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Title: Le livre des masques - Portraits symbolistes
Author: Gourmont, Remy de, 1858-1915
Language: French
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From images generously made available by Gallica
(Bibliothèque Nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.



LE LIVRE DES MASQUES

Par

REMY DE GOURMONT


PORTRAITS SYMBOLISTES

GLOSES ET DOCUMENTS SUR LES ÉCRIVAINS D'HIER ET D'AUJOURD'HUI


LES MASQUES, AU NOMBRE DE XXX, DESSINÉS PAR F. VALLOTTON


Troisième édition

PARIS

1896


       *       *       *       *       *


PRÉFACE


Il est difficile de caractériser une évolution littéraire à l'heure où
les fruits sont encore incertains, quand la floraison même n'est pas
achevée dans tout le verger. Arbres précoces, arbres tardifs, arbres
douteux et qu'on ne voudrait pas encore appeler stériles: le verger est
très divers, très riche, trop riche;--la densité des feuilles engendre
de l'ombre et l'ombre décolore les fleurs et pâlit les fruits.

C'est parmi ce verger opulent et ténébreux qu'on se promènera,
s'asseyant un instant au pied des arbres les plus forts, les plus beaux
ou les plus agréables.

Quand elles le méritent par leur importance, leur nécessité, leur
à-propos, les évolutions littéraires reçoivent un nom; ce nom très
souvent n'a pas de signification précise, mais il est utile: il sert de
signe de ralliement à ceux qui le reçoivent, et de point de mire à ceux
qui le donnent; on se bat ainsi autour d'un labarum purement verbal. Que
veut dire Romantisme? Il est plus facile de le sentir que de l'expliquer.
Que veut dire Symbolisme? Si l'on s'en tient au sens étroit et
étymologique, presque rien; si l'on passe outre, cela peut vouloir dire:
individualisme en littérature, liberté de l'art, abandon des formules
enseignées, tendances vers ce qui est nouveau, étrange et même bizarre;
cela peut vouloir dire aussi: idéalisme, dédain de l'anecdote sociale,
antinaturalisme, tendance à ne prendre dans la vie que le détail
caractéristique, à ne prêter attention qu'à l'acte par lequel un homme
se distingue d'un autre homme, à ne vouloir réaliser que des résultats,
que l'essentiel; enfin, pour les poètes, le symbolisme semble lié au
vers libre, c'est-à-dire démailloté, et dont le jeune corps peut
s'ébattre à Taise, sorti de l'embarras des langes et des liens. Tout
cela n'a que peu de rapports avec les syllabes du mot,--car il ne faut
pas laisser insinuer que le symbolisme n'est que la transformation du
vieil allégorisme ou de l'art de personnifier une idée dans un être
humain, dans un paysage, dans un récit. Un tel art est l'art tout
entier, l'art primordial et éternel, et une littérature délivrée de ce
souci serait inqualifiable; elle serait nulle, d'une signification
esthétique adéquate aux gloussements du hocco ou aux braiements de
l'onagre.

La littérature n'est pas en effet autre chose que le développement
artistique de l'idée, que la symbolisation de l'idée au moyen de héros
imaginaires. Les héros, ou les hommes (car chaque homme est un héros,
dans sa sphère) ne sont qu'ébauchés par la vie; c'est l'art qui les
complète en leur donnant, en échange de leur pauvre âme malade, le
trésor d'une immortelle idée, et le plus humble peut être appelé à cette
participation, s'il est élu par un grand poète. Quel humble que cet Énée
que Virgile charge de tout le fardeau d'être l'idée de la force romaine,
et quel humble que ce Don Quichotte à qui Cervantès impose
l'épouvantable poids d'être à la fois Roland et les quatre fils Aymon,
Amadis, Palmerin, Tristan et tous les chevaliers de la Table ronde!
L'histoire du symbolisme, ce serait l'histoire de l'homme même, puisque
l'homme ne peut s'assimiler une idée que symbolisée. Il ne faut pas
insister, car nous pourrions croire que les jeunes dévots du symbolisme
ignorent jusqu'à la Vita Nuova et ce personnage de Béatrice, dont les
frêles et pures épaules restent pourtant droites sous le complexe faix
des symboles dont le poète l'accable.

D'où est donc venue l'illusion que la symbolisation de l'idée était une
nouveauté? Voici.

Nous eûmes, en ces dernières années, un essai très sérieux de
littérature basée sur le mépris de l'idée et le dédain du symbole. On en
connaît la théorie, qui semble culinaire: Prenez une tranche de vie,
etc. M. Zola, ayant inventé la recette, oublia de s'en servir. Ses
«tranches de vie» sont de lourds poèmes d'un lyrisme fangeux et
tumultueux, romantisme populaire, symbolisme démocratique, mais toujours
pleins d'une idée, toujours gros d'une signification allégorique.
Germinal, la Mine, la Foule, la Grève. La révolte idéaliste ne se
dressa donc pas contre les oeuvres (à moins que contre les basses
oeuvres) du naturalisme, mais contre sa théorie ou plutôt contre sa
prétention; revenant aux nécessités antérieures, éternelles, de l'art,
les révoltés crurent affirmer des vérités nouvelles, et même
surprenantes, en professant leur volonté de réintégrer l'idée dans la
littérature; ils ne faisaient que rallumer le flambeau; ils allumèrent
aussi, tout autour, beaucoup de petites chandelles.

Une vérité nouvelle, il y en a une, pourtant, qui est entrée récemment
dans la littérature et dans l'art, c'est une vérité toute métaphysique
et toute d'a priori (en apparence), toute jeune, puisqu'elle n'a qu'un
siècle et vraiment neuve, puisqu'elle n'avait pas encore servi dans
l'ordre esthétique. Cette vérité, évangélique et merveilleuse,
libératrice et rénovatrice, c'est le principe de l'idéalité du monde.
Par rapport à l'homme, sujet pensant, le monde, tout ce qui est
extérieur au moi, n'existe que selon l'idée qu'il s'en fait. Nous ne
connaissons que des phénomènes, nous ne raisonnons que sur des
apparences; toute vérité en soi nous échappe; l'essence est
inattaquable. C'est ce que Schopenhauer a vulgarisé sous cette formule
si simple et si claire: Le monde est ma représentation. Je ne vois pas
ce qui est; ce qui est, c'est ce que je vois. Autant d'hommes pensants,
autant de mondes divers et peut-être différents. Cette doctrine, que
Kant laissa en chemin pour se jeter au secours de la morale naufragée,
est si belle et si souple qu'on la transpose sans en froisser la libre
logique de la théorie à la pratique, même la plus exigeante, principe
universel d'émancipation de tout homme capable de comprendre. Elle n'a
pas révolutionné que l'esthétique, mais ici il n'est question que
d'esthétique.

On donne encore dans des manuels une définition du beau; on va plus
loin: on donne les formules par quoi un artiste arrive à l'expression du
beau. Il y a des instituts où l'on enseigne ces formules, qui ne sont
que la moyenne et le résumé d'idées ou d'appréciations antérieures. En
esthétique, les théories étant généralement obscures, on leur adjoint
l'exemple, l'idéal parangon, le modèle à suivre. En ces instituts (et le
monde civilisé n'est qu'un vaste Institut) toute nouveauté est tenue
pour blasphématoire, et toute affirmation personnelle devient un acte de
démence. M. Nordau, qui a lu, avec une patience bizarre, toute la
littérature contemporaine, propagea cette idée vilainement destructrice
de tout individualisme intellectuel que le «non conformisme» est le
crime capital pour un écrivain. Nous différons violemment d'avis. Le
crime capital pour un écrivain c'est le conformisme, l'imitativité, la
soumission aux règles et aux enseignements. L'oeuvre d'un écrivain doit
être non seulement le reflet, mais le reflet grossi de sa personnalité.
La seule excuse qu'un homme ait d'écrire, c'est de s'écrire lui-même, de
dévoiler aux autres la sorte de monde qui se mire en son miroir
individuel; sa seule excuse est d'être original; il doit dire des choses
non encore dites et les dire en une forme non encore formulée. Il doit
se créer sa propre esthétique,--et nous devrons admettre autant
d'esthétiques qu'il y a d'esprits originaux et les juger d'après ce
qu'elles sont et non d'après ce qu'elles ne sont pas. Admettons donc que
le symbolisme, c'est, même excessive, même intempestive, même
prétentieuse, l'expression de l'individualisme dans l'art.

Cette définition, trop simple, mais claire, nous suffira provisoirement.
Au cours des suivants portraits, ou plus tard, nous aurons sans doute
l'occasion de la compléter; son principe servira encore à nous guider,
en nous incitant à rechercher, non pas ce que devraient faire, selon de
terribles règles, selon de tyranniques traditions, les écrivains
nouveaux, mais ce qu'ils ont voulu faire. L'esthétique est devenue, elle
aussi, un talent personnel; nul n'a le droit d'en imposer aux autres une
toute faite. On ne peut comparer un artiste qu'à lui-même, mais il y a
profit et justice à noter des dissemblances: nous tâcherons de marquer,
non en quoi les «nouveaux venus» se ressemblent, mais en quoi ils
diffèrent, c'est-à-dire en quoi ils existent, car être existant, c'est
être différent.

Ceci n'est pas écrit pour prétendre qu'il n'y a pas entre la plupart
d'entre eux d'évidentes similitudes de pensée et de technique, fait
inévitable, mais tellement inévitable qu'il est sans intérêt. On
n'insinue pas davantage que cette floraison est spontanée; avant la
fleur, il y a la graine, elle-même tombée d'une fleur; ces jeunes gens
ont des pères et des maîtres: Baudelaire, Villiers de l'Isle-Adam,
Verlaine, Mallarmé, et d'autres. Ils les aiment morts ou vivants, ils
les lisent, ils les écoutent. Quelle sottise de croire que nous
dédaignons ceux d'hier! Qui donc a une cour plus admirative et plus
affectueuse que Stéphane Mallarmé? Et Villiers est-il oublié? Et
Verlaine délaissé?

Maintenant, il faut prévenir que l'ordre de ces portraits, sans être
tout à fait arbitraire, n'implique aucune classification de palmarès, il
y a même, hors de la galerie, des absents notoires, qu'une occasion nous
ramènera; il y a des cadres vides et aussi des places nues; quant aux
portraits mêmes, si quelques-uns les jugent incomplets et trop brefs,
nous répondrons les avoir voulus ainsi, n'ayant la prétention que de
donner des indications, que de montrer, d'un geste du bras, la route.

Enfin, pour rejoindre aujourd'hui à hier, nous avons intercalé, parmi
les figures nouvelles, des faces connues: et alors, au lieu de récrire
une physionomie familière à beaucoup, on a cherché à mettre en lumière,
plutôt que l'ensemble, tel point obscur.

Les renseignements bibliographiques de l'Appendice, aussi précis que
possible, sont là pour ajouter à ce tome de littérature, qui se glorifie
d'abord des insignes masques de M.F. Vallotton, un petit intérêt
documentaire.

R.G.



       *       *       *       *       *



MAURICE MAETERLINCK


De la vie vécue par des êtres douloureux qui se meuvent dans le mystère
d'une nuit. Ils ne savent rien que souffrir, sourire, aimer; quand ils
veulent comprendre, l'effort de leur inquiétude devient de l'angoisse et
leur révolte s'évanouit en sanglots. Monter, monter toujours les
dolentes marches du calvaire et se heurter le front à une porte de fer:
ainsi monte soeur Ygraine, ainsi monte et se heurte à la cruauté de la
porte de fer chacune des pauvres créatures dont M. Maeterlinck nous
dévoile les simples et pures tragédies.

En d'autres temps le sens de la vie fut connu; alors les hommes
n'ignoraient rien d'essentiel, puisqu'ils savaient le but de leur voyage
et en quelle dernière auberge se trouvait le lit du repos. Quand, par la
Science même, cette science élémentaire leur eut été enlevée, les uns se
réjouirent, se croyant allégés d'un fardeau; les autres se lamentèrent,
sentant bien que pardessus tous les autres fardeaux de leurs épaules on
en avait jeté un, à lui tout seul plus lourd que le reste: le fardeau du
Doute.

De cette sensation toute une littérature est née, littérature de
douleur, de révolte contre le fardeau, de blasphèmes contre le Dieu
muet. Mais, après la furie des cris et des interrogations, il y eut une
rémittence, et ce fut la littérature de la tristesse, de l'inquiétude et
de l'angoisse; la révolte a été jugée inutile et puérile l'imprécation:
assagie par de vaines batailles, l'humanité lentement se résigne à ne
rien savoir, à ne rien comprendre, à ne rien craindre, à ne rien
espérer,--que de très lointain.

Il y a une île quelque part dans les brouillards, et dans l'île il y a
un château, et dans le château il y a une grande salle éclairée d'une
petite lampe, et dans la grande salle il y a des gens qui attendent. Ils
attendent quoi? Ils ne savent pas. Ils attendent que l'on frappe à la
porte, ils attendent que la lampe s'éteigne, ils attendent la Peur, ils
attendent la Mort. Ils parlent; oui, ils disent des mots qui troublent
un instant le silence, puis ils écoutent encore, laissant leurs phrases
inachevées et leurs gestes interrompus. Ils écoutent, ils attendent.
Elle ne viendra peut-être pas? Oh! elle viendra. Elle vient toujours.
Il est tard, elle ne viendra peut-être que demain. Et les gens assemblés
dans la grande salle sous la petite lampe se mettent à sourire et ils
vont espérer. On frappe. Et c'est tout; c'est toute une vie, c'est toute
la vie.

En ce sens, les petits drames de M. Maeterlinck, si délicieusement
irréels, sont profondément vivants et vrais; ses personnages, qui ont
l'air de fantômes, sont gonflés de vie, comme ces boules qui semblent
inertes et qui, chargées d'électricité, vont fulgurer au contact d'une
pointe; ils ne sont pas des abstractions, mais des synthèses; ils sont
des états d'âme ou, plus encore, des états d'humanité, des moments, des
minutes qui seraient éternelles: en somme ils sont réels, à force
d'irréalité.

Une telle sorte d'art fut pratiquée jadis, à la suite du Roman de la
Rose, par de pieux romanciers qui firent, en des livrets d'une
gaucherie prétentieuse, évoluer des abstractions et des symboles. Le
Voyage d'un nommé Chrétien (The Pilgrims Progress), de Bunyan, le
Voyage spirituel, de l'espagnol Palafox, le Palais de l'Amour divin,
d'un inconnu, ne sont pas oeuvres totalement méprisables, mais les
choses y sont vraiment trop expliquées et les personnages y portent des
noms vraiment trop évidents. Voit-on sur quelque théâtre libre un drame
joué entre des êtres qui se nomment Coeur, Haine, Joie, Silence, Souci,
Soupir, Peur, Colère et Pudeur! L'heure de tels amusements est passée ou
n'est pas revenue: ne relisez pas le Palais de l'Amour divin; lisez
la Mort de Tintagiles, car c'est à l'oeuvre nouvelle qu'il faut
demander ses plaisirs esthétiques, si on les veut complets, poignants et
enveloppants. M. Maeterlinck, vraiment, nous prend, nous point et nous
enlace, pieuvre faite des doux cheveux des jeunes princesses endormies,
et au milieu d'elles le sommeil agité du petit enfant, «triste comme un
jeune roi»! Il nous enlace et nous emporte où il lui plaît, jusqu'au
fond des abîmes où tournoie «le cadavre décomposé de l'agneau
d'Alladine»,--et plus loin, jusque dans les obscures et pures régions où
des amants disent: «Que tu m'embrasses gravement....--Ne ferme pas les
yeux quand je t'embrasse ainsi.... Je veux voir les baisers qui
tremblent dans ton coeur; et toute la rosée qui monte de ton âme... nous
ne trouverons plus de baisers comme ceux-ci...--Toujours, toujours!...
--Non, non: on ne s'embrasse pas deux fois sur le coeur de la mort....»
A de si beaux soupirs toute objection devient muette; on se tait d'avoir
senti un nouveau mode d'aimer et de dire son amour. Nouveau, vraiment;
M. Maeterlinck est très lui-même, et pour rester entièrement personnel,
il sait être monocorde: mais cette seule corde, il en a semé, roui,
teillé le chanvre, et elle chante douce, triste et unique sous ses
languissantes mains. Il a réussi une oeuvre vraie; il a trouvé un cri
sourd inentendu, Une sorte de gémissement frileusement mystique.

Mysticisme, ce mot a pris en ces dernières années tant de sens les plus
divers et même divergents qu'il faudrait le définir à nouveau et
expressément chaque fois qu'on va l'écrire. Certains lui donnent une
signification qui le rapprocherait de cet autre mot qui semble clair,
individualisme; et il est certain que cela se touche, puisque le
mysticisme peut être dit l'état dans lequel une âme, laissant aller le
monde physique et dédaigneuse des chocs et des accidents, ne s'adonne
qu'à des relations et à des intimités directes avec l'infini; or, si
l'infini est immuable et un, les âmes sont changeantes et plusieurs: une
âme n'a pas avec Dieu les mêmes entretiens que ses soeurs, et Dieu,
quoique immuable et un, se modifie selon le désir de chacune de ses
créatures et il ne dit pas à l'une ce qu'il vient de dire à l'autre. Le
privilège de l'âme élevée au mysticisme est la liberté; son corps même
n'est pour elle qu'un voisin auquel elle donne à peine le conseil amical
du silence, mais s'il parle elle ne l'entend qu'à travers un mur, et
s'il agit elle ne le voit agir qu'à travers un voile. Un autre nom a été
donné, historiquement, à un tel état de vie: quiétisme; cette phrase de
M. Maeterlinck est bien d'un quiétiste, qui nous montre Dieu souriant
«à nos fautes les plus graves comme on sourit au jeu des petits chiens sur
un tapis». Elle est grave, mais elle est vraie si l'on songe à ce peu de
chose qu'est un fait et comment un fait se produit et comment nous
sommes entraînés par la chaîne sans fin de l'Action et combien peu nous
participons réellement à nos actes les plus décisifs et les mieux
motivés. Une telle morale, laissant aux misérables lois humaines le soin
des jugements inutiles, arrache à la vie l'essence même de la vie et la
transporte en des régions supérieures où elle fructifie à l'abri des
contingences, et des plus humiliantes, qui sont les contingences
sociales. La morale mystique ignore donc toute oeuvre qui n'est point
marquée à la fois du double sceau humain et divin; aussi fut-elle
toujours redoutée des clergés et des magistratures, car niant toute
hiérarchie d'apparence, elle nie, au moins par abstention, tout l'ordre
social: un mystique peut consentir à tous les esclavages, mais non à
celui d'être un citoyen. M. Maeterlinck voit venir des temps où les
hommes se comprendront d'âme à âme, comme les mystiques se comprennent
d'âme à Dieu. Est-ce vrai? Les hommes seront-ils un jour des hommes, des
Êtres libres et si fiers qu'ils n'admettront d'autres jugements que les
jugements de Dieu? M. Maeterlinck aperçoit cette aurore, parce qu'il
regarde en lui-même et qu'il est lui-même une aurore, mais s'il
regardait l'humanité extérieure, il ne verrait que l'immonde appétit
socialiste des anges et des étables. Les humbles, pour qui il a écrit
divinement, ne liront pas son livre, et s'ils le lisaient, ils n'y
verraient qu'une dérision, car ils ont appris que l'idéal est une
mangeoire et ils savent que s'ils levaient les yeux vers Dieu, leurs
maîtres les fouetteraient.

Ainsi le Trésor des Humbles, ce livre d'amour et de libération,
me fait songer avec amertume à la misérable condition de l'homme
d'aujourd'hui--et sans doute de tous les temps possibles,

     Magnifique mais qui sans espoir se délivre
     Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
     Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Et ce sera en vain que

     Tout son col secouera cette blanche agonie,

l'heure de la délivrance sera passée et quelques-uns seulement l'auront
entendue sonner.

Pourtant, que de moyens de salut dans ces pages où M. Maeterlinck,
disciple de Ruysbroeck, de Novalis, d'Emerson et d'Hello, ne demandant à
ces supérieurs esprits (dont les deux moindres eurent des intuitions de
génie) que le signe de la main qui encourage aux voyages obscurs! Le
commun des hommes, et les plus conscients, qui ont tant d'heures de
tiédeur, y trouveraient des encouragements à goûter la simplicité des
jours et les murmures sourds de la vie profonde. Ils apprendraient la
signification des gestes très humbles et des mots très futiles, et que
le rire d'un enfant ou le babillage d'une femme équivalent par ce qu'ils
contiennent d'âme et de mystère aux plus éblouissantes paroles des
Sages. Car M. Maeterlinck, avec son air d'être un Sage, et bien sage,
nous confie des pensées inhabituelles et d'une candeur bien
irrespectueuse de la tradition psychologique, et d'une audace bien
dédaigneuse des habitudes mentales, assumant la bravoure de n'attribuer
aux choses que l'importance qu'elles auraient dans un monde définitif.
Ainsi la sensualité est tout à fait absente de ses méditations; il
connaît l'importance mais aussi l'insignifiance des mouvements du sang
et des nerfs, orages qui précèdent ou suivent, mais n'accompagnent
jamais la pensée; et s'il parle de femmes qui sont autre chose qu'une
âme, c'est pour s'enquérir «du sel mystérieux qui conserve à jamais le
souvenir de la rencontre de deux bouches».

De poèmes ou de philosophies, la littérature de M. Maeterlinck vient à
une heure où nous avons le plus besoin d'être surélevés et fortifiés, à
une heure où il n'est pas indifférent qu'on nous dise que le but suprême
de la vie c'est «de tenir ouvertes les grandes routes qui mènent de ce
qu'on voit à ce qu'on ne voit pas». M. Maeterlinck n'a pas seulement
tenu ouvertes les grandes routes frayées par tant d'âmes de bonne
volonté et où de grands esprits çà et là ouvrent leurs bras comme des
oasis,--il semble bien qu'il ait augmenté vers l'infini la profondeur de
ces grandes routes: il a dit «des mots si spécieux tout bas» que les
ronces se sont écartées toutes seules, que des arbres se sont émondés
spontanément et qu'un pas de plus est possible et que le regard va
aujourd'hui plus loin qu'hier.

D'autres ont sans doute ou eurent une langue plus riche, une imagination
plus féconde, un don plus net de l'observation, plus de fantaisie, des
facultés plus aptes à claironner les musiques du verbe,--soit, mais avec
une langue timide et pauvre, d'enfantines combinaisons dramatiques, un
système presque énervant de répétition phraséologique, avec ces
maladresses, avec toutes les maladresses, Maurice Maeterlinck oeuvre des
livres et des livrets d'une originalité certaine, d'une nouveauté si
vraiment neuve qu'elle déconcertera longtemps encore le lamentable
troupeau des misonéistes, le peuple de ceux qui pardonnent une
hardiesse, s'il y a un précédent,--comme dans le protocole --mais qui
regardent en défiance le génie, qui est la hardiesse perpétuelle.



       *       *       *       *       *



EMILE VERHAEREN


De tous les poètes d'aujourd'hui, narcisses penchés le long de la
rivière, M. Verhaeren est le moins complaisant à se laisser admirer. Il
est rude, violent, maladroit. Occupé depuis vingt ans à forger un outil
étrange et magique, il demeure dans une caverne de la montagne,
martelant les fers rougis, radieux des reflets du feu, auréolé
d'étincelles. C'est ainsi que l'on devrait le représenter, forgeron qui,

     Comme s'il travaillait l'acier des âmes,
     Martèle à grands coups pleins, les lames
     Immenses de la patience et du silence.

