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Title: Le Livre des Mères et des Enfants, Tome I
Author: Desbordes-Valmore, Marceline, 1786-1859
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Le Livre des Mères et des Enfants, Tome I" ***


made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)



LE LIVRE DES MÈRES
ET DES ENFANTS,

CONTES EN VERS
ET EN PROSE

PAR Mme Desbordes-Valmore.

TOME I.


1840.



PRÉFACE AUX ENFANTS.


Dieu, lorsqu'il eut fait les hommes, chercha un adoucissement à leurs
peines: il mit au monde l'amour maternel.

Depuis ce temps les enfans sont heureux; ils ont des mères pour veiller
sur eux, et pour les embrasser.

Étant petits, elles les soignent avec sollicitude, leur font des lits
propres et doux, leur apprennent à prier, à lire, et à aimer. Elles les
aiment tant, ces mères! Une d'elles, qui a bercé les siens en cherchant
à les instruire par des leçons tendres et faciles, a rassemblé ces
leçons pour tous les petits enfants, auxquels les siens envoient des
voeux, des baisers, et leur livre qu'ils savent par coeur. Au revoir
dans la vie, chers écoliers, courage!

[Illustration]



SIMPLE PRIÈRE.

--Venez dire votre prière, mon amour.

--Ne jouez pas avec vos mains jointes;

--Ne cherchez pas à vous enfuir, ni à sortir de mes genoux; car vous
êtes devant Dieu quand vous priez avec moi.

--Allons: il vous écoute.

--«Mon Dieu! étendez votre main sur ma mère, afin qu'elle me conduise où
vous voulez que j'aille.

Je n'aurai jamais peur le soir dans le corridor sans lumière, parce que
je sais bien que vous y êtes avec moi; quand je tomberai, je ne crierai
pas, car sauvé ou blessé, c'est toujours dans vos bras que l'on tombe.
Merci, mon Dieu, d'être partout où je serai! cette pensée me donnera du
courage, et je n'aurai d'autre crainte que celle de vous déplaire.

Après avoir prié, je lèverai ma tête vers vous pour recevoir dans les
rayons du jour les baisers que vous envoyez à vos enfants.

Bonsoir, mon Dieu! faites descendre la paix et le sommeil sur notre
maison. C'est si doux de dormir comme les hirondelles dans leurs nids.»



L'ÉCOLIER.

  Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
  On avait dit. Allez!... il tâchait d'obéir;
  Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
  Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.
  «Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler?
  Moi, je vais à l'école: il faut apprendre à lire;
  Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire:
  Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre á voler?»

  «Non, dit-elle; j'arrive et je suis très-pressée.
  J'avais froid; l'aquilon m'a long-temps oppressée:
  Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,
  Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
  Voyez! j'en ai déjà puisé dans quatre roses;
  Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
  Vite, vite à la ruche! on ne rit pas toujours:
  C'est pour faire le miel qu'on nous rends les beaux jours.»

  Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
  Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert;
  Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée
  Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.
  Une hirondelle passe: elle effleure la joue
  Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue.
  Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
  Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

  «Oh! bonjour! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle;
  Je t'ai vue à l'automne; oh! bonjour, hirondelle.
  Viens! tu portais bonheur à ma maison, et moi
  Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi?
  Jouons.--Je le voudrais, répond la voyageuse,
  Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
  Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;
  Ils rêveraient ma mort si je tardais long-temps.
  Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
  J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
  Nous allons relever nos palais dégarnis:
  L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.
  J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
  Je vais chercher mes soeurs, là-bas, sur le chemin.
  «Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
  Il faut en profiler. Je me sauve.... A demain!»

  L'enfant reste muet; et, la tête baissée,
  Rêve et compte ses pas, pour tromper son ennui,
  Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
  Rompt ses fragiles noeuds, et tombe auprès de lui.

  Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
  Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
  De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
  Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure?
  «Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,
  Dit l'écolier plaintif? Je n'aime pas mon livre;
  Voyez! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu
  Rien ne fatigue, on rit; et moi je voudrais vivre
  Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours;
  Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours;
  «J'en suis très-mécontent. Je n'aime aucune affaire.
  Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire.»

  «Écolier! voyez-vous ce laboureur aux champs?
  Eh bien! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.
  Il est très-vigilant; je le suis plus, peut-être.
  Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants.
  J'éveille aussi ce boeuf qui, d'un pied lent, mais ferme,
  Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
  Pour vous même on travaille; et, grâce à vos brebis,
  Votre mère, en chantant, vous file des habits.
  Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange.
  Allez donc à l'école; allez, mon petit ange!
  Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux:
  L'ignorance toujours mène à la servitude.
  L'homme est fin, l'homme est sage, il nous défend l'étude,
  «Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux;
  Les chiens vous serviront.» L'enfant l'écouta dire,
  Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.
  En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
  L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.

  À l'école, un peu tard, il arrive gaîment,
  Et dans le mois des fruits il lisait couramment.

[Illustration]



L'ENFANT GÂTÉ.

Que je vous dise ce que l'on m'a raconté d'un petit garçon!

Un jour qu'il s'était endormi profondément sur un monceau de fleurs,
destinées à faire des guirlandes pour la Fête-Dieu, il se réveilla comme
suffoqué, les membres engourdis, la tête lourde, si faible, si pâle, que
sa mère crut qu'il allait mourir. Les fleurs, en trop grande abondance,
voyez-vous, sont aussi dangereuses qu'elles sont attrayantes: il ne le
savait pas, lui si nouveau dans ce monde.

Ainsi donc sa mère, triste et active en même temps, le veilla nuit et
jour, ouvrant fréquemment les fenêtres, afin que son lit, qui n'était
pas plus grand qu'un berceau, fût constamment purifié par l'air.

Mais les parfums avaient comme paralysé l'enfant. Sa mère en était si
pleine d'affliction qu'elle ne mangea plus, ne dormit plus, et laissa
coucher son doux malade sur ses genoux, jusqu'à ce qu'elle devint malade
elle-même; car, nulle peine ne lui paraissait trop grande pour sauver la
vie de sa jeune créature.

Il plût à Dieu de rouvrir les yeux fermés de l'enfant. Un soir il sourit
à sa mère, et ils furent guéris tous deux!

Alors elle pensa qu'il allait être reconnaissant, qu'il l'aimerait
davantage; car elle l'aimait davantage aussi pour tous les tendres soins
que lui avait coûté ce cher amour malade.

Mais voici ce qui me coûte à vous avouer.

Il ne fut pas si bon qu'il devait l'être.

Si sa maman n'était pas à la maison, il ne voulait pas se laisser mettre
au lit par sa bonne. Il criait, se tordait comme un petit serpent,
jusqu'à ce qu'elle revînt. On dit même qu'un soir il tira la langue avec
une grimace qui fît pleurer la Vierge, la Vierge si tendre aux enfants
soumis! Ce train recommençait quand on l'habillait le matin. Il
accrochait ses mains aux barres de son berceau, et criait: «Je veux
maman! je veux maman!»

La servante était mortifiée dans son zèle et le déjeuné fort retardé;
tout allait mal. Quand sa patiente mère lui montrait à lire, dans un
livre acheté tout exprès pour lui, il retenait à peine une lettre, il
roulait le coin des pages. Il était de plus, puisqu'il faut tout vous
dire, devenu si friand, qu'il ne tendait les bras qu'aux gâteaux, dont
il emplissait sa bouche à perdre la respiration. Un tel état de choses
ne pouvait durer. Sa maman se mit à réfléchir en elle-même, et dit:

«Quelle triste chose! j'ai bercé et nourri cet enfant, je l'ai veillé
sur mes genoux jusqu'à ce qu'il fût sauvé; je dois maintenant le guérir
d'une autre maladie: la malice. Mon Dieu! inspirez-moi! car je trouve
qu'il est devenu très-méchant, et je ne puis avoir ni paix ni calme avec
lui.»

Dieu lui inspira de parler ainsi au petit gâté. J'ai à vous apprendre,
enfant que je voudrais aimer comme autrefois, qu'il faut nous quitter
pour un peu de temps. Venez donc que je vous embrasse, car nous ne nous
reverrons que quand vous serez corrigé de vos mauvaises habitudes; vous
avez troublé la paix de ma maison!

L'enfant s'arrêta devant sa mère sérieuse et grave; il la regarda
long-temps et sa poitrine se souleva; car tout jeune qu'il était, il
pensait que jamais et nulle part il ne trouverait une si douce amie que
sa mère, et qu'il allait être malheureux. On doit avouer qu'il l'aimait
beaucoup; plus que les gâteaux et plus que tout.

Il laissa donc éclater un sanglot, où sa mère entendit qu'il disait:

«Je serai bon! je serai bon!»

Cette promesse suffit pour attendrir la mère, qui le prit dans ses bras
et lui dit: «je vous crois! ne pleurez plus.» Cette promesse fut, en
effet, remplie comme si elle eût été faite par devant notaire, encore
mieux peut-être;

Car vingt notaires ne sont pas plus imposants que la crainte de désobéir
à une mère qui croit en vous, et de mentir à sa conscience, tribunal des
petits comme des grands enfants de Dieu.

[Illustration]



CONTE D'ENFANT

  Il ne faut plus courir à travers les bruyères,
  Enfant, ni sans congé vous hasarder au loin.
  Vous êtes très-petit, et vous avez besoin
  Que l'on vous aide encore à dire vos prières.
  Que feriez-vous aux champs, si vous étiez perdu?
  Si vous ne trouviez plus le sentier du village?
  On dirait: «Quoi, si jeune, il est mort? c'est dommage!»
  Vous crierez.... De si loin seriez-vous entendu?
  Vos petits compagnons, à l'heure accoutumée,
  Danseraient à la porte et chanteraient tout bas;
  Il faudrait leur répondre, en la tenant fermée:
  «Une mère est malade, enfants, ne chantez pas!»
  Et vos cris rediraient: O ma mère! ô ma mère!»
  L'écho vous répondrait, l'écho vous ferait peur.
  L'herbe humide et la nuit vous transiraient le coeur.
  Vous n'auriez à manger que quelque plante amère;
  Point de lait, point de lit!... Il faudrait donc mourir?
  J'en frissonne! et vraiment ce tableau fait frémir.
  Embrassons-nous, je vais vous conter une histoire;
  Ma tendresse pour vous éveille ma mémoire.

  «Il était un berger, veillant avec amour
  Sur des agneaux chéris, qui l'aimaient à leur tour.
  Il les désaltérait dans une eau claire et saine,
  Les baignait à la source, et blanchissait leur laine;
  Du serpolet, du thym, parfumait leurs repas;
  Des plus faibles encor guidait les premiers pas;
  D'un ruisseau quelquefois permettait l'escalade.
  Si l'un d'eux, au retour, traînait un pied malade,
  Il était dans ses bras tout doucement porté;
  Et, la nuit, sur son lit, dormait à son côté;
  Réveillés le matin par l'aurore vermeille,
  Il leur jouait des airs à captiver l'oreille;
  Plus tard, quand ils broutaient leur souper sous ses yeux,
  Aux sons de sa musette il les rendait joyeux.
  Enfin il renfermait sa famille chérie
      Dedans la bergerie.
  Quand l'ombre sur les champs jetait son manteau noir,
      Il leur disait: «Bonsoir,
  Chers agneaux! sans danger reposez tous ensemble;
  L'un par l'autre pressés, demeurez chaudement;
  Jusqu'à ce qu'un beau jour se lève et nous rassemble,
  Sous la garde des chiens dormez tranquillement.»

  Les chiens rôdaient alors, et le pasteur sensible
  Les revoyait heureux dans un rêve paisible.
  Eh! ne l'étaient-ils pas? Tous bénissaient leur sort,
  Excepté le plus jeune; hardi, malin, folâtre,
  Des fleurs, du miel, des blés et des bois idolâtre,
  Seul il jugeait tout bas que son maître avait tort.

  Un jour, riant d'avance, et roulant sa chimère,
  Ce petit fou d'agneau s'en vint droit à sa mère,
  Sage et vieille brebis, soumise au bon pasteur.
  «Mère! écoutez, dit-il: d'où vient qu'on nous enferme?
  Les chiens ne le sont pas, et j'en prends de l'humeur.
  Cette loi m'est trop dure, et j'y veux mettre un terme.
  Je vais courir partout, j'y suis très-résolu.
  Le bois doit être beau pendant le clair de lune:
  Oui, mère, dès ce soir je veux tenter fortune:
  Tant pis pour le pasteur, c'est lui qui l'a voulu.»

  --«Demeurez, mon agneau, dit la mère attendrie;
  Vous n'êtes qu'un enfant, bon pour la bergerie;
  Restez-y près de moi! Si vous voulez partir,
  Hélas! j'ose pour vous prévoir un repentir.»
  --«J'ose vous dire non; cria le volontaire....»
  Un chien les obligea tous les deux à se taire.

  Quand le soleil couchant au parc les rappela,
  Et que par flots joyeux le troupeau s'écoula,
  L'agneau sous une haie établit sa cachette;
  Il avait finement détaché sa clochette.
  Dès que le parc fut clos, il courut à l'entour,
  Il jouait, gambadait, sautait à perdre haleine.
  «Je voyage, dit-il, je suis libre à mon tour!
  Je ris, je n'ai pas peur; la lune est claire et pleine:
  Allons au bois, dansons, broutons!» Mais, par malheur,
  Des loups pour leurs enfans cherchaient alors curée:
  Un peu de laine, hélas! sanglante et déchirée,
  Fut tout ce que le vent daigna rendre au pasteur.
  Jugez comme il fut triste, à l'aube renaissante!
  Jugez comme on plaignit la mère gémissante!
  «Quoi! ce soir, cria-t-elle, on nous appellera,
  Et ce soir.... et jamais l'agneau ne répondra!»
  En l'appelant en vain elle affligea l'Aurore;
  Le soir elle mourut en l'appelant encore.

[Illustration]



L'ENFANT AUX PIEDS NUS.

On a vu un garçon, qui paraissait avoir au moins trois ans, faire une
chose qui étonna beaucoup ceux qui le regardaient et qui le blâmaient,
comme vous le ferez aussi.

Il avait de beaux souliers qui empêchaient que ses pieds ne fussent
meurtris par les pierres dures, ou mouillés par l'eau du puits qui rend
les cours humides, il pouvait donc courir en sûreté et en joie: mais il
prit dans sa tête qu'il serait mieux d'aller sans souliers, quoiqu'il
ait vu quelques enfants pauvres aux pieds tors et sanglants, par la
privation d'un bien si utile. Le voilà donc qui commence par rompre
les forts cordons de sa chaussure, et qui livre au ruisseau d'abord un
soulier, puis un autre, les regardant fuir et dériver le long de la rue,
avec des battements de mains, et des regards joyeux. Cette petite flotte
lui parut être le modèle d'un bateau de cuir; un brevet d'invention
l'eût rendu moins fier. Les souliers, submergés et pleins d'eau,
s'arrêtèrent par bonheur devant une pauvre femme, qui les fit sécher
au soleil, remerciant Dieu de lui envoyer pour son enfant cette parure
salutaire. Dieu n'avait pas voulu qu'ils fussent perdus pour tout le
monde.

L'inventeur de bateau courut alors, ici dans l'herbe, là sur le gravier,
ne manquant pas de s'humecter à chaque trou plein d'eau qu'il avait le
bonheur de rencontrer et d'y faire des bulles. Ses bons bas chauds et
bleus ne furent bientôt que des lambeaux malsains et noirs à ne pas les
reconnaître.

Alors il se blessa: alors son pied saigna de la rencontre d'un verre
brisé. Alors il revint un peu boiteux sur ses jambes froides comme la
neige et rampa le long de l'escalier d'où sa mère le regardait venir.

--Pieds nus!... dit-elle, avec surprise.

--Non, maman, j'ai mes bas, dit le prodigue en osant les montrer pour sa
justification!

--Fol enfant! reprit sa mère inquiète et fâchée; venez d'abord que je
vous ôte ces bottes de boue et que je lave ce sang qui fait tourner le
mien. Quand vous serez guéri, ah! que je vous gronderai!»

Mais elle ne le gronda que longtemps après, car il fut très malade,
criant la nuit, avec la fièvre; souffrant une triste punition de sa
faute. Après qu'il fut guéri et grondé; on lui racheta de beaux et bons
souliers. Il n'en fit plus de bateaux, mais il les porta reconnaissant
et soumis.

[Illustration]



L'ENFANT ET LE PAUVRE.

  «Mère! faut-il donner quand le pauvre est bien laid?
  Qu'il ne fait pas sa barbe et qu'elle est toute noire,
      Et qu'il ne dit pas s'il vous plaît?
  Faut-il donner?
                 --Mon fils tu n'as pas de mémoire:

  Le pauvre qui demande est l'envoyé de Dieu;
  Qu'importe s'il a fait sa barbe et sa parure?
  Il est beau du malheur écrit sur sa figure;
  C'est là son passeport trop lisible en tout lieu!

  --Mais, s'il est malhonnête?
                           --Il ne l'est pas s'il pleure,
      Si son regard te dit: J'ai faim!
  Veux-tu qu'il se prosterne en te tendant la main?
  C'est l'envoyé de Dieu qui nous guette à toute heure.
  Que ses lambeaux sacrés ne te fassent pas peur;
  Il vient sonder ton âme avec son infortune;
  Le mépris pour le pauvre est la seule laideur
      Qui m'épouvante ou m'importune.

      Dieu sur toi lui donne un pouvoir,
  Bien au dessus de la parole!
  Le jour où l'enfant le console,
  Par une colombe qui vole,
  Dieu le sait bien avant le soir!

