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Title: La poste par pigeons voyageurs - Souvenir du siége de Paris
Author: Dagron, Prudent René-Patrice, 1819-1900
Language: French
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available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)



LA POSTE

PAR

PIGEONS VOYAGEURS

SOUVENIR DU SIÉGE DE PARIS

SPECIMEN IDENTIQUE D'UNE DES PELLICULES DE DEPÊCHES PORTÉES A PARIS PAR
PIGEONS VOYAGEURS

PHOTOGRAPHIÉES

Par DAGRON

Seul photographe du Gouvernement pour toutes les dépêches
officielles et privées sur pellicule

NOTICE SUR LE VOYAGE DU BALLON LE NIEPCE

EMPORTANT M. DAGRON ET SES COLLABORATEURS

et

Détails sur la mission qu'ils avaient à remplir

TOURS--BORDEAUX

PARIS.--TYPOGRAPHIE LAHURE

Rue de Fleurus, 9



LA POSTE

PAR

PIGEONS VOYAGEURS


Le ballon _le Niepce_ partit de Paris, le 12 novembre 1870, à neuf
heures du matin, monté par:

=MM. Dagron=, photographe;
    =Fernique=, ingénieur des arts et manufactures;
    =Poisot=, artiste peintre, gendre de M. Dagron;
    =Gnocchi=, préparateur de M. Dagron;
    =Pagano=, marin, élève aéronaute;

puis environ six cents kilogrammes d'appareils appartenant à M. Dagron.

Le ballon _le Daguerre_ partait en même temps que _le Niepce_, emportant
trois voyageurs, la correspondance postale, des pigeons et le complément
des appareils de M. Dagron.

M. Dagron et M. Fernique étaient envoyés par M. Rampont, directeur
général des Postes, avec l'approbation de M. Picard, ministre des
finances, pour établir en province un service de dépêches
photomicroscopiques que l'on devait envoyer à Paris au moyen de pigeons
voyageurs. Ce service était réglé par un décret du 10 novembre 1870, et
devait être installé à Clermont-Ferrand. M. Fernique devait, outre sa
collaboration aux travaux de M. Dagron, apporter tous ses soins à
l'organisation du service par pigeons, et mettre aussi en oeuvre un
système de correspondance fluviale que la délégation ne voulut pas
pratiquer.


       *       *       *       *       *



RAPPORT DE M. DAGRON.


Au départ des deux ballons, le vent portait en plein est. Nous partîmes
néanmoins accompagnés des vifs témoignages de sympathie d'un grand
nombre de personnes venues pour assister à notre départ, la réussite de
cette expédition postale devant apaiser tant de justes inquiétudes dans
Paris.

Arrivé au-dessus des lignes prussiennes, _le Niepce_ fut, ainsi que son
compagnon de route, _le Daguerre_, accueilli par une vive fusillade. A
une hauteur de huit cents mètres les balles sifflaient autour de nous.
_Le Daguerre_ fut atteint, et nous le vîmes, le coeur serré, descendre
vertigineusement et tomber sur le mur d'une ferme à quelques lieues de
Paris; nous savons maintenant que c'était près de Ferrières.

Un fait dont les conséquences eussent pu être terribles pour nous, et
qui dut être la cause de la perte du _Daguerre_, c'est que les sacs de
lest étaient faits en toile de coton avariée, d'une force insuffisante.
Le spectacle du _Daguerre_ percé de balles, et capturé par des cavaliers
ennemis que nous vîmes accourir, nous fit sentir la nécessité de hâter
notre ascension pour échapper au même sort; mais les sacs de lest se
rompaient. Il fallut pendant tout le temps du voyage ramasser le sable
dans une assiette, et le jeter ainsi par petite fraction hors de la
nacelle.

