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Title: Le Salon des Refusés - Le Peinture en 1863
Author: Desnoyers, Fernand
Language: French
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SALON DES REFUSÉS

LA PEINTURE EN 1863

PAR

FERNAND DESNOYERS

PARIS

AZUR DUTIL, ÉDITEUR

131, RUE MONTMARTRE, 131

1863

LE SALON DES REFUSÉS

PAR UNE RÉUNION D'ÉCRIVAINS

SOUS LA DIRECTION DE FERNAND DESNOYERS

V'la l'bataillon d'la Moselle,
En sabots!
V'la l'bataillon d'la Moselle!!!
(_Chanson populaire_.)



I

=SOMMAIRE=

     Bonnes intentions des peintres.--Mauvais tableaux.--Le Jury devenu
     méchant.--Imitation des cris des peintres.--On leur applique la
     question du Jury.--L'Empereur la résout.--Grand embarras des
     Refusés.--Ils se reçoivent.--Les lutteurs, bataillon de la Moselle
     en sabots.--Brivet-le-Gaillard.--Quels types!--Les poltrons de la
     peinture.--Le Comité de salut... des Refusés.--Son
     plébiscite.--Honneur au courage malheureux!--Unité de
     Refus.--Succès espéré des Refusés.--M. Harpignies a tous les
     droits.--La Grenouille et le Lièvre, fable.--M. Briguiboul dans les
     deux camps.--Des choux, des panais, des choux-fleurs, navets,
     navets!--Discussion raisonnable.--La discussion continue.--La
     cage.--M. Whistler est le plus spirite des peintres.--Défense des
     moulins non attaqués.--Illumination _a giorno_ par la peinture.--Du
     critique d'art.--De l'influence de la philosophie allemande sur la
     peinture.--Abrutissement des peintres.--Classification des
     peintres--École de Paris.--École de Montmartre.--École de
     Rome.--École de Fontainebleau.--La raison même reprend la
     parole.--The end.

       *       *       *       *       *

Aux époques où le quart d'heure de l'Exposition des tableaux approche,
les peintres grouillent, s'agitent, se trémoussent, fouillent dans leurs
ateliers et n'y trouvent rien ou presque rien. Tous les jours, deux mois
avant le dernier moment, ils complotent de travailler et d'accoucher de
grandes oeuvres. Mais ces gigantesques complots avortent et s'épanchent
dans les petits cerveaux des peintres. Il ne résulte de tout cela que
des discussions. La discussion est tout à la fois le fort et le faible
des peintres. Non, les discussions ne sont pas le seul résultat de tant
d'efforts quand il n'est plus temps: il arrive aussi que les tableaux
sont manqués, mal faits, pas faits et mauvais pour la plupart.

Fatigués de voir péricliter l'Art qu'ils n'avaient pas porté bien haut,
les peintres, membres du jury, croient qu'ils deviennent sévères. Ils le
croient aussi, les peintres qui courent, c'est-à-dire qui veulent être
exposants. Bien des tableaux qu'on a vu se diriger à pied et en voiture,
sur des crochets ou des brancards, sont forcés de reprendre le chemin de
l'atelier natal.

Il n'en a pas été ainsi cette année:

Les cris des peintres, leurs réclamations se sont élevés du fond des
marais jusqu'aux oreilles de l'Empereur. Les plaintes parvenues à cette
hauteur ont obtenu justice. En vain le jury, souriant et haussant
doucement l'épaule, disait:

«On verra si nous n'avions pas raison!»

En effet, on le verra.

Cette grave et éternelle question du jury et même du jugement ne sera
donc jamais résolue? Nous la verrons éternellement plantée devant nous.
Elle nous ennuiera toujours.--Où est-il, le jugement dernier? Le
voici,--par décision impériale.--Les refusés seront acceptés ou exposés.
Les exposés ou acceptés, seront exposés comme les refusés.

Donc les acceptés et les refusés, les exposants et les exposés, qui sont
à peu près également exposés et exposants, ont pu lire dans le
_Moniteur_ du 24 avril 1803 l'extrait suivant:

     «De nombreuses réclamations sont parvenues à l'Empereur au sujet
     des oeuvres d'art qui ont été refusées par le jury de l'Exposition.
     Sa Majesté, voulant laisser le public juge de la légitimité de ces
     réclamations, a déridé que les oeuvres d'art qui ont été refusées
     seraient exposées dans une autre partie du Palais de l'Industrie.

      »Cette Exposition sera facultative, et les artistes qui ne
     voudraient pas y prendre part n'auront qu'à en informer
     l'administration, qui s'empressera de leur restituer leurs oeuvres.

      »Cette Exposition s'ouvrira le 15 mai. Les artistes ont jusqu'au 7
     mai pour retirer leurs oeuvres. Passe ce délai, leurs tableaux
     seront considérés comme non retirés, et seront placés dans les
     galeries.»

A cette nouvelle la joie des artistes fut grande, mais leur indécision
plus grande encore.

     «A ces mois les lions deviennent, des téturds.»

La fameuse question du jury fit place à celle-ci: «Exposerons-nous, ou
non?--Nous acceptons-nous, ou ne nous acceptons-nous pas? Nous
montrerons-nous aussi rigoureux envers nous-mêmes que le jury? Ce serait
lui donner raison. Nous nous acceptons. Mais d'autre part regardons-nous
bien: nous ne nous acceptons pas!»

Finalement, les uns ont été non indulgents, mais justes, en
s'acceptant,--et les autres aussi en se refusant. Que leurs ouvrages
soient bons ou mauvais, peu importe. Ceux qui veulent se voir et se
montrer le peuvent. Ils en appellent du jury qui n'est pas tumultueux,
au public qui n'est pas attentif. Il est vrai qu'ils n'admettraient
guère le jugement de tout le monde, s'il n'était conforme à celui du
jury. C'est la loi de nature,--plus que de s'entr'aider.

Eh bien! je vais dire une chose qui va m'étonner, je suis de l'opinion
des peintres,--des peintres refusés par le jury qui s'acceptent tout
seuls et s'exposent. Certes le jugement du public à tête de veau n'est
pas plus sûr que celui du jury palmé, ni que celui des esthétistes et
des critiques d'art raisonneurs; mais un objet d'art doit être vu de
tout le monde, sans excepter les imbéciles; il doit se manifester, afin
de se constater lui-même. C'est sa condition d'être. Il y a toujours
trois ou quatre personnes qui comprennent et sauvent un chef-d'oeuvre.

Les Refusés insoumis ont raison, comme tous les insoumis en tout genre.
Ils luttent au moins. C'est le seul moyen, la seule chance qu'ils aient
de pouvoir avoir raison. Que leurs armes, leurs oeuvres soient
mauvaises, tant pis! Ils n'ont pas peur. Oui, M. Brivet lui-même, que
des loustics appellent le vétérinaire Brivet ou Brivet-le-Gaillard, M.
Brivet lui-même, élève de M. Yvon, a raison d'exposer ses _types de
chevaux_.--Ces chevaux sont de véritables types, en effet; ils sont de
toutes couleurs et semblent avoir uniformément des molletières de
zouaves. J'aurai la hardiesse de dire que, malgré leur comique et leur
puissance d'attirer le monde, on les trouve mauvais. Mais si leur auteur
les trouve bons, qui peut lui prouver qu'ils sont détestables?

Les peureux, les poltrons, les couards, qui ont _remporté_ leurs
tableaux, (comme dans le peuple on dit: _remporter une veste_), n'ont
fait qu'une révérence de plus au jury. Ils ont traîtreusement abandonné
leurs frères d'armes, le bataillon en sabots... des Refusés, soit,--mais
des Refusés qui combattent!

     «Ce catalogue a été composé en dehors de toute spéculation de
     librairie, par les soins du comité des artistes refusés par le jury
     d'admission au Salon de 1863, sans le secours de l'administration
     et sur des notices recueillies de tous côtés et à la hâte. Un
     certain nombre d'artistes n'ayant point eu sans doute connaissance
     de sa préparation, soit qu'ils aient été absents de Paris, soit que
     les avis publiés par l'_Opinion Nationale_, la _Patrie_, le
     _Temps_, la _Presse_, le _Siècle_, le _Moniteur des Arts_, etc, ne
     soient point parvenus jusqu'à eux, ce catalogue n'a pu être rendu
     aussi complet que l'eût désiré le Comité.»

      «En livrant la dernière page de ce catalogue à l'impression, le
     Comité a accompli sa mission tout entière; mais en la terminant, il
     éprouve le besoin d'exprimer le regret profond qu'il a ressenti, en
     constatant le nombre considérable des artistes qui n'ont pas cru
     devoir maintenir leurs ouvrages à la Contre-exposition. Cette
     abstention est d'autant plus regrettable qu'elle prive le public et
     la critique de bien des oeuvres dont la valeur eût été précieuse,
     autant pour répondre à la pensée qui a inspiré la
     Contre-exposition, que pour l'édification entière de cette épreuve,
     peut-être unique, qui nous est offerte.»

     _Les membres du Comité_,

     Chintreuil,
     Desbrosses, (Jean),
     Desbrosses,
     Depuis (P. Félix),
     Junker (Frédéric),
     Lapostolet,
     Levé,
     Pelletier (Jules).

      Paris, le 14 mai 1863.

S'il faut insister sur l'utilité, sur l'importance de la défense et sur
celle de l'Exposition des tableaux refusés, je dirai que les tableaux
reçus sont peut-être moins mauvais, mais à coup sûr plus ordinaires et
plus médiocres que les autres. On trouvera bien plus de hardiesse et
d'essai, bien plus de tentatives malheureuses, mais courageuses dans les
tableaux refusés que dans ceux reçus.

Une remarque très-judicieuse à faire, c'est qu'il y a un système absolu
d'exclusion pour les tableaux d'un certain genre, pour tous ceux, par
exemple, de l'école dite _réaliste_. Toute tentative faite en dehors des
principes ou des habitudes de l'Académie est rejetée. Nous résumerons à
la fin de ce livre ce que nous pensons de toutes les écoles, de tous les
systèmes, de l'Académie, des jurys, etc., et nous insisterons sur cette
répréhensible unité de refus, de rejet des oeuvres faites dans le goût
d'à présent, vécues et humées dans l'air au lieu d'être servilement
imitées, éternellement rêvées de la même manière.--tirées d'un moule
uniforme.

Cette Exposition des Refusés faite pour la première fois, attire
beaucoup plus de monde que celle des reçus. On s'y amuse bien plus, et
l'on y vient juger juges et jugés. Que de tableaux refusés et acceptés
sans la moindre apparence de raison! Pourquoi oui et, pourquoi
non?--Pourquoi, par exemple, n'a-t-on pas admis les paysages de M.
Harpignies? Ceux de M. Chintreuil, on s'explique encore leur refus; sans
être d'une audace outrée, ils contiennent une étude très-minutieuse et
très-fine de la nature champêtre; ils sont un peu en dehors du
bien-faire ordinaire; ils ont pu, comme la grenouille, effrayer le
lièvre académique; mais les paysages de MM. Harpignies, de Serres,
Jongkind et de plusieurs autres; mais le grand tableau de M. Briguiboul,
supérieur à celui du même peintre qui est parmi les reçus; mais les
_Embrasseux_ de M. Jean Desbrosses, des _natures mortes_, des _fruits_,
des _ognons_, des _carottes_, etc.; les portraits de MM. Julian, Fantin,
Gilbert et vingt autres, pourquoi les avoir refusés? Personne, pas plus
un juré qu'un jury, pas plus un critique d'art qu'un peintre, ne pourra
donner une bonne raison du refus. Les peintures que je viens de citer
sont proprement, habilement exécutées dans les règles et dans les
conditions de sujet et de faire ordinaires. Donc, même en dehors de tout
esprit révolutionnaire, les peintres des tableaux susdits, qui ont
protesté en profitant de la Contre-exposition offerte, ont eu doublement
raison.

Ah! je comprends les frayeurs du jury à l'aspect des hardiesses du
maître-peintre Courbet, ou du peintre des croque-morts, M. Lambron; les
peintres de talent ont presque tous eu le même sort: on les a refusés
jusqu'à ce qu'ils se soient imposés, jusqu'à ce qu'ils soient entrés de
force, portés dans la salle par tout le monde. Quant aux peintres
originaux, il leur a fallu lutter toute la vie et employer des moyens
malicieux pour se faire admettre et se glisser derrière leurs pauvres
confrères,--pour se placer à côte d'eux.

Je comprends que l'amour du calme et le respect de l'Académie fassent
reculer les juges devant le gai tableau de M. Fitz-Barn, _La Cage_, qui
attire tant de monde, et qui contient tant d'animaux. Je m'explique le
rejet _du Lever_ de M. Julian, _du Jeu de paume_ de M. Colin, de _la
Femme adultère_ de M. A. Gautier, du _Bain_ de M. Manet, de _la Fille
Blanche_ de M. Whistler, le plus spirite des peintres, et de _la
Dernière heure_ de M. Viel-Cazal. Tous ces tableaux très-remarquables,
ou très-osés, ont dû troubler des gens chargés de la défense du bon
goût, de l'Art, de la Science et de beaucoup trop de choses que personne
ne veut attaquer.

Tout le monde peut s'assurer que ce plaidoyer pour les Refusés est
juste; que je ne dis que des vérités et que ces vérités sautent aux
yeux.

On peut dès à présent être certain que les tableaux que j'ai cités
attirent et méritent l'attention par des raisons diverses.

Dieu! que c'est ennuyeux, l'Exposition! Comme tous ces cadres dorés,
tous ces numéros, toutes ces peintures _a giorno_ vous taquinent les
yeux, vous dessèchent la gorge, vous font mal au cou!

Si j'avais l'intention de devenir critique d'art et _de faire le Salon_
souvent, j'aimerais mieux, je crois, faire une tournée dans tous les
ateliers quelques jours avant l'Exposition, que d'aller au musée. Ce
serait plus fatigant et plus ennuyeux, mais je verrais mieux. Rien n'est
plus discordant que cet amas de peintures. Au-dessous d'un tableau grave
grimace un tableau grotesque.

Mais je ne veux pas devenir critique d'art.

Ah! les critiques d'art!

Voilà, voilà, voilà!
Le vrai critique d'art français.

Le fameux critique influent au gilet blanc, celui-là même qui _se
groupait_ dans les foyers de théâtre, les soirs de première
représentation, et qui _protégeait_ si solennellement les auteurs
dramatiques et les acteurs, n'est rien auprès du critique d'art.

Le critique d'art a une importance qu'il ne cherche pas à dissimuler.
Cette importance est basée sur sa science. C'est lui qui a fait des
découvertes d'esthéthique, de Svedenborgisme, de philosophie et de
spiritisme dans les paysages et dans les tableaux. Jusqu'alors on
n'avait trouvé dans la peinture que la représentation des objets plus ou
moins réussie. Le critique d'art est enfin venu, armé de gros tomes, et
il a démontré aux peintres que les diverses écoles de philosophie
allemande, n'étaient pas du tout étrangères à la peinture. Kant,
Leibnitz, Spinosa, Hegel, Schelling, Fichte, Richter, Grimm, Locke,
Condillac et Denis Diderot, Svedenborg et Saint Martin font bien dans le
paysage et les critiques d'art, qui sont leurs interprètes pour les
peintres, les ont barbouilles de vermillon et de jaune de chrome et ont
puissamment prouvé la nécessité absolue de leur incarnation dans la
peinture à l'huile. Avant le critique d'art, on ne savait que voir la
peinture, on ne savait pas la lire. Actuellement, grâce aux critiques
d'art, les peintres mieux renseignés, remplissent leurs paysages et
leurs portraits d'esthétique et de svedenborgisme: Heureux qui peut
entendre un paysagiste approfondir les questions _d'objectif et de
subjectif_, de sensualisme, de matérialisme et de spiritisme, et
résoudre le problème _des trois corps_, d'après le fameux marquis de
Condorcet.

J'ai eu la chance de me trouver dans une société de peintres et de
critiques d'art, brasserie allemande, où l'on discutait fortement, à
propos de la dernière exposition de tableaux et de celles de Courbet,
sur la définition de _la substance_. Les peintres, en méditant le fameux
_Enterrement d'Ornans_ du maître-peintre, inclinaient d'abord pour le
cartésianisme, puis, définissant _la substance_, ils la considéraient
comme purement passive et invoquaient à l'appui de leur dissertation
Mallebranche, Descartes et Spinosa. A la seconde tournée de canettes,
les critiques d'art ramenèrent avec un grand bonheur d'expressions les
peintres aux _monades_ et à une _harmonie préétablie_ qui expliquait
tout.

Le critique d'art a rendu le peintre plus bête qu'il n'était,--plus que
la nature,--presque autant que lui.

Il est la cause de la classification des peintres qui donnera une si
rude besogne aux professeurs du Muséum:

    Les peintres, désormais, rangés sur une liste,
    Seront étiquetés par un naturaliste.

       *       *       *       *       *


=CLASSIFICATION DES PEINTRES=

ÉCOLE DE PARIS

Les peintres de cette école sont généralement élèves de Gassendi; comme
ce célèbre professeur, ils font leur syntagme légèrement colorié
d'épicurisme.--Voltaire, Rousseau, d'Alembert et Diderot empoignent les
peintres à leur sortie de l'école de Gassendi et les poussent au
matérialisme. Le fameux Biard, un des plus vieux élèves, se rappelant
que Molière avait été aussi disciple de Gassendi, s'est surnommé le
Molière de la peinture.

Quelques spirites jettent de la variété dans cette école, à laquelle se
rattachent los Michel-Ange de Montmartre, dont nous avons
esquissé autrefois les portraits comme suit:


LES MICHEL-ANGE DE MONTMARTRE

Montmartre fut autrefois célèbre dans le monde des railleurs par son
Académie. Les ânes de Montmartre sont tous _artisses_.

       *       *       *       *       *

Tout le quartier Bréda, la rue des Martyrs, les boulevards extérieurs et
les rues de Montmartre sont occupés par des peintres, des gens de
lettres, sculpteurs, musiciens, acteurs et architectes de vilaine
espèce. Le fluide sympathique, loi physique irrésistible, les a attirés,
groupés et parqués dans un même lieu.

       *       *       *       *       *

Généralement ils sont malpropres. Ils affectent dans leurs allures, dans
leur mise, dans leur langage, une désinvolture qui voudrait prouver que
l'Art seul les préoccupe. Les lignes et les coupes vulgaires de leur
figure les rendent odieux aux yeux avant que les oreilles ne soient
blessées par leur voix: car l'horrible vulgarité leur sort par tous les
porcs et par tous les sens.

       *       *       *       *       *

Ils se font _des têtes_, ce qui serait excusable s'ils pouvaient
comprendre l'insuffisance de celles que la nature leur a faites; mais
non, ce n'est qu'une prétention bête: ils veulent attirer les regards
des bourgeois, dans les estaminets.

       *       *       *       *       *

Pour se faire de grands fronts, ils rejettent leurs longs cheveux en
arrière, les ébouriffent ou les collent derrière l'oreille, les séparent
par une raie au milieu de la tête ou les portent à la _mal-content_, en
laissant alors croître leur barbe, qu'ils taillent avec le même art.

       *       *       *       *       *

Une remarque bizarre résulte de leur examen. Au bout de peu de temps,
l'intimité leur donne à tous la mémo voix, les mêmes gestes, les mêmes
paroles, la même démarche.

       *       *       *       *       *

Si l'un d'eux s'accoutre d'une façon, deux jours après le camarade est
affublé pareillement.--Les paletots-sacs et les feutres à larges bords
sont de leur goût: _ça_ a du _chic_ ou du _caractère_, disent-ils.

       *       *       *       *       *

Mais le plus souvent on les voit passer dans le quartier ou s'attabler
dans les cafés, habillés de pantalons à pied à larges carreaux, de
vareuses rouges et coiffés de chapeaux de paille, de bérets, ou plus
simplement tête nue.

       *       *       *       *       *

Ils partagent avec les acteurs la manie du tutoiement, et ce sont
justement leurs propos qui provoquent dans l'homme les hauts-le-coeur
les plus précipités.

       *       *       *       *       *

Ils ne s'abordent jamais sans s'adresser cette phrase sacramentelle:
«Bonjour, _ma vieille_, comment _qu'ça te va_?» Quelques mots d'argot
étincellent maladroitement dans leur conversation. Mais voici un
échantillon significatif, qui achèvera de donner une idée juste de leurs
expressions:

       *       *       *       *       *

Un soir, quelques-uns de ces messieurs étaient réunis dans un atelier.
Un d'eux chanta une abominable niaiserie intitulée: _le Voyage aérien_.
Le chanteur prenait des airs inspirés qui paraissaient émouvoir
profondément l'auditoire. Quand il eut fini, tout le monde l'entoura, le
félicita vivement; puis un peintre lui serra les deux mains en lui
disant: «_C'est égal, tu y as été de la larme_.»

       *       *       *       *       *

Leurs moeurs ne sont pas édifiantes. Leurs soirées se passent dans les
bals de barrière ou dans les estaminets; leurs nuits, je ne peux pas
dire où. Enfin ils emploient leurs jours à dormir, flâner, jouer au
billard ou à l'_impériale_, à fumer et à boire et manger des poisons qui
ne les tuent pas.

       *       *       *       *       *

Leurs opinions artistiques et littéraires sont que M. Gustave Doré a un
talent «_épatant_, «que M. Edmond About est «_l'esprit français»_ en
personne; que sais-je encore? Cela suffit.

       *       *       *       *       *

Du reste, il n'est rien qui ne leur soit familier: peinture, poésie,
sculpture, musique, philosophie, sciences, tout est de leur ressort.
Semblables en cela au _Solitaire_ de M. le vicomte d'Arlincourt, ils
voient tout, ils savent tout, ils sont partout.

       *       *       *       *       *

Quoiqu'ils soient tous de _bons garçons_, il ne faut pas se fier à eux.
Comme ils sont naturellement répulsifs, aux yeux d'abord, ensuite aux
oreilles et au nez même, puis surtout aux intelligences, il en résulte
qu'ils ont pris en aversion tous ceux qui voient, qui entendent ou qui
comprennent.

       *       *       *       *       *

C'est parce que ces _artisses_ ne font rien qu'ils se mêlent de tout;
quand je dis qu'ils ne font rien, c'est l'exacte vérité. Cependant, de
temps en-temps, ils barbouillent des vers ou de la prose, ils
griffonnent des tableaux, pétrissent de la musique et gâchent des
plâtres; ils sont tous peintres, musiciens, poètes, sculpteurs et
philosophes. Cette multiplicité de moyens dans l'impuissance les a fait
surnommer _les Michel-Ange de Montmartre_.

(1856.)


ÉCOLE DE ROME

Les peintres de cette école sont universels et éclectiques. Ils n'ont
pas de parti pris en philosophie. Pic de la Mirandole, Bacon, Machiavel,
Gozzi, Humbold et Cousin sont sur leur palette. Quand ils rentrent à
Paris ils deviennent hommes du monde et quelquefois musiciens. Ils
reçoivent.


ÉCOLE DE FONTAINEBLEAU

Cette école est celle qui contient la plus grande variété de peintres
philosophes.--C'est toute une ménagerie.

Les peintres de Barbison
Ont des barbes de bison.

Presque toutes les célébrités picturales ont vécu à _Barbison_, à
_Marlotte_ et à _Samois_. Habitués à grimper de roc en roc dans les
_gorges d'Apremont_, ils abordent aisément les pics escarpés de la
philosophie la plus allemande. Le _Mont-Aigu, Franchard_, la _Roche qui
pleure_ et la _Marc aux fées_ leur ont donné de saines idées sur
Leibnitz, Spinosa, Kant, idées dont les critiques d'art avaient planté
le germe en eux. Que de paysages philosophiques résultent de ces divers
systèmes!

Voilà ce que les critiques d'art ont fait. Ils ont comme des incubes et
des sucubes tellement gratté les pauvres cervelets des peintres, qu'ils
le sont complètement rendus fous, tandis qu'eux restaient simples
crétins.