  Lui qui dit aux heureux du monde:
  «--Donnez pour qu'il vous soit remis!
  Et plus votre voie est profonde,
  Pour que partout on vous réponde
  Prenez les pauvres pour amis!»

  Juge quand un enfant verse sa fraîche aumône,
  A ce chercheur d'eau vive et qu'il lui dit: bonjour!
  Comme au Christ altéré sous son âpre couronne,
  Du ciel, dont il a soif, tu lui rends le séjour.

  Oh! que ne puis-je dire à toute pauvre femme:
             Prenez!
  Comme l'instinct me crie à toute heure dans l'âme,
             Donnez!

  Oh! que j'allégerais de ces errantes mères,
             Le sort!
  Si Dieu changeait mes pleurs et mes pitiés amères,
             En or!


  Aux petits enfants nus, chauffés de leur haleine,
              Si peu?
  Je ferais, comme Dieu fait aux agneaux la laine,
              Du feu!


  Mais je regarde en haut pour que l'aumône pleuve,
              Souvent;
  Pour que toute humble barque entre au port sous l'épreuve
              Du vent!

  Pour que l'abandonné, lavant avec ses larmes
              Son sort,
  Les plonge dans la foi, qui rend belle et sans armes,
              La mort!


  Je regarde la croix qui saigne et qui pardonne,
              Toujours!
  La croix qui crie encor: Pour mon sang donne! donne
              Tes jours!»

  --Le Christ est beau! je l'aime et je joue au Calvaire,
  Où j'ai fait un jardin tout bleu de primevère;
  Mais les pauvres font peur. Mère! si j'étais roi,
  Mes pauvres aux enfants ne feraient point d'effroi:
  Ils n'auraient jamais faim de cette faim qui pleure,
  Et ma colombe à Dieu l'irait dire à toute heure:
  L'hiver, ils n'auraient point un âtre sans charbon;
  De longs jours sans manteaux, de longs soirs sans lumière;
  Je leur ferais des lieux dans de tièdes chaumières,
  Et des habits qui sentent bon!

  --Cher petit perroquet! comme tu parles vide!
  Leur roi, c'est Dieu: La terre est leur froide maison..
  Dieu regarde d'en haut si le plus fort avide,
  Ne prend pas au plus faible un grain de sa moisson:
  Un jour il pèse, il juge! autour de sa balance,
  Les semeurs dépouillés se rangent en silence;
  Le pauvre a recouvré le grain qu'il a perdu,
      Et le plus fort est confondu.
  N'ai-je pas lu cela dans tes leçons apprises?

  --Oui. Mais ne gronde pas; j'ai donné tout mon pain,
      Et la moitié de mes cerises

  --Viens donc, que je te baise! Alors, sur le chemin,
  N'as tu pas vu passer des ailes de colombe?
  Toi si peu! tu soutiens un homme qui succombe!
  --J'ai dit, bonjour!
                 --Tu fais ce que nous avons lu:
  Dieu dit: puisez l'aumône à votre superflu.


  --Du superflu, ma mère, en ai-je?
                                --C'est possible:
  Au bord de l'indigence on se sent riche, hélas!
  Le superflu, tu vois, c'est pour l'être sensible,
  Tout ce que les pauvres n'ont pas!



LA POUPÉE MONSTRE.

Inès avait une nouvelle poupée. O joie! une poupée toute neuve, avec
deux perles pour regarder Inès; deux bras pour les lui tendre nuit et
jour; une bouche riante et silencieuse pour ne la contredire jamais.

Le premier jour ce fut entre elles un commerce doux et paisible. On
n'entendait que le murmure des baisers d'Inès sur les joues écarlates de
sa fille; elle avait déclaré q'elle voulait être sa mère. Le lendemain,
Inès prit une voix grave et sévère. Elle paraissait mécontente de son
idole et sur un certain bruit d'une petite main qui frappe un corps
dur, accompagné de ces mots; _allez! allez! allez_! la maman d'Inès se
montra. Il n'y avait pas à en douter, la poupée avait été fouettée. Sa
belle robe rose en désordre l'attestait dans le coin sombre où elle
était en pénitence.

--Que t'a-t-elle fait pour te changer ainsi? Maman, dit Inès exaltée,
elle est boudeuse, entêtée; oh! maman! c'est un monstre! je lui donne
tout ce que j'ai; eh bien!...

--Eh bien! dit sa mère: qu'exiges-tu de plus que le bonheur de lui
donner? veux-tu qu'elle ait un coeur et une voix pour te remercier quand
c'est toi qui lui dois de la reconnaissance? confie-moi ta fille
à élever, chère enfant, je t'apprendrai le métier de mère: il est
difficile! crois-tu que ce soit parce que tu es parfaite que je ne peux
me résoudre à te fouetter? c'est parce que je t'aime et que je n'exige
pas qu'une tête si petite que la tienne comprenne ce que j'ai appris
depuis si longtemps. Sois donc pour la poupée ce que je suis pour toi.
La maman d'Inès s'éloigna après l'avoir tendrement embrassée.

Inès demeura au milieu de la chambre jetant de longs regards vers le
coin où la disgraciée lui parut triste, elle s'en approcha de meuble en
meuble et lui dit enfin à l'oreille:

--Viens, je t'aime encore. Je n'exige pas qu'une tête si petite que la
tienne comprenne ce que j'ai appris depuis si longtemps!»

    Pour tes enfants, chaque parole nouvelle porte on bon ou un mauvais
    enseignement.



DEUX CHIENS.

  Deux vrais amis, deux chiens arrêtés dans la rue,
  Causaient, s'entreplaignaient du départ des beaux jours,
  Ceux qu'on nomme l'enfance et qu'on rêve toujours,
  Cette aurore si vive et sitôt disparue!

  O jeux sans esclavage! ô festins enchantés!
  Par tout ce qui s'en va vous êtes regrettés;
  On ne connaît chez vous de maître qu'une mère;
  Et cette ambitieuse est facile à servir:
  Le bonheur du plus faible est sa seule chimère;
  C'est à force d'amour qu'elle veut asservir!


  Les deux chiens en pleuraient. Les chiens ont-ils une ame?
  Ce qui les fait penser, est-ce un peu de la flamme
  Qui me luit: Dieu le sait? ils pleurèrent d'abord,
  Grincèrent au présent et s'attristèrent fort.
  Puis, celui qui des deux aimait encore à rire,
  Cria: nous sommes fous, je suis prêt à l'écrire,
  Rappeler au bonheur devrait être un plaisir;
  Le bien qui fut mon frère est plus sûr qu'un désir,
  Et nous le déplorons à nous rendre malade;
  Nous regardons la vie avec des yeux troublés;
  Le soleil est-il mort? les deux sont-ils voilés?
  Nos pieds sont-ils aux fers? courons, mon camarade!


  --«Vous m'égayez toujours! répond le moins heureux,
  Le moins libre, je pense, et le moins amoureux,
  Dont la condition semble seule adoucie
      Par l'honneur d'être chien d'un lord,
  Et par l'anneau qui ferme avec un secret d'or
      Sa cravate en cuir de Russie.

  «Oui, frère, touchez-là; nous sommes un peu fous;
  Mais je veux, dès demain, l'oublier avec vous:
  Nous recevrons demain; je veux dire mon maître,
  L'hôtel sera bruyant; voulez-vous le connaître?
  C'est là: venez demain! mais pour y pénétrer,
  Ne vous fourvoyez pas: laissez d'abord entrer
  Les parents, les amis: par un orgueil étrange,
  Mon maître pour les siens jamais ne se dérange,
  Car mon maître est très noble et ne leur doit qu'un pas.
  Mais lorsque vous verrez dans ses jeunes appas,
  Une belle...une fleur! de son frêle équipage
  S'élancer en oiseau sur le bras de son page,
  Entrez sans vous courber, sans craindre les refus:
  Quand mon maître la voit, mon maître n'y voit plus!
  Et de rire, un landau roulant vient les distraire.
  «La porte s'ouvre; adieu, je vous quitte, mon frère;
  Car on siffle après moi. Quand il revient des champs,
  Mon maître autour de lui veut avoir tous ses gens.»


  Castor pressant le pas médite sa parure,
  Il n'avait de six mois démêlé sa fourrure,
  Car son maître est si pauvre et si peu glorieux,
          Et si laborieux!
  L'artisan voit sitôt la fin de sa journée,
  Qu'il pèse le moment comme un riche, l'année.
  Du luxe leur grenier n'offrait pas le tableau,
  Et Castor se baignait quand il tombait de l'eau.
  Il en cherche ce soir: on ne veut pas déplaire;
  On égaie un festin d'une robe plus claire,
  Et sans l'anneau doré de ses frères les lords,
  Il lava sa misère; elle fut belle alors!

  Quand il sortit lavé, les chiens du voisinage,
  Une blanche levrette à l'avril de son âge.
  Qui déjà le voyait d'un oeil humide et doux,
  Accourut pour savoir, ils accoururent tous:
  Il conta sa fortune à l'amante modeste,
  Et puis plus bas: «ce soir je vous dirai le reste.»
  La tremblante levrette entendit ses adieux,
  Le salua pensive et le suivit des yeux.

  Ce jour gros d'une fête éclate d'espérance;
  Et revêt pour Castor sa plus rose apparence;
  Il va cueillir ses fruits au toit de l'amitié,
  Et du bonheur qui mange apprendre la moitié!
  Tous les gardiens sont hors de la cuisine; ô joie!
  La broche tourne seule; on flaire! on peut choisir;
  L'eau leur en vient du cour et prêts à s'en saisir,
      Ils dansent autour de leur proie!
  Elle est lourde et brûlante, il faut la partager.
  Ciel! si près du plaisir pourquoi donc le danger?
  Laissez-leur ce bazar dont l'odeur les enchante;
  Point! dans l'hôtel en vain l'on s'enivre, l'on chante,
  L'orage couve et gronde: un marmiton hideux,
  Et prompt comme la mort s'élance au milieu d'eux:
  Il épargne Pollux qui hurle et qui se nomme;
  Et jette au vent Castor, l'indigent gastronome!
  Tournoyant et troublé, mais retenant ses cris,
  Castor tombe au milieu des chiens errants surpris,
  Qui rassemblés en club à la porte fermée,
  Mangeaient plus noblement leur pain à la fumée.

  Regarde avant d'entrer par où tu peux sortir:
  Malheureux, rire avec les heureux, c'est mentir!



LA BRISEUSE D'AIGUILLES.

Une petite fille dont je ne peux me décider à écrire le nom, parce
qu'elle serait triste qu'on la connût commençait à faire quelques
ouvrages assez réguliers. Pourtant elle tenait si gauchement ses
aiguilles qu'elle les brisait toutes. C'était déjà mal; mais ce qui
l'était bien plus, c'était de jeter tous ces débris à travers la chambre
comme une petite sans soins, sans prévoyance pour les accidents qui
pouvaient en résulter.

--Soyez sûre, lui dit plusieurs fois sa maman, que cette habitude vous
fera du chagrin; car vous blesserez quelqu'un en répandant ainsi ces
fines pointes d'acier qui peuvent pénétrer à travers des souliers
légers. Jugez des pieds nus! voudriez-vous, ma fille, avoir jamais
blessé quelqu'un? Oh! non, maman, c'est la dernière fois, s'écria-t-elle
en relevant à part ces fragments dangereux. Et ce ne fut pas la dernière
fois.

Elle travailla encore sans se corriger; elle cassa des aiguilles et pour
ne pas employer l'espace d'une seconde à les ranger avec ordre, elle les
jeta par dessus sa tête comme un vrai dragon de désobéissance, en ayant
l'air de dire: bah! tant pis!

C'était un tort ajouté à deux autres torts; cela ne fait-il pas de la
peine? Moi, cela m'en fait; car, du reste, cette petite imprudente
n'était pas méchante, vous allez voir.

Un matin, son plus jeune frère qui commençait à marcher seul, fut un
moment laissé par sa bonne auprès de son berceau, sans qu'elle lui eût
mis encore ses souliers. L'enfant tout libre et tout content, accourut
ainsi pieds nus, pour embrasser sa soeur qui était fort affairée d'un
feston plus fin que les autres, où elle avait déjà cassé bien des
aiguilles.

Un cri perçant de l'innocente créature fit pâlir la petite brodeuse.
Avec un battement de coeur que l'on devine elle accourut au secours
de l'enfant, qui, tombé de douleur, tenait en l'air son petit pied en
poussant des cris si perçants que sa soeur ne pouvait les étouffer en le
baisant sur sa bouche toute grande ouverte.

Ce fut une pitié de voir ce pied délicat s'enfler, malade et fiévreux
au point qu'il fallut des bains de mauve, des compresses de lait, des
bandelettes et des soins de mère qui valent un régiment de médecins,
pour empêcher que ce pied charmant ne fût coupé; ce qui fait frémir d'y
penser. Ce fut triste aussi de voir cette pauvre briseuse d'aiguilles,
pleine de repentir, pâle et honteuse entre sa mère qui était fort grave
et son chère frère, enveloppé comme un petit boiteux, qui la caressait
au lieu de lui faire un reproche.

Nous devons lui rendre la justice de dire qu'elle se corrigea pour la
vie et devint la plus rangeuse du monde. Mais à quel prix! Ne valait-il
pas d'abord mieux écouter la tendre leçon de sa mère? qu'en dites-vous?
Moi je pense que cela valait cent fois mieux. Je vous prie de profiter
de sa faute en la lui pardonnant comme Dieu la lui a pardonnée.

    L'ordre est une vertu si attrayante, qu'elle invite toutes les
    autres à venir se ranger autour d'elle,



UN ENFANT A SON FRÈRE.

  Qui m'a couvé neuf mois dans son sein gros d'alarmes?
  Qui salua ma vie avec des pleurs joyeux?
  Qui sous ses longs baisers éparpillait mes larmes?
  C'est ma mère. Une mère en ses bras pleins de charmes,
  Nous reçoit tout tremblants quand nous tombons des cieux.

  Qui relevait mes pas quand je rampais à terre,
  Forte de son sourire où s'arrêtaient mes pleurs?
  Sa bouche sur ma bouche, oh! qui me faisait taire?
  C'est ma mère! une mère avec un saint mystère,
  Enveloppe nos cris dans ses chants ou ses fleurs!

  Qui soutenait ma tête et retenait ma vie,
  Quand mon berceau brûlait de mes fièvres d'enfant?
  Qui promettait le monde à ma rêveuse envie?
  C'est ma mère. Une mère à toute heure est suivie
  D'un ange à la main pleine, au rire triomphant!

  Qui, lorsque l'insomnie ouvrait mes yeux dans l'ombre,
  Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil?
  Qui m'apprenait que Dieu veille la nuit dans l'ombre?
  C'est ma mère. Une mère a des secrets sans nombre,
  Pour délecter notre âme à l'heure du réveil.

  Quand elle eut délié ma langue à la prière,
  Qui battait la mesure à mes douces chansons?
  Sur mon livre muet qui versa la lumière?
  C'est ma mère. Une mère ouvre notre paupière;
  Au feu de ses regards, moi, j'ai lu mes leçons.

  Quand elle vieillira.... Dieu! n'est-ce pas un rêve?
  Elle a dit qu'elle aura bientôt des cheveux blancs;
  Qu'elle s'inclinera comme un jour qui s'achève,
  Cette mère. À son coeur nous prenons tant de sève!
  Dis, que ce sera triste à voir ses pas tremblants?

  Si tu veux, nous irons où l'on trouve des roses,
  Pour lier une fleur à chacun de ses jours;
  Nous irons dans un bois sombre et loin si tu l'oses,
  Et nous la retiendrons par tant de belles choses,
  Qu'à force d'être heureuse elle vivra toujours!



LA LUMIÈRE.

Un soir on vit un homme marchant droit dans l'obscurité au milieu
d'une place. Il portait sur sa tête une lumière solidement fixée à son
chapeau.

Plusieurs se mirent à rire en passant près de lui; car ils s'aperçurent
qu'il était Aveugle.

--La lumière est-elle faite pour les aveugles? demandèrent-ils en se
moquant.

--Ce n'est pas pour moi que je l'ai plantée ainsi, répliqua
tranquillement l'aveugle: c'est pour vous, que je ne vois pas, et qui me
voyez mieux au moyen de cette lumière. Vous pouvez éviter ainsi le choc
de ma rencontre, en passant à deux pas de moi, qui me jetterais sur
vous et qui vous blesserais peut-être. J'imite la Providence qui place
toujours un indice aux dangers qu'elle sème devant l'homme. Moi, je suis
le danger: ceci en est le phare!

Ils s'éloignèrent tous en disant:--Cet homme est sage.

    Ne vous moquez jamais d'une chose avant de l'avoir comprise.



LE PETIT MENTEUR.

  Venez bien près, plus près, qu'on ne puisse m'entendre.
  Un bruit vole sur vous, mais qu'il est peu flatteur!
  Votre mère en est triste; elle vous est si tendre!
  On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur.

  Au lieu d'apprendre en paix la leçon qu'on vous donne,
  Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix,
  Et vous criez très-haut: Hé! ma bonne! ma bonne!
  L'écho, qui me dit tout, m'en a parlé deux fois.
  Vous avez effrayé cette bonne attentive.
      Et, pour vous secourir,
  Près de vous, toute pâle, on l'a vue accourir:
  Hélas! vous avez ri de sa bonté craintive,
  Enfant! vous avez ri! quelle douleur pour nous!
  On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes?
  Si j'avais eu ce tort, j'irais à deux genoux
  Lui demander pardon d'avoir ri de ses larmes;
  J'irais... Ne pleurez pas; causons avant d'agir;
  Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même:
  Cachez-vous cependant sur ce coeur qui vous aime;
      Je rougis de vous voir rougir.