Si on découvre sa demeure et qu'on l'interroge, il répond par une
parabole dont chaque mot semble scandé sur l'enclume, et, pour conclure,
il donne un grand coup du marteau lourd.

Quand il ne travaille pas dans sa forge, il s'en va par les campagnes,
la tête et les bras nus, et les campagnes flamandes lui disent des
secrets qu'elles n'ont encore dit à personne. Il voit des choses
miraculeuses et n'en est pas étonné; devant lui passent des êtres
singuliers, des êtres que tout le monde coudoie sans le savoir, visibles
pour lui seul. Il a rencontré le Vent de novembre:

     Le vent sauvage de novembre,
         Le vent,
     L'avez-vous rencontré, le vent
     Au carrefour des trois cents routes...?

Il a vu la Mort et plus d'une fois; il a vu la Peur; il a vu le Silence

     S'asseoir immensément du côté de la nuit.

Le mot caractéristique de la poésie de M. Verhaeren, c'est le mot
halluciné. De page en page, ce mot surgit; un recueil tout entier,
les Campagnes hallucinées, ne l'a pas délivré de cette obsession;
l'exorcisme n'était pas possible, car c'est la nature et l'essence même
de M. Verhaeren d'être le poète halluciné. «Les sensations, disait
Taine, sont des hallucinations vraies», mais où commence la vérité et où
finit-elle? Qui oserait la circonscrire? Le poète, qui n'a pas de
scrupules psychologiques, ne s'attarde pas au soin de partager les
hallucinations en vraies et en fausses; pour lui, elles sont toutes
vraies, si elles sont aiguës ou fortes, et il les raconte avec
ingénuité,--et quand le récit est fait par M. Verhaeren, il est très
beau. La beauté en art est un résultat relatif et qui s'obtient par le
mélange d'éléments très divers, souvent les plus inattendus. De ces
éléments, un seul est stable et permanent; il doit se retrouver dans
toutes les combinaisons: c'est la nouveauté. Il faut qu'une oeuvre d'art
soit nouvelle, et on la reconnaît nouvelle tout simplement à ceci
qu'elle vous donne une sensation non encore éprouvée.

Si elle ne donne pas cela, une oeuvre, quelque parfaite qu'on la juge,
est tout ce qu'il y a de pire et de méprisable; elle est inutile et
laide, puisque rien n'est plus absolument utile que la beauté. Chez M.
Verhaeren, la beauté est faite de nouveauté et de puissance; ce poète
est un fort et, depuis ces Villes tentaculaires qui viennent de surgir
avec la violence d'un soulèvement tellurique, nul n'oserait lui
contester l'état et la gloire d'un grand poète. Peut-être n'a-t-il pas
encore achevé tout à fait l'instrument magique qu'il forge depuis vingt
ans. Peut-être n'est-il pas encore tout à fait maître de sa langue; il
est inégal; il laisse ses plus belles pages s'alourdir d'épithètes
inopportunes, et ses plus beaux poèmes s'empêtrer dans ce qu'on appelait
jadis le prosaïsme. Pourtant l'impression reste, de puissance et de
grandeur, et oui: c'est un grand poète. Écoutez ce fragment des
Cathédrales:

     --O ces foules, ces foules
     Et la misère et la détresse qui les foulent
     Comme des houles!

     Les ostensoirs, ornés de soie,
     Vers les villes échafaudées,
     En toits de verre et de cristal,
     Du haut du choeur sacerdotal.
     Tendent la croix des gothiques idées.

     Ils s'imposent dans l'or des clairs dimanches
     --Toussaint, Noël, Pâques et Pentecôtes blanches.
     Ils s'imposent dans l'or et dans l'encens et dans la fête
     Du grand orgue battant du vol de ses tempêtes

     Les chapiteaux rouges et les voûtes vermeilles;
     Ils sont une âme, en du soleil,
     Qui vit de vieux décor et d'antique mystère
     Autoritaire.

     Pourtant, dès que s'éteignent le cantique
     Et l'antienne naïve et prismatique,
     Un deuil d'encens évaporé s'empreint
     Sur les trépieds d'argent et les autels d'airain;

     Et les vitraux, grands de siècles agenouillés
     Devant le Christ, avec leurs papes immobiles
     Et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler
     Au bruit d'un train hautain qui passe sur la ville.

M. Verhaeren paraît un fils direct de Victor Hugo, surtout en ses
premières oeuvres; même après son évolution vers une poésie plus
librement fiévreuse, il est encore resté romantique; appliqué à son
génie, ce mot garde toute sa splendeur et toute son éloquence. Voici,
pour expliquer cela, quatre strophes évoquant les temps de jadis:

     Jadis--c'était la vie errante et somnambule,
     A travers les matins et les soirs fabuleux,
     Quand la droite de Dieu vers les Chanaans bleus
     Traçait la route d'or au fond des crépuscules.

     Jadis--c'était la vie énorme, exaspérée,
     Sauvagement pendue aux crins des étalons,
     Soudaine, avec de grands éclairs à ses talons
     Et vers l'espace immense immensément cabrée.

     Jadis--c'était la vie ardente, évocatoire;
     La Croix blanche de ciel, la Croix rouge d'enfer
     Marchaient, à la clarté des armures de fer,
     Chacune à travers sang, vers son ciel de victoire.

     Jadis--c'était la vie écumante et livide,
     Vécue et morte, à coups de crime et de tocsins,
     Bataille entre eux, de proscripteurs et d'assassins,
     Avec, au-dessus d'eux, la mort folle et splendide.

Ces vers sont tirés des Villages illusoires, écrits presque uniquement
en vers libres assonances et coupés selon un rythme haletant, mais M.
Verhaeren, maître du vers libre, l'est aussi du vers romantique, auquel
il sait imposer, sans le briser, l'effréné, le terrible galop de sa
pensée, ivre d'images, de fantômes et de visions futures.



       *       *       *       *       *



HENRI DE RÉGNIER


Celui-là vit en un vieux palais d'Italie où des emblèmes et des figures
sont écrits sur les murs. Il songe, passant de salle en salle, il
descend l'escalier de marbre vers le soir, et s'en va dans les jardins,
dalles comme des cours, rêver sa vie parmi les bassins et les vasques,
cependant que les cygnes noirs s'inquiètent de leur nid et qu'un paon,
seul comme un roi, semble boire superbement l'orgueil mourant d'un
crépuscule d'or. M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux:
les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mots
or et mort, et il est des poèmes où revient jusqu'à faire peur
l'insistance de cette rime automnale et royale. Dans le recueil de ses
dernières oeuvres on compterait sans doute plus de cinquante vers ainsi
finis: oiseaux d'or, cygnes d'or, vasques d'or, fleur d'or, et lac mort,
jour mort, rêve mort, automne mort. C'est une obsession très curieuse et
symptomatique, non pas et bien au contraire d'une possible indigence
verbale, mais d'un amour avoué pour une couleur particulièrement riche
et d'une richesse triste comme celle d'un coucher de soleil, richesse
qui va devenir nocturne.

Des mots s'imposent à lui quand il veut peindre ses impressions et la
couleur de ses songes; des mots s'imposent aussi à qui veut le définir
et d'abord celui-ci, déjà écrit mais qui renaît, invincible: richesse.
M. de Régnier est le poète riche par excellence,--riche d'images! Il en
a plein des coffres, plein des caves, plein des souterrains, et
incessamment une file d'esclaves lui en apporte d'opulentes corbeilles
qu'il vide, dédaigneux, sur les marches éblouies de ses escaliers de
marbre, cascades versicolores qui s'en vont bouillonnantes, puis
paisibles, former des étangs et des lacs irradiés. Toutes ne sont pas
nouvelles. M. Verhaeren préfère, aux plus justes et aux plus belles
métaphores antérieures, celles qu'il crée lui-même, même maladroites,
même informes; M. de Régnier ne dédaigne pas les métaphores antérieures,
mais il les refaçonne et se les approprie en modifiant leur entourage,
en leur imposant des voisinages nouveaux, des significations encore
inconnues; si parmi ces images retravaillées il s'en trouve quelqu'une
de matière vierge, l'impression que donnera une telle poésie n'en sera
pas moins tout à fait originale. En oeuvrant ainsi, on échappe au
bizarre et à l'obscur; le lecteur n'est pas brusquement jeté dans une
forêt dédalienne; il retrouve son chemin, et sa joie de cueillir des
fleurs nouvelles se double de la joie de cueillir des fleurs familières.

     Le temps triste a fleuri ses heures en fleurs mortes,
     L'An qui passe a jauni ses jours en feuilles sèches.
     L'Aube pâle s'est vue à des eaux mornes
     Et les faces du soir ont saigné sous les flèches
     Du vent mystérieux qui rit et qui sanglote.

Une telle poésie a certainement de l'allure.

M. de Régnier sait dire en vers tout ce qu'il veut, sa subtilité est
infinie; il note d'indéfinissables nuances de rêve, d'imperceptibles
apparitions, de fugitifs décors; une main nue qui s'appuie un peu
crispée sur une table de marbre, un fruit qui oscille sous le vent et
qui tombe, un étang abandonné, ces riens lui suffisent et le poème
surgit, parfait et pur. Son vers est très évocateur; en quelques
syllabes, il nous impose sa vision.

     Je sais de tristes eaux en qui meurent les soirs;
     Des fleurs que nul n'y cueille y tombent une à une....

Encore très différent en cela de Verhaeren, il est maître absolu de sa
langue; que ses poèmes soient le résultat d'un long ou d'un bref
travail, ils ne portent nulle marque d'effort, et ce n'est pas sans
étonnement, ni même sans admiration, que l'on suit la noble et droite
chevauchée de ces belles strophes, haquenées blanches harnachées d'or
qui s'enfoncent dans la gloire des soirs.

Riche et subtile, la poésie de M. de Régnier n'est jamais purement
lyrique; il enferme une idée dans le cercle enguirlandé de ses
métaphores, et si vague ou si générale que soit cette idée, cela suffit
à consolider le collier; les perles sont retenues par un fil, parfois
invisible, mais toujours solide; ainsi, ces quelques vers:

     L'Aube fut si pâle hier
     Sur les doux prés et sur les prêles,
     Qu'au matin clair
     Un enfant vint parmi les herbes.
     Penchant sur elles
     Ses mains pures qui y cueillaient des asphodèles.

     Midi fut lourd d'orage et morne de soleil
     Au jardin mort de gloire en son sommeil
     Léthargique de fleurs et d'arbres,
     L'eau était dure à l'oeil comme du marbre,
     Le marbre tiède et clair comme de l'eau,
     Et l'enfant qui vint était beau,
     Vécu de pourpre et lauré d'or,
     Et longtemps on voyait de tige en tige encore,
     Une à une, saigner les pivoines leur sang
     De pétales au passage du bel Enfant.

     L'Enfant qui vint ce soir était nu,
     Il cueillait des roses dans l'ombre,
     Il sanglotait d'être venu,
     Il reculait devant son ombre,
     C'est en lui nu
     Que mon Destin s'est reconnu.

Simple épisode d'un plus long poème, lui-même fragment d'un livre, ce
petit triptyque a plusieurs significations et dit des choses différentes

selon qu'on le laisse à sa place ou qu'on l'isole: ici, image d'un
destin particulier; là, image générale de la vie. Qu'on y voie encore un
exemple de vers libres vraiment parfaits et maniés par un maître.



       *       *       *       *       *



FRANCIS VIELÉ-GRIFFIN


Je ne veux pas dire que M. Vielé-Griffin soit un poète joyeux; pourtant,
il est le poète de la joie. Avec lui, on participe aux plaisirs d'une
vie normale et simple, aux désirs de la paix, à la certitude de la
beauté, à l'invincible jeunesse de la Nature. Il n'est ni violent, ni
somptueux, ni doux: il est calme. Bien que très subjectif, ou à cause de
cela, car penser à soi, c'est penser à soi tout entier, il est
religieux. Comme Emerson, il doit voir dans la nature «les images de la
plus ancienne religion» et songer, encore comme Emerson: «Il semble
qu'une journée, n'a pas été tout entière profane, où quelque! attention
a été donnée aux choses de la nature.»

Un par un, il connaît et il aime les éléments de la forêt, depuis les
«grands doux frênes» jusqu'au «jeune million des herbes», et c'est bien
sa forêt, sa personnelle et originale forêt:

     Sous ma forêt de Mai fleure tout chèvrefeuille.
     Le soleil goutte en or par l'ombre grasse,
     Un chevreuil bruit dans les feuilles qu'il cueille,
     La brise en la frise des bouleaux passe,
     De feuille en feuille;

     Par ma plaine de mai toute herbe s'argente,
     Le soleil y luit comme au jeu des épées,
     Une abeille vibre aux muguets de la sente
     Des hautes fleurs vers le ru groupées.
     La brise en la frise des frênes chante....

Mais il connaît d'autres fleurs que celles dont les clairières sont
coutumières; il connaît la fleur-qui-chante, celle qui chante, lavande,
marjolaine ou fée, dans le vieux jardin des ballades et des contes. Les
chansons populaires ont laissé dans sa mémoire des refrains qu'il mêle à
de petits poèmes qui en sont le commentaire ou le rêve:

               Où est la Marguerite,
                   O gué, ô gué,
               Où est la Marguerite?

     Elle est dans son château, coeur las et fatigué,
     Elle est dans son hameau, coeur enfantile et gai,
     Elle est dans son tombeau, semons-y du muguet,
               O gué, la Marguerite.

Et cela est presque aussi pur que les Cydalises de Gérard de Nerval,

     Où sont nos amoureuses?
     Elles sont au tombeau;
     Elles sont plus heureuses
     Dans un séjour plus beau....

Et presque aussi innocemment cruel que cette ronde que chantent--et que
dansent--les petites filles.

     La beauté, à quoi sert-elle?
     Elle sert à aller en terre,
     Être mangée par les vers,
     Être mangée par les vers....

M. Vielé-Griffin n'a usé que discrètement de la poésie populaire--cette
poésie de si peu d'art qu'elle semble incréée--mais il eût été moins
discret qu'il n'en eût pas mésusé, car il en a le sentiment et le
respect. D'autres poètes ont malheureusement été moins prudents et ils
ont cueilli la rose-qui-parle avec de si maladroites ou de si grossières
mains qu'on souhaiterait qu'un éternel silence eût été conjuré autour
d'un trésor maintenant souillé et vilipendé.

Comme la forêt, la mer enchante et enivre M. Vielé-Griffin; il l'a dite
toute en ses premiers vers, cette déjà lointaine Cueille d'Avril, la
mer dévoratrice, insatiable, gouffre et tombe, la mer sauvage à la houle
orgueilleuse et triomphale, la mer lascive aux voluptueuses vagues, la
mer furieuse, la mer insoucieuse, la mer tenace et muette, la mer
envieuse et qui se farde d'étoiles ou de soleils, d'aurores ou de
minuits,--et le poète lui reproche sa gloire volée:

     Ne sens-tu pas en toi l'opulence de n'être
     Que pour toi seule belle, ô Mer, et d'être toi?

puis il proclame sa fierté de n'avoir pas suivi l'exemple de la mer, de
n'avoir pas demandé la gloire à d'heureuses réminiscences, à de hardis
plagiats. Il faut reconnaître que M. Vielé-Griffin, qui ne mentait déjà
pas, s'est tenu parole depuis; il est bien demeuré lui-même, vraiment
libre, vraiment fier et vraiment farouche. Sa forêt n'est pas illimitée,
mais ce n'est pas une forêt banale, c'est un domaine.

Je ne parle pas de la part très importante qu'il a eue dans la difficile
conquête du vers libre;--mon impression est plus générale et plus
profonde, et doit s'entendre non seulement de la forme, mais de
l'essence de son art: il y a, par Francis Vielé-Griffin, quelque chose
de nouveau dans la poésie française.



       *       *       *       *       *



STÉPHANE MALLARMÉ


Avec Verlaine, M. Stéphane Mallarmé est le poète qui a eu l'influence la
plus directe sur les poètes d'aujourd'hui. Tous deux furent parnassiens
et d'abord baudelairiens.

     Per me si va tra la perduta gente.

Par eux on descend le long de la montagne triste jusqu'en la cité
dolente des Fleurs du Mal. Toute la littérature actuelle et surtout
celle que l'on appelle symboliste, est baudelairienne, non sans doute
par la technique extérieure, mais par la technique interne et
spirituelle, par le sens du mystère; par le souci d'écouter ce que
disent les choses, par le désir de correspondre, d'âme à âme, avec
l'obscure pensée répandue dans la nuit du monde, selon ces vers si
souvent dits et redits:

     La nature est un temple où de vivants piliers
     Laissent parfois sortir de confuses paroles;
     L'homme y passe à travers des forêts de symboles
     Qui l'observent avec des regards familiers.

     Comme de longs échos qui de loin se confondent
     Dans une ténébreuse et profonde unité,
     Vaste comme la nuit et comme la clarté,
     Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Avant de mourir, Baudelaire avait lu les premiers vers de Mallarmé; il
s'en inquiéta; les poètes n'aiment pas à laisser derrière eux un frère
ou un fils; ils se voudraient seuls et que leur génie pérît avec leur
cerveau. Mais M. Mallarmé ne fut baudelairien que par filiation; son
originalité si précieuse s'affirma vite; ses Proses, son Après-midi
d'un Faune, ses Sonnets vinrent dire, à de trop loins intervalles, la
merveilleuse subtilité de son génie patient, dédaigneux, impérieusement
doux. Ayant tué volontairement en lui la spontanéité de l'être
impressionnable, les dons de l'artiste remplacèrent peu à peu en lui les
dons du poète; il aima les mots pour leur sens possible plus que pour
leur sens vrai et il les combina en des mosaïques d'une simplicité
raffinée. On a bien dit de lui qu'il était un auteur difficile, comme
Perse ou Martial. Oui, et pareil à l'homme d'Andersen qui tissait
d'invisibles fils, M. Mallarmé assemble des gemmes colorées par son rêve
et dont notre soin n'arrive pas toujours à deviner l'éclat. Mais il
serait absurde de supposer qu'il est incompréhensible; le jeu de citer
tels vers, obscurs par leur isolement, n'est pas loyal, car, même
fragmentée, la poésie de M. Mallarmé, quand elle est belle, le demeure
incomparablement, et si en un livre rongé, plus tard, on ne trouvait que
ces débris:

     La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
     Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
     D'être parmi l'écume inconnue et les cieux....

     Un automne jonché de taches de rousseur....
     Et tu fis la blancheur sanglotante des lys....
     Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée....
     Tout son col secouera cette blanche agonie....

il faudrait bien les attribuer à un poète qui fut artiste au degré
absolu. Oh! ce sonnet du cygne (dont le dernier vers cité est le
neuvième) où tous les mots sont blancs comme de la neige!

Mais on a écrit tout le possible sur ce poète très aimé et providentiel.
Je conclus par cette glose.

Récemment une question fut posée ainsi, à peu près:

«Qui, dans l'admiration des jeunes poètes, remplacera Verlaine, lequel
avait remplacé Leconte de Lisle?»

Peu des questionnés répondirent; il y eut deux tiers d'abstentions
motivées par la tournure saugrenue d'un tel ultimatum. Comment peut-il
se faire, en effet, qu'un jeune poète admire «exclusivement et
successivement» trois «maîtres» aussi divers que ces deux-là et M.
Mallarmé,--incontestable élu? Donc, par scrupule, beaucoup se
turent,--mais je vote ici, disant: Aimant et admirant beaucoup Stéphane
Mallarmé, je ne vois pas que la mort de Verlaine me soit une occasion
décente d'aimer et d'admirer aujourd'hui plus haut qu'hier.

Pourtant, puisque c'est un devoir strict de toujours sacrifier le mort
au vivant et de donner au vivant, par un surcroît de gloire, un surcroît
d'énergie, le résultat de ce vote me plaît,--et nous aurions peut-être
dû, nous qui nous sommes tus, parler. Si trop d'abstentions avaient
faussé la vérité, quel dommage! Car, informée par un papier circulaire,
la Presse a trouvé en cette nouvelle un motif de plus à se rire et a
nous plaindre, tant que, ballotté sur les flots d'encre de la mer des
ténèbres intellectuelles, mais vainqueur des naufrageurs, le nom de
Mallarmé, enfin écrit sur l'ironique élégance d'un côtre de course,
vogue et maintenant nargue la vague et l'écume douce-amère de la blague.



       *       *       *       *       *



ALBERT SAMAIN


Quand elles savent par coeur ce qu'il y a de pur dans Verlaine, les
jeunes femmes d'aujourd'hui et de demain s'en vont rêver Au Jardin de
l'Infante. Avec tout ce qu'il doit à l'auteur des Fêtes Galantes (il
lui doit moins qu'on ne pourrait croire), Albert Samain est l'un des
poètes les plus originaux et le plus charmant, et le plus délicat et le
plus suave des poètes:

     En robe héliotrope, et sa pensée aux doigts,
     Le rêve passe, la ceinture dénouée,
     Frôlant les âmes de sa traîne de nuée,
     Au rythme éteint d'une musique d'autrefois....

Il faut lire tout ce petit poème qui commence ainsi:

     Dans la lente douceur d'un soir des derniers jours....

C'est pur et beau, autant que n'importe quel poème de langue française,
et l'art en a la simplicité des oeuvres profondément senties et
longuement pensées. Vers libres, poétique nouvelle! Voici des vers qui
nous font comprendre la vanité des prosodistes et la maladresse des trop
habiles joueurs de cithare. Il y a là une âme.

La sincérité de M. Samain est admirable; je crois qu'il aurait honte à
des variations sur des sensations inexplorées par son expérience.
Sincérité ne veut pas dire candeur, ici; ni simplicité ne veut dire
gaucherie. Il est sincère, non parce qu'il avoue toute sa pensée, mais
parce qu'il pense tout son aveu; et il est simple parce qu'il a étudié
son art jusqu'en ses derniers secrets et que de ces secrets il se sert
sans effort avec une inconsciente maîtrise:

     Les roses du couchant s'effeuillent sur le fleuve;
     Et, dans l'émotion pâle du soir tombant,
     S'évoque un parc d'automne où rêve sur un banc
     Ma jeunesse déjà grave comme une veuve....

Cela, c'est, il semble, d'un Vigny attendri et consentant à l'humilité
d'une mélancolie toute simple et déshabillée des grandes écharpes.

Il n'est pas seulement attendri; il est tendre, et que de passion, et
que de sensualité, mais si délicate!

     Tu marchais chaste dans la robe de ton âme,
     Que le désir suivait comme un faune dompté,
     Je respirais parmi le soir, ô pureté,
     Mon rêve enveloppé dans tes voiles de femme.

Sensualité délicate, c'est bien l'impression que donneraient ses vers
s'il les avait tous conformés à sa poétique, où il rêve

     De vers blonds où le sens fluide se délie
     Comme sous l'eau la chevelure d'Ophélie,

     De vers silencieux, et sans rythme et sans trame,
     Où la rime sans bruit glisse comme une rame,

     De vers d'une ancienne étoffe exténuée,
     Impalpable comme le son et la nuée,

     De vers de soirs d'automne ensorcelant les heures
     Au rite féminin des syllabes mineures,

     De vers de soirs d'amours énervés de verveine,
     Où l'âme sente, exquise, une caresse à peine....

