maintenant par le malheur, et se
tournant vers les consolations religieuses[1098]. Le souvenir de sa mère
et de ses vertus se présente à son esprit au moment du malheur, et c'est
à elle qu'il demande qu'on laisse le soin de choisir un ecclésiastique
auquel il puisse ouvrir son cœur. Après avoir rappelé que, malgré tous
les remèdes, son mal n'a fait que s'aggraver, Fouquet continue ainsi:
«Je suis affaibli et exténué incroyablement; je rêve; je suis
quelquefois près d'évanouir; je ne dors presque point. Je suis
naturellement délicat. Si la fièvre quarte est un effet de mélancolie,
le lieu où je suis ne dissipe pas beaucoup le chagrin. Chacun peut juger
si j'ai raison de craindre un accident de la moindre fluxion, à quoi je
suis fort sujet. Voici la saison qui devient mauvaise[1099]. Je puis
être surpris par la mort et par la perte de la raison ou de la parole;
car souvent j'ai peine à parler. Mon inquiétude pour ma conscience est
assez raisonnable. Le roi est trop bon et trop juste pour me refuser le
secours que je demande avec empressement depuis longtemps. Sa Majesté
aurait regret, s'il m'arrivait quelqu'un de ces accidents, de ne m'avoir
pas donné cette consolation à temps: la distance est longue d'ici à
Paris.

«En un mot, je ne puis avoir l'esprit en repos, que je n'aie fait tout
ce que j'aurai pu pour me mettre bien avec Dieu; et, comme j'ai de
grands comptes à lui rendre, que j'ai eu plusieurs affaires délicates et
de grandes administrations pendant des temps fâcheux, j'ai besoin d'un
homme très-capable avec lequel j'ai beaucoup de consultations à faire et
de questions à résoudre. Il est impossible que je puisse communiquer mes
affaires ou à des ignorants, ou jansénistes, ou gens qui n'aient pas un
peu pratiqué le monde, ou en qui je n'aie pas confiance. Il me semble
que, quand je ne serais pas en l'état de maladie où je suis, on ne
devrait pas me refuser une chose de cette nature, puisqu'au contraire
nous devrions tous travailler pour mettre les hommes en cette pensée
quand ils ne l'ont pas, outre que cela les aide à mieux supporter de
grandes afflictions.

«J'avais souhaité[1100] ardemment M. Joly[1101], pour ce qu'il a déjà
assez de connaissance de ma conscience, m'ayant assisté dans une grande
maladie; pour ce qu'ayant servi M. le cardinal, il est susceptible des
affaires du monde; pour ce que le connaissant, j'eusse pris grande
confiance en lui, et que d'ailleurs étant homme d'une vertu et probité
connue, et ayant reçu depuis peu des grâces du roi, il eût dû être moins
suspect qu'un autre.

«Mais si cela ne se peut, et que le roi veuille avoir quelque pitié de
moi en une affaire aussi délicate et à laquelle je crois même qu'il est
obligé devant Dieu, je me jette à ses pieds autant que je le puis, et
implore sa bonté pour avoir agréable qu'on avertisse ma mère de me
choisir un ecclésiastique séculier ou régulier capable et non suspect,
en qui je puisse prendre confiance pour la décharge de ma conscience, et
que le roi me fasse la grâce de lui permettre de l'amener ici elle-même;
elle en fera toute la dépense et diligence nécessaires. Ce me sera un
double secours, et temporel et spirituel; car je la tiens plus capable
pour mon mal qu'un grand nombre d'habiles médecins.

«Mais comme elle n'a peut-être l'honneur d'être connue du roi ni assez
de M. Le Tellier pour qu'il pût bien répondre d'elle, je ne doute point
que la reine mère, qui la connaît, et tout ce qu'il y a de gens de piété
qui l'ont vue, et qui savent sa vertu et la sainteté de sa vie, ne
répondent qu'elle ne voudrait pas, pour un royaume, ni pour la vie de
tous ses enfants et la sienne ensemble, avoir fait une menterie et un
péché, quel qu'il fût. Elle peut donc donner sa parole et faire serment,
même signer et s'obliger, tant pour elle que pour celui qu'elle
amènera, dont elle peut même communiquer avec le père Annat, qu'ils ne
se mêleront dans aucune autre affaire que de ma conscience et de ma
santé, et ne se chargeront de lettres, ni de messages ou commissions, de
qui que ce soit pour moi, ni en s'en retournant de moi, pour qui que ce
soit. On peut faire donner la même assurance à l'ecclésiastique. Après
cela, je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de suspect ni de difficulté
qui entre en balance avec un si grand bien et une si grande nécessité.
Si elle était d'autre nature, je n'insisterais pas tant.»

J'ignore si la demande de Fouquet lui fut accordée. Mais il semble,
d'après une seconde lettre qu'il écrivit également à Le Tellier, de sa
prison d'Angers[1102], que le calme ne tarda pas à se rétablir dans son
âme, et que son courage se raffermit. Sa nouvelle lettre n'est plus la
prière d'un malade qui redoute la mort et implore les secours de la
religion; c'est la protestation d'un ministre accusé qui rappelle les
services qu'il a rendus et ses titres à la bienveillance du roi. Le
langage s'élève comme la pensée, et cette lettre mérite à tous égards
d'être conservée: «Puisque le roi a la bonté d'écouter jusques au
moindre de ses sujets et recevoir avec humanité leurs requêtes pour y
examiner la raison de leurs demandes, M. Le Tellier pourrait, ce me
semble, lui représenter [les miennes], ma disgrâce m'empêchant de lui
oser faire directement l'adresse d'un écrit qui les pourrait contenir
plus amplement, et d'assez considérables. Ce qui me semble digne de
considération est de voir que tous ceux qui, pendant la minorité et
pendant les guerres, ont porté les armes contre Sa Majesté, ont excité
des troubles dans son État, ont voulu lui ôter sa couronne, qui ont
assisté dans les conseils des factieux, les ont appuyés de leur crédit,
qui leur ont donné passage en France[1103], ont fait des actes
d'hostilité ou témoigné mauvaise intention, sont tous en repos,
jouissant de leurs biens, de leurs dignités, de leurs gouvernements,
plusieurs beaucoup dans les emplois; et que moi, qui non-seulement suis
demeuré ferme et inébranlable dans le service, mais qui, en toutes ces
occasions, me suis signalé hasardeusement, sans en laisser échapper une
seule, et qui puis dire avoir rendu des services autant et plus
importants qu'autre homme, sans exception de qui soit dans l'État (le
roi n'en a pas connaissance de tous, et, si on me le permettait, je les
expliquerais et prouverais bien), moi, dis-je, qui ai vécu de cette
sorte jusques au dernier moment, je suis seul attaqué!

«J'ai gouverné les finances avec M. Servien; je n'étais que le second.
Il avait le crédit et l'autorité les premières années[1104]. M. Le
Tellier sait bien qu'à la fin de 1654, et lui et M. le cardinal même
demeurèrent tout court sans pouvoir plus trouver un sol, à la veille de
voir tout le royaume une autre fois bien plus dangereusement bouleversé.
Je me chargeai de sa conduite, et, par mon zèle et mon application,
mais, qui plus est (ce qu'aucun homme n'eût fait, mais qui était le
salut du royaume), par mes avances et mes engagements et ceux de mes
amis, je rétablis les affaires et les ai soutenues, toutes misérables
qu'elles étaient, par ces voies-là sept ans durant, en sorte que
non-seulement on n'a manqué de rien, mais nous avons été supérieurs aux
ennemis. Nous ne sommes en avance presque que d'une année, et M. le
cardinal même en a encore assez honnêtement profité.

«J'avais raison d'espérer, après la paix, quelque récompense; car je
puis dire que, sans moi et sans ma manière hasardeuse, dont mes affaires
sont à présent bien en désordre, aucun autre n'eût soutenu [les
affaires], et l'État périssait. On pouvait croire que, si j'avais bien
gouverné la barque dans une tempête, dans un calme on eût fait quelque
chose de mieux; et, en effet, le roi a vu d'assez beaux commencements,
et cependant, pour récompense, on me fait périr!

«Je puis avoir fait des fautes; je ne m'en excuse pas. J'en ai fait
qu'il a fallu faire, et c'est par là que j'ai soutenu les affaires; ce
que je n'aurais pu faire sans cela. Et puis on ne pouvait pas avoir une
règle certaine avec M. le cardinal en matière d'argent: il ne donnait
jamais d'ordres précis; il blâmait et permettait néanmoins; il
désapprouvait tout; après qu'on l'avait convaincu de l'impossibilité
d'agir autrement, il approuvait tout; me parlait d'une façon et
m'écrivait avec beaucoup d'estime; parlait mal aux autres, et, comme les
finances attirent la haine et qu'il s'en voulait décharger, il a
toujours laissé exprès des impressions.

«Ces raisons m'obligèrent de dire au roi que, si ma conduite lui avait
déplu, quoique je crusse l'avoir bien servi, et afin que je fusse en
sûreté du passé contre tout ce qu'on pourrait lui dire, je suppliais Sa
Majesté de me pardonner toutes les fautes que j'avais faites. Le roi,
très-obligeamment, me dit qu'il me pardonnait tout, et m'en donna sa
parole. Cependant, je me trouve emprisonné et poursuivi!

«Depuis les derniers temps, en combien d'avances suis-je encore entré
pour plaire au roi et rendre le commencement de son administration
tranquille! Sa Majesté a-t-elle ordonné ou souhaité quoi que ce soit que
je n'aie exécuté aussitôt? Si j'osais la supplier de se remettre en
mémoire avec quel zèle, avec quel cœur je lui ai rendu les derniers
services avant de partir, il fut étonné même de la promptitude et de
l'exactitude de l'exécution de ses ordres, nonobstant ma fièvre.

«Sa Majesté sait encore avec quel dévouement et quel abandonnement je
lui ai offert de lui remettre la surintendance, la charge que j'avais,
Vaux, Belle-Île, et tout ce que j'avais au monde, et l'agrément qu'il
m'en témoigna. Et c'est néanmoins dans ce même temps-là, non pas qu'on
me chasse, comme on a fait de tous les autres surintendants desquels on
n'a pas été satisfait, et dans des temps où ils pouvaient être à
craindre à cause de la guerre, des connaissances qu'ils avaient et des
diverses factions, mais en pleine paix, tout étant calme, achevant
encore un service en Bretagne! On prend encore mon argent la
veille[1105]; dans un temps que je suis malade, on m'arrête!

«Si M. Le Tellier veut bien un jour lire au roi ce que j'écris ici à la
hâte, et que sa bonté et sa clémence, qui sont des vertus vraiment
royales, y veuillent faire réflexion, je ne doute pas que son âme
généreuse n'ait assez d'humanité pour en être touchée.

«Et, pour sa justice, s'il y en a de punir les fautes, il y en a aussi à
récompenser les services, et je suis bien assuré que les fautes ne
peuvent entrer en balance avec les services. D'ailleurs, Sa Majesté
m'avait pardonné les fautes, et sa parole doit avoir quelque effet,
donnée à un sujet dans un temps de paix, sans contrainte.

«Je ne puis pas bien comprendre pourquoi, les affaires allant bien et
tout étant en bon état, ce changement était nécessaire, et j'ose même
dire que ma passion de plaire m'avait fait méditer des choses grandes et
avantageuses, et que mon expérience eût pu servir. Je n'affectais[1106]
pas de demeurer surintendant. Au moindre mot que j'eusse pu comprendre,
j'eusse remis tout, sans qu'il eût été besoin des extrémités où l'on
m'a mis. Mais ce sont des secrets où je ne dois pas pénétrer.

«Mais je puis bien me réduire à supplier à mains jointes la bonté et la
générosité du roi, d'adoucir ma peine, et ce qu'il accorderait à
d'autres par la seule considération d'une longue, pénible et dangereuse
maladie, qui ne peut être guérie au lieu où je suis, de me le donner au
nom de Dieu, pour la seule récompense de tous mes services et de
quelques actions que Sa Majesté se souviendra que j'ai faites, qui n'ont
pas dû lui être désagréables. Ce que je demande est peu, c'est de
convertir ma prison en un exil, pour tout le temps qu'il lui plaira, au
lieu le plus éloigné de la cour. J'ai une méchante chaumière au fond de
la Bretagne où il n'a jamais demeuré qu'un concierge, acquise de M.
d'Elbeuf, et qui tient à des bois, dont je dois encore le prix: je
consens d'être relégué là. M. de la Meilleraye[1107], qui ne m'aime pas,
et qui sera assez bien averti, verra ma conduite. Je signerai, sous
peine de la vie [l'engagement] de ne me mêler d'aucune affaire que des
miennes domestiques, de ma conscience, de ma santé, de ma famille. Je
rendrai compte de temps en temps à M. Le Tellier de tout, et ce sera
encore bien assez d'exemples et de châtiments, puisque le roi croit que
j'ai failli, que je me trouve dépouillé de la surintendance, de ma
charge de procureur général, exclu des conseils, banni de la cour, de
Paris, de mes maisons, de mes parents et amis, ruiné sans espérance de
ressource. Pour peu que le roi y fasse réflexion, Sa Majesté me
trouvera traité bien pis que les autres, qui n'avaient pas tant servi
que moi.

«Tout ce que l'on peut craindre, autant que je puis juger, est que je ne
veuille troubler les nouveaux établissements, ou les rechercher, et que
mes amis ne prennent des espérances. Mais, en paix, cela n'est guère à
craindre. En l'état où je suis, qui est à dire plus rien, on n'a guère
d'amis. L'éloignement serait grand, et le commerce de là à la cour fort
médiocre. Le traitement que j'ai reçu et celui où on me laissera, ne
fournira pas matière à rien espérer; et, de mon côté, voulant quitter
les pensées de toutes choses et faire mon salut, ils seront fort
désabusés, et ma soumission par écrit sera toujours une conviction
contre moi.

«Si le roi prenait cette résolution en ma faveur, il serait loué de tout
le monde d'avoir considéré un peu mes services, m'avoir retenu seulement
dans le commencement des nouveaux établissements et pour intimider
d'autres, et, par humanité, me relâcher dans une extrême maladie un peu
plus tôt qu'il n'aurait fait. Outre que je puis alléguer qu'il y va de
sa conscience, connaissant que je dois plus de douze millions qui
produisent, au denier dix[1108], douze cent mille livres d'intérêts par
an, et quand on réduirait tout au denier dix-huit[1109], au moins six à
sept cent mille livres tous les ans, la plupart empruntés pour son
service; comment puis-je demeurer longtemps où je suis sans que tout
périsse? J'ai retrouvé plusieurs dettes, non comprises au mémoire, pour
près d'un million.

«Je supplie encore une fois M. Le Tellier de vouloir me faire la grâce
de lire, à une heure de loisir, au roi tout ce gros volume (l'affaire
est plus importante que beaucoup d'autres où il donne plus de temps), et
de faire faire réflexion à Sa Majesté sur plusieurs choses qui y sont
considérables, et lui dire que je le conjure de me faire la même
miséricorde qu'il désire que Dieu lui fasse un jour.»

Fouquet n'obtint pas la grâce qu'il demandait avec tant d'instance; il
resta pendant près d'un mois encore enfermé au château d'Angers, et n'en
sortit que pour être transféré dans une nouvelle prison. Pendant cet
intervalle, les commissaires nommés par le chancelier saisirent ses
papiers à Fontainebleau, à Vaux, à Saint-Mandé, à Paris. L'inventaire
qu'ils rédigèrent révéla les projets ambitieux de Fouquet, ses folles
amours et ses prodigalités. On exagéra, comme toujours, des faits dont
la gravité était réelle, et l'opinion publique s'éleva contre le
surintendant avec une force qui encouragea ses ennemis à tout oser
contre lui. Heureusement cette crise fut passagère, et Fouquet conserva
des amis dévoués, dont le zèle se montra surtout à l'époque où il
semblait près de succomber.



CHAPITRE XL

--SEPTEMBRE-NOVEMBRE 1661--

Saisie des papiers de Saint-Mandé.--Lettres adressées au chancelier
par l'un des commissaires, le conseiller d'État de la Fosse.--Des
mousquetaires enlèvent, par ordre de Colbert (23 septembre), une
partie des papiers de Saint-Mandé et les portent à
Fontainebleau.--De la Fosse signale les conséquences fâcheuses de
cette mesure.--Le maître des requêtes Poucet rapporte les papiers à
l'exception d'un certain nombre de lettres de femmes (27
septembre).--Des maîtres des requêtes et conseillers du parlement
demandent à assister à l'inventaire comme créanciers de
Fouquet.--Avis donnés au chancelier sur la nature de certaines
lettres.--Détails sur un dessin trouvé à Saint-Mandé.--Médailles,
bibliothèque et curiosités de Saint-Mandé.--Remarques sur les
relations du premier président avec Fouquet.--Précautions prises
par Fouquet pour dissimuler l'étendue et la magnificence des
bâtiments de Saint-Mandé.--Les papiers inventoriés sont déposés par
les commissaires au château de Vincennes.


Les commissaires que le chancelier avait désignés pour procéder à
l'inventaire des papiers de Fouquet s'étaient mis immédiatement à
l'œuvre. Nous avons les lettres que l'un d'eux, le conseiller d'État de
la Fosse, adresse à Séguier pour lui rendre compte du résultat de leurs
opérations[1110]. Il faisait partie de la commission composée des
conseillers d'État de Lauzon et de la Fosse, et des maîtres des requêtes
Poncet et Bénard de Rezé. Cette commission fit l'inventaire de tous les
papiers et meubles de Saint-Mandé. Elle n'avait pas encore terminé son
travail, lorsque des mousquetaires, munis d'une lettre de Colbert,
vinrent réclamer une partie des papiers pour les transférer à
Fontainebleau, et les mettre sous les yeux du roi.

Le conseiller de la Fosse se hâta d'avertir le chancelier de cette
mesure, et n'en dissimula pas les conséquences fâcheuses. «Il nous est
arrivé aujourd'hui, écrivait-il à Séguier le 23 septembre[1111], pendant
que nous continuions notre inventaire à Saint-Mandé, sur les cinq heures
du soir, un maréchal des logis des mousquetaires du roi, accompagné de
cinq desdits mousquetaires, qui nous a rendu une lettre de M. Colbert,
qui nous avertit que Sa Majesté veut que nous mettions entre les mains
desdits mousquetaires les pièces que lui, Colbert, avait remarquées,
étant ici, pour les porter et faire voir à Sa Majesté. Après avoir usé
de quelques civilités envers les mousquetaires et les avoir fait retirer
dans une chambre séparée pour les régaler d'une petite collation, nous
avons délibéré sur la chose, que nous avons jugée de grande conséquence,
et dans laquelle néanmoins nous avons mis pour fondement qu'il fallait
obéir au roi. La raison de notre doute pour la manière de notre
obéissance a été que les papiers que l'on nous demande sont de trois
sortes: 1° il y a des lettres missives presque toutes sans signature,
et en des termes qui ne peuvent servir qu'à déshonorer quelques femmes
pour la trop grande liberté d'écrire; et, pour ces pièces non-seulement
nous ne faisons pas difficulté de les rendre sans cérémonie, mais même
nous avons pensé qu'il était de la charité de les supprimer, et partant
de les laisser sortir de nos mains pour satisfaire au désir que le roi a
de les supprimer; 2° des papiers concernant les finances, comme quelques
états, quelques comptes des petits comptants, quelques projets
d'affaires, etc.; 3° des pièces regardant la conduite particulière de la
personne dont il s'agit, laquelle, tombant d'un si haut degré comme elle
fait, cause un grand bruit par sa chute en toute la France, et
particulièrement dans Paris, où l'on parle en toutes les assemblées que
ledit sieur Colbert, qui n'est pas tenu pour le meilleur ami qu'eût
l'accusé, est venu prendre les actes qui pouvaient servir à sa
justification, tellement, monseigneur, que, si l'on le veut poursuivre
en justice, il est à craindre qu'il ne se serve de cet échappatoire, qui
pourra être considéré; et, quand même on ne le voudrait pas poursuivre,
lui et ses créanciers se pourront plaindre de la même façon et jeter
quelque envie et reproche sur des juges qui auraient laissé emporter des
pièces de la maison d'un si fameux débiteur par quelques mousquetaires,
sur une lettre missive dudit sieur Colbert, personne privée en cette
rencontre, et sans aucun ordre écrit ni verbal de Sa Majesté.

«Cela nous a obligés, monseigneur, après avoir paraphé les pièces qui
nous sont demandées, de prier M. Poncet, l'un de nous commissaires, de
les porter lui-même au roi pour les faire visiter et en prendre
connaissance, ensemble d'un petit cahier cacheté par ledit sieur
Colbert, contenant des instructions écrites de la main de M. Fouquet,
touchant les précautions et sûretés qu'il voulait prendre en cas de
défaveur[1112], représenter par ledit sieur Poncet les raisons susdites,
afin de faire trouver bon qu'il rapporte lesdites pièces pour les
remettre dans l'inventaire et dans leur place, ou si Sa Majesté trouve
qu'elle les doive retenir, nous en faire expédier une lettre ou quelque
autre témoignage de sa volonté, qui rectifiera ou du moins disculpera
notre procédé.

«Je vous ai déjà mandé, monseigneur, que nous avions trouvé une pièce,
qui ne nous est pas demandée, et que nous n'envoyons pas, par laquelle,
sur un quart de la ferme des gabelles, les fermiers baillent à... (le
nom est en blanc) six vingt mille livres par an; ladite pièce, endossée
des quittances de ce pot de vin pour plusieurs années, commencées en
1655, et signée de tous lesdits fermiers, et trouvée parmi les papiers
dudit sieur Fouquet. M. Poncet part demain, accompagné des
mousquetaires, dès le point du jour, pour arriver de bonne heure à
Fontainebleau, où il porte les susdites pièces, sur lesquelles je ne
crois pas que l'on puisse délibérer sans vous, que je prie Dieu de
conserver, etc.»

Cette lettre est importante à plus d'un titre: d'abord elle prouve que
la cassette de Saint-Mandé contenait en réalité un grand nombre de
lettres étrangères aux affaires, et qui furent complètement abandonnées
par les commissaires. Elle établit ensuite que les autres papiers, qui
pouvaient avoir de l'importance pour la défense de Fouquet, furent
également enlevés et livrés à l'homme que l'opinion publique désignait
comme l'ennemi implacable de l'accusé. C'est le commissaire lui-même qui
en fait la remarque; et, certes, on n'accusera pas ce conseiller d'État
de partialité pour Fouquet. Ses lettres ne prouveront que trop le
contraire.

Le maître des requêtes Poncet revint de Fontainebleau le 27 septembre,
et nous trouvons des détails sur sa mission dans une lettre que le
conseiller d'État de la Fosse écrivait deux jours après au chancelier
Séguier[1113]:

«Monseigneur,

«M. Poncet arriva devant hier au soir fort tard de Fontainebleau, d'où
il nous rapporta toutes les pièces, non-seulement que lui, mais encore
que M. Colbert y avait portées, à l'exception de quelques lettres
missives de femmes, qui n'allant qu'à les décrier et nullement à
l'intérêt de l'hérédité ni des créanciers, et ne faisant rien pour
l'accusation ou la justification de l'accusé, Sa Majesté, par sa bonté
ordinaire, a jugé à propos de retenir et cacher[1114]. Ledit sieur
Poncet, nous a aussi dit ce que vous, monseigneur, m'avez fait l'honneur
de me mander par la vôtre dernière, savoir est que notre procédé
jusques ici avait été trouvé fort juste et fort bon.

«Hier, sur le midi, comme nous continuions de travailler, trois maîtres
des requêtes et un conseiller du parlement vinrent nous remontrer qu'ils
étaient créanciers de sommes notables; qu'ils avaient intérêt et droit
d'assister à l'inventaire que nous faisions pour prendre garde qu'il ne
se divertit ou dissimulât rien de ce qui leur pouvait importer. De quoi
ayant parlé à M. Le Tellier, il leur avait dit que notre commission ne
portait point que nous travaillerions sans eux, d'où ils inféraient que
le roi les laissait au droit commun, qui non-seulement leur permettait
d'assister à notre inventaire, mais même les y rendait nécessaires. A
cela, monseigneur, nous leur répondîmes que leurs propositions étaient
véritables pour les inventaires ordinaires entre les particuliers et
sujets de Sa Majesté, mais que ce que nous faisions était hors de la
règle, s'agissant d'affaires d'État et de l'exécution d'un commandement
et d'un ordre du roi pour la recherche des choses qui lui étaient
très-importantes, et qui devaient être tenues fort secrètes; qu'il était
le père commun de tous ses sujets, qui regardait en ceci, comme en
toutes occasions, le repos public et le bien des particuliers, auxquels
il ne serait fait aucun préjudice, Sa Majesté ayant choisi des
commissaires d'intégrité connue, et que nous pensions bien qu'y ayant
parmi les créanciers des personnes bien sages et bien fidèles à Sadite
Majesté, quand elle en aurait agréé quelqu'une pour assister à notre
commission, nous en serions fort contents. Après quelques répliques et
dupliques, et avoir fait dîner avec nous ces envoyés, ils se retirèrent
avec beaucoup de civilité et apparence de satisfaction.

«En effet, nous trouvons toujours quelque chose qui mérite fort le
secret, comme, entre autres, je trouvai hier une lettre d'une dame qui
ne se nomme point, et qui, faisant une longue intrigue d'amour pour
apparemment quelque fille de la reine[1115], met, entre autres choses,
que _mademoiselle de la Motte survint, qui nous récita tout ce qui se
passe entre le roi et Madame_. J'ai de la peine et je tremble à vous
écrire ceci, et je crus qu'il fallait faire une grande considération sur
cette lettre, que M. Poncet mit à part pour en avertir M. Colbert. Je
sais bien que ce serait une chose à dire plutôt par vous à la reine
mère, qui voudrait indubitablement que ladite lettre fût supprimée, sans
aller jusqu'au roi.

«Nous avons aussi trouvé une lettre qui remercie de deux cent mille
livres reçues par un homme qui ne se nomme point, sans avoir baillé de
quittance, suivant les ordres du surintendant. Il me semble que celui
qui baille la somme est le sieur Pellisson. Je dis _il me semble_; car
je n'oserais pas prendre la plume pour marquer, n'ayant pas la
confidence du temps. Je peux oublier quelque nom, et je sais bien que
vous voulez que j'use de prudence.

«M. de Machault, conseiller d'État, est venu à Paris, où je l'ai vu. Il
m'a montré un projet de commission pour inventorier chez les
secrétaires qui sont en charge. Le surintendant y entra en 1653; il me
semble, sauf votre meilleur avis, qu'il suffisait d'aller jusque-là,
moyennant quoi il n'y aurait rien à rendre quant à présent au sieur
Catelan, mais seulement à le visiter. Je le trouve en beaucoup de
traités. M. de Machault attend, pour travailler à cela, lorsqu'il aura
parachevé chez Boylève[1116].»

L'inventaire amenait sans cesse des découvertes dont le commissaire
s'empressait de signaler l'intérêt au chancelier. Il écrivait à Séguier,
le 30 septembre 1661[1117]:

«Monseigneur,

«Depuis celle que je me suis donné l'honneur de vous écrire ce matin,
contenant mes observations du jour d'hier, nous avons travaillé et
trouvé deux choses ou lettres fort considérables: l'une d'un quidam,
qui donne avis à M. le procureur général de ce que la maison qu'il a
achetée, proche des Quinze-Vingts, est trop chère d'une moitié, d'autant
que les murailles en ont été percées; que dans les trous ou concavités,
on y a caché des papiers, et que, par après, on a replâtré lesdites
murailles. Ladite lettre est datée du commencement de l'année courante.
Je sais bien que le sens littéral peut être que le vendeur de la maison
en a tellement affaibli les murs qu'elle est menacée de ruine et ne vaut
pas l'argent qu'elle a coûté; mais l'ordre de l'écriture étant que les
papiers ont été mis, et puis les murailles plâtrées, cette cache des
papiers ne peut être des papiers du vendeur.

«L'autre lettre est d'une demoiselle, qui met son nom, que nous ne
pouvons connaître. Il a bien quelque apparence de Marie de
Lorraine[1118], et nous voyons que ce nom est de chiffre. Ladite lettre
s'adresse au surintendant en ces mots: _L'ordonnance de dix mille écus
que vous m'avez envoyée a été donnée comme vous savez. La reine m'a
commandé de me trouver au bal mercredi, et je n'ai point de perles; si
vous vouliez achever la grâce, vous obligeriez, etc._

«J'ai relevé l'importance de ces lettres, qui sont tombées entre mes
mains, non pas que je sois avide de rechercher le mal de mon prochain;
mais je crois que Dieu me commande de faire connaître au roi la
frénétique dissipation de ses finances à la grande foule (oppression)
de son pauvre peuple, qui pourra être par ci-après soulagé, et Dieu
moins offensé par l'exemple qui se donnera en cette occasion. Lesdites
deux lettres ont été mises à part pour être envoyées ce soir à M.
Colbert par MM. Poncet et Foucault[1119], et j'ai cru, monseigneur, que
je vous en devais promptement avertir, afin que vous soyez préparé si la
chose vient à vous.»

La lecture du projet que Fouquet avait rédigé, dès 1657, pour se mettre
en garde contre le cardinal, frappa vivement les commissaires. Le
conseiller d'État de la Fosse, qui semble avoir eu l'esprit un peu
chimérique, crut même y apercevoir des desseins encore plus criminels,
un complot contre la vie du cardinal Mazarin. C'est ce qui résulte d'une
seconde lettre qu'il adresse au chancelier, le 30 septembre 1661:

«Monseigneur,

«Vous avez vu le papier écrit devant le décès du cardinal Mazarin, de la
main du malheureux, et que M. Poncet nous a rapporté, contenant une
instruction à ses affidés de ce qu'ils devaient faire en cas de sa
défaveur, et comme quoi certains gouverneurs se devaient retirer dans
leurs places, et le commandeur de Neuchèse tenir la mer, prendre tous
les vaisseaux de nos rades, en faire servir quelques-uns de brûlots, et
augmenter ses soldats, et, qu'en l'extrémité de son procès, il fallait
chercher un homme d'entreprise et déterminé pour faire un grand coup.
Ces deux ou trois mots sont répétés, ce me semble. Voici, monseigneur,
ce que vous n'avez pas vu: c'est que, dans le même cabinet, appelé
secret, où était ce papier, et parmi d'autres papiers considérables, il
s'est trouvé un papier ou carton, presque in-folio, frippé, et,
par-dessous, sur les coins, marqué de colle, comme ayant été arraché de
quelque endroit où il avait été attaché ou affiché. Sur ce papier est un
méchant crayon d'un demi-homme tirant sur le vieillard, avec une barbe
ronde, ayant le côté ouvert et sanglant, comme sans comparaison l'on
représente le côté de Jésus; et, vis-à-vis de cette place, un couteau ou
poignard, dont la pointe sanglante est dressée vers ledit côté, comme si
elle en venait de sortir sans aucune main qui tienne le couteau, et au
bas sont ces mots: _Qui interpretabitur_ (ou quelque autre approchant)
_mercedem accipiet_. Voilà une belle énigme à exercer des écoliers. Mes
collègues ont cru qu'il fallait jeter cela au feu, comme un papier de
néant, et je ne blâme pas leur pensée, attendu le bon zèle et la grande
capacité avec laquelle ils travaillent, et moi j'ai pensé, et insisté,
qu'il en devait être dit un mot au lieu où vous êtes. C'est pourquoi M.
Poncet l'a mis à part pour en écrire à M. Colbert. Il me semble que cela
pourrait passer[1120] pour un article d'interrogatoire pour les
circonstances. Ce n'est pas que je ne porte compassion aux affligés,
mais je vous dois le récit de cette histoire.

«M. le marquis de Charost et madame sa femme[1121] nous demandent fort
quelques vêtements et quelque vaisselle d'argent, marqués de leurs
armes, qui sont dans une chambre qui leur était affectée. Nous les avons
remis à écrire. Nous attendons quelque ordre, et je demeure toujours
inviolablement, etc.»

Les détails sur Saint-Mandé et les curiosités que cette maison
renfermait ne sont pas sans intérêt, quoique le conseiller de la Fosse y
mêle souvent d'étranges appréciations. Il écrivait, le 7 octobre, au
chancelier:

«Monseigneur,

«J'ai oublié de mettre en ma dernière dépêche que dans l'une des
chambres de la bibliothèque il y a un coffre médiocre rempli de
médailles, parmi lesquelles il y en a six vingt-deux d'or, du poids
chacune d'environ une pistole, à l'exception d'une seule, qui peut peser
quatre pistoles: quelques autres desdites médailles sont d'argent, et le
restant d'icelles de quelques autres moindres matières, et les toutes
peu antiques et peu considérables.

«Je ne vous ai pas non plus écrit que le jardinier de Saint-Mandé, qui
est vêtu, logé et meublé comme un honnête homme, et que l'on appelle Le
Henriste, est celui, à ce que l'on m'a dit, de tous les domestiques
dudit lieu duquel le sieur Fouquet faisait le plus d'état, et auquel il
prenait le plus de confiance, nonobstant qu'il fût Allemand, luthérien,
qui a sous lui trois ou quatre serviteurs luthériens, et qui, même à la
vue de toute sa famille, a perverti et rendu luthérien un catholique qui
servait sous lui. Ajoutez, s'il vous plaît, à cela, monseigneur, que le
principal confident dudit sieur Fouquet, pour les affaires importantes,
savoir est le sieur Pellisson, était calviniste.

«Deux cordeliers espagnols, personnes de lettres et de prud'hommie,
étant venus voir la bibliothèque, moyennant une lettre ou passe-port de
M. Le Tellier, se sont principalement arrêtés dans la chambre où sont
les alcorans, les talmuds, les rabbins, et quelques vieux interprètes de
la Bible; et, comme je les ai priés de venir dîner avec nous, ils m'ont
fort civilement et religieusement refusé, et dit que le livre qu'ils
tenaient et sur lequel ils faisaient des recueils, était d'un auteur
espagnol qui avait interprété _Vocabula Bibliorum_, et lequel livre ils
n'avaient jamais pu voir en Espagne; et, après s'être arrêtés cinq ou
six heures dans ladite bibliothèque et s'être un peu promenés par le
jardin, ils nous ont affirmé, faisant en latin des réflexions morales
sur la chute dudit sieur Fouquet, et frappant leur poitrine pour donner
plus de foi à leur dire que: _Rex Hispaniarum nihil tale habebat_[1122].
Que diraient-ils en visitant la maison de Vaux!

«Continuant hier l'inventaire de celle-ci et étant en la cour, qui
s'appelle la _Cour de la ménagerie_, et qui est la cinquième des grandes
cours du logis (je dis la cinquième et non la dernière), d'autant que
toutes lesdites cours sont sur une même ligne, en face de la principale
entrée de la maison, j'y trouvai une chambre remplie d'environ dix-neuf
cents volumes de livres, dont il y avait plus de sept cent soixante
in-folios, tout ceci outre et par-dessus la grande bibliothèque, de
laquelle je vous ai ci-devant fait mention. Après cela, je vins dans un
appentis fermé à clef, tout rempli de statues, de tables de marbre et de
bronze, et entre autres de deux grands corps égyptiens enbaumés et en
momie[1123].

«Vous dirai-je, monseigneur, pour vous montrer seulement que le maître
du logis était _omnium curiositatum explorator_, et non point pour
l'accuser d'aucune mauvaise pensée, que j'ai trouvé une petite chambre
appelée le _Magasin_, remplie de trois grands barils pleins de grenades,
de fer, de fonte, d'environ cinquante pots de grès pleins de poudre et
pliés avec de la ficelle, de six mousquets et de beaucoup de plomb plat
et arrondi, et que j'ai trouvé dans une autre chambre un muid plein de
poudre à tirer ou à canon.

«Nous venons de recevoir la dépêche du roi qui nous a ordonné de mettre
tous les papiers inventoriés dans un donjon du château de Vincennes, et
prendre quelques soldats de la garnison dudit château, pour la garde de
cette maison, par subrogation aux gardes du corps, qui y sont malades ou
fatigués. MM. de Lauzon et Poncet sont allés porter la lettre que Sa
Majesté écrit pour cet effet au commandant dudit château, et de là
coucher à Paris, pour être en ce lieu, où je les attends, demain de bon
matin, afin d'y clore notre inventaire et exécuter cet ordre.»

Dans une lettre du 16 octobre, le même conseiller, revenant sur le
projet trouvé à Saint-Mandé, rappelle que le premier président y est
cité: «Vous savez peut-être bien que M. le premier président du
parlement de Paris est marqué _cum maximo elogio_ de presque une page
dans le mémoire des confidents de M. Fouquet, disant qu'il lui doit sa
charge, qu'il lui a promis son assistance si fortement qu'il ne faut
point douter qu'il fasse le mauvais et le mutin, et se porte aux
extrémités pour empêcher qu'on ne le persécute. Vous pourriez avoir
oublié ceci, et il se peut rencontrer des occasions où il est bon que
vous vous en souveniez. J'honore ledit M. le premier président, et je
crois qu'il a été parlé de lui contre vérité; mais à toutes fois je vous
récite cette histoire secrète.»

Ailleurs la Fosse donne encore quelques détails sur divers papiers et
objets que contenait Saint-Mandé[1124]: «En finissant notre inventaire,
nous avons trouvé, parmi des papiers que nous avions cru inutiles, une
cédule ou reconnaissance signée Chanut, portant qu'il a treize mille six
cent trois pistoles, valant cent cinquante et une mille livres,
appartenant à M. Fouquet, surintendant, et qu'il promet rendre; ladite
cédule est datée de 1656;

«_Item_, les états de la recette et dépense du domestique dudit sieur
Fouquet, pour l'année 1657, que nous n'avions pas trouvés parmi les
autres; lesdits états non signés;

«_Item_, deux pistolets gravés sur le fer et ornés sur le bois de
figures d'argent si artistement rapportées, et ce nonobstant lesdits
pistolets si légers et bien à la main, que M. de Lauzon, qui s'entend
aux curiosités, ne s'est pu soûler de les admirer;

«_Item_, dans la layette de la table du cabinet secret, que nous
n'avions pas encore fait ouvrir, un seul petit livre intitulé: l'_École
des Filles_, imprimé à Leyden, si sale, si impudique et infâme, que nous
avons cru le devoir faire brûler, puisqu'il ne pouvait servir à rien
qu'à corrompre les esprits de ceux et celles entre les mains de qui il
serait tombé.

«Le maçon, qui a conduit le bâtiment de cette maison, et qui conduit
maintenant ceux du Louvre, interrogé par serment s'il savait qu'il y eût
ici quelques caches, nous a déclaré n'en savoir point et ne croire pas
qu'il y en eût qu'une qui n'était que commencée, et dans laquelle nous
ayant conduits, nous n'avons rien trouvé, n'étant pas encore fermée.
Elle est dans l'épaisseur de la muraille de la troisième voûte ou
troisième chemin sous terre, que nous n'avions point encore aperçu; et
ce maçon nous a dit que l'esprit et l'application du sieur Fouquet, dans
ses bâtiments, était d'y pouvoir cheminer partout sous terre et sans
être vu, et que le présent bâtiment de Saint-Mandé, avec la
bibliothèque, revenait pour le moins à onze cent mille livres, dont le
plus beau, qui est commencé, reste à parachever:

    ...Stant opera interrupta minæque
    Murorum ingenies[1125];

qu'il avait ordre de ne faire que des bâtiments bas et à un seul étage,
de crainte que l'élévation en déplût à Sa Majesté; et qu'à cette fin,
tout le côté de la couverture de ces bâtiments qui s'aperçoit de
Vincennes n'était couvert et ne se devait couvrir que de tuiles, et
l'autre côté d'ardoises, de telle sorte que, venant dudit lieu de
Vincennes, l'on ne pense voir que _vilia tuguria_, et, venant du côté de
Conflans, on croit voir une pompeuse ville. Il y faut, pour le moins,
six ou sept mille livres d'entretien par an et davantage, sans qu'il s'y
recueille que fort peu de grain et un peu de sainfoin, le terroir en
étant fort stérile.

«Nous avons de plus trouvé environ onze mille livres en or de diverses
espèces, dans une bourse étant dans une boîte du cabinet de madame la
surintendante.

«Il me semble, monseigneur, que je ne vous ai point encore mandé que
nous avons trouvé et inventorié une lettre signée _Clément_, et adressée
à M. le surintendant, par laquelle celui-là mande à celui-ci qu'il a
délivré à l'abbé de Bruc (que nous croyons être le frère de madame du
Plessis-Bellière) les deux cent mille livres, sans en prendre de
récépissé, _suivant votre ordre_, porte ladite lettre.

«Enfin nous avons fini notre commission, fait conduire et mettre les
papiers de notre inventaire dans deux coffres bien scellés et étiquetés
à la première chambre du premier étage du château de Vincennes, de
laquelle chambre nous avons fait mettre la clef entre les mains du
greffier de notre commission, le tout en présence du commandant du
château, nommé le sieur de Montfort, qui va envoyer de ses soldats
relever ceux qui ont gardé jusqu'ici la maison de Saint-Mandé, aux
chambres de laquelle nous avons apposé notre sceau et apporté toutes les
précautions possibles pour la sûreté d'icelle. M. Poncet ira
incessamment à Fontainebleau, où il vous récitera le menu de tout, et je
demeurerai ici pour servir à la commission contre les secrétaires du
roi.»

Les commissaires n'avaient conservé entre leurs mains que les pièces qui
pouvaient être utiles pour le procès. Mais, à Fontainebleau, la
curiosité avait surtout été frappée par les lettres de femmes dont il a
été plusieurs fois question. L'examen de cette mystérieuse cassette
donna lieu à des bruits scandaleux, et beaucoup de dames de la cour
parurent compromises. Bientôt la malignité et la haine aidant, on
inventa des lettres et on fabriqua une prétendue cassette de Fouquet,
qui est reproduite dans les recueils du temps. Cette question est si
intimement liée à l'histoire du surintendant, que nous sommes obligés de
nous y arrêter.



CHAPITRE XLI

Cassette de Fouquet trouvée à Saint-Mandé; nous n'avons pas toutes
les lettres qu'elle renfermait.--Analyse des papiers conservés par
Baluze.--On peut les diviser en cinq catégories: 1° Intrigues
d'amour, billet attribué à madame du Plessis-Bellière; 2° lettres
d'intrigues et d'affaires; 3° rapports d'espions, détails sur
madame de Navailles, sur Delorme, sur madame d'Asserac, sur une
personne, nommée Montigny, séquestrée par ordre de Fouquet; 4°
demandes d'argent; 5° lettres d'affaires.--L'inventaire de ces
papiers ne répondit pas à ce qu'attendaient la curiosité et la
malignité des courtisans; ils inventent une fausse cassette de
Fouquet.


Les lettres du conseiller d'État, que nous avons citées dans le chapitre
précédent, prouvent que des billets de femmes trouvés à Saint-Mandé dans
la cassette de Fouquet furent portés à Fontainebleau et remis au
roi[1126]. Ils ne furent pas renvoyés aux commissaires. Que
devinrent-ils? Ici commencent les mystères de cette cassette. Il est
probable que quelques lettres furent détruites; d'autres, conservées par
Colbert et par son bibliothécaire Baluze, sont parvenues jusqu'à nous.
Il est facile d'établir que nous n'avons pas toutes les correspondances
qui firent alors un si grand bruit. Ainsi madame de Sévigné s'afflige
que l'on ait trouvé de ses lettres dans la cassette de Fouquet: «Je
pense, écrit-elle à Ménage[1127], que vous savez bien le déplaisir que
j'ai eu d'avoir été trouvée dans le nombre de celles qui lui ont écrit.
Il est vrai que ce n'était ni la galanterie ni l'intérêt qui m'avait
obligée d'avoir un commerce avec lui. L'on voit clairement que ce
n'était que pour les affaires de M. de la Trousse; mais cela n'empêche
pas que je n'aie été fort touchée de voir qu'il les avait mises dans la
cassette de ses poulets, et de me voir nommée parmi celles qui n'ont pas
eu des sentiments si purs que moi. Dans cette occasion, j'ai besoin que
mes amis instruisent ceux qui ne le sont pas. Je vous crois assez
généreux pour vouloir en dire ce que madame de la Fayette vous
apprendra, et j'ai reçu tant d'autres marques de votre amitié, que je ne
fais nulle façon de vous conjurer de me donner encore celle-ci[1128].»

Cependant les lettres de madame de Sévigné, qui furent trouvées dans la
cassette de Fouquet, ne font pas partie des papiers que Baluze a
recueillis et qui existent à la Bibliothèque impériale. Le conseiller
d'État de la Fosse, dans une lettre du 30 septembre 1661, parle d'une
lettre signée d'un nom qui paraissait être celui de Marie de Lorraine
(mademoiselle de Guise), et il indique les principaux passages de cette
lettre. Elle ne se trouve pas non plus dans les papiers de Fouquet
conservés par Baluze. Il faut donc reconnaître que nous sommes loin
d'avoir tous les billets de femme enlevés de Saint-Mandé et portés à
Louis XIV.

Quant aux papiers conservés par Baluze, on a déjà vu quel usage
l'histoire en peut tirer. J'en ai extrait un grand nombre de documents
authentiques pour composer ces Mémoires de Fouquet pendant les années
1658, 1659, 1660 et surtout 1661[1129]. Il y a dans cette multitude de
lettres un choix à faire: à côté de lettres de personnages influents,
comme de Lyonne, le marquis de Villequier, madame d'Huxelles, madame du
Plessis-Bellière, le chevalier de Gramont, Vardes, Bonzi, il y a des
rapports de police, des billets d'entremetteuses d'assez bas étage, puis
des projets d'affaires, des demandes d'argent, des sollicitations de
toute nature, quelquefois des avis utiles, souvent des flatteries
intéressées. Presque toutes ces lettres sont anonymes, parfois même les
noms des personnes et des contrées ont été altérés pour dérouter le
lecteur. C'est seulement par la comparaison des écritures et par l'étude
attentive des faits que j'ai réussi à en deviner quelques-uns.

Pour terminer ce qui concerne ces papiers de Fouquet, j'ajouterai qu'on
peut y distinguer cinq espèces de documents: 1° des correspondances de
femmes qui s'occupent d'intrigues amoureuses; la plupart viennent de
cette femme La Loy qui faisait un ignoble métier; elles concernent
surtout mesdemoiselles de Menneville et du Fouilloux. Nous en avons
suffisamment parlé; il serait aussi inutile que fastidieux d'insister
plus longuement sur cette honteuse correspondance; 2° des lettres où les
intrigues amoureuses et les affaires sont perpétuellement mêlées; on en
a vu un spécimen dans la correspondance de mademoiselle de Trécesson
avec le surintendant[1130]; 3° les rapports d'espions dont Fouquet
cherchait à entourer tous les personnages puissants, afin de pénétrer
les secrets du roi, de la reine mère, de Colbert et des ministres; 4°
des sollicitations adressées au surintendant des finances par des
personnes de toutes les classes, dont quelques-unes même occupaient une
haute position, par exemple le chevalier de Gramont et Hugues de Lyonne;
5° enfin des papiers concernant uniquement les affaires publiques ou les
intérêts privés de Fouquet.


I

De ces cinq catégories, la première est, comme je l'ai déjà dit, de
beaucoup la plus considérable. Parmi les billets anonymes, que l'on peut
attribuer à des maîtresses du surintendant, un seul paraît écrit par
madame du Plessis-Bellière, et encore je n'exprime cette opinion qu'en
hésitant. Le voici: «Je pars à la fin, demain, assez incommodée, mais ne
sentant point mon mal dans la joie que j'ai dans la pensée de vous voir
bientôt; je vous en prie, que le jour de mon arrivée j'aie cette
satisfaction. Je ne vous puis exprimer l'impatience où j'en suis, et
moi-même je ne la puis pas trop bien comprendre; mais je sens qu'il ne
serait pas bon que je vous visse la première fois en cérémonie, parce
que ma joie serait trop visible. Adieu, mon cher, je t'aime plus que ma
vie.»

Les billets de mademoiselle de Menneville n'ont pas cet accent
passionné. J'en ai cité plusieurs antérieurement[1131]. En voici encore
un dont le ton ne diffère pas beaucoup de celui des précédents[1132]:
«Je suis fort fâchée de n'avoir pas pu tous ces jours-ci vous aller
voir. Je crois que la personne que vous savez (l'entremetteuse) vous
aura pu dire le chagrin que j'en ai eu, et quoique je me trouve toujours
fort mal, cela ne m'empêchera pas d'y aller demain. Je vous dirai les
raisons pourquoi je n'y peux pas aller aujourd'hui. Adieu, bonjour.»


II

Quant aux lettres qui présentent un mélange d'intrigues et d'affaires,
elles sont fort nombreuses. Le surintendant aimait, comme nous l'avons
déjà fait remarquer, à se servir de ses maîtresses pour pénétrer les
secrets des cours étrangères et s'y faire des créatures: c'était aussi
par elles qu'il cherchait à connaître les plans de ses ennemis. Une des
personnes qui le prévient des attaques dirigées contre lui lui rappelle
qu'elle lui écrivait autrefois en encre sympathique[1133]. Ces lettres
ne sont pas moins difficiles à interpréter que celles qui viennent de
l'entremetteuse. Les noms y sont souvent déguisés, comme on l'a vu dans
les lettres de mademoiselle de Trécesson, ou chiffrés, comme dans celles
de l'abbé de Bonzi sur la cour de Florence. Voici un billet où madame de
Sévigné semble désignée, sans être nommée[1134]. C'est une femme qui
écrit à Fouquet: «Quand vous serez aussi persuadé que je le souhaite du
véritable attachement que j'ai à tous vos intérêts, j'aurai peu de chose
au monde à désirer; mais il faudrait pour cela que je fusse plus
heureuse et que j'eusse quelque occasion importante de vous servir. Je
suis néanmoins fort contente de ce que vous connaissez un peu mes
sentiments dans les rencontres où vous pouvez avoir quelque part. Car je
vous assure que c'est par là seulement que j'y en puis prendre.

«La dame que vous vîtes l'autre jour m'a paru fort satisfaite de vous;
elle voulait retourner demain vous parler de son affaire; mais je lui ai
fait conseiller d'en donner la commission à quelqu'un de ses amis, ne
croyant pas que des visites si fréquentes vous plussent fort par les
conséquences qu'on en pourrait tirer. Elle donnera cet emploi à
Pomponne ou à Hacqueville; ni l'un ni l'autre ne savent que j'ai
l'honneur de vous écrire.

«Pellisson me dit l'autre jour que vous ne seriez pas fâché de savoir ce
que l'abbé de Mores[1135] aurait jugé du mal de M. le cardinal. Si M.
d'Épernon vous a vu depuis, je suis persuadée qu'il ne vous en aura rien
celé; mais comme je n'en suis pas assurée, je vous dirai que de la
manière dont on le traite, il ne croit pas qu'il en puisse réchapper, ni
même qu'il puisse continuer longtemps les remèdes qu'on lui donne.

«Brûlez ce billet, s'il vous plaît, et croyez que je ne vous demanderai
jamais de précaution quand cela sera bon à quelque chose.»

Les circonstances relatives à la maladie de Mazarin que mentionne cette
lettre prouvent qu'elle a dû être écrite vers la fin de février ou au
commencement de mars 1661. Quelle est la dame qui connaissait si bien
Pomponne et d'Hacqueville et pouvait les employer auprès de Fouquet pour
ses affaires? Ne serait-ce pas madame de Sévigné, qui, comme le prouvent
ses lettres, était liée avec l'un et l'autre et se servait d'eux
habituellement? Quant à l'insinuation malveillante sur la fréquence des
visites, elle ne prouverait que de la jalousie, et une jalousie bien peu
fondée; car madame de Sévigné avait toujours su repousser les attaques
de Fouquet. Elle écrivait dès 1655 à Bussy-Rabutin[1136]: «J'ai toujours
avec lui les mêmes précautions et les mêmes craintes, de sorte que cela
retarde notablement les progrès qu'il voudrait faire. Je crois qu'il se
lassera de vouloir recommencer toujours inutilement la même chose.»

Une autre femme, qui dissimule son nom, informait Fouquet des relations
de son frère avec Delorme, son ancien commis, avec un président qui
n'est indiqué que par ce titre, et un marquis qui se donne pour favori
du roi, et qui pourrait bien être le marquis de Vardes. «C'est avec
regret, écrit-elle à Fouquet[1137], que je vois les vôtres et les
miens[1138] dans l'aveuglement au point qu'ils sont, et que je sois
obligée de vous faire connaître leur mauvaise volonté. Tant que je n'ai
point vu de chef pour exécuter leur entreprise, je n'ai rien dit; mais
quand j'ai su que M. l'abbé était de la partie, j'ai cru qu'il était
temps de vous avertir, puisque vous m'ordonnez, monseigneur, de vous
mander ce que j'en ai appris: c'est que le président, lequel M. l'abbé
ne voit jamais chez lui, il le va voir à présent, et tous les jours ils
se voient et ont de longs entretiens et se donnent des rendez-vous de
temps en temps pour conférer tous trois[1139] ensemble. De plus Delorme
s'assure de toutes parts d'argent et de tous ses amis, afin de se rendre
nécessaire, et ils font courre le bruit parmi les gens d'affaires qu'il
n'y a pas moyen que la surintendance subsiste, s'il ne rentre dans les
affaires; et, ayant commerce avec ceux de la maison de Son Éminence,
l'on m'a dit que c'était MM. de Fréjus et de Mongaillac et quelques
autres qui devaient faire connaître au cardinal que, si Delorme rentre
dans les affaires, l'on ne manquera point d'argent. Pour le marquis, il
prétend être favori du roi et dire tout ce qui sera à propos sur ce
chapitre. En attendant, Delorme lui a fait faire quelques affaires et
prêté de l'argent. Delorme promet à tous ceux qui sont dans ses intérêts
de les faire riches. Voilà tout ce que je sais de l'affaire. Si je
pouvais davantage, monseigneur, pour votre service, je le ferais,
n'ayant point de plus forte passion, en reconnaissance de vos bienfaits,
que de vous faire voir que je suis plus que personne,

«Votre très-humble et très-obéissante servante.»

Le surintendant avait toujours cherché à se ménager l'appui des nièces
de Mazarin. On l'a vu en relation avec la société d'Olympe Mancini,
comtesse de Soissons[1140], et recevant des avis mystérieux d'un
confident d'Hortense Mancini, duchesse de Mazarin[1141]. Marie Mancini,
qui avait failli devenir reine de France, n'avait pas été oubliée, et il
paraît que le surintendant avait su se l'attacher solidement, à en juger
par le billet suivant, qu'elle lui écrivait le 14 avril 1661, au moment
de partir pour l'Italie[1142]: «J'ai reçu, monsieur, avec grande joie la
lettre obligeante qu'il vous a plu m'écrire. Je vous prie d'être
persuadé que j'aurai toute ma vie la dernière reconnaissance des bontés
que vous m'avez témoignées. Je vous reconnaîtrai toujours pour le plus
véritable de mes amis, et en quelque lieu que je sois, comptez toujours
sur moi comme sur la plus affectionnée de vos servantes.

«MARIE DE MANCINI.»


III

Les rapports de police ne manquent pas dans la cassette de Fouquet. On
pourrait ranger dans cette catégorie les lettres de la personne qui
était en relation avec le confesseur de la reine mère. Il y a d'ailleurs
de véritables rapports de police, qui paraissent émaner d'un nommé
Devaux, chef d'une compagnie qu'il entretenait avec l'argent de Fouquet.
Il était chargé de surveiller les ennemis du surintendant et de
recueillir leurs propos. En remuant cette fange, on trouve la trace de
tristes histoires, telles que la séquestration d'une personne que ce
Devaux tenait enfermée chez lui par ordre de Fouquet. Il faut cependant
se donner le spectacle de ces misères et de cette corruption, si l'on
veut connaître à fond Fouquet et son entourage. C'est ce qui me décide à
publier quelques-uns de ces rapports. Ils ne sont pas exactement datés.
Cependant la première lettre est évidemment de la fin d'avril 1661, il y
est question de l'hostilité de madame de Navailles contre Fouquet.
Cette dame d'honneur était chargée de veiller sur les filles de la
reine. Comment sa vertu, qui s'opposa aux amours de Louis XIV, ne se
serait-elle pas révoltée des intrigues de Fouquet?

«Je sais, écrivait l'espion, que M. de Saint-Geniès a dit vendredi 29
avril, parlant de M. le procureur général, qu'il était fort satisfait de
lui; mais que sa belle-sœur, madame de Navailles, avait une langue dont
personne ne se pouvait exempter, et qu'elle n'était pas des amis de M.
le procureur général; c'est un homme de foi qui me l'a dit. Si
monseigneur veut savoir son nom, je le lui dirai. Monseigneur ne doit
pas mettre cet article en doute. Cela s'est dit _In vino veritas_.

«Monseigneur aura la bonté de se souvenir de faire expédier l'ordre du
roi et de m'envoyer cet ordre de ce que je dois faire, tant de mon
dernier mémoire que je lui ai mis en main touchant M. Delorme[1143] que
de celui-ci. Je vais pourtant mon chemin. Pour l'affaire Delorme, je le
fais parler, dont je vous rendrais compte, si n'était la raison que
monseigneur sait. Jores est le porteur de tous mes billets. Je suis
assez touché de ne le pouvoir faire; je suis au désespoir d'entendre
tous les jours dire cent sottises; il en faut faire punir un pour
l'exemple. Celui qui est ici dénommé[1144] le mérite bien. Madame
d'Asserac se porte un peu mieux. Elle prit hier un remède; je crois
qu'elle sera saignée du pied aujourd'hui lundi; car son oppression
continue. Je lui ai dit avoir ordre de monseigneur de la voir tous les
jours et de lui mander l'état de sa santé.»

Madame d'Asserac est souvent mentionnée dans ses rapports, surtout pour
une affaire mystérieuse: il s'agit d'une personne nommée la Montigny,
qui avait été enlevée, à ce qu'il semble, par ordre de madame d'Asserac
et du surintendant, puis enfermée à la Bastille, et enfin confiée à la
garde de l'espion de Fouquet. Quelle était la cause de cette
séquestration? Était-ce une intrigue d'amour ou une affaire politique?
C'est ce que les lettres n'expliquent pas. Cependant, comme le nom du
cardinal de Retz revient souvent dans les dénonciations, il semble qu'il
y a là quelque intrigue politique. L'espion rapporte d'abord les propos
tenus par les ennemis de Fouquet à l'occasion de cet enlèvement:

«Le marquis de la Bertèche a dit, chez madame des Blérons, qu'il fallait
attendre à pousser l'affaire de la Montigny que vous ne fussiez pas si
bien en cour, et que cela ne pouvait pas aller loin. Ils ont néanmoins
conclu que, si l'on en pouvait avertir le roi et lui dire toutes les
choses comme elles se sont passées, tant de la part de madame d'Asserac
que de vous, de tout le mystère de son existence et de l'intelligence
qui était entre le cardinal de Retz et les personnes que j'ai nommées,
tout cela ensemble vous ébranlerait fort dans l'esprit du roi. La dame
des Blérons a dit: «Oui; mais qui en parlera? car moi qui avais donné
mon mémoire au Père confesseur de la reine, il me l'a gardé et n'en a
pas parlé. En qui se fier?» Un gentilhomme gascon, qui est frère d'une
dame qui loge aux Trois-Maures avec madame des Blérons, et qui était de
ce conseil, dit: «Je connais bien des gens, et j'en présenterai qui ne
sont pas des amis de M. le procureur général; surtout je connais M. de
Roquelaure; j'ai une forte intrigue avec lui par des voies que je ne
vous puis dire. Je connais aussi M. de Luxembourg, qui est M. de
Bouteville, et même toute la maison de M. le Prince. Laissez-moi ménager
cette affaire. Je vous en rendrai compte.» Voilà ce qu'on m'a confié.

«J'ai fait voir ce gentilhomme gascon à mon homme, pour voir si ce n'est
pas celui-là qui allait chez madame de la Roche; mais ce n'est pas lui.»

Les ennemis de Fouquet cherchèrent à effrayer madame d'Asserac en
répandant le bruit que cette affaire était parvenue jusqu'à la reine.
«Madame d'Asserac m'a dit, écrit l'espion, qu'il était venu un
gentilhomme de M. le grand-maître[1145] la trouver, pour lui dire que le
Père confesseur avait parlé à la reine de cette créature, et que la
reine avait dit: «Il faut obliger Bessemot[1146] à la représenter.» Pour
moi, je répondrais bien que cela vient de madame des Blérons, qui l'a
fait dire à madame d'Asserac, par cet homme de M. le grand-maître. Quand
le Père confesseur l'aurait dit, ce que je ne crois pas, la chose serait
secrète et aurait été faite en particulier. Ainsi le confesseur ne
l'aurait pas divulguée ni dite à ce gentilhomme de M. le grand-maître,
qui même ne le connaît pas; mais la dame de bonne volonté l'a obligé à
cela.

«A ce que je peux connaître par elle-même, c'est que monseigneur a une
pépinière d'ennemis; tous s'en veulent mêler. Monseigneur se souviendra
bien d'une mademoiselle de Mormar qui a été chez lui en sortant de
religion; elle s'est mise dans la galanterie, où quelques gens l'ont
vue, entre autres un M. Tabouret de Turny, qui s'en est emparé, non tant
pour l'amour que pour savoir le secret de ce qui se passait chez
monseigneur dans le temps qu'elle y était, et même je doute qu'elle
s'est conservé quelque intelligence dans la maison. Le sieur Tabouret en
est encore présentement saisi, en quelque lieu qu'elle soit. Je le sais
par celui qui lui en a donné la connaissance et à qui elle a dit son
secret; il suffit que monseigneur sache que Tabouret n'est pas dans ses
intérêts, à ce que m'a dit cet homme-là. La demoiselle de Mormar a dit
aussi des sottises contre mademoiselle de Frensse (_sic_). Si
monseigneur le désire savoir, je le lui dirai de bouche. Depuis ma
lettre écrite, je sais où demeure ladite demoiselle de Mormar.
Monseigneur n'a qu'à ordonner ce qu'il lui plaît que l'on sache ou que
l'on fasse sur cet article.»

L'espion écrit à Fouquet une autre lettre de la maison même d'une dame
de la Roche, qui était une des personnes chargées de donner avis des
bruits répandus contre le surintendant. Elle recevait chez elle les
ennemis de Fouquet, encourageait leurs propos et en informait Devaux. Le
gentilhomme gascon mentionné ci-dessus (p. 300-301) retourna chez cette
dame de la Roche. «Vendredi dernier, 22 de ce mois, écrit l'espion, il a
récité tout ce que j'ai déjà écrit. Quoiqu'elle dise qu'il y a tant
parlé du cardinal de Retz, qu'elle ne se souvient pas de ce qu'il a dit;
tout cela, à mon sens, n'est rien; car il promet beaucoup, et cependant
il ne lui donne rien. Il lui promet tout et de lui faire sa fortune. Il
continue à la prier de lui garder ce mémoire que lui doit envoyer des
Fros de Guyon, que la Montigny lui a laissé; mais la lettre que j'ai
écrite au sieur des Fros, de la part de la Montigny, l'empêchera de
l'envoyer, à moins qu'il ne fût parti avant de recevoir ma lettre.

«Pour la demoiselle[1147], c'est à l'ordinaire, un peu pire; mais elle
me promet que, ce mois-ci fini, elle fera jour et nuit des cris
horribles, tant que l'on ait mis fin à lui donner tout ce qu'il lui
faut, et qu'on l'ait renvoyée chez elle; après cela qu'elle ne dira mot.
Sinon, qu'elle ne se soucie de rien; qu'elle fera cent fois pis que ce
qu'elle a fait; c'est en vérité une méchante garde[1148]. Je ferai tout
de mon mieux pour trouver quelque biais pour l'apaiser, en attendant que
mon affaire soit faite. Après cela, je ne crains plus rien.

«Elle dit que le gentilhomme à qui madame d'Asserac avait donné ordre de
la gouverner, comme elle a été dehors de son pays(?), s'appelle du
Guilie. Au lieu de lui conseiller de ne rien dire, il l'a priée et
sollicitée cent fois de tenir bon et de dire le pis qu'elle pourrait
contre M. le surintendant; qu'il fallait qu'elle s'attachât à cela, et
que, si elle lui voulait confier son secret, il lui donnerait de bons
conseils pour faire ses affaires, et même il lui donnerait de quoi
vivre, et qu'ils feraient tous deux leur affaire. Ledit sieur du Guilie
l'a fort priée de le mettre bien dans l'esprit de M. de Vendôme, et de
faire en sorte qu'il pût être sénéchal de Lamballe, et qu'il lui
promettait de lui donner avis de tout ce qu'il apprendrait contre elle;
mais aussi qu'elle lui écrivit de Paris toutes ses affaires
réciproquement. Voilà la fidélité des gens à qui madame d'Asserac s'est
confiée. Je n'en vois pas un qui ne l'ait trompée, tous par espérance de
faire leur fortune.

«Elle m'a dit aussi que M. de Saint-Georges lui disait: «Madame
d'Asserac est bien fine; mais je la tiens à cette heure et M. le
procureur général aussi; il ne m'oserait rien dire, car je sais tout ce
que vous avez fait; ils font cas de moi. M. le recteur[1149] avait écrit
à madame d'Asserac contre moi; mais, à cette heure, je puis tout faire;
ils ne me diront rien. Je m'en vais tant battre que je les ferai tous
périr.»

«Elle[1150] dit qu'elle est fâchée de lui avoir confié toutes choses, et
qu'assurément si l'on désoblige cet homme-là, il dira tout, ainsi qu'il
a dit qu'il le ferait. L'on peut dire qu'elle a empoisonné tous ceux qui
l'ont approchée. Comme c'est un esprit dangereux, dès lors qu'on
l'écoute, elle est capable de s'attirer les gens par ses belles
promesses. Elle vous prie de recommander ce placet fortement; elle ne
peut sortir aujourd'hui; ce sera pour un des jours de la semaine. Elle
m'a dit que M. le maréchal de la Meilleraye continue sa haine contre
les personnes que vous savez. Elle vous prie de faire que M. du Plessis
offre des fiefs des Rieux le denier 25 (4 p. 100) et le denier 20 (5 p.
100) des domaines. Et elle, si vous le trouvez bon, elle en donnera le
denier 30 (3,33 p. 100) des fiefs, et le denier 25 (4 p. 100) des
domaines. Elle vous prie lui mander si vous ne serez pas fâché qu'elle
fasse quelques pas contre M. l'abbé votre frère; elle ne l'a pas voulu
faire que vous ne lui ayez mandé comme vous êtes ensemble.

«Elle dit qu'il y a quelques jours, l'écuyer de madame la Princesse et
six autres gentilshommes de M. le Prince disaient tout haut, et
continuent tous les jours à dire mille sottises contre vous, en disant
que l'on n'a jamais vu la France si mal gouvernée; que tout est ruiné;
que ce sont tous les jours de nouveaux impôts; que l'on a retranché tous
les officiers de province; que cela ruine dix mille familles; que l'on
était plus heureux dans la guerre, et que la guerre de la paix était
plus fâcheuse que la guerre de la guerre, et que c'était vous qui
faisiez tout cela; et puisque le roi voulait rendre justice à ses
sujets, qu'il devait prendre des anciens officiers du parlement, qui
l'auraient averti de toutes les malversations qui se font dans les
provinces, et tout par un seul homme. Ils disent: «Nous sommes cent fois
pis que nous n'étions du temps de Son Éminence.»

«Elle dit qu'elle veut reprendre mon hôtesse en sa garde. J'appréhende
qu'ils ne la gardent à leur ordinaire. Cependant ce serait une affaire
plus fâcheuse que l'on ne saurait s'imaginer si elle sort encore
mécontente. Si monseigneur n'y avait intérêt, je n'en parlerais pas: la
garde n'en est pas si agréable pour la souhaiter. La dame est enragée
contre elle, parce qu'elle a dit dans le pays qu'il lui est bien aisé de
porter des mouchoirs de mise; que cela ne lui coûtait rien; que c'était
M. le procureur général qui l'entretenait de tout à Paris. Pour moi,
elle ne m'en a jamais parlé; elle ne me dit présentement rien, sinon
qu'on lui donne du bien et qu'on la renvoie chez elle; qu'elle n'en
parlera jamais et qu'elle ne dira pas un mot de tout ce qui s'est passé,
en lui donnant du bien; car autrement elle ferait pire que jamais.»

Dans une autre lettre, il est question d'une tentative d'assassinat
contre le marquis de Créqui, gendre du madame du Plessis-Bellière. «Il
ne se peut pas mieux faire que l'on fait pour trouver les gens dont l'on
m'a donné les noms; mais l'affaire a changé trois fois de face depuis
hier. Ils ont voulu assassiner M. de Créqui, et, comme les gens de M. de
Créqui les ont poussés dans la rue Saint-Martin, et même blessé
quelqu'un d'eux, ils se sont retirés, à ce que vient de me dire M. le
prévôt de l'Île[1151], qui fait fort bien son devoir. Il a appris qu'ils
avaient été ce matin à la Chesse (_sic_), qui est un petit cabaret rue
Saint-Denis, où il dit qu'ils se battront absolument, quoique blessés.
Il avait vu un valet déguisé y délibérer s'il sortirait de Paris ou non;
enfin ils demandèrent pour conclusion un homme pour les mener chez M. de
Fonsaldagne (Fuensaldagne)[1152], qui les y conduisit, c'est-à-dire il
leur montra le logis, et puis ils le renvoyèrent. Je ne doute pas qu'ils
n'y soient; mais cela ne nous empêche pas de chercher partout. J'envoie
au Bourget et vers Saint-Denis battre l'estrade. C'est M. de la Motte
qui y est avec de vos cavaliers; il y est dès minuit. Enfin il ne se
peut pas prendre plus de précautions que l'on fait depuis que l'on m'a
mandé que c'était un assassinat fait à M. de Créqui. J'en ai donné avis
à tous les prévôts, à qui je n'avais que dit qu'il fallait seulement se
tenir près de ce colonel. Guisfin fait tout ce que l'on peut faire.
Monseigneur sera averti de ce qui se passera. Vous saurez que l'on a
arrêté quatre officiers de M. de Créqui au faubourg Saint-Martin, qui
étaient logés au Boisseau, devant Saint-Laurent, qui étaient ceux qui se
devaient battre contre les Flamands, qui devaient être cinq contre cinq.
Je crois que monseigneur saura tout cela. Les gens de M. de
Grandmaison[1153] me viennent de confirmer qu'ils sont chez
l'ambassadeur M. de Fonsaldagne (Fuensaldagne).»


IV

Les demandes d'argent adressées au surintendant par des seigneurs et des
dames de la cour sont fréquentes. J'ai cité les lettres de Lyonne[1154].
Le chevalier de Gramont écrit à Fouquet: «Je vous supplie de me vouloir
remettre vingt mille francs; je vous porterai demain le billet.» Vardes
s'adressait à madame du Plessis-Bellière pour avoir une audience du
surintendant[1155]: «Si vous me fournissiez quelque invention pour
pouvoir voir M. le procureur général aujourd'hui, vous seriez, de mon
aveu, la meilleure dame du monde; car j'ai à lui parler de chose qui
presse, et, s'il entre une fois dans ces fêtes de Noël, il est perdu
pour moi pour huit jours. Excusez, madame, l'importunité de votre
très-obéissant serviteur.»

Madame d'Huxelles faisait aussi payer ses conseils. Elle réclamait une
augmentation de la pension que lui servaient les fermiers des salines du
Dauphiné.

Quelquefois les demandes d'argent sont adressées par des _braves_ qui
offrent leur épée à Fouquet. Voici deux lettres d'une orthographe
détestable; elles viennent d'un pauvre diable de mousquetaire, qui, dans
la première, tend humblement la main à Fouquet, et qui, dans la seconde,
fait blanc de son épée et se transforme en matamore: «Mon bon
maître[1156], je vous dis, il y a quelque temps, que je n'avais point
d'argent. Je n'ai point d'habits, et le tailleur ne me veut point faire
de crédit davantage. Je n'ai point de plume qui soit belle; enfin, je
n'ai rien. J'ai loué une maison; je n'ai, pour tout meuble à la garnir,
que votre portrait. Mon père ne veut point donner d'argent du tout. Si
vous n'avez la bonté de signer cette ordonnance, je cours risque de mal
passer mon hiver; et, si vous le faites, vous me verrez après cela fait
tout comme un honnête homme qui ne serait point mousquetaire. On m'a
mis les originaux[1157] entre les mains. Si vous les souhaitez voir, je
les vous montrerai.»

Il est probable que Fouquet paya l'ordonnance ou mandat présenté par le
mousquetaire. Ce qui est certain, c'est que, peu de temps après, le même
aventurier écrivait une nouvelle lettre qu'il signait. Il y prend un ton
de menace à l'égard d'ennemis réels ou supposés de Fouquet[1158].
«Monseigneur et mon bon maître, je suis si fort en colère, que je ne
saurais vous l'avoir dit, de tout ce qui s'est passé ce matin au Palais.
Je ne vous en dis point le détail, ayant laissé M. le président
de.....[1159] avec M. Paschaust, qui vous en allait faire un fidèle
rapport. Pour moi, si vous en avez contre quelqu'un[1160], vous n'avez
qu'à me le faire savoir, et de quelle manière vous voulez que l'on le
traite, et cela sera promptement fait. S'il faut en emprisonner
quelqu'un ou l'exiler, faites-en moi adresser l'ordre, et je les
promènerai comme il faut et le plus suivant votre intention que je
pourrai. Il ne vous sera besoin que de me le faire savoir, et vous serez
aussi bien obéi qu'homme du monde. Mon maître, c'est tout ce que je vous
dirai. Disposez de moi entièrement, et croyez que personne n'est autant
que moi, monseigneur et mon bon maître,

«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
RIGHT
«CHARNACÉ.

«Si je vous suis utile en quelque chose, je demeure dans la rue du
Chantre, derrière le Louvre.»

Quel est ce Charnacé qui, de mendiant, s'est transformé en spadassin?
Serait-ce le même personnage que Saint-Simon nous représente[1161],
s'inquiétant si peu de la propriété d'autrui, et faisant en une nuit
démolir et reconstruire plus loin la maison d'un paysan qui gênait la
vue de son château? Je ne puis que hasarder une conjecture; mais il ne
m'a pas paru sans intérêt de montrer, par un exemple, en quels termes
certains _braves_ de l'époque offraient leur épée et leurs services au
surintendant.


V

Quant aux lettres d'affaires, elles sont moins nombreuses que les
autres. Cependant, outre les billets de la main de madame du
Plessis-Bellière et les réponses de Bruant aux lettres de Fouquet, on
peut citer quelques billets de l'évêque d'Agde, Louis Fouquet, et les
lettres d'un agent du surintendant pour les affaires d'Amérique.
L'évêque d'Agde écrivait à son frère, le 22 avril 1661[1162]:

«Vos occupations et votre retraite m'empêcheront de prendre congé de
vous avant mon départ.

«Avant-hier, qui fut le jour du départ de M. Le Tellier, il fut de bonne
heure au Palais-Royal, et il y fut fort longtemps avec M. de
Montaigu[1163].

«L'on ne parle à Paris que du gouvernement de Touraine[1164], et l'on
fait d'étranges discours sur cette matière. J'ai bien peur que cette
affaire ne laisse une tache à la famille.

«En cas qu'il ne se puisse conserver dans la maison, il m'était venu
dans l'esprit une vue qu'il ne nuira rien de vous mander. Il ne vous en
coûtera que la peine de la lire, et peut-être peut-elle contribuer à
sauver un peu l'honneur, et à la longue assurer le gouvernement.

«Il est certain que, si le gouvernement ne peut rester dans la maison,
il est moins honteux qu'il aille à la parenté proche de M. d'Aumont que
de passer à des étrangers, qui n'auront pas trop été dans nos intérêts,
puisqu'ils l'auront demandé.

«Il est certain que Villequier a de grandes exclusions à l'avoir par son
autre gouvernement; qu'il ne croit pas même que ce fût votre compte
qu'il l'eût. Après Villequier, nul parent n'est plus proche de M.
d'Aumont que M. de Mortemart. D'ailleurs il a eu ce même gouvernement
déjà, et le rendit au roi, qui le lui redemanda, et n'en a jamais eu
récompense[1165].

«Ces deux raisons le mettaient si bien en passe et en droit de le
demander et de l'obtenir, que, sans Vivonne, qui, par votre seul
intérêt, l'a retenu, il le demandait, et c'est ce qui m'a donné en mon
particulier cette imagination: savoir, si, vous ne le pouvant
conserver, il ne vous serait pas bon de le faire demander par eux, et
pour l'ôter aux ennemis, et pour le conserver aux amis de vous et
parents de cette maison. Ils étaient cousins germains. Outre que cette
parenté est une manière de voile qui couvre un peu l'honneur, c'est que,
comme la vue de ces messieurs va pour le Poitou, où est tout leur bien,
en tout temps et par mille biais on le peut retirer d'eux, et soit dans
l'un, soit dans l'autre poste, c'est une digue à la puissance de la
maison de M. de la Meilleraye, et peut-être à celle du comte d'Harcourt,
que l'établissement de celle-là en ce poste.

«L'auditeur de M. le Nonce depuis trois mois me presse de savoir s'il
peut espérer d'avoir de l'argent d'un billet dont la copie est
ci-jointe.

«M. de Croissi[1166] m'a adressé cette lettre ci-jointe pour vous, et
l'abbé Elpidio[1167], autrefois agent de Son Éminence, l'autre paquet.
Il témoigne une furieuse envie d'être à vous.»

Cette lettre n'est pas sans importance pour l'histoire de Fouquet. Elle
prouve une fois de plus avec quel empressement et quelle avidité le
surintendant cherchait à étendre son influence. Le marquis d'Aumont,
gouverneur de Touraine et beau-père de Gilles Fouquet, étant mort le 20
avril 1661, le surintendant aurait voulu assurer à son frère le
gouvernement de Touraine; mais le roi s'y opposa, et ce refus parut une
honte et un désastre pour la famille Fouquet. De là les doléances de
l'évêque d'Agde et les combinaisons qu'il imagine pour sortir de ce
mauvais pas. Rien n'indique si le surintendant les adopta; mais ce qui
résulte de ses papiers, c'est que la famille d'Aumont fit une démarche
auprès du roi pour obtenir que le gouvernement de Touraine fût conservé
à Gilles Fouquet. C'est Victor d'Aumont, marquis de Villequier, qui
l'annonce au surintendant: «Je crois, lui écrit-il, que vous aurez
appris comme quoi M. le maréchal[1168] et moi avons été ce matin au
Louvre pour faire ce que vous aviez désiré pour vos intérêts. Nous avons
eu un déplaisir extrême de n'y arriver pas assez à temps; mais pour
satisfaire à la parole que je vous avais donnée de joindre mes
très-humbles supplications à celles de votre famille, sitôt que j'ai
joint le roi, je lui ai parlé de la part de toute la nôtre pour qu'il
lui plût vous considérer en cette rencontre, et ce avec des termes tels
qu'il faut. Je vous servirai bien sincèrement comme j'ai promis à
monsieur votre frère. J'oubliais à vous dire que Roquelaure, le comte du
Lude, Navailles et plusieurs autres ont parlé pour eux[1169]. On ne peut
le mieux savoir que je le sais. Je suis tout à vous.

«D'AUMONT DE VILLEQUIER.»

«Il y a ici une personne extrêmement de mes amis, qui parle à Sa Majesté
avec liberté, qui m'a promis de servir dans cette rencontre-ci tant que
je voudrais. Je vous offre encore de lui parler, lui disant que dans
cette rencontre-ci et pas dans une autre, je croyais que votre famille
aussi bien que la mienne, n'auraient jamais d'empressement pour chose
qui lui pût déplaire. J'ai remarqué que le discours que je lui ai fait
ne lui a pas déplu. Il m'a répondu fort honnêtement qu'il verrait ce
qu'il aurait à faire. Il y a mille expédients que je ne puis vous écrire
qui me paraissent pour faire réussir cette affaire pour vous. Si je puis
vous être utile à quelque chose, ordonnez, commandez.»

Nous avons vu[1170] que le surintendant avait de vastes possessions dans
les Antilles. Il avait songé à y établir des colonies et à en exploiter
les denrées; mais les intrigues et les plaisirs l'avaient bientôt
détourné de cet utile projet. L'homme qui le représentait avec le titre
de gouverneur n'avait que trop suivi son exemple. Un correspondant
anonyme du surintendant l'engage à rappeler ce gouverneur, qu'on ne
désigne que par les initiales de _Vodr_.

Ce correspondant de Fouquet lui parle de ses intérêts en Amérique avec
une franchise et une sagesse qui donnent à sa lettre une certaine
importance[1171]. Il reproche au surintendant de négliger les avantages
qu'il pourrait retirer du commerce des Antilles et il insiste
principalement sur le danger d'y laisser pour gouverneur un homme d'un
caractère ombrageux, qui nuisait plus à ses intérêts qu'il ne les
servait. Il ne faut pas oublier, en lisant cette lettre, que les îles de
l'Amérique appartenaient alors à des particuliers et que Louis XIV n'y
avait encore qu'un droit de suzeraineté. Le roi donnait l'investiture
par une lettre de cachet, mais la véritable autorité appartenait au
propriétaire.

Après un court préambule, le correspondant, qui date sa lettre du 7
avril 1661, engage Fouquet à s'occuper de ses possessions d'Amérique.
«Un peu plus d'application à vos affaires de delà, lui dit-il,
non-seulement y ferait grand bien, mais serait peut-être cause qu'elles
ne se ruineraient pas, comme elles sont en grand danger, si l'on
continue de les négliger. Je sais bien que vous êtes accablé des
affaires publiques; mais M. Clément et moi pouvons vous soulager en
beaucoup de choses, pourvu que vous ne vous trouviez point importuné de
nous donner vos ordres de temps en temps. Pour moi, je me suis abstenu
de vous voir et de vous écrire, de crainte de vous être importun,
quoique je jugeasse nécessaire de le faire.

«Si les lettres de cachet eussent été expédiées à temps, le sieur de
Vodr. serait à présent en France, et je ne fais nul doute qu'il
n'accordât tout ce qu'on voudrait, se voyant hors d'espérance de retour
et même poursuivi pour rendre compte d'un bien dont il a joui depuis
deux ans, outre que dans le besoin on y pourrait ajouter quelque petite
gratification.

«Autant que vous avez à présent de peine à songer à ces affaires
éloignées, autant aurez-vous peut-être quelque jour de satisfaction à
vous y occuper, vu que ces affaires de négoce, d'établissement de
colonies et de sucreries, d'aller et de retour continuels de vaisseaux,
de commerce et de correspondance avec toute sorte de nations qui
dépendront de vous, sont communément assez agréables, et c'est pour
cela, pour le moins autant que pour le profit, qu'un plus grand nombre
de personnes que vous ne pouvez croire veulent acheter des îles en ces
pays. Je connais plus de six ou sept sortes de gens qui souhaitent de
tout leur cœur de traiter de la Martinique, et je crois qu'à cause de
Belle-Île et des autres avantages que vous avez, vous pouvez vous
promettre de faire toute autre chose, si vous êtes bien servi; mais il
vaudrait mieux abandonner de bonne heure l'entreprise que de la laisser
périr, s'il vous est impossible de vous y appliquer.

«Si vous ne faites revenir le sieur de Vodr., vos gens de delà auront
bien à souffrir; car il les tient pour suspects et les observe beaucoup.

«La façon d'envoyer et de donner les lettres de cachet mériterait qu'on
en concertât un peu les moyens. Il vous est aisé d'en obtenir une qui
oblige le sieur de Vodr. à retourner en France et à quitter le
gouvernement incontinent après l'avoir reçue.»

Ces détails d'affaires ne satisfaisaient pas la curiosité et la
malignité publiques. On aurait voulu plus de scandales, et d'après
quelques mots échappés à des indiscrétions l'imagination des courtisans
se donna carrière. Ils inventèrent de prétendues lettres d'amour
adressées à Fouquet par des femmes de la cour, dont on citait les noms.
Recueillies avec avidité, conservées par les collecteurs de pièces, ces
lettres, inventées ou falsifiées, sont parvenues jusqu'à nous. Conrat et
Vallant ont pris soin de les transcrire dans leurs papiers[1172], et on
les a reproduites depuis comme des pièces authentiques[1173]. Elles
avaient reçu une si grande publicité, que le chancelier Séguier crut
nécessaire, au moment où Fouquet allait comparaître devant la Chambre de
justice, de déclarer que ces lettres étaient apocryphes, et que l'accusé
avait eu raison de se plaindre d'une pareille infamie.



CHAPITRE XLII

--OCTOBRE-DÉCEMBRE 1661--

Lettres apocryphes attribuées à des dames de la cour.--Indignation
que cause la lecture des papiers de Fouquet.--Lettre de Chapelain à
ce sujet.--Plaintes de madame de Sévigné.--Autres causes de
l'irritation contre Fouquet: misère des provinces attestée par les
lettres de Gui-Patin, les discours du président de Lamoignon et les
correspondances des intendants des provinces.--Famine et mortalité
dans l'Orléanais et le Blésois.--Prix excessif des denrées en
Basse-Normandie.--Augmentation du nombre des mendiants et des
malades.--Lettre de l'intendant de Rouen sur l'état misérable de
cette ville et des environs.--Doléances des échevins et députés de
Marseille.--Pétition adressée au roi par les pauvres de
Paris.--Fouquet et Pellisson sont transférés d'Angers à Amboise
(1-4 décembre).--Pellisson est conduit à la Bastille (6-12
décembre).--Fouquet séjourne à Amboise jusqu'au 25 décembre.--Il
est transféré à Vincennes.--Imprécations du peuple contre lui.--Il
est enfermé au donjon de Vincennes.--D'Artagnan est chargé de la
garde de ce château et de la personne de Fouquet.


Il faut s'arrêter un instant à cette fausse cassette de Fouquet et se
mettre à la place des contemporains qui assistaient à tant de honteuses
révélations, sans pouvoir toujours distinguer la vérité de la calomnie.
Les femmes du plus haut rang n'étaient pas épargnées. Madame de
Valentinois, fille du maréchal de Gramont et femme d'un Grimaldi
héritier de la principauté de Monaco, fut des plus maltraitées. Elle
avait à la cour une réputation de légèreté et d'impétuosité aveugle
dans ses passions. On lui attribua les avances les plus hardies avec
Fouquet. Elle lui aurait écrit: «Je ne sais plus de quel prétexte me
servir pour vous voir; j'ai passé encore aujourd'hui deux fois
inutilement au-dessous de votre fenêtre. Donnez-moi un rendez-vous; je
saurai me défaire de tout le monde pour m'y rendre. J'ai parlé à Madame
de la bonne sorte, et je vous puis répondre d'elle. Je vous ai ménagé
une entrevue pour après-demain; mais je souhaite qu'elle ne soit pas
comme elle est aujourd'hui; jamais elle n'a paru si aimable; assurément
mes affaires iraient fort mal.»

Le frère de madame de Choisy, l'abbé Hurault de Betesbat, était, comme
sa sœur, fort mêlé aux intrigues de cour; mais c'était un homme
d'esprit, incapable d'écrire au surintendant un billet grossier comme
celui qu'on lui prêta: «J'ai trouvé votre fait aujourd'hui; je sais une
fille belle et jolie et de bon lieu; j'espère que vous l'aurez pour
trois cents pistoles.»

J'ai déjà cité la lettre apocryphe qu'on imputait à madame Scarron. On
faisait dire à une autre dame, dont le nom n'était pas indiqué et
restait livré à tous les commentaires des courtisans: «Jusqu'ici j'étais
si bien persuadée de mes forces que j'aurais défié toute la terre; mais
j'avoue que la dernière conversation que j'ai eue avec vous m'a charmée.
J'ai trouvé dans votre entretien mille douceurs, à quoi je ne m'étais
point attendue. Enfin, si je vous rencontre jamais seul, je ne sais pas
ce qui en arrivera.»

Mademoiselle de Menneville fut la plus compromise. On écrivait de
Fontainebleau[1174]: «Vous savez sans doute que le surintendant a eu des
conversations avec mademoiselle de Menneville pour cinquante mille écus;
mais vous ne savez peut-être pas ce qui l'a convaincue: c'est une lettre
que l'on a trouvée dans les papiers dudit surintendant, contenant les
termes ci-dessous: «Je compatis à la douleur que vous me témoignez
d'être allé au voyage de Bretagne sans que nous ayons pu nous voir en
particulier; mais je m'en console aisément, lorsque je pense qu'une
semblable visite eût pu nuire à votre santé. Je crains même que, pour
vous être trop emporté la dernière fois que je vous vis à la
Mivoie[1175], cela n'ait contribué à votre maladie[1176].»

On a cité plus haut la lettre relative à mademoiselle de la Vallière, et
que l'on prétendait écrite par madame du Plessis-Bellière[1177]. On lui
en prêtait une autre d'une grossièreté révoltante[1178]. Vraies ou
fausses, ces pièces furent colportées par les curieux et lues
avidement; il en résulta un scandale effroyable. Mademoiselle de
Menneville fut obligée de quitter la cour et de s'enfermer dans un
couvent, où elle mourut quelques années plus tard. Les honnêtes gens
poursuivirent de leur indignation le surintendant, qui, ne se contentant
pas de voler l'argent de l'État, avait compromis tant de femmes qui
appartenaient à de nobles familles. Nulle part ce sentiment n'est
exprimé avec plus de force que dans une lettre de Chapelain. Il écrivait
à madame de Sévigné, qui se plaignait que Fouquet eût mis ses lettres
dans sa cassette aux poulets[1179]: «Qu'est-ce donc que cela, ma
très-chère? N'était-ce pas assez de ruiner l'État et de rendre le roi
odieux à ses peuples par les charges énormes dont ils étaient accablés,
et de tourner toutes ses finances en dépenses impudentes et en
acquisitions insolentes qui ne regardaient ni son honneur ni son
service, et au contraire qui allaient à se fortifier contre lui et à lui
débaucher ses sujets et ses domestiques? Fallait-il encore, pour
surcroît de dérèglements et de crimes, s'ériger un trophée des faveurs,
ou véritables ou apparentes, de la pudeur de tant de femmes de qualité,
et tenir un registre honteux de la communication qu'il avait avec elles,
afin que le naufrage de sa fortune emportât avec lui leur réputation?
Est-ce, je ne dis pas être honnête homme, comme ses flatteurs, les
Scarron, les Pellisson, les Sapho, et toute la canaille intéressée l'ont
tant prôné, mais homme seulement de ceux qui ont la moindre lumière et
qui ne font pas profession de brutalité? Je ne me remets point de cette
lâcheté si scandaleuse, et je n'en serais guère moins irrité contre ce
misérable, quand vous ne vous trouveriez pas dans ses papiers.»