  «Au loup! au loup! à moi!» criait un jeune pâtre;
  Et les bergers entr'eux suspendaient leurs discours.
  Trompé par les clameurs du rustique folâtre,
  Tout venait, jusqu'aux chiens, tout volait au secours.
  Ayant de tant de cours éveillé le courage,
  Tirant l'un du sommeil, et l'autre de l'ouvrage,
  Il se mettait à rire, il se croyait bien fin:
  «Je suis loup,» disait-il. Mais attendez la fin.
  Un jour que les bergers, au fond d'une vallée,
  Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,
  Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,
  Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée
  «Au loup! au loup! à moi!» dit le jeune garçon;
  «Au loup!» répéta-t-il d'une voix lamentable.
  Pas un n'abandonna la danse ni la table:
  «Il est loup, dirent-ils; à d'autres la leçon.»

  Et toutefois le loup dévorait la plus belle
      De ses belles brebis;
  Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle,
  Il lui montrait les dents, et rompait ses habits:
  Et le pauvre menteur, élevant ses prières,
  N'attristait que l'écho; ses cris n'amenaient rien.
  Tout riait, tout dansait au loin dans les bruyères:
  «Eh quoi! pas un ami, dit-il, pas même un chien!»

  On ajoute, et vraiment, c'est pitié de le croire!
  Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants;
  Et, quand il vint en pleurs raconter son histoire,
  On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.
  «Il ne ment pas, dit-on, il tremble! il saigne! il pleure!
  «Quoi! c'est donc vrai, Colas?» Il s'appelait Colas.
      «Nous avons bien ri tout-a-l'heure;
  «Et la brebis est morte! elle est mangée...hélas!»
  On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes.
  Lui dit: «Tu fus menteur, tu trompas notre effroi:
  «Or, s'il m'avait trompé, le menteur fût-il roi,
      «Me crierait vainement aux armes.»

  Et vous n'êtes pas roi, mon ange, et vous mentez!
  Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse;
      Vous n'avez point d'excuse.
  Quand vous aurez perdu tous les cours révoltés,
  Vous ne direz qu'à moi votre souffrance amère,
      Car on ne ment pas à sa mère.
  Tout s'enfuira de vous, j'en pleurerai tout bas;

  Vous n'aurez plus d'amis, je n'aurai plus de joie:
  Que ferons-nous alors? Oh! ne vous cachez pas!
  Prenez un peu courage, enfant; que je vous voie;
  Vous me touchez le coeur, j'y sens votre pardon;
  Allez, petit chéri, ne trompez plus personne;
  Soyez sage, aimez Dieu, priez qu'il vous pardonne;
      Il est père, il est bon!

[Illustration]



LA PETITE AMATEUR DE CRÈME.

Une chambre au laitage était ouverte sur le grand jardin où Félicité
se promenait et où Félicité s'ennuyait. Car il n'y avait plus alors ni
fruits ni fleurs dans le grand jardin, et Félicité, qui avait cinq ans,
aurait voulu qu'il y eût toujours des fruits et des fleurs.

Sautant sur un pied, puis sur l'autre, pour faire du bruit dans les
feuilles sèches et ne s'amusant pas du tout de cette aride musique, elle
entra dans la chambre fraîche où l'odeur de laitage et de crème lui fit
venir l'eau à la bouche, ce qui dégénéra en une mauvaise pensée!

Au lieu d'attendre et de dire:--Ma tante ( Félicité était chez sa
tante), voulez-vous me donner un peu de ce bon lait qui sent si bon? ce
que sa tante eût fait avec tendresse; car elle était comme beaucoup de
tantes, remplie d'amour pour les enfans. Eh bien non, Félicité aima
mieux se préparer un long ennui; car une faute trouble bien des
jours, quand même ils seraient pleins de soleil, pleins de fleurs et
d'aventures merveilleuses.

Félicité traîna audacieusement une table sous la longue planche où
reposaient les vases pleins de lait, quelques-uns en terre, quelques
autres en cuivre brillant comme de l'or. Il est certain que cette
exquise propreté ravissait les yeux en les attirant.

Après quelques efforts et par le secours d'une chaise, elle se trouva
sur la table, les bras tendus et la tête levée comme un petit chat trop
faible encore pour sauter et atteindre une proie éloignée. Comme par
un avertissement du ciel, qui laisse toujours le temps de la réflexion
avant de commettre le mal, elle en était encore, comme on dit, à une
lieue. Mais elle fit la sourde et ne voulut pas entendre sa conscience
lui crier tout bas: Va-t-en!

Elle resta, redescendit de la table, parvint, avec un travail qui
redoublait sa soif, à poser celle lourde chaise de campagne sur la table
déjà bien haute, et mit encore par dessus un escabeau qui servait à
traire les vaches. C'était comme une montagne, un vrai mât de cocagne;
car la crème était au bout! sa tête blonde, y entra jusqu'à ses épaules.

Sa généreuse tante en eut pitié. La voyant chanceler sous le double
poids de son repentir et du chaudron de cuivre, elle la recueillit dans
ses bras, trempée comme d'un naufrage, coiffée de ce vilain bonnet qui
la couvrait, je vous assure, de plus de honte encore que de lait.

Ce n'est pas tout; c'est rarement tout quand il s'agit d'expiation et de
regret: ses petits cousins entrèrent et se mirent à crier contre
elle: «Ah! ah! Félicité! ah! ah! Félicité!» Les genoux de Félicité
tremblaient, et la punition était bien grande!

On la conduisit, avec quelques égards cependant, on en doit même au
coupable qui ne peut se défendre; on la conduisit jusqu'à la porte de
la rue, où les passants se demandaient: «Pourquoi cette petite sa tête
blonde, y entra jusqu'à ses épaules.

Sa généreuse tante en eut pitié. La voyant chanceler sous le double
poids de son repentir et du chaudron de cuivre, elle la recueillit dans
ses bras, trempée comme d'un naufrage, coiffée de ce vilain bonnet qui
la couvrait, je vous assure, de plus de honte encore que de lait.

Ce n'est pas tout; c'est rarement tout quand il s'agit d'expiation et de
regret: ses petits cousins entrèrent et se mirent à crier contre
elle: «Ah! ah! Félicité! ah! ah! Félicité!» Les genoux de Félicité
tremblaient, et la punition était bien grande!

On la conduisit, avec quelques égards cependant, on en doit même au
coupable qui ne peut se défendre; on la conduisit jusqu'à la porte de
la rue, où les passants se demandaient: «Pourquoi cette petite fille
a-t-elle un si grand pot de cuivre sur la tête?»

Un triste et humiliant silence suivait cette question qu'elle entendait
sous l'espèce de prison sonore où bruissaient les paroles que l'air y
faisait entrer, et l'on s'en allait pour en causer par la ville.

Sa tante, qui avait défendu à ses petits cousins de renouveler le
charivari, eut la bonté de ne lever sa coiffure que lorsqu'elle fut
rentrée tout au fond de la maison, afin que personne au moins ne vit son
doux visage si blanc de crème et si rouge de honte, que je n'essaie pas
de vous le peindre.

Félicité, dont le coeur était près d'éclater d'amertume, et pourtant
de reconnaissance envers son juge, ne put qu'articuler au milieu d'un
sanglot: «Oh! ma tante?» Sa tante n'en reparla jamais. Cela s'est
répandu sourdement, et je vous le raconte, non pas en haine de Félicité
qui attendit toujours depuis que Dieu lui envoyât le bonheur au lieu
de le prendre ainsi à l'assaut: je vous le raconte pour vous engager
instamment à profiter de cet exemple, afin d'en éviter la punition.

    Notre conscience est notre plus intime amie. C'est elle qui fait
    notre lit, et qui couche avec nous jusqu'à la mort.

    Quand on ne peut pas dire en face: Bonsoir, ma conscience! on dort
    mal!



L'ENFANT AMATEUR D'OISEAUX.

  Ecoute, oiseau! je t'aime et je voudrais te prendre.
  Pauvre oiseau! sans témoins, comment peux-tu chanter?
  Moi, quand je suis tout seul, je m'en vais. S'arrêter,
  C'est attendre ou dormir; et courir, c'est apprendre.
  Viens courir! je t'invite à mon jardin très grand,
  Plus grand que cette plaine et qui sent bon de roses;
  Mon père y va chanter ses rimes et ses proses;
  Ma mère y tend son linge et le lave au courant;
  Moi j'y vis en tous sens comme l'oiseau qui vole,
  Je monte aux murs en fleurs, aux fruits plantés pour moi;
  J'ai hâte de manger les plus beaux avec toi!
  Viens-nous partagerons tout, excepté l'école.
  L'école, c'est ma mort! jamais tu n'y viendras.
  Je serais bien fâché d'y faire aller personne.
  Je n'ai jamais sommeil que quand l'école sonne.
  Toi, libre chez ma mère, heureux, tu m'attendras
  Dans ta cage bien close: elle est neuve et cachée
  Sous la vigne flottante autour de la maison.
  Tu verras le soleil descendre à l'horizon
  Et tu diras le jour à ma mère couchée.

  Tu n'as vu nulle part de nid mieux fait, plus vert;
  Plus frais quand on a chaud, plus chaud quand c'est l'hiver;
  Tout s'y trouve. On y peut loger un grand ménage
  D'oiseau. C'est un palais!»

  L'OISEAU.

                                --Oui. Mais c'est une cage.
  Et pour mes goûts d'oiseau, mon garçon, j'aime mieux
  Les cieux!

[Illustration]



L'EMPRUNTEUR.

Je voudrais, dans l'amour que je leur porte, guérir tous les enfants du
désir d'emprunter. Cette manie de s'approprier pour un temps le bien
d'autrui s'étend quelquefois sur la vie entière et la remplit de
trouble, d'embarras et de honte. Henri, du moins, en est corrigé, et
j'en suis très-contente pour Henri.

Tout ce qu'il voyait aux autres le tentait, ce pauvre Henri. Il s'en
faisait bientôt un besoin réel et ne pouvant acheter les objets de son
ardente fantaisie, n'osant dire franchement: «Donne-le-moi,» ce qui eût
été du moins plus loyal, il prenait un détour pour s'initier dans la
possession du bien des autres, et disait: «Veux-tu me le prêter?» On le
lui prêtait; mais il eu résultait bien des désagréments, car Henri ne
rendait pas vite. Il était oublieux d'une part, de l'autre peu soigneux;
et, lorsqu'après bien des réclamations, des reproches, qui altèrent
l'amitié des enfants comme des hommes, il restituait enfin ce dont il
avait usé en vrai propriétaire dissipateur, ce qu'il rendait était
affreux; souillé, taché, en lambeaux.

Cette conduite lui fondait une réputation détestable. Un jour il
entendit dire de lui:

--Ne lui prête que ce que tu veux perdre.

--C'est ce que je fais, répondit un autre enfant fort sage; je ne prête
jamais sans réflexion; et ce que je prête alors, je dis en moi-même: «Je
le donne pour toujours.» J'évite ainsi l'impatience d'attendre, et le
chagrin de me brouiller; car l'emprunteur se fâche souvent de ce qu'il
appelle votre importunité, et se sauve avec cette excuse un peu aigre:
«On te le rendra!»

Henri fit la moitié d'un retour sur lui-même; mais sa conscience resta
en chemin et se rendormit sur cette mortification. «On ne me l'a pas dit
en face!» pensa-t-il, avec la mauvaise foi de la paresse, qui emprunte
aussi de mauvaises raisons à l'orgueil.

Il oublia donc qu'il retenait depuis un mois le sabre en fer blanc et le
bonnet de hussard d'Alphonse, avec lesquels il avait tant fait la guerre
dans sa chambre et dans les rues, que le bonnet ne ressemblait plus qu'à
une vieille boîte à poudre, et que le sabre n'eût pas coupé un fil, tant
il était tordu, rouillé, méprisable.

Une compagnie nombreuse était réunie à dîner chez la mère de Henri.
Paisible comme l'innocence, il mangeait bien, riait de voir rire ceux
qui n'avaient aucun reproche à se faire, et se croyait à cent lieues
d'un affront.

Tout à coup on sonne; on parle dans le vestibule; tout has d'abord, puis
tout haut et vivement.

--Qu'est-ce donc? dit la mère de Henri.

--C'est M. Henri qu'on demande, madame.

--Faites entrer. Comment donc? Henri n'a pas de secrets pour nous.

Et la gouvernante d'Alphonse est introduite.

Henri crut que la table et sa chaise et lui s'enfonçaient dans la terre.
Ses yeux hagards s'attachèrent sur cette femme, et il eût alors donné
de son sang pour n'avoir jamais emprunté rien en sa vie. Voeu tardif et
poignant!

--Que voulez-vous, ma bonne? dit poliment la mère de Henri, pensant
peut-être qu'on venait inviter son fils à quelque réunion d'ombres
chinoises, dont il s'occupait avec talent.

--Madame, répondit avec respect et fermeté la gouvernante, je viens
chercher le sabre et le bonnet de hussard de mon jeune maître. M. Henri
l'a emprunté depuis un mois; il est impossible de se le faire rendre;
j'ai pensé que madame voudrait bien l'ordonner à son fils.

Tous les convives se regardèrent entre eux avec un étonnement qui serra
le coeur de la tendre mère. Quel coup pour elle! je vous le demande?
quelle tristesse de voir le front rouge et brûlant de Henri prêt
d'éclater sous les regrets de feu qui couraient dans sa tête. Oh! que sa
mère était à plaindre! Elle le contempla dans sa honte, qui faisait la
sienne; je ne peux pas vous dire avec quel mélange d'amour et d'amertume
et de reproche silencieux. Jugez-en, quand vous saurez que tous les
convives en eurent les larmes aux yeux et cessèrent de manger.

Cependant elle, courageuse, ordonna d'une voix calme à son fils d'aller
chercher les objets réclamés, ne prévoyant que trop la nouvelle
humiliation qui l'attendait.

Henri, la tête penchée sur l'estomac, traversa eu chancelant la foule
des témoins et revint chargé de l'emprunt où personne ne reconnut un
sabre, ni un bonnet de hussard. C'était laid, c'était humiliant pour la
mère.

Elle les prit des mains de son coupable enfant, et lui dit avec une
tendre sévérité:

«--Vous vous êtes trompé, Henri, ceci n'est pas ce qu'on réclame.» Et
elle jeta cette horreur dans un grand feu.

Puis ouvrant une armoire où elle aimait à renfermer les douces surprises
de Henri, elle en retira le plus beau shako de hussard qu'on ait jamais
vu au monde, un sabre superbe, non en fer-blanc, mais d'acier bien
trempé, élégamment soutenu par un ceinturon de maroquin rouge brodé
d'or, enrichi d'agrafes à têtes de lions dorées.

--Voilà, dit-elle, ce que j'avais destiné aux étrennes de Henri,
connaissant tout son penchant pour les parures militaires. Dites à son
ami Alphonse avec quel plaisir et quel empressement il le lui envoie,
heureux de restituer ce qu'il a si indignement détruit.

    Henri n'emprunta plus rien, Sa mère lui fit comprendre: que
    l'emprunteur de profession n'est qu'un voleur prudent.



LE PÉLICAN OU LES DEUX MÈRES

  Tout perdu dans les soins de sa jeune famille,
  Sur la vague qui passe, et qui roule, et qui brille,
  Un pélican s'incline, et saisit des poissons
  Qu'il offre en espérance à ses chers nourrissons.

  Sans affaire, et livrée à l'amour d'elle-même,
  L'autruche, en digérant, vient le long du rocher.
  Son repas est fini, qu'aurait-elle à chercher?
      Elle porte tout ce qu'elle aime.
  «Grand dieu! d'où venez-vous? dit-elle au tendre oiseau
      Dont la poitrine est ouverte et sanglante.
  Sortez-vous d'un combat, d'un piège, d'un réseau?
  Le coup est-il mortel? j'en suis presque tremblante.
  Parlez donc! quelle flèche ou quel ongle assassin
      Vous déchira le sein?
  Vous faites peur.--C'est moi, c'est un peu de ma vie,
  Répond le pélican à sa pèche assidu.
      Vous allez me porter envie:
  Mes petits avaient faim; mon sang n'est pas perdu,
  Je l'ai versé pour eux.--Quoi! dit l'autre irritée;
  Votre sang... taisez-vous! on ne peut sans horreur
  Supporter dans l'amour cet excès de fureur;
  Il soulève, il repousse, et j'en suis révoltée.
  Vous perdez le bon sens, vos petits vous tueront,
          Et les oiseaux riront.
  Laissez ces préjugés aux tendres tourterelles.
  L'amour est un besoin qu'il est doux d'éprouver,
  Mais je n'aurais point d'oeufs s'il fallait les couver.

  Quel emploi, quel ennui d'étendre ainsi les ailes,
  De garder la maison, d'y mourir de chaleur!
  L'hymen n'est donc pour vous qu'un travail, un malheur?
  Se torturer le flanc, s'appauvrir l'existence,
  Mourir pour satisfaire à l'importune instance
          De petits jeunes dévorants,
          Dont les cris déchirants
      Troublent et le somme et la veille!
  D'en parler seulement je me blesse l'oreille.
          Ce fanatisme fait pitié;
  Toutefois, s'il est temps, écoutez l'amitié.


