By Author | [ A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z | Other Symbols ] |
By Title | [ A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z | Other Symbols ] |
By Language |
Download this book: [ ASCII | PDF ] Look for this book on Amazon Tweet |
Title: Humoresques Author: Klingsor, Tristan, 1874-1966 Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Humoresques" *** BIBLIOTHÈQUE DU HÉRISSON (OEUVRES NOUVELLES) TRISTAN KLINGSOR HUMORESQUES [Illustration] AMIENS LIBRAIRIE EDGAR MALFÈRE 7, RUE DELAMBRE, 7 (_Dépôt à Paris, 1, rue Vavin, 6e arr._) 1921 JUSTIFICATION DU TIRAGE Il a été tiré: 15 exemplaires sur Japon, numérotés 1 à 15. 50 exemplaires sur Hollande, numérotés de 16 à 65. 100 exemplaires sur Arches, numérotés de 66 à 165. 2.000 exemplaires ordinaires. La présente édition est l'édition ordinaire de cet ouvrage. [Illustration] 1921 AUTRES OUVRAGES DE TRISTAN LECLÈRE (KLINGSOR) _Le Livre d'Esquisses_, proses (_Mercure de France_). 1 vol. _Schéhérazade, poèmes_ (_Mercure de France_). 1 vol. _Le Valet de coeur_, poèmes (_Mercure de France_). 1 vol. _Poèmes de Bohême_, (_Mercure de France_). 1 vol. _La Duègne apprivoisée_, un acte (Sansot). 1 vol. _Chroniques du Chaperon_, poèmes (Sansot). 1 vol. _L'Escarbille d'Or_, poèmes (Sansot-Chiberre). 1 vol. _Hubert Robert_ (H. Laurens). 1 vol. _Les femmes de théâtre au XVIIIe siècle._ (Piazza). 1 vol. _Petits métiers des rues de Paris_ (J. Beltrand). 1 vol. _Chansons de ma mère l'Oie_, 6 mélodies (Rouart). 1 recueil. HUMORESQUES A L'AUBERGE Quelle heure est-il? Le coq du voisin S'égosille Et dame dinde s'esclaffe; Un oiseau posé sans doute sur le fil Du télégraphe Fait un trille; Ai-je dormi si tard ce matin? Il est huit heures; J'entends l'horloge de l'auberge Qui sonne, Et je mets flamberge Au vent; Mais où est la tartine de beurre? Holà! Gertrude ou Margoton, mon coeur t'attend: Ne viendra-t-il donc personne? Quelle heure est-il? Il est huit heures: Il fait gris au dehors comme dans un four Et la cloche tinte: Est-ce pour le jour qui meurt, Est-ce pour mon amour? Je suis seul à l'auberge et songeant Devant cette pinte Où je trempe plus d'un fil D'argent; Quelle heure est-il? LE TRIO Le notaire, le cousin et le poète Vous font un trio d'amoureux, ô très chère, Et si parfois vous riez peut-être Du rêveur qui vous adore comme pas un, Vous le laissez simplement se morfondre Pour tendre la main aux écus du notaire Et la joue aux baisers du cousin: Ainsi va le monde. Et cependant que votre mari Qui se croit assuré contre le pire Promène sa faconde, Vous l'encornez et chacun rit; Il n'y a que moi seul, très chère, qui soupire: Ainsi va le monde. LE DRAGON Mon coeur est triste: Mes culottes sur le fauteuil font Des plis savants de culotte d'artiste; Mon coeur est triste; Une chaussette traîne sous la chaise Et j'entends à travers le plafond Le ronflement sourd d'un bourgeois obèse. Je me tourne un peu Sous la couverture à fleurs Et le sommier crie; Je me tourne un peu Et je regarde obstinément Le papier déteint aux feuillages bleus Comme la forêt de féerie D'une belle au bois dormant. Je veux être son chevalier Et dans ma songerie fantasque j'imagine Que derrière le mur au vieux décor charmant Je vais trouver madame Durand ma voisine En nonchalant déshabillé; Je veux être son chevalier Et mon coeur s'égare adorablement. Mon coeur s'égare et je me grise De rêver qu'elle est en corset noir à rubans En train d'ôter mignon soulier, Tandis qu'un bout indiscret de chemise Passe par la fente du pantalon blanc; Mon coeur s'égare et je me grise A ce jeu troublant. Je veux enlever ma belle jolie Au dragon farouche Et coiffé d'un bonnet de coton à gland Qui se cache dans son lit, Au dragon farouche Dont la moustache énorme tombe sur la bouche, Et qui laisse voir au dehors Une main de géant couverte de poils gris; Mais soudain je me frotte un oeil Dans un pénultième effort; Je revois mes culottes sur le fauteuil, Je souffle ma lampe sans bruit Et seul encor et le coeur triste je m'endors. L'AUBÉPINE L'aubépine est fleurie dans la haie Et l'oseille sauvage dans l'herbe; Galant imberbe plaît Mieux que mari acerbe; L'aubépine est fleurie dans la haie. La belle, voulez-vous ce bouquet, La belle, voulez-vous ce baiser? Penchez-vous un peu plus à votre croisée: Au coin de la rue vient le beau freluquet Dont votre tête rose est toute grisée. Votre vieux mari est dans la cour, qui pisse, En bonnet de coton et gros sabots de hêtre; La chemise est ouverte sous votre corset Et chacun sait Que cette heure à l'amour est propice; L'aubépine sauvage est fleurie dans la haie. COMME IL VOUS PLAIRA Vraiment, messieurs, charmants messieurs De Paris, de Rouen ou de Pontoise Suis-je de ceux Qui vous égaient un peu? Pitre endurci Au menton bleu Couleur d'ardoise, Ton nez est-il aussi Rouge que la framboise? Et pour vous, jolies dames de France, Est-il fol ou mélancolique à votre guise Ce tendre coeur? En tout honneur d'ailleurs, Car quelle belle pense A barbe grise? Je connais qui me hait Et je connais qui m'aime, Mais suis-je trop fantasque et trop gai, Ou trop pensif à votre gré? Par ma foi, je le sais peu moi-même: Croyez donc ce que vous voudrez. LA PIE AU NID Qui trouve à son retour le buffet dégarni, La soupe à moitié froide et le chat sur la table Envoie sa digne épouse au diable Et laisse pie au nid. Qui trouve en son logis visage renfrogné Va courtiser servante et pot à bière; Oyez, belles trop fières, Oyez ce qui vous pend au nez. Mais toi, chère Marion, tu es toute ambroisie, Et miel et friandise de haut prix Et femme assurément à point choisie Pour ton mauvais mari. AU LUXEMBOURG Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques, Je préfère le Luxembourg Avec ses marbres, ses marronniers lourds Et ses balustrades de pierre autour Du lac. Le soleil d'août brille: N'est-elle pas trop roide en somme Cette rue? Regardons plutôt l'herbe drue, La rose, la jonquille Et le géranium. Une jolie fille sourit Et surpris J'ai un peu d'émoi; Le fin jet d'eau verse une larme; Une jolie fille sourit Et le fantassin porte l'arme, Mais ce n'est pas pour moi. Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques, Plus je n'y voudrai passer: Mon coeur y fut trop blessé Et durement mis à sac; Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques. LA GAVOTTE Chevalier Gluck, chevalier Gluck, Lorsque j'écoute Vos airs trop tendres Et charmants, Mon vieux coeur tremble Comme un instrument Sous l'archet de soie, Chevalier Gluck, Et je me crois Au temps des paniers, des culottes courtes Et des perruques. Le bourgeois obèse Du dessus dort Dans sa chambre Louis Seize; Beaux doigts de ma voisine, Rejouez encor, Rejouez pour moi Cette gavotte exquise D'_Armide_; Et pardonnez très chère au fol émoi D'un coeur si timide: Car ce soir j'imagine Que vous voici marquise Et m'accordant enfin votre joli corps: Le bourgeois obèse du dessus dort. LE LOUP-GAROU Vieux rat, tu peux t'aventurer dans la gouttière; Sur le beau soir bleu Monte une fumée légère de bruyère Et le chat joue Dans la maison avec sa queue. Vieux coeur tu peux t'aventurer chez la bergère; C'est l'heure du loup-garou, Et le mari dort au coin de son feu; La lune rit sans bruit dans le beau soir bleu; Eh! soyons vite audacieux, Vieux coeur: c'est l'heure du loup-garou Et des amoureux. NOCTURNE PROVINCIAL Les bougies sont soufflées Et sur les toits la lune brille; La dame du notaire est endormie Et seuls, quatre officiers d'académie Font leur manille Au petit café. Il serait vraiment sage De rentrer, je crois: Je sens que j'ai le nez Tout gelé de froid; Un passant attardé se soulage Au coin de la rue abandonnée. Hein! est-ce que je m'enrhume? J'ai le poumon trop délicat Pour cette brume: Ah! chère qui restez tranquillement Derrière vos persiennes, Ne ferez-vous donc jamais cas De la tendre antienne Si pleine de poésie De votre pauvre amant Transi? PENDANT LA PLUIE Il pleut: L'épinard verdoie Et l'eau ravive la couleur de toute chose; La brique de l'auberge est plus rose Et la mousse est plus bleue Sur le toit. Et toi, tu bois, Cher bourgeois Strasbourgeois Qu'on