Mais, ce poète qui n'aimerait que la nuance, la nuance verlainienne, a
pu, certains jours, être un violent coloriste ou un vigoureux tailleur
de marbre. Cet autre Samain, plus ancien et non moins véritable, se
révèle en les parties de son recueil appelées Évocations; c'est un
Samain parnassien, mais toujours personnel, même dans la grandiloquence:
les deux sonnets intitulés Cléopâtre sont d'une beauté non seulement
de verbe, mais d'idées; ce n'est ni la pure musique, ni la pure
plastique; le poème est entier et vivant; c'est un marbre étrange et
déconcertant; oui, un marbre qui vit et dont la vie agite et féconde
jusqu'aux sables du désert, autour du Sphynx pour un instant énamouré.

Tel est ce poète: délicieux puissamment en l'art de faire vibrer à son
unisson toutes les cloches et toutes les âmes: toutes les âmes sont
amoureuses de cette «infante en robe de parade».



       *       *       *       *       *



PIERRE QUILLARD


C'était aux temps déjà loin et peut-être héroïques du Théâtre d'Art; on
nous convia a entendre et à voir la Fille aux Mains coupées: il m'en
reste le souvenir du plus agréable des spectacles, du plus complet, du
plus parfait, d'un spectacle qui donnait vraiment la sensation exquise
et aiguë du définitif. Cela dura une heure à peine: il en demeure des
vers qui forment un poème difficilement oubliable.

M. Pierre Quillard a réuni ses premières poésies sous un titre qui
serait, pour plus d'un, présomptueux: La Gloire du Verbe. Oser cela,
c'est être sûr de soi, c'est avoir la conscience d'une maîtrise, c'est
affirmer, tout au moins, que, venant après Leconte de Lisle et après M.
de Heredia, on ne faiblira pas en un métier qui demande avec la
splendeur de l'imagination une singulière sûreté de main. Il ne nous
mentait pas; très habile sertisseur, il glorifie vraiment les multiples
pierreries du verbe, il fait sourire l'orient des perles, et rire
l'arc-en-ciel des diamants décomposés.

Capitan d'une galère chargée d'opulents esclaves, il navigue parmi les
périls tentants des archipels de pourpre (comme on dit qu'à certaines
heures apparaissent les îles grecques), et quand la nuit vient il
cherche le fond de sable d'un golfe violet

     Dans la splendeur des clairs de lune violets.

Et il attend l'apparition du divin:

     Alors des profondeurs et des ténèbres saintes
     Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,
     Blanche, laissant couler des épaules aux reins
     Ses cheveux où nageaient de pâles hyacinthes,
     Une femme surgit....

dont les yeux sont des abîmes de joie, d'amour et d'épouvanté où l'on
voit se réfléchir le monde entier des choses depuis l'herbe jusqu'
l'infini des mers; et elle parle: Poète qui promènes parmi la vie ton
étonnement et tes désirs et tes amours, tu te présentes ému par les
seules joies chamelles et tu souffres, car ces joies, tu ne les sens
vraiment que vaines, mais

     Si tu n'étreins que des chimères, si tu bois
     L'enivrement de vins illusoires, qu'importe!
     Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte
     Mais le monde subsiste en ta seule âme: vois!
     Les jours se sont fanés comme des roses brèves,
     Mais ton Verbe a crée le mirage où tu vis...

et ma beauté, c'est toi qui lui donnes sa forme et son geste; je suis
ton oeuvre; j'existe parce que tu me penses et parce que tu m'évoques.

Telle est l'idée maîtresse de cette Gloire du Verbe, l'un des rares
poèmes de ce temps où l'idée et le mot marchent d'accord en harmonieux
rythme.

Au lever du soleil la galère remit à la voile: Pierre Quillard partait
pour des pays lointains.

C'est une âme païenne ou qui se voudrait païenne, car si ses yeux
cherchent avidement la beauté sensible, son rêve s'attarde à vouloir
forcer la porte derrière laquelle dort obscurément la beauté enclose
dans les choses. Il est vraiment plus inquiet qu'il ne daigne le dire et
le regard des captives le trouble de plus d'un frisson. Comme il sait
toutes les théogonies et toutes les littératures,

     J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre.

comme il a bu à toutes les source;, il connaît plus d'une manière de
s'enivrer: dilettante d'espèce supérieure, quand il aura épuisé la joie
des navigations, quand il aura choisi sa demeure (sans doute près d'une
vieille fontaine sacrée), ayant beaucoup cueilli, ayant beaucoup semé de
nobles graines, il se verra le maître d'un jardin royal et d'un peuple
odorant de fleurs,

     Fleurs éternelles, fleurs égales aux dieux!


       *       *       *       *       *



A.-FERDINAND HEROLD


Le danger du vers libre, c'est qu'il demeure amorphe, que son rythme,
trop peu accentué, lui donne quelques-uns des caractères de la prose.
Le plus beau vers reste bien, il me semble, le vers formé d'un nombre
régulier de syllabes pleines ou accentuées et dans lequel la place des
accents est évidente et non laissée au choix du lecteur ou du
dédamateur; il n'y a pas que les poètes qui lisent les poètes et il est
imprudent de se confier au hasard des interprétations. On pense bien que
je ne m'amuserai pas à citer tels vers qui me paraissent mauvais; et
surtout je n'irai pas les chercher dans les poèmes de M. Herold, pour
qui la préférence serait imméritée. Non pas que M. Herold possède à un
haut point le don du rythme, mais il le possède assez pour que sa poésie
ait la grâce d'une chose vivante, doucement et languidement vivante.
C'est un poète de douceur; sa poésie est blonde avec, dans ses blonds
cheveux vierges, des perles, et au cou et aux doigts des colliers et des
bagues, élégantes et fines gemmes. Ce mot est le mot bien aimé du poète;
ses héroïnes sont fleuries de gemmes autant que ses jardins sont fleuris
de lys.

     La blonde, la blanche, la belle Dame des Lys,

il l'aima, mais que d'autres, que de reines et que de saintes! Liseur de
livres oubliés, il trouve là de précieuses légendes qu'il transpose en
courts poèmes, souvent de la longueur d'un sonnet. Lui seul les connaît,
ces reines, Marozie, Anfélize, Bazine, Paryze, Orable ou Aélis, et ces
saintes, Nonita, Bertilla, Richardis,--Gemma! Celle-ci est la première à
laquelle il ait pensé; il lui donne sur le vitrail la plus belle place,
heureux d'écrire une fois de plus ce mot dont il subit le charme.

M. Herold est l'un des plus objectifs, parmi les poètes nouveaux; il ne
se raconte guère lui-même; il lui faut des thèmes étrangers à sa vie, et
il en choisit même qui semblent étrangers à ses croyances: ses reines
n'en sont pas moins belles, ni ses saintes moins pures. On trouvera ces
panneaux et ces vitraux dans le recueil intitulé: Chevaleries
sentimentales, la plus importante et la plus caractéristique de ses
oeuvres. C'est une lecture vraiment agréable et on passe de douces
heures parmi ces femmes, ces lys, ces gemmes, ces roses d'automne.

     Les roses d'automne s'étiolent,
     Les roses qui fleurissaient les tombes;
     Lentement s'effeuillent les corolles
     Et le sol froid est jonché de pétales qui tombent.

N'est-ce pas d'une mélancolie bien douce? Et ceci:

     Il y a des maisons qui pleurent sur le port,
     Il y a des glas qui sonnent dans les clochers,
     Où tintent des cloches vagues:
     Vers quels fleuves de mort
     Les vierges ont-elles marché,
     Les vierges qui avaient aux doigts de blondes bagues?

Ainsi, sans forcer son talent à une expression passionnée de la vie,
oeuvre à laquelle il serait sans doute malhabile, sans prétendre aux
dons qu'il n'a pas, M. Herold s'est créé pour son plaisir et pour le
nôtre une poésie de grâce et de pureté, de tendresse et de douceur.

Si l'on demandait tout au même poète, lequel répondrait? L'essentiel est
d'avoir un jardin, d'y mettre la bêche et d'y semer des graines; les
fleurs qui pousseront, oeillets, violettes ou pivoines, auront leur prix
et leur charme, selon l'heure ou selon la saison.



       *       *       *       *       *



ADOLPHE RETTÉ


Par sa fécondité en poètes, la journée que nous vivons, et qui dure
depuis dix ans déjà, n'est presque comparable à aucune des journées
passées, même les plus riches de soleil et de fleurs. Il y eut des
douces promenades matinales dans la rosée, sur les pas de Ronsard; il y
eut une belle après-midi, quand soupirait la viole lasse de Théophile,
entendue d'entre les hautbois et les buccins; il y eut la journée
romantique orageuse, sombre et royale, troublée vers le soir par le cri
d'une femme que Baudelaire étranglait; il y eut le clair de lune
parnassien, et se leva le soleil verlainien,--et nous en sommes là si
l'on veut, en plein midi, au milieu d'une large campagne pourvue de tout
ce qu'il faut pour faire des vers: herbes, fleurs, fleuves, ruisselets,
bois, cavernes et des femmes jeunes et si fraîches qu'on dirait les
pensées nouvellement écloses d'un cerveau ingénu.

La large campagne est toute pleine de poètes, qui s'en vont, non plus
par troupes, comme au temps de Ronsard, mais seuls et l'air un peu
farouche; ils se saluent de loin par des gestes brefs. Tous n'ont pas de
nom et plusieurs n'en auront jamais: comment les appellerons-nous?
Laissons qu'ils jouent, pendant que celui-ci nous accueillera et nous
dira un peu de son rêve.

C'est Adolphe Retté.

On le reconnaît entre tous à son allure dévergondée et presque sauvage;
il brise les fleurs, s'il ne les cueille, et avec les roseaux il fait
des radeaux qu'il jette au courant, vers le hasard, vers demain; mais
quand passent les jeunes femmes, il sourit et il s'alanguit. Une belle
dame passa... et il dit:

     Dame des lys amoureux et pâmés,
     Dame des lys languissants et fanes,
       Triste aux veux de belladone--

     Dame d'un rêve de roses royales,
     Dame des sombres roses nuptiale?,
       Frêle comme une madone--

     Dame de ciel et de ravissement,
     Dame d'extase et de renoncement,
       Chaste étoile très lointaine--

     Dame d'enfer, ton sourire farouche,
     Dame du diable, un baiser de ta bouche,
     C'est le feu des mauvaises fontaines
       Et je brûle si je te touche.

La belle dame passa, mais sans s'émouvoir de l'imprécation finale,
qu'elle attribua sans doute à un excès d'amour; elle passa rendant au
poète sourire pour sourire.

Cette idylle eut pour premier épilogue une admirable plainte,

     Mon âme, il me semble que vous êtes un jardin....

un jardin où l'on voit, laissés aux charmilles, dans la brume du soir,
des lambeaux du voile

     De la Dame qui est passée.

Quelque temps après cette aventure, on apprit que M. Retté, revenu d'un
voyage à l'Archipel en fleurs, s'était enrichi d'une nouvelle
cueillaison de rêves. Il s'enrichira encore. Son talent est une greffe
vivace entée sur un sauvageon fier et de belle viridité. Poète, M.
Adolphe Retté n'a pas que le sens du rythme et l'amour du mot; il aime
les idées et les aime neuves et même excessives; il veut se libérer de
tous les vieux préjugés et il voudrait pareillement libérer ses frères
en esclavage social. Ses derniers livres la Forêt bruissante et
Similitudes affirment cette tendance. L'un est un poème lyrique;
l'autre, un poème dramatique en prose, très simple, très curieux et très
extraordinaire par le mélange qu'on y voit des rêves doux d'un poète
tendre et des imaginations un peu rigides et un peu naïves de l'utopie
anarchiste. Mais sans naïveté, c'est-à-dire sans fraîcheur d'âme, y
aurait-il des poètes?



       *       *       *       *       *



VILLIERS DE L'ISLE-ADAM


On s'est plu, témoignage maladroit d'une admiration pieusement troublée,
à dire et même à baser sur ce dit une paradoxale étude: «Villiers de
l'Isle-Adam ne fut ni de son pays, ni de son temps.» Cela paraît énorme,
car enfin un homme supérieur, un grand écrivain est fatalement, par son
génie même, une des synthèses de sa race et de son époque, le
représentant d'une humanité momentanée ou fragmentaire, le cerveau et la
bouche de toute une tribu et non un fugace monstre. Comme Châteaubriand,
son frère de race et de gloire, Villiers fut l'homme du moment, d'un
moment solennel; tous deux, avec des vues et sous des apparences
diverses, recréèrent pour un temps l'âme de l'élite: de l'un naquit le
catholicisme romantique et ce respect des traditionnelles vieilles
pierres; et de l'autre, le rêve idéaliste et ce culte de l'antique
beauté intérieure; mais l'un fut encore l'orgueilleux aïeul de noue
farouche individualisme; et l'autre encore nous enseigna que la vie
d'autour de nous est la seule glaise à manier. Villiers fut de son temps
au point que tous ses chefs-d'oeuvre sont des rêves solidement basés sur
la science et sur la métaphysique modernes, comme l'Ève future, comme
Tribulat Bonhomet, cette énorme, admirable et tragique bouffonnerie,
où vinrent converger, pour en faire la création peut-être la plus
originale du siècle,tous les dons du rêveur, de l'ironiste et du
philosophe.

Ce point élucidé, on avouera que Villiers, être d'une effroyable
complexité, se prête naturellement à des interprétations
contradictoires; il fut tout; nouveau Goethe, mais, si moins conscient,
si moins parfait, plus acéré, plus tortueux, plus mystérieux, et plus
humain, et plus familier. Il est toujours parmi nous et il est en nous,
par son oeuvre et par l'influence de son oeuvre, que subissent et avec
joie les meilleurs d'entre les écrivains et les artistes de l'heure
actuelle: c'est qu'il a rouvert les portes de l'au-delà closes avec quel
fracas, on s'en souvint, et par ces portes toute une génération s'est
ruée vers l'infini. La hiérarchie ecclésiastique nombre parmi ses
clercs, à côté des exorcistes, les portiers, ceux qui doivent ouvrir les
portes du sanctuaire à toutes les bonnes volontés; Villiers cumula pour
nous ces deux fonctions: il fut l'exorciste du réel et le portier de
l'idéal.

Complexe, mais on peut le voir un double esprit. Il y avait en lui deux
écrivains essentiellement dissemblables: le romantique et l'ironiste. Le
romantique naquit le premier et mourut le dernier: Elën et Morgane;
Akëdyssëril et Axël. Le Villiers ironiste, l'auteur des Contes
cruels et de Tribulat Bonhomet est intermédiaire entre les deux
phases romantiques; l'Ève future représenterait comme un mélange de
ces deux tendances si diverses, car ce livre d'une écrasante ironie est
aussi un livre d'amour.

Villiers se réalisa donc à la fois par le rêve et par l'ironie,
ironisant son rêve, quand la vie le dégoûtait même du rêve. Nul ne fut
plus subjectif. Ses personnages sont créés avec des parcelles de son
âme, élevées, ainsi que selon un mystère, à l'état d'âmes authentiques
et totales. Si c'est un dialogue, il fera proférer à tel personnage des
philosophies bien au-dessus de sa normale intelligence des choses. Dans
Axël, l'abbesse parlera de l'enfer comme Villiers aurait pu parler de
l'hégélianisme, dont vers la fin il enseignait les déceptions, après en
avoir accepté, d'abord, les larges certitudes: «C'en est fait! L'enfant
éprouve déjà le ravissement et les enivrances de l'Enfer.» Il les
éprouva: il aimait, en baudelairien, le blasphème, pour ses occultes
effets, le risque immense d'un plaisir qui se prend aux dépens de Dieu
même. Le sacrilège est en actes; le blasphème en mots. Il croyait
davantage aux mots qu'aux réalités, qui ne sont, d'ailleurs, que l'ombre
tangible des mots, car il est bien évident, et par un très simple
syllogisme, que, s'il n'y a pas de pensée en absence de verbe, il n'y a
pas, non plus, de matière en absence de pensée. La puissance des mots,
il l'admettait jusqu'à la superstition. Les seules corrections visibles
du second au premier texte d'Axël, par exemple, consistent en
l'adjonction de mots d'une spéciale désinence, tels que, afin d'évoquer
un milieu ecclésiastique et conventuel: proditoire, prémonitoire,
satisfactoire; et: fruition, collaudation, etc. Ce même sens de
mystiques pouvoirs de l'articulation syllabique l'incite vers des
recherches de dénominations aussi étranges que: le Desservant de
l'office des Morts, fonction d'église qui n'exista jamais, sinon au
monastère de Sainte-Appollodora; ou, l'Homme-qui-marche-sous-terre,
nom que nul Indien ne porta hors des scènes du Nouveau-Monde.

Le réel il l'a, en un très ancien brouillon de page afférant à l'Ève
future, peut-être, ainsi défini:

«... Maintenant je dis que le Réel a ses degrés d'être. Une chose est
d'autant plus ou moins réelle pour nous qu'elle nous intéresse plus ou
moins, puisqu'une chose qui ne nous intéresserait en rien serait pour
nous comme si elle n'était pas,--c'est-à-dire, beaucoup moins, quoique
physique, qu'une chose irréelle qui nous intéresserait.

«Donc, le Réel, pour nous, est seulement ce qui nous touche, soit les
sens, soit l'esprit; et selon le degré d'intensité dont cet unique
réel, que nous puissions apprécier et nommer tel, nous impressionne,
nous classons dans notre esprit le degré d'être plus ou moins riche en
contenu qu'il nous semble atteindre, et que, par conséquent, il est
légitime de dire qu'il réalise.

«Le seul contrôle que nous ayons de la réalité, c'est l'idée.»

Encore:

«... Et sur le sommet d'un pin éloigné, isolé au milieu d'une clairière
lointaine, j'entendis le rossignol,--unique voix de ce silence...

Les sites «poétiques» me laissent presque toujours assez froid,--attendu
que, pour tout homme sérieux, le milieu le plus suggestif d'idées
réellement «poétiques» n'est autre que quatre murs, une table et de la
paix. Ceux-là qui ne portent pas en eux l'âme de tout ce que le monde
peut leur montrer, auront beau le regarder: ils ne le reconnaîtront pas,
toute chose n'étant belle que selon la pensée de celui qui la regarde et
la réfléchit en lui-même. En «poésie» comme en religion, il faut la foi,
et la foi n'a pas besoin de voir avec les yeux du corps pour contempler
ce qu'elle reconnaît bien mieux en elle-même....»

De telles idées furent maintes fois, sous de multiples formes toujours
nouvelles, toujours rares, exprimées par Villiers de l'Isle-Adam dans
son oeuvre. Sans aller jusqu'aux négations pures de Berkeley, qui ne
sont pourtant que l'extrême logique de l'idéalisme subjectif, il
recevait, dans sa conception de la vie, sur le même plan, l'Intérieur et
l'Extérieur, l'Esprit et la Matière, avec une très visible tendance à
donner au premier terme la domination sur le second. Jamais la notion de
progrès ne fut pour lui autre chose qu'un thème à railleries,
concurremment avec la niaiserie des positivistes humanitaires qui
enseignent aux générations, mythologie à rebours, que le Paradis
terrestre, superstition si on lui assigne le passé, devient, si on le
place dans l'avenir, le seul légitime espoir.

Au contraire, il fait dire à un protagoniste (sans doute Edison), dans
un court fragment d'un ancien manuscrit de l'Ève future:

«Nous en sommes à l'âge mûr de l'Humanité, voilà tout. A bientôt la
sénilité de cet étrange polype, sa décrépitude, et, l'évolution
accomplie, son retour mortel au mystérieux laboratoire où tous les
Apparaîtres s'élaborent éternellement grâce à ... quelque
indiscutable Nécessité....»

Et en ce dernier mot Villiers raille jusqu'à sa croyance en Dieu.
Était-il chrétien? Il le devint à la fin de sa vie: ainsi il connut
toutes les formes de l'ivresse intellectuelle.



       *       *       *       *       *



LAURENT TAILHADE


L'individualisme, qui nous donne en littérature de si agréables
corbeilles de fleurs nouvelles, se trouve assez souvent stérilisé par la
poussée des mauvaises herbes de l'orgueil. On voit des jeunes gens, tout
enflés d'une infatuation monstrueuse, avouer la volonté de faire non
seulement leur oeuvre, mais en même temps l'Oeuvre, de produire la fleur
unique après quoi l'intelligence épuisée devra s'arrêter d'être féconde
et se recueillir dans le lent et obscur travail de la reconstitution des
sèves. Il y a même à Paris deux ou trois «machines à gloire» qui
s'arrogèrent le droit de prononcer seules ce mot qu'elles exilaient du
dictionnaire. Mais cela est peu important, car l'esprit souffle où il
veut, et, quand il souffle sous la peau des grenouilles et les rend
démesurées, c'est pour se distraire, car le monde est triste.

M. Tailhade n'a aucune des tares grotesques de l'orgueil: nul ne fait
plus simplement un métier plus simple, celui de littérateur. Les Romains
disaient rhéteur et cela signifiait celui qui parle, celui qui dompte le
verbe, celui qui assujettit les mots au joug de la pensée et qui sait
les manier, les exciter, les aiguillonner jusqu'à  leur imposer, à
l'heure même de sa fantaisie, les travaux les plus rudes, les plus
dangereux, les plus inédits. Latin de race et de goûts, M. Tailhade a
droit à ce beau nom de rhéteur dont se choque l'incapacité des cuistres;
c'est un rhéteur à la Pétrone, également maître dans la prose et dans
les vers.

Voici, tiré du rare Douzain de Sonnets, l'un d'eux:

     HÉLÈNE (la laboratoire de Faust à Wittemberg)

     Des âges évolus j'ai remonté le fleuve
     Et, le coeur enivré de sublimes desseins,
     Déserté le Hadès et les ombrages saints,
     Où l'âme d'une paix ineffable s'abreuve.

     Le Temps n'a pu fléchir la courbe de mes seins.
     Je suis toujours debout et forte dans l'épreuve,
     Moi, l'éternelle vierge et l'éternelle veuve,
     Gloire d'Hellas, parmi la guerre aux noirs tocsins.

     O Faust, je viens à toi, quittant le sein des Mères!
     Pour toi, j'abandonnai, sur l'aile des chimères,
     L'ombre pâle où les Dieux gisent, ensevelis.

     J'apporte à ton amour, du fond des cieux antiques,
     Ma gorge dont le Temps n'a pas vaincu les lys
     Et ma voix assouplie aux rythmes prophétiques.

Ayant écrit cela et Vitraux, poèmes qu'un mysticisme dédaigneux
pimentait singulièrement, et cette Terre latine, prose d'une si
émouvante beauté, pages parfaites et uniques, d'une pureté de style
presque douloureuse, M. Tailhade se rendit tout à coup célèbre et
redouté par les cruelles et excessives satires qu'il appela, souvenir et
témoin d'un voyage que nous faisons tous sans fruit, Au pays du Mufle.
L'ignominie du siècle exaspère le Latin épris de soleil et de parfums,
de belles phrases et de beaux gestes et pour qui l'argent est de la joie
qu'on jette, comme des fleurs, sous les pas des femmes, et non de la
productive graine qu'on enterre pour qu'elle germe. Il s'y montre le
bourreau hautain des hypocrisies et des avarices, des fausses gloires et
des vraies turpitudes, de l'argent et du succès, du parvenu de la Bourse
et du parvenu du feuilleton. Dur et même injuste, il fouaille ses
propres haines; pour lui, comme pour tous les satiristes, l'ennemi
particulier devient l'ennemi public, mais quelle belle langue à la fois
traditionnelle et neuve, et quelle belle insolence:

     Ce que j'écris n'est pas pour ces charognes!