      Mon exemple peut vous instruire;
      Loin de couver, de me détruire,
      Au hasard je laisse mes oeufs:
  Le ciel veille sur moi, le ciel veille sur eux.
  Je ne me charge pas de ce soin haïssable.
  Je suis mère pourtant, je les couvre de sable.
  Si la pluie et l'orage, et les vents tour à tour,
  Ne les écrasent pas avant de naître au jour,
      Si le milan ne les dévore,
  La chaleur du soleil enfin les fait éclore:
  La nature en prend soin, et tous les éléments
  Composent mieux que moi leurs premiers aliments.
  Ils s'envolent alors et vont chercher fortune.
  Je n'ai pas supporté leur enfance importune.
      Ce qu'ils deviennent, je ne sais:
      Je me porte bien, c'est assez.

      --Méchante! ah! méchante endurcie!
  De quel aveuglement ton amie est obscurcie?
  Tu n'as donc d'une mère obtenu que le nom?
  Va, tu glaces mon cour, tu blesses ma raison.
  Quoi! te déshériter des larmes d'une mère,
      De ses tourments délicieux,
      De ses plaisirs silencieux,
  Où tout est volupté bien que parfois amère!
  Quand je sens mes petits s'agiter sous mon sein,
      Quand leurs cris me disent: J'ai faim!
  Oh! quel bonheur j'éprouve à leur donner ma vie!
  Mais ma douce blessure est promptement guérie:
      On dirait que l'extrême amour
      Renaît sans cesse de lui-même:
  On le prodigue en vain, comme le feu du jour,
  Il se ranime encor pour nourrir ce qu'il aime.
  Va chercher les enfans; tu me remercieras,
  Si tu peux les trouver et devenir sensible;
  Ton sort, au milieux d'eux, s'écoulera paisible;
  Va, ne crains plus la mort; sois mère, tu vivras!

[Illustration]



LE PETIT DANSEUR.


Jamais je n'ai vu Edouard danser en rond avec tant de courage que le
jour qu'il dansait tout seul autour d'un seau plein d'eau, planté par
hasard au milieu de la cour de ses tantes.

C'étaient des bonds, des cercles, des passes, une légèreté, une
vélocité, des sauts joyeux à faire envie aux jambes les plus
paresseuses. Il poussait des cris de joie qui ne pouvaient sortir que de
la plus belle action du monde; ses tantes le pensaient du moins, en
le regardant émerveillées de ce bal qu'il se donnait à lui-même. La
curiosité les fit descendre, fort heureusement pour lui sans doute, au
moment où Griffa, la chatte ordinairement paisible du logis, mais qui
miaulait aussi fort qu'il chantait, poussée par l'exemple ou par un
instinct de vengeance, s'élançait au visage du danseur et lui plantait
ses griffes dans les cheveux, avec autant d'énergie qu'il en mettait
à se réjouir. Des cris qui n'étaient plus de victoire appelèrent au
secours tout ce qu'il y avait de vivant dans la maison, et ce fut avec
bien de la peine, qu'on parvint à détacher les pattes du blanc animal,
de la chevelure mêlée et dressée d'horreur du pauvre Edouard.

--Méchante! criait-il, tu me griffes!

Mais vous pouvez juger de l'étonnement et de l'indignation de ses
tantes, les meilleures tantes qu'on puisse trouver, lorsqu'elles virent
nager au milieu du seau d'eau, les trois petits encore aveugles de
l'infortunée Griffa. Les gémissements de cette mère éperdue vous
auraient assurément plus touché que les cheveux en désordre de monsieur
Edouard; car, bien qu'il ait manqué de perdre un oeil dans ce combat,
où Dieu se déclarait pour l'innocence, la justice l'emporta sur la
tendresse dans le coeur de tous les témoins de cette mauvaise action,
accourus aux clameurs des chats, des tantes et du petit cruel, qui
révoltait la rue et la cour, tout sanglant qu'il était.

Je dois me hâter de vous dire que les trois victimes furent sauvées,
rendues à leur mère, qui les sécha en peu de temps par l'ardeur de
ses baisers et de ses caresses. Ils devinrent beaux comme Griffa, et
demeurèrent étroitement unis sous ce toit qui avait failli être leur
tombeau. Ils gardèrent seulement une aversion profonde pour le seau
d'eau de la cour, car pour eux c'était un fleuve!

On mit un mouchoir sur l'oeil d'Edouard, un bandeau qui lui allait fort
mal, qui faisait rougir ses tantes et qui rappelait à tout le monde
comme à lui le honteux engagement où il avait été si grièvement blessé.
Il détesta depuis sincèrement cette mauvaise heure de sa vie, et il n'a
jamais pu se rendre compte à lui-même de la frénésie dansante dont il
avait été saisi, ni de ce goût barbare qui lui avait pris de se poser
sacrificateur de chats. Il ne danse plus ainsi à contre temps; il est
tellement en garde contre ses inspirations brutales, qu'il se demande
toujours avant d'agir, si ses jeux ou ses actions ne seront nuisibles à
personne. Il faut faire comme Edouard.



LE SOIR D'ÉTÉ


  Venez, mes chers petits; venez, mes jeunes âmes;
  Sur mes genoux, venez tous les deux vous asseoir
  Au soleil qui se couche il faut dire bonsoir:
  Voyez comme il est beau dans ses mourantes flammes,
  Sa couronne déjà n'a plus qu'un rayon d'or:
  Demain, plus radieux vous le verrez encor;
  Car on ne l'a point vu s'enfuir sous un nuage:
  La cigale a chanté; nous n'aurons point d'orage.
  Ce soleil mûrira les fruits que vous aimez;
  Il vous rendra vos jeux, vos bouquets parfumés.
  Dès qu'il s'éveillera, je vous dirai moi-même:
  Allons voir le soleil. Jugez si je vous aime!
      Les charmantes heures viendront
      Danser autour de la journée,
      Et riantes s'envoleront,
  Formant avec des fleurs la trame de l'année.
  Et vous appellerez le faible agneau qui dort;
  Pour le baigner ce soir il n'est pas assez fort;
  Huit jours font tout son âge; il se soutient à peine,
  Et vous le fatiguez à courir dans la plaine.

  Venez, il en est temps, vous baigner au ruisseau;
  Tout semble se pencher vers son cristal humide:
  Le moucheron brûlant y pose un pied timide;
  Et, fatigué du jour, le flexible arbrisseau
  Y trace de son front la fugitive empreinte;
  A ses flots attiédis confiez-vous sans crainte;
  Je suis là. Voyez-vous ces poissons innocents?
  Ne les effrayez pas; ils s'enfuiront d'eux-mêmes:
  De vos jeunes désirs on dirait les emblèmes;
  Sans les troubler encore ils glissent sur vos sens.
  Saluez, mes amours, cette vieille bergère:
  Son sourire aux enfants donne une nuit légère.
  Quoi! vous voulez courir, pauvres petits mouillés?
  Ce papillon tardif, que la fraîcheur attire,
  Baise dans vos cheveux les lilas effeuillés,
  Et, tout en vous bravant, je crois l'entendre rire.
  C'est assez le poursuivre et lui jeter des fleurs,
  Enfants; vos cris de joie éveillent la colombe:
  Un roseau qui s'incline, une feuille qui tombe,
  Rompt le charme léger qui suspend les douleurs.
  Écoutez dans son nid s'agiter l'hirondelle:
  Tout lui semble un danger; car elle a des petits.
  Peut-être elle a rêvé qu'ils étaient tous partis;
  La voilà qui se calme; elle les sent près d'elle!

  Mais la lune se lève, et pâlit mes crayons:
  Ne bravez pas dans l'eau ses humides rayons;
  Les pavots vont pleuvoir sur sa lente carrière.
  Au ciel, qui donne tout, offrez votre prière;
  Elle est pure est charmante, et vous la dites bien.
  La voix et faible encore; mais c'est Dieu qui l'écoute!
  Un faible accent vers lui sait trouver une route;
  Il entend un soupir; il ne dédaigne rien.
  Et maintenant dormez. Leurs mains entrelacées
  Semblent lier encor leurs naïves pensées.
  Hélas! ces coeurs aimants qu'elles viennent d'unir,
  Ne les séparez pas, mon Dieu, dans l'avenir!

  Ils dorment. Qu'ils sont beaux! Que leur mère est heureuse!
  Dieu n'a pas oublié ma plainte douloureuse;
  Sa pitié m'écouta.. Tout ce que j'ai perdu,
  Sa pitié, je le sens, me l'a presque rendu!

  Sommeil! ange invisible, aux ailes caressantes,
  Verse sur mes enfants tes fleurs assoupissantes;
  Que ton baiser de miel enveloppe leurs yeux;
  Que ton vague miroir réfléchisse leurs jeux;
  Au pied de ce berceau, que mon amour balance,
  Fais asseoir avec toi l'immobile silence.
  Ma prière est sans voix; mais elle brûle encor.
  Dieu! bénissez ma nuit; Dieu! gardez mon trésor!



LES MAINS BLANCHES.

Adrien était un enfant soigneux. Il tenait ses habits en ordre, il avait
une brosse pour les brosser lui-même. Aussi, tout le monde lui disait
souvent--Adrien, tu as donc un habit neuf! sa mère l'aimait, elle en
était fière: car un enfant qui aime la propreté est un bien bel enfant!
Il ne courait point exprès dans la boue. Personne ne se rappelle avoir
jamais vu une tache sur les vêtements ou sur les mains d'Adrien qui
avait alors quatre ans. Donc sa mère avait un plaisir infini quand il
les passait à son cou, dans un transport caressant. Le plus beau collier
d'or lui eût semblé moins précieux que les petites mains toujours
blanches et bien lavés d'Adrien!

    La propreté est la parure de tous les âges.



LES DEUX ABEILLES.

  Au fond d'une vallée où s'éveillaient les fleurs,
  On vit légèrement descendre deux abeilles;
  Elles cherchaient des yeux ces fleurs, tendres merveilles,
  Où l'aurore en passant avait laissé des pleurs.
    L'herbe brillait de perles arrosée;
    L'horizon bleu, les gouttes de rosée,
    Sur la colline une ardente clarté,
  Tout annonçait un jour brûlant d'été;
    Tout l'attestait; car un jardin rustique
  Répandait à l'entour des deux errantes soeurs
    De frais parfums, d'attrayantes douceurs,
  Et d'un souffle embaumé la langueur sympathique.
  Toutes deux ont franchi l'enclos vert du jardin:
    «Voyez! dit la plus vive,» elle était frêle et blonde:
    «Voyez que de trésors! ce n'est rien que jasmin,
    Lilas, roses, et je crois toutes les fleurs du monde.»
  Cette folle suivait son volage désir,
  Aux suaves bouquets se suspendait à peine,
  Prodiguant ses baisers jusqu'à manquer d'haleine.
  Disant: «Demain le miel, aujourd'hui le plaisir!»

  L'autre, plus posément, savourait les délices
  Du banquet préparé pour les filles de l'air,
    Et, prévoyante aux besoins de l'hiver,
  Pour la ruche épuisée en gardait les prémices.
  Leurs ailes en tremblaient. Mais un globe fatal,
  Suspendu dans les fleurs de la méridienne,
  Semble de l'ambroisie offrir le doux régal
      A la jeune épicurienne.
  Sous ce cristal frappé de tous les feux du ciel,
      S'échauffe et fermente le miel;
  Innocente liqueur pour l'homme préparée,
  Mais qui donne la mort à la mouche dorée;
  Sa force s'y consume, et sa raison s'y perd.
  L'abîme transparent par malheur est ouvert;
  L'imprudente n'y voit qu'un don de la fortune;
  Sa soeur, qui l'en détourne, est presqu'une importune,
  Et, malgré ses conseils, elle court s'y plonger:
  Quand on veut le bonheur, en voit-on le danger!
    «Par quel charme imposteur vous êtes asservie,
    Dit l'autre en soupirant; vous me faites pitié:
    Quittez ce doux breuvage, au nom de l'amitié,
      Peut-être, hélas! au nom de votre vie!
    Vous ne m'écoutez pas. Je reviendrai ce soir;
    O ma soeur! le travail est utile à notre âge.
    Puissé-je ne pas voir bientôt, chère volage,
      Ce que je tremble de prévoir.»

  Elle retourne aux fleurs avec inquiétude.
  Ce beau jour lui paraît plus lent qu'un autre jour;
  Tout suc lui semble amer, et sa sollicitude
  Implore, et croit du soir avancer le retour.
  Enfin à l'horizon le soleil va s'éteindre;
  Elle vole à sa soeur, et, tout près de l'atteindre,
  L'appelle en la grondant d'un ton craintif et doux:
  «Allons, il se fait tard; me voici, venez-vous?»

  «--Il n'est plus temps, ma soeur, je suis trop accablée;
      Je ne puis me sauver de ce lieu.
  Je vous regarde encor; mais ma vue est troublée;
  Mon corps brûle et languit; venez me dire adieu,
  Je ne puis me mouvoir. Un grand feu me dévore:
  Mes ailes, je le sens, ne peuvent m'emporter;
  Voyez comme je suis! mais soyez bonne encore;
  Si mon crime ( il est grand!) ne peut se racheter,
  Ne me haïssez pas, je n'étais pas méchante:
  La volupté trompeuse égarait ma raison;
  Ce breuvage mortel dont l'ardeur nous enchante:
  Que je l'aimais, ma soeur, et c'était un poison!
      Je me repens, et je succombe:
      Sous une fleur creusez ma tombe.
    Adieu! Pourquoi le ciel créa-t-il le désir,
     S'il a caché la mort dans le plaisir?»

  Elle ne parla plus. Ses ailes s'étendirent,
    Ses petits pieds doucement se raidirent;
  Et sa soeur gémissante eut peine à s'envoler.
  Ce tableau d'un long deuil accabla sa mémoire;
  Elle fut toujours triste; et jamais, dit l'histoire,
  Même au sein du travail ne put se consoler.



LE CHIEN AVOCAT

J'ai connu un garçon que je ne nommerai pas. Il se reconnaîtra peut-être
en lisant son histoire; mais je ne ferai pas semblant de savoir que
c'est lui, il ne faut jamais nommer ceux dont on ne peut dire du bien.

Il avait un chien, ce garçon, un bon chien, qui ne sautait pas sur le
monde, qui ne montrait pas les dents aux enfants ou aux pauvres, comme
tant de chiens d'une mauvaise nature, et qu'il faut se garder de
provoquer. Celui-là aboyait et préservait par une vigilance active, la
maison de l'attaque des voleurs. Il allait avec son petit maître, dès
que celui-ci appelait: Facteur! Facteur! De plus, il s'asseyait sur ces
jambes de derrière, levait le menton, caressait de ses pattes libres et
souples; il relevait une canne, des gants avec beaucoup de délicatesse,
et faisait mille tours réjouissants qui l'auraient fait aimer de tout
le monde. Et ce méchant garçon battait le pauvre Facteur! il le faisait
pirouetter et hurler à vous fendre le coeur. Un jour, il alla jusqu'à
suspendre une pierre à la queue du bon animal, le fouettant pour le
faire courir avec ce poids douloureux qui le blessait jusqu'au sang.
Aussi, Facteur, malgré sa tendresse et sa soumission, lui lançait des
regards pleins de reproche et de ressentiment.

Un homme vit cette cruauté de l'enfant qu'il saisit, lui et son fouet,
avec son bras vigoureux et vengeur. Il pendit la pierre aux cheveux du
méchant maître de Facteur, et le fouetta pour le faire courir à son
tour.

--Eh bien! monsieur le tyran, dit-il, comment vous trouvez-vous
maintenant? pensez-vous qu'il soit doux d'être traité comme vous traitez
votre chien?

L'enfant rêvait, mais l'ardent Facteur poussait des cris lamentables,
comme s'il eût demandé la grâce de son maître. Il y avait même une
grosse larme dans ses yeux, et ses deux pattes levées s'agitaient en
tous sens devant l'homme comme deux bras d'avocat.

--Si votre chien ne plaidait pas avec tant d'éloquence pour vous, dit
l'homme, je vous ferais courir ainsi par la ville. Aimez-le donc bien,
car c'est lui qui vous délivre! et il retira la pierre des cheveux
douloureux de l'enfant.

Monsieur! dit celui-ci, touché de repentir et caressant son chien, qui
le regardait avec tendresse, prenez Facteur avec vous; je l'ai rendu
trop malheureux pour oser encore être son maître.

--Eh! bien gardez-le, dit l'homme, pour réparer votre dureté envers
lui. Vous voyez bien qu'il vous aime encore, et que vous seul pouvez le
consoler du mal que vous lui avez fait.

--Je crois qu'il ne voudra plus me suivre, repartit le garçon humilié.

--Marchez devant lui, et moi, je vais l'appeler pour l'éprouver encore.

--L'enfant s'éloigna, plein d'anxiété, tandis que le passant invitait
Facteur à le suivre.

Oh! Facteur avait bien autre chose à faire!

--Me voilà, sembla-t-il dire à son maître, en sautant d'un bond jusque
sur sa poitrine.

--Tu fais bien! Facteur, répondit son jeune maître, qui pleura cette
fois de tendresse, et qui l'emporta comme un ami dans ses bras.

    N'émoussez pas le remords; il ressemble à une lancette qui blesse
    pour guérir.



LE PETIT OISELEUR.

  LA MÈRE.

  Vous voilà bien riant, mon amour! quelle joie!
  Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie?
  Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor?

  L'ENFANT.

  C'est un oiseau du ciel; il a des plumes d'or.
  Il reposait son vol au bord de la fontaine;
  J'ai retenu long-temps mes pas et mon haleine:
  Quand il a secoué son plumage plein d'eau,
      J'ai saisi ses ailes mouillées,
  Et le voilà, blotti dans les fleurs effeuillées.
  Regardez qu'il est bien, ma mère, et qu'il est beau!

  LA MÈRE.

  Oui, je l'entends gémir.