Il y a autant de _faiseurs de Salons_ que de tableaux à l'Exposition.
Chaque toile pourrait avoir son critique spécial. Il faut retenir
l'accent _niais_ et magistral des bonshommes de lettres disant: «Cette
année, je fais le Salon.» C'est pourtant Denis Diderot qui est cause de
ce mal; il n'est pas plus coupable que le soleil de faire naître les
vers il soie; mais enfin tous les coléoptères du petit et du grand
journalisme ont Je nom de Diderot à la trompe; ils se collent comme des
taons au ventre des peintres et sur les tableaux, croyant faire comme le
grand écrivain. Ils ne se doutent guère que Diderot examinait la
peinture bien plus en philosophe et en homme qu'en peintre. Le sujet,
les poses, les expressions, la composition, l'intéressaient infiniment
plus que la manière de peindre, le dessin et la couleur. Greuze, par
exemple, ne traitant que des conceptions simples et humaines, ne
représentant que des scènes villageoises, bourgeoises ou familières avec
naïveté et arrangement tout à la fois, lui semblait être le plus grand
peintre de l'époque. Quant à l'argot des rapins mâché par les critiques
diptères; quant aux mystères de la couleur, si souvent révélés, dans ces
derniers temps, par les suceurs d'esthétique, je crois que Diderot n'y a
jamais songé.

La peinture s'adresse d'abord et presque exclusivement aux yeux. Il
s'agit plus de voir que de comprendre. Le but, est de représenter les
objets. Plus la ressemblance est grande, plus la perfection est
approchée. La littérature peut tout; elle crée, décrit ou peint, raconte
et analyse. La peinture ne fait que reproduire ou interpréter. Je me
rappelle que ces opinions allumèrent une grosse discussion entre
plusieurs peintres et un homme de lettres qui cita alors, à l'appui de
ses arguments, Manon Lescaut. D'après le portrait qu'en fait l'abbé
Prévost, disait-il justement, on la voit; tout le monde se la figure, à
peu de différence près, de la même manière, et telle que les peintres et
dessinateurs eux-mêmes l'ont traduite en tableaux ou en gravures. Mais
jamais ces messieurs ne pourraient en une galerie immense décrire ou
peindre son caractère et ses passions. Ils ne représenteraient que sa
personne et dos situations.

L'Exposition des refusés est au moins curieuse. Plusieurs tableaux que
j'ai déjà cités de MM. Briguiboul, Whistler, Fantin, Manet, Gautier,
Colin, Gilbert, Viel-Cazal, Chintreuil, Jean Desbrosses, Julian, forcent
l'attention. Nous allons avec soin passer en revue tous les tableaux de
cette Exposition, où nous avons constaté une déplorable _unité de
refus_, sur laquelle nous insistons. Nous répéterons les opinions de
beaucoup d'artistes et de visiteurs, et toutes les remarques curieuses
qui pourraient être faites par nous et par tout le monde.

       *       *       *       *       *



II

=SOMMAIRE=

     Grande, moyenne et petite classe des Refusés.--Les braves.--Les
     suspects.--Les poltrons.--On demande les têtes des
     suspects.--Messieurs, le maître-peintre Courbet!--Évidence de sa
     supériorité.--Parenthèse.--Encore le critique d'art.--Paysages de
     M. Daubigny en plusieurs chants.--Hautes opinions de Courbet à
     propos de la peinture.--Révolution-Courbet.--Ornithologie des
     critiques d'art.--Ce qu'ils avaient sur les yeux.--Réalisme et
     Romantisme.--Haro sur le maître-peintre!--Les bons curés, tels que
     les voulait Béranger et que ne les veut pas M. Veuillot.--Exposition
     du Refusé en chef.--Peinture à l'encre ou description.--Conclusion
     raisonnée.

       *       *       *       *       *

Les Refusés peuvent être divisés en trois classes:

La première, la _grande_, est celle des Oseurs, des
Révoltés, des Protestants contre les jurys, une
Batterie des hommes sans peur; c'est pour ces peintres-là, qui
ne se tiennent pas tranquilles, qui sont convaincus qu'ils savent ce
qu'ils font, que l'Empereur a décrété une Contre-Exposition. Elle était
ouverte à tous; mais le danger d'être tué ou blessé,--c'est-à-dire de
déplaire au jury et d'être évincé une autre fois, le peu de courage, de
foi en soi-même aussi, ont empêché un grand nombre de peintres de
s'exposer--aux balles coniques des critiquas et aux obus du public,
autrement dit aux feuilletons et aux éclats de rire.

Ces peintres-là, leurs confrères, les Braves refusés, les
appellent des Couards et fixent leur nombre à 1,800 ou 2,000.
C'est eux qui composent la troisième, la petite classe.

Quant à la seconde, c'est celle des Suspects, gens timides,
indécis, qui acceptent en longues phrases, au lieu de dire franchement
oui; peintres timorés qui laissent leurs tableaux dans la salle des
Refusés, mais qui sont inquiets d'être vus. Ils ont l'air d'être
derrière leurs confrères, bien qu'ils soient à côté d'eux; en deux mots,
ils ne mettent pas de numéros à leurs toiles; ils ne se sont pas faits
inscrire dans le catalogue des Refusés, et ils ne peuvent être signalés
que par les chiffres de refus de l'administration. Quelques-uns mêmes de
ces peintres qui se trouvent mal et ont des borborygmes n'ont pas signé
leurs ouvrages. Si le Comité des Refusés était aussi décidé que son
aîné, le Comité de salut public, les Suspects seraient
guillotinés tous comme les traîtres et les lâches.

A la tête des plus vaillants Refusés, il convient de placer Courbet.
Quoiqu'il ne figure pas parmi eux, dans le catalogue et dans le Musée,
il est le plus Refusé des Refusés.

Courbet est la plus puissante individualité qui se soit produite parmi
les peintres depuis une vingtaine d'années.--Pour ceux qui ne cherchent
pas dans la peinture ce qu'on n'y peut pas trouver, la philosophie, la
poésie ou l'astronomie, l'agriculture, etc., mais qui se contentent d'y
voir la représentation naïve et vigoureuse des faits et des objets, la
supériorité du maître-peintre est évidente.

(Je n'exagère pas la démence des critiques d'art et d'une foule d'autres
gens, en disant qu'ils ne peuvent admettre qu'une peinture ne soit
qu'une peinture, et que dans un tableau ce qui les charme le plus, c'est
ce qui n'y est pas. Voilà un critique qui m'interrompt pour me lire son
article sur M. Daubigny: «Chaque touche, a-t-il écrit, est «un
hémistiche et fait venir à l'esprit un son cadencé, etc. C'est _avant
tout_ un grand poëte!!!»)

Courbet tout en ayant, des idées assez vastes de la peinture et des
mondes qu'elle peut contenir, est convaincu d'abord qu'elle doit _faire
ressemblant_, et que le meilleur moyen de faire ressemblant est de voir.
Cette opinion instinctive est assurément préférable à celle de croire,
comme le fameux M. Thoré, que la peinture est faite pour instruire les
masses et donner des leçons de politique ou de morale.

Toute espèce de tricherie est écartée des tableaux de Courbet. Il vaut
mieux, croit-il, avoir vu ce qu'on veut peindre que l'avoir rêvé; la
peinture mythologique ou allégorique excite son rire franc-comtois; il
pense que la peinture est plus faite pour les yeux que pour
l'imagination; il veut voir pour peindre. En Art, le parti pris, est
indispensable.

Le système de Courbet a fait éclore de nombreux partisans; on voit
maintenant une foule de tableaux du genre dit réaliste. Tous ces
croque-morts, ces carriers, ces sarcleurs, etc., c'est la faute de
Courbet. Il fait école non seulement pour le sujet, mais encore pour la
manière de peindre. Les nouveaux ne subissent pas seuls l'influence du
nouveau maître: des anciens, et des plus célèbres, ont visiblement
modifié leur peinture depuis sa venue. Le tableau de l'_Enterrement
d'Ornans_, si décrié à son apparition, demeuré le chef-d'oeuvre de
Courbet, quoi qu'on en dise et quoiqu'on ne veuille reconnaître de, lui,
pour ne pas avoir l'air de se rendre, que des tableaux très-beaux sans
doute, mais d'une moindre importance, l'_Enterrement d'Ornans_, dis-je,
a fait émeute, mais aussi révolution. Les oeuvres que Courbet a exposées
en 1861, lui avaient rallié, outre les jurés et les académiciens, les
semblables de M. Anatole de la Forge et autres critiques qui manquaient
à sa collection. C'était toujours la même peinture, mais ce n'était plus
le même sujet. Les postères de la fameuse _Baigneuse_ qui avaient
empêché bien des critiques d'art de s'apercevoir qu'elle était
admirablement peinte, dans un paysage et à côté d'une belle fille
également exécutés de main de maître, ne furent plus posés pendant un
instant sur leurs binocles. Le _Combat de cerfs_, le _Renard sur la
neige_, le _Cerf blessé_, etc., sont de superbes peintures qui
n'offensent personne. Ceux même que le mot: _réalisme_ retenait encore
par leurs pans d'habit commencent à comprendre que ce mot n'est qu'un
nom, comme toute révolution littéraire ou autre en a toujours pris un,
nom qui n'engage en rien les individualité entre elles, qui leur laisse
leur pleine liberté, et qu'un artiste hardi, indépendant et original
peut accepter comme il eût accepté relui de romantisme en 1830.

Mais cette année tout est bien changé. Il n'y a plus assez de cris
contre Courbet; il a envoyé au jury un grand tableau, représentant _des
curés ivres_, dont nous allons parler tout à l'heure. Ce tableau était
escorté de deux ébauches, une _Chasse au renard_ et un _Portrait de
dame_.

Courbet, médaillé, était reçu de droit; mais _les curés_, dodelinant et
barytonnant, ont scandalisé le catholicisme du jury, et le tableau a
été--je ne puis pas dire: refusé, car il serait exposé,--a été... remis
à la disposition de son auteur qui, ne trouvant aucun endroit public où
il fut accepté, a fini par le recevoir dans son atelier, rue
Hautefeuille nº 32. Tout le monde est invité à venir le contempler tous
les jours jusqu'à midi.--On fait queue.

Jamais le maître-peintre Courbet n'avait fait un tableau aussi vivant,
aussi amusant, aussi pris sur nature et étudié que celui-là.

Par un beau temps septembral, le long d'un chemin de campagne, s'avance
un groupe de curés rabelaisiens, dont un, doucement cahoté sur un joli
une, ressemble à un silène rubicond, plein d'une bonhomie vinicole qui
semble dire: Mon Dieu, cela ne fait de mal à personne! Un curé à
lunettes bleues et au nez pointu le soutient de ci, et un jeune vicaire
qui pourrait bien lui appartenir de très-près, tant il lui ressemble, le
soutient de là; un autre jeune vicaire--ineffable, celui-là,--tire le
grison par la bride; un troisième vicaire ramasse un vieux curé qui
butte à chaque pas.

Un peu en arrière, marche à pas comptés un curé bourgeonné, aux cheveux
vineux, balancé par le vin, qui tout en perdant son chapeau sans s'en
apercevoir, raille la faiblesse de son collègue. La goguenarderie, la
sanguinolence coutumière du teint, produite par une longue série de
repas copieux et prolongés, l'équilibre de ce curé, sont des merveilles
de peinture.

Quatre servantes viennent au loin, égrenant des chapelets, suivant avec
un calme béat cette sainte orgie dont elles ont fait la cuisine.

Un brave paysan regarde passer le cortège en riant de tout son coeur et
de tout son ventre, mais sans ironie, auprès de sa femme agenouillée,
habituée au respect de monsieur le curé.

Certes, ce tableau, un des plus vigoureux et îles plus animés de
Courbet, n'est pas l'oeuvre d'un catholique fervent qui s'incline comme
la bonne femme ci-dessus désignée sur le passage d'une débauche
presbytérale, mais elle n'annonce pas non plus des intentions
malicieuses et subversives contre la religion. On ne reconnaît pas dans
cette peinture l'ironie hostile et voltairienne de Béranger, l'inventeur
de ce bon curé populaire de Meudon, qui boit et danse avec les
fillettes, sur l'herbette, au nez de l'implacable Louis Veuillot.

Courbet n'a fait que représenter une scène significative, expressive et
gaie; le rejet la rend plus bruyante, plus voyante que ne l'aurait fait
l'admission.

       *       *       *       *       *



III

=SOMMAIRE=

     Missive d'un élève, jeune encore, au nom des Refusés.--Étrange
     pretention.--Un petit lopin.--Arguments sans réplique, réponse
     accablante.--Le critique d'art revient sur l'eau.--Il est question
     de M. Brivet-le-Gaillard et de Molière.--Naïveté
     indispensable.--Premier prix donné à M. Whistler.--Plusieurs
     tuiles se détachent et tombent sur les têtes du Jury.--La bêtise
     afflige les uns et réjouit les autres.--Déclaration de principes.
     --Dithyrambe bien appliqué à M. Signol.--L'art militaire et la
     religion mal réprésentés dans les arts.--Le _suspect_ Briguiboul
     est acquitté.--La Mythologie de M. Émile Loiseau n'est pas adressée
     à Émilie Demoustier.--Mosaïque ou dessin à petits carreaux.--M.
     Amand Gautier jette la pierre à la femme adultère.--Le sujet est
     mis au concours par tout le monde.--Le public refait le
     tableau.--Un amant en déshabillé, vu de dos.--Le Muséum-Gautier.
     --Un petit air qui n'est pas de Nargeot.--La Tombe de l'Oiseau ou
     l'Architecte en démence.--Imitation de Vadé à l'adresse du
     jury.--La province ne vote pas comme Paris.--Preuves à l'appui.

       *       *       *       *       *

Nous recevons une lettre de M. Ancourt, un des Refusés hardis inscrits
sur le catalogue, une réclamation _au nom des artistes refusés_....

«_Cet élève, jeune encore_, écrit que les Refusés _n'avaient pas ta
prétention d'être exposés face à face avec les peintres en renom et même
déjà décorés_ (sic).» Mais, alors, quelle était leur prétention en
envoyant leurs tableaux à la Commission d'examen?

_Nous n'avons demandé qu'un petit coin_,» répond ledit peintre, «_pour
recueillir, s'il est possible, quelques encouragements_.» Ce petit coin,
si modeste, vous pouviez l'obtenir sans vous faire refuser. On ne vous a
fait la concession du grand coin de la Contre-Exposition que pour donner
satisfaction aux plaignants et réclamants, et les faire ainsi juger, eux
et le jury, parle public. Si le public ratifie par sa critique les refus
de la Commission, les peintres sont condamnés, sinon, c'est la
Commission qui est coupable.

Quant aux encouragements, qu'est-ce cela? Un artiste ne se décourage
pas. Il sait ce qu'il fait et n'a pas besoin de compliments.

Qu'en regardant son oeuvre il se dise: c'est bien,
Sûr d'elle et sûr de lui,--tout le reste n'est rien.

Encourager qui? Quelqu'un qui fait mal à continuer?

Notre correspondant ajoute: «_Nous ne disons rien de la prétendue
injustice du jury_, etc.» Pourquoi donc protester contre sa décision en
acceptant la Contre-Exposition? Et M. Ancourt nous écrit _tout ce que
dessus_ Au nom des artistes Refusés! J'affirme qu'il se trompe
et qu'un grand nombre de Refusés n'ont pas les mêmes opinions que lui.

Quelques personnes se sont méprises à propos de la petite physiologie du
critique d'art détaillée au commencement de ce livre. Je n'ai appliqué
dérisoirement ce titre qu'à des _jugeurs_ dont j'ai fait la description
ressemblante, qu'à des _faiseurs de Salons_ de profession qui ne savent
ni critiquer, ni écrire, ni voir, ni lire. Mais il faut bien se garder
de croire que je puisse confondre ces importants personnages avec des
écrivains de génie ou de talent qui ont exprimé leurs opinions sur des
peintres et sur la peinture. Si par quelques traits, ceux-ci se
rapprochent de ceux-là, ce n'est qu'un petit ridicule qui se noie dans
la valeur du littérateur-critique. Mais, je le répète, je n'ai pas plus
voulu mêler ces hommes spirituels, intelligents et savants, que
moi-même, qui suis bien aussi un peu critique d'art, aux pédadogues du
Palais-de-Justice, de l'École normale, du Notariat, du monde et de
brasserie, dont j'ai cité les infirmités, les tics, les dislocations,
les loupes et les bosses intellectuelles. Quand on fait le portrait d'un
type d'animal, cela n'est pas le portrait de tous les animaux. M.
Brivet-le-Gaillard, déjà nommé, ne dit pas non plus que ses _Types de
chevaux_ représentent tous les chevaux. L'ancien Trissotin et l'ancien
Vadius n'étaient pas, dans la pensée de Molière, la portraiture de tous
les savants et poètes de son temps. De même, en caricaturant certains
peintres très-nombreux, je ne parle que de ceux-là et non d'autres,
comme le verront les gens qui continueront la lecture de ce livre.
(Quoique tout ceci soit d'une simplicité qui le rend inutile à dire, il
est bon, il est important de le dire. On ne saurait trop expliqueras
choses).

La peinture la plus singulière, la plus originale, est celle de M.
Whistler. La désignation de son tableau est: _La Fille blanche_. C'est
le portrait d'une _spirite_, d'un _médium_. La figure, l'attitude, la
physionomie, la couleur, sont étranges. C'est tout à la fois simple et
fantastique. Le visage a une expression tourmentée et charmante qui fixe
l'attention. Il y a quelque chose de vague et de profond dans le regard
de cette jeune fille, qui est d'une beauté si particulière, que le
public ne sait s'il doit la trouver laide ou jolie. Ce portrait est
vivant. C'est une peinture remarquable, fine, une des plus originales
qui aient passé devant les yeux du jury. Le refus de cette oeuvre
n'irrite que les gens qui croient aux examinateurs, aux comités et aux
académies; ce refus fait plaisir à d'autres personnes et leur confirme
une fois de plus la vérité. Ne rien faire qui vienne de soi-même, ne
rien faire que d'après les autres, c'est ce que veulent dire règle et
tradition, bases fondamentales de l'art académique, à qui nous devons
Abel de Pujol et M. Signol.

     Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois, etc.

Et, puisque je parle de ce membre de l'Institut, de ce juge des
peintres, qu'il me soit permis (autrement je prends moi-même la
permission) de citer ici, à cause de sa violence, un petit morceau
extrêmement violent:

     M. SIGNOL

      «Une des hontes de notre temps, c'est qu'un peintre-de la force de
     M. Signol ait pu arriver à l'Institut. Ce que c'est, cependant, que
     la médiocrité soutenue, la docilité académique et la bêtise
     soumise! N'avoir ni impression, ni idées, ni exécution, mais garder
     bonne mémoire des _pensums_ donnés à l'École des Beaux-Arts, et
     pieusement conserver les recettes de la maison, cela suffit,
     paraît-il, pour vous conduire à tout.

      »M. Signol me représente un élève ignorant et noué, le dernier de
     sa classe, toujours coiffé d'un bonnet d'âne, la risée de ses
     camarades et le plastron des professeurs. Plusieurs générations se
     succèdent; petit à petit, la classe se vide; les professeurs
     meurent, et un beau jour, le bonnet d'âne, resté seul, finit par
     monter en chaire.

      »Sa profonde nullité a fait sa fortune. Il n'a heurté personne,
     et, comme tous les gens médiocres, il a avancé, soutenu par tout le
     monde. Très-fidèle à la tradition de l'École, je ne crois pas qu'il
     ait jamais peint un sujet en dehors de l'Antique ou de l'Évangile.
     Le cycle de ses sujets est pour lui le cercle de Popilius: Il n'en
     sort pas.

      »Le _Supplice d'une vestale_ obtient au Salon, cette année, un
     succès de fou rire, et _Rhadamiste et Zénobie_ rappellent avec
     bonheur le Malek-Adel de Mme Cottin qui inspira tant de pendules
     au commencement de ce siècle. Il est impossible de dire ce qu'est
     la peinture. Elle a la propreté lustrée du cuir verni; elle en a
     aussi la sécheresse cassante. Est-elle passée au four comme la
     peinture de Sèvres?

      »Mais que vais-je chercher là? On ne peut pas plus s'occuper de la
     couleur de M. Signol, que de sa composition, que du choix de ses
     sujets. La seule chose qu'on soit en droit de lui demander, c'est
     un peu de pudeur. Lorsqu'on peint comme lui, on se cache.»

      Henry De La Madelène.

      (_Figaro-Programme_, 20 mai 1863)

Il est à remarquer que les tableaux religieux, que les tableaux à sujets
académiques, militaires, mythologiques et romains, sont les plus
mauvais. Que de victimes de MM. Brascassat, Léon Cogniet, Yvon, Gleyre!
etc., etc.

Il faut excepter M. Briguiboul. Son tableau mythologique est beau; il a
bien plus de valeur que son tableau reçu. Ce n'est pas seulement mon
opinion, c'est celle de beaucoup de peintres, et je crois pouvoir dire
de tout le monde. Mais, malgré son talent, M. Briguiboul doit être
classé parmi Les Suspects. Il n'est pas inscrit sur le
catalogue. Il proteste timidement au Salon des Refusés contre son rejet.
Il ne se montre que comme quelqu'un qui se cache. Je sais par hasard que
ce beau tableau est de lui.

Voici un autre tableau mythologique, celui de M. Émile Loiseau, _Hercule
filant aux pieds d'Omphale_. Quelques peintres disent que ce tableau est
_un Jules Romain_. Ce n'est pas ce que je pense; d'ailleurs, mieux
vaudrait être soi, fut-on mauvais, que d'être un imitateur. _L'Hercule_
de M. Loiseau est formidable même pour un Hercule. Ce n'est pas des
biceps qu'il a sur les bras, mais des montagnes. Son torse est tellement
accidenté d'énormes capitons que cela doit le gêner. Du reste, tout est
hercule dans ce tableau. Omphale aussi se porte bien! Quelle gaillarde!
Cependant cette peinture ne méritait pas les honneurs du refus. Par
exemple, _l'Intérieur mauresque_, du même peintre n'est pas du tout de
mon goût, je l'avoue. Il ressemble à une tapisserie ou plutôt à un
dessin industriel colorié sur papier à petits carreaux.


M. Amand Gautier figure aux deux Expositions. _La Femme adultère_ est un
beau tableau dont le refus ne peut s'expliquer que parce qu'il est beau.
Quelques peintres pensent que les peintres du jury, qui ont fait dans
leur jeunesse _une Femme adultère_, n'auront pas admis qu'on traitât le
sujet évangélique autrement que classiquement. M. Gautier a représenté
sur le seuil d'un petit temple grec un mari féroce, dont la figure est
toute en poils, menaçant de transpercer de son doigt pointu sa femme
qu'il a chassée pour cause d'adultère.

    Une femme, après tout, n'est pas une muraille,
    Quand son coeur lui dit: Va! que diable! il faut qu'elle aille.

Un ciel en feu, un chien qui aboie, des arbres aux ramaux pointus et
tendus comme le doigt de l'époux irrité, semblent être tous avec lui
contre la malheureuse jeune femme. Je ne pense pas que M. Gautier ait
voulu donner une leçon à Jésus-Christ qui pardonne à la femme adultère;
mais j'ai entendu quelques personnes le supposer. Le tableau est
très-bien peint;--la femme, le ciel, le chien surtout sont réussis. On
ne peut s'empêcher de prendre le parti de cette jeune épouse qui doit
être jolie, je dis qui doit, car elle cache sa figure dans ses mains. Le
mari est plus désagréable, plus méchant, plus ridicule encore que ne le
sont ses semblables ordinairement. Le ciel orageux est admirable--pas de
charité,--et cela s'explique mal, puis-qu'il est le séjour du Christ.

Ce qu'il y a de plus comique, c'est que chacun éprouve le besoin de
recomposer le tableau de M. Gautier. L'un dit: le mari devrait être
chauve, et fait plusieurs observations judicieuses à ce propos. L'autre
prétend que dans le fond du paysage on devrait apercevoir de dos
l'amant, fuyant en tenant sa culotte sur le bras. Un troisième voudrait
que le chien, au lieu deprendre part à... l'accident de son maître,
léchât les mains de sa douce maîtresse. Enfin, chacun refait le tableau
à sa manière, et _la Femme adultère_ est bien certainement le sujet qui
aura été traité le plus cette année.

M. Amand Gautier est un des jeunes peintres qui se sont fait remarquer
dans ces derniers temps: _La Promenade des Frères_, _les Folles de la
Salpétrière_, _les Soeurs de chanté_ sont des tableaux connus, estimés.
_La Femme adultère_ est digne de ces peintures qui avaient été admises
aux Expositions précédentes.