Les ballades de M. Tailhade ne sont pas davantage destinées à faire
rêver les belles madames qui s'éventent avec des plumes de paon; il est
difficile d'en citer même une pleine strophe. Celle-ci n'est pas fort
méchante:

     Bourget, Maupassant et Loti
     Se trouvent dans toutes les gares.
     On les offre avec le rôti,
     Bourget, Maupassant et Loti.
     De ces auteurs soyez loti
     En même temps que de cigares:
     Bourget, Maupassant et Loti
     Se trouvent dans toutes les gares.

Ce n'est guère qu'amusant. Le Quatorzain d'Été peut se dire en entier
et même il est bon de le savoir par coeur, car c'est une merveille de
subtilité et un petit tableau de genre à soigner et à conserver.
L'épigraphe, ce vers de Rimbaud, dans les Premières Communions,

     Elle fait la victime et la petite' épouse,

donne le ton du cadre:

     Certes, monsieur Benoist approuve les gens qui
     Ont lu Voltaire et sont aux Jésuites adverses.
     Il pense. Il est idoine aux longues controverses,
     Il adsperne le moine et le thériaki.

     Même il fut orateur d'une loge écossaise.
     Toutefois--car sa légitime croit en Dieu--
     La petite Benoist, voiles blancs, ruban bleu,
     Communia. Ça fait qu'on boit maint litre à seize.

     Chez le bistro, parmi les bancs empouacrés,
     Le billard somnolent et les garçons vautrés,
     Rougit la pucelette aux gants de filoselle.

     Or, Benoist qui s'émèche et tourne au calotin,
     Montre quelque plaisir d'avoir vu, ce matin,
     L'hymen du Fils unique et de sa demoiselle.

Ainsi, avec bien moins d'esprit, Sidoine Apollinaire raillait les
Barbares parmi lesquels la dureté des temps le forçait de vivre et,
comme l'évêque de Clermont, ce n'est pas en vain que Laurent Tailhade
les raille et les gouaille, car ses épigrammes dépasseront l'aire du
temps actuel: en attendant, je le tiens pour une des plus authentiques
gloires des présentes lettres françaises.



       *       *       *       *       *



JULES RENARD


Un homme se lève de bon matin et s'en va par les chemins creux et par
les sentiers; il n'a peur ni de la rosée, ni des ronces, ni de la colère
des branches qui font la haie. Il regarde, il écoute, il flaire, il
chasse l'oiseau, le vent, la fleur, l'image. Sans hâte, mais anxieux
pourtant, car elle a l'oreille fine, il cherche la nature qu'il veut
surprendre au gîte; il la trouve, elle est là: alors, les ramilles
écartées doucement, il la contemple dans l'ombre bleue de sa retraite
et, sans l'avoir réveillée, refermant les rideaux, il rentre chez lui.
Avant de s'endormir, il compte ses images: «dociles elles renaissent au
gré du souvenir.»

M. Jules Renard s'est donné lui-même ce nom: le chasseur d'images. C'est
un chasseur singulièrement heureux et privilégié, car, seul, entre tous
ses confrères, il ne rapporte, bêtes et bestioles, que d'inédites
proies. Il dédaigne tout le connu, ou l'ignore; sa collection n'est que
de pièces rares et même uniques, mais qu'il n'a pas le souci de mettre
sous clef, car elles lui appartiennent tellement qu'un larron les
déroberait vainement. Une personnalité aussi aiguë, aussi accusée, a
quelque chose de déconcertant, d'irritant et, selon quelques jaloux,
d'excessif. «Faites donc comme nous, puisez dans le trésor commun des
vieilles métaphores accumulées; on va vite, c'est très commode.» Mais M.
Jules Renard ne tient pas à aller vite. Quoique fort laborieux, il
produit peu, et surtout peu à la fois, semblable à ces patients
burineurs qui taillent l'acier avec une lenteur géologique.

Étudiant un écrivain, on aime (c'est une manie que Sainte-Beuve nous
légua) à  connaître sa famille spirituelle, à  dénombrer ses ancêtres, à
établir de savantes filiations, à noter, tout au moins, des souvenirs de
longues lectures, des traces d'influence et le signe de la main mise un
instant sur l'épaule. Pour qui a beaucoup voyagé parmi les livres et les
idées, ce travail est assez simple et souvent facile au point qu'il vaut
mieux s'en abstenir, ne pas contrister l'a-droite ordonnance des
originalités acquises. Avec M. Renard, je n'ai pas eu ce scrupule, j'ai
voulu lui dessiner un beau feuillet de stud-book, mais le singulier
animal s'est présenté seul et les feuillages n'accrochent, parmi les
arabesques, que des médaillons vides.

S'être engendré tout seul, ne devoir son esprit qu'à soi-même, écrire
(puisqu'il s'agit d'écritures) avec la certitude de réaliser du vrai vin
nouveau, de saveur inattendue, originale et inimitable, voilà qui doit
être, pour l'auteur de l'Êcornifleur, un juste motif de joie et une
raison très forte d'être, moins que tout autre, inquiet de sa réputation
posthume. Déjà, son Poil-de-Carotte, ce type si curieux de l'enfant
intelligent, sournois et fataliste, est entré dans les mémoires et
jusque dans les locutions. Le «Poil-de-Carotte, tu fermeras les poules
tous les soirs» est égal en vérité burlesque aux mots les plus fameux
des comédies célèbres, et il en est à la fois le Cyrano et le Molière,
et cette galère ne lui sera pas volée.

L'originalité bien constatée, les autres mérites de M. Jules Renard sont
la netteté, la précision, la verdeur; ses tableaux de vie, parisienne ou
champêtre, ont l'aspect de pointes sèches, parfois un peu décharnées,
mais bien circonscrites, bien claires et vives. Certains morceaux, plus
estompés et plus amples, sont des merveilles d'art; ainsi Une Famille
d'Arbres.

«C'est après avoir traversé une plaine brûlée du soleil que je les
rencontre.

«Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils
habitent les champs incultes, sur une source comme des oiseaux seuls.

«De loin ils semblent impénétrables. Dès que j'approche, leurs troncs se
desserrent. Ils m'accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me
rafraîchir, mais je devine qu'ils m'observent et se défient.

«Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu, et les petits, ceux
dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans
jamais s'écarter.

«Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu'
la chute en poussière.

«Ils se flattent de leurs longues branches pour s'assurer qu'ils sont
tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère, si le vent
s'essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne
murmurent que d'accord.

«Je sens qu'ils doivent être ma vraie famille. J'oublierai vite l'autre.
Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter, j'apprends ce
qu'il faut savoir:

«Je sais déjà regarder les nuages qui passent.

«Je sais aussi rester en place.

«Et je sais presque me taire.»

Quand les anthologies accueilleront cette page, elles n'en auront guère
d'une ironie aussi fine et d'une poésie aussi vraie.



       *       *       *       *       *



LOUIS DUMUR


Représenter la logique parmi une assemblée de poètes, est un rôle
difficile et qui a ses inconvénients. On risque d'être pris trop au
sérieux et, par suite, de se sentir porté à maintenir sa littérature
dans les tons graves. La gravité n'est pas nécessaire à l'expression de
ce que l'on croit être la vérité; l'ironie pimente agréablement la
tisane morale; il faut du poivre dans cette camomille; affirmer avec
dédain est un moyen assez sûr de n'être pas dupe, même de ses propres
affirmations. Cela est très utilisable en littérature, car tout y est
incertain et l'art lui-même n'est sans doute qu'un jeu où,
philosophiquement, nous nous trompons les uns les autres. C'est pourquoi
il est bon de sourire.

M. Dumur sourit rarement. Mais si maintenant, ayant conquis, rien qu'en
vivant, plus d'indulgence et quelques droits à la véritable amertume,
s'il voulait sourire pour se défendre et se distraire, il semble que
toute l'assemblée des poètes protesterait, étonnée et peut-être
scandalisée. Alors il demeure grave, par habitude et par la logique.

Il est la Logique même. Il sait observer, combiner, déduire; ses romans,
ses drames, ses poèmes sont des constructions solides dont
l'architecture pondérée plaît par la savante symétrie des courbes,
toutes dirigées vers un dôme central où l'oeil est sévèrement ramené.
Il est assez fort et assez volontaire pour, épris d'une erreur, ne
l'abandonner qu'après l'avoir acculée à ses conséquences les plus
extrêmes, et assez maître de lui-même pour ne pas avouer son erreur et
même la défendre avec toutes les ingéniosités du raisonnement. Tel son
système de vers français basés sur l'accent tonique; il est vrai que le
résultat, souvent manqué, car les langues ont, elles aussi, une logique
assez impérieuse, était parfois heureux et inattendu avec des
«hexamètres» comme celui-ci.

     L'orgueilleuse paresse des nuits, des parfums et des seins.

C'est vers le théâtre que M. Dumur semble avoir orienté définitivement
son activité intellectuelle. Ses pièces (je ne parle pas de Rembrandt,
drame purement historique, de grand style et de vaste déploiement):
d'abord, les pages coupées, on est surpris par un décor rentoilé et des
noms repeints et un jour de réalisme conventionnel, une ordonnance de
choses et d'êtres usés sous l'habit neuf et le vernis frais,--mais dès
la troisième ligne lue, l'auteur affirme qu'en ce triste paysage
scénique il fera entendre des paroles valables et qu'un souffle
progressif jusqu'à la tempête renversera la plantation.

Le paravent rentoilé est voulu tel que, sa banalité peu à peu détruite,
êtres et choses déshabillés par un caprice de la foudre, il ne reste
debout qu'une idée nue ou voilée de sa seule obscurité essentielle.

Donc ce vieux-neuf déco, est là comme le plus simple, le plus sous la
main, et celui où l'imagination neutre d'une foule spectatrice pourra,
avec le moindre effort, situer un combat mental dont les armes sont des
accessoires de théâtre.

Un homme s'en va par le monde portant avec soi un coffre plein de terre
natale et libre; il porte son amour; mais un jour il est écrasé par son
amour. A l'heure de cette chute, un autre homme comprend: il éloigne, de
lui la femme qui va lui briser les bras. Aimer, c'est se charger d'un
impérieux fardeau au moment même où, cessant d'être libre, on cesse
d'être fort. La Motte de terre explique cela avec lucidité et avec
force, travail d'un écrivain tout à fait maître de ses dons naturels et
qui les manie avec aisance et cet air de domination qui dompte
facilement les idées. Il arrive qu'une oeuvre soit, et soit supérieure à
l'homme et à son intelligence même, mais de peu; si peu et mensonge
innocent, c'est un spectacle humiliant et qui incite au mépris plus que
l'aveu écrit de la médiocrité la plus hideuse et la plus adéquate au
cerveau qui l'enfanta: l'homme de valeur est toujours supérieur à son
oeuvre, car son désir est trop vaste pour qu'il le remplisse jamais, et
son amour trop miraculeux pour qu'il le rencontre jamais. La
Nébuleuse, que l'on vient de jouer, est un poème d'une belle et
profonde perspective, où se voient symbolisées,par des êtres ingénus,
les générations successives des hommes qui se suivent sans se
comprendre, presque sans se voir, tant leurs âmes sont différentes, et
toutes toujours résumées, vers le moment de leur déclin, par l'enfant,
par l'avenir, par la «nébuleuse» dont la naissance enfin avérée va faire
mourir, sous sa clarté matinale, les sourires fanés des vieilles
étoiles. Et l'on pressent, la vision close, que ce demain, qui va
devenir aujourd'hui, sera tout pareil à ses frères défunts, et qu'en
somme il n'y a rien d'ajouté au spectacle dont s'amusent les défuntes
années penchées.

     Sur les balcons du Ciel en robes surannées.

Mais ce rien ne laisse pas d'avoir quelque importance pour les atomes
humains qui le forment et qui le déterminent; il est le délicieux
nouveau que nous respirons et dont nous vivons. Du nouveau! Du nouveau!
Et que chaque intelligence affirme, même passagère, sa volonté d'être,
et d'être dissemblable des manifestations antérieures ou ambiantes, et
que chaque nébuleuse aspire au rôle d'un astre dont la lueur soit
distincte et claire entre les autres lueurs!

J'ai lu tout cela dans le texte et dans les silences du dialogue, car
lorsque, ce qui arrive, une oeuvre d'art est le développement d'une
idée, les interlignes mêmes répondent à ceux qui savent les interroger.

M. Dumur est en train de créer un théâtre philosophique, un théâtre à
idées, et, parallèlement, de renouveler le roman à thèses, car Pauline
ou la Liberté de l'Amour est une oeuvre sérieuse, ordonnée avec talent,
originalement pensée, et qui implique une rare valeur intellectuelle.



       *       *       *       *       *



GEORGES EEKHOUD


Il y a peu de dramaturges parmi les nouveaux venus, j'entends
d'observateurs fervents du drame humain, doués de cette large sympathie
qui engage un écrivain à fraterniser avec tous les modes et toutes les
formes de la vie. Aux uns les mouvements du vulgaire semblent
négligeables, peut-être parce qu'ils manquent de cet esprit de
généralisation philosophique qui élève à la hauteur d'une tragédie
l'aventure la plus humble. D'autres ont et avouent la tendance à tout
simplifier, n'observent et ne comparent les faits que pour en extraire
des résumés et des quintessences; ils ont scrupule et comme pudeur à
raconter des mécanismes si souvent décrits: ils établissent des
portraits d'âmes, ne gardant de l'anatomie physique que la seule
matérialité nécessaire à soutenir le jeu des couleurs. Un tel art, outre
qu'il a l'inconvénient de répugner au peuple des lecteurs (qui veut
qu'on lui conte des histoires et qui alors les demande au premier venu),
est le signe d'une évidente et trop dédaigneuse absence de passion: or
le dramaturge est un passionné, un amoureux fou de la vie, et de la vie
présente, non des choses d'hier, des représentations mortes dont on
retrouve les décors fanés dans les cercueils de plomb, mais des êtres
d'aujourd'hui avec toutes leurs beautés et leurs laideurs animales,
leurs âmes obscures, leur vrai sang qui va jaillir d'un coeur et pas
d'une vessie gonflée, si on les poignarde au cinquième acte.

M. Georges Eekhoud est un dramaturge, un passionné, un buveur de vie et
de sang.

Ses sympathies sont multiples et très diverses; il aime tout,
«Nourrissez-vous de tout ce qui a vie.» Obéissant à la parole biblique,
il se fortifie à tous les repas que le monde lui offre; il s'assimile la
tendre ou la dure sauvagerie des paysans ou des marins avec autant de
certitude que la psychologie la plus déliée et la plus hypocrite des
créatures ivres de civilisation, l'inquiétante infamie des amours
excentriques et la noblesse des passions dévouées, le jeu brutal des
lourdes moeurs populaires et la perversion délicate de certaines âmes
adolescentes. Il ne fait aucun choix, mais il comprend tout, parce qu'il
aime tout.

Cependant, soit volontairement, soit cloué au sol natal par les
nécessités sociales, il a limité le champ de ses chasses fantastiques
aux limites mêmes des vieilles Flandres. Cela convenait à son génie, qui
est flamand, merveilleusement, excessif en ses extases sentimentales
comme en ses débauches vitales, Philippe de Champaigne ou Jordaens,
allongeant des faces maigres dramatisées par les yeux de l'idée fixe ou
déployant tout le rouge débordement des chairs joyeuses. M. Eekhoud est
donc un écrivain représentatif d'une race, ou d'un moment de cette race:
cela est important pour assurer à une oeuvre la durée et une place dans
les histoires littéraires.

Cycle patibulaire, qui, réimprimé, vient d'être rendu au public, Mes
communions, parues l'an passé, semblent les deux livres de M. Eekhoud
où ce passionné crie le plus hautement et le plus clairement ses
charités, ses colères, ses pitiés, ses mépris et ses amours, lui-même
troisième tome de cette merveilleuse trilogie dont les deux premiers ont
pour titre, Maeterlinck, Verhaeren.

Jouant un peu sur le mot, je l'ai appelé «dramaturge», au mépris des
étymologies et de l'usage, quoiqu'il n'ait jamais écrit pour le théâtre;
mais à la façon dont ses récits sont machinés et comme équilibrés à
miracle sur le revirement, sur le retour à leur vraie nature des
caractères d'abord affolés par la passion, on devine un génie
essentiellement dramatique.

Il a le génie des revirements. Un caractère, puis la vie pèse et le
caractère fléchit; une nouvelle pesée le redresse et le dresse selon sa
vérité originelle: c'est l'essence même du drame psychologique, et si le
décor participe aux modifications humaines, l'oeuvre prend un air
d'achèvement, de plénitude, donne une impression d'art inattendu par la
logique acceptée des simplicités naturelles. Cela pourrait être un
système de composition (pas encore mauvais), mais non pas ici: les
chuchotements de l'instinct sont écoutés et accueillis; la nécessité de
la catastrophe s'impose à cet esprit lucide (qui n'a point troublé son
miroir en soufflant dessus) et il relate clairement les conséquences des
mouvements sismiques de l'âme humaine. Il y a de bons exemples de cet
art dans les nouvelles de Balzac: El Verdugo n'est qu'une suite de
revirements, mais trop sommaires: le Coq Rouge de M. Eekhoud, aussi
dramatique, est d'une analyse bien plus profonde et, enfin, s'ouvre
largement comme un beau paysage transformé sans effort par le jeu des
nuées et les vagues lumineuses.

Pareillement belle, quoique d'une beauté cruelle, la tragique histoire
appelée simplement Une mauvaise rencontre où l'on voit la
transfiguration héroïque de l'âme pitoyable d'un frêle rôdeur dompté par
la puissance d'un geste d'amour et, sous le magnétisme impérieux du
verbe, fleuri martyr, jet de sang pur jaillissant en miracle des veines
putréfiées de la charogne sociale. Plus tard Mauxgavres jouit et meurt
de l'épouvante d'avoir vu ses paroles se réaliser jusqu'à leurs
convulsions suprêmes et la cravate rouge du prédestiné devenue le garrot
d'acier qui coupe en deux les cous blancs.

Il y a dans un roman de Balzac[1] un rapide épisode, et confus, qui
rappellerait cette tragédie aux généalogistes des idées. Par haine de
l'humanité, M. de Grandville donne un billet de mille francs à un
chiffonnier afin d'en faire un ivrogne, un paresseux, un voleur; quand
il rentre chez lui, il apprend que son fils naturel vient d'être arrêté
pour vol: ce n'est que romanesque. Cette même anecdote, moins la
conclusion, se retrouve dans A Rebours où des Esseintes agit, mais sur
un jeune voyou, à peu près comme M. de Grandville et pour un motif de
scepticisme haineux. Voilà un possible arbre de Jessé, mais que je
déclare inauthentique, car la perversité tragique de M. Eekhoud, chimère
ou effraie, est un monstre original et sincère.

Si la sincérité est un mérite, ce n'est pas sans doute un mérite
littéraire absolu; l'art s'accommode fort bien du mensonge et nul n'est
tenu de confesser ni ses «communions», ni ses répulsions; mais j'entends
ici par sincérité cette sorte de désintéressement artistique qui fait
que l'écrivain, n'ayant peur ni de terrifier le cerveau moyen ni de
contrister tels amis ou tels maîtres, déshabille sa pensée selon la
calme impudeur de l'innocence extrême du vice parfait,--ou de la
passion. Les «communions» de M. Eekhoud sont passionnées; il s'attable
avec ferveur et, s'étant nourri de charité, de colère, de pitié, de
mépris, ayant goûté à tous les élixirs d'amour fabriqués pieusement par
sa haine, il se lève, ivre, mais non repu, des joies futures.


[1] La Femme vertueuse, Paris, 1835.--Ce titre a disparu dans la Comédie
Humaine. Balzac modifiait souvent ses titres à chaque nouvelle édition.



       *       *       *       *       *



PAUL ADAM


L'auteur du Mystère des Foules fait invinciblement songer à Balzac; il
en a la puissance et aussi la force dispersive. Comme Balzac, mais en
bien moindre quantité, il écrivit, très jeune, d'exécrables tomes, où
nul n'aurait pu prévoir le génie futur d'une intelligence vraiment
cyclique; La Force du mal n'est pas plus en germe dans le Thé chez
Miranda que le Père Goriot dans Jane la Pâle ou le Vicaire des
Ardennes. M. Paul Adam est pourtant un précoce, mais il y a des limites
à la précocité, surtout chez un écrivain destiné à raconter la vie telle
qu'il la voit et telle qu'il la sent. Il faut que l'éducation des sens
ait eu le temps de se parachever et que l'expérience ait fortifié
l'esprit dans l'art des comparaisons et du choix, de l'association et de
la dissociation des idées. Un romancier encore a besoin d'une large
érudition et de toutes sortes de notions que l'on n'acquiert solides que
lentement, par hasard, par le bon vouloir des choses et la complaisance
des événements.

Aujourd'hui, M. Paul Adam est dans tout son rayonnement et à la veille
même de la gloire. Chacun de ses gestes, chacun de ses pas le rapproche
de la bombarde prête à éclater, et s'il résiste au tremblement du coup
de tonnerre, il sera roi et maître. Par cette bombarde, j'entends non la
grande foule, mais ce large public, déjà trié une fois, qui, insensible
à l'art pur, exige néanmoins que ses émotions romanesques lui soient
servies enrobées dans de la vraie littérature, originale, fortement
parfumée, de pâte longue savamment pétrie, et de forme assez nouvelle
pour surprendre et séduire. Ce fut le public de Balzac; c'est le public
que M. Paul Adam semble en train de reconquérir.

Le roman de moeurs (je laisse en dehors trois ou quatre maîtres que je
n'ai pas à juger ici) est tombé plus bas que jamais depuis un siècle et
demi qu'il fut importé d'Angleterre. Négligeant l'observation et le
style, dépourvus d'imagination, de fantaisie et surtout d'idées, tant
générales que particulières, les façonniers qui assument le métier de
narrer des histoires ont déconsidéré la fiction au point qu'un homme
intelligent, soucieux de loisirs dignes de son intelligence, n'ose plus
ouvrir un de ces tomes et que les quais eux-mêmes se révoltent et
s'endiguent contre le flot jaune. M. Paul Adam a certainement souffert
de cette crise de mépris: des lettrés mal informés ont cru longtemps que
ses romans étaient pareils à tous les autres. Ils en sont très
différents.

D'abord par le style: M. Paul Adam use d'une langue vigoureuse, serrée,
pleine d'images, neuve jusqu'à inaugurer des formes syntaxiques. Par
l'observation: son regard aigu pénètre comme un dard de guêpe dans les
choses et dans les âmes; il lit, comme la photographie nouvelle, à
travers les chairs et à travers les coffrets. Par l'imagination qui lui
permet d'évoquer et de faire vivre les êtres les plus divers, les plus
caractéristiques, les plus personnels, il a, comme Balzac, le génie de
donner à ses personnages non seulement la vie, mais la personnalité,
d'en faire de vrais individus, tous bien doués d'une âme particulière;
dans la Force du Mal, une jeune fille est ainsi posée et si nettement
sous nos yeux qu'elle en devient inoubliable; malheureusement son
caractère fléchit à la fin du roman, trop brusquement résumé. Par la
fécondité, enfin, fécondité non pas seulement linéaire et d'abattage de
sillons, mais d'oeuvres dont les moindres sont encore des oeuvres.