Tous les bruits que l'on répandait, toutes les révélations que l'on
prétendait tirées des papiers du surintendant, étaient propres à
augmenter les sentiments d'indignation et d'irritation qui se
manifestaient alors contre lui. Des lettres de cette époque, transcrites
par Vallant[1180], faisaient connaître les mesures prises par Fouquet
pour accroître sa puissance, et quelques-unes des pensions qu'il
distribuait aux courtisans: «On a trouvé parmi ses papiers, écrivait-on
de Fontainebleau, trois déclarations: l'une du marquis de Créqui, qui
tient la charge de général des galères pour un des enfants de M. le
surintendant, quand il sera en âge; la seconde, de M. de Breteuil, par
laquelle il paraît que la charge de contrôleur général des finances est
pour un autre de ses enfants; la troisième, du commandeur de Neuchèse,
par laquelle il reconnaît que la vice-amirauté est pour un des enfants
dudit surintendant.

«Outre cela, on a trouvé une liste des pensionnaires: M. de Beaufort a
quarante mille livres; Gramont, Clérembault et un autre maréchal de
France, chacun dix mille écus; deux ducs et pairs, la Rochefoucauld et
un autre, dix mille écus.

«Au marquis de Gesvres et à un autre capitaine des gardes, vingt-cinq
mille livres; à plusieurs capitaines aux gardes, présidents et
conseillers du parlement, [des sommes] que quelques-uns font monter à
quatre-vingts [mille livres], et presque à toutes les personnes
considérables de chaque ordre et condition, à plusieurs dames et filles
de la reine, même jusqu'à plusieurs valets de chambre.

«La duché de Penthièvre, de vingt mille écus de rente, que le sieur
Boislève avait achetée, a paru appartenir au surintendant.

«Le mémoire de la dépense de Vaux a été trouvé monter déjà jusqu'à huit
millions. On a trouvé dans cette maison cinq cents douzaines
d'assiettes, trente-six douzaines et un service d'or massif, et le roi
n'en a point.»

Ce fut probablement dans ce moment d'irritation générale contre Fouquet
que l'on composa une assez mauvaise pièce de vers intitulée: _Le
Confiteor de Fouquet_, où le surintendant fait lui-même l'aveu de toutes
ses fautes[1181].

Ce n'était pas seulement la cour qui s'indignait des dilapidations de
Fouquet; il s'élevait de toutes les provinces, en proie à une effroyable
misère, des plaintes qui étaient la plus terrible accusation contre une
administration fastueuse et prodigue. Les critiques de Gui-Patin
pourraient être regardées comme des boutades d'un frondeur désappointé,
mais elles sont confirmées par les documents les plus authentiques. Il
écrivait, le 5 septembre 1661: «Il semble que les gens de bien n'ont que
faire d'attendre du soulagement pour le pauvre peuple; on minute de
nouveaux impôts:

         .....Omnia fatis
    In pejus ruere, et retro sublapsa referri[1182].

«Enfin les pauvres gens meurent par toute la France, de maladie, de
misère, d'oppressions, de pauvreté et de désespoir: _Eheu_! _nos
miseros! o miseram Gallium_!

«Je pense que les Topinamboux sont plus heureux en leur barbarie que ne
sont les paysans de France aujourd'hui: la moisson n'a pas été bonne; le
blé sera encore fort cher toute l'année.»

Le premier président Guillaume de Lamoignon s'exprimait avec non moins
d'énergie sur le triste état de la France en 1661: «Les peuples
gémissaient, disait-il, dans toutes les provinces, sous la main de
l'exacteur, et il semblait que toute leur substance et leur propre sang
même ne pouvaient suffire à la soif ardente des partisans. La misère de
ces pauvres gens est presque dans la dernière extrémité, tant par la
continuation des maux qu'ils ont soufferts depuis si longtemps que par
la cherté et la disette presque inouïes des deux dernières
années[1183].»

Les calamités dont parle Guillaume de Lamoignon, et qu'il impute à la
rapacité des financiers, n'étaient ni inventées, ni même amplifiées par
l'exagération habituelle aux orateurs, et, comme on dit, par les besoins
de la cause. Des documents nombreux et authentiques attestent la misère
profonde de cette époque et en accusent l'énormité des impôts autant que
l'influence funeste de l'atmosphère. Les calamités du centre de la
France sont vivement retracées dans une lettre adressée par un médecin
de Blois, M. Bellay, au marquis de Sourdis[1184]: «Monseigneur, lui
écrit-il, il est vrai que, depuis trente-deux ans que je fais la
médecine en cette province et en cette ville, je n'ai rien vu qui
approche de la désolation qui y est, non-seulement à Blois, où il y a
quatre mille pauvres par le reflux des paroisses voisines et par la
propre misère du lieu, mais dans toute la campagne. La disette y est si
grande, que les paysans manquant de pain se jettent sur les charognes,
et aussitôt qu'il meurt un cheval ou quelque autre animal, ils le
mangent; et il est sûr que dans la paroisse de Cheverny, on a trouvé un
homme, sa femme et son enfant morts sans être malades, et ce ne peut
être que de faim. Les fièvres malignes commencent à s'allumer, et
lorsque le chaleur donnera sur tant d'humidité et de pourriture, ces
misérables, qui manquent déjà de force, mourront bien vite, et si Dieu
ne nous assiste extraordinairement, on doit attendre une grande
mortalité. La pauvreté est si grande, qu'il y a eu même un peu d'orge en
un bateau que l'on n'a pas acheté, manque d'argent. Nos artisans
meurent de faim, et le bourgeois est incommodé à un point, qu'encore
qu'il soit rempli de bonne volonté pour assister ces misérables, le
nombre et leur impuissance les empêchent de satisfaire à la charité
chrétienne. Je viens d'apprendre qu'on a trouvé un enfant à Cheverny qui
s'était déjà mangé une main. Ce sont là des choses horribles et qui font
dresser les cheveux.

«Ce qui nous donnait en ce pays le moyen de subsister était le vin; mais
on n'en vend point, et chacun est incommodé. On ne le vend point, et on
manque de chevaux pour l'enlever, _à cause des grandes impositions_.
Enfin, monseigneur, il n'est jour que je ne voie de nouveaux malades qui
me donnent une juste crainte de pis, et, si cela continue, je serai
contraint de quitter.

«On demande décharge de la moitié des tailles, et surséance pour l'autre
moitié jusqu'après la récolte, pour les élections[1185] de Blois,
Beaugency, pour la Sologne, Romorantin et Amboise. Le roi a promis à la
reine, sa mère, décharge pour lesdites élections.»

Une lettre datée de Caen donne des détails aussi tristes sur la
situation de la basse Normandie: «L'intempérance de l'air, le
dérèglement des saisons et la stérilité des trois dernières années vous
persuaderont facilement que la misère est extrême, puisque les blés et
les pommes, qui sont la richesse du pays, ayant manqué dans toute la
province, les moins incommodés des villages ne boivent que de l'eau et
ne mangent plus qu'un peu de pain pétri avec un peu de lie de cidre.
Les autres ne soutiennent leur vie qu'avec de la bouillie d'avoine et de
sarrasin. Le pot de cidre, qui ne coûtait que trois sous, en vaut neuf,
et le boisseau de froment, que l'on avait pour trente sous, se vend
quatre et cinq livres, et celui d'orge soixante sous. L'on peut même
appréhender avec raison que ces prix n'augmentent de beaucoup, à cause
que l'abondance des pluies a rendu les meilleures terres inutiles, aussi
bien que le défaut des neiges, qui ne les ont point engraissées, et des
façons et des semailles qu'elles n'ont pu recevoir. Les débordements des
rivières qui couvrent encore les campagnes passent ici pour des présages
infaillibles et pour les funestes avant-coureurs d'une très-fâcheuse
année; et, par une ancienne tradition, les habitants ferment leurs
greniers et leurs celliers lorsque le Bidual, petit ruisseau de mauvais
augure, enfle ses eaux et, méprisant les bornes que la nature lui a
données, fait des courses sur ses voisins et leur porte les nouvelles et
les menaces d'une très-grande stérilité. La nécessité est si pressante
et si générale, qu'elle s'étend jusqu'aux portes et pénètre bien avant
dans les villes. Il y a des paysans, à trois ou quatre lieues de Caen,
qui ne se nourrissent plus que de racines de choux et de légumes; ce qui
les fait tomber dans une certaine langueur qui ne les quitte qu'à la
mort. Et je vous peux assurer qu'il y a des personnes qui ont passé
quatre jours entiers dans cette ville sans avoir eu aucune chose à
manger.

«La grande quantité des pauvres a épuisé la charité et la puissance de
ceux qui avaient accoutumé de les soulager. La ville a été contrainte
d'ouvrir les portes du grand hôpital, n'ayant plus de quoi fournir à la
subsistance de ceux qui y étaient enfermés. Les fièvres et les flux de
sang ont laissé dans la plupart des villes de cette généralité des
marques si cruelles de leur pouvoir et de leur violence, qu'elles ont
dépeuplé des paroisses tout entières.»

La généralité de Rouen n'était pas mieux traitée que celle de Caen;
témoin la lettre suivante de l'intendant de Rouen: «Il y a une si grande
quantité de pauvres dans la campagne et dans les villes, que le
parlement a donné arrêt par lequel il est ordonné aux curés, seigneurs
et principaux habitants des paroisses de s'assembler pour faire mettre
des taxes sur les acres de terre pour la nourriture des pauvres, et, à
l'égard des villes, on fera des taxes sur les bourgeois, afin que chaque
ville et paroisse nourrisse ses pauvres.»

Les doléances des échevins et députés du commerce de Marseille prouvent
que la situation du Midi n'était pas moins triste[1186]. Elles
constatent que «le commerce est surchargé de très-grandes dettes et n'a
ni les fonds ni les moyens pour les acquitter, se trouvant si ruiné, si
abattu, qu'il semble tirer à sa fin.» Paris était aussi en proie à une
misère profonde. Les pauvres adressèrent au roi une pétition[1187], où
ils lui représentaient que «les charités des paroisses ne pouvaient plus
les assister, étant surchargées de malades, d'invalides et
d'orphelins.» Les hôpitaux étaient si pleins qu'ils n'admettaient plus
de pauvres; «la campagne, qui devrait fournir du pain aux villes, crie
de toutes parts miséricorde, afin qu'on lui en porte.» Ce peuple,
mourant de faim et s'adressant au roi dans l'angoisse de la dernière
misère, mérite la sympathie de la postérité à plus juste titre que des
financiers auxquels on faisait expier leurs exactions, et on ne peut
qu'applaudir à l'acte de justice et de rigueur par lequel Louis XIV
inaugura son gouvernement personnel, en ordonnant l'arrestation et le
procès du surintendant.

Après avoir été pendant plusieurs mois emprisonné à Angers, Fouquet fut
transféré à Saumur. Ce fut le 1er décembre 1661 que, sur un ordre du
roi, d'Artagnan conduisit à Saumur Fouquet et Pellisson[1188]. Le second
avait été amené, dès le 22 novembre, de Nantes à Angers. Le 2 décembre,
d'Artagnan conduisit ses prisonniers au lieu appelé la Chapelle-Blanche.
Le 3, ils logèrent dans un faubourg de Tours, et, le 4, ils furent
enfermés au château d'Amboise.

Fouquet y resta jusqu'au 25 décembre, sous une surveillance sévère et
dans une prison dont La Fontaine donne une triste idée. Ce poëte, qui
accompagnait son oncle Jannart exilé en Limousin, s'arrêta au château
d'Amboise, peu de temps après l'époque où Fouquet y avait été détenu.
Dans une lettre adressée à sa femme il oppose la tristesse de cette
prison au riant aspect des contrées arrosées par la Loire: «De tout
cela le pauvre M. Fouquet ne put jamais, pendant son séjour, jouir un
petit moment: on avait bouché toutes les fenêtres de sa chambre, et on
n'y avait laissé qu'un trou par le haut. Je demandai de la voir: triste
plaisir, je vous le confesse, mais enfin je le demandai. Le soldat qui
nous conduisait n'avait pas la clef; au défaut, je fus longtemps à
considérer la porte et me fis conter la manière dont le prisonnier était
gardé. Je vous en ferais volontiers la description, mais ce souvenir est
trop affligeant.

    Qu'est-il besoin que je retrace
    Une garde au soin non pareil,
    Chambre murée, étroite place,
    Quelque peu d'air pour toute grâce;
        Jours sans soleil,
        Nuits sans sommeil;
    Trois portes en six pieds d'espace?
    Vous peindre un tel appartement,
    Ce serait attirer vos larmes;
    Je l'ai fait insensiblement:
    Cette plainte a pour moi des charmes.

Sans la nuit on n'eût jamais pu m'arracher de cet endroit.»

Le 6 décembre, d'Artagnan remit, sur un ordre du roi, Fouquet, son
médecin et son valet de chambre à la garde de M. de Talhouet[1189],
enseigne des gardes du corps, et partit d'Amboise pour conduire
Pellisson à la Bastille; le 12 décembre, Pellisson fut enfermé dans
cette prison d'État, sous la garde de M. de Bessemaux, qui en était
gouverneur[1190].

Peu de temps après, M. de Talhouet reçut ordre de conduire Fouquet à
Vincennes. Il en informa immédiatement son prisonnier. Celui-ci parut
d'abord surpris et affligé de cet ordre. Il insista auprès de M. de
Talhouet pour savoir dans quel but on le transférait dans un lieu voisin
de celui qu'habitait le roi. Ce changement devait-il améliorer sa
position ou la rendre plus fâcheuse? M. de Talhouet s'efforça de calmer
ses inquiétudes et lui adressa quelques paroles d'encouragement.

Ce fut seulement le 25 décembre que le prisonnier quitta le château
d'Amboise. Il fut placé dans un carrosse, où entrèrent avec lui Pecquet,
son médecin; La Vallée, son valet de chambre; M. de Talhouet; Batine,
maréchal de la compagnie des mousquetaires; Bonin et Blondeau, qui
avaient amené le carrosse à Amboise. Vingt six mousquetaires les
escortaient. Le carrosse traversa Blois et s'arrêta à
Saint-Laurent-des-Eaux, où Fouquet coucha. Les étapes suivantes eurent
lieu à Orléans, à Toury, à Étampes et à Corbeil. Enfin, le 31 décembre,
Fouquet arriva à Vincennes. Il aperçut, en passant, sa maison de
Saint-Mandé, et ne put s'empêcher de dire qu'il aimerait mieux prendre à
gauche qu'à droite; mais il ajouta que, puisqu'il avait été assez
malheureux pour déplaire au roi, il devait se résigner et prendre
patience[1191].

On remarqua que, sur toute la route, les populations se montrèrent
très-hostiles à Fouquet. Elles le poursuivaient de leurs injures et de
leurs menaces. Vainement les gardes s'efforçaient de les écarter, elles
s'acharnaient contre lui, et Fouquet entendit les imprécations dont
elles l'accablaient. «Ce qu'il supporta, ajoute le récit officiel, avec
beaucoup de courage et de résolution.» Déjà, à Angers, la même
irritation avait éclaté contre le surintendant. Comme d'Artagnan
veillait avec grand soin sur son prisonnier, le peuple s'écriait: «Ne
craignez pas qu'il s'échappe; nous l'étranglerions plutôt de nos mains.»
Ce fut d'Artagnan lui-même qui raconta ce détail à Olivier
d'Ormesson[1192].

Fouquet fut enfermé dans la première chambre du donjon du château de
Vincennes, qu'on garnit, ainsi que les cabinets qui en dépendaient, de
meubles tirés de la maison de Saint-Mandé. Pecquet et la Vallée, les
fidèles serviteurs de Fouquet, continuèrent de partager sa captivité. M.
de Talhouet était chargé, avec vingt-quatre mousquetaires, de garder
l'intérieur du château. M. de Marsac, lieutenant au gouvernement de
Vincennes et capitaine-lieutenant de la compagnie des petits
mousquetaires, devait veiller à la sûreté des portes et de l'extérieur
du château. Cette division des pouvoirs donna lieu à des conflits entre
MM. de Talhouet et de Marsac. Comme ils ne pouvaient s'entendre pour
l'exécution des ordres qu'ils avaient reçus, le roi résolut de remettre
à d'Artagnan la garde des prisonniers et lui enjoignit de s'en charger,
le 3 janvier 1662.

Le lendemain, d'Artagnan se rendit au donjon de Vincennes avec cinquante
mousquetaires de sa compagnie et deux maréchaux des logis. M. de Marsac
lui remit la garde de la place, et M. de Talhouet remit également entre
ses mains Fouquet, son médecin et son valet de chambre. Jusqu'en 1663,
Fouquet resta au donjon de Vincennes; ce fut là que vinrent l'interroger
les commissaires de la Chambre de justice que Louis XIV avait instituée
pour prononcer sur son sort. Ce fut de là aussi qu'il adressa à sa femme
le billet suivant daté du 25 janvier 1662: «Le roi m'a permis de vous
écrire ce mot pour vous adresser ce diamant que je vous supplie de faire
vendre, et du prix en provenant donner un tiers au grand hôpital et les
autres deux tiers en autres œuvres pies, telles que vous jugerez
meilleures, soit à des pauvres honteux, soit à délivrer des prisonniers,
ou autres emplois semblables; le prix doit être au moins de quinze mille
francs. Néanmoins, après l'avoir fait voir à plusieurs orfèvres et
autres personnes qui s'y connaissent, vous en tirerez ce que vous
pourrez; mais il vaut davantage. Je vous prie de donner un reçu à M.
d'Artagnan du diamant comme il vous l'a remis entre les mains pour être
employé en aumônes, afin que vous n'en soyez pas chargée.

«Je fais état de prendre demain du quinquina, et ensuite être quitte de
ma fièvre quarte, dont il ne reste plus guère; je vous supplie de prier
Dieu qu'il me donne ce qui m'est nécessaire, et je le conjure de vous
conserver.»



CHAPITRE XLIII

--DÉCEMBRE 1661--

Projet de faire juger Fouquet par une commission de maîtres des
requêtes qu'aurait présidée le chancelier.--Ce projet est
abandonné.--Chambre de justice instituée pour la réforme des
finances et le jugement de tous les officiers de finance accusés de
prévarication.--Première séance de la chambre de justice (5
décembre 1661).--Discours du premier président Guillaume de
Lamoignon.--Membres qui composaient la chambre de justice.--Il s'y
forme deux partis: à la tête du premier étaient Pierre Séguier,
Poncet, Voysin, Pussort.--Le second est dirigé par Guillaume de
Lamoignon.--La conduite de ce magistrat est critiquée par
Colbert.--Il a pour lui les membres du parlement de Paris et les
maîtres des requêtes Besnard de Rezé et Olivier d'Ormesson.


Fouquet, poursuivi par les malédictions publiques, semblait perdu. Le
roi était décidé, à le livrer à une commission judiciaire et à laisser
exécuter la sentence de mort, si, comme on le supposait, le surintendant
était condamné à la peine capitale[1193]. Dès le mois de septembre, le
chancelier avait reçu l'ordre de former un tribunal composé de maîtres
des requêtes et de diriger lui-même le procès de Fouquet[1194]. Ces
commissions judiciaires n'admettaient pas les formes lentes et
minutieuses des parlements. En quelques jours le procès criminel de
Ricous et Bertaut avait été instruit et jugé[1195]; il en aurait été de
même pour Fouquet. On était sous l'impression des honteuses révélations
de sa cassette, et l'indignation publique éclatait avec une violence qui
aurait encouragé et presque contraint le tribunal à user de la dernière
sévérité. Le projet trouvé à Saint-Mandé pour organiser la guerre civile
n'avait pas encore été présenté comme une pensée chimérique à laquelle
on ne devait attacher aucune importance[1196]. Enfin parmi les maîtres
des requêtes désignés pour former le tribunal, la plupart avaient des
intendances ou désiraient en obtenir, et ils n'auraient pas hésité à
sacrifier à la vengeance publique le ministre prévaricateur.

Heureusement pour Fouquet, on trouva parmi ses papiers la copie du
mémoire que Colbert avait adressé à Mazarin, en 1659, pour la réforme
des finances et la punition de tous ceux qui avaient participé aux
abus[1197]. Colbert embrassait dans son plan tout le système financier,
et faisait remonter les poursuites à l'année 1633. Pour donner plus
d'autorité à la chambre de justice, chargée de détails immenses, il
avait proposé de la composer de quatre maîtres des requêtes, de
plusieurs présidents et de quatre conseillers du parlement de Paris, de
deux magistrats des trois autres cours souveraines siégeant à Paris
(Chambre des comptes, Cour des aides et Grand Conseil), et d'un membre
de chacun des parlements de province. Chargée de poursuivre tous les
délits financiers commis dans les provinces depuis vingt-cinq ans, elle
aurait pu instituer des subdélégués qui, en son nom et sous sa
surveillance, eussent étendu leur action sur toutes les parties de la
France. Colbert montra ce mémoire au roi pour lui prouver que, depuis
longtemps, il avait signalé les abus et indiqué le remède[1198]. Louis
XIV goûta ces idées, et, au lieu d'une commission de maîtres de requêtes
qui eût procédé sommairement, on institua une Chambre de justice où
dominaient les membres des parlements, accoutumés à une procédure
régulière et solennelle. D'ailleurs la tâche imposée à cette Chambre de
justice était si vaste et exigeait des recherches si approfondies, qu'il
était impossible d'espérer les terminer avant plusieurs années. C'était
donner à l'opinion le temps de se calmer et de se modifier, aux amis du
surintendant celui de se reconnaître et de signaler les illégalités des
inventaires. L'enlèvement des papiers de Fouquet, dont le conseiller de
la Fosse avait déjà montré les inconvénients au chancelier[1199], devint
aux yeux de magistrats consciencieux et formalistes un motif sérieux
pour se prononcer en faveur de l'accusé, ou du moins pour atténuer la
rigueur des lois.

Les mois de septembre et d'octobre avaient été consacrés aux saisies et
aux inventaires des papiers de Fouquet à Fontainebleau, à Vaux, à
Saint-Mandé et à Paris[1200]. Au mois de novembre seulement parut
l'édit royal instituant une Chambre de justice avec les vastes
attributions que nous avons rappelées. Il fut suivi d'une déclaration
qui désignait les membres de cette Chambre et les investissait du droit
de juger souverainement et en dernier ressort[1201].

Ce ne fut que dans les premiers jours de décembre 1661 que la Chambre se
réunit sous la présidence du chancelier. On déploya un certain appareil
pour rehausser l'éclat de la cérémonie. Dès le matin, le lieutenant
criminel et le prévôt de l'Île-de-France, avec leurs exempts et archers,
avaient pris possession du Palais de Justice[1202]. Le premier président
du parlement, Guillaume de Lamoignon, le président de Nesmond et quatre
conseillers de la Grand'Chambre, MM. Regnard, Catinat, de Brillac et
Fayet, se rendirent à la salle du conseil, précédés de douze huissiers;
puis arrivèrent successivement les maîtres des requêtes Poncet,
Boucherat et Besnard de Rezé, le président de la Chambre des comptes
Phélypeaux de Pontchartrain, avec deux maîtres des comptes, de Moussy et
le Bossu-le-Jau; MM. de Baussan et Le Férou, conseillers de la Cour des
aides; Chouart et Pussort, conseillers au Grand Conseil. Lorsque
l'assemblée fut réunie, le chancelier fit son entrée, précédé d'une
députation qui avait été le recevoir, et accompagné de six conseillers
d'État, choisis parmi les plus anciens, savoir: MM. André d'Ormesson, de
Morangis, de Lezeau, d'Aligre, d'Estampes et de la Margerie.

Comme dans toutes les cérémonies de cette nature, il y eut quelques
discussions de préséance; mais elles furent promptement terminées.
Lorsque enfin tous les magistrats eurent pris place, le chancelier,
Pierre Séguier, ouvrit la séance et annonça que le roi, non content
d'avoir donné la paix à ses peuples, voulait les affranchir de la guerre
intestine dont l'avidité des financiers les affligeait depuis longtemps.
C'était, ajouta-t-il, pour les magistrats appelés à participer à cette
réforme une marque singulière d'honneur et de confiance, et ils devaient
s'estimer heureux d'être choisis pour cette œuvre. Ils ne perdraient
jamais de vue cette pensée, que, en faisant régner le roi sur
quelques-uns de ses sujets par la justice, ils le feraient encore mieux
régner par amour dans le cœur de tous les autres et participeraient au
titre glorieux de restaurateur de son État.

Le premier président répondit, suivant l'usage, à la harangue du
chancelier. Après avoir rappelé les calamités qui accablaient le
peuple, opprimé par les exacteurs[1203], il continua ainsi: «Nous ne
doutons pas, monsieur, que, dans cette première dignité de l'État, où
vos mérites vous ont élevé et conservé depuis tant d'années, vous n'ayez
été le premier à connaître et à ressentir très-vivement ces malheurs.
Nous savons aussi combien le roi a été touché de cette misère générale
de son royaume; mais il n'y avait que la paix qui pût donner les moyens
d'apporter les remèdes nécessaires à un si grand mal. C'est pourquoi,
aussitôt qu'il a plu à Dieu d'en faire naître les occasions, nous avons
vu que ce prince si glorieux s'est arrêté de lui-même au milieu de ses
victoires, et que, s'élevant au-dessus de tous les sentiments que la
guerre peut donner à un roi si généreux et si victorieux, il a montré
qu'il préférait la qualité de père du peuple à toute la gloire que les
armes et les conquêtes peuvent donner.

«Toute la France voit maintenant de quelle sorte ce prince incomparable
s'applique à réparer les ruines qu'elle a souffertes, et, dans les
premiers commencements de la cessation de ses maux, elle ressent déjà
les effets de cette bonté toute royale qui lui font espérer de jouir
bientôt du plus heureux règne qu'elle ait jamais connu. Mais, entre
toutes les choses qui relèvent ses espérances, il n'y en a point qu'elle
considère davantage, et dont elle attende un plus grand secours, que ce
qui se présente aujourd'hui, c'est-à-dire l'établissement d'une Chambre
de justice. On sait combien il y a qu'elle le désire comme la véritable
consolation de tous ses maux, et comme le seul moyen par lequel, en
ôtant les biens aux injustes possesseurs qui les ont ravis si
violemment, on puisse les employer pour soulager la misère de ceux
auxquels ils appartiennent très-légitimement.

«Aussi elle reçoit cet établissement comme un effet singulier, comme une
marque certaine de la sagesse de sa conduite et comme un gage
très-assuré de la durée de son règne; mais, monsieur, comme tout le
succès de cette affaire dépend du soulagement que le pauvre peuple en
recevra, et que le prince sera la véritable balance avec laquelle on
pourra peser le bien qui en peut revenir à l'État, et que d'ailleurs la
misère de ces pauvres gens est presque dans la dernière extrémité, tant
par la continuation des maux qu'ils ont soufferts depuis si longtemps
que par la cherté et la disette presque inouïes des deux dernières
années, nous vous conjurons de représenter de plus en plus au roi ces
grandes considérations, et de seconder, comme vous faites
très-dignement, les pensées bienfaisantes que ce monarque incomparable
conçoit incessamment pour les besoins de ses peuples.

«Cependant, puisqu'il a plu à Sa Majesté de nous choisir pour un si
grand ouvrage, nous pouvons vous dire que, d'un côté, nous lui sommes
très-particulièrement obligés de l'honneur qu'elle nous fait de nous
donner des marques si sensibles de son estime et de sa confiance, et de
l'autre nous nous trouvons en même temps très-chargés envers elle par le
devoir de la reconnaissance, et envers le public par les grandes choses
qu'il attend de nous dans une commission si importante.

«C'est pourquoi nous emploierons tous nos soins pour y agir d'une
manière digne de l'honneur d'un si grand choix, et pour faire en sorte
que ce prince si bon et si juste connaisse que nous correspondons,
autant qu'il nous est possible, aux grands biens qu'il veut faire, et
que tous ses peuples ressentent au plus tôt par le soulagement de leurs
misères, et même que toute la postérité sache que ce n'est pas en vain
que ce grand roi a rassemblé des principaux officiers de toutes les
compagnies de son royaume pour travailler au point le plus important de
la réformation de son État.

«En quoi, monsieur, nous serons principalement animés par les grands
exemples que vous avez donnés à tous les magistrats du royaume depuis
que vous en êtes le chef, et par ceux encore que nous espérons recevoir
de vous en cette fonction, que nous vous prions d'honorer souvent de
votre présence.

«Vous voulez bien aussi que nous ajoutions un exemple qui ne vous est
pas étranger, c'est celui de M. le président Séguier, votre oncle, dont
la mémoire est si précieuse au Parlement et à tout le public, et qui
s'acquitta si dignement, il y a près de soixante ans, d'une semblable
commission, que nous penserons toujours à l'imiter et à suivre les
traces de sa vertu.»

Après le discours du premier président, Denis Talon, qui avait été nommé
procureur général de la Chambre de justice, se leva et dit qu'il lui
avait été apporté, de la part du roi, un édit et une déclaration pour
l'établissement de cette Chambre, sur lesquels il avait donné ses
conclusions par écrit, et il requit qu'il en fût fait lecture à la
Chambre. Pussort lut ces ordonnances et les conclusions du procureur
général, qui en demandait l'enregistrement. Denis Talon appuya cet avis
par une harangue d'apparat[1204]. Puis le chancelier consulta
l'assemblée, et, après avoir recueilli les voix, déclara la Chambre de
justice constituée.

Les éléments dont se composait ce tribunal étaient, comme nous l'avons
vu, très-divers, les uns pris dans les parlements (c'était le plus grand
nombre), les autres dans la Chambre des comptes, la Cour des aides, le
Grand Conseil et parmi les maîtres des requêtes. Voici les noms de ces
magistrats: le chancelier Pierre Séguier, le premier président du
parlement de Paris, Guillaume de Lamoignon, qui devait présider en
l'absence du chancelier, le président de Nesmond, le président de
Pontchartrain, de la Chambre des comptes; les maîtres des requêtes
Poncet, Olivier d'Ormesson, Boucherat, Voysin et Besnard de Rezé; quatre
conseillers de la Grand'Chambre du parlement de Paris, Regnard, Catinat,
de Brillac et Fayet; Massenau, conseiller au parlement de Toulouse;
Francon, du parlement de Grenoble; Du Verdier, du parlement de Bordeaux;
de la Toison, du parlement de Dijon; Le Cormier de Sainte-Hélène, du
parlement de Rouen; Raphelis de Roquesante, du parlement d'Aix; Hérault,
du parlement de Rennes; Nogués, du parlement de Pau; le Tellier de
Louvois[1205], du parlement de Metz; de Moussy et le Bossu-le-Jau, de la
Chambre des comptes de Paris; le Féron et de Baussan, de la Cour des
aides; Chouart et Pussort, du Grand Conseil. La mort ou la retraite de
certains membres amenèrent plus tard quelques changements dans la
composition de l'assemblée. Ainsi Chouart, conseiller au Grand Conseil,
obtint du roi la permission de se retirer de la Chambre de justice, et
fut remplacé par un autre membre de ce tribunal, nommé Cuissotte de
Gisaucourt; le Tellier de Louvois, du parlement de Metz, fit place à un
conseiller au même parlement, nommé de Ferriol; Francon, du parlement de
Grenoble, étant mort en 1662, eut pour successeur de la Baulme,
conseiller au même parlement. Enfin le maître des requêtes Boucherat se
récusa pour cause de parenté et obtint que la Chambre approuvât les
raisons qu'il fit valoir pour se retirer.

Deux partis ne tardèrent pas à se former dans la Chambre et se
prononcèrent de plus en plus à mesure que le procès excita plus vivement
les passions: l'un, dirigé par le chancelier Séguier, aurait voulu que
l'affaire fût menée rapidement; l'autre, qui avait à sa tête le premier
président de Lamoignon, tenait à respecter les formes établies par les
lois pour assurer une connaissance complète de la vérité et garantir la
libre défense des accusés. Le chancelier Séguier avait présidé, dès le
temps du cardinal de Richelieu, les commissions judiciaires qui
enlevaient les crimes politiques aux parlements; il avait prononcé
l'arrêt de mort de Cinq-Mars et d'Auguste de Thou. Vivement attaqué à la
fin du règne de Louis XIII et signalé à la reine Anne d'Autriche comme
un des ennemis qu'elle devait sacrifier, il n'avait conservé sa dignité
de chancelier qu'en se montrant aussi soumis à Mazarin qu'à Richelieu.
C'était d'ailleurs un magistrat savant et d'une capacité éprouvée; mais
son caractère le rendait odieux. Humble en face des puissants, il se
montrait souvent dur et implacable contre ceux que poursuivait leur
vengeance. Fouquet trouva en lui un juge rigoureux et d'une partialité
déclarée. Les maîtres des requêtes Poncet et Voysin suivirent le parti
du chancelier, le premier avec une habile circonspection; le second avec
une ardeur impétueuse. Poncet était un magistrat estimé et qui aspirait
à devenir conseiller d'État; il ménageait le pouvoir, sans rompre avec
le parlement. Voysin, maître des requêtes comme Poncet, et de plus
prévôt des marchands de Paris, était tout dévoué à Colbert. Pussort,
oncle de ce ministre, se montra le plus ardent des adversaires de
Fouquet. Saint-Simon a tracé de ce magistrat un portrait qui peint tout
à la fois sa rudesse et sa capacité: «C'était, dit-il[1206], un grand
homme sec, d'aucune société, de dur et difficile accès, un fagot
d'épines, sans amusement et sans délassement aucun; parmi tout cela
beaucoup de probité, une grande capacité, beaucoup de lumières,
extrêmement laborieux, et toujours à la tête de toutes les grandes
commissions du Conseil et de toutes les affaires importantes du
royaume.» Ce fut Pussort qui insista avec le plus d'énergie pour que
Fouquet fût condamné à la peine capitale.

Je ne m'arrêterai pas sur quelques autres magistrats qui furent dominés
et entraînés par l'influence du chancelier et de Colbert. Timides et
hésitant entre les deux partis, ils n'ont eu qu'un rôle secondaire.
Celui du procureur général de la Chambre de justice, Denis Talon, fut
beaucoup plus important. Il était signalé depuis longtemps comme un
adversaire de Fouquet[1207], et Colbert comptait sur son éloquence pour
décider la condamnation du surintendant. Mais Denis Talon fut loin de
justifier dans cette affaire la réputation de capacité qu'il devait à
une ancienne habitude du barreau et peut-être aussi à un nom illustré
depuis longues années par les vertus et l'éloquence de son père. Il
était à cette époque épris de la maréchale de l'Hôpital. Cette passion
d'un homme de robe pour la veuve d'un capitaine renommé avait excité la
verve satirique des courtisans. On se moqua dans les chansons du temps
de ce grave magistrat transformé en Céladon. Voici quelques vers d'une
de ces chansons[1208]:

       Veuve d'un illustre époux,
        Vous nous la donnez bonne,
       Quand vous faites les yeux doux
    A ce grand pédant qui vous _talonne_.

Denis Talon, qui aurait dû diriger le procès de manière à éviter des
longueurs inutiles, se laissa entraîner par un intrigant, nommé Berryer.
Ce commis de Colbert, qui voulait se rendre nécessaire, décida Talon à
demander un examen détaillé de tous les registres de l'Épargne[1209]. De
là d'interminables lenteurs, dont les amis de Fouquet profitèrent
habilement. On en rejeta la faute sur le procureur général, qui fut
renvoyé de la Chambre de justice et remplacé par les maîtres des
requêtes Hotman et Chamillart, comme nous le verrons en racontant les
principaux incidents du procès.

Le parti parlementaire, qui contribua si puissamment à sauver Fouquet,
eut d'abord pour chef Guillaume de Lamoignon. Ce magistrat avait dû en
grande partie son élévation à Fouquet[1210]. Cependant telle était sa
réputation d'intégrité et son habileté pour diriger le parlement de
Paris, qu'on ne crut pas pouvoir l'exclure d'une Chambre à laquelle on
voulait donner une grande autorité. Lamoignon, sans laisser soupçonner
ses intentions, travailla à ramener les esprits en faveur du
surintendant et à jeter de l'odieux sur Colbert et sur les mesures
financières que ce ministre avait adoptées. C'est du moins ce qu'affirme
Colbert dans un mémoire où il retrace la conduite du premier président
dans la Chambre de justice[1211]: «Le premier effet, dit-il, que cette
mauvaise disposition produisit fut une prodigieuse longueur de cette
affaire. Le premier président n'alla jamais qu'à onze heures et demie à
la Chambre, en sortant à midi, n'y retournant qu'entre trois et quatre
heures, et en sortant entre cinq et six; joint à cela diverses autres
démonstrations et publiques et secrètes qu'il fit. Sa Majesté connut
clairement que, si elle ne s'appliquait avec soin à faire agir cette
Chambre, elle aurait le déplaisir de la voir s'anéantir elle-même et
continuer sans cesse la dissipation des finances du royaume, puisque les
gens d'affaires et de finances seraient délivrés de la seule crainte qui
les pouvait retenir.»

Colbert rappelle ensuite que, jusqu'à la fin du mois de mars 1662, il ne
se passa rien d'important à la Chambre de justice. Comme, à cette
époque, il fut reconnu que le roi n'avait pas retiré cent mille livres
de la dernière aliénation de rentes sur les tailles, qui se montait à un
million, plusieurs membres de la Chambre ouvrirent l'avis d'annuler
cette aliénation et les contrats auxquels elle avait donné lieu. Leur
opinion fut adoptée, malgré l'opposition du premier président: «ce qui,
ajoute Colbert, lui donna un tel déplaisir, qu'il ne laissa rien
d'intenté pour réparer son honneur qu'il croyait être blessé, et
empêcher la suite d'un arrêt qu'il croyait être si préjudiciable à
l'État et au bien public. Il ne manqua pas d'exagérer combien il est
important de ne pas toucher aux rentes de la ville de Paris, disant que
le salut de l'État en dépend; que tous les mouvements de sédition et de
révolte avaient été excités par les intéressés en ces sortes de rentes;
que toutes les compagnies, tous les grands du royaume, toute la ville de
Paris et même les provinces avaient les mêmes intérêts; que la plus
grande partie des familles en subsistait, et qu'un homme qui perd son
pain et celui de ses enfants est capable des dernières extrémités.
Enfin, ne mettant point de différence entre les plus fâcheux temps des
guerres civiles qui avaient pris leur origine dans sa compagnie et celui
du règne d'un jeune prince généreux qui élève son État sur les principes
de justice dont il ne s'est jamais départi et tient une conduite qui
donne de l'admiration à tous ses peuples, il pronostiquait les mêmes
malheurs que la faiblesse de la plus longue minorité qui eût jamais été
dans notre royaume et une infinité d'autres raisons avaient fait
sentir.»

Colbert montre ensuite le premier président et ses amis critiquant une
des mesures les plus utiles de Louis XIV, la diminution des tailles qui
pesaient principalement sur le peuple. Déjà, en 1661, le roi en avait
retranché trois millions. Il diminua encore cet impôt d'un million en
mars 1662. «Cet arrêt, ajoute Colbert, ayant été porté sur le bureau de
la Chambre de justice, au lieu de publier et exagérer une si sensible
marque de la bonté du roi pour ses peuples, les amis du premier
président non-seulement n'en relevèrent pas le mérite, mais encore l'on
entendit une voix d'entre eux qui dit que le roi l'ôtait aujourd'hui et
le remettrait demain.»

Guillaume de Lamoignon se montra également hostile aux mesures adoptées
pour le remboursement des rentes. «Ce qui fâcha Sa Majesté, ajoute
Colbert, et l'obligea enfin, après avoir employé jusques alors toute
sorte de bons traitements et de caresses envers le premier président, de
lui témoigner que cette conduite ne lui pouvait plaire et qu'il ferait
bien de la changer; qu'il lui suffisait que Sa Majesté ne lui demandât
rien contre ce qu'il disait être de sa conscience. Mais de se porter
avec tant de chaleur qu'il faisait en se concertant avec ses amis avant
d'aller à la Chambre, il ne pouvait pas bien accorder cette conduite
avec la bonne conscience. Cette mortification fut sensible au premier
président, en sorte qu'il fut près de deux mois sans parler autrement
qu'en disant son avis. Mais Sa Majesté ne voulut pas le laisser plus
longtemps en cet état. Dès la première occasion où il donna quelque
marque de son zèle, le roi le caressa comme auparavant[1212].»

Cette opposition mitigée et habilement calculée contribuait à augmenter
la popularité de Guillaume de Lamoignon. Il avait de nombreux partisans
dans la Chambre de justice. A leur tête se plaçaient les conseillers de
la Grand'Chambre Regnard, Catinat, Brillac et Fayet. Le premier est cité
avec éloge dans le _Tableau du parlement_, où la plupart des magistrats
sont appréciés avec peu de bienveillance: «Très-facile, sûr, de grande
créance dans sa compagnie; a beaucoup d'honneur et de probité, n'est
nullement intéressé.» Le conseiller Catinat, père du maréchal de France
de ce nom, jouissait également de l'estime publique: «C'est, dit le
_Tableau du parlement_, un homme d'honneur, très-capable, hors
d'intérêts, qui a grande probité et grande créance en la Grand'Chambre,
et est l'un des piliers de M. le premier président.» Brillac était aussi
un magistrat intègre et éclairé. Enfin, le conseiller Fayet est
caractérisé en ces termes: «Homme d'honneur, pieux, sans intérêts, d'un
esprit assez lent, mais connaissant les affaires du Palais, estimé dans
sa Chambre pour son intégrité; est peu gouverné, n'est ni porté pour la
cour ni contre, apportant un tempérament raisonnable aux affaires
publiques[1213].»

Appuyé par quatre magistrats aussi considérés et jouissant lui-même
d'une haute réputation de science et de probité, le premier président ne
tarda pas à exercer une influence considérable dans la Chambre. Les
présidents de Nesmond et de Pontchartrain étaient presque toujours de
son avis, ainsi que les maîtres des requêtes Besnard de Rezé et Olivier
d'Ormesson. Je reviendrai sur ce dernier, qui fut nommé rapporteur du
procès, et dont l'avis contribua puissamment à sauver Fouquet. Mais les
détails que je viens de donner sur la Chambre de justice suffisent pour
montrer que les forces des deux partis se balançaient. Ce serait
toutefois une erreur de croire que l'antagonisme se manifesta dès le
début du procès. Il ne se développa que lentement et successivement, à
mesure que les sentiments de pitié et de sympathie pour Fouquet
succédèrent, dans une partie de l'assemblée, à l'indignation et à la
colère qui avaient d'abord éclaté contre le surintendant.



CHAPITRE XLIV

--1661-1663--

Procès de Fouquet.--Monitoires publiés par ordre de la Chambre de
justice (décembre 1661).--Arrêts de prise de corps contre Boylève,
Bruant, Catelan et autres financiers.--Les registres des trésoriers
de l'Épargne sont saisis.--Ordre donné à tous ceux qui ont pris à
ferme les impôts, depuis 1635, à leurs veuves et héritiers, de
remettre leurs baux à la Chambre de justice.--Le procureur général
demande à la Chambre l'autorisation de poursuivre Fouquet comme
principal auteur des abus de l'administration financière (2 mars
1662)--Cette autorisation est accordée, et Fouquet subit un
interrogatoire devant deux commissaires de la Chambre (juin
1662).--Fouquet, après avoir protesté contre la Chambre, répond à
l'interrogatoire.--La Chambre décide qu'il sera jugé sur pièces; ce
qui entraînait des procédures lentes et multipliées.--Sainte-Hélène
et Olivier d'Ormesson sont nommés par le roi rapporteurs du procès
(octobre 1662).--Caractère d'Olivier d'Ormesson.--Le chancelier
Séguier remplace Guillaume de Lamoignon comme président de la
Chambre de justice (décembre 1662).--Sa partialité.--Reproches
qu'il adresse aux rapporteurs.--Longueur du procès inhérent à la
nature de l'affaire.--Nécessité de compulser les registres de
l'Épargne et d'en donner communication à l'accusé.--Requêtes de
récusation présentées par Fouquet contre Talon, Pussort, Voysin et
le greffier Foucault; elles sont rejetées (février 1663).--Requête
de Fouquet pour obtenir communication des pièces; elle est
accordée.--Les membres de la Chambre de justice sont appelés au
Louvre (août 1663); recommandations que leur adresse le
roi.--Efforts pour gagner Olivier d'Ormesson; conseils que lui
donne Claude Le Pelletier.--André d'Ormesson, père d'Olivier, est
choisi pour remplir les fonctions de chancelier dans la cérémonie
du renouvellement de l'alliance des Suisses (novembre 1663).--Talon
est renvoyé de la Chambre de justice et remplacé par Chamillart.


La Chambre de justice s'occupa, pendant les premiers mois de l'année
1662, de rechercher les financiers qui devaient être enveloppés dans le
procès de Fouquet. Elle avait fait publier, dès le mois de décembre
1661, des monitoires dans chaque paroisse de Paris pour menacer
d'excommunication ceux qui ne dénonceraient pas les traitants coupables
de malversations. Des arrêts de prise de corps furent lancés contre
Boylève, Bruant, Catelan, Gourville et autres financiers. Les trésoriers
de l'Épargne, la Basinière, Jeannin de Castille et Claude de Guénégaud
furent dépossédés de leurs charges et leurs registres saisis[1214].
Enfin il fut décidé que tous ceux qui, depuis 1635, avaient pris à ferme
les impôts, et leurs veuves et héritiers, seraient tenus d'apporter
leurs baux au greffe de la Chambre et de faire connaître les personnes
qui directement ou indirectement avaient été leurs associés ou avaient
reçu des pensions sur les fermes[1215]. Ainsi le procès s'étendait de
plus en plus: des subdélégués furent chargés de remplir dans les
provinces les fonctions que la Chambre se réservait à Paris, d'instruire
et même de juger les procès de finance jusqu'à concurrence d'une
certaine somme.

Jusqu'au 3 mars 1662, il ne fut point question de Fouquet; mais à cette
époque le procureur général de la Chambre, qui était encore Denis Talon,
déclara que le désordre des finances provenait surtout des abus commis
par ce surintendant, et demanda à la Chambre d'en faire informer[1216].
Le maître des requêtes Poncet et le conseiller Regnard furent chargés de
cette partie de l'instruction et se rendirent au château de Vincennes,
où Fouquet était enfermé (juin 1662). Ils l'interrogèrent sur le crime
d'État dont il était accusé d'après le mémoire trouvé à
Saint-Mandé[1217] et sur les dilapidations qu'on lui reprochait. Avant
de répondre, Fouquet protesta contre la Chambre de justice et déclara
qu'il ne reconnaissait pour juge que le parlement de Paris. Ces réserves
faites, il répondit à toutes les questions avec une présence d'esprit
qui ne l'abandonna jamais pendant le procès, et il demanda que la
Chambre lui accordât le conseil d'un avocat et lui fît remettre ses
papiers, qui lui étaient indispensables pour sa défense[1218].

Comme Fouquet persistait toujours dans son refus de reconnaître la
Chambre, il fut décidé que le procès lui serait fait comme à un
muet[1219], et qu'il serait jugé sur pièces. Dans ce cas, le procureur
général produisait ses réquisitions par écrit[1220], et l'accusé y
répondait de la même manière. On suivit, pour la forme des procédures,
l'avis des présidents et conseillers du parlement[1221], et l'on
s'engagea dans une voie qui devait entraîner des longueurs infinies et
mettre au jour les abus qui avaient été commis dans la saisie et
l'inventaire des pièces.

Il fallait, dans ces sortes de procès, qu'un ou plusieurs rapporteurs,
choisis parmi les membres du tribunal, fissent l'analyse de toutes les
productions du procureur général et de l'accusé, ainsi que de toutes les
requêtes qui étaient présentées également par écrit. Le choix des
rapporteurs était un point fort délicat; il était d'une grande
importance de désigner des magistrats instruits et intègres, capables
d'éclairer le tribunal sans se laisser entraîner par la passion. Jamais
ces conditions n'avaient paru si nécessaires que dans un procès hérissé
de questions de finances, qui avaient été obscurcies à dessein par les
gens d'affaires. Le roi se réserva le choix des rapporteurs. Le 11
octobre 1662, il manda au Louvre le premier président, qui, depuis
l'ouverture de la Chambre de justice, en dirigeait les délibérations, et
lui déclara qu'il avait désigné pour rapporteurs Olivier d'Ormesson,
maître des requêtes, et le Cormier de Sainte-Hélène, conseiller au
parlement de Rouen. Guillaume de Lamoignon lui représenta que ces juges
étaient suspects à la famille Fouquet, qui les avait même récusés, mais
sans motiver leur exclusion de manière qu'elle fût approuvée par la
Chambre. Malgré ces objections, Louis XIV persista dans le choix qu'il
venait de déclarer[1222], et les rapporteurs entrèrent immédiatement en
fonction.

Le Cormier de Sainte-Hélène est peu connu, et son rôle dans le procès de
Fouquet n'a qu'une importance secondaire. Docile aux volontés de la
cour, il fut presque toujours en opposition avec Olivier d'Ormesson;
mais il n'avait ni assez de talent ni assez d'autorité dans la Chambre
pour balancer l'influence de ce maître des requêtes. Olivier d'Ormesson
était issu d'une ancienne famille de magistrats[1223]. Son père, André
d'Ormesson, était doyen du conseil d'État et un des membres les plus
considérés de ce corps: Olivier, après avoir débuté par le parlement,
avait acheté, en 1642, une charge de maître des requêtes et déployait,
depuis vingt ans, dans l'exercice de fonctions tour à tour judiciaires
et administratives, beaucoup d'application, de zèle et de probité. Il
avait été nommé, en 1650, par Mazarin pour remplir, de concert avec
Fouquet, des fonctions analogues à celles d'intendant dans
l'Île-de-France[1224]. Plus tard, il fut intendant de Picardie et mérita
l'approbation universelle par la prudence et la fermeté de sa conduite.
Il exerçait cet emploi lorsqu'il fut choisi pour faire partie de la
Chambre de justice. Il était, dès cette époque, étroitement lié avec
Guillaume de Lamoignon, et sa conduite pendant le procès ne fit que
rendre leur union plus intime.

Il importait au roi et à Colbert, qui voulaient que le procès fût
conduit rapidement, de placer à la tête de la Chambre de justice un
magistrat qui tint moins aux formes que le premier président. Nous avons
vu d'ailleurs, par le témoignage même de Colbert[1225], que Guillaume
de Lamoignon était soupçonné de partialité en faveur de Fouquet. Le roi
résolut de faire présider la Chambre par le chancelier Séguier, sans
toutefois exclure positivement le premier président. Le 11 décembre
1662, un an environ après l'établissement de la Chambre, le chancelier,
qui n'y avait plus paru depuis la séance d'ouverture, s'y rendit[1226]
et fut reçu avec le cérémonial ordinaire. Il annonça à l'assemblée que
le roi lui avait ordonné d'y venir siéger chaque jour, et qu'il
obéissait avec d'autant plus de plaisir qu'il pourrait ainsi concourir
au bien que la Chambre de justice ferait à l'État. Le premier président
lui répondit que la Chambre le recevrait toujours avec honneur et que
lui, en son particulier, l'y verrait siéger avec beaucoup de joie. Le
premier président assista encore à quelques séances pour ne pas paraître
blessé de la mesure adoptée par le roi, mais peu à peu il se retira,
sous prétexte que les affaires du parlement l'absorbaient tout
entier[1227], et à partir de cette époque ce fut le chancelier qui
dirigea la procédure.

Son attitude n'y fut pas celle d'un magistrat pénétré de la gravité de
ses fonctions et observant scrupuleusement les formes de la justice.
Parvenu à la vieillesse[1228], il se plaignait vivement de la longueur
de ce procès, qui, disait-il, durerait plus que lui, et il témoignait
hautement son impatience[1229]. On vit, dans un des nombreux incidents
de ce vaste procès, le chancelier tenant sur la sellette un malheureux
pour lequel il s'agissait de la vie ou de la mort, le pressant de
questions et ne lui laissant pas le loisir de s'expliquer[1230]. Comme
la plupart des membres de la Chambre murmuraient de cette partialité,
Séguier jeta brusquement au président de Nesmond le cahier qui lui
servait pour l'interrogatoire et lui dit de le continuer. Le président
s'y refusa. Le chancelier fit alors lire les articles par le rapporteur.
L'interrogatoire achevé, il se leva piqué et sans dire mot à personne.
«Beaucoup de Messieurs[1231], ajoute Olivier d'Ormesson[1232], me
parurent fort indignés de la conduite de M. le chancelier, qui faisait
connaître son empressement pour plaire à la cour et ne songeait qu'à
faire condamner promptement cet homme[1233], sans garder la bienséance
d'un juge qui doit écouter favorablement un accusé et chercher plutôt à
le soulager qu'à l'accabler.»

Les rapporteurs, qui n'abondaient pas dans le sens du chancelier,
n'étaient pas à l'abri de ses reproches. Il manifestait son irritation
lorsqu'ils lisaient des pièces, qui, selon lui, ne pouvaient servir qu'à
faire traîner le procès en longueur[1234]. Il s'attaquait surtout à
Olivier d'Ormesson, qu'il ne trouvait pas aussi docile que
Sainte-Hélène; il cherchait à le piquer et à le déconcerter par ses
railleries[1235], et comme il n'y réussissait pas, il s'en prenait avec
humeur à l'autre rapporteur qui gardait le silence. «Celui-ci ayant
répondu qu'il n'était pas nécessaire qu'il parlât, M. le chancelier
répliqua: _Pourquoi? n'êtes-vous pas aussi rapporteur? que ne
parlez-vous_? M. de Sainte-Hélène dit: _Si vous me voulez dispenser
d'être rapporteur, vous me ferez plaisir_.» L'impatience et l'irritation
de Pierre Séguier ne firent que s'accroître, lorsqu'il vit que le procès
ne tournait pas selon ses désirs. «M. le chancelier était si irrité, dit
Olivier d'Ormesson[1236], que M. de la Guillaumie lui ayant présenté des
arrêts à signer, il en jeta par colère cent soixante-douze dans le feu,
en sorte que maintenant les parties sollicitent pour en faire signer
d'autres.»

Malgré la partialité du chancelier, l'affaire était engagée de telle
sorte, qu'elle traîna encore pendant deux ans, de décembre 1662 à
décembre 1664. Cette lenteur tenait à la nature même de la procédure sur
pièces. Il fallait compulser tous les registres de l'Épargne et donner
communication à l'accusé des nombreuses pièces nécessaires pour sa
défense. Il faut se rappeler, pour comprendre la marche de cette
affaire, ce qu'était un surintendant et quelle était l'organisation
financière de l'ancienne monarchie. Le surintendant n'avait pas le
maniement des deniers publics; il se bornait à donner aux trésoriers de
l'Épargne les ordres de payement, en les assignant sur des fonds
déterminés, comme les gabelles, les tailles, les aides, etc. Les
intendants et contrôleurs des finances secondaient le surintendant dans
ce travail. Les trésoriers de l'Épargne, qui avaient reçu les fonds
provenant des impôts, payaient sur les ordonnances du surintendant; ils
devaient garder ces ordonnances pour leur décharge et les produire à la
Chambre des comptes. Leurs registres, lorsqu'ils étaient bien tenus,
établissaient la balance des recettes et des dépenses. Ceux des
contrôleurs des finances devaient servir à en vérifier l'exactitude.

Rien de plus simple au premier aspect que le mécanisme de cette
administration financière; mais, lorsqu'on l'examine de près, on voit
que les fraudes étaient faciles. Souvent, les assignations données par
les surintendants portaient sur des fonds déjà épuisés, et n'avaient
plus aucune valeur. Elles se vendaient à vil prix à des financiers qui
avaient le crédit de les faire réassigner sur des fonds disponibles, et
qui réalisaient ainsi d'énormes bénéfices. Ce trafic criminel des
assignations fut un des principaux chefs d'accusation contre Fouquet.

Les emprunts donnaient aussi lieu à des fraudes ruineuses pour l'État.
Le Trésor était réduit à emprunter à un taux exorbitant, qui allait à
plus de 30 pour 100; mais comme la Chambre des comptes n'admettait, pour
les emprunts, que le taux légal du denier 18 (5,55 p. 100), le
surintendant se reconnaissait débiteur envers les créanciers de l'État
d'une somme plus considérable que celle qu'il avait reçue en réalité. Ce
faux en entraînait un autre: il fallait inscrire sur les registres de
l'Épargne des dépenses imaginaires pour rétablir la balance entre les
recettes et les dépenses. Comme ces fraudes ne pouvaient avoir lieu que
par la complicité des trésoriers de l'Épargne, ils se trouvèrent
enveloppés, comme nous l'avons dit, dans le procès de Fouquet. Les
registres des contrôleurs des finances, où l'on devait inscrire toutes
les sommes reçues et dépensées, auraient pu servir à constater les abus;
mais, comme il y avait eu connivence entre le surintendant et les
contrôleurs, ces derniers avaient cessé d'enregistrer les sommes versées
au Trésor depuis 1654. C'est ce qui résulte positivement de la
déclaration du contrôleur général Hervart devant la Chambre de
justice[1237].

Souvent des prêts usuraires étaient faits au Trésor par les
surintendants et leurs commis sous des noms supposés. Nous avons vu que
Mazarin lui-même avait augmenté, par ces avances intéressées, son
immense fortune[1238]. Le surintendant Fouquet et ses commis, Bruant,
Gourville et d'autres, ne négligèrent pas ce moyen de s'enrichir.

La ferme des impôts était encore l'occasion de graves abus. Le
surintendant, ses commis, ses maîtresses exigeaient des fermiers des
impôts des sommes considérables, que ceux-ci faisaient payer au peuple.
Mazarin leur en avait donné l'exemple[1239], Fouquet l'imita: il
touchait une pension de cent vingt mille livres sur la ferme des
gabelles; une autre de cent quarante mille livres sur la ferme des
aides; une troisième de quarante mille livres sur les fermiers du
convoi de Bordeaux, qui devaient en outre payer annuellement cent
vingt-cinq mille livres à madame du Plessis-Bellière; dix mille livres à
M. de Créqui, gendre de cette dame; dix mille livres à madame de
Charost, fille de Fouquet, etc. Comment s'étonner de la misère du peuple
et de la pénurie du trésor, lorsque les fermiers, qui pressuraient la
nation et s'enrichissaient de ses sueurs, étaient obligés de partager
avec d'avides courtisans le produit de leurs exactions? L'argent, qui
aurait dû être versé dans l'Épargne, se perdait dans mille canaux qui
l'interceptaient, et il n'en parvenait au trésor qu'une faible partie.

Quelquefois les surintendants prenaient eux-mêmes, sous des noms
supposés, la ferme des impôts. On accusait Fouquet de s'être fait
adjuger, sous le nom de Duché, la ferme du mare d'or, ou impôt que
payaient les nouveaux titulaires des offices de judicature et de
finance, avant d'obtenir les provisions de leurs charges. Fouquet avait
encore la ferme des sucres et cires de Rouen. Ces abus, auxquels
participaient un grand nombre de familles, étaient souvent restés
impunis, et Fouquet avait été encouragé par l'exemple de plusieurs de
ses devanciers. Mais la fermeté de Louis XIV, éclairée par la sagacité
de Colbert, avait déjoué ses plans, et il avait maintenant à rendre
compte à la Chambre de justice de ses dilapidations.

Toutefois, la constatation des malversations présentait de graves
difficultés. Pour convaincre Fouquet et ses complices, il fallait
compulser les registres de l'Épargne, les comparer avec les ordonnances
du surintendant, et chercher à démêler, au milieu de la complication
des comptes, si les billets avaient réellement été payés, ou s'il y
avait eu un trafic criminel des assignations. Il était également
nécessaire d'examiner plus de soixante mille pièces[1240], qui
concernaient les baux des fermes et les prêts faits à l'État. A ces
difficultés, inhérentes aux procès d'appointement ou procès jugés sur
pièces, il faut ajouter que Fouquet, ancien procureur général du
parlement de Paris, était assez versé dans la chicane pour faire naître
des incidents qui retardaient le jugement. Il était d'ailleurs assisté
de deux avocats fort habiles, nommés Lhoste et Auzanet.

Dès le mois de décembre 1662, Fouquet présenta des requêtes de
récusation contre le procureur général Talon, le greffier Foucault, et
deux membres de la Chambre, Voysin et Pussort[1241]. Il fallut que la
Chambre statuât sur chacune de ces requêtes, ce qui entraîna de nouveaux
délais[1242]. Les requêtes furent rejetées; mais on avait atteint le
mois de février 1663, avant que les incidents préliminaires fussent
complètement vidés.

Fouquet présenta, à cette époque, une nouvelle requête pour obtenir
communication de toutes les pièces, alléguant qu'elles étaient
nécessaires pour sa défense[1243]. Cette demande fit éclater la colère
de Pussort, qui ne s'impatientait pas moins que le chancelier de la
lenteur du procès; il parla, dit le _Journal d'Olivier d'Ormesson_,
comme un homme transporté et hors de lui. Cependant la majorité de
l'assemblée adopta les conclusions d'Olivier d'Ormesson, qui proposait
de communiquer à Fouquet la copie des procès-verbaux de l'Épargne, et
les pièces qu'il aurait spécialement désignées[1244].

La cour, qui ne comprenait rien à ces procédures interminables,
commençait à s'en irriter. Le roi se proposait de partir pour la
Lorraine (août 1663); il manda au Louvre le président de Nesmond et les
conseillers du parlement, avec les maîtres des requêtes. Il leur dit
qu'il ne désirait que la justice, mais qu'il souhaitait une prompte
expédition[1245]. Olivier d'Ormesson fut ensuite appelé seul (23 août).
«Étant entré dans le cabinet du roi, dit ce magistrat dans son
_Journal_[1246], Je roi me dit qu'il avait été bien aise de me témoigner
en particulier la satisfaction qu'il avait des services que je rendais;
qu'il ne me recommandait point la justice, sachant que je ne pouvais
avoir d'autres sentiments, mais qu'il souhaitait la diligence. Sur cela,
je lui répondis que je m'estimais trop heureux que Sa Majesté eût
agréables mes services, mais que l'expédition et la diligence ne
dépendaient point des rapporteurs. Il me répliqua: _Je le sais bien;
j'ai donné ordre à ceux qui en ont soin de la faire; ce que je souhaite,
c'est que vous l'apportiez en ce qu'il dépendra de vous_. Après quoi, je
pris congé et me retirai.» Les membres des parlements de province furent
mandés à leur tour, et reçurent les mêmes recommandations. On remarqua
que Pussort et Gisaucourt, qui avaient témoigné le plus de zèle contre
Fouquet, furent mieux accueillis par Louis XIV que les autres membres de
la Chambre de justice[1247]. Pussort surtout fut fort bien traité. Le
roi lui demanda pourquoi il ne le venait point voir, ajoutant qu'il
serait toujours bien reçu; il le rappela encore au moment où il sortait.
Les membres de la Chambre des comptes, de Moussy et le Bossu-le-Jau,
reçurent un accueil plus froid. Quelques mots du roi leur firent
comprendre qu'il était bien informé de tout ce qui se passait dans la
Chambre, et qu'il était peu satisfait de leur conduite.

Dans l'espoir d'accélérer la marche du procès, on s'efforça de gagner
Olivier d'Ormesson, et on résolut de changer le procureur général Talon,
dont la négligence excitait les plaintes les plus vives. «M. le
chancelier, écrit Olivier d'Ormesson, à la date du 27 août 1663[1248],
témoigna beaucoup de chagrin contre M. Talon, disant sur une affaire
particulière, qui ne se jugeait pas faute de conclusions, qu'il ne
s'étonnait pas de cela, et que l'on manquait à bien d'autres choses.»

Quant à Olivier d'Ormesson, il avait été blessé en plusieurs
circonstances par Pussort, qui ne savait ni modérer son humeur ni
dissimuler ses sentiments. Sainte-Hélène, chercha à les réconcilier. «Il
vint, dit d'Ormesson[1249], me témoigner, de la part de M. Pussort,
qu'il était bien fâché; qu'il avait toute estime pour moi, et mille
civilités.» Olivier d'Ormesson répondit très-froidement à ces avances.
«Je suis bien aise, ajoute-t-il dans son Journal[1250], de l'incivilité
de M. Pussort, parce que, s'il eût saisi cette occasion pour me faire
plaisir, insensiblement j'eusse pris quelque petit engagement, et je
leur aurais donné un avantage sur moi; je suis fort aise de ne leur
avoir aucune obligation pour conserver ma liberté.» Ce passage suffit
pour montrer à quel point étaient déjà divisés les deux partis que nous
avons signalés dans la Chambre.

Cependant les ministres ne désespéraient pas encore de gagner Olivier
d'Ormesson. Le Tellier lui fit parler par Claude le Pelletier, qui était
alors conseiller d'État, et qui devint dans la suite contrôleur général
des finances[1251]. Le Pelletier engagea vivement Olivier d'Ormesson à
se ménager dans cette affaire délicate, et à ne pas s'exposer au
ressentiment de Colbert. En même temps, la cour réservait à André
d'Ormesson, père d'Olivier, un rôle important dans la cérémonie du
renouvellement de l'alliance avec les Suisses, qui eut lieu au mois de
novembre 1665. Les ambassadeurs des cantons venaient d'arriver, et,
après avoir fait à Paris leur entrée solennelle[1252], ils se rendirent
à la cathédrale pour jurer le renouvellement des traités en présence du
roi. André d'Ormesson fut choisi par Louis XIV pour remplir dans cette
circonstance les fonctions de chancelier, en l'absence de Séguier,
retenu par la maladie. Ce fut lui qui répondit à la harangue des
Suisses, et lut la formule du serment que chacun des ambassadeurs prêta,
la main sur l'Évangile. Le roi prononça ensuite le même serment, et,
avant de se retirer, témoigna beaucoup de bienveillance et de
satisfaction à André d'Ormesson[1253]. Le lendemain, 19 novembre, ce
vieillard alla remercier Louis XIV, fut accueilli avec les mêmes
prévenances, et reçut de Colbert une médaille d'or destinée à perpétuer
le souvenir de cette cérémonie[1254].

En même temps que le roi flattait la famille d'Ormesson, il changeait le
procureur général de la Chambre, que l'on accusait de n'avoir pas su
diriger la procédure. Le 26 novembre, Colbert déclara à Denis Talon que,
les affaires du parlement exigeant sa présence, le roi le dispensait du
service de la Chambre de justice. On le remplaça par deux maîtres des
requêtes, Hotman et Chamillart[1255]. Le second fut spécialement chargé
de suivre le procès de Fouquet[1256]. La cour espérait que le zèle et
l'application de Chamillart, qui pourrait concentrer tous ses soins sur
une seule affaire, en hâteraient la solution.



CHAPITRE XLV

--1664--

Suite du procès de Fouquet.--Olivier d'Ormesson repousse les
avances de Chamillart.--Requêtes présentées par Fouquet contre le
chancelier et contre l'inventaire fait après la saisie de ses
papiers (janvier 1661).--Olivier d'Ormesson fait la vérification
des procès-verbaux de l'Épargne à la Bastille, où avait été
transféré Fouquet.--Travail assidu de l'accusé.--Presses
clandestines qui reproduisent ses _Défenses_.--Lenteur de la
procédure.--Plaintes du chancelier contre Olivier
d'Ormesson.--Réponse de ce dernier.--Impatience de
Pussort.--L'opinion publique commence à se prononcer en faveur de
Fouquet.--Turenne déclare que l'on a fait la corde trop grosse pour
pouvoir l'étrangler.--Assiduité et exactitude d'Olivier d'Ormesson
dans l'accomplissement de ses devoirs (janvier-juillet 1664).--Il
est privé de l'intendance du Soissonnais et de la
Picardie.--Violence de Colbert.--Modération de le Tellier.--Colbert
vient se plaindre au père d'Olivier d'Ormesson de la conduite de
son fils; réponse d'André d'Ormesson.--On blâme généralement cette
démarche de Colbert.--La Chambre de justice est transférée à
Fontainebleau (juin 1664), et Fouquet enfermé à Moret.--On
restreint ses relations avec ses avocats à deux communications par
semaine.--Fouquet présente à ce sujet une requête à la
Chambre.--Elle est renvoyée au roi.--Paroles adressées par Louis
XIV aux rapporteurs.--La requête de Fouquet est rejetée.--Il en
présente une nouvelle pour récuser Pussort et Voysin.--Colbert s'en
plaint vivement--Le Tellier sollicite, par ordre du roi, plusieurs
membres de la Chambre de justice.--La requête est rejetée.--Fermeté
d'Olivier d'Ormesson.--L'instruction du procès est terminée
novembre 1664.


Le nouveau procureur général, Chamillart, fit des avances à Olivier
d'Ormesson et chercha à s'entendre avec lui sur la conduite du
procès[1257]; mais le rapporteur refusa de prendre aucun engagement et
continua de garder l'indépendance et la dignité de son caractère. Le
mois de janvier 1664 fut rempli tout entier par des incidents que
faisait naître Fouquet pour retarder le jugement. Il présenta deux
requêtes, l'une de récusation contre le chancelier, l'autre
d'inscription de faux contre les saisies et inventaires qui avaient
suivi son arrestation. La requête contre le chancelier ne fut pas
admise; le conseil du roi déclara que cet officier de la couronne ne
pouvait pas être récusé[1258]. Quant à l'inscription de faux, elle
soulevait de graves questions et touchait à des irrégularités que nous
avons déjà signalées[1259], et qui devaient contribuer puissamment à
sauver Fouquet. Outre l'enlèvement des papiers, il y avait eu de
véritables falsifications de pièces dans l'inventaire rédigé par un des
commis de Colbert nommé Berryer, et signé par Pussort et Voysin, tous
deux membres de la Chambre de justice[1260]. Les deux juges furent
maintenus, malgré les allégations de Fouquet; mais ces faits, répandus
par les amis du surintendant, eurent un grand retentissement dans le
public, qui commença à s'intéresser à Fouquet. On prétendait qu'on
n'avait pas seulement altéré les pièces du procès qui pouvaient servir à
sa défense, mais que l'on avait suborné des témoins pour déposer contre
lui[1261].

Cependant Olivier d'Ormesson avait été chargé de faire, en présence de
Fouquet, du procureur général de la Chambre et du greffier Joseph
Foucault, la vérification des procès-verbaux des registres de l'Épargne,
travail long et minutieux, que rendaient encore plus pénible les
discussions qui s'élevaient sans cesse entre Chamillart et Fouquet. Ce
dernier avait été transféré de Vincennes à la Bastille dès le 18 juin
1663; il y était toujours placé sous la garde de d'Artagnan. Le
gouverneur de la Bastille, Bessemaux, avait été autrefois en relation
étroite avec le surintendant, et les lettres qu'il lui adressait à cette
époque contenaient des protestations de dévouement absolu: «Croyez,
disait-il à Fouquet[1262], que je suis à l'épreuve de tout pour vous et
plus que personne du monde.» Et il signait: «Votre très-humble,
très-obéissant et _très-fidèle_ serviteur.» On s'étonnerait que ce même
Bessemaux eût été maintenu comme gouverneur de la Bastille à l'époque où
le surintendant y fut enfermé, si d'Artagnan et ses mousquetaires
n'avaient pas veillé à ses côtés.

Pendant six mois, Olivier d'Ormesson se rendit matin et soir à la
Bastille et travailla à la vérification des procès-verbaux de l'Épargne.
Il s'y mit directement en rapport avec Fouquet, et il a pris soin de
noter dans son Journal tous les détails relatifs au prisonnier. Il le
trouva peu changé[1263], sinon qu'il était plus gras, les yeux battus et
le teint bilieux. Fouquet montra son logement à Olivier d'Ormesson, les
oiseaux qu'il nourrissait dans le coin d'une tour, ses livres, ses
papiers, ses écritures sur le procès. Il n'avait pas été donné une seule
pièce qu'il ne l'eût lui-même composée. Après l'avoir écrite, il la
faisait copier par son médecin Pecquet; puis il la relisait, la
corrigeait et la faisait recopier au dehors[1264]. Ce que Fouquet ne dit
pas à Olivier d'Ormesson, c'est que sa femme et sa mère, qui, pendant
tout le procès, montrèrent un zèle admirable pour le seconder, avaient
plusieurs presses où les défenses de l'accusé étaient imprimées
clandestinement. On en saisit une qui était établie vis-à-vis l'hospice
des Incurables, et les ouvriers furent envoyés à la Bastille; mais
madame Fouquet en avait trois autres: une à Montreuil, une seconde au
faubourg Saint-Antoine et la troisième en Champagne, à
Nogent-l'Artaud[1265]. Elles échappèrent à toutes les recherches des
agents de Colbert et répandirent en grand nombre les pièces qui
pouvaient contribuer à ramener l'opinion publique en faveur de Fouquet.
L'accusé se défendait d'ailleurs avec habileté et faisait preuve, dans
ses discussions avec Chamillart, de beaucoup d'adresse et de présence
d'esprit.

Malgré le zèle et l'assiduité d'Olivier d'Ormesson, qui consacrait
toutes ses journées à la vérification des procès-verbaux de l'Épargne,
ce travail avançait lentement. Il fallait, après chaque séance, rendre
compte du résultat à la Chambre de justice; c'était la conséquence de
l'arrêt qui avait décidé que Fouquet serait jugé sur pièces ou, comme on
disait alors, par appointement. Le chancelier ne cessait de se plaindre
des longueurs de cette procédure, alléguant que, si l'on écoutait
toujours l'accusé, on ne finirait jamais[1266]. Il blâma la conduite
d'Olivier d'Ormesson[1267] avec une aigreur qui émut ce magistrat,
malgré la modération de son caractère. Il prit la parole et répondit au
chancelier: «Monsieur, vous savez bien que, lorsque l'on a désiré que
j'exécutasse l'arrêt[1268], voyant M. de Sainte-Hélène hors d'état de
venir à la Bastille[1269], j'ai prié que vous voulussiez nommer un autre
de Messieurs pour travailler avec moi, non pas que je me défiasse de mon
cœur, mais de mes lumières et de ma connaissance, et parce que je me
croyais obligé d'être plus réservé à cause de la qualité de
rapporteur[1270].» Olivier d'Ormesson avoue que, malgré son calme
habituel, il était irrité des attaques perpétuelles de Séguier. «Je dis
à plusieurs de la Chambre, ajoute-t-il, que je n'aimais pas qu'on me
donnât le fouet tous les matins, et que M. le chancelier était une
manière de correcteur que je ne souffrirais pas[1271].»

Pussort ne manifestait pas moins d'impatience que Séguier. Il
soupirait, se fâchait, grondait contre la longueur du procès et s'en
prenait à tout le monde[1272]. Ces incidents, que la malveillance
exagérait, étaient avidement recueillis par les amis de Fouquet. On
avait réveillé les vieilles haines contre le chancelier, «ce Pierrot
déguisé en Tartufe,» comme l'appelait Arnauld d'Andilly. Pussort était
accusé d'une partie des réformes de son neveu Colbert, réformes qui
blessaient de nombreux intérêts et lui suscitaient des ennemis. On
opposait à la passion et à la violence de ces juges la conduite de
Fouquet, sa patience, sa résignation. D'Artagnan lui-même faisait
l'éloge de son prisonnier. «Il me dit, raconte Olivier d'Ormesson[1273],
que M. Fouquet avait été d'abord trois semaines fort inquiet et étonné,
mais que, son esprit s'étant calmé, il s'était fort possédé depuis et
s'était mis dans une grande dévotion; qu'il jeûnait toutes les semaines
le mercredi et le vendredi, et, outre ce, le samedi au pain et à l'eau;
qu'il se levait avant sept heures, faisait sa prière et après
travaillait jusqu'à neuf heures; qu'il entendait ensuite la messe; que
son conseil[1274] venait tous les jours à dix heures et sortait à midi;
qu'il dînait, puis travaillait et ne se couchait qu'à onze heures.
Pecquet, son médecin, me dit qu'il avait pensé mourir à Angers de la
fièvre triple-quarte.» Fouquet avait composé dans sa prison, outre ses
_Défenses_, les _Heures de la Conception de Notre-Dame_ et traduit un
psaume[1275].

Aux sentiments de compassion qu'inspiraient naturellement le malheur et
la résignation d'un ministre naguère si puissant venait se joindre
l'indignation contre les faussaires. Le travail patient et consciencieux
d'Olivier d'Ormesson faisait ressortir leurs fraudes; lui-même l'affirme
dans son Journal[1276]: «Je trouvai sept ou huit lignes du procès-verbal
entièrement fausses, n'y ayant rien de semblable dans les
registres[1277], et je ne puis comprendre comment on peut inventer des
choses qui ne sont point et les rapporter comme si elles étaient.» La
Chambre, informée de ces faux, s'en indigna aussi vivement qu'Olivier
d'Ormesson[1278]. Berryer, qui en était le principal auteur, fut blâmé
sévèrement, et les membres de la Chambre (Pussort et Voysin) qui avaient
signé le procès-verbal n'échappèrent pas à la censure. Les chansons, les
poésies satiriques, commençaient à pleuvoir sur les juges hostiles à
Fouquet[1279]. Au contraire, on applaudissait ceux qui se montraient
indépendants. Turenne lui-même en donnait l'exemple. «Je fus voir M. de
Turenne, dit Olivier d'Ormesson[1280], qui me parla de ma réponse à M.
Pussort, et me dit que les honnêtes gens l'avaient fort approuvée[1281];
qu'on avait fait la corde si grosse qu'on ne pouvait plus la serrer
pour étrangler M. Fouquet, et qu'il ne fallait d'abord qu'une
cordelette.»

D'autres, il est vrai, prétendaient que cette impartialité d'Olivier
d'Ormesson n'était pas sincère; qu'il traînait à dessein le procès en
longueur, et qu'il se laissait gouverner par sa parente madame de
Sévigné. Ces reproches étaient répétés jusque dans sa famille par un de
ses frères, Nicolas d'Ormesson, de l'ordre des Minimes[1282]. «Je lui
parlai de cela avec mépris, ajoute le rapporteur, et néanmoins
l'engageai à ne plus tenir de pareils discours.»

Sans s'inquiéter de ces attaques, Olivier d'Ormesson continua de
s'acquitter avec le même zèle et la même intégrité de la tâche pénible
qui lui était imposée. Il se rendait de grand matin à la Bastille pour
hâter la vérification des procès-verbaux, et il y travailla avec cette
assiduité pendant six mois (janvier-juillet 1664). «Ce qui donna du
chagrin à M. Fouquet, dit le rapporteur[1283]; il déclara qu'il ne
pouvait résister au travail, et que c'était le moyen le plus sûr pour en
venir à bout et l'opprimer.»

Malgré ce zèle, Olivier d'Ormesson n'échappa pas à la vengeance des
ennemis de Fouquet. N'ayant pu le gagner, ils résolurent de le punir de
son impartialité et de frapper un coup qui intimidât la Chambre. Ils lui
firent enlever l'intendance de Picardie et du Soissonnais, qu'il avait
conservée jusqu'alors[1284]. Olivier d'Ormesson supporta cette
injustice avec patience, et sa femme[1285] montra la même fermeté. «Je
suis obligé de remarquer, dit-il dans son Journal, que, ayant annoncé
cette nouvelle à ma femme, il ne se peut la recevoir plus sagement
qu'elle fait et avec plus de force, et que mon fils m'a fait paraître en
cela des sentiments fort sages et fort prudents.» C'était Colbert qui
avait privé d'Ormesson de son intendance, et il continua, pendant tout
le procès, de montrer un acharnement dont les amis de Fouquet ne
manquèrent pas de profiter.

Quant à le Tellier, que des écrivains modernes ont représenté comme
aussi implacable que Colbert[1286], il s'efforçait, au contraire, de
rejeter sur ses collègues l'odieux de ce procès. Olivier d'Ormesson
l'ayant été visiter après sa disgrâce[1287], il le fit entrer dans son
jardin, lui fit mille civilités, l'engageant à ne témoigner aucun
ressentiment, mais à suivre toujours le même chemin, sans faire ni plus
ni moins, afin que l'on ne crût pas qu'il cédât à la crainte ni qu'il
voulût se venger. Il lui parla ensuite du procès, des fautes qu'on y
avait faites et entra dans le détail, ajoutant, comme l'avait déjà dit
Turenne[1288], qu'on avait fait la corde trop grosse; qu'on ne pouvait
plus la serrer; qu'il ne fallait d'abord qu'une chanterelle[1289].

Le procès n'avançait guère au milieu de tous ces incidents, qui
agitaient l'opinion publique. On était arrivé au mois de mai 1664, et la
cour se disposait, suivant l'usage, à aller passer le printemps et l'été
à Fontainebleau. Colbert, qui devait l'accompagner, résolut de faire une
démarche personnelle auprès du père d'Olivier d'Ormesson, dans
l'espérance que ce vieillard engagerait son fils à abréger la procédure.
Il se rendit en effet, le 5 mai, chez André d'Ormesson[1290], et, après
les premières civilités, il lui dit qu'il venait le trouver de la part
du roi pour se plaindre de ce que son fils, bien loin d'apporter toutes
les facilités possibles pour terminer le procès de Fouquet, semblait, au
contraire, affecter la longueur. Le roi était persuadé, ajouta-t-il, de
la droiture de ses intentions et ne voulait pas contraindre ses
sentiments, mais il désirait terminer ce procès. La Chambre de justice
ruinait toutes les affaires, et il était fort extraordinaire qu'un grand
roi, craint de toute l'Europe, ne pût pas faire achever le procès d'un
de ses sujets.

André d'Ormesson, sans s'émouvoir de ces reproches, répondit qu'il était
fâché que le roi ne fût pas satisfait de la conduite de son fils. Il
savait que ses intentions étaient bonnes, et qu'il pratiquait ce qu'il
lui avait toujours recommandé: craindre Dieu, servir le roi et rendre la
justice sans acception de personne. Quant à la longueur du procès, elle
ne venait pas de lui, mais de l'étendue et de l'importance de l'affaire,
dans laquelle, au lieu de deux ou trois chefs d'accusation, on en avait
fait entrer trente ou quarante. Comment supposer que le rapporteur
cherchait à plaire à Fouquet, dont la fortune était ruinée, et à
déplaire au roi, de qui dépendaient toutes les grâces?

Colbert répliqua qu'on remarquait que le rapporteur insistait plus sur
les raisons alléguées par Fouquet que sur celles du procureur général. A
cette accusation André d'Ormesson répondit qu'un rapporteur était obligé
de faire valoir toutes les raisons, et que son fils se conduisait si
prudemment, que l'on ne pouvait découvrir ses sentiments. Il
persisterait dans cette conduite, ajouta-t-il, quoiqu'on lui eût enlevé
l'intendance du Soissonnais. Ils n'avaient que peu de biens; mais
c'était une fortune qui leur venait de leurs pères et dont ils sauraient
se contenter, rendant la justice sans aucune considération d'intérêt.
Sur quoi, Colbert ayant déclaré qu'on savait que le rapporteur était
zélé pour la justice, mais qu'on désirait la prompte expédition du
procès, André d'Ormesson dit que son fils donnait tout son temps à cette
affaire; qu'il y travaillait matin et soir sans perdre un instant, et
qu'il faisait tout ce qui dépendait de lui pour en hâter la marche.

Après une conversation qui avait duré environ une demi-heure, Colbert
sortit avec un visage fort sérieux, comme le remarque Olivier
d'Ormesson[1291]. Cette démarche fit beaucoup de bruit et ne tourna pas
à l'honneur du ministre. «Tout le monde blâme M. Colbert, écrit Olivier
d'Ormesson[1292], de se charger lui-même des messages désagréables;
d'avoir voulu voir lui-même M. Boucherat pour faire plus d'éclat et
augmenter l'injure[1293], vu que la même chose se pouvait faire sans
bruit, M. le Tellier s'étant offert de lui parler; puis d'avoir voulu
venir parler lui-même à mon père. Oter M. Boucherat, homme de bien et de
réputation, de la Chambre de justice, c'était faire connaître que les
intentions étaient mauvaises. M'ôter l'intendance de Soissons, c'était
me faire honneur et se charger de honte, en faisant croire que l'on
désirait des choses injustes et que j'avais assez d'honneur pour y
résister; c'était achever de gâter le procès en faisant injure au
rapporteur, et me mettant hors d'état de leur être favorable quand j'en
aurais le dessein; car l'on attribuerait mes sentiments à crainte ou à
intérêt et non pas à justice. Et, pour comble, élever Berryer et le
faire conducteur public de toutes les affaires de la Chambre de justice,
c'était faire gloire d'infamie et de honte; car Berryer est le plus
décrié des hommes.»

La magistrature, qui avait alors une si grande influence, partageait les
sentiments exprimés par Olivier d'Ormesson et les témoignait hautement.
Tous ses amis et ceux de son père s'empressèrent de venir les
féliciter[1294]. La disgrâce infligée au rapporteur devint pour lui un
titre glorieux: «On en parle avec tout l'honneur et toute l'estime
possibles, dit-il lui-même, aussi bien que de la réponse de mon père à
M. Colbert. Elle a été publique dès le même jour, et tout le monde en
témoigne une grande joie.»

Il était évident que la Chambre de justice subissait de plus en plus
l'influence de l'opinion, qui se déclarait hautement contre les
persécuteurs de Fouquet. Pour la soustraire à cette pression, on résolut
de la transférer à Fontainebleau, où la cour venait de se rendre. Elle
reçut, en effet, l'ordre de l'y suivre, au mois de juin 1664, et y
siégea pendant deux mois[1295]. Fouquet, Delorme et les trésoriers de
l'Épargne, toujours confiés à la garde de d'Artagnan et de ses
mousquetaires, furent conduits et enfermés au château de Moret[1296]. La
Chambre continua d'entendre à Fontainebleau, comme à Paris, la lecture
des nombreuses pièces du procès, les résumés des rapporteurs, les
productions du procureur général sur les prêts faits à l'État, sur les
fermes des impôts, sur le trafic des assignations et les autres griefs
dirigés contre Fouquet, ainsi que les réponses écrites de l'accusé. Elle
eut également à prononcer sur de nouvelles requêtes présentées par
Fouquet.

La première était relative au conseil qu'on lui avait accordé à Paris et
qu'on lui supprimait en partie à Moret[1297]. On ne lui permettait de
communiquer avec ses avocats que deux fois par semaine, le mardi et le
vendredi, et encore en présence de d'Artagnan. Comme cette mesure avait
été adoptée par ordre du roi, la Chambre enjoignit aux rapporteurs de
remettre la requête à Louis XIV et de le prier de prononcer. Le roi,
après l'avoir reçue des mains des rapporteurs[1298] et en avoir pris
connaissance, leur donna audience le lendemain et leur adressa des
paroles qu'Olivier d'Ormesson a pris soin de conserver textuellement
dans son Journal[1299]: «Lorsque je trouvai bon, leur dit Louis XIV, que
Fouquet eût un conseil libre, j'ai cru que son procès durerait peu de
temps; mais il y a deux ans qu'il est commencé et je souhaite
extrêmement qu'il finisse. Il y va de ma réputation. Ce n'est pas que ce
soit une affaire de grande conséquence; au contraire, je la considère
comme une affaire de rien. Mais dans les pays étrangers, où j'ai intérêt
que ma puissance soit bien établie, l'on croirait qu'elle n'est pas
grande, si je ne pouvais venir à bout de faire terminer une affaire de
cette qualité contre un misérable[1300]. Je ne veux néanmoins que la
justice; mais je souhaite voir la fin de cette affaire, de quelque
manière que ce soit. Quand la Chambre a cessé d'entrer et qu'il a fallu
transférer M. Fouquet à Moret, j'ai dit à d'Artagnan de ne plus lui
laisser parler les avocats, parce que je ne voulais pas qu'il fût averti
du jour de son départ. Depuis qu'il a été à Moret, je lui ai dit de ne
les laisser communiquer avec lui que deux fois la semaine, et en sa
présence, parce que je ne veux pas que ce conseil soit éternel, et j'ai
su que les avocats avaient excédé leur fonction, avaient porté et
reporté des paquets et tenu un autre conseil au dehors, quoiqu'ils s'en
défendent fort; et puis, dans ce projet, par lequel il voulait
bouleverser l'État[1301], il doit faire enlever le procès et les
rapporteurs. C'est ce qui m'a fait donner cet ordre, et je crois que la
Chambre s'y conformera[1302]. Je m'en remets néanmoins à ce qu'elle fera
sur la requête de M. Fouquet et si elle voudra y mettre quelqu'un de sa
part. Je ne veux que la justice, et sur tout cela, je prends garde à
tout ce que je vous dis; car, quand il s'agit de la vie d'un homme, je
ne veux pas dire une parole de trop. La Chambre donc ordonnera ce
qu'elle trouvera à propos. J'aurais pu vous dire mes intentions dès
hier; mais j'ai voulu voir la requête, et je me la suis fait lire avec
application; on est bien aise de savoir ce qu'on a à dire. Je vous ai
dit mes intentions, et je vous rends la requête, afin que la Chambre y
délibère.»

Après avoir rapporté ces paroles de Louis XIV, Olivier d'Ormesson
ajoute: «Je ne veux pas omettre une circonstance qui me parut fort belle
au roi: c'est qu'étant demeuré tout court au milieu de son discours, il
demeura quelque temps à songer pour se reprendre et nous dit: _J'ai
perdu ce que je voulait dire_. Il songea encore assez de temps, et ne
retrouvant point ce qu'il avait médité, il nous dit: _Cela est fâcheux;
car en ces affaires, il est bon de ne rien dire que ce qu'on a pensé_.»

La Chambre de justice, à laquelle Louis XIV avait laissé le soin
d'accorder à Fouquet un conseil libre ou restreint, adopta ce dernier
parti. Il fut décidé, suivant l'avis d'Olivier d'Ormesson[1303], que les
communications de l'accusé avec ses avocats n'auraient lieu que deux
fois par semaine. On remarqua, dans cette délibération, la violence avec
laquelle opina Voysin, dont le fils devint chancelier à la fin du règne
de Louis XIV. «La Chambre de justice, disait-il[1304], n'avait été
établie que pour M. Fouquet, et cependant depuis deux ans elle n'avait
encore rien fait pour ce procès. Le roi savait que M. Fouquet était un
homme d'intrigue; il connaissait son génie.» Il continua avec un tel
emportement, que le chancelier même en était peiné[1305]. Quoique la
Chambre n'eût pas partagé les avis passionnés de Voysin, on trouva à
Paris qu'elle avait cédé aux influences hostiles à l'accusé, et que
l'air de Fontainebleau donnait d'autres sentiments que celui de
Paris[1306].