  L'ENFANT.

                         Non, mère, c'est qu'il chante.

  LA MÈRE.

  Vous croyez, mon amour? Sa chanson est touchante.

  L'ENFANT.

  Je crois qu'il est content puisqu'il est dans les fleurs;
  Il les aime. Son nid est sous l'amandier rose,
  Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose;
  C'est là qu'il dérobait ses brillantes couleurs.

  LA MÈRE.

  Y demeurait-il seul?

  L'ENFANT.

                       Ses enfants sont au gîte:
  C'était pour les revoir qu'il se baignait si vite.
  Mais je n'ai point de peur, ils ne sauraient bouger;
  Ils n'ont pas une plume et n'ont rien à manger.

  LA MÈRE.

  Que vont-ils devenir?

  L'ENFANT.

                       J'agrandirai la cage;
  J'en ferai dans l'hiver un semblant de bocage;
  Et j'aurai mille oiseaux qui chanteront toujours.
  Que de musiciens pour amuser mes jours!
  Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves!
  A peine ils sentiront leurs légères entraves.
  O ma mère, j'y cours.

  LA MÈRE.

                       Arrêtez... il fait nuit;
  Quelque chose de triste entoure ce réduit;
  Restez! de noirs soldats les farouches cohortes
  Au coucher du soleil ont assailli nos portes.
  Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein;
  De vous saisir peut-être ils avaient le dessein.

  L'ENFANT.

  Des soldats? et beaucoup, ma mère? et pour me prendre?

  LA MÈRE.

  Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre.

  L'ENFANT.

  Que feront-ils de moi?

  LA MÈRE.

                         Qui le sait? un captif,
  Un orphelin, peut-être; un prisonnier plaintif.

  L'ENFANT.

  Sauvez-moi!

  LA MÈRE.

             Priez Dieu, c'est en lui que j'espère,
  Loin de nous les cruels emmènent votre père,
  Ce père, si content quand ils vous embrassait,
  Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait.

  L'ENFANT.

  Mon père prisonnier!

  LA MÈRE.

                        C'est le roi qui l'ordonne.

  L'ENFANT.

  Qu'est-ce qu'un roi?

  LA MÈRE.

                       Puissant par l'amour ou l'effroi,
  Un maître s'il punit, presque un dieu s'il pardonne.

  L'ENFANT.

  Ah! laissez-moi sortir: je veux parler au roi,
  Mon père va mourir!

  LA MÈRE.

                      Eh quoi! si jeune encore,
  Savez-vous si l'on meurt loin de ceux qu'on adore?
  Qu'arraché de son toit votre appui va souffrir?
  Que sans la liberté l'on n'a plus qu'à mourir?
  Savez-vous qu'en prison la vie est bien amère?

  L'ENFANT.

  Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère.
  Mais ce roi si méchant, qui l'a mis en courroux?

  LA MÈRE.

  Le roi n'est ni méchant ni cruel plus que vous,
  Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres;
  Libre, il a des captifs: n'avez-vous pas les vôtres?
  Dans une chambre étroite il vous renfermera.
  Mais vous serez content, car il vous nourrira,
  Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon âme?
  Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme?
  Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés.
  Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés,
  Si, dans ses jeux de roi qu'on a faits légitimes,
  De lumière et d'air pur il prive ses victimes?
  Où courez-vous?

  L'ENFANT.

                   De l'air! de l'air au prisonnier!
  Qu'il respire, ma mère, et qu'il vole, et qu'il vive!
  Oiseau! des malheureux que n'es-tu le dernier!
  Je ne veux point d'esclave.

  LA MÈRE.

                               O clémence naïve!
  Embrassez-moi, mon fils, vous m'arrachez des pleurs:
  Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs.
  Quoi! jusque dans mes bras votre frayeur palpite!...
  Ah! le coeur de l'oiseau palpitait-il moins vite,
  Quand votre instinct cruel empêcha son essor!
  Enfant, sans vos chagrins quel eût été son sort?
  Vous ravissiez l'époux à l'épouse éperdue;
  Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l'eût entendue!
  Et les petits tout nus, glacés dans votre main,
  Auraient péri de froid, de langueur et de faim.

  L'ENFANT.

  Ah! je n'y songeais pas!

  LA MÈRE.

                           Maintenant tout respire;
  Tout se calme et s'endort.

  L'ENFANT.

                         Et mon père?

  LA MÈRE.

                                       Il soupire,
  Comme l'oiseau du ciel un moment arrêté;
  Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté.

  L'ENFANT.

  Le roi le voudra-t-il? nous rendra-t-il mon père?

  LA MÈRE.

  Oui, mon fils, oui, mon bien, maintenant je l'espère;
  Oui, s'il a des enfants comme les miens chéris,
  Des jeunes suppliants il accueille les cris.
  Un père a dans le coeur je ne sais quoi de tendre;
  Toutes les voix d'enfant savent s'y faire entendre.

  L'ENFANT.

  Je veux le voir. Venez! conduisez-moi vers lui.

  LA MÈRE.

  Oui, mon amour, demain.

  L'ENFANT.

                        Pas demain, aujourd'hui.

  LA MÈRE.

  Quoi! votre chère enfance à cette heure exposée?...

  L'ENFANT.

  Je veux montrer au roi cette cage brisée;
  Je lui dirai: Voyez! je fus méchant aussi;
      Je ne le suis plus, Dieu merci!
  Au captif innocent j'ai rendu la volée,
      Et sa famille consolée
  A cette heure est au nid plus heureuse que nous!
  Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble:
  Chaque famille ainsi doit s'endormir ensemble,
  Et nous venons chercher mon père à vos genoux.

  LA MÈRE.

  Écoutez!... par l'appui de quelque voix divine,
  On dirait que le roi vous plaint et vous devine;
  Car voici votre père, il a tout entendu:
  Enfant, Dieu vous absout, puisqu'il nous est rendu.



L'ENFANT QUESTIONNEUR.

--Pourquoi le soleil ne vient-il pas la nuit? disait Hippolyte à quatre
ans; on verrait bien plus clair!

--Parce que c'est le soleil, lui répondit sa mère, qui fait le jour.
S'il venait la nuit il n'y aurait plus de nuit.

Hippolyte fut très étonné.

Il passait alors par une vaste rue. La lune se levait large, ronge et
majestueuse. En voilà une toute neuve! dit-il. Où est celle d'hier;

--C'est la même toujours, mais mieux frappée par le soleil que nous ne
voyons plus, et dont elle n'est que le reflet.

--Qui donc a fait ces deux belles choses si gaies?

--Dieu! qui t'a fait une mère et qui m'a fait un fils.

--Que je l'aime! et dis-moi, reprit-il après un long silence: n'y a-t-il
qu'un bon Dieu dans le ciel?

--Un seul.

--Ah! tant mieux! répliqua-t-il avec joie.

--Pourquoi tant mieux?

--C'est que, s'ils étaient deux, ils se battraient, et alors.... ce ne
seraient plus le bon Dieu.

    Il ne faut pas juger Dieu d'après les hommes.



LA SOURIS CHEZ UN JUGE

  Tremblante, prise au piége et respirant à peine,
  Sortie imprudemment du maternel séjour,
  Rêvant sa dernière heure au seul bruit de sa chaîne,
  Une jeune souris voyait tomber le jour.

  Dans le grillage étroit qui la tient prisonnière,
  A passé d'un flambeau l'éclatante lumière;
  Elle tressaille, écoute: un silence de paix
  Succède au mouvement qui la glaçait de crainte;
  Et d'un vieux mur caché sous des lambris épais
  On entend murmurer cette humble et douce plainte:

    Dans ta belle maison, toi, qui rentres content,
  Quand je me sens mourir de la mort qui m'attend,
  Redoutable ennemi de tout ce qui respire,
  Oh! n'étends pas sur moi ton oppressif empire!
  Laisse ton coeur s'ouvrir au cri du malheureux:
  Hélas! est-on moins grand pour être généreux?
  Laisse-moi boire encor l'air, la douce rosée,
  Ce bienfait de la nuit, ce céleste présent,
    Dont par un souffle humide et bienfaisant,
    Chaque matin la terre est arrosée.
    Juge, soit juste et rends-moi mes trésors,
  Un ciel à contempler, ma liberté native:
  Dieu me fit de la vie un plaisir sans remords,
    Toi, tu la rends sombre et captive.

  «Je suis une souris née au dernier printemps;
  L'été commence. Hélas! c'est vivre peu de temps!
  Viens voir, je porte encor la robe de l'enfance.
    Le blé nouveau, le riz friand, les noix,
    Disait ma mère, allaient avant deux mois
    Enrichir mon adolescence.
  Peu m'est assez pourtant; facile à me nourrir,
  Je ne suis pas gourmande et tout sert au ménage;
  Un grain d'orge suffit aux souris de mon âge,
    Pour les empêcher de mourir.

    «Ne me fais pas mourir! suis l'exemple d'un sage:
  Les souris sans danger visitaient son séjour;
  Car ce sage disait: «De nos âmes un jour
    Le sein des animaux peut-être est le passage.
    Tout est possible à Dieu, l'impossible est son bien;
    Si par lui l'homme est tout, par lui l'homme n'est rien.
    Grâce donc! criait-il aux hommes en colère,
    Muets pour la clémence et sourds à la prière;
    Grâce! oubliez un peu les mots: glaive, trépas;
    Régnez sur le plus faible et ne le tuez pas!
    La colombe au coeur tendre, à la plume argentée,
    Peut-être est une amante aux forêts arrêtée
    Par le doux souvenir d'un amour malheureux;
    On croit le deviner à son chant douloureux.
    Qui sait si la souris n'est pas la jeune fille
    Frappée en folâtrant au sein de sa famille,
    Et qui tombe immobile en courant dans les fleurs:
    Car, pour un peu de miel, que d'absinthe et de pleurs!»

    «Si le sage a dit vrai, tremble d'être inflexible,
  Tremble de tourmenter l'âme errante et sensible
  D'une soeur qui t'aima, d'une jeune beauté
  Qui se plaisait, enfant, sur ton sein agité.

    «Enfin, si ma part de la vie
    N'est que le rayon passager
  Du jour que mon cachot me dérobe et m'envie,
  Ce don si fugitif, daigne le ménager!
  Vivre, c'est vivre enfin, et le néant m'alarme;
  Cette crainte au méchant coûte au moins une larme;
  Juge de son horreur pour un coeur tout amour,
  Et si loin de la nuit ne m'éteins pas le jour!
  Faut-il te dire tout? je veux devenir mère.
  Laisse-moi donc revoir, dans ma douleur amère,
  Un ami de mon âge, imprudent comme moi,
  Qui pour me délivrer s'élancerait vers toi.
  S'il avait de mon sort la triste confidence,
  Je lui dirais en vain: Sauvez-vous! il viendrait:
  L'amour au désespoir connaît-il la prudence?
  Il rongerait mes fers, ou bien il me suivrait.

    «J'ai dit l'amour: tu le connais peut-être?
    Béni soit Dieu! car l'amour est humain.
  Oui, je retrouverai la moitié de mon être,
    Et je serai libre demain!
  Oui, tu sais que l'amour console la nature,
  Qu'il jette au prisonnier des rêves gracieux,
  Qu'il souffle à son oreille un chant délicieux,
  Et que même au coupable il sauve la torture.
  Et je suis à genoux... et je tremble... et j'attends...
  Homme, pour te fléchir qu'il faut parler long-temps!

  «Un jour, que cet aveu m'en obtienne la grâce,
  J'avais salué l'aube et ton premier repas,
  Lorsqu'un bruit, plus léger que le bruit de mes pas,
  M'avertit qu'en secret quelqu'un cherchait ta trace.
  Ta voix devint alors plus douce de moitié.
  Celle qui répondait me parut suppliante,
  Et, si je ne m'abuse, à la tendre pitié
  Tu donnas plus d'une heure, ou l'heure était bien lente!
  Le bruit cessa, j'entrai; les débris d'un festin
  M'invitaient à la table enfin abandonnée;
    Et sur ma vie un moment fortunée
    Je vis pleuvoir les bienfaits du destin.
  Dans ces lieux trop aimés qu'à présent je déteste,
  J'ai vu, j'ai respecté la boucle de cheveux
  Tombés d'un front charmant pour enchaîner tes voeux;
  Ils ne sont pas les tiens, leur couleur me l'atteste.
    Ces liens souples et dorés,
    Ces doux aveux, ces feuillets roses,
  Les rubans embaumés dont ces lettres sont closes,
  N'ont pas séduit mes sens de langueur enivrés.
  J'ai respiré de loin la cire parfumée
  Qui scella, j'en suis sûre, un secret qui t'est cher:
  Le hasard me l'apprit sans m'en être informée;
  Je courais, j'étais libre... hélas! c'était hier!

  «Tu sommeillais peut-être, et plus vive que sage,
  Au pied de ces rideaux, que je baigne de pleurs,
  J'aperçus, ne crains pas que je le dise ailleurs,
  Un soulier trop petit pour être à ton usage:
    Je m'y blottis joyeuse et je le fis courir;
  Je traînais en riant cette maison mobile,
  Dont les dehors ornés par quelque main habile
  M'enflaient d'un peu d'orgueil, et l'orgueil fait mourir;
  Car, depuis ce moment, éveillé par la haine,
  Tu m'élevas dans l'ombre une affreuse prison.
  Innocente souris, pour m'écraser sans peine,
  Un homme est descendu jusqu'à la trahison!
  Non! ne m'écrase pas! et si ma peur te touche,
  Que l'accent du pardon s'échappe de ta bouche!
  Il est dieu, leur dirai--je, il m'a donné des jours!
  Ton toit sera béni, ton nom vivra toujours,
  Et toujours de beaux yeux aimeront à le lire.
  «Et si jamais ton coeur, brûlé d'un saint délire,
      A langui pour la liberté,
  Qu'elle se donne à toi dans toute sa beauté!
      Que sur ta sereine carrière
  Elle épanche à flots purs sa tranquille lumière:
  Qu'elle trace à la vie un facile sentier,
  Et le sème de fleurs un siècle tout entier!»

  Elle se tut. Le juge alors: «Hé! vite!
  Elle est au piège, hâtez-vous d'accourir;
  Étouffez-la, cette pauvre petite;
      Je n'aime pas à voir souffrir.»



L'AUMÔNE


Il avait plu tout le jour; c'était l'été, c'était dimanche. Le balcon
était mouillé, la rue humide, et la promenade interdite aux enfants.

Tout à coup Hyacinthe, la soeur de Prosper, qui regardait au travers les
carreaux d'une large fenêtre, vit se découper au fond d'un nuage blanc,
le premier cercle d'or d'une lune nouvelle.

--Oh! vois, maman, que la lune est fine! dit-elle.

--On pourrait sortir à présent, répartit son frère, car la rue est
balayée comme le ciel.

--Il est trop tard, dit leur mère.

--Quoi, maman, pas même jusqu'au pâtissier.

--En effet, répondit-elle en souriant, il est là en face comme pour
vous tendre les bras. Tiens, Prosper, va lui offrir cette jolie pièce
blanche, nous verrons ce qu'elle te vaudra.

--Une brioche! maman, grosse comme ma tête, tu vas voir! il franchit en
trois bonds l'escalier, et sa soeur le suivit joyeuse et timide jusqu'à
la porte où elle attendit comme on attend son frère, et une brioche.

Prosper revint mais les mains vides. Tandis qu'Hyacinthe et lui
chuchotaient au pied de l'escalier, n'osant plus remonter sans leur
souper friand, la mère se penchait sur la rampe, prête à serrer son fils
dans ses bras, car voici ce qu'elle avait vu de la grande fenêtre du
balcon:

Un pauvre barrait la porte du pâtissier. Il était vieux, il était nègre,
et il était aveugle! pitié! toutes les brioches disparurent de la terre
aux yeux de l'enfant charitable. Il s'arrêta devant lui, en tournant le
dos au riant pâtissier et voyant que le nègre n'avait plus de regard
pour comprendre le sien, il lui glissa doucement sa petite pièce dans la
main et lui dit:

--Prends garde! monsieur le pauvre! cette pièce vaut une brioche de
quinze sous. Le nègre tressaillit de joie.

La mère de Prosper sentit ses yeux se mouiller. Mais à la réflexion,
elle ne parut pas se douter de l'embarras des enfants et ne parla plus
de la brioche. Ils se couchèrent bien soulagés tous deux, s'étant
contentés pour leur souper dans l'ombre, d'un morceau de pain, toujours
de bon goût, quand il est assaisonné par une bonne action.

Le lendemain, un beau soleil revint consoler le balcon et toute la
ville, comme pour une fête.

Le déjeuner s'apprête, on entoure la table, tout devait être bon, on
avait faim. Mais, ô redoublement de surprise et d'appétit! deux énormes
brioches apparaissent comme si elles perçaient ce ciel, et qu'elles
fussent arrivées toutes chaudes sous une aile d'ange. C'était un
très-beau spectacle!

--Oh! d'où viennent-elles! d'où viennent-elles, maman!

--C'est le bon nègre qui te les envoie, mon fils, dit la mère en
souriant. Tu ne sais pas comme le pauvre est riche dans ses prières;
car, c'est Dieu qui se charge de payer pour lui.



LE PETIT AMBITIEUX


  Un enfant avait mis les bottes de son père.
  Il se croyait plus grand; mais il fallait marcher:
  Dans sa jeune espérance, il arpentait la terre;
  Ses bottes ne pouvaient pourtant l'en détacher.
  Il traîne avec ardeur l'entrave qu'il adore;
  Il veut courir... il rampe; il rit, il rampe encore
  Au collège, avant l'heure, il arrive enchanté,
  Et parmi les plus grands se range avec fierté.

