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Title: Les vrais sous-offs - Réponse à M. Descaves
Author: Darien, Georges, 1862-1921, Dubus, Édouard, 1864-1895
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Les vrais sous-offs - Réponse à M. Descaves" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



GEORGES DARIEN ET ÉDOUARD DUBUS

LES VRAIS =Sous-Offs=

RÉPONSE A M. DESCAVES

      Il faut passer par la
    mort pour naître à la
    gloire.

        _Sergent_ Bobillot.

[Illustration]

PARIS

NOUVELLE LIBRAIRIE PARISIENNE

ALBERT SAVINE, ÉDITEUR

12, RUE DES PYRAMIDES, 12

       *       *       *       *       *

AUX SOUS-OFFICIERS

_Des Armées de Terre et de Mer,_

AUX GLORIEUX MUTILÉS

DONT LES MEMBRES

JONCHENT LES PAGES DE NOTRE HISTOIRE:

AUX INVALIDES, A L'ARMÉE, A LA PATRIE

_Cette OEuvre de Réparation est dédiée._

       *       *       *       *       *



LES VRAIS SOUS-OFFS


A l'heure où l'ennemi nous guette par dessus la frontière; à l'heure où
la barbarie teutonne étire ses griffes, encore rouges de sang, vers la
civilisation latine; à l'heure où un adversaire brutal médite d'étouffer
sous le talon de sa botte notre génie national; à l'heure lugubre où,
devant les ambitions affamées du despotisme, va sonner peut-être le
tocsin vengeur des dernières libertés, un homme s'est rencontré qui n'a
pas craint de lancer la calomnie, comme un bélier destructeur, contre
les remparts de la Patrie; qui n'a pas hésité à éclabousser de boue le
drapeau tricolore; qui a osé se rire de notre honneur et railler nos
espérances:

Il a insulté l'armée française!

Un livre scandaleux a paru, qui a la prétention de faire un tableau
fidèle de la vie des sous-officiers. Dans ce livre, il n'est question ni
de dévouement, ni de courage, ni de désintéressement, ni de loyauté. On
n'y parle que de lâcheté, que de moeurs honteuses, que de concussions.
A en croire ce livre, du caporal à l'adjudant, on ne trouve dans les
casernes que prévaricateurs, couards, équivoques gredins...

       *       *       *       *       *

Ce n'est pas la première fois, disons-le, en nous voilant la face, qu'un
écrivain sans doute altéré de réclame, a déversé l'immonde injure,
l'ignoble outrage, sur les défenseurs de nos foyers. MM. Péladan,
Huysmans,--il sent son Prussien, ce nom là--Abel Hermant, Perrin, Octave
Mirbeau, Bonnetain, Robert Gaze, ont voulu nous peindre, sous les
couleurs les plus odieuses, cette vie d'abnégation, de renoncement et
d'héroïsme discret, qui est celle des cadres de notre armée.

L'indifférence avait jusqu'ici fait justice de ces attaques haineuses
inspirées par une basse rancune ou une étrange aberration.

Quant aux diffamés, ils avaient su montrer sur le terrain qu'on ne se
jouait pas impunément de leur honneur.

Les honnêtes gens pouvaient croire que la leçon avait été comprise et
que c'en était fini de cette campagne anti-française.

Ils se trompaient.

Ramassant toutes les infamies tombées au ruisseau, renchérissant sur
elles, les aggravant encore, M. Lucien Descaves, puisqu'il faut
l'appeler par son nom, est parvenu à forcer l'attention publique, par
une accumulation d'outrages encore sans précédent.

       *       *       *       *       *

Dans _Sous-Offs_, M. Descaves affiche l'outrecuidante prétention de nous
donner la psychologie du sous-officier.

A cet effet, il imagine un régiment, tout de fantaisie--et quelle
fantaisie!--un régiment, où les officiers paraissent à peine, où les
sous-officiers, déchargés de tout contrôle supérieur, s'abandonnent à
des instincts mauvais, qu'aucune autorité, ni morale ni hiérarchique, ne
vient refréner.

Il en fait des rustres, des manants, sans éducation, sans instruction,
sortis des couches les plus abjectes de la société, apportant au
régiment des moeurs de repris de justice, des habitudes de souteneur.

Sans autre souci que celui du bien-être à satisfaire à tout prix,
remplaçant le sentiment du devoir à remplir par un appétit effréné de
jouissance, ils mettent dans la poche des plus misérables créatures, des
doigts crochus qu'ils n'hésitent pas à plonger au besoin dans la caisse
du régiment.

Sans cesse occupés à parfumer d'odeurs canailles, dérobées dans des
maisons louches, leur peau qu'efféminent chaque jour des contacts
dégradants--une peau qu'ils marchandent sans vergogne au Pays en
danger--ils endorment un temps volé à l'exercice de leurs fonctions dans
la paresse et l'ivrognerie.

Précisons. Étudions le roman de M. Descaves. Portons le scalpel de
l'analyse dans cette production monstrueuse.

Ou plutôt; non! Qu'on ne nous accuse point ici de partialité! Refrénons
l'indignation qui fait bondir le coeur de tout bon Français à la
lecture de ces pages maudites. Laissons la parole aux organes autorisés
de l'opinion publique. Quelque doctrine politique qu'ils défendent, à
quelque parti qu'ils soient inféodés, ils se sont rencontrés, cette
fois, dans un sentiment d'unanime réprobation.

       *       *       *       *       *

Monsieur Francisque Sarcey écrivait dans le _Parti National_ du 15
novembre 1889:

     «Il a paru un volume de M. Descaves, qui a pour titre _Sous-Offs_.
     Je n'ai pu en soutenir la lecture jusqu'au bout. Elle est
     impatientante et parfois même révoltante.»

Dans la _Liberté_ du 17 novembre, M. de Molènes, ce judicieux critique,
s'écriait:

     «Quant aux moeurs infâmes, accompagnées d'escroqueries chez
     certains, laissons les conseils de guerre en faire justice et
     _détournons les yeux_.»

Oui! Mais quel est le conseil de guerre qui fera justice du
calomniateur?

