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Title: L'amie rustique et autres vers divers Author: d'Albenas, François Bérenger de la Tour Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'amie rustique et autres vers divers" *** produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) l'Amie RUSTIQUE, Et autres vers divers, Par Berenger de la Tour d'Albenas en Vivarez, A M. Albert, Seigneur de Sainct Alban. [EX AEQUITATE, ET PRUDENTIA HONOS.] A Lyon, De l'imprimerie de Robert Granjon. Mil. V^c. Lviii. Le contenu en ce volume. L'Amie Rustique. Chansons. Chant de Vertu et Fortune. Chant funebre. Epitaphes. Naseïde. A N. Albert, Seigneur de sainct Alban, B. de la Tour, desire felicité. Ces jours Natalz, qu'on retire l'esprit d'entre l'enclume, et le marteau des negoces, vous envoye les restes de ma jeunesse comprinses en ce livre, qui ne tenant d'aloy pour souffrir les supplices de la publication, entre les flots des opinions vulgaires, se contrastans plus que la mer aux opposées bouches de Eole: ha dormy en tenebres, Jusques aujourd'huy que je l'ay mis en vie: non pour sa liberté publique, Mais comme ostage de mon affection envers vous, (nous estans donnez la main d'amitié perpetuelle,) lequel, ainsi que nouveau fruict, s'il nourrit peu, donnera au moins appetit à viandes plus solides, ja preparées en mon siecle des siecles en poesie, et Orient de Grece, histoire, ou prose, non moins desirée pour son antiquité de ceux qui en ont veu les fragmens, que de moy tenue secrette, attendant le loisir pour vous la fere voir. Tous lesquelz discours sembleroyent estre loings de ma vocation des loix, sans le Philosophe Thebain, duquel aux jeux d'olimpe s'esmerveillant le peuple, de ce qu'il avoit tissus ses vestementz, escriptz, et composez ses livres, et en soy n'avoit chose que de sa main il ne l'eust faicte respondit, la negligence des hommes estre cause de la division des Ars. Car ce que tous scavent ensemble, un seul est obligé scavoir: Lequel ores qu'il promist n'ignorer ce qu'il monstroit, ne vouloit pourtant Inferer entendre toutes choses. Comme aussi ne fay je, ny les nombres Poetiques, Ainsi que par la monstre de ce livre est cler à voir, les conferant aux Homeres francoys, dont le nom ne peut tumber aux tenebres d'obly, ny perir fors avec la memoire des siecles que juge en mes vers plusieurs choses à revoir, outre celles ou l'envie ha coustume se prendre: Dont les suppostz je compare aux pinceteurs des draps (office mecanique) iceux purgeans des noudz & festus seulement, sans intelligence qu'ilz ayent du lanage, filasse, Couleur, ou Tissure. Car taisant le bien qu'ilz ne peuvent comprendre, font grand cas des motz adaptez à nostre langue, qu'ilz baptisent peu graves, ou peu francoys: des poinctz: des lettres versalies, ou l'orthographe qu'ilz disent trop loing, ou proche de la prolation, en quoy seroit plus facile mettre reigle aux vestementz francoys: Veu qu'en tous deux la facon est la moins certaine. Cecy est peu au pris de ce que je vous doy, et beaucoup, puis que vient d'une volonté congnue: laquelle ne sera sans monstrer nouveaux effectz qui Preserveront (aydant Dieu) La vie d'oysiveté, et noz sepulchres d'obliance. * * * L'Amie rustique, divisée par Eglogues. Premiere Eglogue. Guiot. Loing à l'escart, je suis encor en doubte De reveller les maux que seul je gouste, Mais mon martire et mon triste regret Ne sera moins secret Si le disant personne ne l'escoute. Cruel amour ne te suffisoit estre Roy des Citez sans te faire congnoistre Aux pastoureaux? mais quel loz en as tu D'employer ta vertu Pour donner fin à leur repoz champestre? Je scay combien ta flamme est violente, Combien aussi ton ayde est froide et lente, Dont je me sents de vie reculé Comme l'arbre bruslé Qui mort, demeure encor droict sur sa plante. De toy provient la flesche qui me tue, Gueris moy donq Amour et m'esvertue: Et fay autant que les animaux font, Dont les bras premiers sont Faitz en Ciseau, et piquent de la queue. Ja ja la force en moy est deffallie Ja à mes os la seiche peau s'allie. Fay moy donq grace ores s'offre le lieu: Fay le au nom de ce Dieu Qui fut pasteur neuf ans en Thessalie. L'ame vaguant' à l'entour de ma bouche, Ores tend l'aisle, ores la plie et couche: Or le sejour or la fuite elisant: Et mes nerfs à present Sont comme ceux que sur la lire on touche. Va ame donq, maintenant en est heure: Va encor va, à fin que tost je meure. Tu es par trop avare de mon bien: Ah, tu le monstres bien, Quand malgré moy au corps tu fais demeure! Va puis que celle, ou mon oeil se repose, Et qui au fonds de mon cueur est enclose, Ne recongnoit comme sur mon bellier, A son nom vien lier A chasque bout des cornes une rose. Et fay souvent que ma trouppe barbue Porte en son col mainte chayne pendue De belles fleurs que je prends cà et là: Mais je voy que cela En son endroict n'est que peine perdue. O Nimphe ingrate un peu cest oeil retire Dont la rigueur fait croistre mon martire: Et s'il te plaist ayes ores pitié De la grand' amitié Que je te porte, et ne te l'ose dire. Ceste couleur qui change, et ceste eau molle Sortant des yeux, et la trouppe qui vole De mes souspirs te le disent assez: Les desirs tant pressez Me font geller aux levres la parolle. Si quelque fois pres de toy je m'advance Ta main me poulse & se met en deffence: Dont bien souvent je demeure confuz, Mais que ferois tu plus A ceux, lesquelz te voudroyent faire offence? Ingrate encor! advant qu'en rien me touches Tires ta robbe arriere: et à noz bouches Ne veux souffrir le baiser souhaité: Las tu fais grand cherté D'un bien, lequel ne peux deffendre aux mouches. Combien de fois je t'ay portée en croupe Dessus mon Asne allant apres la troupe De noz brebis: combien de fois aux champs Aux espines trenchants Dessouz tes pieds j'ay estendu ma joupe? Combien de fois au bout de ceste roche (Sur noz troupeaux ayant l'oeil tousjours proche) Je t'ay faict part de mes fruicts delicats: Helas ne cuide pas Que je le die à present pour reproche. Mais je le dy pour te mettre en memoire Mon Amitié et te donner la gloire D'avoir rengé mon cueur souz ton pouvoir Ce que tard Cuidoy voir Comme je voy que tarde es à le croire. Tu le vois bien, et fains ne le congnoistre, Tu vois qu'il n'est possible à aucun estre Plus amoureux que moy qui tout suis tien, Et si n'estimes rien La grand' amour que sur toy je vien mettre. Quand m'as tu veu d'un pied benin et grave Marcher en place, et que ne fusse brave: Poil sans peigner, Ceincture sans flocquetz, Mon chappeau sans bouquetz, Et que souvent ma face je ne lave? As tu encor en ces lieux veu personne, Qui de sa voix si haut et clair resonne Que moy, et qui dansant semble voler Jettant le pied en l'aer Quand Piranel de sa musette sonne? J'ay bien dequoy, à l'oeil tout me prospere, Blé, vin, et laict abonde en mon repaire: Tousjours à part j'ai dix francs sans esmoy: Et ay qui sont à moy Seize brebis au troupeau de mon pere. Le seul amour que je ne te puis faindre A regretter vient mon ame contraindre Quand par ardeur celle que je poursuis J'ayme, et aymé ne suis, Las! n'ay je point matiere de me plaindre? Ce roc biffront de jastres qui surmonte Tous ses voisins, verra sa cheute prompte Plus tost qu'amour laisse en moy d'avoir cours: Car cela est tousjours Quand on ne peut des ans scavoir le compte. Apres ma mort cest' ame langoureuse, De mon malheur se reputant heureuse, Ferme sera tousjours en son propoz: Mais loing est de repoz Estant ainsi d'une ingrate amoureuse. L'Amie rustique. Eglogue seconde. Carlin. Guiot. He mon Guiot. G. He mon Carlin, Ce grand dieu à tout bien enclin Te doint santé. C. Mais quelle chere Despuis que ne t'ay veu. G. Legere, Tousjours plein d'amoureux soucy, Qui me rend solitaire icy, Ou tout plaisir m'est interdict. C. Est ce par amour? G. Tu l'as dict C. Croys tu qu'ennuyeux soit d'aymer? G. Ainsi ne le veux estimer. C. Pourquoy donq si grand dueil te poingt? G. C'est pource qu'on ne m'ayme point. Et celle dont j'ay tant d'esmoy, En ayme un autre plus que moy. C. Moyen y ha pour y attaindre, G. Mais l'amour ne se peut