  Son père l'a suivi.... Dieu! faites-le sourire!
  Il cherche, il voit l'enfant; il a dit: «Levez-vous!»
  L'ambitieux chancelle et fléchit les genoux.
  Mais son père commande: un père, il faut souscrire;
  Il se lève. «Courez, dit son juge, courez!
  D'un pas ferme et hardi devancez votre père,
      Que votre course soit prospère:
  Si vous tombez, malheur!... vous vous débotterez.»

  Se débotter!... jamais; plutôt périr en route.
  L'enfant frissonne, il pleure à la voix qu'il redoute;
  Mais il pleure immobile, et sur son front charmant
  Se peignent la douleur et le ressentiment.

  L'école curieuse avait fermé son livre,
  Le maître préparait le sermon détesté;
  Et l'enfant!... Il songeait à la mort qui délivre,
  Car du crime, à ses pieds, tout le poids est resté.
  «Pour la dernière fois, courez, je vous l'ordonne!
  Si vous me devancez, mon fils, je vous pardonne.»
  Et l'enfant éperdu, plein d'âme et plein d'effroi.
  S'élance sur son père, et dit: «Emportez-moi!»
  Et ce père accueillit sa rougeur et ses larmes;
  Sur son coeur qui battait de colère.... ou d'amour,
  Il emporta son fils, tout botté, sous les armes.
  «Conserve-les, dit-il; tu marcheras un jour!»

[Illustration]



LE SONNEUR AUX PORTES.

En cinq parties.


LE PORTIER.

Je ne crois pas qu'il y ait encore des enfants aussi hardis qu'Antony.
Il était la terreur des portiers, le lutin des servantes, le cauchemar
du rentier paisible. Ce petit voltigeur des rues passait pour le chef
d'une bande audacieuse, qu'il entraînait tous les soirs en sortant de
l'école. Il se mettait à leur tête en vrai cosaque à pied, et pas un
marteau, pas une sonnette, n'échappaient à leur investigation.

--Pan! pan! pour le marteau. Ils fuyaient, se plaçaient en embuscade à
quelques maisons plus loin, et la porte s'ouvrait à la grande joie de
leurs cours pleins de malice.

Le portier, ne voyant entrer personne, venait lui-même regarder
pourquoi? et plongeant en vain ses yeux dans la rue silencieuse, s'en
retournait mécontent. Après un temps raisonnable, quand on le supposait
rentré dans sa loge et paisiblement assis, on retournait, haletant, avec
des rires étouffés où il y avait tout un poème de brigandage.

--Pan! pan! recommençait le marteau et les six oiseaux de nuit
s'envolaient encore, rasant la terre, dans la cachette qu'ils s'étaient
choisie. Force était au portier de tirer le cordon, ne fût-ce que pour
lui-même; car il brûlait ce portier dérangé d'attraper et de tordre le
bras insolent qui l'arrachait ainsi à son repos. C'était en vain!

Alors, l'amour même du repos l'arrachait violemment à son immobilité de
profession. Il se faisait petit, et s'avançait finement le long du rang
où il supposait les malfaiteurs cachés.

Mais si, par hasard, il s'approchait de leur retraite, ils en sortaient
tout à coup avec une agilité si prodigieuse qu'ils glissaient entre ses
bras étendus, faisant voler en l'air son bonnet et poussant des cris
aussi aigus que ceux de l'orfraie ou de la chouette. Ils étendaient même
l'insulte jusqu'à frapper du marteau chacun un coup; ce qui en faisait
six, en jetant pour adieu au portier gonflé de colère dans la rue:

--Ouvrez, portier! ouvrez donc; portier! le cordon, s'il vous plaît!

La nuit entière ne consolait pas le portier de ces allées et venues
forcées, et sans vengeance. Le portier aime la vengeance.


LE CORDONNIER.

Antony donc répandant partout ses ravages était toujours pendu à une
sonnette et tandis que les autres fuyaient, lui souvent mettait dans sa
tête d'affronter le danger.

Une servante accourait, effrayée du terrible ébranlement de la sonnette,
et avant même qu'elle ouvrît la bouche, Antony, levant un nez insolent,
demandait:

--Est-ce ici le médecin de mon oncle?

--Qu'est-ce que c'est que le médecin de votre oncle? demandait la
servante irritée.

--C'est... je ne me souviens pas de son nom; mais c'est un bien bon
médecin!»

--Ce n'est pas ici. Et une autre fois ne sonnez pas si fort.»

Une ardeur nouvelle emportait la troupe errante. Pas un ne songeait que
c'est lâche d'insulter dans l'ombre.

Antony, bien élevé d'ailleurs, et qui coûtait à son père une grosse
somme pour devenir savant, imitait effrontément le gamin dont la joie
est immense quand il fait tressaillir l'humble cordonnier, en plongeant
tout à coup sa tête dans l'échoppe par un carreau de papier qu'il
enfonce, et en demandant froidement: «Quelle heure est-il?»

Il trouvait aussi une émotion délectable à lancer l'épouvante chez le
tranquille artisan, travaillant à la lampe. Il faisait ruisseler sur
les vitres sonores des poignées de pois secs qui descendaient comme la
foudre en éclat dans le silence laborieux du chaussetier solitaire.


LE PIED DE BICHE.

Ce soir-là, toute la meute sonnante se précipita sur le pied de biche
d'un rentier. La première attaque fut inutile, car le maître était
absent, et ses deux domestiques, se chauffant au feu de leur maître,
faisaient la sourde oreille pour ne pas se déranger.

Antony, très irrité de cette lenteur, s'écria: «Se moque-t-on de moi?»
et se pendit s'en façon de tout le poids de son corps au pied de biche,
qui lui resta dans les mains. Un cri de victoire, très-flatteur pour
Antony, fut poussé jusqu'aux toits par sa troupe légère, ce qui
l'empêcha d'entendre le bruit de la porte. Elle s'ouvrit d'ailleurs si
vivement qu'il fut pris et entraîné dans l'allée sombre, avant qu'il pût
même laisser tomber le pied de biche, témoin irrécusable de son crime.
Ses compagnons s'enfuirent épouvantés et dirent entre eux:

--Aussi pourquoi nous entraîne-t-il à cela? je n'y songerai pas sans
lui.--Ni moi!--Ni moi!--Ni moi! cinq fois répété, fut tout ce qu'ils
trouvèrent pour sauver leur chef du piége qu'ils avaient évité.
Seulement ils soupèrent assez mal ce soir-là, et quelques-uns rêvèrent
de gendarmes.

Antony ne rêvait pas. Toute son intelligence était éveillée par l'air
froid et vindicatif des deux domestiques, ses vrais maîtres alors,
résolus à le lui prouver rudement. Ils avaient commencé par lui lier les
bras et les jambes, et se disposaient à le descendre à la cave; avec
des menaces effrayantes. Le fier Antony ne proférait pas une parole. Il
regardait ses liens qui lui faisaient mal; il songeait à l'inquiétude
de sa mère.... C'était affreux! mais il ne pleurait pas; son coeur seul
disait au fond de lui-même:--Ma mère!

--Finissons, dit l'un des hommes, en faisant signe à l'autre d'emporter
avec lui l'enfant, qui devint très-pâle, mais qui ne baissa point ses
yeux pleins de courage.

A l'instant même on frappa trois coups à la porte de la rue.

--C'est monsieur, dirent-ils, car il sonne ordinairement trois fois. Va,
petit brigand, ton affaire est faite, recommande ton âme à Dieu.

Antony crut qu'il allait voir apparaître un ogre. Le frisson passa dans
ses cheveux et les fit lever; mais son regard curieux ne se mouilla pas
d'une larme.

Le bon rentier, qui était le moins ogre des hommes, ne trouva pas dans
la perle de son pied de biche une raison suffisante pour mettre en cave
et faire mourir peut-être l'imprudent qu'on avait garrotté: mais après
avoir un peu rêvé sur le trouble que de telles actions répandent souvent
dans des maisons paisibles, il ordonna qu'on fît avancer une voiture à
l'heure.

Pendant qu'on la cherchait, Antony dans l'immobilité où le retenaient
ses liens, eut les yeux bandés sans qu'il lui fût fait le moindre mal.

Alors la voiture arriva. Le rentier, touché du jeune âge et du maintien
sans bassesse du prisonnier, l'interrogea en grossissant sa voix.

--Votre nom? celui de votre famille? votre demeure?»

Antony répondit à tout d'un accent ému, mais précis.

--Avez-vous du courage?»

--Pour entreprendre, oui. Pour souffrir, je l'ignore; c'est la première
fois que je me suis laissé prendre.»

--Jurez-vous de ne pas vous révolter si l'on vous ôte ces cordes?

--Je le jure.»

--Ôtez les cordes au prisonnier.» Les cordes tombèrent.

--Vous allez subir de grandes épreuves, continua le Juge. Les
soutiendrez-vous sans lâcheté?»

--Je tâcherai, répliqua simplement le petit sonneur aux portes.

Son juge le plaça derrière lui et détachant de la tapisserie couverte de
dessins une tête de mort au crayon noir qui n'y tenait que par quatre
épingles, il l'a mis devant l'enfant en lui disant: ne bougez pas!»

Vous, dit-il aux domestiques, soulevez son bandeau.

Antony trouva sans tressaillir cette tête sous ses regards délivrés.

--Qu'en dites-vous?»

--Que c'est mal dessiné, répondit l'écolier qui l'avait parcourue avec
attention. Le bandeau retomba sur ses yeux.

--Aviez-vous des complices?»

--J'avais des amis, monsieur. Ils se sont sauvés.... ils ont bien fait.»

--Avez-vous une mère?»

Antony ne répondit pas; mais il baissa la tête, et le rentier qui
l'examinait attentivement, vit ruisseler deux larmes sous son bandeau.

--Partons! dit le juge, d'un ton grave et irrévocable.


VOYAGE D'ANTONY.

Antony fut conduit en silence dans la voiture qui roula si long-temps
qu'il se crut à vingt lieues de Paris. Elle s'arrêta tout à coup sur un
cri des deux guides, au milieu desquels Antony était assis.

Le rentier qui n'avait pas soufflé le mot, durant le voyage, descendit
le premier, et s'éloigna. Antony fut déposé au milieu d'une rue déserte
et noire qu'il prit pour une ville de province inconnue. Quand son
bandeau fut ôté et qu'il put porter autour de lui ses yeux pleins de
terreur:

--Tirez-vous de là, dirent brièvement ses guides en remontant dans la
voiture que l'enfant infortuné vit s'éloigner avec l'amertume profonde
de son abandon.

Il resta quelques instants sans se mouvoir et sans rappeler ses idées.
Cette ville nouvelle lui paraissait pleine de consternation, il trouvait
les maisons d'un aspect bizarre, bâties tout autrement qu'à Paris,
son cher Paris! et présentement qu'il était pour lui d'une impérieuse
nécessité de sonner à quelque porte pour s'y sauver d'une nuit
d'épouvante et d'insomnie, à jeun; tous les pieds de biches du monde
n'auraient pu réveiller sa passion éteinte pour le son des marteaux et
des cloches. Il s'assit en soupirant au coin d'une borne sur un banc
étroit qu'il accepta pour son lit, non sans murmurer tristement:

Ah! que les bancs son bien plus larges à Paris! et les réverbères, Dieu!
qu'ils sont ternes dans cette petite ville... Est-ce qu'il y a des
hommes dans ces habitations froides?... Maman! maman! que la vôtre à
cette heure était chaude et gaie pour moi! Si vous saviez où je suis,
vous prendriez la poste pour venir me sauver. Il est vrai que je suis
bien coupable; mais vous n'auriez pas le courage, vous, de me punir
si cruellement, car je suis perdu enfin!...» Et les larmes d'Antony
coulèrent par flots sur le banc de pierre.

Mon Dieu! s'écria-t-il, est-ce que vous m'avez abandonné!»



LE BON ANGE.

  Laissez venir à moi les petits enfants.


Un homme s'approcha tout à coup dans l'ombre. Antony se leva.

--N'ayez pas peur, mon petit ami, dit cet homme.--Je n'ai pas peur,
répondit l'enfant; quel mal voudriez-vous me faire?

--Aucun, si vous me dites la vérité: Qui êtes-vous?

--Je suis un enfant perdu.

--D'où venez-vous?

--De Paris, où je suis né. Je n'ai pas d'argent, je ne connais pas cette
ville où l'on m'a laissé seul pour me punir.

--De quoi?

--De sonner aux portes avec mes amis.

--Leurs noms?

--Je ne les dirai pas.

--Le vôtre?

--Antony Derbay; mais mon père sera-t-il inquiété pour ma faute?

--Soyez tranquille, mon enfant, dit l'homme attendri, regardez-moi
comme votre bon ange, et suivez-moi.... quand je saurai votre demeure,
toutefois, car je suis résolu à vous rendre ce soir même à vos parens.»

Quoi, monsieur, vous feriez ce voyage! s'écria Antony, plein de
reconnaissance. Il lui dit alors le nom de son père, sa demeure à Paris
et se laissa conduire soumis par ce guide si différent de ceux qui
l'avaient emporté du pays natal.

Après quelques détours qui ne lui semblaient que les commencements
d'un voyage pénibles, l'homme qui l'avait doucement enveloppé dans son
manteau s'arrêta en disant: Nous y sommes.

--Où donc, s'écria d'une voix craintive Antony, sans se reconnaître
encore, et croyant rêver.

--Chez votre père, dont voici la maison. Et il frappa de manière à ce
qu'on ne tarda pas à leur ouvrir.

Quelles furent la surprise, la joie et les transports d'Antony, en se
retrouvant à sa porte comme par enchantement! quand il tomba dans les
bras de sa mère inquiète depuis deux heures de ne pas le voir rentrer!
Quand il la couvrit de ses larmes en lui racontant sa faute, qu'il lui
montra son sauveur, qu'il prenait alors pour Jésus-Christ lui-même; car
il avait fait un miracle!

--Oh! qui donc êtes-vous, monsieur? dit la mère, en se penchant vers
l'étranger pour le bénir.

--Le rentier, madame, qui se trouvera bien heureux, s'il a corrigé
l'enfant et consolé la mère.

Je dois vous avouer qu'Antony sanglota de repentir dans les bras du bon
rentier, et qu'en essuyant ses yeux rouges, il s'écria tout à coup:

--Je te rendrai ton pied de biche!»

--Non, dit en souriant le rentier qui devint le meilleur ami d'Antony;
je vous le donne comme un talisman pour entrer à toute heure dans ma
maison.

    L'objet qui nous rappelle une faute pleurée nous empêche d'y
    retomber.



UN PAUVRE.

  Enfant! sois doux au pauvre. Il en est d'adorables;
  Il en est de puissants sous leurs traits misérables:
  Tel est celui qui monte attiré par ta voix,
  Qui descend toujours humble et content quelquefois,
  Selon nos jours à nous, vides, nourris d'attente,
  Ou comblés de travail et de joie haletante.
  Dieu lui fait, m'a-t-il dit, de longues nuits sans peur;
  Et sous un peu de paille il a chaud dans son coeur!

  Le sommeil a pour lui des ailes toutes prêtes;
  C'est là qu'il illumine et qu'il donne ses fêtes;
  Là, qu'un ange vient dire à ce pauvre à genoux:
  «Debout! debout, mon frère! et montez avec nous!
  Laissez-moi relever votre âme voyageuse;
  Laver vos pieds durcis par l'argile fangeuse,
  Rendre vos pas légers puisqu'ils sont sans remord,
  Et délier vos bras pour les tendre à la mort!
  Ayez foi dans la mort: cette cueilleuse d'ames,
  Ne les moissonne pas pour en tuer les flammes;
  Mais pour les délivrer de leur lourd vêtement,
  Comme on ôte le sable où dort le diamant..

      Dans votre épreuve solitaire,
      Ne demandez pas le bonheur:
      Sa semence est dans votre coeur;
      Il n'éclora pas sur la terre.

      Si la terre en poussait les fleurs,
      Voyez qu'elles n'ont qu'une aurore,
      Et qu'elles laisseraient encore
      Leurs épines dans vos douleurs.

      Mais ce fruit couvé par votre ame,
      Naîtra plus haut mûr et vermeil,
      Fait d'une impérissable flamme,
      Comme un rubis sous le soleil.

      Le bonheur, c'est l'amour sans larmes;
      C'est la liberté sans effroi;
      Sans prisons, sans haine, sans armes,
      Et les mondes roulants sans roi.

  Bénissez donc vos pleurs dont l'intérêt s'amasse.
  Dieu compte avec la terre; où l'ombre règne, il passe!
  Et l'éternité s'ouvre aux mots: PARDON! AMOUR!
  «Montez!»--Et l'indigent monte à Dieu jusqu'au jour!

  Quand ce beau rêve a fui, quand la faim le réveille.
  S'il tombe en soupirant du ciel où l'on sommeille,
  Il reprend son fardeau plus léger; lui plus fort,
  Et gravit, patient, les affronts de son sort.

  Ce pauvre est plus qu'un pauvre! une telle indigence,
  Puisque Dieu la permet, ouvre l'intelligence:
  Dieu voilé parle en lui. Souvent ses vieux lambeaux.
  M'ont paru lumineux, comme si de flambeaux,
  Comme si des rayons d'une auréole sainte,
  Sa tête blanchissante et paisible était ceinte:
  Ce pauvre est plus qu'un pauvre! enfant! sois doux pour lui.
  Comme tu fus hier, s'il revient aujourd'hui.

[Illustration]



LE PETIT MENDIANT.