Le peintre Gautier ne s'est pas seulement fait connaître par ses
tableaux; sa ménagerie ne l'a pas moins illustré. Il avait dans son
atelier, singe, chats, perroquet, chiens, rats, serins et une alouette
qu'il préférait même à son singe, nommé Arthur. Lorsque cette jolie
alouette mourut, je fis sur elle, pour adoucir la vive douleur du
peintre, la chanson suivante, qui arrive ici comme dans un vaudeville
(_entrée habilement préparée_):


=L'ALOUETTE DU PEINTRE GAUTIER=

    Qu'a donc le peintre Gautier?
    Revient-il de l'autre monde?
    Ne sait-il plus son métier?
    Est-ce que Courbet le gronde?
    Ses lèvres n'ont plus d'accueil
    Même pour le doux sourire.
    Une larme dans son oeil
    Ne cesse jamais de luire;

    Son ami, le singe Arthur,
    Ne fait plus de cabrioles.
    Le perroquet, d'un air dur,
    Roule d'amères paroles.
    Pourquoi donc tout l'atelier
    S'attriste-t-il de la sorte
    Avec le peintre Gautier?
    C'est que l'alouette est morte!!!

    Il aimait tant col oiseau
    Auquel, sur la serinette,
    Il apprenait un morceau
    Ou l'air d'une chansonnette!
    Un rayon parti des champs
    Venait-il dorer sa cage,
    L'alouette dans ses chants
    Semblait rêver paysage,

    Elle était heureuse, alors,
    Le plumage de sa tête
    Tout d'un coup formant un corps
    Se dressait comme une aigrette!
    Elle semblait un instant,
    Par ses ailes soutenue,
    Planer sur le blé flottant
    Et s'élever dans la nue,

    Elle mangeait du millet
    Dans la main de son bon maître,
    Et jamais ne s'envolait
    Quand il ouvrait lu fenêtre.
    Avec tous les animaux
    Elle était si bien unie.
    Que pas un jour de gros mots
    N'ont troublé leur harmonie.

    On n'aurait pas pu l'avoir
    Ni pour cent francs, ni pour mille,
    Me disait Gautier un soir.
    Sa douleur n'est pas puérile.
    Il faudrait être bien dur
    Pour railler d'une alouette.
    Les coeurs simples comme Arthur
    Comprendront qu'on la regrette.

    Un jour Gautier s'en allant
    Porte la pauvre petite
    Chez un ami bienveillant.
    Il devait revenir vite.
    L'alouette était encor
    Plus aimainte que son maître,
    Son départ causa sa mort.
    Elle se tua peut-être!...

    Gautier comprit tous ses torts
    Et demeura morne en face
    De ce pauvre petit corps
    Déjà froid comme la glace.
    Gâchet, un bon médecin,
    Fut chargé de l'autopsie.
    «L'oiseau, dit-il, était sain;
    Il est mort d'apoplexie.»

    Les restes du cher oiseau
    Furent déposés en terre
    Sous un cerisier fort beau,
    Dans un jardin solitaire.
    Trois dames ont accompli
    Cette mission secrète.
    An pied du bel arbre on lit:
    Ici gît une alouette.

Ce n'est pas tout.

Jugez de mon étonnement: Je passais dans le Salon de l'architecture
refusée. Tout d'un coup, je vis _Un projet de tombeau pour une
fauvette_! Ce projet de l'architecte, M. Edmond Morin, n'a pas été
réalisé: il n'est pas même indiqué dans le catalogue. On m'a raconté que
l'auteur l'avait fait pour l'alouette de M. Gautier. Mais le peintre
l'ayant refusé, préférant un cerisier pour tout mausolée, l'architecte,
vexé, destina son projet de tombeau à une fauvette imaginaire.

M. Morin est le seul architecte dont nous parlerons. L'architecture,
comme la tragédie et comme la sculpture, est en pleine déroute. On ne
sait même pas imiter. On ne sait plus faire que des maisons et des
embarcadères, comme l'église de Saint-Vincent-de-Paul et autres, ou des
échafaudages de pâtisserie.

Reprenons haleine.

Il me semble qu'il y a longtemps que je n'ai dit des choses désagréables
au jury--depuis le commencement de ce chapitre.

Ah! c'est que je ne suis pas comme la bonne province; je n'ai pas été
nourri dans le respect de la niaiserie chauve et du crétinisme entêté
aux cheveux d'un blanc jaune, aux oreilles bouchées par le coton.

    Ces cheveux--devenus blancs à force d'outrage
    Au bien élémentaire,--on doit les respecter,
    A dit, d'un air profond, un pion sans ouvrage
    Que son cuir chevelu ne pouvait qu'irriter.

Vraiment, je ne suis pas flatteur--on le voit--pas plus pour mes amis
les peintres et les critiques d'art que pour d'autres; je ne crible pas
ceux-ci de compliments et ceux-là d'invectives. Je suis sûr jusqu'au
bout de ne pas épargner les gens, sans pédantisme, sans forfanterie,
uniquement parce que je ressens l'irrésistible besoin de dire mon
opinion--mon opinion qui me semble être pleine de raison,--autrement je
ne la publierais pas. Mais n'est-ce pas violent de voir tant de dessus
et tant de dessous de pain à l'huile--et au vinaigre--s'étaler
majestueusement d'un côté interdit à d'autres pauvres croûtes non moins
rassies et non moins trempées?--Et de ne rencontrer les plus hardies
peintures que dans les salles des Refusés!

N'est-il pas temps de laisser à tous les artistes le droit et la
possibilité de montrer leurs oeuvres? Que peuvent les censures? Le
public à tête de veau lui-même n'est-il pas mille fois plus intelligent
que tous les jurys du monde? Sa raillerie, son gros rire suffisent et ne
ruinent ni ne désespèrent l'artiste. Au contraire, les arrêts
académiques, outre qu'ils sont toujours contestables et contestés,
accablent les pauvres victimes et les empêchent de vendre leurs tableaux
bons ou mauvais. Là les Académies cessent d'être risibles. Puisqu'on ne
peut empêcher les mauvais artistes de pulluler, à quoi bon les empêcher
de vivre? Trop de mécaniques et de machines à vapeur remplacent
avantageusement les hommes et les forcent de ne pas subsister. Laissons
les peintres inoffensifs remplir tranquillement les crémeries en
essayant de faire quelque chose.

Après ces considérations philanthropiques, comment s'expliquer le
style--on pourrait dire académique--des critiques d'art de la banlieue
et de la province?

«Heureusement qu'il est empaillé!» s'écrie M. C. Brun, en
parlant d'un tableau, dans le _Courrier artistique_. L'article commence
ainsi:

     «L'Exposition des Refusés pourrait aussi s'appeler l'Exposition des
     comiques. Quelles toiles! quelles oeuvres! quelle collection!
     quelle galerie! Les bonnes choses, et il y en a peu, y sont
     écrasées par les mauvaises. Que dis-je? les mauvaises! les
     déplorables! les impossibles! Jamais, certes, succès de fou rire ne
     fut mieux mérité. Le public, qui ne paye que vingt sols à la porte,
     s'amuse pour plus de cinq francs.»

Et ce morceau dithyrambique de M. Fichau, du _Mémorial de la Loire_:

     «Mais j'ai épuisé, ce me semble, les divers chefs de plainte sans
     avoir rencontré de ces dénis de justice, de ces abus de pouvoir, de
     ces injustices criantes, dont vous étiez accusés et dont j'avais
     commencé par vous accuser moi-même. C'est à peine si j'ai pu
     démêler une dizaine de rigueurs, parmi tant de jugements
     inattaquables. Vous avez cru que c'était votre droit comme
     dépositaires des saines doctrines, des traditions et des
     bienséances de l'art, de protester contre des tendances funestes,
     de rejeter dans l'ombre des productions où l'art se ravale jusqu'à
     violenter le regard par le scandale. Vous vous êtes dit que le
     respect dû aux grands artistes vos ancêtres, que le souci de votre
     illustration personnelle et de l'avenir artistique de notre pays
     vous faisaient une loi d'être sans pitié pour les dévergondages de
     sentiment et de forme et vous commandaient de leur refuser votre
     approbation, sorte de brevet qui leur eût reconnu le caractère
     élevé et les qualités d'oeuvres d'art. Voilà donc toute votre
     iniquité.»

Je ne sais pas pourquoi je cite cela, par exemple, à moins que ce ne
soit pour faire plaisir au Jury.

       *       *       *       *       *



IV

=SOMMAIRE=

     La noblesse dos Refusés remonta à bien avant les croisades.--Les
     imbéciles n'admettent que leurs nez.--Heureuse comparaison entre
     plusieurs peintres et une fleur exotique.--Le 93-Courbet.--Bain
     d'eau-forte.--La soupe est sur la table des aqua-fortistes!--Un
     guitariste se révèle.--Tabatière à diable.--Des peintres devenus
     pierrots.--Conquête de toutes les Espagnes.--La séance est ouverte
     et levée.--Les rassemblements sont défendus.--Bonjour. Thomas.--Un
     poète prisonnier.--L'Infant n'a plus de droits au trône.--Le vieux
     persiste.--Portraits. Silence!--Le _Jury-Charivari_.--Oeufs
     brouillés et oeufs sur le plat.--Retour en Espagne sans canons.--Le
     Jury--_Journal amusant_.--Souvenirs du jeune âge.--Vol de
     diamants.--Du latin!--Andromaque.--Charenton.--M. Biard.--M.
     Millet.

       *       *       *       *       *

La race des Refusés ne vient pas d'éclore. Tout artiste, tout auteur
d'une oeuvre nouvelle, faite en dehors des routines, des conventions et
des _confections_, est presque toujours _refusé_. Il blesse trop de gens
de la majorité pour ne pas être rejeté dans son individualité. Les sols
veulent qu'on leur ressemble et qu'on fasse comme eux. Non seulement un
artiste n'imite pas, mais il ne veut pas être imité. Celui même qui ne
peut pas être imité est le plus fort.

Il y avait donc, depuis trois ou quatre ans, bien des peintres
prédestinés à être refusés avant l'Exposition dont nous nous occupons.
Or, parmi ceux-là, s'épanouirent tout d'un coup comme des magnolias: MM.
Manet, Legros, Fantin, Karolus Duran, Bracquemond, etc. Le girondin de
la révolution-Courbet, M. Amand Gautier, relie cette révolution à cette
jeune pléïade que l'enthousiasme pour Rembrandt a poussé à
l'eau-forte.--Ils font, je crois, tous partie de la société des
Aqua-Fortistes, qui s'est également illustrée par ses dîners aussi
fameux que ceux du journal _le Figaro_. Le célèbre éditeur Cadart
présidait à ces banquets, et publie avec luxe les superbes gravures de
ces messieurs.

A la précédente Exposition--des reçus,--un groupe de jeunes peintres
ci-dessus désignés, s'arrêta coi devant un tableau, représentant _Un
joueur de guitare espagnol_. Cette peinture, qui faisait s'ouvrir grands
tant d'yeux et tant de bouches de peintres, était signée d'un nom
nouveau, _Manet_.

MM. Legros, Fantin, Karolus Duran et autres, se regardèrent avec
étonnement, interrogeant leurs souvenirs et se demandant, comme dans les
féeries à trappes, d'où pouvait sortir M. Manet? Le musicien espagnol
était peint d'une certaine façon, _étrange_, nouvelle, dont les jeunes
peintres étonnés croyaient avoir seuls le secret, peinture qui tient le
milieu entre celle dite réaliste et celle dite romantique. Quelques
paysagistes, qui jouent un rôle muet dans cette nouvelle école,
exprimaient par une pantomime significative leur stupéfaction. M.
Legros. qui avait fait lui-même quelques tentatives audacieuses contre
les Espagnols, mais qui n'avait pas dépassé le Tage, considérait le
musicien comme une conquête des Espagnes, au moins jusqu'au
Guadalquivir.

Il fut décrété séance tenante, par ledit groupe de jeunes peintres,
qu'on se porterait en masse chez M. Manet. Cette manifestation éclatante
de la nouvelle école eut lieu.

M. Manet reçut très-bien la députation, et répondit aux orateurs qu'il
n'était pas moins touché que flatté de cette preuve de sympathie. Il
donna sur lui-même et sur le musicien espagnol tous les renseignements
qu'on voulut. Il apprit aux orateurs, à leur grand ébahissement, qu'il
était élève de M. Thomas Couture. On ne s'en tint pas à cette première
visite. Les peintres même amenèrent un poète et plusieurs critiques
d'art à M. Manet.

Après divers amendements, il fut convenu qu'on abandonnerait l'Espagne à
M. Manet. Les portraits de _Mademoiselle V. en costume d'Espada_, et du
_Jeune homme en costume de majo; les Petits cavaliers_, d'après
Velasquez; _Philippe IV_, d'après Velasquez, et _Lola de Valence_,
gravures, le tout admis aux Refusés, justifient pleinement la grave
détermination du comité de la jeune pléïade. _Le Bain_, même, la plus
grande toile de M. Manet, quoique représentant des Parisiens et des
Parisiennes (elles en costume de bain _d'homme_, eux presque _en costume
de majo_), a des allures espagnoles qu'on ne peut nier. On remarque dans
cette peinture surtout, l'influence des victoires et conquêtes de M.
Manet dans les Espagnes.

Les trois tableaux de M. Manet ont dû jeter une perturbation profonde
dans les idées arrêtées du Jury. Le public lui-même ne laisse pas que
d'être étonné de cette peinture qui, en même temps, irrite les amateurs
et rend goguenards les critiques d'art. On peut la trouver mauvaise mais
non médiocre. M. Manet n'a certes pas un demi-parti-pris. Il continuera
par ce qu'il est convaincu.--Finalement, quoique les amateurs prétendent
retrouver dans la manière de M. Manet des imitations de Goya et de M.
Couture,--légère différence.--Je crois que M. Manet est bien lui-même;
c'est le plus bel éloge qu'on puisse lui faire.

M. Legros a un grand tableau aux Reçus et un petit portrait aux Refusés.
Ce portrait est très-bien; mais il doit faire peur aux membres du Jury,
en les poursuivant comme un remords. Pourquoi l'a-t-on mis à la porte?
Silence du Jury.

Je signale aussi un beau portrait de et par M. Fantin. Ce même portrait,
dans diverses poses, avait déjà été reçu plusieurs fois. Pourquoi ne pas
l'admettre encore? Enigme du Jury.

En plus, M. Fantin jouit d'une grande réputation au Louvre pour ses
belles études. Son système pictural ne se développe pas d'une façon
aussi absolue que celui de M. Manet; mais son portrait, par exemple, est
sans défaut, et vaut seul un long tableau. Je n'en dis pas autant de son
ébauche intitulée _Féerie_. C'est un amas, une macédoine, un plat de
couleurs brouillées; c'est une palette qui n'est pas faite sur laquelle
on pourrait prendre de la couleur pour faire un tableau.

M. Gustave Colin, dont le nom n'est pas dans le catalogue, a laissé aux
Refusés un tableau très-remarquable: _Basques Espagnols jouant à la
pelote_. C'est plein de vie, de mouvement et de soleil; c'est bien le
midi. On entend crier, grouiller et grasseyer, une longue galerie de
Basques chatoyants qui jugent les coups. Les joueurs ont une attention,
une promptitude et une adresse très-observées. M. Gustave Colin gagne
d'emblée la partie contre le Jury. Il n'a pas eu peur de peindre la
chose comme elle est. Les costumes uniformément bleus et rouges des
Basques, leurs attitudes, leur ciel, leur terrain, rien n'a effrayé le
peintre; tout cela est curieux et intéressant et mérite d'être vu comme
toute chose particulière.--Refusé!--Pourquoi?--Rébus du Jury.

Un très-joli portrait encore, est celui de M. B. par M. Gilbert. M. B.
est vu de profil, en train d'écrire. La pose, le regard, la main, la
plume, la robe de chambre d'un autre temps, le bonnet _d'Antan_, tout
est d'un calme et d'un naturel parfaits. Il semble qu'on a connu ce
vieillard; une bonne figure bourgeoise, de larges joues de papa; on
redevient enfant en le regardant; il ne faut pas le déranger pendant
qu'il écrit. C'est très-bien fait, c'est peut-être trop bien fait; ce
l'a été sûrement pour le Jury qui l'a rejeté.

_Gants, fleurs et bijoux_, par M. Pipard, est un petit chef-d'oeuvre. Il
est impossible de représenter plus finement un _sujet_ aussi simple. Les
gants, c'est à les mettre; le verre, c'est à boire dedans; les bijoux,
c'est à les voler, tant ils sont bien exécutés.--Refusé.--Logogriphe du
Jury.

_La Mort de l'enfant_, du même peintre, a les mûmes qualités poussées un
peu moins loin.--Refusé.--Charade du Jury.

Eh bien! tous ces logogriphes et toutes ces charades, on peut les
pardonner au Jury. Mais son plus grand crime, ce qui ne peut s'expliquer
que par une haine corse, c'est le refus d'un grand portrait par M.
_Paulus Coesar_ Gariot qui a ajouté après son nom: _Faciebat Parisiis
anno_ MDCCCLXIII. _Faciebat_ est joli surtout: _Il faisait_ en 1863!!!

Je ne sais de qui est élève M. Paulus Coesar Gariot, mais il est une des
nombreuses victimes du professeur Flandrin. Le portrait est peint
exactement d'après son procédé; c'est d'un élève, mais malgré la
faiblesse, c'est la même chose. Les ordres du Jury sont rigoureusement
exécutés et il refuse. Quand M. Paulus Coesar lui dit avec raison:

     ...Quoi! ne m'avez-vous pas,
     Vous-même,--ici,--tantôt,--ordonné, etc.

Le jury lui répond:

     Hé! fallait-il en croire une amante insensée!

Il y a de quoi devenir fou. C'est à croire que les examinateurs, que les
magistrats de la peinture et du dessin ne veulent plus rien du tout et
qu'ils recommencent, sans cheveux, la guerre des chevelus désordonnés,
des jeunes-France, des romantiques contre les faux classiques, tapant
d'estoc et de taille sans savoir où, uniquement pour taper.

Mais au moins, quelques romantiques savaient ce qu'ils faisaient.

J'ai cité un petit article de M. Henri de la Madelène, concernant M.
Signol. Voici un autre extrait non moins virulent et non moins juste du
même auteur, sur M. Biard.


      M. BIARD

      «J'espère parler aujourd'hui de M. Biard pour la dernière fois de
     ma vie. Ce triste farceur, dont la popularité fut un moment si
     grande, perd décidément sa clientèle, et n'arrête plus personne
     devant ses toiles. Voilà un excellent symptôme de santé publique
     qui vaut bien la peine d'être signalé.

      «J'ai souvent entendu comparer la peinture de M. Biard à la
     littérature de Paul de Kock, et cela m'a toujours paru
     souverainement injuste. Certes, l'auteur de la _Pucelle de
     Belleville_ ne saurait être rangé parmi les classiques de la
     langue; maison retrouve au milieu de sa banalité comme un dernier
     écho de verve gauloise. Paul de Kock est commun au possible, mais
     il est gai somme toute, et le _Cocu_ nous a tous déridés.

      «M. Biard, au contraire, incarne en lui la plus lamentable
     déviation de l'esprit français; quand le bourgeois de Paris se met
     à être bête, Dieu sait s'il l'est plus qu'aucun bourgeois du monde:
     M. Biard est le plus plat des bourgeois de ce temps. Il a toute la
     gravité de M. Prud'homme. C'est le pitre du pinceau, un
     queue-rouge, un bouffon, un grimacier lugubre. Nous savons ce
     qu'est _Mon voisin Raymond_ avant que Paul de Kock Fusse crever sa
     culotte, et la grossièreté de l'accident est sauvée par les détails
     qui le précèdent. Chez M. Biard, aucune précaution: la brutalité de
     ce jocrisse excessif ne connaît ni ménagements ni mesure. Il
     développe la laideur, non dans le sens du caractère, comme fait
     Daumier, par exemple, mais par complaisance pure pour la laideur
     même. Il ne conçoit pas, ce pauvre homme, qu'on puisse rire sans se
     tordre, exprimer un sentiment intérieur sans tirer la langue,
     équarquiller les yeux, hérisser les cheveux, convulser le corps
     tout entier. Et remarquez qu'avec cette grossièreté des moyens il
     n'atteint pas même une vérité triviale. Sa _Bourse_ est au-dessous
     de la réalité, son _Plaidoyer en province_ n'a jamais pu être
     plaidé par personne. Tout cela est glacé, faux, pénible, outré,
     navrant, et je m'étonne que cela puisse encore l'aire rire quelques
     sots.

      «Et dire que ce barbouilleur est décoré depuis 1838, pour ses
     oeuvres, et qu'il a gagné, par ses oeuvres, dix fois plus d'argent
     que Poussin!»

      (_Figaro-Programme_.)

      Henry de la Madelène.

Autre _guitare_!

Je trouve dans le journal _l'Exposition_ une lettre de M. Millet,
adressée à M. Théodore Pelloquet. Cette lettre est tout un programme où
le peintre démontre qu'il faut chercher dans la peinture autre chose que
la peinture.

Je ne suis pas du tout, du tout, de cette opinion.

Je vais d'abord citer la lettre et l'analyser ensuite

     «Monsieur,

      «Je suis très-heureux de la manière dont vous parlez de mes
     tableaux qui sont à l'Exposition. Le plaisir que j'en ai est grand,
     surtout à cause de votre façon de parler de l'art en général. Vous
     êtes de l'excessivement petit nombre de ceux qui croient (tant pis
     pour qui ne le croit pas), que tout art est une langue et qu'une
     langue est faite pour exprimer ses pensées. Dites-le, puis
     redites-le, cela fera peut-être réfléchir quelqu'un; si plus de
     gens le croyaient, on n'en verrait pas tant peindre et écrire sans
     but. Y a-t-il pourtant rien de plus insipide et de plus écoeurant
     que de montrer seulement le plus ou le moins d'habitude qu'on a de
     l'exercice d'une profession? On appelle cela de l'habileté, et ceux
     qui en font commerce en sont grandement loués. Mais de bonne foi,
     et quand même ce serait de la vraie habileté, est-ce qu'elle ne
     devrait pas être employée seulement en vue d'accomplir le bien,
     puis se cacher bien modestement derrière l'oeuvre? L'habileté
     aurait-elle donc le droit d'ouvrir boutique à son compte?

      «J'ai lu, je ne sais plus où: «Malheur à l'artiste qui montre son
     talent avant son oeuvre!» Il serait bien plaisant que le poignet
     marchât le premier.... Je ne sais pas textuellement ce que dit
     Poussin dans une de ses lettres à propos du tremblement de sa main,
     quand il se sentait la tête de mieux en mieux disposée à marcher;
     mais en voici à peu près la substance: «Et quoique celle-ci (sa
     main) soit débile, il faudra pourtant bien qu'elle soit la servante
     de l'autre, etc.»

      Encore un coup, si plus de gens croyaient ce que vous croyez, ils
     ne s'emploieraient pas aussi résolument à flatter le mauvais goût
     et les mauvaises passions à leur profit, sans aucun souci du bien,
     et comme le dit si bien Montaigne:

      «Au lieu de naturaliser l'art, ils artialisent la nature.»

      «Je saurais gré au hasard qui me donnerait l'occasion de causer
     avec vous, mais comme cela ne peut, dans tous les cas, se réaliser
     immédiatement, au risque de vous fatiguer, je veux essayer de vous
     dire comme je le pourrai certaines choses qui sont pour moi des
     croyances, et que je souhaiterais de pouvoir rendre claires dans ce
     que je fais: que les choses n'aient point l'air d'être amalgamées
     au hasard et par occasion, mais qu'elles aient entre elles une
     liaison indispensable et forcée. Je voudrais que les êtres que je
     représente aient l'air voués à leur position, et qu'il soit
     impossible d'imaginer qu'il leur puisse venir à l'idée d'être autre
     chose que ce qu'ils sont. Une oeuvre doit être d'une pièce, et gens
     et choses doivent toujours être là pour une fin. Je désire mettre
     bien pleinement et fortement ce qui est nécessaire, et à tel point
     que je crois qu'il vaudrait mieux que les choses faiblement dites
     ne fussent pas dites, pour la raison qu'elles en sont comme
     déflorées et gâtées; mais je professe la plus grande horreur pour
     les inutilités (si brillantes qu'elles soient) et les remplissages,
     ces choses ne pouvant amener d'autres résultats que la distraction
     et l'affaiblissement. Ce n'est pas tant les choses représentées qui
     font le beau, que le besoin qu'on a eu de les représenter, et ce
     besoin lui-même a créé le degré de puissance avec lequel on s'en
     est acquitté. On peut dire que tout est beau, pourvu que cela
     arrive en son temps et à sa place, et par contre, que rien ne peut
     être beau arrivant à contre-temps. Point d'atténuation dans les
     caractères: Qu'Apollon soit Apollon, et Socrate, Socrate. Ne les
     mêlons point l'un dans l'autre, ils y perdraient tous les deux.