Il a entrepris deux grandes épopées romanesques que son génie ardent et
fier achèvera à l'état de monuments, l'Époque et les Volontés
merveilleuses. A lui tout seul il travaille comme une ruche, et au
moindre soleil les idées abeilles sortent tumultueuses et se dispersent
vers les vastes campagnes de la vie.

Paul Adam est un spectacle magnifique.



       *       *       *       *       *



LAUTRÉAMONT


C'était un jeune homme d'une originalité furieuse et inattendue, un
génie malade et même franchement un génie fou. Les imbéciles deviennent
fous et dans leur folie l'imbécillité demeure croupissante ou agitée;
dans la folie d'un homme de génie il reste souvent du génie: la forme de
l'intelligence a été atteinte et non sa qualité; le fruit s'est écrasé
en tombant, mais il a gardé tout son parfum et toute la saveur de sa
pulpe, à peine trop mûre.

Telle fut l'aventure du prodigieux inconnu Isidore Ducasse, orné par
lui-même de ce romantique pseudonyme: Comte de Lautréamont. Il naquit à
Montevideo, en avril 1846, et mourut âgé de vingt-huit ans, ayant publié
les Chants, de Maldoror et des Poésies, recueil de pensées et de
notes critiques d'une littérature moins exaspérée et même, çà et là,
trop sage. On ne sait rien de sa vie brève; il ne semble avoir eu
aucunes relations littéraires, les nombreux amis apostrophés en ses
dédicaces portant des noms demeurés occultes.

Les Chants de Maldoror sont un long poème en prose dont les six
premiers chants seuls furent écrits. Il est probable que Lautréamont,
même vivant, ne l'eût pas continué. On sent, à mesure que s'achève la
lecture du volume, que la conscience s'en va, s'en va,--et quand elle
lui est revenue, quelques mois avant de mourir, il rédige les Poésies,
où, parmi de très curieux passages, se révèle l'état d'esprit d'un
moribond qui répète, en les défigurant dans la fièvre, ses plus
lointains souvenirs, c'est-à-dire pour cet enfant les enseignements de
ses professeurs!

Motif de plus que ces chants surprennent. Ce fut un magnifique coup de
génie, presque inexplicable. Unique ce livre le demeurera, et dès
maintenant il reste acquis à la liste des oeuvres qui, à l'exclusion de
tout classicisme, forment la brève bibliothèque et la seule littérature
admissibles pour ceux dont l'esprit, mal fait, se refuse aux joies,
moins rares, du lieu commun et de la morale conventionnelle.

La valeur des Chants de Maldoror, ce n'est pas l'imagination pure qui
la donne: féroce, démoniaque, désordonnée ou exaspérée d'orgueil en des
visions démentes, elle effare plutôt qu'elle ne séduit; puis, même dans
l'inconscience, il y a des influences possibles à déterminer: «O Nuits
de Young, s'exclame l'auteur en ses Poésies, que de sommeil vous
m'avez coûté!» Aussi le dominent çà et là les extravagances romantiques
de tels romanciers anglais encore de son temps lus, Anne Radcliffe et
Maturin (que Balzac estimait), Byron, puis les rapports médicaux sur des
cas d'érotisme, puis la Bible. Il avait certainement de la lecture, et
le seul auteur qu'il n'allègue jamais, Flaubert, ne devait jamais être
loin de sa main.

Cette valeur que je voudrais qualifier, elle est, je crois, donnée par
la nouveauté et l'originalité des images et des métaphores, par leur
abondance, leur suite logiquement arrangée en poème, comme dans la
magnifique description d'un naufrage: toutes les strophes (encore que
nul artifice typographique ne les désigne) finissent ainsi: «Le navire
en détresse tire des coups de canon d'alarme; mais il sombre avec
lenteur ... avec majesté.» Pareillement les litanies du Vieil Océan:
«Vieil Océan, tes eaux sont amères ... je te salue, vieil Océan.--Vieil
Océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de
tes royaumes flegmatiques... je te salue, Vieil Océan.» Voici d'autres
images: «Comme un angle à perte de vue de grues frileuses méditant
beaucoup, qui, pendant l'hiver, vole puissamment à travers le silence»,
et cette effarante invocation: «Poulpe au regard de soie!» Pour
qualifier les hommes, ce sont des expressions d'une suggestivité
homérique: «Les hommes aux épaules étroites.--Les hommes à la tète
laide.--L'homme à la chevelure pouilleuse.--L'homme à la prunelle de
jaspe.--Humains à la verge rouge.» D'autres d'une violence
magnifiquement obscène: «Il se replace dans son attitude farouche et
continue de regarder, avec un tremblement nerveux, la chasse à l'homme,
et les grandes lèvres du vagin d'ombre, d'où découlent, sans cesse,
comme un fleuve, d'immenses spermatozoïdes ténébreux qui prennent leur
essor dans l'éther lugubre, en cachant, avec le vaste déploiement de
leurs ailes de chauve-souris, la nature entière, et les légions
solitaires de poulpes, devenues mornes à l'aspect de ces fulgurations
sourdes et inexprimables.» (1868: qu'on ne croie donc pas à des phrases
imaginées sur quelque estampe d'Odilon Redon.) Mais quelle légende, au
contraire, quel thème pour le maître des formes rétrogrades, de la peur,
des amorphes grouillements des êtres qui sont presque,--et quel livre,
écrit, on l'affirmerait,pour le tenter!

Voici un passage bien caractéristique à la fois du talent de Lautréamont
et de sa maladie mentale:

«Le frère de la sangsue (Maldoror) marchait à pas lents dans la
forêt.... Enfin il s'écrie: «Homme, lorsque tu rencontres un chien mort
retourné, appuyé contre une écluse qui l'empêche de partir, n'aille pas,
comme les autres, prendre avec ta main les vers qui sortent de son
ventre gonflé, les considérer avec étonnement, ouvrir un couteau, puis
en dépecer un grand nombre, en te disant que toi aussi tu ne seras pas
plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu? Ni moi, ni les quatre
pattes nageoires de l'ours marin de l'Océan Boréal, n'avons pu trouver
le problème de la vie.... Quel est cet être, là-bas, à l'horizon, et qui
ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés? et
quelle majesté mêlée d'une douceur sereine! Son regard, quoique doux,
est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise et paraissent
vivre. Il m'est inconnu. En fixant ses yeux monstrueux, mon corps
tremble.... Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de
lui.... Qu'il est beau.... Tu dois être puissant, car tu as une figure
plus qu'humaine, triste comme l'univers, belle comme le suicide....
Comment!... c'est toi, crapaud!... gros crapaud!... infortuné
crapaud!... Pardonne!... Que viens-tu faire sur cette terre où sont les
maudits? Mais qu'as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides,
pour avoir l'air si doux? Quand tu descendis d'en haut... je te vis!
Pauvre crapaud! Comme alors je pensais à l'infini, en même temps qu'à ma
faiblesse... Depuis que tu m'es apparu monarque des étangs et des
marécages! couvert d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu, tu m'as en
partie consolé, mais ma raison chancelante s'abîme devant tant de
grandeur.... Replie tes blanches ailes et ne regarde pas en haut avec
des paupières inquiètes....» Le crapaud s'assit sur les cuisses de
derrière (qui ressemblent tant à celles de l'homme) et, pendant que les
limaces, les cloportes et les limaçons s'enfuyaient à la vue de leur
ennemi mortel, prit la parole en ces termes: «Maldoror, écoute-moi.
Remarque ma figure, calme comme un miroir ... je ne suis qu'un simple
habitant des roseaux, c'est vrai, mars grâce à ton propre contact, ne
prenant que ce qu'il y a de beau en toi, ma raison s'est agrandie et je
puis te parler.... Moi je préférerais avoir les paupières collées, mon
corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne
pas être toi! Parce que je te hais!... Adieu donc, n'espère plus
retrouver le crapaud sur ton passage. Tu as été la cause de ma mort.
Moi, je pars pour l'éternité, afin d'implorer ton pardon.»

Les aliénistes, s'ils avaient étudié ce livre, auraient désigné l'auteur
parmi les persécutés ambitieux: il ne voit dans le monde que lui et
Dieu,--et Dieu le gêne. Mais on peut aussi se demander si Lautréamont,
n'est pas un ironiste supérieur[2], un homme engagé par un mépris
précoce pour les hommes à feindre une folie dont l'incohérence est plus
sage et plus belle que la raison moyenne. Il y a la folie de l'orgueil;
il y a le délire de la médiocrité. Que de pages pondérées, honnêtes, de
bonne et claire littérature, je donnerais pour celle-ci, pour ces
pelletées de mots et de phrases sous lesquelles il semble avoir voulu
enterrer la raison elle-même! c'est tiré des singulières Poésies:

«Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les
exceptions dans l'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les
abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les
tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les
insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les
romans, ce qui est inattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les
singularités chimiques du vautour mystérieux qui guette la charogne de
quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les
obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil,
l'inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies,
les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les
acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les
épouvantements raisonnes, les inquiétudes étranges, que le lecteur
préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières
sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les
exagérations, l'absence de sincérité, les scies, les platitudes, le
sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les
passions, le clan des romanciers de cour d'assises, les tragédies, les
odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison
impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements,
les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui
est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux,
phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque,
anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène
d'aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement
taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes
démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l'enfant, la
désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les
cuisses des camélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur la
pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords,
les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs
engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés,
la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées
comme celles de Cromwell, de Mademoiselle de Maupin et de Dumas fils,
les caducités, les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les
étouffements, les rages,--devant ces charniers immondes, que je rougis
de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et
nous courbe souverainement.» Maldoror (ou Lautréamont) semble s'être
jugé lui-même en se faisant apostropher ainsi par son énigmatique
Crapaud: «Ton esprit est tellement malade qu'il ne s'en aperçoit pas, et
que tu crois être dans ton naturel chaque fois qu'il sort de ta bouche
des paroles insensées, quoique pleines d'une infernale grandeur.»


[2] Voici un exemple évident d'ironie: «Toi, jeune homme, ne te
désespère point, car tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion
contraire. En comptant l'acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras
deux amis.»



       *       *       *       *       *



TRISTAN CORBIÈRE


Laforgue, au courant d'une lecture, crayonna sur Corbière des notes qui,
non rédigées, sont tout de même définitives; parmi:

«Bohème de l'Océan--picaresque et falot--cassant, concis, cinglant le
vers à la cravache --strident comme le cri des mouettes et comme elles
jamais las--sans esthétisme--pas de la poésie et pas du vers, à peine de
la littérature--sensuel, il ne montre jamais la chair--voyou et
byronien--toujours le mot net--il n'est un autre artiste en vers plus
dégagé que lui du langage poétique--il a un métier sans intérêt
plastique--l'intérêt, l'effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le
calembour, la fringance, le haché romantique--il veut être
indéfinissable, incatalogable, pas être aimé, pas être haï; bref,
déclassé de toutes les latitudes, de toutes les moeurs, en deçà et au
delà des Pyrénées.»

Ceci est sans doute la vérité: Corbière fut toute sa vie dominé et mené
par le démon de la contradiction. Il supposa qu'il faut se différencier
des hommes par des pensées et par des actes exactement contraires aux
pensées et actes du commun des hommes; il y a beaucoup de voulu dans son
originalité; il la travaillait, comme les femmes travaillent leur teint,
pendant les longues après-midi entre ciel et terre, et quand il
débarquait, c'était pour tirer des bordées de stupéfaction: dandysme à
la Baudelaire.

Mais on ne peut travailler heureusement une nature que dans le sens de
ses instincts et de ses penchants; Corbière a dû être nativement un peu
de ce qu'il est devenu, le don Juan de la singularité; c'est la seule
femme qu'il aime; l'autre, il l'ironise de ce mot leste, «l'éternelle
madame».

Corbière a beaucoup d'esprit, de l'esprit à la fois de cabaret de
Montmartre et de gaillard d'avant; son talent est fait de cet esprit
vantard, baroque et blagueur, d'un mauvais goût impudent, et d'à-coups
de génie; il a l'air ivre, mais il n'est que laborieusement maladroit;
il taille, pour en faire d'absurdes chapelets, de miraculeux cailloux
roulés, oeuvres d'une patience séculaire, mais aux dizaines, il laisse
la petite pierre de mer toute brute et toute nue, parce qu'il aime la
mer, au fond, avec une grande naïveté et parce que sa folie du paradoxal
le cède, de temps en temps, à une ivresse de poésie et de beauté.

Parmi les vers jamais ordinaires des Amours jaunes, il y en a beaucoup
de très déplaisants et beaucoup d'admirables, mais admirables avec un
air si équivoque, si spécieux, qu'on ne les goûte pas toujours à une
première rencontre; ensuite on juge que Tristan Corbière est, comme
Laforgue, un peu son disciple, l'un de ces talents inclassables et
indéniables qui sont dans l'histoire des littératures, d'étranges et
précieuses exceptions,--singulières même en une galerie de singularités.

Voici de Tristan Corbière deux petits poèmes oubliés même par le dernier
éditeur des Amours jaunes:

     PARIS NOCTURNE

     C'est la mer;--calme plat.--Et la grande marée
     Avec un grondement lointain s'est retirée....
     Le flot va revenir se roulant dans son bruit.
     Entendez-vous gratter les crabes de la nuit?

     C'est le Styx asséché: le chiffonnier Diogène,
     La lanterne à la main, s'en vient avec sans-gêne.
     Le long du ruisseau noir, les poètes pervers
     Pèchent: leur crâne creux leur sert de boîte à vers.

     C'est le champ: pour glaner les impures charpies
     S'abat le vol tournant des hideuses harpies;
     Le lapin de gouttière, à l'affût des rongeurs,
     Fuit les fils de Bondy, nocturnes vendangeurs.

     C'est la mort: la police gît.--En haut l'amour
     Fait sa sieste, en tétant la viande d'un bras lourd
     Où le baiser éteint laisse sa plaque rouge.
     L'heure est seule. Écoutez: pas un rêve ne bouge.

     C'est la vie: écoutez, la source vive chante
     L'éternelle chanson sur la tête gluante
     D'un dieu marin tirant ses membres nus et verts
     Sur le lit de la Morgue ... et les yeux grands ouverts.


     PARIS DIURNE

     Vois aux cieux le grand rond de cuivre rouge luire,
     Immense casserole où le bon Dieu fait cuire
     La manne, l'arlequin, l'éternel plat du jour;
     C'est trempé de sueur et c'est trempé d'amour.

     Les laridons en cercle attendent près du four,
     On entend vaguement la chair rance bruire,
     Et les soiffards aussi sont là, tendant leur buire,
     Le marmiteux grelotte en attendant son tour.

     Crois-tu que le soleil frit donc pour tout le monde
     Ces gras graillons grouillants qu'un torrent d'or inonde?
     Non, le bouillon de chien tombe sur nous du ciel.

     Eux sont sous le rayon et nous sous la gouttière.
     A nous le pot au noir qui froidit sans lumière.
     Notre substance à nous, c'est notre poche à fiel.

Né à Morlaix, en 1845, Tristan y revint mourir d'une fluxion de poitrine
en 1875. Il était le fils (d'autres disent le neveu) du romancier
maritime Edouard Corbière, l'auteur du Négrier dont le violent amour
pour les choses de mer influa sur le poète très fortement. Ce Négrier,
par Edouard Corbière, capitaine au long-cours, 1832, 2 vol. in-8°, est
un assez intéressant roman d'aventures maritimes. Le chapitre IV de la
première partie, intitulé Prisons d"Angleterre (les Pontons), renferme
les plus curieux détails sur les moeurs des prisonniers sur les amours
des corvettes avec les forts-à-bras,--en un lieu, dit l'auteur, où,
pourtant, «il n'y avait qu'un sexe». La préface de ce roman décèle un
esprit très hautain et très dédaigneux du public: le même esprit avec du
talent et une nervosité plus aiguë,--vous avez Tristan Corbière.



       *       *       *       *       *



ARTHUR RIMBAUD


Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud naquit à Charleville le 20 octobre 1854, et,
dès l'âge le plus tendre, il se manifesta tel que le plus insupportable
voyou. Son bref séjour à Paris fut en 1870-71. Il suivit Verlaine en
Angleterre, puis, en Belgique. Après le petit malentendu qui les sépara,
Rimbaud courut le monde, fît les métiers les plus divers, soldat dans
l'armée hollandaise, contrôleur, à Stockholm, du cirque Loisset,
entrepreneur dans l'île de Chypre, négociant au Harrar, puis au cap de
Guardafui, en Afrique, où un ami de M. Vittorio Pica l'aurait vu, se
livrant au commerce des peaux. Il est probable que, méprisant tout ce
qui n'est pas la jouissance brutale, l'aventure sauvage, la vie
violente, ce poète, singulier entre tous, renonça volontiers à la
poésie. Aucune des pièces authentiques du Reliquaire ne semble plus
récente que 1873, quoiqu'il ne soit définitivement mort que vers la fin
de 1891. Les vers de son extrême jeunesse sont faibles, mais dès l'âge
de dix-sept ans Rimbaud avait conquis l'originalité, et son oeuvre
demeurera, tout au moins à titre de phénomène. Il est souvent obscur,
bizarre et absurde. De sincérité nulle, caractère de femme, de fille,
nativement méchant et même féroce, Rimbaud a cette sorte de talent qui
intéresse sans plaire. Il y a dans son oeuvre plusieurs pages qui
donnent un peu l'impression de beauté que l'on pourrait ressentir devant
un crapaud congrûment pustuleux, une belle syphilis ou le Château Rouge
à onze heures du soir. Les Pauvres à l'église, les Premières
Communions sont d'une qualité peu commune d'infamie et de blasphème.
Les Assis et le Bateau ivre, voilà l'excellent Rimbaud, et je ne
déteste ni Oraison du soir ni les Chercheuses de Poux. C'était
quelqu'un malgré tout, puisque le génie anoblit même la turpitude. Il
était poète. Tel de ses vers est de-meuré vivant à l'état presque de
locution usuelle:

     Avec l'assentiment des grands héliotropes.

Des strophes du Bateau ivre sont de la vraie et de la grande poésie:

     Et dès lors je me suis baigné dans le poème
     De la mer, infusé d'astres et latescent,
     Dévorant les azurs verts où, flottaison blême
     Et ravie, un noyé pensif parfois descend,
     Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
     Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
     Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
     Fermentent les rousseurs amères de l'amour.

Tout le poème a de l'allure; tous les poèmes de Rimbaud ont de l'allure
et il y a dans les Illuminations de merveilleuses danses du ventre.

Il est fâcheux que sa vie, si mal connue, n'ait pas été toute la vraie
vita abscondita; ce qu'on en sait dégoûte de ce qu'on pourrait en
apprendre. Rimbaud était de ces femmes dont on n'est pas surpris
d'entendre dire qu'elles sont entrées en religion dans une maison
publique; mais ce qui révolte encore davantage c'est qu'il semble avoir
été une maîtresse jalouse et passionnée: ici l'aberration devient
crapuleuse, étant sentimentale. L'homme qui a parlé le plus librement de
l'amour, Senancour, dit de ces liaisons inharmoniques, où la femelle
tombe si bas qu'elle n'a de nom qu'en l'argot le plus boueux: «Que dans
une situation très particulière le besoin occasionne une minute
d'égarement, on le pardonnera peut-être à des hommes tout à fait
vulgaires, ou du moins on en écartera le souvenir; mais comment
comprendre que ce soit une habitude, un attachement? La faute aurait pu
être accidentelle; mais ce qui se joint à cet acte de brutalité, ce qui
n'est pas inopiné, devient ignoble. Si même un emportement capable de
troubler la tête, et d'ôter presque la liberté, a laissé souvent une
tache ineffaçable, quel dégoût n'inspirera pas un consentement donné de
sang-froid? L'intimité en ce genre, voilà le comble de l'opprobre,
l'irrémédiable infamie.»

Mais l'intelligence, consciente ou inconsciente, si elle n'a pas tous
les droits, a droit à toutes les absolutions.

      ... Qui sait si le génie
     N'est pas une de vos vertus,

monstres, que vous ayez nom Rimbaud,--ou Verlaine?



       *       *       *       *       *



FRANCIS POICTEVIN


Comme tous les écrivains qui sont parvenus à comprendre la vie,
c'est-à-dire son inutilité immédiate, M. Francis Poictevin, bien que né
romancier, a promptement renoncé au roman. Il sait que tout arrive,
qu'un fait n'est pas en soi plus intéressant qu'un autre fait et que
seule importe «la manière de dire».

Je me souviens de quelque chose dans ce goût rapporté par M. Sarcey, à
propos du lamentable Murger: «A bout lui donna un sujet de roman; il
n'en fit rien: c'était décidément un paresseux.» Il est très difficile
de persuader à de certains vieillards--vieux ou jeunes--qu'il n'y a pas
de sujets; il n'y a, en littérature, qu'un sujet, celui qui écrit,
et toute la littérature, c'est-à-dire toute la philosophie, peut surgir
aussi bien à l'appel d'un chien écrasé qu'aux exclamations de Faust
interpellant la Nature: «Où te saisir, ô Nature infinie? Et vous,
mamelles?»

L'auteur de Tout Bas et de Presque aurait pu, tout comme un autre,
agencer ses méditations en dialogues, ordonner son sentiment selon des
chapitres coupés au hasard du tranche--lignes, insinuer en de
faux-vivants personnages un peu de vie gesticulée et leur faire
exprimer, par d'appréciables agenouillements sur les dalles d'une église
connue, la vertu d'une croyance méconnue: en somme rédiger «le Roman du
Mysticisme» et vulgariser pour les «journaux littéraires» la pratique de
l'oraison mentale. Ses livres par ce moyen lui auraient acquis une
popularité, qui certes lui manque, car si peu d'écrivains sont aussi
estimés, peu, parmi ceux dont le talent est évident, sont moins répandus
et moins sur les tables. Mais pour nous intéresser, et presque toujours
excessivement, M. Poictevin dédaigne tout artifice hors l'artifice du
style, piège où il nous est agréable de tomber. Qu'il note les nuances
d'une fleur, l'attitude d'une fillette, la grâce d'une madone ou la
froide et presque dure pureté de Catherine de Gênes, il nous séduit à
coup sûr par cette préciosité même que d'aucuns, gauchement, lui
reprochent. Cette préciosité est rigoureusement personnelle; à l'écart
des groupes, aussi loin de M. Huysmans que de M. Mallarmé, l'auteur de
Tout Bas oeuvre, dirait on, dans une cellule, une cellule idéale qu'il
emporte en voyage, et là, debout, souvent à genoux, il épanche ses
poèmes, ses prières, selon des phrases d'une musicalité unique d'orgue
byzantin. Phrases moins que vibrations, vibrations si spéciales que peu
d'âmes s'y trouvent d'accord. Musique de plain-chant grégorien, tel
qu'on l'écoute en une somptueuse église flamande, avec de soudaines
fugues de prière exaltée qui planent sur les lignes hautes, se jettent
vers les voûtes peintes, avivent les vieux vitraux, illuminent d'amour
les chemins de la Croix assombris. Le moine mystique, le vrai moine, le
Fra Angelico et un peu le Bonaventure, revit davantage le long des pages
de Presque, de chatoyante spiritualité, qu'en toute la littérature
pseudo-mystique de notre temps. Plairait-elle pas, mieux que de
protectrices et fructifères déductions, à l'auteur du Recordare sancta
crucis, cette oraison: «Le Christ apparaît ici-bas la plus aimante, la
plus absorbée figure de l'éternelle substance, elle embaume de toutes
les vertus; elle a les bleus dulcifiants, les jaunes brûlés et clairs de
la topaze ou du chrysanthème, les ensanglantements des gloires futures.
Et malgré et contre mes rechutes de chaque jour, je m'efforce, selon la
parole de Jésus à la Samaritaine, à l'adoration en esprit et en vérité.»
M. Poictevin est entré dans le «jardin de toutes les floraisons» que
chanta saint Bonaventure,

     (Crux deliciarum hortus
     In quo florent omnia....)

et à genoux il a baisé le coeur des roses dont la roseur est faite de
sang,--le sang du grand Supplice. Pendant que le Matin, jeune homme aux
cheveux blonds, livre aux femmes folles sa moite adolescence, il va,
vers une paix «ecclésiale», à des messes de solitude, et l'une des
grâces recueillies c'est l'imprégnement de son âme par la «lumière
intérieure, claritas caritas».