M. Scaramouche, le sosie de M. Henri Fouquier, publiait dans le
_Gaulois_ du 29 novembre, ces lignes où court un grand souffle
patriotique:

     «On vole dans la caserne, on s'y saoûle en payant les
     sous-officiers; et si on en sort, c'est pour vivre en d'ignobles et
     gratuites débauches dans de mauvais lieux. Et voilà l'armée!»

     Nous lisons dans l'_Estafette_ du 30 novembre, sous la signature
     transparente d'un anonyme:

     «Qui touche à l'armée est un mauvais Français.»

     Vous entendez, M. Descaves?

     M. de Lyden s'exprime ainsi dans la _Patrie_ du 5 novembre:

     «Ce livre est un livre contre l'armée; j'ajoute que c'est un livre
     contre la France. Et je ne serais pas surpris que M. de Bismarck
     lui infligeât le déshonneur d'être traduit en allemand, pour la
     plus grande édification de nos implacables ennemis!»

     M. de Lyden a été bon prophète: c'est fait!!!

     M. Laisant imprimait dans les colonnes de la _Presse_
     du 6 décembre l'appréciation suivante:

     «Je ne crois guère à l'existence des mauvais livres. Celui dont je
     veux parler aujourd'hui fait exception, car il est de nature à
     ralentir la grande oeuvre de réconciliation nationale autour du
     drapeau, et à réjouir nos ennemis de l'autre côté du Rhin!»

     Dans le _Paris_ du 13 décembre, M. Charles Laurent donne cet
     excellent conseil:

     «Avez vous lu _Sous-Offs_? Non. Eh bien, ne le lisez pas!»

M. Tony-Révillon, dans les colonnes du _Radical_ du 15 décembre,
flétrissait en ces termes les inventions nauséabondes de M. Descaves:

     «_Sous-Offs_ est une satire de l'armée. C'est la vie à la caserne,
     dans la brasserie de femmes et dans la maison de filles. Tous les
     soldats, dont nous parle l'auteur, sont des brutes... Et tous les
     sous-officiers qu'il nomme sont des voleurs et des souteneurs.»

Nous n'avons rien à ajouter à une appréciation aussi judicieuse.

M. Paul de Cassagnac, dans l'_Autorité_ du 13 décembre, se montrait
sévère mais juste:

     «Pour ce livre, il ne faut pas de circonstances atténuantes. On
     doit le flétrir comme doivent être flétries les oeuvres qui
     s'attachent à détruire ce qu'il y a de plus respectable au monde,
     ce qu'il y a de plus sacré après Dieu, après la famille, l'Armée
     enfin!»

     «_Le feu seul peut épurer une telle oeuvre en la détruisant_.»

Plus d'un soldat a déjà dû lancer au feu, après en avoir parcouru la
première page, le volume dont il s'agit.

M. Carle des Perrières, dans le _Gaulois_ du 12 décembre,
s'adresse à M. le ministre de la guerre:

     «Je suppose, M. le ministre, que votre désir est d'avoir une armée
     vigoureuse, instruite, brave, et fière de son uniforme... Votre
     mission est de la faire respecter sur l'heure, de la mettre à
     l'abri des insultes du ruisseau.»

Cet appel éloquent a été entendu.

Dans le _XIXe Siècle_ du 15 décembre, M. Francisque Sarcey écrit en
ces termes émus à M. Saint-Genest du _Figaro_:

     «Le régiment a été pour vous, mon cher Saint-Genest, ce qu'a été
     pour moi l'Ecole Normale, avec cette différence tout à votre
     avantage que l'Ecole Normale n'est après tout qu'une coterie de
     professeurs, tandis que l'armée c'est la France!»

Il est réconfortant d'entendre de pareilles vérités exprimées dans un
pareil style.

Dans la _France_ du 17 décembre, nous trouvons sous la signature de M.
Mermeix:

     «Les poursuites contre M. Descaves sont fâcheuses, parce que, le
     jour où il se défendra devant le jury, les CORRESPONDANTS ALLEMANDS
     seront tous à leur poste dans la salle.»

Nous trouvons dans le _Petit Journal_ du 17 décembre:

     «On compte dans l'armée 30,000 officiers, 100,000 sous-officiers.
     Si l'auteur du livre en question veut faire un peu de statistique,
     il verra que l'armée, au point de vue du caractère, est encore
     l'école qui développe au plus haut degré les sentiments d'honneur
     et de moralité.»

La statistique: c'est le salut, c'est le droit! Faites-en, M. Descaves.

Après avoir cité des passages de _Sous-Offs_, M. Paul Bluysen écrivait
dans la _République Française_ du 15 décembre:

     «Ces citations qui font bondir tout Français appelé à servir le
     pays en quelque contrée que ce soit, ne suffisent pas encore à
     prouver combien est fausse et écoeurante l'oeuvre de M.
     Descaves.»

Dans le _Gil Blas_ du 21 décembre, M. Charles Leser donne cette
appréciation:

     «C'est l'armée que M. Descaves a outragée, et l'armée ne peut pas
     avoir d'autre avocat que son chef. C'est une honte déjà qu'elle ait
     besoin d'un avocat.»

En réponse à une sorte de protestation en faveur de _Sous-Offs_, M. De
Cassagnac, dans l'_Autorité_ du 26 décembre, revient sur un sujet qui
l'écoeure profondément:

     «J'ose croire que le gouvernement repoussera honteusement cette
     levée de plumes d'oie. Il nous plait, à nous, de défendre contre
     vos prétentions exorbitantes l'âme de la France! Nous vous
     défendons d'y toucher, vous entendez.»

C'est ce qui s'appelle clouer d'un seul coup le bec à la plume des
folliculaires.

Dans le _Matin_ du 9 janvier 1890, M. Jules Simon, jugeant qu'il n'est
jamais trop tard pour dire une bonne chose, s'écrie:

     «Le collège préparera la caserne, _c'est parfait_. Que la caserne,
     à son tour, RAPPELLE UN PEU ET CONTINUE LE COLLÈGE.»