Une autre requête de Fouquet donna lieu à des discussions plus vives. Il
y demandait à la Chambre l'autorisation de poursuivre Colbert comme
ayant soustrait une partie de ses papiers, et subsidiairement
prétendait que Pussort ne devait pas être admis à délibérer sur cette
requête, parce qu'il était parent de Colbert[1307]. A cette occasion, le
chancelier s'éleva avec force contre Fouquet[1308] et soutint
qu'avancer, comme il le faisait, que Colbert lui avait enlevé ses
papiers, c'était faire injure au roi, qui se servait de ce ministre dans
ses affaires les plus importantes. Le chancelier fit ensuite un éloge
pompeux et mérité de Colbert. Enfin une décision du roi trancha la
question[1309]; elle se fondait sur les raisons d'État que faisait
valoir le chancelier: «Le roi, disait-il, avait dû faire saisir les
papiers d'un surintendant qui avait eu le maniement des affaires les
plus délicates pour le gouvernement intérieur et extérieur de la
France[1310].» Mais le public ne fut pas de cet avis, et on continua de
se plaindre d'une mesure qui, aux yeux de bien des gens, frappait tout
le procès de nullité.

L'altération des inventaires était encore un des actes reprochés aux
ennemis de Fouquet. Une nouvelle requête de l'accusé, se fondant sur ces
illégalités, demandait la récusation de Pussort et de Voysin[1311].
Cette affaire paraissait fort délicate; car il était évident que la
Chambre, où les avis étaient partagés et l'opinion encore flottante, ne
prononcerait pas la condamnation de Fouquet, si les deux juges qui le
poursuivaient avec le plus d'ardeur étaient éloignés. Aussi Colbert
fit-il les plus vives instances pour que la requête de récusation fût
rejetée. Il s'adressa au roi et se plaignit vivement d'Olivier
d'Ormesson, qu'on savait favorable à la requête; il lui dit que ce
magistrat attaquait sa famille à l'honneur[1312], déclarant que, si l'on
prononçait la récusation, il ne pourrait plus servir, ni son oncle
Pussort, qui depuis trente ans avait vécu avec une réputation intacte;
que le rapporteur le traitait de faussaire. En un mot, il récrimina avec
la dernière violence contre Olivier d'Ormesson.

Louis XIV, cédant aux pressantes sollicitations de Colbert, chargea le
Tellier, qui se ménageait habilement entre les deux partis, d'aller
trouver en son nom quelques-uns des membres de la Chambre et d'obtenir
d'eux que Pussort ne fût pas récusé[1313]. Le Tellier, avant de faire
une pareille démarche auprès d'Olivier d'Ormesson, fit pressentir son
opinion par Claude le Pelletier, et ayant reconnu que d'Ormesson
persistait avec une fermeté inébranlable dans son avis, il s'abstint de
faire près de lui une démarche qui aurait compromis l'autorité du
roi[1314]. La majorité de la Chambre, entraîné par les instances que les
ministres faisaient au nom même de Louis XIV, rejeta la requête de
récusation[1315].

Dans toutes ces circonstances, Olivier d'Ormesson sacrifia son intérêt à
sa conscience; il vola contre l'opinion que la cour voulait faire
prévaloir[1316]; il perdit son avenir comme magistrat; mais il mérita
de vivre dans la postérité comme un des juges les plus intègres. En même
temps il poursuivait avec un labeur infatigable la rude tâche qui lui
avait été imposée. Chaque jour il exposait avec méthode et clarté devant
la Chambre les questions obscures et embrouillées des avances, des
assignations, des fermes, des procès-verbaux de l'Épargne; il analysait
les accusations et les défenses, et expliquait nettement ce long et
difficile procès. Cette tâche préliminaire ne fut terminée que le 12
novembre 1664[1317]. Ce fut alors seulement que la Chambre put faire
comparaître devant elle l'accusé, qui avait été ramené à la Bastille en
même temps que la cour et les juges rentraient à Paris. Son retour avait
été signalé par une scène touchante: la femme de Fouquet, qui n'avait
pas obtenu la permission de le voir depuis son arrestation, l'attendit
près de Charenton au moment où on le ramenait à la Bastille. D'Artagnan,
qui sut dans toutes ces circonstances concilier son devoir avec
l'humanité, fit ralentir la marche de la voiture. Madame Fouquet put
s'approcher de la portière et embrasser son mari[1318]. Il y avait là
bien d'autres personnes de distinction qui venaient donner au prisonnier
un témoignage de sympathie et d'affection.



CHAPITRE XLVI

--1664--

L'opinion publique se prononce en faveur de Fouquet.--Causes de ce
changement: longueur et étendue du procès; nombreuses familles qui
y sont impliquées.--Relations des financiers avec la magistrature
et la noblesse.--Madame Duplessis-Guénégaud.--Caractère de
Colbert.--Une partie du clergé est favorable à
Fouquet.--Remboursement des rentes (mai 1664); mécontentement qui
en résulte.--Sonnet du poëte Hesnault contre Colbert.--Loret ne
veut pas croire aux crimes imputés à Fouquet.--Pierre Corneille
reste fidèle au surintendant malheureux et célèbre le courage de
ses défenseurs.--Élégie de la Fontaine aux _Nymphes de Vaux_.--Ode
adressée par ce poëte à Louis XIV pour solliciter la grâce de
Fouquet.--La Fontaine s'éloigne de Paris, probablement d'après un
ordre du roi.--Sympathie qu'excite le sort de Pellisson.--Lettre de
Racine à son sujet.--Légendes sur la captivité de
Pellisson.--Mémoires et vers qu'il compose en faveur de
Fouquet.--Il est soumis à une surveillance plus sévère.--_Requête
de Pellisson à la Postérité_.


L'indignation, qui, après l'arrestation de Fouquet, avait éclaté si
vivement contre lui, avait fait place peu à peu à des sentiments tout
opposés. On plaignait le surintendant, on s'apitoyait sur son sort et on
maudissait hautement ses persécuteurs. Plusieurs causes avaient
contribué à ce changement: d'abord la longueur du procès et la
compassion naturelle pour le malheur. Depuis trois ans, de nombreuses
familles, impliquées dans les poursuites judiciaires contre les
financiers, étaient menacées de ruine. Abattues au premier moment, elles
s'étaient peu à peu relevées. Les financiers tenaient par des alliances
à la magistrature et à la noblesse; il y avait bien peu d'anciennes
familles qui n'eussent adopté la maxime attribuée à madame de Grignan:
«Qu'il faut de temps en temps fumer les meilleures terres.» On remarqua,
au lit de justice du 29 avril 1665, que mesdames de Brancas, de Lyonne,
d'Estrées et la présidente le Pelletier, étaient les filles de
financiers nommés Garnier, Payen, Morin et Fleuriau[1319]. Il était donc
naturel qu'un procès qui frappait les plus riches traitants inquiétât la
noblesse comme la magistrature et excitât leurs plaintes.

Sans insister sur les nombreux financiers enveloppés dans la disgrâce de
Fouquet et condamnés plus tard à payer cent dix millions d'amende, il
suffira de parler d'une de ces familles, celle des Guénégaud. Le
trésorier de l'Épargne, Claude de Guénégaud, frère d'un des secrétaires
d'État, avait été enfermé à la Bastille et impliqué dans le procès de
Fouquet. Sa femme s'occupa de ses affaires avec un zèle admirable[1320].
Cette dame avait de nombreux amis, parmi lesquels se faisait remarquer
Arnauld d'Andilly, et à en juger par les Mémoires du temps, elle
méritait la plus vive sympathie: «Son esprit, dit Arnauld d'Andilly,
son cœur et sa vertu semblent disputer à qui doit avoir l'avantage. Son
esprit est capable de tout, sans que son application aux plus grandes
choses l'empêche d'en avoir en même temps pour les moindres. Son cœur
lui aurait, dans un autre sexe, fait faire des actions de courage tout
héroïques, et sa vertu est si élevée au-dessus de la mauvaise fortune,
que ce ne serait pas la connaître que de la croire capable de se laisser
éblouir par l'une et abattre par l'autre[1321].» Madame
Duplessis-Guénégaud était le centre d'une nombreuse et brillante
société, qui s'associa à ses efforts pour sauver son mari et Fouquet.

Colbert contribuait encore par sa froideur glaciale à augmenter les
sympathies pour les accusés. On opposait à sa rudesse les manières
affables et prévenantes de l'ancien surintendant. Les courtisans, qui
redoutaient la sévérité du contrôleur général, l'avaient surnommé _le
Nord_. Dans des couplets satiriques, qui expriment leurs regrets, on
disait à Colbert:

    Vous ne méritez pas notre surintendance,
    Déplorable jouet du sort et de la cour;
    Quand vous l'aviez, Fouquet, on ne parlait en France
    Que de paix, que de ris, que de jeux, que d'amour[1322].

Colbert, tout entier aux réformes qu'il méditait pour la grandeur et la
prospérité du royaume, ne s'inquiétait guère de ces coups d'épingle. Il
poursuivait son but, qui était l'amélioration du système financier de
la France, l'allégement des charges du trésor public par le
retranchement ou le remboursement d'une partie des rentes et le
développement de la richesse nationale par les progrès de l'industrie,
du commerce, de la marine et des colonies. Les classes qui ne
contribuaient pas par leur travail à la prospérité publique, et entre
autres les rentiers, la magistrature, le clergé, se sentaient menacées.
On savait que, outre la réduction des rentes, le contrôleur général
réclamait la diminution du prix des charges de judicature et des
modifications dans les lois qui régissaient les couvents, dont le nombre
lui paraissait excessif[1323]. Comment s'étonner que les rentiers, les
magistrats et une partie du clergé soient entrés dans l'opposition qui
se forma contre Colbert et entrava ses réformes? Fouquet profita de ces
dispositions. Beaucoup de membres du clergé s'intéressaient vivement à
sa cause. Claude Joly, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, paroisse
d'Olivier d'Ormesson, en parla plusieurs fois au rapporteur[1324]. Tous
les dévots étaient pour-Fouquet, comme le disait Foucault[1325], et
avaient trouvé moyen de l'informer de ce qui pouvait l'intéresser.
Ainsi, sous les verrous de la Bastille, il était prévenu, avec une
étonnante exactitude, des démarches de Chamillart et des entrevues
secrètes que ce dernier avait avec les commis de Colbert[1326]. Nous ne
pouvons que deviner les influences mystérieuses qui agissaient en faveur
de Fouquet. Les femmes, pour lesquelles il s'était perdu, l'avaient
toujours aimé et protégé; elles ne l'oublièrent certainement pas dans
une circonstance où il s'agissait de son salut. Madame de Sévigné,
mademoiselle de Scudéry, madame d'Asserac, madame Duplessis-Guénégaud,
la comtesse de Maure, s'intéressaient vivement à lui[1327]. Combien
d'autres nous sont restées inconnues, qui contribuèrent à former en sa
faveur une de ces ligues dont la puissance est irrésistible! La conduite
admirable de la femme et de la mère de Fouquet, leur patience, leur
zèle, leur courage à toute épreuve, donnaient un noble exemple et
trouvèrent de nombreux imitateurs.

Le remboursement des rentes, qui coïncida avec le procès de Fouquet,
contribua encore à agiter et à soulever l'opinion publique. Colbert
avait déjà fait rendre, avant 1664, plusieurs ordonnances qui
diminuaient le revenu des rentiers[1328]. Boileau y fait allusion dans
les vers si connus:

    Quel sujet inconnu vous trouble et vous altère?
    D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévère,
    Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier
    A l'aspect d'un arrêt qui retranche un quartier?

Mais ce fut surtout au mois de mai 1664 qu'éclata le mécontentement des
rentiers. On avait fait afficher un arrêté, en date du 24 mai, par
lequel le roi annonçait l'intention de faire rembourser toutes les
rentes sur l'Hôtel de Ville de Paris établies depuis vingt-cinq ans, et
ordonnait aux rentiers de remettre leurs titres à une commission
composée de MM. d'Aligre, de Sève et Colbert, membres du conseil royal
institué par Louis XIV pour régler l'administration financière, et de M.
Marin, intendant des finances[1329]. Aussitôt les rentiers coururent à
l'Hôtel de Ville et firent entendre les plaintes les plus vives. «Le
chagrin paraît sur le visage de chacun, dit Olivier d'Ormesson[1330],
n'y ayant personne qui ne soit intéressé à cette suppression des rentes,
soit par la perte de son revenu, soit parce qu'il ne reste plus où
placer son argent.»

Les discussions auxquelles cette mesure donna lieu retentissaient jusque
dans le sein de la Chambre de justice. Le chancelier en prenait
fortement la défense et s'élevait contre la conduite des rentiers.
«S'assembler en tumulte était, disait-il[1331], une chose fort étrange;
il fallait respecter la majesté des rois; les séditions se brisaient
contre elle comme les flots de la mer contre le sable. On reconnaissait
dans ces mouvements l'esprit qui avait excité les derniers troubles; il
y avait des gens qui n'étaient pas rentiers qui s'y mêlaient, comme le
diable dans l'orage. On savait qu'on avait envoyé des courriers dans les
provinces.» Pussort se joignait au chancelier et disait aussi que
c'était la Fronde; mais que tout irait bien, et que celui qui
attacherait le grelot serait bien hardi[1332].

L'émotion causée par le remboursement des rentes ne tarda pas, en effet,
à se calmer, et tout se termina par des épigrammes:

    De nos rentes, pour nos péchés,
    Si les quartiers sont retranchés,
    Pourquoi nous émouvoir la bile?
    Nous n'aurons qu'à changer de lieu:
    Nous allions à l'Hôtel de Ville,
    Et nous irons à l'Hôtel-Dieu[1333].

Toutefois l'agitation des esprits était réelle et favorable à Fouquet.
Ses amis l'entretenaient avec soin. Les poëtes et les artistes, dont le
zèle pour sa cause ne se démentit jamais, ne cessaient de travailler en
sa faveur. Hesnault, un des moins connus entre les poëtes qui recevaient
des pensions de Fouquet, s'illustra par le vigoureux sonnet qu'il lança
contre Colbert:

    Ministre avare et lâche, esclave malheureux,
    Qui gémis sous le poids des affaires publiques.
    Victime dévouée aux chagrins politiques.
    Fantôme révéré sous un titre onéreux:

    Vois combien des grandeurs le comble est dangereux;
    Contemple de Fouquet les funestes reliques.

    Et tandis qu'à sa perte en secret tu t'appliques,
    Crains qu'on ne te prépare un destin plus affreux!

    Sa chute, quelque jour, te peut être commune;
    Crains ton poste, ton rang, la cour et la fortune;
    Nul ne tombe innocent d'où l'on te voit monté.

    Cesse donc d'animer ton prince à son supplice,
    Et près d'avoir besoin de toute sa bonté.
    Ne le fais pas user de toute sa justice.

Je ne parlerai pas de la multitude de chansons et de satires, la plupart
médiocres ou mauvaises, qui furent alors composées contre les ennemis de
Fouquet[1334]. Ce qu'il importe de constater, c'est que, à tort ou à
raison, l'opinion publique avait complètement changé, qu'elle s'était
déclarée en sa faveur, et qu'à la tête de ce mouvement étaient les
poëtes encouragés jadis par le surintendant. Le gazetier Loret se
contenta d'abord de garder un silence prudent; c'était déjà du courage.
Puis il osa douter des crimes dont on chargeait Fouquet[1335]:

    ...J'en doute de la moitié,
    Et par raison et par pitié,
    Et même pour la conséquence
    Je passe le tout sous silence.

Pierre Corneille aussi resta fidèle au surintendant disgracié. Sa
pension avait été supprimée après l'arrestation de Fouquet (septembre
1661); elle fut rétablie dans la suite par Colbert, qui voulait à son
tour jouer le rôle de Mécène. Mais Corneille, bien loin de se montrer
empressé auprès du successeur de Fouquet, resta une année entière sans
demander le brevet de sa pension et sans adresser de remerciements à
Colbert[1336]. Le ministre en fit des reproches à l'abbé Gallois, qui
amena enfin Corneille à l'hôtel Colbert. Il est, du reste, remarquable
que le nom de Colbert ne se trouve qu'une fois dans les œuvres de Pierre
Corneille; c'est dans une adresse au roi écrite au nom des marchands de
la ville de Paris en 1674[1337]. Au contraire, Pierre Corneille a
composé une longue épître à la louange du talent et du caractère de
Pellisson[1338], où il célèbre ainsi son dévouement à Fouquet:

    En vain, pour ébranler la fidèle constance,
    On vit fondre sur toi la force et la puissance;
    En vain dans la Bastille on t'accabla de fers;
    En vain on te flatta sur mille appas divers;
    Ton grand cœur, inflexible aux rigueurs, aux caresses,
    Triompha de la force et se rit des promesses;
    Et comme un grand rocher par l'orage insulté
    Des flots audacieux méprise la fierté,
    Et, sans craindre le bruit qui gronde sur sa tête,
    Voit briser à ses pieds l'effort de la tempête,
    C'est ainsi, Pellisson, que dans l'adversité
    Ton intrépide cœur garda sa fermeté,
    Et que ton amitié, constante et généreuse,
    Du milieu des dangers sortit victorieuse.

De tous les amis et défenseurs de Fouquet, la Fontaine fut celui qui se
signala le plus par son dévouement et par ses efforts pour le sauver.
Aussitôt après l'arrestation du surintendant, et sous le coup de la
première émotion, il écrivit l'élégie célèbre adressée aux _Nymphes de
Vaux_. C'est le cri du cœur, le gémissement d'une âme attristée à la vue
d'une si grande ruine; puis un retour amer sur les caprices de la
fortune, un contraste poétique entre les trompeuses grandeurs de la cour
et le calme du bonheur champêtre que Fouquet eût pu goûter dans cet
asile de Vaux; enfin un appel à la clémence du roi:

    Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes,
    Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,
    Et que l'Anqueuil[1339] enflé ravage les trésors
    Dont les regards de Flore ont embelli ses bords.
    On ne blâmera point vos larmes innocentes;
    Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes.
    Chacun attend de vous ce devoir généreux;
    Les destins sont contents: Oronte est malheureux.
    Vous l'avez vu naguère aux bords de vos fontaines,
    Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines,
    Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
    Recevait des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
    Hélas! qu'il est déchu de ce bonheur suprême!
    Que vous le trouveriez différent de lui-même!
    Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits:
    Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,
    Hôtes infortunés de sa triste demeure,
    En des gouffres de maux le plongent à toute heure.
    Voilà le précipice où l'ont enfin jeté
    Les attraits enchanteurs de la prospérité!
    Dans les palais des rois cette plainte est commune.
    On n'y connaît que trop les jeux de la Fortune,
    Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstants;
    Mais on ne les connaît que quand il n'est plus temps.
    Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles.
    Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,
    Il est bien malaisé de régler ses désirs;
    Le plus sage s'endort sur la foi des zéphirs.
    Jamais un favori ne borne sa carrière;
    Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière;
    Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
    Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit.
    Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte
    Ne suffisaient-ils pas sans la perte d'Oronte?
    Ah! si ce faux éclat n'eût point fait ses plaisirs.
    Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
    Qu'il pouvait doucement laisser couler son âge!
    Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage,
    Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour
    Saluer à longs flots le soleil de la cour;
    Mais la faveur du ciel vous donne en récompense
    Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence,
    Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens.
    Et jamais à la cour on ne trouve ces biens.

    Mais quittons ces pensers: Oronte nous appelle
    Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
    Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appas.
    Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
    Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage;
    Il aime ses sujets, il est juste, il est sage;
    Du titre de clément rendez-le ambitieux:
    C'est par là que les rois sont semblables aux dieux.
    Du magnanime Henri qu'il contemple la vie:
    Dès qu'il put se venger, il en perdit l'envie.
    Inspirez à Louis cette même douceur;
    La plus belle victoire est de vaincre son cœur.
    Oronte est à présent un objet de clémence;
    S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance.
    Il est assez puni par son sort rigoureux,
    Et c'est être innocent que d'être malheureux.

Cet appel à la clémence ne fut pas entendu de Louis XIV; mais les beaux
vers de la Fontaine trouvèrent de l'écho dans tous les cœurs. Il ne se
lassa pas de plaider la cause de Fouquet, et, au commencement de l'année
1663, lorsque les sentiments publics devenaient plus favorables à
l'accusé, il s'adressa de nouveau à Louis XIV pour le supplier de ne pas
se montrer implacable envers son prisonnier:

    Prince qui fais nos destinées,
    Digne monarque des François.
    Qui du Rhin jusqu'aux Pyrénées
    Portes la crainte de tes lois;
    Si le repentir de l'offense
    Sert aux coupables de défense
    Près d'un courage généreux,
    Permets qu'Apollon l'importune.
    Non pour les biens et la fortune,
    Mais pour les jours d'un malheureux.

    Ce triste objet de ta colère
    N'a-t-il point encore effacé
    Ce qui jadis t'a pu déplaire
    Aux emplois où tu l'as placé?
    Depuis le moment qu'il soupire.
    Deux fois l'hiver en ton empire
    A ramené les aquilons;
    Et nos climats ont vu l'année,
    Deux fois de pampre couronnée,
    Enrichir coteaux et vallons.

    Oronte seul, ta créature.
    Languit dans un profond ennui;
    Et les bienfaits de la nature
    Ne se répandent plus pour lui.
    Tu peux d'un éclat de ta foudre
    Achever de le mettre en poudre;
    Mais, si les dieux à ton pouvoir
    Aucunes bornes n'ont prescrites,
    Moins ta grandeur a de limites,
    Plus ton courroux en doit avoir.

    Réserve-le pour des rebelles;
    Ou, si ton peuple t'est soumis,
    Fais-en voler les étincelles
    Chez tes superbes ennemis.
    Déjà Vienne est irritée
    De ta gloire aux astres montée:
    Ses monarques en sont jaloux;
    Et Rome t'ouvre une carrière
    Où ton cœur trouvera matière
    D'exercer ce noble courroux[1340].

    Va-t'en punir l'orgueil du Tibre;
    Qu'il se souvienne que ses lois
    N'ont jadis rien laissé de libre
    Que le courage des Gaulois;
    Mais parmi nous sois débonnaire;
    A cet empire si sévère
    Tu ne te peux accoutumer;
    Et ce serait trop te contraindre:
    Les étrangers te doivent craindre;
    Tes sujets te veulent aimer.

    L'Amour est fils de la Clémence;
    La Clémence est fille des Dieux;
    Sans elle, toute leur puissance
    Ne serait qu'un titre odieux.
    Parmi les fruits de la victoire,
    César, environné de gloire,
    N'en trouva point dont la douceur
    A celui-ci pût être égale,
    Non pas même aux champs où Pharsale
    Lui donna le nom de vainqueur.

    Je ne veux pas te mettre en compte
    Le zèle ardent ni les travaux,
    En quoi tu te souviens qu'Oronte
    Ne cédait point à ses rivaux:
    Sa passion pour ta personne,
    Pour ta grandeur, pour ta couronne.
    Quand le besoin s'est vu pressant,
    A toujours été remarquable;
    Mais, si tu crois qu'il est coupable,
    Il ne veut point être innocent.

    Laisse-lui donc pour toute grâce
    Un bien qui ne lui peut durer,
    Après avoir perdu la place
    Que ton cœur lui fit espérer:
    Accorde-nous les faibles restes
    De ses jours tristes et funestes,
    Jours qui se passent en soupirs:
    Ainsi les tiens, filés de soie,
    Puissent se voir comblés de joie,
    Même au delà de tes désirs!

Cette ode, fort inférieure à l'élégie, fut communiquée à Fouquet. Il la
renvoya avec des annotations que nous fait connaître la réponse de la
Fontaine. On y voit que Fouquet, ignorant ce qui s'était passé à Rome,
n'avait pu comprendre les allusions du poëte. «Vous voulez, monseigneur,
lui répond la Fontaine, que l'endroit de Rome soit supprimé, et vous le
voulez, ou parce que vous avez trop de piété, ou parce que vous n'êtes
pas instruit de l'état présent des affaires. Ceux qui vous gardent ne
font que trop bien leur devoir.» Fouquet demandait aussi que le poëte
retranchât la dernière strophe, où il suppliait le roi d'épargner la vie
de l'accusé. «Vous dites, lui répond la Fontaine, que je demande trop
bassement une chose que l'on doit mépriser. Ce sentiment est digne de
vous, monseigneur, et, en vérité, celui qui regarde la vie avec une
telle indifférence ne mérite nullement de mourir; mais peut-être
n'avez-vous pas considéré que c'est moi qui parle, moi qui demande une
grâce qui nous est plus chère qu'à vous. Il n'y a point de termes si
humbles, si pathétiques et si pressants, que je ne m'en doive servir en
cette rencontre. Quand je vous introduirai sur la scène, je vous
prêterai des paroles convenables à la grandeur de votre âme.» Il est
difficile de n'être pas touché de ce dévouement de la Fontaine, qui
s'accroît en proportion du malheur et prend avec le prisonnier un ton
plus humble et plus respectueux qu'avec le ministre tout-puissant[1341].

La Fontaine s'éloigna de Paris dans le courant de cette année 1665. Son
voyage fut-il volontaire ou imposé par ordre supérieur? La Fontaine
était-il exilé comme son oncle Jannart, ami et substitut de Fouquet,
qu'une lettre de cachet relégua en Limousin, ou ne l'accompagna-t-il que
par affection? Les lettres de la Fontaine à sa femme laissent quelque
doute sur ce point. On y voit que le départ eut lieu le 25 août; que M.
Jannart reçut les condoléances de quantité de personnes de condition et
de ses amis: que M. le lieutenant criminel en usa généreusement,
libéralement, royalement; qu'il ouvrit sa bourse, «et nous dit, ajoute
la Fontaine[1342], que nous n'avions qu'à puiser.» Et plus loin: «La
fantaisie de voyager m'était entrée quelque temps auparavant dans
l'esprit, comme si j'eusse eu des pressentiments de l'ordre du roi.» Ces
derniers mots me font supposer, malgré l'opinion contraire du savant M.
Walckenaer[1343], que la Fontaine était compris dans la lettre de cachet
qui exila son oncle Jannart, pour avoir donné des conseils à mesdames
Fouquet et inspiré plusieurs des requêtes qu'elles avaient présentées à
la Chambre de justice. C'est pendant ce voyage que le poëte, passant à
Amboise, se fit montrer la chambre qu'avait occupée le prisonnier[1344],
et témoigna avec une touchante naïveté son affection pour l'_illustre
malheureux_.

Pellisson n'excitait pas moins vivement que Fouquet la sympathie des
gens de lettres. Comment ne se seraient-ils pas attendris sur les
malheurs de cet écrivain, qui, sans avoir partagé la grandeur et les
fautes de Fouquet, partageait ses infortunes? Racine, encore fort jeune
à cette époque et relégué au fond d'une province, s'étonnait que tous
les poëtes ne se réunissent pas pour solliciter la grâce de Pellisson.
«Tous les beaux esprits du monde, écrivait-il à l'abbé le Vasseur[1345],
ne devraient-ils pas faire une solennelle députation au roi pour
demander sa grâce? Les Muses elles-mêmes ne devraient-elles pas se
rendre visibles, afin de solliciter pour lui?

    Nec vos, Pierides, nec stirps Latoïa, vestro
      Docta sacerdoti turba tulistis opem[1346]!

Mais on voit peu de gens que la protection des Muses ait sauvés des
mains de la justice: il eût mieux valu qu'il ne se fût jamais mêlé que
de belles choses, et la condition de roitelet en laquelle il s'était
métamorphosé lui eût été bien plus avantageuse que celle de financier.
Cela doit apprendre à M. l'Avocat[1347] que le solide n'est pas toujours
le plus sûr, puisque M. Pellisson ne s'est perdu que pour l'avoir
préféré au creux; et, sans mentir, quoiqu'il fasse bien creux sur le
Parnasse, on y est pourtant plus à son aise que dans la Conciergerie, et
il n'y a point de plaisir d'avoir place dans les histoires tragiques,
dussent-elles être écrites de la main de M. Pellisson lui-même.»

Les sentiments exprimés par Racine étaient ceux de tous les gens de
lettres, dont Pellisson avait été pendant plusieurs années le
protecteur. Leur sympathie pour le prisonnier se manifesta avec d'autant
plus d'énergie que la captivité de Pellisson était plus rigoureuse. On
savait qu'il était étroitement resserré à la Bastille, et qu'on avait
écarté le seul gardien qu'il avait réussi à adoucir. L'imagination lui
créa bientôt une légende: on disait que, privé de livres, de papier et
de tous moyens d'écrire, il n'avait trouvé de distraction qu'à
apprivoiser une araignée; mais que son geôlier avait pris un plaisir
barbare à le priver de cette dernière consolation, et avait écrasé
l'insecte. «Ah! monsieur, se serait écrié Pellisson[1348], j'aurais
mieux aimé que vous m'eussiez cassé le bras.» La légende prêtait au
prisonnier des traits de présence d'esprit remarquables: on racontait
qu'ayant un jour été confronté avec Fouquet à la Bastille, Pellisson
s'aperçut de l'hésitation du surintendant. Fouquet ignorait en effet que
des papiers qui pouvaient le compromettre avaient été détruits:
«Monsieur, lui dit Pellisson, si vous ne saviez pas que les papiers qui
attestent le fait dont on vous charge sont brûlés, vous ne le nieriez
pas avec tant d'assurance[1349].» Ce fut, ajoute-t-on, un trait de
lumière pour Fouquet, qui, ne doutant plus que les traces de ses
dilapidations avaient disparu, se tint ferme et ne put être convaincu.
Ces anecdotes très-douteuses prouvent, du moins, combien était vive la
sympathie qu'inspirait Pellisson.

Le prisonnier laissait à ses amis le soin de le défendre: lui-même ne
s'occupait que de la défense de Fouquet. Il invoquait le pardon de Louis
XIV, non pour lui, mais pour le surintendant. Il rappelait le
désintéressement et la générosité de Fouquet, les services qu'il avait
rendus aux lettres et aux arts[1350]:

    D'un esprit élevé négligeant l'avenir,
    Il toucha les trésors, mais sans les retenir;
    . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Pensant à soutenir l'indigente vertu,
    A relever partout le mérite abattu.
    A l'éclat des beaux-arts, à l'honneur de la France,
    Il ne se réserva que la seule espérance,
    Espérance fondée en son cœur, en sa foi,
    En son rare génie, aux bontés de son roi.

Puis, s'adressant à Louis XIV, Pellisson faisait allusion au pardon que
ce prince avait accordé à Fouquet, et qui, en le trompant sur les
véritables sentiments du roi, avait contribué à le précipiter dans
l'abîme.

    S'il a pu vous déplaire, Oronte est trop coupable;
    Mais si, dans son erreur, flatté de vos bontés,
    Il courait à sa perte à pas précipités;
    S'il n'a pu soupçonner votre juste colère;
    S'il brûlait dans son cœur du désir de vous plaire;
    Si ce cœur noble et franc, d'un zèle abandonné,
    Tenant tout de vos mains, pour vous eût tout donné;
    Si de ce zèle ardent il vous servit sans cesse,
    Pardonnez au pouvoir de l'humaine faiblesse.

Pellisson, en terminant, touchait à des idées qui devaient faire une
profonde impression sur Louis XIV. Il lui montrait l'avenir et la
postérité applaudissant à sa clémence:

    Si je puis quelque jour, charmé de vos merveilles,
    Montrant à l'univers, après de longues veilles,
    Ce que peut un esprit nourri dans les beaux-arts,
    Égaler votre histoire à celle des Césars,
    Ne me dérobez point ce beau trait de clémence;
    Je l'attends, et mes vœux sont les vœux de la France.

Les Défenses ou Discours de Pellisson pour Fouquet ont eu, au
dix-septième siècle, une réputation d'éloquence qui s'est soutenue
jusqu'à nos jours. On y trouve, en effet, un style plus ferme et plus
élevé que dans la plupart des plaidoyers des avocats alors en renom. Il
suffit, pour s'en convaincre, d'en citer quelques passages. L'orateur
s'adresse d'abord au roi: «Ce n'est pas la coutume, dit-il, ni le défaut
du siècle, que la disgrâce trouve trop de défenseurs, et Votre Majesté
n'est sans doute guère importunée de ceux qui lui parlent aujourd'hui
pour M. Fouquet, naguère procureur général, surintendant des finances,
ministre d'État, l'objet de l'admiration et de l'envie, maintenant à
peine estimé digne de pitié. Tout se tait, tout tremble, tout révère la
colère de Votre Majesté. Je la révérerais plus que personne, et, quelque
obligé que je fusse de parler, je me tairais comme tous les autres, si
je n'avais à dire à Votre Majesté des choses essentielles, qu'autre que
moi ne lui dira point, et qui regardent le bien de son service[1351].»

Quant au fond de l'argumentation de Pellisson, elle se réduit, comme
celle de Fouquet lui-même, à alléguer les besoins de la France, alors en
guerre avec l'Espagne, la nécessité de subvenir à l'entretien des armées
et de payer la gloire nationale, enfin les ordres pressants de Mazarin.
Le surintendant, qui avait fourni à toutes les dépenses et fait preuve
d'un génie fécond en ressources, devait-il être rendu responsable du
malheur des temps et du désordre qui régnait depuis longtemps dans
l'administration financière? Ses services étaient constants et proclamés
par des lettres de Mazarin; ses fautes lui étaient communes avec tous
les surintendants. Comment la justice et la bonté du roi
pourraient-elles punir Fouquet d'abus qui remontaient jusqu'à Mazarin et
qui étaient couverts par la gloire et par tant d'importantes
acquisitions?

Pellisson s'efforce de prouver qu'une conduite différente eût été
funeste. Il demande ce qu'on dirait si on lisait un jour dans
l'histoire: «Cette année, nous manquâmes deux grands succès, non pas
tant faute d'argent que par quelques formalités de finances. On
attendait un grand et infaillible secours de quelques affaires
extraordinaires, rentes et augmentations de gages, mais la vérification
n'en put être faite assez promptement. Un rapporteur de l'édit s'alla
malheureusement promener aux champs, un autre perdit sa femme; on tomba
dans les fêtes, et après la vérification même, dont l'on n'était pas
assuré, les expéditions de l'Épargne, des parties casuelles et de
l'Hôtel de Ville, étaient longues par la multitude des quittances et des
contrats. Girardin, le plus hardi des hommes d'affaires, avait promis
deux millions d'avances, mais il était malade à l'extrémité; Monerot le
jeune, qui ne lui cédait ni en crédit ni en courage, pour quelque
indisposition était aux eaux de Bourbon, etc... Le surintendant trouvait
de l'argent sur ses promesses (personnelles), mais la prudence ne lui
conseillait pas d'engager si avant sa fortune particulière dans la
publique; il allait pourtant passer par-dessus, quand de grands et
doctes personnages lui montrèrent clairement qu'il ne le pouvait; car de
prêter ces grandes sommes sans en tirer aucun dédommagement, c'était
ruiner impitoyablement sa famille; d'en prendre le même intérêt qu'un
homme d'affaires, cela était indigne et même usuraire; de faire un prêt
supposé sous le nom d'un autre, c'était une fausseté. Et par toutes ces
circonstances malheureuses, l'armée manquant de toutes choses, et le mal
étant plus prompt que le remède, nous ne pûmes jamais prendre Stenay ni
secourir Arras[1352].»

Pellisson suppose le cas où l'on eût cherché chicane à Mazarin lui-même
sur les moyens par lesquels il se procurait de l'argent pour l'entretien
des armées. «En conscience, dit-il[1353], quel homme de bon sens lui eût
pu conseiller d'autre harangue que celle de Scipion: _Voici mes
registres, je les apporte, mais c'est pour les déchirer. En ce même jour
je signai, il y a un an, la paix générale et le mariage du roi, qui ont
rendu le repos à l'Europe; allons en renouveler la mémoire au pied des
autels_.» Mais, comme le remarque très-judicieusement M. Sainte-Beuve,
Fouquet n'avait pas rendu de ces services éclatants qui effacent toutes
les fautes, et d'ailleurs Pellisson suppose toujours qu'il ne s'agit que
d'irrégularités et non de véritables vols dans l'administration
financière.

Les Défenses de Pellisson, quoique l'argumentation n'en fût pas bien
solide, contribuèrent à persuader au public que Fouquet était victime
d'une odieuse persécution. Colbert s'en inquiéta, et il fit resserrer
Pellisson avec une nouvelle rigueur. On ne lui permit plus, comme par le
passé, de se promener sur la terrasse de la Bastille, et d'y cultiver
des fleurs. Ce fut alors que mademoiselle de Scudéry, qui s'était
toujours signalée à la tête des amis de Pellisson, écrivit à Colbert, en
décembre 1663, une lettre où elle le suppliait d'apporter quelque
adoucissement à la captivité de son ami[1354].

La mère de Pellisson s'efforçait, de son côté, de fléchir Colbert par
les placets qu'elle ne cessait de lui adresser[1355]. Des personnages
illustres, tels que les ducs de Montausier et de Saint-Aignan,
s'intéressaient en faveur du prisonnier. Pellisson lui-même invoquait
indirectement la justice du roi dans une pièce intitulée: _Requête à la
Postérité_[1356]:

    A Nosseigneurs de la Postérité,
    Juges des rois et tout pleins d'équité,
    Paul Pellisson, dans une prison noire.
    Manquant de tout, même d'une écritoire.
    Comme il le peut, en son entendement,
    Vous fait sa plainte et remontre humblement
    Qu'il a procès contre un roi magnanime,
    Qui fut toujours l'objet de son estime.
    Pour le servir, il quitta les amours,
    Les tendres vers et les tendres discours,
    Mourut au monde (et de très-bonne grâce
    Son épitaphe[1357] en fut faite au Parnasse),
    Veilla, sua, courut, n'oublia rien.
    Pendant quatre ans, hors d'acquérir du bien,
    N'en voulant point qui ne lui vint sans crime,
    Ou qu'un patron ne rendit légitime,
    Bien lui fut dit par gens du très-bon sens
    Qu'il se hâtât, que c'en était le temps;
    Que, s'il venait quelque prompte retraite,
    Il passerait pour n'être qu'un poëte.
    Mais, toujours ferme en sa première humeur,
    Se contenta de sentir en son cœur
    Que, pour connaître ou l'histoire ou la fable,
    De nuls emplois il n'était incapable,
    Ni dédaigneux pour les moins importants,
    Ni faible aussi pour soutenir les grands.
    Quoi qu'il en soit, ou faveur ou mérite,
    Sa part d'emploi, d'abord la plus petite,
    Fut la plus grande après qu'il fut connu.
    Lui des premiers, quoique dernier venu,
    On le vit lors traiter, compter, écrire,
    Pour l'intérêt de tout un vaste empire.
    Et toutefois, ô souvenir amer!
    Pour ce grand prince il sut encor rimer,
    Témoins ces vers: _Puisque Louis l'ordonne.
    Arbres, parlez, mieux que ceux de Dodone;
    Louis le veut, sortez, Nymphes, sortez_[1358].
    Mais, au milieu de ces prospérités,
    Il plut au ciel, par un grand coup de foudre,
    En un moment de le réduire en poudre.
    Il ne veut pas mettre en longue oraison
    Les longs ennuis de sa dure prison:
    N'ayant pour lui courroux, mépris, ni haine,
    On l'en plaignait; il les souffrait sans peine,
    Quand un démon jaloux et suborneur,
    Pour lui ravir ce reste de bonheur.
    Aux plus hauts lieux forma de vains nuages,
    Troubla les airs, excita cent orages.
    Vous le savez, grilles, portes, verrous,
    Si dans ces lieux, sans nuls témoins que vous,
    Son cœur, sa main, sa langue, sa mémoire,
    Du grand Louis n'ont révéré la gloire,
    Faisant pour lui ce qu'un cœur bien pieux
    Au même état aurait fait pour les dieux
    Vous le savez, ô puissance divine,
    S'il eut jamais l'esprit à la rapine.
    Et toutefois, sans savoir bien pourquoi,
    Certaines gens, qu'on nomme gens du roi,
    Bien renfermé le déchirent d'injures,
    Lui demandant par longues écritures
    Les millions que, faisant son devoir,
    Il n'eut jamais, mais qu'il pourrait avoir.
    On le diffame, et qui pis est encore.
    Il le sait bien, mais il faut qu'il l'ignore
      O Nosseigneurs de la Postérité,
    Juges des rois, plaise à votre équité,
    Quant aux écrits qui ternissent sa gloire,
    Ne les pas lire, ou bien ne les pas croire;
    Consent pourtant que vous alliez prêchant
    Qu'il fut un sot, mais non pas un méchant.
    Quant à Louis, l'ornement de son âge,
    Si dans six mois, un an, ou davantage,
    Il ne lui rend, sans y manquer en rien,
    Liberté, joie, honneur, repos et bien,
    Quoiqu'à la gloire il ait droit de prétendre
    Plus qu'un César et plus qu'un Alexandre,
    Ce nonobstant, pour sa punition,
    Le déclarant égal à Scipion,
    A cet effet, ôter de son histoire,
    Sans que jamais il en soit fait mémoire,
    Quatre vertus, six grandes actions,
    Douze combats, soixante pensions;
    Faire défense aux échos du Parnasse
    De le nommer le plus grand de sa race;
    A tous faiseurs de chants nobles et hauts,
    A tous Ronsards, Malherbes et Bertauts,
    A tous faisants galantes écritures,
    A tous Marots, Brodeaux, Mellius, Voitures,
    A tous Arnaulds, Sarrazins, Pellissons,
    D'à l'avenir, dans leurs doctes chansons,
    Passé mille ans, faire aucun sacrifice
    A son grand nom, ET VOUS FEREZ JUSTICE.

Pellisson ne gagna pas immédiatement sa cause près de Louis XIV; mais
l'opinion publique se déclara en sa faveur plus vivement encore que pour
Fouquet. Delille a exprimé la pensée des contemporains de Pellisson,
lorsqu'il a dit:

    Aimer un malheureux, ce fut là tout son crime.



CHAPITRE XLVII

--NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1664--

Suite et fin du procès de Fouquet.--La Chambre de justice se rend à
l'Arsenal (14 novembre 1664) pour entendre et juger l'accusé.--On
donne lecture des conclusions du procureur général requérant la
peine de mort.--Déclaration du chancelier à l'occasion de lettres
de femmes publiées à l'époque de l'arrestation de Fouquet.--Fouquet
sur la sellette.--Il proteste contre la compétence de la Chambre à
son égard.--Principaux chefs d'accusation.--Premier interrogatoire
de Fouquet sur les pensions.--Second interrogatoire (17 novembre);
discussion entre le chancelier et Fouquet.--Troisième
interrogatoire (18 novembre).--Intérêt qu'inspire le procès de
Fouquet.--Maladie de la reine Marie-Thérèse.--Emplâtre que lui
envoie madame Fouquet la mère.--Quatrième interrogatoire relatif au
mare d'or (20 novembre).--Cinquième interrogatoire (21
novembre).--Impatience que témoigne Fouquet.--Sixième
interrogatoire (22 novembre).--Septième et huitième interrogatoires
(26 et 27 novembre).--Influences que l'on fait agir sur le
chancelier.--Parti nombreux et actif qui s'intéresse au salut de
Fouquet.--Neuvième interrogatoire (28 novembre).--Mort du président
de Nesmond (30 novembre).--Séances des 1, 2 et 3 décembre, où
Fouquet est interrogé sur les avances qu'il avait faites au trésor
public et sur ses dépenses excessives.--Dernier interrogatoire sur
le crime d'État (4 décembre); récriminations de Fouquet contre le
chancelier, auquel il reproche sa conduite pendant la Fronde; il y
oppose les services qu'il avait rendus à la même époque.--Olivier
d'Ormesson opine le premier et parle pendant quatre jours (du 9 au
13 décembre).--Sainte-Hélène prend ensuite la parole (15-16
décembre).--Courage de M. de Massenau.--Folie de Berryer.--Pussort
opine avec beaucoup de force (17 décembre).--Suite de la
délibération (18, 19 et 20 décembre).--L'avis d'Olivier d'Ormesson
est adopté par treize voix contre neuf.--Joie générale.--L'arrêt
est signifié à Fouquet (22 décembre) et commué par le roi en un
emprisonnement perpétuel dans la forteresse de Pignerol.--On sépare
de Fouquet son médecin Pecquet et son valet de chambre la
Vallée.--Exil des parents de Fouquet.--Persécutions dirigées contre
les juges qui avaient sauvé Fouquet: exil de Roquesante, disgrâces
de Pontchartrain et d'Olivier d'Ormesson.--La haine publique
poursuit les juges qui avaient opiné pour la mort de Fouquet; trois
d'entre eux (Hérault, Sainte-Hélène et Ferriol) ne tardent pas à
succomber; on attribue leur mort à la vengeance céleste.


La Chambre de justice subissait le contre-coup de l'émotion profonde
qu'entretenaient les plaintes des poëtes et les écrits de toute nature
où l'on prenait la défense de Fouquet. Plus le procès s'avançait, plus
cette agitation des esprits devenait vive et animée. Les partisans de
Fouquet commençaient à se compter dans la Chambre: ses adversaires
aussi, mais ces derniers se sentaient faiblir en présence de l'opinion
publique et du blâme de leurs amis et de leurs familles. Le chancelier
se montrait toujours docile aux ordres de la cour, et dirigeait le
procès avec partialité; mais tantôt il sommeillait, tantôt il grondait
et se plaignait des lenteurs affectées de la Chambre. Pussort et Voysin,
naturellement emportés, avaient été exaspérés par les requêtes de
récusation de Fouquet, et ils ressemblaient plutôt à des accusateurs
qu'à des juges. Le président de Nesmond, qui, sur la requête de
récusation, avait voté contre Fouquet, ne s'en consolait pas, et il
mourut peu de temps après en maudissant sa faiblesse[1359]. Les autres
membres du parlement de Paris étaient favorables à Fouquet. Il en était
de même des maîtres de la Chambre des comptes. Les membres des
parlements provinciaux et les maîtres des requêtes étaient partagés.
Néanmoins la majorité semblait favorable à Fouquet, lorsque, le 14
novembre, la Chambre se rendit à l'Arsenal pour entendre et juger
l'accusé. Jusqu'alors elle avait tenu ses séances au Palais de Justice,
d'abord dans la salle du conseil, et ensuite dans une pièce où siégeait
ordinairement la Cour des monnaies[1360].

Dès le matin, les mousquetaires, qui avaient toujours été chargés de la
garde de Fouquet, veillaient aux portes de l'Arsenal[1361]. Aussitôt que
la Chambre fut réunie, le chancelier fit donner lecture du réquisitoire
du procureur général; Chamillart n'avait fait qu'apposer sa signature au
bas des conclusions prises par Denis Talon. Elles étaient ainsi conçues:
«Je requiers, pour le roi, Nicolas Fouquet être déclaré atteint et
convaincu du crime de péculat[1362], et autres cas mentionnés au procès,
et pour réparation condamné à être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort
s'en ensuive, en une potence qui, pour cet effet, sera dressée en la
cour du Palais, et à rendre et restituer au profit du seigneur roi
toutes les sommes qui se trouveront avoir été diverties par ledit
Fouquet ou par ses commis, ou par autres personnes, de son aveu et sous
son autorité, pendant le temps de son administration; le surplus de ses
biens déclarés acquis et confisqués, sur iceux préalablement prise la
somme de quatre-vingt mille livres parisis[1363] d'amende envers ledit
seigneur.»

Après la lecture des conclusions du procureur général, le chancelier
consulta la Chambre pour savoir si l'on ferait placer l'accusé sur la
sellette. La réponse fut affirmative. Séguier ajouta qu'avant de faire
entrer M. Fouquet il devait déclarer qu'il s'était plaint avec raison
des lettres infâmes que l'on avait fait courir à l'époque de son
arrestation; qu'elles étaient supposées, et que l'on n'avait publié
aucune de celles qui s'étaient trouvées dans les cassettes du
surintendant, le roi n'ayant pas voulu compromettre la réputation de
dames de qualité[1364].

On introduisit ensuite Fouquet, qui portait le costume des bourgeois de
l'époque, habit de drap noir avec manteau. Il s'excusa de paraître
devant la Chambre sans robe de magistrat, déclarant qu'il en avait
vainement réclamé une depuis un an. Sommé par le chancelier de prêter le
serment qu'on exigeait alors des accusés, il s'y refusa, en renouvelant
les protestations qu'il avait toujours faites contre la compétence de la
Chambre de justice, et déclarant qu'il ne pouvait reconnaître que la
juridiction du Parlement. Il ajouta que, ces réserves faites, il était
disposé à répondre à toutes les questions et à donner les
éclaircissements qu'on lui demanderait[1365]. La Chambre, consultée par
le chancelier, passa outre, et il fut procédé immédiatement à
l'interrogatoire.

Les nombreux chefs d'accusation allégués contre Fouquet peuvent se
réduire à quatre: 1° les pensions qu'il prélevait sur les fermiers des
impôts; 2° les fermes qu'il s'était fait adjuger sous des noms supposés;
3° les avances qu'il avait faites au trésor public; 4° le crime d'État
résultant du projet trouvé à Saint-Mandé. Fouquet ne pouvait nier la
réalité des abus commis dans les finances; il était forcé de reconnaître
que lui et ses créatures avaient reçu des pensions, pris à ferme
différentes taxes, et fait des avances au trésor; mais il rejetait
toutes ces fautes sur le désordre de l'administration financière du
temps de Mazarin. Les pensions n'étaient, à l'entendre, qu'un
remboursement de ses avances autorisé par le cardinal. Il en était de
même des impôts qui lui avaient été adjugés. Sans les prêts qu'il avait
faits à l'État, le gouvernement eût été impossible. Enfin le projet
trouvé à Saint-Mandé n'était qu'une chimère, le produit d'une
imagination exaltée par un moment de colère; ce papier laissé derrière
un miroir était oublié depuis longtemps, et Fouquet croyait l'avoir jeté
au feu. Tel fut le système de défense qu'il adopta et soutint
habilement. Pour le suivre au milieu des questions obscures et
compliquées de l'administration financière, il eût fallu un président
bien instruit de ces matières et capable de démêler la vérité au milieu
des sophismes de la défense. Séguier, affaibli par l'âge et peu au fait
des détails du procès, se faisait instruire chaque matin par Berryer,
Foucault et Chamillart sur les chefs d'accusation qui devaient être
développés à l'audience; mais il était incapable de lutter contre un
adversaire aussi habile que Fouquet et aussi versé dans les matières de
finances. Pussort, qui les connaissait mieux que le chancelier, avait
compromis son autorité dans la Chambre par la violence de son caractère.
Aussi l'interrogatoire de Fouquet tourna-t-il à son avantage.

Les questions portèrent d'abord sûr une pension de cent vingt mille
livres que Fouquet était accusé d'avoir prélevée sur la ferme des
gabelles, adjugée, en 1655, à Girardin sous le nom de Simon le
Noir[1366]. L'accusé ne nia pas le fait, mais il répondit que le
cardinal Mazarin lui avait accordé cette pension pour le rembourser des
avances qu'il avait faites à l'État[1367]. Il fit preuve de modération
et d'habileté dans cette première audience: «La compagnie, dit Olivier
d'Ormesson[1368], paraît l'avoir entendu favorablement, et les zélés
sont mal satisfaits de M. le chancelier.»

La seconde audience eut lieu le lundi 17 novembre[1369]. Fouquet
s'assit, comme la première fois, sur la sellette. Le chancelier lui dit
de lever la main; Fouquet répondit qu'il avait déjà exposé les raisons
qui l'empêchaient de prêter serment. Là-dessus, le chancelier entra
dans de longs discours pour établir le pouvoir légitime de la Chambre,
qui avait été instituée par le roi[1370], et dont un arrêt du Conseil
avait déclaré que Fouquet était justiciable. A cela l'accusé répondit
que les arrêts du Conseil du roi étaient tantôt conformes aux lois,
tantôt opposés, et que dans le dernier cas ce n'étaient pas de
véritables arrêts. «Comment! reprit le chancelier, vous dites que le roi
n'a pas pu juger et qu'il a abusé de sa puissance!--C'est vous qui le
dites, répliqua Fouquet (_a temetipso hoc dicis_)[1371], mais non pas
moi, et j'admire qu'en l'état où je suis, vous me veuillez faire une
affaire avec le roi. Mais, monsieur, vous savez bien vous-même qu'on
peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste; le
lendemain, vous le cassez, ayant reconnu la surprise[1372]. Vous voyez
donc qu'on peut changer d'avis et d'opinion.--Mais cependant, ajouta le
chancelier, quoique vous ne reconnaissiez pas la Chambre, vous lui
répondez, vous lui présentez des requêtes, et vous voilà sur la
sellette; ce qui prouve que vous êtes devant vos juges.--Il est vrai,
monsieur, répondit Fouquet, je suis sur la sellette; mais je n'y suis
pas par ma volonté; on m'y mène; il y a une puissance à laquelle il faut
obéir. C'est une mortification que Dieu me fait souffrir et que je
reçois de sa main. Peut-être pouvait-on bien me l'épargner après les
services que j'ai rendus et les charges que j'ai eu l'honneur
d'exercer[1373].»

Le chancelier continua ensuite l'interrogatoire sur la pension que
Fouquet recevait des fermiers des gabelles, sans que l'accusé se
déconcertât et lui laissât prendre aucun avantage sur lui.

Le lendemain, 18 novembre, Fouquet comparut encore devant la Chambre et
refusa de s'asseoir sur la sellette; il allégua, pour expliquer sa
conduite, que, la veille, le chancelier lui avait dit qu'étant sur la
sellette il reconnaissait la Chambre de justice, et, comme il ne voulait
rien faire qui pût préjudicier à son privilège, il priait la Chambre de
trouver bon qu'il ne se mît pas sur la sellette[1374]. Le chancelier,
surpris de ce refus, lui dit qu'il pouvait se retirer et que la Chambre
en délibérerait. Fouquet fit un pas comme pour se retirer, mais revenant
aussitôt: «Je ne prétends point, dit-il, faire un incident nouveau pour
gagner du temps; je veux seulement renouveler mes protestations et vous
prier d'en prendre acte. Après quoi je répondrai.»

Le chancelier répliqua qu'il ferait toutes les protestations qu'il
voudrait, mais que la Chambre ne pouvait pas douter de son pouvoir. Puis
il passa à l'interrogatoire, qui porta sur les pensions que Fouquet
recevait des fermiers des aides[1375] et du convoi de Bordeaux[1376]. La
première, qui était inscrite au nom de Gourville et de Bruant, était de
cent quarante mille livres. La seconde était de cent dix mille livres,
qui devaient être payées annuellement à Fouquet, à madame
Duplessis-Bellière, au marquis de Créqui, à la marquise de Charost, à
MM. de la Rochefoucauld, de Brancas, etc. Fouquet se tira de cet
interrogatoire avec autant d'habileté et de présence d'esprit que des
précédents.

L'intérêt qu'inspirait le prisonnier s'accroissait avec le danger, et,
malgré les gardiens, ses communications avec le dehors continuaient. «On
parle fort à Paris, écrivait madame de Sévigné[1377], de son admirable
esprit et de sa fermeté. Il a demandé une chose qui me fait frissonner;
il conjure une de ses amies de lui faire savoir son arrêt par une
certaine voie enchantée, bon ou mauvais, comme Dieu le lui enverra,
sans préambule, afin qu'il ait le temps de se préparer à en recevoir la
nouvelle par ceux qui viendront la lui dire, ajoutant que, pourvu qu'il
ait une demi-heure à se préparer, il est capable de recevoir sans
émotion tout le pis qu'on lui puisse apprendre. Cet endroit-là me fait
pleurer, et je suis assurée qu'il vous serre le cœur.»

La Chambre ne se réunit pas le 19 novembre, à cause de la gravité de la
maladie de la reine Marie-Thérèse. Le roi avait fait dire au chancelier
qu'il désirait que la Chambre suspendit ses travaux pendant que tout le
royaume était en prières pour cette princesse[1378]. On prétendit que
ces délais n'avaient été imaginés que pour interrompre le cours des
admirations[1379] qu'inspiraient les réponses de Fouquet, et avoir le
loisir de reprendre haleine des mauvais succès. Ainsi tout était
interprété en faveur de Fouquet et contre ses ennemis. L'emplâtre
composé par madame Fouquet la mère pour la jeune reine fit grand bruit.
Ce fut la marquise de Charost, fille de Fouquet, qui le porta à la reine
mère pour le donner à Marie-Thérèse[1380]. L'effet en fut
merveilleux[1381], et la reine déclara que c'était madame Fouquet qui
l'avait guérie. «La plupart, suivant leur désir, ajoute madame de
Sévigné, se vont imaginant que la reine prendra cette occasion pour
demander au roi la grâce de ce pauvre prisonnier; mais pour moi, qui
entends un peu parler des tendresses de ce pays-là, je n'en crois rien
du tout. Ce qui est admirable, c'est le bruit que tout le monde fait de
cet emplâtre, disant que c'est une sainte que madame Fouquet et qu'elle
peut faire des miracles.»

La séance du jeudi 20 novembre ne présenta de remarquable que la rude
apostrophe du chancelier à un des juges les plus inoffensifs, M.
Hérault, conseiller au parlement de Bretagne. Fouquet était dans
l'usage, à son entrée dans la salle où était réunie la Chambre, de
saluer le chancelier et ensuite les commissaires. Quelques-uns lui
rendaient son salut; d'autres, à l'exemple du chancelier, ne
paraissaient pas s'en apercevoir. Séguier, voulant donner une leçon aux
premiers, s'en prit au conseiller Hérault. Au moment où il portait la
main à son bonnet: «C'est à cause que vous êtes de Bretagne, lui
dit-il[1382], que vous saluez si bas M. Fouquet.» Le pauvre Hérault
n'osa répliquer, et les autres commissaires se tinrent pour avertis. «Je
n'avais pas touché à mon bonnet, ajoute d'Ormesson, et je ne l'ai fait
qu'une fois à l'imitation de quelques-uns.»

L'interrogatoire roula pendant cette séance sur le marc d'or, que
Fouquet s'était fait adjuger sous le nom de Duché. On lui reprochait
d'avoir détourné à son profit les fonds provenant de cette taxe, que les
nouveaux titulaires d'un office payaient au roi avant d'en obtenir les
provisions. A en croire ses partisans, il sortit encore à son honneur
de cette accusation. Mais ce qui résulte surtout des pièces du procès,
c'est que Fouquet avait eu soin de faire disparaître toutes les preuves
qui pouvaient établir sa culpabilité dans cette affaire.

Le 21 novembre, il fut interrogé sur les sucres et les cires de Rouen.
Il était accusé d'avoir pris cette ferme sous des noms supposés, et
d'avoir donné en payement au trésor des billets sans valeur[1383],
tandis que lui-même prélevait des droits considérables. Cet
interrogatoire fut moins avantageux à l'accusé, de l'aveu même de madame
de Sévigné: «Il s'est impatienté, écrit-elle à Pomponne, sur certaines
objections qu'on lui faisait et qui lui ont paru ridicules. Il l'a un
peu trop témoigné, et a répondu avec un air et une hauteur qui ont
déplu. Il se corrigera; car cette manière n'est pas bonne; mais en
vérité la patience échappe. Il me semble que je ferais tout comme lui.»

Fouquet se corrigea à la séance suivante, celle du 22 novembre. Il y fut
interrogé sur les octrois. C'était encore un impôt que Fouquet s'était
fait adjuger à vil prix sous des noms supposés. Heureusement pour lui,
le chancelier, dont l'âge avait affaibli les facultés, ne comprenait pas
bien ces questions de finances[1384]. Pussort, qui aurait pu le diriger,
était tellement emporté, que la majorité de la Chambre ne l'écoutait
qu'avec défiance. Fouquet, bien mieux instruit sur toutes ces matières
que le chancelier et que la plupart de ses juges, parvint encore à se
tirer de ce mauvais pas, quoique ce fût un des plus glissants de son
affaire. En même temps, il avait adouci son ton. «Je ne sais quel bon
ange, dit madame de Sévigné, l'a averti qu'il avait été trop fier.»

Les séances du 26 et du 27 novembre furent encore consacrées aux
octrois, et les amis de Fouquet convinrent qu'il s'embrouilla sur des
points importants, et qu'il aurait pu être poussé par un juge qui eût
été habile et bien éveillé; mais le chancelier sommeillait doucement.
«On se regardait, dit madame de Sévigné[1385], et je pense que notre ami
en aurait ri, s'il avait osé.»

Il semble que les hésitations et la faiblesse de Séguier ne venaient pas
seulement de la vieillesse. Il était circonvenu par des influences
qu'Olivier d'Ormesson laisse entrevoir et sur lesquelles insiste madame
de Sévigné. Le premier écrit dans son journal, à la date du 22
novembre[1386]: «J'ai su la dévotion de M. le chancelier à M. de
Genève[1387] et les quatre visites faites au couvent de Sainte-Marie du
faubourg[1388], auxquelles il porta mille écus, et les réponses honnêtes
qu'il a faites sur l'affaire de M. Fouquet.» Il faut voir dans madame de
Sévigné comment la supérieure de la Visitation, qu'elle connaissait et
sur laquelle son nom de Chantal[1389] aurait suffi pour lui donner de
l'autorité, profita des visites de Séguier pour lui parler en faveur de
Fouquet. Ce fut alors que le chancelier fit entendre ces paroles
honnêtes dont parle Olivier d'Ormesson. Ainsi chaque parti s'agitait
avec une ardeur qu'il ne faut pas oublier en étudiant ce procès. Si
Colbert, Pussort et Voysin cherchaient à gagner ou à intimider les
juges, il y avait une ligue fort active de dames, de religieuses, de
dévots et dévotes, qui travaillaient à représenter Fouquet comme la
victime innocente d'une odieuse persécution. Entre ces deux partis, il
était difficile de garder l'impartialité d'un juge.

D'Ormesson inclinait de plus en plus vers ceux qui voulaient sauver
Fouquet. Lorsque le chancelier, ou Pussort, alléguait un grief contre
l'accusé, il opposait immédiatement une réponse. Le chancelier lui ayant
dit, après avoir cité une des charges les plus fortes: «Que peut
répondre M. Fouquet à cela?--Voici l'emplâtre qui le guérit,» répliqua
d'Ormesson[1390]. On rit de cette allusion à l'emplâtre de madame
Fouquet, qui avait fait tant de bruit.

L'engouement des dames pour Fouquet devenait tel, qu'elles allaient se
placer dans une maison qui avait vue sur l'Arsenal, pour apercevoir
l'accusé au moment où on le ramenait à la Bastille. Madame de Sévigné
s'y rendit masquée[1391]. «Quand je l'ai aperçu, dit-elle, les jambes
m'ont tremblé, et le cœur m'a battu si fort, que je n'en pouvais plus.
En s'approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d'Artagnan l'a
poussé et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc
saluées et a pris cette mine riante que vous lui connaissez. Je ne crois
pas qu'il m'ait reconnue; mais je vous avoue que j'ai été étrangement
saisie quand je l'ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez
combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l'ai, je
suis assurée que vous auriez pitié de moi; mais je pense que vous n'en
êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connais.
J'ai été voir votre chère voisine; je vous plains autant de ne l'avoir
plus que nous nous trouvons heureux de l'avoir. Nous avons bien parlé de
notre cher ami; elle a vu Sapho (mademoiselle de Scudéry), qui lui a
redonné du courage. Pour moi, j'irai demain en reprendre chez elle; car
de temps en temps je sens que j'ai besoin de réconfort. Ce n'est pas que
l'on ne dise mille choses qui doivent donner de l'espérance; mais, mon
Dieu! j'ai l'imagination si vive, que tout ce qui est incertain me fait
mourir.»

A la séance du 28 novembre, le chancelier fit lire l'article des quatre
prêts[1392]; on désignait ainsi les prêts faits à l'État par Fouquet
sous le nom de quatre traitants, le Blanc, du Tot, Francfort et
Ancillon. Ce grief ne parut pas assez important pour qu'on s'y
appesantît; tel était l'avis d'Olivier d'Ormesson, et la Chambre
l'adopta, malgré l'opposition de Pussort. Lorsque Fouquet eut été
introduit, on revint à l'article des octrois, sur lequel il donna de
nouvelles explications et prit sur le chancelier un avantage signalé
par l'à-propos avec lequel il lui répondit. Comme Séguier lui demandait
s'il avait eu la décharge d'une somme dont il parlait, Fouquet répondit
qu'il l'avait eue conjointement avec d'autres. «Mais, reprit le
chancelier, quand vous avez eu vos décharges, vous n'aviez pas encore
fait la dépense.--Il est vrai, répondit Fouquet, mais les sommes étaient
destinées.--Ce n'est pas assez, répliqua le chancelier.--Mais, monsieur,
dit alors Fouquet, quand je vous donnais vos appointements, quelquefois
j'en avais la décharge un mois auparavant, et, comme cette somme était
destinée, c'était comme si elle eût été donnée.» Le chancelier dit que
cela était vrai et qu'il lui avait obligation de l'avoir ainsi fait
payer par avance.

Dans le même temps arriva la mort du président de Nesmond (30 novembre),
qui fit une vive impression sur la Chambre. On racontait qu'à ses
derniers moments il avait chargé ses héritiers de demander pardon à la
famille de Fouquet de ce qu'il avait contribué à faire rejeter la
requête de récusation présentée contre Pussort et Voysin[1393].

La Chambre ne rentra en séance que le 1er décembre. Le chancelier
s'efforça de presser l'interrogatoire, sans laisser à Fouquet le temps
de s'expliquer[1394]. Il espérait ainsi lui enlever l'avantage que lui
donnaient une parole vive et facile, la présence d'esprit et la
connaissance approfondie du procès. Fouquet insista pour qu'on le
pressât moins. «Monsieur, dit-il au chancelier, je vous supplie de me
donner le loisir de répondre. Vous m'interrogez, et il semble que vous
ne vouliez pas écouter ma réponse; il m'est important que je parle: il y
a plusieurs articles qu'il faut que j'éclaircisse, et il est juste que
je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès.» Comme la Chambre
parut approuver la réclamation de Fouquet, Séguier le laissa développer
tous ses moyens de défense. Il en fut de même à la séance du 2 décembre,
où Fouquet parla pendant deux heures et un quart avec beaucoup de
sang-froid et d'habileté[1395]. Il s'agissait d'un point délicat, d'un
prêt de six millions que l'on prétendait fait à l'État, et qui était en
grande partie supposé. Fouquet se rejeta, comme toujours, pour expliquer
les avances qu'on lui reprochait, sur les nécessités de la guerre et sur
les ordres pressants de Mazarin. Madame de Sévigné se hâta d'avertir
Pomponne du résultat favorable de cette séance: «Notre cher et
malheureux ami, lui écrivait-elle, a parlé deux heures ce matin, mais si
admirablement bien, que plusieurs n'ont pu s'empêcher de l'admirer. M.
Regnard entre autres a dit: _Il faut avouer que cet homme est
incomparable; il n'a jamais si bien parlé dans le parlement; il se
possède mieux qu'il n'a jamais fait_.»

La séance du 3 décembre fut encore en partie consacrée à
l'interrogatoire de Fouquet sur les prêts faits au trésor public et sur
ses dépenses excessives. On lui reprochait, d'après les états que l'on
avait trouvés dans ses maisons, d'avoir dépensé jusqu'à quatre cent
mille livres par mois, seulement pour sa table[1396]. Fouquet avoua
qu'il y avait eu excès et prodigalité, mais il prétendit que ce n'était
pas aux dépens du trésor public, et se rejeta sur son désir d'être
agréable à tous[1397]. Il n'était pas, disait-il, de l'humeur de ses
ennemis, qui étaient durs et n'obligeaient jamais personne. Ces raisons
habilement développées et commentées touchaient la Chambre et le public,
surtout au moment où les réformes de Colbert blessaient un grand nombre
d'intérêts.

Il ne restait plus que le crime d'État. L'interrogatoire roula sur ce
grief le jeudi 4 décembre. Le chancelier fit d'abord lire par le
greffier le projet trouvé à Saint-Mandé[1398]; puis il demanda à Fouquet
comment il pouvait se justifier des desseins criminels développés dans
cet écrit. L'accusé répondit que ce n'était qu'une pensée extravagante,
laissée imparfaite, et qu'il avait désavouée aussitôt qu'elle était
sortie de son esprit[1399]. Une pièce aussi ridicule ne pouvait servir,
disait-il, qu'à lui donner de la honte et de la confusion, mais on ne
pouvait en faire un chef d'accusation contre lui[1400]. Comme le
chancelier le pressait et lui disait: «Vous ne pouvez pas méconnaître
que ce soit là un crime d'État», il répondit: «Je confesse, monsieur,
que c'est une extravagance; mais ce n'est pas un crime d'État. Je
supplie ces messieurs, dit-il en se tournant vers les juges, de trouver
bon que j'explique ce que c'est qu'un crime d'État: c'est quand on est
dans une charge principale, qu'on a le secret du prince, et que tout
d'un coup on se met du côté de ses ennemis, qu'on engage toute sa
famille dans les mêmes intérêts, qu'on fait livrer les passages par son
gendre[1401] et ouvrir les portes à une armée étrangère pour
l'introduire dans l'intérieur du royaume. Voilà, messieurs, ce qu'on
appelle un crime d'État.» Le chancelier, dont tout le monde se rappelait
la conduite pendant la Fronde, ne savait où se mettre, et les juges
avaient fort envie de rire[1402].

Jamais Fouquet n'avait montré autant de véhémence. Il continua en
rappelant les services qu'il avait rendus au cardinal Mazarin et que
nous avons retracés[1403]. C'était lui, disait-il, qui lui avait
conseillé, contre l'avis des ministres, de se retirer, qui s'était
engagé à le faire revenir et y avait réussi: il en avait la preuve
écrite dans les lettres du cardinal, et même un certificat signé de la
reine mère[1404]. Le chancelier, étourdi de l'attaque si vive et si
directe qu'il venait de recevoir, laissa Fouquet s'étendre autant qu'il
le voulut. Il négligea même de l'interroger sur les moyens d'exécution
du projet trouvé à Saint-Mandé, et, lorsqu'on lui rappela cette
omission, il répondit avec humeur: «De quoi parlez-vous? de
l'engagement de Deslandes, de Maridor[1405], de cette négociation de
Rome[1406]? Voilà de belles preuves!» Et il marqua par son geste qu'il
les trouvait ridicules[1407]. Sur cela, Pussort dit à demi-voix: «Tout
le monde n'est pas de votre sentiment.» On avait, du reste, remarqué
que, pendant cet interrogatoire, où Fouquet profita si habilement de la
faiblesse du chancelier, Pussort n'avait pu se contenir et qu'il
indiquait son improbation par des sourires et des mouvements de
tête[1408].

L'interrogatoire terminé, la Chambre avait à entendre l'avis motivé des
rapporteurs et à prononcer sa sentence. Olivier d'Ormesson devait parler
le premier, et on voit dans son Journal[1409] avec quel soin religieux
il se prépara à l'accomplissement de ce devoir. Madame de Sévigné, sa
parente, qui le voyait souvent et avait de l'influence sur ses avis,
nous apprend elle-même qu'il se condamna à une solitude complète pour
méditer à loisir et préparer son rapport: «M. d'Ormesson, écrit-elle à
M. de Pomponne[1410], m'a priée de ne le plus voir que l'affaire ne soit
jugée; il est dans le conclave et ne veut plus avoir de commerce avec le
monde. Il affecte une grande réserve; il ne parle point, mais il écoute,
et j'ai eu le plaisir, en lui disant adieu, de lui dire tout ce que je
pense.»

Ce fut le 9 décembre qu'Olivier d'Ormesson commença la récapitulation
du procès[1411]. Il parla cinq jours de suite, les mardi, mercredi,
jeudi, vendredi et samedi, et, malgré les interruptions fréquentes du
chancelier et de Pussort, il parla avec clarté et netteté. Il conclut au
bannissement à perpétuité et à la confiscation des biens, avec amende de
cent mille livres, dont une moitié serait versée au trésor public, et
l'autre employée en œuvres pies[1412]. L'avis d'Olivier d'Ormesson fut
généralement approuvé. Il ne faut en juger ni par les lettres de madame
de Sévigné, qui l'admire[1413], ni même par le Journal de ce magistrat.
Mais Gui-Patin, qu'on n'accusera pas d'avoir été favorable aux
financiers, écrivait à Falconnet, le 16 décembre 1664: «M. d'Ormesson a
dit son avis, et après de belles choses a conclu au bannissement
perpétuel et à la confiscation de tous les biens.» Et quelques jours
plus tard: «On dit que M. Fouquet est sauvé. On en donne le premier
honneur à celui qui a parlé le premier, M. d'Ormesson, qui est un homme
d'une intégrité parfaite.»

Sainte-Hélène, qui prit la parole après Olivier d'Ormesson, n'effaça pas
l'impression qu'il avait produite. Il parla pendant les séances des 15
et 16 décembre, et opina à la peine de mort[1414]. On remarqua à
l'audience du 15 le courage d'un des juges, nommé Massenau. Il
souffrait depuis huit jours d'une colique néphrétique. Il se fit traîner
à l'Arsenal, où il éprouva d'horribles douleurs. Le chancelier, le
voyant pâlir, lui dit: «Monsieur, retirez-vous.--Non, lui répondit le
juge, il faut mourir ici.» Cependant, comme M. de Massenau était près de
s'évanouir, le chancelier suspendit l'audience. Massenau sortit, rendit
deux pierres, et revint au bout d'un quart d'heure[1415]. Cette histoire
fut aussitôt répandue et redite partout avec admiration. On parla en
même temps de la folie de Berryer[1416], que l'on accusait des fraudes
principales commises dans l'inventaire des papiers de Fouquet. «Après
avoir été saigné excessivement, écrit madame de Sévigné, il ne laisse
pas d'être en fureur; il parle de potences, de roues; il choisit des
arbres exprès; il dit qu'on le veut pendre; il fait un bruit si
épouvantable, qu'il le faut tenir et lier.» Ainsi tout se réunissait
pour exciter de plus en plus la pitié et la sympathie publiques en
faveur de l'accusé, et la haine contre ses adversaires.

Ce fut en vain que Pussort parla pendant cinq heures avec beaucoup de
force[1417]. Son discours résumait toutes les accusations et les faisait
ressortir nettement et vigoureusement, mais avec trop de passion. Il
conclut, comme Sainte-Hélène, à la peine de mort. Son argumentation,
quoique serrée et énergique, fit peu d'effet dans la Chambre, et au
dehors, on l'accusa d'_emportement_, de _rage_, de _furie_[1418].
Gisaucourt, Ferriol, Noguès, Hérault, qui n'avaient pas d'autorité dans
la Chambre, opinèrent le 18 décembre, et conclurent tous quatre à la
mort. Roquesante, qui les suivit, reprit l'avis d'Olivier
d'Ormesson[1419].

Le lendemain, 19, MM. de la Toison, du Verdier, de la Baume, de
Massenau, adoptèrent les mêmes conclusions[1420]. Le maître des requêtes
Poncet opina à la mort (séance du 20 décembre)[1421]; il le fit avec une
apparence de modération qui est assez bien caractérisée dans des
couplets satiriques qui coururent à cette époque:

    Poncet ne montra point de fiel
    Comme avoit fait Pussort;
    Mais par un discours tout de miel
    Conclut doucement à la mort.

Après Poncet, le Féron, de Moussy, Brillac, Regnard et Besnard furent
tous de l'avis le plus doux et lui assurèrent la majorité[1422]. Voysin
n'en parla pas moins avec beaucoup de véhémence pour appuyer l'opinion
de Sainte-Hélène[1423]. Le président de Pontchartrain se déclara pour
l'avis d'Olivier d'Ormesson. Enfin le chancelier, opinant le dernier,
vota la peine de mort. Ainsi treize des juges s'étaient prononcés pour
le bannissement, et neuf pour la mort. L'arrêt fut rédigé immédiatement
et signé par les rapporteurs et par le chancelier (20 décembre)[1424].

«Tout Paris, dit Olivier d'Ormesson[1425] attendait cette nouvelle avec
impatience; elle fut répandue en même temps partout et reçue avec une
joie extrême, même parmi les plus petites gens des boutiques: chacun
donnait mille bénédictions à mon nom sans me connaître. Ainsi M.
Fouquet, qui avait été en horreur lors de son emprisonnement, et que
tout Paris eût vu exécuter avec joie incontinent après son procès
commencé, est devenu le sujet de la douleur et de la commisération
publiques par la haine que tout le monde a dans le cœur contre le
gouvernement présent, et c'est la véritable cause de l'applaudissement
général pour mon avis.» Il fallut qu'Olivier d'Ormesson fit fermer sa
porte pour échapper aux félicitations que l'on venait lui adresser de
toutes parts[1426]. Il évita, le dimanche 21 décembre, d'aller au sermon
de son curé Claude Joly, afin de se soustraire à des manifestations trop
vives. Il entendit la messe à Sainte-Geneviève, et de là il se rendit à
la maison des jésuites[1427], où il reçut les félicitations d'un grand
nombre de pères et entre autres du père de Champneuf[1428]. Il est
très-probable que ce jésuite est le même que Fouquet cite, dans son trop
fameux projet[1429], comme plein de zèle pour son parti et pouvant
faire porter des lettres par les jésuites de maison en maison.

Le lendemain, 22 décembre, le rapporteur se rendit à la Bastille[1430]
pour donner à d'Artagnan décharge des registres de l'Épargne. Dès que
d'Artagnan le vit, il l'embrassa et lui dit à l'oreille qu'il était _un
illustre_; tant la pitié pour Fouquet avait gagné jusqu'à ses gardiens!
Pendant ce temps le greffier de la Chambre, Foucault, était allé
signifier l'arrêt à Fouquet. Après l'avoir fait descendre à la chapelle,
il lui demanda son nom. Fouquet lui répondit: «Vous savez bien qui je
suis, et pour mon nom, je ne le dirai pas plus ici que je ne l'ai dit à
la Chambre, et pour suivre le même ordre je fais mes protestations
contre l'arrêt que vous m'allez lire.» On écrivit ses protestations, et
ensuite Foucault s'étant couvert lui donna lecture de l'arrêt, que
Fouquet entendit tête nue. Immédiatement après on conduisit Fouquet dans
la chambre de d'Artagnan, et le gouverneur de la Bastille, Bessemaux,
fit sortir son médecin Pecquet et son valet de chambre la Vallée de
l'appartement qu'il avait occupé. Ils fondaient en larmes de douleur de
se voir séparés de leur maître, ne sachant pas d'ailleurs ce qu'on
allait faire de lui et redoutant sa mort. Leurs cris attendrirent
d'Artagnan: il envoya leur dire qu'il n'était question que du
bannissement.

Fouquet, qui était à la fenêtre de la chambre de d'Artagnan, aperçut
Olivier d'Ormesson, au moment où il se retirait après avoir rédigé son
procès-verbal. Il le salua avec un visage plein de joie et de
reconnaissance, et lui cria par la fenêtre qu'il était son serviteur.
D'Ormesson lui rendît son salut sans rien dire, et s'en alla le cœur
serré conter ce qu'il avait vu à Turenne et à madame de Sévigné[1431].
Le soir même, Turenne vint chez d'Ormesson pour le féliciter de sa noble
conduite. «Il est incroyable, ajoute ce magistrat[1432], jusqu'où va la
folie du peuple sur cela; tous ceux de la maison qui vont par la ville
disent que parmi les moindres gens l'on me donne des bénédictions.»

La sentence, quoique rigoureuse, ne satisfit pas les ennemis de Fouquet,
et on la fit commuer par le roi en un emprisonnement perpétuel dans la
forteresse de Pignerol. Madame Fouquet la mère et sa belle-fille
reçurent l'ordre de se rendre à Montluçon[1433]; Gilles Fouquet, qui
avait été privé de sa charge de premier écuyer du roi, fut relégué à
Joinville; M. et madame de Charost, à Ancenis. Ce ne fut pas sans peine
que la mère de Fouquet, âgée de soixante-douze ans, obtint de garder
avec elle le plus jeune de ses fils, celui que l'on avait voulu exiler à
Joinville. Quant aux enfants de Fouquet, ils avaient été amenés,
aussitôt après l'arrestation de leur père (septembre 1661)[1434], par M.
de Brancas, de Fontainebleau à Paris, et remis à leur aïeule. Nous les
retrouverons dans la suite.

Ces rigueurs contre la famille de Fouquet, et surtout celles qui
frappèrent les juges coupables seulement d'avoir préféré leur conscience
aux faveurs de la cour, n'étaient pas propres à calmer et à ramener
l'opinion publique. Roquesante, conseiller au parlement de Provence,
avait adopté l'avis d'Olivier d'Ormesson: il fut une des premières
victimes de la colère des ennemis de Fouquet; on l'exila à
Quimper-Corentin[1435], sous prétexte qu'il avait demandé aux fermiers
des gabelles une pension pour une dame de sa connaissance. Cette
accusation fut traitée de fable, et on n'imputa la disgrâce de ce juge
qu'à la résistance qu'il avait opposée aux sollicitations de Berryer et
de Chamillart[1436]. Gui-Patin écrivait à cette occasion[1437]: «Voilà
ce qui ne s'est jamais vu, un commissaire exilé.» L'estime publique
vengea Roquesante de cette injustice. Pendant que l'on déchirait, dans
des pièces satiriques, les juges courtisans, on célébrait le courage de
ce membre du parlement d'Aix[1438]. Sept ans plus tard, madame de
Sévigné, qui avait la mémoire du cœur, écrivait à sa fille[1439]: «Vous
savez ce que m'est le nom de Roquesante, et quelle vénération j'ai pour
sa vertu. Vous pouvez croire que sa recommandation et la vôtre me sont
fort considérables.» Et, plus loin: «Pour M. de Roquesante, si vous ne
lui faites mes compliments en particulier, vous êtes brouillée avec
moi.»

Bailly, avocat général au grand Conseil, fut exilé pour avoir dit à
Gisaucourt, un des juges, qu'il devrait bien remettre le grand Conseil
en honneur, et qu'il serait déshonoré s'il suivait l'exemple de
Chamillart et de Pussort[1440]. Le président de Pontchartrain avait
courageusement résisté aux instances du chancelier et du secrétaire
d'État la Vrillière, son parent: il en fut puni dans la personne de son
fils. Saint-Simon l'affirme, et, malgré quelques erreurs de détail, son
récit paraît véridique[1441]. «Pontchartrain, dit-il, fut un des juges
de M. Fouquet; sa probité fut inflexible aux caresses et aux menaces de
MM. Colbert, le Tellier[1442] et de Louvois[1443], réunis pour la perte
du surintendant. Il ne put trouver matière à sa condamnation, et par
cette grande action se perdit sans ressource. Il était pauvre, tout son
désir et celui de son fils était de faire tomber sa charge sur sa tête
en s'en démettant. La vengeance des ministres fut inflexible à son tour;
il n'en put jamais avoir l'agrément; tellement que ce fils demeura
dix-huit ans conseiller aux requêtes du Palais, sans espérance d'aucune
autre fortune. Je le lui ai ouï dire souvent, et combien il était
affligé d'être exclu d'avoir la charge de son père.»

De toutes les persécutions dirigées contre les juges intègres, la plus
odieuse fut celle qui frappa Olivier d'Ormesson, lui enleva, à la mort
de son père, la place de conseiller d'État qui lui avait été promise, le
priva de toutes les places qui devinrent successivement vacantes, et le
condamna à une retraite prématurée[1444]. Mais, plus encore que
Roquesante et Pontchartrain, Olivier d'Ormesson fut vengé par l'opinion
publique. Le Brun, qui avait conservé un vif attachement pour
Fouquet[1445], voulut faire le portrait du rapporteur, qui avait
contribué à le sauver[1446]. Pellisson, à peine sorti de la Bastille, se
hâta de venir témoigner sa reconnaissance à Olivier d'Ormesson[1447].
Enfin, cette honorable disgrâce a assuré au rapporteur du procès, dans
le souvenir de la postérité, une place que ses vertus seules n'auraient
pu lui donner.

Quant aux juges qui avaient cédé aux instances de la cour, ils furent
exposés à une haine si violente et à un mépris si universel[1448], que
plusieurs en moururent de désespoir. Nous avons déjà vu quels remords
avaient troublé les derniers moments du président de Nesmond. Dès le
mois d'octobre 1665, Hérault, conseiller au parlement de Bretagne,
succomba[1449]. «On parlait de sa mort comme d'un coup du ciel, dit
Olivier d'Ormesson[1450].» Sainte-Hélène ne tarda pas à le suivre; il
mourut subitement. «Plusieurs personnes dignes de foi m'ont dit, ajoute
Olivier d'Ormesson en racontant cet événement[1451], que, plus de trois
mois auparavant, il se justifiait à tous ceux qui le voyaient du procès
de M. Fouquet; il ne parlait d'autre chose. L'on prétendait qu'il était
mort de chagrin d'avoir été trompé dans les récompenses qui lui avaient
été promises.» On ne manqua pas de rappeler que c'était en face de la
Bastille qu'il avait été atteint du mal qui l'avait enlevé brusquement.
Presque dans le même temps, Ferriol, conseiller au parlement de Metz,
succomba à une maladie de langueur. On imputa également à la vengeance
céleste la mort de ce magistrat frappé dans la force de l'âge. Il avait
désiré et espéré la charge de lieutenant criminel, et, comme
Sainte-Hélène, il avait été trompé dans son attente[1452].



CHAPITRE XLVIII

--1664-1680--

Fouquet est transféré a Pignerol et enfermé dans le donjon de cette
forteresse (décembre 1664--janvier 1665).--Vigilance et humanité de
d'Artagnan, chargé de la garde de Fouquet pendant le
voyage.--Arrivé à Pignerol (janvier 1665), il remet Fouquet à
Saint-Mars.--Instructions données à Saint-Mars.--Danger que court
Fouquet au donjon de Pignerol (juin 1665) par suite de l'explosion
des poudres.--Fouquet est transféré au château de la Pérouze où il
passe un an (juin 1665--août 1666).--Efforts de Fouquet pour
entretenir des correspondances avec ses amis.--Ils sont déjoués par
la vigilance de Saint-Mars.--Occupations de Fouquet dans sa prison
(1667-1668)--Il tombe malade.--Tentative de la Forest pour gagner
quelques-uns des soldats de la citadelle de Pignerol (1669); elle
est découverte, et la Forest exécuté (1670).--Lauzun emprisonné à
Pignerol (1671).--Ses relations avec Fouquet, auquel il raconte ses
aventures (1672).--Fouquet le croit fou.--Causes qui contribuèrent
à adoucir la captivité de Fouquet: influence d'Arnauld de Pomponne
et de madame de Maintenon.--Fouquet obtient la permission de
recevoir une lettre de sa femme (1672), puis de lui écrire et d'en
recevoir des nouvelles deux fois par an (1674).--Lettre de Fouquet
à sa femme (5 février 1675).--L'abbé Fouquet obtient la permission
de revenir à Barbeau (1678), et madame Fouquet de se rapprocher de
son mari.--Adoucissement à la captivité de Lauzun et de Fouquet
(1679)--La famille de Fouquet vient s'établir a Pignerol.--Rupture
entre Lauzun et Fouquet.--Mort de l'abbé Fouquet (1680).--Mort de
Nicolas Fouquet (mars 1680).--Il est inhumé dans l'église des
_Filles de la Visitation_ (28 mars 1681).--Mort de madame Fouquet
la mère (1681), de l'évêque d'Agde (1702) et de la veuve du
surintendant (1716).--Vertus de madame de Charost, fille de
Fouquet.--Fils et fille nés du second mariage du surintendant.--Le
marquis de Belle-Île (Louis Fouquet) continue la postérité
masculine de la famille Fouquet.--Illustration de ses fils, le
comte et le chevalier de Belle-Île.--Légendes sur le surintendant
Fouquet.


Dès que l'arrêt de la Chambre de justice eut été signifié à Fouquet,
d'Artagnan le fit monter dans un carrosse, avec plusieurs mousquetaires,
pour le conduire à Pignerol. Au moment du départ, un ancien écuyer de
Fouquet, la Forest, se présenta à lui: «Je suis ravi de vous voir, lui
dit Fouquet; je sais votre fidélité et votre affection. Dites à nos
femmes qu'elles ne s'abattent point, que j'ai du courage de reste, et
que je me porte bien[1453].» Ce fut sur le midi que Fouquet sortit de la
Bastille; il était seul au fond du carrosse. Trois hommes chargés de
veiller sur lui prirent place devant. Il avait le visage gai, et tout le
peuple lui donnait des bénédictions[1454]. Après avoir franchi la porte
Saint-Antoine, il alla coucher à Villeneuve-Saint-Georges; et, le
lendemain, il suivit la route de Lyon. Le bruit qu'il était malade se
répandit bientôt. On avait les soupçons les plus sinistres. Tout le
monde se disait: _Quoi? déjà_... On ajoutait que d'Artagnan ayant envoyé
demander à la cour ce qu'il ferait de son prisonnier malade, on lui
avait répondu qu'il le menât toujours, en quelque état qu'il fût[1455].
Le médecin et le valet de chambre de Fouquet avaient été retenus à la
Bastille, et cette circonstance ajoutait encore aux inquiétudes et aux
soupçons.