contraindre, Ah Carlin à ma volonté Mon dernier jour me fust compté Lendemain de. C. Tes nopces. G. Non: C. Guiot si tu me dis le nom, Encor s'y trouvera remede. G. Bien leger, si elle me m'aide. Seulle me peut donner repos, Mais pour achever mon propos, Je voudroys estre ensevely Apres avoir d'elle cueilly Un seul baiser. C. C'est peu de chose. Dy moy son nom. G. Son nom? je n'ose. Tant de peur se mesle parmy Mon amitié? C. A ton amy? G. Amy n'y ha tel que soy mesme. C. As tu peur que le bruit je seme De cecy? Guiot tu scais bien Que je t'ayme. G. Mais c'est grand bien De couvrir tousjours ses secretz. C. Ouy, fors aux amys discretz Et je suis la fleur de ceux là, G. Je ne diray jamais cela: C. Et bien, et si je le devine? G. Alors comme alors: C. Est ce Andrine La bergere tant fresche et gaye? G. Tu as mis le doigt en la playe, C'est elle sans autre, c'est elle. C. Andrine! c'est bien la plus belle Qui herbe onq de ses piedz foula: Mais comment te dressas tu là? Quel moyen euz tu, quel accez? G. Certains jours avant le decez De Robin son pere, j'estoy Aupres de ce ruisseau. C. Qui toy? G. Ouy, moymesme: escoute donq: J'apperceu venir tout le long De ce pré, Andrine, laquelle Ses brebis chassoit devant elle Avec un rameau de pouplier, Lequel par fois faisoit plier Dessus la croupe ores de ceste Ores de celle, et la doucette Chantoit, scais tu une chanson Si bien, qu'on s'endormoit au son Si doux accord elle tenoit: Et son troupeau icy menoit Abrever: Or icy venue, L'une et puis l'autre jambe nue Lava: et moy estant derriere En jeu, luy jettay une pierre, Dont l'eau repoulsant en l'aer, royde La baigna. C. Estoit elle froide? G. Dieu m'en gard! Car c'estoit au temps Des Cigalles. C. Or bien j'entends Apres. G. Subit je me retire. C. Et elle? G. Ne faisoit que rire. Tenant l'oeil ouvert cà, et là, Pour veoir qui avoit faict cela: Mais j'estoy derriere un buisson A couvert. C. Ha mauvais garcon! Bien cuidoit que tu feusses pres. G. Or voicy le meilleur apres. Je sors et m'approchant tout beau Feis semblant la jetter en l'eau, Qui m'embrassa. C. De peur de choir? G. Mais d'aise qu'avoit de me veoir, Au moins me le sembloit ainsi: Dont moy tresjoyeux de cecy, Recourbay mes deux bras alors A l'entour de ce tendre corps, Et subit la vins embrasser: Mais gueres ne l'osay presser. C. Pourquoy non? Responds si tu veux. G. De peur de la coupper en deux: Tant la trouvoye gresle, et tendre. C. ô je veux bien la fin entendre Que s'en ensuit. G. Mille propos Qu'apres nous tinsmes à repoz Tous deux assis au bord de l'eau: C. D'amour? G. Je ne fus pas si veau, Des brebis du faict de mesnage: Et ce pendant en mon visage Je sentoys un feu monter, Et le poux du bras se haster Trop plus que n'avoit de coustume: C. C'est signe quand Amour s'allume. G. Ma langue begue devenoit. Et quelque neble se tenoit Aux yeux, les empeschant de veoir. C. Amour aussi ha ce pouvoir. G. Mes souspirs trouvants l'huys ouvert, Se meirent tous à descouvert Se pressans l'un l'autre à l'issue: Que par la claye mal tissue Noz gras troupeaux mieux ne se pressent, Quand les bergers, peu cautz, les laissent. C. C'est l'amour Guiot qui te poingt. Mais ne la baisois tu point? G. point. C. Quand ton oeil son beau corps eut veu, Tu en fus assez repeuz. G. peu. C. Ne te rendoit elle esjouy Quand parler t'eut ouy? G. Ouy, Toutesfois le desir ardant Que j'avoy en la regardant, Combatoit avecques la crainte C. Dequoy? qu'elle devinst enceinte? G. He causeur: mais pource que j'ayme. C. Comme font amans de caresme, Qui ne touchent point à la chair. G. Je l'ayme pour ne m'approcher D'un tel abuz. C. Donq et pourquoy Avois si grand' crainte? G. Or taiz toy. Car aymant, aymé je ne suis: Et ainsi ay vescu despuis. C. Encor y ha bonne esperance. G. Tresbonne, mais peu d'asseurance C. Guiot que je sache le tout. G. Tu en as veu presque le bout C. Quelle faveur? G. froide en saveur. C. Que devins tu? G. Un grand réveur, Ennuyé de longue poursuite C. Qu'en as tu pour la suite? G. fuite Et tout cela pour abreger Qui fait les amans enrager. C. A la fin ne t'approchois tu Pres d'elle? G. C'est bien entendu: Approcher las! Tant qu'on vouloit, Mais tousjours elle reculloit, Fuyant de moi à sautz traynez: Si qu'en bref fusmes destournez Du lieu ou la trouvay seulette Environ un traict d'arbaleste. C. Et depuis? G. A aymer l'induis: Mais certes la chaine d'un puits N'est si froide qu'elle se monstre: Car par fois si je la rencontre En chemin, et l'arreste là, Hay dit elle laissez cela: J'ay haste, laissez moy aller: Si que loisir n'ay de parler Un mot, tant se monstre farouche: Et par tout là ou je la touche Dit qu'elle ha mal. C. Et tu la crois? G. Pourquoi non, Carlin quelque fois? Bien autre chose que je n'ose, Quand ma main sur elle je pose, La presser, tant je crains à l'heure Que la piece ne me demeure C. Ouy qui presser la voudroit Comme quand un bois on romproit, Ou trop tendre tu me la fais. G. Ainsi qu'un petit beurre frais, Et plus encore comm' il semble: Mesmes hier quand estions ensemble, Et sa main tendre alloys touchant Comme on fait draps chez le marchand, Ou ainsi que les toilles fines. C. mon amy ce ne sont que mines, Alors que ses propoz te dict Ne rit elle? G. Quelque petit. C. donq elle t'ayme? G. Ouy, loing d'elle. Ma creance au moins en est telle: Toutesfois le jour du dimenche Elle ha une ceinture blanche De moy, qu'elle porte souvent: Souvent aussi port' au devant De son front un' autre en guyrlande. C. C'est figure que l'amour est grande. Mais quoy? ne te donne elle rien? G. Tu l'as dict, rien. C. je m'entendz bien, S'elle te donne quelque chose. G. Je n'ay oncques eu qu'une rose Laquelle en un brevet je garde, Pour guerir de la fievre quarte A un besoing: et pour icelle Mon amy je t'asseure qu'elle Despuis en cà, ha eu de moy Deux cents bouquetz. C. Or je t'en croy Encor est prou qu'elle les prenne G. Je dy sans ceux là que je traine Tous les jours et moyen ne treuve Pour les bailler, ô que j'espreuve De maux ou plus un cueur se fasche! Cuides tu Carlin que je sache Qu'est de repos, il ha trois moys Que couché ne me suis trois fois En lict, C. Que fais tu donq le seoir? G. Le plus souvent me vay asseoir A la rue, pres de sa porte Et là ma musette je porte Avec quoy je plaintz mes ennuys: Je fais cela toutes les nuicts. Mais de mon faict compte ne fait. C. Pour autant qu'elle ne le scait. G. Ne le scait! Qui ne le scauroit? Mais qui le blyron n'ouyroit De ma Musette à triple voix? Veu mesmes que là mille fois Pour sonner me suis allé mettre. C. Sans veoir aucun à la fenestre? G. Il est vray, ry t'en hardiment, Quand l'amour eut commencement. Un seoir me sembloit veoir parmy La fenestre ouverte à demy Andrine, encor me sembloit Que d'un blanc linge s'affubloit La teste pour n'estre congneuë, Et au reste qu'elle estoit nue. C. He ribaud! G. Adonq je forcay Ma musette par tel essay Que l'on n'oyoit à l'environ Fors son bly bly, blyron blyron Dont m'en senty trois jours apres. C. C'estoit elle au moins? G. Quand de pres L'euz regardée: he, he: je ris. C. Je croy que là tu fus bien pris: Que le faict bien tost me descouvres. G. Brief c'estoit l'une de ses chevres, Je ne scay comme l'ose dire. C. Il y ha assez dequoy rire Povre abusé! G. Qu'y ferois tu? C'est amour qui ha la vertu D'aveugler et oster le sens. Dire le puis: car je le sents, Et l'ay senty il ha long temps. Advise Carlin cy dedans, Fais que ta main plus avant entre. C. Je croy que la peau de ton ventre Est plus seiche, maigre, et deffaicte Que n'est celle de ta musette, Il te faut pourveoir à cecy. G. J'estois encores plus transi Quand Robin fut mis au sarcueil Et le temps qu'elle porta dueil. Car n'osoy d'elle m'approcher: Ma musett' aussi sans toucher Demeura à un clou pendue, Et jamais ne fut entendue Fors le jour que son dueil laissa, Et n'ay cessé despuis en cà De chanter comme au paravant, Mais ce n'est que chansons au vent. C. Je mettroy peine à l'oblier, Ou bien autrement la lier Par amitié. G. Quelle pitié! C. Si ne peux de tout, la moitié, Ton mal au moins en seroit moindre. G. Tant souvent