      Quel est le plus beau d'un arbre droit ou d'un arbre tordu? Celui
     qui est le mieux en situation.

      «Je conclus donc à ceci: Le beau est ce qui convient. Cela
     pourrait se développer à l'infini et se prouver par d'intarissables
     exemples. Il doit être bien entendu que je ne parle pas du beau
     absolu, vu que je ne sais pas ce que c'est, et que cela me semble
     la plus belle de toutes les plaisanteries. Je crois bien que les
     gens qui s'en occupent ne le font que parce qu'ils n'ont pas d'yeux
     pour les choses naturelles, et qu'ils sont confits dans l'art
     accompli, ne croyant pas la nature assez riche pour toujours
     fournir. Braves gens! Ils sont de ceux qui font des poétiques au
     lieu d'être poètes. Caractériser! voilà le but. Vasari dit que
     Bacci Bandinelli faisait une figure devant représenter Ève. Mais,
     en avançant dans sa besogne, il s'est avisé que cette figure, pour
     son rôle d'Ève, était un peu efflanquée. Il s'est contenté de lui
     mettre les attributs de Cérès, et Ève est devenue une Cérès! Nous
     pouvons bien admettre, comme Bandinelli était un habile homme,
     qu'il devait y avoir dans cette figure des morceaux d'un modelé
     superbe et venant d'une grande science, mais tout cela
     n'aboutissant pas à un caractère déterminé, n'en a pas moins dû
     faire l'oeuvre la plus pitoyable. Ce n'était ni chair ni poisson.

      «Pardon, Monsieur, de vous en avoir dit si long et peut-être si
     peu; mais laissez-moi encore vous dire que s'il vous arrivait de
     rôder dans les environs de Barbison, vous vouliez bien entrer dans
     ma boutique.»

      J.F. Millet.

       *       *       *       *       *



V.

=SOMMAIRE=

     La Bamboula du style.--Les cotons sont en baisse.--Citations... au
     tribunal.--Une nouvelle langue qui n'est pas française.--Cette
     vieille immorale, qu'on nomme la morale!--Garçon, encore une
     langue!--Le but est atteint.--Monsieur, cela ne vous regarde
     pas;--Le sergent de ville était dans son droit.--Oeuvre
     pie.--Saint-Eustache.--La quête.--Pour les pauvres, s'il vous
     plait!--Apollon avale la ciguë--Joseph Prud'homme.--Je n'ai pas le
     courage d'aller plus loin.--Comment vous portez-vous?--Faisons les
     cartes.--Une lettre... d'un homme à la campagne.--Nouvelles bévues
     du maître.--La vertu est récompensée.--Ils ont pissé partout
     (hémistiche du grand Racine).--Pile ou face?--La lune comme un
     point sur un i.

       *       *       *       *       *

Après avoir lu cette lettre, je suis de plus en plus convaincu que les
peintres ne devraient jamais écrire,--pas même des lettres.--C'est pour
eux que la télégraphie a été inventée,--et pour les commerçants et
amateurs,--tous gens _qui n'ont pas le temps_, comme ils disent. La
correspondance par signes, par télégrammes, qui, pour faire des
économies de lettres, exige qu'on écrive par exemple:
Rouen.--Vu Michel.--Cotons baisse.--Moi, demain a paris... etc.
Ce langage-nègre est le style qui convient aux peintres et autres
personnes trop occupées et trop pressées.

_Tant pis_, écrit M. Millet, _pour qui ne croit pas que tout art est une
langue_.

Je suis persuadé que l'art de la peinture n'est pas une langue, et que
toute son esthétique gît dans la représentation des objets.

(Cette définition pourrait s'appliquer également à la photographie qui
n'est pas un art).

Quand vous faites un _paysage_, ou un _intérieur de pauvres_, ou _un
travailleur dans les champs_, ne vous obstinez pas à croire que vous
avez approfondi quelque haute question philosophique, et que même cet
_intérieur_, ce _paysage_ et ce _travailleur_ sont _des pensées_. M.
Millet dit que c'est une très-petite minorité qui croit que _tout art
est une langue_, mais c'est tout le contraire: Je ne crois pas qu'il y
ait un seul peintre, par exemple, qui ne soit persuadé qu'il _exprime
ses pensées_ par la peinture, que ses tableaux sont remplis, de poésie,
de tout ce qu'on voudra, et que conséquemment _la peinture est une
langue_.

Si plus de gens le croyaient, on n'en verrait pas tant peindre et écrire
sans but.

Quel but?--Celui de donner un enseignement, de châtier en riant les
moeurs, de faire de la politique ou de la philosphie?--Alors il y a
beaucoup de gens qui écrivent sans but, mais il y en a peu qui peignent
sans but, car les peintres croient tous que _tout art est une langue_,
etc.

Moi, je suis sûr, au contraire, que tout, art qui sort de lui-même, qui
s'occupe _d'autre chose_ que _de lui_, se mêle de ce qui ne le regarde
pas et se nuit.

Pourquoi, s'il en était autrement, les philosophes ne prétendraient-ils
qu'ils font de la peinture?... à l'huile?

_Montrer l'habitude qu'on a de l'exercice d'une profession_ n'a rien de
bien _écoeurant_, et cette expression _exercice d'une profession_
ressemble à celle de la 6e Chambre _dans l'exercice de ses
fonctions_.

_L'habileté employée seulement en vue d'accomplir te bien, puis se
cacher modestement derrière l'oeuvre_! Ne croirait-on pas que nous
sommes à l'église; franchement c'est plus catholique qu'artistique.

Le sermon continue par... _flatter le mauvais goût et les mauvaises
passions, sans aucun souci du bien_, etc.

Il n'y a rien à répondre à ceci: _Qu'Apollon soit Apollon et Socrate
Socrate. Ne les mêlons point l'un dans l'autre, etc_.

Tout le reste de la lettre est le développement plus ou moins solennel,
comme on peut revoir, du commencement que je viens d'épiloguer. Je ne
veux pas continuer. Je n'ai voulu prouver qu'une chose: c'est que les
peintres, même du renom de M. Millet, ont tort d'écrire, et d'écrire
publiquement des manifestes, des programmes. Ils ne devraient que donner
de leurs nouvelles à leurs amis, et c'est précisément ce qu'ils ne font
pas.--Je parle d'un grand nombre.

Pourtant, voici encore une lettre de peintre, mais pleine de gaîté,
celle-là. _Bing_! _Bing_! Je vais la placer ici,--pour les paysagistes,
_bam_! la voici, _boumm_!

    «Voyez-vous, c'est charmant la journée d'un paysagiste:
    «on se lève de bonne heure, à trois heures du matin, avant
    «le soleil, on va s'asseoir au pied d'un arbre, on regarde
    «et on attend.

    «On ne voit pas grand'chose d'abord. La nature ressemble
    «à une toile blanchâtre où s'esquissent à peine les
    «profils de quelques masses: tout est embaumé, tout frissonne
    «au souffle fraîchi de l'aube. _Bing_! le soleil s'éclaircit...
    «le soleil n'a pas encore déchiré la gaze derrière
    «laquelle se cachent la prairie, le vallon, les collines de
    «l'horizon.... Les vapeurs nocturnes rampent encore comme
    «des flocons argentés sur les herbes d'un vert transi.
    «_Bing_!... _bing_!... un premier rayon de soleil... un second
    «rayon de soleil.... Les petites fleurettes semblent s'éveiller
    «joyeuses... elles ont toutes leur goutte de rosée qui
    «tremble... les feuilles frileuses s'agitent au souffle du
    «matin.... Sous la feuillée, les oiseaux invisibles chantent....
    «Il semble que ce sont les fleurs qui font leur prière...
    «Les amours à ailes de papillons s'abattent sur la prairie
    «et font onduler les hautes herbes.... On ne voit rien...
    «tout y est.... Le paysage est tout, entier derrière la gaze
    «transparente du brouillard, qui monte... monte...
    «monte..., aspiré par le soleil... et laisse, en se levant,
    «voir la rivière lamée d'argent, les prés, les arbres, les
    «maisonnettes, le lointain fuyant.... On distingue enfin
    «tout ce que l'on devinait d'abord.

    «_Bam_! le soleil est levé.... _Bam_! le paysan passe au
    «bout du champ avec sa charrette attelée de deux boeufs....
    «_Ding_! _ding_! c'est la clochette du bélier qui mène le
    «troupeau... _Bam_! tout éclate, tout brille... tout est en
    «pleine lumière... lumière blonde et caressante encore.
    «Les fonds, d'un contour simple et d'un ton harmonieux,
    «se perdent dans l'infini du ciel, à travers un air brumeux
    «et azuré.... Les fleurs relèvent la tête... les oiseaux
    «volètent de ci de là.... Un campagnard, monté sur un cheval
    «blanc, s'enfonce dans le sentier encaissé.... Les petits
    «saules arrondis ont l'air de faire la roue au bord de la
    «rivière.

    «C'est adorable!... et l'on peint... et l'on peint!... Oh!
    «la belle vache alezane enfoncée jusqu'au poitrail dans les
    «herbes humides.... Je vais la peindre.... Crac! la voilà!
    «Fameux! fameux! Dieu, comme elle est frappante!...
    «Voyons ce qu'en dira ce paysan qui me regarde peindre
    «et n'ose pas approcher.--Ohé! Simon!

    «Bon, voilà Simon qui s'avance et regarde.

    «--Eh bien, Simon, comment trouves-tu cela?

    «--Oh! dam! m'seu... c'est ben biau, allez!...

    «--Et tu vois bien ce que j'ai voulu faire?

    «--J'crois ben que j'vois c'que c'est.... C'est un gros
    «rocher jaune que vous avez mis là.

    «_Boum_! _boum_! midi! Le soleil embrasé brûle la terre....
    «_Boum_! tout s'alourdit, tout devient grave.... Les fleurs
    «penchent la tête... les oiseaux se taisent, les bruits du
    «village viennent jusqu'à nous. Ce sont les lourds travaux...
    «le forgeron dont le marteau retentit sur l'enclume....
    «_Boum_! Rentrons....--On voit tout, rien n'y est
    «plus.

    «Allons déjeuner à la ferme. Une bonne tranche de la
    «miche de ménage, avec du beurre frais battu... des
    «oeufs... de la crème... du jambon!... _Boum_! Travaillez,
    «mes amis, je me repose... je fais la sieste... et je rêve
    «un paysage du matin... je rêve mon tableau... plus tard,
    «je peindrai mon rêve.

    «_Bam_! _bam_! le soleil descend vers l'horizon... il est
    «temps de retourner au travail... _Bam_! le soleil donne un
    «coup de tam-tam.... _Bam_! il se couche au milieu d'une
    «explosion de jaune, d'orange, de rouge-feu, de cerise,
    «de pourpre.... Ah! c'est prétentieux et vulgaire, je n'aime
    «pas ça.... Attendons, asseyons-nous là, au pied de ce
    «peuplier... auprès de cet étang uni comme un miroir....
    «La nature a l'air fatiguée... les fleurettes semblent se
    «ranimer un peu... pauvres fleurettes... elles ne sont pas
    «comme nous autres hommes, qui nous plaignons de
    «tout.--Elles ont le soleil à gauche... elles prennent
    «patience.... Bon, se disent-elles, tantôt nous l'aurons à
    «droite.... Elles ont soif... elles attendent!... Elles savent
    «que les sylphes du soir vont les arroser de vapeur avec
    «leurs arrosoirs invisibles... elles prennent patience en
    «bénissant Dieu!

    «Mais le soleil descend de plus en plus derrière l'horizon....
    «_Bam_! il jette son dernier rayon, une fusée d'or et
    «de pourpre qui frange le nuage fuyant... bien! le voilà
    «tout à fait disparu..., bien, bien, le crépuscule commence....
    «Dieu! que c'est charmant! Le soleil a disparu.... Il ne
    «reste dans le ciel adouci qu'une teinte vaporeuse de citron
    «pâle, dernier reflet de ce charlatan de soleil, qui se fond
    «dans le bleu foncé de la nuit en passant par des tons
    «verdâtres de turquoise malade d'une finesse inouïe, d'une
    «délicatesse fluide et insaisissable.... Les terrains perdent
    «leur couleur... les arbres ne forment plus que des masses
    «brunes ou grises... les eaux assombries reflètent les tons
    «suaves du ciel.... On commence à ne plus voir... on sent
    «que tout y est.... Tout est vague, confus.... La nature
    «s'assoupit.... Cependant, l'air frais du soir soupire dans les
    «feuilles... les oiseaux, ces voix des fleurs, disent la prière
    «du soir... la rosée emperle le velours des gazons.... Les
    «nymphes fuient... se cachent... et désirent être vues.

    «_Bing_! Une étoile du ciel qui pique une tête dans
    «l'étang... charmante étoile dont le frémissement de l'eau
    «augmente le scintillement, tu me regardes... tu me souris
    «en clignant de l'oeil.... _Bing_! une seconde étoile apparaît
    «dans l'eau, un second oeil s'ouvre. Soyez les bienvenues,
    «fraîches et souriantes étoiles.... _Bing_! _bing_! _bing_! trois,
    «six, vingt étoiles.... Toutes les étoiles du ciel se sont
    «donné rendez-vous dans cet heureux étang.... Tout
    «s'assombrit encore.... L'étang seul scintille.... C'est un
    «fourmillement d'étoiles.... L'illusion se produit.... Le soleil
    «étant couché, le soleil intérieur de l'âme, le soleil de l'art
    «se lève.... Bon! voilà mon tableau fait!»

    Corot.

    (_Figaro_, 24 mai 1863.)

Après cette amusante lettre, d'un des maîtres du paysage, _bing_!
_bing_! il est bon de parler d'un des meilleurs, des plus consciencieux
et des plus fins paysagistes, M. Chintreuil, _bam_!

Depuis vingt ans, je crois, il lutte, observe, recommence, sans se
lasser, toujours heureux d'entrevoir seulement une étude un peu plus
approfondie d'un effet de la nature. Un nuage qu'il ne connaissait pas
encore, qu'il n'avait pas rencontré dans un tableau, le rend fou de
joie. Il est le plus sincère amoureux du paysage. Dans tous ses tableaux
on trouve quelque secret de jour ou de crépuscule, de pluie ou de vent,
pris à la nature. Voilà un peintre convaincu et vraiment voué à son art,
un chercheur éternel, un trouveur, même, indiscipliné, qui méritait bien
d'être évincé par les professeurs gardés par les fameux lions riants et
bouclés, symboles de l'Institut.

Tant que ces lions inonderont les portiques de ce temple, les
académiciens seront les mêmes.

Les trois paysages de M. Chintreuil sont des plus beaux qu'il ait faits.

Il n'y a pas de saison qui tienne, on entre dans la saison qu'a peinte
M. Chintreuil. Nous sommes en juin, mais quand nous regardons le paysage
représentant un coup de vent dans une forêt en novembre, nous sommes en
plein novembre. C'est désagréable, mais le peintre connaît si bien son
calendrier qu'il en joue à son gré.

Le rejet des trois tableaux de M. Chintreuil est un jet de salive qui
retombe sur le nez du jury.

M. Julian a beaucoup de talent. On lui a refusé deux portraits très-bien
faits et un tableau savamment peint, qui excite la joie, l'ironie de
baudruche et l'indignation du public.

Le peintre a eu raison de mettre au bas de son tableau une strophe
explicative, autrement, _quoique la peinture soit une langue_, on ne
comprendrait jamais le sujet.

Voici les vers célèbres d'Alfred de Musset:

    Assez dormir, ma belle,
    Ta cavale, Isabelle,
    Hennit sous les balcons.
    Vois les piqueurs alertes,
    Et, sur leurs manches vertes.
    Les pieds noirs des faucons.

Les balcons, la cavale, les manches vertes des piqueurs, eux et les
faucons aux pieds noirs, on ne voit rien de tout cela dans le tableau.

Une jeune femme nue, _comme le discours d'un académicien_, a dit le même
de Musset, retournée sur un lit, regarde, on ne sait quoi, à travers les
carreaux de sa fenêtre, et montre ses postères à ceux qui la regardent,
c'est-à-dire au public.

Un cavalier _joyeux_, à la moustache blonde, se penche en appuyant une
main sur la susdite partie charnue pour faire voir à Isabelle

    Les pieds noirs des faucons, etc.

quelques cerises détachées d'un collier de corail sont menacées d'être
écrasées sur le lit par le gros... derrière d'Isabelle.

Cheveux noirs et moustaches rousses, postères et cerises, linge et
chair, tout est bien fait, vigoureusement peint.

Ce que ce tableau fait épanouir de lazzis, de bons mots, parmi les
spectateurs, est énorme.

«Cela s'appelle _le Lever_,--_Lever de la lune_, à la bonne heure!»
disait un loustic en posant, comme le _cavalier joyeux_, sa main sur les
reins _souples et dispos_ d'Isabelle,--devant lesquels s'arrêtent les
dames, pendant un quart d'heure, pour rire. Et que de coups d'oeil à
travers les coups d'éventail!--D'autres dames passent plusieurs fois,
indignées, devant ces rondeurs de fille nue.

       *       *       *       *       *



VI

=SOMMAIRE=

     Quadrille!--Un critique d'art lève la jambe.--Trinité de M. Maxime
     Ducamp.--Tous ne font qu'un--(incarnation).--Beau trait de M.
     Adrien Paul.--La blanche ou la noire?--L'indignation ne fait pas
     la bonne prose.--M. Castagnary soumet quelques judicieux conseils
     au public et au Jury.--Les peintres ne cessent ni de vaincre ni
     d'écrire.--_Le Séjour des Élus_, c'est l'Exposition.--_L'Enfer_,
     selon saint Tremblay, c'est la contre-Exposition.--Exemple
     d'humilité donné par cet infortuné peintre.--Les bons et les
     méchants.--Ventro-saint-Gris et un autre saint!--Je m'évanouis!
     --D'où sort-il encore, ce peintre-là?--Cinq manants contre un
     gentilhomme!--Exemple de discrétion.--Mort de quelqu'un.--Selon M.
     Gautier, la contre-Exposition n'est que le purgatoire.--Où la
     religion va-t-elle se nicher?--Moyen d'inquisition.--Les bons
     l'emportent.--_Je vais revoir ma Normandie_ (air connu).--La poste
     aux lettres.--Encore un petit saint.--Nuée de sauterelles.--La
     toile se lève.--Le père, le fils et....--Le bon
     fataliste.--Mangeons un peu.--Un pied de liez à la
     Saiute-Menehould.--On abat le pilori.--_Partit en guerre_... le
     tableau de Courbet.

       *       *       *       *       *

Les critiques d'art continuent à faire leurs farces.--M. Maxime Ducamp
trouve, dans la _Revue des Deux-Mondes_, qu'il n'y a que trois peintres
à l'Exposition; savoir: MM. Matout, Protais et un autre dont je ne me
rappelle pas le nom.

«_J'aime mieux çà_,» dit un autre critique d'art, M. Graham, dans le
_Figaro_.

Après la trouvaille, l'opinion de M. Maxime Ducamp, je trouve, moi,
qu'il n'y a qu'un seul critique d'art,--mais qui vaut tous les autres
critiques d'art;--c'est ledit M. Maxime Ducamp.

Il les résume, il est leur chef; MM. Anatole de la Forge, Adrien Paul,
etc., sont faits à son image.

Et à propos de M. Adrien Paul, le critique du journal _le Siècle_, je
vais rappeler un trait de lui qui le peint tout entier.

Au Salon de 1861, M. Leboeuf avait exposé une statue colossale,
représentant un esclave nègre, un Spartacus américain qui vient de
briser ses fers et s'élance à la révolte. M. Adrien Paul prit cette
statue symbolique, ce Spartacus nègre, pour le fameux gladiateur, pour
le véritable Spartacus, héros de tragédie.

«Rendre ainsi, écrivait-il, l'un des héros, l'un des martyrs de la
liberté!...--Il fallait à Spartacus un caractère fier, mâle, héroïque,
etc.»

Un peu plus loin, M. Adrien Paul ayant remarqué les grosses babines ou
lèvres du nègre, s'indignait démocratiquement de cette bouche, qu'il
trouvait «enflée par l'en vie,» octroyée par le sculpteur au libérateur
des esclaves romains.

Cela suffit, n'est-ce pas?

Quoique les critiques d'art ne me soient pas agréables, il m'est doux de
temps en temps de citer leur littérature.

M. Castagnary, esthétiste connu, publie dans _le Courrier du Dimanche_
un compte-rendu de l'Exposition des Refusés, et il conclut par les
lignes suivantes:

     «Au public: Croyez bien que si l'on retirait du salon des Refusés
     deux cents toiles grotesques, qu'à défaut de l'Institut, un simple
     garçon de bureau eût pu désigner, il resterait un ensemble de
     peintures fort satisfaisant. Je vais plus loin: placez par la
     pensée au milieu de ce restant, ainsi échenillé d'inepties
     flagrantes, les cent oeuvres des trente ou quarante artistes dont
     les noms sont dans toutes les bouches, et qui font l'honneur de
     toutes les expositions, parce qu'ils sont véritablement
     l'état-major de l'art: vous avez immédiatement un Salon complet,
     aussi intéressant que celui qu'a combiné l'administration.

     «A l'Institut: Messieurs, il faut abandonner cette guerre. Elle est
     mauvaise; elle décourage. Elle est injuste; elle outrepasse vos
     droits. Quand vous vous appeliez David et son école, que vous aviez
     une esthétique à vous, que cette esthétique, acceptée de tous,
     n'avait point encore été ébranlée par le contrôle d'une raison plus
     libre, vous pouviez avec certitude établir la discipline dans
     l'art; vous deviez étouffer les révoltes, exclure les hérétiques.
     Mais l'école romantique, en procurant l'avènement de
     l'individualisme, a signé votre destitution. Aujourd'hui, dans
     l'art, chacun ne relève que de soi-même, n'admet d'autre
     suzeraineté que la sienne. La société a sanctionné et sanctionne
     encore chaque jour cette émancipation heureuse. Comme pouvoir
     dirigeant, vous n'êtes plus rien. Abdiquez donc généreusement ce
     qui vous reste d'autorité, et résignez-vous à suivre un mouvement
     que vous ne pouvez plus arrêter désormais.

     «Cas Agnary.»

Les peintres ne cessent pas d'écrire. Après la lettre de M. Corot est
venue celle de M. Millet, précédée de celle de M. Rousseau.

Un Refusé, M. Tremblay, avait envoyé au _Petit Journal_ une protestation
bien douce où il écrivait «que les moins bons de l'Exposition des
_élus_, peuvent aller de pair avec les meilleurs de celle des
_réprouvés_.»

«Non pas, ajoutait-il, que nous voulions jeter au jury l'accusation
banale de partialité; mais il est composé d'hommes accessibles à la
fatigue, etc.»

Un peu plus loin, on trouvait dans le même article: «En quoi, après
tout, les mauvais tableaux peuvent-ils nuire aux bons?»

Est-ce naïf?--Je ne crois pas qu'on se soit moqué jamais plus
tranquillement de soi-même, ni qu'on ait protesté d'une plus sainte
façon.

Le même peintre religieux qui signe: L. Tremblay, _l'un des
réprouvés, auteur de sainte Eugénie_, _qui compte huit années
d'exposition_, cite à l'appui de ses arguments, «le _doux_ philosophe,
le sage _aimable_, saint François de Sales, que _notre_ Henri IV aimait
_tendrement_.»--Ah!... donnez-moi un peu de fleur d'oranger....

Comme on va tout de suite se rendre au langage couleur _café au lait_,
et à la raison couleur _cuisse de nymphe_ de ce pauvre _réprouvé_ M.
Tremblay.

Je viens d'apprendre que M. C. Brun, dont j'ai cité un si risible alinéa
à la fin de mon troisième chapitre, est encore un peintre.

Ah! tant pis! je ne renoncerai pas non plus; j'écrirai aussi,--pas comme
les peintres;--je les citerai, je leur montrerai à eux-mêmes qu'il vaut
mieux qu'ils _expriment_ Leurs _idées par leurs tableaux_, et
que la peinture est bien leur langue, comme disait M. Millet.

M. A. Gautier--lui aussi!--a écrit, dans le journal _l'Exposition_, une
longue lettre à M. Ch. Monselet; mais, comme elle ne concerne que M. A.
Gautier, je ne suis pas assez indiscret pour la citer; je me contente
d'en extraire ce petit passage:

     «Si tu es friand d'entendre des choses singulières,
     retourne au Salon des _proscrits_, tu surprendras parfois des
     homme bien réfléchis qui le quittent en _soupirant_.»