Vers une heure et demie de l'après-midi nous étions parvenus à une
hauteur de quinze cents mètres. Il nous restait à peine la valeur de
deux sacs de lest, et dans l'ignorance où nous étions de la présence ou
de l'absence des Prussiens, il fut décidé que la descente se ferait
très-rapidement pour ne pas leur laisser le temps d'arriver. La descente
se fit donc à raison de dix mètres par seconde environ. Grâce au lest
que nous avions ménagé, et aux deux guides-ropes dont nous nous étions
munis, l'atterrissage malgré un vent violent se fit sans de graves
accidents; mais le ballon se coucha, et parcourut environ deux
kilomètres avec une vitesse considérable, entraînant avec lui la nacelle
et nous tous cramponnés dans les cordages. Le pays ne présentait ni
buissons ni arbustes que pussent accrocher l'ancre et les guides-ropes;
aussi le ballon ne s'arrêta-t-il que quand filets et tissus furent
tellement en lambeaux que le vent n'eut plus sur eux aucune prise. Les
cordages en se croisant serrèrent le cou de M. Fernique, qui se dégagea
par un effort désespéré; même chose arriva à M. Gnocchi, qui ne fut
débarrassé que par un mouvement de rotation que subit la nacelle. Ce fut
M. Poisot qui put sortir le premier de la nacelle, et nous venir en
aide. Tant qu'à moi, une lourde caisse suspendue à hauteur de tête
allait m'atteindre, lorsque voyant le danger, je la repoussai d'une
main; le contre-coup me fit tomber à la renverse les pieds en l'air,
presque sans connaissance; ce fut mon gendre qui me tira de cette
position critique.

De nombreux paysans, qui étaient accourus, nous apprirent que nous
étions à quelques kilomètres de Vitry-le-Français. Ils nous donnèrent
leurs blouses et leurs casquettes et mirent à notre disposition deux
voitures sur lesquelles fut placé en grande hâte tout le matériel que
j'emportais. A peine les voitures étaient-elles chargées, que les
Prussiens arrivaient et s'emparaient de l'une d'elles. Ils mirent en
joue le groupe de paysans auxquels nous étions mêlés; mais ne nous
distinguant pas, à cause de notre prompt changement de costume, ils ne
tirèrent pas. Le ballon fut capturé également, et c'est à sa prise, qui
occupait le plus l'ennemi, que nous devons d'avoir pu nous échapper de
ses mains, en sauvant heureusement avec nous, à travers champ, la
seconde voiture.

A ce moment, M. Fernique prit seul la direction de Coole où nous devions
le rejoindre, mais les hasards de la fuite nous conduisirent à
Vessigneul.

Le maire de Vessigneul, M. Songy, dont nous resterons toujours les
obligés, consentit à nous cacher dans son grenier. J'avais en arrivant
mis dans la poche de Mme Songy, pour les sauver, les papiers et lettres
qui m'avaient été confiés. Les bagages furent vivement placés sous la
paille d'une grange. Une caisse seule restait à y cacher, quand les
Prussiens arrivant la prirent et l'emportèrent.

Profitant de leur départ et prévoyant leur prompt retour en plus grand
nombre, M. Songy, sans perdre de temps, nous fit monter dans sa voiture
et nous conduisit lui-même à Fontaine-sur-Coole, chez M. le curé
Cachier. Ce dernier, qui avait eu la veille à loger deux officiers
prussiens, et qui d'un instant à l'autre devait en recevoir d'autres,
sachant aussi l'ennemi à notre poursuite, se hâta de nous faire partir
par le derrière de sa maison et du pays, afin d'éviter la rencontre des
Prussiens et l'indiscrétion des habitants.

M. Cachier nous recommanda de la manière la plus obligeante à son
collègue M. Darcy, curé de Cernon, où nous arrivâmes, exténués de
fatigue et de faim, à dix heures du soir.

M. Darcy et sa mère s'empressèrent de nous donner les soins les plus
dévoués. Nous devons aussi un témoignage de reconnaissance au maire de
cette localité qui se mit entièrement à notre disposition de la manière
la plus obligeante. M. Darcy voulait nous faire reposer; mais à minuit
on vint frapper à sa porte. C'étaient des paysans qui rapportaient une
partie des bagages laissés à Vessigneul, et venaient pour nous avertir
que les Prussiens étaient sur nos traces et les suivaient de près. M.
Darcy nous fit aussitôt mettre en route pour Bussy-Lettrée, où nous
arrivions à cinq heures du matin. Ayant abandonné nos vêtements à la
descente du ballon, n'ayant qu'une blouse sur le dos, nous eûmes à
souffrir considérablement du froid pendant cette nuit glaciale.