me suis venu oindre De graisse de mulle: et en oultre Tant souvent ay prins de la poudre De ses piedz et l'ay avallée En urine de bouq meslée: J'ay cherché remedes nouveaux Jusques aux plumes des oyseaux, Qui sont de plus sinistr' augure: Et toutesfois l'amitié dure. Et pour me fair' aymer sans faincte Au ciel n'y ha ny sainct ny saincte Qu'express' oraison ne luy fasse: Et par tout là ou elle passe, Avec soy porte l'os senestre D'une rayne, que je vins mettre En un ply de sa robbe, ensemble De l'oyseau à qui la voix tremble Le cueur que je reduitz en poudre. C. Mais comment peux tu cela couldre, Qu'elle ne vinst contrarier? G. Je le feis chez le couturier, Au paravant que l'eust vestue. Mais comme que je m'esvertue, De tous coustez, je perds ma peine, C. Quelque jour de ceste sepmaine En parlerons plus amplement A Dieu Guiot. G. si promptement! Encores le meilleur demeure. C. Guiot, je sens approcher l'heure. Pour joindre mes boeufz. Or adieu. G. Tu me trouveras en ce lieu Tousjours esloigné de repos. Carlin? C. Qu'y ha? G. De noz propos Mal aucun. C. Voy, tu me fais rire Cela s'entend bien sans le dire. L'Amie rustique. Eglogue troisiéme. Andrine. Nimphes qui par ces forestz De Cerez, Souffrez en voz ames naistre Le feu, par qui vous bruslez, Et voulez. La fureur d'amour congnoistre. L'amour dont parler je vois Mille fois Son arc contre vous desbande: Nourrissant vous cueurs d'esmoy. Quant à moy, Point ne suis de vostre bande. De ce traict qui tant vous poingt, Je n'ay point La force encor esprouvée: L'aveugle Dieu qui vous fiert Bien me quiert, Mais encor ne m'ha trouvée. Seulle me puis estimer Sans aymer Et veux bien souffrir qu'on m'ayme: Car ce m'est grand heur d'avoir Le pouvoir Sur autruy et sur moy mesme. Qu'on blasme de cruauté Ma beauté, Et que suis fiere et sauvage, Il me vaut mieux l'estre aussi En cecy Que trop douce à mon dommage. De vous toutes à l'escart Seulle à part Il me plait estre esloignée, Vostre assemblée je fuis, Et si suis Mieux que vous accompaignée. Voz tourmens et voz ennuys Jours et nuicts Font que l'oeil de pleurs se baigne. Et ma gaye liberté M'ha esté Tousjours fidelle compaigne. Voz cueurs de tristesse pleins Or je plaints Quand faut que l'amour y gise, Le bien qu'on ha pour aymer Est amer Au regard de ma franchise. L'oeil et le pied sans arrest Tousjours prest Suit le train de voz pensées: Si que ne vous congnoissant Plus de cent Disent qu'estes insensées. Le travail que vous menez, Et prenez, C'est pour au gré d'amour estre: Mieux aussi n'ont que cela Tous ceux la Qui servent si jeune maistre. A ce Dieu il vaudroit mieux, Qu'eust les yeux Ouvertz, et par modestie Leur bandeau allast ostant Le mettant Sur plus honteuse partie. Prenez visée hardiment Au tourment Qui en voz cueurs prend racine: Vostre grand mal bien scavez Et n'avez Cure de la medicine. Car vous toutes qui aymez Estimez Que voz peines langoureuses Et voz travaux ne sont rien Pres du bien Qu'avez pour estr' amoureuses. Je ne feis oncques l'essay: Bien je scay, Que la pein' y est tresgrande: Pource que l'ennuy qu'on prend Est plus grand Quand un aveugle commande. D'amour pressée je suis: Mais je fuis Ceux, ou vostre mal consiste, Et quand se dressent à moy Je les oy: Mais le cueur tousjours resiste. L'Amie rustique. Eglogue quatriéme. Andrine. Guiot. Comme le jonc droict et beau Ploye en l'eau, Et tourne en son premier estre, G. hem, hem. A. La bouche incline à leurs dictz, Mais tandis Mon cueur est tousjours le maistre. G. Mais que vous sert de venir mettre Le feu en mon cueur langoreux, Et me contraindre estre amoureux Si l'oeil à pitié ne s'encline? A. Que dites vous? G. Que dis je Andrine? Il n'y ha pire sourd au monde Que qui le fainct. A. Ains qu'on responde Il faut bien scavoir qu'on demande, Car de respondre ains qu'on entende Ce sont termes de filles folles: G. A bon entendeur peu parolles. Je dy que l'amour me surmonte Et vous n'en faittes point de compte. Mais fuyez quand je vous appelle. A. Quand? G. Mesme à cest' heure. A. Quelle? G. Quand suis venu icy passer. A. J'ay bien ouy quelqu'un tousser, G. C'estoit moy. A. Je ne viens point, non, S'on ne m'appelle par mon nom. Guiot il faut faire cela A celles je les laisse là, Et non à moy. G. Pour Dieu mercy. Helas le prenez vous ainsi. A. Je vous pardonne. G. A l'advenir Autre moyen viendray tenir. Ma Perle si vous vient à gré, Tandis que l'herbe de ce pré Sert de pasture à noz brebis Entendez s'il vous plait mes dictz. A. Je le veux bien Guiot, pourveu Qu'ilz soyent bons. G. Pas ne m'avez veu Desbordé jamais en propoz: Pource mettons nous à repoz Pres ceste haye hors la voye. A. Mais en lieu que chacun nous voye. G. Souz cest amandrier, A. je le veux. G. Divin tronq, ô l'un des neveux De ceste amante fortunée, Pour s'estre elle mesme donnée Ce que je poursuis pour Andrine. A. Quoy? G. Ce que la vie extermine. A. Il faudroit dire la raison. G. Tant m'ennuye ceste prison, Ou par rigueur mon cueur avez. A. Guiot, je croy que vous révez, Que j'ay prison, ou est la porte? Ou sont les clefz? si je les porte, Sus prenez les d'autorité, Et mettez vous en liberté. Prisons Guiot! Je n'en ay point. G. C'est Amour qui au cueur me poingt, Et toujours apres vous me tire Avec la chayne de martire, Scait on pire prison que là? A. Ouy si vray estoit cela Que vous m'aymez. G. En doutez vous? Contre moy puissent estre tous Les hauts cieux, si c'est autrement: A. C'est la coustume d'un amant De jurer, et mentir ensemble. G. M'estimez vous tel? A. Il me semble Que tous parlez de mesme voix. G. Mais est ce la premiere fois Que je vous ay dit ma pensée? Comme l'amour fut commencée En ce lieu mesme à mon dommage? Ce ruisseau en rend tesmoignage De mes pleurs augmente souvent: Mes souspirs compaignons du vent Ont vollé despuis front à front A Ostre, lequel n'est si prompt A Porter la pluye en ces lieux. Qu'ilz sont à l'endroit de mes yeux. A. Si le train vous est tant amer, Pourquoy ne laissez vous d'aymer? Car n'est bon mettre son courage En lieu dont peut venir dommage. G. L'espoir seul me rend poursuivant. A. L'espoir nous trompe bien souvent. G. Vous y pouvez remedier, A. Ailleurs faut secours mendier. G. Pourquoy? A. Je ne veux point aymer. G. Vous voulez vous faire blasmer, Andrine dittes autrement. A. Aymer bien, mais egallement Un chascun, G. l'incongnu autant que ceux là Que congnoissez? A. Non pas cela. A ceux cy j'ay plus d'amitié. G. Je suis venu à la moitié De mon desir: et à ceux cy Portez vous amour tout ainsi, Fassent plaisir ou desplaisir? A. Plus à ceux qui me font plaisir. G. Et qui plus en fait plus l'aymez? A. Ainsi faut bien que l'estimez, Si en eux je le puis congnoistre. G. Sur moy donq en devez plus mettre Que sur tous vos congneus. A. Pourquoy? G. Car qui vous cherit plus que moy? Qui fais pour vous, et plus vous ayme Que tous voire plus que moy mesme. A. Vous le dittes. G. Car il est vray. Et tousjours cest' amour suivray, Tant qu'au monde seray vivant. A. Ce ne sont que propoz au vent. G. Ce que je dy est tout notoire, A. Toutesfois je ne le puis croire. G. ô temps pervers, et rigoureux Qui fais que l'amour langoureux N'est plus congneu par la parolle, Par les souspirs, ou par l'eau molle Des longs pleurs qui furent jadis Ses messagers, mais à mes dictz Semble qu'avez l'oreille close. A. Je ne vous puis dire autre chose La faute ne vient point du temps. G. de qui donq. A. des menteurs amants, Disans qu'amour au cueur les touche: Mais cela ne passe la bouche. G. Si mal pour le coulpable en sent S'en faut il prendr' à l'innocent? A. Vos amitiez sont d'une sorte. G. Horsmis que la mienne est plus forte, Plus loyalle constante et ferme: Aussi telle que je l'enferme Dens mon cueur la pouvez congnoistre! A. A vous tient. G. Je ne la puis mettre A veuë d'oeil plus que je fais. Vous en avez veu les effectz Jusqu'icy: tesmoings les ennuiz Qui me font aux plus froides nuictz Vaguer seul en cent mille parts, Ou entre mes vains pas espars Je mesle chansons amoureuses, Et au sort des nuictz malheureuses Jusqu'icy ay mes jours passez Avec les autres insensez, Moins