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Title: Histoire de la Nouvelle France - Relation derniere de ce qui s'est passé au voyage du sieur - de Poutrincourt en la Nouvelle France depuis 10 mois ença
Author: L'escarbot, Marc
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Histoire de la Nouvelle France - Relation derniere de ce qui s'est passé au voyage du sieur - de Poutrincourt en la Nouvelle France depuis 10 mois ença" ***


                              HISTOIRE
                           DE LA NOUVELLE
                               FRANCE

              Contenant les navigations, découvertes, &
            habitations faites par les François és Indes
             Occidentales & Nouvelle-France souz l'avoeu
             & authorité de nos Roys Tres-Chrétiens, et
            les diverses fortunes d'iceux en l'execution
            de ces choses depuis cent ans jusques à hui.

        _En quoi est comprise l'Histoire Morale, Naturelle
        & Geographique de ladite province: Avec les Tables
                        & Figures d'icelle._

             Par MARC LESCARBOT Advocat en Parlemens
       Témoin oculaire d'une partie des choses ici récitées.

         _Multa renascentur quae iam cecidere candéntque._
    Seconde Edition, revuë, corrigée, & augmentée par l'Autheur.

[Illustration]

             Chez Jean Millot, devant S. Bartholemi aux
        trois Couronnes: Et en sa boutique sur les degrez de
                    la grande salle du Palais.

                ----------------------------------
                             M. DC. XI.


                              RELATION
                              DERNIERE
                          DE CE QUI S'EST
                          PASSÉ AU VOYAGE
                     DU SIEUR DE POUTRINCOURT
                       en la Nouvelle-France
                        depuis 10 mois ença.

                    Par MARC LESCARBOT, Advocat
                            en Parlemens.

[Illustration]

                              A PARIS

                    Chez Jean Millot, devant
                S. Barthelemy aux trois Couronnes

                       ______________________
                              M DCXII

                       AVEC PRIVILEGE DU ROY



                              PREFACE

LE proverbe ancien est bien veritable, que les Dieux nos vendent toutes
choses par labeur. Ceci se reconoit par experience ordinaire en
plusieurs choses, mais particulièrement au fait duquel nos avons à
parler: auquel donne sujet par ses incomparables vertus le sieur de
Poutrincourt, de qui les labeurs plus que Herculeans ont dés ja long
temps, mérité une bien ample fortune, et y eust donné attainte au temps
de nos troubles derniers, s'ils n'eust esté trop entier à maintenir le
party qu'il avoit embrassé. Car le Roy le tenant en personne assiegé
dans le chateau de Beaumont lui voulut donner le Comté dudit leur pour
se rendre à son service. Ce qu'ayant refusé, il le fit toutefois peu
apres gratuitement voyant sa Majesté redut à l'Eglise Catholique
Romaine. Vray est que nostre feu ROY HENRI le Grand l'avoit obligé en
une chose, d'est d'avoir rendu par sa bouche ce témoignage de lui, qu'il
estoit un des plus hommes de bien, & des plus valeureux de son royaume.
Suivant quoy aussi apres noz guerres passées, lui qui naturellement est
porté aux entreprises difficiles, fuyant la vie oisive, aurait recherché
l'occasion de faire plus que devant paroitre son courage, honorer son
Prince, & illustrer sa patrie. Ce qu'il auroit fait par la rencontre du
sieur de Monts, lequel en l'an 1603, entreprenoit le voyage de la France
Nouvelle & Occidentale d'outre mer, avec lequel il se joignit pour y
reconoistre une terre propre à habiter & y rendre service à Dieu et au
Roy. A quoy il a depuis travaillé continuellement & eust desja beaucoup
avancé l'oeuvre, si sa facilité ne se fust trop fiée à des hommes
trompeurs, qui lui ont fait perdre son temps et son argent. Voire encore
estant Gentilhomme indomtable à la fatigue, & sans craintes aux hazars,
il se pourroit promettre un assez prompt avancement de son entreprise
s'il n'estoit troublé par l'avarice de ceux qui lui enlevent la graisse
de sa terre sans y faire habitations, & avides des Castors de ce païs là
y vont exprés pour ce sujet, & ont fait à l'envi l'un de l'autre que
chacune peau de Castor (qui est le traffic le plus present de ces
terres) vaut icy aujourd'hui dix livres, que se pourroit bailler pour la
moitié, si le commerce d'icelles estoit permis à un seul. Et au moyen de
ce pourroit prendre fondement la Religion Chrestienne pardela; comme
certes elle y aurait esté fort avancée, se telle chose eust esté faite.
Et la consideration de la Religion & de l'establissement d'un païs dont
la France peut tirer du profit & de la gloire, merite bien que ceux qui
l'habitent jouissent pleinement & entièrement des fruits qui en
proviennent, puis que nul ne contribuë à ce dessein pour le soulagement
des entrepreneurs, lesquels au peril de leurs vies & de leurs moyens ont
découvert par dela tant t les orées maritimes, que le profond des
terres, où jamais aucun Chrétien n'avoit esté. Il y a une autre
considération que je ne veux mettre par écrit, & que laquelle seule doit
faire accorder ce que dessus à ceux que se presentent & offrent pour
habiter & defendre la province, voire pour donner du secours à toute la
France de deça. C'a esté une plainte faite de tout temps, que les
considérations particulieres ont ruiné les affaires du general. Ainsi
est-il à craindre qu'il n'en avienne en l'affaire des Terres-neuves, si
nous la negligeons, & si l'on ne soustient ceux qui d'une resolution
immuable s'exposent pour le bien, l'honneur, & la gloire de la France, &
pour l'exaltation du nom de Dieu, & de son Eglise.