Un petit pauvre suivait avec obstination un vieillard dans sa promenade,
et criait:

--Monsieur! ce n'est point pour moi, monsieur! c'est pour ma pauvre
mère. Ah! ma pauvre mère! si j'avais de quoi lui acheter un pain.

Le vieillard, ému de cette vive prière pour une mère, et de cette voix
d'enfant qui a toujours une grande puissance sur l'homme, s'arrêta,
parcourut des yeux la figure rose et (il faut le dire) un peu effrontée
du jeune mendiant, qui plongeait avec des yeux avides et brillants
jusqu'au fond de la bourse prête à s'ouvrir pour lui.

--Tu l'aimes donc bien ta mère?

--Oui, monsieur! dit l'enfant, en jetant les yeux çà et là d'un air
distrait et insouciant.

--Où est-elle?

Elle est morte, monsieur, répondit le menteur, qui n'avait pas prévu la
question.

--Elle n'a donc pas besoin de pain, dit le vieillard en refermant sa
bourse, et laissant rouge et honteux l'imposteur, à qui la vérité simple
eût été bien plus profitable?

    Le mensonge est odieux. Il est toujours nuisible à celui qui
    s'abaisse par lui.



LE PETIT PEUREUX.

  Quoi, Daniel, à six ans vous faites le faux brave;
      Vous insultez un chien qui dort;
  Vous lui tirez l'oreille, et, raillant votre esclave.
  Sous ses pas endormis vous dressez une entrave!
  L'esclave qui sommeille, ô Daniel, n'est pas mort;
  Son reveil s'armera d'une dent meurtrière:
  La preuve en a rougi votre linge en lambeaux.
  Oui, vous voilà blessé, mais blessé par derrière!

  Malgré la nuit, j'y vois. Sauvons-nous des flambeaux;
  Sauvons-nous des témoins... Moi, je suis votre mère...
  Je cacherai ta honte, enfant, dans mon amour:
  Viens! j'ai pitié de toi, car la honte est amère;
  Bénis Dieu: sa bonté vient d'éteindre le jour.

  Personne ne t'a vu lâche et méchant... Écoute:
  Pour t'appeler méchant sais-tu ce qu'il m'en coûte?
  C'est ton nom pour ce soir; subis-le devant moi:
  Va! personne jamais ne l'entendra que toi.

  Personne ne t'a vu d'une bête innocente
      Tourmenter l'indolent sommeil;
      Et, pour irriter son réveil,
      Lui simuler sa chaîne absente.
  Cher petit fanfaron, c'est lui qui t'a fait peur.
  Sa gueule était immense, ouverte à la vengeance.
  Il te mangeait, Daniel, sans ma tendre indulgence,
  Et tu fuyais en vain, lié par la stupeur.
  Il m'a cédé sa proie, il a compris mes larmes;
  Et peut-être un gâteau, que préparait ma main
      Pour charmer ton loisir demain,
  L'a rendu tout-à-fait clément à mes alarmes.
  Je l'avais fait si beau, si grand! Ne pleure plus:
  De tes habits l'eau pure effacera la tache;
  Ton âge n'en a pas ou le remords s'attache!
  Tout ce qui doit survivre à tes cris superflus,
  Ce qu'il faut regretter par-delà ton enfance.
  C'est mon sang..., oui, le mien, lâchement répandu:
  Quoi! sous la dent d'un chien tu l'as déjà perdu,
  Daniel, et ton pays l'attend pour sa défense!

[Illustration]



LA JAMBE DE DAMIS[1].

[Note 1: Historique.]


Un petit créole s'ennuyait. Le créole est terrible quand il s'ennuie, et
il s'ennuie souvent.

--Maman, je veux un oeuf! dit l'enfant qui tâchait d'avoir faim.

--Il n'y en a pas, ami! dit avec regret sa mère.

--Eh bien! à cause de cela, j'en veux deux! cria-t-il en frappant des
pieds.

--Son père se retourna vivement vers lui, et dit: Veux-tu un soufflet,
ami!

--Je n'en veux pas? repartit l'enfant avec une contenance fière.

Eh bien! à cause de cela, j'en donne deux! dit froidement son père, en
les lui donnant. Et il retourna à ses calculs.

L'enfant rugissait. Quant il crut son père assez loin, il recommença
ainsi:

--Maman, je veux jeter Damis par la fenêtre. Damis était un petit nègre
endormi dans un coin.

--Jetez, ami? dit la mère indolente et le regardant faire.

Damis sortit par la fenêtre, et ne se réveilla qu'à terre avec la jambe
cassée.

Mais le terrible père rentra comme la foudre et saisissant son fils par
les deux bras, comme un oiseau par les ailes: Va panser ton esclave! dit
ce singulier philanthrope, en le lançant par le même chemin et il passa
froidement auprès de sa femme évanouie. Coupable femme, en effet! la
surprise et l'effroi avaient comme retenu le petit blanc dans l'air, car
il tomba légèrement auprès de Damis mutilé, qu'il contempla stupide
de terreur, mais sans la moindre blessure. Une négresse inondait
silencieusement Damis de ses larmes.

--Jambe cassée! dit-elle enfin avec une voix de mère, en cachant sa tête
sur le corps de l'enfant stoïque. Il n'avait pas poussé un cri.

Je ne veux pas que Damis ait la jambe cassée! dit d'une voix sourde le
petit colon pelotonné par terre. Je ne veux pas que Damis ait la jambe
cassée.

--Celle qui lui reste du moins sera libre, dit derrière lui son père,
qu'un mouvement d'humanité avait fait descendre. Tu paieras l'autre
quarante piastres à l'année, ajouta-t-il, en relevant le petit tyran,
qui murmurait et qui sanglotait les mêmes paroles: «Je ne veux pas que
Damis ait la jambe cassée!

Moi, je veux que vous partiez tous deux, séparément pour la France.
Élevés de même nous verrons ce qui en adviendra!

Ce qui en advint le voici:

Damis, guéri s'appela depuis le sauveur des blancs. Le jeune planteur,
sauvé de l'influence fatale d'une mère trop faible et d'un père trop
violent, fut depuis estimé sous le nom d'un philanthrope que nous
n'osons signaler ici; car vous n'oublierez peut-être pas qu'il avait
commencé par casser la jambe de Damis.



LA MÈRE A SA FILLE.

  C'est beau la vie
  Belle pour toi,
  De toi suivie
  Toi devant moi!
  C'est beau, ma fille,
  Ce coin d'azur,
  Qui rit et brille,
  Sous ton front pur!

  C'est beau ton âge,
  D'ange et d'enfant,
  Voile, ou nuage
  Qui te défend
  Des folles ames,
  Qui font souffrir;
  Des tristes flammes,
  Qui font mourir.

  Dieu fit tes charmes;
  Dieu veut ton coeur;
  Tes jours sans larmes,
  Tes nuits sans peur:
  Mon jeune lierre,
  Monte après moi!
  Dans ta prière,
  Enferme-toi.

  C'est beau, petite,
  L'humble chemin,
  Où je ne quitte
  Jamais ta main:
  Car, dans l'espace,
  Aux prosternés,
  Une voix passe,
  Qui dit: «venez!

  Tout mal sommeille
  Pour ta candeur,
  Tu n'as d'oreille,
  Que dans ton coeur
  Quel temps? quelle heure?
  Tu n'en sais rien:
  Mais que je pleure;
  Tu l'entends bien!



LE PETIT BÈGUE.

I.

L'ÉCOLE.

Ah qu'une école laisse de souvenirs aux enfants qui s'y sont agités pour
devenir des hommes! aux mères qui sont allé presser leurs cours contre
ses portes fermées entre elles et leurs enfants! chers objets de nos
amours pleins de sacrifices, chères abeilles de ces ruches où vous allez
préparer le miel de toute votre vie, pourquoi n'y portez-vous pas les
grâces innocentes du foyer, la douceur paisible de vos premiers jeux?
pourquoi les aiguillons qui poussent à vos lèvres servent-ils souvent
à piquer vos camarades, qui ont pleuré comme vous de cette première
offrande faite à l'ordre social qui veut des hommes graves, des savants,
des penseurs!... Une larme de votre mère vous en dira plus que moi, elle
vous rappellera l'indulgence divine dont elle a enveloppé vos premiers
cris et vous en aurez pour vos petits compagnons; vous en aurez pour
tout le monde. Moi, je n'ai qu'à vous dire l'histoire du pauvre René.

René, mal vêtu, mal tourné, gauche et timide comme la misère honnête,
entra, par je ne sais par quelle protection, dans un grand pensionnat de
Châlons.

Encore rouge et pâle de pleurs d'avoir quitté sa mère, le coeur gonflé
d'une inexprimable tristesse, il regardait tout avec des yeux stupides,
ne répondait rien aux questions bruyantes dont l'accablait l'école et
devenait sourd du bourdonnement de ces voix confuses. La voix, l'adieu
de sa mère retiraient toute son intelligence à son coeur. Il resta
immobile, le sourcil froncé, les yeux à demi fermés, au grand
divertissement des habitués, qui l'isolèrent au milieu d'un rond qu'ils
formèrent en se tendant par la main, tournant autour de lui avec une
vélocité d'écolier, et criant à lui briser le tympan:

--Honneur au discours de réception! prix d'éloquence au camarade! dans
quelle langue dit-il bonjour?

A tout cela René n'ouvrit pas la bouche.

Ils finirent même par s'impatienter d'insulter _cette bûche_, et
coururent à la picorée d'autres jeux pour remplir l'heure si belle, si
furtive de la récréation.

Le soir, las d'une séance où il n'avait rien compris, d'une route à
pied, et de son coeur gonflé de larmes, il s'endormit d'un sommeil si
lourd, si léthargique, sur un banc du réfectoire, qu'il ne sentit pas
les milles piqûres dont il était l'immobile objet, comme le mannequin
d'un monstre qui servait à l'éducation attaquante des dogues que les
chevaliers du moyen-âge dressaient contre lui.

Le bon René, dont la douleur n'était pas belle, l'accoutrement peu
moderne, d'une coupe grossière, donnant à ses neuf ans le poids d'un
savoyard de quarante, fut pris en goût par vingt écoliers qui ne
dormaient pas, pour faire éclore cent traits d'esprit qu'ils jugeaient
très-brillants et très-fins! L'un trouvait charmant de chatouiller ses
lèvres avec une plume, ce qui lui faisait faire d'étranges grimaces sans
s'éveiller; mais cette convulsion souffrante d'un être dont on tourmente
la fatigue se révélait sur son jeune visage avec je ne sais quel charme
comique dont les tourmenteurs étaient aux anges. Quand le rire étouffé
s'éteignait une seconde pour reprendre haleine, un de ces messieurs
venait poser adroitement sur le nez sans défense du dormeur un long
cornet de papier terminé en trompette et les applaudissements n'osant
éclater de peur, disaient-ils, de réveiller _la bête_, un hourra
général, traduit par des coups de talons imitatifs, faisait rouler la
joie autour de cette bande de petits anges tombés, permettez-moi de leur
donner ce nom, bien qu'ils aient pu se relever plus tard.

On avait coiffé René des plus risibles bonnets, on venait de l'étendre
tout de son long par terre, pour jouer _au mort_, disaient-ils, sans
qu'il ait donné d'autre signe de vie que ces contractions nerveuses
des yeux et des lèvres qui les faisaient mourir de rire. Quand un plus
hardi, voulant réchauffer la scène, dit à son voisin:

Tiens-le! tiens-le! et vint porter jusque sous ces narines
entr'ouvertes, la flamme épaisse d'une lampe qu'il détacha du mur.

René ne poussa qu'un rugissement sourd, comme un jeune lion qui n'a pas
encore combattu, mais dont on provoque imprudemment la force. Il se
soulève à demi, les yeux encore baignés de sommeil et de ses derniers
pleurs, saisit par les jambes les deux assaillants effrayés, les roule
avec lui, sous lui, les crible de coups de poing, de coups de pied qui
tombent si heureusement à leur adresse, qu'on n'entend plus rire,
mais crier:--Aie! tu me casses la tête! tu m'étrangles! A moi, Jules!
Achille, à moi! au secours! monsieur le recteur! Il accourut en effet à
ce singulier combat, dont les témoins cherchent à se sauver, eu criant:
ce n'est pas moi! et dont le vainqueur toujours endormi tape comme un
désespéré, sur le cauchemar dont il ne devine seulement pas la forme.
Il continua néanmoins de rugir et de se battre instinctivement avec une
telle vigueur de courage, qu'il les eut étranglés peut-être dans une
entière innocence, comme Hercule au berceau mit à mort le serpent qui
venait s'attaquer à son sommeil.

Plus personne, ni cette nuit, ni jamais, n'eut dans le dortoir la
fantaisie d'aller passer une plume ou du feu dans les naseaux de _la
bête_, bien que René ne se fût pas réveillé une seconde dans l'orgueil
de la victoire. Il n'en eut pas même le souvenir, en se retrouvant le
lendemain dans un lit qu'il ne connaissait pas encore, qui n'était plus
près de celui de sa mère! et où on l'avait roulé tout d'une pièce après
qu'on fut parvenu à détacher ses bras nerveux comme incrustés au corps
des amateurs de malices.

Il ne sentit qu'une lassitude vague, dont la cause lui resta inconnue.
Ceux qui s'en ressouvenaient le plus avaient, outre cette lassitude,
plusieurs bosses, plusieurs empreintes d'ongles incultes et de souliers
ferrés, dont il souffrirent beaucoup, mais dont ils ne demandèrent pas
raison au réveil paisible de René.

On ne savait encore de quelle couleur étaient ses paroles quand il fut
interpellé solennellement par le recteur. Au nom de René Beaumal, vous
devinez que ce fût comme une seule tête qui se leva de dessus vingt
livres posés ouverts sur les tables. Un fil d'électricité n'eût pas
tourné plus rapidement quarante yeux ardents vers celui qu'on nommait, à
leur grande joie, René!

--Levez-vous donc, René! s'écria le recteur.

--Il ne se lèvera pas! il ne se lèvera pas.... murmurèrent les écoliers
sans avoir l'air d'y toucher.

--Silence, là-bas! lança le recteur d'une voix qui fit retomber tous les
yeux sur les livres qui leur servaient de maintien.

Alors René fut interrogé sur ce qu'il ne savait pas encore. Sa bouche
s'ouvrit au moins cinq fois, sans laisser échapper autre chose que l'air
qui remplissait sa poitrine oppressée.

--Il parlera! il ne parlera pas! il parlera! il ne parlera pas! dirent
les impitoyables dans un bourdonnement qui laissait une chance à la
négation.

--Si vous ne voulez pas me parler, René, insista le recteur qui n'avait
pas de temps à perdre vous serez mis à la porte. Savez-vous votre leçon?

--Ma le....le....leçon?

--Eh bien! oui, quoi! elle n'est pas bien longue, je crois!

--Elle....elle....elle....

--Ah! mon Dieu qu'est-ce qu'il a donc mangé, hasarda un malin sous son
livre, et de rire!

Quand le silence fut rétabli, et l'effroi de René plus glaçant que
jamais, il voulut en finir avec son sort, car il croyait toucher au
dernier moment de sa vie. Il poussa au dehors ce qu'il crut être son
ame, et bégaya:

--On m'a....m'a....m'a....

O joie d'école! o découverte pleine d'avenir et de moqueries!

René était bègue. C'était à l'adorer, c'était à n'en plus douter,
c'était à frémir d'espérance à chaque parole qui allait prendre une
forme inattendue sous cette langue esclave. Les deux blessés furent
guéris. Ils burent joyeusement l'humiliation du jeune infirme qui
faisait oublier la douleur, et ils ne cachèrent plus leurs contusions.

Que faut-il vous dire de tout ce que souffrit l'humble et patiente
créature, servant de risée à cette petite populace fanfaronne? c'est à
ne pas rendre, à souffrir de se le rappeler, à haïr, si l'on pouvait
haïr, ceux qui amassèrent sur lui plus de maux que l'infortune et la
nature, un moment distraite en le formant, n'en avait laissé choir
sur cet inoffensif et pauvre garçon. C'était peu d'être bègue, lent à
démêler sa pensée sous les nuages que la raillerie amoncelait autour de
sa tête humiliée, il devint presque muet; car il avait tant de crainte
de faire rire en parlant, qu'il ne parlait plus. Les mots les plus
brefs lui causaient des peines infinies à sortir de ces lèvres; elles
tremblaient, s'agitaient à vide, et l'effort inutile produisait une
contorsion pénible qui ravissait les lâches oppresseurs de René.

Une douleur vive qu'ils se plaisaient à lui faire sentir tous les matins
sans qu'il osât s'en plaindre, c'était de l'éveiller en sursaut, lui qui
avait le sommeil le plus complet de son âge, ce sommeil de marmotte,
dans lequel toute la vie extérieure est suspendue ou cachée, où pas un
cheveu ne bouge, et que les mères ont tant peur de troubler! C'était la
joie des lutins rassemblés autour de ce pauvre enfant immobile, _qui
riaient aux anges_, comme on dit. Ils poussaient tout-à coup une clameur
si furieuse dans l'oreille du dormeur, qu'il bondissait hors de son lit,
tandis que les écoliers, sans paraître s'occuper de lui, filaient en
chantonnant de côté et d'autre. C'était du beau! de quoi les rendre bien
fiers: je vous laisse y penser.