Dans l'_Eclair_ du 9 janvier, M. Camille Doucet, de l'Académie
française, dans sa passion pour la considération, reproche à M. Descaves
les moyens qu'il y a employés pour s'assurer un succès de mauvais aloi:

     «Je n'ai pas lu _Sous-Offs_. Mais l'auteur a choisi un excellent
     moyen de forcer l'indifférence et de s'imposer à l'attention
     publique.»

Dans la _République Française_ du 9 janvier, M. Albert Delpit, un de nos
illustres romanciers, donne l'appréciation suivante:

     «Le roman de M. Descaves n'est qu'une lanterne magique, où passent
     et repassent des bonshommes grotesques et répugnants. Ce sont des
     caricatures... Je comprends qu'on aille de temps en temps dans un
     mauvais lieu, mais, vrai! ça «me fatiguerait d'y passer ma vie tout
     entière.»

C'est la leçon de l'expérience.

       *       *       *       *       *

Assez de citations. Nos lecteurs sont édifiés sur la portée de
_Sous-Offs_. Personne n'a été dupe de ce roman et l'opinion publique
s'est chargée d'infliger à M. Descaves le démenti le plus sévère.

C'est une rude leçon, mais elle n'est point complète. A chacune des
accusations échappées à une plume aigrie par la rancune, il ne suffit
pas de répondre par une négation: une affirmation est nécessaire.

Il est temps d'élever une digue indestructible devant le flot débordant
d'injures, d'imputations calomnieuses, qui tente de submerger l'honneur
de notre armée.

Aux faits imaginaires avancés par l'invention malade du malsain
pamphlétaire, nous allons opposer des faits historiques, des faits
indiscutables, des faits qui prouveront qu'aujourd'hui, comme par le
passé, il y a dans l'âme du _Sous-Offs_ autre chose que de la sanie et
de la boue!

Où M. Descaves trouve couardise et lâcheté, nous allons montrer bravoure
et héroïsme.

Où M. Descaves trouve concussion et vol, nous allons montrer abnégation
et sacrifice.

Où M. Descaves trouve des vices honteux et des moeurs infâmes, nous
allons montrer une tempérance parfois stoïque et de généreuses passions.

Où M. Descaves trouve l'égoïsme le plus abject, nous allons montrer la
France!

       *       *       *       *       *

     «On demandait des volontaires pour le Tonkin.

     «... Les gradés devaient faire l'objet d'un état ad hoc.

     «Au déjeuner des sergents, les fourriers qui venaient d'assister à
     la lecture du rapport, dans les chambres, divulguèrent
     l'_impression générale_:

     «--C'est un four. Un seul sous-officier s'est fait inscrire:
     l'adjudant Rupert.

     «--_Parce qu'il sait qu'on ne le prendra pas_, avec sa maladie.

     «--Oui, mais vis à vis des chefs, c'est adroit.

     «On discutait surtout l'abstention du seul sergent rengagé que
     possédât le bataillon, Vaubourgeix.

     «--Vaubourgeix! dit quelqu'un, on devrait l'envoyer là-bas
     d'office. C'est son métier, n'est-ce pas? Mais voilà: _ceux qui
     restent au régiment lui donnent non leur peau_, MAIS LE POIL QU'ILS
     ONT DANS LA MAIN...

     «... Quant aux hommes, les quatre compagnies réunies n'en
     fournissaient que huit. On cita deux caporaux récemment cassés de
     leur grade, deux engagés volontaires, deux découcheurs tenaces,
     actuellement en prison, un ivrogne et une forte tête.

     «...--Leur Tonkin, on l'a quelque part!

     «... Et, sous ce raisonnement en façade, sous ces prétextes
     décoratifs, une inquiète lâcheté s'aménageait, se terrait dans les
     caves de l'âme, ou bien apparaissait aux fenêtres du for intérieur,
     aux lucarnes du corps, fardée, tremblant pour la bâtisse, criant
     éperduement, par la bouche et par les yeux, son _insatiable amour
     de la peau_...»

Sans la crainte d'être accusé de parti pris et d'exagération en
affirmant que _Sous-Offs_ représente notre armée, comme un ramassis de
lâches, jamais nous ne nous serions permis de citer les lignes honteuses
qui précèdent.

Nous ne voulons pas les discuter. Notre histoire militaire tout entière
crie au mensonge et s'inscrit en faux.

Depuis qu'il y a des sous-officiers, les exemples de courage, les traits
d'héroïsme ne se comptent pas.

N'était-ce pas un _sous-off_, ce grenadier qui, à l'assaut de Prague,
monta le premier sur les remparts et assura la capture de la ville par
l'héroïque Chevert?

Dans la même campagne (1745 à 1748), lorsque Chevert fut obligé
d'abandonner la ville de Moncalvo, il y laissa, dit le duc de Broglie, à
qui nous empruntons ces lignes, ses blessés et ses malades, en les
recommandant à la clémence du vainqueur, qui, entrant dans la ville sans
résistance, n'aurait eu aucune raison pour maltraiter des infortunés.
Mais avant que les Piémontais eussent paru devant les remparts, un de
ces pauvres abandonnés, un sergent, qui portait le nom de guerre de
Va-de-bon-coeur, se soulevant sur son grabat et se retournant vers ses
compagnons: «Camarades, leur dit-il, est-ce que nous allons nous rendre
sans souffrir au moins pour _deux liards_ de siège?» Et il leur fit
comprendre que, moyennant quelques vieilles pièces de canon rouillées,
mises en place sur les remparts, on pouvait faire un simulacre de
défense qui leur donnerait droit aux conditions d'une capitulation
honorable. Aussitôt dit, aussitôt fait, et quand le baron de Leutrum
arriva aux portes de la ville, il fut reçu, à sa grande surprise, par
une décharge d'artillerie qui mit quelques-uns de ses hommes hors de
combat. Touché lui-même de ce trait d'énergie, il fit tout de suite
offrir à ces défenseurs improvisés de leur accorder le traitement qui
leur conviendrait. «Non, répondit Va-de-bon-coeur, nous ne nous
rendrons pas que vous n'ayez fait une tranchée, ne fût-elle que de la
longueur de ma pipe.» Leutrum se prêta à la plaisanterie, et après une
heure de bombardement assez mollement opéré, il accorda aux assiégés
une capitulation qui leur permettait de sortir avec les honneurs de la
guerre. Le régiment des infirmes défila alors devant lui, chacun
portant, en guise des armes qu'il n'aurait peut-être pas été en état de
soutenir, quelque signe de sa maladie ou de sa blessure: celui-ci
brandissant sa béquille, cet autre le bras en écharpe, quelques-uns
montés sur les épaules de leurs camarades, et ce fut dans cet appareil
qu'ils rejoignirent l'armée française, où ils furent reçus avec de
joyeuses acclamations.