que moy toutesfois aymans, Moins aussi ayans de tourmens. Lieu aucun on ne peut trouver, Ou mon couteau puisse graver Que vostre pourtraict n'y soit veu, Et au pied cest eternel voeu Le cours du monde cessera Quand Andrine en obly sera: Aux escorces des plus hautz trembles Vous en trouverez mill' exemples Pour peu qu'on suive ces marchetz, Et plus encor dens les forestz Ou par tout est le nom d'Andrine: Encor dites que suis indigne Que m'aymiez! A. je ne l'ay point dit. G. Qu'est ce que nier le credit? A. Quel credit? G. Ou l'amour aspire. A. Je ne scay que cela veut dire. G. Mais faites semblant ne l'entendre. A. Mon esprit ne se peut estendre Jusques la. G. J'entends un baiser Pour mon long travail appaiser, Ou conviendra qu'icy je meure. A. Ha pour un baiser ne demeure. G. La vie au corps m'avez enclose. A. Vous vivez bien de peu de chose. G. Helas oseray j' advancer La main: A. C'est à recommencer, A mon vouloir qu'ailleurs je feusse. G. Oster vous vouloye une puce, En devez vous estre faschée? A. Si vostre main n'eusse arrachée Encor l'advanciez par delà, G. Vers voz tetins: A. Apres cela En autre lieu la voudriez mettre. Aujourd'huy l'amour est si traistre Et fait prou qui s'en peut garder. G. Qui si pres voudroit regarder, Plaisir seroit de nous chassé A. Ou est l'amour du temps passé Nourrie des seules parolles Sans user de ces mines folles Du baiser, de l'attouchement: Ou est ce bon temps que l'amant S'estimoit adonq tresheureux D'un oeil gay, d'un rire amoureux Et lors tous estoyent si contens. G. Comment parlez vous de ce temps, Vous qui ne faictes que venir? A. Plusieurs propos en oy tenir Aux vieilles la nuict en yver. G. Les vieilles ne font que réver. A. Elles parlent comme discrettes: G. Mais plus tost se voyans distraittes Des jeunes ans, ausquelz nous sommes, Tenues en mespris des hommes, C'est dont parlent comm' ennuyées: Si de pouvoir sont desnuées, Encores le vouloir demeure: Mais qu'arrestez vous à cest' heure? De mon faict, las je vous supply Que ne le mettiez en obly, Et croyez que la grand' langueur Que la bouche dit, vient du cueur, Non d'ailleurs, tant abonde en luy. A. Certes l'amant remply d'ennuy Sent geller ses mots en la bouche, Et ceux à qui ce mal ne touche, Ont le babil ainsi qu'ilz veulent Se rient se plaignent, se deulent: Dont semblent (pour le bruit qu'ilz font) Aux tonneaux lesquelz vuides sont, Qui mieux resonnent que les pleins, Ce n'est que faincte que leurs plainctz G. En faittes vous si peu de compte? A. Mais quoy Guiot n'avez vous honte De me fair' accroire cecy? G. O mort que ne viens tu icy? Ou que l'amour de mon cueur s'oste. A. Vous cuidez trouver une sotte. Adieu: cherchez party ailleurs. G. Ma part seront souspirs, et pleurs Avec le nom d'estr' amoureux, Mais de tous les plus malheureux. Toutesfois en ma longue attente Si desir nuict, espoir contente: Espoir j'entends s'elle ne m'ayde De chercher la mort pour remede. L'Amie rustique. Eglogue cinquiéme. Guiot. Echo. Haste le pas meurdriere, haste le pas Pour advancer le jour de mon trespas, Et de tes pieds vien le feutre arracher, Si que je t'oye à dru galop marcher Fier' apres moy: car mourir je desire Plus que tu n'as la main prompt' à m'occire. Que tardes tu? ne me sois point rebelle, Couppe chemin, & vien quand je t'appelle: Tu vas à cil qui te fuit, et evite. Que ne viens tu à celuy qui t'invite? Rompre le fil duquel le Ciel hautain Ma vie alonge, à mon tresgrand desdaing? Fais tu la sourde? ouvre l'oreille & m'oy, Qui fors toi peut m'oster de cest esmoy? Echo. Moy, G. Ceste responce ha mon cueur resjouy, Es tu Echo qui plaindre m'as ouy? E. Ouy. G. Tu vois les maux dont ma vie est si plaine Dy moy quel fruict puis j' avoir de ma peine? E. Hayne. G. Las quel remede à ce dueil qui me mord! Qui ostera de mon cueur ce remort. E. Mort. G. Comment Echo est ce que tu l'entendz? Je la desire et icy je l'attens. E. Tens. G. Quoy? un cordeau? si tendre je le doy, Qui se pendra là ou je ramentoy. E. Toy. G. Puis que seray je icy laissant de vivre Quand aux langueurs que l'amour me delivre. E. Livre. G. Las respon moy, n'auray je quelque bien, L'esprit laissant ce monde terrien. E. Rien. G. N'auray j' au moins ce grand heur, que mon nom. Viv' apres moy par immortel renom? E. Non. G. Andrin' au moins, pour qui l'amour me poingt Me pleurera me voyant en ce poinct? E. Point. G. Point! quand verra à mon col le cordeau, Et ce corps mis apres dans le tombeau? E. Beau. G. Las comment beau le voudroit elle dire! Celle pour qui tant je pleur' et souspire. E. Pire. G. Quel advantage aura me voyant cloz Dans le tombeau rongé jusque à l'os? E. Loz G. D'estre homicide? ou à ceste cruelle, Qui pour tel faict lui donra loz et gloire. E. Elle. G. Ceux qui du faict auront esté tesmoins, Me donront ilz quelque louang' au moins? E. Moins. G. Quel me diront moy pendu par le col, Quand pour aymer de vivre ay esté soul? E. Fol. G. Ceux qui sont morts d'amour, qui tout surmonte, Quel fruit en ont receu par fin de compte. E. Honte. G. Je ne scay donq si recull' ou m'advance, Puis que si maigr' en est la recompence. E. Pance. G. Mourir m'est grief! Mais l'amour que je porte, Me fait souffrir mille morts d'une sorte. E. Sorte? G. Pour la sortir et la deschasser loing: Mais que faut il que j'aye à ce besoing? E. Soing. E. J'ay eu grand soing de l'oblier aussi, Mais tout cela encor ne m'ha suffy. E. Fy. G. Dequoy, de femme? helas, quand l'amour playde Contre raison, ou puis j' avoir remede? E. Ayde. G. Me puis j' ayder encontr' efforts si grands? Mieux me vaudroit la mort que j'entreprends. E. Prens G. Il y ha chois de laisser ou de prendre: Las! que me faut pour l'un d'eux entreprendre, E. Rendre G. Ou ha raison? l'ame en est trescontente, Mais l'amitié est tousjours resistante. E. Tente. G. Faut il rien plus pour garder que croissans Ne soyent les maux que par amour je sents? E. Sens. G. Sens & amour mesme lieu ne recoit: Car ou est l'un, l'autre ne se concoit. E. Soit? G. S'il est ainsi que recevray j' au cueur Si le bon sens sur l'amour est vainqueur? E. Heur. G. Et mes esprits estant desvelouppez Des grands travaux dont ores je me paistz? E. Paix. G. Paix est tresbonne, et la fait bon acquerre. Que reste à cil qui l'amour veut requerre? E. Guerre. G. Mais qui sent plus les efforts de sa flamme? E. L'ame. G. Que faut fuir pour conserver la fame? E. Femme. G. Mais que devient par amour l'homm' excort? E. Ord. G. Qu'est besoin estr' encontre son effort? E. Fort. G. Qui est cil dont amour le sens hebete? E. Beste G. Et dont la vie en moeurs est plus adroite. E. Droite. G. Donques Echo si on te vouloit croire, Ne faudroit point d'amour avoir memoire. E. Voire. G. Voire, mais quoy? à sa grandeur supréme Je veux porter amour plus qu'à moymesme. E. Ayme. G. Or donq je vay à Andrine à recours, D'amour luy faire autre nouveau discours. E. Cours. G. Courant y vay, encor que me trouva Bruslant, en froid espoir dont me priva. E. Va. G. Fuy fuy meurdriere, or fuy t'en hardiment, Car j'ay espoir appaiser mon tourment, Tant me confi' en sa misericorde: Par amour donq, si quelque trist' amant, Vouloit ses jours avancer promptement Qu'il mont' icy je luy quicte la corde. Fin des Cinq premieres Eglogles, de l'Amie rustique. Chansons. Mon cueur souffre grand martire, Mais le dire Permis, certes ne m'est point. Las! c'est bien estrange chose Que je n'ose Monstrer le mal qui me poingt. Ma douleur ha longue traitte, Et secrette, Vivement se fait sentir: Peu à peu consommant l'ame D'une flamme, Qu'on ne pourroit amortir. A fin que plus haut ne monte, D'aide prompte Au mal visibl' on pourvoit, Le mien donques perdurable N'est curable Despuis que l'oeil ne le void. Le sang de ma playe vive Ne derive, Au moins qu'il soit evident, Voilà pourquoy ma meurdriere Ha matiere Pour couvrir tel accident. Et lors que ma navr' austere Je veux taire, Est plus forte la moitié Et tenant sa violence En silence Croistre sans mon amitié. En tout temps ma play' ouverte Tien couverte, Dissimulant ma douleur, Fors à celle que j'honore, Car n'ignore La source de mon malheur. De mon mal