voit au travers de la vitre close, Tu bois en riant un vieux vin de choix Et ton nez rougeoie. LE MENUET Le menuet délicieux de Mozart, Mélancolique et charmant, Divulgue note à note son humeur bizarre D'un qui sourit à peine ou pleure sans raison, Et qui suit son chemin par la neuve saison En effeuillant son coeur adorablement. On dirait qu'en un parc inventé de Watteau Les ingénus et les belles Florises Se confient tendrement d'inutiles propos, Et que l'écho plaintif des rires musicaux Se mêle à la mélodieuse surprise Des jets d'eau. Mélancolique et charmant et fantasque un peu Le menuet délicieux et rebelle, Le menuet de Mozart s'égrène encor; Il pleut des roses, il pleut Sous les doigts savants de mademoiselle: Monsieur Durand de deux oreilles complaisantes Écoute le jeu de sa fille Laure Et bat la mesure sur son ventre. Et cependant que la dernière réplique D'un rythme plus vif se marque, Madame ravie vers le Prétendant Rose et frais dans son faux-col blanc Et sa redingote en fleur, Glisse un oeil oblique, Et le menuet cette fois se brise Comme un jet d'eau sous la brise Au fond d'un parc. LA BELLE D'ARGENTEUIL A la belle maraîchère d'Argenteuil Au corsage ouvert sur les roses des seins Que disais-tu, bon poète amoureux? Le chemin creux Était plein de feuilles Et ton coeur des pires desseins. Mieux eut valu du reste audacieux indiscret Qu'oiseux discours: La chemise s'échancrait En molle fente; Le jupon était court Et la fille riait de sa gorge charmante. Mais la peur de quelque bleu gendarme, O rimeur, te retenait sans doute, Car tu es revenu sur la route Sans la belle maraîchère d'Argenteuil Et même je crois une pointe de larme A l'oeil. LE MERLE Le merle était dans le pommier Tout à l'heure, Le merle beau siffleur, Mais vous dormiez. Le vent frais du matin secouait Les feuilles et les roses Et pour écouter le délicat virtuose Tout se tenait coi. Pourtant un bouffon manquant à la poésie De cet amoureux alléluia, Vieux galant cramoisi, Un coq à son tour s'égosilla. Mais vous dormiez, très chère, et n'aviez nul souci De cette pluie De notes, non plus d'ailleurs que de celui Qui est à votre merci. JEAN GOSSART Que Jean Gossart boive un bon coup De cidre frais ou de vin chaud, Que Jean Gossart boive un bon coup Et que Margot vide la bourse du grigou, Peu me chaut. Je ne regarde que la route qui poudroie Par la fenêtre de l'auberge; Je n'écoute que cet oiseau dans le bois: Jean Gossart, n'as-tu pas le roi? Ton nez s'allonge comme asperge. Mais que le clocher fin de la Landelle Se voie de partout, Et tes cornes aussi, Jean Gossart, que m'importe, Puisque l'infidèle M'a fermé pour ce soir sa porte Et que je n'ai plus de dame d'atout. LA PLUME D'AUTRUCHE Ah! jolis masques de Paris Mon coeur trébuche Toujours trop tôt; La vieille dame avec une plume d'autruche A son chapeau Sourit. Jusques à quand te croiras-tu donc damoiseau, Pauvre homme au poil déjà tout gris; Faux départ: L'amour une fois encore est venu trop tôt Ou trop tard. BONNARD Le camembert bleu, l'orange et la banane Dorment dans le vieux Rouen; Finies! compotes au sucre Et tarte à la crème; La tulipe jaune se fane En son verre de Bohême; Madame pianote et montre en jouant La plus jolie nuque. Digérons: cette heure est vraiment Exquise; Un peu de rêve sous la lampe flotte Et je me grise De l'odeur de cette nuque en fleur; Madame joue un air ancien, Un air tendre et cajoleur De gavotte; Monsieur descend faire pisser le chien. Chère âme, voici l'instant propice, Puisque la bonne est sortie elle aussi: Aimiez-vous de la sorte, ô Juliette ou Lucie Ou douce Bérénice? Car notre amour enfin ne connaît plus de bornes, Et que le diable perde ses cornes Si ma main partout ne se glisse ... Mais la clé grince: La tulipe d'effroi Meurt et s'effeuille; Prudent et sans plus attendre Je m'enfonce dans le fauteuil Et madame de ses beaux doigts minces Reprend innocemment ce motif d'autrefois, Cette gavotte adorable et tendre,-- De Philidor, je crois. LA BRETELLE CASSÉE Messieurs, arrêtez-vous de grâce! Que le diable m'emporte, Ma bretelle casse, Et je perds, je crois bien, ma culotte. Si vous riez encore, Aminte, Je ne serai pas dupe; Je le dis à maints et maintes, Et pendu sois-je si je mens: L'astre le plus charmant Que j'aie vu, je le vis sous vos jupes ... Mais fi! de l'indiscret Et trêve à ces réalités Qu'en dévot j'adorais; La lune se lève: Mes belles dames, permettez Que j'accroche à sa corne dans ce soir d'été Tout mon rêve. MATINES Il a plu. Que l'odeur de la fleur de sureau Est délicieuse ce matin! Le soleil dans la brume demeure incertain Et les corolles sont encore pleines d'eau. Où irons-nous? Le vent est d'est: n'entends-tu pas sonner les cloches? Le rideau de nuages se dénoue Et le brouillard dans la vallée s'effiloche. A Saint-Aubin, à Ons-en-Bray, A Espaubourg aussi, partout voici matines: Quel amoureux regret, Chère hypocrite, te retient donc sous la courtine? MADEMOISELLE ROSE Une petite prise, mademoiselle Rose, Une petite prise de vieux tabac fin: A notre âge, eh! eh! c'est chose Plus chère qu'un sachet de parfum. Ça pique et c'est délicieux Mademoiselle Rose, vous savez bien; Ça pique et ça met une larme aux yeux, Pour rien en somme, pour rien ... Autrefois c'était une fraîche rose Que je vous offrais, et cela aussi, Cela aussi, mademoiselle Rose, Mettait une larme claire entre vos cils. Mais maintenant vous avez bonnet et jupe A la mode ancienne: Hélas! nous sommes restés tous deux dupes De nos mutuelles antiennes. Et maintenant quand on cause, Et maintenant que voulez-vous qu'on dise? Une petite prise, allons, mademoiselle Rose, Une petite prise ... LE GARÇON MEUNIER La lune est encore sur le clocher; La route est grise dans l'air dense; Le meunier balaie le plancher; La pelote roule et le chat danse. Je regarde en chemise à travers la vitre Le paysage obscurci; Ah! qui donc siffle ainsi une chanson au loin? Il me semble que le moulin Bat plus vite Et mon coeur aussi. Une fenêtre s'est ouverte à petit bruit: Belle meunière, est-ce la vôtre? La lune en rit, La lune haute Dans le vieux ciel couleur de taupe Et de souris. Votre bonhomme de mari trotte au grenier Et le gendarme dort comme un loir dans son lit; Le rat grignote, le chat joue Et seul en chemise et rêvant de vous, Je m'enrhume, ô très jolie: Mais où est le garçon meunier? SOUS LA CENDRE La pluie peut tomber plus fort Du ciel monotone; Les larmes peuvent descendre Le long des joues Et cet amour peut être mort; L'eau dans le pot chantonne Et bout toujours Sous la cendre. Et moi aussi malgré La rose à jamais morte dans l'automne d'or Et que de plus en plus ce poil gris pousse, Je chante encore, Et comme un baladin qui fait danser un ours Sur le pré, Je traîne en souriant un coeur désespéré. LA CHAMADE Que le bassoniste Sur l'ut grave de la sérénade Insiste, Et voici le coeur qui bat la chamade. Ah! quel trictrac sentimental et tendre Se cache sous ce sein fleuri; Jamais Clitandre ni Cassandre. N'en sauront le prix. Mais moi, très chère Chaque soir j'essaie d'accorder mon âme A votre subtil sourire, Et très dévotement je vous révère, A l'égal de la dame De Tyr. LE CHEF D'ORCHESTRE Le chef d'orchestre à perruque blanche Et menton mal rasé bleuté de barbe grise A troussé la dentelle de sa manche Pour humer une dernière prise. Il a cogné sur le pupitre à musique Son minuscule bâton d'ivoire; La contrebasse a rajusté ses bésicles Et les danseurs les roses de leurs habits noirs. Voici que les archets réveillés vont et viennent Pour jouer de vieux airs oubliés, Et les violons avec leurs danses anciennes Font courir les petits souliers. Les cavaliers se penchent un peu Sur les épaules émergeant des velours Et murmurent de tendres aveux Et des propos spécieux d'amour. Les tailles souples se ploient, Les mains se serrent plus doucement Et sous les flottantes cravates de soie Battent plus fort les coeurs des amants. Mais comme le chef d'orchestre comique et discret A cessé de gesticuler en mesure, Les petits souliers s'arrêtent à regret Et les couples s'en vont dans les embrasures. C'est l'heure où les amoureux demeurent songeant