N'était-ce pas un sous-off, encore, que ce sergent Dubois, qui, avec le
chevalier d'Assas, poussa, à Klostercamp, un cri héroïque et légendaire,
qui lui valut la mort: «A moi, Auvergne, ce sont les ennemis!»

Mais qu'est-il besoin de citer des exemples empruntés à l'histoire du
siècle dernier? Sans parler des quatre sergents de la Rochelle, les
récentes guerres sont pleines de traits d'héroïsme accomplis par des
sous-officiers.

Le 4 juin 1853, à Magenta, l'adjudant Savière du 2e bataillon des
zouaves, s'élance sur un porte-drapeau autrichien et à la gloire de
s'emparer de l'étendard ennemi.

Le 24 juin 1859, c'est le sergent Garnier, de la 1re compagnie du 10e
bataillon de chasseurs, qui s'empare du drapeau du 60e de ligne
autrichien.

Au Mexique, à l'affaire du Borezzo, un drapeau est enlevé par le sergent
de grenadiers Picarent. Le fourrier Besançon, le 28 janvier 1865,
s'empare d'un drapeau de la division Rojas.

A la bataille de l'Alma, le sergent-clairon Gesland, le poignet brisé
par un boulet, se fait amputer, et revient se placer à la tête de ses
clairons.

Est-il besoin de retracer les exploits du sergent Blandan en Algérie? La
France reconnaissante élevait hier un monument à sa mémoire, et le récit
de ses exploits est encore dans toutes les bouches.

C'était aussi un sous-off, que ce sergent Bobillot, tombé au champ
d'honneur, dans ce Tonkin dont, au dire de M. Descaves, les Français ont
peur, et où ils ne vont point.

Savez-vous ce qu'il écrivait dans une lettre, la dernière peut-être
qu'on ait reçue de lui:

     «Moi, je rêve de quelque grand projet irréalisable, d'une flèche
     iroquoise, d'une fièvre jaune ou d'un chemin de fer
     transatlantique.

     «... Il _paraît qu'il faut passer par la mort pour naître à la
     gloire_.

     «Je voudrais mourir comme Chénier sur l'échafaud, comme Dolet sur
     le bûcher, comme Mürger à l'hôpital. Mais l'hôpital est encore si
     peu. Oh! qu'il vienne une guerre sibérienne, chinoise ou
     patagonienne, mais qu'elle vienne et que j'y tombe: _je me
     relèverai roi_.»

Dans un court billet, écrit à la veille de sa mort, il disait encore:

     «J'AI LE PRESSENTIMENT JOYEUX QUE JE NE REVIENDRAI PAS EN
     FRANCE...»

Et l'illustre sergent Hoff, le héros du siège de Paris, qui attend
aujourd'hui, entre le revolver d'honneur qui lui a été offert, et ses
bottes déjà graissées pour le départ, l'heure où il faudra marcher pour
la Revanche, savez-vous en quelle estime le tiennent ses chefs
hiérarchiques?

Le général Le Flô, dans une lettre datée de 9 mars 1873 raconte ce qui
suit:

     «Chaque fois que je l'ai vu, il m'a touché par sa simplicité, sa
     modestie, et j'ajoute: par son désintéressement. Au moment de
     quitter Paris pour essayer de porter une lettre de moi au maréchal
     Bazaine, et ayant reçu la promesse d'une récompense de 20,000
     francs, s'il me rapportait une réponse à cette dépêche, il me dit:
     merci, mon général, mais permettez-moi de refuser toute récompense
     pécuniaire, je ne veux pas d'argent.»

Nous pourrions multiplier à l'infini de pareils exemples. Il n'est pas
un de nos régiments qui ne possède les noms de sous-officiers inscrits
sur son livre d'or. Nos annales sont remplies d'actes d'héroïsme, car le
soldat français n'a pas son égal au monde. Il sait obéir et mourir pour
son pays et il aura toujours pour devise ces deux mots gravés dans son
coeur: «Honneur et Patrie!»

Ne vous rappelez-vous point, M. Descaves, vous qui avez eu l'honneur de
porter l'uniforme, avoir entendu, le soir, les conteurs ordinaires des
chambrées, enthousiasmer leur auditoire avec le récit dramatique des
exploits accomplis par quelqu'un des sous-officiers légendaires dont
nous avons cité les noms?

Ah! Ce n'est pas le vôtre qu'ils citeront, soyez en sûr! Ceux qu'ils
citent ont trouvé la gloire par l'héroïsme avant que vous n'ayez atteint
à la célébrité par le scandale...

A votre âge, Monsieur, Bobillot était mort!!

       *       *       *       *       *

S'il a été facile de convaincre M. Descaves de mauvaise foi, alors qu'il
accusait nos sous-officiers de lâcheté, il ne sera pas moins aisé de le
confondre, alors qu'il essaye de les flétrir en leur reprochant le vol
et la concussion.

     «C'était de la part du fourrier, écrit-il à la page 56 de son
     libelle, les semaines de distribution, un rabiau minutieux sur le
     pain, sur le sucre et le café livrés au percolateur, sur le vin
     fourni par l'ordinaire, sur les étiquettes de paquetage et de
     râtelier d'armes, sur les permissions _établies_, vendues aux
     _bleus_.