rud' et extreme Elle mesme Seul' est cause, mais aussi Je scay que d'elle procede Le remede Pour reparer tout cecy. O Beauté tres estimée, Et aymée De moy si parfaictement: Fay que ta rigeur s'appaise, Et te plaise Donner fin à mon tourment. Autre Chanson. Helas amour pourquoy Environnes d'ennuiz Moy qui ne veux ne puis Resister contre toy? Loué tu serois bien De vouloir molester Ceux qui au pouvoir tien Presument resister. Je scay que ta pitié Incessamment me fuit, Car froyde est l'amitié Si le tourment ne suit. C'est dont les maux je sens Que tu me fais avoir, Qui sans mort recepvoir Tousjours ilz sont naissans. Vien vien contre moy donq En ire t'enflammer. Le mal sera bien long, Si je laisse d'aymer. Autre Chanson. Maugré rigueur, et cruauté Par trop contraire à mon desir, L'oeil amoureux de ta beauté A te veoir recoit grand plaisir Si fresche et blonde, Aussi il ne peut moins choisir En tout le monde. Le cueur d'amour passionné Se plaint de l'oeil incessamment, Car par sa veuë il ha donné A sa flamme commencement: Et tendr' et molle Print son entier avancement De la parolle. Le jour que je vins amoureux, Je ne scay si nommer le doy, Ou bien heureux, ou malheureux: Je le voudrois scavoir de toy: Mon grand martire Certes me donne assez dequoy Pour en mesdire. Je travaille de mon costé A te monstrer mon grand esmoy, Je parle et ne suis escouté, Tant fais tu la sourd' envers moy: Si je te prie Aucune responce je n'oy Bien que je crie. Autre Chanson. L'amour se fait congnoistre Quelque fois jeune enfant, Mais tout à coup vient croistre Alors qu'on le deffend, Qui des cueurs se rend maistre Et les va eschauffant: Et si à poinct Les picqu' et poingt, Qu'au mesme poinct Les rend que point N'ont contraire desir. Mais deux en un Ont en commun Un eternel plaisir: Et n'est aucun Qu'autre en vueille choisir. Si faute à l'oeil on treuve On la peut amender, Et par une loy veuve On luy peut commander: Mais qui le cueur espreuve, Il ha beau demander: Amour discret Vit en secret, Bien qu'un regret Soit tousjours prest Pour le cueur entamer, Qui le surprend Et si luy rend Un mal tousjours amer: Mais tant soit grand Ne laisse point d'aymer. Chant de Vertu, et Fortune: A Monsieur C. de l'Estrange, Abbé de la Celle. Au sein de mon ennemie Jadis ma muse endormie Par somnolente paresse, Ignare estimoit cela, Ne voulant ailleurs que là Rire, ny faire caresse: Mais regardoit droictement Vers l'oeil qui sa flamme attise, Ainsi que le dur aymant (Guide au nocher) vers la Bise. Jusques à ce que la tienne, Par ses vers tira la mienne Du fond de l'aveugle somme: Et à ce nouveau reveil, Luy donna ennuy pareil Que le jour aux yeux de l'homme: Quand sa plus vive splendeur Se present' à luy subite, Sortant de la profondeur Des prisons, ou il habite. Lors un desir qui s'allume Sur le pinceau de ma plume, M'invita à paindre un' Ode: Encor ne pouvoy choisir Le doux repos du loisir Lieu, propos, ny temps commode: Toutesfois le reculer Trop long, envers toy m'accuse: Et au long dissimuler Trouver je ne puis excuse. Plume qui bassement volles, Et bas traynes mes parolles Prens l'aer froissant la closture: Contre le rebelle frain, Va ores d'un front serain Jusques au ciel de Mercure: Et vise de ne saillir En grand precipic', et honte, Que de poeur fasses pallir Le noir esmail de la fonte. Tout oyseau prend la vollée Sans peril en la vallée, (Le vol trop haut ne prospere) Icare sceut bien cela, Quand ses aisles esbranla Contre le veuil de son pere. Qui trop haut se veut renger, Sa fin est tousjours douteuse, Vivre ne peut sans danger, Et sa cheute est plus honteuse. Ait il l'aisle forte, ou molle Oyseau est dict, mais qu'il volle, Et brancher aux hayes puisse: Ceux là, ceux là sont des miens, Aussi entre pigméens Estre petit n'est pas vice: C'est dont en bas styl' icy Chanter veux la controverse De ta grand' vertu, aussi De Fortun' à moy adverse. Bien que la chose merite Estre depainct' et escripte Par autre main que la mienne, Au moins de l'une des trois, Desquelles je ne voudrois Choisir autre que la tienne, Paignant les vers bien uniz Et les Rithmes immortelles, De la plume du phenix La plus riche de ses aisles. Vertu princesse asservie Aux aguillons de l'envie, En ses pas simple, et modeste Fixe tousjours s'entretient, Et la vie qu'elle tient Est tesmoing de tout le reste: Mais (car souz un voille noir Envie la rend obscure) Le monde ne la peut veoir: Ou si la veoid, n'en ha cure. Sa beauté sans fard se monstre, De soymesme elle s'accoustre, De soymesme ell' est aornée: Et ses filz pleins de bon heur, Merite, gloire, et honneur La tiennent environnée. Mais comme bastardz, conceuz En grand vituper', et honte Sont rejettez, et d'iceux Le monde n'en fait point compte. D'ailleurs fortune logée En place mal assiegée, Tenant geste sourcilleuse, Un de ses piedz va haulsant, A tous costez balancant En son estre perilleuse: Toujours crolle cà, et là Sa pierre mobile, et ronde: Et semble que l'oeil ell' ha Dessus tout l'univers monde. Des fiers lions ha la gueule, Aussi devor' elle seule Les plus hauts biens: et son ventre Sent le bouq, bouq est aussi Chacun, et se sent ainsi Qui en prosperité entre: Serpente est l'extremité De mortel venin noircie, Des pieds ha la sommité Semblant au nom de Licie. De ses deux mains l'une est bresve, L'autre longue ayant un glaive Pour diviser les richesses: Mais (trop aveugl' en son faict) N'egalle les parts que fait Du butin de ses largesses. Ceux à qui visage humain Elle monstre (la perverse) Les eléve d'une main, Et de l'autre les renverse. Les chefz Royaux environne De mainte, et mainte coronne Qu'elle ourdist: Et des hautz sceptres Garnit leurs mains: Et leurs filz Souvent ne sont point assis Au trosne de leurs ancestres. L'un mect bas, l'autr' en hautz lieux Pour un temps donne l'entrée: L'un ha pir' et l'autre mieux Bien qu'ilz soyent d'une ventrée. Ceste folle ha grand' sequelle De gens qui vont apres elle Pour dorer leur esperance, Mais comme fumée au vent S'evapore bien souvent Avec sa perseverance: De ses thresors embellit Les piedz legers de sa fuytte, En qui l'espoir s'envieillit Courant tousjours à la suitte. Elle me tir' à grand' force Par la corde que j'ay torse D'un desir, mais l'effrontée La faveur que me promet, De moy encor ne permet Que soit experimentée: Dont puis que veut tant vexer Des desirs la vieille trouppe, Certes mieux vaut la laisser Et que la corde je couppe. Mes jours serains luy desplaisent, Et mes plus obscurs luy plaisent (De mon bien trop offencée) Ce que je veux ne veut point, Et voudroit bien en ce poinct Mettre loy à ma pensée: C'est pourquoy usant du fin Contre la volonté mienne, Je desire mal, à fin Que le contraire m'advienne. Vertu en mespris tenue De fortun', est revenue Posseder sa digne place: Mais la felonn', ha bien sceu La chasser avec le feu De sa temerair' audace: Souz les piedz, encor plus bas La tient esclav': et l'envie En est garde, et ne veut pas Qu'on manifeste sa vie. Qui souz vertu se veut mettre Ne peut que droicturier estre: Car elle n'est point coustiere: Il vainc les maux angoisseux, (Vertu aussi entr' iceux Demeure saine et entiere) De maints soucis est battu, Et pauvreté l'importune: On void aussi la vertu A la porte de Fortune. Nonobstant leur resistence, Avec toy font residence Par amour appariées: Mais c'est le vouloir de Dieu Qui veut qu'en si digne lieu On les trouve mariées: Toutesfois les parts des biens Sont encores trop petites, Car plus grands seroyent les tiens Les librant à tes merites. Ma muse encor alourdie De son vieil somme, ha ordie L'Ode que je te presente, Tesmoing de ma volonté De te veoir plus haut monté Que ta fortune presente: Et venu aux derniers bords De ton heur, si prend envie Aux soeurs, ne me chaut si lors Couppent le fil de ma vie. Chant Funebre de feu Anne Philiponne, Damoyselle: A M. Albert, Seigneur de Sainct Alban. Si en ma langu' estoit le dueil Et que visible fut à l'oeil Comm' au cueur secret je le porte, De regret que Pluton auroit Encor' un coup il ouvriroit Les verroux qui ferment sa porte, Permettant en tirer l'esprit De