                       _Voyage en la Terre-neuve._


J'ay rapporté en mon histoire de la Nouvelle France ce qui est des deux
premiers voyages faits outre mer par le sieur de Poutrincourt. Ici j'ay
à écrire ce qui s'est ensuivi és voyages subsequens. Depuis quelques
années une succession lui est echeuë à cause de Dame Jehanne de Salazar
sa mere, qui est la Baronne de Sainct Just en Champagne. Les rivieres de
Seine & d'Aulbe rendent le lieu de cette Baronnie autant agréable, que
fort & avantageux à la defense. Là, au commencement de Février, mil six
cens dix il fit partie de son équippage, y ayant chargé un bateau de
meubles, vibres, & munitions de guerre, voire tellement chargé qu'il n'y
restoit que deux doigts de bord hors de l'eau. Cependant la riviere
estoit enflée & ne se pouvoit plus tenir en son lict à cause des longues
pluies hivernales. Les flots le menaçoient souvent, les perils y
estoient presens, mesmement: és passages de Nogent, Corbeil, Sainct
Clou, Ecorche-veau, & autres où des bateaus perirent à sa veuë, sans
qu'il fust aucunement emeu d'apprehension. En fin il parvint à Dieppe, &
apres quelque sejour il se mit en mer le 26, dudit mois de Février.
Plusieurs en cette ville là benissoient son voyage, & prioient Dieu pour
la prosperité d'icelui. La saison estoit rude, & les vents le plus
souvent contraires. Mais on peut bien appeller un voyage heureux, quand
enfin on arrive à bon port. Ils ne furent gueres loin qu'ils
rencontrerent vers le Casquet un navire de Forbans, & lesquels voyans
ledit Sieur et ses gens bien résolus de se defendre si on les attaquoit,
passerent outre. Le 6 de Mars ils rencontrerent unze navires Flamens, &
se saluerent l'un l'autre de chacun un coup de canon. Depuis le 8
jusques au 15, il y eut tempéte, durant laquelle une vois ledit Sieur
estant couché à la poupe, fut porté de son lict par dessus la table au
lict de son fils. Ce mauvais temps les fit chercher leur route plus Sud,
& virent deux iles des Essores, Corbes, & Flore, là où ils eurent le
rafraichissement de quelques Marsoins qu'ils prindrent. Et comme l'on
dit que de la guerre vient la paix; Ainsi apres ces tourmentes ils
eurent des calmes jusques au jour de Pasques Fleuries plus facheux que
les tourmentes: car quoy qu'on sit en repos, il n'y a pourtant sujet de
contentement car les vivres se mangent, & la saison de bien faire se
passe: bref un grand calme est fort mauvais sur la mer. Mais cela n'est
point perpetuel: & quelquefois (selon l'inconstance d'Eole) apres le
calme suit un vent favorable, tantost une tempéte, comme il survint un
peu apres (sçavoir le lendemain de Pasques) laquelle fit faire eau à la
soute, qui est le magazin du pain, ou biscuit. Occasion que le
Charpentier du navire voulant aller remedier au mal avenu, d'autant
qu'en faisant ce qui est de son art il troubloit les prieres publique
qui se faisoient du matin, ledit Sieur lui commanda de besogner par le
dehors, là où estant allé il trouva le Gouvernail rompu (chose
dangereuse) lequel voulant aller racoutrer; comme il estoit à sa
besogne, il tomba de son echaffaut dedans la mer. Et bien vint que le
temps s'estoit ammoderé: car autrement c'estoit un homme perdu. Mais il
fut garenti par la diligence des matelost, qui lui tendirent une corde,
par laquelle il se sauva.