René s'habillait triste et comme ivre de cette fanfare qui le rendait au
mouvement avec une violence propre à lui rompre le coeur. Pauvre René!
ce n'était plus ce réveil entr'ouvert par une voix douce, qui coulait
d'abord à son ame. Il n'y avait plus de main caressante qui roulait sur
son front comme pour en écarter le sommeil. Il n'entendait plus cette
femme absente lui souffler patiemment: Allons, René! allons, mon garçon!
c'est jour! Et le prendre, et rire tout bas et l'habiller à demi, et
répéter: «Allons:» jusqu'à ce qu'il rît à son tour, en ouvrant ses yeux
doux et pleins de pitié de cette femme, dont la bonté l'avait rendu bon
jusqu'au coeur!

Oh! respectez le sommeil de l'enfance. Qui sait si ce n'est pas alors
que l'ame rend sa visite à Dieu.


II.

LES PETITS NAGEURS.

On arriva ainsi jusqu'en juillet 1830. L'extrême chaleur ralentissait
parfois le courage des écoliers. René savait lire et causait souvent
tout bas avec ses livres, ses bons amis, qui ne lui faisaient pas la
grimace. Il savait écrire et il parlait de cette manière sans bégayer.
On trouvait sur toutes ses pages.

--_Bon jour, ma mère! comment vous portez-vous?

--J'aime mon père et ma mère.

--Je voudrais bien aller voir ma mère!

--Quand je serai grand, je soignerai_ _ma mère, et je la laisserai
dormir! Elle dormira si elle veut jusqu'à huit heures.

--Oh! je voudrais qu'il ne fît jour qu'à huit heures!_

Sa parole écrite était correcte et vraie; son écriture presque élégante.
_Ma mère!_ était surtout enjolivé de traits tout-à-fait jolis. C'était
comme une manière de couronne qu'il avait un sérieux plaisir à composer
autour. Il se croyait heureux quand on le laissait là, quand il marchait
vite, seul et libre, le nez au vent, jetant ses bras devant lui, sur sa
tête, en tous sens, comme un être fort qui veut grandir. Personne dans
l'école ne le haïssait, il ne troublait personne, il était même aimé
comme une espèce de joujou solide sur lequel on se jetait quand les
autres étaient cassés.

On l'appelait souvent _bègue-bête_ pour rire, et plus souvent
_bonne-bête_. Quelques ricaneur peut-être avaient rencontré ses yeux;
c'étaient de ces yeux qui lancent une pensée toute chaude, toute claire;
son regard ne bégayait pas plus que son âme; vous allez voir! Car je
l'aime, moi, ce petit René; je veux vous le raconter des pieds à la
tête.

Ce jour-là, en juillet, un jour tout de feu et de vacance, on alla se
baigner. Toute l'école avait soif d'eau, de cette belle eau dont le
bruit rafraîchit l'oreille, dont le courant plein de perles blanches
semble entrer par les yeux dans l'imagination altérée de ceux qui la
regardent.

Dernier venu dans l'école, à l'époque de l'année où les bains de rivière
sont clos jusqu'à l'autre été, René ne savait pas nager.

--René, lui dit-on, vous veillerez sur les habits et vous regarderez
comme font les autres pour vous déniaiser un peu. Le maître de natation
vous commencera bientôt.

René avait répondu oui, par un signe de tête; car il avait toujours
l'épouvante de dire: ou... ou....oui! c'était plus fort que lui.

«Messieurs, vous m'attendrez! dit le sous-maître qui avait oublié je ne
sais quoi et qui les laissa aller en avant. Que pas un de vous ne se
déshabille avant mon retour! je connais la rivière; il y a une petite
barre dangereuse. Restez tous tranquilles, sur votre parole d'honneur!»

Parole d'honneur! parole d'honneur! répondirent en s'égosillant les
écoliers, qui ne demandent jamais mieux que de lancer une exclamation
dans l'air. Mais on n'a trop de raison de dire: autant en emporte le
vent. Je voudrais qu'on réfléchit longtemps avant de dire _parole
d'honneur_ pour une chose à venir.

Achille pouvait conduire ce bataillon civil, car Achille avait treize
ans. C'était un grand garçon droit comme une flèche, blond, joli, prompt
comme un épervier. Quand il voulait un plaisir, sur l'eau, sous l'eau,
n'importe, il s'élançait au but, la tête la première; chacun de ses
mouvements avait l'air de crier: Gare que je je passe! «il n'avait pas
dit tout-à-fait _parole d'honneur_, comme les autres, mais seulement
_eur, eur, eur_! ce qui n'engage à rien du tout, ce qui n'est qu'un cri
comme un autre.

Voilà donc ce héros des rivières poussé par l'orgueil de l'indépendance,
attiré par le bruit frais du large bain qui les attendait tous, le voilà
en deux secondes, sans habit, sans bas, sans chemise, dans l'eau! Vous
jugez de l'étonnement des autres qui regardaient, la bouche béante, le
plongeur hardi, si pressé de déployer ses habiles manoeuvres, que toute
prudence l'abandonna. Il but, il tourna, il eut peur et disparut devant
l'inexprimable terreur de ses camarades qui poussèrent des plaintes vers
le ciel, sans pouvoir détacher leurs pieds du sol où ils semblaient
attachés par force.

René fit trois pas en arrière, et d'une voix hurlante de douleur, cria
vers le sous-maître dont les cheveux se dressèrent d'effroi:

--Secours! secours!

Alors jetant son habit à la tête des écoliers tremblants qu'il bouscula
dans un trouble intelligent, il bondit juste à la place où avait coulé
son camarade. Sa chute les couvrit d'eau et leur fit froid.

--Il ne sait pas nager! disaient les enfants pâles en se tordant les
mains, et s'embrassant à demi-morts. Deux petits étaient tombés à genoux
pour ne pas voir et sanglotaient: Le sous-maître, suffoqué de poussière,
accourait de toutes les forces de sa vie; mais que c'était lent devant
la mort qui va si vite? si vite qu'Achille, étouffé par la suffocation
de l'eau et de la peur, ne pouvait plus seconder René qui le tenait par
les cheveux d'une main infatigable, nageait des pieds et de l'autre main
avec l'instinct sublime d'un chien qu'on jette à l'eau pour la
première fois. Ses yeux ardents, ses mouvements souples et rapides,
l'inébranlable idée de sauver son fardeau en le poussant vers le bord,
et quelque ange arrêté peut-être devant sa généreuse imprudence, le
soutinrent longtemps. Tout-à-coup il s'enfonce..., un silence d'horreur
répond seul au précepteur haletant qui atteignait cette scène de
désolation.

--Où sont-ils? dit le pauvre maître dont les dents claquent
d'impatience, et qui se déshabille en les interrogeant.

--Là! montrent les enfants, où tout s'était englouti: mais ce n'était
plus là.

René, comme attiré vers le bord par une puissance divine, y paraît à
l'instant, traînant après lui sa proie évanouie, sans qu'il semble
trop surpris de ce prodige. Il eût fallu lui couper le bras pour l'en
séparer; car ses doigts étaient si prodigieusement serrés dans les
cheveux d'Achille, que sa main saignait déchirée de ses propres ongles.

Les acclamations qui le reçurent l'effrayèrent d'abord, et il se remit
à crier: secours! secours! pensant que le pauvre Achille n'était pas
entièrement sauvé. Mais il était sauvé! ivre et faible encore, étendu
sur le gravier que le soleil rendait brûlant. Il regardait René nu comme
lui, René, que des souvenirs confus, des fils noués entre eux pour
l'avenir tout entier, lui faisaient chercher, contempler comme son
sauveur. Bénédiction! il revenait à la vie par la reconnaissance. Leurs
yeux ne pouvaient se détacher l'un de l'autre.

Oh! comment t'es-tu jeté ainsi sans savoir nager? lui dit-on en
l'accablant de caresses et de questions.

Je ne l'ai pas senti, réplique René avec feu: tout ce que je sais, c'est
que j'étais sur les cailloux, et que tout d'un coup, je me suis trouvé
dans l'eau: j'ai vu clair, j'ai vu jusqu'au fond, j'y suis descendu
comme par un escalier glissant; j'ai trouvé sa tête j'ai dit: bon!
A présent, il faut revenir. Et j'ai poussé devant nous. Le chemin
s'ouvrait tout seul; je n'ai pas eu de peine; seulement, j'ai cru une
fois qu'il s'enfonçait sous moi, et j'ai coulé dessous pour voir. Alors
avec deux bons coups de pieds, si fort que je n'en respirais plus, j'ai
tout jeté de ce côté, et le voilà! termina-t-il avec un rire plein de
larmes. Il ne bégayait plus.

--Tu parles comme tu nages! lui dit le précepteur en secouant sa main,
transporté d'admiration, tandis que les autres faisaient cercle pour
écouter son récit plein de candeur.

C'est, mon Dieu, vrai!» répliqua René en s'écoutant parler avec autant
de surprise que de joie.

J'ai dit tout ça couramment. Avez-vous bien entendu? Ajouta-t-il pour
s'assurer que ce n'était pas un rêve.

--Oui, mon bon petit garçon, dit le maître, en le couvrant de caresses:
oui! aussi couramment que je te proclame une digne créature! Oh! je
parlerai donc comme un autre à présent! on ne se moquera plus de moi!

Non! non! Vive René! cria toute l'école en l'emportant dans ses bras.

--Oh! quand ma mère va savoir que je ne suis plus bègue! dit l'enfant.



LE PETIT INCENDIAIRE.


On a vu un enfant sur le banc des accusés.

Je crois que c'était en France, tout près de nous.

Il se ressouvenait d'un feu d'artifice, dont les soleils et les fusées
au fond de la nuit sombre avaient laissé une vive impression dans sa
mémoire. Ce spectacle le poursuivait surtout quand le jour tombait. Il
eût donné tout au monde pour revoir une fois encore éclater ces ardentes
lumières qui avaient enflammé l'air et son imagination de cinq ans. Mais
il n'avait rien du tout pour acheter un feu d'artifice, et il rêvait sur
le bord de la chaumière.

Les yeux fixes et la tête penchée, il cherchait un moyen d'assister
encore à cette fête du soir qui l'avait rempli d'émotion et
d'étonnement.

Une idée simple, mais fatale traversa son petit cerveau, comme une lueur
traverse l'obscurité. Demeuré seul pour garder la maison dont son père
et sa mère s'étaient forcément éloignés un moment, il saisit une lampe
qui pendait sous l'âtre et porta lui-même sa flamme dans tout ce qu'elle
pouvait dévorer. La grange recelait de la paille, du foin sec; le feu
se répandit avec une telle rapidité qu'il s'élança comme des langues
dévorantes vers le ciel, consumant la grange et la chaumière sans
qu'il en restât rien, que les cendres noires et tristes comme l'action
terrible de ce jeune insensé.

Il venait de réduire à la mendicité son père, sa pauvre mère, et lui,
nuisible à tous par cette action stupide dont il regardait l'effet
terrible avec une admiration profonde et muette.

Ah! que ce fut une grande douleur, quand la mère, au milieu des flammes
qui sortaient furieuses de la chaumière, s'élança en appelant son vieux
père, l'image de Dieu sur la terre, qui porte bonheur à la maison des
enfants! ce bon vieillard paralytique n'avait pas poussé un cri. La
fumée sans doute l'avait étouffé dans son lit, on le trouva consumé
victime du caprice monstrueux de son petit-fils, qu'il aimait qu'il
avait béni avant de s'endormir... Ah! oui, cela fut, cela est encore une
grande douleur! et l'on ne comprend point comment la mère infortunée ne
mourut pas, quand l'enfant, épouvanté des cris et des sanglots de tout
ce monde épouvanté, se mit à crier lui-même: J'ai fait le feu! j'ai fait
le feu! Horreur et pitié!

Jugez quand il passa le lendemain au travers du village, lié avec des
cordes, au milieu d'hommes armés comme pour garder un grand criminel et
que tout le monde criait après lui: à l'incendiaire! à l'incendiaire!

Sa mère pâle et ruinée qui le suivait à pied, ne pouvant se résoudre à
l'abandonner, joignait les mains comme pour demander à toutes ces voix
du silence par pitié pour elle, la mère, la pauvre femme sans chaumière,
sans vieux père à servir tous les jours, sans jeune enfant plein
d'innocence comme était hier ce coupable garrotté!

Voilà comme il parut, suivi d'un peuple immense au tribunal, qui n'avait
jamais vu un si jeune coupable et qui resta longtemps dans un triste
silence quand l'enfant interrogé répondit, tout épuisé de larmes:

--Je voulais revoir un feu d'artifice. On le condamna à vivre trois
cent soixante-cinq jours dans une obscurité profonde, où sa mère seule
l'éclaire et le console....Priez pour lui!



LE TUEUR DE MOUCHES.


Tuer une mouche, c'est affliger Dieu. C'est détruire un de ses chers
ouvrages.

Un homme bien malheureux qui avait tout perdu sur la terre, hors le
souvenir et la résignation, rêvait des heures entières, occupé à
regarder ces charmantes promeneuses des vitres, où elles glissent en
tous sens comme sur un chemin droit. Un jour, il vit Paul que j'ai bien
connu, en saisir au vol, quatre qu'il dépouilla de leurs ailes, pour en
faire disait-il des chiens, et les atteler ensuite à quelque chariot
fait de papier, ou d'une noisette creuse.

L'homme se retint de parler, mais il soupira une douce croyance
s'attachait pour lui au vol imprévu de leurs ailes, sur sa tête ou
sur ces mains; il se persuadait que l'ame de quelque ami, d'un de ses
enfants pleurés, venait baiser sa tristesse, et l'action de Paul lui
serra le coeur.

Mais Paul, bientôt las de faire courir ses chiens fatigués, leur rendit
la liberté et trancha du généreux. Les petites invalides se traînèrent
ainsi défigurées sur la terre et moururent.

--En voilà de bien belles! cria Paul, avec un rire avide de victimes:
qu'en ferai-je?

Une, deux, trois, quatre, cinq, six vestales! condamnées à être
enterrées vives, comme j'ai lu dans mon histoire de Rome. Allons! pas
de grâces mesdemoiselles, votre feu s'est éteint; plus de lumière pour
vous. Dans la terre! dans la terre!

Il creusa en effet un trou au bord du jardin où il jouait; puis pour
être plus sûr que pas une n'échapperait à sa condamnation, il les
plongea d'abord dans un cornet de papier, comme dans un cachot
préalable, et les ensevelit après dans l'éternelle nuit. Il parcourut
ensuite le jardin, à cloche-pied, tout joyeux et tout fier d'avoir imité
les Romains.

A peine fut-il loin, que le témoin de cette mauvaise action se pencha en
toute hâte vers la sépulture des mouches et qu'il les délivra. Ce fut,
avoua-t-il lui même depuis, un moment de profonde joie pour lui, quand
il vit ces six petits souffles du ciel y remonter légères quoiqu'un peu
étonnées de leur captivité. Sans que le regard fixe de cet homme affligé
eut suspendu l'acte barbare de Paul, ce regard le poursuivait. Il le
perçait d'un reproche, au milieu de son triomphe et des fleurs du
jardin. On eût dit sa conscience! Il revint donc sur ses pas, pour
flatter et assoupir cette conscience rigide qui l'empêchait de jouer, et
il tourna autour de l'homme immobile.

--Bonjour, monsieur! bonjour, bon monsieur! répéta-t-il d'une voix
caressante et obstinée. Veux-tu causer avec moi comme hier?

Je ne cause pas avec le bourreau, répliqua le témoin, qui s'éloigna
lentement de Paul anéanti.

Après quelques tours de promenade, il sentit Paul haletant, qui
l'accrochait par ses habits et l'étreignait de ses deux bras, au milieu
du chemin.

--Monsieur, dit-il, hors d'haleine, je voulait déterrer mes vestales;
car je ne suis pas le bourreau, monsieur, je suis Paul qui demeure là.
Mais si tu savais... les vestales n'y sont plus.» Elles sont sauvées!
dit son juge en se penchant vers lui! sauvées par moi toutes les
six...--Merci! oh! merci, bon monsieur! s'écria l'enfant en larmes se
jetant à son cou. Paul, appelle-moi Paul, dit-il en le serrant avec
passion un jour je serai bon comme toi.»

--Au revoir, Paul! tu te ressouviendras de moi comme d'un courageux ami,
répondit l'homme en passant sa main sur les traits consolés de Paul.

--Tu verras! dit l'enfant.

Depuis, Paul ne tua pas une mouche.

    Il n'y a de créature si petite ni si abjecte qui ne représente la
    bonté du Créateur.



FIN DU TOME PREMIER.



TABLE
DES
Matières contenues
dans le tome premier.


  Préface aux enfants.
  Simple prière.
  L'écolier, _conte en vers_.
  L'enfant gâté.
  Conte d'enfant, _vers_.
  L'enfant aux pieds nus.
  L'enfant et le pauvre, _vers_.
  La poupée monstre.
  Deux chiens, _vers_.
  La briseuse d'aiguilles.
  Un enfant à son père, _vers_.
  La lumière.
  Le petit menteur, _vers_.
  La petite amateur de crème.
  L'enfant amateur d'oiseaux _vers_.
  L'emprunteur.
  Le Pélican ou les deux mères, _vers_.
  Le petit danseur.
  Le soir d'été, _vers_.
  Les mains blanches.
  Les deux abeilles, _vers_.
  Le chien avocat.
  Le petit oiseleur, _vers_.
  L'enfant questionneur.
  La souris chez un juge, _vers_.
  L'aumône.
  Le petit ambitieux, _vers_.
  Le sonneur aux portes.
  Un pauvre, _vers_.
  Le petit mendiant.
  Le petit peureux, _vers_.
  La jambe de Damis.
  La mère à sa fille, _vers_.
  Le petit bègue.
  Le petit incendiaire.
  Le tueur de mouches.

FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER





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