ton erudic', ou abonde Tant d'honneur: mais laissant le monde Son chemin en ces lieux ne prit. Et croy bien que le piteux son Qui de mon triste cueur derive. Esmouvroit aussi le poisson Qui porta Arion à rive A rompre les flotz du soucy, Lesquelz se pressent tout ainsi Que sur mer quand le vent arrive. Mon ame doncques flestrissant D'ennuy qui tant la va pressant Pour un temps ha esté ravie, Et au corps qu'elle abandonnoit Attachée ne se tenoit Que du moindre fil de la vie: Mais d'un train royde s'en volla Sur les aisles de sa pensée, Et comme si fust insensée Divers chemins prind cà et là: Se hastant par les vagues lieux Trop plus que l'aigle avec sa proye Allant jadis offrir aux Dieux La plus rare beauté de Troye: Et panchée à son corps disoit Heureuse ceste Ecthase soit, Qui le jour des secretz m'octroye. Ores bas, ores volloit haut Par dessus l'element plus chaud En vollant la sente embrasée: Et souz elle laissoit loing, loing L'arc qui fut de la paix tesmoing Quand l'eau eut la terre rasée. Et de là se plongeant en l'aer Le fendit d'une aisle baissée, Sans que vers sa maison laissée, Encores desirast aller: Mais allant front à front du vent Vint par rencontr' en la montaigne Qui bien haut son chef va levant, Et en mer ses racines baigne: Mais si loingtain estoit cela Que Navire onq n'aborda là, Fust la Caranelle d'Espaigne. Tout ce que plus à l'homme nuict Prend vigueur souz la froyde nuict De ce mont, ou des nuictz la pire Pour ne recepvoir le clair jour Les rideaux de son long sejour (Tant soit peu) jamais ne retire. Des crys qu'on y oyt, vient horreur, De l'horreur poeur, de poeur la fuyte, Mais mon ame fit grand' poursuite De scavoir d'ou venoit l'erreur Parquoy trenchant l'aer obscursi, D'un vol contrainct est arrivée A l'huis de mort: la mort aussi En ce lieu tousjours est trouvée, Et subgectz au pouvoir qu'elle ha, Faut que trestous passent par là Quand la chair de vie est privée. L'huis est grand, et grand faut qu'il soit Causant les tourbes qu'il recoit De ceux qui la vie abandonnent. Là est le grand nombre arresté De tous les maux qui ont esté, (Ceux j'entendz qui la mort nous donnent. Là se combattent les humeurs, La fievre aussi sans cesse y tremble, Et du venin qu'illeq' s'assemble, Se font prestiferes tumeurs: Les trois soeurs, en pareil y sont Par qui l'am' est du corps ravie, Ou de leurs cizeaux rouillez font Les coups qui abbregent la vie: Quand l'une la veut allonger L'autre s'efforce à l'abbreger, Esmeues de contraire envie. Celle des petis et des Roys Est torse par l'une des trois: L'autre charpit, et l'inhumaine Couppe de son mortel cizeau Le filet ou pend le fuseau Ou se plie la vie humaine, Dont pareil nombr' on trouve là Que de vivans, sans la grand' trouppe Que de jour en jour elle couppe Mais compte ne faict de cela. Ceux qui sont de maux entachez, Leur filace est de noudz garnie, Et les vices y attachez La rendent grosse, et mal unie. On congnoit au contraire aussi Ceux là qui ont leur vie icy De vertu riche et bien munie. Or quand la troupp' apperceu m'eut, Un debat entr' elles s'esmeut De la vie, en ceste guerre Quand l'une la venoit filer, L'autre venoit l'anichiler, Pour rendre deserte la terre. De sa main hideuse prenoit A grands flottes le fil de vie, Et de coupper non assouvye Sa colere ne reffrenoit. Parquoy horrible estoit à veoir Les effortz des jumelles lames Si grands, qu'elles avoyent pouvoir D'un seul coup ravir cent mill' ames, Dont cuidoy (en ayant veu tant,) C'estre la fin que lon attend Par les inevitables flammes. A cest esclandre l'oeil volla Loing, loing vers Gaulle, et congneut là De son Roy la preuse conqueste, Ou l'honneur d'Espaigne arrachoit, Et ainsi qu'un lyon marchoit Jouïssant du fruit de sa queste: Des corps morts à son loz dressant Les montjoyes de la victoire Qui ja unir font à sa gloire Les deux cornes de son croissant: Car vers le fleuve des Germains Desja il se recourbe, et arque: Et si menace les Romains Du pouvoir de ce grand Monarque: Dont le glaive en pais allegeant, Aux durs conflictz va soulageant Les cizeaux de la fiere parque. Leur fureur apres destournant, Et contre Gaulle la tournant, Luy survint un leger esclandre Au pris des grands maux assemblez Qui (comme feu parmy les blez) Ses haineux les verront descendre: Tant seront alors descouppez A l'abord des forces terribles: Et apres ces troubles horribles Doit naistre une nouvelle paix, Que nostre prince tresheureux Plantera sur la terre ronde, Et les hommes l'auront entr' eux Tant qu'ilz seront vivans au monde. Lors vivront tous souz mesmes loix Ausquelles Germains, et Gaullois Feront que leur vie responde. Par les coups donnez à travers Elles font de meurdres divers Cà, et là en mainte contrée, Et couppant leurs filetz bien tordz La vie (helas) enclos' au corps De Philiponn' ont rencontrée! Qui voyant sa chair au sercueil (Faict' à la mort nouvelle proye) S'en rirent car toute leur joye Est de remplir noz cueurs de dueil: Reffroignans leurs ridez museaux Monstroyent des dentz un, et un ordre Rouillez non moins que leurs cizeaux, Et moussez ainsi par trop mordre. Et rians, là se desbatoyent Des filetz qu'en deux partz mettoyent, Commencez seulement de tordre. Si pour ton ame ainsi mourant Le regret en terre fut grand, Pour si grand' perte inopinée, Le ciel tant plus ayse ha esté De veoir l'esprit en liberté Ayant sa chair abandonnée. Là aussi on oyoit chanter Cantiques tous plains de louange Pour l'honneur de ce nouveau Ange Qui là haut se vint presenter. Ou heureux, entre les heureux Ou bon entre les bons eut place, Si qu'alors je fu desireux Que mon ame du monde lasse En Ecthase demeurast là Pour tousjours contempler cela Ravie de celeste grace. O Esprit, ô Ange nouveau Retiré en lieu sainct, et beau Pour jamais avec tes semblables, Or es tu heureux mille fois Pour les plaisirs que tu recois Interditz aux ames coulpables: A fin que tout cest univers Puisse entendre si digne chose, Au tombeau ou ton corps repose, De ma main j'escriray ces vers. Si quelqu'un desire scavoir Ou est le thresor de ce temple, Que ce sepulchre vienne veoir, Et les vertuz d'Anne y contemple, Son cueur ha l'honneur advancé, Et comme morte elle ha laissé De ses moeurs aux autres l'exemple. Fin. Epitaphes. De I. Pastel doct. Mort, et vertu des le commencement Ont eu debat, Lecteur, scais tu comment? Pource que l'une, & l'autre aussi demande Obeïssance alors qu'elle commande: Et voudroit bien en ces bas lieux chascune Maistriser sans avoir maistress' aucune. Mort sus vertu dominer pretendroit, Et la vertu sus la mort pretend droict. Mort de son dard l'homme extermine, et tue, Et la vertu cà bas le perpetue. Que faict là mort? à mort l'homme soubsmect, Et la vertu mourir ne le permect. Ainsi à veoir l'office qu'elles font On peut juger combien contraires sont, Mais certes mieux on pourroit juger d'elles La controverse: aux funebres nouvelles, Que je te veux anoncer: car Pastel Est trespassé: mais fut son trespas tel Que bien qu'il soit de vie ainsi delivre Sa grand' vertu par tout le fera vivre: Bien que soit mort, vif entre nous sera. Et sa vertu chacun annoncera. Trois partz de luy sont faictes, trois aussi Prinses les ont, car son nom esclarsi Vit entre nous, l'ame est avecques Dieu, Et au corps mort Tholouse ha donné lieu: Sa destinée ainsi l'ha ordonné, De ne mourir au lict ou il est né: Et c'est à fin que le commun remord Entrant au cueur par la veue, et l'oreille, Ne redoublast: aussi seroit merveille En mesme lieu le trouver vif & mort. De Catin. Cy gist, à qui Dieu mercy fasse, Une qui en beauté de face Jadis la souveraine estoit Quand pres d'un autre se mettoit. Grace avoit, mais certes, non point Tant que de graisse et d'en bon poinct: Ses tetins au marcher trembloyent Et ses deux joues ressembloyent Aux champignons rondz, fraiz, et druz Qui d'humeur trop grande sont creuz. Juger ne puis le nombre d'ans Qu'elle avoit ou seroit aux dentz, Car estoyent encore si menues Qu'à leur deu n'estoyent parvenues. Et de form' estant si exquise Nul estoit de qui fust requise Nul estoit qui en eust affaire, Quoy qu'elle