L'instituteur de Bussy-Lettrée, M. Varnier, s'empressa à son tour, sur
la bonne recommandation de M. le curé de Cernon, de nous rendre
service. Il nous fit un bon feu, près duquel nous pûmes réchauffer nos
membres glacés, et nous procura des voitures pour Sompuis. Nous avions
décidé que nous n'entrerions pas tous ensemble dans ce petit pays, pour
ne pas éveiller la curiosité. M. Poisot, resté en arrière, fut interrogé
par un groupe d'habitants, qui lui apprirent qu'un étranger était allé
la veille chez le receveur des postes, M. Legrand. Supposant que cet
étranger pourrait bien être M. Fernique, j'allai aux informations, et
j'eus le plaisir d'apprendre par M. Legrand lui-même que c'était bien
effectivement notre collègue, échappé comme nous jusqu'alors aux mains
de l'ennemi. M. Legrand l'avait lui-même conduit la veille à Dampierre.
Avec la plus grande obligeance il nous offrit de repartir immédiatement
avec nous pour la même destination. Nous arrivâmes à Dampierre à une
heure du matin.

Dans cette ville, M. le docteur Mosment nous offrit cordialement
l'hospitalité. Dans l'espoir que le voyage pourrait s'effectuer plus
aisément, il nous procura à Dampierre des conducteurs munis de
laissez-passer prussiens pour des transports de vin. Un de ces
conducteurs, dont nous nous rappelons le nom avec plaisir, est M.
Gauthier, homme estimable bien connu dans le pays. Ce qui avait été
sauvé du matériel fut placé dans des tonneaux vides et transporté ainsi
pendant quelque temps. Nous passâmes à Nogent-le-Long, où nous fûmes,
sur la recommandation du docteur Mosment, reçus amicalement par le
docteur Bertrand. A son tour, le docteur Bertrand nous recommanda au
préfet de l'Aube, M. Lignier, qui était à ce moment à Pougy. M. Lignier
nous donna le conseil de passer par Vandeuvre. Il y avait huit heures
que nous en suivions la route, quand les gens du pays nous prévinrent
que les Prussiens réquisitionnaient en cet endroit les chevaux et les
voitures. Il nous fallut donc retourner sur nos pas et prendre la route
d'Arcis-sur-Aube, occupé par les Prussiens. Comme nous ne pouvions
présenter nos barriques à l'octroi, nous les laissâmes dans un petit
village, et nous entrâmes dans Arcis, où tous les hôtels étaient remplis
de Prussiens.

A l'hôtel de la Poste, à la table d'hôte où nous fûmes obligés de dîner
avec les officiers, un médecin-vétérinaire hanovrien, qui probablement
avait quelque doute à notre égard, voulut absolument parier cent thalers
avec moi que dans quatorze jours Paris serait rendu. Il me passa sa
carte pour me confirmer son pari, ce qui semblait me demander la mienne.
Inutile de dire que je ne l'acceptai pas.

Pendant la nuit, les bagages furent replacés en caisses et en paniers,
et, à quatre heures du matin, nous quittions Arcis pour nous rendre à
Troyes, également occupé. Nous laissions à Arcis le marin Pagano, la
sûreté générale exigeant cette séparation. Bien nous prit en effet de
partir la nuit, car nous apprîmes plus tard qu'à sept heures du matin
toutes les issues de la ville étaient gardées.