Et chuchotent tout bas dans l'ombre des croisées: Le chef d'orchestre en sa tabatière d'argent A repris du fin tabac d'Espagne à priser. VUILLARD La douceur des pantoufles de laine Qu'une chère main a brodées de fleurs Et la tiédeur du thé qui s'évapore, O mon amie, Réchauffent mon corps, Réchauffent mon coeur A demi endormis. Tout autour de nous le souvenir traîne Ainsi qu'un chat maigre sur le plancher; Tout autour de nous le souvenir rôde Et l'antique marbre noir est jonché Des clairs pétales jaunes D'une rose. La nudité sournoise de ton cou charmant Et beau comme un frais bouquet Réveille un moment mon désir de vieux faune, Mais je me mens à moi-même Sans doute, ou je n'ose. Et je me verse simplement En Roméo trop fatigué Qui n'use de nul piment, Un peu plus de crème. LES AUDACIEUX Froissons les jupes! Que le jet d'eau mélancolique jette Au clair de lune ses volutes Tant qu'il voudra; Poussons la fenêtre Et prenons la belle en nos bras: C'est l'heure, messieurs, C'est l'heure ou jamais d'être Audacieux. Plus n'est besoin des cordes aux lucarnes Ni des airs langoureux de flûtes Dans la bise des carrefours: Voleurs d'amour N'ont point peur du gendarme! Voici les jolies roses dans le linge blanc; Il ne faut plus de flûtes, Ni de guitares, ni d'aveux tremblants, Car où sont les galants cérémonieux Que vous fûtes, Messieurs?... Froissons les jupes! L'EAU CLAIRE Se contenter du sourire divin D'un visage qu'on aime, D'un verre d'eau sans vin Et d'une tarte à la crème. Faire ce rêve: S'enivrer du parfum d'une rose brisée Et des deux lèvres Ouvertes pour le baiser. Vivre en somme d'amour et d'eau claire Tant qu'on aime, Puis s'endormir à jamais au son d'un vieil air Mélancolique de Bohème. Et dire que cela même est folie De demander si peu Et qu'il faudra mourir un jour sans sou ni jolie O mon Dieu!... SOUS LE BALCON Qu'il gèle à pierre fendre, qu'importe! L'amour est plus fort que tout; Un tourlourou fait le troubadour Sous une porte. La lune dans la nue Met sa double corne; Un couple contre le mur orne Un peu plus un mari biscornu. Mais moi j'allonge en vain Sous le balcon un nez rougi De froid et non de vin: La belle en sa chambre a soufflé la bougie. LE TRÈFLE BLANC Je m'assieds dans l'herbe bleue: Qu'il est joli le trèfle blanc; La fille embrasse le galant Et l'amour danse tout autour d'eux; Qu'il est joli, le vieil enfant! Où est le temps où moi aussi Je faisais l'amoureux, Le temps de Berthe et de Lucie Et de la femme du marchand de Dreux; Où est le temps des coeurs tremblants; Et de ma barbe noire et de vos blonds cheveux, Où est le temps? Derrière la haie les galants s'en vont Et l'amour à leurs trousses sourit; La jeune herbe bleue tremble dans le vent Et moi, qui reste seul, je me morfonds A regarder le trèfle blanc Et tirer sans répit les poils gris De mon menton. BROUWER Je m'abrite sous la haie Et bien caché de l'indiscret, Prestement je baisse mes braies. Mon cher Brouwer, il me faudrait Pour décor propice Un de tes paysages hollandois Où l'on voit le cul rose de quelque bon drille; Mais ici je n'ai que prés et forêt, Avec là-bas un joli bouleau tout droit; Mon fusil brille Contre la barrière de bois Où mon chien pisse, Et je fais ce que fait le Roi. LE RETOUR Toits bleus d'ardoise et murs de brique rose Au milieu des arbres, Sur qui la brume gris d'argent se pose. Que mon coeur est sensible à votre charme! Je pousse la porte: Bon aubergiste me voici; La dinde est-elle bien farcie Et la servante accorte? Je m'assieds près de la croisée Humant l'odeur des fleurs avec celle des plats; Le chat ronronne, l'oie s'effare, Mais la commère n'est plus là Et je ne vois hélas! que l'image brisée Du fin peuplier dans l'eau de la mare. LE POMMIER TORDU Il y a un pommier tordu Dans le pré; Jeune femme en ta maison, qu'as-tu A soupirer? Il y a un vieil homme gris Près du feu; Ne soupire donc pas pour si peu: Le chat au grenier guette la souris. Il y a un oiseau qui chante sur la branche; Il y a un garçon qui siffle sur la route; Vieux mari, fais chauffer la soupe: Ta femme reviendra dimanche. LA PINTE VIDE Un homme menace et la femme crie Comme une pie borgne; Un enfant longuement sanglote; Ainsi va la vie. Pourtant le printemps tremble et dans l'air attiédi Traînent des souffles de bonheur et de lilas; Pourtant le vieil amour a passé là Jadis. Hélas! jeunesse est loin Et voici la pinte et la bourse vides; Il ne reste plus maintenant que ride Et chagrin. CHRONIQUES DU TEMPS DE PHILIPPE VIII A LA TERRASSE Au temps où Moréas montrait son nez Et sa moustache Dans les cafés de Montparnasse, Le vieux cheval de fiacre Était de roses couronné, Au temps de Moréas. Monsieur Lintilhac D'ire protestait: «Qu'on harnache D'un vil cuir Cette carcasse De baudet!» Sur quoi, tous de rire. Et tandis qu'un nuage flottant Au-dessus de Paris Filait dans l'espace, La brise fine du printemps Portait du Luxembourg jusqu'à notre terrasse L'odeur des marronniers fleuris. LE NAIN Je venais d'allumer mon feu de bois sec Et de m'asseoir de fort indolente sorte Dans mon vieux fauteuil de velours d'Utrecht Quand on gratta doucement à ma porte. «Est-ce toi, dis-je, ma douce Colombine, Fluette fée en robe à vertes dentelles, Ou toi, sire Arlequin de triste mine, Qui viens céans rallumer ta chandelle?» Mais ce n'était ni Colombine, ni son duc, Ni même quelque oiseau déplumé d'Edgar Poë: La porte s'ouvrit à mon nain caduc Qui avait une mitre pour chapeau. Il portait sous le bras quelque volume Énorme à reliure de parchemin, L'histoire de Krespel ou d'Ulalume Sans doute, à fermoir d'or et filet de carmin. Il le posa sur un livre d'André Gide; (C'était d'adorables _Chansons de Bilitis_); Il regarda narquois mon encrier vide; Ota sa mitre mirobolante et sortit. DEVANT L'OBÉLISQUE Dimanche: bon Parisien va-t-en Rêver d'amour Vers Auteuil ou le Point-du-Jour: Le bateau-mouche t'attend. Voire file jusqu'à Meudon Ou Saint-Cloud; Feuille morte au bois est mol édredon Et Madame n'a pas peur du loup. Le brouillard bleu de Seine argente les collines; Le paysage est exquis Comme un croquis De Stanislas Lépine. Déjà l'agile violoniste Frotte l'archet de colophane; Dans les yeux clairs mi-clos des femmes Un éclat singulier persiste. La cloche sonne Pour l'embarquement; Allez les belles et les amants: Sur le ponton ne reste-t-il personne? Clique amoureuse, adieu: mieux vaut laisser ici Tout seul devant l'obélisque Le birbe barbu, certes! mais trop triste Que je suis. LES TROIS ÉCUS Il n'y a qu'un coquelicot dans le pré Avec trois marguerites autour; Il n'y a qu'un coquebin dans le bourg Pour trois filles à marier. Ainsi s'en va la République, tout cloche: Que de fois hélas! que de fois Je n'ai eu qu'un écu en poche Quand il en fallait trois. LA FLEUR SÈCHE J'avais ouvert un vieux bouquin poudreux De _Poèmes anciens et romanesques_, ce matin, A la page marquée d'une fleur sèche de thym, Que nous avons, chère souris, souvent lue tous deux. Je rêvais doucement de celle Que tu sais bien et qui partit je ne sais où, Séduite sans doute par l'escarcelle D'un vieil amoureux radoteur et fou. Je regardais la lune au travers des branches D'un cerisier mort qu'on n'a pas abattu, Quand la bise, je crois, ou ma manche Tourna la page rongée par tes dents pointues. Est-ce le simple froissement du papier, Ou quelque autre mystérieuse cause, Qui te fit sauver ainsi, à pieds Légers, à pieds fourrés de bas gris et roses? Est-ce cela vraiment? Ou d'avoir vu la lumière Hésitante du jour qui se lève, Qui te fit fuir, chère souris coutumière, Comme mon rêve, comme mon rêve ... JEUX D'EAU Les jeux d'eau dans le parc et la ribambelle Des fous, Le coeur troublé des belles Et le coeur ironique et tendre qui bat sous Le gilet de velours de Maurice Ravel, L'inquiète qui rougit sous l'ombrelle Et le gredin qui se met à genoux Devant elle, La guitare fausse que joue Un doigt rebelle, La vasque, le vieil arbre, la cascatelle Et l'arc fin de lune dans le soir d'août, Tout cela dans mon souvenir infidèle En accord très doux Se mêle ... SUR L'AVENUE MONTSOURIS Le petit jour est gris souris; La chiffonnière avec sa hotte Cherche