Cependant d'Artagnan sut, comme par le passé, se montrer aussi humain
que vigilant. Il donna à Fouquet les fourrures nécessaires pour ne pas
souffrir du froid en traversant les montagnes. Enfin, ils arrivèrent à
Pignerol, dans le courant de janvier 1665[1456], et d'Artagnan remit le
prisonnier entre les mains de Saint-Mars, un des maréchaux-des-logis des
mousquetaires. Saint-Mars avait quatre mousquetaires et une compagnie
d'infanterie, avec lesquels il devait veiller à la garde de Fouquet,
enfermé dans le donjon de Pignerol. Les ordres transmis à Saint-Mars par
d'Artagnan avaient été rédigés par Louvois[1457], qui, depuis plusieurs
années, avait été attaché au ministère de la guerre, sous la direction
de son père, Michel le Tellier. Ces instructions[1458] portaient en
substance que Saint-Mars devait imiter la prudente et sage conduite de
d'Artagnan pendant le temps qu'il avait veillé à la garde de Fouquet,
enfermé à Vincennes et à la Bastille. Il lui était surtout recommandé de
ne pas permettre que Fouquet communiquât de vive voix ou par écrit avec
qui que ce fût, qu'il reçût la visite de personne, ni qu'il sortit de
son appartement, sous quelque prétexte que ce fût, même pour se
promener. Saint-Mars ne devait lui fournir ni encre, ni plumes, ni
papier; mais il pourrait lui procurer les livres qu'il demanderait, en
prenant la précaution de ne lui en donner qu'un seul à la fois, et de
s'assurer, lorsqu'il le rendrait, qu'il n'avait rien écrit ni marqué
dans l'intérieur. Si le prisonnier avait besoin de linge on de
vêtements, Saint-Mars aurait soin de lui en fournir, et il serait
remboursé des avances qu'il aurait faites pour cet objet. Il devait être
donné à Fouquet un valet auquel on allouerait six cents livres de gages;
mais à la condition qu'il n'aurait pas plus que son maître de
communications avec l'extérieur. Les dépenses pour la nourriture et
l'entretien de Fouquet et de son valet seraient prises sur un fonds
annuel de six mille livres. Un autre fonds de douze cents livres
servirait pour le bois et la chandelle, à l'usage de Fouquet ou des
soldats employés à sa garde. Dans le cas où Fouquet tomberait malade, il
serait assisté par des médecins, chirurgiens et apothicaires de la ville
de Pignerol, au choix de Saint-Mars. Lorsque Fouquet voudrait se
confesser, on ne lui refuserait pas l'assistance d'un prêtre; mais on
aurait soin que le confesseur ne fût prévenu qu'au moment où il devrait
entendre Fouquet. Un chapelain devait lui dire la messe tous les jours,
et recevoir pour son ministère une somme de mille livres, et, en outre,
cinq cents louis pour achat des ornements et autres objets nécessaires à
la célébration de la messe.

Saint-Mars exécuta rigoureusement les ordres qu'il avait reçus. Il
exerça sur Fouquet une surveillance si vigilante, que toutes les
tentatives du prisonnier pour entretenir quelques relations avec
l'extérieur, et celles de ses amis pour pénétrer jusqu'à lui, restèrent
longtemps sans résultat. Il ne lui laissa ni plume, ni encre, ni
papier[1459], ne lui permit de se confesser qu'aux cinq fêtes
solennelles (Noël, Pâques, l'Ascension, l'Assomption et la
Toussaint)[1460], régla strictement ses dépenses de nourriture et
d'habillement[1461], et, sur le plus léger soupçon, renvoya les valets
qui le servaient[1462].

Pendant la première année de la captivité de Fouquet à Pignerol, il
n'arriva qu'un seul incident remarquable. Au mois de juin 1665, la
foudre tomba sur le donjon de la citadelle, où Fouquet était enfermé, et
mit le feu aux poudres. L'explosion fut terrible: une partie du donjon
fut emportée. La chambre de Fouquet fut détruite; ses meubles volèrent
en éclats et furent brûlés. Lui-même et le valet qui le servait
n'échappèrent au danger qu'en se réfugiant dans l'embrasure d'une
fenêtre, qui faisait saillie. Cet événement parut miraculeux, et on ne
manqua pas de dire à Pignerol et à Paris[1463], que le ciel s'était
déclaré contre l'arrêt du roi en sauvant celui qu'il avait proscrit.

Comme Fouquet ne pouvait plus habiter le donjon de la citadelle, on le
logea provisoirement dans la demeure du commissaire Damorezan, qui était
une des principales maisons de Pignerol[1464]. On le transféra ensuite
au château de la Pérouze, où il resta enfermé plus d'une année (juin
1665--août 1666), pendant qu'un architecte envoyé de Paris réparait les
dégâts causés par la foudre au donjon de Pignerol. Fouquet fut toujours
pendant cet intervalle soumis à la garde de Saint-Mars.

Durant son séjour au château de la Pérouze, Fouquet tenta d'entrer en
relation avec ses amis; il fabriqua de l'encre avec de la suie délayée
dans quelques gouttes de vin, fit des plumes avec des os de chapon, et
écrivit sur les marges des livres qu'on lui avait prêtés ou même sur des
mouchoirs[1465]. Il avait trouvé moyen de faire de l'encre sympathique
qui ne paraissait que lorsqu'on chauffait le papier[1466]. Mais la
vigilance de Saint-Mars déjoua toutes les tentatives de Fouquet pour
faire parvenir à ses ennemis les billets qu'il avait écrits. On les
trouva dans un dossier de chaise où il les avait cachés. Saint-Mars
redoubla de sévérité, et le prisonnier fut fouillé avec une rigueur
inusitée[1467]. Tous ses efforts pour gagner les valets qui le servaient
avaient échoué également[1468]. Fouquet découragé tomba malade au mois
de juin 1666. Cependant il ne tarda pas à être assez bien rétabli pour
qu'on pût le transférer au mois d'août de la même année dans le château
de Pignerol, qui avait été réparé[1469].

Il semble que, se résignant alors à une captivité qu'il avait vainement
tenté d'adoucir, il chercha sa consolation dans la religion et dans
l'étude. Il demanda les œuvres de saint Jérôme et de saint Augustin. On
les lui refusa[1470]. La lettre de Louvois n'indique aucun motif.
Craignit-on l'influence des jansénistes qui invoquaient saint Augustin
comme leur principal docteur? Nous sommes réduits sur ces questions à
des hypothèses. Ce qui est certain, c'est que Louvois autorisa
Saint-Mars à procurer à Fouquet les œuvres d'un docteur moins suspect,
saint Bonaventure. On se montra plus facile pour la poésie: Fouquet
avait demandé un _Dictionnaire des rimes françaises_[1471]; on le lui
accorda. Il paraît qu'il en fit usage; car après sa mort, son fils ainé,
le comte de Vaux, obtint la permission d'emporter ses poésies. Pour
donner un aliment à l'activité de son esprit, Fouquet s'occupa encore à
enseigner le latin et la pharmacie[1472] à un des domestiques attachés à
son service.

Cette activité intellectuelle, jointe à une captivité rigoureuse qui le
privait de tout exercice physique, suffirait pour expliquer les maladies
qui affligèrent Fouquet si fréquemment pendant sa captivité[1473].
Cependant, au milieu de ses souffrances, il ne négligeait pas les
tentatives pour gagner ceux qui le gardaient. En 1669, un de ses anciens
serviteurs, la Forest, s'introduisit à Pignerol et chercha, de concert
avec un personnage désigné sous le nom de _Honneste_[1474], à corrompre
quelques-uns des soldats de la garnison[1475]. Cinq reçurent de
l'argent[1476], et furent dans la suite sévèrement punis. Dès que la
Forest et Honneste s'aperçurent que leurs manœuvres étaient découvertes,
ils passèrent en Savoie; mais ils y furent arrêtés. La Forest fut
exécuté après un jugement sommaire en 1670[1477]. Quant à l'autre
personnage, il n'est pas facile de savoir ce qu'il devint. On voit par
les lettres de Louvois qu'il dut être traduit devant le conseil
souverain de Pignerol. Mais on ignore quelle punition lui fut infligée;
c'est peut-être de lui que parle madame de Sévigné dans une lettre au
comte de Grignan en date du 25 juin 1670: «Si l'occasion, dit-elle, vous
vient de rendre service à un gentilhomme de votre pays, qui s'appelle ***,
je vous conjure de le faire... Ce pauvre garçon était attaché à M.
Fouquet; il a été convaincu d'avoir servi à faire tenir à madame Fouquet
une lettre de son mari; sur cela il a été condamné aux galères pour cinq
ans. C'est une chose un peu extraordinaire. Vous savez que c'est un des
plus honnêtes garçons qu'on puisse voir, et propre aux galères comme à
prendre la lune avec les dents[1478].» Louvois et Saint-Mars ne
partageaient pas la tendresse de madame de Sévigné pour le prisonnier
de Pignerol. Ils ne se bornèrent pas à punir les serviteurs de Fouquet
et les soldats qui s'étaient laissé gagner; ils redoublèrent de sévérité
à l'égard de Fouquet lui-même: les fenêtres de sa prison furent garnies
de grilles de fer, qui ne lui laissaient apercevoir qu'un coin du
ciel[1479].

Vers la fin de l'année 1671, la citadelle de Pignerol reçut un nouveau
prisonnier, le duc de Lauzun, que Fouquet n'avait connu que sous le nom
de Péguilin[1480], lorsqu'il commençait à peine à paraître à la cour.
Lauzun fut pour Saint-Mars un hôte plus embarrassant que Fouquet. A
peine arrivé à Pignerol, il tenta de mettre le feu au donjon. Une poutre
de la chambre où se trouvait Fouquet fut consumée. «C'eût été une belle
aventure, écrivait à cette occasion madame de Sévigné[1481], s'il eût
brûlé ce pauvre M. Fouquet, qui supporte sa prison héroïquement et qui
n'est nullement désespéré.» Lauzun finit par trouver moyen de
communiquer avec les autres prisonniers enfermés dans le donjon de
Pignerol; ils pratiquèrent dans la muraille un trou, qui leur permit de
se parler et de se voir[1482]. Fouquet, privé depuis si longtemps de
toutes nouvelles du dehors, espérait en avoir par Lauzun. Mais il
éprouva un étrange désappointement. Il avait laissé Péguilin pointant à
peine à la cour, où il était protégé par le maréchal de Gramont, son
compatriote, et par la comtesse de Soissons, Olympe Mancini. Lorsque ce
cadet de Gascogne dit à Fouquet qu'il avait été colonel-général des
dragons, capitaine des gardes, et qu'il avait eu la patente de général
d'armée, l'ancien surintendant le crut fou et s'imagina qu'il lui
racontait ses visions. Mais quand Lauzun passa à son mariage avec
mademoiselle de Montpensier, et lui dit que le roi y avait consenti,
puis l'avait rompu, Fouquet ne douta plus de sa folie et la crut poussée
à un tel point qu'il craignit presque de se trouver avec lui[1483]. Dès
lors il prit pour des imaginations d'un cerveau dérangé, toutes les
nouvelles que lui donna Lauzun, et ce ne fut que longtemps après,
lorsque sa captivité commença à s'adoucir, qu'il reconnut que Lauzun ne
l'avait pas trompé.

Plusieurs changements qui devaient contribuer à améliorer la situation
de Fouquet étaient arrivés à la cour: Simon Arnauld de Pomponne, qui
avait été lié étroitement avec le surintendant, était devenu secrétaire
d'État en 1671. Madame Scarron, qui prit bientôt le nom de madame de
Maintenon, était l'amie intime de madame de Montespan et la gouvernante
des enfants que celle-ci avait eus de Louis XIV. On aime à croire pour
l'honneur de madame de Maintenon qu'elle n'oublia pas les services que
madame Fouquet lui avait rendus[1484], et qu'elle usa de son influence
déjà très-puissante en faveur du prisonnier de Pignerol. Ce qui est
certain, c'est qu'en 1672, Fouquet obtint la permission de recevoir une
lettre de sa femme[1485], et que deux ans après il lui fut accordé
d'écrire deux fois par an à sa famille, et d'en recevoir des nouvelles,
à la condition que toutes les lettres passeraient par les mains de
Louvois. Ce fut déjà une grande consolation pour le prisonnier.

Vers le même temps son frère, l'évêque d'Agde, qui, depuis la disgrâce
du surintendant, était exilé, revint à Paris, et quoiqu'il n'eût pas
d'autorisation formelle pour y résider, on y toléra sa présence. Le père
Rapin, connu par divers écrits et surtout par son poëme des _Jardins_,
eut des entrevues avec l'évêque. «Il parle comme un prophète, écrit le
jésuite à Bussy-Rabutin[1486], et il me fit voir une lettre de monsieur
son frère à madame sa femme, qui me donna de la pitié et de
l'admiration. J'en fus touché et charmé tout ensemble. Si cela
paraissait dans le public, on aurait bien de l'aversion contre ceux qui
ont endurci le cœur du roi contre lui. Enfin, monsieur, il n'y a que la
morale chrétienne qui donne de la joie dans la disgrâce et du plaisir
dans les afflictions; toutes les autres morales sont bien froides sur le
chapitre de la consolation dans les grandes souffrances.»

La lettre dont parle le père Rapin, et qui était si propre à entretenir
et raviver les sentiments de compassion qu'avait inspirés le malheur de
Fouquet, est parvenue jusqu'à nous[1487]. Il est probable que l'on en
multiplia les copies et qu'on les fit circuler parmi les amis de
Fouquet. L'une d'elles s'est conservée entre plusieurs requêtes et
autres pièces relatives à son procès. Cette lettre porte la date du 5
février 1675. Il y avait alors dix ans que Fouquet était enfermé à
Pignerol:

«Votre lettre, écrivait-il à sa femme, m'a tiré d'une inquiétude plus
grande que vous ne sauriez croire. J'avais passé trois mois avec
impatience à l'attendre. Elle est enfin arrivée et m'a donné autant de
consolation que je suis capable d'en recevoir dans un lieu d'amertume et
de douleur.

«Vous avez bien fait, madame, de ne pas importuner à contre-temps M. de
Louvois, lequel peut bien sans doute vous faire la grâce de réparer le
temps perdu et au delà. Je supplie de tout mon cœur la divine Bonté de
le récompenser abondamment de toutes les charités qu'il nous fait, et de
me donner un moyen de lui faire dire par vous mes sentiments, que je ne
puis exprimer par écrit.

«Je suis ravi que mon fils lui ait une si grande obligation avant que
d'entrer dans le monde; et si je pouvais lui en avoir une autre encore
avant d'en sortir[1488], dites-lui hardiment tout ce que vous pourrez de
ma gratitude; vous n'en direz pas assurément trop.

«Rien ne me touche davantage dans votre lettre que le pieux exercice que
vous avez pris pour notre chapelle[1489], et les sacrements que vous y
fréquentez. Il y a longtemps que j'ai besoin et le désir d'en user de
même. J'ai souvent importuné le sieur de Saint-Mars et le prêtre qui
vient ici me confesser de m'obtenir la consolation de pouvoir me
disposer à la mort, que je sens n'être pas éloignée, par l'entretien
libre et fréquent d'un très-bon religieux ou ecclésiastique non suspect,
auquel je puisse ouvrir entièrement et sans précipitation ma conscience
sur ma mauvaise vie passée et présente, m'instruire sur plusieurs
scrupules bien fondés, me fortifier par les secours ordinaires que Dieu
a institués pour la vie et nourriture des âmes chrétiennes, enfin me
consoler en mes déplaisirs continuels et échauffer ma froideur trop
souvent glacée. Mais je n'ai pu en venir à bout; de sorte que je ne fais
mes confessions et communions qu'à Noël, Pâques, Pentecôte, l'Assomption
et la Toussaint. Ainsi je me trouve quelquefois, comme cette année,
quatre mois entiers, entre Noël et Pâques, privé d'une assistance que
l'on ne croit peut-être pas si nécessaire ici qu'ailleurs, mais qui
l'est en effet beaucoup davantage, parce qu'une oisiveté forcée est la
mère des désespoirs, des tentations et agitations continuelles, dans un
esprit accablé de désirs et d'impuissance, surchargé d'ennuis et de
déplaisirs que personne ne prend soin de soulager. On croit être oublié
ou abandonné de ses proches, méprisé des autres, inutile et à charge à
tout le monde. A cela il n'y a d'autre remède que la patience et la
tranquillité qui procèdent ordinairement d'un bon usage des sacrements
et de l'entretien journalier d'un homme spirituel et charitable, qui
n'ait que Dieu pour but et non point de lâches desseins de faire sa
fortune aux dépens d'un affligé[1490].

«Je sais bien que, quand c'est pour peu de temps et qu'il y a des
considérations de justice qui le requièrent, on se dispense de ces
règles, et on ne s'arrête pas à la satisfaction d'un particulier; mais
quand les procès sont terminés et que les choses tirent de longueur,
dans un cours ordinaire[1491], les prisonniers peuvent avec respect
inspirer des sentiments de christianisme et d'humilité[1492] dans le
cœur de ceux dont tels secours dépendent; et moi je ne le puis pas,
quoique l'incertitude de ma vie, tous les jours menacée par des
faiblesses extrêmes, me fasse sentir très-souvent la douleur de cette
privation. C'est pourquoi si vous pouvez obtenir, par vos bonnes
prières, que les obstacles qui se rencontrent à l'exécution d'un désir
si légitime soient levés, je vous assure, moyennant la grâce de Dieu,
qu'en toutes les communions que j'aurai l'honneur[1493] de faire tout le
reste de ma vie, au moins tous les huit jours, si je le puis, ceux par
qui cette permission me sera procurée y auront bonne part, et que je
prierai mon Dieu que je recevrai par leur moyen de leur faire la même
miséricorde qu'à moi. Cependant faites à mon intention ce que je ne puis
pas faire, et me rendez participant de vos solides dévotions.

«J'ai regardé le billet de ma mère comme un miracle et comme une
relique. Sa main est plus forte que la mienne, et sa bonté est extrême
pour un fils qui lui a tant donné de déplaisirs. Ce seront autant
d'ornements à la couronne qu'elle a méritée par ses vertueuses
souffrances et qui ne lui peut pas manquer. Je la supplie de me
pardonner si je prie Dieu encore tous les jours qu'elles lui soient
retardées[1494] jusqu'à ce qu'il me soit permis d'aller me jeter à ses
pieds, et ne plus me séparer d'elle et de vous que par une mort, qui ne
me sera point désagréable quand j'aurai fait mon devoir.

«En attendant, madame, continuez et redoublez vos sollicitations auprès
de Dieu et de ceux qui exercent sa puissance en terre pour venir passer
[ici] quelque temps et obtenir la liberté de me voir. Les prières
assidues des personnes d'esprit et de vertu ne peuvent à la fin qu'elles
ne soient exaucées[1495]. Dieu veut être prié et importuné. Quand il
sait que le cœur des hommes est touché de compassion, c'est un signe
pour lui; il leur donne occasion de mériter une récompense qu'il sait
bien leur payer lui-même. Vous ferez plaisir à ceux auxquels vous
donnerez les moyens de faire du bien; c'est une faveur que vous
demanderez, mais c'est une charité que vous faites. Il n'y a rien
contre la raison ni contre la justice, qu'après quatorze ans d'absence,
une femme voie son mari sur le déclin de sa vie, et j'espère qu'un
monarque glorieux, et que Dieu rend triomphant de toute l'Europe, voudra
bien, pour l'amour et en l'honneur du même Dieu, pardonner et accorder
un peu de soulagement à un de ses sujets, dont la personne, le bien et
les espérances sont en son pouvoir. Si je me suis mal conduit, j'ai été
châtié, et j'ai eu le temps d'en faire pénitence. Le ministre
illustre[1496] qui voudra bien se charger de votre demande et appuyer
vos raisons soutiendra une bonne cause, et en aura du mérite devant Dieu
qui aime[1497] la miséricorde à ceux qui la font.

«Je loue Dieu de la bonne disposition en laquelle vous me mandez que
sont nos enfants, chacun selon son âge. C'est une singulière bénédiction
de sa divine Majesté, qui ne veut pas pour les péchés d'un père détruire
absolument la famille d'une mère vertueuse. Cultivez bien ce qu'ils ont
de bon et tâchez de détourner leur esprit du vice et d'y mettre
l'aversion du jeu, qui est une très-pernicieuse inclination de plusieurs
de notre famille[1498]. Gravez dans leur cœur une ferme résolution de
gratitude envers ceux dont ils recevront des bienfaits et une
inviolable exactitude à garder leur parole; cela, et la crainte de Dieu
surtout, les fera prospérer.

«N'employez point vos soins et vos poursuites pour me faire voir leurs
portraits, qui ne feraient que me presser[1499] le cœur, et ne
pourraient profiter de ce que je pourrais leur dire; mais que votre
charité s'emploie à me faire voir les originaux.

«Je n'ai pas bien compris comment vous vous êtes chargée des
terres[1500], par quelle ferme, pour quel prix, et ce que vous êtes
tenue d'acquitter de dettes. J'eusse bien voulu savoir cela en général,
et je vous trouve bien accablée.

«Si vous pouvez, faites dire à ma fille de Charost quelque amitié de ma
part.

«Depuis la Notre-Dame de septembre, que mourut devant mes yeux un de mes
valets nommé Champagne, je n'ai eu joie ni santé; c'était un garçon
diligent et affectionné et que j'aimais tendrement, que j'affectionnais
et qui me soulageait. Je voudrais que son frère fût avec vous pour lui
faire du bien. L'autre valet périt ici dans les remèdes, et a autant et
plus besoin que moi. Il est chagrin de son humeur, et ainsi n'y ayant
que lui et moi à nous entretenir jour et nuit, jugez comment je passe ma
vie. Nous avons moins d'assistance, quand la nécessité est plus
pressante. Nous pourrions beaucoup mériter, si la vertu répondait à
l'affliction: c'est assurément un des moyens les plus efficaces que Dieu
nous donne pour nous sauver, si elle pouvait être bien supportée; mais
la peine est à gagner sur soi d'aimer ce qui naturellement n'est point
aimable, de sorte qu'après quelques petits efforts on se relâche
aisément, sitôt qu'on se sent offensé au corps ou en l'esprit, et on a
recours à des réflexions inutiles.

«J'ai ici cette occupation tant que je veux, et je m'étudie à la
retrancher non pas de la manière que je voudrais, mais que je puis,
n'ayant compagnie de qui que ce soit à me divertir, consoler, assister
spirituellement ni corporellement.

«M. de Saint-Mars vient quelquefois savoir de mes nouvelles, mais par
cérémonie, non pas par entretien, ou pour amener un médecin: l'air de
notre citadelle étant toujours dans quelque excès, et moi infirme et pas
assez habile pour savoir ce qui m'est bon, il m'en faudrait un bien
expert et sage qui ne me quittât point ou qui me vit deux ou trois fois
par jour pour se conduire comme il verrait à propos, et non pas dans un
temps que par pudeur je n'ose tout dire ou montrer devant le monde.
Apprenez donc à cette fois qu'il n'y a mal en un corps humain que le
mien s'en ressente quelque attaque. Je ne me vois point quitte de l'un,
que l'autre n'y succède, et il est à croire qu'ils ne finiront qu'avec
ma vie. Il me faudrait un assez gros volume pour en écrire ici le
détail; mais le principal est que mon estomac n'est point de concert
avec mon foie; ce qui sert à l'un nuit à l'autre, et de plus vous savez
que j'ai toujours les jambes enflées. J'ai des sciatiques, des coliques,
et si vous me permettez de tout dire, des hémorrhoïdes très-fâcheuses.
J'ai fait cette année deux petites prières, et Dieu m'a fait la grâce
de me donner relâche de cette douloureuse et importune sorte
d'infirmité. Envoyez à M. Pecquet, qui sait mon tempérament, un petit
mémoire; M. de Saint-Mars sait tout ce que je dis là et qu'on m'a fait
observer pour ma gravelle un régime de bouillon et sirop qui m'ont
soulagé. Si vous n'approuvez pas de consulter M. Pecquet, n'en faites
rien.

«J'ai cru devoir, par raison de conscience ou autre (car on se flatte
aisément), m'abstenir des jeûnes que je faisais sans y être obligé, et
Dieu veuille que je ne sois pas obligé de quitter ce carême[1501]. Lors
du commencement, j'ai eu de la peine à supporter les jours maigres, et
je ne vous dis qu'une partie de mes misères, sans les rhumes, les
fluxions, maux de tête, bruits d'oreilles. Quand vous m'écrirez, si vous
savez un remède à ce mal, mandez-le-moi; notre médecin n'en sait pas.
J'en suis fort incommodé; mais ne laissez pas de me donner avis sur les
autres, si vous pouvez. A la fin, mes yeux sont réduits aux lunettes, et
mes dents minées. Le plus sûr est de quitter les soins du corps
entièrement et de songer à l'âme. Cela nous est important, et cependant
le corps nous touche le plus. Si vous veniez ici, ce serait le moyen que
l'un ou l'autre se portassent mieux; vous me communiqueriez votre vertu,
et moi je fournirais la matière de l'exercer. Faites mes compliments à
mes frères et sœurs, s'il y en a encore en vie. Je ne doute pas que Dieu
n'en ait voulu appeler à lui, depuis le temps que je n'en ai ouï
parler[1502]; et il faut que tout prenne fin, mais non pas ma
connaissance (_sic_)[1503] et mon amitié pour vous. Embrassez ma fille
de ma part, et me recommandez aux prières de votre petite
communauté[1504].»

Toute la famille de Fouquet se ressentit des dispositions plus
favorables de la cour. L'abbé Fouquet, qui depuis 1661 avait été exilé
comme ses frères, obtint la permission de revenir, en 1678, dans son
abbaye de Barbeau près de Melun, et en même temps Louis XIV accordait au
jeune comte de Vaux, fils aîné de Fouquet, la faveur de servir dans
l'armée que ce prince commandait en personne[1505]. Madame Fouquet eut
l'autorisation d'habiter en Bourgogne, afin de se rapprocher de plus en
plus de son mari. Elle fut reçue partout avec le respect que méritaient
ses vertus, quelquefois même avec un appareil qui ne convenait guère à
sa fortune présente. «Je ne sais, écrivait Bussy-Rabutin à madame de
Sévigné[1506], s'il vous est revenu que madame Fouquet a été à Autun
rendre visite à l'évêque; que celui-ci alla au-devant d'elle avec six
carrosses et deux cents chevaux de la ville.

Et j'y étais, j'en sais bien mieux le conte[1507].

La dame fut fort aise de me voir et me dit que M. d'Autun faisait trop
d'honneur à une malheureuse comme elle. Je lui répondis qu'il partageait
cet honneur avec elle et qu'il n'était pas si généreux qu'elle pensait.»
Madame de Sévigné lui répond sur un ton moitié sérieux, moitié
plaisant[1508]: «Vous m'étonnez de la réception que M. d'Autun a faite à
madame Fouquet; j'aurais peine à le croire si vous n'en aviez été
témoin. Une malheureuse n'a pas accoutumé d'être si honorée. Je suis
persuadée qu'il y a de la sainteté révérée dans l'excès de cette
procession; ce fut assurément en qualité de relique et de châsse qu'il y
eut tant de monde en campagne.» Une lettre de Bussy, en date du 5
décembre[1509], prouve que madame Fouquet passa toute l'année à Autun,
d'où elle pouvait facilement entretenir des relations avec le prisonnier
de Pignerol.

Au commencement de l'année 1679, la captivité de Fouquet et de Lauzun
perdit beaucoup de la rigueur à laquelle on les avait si longtemps
soumis. «Vous savez, écrivait madame de Sévigné à Bussy[1510],
l'adoucissement de la prison de MM. de Lauzun et Fouquet? Cette
permission de voir tous ceux de la citadelle et de se voir eux-mêmes,
manger et causer ensemble, est peut-être une des plus sensibles joies
qu'ils auront jamais.» Quelques mois plus tard, Fouquet obtint une
consolation bien plus grande. Il lui fut enfin permis de recevoir sa
famille. Sa femme, sa fille, ses fils, M. de Mezière son frère (Gilles
Fouquet), se rendirent à Pignerol et furent admis dans le donjon où
depuis quatorze ans gémissait le prisonnier[1511]. La fille de Fouquet
obtint même la permission d'y occuper un logement près de celui de son
père; mais à partir de ce moment, Lauzun, dont on connaît l'audace
entreprenante et le caractère insolent, commença à se montrer moins bien
disposé envers son compagnon de captivité. Il est inutile de chercher à
approfondir les causes d'une rupture qui devint bientôt éclatante[1512],
et qui porta le rancuneux Lauzun à poursuivre de sa haine la famille de
Fouquet. Il est probable que le séjour de mademoiselle Fouquet au
château de Pignerol n'y fut pas étranger[1513].

Fouquet ne jouit pas longtemps du bonheur d'être réuni à sa famille. Dès
le commencement de l'année 1680, son frère l'abbé était mort[1514].
Épuisé lui-même par une longue captivité, il ne faisait plus que
languir, et il mourut en mars 1680, au moment où il venait de recevoir
l'autorisation de se rendre aux eaux de Bourbon. «Vous savez, je crois,
écrit Bussy à madame de Montjeu[1515], la mort d'apoplexie de M.
Fouquet, dans le temps qu'on lui avait permis d'aller aux eaux de
Bourbon.» Madame de Sévigné parle également de la mort du surintendant,
sans élever le moindre doute sur la réalité de l'événement[1516]. Le
corps de Fouquet fut déposé provisoirement dans les caveaux de l'église
de Sainte-Claire à Pignerol. Mais l'année suivante, madame Fouquet
obtint l'autorisation de le faire transférer dans l'église du couvent de
la Visitation, rue du Faubourg-Saint-Antoine, où sa famille avait sa
sépulture. Il y fut inhumé le 28 mars 1681, comme l'atteste l'extrait
suivant des registres mortuaires de cette église: «Le 28 mars 1681, fut
inhumé dans notre église en la chapelle de Saint-François-de-Sales,
messire Nicolas Fouquet, qui fut élevé à tous les degrés d'honneur de la
magistrature, conseiller du parlement, maître des requêtes, procureur
général, surintendant des finances et ministre d'État[1517].» Le comte
de Vaux, fils aîné de Fouquet, avait rapporté de Pignerol les manuscrits
de son père, et on en publia, en 1685, un extrait, sous le titre de
_Conseils de la Sagesse_[1518].

La mère de Fouquet, qui avait vu mourir quatre de ses fils, dont trois
ont figuré dans nos Mémoires, l'archevêque de Narbonne en 1673, l'abbé
et le surintendant en 1680, succomba elle-même en 1681, dans un âge
très-avancé et avec une réputation méritée de vertu et de
sainteté[1519]. L'évêque d'Agde, Louis Fouquet, vécut jusqu'en
1702[1520], sans avoir pu se relever complètement de la disgrâce qui
l'avait frappé en 1661. La veuve de Fouquet trouva un asile dans les
bâtiments extérieurs du Val-de-Grâce, et y mena jusqu'en 1716 une vie
pieuse et retirée[1521]. Madame de Charost, fille du premier mariage de
Fouquet, se distingua également par sa piété et ses vertus. Elle était à
la tête du petit troupeau que Fénelon dirigeait dans les voies du
mysticisme[1522]. Elle s'y rencontra avec mesdames de Chevreuse et de
Beauvilliers, filles de Colbert, et tous les ressentiments de famille
s'effacèrent devant la charité chrétienne.

Fouquet avait laissé de son second mariage trois fils et une fille:
Nicolas Fouquet, comte de Vaux, Charles-Armand Fouquet, Louis Fouquet
marquis de Belle-Île, et Marie-Madeleine Fouquet. Cette dernière épousa
Emmanuel de Crussol, duc d'Uzès et marquis de Monsalez. Le comte de Vaux
mourut en 1705 sans postérité. Charles-Armand Fouquet entra dans la
congrégation de l'Oratoire, qu'il édifia par ses vertus; enfin le
marquis de Belle-Île, homme de beaucoup d'esprit et de savoir, dit
Saint-Simon[1523], perpétua la branche masculine de la famille Fouquet
par son mariage avec Catherine de Lévi. Il eut à supporter d'abord les
rigueurs de la fortune: repoussé par la famille de sa femme, qui s'était
opposée de toutes ses forces à son mariage, il vécut longtemps près de
son oncle l'évêque d'Agde. Après la mort de ce dernier, Louis Fouquet
vint demeurer avec sa mère dans les bâtiments extérieurs du
Val-de-Grâce. Madame Fouquet avait été séparée de biens de son mari,
avant sa condamnation, et elle avait obtenu pour ses reprises le
marquisat de Belle-Île, qui passa à ce fils et à sa postérité. Les deux
fils du marquis de Belle-Île eurent le génie hardi, aventureux, fécond
en ressources de leur aïeul le surintendant, et purent l'exercer sur un
théâtre plus vaste et plus brillant, celui de la guerre et de la
diplomatie. Le comte et le chevalier de Belle-Île s'illustrèrent sous le
règne de Louis XV, et l'on vit alors reparaître avec un éclat plus vif,
mais passager, l'illustration un instant éclipsée de la famille Fouquet.

Quant au surintendant Nicolas Fouquet, son nom resta entouré, même pour
les contemporains, d'une mystérieuse célébrité. On ne se contenta pas
des qualités et des défauts que signale dans sa vie l'histoire
véridique: on lui créa une légende. La Brinvilliers voulut l'associer à
ce procès des empoisonnements, où elle enveloppait les plus illustres
personnages de la cour[1524]. Les étranges Mémoires de l'abbé
Blache[1525] font planer les mêmes soupçons sur la marquise d'Asserac,
qui avait été étroitement liée avec Fouquet. Enfin, de nos jours même,
ou a voulu voir dans le surintendant le héros de cette histoire du
_masque de fer_, qui depuis près de deux siècles attire et amuse la
crédulité publique[1526]. Sans nous arrêter à ces légendes, nous avons
cherché à montrer dans Fouquet le magistrat habile et zélé, qui fut
pendant la Fronde un des soutiens du trône, puis le surintendant
prodigue et voluptueux qu'égarèrent ses passions et que perdirent ses
vues ambitieuses.

       *       *       *       *       *

Après avoir raconté aussi exactement qu'il nous a été possible la vie et
la mort de Nicolas Fouquet, il nous reste à dire quelques mots de ses
qualités physiques et morales. Si l'on en juge par les portraits du
surintendant que l'on doit au talent de le Brun et de Nanteuil[1527], sa
figure, sans être belle, était loin de manquer d'expression. L'œil est
vif et intelligent. L'ensemble du visage dénote plus de finesse que
d'élévation, plus de pénétration et d'astuce que de noblesse et de
grandeur. Mais dire, comme Bussy-Rabutin[1528], que Fouquet avait la
mine basse, me paraît injuste. N'oublions pas que le surintendant n'a
pas été aimé seulement pour l'or qu'il prodiguait, mais que des femmes
qui ont su lui résister, comme madame de Sévigné, parlent du son air
aimable, ouvert et riant; et certes rien n'aurait été plus antipathique
à un noble cœur, comme madame de Sévigné, que la dégradation de l'âme se
reflétant dans les traits et l'expression du visage.

Quant au moral, les qualités comme les défauts de Fouquet éclatent dans
sa vie privée et publique. Il suffit de les résumer en quelques mots.
Fouquet était doué d'un esprit délicat, vif et pénétrant. Il comprenait
les matières les plus diverses; questions financières et diplomatiques,
matières juridiques et affaires de police, rien ne lui était étranger.
Il avait le travail prompt et facile; il trouvait moyen de suppléer au
temps que lui dérobaient les plaisirs. Est-il nécessaire du rappeler
avec quel tact et quel goût il appréciait et récompensait les
productions des lettres et des arts? C'est le plus beau titre de son
administration. Fouquet possédait encore à un haut degré le talent de
juger et de gagner les hommes. La plupart de ceux ou de celles qui
rapprochèrent lui restèrent attachés dans la mauvaise fortune comme aux
jours de sa prospérité. Son abord était facile et engageant, et lors
même qu'il était contraint à un refus, il savait l'adoucir par des
formes aimables et renvoyer presque contents ceux dont il ne pouvait
satisfaire les désirs.

Malheureusement ce caractère, qui avait des charmes si puissants, était
gâté par des défauts, et surtout par la vanité, la faiblesse et un
entraînement funeste vers les plaisirs. C'est la vanité qui lui fit
rechercher les honneurs, les palais, les fêtes somptueuses et créer ces
merveilles de Vaux qui éclipsaient les demeures royales et annonçaient
les splendeurs de Versailles. Fouquet n'avait pas une de ces ambitions
profondes et criminelles, qui marchent à leur but avec une implacable
résolution et brisent tous les obstacles. Il souhaitait le pouvoir
plutôt pour la satisfaction d'une puérile vanité que par esprit
d'orgueil et de domination. De là sa facilité à prodiguer l'or au lieu
de le garder comme un moyen de puissance et de gouvernement. De là aussi
sa crédulité si souvent trompée, et sa promptitude à prendre pour des
amis tous ceux qui sollicitaient ses faveurs. Cet esprit brillant était
plein de chimères et d'illusions; témoin son trop fameux projet de
Saint-Mandé. Que dire de cette soif insatiable de plaisirs, qui dénote
dans Fouquet une si étrange faiblesse de caractère? Il était, il est
vrai, environné de séductions; mais ni le sentiment du devoir, ni l'âge,
ni même l'intérêt de son ambition et de sa famille, ne purent l'arrêter
sur la pente qui l'entraînait à l'abîme. Toutefois, il faut le
reconnaître, ces passions, qui furent le fléau de sa vie et qui le
poussèrent à des actes criminels, provenaient moins d'une nature
pervertie que de la faiblesse de caractère et de l'absence de principes.
Une prison de dix-neuf ans en a été la rude expiation. Ramené par le
malheur à des sentiments plus élevés, Fouquet supporta mieux l'infortune
que la prospérité. Après avoir habilement défendu devant la Chambre de
justice une vie qu'il était prêt à sacrifier avec courage[1529], il sut
trouver des consolations dans la religion et l'étude, et terminer
chrétiennement une existence qu'avaient troublée les enivrements de la
fortune et des passions. Les contemporains du surintendant, témoins de
sa catastrophe et de son courage, furent plus touchés de ses malheurs
que de ses fautes, et jugèrent que ces tortures morales et physiques,
prolongées pendant dix-neuf ans, avaient dépassé et effacé ses erreurs.
Il est difficile que la postérité ne partage pas ces sentiments de pitié
et de sympathie, et que, malgré les justes sévérités de l'histoire, elle
ne prenne pas parti pour la victime contre les bourreaux.



APPENDICE

I

PROTECTION ACCORDÉE PAR FOUQUET AUX LETTRES ET AUX ARTS DANS LES

DERNIERS TEMPS DE SON MINISTÈRE.

(1660-1661)


Fouquet ne cessa, pendant les dernières années de son ministère
d'encourager les lettres et les arts, comme il l'avait fait par le
passé. Les deux Corneille, stimulés par les pensions et les
gratifications qu'il leur accordait, continuèrent de remplir la scène
tragique avec un succès que proclamaient les contemporains, mais que la
postérité n'a pas toujours ratifié. Thomas s'était emparé du sujet de
Camma, que Fouquet avait proposé à son aîné, et, si l'on en croit la
_Muse historique_ de Loret, cette tragédie fut vivement applaudie[1530].
Il déclare que la pièce fut représentée

    Avec un ravissement tel
    Des judicieux qui la virent,
    Oui mille et mille biens en dirent.
    Qu'on n'avoit vu depuis longtems
    Tant de rares esprits contens.

La Toison d'or, de Pierre Corneille, qui avait été composée dès l'année
précédente pour le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse, fut
représentée, au mois de février 1661, par les comédiens du Marais[1531].
C'était plutôt un opéra qu'une tragédie, et l'éclat de la mise en scène
fit passer la faiblesse de l'action dramatique. On y remarquait quelques
beaux vers en l'honneur de la paix. Corneille fait ainsi parler la
France, qui sortait à peine des longues guerres terminées par la paix
des Pyrénées:

    A vaincre tant de fois mes forces s'affoiblissent;
    L'État est florissant, mais les peuples gémissent;
    Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
    Et la gloire du trône accable les sujets.

La Fontaine ajouta au tribut poétique qu'il avait payé pour le premier
terme de 1661 une pièce sur la grossesse de la reine, où il annonçait la
naissance d'un Dauphin, et profita de l'occasion pour faire un éloge
pompeux de Louis XIV. «La grossesse de la reine est l'attente de tout le
monde, écrivait-il à Fouquet:

    Quant à moi, sans être devin.
    J'ose gager que d'un Dauphin
    Nous verrons dans peu la naissance.»

Loret ne cessait de célébrer Fouquet, et on voit dans les passages mêmes
que nous avons cités[1532] que Pellisson s'efforçait de modérer la verve
un peu bouffonne du gazetier. Les bals donnés par le surintendant,
l'arrivée de ses frères, les vertus de sa mère, ne sont jamais oubliés
dans la Muse historique. Loret avait célébré, au commencement de l'année
1661[1533], un bal donné par Fouquet.

    Samedi, monseigneur Fouquet
    Avoit, ce dit-on, le bouquet,
    C'est-à-dire en d'autre langage
    Que cet illustre personnage,
    Surintendant de la Toison,
    Dans son opulente maison
    Bien éclairée et bien musquée
    Reçut toute la cour masquée.
    Qui fut lors, selon sa grandeur,
    Traitée avec tant de splendeur
    Par ce magistrat très-habile
    Et sa femme belle et civile.
    Que notre prince omnipotent
    En sortant parut fort content;
    Dont les bouches de conséquence
    Qui ne manquent point d'éloquence
    Leur firent, pour remercimens,
    D'assez obligeans complimens.

Vers la fin de juillet, l'archevêque de Narbonne François Fouquet, frère
aîné du surintendant, vint présenter au roi, à la tête d'une députation
des États de Languedoc, l'hommage de la province et témoigner de sa
soumission aux volontés du roi. Aussitôt Loret[1534] célèbre ce _Fouquet
de race_, pour me servir de ses expressions:

    J'ai su de certaine personne
    Que l'archevêque de Narbonne,
    A qui le beau langage est hoc,
    En revenant de Languedoc,
    Où son sage esprit on admire,
    Harangua le roi notre sire
    A la tête des députés
    De plusieurs villes et cités,
    Afin d'assurer ce grand prince
    Que les états de la province
    N'ont dans leurs cœurs d'autres objets
    Que d'être toujours bons sujets;
    Et, comme il est Fouquet de race,
    Il parla de si bonne grâce,
    Que le roi fort content parut
    Tant que ce prélat discourut.

Il est question, dans la même lettre, de la nomination de Louis Fouquet,
autre frère du surintendant, à la charge de maître de l'oratoire du roi.

    Monsieur d'Agde, un autre sien frère,
    Que toute la cour considère,
    Quoiqu'il ne soit qu'en son printemps,
    Comme un des bons esprits du temps,
    Est à son grand honneur et gloire
    Reçu maître de l'Oratoire.
    Charge qu'avoit cet orateur
    Qui d'Amiens est le pasteur[1535].
    Et par lui franchement remise,
    A ce jeune astre de l'Église.
    Infiniment judicieux
    Et qui l'exercera des mieux.

Louis Fouquet était déjà aumônier du roi. En achetant pour lui la charge
de maître de l'oratoire, le surintendant le mettait à la tête de tout le
clergé inférieur de la chapelle du roi, composé du chapelain ordinaire
et de huit chapelains qui servaient par quartier et célébraient toutes
les messes basses dans l'oratoire particulier de Louis XIV.

Le Brun ne cessa de travailler aux peintures de Vaux pendant les
dernières années du ministère de Fouquet. Lorsque le surintendant eut
été disgracié, il ne cacha pas sa sympathie pour son malheur: «Je dînai,
écrit Olivier d'Ormesson[1536], avec M. le Brun, qui conservoit beaucoup
d'estime pour M. Fouquet, et témoignoit du chagrin de la dureté du
siècle, et, quoiqu'il fût fort bien auprès de M. Colbert et qu'il eût la
conduite des ouvrages des Gobelins, il n'en paroissoit pas content,
disant que plus il faisoit, plus on exigeoit de travail de lui, sans
témoignage de satisfaction, et que même on avoit de la jalousie de lui,
parce que le roi en étoit content.»


II

PORTRAIT D'ANNE D'AUTRICHE PAR LE CARDINAL DE RETZ. (Mémoires sur
Fouquet, t. II, p. 123-124.)


Voltaire, dans la Préface de son _Histoire de Russie_ (paragr. VII),
après avoir cité le portrait d'Anne d'Autriche par le cardinal de Retz,
pour montrer que la _passion et le goût de la singularité égaraient son
pinceau_, ajoute:

«Il faut avouer que les obscurités de ces expressions, cette foule
d'antithèses et de comparatifs, et le burlesque de cette peinture si
indigne de l'histoire, ne doivent pas plaire aux esprits bien faits.
Ceux qui aiment la vérité doutent de celle du portrait, en lui comparant
la conduite de la reine; et les cœurs vertueux sont aussi révoltés de
l'aigreur et du mépris que l'historien déploie en parlant d'une
princesse qui le combla de bienfaits qu'ils sont indignés de voir un
archevêque faire la guerre civile, comme il l'avoue, uniquement pour le
plaisir de la faire.»


III

EXTRAITS DES MÉMOIRES DE MADAME DE LA FAYETTE ET DU MARQUIS DE LA FARE
SUR FOUQUET.


Madame de la Fayette, qui était attachée à Henriette d'Angleterre,
duchesse d'Orléans, a parlé de la disgrâce de Fouquet dans l'Histoire de
cette princesse. Elle n'a fait que toucher les principaux points, mais
avec beaucoup de justesse et de discernement. Quant au marquis de la
Fare, qui arriva à Paris en 1662 seulement, il n'a su que par ouï-dire
ce qui concernait Fouquet. Il écrit, d'ailleurs, longtemps après les
événements et sous l'influence de la société du Temple, qui était
généralement hostile à Louis XIV. On ne doit le lire qu'avec précaution
et défiance.

Madame de la Fayette, après avoir rappelé les intrigues qui troublaient
la cour en 1661, continue ainsi[1537]: «Pendant ce temps-là, les
affaires du ministère n'étoient pas plus tranquilles que celles de
l'amour, et, quoique M. Fouquet, depuis la mort du cardinal, eût demandé
pardon au roi de toutes les choses passées, quoique le roi le lui eût
accordé[1538] et qu'il parût l'emporter sur les autres ministres,
néanmoins on travailloit fortement à sa perte, et elle étoit résolue.

«Madame de Chevreuse, qui avoit toujours conservé quelque chose de ce
grand crédit qu'elle avoit eu sur la reine mère, entreprit de la porter
à perdre M. Fouquet.

«M. de Laigues, marié en secret, à ce que l'on a cru, avec madame de
Chevreuse, étoit mal content de ce surintendant: il gouvernoit madame de
Chevreuse. M. le Tellier et M. Colbert se joignirent à eux; la reine
mère fit un voyage à Dampierre[1539], et là la perte de M. Fouquet fut
conclue, et on y fit ensuite consentir le roi[1540]. On résolut
d'arrêter ce surintendant; mais les ministres, craignant, quoique sans
sujet, le nombre d'amis qu'il avoit dans le royaume, portèrent le roi à
aller à Nantes, afin d'être près de Belle-Isle, que M. Fouquet venoit
d'acheter[1541], et de s'en rendre maître.

«Ce voyage fut longtemps résolu sans qu'on en fit la proposition[1542];
mais enfin, sur des prétextes qu'ils trouvèrent, on commença à en
parler. M. Fouquet, bien éloigné de penser que sa perte fût l'objet de
ce voyage, se croyoit tout à fait assuré de sa fortune; et le roi, de
concert avec les autres ministres, pour lui ôter toute sorte de
défiance, le traitoit avec de si grandes distinctions, que personne ne
doutoit qu'il ne gouvernât.

«Il y avoit longtemps que le roi avoit dit qu'il vouloit aller à Vaux,
maison superbe de ce surintendant, et, quoique la prudence dût
l'empêcher de faire voir au roi une chose qui marquoit si fort le
mauvais usage des finances, et qu'aussi la bonté du roi dût le retenir
d'aller chez un homme qu'il alloit perdre, néanmoins ni l'un ni l'autre
n'y firent aucune réflexion.

«Toute la cour alla à Vaux, et M. Fouquet joignit à la magnificence de
sa maison toute celle qui peut être imaginée pour la beauté des
divertissemens et la grandeur de la réception[1543]. Le roi, en
arrivant, en fut étonné, et M. Fouquet le fut de remarquer que le roi
l'étoit. Néanmoins ils se remirent l'un et l'autre. La fête fut la plus
complète qui ait jamais été. Le roi étoit alors dans la première ardeur
de la possession de la Vallière: l'on a cru que ce fut là qu'il la vit
pour la première fois en particulier; mais il y avoit déjà quelque temps
qu'il la voyoit dans la chambre du comte de Saint-Aignan.

«Peu de jours après la fête de Vaux, on partit pour Nantes; et ce
voyage, auquel on ne voyoit aucune nécessité, paroissoit la fantaisie
d'un jeune roi.

«M. Fouquet, quoique avec la fièvre quarte, suivit la cour[1544], et fut
arrêté à Nantes. Ce changement surprit le monde, comme on peut se
l'imaginer, et étourdit tellement les parens et les amis de M. Fouquet,
qu'ils ne songèrent pas à mettre à couvert ses papiers, quoiqu'ils en
eussent eu le loisir. On le prit dans sa maison sans aucune
formalité[1545]; on l'envoya à Angers, et le roi revint à Fontainebleau.

«Tous les amis de M. Fouquet furent chassés et éloignés des affaires. Le
conseil des trois autres ministres (le Tellier, de Lyonne, Colbert) se
forma entièrement: M. Colbert eut les finances, quoique l'on en donnât
quelque apparence au maréchal de Villeroy[1546]; et M. Colbert commença
à prendre auprès du roi ce crédit qui le rendit depuis le premier homme
de l'État.

«L'on trouva dans les cassettes de M. Fouquet plus de lettres de
galanterie que de papiers d'importance; et, comme il s'y en rencontra de
quelques femmes qu'on n'avoit jamais soupçonnées d'avoir de commerce
avec lui, ce fondement donna lieu de dire qu'il y en avoit de toutes les
plus honnêtes femmes de France. La seule qui fut convaincue, ce fut
Menneville, une des filles de la reine, et une des plus belles
personnes, que le duc de Damville avoit voulu épouser. Elle fut chassée
et se retira dans un couvent[1547].»

Le marquis de la Fare, qui écrivait à la fin du règne de Louis XIV, est
loin d'entrer dans les mêmes détails que madame de la Fayette sur le
ministère de Fouquet. Cependant, comme il présente les faits sous un
autre point de vue, il ne sera pas inutile de recueillir son
témoignage. Il indique en quelques mots les vues ambitieuses du
surintendant, mais il fait en même temps l'éloge de sa magnificence et
de sa libéralité. «M. Fouquet, dit-il[1548], ayant pour but d'occuper un
jour la première place, et par défiance aussi du cardinal, avec qui
l'abbé Fouquet son frère l'avoit brouillé, ne songea qu'à se faire des
créatures et répandit beaucoup d'argent dans la cour. Cela mit de la
magnificence et de la joie: les vieux courtisans et les plus
considérables ne songèrent qu'à se maintenir dans la familiarité et les
bonnes grâces du cardinal (ce qui leur donnoit une grande distinction),
et les jeunes gens qu'à se divertir et à jouir des bienfaits de M.
Fouquet. Quelques-uns s'attachèrent au jeune roi et s'en trouvèrent bien
dans la suite.»

Après ce tableau, où la Fare ne signale que le côté brillant du
ministère de Fouquet, il passe à la mort de Mazarin et au gouvernement
personnel de Louis XIV, puis il arrive à la disgrâce du surintendant.
«La perte de M. Fouquet, dit-il[1549], qui avoit été, à ce que l'on
croit, résolue par le cardinal Mazarin, mais non pas du consentement de
la reine mère, qui avoit obligation à Fouquet, arriva sur la fin de cet
été (1661). La reine mère l'abandonna à ses ennemis, à la persuasion de
madame de Chevreuse, liée d'intérêt avec Colbert, qui, après avoir eu
toute la direction des affaires du cardinal et sa confiance, avoit été
dès longtemps destiné par ce ministre pour la réformation des finances.
Cette affaire fut ménagée avec beaucoup de secret et de dissimulation de
la part du roi. Il fit beaucoup de caresses à Fouquet, et, sous prétexte
que cet homme avoit des liaisons considérables et qu'il avoit fortifié
Belle-Isle sur la côte de Bretagne, le roi alla lui-même à Nantes pour
l'y faire arrêter, comptant que sa présence empêcheroit que personne se
pût soulever en faveur de ce ministre; ce qui parut puéril aux plus
sensés, mais qui flatta le roi, dans la pensée qu'il en acquerroit la
réputation d'un prince résolu, prudent et dissimulé. Fouquet, dans
l'appréhension qu'il avoit eue du cardinal, s'étoit voulu mettre en état
de lui résister en s'acquérant des amis; et, comme il étoit
naturellement visionnaire, il crut en avoir un bien plus grand nombre
qu'il n'en avoit réellement. Il en fit une liste: la moitié de la cour
se trouva sur ses papiers et fut quelque temps après dans une grande
consternation. D'un autre côté, les gens d'affaires prévirent bien
l'orage qui alloit fondre sur eux. Quelques-uns furent arrêtés en même
temps que le ministre; d'autres se sauvèrent, comme Gourville, le plus
habile de ses confidents, qui mit à couvert beaucoup de bien et se
retira en Flandre.

«L'emprisonnement de Fouquet fut suivi de l'érection d'une Chambre de
justice; les prisons furent pleines de criminels et d'innocents; il
parut qu'on en vouloit au bien de tout le monde. Colbert, persuadé que
le roi étoit maître absolu de la vie et de tous les biens de ses sujets,
le fit aller un jour au parlement pour en même temps se déclarer quitte
et le premier créancier de tous ceux qui lui devoient[1550]. Le
parlement n'eut pas la liberté d'examiner les édits: il fut dit que
désormais il commenceroit par vérifier ceux que le roi lui enverroit, et
qu'après il pourroit faire ses remontrances; ce qui, dans la suite, lui
fut encore retranché. On peut s'imaginer la tristesse, la crainte et
l'abattement que toutes ces choses produisirent dans le public, et voilà
où commença cette autorité prodigieuse du roi, inouïe jusqu'à ce siècle,
qui, après avoir été cause de grands biens et de grands maux, est
parvenue à un tel excès, qu'elle est devenue à charge à elle-même.»


IV

CASSETTE DE FOUQUET.--LISTE DES PAPIERS CONSERVÉS PAR BALUZE.


J'ai déjà parlé de la cassette de Fouquet[1551] et je crois que les
points suivants sont bien établis: 1° les correspondances et papiers du
surintendant Fouquet, conservés à la Bibliothèque impériale (f. Baluze),
sont authentiques et proviennent des cassettes de Fouquet; 2° les
manuscrits de Baluze ne renferment pas toutes les lettres de femmes qui
furent trouvées dans ces cassettes: témoin les lettres de madame de
Sévigné, qui tirent tant de bruit à l'époque de l'arrestation de Fouquet
et qu'on a vainement cherchées dans ces manuscrits: 3e les billets
cités par Conrart et Vallant ne figurent pas non plus dans les papiers
conservés par Baluze. Un seul billet, celui que l'on attribue à
mademoiselle de Menneville, rappelle quelques mots de l'original, mais
il a subi des altérations considérables. Ce qui porte à croire que les
autres billets copiés par Conrart et Vallant ne sont pas de pure
invention, mais que le texte en a été défiguré. Souvent aussi on a
attribué ces lettres anonymes à des personnes qui en étaient innocentes.

Pour que l'on apprécie plus facilement la nature de ces altérations, je
placerai en regard le texte original du billet de mademoiselle de
Menneville et la prétendue copie qu'en ont donnée Vallant et Conrart:

TEXTE ORIGINAL.

Rien ne me peut consoler de ne
vous avoir point vu, si ce n'est quand
je songe que cela vous auroit pu
faire mal. Ce seroit la chose du
monde qui me seroit la plus sensible,
Je trouverai le temps fort long de
votre absence. Vous me feriez un fort
grand plaisir de me faire savoir de
vos nouvelles. J'aurai bien de l'inquiétude
de votre santé. Pour mes
affaires (le projet de mariage avec
Damville). elles sont toujours en
même état. Il n'a point voulu dire
quand à leurs majestés, disant toujours
qu'il le feroit. A moi il me fait
tous les jours les plus grands serments
du monde. Je n'ai point pris
de résolution de rompre ou d'attendre
que je n'aie su votre avis; c'est le
seul que je suivrai. Adieu, je suis
tout à vous. Je vous prie que l'absence
ne diminue point l'amitié que
vous m'avez promise. Pour moi, je
vous assure que la mienne durera
toute ma vie. Adieu, croyez que je
vous aime de tout mon cœur et que
je n'aimerai jamais que vous.


TEXTE DE VALLANT ET CONRART.

Je compatis à la douleur que
vous me témoignez d'être allé au
voyage de Bretagne, sans que nous
ayons pu nous voir en particulier,
mais je m'en console aisément,
lorsque je pense qu'une semblable
visite eût pu nuire à votre santé.
Je crains même que, pour vous
être trop emporté la dernière fois
que je vous vis à la Mivoie[1552], cela
n'ait contribué à votre maladie.

Il serait fort inutile d'insister sur la nature des altérations: l'on
a extrait d'une lettre, empreinte de quelque émotion, un détail choquant
pour le mettre seul en relief, et l'on y a ajouté des inventions
qui lui donnent un caractère encore plus grossier.

Pour compléter ce qui concerne les papiers authentiques de Fouquet,
je vais indiquer sommairement les pièces contenues dans les
manuscrits Baluze. Elles sont reliées en deux volumes petit in-folio
et présentent un pêle-mêle qui rend toute classification difficile.
Voici d'abord la table des matières avec l'indication des pages:


TOME PREMIER.

Pages 1-2. Mémoire de ceux qui sont entrés à la Bastille pour voir M. de
Richelieu.

--2-4. Mémoire de ceux qui sont entrés à la Bastille pour voir M. le
comte de Guiche.

--5-9. Réponse aux prétendus moyens d'opposition à la concession que Sa
Majesté a faite au sieur Gargot et du gouvernement qu'elle lui a donné
de l'Île de Terre-Neuve en Amérique.

--11-12. Lettre du roi portant concession de cette île à Gargot.

--13-14. Lettre de Gargot sur le même sujet.

--15. L'état des parties dont on demande le payement.

--17-19. Mémoire sur le commerce, cité t. I, p. 310 et suiv.

--22-23. Acte notarié portant engagement des la Loy (mari et femme) pour
une certaine somme.--On trouvera plus loin (p. 187) un extrait de cet
acte qui m'a permis de reconnaître quelle était l'entremetteuse qui
conduisait l'intrigue de mademoiselle de Menneville.

--24. Extrait d'un acte concernant le duc de Damville.

--25-26. Lettres relatives aux affaires de finance.

--27-51. Douze lettres de la femme la Loy, sans aucune classification,
ni chronologique, ni par ordre de matières.

--52. Lettre de M. de Nouveau, directeur des postes.--Voyez plus loin,
p. 502 et suiv.

--54. Lettre de mademoiselle de Trécesson (4 avril 1659), t. I, p. 423.

--56. Lettre d'un agent de Fouquet à Bordeaux (22 août 1661).

--58. Lettre de Bessemaux, gouverneur de la Bastille, à Fouquet (25 août
1661).

--60-61. Lettre d'une femme qui dénonce à Fouquet un complot formé
contre lui par Delorme, son ancien commis, son frère l'abbé Fouquet, un
marquis et un président qui ne sont pas nommés; t. II, p. 296-297.

--62-63. Lettre d'affaires adressée à Pellisson par un nommé
Guitonneau.

--64-65. Lettre anonyme, datée d'Aix-en-Savoie (20 août 1661).

--66-69. Avis et nouvelles envoyés de Paris à Fouquet (3 septembre
1661).--Voy. plus loin, p. 499.

--70-107. Seize lettres de la femme la Loy, placées pêle-mêle comme les
précédentes.

--107. Lettre relative à de Lyonne.

--109. Lettre relative à Colbert.--Voyez plus loin, p. 498.

--111. Sur le confesseur de la reine mère (lettre du 22 avril 1661), t.
II, p. 130.

--113. Lettre du 4 mars; avis donnés par une femme à Fouquet, t. II, p.
85.

--115-116. Lettre contre l'avocat général Talon.

--117-118. Sur le confesseur de la reine mère (2 août 1661), t. II, p.
218.

--119. Même sujet. (4 août), t. II, p. 217.

--121-122. Même sujet. (2 avril), t. II, p. 129.

--123-124. Lettre de l'évêque d'Agde à Fouquet (22 avril), tome II, page
310.

--125-171. Vingt-trois lettres de la femme la Loy.

--172-179. Quatre lettres d'Hugues de Lyonne, t. II, p. 67 et suiv. page
85.

--180. Lettre de la femme la Loy.

--182-183. Sur le confesseur de la reine mère (21 juillet), tome II,
page 168.

--184-185. Lettre de la femme la Loy.

--186. Billet du chevalier de Gramont, t. II, p. 307.

--187. Lettre du président de Périgny.--Voy. plus loin, p. 495-496.

--189. Sur le confesseur de la reine mère (28 juin 1661).--Voyez plus
loin, p. 492.

--191-196. Lettre de l'abbé de Bonzi (18 juillet 1661), t. II, p. 150 et
suiv.

--197-212. Huit lettres de la femme la Loy (6 mars).

--213. Recette faite à l'Épargne, sans date.

--214-215. Lettre d'un nommé Lecouturier pour demander à Fouquet de
faire exécuter un arrêt (23 août 1661).

--216-217. Arrêt à l'appui de cette lettre.

--218. Même affaire.

--220-221. Lettre signée Job; avis donnés par une personne attachée à la
reine mère.--Voyez plus loin, p. 496-497.

--222. Lettre signée Labriffe pour affaires de finance.

--224. Lettre adressée à Pellisson et signée D.V., avis sur des plaintes
contre lui.--Voyez plus loin, p. 496.

--226-236. Cinq lettres de la femme la Loy.

--237. Lettre de madame du Plessis-Bellière; il n'y est question que
d'affaires.--Voyez plus loin, p. 488-490.

--238-246. Six lettres de la femme la Loy.


TOME SECOND.


Pages 1-5. Mémoire sur les droits de Fouquet en Bretagne.

--7. Mémoire d'affaires.

--9-11. Lettres adressées de Bordeaux relatives à la navigation et aux
approvisionnements de Belle-Île, t. I, p. 308 et suiv.

--13. Sur divers navires.

--15-20. Trois lettres de Pélagie de Rieux (madame d'Asserac). t. I, p.
264 et suiv.

--21. Billet d'amour attribué à madame du Plessis-Bellière. t. II, p.
292.

--22. Lettre de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II. p. 195.

--24. Lettre d'une personne de la famille d'Aumont relative à des
affaires domestiques.

--26-27. Sur les fortifications du Havre.

--28-29. Lettre relative à la Bretagne.

--30. Avis donnés de la Rochelle sur ce qu'on dit de Belle-Île.

--32-36. Lettres de madame d'Huxelles à Fouquet, t. II, p. 135 et suiv.

--37. Lettre de mademoiselle de Menneville à la femme la Loy, t. II, p.
204.

--39-40. Lettre de Charnacé à Fouquet, t. II, p. 308.

--41-42. Du même au même, t. II, p. 309.

--43-45. Sur la disgrâce de mademoiselle de la Motte d'Argencourt.

--46. Lettre relative à des marbres.

--48-51. Lettre attribuée à madame d'Huxelles.

--52-53. Lettre de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II, p. 214.

--54. Billet de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II, p. 201.

--56-59. Lettre de madame d'Huxelles à Fouquet.

--60-61. Lettre sur les colonies d'Amérique, t. II, p. 315 et suiv.

--63. Lettre de Devaux sur sa compagnie, qu'il voulait remettre en état.

--64. Lettre de madame d'Asserac sur le projet de voyage en Bretagne, t.
II, p. 180.

--67. Lettre du marquis de Créqui à Fouquet.

--68. Lettre de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II. page 207.

--70-73. Lettre de madame d'Huxelles.

--73-82. Rapports de police par Devaux, t. II, p. 299 et suiv.

--83. Lettre relative à des affaires de famille.

--85. Lettre de madame de Motteville à madame du Plessis-Bellière. t. I,
p. 361-362, note 3 de la page 361.

--87-88. Souhaits pour le voyage de Bretagne (17 août 1661).

--89. Lettre relative à des affaires de famille.

--90. Rapports de police par Devaux.

--92. Demande d'argent pour aider à acheter une maison à Suresnes.

--94-96. Lettre de madame de Beauvais, t. II, p. 133.

--98. Plaintes contre Bruant.

--100. Lettre relative à des affaires de famille.

--101-112. Lettres adressées à Pellisson par mademoiselle de Scudéry, t.
I, p. 439 et suiv.

--113. Extrait d'une lettre de l'abbé Viole, t. II, p. 80.

--115-116. Nouvelles de Bretagne.--Acquisitions proposées à Fouquet dans
ce pays.

--117-118. Lettre d'Hugues de Lyonne relative au projet de mariage de
son fils avec la fille de Fouquet, t. II, p. 70-71.

--119-120. Lettre d'une femme Dubreuil.--Voyez plus loin, p. 420.

--123-124. Lettre relative à Hortense Mancini (3 avril 1661), t. II, p.
159 et suiv.

--125-126. Lettre de madame de Beauvais, t. II, p. 134.

--129-171. Vingt-trois lettres ou billets de la femme la Loy.

--173. Lettre d'affaires de madame du Plessis-Bellière.--Voy. plus loin.

--174. Lettre de M. de Nouveau à Fouquet.

--176. Mémoire de la main de madame du Plessis-Bellière des sommes
payées par elle pour le procureur général.--Voyez plus loin.

--178-179. Avis donnés à Fouquet par une femme qui garde l'anonyme.

--180-181. Billet de la même personne.

--182-183. Lettre de M. de Périgny.--Voyez plus loin, p. 494.

--184. Lettre d'une femme qui prend le parti du fermier des impôts
d'Orléans contre Gourville.

--185. Suite d'un billet de madame du Plessis-Bellière, dont la première
partie est à la page 173.

--186-187. Lettre d'affaires écrite par une femme.

--188. Lettre d'une femme qui garde l'anonyme; cette lettre, datée de la
Barre (16 août 1661), contient des propositions pour l'acquisition d'une
charge.

--190-191. Lettre de Pellisson relative aux affaires de finance.

--192-193. Lettres sur les matelots et sur les voyages lointains (3
septembre 1661).

--194-195. Lettre de l'évêque d'Agde à son frère (13 mai 1661).--Voyez
plus loin, p. 498.

--196. Lettre d'un anonyme relative à des affaires de finance, en date
du 8 juin 1661.

--198-199. Fin d'une lettre d'affaires, dont le commencement se trouve
aux pages 187-188.

--200. Lettre donnant des nouvelles de la santé de Mazarin (2 mars
1661), t. II, p. 86.

--202-206. Trois lettres de mademoiselle de Trécesson, t. I, p. 403 et
suiv.

--207-208. Lettre du 26 septembre 1660, signée Morant; le correspondant
se plaint des impôts excessifs que l'on levait en Touraine.

--209. Lettre de Girardin à Fouquet (18 octobre 1660) relative à des
affaires de finance.

--211-215. Trois lettres de mademoiselle de Trécesson, t. I, p. 403 et
suiv.

--217-219. Deux billets de mademoiselle de Menneville, t. II, p. 293.

--221. Lettre de M. de Nouveau à Fouquet.

--223-224. Lettre du marquis de Villequier à Fouquet, tome II pages
512-513.

--225. Lettre de M. de Novion à Fouquet; affaires de finance.

--227. Lettre d'affaires de la personne qui habitait la Barre.

--229. Lettre d'affaires (13 décembre 1660).

--231. Billet relatif à une discussion entre Fouquet et le premier
président.

--233. Lettre de mademoiselle de Trécesson (11 décembre 1658).

--235. Lettre de Bessemaux, gouverneur de la Bastille, à Jannart,
substitut du procureur général; il y est question d'acquisitions à
Saint-Germain, etc.

--237. Lettre de Marie Mancini, t. II, p. 297-298.

--239. Avis donnés à Fouquet par une femme de la cour.

--240-241. Lettre de M. de Bragelonne contenant des protestations de
dévouement pour Fouquet.

--242. Lettre de Girardin; affaires de finance.

--245-257. Cinq lettres de mademoiselle de Trécesson.

--258. Avis donnés à Fouquet par une femme.

--260-262. Lettre sur les affaires de Bretagne.

--263-264. Lettre de Fouquet à Bruant avec les réponses marginales de
Bruant, t. II, p. 73 et suiv.

--266-267. Lettre d'affaires relative au gouverneur de Paris.

--268. Lettre d'affaires du 9 novembre 1660.

--270. Lettre relative à une audience demandée et non accordée.

--272. Lettre relative aux affaires de Bretagne.

--274. Sur la disgrâce de mademoiselle de la Motte-d'Argencourt, t. II,
p. 113 et suiv.

--276-277. Lettre de Bessemaux à Fouquet (24 juillet 1661).

--278-279. Lettre d'affaires anonyme.

--280-284. Trois lettres de mademoiselle de Trécesson.

--285-289. Trois lettres de M. de Nouveau.

--291. Avis donnés a Fouquet.

--292. Autographe de Fouquet; propositions pour la reine mère, t. II, p.
125-126.

--294. Lettre d'affaires anonyme.

--295-296. Demande d'argent adressée par une femme.

--298. Lettre de Vardes pour madame du Plessis-Bellière, t. II, p. 308.

--300-311. Plusieurs lettres de M. de Nouveau.

--311-314. Trois lettres de mademoiselle de Trécesson.

--316-317. Deux lettres de M. de Nouveau.

--319-320. Lettre de mademoiselle de Trécesson.

--322-331. Cinq lettres de la femme la Loy.

--352. Une lettre de mademoiselle de Trécesson.

--334. Traité entre les Suisses et le chevalier de Maupeou pour la
garnison de Belle-Île.--Voy. p. 520.

Ainsi, sur deux cent soixante-treize pièces environ que contiennent les
papiers Baluze, il y a cent et une lettres ou billets de cette femme la
Loy, qui servait d'entremetteuse au surintendant; vingt-deux lettres de
mademoiselle de Trécesson; quatre de madame du Plessis-Bellière, dont
une douteuse; six billets de mademoiselle de Menneville; à peu près
autant de madame d'Huxelles; quatre lettres de madame d'Asserac; cinq
d'Hugues de Lyonne; trois de madame de Beauvais; trois de mademoiselle
de Scudéry; une dizaine de M. de Nouveau; une du marquis de Villequier;
une de madame de Motteville; deux du président de Périgny; deux de
l'évêque d'Agde (Louis Fouquet); une de Marie Mancini; une de l'abbé de
Bonzi; une de Vardes; deux autographes du surintendant; une lettre de
Pellisson; deux de Girardin; trois de Bessemaux, le gouverneur de la
Bastille; puis un grand nombre de lettres ou mémoires anonymes ou
pseudonymes.

La classification que j'ai adoptée au chapitre XLI a, je crois, permis
de simplifier le travail sur cette cassette. Il ne me reste plus qu'à
ajouter ici quelques lettres moins importantes pour compléter l'étude
sur ces papiers et pour donner en même temps une idée de l'orthographe
de quelques-unes des correspondantes de Fouquet. Celle de mademoiselle
de Menneville dénote une ignorance profonde. En voici un spécimen. Elle
écrit à Fouquet: «Rien ne me peut consolé de ne vous avoier poient vu,
si se net quant je chonge que se la auret peu fere malle [ce] se raies
la chose du monde qui me se raies la plus sansible. Je trouveré le tant
fort lon de vostre apesance. Vous me feriés un for gran plesier de me
fere savoier de vos nouvelles. Joré bien de lin quiestude de vostre
santé. Pour mes afaiere il sont tousjours en maiesme estat il na poient
voulu dire quant à leurs majestés disanes tous jours qu'il le feroict. A
moi il me faict tous jours les plus grans sermans du monde. Je né poient
pris de résolusion de rompre ou datandre que je né sue vostre avie.
Saies le seul que je suivré. Adieu je suis tout à vous. Je vous prie que
la pesance ne diminue point la mitié que vous mavés promis. Pour moie je
vous assure que la mienne dura toute ma vie. Adieu croiés que je vous
esme de tout mon ceur et que je ne me ré (n'aimerai) jamaies que vous.»

L'entremetteuse a une orthographe aussi barbare. Voici une lettre
qu'elle adressait à Fouquet, le 29 novembre 1660[1553]: «Jay renvoiies
deus foies a St-Mende pour resevoier loneur de vos commendement et a
prendre cant je pouroy aitre asse heureuse pour vous aller fere la
reverense. Maies je nenne resus aucune ordre et baien que je croy
quissis je ne pourre pas si fasilement jouir de se boneur vous aure la
bonte de me fere savoier comme vous aprevez que je fase pour vous rendre
conte de tout se que jay appris. Je ne peus menpaicher monsenieur duse
de redite et vous suplier de monore tougour de loneur de votre baien
veliense etent la chause du monde que je soite aveque le plus de pasion
et qu'il nias raien au monde que je ne fise pour la pouvoier merite ses
la protaitasion que vous faict la créature qui sera toute sa vis aveque
la soumission que vous doies votre tres humble et tres aubeisente et
aublige servante.»

Les lettres de cette femme sont toutes anonymes. J'ai reconnu qu'elle se
nommait la Loy, en comparant plusieurs passages de sa correspondance
avec un acte notarié qui se trouve dans les papiers de Fouquet (t. I, p.
22). En voici le début: «Fut présent en sa personne LOUIS DE LA LOY,
escuyer, sieur dudit lieu, demeurant à Paris, au Palais-Royal, rue
Saint-Honoré, tant en son nom que comme se faisant fort de damoiselle
BREGIDE CONVERSET, sa femme.» Par cet acte, en date du 26 juillet 1661,
collationné à Fontainebleau le 4 août, Louis de la Loy et sa femme
s'engagent à payer 18,500 livres pour un _collier de perles orientales_,
contenant trente et une perles rondes pesant dix-huit grains chaque
perle, envers Louis Loire, orfévre, demeurant sur le quai des Orfévres.

La correspondance de la femme la Loy[1554] contient le passage suivant,
qui se rapporte à cette acquisition: «Je vous dirai que, suivant ce que
vous m'aviez dit, j'ai mandé à _M. de la Loy qu'il fist marché de ces
perles_ et qu'il en tirât le meilleur compte qu'il pourroit; que tout au
plus je ne voulois pas qu'il passât 18,000 livres.»

Il est encore question, dans plusieurs autres lettres, du mari de cette
femme: «Je vous dirai, écrit-elle à Fouquet, que, pendant que j'étois
allée faire mon jubilé hier[1555], M. vostre frère[1556] envoya chez
nous un chariot de meubles, disant qu'il vouloit se faire tendre un lit
dans une de nos chambres et des meubles pour des valets. M. de la Loy le
refusa et dit qu'il ne souffriroit pas que dans une maison où nous
étions l'on mit d'autres meubles que les nôtres, si bien qu'il en est
fort en colère et dit à ses gens qu'ils les devoient toujours décharger,
et que quand j'aurois été venue j'aurois mis ordre à cela, si bien que
en partant il donna charge à son maître d'hôtel de les faire reporter.
Je lui dis que M. de la Loy ne le vouloit pas absolument, et le maître
d'hôtel voyant cela me dit qu'il se moquoit d'eux de faire comme cela;
que tout le monde se moquoit de lui de ce qu'il ne faisoit pas mieux
valoir sa charge[1557]; qu'il logeroit fort bien à la grande écurie et
que les gentilshommes de M. d'Harcourt occupoient des chambres qui lui
appartenoient, et que s'il vouloit il y logeroit fort bien lui et ses
chevaux.»

Presque toutes les lettres d'amour contenues dans les papiers conservés
par Baluze ont été citées antérieurement. On pourrait cependant y
ajouter le billet suivant de mademoiselle de Trécesson. Elle écrivait à
Fouquet[1558]: «Je vous conjure d'estre persuadé que l'amitié que j'ay
pour vous est aussi tendre et aussi fidèle que je vous l'ay promise;
quoiqu'en peu de mots ce soit dire beaucoup, je ne suis toutefois pas
contente de ce petit billet et dans deux jours vous en recevrez de plus
amples; mais le courrier va partir.» L'orthographe de mademoiselle de
Trécesson est d'une correction remarquable pour l'époque.

Les billets de madame du Plessis-Bellière sont peu nombreux et ne
parlent guère que d'affaires ou d'intrigues. On pourra en juger par les
suivants. Elle écrit à Fouquet: «Je croyois avoir l'honneur de vous
voir, et je pourray avoir cet honneur apres-disner, si l'affaire de M.
de Créquy[1559] m'en donne le temps, pour vous parler de celle de M. de
Brancas. Je [le] vis hier au soir au désespoir sur la charge de Flandre.
Il vous escrivit une lettre que je retins, croyant qu'il valoit mieux
que nous parlassions là-dessus; mais, comme je doute si je le pourray,
je vous l'envoie. Ils luy ont fait voir dans sa famille que vous l'aviez
fort peu considéré de n'entrer pas avec lui à fond dans cette affaire,
et il fut surpris hier de la voir achevée sans qu'il le sût. Enfin il
est si affligé, qu'on ne peut pas vous le représenter. Vous pouvez
croire que je fis ce que je pus, mais ce qu'on lui fait voir que vous ne
l'avez pas considéré assez et les tourmens que sa famille lui font
(_sic_) le mettent à bout et me font croire qu'il faut que vous ayez la
bonté de le remettre là-dessus. Il me semble que, si vous pouviez
retirer ces papiers ou faire quelque autre chose, cela seroit
nécessaire. Il dit pourtant qu'il ne veut rien, mais que l'on satisfasse
Champlastreux, si l'on peut. Je vous envoie une opposition qu'il m'a
donnée. Je ne l'ay vue qu'aujourd'huy; mais cela me paroist fascheux.
Vous verrez ce qu'il vous plaira. S'il vous plaist de me faire quelque
response, je seray encore icy; car l'affaire de M. de Créquy n'est pas
encore accommodée.

«Je n'ay point encore receu le paquet de M. de Clérambault.»

Ailleurs, madame du Plessis-Bellière dresse une liste de quelques
pensionnaires de Fouquet, sous ce titre: _Mémoire de ce que j'ay payé
pour M. le procureur-général_[1560]:

  Trois cents pistoles pour M. de la Croisette;
  Trois cents pistoles pour mademoiselle de Vertus;
  Cent pistoles pour retirer des prisonniers;
  Deux cents pistoles pour le Val-de-Grâce;
  Soixante pistoles pour les bénédictins anglais;
  Quarante pistoles pour Asserant, soldat qui avoit été a Belle-Isle;
  Sept cents francs à madame Courtet pour madame de Charaux (Charost);
  Mille écus à M. de Terme (ou Jerme) pour l'année 1639, que M. de
  Créquy avoit avancé deux mille deux cent cinquante livres à mon frère
  de Monplaisir[1561], pour l'intérêt d'une année qui lui étoit due;
  A Bosc (ou Bou), quatre cents pistoles;
  Encore à M. de Terme (ou Jerme) pour l'année 1660, mille écus;
  Pour faire raccommoder la maison achetée sept cent cinquante livres
  j'en ai la quittance du maçon;
  A l'abbé de Belesbat, trois cents pistoles;
  A Bartet, mille écus;
  A M. de Tracy, mille écus;
  Encore à Bartet, mille écus.
  Je trouve que c'est sept mille quatre cents livres qui me sont dues du
  reste de trente, que M. le procureur général avoit avancées pour moy à
  Girardin.»

Faut-il conclure de ces billets que madame du Plessis-Bellière ne
s'occupait que des finances et des affaires politiques? Cette hypothèse
est en opposition avec tous les témoignages des contemporains.
Bussy-Rabutin, qui ne fait qu'exprimer l'opinion de son temps, dit, en
jouant sur les mots, «qu'elle étoit la _surintendante des amours du
surintendant_[1562].» J'avoue que, tout en rabattant beaucoup des bruits
exagérés et des insinuations calomnieuses, il est difficile d'expliquer
le rôle de madame du Plessis-Bellière à l'égard de sa nièce de
Trécesson. Elle l'appelle auprès d'elle pour en faire une maîtresse et
un agent de Fouquet. Elle descendait aussi à des détails bien peu dignes
de son rang; témoin la lettre suivante, écrite à Fouquet par une femme
nommée Dubreuil:

«Monseigneur,

«J'ay vu madame du Plessis ce matin un petit moment où je n'ay sçu luy
dire ce que j'avois résolu par le peu de temps que l'on a à luy parler.
J'estois donc résolue, monseigneur, de vous demander cette maison pour
moy à condition que je vous déchargerois du soin que vous auriez de cet
enfant jusqu'à l'âge de dix ans. Il me semble, monseigneur, que cela
vous sera plus commode. Vous ne serez point importuné toutes les fois
qu'il vous faudra quelque chose tant pour son éducation jusqu'à cet
âge-là que pour son entretien. Vostre bonté, monseigneur, en disposera
toujours à sa volonté, et, de quelque manière que ce soit, je me
tiendrois fort heureuse de vous obéir aveuglément, et, pour vous montrer
qu'il est vrai, c'est que je dois voir demain une nourrice qui n'est pas
de loin; c'est hors la ville. De tous les soins qu'il faudra avoir de
toute chose, vous pouvez, monseigneur, me les remettre, comme vous
souhaitez que je m'abandonne tout à fait sous vostre protection. Je le
fais, monseigneur, et vous la demande comme une chose sans laquelle je
ne puis estre heureuse. Je viens d'apprendre que Marie Crevon[1563] s'en
est allée ce matin et n'est pas revenue depuis; elle est sortie disant
qu'elle ne vouloit pas aller en Dauphiné; on veut qu'elle y aille, et
pour cet effet on la cherche. Je ferai tout mon possible pour la voir et
savoir toutes choses.»

Parmi les lettres qui paraissent écrites par madame d'Huxelles,
j'ajouterai la suivante, où l'on trouve quelques renseignements sur les
dangers qui menaçaient Fouquet: «Je vous escris ce billet pour vous dire
adieu. Je suis extrêmement faschée de n'avoir pu vous entretenir. On m'a
dit en grand secret que vous quittez votre charge de procureur général:
qu'estant obligé d'estre tousjours auprès de la personne du Roy vous ne
pouvez la faire. Je ne sçais si on ne veut point vous faire d'affaire du
côté du Palais. Vous savez comme M. le Tellier fut longtemps avec M. le
premier président et la liaison qu'ils ont renouvelée ensemble. M. de
Turenne et M. Colbert sont de la partie. Bartet a dit la conversation
qu'il avoit eue avec vous. M. de Turenne est persuadé que c'est vous qui
avez contribué à l'éloigner, ce poirier[1564] ayant dit que, si on avoit
affaire de chevaux, on n'avoit qu'à en prendre chez vous. Il est
impossible de vous mander tout le détail de ce que l'on sçait.
Faites-moi savoir si l'on vous peut escrire sûrement. Si vous m'envoyiez
des noms, je m'en servirois si je savois quelque chose de conséquence.
Adieu, monsieur, faites-moi l'honneur de croire que je suis tout à vous.
Adieu, ayez soin de votre santé plus que vous ne faites.»

L'abbé de Belesbat, qui recevait une pension de Fouquet, fut exilé à
l'époque de son arrestation aussi bien que Bartet. Je n'ai pu connaître
son écriture et m'assurer si les lettres relatives au confesseur de la
reine mère viennent de lui; mais je serais porté à le croire. J'ai
publié presque toutes ces lettres dans le courant des Mémoires de
Fouquet. Une seule, en date du 28 juin, a été omise. La voici: «Je n'ai
point osé m'empresser ce matin à vous suivre pour vous apprendre,
monseigneur, ce que le bon religieux que vous savez me dit hier. J'en
appris, entre autres choses, qu'il croyoit qu'il _pourroit bien n'y
avoir plus de conseil de conscience_[1565], et qu'il y avoit deux jours
que quelqu'un donna avis et envie au roi de voir une lettre que ces
messieurs du conseil de conscience écrivoient à Rome par son ordre. Le
paquet étant déjà entre les mains du courrier fut reporté au roi, qui
trouva que, dans cette lettre qu'il n'avoit point vue, ces messieurs
écrivoient qu'ils tenoient le roi dans l'obéissance exacte qu'il devoit
au saint-siège et s'attribuoient comme la gloire de le gouverner. Cela
le choqua extrêmement, et, jaloux comme il est de son autorité, il parut
si irrité, qu'il protesta qu'il ne les assembleroit plus.

«Au reste, madame de Chevreuse continue toujours à faire de grandes
recherches à ce bonhomme-ci[1566], mais assurément cela ne servira de
rien et vous apprendrez précisément tout ce qu'elle lui dira. Il
persiste à croire ce que je vous ai écrit du roi et de mademoiselle de
la Vallière et pense que ce qu'il en a dit il y a quelque temps est
absolument vrai.

«Comme j'ai appris depuis peu que le père Leclerc, que je pensois qui
devoit être confesseur du roi après le père Annat, le sera de Monsieur,
je puis vous assurer que, si cela est de quelque chose, j'aurai des
habitudes et des liaisons aussi étroites avec lui que j'en ai auprès du
bon père.

«J'appris encore avant-hier une chose assez plaisante de Florence. La
jeune duchesse[1567] s'y ennuie fort: ce qu'on trouve bien étrange en ce
pays-là, ne sachant pas qu'elle est amoureuse en France du jeune prince
de Lorraine[1568], qu'on avoit parlé de marier avec Mademoiselle[1569].
Avant qu'elle partit, elle avoit été cinq ou six fois seule dans sa
chambre. L'on ne sait point s'ils ont couché ensemble; mais toujours
elle le poursuivoit fort, et Mademoiselle, qui les éclairoit de fort
près, en a découvert bien de petites affaires. Depuis peu même on a
intercepté des lettres qui alloient à Florence. L'on a trouvé un poulet
du cavalier et surtout des vers qu'il a faits sur son absence et qu'il
lui envoie, qui sont la plus plaisante et la plus risible chose du
monde.»

Parmi les personnages qui ont signé leurs lettres, il faut placer un
magistrat fort estimé, le président de Périgny, qui fut le premier
précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV. Ces lettres ne sont pas
adressées à Fouquet, mais à un intermédiaire qui devait parler au
surintendant du désir qu'avait M. de Périgny de traiter d'une charge
vacante. L'intermédiaire est probablement Pellisson, qui travailla plus
tard avec le président de Périgny aux _Mémoires de Louis XIV_[1570].

«Comme je fermois ce billet, lui écrit M. de Périgny[1571], ou m'est
venu dire que le traité de M. de Fourcy fut hier signé avec M.L.V., qui
a vendu et donné procuration _ad resignandum_ en qualité de curateur.

«Cela fait changer de face à nostre affaire et me fait perdre toute
prétention d'entrer comme premier en la troisième[1572], parce que je ne
crois pas que je me doive attirer une concurrence sur les bras.

«Mais cela ne nous excluroit pas de l'ouverture que je vous fis hier de
changer avec M. de Maupiau (_sic_[1573]), parce que, lui paroissant
contre un homme qui n'a pas le service, la chose seroit sans difficulté,
et par cet expédient plusieurs choses s'ajusteroient toutes à la fois;
M. le procureur général verroit tousjours la première place de la
troisième et la seconde de la première remplies par deux hommes
dépendant de lui[1574], et j'essayerois de prendre de M. de M.
(Maupeou) et de lui donner, de mon costé, les instructions nécessaires
pour servir utilement chacun dans son nouveau poste. M. de M. (Maupeou)
auroit une place de premier au lieu de celle de second qu'il occupe, et
moi, je serois sans compétiteur et n'aurois personne intéressé à
traverser ma réception. Outre que j'aurois moins d'argent à fournir,
parce que M. de Maupeou contribueroit quelque chose pour la primauté et
M. de G. se relascheroit de prix ne considérant plus la charge comme
première et ne sachant pas l'usage que l'on pourroit faire de sa
primauté.

«Mais le secret et la diligence sont infiniment nécessaires en cette
affaire. Si on l'agrée, vous m'obligerez de me faire au plus tost
réponse sur tout, afin que j'agisse: et, si on ne l'agrée pas, je vous
seray tousjours obligé de m'oster le plus tost que vous pourrez de la
teste une affaire qui me travaille.»

Il paraît que Fouquet, désireux de s'attacher le président de Périgny,
se montra disposé à lui avancer une partie de la somme nécessaire pour
l'acquisition de la charge à laquelle il aspirait. C'est ce qui résulte
de la lettre suivante, adressée au même intermédiaire par M. de
Périgny[1575]: «La répugnance que j'ai à demander et la crainte de
devenir incommode à ceux qui me font l'honneur de me vouloir du bien
m'ont fait faire mille réflexions fâcheuses sur la demande que je vous
ai prié de faire pour moi. Mais, pour faire connoître à M. le procureur
général que je n'agis pas en cela par la seule nécessité de l'occasion
présente, je vous supplie de lui dire que, si dès à présent j'étois en
possession du bien qui me doit venir quelque jour, je saurois bien me
passer du secours qu'il m'a fait l'honneur de m'offrir et n'aurois
besoin que de sa faveur; mais que même dans l'état présent, si, au lieu
de me rembourser le fonds de mes quittances, il lui plaît de m'assigner
un simple usufruit pour quelques années en tels droits qu'il lui plaira,
dont il retiendra le fonds, je serai infiniment satisfait de sa bonté,
parce qu'elle me donnera moyen de payer les arrérages des sommes que je
serai contraint d'emprunter, en attendant qu'il me vienne de quoi les
payer du mien, ou bien encore s'il vouloit me faire vendre des rentes ou
des gages à bien bon marché et faire prendre pour argent mes promesses
payables à longs termes.

«Je sais bien que tout cela ce sont des aumônes travesties, et c'est ce
qui me fait rougir; mais j'ai assez de courage pour espérer que, par mes
services à venir, je me purgerois d'une partie de la bassesse que je
fais à cette heure Je suis tout à vous.

«PÉRIGNY[1576].»

Une lettre autographe de Bessemaux[1577], adressée à Fouquet, prouve que
le génie envahissant du surintendant s'était communiqué à toute sa
famille. Bessemaux, après lui avoir parlé d'affaires sans importance,
ajoutait que Saint-Aunais était disposé à traiter de Leucate avec
l'archevêque de Narbonne. Ce poste fortifié avait une certaine
importance pour le Languedoc. Il est vrai qu'à cette époque
Saint-Aunais, qui était mal vu de la cour, se croyait menacé de l'exil
auquel il fut bientôt après condamné. Bessemaux se doute bien que cette
situation n'est pas étrangère aux résolutions de Saint-Aunais. «Je ne
sais, écrit-il à Fouquet, si son être[1578] présent et la peur de voir
tout démolir lui inspirent cette pensée. Quoi qu'il en soit, la fidélité
que je veux toujours avoir pour tout ce qui vous touche m'oblige à vous
dire cela, et si vous désiriez que de moi-même je l'entretienne dans
cette pensée, je crois que j'aurois peu de peine à le faire soumettre à
ce que vous pourriez désirer. Ne feignez pas[1579], monseigneur, de
m'ordonner quelque chose là-dessus et croyez que je suis à l'épreuve de
tout pour vous et plus que personne du monde.» Il signe: «Votre
très-humble, très-obéissant et _très-fidèle_ serviteur.»