A Troyes, notre position ne fut pas améliorée; nous eûmes grand'peine à
nous procurer voitures et chevaux. Nous sommes heureux de reconnaître
que l'aide de M. Joffroy, négociant de cette ville, nous fut d'un grand
secours à cet effet. Nous quittions Troyes le 17, à trois heures du
matin, par la route de Saint-Florentin à Auxerre. Un corps considérable
de l'armée du prince Frédéric-Charles nous précédait de douze heures sur
cette route, qui devenait ainsi hérissée d'obstacles pour nous. Arrivés
à Avrol, que les Prussiens venaient d'occuper, on ne voulut pas nous en
laisser sortir. M. Poisot se rendit chez le major prussien, logé au
château de M. de la Bourdonnaye, et demanda l'autorisation de continuer
notre chemin. Le major répondit qu'on ne pourrait quitter Avrol que le
lendemain matin à huit heures, après le départ des Prussiens.

Pendant que j'étais, avec mon préparateur, arrêté par les sentinelles
prussiennes et attendant la réponse du major, des coups de fusil se
firent entendre à quelque distance. Des sentinelles, nous prenant pour
des francs-tireurs, s'apprêtaient à nous faire un mauvais parti; j'eus
de la peine à leur faire attendre l'arrivée de mon gendre, qui vint fort
à propos faire connaître les ordres du major. On nous laissa retourner
la voiture, avec laquelle nous pûmes gagner une ferme du village. Comme
il pleuvait à verse, nous entrâmes dans une grange avec l'intention d'y
passer la nuit; mais les Prussiens ne tardèrent point à nous en déloger,
en proférant des menaces.

La voiture de matériel étant restée dans la cour, les Prussiens
voulurent la visiter, disant que sûrement nous arrivions de Paris. Je
déclarai venir de Troyes, et un officier fut demandé pour constater le
fait. Les soldats exigèrent, en attendant sa venue, que les caisses
restassent ouvertes. C'est à cette fâcheuse mesure que je dois attribuer
une nouvelle perte de plusieurs appareils importants pour le travail de
ma mission. Le temps se passa, et l'officier, occupé à dîner fort
heureusement, ne vint pas. Pendant ce temps, le conducteur de la
voiture, qui avait laissé sa lanterne dans la grange, y retournait pour
la prendre. Les Prussiens, apercevant cette grange ouverte à nouveau,
pensent que nous y sommes rentrés malgré leur défense. Ils donnent
l'ordre aux propriétaires de prendre des lumières pour les éclairer, et
nous cherchent pour nous fusiller.

Nous avions heureusement pu dans l'obscurité gagner la porte de sortie
de la ferme, traverser le chemin et entrer dans une auberge où étaient
encore quantité d'autres Prussiens. Nous nous assîmes devant le feu. Les
officiers qui sortaient de table d'une salle à côté nous regardaient
avec méfiance et passaient près de nous le revolver à la main. Nous
dûmes rester toute la nuit sur pied dans cette auberge, dont les maîtres
étaient affolés par les exigences des envahisseurs, et tous nous
perdîmes l'espoir de nous tirer d'affaire.

Le 18 au matin, les Prussiens s'éloignèrent sur Joigny; mais
l'avant-garde n'avait pas fait trois kilomètres qu'elle rencontra à
Brinon une défense organisée de la garde nationale. Le combat rendait le
chemin impossible pour nous; il fallut avec notre voiture de bagage
prendre à travers champs par une pluie torrentielle, avançant
très-péniblement sur des terres labourées et détrempées, poussant ou
soutenant tour à tour nous-mêmes la voiture. Nous trouvions souvent les
traces profondes des chevaux des uhlans qui venaient d'explorer en tous
sens avant nous cette partie de la campagne.

Arrivés aux lignes françaises à Mont-Saint-Sulpice, une difficulté que
nous n'attendions guère se présenta. Ce fut l'autorité de l'endroit qui
ne voulant pas croire que nous avons pu parcourir impunément tout ce
pays occupé, ne trouva rien de mieux que de nous recommander
désobligeamment sur le reste du chemin que nous avions encore à faire
pour nous rendre à Auxerre où nous savions le préfet instruit de notre
mission. A Seignelay, cette mauvaise recommandation nous causa des
ennuis sérieux et une perte de temps sensible; nos bagages furent
visités et la foule mal prévenue se montrait hostile. Nous quittâmes ce
pays escortés par un détachement de la garde nationale qui nous
conduisit jusqu'à Monéteau, où une nouvelle escorte nous attendait. Nous
devons dire cependant à la louange du capitaine de la garde nationale de
Monéteau, dont nous avons le regret de ne pas connaître le nom, que
non-seulement il nous donna protection, mais encore qu'il mit à notre
disposition sa voiture et des couvertures pour nous garantir d'un temps
affreux, et nous conduisit avec ses hommes chez M. le préfet d'Auxerre,
où nous arrivâmes à onze heures du soir brisés de fatigue et d'émotions.
Le préfet nous fit connaître qu'il venait de recevoir de la délégation
de Tours l'ordre de nous y envoyer. A Nevers, nouveau télégramme de M.
le ministre Gambetta, nous enjoignant d'arriver sans délais et de toute
urgence.