Si ces mots «des hommes bien réfléchis» ne s'appliquent pas spécialement
aux peintres refusés, le dernier mot, le _dernier soupir_ doit faire
bien réfléchir le jury.

Comme les peintres sont moraux et religieux! Comme ils parlent du bon
Dieu, des saints et de la vertu avec complaisance! (Revoir les lettres
des peintres, que j'ai citées). M. Amand Gautier insiste aussi sur _la
haute moralité_ de son tableau, _la Femme adultère_, exposé dans _le
purgatoire_, dit-il.

Qui diable se serait avisé d'aller trouver de la morale dans ce tableau,
si ce n'est son auteur?

Il est à remarquer également, à propos des écrits des peintres, qu'ils
donnent tous des appellations différentes aux Refusés.

L'un dit qu'ils sont Exclus.

L'autre les traite d'Artistes non admis.

M. Tremblay les nomme Réprouvés.

M. Gautier les appelle Proscrits, etc., etc.

En se livrant aux méditations dans lesquelles plongerait ce sujet, on
arriverait peut-être à trouver dans ces diverses désignations les
opinions philosophiques, politiques et artistiques de leurs auteurs.

Le public, à force d'entendre de justes appréciations, commence à ne
plus rire et à ne pas trop donner raison au jury,--ni aux peintres, il
est vrai,--au Salon des Refusés.

La quantité de mauvaises et de primitives peintures est immense, mais
n'atteint pas au chiffre des médiocres, des prétentieux, des affreux
tableaux qui surabondent à l'Exposition des Reçus.--En outre, on ne
saurait trop le répéter, les tentatives souvent réussies, les
individualités nouvelles, ne se rencontrent guère qu'au Salon des
Refusés.

Les tableaux que j'ai déjà cités de MM. Whistler, Colin, Pipard,
Gilbert, Briguiboul, Gautier, Julian, Chintreuil, Fantin, etc., défient,
bravent, et narguent le jury.

Je vais indiquer un grand nombre d'autres toiles remarquables, des
paysages et des natures mortes surtout.

Voici _les Embrasseux_, de M. Jean Desbrosses.

Le soir, au coin d'un bois, devant le soleil couchant, un gros garçon de
campagne fait claquer un baiser sur la joue penchée d'une jeune et
fraîche paysanne,--_l'enjoleu_ a l'air si heureux, la petite coquette
est si gentille et si mutine! Toute cette campagne, cet horizon sont
volés à la nature. Cela est vrai, amusant et naïf, cela sent bon; c'est
un charmant tableau.

M. Charles Lapostolet est l'auteur de deux paysages dont un surtout,
celui qui représente une route et des massifs d'arbres dans une forêt,
est très-beau.

_La Chute de la rivière de Loing_, _au soleil couchant_, par M.
Charles-Edme Saint-Marcel est encore un beau paysage. Mais que c'est
fatigant de dire toujours: beau, très-beau, très-bien, très-réussi en
parlant des paysages. C'est qu'il n'y a pas moyen de faire autrement. Je
raconterais bien un paysage que j'aurais vu, moi-même, qui m'aurait fait
une impression particulière; mais comment décrire les paysages des
autres, à moins de dire comme au théâtre:--La scène se passe dans la
forêt de Fontainebleau; à droite, sur le premier plan, un gros chêne; à
gauche, un chemin qui mène à la ville. Je pourrais ajouter: _On entend
un cor, à la cantonnade_.

J'ai remarqué le paysage de M. Charles-Edme Saint-Marcel, et j'ai aussi
remarqué un tableau de M. Saint-Marcel fils,--mais d'une toute autre
façon.

En regardant ses _Chevaux de ferme à l'écurie_, quoique M. Saint-Marcel
fils soit élève de MM. Decamp et Léon Cogniet, j'ai cru fermement qu'il
était élève de M. Brivet-le-Gaillard.

Est-ce que les paysagistes commenceraient à croire, comme beaucoup
d'hommes de lettres, à ce stupide proverbe: _Tel père_, _tel fils_? En
voilà plusieurs qui donnent leurs pinceaux à leurs enfants dont ils
feront d'éternels élèves. Un des exemples frappants de cette funeste
voie est M. Daubigny, dont le fils a exposé-cette année, des paysages
copiés sur ceux du papa. Ces paysages ont pu réjouir ce bon père, mais
ils font approuver sans réserve la conduite des notaires qui accumulent
les barricades devant les envies artistiques de leurs fils.

Un des plus curieux et des meilleurs tableaux au Salon des Refusés,
c'est le _Bûcheron et la Mort_, par M. Pinkas.

     «Un jour d'été, un bûcheron, épuisé sous le faix de la
     chaleur et du travail, ramassa ses suprêmes efforts pour enfoncer
     son coin dans le tronc d'un vieux chêne, puis retomba,
     découragé. Les sueurs serpentaient sur son visage
     terreux et ravagé, ses yeux grandissaient sans regards, et sa
     respiration déchirait son gosier desséché. Quant il revint à
     lui, le tableau splendide de la forêt tranquille et heureuse,
     qui ne semblait occupée qu'à écouter, sous le soleil, le chant
     du coucou, lui fit faire une comparaison si fâcheuse, qu'il
     se prit à pleurer. Le bonheur calme de la forêt lui faisait
     envisager, par contraste, sa destinée tourmentée.

     «Le bûcheron, à force de se désoler, en arriva bientôt
     à ce paroxysme de la douleur où l'on se met à parler tout
     haut.

     «--Suis-je malheureux, se dit-il en patois, je n'ai pas
     la force de travailler, et je n'ai que le travail pour faire
     vivre mes six enfants, ma femme et moi-même! Et ma
     femme est encore enceinte!

     «(Généralement, le hasard envoie beaucoup d'enfants à
     ceux qui n'ont même pas de quoi se nourrir).

     «--Ah! poursuivit le bûcheron, je voudrais que la Mort
     fût la marraine de ce dernier enfant!

     «Pendant qu'il se tenait ce triste langage, le _comique_ qui
     ne perd jamais ses droits continuait à jouer des farces. Il
     soufflait _aux_ fourmis l'idée de grimper dans les jambes du
     bûcheron, aux faucheux celle de se promener sur son cou.
     Il en résultait des grattements qui nuisaient à la gravité du
     tableau. Le chant monotone du coucou se mêlant aux sanglots
     de l'infortuné, une pie, oiseau de pantomime, qui
     allait et venait non loin de là, en sautillant comme... une
     pie, ajoutaient encore à la partie gaie.

     «A peine le pauvre bûcheron avait-il prononcé cette phrase imprudente:

     «Je voudrais que la Mort fût la marraine de ce dernier enfant!» que le
     tronc d'un vieux chêne s'ouvrit et donna passage à cette vilaine
     carcasse, la Mort, qui sembla descendre de voiture, et s'avança
     gracieusement vers le bûcheron terrifié. Elle n'avait aucun vêtement,
     c'était un squelette dans toute sa simplicité. La Mort est la seule
     personne qui puisse sans indécence se présenter nue aux gens.

     «--Tu m'as invoquée, dit-elle, ou plutôt firent les os
     maxillaires au bûcheron, sur lequel elle tînt fixés les deux
     trous qui lui servaient d'yeux.»

    «C'est, dit-il, afin de m'aider
    A recharger ce bois....»

Telle est la scène représentée par M. Pinkas, excepté la Mort qui a une
espèce de casquette et une cravate rouge autour de l'arête qui lui sert
de cou.

Les _Roses_, de Mlle Adèle de la Porte; les _Légumes_, de M. Horace
Pagez; les _Lilas_, de M. Maistan,--un suspect qui n'est pas dans le
catalogue!--le _Gibier_, de Mlle Aglaé Laurandeau (suspecte); les
_Pêches_, de M. Leroy (suspect); les _Roses et Marguerites_, le
_Seringat_, de M. Charles Laass d'Aguen; le _Citron_, de Mlle Louise
Darru; les _Pieds de cochon_, les _Oeufs et le Fromage_, de M. Graham,
et enfin le _Dessert_, de Marie Thibault, composent un festin complet et
charmant, aussi agréable au goût qu'aux yeux.

Il faut que Messieurs du jury aient le palais--de l'Institut--difficile.
N'avoir pas voulu goûter ces excellents mets et ces beaux fruits parmi
ces fraîches fleurs, avoir repoussé la peinture à la Sainte-Menehould de
M. Graham, fait supposer des estomacs et nez bien blasés.

L'Exposition des Reçus et des Refusés est terminée depuis le 1er
juillet dernier. La distribution des prix ou médaille et récompenses
sera faite le 6 juillet.--Les Refusés doivent avoir des chances!

Un décret du 23 juin dernier, inséré au _Moniteur_, a fait savoir que
dorénavant l'Exposition de peinture, de sculpture et d'architecture aura
lieu chaque année, du 1er mai au 1er juillet.

Les Refusés ne sont probablement pas compris dans ce décret, ce qui veut
dire que le jury ne sera plus troublé, continuera, comme par le passé, à
taper à l'aventure, et que les choses iront comme devant.

Quand donc lirons-nous le bienfaisant décret qui supprimera le jury?

Finissons ce chapitre par l'annonce d'une grande nouvelle.

Le tableau de Courbet, _les Curés ivres_, déjà célèbre, quoique non vu,
va commencer son tour du monde par l'Angleterre.

Le maître-peintre consciencieux veut, avant le départ, mettre une
perfection minutieuse dans les moindres détails de son oeuvre. Il s'est
remis dessus et cherche des défauts. Il ne veut pas qu'un seul critique,
un amateur, ni même qu'un artiste puisse y trouver une petite bête. Il
considère ce tableau comme son meilleur et veut le faire ainsi
considérer par tout le monde.

Nous suivrons de loin ce tableau dans ses pérégrinations, et nous
tiendrons nos lecteurs au courant de ses aventures et de ses effets.

Dès à présent, nous savons qu'il sera exposé à Londres et qu'il y aura
grand meeting.

       *       *       *       *       *



VII

=SOMMAIRE=

     Enterrements de toutes classes.--Une odeur de cuir chaud.--M.
     Briguiboul ne sera plus Refusé.--L'honneur est le seul vrai
     salaire.--Morceau cloquent.--Un maréchal qui a raison.--Il a
     tort.--Les peintres ont mal compris.--On lit dans le _Moniteur_.

       *       *       *       *       *

La distribution _solennelle_ des croix et des médailles d'honneur, des
médailles de 1er, 2e et 3e classes, des mentions honorables et
des _rappels_ de médailles aux peintres, architectes, sculpteurs,
graveurs et lithographes, est enfin terminée.

Les discours ont passé «comme un parfum d'été.»

M. Briguiboul est le seul Refusé qui ait obtenu non à cause de cette
qualité, une médaille de 3e classe.

Si _l'on_ admet ce principe absurde qu'une récompense est due à un
artiste parce qu'il a du talent,--comme si la vraie, la seule récompense
pour un artiste n'était pas d'avoir du talent ou même du génie,--on
attribuera le don de cette 3e médaille au tableau mythologique de M.
Briguiboul, qui est parmi les oeuvres refusées et non au tableau reçu.
C'est pourtant ce dernier qui a valu à son auteur le grand honneur de
3e classe dont nous venons de parler.

Les jours de distribution de prix, les lycéens ne sont pas plus heureux
et plus émus que les artistes ne le sont quand un ministre ou un
maréchal leur octroyé, dans une cérémonie _solennelle_, au nom de
l'Empereur, des récompenses diverses.

Quant à moi, si j'étais guerrier, je ne combattrai que pour
combattre,--parce que ce serait mon devoir,--et non pour obtenir un
grade ou une croix; peintre, je ne peindrai que pour faire de beaux
tableaux--et non pour être applaudi ou récompensé; travailler pour
soi-même me paraît une superbe maxime que je voudrais lire en lettres
d'or sur champ d'azur chez tous les artistes.

Arriver à être content de soi, à savoir, à être sûr qu'on a bien fait,
est la vraie gloire, la seule durable, la seule que se transmettent les
hommes de génie, frères de celui qui l'a conquise.

Quel jury, quel souverain pourraient me donner tort ou raison contre
moi-même. Quoi!--il dépendrait d'un homme parvenu--ou de
plusieurs--d'annihiler mon oeuvre ou d'augmenter sa valeur! J'oserais me
dire artiste et je n'aurais pas d'opinion! Le jugement même d'un grand
homme prévaudrait contre le mien, quand je sais, quand j'ai appris,
étudié, travaillé, quand j'ai vécu et fait mon oeuvre! Non, mille Dieux!
répondrais-je. Je suis libre, je sens, je suis convaincu, je discute et
je maintiens ce que j'ai fait!

D'autre part, comment pourrait-on établir la justice et la justesse des
condamnations et des récompenses en matière d'art?--Il est inutile de
recommencer à démontrer l'impossibilité des censures et des jurys.

La magistrature artistique infaillible n'est pas encore éclose. Dès lors
un peintre médaillé, homme consciencieux, s'appréciant à sa valeur
exacte,--s'il est possible,--pourra-t-il supporter de sangfroid qu'un
peintre de sa valeur ou plus fort que lui n'ait pas reçu la même faveur?
Croit-on que beaucoup d'académiciens pouvaient, sans rougir, frotter de
leurs habits à palmes, en passant, le paletot de Balzac?

Non, non.--Il est d'éternelles vérités toujours bonnes--et inutiles à
dire,--dont on ne profite guère, soit, mais que les cérémonies, les
solennités et toutes les fausses grandeurs ne renverseront pas.

Le discours de M. le maréchal Vaillant, ministre des Beaux-Arts, a ceci
de particulier que, pour la première fois peut-être, on a pu entendre
l'éloge officiel de l'invention, de l'originalité. Dans les phrases
_d'un vieux soldat_, l'armée devait naturellement avoir quelques mots.
Mais nous ne sommes pas de l'opinion de M. le maréchal quand il parle du
_jury éclairé_ et quand il affirme que _le public est toujours empressé
d'accueillir une tentative originale_.

Quelques allusions aux peintres refusés se glissent dans le discours de
M. de Nieuwerkerke, qui a repoussé _l'excentricité_ avec dédain.

Je crois, moi, que l'_excentricité_ est une rare faculté en Art que n'a
pas qui veut, et contre laquelle conséquemment il est peu urgent de se
mettre en garde.

Certaines parties du discours de M. de Nieuwerkerke ont été interprétées
par les artistes comme des promesses de liberté pour les Expositions à
venir, et pour ce vivement applaudies.

Beaucoup d'artistes, et des meilleurs, désirent et demandent la
suppression du jury et la liberté des Expositions. C'est trop juste, et
cela se fera.

Voici, d'après le _Moniteur_, le compte-rendu de la cérémonie et les
discours:


DISTRIBUTION SOLENNELLE

DES

=RÉCOMPENSES DÉCERNÉES AUX ARTISTES=

APRÈS L'EXPOSITION DE 1863

La distribution des récompenses aux 'artistes qui ont pris part à
l'Exposition de 1863 a eu lieu hier, à une heure, au Palais de
l'Industrie.

S. Exe. le maréchal Vaillant, ministre de la Maison de l'Empereur et des
Beaux-Arts, a présidé la cérémonie. Il était accompagné de M. Alphonse
Gautier, conseiller d'État, secrétaire général du ministère de la Maison
de l'Empereur et des Beaux-Arts, et de M. le lieutenant-colonel
Monrival, son aide de camp. Il a été reçu, à son arrivée au Palais, par
M. le comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, assisté de M.
Courmont, chef de la division des Beaux-Arts, de MM. les inspecteurs
généraux des Beaux-Arts, de M. le marquis de Chennevières, conservateur
adjoint au Musée du Louvre, chargé du service des Expositions.

A droite et à gauche de l'estrade d'honneur se sont placés les membres
du jury, les conservateurs et conservateurs adjoints des Musées
impériaux, et les fonctionnaires supérieurs du service des Beaux-Arts.

A une heure, la séance ayant été déclarée ouverte, S. Exe. le maréchal
Vaillant s'est levé et a prononcé le discours suivant:

     «Messieurs,

     «C'est un vieux soldat qui vous remet, cette année, les récompenses
     accordées par l'Empereur à tous ceux dont les travaux honorent le
     pays. L'armée, vous le savez, a souvent bien mérité des artistes.
     Vous lui devez quelques-uns de ces chefs-d'oeuvre que-vous admirez
     et que vous prenez pour modèles; et naguère encore vous l'avez vue,
     à Rome, suspendant les coups qui pouvaient porter le ravage dans
     ces sanctuaires des arts, objets de juste vénération. Aujourd'hui,
     ma tâche est facile: je viens proclamer les décisions d'un jury
     éclairé, confirmées par ce jury sans appel qu'on nomme le public.
     En aucun pays ses arrêts ne sont plus autorisés qu'en France, parce
     qu'en France il n'y a personne qui ne s'intéresse à vos travaux.
     Laissons la médiocrité orgueilleuse accuser le goût du siècle et
     déplorer ses changements et ses caprices.

     «Les artistes, messieurs, trouveront toujours le public empressé
     d'accueillir une tentative originale, parce que l'invention est une
     des plus précieuses qualités de l'art. S'ils rencontrent de la
     sévérité lorsque, pour suivre la vogue, ils renient leurs propres
     convictions; si, traités d'abord avec bienveillance, ils sont vite
     abandonnés, c'est justice. Le public a toujours maudit, avec le
     poète, le troupeau servile des imitateurs. Il avait applaudi à de
     brillantes promesses, il retire sa faveur à qui ne les a pas
     tenues.

     «Notre siècle, assurément, n'est pas de ceux dont les artistes
     aient à se plaindre. Je ne vous rappellerai pas la constante
     protection dont ils sont l'objet de la part de l'Empereur; les
     richesses nouvelles acquises par ses ordres pour nos Musées, les
     grands travaux exécutés dans la capitale de l'Empire. Qu'il me soit
     permis de vous faire remorquer seulement que l'absence de préjugés,
     l'éloignement pour la routine, le dégagement de toutes traditions
     étroites, sont devenus les principes de la critique moderne. Plus
     heureux que la plupart de vos devanciers, vous n'avez plus à vous
     débattre contre des règles absolues que de glorieuses écoles ont
     souvent laissées après elles. Aujourd'hui, qu'on poursuive l'étude
     de la nature jusque dans ses trivialités ou qu'on s'applique à
     rechercher un idéal poétique, tous les efforts consciencieux sont
     appréciés, et jamais le mérite d'un ouvrage ne sera contesté pour
     n'avoir pas l'autorité d'exemples anciens. Cette disposition, qui
     laisse aux artistes la plus complète liberté pour suivre leurs
     tendances et leurs inspirations, ne doit pas leur faire oublier les
     difficultés nombreuses de leur carrière. A moins de s'être préparé
     par de fortes études, il est imprudent de tenter des routes
     nouvelles, et, si j'ose me servir ici d'une comparaison empruntée à
     mon métier, je dirai qu'il n'appartient qu'aux soldats aguerris et
     disciplinés de tout oser avec l'espoir fondé de réussir.
     L'observation constante de la nature, les méditations patientes
     devant les oeuvres des maîtres, voilà les plus sûrs moyens
     d'obtenir des succès durables. Telle a été l'éducation de ceux de
     vos prédécesseurs qui ont conquis unu juste renommée; telle je
     voudrais que lut l'éducation de tous nos artistes.

     «Vous avez désiré que des Expositions plus fréquentes permissent à
     vos juges naturels de suivre, pour ainsi dire pas a pas, vos
     efforts et vos progrès. Le comte Walewski, mon honorable
     prédécesseur, qui, pendant son administration, a donné tant de
     preuves de sa sollicitude pour vos intérêts, qui s'est montré si
     jaloux de multiplier les moyens d'encourager vos travaux, a porté
     votre désir à la connaissance de l'Empereur, et Sa Majesté a
     ordonné la réalisation de cette mesure. Une année ne se passera
     donc pas sans que cette enceinte reçoive vos oeuvres nouvelles.
     J'ai la confiance que ces Expositions annuelles répondront à votre
     attente, comme à celle du Gouvernement, grâce à vos efforts et au
     concours du surintendant des Beaux-Arts, qui vient de recevoir de
     la confiance de l'Empereur une mission plus élevée, et qui vous
     aidera d'autant plus sûrement de ses conseils et de son autorité
     qu'il est sorti de vos rangs et qu'il vous appartient toujours par
     ses oeuvres.

     «Pourquoi faut-il qu'un douloureux souvenir attriste la joie de
     cette fête! Moins que personne et moins ici que partout ailleurs,
     au milieu de ces toiles animées qui nous parlent de combats et de
     victoires, je ne puis oublier que, dans le cours même de cette
     année, il y a quelques mois à peine, l'armée des arts perdait l'un
     de ses plus illustres maréchaux.

     «Vous l'avez reconnu, messieurs, et vos coeurs ont nommé avant moi
     le troisième, le dernier, le plus grand des Yernet.

     «Peintre de l'épopée impériale, Horace Vernet, dans son inépuisable
     fécondité, s'est associé à tous les triomphes de la France. Pendant
     une longue vie, qui égala presque celles du Titien et de
     Michel-Ange, cet infatigable créateur n? cessa pas un jour de
     travailler, et, sans jamais avoir vieilli, ne s'arrêta que pour
     mourir!

     «Nul plus que lui, sans doute, n'aurait eu droit à d'éclatantes
     funérailles; le peuple eût porté l'artiste populaire à sa suprême
     demeure; jeunes et vieux, les soldats de l'Empire eussent voulu
     honorer encore celui qui avait reproduit tous leurs combats et
     popularisé toutes leurs victoires; et et vous, messieurs, ses
     derniers élèves, ses premiers admirateurs, quelle escorte vous
     eussiez faite à sa cendre!

     «Il ne l'a pas permis. Lassé de la gloire, il a refusé pour sa
     tombe tous les hommages; mais dans cette tombe il a emporté tous
     les regrets.

     «Ce que la reconnaissance du pays n'a pu faire alors, messieurs,
     l'Empereur, inspiré par sa grande âme, l'avait fait d'avance en
     accordant à votre vieux maître, à mon vieil ami, un honneur si
     exceptionnel qu'il est presque unique dans l'histoire de l'art.

     «Que l'exemple vous soutienne, messieurs, et que la récompense vous
     encourage. Il est bon, au début de la carrière, de se fortifier
     pour la lutte, et rien ne rehausse le coeur comme le spectacle du
     travail accompli, du succès mérité et de la gloire obtenue.»

Ce discours a été plusieurs fois interrompu par des salves
d'applaudissements.

M. le comte de Nieuwerkerke a pris ensuite la parole et s'est exprimé en
ces termes:

     «Messieurs,

     «A l'heure où les questions d'art deviennent plus graves parce
     qu'elles deviennent plus générales, l'Empereur, en réunissant dans
     le ministère de sa Maison tous les services des Beaux-Arts, en les
     confiant à un maréchal de France à la fois homme de science et
     dégoût, a voulu, pour ainsi dire, les rapprocher encore de Lui.

     «Déjà une mesure essentiellement libérale a été prise cette année
     en faveur d'un grand nombre d'artistes. Ils la doivent, vous ne
     l'ignorez pas, à la sollicitude de l'Empereur. Avec cette
     bienveillante initiative qui distingue chacun de ses actes, notre
     auguste Souverain a appelé tous les artistes à partager le grand
     jour de la publicité. Il a pensé que le moment était venu de donner
     cette satisfaction au public, aux artistes, aux membres du jury
     eux-mêmes. C'est donc à tous ceux dont les oeuvres ont été exposées
     que je m'adresse aujourd'hui, à ceux dont les noms sont inscrits au
     catalogue officiel, comme à ceux pour lesquels des salles
     particulières ont été ouvertes.

     «Nous sommes heureux de constater le redoublement d'activité qu'a
     produit le Salon de 1863. Il nous donne la preuve de l'intérêt
     croissant que l'art inspire; le nombre des visiteurs pendant la
     semaine a été plus considérable que les années précédentes, et
     chaque dimanche, 30 à 40,000 personnes, profitant de ce jour de
     repos, se sont empressées de venir contempler vos travaux.

     «Vous répondrez à ce précieux encouragement de la foule, messieurs,
     et nous aurons bientôt à enregistrer, à côté de noms déjà célèbres,
     d'autres talents qui seront une illustration de plus pour l'époque
     où nous vivons. Quand on voit constamment grandir l'élite vaillante
     de notre école, quand on mesure sa moyenne fort élevée, il est bien
     permis de caresser un pareil espoir.