sceust dire ne faire. Fille vesquit, et fille est morte Car ne peut en aucune sorte Entrer au sainct noeud conjugal Soustenu d'un vouloir egal. Ainsi morut non mariée D'envie d'estr' appariée A quelqu'un pour la desgraisser: Et ne pouvant rien avancer En ces lieux de son mariage, En l'an vingtiéme de son aage S'en alla vierge pur' et munde Se marier en l'autre monde. Encores je suis adverty Que si n'y trouve tost party Elle reviendra par decà Prenant ce qu'en terre laissa, A fin d'amortir sa grand' flamme, Et l'envie qu'ha d'estre femme. Encore d'elle. Cy gist Catin (dont suis marry) Et à fin que ce mal ne celle Sachez qu'ell' est morte pucelle A faute de trouver mary. De Perolet insigne beuveur. Perolet ce beuveur insigne, Qui aux yeux en portoit le signe Evident, repos' en ce lieu, Non point son vin, mais bien en Dieu: (Au moins comme chascun doit croire) Vivant il ayma tant à boire Du meilleur, souvent, et longs traicts, Que ses yeux s'en estoyent entrez Au plus profond, et là dedans Se monstrent rouges, et ardans: Rouge, blanc, et claret aussi Pour couleurs il avoit icy: Roug' estoit aux yeux, pasl' en face, Claire avoit sa voix, dont l'espace Qu'il vesquit, cria cà, et là Bon vin à vendre, et en cela Passa son temps vineusement, Vivant le plus joyeusement Qu'il pouvoit sans estre delivre De l'humeur qui le rendoit yvre. Or passans qui trouvez saveur Au bon vin comme ce beuveur, A fin que desormais se garde Que soif alterée ne l'arde, Je vous pry arrosez sa tumbe De bon vin, et faittes qu'il tombe A plains pots sur luy, car le peu Ne feroit qu'augmenter son feu. Quant à l'eau que l'Eglise donne A grand' pein' il la trouve bonne, Car si onq n'ayma liqueur telle Trouver ne pourroit goust en elle. D'oraisons qu'on dit pour les ames (A fin qu'evitent les grands flammes D'enfer hideux, ardant, et chaud) En veut peu, car il ne luy chault D'estre là, ou en purgatoire, Moyennant qu'il y trouv' à boire. Fin des Epitaphes. A B. de Rochecolombe, Gentilhomme. Apres vostre navigation des isles neufves, entre les tourbes du peuple vous oyant reciter les merveilles des Barbares, je fuz plus que tous importun apres vous, pour me les declarer au long: en quoy je receu un plaisir incroyable. Mais sur tout oyant le discours du Roy de Nasée, le nez duquel asseuriez avoir deux tiers de long, avec grosseur proportionnée: et les Naséens l'avoyent de pareille grandeur. Et apres m'avoir declaré l'estendue du Royaume, fertilité de la terre, somptuosité des palaix, et disposition de sa republique, entre autres poincts me fut aggreable entendre, comme on y punist les criminelz, non par glaive, fouëtz, ou carquan, mais on les assied sur une pierre au milieu de la place, aux rayons du Soleil, ou sont condamnez tenir souz le menton un grand bassin, fait expres, Entour lequel sont marquées les heures, lesquelles ilz monstrent à l'ombre de leur Nez: et là sans remuer sont contraincts demeurer du matin jusques au soir, autant de jours qu'on puisse en apprehender autres pour mettre en leur lieu. Aussi en tout le Royaume n'y ha autres horologes que ceux là. Lequel discours je tins long temps à bourde et mocquerie, jusques avoir ruminées les histoires naturelles affermans entre les hommes estre difference selon les regions, et divers aspect du ciel, comme les Mores noirs, et gris sont differens de noms, les Pygmées sont plus petis que mediocres: et pour venir aux parties singulieres, les Cyclopes n'ont qu'un oeil, les Anglois ont une queuë, et aux indes y en ha qui ont le pied si large qu'il peut couvrir le demeurant du corps, et autres ayans la lebvre inferieure renversée en bas à mode d'une grand' gibessiere: et d'ailleurs vous estes homme veridique, qui me fait croire, ce peuple avoir le nez à la mesme sorte que vous dictes. Or d'autant que pretendez y retourner, et pour ce attendez la Caranelle d'Espaigne, que fasse voille au Peru, que sera le dixiéme de May Prochain, ainsi qu'estes adverty de Lisbonne, du vingtcinquiéme Decembre passé: j'ay escrit une lettre au Roy de Nasée de laquelle me fut desrobbée la moitié, et imprimée sans mon sceu: toutesfois despuis en cà l'ay remise en son entier, laquelle vous envoye pour la luy donner en main. Priant Dieu vous donner la grace de bien et heureusement faire vostre voyage et puissiez vous en vostre nez retourner en France sain et en bon poinct. De Musceole ce dernier jour de Decembre, Mil v^c. lvii. Naseïde, restituée en son entier, A Alcofibras indien, Roy de Nasée. Pour vous louer si la plume je prens, Roy des grands nez, Roy des nez les plus grands De Naserie, à ce faire m'invite Le vostre, auquel tout le peuple court viste Pour l'admirer, comme rare spectacle, Si qu'on le jug' estr' un Nasal miracle: Tant il est grand, que des Archers le pire Ne le pourroit faillir pour mal qu'il tire: Et s'il trouvoit au monde son pareil Croy qu'il feroit eclipser le Soleil. Ceux là qui ont donné louange aux nez, Et doctement nous les ont blasonnez, Ne cuident point que je leur veuille oster Aucun bruit leur, pour au mien l'adjouster: En grave stille ilz [nous] ont exposée La dignité de la tourbe Nasée, Ou les moyens leur ont estez ouverts, Autant qu'au monde y ha de nez divers. En grave stille ont loué les Naseaux, Le trait, le teinct, de ces nez damoyseaux, Sus qui on void mille beautez escloses, Proprement faicts pour odorer les roses. Mais je veux prendr' autre subjet plus digne Dont vous portez au visage le signe Roy bien nasé, et pour mieux le toucher Je veux ma muse en tel poinct emboucher, Que ses propos hautement entonez Soyent à l'egal du Colosse des nez, Lequel pour estr' excellent dessus tous Les nez qui sont, & seront, fait que vous Estes le Roy, & tant plus grand se void Tant plus grand Roy aussi dir' on vous doit. Dire on vous doit grand Roy, aussi vous l'estes Roy sur autant que se trouvent de testes A croc, et dont la grandeur Cesarée Va per à per avec la Nasarée: Mais qui pourroit en ce monde regner S'il n'ha le nez qu'on ne puisse empoigner Comme le vostre? ô Nasifique sire. Perse jadis apres la mort de Cyre, Autre en son lieu recevoir ne voulut, Qu'il ne l'eust grand, et vouloit qu'ainsi l'eust Non seulement pour le loz immortel De leur bon Roy Cyrus, qui l'avoit tel, Mais pourautant que l'autorité toute Resid' au nez: ainsi il n'y ha doute Que tant plus grand est le nez, plus est grande La majesté sur la Nasalle bande. Seroit ce bon que ces nasateux là Eussent pouvoir sur les grands? Ah cela Viendra plus tard que lon ne verra estre Le chat du chien, et le rat du chat mestre. Or ha la Perse honoré les grands nez, Tant qu'elle vint à Nabucodenez. Et vint à luy, Car comme à son nom touche Ensembl' avoit et grand nez, et grand' bouche: Mais de la bouch' à present je ne traicte. A propoz donq des grands nez je m'appreste A vous narrer un secret difficil, Pourquoy mandé fut Ovid' en exil, C'est pourautant que son grand nez faisoit Trembler Auguste, et pour cela n'osoit Laisser les murs de la vill', ayant doute, Que par son nez il ne l'occupast toute. Mais l'envoya aux neiges de Scytie, Pour en secher de froid une partie, Et le secher si bien qu'à son retour A l'Empereur ne feist ce mauvais tour. Pourquoy mect on au chef imperial L'Aigle si n'est qu'ell' ha un nez royal, Qui des oyseaux fait qu'on la nomme royne? Et l'elephant, sans le grand nez qu'il trayne Des animaux, si grand roy ne seroit: Le griphe aussi craindre ne se feroit. Ne void on point le rinocerot comme Par son grand nez est craint? Or donques l'homme Tant plus l'ha grand, et son nez plus loing tire, Tant plus grand Roy certes il se peut dire. Qui ha grand nez, ha de parens aux cieux. Cuidez vous point que le guerrier des Dieux Ne l'aye tel, et entre nous Aeolle Quand d'Aquillon vers les Austres il volle, Que sans avoir un grand nez il desserre Ses roides vents? vous faschez vous sur terre Descendez viste aux Enfers, et verrez Comme Pluton est nasé, là orrez Comme celuy s'expose à grand hasard, Qui n'obeit à ce Prince nasard. Pour faire brief, un nez tres navifique, Ha majesté royale et magnifique. Au nez aussi, et non ailleurs