Le 21 novembre, nous arrivions enfin à Tours à huit heures du matin, et
nous nous présentions immédiatement chez M. Gambetta. M. Fernique, qui
avait pu gagner Tours avant nous, y fut mandé aussitôt. Nous fîmes
prendre connaissance de notre traité du 10 novembre, avec M. Rampont,
directeur général des postes, signé par M. Picard, ministre des
finances. La délégation sur les avis de M. Barreswil, l'éminent
chimiste, avait eu aussi l'idée de réduire les dépêches
photographiquement par les procédés ordinaires. Dans cette vue la
délégation avait décrété le 4 novembre l'organisation d'un service
analogue.

M. Blaise, photographe à Tours, avait commencé ce travail, mais sur
papier. Il reproduisait deux pages d'imprimerie sur chaque côté de la
feuille. La finesse du texte était limitée par le grain et la pâte du
papier. Ce service commencé à Tours par la délégation ne donnait pas
toute satisfaction, puisque du 26 octobre au 12 novembre, jour de mon
départ, Paris n'avait reçu aucun message par pigeon.

Mis en demeure par M. Stéenackers, directeur des télégraphes et des
postes de la délégation, de fournir un spécimen de ma photomicroscopie
sur pellicule, l'exemplaire que je produisis fut trouvé tout à fait
satisfaisant et la photographie sur papier fut abandonnée pour les
dépêches. Ma pellicule, outre son extrême légèreté, présentait l'immense
avantage de ne poser en moyenne que deux secondes, tandis que le papier
nécessitait plus de deux heures, vu la mauvaise saison; de plus, sa
transparence donnait un excellent résultat à l'agrandissement qui se
faisait à Paris au moyen de la lumière électrique.

Aidé par mes collaborateurs j'organisai immédiatement le travail de la
reproduction des dépêches officielles et privées, qui devait être si
utile à la défense nationale et aux familles. A partir de ce moment, je
fus seul à les exécuter sous le contrôle éclairé de M. de Lafollye,
inspecteur des télégraphes, chargé par la délégation du service des
dépêches par pigeons voyageurs. Sur ses avis le travail originaire fut
modifié, et le résultat, eu égard au peu de matériel que nous avions pu
sauver, fut une production plus rapide et plus économique.

Les journaux ayant fait connaître que les Prussiens s'étaient emparés
d'une grande partie de mon matériel, je me fais plaisir de dire ici que
M. Delezenne, et M. Dreux, agent de change à Bordeaux, tous deux
amateurs distingués de photographie, offrirent avec empressement à
l'administration des appareils semblables à ceux que je possédais, et
ils furent mis à ma disposition.

Le stock des dépêches fut promptement écoulé. Je suis heureux de pouvoir
affirmer qu'activement secondé par mes collaborateurs, aucun retard ne
s'est produit dans mon travail; mais le déplacement de la délégation et
surtout le froid intense qui paralysait les pigeons ont créé de
sérieuses difficultés.

Lorsque rien n'entravait le vol de ces intéressants messagers, la
rapidité de la correspondance était vraiment merveilleuse. Je puis pour
ma part en citer un exemple.