Le 11 de May la sonde fut jettée, & se trouva fond à 80 brasses, indice
que l'on estoit sur le Banc des Moruës. Là ils s'arrèterent pour avoir
le rafraichissement de la pecherie soit des poissons, soit des oiseaux
qui sont abondamment sur le dit Banc, ainsi que j'ay amplement décrit en
madite Histoire de la Nouvelle France. Le Banc passé, apres avoir
soutenu plusieurs vents contraires, enfin ils terrirent vers Pemptoget
(qui est l'endroit que noz Geographes marquent soubs le nom de
Norombega) & fit dire la Messe ledit Sieur en une Isle qu'il nomma de
l'Ascension, pour y estre arrivé ce jour là. De ce lieu ils vindrent à
Sainte Croix premiere habitation de nos François en dette côte, là où
ledit Sieur fit faire des prieres pour les trespassez qui y estoient
enterrez dés le premier voyage du sieur des Monts en l'an 1603 & furent
au haut de la riviere dudit lieu de Sainte Croix, où ils trouverent
telle quantité de Harens à chaque marée, qu'il y en avoit pour nourrir
toute une grosse ville. En autres saisons il y vient d'autres poissons.
Mais lors c'estoit le tour aux Harens. Là mesme il y a des arbres
d'inestimable beauté en hauteur & grosseur. Sur cette méme côte, devant
qu'arriver au Port Royal ils virent les ceremonies funebres d'un corps
mort decedé en la terre des Etechemins. Le defunct estoit couché sur un
ais appuyé de quatre fourches, & fut couvert de peaux. Le lendemain
arrive là grande assemblée d'homme, lesquels danserent à leur mode
alentour du decedé. Un des anciens tenoit un long baton, où il y avoit
pendues trois tétes de leurs ennemis; D'autres avoient d'autres marques
de leurs victoires: & en cet etat chanterent & danserent deux ou trois
heures, disans les louanges du mort au lieu du _Libera_ que disent les
Chrétiens. Apres chacun lui fit don de quelque chose, comme des peaux,
chaudieres, pois, haches, couteaux, fleches, _Matachiaz_ & autres
hardes. Toutes lesquelles ceremonies achevées, on le porta en sepulture
en une ile à l'écart loin de la terre ferme. Et au partir de là tira
ledit Sieur au Port Royal lieu de son habitation.