un trésor dans l'avenue Montsouris; La bique maigre et biscornue Du maraîcher trotte Sur le pavé. Ma jolie voisine déjà levée A sa croisée paraît Et le coeur tendre qu'en vain j'offre Bat plus fort sous l'étoffe Vraiment trop mince du gilet: Aimerai-je de la sorte et sans halte Jusqu'au dernier souffle? Le jour devient couleur de craie Et cette belle qui par-dessus tout me plaît De sa fenêtre peut voir sur l'asphalte Le poète Klingsor avec sa boîte au lait Et ses pantoufles. FRANCIS JAMMES Il a plu. Le matin sourit A travers ses pleurs; La grenouille saute dans l'étang Et sur un roseau droit du Christ, Le beau martin-pêcheur En habit bleu clair à la hussarde, Avec son plumet rouge éclatant, Monte la garde. Francis Jammes, dormez-vous encor? Le joli lièvre roux Essuie la fine pluie De ses moustaches Et le vieil âne à l'oeil humide tâche D'attraper enfin la fleur d'or Du pissenlit: Francis Jammes, Francis Jammes, dormez-vous? Il n'est plus un grelot de mule qui se taise Et ne fasse un concert féerique Sous l'accompagnement sourd des coups De trique; Il n'est plus un soulier du cordonnier d'Orthez Qui ne résonne sur le pavé; Ah! l'heure n'est plus de rêver Du cousin des Indes ou d'Amérique: Francis Jammes, Francis Jammes, dormez-vous? DU BOUT DE LA RUE DU BAC Du bout de la rue du Bac Je regarde le paysage printanier, Les bateaux bleus dans l'eau vert pomme, Les linges clairs des mariniers, Le Louvre rose du vieux Roi, Et sur Saint-Germain l'Auxerrois Un ciel aussi fin qu'un tamis d'azur; Du bout de la rue du Bac Tout paraît pur; Tout est paré de couleurs vives comme Une aquarelle de Signac. Bateliers, bateliers, pourquoi donc partez-vous? Ce paysage ne peut-il suffire? Laissez le gouvernail et le souci Et vous, charmantes mains, laissez les clés; Le temps fera le ton de ces pierres plus doux, Mais je ne serai plus hélas! ici Pour regarder cette eau couler, Ni ma folle jeunesse s'enfuir. RÊVERIE D'AUTOMNE Monsieur le professeur Trippe A son gibus de poil de lièvre Et sa redingote noire qui se fripe Sur son maigre derrière. Monsieur le professeur est assis Sur le banc vert du jardin anglais Et tourne ses pouces d'encre noircis Sur son gilet usé à ramages violets. L'automne mélancolique ce soir Commence à rouiller les feuilles sans sève: Monsieur le professeur les regarde choir Une à une, et rêve ... Monsieur le professeur a des lunettes d'or Sur son nez long d'une aune Et des fils d'argent dans ses cheveux jaunes Et multicolores. Et pourtant monsieur le professeur fut jeune homme Probablement, rose au jabot, sourire aux lèvres; Mais maintenant, monsieur le professeur rêve Et contemple le soir d'automne. Monsieur le professeur songe à madame Rose Sa ménagère au teint rosé de lilas; Monsieur le professeur rêve et pose Dans le creux de sa main son front las. Un espiègle tire son mouchoir à fleurs; Un air suranné d'épinette s'achève; Au fond du vieux jardin anglais le jet d'eau pleure: Monsieur le professeur rêve ... FRÉJOL Que Fréjol chante ou que Frégoli Change de veste, Qu'importe si le pli De ton ventre reste. Charmant bourgeois Qui décampas du logis L'oeil tout en joie, Ton nez comme aubergine rougeoie Aux bougies. Le poétique clair de lune sur l'osier Peut luire et le rossignol gris s'égosiller, Tu t'en fiches: Fréjol et Frégoli sont sur l'affiche. Et cependant qu'un vieil alcool descend la pente De ton gosier à col crasseux, Madame au coeur tendre se penche Et sournoisement se grise de ce Que Fréjol chante. MADEMOISELLE DE MONTPENSIER Dans ce vieux Luxembourg cher au coeur d'Antonio De la Gandara, Dans ce vieux Luxembourg, La flûte, le trombone et le tambour Qu'un beau militaire bat à tour de bras, La flûte, le trombone et le tambour Esquissent un trio. Hé! hé! la fine jambe que voici! Le bourgeois assis Vers elle glisse Une oeillade d'amour farcie; Ce hautboïste emplit les coeurs de poésie: Qu'en dites-vous, nourrice? Chut! le capitaine de musique s'assied Et la petite flûte s'est tue; Charmante épouse courroucée, Ne crains plus rien pour ma vertu: Je ne regarde que la statue De Mademoiselle de Montpensier. LE DÉFILÉ Au bruit du trombone et des fifres de buis Le régiment bleu passe dans la rue; Margot t'a plumé comme une recrue, Marquis. La femme de l'adjoint se penche à la fenêtre Et son pauvre coeur bat comme un tambour; La femme de l'adjoint regarde tour à tour Les jeunes officiers paraître et disparaître. Soeur Anne, soeur Anne, ne vois-tu rien venir? La Margot t'a plumé comme un dindon charmant; Mais quoi, voici passé le régiment Et Madame est prête à s'évanouir: Où donc es-tu, lieutenant? MONSIEUR ANGOT La lune est tout en haut du peuplier Et tu attends en vain ta belle, nigaud; La lune est tout en haut du peuplier Et Monsieur Angot monte à sa tour Pour la mieux regarder: Est-il pointu, rond ou carré, Est-il de soie ou de velours Ou de papier, Le bonnet de Monsieur Angot? Avez-vous bien dormi, chère jolie? L'aubergiste déjà réclame notre écot; La lune est loin, le rossignol d'amour s'est tu Et Monsieur Angot ronfle dans son lit: Avez-vous bien dormi, chère jolie? Assurément il est pointu Le bonnet de coton de monsieur Angot. Votre coeur ce matin est-il triste ou léger? Faut-il que nous allions songer sous la charmille Où le corbeau Déchire son gosier de parchemin, Faut-il encore aller songer? Mais quoi? pleuvra-t-il aujourd'hui, fera-t-il beau, Ma mie? Monsieur Angot nous le dira demain. LE POULET AU BOUT DE LA FICELLE Le poulet tourne au bout de la ficelle, Le poulet qui pend Sur le bois qui fume; Le poulet tourne au bout de la ficelle Et la plume Tourne au vent. Le bruit de la fusillade se fait si faible Qu'on ne l'entend plus qu'à peine; Brigadier Fricard et toi Bridaine, Toastons; Nul poème Ne vaut cette volaille entre ces trois bâtons. Et des buveurs de bière, foin! Le fin canon de France leur répond; Fricard, est-ce que la vie t'importune? Encore un peu de ce vieux vin De Moselle exquis, Encore un peu de ce chapon, Puis nous dormirons sous la lune, Vous deux rêvant de blonde ou brune, Mais moi, de qui?... GOOSSENS Déjà la nuit ... Dans l'albâtre luit Le filament d'or cramoisi; Où sommes-nous? Tout s'assoupit: La pelote De fil tombe sur vos genoux Et le pois sans cosse Roule sur le tapis D'Asie; Déjà la nuit ... Sur le clavier jauni Une musique délicieusement fausse De Goossens s'éveille note à note; Où sommes-nous? A Londres, Chandernagor Ou Singapour? La main délicate et chérie Continue Et les doigts fous courent plus vite; Mais soudain trouant le décor Et faisant tressaillir la trop sonore vitre, Avec un lointain roulement sourd, Le dernier autobus traverse l'avenue Montsouris. SUR LE QUAI La bise qui nous soufflait au nez Depuis le Pont-Neuf jusqu'à Notre-Dame, Ce soir d'hiver, chère, vous suffoquait; Était-ce endroit choisi pour une promenade D'amoureux étonnés, Ce quai? Surtout quand le poumon est en capilotade Comme le vôtre hélas! comme le mien aussi; Mais n'est-ce le moindre souci Auquel on s'attarde, Lorsqu'Amour, ce traître, bat le briquet? Paysage fin et mélancolique, Certes je t'ai toujours aimé, Avec tes chalands se berçant sur l'eau, Tes feuilles qui s'en vont au vent tourbillonnant, Tes vieilles maisons aux toits inégaux, Tes boîtes de bouquinistes fermées Et la boutique de musique De Monsieur Pugno,-- Mais maintenant?... MONSIEUR DE LA GANDARA La lune se lève sur le marronnier, Monsieur de La Gandara rêve au Luxembourg; La lune se lève sur le marronnier Et monsieur de La Gandara la regarde; On entend au loin battre le tambour De garde. Dans la douceur de ce soir printanier Le vent léger transporte une odeur de lilas; Le sergent de ronde fait sonner ses clefs; Les couples s'isolent dans les allées Et monsieur de La Gandara qui s'attarde A contempler la couleur rose-thé Des balustrades, A son tour s'en va. De sorte qu'au fond du vieux parc déserté Où le fantassin de la République Veille et s'engourdit, Les belles reines de marbre, Droites et mélancoliques, Restent seules à rêver du temps jadis, Au clair de lune sous les arbres. L'OISEAU DE BOIS Dans la nuit sans lune un lumignon file Comme une étoile, Et pendu sous