     «Toute l'ignominie de l'exploitation des grades, toutes les
     roueries de l'intimidation, des responsabilités esquivées,
     déplacées; le CYNISME DANS L'ESCROQUERIE ET LA LÂCHETÉ DANS LE
     DÉPOUILLEMENT--les deux nouveaux fourriers firent ce honteux
     apprentissage à bonne école...»

Il faut supposer dans le lecteur l'ignorance la plus profonde des lois
et règlements militaires pour oser lui imposer de pareilles allégations.

Est-ce que, dans l'armée, l'examen le plus rigoureux ne s'étend pas aux
faits les plus minimes?

Les sous-officiers donnent le prêt irrégulièrement, prétend M. Descaves.

Est-ce que, s'il en était ainsi, les soldats hésiteraient à réclamer,
avec d'autant plus de certitude d'être écoutés, sans courir le moindre
risque, que le sergent-major prévaricateur serait immédiatement cassé?

Est-il nécessaire de discuter des histoires de compromissions indignes
avec les fournisseurs? Mais les denrées fournies par ces derniers ne
sont-elles pas soumises à l'examen scrupuleux de la commission des
ordinaires?

Est-ce que la sollicitude paternelle des chefs de corps, qui s'intéresse
aux plus infimes détails de l'existence du troupier, ne peut pas
contrôler à l'improviste la gestion de l'ordinaire, et rectifier
immédiatement une erreur, d'ailleurs improbable?

Le décret du 28 décembre 1883, portant règlement sur le service
intérieur des troupes d'infanterie, porte, en termes exprès au
paragraphe 9, chapitre premier:

     «Le colonel a la haute surveillance des ordinaires du régiment. Il
     détermine le mode de gestion à suivre d'après les instructions du
     commandement et suivant les circonstances locales. Il provoque la
     concurrence entre les fournisseurs, il recourt à l'intervention des
     autorités municipales, du sous-préfet et du préfet, lorsque le
     régiment éprouve des difficultés provenant de coalitions ou de
     collusions.

     «Il fixe le versement à faire à l'ordinaire, demande des ordres au
     général de brigade au sujet du taux du boni, veille à la formation
     judicieuse des fonds d'économie et s'assure que la somme qui
     dépasse le maximum fixé est déposée dans la caisse du trésorier
     (art. 90).»

Ainsi, rien n'échappe à l'oeil vigilant du colonel.

N'est-elle pas légendaire au régiment, la visite de cet officiel
supérieur dans les cuisines? Qui ne l'a pas vu goûter diligemment au
succulent bouillon qu'on prépare pour les hommes?

M. Descaves a vraiment de l'impudeur lorsqu'il vient vous raconter que
sous-officiers et bouchers s'entendent comme larrons en foire pour
empoisonner nos soldats avec des viandes de rebut!

Et d'ailleurs, la condamnation sévère qui, tout dernièrement encore,
frappait des misérables, coupables d'avoir fourni des vivres avariés aux
troupes du camp d'Avor, est un exemple saisissant, présent à toutes les
mémoires, de la surveillance exercée par l'autorité militaire pour
rendre impossibles les faits avancés sans vergogne par l'auteur de
_Sous-Offs_.

       *       *       *       *       *

Il n'a pu dissimuler sur ce point, comme sur bien d'autres du reste, la
fragilité de ses arguments. Il a senti trembler sous ses pieds, comme le
sol de l'Etna à la veille d'une éruption, le terrain sur lequel il se
plaçait. Aussi a-t-il employé, à l'appui de sa thèse, un artifice
subtil, un stratagème de composition, que nous ne saurions trop flétrir.

A côté d'une foule de sous-officiers, qu'il habille en gibier de Cour
d'Assises, et pour nous faire croire à une impartialité dont nous ne
sommes pas dupes, il a tracé le portrait d'un adjudant intègre.

Le piège est grossier, et personne n'y a été pris.

Il aurait fallu, pour le tendre avec quelque chance de succès, que M.
Descaves ne couvrit point de ridicule, en nous le peignant comme un
esprit borné, le seul honnête homme qu'il ait daigné voir dans l'armée.

Ah, certes! en mettant en scène l'adjudant Boisguillaume, qui vit
modestement à la caserne, passant entre son épouse et son sabre les
rares instants que lui laisse l'accomplissement de ses doubles devoirs,
on avait une belle oeuvre à faire.

C'est une oeuvre de haine qu'on a perpétrée!

Ah! la haine!!...

Combien il eut mieux valu, pourtant, ne pas se laisser aveugler par la
rancune, et voir les choses telles qu'elles sont.

Mais, vous n'avez donc jamais assisté, M. Descaves, au défilé
prestigieux de nos braves troupiers, à Longchamps, le 14 juillet?

Le colonel en avant, précédé des tambours et des clairons, les
capitaines à la tête de leurs compagnies, nos braves sous-officiers en
serre-file, les régiments, sous les plis claquants du drapeau qui semble
rire à la victoire, aux mâles accents de la Marseillaise, défilent
devant les représentants de la Patrie!

Si vous aviez assisté à ce spectacle grandiose, M. Descaves, vous auriez
appris, à l'allure martiale, à la belle tenue, à la santé radieuse, à
l'héroïque gaîté de nos soldats qu'il ne peut y avoir place dans leurs
rangs pour toutes les plaies honteuses que vous avez voulu nous y
montrer!

Et puis, prenez y garde, M. Descaves. En accusant les moeurs de
l'armée, en taxant d'immoralité ceux qui sont ses véritables
instructeurs, vous jetez l'injure à la France tout entière.

L'uniforme, tout le monde le porte, aujourd'hui. Les galons, ils sont
l'apanage des plus dévoués et des plus dignes; tous peuvent y prétendre;
et c'est maintenant surtout, que tout soldat porte dans sa giberne le
bâton de maréchal!

L'armée n'est plus une caste; c'est l'incarnation du Peuple. Le fossé
qui séparait autrefois l'élément militaire de l'élément civil n'existe
plus.

Ce fossé, la redingote de M. de Freycinet l'a comblé!