     «Nous qui suivons vos progrès avec une attention soutenue, nous
     reconnaissons que jamais dans l'École française il n'y a eu une
     somme de talent si générale; cependant nous, ambitionnons une
     supériorité plus haute encore. Ne vous méprenez pas sur notre
     pensée, messieurs: lorsque nous souhaitons pour vous, pour l'art
     national, un plus vaste avenir, nous ne prétendons pas refuser au
     présent la justice qui lui est due. C'est parce que vous pouvez
     beaucoup que nous vous demandons toujours davantage.

     «Nous n'insisterons pas sur certains écarts de goût que le jury
     devait signaler à ceux qui les ont laissés se manifester dans leurs
     oeuvres. Cet avertissement suffira, nous en avons l'espérance, pour
     que de telles défaillances ne se renouvellent plus; car, messieurs,
     vous qui avez déjà du talent, croyez bien que l'excentricité n'a
     jamais eu d'autre effet que de retarder les succès légitimes et
     durables. C'est à vous-mêmes que nous en appelons, et nous ne
     doutons pas que dans un très-bref délai vous ne nous donniez
     raison.

     «Si nous regrettons d'avoir à constater que l'on s'éloigne de la
     grande peinture, il n'y a cependant pas lieu d'en être trop alarmé;
     si les préférences de quelques-uns se portent vers l'étude du
     paysage, par exemple, leurs succès dans cette voie ne doivent pas
     nous inquiéter sur les destinées du grand art en France. Chaque
     époque, en effet, obéit à un mouvement particulier, à une pression
     extrêmement mobile de l'esprit et du goût. L'important, c'est que
     dans chacune des directions parcourues, le talent soit à la hauteur
     de la tentative. D'ailleurs, comme pour être signé de Raphaël ou de
     Ruysdaël, de Michel-Ange ou de Clodion, un chef-d'oeuvre n'en est
     pas moins un chef-d'oeuvre: en raison de la diversité des esprits,
     delà variété infinie des talents et des aptitudes originelles, nous
     comprenons que la plus grande liberté règne dans la pratique et la
     direction de l'art. Mais, au nom même et en échange de cette
     liberté de tendances dont nous nous plaisons à reconnaître la
     légitimité, nous vous demandons, nous vous recommandons avec
     instance le travail obstiné, patient, convaincu. Méfiez-vous des
     à-peu-près en tout genre; la véritable force les a toujours
     dédaignés, et vous pouvez, vous devez être véritablement forts.

     «Le grand art sera toujours l'objet de nos prédilections. Pourtant
     que ceux d'entre vous qui ne suivent pas ses traditions ne croient
     pas que nous voulions les renier; ils sont nos enfants prodigues,
     mais, à l'inverse de celui de la parabole, ils reviennent parfois
     les mains pleines. L'École française contemporaine est à la tête
     des écoles d'art de l'Europe. Et si nos coeurs sont encore émus de
     la perte des Vernet, des Delaroche, des Decamps, des Pradier, et de
     tant d'autres, hélas! n'est-ce pas une consolation de penser que
     parmi vous il se fait ou se fera d'aussi grandes renommées? La
     France est féconde, messieurs, et, de même que ses soldats, ses
     artistes sont les premiers du monde.--Dans cette lice où sont venus
     se mesurer les représentants de l'art européen, plus la lutte a été
     sérieuse, plus la victoire est honorable, car nous sommes trop
     justes pour ne pas apprécier à sa véritable valeur le mérite des
     artistes étrangers qui, à chaque Exposition, viennent concourir
     avec vous. Aussi est-ce sans distinction de nationalité que les
     récompenses sont accordées au talent. L'Empereur et l'Impératrice,
     par de nombreuses acquisitions aux artistes de toutes écoles et de
     tous pays, ont voulu consacrer ce principe.

     «Maintenant, messieurs, je vais vous faire connaître les noms des
     artistes récompensés. Tout en laissant au jury l'honneur comme la
     responsabilité de ses choix, il est juste de dire que la quantité
     des médailles dont il pouvait disposer n'étant pas en rapport avec
     la somme des talents, il s'est trouvé en présence d'une grande
     difficulté. Cet embarras du choix, nous sommes heureux d'en faire
     la remarque, prouve une fois de plus dans quelles proportions s'est
     augmentée l'élite de l'École française. Un autre système de
     récompenses était donc devenu nécessaire; nous vous le ferons
     connaître prochainement, ainsi que le règlement de l'Exposition de
     1864»

Le discours s'est terminé au bruit des manifestations les plus
sympathiques.

Le surintendant des Beaux-Arts, après avoir demandé les ordres de S.
Exe. le ministre de la Maison de l'Empereur et des Beaux-Arts, a fait
l'appui des artistes français et étrangers nommés dans l'ordre de la
Légion d'honneur, par décret impérial; puis il a lu la liste des
récompenses décernés par le jury.

Chaque artiste est venu, au milieu des acclamations des assistants,
recevoir les récompenses de la main de S. Exe. le maréchal Vaillant.

A deux heures, la séance était terminée.

(_Moniteur_, 7 juillet 1863.)**

Outre M. Briguiboul, plusieurs Refusés-Reçus, c'est-à-dire ayant des
tableaux aux deux Expositions, ont eu des _mentions honorables_.

C'est M. Blin et M. Méry, deux paysagistes de talent, deux _suspects_
qui figurent timidement parmi les Refusés et qui ne se sont pas nommés
dans le catalogue. Nous donnons, nous, une mention à leurs paysages
repoussés. Puis, M. Harpignies, déjà nommé, qui a deux paysages
remarquables, rejetés par la même raison qui a fait admettre un autre
tableau de lui, je veux dire sans savoir pourquoi. MM. Laurens et Tabar,
peintres connus et toujours reçus jusqu'à présent. Enfin, MM. Vaudé et
Wagrez. Refusés cachés comme leurs tableaux qui ne m'ont pas arrêté.

Je ne cite ces mentions que comme des preuves de plus de la faillibilité
des censeurs et examinateurs. Comment s'expliquer que ces tableaux,
d'égale force et des mêmes peintres, aient été--les uns admis, les
autres renvoyés? Saint Basile, le fameux dialecticien, l'oracle
invincible, n'aurait pu éclaircir ce mystère.

       *       *       *       *       *



VIII

=SOMMAIRE=

     Donnez-vous la peine de vous asseoir.--La ménagerie d'un suspect
     amusant.--Gare aux animaux!--Ils nous donnent un sauf-conduit.--Le
     Temps a fait son temps.--Un condamné par la raison qu'il est
     criminel. Ne pourrait-on pas le condamner pour autre chose?--On se
     jette les cartes et les verres à la tête.--A la tour de Nesle!--On
     parle encore de Béranger.--L'auteur des _Étourdis_, comédie en
     vers, fait la campagne d'Italie.--La gloire n'est que de la
     fumée.--Une boucherie au clair de là lune.-_A nous_, _Français_!
     rie.... (Varsovienne).--Celle fois, le général Hoche est bien
     tué.--Théorie du sous-lieutenant.

       *       *       *       *       *

Nous allons, pour nous délasser, nous arrêter un peu devant deux
peintures tout à fait amusantes; l'une est de M. Fitz-Barn, dont on ne
trouve pas le nom dans le catalogue, mais ce ne peut être que par
erreur, car le tableau de ce peintre fait un tel tapage qu'on ne peut
soupçonner l'auteur d'avoir voulu se cacher. Tout d'un coup, nous nous
trouvons dans une grande cage avec tous les animaux de pantomime.
J'appelle ainsi les animaux fantastiques, domestiques et comiques, tels
que chat, singe, rat, pie, grenouille, chien, poule, geai, hibou, etc.,
etc., dont les mouvements, les allures et les physionomies sont vraiment
risibles ou étonnants.--Avec nous, dans la même cage, crient,
gloussent, coassent, jappent, miaulent et grouillent les animaux que je
viens de citer. A travers le treillage, des figures singulières nous
examinent très-attentivement. Le singe épluche ou épile un rat, ce
qui-indigne une pie.--Deux petits chiens bleus se battent pour
rire.--Une grenouille montre sa tête immobile à fleur d'eau.--Un
chat-huant attend la nuit avec impatience, et de ses deux lueurs fixes,
qu'il a pour yeux, regarde passer le temps.--Bref, tous les animaux sont
dans leurs attributions respectives.--Quittons ce petit pandémonium. Les
animaux ne s'opposent pas à notre sortie de la cage.

       *       *       *       *       *

L'autre peinture représente un vieillard qui ressemble au Temps, assis
sur un débris de colonne. Il a fait des progrès depuis la Mythologie; il
a un chapeau, des lunettes, des bottes à revers et une lyre; il fait au
jury, sans doute, une grimace des plus grotesques.

Il est impossible que M. Paul Claparède, auteur de cette petite
grisaille, ne l'ait pas conçue et peinte à la suite d'une absorption
exagérée d'un hatchi inconnu, mais dont les effets doivent être gais.

M. Viel-Cazal est encore un peintre hardi, un vigoureux réaliste qui n'a
pas plus peur du sujet que de la couleur.

Il a exposé un étude de _Tête de cheval_ et un très-grand tableau, la
_Dernière heure_, dont voici la légende:

«Un cheval vicieux, condamné _pour cette raison_ à être abattu, et ayant
déjà les crins coupés, cherche à s'échapper des mains des équarrisseurs,
après avoir rompu ses entraves.»

La description n'est pas très-exacte.--Le cheval s'est échappé, il a
même renversé, en s'échappant, l'un des équarrisseurs, et il enlève
l'autre à ses naseaux ensanglantés; un boule-dogue s'élance à fond de
train sur le cheval.

Ce tableau est très-vivant, très-vrai, peint largement; il méritait
enfin de s'échapper des mains des jurés et de s'installer dans le salon
de la liberté et de l'audace.

_Une Dispute de jeu_, par M. Thiery, est un tableau romantique qui
aurait eu du succès en 1833; mais le succès ne prouve rien, et M. Thiery
a fait une jolie peinture de cape et d'épée.

Holà! tavernier du diable! il ne s'agit pas d'apporter à boire! sus aux
querelleurs! enlevez les cartes si leurs épées vous laissent faire, ou,
vive Dieu! votre tonnelle enragée sera fermée avant le couvre-feu!

M. Allard Cambray a fait un beau Louis XI, à l'eau-forte, dans la
superbe collection de M. Cadart; mais, hélas! _Agés_... hélas! il en a
peint un bien faible. On voit qu'il s'est plus inspiré de la pâle
chanson de Béranger que de l'histoire:

Heureux villageois, dansons,
Sautez, fillettes
Et garçons!

Unissez vos joyeux sons,
Musettes
Et chansons!

Ainsi, dans ce tableau, non moins décoloré que le refrain, sautent et
dansent les heureux villageois devant le cadavre encore vivant du roi
Louis XI.

M. Andrieux nous montre _le général Bonaparte accompagné de non
escorte_, _le matin du combat_. (_Campagne d'Italie_, 1790.)

Bonaparte, entouré de quelques officiers, galope dans un champ en
désignant du doigt classique des héros l'endroit où il y a le plus de
fumée.

C'est une vignette coloriée assez habilement et dont le dessin dénote
une main plus exercée à exécuter sur bois de petites manoeuvres
militaires qu'à les peindre.

M. Édouard-Alphonse Aufray a trois tableaux, dit le catalogue, mais je
n'en ai trouvé qu'un, _Choc de cavaliers_. On dirait que c'est la
_Bataille des Cimbres_, qui a donné aux Refusés son portrait en
miniature (son portrait, pas tout à fait cependant); mais il y a tant
d'enthousiasme pour cette _Bataille_, dans ce _choc_, qu'on voit bien
que _les cavaliers_ de M. Aufray se souviennent _des Cimbres_ de
Decamps. Ils se battent presque aussi furieusement.

Les deux autres tableaux de M. Aufray, désignés dans le livret:
_Crépuscule_ et _Lever de lune_, semblent être réunis dans _le Choc des
cavaliers_ pour ne former à eux trois qu'une trinité. En effet, c'est
par un _crépuscule_ et par un _lever de lune_ que se _choquent les
cavaliers_.

Le _Cavalier polonais_, de M. Guillaume Regamey, est plus triste et
moins animé. Il songe à sa patrie et attend. Son cheval aussi est là qui
attend. Malgré le soin et le patriotisme, ce tableau, qui a des
qualités, n'est pas d'une belle couleur. On pourrait croire, du reste,
qu'il a été exposé malgré son auteur, car il n'est pas indiqué dans le
catalogue.

_Les Dernières moments du général Hoche_ n'ont pas fait faire un bel
ouvrage à M. E. Courtois; mais je crois que la médiocrité de ce tableau
tient plus au genre,--genre ou art militaire,--qu'au talent modéré du
peintre.

On peut s'affermir dans cette opinion, en examinant avec
attention,--rude travail,--tous les tableaux de bataille, de revue ou de
guerriers, qui sont aux deux Expositions; les uns sont plus médiocres,
les autres plus mauvais.

       *       *       *       *       *



IX

=SOMMAIRE=

     Malice du Jury.--Elle est noire, mais cousue de gros fil
     blanc.--«Mon impartialité bien connue....»--Prenons le chemin de
     fer de Castelnau.--Nous arrivons aux Tuileries.--Réhabilitation
     d'un condamné.--Encore une victime.--Une tragédie de MM. Ponsard et
     Latour de Saint-Ybars.--Ta vie, en cinq points secs!--Une fable vue
     au microscope.--Quelle tête!--On met à Shakespeare la perruque à
     marteau de Ducis ou celle des lions de l'Institut.--Henri IV est
     mort!--Hoche pacifie la Vendée.--Les comestibles vont dévorer le
     cuisinier.--Le duc d'Orléans au bal masqué.--Le petit dieu
     malin.--1852 et 1815.--Les suspects au bal des victimes.--De bien
     douces larmes.--Pauvre petite!--Elle aime Polichinelle.--Si
     jeune!...--Tableau selon saint Jean.--«J'ai, Jean-Marc Malhieu,
     huissier au tribunal, etc....»--Décidément, c'est une langue!...
     mais pas française.--Vente par autorité de justice.--Autre tableau
     religieux selon saint Marc.

       *       *       *       *       *

Parmi les tableaux que le jury a été enchanté de voir exposés dans la
salle des Refusés, parce que ces tableaux-là ressemblent aux primitifs
joujoux en bois dont les enfants ne veulent plus, et qu'ils font éclater
la raison du jury dans toute sa splendeur, parmi ces tableaux il faut
citer un paysage de M. Castelnau, qui n'a pas eu, comme son maître M.
Brivet, l'énergie de s'exposer en plein catalogue.

Moi, qui ai la résolution d'être d'une complète franchise, je cite
également les choses marquantes en bien ou en mal. Je voudrais pouvoir
parler de tout, mais j'ai des limites.[1]

[Note 1: Quand on franchit la borne, il n'est plus de limites! a dit
M. Ponsard.]

D'ailleurs, il y a mauvais et mauvais: le mauvais amusant et le mauvais
ennuyeux.

C'est à ce mauvais-là qu'appartiennent les imitateurs ou plutôt les
victimes de MM. Brascassat, Flandrin, Gérôme, Muller, etc.

Mais c'est dans le mauvais amusant qu'il faut classer le paysage
enfantin de M. Castelnau. Il y a un petit chemin de fer avec locomotive,
un petit pont, des petites maisons en en bois, des petits arbres en zinc
et des petits chevaux-Brivet.

Cela fait doucement sourire; cela rappelle l'enfance; on croit qu'on
vient soi-même de mettre en rang tous ces jouets.

Un autre paysage qui voulait être sérieux, mais qui a l'air d'un décor
du théâtre des marionnettes aux Tuileries, c'est l'_Entrée de
Thérouanne_, par M. Delalleau.

M. Désiré Philippe a été reçu pendant 15 ans. La commission d'examen a
trouvé que c'était assez.--Cependant ce n'est pas assez.

Il fallait que les portraits envoyés par M. Philippe lussent en
décadence; or, ils sont exactement ce qu'ils étaient,--d'une valeur qui
n'a pas bougé.

Le premier portrait, celui de M. Charles Vincent, est très-ressemblant;
le second, celui d'un collégien, doit-être encore plus ressemblant: cela
se devine.

Dans son tableau, une, _Famille de Tritons_, M. Athon Donner est une
victime de M. Millet.

M. Doneaud n'est pas dépourvu des qualités qui causent l'étonnement. Il
a fait une véritable _Jézabel morte_ qui indique qu'un membre de
l'Institut avait d'abord dirigé ses études vers la tragédie, à la
manière de MM. Ronsard et Latour.

Cette Jézabel est d'un mauvais--mais de ce mauvais déplaisant dont je
parlais tout à l'heure.

Eh bien!--voilà d'où vient l'étonnement,--M. Doneaud a exposé un autre
tableau qui est bien fait, c'est: _Suite de jeu_. L'intention
philosophique y est peut-être trop indiquée: des cartes, de l'or, une
dague et du sang!

Voilà le tableau!

La plus gigantesque des oeuvres refusées c'est le _Berger et la
mer_,--_fable_!--par M. Doyen.

Ce berger est plus grand que la mer qu'il contemple.

Son genou est un immense rocher.--Et M. Doyen appelle cela une fable!

M. Duckett, _suspect_, a fait un affreux portrait qui doit être celui de
M. Brascassat.

M. Hippolyte Dubois à traduit Shakespeare à la façon de Ducis.

Figurez-vous une _Titania_, le _Songe d'une nuit d'été_, faits par un
prix de Rome, sans doute, élève de M. Gleyre--Gleyre obscur,--dirait le
_Tintamarre_.

Obéron ne s'y tromperait pas et n'irait certes pas verser le suc des
fleurs sur les paupières de cette Titania-là.

_Les Funérailles du gêneral Marceau_. _L'armée autrichienne lui rend les
honneeurs militaires de concert avec les Français_.

Nous ne ferons pas pour ce tableau de M. Dupray comme les Autrichiens et
les Français pour Marceau: nous ne lui rendrons pas même les honneurs
militaires (Voir ce que nous avons dit du tableau, la _Mort du général
Hoche)_.

M. Delord a fait un joli Persan--en bois.

Des légumes et des comestibles énormes sur le premier plan.--Au fond,
sur le cinquantième plan, à quelques lieues on aperçoit dans une cuisine
un petit cuisinier lilliputien apprêtant ses fourneaux pour faire cuire
ces gros légumes qui pourraient bien le manger ou l'engloutir lui-même.

Tel est le tableau assez plaisant de M. Fanchon.

On dirait en voyant le portrait de M. Horace Vernet par M. Ficatie, que
ce peintre a voulu faire le portrait du duc d'Orléans.

Cette peinture est encore du genre primitif et amusant dans lequel se
sont essayés avec tant de succès MM. Brivet, Castelnau, Delord, etc.

J'aurais voulu citer l'auteur d'un _Franc-maçon_ éclatant et celui de la
_Naissance d'un Poulain-Brivet_; mais je n'ai pu découvrir leurs noms.

C'est dans cette série de peintres qu'il faut classer M. Hudei, auteur
d'un _Mendiant suspect_, allégorie fine: ce mendiant, c'est l'amour....
Ah!--que dirait M. Hamon?

M. Mallet, auteur du 24 _septembre_ 1852 _à Viviers d'Ardèche_; M.
Regnier, qui a fait le _Retour aux Tuileries_, 20 _mars_ 1815, et M.
Rocques, peintre sur faïence, doivent être nomenclatures dans cette même
classe.

A ces diverses classifications de peintres, les _Suspects_, les
_Philosophes_, les _Victimes_--victimes nombreuses, hélas! de MM.
Signol, Pujol, Gleyre, Flandrin, Hamon, Brascassat, Yvon, etc.,--les
_Primitifs_ ou _Antédiluviens_, les _Poltrons_, les _Montagnards_, etc.,
etc., il faut ajouter les _Tristes_.

M. Guillaume Regamey, qui a fait le _Cavalier polonais_ dont j'ai parlé,
est de cette série.

Il faut y placer également un peintre modeste, caché comme une violette,
qui a fait une petite pauvresse plantée devant une boutique pleine de
polichinelles et de poupées. On devine dans la main qui se tortille une
envie démesurée de posséder, de toucher les joujoux. C'est une de ces
peintures attendrissantes qui réussissent toujours en public. Le peintre
l'a prise sur nature et a eu le bon goût de ne donner à ce sujet que la
proportion convenable.

M. Fourau, non moins élégiaque, a mis dans un cadre de chêne ou de sapin
une petite fille encore vivante, mais qui a l'air de bien souffrir.

M. Claude Maugey a exposé deux tableaux: le _Christ abandonné_ et un
_Coin d'atelier_. Le cadavre du crucifié est bien abandonné en
effet.--Il est étendu sur le sol dans un désert. M. Maugey a rendu
hardiment et même originalement l'abandon immense, plus grand que la
solitude.

Ce tableau, bien conçu et bien rendu, avait été commandé, m'a-t-on dit,
par un célèbre et noble amateur qui n'en a pas voulu, le jury l'ayant
refusé!

Il y a encore des gens qui croient au jury!

Dans tous les cas, ce n'était pas une raison.

Le noble amateur n'étant pas le jury, n'avait pas le droit de refuser.

Le _Coin d'atelier_ est une-simple petite toile qui montre des pinceaux,
une palette, des couleurs et un _protêt_. Triste, triste,--comme dit
Hamlet,--triste allusion à la vie des peintres qui ne vendent pas leurs
tableaux vingt mille francs, car alors ils ne les vendent pas du tout.
Il n'y a pas de milieu.

La peinture rapporte des millions ou rien. C'est affaire de chance comme
en tout art.

Je ne sais si M. Maugey a voulu agiter ces hautes questions, et s'il
croit, comme M. Millet, que la peinture est une langue, mais
heureusement il n'en a pas l'air. Il conviendrait d'ailleurs avec moi
que ces petites vessies et ce papier timbré n'ont pas une grande
importance, ni une éloquence victorieuse et tranchant la discussion.

Pour couper court à toute réplique, au lieu de cette douce plainte, il
aurait fallu, alors, représenter dans un grand tableau les huissiers
noirs emportant tout et le peintre rouge pleurant aux pieds du jaune
propriétaire impitoyable.

Voilà qui aurait corroboré l'apophthegme de M. Millet.

J'admets le tableau religieux de M. Maugey, le _Christ abandonné_, mais
je n'admets pas le _Christ mort_, de M. Zipelius. Celui-là est
déplorable; il a l'air d'avoir concouru pour le prix de Rome.

       *       *       *       *       *



X

=SOMMAIRE=

     Orage.--Dispersion des insectes.--Nouvelle liste d'exécutés.--On
     manque de tombereaux.--Le Jury a encore deux peintres tues sous lui
     qui se portent bien.--Dernière fournée de victimes
     innocentes.--Gentillesses à l'aquarelle et au pastel.--Traduction
     libre de: _La garde meurt_..., etc.--Éloge des
     aqua-fortistes.--Adresse de M. Cadart: rue Richelieu, 66
     (réclame).--La bataille de Waterloo recommence.--La
     sculpture.--Tout prouve que j'ai raison.--Otons nos paletots.--Un
     nouveau suspect qui a du talent.--Moisson de
     statuaires.--Conclusion.

       *       *       *       *       *

Tout d'un coup le ciel s'obscurcit, un torrent de paysagistes nous
inonde. C'est comme une invasion de sauterelles en Afrique; il faudrait
du canon pour les disperser.

Cependant presque tous ces paysagistes ont du talent. C'est ce qui les a
fait refuser.

Citons les plus dignes et leurs tableaux.

M. Berne-Bellecour, _Plâtreries_, _près Fontainebleau_.

M. Besnus, _Bestiaux au pâturage_.

M. Auguste Bouchet, auteur d'un superbe _Chemin creux dans la forêt de
Montmorency_.

M. Berthelon, _Paysage_ (non inscrit dans le catalogue).

M. Chauvel, _Dans la Gorge aux Loups_, _Fontainebleau_.

M. Louis Cordier (non inscrit), une _Rue de village_ très bien peinte.

M. Dutilleux, _Étude en forêt_ et _Effet du soir_.

M. Fontaine (encore un suspect non inscrit!), _Paysage_.

M. Eugène Lambert, _Vue prise en aval du l'Ile de Veaux_.

M. Laîné (suspect), _Paysage_.

M. Lansyer, _un Poste au bord de la mer_.

M. Lemariée, _Vieilles tanneries à Montargis_.

MM. Lalanne et Larochenoire, introuvables dans le catalogue, auteurs, M.
Lalanne qui avait toujours été reçu, de _Ruines dans un paysage_, et M.
Larochenoire, de _Chevaux au pâturage_.