Manquant de certains produits chimiques, notamment de coton azotique que
je ne pouvais me procurer à Bordeaux, je les demandai par dépêche-pigeon
le 18 janvier à MM. Poullenc et Wittmann, à Paris, en les priant de me
les expédier par le premier ballon partant. Le 24 janvier les produits
étaient rendus à mes ateliers à Bordeaux. Le pigeon n'avait mis que
douze heures pour franchir l'espace de Poitiers à Paris. La télégraphie
ordinaire et le chemin de fer n'eussent pas fait mieux.

Les dépêches officielles ont été exécutées avec une rapidité
surprenante. M. de Lafollye nous les remettait lui-même à midi, et le
même jour à cinq heures du soir, malgré une saison d'hiver
exceptionnellement mauvaise, dix exemplaires étaient terminés et remis
à l'administration. Nous en avons fait ainsi treize séries sans être une
seule fois en retard. Les dépêches privées étaient exécutées dans les
mêmes conditions. Le travail était considérable, car, à l'exception d'un
petit nombre de pellicules qui n'ont été envoyées que six fois, parce
qu'elles sont promptement arrivées, la plupart l'ont été en moyenne
vingt fois, et quelques-unes trente-cinq et trente-huit fois. Nous avons
aussi reproduit en photomicroscopie une grande quantité de mandats de
poste. Les destinataires ont pu toucher leur argent à Paris comme en
temps ordinaire.

Chaque pellicule était la reproduction de douze ou seize pages in-folio
d'imprimerie, contenant en moyenne, suivant le type employé, trois mille
dépêches. La légèreté de ces pellicules a permis à l'administration d'en
mettre sur un seul pigeon jusqu'à dix-huit exemplaires donnant un total
de plus de cinquante mille dépêches pesant ensemble _moins d'un gramme_.
Toute la série des dépêches officielles et privées que nous avons faites
pendant l'investissement de Paris, au nombre d'environ cent quinze
mille, pesaient en tout deux grammes. Un seul pigeon eût pu aisément les
porter. Si on veut maintenant multiplier le nombre des dépêches par le
nombre d'exemplaires fournis, on trouve un résultat de plus de deux
millions cinq cent mille dépêches que nous avons faites pendant les deux
plus mauvais mois de l'année.

On roulait les pellicules dans un tuyau de plume que des agents de
l'administration attachaient à la queue du pigeon. Leur extrême
souplesse et leur complète imperméabilité les rendaient tout à fait
convenables à cet usage.

En outre, ma préparation sèche a le triple avantage: d'être apprêtée en
une seule fois, de ne donner aucune bulle, et de ne pas se détacher du
verre à la venue de l'image; elle donne toute sécurité dans le travail
et n'expose pas aux déboires comme les procédés ordinaires.

Je pense faire plaisir à beaucoup de personnes en joignant ici un
spécimen d'une pellicule, reproduction identique de ce que j'ai fait
pour la poste par pigeons pendant le siége de Paris. Pour lui donner
plus d'authenticité, l'administration a bien voulu la revêtir de son
timbre, auquel j'ai joint ma signature. Pour ne léser aucune
susceptibilité, les noms seuls ont été changés.

       *       *       *       *       *


_P. S._ Revenu gravement malade de Bordeaux, retardé par les malheureux
événements de Paris, mon rapport allait passer à l'imprimerie, quand on
me mit sous les yeux des articles de journaux publiés par diverses
personnes, notamment par M. Lévy de Paris, se donnant comme ayant fait
les dépêches du gouvernement par pigeon voyageur. Ces messieurs ont eu
grand tort de laisser induire le public en erreur. Ils me mettent dans
la nécessité de protester contre ces articles mensongers et de
revendiquer mon droit par la voie de la presse.

J'ai eu le bonheur de réussir dans ma tâche, à la grande satisfaction du
gouvernement qui peut en témoigner. Parti de Paris pour faire les
dépêches photomicroscopiques par pigeons, muni d'un traité de
l'administration des postes, signé du ministre des finances, ce traité
fut échangé avec un autre de la délégation me concédant la reproduction
de toutes les dépêches officielles et privées sans exception. Il est
donc souverainement injuste que d'autres qui n'ont rien fait cherchent à
s'attribuer le bénéfice de mes travaux.


11 732--Paris. Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9.





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