                                _RELIGION_


Le sieur de Poutrincourt n'eut à-peine pris haleine apres tant de
travaux, qu'il envoya chercher Membertou premier & plus ancien Capitaine
de cette contrée, pour lui rafrechir la memoire de quelques enseignemens
de la Religion Chrétienne que nous lui avions autrefois donné, &
l'instruire plus amplement és choses qui concernent le salut de l'ame,
afin que cetui-ci reduit, plusieurs autres à son exemple fissent de
méme. Comme de fait il arriva. Car apres avoir esté catechizé, & les
siens avec lui, par quelque temps, il fut baptizé, & vingt autres de la
troupe, le jour sainct Jehan Baptiste 1610, les noms desquels j'ay
enrollé en mon Histoire du la Nouvelle France selon qu'ils sont écrits
au registre des baptémes de l'Eglise metropolitaine de dela, qui est au
Port Royal. Le Pasteur que fit ce chef d'oeuvre fut Messire Jesse
Fleuche natif de Lantage, diocese de Langres, homme de bonnes lettres,
lequel avoit pris sa mission de Monsieur le Nonce du Sainct Pere Evesque
de Rome, qui estoit pour lors, & est encore à Paris. Non qu'un Evéque
François ne l'eust peu faire: mais ayant fait ce choix, je croy que
ladite mission est aussi bonne de lui (qui est Evéque) que d'un autre,
encore qu'il soit étranger. Toutefois j'en laisse la considération à
ceux qui y ont plus d'intérest que moy, estant chose qui se peut
disputer d'une part & d'autre, parce qu'il n'est pas ici en son diocese.
Ledit Seigneur Nonce, dit Robert Ubaldin, lui bailla permission d'ouir
par dela les confessions de toutes personnes, & les absoudre de tous
pechés & crimes non reservés expressement au siege Apostolique: & leur
enjoindre des penitences selon la qualité du peché. En outre lui donna
pouvoir de consacrer & benir des chasubles & autres vétemens
sacerdotaux, & de paremens d'autels, excepté des Corporaliers, Calices,
& Paténes. C'est ainsi que je l'ay leu sur les lettres de ce octroyées
audit Fleuche premier Patriarche de ces terres là. Je di patriarche, par
ce que communement on l'appelloit ainsi: & ce mot l'a deu semondre à
mener une vie pleine d'integrité & d'innocence, comme je croy qu'il a
fait. Or ces baptizailles ne furent sans solennités. Car Membertou (&
consequemment les autres) avant qu'estre introduits en l'Eglise de Dieu,
fit une reconnoissance de toute sa vie passée, confessa ses pechés, et
renonça au diable, auquel il avoit servi. Là dessus chacun chanta le _Te
Deum_ de bon courage, & furent les canons tirés avec grand plaisir, à
cause des Echoz qui durent audit Port Royal, prés d'un quart d'heure.
C'est une grande grace que Dieu a fait à cet homme d'avoir receu le don
de la Foy, & de la lumiere Evangelique, en l'âge où il est parvenu, qui
est à mon avis de cent dix ans ou plus. Il fut nommé HENRI du nom nostre
feu Roy HENRI le Grand. D'autres furent nommez des noms du sainct Pere
le Pape de Rome de la Royne, & Messeigneurs & Dames ses enfans, de
Monsieur le Nonce, & autres signalez personnages de deça, lesquels on
print pour parrins, comme je l'ay écrit en madite Histoire. Mais je ne
voy point que ces parrins se soient souvenus de leurs filieuls, ni
qu'ils leur ayent envoyé aucune chose pour les sustenter, ayder, &
encourager à demeurer fermes en la Religion qu'ils ont receuë. Car pour
du pain on leur fera croire ce que l'on voudra, & peu à peu leur terre
estant cultivée les nourrira. Mais il les faut ayder du commencement. Ce
qu'a fait le sieur de Poutrincourt tant qu'il a peu, voire outrepassant
son pouvoir il en a jeusné par apres, comme nous dirons ailleurs.