M. Célestin Leroux, dont j'ai remarqué les trois _Sites de
Landebaudière_.

M. Edouard Lobjoy, qui a fait une très-belle _Vue de l'Église
San-Tommaso_, _à Gênes_.

M. Longueville,--qui figure à l'exposition ordinaire,--_Joinville à
Nagent_.

M. Marois (non inscrit), _Paysage_.

M. Michelin, _Vallée d'Ilyères_.

M. Morel-Lamy, _Bords de la Marne_ et _Promenade près le canal_, pastel.

M. Masure (non inscrit), _Marine_.

M. Perret (François), _les Bords de l'Oise_.

M. Petit (non inscrit), _Paysages_.

M. Pissaro, _Paysage_.

M. Lavery (non inscrit), _Paysage_.

M. G. de Serres, _Crépuscule_.

M. Sutter (David), _Paysages de Fontainebleau_.

M. Vollon, _Paysage_ (Charenton).

M. Valnay (non inscrit), _Paysages_.

M. Wagrez--admis à l'Exposition et mentionné,--_la Forêt par la neige_.

J'en passe et d'aussi bons.

Tous ces paysages sont bien.--Pas un ne ressort absolument. C'est du
talent ordinaire, mais c'est du talent.--On n'a pas le droit de
repousser le talent, même quand on n'en a pas. Plusieurs des auteurs de
ces tableaux sont à la fois admis et refusés et figurent aux deux
expositions. Presque tous ont deux ou trois peintures à la
Contre-Exposition; je n'ai cité que les meilleures.

Deux autres peintres très-connus, MM. Jongkind et Eugène Lavielle, qui,
lui, ne s'est pas fait inscrire dans le catalogue, ont eu de charmants
paysages renversés, mais non tués,--au contraire,--sous le jury.

Quelques affreuses choses, _le Portrait de M. F._, par M. Tichit; _la
Femme adultère_, par M. Hébert; _la Fête romaine sous Pompée_, par M.
Navlet; un hideux fouillis sur faïence par M. Rocques, qui ne s'est pas
assez caché, et _le Portrait de M. Dambry_, _inventeur de la capsule
dite tire-feu_,--(remarquez l'invention, je vous prie),--sont les
dernières peintures qui m'aient arrêté à cause de leur tristesse ou de
leur comique involontaire.

Madame Pauline Viancin, dont le nom manque dans le catalogue, a fait un
très-joli portrait au pastel.

M. Tournayre est auteur d'un beau paysage au fusain. Un dessin de M.
Saint-François, _la Fièvre_, est des plus remarquables: un cadavre en
délire se relève dans ses draps sur un grabat; ses crispations, sa
maigreur en sueur, les effets d'ombre et de lumière sont arrachés à la
nature fantastique. C'est admirable.

_La Promenade près le canal_, pastel, par M. Morel-Lamy, et une _Plage_,
aquarelle, par M. Laurens, tous deux déjà nommés; _le Naufrage de la
Méduse_, d'après Géricault, fusain par M. Eustache (non inscrit); des
fleurs et des fruits au pastel sont à citer.

M. Frédérick Junker, qui n'est pas sans habileté, a voulu faire de
l'esprit. Il a représenté le livre des _Misérables_ ouvert à la page où
Cambronne répond si énergiquement aux Anglais qui le somment de se
rendre. Un morceau de sucre brûle sur une pelle pour ôter l'odeur et
mieux faire sentir l'intention du dessinateur, qui a appelé cette
mauvaise plaisanterie: _le Dernier mot du réalisme_.


GRAVURE

M. Bracquemond, un des meilleurs aqua-fortistes, un des artistes qui se
sont le plus distingués dans la magnifique galerie de M. Cadart, a
laissé au salon des Refusés un superbe _portrait d'Érasme_, _d'après
Holbein_, _eau-forte commandée par le ministère d'État_, et un _Tournoi,
d'après Rubens_, _gravure commandée par l'administration des Musées pour
la calcographie_.

Il paraît que le jury n'est pas d'accord avec cette administration, ni
avec le ministère d'État.

M. Léopold Desbrosses a une belle eau-forte: _Waterloo_; _épisode du
chemin creux d'Ohain_.

«L'instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic
sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double
talus. Le second rang y poussa le premier et le troisième y poussa le
second; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient
sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l'air, pilant et
bouleversant les cavaliers..., et quand cette fosse fut pleine d'hommes
vivants, on marcha dessus, et le reste passa.»

Ces lignes expressives ont été comprises et rendues par M. Desbrosses.

Il faut encore signaler les gravures espagnoles de M. Manet: _le Martyre
de Saint-Barthelemy_, _d'après Ribeira_, par M. Masson; _une Tête_,
_d'après Jean Bellin_, par M. Balleroy, Refusé craintif dont le
catalogue ne parle pas; enfin _les Folles de la Salpétrière_ qui
représentent _une Sortie de soeurs de charité_; _les Bords de l'Oise_,
d'après Daubigny--(on voit une grange),--et divers croquis par M. Amand
Gautier.


SCULPTURE

Mon opinion est que la sculpture est en déroute. Cela s'explique parce
qu'il faut être savant pour être sculpteur, et que pour un art manuel,
on rechigne à se bourrer d'études littéraires et scientifiques. La
statuaire ne doit représenter que la beauté pure, correcte et nue,
froide et sans défaut comme la matière qu'elle emploie.--La statuaire,
c'est la mythologie, c'est l'antiquité. Malgré les vigoureuses oeuvres
d'un des derniers sculpteurs de génie que nous ayons eu, Rude, je trouve
absolument contraire à la statuaire, nos paletots, les habits de nos
généraux et leurs chapeaux. Les riches et mâles costumes des guerriers
de Louis XIII et de Louis XIV même luttent mal en marbre avec les
draperies et surtout avec la nudité païenne.

Le réalisme ne peut pas être aussi heureux en statuaire qu'en peinture.
Il fait trop d'efforts, d'efforts inutiles.

Une des plus hardies statues dans toute l'Exposition, est celle de
_l'Ignorance_ qu'on a refusée. Je n'ai pu découvrir le nom de l'auteur.

Un nègre herculéen est rivé à la glèbe. Sans même essayer de tout briser
en détendant ses gros muscles, il s'allonge à terre en beuglant comme un
animal qui hume l'air. La stupidité puissante, énorme, musculaire est
parfaitement exprimée, et il y a une grande vigueur dans l'exécution.

_La Panthère de Java guettant des petits lapins_, par M. Delabrière, est
un joli plâtre.

M. Leclerc a un médaillon à l'Exposition des Reçus et un buste bien
ébauché à celle des Refusés.

Le _buste de M. J.-S. de G._, par M. Matabon, est très-soigné; il n'a
rien d'audacieux, il ressemble au roi Victor-Emmanuel, il est convenable
de tous les côtés. Quoi ou qui diantre à pu le faire refuser?

M. Auguste-Flavien Poitevin, fils de l'auteur du _Vengeur_, avait envoyé
au Jury un _modèle en plâtre d'un Christ_.--Pas une raison de refus ne
peut se découvrir.--M. Poitevin fils a reçu et reçoit encore de son père
les meilleures leçons de sculpture. Il en a donné la preuve en son
Christ. On sent dans l'exécution une jeunesse qui n'exclut ni l'habileté
ni la fermeté.

Le _Naufragé_, par M. Pètre; _Diderot_, par M. Leboeuf; des bustes, par
MM. Durst, Virey et Alfred Michel, _une Tête de cuirassier_, sans nom
d'auteur; _la Famille Cabasson_, très-spirituelle scène de saltimbanques
qui font leur _boniment_, terre-cuite, par M. Eugène Decan, auraient on
ne peut mieux figuré au milieu des oeuvres de sculpture admises.


CONCLUSION

J'ai terminé la revue des peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs
Refusés contre tout droit et toute justice. Je ne crois avoir omis rien
d'important.--Je n'ai pas voulu ne parler que dos oeuvres dont
l'exécution ordinaire, mais complètement satisfaisante, sautait aux yeux
de tout le monde. J'ai cité hautement les peintures trop rares où la
hardiesse et l'originalité se laissent entrevoir. J'ai signalé et classé
les mauvais tableaux, les croûtes et leurs auteurs, et je n'ai pas cessé
de prendre, le plus franchement du monde, la défense des peintres,--tout
en leur disant ce que je crois être leurs vérités,--contre la niaiserie
du public et des critiques d'art, et contre l'arbitraire du jury.

Je répète qu'il est honteux et absurde d'avoir rejeté les tableaux de
MM. Whistler, Colin, Chintreuil, Gautier, Briguiboul, Pinkras, Pipard et
autres que j'ai déjà plusieurs fois nommés. La surabondance des beaux
paysages et des nature-morte, dignes de maîtres, révolte aussi contre
leur rejet.

Ces refus sont une condamnation à mort du jury. Tous les vrais artistes
demandent l'exposition libre et la suppression de toute espèce de
censure ou de commission d'examen.--Ils l'auront,--_nous l'aurons_!

Nous avons encore bien des reproches à faire au jury. Pour se donner des
airs de raison, n'avait-il pas, l'espiègle! poussé la malignité jusqu'à
donner les places les plus en vue et les meilleures aux plus
détestables, risibles et primitives peintures que les garçons
d'administration et de bureau auraient refusées aussi, mais moins
sérieusement, moins solennellement que l'Institut.

Un fait encore grave, c'est que les refuseurs appliquent maintenant, au
lieu d'une simple marque à la craie, un R. ineffaçable sur la toile même
des tableaux qui ne leur plaisent pas. De sorte que les peintres sont
obligés de faire rentoiler leurs oeuvres à grands frais pour pouvoir les
vendre aux amateurs et bourgeois que le stigmate effraye et qui croient
au jury. Je ne suis pas trop sensible et je ne m'attendris pas
facilement sur le sort des _pauvres artistes_, mais c'est outre-passer
le droit que de les marquer.

M. le maréchal Vaillant a dit dans son discours officiel, le jour de la
distribution des prix aux peintres, que les artistes n'avaient
assurément pas à se plaindre de _ce siècle_: j'affirme alors qu'ils
n'ont jamais eu à se plaindre, car, certes, si l'on veut se donner la
peine d'aller les prendre au gîte ou de les regarder dans leurs
terriers, on ne les trouvera pas très-heureux.

Une des choses les plus révoltantes à constater, c'est, je le répète,
l'unité de refus pour les oeuvres dites réalistes.

Que signifie la beauté clé convention pour un art comme la peinture,
dont l'esthétique consiste à représenter ce qu'on voit et ce qui est?

Quand on veut peindre la nature, ne faut-il pas être vrai?

Le choix, à moins d'être faux, est-il possible? N'y aurait-il pas
discordance, outre absurdité, à ne montrer que de jolies choses?

J'ai publié, il y a six ou sept ans, dans le journal _l'Artiste_, un
article sur cette vieille question. Je n'ai pas changé d'opinion et je
crois devoir, pour finir, le reproduire tel que je l'ai fait:

Cet article n'est ni la défense d'un client, ni le plaidoyer pour un
individu, c'est un manifeste, une profession de foi; il commence comme
une grammaire, comme un cours de mathématiques, par une définition:

Le réalisme est la peinture vraie des objets.

Il n'y a pas de peinture vraie sans couleur, sans esprit, sans vie ou
animation, sans physionomie ou sentiment. Il serait donc vulgaire
d'appliquer la définition qui précède à un art mécanique:

L'esprit ne se peint que par l'esprit, d'où il suit qu'il serait
impossible à beaucoup de gens de lettres de faire le portrait d'un homme
spirituel.

(Peut-être quelques lecteurs intelligents trouveront-ils inutile de
défendre un art dont la base est la vérité, et qui acclame toutes les
manifestations de l'esprit humain,--qu'elles viennent de l'imagination
ou de la mémoire, de la réflexion ou de l'observation,--à la condition
qu'elles soient sincères et individuelles. Cependant il faut bien
défendre, puisqu'on attaque.)

Le paysagiste qui ne sait pas remplir d'air son tableau, et qui n'a la
force que de rendre exactement la couleur, n'est non seulement pas un
peintre réaliste, mais même pas un peintre; car la vie d'un paysage,
c'est l'air.

L'écrivain qui ne sait dépeindre les hommes et les choses qu'à l'aide de
traits convenus et connus, n'est pas un écrivain réaliste; il n'est pas
un écrivain du tout.

Le mot réaliste n'a été employé que pour distinguer l'artiste qui est
sincère et clairvoyant d'avec l'être qui s'obstine, de bonne ou de
mauvaise foi, à regarder les choses à travers les verres de couleur.

Comme le mot vérité met tout le monde d'accord et que tout le monde aime
ce mot, même les menteurs, il faut bien admettre que le réalisme, sans
être l'apologie du laid et du mal, a le droit de représenter ce qui
existe et ce qu'on voit.

Or, Vénus est rare, et il y a longtemps que les nymphes diaphanes elles
dieux aux arcs d'argent ont fui avec nos bois et notre ciel, et se sont
réfugiés dans de certains volumes et tableaux.

On ne conteste à personne le droit d'aimer ce qui est faux, ridicule ou
déteint, et de l'appeler idéal et poésie; mais il est permis de
contester que cette mythologie soit notre monde, dans lequel il serait
peut-être temps de faire un tour.

D'ailleurs, on abuse de la poésie. On la met à toute sauce, et ce n'est
pas le cas de dire que la sauce fait le poisson.

La poésie pousse comme l'herbe entre les pavés de Paris. Elle est rare,
et quand il s'en trouve un brin, les pieds-plats l'ont bien vite
écrasée. Laissons la poésie tranquille! Chaque époque, chaque être a la
sienne, et cependant il n'y en a qu'une. Arrangez-vous. Quant à moi, je
crois que cette poésie, que chacun pense avoir dans sa poche, se trouve
aussi bien dans le laid que dans le beau, dans le fantastique que dans
le réel, pourvu que la pensée soit naïve et convaincue, et que la forme
soit sincère. Le laid ou le beau est l'affaire du peintre ou du poète:
c'est à lui de choisir et de décider; mais à coup sûr la poésie, comme
le réalisme, ne peut se rencontrer que dans ce qui existe, dans ce qui
se voit, se sent, s'entend, se rêve, à la condition de ne pas faire
semblant de rêver. Il est singulier, a ce propos qu'on se soit
spécialement suspendu aux pans de l'habit du réalisme, comme s'il avait
inventé la peinture du laid. Je voudrais bien que l'on m'indiquât le
poète ou le peintre dont l'oeuvre ne renferme pas quelques monstres et
beaucoup d'horreurs? Est-ce Shakespeare ou Rembrandt? Raphaël même ou
Homère? Perse ou Rubens? Véronèse ou Rabelais? La plupart des
difformités invraisemblables, des énormités hideuses, tout ce qui est
matière à dégoût, horreur et épouvante, a été inventé ou dépeint par les
grands artistes du passé.

Racine lui-même se complaît dans la peinture des vilaines passions et
des monstres odieux que vomit la plaine liquide, il est moins
pardonnable à Albert Durer de nous avoir montré les faces atroces des
Israélites diluviens, qu'aux peintres actuels de nous faire voir des
nudités du jour, certainement moins affreuses que celles qu'on rencontre
en général, et qui, d'ailleurs, à aucun litre ne justifieraient le
reproche de peinture du laid, puisqu'elles s'épanouissent dans la belle
nature, sous des verdures pleines de couleurs et de frissons. Ne
faudrait-il pas, pour satisfaire le goût des prétendus amateurs du beau,
mettre les scellés sur les moeurs qui ne sont pas pures et les nez qui
ne sont pas ioniens? Qu'ils prennent une glace, et qu'ils ne sortent
plus de chez eux, alors.

L'antiquité surtout, la Mythologie, qui est beaucoup plus vraie qu'on ne
le pense, regorgent d'abominations. Les types les plus repoussants,
peints ou imprimés, se trouvent dans les bibliothèques et dans les
musées; il n'y a point de critiques qui s'en effarouchent. Que les
réalistes jouissent de la même liberté! Si les gens en paletot qui
passent devant nos yeux ne sont pas beaux, tant pis! Ce n'est pas une
raison pour mettre une redingote à Narcisse ou à Apollon. Je réclame le
droit qu'ont les miroirs, pour la peinture comme pour la littérature.
Les aventures d'à-présent ne sont pas moins étonnantes, réjouissantes et
invraisemblables que celles des temps passés. Il y a même beaucoup de
bourgeois dont l'existence n'excitera pas moins la curiosité, dans
quelques siècles, que celles de Mercure et de Jupin. Les figures que
nous rencontrons sont aussi grotesques que bien des têtes conservées par
l'art grec, et la bourse de Paris ressemble au Parthénon.

Tout cela devrait engager les amateurs, membres de l'Institut et
conservateurs, à sortir un instant de Claros et de Trézène, à descendre
de l'Olympe et du Double-Mont, où les confine depuis si longtemps
l'amour du beau.

D'autres s'obstinent non moins utilement à se promener dans les longues
allées des parcs de Vatteau. Les maronniers de ces messieurs sont encore
en fleurs au mois de novembre; il y a toujours des frou-frou de soie
dans les bosquets--pommadés,--et les fleurs sentent la vanille et le
patchouli; l'eau qui s'élance au-dessus des massifs ne cesse pas d'être
irrisée dans un air couleur d'arc-en-ciel.

Quant aux romantiques, depuis qu'ils n'ont plus à exterminer la famille
des Atrides, leurs moustaches d'hidalgo ressemblent absolument à celles
des vieux de la vieille. Les plumes de leurs feutres, les rubans de
leurs pourpoints ont déteint.

C'est en vain qu'ils prennent les volets de Paris pour les jalousies de
Séville et qu'ils fredonnent d'une voix chevrotante l'air de
l'Andalouse, pas un soupir ne filtre à travers les persiennes derrière
lesquelles ne se fait entendre nul frôlement de robe effarouchée
surprise par quelque fantôme de Bartholo. La rue de Rivoli, semblable à
une flamberge, a traversé de part en part le vieux Paris. C'était là
seulement que les romantiques pouvaient rêver au moyen âge! Il ne leur
reste plus que leurs dagues, vieilles ferrailles dont le cliquetis ne se
fait entendre que dans les feuilletons de Dartagnan; mais le journal [2]
de ce héros lui-même est désert comme un estaminet où l'on a changé la
qualité du gloria!

[Note 2: _Le Mousquetaire_.]

Quelques jeunes enthousiastes essayent bien encore de courir les
aventures; hélas! les sergents de ville eux-mêmes n'y prennent pas
garde. Des gamins de Paris hurlent aux chausses des derniers
romantiques. Mais bientôt ces galopins gouailleurs sont essoufflés.

Ils ont alors besoin, pour se mettre à l'abri de l'ironie et pour ne pas
encourir la peine du talion, de produire des oeuvres. L'_exegi
monumentum_ leur semble être leur loi: ils s'y soumettent et attrapent
au vol leurs souvenirs comme des mouches. Alors ils vont voyager dans la
plaine Saint-Denis et dans le bois de Boulogne. L'aspect de la nature
les émeut; ils versent de douces larmes qui font pousser de grands
chênes et des tilleurs pleins de chants d'oiseaux.

Sous les feuillages ils aiment des figurantes amoureuses et des
couturières dévouées qui leur font de la tisane avec la fleur de ces
mêmes tilleuls. Quand vient l'hiver, ils ne peuvent plus s'embrasser
sous les feuilles, car celles qui leur restent sont des feuilles de
papier et il faut écrire dessus. Alors, semblables en cela aux
rossignols, ils ne peuvent plus chanter.

Le grattement perpétuel qu'ils opèrent sur leur front en fait sortir,
non pas Minerve, mais des myriades de danseurs qui renoncent au beau
monde pour se livrer à la littérature. Ces nouveaux venus ont toujours
l'air de polker; la plupart d'entre eux sont riches et ce qu'on appelle
de bons partis.

Ils cultivent les lettres en dépit d'abord de leurs mères, qui bientôt
ne peuvent résister à leur gloire en style coulant et facile; alors ils
mettent les deux pieds dans les feuilles publiques, et les bellâtres
deviennent de petits pédants.

Ils jugent avec des façons de beaux danseurs les livres sérieux et
autres; à force de valser, ils deviennent influents et font cercle dans
les foyers, les soirs de première représentation. Leur quadrille est
organisé.

Puis viennent les professeurs qu'on appelle maîtres et qui font des
cours d'art, comme si la littérature ou la peinture s'apprenait! De
vieux journalistes conservent la causerie française.

Ce n'est que parmi eux que la courtoisie avec mouches sur le visages et
paniers aux reins fait des révérences aux beaux parleurs. Ce sont les
derniers cabotins qui aient recueilli fidèlement les traditions du
dix-huitième siècle.

Ils parlent de Voltaire et de Diderot et s'appliquent à prendre leurs
manières. Ils regrettent le café Procope, et la démolition du café de la
Régence les fait songer aux ruines de Carthage et de Pompeï, et à la
décadence de ce pays.

Heureusement le bec de gaz du Divan Lepelletier leur luit comme un phare
d'espérance. C'est le dernier rayon du Permesse.

Il y a aussi de nouveaux romantiques: ceux-là ne sont pas moins curieux.
Ils refont une charte à l'instar de la fameuse préface de Cromwell, qui
fait encore du bruit parmi les gens de 1830. Ils ont inventé la
littérature industrielle, la poésie Crampton.

Ils soutiennent que le meilleur moyen de régénérer les lettres est de
chanter les bienfaits du gaz, de la machine à coudre, etc. De sorte que
les inventeurs et notables commerçants n'auraient plus besoin de
réclames. Les livres seraient des livrets et des guides. Pourquoi nos
aïeux n'y ont-il pas pensé? Nous aurions de beaux poèmes épiques sur la
chandelle et des romans ou des tableaux prodigieux sur la pomme de
terre.

Cependant, au milieu de tout ce monde, on découvre quelques meneurs plus
agaçants ou plus riches que d'autres. Un deux, que MM. Delaville et Luce
de Lancival (maître du membre de l'Institut, Villemain) eussent appelé
folliculaire, est réputé homme d'esprit autour des tables recouvertes de
drap vert. Il obtient des places, porte haut la tête, et, comme Diavolo,
il a sur les épaules un manteau de l'effet le plus beau. L'oeil cherche
parmi les plis de ce manteau un petit bout de dague.

Il est évident qu'il ne doit son maintien fier, son attitude rejetée en
arrière, qu'à l'opinion considérable que lui inspire sa force; si l'on
écrivait à coups de poing, il faut croire qu'il serait un hercule.

Ce critique demandait un jour à son feuilleton la signification de ce
mot: Réalisme. Par malheur, son feuilleton, n'ayant pas de dictionnaire,
ne put lui répondre, et il fut réduit à admirer un recueil de chansons
dites populaires, dont l'auteur commence à être servi au dessert des
grands dîners.

Ce jeune homme chante au piano, fait les délices des dames et exécute à
lui tout seul, comme aux Folies-Nouvelles, de ravissantes opérettes.
C'est un farceur de société. On dit de lui:--Nous avions hier ce
délicieux X...

Les couplets de cet agréable être jouissent de la faveur de deux maîtres
de la scène. Le premier a pris son art au sérieux, et il a longtemps
essayé de refaire à sa manière les vers de Corneille, de Racine, d'André
Chénier, en haine du romantisme. Ses grands succès l'ont engagé à faire
autre chose.

Le voilà qui confectionne, dans l'attitude du Molière de la rue
Fontaine, un brodequin à Thalie. Saint Crépin ne l'inspire pas et le
brodequin va mal.

Quant à l'autre auteur dramatique, la froideur du théâtre moderne a
échauffé sa bile.

Il est devenu tout rouge et s'est mis à la besogne, décidé à recommencer
la vieille gaieté gauloise.

Cette gaieté eut sans doute réjoui nos pères. Elle me fait souvenir de
l'esprit français, qui, ne sachant plus où se fourrer, dans un temps où
les loyers sont si chers, est allé se nicher dans la tête d'un jeune
écrivain, comme disent certaines revues hebdomadaires. Ce que cet esprit
français fait faire de bêtises au jeune écrivain est incalculable.

Cependant on ne saurait refuser à cet esprit français le prix de Rome.
La peinture réaliste a allumé sa mousqueterie; l'esprit français crible
malicieusement la _Baigneuse_ de Courbet de grains de sel gris.

Un autre esprit, pour n'être pas réputé absolument français, n'est pas
moins pétillant, car il pétille depuis 1825 et appartient à la fameuse
éclosion de 1830.