l'oiseau mobile De bois mince et de toile, Un homme veille sur la ville. La rose jaune de Fontenay Dans le verre agonise; Le bon bourgeois est en chemise Bougeoir en main et blanc bonnet De coton sur la tempe grise. Et tandis que l'oiseau lourd et merveilleux plane, Dans mon lit une fois encore je me tourne, Et comme au temps du vieil Haroun Je rêve d'une fine princesse persane Aux yeux obliques de velours. ENVOI Prince, la rose d'avril peut Refleurir au bord de la route Et le ciel être gris ou bleu: Il ne passe qu'ânes qui broutent. Le rossignol peut sangloter d'amour Et quelqu'un peut chanter tour à tour Sa peine, sa joie ou son doute: Personne n'écoute. Chacun me déboute: Qui donc aurait cure D'une bourse mince Et d'un coeur obscur, Hormis vous sans doute, Prince? CHANSONS DE BONNE HUMEUR BONJOUR MONSIEUR Bonjour Monsieur, comment va votre femme? Fort bien? Tant mieux. Savez-vous que les roses se fanent Autour du rameau trop vieux? Bonjour Monsieur. Savez-vous que la robe bleue Est froissée et le ruban blanc fripé? Courez vite chez le drapier, Même s'il vente, même s'il pleut: Courez donc, Monsieur. Mais du reste, de la dragée, du mimosa, Un autre se chargera mieux; Mais du reste, du baiser et cætera, Un autre se chargera: Bonjour Monsieur. LE TENDRE RAILLEUR Qu'un étudiant brandebourgeois Donne une sérénade de basson Ou de hautbois A la femme d'un vieux barbon, En quoi cela vous touche-t-il, en quoi? Que j'ai une larme au bout de mes cils Ou le coeur en joie, Que je me moque ou bien que j'aime, Que je me taise ou que j'écrive un poème, En quoi cela vous touche-t-il, En quoi? CHANSON DE MONSIEUR BENOIST Fera-t-il beau temps, pleuvra-t-il? Prends ta canne, Monsieur Benoist; Fera-t-il beau temps, pleuvra-t-il? Qui le sait? ni pape, ni roi; Prends ta canne de bois Des îles. Qui peut savoir où le vent file? Bon courage, monsieur Benoist; Qui peut savoir où le vent file? Rêve de femme est plus subtil; Prends ta canne de bois Des îles. Que femme au retour crie ou danse, Bon courage, Monsieur Benoist; Que femme au retour crie ou danse, Prends ta pipe, Monsieur Benoist. Prends ta pipe de bois De France. CHANSON DE LA MERLUCHE Quand je n'ai pas de sole Point ne suis-je assez fol Pour faire bouche fine: Quand je n'ai pas de sole Je mange une merluche. Certes l'eau de la cruche Ne vaut point chopine De vin du Rhin; Mais un liard vaut mieux que rien Et Margot dans un lit Vaut bien la plus jolie Dauphine. OÙ LE COQ A-T-IL LA PLUME? Où le coq a-t-il la plume? Pas au bout du bec; Le bois n'est pas sec, La cheminée fume; Où le coq a-t-il la plume? Dans les doigts de la servante Qui l'arrachent au croupion bleu; Où le coq a-t-il la plume? L'eau dans la marmite chante Sur le feu. Où le coq a-t-il la plume? Sur le vieux volant de bois Qu'on jette jusqu'en haut Du toit; La cheminée fume Et la soupe bout sans bruit dans le pot: Où le coq a-t-il la plume? LE BOURGEOIS DE DREUX Pinte de bon sang Vaut pinte de vin bleu; Laquelle veux-tu, paysan? Les deux. Dinde en un plat creux Vaut dinde à travers champs; Que choisis-tu marchand? Les deux. Servante au joli cou Vaut bourse d'homme heureux; Que gardes-tu, grigou? Les deux. Et c'est ainsi que devant l'oignon cru Riaient la fille et le bourgeois de Dreux, A l'auberge des deux Écus. CHANSON DU ROI DE PRUSSE Si le roi de Prusse l'avait voulu, Vieux merle en habit noir de veuf Posé sur une branche de bouleau tremblant, Tu serais blanc Comme un écu D'argent tout neuf, Si le roi de Prusse l'avait voulu. Si le roi de Prusse l'avait voulu, Vieux baudet d'Espagne perclus, O chère vieille bourrique D'Andalousie, Tu serais aussi droit qu'un i Sous les coups de trique, Si le roi de Prusse l'avait voulu. Si le roi de Prusse l'avait voulu Lanturlu, Cher escargot gris Tu n'aurais plus de cornes, Ni toi non plus Pauvre vieux mari Qui ris jaune, Si le roi de Prusse l'avait voulu. AU JOLI JEU DES FOURBERIES Amour donne une joie Pour cent chagrins, Mais le redire mille fois Ne sert de rien. Amour fait voir le noir blanc Comme liseron; Toujours les filles se prendront Aux becs des galants. Toujours les garçons seront pris Aux sourires des filles; Au joli jeu des fourberies, Tous les coeurs servent de quilles. Et moi tout grison que je sois, Je ne suis point guéri de la vieille folie Et je voudrais aimer une dernière fois: Toute douleur s'oublie Pour cette joie. BONJOUR OLIVIER Bonjour Olivier. Avez-vous bien dormi? Le chat s'étire dans le grenier, Le brouillard se lève sur la Loire, Le pêcheur jette l'épervier, Et tout le monde ouvre les yeux, hormis Les loirs. Bonjour Olivier: Le matin frais argente la colline Et l'herbe au soleil verdoie; L'écureuil sur le hêtre essuie Sa moustache fine Et le coq de bruyère a traversé le bois; Mais où est donc votre fusil? Chasseriez-vous autre gibier? La tendre femme du meunier En sa maison de farine Attend-elle votre arrivée? Courez vite: le mari S'en va sur son âne gris Le nez au vent et l'heureuse mine; Bonjour Olivier. QU'AS-TU DE JAUNE A TON CHAPEAU? Le geai s'envole dans le bois; Qu'a-t-il de jaune dans son bec? Un simple brin de bâton sec, Ou quoi? Et toi, mari, et toi, Qu'as-tu de jaune à ton chapeau? La plume claire d'un loriot, Ou quoi? A STRASBOURG EN FRANCE A Strasbourg en France, Damoiselle Lise danse Quand vient la cigogne avec l'hiver Et maître Ulric emplit sa panse De bière, A Strasbourg en France. Dans l'air assoupi Le clairon résonne: Qu'en dis-tu, Guillaume? Je ne donnerais pas une pomme D'api De ton royaume. Sur le clocher fin Le coq s'égosille: Qu'en dis-tu, Guillaume? Je ne donnerais pas une aiguille De pin De ton royaume. Le parler d'oïl Partout se chuchote: Qu'en dis-tu, Guillaume? Je ne donnerais pas ma pelote De fil Pour ton royaume. A Strasbourg en France Damoiselle Lise danse Quand vient la cigogne avec l'hiver, Et maître Ulric emplit sa panse De bière, A Strasbourg en France. QUI EST GRIS? Qui est gris? Le chaton qui joue avec la ficelle Ou le chat qui joue avec la souris? Qui est gris? Le vieux chat voleur de la mère Michel? Non: son mari. Chère, ce soir sans lune, Entre chien et loup Est d'une poésie Assez bien choisie Pour ceux qu'importune Un jaloux: Chère, qu'en pensez-vous? A quoi bon ouvrir la lucarne? Qui met ainsi cornes au vent S'enrhume, crois-m'en, Le plus souvent; Amour ne chauffe sur son gril Que les amants; Rentre ton crâne Grigou charmant; A quoi bon ouvrir la lucarne: Tout est gris. LE COQUEBIN Je tourne autour de ta maison Et fais trois fois le tour du pré; je tourne autour de ta maison, Belle Suzon, Mais n'ose entrer. Je tourne autour de votre coeur, Belle, mais je ne sais tourner la clé, Et le vieux mot fou sur ma lèvre meurt; Je tourne autour de votre coeur, Mais je n'ose parler. Je tourne autour de ton jupon Belle, belle, et je froisse le lacet brisé; Je tourne autour de ton jupon, Lison, Et n'ose oser. CHANSON DE LA TULIPE As-tu vu l'éclipse La Tulipe? Je t'invite A lever le nez plus vite. As-tu vu la queue du diable La Ramée? Non? Alors à quoi bon Vous mettre toute une armée Pour la tirer comme un câble? Mais qui donc, pauvre homme Ou savant astronome, Mais qui donc en somme A lui-même vu ses cornes? Personne. RONDE DES RADIS GRIS Des oignons, des radis, du céleri, Bonjour Madame; Des oignons, des radis, du céleri, Des radis roses, des radis gris Et des chardons pour votre âne; Bonjour Madame: où est votre mari? Et le merle que dit-il Dans sa cage de vieux fil De fer, Et la tourterelle blanche Dans le bois de la pervenche, Et le loriot jaune en l'air, Et le moineau sur la branche? Bonjour Madame, nous reviendrons dimanche. Bonjour Madame, où est votre mari? Il est dans son jardin qui cueille des radis, L'oseille verdoyante, aussi la chicorée, Et les oignons qui font pleurer Et puis les courges dont on rit; Mais le merle, qu'a-t-il dit? Bonjour Madame, nous reviendrons jeudi. LA STRASBOURGEOISE Cher bourgeois Strasbourgeois Où allez-vous donc ainsi? Boire un peu De vin bleu, D'usquebac ou de cassis? Chère épouse Trop jalouse Où allez-vous donc ainsi? La servante Rit d'avance: Votre mari n'est pas ici. Et vous rose écolier Tout de noir habillé