       *       *       *       *       *

Admettre la corruption de l'armée, c'est croire à la corruption de la
nation elle-même. Accuser les sous-officiers de vol et de concussion,
c'est accuser tous ces modestes travailleurs qui, dans nos
administrations, tant privées que publiques, dans nos usines, dans nos
ateliers, sont les plus intelligents et les plus dévoués auxiliaires de
cette prospérité dont notre immortelle Exposition a donné un éclatant
témoignage.

Ouvrez les journaux à la _Chronique du Bien_, lisez les comptes-rendus
de ces séances où l'Académie française récompense solennellement des
actes de vertu ou de haute probité; prenez connaissance de ces longues
listes de médailles qui vont briller, éclatants témoignages de
dévouement, sur la poitrine des sauveteurs, et comptez combien de noms
d'anciens sous-officiers figurent sur les palmarès de l'honneur!

Pour les besoins de son infâme campagne de calomnies, M. Descaves veut
nous faire croire que des gens qui font preuve, après avoir quitté
l'uniforme, du désintéressement le plus méritoire, n'ont pas fait sous
les drapeaux l'apprentissage de la vertu!

C'est se moquer de nous!

Non! Les soldats d'aujourd'hui sont les dignes fils de leurs aînés et
nous pourrions les voir, si des heures lugubres sonnaient encore pour
les destinées de la Patrie, sacrifier jusqu'à l'or de leurs galons sur
ses autels, et, semblables aux vétérans de l'An II, porter comme l'a dit
Victor Hugo:

     L'épaulette de laine et la dragonne en cuir!

       *       *       *       *       *

M. Descaves ne s'est pas tenu pour satisfait de nous montrer les
sous-officiers lâches et cupides, il lui a fallu encore les souffleter
avec une abominable accusation d'ivrognerie et de moeurs infâmes.

Alcool et absinthe, voilà leurs dieux!

Femmes mariées, servantes d'auberges, filles de mauvais lieu, sont
l'objet de leur exploitation éhontée. Pour en tirer de l'argent, tous
les moyens leur sont bons. Ils s'en vantent entre eux. Ils en rient.
Leur cynisme laisse bien loin derrière lui celui des rôdeurs de
barrière. M. Descaves a cousu le galon de leur grade sur une casquette à
trois ponts!

Il nous est douloureux de nous étendre sur un pareil sujet, et, sans
notre désir ardent de ne pas laisser debout une seule des poutres de cet
échafaudage de carton qu'est _Sous-Offs_, nous nous arrêterions ici.

D'ailleurs, le sujet que nous traitons maintenant est d'une gravité
exceptionnelle. Il ne suffit plus de donner un aperçu du livre, il faut
en citer des passages entiers, pour n'être point taxé d'invraisemblance
et de parti pris dans sa réfutation.

Laissons la parole à M. Descaves. Puisqu'il a osé porter le vilebrequin
du cynisme dans le tonneau de la honte, qu'il en boive l'amère liqueur.

Voici des passages entiers de _Sous-Offs_:

_Page 45:_

     «Deux sous-officiers, au moment de rentrer au quartier, heurtèrent
     deux vieilles femmes en cheveux, grelottant, l'une dans un paletot
     d'homme, l'autre dans un vaterproof trentenaire.

     «--Nous nous retrouverons là, dit Favières.

     «Et, sommairement, ils en emmenèrent chacun une, droit devant
     soi... Favières était tombé sur le dos, tout à coup impuissant, les
     yeux délicieusement frais sous les compresses de nuit pleuvante,
     roulé dans le beuglement de cette formidable bouche d'ombre qui
     l'injuriait, crachotait sur sa nudité partielle, tandis que la
     vieille femme rémunérée s'escrimait honnêtement.

     «Il retrouva Tétrelle--délesté--qui l'attendait...»

_Page 55:_

     «C'est drôle, notait Favières, chez le soldat, les sentiments
     habitent les parties basses; l'âme se répartit dans la culotte,
     entre la poche, la brayette et le fond...»

Décidément, pour la peinture des tableaux infâmes, M. Descaves est sans
rival.

_Page 59:_

     «Petitmangin, de ses nuitées en ville, ne rapportait que des
     sucreries et des pâtisseries légères, pêle-mêle avec du tabac, au
     fond de ses poches...»

Des goûts de petite fille à un militaire? Allons donc!

_Page 5:_

     «Alors le sergent, les yeux humides, la face cuite, le nez pareil à
     une langue de feu dans un incendie de façade... A peu près ivre, il
     parlait seul, faisait des tournées d'inspection dans les
     compartiments voisins. On devait le hisser. On le passait comme un
     colis triomphal qui s'écroulait sous les banquettes.»

Quelle invraisemblance! Cet ivrogne amène des conscrits au régiment!

_Page 62:_

     «Il s'était assis en tailleur, par terre, devant la malle béante,
     exposant le premier de ses compartiments superposés: Un capharnaüm
     où les objets de toilette et d'étagère confondus semblaient
     provenir du pillage d'une chambre de fille.»

C'est clair, cela. L'accusation est précise! Sans une citation
textuelle, on ne l'eut pas cru.

_Page 64:_

     «Nous dînons tous les dimanches au restaurant. _Elle_ me donne son
     porte-monnaie avant d'entrer et je le lui rends en sortant, après
     avoir payé... par exemple, des cadeaux utiles toujours...»

Cela soulève le coeur.

_Page 84:_

     «Aucun choix n'était possible. Ils empoignèrent au hasard les
     femmes, la mère et la fille côte à côte, les renversèrent sur eux
     toujours assis...

     «Favières exulta lorsque ses approches fourragères eurent pressenti
     Généreuse à l'indulgent accès d'un praticable estuaire.»

Sans le devoir de révéler tout entières les turpitudes du livre, jamais
nous ne nous serions permis de reproduire cette abominable scène!

_Page 88:_

Dans une maison publique:

     «Des femmes sur les genoux ou collées aux flancs, buvant, chantant
     et fumant, dans une atmosphère de luxure et d'ivresse, DES
     SOLDATS...»

Des soldats! M. Descaves ne les a jamais vus que dans un lieu infâme. Il
ignore donc ce que c'est qu'un champ de bataille?