ha place L'honneur de l'homme, et sans luy n'ha point grace. Tirer le nez à quelqu'un c'est outrage. Donner au nez c'est esmouvoir la rage, Le d'eschirer, l'escacher, ou le tordre Par ce moyen on vient à l'honneur mordre: Et au contraire un ardeur on presume, Lors que d'un homme on dit le nez luy fume, Il ha la mouche au nez, c'est lors à dire Qu'il est esmeu de grand colere et ire: Et quand au nez on ne luy peut toucher, Il monstre bien qu'il ha son honneur cher Voylà pourquoy Siracuse est prisée Car elle mect dessus la part Nasée Estuys de fer pour deffence aux batailles, Là ou la France arme ses mains d'escailles. Et ne cuidez qu'elle ainsi l'enveloupe, Fors seulement de poeur qu'on le luy coupe, Et comme au Grec vienne à son nez, ou pire Perdant lequel, il perdit son Empire. Qui ha le nez contrefaict et bossé, Trop, ou trop peu, ou poinctu, ou moussé, Et comme un as de treffles se renfroingne, Des lieux publicz meu de honte il s'esloigne, Pour eviter les pernicieux blasmes Qu'on luy impose, & mesmement les femmes: Car elles ont ferme foy que ce lieu Est relatif de cest antique Dieu, Avec lequel le Cinic plantoit l'homme, Seul adoré aux verdz jardins, et comme On dit le pere ayant esgard aux filz. Qui ha le nez gros, grand et bien assis, Celuy on peut sans injure vanter D'avoir un gros et grand pieu à planter, Ce dont la femme à l'amour usitée, Par le grand nez est tousjours incitée A remarquer et veoir en quelle sorte Pourra jouïr de celuy qui le porte, Vostre grandeur, sire, doit scavoir gré A son grand nez: car ce royal degré Humiliant ceux qui vous sont rebelles, Attire à soy l'amitié des plus belles. Certes du nez, comme nez, on pourroit Dire beaucoup de choses qui voudroit, Qu'il donne voye aux humeurs du cerveau, Et au poulmon ministre l'aer nouveau, Juge l'odeur, tesmoigne le courroux Quand ronfle, & fronce, ou qu'il espreint ses troux, Et si orné il est de toute grace Dont m'esbahy pourquoy l'antique race Le congnoissant si beau, et si mignon Ne l'ha faict Dieu comme son compagnon. Or est cecy à tous les nez commun, Et pourautant que je n'escris qu'à un Grand, le plus grand du monde, je delaisse Ces nasequins dont y ha si grand presse. A vostre loz j'ay dict qu'avez l'Empire C'est tout aussi que de vous je puis dire, Mais pour oster le moyen à certains, Qui pour un nez qu'ilz ont sont si hautains, Que tout ainsi qu'il est grand, grans s'estiment, Et la grandeur du vostre desestiment: Je veux monstrer qu'il y ha difference De grand, à grand, & que sans grand offence Tous les grands nez ne peuvent recevoir Tiltre de Roy: Ah il feroit beau veoir, Qu'un nez tortu, un nez laid de tous poinctz, Un nez bossé forgé à coups de poincts, Illuminé tigneux, et qui se guinde A tous costez comme ceux des coqs d'inde, Un nez remply de troux, et clous avec, Un nez moulé à la forme d'un bec, Un nez trop large, un nez que lon admire, Faict au patron de prouë d'un navire, Un nez velu rehaulsé de verrues Espouvantant les enfans par les rues, Un nez morveux, et de tigue emperlé Eust tel honneur, c'est trop avant parlé: Raison ne veut que nom de roy il prenent, Bien que soyent grans: & s'il avient qu'ilz regnent Et que leur main de Sceptre soit garnie C'est une pure et vraye tyrannie: Car la grandeur du nez s'il n'ha beauté Ne peut avoir tiltre de Royaulté. Un nez Royal avant que tel soit faict, Veut estre grand, poli, beau, et parfaict, Comme le vostre, auquel furent donnez Tous les grans biens qu'on peut dire des nez Ne trouvent autre encor à soy conforme, Grand, gros, & large, ouvert, & long, en forme De barbecane ou triangle eminant, Qui sur un flang de mur va dominant. Et pourautant qu'il est Roy, ne suffit Luy faire honneur car honneur sans proffit Est de neant si on ne touche au but, Scavoir au loz adjouster le tribut. Voylà pourquoy un present luy veux faire, Qui tant plus est propre, ô Roy nasifere, Pour sa grandeur longuement conserver Plus me devez de faveur reserver. Or tout ainsi que vostre nez est rare Est de besoing, Sire, qu'on le rempare D'un riche estuy, et jamais ne soit veu Sans meur conseil, à quoy sera pourveu Par longs moyens, & apres grans requestes Comme en Florence on monstre les pandectes, Ou comme on garde une chose de pris Qu'elle ne tombe en vulgaire mespris: Couvrez le donq, Sire, couvrez le donq De ce beau masque, & ne soit monstré onq, S'il n'est requis par grand' necessité, Et soit ainsi de luy, comme ha esté Du biffront dieu, qui aux fureurs de guerre Tant seulement se monstroit sur la terre: Et pour cela je serois fort d'advis, Que vous usez comme d'un pont levis A vostre nez, lequel viendrez hausser Tant seulement pour la guerre annoncer: Mais est requis que le tout on manie Avecques rare, et grand' cerimonie. Et pour ce faire y soyent maistres expres Qui vostre nez tiennent tousjours de pres S'il veut souffler, que torches on allume: S'il veut ronfler, subit qu'on le parfume Avec encens, et souz luy faut coucher Grands bassins d'or, quand se voudra moucher. S'il ha vouloir d'esternuer, je veux Que lon descharge un gros canon ou deux. Et quand les jours solemnelz seront proches Pour se monstrer, que lon sonne les cloches: Mais à cecy faut un terme plus long Qu'à Solyman quand se monstre, & adonq Il estendra ses benedictions Dessus les nez de toutes nations, Ou sera bon que les femmes se treuvent Qui ont vouloir d'engrossir, & ne peuvent. Or ce joyau avoit en son thresor Le puissant Roy Nabucodenasor, Qui à son nez tout expres le feit faire, Pour s'en servir en un extreme affaire: Et apres luy en furent possesseurs De Roy en Roy maintz autres successeurs, A qui jadis fut ceste piece ostée Par l'Empereur qui saccagea Judée: Et la porta en son triomphe, comme Le plus haut bien qu'il sceut porter à Romme. Et Belisare en priva les Rommains, L'avare Grec, puis vint entre les mains Du fort Selin, à l'heure qu'il passa L'estroit Bosfore, et s'en vint par de cà Et Solyman l'ha eu de son ancestre Qui le garda un long temps, & sans estre Armé d'icelle, on luy eust fait par terre Voler le nez d'un coup de cymeterre Aupres de Bude, et toutesfois ne sceut Faire si bien qu'ostée ne luy fust, Pource doutant qu'il ne perdist l'Empire Avec le nez en seur lieu se retire. Bien tost apres, ce butin fut trouvé Par un soldat, j'entends et relevé Qui le porta à Romme, ou fut vendu A un Rabin, car ayant entendu Que le grand Roy Buconasor estoit Premier de tous qui au nez le portoit Et s'en servoit ainsi que d'une barde, Il le fit mettre au Temple en seure garde. Deux ans apres, ou un peu moins advint Qu'un Habraim de Juif, chrestien devint, Qui s'en saisit, ou bien il la changea D'un nez, à autre: et ce fut car songea Que sa famille envieuse en seroit Triste, et pourtant d'un sang bouillant feroit Tous ses efforts de l'avoir, & le prendre, Voylà comment son nez voulut deffendre: Car l'avoit grand, faict à la judaïque, Et marqueté tout à la Mosaïque: Mais (qui est pire) un gros fic y naissoit Qui si avant de jour, en jour croissoit Que l'estuy fut estroit bien que soit large, (A tout le moins luy donnoit trop grand' charge) Dont le vendit, et je l'ay acheté Pour mettre au nez de vostre magesté. Fin. Souspir d'espoir. ---------------------- NOTES DU TRANSCRIPTEUR L'orthographe, la ponctuation et l'usage des accents sont conformes à l'original. Cependant pour faciliter la lecture on a introduit la distinction entre les lettres i/j, u/v. On a également remplacé les abréviations par les lettres correspondantes (Comme au lieu de Cõme, etc.). Les corrections suivantes ont été apportées: - Mais au lieu de Nais (Mais j'estoy derriere un buisson) - C'est au lieu de Cest (C'est figure que l'amour est grande) - qu'on au lieu de quon (Il faut bien scavoir qu'on demande) - adroite au lieu de adorite (Et dont la vie en moeurs est plus adroite) - Droite au lieu de Dorite (même vers) - ou au lieu de en (Deux ans apres, ou un peu moins advint) - nous ajouté (En grave stille ilz [nous] ont exposée) *** End of this LibraryBlog Digital Book "L'amie rustique et autres vers divers" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.