Où allez-vous donc ainsi? Madame hélas! vient de sortir: Amour ne conduit guère qu'à soupirs Et souci. LA POULE JAUNE Brûle feu, cuis fricot: La poule jaune est dans le pot D'émail bleu; Brûle feu, Mon amoureux viendra bientôt. Peigne, brosse, houppe, Dépêchez-vous de me parer: Ma mère coupe Un peu de bois mort dans la haie du pré; Mon amoureux doit se presser sur la route. L'horloge a sonné, mon coeur bat plus vite ... Feu, ne brûle pas si fort Et vous ma mère n'apportez plus de bois mort: La poule est trop cuite Et mon amoureux ne vient pas encore. LES NIAIS Que le vent dans le bois s'amuse A souffler comme un joueur de cornemuse, Ou qu'il siffle Comme un sylphe, Le merle s'en fiche. Qu'un nigaud à la lune confie Son frais amour d'une voix rauque, Ou qu'il s'enrhume dans la rue A faire le pied de grue, La fille s'en moque. Que le mari berné à la fin crie Contre la faible épouse tout à son aise, Qu'il appelle aux gendarmes à grand bruit, Ou qu'il se taise, Tout le monde en rit. CHANSON DU BOUT DE L'AN Quand reviendra le bout de l'an, Combien comptera-t-on de poils gris, Combien comptera-t-on de fils blancs De plus, triste mari? Combien y aura-t-il de rides Creusées l'une après l'une, De cornes nouvelles, de bouteilles vides Et de rêves enfuis avec les vieilles lunes? Ah! rions-en: chanson vaut mieux que patenôtre; Un galant remplacera bien un galant Et toujours une folie chassera l'autre, D'un bout à l'autre bout de l'an. QUAND IL PLEUT A BLOIS La terre tourne comme elle peut; Du soir tout gris au matin bleu Plus d'une fille oublie Son propre aveu; Qu'en dites-vous, Monsieur de la Mélancolie? Quant il pleut à Blois Il fait sec à Dreux; La femme mûre embrasse un jeune gueux, Et le mari boit Sa coupe jusqu'à la lie; Qu'en dites-vous, Monsieur de la Mélancolie? En ce monde, mon Dieu, Rit-on trop ou trop peu? La cuisse la plus jolie Un jour est sèche comme pieu; La terre tourne comme elle peut; Qu'en dites-vous, Monsieur de la Mélancolie? CHRONIQUES DU CHAPERON ET DE LA BRAGUETTE LES BELLES DAMES DE PARIS Les belles dames de Paris Ont de belles robes Avec de grands cols à broderies Sous les manteaux fourrés de haut prix. Les belles dames de Paris Du Pont-Neuf à la Concorde Ont de beaux visages poudrés de riz Et de mignonnes mains gantées de gris. Mais elles ont mieux Pour les galants audacieux, Elles ont mieux encore Que beaux habits et beaux yeux; Elles ont mieux que fraîches mines Malicieuses de souris: Elles ont de gracieux corps Sous les chemises fines; Elles ont cuisses et jambes jolies Et veloutées comme fleur ou fruit Dans leur lit, Les belles dames de Paris. LE CHAPERON Chaperon est petit chapeau rond Fleuri de roses, Avec une plume d'oiselle, Et qu'une main délicate pose Au haut d'un front De très mignonne damoiselle. Chaperon est encor maigre sorcière A nez crochu, doigts effilés Et manteau fourré de renard, Qui tient les pucelages sous clé Et garde la vertu dans une souricière A l'abri des chats blancs ou noirs. Chaperon est petit chapeau rose ou bleu De satin ou de fin velours ouvré; Est aussi vieille gardeuse de pucelles: Entendez-le, Mes beaux messieurs et vous mes belles jouvencelles, Entendez-le comme vous voudrez. FRÈRE JACQUES Frère Jacques, dormez-vous Avec votre bonnet de coton sur l'oreille? N'entendez-vous pas le carillon sans pareil De toutes les cloches dans les tourelles? Etes-vous devenu sourd ou fou? Et la Marion que fait-elle Pour que sa fenêtre soit encor fermée? Monsieur le vicaire est à l'autel: N'a-t-elle pas mis son fichu de dentelle Et pris son rameau de mai? Ah! Ah! voulez-vous qu'on dise: Frère Jacques couche avec la Marion Qui a la cuisse ronde et le pied mignon Plutôt que d'aller à l'église Faire tinter le carillon? Au revoir, au revoir, frère Jacques: Dormez ou faites le sourd, Tout le monde connaît les tours Que la Marion a dans son sac Pour retenir au lit les vieux braguards d'amour. L'OREILLER Cuisse de femme est douce chose Plus douce au toucher que velours soyeux Et plus rose aux yeux Que pétales de roses: Cuisse de femme est douce chose. Ni oreiller de duvet d'oie Ni lit de laine molle garni, Ni vieux fauteuil couvert de soie, Ni chaise à porteurs d'autrefois, Ni coussins de satin mauve, Ni le trône du prince de Bohême, Ni même, Je crois, Le carrosse de Louis Quatorze, Ne valent si précieux nid: Cuisse de femme est douce chose Et tour à tour délice de pauvre Ou joie de roi. LE SEIGNEUR DE HOCHEQUEUE Parce que la besogne d'amour qui grise De si douce sorte les jouvenceaux Effrontés ou sots, Devient dure aux sires à barbe grise, Et que sa bonne dame s'amuse à la besogne Autant que nonnain rusée De France ou de Gascogne Pour plaire au diable peut s'amuser, Entre son feu, des huîtres, une géline, Deux fioles et un pâté de Tours, Le vieux seigneur de Hochequeue dodeline Sa tête blanche sous son bonnet de velours. Et pendant que sa dame confesse ses péchés Au petit chapelain mignon dans l'oratoire, Et que l'échanson et la servante vont chercher Quelque fine bouteille à boire, Il appelle son lévrier par la porte ouverte Et cueille d'un geste négligent La dernière huître verte Qui baille à mourir dans un plat d'argent. LE LIT CHAUFFÉ Commère il faut chauffer le lit, Minuit sonne, Minuit sonne au carillon; Il ne reste plus personne, Ni laideron, ni jolie, Pour danser aux violons. Au dehors le froid gèle le nez Des amoureux qu'on oublie Et qui font le pied de grue, Tandis que les cocus mal encapuchonnés Veillent dans la rue; Commère, il faut chauffer le lit. Ote ton corset que tes tétons brisent Et tes jarretières agrafées Qui laissent sur tes cuisses leur marque rougie Et moi je viendrai haut trousser ta chemise, Quand tu auras soufflé la bougie Et quand le lit sera chauffé. LES MUSICIENS GALANTS Accorde ta fausse mandoline Joli clerc en herbe: ré, sol, mi, la: La mignonne en rira sous sa capeline, La mignonne qui passera par là. Les barbons moroses s'encapuchonnent En leurs manteaux fourrés d'hermine Et les amoureux transis de Bourgogne Sous la bise font triste mine. Le froid pince aux cordes des guitares Les doigts des musiciens sous le balcon, Des musiciens venus trop tard, Et cramoisit leurs nez rubiconds. Remportez vos bouquets, messeigneurs; Colombine a ce soir soufflé sa chandelle: Peut-être aurez-vous demain sort meilleur Si son jaloux d'Arlequin n'est pas près d'elle. Et pendant que ce vieux fou de duc traîne Encor sa rapière d'un air méprisant, En son lit la vive et friande châtelaine Dépucèle son petit page de quinze ans. LE POSTILLON DE LONGJUMEAU Bon postillon de Longjumeau En habit rouge, en gilet bleu, En culotte blanche de peau, Bon postillon de Longjumeau Arrête un peu. Bon postillon de Longjumeau Avec ce tronc de cône que tu inclines Sur ton oreille en guise de chapeau, Bon postillon de Longjumeau Arrête ta berline. Je veux monter dans ta guimbarde Et tu pourras fouetter ta haridelle, Car il me tarde D'être auprès de la belle Dont je suis l'amant fidèle. La route est fleurie et jolie à suivre; Fais carillonner tout le long l'argentine Sonnerie des grelots de cuivre, Et fais envoler la poussière fine Sous les roues de ta berline. A la croisée de son château m'attend celle Aux yeux d'or vert troublés d'émoi, Aux lèvres chères de jouvencelle; Bon postillon de Longjumeau, grimpe en selle Et vite, vite, emmène-moi. Galope et tu auras vingt beaux sols français, Bon postillon de Longjumeau, vingt ou trente, Et de plus quand ma mie ôtera son corset, Tu pourras toi aussi caresser la servante, D'une main leste, jusqu'où tu sais. LE MÉNÉTRIER Quand le ménétrier des morts est passé Avec un mignon cercueil pour boîte à violon, Le crâne sans toque et les pieds déchaussés, Lansquenets bravaches ou félons, Pages d'amour charmants ou vieux cocus rossés Ont fait la courbette jusqu'à ses talons. Quand le ménétrier des morts est passé Avec un tibia pour archet, Abbés papelards, mitrés et crossés, Pourvus de pécheresses et d'évêchés, Ont lampé leur dernier pichet Et sont vite allés se confesser. Et toi aussi, chère petite adorée, Tu as mis ta collerette de neige Et ta couronne de fiancée Pour suivre l'étrange