_Page 90:_

Une fille parle à un sous-officier:

     «Justement mes amies n'ont personne; elles voudraient bien un petit
     homme comme toi, bien gentil, et qui les aimerait bien. Vrai, je
     fais des jalouses.»

Cette fille n'avait donc pas vu les deux sardines d'or?

_Page 95:_

     «Deux prostitutions se partageaient le soldat sans relâche. La
     Maison se couchait quand s'éveillait le Quartier.»

C'est hideux!

_Page 100:_

     «--Comment! Vous payez encore le coucher, s'écria Devouge, en
     réponse à l'énumération geignarde faite par Tétrelle des frais
     qu'entraînaient les plaisirs tarifés.

     «--Ah! Tu ne voudrais pas. C'est déjà joli de ne leur rien donner,
     protesta Favières.

     «--C'est différent... du moment que vous mettez du sentiment dans
     ces choses-là!...

     «--Si vous vouliez, je dirais deux mots à Laure, qui parlerait à
     vos femmes... Le Gouvernement ne vous paye pas pour les
     entretenir...

     «--C'est vrai, insinua Tétrelle. En somme il ne nous reste rien
     entre les mains...

     «--L'argent n'a pas d'odeur, rectifia Devouge.»

La langue française n'a pas de mots pour flétrir de semblables
indignités!

_Page 102:_

     «Pâquerette s'était rassise en face de son amant; elle s'accroupit,
     explora une resserre dérobée, parvint à en extraire une pièce
     blanche, qu'elle glissa dans la main de Tétrelle:

     «--Règle, dit-elle.

     «Il prit l'argent...»

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !

_Page 110:_

Une fille écrit à son _sous-off_:

     «Ne viens donc pas cette semaine. Je ne pourrais pas payer pour
     toi.»

Quel abîme de scélératesse!

_Page 111:_

     «Autour d'eux, la boue montait, plus dense. Comme les femmes
     continuaient à payer les consommations, et qu'elles ne se
     trouvaient pas toujours là, quand le garçon rapportait la monnaie,
     Tétrelle réduisait le pourboire au strict convenable, et empochait
     la différence.

     «Ce qui tombe au fossé est pour le soldat, disait Devouge.»

Ce qui tombe à l'égoût du mépris c'est un roman souillé de pareilles
calomnies!!!

_Page 125:_

     «C'était Blanc, le sergent de la classe, se soûlant effroyablement
     avec les pompiers de Neuville, sous prétexte d'apprendre les
     batteries à leur tambour.

     «C'était Edeline, réussissant à s'introduire dans toute une
     famille... Il dînait, flattait le père, s'insinuait dans les BONNES
     GRACES de la mère, tout prêt d'atteindre son but. Le gîte, la table
     et... le reste, ce qu'il appelait les accessoires de solde.»

L'insulte à la famille, maintenant!

_Page 126:_

     «Civil, dans la bouche du soldat, cela n'a d'équivalent que PANTE
     dans l'argot des souteneurs.»

Quelles expressions! C'est sans doute dans les carrières d'Amérique que
le pamphlétaire les a recueillies.

_Page 193:_

     «Des soldats attirés par le fracas de la musique avaient envahi la
     salle, s'y bousculaient pour tarir les bouteilles, recueillir le
     fond des verres, boire au moins l'ivresse des autres, pendant que
     Blanc, à croupetons dans un coin, facilitait paisiblement la
     libération de son estomac.»

Cela se passe le 14 Juillet, dans une cantine où nos braves
sous-officiers célèbrent par un banquet fraternel notre grande fête
nationale!

_Page 201:_

     «C'était jour de repos officiel, jour de trêve. Le gros numéro et
     le numéro matricule prenaient _campos_. La Prostituée suspendait
     l'adultération du sang français QUE LA PATRIE LUI ABANDONNE, quand
     ses chantiers de carnage n'en ont pas soif.»

C'est encore le 14 juillet, qu'on n'a pas honte de choisir, pour lancer
un crachat à la face de la Patrie!

O jour anniversaire de la prise de la Bastille, jour immortel, où le
sang d'un peuple secouant ses chaines a scellé le monument de la Liberté
future, c'est en vain que des reptiles visqueux essayent de te souiller
de leur bave; tu es un soleil radieux et sans tache, qui planes trop
haut dans les cieux modernes pour que l'outrage puisse t'atteindre
jamais!

Une imagination en délire aura beau vouloir te représenter, fête
auguste, comme une odieuse saturnale, comme une priapée abjecte, tu n'en
resteras pas moins le grand jour, sacré entre tous, où pas un
Français--si ce n'est peut-être M. Descaves--n'oserait se déshonorer par
une intempérance qui ferait la joie de nos ennemis!

Ils ne sont pas nés en France, les ivrognes du 14 Juillet!

       *       *       *       *       *

Toutes les concessions qu'on peut accorder à la thèse de M. Descaves,
elles ont été énumérées par la plume trop impartiale peut-être de M.
Edmond Lepelletier.

     «Tous nos sous-officiers, écrivait-il dans l'_Écho de Paris_ du 15
     décembre 1889, ne sont pas des anges. Il est parmi eux, comme
     partout, des souteneurs, des hypocrites, des lâches, des débauchés,
     des filous et des Alphonses. Ils _sortent de la société, les
     sous-offs, avant de sortir du rang_.

     «Mais tous des misérables, des gibiers de lupanar, en attendant
     qu'ils deviennent gibier de bagne ou de peloton, allons donc!

     «Ce n'est pas seulement calomnier les gradés de la jeunesse armée,
     c'est insulter odieusement toute la jeunesse française.»

L'éminent écrivain, à qui nous empruntons ces lignes, a dû se borner,
dans un article de journal, à montrer l'exagération cynique des
reproches adressés aux moeurs des sous-officiers. Il a montré ce
qu'ils ne sont pas, nous allons faire voir ce qu'ils sont.