          ------------------------------------------------

                           _Retour en France_


Trois semaines apres l'arrivée dudit Sieur en sa terre du Port Royal, il
avisa de renvoyer en France le Baron de sainct Just son fils ainé, jeune
Gentilhomme fort experimenté à la marine, & lequel à cette occasion
Monsieur l'Admiral a honoré du tiltre de Vice-Admiral en la mer du
Ponant és côtes de dela. Car ayant à nourrir beaucoup d'hommes au moins
l'espace d'un an & plus, attendant une cueillette de blez, il estoit
besoin d'une nouvelle charge de vivres & marchandises propres au commun
usage tant de lui & des siens, que des Sauvages. Il le fit donc partir
le 8 Juillet, lui enjoignant d'estre de retour dans quatre mois, & le
conduisit dans une Pinasse, ou grande chalouppe environ cent lieuës
loin. En cette saison on a beau pire le long de la côte. Car il y a des
iles en grand nombre vers le Cap Fourchu, & le Cap de Sable si pleines
d'oiseaux, qu'il ne faut qu'assommer & charger, & avec ce le poisson y
foisonne en telle sorte, qu'il ne faut que jetter la ligne en mer & la
retirer. La contrarieté du vent les ayant plusieurs fois contraint de
mouiller l'ancre parmi ces iles, leur fit faire epreuve de ce que je di.
Ainsi ledit de sainct Just s'en alla rengeant la terre l'espace de deux
cens lieuës, jusques à ce qu'il eut passé l'ile de Sable, ile dangereuse
pour estre basse & sans port asseuré, sise à vingt lieuës de la terre
ferme vis à vis la terre de Bacaillos. Le 28 Juillet il estoit sur le
Banc aux Moruës, là où il se rafraichit de vivres, & rencontra plusieurs
navires de noz havres de France & un Anglois, d'où il eut la premiere
nouvelle de la mort de nôtre grand Roy HENRI. Ce qui le troubla & sa
compagnie, tant pour l'accident si funeste de cette mort, que de crainte
qu'il n'y eust du trouble pardeça. Le Dimanche premier jour d'Aoust ils
quitterent ledit Banc, le 20 eurent la vuë de la terre de France, & le
21 entrerent dans le port de Dieppe.

              -------------------------------------------

                       Avancement de la Religion.