cortège De danseurs et d'amoureuses au bout du pré. Quand le ménétrier des morts est passé. NOCTURNE Amour donne esprit aux filles; La fenêtre s'ouvre quand la duègne dort, Et dans l'ombre au dehors Les galants sans bruit Se faufilent Contre les murs gris. Échelles de corde Et douces escalades d'amour, C'est l'heure propice; Le veilleur qui siffle en faisant son tour Pisse Sans y voir goutte; Échelles de corde, Adroits rendez-vous Et balivernes qu'on écoute, C'est l'heure complice; Au gracieux drille un baiser s'accorde, Au gracieux drille on accorde tout. Mais sur le vieux fou Qui donne en vain des sérénades, La servante vide le pot de nuit, Et tandis que l'amoureux éconduit s'enfuit Et que la fille rit aux larmes, On entend au loin s'avancer la garde Au pas de parade Et chaque croisée vite est refermée; A la barbe des gendarmes C'est l'heure d'aimer. L'ESPAGNOL DE HOLLANDE A la table de bois d'une tonnelle d'auberge Un Espagnol de Hollande s'est assis, A posé sur le banc dague et flamberge, Colichemarde, rapière Et chapeau à plumes au rebord roussi Et dressé vers le ciel son nez rouge et pointu Comme un pignon de brique. --Holà! maraud, pendard, bourrique, Coquin d'hôtelier, que fais-tu? Apporte-moi vite une pinte de bière Ou je vais caresser tes reins de vingt coups de trique. Hé! Hé! Marion venons ici; Vous devez être, pardieu, une drue commère A califourchon comme vous savez. Peuh! cette bière est amère: Ta bouche l'est-elle aussi? Ah! ne fais pas l'effarouchée; Tu seras moins prude chemise levée Et j'aurai, foi de Rodrigue Sanchez Un plaisir extrême A vaincre tes petites roueries Et faire cocu ce soir même Ton bélître de mari.-- Mais comme l'aubergiste s'est montré Sur la porte en sabots de paille Avec un bâton dans sa main serrée, Notre Espagnol a fait celui qui raille Et lâché la Marion aux cuisses malmenées En renfonçant sa tête dans son collet fourré Et cachant dans sa chope de grès L'aune de saucisse de son nez. DOM RUYS --Foin du collet monté! --Foin du malappris! --De l'âne bâté! --Du malandrin!--De l'estropié! --Du Juif!--Du Turc!--Du Grec! --Que Satan le rôtisse sur son gril! --Que les chiens le tirent par les grègues! --Et la mort par les pieds!-- Mais sans s'émouvoir de cette horde De mendiants, de guenilleux, de roués, De gratteurs de guitare et de traîneurs de corde, A la grêle d'injures qui pleuvait, Dom Ruys répondit par un coup fort bien trouvé Du plus neuf de ses trois chapeaux troués. De sorte qu'ayant tourné le coin de rue, Il put envoyer un sourire léger A cette infatigable grue De vieille duègne à douillettes lippes, Qui lui coulait une oeillade enragée De sa fenêtre où fleurissait une tulipe. BILLET Envoie des violettes de Parme Et des sucreries de Venise, Vieil âne fou d'amour, Accroche des rubans de satin à ta lame Et retrousse ta moustache grise; Fais jouer des sérénades de guitares Et mets un manteau de velours; Tu viens un peu tard, Pauvre cocu de duc d'Ebboli, Et tu pourras je crois, dénicher un merle blanc Avant de prendre l'oiseau joli, L'oiseau mystérieux et tremblant Que ma Sylvia rieuse cache en son lit. LE COCU Au rythme berceur des guitares lentes Et des castagnettes qui claquent vite, Avec son chapelet et ses reliques, Tourne la jolie fille de Séville Qui fait de l'oeil au bachelier de Salamanque. Et l'aubergiste qui joue aux dés avec lui Rit tout bas de le voir naïvement féru De la donzelle dont l'oeil noir reluit, Et triche comme un escroc En guignant sa bourse gonflée d'écus. Cependant que don Pedro Qui porte un bouquet de roses à sa rapière Vient mystérieusement du bout de la rue Pour caresser derrière une porte l'hôtelière Et faire ce baudet d'hôtelier cocu. LA QUERELLE --Coquine!--Gueuse!--Pimbêche! --Voleuse!--Bas percé! --Garce!--Rouleuse de fossés! --Eh! va donc figue sèche! --Va donc, pauvre cul défoncé!-- Très doucement le soir tombait Et noyait d'ombre la rue Où se croisaient injures et quolibets: --Tu finiras par le gibet. --Et toi par la vérole, vieille grue!-- Et c'est ainsi que jasaient deux filles du Christ, Ce soir là, par la bonne ville de Grenade, Et dans l'air parfumé d'orangers fleuris Ne se mêlait par instant à leurs cris Qu'un bruit lointain de sérénades ... LES DEUX GONDOLES Quel gondolier de Venise, Quel gondolier du diable ou de Dieu Veut quatre ducats d'or Pour conduire en bon lieu Ce vieux duc de Salviati que le vin grise Comme un enfant et qui s'endort? Holà! Luc et Gennaro, venez ici. Écoute, toi, Luc, J'ai deux mots à te dire à l'oreille. Prends en ta barque monseigneur le duc Et chavire un peu, par chance sans pareille Sans que personne en ait souci. Et toi, Gennaro, conduis-moi sans bruit. Par le pape, la Salviati, mon cher, Cette fine mouche, A la plus exquise chair D'Italie et si séduisante bouche, Que je jure de la baiser cette nuit! LE MAQUEREAU Avec un sourire de ma maîtresse Aux vieux ducs enjôlés de Tolède, J'ai des ducats d'or, moi le Redouté, Pour porter cape neuve et dague raide Avec adresse A mon côté. Pour une nuit de ma maîtresse Avec un vieux fou dont la barbe est grise J'arrondis ma bourse de gentilhomme Et je me grise Comme Un évêque avec les filles que je caresse. Pour un coup de trique à ma maîtresse J'ai les beaux écus qu'elle subtilise, J'ai manteau de soie et bottes à revers, Et tous ces imbéciles d'alguazils Quand je viens à passer restent découverts Devant don Alfonso Gonzalez de Xérès. L'HEURE DU FAUNE Amour, amour souriant ou mélancolique, Amour menteur va-t-en Conter plus loin tes sornettes coutumières: Déjà, vois-tu, les coquebins enhardis causent De la pluie et du beau temps; Riquet à la Houppe a la colique Et ce bon Figaro vide le bidet rose D'une grasse commère. Bergère ou marquise, c'est l'heure du faune; Souriante et perverse et le coeur très tendre, Madame à dessein lève un peu trop haut Sa jupe, et ce cher grand nigaud De Clitandre Met enfin les mains partout; Géronte crève d'une quinte de toux Et le mari que personne n'attendait Rit jaune: Figaro vide le bidet. L'ATTENTE INUTILE Jolie fille, qu'attendez-vous? Voici votre tour D'aimer maintenant: Point ne manque de galants Gracieux et fous, Fort savants vraiment en choses d'amour. Ou préférez-vous bourse de velours Et garnie d'écus neufs à poignée? Vieux paillards sont là, vieux braguards charmés, Tout prêts à gentiment vous besogner: Voici votre tour D'aimer. Ah! jolie fille qu'attendez-vous ainsi? Profitez de l'heure; Beaux yeux un jour seront pleins de chassie, Dents branlantes et piquetées de trous; Vous serez vieille alors et toute en pleurs: Jolie fille, qu'attendez-vous? LE PRINTEMPS Printemps tout en tendres couleurs, Printemps tout vêtu de vert, De rose et de bleu, Le coeur du notaire s'émeut un peu D'une amoureuse folie, Lorsque tu viens, Printemps vert si joli, Le coeur du notaire s'émeut un peu Et celui de la belle mercière. Madame Juliette qui s'éveille Regarde ses lilas à la croisée, Regarde Monsieur son époux qui dort Le bonnet de coton sur l'oreille, Regarde sa cuisse exquise encor, Plus friande que cuisse de jouvencelle, Et rêve des maladroits baisers D'un coquebin naïf qu'on dépucèle. Le curé trousse sa servante Et le bedeau quelque commère, Et toi comme un ange charmant du Bon Dieu, Tu viens vers nous, Printemps, tout vêtu de vert De rose et de bleu. L'ANNEAU D'HANS CARVEL Qui veut cueillir la rose au bois (Ruche gaufrée en point de valencienne) Et l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt? Comme aux fabliaux d'amour d'autrefois Du gentil Boccace à Pise ou Sienne, Qui veut venir cueillir la rose au bois? On s'acoquine aux chers mignons minois Sous la jalousie ou sous la persienne, Et l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt. Joufflu Jean d'Anjou souffle en son hautbois Et joue une villanelle ancienne: Qui veut venir cueillir la rose au bois? Mais quel escholier juché sous un toit Qui n'ait eu folle bouche sur la sienne Et l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt? Et quelle aïeule à son rouet des rois Qui, filant son fuseau, ne se souvienne D'avoir aussi, cueillant la rose au bois, Mis l'anneau d'Hans Carvel à petit doigt? L'AMOUREUX Quand Manon écosse ses pois Pour les mettre au bouillon de la marmite Je m'approche à pas sournois La couvant de l'oeil comme un ermite Pour lui pincer la taille de mes doigts, Quand Marion écosse ses pois. Le feu flambe clair sous la soupe, Le feu de copeaux secs et de vieux bois, Mais j'ai tremblé tant au vent d'hiver sur la route Que je tremble encore, je crois; C'est si drôle l'amour, j'embrasse ma douce: --Marion n'as-tu pas fini d'écosser tes pois? La cuiller à pot a chu sur ma tête: --Vilain, t'as le nez tout gelé de froid Et la barbe trop raide! J'ai caché ma tête sous mon bras: --Marion, ma bonne Marion, arrête! Marion continue d'écosser tes pois.