Les lettres anonymes et pseudonymes abondent dans la cassette de
Fouquet. En voici deux qui viennent d'une même personne, qui, la
première fois, signe D.V., et la seconde fois _Job_. Serait-ce _de
Villefargeau_, comme pourraient le faire supposer les initiales placées
au bas de la première lettre qui est adressée à Pellisson? Il est
impossible de rien affirmer. Nous avons vu que du Grave, sieur de
Villefargeau, était dévoué à Fouquet et en recevait pension. Il était
également familier chez la reine mère[1580]. Il serait donc possible que
ces lettres vinssent de lui.

«Monsieur[1581],

«Je serois ingrat de toutes les bontés que vous me témoignez, si je ne
vous faisois voir ma reconnoissance en toute rencontre. Vous saurez,
monsieur, qu'il y a une femme qui dit que son mari est mort au service
de monseigneur le surintendant, qui vous charge de mille imprécations et
qui dit que vous êtes la cause qu'elle n'a point de satisfaction de
mondit seigneur. M. Berryer se plaint pareillement de vous et dit qu'il
vous a donné pour près de huit à neuf cent mille livres de billets sur
votre bonne foi, et, lorsqu'il vous en a voulu demander un récépissé,
vous le lui avez refusé. Il s'en est plaint à beaucoup de personnes. Une
dame de la cour, dont l'on n'a pas voulu dire le nom, se plaint
pareillement de vous. Cette dernière nouvelle m'a été dite par une
personne qui est attachée à M. Bruant. C'est pourquoi je n'y ajoute pas
grand'foi. Je suis, monsieur, votre très-humble, obéissant et obligé
serviteur.

«D.V.»

La même personne adresse à Fouquet la lettre suivante[1582]:

«Monseigneur,

«J'ai été cette après-dînée dans la chambre de la reine mère. Comme elle
est sortie avec Monsieur, je suis demeuré dans ladite chambre avec M. de
Joyeuse et Aubery, interprète des langues, et Mercier, valet de chambre
de la reine, l'un desquels est venu à parler de votre autorité. Joyeuse
a fait réponse: _Je ne trouve pas que leur autorité augmente, mais
qu'elle diminue. Ne voyez-vous pas qu'ils n'ont su avoir raison d'un
conseiller, de leurs parents, qui a eu des coups de bâton, et que,
malgré toutes leurs poursuites, le roi a donné la grâce à ces soldats_?

«Auparavant le départ du roy, le Tellier et Colbert ont eu trois
conférences particulières avec le roi et la reine mère, près de deux
heures chacune. J'ai su d'un payeur des rentes que la nuit d'auparavant
que le Tellier allât en sa maison des champs, Colbert passe presque
toute la nuit avec lui; il croit que ledit Colbert sera bientôt
surintendant. Ce payeur des rentes-là est fort son ami.

«Je suis, monseigneur, avec respect, votre très-humble, très-obéissant
et très-obligé serviteur.

«JOB.»

Je rétablis ici le texte complet d'une lettre d'Hugues de Lyonne, dont
je n'ai donné qu'un extrait. Il écrivait à Fouquet, le 16 février
1661[1583]: «J'ai fait ce matin ce que je vous avois dit touchant
Chandemer; Son Émin. l'a fort approuvé, et j'escrirai dès aujourd'huy en
cette conformité. N'en soyez plus en inquiétude.

«Je vous avertirai encore que S. Ém. m'a dit que vous luy aviez tenu un
discours qui l'avoit infiniment satisfait. Je suis au désespoir que,
quand il me disoit cela, M. le chancelier est entré, qui a rompu cet
entretien, dans lequel il fust entré dans le détail. J'avois la plus
belle occasion du monde de pousser la chose et de dire peut-estre ce que
vous n'aviez pas dit. Je compte néanmoins pour beaucoup que vostre
discours lui ait plu, et il me semble qu'il y a à en tirer des
conjectures fort avantageuses.»

Une lettre d'Hugues de Lyonne à Fouquet insiste, comme celles que nous
avons citées dans les Mémoires, sur le triste état de ses
affaires[1584].

«Ce lundi matin.

«Je vous prie de vous souvenir de mes affaires, si vous en trouvez ce
matin la conjoncture favorable, et, si vous y trouviez quelque
résistance, de n'oublier pas de dire que, si j'eusse esté indiscret et
voulu accepter l'offre de S. Ém., j'eusse profité mesme de cinq cent
mille francs que je lui eusse osté de sa bourse; 2° que j'ay plus de
besoin qu'on ne croit de toutes mes pièces et qu'avec mesme les cent
mille escus, je devrai encore les cinquante mille francs, la pluspart de
mes dettes ayant esté contractées pour le service du roy ou au moins
tourné à sa gloire; 3° que sans la parole formelle que vous m'avez
donnée des 300,000 livres, j'aurois mieux aymé et aymerois encore mieux
aujourd'hui la charge particulièrement après _la sortie de M.
Colbert_[1585], avec qui je ne voulois point de demeslés qui pût faire
de l'embarras à S. Ém., et lequel vient luy-mesme de profiter de cinq
cent mille francs qu'il mérite bien: 4° que l'intention de S. Ém. avoit
paru de me donner cent mille francs sur la charge et que j'ay trouvé
moyen de le descharger de cinquante mille par une affaire venue de mon
industrie qui ne couste rien au roy ni à ses sujets.»

Louis Fouquet, évêque d'Agde, donnait à son frère, le 15 mai 1661, des
nouvelles de Paris[1586]: «L'on m'a dit que M. l'abbé de Montaigu auroit
l'évêché d'Évreux.

«Je vous avertis que quelqu'un a pris soin de faire courir ici (qu'il y
ait fondement ou non) que vous étiez extraordinairement ennemi et aliéné
de notre ordre[1587] et qu'à Fontainebleau vous en auriez donné de
grandes marques.

«M. de Narbonne vient loger chez madame d'Amours à Paris, et non pas
chez mon frère l'abbé, comme il avait résolu d'abord.

«Mon frère l'abbé tente fort [de s'introduire] chez la reine
d'Angleterre. Il y a même fait quelque petit présent depuis peu.

«M. de la Garde cherche depuis longtemps à vendre le mont Saint-Michel.»

J'ai déjà fait remarquer que Fouquet prenait grand soin de faire
surveiller Colbert. En voici une nouvelle preuve. On lui écrivait[1588]:
«Un valet de chambre du duc de Bournonville, lequel veut quitter son
maître, m'a dit qu'il entroit valet de chambre de M. Colbert et m'a
promis de me dire tout ce qui s'y passera. C'est un M. du May qui le
fait entrer, commis de Colbert[1589], et lui a dit qu'il falloit
préférer la condition de M. Colbert à quelle condition que ce soit,
parce que présentement il étoit assuré d'être surintendant des finances,
conjointement avec vous, monseigneur, et peut-être qu'il sera
surintendant tout seul. Ce sont les discours dudit du May au valet de
chambre.

«M. de la Casgne m'a dit qu'il avoit à vous parler, et nous sommes
demeurés d'accord que doresnavant il vous mandera tout par billet.

«Je suis obligé de partir dans deux jours pour faire marcher notre
régiment. S'il vous plaît de me commander quelque chose, votre valet de
chambre la Vallée sait où je loge. Je suis à vous, monseigneur, et tous
ceux qui dépendront de moi, pour nous sacrifier pour votre service.

«Il y a un M. Tessie[1590], huissier de la chambre de la reine mère,
lequel vous sollicite pour payement d'un billet de 3,500 livres, auquel
billet j'ai moitié; mais parce que je ne vous persécute pas comme lui à
vous solliciter, il prétend de me traiter fort en cadet. C'est pourquoi,
monseigneur, je vous supplie très-humblement de me donner ce qui
m'appartient sur ledit billet pour m'aider à faire mon voyage et
m'obliger à être toute ma vie, comme je suis, votre très-humble
serviteur.»

Un personnage qui paraît avoir été attaché à Jannart, substitut du
procureur général du parlement de Paris, donnait à Fouquet des nouvelles
de Paris pendant son voyage de Bretagne. Il lui écrivait, le 3
septembre[1591]:

«Monseigneur,

«Tout ce que j'ai pu dire de l'état de votre santé à ceux de vos amis
qui m'en ont demandé souvent [des nouvelles] a été que jusques à Blois
nous avions eu des nouvelles que vous vous étiez, grâce à Dieu, fort
bien porté et que, lorsque j'en aurois de plus fraiches, je leur en
dirois.

«Quant à ce qui s'est passé de deçà depuis mercredi que je me donnai
l'honneur de vous écrire, je ne vois pas autre chose que les
enregistrements qui furent hier faits au parlement des déclarations
concernant les rentes à vie, de la tontine, de la suppression de l'édit
des secrétaires du roi et de la charge de colonel[1592], entre lesquels
il n'y en a point qui puisse produire quelque chose, si ce n'est celui
des secrétaires du roi. Car pour la tontine, qui [à ce qu'il] semble,
produiroit quelque chose, si elle avoit lieu, encore qu'elle soit
vérifiée, ç'a été à la charge de modifications qui seront arrêtées par
six commissaires de la cour, qui s'assembleront pour les dresser et en
feront rapport à la compagnie. Ainsi c'est encore bien tirer de longue.

«Aussitôt que la chose à l'égard des secrétaires du roi fut faite au
parlement, je portai le duplicata de la chambre des comptes à M. le
procureur général de ladite chambre, lequel [duplicata] M. Jannart
m'avoit laissé. Il le reçut fort bien, et, comme je le pressai
d'expédier, parce qu'on en avoit besoin, il me promit que la chose ne
dureroit point et qu'il y travailleroit incessamment, m'ayant prié
seulement de lui en envoyer autant de l'arrêt du parlement pour s'y
conformer, ce que j'ai fait, et demain je le retournerai voir pour
savoir ce qu'il aura fait. Il n'y a autre modification dans l'arrêt [si
ce n'est] qu'à l'ordinaire les gages attribués par l'édit ne seront
payés qu'après les anciennes charges acquises. Ce qui n'est rien.

«Lesdits secrétaires du roi sont contents de nos diligences. Ils m'ont
dit avoir payé cent mille écus et qu'ils payeront le reste sitôt que la
vérification de ladite chambre sera faite, et ainsi je la presserai. Ils
sortent de céans présentement pour me prier de voir M. le procureur
général, s'il est nécessaire.

«Quant à l'édit d'extinction de la chambre de justice sur les gens
d'affaires, M. le procureur général et M. de Breteuil vous en écrivant
au long, il me seroit bien difficile de vous en rendre un meilleur
compte. Je vous dirai seulement que M. le premier président trouve que
le temps est bien bref pour prendre ses mesures à propos. Il demeure
d'accord que le roi lui en a parlé; mais, comme cela ne fut pas suivi
lors et qu'il n'avoit point vu l'édit, il n'en avoit aussi point parlé à
la compagnie; ce qu'il eût fait à son retour de Fontainebleau, il y a
quinze jours. Il ajoute qu'il a peur que le parlement n'arrête des
remontrances, et qu'il ne veuille estre meilleur ménager que MM. des
finances ne sont de quitter les gens d'affaires pour quatre millions au
lieu de plus de trente qu'il feroit venir, si on lui laissoit la liberté
d'une chambre de justice. A mon sens, je crois qu'il seroit fort mauvais
de mettre entre leurs mains le pouvoir d'accabler tout le monde. Ce
n'est point là leur affaire. Lundy on verra plus clair leur bonne
intention.

«Ce matin, j'ai monté jusques à la cour des aides, où, causant avec le
greffier, il m'a dit qu'on ne lui avoit point encore demandé les édits.
Il me semble qu'ils devroient être retirés.

«M. le premier président et M. Ravot sont partis aujourd'hui pour aller
à Fontainebleau recevoir, par la bouche de M. le chancelier, notamment
ledit premier président, quelque réprimande de sa harangue.

«Ce matin, le commissaire Picard m'a dit qu'ils avoient reçu un arrêt du
conseil pour procéder à la levée du scellé de M. le duc d'Épernon. Il
n'y auroit possible pas de mal de voir ses tapisseries.

«M. Ceberet[1593] a envoyé la commission de la chambre de l'édit, qui, à
mon avis, sera bien foible: de la grand'chambre, on y fait entrer M.
Grangier; de la première, M. Fraguier et M. Amproux; de la seconde,
point; de la troisième, M. Dubois; de la quatrième, M. le Vasseur; de la
cinquième, M. Bochard. Je crois que M. le procureur général l'apportera
(cet édit) au premier jour.

«Le commissaire la Vigne a enfin promis de porter à M. le procureur du
roi l'information que vous savez. Nous verrons ce que c'est, et je vous
en donnerai avis.

«M. Ménardeau m'a tantôt dit qu'il parlera lundi de l'affaire des
vendeurs de volailles, et que M. le premier président lui avoit dit ce
matin qu'il en falloit sortir.

«Nous avons nouvelles de Fontainebleau que M. le chevalier[1594] se
porte beaucoup mieux, et madame la marquise[1595] et mesdemoiselles
bien. Il n'y a que M. l'évêque d'Agde qui se porte mal; j'y ai passé
tantôt; il attendoit encore la fièvre.

«M. Jannart et M. de Jarnay n'y étant pas, je ferai en leur absence ce
qui se pourra présenter.

«Madame le Tellier est morte la nuit passée. M. Devaux[1596] m'a dit
qu'il étoit après à disposer l'affaire que vous savez. Ce sera quand il
voudra; car, pour le commissaire, il est tout prêt.»

Le premier président Guillaume de Lamoignon, qui contribua si
puissamment à sauver Fouquet, n'avait pas toujours été en bonnes
relations avec lui, à en juger par la lettre suivante[1597]:

«J'eus si peu de temps à vous entretenir, lorsque j'eus l'honneur de
vous voir ces jours passés, que je n'ai pas pu vous dire que M. le
président de Bragelonne m'avoit assuré bien savoir que M. le premier
président seroit bien aise de se remettre avec vous. Il m'en parla, il y
a quelque temps, en termes qui me firent bien connoître qu'il le disoit
à dessein que je vous le fisse savoir. Mandez-moi, s'il vous plaît, si
lorsque vous le vîtes dernièrement vous vous êtes réconciliés, et, en
cas que vous ayez quelque chose de particulier à m'ordonner sur cela,
prenez la peine de me le mander avec toute la confiance que vous devez
avoir en votre obéissant serviteur.

«Vous croirez bien que c'est la part que je prends en tout ce qui vous
regarde qui me donne cette curiosité. J'ai été deux fois à Saint-Mandé
pour vous en parler.»

J'ai réservé pour la fin un certain nombre de lettres anonymes que
j'attribuerais volontiers à M. de Nouveau, directeur des postes[1598].
Il a déjà été question (ci-dessus, p. 9) des moyens qu'employait Fouquet
pour avoir connaissance des lettres qui l'intéressaient. De Nouveau lui
parle dans plusieurs billets des papiers qu'il lui envoie ou qu'il se
propose de lui porter[1599]. «J'envoie savoir si je pourrai sur les
trois heures vous porter plusieurs papiers qu'il est bon que vous voyiez
avant que l'on soit obligé de les rendre. Je serois bien aise aussi de
profiter de cette occasion pour vous dire un mot d'une autre affaire qui
regarde le marc d'or et vous assurer que je suis entièrement à vous.»

M. de Nouveau écrit encore à Fouquet[1600] une lettre qui atteste que sa
position était menacée et qu'il avait besoin pour s'y maintenir de
l'appui du surintendant: «Depuis avoir eu l'honneur de vous voir j'ai
parlé à la reine mère et au roi. La première m'a promis de parler au roi
pour accommoder toutes choses, et a sur ce fait connoître à Sa Majesté
qu'il étoit nécessaire de récuser M. Berthemet. S. M. y a consenti, et
m'a dit que demain matin il résolveroit la chose. Je l'ai conjurée de ne
me pas abandonner sur ce que je l'avois fort bien servi dans tous les
temps et étois en état de le faire encore. Le roi m'a répondu: «Je
verrai toutes vos raisons.» Depuis, j'ai vu M. de Lyonne, que j'ai
trouvé bien intentionné. Je vous rendrai compte de ce que nous avons
concerté. Je vous supplie de ne rien oublier pour me sauver. Je tâcherai
de vous en témoigner ma reconnoissance.»

La lettre suivante est plus explicite. Elle fait connaître qu'il
s'agissait d'un partage de fonctions qui aurait enlevé à M. de Nouveau
la connaissance des dépêches chiffrées[1601]: «Je viens présentement de
parler au roi et lui ai donné ce que vous savez. En le prenant, Sa
Majesté m'a dit: «Avez-vous vu M. le Tellier?» J'ai demandé sur quel
sujet. A quoi il m'a fait réponse: «C'est pour Rossignol[1602], qui
prétend «que l'on lui donne tous les chiffres.» A quoi j'ai reparti
qu'il y a quelque temps que je savois que l'on me vouloit jouer cette
pièce, parce que je n'avois pas voulu prendre des mesures avec de
certaines gens. Il m'a fort pressé de lui parler franchement et qu'il me
garderoit le secret. Je lui ai nommé l'homme. Il m'a assuré qu'il n'y
avoit pas pensé, et, comme je lui ai représenté que c'étoit me dégrader
des fonctions de ma charge, que je l'avois servi toujours et en tout
temps avec bien de la fidélité, mais que depuis la mort de Son Éminence
je m'y étois appliqué avec un si grand soin, que S. M. avoit vu qu'il ne
s'étoit rien passé sans qu'elle en eût été informée. J'y ai ajouté que
c'étoit peu de lui obéir et que si elle trouvoit que je fusse de quelque
obstacle, je me retirerois chez moi et je lui obéirois en tout
aveuglément. Il m'a dit: «Vous pouvez croire que je ne vous ordonnerai
pas cela, étant content de vous. Je ne prétends pas faire tort à votre
charge, lui donnant les chiffres et vous donnant le clair.» Je lui ai
fait réponse que ce qui étoit en clair n'étoit rien. Je lui ai
représenté que, se servant de R[ossignol], l'affaire ne pouvoit
subsister parce qu'il faudroit un jour pour faire ce qui se fait en deux
heures; que l'on vouloit employer R[ossignol] pour se rendre maître des
dépêches, parce que R[ossignol] n'osant pas lui parler il faudroit qu'il
donnât tout à M. le Tellier. J'ai fort appuyé sur cette impossibilité. A
quoi il m'a répondu que c'étoit un homme qu avoit bien servi. Je lui ai
répliqué que j'en avois fait de même et plus utilement; que Son Éminence
avoit été huit ans sans s'en trouver mal, et que enfin il m'avoit prié
de le continuer et de lui faire donner Espagne et Flandre seulement; et
bien souvent Son Éminence m'ordonnoit de lui parler directement[1603];
que si Sa Majesté vouloit remettre les choses au même état, j'obéirois;
mais que de me dégrader entièrement je ne pensois pas l'avoir mérité. Il
m'a dit: «Ce n'est pas mon intention.» Enfin, après une fort grande
conversation, il m'a dit: _Eh bien, monsieur, je verrai_.

«Voilà ce qui s'est passé, dont j'ai voulu vous rendre compte, parce que
vous êtes assurément intéressé dans cette affaire par les services que
je prétends vous y rendre. Mandez-moi ce que je dois faire, et si,
nonobstant ce que je lui ai fortement représenté, je lui donnerai demain
matin un placet pour lui faire connoître que ce sera du temps perdu, qui
fera que l'on ne pourra travailler. Je ne veux agir que par votre ordre.
Il me semble que, M. de Lyonne étant de vos amis, vous le pourrez prier
d'appuyer cette affaire. Si vous le trouvez bon, je lui en parlerai
demain avant le conseil. Pour M. le Tellier, je ne crois pas que je le
doive voir. Je ferai néanmoins ce que vous m'ordonnerez. Je crois que,
pour peu que vous appuyiez la chose, elle ira à l'avenir règlement.
J'attendrai vos ordres sur ce que j'ai à faire, et si vous voulez bien
que je vous voie après ce conseil, ne voulant pas faire un pas que par
votre ordre.»

Les deux lettres suivantes n'ont d'importance que parce qu'elles
prouvent à quel point le directeur des postes était dévoué à Fouquet. M.
de Nouveau lui écrivait[1604]: «J'ai reparlé au roi, suivant vos ordres,
qui m'a dit qu'il avoit vu mon placet et qu'il falloit instruire M. le
chancelier de l'affaire pour l'en informer. Il me semble que vous ne
m'avez pas dit que l'on l'eût résolu. Ainsi j'ai été auparavant en
parler à M. le Tellier, qui m'a dit la même chose avec beaucoup de
sécheresse que je n'ai pas fait semblant de remarquer, n'y ayant été que
pour qu'il ne crût pas que j'affectois de ne le pas voir.

«J'ai été me plaindre à M. de Gourville des méchantes impostures qu'il
vous a données sur mon quatriennal de général des postes. Je l'ai fait
convenir que, chaque charge n'étant que à cent mille livres, l'on ne
pouvoit pas taxer le quatriennal Cm L. (cent mille livres) ni CLm
l. (cent cinquante mille livres); que j'en avois déjà payé XXXIIIIm
l. Je vous supplie très-humblement de vouloir considérer mes justes
raisons avec cette bonté que vous avez eue pour moi en tant de
rencontres et de vous bien persuader qu'il n'y a homme au monde qui soit
plus attaché à vos intérêts que je le suis, ni qui par le temps mérite
mieux ni avec plus de soin et de ponctualité les grâces que vous lui
ferez.

«Après cette véritable protestation, si vous voulez prendre sur les cent
mille livres qui me sont dues quelque partie pour ma taxe, vous en serez
le maître. Je souscrirai à tout ce qu'il vous plaira; mais en ce cas je
vous demande que vous me donniez des assignations pour le reste. Quoi
que vous ordonniez, je vous assure déjà que j'en serai très-content, ne
doutant pas que me confiant à vous au point que j'y suis, vous ne
vouliez accommoder mes affaires, et que je ne me ressente de la
protection que vous m'avez fait l'honneur de me promettre et dont je
tâcherai de me rendre digne par tout ce que je croirai qu'il faudra
faire pour votre service et pour votre satisfaction; à quoi je vous
promets de ne pas perdre un moment. Ordonnez après cela ce qu'il vous
plaira.»

La dernière lettre, attribuée à M. de Nouveau, est relative à des
discussions de préséance, et remplie de protestations d'attachement à
Fouquet[1605].

«Je ne me suis pas donné l'honneur de vous voir sur ce qui arriva aux
Feuillants, parce que M. Jeannin me dit qu'il vous en avoit rendu compte
et que vous avez eu la bonté d'approuver la chose, puisque la difficulté
que nous faisons pour la préséance ne regarde pas l'intérêt que vous
pouvez avoir en cette affaire. J'ose croire que vous me faites bien la
justice d'estre persuadé que je n'en puis jamais avoir d'autres ni en
cette occasion ni dans aucune autre. M. l'évêque d'Agde, même après l'en
avoir entretenu, me témoigne en être content, sans que je cherche des
discours pour l'assurer de mes services. Cependant l'on me vient de dire
qu'il vous avoit parlé de cette affaire bien autrement pour me rendre de
mauvais offices, quoique j'aie des preuves assez essentielles de votre
bouche pour ne pas craindre que, sur ce que l'on vous pourroit dire,
vous me voulussiez condamner ni me soupçonner pour ce [de] jamais
manquer au respect que je vous dois et que je vous rendrois en tous
rencontres. Quelque certitude que j'aie de votre justice, je ne laisse
pas d'en avoir de l'inquiétude comme de la chose du monde qui m'est la
plus chère. Je vous supplie de me tirer d'embarras par un mot. A mon
retour, j'aurai l'honneur de vous voir et de vous confirmer les
assurances de mes services très-humbles.»


V

CONFITEOR DE FOUQUET.


J'ai indiqué ci-dessus (p. 323), à quelle occasion fut probablement
composé le _Confiteor de Fouquet_. Une copie de cette pièce est
conservée dans les manuscrits de la bibliothèque de Bourges, au milieu
d'un livre de prières. J'en dois l'indication à M. Corrard, maître de
conférences à l'École Normale et professeur de rhétorique au collège
Rollin, et la transcription à M. Delouche, professeur de rhétorique au
lycée impérial de Bourges:

    Dans ce funeste estat où chacun m'abandonne,
    Que contre moy les loix exercent leur pouvoir,
    La mort, la triste mort n'a plus rien qui m'estonne,
    Et je dis de bon cœur, pour faire mon debvoir:

            _Confiteor_

    Ces respects que chacun me rendoit à toute heure.
    Tous ces divins honneurs que partout on m'offroit.
    Ces superbes lambris de mes riches demeures,
    Tout cela m'empeschoit de ne penser jamais

               _Deo_

    Je n'eus d'autre desseins que de ruiner la France;
    A mes désirs pervers mon esprit s'employoit,
    Et par là je m'estois acquis tant de puissance,
      Que partout on me comparoit

          _Omnipotenti_

    Je foulois à mes pieds et la pourpre et l'ivoire,
    Chez moy l'or et l'argent s'entassoient à monceaux,
    Je mettois en ces biens mon bonheur et ma gloire,
    Et j'aymois tous ces biens plus que tous les tableaux

          _Beatæ Mariæ_

      Bien que je prisse à toutes mains,
      Jamais mon cœur ne se put rendre,
      Et j'avois de si grands desseins,
    Que pour y réussir partout il falloit prendre

            _Semper_

      Sur chacun j'ay fait ma fortune,
    J'ay volé le marchand, j'ay volé le bourgeois,
      Et je me souviens qu'autrefois
      J'ay ravi l'honneur à plus d'une

           _Virgini_

      Jamais toute la terre humaine
      N'eust sceu peser tous mes trésors;
    Elle auroit employé vainement ses efforts,
    Puisqu'un fardeau si lourd auroit fait de la peine

      _Beato Michaeli archangelo_

    Dans ce comble d'honneur rien ne m'estoit contraire:
    J'estalois mes grandeurs en ballets et festins,
    J'estimois plus la cour qu'ensemble tous les saincts,
    Je fis cent feux pour elle, et jamais un pour plaire

        _Beato Joanni Baptistæ_

    Je n'eus point de respect pour le sainct Évangile,
    En tout temps, en tout lieu j'eus mépris pour la croix;
    En vain pour me prescher on employoit la voix,
    Cette peine eust esté tout ensemble inutile

      _S. A. P. P. O. S. et tibi, Pater_

    Mais ce qui me fait voir encor plus criminel.
      Et qui redouble mon martyre,
      Le trouble que j'ay fait est tel,
    Que pour m'en excuser je n'ay plus lieu de dire

              _Quia_

    Pendant les premiers temps de ma gloire passée,
    L'esclat où je vivois esblouit ma raison,
    Je me plaisois à voir la France renversée,
    Et je ne dis jamais pour mes crimes un bon

            _Peccavi_

    Le peuple cependant contre moy murmuroit,
    Les paysans foules crioient partout vengeance.
    Un chacun, en un mot, surpris de ma puissance,
      Disoit tout haut que c'en estoit

             _Nimis_

    Bien qu'ayant de l'Estat tant troublé les affaires,
    Qu'il semblast que la France eust plié sous mes lois
    Et que tout fust réduit aux dernières misères,
    J'en aurois proposé bien d'autres toutefois

         _Cogitatione_

    Ouy, j'avais des desseins que je n'ose vous dire,
    Pour le succès desquels je voulois tout ruiner.
    Je ne puis y penser que mon cœur ne souspire,
      Et moins encore l'exprimer

           _Verbo_

      Mais si, pour renverser la France,
    A cent desseins pervers j'appliquois tous mes soins,
    Si des grands pour cela j'employois la puissance,
      Je ne travaillois guères moins

          _Opere_

      Mais puisqu'enfin il faut périr,
    Et que sur moy des loix s'exerce la justice,
    Sans le moindre murmure on me verra mourir,
    Et confesser tout haut[1606]...

        _Mea culpa_.


VI

RÉSUMÉ DU PROCÈS DE FOUQUET, PAR OLIVIER D'ORMESSON[1607].


Après avoir retracé en détail tous les incidents du procès de Fouquet,
Olivier d'Ormesson le résume dans le passage suivant: «Voilà ce grand
procès fini, qui a été l'entretien de toute la France du jour qu'il a
commencé jusques au jour qu'il a été terminé. Il a été grand bien moins
par la qualité de l'accusé et l'importance de l'affaire que par
l'intérêt des subalternes, et principalement de Berryer, qui y a fait
entrer mille choses inutiles, et tous les procès-verbaux de l'Épargne,
pour se rendre nécessaire, le maître de toute cette intrigue, et avoir
le temps d'établir sa fortune; et, comme par cette conduite il agissoit
contre les intérêts de M. Colbert, qui ne demandoit que la fin et la
conclusion, et qu'il trompoit dans le détail de tout ce qu'il faisoit,
il ne manquoit pas de rejeter les fautes sur quelqu'un de la Chambre:
d'abord ce fut sur les plus honnestes gens de la Chambre qu'il rendit
tous suspects, et il les fit maltraiter par des reproches publics du
roi.

«Ensuite il attaqua M. le premier président, et le fit retirer de la
Chambre et mettre en sa place M. le chancelier. Après il fit imputer
toute la mauvaise conduite de cette affaire à M. Talon, qu'on ôta de la
place de procureur général avec injure; et enfin, la mauvaise conduite
augmentant, les longueurs affectées par lui continuant, il en rejeta
tout le mal sur moi; il me fit ôter l'intendance de Soissons; il obligea
M. Colbert à venir faire à mon père des plaintes de ma conduite, et
enfin l'expérience ayant fait connoître qu'il étoit la véritable cause
de toutes les fautes, et les récusations ayant fait voir ses faussetés,
les procureurs généraux Hotman et Chamillart lui firent ôter
insensiblement tout le soin de cette affaire, et, dans les derniers six
mois, il ne s'en mêloit plus, et pour conclusion il est devenu fol.

«Ainsi le procès s'est terminé, et je puis dire que les fautes
importantes dans les inventaires, les coups de haine et d'autorité qui
ont paru dans tous les incidents du procès, les faussetés de Berryer et
le mauvais traitement que tout le monde et même les juges recevoient
dans leur fortune particulière, ont été de grands motifs pour sauver M.
Fouquet de la peine capitale; et la disposition des esprits sur cette
affaire a paru par la joie publique que les plus grands et les plus
petits ont fait paroître du salut de M. Fouquet, jusqu'à tel excès qu'on
ne le peut exprimer, tout le monde donnant des bénédictions aux juges
qui l'ont sauvé, et à tous les autres des malédictions et toutes les
marques de haine et de mépris, les chansons contre eux commençant à
paroître, et je suis surpris que, y ayant quinze jours passés que cette
histoire est finie, le discours n'en finit point encore, et l'on en
parle par toutes les compagnies comme le premier jour.»


VII

INFLUENCES EXERCÉES SUR LES MEMBRES DE LA CHAMBRE DE JUSTICE PENDANT LE
PROCÈS DE FOUQUET.


Les ministres, et surtout Colbert, ne cessèrent, pendant le procès de
Fouquet, d'exercer sur les juges une pression dont nous avons cité de
nombreuses preuves; mais l'opinion publique, les prières de la famille,
et quelquefois même les sollicitations des seigneurs et des princes ne
furent pas moins vives, et eurent plus d'influence sur les membres de la
Chambre. Olivier d'Ormesson, qui n'est pas disposé à exagérer ces
influences opposées aux vœux de la cour, en parle cependant dans son
_Journal_[1608].

«Le fils de M. de Pontchartrain ayant vu les différents sentiments du
public sur mon avis et celui de M. de Sainte-Hélène et de M. Pussort, se
mit à genoux devant son père pour le conjurer de ne pas se déshonorer et
toute sa famille par un avis de mort, et lui dit qu'il étoit résolu de
quitter sa robe si ce déplaisir lui venoit. M. Hérault, qui avoit dit à
plusieurs qu'il ne retourneroit point dans sa province (la Bretagne) les
mains sanglantes, et qu'après avoir entendu mon avis, il en étoit
convaincu, changea néanmoins et conclut à la mort, parce que M. d'Arbon,
commis de M. le Tellier, y fut quatre fois, la veille, le presser et
l'intimider, de sorte qu'il ne le quitta pas qu'il ne lui eût donné
parole de suivre l'avis de M. de Sainte-Hélène.

«L'on impute à M. le Prince[1609] l'avis de M. de la Toison: on dit
qu'il lui envoya Guitaut, et l'obligea de lui donner sa parole pour M.
Fouquet. Je ne sais si cette sollicitation est véritable; mais je sais
fort bien certainement, d'une personne sûre, qui me l'a dit depuis le
procès jugé, que, dès le voyage de Fontainebleau[1610], M. le Prince
avoit témoigné des sentiments très-favorables à M. Fouquet. Je sais
encore que, dans la Bourgogne, tous les bons juges de M. de
Marillac[1611] sont en estime, et que les autres, même leurs enfants,
sont en horreur, et que M. de la Toison ne vouloit pas se déshonorer
dans sa province.

«L'on dit que M. de Lesdiguières avoit gagné M. de la Baulme, et même M.
de Bessemaux[1612], chez qui il loge, parce que, du vivant de M. le
cardinal, il étoit le confident de M. Fouquet. A quoi je ne vois pas
d'apparence, Bessemaux étant dévoué au siècle présent. L'on dit aussi
que les enfants[1613] de M. Catinat lui ont parlé fort honnêtement, et
il s'étoit conduit sur cette affaire avec tant de réserve qu'il étoit
mis au nombre des douteux.»


VIII

CHANSON SUR LE PROCÈS DE FOUQUET.


Le procès de Fouquet donna lieu à un grand nombre de chansons où éclate
la haine contre le gouvernement et les réformes qu'il tentait. On les
trouve dans les recueils du temps et dans le _Nouveau Siècle de Louis
XIV_ (t. II). En voici une qui ne brille pas par la poésie, mais qui
résume assez nettement l'opinion qu'on se formait alors des juges et des
mobiles qui les faisaient agir. Elle fut composée aux fêtes de Noël
1664[1614]:


         1

    A la venue de Noël
    Chacun se doit bien réjouir,
    Car Fouquet n'est point criminel;
    On n'a pu le faire mourir.

         2

    Quand, par ses malices, Berryer
    Dedans l'abîme l'attira,
    Il étoit dans un grand bourbier,
    Mais d'Ormesson l'en retira.

         3

    Sainte-Hélène fort s'emporta
    Quand il se mit à rapporter,
    Et le premier il protesta
    Qu'il le falloit décapiter.

         4

    «J'ai, dit-il, un double argument,
    Messieurs, pour fonder mon avis;
    L'un est: Je serai président[1615],
    L'autre est dedans la loi, _Si quis_.»

         5

    «[O grand] Dieu [s'écria Pussor],
    Qu'il est profond [qu'il est savant]
    En peut-on trouver un plus fort
    Pour régir le sénat normand?

         6

    «Mais, messieurs, ajoutons encor
    Un troisième raisonnement,
    Par où je conclus à la mort,
    Et non pas au bannissement.

         7

    «Quand d'ardoise il couvrit un toit,
    L'autre de tuiles seulement,
    Fut-ce pas pour tromper le roi?
    Répondez à cet argument[1616].»

         8

    «Il est fort bon,» dit Gisaucour.
    Et Ferriol pareillement:
    «Messieurs, admirons son discours
    Et le suivons aveuglément.»

         9

    Hérault dit: «Vous n'avez pas tort,
    Et quand il n'auroit fait que Vaux,
    N'est-il pas bien digne de mort
    D'avoir tant dépensé en eaux?»

        10

    «Pour moi, je n'y répugne pas,
    Ajouta le petit Noguès;
    Car je prétends l'évêché d'Acqs (_de Dax_)
    Pour mon frère le Béarnès.»

        11

    Roxante (_Roquesante_), assuré Provençal
    Se mit alors en grand émoi,
    Et dit: «Messieurs, vous faites mal,
    Quand vous tronquez ainsi la loi.»

        12

    Il leur expliqua donc la loi,
    D'une très-savante façon,
    Disant: «Messieurs, une autre foi
    Apprenez mieux votre leçon.»

        13

    La Toison, sitôt qu'il finit,
    En faveur de Fouquet parla,
    Et ne voulut pas qu'on punît
    En lui les crimes de Sylla.

        14

    La Baulme vint à son secours
    Et suivit le grand d'Ormesson;
    Quelqu'un m'a dit que son discours
    Fut très-petit, mais qu'il fut bon.

        15

    Verdier s'emporta là-dessus,
    Et par maint auteur allégué
    Il leur prouva que tout au plus
    Il devoit être relégué.

        16

    «Mais pour ces messieurs contenter,
    Dit raillant le grand Massenau[1617],
    Si l'on faisoit décapiter
    Les Mirmidons qui sont à Vaux?»

        17

    «Je ne leur ferai point de mal,
    Non plus qu'à Fouquet», dit Moussy
    « Ni moi», dit M. Catinat,
    «Ni moi,» dit Le Féron aussy.

        18

    «Je sais bien, dit Brillac, par où
    Nous mettre, messieurs, tous d'accord;
    Qu'on lui mette la corde au cou,
    Mais que l'on ne serre pas fort.»

        19

    «La corde au cou! cria Regnard,
    Je crois que vous n'y pensez point.»
    «Dieu nous préserve, dit Besnard,
    D'un ministre la torche au poing!»

        20

    Poncet ne montra point de fiel,
    Comme avoit fait Pussort;
    Mais par un discours tout de miel
    Conclut doucement à la mort.

        21

    Monsieur le prévôt des marchands[1618]
    Ne parut pas si modéré;
    Ce n'est pas qu'il soit trop méchant,
    Hais Fouquet l'a voit ulcéré:

        22

    «En raisonnements superflus
    Je ne veux point perdre de temps.
    Ni combattre des corrompus,
    «Des lâches et des ignorants.

        23

    Pontchartrain dit: «Ces nouveaux noms
    Nous conviennent bien moins qu'à toi;
    Tes rentes et tes pensions,
    Tes procès-verbaux en font foi.»

        24

    Si Séguier eut raison ou tort,
    Je ne déclarerai pas ce point.
    Je l'honore et révère fort;
    C'est pourquoi je n'en parle point.

        25

    Mais, pour finir notre chanson,
    Que chacun se mette à crier:
    «Gloire soit au grand d'Ormesson
    Et le diable emporte Berryer!»


IX

CONDUITE DE LOUIS XIV A L'ÉGARD DU RAPPORTEUR DU PROCÈS DE FOUQUET.


Nous avons vu (p. 439) que la résistance d'Olivier d'Ormesson aux
volontés hautement manifestées de la cour entraîna sa disgrâce.
Cependant on ne trouve rien, dans son Journal, qui puisse justifier une
anecdote racontée par la Hode, dans son Histoire de Louis XIV[1619] et
répétée par M. de Sismondi, dans son Histoire des Français[1620].
D'après ces écrivains, Louis XIV aurait personnellement sollicité
Olivier d'Ormesson, pour ce qu'il appelait son affaire, et d'Ormesson
lui aurait répondu: «Sire, je ferai ce que mon honneur et ma conscience
me suggéreront.» Dans la suite, Olivier d'Ormesson, sollicitant pour son
fils le titre de maître des requêtes, le roi lui aurait dit: «Je ferai
ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront.» Rien n'est moins
vraisemblable que ce récit. Il n'était pas dans le caractère de Louis
XIV de descendre à des sollicitations personnelles, ni dans celui
d'Olivier d'Ormesson de répondre au roi avec une hauteur insolente.

Au lieu de ces anecdotes, le Journal d'Olivier d'Ormesson donne un récit
détaillé de la démarché qu'il lit près du roi quelques jours avant la
mort de son père, et lorsque déjà l'on désespérait de sa vie[1621]. «M.
Pelletier[1622] m'écrivit qu'il étoit bon d'aller voir le roi et M.
Colbert. A midi, je montai en carrosse pour aller voir M. Colbert; je ne
le trouvai pas, et l'on me dit qu'il dineroit au Louvre. Je fis écrire
mon nom. De là, je fus au Louvre. Étant monté par la petite montée, à
cause que la reine loge dans l'appartement du roi, je demeurai quelque
temps dans un petit cabinet par où le roi devoit passer sortant du
conseil. Mais ayant pensé que M. Colbert me verroit en sortant, je
descendis dans l'appartement de la reine mère[1623], où je reçus accueil
de tous ses officiers; et l'huissier ayant dit mon nom, madame de
Beauvais[1624] me vint quérir où j'étois pour me présenter à la
reine-mère. J'entrai dans la chambre, et lui fis une profonde révérence.
Elle me fit bon visage, me demanda des nouvelles de mon père, me dit
qu'elle se souvenoit toujours de Calais quand elle me voyoit; que j'y
servois fort bien[1625]; me parla du feu des halles, et enfin me
témoigna beaucoup de bonté.

«M. le Prince étoit au coin de la cheminée, qui me fit, des yeux, bien
de l'amitié, et enfin coula le long du paravent pour s'approcher de moi,
et me dit; «Je vous ai fait faire compliment de ma part, et je suis bien
aise de vous assurer moi-même de mes services et de l'estime que j'ai
pour vous.» Je lui répondis par une profonde révérence.

«Je sortis incontinent, crainte de perdre l'occasion de parler au roi.
Étant dans le cabinet, le roi vint; je me présentai à lui. Il me
demanda: «Comment se porte votre père?» Je lui dis qu'il n'avoit point
de mauvais accident; mais son grand âge et son mal nous donnoient bien
de la crainte. Il me demanda encore, marchant toujours, s'il avoit de la
fièvre. Lui ayant dit qu'il en avoit peu, voyant que je suivois, il
s'arrêta sur la porte de la chambre de la reine mère; je lui dis que mon
père m'avoit commandé d'avoir l'honneur de remercier Sa Majesté de la
bonté avec laquelle il avoit reçu la très-humble prière qui lui avoit
été faite par M. l'évêque d'Agen[1626] de me conserver la grâce qui lui
avoit été accordée, et dont il avoit trouvé bon qu'il le remerciât; que
je suppliois en mon particulier Sa Majesté de me continuer l'honneur de
ses bonnes grâces. Le roi me répliqua: Quand vous les mériterez, je vous
les accorderai volontiers.» Et aussitôt il entra dans la chambre, et moi
je me retirai. La sécheresse de cette réponse laissait peu d'espoir à
Olivier d'Ormesson, et en effet la place de son père fut donnée à
Poncet[1627], un des juges de Fouquet. Il sollicita, avec aussi peu de
succès, comme le prouve son _Journal_, plusieurs autres places qui
devinrent vacantes au conseil d'État. Jamais Louis XIV ne lui pardonna
l'indépendance dont il avait fait preuve comme rapporteur du procès de
Fouquet.


X

LA CHAMBRE DE JUSTICE CONTINUE LE PROCÈS DES FINANCIERS APRÈS LA
CONDAMNATION DE FOUQUET.


La Chambre de justice ne cessa pas aussitôt après la condamnation de
Fouquet. Les financiers qui avaient été enveloppés dans ce procès furent
condamnés à payer des taxes considérables. Olivier d'Ormesson retrace,
dans son _Journal_, les dernières séances et les résultats de cette
Chambre. «Le dimanche, 18 octobre 1665[1628], M. le Pelletier m'envoya
quérir pour aller souper chez M. Boucherat avec M. Brillac. Là j'appris
que le traité des taxes de la Chambre de justice avoit été signé, devant
le roi, à cent dix millions, savoir, deux millions en argent comptant,
vingt millions en argent payables en cinq ans, trente-huit millions en
billets, et cinquante millions en rentes, droits et autres bons effets;
qu'il n'y avoit d'exceptés de ce traité que Marchand, les deux Monnerot
et le duché de Penthièvre; que la difficulté étoit quelle compagnie on
formerait pour juger tous les incidents et faire vendre les immeubles.
L'on dit que l'affaire de M. de Guénégaud s'accommoderait: 1° il n'étoit
point excepté du traité; 2° madame de Sully[1629] avoit envoyé dire chez
le maréchal d'Albret[1630] que, dans trois jours, l'on verroit combien
la famille de Guénégaud avoit obligation à M. le chancelier; 3° le roi
avoit écouté sur cela assez favorablement MM. d'Albret et Duplessis, et
dit que l'on dit, de sa part, à Colbert, de lui en parler; 4° la mort de
M. Hérault[1631], qui rompoit les mesures; 5° le retardement affecté
depuis cinq ou six jours.

«Le mercredi, 18 novembre[1632], j'appris que M. le chancelier avoit, le
lundi, parlé à madame de Guénégaud, et lui avoit dit, par ordre du roi,
qu'il falloit que M. de Guénégaud optât, ou de prendre abolition et
reconnoître avoir commis les faussetés dont il étoit accusé, et dire le
fait comme il s'étoit passé, ou que le roi le feroit juger par de
nouveaux commissaires, et qu'elle avoit répondu qu'avant de parler il
étoit nécessaire qu'elle en pût communiquer avec M. de Guénégaud et avec
son conseil. Je sus aussi que, le mardi, après midi, la question de
l'hypothèque des taxes avoit été jugée devant le roi; que MM. de Sève,
d'Aligre et de Villeroy avoient été d'avis que le roi ne pouvait avoir
privilège pour le payement des taxes au préjudice de créanciers
antérieurs; que c'était une maxime nouvelle qui ne pouvoit être établie
que par une déclaration qui ne pouvoit avoir son effet que pour
l'avenir, et non pour le passé; que M. Colbert, après avoir reconnu que
c'étoit une maxime nouvelle, avoit conclu qu'elle étoit nécessaire pour
le payement des taxes, et qu'autrement le traité de cent dix millions
seroit inutile; que M. le chancelier avoit été de cet avis, et que le
roi avoit suivi l'avis de M. le chancelier. C'est une résolution qui
étonne tout le monde; elle ruine tous les créanciers des financiers;
elle ruine tout le commerce d'argent avec les gens d'affaires; elle
ruine le roi, parce que les financiers, n'ayant plus de crédit, ne
pourront plus faire aucune avance au roi, et il est certain qu'après que
ces taxes-ci seront payées, il faudra abolir cette maxime et rétablir la
contraire. L'on signifie tous les jours des taxes qui sont si
extraordinairement grosses qu'elles emportent au moins tous les biens
des taxés, et il paroît impossible qu'elles puissent être acquittées.
C'est une plainte générale contre la rigueur de ces taxes.

«Le jeudi, 17 décembre[1633], je fus au Petit-Arsenal, où la Chambre de
justice s'assembla chez M. Clapisson, à cause que M. le cardinal des
Ursins étoit logé dans le Grand-Arsenal, dans l'appartement du
grand-maître[1634]. M. le chancelier étant arrivé, l'on discourut de la
forme de vérification des abolitions. M. le chancelier demanda à M.
Chamillart, qu'on fit entrer pour y être présent, comme il devoit en
user, disant qu'il falloit faire deux séances, et ordonner que le
procureur général donnerait ses moyens d'obreption et subreption. M. de
Brillac dit qu'il y auroit inconvénient, forma des difficultés,
prétendant qu'il serait mieux de finir aujourd'hui, et il me semble
qu'il ne disoit pas cela à propos; car leurs règles étoient prises, et
il n'étoit pas capable de les faire changer. Enfin M. de Guénégaud, vêtu
de noir, s'étant avancé au-devant du barreau, M. le chancelier lui a
fait lever la main et prêter le serment de dire la vérité. Ensuite le
greffier lui ayant dit de se mettre à genoux, il s'y est mis un genou à
terre seulement. M. le chancelier ayant dit qu'il falloit y mettre les
deux genoux, il les y a mis; et puis M. le chancelier lui a demandé s'il
avoit obtenu des lettres d'abolition, il a dit que oui; si elles
contenoient la vérité, a dit que oui; s'il vouloit s'en servir, a dit
que oui. J'oubliois qu'avant de faire entrer M. de Guénégaud, M. Poncet
a lu la requête de M. de Guénégaud, disant que, dans le procès criminel
intenté contre lui, il avoit obtenu lettres d'abolition, et qu'il en
demandoit l'entérinement; que sur cette requête, ayant été ordonné le
_soit monstré_[1635], le procureur général avoit donné ses conclusions;
que ledit sieur de Guénégaud, mandé en la Chambre et ouï, il ferait ce
que de raison. Sur quoi il avoit été mandé, et, après avoir répondu ce
que dessus, M. le chancelier a ordonné la lecture des lettres; ce que
Foucault a fait. Elles contiennent la confession de tous les chefs
d'accusation. A la fin, il y a: «Sa Majesté se réservant de le taxer à
telle somme qu'elle avisera.» La lecture achevée, M. de Guénégaud
toujours à genoux, et lui retiré, le procureur général a requis de
bouche la communication desdites lettres pour y donner ses moyens
d'obreption et de subreption. M. le chancelier ayant demandé les avis,
les conclusions ont été suivies. Après, on s'est levé et retiré.

«Le vendredi, 18 décembre, le matin, à la Chambre de justice, chez M.
Clapisson, M. le chancelier venu, M. Poncet a lu la requête de M. de
Guénégaud, les lettres d'abolition avec les conclusions du procureur
général, qui ne les empêchoit être entérinées, à la charge que Sa
Majesté ferait telle taxe qu'elle aviserait, et de dix mille livres
d'aumône. M. Poncet a dit que le procès de M. de Guénégaud avoit été
instruit, rapporté, vu, et que les juges devoient juger selon la rigueur
des ordonnances et des lois, et ne pouvoient pas s'en départir; mais que
les rois pouvoient les combattre par la clémence; qu'il se souvenoit
d'un beau mot d'un grand chancelier d'un grand roi d'Italie, Théodoric,
Cassiodore: _Felix querela, cum justitia pietate vincitur;_ que le roi
avoit fait grâce à M. de Guénégaud par ses lettres d'abolition, et qu'il
étoit d'avis de les entériner, à la charge de la taxe et de l'aumône de
dix mille livres; Tous ont été du même avis, sans parler, sinon M.
Brillac, qui a dit que l'on ne condamnoit point un accusé à une aumône
sans l'interroger, et qu'il étoit mieux de ne pas parler de la taxe, le
roi la pouvant faire, et même étant juste qu'il la fit. M. le chancelier
a dit que c'étoit M. de Guénégaud qui avoit lui-même dressé ses lettres
et les avoit présentées avec cette clause, et ainsi qu'il n'y avoit rien
à dire. Après, il a dit que les comédies finissoient par des mariages,
et la Chambre de justice par la clémence; qu'elle ne s'assembleroit plus
là. On s'est ensuite retiré.»


XI

CONVENTION POUR LA GARNISON DE BELLE-ILE.


Le chevalier de Maupeou, dont Fouquet parle dans le projet trouvé à
Saint-Mandé, avait conclu un traité avec un capitaine suisse pour
l'entretien de cinquante soldats de la même nation dans la forteresse de
Belle-Île. Une copie de ce traité se trouve dans les papiers de
Fouquet(t. II, p. 334).

«S'ensuit ce qui a été convenu entre le chevalier de Maupeou et le sieur
Jean-Jacques Knopfly, du canton et de la ville de Zug en Suisse, pour
l'entretien de cinquante soldats de la mesme nation en garnison à
Belle-Isle:

«1° Ledit sieur Knopfly sera obligé d'entretenir audit lieu la quantité
de cinquante hommes, lui compris, le sergent et toutes les autres hautes
payes, moyennant la somme de mille cinquante livres par chacun mois;

«2° Mondit sieur de Maupeou sera obligé de luy faire payer toujours un
mois d'avance sur le lieu;

«3° En cas que quelque soldat tombe en quelque faute, ledit soldat sera
châtié par la justice des Suisses à la rigueur;

«4° Il sera permis audit sieur Knopfly d'avoir un de ses soldats qui ait
pouvoir de vendre du vin, bière ou autres choses pour la nécessité de
ses camarades et non à personne autre, sans payer aucun droit;

«5° Quand on n'aura plus besoin de leurs services, et que l'on les
voudra congédier, l'on leur payera un mois de gage pour s'en pouvoir
retourner à leur pays;

«6° Le présent traité commencera le quinzième de ce mois.

«Nous, soussignés, promettons exécuter ponctuellement tout ce qui est
contenu au traité ci-dessus, à Paris, ce vingt-sixième mars mil six cent
soixante-un.

«LE CHEVALIER DE MAUPEOU,
JEAN-JACQUES KNOPFLY.»

La date de ce traité est importante. On voit, en effet, que
postérieurement à la mort de Mazarin, Fouquet faisait encore lever des
troupes étrangères par un des hommes qu'il regardait comme dévoués à ses
intérêts, et qu'il avait désigné nominativement pour le seconder dans
son projet de guerre civile. C'est une nouvelle preuve de la persistance
avec laquelle Fouquet poursuivait son plan.


XII

L'AMIRAL DE NEUCHÈSE ET FOUQUET.


M. de Neuchèse, dont il a été souvent question dans l'histoire de
Fouquet, était commandeur de l'ordre de Malte. Il avait été nommé
vice-amiral et intendant général de la marine le 7 mai 1661, en
remplacement de Louis Foucault de Saint-Germain, maréchal de France,
décédé.

Après l'arrestation de Fouquet, le commandeur de Neuchèse fut accusé à
la cour, comme le prouvent plusieurs lettres autographes qui sont entre
les mains de M. Armand de Neuchèse et qui ont été communiquées par M.
Beauchet-Filleau, correspondant du ministère de l'instruction publique.
Voici d'abord une lettre de Colbert, datée de Fontainebleau, 17 octobre
1661:

«Monsieur, je me remets à ce que vous dira vostre secrétaire e à tout ce
que vous aurez pu apprendre par vos amis touchant l'estat de vos
affaires en ce pays-cy. Il est vray qu'elles ne sont pas en tel estat
que je pourrois le souhaiter; mais je ne les tiens pas si désespérées
que vous ne puissiez encore les raccommoder. Je suis de tout mon cœur,
monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

«COLBERT.»

Une seconde lettre, du 19 octobre 1661, sans signature, est aussi
relative aux accusations qui pesaient sur le commandeur de Neuchèse par
suite de ses relations avec Fouquet: «Vous saurez tout par le porteur et
la lettre de M. Matarel. On vous a servi ici de bonne manière, et en
vérité vous en aviez grand besoin. On n'a jamais vu une telle rage que
celle de M. Fouquet; car il a fait tout son possible pour perdre amis et
indifférents. Madame du Plessis est accusée d'avoir servi à ses
galanteries. Bref, c'est un abîme que tout ce qu'a fait cet homme-là;
songez à vous en allant presser incessamment votre armement, et à servir
nostre maistre en fesant parler, s'il y a lieu, de vous. Remerciez
Colbert; écrivez-lui et au Roy une lettre d'assurance de fidélité
dernière. Nous la donnerons, s'il y a lieu; le reste au porteur, estant
tout à vous sans réserve... De Fontainebleau, ce 19 octobre 1661.

«P. S. Assurément on fera le procès à M. Fouquet. Si vous aviez le
temps, on vous pourrait bien mander de venir ici dire votre
projet[1636]; mais n'y songez pas, si on ne vous l'ordonne.»

Le commandeur de Neuchèse ne partit pas immédiatement, comme le prouve
la lettre que lui écrivait le duc de Vendôme, le 31 octobre 1661:

«Monsieur, vous vous tenez fort caché sur tous les bruits qui ont couru
à la cour, et les démarches de vostre secrétaire sont cause que ces
bruits se confirment. Pour moi, comme vostre amy, lorsqu'on m'en parle,
je responds des épaules et je ne sçay que dire, puisque vous vous estes
caché de moi comme des autres. Vous estes bon et sage; mais la Toussaint
vous trouve encore non embarqué. Croyez que cela vous faict grand tort
et plus que je ne vous le sçaurois dire. Remédiez-y et promptement... Je
remets le surplus au sieur Matarel et suis votre bien humble serviteur.

«CÉSAR DE VENDOSME.»

Le commandeur de Neuchèse se justifia auprès du roi et de Colbert, ainsi
qu'il résulte de cette lettre que lui adressa le ministre, le 24 octobre
1661: «Je vous remercie très-humblement des mémoires que vous m'avez
envoyés; je ne manqueray pas de les présenter au Roy, qui asseurément y
aura beaucoup d'esgards pour le chois des officiers de la marine:
cependant je me resjouis, comme votre serviteur, que vous ayez fait une
déclaration ingénue à Sa Majesté sur le sujet dont je vous ai escrit;
et, au cas que vous n'y ayez rien omis, je ne vois point que vous
eussiez pu suivre une meilleure voie pour vous bien establir dans son
esprit, et lui inspirer une bonne opinion de vostre conduite, et de ce
qu'elle peut attendre de vous à l'avenir.»


XIII

SAINT-ÉVREMOND ET FOUQUET.


Saint-Évremond fut enveloppé dans la disgrâce de Fouquet[1637]. Voici
comment: il avait été désigné pour faire le voyage de Bretagne avec le
roi; avant de partir, il laissa à madame du Plessis-Bellière une
cassette où il y avait de l'argent, des billets et plusieurs lettres.
Après l'arrestation de Fouquet, on mit sous le scellé tous les papiers
et meubles de madame du Plessis-Bellière. On trouva chez elle la
cassette de Saint-Évremond, où se trouvait la _Lettre sur la paix des
Pyrénées_, dans laquelle Saint-Évremond critiquait très-vivement la
conduite du cardinal Mazarin. Elle fut dénoncée au roi, qui ordonna de
mettre Saint-Évremond à la Bastille. Prévenu par Gourville,
Saint-Évremond se retira d'abord en Normandie, d'où il parvint à passer
en Hollande et en Angleterre.

Saint-Évremond n'oublia pas ses relations avec Fouquet dans son
_Discours sur l'Amitié_[1638]; telle est du moins l'opinion de son
biographe des Maizeaux[1639]. Voici le passage dans lequel des Maizeaux
croit voir une allusion à Fouquet alors enfermé à Pignerol: «Comme je
n'ai aucun mérite éclatant à faire valoir, dit Saint-Évremond, je pense
qu'il me sera permis d'en dire un, qui ne fait pas la vanité ordinaire
des hommes: c'est de m'être attiré pleinement la confiance de mes amis;
et l'homme le plus secret que j'aie connu en ma vie[1640] n'a été plus
caché avec les autres que pour s'ouvrir davantage avec moi. Il ne m'a
rien celé tant que nous avons été ensemble, et peut-être qu'il eût bien
voulu me dire toutes choses lorsque nous avons été séparés. Le souvenir
d'une confidence si chère m'est bien doux: la pensée de l'état où il se
trouve m'est plus douloureuse[1641]. Je me suis accoutumé à mes
malheurs; je ne m'accoutumerai jamais aux siens; et puisque je ne puis
donner que de la douleur à son infortune, je ne passerai aucun jour sans
me plaindre.»


XIV

PELLISSON ET LA BASTILLE.--BESSEMAUX GOUVERNEUR DE CETTE PRISON D'ÉTAT.

(_Mémoires sur Fouquet_, t. II, p. 402-403.)


Pellisson parle assez plaisamment des libertés de la Bastille dans ce
placet qu'il adressa au roi le 8 septembre 1665: «Sire, après avoir
assuré Votre Majesté du plus profond respect et de la plus parfaite
vénération qu'on aura jamais pour elle, je prendrai, si elle me le
permet, un style plus propre à la divertir qu'à la fatiguer.

«Il y a ici une douzaine de libertés, qui toutes ensemble ne valent pas
la douzième partie d'une liberté entière. On les nomme liberté de la
cour; liberté de la terrasse; liberté de s'y promener seul; liberté de
l'escalier; liberté d'une fenêtre; liberté d'écrire pour ses affaires;
liberté de voir quelqu'un avec un officier, liberté de le voir sans
témoin; liberté d'être malade; liberté de s'ennuyer tant que l'on veut:
les deux dernières ne sont refusées à personne.

«De tant de libertés, Sire, je n'en ai encore demandé aucune; mais j'ose
demander très-instamment, et avec toute la soumission possible, la
liberté de louer Votre Majesté, c'est-à-dire, de mettre sur le papier et
d'adresser à quelqu'un des beaux esprits d'aujourd'hui je ne sais
combien d'ouvrages qui pourraient enfin s'effacer de ma mémoire, et où
j'ai tâché, dans les divers temps de ma longue prison, d'enfermer en
mille manières différentes une partie des éloges infinis que Votre
Majesté mérite. J'avois résolu de n'en parler jamais qu'au sortir d'ici;
mais comme je suis pressé depuis dix mois d'une fluxion sur le poumon,
et contraint enfin d'entrer aujourd'hui dans les remèdes, qui, par
l'aversion que j'en ai, pourront aussitôt me tuer que le mal même, il me
fâcheroit, Sire, de mourir sans avoir laissé ce bon exemple aux sujets
de Votre Majesté et ce léger témoignage, qu'en conservant jusqu'à la
mort la gaieté d'une bonne conscience, j'ai su honorer et révérer Votre
Majesté plus que personne ne fera jamais, et penser incessamment à la
servir ou à lui plaire.

«J'écris ce placet avec un crayon sur une feuille arrachée d'un de mes
livres, pour éviter une négociation longue et peut-être inutile, si je
demandois de l'encre et du papier. Je supplie très-humblement Votre
Majesté de croire que je saurai encore la louer et la bénir jusqu'à la
fin, sans murmure, plaintes ni lamentations, et que ceux qu'elle comble
de ses faveurs ne peuvent faire de prières plus ardentes que moi pour la
santé, la grandeur et la gloire de Votre Majesté.»

Ces _libertés de la Bastille_ dont parle Pellisson n'étaient pas une
plaisanterie: Jean Rou, détenu à la Bastille en 1675, en parle aussi
dans ses Mémoires[1642], dont voici quelques passages:

(T. I, p. 59) «Dans la chambre qu'on me donna, je ne trouvai pour tout
meuble qu'une petite chaise de paille, et la seule fenêtre par où
entrait le jour était une double grille sans la moindre vitre ni
châssis. M. le lieutenant, nommé la Grizolle, m'ayant introduit dans ce
beau domicile, me dit que j'avois la liberté, mais pour cette seule
fois, d'écrire chez moi, afin de me faire venir un lit, une table et
quelque vaisselle, parce que le Roi me faisoit bien, à la vérité, la
grâce de me nourrir et de me loger, mais qu'il falloit que je me
meublasse; et qu'après ces petits besoins spécifiés à ma femme, il ne
m'étoit pas permis de joindre aucune autre particularité dans ma
lettre...»

(p. 63.)--Au bout de quelques jours, on le fait changer de chambre; la
Grizolle lui dit: «Habillez-vous, le Roi vous donne la liberté de la
cour, et je ne suis venu ici que pour vous mener joindre la compagnie
de plusieurs messieurs, qui véritablement sont arrêtés ici aussi bien
que vous, mais avec une entière liberté de communiquer les uns avec les
autres, et d'être même visités de tous leurs amis. J'ai même déjà envoyé
chez vous annoncer cette bonne nouvelle, et sans doute que vous verrez
bientôt ici ce que vous avez de plus cher.»

(p. 71)... «Dès que cette liberté de la cour m'eut été accordée, il y
eut une permission entière à tous mes amis de me venir voir...»

(p. 81): «Je passe à deux mots que j'ai à dire sur la distinction du
traitement qui, à la faveur des obligeantes recommandations de M. de
Montausier, me fut fait à la Bastille tant que j'y fus arrêté. J'ai déjà
parlé du grand nombre de visites que j'avois la liberté de recevoir;
mais, outre cela, j'avois celle de la terrasse, que ni le chevalier
d'Humières, ni le marquis de Pomenars n'avoient point, encore moins par
conséquent tous les autres beaucoup inférieurs à ceux-là. Enfin, s'il
venoit à faire mauvais temps, depuis l'arrivée de ma femme (qui ne
manquoit pas de se rendre auprès de moi tous les matins, et y demeurait
jusqu'à onze heures du soir, le maître d'hôtel de la Bastille et toute
sa séquelle la ramenant avec eux, par la commodité du hasard qui les
avoit rendus mes voisins porte à porte), si, dis-je, il survenoit du
mauvais temps, j'avois la liberté de la retenir toute la nuit avec moi,
ce qui ne se pratiquoit pour aucun autre prisonnier...»

Dans les Mémoires dont nous venons de citer quelques extraits, Jean Rou
parle de Bessemaux ou Bezemaux, gouverneur de la Bastille (p. 85):...
«Je lui dis (au sous-lieutenant de la Bastille qui venait lui annoncer
sa mise en liberté) que puisqu'on me chassoit, je ferais comme j'en
avois toujours usé, depuis que j'étois au lieu où nous nous trouvions,
savoir, que je n'y avois jamais appris qu'à obéir. «Monsieur, me dit-il,
vous ne sauriez mieux faire; mais oserois-je vous demander une chose?
N'irez-vous pas dire adieu à M. le gouverneur?» Il me faisoit cette
question, parce que depuis cinq ou six jours quatre gendarmes, que M. le
prince de Soubise avoit fait emprisonner pour quelques mauvais
déportements, ayant enfin obtenu leur élargissement, s'en étoient allés
sans faire aucune civilité à M. de Bezemaux, par ressentiment de ce que,
sur quelques paroles peu respectueuses, il les avoit fait renfermer dans
leur chambre; cette imprudente conduite, nonobstant le peu de cas que
M. de Bezemaux faisoit de pareilles gens, n'avoit pas laissé de lui
déplaire, par cette seule raison qu'une conduite indiscrète choque le
bon sens, comme un vilain objet choque la vue, et une puanteur l'odorat.
Ce fut donc là pourquoi on me faisoit la question dont je viens de
parler; à quoi je répondis que je n'étois nullement gendarme, et que
d'ailleurs j'avois toujours été si bien traité par les obligeants ordres
de M. le gouverneur, que je n'avois garde de manquer à lui en faire mes
très-humbles remercîments. Je fus donc mené à M. de Bezemaux[1643], et
dès qu'où m'eut ouvert la porte de sa chambre, il me fit l'honneur de
venir au-devant de moi, avec ces obligeantes paroles: «Monsieur, je sais
bien que c'est un bruit répandu dans la Bastille que j'ai toujours de la
joie quand il y entre un prisonnier, et du chagrin quand il en sort; je
ne discuterai point avec vous, monsieur, le vrai ou le faux de cet
indigne soupçon; mais je vous prie très-sincèrement de croire que j'ai
reçu avec un singulier plaisir la lettre dont le roi m'a honoré pour
l'ordre de vous faire sortir.» Le gouverneur accompagna ces paroles de
l'obligeante demande qu'il me fit, si j'étois content de toutes les
manières dont ses gens m'avoient traité depuis ma détention; à quoi
ayant répondu comme je le devois, il me pria d'en vouloir bien rendre
témoignage à M. le duc de Monlausier; puis me présentant la main: «Il
est fort tard, dit-il, et je ne juge pas à propos de vous laisser aller
seul à l'heure qu'il est. Qu'on mette les chevaux au carrosse, dit-il à
ses gens, et qu'on ramène monsieur chez lui.» Je descendis donc, après
une nouvelle présentation de mes respects, et trouvai le carrosse qui
m'attendoit avec deux flambeaux, que deux valets de pied portaient; mais
avant que d'y entrer, j'allai prendre mes hardes de nuit dans ma
chambre, etc.»


XV

EXTRAITS DES LETTRES DE LOUVOIS SUR LA FOREST, HONNESTE ET VALCROISSANT.

(1669-1670).


M. Walckenaer, dans ses _Mémoires sur madame de Sévigné_ (t. III, p. 291
de la première édition), dit: «Fouquet était, par les ordres de Louvois,
détenu à Pignerol dans une dure captivité. Personne ne pouvait
communiquer avec lui; on lui avait interdit tous les moyens de donner de
ses nouvelles. Il fut réduit, pour écrire, à se servir, au lieu de
plume, d'os de chapons; au lieu d'encre, de suie mêlée avec du vin; et
cette ressource lui fut encore enlevée. Mais auparavant une lettre de
lui, péniblement tracée par ce moyen, avait été transmise à sa femme par
un gentilhomme nommé Valcroissant, autrefois attaché au service du
surintendant, et qui avait conservé pour lui un vif sentiment de
reconnaissance. Pour ce seul fait, Valcroissant fut condamné à cinq ans
de galères.»

Le récit de M. Walckenaer s'appuie sur deux autorités: 1° les lettres de
Louvois citées dans Delort, et surtout la lettre où il est dit que
Valcroissant a été condamné aux galères et conduit à Marseille (11
juillet 1670); 2° le passage d'une lettre de madame de Sévigné qui
recommande à M. de Grignan un gentilhomme, dont le nom a été laissé en
blanc par les anciens éditeurs, lequel avait été condamné aux galères
pour avoir transmis à madame Fouquet une lettre de son mari. Ce
rapprochement parait d'abord ingénieux et décisif. Les nouveaux
éditeurs des lettres de madame de Sévigné[1644] ont adopté l'opinion de
M. Walckenaer et introduit dans le texte le madame de Sévigné le nom de
Valcroissant. J'avoue que je conserve quelques doutes et qu'il me semble
nécessaire de bien établir deux points: 1° Louvois parle d'un
gentilhomme, qui est amené à Pignerol en 1670 par le major de Dunkerque
et que l'on tient au secret, puis qui est conduit aux galères à
Marseille par un sieur de Saint-Martin; 2° madame de Sévigné recommande
vivement à la même époque à M. de Grignan un gentilhomme qui avait été
condamné à cinq ans de galères pour avoir remis à madame Fouquet une
lettre de son mari. Mais rien ne prouve que ce gentilhomme soit
Valcroissant. Pourquoi aurait-on amené ce dernier de Dunkerque à
Pignerol, s'il eût été coupable d'avoir porté antérieurement une lettre
à madame Fouquet? Était-ce pour une confrontation? Mais Louvois défend
de le laisser communiquer avec qui que ce soit, et ordonne de le tenir
au secret le plus rigoureux. Il n'est pas question de son jugement à
cette époque, et on ne trouve aucune, trace, dans les lettres de
Louvois, des motifs qui ont pu faire conduire le sieur de Valcroissant
d'abord à Pignerol, puis à Marseille. D'autre part, madame de Sévigné,
ni dans cette lettre, ni dans une autre du 28 novembre 1670, où elle
reparle de ce gentilhomme, ne dit qu'il eût été conduit à Pignerol. Il
me semble donc difficile d'affirmer, comme le fait M. Walckenaer, que le
gentilhomme dont parle madame de Sévigné soit ce Valcroissant qui est
mentionné dans les lettres de Louvois. Du reste, pour que le lecteur
puisse en juger, je citerai les passages des lettres de Louvois qui se
rattachent au complot formé en 1669 pour gagner quelques-uns des soldats
de la garnison de Pignerol et aux suites qu'il eut en 1670.

Dans une lettre du 17 décembre 1669[1645], Louvois dit à Saint-Mars:
«J'ai appris fort en détail, du sieur de Blainvilliers, tout ce que vous
avez fait pour vous saisir de la Forest et du nommé Honneste. J'en ai
rendu compte au roi, qui a été fort satisfait de ce que vous avez fait.
Il a commandé à M. de Lyonne de faire faire des remercîments de sa part
à M. le duc de Savoie de la manière honnête dont il en avoit usé en
laissant prendre dans ses États ledit la Forest et ledit Honneste, et
je vous enverrai par l'ordinaire prochain un présent que Sa Majesté
souhaite que vous envoyiez en son nom au major de Turin, qui a agi en ce
rencontre avec tout le zèle que l'on aurait pu attendre d'un sujet de Sa
Majesté.

«Le roi, comme je vous l'ai mandé par ma dernière, dont le courrier que
je vous ai dépêché étoit chargé, trouve bon qu'avec les officiers de
votre compagnie vous jugiez en conseil de guerre vos soldats, et que par
l'exemple que vous en fera, vous fassiez perdre aux autres l'envie de
plus faire de pareilles trahisons. Sa Majesté ne désire pas que vous
jugiez le nommé Champagne, valet de M. Fouquet, quoique, suivant ce que
m'a dit le sieur de Blainvilliers, il s'y soit soumis par écrit; mais
elle entend que vous le teniez dans une prison dure, pour le punir de
son infidélité, et se remet à vous d'en user comme vous le voudrez à
l'égard de la Rivière, autre valet de M. Fouquet, c'est-à-dire de le
laisser auprès de lui ou de l'en ôter, Sa Majesté se promettant qu'en
cas que vous le lui ôtiez, vous ne le laisserez sortir qu'après une
prison de sept ou huit mois, afin que, s'il avoit pris des mesures pour
porter des nouvelles de son maître, elles soient si vieilles en ce
temps-là qu'elles ne puissent en rien préjudicier; et pour éviter de
pareils accidents à celui qui vient d'arriver, il faut, comme je vous
l'ai déjà marqué, faire faire une grille, vis-à-vis de chacune des
fenêtres de votre prisonnier, qui soit en demi-cercle, en saillie hors
du mur extérieur de deux ou trois pieds, et entourer chacune desdites
grilles d'une claie fort serrée et assez haute pour empêcher qu'il ne
puisse voir autre chose que le ciel, et que ladite claie se trouve
opposée à tous les terrains qui sont vis-à-vis de ses fenêtres, et que
quand il sera nuit, vous fassiez descendre des nattes dessus ses
fenêtres, que vous relèverez à la pointe du jour. Ainsi l'on ne pourra
lui faire signe, ni lui en faire à qui que ce soit, et il ne pourra plus
rien jeter ni rien recevoir.

«A l'égard du sieur Honneste, qui vient débaucher des soldats de votre
compagnie, le roi désire que vous le teniez prisonnier, et son valet
avec lui jusqu'à nouvel ordre; en sorte qu'ils n'aient tous deux de
commerce avec personne du dehors, et par la peine et la mortification
qu'ils souffriront, empêcher que l'on ne se hasarde si facilement à
essayer de corrompre vos soldats.»

1er janvier 1670.

«Monsieur, j'ai reçu, avec vos lettres des 19 et 21 du mois passé, le
mémoire qui y étoit joint. Par la première, je vois que vous avez fait
le procès au nommé la Forest, et que vous l'avez fait exécuter.

«Les jalousies que vous ferez mettre (aux fenêtres de Fouquet) de fil de
Richard (sic) ne feront point l'effet que celles de bois, à moins que
vous ne les fassiez faire de même force, c'est-à-dire qu'il y ait autant
de plein que de vide.

«Je vous envoie les tablettes que vous m'avez adressées, parce qu'elles
pourront servir à la conviction du sieur Honneste, auquel le roi veut
faire faire le procès, ainsi que vous l'apprendrez du sieur de Loyauté.

«Si le sieur Honneste a peur, il en aura bien davantage quand il verra
qu'on lui va faire son procès; il faut cependant le tenir dans une
prison dure, car il est bon d'effaroucher les gens que l'on pourroit
envoyer pour vous débaucher vos soldats.

«Le roi se remet à vous d'en user comme vous le jugerez à propos à
l'égard des valets de M. Fouquet: il faut seulement observer que si vous
lui donnez des valets que l'on vous amènera d'ici, il pourra bien
arriver qu'ils seront gagnés par avance, et qu'ainsi ils feroient pis
que ceux que vous ôteriez présentement.»

«Du 16 janvier 1670.

«Les précautions que vous avez résolu de prendre pour empêcher que M.
Fouquet ne donne de ses nouvelles à personne, ni n'en reçoive de qui que
ce soit, sont bonnes; et puisque ses valets sont si infidèles au roi, Sa
Majesté trouve bon qu'ils soient dorénavant privés de leurs gages.»

Du 21 janvier 1670.

.....«L'argent qui s'est trouvé sur le nommé la Forest étant confiscable
au roi par son crime et sa punition, Sa Majesté veut bien que vous en
disposiez.

«J'ai fait rembourser pour vous au sieur de Blainvilliers tout ce qu'il
m'a dit que vous aviez dépensé pour la prison du sieur Honneste, qui se
monte, si je ne me trompe, à neuf cents et tant de livres.»

«Du 26 janvier 1670,

«La punition que vous avez fait faire des cinq soldats qui vous avoient
trahi ne saurait produire qu'un très-bon effet; je ne doute pas que cet
exemple de sévérité ne contienne les autres dans le devoir. Je ne puis
qu'approuver toutes les précautions que vous prenez pour la sûreté des
prisons de Pignerol, étant persuadé que vous n'oublierez rien de tout ce
que vous croirez nécessaire pour les maintenir en bon état, et que l'on
peut s'en reposer sur vos soins.»

«Du 28 janvier 1670,

«J'ai reçu le plan des jalousies que vous faites faire pour les fenêtres
de M. Fouquet; ce n'est pas comme cela que j'ai entendu qu'elles doivent
être, mais bien des claies ordinaires qu'il faut mettre autour des
grilles en saillie et en hauteur nécessaire pour empêcher qu'il ne voie
les terres des environs de son logement.»

«Du 11 février 1670.

........... «Vous avez bien fait de n'avoir aucun égard aux raisons que
vous a données M. Fouquet pour avoir auprès de lui son valet nommé
Champagne, et suivant votre avis il sera bon de ne relâcher le sieur
Honneste que lorsque vous aurez fait poser des grilles et des jalousies
à ses fenêtres. Cependant ayez grand soin d'empêcher que M. Fouquet ne
profite du temps qu'il faut pour les faire, et continuez à prendre les
autres précautions que vous jugerez nécessaires pour sa sûreté.»

«Du 10 mars 1670,

«Vous avez bien fait de laisser au sieur de Loyauté la liberté
d'exécuter ce que je lui ai mandé pour faire faire le procès au sieur
Honneste, et si je ne vous en ai pas écrit, c'est par omission.»

«Du 26 mars 1670.

«Je vois que vous êtes résolu de conduire vous-même le sieur Honneste au
conseil souverain de Pignerol, lorsque les juges le demanderont pour le
juger; cela est bon, et lorsqu'il y aura arrêt rendu contre lui,
l'intention de Sa Majesté est qu'il lui soit envoyé, pour, après qu'il
l'aura vu, faire savoir sa volonté pour le faire exécuter.

«L'on m'a donné avis que le sieur Honneste, on un des valets de M.
Fouquet, a parlé au prisonnier qui vous a été amené par le major de
Dunkerque[1646], et lui a, entre autres choses, demandé s'il n'avoit
rien de conséquence à lui dire, à quoi il a répondu qu'il le laissât en
paix: il en a usé ainsi, croyant que c'étoit quelqu'un de votre part qui
l'interrogeoit pour l'éprouver et pour voir s'il diroit quelque chose.
Par là vous jugerez bien que vous n'avez pas pris assez de précautions
pour empêcher qu'il n'eût quelque communication que ce put être, et
comme il est très-important au service de Sa Majesté qu'il n'en ait
aucune, je vous prie de visiter soigneusement le dedans et le dehors du
lieu où il est enfermé, et de le mettre en état que le prisonnier ne
puisse voir ni être vu de personne, et ne puisse parler à qui que ce
soit ni entendre ceux qui lui voudraient dire quelque chose.»

«Du 21 avril 1670.

«Je suis bien aise de voir par ce que vous me mandez que l'avis qui
m'avoit été donné qu'un des valets de M. Fouquet et le sieur de
Valcroissant s'étoient parlé soit faux. Vous devez être circonspect en
toutes choses pour ne donner point de matière de parler contre votre
exactitude.»

«Du 14 juillet 1670.

«Lorsqu'il y aura occasion, je serai bien aise de faire plaisir au
chevalier de Saint-Martin, qui a conduit à Marseille le sieur de
Valcroissant, condamné aux galères.»

Ces extraits prouvent, selon moi, que M. Walckenaer, et après lui les
nouveaux éditeurs des Lettres de madame de Sévigné, ont eu tort
d'affirmer que le gentilhomme condamné aux galères pour avoir remis à
madame Fouquet une lettre de son mari, se nommait Valcroissant. Ils
auraient pu tout au plus donner cette opinion comme une hypothèse; mais
introduire sans autorité suffisante ce nom dans le texte me paraît une
hardiesse contraire aux principes de la critique historique et
littéraire.


XVI

MORT DE FOUQUET--ANALYSE DE LA DISSERTATION DE PAROLETTI. (Voyez
ci-dessus, p. 462-463)


M. Modeste Paroletti a publié à Turin, en 1812, une dissertation
intitulée: _Sur la mort du surintendant Fouquet, Notices recueillies à
Pignerol_[1647]. Après avoir rappelé sommairement le ministère et la
disgrâce de Fouquet, l'auteur arrive à son emprisonnement et à sa mort à
Pignerol, qui sont le but principal de ses recherches[1648]. Il nous
apprend que la citadelle de Pignerol fut démantelée en 1696, et que l'on
peut à peine reconnaître aujourd'hui l'endroit ou s'élevaient le donjon
et les remparts. Afin de retrouver les actes relatifs à la mort de
Fouquet, M. Paroletti fit des recherches dans les registres mortuaires
des diverses paroisses de Pignerol; mais il n'y trouva pas le nom de
Fouquet. Il examina ensuite les inscriptions funéraires, et parcourut
les églises et les sépultures, sans rencontrer aucune trace du
surintendant. Ce fut seulement en étudiant les anciens registres des
notaires de Pignerol qu'il commença à découvrir quelques indices
relatifs à Fouquet. Deux documents de l'année 1679 établissaient que
Marie-Madeleine de Castille, épouse séparée de messire Nicolas Fouquet,
ministre d'État, ci-devant surintendant des finances, accompagnée de son
fils, Charles-Armand Fouquet, clerc du diocèse de Paris[1649], était
venue à Pignerol en 1679, et que ces deux personnes avaient logé dans la
maison du sieur Fenouil jusqu'en 1680. Les deux actes cités par M.
Paroletti sont relatifs à des procurations données par le jeune Fouquet
et par sa mère à leurs représentants. M. Paroletti conclut avec raison
de ces deux actes que Fouquet ne serait pas sorti de prison vers 1674,
comme on avait prétendu l'induire des Mémoires de Gourville[1650].

M. Paroletti (p. 16-17) analyse un troisième acte notarié, en date du 27
janvier 1680, environ deux mois avant la mort de Fouquet, qui contient
une procuration donnée par madame Fouquet à M. Jean Despineux, à Paris,
pour obtenir le remboursement de quelques rentes sur l'Hôtel de Ville.
Cette procuration fut reçue par le notaire Lanteri, au donjon de la
citadelle de Pignerol. D'où résulte qu'à cette époque Fouquet y était
encore emprisonné, et que sa famille y habitait avec lui.

Il est probable que la permission d'aller aux eaux de Bourbon, dont
parle Bussy-Rabutin (ci-dessus, p. 463), arriva en février ou en mars,
et que Fouquet, dont la santé était depuis longtemps affaiblie, mourut
avant de pouvoir en profiter. Comme on avait connu, à Paris,
l'autorisation accordée à Fouquet, Gourville a avancé qu'il était sorti
de prison avant sa mort. Il aurait fallu dire, si l'on cherchait une
précision de langage dont Gourville s'est peu inquiété, qu'_il avait
obtenu avant sa mort la permission de sortir de prison_.

M. Paroletti, ne voulant négliger aucun genre d'information, recueillit
tout ce que la tradition a conservé à Pignerol relativement à Fouquet
(p. 17, 18 et 19). Beaucoup d'habitants de Pignerol se souvenaient
d'avoir entendu dire, dans leur jeunesse, qu'un personnage de grande
importance avait terminé sa vie dans la citadelle. «De ces individus,
ajoute M. Paroletti (p. 18), il en est quelques-uns qui confondent ce
personnage avec _l'homme au masque de fer_, qui certainement n'est
jamais venu à Pignerol; mais il en est d'autres qui savent positivement
que ce personnage était un ministre d'État. Une des ci-devant
religieuses du couvent de Sainte-Claire conserve le souvenir d'un récit
entendu dans sa jeunesse sur la visite de quelques officiers à ce
monastère, pour y examiner une inscription sépulcrale, et recueillir des
notices sur un prisonnier d'État décédé au donjon de la citadelle. Le
secrétaire de la mairie se souvient d'avoir appris de son devancier, que
des officiers étaient venus, il y a cinquante ans[1651], rechercher,
dans le couvent des Feuillants, des Mémoires sur la vie de M. Fouquet.
C'étaient les moines de ce couvent, tous Français à cette époque, qui
prenaient soin des prisonniers d'État détenus à la citadelle.»

M. Paroletti termine en citant les lettres de Bussy-Rabutin et de madame
de Sévigné, dont nous avons donné des extraits (ci-dessus, p. 463). Il
conclut (p. 20) en adoptant l'opinion qui fait mourir Fouquet dans le
donjon de Pignerol, vers le milieu du mois de mars 1680; il ajoute «que
sa mort a dû être connue à Paris vers le 24 ou le 25 de ce mois; que son
corps a été probablement déposé dans les caveaux de l'église de Sainte
Claire, jusqu'à ce qu'il fût transporté à Paris, pour être déposé dans
le tombeau de sa famille; enfin que la suppression du couvent de
Sainte-Claire, les changements survenus dans l'église et la dispersion
des papiers appartenant à ce monastère, sont la cause probable du manque
d'indications touchant la mort et la sépulture de M. Fouquet.»

Une inscription, placée derrière un portrait de Fouquet, que possède M.
H. de Vielcastel, porte que Fouquet est mort à Paris, le 22 mars 1680.
Cette note, dont on ignore et la date et l'auteur, ne saurait prévaloir
sur les témoignages contemporains que nous avons mentionnés.


XVII.

FOUQUET ET LE MASQUE DE FER.

(_Mémoires sur Fouquet_, t. II, p. 467)


J'ai déjà dit un mot (p. 467, note 1) de la dissertation où l'on a
soutenu que Fouquet était le personnage désigné sous le nom de _l'homme
au masque de fer_[1652]. L'argumentation de M. Paul Lacroix peut se
réduire aux trois points suivants:

1° Toutes les hypothèses que l'on a faites jusqu'ici sur _l'homme au
masque de fer_ sont inadmissibles;

2° On ne sait ni le lien ni l'époque de la mort de Fouquet (ce qui porte
l'auteur à supposer que les bruits de mort répandus au mois de mars 1680
étaient une invention du roi et de ses agents);

3° Louis XIV, qui avait intérêt à faire disparaître Fouquet, le fit
conduire par Saint-Mars aux îles Sainte-Marguerite et de là à la
Bastille, où il est mort en 1703.

Je reprends chacun de ces points: je n'ai pas à discuter les hypothèses
sur _l'homme au masque de fer_; je me bornerai à renvoyer aux ouvrages
de Delort, de Roux-Fazillac et de Ellis relatifs à ce personnage
mystérieux. Lors même qu'ils n'auraient pas résolu la question, il ne
s'ensuivrait pas qu'on doive identifier Fouquet avec _l'homme au masque
de fer_.

Le second point est plus important pour nous. Si, en effet, la mort de
Fouquet en 1680 était bien constatée, il serait inutile de s'occuper du
reste de la dissertation. J'ai cité[1653] les passages des lettres de
Bussy-Rabutin et de madame de Sévigné, qui me paraissent ne laisser
aucun doute raisonnable sur ce point. On peut y ajouter l'extrait
suivant de la lettre de madame de Sévigné du 3 avril 1680 (vers la fin
de cette lettre): «Mademoiselle de Scudéry est très-affligée de la mort
de M. Fouquet; enfin voilà cette vie qui a donné tant de peine à
conserver! il y auroit beaucoup à dire là-dessus. Sa maladie a été des
convulsions et des maux de cœur sans pouvoir vomir.» Les lettres de
Louvois à Saint-Mars parlent également de la mort de Fouquet. Reste le
passage des _Mémoires de Gourville_; j'ai dit[1654] comment, à mon avis,
il pouvait se concilier avec les textes que je viens de rappeler. «Mais,
ajoute M. P. Lacroix, les uns font mourir Fouquet d'apoplexie, les
autres de suffocations. Comment les mettre d'accord?» Il me semble que
la difficulté n'est pas plus sérieuse que la précédente, et que
l'apoplexie pulmonaire est précisément accompagnée de suffocations,
semblables à celle dont parle madame de Sévigné.

Quoique la mort de Fouquet en mars 1680 me paraisse démontrée par la
réunion de tous les textes contemporains, il est possible que des
esprits obstinés demandent toujours comment il se fait qu'elle ne soit
constatée par aucun acte authentique, et ne s'avouent pas convaincus. Il
faut donc suivre l'auteur de la brochure dans la dernière partie de son
argumentation et rechercher avec lui pourquoi Louis XIV qui, depuis
1672, avait adopté à l'égard de Fouquet une conduite plus humaine,
change tout à coup de sentiments, le fait traîner de prison en prison et
l'ensevelit vivant au fond d'un cachot. M. Lacroix parle de secrets
d'État dont Fouquet était dépositaire; mais Louis XIV n'ignorait pas
cette circonstance à l'époque où il le fit arrêter, et cependant il lui
avait permis de communiquer avec Lauzun et avec sa famille, de 1679 à
1680[1655]. Pourquoi aurait-il modifié tout à coup sa conduite? La
raison d'État ne suffit pas pour expliquer ce changement. Aussi M. Paul
Lacroix a-t-il recours à une autre hypothèse. Madame de Maintenon qui,
selon lui[1656], avait été une des maîtresses du surintendant, étant
devenue toute-puissante, voulut effacer toutes les traces de sa vie
passée, et Louis XIV ne fit que céder aux exigences tyranniques de cette
femme en faisant disparaître Fouquet. Ce système suppose résolue
affirmativement la question suivante: madame de Maintenon a-t-elle été
une des maîtresses de Fouquet? Pour le prouver, M. Lacroix invoque les
billets apocryphes cités par Conrart et que Conrart lui-même,
remarquons-le en passant n'attribuait pas à madame Scarron, mais à
madame de la Baume. Nous croyons avoir établi, au contraire, par les
lettres même de madame Scarron[1657] que, tout en recevant les bienfaits
de madame Fouquet, elle avait évité d'accepter une position qui l'eût
mise trop directement en rapport avec le voluptueux surintendant. Dès
lors le système bâti par M. Lacroix croule par la base. Louis XIV
n'aurait eu aucun intérêt à redoubler de rigueur contre un prisonnier
qui ne pouvait ni inquiéter sa puissance ni offenser son orgueil. Aussi
notre conclusion est-elle qu'il est impossible d'appliquer à Fouquet
les traditions plus ou moins douteuses relatives à _l'homme au masque de
fer_.