Comme le sieur de Poutrincourt suivoit la côte conduisant son fils sur
le retour, il trouva quelques Sauvages de conoissance en une ile, où ils
s'estoient cabannez, faisans pècherie: lesquels ayant abordé, ils en
furent tout joyeux: Et aprés quelques propos tenus de Membertou,& des
autres, & de ce qui s'estoit passé en leurs baptizailles, il leur
demanda s'ils vouloient point estre comme luy, & croire en Dieu pour
estre aussi baptizés; A quoi ils s'accorderent apres avoir esté
instruits. Et là dessus il les envoya au Port Royal pour estre plus à
loisir confirmés en la Foy & doctrine Evangelique: là où estans ils
furent baptizées. Cependant le dit Sieur poursuivoit sa route allant
toujours avant le long de la côte, tant qu'il vint au Cap de la Héve,
environ lequel endroit il laissa aller à la garde de Dieu ledit sieur de
sainct Just son fils, & virant le cap en arriere cingla vers la riviere
dudit lieu de la Héve, que est un port large de plus deux lieuës & long
de six, cuidant y trouver un Capitaine dés long temps appellé Martin par
noz François. Mais il s'es estoit retiré, à cause de quelque mortalité
là survenuë par des maladies dysenteriaques. Depuis, ledit Martin ayant
entendu que ledit Sieur lui avoit fait tant d'honneur que de l'aller
chercher, il le suivit à la piste avec trente-cinq ou 40 hommes, & le
vint trouver vers le Cap de Sable pour le remercier d'une telle visite.
Ledit Sieur homme accort & benin le receut humainement, encores
qu'auparavant en l'an 1607 il y eust eu quelque colere contre lui, sur
ce que passant icelui Sieur par ledit lieu de la Héve foible de gens &
se voyant environné de trois chaloupes de Sauvages pleines de peuple, il
les fit ranger toutes d'un côté. Sur quoy ledit Martin ayant dit qu'il
avoit donc peur d'eux, il fut en danger de voir par effet que sa
conclusion estoit fausse. A cette dernière rencontre ledit Martin fut
caressé & invité à se faire Chrétien, comme Membertou, & plusieurs
autres: & s'en aller au Port Royal pour y recevoir plus ample
instruction. Ce qu'il promit faire avec sa troupe. Et d'autant que les
Sauvages ne vont jamais voir leurs amis les mains vuides, il alla à la
chasse, afin de porter de la venaison audit lieu: & cependant ledit
Sieur s'avance & va devant pour les y attendre. Mais étant environ le
Cap Fourchu, le voila porté d'un vent de terre droit à la mer, & ce si
avant, qu'il fut six jours sans aucune provision de vivres (que de
quelques oiseaux pris és iles, qu'il avoit de reste) & sans autre eau
douce que celle qui se recuilloit quelquefois dans les voiles: Bref sans
rien voir que le ciel & eau; & s'il n'eust eu une petite boussolle il
estoit en danger d'estre porté à la côte de la Floride par la violence
des vents, des tempêtes, & des vagues. En fin par son industrie &
jugement il vint terrir ver l'ile sainte Croix, là où Oagimont Capitaine
dudit lieu lui apporta des galettes de biscuit qu'il avait troquées avec
noz François. Et de là estant en lieu de conoissance il traversa la baye
Françoise large en cet endroit de vingt lieuës, & vint au Port Royal
cinq semaines apres sa departie où il trouva des gens bien etonnés pour
sa longue absence, & qui desja pourpensoient un changement qui ne
pouvoit estre que funeste. C'est ainsi qu'au peril de sa vie, avec des
fatigues & souffrances incroyables il va chercher des brebis egarées
pour les amener à la bergerie de Jesus-Christ, & accroitre le Royaume
celeste. Que si la conversion de ces peuples ne se fait par milliers, il
faut penser que nul Prince ou Seigneur n'a jusques ici assisté ledit
sieur de Poutrincourt, auquel méme les avares vont ravir ce qui est de
la province, & sa bonté souffre cela, pour ne faire rien qui puisse
aigrir les grands de deça, encores que le Roy luy ayant donné la terre
il puisse justement empecher qu'on ne lui enleve les fruits d'icelle, &
qu'on n'entre dans ses ports, & qu'on ne lui coupe ses bois. Quand il
aura de plus amples moyens il pourra envoyer des hommes aux terres plus
peuplées où il faut aller fort, & faire une grande moisson pour
l'amplification de l'Eglise. Mais il faut premierement batir la
Republique, sans laquelle l'Eglise ne peut estre. Et pour ce le premier
secours doit estre à cette Republique, & non à ce qui a le pretexte de
pieté. Car cette Republique estant établie, ce sera à elle à pourvoir à
ce qui regarde le spirituel. Retournons au Port Royal. Là ledit Sieur
arrivé trouva Martin & ses gens baptizés, & tous portés d'un grand zele
à la Religion Chrétienne, oyans fort devotement le service divin, lequel
estoit ordinairement chanté en Musique de la composition dudit Sieur.

Ce zele s'est reconu non seulement aux neophytes Chrétiens, comme nous
particulariserons cy-apres; mais aussi en ceux qui n'estoient point
encore initiés aux sacrez mysteres de nôtre Religion. Car lors que ledit
Martin fut baptizé, il y en eut un tout décharné, n'ayant plus que les
os, lequel n'ayant esté en la compagnie des autres, se porta, à toute
peine, en trois cabanes cherchant ledit Fleuche Patriarche pour estre
instruit & baptizé.

Un autre demeurant en la baye saincte Marie à plus de douze lieuës du
Port Royal, se trouvant malade, envoya en diligence faire sçavoir audit
Patriarche qu'il estoit detenu de maladie, & craignant de mourir, qu'il
desiroit estre baptizé. Ledit Patriarche y alla, & avec un truchement
fit envers lui ce qui estoit de l'office d'un bon Pasteur.