Qui n'a pas vu, par un radieux matin de printemps, par une belle
après-midi d'été, par un beau ciel d'automne clair et rose, le pays et
la payse, ce couple légendaire, s'avancer à pas lents, côte à côte,
pleins d'affectueux respects mutuels, et chuchotant, avec une passion
contenue, des mots d'amour?--Vision attendrissante que l'un de nos
poëtes militaires les plus distingués rendait en ces vers mâles et
vigoureux, où il rappelle ses modestes plaisirs hors de la caserne:

    Le soir tombait, un soir équivoque d'automne
    Les bonnes se pendant rêveuses à nos bras,
    Dirent alors des mots si spéciaux, tout bas,
    Que notre âme depuis ce temps tremble et s'étonne.

Et ce sont ces gens là qui ne connaîtraient d'autre distraction que les
plaisirs malsains des maisons de débauche, dont ils mettraient les
filles en coupe réglées!

Ce n'est pas à dire, certes--et M. Edmond Lepelletier en a fait la
judicieuse remarque--qu'on ne voie jamais la capote à galons étalée sur
des canapés suspects. Mais, si certains civils mettaient un peu plus de
discrétion dans les invitations qu'ils adressent à nos sous-officiers,
de pareils faits n'auraient guère d'exemple.

D'ailleurs, une chute n'est jamais irrémédiable. Si bas qu'on soit
entraîné, on peut toujours s'arracher à l'influence néfaste des mauvais
conseils et rentrer dans le chemin du devoir et de l'honneur.

Nous n'en voulons pour témoin que cette citation d'un beau livre de
C.-J. Lecour, la _Prostitution à Paris et à Londres_: «Le tragique,
c'est ce militaire qui, en 48, entré pendant la nuit dans un lieu de
débauche, se réveillait le lendemain dans les bras de sa soeur.»

L'auteur ne nous donne pas la suite de cet épouvantable récit, mais
d'autres la connaissent. Le militaire, devenu sous-officier, sut faire
des économies pour payer les dettes de sa soeur et l'arracher à
l'infamie. Il la maria à un de ses collègues. Elle fut bonne épouse et
bonne mère.

       *       *       *       *       *

Nous n'avons pas parlé jusqu'ici du mariage des sous-officiers. C'est un
sujet que M. Descaves a traité avec son venin habituel. Il n'a pas
hésité à nous montrer le cantinier du régiment qu'il met en scène, marié
avec une coquine de bas étage, dont la seule préoccupation est de le
tromper.

Vous êtes là pour répondre, noble pléïade de Françaises, héroïnes
modestes, toutes cantinières, qui avez reçu la croix de la Légion
d'honneur: Veuve Perrot décorée en Afrique; Annette Drevon, décorée en
1859, pour action d'éclat sur le champ de bataille de Magenta, où vous
avez sauvé le drapeau du deuxième zouaves; Perrine Cros, du bataillon
de chasseurs à pieds de la garde impériale, blessée à Palestro et à
Magenta; Jeanne Bonnemère, du 21e régiment d'infanterie, médaillée en
1870, pour avoir avalé une dépêche au moment où les Prussiens
s'emparaient de vous!

Si toutes les femmes de sous-officiers ne sont pas arrivées à votre
gloire, du moins donnent-elles dans leur ménage l'exemple de toutes les
vertus civiques, qui sont l'apanage de la Française.

Celles-ci, lorsque leurs maris, ayant quitté l'armée, occupent une de
ces places accordées si libéralement par l'Etat à ses anciens
serviteurs; celles-là apportent dans la vie civile l'exemple de toutes
les qualités militaires. Elles nous préparent une génération forte et
saine, ornement de nos sociétés de gymnastique et de nos orphéons; et le
jour venu, elles n'hésiteraient pas, comme les mères Spartiates, à
envoyer leurs fils au combat. Elles leur mettraient elles-mêmes dans la
main l'arme vengeresse, en criant, sans pâlir:

--Voilà le sabre de ton père!

       *       *       *       *       *

Il est temps de conclure.

Que reste-t-il de l'oeuvre de M. Descaves?

Dans l'opinion publique, elle est jugée. Ce n'est pas seulement un
mauvais livre, c'est une mauvaise action. Les esprits, un instant
troublés par l'audace des attaques contre notre armée, se sont
heureusement rassérénés. Le peuple français tout entier sait qu'il peut
avoir confiance dans ses défenseurs, et les familles, lorsque leurs
enfants quittent le foyer pour aller payer l'impôt du sang, les confient
joyeusement à la Caserne, comme à une école de dévouement et d'honneur.

La tentative anti-patriotique de M. Descaves a échoué. Il n'a plus,
maintenant, devant le flot unanime des réprobations, qu'à courber la
tête comme un coupable démasqué.

S'il lui reste au fond du coeur quelque chose de ce qui constitue un
Français, il doit faire d'amères réflexions.

Le remords doit hanter vos nuits, M. Descaves. Comme les petits soldats
du magnifique tableau de Detaille regardent passer en rêve les grandes
ombres glorieuses des aïeux, qui, la face auréolée de gloire, agitent
d'illustres drapeaux, vous devez voir, dans vos sommeils troublés de
cauchemars, les spectres des héros que vous avez insultés, tendre vers
votre front des bras accusateurs!

Par toutes leurs blessures béantes, ils crient vengeance contre vous.

Puissiez-vous, rentrant enfin en vous même, faire amende honorable; et,
si vous ne brisez pas votre plume, après en avoir fait une arme
empoisonnée, l'employer maintenant à cicatriser les plaies qu'elle a
ouvertes.

Quant à vous, sous-officiers, héros modestes, serviteurs obscurs et
dévoués de la plus noble des causes, ne vous inquiétez pas des viles
attaques dirigées contre vous.

La patrie vous couvre de son palladium.

     «Voulez-vous mon avis, mes chers sous-offs? écrivait M.
     Saint-Genest dans le _Figaro_ du 13 Décembre 1889; ne vous
     inquiétez pas: cela n'est rien. Secouez dédaigneusement la boue que
     l'on vous jette, et continuez à porter la tête haute, car tous ceux
     qui vous attaquent voudraient bien avoir la considération dont vous
     jouissez.»

       *       *       *       *       *

Imp. Beaudelot et Méliès, 16, rue de Verneuil, Paris.

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