C'est un essentiel. Des phrases, oui; mais les phrases ne sont encore
que la parure et la pudeur de son art; il a senti, songé ou pensé avant
de dire; surtout il a aimé: et telle de ses métaphores jaillit comme une
éjaculation, comme un des «cris» de sainte Thérèse.

Visiblement, il s'efforce d'aller au fond, de pénétrer jusqu'au centre
vital même d'une ombelle d'hortensia. Il cherche partout l'âme,--et la
trouve. Nul n'est moins rhétoricien que ce styliste, car le rhétoricien
est celui qui habille de vêtements à la mode de solides lieux communs
aptes à supporter tout le vulgaire des chamarrures, tandis que M.
Poictevin diaphanéiserait encore un fantôme, un arc-en-ciel, une
illusion, une fleur d'azalée; ceci: «Une main de phtisique en l'angustie
de sa quasi-diaphanéité, posée, non paresseuse, mais qui n'appréhende
plus, semblerait avertir, moins exaltée que déjà et indulgemment
revenue?»

Oui, que c'est subtil!--et pourquoi ne pas écrire «comme tout le monde»?

Hélas! cela lui est défendu,--parce qu'il est un mystique, parce qu'il
sent entre l'homme et les choses et Dieu des rapports nouveaux, et parce
que, voilé de la douloureuse perfection d'une forme où la grâce se perle
en minutie, M. Poictevin est un spontané. Que de choses, sans doute, il
n'a pas transcrites, n'osant pas, doutant d'avoir trouvé l'expression
vraie, la seule, la très rare, l'inédite!

Tout en effet, dans une oeuvre d'art devrait être inédit,--et même les
mots, par la manière de les grouper, de les amener à des significations
neuves,--et on regrette parfois d'avoir un alphabet connu de trop de
demi-lettrés.

Disciple des Goncourt, dont il aiguisa encore la préciosité d'écriture,
M. Francis Poictevin s'est peu à peu affiné jusqu'à l'immatérialisation.
Et c'est là son génie, l'expression de l'immatériel et de l'inexprimable:
il inventa le mysticisme du style.



       *       *       *       *       *



ANDRÉ GIDE


J'écrivais en 1891, à propos des Cahiers d'André Walter, oeuvre
anonyme, ces notes: «--Le journal est une forme de littérature bonne et
la meilleure peut-être pour quelques esprits très subjectifs. M. de
Maupassant n'en ferait rien: le monde est pour lui le tapis d'un
billard, il note les rencontres des billes, quand les billes s'arrêtent,
s'arrête aussi, car s'il n'a plus aucun mouvement matériel à percevoir,
il n'a plus rien à dire. Le subjectif puise en lui-même dans la réserve
de ses sensations emmagasinées; et, par une occulte chimie, par
d'inconscientes combinaisons dont le nombre approche de l'infinité, ces
sensations, souvent d'un très loin jadis, se métamorphosent, se
multiplient en idées. Alors on raconte, non pas des anecdotes, mais sa
propre anecdote à soi, la seule que l'on dise bien et que l'on puisse
redire bien plusieurs fois, si l'on a du talent et le don de varier les
apparences. Ainsi vient de faire et ainsi fera encore l'auteur de ces
cahiers. C'est un esprit romanesque et philosophique, de la lignée de
Goethe; une de ces années, lorsqu'il aura reconnu l'impuissance de la
pensée sur la marche des choses, son inutilité sociale, le mépris
qu'elle inspire à cet amas de corpuscules dénommé la Société,
l'indignation lui viendra, et, comme l'action, même illusoire, lui est à
tout jamais fermée, il se réveillera armé de l'ironie: cela complète
singulièrement un écrivain: c'est le coefficient de sa valeur d'âme. La
théorie du roman, exposée en une note de la page 120, n'est pas
médiocrement intéressante: il faut espérer que l'auteur, à l'occasion,
s'en souviendra. Quant au présent livre, il est ingénieux et original,
érudit et délicat, révélateur d'une belle intelligence: cela semble la
condensation de toute une jeunesse d'étude, de rêve et de sentiment,
d'une jeunesse repliée et peureuse. Cette réflexion (p. 142) résume
assez bien l'état d'esprit d'André Walter: «O l'émotion quand on est
tout près du bonheur, qu'on n'a plus qu'à toucher--et qu'on passe.»

Il y a un certain plaisir à ne pas s'être trompé au premier jugement
porté sur le premier livre d'un inconnu; maintenant que M. Gide est
devenu, après maintes oeuvres spirituelles, l'un des plus lumineux
lévites de l'église, avec autour du front et dans les yeux toutes
visibles les flammes de l'intelligence et de la grâce, les temps sont
proches où d'audacieux révélateurs inventeront son génie, sonner, pour
qu'il sorte et s'avance, la trompette de la première colonne. Il mérite
la gloire, si aucun la mérita (la gloire est toujours injuste), puisqu'à
l'originalité du talent le maître des esprits a voulu qu'en cet être
singulier se joignît l'originalité de l'âme. C'est un don assez rare
pour qu'on en parle.

Le talent d'un écrivain n'est souvent que la faculté terrible de redire
en phrases qui semblent belles les éternelles clameurs de la médiocre
humanité; des génies même, et gigantesques, comme Victor Hugo ou Adam de
Saint-Victor furent destinés à proférer d'admirables musiques dont la
grandeur est de recéler l'immense vacuité des déserts; leur âme est
pareille à l'âme informe et docile des sables et des foules; ils aiment,
ils songent, ils veulent les amours, les songes, les désirs de tous les
hommes et de toutes les bêtes; poètes, ils crient magnifiquement ce qui
ne vaut pas la peine d'être pensé.

Le genre humain, sans doute, en son ensemble de ruche ou de colonie,
n'est que parce que nous en sommes, prééminent au genre bison ou au
genre martin-pêcheur; ici et là c'est le triste automate; mais la
supériorité de l'homme est qu'il peut arriver à la conscience: un petit
nombre y parvient. Acquérir la pleine conscience de soi, c'est se
connaître tellement différent des autres qu'on ne sent plus avec les
hommes que des contacts purement animaux: cependant entre âmes de ce
degré, il y a une fraternité idéale basée sur les différences,--tandis
que la fraternité sociale l'est sur les ressemblances.

Cette pleine conscience de soi-même peut s'appeler l'originalité de
l'âme,--et tout cela n'est dit que pour signaler le groupe d'êtres rares
auquel appartient M. André Gide.

Le malheur de ces êtres, quand ils se veulent réaliser, est qu'ils le
font avec des gestes si singuliers que les hommes ont peur de les
approcher; ils doivent souvent faire évoluer leur vie de relation dans
le cercle bref des fraternités idéales;--ou, quand la foule veut bien
admettre de telles âmes, c'est comme curiosités et pièces de musée. Leur
gloire finalement est d'être aimés un peu de loin et compris presque,
comme vus et lus des parchemins dans le coffre aux vitres scellées.

Mais tout cela est raconté dans Paludes, histoire, comme on sait, «des
animaux vivant dans les cavernes ténébreuses et qui perdent la vue á
force de ne pas s'en servir»; c'est aussi, avec un charme plus familier
que dans le Voyage d'Urien, un peu de l'histoire ingénue d'une âme
très compliquée, très intellectuelle et très originale.



       *       *       *       *       *



PIERRE LOUYS


Il y a en ce moment un petit mouvement de néo-paganisme, de naturisme
sensuel, d'érotisme à la fois mystique et matérialiste, un renouveau de
ces religions purement charnelles où la femme est adorée jusque dans les
laideurs de son sexe, car au moyen de métaphores on peut adoniser
l'informe et diviniser l'illusoire. Un roman de M. Marcel Batilliat,
jeune homme inconnu, est peut-être, malgré de graves défauts, le plus
curieux spécimen de cette religiosité érotique que des coeurs zélés se
donnent pour songe ou pour idéal; mais il y eut une manifestation
fameuse, l'Aphrodite de M. Pierre Louys, dont le succès étouffera sans
doute d'ici longtemps, comme sous des roses, toutes les autres
revendications du romanesque sexuel.

Ce n'est pas, quoique l'apparence ait trompé les critiques, jeunes ou
vieux, un roman historique, tel que Salammbô ou même Thaïs. La
parfaite connaissance que M. Pierre Louys a des religions et des moeurs
alexandrines lui a permis de vêtir ses personnages de noms et de
costumes véridiquement anciens, mais il faut lire le livre dépouillé de
ces précautions qui ne sont là, ainsi, qu'en plus d'un roman du
xviiie siècle, que le paravent brodé d'hiératiques
phallophores derrière lequel s'agitent des moeurs, des gestes et des
désirs d'un incontestable aujourd'hui.

Par la vulgarisation de l'art l'amour nous est enfin revenu du nu. C'est
à l'époque de la floraison du calvinisme que le nu commença d'être
proscrit des moeurs et qu'il se réfugia dans l'art qui seul en garda la
tradition. Jadis et encore au temps de Charles-Quint, il n'y avait pas
de fêtes publiques sans théories de belles filles nues; on craignait si
peu le nu que les femmes adultères étaient promenées nues par les
villes; il est hors de doute que, dans les mystères, tels rôles, Adam et
Ève, étaient tenus par des personnages abstraits du maillot, luxe
hideux. Aimer le nu, et d'abord féminin avec ses grâces et ses
insolences, c'est traditionnel en des races que la dure réforme n'a pas
tout à fait terrorisées. Admise l'idée du nu, le costume peut se
modifier, tendre vers la robe flottante et lâche, les moeurs s'adoucir
et un peu de rayonnement charnel éclairer la tristesse de nos
hypocrisies. Aphrodite a signalé par sa vogue le retour possible à des
moeurs où il y aurait un peu de liberté: venu à sa date, ce livre a la
valeur d'un contrepoison.

Mais aussi qu'une telle littérature est fallacieuse! Toutes ces femmes,
toutes ces chairs, tous ces cris, toute cette luxure si animale et si
vaine, et si cruelle! Les femelles mordillent les cervelets et mangent
les cervelles; la pensée fuit éjaculée; l'âme des femmes coule comme par
une plaie; et toutes ces copulations n'engendrent que le néant, le
dégoût et la mort.

M. Pierre Louys a bien senti que ce livre de chair aboutissait
logiquement à la mort: Aphrodite se clôt par une scène de mort, par
des funérailles.

C'est la fin d'Atala (Châteaubriand plane invisible sur toute notre
littérature), mais refaite et renouvelée avec grâce, avec art, avec
tendresse,--si bien qu'à l'idée de la mort vient se joindre l'idée de la
beauté; et les deux images, enlacées comme deux courtisanes, tombent
lentement dans la nuit.



       *       *       *       *       *



RACHILDE


La sincérité, exigence énorme s'il s'agit d'une femme! Les plus vantées
pour leur candeur furent comédiennes encore, telle cette lacrymatoire
Marceline, actrice d'ailleurs, et qui pleura sa vie ainsi qu'un rôle,
avec la conscience que donnent les applaudissements du public. Depuis
que les femmes écrivent nulle, n'a eu la bonne foi de se dire et de
s'avouer en toute fière humilité, et les seules notions que la
littérature recèle des psychologies féminines, il faut les demander à la
littérature des hommes: il y a plus à apprendre sur les femmes dans la
seule Lady Roxana que dans les oeuvres complètes de George Sand. Ce
n'est peut-être pas mensonge; c'est plutôt incapacité de nature à se
penser soi-même, à prendre conscience de soi en son propre cerveau et
non dans les yeux et sur les lèvres d'autrui; même quand elles écrivent
ingénuement pour elles-mêmes en de petits cahiers secrets, les femmes
pensent au dieu inconnu qui lit--peut-être--par dessus leur épaule.
Avec une semblable nature il faudrait à une femme, pour se mettre au
premier rang des hommes, un génie plus haut que le génie même des hommes
les plus surélevés: c'est pourquoi si les oeuvres marquantes des hommes
sont assez souvent supérieures à l'homme, les oeuvres les plus belles
des femmes sont toujours inférieures à la valeur de la femme qui les a
produites.

L'incapacité n'est pas personnelle; elle est générique et absolue. Il
faudrait donc comparer les femmes entre elles, exclusivement, les juger
comme des femmes et ne pas les mépriser pour ce qui leur manque
d'égoïsme ou de personnalité: ce défaut, hors de la littérature et de
l'art, est généralement estimé à l'égal d'une vertu positive.

Qu'elles essaient leurs grâces dans la perversité ou dans la candeur,
les femmes réussiront mieux à vivre qu'à jouer leur comédie; elles sont
faites pour la vie, pour la chair, pour la matérialité,--et leurs rêves
les plus romantiques, elles les réaliseraient avec joie si elles ne se
trouvaient arrêtées par l'indifférence de l'homme dont les nerfs, plus
sensibles, souffrent de vibrer dans le vide. Il y a une évidente
contradiction entre l'art et la vie; on n'a guère vu jamais un homme
vivre à la fois l'action et le songe, transposer en écritures des gestes
d'abord réels; ou, si cela arrive, l'homme qui a d'abord vécu ne tire de
ses aventures aucun profit: l'équivalence des sensations est certaine et
les affres de la peur peuvent être dites par qui les imagina mieux que
par celui qui les ressentit. Au contraire la prédominance des tendances
à vivre, dans un tempérament, émousse l'acuité des facultés
imaginatives: chez les femmes les plus intelligentes et les mieux douées
pour les métiers cérébraux, les images motrices se traduisent plus
facilement en actes qu'en art. Vérité de fait et physiologique, état de
nature qu'il serait aussi absurde de reprocher aux femmes qu'aux hommes
l'exiguité de leurs mamelles ou la brièveté de leurs cheveux. D'ailleurs
s'il s'agit d'art, le débat, qui touche un si petit nombre de créatures,
n'a pour l'humanité, comme toutes les questions purement
intellectuelles, qu'un intérêt de clocher pu de coin de rue.

Tout cela donc étant admis et admis aussi que si l'Animale est le
livre le plus singulier de Rachilde (quoique pas le plus équivoque), le
Démon de l'Absurde est le meilleur, j'ajouterais volontiers, non pour
le seul plaisir de me contredire et d'annihiler la vertu des précédentes
pages, que ce recueil de contes et d'imaginations dialoguées m'affirme
un effort réalisé de véritable sincérité artistique. Des pages comme la
Panthère ou les Vendanges de Sodome montrent qu'une femme peut avoir
des phases de virilité, écrire, à telle heure, sans le souci des
coquetteries obligées ou des attitudes coutumières, faire de l'art avec
rien qu'une idée et des mots, créer.



       *       *       *       *       *



J.-K. HUYSMANS


«Le Romanée et le Chambertin, le Clos-Vougeot et le Corton faisaient
défiler devant lui des pompes abbatiales, des fêtes princières, des
opulences de vêtements brochés d'or, embrasés de lumière! Le
Clos-Vougeot surtout l'éblouissait. Ce vin lui semblait être le sirop
des grands dignitaires. L'étiquette brillait devant ses yeux, comme ces
gloires munies de rayons, placées dans les églises, derrière l'occiput
des Vierges.»

L'écrivain qui, en 1881, au milieu du marécage naturaliste, avait,
devant un nom lu sur une carte des vins, une telle vision, même
ironique, de splendeurs évoquées, devait inquiéter ses amis, leur faire
soupçonner une défection prochaine. A quelques années de là, en effet,
surgissait l'inattendu A Rebours qui fut, non le point de départ, mais
la consécration d'une littérature neuve. Il ne s'agissait plus tant de
faire entrer dans l'Art, par la représentation, l'extériorité brute, que
de tirer de cette extériorité même des motifs de rêve et de surévélation
intérieure. En Rade développa encore ce système dont la fécondité est
illimitée--tandis que la méthode naturaliste s'est montrée plus stérile
encore que ses ennemis n'auraient osé l'espérer--système de la plus
stricte logique et d'une si merveilleuse souplesse qu'il permet, sans
forfaire à la vraisemblance, d'intercaler, en des scènes exactes de vie
campagnarde, des pages comme «Esther», comme le «Voyage sélénien».

L'architecture de Là-Bas est érigée sur un plan analogue, mais la
liberté s'y trouve, non sans profit, restreinte par l'unité du sujet,
qui est absolue sous ses faces multiples: ni le Christ de Grunewald, en
son extrême violence mystique, son atterrante et consolante hideur,
n'est une fugue hors des lignes, ni la démoniaque forêt de Tiffauges, ni
la cruelle Messe noire, ni aucun des «morceaux» ne sont déplacés ou
inharmoniques; pourtant, avant la liberté du roman on les eût critiqués,
pas en eux-mêmes, mais tels que non rigoureusement nécessaires à la
marche du livre. Par bonheur, le roman est enfin libre, et pour dire
plus, le roman, ainsi que le conçoivent encore M. Zola ou M. Bourget,
nous apparaît d'une conception aussi surannée que le poème épique ou la
tragédie. Seul, l'ancien cadre peut encore servir; il est quelquefois
nécessaire, pour amorcer le public à des sujets très ardus, de simuler
de vagues intrigues romanesques, que l'on dénoue selon son propre gré,
quand on a dit tout ce que l'on voulait dire. Mais l'essentiel de jadis
est devenu l'accessoire, et un accessoire de plus en plus méprisé: très
rares sont à l'heure actuelle les écrivains assez ingénieux ou assez
forts pour se soutenir en un genre aussi démoli, pour éperonner encore
avec assez d'autorité la cavalerie fatiguée des sentimentalités et des
adultères.

D'autre part, l'esthétique tend à se spécialiser en autant de formes
qu'il y a de talents: parmi beaucoup de vanités, il y a d'admissibles
orgueils auxquels on ne peut refuser le droit de se créer ses normes
personnelles. M.Huysmans est de ceux-là: il ne fait plus de romans, il
fait des livres, et il les conçoit selon un agencement original; je
crois que c'est une des causes pour quoi quelques-uns contestent encore
sa littérature et la trouvent immorale. Ce dernier point est facile
expliquer d'un seul mot: pour le non-artiste, l'art est toujours
immoral. Dès que l'on veut, par exemple, traduire en une langue nouvelle
les relations des sexes, on est immoral parce que, fatalement, l'on fait
voir des actes, qui, traités par les ordinaires procédés, demeureraient
inaperçus, perdus dans le brouillard des lieux communs. C'est ainsi
qu'un écrivain nullement érotique peut être, par des sots ou par des
malveillants, accusé devant le public de stupides attentats. Il ne
semble pas, cependant, que les faits d'amour ou plutôt d'aberration
génésique rapportés dans Là-Bas soient bien alléchants pour la
simplicité des ignorances virginales. Ce livre donne plutôt le dégoût ou
l'horreur de la sensualité qu'il n'invite à des expériences folles ou
même à des jonctions permises. L'immoralité, si l'on se place à un point
de vue particulier et spécialement religieux, ne serait-ce pas au
contraire d'insister sur les exquisités de l'amour charnel et de vanter
les délices de la copulation légitime? L'immoralité absolue, pour les
mystiques, c'est la joie de vivre.

Le moyen âge ne connut pas nos hypocrisies. Il n'ignora rien des
éternelles turpitudes, mais, dit Ozanam, il sut les haïr. Il n'usa ni de
nos ménagements, ni de nos délicatesses; il publia les vices, il les
sculpta sur les porches de ses cathédrales et dans les strophes de ses
poètes; il eut moins souci de ne pas effaroucher les timoraisons des
âmes mômières que de fendre les robes et montrer à l'homme, pour lui
faire honte, toutes les laideurs de sa basse animalité. Mais il ne roule
pas la brute dans son vice; il l'agenouillé et lui fait relever la tête.
M. Huysmans a compris tout cela, et c'était difficile à conquérir. Après
les horreurs de la débauche satanique, avant la punition terrestre, il
a, comme le noble peuple en larmes qu'il évoque, pardonné même au plus
effrayant des massacreurs d'enfants, au sadique le plus turpide, à
l'orgueilleux le plus monstrueusement fou qui fut jamais.

Ayant absous un tel homme, il put sans pharisaïsme s'absoudre lui-même
et, avec l'aide de Dieu, quelques secours plus humbles et tout
fraternels, de bonnes lectures, la fréquentation des douces chapelles
conventuelles, M. Huysmans un jour se trouva converti--au mysticisme, et
écrivit En Route, ce livre pareil à une statue de pierre qui tout à
coup se mettrait à pleurer. C'est du mysticisme un peu rauque et un peu
dur, mais M. Huysmans est dur, comme ses phrases, comme ses épithètes,
comme ses adverbes. Le mysticisme lui est entré plus avant dans l'oeil
que dans l'âme. Il observa les faits religieux avec la peur d'en être
dupe et l'espoir qu'ils seraient absurdes; il a été pris dans les
mailles mêmes du credo-quia-absurdum,--victime heureuse de sa
curiosité.

Maintenant, fatigué d'avoir regardé les visages hypocrites des hommes,
il regarde des pierres, préparant un livre suprême sur «La Cathédrale».
Là, s'il s'agit de sentir et de comprendre, il s'agit surtout de voir.
Il verra comme personne n'a vu, car nul n'a jamais été doué d'un regard
aussi aigu, aussi vrillant, aussi net, aussi adroit à s'insinuer jusque
dans les replis des visages, des rosaces et des masques.

Huysmans est un oeil.



       *       *       *       *       *



JULES LAFORGUE


Il y a dans les Fleurs de bonne Volonté une petite complainte, comme
d'autres, appelée Dimanches:

     Le ciel pleut sans but, sans que rien l'émeuve,
     Il pleut, il pleut, bergère! sur le fleuve....

     Le fleuve a son repos dominical;
     Pas un chaland, en amont, en aval.

     Les vêpres carillonnent sur la ville,
     Les berges sont désertes, sans une île.

     Passe un pensionnat, ô pauvres chairs!
     Plusieurs ont déjà leurs manchons d'hiver.

     Une qui n'a ni manchon ni fourrure
     Fait tout en gris une bien pauvre figure;

     Et la voilà qui s'échappe des rangs
     Et court: ô mon Dieu, qu'est-ce qui lui prend?

     Elle va se jeter dans le fleuve.
     Pas un batelier, pas un chien de Terre-Neuve....

Et voilà bien, et prophétisée, la mort brusque et absurde, la vie de
Laforgue. Il avait trop froid au coeur; il s'est en allé.