XVIII

SURINTENDANTS DES FINANCES DE 1594 A 1653.


Il est souvent question, dans ces _Mémoires sur Fouquet_, des
surintendants qui l'avaient précédé; il ne sera donc pas inutile d'en
donner ici la liste, de 1594 à 1653, d'après les Mémoires inédits
d'André d'Ormesson. Ce magistrat, père du rapporteur du procès de
Fouquet, avait été en relation avec tous les surintendants dont il
parle. Aussi a-t-il intitulé ce chapitre: _Les surintendants des
finances que j'ai vus et connus_.

«Quand le roy Henry IV entra dans Paris, au mois de mars 1594, il fit
messire FRANÇOIS D'O, seigneur de Fresnes, gouverneur de Paris et
surintendant des finances, lequel mourut en l'an 1595. Après sa mort,
plusieurs furent employés aux finances. Messire NICOLAS DE HARLAY,
seigneur de Sancy, luy succéda en cette charge; et, ayant parlé trop
librement au roy sur son mariage avec la duchesse de Beaufort[1658], il
fut disgracié; et fut mis en sa place, en l'année 1598[1659], messire
MAXIMILIEN DE BÉTHUNE, marquis de Rosny, qui, estant fort rude et fort
mesnager, paya les dettes du roy, tant envers les estrangers que les
François, remplit son arsenal de canons et d'armes pour armer cinquante
mille hommes, et la Bastille, dont il estoit gouverneur, de quantité
d'or et d'argent. Il fut aussy grand-maistre de l'artillerie et duc de
Suilly, et, ayant gouverné les finances avec un pouvoir absolu, lorsque
le roy Henry IV décéda, en mai 1610, il fut disgracié en 1611, par MM.
de Sillery, chancelier, Villeroy, secrétaire d'Estat, et le président
Jeannin, qui ne le pouvoient souffrir à cause de sa rudesse et paroles
insolentes.

«En la place dudit duc de Suilly, au lieu du surintendant, fut composée
une direction de finances, composée de sept personnes: de MM. de
Chasteauneuf, président de Thou, président Jeannin, Maupeou, Arnauld,
Bullion et Villemontée. Cette direction rapportoit, tous les samedys, ce
qu'elle avoit fait pendant la semaine, devant M. le chancelier de
Sillery, où toutes les despenses estaient arrestées. Cet ordre dura
jusqu'au mois de mai 1616, que le président Jeannin, lequel avoit
tousjours esté contrôleur général des finances, depuis l'établissement
de la direction, fut fait surintendant des finances, et, son gendre, M.
de Castille, intendant.

«PIERRE JEANNIN, président autrefois de Bourgogne, fut fait surintendant
des finances en l'année 1616, et bailla son contrôle général à Claude
Barbin, favori et confident du mareschal d'Ancre, lequel Barbin usurpa
toute l'autorité dans les finances et les affaires d'Estat, et demeura
en cet estat jusqu'au 14 avril 1617, que ledit mareschal d'Ancre fut tué
sur le pont du Louvre, auquel jour il (Claude Barbin) fut arresté
prisonnier et mis dans la Bastille. Le président Jeannin reprit lors la
surintendance des finances et fit son gendre, M. de Castille, intendant
et contrôleur général.

«Le comte de SCHOMBERG fut fait surintendant des finances à Tours, au
mois de septembre 1619, et y demeura jusqu'au mois de janvier 1623,
qu'il fut disgracié et renvoyé en sa maison.

«Messire CHARLES, marquis de LA VIEUVILLE, fui mis en sa place. Il
estait fort entendu aux finances et très-puissant dans l'esprit du roy,
et, estant encore fort jeune, faisoit très-bien cette charge. Il avoit
esté capitaine des gardes et lieutenant de roy de Champagne et
gouverneur de la ville de Rheims. Il demeura en grande autorité depuis
janvier 1623 jusques en l'an 1624, que M. le cardinal de Richelieu fut
fait chef du conseil, lequel, ayant pris le dessus, le fit disgracier à
Saint-Germain-en-Laye, au mois d'aoust 1624, et fut envoyé prisonnier
dans le chasteau d'Amboise, dont il se sauva au mois d'aoust 1625.

«Messire JEAN BOSCHARD, seigneur DE CHAMPIGNY, et messire MICHEL DE
MARCILLAC furent faits surintendans des finances ensemble, audit mois
d'aoust 1624, et demeurèrent ensemble jusqu'au commencement de l'année
1626, que ledit sieur de Champigny fut mis au conseil des dépesches.
Messire Michel de Marillac demeura seul surintendant jusques au mois de
juin de l'année 1626 qu'il fut fait garde des sceaux de France, par la
disgrâce de M. le chancelier Halligre, renvoyé en sa maison de la
Rivière, près de Chartres.

«Audit sieur de Marillac succéda messire ANTOINE RUZÉ, seigneur
D'EFFIAT, qui fut fait surintendant des finances, au mois de juillet
1626, par la faveur du cardinal de Richelieu, et exerça cette charge
jusqu'en l'an 1632, qu'il mourut mareschal de France, commandant une
armée du roy dans l'Allemagne, près la ville de Strasbourg.

«Par son décès, furent faits ensemble surintendans messire CLAUDE
BULLION, ancien conseiller d'Estat, et messire CLAUDE BOUTHILLIER,
secrétaire d'Estat, et exercèrent cette charge ensemble jusqu'a la fin
du mois de décembre 1641, que M. de Bullion mourut. M. Bouthillier
demeura seul surintendant, et estoit un des six ministres qui ne
pouvoient estre changés pendant la régence[1660]. Néantmoins, au mois de
juillet 1644, il fut disgracié, et sa charge donnée à messire NICOLAS LE
BAILLEUL, président de la cour et chancelier de la reyne régent. CLAUDE
DE MESMES, sieur D'AVAUX, fut fiat surintendant avec ledit sieur le
Bailleul. Il fut presque à l'instant envoyé à Munster, plénipotentiaire
pour la paix, avec M. le duc de Longueville et M. Servien. Il a
tousjours esté employé dans les ambassades, vers les princes estrangers.
Je ne veux pas oublier de dire que la principale conduite et direction
des finances estoit, sous M. le président le Bailleul, entre les mains
du sieur Michel Particelle, seigneur d'Émery, contrôleur général des
finances. Les sieurs de Mauroy, de Charron et Maillier, intendans,
n'approchoient pas de son employ et autorité.

«Au mois de juillet 1647, ledit sieur président le Bailleul donna sa
démission de la charge de surintendant des finances, de laquelle fut
pourvu messire MICHEL PARTICELLE, seigneur d'ÉMERY, contrôleur général
des finances, lequel en presta le serment entre les mains de Leurs
Majestés, dans la ville d'Amiens, le jeudy 18 juillet 1647. Pour le
regard de M. d'Avaux, il estoit encore en ce mois à Munster,
plénipotentiaire pour la paix générale, avec M. le duc de Longueville et
M. Servien, plénipotentiaire comme luy. Ledit sieur d'Avaux fut
disgracié en juin 1648, et réduit (relégué) dans Roissy.

«Le 9 juillet, M. d'Émery fut disgracié et envoyé en sa maison de
Taulay, et le mareschal DE LA MEILLERAYE fait surintendant des finances,
et MM. Halligre et Morangis faits directeurs le mesme jour. Le président
le Camus, son beau-frère, estant tousjours contrôleur général des
finances, sans crédit, ayant perdu son appuy, M. d'Émery, son
beau-frère.

«En mars 1649, le mareschal de la Meilleraye quitta la surintendance;
et, en octobre 1649, MM. D'ÉMERY et D'AVAUX furent restablis dans leurs
charges de surintendans, et lors les directeurs signoient les arrêts du
conseil des finances avec eux; mais M. de Chasteauneuf ayant esté
restabli dans la charge de garde des sceaux, au mois de mars 1650, les
directeurs n'ont plus signé les arrests, ny esté appelés aux affaires de
conséquence concernant les finances. MM. d'Avaux et d'Émery résolvant
tout sans les y appeler, et toute l'autorité estoit entre les mains de
M. d'Émery, encore qu'il fust tousjours malade.

«Au mois de [mai] 1650, M. d'Émery estant décédé, la reyne donna la
charge de surintendant des finances, vacante par la mort dudit sieur
d'Émery, à M. le président DE MAISONS (RENÉ DE LONGUEIL), président de
la cour, et, au mesme temps, M. d'Avaux remit volontairement sa charge
de surintendant entre les mains de la reyne, ne se voyant pas aux bonnes
grâces de M. le cardinal Mazarin, qui ne communiquoit ses secrets
qu'audit sieur de Maisons, son bon amy, et fit une action de prudence et
de générosité tout ensemble, et a esté fort estimé. _Satius est cum
dignitate cadere quam cum ignominia servire_.

«Le 8 septembre 1651, M. le marquis DE LA VIEUVILLE fut restabli en sa
charge de surintendant des finances, vingt-sept ans après en avoir esté
despouillé, et fut mis en la place de René de Longueil, président de la
cour et seigneur de Maisons. Il trouva huit intendans des finances:
Mauroy, Tillier, Bordier, Foulé, Bordeaux, Gargan, Hervart et Marin.

«Le marquis de la Vieuville estant décédé le mercredy, second jour de
janvier 1655, MM. SERVIEN et FOUQUET furent faits surintendans des
finances, le samedy, 18 février 1655, et M. Mesnardeau-Champré,
troisième directeur, avec MM. Halligre et Morangis.»



XIX

COMPARAISON DE L'ADMINISTRATION DE COLBERT ET DE CELLE DE FOUQUET.


Colbert, dont l'acharnement contre Fouquet parait odieux, a effacé cette
tache par les immenses services qu'il rendit à la France. Lui-même a
pris soin de les rappeler dans un Mémoire qu'il présenta à Louis XIV, et
où il attribue tout le mérité de son administration à l'initiative du
roi[1661]. Après avoir tracé un tableau des réformes opérées en 1662, il
continue ainsi: «Il sera peut-être bon de faire un parallèle de l'état
du royaume pour toutes les affaires dans lesquelles les finances peuvent
avoir part au mois de septembre 1661 avec celui du mois de décembre
1662, c'est-à-dire seize mois après que le roi a commencé à prendre le
soin de cette nature d'affaires:

SEPTEMBRE 1661.

Les finances étoient régies par le
surintendant seul avec une autorité
souveraine, dont étoient provenus
tous les désordres.

Les manières pour la conduite des
finances étoient de faire et défaire
sans cesse, négliger les revenus
ordinaires et faire des affaires
extraordinaires[1662]

Les impositions sur les peuples en
milles et droits sur les fermes étoient
augmentées en toute rencontre.

Les surintendants ne pensoient
qu'à appauvrir les peuples en augmentant
les impositions.

S'enrichir eux-mêmes, leurs parents,
leurs amis et une trentaine
de gens d'affaires.

Les bâtiments, les meubles, l'argent
et autres ornements n'étoient
que pour les gens de finance et les
traitants, auxquels ils faisoient des
dépenses prodigieuses, tandis que
les bâtiments de Sa Majesté étoient
bien souvent retardés par le défaut
d'argent; que les maisons royales
n'étoient point meublées, et qu'il
ne se trouvoit pas même une paire
de chenets d'argent pour la chambre
du roi.

Tous les beaux-arts n'étoient employés
que par les partisans traitants,
qui n'avoient ni le goût de
ces belles choses ni assez de force
pour les pouvoir soutenir par leur
protection.

Les auteurs et tous les savants
couroient risque de tomber en cette
nécessité de n'avoir à louer que la
corruption.

Les revenus étoient réduits à
vingt et un millions de livres; encore
étoient-ils consommés pour
près de deux années.

La marine étoit entièrement perdue
et ruinée, soit pour les vaiseaux,
soit pour les galères, n'ayant
été mis en mer aucune galère depuis
près de dix ans, ni plus de deux
vaisseaux.

L'on n'avoit jamais pensé au commerce
dans le royaume.

Les dépenses de l'État pour les
troupes, maisons royales et autres,
n'étoient jamais faites qu'après un
long retard et donnoient une occupation
perpétuelle à tous les gens
de finance pour toute l'année.

L'on consommoit en remises et
intérêts vingt millions de livres.

Toute la France et l'Europe
voyoient toujours le roi dans une
prodigieuse nécessité, ne subsistant
que sur le crédit des partisans
et ne pouvant jamais faire de dépense
extraordinaire.


DÉCEMBRE 1662

Le roi a supprimé cette charge,
et s'en est réservé la fonction tout
entière, et s'est chargé par ce moyen
d'un travail de trois heures par jour
l'un portant l'autre, dont il s'est
admirablement acquitté.
Le roi a supprimé les affaires
extraordinaires, et augmenté
prodigieusement ses revenus ordinaires.

Le roi a diminué les tailles de
huit millions de livres en deux années
(1661 et 1662).

Le roi travaille à enrichir les
peuples par la diminution des
impositions.

A s'enrichir soi-même pour pouvoir
ensuite faire des grâces.

Le roi leur a retranché toutes
ces superfluités et a fait passer,
pour ainsi dire, toute abondance en
ses maisons, qui sont à présent dignes
de Sa Majesté, non-seulement
par leurs bâtiments, mais encore
par les meubles, l'argenterie et autres
ornements.

Le roi a relevé les beaux-arts,
leur a donné sa protection tout
entière et en même temps les a
employé pour lui, ce qui les a
fait refleurir en peu de temps.

Le roi les a retirés de cette disgrâce,
leur a donné sa protection
tout entière, et par le moyen des
pensions qu'il donne à tous les savants,
il y a lieu d'espérer que les
lettres seront plus florissantes sous
son règne qu'elles n'ont encore
été.

Le roi a augmenté ses revenus
jusqu'à cinquante millions
de livres en seize mois de temps.

Le roi a mis dix-huit vaisseaux
en mer jusqu'en juin 1662, et, le
reste de l'année, six. Sa Majesté a
assemblé, avec un soin et une dépense
incroyables, assez de chiourmes
pour mettre, en 1662, six galères
en mer, et d'autres sur les
côtes de Provence.

Sa Majesté en a fait un de ses
principaux soins, et a donné une
telle protection qu'elle a vu un nombre
considérable du vaisseaux se
bâtir de nouveau.

Le roi, dès les premiers temps de
l'année commencée, a donné ordre
à toutes les dépenses principales,
de sorte qu'il n'a plus été nécessaire
d'y penser tout le reste de l'année.

Le roi n'a plus donné un sou de
remise ni d'intérêt depuis qu'il a
pris soin de ses finances.

Le roi s'est mis dans une si grande
réputation d'abondance d'argent
après l'affaire de Dunkerque[1663], que
toute l'Europe a craint l'achat de
terres, de places et de tous les États
qui pourroient être à sa bienséance.

Ce parallèle, ajoute Colbert, pourroit être continué à l'infini; mais,
pour l'abréger, il suffira de dire qu'il a fait (chose incroyable et
même impossible dans la nature) passer en si peu de temps un État comme
celui-ci, dans une matière si délicate et si importante que celle des
finances, d'une extrémité de corruption au plus excellent degré de
perfection qui se puisse imaginer, et toutefois c'est l'ouvrage d'un
jeune prince de vingt-trois à vingt-quatre ans.»



ADDITIONS ET CORRECTIONS


Page 6, ligne 15. La Fontaine avait parlé dans son Ode _sur la paix_ du
séjour que Mazarin fit à Vaux en 1659:

    Quand Jules las de nos maux
    Partit pour la paix conclure,
    Il alla coucher à Vaux,
    Dont je tire un bon augure[1664].

M. Walckenaer a ajouté cette variante à la deuxième stance l'extrait
suivant des _Défenses de Fouquet_: «M. le cardinal partit pour
Saint-Jean de Luz, passa à Vaux, et, après avoir épuisé pour les
affaires publiques tout ce que chacune des personnes dont je me servois
avoit de crédit, me redemanda le même jour sur ses appointements quinze
mille pistoles, et manda au sieur Colbert de m'en donner décharge.»

Page 36: ligne 18. _de Gèvre_, lisez _de Gesvres_.

Page 57, note 1: _a cour_, lisez _la cour_.

Page 58. Gilles Fouquet qui épousa en mai 1660, la fille du marquis
d'Aumont est probablement le personnage désigné plusieurs fois sous le
nom de _M. de Mezière_. Je n'ai pu en trouver la preuve, mais la
Fontaine a composé un madrigal sur le mariage de M. de Mezière avec la
fille de madame d'Aumont[1665]. Il est vrai que l'on donne à ce madrigal
la date de juin 1659, dans l'édition de M. Walckenaer, tandis que le
mariage de Gilles Fouquet avec mademoiselle d'Aumont n'eut lieu qu'en
mai 1660[1666]; mais ces erreurs de date, qu'il faut attribuer aux
éditeurs, n'ont rien qui doive étonner. Il en est de même du nom de
_maréchale_ donné à madame d'Aumont dans le titre du madrigal de La
Fontaine et dans une note écrite par le poëte lui-même; madame
d'Aumont[1667], n'était que marquise d'Aumont; c'était sa belle-sœur
madame d'Aumony de Rochebaron, qui portait le titre de maréchale. Il
est probable que la Fontaine avait écrit _madame la M. d'Aumont_, et que
les éditeurs ont mis _madame la maréchale_ au lieu de _madame la
marquise_. Enfin ce qui me porte encore à croire que M. de Mezière était
bien Gilles Fouquet, frère du surintendant, c'est que lorsqu'en 1679 la
famille de Nicolas Fouquet obtint la permission de le venir voir à
Pignerol, nous trouvons parmi les membres de cette famille un M. de
Mezière, frère du prisonnier[1668].

Quoi qu'il en soit, voici les vers composés par la Fontaine sur le
mariage de M. de Mezière avec mademoiselle d'Aumont, et la note qu'il y
a jointe:

    Belle d'Aumont et vous Mezière,
    Quand je regarde la manière
    Dont vous vous mariez, l'un venant de la cour.
    Et l'autre de Paris, ou bien de la frontière,
    J'appelle votre hymen un impromptu d'amour.
    Avec le temps vous en ferez bien d'autres,
    Et nous en pourrons voir dans neuf mois, plus un jour.
    Un de votre façon qui vaudra tous les nôtres.

La Fontaine ajouta à ce madrigal la note suivante: «Comme j'étois sur le
point d'envoyer le terme de la Saint-Jean, l'on m'a mandé que M. de
Mezière s'en venoit à Vaux en diligence, et que madame la _maréchale_
(lisez la _marquise_) d'Aumont y devoit aussi amener mademoiselle sa
fille; que là ils s'épouseroient aussitôt, et que ce mariage avoit été
conclu si soudainement, que les parties ne se doutoient quasi pas du
sujet de leur voyage. J'aurois bien voulu pouvoir témoigner, par quelque
chose de poli, le zèle que j'ai pour les deux familles; mais j'ai cru
que l'épithalame ne devoit pas être plus prémédité que l'hyménée, et
qu'il falloit que tout se sentit de la soudaineté avec laquelle
monseigneur le surintendant entreprend et exécute la plupart des choses.
Je me suis donc contenté d'ajouter au terme ce madrigal.»

Ce fut probablement à cette occasion que Fouquet se plaignit du petit
nombre de vers que lui envoyait la Fontaine; et que le poëte répondit
par le madrigal que nous avons cité (t. I. p. 467):

Trois madrigaux, ce n'est pas votre compte... etc.

Page 62, ligne 7: Rocollet dont parle la Fontaine dans la description de
l'entrée de la reine Marie-Thérèse à Paris, était libraire et imprimeur
du roi, et en même temps de la ville de Paris. On lit dans l'_État de la
France_ en 1657 (in-12), p. 179: «Pierre Rocollet, aussi imprimeur et
libraire, choisi de Messieurs de la ville pour être leur imprimeur, et
qui durant ces derniers mouvements, «paru aussi généreux capitaine que
bon citoyen; pour marque de quoi Sa Majesté lui a fait don et présent
d'une chaîne d'or avec la médaille de sa figure et pourtrait.»

Page 62, dernière ligne: _On envoyait_, lisez _On en voyait_.

Page 81. ligne 21: _il faisait aussi les affaires_, lisez _il faisait
aussi ses affaires_.

Page 101, ligne 6 et 7: _de mademoiselle de Valentinois_, lisez _de
madame de Valentinois_.

Page 141. ligne 9: _eutre autres_, lisez _entre autres_.

Page 179. note 2: avant-dernière ligne: _effetz_, lisez _effets_.

Page 181, note 1: _chapitre_ X, lisez _chapitre_ XI.

Page 181, L'abbé de Marolles, (_Mémoires_, t. I. p. 278 et 285) parle
des belles peintures que Fouquet avait fait exécuter à Saint-Mandé, et
pour lesquelles la Fontaine avait composé des vers français, et Nicolas
Gervaise, médecin et ami de Fouquet, des vers latins. Dans la suite, M.
Tilon acheta pour les hospitalières de Chantilly la maison que Fouquet
avait possédée à Saint-Mandé; elles s'y établirent en 1705 (note de M.
Walckenaer, sur les _Œuvres de la Fontaine_, t. VI, p. 74, note 2).

Page 181, ligne 26: _ausi bien_, lisez _aussi bien_.

Page 225, note 3: _ms., de la Bibl. impériale_, lisez _ms. de la Bibl.
impériale_.

Page 243. ligne 11. Il est question d'un M. Codur ou Codure sur lequel
Bussy-Rabutin donne quelques renseignements[1669]. Codure avait été
capitaine dans le régiment de la marine et s'était ensuite attaché à
Fouquet.

Page 244, note 1, ligne 7: le roi ne partira point d'ic, lisez _le roi
ne partira point d'ici_.

Page 251, ligne 12: _Il passa à Angers_, lisez _Il passa à Ingrande_.

Page 256. Une lettre de madame du Plessis-Bellière adressée à Arnauld de
Pomponne à la date du 19 septembre 1661 donne quelques détails sur son
exil. Voici cette lettre qui a été publiée par M. Monmerqué dans son
édition des _Mémoires de Conrart_ (collect. Petitot, t. XLVIII, p. 259,
note):

«De Châlons, ce 19 septembre 1661.

«Vous pouvez croire que je n'ai pas douté de vos bontés pour tout ce qui
nous regarde. Je vous comtois trop pour n'estre pas persuadée de vostre
générosité, et vous me connoissez assez aussi pour vous imaginer ce que
je souffre d'un si grand coup. Ce n'est pas que je n'aye assez prévu
qu'il pourroit arriver du mal à M. le surintendant; mais je ne l'avois
pas prévu de cette sorte, et je me consolois qu'on l'ostast de la place
où il estoit, voyant qu'il le désirait luy-mesme pour songer à son
salut. Mais, mon pauvre monsieur, le savoir en l'estat où il est et ne
pouvoir lui donner aucune consolation! Je vous avoue que je suis dans
une affliction incroyable, de sorte que je suis tombée malade d'une
fièvre qui n'est pourtant pas violente. Si elle me continue je me ferai
saigner demain. Vous avez sçu que j'avois en ordre d'aller à Montbrison;
mais comme ma fille n'a jamais voulu me quitter, l'un a changé mon
ordre, et je suis arrivée ici d'hyer au soir, après avoir fait soixante
lieues de marche. Je vous supplie de me faire savoir des nouvelles de la
santé de M. le surintendant, si vous en avez. Je crois qu'il n'y aura
pas de mal à cela, et qu'ils ne le trouveront pas mauvais à la cour,
quand les lettres seroient vues. Faites-moi sçavoir quand vous serez à
Paris, et me croyez vostre, etc.»

D'après une lettre citée par Delort (_Voyages aux environs de Paris_, t.
II. p. 210), l'abbé Fouquet s'était empressé de séparer sa cause de
celle du surintendant. Il avait écrit à Colbert «qu'il n'avoit point eu
de part à toutes les choses qui avoient déplu à Sa Majesté dans la
conduite de son frère.»

Page 265, ligne 15. _De Fouque_, lisez _de Fouquet_.

Pape 291. note 1. _Ordinairement_, lisez _ordinairement_.

Page 293, note 2. _Page_ 217 et 53, supprimez _et_ 53.

Page 295, ligne 13. _De précaution quand_, lisez _de précaution que
quand_.

Page 370. J'ai mentionné, d'après Delort, les imprimeries françaises
dont disposait madame Fouquet; mais on fit en outre imprimer en
Hollande, dès 1665, une partie des pièces du procès, comme le prouve
l'ouvrage intitulé: _Lettres et négociations de Jean de Witt_, t. III.
Le ministre plénipotentiaire de Hollande à la cour de France écrivait à
Jean de Witt à la date du 27 février 1665: «On a ici avis de bonne part
qu'on imprimoit à Amsterdam quelques pièces du procès de M. Fouquet, où,
comme on croit, M. le chancelier, M. Colbert et quelques autres
seigneurs pourroient être attaqués. Il est certain que cela ne peut être
agréable au roi.» On lit encore dans une lettre du 15 mars 1665: «Je
suis fâché que les actes du procès de M. Fouquet aient été publiés avant
qu'on on ait pu arrêter l'impression. On m'a rapporté que M. Colbert
s'en est plaint avec aigreur.»

Page 394. A l'occasion de Loret. M. Sainte-Beuve rapporte que Colbert
ayant supprimé la pension que touchait ce gazetier. Fouquet, tout
prisonnier qu'il était, fit prier mademoiselle de Scudéry d'envoyer
secrètement à Loret 1,500 fr. pour le dédommager, ce qui fut exécuté, et
sans qu'on put deviner d'abord d'où venait le bienfait. Le médecin
anatomiste Pecquet avait été choisi par Fouquet pour être son _médecin
de plaisir_, pour l'entretenir à ses heures perdues des plus jolies
questions de la physique et de la physiologie; Pecquet ne se consola
jamais d'avoir été séparé de lui. M. Sainte-Beuve ajoute: «Le plus grand
témoignage rendu à Fouquet dans sa disgrâce fut assurément celui du
poëte Brébeuf, lequel, dit-on, mourut de chagrin et de déplaisir de le
savoir arrêté «voilà une mort qui est à elle seule une oraison funèbre.»

Page 395. J'ai suivi pour l'ode de la Fontaine, en faveur de Fouquet, le
texte imprimé sous ses yeux en 1671 ce qui diffère dans quelques
passages des éditions postérieures, et notamment des leçons qu'a
adoptées M. Walckenaer.

Le même poëte, dans une ode adressée en 1662 au duc de Bouillon, fait
allusion à la douleur que lui causait l'emprisonnement du
surintendant[1670]:

    Prince, je ris, mais ce n'est qu'en ces vers;
    L'ennui me vient de mille endroits divers,
    Du parlement, des aides, de la Chambre,
    Du lieu fameux par le sept de septembre[1671],
    De la Bastille[1672] et puis du Limosin[1673];
    Il me viendra des Indes à la fin.

Pape 434. D'après Gui-Patin, la cour comptait que Fouquet serait
condamné à la peine de mort. «On s'attendoit à la cour que, par le
crédit de M. Colbert, sa partie, M. Fouquet seroit condamné à mort; ce
qui auroit été infailliblement exécuté sans espérance d'aucune grâce. On
dit que, quatre jours avant son jugement, madame Fouquet la mère fut
visiter la reine mère, qui lui répondit: _Priez Dieu et vos juges tant
que vous pourrez en faveur de M. Fouquet; car du côté du roi, il n'y a
rien à espérer_.» (Lettre du 23 décembre 1664.)

Page 442. Madame de Sévigné ne croyait pas seule à la possibilité de
l'empoisonnement du surintendant. On supposait généralement que les
ennemis de Fouquet chercheraient à le faire périr, même par un crime «M.
Fouquet est jugé, écrivait Gui-Patin à la date du 25 décembre 1665; le
roi a converti l'arrêt de bannissement en prison perpétuelle et utinam
non degeneret εἰς τὸν θάνατον car quand on est entre quatre
murailles, on ne mange pas ce qu'on veut et on mange quelquefois plus
qu'on ne veut; et de plus, Pignerol produit des truffes et des
champignons: on y mêle quelquefois de dangereuses sauces pour nos
François, quand elles sont apprêtées par des Italiens. Ce qui est bon
c'est que le roi n'a jamais fait empoisonner personne; mais en
pouvons-nous dire autant de ceux qui gouvernent sous son autorité?»

Page 445. Dès le mois de février 1665, on commençait à vendre le
mobilier de Fouquet. Gui-Patin écrit le 28 février 1665: «On procède ici
à la vente de tous les meubles de M. Fouquet; on commence par les
meubles. Il y a une belle bibliothèque; on dit que M. Colbert la veut
avoir; s'il en a tant d'envie, je crois bien qu'il l'aura: car il est un
des grands maîtres, et a bien de quoi la payer.»

Page 446. Au moment où Fouquet cherchait, par divers moyens, à entrer en
relation avec ses amis, ceux-ci s'efforçaient de leur côté de prouver
son innocence. Leurs démarches étaient bien connues. Gui-Patin en parle
dans une lettre du 16 mars 1666: «M. Fouquet le surintendant de jadis a
eu soin de se faire plusieurs amis particuliers qui voudraient bien
encore le servir, et en attendant l'occasion ils travaillent à faire un
grand recueil de diverses pièces qui peuvent servir à sa justification;
en ce recueil il y aura quatre volumes in-f°, dans lesquels sans doute
le cardinal Mazarin ne trouvera pas de quoi être canonisé.»

Pape 448 Le roi d'Angleterre, Charles II. s'intéressa à Fouquet, si l'on
en croit les lettres de Gui-Patin. Ce dernier écrivait au mois de
septembre 1670: «Il est certain que le roi d'Angleterre a écrit au roi
en faveur de M. Fouquet; mais il n'y a pas d'apparence que M. Colbert
consente à cette liberté, contre laquelle il a fait tant de machines:
_interea patitur justus_.»

Page 464. Pendant sa captivité à Pignerol Fouquet avait composé
plusieurs ouvrages, d'où l'on tira les _Conseils de la Sagesse ou
recueil des maximes de Salomon_, publiés en 1683 (2 vol. in-12). Fouquet
se désigne lui-même dans la préface: «Il y a longtemps, Théotime, que
vous me faites la grâce de me plaindre et de sentir pour moi les peines
de ma solitude... Ces tristes spectacles et le silence affreux du désert
où la fortune me retient encore n'empêchent pas que les heures n'y
passent bien vite... Vous savez que je me consolois autrefois en livres,
vous allez voir dans l'écrit que je vous envoie que je m'occupe
maintenant à les expliquer.»

Un second ouvrage, tiré des papiers de Fouquet, fut publié sous ce
titre: «_Le Théologien, dans les conversations avec les sages et les
grands du monde_ (Paris, 1683. in-4).

Un troisième ouvrage posthume de Fouquet, intitulé _Méthode pour
converser avec Dieu_ (1684, in-16) fut supprimé, quoiqu'il ne contint
qu'un extrait des _Conseils de la Sagesse_. (Voy. sur ces divers traités
l'ouvrage cité de M. Paul Lacroix, p. 250 et suiv.)

FIN DU SECOND VOLUME

       *       *       *       *       *



NOTES:

[1] M. de Royer, aujourd'hui premier vice-président du Sénat, a aussi
traité du procès de Fouquet dans un savant discours de rentrée à la Cour
de cassation. M. Sainte-Beuve, dans une de ses ingénieuses _Causeries du
Lundi_ t. V, a touché tous les points importants de la biographie de
Fouquet avec sa sagacité ordinaire; mais il n'a pu que les effleurer. M.
Feuillet de Conches dans un ouvrage récent (_Causeries d'un curieux_,
etc.) ne parle que de la cassette du surintendant. J'ai trouvé dans ce
livre de précieux documents, et, quoique mon travail fût presque terminé
lorsque M. Feuillet de Conches a publié le sien, j'en ai profité en
indiquant toujours la source où je puisais.

[2] Les lettres et autres pièces publiées dans le corps de l'ouvrage ont
subi quelques modifications pour l'orthographe, afin d'éviter des
irrégularités qui auraient paru choquantes. Il n'en est pas de même des
textes cités en note ou à l'Appendice: ils ont été reproduits avec le
caractère de l'époque et d'après le texte même de l'écrivain.

[3] _B. Prioli, ab excessu Ludovici XIII, de rebus Gallicis historiarum
libri XII_, 1669.--Priolo raconte, entre autres aventures où il a
figuré, ses négociations avec le duc de Longueville et son voyage en
Normandie, où il accompagna Mazarin, qui allait délivrer les Princes.

[4] Il est conservé à la Bibl. Mazarine, nº 1765.

[5] Voy. _Mémoires sur Fouquet_, t. I, p. 65 et 156

[6] Ces papiers, qui forment la véritable cassette de Fouquet, ont été
conservés par Baluze, bibliothécaire de Colbert.

[7] Ce sont les termes dont se sert le conseiller d'État de la Fosse en
parlant de Fouquet dans le Mémoire qu'il adresse au chancelier Séguier.
Voy. ce Mémoire à l'Appendice du tome Ier.

[8] Ce mot signifie, dit-on, _écureuil_ dans la langue bretonne.

[9] Ces détails sont tirés de l'épitaphe gravée sur le tombeau de
François Fouquet. Ce tombeau était placé dans la chapelle des Dames de
la Visitation, rue Saint-Antoine. Nicolas Fouquet fut enterré dans la
même chapelle.

[10] J'insiste sur ce point parce que l'erreur se trouve dans l'ouvrage
justement estimé de M. P. Clément (_Histoire de Colbert_).

[11] Le père Griffet a donné dans son _Histoire de Louis XIII_ (t. II,
p. 224;) le nom des juges du maréchal de Marillac. Il existe d'ailleurs
dans les papiers de la famille d'Argenson (_Bibl. imp. du Louvre, ms.
F._ 325, t. XVIII, fol. 100 et sq.), une relation de ce procès rédigée
par un d'Argenson qui était procureur général de la commission. Il n'y
est pas question de François Fouquet.

[12] Ce fait est constaté par les papiers des d'Argenson, cités plus
haut.

[13] Barbeau, Barbel ou Barbeaux (département de Seine-et-Marne), était
une abbaye d'hommes de l'ordre de Citeaux, qui valait 20,000 livres de
rente.

[14] On trouvera dans mon _Histoire de l'administration monarchique en
France_, (t. I, p. 291 et suiv.), les détails relatifs à l'organisation
des intendants par Richelieu.

[15] Ce fait est établi par une lettre de Mazarin à Fouquet en date du
15 janvier 1643.

[16] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. I, p. 199, 200 et 201. Cet
ouvrage fait partie de la collection des _Documents inédits relatifs à
l'histoire de France_.

[17] Voy. ce rapport a l'Appendice.

[18] Voy. la réponse de Mazarin à Nicolas Fouquet en date du 30
septembre 1647.

[19] Carnet XI, fol. 85. Les carnets de Mazarin font partie des
manuscrits de la Bib. imp. F. Baluze.

[20] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. I, p. 680, 681.--Voy. aussi les
lettres de Fouquet à Mazarin conservées aux archives des affaires
étrangères, FRANCE t. CXXII.

[21] _Journal d'Olivier d'Ormesson_. _Ibidem._

[22] Ces pièces se trouvent dans le _Choix de Mazarinades_, publié par
M. Moreau pour la _Société d'hist. de France_, t. I, p. 208.

[23] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. 1, p. 681.

[24] _Ibidem._ p. 801.

[25] Les sieurs Fouquet et de la Marguerie, tous deux maistres des
requestes, vont à la suite de la cour.» _Journal de Dubuisson-Aubenay_,
à la date du 1er février 1650. Voy. sur ce journal, qui fait partie
des manuscrits de la bibliothèque Mazarine, mon Introduction en tête du
premier volume du _Journal d'Olivier d'Ormesson_.

[26] Même journal, à la date du 1er décembre 1650.

[27] «M. de Mesmes a dit que les parlements tenoiont un rang au-dessus
des états généraux, étant comme médiateurs entre le peuple et le roi.»
_Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. I, p. 698. Le _Journal de
Dubuisson-Aubenay_ confirme ce fait: «Le président de Mesmes a dit que
le parlement ne députe et n'assiste jamais aux états généraux, _qui lui
sont inférieurs_.»

[28] On peut consulter sur le parlement de Paris les _Mémoires d'Omer
Talon_ et de _Mathieu Molé_, le _Journal d'Olivier d'Ormesson_, le
_Journal du parlement_, l'_Histoire du temps_, les _Treize Parlements de
France_, par la Roche Flavin, les _Éloges des premiers présidents du
parlement de Paris_, par l'Hermite, les _Présidents à mortier du
parlement de Paris_, par Blanchard, etc.

[29] Gustave-Adolphe, roi de Suède, et Louis de Bourbon, prince de
Condé.

[30] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. I, p. 563, 566.

[31] _Ibidem._ p. 433.

[32] _Ibidem._ p. 430, 440.

[33] _Ibidem._ p. 673 et 676, texte et notes.

[34] _Ibidem._ p. 708, 709 et 710.

[35] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. I, p. 660.

[36] _Ibidem._ p. 719 et 720.

[37] Voici le titre complet: _Histoire du temps, ou véritable récit de
ce qui s'est passé dans le parlement depuis le mois d'août 1647 jusques
au mois de novembre 1648_ (Paris, 1649). Cet ouvrage a été attribué à un
conseiller au Parlement nommé Portail.

[38] Il y avait à Paris trois cours souveraines, outre le parlement,
savoir: la Chambre des comptes, la Cour des aides et le Grand Conseil.

[39] _Histoire du temps_, p. 81-82.

[40] _Histoire du temps_, p. 83.

[41] _Négociations relatives à la succession d'Espagne_ par M. Mignet,
t. I, p. 178.

[42] Voy. les preuves de ce dernier projet à l'Appendice.

[43] Voy. le _Catalogue des partisans_ dans le _Choix des Mazarinades_,
publié par la _Société d'histoire de France_, 1. I, p. 113.

[44] On trouvera la preuve de toutes ces assertions dans la
correspondance du cardinal Mazarin, qui doit faire partie de la
collection des _Documents inédits relatifs à l'Histoire de France_.

[45] Lettre du cardinal Mazarin à l'abbé Fouquet, en date du 16 mai
1651.

[46] Hugues de Lyonne était secrétaire du cardinal. Il fut, après sa
mort, secrétaire d'État chargé des affaires étrangères de 1661 à 1671,
époque de sa mort.

[47] Lettre de Mazarin à Hugues de Lyonne (mai 1651) dans le recueil des
_Lettres du cardinal Mazarin_, publié par M. Ravenel pour la _Société
d'histoire de France_, p. 69.

[48] François-Christophe de Lévis, duc de Damville.

[49] Lettre de Mazarin à de Lyonne, ibid., p. 70.

[50] Lettre de Mazarin à de Lyonne. _ibid._, p. 81.

[51] On sait que l'on désignait sous ce nom les Bouteville, les Chabot,
les Jarzé, etc., en un mot toute la jeunesse brillante et insolente qui
faisait cortége au prince de Condé et imitait ses vices plus encore que
son courage.

[52] Lettre de Mazarin à l'abbé Fouquet en date du 18 juin 1651.

[53] Lettre du 4 juillet 1651.

[54] Lettre de Mazarin à l'abbé Fouquet en date du 15 août 1651.

[55] Charlotte Saumaise de Chazan, mariée à Léonor de Flesselles, comte
de Brégy. Elle était femme de chambre de la reine.

[56] Lettre de Mazarin à l'abbé Fouquet, en date du 13 décembre 1651.

[57] _Ibidem._

[58] Lettre du 11 janvier 1652.

[59] Voy. les _Mémoires du cardinal de Retz_, édit. Charpentier, t. III,
p. 309.--Les assertions de Retz sont confirmées par les lettres de
Mazarin à l'abbé Fouquet.

[60] Cet ouvrage, publié par la _Société de l'histoire de France_, a été
édité et annoté par MM. Leroux de Lincy et Douët d'Arcq.

[61] _Registres de l'Hôtel de Ville_, t. I, p. 98. _Le Journal d'Olivier
d'Ormesson_ (t. I, p. 616) confirme les détails donnés par les
_Registres de l'Hôtel de Ville_, et trop souvent oubliés par les
historiens de la Fronde.

[62] Lettre de Mazarin à l'abbé Fouquet, en date du 31 janvier 1652.

[63] _Mémoires de Retz_, édit. Charpentier, t. IV, p. 12.

[64] Voy. les _Mémoires du cardinal de Retz_, même édit., t. III, p.
322, 336, 338.

[65] Voy. _Mémoires du cardinal de Retz_, _Ibidem._ p. 330.

[66] On trouve dans les lettres de Mazarin des détails sur les missions
de Ruvigny et de Damville, envoyés par la cour près du duc d'Orléans. Le
cardinal de Retz parle longuement, dans ses Mémoires, des efforts du duc
de Damville pour entraîner Gaston.

[67] Lettres de Mazarin à l'abbé Fouquet, des mois de janvier et février
1652.

[68] Voy. les _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, édit.
Charpentier, t. I, p. 345 et suiv.

[69] Voy. la _Correspondance de Richelieu_ dans les _Documents inédits
relatifs à l'histoire de France_. Un grand nombre de lettres de
Richelieu sont adressées à Chavigny.

[70] Mazarin l'en accusa formellement dans ses Carnets.

[71] Voy. sur la conduite de Chavigny en août et septembre 1648, la note
de la page 584 du t. I du _Journal d'Olivier d'Ormesson_.

[72] Claude de Saint-Simon, dont il s'agit ici, est le père de l'auteur
des Mémoires.

[73] Cette lettre est autographe comme toutes celles de Claude de
Saint-Simon qui sont citées dans ce chapitre.

[74] _Mémoires de Saint-Simon_ (édit. Hachette, in-8º), t. I, p. 63.

[75] Si l'on voulait rechercher une explication à ces graves erreurs de
Saint-Simon, il faudrait d'abord reconnaître que l'auteur des Mémoires
n'a pas connu Chavigny, mort près de vingt ans avant sa naissance, et
qu'écrivant longtemps après ces événements, il ne les a racontés que
d'après les conversations de son père. Ce dernier, qui se vantait
d'avoir rendu de grands services à Anne d'Autriche pendant la Fronde
(Voy. _Mémoires de Saint-Simon_, _ibid._, p. 74 et 75), fut cependant
tenu jusqu'à la fin de sa vie dans une sorte de disgrâce: on avait saisi
à la mort de Chavigny les lettres que Saint-Simon lui adressait, et
elles furent mises sous les yeux de Mazarin, qui y était fort maltraité.
De là la disgrâce de Claude de Saint-Simon; de là aussi probablement son
ressentiment contre Chavigny, qu'il accusa d'avoir livré ses lettres et
qu'il traita comme un traître devant son fils. L'auteur des Mémoires,
infidèle en cela aux règles de critique historique qu'il proclame bien
haut, accepta sans discussion toutes les accusations de son père et les
a consignées dans ses écrits. Cet exemple seul suffirait pour prouver
qu'on ne doit consulter qu'avec beaucoup de circonspection les _Mémoires
de Saint-Simon_.

[76] La cour rentra à Paris le 18 août 1649.

[77] Mademoiselle de Chevreuse, dont il est souvent question dans les
_Mémoires du cardinal de Retz_.

[78] Claire-Clémence de Maillé-Brézé, femme du prince de Condé.

[79] Dans cette lettre tous les noms sont indiqués par des chiffres;
mais, comme le chiffre est traduit, je me suis borné à donner la
traduction.

[80] On a déjà parlé de la modération philosophique qu'affectait
Chavigny.

[81] Ces lettres de Claude Saint-Simon tombèrent, comme je l'ai déjà
dit, entre les mains de Mazarin, et c'est dans les papiers du cardinal
que je les ai trouvées.

[82] Hugues du Lyonne, dont on a déjà parlé plus haut, était neveu
d'Abel Servien.

[83] Il est inutile de relever la partialité de pareilles appréciations.
J'ai signalé plus haut (p. 15 et 16) les services rendus par Mazarin
dans la politique extérieure.

[84] On peut consulter sur ce sujet l'_Histoire de la paix de Wesphalie_
par le père Bougeant. On y trouvera de curieux détails sur la lutte de
d'Avaux et de Servien.

[85] On a vu plus haut que Claude d'Avaux était frère du président Henri
de Mesmes.

[86] Cette déclaration a été publiée dans les _Mémoires_ de Pierre Lenet
p. 204 et 205 (édit. Michaud et Poujoulat)

[87] Carnet XIII, p. 77.

[88] Carnet XIII, p. 76.

[89] _Mémoires_ de Pierre Lenet, édit. cit., p. 198.

[90] C'est-à-dire du côté du prince de Condé, qui avait son hôtel au
faubourg Saint-Germain.

[91] Carnet XIII, p. 41.

[92] Carnet XIII, p. 16, 17.

[93] _Ibidem._ p. 18.

[94] _Ibidem._ p. 45

[95] Carnet XIII, p. 93.

[96] Il s'agit probablement, dans ce passage, de Paul de Gondi.

[97] Carnet XIII, p. 95, et _Mémoires de madame de Motteville_, à
l'année 1649.

[98] Carnet XIV. p. 1.

[99] _Ibid._, p. 79

[100] Le duc de Saint-Simon, auteur des Mémoires, présente son père
comme un modèle de fidélité pendant la Fronde (édit. Hachette, t. I. p.
73). Il ignore complètement, ou du moins passe sous silence les
intrigues que nous venons de retracer d'après les documents les plus
authentiques. Quant à la conduite de Claude de Saint-Simon à Blaye, il
n'est pas de notre sujet de la raconter; mais on trouvera dans les
Mémoires de Pierre Lenet et du duc de La Rochefoucauld des détails
précis et circonstanciés qui permettront de contrôler les assertions de
Saint-Simon.

[101] Voy. les Mémoires de Montglat. Pierre Lenet, Retz, etc., à la date
d'avril 1651.

[102] Ce pamphlet a été réimprimé à la fin du t. III des _Mémoires du
cardinal de Retz_ (édit. Charpentier).

[103] Bernardin de Bourqueville, baron de Clinchamp

[104] T. III, p. 342, édit. Charpentier.

[105] Pierre Séguier, dont le gendre, duc de Sully, avait livré le
passage de la Seine, près de Mantes, à l'armée espagnole. C'est un fait
que douze ans plus tard Nicolas Fouquet rappellera à Séguier, devenu son
juge.

[106] Jacques Tubeuf, président de la chambre des comptes.

[107] Lettre par laquelle le roi annonçait la prise d'Angers au maréchal
de l'Hôpital, gouverneur de Paris.

[108] Conseiller au parlement, connu sous le nom de Fouquet-Croissy.

[109] _Mémoires d'Omer-Talon et du cardinal de Retz_, à la date du 25
mars.--Les détails que nous donnons sont tirés du _Journal de
Dubuisson-Aubenay_, qui est beaucoup plus circonstancié que les mémoires
Comme Dubuisson-Aubenay était attaché à l'hôtel de Nevers et y habitait,
son récit inspire la plus grande confiance. Il place cette émeute au 2
avril

[110] L'hôtel de Nevers était situé sur l'emplacement qu'occupent
maintenant la Monnaie et la rue Guénégaud. Il était habité à cette
époque par a femme du secrétaire d'État, Duplessis-Guénégaud.

[111] Bibl. imp., mss. f. Gaignières, nº 2799, fol. 50.

[112] Voy. les _Mémoires de Gourville_, à la date d'avril 1652. Le récit
de Gourville est d'autant plus curieux qu'il fut dans cette expédition
le compagnon et le guide de Condé.

[113] _Mémoires d'Omer-Talon_ (édit. Michaud et Poujoulat), p. 479.

[114] Mathieu Molé accompagnait le roi on qualité de garde des sceaux.

[115] _Mémoires d'Omer-Talon_, ibidem, p. 475.

[116] _Mémoires d'Omer-Talon_, p. 476,

[117] _Ibidem._ p. 477.

[118] _Ibidem._ Le discours du premier président Amelot a été publié
dans les _Mémoires de Conrart_ (édit. Michaud et Poujoulat), p. 541.

[119] _Mémoires d'Omer-Talon_, p. 478.

[120] On donnait ce nom aux juridictions sans appel, comme celle du
parlement, de la chambre des comptes et de la cour des aides.

[121] Cet hôtel était situé sur l'emplacement qu'occupe maintenant
l'Odéon. Les rues de Condé et de Monsieur-le-Prince en indiquent les
limites et en rappellent le souvenir.

[122] _Mémoires d'Omer-Talon_ (25 avril 1652); le fait de l'arrestation
de Fouquet y est mentionné sans détails, et placé à la date du 25.--Les
circonstances que je viens de rappeler sont tirées du journal inédit de
Dubuisson-Aubenay, qui donne la date du 24 avril. M. Walckenaer, dans
ses Mémoires si intéressants sur madame de Sévigné, a eu tort de placer
l'arrestation de l'abbé Fouquet après la mort de mademoiselle de
Chevreuse, qui n'a eu lieu qu'en novembre 1652.

[123] Mémoires d'Omer-Talon, p. 478

[124] _L'Esprit de paix_, dans le _Choix des Mazarinades_, t. II, p.
376.

[125] C'est-à-dire des titulaires d'offices; on désignait surtout par ce
nom les magistrats.

[126] Marchin, ou Marsin, était un des généraux dévoués à Condé.

[127] _Mémoires de la Rochefoucauld, de madame de Motteville_ et _de
Retz_, etc. à la date d'avril 1652.

[128] _Mémoires de madame de Motteville_, à l'année 1652 (avril).

[129] Voy. les _Mémoires d'Omer-Talon_, à la date de mai 1652.

[130] _Mémoires du cardinal de Retz_, à l'année 1652; voy., parmi ces
pamphlets, les _Intrigues de la paix_, écrit attribué à Gui Joli, un des
partisans dévoués de Paul de Gondi; le _Vraisemblable sur la conduite de
Mgr le cardinal de Retz; le vrai et le faux du prince de Condé et du
cardinal de Retz_.

[131] Voy., sur la négociation de Gourville, les _Mémoires de la
Rochefoucauld_ et _de madame de Motteville_. Gourville lui-même n'en dit
que quelques mots dans ses Mémoires.

[132] _Mémoires_, éd t. Michaud et Poujoulat, p. 478.

[133] Voy. sur cet enlèvement les _Mémoires de madame de Motteville_.

[134] _Mémoires de madame de Motteville_, à l'année 1649.

[135] Voy. les _Mémoires de madame de Motteville_ et _de la
Rochefoucauld_, à l'année 1652.

[136] Le bourg de Merlou, Marlou ou Mello, est situé sur le Therain, à
peu de distance de Clermont-en-Beauvaisis (Oise). Loret parle de ce don
dans sa _Gazette_ ou _Muse historique_, du 12 mai 1652:

Monsieur le prince...
A donné d'un cœur magnanime.
A cette beauté rarissime
Sa riche maison de Merlou,
Terre propre à chasser le lou,
Et qui vaut de valeur présente
Plus de dix mille écus de rente.



[137] _Mémoires d'Omer-Talon, ibid._, p. 479.--Voy. aussi les _Mémoires
de Gui Joli, ibid._, p. 73. et surtout ceux de Conrart, p. 544, 599.

[138] Omer-Talon, _Ibid._, p. 480.

[139] La minute écrite de sa main se trouve dans un manuscrit de la Bib.
imp., F. Gaignières, nº 2799, fol. 296 sq.

[140] Omer-Talon, qui se faisait de l'éloquence parlementaire une idée
qu'il nous serait difficile d'adopter, dit dans ses Mémoires (_Ibid._,
p. 485), «que le talent du procureur général (Nicolas Fouquet) n'était
pas d'être élégant; mais, ajoute-t-il, il était fort bon négociateur, et
capable des habitudes du cabinet dans lesquelles il avait été nourri.»

[141] La majorité de Louis XIV avait été proclamée au parlement le 7
septembre 1651.

[142] _Mémoires d'Omer-Talon_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 480.

[143] Elle se trouve dans les manuscrits de la Bibl. Imp., F.
Gaignières, nº 2799, fol. 289, 301. Ou voit par les _Mémoires
d'Omer-Talon, ibid._, p. 485, que Fouquet, fit cette relation le 16 mai.

[144] Mathieu Molé, qui cumulait cette charge avec celle de premier
président du parlement de Paris.

[145] Ces mots sont soulignés dans le manuscrit

[146] Duplessis-Guénégaud, un des quatre secrétaires d'État.

[147] Le duc d'Anjou était Philippe de France, frère du roi. Il porta
dans la suite le nom de duc d'Orléans.

[148] Le prince Thomas de Savoie-Carignan

[149] Duc de la Vieuville.

[150] Les quatre secrétaires d'État étaient alors Michel le Tellier,
Loménie de Brienne, Duplessis-Guénégaud et Phélypeaux de la Vrillière.

[151] Voy. dans les _Mémoires de Conrart_ (p. 548, édit. Michaud et
Poujoulat), les insultes auxquelles la duchesse de Bouillon avait été
exposée.

[152] Mémoires d'Omer-Talon, ibid., p. 484.

[153] Charlotte de Valençay, marquise de Puisieux ou Pisieux. Elle était
veuve depuis 1640 et mourut en 1677, à quatre-vingts ans. Saint-Simon
l'a caractérisée en quelques lignes: «C'était une femme souverainement
glorieuse, que la disgrâce n'avait pu abattre, et qui n'appelait jamais
son frère le conseiller d'État que: _mon frère le bâtard_. On ne peut
avoir plus d'esprit qu'elle en avait, et, quoique impérieux, plus tourné
à l'intrigue.»

[154] _Mémoires d'Omer-Talon, ibid._, p. 484, 485.

[155] _Mémoires de Conrart_ (édit. Michaud et Poujoulat), p. 551.

[156] Journal de Dubuisson-Aubenay, à la date du 13 mai 1652.

[157] _Mémoires du cardinal de Retz_, à l'année 1652.

[158] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 1er juin.

[159] _Mémoires de Conrart_, p. 557 (édit. Michaud et Poujoulat).

[160] Voy. les _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, à l'année
1652. Les _Mémoires de Conrart_ (p. 557) parlent du cynisme du duc de
Lorraine.

[161] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, édit. Charpentier, 1,
II. p. 75.

[162] _Ibidem._ p. 76.--Voy. aussi les _Mémoires de Conrart_ (édit.
Michaud et Poujoulat), p. 557.

[163] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, p. 76,77.

[164] Le jeune Brienne (_Mémoires_ publiés par M. Barrière, t. II, p.
178) dit que Laigues était le mari de conscience de madame de Chevreuse.
Voy. aussi l'ouvrage de M. Cousin, intitule: _Madame de Chevreuse_

[165] Retz, qui ne connaissait que trop les mystères de l'hôtel de
Chevreuse, le dit positivement (_Mémoires_, édit. Charpentier, t. IV, p.
11 et 14): «Elle devint amoureuse de l'abbé Fouquet au point de
l'épouser s'il eût voulu.» Comme nous l'avons déjà dit, l'abbé Fouquet
n'était pas prêtre, et les portraits de Nanteuil lui donnent une
physionomie vive et spirituelle, qui explique ses succès auprès des
dames du plus haut rang.

[166] _Mémoires du cardinal de Retz_, t. IV, p. 20 et 30 (édit.
Charpentier).

[167] _Ibidem._ p. 30

[168] Le lundi était le 10 juin.

[169] _Mémoires_, t. II, p. 82 (Édit. Charpentier).--Voy. _Mémoires de
Conrart_. p. 560 (édit. Michaud et Poujoulat)

[170] Charles II qui s'était retiré en France. On voit par les _Mémoires
de mademoiselle de Montpensier et de madame de Motteville_, que le roi
d'Angleterre fut employé dans les négociations avec le duc de Lorraine

[171] Voy. entre autres dans le _Choix des Mazarinades_ (t. II, p. 367)
la pièce intitulée: _L'ordre et la cérémonie qui se doit observer, tant
en la descente de la châsse, de sainte Geneviève qu'en la procession
d'icelle_, etc.

[172] Ces quatre magistrats étaient officiers du Châtelet, c'est-à-dire
qu'ils remplissaient des offices de judicature au tribunal de ce nom.

[173] _Mémoires_, à l'année 1652.

[174] Voy. les _Mémoires d'Omer-Talon_, à la date du 18 juin 1652

[175] Omer-Talon, _Ibid._, p. 491. édit. Michaud et
Poujoulat.--_Mémoires de Conrart, ibid._, p. 561.

[176] Omer-Talon, _Mémoires_, à la date du 18 juin 1652.

[177] Omer-Talon, _Ibid._; Conrart, _Mémoires_, p. 561.

[178] Les _Mémoires de Conrart_ donnent les détails les plus curieux et
les plus circonstanciés sur l'anarchie qui régnait alors dans Paris.

[179] Omer-Talon, _Ibid._, p. 492.

[180] _Mémoires, ibid._, p. 492.--Comparer les _Mémoires de Conrart_, p.
564.

[181] _La guerre des Ménardeaux, ou la fameuse bataille de la rue
Neuve-Saint-Louis, donnée entre quelques brigades de la compagnie de la
milice_ _de Paris, le 25 juin 1652, avec l'apologie des vainqueurs et
l'oraison funèbre des morts, en vers façon de burlesque, par un disciple
de Scarron._

[182] Voy. p. 71-72.

[183] Le couvent des Récollets, qui est devenu un hôpital, avait donné
son nom à la _rue des Récollets_, qui s'appelle maintenant _rue Bichat_.

[184] L'avis n'est pas signé; mais il est écrit de la main de Nicolas
Fouquet. On voit par les _Mémoires de Turenne_ que ce fut par suite de
l'avis donné à la cour que ce général fit avancer son armée.

[185] Ces détails sont tirés du récit d'un partisan de Mazarin, conservé
dans les papiers du cardinal.

[186] Voy. _Mémoires de Turenne_ à l'année 1652.

[187] _Mémoires de Turenne, ibid._, p. 444 (édit. Michaud et Poujoulat).
On voit par les _Mémoires de Conrart_ (Ibid., p. 566) que le maréchal de
Turenne, ancien général de la Fronde, n'était pas à l'abri des soupçons
de la cour.

[188] Mémoires de mademoiselle de Montpensier (édit. Charpentier), t.
II, p. 99.

[189] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier, ibid._, p. 109.

[190] Dubuisson-Aubenay, _Journal_, à la date du 2 juillet.

[191] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 4 juillet. Cet usage
vint, dit-on, de ce que les soldats de l'armée des princes avaient
porté, pendant le combat de la porte Saint-Martin, de la paille à leurs
chapeaux pour se distinguer des troupes royales.

[192] Voy. sur ces élections les _Mémoires de Conrart. (Ibid._, p. 567.)

[193] _Registres des délibérations de l'Hôtel de Ville_, pendant la
Fronde.--_Mémoires de Conrart. (Ibid._, p. 568.)--_Récit véritable de
tout ce gui s'est passé à l'Hôtel de Ville touchant l'union de Messieurs
de ville et du parlement avec Messieurs les princes pour la destruction
du cardinal Mazarin_, dans le _Choix des Mazarinades_, t. II, p. 379.

[194] Conrart, _Ibid._, p. 567.

[195] _Ibid._, p. 569.

[196] Conrart, _Ibid._ «Ces gens-là, dit Conrart, avaient défoncé plus
de cinquante muids de vin dont ils s'étoient enivrés.»

[197] Conrart, _Ibid._, p. 574.--Voy., dans le _Choix des Mazarinades_
(t. II, p. 383), _la liste générale de tous les morts et blessés, tant
Mazarins que bourgeois de Paris, à la généreuse résolution faite à
l'Hôtel de Ville pour la destruction entière des Mazarins_, etc.

[198] Rue actuelle de la Monnaie, à l'extrémité septentrionale du pont
Neuf.

[199] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 4 juillet 1652.

[200] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_ (édit. Charpentier), t.
II, p. 121 et suiv.

[201] _Ibidem._ p. 128.

[202] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 4 juillet 1652.

[203] Dubuisson-Aubenay, _Ibid._--Conrart, rappelant le même fait
(_Mémoires_, p. 577), dit que c'étaient des soldats du régiment de
Valois.

[204] Dubuisson-Aubenay, _Ibid._

[205] Voy. les _Mémoires d'Omer-Talon_, p. 501. «Quant à moi, je n'ai
participé ni de mon suffrage ni de ma présence à tout ce qui s'est fait
depuis le 1er juillet, m'étant dispensé d'aller au Palais, sachant
bien que toute sorte de résistance et de contradiction était inutile;
que la force était supérieure, et que l'on pouvait intimider, violenter
et contraindre les suffrages à faire toutes choses sans rien excepter...
M. le procureur général n'a pas été non plus au Palais parce qu'il était
sorti de Paris, ni M. Bignon, lequel était incommodé aussi bien que
moi.»

[206] Il s'agissait probablement de livrer au roi une des portes de
Paris.

[207] Voy., pour les détails, le _Journal de Dubuisson-Aubenay_ (juillet
1652).

[208] _Ibid._, à la date du 11 juillet.--Voy. aussi les _Mémoires
d'Omer-Talon_, à la même date.

[209] Omer-Talon, _ibid._, à la date du 11 juillet.

[210] _Ibidem._

[211] _Ibidem._ à la date du 13 juillet.

[212] Voy. plus haut, p. 79

[213] _Mémoires d'Omer-Talon, ibid._

[214] _Ibidem._

[215] Voy. plus haut, p. 79-80.

[216] Voy. plus haut. p. 125.

[217] On a vu plus haut que ce prévôt était Pierre Broussel.

[218] Il s'agit ici du retour du cardinal Mazarin. Ce passage confirme
ce que nous savons aussi par les Mémoires contemporains, que Condé
négociait avec la cour et songeait à conclure avec elle un traité
particulier.

[219] Le parlement devait se réunir le mardi 16 juillet, et on craignait
que l'union avec les princes n'y fût proclamée.

[220] C'est-à-dire que l'on considère toujours le parlement et le corps
de ville comme légalement constitués tant qu'il n'a paru aucune
ordonnance du roi annulant leurs actes.

[221] Les Mémoires contemporains prouvent, en effet, qu'à cette époque
même les princes traitaient avec les Espagnols et les appelaient à leur
secours. On lit dans le _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 11
juillet 1652: «Grand bruit de par les partisans des princes que
l'avant-garde de l'archiduc, venant pour les secourir, est à Beauvais.
Courrier pour cela aposté au palais d'Orléans (au Luxembourg), et
lettres supposées de toutes parts. Autres du sieur de la Roque,
capitaine des gardes du prince de Condé, portant qu'il y a vingt mille
hommes près d'entrer des Pays-Bas en France. Autres des gens des
Pays-Bas à leurs correspondants à Paris que le comte de Fuensaldagne est
à Valenciennes avec grosses troupes, et grand attirail comme pour faire
un siège ou de la Bassée ou de Dunkerque.»

[222] L'administration municipale avait été changée à Paris le 6
juillet, comme on l'a vu plus haut, à la suite des scènes de violence du
4 juillet.

[223] Fouquet parle des députés du parlement qui s'étaient rendus à
Saint-Denis pour traiter avec la cour.

[224] Le président de Nesmond était chef de cette députation. On a vu
plus haut que les autres présidents à mortier avaient quitté Paris.

[225] Le garde des sceaux était alors Mathieu Molé, qui était en même
temps premier président du parlement.

[226] Jean-Édouard Molé, appelé ordinairement le président de
Champlâtreux.

[227] La fille aînée de Mathieu Molé avait épousé Jean Molé, son cousin,
qui était président dans la cinquième chambre des enquêtes du parlement.

[228] Conseiller de la grand'chambre du parlement de Paris. Il avait un
frère lieutenant général du présidial de Lyon, ville dont le maréchal de
Villeroy était gouverneur.

[229] Conseiller de la première chambre des enquêtes. Il est ainsi
caractérisé dans le _Tableau du parlement_: «Bon homme, un peu patelin,
bien intentionné, appliqué au métier; est capable d'ouverture; un peu
faible et vacillant; sans intérêt. Son frère le jésuite et les dévots
ont crédit auprès de lui; est fort ami de M. le président de Bailleul.»

[230] Conseiller de la quatrième chambre des enquêtes.

[231] Il y avait un Bragelonne président de la deuxième chambre des
enquêtes; son beau-frère se nommait de Marle.

[232] Ce Bonneau était un des fermiers des gabelles. Voyez le _Catalogue
des partisans_ dans le _Choix des Mazarinades_, t. I, p. 118.

[233] Bonneau fils était conseiller de la cinquième chambre des
enquêtes.

[234] Ménardeau-Champré est mentionné dans le _Tableau du parlement_
comme conseiller de la grand'chambre, avec l'appréciation suivante
«Très-capable, ferme, opiniâtre, sûr, intéressé et dévoué à la cour.» Il
ne faudrait pas attacher au mot _intéressé_ le sens qu'on lui donnerait
aujourd'hui et qui ferait accuser ce conseiller d'avarice. Il indique
une disposition opposée à celle qui a été marquée plus haut, pour le
conseiller Fraguier, par ces mots: _sans intérêt_, c'est-à-dire
n'obéissant pas à un autre sentiment que celui de la justice.

[235] Sévin était également conseiller de la grand'chambre: «Habile
homme, sûr quand il promet, intéressé, de nul crédit et de nulle estime
dans sa compagnie, aime la débauche,» etc. (_Tableau du parlement_.)

[236] Également conseiller de la grand'chambre: «A une grande déférence
à M. Sévin, qui le peut engager à tout; est intéressé comme lui.»
(_Ibid._)

[237] Conseiller-clerc de la grand'chambre: «Très-habile, très-fier,»
etc. (_Ibid._)

[238] Conseiller de la grand'chambre: «A de l'extérieur et est peu de
chose au fond; faible, timide, dévoué entièrement à la cour, intéressé,»
etc. (_Ibid._)

[239] François de Verthamont, conseiller d'État. Il est l'auteur du
_Diaire_ ou _Journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie_,
publié par M. Floquet. (Rouen, 1842. 1 vol. in-8e).

[240] Rohan-Chabot, un des partisans du prince de Condé, demandait que
le parlement enregistrât ses lettres de duc et pair.

[241] Le substitut du procureur général se nommait Beschefer. Il en est
souvent question dans les _Mémoires d'Omer-Talon_.

[242] Les lettres patentes pour l'érection de Château-Thierry en duché
n'avaient pas encore été enregistrées par le parlement.

[243] Le duc de Rohan fut reçu le 15 juillet. Ainsi le Mémoire de
Nicolas Fouquet est bien du 14 juillet, comme nous l'avons indiqué plus
haut.

[244] Le duc de Lorraine se préparait à rentrer en France pour soutenir
le parti des princes.

[245] Paul Mancini, neveu du cardinal Mazarin, avait été blessé au
combat de la porte Saint-Antoine et mourut des suites de cette blessure.

[246] Cette lettre est autographe.

[247] Il s'agit toujours des membres du parlement qui négociaient avec
la cour.

[248] Le nom du cardinal de Mazarin est désigné par un chiffre dans
l'original.

[249] L'abbé Fouquet était toujours, comme on le voit, l'agent le plus
actif du parti, l'intermédiaire entre le cardinal et ses partisans.

[250] Les maîtres des requêtes servaient par quartier de trois mois au
Conseil d'État, où ils faisaient rapport des affaires litigieuses

[251] Les requêtes de l'Hôtel du roi étaient un tribunal particulier, où
les maîtres des requêtes prononçaient souverainement, avec le grand
prévôt, sur les causes qui concernaient les officiers de l'hôtel du roi
et autres affaires qui ressortissaient à cette juridiction

[252] Saintot, ou Sainctot, était attaché à la cour comme maître des
cérémonies. Il avait un frère conseiller-clerc de la grand'chambre

[253] Jeannin de Castille, trésorier des parties casuelles

[254] Il y avait plusieurs membres de cette famille attachés au
parlement ou à la cour: Henri de Guénégaud, seigneur du Plessis et de
Plancy, comte de Montbrison, etc., était secrétaire d'État depuis 1643.
Son frère, Claude de Guénégaud, était trésorier de l'épargne. Il s'agit
ici du second

[255] Saint-Martin était conseiller de la troisième chambre des
enquêtes. Il est ainsi caractérisé dans le _Tableau du parlement_: «Bel
esprit, savant, fort en jurisprudence, fort en belles-lettres, retient
néanmoins un peu de l'école; est estimé dans sa chambre; est de la
religion prétendue réformée; est attaché à M. de Turenne.»

[256] François de Comminges, capitaine des gardes de la reine

[257] Conseiller de la grand'chambre: «Homme d'honneur, très-capable,
hors d'intérêts, a une grande probité et une grande créance dans la
grand'chambre.» (_Tableau du parlement de Paris_.)

[258] Conseiller de la seconde chambre des enquêtes, beau-frère du
président de Bragelonne.

[259] Conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

[260] Conseiller de la seconde chambre des enquêtes et neveu du
secrétaire d'État Phélypeaux de la Vrillière.

[261] Godart Petit-Marais était conseiller de la quatrième chambre des
enquêtes: «Bel esprit, intelligent; a beau débit; prenant néanmoins des
avis tout particuliers; fort intéressé; donnant à la cour,» etc.
(_Tableau du parlement_.)

[262] Pomponne de Bellièvre, qui succéda à Mathieu Molé dans la charge
de premier président du parlement de Paris. Ce président se tenait alors
à l'écart sous prétexte de maladie et était suspect à la cour.

[263] Conseiller de la première chambre des enquêtes.

[264] Conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

[265] Un des financiers de cette époque; il est mentionné dans le
_Catalogue des partisans_.

[266] Conseiller de la première chambre des requêtes: «De génie médiocre
et de peu de vigueur; n'a pas de crédit dans sa chambre; a épousé une
Gargan.» (_Tableau du Parlement_.)

[267] Trésorier de l'Épargne.

[268] Foucaut, ou Foucault, était conseiller de la première chambre des
requêtes du Palais. Il est ainsi caractérisé dans le _Tableau du
parlement_: «Honnête homme, de bon esprit, hardi, capable de service,
s'appliquant à sa charge et la faisant bien, ne laisse pas d'aimer le
plaisir et le divertissement.»

[269] Hiérosme Lemaistre, sieur de Bellejambe ou Bellejame, était
conseiller d'État.

[270] Fils de l'ancien prévôt des marchands.

[271] Conseiller de la quatrième chambre des enquêtes

[272] Conseiller de la même chambre.

[273] Fils du duc de la Vieuville, surintendant des finances.

[274] Conseiller de la cinquième chambre des enquêtes.

[275] Le grand prévôt était alors le marquis de Sourches, dont le fils a
laissé des Mémoires.

[276] De la cinquième chambre des enquêtes: «Prêche la justice, parlant
toujours de règle et de discipline, affectant de la politesse, ne
faisant nullement sa charge,» etc. (_Tableau du parlement_.)

[277] On trouve dans le _Catalogue des partisans_ un Bordier, sieur du
Raincy, qui s'était fait bâtir en ce lieu un magnifique château. Il est
attaqué avec violence dans les _Mazarinades_; on lit dans un de ces
pamphlets: «Un Bordier, tirant son illustre naissance d'un chandelier de
Paris, a dépensé plus de trois cent mille écus à bâtir sa maison du
Raincy, par une insolence sans exemple, mais qui mériterait, pour
l'exemple, qu'on le logeât à Montfaucon, qui en est tout proche.» On
sait qu'à Montfaucon s'élevait le gibet principal de Paris. Ce fut le
fils de ce Bordier qui se rendit au parlement de Pontoise, comme le
prouve la Mazarinade intitulée le _Parlement burlesque de Pontoise_:

Ce douzième au nez boutonné,
Et de rubis damasquiné,
Est de Bordier la géniture,
Et d'un chandelier la facture.
Son père fut de tous métiers
Et parmi les maletôtiers
A tenu la première place.


[278] Comparez les _Mémoires d'Omer-Talon_, à l'année 1652.

[279] _Mss._ B. I., f. Gaignières, nº 2799, fº 293.

[280] _Mémoires d'Omer-Talon_, en date du 8 août 1652.

[281] _Mémoires d'Omer-Talon_, p. 500 édit. Michaud et Poujoulat.

[282] Voy. sur ce duel les Mémoires du temps et particulièrement ceux de
mademoiselle de Montpensier (édit. Charpentier, t. II, p. 132 et suiv.)

[283] Voy. le _Journal de Dubuisson-Aubernay_ et les Mémoires du temps
qui racontent tous les détails de cette scène.

[284] Ces soldats étaient _cousus d'or et d'argent de leurs pillages_,
dit Dubuisson-Aubenay, à la date du 29 juillet.

[285] _Ibid._, à la date du 30 août. On peut comparer les _Mémoires de
mademoiselle de Montpensier_ (_Ibid._, p. 149 et suivants.)

[286] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 20 août.

[287] Abel Servien et Michel le Tellier étaient, en l'absence de
Mazarin, les deux ministres qui avaient la principale influence; mais
les _Mémoires_ du cardinal de Retz prouvent que Mazarin ne cessait de
faire surveiller ces _sous-ministres_, comme il les appelle, par ses
affidés, et entre autres par Zongo Ondedei et par l'abbé Fouquet.

[288] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 27 août.

[289] Dubuisson-Aubenay, à la date du 30 août. Aucun autre contemporain
ne donne des détails aussi complets sur l'état déplorable de Paris à
cette époque. Je ne fais que reproduire presque textuellement ce journal
d'un témoin oculaire.

[290] Il s'agit toujours du parlement de Pontoise.

[291] Demandés par les princes pour leurs députes. Voyez ci-dessus, p.
155

[292] Il s'agissait du mariage du duc de Candale, fils du duc d'Épernon,
avec une nièce du cardinal Mazarin.

[293] César-Phébus, comte de Miossens, qui devint dans la suite maréchal
de France et fut désigné sous le nom de maréchal d'Albret.

[294] Voy. _Mémoires du cardinal de Retz_, t. IV, p. 72 et suiv. (édit.
Charpentier). Retz met sur le compte de la Providence les inspirations
de son ambition: «La Providence de Dieu, qui, par de secrets ressorts,
inconnus à ceux mêmes qu'il fait agir, dispose les moyens pour leur fin,
se servit des exhortations de ces messieurs pour me porter ma conduite,»
etc.

[295] _Mémoires du cardinal de Retz_, ibid., p. 82.

[296] _Ibid._, p. 83.

[297] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 9 septembre.

[298] _Mémoires de Retz_, ibid., p. 84-91.

[299] _Ibid._, p. 93.

[300] _Ibid._, p. 109.

[301] Voy. plus haut, p. 76. les négociations de Rohan, Chavigny et
Goulas à Saint-Germain-en-Laye.

[302] Anne de Gonzague, princesse palatine. Ce passage prouve combien
Retz se trompe, dans ses _Mémoires_, lorsqu'il cite à la date de
septembre 1652 la princesse palatine comme dévouée à ses intérêts.

[303] Voy. le _Journal de Dubuisson-Aubenay_, à la date du 24 septembre;
et les _Mémoires de mademoiselle de Montpensier, du père Berthod, de
Retz,_ etc.,. à la même date.

[304] _Journal de Dubuisson-Aubenay_, ibid.

[305] Le duc d'Orléans, comme on l'a déjà vu, habitait à Luxembourg.

[306] C'est-à-dire sur la conservation des troupes dont se composait
l'armée des princes.

[307] Il s'agissait de réunir on un seul corps les deux parlements
siégeant à Paris et à Pontoise.

[308] Cette forteresse, qui appartenait au prince de Tarente, avait été
rasée par ordre de la cour.

[309] René du Plessis de la Roche-Pichemer, un des petits-maîtres
attachés à Condé.

[310] Retz se garde bien de parler de cette circonstance dans ses
_Mémoires_. Il prétend (t. IV, p. 117, édit. Charpentier), que cette
assemblée n'eut aucune importance et que ces «_têtes de papier_ furent
huées comme on hue les masques.»

[311] Dubuisson-Aubenay. _Journal_, à la date du 26 septembre.

[312] Voy. _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. II. p. 179-180
édit. Charpentier.

[313] _Ibid._, p. 173.

[314] M. de Choisy était chancelier du duc d'Orléans. Son fils, l'abbé
de Choisy, a laissé des Mémoires sur le règne de Louis XIV.

[315] Mazarin était alors dans la petite ville de Bouillon.

[316] C'était un des agents de Condé dans ses négociations avec
l'Espagne, comme on le voit par les _Mémoires_ de Pierre Lenet.

[317] Le président Viole et Croissy-Fouquet étaient membres du parlement
et dévoués au parti des princes.

[318] Il s'agissait ici des conditions que le parti des princes
réclamait en faveur du prince de Tarente, comme on l'a vu plus haut, p.
169.

[319] On peut comparer sur la mort de Chavigny les _Mémoires de Conrart,
de Monglat_ et _du cardinal de Retz._.

[320] Voy. plus haut, p. 36 et suiv.

[321] _Mémoires de Saint Simon_, édit. Hachette, in-8°, t. I, p. 64-65.

[322] Henri de Bourbon, prince de Condé, et Louis de Bourbon, duc
d'Enghien, qui, après la mort de son père, prit le nom de prince de
Condé, ou simplement de M. le Prince. C'est ce dernier qui est connu
dans l'histoire sous le nom de grand Condé.

[323] J'ai déjà indiqué plus haut, p. 30, note 3, la cause de la haine
de Saint-Simon, ou plutôt de son père, contre Chavigny.

[324] Cette lettre autographe se trouve dans les Mss. de la B.I.F.
Gaignières nº 2799, fº 298 et suiv.

[325] Il avait été question de la suppression de cette cour.

[326] Le parlement qui était divisé, partie à Pontoise, partie à Paris.

[327] Le gouverneur de la Bastille était, comme on l'a vu plus haut, un
frondeur, la Louvière, fils du conseiller Pierre Broussel.

[328] Nom que l'on donnait d'ordinaire aux membres du parlement.

[329] Voy. _Mémoires de Retz_ (édit. Charpentier), t. IV, p. 148.

[330] _Mémoires de Saint-Simon_, (édit. Hachette), in-8, t. III. p. 58
suiv. On trouvera dans ses Mémoires beaucoup de détails sur Roze.

[331] Il s'agit probablement du coup du main qui devait livrer Paris au
roi. On a vu, au contraire (p. 170), que l'abbé Fouquet en était un des
principaux instigateurs.

[332] Mazarin a déjà manifesté son désir presque dans les mêmes termes.
Je n'ai pas supprimé la répétition, parce qu'elle me semble
caractéristique.

[333] Je suppose que le _fidèle_ est l'abbé Fouquet lui-même. Toutes ces
lettres sont en grande partie chiffrées, et les noms déguisés de manière
à dérouter ceux qui les auraient interceptées.

[334] Il est probablement question ici des relations de l'abbé Fouquet
avec mademoiselle de Chevreuse, dont on a parlé plus haut, p. 99.

[335] Nouvelle preuve que le cardinal de Retz était joué par Anne de
Gonzague, dans laquelle il mettait la plus grande confiance.

[336] _Mémoires du cardinal de Retz_, t. IV. p. 134 et suiv. édit.
Charpentier

[337] «Ils en firent presque autant dernièrement pour M. de Lorraine.»
disait Turenne le jour même de l'entrée du roi à Paris. (_Mémoires de
Retz_, t. IV. p. 131-132.)

[338] Cet officier, qui servait dans les gardes-françaises, avait été,
dès la fin de septembre, un des principaux émissaires de Mazarin et de
l'abbé Fouquet.

[339] A cette époque le duc d'Orléans avait déjà quitté Paris. Mazarin
n'en avait pas encore reçu la nouvelle.

[340] Retz prétend que les offres vinrent de la cour, et que ce fut
Servien qui les lui fit au nom de la reine. (_Mémoires_, t. IV, p.
155-156, édit. Charpentier.)

[341] Voy. plus haut, p. 170.

[342] Déclaration royale reconnaissant l'innocence de Mazarin et cassant
tous les arrêts rendus contre lui.

[343] Nicolas Fouquet, qui était, dès cette époque, ami particulier
d'Hugues de Lyonne, insistait pour qu'il fût rappelé à la cour et
redevint secrétaire de la reine.

[344] La lettre de Mazarin est du 25 octobre, et il se préparait à aller
rejoindre Turenne, qui commandait l'armée royale dans le nord de la
France.

[345] Près de Mézières, dans le département des Ardennes.

[346] Le prince de Condé s'était dirigé d'abord vers Soissons, et avait
pris ensuite Château-Porcieu et Rethel.

[347] Retz disait «qu'il était la troisième tour de l'Église de Paris,
et si chéri du peuple que si l'on vouloit entreprendre contre lui, il
prendroit les armes pour le mettre en liberté.» Lettre de Mazarin au
pape pour expliquer les motifs de l'arrestation de Retz. (_Mémoires de
Retz_, I. IV. p. 149, édit. Charpentier.)

[348] _Mémoires de Retz_, ibid., p. 156.

[349] Voy. plus haut, p. 207.

[350] Ce sont les termes mêmes qu'emploie Gourville en parlant des
satellites de l'abbé Fouquet.

[351] _Mémoires_, ibid., p. 156, 159 et 161.

[352] _Mémoires_, ibid., p. 149.

[353] Une lettre de Mazarin, en date du 2 décembre, prouve qu'il en fut
sérieusement question. Voy. plus loin, p. 219.

[354] Voy. ci-dessus, p. 203.

[355] Voy. le texte de cet ordre dans les _Mémoires de Retz_, ibid., p.
160.

[356] _Mémoires de Retz_, t. IV. p. 164

[357] _Mémoires de Retz_, t. IV. p. 167.

[358] _Ibid._, p. 168.

[359] _Ibid._

[360] Les _Mémoires de Saint-Simon_ attestent que la noblesse voyait
avec indignation des parvenus porter les insignes de l'ordre du
Saint-Esprit.

[361] Voy. plus haut, p. 199.

[362] Voy, ci-dessus, p. 209

[363] Cette lettre, datée du 2 janvier 1653, est autographe et en partie
chiffrée.

[364] La charge de procureur général que Nicolas Fouquet avait achetée
en 1650.

[365] A la suite de cette lettre, il s'en trouve une, également
autographe, de l'abbé Fouquet, qui se porte caution pour son frère.

[366] Bibl. imp. Ms. S. F. nº 1238, C (_bis_), fº 321.

[367] Lettre autographe en partie chiffrée.

[368] Servir et non agréer.

[369] Il s'agit d'offres pécuniaires; à cette époque, les charges de
finances s'achetaient comme les charges de judicature.

[370] Le maréchal d'Effiat, aussi bien que M. de Bullion, avait été
surintendant des finances sous le règne de Louis XIII.

[371] Les directeurs des finances étaient alors MM. d'Aligre et de
Morangis.

[372] Zongo Ondedei, évêque de Fréjus, était un des parents de Mazarin.

[373] Colbert veut parler de la nomination à la place de surintendant.

[374] Allusion au parlement de Pontoise.

[375] Un des partisans du cardinal de Retz.

[376] Le Guitaut dont il s'agit était attaché au parti du prince de
Condé.

[377] Loret annonce ainsi cette nomination dans sa _Muse historique_ du
8 février 1650:

On étoit encor attendant
Qui seroit le surintendant,
Cette charge, autant que pas une,
Étant une rare fortune;
Mais il faut beaucoup endurer
Pour y pouvoir longtemps durer;
Et quoiqu'elle soit épineuse,
Presque autant que pécunieuse,
Plusieurs pour elle s'intriguans,
Elle n'est jamais sans briguans.
La brigue est pourtant terminée,
Car j'ai su cette matinée
(Et toute la cour en convient)
Qu'elle est pour monsieur de Servient
Qu'on peut nommer, sans flatterie
Un ornement de la patrie.
Tant il possède abondamment
De lumière et de jugement;
Mais, comme la charge est pesante
Pour le moins autant qu'importante,
Afin de soulager ses soins,
On lui donne quelques adjoints,
Savoir messieurs Fouquet, d'Aligre,
Dont l'esprit est doux et non tigre,
Morangis, Ménardeau, Bordeaux,
Tous gens qu'on tient assez loyaux,
Et serviteurs du roi leur maître,
Autant qu'on le sauroit être.


[378] Bibl. imp. Mss. S. F. nº 1238 C (_bis_). fº 332.

[379] Journal ms. _Ibidem._

[380] _Histoire de la France pendant le ministère de Mazarin_, par M.
Bazin, t. IV, p. 309 (édit. in-18). On trouve le texte de la commission
royale dans un manus. de la Bibl. imp., des 500 de Colbert, nº 233.
Comme il s'est élevé quelque doute sur ce point, je publierai ici en
note le texte même de la commission: «Louis, par la grâce de Dieu, roy
de France et de Navarre, à nos amez et féaux les sieurs comte Servien,
marquis de Boisdauphin et de Sablé, commandeur et surintendant des
finances de nos ordres, l'un de nos ministres d'Estat, et Foucquet,
conseiller en nostre conseil d'Estat et nostre procureur général en
nostre cour de parlement de Paris, salut: Si la probité et la science
sont les vertus nécessaires pour parvenir à la promotion des grandes
charges, et si elles demandent de longues expériences pour s'en
acquitter avec la fidélité et le bon ordre que les affaires requièrent,
il nous a semblé ne pouvoir faire un meilleur choix que de vos personnes
pour exercer celle de surintendant de nos finances, qui est à présent
vacante par la mort du sieur duc de la Vieuville; les grands emplois qui
vous ont incessamment occupés dedans et dehors le royaulme pour le bien
de cet Estat, les preuves que vous avez tousjours données de vostre zèle
et expérience pour en soustenir les intérêts et la grandeur, nous
confirment dans cette créance, et nous font espérer que vous vous
acquitterez si dignement de cette importante administration, que le
public n'aura pas moins de sujet d'en estre satisfaict que nous. Nous,
pour ces causes et autres grandes considérations à ce nous mouvant, nous
vous avons constitués, ordonnés et établis, constituons, ordonnons et
établissons par ces présentes, signées de nostre main, pour faire et
exercer la charge de surintendants de nos finances, avec un plein et
entier pouvoir d'en ordonner et de les administrer ainsy qu'en vos
consciences vous jugerez estre nécessaire pour le bien de nostre
service, comme aussy pour jouir de ladicte charge aux mesmes honneurs,
autorités, prérogatives, prééminences, fonctions, estats et
appointements tels et semblables qu'en a joui ledict feu sieur de la
Vieuville, et les autres qui l'ont précédé en cette charge, sans que de
ladicte administration vous soyez tenus d'en rendre raison à nostre
Chambre des comptes, ni ailleurs qu'à nostre personne; nous vous avons,
de nostre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, relevés
et dispenses, relevons et dispensons par ces dictes présentes, de ce
faire, et vous avons donné et donnons plein pouvoir, autorité et
mandement spécial. MANDONS et ordonnons aux trésoriers de nostre
espargne présens et à venir et autres nos officiers des finances et
comptables généralement quelconques qu'il appartiendra, qu'en ce faisant
ils vous obéissent et entendent diligemment aux choses concernant
lesdictes charges; deffendons aux susdicts comptables d'acquitter
aucunes parties de dons ou autrement quelsconques acquits qui leur en
soient expédiés, s'ils ne sont visés et accompagnés de vos ordonnances
particulières, ainsy qu'il a tousjours esté practiqué et observé.
Mandons auxdicts trésoriers de nostre espargne de vous payer, chacun en
l'année de son exercice, les estats, pensions et appointemens qui vous
seront ordonnés, et que nous voulons estre passés et alloués en la
despense de leurs comptes par nos amez et féaux les gens de nos comptes
à Paris, auxquels nous mandons ainsy le faire sans difficulté; car tel
est nostre plaisir. Donné à Paris, le huitième jour de février, l'an de
grâce 1653, et de nostre règne le dixième, signé LOUIS, et plus bas: PAR
LE ROY, DE GUÉNÉGAUD, et scellé du grand sceau de cire jaune.»

[381] Terre qui appartenait à madame de Châtillon.

[382] Il y a beaucoup de lieux désignés sous ce nom; il s'agit ici de
Pierrefitte dans le département de l'Oise (arrondissement de Beauvais).

[383] Mylord d'Igby ou Digby passait pour être à cette époque l'amant de
madame de Châtillon.

[384] Il est désigné ailleurs sous le nom _d'abbé de Cambiac_.

[385] Il est remarquable que dix uns plus tard une autre chambre de
justice, siégeant à l'Arsenal, procéda de même contre Nicolas Fouquet,
qui refusait de répondre.

[386] Le prince de Condé ne pouvait être jugé, que par le parlement et
les ducs et pairs. S'il avait été impliqué dans cette affaire, il eût
fallu la porter au parlement.

[387] Le garde des sceaux était toujours Mathieu Molé.

[388] C'était un des espions que l'abbé Fouquet entretenait auprès du
prince de Condé.

[389] Gouverneur de la Bastille.

[390] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. II. p. 255-250
(édit. Charpentier).

[391] Mademoiselle ne parle pas de ce fait dans ses _Mémoires_; mais il
parait bien constaté; c'était par le duc d'Épernon lui-même que l'abbé.
Fouquet était instruit des desseins de la princesse.

[392] Lettre de Colbert à Mazarin en date du 20 juillet 1653.

[393] Lettre du 23 septembre 1653.

[394] Pomponne de Bellièvre venait de remplacer Matthieu Molé, comme
premier président du parlement de Paris.

[395] Un des quatre membres du parlement qui avaient été exilés en
octobre 1652.

[396] Il a été question plusieurs fois de Mouchet ou du Mouchet, qui
était un chevau-léger, dont l'abbé Fouquet se servait pour les coups de
main.

[397] Je me servirai de l'édition de 1665 à la Sphère (14 vol. in-18).

[397a] _Défenses_, t. II. p. 61 et suiv.

[398] C'est-à-dire sans attribution spéciale.

[399] _Défenses_, ibidem, p. 63 et suiv.

[400] _Défenses_, t. II. p, 71.

[401] L'évêque de Fréjus était Zongo Ondedei, parent du cardinal
Mazarin.

[401a] _Défenses_, t. II, p. 72-73.