Il fait des _verss_ comme un autre ferait... des vers. Rien ne lui
coûte. Ce n'est pas comme au public,--car le public achète ses
productions.--Ce merveilleux improvisateur et prestidigitateur veut
qu'on fourre de l'esprit partout, même dans ses poches à lui; si le
réalisme parvient à être aussi spirituel que lui, sa sanction n'est pas
douteuse. Mais cet esprit va trop vite pour qu'on puisse le rattraper,
il vaut mieux le laisser passer; au train dont il va, ce ne sera pas
long, etc., etc.

Tout ce monde ne croit qu'au passé et forme un immense carnaval. Ces
armures, pourpoints, culottes et péplums ne vont pas aux gens d'à
présent. Celle friperie est rouillée, fanée, trouée, rapée; tout est
trop grand ou trop petit.

Pourtant cette armée d'artistes, de littérateurs, peintres et critiques,
assiste à la représentation de ce qui se fait, en germe ou en moisson,
et parle en secouant la tête, des Grecs, des Romains, des Allemands, des
Anglais, etc., et de l'éclosion de 1830, absolument comme ces chauves
qui, les soirs de grande solennité, au Théâtre-Français, toussent les
noms de Mole, de Monvel et de Mademoiselle Mars.

L'art en est là. Discuté et envahi par ces fameux hommes d'esprit, ces
délicieux causeurs, dont les oeuvres intitulées: Petites nouvelles,
Petites causeries, Revues de Paris, Coups d'épingle, etc., réjouissent
le provincial; ces poètes en or et argent qui disparaissent comme
l'infâme potichomanie; ces amoureux du joli, inventeurs du rire mouillé,
et autres illuminant leurs phrases d'adjectifs de toutes couleurs; ces
vieux romantiques passas comme les morts de leurs ballades; ces
romantiques nouveaux qui ne peuvent pas passer, malgré leur locomotive;
ces pédants et pions inoccupés qui se fout juges et critiques au lieu
d'aller se faire tuer en Crimée; ces habitués d'estaminets qui cuvent
leur bière sur des oeuvres consciencieuses; ces journalistes ignares et
ignorants qui expriment des opinions qui ne leur appartiennent pas plus
qu'à d'autres; ces fondateurs de revues, et jolis messieurs qui se
servent du titre de journaliste pour en imposer aux femmes de mauvaises
moeurs et leur appliquer le chantage de l'amour; ces amateurs enfin,
bourgeois et beaux fils, bacheliers évadés du collège Bourbon, que la
Faculté de droit rejette dans la Société des gens de lettres. Voilà pour
la littérature.

Quant à la peinture et à la statuaire, elles sont escaladées par les
traditions et imitations, par l'Académie, par l'étranger enfin, comme la
musique par le tapage, les tambours et les instruments de cuivre.

Enfin, le réalisme vient!

C'est à travers ces broussailles, cette bataille des Cimbres, ce
pandémonium de temples grecs, de lyres et de guimbardes, d'alhambras et
de chênes phthisiques, de boléros, de sonnets ridicules, d'odes en or,
de dagues, de rapières et de feuilletons rouilles, d'hamadryades au
clair de la lune et d'attendrissements vénériens, de mariages de
Monsieur Scribe, de caricatures spirituelles et de photographies sans
retouche, de cannes, de faux-cols d'amateurs, de discussions et
critiques édentées, de traditions branlantes, de coutumes crochues et
couplets au public, que le réalisme a fait une trouée.

Vous figurez-vous le tapage produit par tant de gens bousculés,
culbutés, roulant les uns par dessus les autres, dégringolant de
l'Hélicon, de la rue de Bréda, de la Chaussée-d'Antin et de toutes les
Académies? Que d'articles, que d'imprécations, que d'odes, que de rouge,
d'or, de bleu, de jaune, de vert et de noir ameutés sont sortis des
cadres et des journaux!

Et tout cela pourquoi? Parce que le réalisme dit aux gens: Nous avons
toujours été Grecs, Latins, Anglais, Allemands, Espagnols, etc., soyons
un peu nous, fussions-nous laids.

N'écrivons, ne peignons que ce qui est, ou du moins ce que nous voyons,
ce que nous savons, ce que nous avons vécu.

N'ayons ni maîtres, ni élèves!

Singulière école, n'est-ce pas? que celle où il n'y a ni maître ni
élève, et dont les seuls principes sont l'indépendance, la sincérité,
l'individualisme!

       *       *       *       *       *

A part quelques allusions du moment et quelques détails vieillis, cet
article rend encore assez mon opinion. Les diverses écoles et écoliers
déteints, voulant s'opposer à la transformation ou plutôt à la
marche--(je ne dis pas au progrès)--de l'art, à sa vie, ont encore la
même envie, mais un peu moins criarde.

Ce prétexte, l'amour du beau, leur est commode. Tout ce qui est faux est
bon--pour eux.--Encore une fois, et pour la millième, je ne fais pas
comme un peintre, je suis loin de nier l'imagination. Ce qu'un homme de
génie rêve est sublime quand il le réalise; mais justement ce rêve,
devenu oeuvre, est sublime parce que le poète l'a vécu, parce qu'il est
vrai. De même, un peintre qui représente ce qu'il a vu, tel qu'il l'a
vu, s'il possède son art, est un grand peintre.

La sensation qu'il a éprouvée donne la vie (c'est le génie) à son
oeuvre. S'il a rencontré et aimé Vénus, qu'il la fasse! Mais si une
scène de campagne, quelque chose d'ordinaire, de l'espèce quotidienne,
un de ces incidents humains, un de ces aspects qu'on trouve à chaque
pas, est rendu par lui avec vérité, ce n'est pas moins beau. Vénus, en
art, n'est pas préférable, comme sujet, à Quasimodo.

Depuis une quinzaine d'années que le réalisme se développe sur toute la
ligne de l'art, en peinture surtout, il n'est pas seulement repoussé par
les jurys, il est compris à faux et pris à rebours par des-hommes de
talent et même par des artistes qui n'y voient, comme M. Prud'homme,
qu'un parti pris de ne représenter que des choses abjectes. J'en vais
citer, comme exemple, le morceau suivant de M. Paul de Saint-Victor:

«Il serait cruel de parler des tableaux de M. Courbet; l'enfance de
l'art désarme comme l'enfance du corps.

Comment un peintre, à qui ses adversaires les plus décidés ne pouvaient
refuser la science matérielle de la brosse et de la palette, a-t-il pu
produire les caricatures puériles signées de son nom?

Comment l'habile praticien de la _Chasse au chevreuil_ et du _Rut du
Printemps_, semble-t-il, aujourd'hui, étranger aux premières notions du
dessin et aux éléments de la perspective?

Quoi qu'il en soit, tout en souhaitant que M. Courbet se relève, il est
permis à ceux qui détestent les doctrines qu'il personnifie de se
réjouir d'une chute qui donne la mesure de leur abaissement.

I est démontré aujourd'hui que le réalisme attaque la main, après avoir
perverti le goût et paralysé l'imagination.

Ce n'est pas impunément qu'on adore le laid et qu'on s'adonne aux
trivialités; tôt ou tard l'aberration du système entraîne la dégradation
du métier.

M. Millet s'enfonce de plus en plus dans la voie où M. Courbet s'est
perdu. L'art, pour lui, se borne à copier servilement d'ignobles
modèles.

M. Millet allume sa lanterne, et cherche un crétin; il a dû chercher
longtemps avant de trouver son _Paysan se reposant sur sa houe_.

De pareils types ne sont pas communs, même à l'hospice de Bicêtre.

Imaginez un monstre sans crâne, à l'oeil éteint, au rictus idiot, planté
de travers, comme un épouvantail, au milieu d'un champ. Aucune lueur
d'intelligence n'humanise cette brute au repos. Vient-il de travailler
ou d'assassiner? pioche-t-il la terre ou creuse-t-il une tombe?

La voix publique a trouvé son nom: c'est Dumollart enterrant une bonne.

L'exécution la plus énergique rendrait à peine supportable une pareille
figure. Or, le pinceau de M. Millet s'amollit et s'allourdit à vue
d'oeil: d'année en année sa couleur s'embourbe et son dessin se relâche.
Les terrains, les chairs, les haillons, tout est fait de la même
substance baveuse et mollasse. Faiblesse pour faiblesse, je préfère le
_poncif_ veule à l'horreur débile. Ramenez-nous aux Vénus lisses et aux
Apollons ratissés.

Mieux dessinée et mieux modelée, la _Femme cardant de la laine_ est
laineuse de la tête aux pieds. La monotonie du faire recouvre
maintenant, comme d'une couche d'ennui, toutes les toiles de M. Millet.
L'âme est aussi absente que dans le tableau précédent. Il n'y a pas même
de mélancolie dans l'apathie de cette femme ovine. Elle carde la laine,
comme les moutons qui l'ont fournie broutaient l'herbe; _E lo perche non
sanno_, c'est Dante qui l'a dit.

On peut louer dans _le Berger ramenant son troupeau_ un paysage
crépusculaire d'une tonalité fine et juste; mais le pâtre et ses hôtes
sont cloués au sol: je les défie d'avancer. Quelle tournure d'esclave
abruti affecte d'ailleurs ce triste berger! Sommes-nous en France ou à
Carthage? Va-t-il rentrer à la ferme ou dans l'ergastule?

Si du moins cette matière inerte était naturelle; mais elle a la raideur
d'un parti pris théorique. M. Millet semble glorifier l'idiotisme; il
interdit l'expression à ses figures rustiques, comme les prêtres
égyptiens la défendaient à leurs dieux.

On voit qu'il attache je ne sais quel sens mystérieux à la vague
bestialité qu'il leur prête. Étrange façon d'honorer le peuple, pour un
peintre voué aux choses plébéiennes, que de le représenter sous les
masques dégradés de l'abrutissement! Comme si les races champêtres
n'avaient pas leur beauté et leur élégance! comme si le travail du champ
frappait le laboureur de la stupidité de son boeuf!

Cette fausse école est d'ailleurs, au Salon de cette année, en plein
désarroi. La facture tombe, la vulgarité reste, et le réalisme
s'évanouit.»

Comme on le voit en tête de cette sortie contre le réalisme, c'est
principalement à Courbet que M. de Saint-Victor s'en prend.--En effet,
Courbet a eu sur la peinture actuelle une influence visible que
l'Académie veut vainement combattre.--Les deux ébauches du
maître-peintre, que M. de Saint-Victor a vues à l'Exposition, sont à
peine des ébauches. Courbet ne les avait envoyées, avec son tableau des
curés ivres, que pour former le nombre _trois_, puisque le jury avait
décidé que les peintres pouvaient leur adresser trois tableaux.

Qui connaît un peu les peintres sait qu'ils se seraient bien gardés de
manquer à ce chiffre. Quand Courbet le voudra, il fera deux excellents
tableaux de ces deux susdites ébauches.

«Il est démontré aujourd'hui que le réalisme attaque la main, etc.,» dit
M. de Saint-Victor.

Le tableau des curés, dont le véritable titre est: _Retour d'une
conférence_, en ce moment à Londres, répondrait au critique qui
reconnaîtrait forcément que jamais Courbet n'avait poussé plus loin «la
science matérielle de la brosse et de la palette.» Quant à l'_adorai ion
du laid_, je crois y avoir suffisamment répondu.

Fernand Desnoyers.

=FIN=.


ERRATA

Quelques fautes d'impression se sont glissées dans cette brochure:

Page 6: _à la place de_: dans les tableaux refusés que ceux reçus, _il
faut_: dans les tableaux refusés que dans ceux reçus.

M. Briguiboul n'a point d'e à la fin de son nom, et il faut un t au
milieu du nom de M. Whistler, etc.

Plusieurs autres petites fautes, comme «aura» au lion de «aurait,» page
42, ont passe, et nous n'en parlons que par excès de conscience
minutieuse.

Une faute plus grave est celle qui dérange le sens d'une phrase, page
42: à _la place de_: Il continuera par ce qu'il est convaincu,
finalement, etc.; _l'auteur avait mis_: Il continuera parce qu'il est
convaincu.--Finalement, etc....

_Finalement_ commence une autre phrase.


=PEINTRES, SCULPTEURS ET GRAVEURS=

NOMMÉS DANS CE LIVRE

Allard-Cambray.
Ancourt.
Andrieux.
Aufray.

Balleroy (A. de).
Barret.
Baudry.
Bellenger.
Berne-bellecour.
Berthelon.
Besnus.
Biard.
Blin.
Bouchet.
Bouguereau.
Bracquemond.
Brascassat.
Briguiboul.
Brivet.

Cabanel.
Cals.
Castelnau.
Chauvel.
Chaussat (Emma).
Chintreuil.
Claparède.
Cogniet (Léon).
Colin.
Cordier.
Corot.
Courbet.
Courtois.

Darjou.
Darru (Louis).
Daubigny.
Decan.
Decamps
Delaroche (Paul).
Delabrière.
Delaporte (Mlle).
Delalleau.
Delord.
Desbrosses (Jean).
Désiré.
Dietsh.
Donner.
Doneaud.
Doyen.
Doré.
Dubois.
Duckett.
Dupray.
Durst.
Dutilleux.

Eeckout.
Eustache.

Fanchon.
Fantin.
Ficatie.
Fitz-barn.
Flandrin.
Fontaine.
Fourau.

Galimard.
Gagnon (Louis).
Gariot.
Gautier.
Gérôme.
Gilbert.
Gleyre.
Gorin.
Graham.

Hamon.
Harpignies.
Hébert.
Hudei (Louis).

Jongkind.
Julian.
Junker.

Laass d'Aguen.
Laîné.
Lambron.
Lambert.
Lansyer.
Lalanne.
Lapostolet.
Larochenoire.
Laurandeau (Aglaé).
Laurens.
Lavielle.
Leboeuf.
Leclerc.
Legros.
Lemarié.
Leroy.
Leroux.
Lobjoy.
Loiseau.
Longueville.

Maistan.
Mallet.
Manet.
Marois.
Mazure.
Masson.
Maugey
Matabon.
Méry.
Michel.
Michelin.
Millet.
Morel-Lamy.
Muller.

Navlet.

Pagez.
Perret.
Petit.
Pètre.
Philippe.
Pinkas.
Pipard.
Pissaro.
Poitevin.
Pujol.

Regnier.
Regamey.
Rocques.
Rosi.

Saint-François.
Saint-Marcel.
Schitz.
Serres (G. de).
Signol.
Sutter.

Tabar.
Tichit.
Thibault (Marie).
Thiery.
Tournayre.

Valnay.
Vaudé.
Vernet (Horace).
Viel-Cazal.
Viancin (Pauline).
Virey.
Vollon.

Wagrez.
Whistler.

Yvon.

Zipelius.

       *       *       *       *       *



TABLE

PREMIER SOMMAIRE: Page 1.

     Bonnes intentions des peintres.--Mauvais tableaux.--Le Jury devenu
     méchant.--Imitation des cris des peintres.--On leur applique la
     question du Jury.--L'Empereur la résout.--Grand embarras des
     Refusés.--Ils se reçoivent.--Les lutteurs, bataillon de la Moselle
     en sabots.--Brivet-le-Gaillard.--Quels types!--Les poltrons de la
     peinture.--Le Comité de salut... des Refusés.--Son
     plébiscite.--Honneur au courage malheureux!--Unité de
     Refus.--Succès espéré des Refusés.--M. Harpignies a tous les
     droits.--La Grenouille et le Lièvre, fable.--M. Briguiboul dans les
     deux camps.--Des choux, des panais, des choux-fleurs, navets,
     navets!--Discussion raisonnable.--La discussion continue.--La
     cage.--M. Whistler est le plus spirite des peintres.--Défense des
     moulins non attaqués.--Illumination _a giorno_ par la peinture.--Du
     critique d'art.--De l'influence de la philosophie allemande sur la
     peinture.--Abrutissement des peintres.--Classification des
     peintres--École de Paris.--École de Montmartre.--École de
     Rome.--École de Fontainebleau.--La raison même reprend la
     parole.--The end.

DEUXIÈME SOMMAIRE: PAGE 19.

     Grande, moyenne et petite classe des Refusés.--Les braves.--Les
     suspects.--Les poltrons.--On demande les têtes des
     suspects.--Messieurs, le maître-peintre Courbet!--Évidence de sa
     supériorité.--Parenthèse.--Encore le critique d'art.--Paysages de
     M. Daubigny en plusieus chants.--Hautes opinions de Courbet à
     propos de la peinture.--Révolution-Courbet.--Ornithologie des
     critiques d'art.--Ce qu'ils avaient sur les yeux.--Réalisme et
     Romantisme.--Haro sur le maître-peintre!--Les bons curés, tels que
     les voulait Béranger et que ne les veut pas M. Veuillot.
     --Exposition du Refusé en chef.--Peinture à l'encre ou
     description.--Conclusion raisonnée.

TROISIÈME SOMMAIRE: Page 25.

     Missive d'un élève, jeune encore, au nom des Refusés.--Étrange
     pretention.--Un petit lopin.--Arguments sans réplique, réponse
     accablante.--Le critique d'art revient sur l'eau.--Il est question
     de M. Brivet-le-Gaillard et de Molière.--Naïveté
     indispensable.--Premier prix donné à M. Whistler.--Plusieurs
     tuiles se détachent et tombent sur les têtes du Jury.--La bêtise
     afflige les uns et réjouit les autres.--Déclaration de principes.
     --Dithyrambe bien appliqué à M. Signol.--L'art militaire et la
     religion mal réprésentés dans les arts.--Le _suspect_ Briguiboul
     est acquitté.--La Mythologie de M. Émile Loiseau n'est pas adressée
     à Émilie Demoustier.--Mosaïque ou dessin à petits carreaux.--M.
     Amand Gautier jette la pierre à la femme adultère.--Le sujet est
     mis au concours par tout le monde.--Le public refait le
     tableau.--Un amant en déshabillé, vu de dos.--Le Muséum-Gautier.
     --Un petit air qui n'est pas de Nargeot.--La Tombe de l'Oiseau ou
     l'Architecte en démence.--Imitation de Vadé à l'adresse du
     jury.--La province ne vote pas comme Paris.--Preuves à l'appui.

QUATRIÈME SOMMAIRE: Page 39.

     La noblesse dos Refusés remonta à bien avant les croisades.--Les
     imbéciles n'admettent que leurs nez.--Heureuse comparaison entre
     plusieurs peintres et une fleur exotique.--Le 93-Courbet.--Bain
     d'eau-forte.--La soupe est sur la table des aqua-fortistes!--Un
     guitariste se révèle.--Tabatière à diable.--Des peintres devenus
     pierrots.--Conquête de toutes les Espagnes.--La séance est ouverte
     et levée.--Les rassemblements sont défendus.--Bonjour. Thomas.--Un
     poète prisonnier.--L'Infant n'a plus de droits au trône.--Le vieux
     persiste.--Portraits. Silence!--Le _Jury-Charivari_.--Oeufs
     brouillés et oeufs sur le plat.--Retour en Espagne sans canons.--Le
     Jury--_Journal amusant_.--Souvenirs du jeune âge.--Vol de
     diamants.--Du latin!--Andromaque.--Charenton.--M. Biard.--M.
     Millet.

CINQUIÈME sommaire: Page 51.

     La Bamboula du style.--Les cotons sont en baisse.--Citations... au
     tribunal.--Une nouvelle langue qui n'est pas française.--Cette
     vieille immorale, qu'on nomme la morale!--Garçon, encore une
     langue!--Le but est atteint.--Monsieur, cela ne vous regarde
     pas;--Le sergent de ville était dans son droit.--Oeuvre
     pie.--Saint-Eustache.--La quête.--Pour les pauvres, s'il vous
     plait!--Apollon avale la ciguë--Joseph Prud'homme.--Je n'ai pas le
     courage d'aller plus loin.--Comment vous portez-vous?--Faisons les
     cartes.--Une lettre... d'un homme à la campagne.--Nouvelles bévues
     du maître.--La vertu est récompensée.--Ils ont pissé partout
     (hémistiche du grand Racine).--Pile ou face?--La lune comme un
     point sur un i.

SIXIÈME sommaire: Page 61.

     Quadrille!--Un critique d'art lève la jambe.--Trinité de M. Maxime
     Ducamp.--Tous ne font qu'un--(incarnation).--Beau trait de M.
     Adrien Paul.--La blanche ou la noire?--L'indignation ne fait pas
     la bonne proso.--M. Castagnary soumet quelques judicieux conseils
     au public et au Jury.--Les peintres ne cessent ni de vaincre ni
     d'écrire.--_Le Séjour des Élus_, c'est l'Exposition.--_L'Enfer_,
     selon saint Tremblay, c'est la contre-Exposition.--Exemple
     d'humilité donné par cet infortuné peintre.--Les bons et les
     méchants.--Ventro-saint-Gris et un autre saint!--Je m'évanouis!
     --D'où sort-il encore, ce peintre-là?--Cinq manants contre un
     gentilhomme!--Exemple de discrétion.--Mort de quelqu'un.--Selon M.
     Gautier, la contre-Exposition n'est que le purgatoire.--Où la
     religion va-t-elle se nicher?--Moyen d'inquisition.--Les bons
     l'emportent.--_Je vais revoir ma Normandie_ (air connu).--La poste
     aux lettres.--Encore un petit saint.--Nuée de sauterelles.--La
     toile se lève.--Le père, le fils et....--Le bon
     fataliste.--Mangeons un peu.--Un pied de liez à la
     Saiute-Menehould.--On abat le pilori.--_Partit en guerre_... le
     tableau de Courbet.

SEPTIÈME Sommaire: Page 73.

     Enterrements de toutes classes.--Une odour de cuir chaud.--M.
     Briguiboul ne sera plus Refusé.--L'honneur est le seul vrai
     salaire.--Morceau cloquent.--Un maréchal qui a raison.--Il a
     tort.--Les peintres ont mal compris.--On lit dans le _Moniteur_.

HUITIÈME SOMMAIRE: Page 88.

     Donnez-vous la peine de vous asseoir.--La ménagerie d'un suspect
     amusant.--Gare aux animaux!--Ils nous donnent un sauf-conduit.--Le
     Temps a fait son temps.--Un condamné par la raison qu'il est
     criminel. Ne pourrait-on pas le condamner pour autre chose?--On se
     jette les cartes et les verres à la tête.--A la tour de Nesle!--On
     parle encore de Béranger.--L'auteur des _Étourdis_, comédie en
     vers, fait la campagne d'Italie.--La gloire n'est que de la
     fumée.--Une boucherie au clair de là lune.-_A nous_, _Français_!
     rie.... (Varsovienne).--Celle fois, le général Hoche est bien
     tué.--Théorie du sous-lieutenant.


NEUVIÈME sommaire: Page 93.

     Malice du Jury.--Elle est noire, mais cousue de gros fil
     blanc.--«Mon impartialité bien connue....»--Prenons le chemin de
     fer de Castelnau.--Nous arrivons aux Tuileries.--Réhabilitation
     d'un condamné.--Encore une victime.--Une tragédie de MM. Ponsard et
     Latour de Saint-Ybars.--Ta vie, en cinq points secs!--Une fable vue
     au microscope.--Quelle tête!--On met à Shakespeare la perruque à
     marteau de Ducis ou celle des lions de l'Institut.--Henri IV est
     mort!--Hoche pacifie la Vendée.--Les comestibles vont dévorer le
     cuisinier.--Le duc d'Orléans au bal masqué.--Le petit dieu
     malin.--1852 et 1815.--Les suspects au bal des victimes.--De bien
     douces larmes.--Pauvre petite!--Elle aime Polichinelle.--Si
     jeune!...--Tableau selon saint Jean.--«J'ai, Jean-Marc Malhieu,
     huissier au tribunal, etc....»--Décidément, c'est une langue!...
     mais pas française.--Vente par autorité de justice.--Autre tableau
     religieux selon saint Marc.

DIXIÈME SOMMAIRE: Page 100.

     Orage.--Dispersion des insectes.--Nouvelle liste d'exécutés.--On
     manque de tombereaux.--Le Jury a encore deux peintres tues sous lui
     qui se portent bien.--Dernière fournée de victimes
     innocentes.--Gentillesses à l'aquarelle et au pastel.--Traduction
     libre de: _La garde meurt_..., etc.--Éloge des
     aqua-fortistes.--Adresse de M. Cadart: rue Richelieu, 66
     (réclame).--La bataille de Waterloo recommence.--La
     sculpture.--Tout prouve que j'ai raison.--Otons nos paletots.--Un
     nouveau suspect qui a du talent.--Moisson de
     statuaires.--Conclusion.

       *       *       *       *       *

Paris.--Imp. Poitevin, rue Damiette, 2 et 4.





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