C'était un esprit doué de tous les dons et riche d'acquisitions
importantes. Son génie naturel fait de sensibilité, d'ironie,
d'imagination et de clairvoyance, il avait voulu le nourrir de
connaissances positives, de toutes les philosophies, de toutes les
littératures, de toutes les images de nature et d'art; et même les
dernières vues de la science semblent lui avoir été familières. C'était
le génie orné et flamboyant, prêt à construire des architectures
infiniment diverses et belles, à élever très haut des ogives nouvelles
et des dômes inconnus; mais il avait oublié son manchon d'hiver et il
mourut de froid, un jour de neige.

C'est pourquoi son oeuvre, déjà magnifique, n'est que le prélude d'un
oratorio achevé dans le silence.

De ses vers beaucoup sont comme roussis par une glaciale affectation de
naïveté, parler d'enfant trop chéri, de petite fille trop écoutée,
--mais signe aussi d'un vrai besoin d'affection et d'une pure douceur de
coeur,--adolescent de génie qui eût voulu encore poser sur les genoux de
sa mère son «front équatorial, serre d'anomalies»;--mais beaucoup ont la
beauté des topazes flambées, la mélancolie des opales, la fraîcheur des
pierres de lune, et telles pages, celle qui commence ainsi:

     Noire bise, averse glapissante
     Et fleuve noir, et maisons closes....

ont la grâce triste, mais tout de même consolante, des aveux éternels:
l'éternellement la même chose, Laforgue la redit en tel mode qu'elle
semble rêvée et avouée pour la première fois[3]. Et je songe que ce
qu'il faut demander aux traducteurs du rêve c'est, non pas de vouloir
fixer pour toujours la fugacité d'une pensée ou d'un air, mais de
chanter la chanson de l'heure présente avec tant de force candide
qu'elle soit la seule que nous entendions, la seule que nous puissions
comprendre. Il faudrait peut-être, à la fin, devenir raisonnables, nous
réjouir du présent et des fleurs nouvelles, sans souci, sinon de
botaniste, des prairies fanées. Chaque époque de pensée, d'art et de
sentiment devrait jouir de soi-même, profondément, et se coucher sur le
monde avec l'égoïsme et la langueur d'un lac superbe qui, souriant aux
ruisseaux anciens, les reçoit, les calme, et les boit.

Il n'y eut pas de présent pour Laforgue, sinon parmi un groupe d'amis:
il mourut comme allaient naître ses Moralités Légendaires, mais
offertes encore au petit nombre, et à peine put-il savoir de quelques
bouches que ces pages le vouaient inévitablement à vivre, de la vie de
gloire, parmi ceux que les Dieux créèrent à leur image, dieux aussi et
créateurs. C'est de la littérature entièrement renouvelée et inattendue,
et qui déconcerte et qui donne la sensation curieuse (et surtout rare)
qu'on n'a jamais rien lu de pareil; la grappe avec tout son velouté dans
la lumière matinale, mais des reflets singuliers et un air comme si les
grains du raisin avaient été gelés en dedans par un souffle de vent
ironique venu de plus loin que le pôle.

Sur un exemplaire de l'Imitation de Notre-Dame la Lune, offert à M.
Bourget (et jeté depuis parmi les vieux papiers du quai) Laforgue
écrivait: «Ceci n'est qu'un intermezzo. Attendez donc encore, je vous
prie, et donnez-moi jusqu'à mon prochain livre....»;--mais il était de
ceux qui s'attendent toujours eux-mêmes au prochain livre, des nobles
insatisfaits qui ont trop à dire pour jamais croire qu'ils ont dit autre
chose que des prolégomènes et des préfaces. Si son oeuvre interrompue
n'est qu'une préface, elle est de celles qui contrebalancent une oeuvre.


[3] On lira avec plaisir sur Jules Laforgue l'étude éloquente et de si
profonde sympathie écrite récemment par M. Camille Mauclair.



       *       *       *       *       *



JEAN MORÉAS


M. Raymond de la Tailhade glorifie ainsi M. Moréas:

     Tout un silence d'or vibrant s'est abattu,
     Près des sources que des satyres ont troublées,
     Claire merveille éclose au profond des vallées,
     Si l'oiselet chanteur du bocage s'est tu.

     Oubli de flûte, heures de rêves sans alarmes,
     Où tu as su trouver pour ton sang amoureux
     La douceur d'habiter un séjour odoreux
     De roses dont les dieux sylvains te font des armes.

     Là tu vas composant ces beaux livres, honneur
     Du langage français et de la noble Athènes.

Ces vers sont romans, c'est-à-dire d'un poète pour qui toute la
période romantique n'est qu'une nuit de sabbat où s'agitent de sonores
et vains gnomes, d'un poète (celui-ci a du talent) qui concentre tout
son effort à imiter les Grecs d'anthologie à travers Ronsard et à
dérober à Ronsard le secret de sa phrase laborieuse, de ses épithètes
botaniques et de son rythme malingre. Quant à ce qu'il y a d'exquis en
Ronsard, comme ce peu a passé dans la tradition et dans les mémoires,
l'École romane le doit négliger sous peine d'avoir perdu bientôt ce qui
seul fait son originalité. Il y a on ne sait quoi de provincial, de pas
au courant de la vie, de retardataire dans ce souci d'imitation et de
restauration. Quelque part, M. Moréas chante la louange

     De ce Sophocle, honneur de la Ferté-Milon,[4]

et c'est bien cela: l'École romane a toujours l'air d'arriver de la
Ferté-Milon.

Mais Jean Moréas, qui a rencontré ses amis en chemin, parti de plus loin,
s'annonce plus fièrement.

Venu à Paris comme tout autre étudiant valaque ou levantin, et déjà
plein d'amour pour la langue française, M. Moréas se mit à l'école des
vieux poètes et fréquenta, jusqu'à Jacot de Forest et jusqu'à Benoît de
Sainte-Maure. Il voulut faire le chemin auquel devrait se vouer tout
jeune sage ambitieux de devenir un bon harpeur; il jura d'accomplir le
plein pèlerinage: à cette heure, parti de la Chanson de Saint-Léger,
il en est, dit-on, arrivé au xviie siècle, et cela
en moins de dix années: ce n'est pas si décourageant qu'on l'a cru. Et
maintenant que les textes se font plus familiers, la route s'abrège:
d'ici peu de haltes, M. Moréas campera sous le vieux chêne Hugo et, s'il
persévère, nous le verrons atteindre le but de son voyage, qui est, sans
doute, de se rejoindre lui-même. Alors, rejetant le bâton souvent
changé, coupé en des taillis si divers, il s'appuiera sur son propre
génie et nous le pourrons juger, si cela nous amuse, avec une certaine
sécurité.

Tout ce qu'il faut dire aujourd'hui, c'est que M. Moréas aime
passionnément la langue et la poésie françaises et que les deux soeurs
au coeur hautain lui ont plus d'une fois souri, contentes de voir sur
leurs pas un pèlerin si patient et un chevalier armé de tant de bonne
volonté.

     Cavalcando l'altrjer per un cammino,
     Pensoso dell' andar che mi sgradia,
     Trovai Amor in mezzo della via
     In abito legger di pellegrino.

Ainsi s'en va M. Moréas, tout attentif, tout amoureux et «en habit léger
de pèlerin». Lorsqu'il appela un de ses poèmes le Pèlerin passionné,
il donna de lui-même, et de son rôle, et de ses jeux parmi nous, une
idée excellente et d'un symbolisme très raisonnable.

Il y a de belles choses dans ce Pèlerin, il y en a de belles dans les
Syrtes, il y en a d'admirables ou de délicieuses et que (pour ma part)
je relirai toujours avec joie, dans les Cantilènes, mais puisque M.
Moréas, ayant changé de manière, répudie ces primitives oeuvres, je
n'insisterai pas. Il reste Ériphyle, mince recueil fait d'un poème et
de quatre «sylves», le tout dans le goût de la Renaissance et destiné à
être le cahier d'exemples où les jeunes «Romans», aiguillonnés aussi par
les invectives un peu intempérantes de M. Charles Maurras, doivent
étudier l'art classique de faire difficilement des vers faciles. En
voici une page:

     Astre brillant, Phébé aux ailes étendues,
     O flamme de la nuit qui croîs et diminues,
     Favorise la route et les sombres forêts
     Où mon ami errant porte ses pas discrets!
     Dans la grotte au vain bruit dont l'entrée est tout lierre,

     Sur la roche pointue aux chèvres familière,
     Sur le lac, sur l'étang, sur leurs tranquilles eaux,
     Sur les bords émaillés où plaignent les roseaux,
     Dans le cristal rompu des ruisselets obliques,
     Il aime à voir trembler tes feux mélancoliques.
     ............................................................
     Phébé, ô Cynthia, dés sa saison première,
     Mon ami fut épris de ta belle lumière;
     Dans leur cercle observant tes visages divers,
     Sous ta douce influence il composait ses vers.
     Par dessus Nice, Eryx, Seyre et la sablonneuse
     Ioclos, le Tmolus et la grande Epidaure,
     Et la verte Cydon, sa piété honore
     Ce rocher de Latmos où tu fus amoureuse.

M. Moréas a beau, comme sa Phébé, prendre des visages divers et même
couvrir sa face de masques, on le reconnaît toujours entre ses frères:
c'est un poète.


[4] Après avoir compulsé des dictionnaires et des manuels, je ne voyais
de possibles Sophocles que les deux Robert Garnier, nés à la
Ferté-Bernard, quand je songeai à Racine. M. Moréas ne comprendra jamais
combien il est ridicule d'appeler Racine le Sophocle de la Ferté-Milon.



       *       *       *       *       *



STUART MERRILL


La logique d'un amateur de littérature est blessée s'il découvre que ses
admirations ne concordent pas avec celles du public, mais il n'est pas
surpris, il sait qu'il y a des élus de la dernière heure. L'attitude du
public est moins bénigne lorsqu'on l'entretient du désaccord qui
s'observe entre lui, public, maître obscur des gloires, et l'opinion du
petit nombre oligarchique: habitué à accoupler ces deux idées, renommée
et talent, il montre de la répugnance à les disjoindre; il n'admet pas,
car il a un sens secret de la justice ou de la logique, qu'un auteur
illustre ne le soit, que par hasard, ou qu'un auteur obscur mérite la
lumière. Il y a là un malentendu, vieux sans doute des six mille ans
d'âge que La Bruyère donnait à la pensée humaine; et, ce malentendu,
basé sur un raisonnement très logique et très solide, nargue du haut de
son socle tous les essais de conciliation. Pour en finir, il faut se
borner à de timides insinuations philosophiques et demander si vraiment
nous connaissons la «chose en soi», s'il n'y a pas une certaine petite
différence inévitable entre l'objet de la connaissance et la
connaissance de l'objet? Sur ce terrain-là, comme on se comprendra
moins, l'accord sera plus facile et ensuite l'on admettra volontiers la
légitime différence des opinions, puisqu'il s'agit non de capter la
Vérité--ce reflet de lune dans un puits,--mais de mesurer par
approximation, comme on fait pour les étoiles, la distance ou la
différence qu'il y a entre le génie d'un poète et l'idée que nous en
avons.

S'il fallait, ce qui est bien inutile, s'exprimer plus clairement, on
dirait que, de l'avis de quelques-uns, qui en valent peut-être beaucoup
d'autres, toute l'histoire littéraire n'est, rédigée par des professeurs
selon des vues éducatives, qu'un amas de jugements presque tous à casser
et que, en particulier, les histoires de la littérature française ne
sont que le banal catalogue des applaudissements et des couronnes échus
aux plus habiles ou aux plus heureux. Il est peut-être temps d'adopter
une autre méthode et de donner, parmi les gens célèbres, une place à
ceux qui auraient pu l'être--si la neige n'était tombée le jour qu'ils
publièrent la gloire du printemps nouveau.

M. Stuart Merrill et M. Saint-Pol-Roux sont de ceux que la neige
contraria. Si le public connaît leurs noms moins que tels autres, ce
n'est pas qu'ils aient moins de mérite, c'est qu'ils eurent moins de
bonheur.

Le poète des Fastes dit, par le choix seul de ce mot, la belle
franchise d'une âme riche et d'un talent généreux. Ses vers, un peu
dorés, un peu bruyants, éclatent et sonnent vraiment pour des jours de
fête et de fastueuses parades, et quand les jeux du soleil s'éteignent,
voici des torches allumées dans la nuit pour éclairer le somptueux
cortège des femmes surnaturelles. Femmes ou poèmes, elles sont parées,
sans doute, de trop de bagues et de trop de rubacelles et leurs robes
sont brodées de trop d'or; ce sont des courtisanes royales plutôt que
des princesses, mais on aime leurs yeux cruels et leurs cheveux roux.

Après de si éclatantes trompettes, les Petits Poèmes d'Automne, le
bruit du rouet, un son de cloche, un air de flûte dans un ton de clair
de lune: c'est l'assoupissement et le rêve attristé par le silence des
choses et l'incertitude des heures:

     C'est le vent d'automne dans l'allée,
     Soeur, écoute, et la chute sur l'eau
     Des feuilles du saule et du bouleau,
     Et c'est le givre dans la vallée,

     Dénoue--il est l'heure--tes cheveux
     Plus blonds que le chanvre que tu files....

     Et viens, pareille à ces châtelaines
     Dolentes à qui tu fais songer,
     Dans le silence où meurt ton léger
     Rouet, ô ma soeur des marjolaines!

Et ainsi, en M. Stuart Merrill on découvre le contraste et la lutte d'un
tempérament fougueux et d'un coeur très doux, et selon que l'emporte
l'une des deux natures, on entend la violence des cuivres ou le murmure
des violes. Pareillement sa technique oscille, des Gammes à ses
derniers poèmes, de la raideur parnassienne au verso suelto des
nouvelles écoles et que seuls n'admettent pas encore les sénateurs de
l'art. Le vers libre, qui favorise les talents originaux et qui est
l'écueil des autres, devait séduire un poète aussi bien doué et une
intelligence aussi novatrice; voici comment il le comprend:

     Venez avec des couronnes de primevères dans vos mains
     O fillettes qui pleurez la soeur morte à l'aurore.
     Les cloches de la vallée sonnent la fin d'un sort,
     l'on voit luire des pelles au soleil du matin.

     Venez avec des corbeilles de violettes, ô fillettes
     Qui hésitez un peu dans le chemin des hêtres,
     Par crainte des paroles solennelles du prêtre.
     Venez, le ciel est tour sonore d'invisibles alouettes....

     C'est la fête de la mort, et l'on dirait dimanche,
     Tant les cloches sonnent, douces au fond de la vallée;
     Les garçons se sont cachés dans les petites allées;
     Vous seules devez prier au pied de la tombe blanche....

     Quelque année, les garçons qui se cachent aujourd'hui
     Viendront vous dire à toutes la douce douleur d'aimer,
     Et l'on vous entendra, autour du mât de mai,
     Chanter des rondes d'enfance pour saluer la nuit.

M. Stuart Merrill ne s'est pas embarqué en vain, le jour qu'il voulut
traverser les Atlantiques, pour venir courtiser la fière poésie
française et lui planter une fleur dans les cheveux.



       *       *       *       *       *



SAINT-POL-ROUX


L'un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d'images et de
métaphores. Pour trouver des expressions nouvelles, M. Huysmans
matérialise le spirituel et l'intellectuel, ce qui donne à son style une
précision un peu lourde et une clarté assez factice: des âmes cariées
(comme des dents) et des coeurs lézardés (comme un vieux mur); c'est
pittoresque et rien de plus. Le procédé inverse est plus conforme au
vieux goût des hommes de prêter aux choses de vagues sentiments et une
obscure conscience; il reste fidèle à la tradition panthéiste et
animiste, sans laquelle il n'y aurait de possible ni art ni poésie:
c'est la profonde source où viennent se remplir toutes les autres, eau
pure que le moindre soleil transforme en pierreries vivantes comme les
colliers des fées. D'autres «métaphoristes», tel M. Jules Renard, se
risquent à chercher l'image soit dans une vision réformatrice, un détail
séparé de l'ensemble devenant la chose même, soit dans une transposition
et une exagération des métaphores en usage[5]; enfin, il y a la méthode
analogique selon laquelle, sans que nous y coopérions volontairement, se
modifie chaque jour la signification des mots usuels. M. Saint-Pol-Roux
amalgame tous ces procédés et les fait tous concourir à la fabrication
d'images qui, si elles sont toutes nouvelles, ne sont pas toutes belles.
On en dresserait un catalogue ou un dictionnaire:

     Sage-femme de la lumière veut dire: le coq.
     Lendemain de chenille en
       tenue de bal..........        --         papillon.
     Péché-qui-tette.........        --         enfant naturel.
     Quenouille vivante......        --         mouton.
     La nageoire des charrues        --         le soc.
     Guêpe au dard de fouet..        --         la diligence.
     Mamelle de cristal......        --         une carafe.
     Le crabe des mains......        --         main ouverte.
     Lettre de faire part....        --         une pie.
     Cimetière qui a des ailes.      --         un vol de corbeaux.
     Romance pour narine.....        --         le parfum des fleurs.
     Le ver à soie des cheminées     --               ?
     Apprivoiser la mâchoire
       cariée de bémols d'une
       tarasque moderne......        --         jouer du piano.
     Hargneuse breloque du
       portail...............        --         chien de garde.
     Limousine blasphémante.         --         roulier.
     Psalmodier l'alexandrin de
       bronze................        --         sonner minuit.
     Cognac du père Adam.....        --         le grand air pur.
     L'imagerie qui ne se voit
       que les yeux clos.....        --         les rêves.
     L'oméga.................        --         en grec ????
     Feuilles de salade vivante.     --         les grenouilles.
     Les bavard s vertes.....        --         les grenouilles.
     Coquelicot sonore.......        --         chant du coq.

Le plus distrait, ayant lu cette liste jugera que M. Saint-Pol-Roux est
doué d'une imagination et d'un mauvais goût également exubérants. Si
toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à
la file vers les Reposoirs de la Procession où les mène le poète, la
lecture d'une telle oeuvre serait difficile et le sourire viendrait trop
souvent tempérer l'émotion esthétique; mais semées çà et là, elles ne
font que des taches et ne brisent pas toujours l'harmonie de poèmes
richement colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte-Anne,
écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les
métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s'y déroulent multiples,
mais logiques et liées entre elles: c'est le type et la merveille du
poème en prose rythmée et assonnancée. Dans le même tome, le Nocturne
dédié à M. Huysmans n'est qu'un vain chapelet d'incohérentes
catachrèses: les idées y sont dévorées par une troupe affreuse de bêtes.
Mais l'Autopsie de la Vieille fille, malgré une faute de ton, mais
Calvaire immémorial, mais l'Ame saisissable sont des chefs-d'oeuvre.
M. Saint-Pol-Roux joue d'une cithare dont les cordes sont parfois trop
tendues: il suffirait d'un tour de clef pour que nos oreilles soient
toujours profondément réjouies.


[5] Dire, par exemple, joue en fruit, parce que l'on dit une joue en
fleur, pour vermeille. Cf. Alfred Vallette, Notes d'esthétique: Jules
Renard (Mercure de France, t. VIII, p. 161).



       *       *       *       *       *



ROBERT DE MONTESQUIOU


Au premier envol de ses Chauves-souris en velours violet, la question
fut très sérieusement posée de savoir si M. de Montesquiou était un
poète ou un amateur de poésie et si la vie mondaine se pouvait concilier
avec le culte des Neuf Soeurs ou de l'une d'elles, car neuf femmes font
beaucoup de femmes. Mais disserter sur de tels propos, c'est avouer que
l'on n'est pas familier avec l'opération de logique qui s'appelle la
dissociation des idées, car il semble de justice élémentaire d'évaluer
séparément la valeur ou la beauté de l'arbre et de ses fruits, de
l'homme et de ses oeuvres. Si l'on veut, joyau ou caillou, le livre sera
jugé en soi, sans souci de la mine, de la carrière ou du torrent dont il
sort, et le diamant ne changera pas de nom, qu'il vienne du Cap ou de
Golconde. La vie sociale d'un poête importe aussi peu au critique qu'à
Polymnie elle-même, qui accueille en son cercle, indifféremment, le
paysan Burns et le patricien Byron, Villon le coupeur de bourses et
Frédéric II, le roi: l'armorial de l'Art et celui d'Hozier ne se
rédigent pas du même style.

Donc nous ne nous inquiéterons pas de démêler le lin de cette quenouille
ni de rechercher ce que le nom de M. de Montesquiou et son état d'homme
du monde ont pu ajouter d'illusoire à la renommée du poète.

Le poète, ici, est «une Précieuse».

Vraiment si ridicules ces femmes qui, pour se mettre au ton de plusieurs
fins et galants poètes, imaginaient de nouvelles façons de dire et, par
haine du commun, singularisaient leur esprit, leurs costumes et leurs
gestes? Leur crime, après tout, fut de ne pas vouloir «faire comme tout
le monde» et il semble qu'elles l'aient assez payé cher, elles--et toute
la poésie française qui, pendant un siècle et demi, craignit vraiment
trop le ridicule. Les poètes sont enfin délivrés de telles affres; tous
les jours davantage il leur est permis d'avouer toute leur originalité;
loin de leur défendre de se mettre à nu, la critique les encourage à
l'habit sommaire et franc du gymnosophiste: seulement quelques-uns le
portent tatoué.

Et voici enfin la vraie querelle à faire à M. de Montesquiou: son
originalité est tatouée excessivement. La beauté de cet aède rappelle,
non sans mélancolie, les figurations compliquées dont se voulaient
ornementés les anciens chefs australiens, mais en vérité il se pare avec
un art moins ingénu; il y a même un raffinement singulier dans les
nuances et dans le dessin et des hardiesses amusantes de ton et de
lignes. Il réussit l'arabesque mieux que la figure et la sensation mieux
que la pensée. S'il pense, c'est comme les Japonais, par des signes
idéographiques:

     Poisson, grue, aigle, fleur, bambou qu'un oiseau ploie.
     Tortue, iris, pivoine, anémone et moineaux.

Il aime ces juxtapositions de mots, et quand il les choisit, comme
ceux-là, doux et vivants, le paysage qu'il veut s'évoque assez
agréablement, mais souvent on ne voit, se découpant sur un ciel
artificiel, que des formes inconnues et dures, des processions de larves
carnavalesques. Ou bien, femmes, fillettes, oiseaux, ce sont des
bibelots déformés par une fantaisie trop orientale; bibelots et
babioles:

     Je voudrais que ce vers fût un bibelot d'art.

dit l'esthétique de M. de Montesquiou, mais le bibelot n'est qu'une
chose amusante et fragile à mettre sous une vitrine ou dans une armoire,
--oui, plutôt dans une armoire. Alors, allégé de toute cette rocaille,
de toutes ces laques, de toutes ces pâtes tendres et, comme lui-même le
dit spirituellement, de tous ces «infusoires d'étagères», le musée du
poète deviendrait un agréable promenoir, où l'on rêverait avec plaisir
devant les multiples métamorphoses d'une âme inquiète de donner à la
beauté une grâce neuve et nuancée. Avec la moitié des Hortensias
bleus, on ferait un tome, encore très dense, qui serait presque tout
entier de fine ou de fière ou de douce poésie. L'auteur d'Ancilla, de
Mortuis ignotis et de Tables vives apparaîtrait ce qu'il est
vraiment, hors de tout travesti,--un bon poète.