[402] Mazarin écrivait à Colbert le 16 octobre 1653. «J'ai cinquante
ans; j'ai eu plus de nécessités que je n'en ai à cette heure, et il n'a
pas été en mon pouvoir de mettre mes affaires en bon état. Il faut que
vous suppléiez où je manque, et que vous ne prétendiez pas exiger de moi
certains soins qu'il ne m'est pas possible de donner à mes intérêts
particuliers, que je suis en possession, il y a longtemps, et par mon
naturel et par l'habitude, de négliger pour les affaires publiques.»

[403] Colbert reprochait surtout à Mazarin sa facilité à faire des
promesses d'argent: «La campagne dernière, lui écrivait-il le 7 juin
1654, Votre Éminence a fait deux promesses de 22,000 livres chacune (je
la conjure, s'il se peut, de n'en point faire celle-ci): l'une à M. le
maréchal d'Estrées pour M. de Manicamp, l'autre à M. de Bordeaux. Pour
celle-ci, j'espère que Votre Eminence la retirera.»

[404] C'est-à-dire _dépensé, employé à d'autres usages._

[405] B.I. MSS. F. Baluze.

[406] B.I.F. Gaignières, nº 2709. fº 107.

[407] Voy plus haut, p. 236.

[408] Journal inédit de 1648 à 1657 Bibl. imp. ms. nº 1238, D _bis_,
n^os 170-171.

[409] _Mémoires du cardinal de Retz_. l. IV. p. 173.

[410] _Ibid._: p. 186

[411] Voy. plus haut, p. 254.

[412] _Mémoires de Retz_, ibid., p. 177 et suiv.

[413] _Ibid._, p. 195.

[414] _Ibidem._

[415] _Mémoires de Retz_. t. IV. p. 196-200.

[416] On trouvera tous les détails de cette fuite dans le tome IV des
_Mémoires de Retz_.

[417] Pierre de Marca, auteur du traité _De concordia sacerdotii et
imperii._

[418] On l'avait consulté probablement sur le moyen d'annuler l'autorité
archiépiscopale de Retz.

[419] Cette église était située dans la _rue des Cordeliers_, qui porte
maintenant le nom de _rue de l'École de Médecine_. Il y avait près de
l'église Saint-Côme _l'école de Chirurgie_.

[420] Chanoine de la cathédrale de Paris, que l'on accusait d'avoir
composé un libelle contre le cardinal Mazarin sous le titre de:
_L'éducation du roi_.

[421] _Mémoires du cardinal de Retz, ibid._, I. IV, p. 349.

[422] Voy. plus haut, p. 219.

[423] Journal inédit de 1648 à 1657. ms. Bibl., imp., nº 1238 _bis_ D
f^os 210-211

[424] _Mémoires de Gourville_ édit. Michaud et Poujoulat p. 517.

[425] _Mémoires de Gourville_ (édit. Michaud et Poujoulat, à l'année
1654.)

[426] _Ibidem._

[427] Journal ms de 1648 à 1657, cité plus haut. fº 313

[428] Voy. _Mémoires de Monglat_, à l'année 1635. Montglat, maître de la
garde-robe, décrit avec exactitude le costume du roi.

[429] Voy. le Journal ms. de 1648 à 1657, cité plus haut, 1º 326 et
suiv.

[430] La date de ces notes peut se déterminer approximativement par les
personnages qui y figurent. Elles sont postérieures à la nomination du
premier président Guillaume de Lamoignon, qui eut lieu en 1657, et
antérieures à la disgrâce de Fouquet, qui est de 1661. C'est dans cet
intervalle, à l'époque où Fouquet était encore procureur général,
qu'elles ont été rédigées. On en trouve une partie dans le t. II de la
_Correspondance administrative sous Louis XIV_.

[431] Il faudrait peut-être lire _de Loing_.

[432] Voy. une lettre de Colbert à Mazarin en date du 16 mai 1657.

[433] _Anc. lois franç._, t. XVII, p. 370.

[434] Ce Mémoire, manuscrit, se trouve dans les papiers de Fouquet
conservés à la Bibl. imp., F. Baluze

[435] Ce Mémoire a été publié par M. Guizot dans son _Histoire de la
République d'Angleterre_, t. I, p. 451-457. Il pense que ce Mémoire est
de 1650; mais il est évident, d'après la manière dont l'auteur parle des
troubles de la Fronde, qu'il s'agit d'événements déjà anciens

[436] Il s'agissait surtout, dans ce Mémoire, d'établir des relations de
commerce entre la France et l'Angleterre

[437] Colbert veut parler des gouvernements d'Aunis et de Saintonge, qui
appartenaient à Mazarin.

[438] Le duc de Vendôme était grand amiral de France et avait sous ses
ordres l'amiral de Neuchèse.

[439] T. III, p. 349 et suiv.

[440] Fouquet parle ici des temps qui ont suivi la Fronde, et surtout
des années 1657 à 1661.

[441] _Anc. lois franç._, t. XVII, p. 349. Forbonnais, _Recherches sur
les finances_, t. I, p. 269-270.

[442] _Mémoires de Jean Witt_, deuxième partie, chap. VI.

[443] Forbonnais, _ibid._, t. I, p. 270.

[444] _Anc. lois franç._, t. XVII, p. 319.

[445] _Ibid._, p. 328.

[445a] Villacerf était un des intendants du cardinal, comme nous
l'apprennent les _Mémoires de Gourville_.

[446] _Ibid._.

[447] _Ibid._, p. 369.

[448] _Ibid._

[448a] _Défenses_, t. III, p. 20-21.

[448b] _Ibid._, t. IV, p. 53.

[449] T. III, p. 29.

[450] C'est-à-dire pour entretenir pendant une année, la garnison de
Brisach, dont le gouvernement appartenait à Mazarin.

[451] Dans le langage de cette époque, on appelait _biens sur le roi_,
les aliénations de domaines royaux ou participation aux fermes d'impôts
que certains particuliers obtenaient. Telles étaient les rentes sur les
entrées ou octrois, dont il est question dans ce passage.

[452] Il y a dans le texte _pain de munion_; mais c'est sans doute une
abréviation pour _munition_.

[453] Banquiers italiens auxquels Mazarin avait confié une partie de sa
fortune.

[454] C'est ce que l'on appelle vulgairement un pot-de-vin. Le cardinal
en prélevait sur les marchés passés avec les traitants. Sa
correspondance ne laisse aucun doute à cet égard.

[455] Michel le Tellier était secrétaire d'État et chargé du département
de la guerre.

[456] Un des commis de Colbert.

[457] _Idem._

[458] T. II, p. 25.

[459] _Mémoire de Colbert à Louis XIV_. manus. de la Bibl. imp., S. F.,
nº 3995. fº 3. Ce Mémoire a été publié en partie par M. Pierre Clément
dans son _Histoire de Colbert_, et plus complètement par M. Joubleau.

[460] Conseil de finances.

[461] On appelait _aides_ les impôts établis sur le vin, les boissons et
en général sur les denrées.

[462] Le _convoi de Bordeaux_ était un impôt spécial qu'on levait, à
Bordeaux, sur les boissons transportées par mer. Il tirait son nom de ce
que primitivement les négociants de Bordeaux étaient obligés de faire
escorter les navires de commerce par des bâtiments armés en guerre, et
payaient une taxe pour les frais de ce _convoi_ ou escorte. Dans la
suite, les rois se chargèrent de faire escorter les navires de commerce,
et pour subvenir aux dépenses, établirent une ferme spéciale de cet
impôt, qui conserva le nom de _convoi de Bordeaux_.

[463] Journal inédit de 1648 à 1657. ms. de la Bibl. imp., nº 1238 E
_bis_, fº 231.

[464] _Ibid._ fº 232.

[465] _Mémoires de Gourville_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 518.

[466] Voy. ci-dessus, p. 99.

[467] Voy. p. 81.

[468] Voy. p. 81-82.

[469] _Portrait de madame la duchesse de Châtillon peint par elle-même_.
Cette manie de portraits était si généralement répandue, qu'un savant
évêque, Huet, fit celui de quelques religieuses de son diocèse. On les
trouve dans la collection de portraits de mademoiselle de Montpensier.

[470] Bussy-Rabutin dit également dans l'_Histoire amoureuse des
Gaules_: «Elle avait les yeux noirs et vifs.» Mais il ajoute, ce qui
n'est plus d'accord avec le portrait, _le front petit_.

[471] «Le nez bien, la bouche rouge, petite et relevée, le teint comme
il lui plaisait, mais d'ordinaire elle le voulait avoir blanc et rouge.»
Bussy-Rabutin, _ibid._

[472] Nous avons vu que l'indulgente madame de Motteville dit
précisément le contraire.

[473] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, édit. Charpentier, t.
II, p. 437-438.

[474] T. II, _ibid._

[475] Voy. plus haut, p. 173. M. Walckenaer, dans son intéressant
ouvrage sur madame de Sévigné (t. I, p. 43), fait remonter les relations
de l'abbé Fouquet et de madame de Châtillon jusqu'à l'époque où l'abbé
fut prisonnier dans l'hôtel de Condé (avril 1652; voy. p. 71) et il
ajoute que la prison de l'abbé Fouquet fut postérieure à la mort de
mademoiselle de Chevreuse, qui n'eut lieu qu'en novembre 1652. Je ne
m'arrêterais pas à relever ces contradictions si l'ouvrage de M.
Walckenaer ne jouissait d'une réputation méritée de science et
d'exactitude.

[476] Les _Mémoires de M^{***}_, qui font partie des collections de
mémoires sur l'histoire de France, donnent beaucoup de détails sur les
amours de la duchesse de Châtillon; mais cette compilation informe
mérite peu de confiance. On ne saurait non plus ajouter foi aux _Amours
des Gaules_ de Bussy-Rabutin. Mais les mémoires véridiques, tels que
ceux de mademoiselle de Montpensier et de madame de Motteville,
suffisent pour faire connaître la duchesse de Châtillon. Les lettres de
l'abbé Fouquet et celles de Mazarin servent à compléter les
renseignements authentiques sur une partie de la vie de cette dame. Je
ne parle pas des _Mémoires de madame de Châtillon_; c'est une œuvre
apocryphe composée par Senac de Meilhan.

[477] Voy. plus haut, p. 83.

[478] Journal inédit de 1648 à 1657, ms. de la Bibl., imp. 1238 (_bis_),
E. L'auteur anonyme, qui est loin d'être un Frondeur, s'indigne de voir
l'abbé Fouquet s'élever aussi haut: «Il fut malaisé de ne pas s'étonner
que ledit sieur abbé Fouquet eut voulu porter son ambition si haut que
de donner 400,000 livres d'urgent comptant de la charge de chancelier et
garde des sceaux des ordres du roi, dont M. Servien était pourvu. Il
n'en fit pourtant aucun scrupule et en prêta le serment entre les mains
de Sa Majesté, le 11 de ce mois de décembre 1656, se souciant fort peu
de toutes les conséquences que ses ennemis en pourraient tirer.» Cet
auteur anonyme exprime probablement la véritable opinion des
contemporains.

[479] Mademoiselle de Montpensier l'en accuse dans ses Mémoires (t. II,
p. 438 de l'édition Charpentier). «On disait que c'était elle (la
duchesse de Châtillon) qui avait tout découvert à l'abbé Fouquet dans
l'affaire de ces deux hommes roués.»

[480] Entre autres M. Walckenaer dans l'ouvrage sur madame de Sévigné
cité plus haut.

[481] Cette lettre se trouve dans un manus. de la Bibl. imp. F.
Gaignières, nº 2799, fos 306 et 307, au milieu de lettres et de
billets des deux Fouquet. Elle est en partie chiffrée, et on y trouve
certaines indications ajoutées uniquement pour dérouter le lecteur. Je
les ai supprimées.

[482] Ce Bouteville, frère de la duchesse de Châtillon, devint le
maréchal duc de Luxembourg.

[483] Henri de Montmorency-Bouteville, dont il été question à la page
précédente. Il avait suivi pendant la Fronde la fortune de Condé et
partageait alors sa vie d'exil et d'aventures.

[484] Lettre de madame de Sévigné à Bussy-Rabutin, en date du 25
novembre 1655: «On dit que madame de Châtillon est chez l'abbé Fouquet.
Cela paraît plaisant à tout le monde.»

[485] Nous ne suivrons pas Bussy-Rabutin dans tous les détails qu'il
donne sur les ruses de la duchesse de Châtillon et les infortunes trop
méritées de l'abbé Fouquet. C'est du roman ou tout au moins de la
chronique scandaleuse; nous nous en tenons aux faits authentiques.

[486] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, édit. Charpentier, t.
III. p. 225-226.

[487] La duchesse de Châtillon était de la branche de
Montmorency-Bouteville. Son père était François de
Montmorency-Bouteville, qui fut arrêté et exécuté sous Louis XIII, pour
s'être battu en duel sur la place Royale, en plein jour.

[488] Le couvent des Filles de la Miséricorde était situé rue du
Vieux-Colombier.

[489] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p. 226-227

[490] Cette foire se tenait alors rue de Tournon.

[491] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p. 225.

[492] Cette lettre a été publiée dans le _Bulletin de la Société de
l'Histoire de France_, t. I, deuxième partie, p. 163.

[493] Lettre du 12 octobre 1678

[494] _Mémoires de Saint-Simon_, édit. Hachette, in-8, t. I p. 233.

[495] Lettre du 3 février 1695.

[496] Ce mémoire du conseiller d'État de la Fosse est adresse au
chancelier Séguier et se trouve dans les papiers de ce dernier, t.
XXXII, fº 145 et suiv. Bibl. imp., ms. Saint-Germain fr., nº 709.

[497] _Ibid._

[498] Les _Négociations du président Jeannin_ font partie de toutes les
collections de mémoires relatifs à l'histoire de France.

[499] On trouve la preuve de ces faits dans le tome II du _Journal
d'Olivier d'Ormesson_, où sont racontés les principaux événements du
procès de Fouquet.

[500] _Mémoires_. édit. Hachette, in-8, t. XIV, p. 112.

[501] Journal inédit de 1648 à 1657. Bibl. imp., ms., nº 1238 (_bis_),
E. fos 231-232.

[502] _Défenses_, t. III, p. 317-318, et 362-363.

[503] Journal ms. cité plus haut, _ibid._, fº 259.

[504] _Ibidem._

[505] On prononçait ainsi le nom de Charost.

[506] L'abbé Fouquet.

[507] On trouvera à l'Appendice le texte même du projet. Il a été publié
en grande partie par M. P. Clément dans son _Histoire de Colbert_, p. 41
et suiv.

[508] _Défenses_, t. III, p. 347. Le nom de Foucquet, comme nous l'avons
remarqué plus haut, signifie _écureuil_. Cet animal figurait dans les
armes des Fouquet.

[509] Voy. plus haut, p. 349.

[510] L'authenticité de ce projet est incontestable, et Fouquet lui-même
n'a jamais élevé aucun doute sur ce point.

[511] Cette lettre a été publiée dans les _Mémoires de Conrart_, p. 614,
édit, Michaud et Poujoulat.

[512] Voy. entre autres les lettres du 9 décembre 1664 et du 29 avril
1672.

[513] On trouve dans les papiers de Fouquet (ms. de la Bibl. imp. F.
Baluze) une lettre autographe de madame de Motteville à madame du
Plessis-Bellière. Elle lui demande un service auprès de Fouquet: «Dans
la confiance que j'ai en vostre bonté, Madame, je vous supplie
très-humblement de me faire la grâce de dire de ma part à M. le
surintendant que je le conjure de ne rien accorder aux habitants de
Montereau, que premièrement je ne lui fasse voir ce que j'ai à lui
demander et ce que je puis prétendre de sa protection avec justice et
sans que personne s'en puisse plaindre. Je vous supplie, Madame, de lui
dire cela le plus tost que vous pourrez, et que cette grâce que je lui
demande, quoiqu'elle soit dans l'ordre, sera pourtant comptée par moi
pour fort grande et je lui en serai infiniment redevable.»

[514] _Mémoires_, édit. Hachette, in-8, t. IV, p. 435. Annonçant sa
mort, arrivée en 1705, il ajoute: «Madame du Plessis-Bellière, la
meilleure et la plus fidèle amie de M. Fouquet, qui souffrit la prison
pour lui et beaucoup de traitements fâcheux, à l'épreuve desquels son
esprit et sa fidélité furent toujours. Elle conserva sa tête, sa santé,
de la réputation, des amis jusqu'à la dernière vieillesse, et mourut à
Paris chez la maréchale de Créqui, sa fille, avec laquelle elle
demeuroit à Paris.»

[515] Ces faits sont constatés par le procès de Fouquet.

[516] On en trouva la preuve dans les papiers de Fouquet.

[517] Ces lettres sont autographes et conservées dans les manuscrits de
la Bibl. imp. F. Baluze.

[518] Voici le texte de cette lettre:

«Monsieur.

«Du moment où j'ai vu par votre lettre que mes signes n'étoient bons à
rien, j'envoyai une chaloupe trouver M. d'Asserac pour avoir de lui ce
que vous souhaitez. Je vous enverrai un courrier exprès porter ce qui en
viendra, et je crois que je le suivrai d'assez près, n'ayant plus qu'à
vendre pour cent mille francs de terre pour faire la somme qu'il faut
que je porte. Cependant, monsieur, je vous supplie de croire que j'ai
toute la reconnoissance que je dois des bontés que vous avez pour moi.
Je suis persuadée que vous me les continuerez jusqu'au bout, vous
connoissant aussi généreux que vous êtes et étant fort sure que jamais
ma conduite ne m'en rendra indigne, et que je serai toute ma vie
très-sincèrement,

«Monsieur,

«Votre très-humble et obéissante servante,

«PÉLAGIE DE RIEUX.»

Au dos on lit:

_Monsieur_,

_Monsieur le Procureur général._

[518a] Au dos:

_Monsieur_,

_Monsieur le Surintendant._

[519] Voy. pour la preuve de ces faits un Mémoire du conseiller d'État
de la Fosse, à l'Appendice.

[520] Ce sont les termes mêmes du Mémoire du conseiller d'État.

[521] Voy. le portrait de la Rochefoucauld peint par lui-même, dans la
galerie des _Portraits de Mademoiselle_. Ce portrait est de 1659

[522] _Mémoires_, édit. Hachette, in-8, t. XI, p. 37.

[523] _Mémoires de Saint-Simon_, édit. Hachette, in-8, t. I, p. 141 et
suiv.

[524] La partialité du portrait tracé par Saint-Simon est trop frappante
pour qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point. On sait d'ailleurs
que le duc de Saint-Simon avait eu contre lui Achille de Harlay dans un
procès qu'il soutenait contre le maréchal de Luxembourg; cette
circonstance suffit pour expliquer son ressentiment.

[525] Il est appelé _Guinan_ dans les _Défenses_. On trouve ailleurs la
forme _Guinaut_ ou _Quinaut_.

[526] Voy. plus haut, p. 307.

[527] _Défenses_, t. II, p. 19 et suiv.

[527a] _Mémoires de Bussy-Rabutin_ (édit. Charpentier), t. II, p. 49-50,
et 84-86.

[527b] Ce fait ne se trouve pas dans les _Mémoires de Henri-Louis de
Loménie de Brienne_, publiés par M. F. Barrière; mais dans des Mémoires
inédits où le jeune Brienne raconte ses voyages en Allemagne, en
Hollande, en Danemark, Suède, Laponie, Prusse, Pologne, Italie. Voici le
passage où il est question de l'offre de Fouquet. Brienne était alors en
Courlande, on lui offre la fille du duc, et la princesse elle-même agrée
le projet de mariage. «Enfin, dit l'auteur, pour rompre le discours, qui
toutefois ne pouvoit me déplaire, mais qui m'embarrassoit pour m'être
trop avantageux, je m'avisai de dire en souriant: _Ma foi, je perdrois
trop à ce marché. Je serois prince, il est vrai, sans principauté; mais
je ne serois plus aussi secrétaire d'État de Sa Majesté très-chrétienne,
le roi mon maître. Et savez-vous, belle et généreuse infante, que ma
charge vaut mieux que toute la Courlande, en y joignant la Samogitie?_
Et je crois que cela étoit vrai à la lettre, puisqu'en ce temps j'aurois
pu en avoir deux millions quatre cent mille livres de M. Fouquet.» Les
Mémoires, d'où ce passage est extrait sont autographes.

[527c] Il faudrait lire, je crois, Villesavin.

[527d] Cité par M. Pierre Clément, _Hist. de Colbert_, p. 30.

[528] Loret a mis en note: _M. Fouquet, surintendant des finances et
procureur général au parlement_.

[529] _Mémoires de Gourville_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 588.

[530] _Mémoires de Gourville_, p. 524 et suiv., édit. Michaud et
Poujoulat.

[530a] Voy. plus haut, p. 330.

[530b] _Mémoires de Gourville_, p. 524.

[531] _Mémoires de Bussy-Rabutin_, édit. Charpentier, t. II, p. 86-87.

[532] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, éd. Charpentier, t. II,
p. 163.

[533] Voy. plus haut, p. 252-253.

[534] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p. 19.

[535] _Ibid._, p. 86.

[536] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p. 87.

[537] _Ibidem._

[538] _Ibid._, p. 88-91.

[539] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_. p. 91.

[540] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p. 357.

[541] _Ibid._, p. 358.

[542] Jeanne-Françoise du Plessis-Liancourt fut mariée à François de la
Rochefoucauld, le 13 novembre 1659.

[543] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, ibid., p. 365.

[544] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p. 265.

[544a] Défenses, t. III. p. 327.

[545] _Défenses_, p. 331.

[546] _Ibid._, t. III. p. 338.

[547] _Défenses_ 1. III. p. 200.--M. P. Clément a publié de nouveau le
texte de ce billet dans son _Hist. de Colbert_, p. 30.

[548] _Défenses_, _Ibid._, p. 314 et 315.

[549] P. 364-367.

[550] _Défenses_, _ibid._, p. 315-316.

[551] _Défenses_, t. III, p. 343.

[552] _Ibid._, p. 347.

[553] Voy. p. 373-374.

[554] Ces lettres autographes sont conservées à la Bibl. imp. dans les
papiers de Fouquet. F. Baluze.

[555] _Défenses_, _ibid._, p. 357.

[556] _Défenses_, t. III, p. 358.

[557] _Ibid._, p. 354.

[558] Les lettres de mademoiselle de Treseson sont conservées à la
Bibliothèque impériale. L'interprétation présente des difficultés qui
tiennent à un système alors fort usité pour déguiser les noms des
personnages et des villes; Fouquet s'appelle _M. le Baron_; mademoiselle
de Treseson, _mademoiselle de Bel-Air_; madame du Plessis-Bellière,
_madame du Ryer_; le roi Louis XIV, _M. le Président_; la duchesse de
Savoie, _madame Aubert_; le cardinal Mazarin, _M. le Conseiller_; le duc
de Savoie, _M. Duclos_; sa sœur Marguerite, _mademoiselle le Roy_, etc.
J'ai fait disparaître ces pseudonymes dans les lettres que je publie;
ils ne serviraient qu'à dérouter et fatiguer le lecteur.

[559] Édit. Charpentier, t. III. p. 306.

[560] C'est ce qu'en dit mademoiselle de Montpensier: «Je lui trouvai de
l'esprit plus que de la beauté.» (_Ibid._, p. 317.)

[561] «Elle montra à la reine une de ses filles, nommée Treseson, qui
est Françoise, de la province de Bretagne, dont M. de Savoie étoit
amoureux.» (_Ibid._, p. 311.)

[562] Marguerite de Savoie devant (on le supposait du moins) devenir
reine de France, mademoiselle de Treseson l'aurait accompagnée en
France, comme fille d'honneur.

[563] Il s'agit du voyage de Lyon, où les cours de France et de Savoie
devaient se rencontrer

[564] Mademoiselle de Montpensier attribue les mêmes pressentiments à
Marguerite de Savoie: «L'on disoit que Madame Royale avoit fait ce
voyage contre l'avis de sa fille, qui la pria, à Chambéry, de la
laisser, et de ne l'exposer point à un refus.» (_Mémoires. ibid._, p.
318.)

[565] Mademoiselle de Montpensier parle aussi des présents que la
duchesse de Savoie avait faits à mademoiselle de Treseson: «Elle
(mademoiselle de Treseson) me conta que Madame Royale lui avait donné
des perles, des pendants d'oreilles qu'elle avoit, assez raisonnables.»
(_Ibid._, p 317.)

[566] Vieille tournure, pour _si je ne m'imaginais que_...

[567] _Mémoires, ibid._, p. 313 et suiv.

[568] _Mémoires, ibid._, p. 307.

[569] _Ibid._, p. 313.

[570] Christine de France, duchesse douairière de Savoie.

[571] Le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse, fille de
Philippe IV.

[572] _Mémoires, ibid._, p. 323.

[573] On sait quelle était au dix-septième siècle la force des mots
_ennui_ et _ennuyeuse_.

[574] Françoise de France, fille de Gaston d'Orléans et de Marguerite de
Lorraine, fut en effet mariée, le 4 mais 1663, avec le duc de Savoie
Charles-Emmanuel.

[575] Mademoiselle dit dans ses _Mémoires_ (_ibid._, p. 366) que
mademoiselle de Treseson fut la principale cause du mariage de sa sœur
avec le duc de Savoie. Elle parle avec un ressentiment assez visible de
la jeune Bretonne, qu'elle traite de «_maîtresse de M. de Savoie_.»

[576] La paix des Pyrénées se négociait à cette époque, et fut signée le
7 novembre 1659.

[577] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, _ibid._, III, 566.

[578] _Ibid._, p. 452.

[579] Ces vers n'ont été imprimés qu'en tête de la tragédie d'_Œdipe_,
publiée en 1659; mais ils paraissent antérieurs. Le poëte demande au
surintendant de lui désigner les noms qu'il veut immortaliser, et ce fut
alors que Fouquet lui proposa trois sujets de tragédie.

[580] On voit également, par un passage des poésies de la Fontaine, que
nous citerons au chapitre suivant, que c'était dans la bibliothèque de
Saint-Mandé qu'il attendait une audience de Fouquet, et que cette
bibliothèque était remplie de curiosités réunies à grands frais de
toutes les parties du monde.

[581] L'Œdipe de Corneille eut, en effet, un succès qui ne s'est pas
soutenu. Voici ce qu'en dit Loret dans sa lettre du 25 janvier 1659:

Monsieur de Corneille l'ainé
Depuis peu de temps a donné
A ceux de l'hôtel de Bourgogne
Son dernier ouvrage, ou besogne.
Ouvrage grand et signalé,
Qui l'Oedipe est intitulé;
Ouvrage, dis-je, dramatique,
Mais si tendre et si pathétique.
Que, sans se sentir émouvoir,
On ne peut l'entendre ou le voir.
Jamais pièce de cette sorte
N'eut l'élocution si forte:
Jamais, dit-on, dans l'univers,
On n'entendit de si beaux vers.

Je n'y fus point, mais on m'a dit
Qu'incessamment on entendit
Exalter cette tragédie,
Si merveilleuse et si hardie,
Et que les gens d'entendement
Lui donnoient, par un jugement
Fort sincère et fort équitable,
Le beau titre d'inimitable.


[582] Corneille répète les mêmes choses, presque dans les mêmes termes,
dans son _Examen d'Œdipe._

[583] _Sertorius_ parut en 1662 et _Othon_ en 1664. Il est curieux de
voir à quel point la haine altéra dans la suite les actes les plus
honorables de Fouquet et chercha à s'en faire des armes contre lui.
L'abbé d'Aubignac accuse le surintendant d'avoir prodigué les trésors de
l'État pour ramener Corneille aux «jeux de la scène, et celui-ci de
n'avoir répondu à de si folles prodigalités que par un ouvrage composé
uniquement pour diminuer «les tendresses et le respect que nous devons à
nos rois.»

[584] Fontenelle indique dans la _Vie de Corneille_ deux des sujets
proposés par le surintendant (_Œdipe_ et _Camma_); mais il ne cite pas
le troisième.

[585] Je dois les indications sur les relations de Thomas Corneille avec
Fouquet à un de mes amis, M. Delzons, professeur de l'Université, qui
joint à un goût délicat une connaissance approfondie de la poésie du
dix-septième siècle.

[586] Voy. _l'Étude sur Pellisson_, par M. Marcou, 1 vol. in-8 (Paris.
1859, chez Didier et Durand).

[587] Voy. sur ces personnes les _Historiettes de Tallemant des Réaux_,
et la _Société franç. au dix-septième siècle_, par M. Cousin, t. II, p.
244 et suiv.

[588] Cette lettre est citée dans la _Société franç. au dix-septième
siècle_, etc. t. II, p. 475. Elle prouve que ce ne fut pas chez
mademoiselle de Scudéry que Pellisson fit la connaissance de madame du
Plessis-Bellière, comme on l'a répété dans plusieurs ouvrages. C'est
lui, au contraire, qui mène son amie chez la parente du surintendant.

[589] Mademoiselle de Scudéry.

[590] Nicolas Fouquet avait alors son hôtel rue du Temple.

[591] Tallemant, _Historiettes_, 413-414; Marcou, _Étude sur Pellisson_,
p. 171 et suiv.

[592] Armand du Plessis, cardinal de Richelieu.

[593] On trouve dans les mss. Conrart, in-fº, t. XI. p. 153, un billet
attribué à Fouquet avec cette indication: _Lettre du sieur Fouquet à une
dame, corrigée de la main de Pellisson_. Mais ces prétendues lettres de
Fouquet sont pour la plupart apocryphes. Ce billet, que les
contemporains prétendent adressé à mademoiselle de la Vallière, n'a rien
de remarquable. En voici le texte d'après Conrart: «Puisque je fais mon
unique plaisir de vous aimer, vous ne devez pas douter que je ne fasse
toute ma joie de vous satisfaire. J'aurais pourtant souhaité que
l'affaire que vous avez désirée fût venue purement de moi; mais je vois
bien qu'il faut qu'il y ait toujours quelque chose qui trouble ma
félicité, et j'avoue, ma chère demoiselle, qu'elle serait trop grande,
si la fortune ne l'accompagnait quelquefois de quelque traverse. Vous
m'avez aujourd'hui causé mille tentations en parlant au roi; mais je me
soucie fort peu de ses affaires, pourvu que les nôtres aillent bien.»

[594] La carte du _pays de Tendre_, telle que mademoiselle de Scudéry
l'a donnée dans la _Clélie_, mérite d'être citée. Elle suffit pour
donner une idée de cette littérature des _précieuses_: «La première
ville située au bas de la carte du _pays de Tendre_ est
_Nouvelle-Amitié_. Comme on peut avoir de la tendresse par trois causes
différentes, ou par une grande estime, ou par reconnoissance, ou par
inclination, on y a établi trois villes de Tendre sur trois rivières,
qui portent trois noms, et on a fait aussi trois routes différentes pour
y aller, si bien que comme on dit Cumes sur la mer d'Ionie et Cumes sur
la mer Tyrrhène, on dit aussi _Tendre-sur-Inclination,
Tendre-sur-Estime_ et _Tendre-sur-Reconnoissance_. Cependant comme
Clélie a présupposé que la tendresse qui naît par inclination n'a besoin
de rien autre chose pour être ce qu'elle est, elle n'a mis nul village
le long de ses rives pour aller de _Nouvelle-Amitié_ à _Tendre_. Mais
pour aller à _Tendre-sur-Estime_, il n'en est pas de même; car Clélie a
ingénieusement mis autant de villages qu'il y a de petites et de grandes
choses qui peuvent contribuer à faire naître par estime cette tendresse
dont elle entend parler. En effet, vous voyez que de _Nouvelle-Amitié_
on passe à un lieu qu'on appelle _Grand-Esprit_, parce que c'est ce qui
commence ordinairement l'estime. Ensuite, vous voyez ces agréables
villages de _Jolis-Vers_, de _Billet-Galant_ et de _Billet-Doux_, qui
sont les opérations les plus ordinaires du grand esprit dans le
commencement d'une amitié. Ensuite, pour faire un plus grand progrès
dans cette amitié, vous voyez _Sincérité, Grand-Cœur, Probité,
Générosité, Respect, Exactitude et Bonté_, qui est tout comme _Tendre_.
Après cela il faut retourner à _Nouvelle-Amitié_, pour voir par quelle
route on va de là à _Tendre-sur-Reconnaissance_. Voyez donc, je vous
prie, comment il faut aller de _Nouvelle-Amitié_ à _Complaisance_,
ensuite à ce petit village qui se nomme _Soumission_, et qui en touche
un autre fort agréable qui se nomme _Petits-Soins_. De là il faut passer
par _Assiduité_, et à un autre village qui s'appelle _Empressement_,
puis à _Grands-Services_, et pour marquer qu'il y a peu de gens qui en
rendent de tels, ce village est plus petit que les autres. Ensuite il
faut passer à _Sensibilité_. Après, il faut, pour arriver à _Tendre_,
passer par _Tendresse_. Ensuite il faut aller à _Obéissance_, et pour
arriver enfin où l'on veut aller, il faut passer à _Constante-Amitié_.
Mais comme il n'y a pas de chemin où l'on ne puisse s'égarer, Clélie a
fait que si ceux qui vont à _Nouvelle-Amitié_ prenaient un peu plus à
droite ou un peu plus à gauche, ils s'égareroient aussi. Car, si au
partir de _Grand-Esprit_ on alloit à _Négligence_, qu'ensuite,
continuant cet égarement, on allât à _Inégalité_, de là à _Tiédeur_, à
_légèreté_ et à _Oubli_, au lieu de se trouver à _Tendre-sur-Estime_, on
se trouveroit au lac d'_Indifférence_, qui, par ses eaux tranquilles,
représente sans doute fort juste la chose dont il porte le nom en cet
endroit. De l'autre côté, si, au partir de _Nouvelle-Amitié_, on prenoit
un peu trop à gauche, et qu'on allât à _Indiscrétion_, à _Perfidie_, à
_Orgueil_, à _Médisance_ ou à _Méchanceté_, au lieu de se trouver à
_Tendre-sur-Reconnoissance_, on se trouveroit à la _Mer-d'Inimitié_, où
tous les vaisseaux font naufrage. La rivière d'_Inclination_ se jette
dans une mer qu'on appelle la _mer Dangereuse_, et ensuite au delà de
cette mer, c'est ce que nous appelons _terres inconnues_, parce qu'en
effet nous ne savons point ce qu'il y a. _Clélie_, (édit. de 1660, in-8
t. I, p. 399 et suiv.)

[595] Mss. de la Bibl. imp., F. Baluze. Ces lettres ont été publiées,
mais incomplètement, par M. Marcou, dans son _Étude sur Pellisson_.

[596] Cette lettre est probablement des premiers jours de septembre
1661.

[597] Il est question dans les _Mémoires de Huet_ d'un Jacques
Graindorge de Prémont, qui se faisait remarquer par ses études sur les
antiquités romaines et la numismatique. Je ne sais si c'est celui dont
parle mademoiselle de Scudéry.

[598] Le comte Tott ou du Tot était ambassadeur de Suède en France. Il
était arrivé à Fontainebleau au mois de juillet. Loret en parle ainsi
dans sa _Gazette_ ou _Muse historique_, du 31 juillet 1661:

Le grand comte Tot, qui ne cède
A pas un des grands de Suède
En ce que doit avoir d'honneur
Tout brave et généreux seigneur,
C'est-à-dire en esprit, courage.
Grâce, politesse et lignage.
Lundi dernier, jour assez beau,
Arriva dans Fontainebleau,
Suivi d'une nombreuse presse
De gens de cour et de noblesse,
Desquels tous il fut escorté
Par ordre de Sa Majesté.


[599] Marie-Éléonore de Rohan, abbesse de la Sainte-Trinité de Caen.
Elle figure parmi les _précieuses_ de cette époque. Voyez son portrait
peint par elle-même dans la galerie des _Portraits de Mademoiselle_.

[600] Il est question d'une demoiselle Boquet et de sa sœur dans le
_Dictionnaire des Précieuses_ de Somaize: «Bélise (mademoiselle Boquet
et sa sœur sont deux précieuses âgées qui jouent fort bien du luth, et
qui ont une grande habitude à toucher les instruments. Elles logent
aussi au quartier de l'Éolie au Marais), qui est le lieu où les
précieuses font le plus de bruit.»

[601] Il m'est impossible de déterminer avec précision la position de
cette maison de campagne. Elle parait avoir été située sur les bords de
la Seine et à peu de distance de Fontainebleau.

[602] Il s'agit ici de mademoiselle de la Motte d'Argencourt, qui venait
d'être expulsée de la cour. Voy. les _Mémoires de madame de Motteville_,
à l'année 1661, ainsi que les _Mémoires de la Fare_ et ceux du jeune
Brienne. On a souvent confondu cette fille d'honneur de la reine avec
mademoiselle de la Mothe-Houdancourt, qui fut un instant recherchée par
Louis XIV.

[603] Femme d'un des commis du surintendant.

[604] On trouve dans les papiers de Conrart à la bibliothèque de
l'Arsenal (t. XI, in-fº, p. 187) un portrait de M. Méringat ou Mérignat,
écrit par lui-même.

[605] Nicolas de Nicolaï fut premier président de la chambre des
comptes, de mars 1656 à février 1686.

[606] Philippe de France, frère de Louis XIV.

[607] Henriette de Coligni, comtesse de la Suze, née en 1618, morte en
1671. Mademoiselle de Scudéry en a fait un éloge pompeux dans la
_Clélie_. Hésiode, endormi sur le Parnasse, voit en songe les Muses, et
Calliope lui montre les poëtes qui naîtront dans la suite des âges. A
l'occasion d'Henriette de Coligni, la Muse s'exprime ainsi: «Regarde
cette femme qui t'apparoît: elle a, comme tu vois, la taille de Pallas
et sa beauté, et je ne sais quoi de doux, de languissant et de
passionné, qui ressemble assez à cet air charmant que les peintres
donnent à Vénus. Cette illustre personne sera d'une si grande naissance,
qu'elle ne verra presque que les maisons royales au-dessus de la sienne.
Sache qu'elle naîtra encore avec plus d'esprit que de beauté,
quoiqu'elle doive, comme tu vois, posséder mille charmes. Elle aura même
une bonté généreuse qui la rendra digne de toutes les louanges, sans te
parler de tant d'autres admirables qualités que le ciel lui prodiguera.
Apprends seulement qu'elle te fera des élégies si belles, si pleines de
passion, et si précisément du caractère qu'elles doivent avoir, qu'elle
surpassera tous ceux qui l'auront précédée et tous ceux qui la voudront
suivre.» Henriette de Coligni fut mariée, en 1643, à Thomas Hamilton,
comte d'Hadington ou Adington, et devint veuve peu de temps après. Elle
épousa en secondes noces le comte de la Suze, qui était calviniste.
Henriette de Coligni, petite-tille de l'amiral de Coligni, était de la
même religion; mais, en 1655, elle se fit catholique, «afin, disait la
reine Christine, de ne voir son mari ni dans ce monde ni dans l'autre.»
Elle demanda, en effet, la rupture de son mariage avec le comte de la
Suze, et l'obtint en 1661. C'est à cet événement que mademoiselle de
Scudéry fait allusion dans la lettre à Pellisson. On a sous le nom de
madame de la Suze, des recueils de vers qui ne justifient pas les éloges
des contemporains.

[608] Catherine Belier, femme de chambre de la reine Anne d'Autriche.

[609] Il était l'amant de mademoiselle de la Motte d'Argencourt, comme
on le voit par les Mémoires du jeune Brienne.

[610] Rémond du Mas était, comme la Bastide, un des commis de Fouquet.

[611] Paris, 1659.

[612] Cette pièce se trouve dans les mss. de Conrart à la Bibl. de
l'Arsenal (t. XI, in-fº, p. 151), avec d'autres billets dont nous
examinerons l'authenticité lorsqu'il sera question de la cassette de
Fouquet. La transcription est de l'époque de Conrart, mais c'est une
main plus moderne qui, en haine de madame de Maintenon, a attribué ce
billet à madame Scarron: «Je hais le péché, mais je hais encore plus la
pauvreté. J'ai reçu de vous dix mille ecus; si vous voulez encore en
apporter dix mille dans deux jours, je verrai ce que j'aurai à faire; je
ne vous défends pas d'espérer.» Conrart dit, dans une note, qu'il croit
ce billet écrit par madame de la Baulme. Les ennemis mêmes de madame de
Maintenon ne lui ont jamais refusé une certaine pruderie de style qui
contraste avec le ton de ce billet.

[613] Je regrette de ne pas pouvoir donner le texte des lettres de
madame Scarron d'après l'édition que prépare H. Lavallée. Je n'ai à ma
disposition que celle de la Beaumelle.

[614] Cette lettre porte la date du 18 janvier 1660.

[615] Voy. l'_Histoire de la vie et des ouvrages de J. de la Fontaine_,
par M. Walckenaer (1 vol. in-8, Paris, 1854.)

[616] On donnait le titre de _Monseigneur_ au surintendant. Voy. la
_Dédicace_ en tête de l'_Œdipe_ de P. Corneille.

[617] C'était le nom que l'on donnait alors au trésor public.

[618] Pour assignée. On appelait alors _assignations_ les mandats sur le
trésor.

[619] Me servira de garant, de caution.

[620] Quelle est la personne désignée sous le nom d'Iris? Il n'est pas
facile de suivre les volages amours de la Fontaine. Il est probable
cependant qu'il s'agit ici de Claudine Colletet, qui se piquait
elle-même de poésie. Voy. l'_Histoire de la vie et des ouvrages de J. de
la Fontaine_, par M. Walckenaer.

[621] Jules Mazarin, qui venait de conclure la paix des Pyrénées.

[622] Ce mot s'employait alors dans le sens de débat et querelle.

[623] Marie-Thérèse d'Autriche, que Louis XIV épousa à Saint-Jean de
Luz, le 9 juin 1660.

[624] Voy. plus haut.

[625] C'est-à-dire assignée sur un bon fonds. On a vu plus haut que les
surintendants donnaient quelquefois des assignations, ou mandats du
payement, sur des fonds déjà épuisés.

[626] Il s'agit toujours de la paix des Pyrénées, qui fut suivie du
mariage du roi avec l'infante d'Espagne.

[627] Vieux mot qui signifiait l'abondance et l'impétuosité. On disait
que le sang coulait d'une blessure à _gros randons_.

[628] Je renvoie le lecteur à ces pièces qui se trouvent dans toutes les
éditions complètes de la Fontaine.

[629] Ces manuscrits sont conservés à la Bibl. de l'Arsenal. Il y a deux
collections, l'une in-4º, l'autre in-fº. Il est question ici de la
collection in-fº.

[630] Ce rapport autographe se trouve à la Bibl. imp., ms. F.
Gaignières, nº 2799, fº 302, rº.

[631] Manusc. de la Bibl. Mazarine, n° 1719, t. III, f° 403. recto.

[632] Il s'agit ici des Pays-Bas espagnols, qui correspondent, à peu
près, au royaume actuel de Belgique.

[633] Voy. les _Négociations relatives à la succession d'Espagne_, par
M. Mignet t. I, p. 178.

[634] _Histoire de France_, 4e édit., t. XII, p. 252 et suiv.

[635] La correspondance de cet ambassadeur fait partie des manuscrits de
la Bibl. imp.

[636] «Ils ont éprouvé, dit l'auteur du Mémoire, que les François ne
peuvent oublier leur nature libre et leur familiarité trop grande dans
la pratique de leurs femmes, et la conversation qu'on ne leur peut ôter,
point si sensible aux régnicoles et à toute l'Italie, que la moindre
chose en cela les offense en honneur et la réputation.»

[637] L'intention de tenir le traité secret était si formelle, qu'il
était recommandé à l'intendant de l'armée, auquel on remit le document
chiffré, «de le déchiffrer lui-même sans la participation de qui que ce
soit.»

[638] La princesse de Carignan, femme du prince Thomas de Savoie, était
sœur du comte Louis de Soissons, tué à la bataille de la Marfée, en
1641.

[639] Bibl. imp., mss. F. Saint-Germain fr., nº 709, t. XXXII, fº 145.
Autographe. Le conseiller de la Fosse était un des commissaires chargés
de faire l'inventaire des papiers de Saint-Mandé.

[640] Le mariage n'eut lieu qu'en 1657. Voy. p. 357.

[641] Il semble qu'il y a ici erreur. La marquise d'Asserac était de la
maison de Rieux, et signait PÉLAGIE DE RIEUX. Voy. p. 364-365.

[642] Abel Servien était mort au mois de février 1659.

[643] L'inventaire était fait à Saint-Mandé par les conseillers d'État
de Lauzon et de la Fosse, et le maître des requêtes Poncet.

[644] Fº 85 du même manuscrit.

[645] C'est-à-dire avec des corrections en interligne. Ces corrections
ont été mises en note dans notre reproduction du projet.

[646] Fouquet a ajouté en interligne dans la rédaction de 1658: _à mon
frère l'Abbé, qui s'est engagé peut-estre trop légèrement, puisqu'il n'a
pas de titre pour cela, contre M. le Prince_.

[647] Addition de 1658 en interligne: _qui confondent toute la famille
et attendent_, etc.

[648] Fouquet a effacé, en 1658, ces mots _en mon frère l'abbé_ et y a
substitué _en mes frères_.

[649] Le mot _proches_ a été effacé en 1658 et remplacé par _amis_.

[650] Fouquet a effacé toute cette phrase, depuis: _et que mon frère
l'abbé n'y fust pas_, et y a substitué la suivante en 1658: _et que mon
frère l'abbé, qui s'est divisé dans les derniers temps d'avec moy mal à
propos, n'y fust pas et qu'on le laissent en liberté, il foudroit
doubter qu'il eust esté gagné contre moy, et il seroit plus à craindre
en cela qu'aucun autre. C'est pourquoi le premier ordre seroit d'en
advertir un chacun, estre sur ses gardes et observer sa conduite_.

[651] Cette phrase a été remplacée par la suivante: _Si j'estois donc
prisonnier et que l'on eust la liberté de me parler, je donneray les
ordres se là_, etc.

[652] Note ajoutée par les commissaires: _Ce la Vallée est le valet de
chambre_ qui sert M. Fouquet à Vincennes.

[653] Bruant des Carrières, un des principaux commis de Fouquet.

[654] Le sieur Pecquet, médecin, est auprès de Fouquet depuis sa
détention. (_Note des commissaires_.)

[655] Cette phrase, _qu'il m'a dit avoir sur M. de Bellebrune,
gouverneur de Hesdin_, été rayée et remplacée par celle-ci: _qu'il a sur
le commandant du Havre_.

[656] Cette phrase a été modifiée dans la seconde rédaction, depuis
_comme du Fresne_ jusqu'à _dans Ham_, et remplacée par la suivante:
_dans Bellisle, M. de Brancas, auquel je me confie entièrement, auroit
la principale conduite de tout avec madame du Plessis_.

[657] Les derniers mots de la phrase, depuis _tant de sa compagnie_, ont
été supprimés.

[658] La seconde rédaction porte en interligne: _Bellisle et Concarnau_,
au lieu de _Ham_ qui a été effacé.

[659] Cette phrase, depuis: _et que M. le marquis d'Hocquincourt_, a été
biffée et remplacée par celle-ci: _et que M. le mareschal de la
Meilleraye, quoiqu'il m'ait donné parole d'estre dans mes intérests
envers et contre tous en présence de M. de Brancas et de madame du
Plessis, n'en useroit peut-estre par trop bien, il faudrait advertir
Deslandes de prendre des hommes le plus qu'il pourroit, sans faire
néantmoins rien de mal à propos_. On doit se rappeler que le marquis
d'Hocquincourt avait remplacé le maréchal, son père, comme gouverneur de
l'éronne, que le maréchal de la Meilleraye était gouverneur de Bretagne,
et Deslandes, gouverneur de Concarneau. La substitution de Belle-Isle à
Ham a rendu ces changements nécessaires dans la suite du projet.

[660] Ce paragraphe a été complètement supprimé.

[661] Il y avait, dans la première rédaction, _au Croisil_ (auj.
Croisic).

[662] Tombelaine est une petite île située près du mont Saint-Michel.
Dans la seconde rédaction, Fouquet a remplacé _à Concarnau et
Tombelaine_ par ces mots: _faire accommoder Saint-Michel et Tombelaine_.

[663] Fouquet a remplacé ce membre de phrase par le suivant: _Il serait
important que ceux qui commandent dans Saint-Michel et Tombelaine soient
advertis de s'y tenir_.

[664] Dans la seconde rédaction ces mots, _dans l'abbaye du
Pont-aux-Dames_, ont été biffés et remplacés par cette phrase: _qu'elle
allait s'enfermer quelque temps dans la citadelle d'Amiens ou de
Verdun_.

[665] Cette phrase a été ainsi modifiée: _n'a pas de luy-mesme toute la
circonspection nécessaire_.

[666] Fouquet a changé ainsi cette phrase: _M. de Brancas, MM. de
Langlade et de Gourville m'ont beaucoup d'obligation_.

[667] Ce mot a été effacé dans la seconde rédaction et remplacé par
_Bellisle_.

[668] Ici commence la partie du projet écrite en 1658, après
l'acquisition de Belle-Isle, et où le nom de cette place se trouve dans
le corps même de l'écrit.

[669] On écrit ordinairement _Neuchèse_.

[670] Fouquet avait ajouté: _ou au Havre_; mais il a effacé ces mots.

[671] Ce nom a été ajouté en interligne.

[672] Louis Fouquet, alors coadjuteur de l'évêque d'Agde, était en même
temps conseiller du parlement de Paris.

[673] François Fouquet, qui n'était encore en 1658 que coadjuteur de
l'archevêque de Narbonne.

[674] Fouquet a remplacé _ses cinq_ par _quelques_.

[675] Fouquet a ajouté en interligne _et chez M. de Bournonville_.

[676] C'est-à-dire _de la première chambre des enquêtes_.

[677] La phrase a été copiée textuellement. Fouquet veut dire sans doute
que M. Amproux connait bien les usages du parlement et y peut servir
pour toutes choses.

[678] Les protestants.

[679] Fº 94 du même volume.

[680] Papiers de Fouquet, Bibl. imp., F. Baluze, t. II, p. 249. Au dos:
_Monsieur le Procureur général_.

[681] _Œuvres de la Fontaine_, édit. Walckenaer, t. VI, p. 350 et suiv.
Paris. Lefèvre, 1828.

[682] L'ordonnance qui nomme Nicolas Fouquet seul surintendant des
finances se trouve dans le journal de Foucault, déjà cité, t. VIII.

[683] Probablement _preuve de capacité_. On dit encore _faire ses
preuves_.

[684] Cette maison, située rue Saint-Antoine, est aujourd'hui le lycée
Charlemagne.

[685] L'archevêque de Rouen était, à cette époque, Harlay de Chanvalon,
qui devint, dans la suite, archevêque de Paris.

[686] Prince de Conti, frère du prince de Condé.

[687] Gouverneur de Narbonne.

[688] Barthélémy Hervart, ou d'Hervart, était un des plus riches
financiers de cette époque. Il avait obtenu la faveur de Mazarin en lui
avançant des sommes considérables pendant la Fronde.

[689] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CLXVII, pièce 172.

[690] Je n'ai sous les yeux que l'édition défectueuse donnée par la
Beaumelle (Amsterdam, 1756, in-12), t. I, p. 25.

[691] Frère de Louis XIV, qui porta plus tard le titre de duc d'Orléans.

[692] _Mémoires de Gourville_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 525.

[693] «Ces avis (il s'agit de lettres et avis adressés à Fouquet), et
entre autres un de 1659, contiennent tout le dessein du sieur Colbert,
en la manière qu'il s'est exécuté depuis et s'exécute encore à présent.
C'est une pièce principale, que j'ai montrée à plusieurs personnes, qui
porte tout le détail du complot, et particulièrement que Colbert faisoit
de grandes instances auprès de Son Éminence pour m'ôter mon emploi et
faire résoudre une chambre de justice, dont il seroit le maître.»
(Défenses, t. II, p. 26.)

[694] Mazarin s'était rendu dans cette ville pour négocier avec don
Louis de Haro.

[695] _Mémoires de Gourville_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 525-526.

[696] _Ibid._ p. 526.

[697] Voy. la lettre de Bartet au chapitre suivant.

[698] Gourville ne parle pas de ce voyage de Fouquet à
Saint-Jean-de-Luz; mais la lettre du cardinal à Colbert, en date du 20
octobre 1659, ne laisse aucun doute sur ce point. On sait d'ailleurs,
par les lettres de Mazarin au roi et à la reine, en date du 20 octobre
1659, que Fouquet resta trois jours avec Mazarin à Saint-Jean-de-Luz, du
17 au 20 octobre, et repartit ensuite pour Bordeaux, où il rejoignit la
cour et l'accompagna à Toulouse.

[699] Cette lettre de Mazarin à Colbert a été publiée, sans date, dans
les _Documents historiques tirés de la Bibliothèque impériale_
(Collection des _Documents inédits_), t. II, p. 501 et suivantes. La
date de cette lettre est déterminée par la réponse de Colbert. M. Pierre
Clément a réimprimé ces deux lettres dans son _Histoire de Colbert_.

[700] Ce voyage, dont il a été question au t. I, p. 7, fut entrepris par
le cardinal après l'arrestation des princes. Fouquet l'accompagnait en
qualité de maître des requêtes.

[701] Colbert veut parler du règlement du 21 décembre 1654, dont il a
été question plus haut. Voy. t. I, p. 269-270.

[702] Voy. t. I, p. 386.

[703] Il est souvent question de ce personnage dans les _Défenses de
Fouquet_. C'était un des confidents du surintendant, qui en parle avec
beaucoup d'estime: «Ceux à qui le nom, le mérite, la vertu et la
fidélité de M. Chanut ont esté connues [auront peine à croire] que cet
homme, d'une probité rare et incomparable, ait esté choisi pour estre le
confident d'une révolte.» _Défenses_, t. III. p. 353.

[704] Denis Talon, dont il s'agit ici, avait succédé à son père Omer
Talon dans la charge d'avocat général au parlement de Paris.

[705] Les _Mémoires de Gourville_ prouvent que Colbert avait deviné
juste.

[706] Voy. dans les _Mémoires de Conrart_ l'article intitulé BARTET,
_secrétaire du cabinet_.

[707] On connaît la plaisanterie de Gaston d'Orléans qui, parlant des
Fouquet, Bartet, Brachet, Milet, etc., qui étaient dévoués à Mazarin,
disait: _Omnia nomina in_ ET _sunt Mazarinei generis_.

[708] Voy. t. I, p. 390-391, la conduite de l'abbé Fouquet.

[709] Les canons étaient des ornements de toile ronds, fort larges,
souvent ornés de dentelles, qu'on attachait au-dessous du genou et qui
tombaient jusqu'à la moitié de la jambe. Molière s'est moqué

De ces larges canons, où comme en des entraves
On met tous les matins ses deux jambes esclaves.


[710] Nœuds de ruban qui servaient à orner les vêtements.

[711] _Mémoires de Conrart_, article BARTET.

[712] T. VI, p. 120 édit. Hachette, in-8.

[713] Ce conseiller du Parlement de Pau, que Bartet accusa d'abord de
l'attentat commis contre sa personne, se nommait Casaux. Voy. _Mémoires
de Conrart_, article BARTET.

[714] M. de Nouveau était directeur des postes.

[715] _Mémoires de Conrart_, article BARTET.

[716] Lettre du 19 juillet 1655.

[717] Baigneur célèbre de cette époque, chez lequel on trouvait tous les
raffinements du luxe.

[718] _Mémoires_ (édit Hachette, in-8), t. VI, p. 121.

[719] Bartet ne quitta la cour qu'après la disgrâce de Fouquet. Il se
retira alors à Neufville, près de Lyon, dans un domaine de la famille de
Villeroy. Il y vécut jusqu'à un âge très-avancé (cent cinq ans) Bartet
mourut en 1707.

[720] On sait que Mazarin négociait le mariage de Louis XIV avec
l'infante Marie-Thérèse, en même temps que la paix des Pyrénées.

[721] Bartet fait allusion à la passion que le roi avait éprouvée pour
Marie Mancini et dont le cardinal ne le croyait pas bien guéri.

[722] Il s'agit du commerce épistolaire entre Louis XIV et Marie Mancini
reléguée à Brouage.

[723] Ces deux mots espagnols furent francisés et formèrent le mot
_médianoche_, très-usité au dix-septième siècle pour indiquer un repas
fait à minuit, en gras, lorsqu'on passait d'un jour maigre à un jour
gras, Madame de Sévigné en parle souvent dans ses lettres: «Le soir, le
roi alla à Liancourt, où il avait commandé _médianoche_.» (Lettre du 26
avril 1671.) Voy. aussi lettres du 26 août 1671, du 6 avril 1672, etc.

[724] Il y a ici un _lapsus_, il faudrait huit mille pour faire le
chiffre de dix mille indiqué par Bartet.

[725] Ce passage détermine l'époque où Fouquet vint à Bordeaux; ce fut
vers la fin de septembre ou au commencement d'octobre 1659.

[726] On a vu, dans une lettre précédente, que Langlade était, comme
Bartet, secrétaire du cabinet.

[727] Les Mémoires du dix-septième siècle attestent que tel n'était pas
le caractère habituel de Vardes; c'était, au contraire, un des seigneurs
les plus brillants et les plus vaniteux de la cour.

[728] Marie-Anne Mancini, dernière nièce du cardinal Mazarin. Elle
épousa dans la suite le duc de Bouillon.

[729] Ce château fort était situé près de Charleville.

[730] Le maréchal de Gramont était chargé de faire la demande officielle
de la main de l'infante Marie-Thérèse.

[731] On sait que Louis de Bourbon, prince de Condé, rentra en grâce par
suite de la paix des Pyrénées.

[732] Premier chirurgien du roi.

[733] Le Tellier et Loménie de Brienne.

[734] Remords de conscience.

[735] Catherine Belier, première femme de chambre de la reine.

[736] Louis Fouquet, frère du surintendant. Il était aumônier du roi.

[737] Madame de Laubardemont était également femme de chambre de la
reine. Loret en parle dans sa lettre du 10 avril 1660:

...La sage Laubardemont,
Femme de chambre de la reine,
Mourut la seconde semaine
Du mois de mars dernier passé.


[738] Il s'agit des _états de Languedoc_, dont l'ouverture avait eu lieu
le 1er octobre Voy. le chapitre suivant.

[739] _Muse historique_, lettre du 18 octobre 1659.

[740] Loret a ajouté en note: _Messire François Fouquet, frère aîné de
monseigneur le surintendant_.

[741] Voy. plus haut, p. 28 et 32.

[742] Ci-dessus, p. 13.

[743] _Mémoires de Gourville_, ibid., p. 526. Si l'on s'en rapporte aux
lettres de Gui-Patin, il semble que le surintendant était revenu à Paris
après l'entrevue de Saint-Jean-de-Luz et qu'il fut de nouveau appelé à
la cour. On lit, en effet, dans une lettre du 2 décembre 1659: «M.
Fouquet, surintendant des finances, a été appelé à la cour pour quelque
chose que M. Hervart avoit dit contre lui, et eût été en danger de
perdre la surintendance, s'il n'eût paré le coup, et, dit-on, en donnant
cinquante mille écus au cardinal comme un présent de bagatelle; il
revient bien rétabli.» Les derniers mots peuvent faire supposer qu'il
s'agit d'un voyage déjà ancien, comme celui que Fouquet avait fait au
mois d'octobre. D'ailleurs la chronologie des lettres de Gui-Patin est
loin d'être établie d'une manière satisfaisante.

[744] _Mémoires de Gourville_, ibid., p. 526.

[745] «M. de Brancas, dit Gourville, étoit assez de mes amis, parce que
de temps en temps je lui donnois de l'argent de la part de M. Fouquet,
et à bien d'autres aussi.»

[746] _Mémoires de Gourville_, ibid., p. 527.

[747] T. III, p. 291.

[748] _Mémoires de Gourville_, p. 527.

[749] _Ibid._, p. 528.

[750] Cette pièce, intitulée _Ode anacréontique_, est adressé à _Madame
la surintendante sur ce qu'elle est accouchée avant terme, dans le
carrosse, en revenant de Toulouse_. Elle porte la date de 1658; mais
c'est par erreur: il faut lire 1659. Voy. au chapitre suivant la lettre
de Bartet.

[751] Vieux mot pour _rappeler_.

[752] Voy. ci-dessus, p. 8.

[753] Mss. de Conrart à la bibliothèque de l'Arsenal, in-f°, t. XI, p.
159 et suiv. Conrart a ajouté la note suivante: «Cette lettre a esté
copiée par moy sur l'original, escrit de la main de Bartet, qui estoit
alors fort bien à la cour, à M. Foucquet, surintendant des finances,
entre les papiers duquel elle fut trouvée, après qu'il eust esté arresté
à Nantes, avec plus de quatre-vingts autres [lettres] de mesme force et
de mesme style. Il y avoit au-dessus de celle-cy, en gros caractères,
POUR L'AVENIR, qui est le nom de M. Foucquet dans le chiffre qu'ils
avoient ensemble.»

[754] Il y a _novembre_ dans le texte; mais c'est une erreur du copiste.
Mazarin n'était arrivé à Toulouse que le 22 novembre, et le surintendant
n'avait quitté cette ville que dans le courant de décembre.

[755] Un des commis de Fouquet.

[756] Valet de chambre du roi.

[757] Ces mots désignent la reine et Mazarin.

[758] La cour en quittant Toulouse se rendit en Provence.

[759] Zongo Ondedei, évêque de Fréjus. Il était, comme on l'a déjà dit,
parent et confident de Mazarin.

[760] Il n'est pas facile de deviner quelles sont les personnes cachées
sous ces noms; cependant on peut conjecturer, sans trop
d'invraisemblance, qu'ils désignent MM. de Brancas et de Grave, qui
recevaient l'un et l'autre une pension de Fouquet. Il a déjà été
question de Brancas, qui devint plus tard chevalier d'honneur de la
reine mère. De Grave était chargé de distribuer les sommes allouées par
le surintendant aux personnes de la famille royale.

[761] C'est-à-dire, connaissaient ces faits mieux que moi.

[762] C'est-à-dire, j'en ai, en partie, instruit les deux autres.

[763] D. Louis de Haro, qui avait négocié avec Mazarin la paix des
Pyrénées.

[764] La dispense nécessaire pour le mariage de l'infante avec Louis
XIV.

[765] Ce voyage de Bartet à Rome parut un événement assez important pour
que Loret s'en occupât à plusieurs reprises. Il annonce le voyage dans
sa lettre du 24 janvier 1660:

Bartet, qu'on sait être habile homme,
Est allé de Tuloze à Rome
De la part de Sa Majesté,
Pour avoir de Sa Sainteté,
Par la raison de parentage,
Dispense pour le mariage, etc.

La lettre du 13 mars parle de son retour:

J'appris l'autre jour, en passant,
Que Bartet, esprit agissant,
Un peu Gascon, mais honnête homme,
Est enfin revenu de Rome, etc.

La même lettre nous apprend que Bartet a été chargé de porter la
dispense à Madrid. La lettre du 24 avril parle d'un don de pierreries de
la valeur de quatre mille écus, dont le roi d'Espagne a gratifié Bartet.

[766] _Muse historique_, lettre du 5 janvier 1660.

[767] Voy. t. I, p. 423.

[768] Voy. les _Mémoires_ de mademoiselle de Montpensier, qui accompagna
la cour dans une partie du voyage (t. III, p. 589 et suiv.).

[769] _Ibid._, p. 404.

[770] _Mémoires de Gourville_, édit. citée, p. 528-520.

[771] Lettre du 8 mai 1660.

[772] M. Fouquet, premier écuyer de la grande écurie du roi. (Note de
Loret.)

[773] Lettre du 24 juillet 1660.

[774] On peut comparer une lettre de madame Scarron à madame de
Villarceaux en date du 27 août 1661.

[775] Le chef des conseils du roi était le chancelier de France. Pierre
Séguier était alors investi de cette dignité. Madame Scarron dit aussi
en parlant de Séguier: «Ensuite parut M. le chancelier en robe et
manteau de brocart d'or.»

[776] Parlement, chambre des comptes et cour des aides. Il y avait
encore une cour souveraine, le grand conseil, qu'il ne faut pas
confondre avec le conseil du roi. Madame Scarron n'admire pas le
parlement: «Les présidents à mortier étoient assez ridicules avec leurs
mortiers sur la tête, qui, de loin, paroissoient de ces boites plates de
confitures.»

[777] Le prévôt des marchands était à cette époque Alexandre de Sève,
seigneur de Châtignonville.

[778] Madame Scarron parle aussi des mulets de Son Éminence: «La maison
de M. le cardinal Mazarin ne fut pas ce qu'il y eut de plus laid; elle
commença par soixante-douze mulets de bagage; les vingt-quatre premiers
avoient des couvertures assez simples, plus fines, plus éclatantes que
les plus belles tapisseries que vous ayez jamais vues, et les derniers
en avoient de velours rouge en broderie d'or et d'argent avec des mors
d'argent et des sonnettes, tout cela d'une magnificence sur laquelle on
se récria beaucoup.» Et plus loin: «J'oubliois, dans la maison de M. le
cardinal, vingt-quatre chevaux de main, couverts de housses si belles,
et si beaux eux-mêmes, que je n'en pouvois ôter les yeux.»

[779] Vieux mot qui a le même sens que _se pavanant, faisant la roue
comme un paon_.

[780] Madame Scarron parle aussi de quelques-uns des seigneurs de la
cour et particulièrement du comte de Guiche, fils du maréchal de
Gramont: «Le comte de Guiche marchoit seul, fort paré de pierreries qui
éclatoient au soleil admirablement, entouré de force belles livrées et
suivi de quelques officiers des gardes. Il alla sous le balcon, comme
vous pouvez penser (il s'agit du balcon de l'abbé d'Aumont, où était
Henriette d'Angleterre). Je crois qu'il plut assez; car il étoit en
plein de verd et de blanc qui réussit fort bien.»

[781] «...Le roi, dit madame Scarron, saluoit tout le monde avec une
grâce et une majesté surprenantes,» La partie de la lettre de madame
Scarron renfermant la description du roi et de la reine n'a pas été
publiée dans l'édition de la Beaumelle. L'éditeur dit qu'il y a une
lacune de quatre pages dans le manuscrit.

[782] _Mémoires_ (édit. Michaud et Poujoulat), p. 526.

[783] Ce qui fait dix-sept mille livres de monnaie du temps; plus de
quarante mille francs de monnaie actuelle.

[784] On a altéré son nom dans les _Mémoires de Gourville_, où elle est
appelée _madame de Launay-Grancé_. Françoise Godet des Marais était
veuve de Launay-Gravé depuis 1655. Elle se remaria dans la suite à
Antoine de Brouilly, marquis de Piennes. Le _Dictionnaire des
précieuses_ la mentionne sous le nom de _Ligdaride_.

[785] Cet hôtel devint plus tard l'hôtel de Bouillon. On y remarquait un
tableau de le Brun représentant Apollon sur le Parnasse.

[786] _Mémoires de Gourville_, ibid., p. 539.

[787] Ces lettres sont autographes et font partie des papiers de Fouquet
conservés à la Bibl. imp., mss. F. Baluze.

[788] Bruant des Carrières était un des commis de Fouquet.

[789] Bullion de Bonnelle était chancelier de la reine, charge que
Fouquet voulait acheter.

[790] La réponse autographe de de Lyonne est conservée dans les papiers
de Fouquet, mss. de la Bibl. imp., F. Baluze.

[791] Papiers de Fouquet, Bibl. imp., mss. F. Baluze. t. II, p. 241.

[792] On donnait le nom de _direction_ au conseil des finances.

[793] Rose et Roussereau étaient les secrétaires de Mazarin.

[794] Ce passage n'est pas sans intérêt pour l'histoire des mœurs de
cette époque. Il montre que le premier président Guillaume de Lamoignon
n'était pas resté étranger aux prêts et autres affaires de finances.

[795] Papiers de Fouquet. F. Baluze. t. I, p. 199.

[796] T. I, p. 360 et suiv., et p. 488 et suiv.

[797] _Mémoires de Gourville_, ibid., p. 531.

[798] Lettre du 17 août 1660.

[799] Voy. encore sur ces bruits la lettre du 29 décembre 1660.
Gui-Patin, qui répète un peu au hasard les on-dit, met dans cette lettre
l'abbé Fouquet au lieu du surintendant.

[800] Voy. entre autres la lettre du 10 octobre 1660.

[801] F. Baluze, t. II, p. 113.

[802] Il s'agit du président Viole, qui avait été un des partisans les
plus ardents des princes.

[803] L'hôtel de Longueville était situé rue Saint-Thomas-du-Louvre.

[804] On peut consulter sur ces affaires la correspondance de Colbert de
Croissy avec le cardinal Mazarin et avec son frère, J.B. Colbert.
Colbert de Croissy, qui devint plus tard ministre des affaires
étrangères, avait été envoyé à Rome par Mazarin. Il y séjourna pendant
les mois de novembre et décembre 1660, janvier et février 1661. Sa
correspondance originale est conservée à la Bibl. imp. dans le f.
Baluze.

[805] _Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne_, (édit. de
1828), t. II, p. 112.

[806] Voy. l'_Histoire du palais Mazarin_, par M. le comte Léon de
Laborde.

[807] _Mémoires_, ibid., p. 114-115.

[808] _Mémoires_, ibid., p. 121-125.

[809] Le fait est rapporté par l'abbé de Choisy, qui ne donne pas de
date; mais Gui-Patin, dans une lettre du 28 janvier 1661, dit que cette
querelle avait eu lieu quatre jours auparavant. Ce qui place la scène au
24 janvier.

[810] Lettre autographe de Lyonne à Fouquet conservée dans les papiers
de Mazarin à la Bibl. imp., F. Baluze. t. I, p. 174. Les lettres de
Lyonne ne sont pas signées, mais l'écriture est facile à reconnaître.

[811] Il s'agit probablement du maréchal de Turenne.

[812] Papiers de Fouquet, F. Baluze, t. II, p. 178.

[813] _Ibid._, p. 180.

[814] Marie-Anne Mancini, nièce de Mazarin, qui épousa dans la suite le
duc de Bouillon.

[815] On trouvera plus loin la lettre même qui contient cette
déclaration.

[816] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, p. 579, édit. cit.

[817] Lettre de Gui-Patin du 25 février 1661.

[818] _Mémoires du jeune Brienne_, t. II, p. 152.

[819] _Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne_. t. II. p.
155 et suiv.

[820] Le chancelier scellait tous les arrêts et titres dans une
assemblée composée de maîtres des requêtes et de référendaires, où la
légalité de chaque pièce était vérifiée avant qu'on y apposât le sceau
de l'État.

[821] _Mémoires du jeune Brienne_, ibid., p. 157.

[822] «La constance ne consiste pas à faire toujours les mêmes choses,
dit Louis XIV dans ses _Mémoires_ édit. Dreyss, t. II, p. 109, mais à
faire toujours les choses qui tendent à la même fin.»

[823] Saint-Simon, qu'on ne soupçonnera pas de partialité envers Louis
XIV, s'accorde sur ce point avec tous les écrivains de l'époque.
Mademoiselle de Scudéry disait du roi que, même en jouant au billard, il
avait l'air du maître du monde.

[824] _Mémoires_, t. II, p. 103-104, même édit.

[825] _Ibid._, t. II, p. 6.

[826] _Mémoires_, t. II. p. 428.

[827] _Mémoires de Louis XIV_, même édit., t. II, p. 388.

[828] _Ibid._, p. 388-389.

[829] Voy. entre autres les _Mémoires de l'abbé de Choisy_.

[830] Voy. plus haut, p. 67 et suiv. Compar. les _Mémoires de
Gourville_, p. 535, édit. Michaud et Poujoulat.

[831] _Mémoires de Choisy_, p. 575, (édit. Michaud et Poujoulat).

[832] _Mémoires de Choisy_, p. 581.

[833] _Ibid._ Choisy raconte qu'il a su ces détails de Pellisson.

[834] L'abbé de Choisy compte à cette époque Delorme parmi les commis de
Fouquet. C'est une erreur. Nous avons vu (t. I. p. 586) que dès 1657
Fouquet l'avait chassé.

[835] Voy. t. I, p. 370.

[836] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, ibid.

[837] Ci-dessus, p. 32 et 34.

[838] On trouve dans les lettres inédites de Bartet la preuve de cette
assertion. Il écrivait à Mazarin, le 21 octobre 1659: «La reine (Anne
d'Autriche) ne se sent pas de joie de ce rembarquement d'amitié du roi
avec madame la Comtesse. Je crois que sa joie seroit encore plus vive,
si les nouvelles voloient jusqu'à Brouage, où sans doute elles seront
bientôt.» On sait que Marie Mancini avait été reléguée à Brouage.

[839] Voy. mss. de Conrart, in-f°, t. XI, p. 151, à la Bibl. de
l'Arsenal.--Les portefeuilles de Valant sont conservés à la Bibl.
impériale.

[840] Papiers de Fouquet dans les mss. Baluze, t. I. p. 41.

[841] Ce nom est difficile à déchiffrer; il y a _Bosleus_ dans le
manuscrit; mais, comme l'orthographe de ces lettres est détestable, il
faut lire, je crois, _Beaulieu_.

[842] Mademoiselle de Menneville ou Manneville était aussi une des
filles de la reine; il en sera question plus loin.

[843] Henriette d'Angleterre, femme du duc d'Orléans.

[844] La duchesse de Valentinois était princesse de Monaco.

[845] _Mémoires de Saint-Simon_, t. XX, p. 45.

[846] Recueil de Maurepas. t. II, p. 271.

[847] Loret. _Muse historique_, lettre du 28 décembre 1652.

[848] Se rappelant.

[849] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_. t. III, p. 111-115
(édit. Charpentier).

[850] Voy., entre autres, lettre du 19 janvier 1659.

[851] Lettre de Racine à la Fontaine, d'Uzès, le 11 novembre 1661.

[852] Voy. le rôle de mademoiselle de Treseson à la cour de Savoie, t.
I. p. 404 et suiv.

[853] Papiers de Fouquet, F. Baluze, t. I, p. 40.

[854] Ces mots désignent toujours mademoiselle de Menneville dans la
correspondance de l'entremetteuse.

[855] Papiers de Fouquet (F. Baluze), t. I, p. 31-32. Ces lettres ne
sont pas datées; mais la plupart sont de 1661.

[856] _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier_, t. III. p. 288 (édit.
Charpentier).

[857] Mademoiselle du Fouilloux, devenue marquise d'Alluye, fut
impliquée, comme on le verra plus loin, dans le trop fameux procès des
poisons, et accusée d'avoir fait périr son beau-père, qui mourut le 21
décembre 1666. Le mariage n'eut lieu qu'en 1667.

[858] T. I, p. 400-401.

[859] Voy. les _Mémoires du jeune Brienne (Henri-Louis de Loménie_), t.
II, p. 173-174.

[860] Papiers de Fouquet, t. I, p. 27.

[861] Le marquis de Richelieu avait épousé la fille de madame de
Beauvais, femme de chambre de la reine mère.

[862] Papiers de Fouquet, t. I, p. 72.

[863] La cour était alors à Fontainebleau.--Voy. sur le marquis de
Richelieu les _Mémoires de madame de Motteville_, ann. 1661.

[864] On voit par les _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_ (t. III,
p. 288) que mademoiselle du Fouilloux avait été mêlée aux intrigues
amoureuses de Louis XIV avec Marie Mancini.

[865] Maître de la garde-robe du roi.

[866] Espagnole attachée à la reine Marie-Thérèse.

[867] Papiers de Fouquet, t. I, p. 87

[868] Papiers de Fouquet, t. I, p. 45.

[869] Voy. sur cette lettre mystérieuse les _Mémoires de madame de
Motteville_ et de _mademoiselle de Montpensier_. On ne sut que plus tard
l'origine de cette lettre.

[870] _Œuvres de Louis XIV_, t. V, p. 182-184.

[871] Lettre du 26 janvier 1680.

[872] Le duc de Bouillon était beau-frère de la comtesse de Soissons.

[873] La Voisin et la Vigoureux.

[874] Voy. les _Mémoires de Saint-Simon_, édit. Hachette, in-8 t. XVII.
p. 472-473.--Comparez les _Mémoires du marquis d'Argenson_ édit. de la
_Société d'Hist. de France_. t. I. p. 147 et suiv.

[875] Elle mourut en 1721.

[876] _Mémoires de Retz_ édit. Charpentier, t. I. p. 252-255.--Voy. à
l'Appendice l'opinion de Voltaire sur ce portrait.

[877] Le couvent des _Filles de Notre-Dame de la Miséricorde_ était
situé rue du Vieux-Colombier.

[878] Voy. t. I, p. 350-351.

[879] Papiers de Fouquet à la Bibl. imp., t. II, p. 292.

[880] M. Feuillet de Conches, dont je ne connaissais pas l'intéressant
ouvrage (_Causeries d'un curieux_, etc.), lorsque j'ai écrit cette page,
a supposé (t. II, p. 551) que ces instructions étaient destinées à
mademoiselle de Treseson qui se rendait à Turin. Je ne puis partager
cette opinion. Mademoiselle de Treseson avait été envoyée à la cour de
Savoie en 1658. Comment Fouquet aurait-il parlé à cette jeune fille, ou
à la princesse Marguerite, de l'influence de M. le Prince, qui, en 1658,
était encore exilé et ne rentra en France qu'après la paix des Pyrénées?
(Il ne quitta la Belgique que le 29 décembre 1659.) Il me semble
impossible d'assigner à ce Mémoire une autre date que la fin de 1659 ou
le commencement de 1660.

[881] Louis de Bourbon, prince de Condé.

[882] Les flatteries de Condé envers Mazarin étaient réelles. Le prince
écrivait au cardinal le 24 décembre 1659, même avant d'avoir quitté
Bruxelles: «Pour vous, monsieur, quand je vous aurai entretenu une
heure, vous serez bien persuadé que je veux être votre serviteur, et je
pense que vous voudrez bien aussi m'aimer.»

[883] Cette lettre se trouve dans les portefeuilles de Valant, t. VII.
f° 277.--Compar. le _Journal d'Oliv. d'Ormesson_ (t. II, p. 42-43),
Fouquet y est cité.

[884] Henry de Grave de Villefargeau, marquis de Grave, ancien
gouverneur de Monsieur en 1648, maréchal de camp en 1661. Oliv.
d'Ormesson (_Journal_, t. II, p. 42-45) dit positivement qu'il fut
renvoyé de la cour et qu'il recevait de Fouquet de l'argent pour la
reine mère.

[885] Nous verrons plus loin que ce fut, en effet, dans un voyage à
Dampierre, chez madame de Chevreuse, que l'on détermina la reine mère à
consentir à la perte de Fouquet.

[886] Papiers de Fouquet à la Bibl. imp. F. Baluze.

[887] Confesseur de Louis XIV.

[888] Les nièces de Mazarin étaient revenues à la cour depuis le mariage
du roi. Il paraît que la passion de Louis XIV pour Marie Mancini se
rallumait. Madame de la Fayette dit, dans son _Histoire de madame
Henriette_ (collect. Petitot, t. LXIV. p. 385): «Le roi serait peut-être
revenu à mademoiselle de Mancini, s'il n'avait été persuadé que le duc
Charles de Lorraine avait su toucher son cœur.»

[889] Comparez les _Mémoires de madame de Motteville_ sur les relations
d'Anne d'Autriche et du roi son fils.

[890] La cour passa à Fontainebleau les mois de mai, juin, juillet et
août 1661.

[891] Bibl. imp., mss. f. Saint-Germain fr., n° 709.

[892] Ci-dessus, pag. 35.

[893] Papiers de Fouquet, t. II. p. 94.

[894] Ibid., p. 96.

[895] Il faut sous-entendre dans cette phrase _la quantité de vin qu'ils
pouvaient faire entrer en franchise_.

[896] On voit dans cette lettre et ailleurs que de Grave était
l'intermédiaire entre la reine mère et le surintendant.

[897] Papiers de Fouquet. t. II, p. 125.

[898] Lettre du 2 septembre 1661. Gui Patin se trompe d'époque. En
septembre 1661, la reine mère avait abandonné Fouquet.

[899] _Mémoires_, t. X. p. 187 édit. Hachette, in-8.

[900] Papiers de Fouquet, t. II, p. 50.

[901] Jacques Tubeuf, président de la chambre des comptes et
surintendant des finances de la reine mère.

[902] Bertillac ou Bartillac, trésorier de la reine mère.

[903] Papiers de Fouquet. t. II, p. 58.

[904] Maître de la chambre des comptes. Il fut un des juges de Fouquet.

[905] Miron était également maître de la chambre des comptes.

[906] Il y avait un président de Chalin au parlement de Rennes.

[907] C'est-à-dire à Paris. La cour était alors à Fontainebleau.

[908] Souligné dans la lettre, comme ci-dessus, p. 136 et 137.

[909] Voy. p. 15-16, et p. 474-483 du tome I.

[910] _Mémoires de Louis XIV_, édit. citée, t. II, p. 407

[911] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, p. 583 (édit. Michaud et
Poujoulat).

[912] Voy. sur ce négociateur l'_Histoire de Louis XIV_, par Pellisson
(t. I, p. 49). «C'étoit, dit Pellisson, un gentilhomme de Rouergue,
très-habile, et personne de confiance, dont Bordeaux, maître des
requêtes, et depuis chancelier de la reine, s'étoit servi huit ans
durant comme d'un instrument principal en son ambassade d'Angleterre
sous Cromwell. Il connoissoit cette cour et cette nation, en parloit et
écrivoit la langue avec facilité, et n'étoit pas inconnu au chancelier
(Clarendon).»

[913] _Mémoires de Louis XIV_, t. II, p. 408.

[914] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, même édit., p. 583.

[915] Le mariage n'eut lieu qu'aprés la disgrâce de Fouquet; mais il
avait été préparé par ses négociations.

[916] Voy. la _Vie de François de Maucroix_, par M. Walckenaer, en tête
des _Nouvelles œuvres diverses de Jean la Fontaine_; (Paris, 1820).

[917] Les _Mémoires de Maucroix_ se trouvent dans le t. II de ses
_œuvres diverses_ publiées par M. Louis Paris, en 2 vol. in-12 (Paris,
1854).

[918] Voy. les _Défenses de Fouquet_, t. III, p. 366. Le manuscrit de
Foucault relatif au procès de Fouquet (des 500 de Colbert, n° 235 et
suiv.) contient les instructions données à Maucroix, t. II, f° 145.

[919] Instruction remise à Maucroix et rédigée probablement par
Pellisson.

[920] _Défenses_, t. III, p. 367.

[921] Voy. entre autres ce qui arriva, en 1667, pour la Réforme projetée
des couvents. _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 499.

[922] _Mémoires_, édit. Hachette, in-8, t. IV, p. 134-135.

[923] Bonzi était devenu cardinal et archevêque de Narbonne.

[924] _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_. t. III, p. 512 (édit.
Charpentier).

[925] L'abbaye de Saint-Victor comprenait un vaste terrain qui
s'étendait de la rue des Fossés-Saint-Bernard à la rue Cuvier (autrefois
rue de Seine).

[926] _Mémoires_, ibid., p. 519.

[927] Voyez la lettre de Marie Mancini au ch. XLI.

[928] Voy. l'ouvrage de M. Amédée Renée intitulé _les Nièces de Mazarin_
et l'_Histoire du palais Mazarin_ par M. le comte Léon de La Borde.

[929] Cette lettre est autographe et en partie chiffrée. Elle est
conservée dans les papiers de Fouquet à la Bibl. imp. F. Baluze, t. I.
p. 191.

[930] Fabio Chigi avait succédé sur le saint-siège à Innocent X en 1655,
et avait pris le nom d'Alexandre VII.

[931] Les Bonzi étaient originaires de Florence.

[932] Marie Mancini, qui avait épousé le connétable du royaume de
Naples.

[933] Quel est cet ami du roi? Peut-être le duc de Nevers,
Philippe-Julien Mancini, neveu de Mazarin.

[934] De Lyonne.

[935] On voit par les _Mémoires de Mademoiselle_ (t. III, p. 516), que
madame du Belloy était une des dames d'honneur qui avaient accompagné la
princesse à Florence.

[936] Françoise de Nargonne, veuve de Charles de Valois, duc
d'Angoulême. Elle survécut soixante-trois ans à son mari et mourut en
1715. Voy. les _Mémoires de Saint-Simon_, t. X, p. 126, édit. Hachette,
in-8.

[937] Cosme de Médicis, mari de Marguerite-Louise d'Orléans, ne devint
grand-duc qu'en 1670. Jusqu'à cette époque, il ne porta que le titre de
_prince de Toscane_.

[938] De Lyonne.

[939] De Mazarin.

[940] Lettre de Gui-Patin du 1er avril 1661.

[941] _Mémoires_, t. II, p. 398 édit. Dreyss.

[942] Lettre du 24 mai 1661.

[943] Papiers de Fouquet. t. II. p. 34.

[944] _Ibid._

[945] Ce cher ami est probablement Hugues de Lyonne.

[946] Hortense Mancini, duchesse de Mazarin.

[947] Jean-Armand de La Porte, duc de Mazarin.

[948] On a vu plus haut (p. 88) que Mazarin mourant avait donné à sa
nièce Hortense le gouvernement de La Fère.

[949] Cette sœur, dont il a été question dans le chapitre précédent,
était Marie Mancini, la connétable Colonne.

[950] Ce Bellinzan ou Bellinzani était un des Italiens attachés aux
nièces de Mazarin.

[951] Lettre autographe dans les papiers de Fouquet, t. II, p. 31.

[952] C'est le même Jean-Armand de La Porte, qui fut désigné sous le nom
de duc de Mazarin, après son mariage avec Hortense Mancini. Il était
grand-maître de l'artillerie.

[953] Le maréchal de La Meilleraye, qui s'était démis de la charge de
grand-maître en faveur de son fils.

[954] Prévôt de l'Île-de-France.

[955] C'est-à-dire de la somme d'argent qui servait de compensation pour
le prix d'acquisition de ma compagnie.

[956] L'affaire sur laquelle revient ici l'agent de Fouquet est une
arrestation arbitraire, qui avait été dénoncée à la reine mère. Nous
parlerons plus loin de cet acte dont les ennemis de Fouquet se servaient
contre lui.

[957] Un billet signé GUYMBERT est en effet annexé à la lettre.

[958] On en trouve la preuve dans les lettres de la personne qui avait
établi d'étroites relations avec le confesseur d'Anne d'Autriche. Voy.
plus haut. p. 128 et suiv.

[959] Loret dit dans sa lettre du 5 juillet 1661:

Ils furent ensuite à Dampierre.
Autre nobilissime terre.
Dont le château de tous côtés
A cent différentes beautés.
Où la duchesse de Chevreuse,
Princesse illustre et généreuse,
De qui la gloire est l'élément,
Les reçut admirablement.


[960] Le mari de conscience de madame de Chevreuse.

[961] Il s'agit probablement de la cabale de la comtesse de Soissons et
de Vardes.

[962] Ces mots sont soulignés dans le manuscrit.

[963] Le nom est en blanc dans la lettre; il est probable qu'il s'agit
de Colbert.

[964] Il a déjà été question de cette religieuse qui avait beaucoup
d'influence sur la reine mère. Voy. p. 121.

[965] Un des traitants de cette époque.

[966] _Mémoires de l'abbé de Choisy_ (édit. Michaud et Poujoulat), p.
588.

[967] Plus d'une fois dans ses _Défenses_ et dans ses lettres, Fouquet
invoqua le pardon qu'il prétendait que Louis XIV lui avait positivement
accordé dans cette circonstance.

[968] _Mém. de l'abbé de Choisy_, ibid., p. 585.

[969] Cette lettre a été transcrite dans les mss. Conrart (t. XI. in-f°,
p. 152), avec beaucoup d'autres lettres trouvées, dit-on, dans la
cassette de Fouquet. Elle est loin d'être authentique. Cependant on doit
reconnaître que, pour quelques-unes de ces lettres, si le style a été
modifié, le fond est assez conforme aux pièces originales. Le nom de
madame du Plessis-Bellière a peut-être été substitué à celui de quelque
entremetteuse. Toutefois l'abbé de Choisy _ibid._, attribue aussi une
démarche de cette nature à madame du Plessis-Bellière: «Madame du
Plessis-Bellière, amie de Fouquet, l'avoit attaquée mademoiselle de La
Vallière en lui disant que le surintendant avoit vingt mille pistoles a
son service; et, sans se fâcher, elle lui avoit répondu que vingt
millions ne lui feroient pas faire un faux pas. Ce qui avoit fort étonné
la bonne confidente, peu accoutumée à de pareilles réponses.»

[970] Il est probable que ces mots désignent la reine mère.

[971] _Mémoires_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 586.

[972] _Mémoires_, édit. de 1828, t. II, p. 178-179.

[973] La charge ne fut vendue qu'au mois d'août à M. de Harlay, mais la
résolution semblait prise dès cette époque.

[974] Juven. _Sat._ VII, V. 197.

[975] Mot de Valerius Licinianus cité par Pline le Jeune, lettre M du
livre IV.

[976] Voy. à l'Appendice du tome I, le texte du projet trouvé à
Saint-Mandé.

[977] Gui-Patin écrivait à Falconnet: «Le roi s'en va en Bretagne pour
présider aux états et tirer de l'argent le plus qu'il pourra. Il n'y a
plus que cette province où il n'a pas encore été. On dit qu'il tâchera
d'y mettre la gabelle, et de réduire cette province dans une obéissance
aveugle comme les autres. Son conseil ne songe guère au soulagement des
peuples et des pauvres provinces désolées, qui souffrent il y a si
longtemps.» (Lettre du 12 juillet 1661.) Dans la lettre du 15 juillet:
«On dit que les Bretons veulent se racheter, afin que le roi n'aille
point en Bretagne.» Enfin dans la lettre du 2 septembre: «On dit que le
roi veut aller en Bretagne pour supprimer les états de cette province,
et les tailler comme les autres, et y faire de nouveaux officiers au
parlement et ailleurs; voilà des effets de l'instruction mazarinesque et
des échantillons de l'avarice italienne.»

[978] Papiers de Fouquet, t. II, p. 64.

[979] Il s'agit probablement du même Devaux, dont il a été question plus
haut. C'est de lui que sont les rapports de police que nous avons cités
(p. 163) et que nous citerons encore.