-- LA MARGOT Garse mignonne et pied de fée, C'est la chère Margoton de n'importe où, Dont tous les sots ont la cervelle coiffée, De Saintonge jusqu'en Poitou. Mais pied de fée est peu de chose Et votre moindre souci: Or la jambe est potelée et rose Et le reste aussi. Tous les coquebins s'en vont le soir songeant A sa douce chair exquise, Mais la bouche coûte un angelot d'argent Et le reste un château de marquise. Au corps d'un évêque elle vous glisse un diable A lui donner à jamais la berlue Et prend les moinillons à ses oeillades, Comme des moineaux à la glu. Je fus son amant aussi, messire: Si j'ai barbe trop dure et trop grise, Manteau de loques et doublure pire, J'eus pourpoint de velours de Venise. Nous avons rêvé tous les deux à la lune; J'étais son cavalier servant jadis: Elle a laissé l'oiseau sans une plume Et ma bourse sans un radis. Et maintenant riant de ma triste mine, Elle enjôle le bonhomme de Limours Dont l'habit de soie est fourré d'hermine Et le coeur fourré d'amour. LA MEUNIERE DU MOULIN A VENT Trois petits pucerons savants Comme des acrobates tout de noir habillés Ont piqué la meunière du moulin à vent Et l'ont réveillée. C'étaient trois petits fous de pucerons Qui fourrent le nez partout, Qui sautent de la hanche au genou rond, Et l'ont mordue le diable sait où. Dame Flore frotte ses yeux gonflés Et rouges comme des cerises De ses jolis doigts potelés Et se glisse hors du lit en chemise. Passe son jupon vert. S'assied dans le fauteuil branlant Et laisse un brin nu de jambe à découvert Pour mettre ses bas de fil blanc. Guère d'ailleurs ne se dépêche Mais regarde au carreau de papier collé Une araignée aller à la pêche Et prendre une mouche dans son filet. Puis ouvre sa fenêtre A l'aubade des mille pierrots Dont le gosier est plein de chansonnettes Et de bigarreaux. Met sa robe jaune à fleurs, achève Sa toilette villageoise du matin Et va traire sa chèvre Dans son broc d'étain. Appelle son chat moustaché De quatre poils comme un gendarme du roi: Les souris courent grignoter les fruits au plancher Et se sauvent en désarroi. Juin d'ailleurs fait mûrir d'autres poires Au jardin enclos de haies sur le talus, A l'ombre des ailes de vieil oiseau noir Du moulin vermoulu qui ne tourne plus. A la croisée dame Flore se montre Et cueille une jeune rose d'été Au rosier qui monte Entre les planches disjointes de l'étai. Dame Flore a maintenant sa cornette large De beau linge amidonné, Un bourgeon de rose au corsage, Un autre sur le nez. Elle bâte de beau cuir neuf et lustré Son baudet qui se blesse le dos, Qui chante la messe comme un curé Et tend ses oreilles comme un bedeau. Lui accroche deux paniers gris par l'anse: Met dans l'un des figues, des olives Et des prunes de Provence Et dans l'autre une oie de treize livres. Et juchée dignement sur son âne Comme une reine sur une mule au mors d'argent, Elle va vendre sa volaille et sa manne De fruits au marché de la Saint-Jean. Et tout le long du sentier elle rêve, Pendant que l'âne fait sauver les sauterelles, Les grenouilles et les lièvres, Au meunier de l'étang qui vient vers elle, Et qui, sous sa figure et ses habits de farine, Jalouse peut-être les trois pucerons savants Qui sautent comme des clowns et tambourinent Le réveil de la meunière du moulin à vent. LE CHASSEUR Mets une queue de lièvre A ton chapeau, chasseur de la forêt et du lac, Mets ta pipe de merisier à ta lèvre Et ta poudre en ton sac. Les lapins qui dansent la ronde au clair de lune Sont assis sur leur derrière en t'attendant; Baise ta Margot, baise ta brune, Vite, et va-t-en. Va-t-en dans le sentier des hêtres Et des bouleaux blancs, Pendant que ta femme ouvre sa fenêtre Au damoiseau galant. Qui retrousse sa moustache de ses doigts En fredonnant un air d'amour, Et qui porte une plume d'oiseau des bois A son chapeau mou. LES TROIS GARS DU VILLAGE Les trois gars du village Ont des bas trop courts, Ont des blouses trop larges, Et vont faire aux fillettes leur cour. Ont trois petits chaperons De drap, de laine et de velours, Ont des boucles de cheveux blonds au front, Ont à la bouche des chansons d'amour. Les trois gars du village Entre les cornes de leur col blanc de chemise Ont les joues rasées comme des pages, Ont le nez rouge comme des cerises. Les trois gars naïfs des campagnes Ont des sabots trop lourds, Ont des chaussons de paille Et vont faire aux fillettes leur cour. Elles ont, elles, de gros bâtons Pour garder tour à tour, Leurs dindes, leurs canards ou leurs moutons, Mais ne gardent guère leur amour. Ont aussi trois petits bonnets ronds De toile, de dentelle et de lin, Qu'elles jetteront Ce soir, par dessus les moulins, Ou plutôt qu'elles mêleront En gentilles garcettes d'amour, Aux trois petits chaperons De drap, de laine et de velours. LE VIEIL HOMME Il pleut. L'escargot gris Montre ses cornes dans le bois Et le vieux mari Rentre les siennes; La girouette rit Tout en haut du toit Et le vent du Nord Pouffe dans la persienne; Le hareng saur se tord Sur le gril. La femme baisse sa chemise lestement Et l'amant surpris Par la croisée file sans bruit: --Bonjour, bonjour, mon mari chéri, A t'attendre j'avais tant de tourment; Bonjour, bonjour, mon mari..... --Vieil homme, vieil homme, pourquoi soupirer, Vieil homme pourquoi te rider de souci? Il pleure dans ton coeur comme il pleut sur les prés; Jeunesse est aussi douce que vieillesse acide; Pour noyer ton chagrin, voici le pot de cidre: La vie est ainsi. TABLE HUMORESQUES A l'auberge Le trio Le dragon L'aubépine Comme il vous plaira La pie au nid Au Luxembourg La gavotte Le loup-garou Nocturne provincial Pendant la pluie Le menuet La belle d'Argenteuil Le merle Jean Gossart La plume d'autruche Bonnard La bretelle cassée Matines Mademoiselle Rose Le garçon meunier Sous la cendre La chamade Le chef d'orchestre Vuillard Les audacieux L'eau claire Sous le balcon Le trèfle blanc Brouwer Le retour Le pommier tordu La pinte vide CHRONIQUES DU TEMPS DE PHILIPPE VIII A la terrasse Le nain Devant l'obélisque Les trois écus La fleur sèche Jeux d'eau Sur l'avenue Montsouris Francis Jammes Du bout de la rue du Bac Rêverie d'automne Fréjol Mademoiselle de Montpensier Le défilé Monsieur Angot Le poulet au bout de la ficelle Goossens Sur le quai Monsieur de La Gandara L'oiseau de bois Envoi CHANSONS DE BONNE HUMEUR Bonjour Monsieur Le tendre railleur Chanson de Monsieur Benoist Chanson de la merluche Où le coq a-t-il la plume? Le bourgeois de Dreux Chanson du Roi de Prusse Au joli jeu des fourberies Bonjour Olivier Qu'as-tu de jaune à ton chapeau? A Strasbourg en France Qui est gris? Le coquebin Chanson de La Tulipe Ronde des radis gris La Strasbourgeoise La poule jaune Les niais Chanson du bout de l'an Quand il pleut à Blois CHRONIQUES DU CHAPERON ET DE LA BRAGUETTE Les belles dames de Paris Le chaperon Frère Jacques L'oreiller Le seigneur de Hochequeue Le lit chauffé Les musiciens galants Le postillon de Longjumeau Le ménétrier Nocturne L'Espagnol de Hollande Dom Ruys Billet Le cocu La querelle Les deux gondoles Le maquereau L'heure du faune L'attente inutile Le printemps L'anneau d'Hans Carvel L'amoureux La Margot La meunière du moulin à vent Le chasseur Les trois gars du village Le vieil homme ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 17 OCTOBRE 1921 PAR FRÉDÉRIC PAILLART A ABBEVILLE (SOMME). *** End of this LibraryBlog Digital Book "Humoresques" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.