Voici une partie de Tables vives, dont le titre est obscur, mais dont
les vers sont de belle clarté, malgré le son trop connu de quelques
rimes trop parnassiennes et quelques incertitudes verbales:

      ... Apprenez à l'enfant à prier les flots bleus,
     Car c'est le ciel d'en bas dont la nue est l'écume,
     Le reflet du soleil qui sur la mer s'allume
     Est plus doux à fixer pour nos yeux nébuleux.

     Apprenez à l'enfant à prier le ciel pur,
     C'est l'océan d'en haut dont la vague est nuage.
     L'ombre d'une tempête abondante en naufrage
     Pour nos coeurs est moins triste à suivre dans l'azur.

     Apprenez à l'enfant à prier toutes choses:
     L'abeille de l'esprit compose un miel de jour
     Sur les vivants ave du rosaire des roses,
     Chapelet de parfums aux dizaines d'amour....

En somme, M. de Montesquiou existe: hortensia bleu, rose verte ou
pivoine blanche, il est de ces fleurs qu'on regarde avec curiosité dans
un parterre, dont on demande le nom et dont on garde le souvenir.



       *       *       *       *       *



GUSTAVE KAHN


Domaine de Fée, un Cantique des cantiques récité par une voix seule,
très douce et très amoureuse, dans un décor verlainen,--ô éternel
Verlaine!

     O bel avril épanoui,
     Qu'importe ta chanson franche,
     Tes lilas blancs, tes aubépines et l'or fleuri
     De ton soleil par les branches,
     Si loin de moi la bien-aimée
     Dans les brumes du nord est restée.

Voilà le ton. C'est très simple, très délicat, très pur et parfois
biblique:

     J'étais allé jusqu'au fond du jardin,
     Quand dans la nuit une invisible main
     Me terrassa plus forte que moi--
     Une voix me dit: C'est pour ta joie.

Dilectus meus descendit in hortum ... mais ici le poète, aussi chaste,
est moins sensuel: l'oriental a revêtu comme un surplis une âme
d'Occident, et s'il cultive encore des lys dans son jardin clos, des
grands lys blancs, il s'est instruit au plaisir de s'en aller, par de
secrets sentiers connus des fées «qui rient sans bruit dans la forêt»,
cueillir les liserons, les genêts,

     Et les fleurettes aventurières le long des haies.

Ce poème de xxiv feuillets est sans doute le plus délicieux
livret de vers d'amour qui nous fut donné depuis les Fêtes Galantes et
avec les Chansons d'amant les seuls vers peut-être de ces dernières
années où le sentiment ose s'avouer en toute candeur, avec la grâce
parfaite et touchante de la divine sincérité. S'il reste encore, en
quelques-unes des pages, un peu de rhétorique, c'est que M. Kahn, même
aux pieds de la Sulamite, n'a pas renoncé à nous surprendre par une
adresse toujours neuve de jongleur et de virtuose, et s'il traite
parfois la langue française en tyran, c'est qu'elle a toujours eu pour
lui des complaisances d'esclave. Il abuse un peu de son pouvoir, donnant
à tels mots des significations trop d'à côté, pliant les phrases à une
syntaxe trop sommaire, mais ce sont de mauvaises habitudes qui ne lui
sont pas exclusivement personnelles; il n'emprunte à nul sa science du
rythme et sa maîtrise à manier le vers rénové.

M. Kahn fut-il le premier? A qui doit-on le vers libre? A Rimbaud, dont
les Illuminations parurent dans la Vogue en 1886, à Laforgue qui à
la même époque, dans la même préçieuse petite revue--que dirigeait M.
Kahn--publiait Légende et Solo de lune, et, enfin, à M. Kahn
lui-même; dès lors il écrivait:

     Voici l'allégresse des âmes d'automne,
     La ville s'évapore en illusions proches,
     Voici se voiler de violet et d'orange les porches
     De la nuit sans lune
     Princesse, qu'as-tu fait de ta tiare orfévrée?

--, et surtout à Walt Whitman, dont on commençait alors à goûter la
licence majestueuse.

Cette minuscule Vogue, qui, aujourd'hui, se vend au prix des
parchemins à miniatures, qu'elle fut lue sous les galeries de l'Odéon,
et avec quelle joie! par de timides jeunes gens enivrés, de l'odeur de
nouveau qui sortait des pâles petites pages!

Le dernier recueil de M. Kahn, la Pluie et le Beau temps, n'a pas
modifié l'opinion que l'on a de son talent et de son originalité: il y
demeure égal à lui-même avec ses deux tendances, ici moins bien
d'accord, au sentiment et au pittoresque, très visibles si l'on compare
avec Image, si dolent cantique,

     O Jésus couronné de ronces,
     Qui saigne en tous coeurs meurtris,

le Dialogue de Zélande,

     Bonjour mynher, bonjour myffrau,

joli et doux comme telle vieille estampe d'almanach. Voici, dans le ton
moyen, un lied qui est vraiment sans défaut:

     L'heure du nuage blanc s'est fondue sur la plaine
         En reflets de sang, en flocons de laine,
         O bruyères roses, ô ciel couleur de sang.

     L'heure du nuage d'or a pâli sur la plaine,
     Et tombent des voiles lents et longs de blanche laine,
     O bruyères mauves--ô ciel couleur de sang.

     L'heure du nuage d'or a crevé sur la plaine,
     Les roseaux chantaient doux sous le vent de haine,
     O bruyères rouges--ô ciel couleur de sang.

     L'heure du nuage d'or a passé sur la plaine
     Éphémèrement: sa splendeur est lointaine.
     O bruyère d'or--ô ciel couleur de sang.

Des mots, des mots! Sans doute, mais bien choisis et mêlés avec art. M.
Kahn est avant tout un artiste: il est quelquefois davantage.



       *       *       *       *       *



PAUL VERLAINE


M. Gaston Boissier, en couronnant (touchante coutume) un poète
quinquagénaire, le félicitait de n'avoir, pas innové, d'avoir exprimé
des idées ordinaires en un style facile, de s'être conformé avec
scrupule aux lois traditionnelles de la poétique française. Ne
pourrait-on rédiger une histoire de notre littérature en négligeant les
novateurs? Ronsard serait remplacé par Ponthus de Thyard, Corneille par
son frère, Racine par Campistron, Lamartine par M. de Laprade, Victor
Hugo par M. Ponsard et Verlaine par M. Aicard; ce serait plus
encourageant, plus académique et peut-être plus mondain, car, en France,
le génie semble toujours un peu ridicule.

Verlaine est une nature, et tel, indéfinissable. Comme sa vie, les
rythmes qu'il aime sont des lignes brisées ou enroulées; il acheva de
désarticuler le vers romantique et, l'ayant rendu informe, l'ayant troué
et décousu pour y vouloir faire entrer trop de choses, toutes les
effervescences qui sortaient de son crâne fou, il fut, sans le vouloir,
un des instigateurs du vers libre. Le vers verlainien à rejets, à
incidences, à parenthèses, devait naturellement devenir le vers libre;
en devenant «libre» il n'a fait que régulariser un état.

Sans talent et sans conscience, nul ne représenta sans doute aussi
divinement que Verlaine le génie pur et simple de l'animal humain sous
ses deux formes humaines: le don du verbe et le don des larmes.

Quand le don du verbe l'abandonne, et qu'en même temps le don des larmes
lui est enlevé, il devient ou l'iambiste tapageur et grossier
d'Invectives ou l'humble et gauche élégiaque de Chansons pour Elle.
Poète, par ses dons mêmes, voué à ne dire heureusement que l'amour, tous
les amours, et d'abord celui dont les lèvres ne s'inclinent qu'en rêve
sur les étoiles de la robe purificatrice, celui qui fit les Amies fit
des cantiques de mois de Marie: et du même coeur, de la même main, du
même génie, mais qui les chantera, ô hypocrites! sinon ces mêmes Amies,
ce jour-là blanches et voilées de blanc?

Avouer ses péchés d'action ou de rêve n'est pas un péché; nulle
confession publique ne peut scandaliser un homme car tous les hommes
sont pareils et pareillement tentés; nul ne commet un crime dont son
frère ne soit capable. C'est pourquoi les journaux pieux ou d'académie
assumèrent en vain la honte d'avoir injurié Verlaine, encore sous les
fleurs; le coup de pied du sacristain et celui du cuistre se brisèrent
sur un socle déjà de granit, pendant que dans sa barbe de marbre,
Verlaine souriait à l'infini, l'air d'un Faune qui écoute sonner les
cloches.


       *       *       *       *       *


BIBLIOGRAPHIE


PAUL ADAM (1862).
     --Chair molle, 1885;--Soi, 1886;--Le Thé che; Miranda,
     1886;--Les Demoiselles Goubert, 1887;--La Glèbe, 1887;
     --Être, 1888;--En Décor, 1890;--Essence de Soleil
     1890;--Robes rouges, 1891;--Le Vice filial, 1892;--Les Coeurs
     utiles, 1892;-Princesses Byzantines, 1893;--Les Images
     sentimentales, 1893;--Critique des moeurs, 1893;-Le Conte
     futur, 1894;--L'Automne, 1894;--La Parade amoureuse,
     1894;--Le Mystère des Foules, 1895;--La Force du mal, 1896;
     --Le Cuivre, 1896;--Les Coeurs nouveaux, 1896.


TRISTAN CORBIÈRE (1845-1873).
     --Les Amours jaunes, 1873; 2e éd., 1891.

LOUIS DUMUR (1863).
     --La Néva, 1890;--Albert, 1890;--Lassitudes, 1891;--La Motte
     de terre, 1895;--La Nébuleuse, 1895;--Rembrandt,
     1896;--Pauline ou la liberté de l'Amour, 1896.

GEORGES EEKHOUD (1854).
     --Kees Doorik, 1882;--Kermesses, 1883;--Les Milices de
     Saint-François, 1886;--Nouvelles Kermesses, 1887; --La Nouvelle
     Carthage, 1888;--Les Fusillés de Malines, 1891;--Cycle
     patibulaire, 1892; 2e éd. 1896;--Au siècle de
     Shakespeare, 1893; --Mes Communions, 1895;--Philaster, 1895.

ANDRÉ GIDE (1869).
     --Les Cahiers d'André Walter, 1891;--Les Poésies d'André
     Walter, 1892; --Le Traité de Narcisse, 1892;--Le Voyage
     d'Urien, 1893;--La Tentative amoureuse, 1894;--Paludes, 1895.

A.-FERDINAND HEROLD (1865).
     --L'Exil de Harini, 1888;--La Légende de Sainte Liberata, 1889;
     --Les Paeans et les Thrènes, 1890;--La Joie de Maguelonne,
     1891;--Chevaleries sentimentales, 1893;--Floriane et
     Persigaitt, 1894--L'Upanishad du grand Aranyaka,
     1894;--Paphnutius, de Hrotsvitha, 1895;--L'Anneau de Cakuntald,
     de Kalidasa, 1896;--Le Livre de la Naissance, de la Vie et de la
     Mort de la Bienheureuse Vierge Marie, 1896.

J.-K. HUYSMANS (1848).

     --Le Drageoir à épices, 1874,--Marthe, 1876;--Les Soeurs Vatard,
     1879;--Croquis Parisiens, 1880;--En Ménage, 1881;--A Vau-l'Eau,
     1882;--L'Art moderne, 1883;--A Rebours, 1884;--En Rade,
     1887;--Certains, 1889;--La Bièvre, 1890;--Là-Bas, 1891;--En Route,
     1895;--Sac au dos(dans les Soirées de Médan), 1880; --Pierrot
     sceptique(avec Léon Hennique), 1881.

GUSTAVE KAHN (1859).
     --Les Palais nomades,1887; --Chansons d'amant, 1891;--Domaine
     de Fée, 1895;--La pluie et le beau temps, 1895;-Le Roi
     fou,1896.

JULES LAFORGUE (1860-1887).
     --Les Complaintes, 1885;--L'Imitation de Notre-Dame la Lune,
     1886;--Le Concile féerique, 1886;--Moralités légendaires,
     1887;--Chroniques parisiennes, dans la Revue Indépendante,
     1887;--Des Fleurs de bonne volonté, dans la Revue Indépendante,
     1888 et Vers inédits, dans la Revue Indépendante,
     1888.--Fragments inédits, dans Entretiens politiques et
     littéraires, 1891-1892;-Revue Blanche, 1894-1896, etc.

COMTE DE LAUTRÉAMONT (1846-1874).
     --Les Chants de Maldoror, chant Ier,
     1868;--Poésies(I-II), 1870;--Les Chants de Maldoror(I-VI),
     1874; 2e éd. 1890.

PIERRE LOUYS (....).
     --Astarté, 1892; --Les Poésies de Méléagre, 1893;--Léda,1893;
     --Chrysis, 1893; --Scènes de la Vie des Courtisanes, de Lucien,
     I 1894;--Ariane, 1894;--La Maison sur le Nil, 1894;--Les
     Chansons de Bilitis, 1894;--Aphrodite, 1896.

MAURICE MAETERLINCK (1862).
     --Serres chaudes, 1889;--La Princesse Maleine, 1889; --Les
     Aveugles, l'Intruse, 1890;--L'Ornement des Noces spirituelles, de
     Ruysbroeck, 1891;-Les Sept Princesses, 1891:--Pelléas et
     Mélisande, 1892;--Alladine et Palomides, Intérieur, La Mort de
     Tintagiles, 1894;--Annabella, de John Ford, 1894:--Les
     Disciples à Sais et les Fragments de Novalis, 1895;--Le Trésor
     des Humbles, 1896;--Aglavaine et Sélysette, 1896.

STÉPHANE MALLARMÉ (1842).
     --Le Corbeau(traduit d'Edgar Poe), 1875;--La Dernière Mode,
     1875; --L' Après-midi d'un Faune, 1876;--Préface à Vathek,
     1876;--Les Mots anglais, 1877; --Les Dieux antiques,
     1878;--Poésies (édition autographe), 1887;--Les Poèmes d'Edgar
     Poe, 1888;--Le Ten o'clock de M. Whistler, 1888; --Pages, 1890
     et 1891;--Les Miens: Villiers de l'Isle-Adam, 1892;--Vers et
     prose, 1892;-La Musique et les Lettres, 1894.

     Poésies dans: Le Papillon, 1862;--l'Artiste, 1863;--Parnasse
     satirique, 1864;--Parnasse contemporain, 1866, 1869;--Revue
     critique, 1884;--Revue Indépendante, 1885, 1887;--Revue
     Wagnérienne, 1885;--La Vogue, 1886; --Les Hommes
     d'aujourd'hui, 1887;--La Revue Blanche, La Plume, 1889, 1895,
     1896;--Le Figaro, 1895, 1896;--Le Chap Book, 1895; etc.

     Proses dans: l'Artiste, 1863;--la Saison à Vichy,
     1865,--Revue des Lettres et des Arts, 1868;--Journal d'un
     Défenseur de Paris, 1870-71; --La Patrie, 1871;--Le National,
     1872; --La Renaissance, 1872;--L'Illustration, 1873; --Revue
     du Monde nouveau, 1874;--République des Lettres, 1876;--L'Art
     et la Mode, 1884, 1885;--Revue Wagnérienne, 1885;-Gazette
     Letteraria, 1886;--Les Hommes d'aujourd'hui, 1886;--Revue
     Indépendante, 1887; --La Revue Blanche, 1894, 1895, 1896;--Le
     National Observer, 1894;--Le Mercure de France, 1894;--Le Chap
     Book, 1896; etc.

ROBERT DE MONTESQUIOU (....).
     --Les Chauves-Souris, 1893;--Le Chef des Odeurs suaves,
     1894;--Le Parcours du Rêve au Souvenir 1895;--Les Hortensias
     bleus, 1896.

JEAN MORÉAS (1856).
     --Les Syrtes, 1884;--Le Thé chez Miranda, 1886;--Les
     Cantilènes, 1886;--Les Demoiselles Goubert, 1857;--Le Pèlerin
     passionné, 1890;--Êryphile, 1894.

FRANCIS POICTEVIN (....).
     --La Robe du Moine, 1882;--Ludine, 1883;--Songes,
     1884;--Petitau, 1885;--Seuls, 1887;--Paysages et Nouveaux
     Songes, 1888;--Derniers Songes, 1889;--Double,
     1890;--Presque, 1891;-Heures, 1892;--Tout Bas,
     1893;--Ombres, 1894.

PIERRE QUILLARD (1864).
     --La Fille aux mains coupées, 1886;--La Gloire du Verbe,
     1890;-L'Antre des Nymphes, de Porphyre, 1893;-Le Livre des
     Mystères, de Jamblique, 1895;-Lettres rustiques de Claudius
     Aelianus, 1895.

RACHILDE (1860).
     --Monsieur de la Nouveauté, 1880;--Monsieur Vénus,
     1882;--Queue de Poisson, 1883;--Histoires bêtes, 1884;-Nono,
     1885;--La Virginité de Diane, 1885; --A Mort! 1886;--La
     Marquise de Sade, 1887;--Le Tiroir de Mimi-Corail, 1887;-Madame
     Adonis, 1888;--L'Homme Roux, 1888;--Le Mordu,
     1889;--Minette, 1889;-La Sanglante Ironie, 1891;--Théâtre,
     1891;--L'Animale, 1893;--Le Démon de l'Absurde, 1894;--La
     Princesse des Ténèbres, 1896.

HENRI DE RÉGNIER (1864).
     --Lendemains, 1885; --Apaisement, 1886;--Sites,
     1887;--Épisodes, 1888;--Poèmes anciens et romanesques, 1890;
     --Épisodes, Sites et Sonnets, 1891;--Tel qu'en Songe,
     1892;--Contes à soi-même, 1893; -Le Bosquet de Psyché,
     1894;--Le Trèfle Noir, 1895;--Aréthuse, 1895;--Poèmes
     (1887-1892), 1896.

JULES RENARD (1864).
     --Les Rosés, 1886;--Crime de Village, 1888;--Sourires pinces,
     1890.; --L'Êcornifleur, 1892;--Coquecigrues, 1893; --Deux
     Fables sans morale, 1893;--La Lanterne sourde, 1893;--Poil de
     Carotte,1894; --Le Vigneron dans sa vigne, 1895;--Histoires
     naturelles, 1896;--La Maîtresse, 1896.

ADOLPHE RETTÉ (1862).
     --Cloches en la nuit, 1889; --Thulé des Brumes, 1892;--Une
     belle Dame passa, 1893;--Réflexions sur l'Anarchie, 1894;
     --Trois Dialogues nocturnes, 1895;--Paradoxe sur l'amour,
     1895;--L'Archipel en fleurs, 1895;--Similitudes, 1896;--La
     Forêt bruissante, 1896;--Propos subversifs, 1896.

ARTHUR RIMBAUD (1854-1891).
     --La Saison en Enfer, 1873;--Les Illuminations,
     1886;-Reliquaire, 1891.

SAINT-POL-ROUX (1861).
     --L'Ame noire du Prieur blanc, 1893;--Épilogue des Saisons
     Humaines, 1893;--Les Reposoirs de la Procession, 1, 1893.

ALBERT SAMAIN (1859).
     --Au Jardin de l'Infante, 1893

STUART MERRILL (1863).
     --Les Gammes, 1887;-Pastels en prose, 1890;--Les Fastes,
     1891;-Petits Poèmes d'Automne, 1895.

LAURENT TAILHADE (1854).
     --Le Jardin des Rêves, 1879;--Un douzain de Sonnets, 1882;--Le
     Paillasson, pasquille hebdomadaire, 1886-1887; --Au pays du
     Mufle, 1891;--Vitraux, 1891 et 1894.

ÉMILE VERHAEREN (1855).
     --Les Flamandes, 1883;--Contes de Minuit, 1884;--Les Moines,
     1886;--Les Soirs, 1887;--Les Débâcles, 1890; --Les Flambeaux
     noirs, 1891;--Aux Bords de la Route, 1891;--Les Apparus dans
     mes chemins, 1891;--Les Campagnes hallucinées, 1893;
     --Almanach, 1894;--Les Villages illusoires, 1895;--Les Villes
     tentaculaires, 1896;--Poèmes (Les Bords de la Route, les
     Flamandes, les Moines), 1896;--Poèmes (Les Soirs, les Débâcles,
     les Flambeaux noirs), 1896.

     Deux brochures: Joseph Heymans et Fernand Khnopff.

PAUL VERLAINE (1844-1896).
     --Poèmes Saturniens, 1866;--Fêtes Galantes, 1870;--La Bonne
     Chanson, 1871;--Romances sans paroles, 1872; --Les Poètes
     maudits,1872 et 1888;--Sagesse, 1871;--Jadis et Naguère,
     1881;--Louise Leclercq (suivi de Le Poteau, Pierre Duchâtelet,
     Madame Aubin), 1887;--Mémoires d'un veuf, 1887;--Amour,
     1888;--Parallèlement, 1889; --Bonheur, 1889;--Dédicaces,
     1890;--Chansons pour Elle, 1891;--Liturgies intimes, 1892;
     --Mes Hôpitaux, 1893;--Quinze jours en Hollande, 1894;--Dans
     les Limbes, 1894;--Confessions, 1895;--Invectives, 1896.

FRANCIS VIELÉ-GRIFFIN (1864).
     --Cueille d'Avril, 1886;--Les Cygnes, 1887;--Ancaeus,
     1888;--Joies, 1889;--Diptyque (Le Porcher, Eurythmie),
     1891;--Les Cygnes, nouveaux poèmes, 1892;--La Chevauchée
     d'Yeldis, 1893; --Swanhilde, 1894;--?????, 1895;--Laus
     Veneris (traduit de Swinburne), 1895;--Poèmes et Poésies
     (1886-1893), 1895.

VILLIERS DE L'ISLE-ADAM (1838-1889).
     --Morgane, 1855;--Deux Essais de Poésies, 1858; --Premières
     Poésies, 1860;--Isis, 1862;--Elën, 1864;--Claire Lenoir,
     1867 (dans la Revue des Lettres et des Arts, devenu Tribulat
     Bonhomet, 1887);--L Évasion, 1870;--La Révolte,
     1870;--Azraël, 1878;--Le Nouveau Monde, 1880;--Contes Cruels,
     1880;--L'Ève future, 1886;--Axël, 1856 (dans la Jeune France;
     en volume, 1890);--Akëdyssëril, 1886;--L'Amour suprême,
     1886;--Histoires insolites, 1888;--Nouveaux Contes cruels,
     1889;--Chez les Passants, 1890;--Propos d'Au-delà, 1893.

     Fragments inédits, dans le Mercure de France, 1890-91-92-93.

       *       *       *       *       *


TABLE DES MATIÈRES


PRÉFACE

MAURICE MAETERLINCK

ÉMILE VERHAEREN

HENRI DE RÉGNIER

FRANCIS VIELÉ-GRIFFIN

STÉPHANE MALLARMÉ

ALBERT SAMAIN

PIERRE QUILLARD

A.-F. HEROLD

ADOLPHE RETTÉ

VILLIERS DE L'ISLE-ADAM

LAURENT TAILHADE

JULES RENARD

LOUIS DUMUR

GEORGES EEKHOUD

PAUL ADAM

LAUTRÉAMONT

TRISTAN CORBIÈRE

ARTHUR RIMBAUD

FRANCIS POICTEVIN

ANDRÉ GIDE

PIERRE LOUYS

RACHILDE

J.-K. HUYSMANS

JULES LAFORGUE

JEAN MORÉAS

STUART MERRILL

SAINT-POL-ROUX

ROBERT DE MONTESQUIOU

GUSTAVE KAHN

PAUL VERLAINE

BIBLIOGRAPHIE





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