[980] Voy. au chapitre X les lettres du conseiller d'État de la Fosse,
chargé de faire l'inventaire des papiers de Saint-Mandé.

[981] Papiers de Fouquet. t. I, p. 93-94.

[982] _Mémoires de Daniel de Cosnac_, t. I. p. 420-421. Cosnac était
aumônier d'Henriette d'Angleterre.

[983] Lettre du 17 juillet 1661.

[984] Il n'y a pas, à ma connaissance, de roman de ce nom. Loret veut
probablement parler d'un héros de quelque roman de mademoiselle de
Scudéry. Mais on ne trouve le _grand Cléonime_ ni dans le _Cyrus_ ni
dans la _Clélie_.

[985] La reine d'Angleterre, Monsieur et Madame. (_Note de Loret_.)

[986] Voy. dans les œuvres de la Fontaine une _Épître à madame Fouquet
sur la naissance de son dernier fils_.

[987] Voy. Loret, Lettre du 31 juillet 1661.

[988] Elle signait elle-même _Manneville_, comme on le voit par les
lettres autographes conservées dans les papiers de Fouquet à la Bibl.
imp. L'usage a fait prévaloir la forme de Menneville. Elle était de la
maison de Roncherolles; Louis de Manneville, son père, était seigneur
d'Auxouville (Seine-Inférieure).

[989] Voy. p. 106.

[990] Voy. les détails donnés par M. Feuillet de Conches (_Causeries
d'un curieux_, t. II, p. 555).

[991] Une copie de l'engagement réciproque se trouve dans les manuscrits
de la Bibl. imp., papiers de Fouquet. La voici:

«Je soussigné, François-Christophe de Levy, duc d'Ampville,
reconnoissant avoir donné la foy à mademoiselle Catherine de Manneville,
à présent fille d'honneur de la reyne, de l'espouser dans un an au
plustost, ay voulu pour gage et confirmation de cette foy, escrire et
signer de ma main le présent acte fait à Paris le huitième février mil
six cent cinquante et sept.

«FRANÇOIS-CHRISTOPHE DE LEVY.

«Je soussignée, Catherine de Manneville, fille d'honneur de la reyne,
ayant donné ma foy réciproquement à François-Christophe de Levy, duc
d'Ampville, de l'espouser du consentement de mon père et de ma mère
soussignés, ay escrit et signé de ma main le présent acte fait à Paris
ce mesme jour et an que dessus.

  «CATHERINE DE MANNEVILLE,
  «LOUIS DE MANNEVILLE,
  «SUZANNE DE SERICOURT,
  «FRANÇOIS-CHRISTOPHE DE LEVY.»


[992] _Mémoires de madame de Motteville_, à l'année 1661.

[993] Madame de la Fayette a été mieux informée: «On trouva, dit-elle
dans son _Histoire de madame Henriette d'Angleterre_, on trouva dans la
cassette de M. Fouquet plus de lettres de galanterie que de papiers
d'importance. Et comme il s'y en rencontra de quelques femmes qu'on
n'avoit jamais soupçonnées d'avoir de commerce avec lui, ce fondement
donna lieu de dire qu'il y en avoit de toutes les plus honnêtes femmes
de France. La seule qui fut convaincue, ce fut Menneville, une des
filles de la reine et une des plus belles personnes, que le duc
d'Amville avoit voulu épouser. Elle fut chassée de la cour et se retira
dans un couvent.»

[994] Papiers d'Fouquet, Bibl. imp., F. Baluze. t. I, p. 228. Les
premières lettres sont datées et le nom de mademoiselle de Menneville
s'y trouve tout au long. Plus tard il n'y a plus d'indication de dates,
et c'est seulement d'après le contenu des lettres que l'on peut établir
une classification. Quant à mademoiselle de Menneville, elle n'est plus
désignée que par ces mots: _la personne que vous savez_.

[995] Pour son mariage avec Damville.

[996] Papiers de Fouquet, t. 1, p. 230.

[997] Ibid., p. 226. Il n'y a aucun ordre dans ces papiers, qu'on a
reliés pêle-mêle. Des lettres postérieures en date sont placées avant
celles qui devraient les suivre.

[998] Fêtes de Noël 1661.

[999] Papiers de Fouquet, t. II, p. 22.

[1000] Antoinette-Caroline le Sart, femme de Charles le Sart, seigneur
de Prémont, chambellan de Monsieur.

[1001] Ce billet est signé MANNEVILLE. Je ne reproduis pas
l'orthographe, qui dénote une grossière ignorance. M. Feuillet de
Conches (_Causeries_, t. II, p. 558) a donné un _fac-simile_ de cette
lettre. L'orthographe de l'entremetteuse est encore plus barbare.

[1002] Il est plusieurs fois question de madame de Charonne dans cette
correspondance; il s'agissait probablement d'une abbesse de quelque
monastère, avec laquelle le surintendant traitait pour une acquisition
de propriétés. Charonne est voisin de Saint-Mandé. La femme la Loy
s'employait, comme on l'a déjà vu, pour toute espèce d'affaires.

[1003] Papiers de Fouquet. t. I, p. 70.

[1004] C'est ainsi que mademoiselle de Menneville est toujours désignée
dans la suite de la correspondance.

[1005] P. 71.

[1006] Il s'agit toujours du projet de mariage avec Damville.

[1007] Confesseur de Louis XIV.

[1008] Voy. cette promesse de mariage, p. 190, note 5.

[1009] Papiers de Fouquet, t. II, p. 330.

[1010] Toujours le mariage avec Damville.

[1011] Le marquis de Sourches.

[1012] Cette dame du Puy ou du Puis était chargée de surveiller les
filles d'honneur de la reine.

[1013] Papiers de Fouquet, t. II, p. 54.

[1014] Papiers de Fouquet, t. I, p. 48

[1015] Papiers de Fouquet, t. II, p. 57.

[1016] Il s'agit du billet de cinquante mille écus que Fouquet avait
remis à mademoiselle de Menneville et dont elle voulait se servir pour
déterminer le duc de Damville à l'épouser.

[1017] François de Comminges, comte de Guitaut, capitaine des gardes de
la reine mère.

[1018] Papiers de Fouquet, t. I, p. 72-73.

[1019] Papiers de Fouquet, t. I, p. 51.

[1020] Il ne peut être question que de Damville.

[1021] Papiers de Fouquet, t. II, p. 68.

[1022] Ibid., t. I. p. 27 et 28.

[1023] La bulle du jubilé était arrivée le 1er avril 1661. Gui-Patin
écrivait à cette date: «Enfin la bulle du jubilé est ici arrivée; on
s'en va prendre les mesures nécessaires pour la distribuer quelques
semaines après Pâques. C'est pour remercier Dieu de la paix générale,
des mariages, etc., et pour le prier qu'il nous assiste contre le Turc
qui nous menace.» L'époque fixée pour les cérémonies et stations du
jubilé fut la fin de mai et le commencement de juin. On lit dans la
gazette de Loret du 5 juin 1661:

Le peuple est ici fort zélé
En faveur du saint jubilé.


[1024] Intendant des bâtiments royaux.

[1025] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, p. 583.

[1026] Papiers de Fouquet, t. II, p. 324.

[1027] Un des trésoriers de l'Épargne, dont il a été plusieurs fois
question.

[1028] Papiers de Fouquet, t. II, p. 322.

[1029] Ibid., p. 52-53.

[1030] Le projet de mariage avec le duc de Damville.

[1031] T. II, p. 172-173 (édit. de 1828).

[1032] On se rappelle que le marquis de Créqui avait acheté la charge de
général des galères avec l'argent fourni par Fouquet.

[1033] _Mémoires de Gourville_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 532-533.

[1034] Papiers de Fouquet, t. I, p. 45.

[1035] M. de Fieubet était chancelier de la reine mère. (_Mémoires de
Gourville_, édit. citée, p. 533.)

[1036] Un ms. de la Bibl. imp. (F. Saint-Germain fr., n° 1929) donne
quelques renseignements sur la manière dont se fit la vente: «Quelque
temps après, Fouquet se défait de la charge de procureur général. M...,
qui a une belle maison au bout de l'Isle-Notre-Dame (c'était M. de
Barentin, d'après les _Mémoires de Gourville_), en offre dix-huit cent
mille livres. Mais M. Fouquet, se souvenant que M. de Harlay luy avoit
presté quatre cent mille livres sans intérest, vint luy offrir sa charge
et luy proposa [de la luy vendre] quatre cent mille livres de meilleur
marché. M. de Harlay fit apparemment quelque difficulté. Fouquet luy dit
qu'il trouverait trois cent mille livres de sa charge de maistre des
requestes; qu'il avoit plusieurs maisons dans la rue de Harlay; qu'il
devoit s'en défaire, et que cela pourrait fournir presque la somme; que
de plus il luy promettoit de luy faire hausser ses gages à quarante
mille livres. Mais, M. Fouquet ayant esté arresté, M. de Harlay n'en a
point esté payé jusques à l'an 1671, que le roy paya douze mille escus à
son fils. Je ne sçais si l'on continue à luy payer tous les ans.» Ce
manuscrit est anonyme, et il est impossible d'apprécier l'authenticité
des faits qu'il raconte.

[1037] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, édit. citée, p. 586. Gui-Patin,
qui est généralement disposé à prendre le mauvais côté des choses et
dont les renseignements sont loin d'être toujours exacts, écrivait à son
ami Falconnet, à la date du 2 septembre: «On dit que le roi a un grand
caveau, dans lequel il serre volontiers ses pistoles, et d'où il n'aime
point de rien tirer. Il dit que, quand ce caveau sera plein, il en fera
faire un autre, et que M. le surintendant lui donne tous les mois cent
mille écus.»

[1038] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, édit. citée, p. 86.

[1039] Voy., pour la description de la fêté de Vaux, la lettre de la
Fontaine à Maucroix (du 22 août), et celle de Loret en date du 20 août
1661.

[1040] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, p. 587.

[1041] Voy. à l'Appendice du tome Ier un extrait des papiers de
Conrart.

[1042] Portefeuilles de Vallant, t. III, pièce 27; ms., de la Bibl.
impériale.

[1043] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, édit. cit., p. 587.

[1044] Mémoire écrit tout entier de la main de Colbert et conservé à la
Bibl. Imp. Nous en avons déjà cité un extrait, t. I, p. 330.

[1045] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, p. 587.

[1046] _Ibid._

[1047] _Mémoires de Henri-Louis de Loménie, comte de Brienne_, édit.
1828, t. II, p. 183. Ces Mémoires sont, je le sais, suspects à la
plupart des critiques. Le style en a été rajeuni; mais j'ai pu me
convaincre, en consultant le manuscrit même, que les faits n'ont pas été
altérés, et c'est pour l'histoire le point essentiel. Quant à la
confiance que mérite un auteur dont l'esprit a été aussi profondément
dérangé que celui du jeune Brienne, il y a encore lieu à discussion;
mais je ferai remarquer qu'il s'agit ici d'événements dont il a été
témoin et où il a joué le principal rôle. Il serait difficile de ne pas
croire à sa véracité.

[1048] Bartillac, ou Bertillac, était le trésorier d'Anne d'Autriche.

[1049] C'était treize ou quatorze cent mille livres dont il avait les
rescriptions des fermiers des aides dans sa poche quand il fut arrêté.
(_Note de Brienne_).

[1050] C'était sept cent mille livres que lui gardait M. Chanut, dont la
reconnaissance fut aussi trouvée dans sa poche quand on l'arrêta. (_Note
de Brienne_.)

[1051] Il est fort douteux que la reine mère ait fait elle-même donner
les avis à Fouquet. Nous avons vu qu'ils venaient d'une personne qui
était en relation avec le confesseur de la reine mère. Il ne serait pas
impossible que ce fût Bartillac, le trésorier d'Anne d'Autriche.

[1052] _Mémoires de Louis XIV_, édit. Dreyss, t. II, p. 521-525. Ces
pages sont de la main de Pellisson.

[1053] Voy. sur ces acquisitions de Fouquet, t. I, p. 395-402 de nos
Mémoires.

[1054] Voy. sur l'état misérable de la France à cette époque les détails
donnés dans le chapitre XLII.

[1055] Les preuves de tous ces faits se trouvent dans le t. I, p.
395-402, des _Mémoires sur Fouquet_. On y voit, en effet, que les
charges d'amiral de l'Océan, de général des galères de la Méditerranée,
les gouvernements du Croisie, de Guérande, du mont Saint-Michel, la
charge de mestre de camp général de la cavalerie (p. 380), avaient été
achetés avec l'argent fourni par le surintendant et lui appartenaient en
réalité.

[1056] Le voyage de Nantes et l'arrestation de Fouquet ont été racontés
par le jeune Brienne, qui accompagna la cour à Nantes, par l'abbé de
Choisy, qui vivait dans la familiarité intime d'un grand nombre de
seigneurs, par le duc de Saint-Aignan, qui a fait une relation du voyage
en vers pour les deux reines, enfin par Foucault, greffier de la chambre
de justice: j'ai souvent parlé des Mémoires du jeune Brienne et de
l'abbé de Choisy. Quant à l'épître en vers du duc de Saint-Aignan, elle
a été imprimée dans un recueil de _Pièces intéressantes pour servir à
l'Histoire de la littérature_, t. IV, p. 9. Enfin j'ai publié le récit
de Foucault dans un Appendice au t. XII des _Mémoires de Saint-Simon_,
édit. Hachette, in-8. On peut aussi tirer quelques renseignements des
_Mémoires de l'abbé Arnauld_, qui ont été publiés dans les collections
de _Mémoires relatifs à l'Histoire de France_.

[1057] On donnait ce nom aux légers navires qui parcouraient la Loire.

[1058] _Mémoires du jeune Brienne_, édit. citée, t. II, p. 187.

[1059] _Mémoires de l'abbé Arnauld_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 541.

[1060] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, édit. citée, p. 588.

[1061] _Mémoires de Brienne_, t. II, p. 195-197.

[1062] _Mémoires de Brienne, ibid._, p. 198.

[1063] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, ibid.

[1064] Comparez pour cette scène les _Mémoires du jeune Brienne_ et les
_Mémoires de l'abbé de Choisy_. Il y a des différences assez notables
dans les détails, quoique les deux écrivains soient d'accord pour ce qui
concerne le fond des événements.

[1065] Ç'a été depuis le fameux P. Chevigny, de l'Oratoire. (_Note de
l'abbé de Choisy, ibid._) On a changé à tort ce nom en celui de
_Chaviguy_ dans les _Mémoires de Brienne_.

[1066] Ces détails sont tirés du récit de l'arrestation de Fouquet par
le greffier de la chambre de justice, Foucault.

[1067] On voit par la lettre de Louis XIV citée plus loin que ce fut
Pellot qui mit les scellés chez Pellisson.

[1068] L'imagination romanesque de Brienne a ajouté ici des détails qui
sont peu d'accord avec le procès-verbal officiel.

[1069] Récit du greffier Foucault.

[1070] On appelait _gentilshommes servants_, d'après le _Dictionnaire de
Trévoux_, ceux qui servaient le roi à table. Il y en avait alors
trente-six; ils servaient par quartier.

[1071] Il y a quelques différences entre le récit de Foucault et ceux de
Choisy et du jeune Brienne. Choisy dit que ce fut Maupertuis, lieutenant
des mousquetaires, que d'Artagnan envoya au roi et qu'il eut de la peine
à pénétrer jusqu'au prince. Rose, secrétaire du cabinet, s'y opposait:
«Eh bien, monsieur, lui dit Maupertuis, vous en répondrez en votre
propre et privé nom.» Rose, intimidé, le fit entrer, malgré le capitaine
des gardes et Chamarante. La lettre de Louis XIV, que nous citons plus
loin, mentionne Desclaveaux et Maupertuis comme deux gentilshommes
servants. Cette autorité l'emporte sur toute autre.

[1072] Le marquis de Coislin, gendre du chancelier Séguier, s'empressa
de lui annoncer l'arrestation du surintendant. Sa lettre autographe se
trouve dans les papiers de Séguier, Bibl. imp., ms. f. Saint-Germ. fr.,
nº 709, t. XXXII, fº 24. On y remarque le soin que le roi prend de
s'assurer de Belle-Île: «L'on a chargé deux compagnies des gardes
françoises et trois des Suisses de s'emparer de Belle-Isle, et donné
ordre au gouverneur de Concarneau de remettre la place... Le roi ne
partira point d'ici qu'il n'ait reçu des nouvelles de Belle-Isle.»

[1073] _Mémoires de l'abbé de Choisy, ibid._, p. 589.

[1074] Ce sont les expressions mêmes du jeune Brienne, témoin de cette
scène.

[1075] _Mémoires du jeune Brienne, ibid._, p. 208.

[1076] _Mémoires de Gourville_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 534.

[1077] _Mémoires de Gourville_, édit. citée, p. 534-535.

[1078] _Mémoires de Brienne_, t. II, p. 207.

[1079] Ce sont les termes mêmes de Brienne, _Mémoires, ibid._, p. 208.

[1080] Cette lettre a été publiée dans les _Œuvres de Louis XIV_, t. V,
p. 50-54.

[1081] Le marquis de Fourilles était colonel des gardes françaises.

[1082] Il y a dans le texte _Chavigni_; c'est une erreur, comme je l'ai
déjà fait observer pour les _Mémoires de Brienne_.

[1083] _Mémoires de l'abbé Arnauld_, édit. citée, p. 541.

[1084] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, édit. citée, p. 589.

[1085] Ibid., p. 590.

[1086] _Mémoires de l'abbé de Choisy_, p. 590.

[1087] Lettre autographe de Pierre Séguier à Louis XIV. (Arch. des
affaires étrangères, FRANCE, t. CLXXI, pièce 90.)

[1088] Maîtres des requêtes.

[1089] Il s'agit du logement de Pellisson à Fontainebleau

[1090] _Mémoires de Conrart_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 614.

[1091] _Mémoires de Montglat_, p. 353, même édition.

[1092] Bibl. imp., ms. F. Gaignières, nº 2790, fº 388. Lettre autographe

[1093] _Mémoires de Montglat_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 353.

[1094] _Mémoires de l'abbé Arnauld_, même édit., p. 541.

[1095] Cette lettre a été publiée par M. Walckenaer dans son édition
complète des _Œuvres de la Fontaine_; t. VI, p. 484. Elle est datée du
_samedi matin_, et M. Walckenaer a ajouté avec un point d'interrogation
_le 11 septembre_; c'est une légère erreur. Fouquet avait été arrêté le
lundi 5, le samedi suivant était le 10.

[1096] Probablement de Bellière (_du Plessis-Bellière_).

[1097] Ces détails sont tirés du récit de Foucault, greffier de la
chambre de justice.

[1098] Cette lettre a été publiée par M. Feuillet de Conches, t. II, p.
529 des _Causeries d'un curieux_, etc.

[1099] On voit que cette lettre est de la fin d'octobre ou du
commencement de novembre.

[1100] Il semble qu'il faudrait: _J'aurais souhaité ardemment_, etc.

[1101] Claude Joly, alors curé de Saint-Nicolas des Champs et plus tard
évêque d'Agen. Il avait de la réputation comme prédicateur.

[1102] L'original autographe de cette lettre, comme celui de la
précédente, fait partie de la précieuse collection de M. Feuillet de
Conches. Il l'a publiée dans le t. II, p. 532, de ses _Causeries d'un
curieux_, etc.

[1103] On reconnaît assez dans ce passage le prince de Condé, qui avait
pris les armes contre le roi, le chancelier et son gendre le duc de
Sully qui s'étaient joints au parti des princes, et avaient livré aux
Espagnols le passage de la Seine à Mantes.

[1104] Voy. sur ces assertions, que Fouquet répète dans ses _Défenses_,
le chapitre XV de notre premier volume, p. 262 et suiv., et notamment la
p. 281, qui prouve que, dès 1653, Fouquet avait la confiance du cardinal
pour l'administration financière.

[1105] On a vu dans le chapitre précédent, p. 248, que Louis XIV avait
demandé au surintendant, le jour même de son arrestation, une somme
nécessaire pour la marine.

[1106] C'est-à-dire: _je n'ambitionnais pas_.

[1107] Le maréchal de la Meilleraye était, comme on l'a vu, gouverneur
de Bretagne.

[1108] Dix pour cent.

[1109] Le denier dix-huit (5,55 pour 100) était alors le taux légal de
l'intérêt. Colbert le porta, peu de temps après la disgrâce de Fouquet,
au denier vingt, ou 5 pour 100.

[1110] Ces lettres se trouvent dans les papiers du chancelier Séguier à
la Bibl. imp., F. Saint-Germain fr., n° 709, t. XXXII. J'ai déjà publié
à l'Appendice du tome Ier un mémoire du conseiller d'État de la
Fosse.

[1111] Papiers de Séguier, ms. B. I., _ibid._, f° 60.

[1112] C'est le projet que nous avons publié à l'Appendice du tome
Ier.

[1113] Papiers Séguier, Bibl. imp., _ibid._. f° 65.

[1114] Plusieurs de ces lettres furent supprimées, mais la plupart ont
été conservées par Baluze, bibliothécaire de Colbert.

[1115] Il s'agit probablement de la correspondance de la femme La Loy
avec Nicolas Fouquet; elle servait, comme on l'a vu, d'entremetteuse
pour une des filles de la reine, mademoiselle de Menneville.

[1116] Boylève, ou Boislève, était un des traitants, et on faisait
l'inventaire de tous leurs papiers comme le prouve la lettre suivante du
conseiller de la Fosse au chancelier, en date du 24 septembre:

«Monseigneur,

«Je n'ai rien à ajouter à celle que j'eus l'honneur de vous écrire hier
au soir touchant l'inventaire de Saint-Mandé, mais seulement touchant
les papiers que les anciens secrétaires du conseil doivent rendre aux
nouveaux, chacun selon son quartier. Je vous dirai qu'ayant achevé mon
inventaire au logis du sieur Bossuet et fait transporter toutes les
expéditions qui y estoient chez le sieur Berié (Berryer), dont les
quartiers répondent à ceux dudit sieur Bossuet, le sieur Bechamel, qui
m'a trouvé en repos à cause de l'absence de M. Poncet, m'est venu
presser d'aller chez le sieur Galland, son résignant, pour être présent
à la délivrance qui lui devoit être faite, dans l'espace d'une heure, de
tous les papiers dudit sieur Galland absent, suivant l'inventaire qu'ils
avoient fait entre eux, et la crainte que ledit sieur Galland avoit
donnée à ses amis d'en faire la restitution, etc.»

[1117] Papiers de Séguier, Bibl. imp., _ibid._, f° 66.

[1118] Marie de Lorraine, née le 15 août 1615 et morte le 5 mars 1688,
était connue à cette époque sous le nom de mademoiselle de Guise.

[1119] Joseph Foucault a rédigé le _Journal du procès de Fouquet_, dont
j'ai déjà parlé.

[1120] C'est-à-dire donner lieu à un article d'interrogatoire à cause
des circonstances.

[1121] Le gendre et la fille de Fouquet.

[1122] Il a été question dans le Ier volume, ch. XXIII et XXIV, de la
bibliothèque de Saint-Mandé. Pierre Corneille en vantait la richesse.

[1123] Ce sont probablement les momies dont parle la Fontaine. Voy. t.
I, ch. XXIV, p. 462-463.

[1124] Papiers de Séguier, Bibl. imp., _ibid._, f° 14.

[1125] Virg. _Æneid_, lib. II, v. 88.

[1126] Parlant des papiers que le roi a demandés, le conseiller de la
Fosse dit: «Il y a des lettres missives, presque toutes sans signature,
et en des termes qui ne peuvent servir qu'à déshonorer quelques femmes
pour la trop grande liberté d'écrire, etc.» Voy. p. 275.

[1127] Lettre du 9 octobre 1661.

[1128] Les lettres de Chapelain et de Ménage prouvent que madame de
Sévigné trouva en eux d'ardent et habiles défenseurs. Voy. les
_Causeries d'un curieux_, par M. Feuillet de Conches, t. II, p. 518, 522
et 523.

[1129] Je les ai désignés ordinairement sous le titre de _Papiers de
Fouquet conservés à la Bibliothèque impériale_, F. Baluze.

[1130] T. I, ch. XXII. Le nom de Trécesson doit s'écrire avec un _c_.

[1131] Voy. chapitre XXXVI, p. 195, 196, 201, 207 et 214.

[1132] Papiers de Fouquet, F. Baluze, t. II, p. 217 et 53.

[1133] Voy. plus haut, p. 171-172.

[1134] Papiers de Fouquet, t. II, p. 178.

[1135] Ou abbé de Maure.

[1136] Lettre du 19 juillet.

[1137] Papiers de Fouquet, F. Baluze, t. I, p. 60.

[1138] Ce mot indique que cette femme était de la famille d'un des
ennemis de Fouquet, le président, le marquis ou Delorme.

[1139] On n'a mentionné que deux personnes; mais je copie textuellement.

[1140] Ci-dessus, p. 100-101.

[1141] Pag. 159 et suiv.

[1142] Papiers de Fouquet, F. Baluze, t. II, p. 237.

[1143] On a vu plus haut que Fouquet faisait surveiller cet ancien
commis, qu'il avait chassé.

[1144] Il se nommait Guinbert, comme on le voit par une autre lettre.

[1145] Armand de la Porte, duc de Mazarin et grand-maître de
l'artillerie.

[1146] Bessemot ou Bessemaux, gouverneur de la Bastille.

[1147] Il s'agit ici de la personne appelée la Montigny.

[1148] C'est-à-dire, c'est une personne qu'il est difficile de garder.

[1149] On donne ce nom, en Bretagne, aux curés de paroisse.

[1150] _Elle_ désigne ici madame d'Asserac, qui était fâchée d'avoir
parlé au gentilhomme appelé plus haut du Guilie.

[1151] Le prévôt de l'Île-de-France.

[1152] Ambassadeur d'Espagne à Paris.

[1153] Lieutenant-criminel de robe courte.

[1154] Voy. ci-dessus p. 67 et suiv.

[1155] Papiers de Fouquet, F. Baluze, t. II, p. 298.

[1156] Papiers de Fouquet, t. II, p. 39.

[1157] S'agit-il de l'original de l'ordonnance dont le mousquetaire
demandait le remboursement? Je suppose que c'est le sens du mot
_originaux_.

[1158] Papiers de Fouquet. t. II, p. 41. Cette lettre est datée du 5
août 1661.

[1159] Le nom est en blanc dans la lettre.

[1160] C'est-à-dire _si vous avez de la colère contre quelqu'un_

[1161] _Mémoires_, édit. Hachette, in-8, t. II, p. 169.

[1162] Papiers de Fouquet, t. I, p. 123.

[1163] L'abbé de Montaigu était Anglais et attaché à la reine mère.

[1164] Ce gouvernement avait été promis à Gilles Fouquet par le marquis
d'Aumont, son beau-père.

[1165] C'est-à-dire _une compensation_.

[1166] Il s'agit de Colbert de Croissi, qui était alors chargé des
affaires de la France à Rome.

[1167] Il a été question plus haut (p. 145) de cet abbé Elpidio
Benedetti. On voit, du reste, par cette lettre, que la mission de
Haucroix à Rome n'était pas restée sans résultat, et que Fouquet y avait
des créatures.

[1168] Antoine d'Aumont de Rochebaron, maréchal de France, était frère
puîné du marquis d'Aumont et oncle par alliance de Gilles Fouquet.

[1169] Cette phrase veut dire, je crois, que chacun de ces seigneurs
demandait pour lui le gouvernement de Touraine.

[1170] T. I, p. 401-402.

[1171] Papiers de Fouquet, t. II, p. 60-61.

[1172] Les papiers de Conrart sont conservés à la Bibl. de l'Arsenal,
ceux de Vallant à la Bibl. imp.

[1173] M. Feuillet de Conches a déjà fait justice de ces lettres
apocryphes dans ses _Causeries d'un curieux_. Peut-être même a-t-il été
trop loin en n'admettant pas que ces pièces étaient une amplification,
une exagération de lettres réelles, dont on fît disparaître les
originaux. D'un autre côté, comme les correspondances de cette espèce
n'étaient pas signées, on a souvent attribué à des personnes connues des
billets qui venaient d'entremetteuses obscures.

[1174] Portefeuilles de Vallant, t. XIII, f° 384.

[1175] La Mivoie était le nom de la maison que l'entremetteuse occupait
et où elle recevait les filles de la reine. Il paraît que Damville avait
des droits sur cette propriété, à en juger par le passage suivant d'une
lettre de la correspondance authentique (t. I, p. 46-47): «M. d'Amville
me dit hier que absolument il voulait retirer la Mivoie, et nous fûmes
près d'une grande demi-heure en présence de celle que vous savez
(mademoiselle de Menneville) à nous quereller, et lui dis tout franc que
je ne lui rendrois pas, à moins qu'il ne me dédommageât de tous les
meubles, de tous mes voyages et de mes réparations, et de l'argent que
j'en avois donné.»

[1176] Comparez cette lettre à celle de mademoiselle de Menneville, qui
commence par ces mots: «Rien ne me peut consoler, etc.» (Ci-dessus, p.
214-215.) On voit, par le rapprochement des deux pièces, que les lettres
conservées par Conrart et Vallant n'étaient pas de pure invention; mais
on les avait commentées, amplifiées et dénaturées.

[1177] T. II, p. 173-174.

[1178] _Mémoires de Conrart_, édit. Michaud et Poujoulat, p. 614.

[1179] Cette lettre de Chapelain a été publiée par M. Feuillet de
Conches (_Causeries d'un curieux_, t. II, p. 518 et suiv.). Je me
bornerai à citer le commencement. La fin ne concerne que madame de
Sévigné, dont Chapelain prit hautement la défense contre des imputations
calomnieuses.

[1180] Portefeuilles, t. III, pièce 27.

[1181] Voy. cette pièce à l'Appendice.

[1182] Virg. _Georg._ lib. I, v. 199-200.

[1183] Ce discours fut prononcé en décembre 1661. La disette et la
misère se rapportent par conséquent aux années 1660 et 1661, où Nicolas
Fouquet avait joué le principal rôle dans l'administration intérieure.

[1184] Cette lettre et les suivantes sont tirées d'une collection de la
Bibl. imp. désignée sous le nom de _manuscrits verts_.

[1185] Circonscriptions territoriales où la répartition de l'impôt était
faite par des _Élus_. Ces magistrats tiraient leur nom de ce que
primitivement ils avaient été nommés par l'assemblée des États généraux.

[1186] _Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV_,
publiée par M. Depping dans la collection des _Documents inédits
relatifs à l'Histoire de France_, t. I, p. 657-658.

[1187] _Ibid._, t. I, p. 654-656.

[1188] Ces détails sont tirés du récit de l'arrestation de Fouquet par
le greffier de la chambre de justice.

[1189] Ce nom est écrit tantôt Talois ou Tallois, tantôt Talouet,
Tallouet, Talhouet.

[1190] Gui-Patin (lettre du 6 décembre 1661) fait traverser Paris à
Pellisson le 6 décembre; mais le récit officiel a plus d'autorité qu'une
correspondance dont les dates ont été souvent altérées ou ajoutées par
les éditeurs.

[1191] Ces détails sont tirés, comme je l'ai déjà fait observer, du
récit officiel rédigé par Foucault.

[1192] Voy. le _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 99.

[1193] Racine, _Fragments historiques_.

[1194] Gui-Patin, lettre du 19 septembre 1661. «Un des secrétaires de M.
le premier président me vient de le dire», écrit Gui-Patin à cette date.
Gourville confirme ce témoignage. _Mémoires_, p. 525-526, édit. citée.

[1195] T. I des _Mémoires sur Fouquet_, p. 242-248.

[1196] Gourville, _ibid._

[1197] Ci-dessus, p. 9.

[1198] _Mémoires de Gourville_, p. 25-526.

[1199] Ci-dessus, p. 272.

[1200] Les procès-verbaux des saisies se trouvent dans plusieurs mss. de
la Bibl. imp. Le ms. du suppl. fr., n° 36, p. 1-8, contient le
procès-verbal de la levée du scellé apposé dans la maison de Fouquet à
Fontainebleau, avec l'inventaire des meubles et papiers. Cet inventaire
est signé par le conseiller d'État d'Aligre, par Poncet et par J.B.
Colbert. Dans le même ms. (p. 106-153), on trouve le procès-verbal de la
levée du scellé apposé à Vaux, et l'état des revenus de ce domaine (p.
153-155); puis le procès-verbal (p. 155-191) des scellés mis dans la
maison de Fouquet à Paris et sur son appartement du Louvre; des scellés
apposés chez madame du Plessis-Bellière (p. 191-249); chez Bruant (p.
249-263). Un autre manuscrit (suppl. fr., n° 2352) renferme le
procès-verbal et les inventaires des saisies faites à Saint-Mandé.

[1201] L'édit royal a été imprimé dans le _Recueil des anciennes lois
françaises_. J'ai publié la déclaration, datée du 15 novembre 1661, dans
l'introduction au t. II du _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, p. 70 et suiv.

[1202] Voy. le récit de la séance du 3 décembre 1661 dans le _Journal de
la chambre de justice_, rédigé par Foucault, greffier de la chambre. Je
l'ai publié dans la même introduction, p. 70.

[1203] J'ai cité plus haut, p. 324. ce passage de la harangue du premier
président.

[1204] Le discours de Denis Talon a été imprimé dans le _Recueil des
discours d'Omer et de Denis Talon_, t. II, p. 43 et suiv.

[1205] Fils du secrétaire d'État Michel le Tellier.

[1206] _Mémoires_, t. I, p. 411, édit. Hachette, in-8.

[1207] Voy. ci-dessus, p. 12.

[1208] Recueil de Maurepas, Bibl. imp., mss., t. II, f° 518.

[1209] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 288.

[1210] Voy. t. I de nos Mémoires, p. 307. et t. II. p. 285.

[1211] Bibl. imp., ms. n° 3695, f° 12. Ce Mémoire de Colbert est
autographe; il a été cité par M.P. Clément, _Hist. de Colbert_.

[1212] Il est dit dans la biographie de Lamoignon, imprimée à la suite
de ses _Arrêtés_, qu'il avait rédigé un _Journal du procès de Fouquet_.
Si ce journal a jamais existé, il ne devait embrasser que la première
année du procès, la seule pendant laquelle le premier président ait
assisté aux séances de la Chambre de justice, comme on le verra au
chapitre suivant.

[1213] _Tableau du parlement de Paris_, ms. de la Bibl. imp., n° 325 du
Suppl. fr.

[1214] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 2 (collection des
_Documents inédits relatifs à l'Histoire de France_.) Voy. les notes p.
2, 3 et 5. J'ai toujours rapproché, dans ces notes, le journal inédit de
Foucault de celui d'Olivier d'Ormesson.

[1215] _Ibid._, p. 6.

[1216] _Journal d'Oliv. d'Ormesson, ibid._, p. 10.

[1217] Voy. t. I des _Mémoires sur Fouquet_, p. 360 et 488.

[1218] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 13.

[1219] _Ibid._, p. 19 et 20.

[1220] On les appelait pour ce motif _productions_.

[1221] _Journal d'Olivier d'Ormesson, ibid._, p. 21.

[1222] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 22.

[1223] J'ai retracé en détail la vie d'Olivier d'Ormesson et de son père
André en tête du t. I du _Journal d'Olivier d'Ormesson_. Je me borne ici
à un résumé rapide.

[1224] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. I, p. 801.

[1225] Ci-dessus, p. 346 et suiv.

[1226] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 26.

[1227] _Ibid._, p. 27.

[1228] Pierre Séguier, né en 1588, avait alors soixante-quatorze ans.

[1229] _Journal d'Olivier d'Ormesson, ibid._, p. 224.

[1230] _Journal d'Olivier d'Ormesson, ibid._, p. 157.

[1231] Ce mot désigne ici les membres du tribunal.

[1232] _Journal d'Olivier d'Ormesson, ibid._, p. 157.

[1233] L'accusé, nommé Dumont, fut en effet condamné à être pendu et
exécuté immédiatement, p. 161.

[1234] _Ibid._, p. 229.

[1235] _Journal d'Olivier d'Ormesson, ibid._, t. II, p. 231.

[1236] _Ibid._, p. 290.

[1237] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 94 et 95.

[1238] T. I des _Mémoires sur Fouquet_, p. 325.

[1239] _Ibid._, p. 326.

[1240] C'est le chiffre indiqué par Olivier d'Ormesson. (_Journal_,
ibid., page 38.)

[1241] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 52.

[1242] _Ibid._, p. 33-37.

[1243] _Ibid._, p. 37-38.

[1244] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 39.

[1245] _Ibid._, p. 45.

[1246] _Ibid._, p. 45-46.

[1247] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 46.

[1248] _Ibidem._

[1249] _Ibid._, p. 47.

[1250] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 47-48.

[1251] _Ibid._, p. 54-55.

[1252] _Ibid._, p. 51-52.

[1253] _Journal d'Olivier d'Ormesson_. t. II, p. 58.

[1254] _Ibid._, p. 60. Il existe aussi au Musée de Versailles un tableau
de le Brun, qui représente la cérémonie du renouvellement de l'alliance
avec les Suisses. On y reconnaît parfaitement André d'Ormesson, placé
derrière Louis XIV.

[1255] C'est le père du Chamillart qui, à la fin du règne du Louis XIV,
fut contrôleur général des finances et secrétaire d'État de la guerre.

[1256] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 60-61.

[1257] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 71.

[1258] Ibid., p. 75.

[1259] Ci-dessus, p. 272.

[1260] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 100-104.

[1261] _Ibid._, p. 81.

[1262] Lettre autographe dans les papiers de Fouquet, t. II, p. 277.
Cette lettre est du 24 juillet 1661. On la trouvera à l'Appendice.

[1263] _Journal_, ibid., p. 79.

[1264] _Journal_, ibid. Ce travail assidu a produit les nombreux volumes
qui portent le titre de _Défenses de Fouquet_. On y trouve les requêtes
adressées à la Chambre de justice, les réponses aux productions du
procureur général, en un mot toutes les pièces du procès.

[1265] _Histoire de la Détention des philosophes et gens de lettres_,
etc., par Delort, t. I, p. 21.

[1266] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 82.

[1267] _Ibid._, p. 87.

[1268] Il s'agit de l'arrêt qui ordonnait de communiquer à Fouquet les
pièces du procès et principalement les procès-verbaux des registres de
l'Épargne.

[1269] Sainte-Hélène était atteint de la goutte.

[1270] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid.

[1271] _Ibid._, p. 88.

[1272] Ce sont les termes mêmes d'Oliv. d'Ormesson. (_Journal_, ibid, p.
90.)

[1273] _Journal_, ibid., p. 92.

[1274] Les avocats Lhoste et Auzanet.

[1275] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 80.

[1276] _Journal_, t. II, p. 100, à la date du 19 février 1664.

[1277] Il s'agit toujours des registres de l'Épargne.

[1278] _Journal_, ibid., p. 114-116.

[1279] _Ibid._, p. 117.

[1280] _Ibid._, p. 120.

[1281] Olivier d'Ormesson avait répondu à Pussort qui lui reprochait
d'avoir pris parole de Fouquet pour limiter le travail de vérification
des procès-verbaux de l'Épargne: «Monsieur, en justice, je ne prends
point de parole et je n'en donne point.» (_Journal_, p. 115.)

[1282] _Journal_, ibid., p. 120.--Voy. aussi p. 124.

[1283] _Journal_, ibid., p. 132.

[1284] _Ibid._, p. 133.

[1285] Olivier d'Ormesson avait épousé, le 22 juillet 1640, Marie de
Fourcy, qui appartenait aussi à une ancienne famille parlementaire.

[1286] Delort dit que «le Tellier fut le plus implacable des
persécuteurs de Fouquet.» (Tome I de l'_Histoire de la Détention des
philosophes_, etc., p. 23.)

[1287] _Journal_, ibid., p. 134.

[1288] Ci-dessus, p. 373-374.

[1289] Corde de luth ou de violon la plus déliée.

[1290] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 136, 137 et 138.

[1291] _Journal_, t. II, p. 136.

[1292] _Journal_, t. II, p. 138-139.

[1293] Boucherat était resté membre de la Chambre de justice pour les
procès autres que celui de Fouquet. Il en fut éloigné à cette époque,
sous prétexte qu'il était le conseil de M. de Guénégaud, un des
trésoriers de l'Épargne. (_Journal_, ibid., p. 133.)

[1294] _Journal_, ibid., p. 141.

[1295] _Journal_, t. II, p. 162.

[1296] _Ibid._, p. 164.

[1297] _Ibid._, p. 171.

[1298] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 172-173.

[1299] _Ibid._, p. 174-175.

[1300] Olivier d'Ormesson remarque plus loin (p. 176) qu'il y eut dans
les paroles du roi _des mots durs_, et ajoute qu'il les retrancha dans
le rapport qu'il fit de son audience à la Chambre de justice.

[1301] Projet trouvé à Saint-Mandé. Voy. t. I des _Mémoires sur
Fouquet_, p. 360 et 488. Ce passage prouve quelle impression la lecture
de ce projet avait faite sur l'esprit du roi.

[1302] Il y a dans le manuscrit y _adjoustera_, et j'ai reproduit ce mot
dans le texte du _Journal_, t. II, p. 175, lig. 4. Le sens est, je
crois, _s'y ajustera, s'y conformera_.

[1303] _Journal_, t. II, p. 177-178.

[1304] _Ibid._, p. 178.

[1305] _Ibidem._

[1306] Ce sont les termes mêmes d'Olivier d'Ormesson (_Journal_, ibid.,
p. 181).

[1307] _Journal_, t. II. p. 193.

[1308] _Ibid._, p. 195.

[1309] _Ibid._, p. 219-220.

[1310] _Ibid._, p. 220.

[1311] _Ibid._, p. 205-208.

[1312] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 208.

[1313] _Ibid._, p. 210-211.

[1314] _Ibid._, p. 211.

[1315] _Ibid._, p. 211-215.

[1316] Ce n'est pas seulement dans le _Journal d'Olivier d'Ormesson_ que
nous en trouvons la preuve. Le _Journal de Foucault_, rédigé sous
l'influence de Colbert, peut servir à contrôler le témoignage d'Olivier
d'Ormesson, et il le confirme sur tous les points essentiels.

[1317] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 238.

[1318] _Ibid._, p. 204.

[1319] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 353. Comparez les
_Mémoires de Saint-Simon_, où l'on trouve (édit. Hachette, in-8, t. IV,
p. 250-251) des renseignements sur madame de Lyonne. Le même auteur,
parlant de la mort de la maréchale d'Estrées, s'exprime ainsi: «Elle
étoit fille d'un riche financier, nommé Morin, qu'on appeloit Morin le
Juif.»

[1320] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 107, 118, 119, 217.

[1321] _Mémoires d'Arnauld d'Andilly_, édit. Michaud et Poujoulat, p.
470.

[1322] Recueil de Maurepas, Bibl. imp., mss., t. II, f° 461-463.

[1323] «Les moines et les religieuses, disait Colbert dans un mémoire au
roi, non-seulement se soulagent du travail qui iroit au bien commun,
mais même privent le public de tous les enfants qu'ils pourroient
produire pour servir aux fonctions nécessaires et utiles. Pour cet
effet, il seroit peut-être bon de rendre les vœux de religion un peu
plus difficiles et de reculer l'âge pour les rendre valables, même
retrancher l'usage des dots et pensions des religieuses.» Ce mémoire de
Colbert a été publié dans la _Revue rétrospective_, 2e série, t. IV,
p. 257-258.

[1324] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II. p. 117.

[1325] _Ibidem._

[1326] Journal d'Olivier d'Ormesson, t. II, p. 116.

[1327] S'il en fallait de nouvelles preuves, il suffirait de relire
quelques-unes des lettres de madame de Sévigné. «Je viens de souper à
l'hôtel de Nevers, écrivait-elle à Pomponne, nous avons bien causé, la
maîtresse du logis (madame Duplessis-Guénégaud) et moi, sur ce chapitre
(le procès de Fouquet). Nous sommes dans des inquiétudes qu'il n'y a que
vous qui puissiez comprendre.»

[1328] Voy. plus haut, p. 346-349, les plaintes de Colbert sur la
conduite du premier président à l'occasion de ces mesures. On était
alors en 1662.

[1329] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 149.

[1330] _Ibid._, p. 150.

[1331] _Ibid._, p. 152.

[1332] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 153.

[1333] Ces vers sont du chevalier de Cailly, connu sous le nom de
_d'Aceilly_, mort en 1673.--Les rentes se payaient alors à l'Hôtel de
Ville.

[1334] Ou trouve plusieurs de ces pièces dans les mss. Conrart, in-f°,
t. XI, p. 225. En voici quelques passages:

Malgré les juges courtisans,
Le cordeau de Fouquet, filé depuis trois ans,
Est maintenant à vendre.
Mais nous avons Colbert. Sainte-Hélène et Berryer.
C'est assez de quoi l'employer;
C'est assez de voleurs à pendre.
C'est assez de fous à lier.

On prétendait, comme on le verra au chapitre suivant, que Berryer était
devenu fou, et fou à lier.

Les poëtes du temps attaquent sans trop de discernement toutes les
réformes de Colbert. Un anonyme, dont la satire se trouve dans les
portefeuilles de Vallant (mss., Bibl, imp., t. XIII, p. 130), fait
allusion au retranchement de certaines fêtes et aux ordonnances qui
modifièrent les lois:

Quel est donc ce chaos et quelle extravagance
Agite maintenant tout l'esprit de la France?
Quel démon infernal, ami des changements,
Fait tant de nouveautés dans tous nos règlements?
On fait, on redéfait, on rétablit, on casse;
Rien ne demeure fait, quelque chose qu'on fasse:
On retranche les saints, on les refête après:
On plaide au Châtelet quand on fête au Palais,
On trouve à réformer même sur la réforme,
L'ancien code à présent est un code difforme, etc.


[1335] Lettre du 2 octobre 1661. Voyez l'Appendice.

[1336] Ces détails se trouvent dans la _Défense du grand Corneille_, par
le P. Tournemine. Voy. Taschereau, _Histoire de la vie et des ouvrages
de Pierre Corneille_, 2e édition (1855), p. 342.

[1337] Voy. _Œuvres diverses de Pierre Corneille_, 1738. p. 84.

[1338] _Ibid._, p. 223-226.

[1339] Ruisseau dont les eaux alimentaient les fontaines et les bassins
de Vaux.

[1340] Allusion à l'insulte qui avait été faite à l'ambassadeur français
par la garde du Pape.

[1341] Voy. t. I, p. 460 et suiv., les vers où la Fontaine se plaignait
de n'avoir pas été reçu par le surintendant.

[1342] Lettre à sa femme, en date du 25 août 1663.

[1343] _Histoire de la Fontaine_, liv. II, p. 108, édit. de 1834.

[1344] Ci-dessus, p. 329-330.

[1345] Lettre écrite d'Uxès, le 16 décembre 1661.

[1346] Ovid. _Trist._; III, 2, 3-4.

[1347] Ce M. l'Avocat avait sans cesse à la bouche le mot de _creux_.
(_Note de Louis Racine_.)

[1348] _Mémoires pour servir à l'Histoire des règnes de Louis XIV et de
Louis XV_, 2° édit., t. II, p. 444. Ces légendes sont peu dignes de foi.
Delille s'en est emparé dans son poëme de l'_Imagination_ (ch. VI):

Un geôlier au cœur dur, au visage sinistre,
Indigné du plaisir que goûte un malheureux,
Foule aux pieds son amie et l'écrase à ses yeux.


[1349] Il est très-difficile d'admettre cette prétendue confrontation à
la Bastille. Fouquet n'y fut transféré qu'en 1663, et les journaux
d'Olivier d'Ormesson et de Foucault ne mentionnent aucun fait de cette
nature pendant les années 1663 et 1664.

[1350] _Élégie sur la disgrâce de M. Fouquet_, dans les _Œuvres
diverses_ (Paris, 1735), t. I, p. 194-202.

[1351] _Premier Discours au roi_, dans les _Œuvres diverses_, t. II, p.
13.--Voy. dans l'_Étude sur Pellisson_ par M. Marcou, p. 213 et suiv.,
l'analyse des _Discours au roi_ ou _Défenses de Fouquet_, par Pellisson.

[1352] _Deuxième Discours au roi_, ibid., p. 107-109. Ce passage de
Pellisson a été cité par M. Sainte-Beuve dans son article sur Fouquet,
_Causeries du Lundi_, t. V, p. 236.

[1353] _Deuxième Discours au roi_, ibid., p. 110.

[1354] Cette lettre est citée par Delort, _Histoire de la détention des
philosophes_, etc., t. I, p. 79 et suiv.

[1355] Voy. ces placets dans Delort, ouvrage cité, t. I, p. 73 et suiv.

[1356] _Œuvres diverses_, édit. citée, t. I. p. 202-205.

[1357] Allusion à quelques vers, en forme d'épitaphe de Pellisson,
composés par Ménage en 1659.

[1358] Vers du prologue des _Fâcheux_.--Voy. ci-dessus, p. 225.

[1359] Voy. _Mémoires de Conrart_, article du PRÉSIDENT DE NESMOND.

[1360] La Cour des monnaies avait juridiction souveraine pour tout ce
qui concernait la fabrication des espèces d'or et d'argent et de la
monnaie de billon. Elle remontait au quatorzième siècle.

[1361] Les séances de la Chambre de justice à l'Arsenal ont été
retracées en grand détail par Foucault (_Journal de la Chambre de
justice_) et par Olivier d'Ormesson. Madame de Sévigné, dans ses lettres
à M. de Pomponne, exprime les émotions du public attentif à tous les
incidents du procès. Il est facile de reconnaître qu'elle doit la
plupart de ses renseignements aux conversations qu'elle avait
fréquemment avec Olivier d'Ormesson.

[1362] Ce crime, qui, d'après les anciennes lois de la France,
entraînait la peine de mort, était défini: vol des deniers publics par
ceux qui en avaient le maniement.

[1363] Nom de la monnaie qui se frappait à Paris, et qui était plus
forte d'un quart que celle de Tours.

[1364] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 240.

[1365] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, ibid., p. 242-244.

[1366] _Journal de Foucault_, t. X, f° 10 v° et 11 r°.

[1367] _Ibid._, f° 11 v°.

[1368] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 245.

[1369] _Ibid._, p. 246 et suiv.--Lettre de madame de Sévigné, en date du
17 novembre 1664.

[1370] Madame de Sévigné ajoute: «Et que les commissions avoient été
vérifiées par les compagnies souveraines.» C'est une erreur: l'édit qui
établissait la Chambre de justice avait été enregistré par cette Chambre
même (voy. p. 342). Le parlement ni les autres cours souveraines
n'avaient jamais été chargés de cet enregistrement. L'erreur ne se
trouve pas dans le _Journal d'Olivier d'Ormesson_.

[1371] «L'accusé, dit Foucault, ajouta ces termes de la Passion
(_Joan._, XVIII, 34).»

[1372] Cet argument s'explique surtout par les usages de l'ancienne
monarchie. Le chancelier tenait, avec les maîtres des requêtes, un
conseil, où, avant de sceller les arrêts qui étaient déjà signés, il
examinait s'il n'y avait aucune cause de nullité, comme surprise,
fraude, etc.

[1373] Lettre de madame de Sévigné, _ibid.--Journal d'Olivier
d'Ormesson_, ibid., p. 247.--_Journal de Foucault_, t. X, f° 22 et suiv.

[1374] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 248. Lettre de madame
de Sévigné du 18 novembre 16??

[1375] Madame de Sévigné (I. c.) dit que _l'on a continué la pension des
gabelles_; mais son témoignage ne peut prévaloir sur ceux d'Olivier
d'Ormesson et de Foucault, qui sont parfaitement d'accord quant aux
chefs d'accusation traités dans cette audience du 18 novembre.
D'ailleurs, madame de Sévigné, qui s'attache surtout aux incidents
dramatiques, s'inquiète beaucoup moins de mentionner avec une exactitude
minutieuse les différents chefs d'accusation.

[1376] J'ai déjà fait remarquer qu'on appelait _convoi de Bordeaux_ un
impôt qui se levait principalement sur les vins, eaux-de-vie et autres
denrées transportées par mer. Le nom de _convoi_ venait de l'usage de
faire _convoyer_ ou escorter les navires de commerce par des vaisseaux
de guerre. Pour subvenir aux frais de cette escorte, on avait établi la
taxe nommée _convoi de Bordeaux_.

[1377] Lettre du 18 novembre 1664.

[1378] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 249.

[1379] Ce sont les paroles mêmes de madame de Sévigné (lettre du 19
novembre).

[1380] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 251.

[1381] _Ibid._--Lettres de madame de Sévigné du 20 et du 24 novembre.

[1382] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 250-251.--Lettre de
madame de Sévigné du 20 novembre.--Foucault a bien soin d'omettre tous
ces incidents dans un procès-verbal rédigé par les ordres de Colbert.

[1383] Il a été question plusieurs fois de ces billets sur l'Épargne,
que l'on se procurait à vil prix, parce qu'ils étaient assignés sur des
fonds épuisés.

[1384] Olivier d'Ormesson le dit formellement (_ibid._, p. 256): «M. le
chancelier ne sçait pas l'affaire.»

[1385] Lettre du 26 novembre 1664.

[1386] _Journal_, t. II, p. 252-253.

[1387] Saint François de Sales.

[1388] Couvent des _Filles de la Visitation_, fondé dans la rue
Saint-Antoine en 1628.

[1389] Jeanne-Françoise Frémyot, dame de Chantal, avait été la
fondatrice et la première supérieure des _Filles de la Visitation_.

[1390] _Journal_, t. II, p. 251.--Madame de Sévigné, lettre du 27
novembre.

[1391] Même lettre.

[1392] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 255.--_Journal de
Foucault_, t. X, fos 87-97.--Lettre de madame de Sévigné du 28
novembre.

[1393] Voy. plus haut, p. 412. Les détails sur la mort du président de
Nesmond se trouvent dans les _Mémoires de Conrart_.

[1394] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 259.--Lettre de madame de
Sévigné du 1er décembre.

[1395] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 260.--Lettre de madame de
Sévigné en date du 2 décembre.

[1396] _Journal de Foucault_, t. X, f° 128, v°.

[1397] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 261.

[1398] Voy. ce projet à l'Appendice du t. I.

[1399] _Journal de Foucault_, t. X, f° 135.

[1400] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II. p. 263.

[1401] Le duc de Sully, gendre du chancelier Séguier, avait livré, en
1652, le passage du pont de Nantes à l'armée espagnole. Voy. t. I, p.
65.

[1402] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 263.--Lettre de madame de
Sévigné du 9 décembre.

[1403] Voy. le premier volume des _Mémoires sur Fouquet_, p. 19-221.

[1404] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 204.

[1405] Voy. sur ces engagements, t. I, p. 396-397.

[1406] La négociation de Maucroix, dont il a été question ci-dessus, p.
144.

[1407] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 265.

[1408] _Ibidem._

[1409] _Ibid._, p. 265-266.

[1410] Lettre du 5 décembre.

[1411] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 266-267.--Lettres de
madame de Sévigné des 9, 10, 11 et 15 décembre.

[1412] On trouvera le résumé de l'avis d'Olivier d'Ormesson dans
l'Appendice du t. II de son Journal.

[1413] Voy. la lettre de madame de Sévigné en date du 17 décembre: «J'a
ouï dire à des gens du métier que c'est un chef-d'œuvre que ce qu'il a
fait,» etc.

[1414] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, 272-274.--_Journal de
Foucault_, t. X, fos 171-177.

[1415] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 273.--Lettre de madame
de Sévigné du 17 décembre.

[1416] _Ibid._, p. 270-271.--Lettre de madame de Sévigné du 17 décembre.

[1417] _Journal de Foucault_, t. X, fos 184-250. L'avis de Pussort ne
remplit pas moins de soixante-six pages in-f° de ce Journal.

[1418] Ce sont les termes mêmes de madame de Sévigné. (Lettre du 17
décembre.)

[1419] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 277.

[1420] _Ibid._, p. 279-280.

[1421] _Ibid._, p. 281.

[1422] _Ibid._, p. 281-282.

[1423] _Ibid._, p. 282.

[1424] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 283.

[1425] _Ibid._, p. 283-284.

[1426] _Ibid._, p. 284.

[1427] Il s'agit probablement ici du collège de Clermont (aujourd'hui
lycée Louis-le-Grand).

[1428] _Ibid._, p. 284.

[1429] T. I des _Mémoires sur Fouquet_, p. 495.

[1430] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, p. 286 et suiv.--_Journal de
Foucault_, t. X, f° 577 et suiv.--Lettre de madame de Sévigné du 22
décembre.

[1431] _Journal d'Olivier d'Ormesson_, t. II, p. 287.--Madame de
Sévigné, lettre du 22 décembre.

[1432] _Ibid._, p. 288.

[1433] _Ibid._, p. 285.--Lettre de madame de Sévigné du 21 décembre.

[1434] _Mémoires de madame de Motteville_, année 1661.

[1435] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 301, à la date du 12
février 1665.

[1436] _Ibid._, p. 509-510.

[1437] Lettre du 13 février 1665.

[1438] On trouve dans les mss. Conrart, t. XI, f° 549, quelques vers sur
Roquesante, précédés de cette note: «Sur l'exil de M. de Roquesante,
conseiller au parlement de Provence et commissaire en la Chambre de
justice, lequel, après le jugement du procès de M. Foucquet et estant
rapporteur de celuy de M. de Guénégaud, trésorier de l'Espargne, fut
envoyé à Quinpercorentin:

Hélas! il est bien vrai qu'en ce siècle barbare
Et la gloire et l'honneur n'ont qu'un titre pompeux,
Et que, sous ces grands noms dont la vertu se pare,
Elle cache souvent les maux qu'elle prépare
Et du plus grand héros en fait un malheureux!
Hoxsnie (_sic_), dont l'honneur rend le sort pitoyable,
Et qu'un trop grand mérite accable,
En sert d'exemple assez puissant
Il est banni comme un coupable
Pour n'avoir pas voulu punir un innocent.


[1439] Lettre du 30 mars 1672.

[1440] Lettre de madame de Sévigné du 22 décembre.

[1441] _Mémoires_, édit. Hachette, in-8, t. II, p. 301.

[1442] Le Tellier ne fit point de menaces, mais se tint, comme c'était
son caractère, sur une prudente réserve.

[1443] Louvois ne se mêlait pas encore du gouvernement à cette époque
Saint-Simon, qui déteste Louvois, le met partout où se commet une
injustice.

[1444] On trouvera les preuves détaillées de toutes ces assertions dans
la biographie d'Oliv. d'Ormesson, que j'ai placée en tête du t. I de son
Journal (collect. des _Documents inédits relatifs à l'Histoire de
France_).

[1445] _Journal_, t. II, p. 405.

[1446] _Ibid._, p. 412, 413 et 439.

[1447] _Ibid._, p. 446-447.

[1448] Voy. à l'Appendice une des chansons composées contre les juges
qui avaient opiné pour la peine de mort.

[1449] Journal d'Oliv. d'Ormesson, t. II, p. 400.

[1450] _Ibid._, p. 502.

[1451] _Ibid._, p. 504.

[1452] _Ibid._, p. 505.

[1453] Lettre de madame de Sévigné, datée du jeudi au soir, 25 décembre.

[1454] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 287.

[1455] Lettre de madame de Sévigné, datée du vendredi 26 décembre.

[1456] Les lettres de Louvois que Delort a publiées (_Détention des
philosophes_, etc., t. I, p. 83-85) prouvent que, dès le mois de janvier
1665, d'Artagnan avait remis Fouquet à la garde de Saint-Mars, qui était
chargé de le tenir prisonnier dans le donjon de Pignerol.

[1457] Les instructions et lettres relatives à la captivité de Fouquet
sont conservées aux archives de l'Empire. Les pièces les plus
importantes ont été publiées par Delort dans l'ouvrage cité.

[1458] Delort, _Détention des philosophes_, etc., t. I, p. 24-27.

[1459] Lettre de Louvois dans Delort, _Détention des philosophes_, etc.,
t. I, p. 85-86.

[1460] _Ibid._, p. 30, 90 et 91.

[1461] _Ibid._, p. 89-90.

[1462] _Ibid._, p. 92.

[1463] _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 372, à la date du 28
juin.

[1464] Voy. les lettres de Louvois dans l'ouvrage de Delort, _Détention
des philosophes_, etc. t. I, p. 101-102.

[1465] Lettres de Louvois dans l'ouvrage de Delort, _Détention_, etc.,
t. I p. 105 et 116. Voy. aussi p. 32 du même ouvrage.

[1466] _Ibid._, p. 104.

[1467] _Ibid._, p. 103.

[1468] _Ibid._, p. 118-119.

[1469] _Ibid._, p. 131-134.

[1470] Lettres de Louvois dans l'ouvrage de Delort, _Détention_, etc.,
t. I, p. 138.

[1471] _Ibidem._

[1472] _Ibid._, p. 53.

[1473] _Ibid._, p. 149 et 158.

[1474] Ce nom de _Honneste_, le seul sous lequel ce personnage soit
désigné, semble un pseudonyme.

[1475] Delort, _Détention des philosophes_, etc., t. I, p. 160-161.

[1476] _Ibid._, p. 164.

[1477] _Ibid._, p. 162.

[1478] M. Walckenaer (t. III, p. 291 des _Mémoires sur madame de
Sévigné_, 1re édit.) pense qu'il s'agit dans ce passage d'un sieur de
Valcroissant mentionné dans les lettres de Louvois à Saint-Mars; mais
comme le sieur de Valcroissant n'est cité par Louvois que comme un
prisonnier amené de Dunkerque à Pignerol, puis conduit à Marseille, on
ne voit pas d'après quelle autorité M. Walckenaer en a fait le
gentilhomme recommandé par madame de Sévigné.--Voy. à l'Appendice les
extraits des lettres de Louvois de 1669 et 1670 sur la Forest, Honneste
et Valcroissant.

[1479] Delort, _Détention des philosophes_, etc., t. I, p. 161-165.

[1480] Ci-dessus, p. 199.

[1481] Lettre du 25 mars 1672.

[1482] _Mémoires de Saint-Simon_, édit. Hachette, in-8, t. XX, p. 48 et
suiv.

[1483] _Mémoires de Saint-Simon_, ibid., p. 40.

[1484] Voy. t. I des Mémoires sur Fouquet, p. 448-450.

[1485] Delort, _Détention des philosophes_, etc., t. I, p. 40.

[1486] Lettre du 3 juillet 1675, t. III, p. 49 de la _Correspondance de
Roger de Rabutin, comte de Bussy_, publiée par M.L. Lalanne, chez
Charpentier, 1858.

[1487] Mss. de la Bibl. imp. S.F., n° 2358, f° 234-238. M.F. Le Mounier
a publié cette lettre à l'Appendice de son ouvrage intitulé _Le
Chancelier d'Aguesseau_.

[1488] La phrase manque de régularité, mais elle s'entend. Il faudrait
seulement supprimer l'inversion: «Dites-lui hardiment quelle serait ma
gratitude, si je pouvais, etc.»

[1489] La famille Fouquet avait une chapelle dans l'église des _Filles
Sainte-Marie_, ou _Filles de la Visitation_, rue Saint-Antoine. Cette
église est aujourd'hui un temple protestant.

[1490] Ces derniers mots font voir que Fouquet avait peu de confiance
dans les confesseurs qu'on lui imposait. Les lettres de Louvois prouvent
qu'il avait raison. Le ministre écrivait à Saint-Mars le 17 avril 1670:
«J'ai reçu avec votre lettre du 4 de ce mois celle qui y êtoit jointe du
confesseur de M. Fouquet. Je lui mande que je rendrai compte au roi de
sa fidélité, et je le ferai effectivement, afin que S.M. le gratifie de
quelque bénéfice, lorsqu'il en viendra à vaquer.»

[1491] C'est-à-dire _dans le cours ordinaire des choses_.

[1492] Cette phrase paraît d'abord obscure, et on serait tenté de
changer le nom _humilité_ en celui d'_humanité_; mais Fouquet veut dire
que le malheur des prisonniers enseigne aux puissants le néant des
grandeurs humaines, et par conséquent l'humilité chrétienne.

[1493] Le mot _bonheur_ semblerait plus convenable; mais il y a
_honneur_ dans le manuscrit.

[1494] Il faudrait lire: _qu'elle_ (cette couronne) _lui soit retardée_,
etc.

[1495] C'est-à-dire _ne peuvent manquer d'être à la fin exaucées_.

[1496] Louvois. J'ai déjà fait remarquer que le Tellier, père de
Louvois, n'avait jamais montré contre Fouquet le même acharnement que
Colbert. Il faut ajouter qu'à cette époque Louvois était ennemi de
Colbert et que la lutte des deux ministres tournait à l'avantage de
Fouquet.

[1497] Le mot _aime_ se trouve dans le manuscrit. Le sens est: _Dieu
aime à faire miséricorde à ceux qui la font_.

[1498] Voy. ci-dessus, p. 65, quelques détails sur la passion effrénée
du jeu à cette époque, et ce que dit Bartet, p. 52-55, des pertes que
faisait au jeu l'abbé Fouquet.

[1499] Il faudrait peut-être lire _percer le cœur_.

[1500] Madame Fouquet, séparée de biens de son mari avant que la
condamnation eût été prononcée, avait pu conserver une partie
considérable de sa fortune.

[1501] C'est-à-dire renoncer aux jeûnes et abstinences du carême.

[1502] Le frère aîné de Fouquet, François, archevêque de Narbonne, était
le seul de ses frères qui fût mort pendant la captivité du surintendant,
en 1675.

[1503] Je pense qu'il faudrait lire: _reconnaissance_.

[1504] Je n'ai pas trouvé de renseignements sur la congrégation ou
association religieuse à laquelle Fouquet fait ici allusion.

[1505] Lettre de Jeannin de Castille à Bussy-Rabutin, en date du 12
avril 1678. (_Correspondance de Roger de Rabutin_, édit. citée, t. IV,
p. 86 et 212.)

[1506] Lettre du 14 juin 1678, même édit., t. IV, p. 125.

[1507] Vers de Marot.

[1508] Lettre du 24 juin 1678. édit. citée, p. 137.

[1509] _Ibid._, p. 253-254.

[1510] Lettre du 27 février 1679.

[1511] Delort, ouvrage cité, t. I, p. 50 et 51.

[1512] Voy. Saint-Simon, _Mémoires_, édit. Hachette, in-8, t. XX, p. 49.

[1513] C'est l'opinion de Delort, _ibid._, p. 52.--Voy. aussi les
_Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, (édit. Charpentier, t. IV, p.
401). Cette princesse indique assez que ce fut la galanterie qui les
brouilla: «Il se fit force contes, dits et redits sur des galanteries
qui les brouillèrent.» Et plus loin, p. 473, Mademoiselle, excitée par
une jalousie qu'elle ne cherche pas à dissimuler, apprend par la
marquise de Lévi que Lauzun continuait de voir secrètement mademoiselle
Fouquet: «En arrivant ici (à Paris) il a fait semblant d'être brouillé
avec mademoiselle Fouquet...» Puis elle raconte que Lauzun allait «les
après-dîners et les soirs se promener avec mademoiselle Fouquet; qu'en
entrant dans sa chambre, il jetait ses gants et son chapeau, et
demandoit du chocolat, ou du thé, ou du café, et que quoique sa mère
(madame Fouquet) pût dire, il y venoit tous les jours en revenant de
Choisy.» Mademoiselle demeurait alors à Choisy.

[1514] Lettre de Bussy (en date du 2 février 1680, édition citée t. V,
p. 50).

[1515] _Lettres de Bussy_, édit. citée, _ibid._, p. 92.

[1516] Lettre du 3 avril 1680: «Le pauvre M. Fouquet est mort; j'en suis
touchée: je n'ai jamais vu perdre tant d'amis.» Et dans la lettre du 5
avril: «Si j'étois du conseil de la famille de M. Fouquet, je me
garderois bien de faire voyager son pauvre corps, comme on dit qu'ils
vont faire, etc.» Un passage des _Mémoires de Gourville_ semble seul en
contradiction avec les témoignages contemporains. Le voici: «M. Fouquet,
quelque temps après (c'est-à-dire après l'année 1674), _ayant été mis en
liberté_, sut la manière dont j'en avois usé avec madame sa femme, à qui
j'avois prêté plus de cent mille livres pour sa subsistance, son procès
et même pour gagner quelques juges, comme on lui avoit fait espérer.
Après m'avoir écrit pour m'en remercier, il manda à M. le président de
Maupeou, qui étoit de ses parents et de ses amis, de me proposer, en cas
que mes affaires fussent aussi bonnes qu'on lui avoit dit, de vouloir
faire don à M. de Vaux, son fils, de cent et tant de mille livres qui
pourroient m'être dues: ce que je fis très-volontiers et en passai un
acte.» Ce passage ne porte, comme on le voit, aucune date précise. Il
doit se rapporter à l'année 1679, où Fouquet obtint la permission de
voir sa famille. Il paraît, d'après le texte de Bussy que nous avons
cité plus haut, que l'année suivante Fouquet fut autorisé à se rendre
aux eaux de Bourbon, et c'est sans doute ce que Gourville appelle sa
_mise en liberté_. Écrivant ses souvenirs longtemps après les
événements, Gourville ne s'inquiète ni d'une grande exactitude
chronologique ni de la valeur précise des termes qu'il emploie. C'est
cependant à l'occasion de ce passage de Gourville que se sont élevées
des doutes sur la véritable époque de la délivrance et de la mort de
Fouquet. Voltaire (_Siècle de Louis XIV_, ch. XXV) dit: «Gourville
assure, dans ses _Mémoires_, qu'il sortit de prison quelque temps avant
sa mort. La comtesse de Vaux, sa belle-fille, m'avait déjà confirmé ce
fait; cependant on croit le contraire dans sa famille. Ainsi on ne sait
pas où est mort cet infortuné, dont les moindres actions avaient de
l'éclat quand il était puissant.» Voilà sur quel fondement on a bâti des
hypothèses étranges et qui n'iraient pas à moins qu'à faire supposer que
la mort de Fouquet fut simulée et qu'il fut transféré aux Iles
Sainte-Marguerite, puis à la Bastille, le visage couvert d'un masque en
velours noir aveu charnière en fer; en un mot, que _l'homme au masque de
fer_ n'est autre que Fouquet. Je me bornerai à rappeler cette hypothèse,
qui n'appartient pas à l'histoire. On ne voit pas, en effet, pourquoi on
aurait pris ces étranges précautions à l'égard du prisonnier.
D'ailleurs, comme je l'ai fait remarquer, les contradictions ne sont
qu'apparentes, et il suffit d'un peu de réflexion pour concilier les
différents textes.

[1517] Delort, ouvrage cité, t. I, p. 53.--Voy. Paroletti, _Sur la mort
du surintendant Fouquet, Notices recueillies à Pignerol_. Turin, 1812,
in-4°.

[1518] _Conseils de la Sagesse, ou Recueil des maximes de Salomon_.
Paris, 1683, 2 vol. in-12.

[1519] _Mémoires de Saint-Simon_, édit. citée, t. XVII. p. 105.

[1520] _Ibid._, t. III. p. 286-287.

[1521] _Ibid._, t. XIV, p. 112.

[1522] _Ibid._, t. IX, p. 294.

[1523] _Ibid._, t. XVII, p. 106.

[1524] Lettre de madame de Sévigné du 22 juillet 1676.

[1525] Voy. les Mémoires de l'abbé Blache dans la _Revue rétrospective_,
t. I-IV. C'est dans la partie publiée au t. I de cette _Revue_ que se
trouvent les accusations étranges de l'abbé Blache contre la marquise
d'Asserac.

[1526] M. de Cayrol a prétendu que Fouquet fut enfermé à Pignerol parce
qu'il était dépositaire du secret relatif au _masque de fer;_ M. Paul
Lacroix a soutenu que Fouquet lui-même était l'homme au masque de
fer.--Voy. à l'Appendice le résumé de la dissertation de M. Paul
Lacroix.

[1527] Le portrait de Fouquet, par Le Brun, a été gravé par Poilly;
Nanteuil a fait lui-même le portrait et la gravure.

[1528] _Mémoires_, t. II, p. 48, de l'édition citée. Il ne faut pas
oublier que Bussy-Rabutin était un ennemi de Fouquet.

[1529] Voy. la lettre de la Fontaine à Fouquet en date du 30 janvier
1665. t. VI. p. 485-487, des _Œuvres de la Fontaine_. édit. de
Walckenaer (1827).

[1530] Voy. la lettre de Loret du 19 janvier 1661.

[1531] Voy. Loret, _Muse historique_, lettre du février 1661.

[1532] Ci-dessus, p. 187.

[1533] Lettre du 22 janvier.

[1534] Lettre du 31 juillet.

[1535] Le P. Faure, qui avait alors une réputation d'éloquence.

[1536] _Journal_, t. II. p. 405, à date du 15 novembre 1665.

[1537] _Histoire de madame Henriette_, collect. Petitot, t. LXIV, p.
402.

[1538] Il faut distinguer ici des époques que madame de la Fayette
paraît confondre: Fouquet voulut d'abord tromper le roi (ci-dessus, p.
97), et ce fut seulement en juillet, lorsqu'on l'avertit du danger qu'il
courait, qu'il fit l'aveu de ses fautes et en demanda pardon (p.
172-173); mais il était trop tard; sa perte était résolue.

[1539] En juillet 1661; ci-dessus, p. 168.

[1540] Gui Patin (ci-dessus, p. 135) et d'autres disent, au contraire,
que ce fut Anne d'Autriche qui défendit le plus longtemps Fouquet. Cette
opinion est plus vraisemblable. Pendant le procès, Anne d'Autriche fut
loin de se montrer acharnée à la perte du surintendant.

[1541] Fouquet avait acheté Belle-Île dès 1658 (voy. t. I des _Mémoires
sur Fouquet_, p. 395). On voit que madame de la Fayette dit les choses
un peu trop en gros et d'une manière générale, dans une question où les
dates doivent être fixées avec précision.

[1542] Le voyage ne fut résolu qu'après le voyage de Dampierre, qui eut
lieu au commencement de juillet, et dès le 15 juillet Fouquet en était
informé (ci-dessus, p. 180).

[1543] Ci-dessus, p. 222-227.

[1544] On a vu ci-dessus, p. 236, que Fouquet fit le voyage en partie
sur la Loire et arriva à Nantes avant le roi.

[1545] Madame de la Fayette se trompe sur les détails de l'arrestation
de Fouquet. Voy. ci-dessus, p. 242-243.

[1546] Le maréchal de Villeroi fut nommé président du conseil des
finances; Colbert n'eut que le titre de contrôleur général.

[1547] Elle y succomba probablement au chagrin quelques années après, en
1669. Mademoiselle de Menneville n'avait que trente-trois ans à l'époque
de sa mort.

[1548] _Mémoires du marquis de la Fare_, t. XLV, p. 145 et suiv. de la
collect. Petitot.

[1549] _Ibid._, p. 147.

[1550] Cette séance du parlement eut du 22 décembre 1665. Olivier
d'Ormesson l'a retracée dans son _Journal_, t. II, p. 428 et suiv.

[1551] Ci-dessus, p. 289 et suiv.

[1552] J'ai indiqué ci-dessus, p. 310, note 2, ce que c'était que a
Mivoie.

[1553] Papiers de Fouquet, t. I, p. 201.

[1554] _Ibid._, p. 42.

[1555] Ci-dessus, p. 210.

[1556] Gilles Fouquet, premier écuyer de la grande écurie.

[1557] La charge de premier écuyer donnait droit à un logement. La cour
était alors à Fontainebleau.

[1558] Papiers de Fouquet, t. II, p. 206.

[1559] Gendre de madame du Plessis-Bellière. On a vu ci-dessus qu'il
avait acheté la charge de général des galères. C'est peut-être de cette
affaire qu'il s'agit.

[1560] Papiers de Fouquet, t. II, p. 176.

[1561] René de Bruc de Monplaisir, frère de madame du Plessis-Bellière.

[1562] _Mémoires de Bussy-Rabutin_ (édit. Charpentier), t. II, p. 84.
Voici le texte complet de Bussy: «La veuve du Plessis-Bellière,
belle-mère de Créquy, gouvernoit absolument Fouquet. Je ne sais s'il y
avoit eu autrefois quelque galanterie entre eux; mais on disoit alors
qu'elle lui cherchoit des plaisirs, et on l'appeloit la surintendante
des amours du surintendant.» Je n'attacherais pas beaucoup d'importance
au témoignage de Bussy, s'il n'était confirmé par d'autres documents.

[1563] Je n'ai rien trouvé sur cette Marie Crevon, dans les papiers de
Fouquet.

[1564] Cette expression s'employait pour désigner un parvenu et
s'appliquait parfaitement à Bartet. Elle venait, disait-on, de ce qu'un
paysan ne voulait pas saluer l'image d'un saint, parce qu'elle avait été
faite d'un poirier de son jardin.

[1565] Ces mots sont soulignés dans le manuscrit.

[1566] Le confesseur de la reine mère.

[1567] Marguerite-Louise d'Orléans, fille de Gaston d'Orléans et de
Marguerite de Lorraine. Voy. ci-dessus, p. 154 et suiv.

[1568] Voy. les _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, t. III, p.
510, édit. Charpentier.

[1569] Mademoiselle de Montpensier, sœur aînée de Marguerite-Louise
d'Orléans.

[1570] Voy. la dissertation de M. Dreyss en tête de son édition des
_Mémoires de Louis XIV_.

[1571] Papiers de Fouquet, t. II, p. 182-183.

[1572] Troisième chambre des enquêtes. Ce fut M. de Fourcy qui eut le
rang de premier dans cette chambre. M. de Périgny n'y fut que second
président.

[1573] De Maupeou, second président de la première chambre des enquêtes.
Il était parent de Fouquet, dont la mère se nommait, comme on l'a vu,
Marie Maupeou.

[1574] On voit que M. de Périgny voulait devenir second président de la
première chambre des enquêtes, en place de Maupeou, qui serait devenu
premier président de la troisième chambre.

[1575] Papiers de Fouquet, t. I, p. 187.

[1576] C'est en comparant cette lettre avec une partie des manuscrits
des _Mémoires de Louis XIV_ que M. Dreyss a reconnu la part que le
président de Périgny avait prise à ce travail.

[1577] Papiers de Fouquet, t. II, p. 277. Cette lettre est du 24 juillet
1661.

[1578] Pour _état présent_. Il y a bien _être_ dans le manuscrit.

[1579] C'est-à-dire _n'hésitez pas_.

[1580] Voy. ci-dessus, p. 127 et 134.

[1581] Papiers de Fouquet, t. I, p. 224. Cette lettre est adressée à
Pellisson.

[1582] _Ibid._, t. I, p. 220.

[1583] Papiers de Fouquet, t. I, p. 174.

[1584] Papiers de Fouquet, t. I, p. 172. Cette lettre paraît avoir été
écrite dans les derniers mois de l'année 1660. Mazarin était encore
vivant, comme le prouve la fin.

[1585] Ces mots sont soulignés dans le manuscrit. Colbert était alors
intendant de Mazarin.

[1586] Papiers de Fouquet, t. II, p. 194.

[1587] C'est-à-dire du clergé.

[1588] Papiers de Fouquet, t. I, p. 109.

[1589] Commis de Colbert se rapporte à M. du May.

[1590] Il y a bien _Tessie_; mais l'orthographe est détestable. Il
faudrait lire probablement _Tessier_.

[1591] Papiers de Fouquet, t. I, p. 66-69.

[1592] Louis XIV parle, dans ses _Mémoires_, de la suppression de la
charge de colonel général de l'infanterie française.

[1593] Personnage attaché au chancelier.

[1594] Quel est ce personnage? probablement un fils de Fouquet.

[1595] Probablement la marquise de Charost, fille de Fouquet.

[1596] Il a été question de ce Devaux ci-dessus, p. 298.

[1597] Papiers de Fouquet, t. II, p. 231.

[1598] Il est, en effet, question dans une de ces lettres de la charge
de général des postes qu'avait celui qui l'écrit. Du reste, quel que
soit l'auteur de ces lettres, elles sont importantes parce qu'elles
prouvent jusqu'à l'évidence que Fouquet avait acheté tous les hommes qui
pouvaient lui révéler des secrets d'État.

[1599] Papiers de Fouquet, t. I, p. 52.

[1600] _Ibid._, t. II, p. 174.

[1601] Papiers de Fouquet, t. II, p. 311-312. La fin de cette lettre est
à la p. 317.

[1602] Ce nom est le seul que je puisse lire. J'ignore quel était ce
personnage.

[1603] On pourrait lire aussi: «De lui porter directement [les
dépêches].» L'écriture de ces lettres est très-difficile à déchiffrer.

[1604] Papiers de Fouquet, t. II, p. 287.

[1605] Papiers de Fouquet, t. II, p. 285.

[1606] Le vers est incomplet dans la copie. Il y avait sans doute dans
le texte original: «En allant au supplice.»

[1607] _Journal_, t. II, p. 288 et suiv.

[1608] T. II, p. 290.

[1609] Louis de Bourbon, prince de Condé. Il était gouverneur de
Bourgogne, et M. de la Toison, membre du parlement de Dijon.

[1610] Il s'agit du séjour fait par la cour à Fontainebleau aux mois de
mai, juin et juillet 1664.

[1611] Le maréchal de Marillac avait été jugé et condamné à mort sous le
ministère de Richelieu.

[1612] Le sens est que M. de Bessemaux, comme M. de Lesdiguières, avait
contribué à gagner M. de la Baulme.

[1613] Un des fils du conseiller Catinat est devenu le maréchal de
Catinat.

[1614] Archives de l'Empire, sect. judiciaire, liasse Z, 600, collection
Rondonneau.

[1615] On disait qu'on avait promis à Sainte-Hélène la charge de
président au parlement de Rouen.

[1616] Voy. ce que le conseiller d'État de la Fosse dit dans ses lettres
à Séguier sur les causes qui avaient engagé Fouquet à faire couvrir une
partie de sa maison de Saint-Mandé en ardoises et l'autre en tuiles.
Ci-dessus, p. 287. Pussort reprit cette accusation, qui parut
généralement puérile. (_Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 276.)

[1617] Il y a Machaut dans la copie; mais la mesure et le sens demandent
également que ce nom soit changé en celui de Massenau. J'ai eu tort de
laisser _Machaut_ dans le _Journal d'Oliv. d'Ormesson_, t. II, p. 296.

[1618] Voysin, un des membres de la Chambre de justice; c'est à lui que
sont attribuées les paroles prononcées dans le couplet 22. On l'accusait
surtout d'avoir altéré les procès-verbaux de l'Épargne, et c'est à cette
altération que Pontchartrain fait allusion.

[1619] Liv. I. XIVII, p. 162.

[1620] T. XXV, p. 76.

[1621] T. II, p. 308-309.

[1622] Claude le Pelletier qui fut plus tard contrôleur général des
finances.

[1623] Anne d'Autriche n'avait jamais été hostile à Fouquet au point de
souhaiter sa mort. On trouve la preuve de cette assertion dans le
_Journal d'Oliv. d'Ormesson_.

[1624] On a vu ci-dessus, p. 135, que madame de Beauvais recevait une
pension de Fouquet.

[1625] Allusion à l'époque où d'Ormesson était intendant de Picardie et
du Soissonnais.

[1626] Claude Joly, antérieurement curé de Saint-Nicolas-des Champs,
paroisse d'Olivier d'Ormesson.

[1627] _Journal_ t. II, p. 422-423.

[1628] _Ibid._, t. II, p. 400 et suiv.

[1629] Fille du chancelier.

[1630] Gendre de Guénégaud, trésorier de l'Épargne.

[1631] Un des membres de la Chambre de justice.

[1632] _Journal_, t. II, p. 407.

[1633] _Journal_, t. II, p. 425 et suiv.

[1634] Le grand maître de l'artillerie était alors le duc de Mazarin.

[1635] C'était la formule par laquelle on renvoyait une requête à
l'examen des gens du roi pour qu'ils donnassent leurs conclusions avant
que le tribunal rendît un arrêt.

[1636] Le projet trouvé à Saint-Mandé.

[1637] _Vie de Saint-Évremont_, par des Maizeaux, en tête des _Œuvres de
Saint-Évremond_ (édit. de 1740, t. I, p. 58-60).--Voltaire, _Siècle de
Louis XIV_, ch. XXV.

[1638] T. III, p. 361 de la même édit. des _Œuvres de Saint-Évremond_.

[1639] _Vie de Saint-Évremond_, t. III, p. 142-143, note.

[1640] On a peine, malgré l'autorité du biographe de Saint-Évremond, à
reconnaître le surintendant Fouquet dans cet homme d'une discrétion
absolue.

[1641] Cette phrase et les suivantes s'appliquent parfaitement au
surintendant alors enfermé à Pignerol.

[1642] _Mémoires inédits et opuscules de Jean Rou_, avocat au parlement
de Paris (1659), secrétaire interprète des États généraux de Hollande
depuis l'année 1689 jusqu'à sa mort (1711), publiés pour la Société de
l'Histoire du protestantisme français, d'après le ms. conservé aux
archives de l'État à la Haye, par Francis Waddington. Paris, 1857, 2
vol. in-8.

[1643] M. de Bezemaux étoit un gentilhomme d'une ancienne famille de
Gascogne. Il rendit quelques services au cardinal Mazarin, qui le fit
capitaine de ses gardes, et lui procura ensuite le gouvernement de la
Bastille. Il mourut immédiatement après la paix de Hyswick, généralement
regretté de tous ceux qui le connoissoient, principalement des
prisonniers.

«Je n'en ai pas connu un seul qui n'en ait dit du bien. Voici les justes
souhaits que l'on a faits pour M. de Bezemaux après sa mort:

         MADRIGAL
  Bezemaux, tes vertus t'ont mis au rang des sages:
  Vois tes durs successeurs au nombre des tyrans,
  Dans le temps qu'on est près d'encenser tes images.
  Tous te voudraient encore au nombre des vivans;
  La mort, qui s'est méprise, a fait un coup injuste:
  Elle a pris l'honnête homme et laisse le fripon!
  Reviens, cher Bezemaux, grossir la cour d'Auguste,
  Et que Bernaville aille accompagner Néron.

«M. de Bezemaux étoit humain, doux, poli, civil et honnête, au rapport
même de Braillard et encore mieux de Francillon. Il rendoit souvent de
très-bons offices aux prisonniers, quand il les croyoit innocents, et il
a procuré la liberté de plusieurs. Sous M. de Bezemaux, les prisonniers
un peu distingués avoient la liberté de se communiquer, et se voyaient
au moins dans les cours.» (_L'inquisition de la Bastille_, par
Constantin de Renneville. Amsterdam, 1724, t. II, p. 75, et t. IV. p.
1.)

[1644] Édit. Hachette, 1882, t. II, p. 2-5.

[1645] Citée dans l'ouvrage de Delort, p. 159-161.

[1646] On voit plus loin que ce prisonnier était le sieur de
Valcroissant.

[1647] in-4 de 24 pages, chez Félix Galetti, Turin 1812

[1648] P. 12 et suiv.

[1649] Il fut plus tard prêtre de l'Oratoire.

[1650] J'ai déjà fait remarquer ci-dessus, p. 463, note, que rien n'est
moins certain que la chronologie des _Mémoires de Gourville_, et que
bâtir des hypothèses sur de pareils fondements, c'est s'amuser à un jeu
puéril.

[1651] Ces dates données approximativement pourraient faire supposer que
les recherches relatives à Fouquet furent faites par ses petits-fils, le
comte et le chevalier de Belle-Île, ou du moins par leurs ordres.

[1652] L'_Homme au masque de fer_, par Paul L. Jacob (Paul Lacroix).
Paris, Victor Magen. 1857, brochure in-8.

[1653] Ci-dessus, p. 463.

[1654] P. 463, note.

[1655] Ci-dessus, p. 461.

[1656] P. 294 et suiv. de la _Dissertation_ citée.

[1657] T. I. p. 149.

[1658] Gabrielle d'Estrées.

[1659] Note d'André d'Ormesson: «Les intendans des finances
d'Iscarville, d'Heudicourt, Marcel, de Bussy, des Barreaux, Senteny,
d'Attichy, Devienne, furent supprimés en l'an 1586; MM. de Maupeou,
Devienne, Arnauld, mis en leur place, sous M. de Rosny.»

[1660] «Les six ministres qui ne pouvoient estre changés pendant la
régence estoient monseigneur le duc d'Orléans, monseigneur le prince de
Condé, monseigneur le cardinal Mazarin, M. le chancelier, M.
Bouthillier, surintendant des finances, M. Bouthillier-Chavigny,
secrétaire d'Estat; mais à la cour il n'y a rien de certain et nulle
stabilité en la condition. M. Bouthillier fils est demeuré dans le
conseil d'en haut, mais a esté contraint de résigner sa charge de
secrétaire d'Estat à M. de Loménie, comte de Brienne, qui l'excerce
encore.»

_note d'A. d'Ormesson.._


[1661] Mémoire autographe de Colbert. Bibl. imp., mss. S. l., n° 3695.

[1662] C'est-à-dire des emprunts, aliénations de domaines, vente
d'offices, etc.

[1663] Dunkerque avait été vendu, en 1662, par Charles II, roi
d'Angleterre, à Louis XIV moyennant une somme de 5 millions, qui furent
payés en argent comptant. «Le roi d'Angleterre, dit Colbert, ayant mis
pour condition que telle somme lui seroit payée en argent, Sa Majesté la
fit porter tout entière en quarante-six charrettes qui partirent du
Louvre, et furent escortées par les mousquetaires de Sa Majesté.»

[1664] _Œuvres de la Fontaine_, édit. Walckenaer (Paris, Lefèvre, 1828,
t. VI, p. 33, note 5.)

[1665] _Ibid._, t. VI, p. 258.

[1666] Voyez ci-dessus, p. 58, un extrait de la _Muse historique_ de
Loret.

[1667] Belle-mère de Gilles Fouquet.

[1668] Delort, _Détention des philosophes_, etc., p. 50.

[1669] Mémoires, édit. Charpentier, t. II, p. 83-84.

[1670] _Œuvres de la Fontaine_, édit. citée, t. VI, p. 80.

[1671] La Fontaine a écrit en marge: _C'est le jour où M. Fouquet fut
arrêté_. On a vu que Fouquet fut arrêté le 5 septembre.

[1672] Pellisson était alors emprisonné à la Bastille.

[1673] Madame Fouquet avait été reléguée en Limousin.





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