Quant aux Chrétiens, un desdits Sauvages neophytes ci-devant nommé
Acoüanis, & maintenant Loth, se trouvant malade, envoya son fils en
diligence de plus de vingt lieues loin se recommander aux prieres de
l'Eglise: et dire que s'il pourroit il vouloit estre enterré au
cimetiere des Chrétiens.

Un jour le sieur de Poutrincourt estant allé à la dépouïlle d'un Cerf
tué par Louïs fils ainé de Henri Membertou, comme au retour chacun
s'estoit embarqué en sa chaloupe & voguoit sur le large espace de la
riviere du Port Royal, avint que la femme dudit Louïs accoucha, & voyans
que l'enfant estoit de petite vie, ils crierent hautement à noz gens
_Tagaria, Tagaria_, c'est à dire Venez ça, Venez ça, si bien que
l'enfant fut sur l'heure baptizé par le Pasteur susdit.

Cette année il a couru par dela plusieurs maladies de dysenteries, qui
ont esté mortelles à ceux qui en estoient attaints. Est avenu que ledit
Martin huit jours apres son baptéme est frappé de ce mal, dont il est
mort. Mais c'est chose digne de memoire que cet homme mourant avoit
toujours le sacré nom de Jesus en la bouche. Et requit en ces extremités
d'estre enterré apres la mort avec les Chrétiens. Sur quoy il y eut de
la difficulté. Car les Sauvages ayans encore de la reverence aux
sepultures de leurs peres & amis, le vouloient porter au Cap de Sable à
40 lieuës dudit Port. Ledit Sieur d'autre part le vouloit fait enterrer
selon qu'il l'avoit demandé. Là dessus un debat se prepare. Car lesditz
Sauvages prenans en main leurs arcs & fleches, vouloient emporter le
corps. Mais ledit Sieur fit armer une douzaine d'arquebuzier, qui
l'enleverent sans resistance, apres leur avoir remonstré quelle avoit
esté l'intention du decedé, qu'estant Chrétien il falloit qu'il fust
enterré avec ses semblables, comme en fin il fut, avec les prieres
accoutumées en l'Eglise. Cela fait on leur bailla à tous du pain, & s'en
allerent contens.

Mais puis que nous sommes sur le propos des maladies & mortuaires, je ne
veux passer souz silence chose que je ne sçavoy pas, & laquelle pour ne
l'avoir veu pratiquer, je n'ay point écrite en mon Histoire de la
Nouvelle France. C'est que noz Sauvages voyans une personne languissante
de vieillesse ou de maladie maladie par une certaine compassion ilz lui
avancent ses jours, lui remonstrent qu'il faut qu'il meure pour acquerir
un repos, que c'est chose miserable de toujours languir, qu'il ne leur
sert plus que de fardeau, & autres choses semblables, par lesquelles ils
font resoudre le patient à la mort. Et lors ilz ôtent tous les vivres,
luy baillent sa belle robbe de Castors, ou d'autres pelleterie, & le
mettent comme un homme qui est demi couché sur son lict, lui chantans
des louanges de sa vie passée, & de sa constance à la mort: A quoy il
s'accorde, & repond comme le Cygne fais sa derniere chanson: Cela fait,
chacun le laisse, & l'estime heureux de mourir plustot que de languir.
Car ce peuple estant vagabons, & ne pouvant toujours vivre en une place,
ils ne peuvent trainer apres eux leurs peres, ou amis, viellars, ou
malades. C'est pourquoy ilz les traitent ainsi. Se ce sont malades ilz
leur font premierement des incisions au ventre, desquelles les Pilotois,
ou devins sucent le sang. Et en quelque façon que ce soit, s'ilz voyent
qu'un homme ne se puisse plus trainer, ilz le mettent en l'estan que
dessus, & lui jettent contre le nombril tant d'eau froide, que la Nature
se debilite peu à peu, & meurent ainsi fort resolument & sonstamment.

Ainsi en avoit-on fait à Henri Membertou, qui se trouvait indisposé.
Mais il manda au sieur de Poutrincourt qu'il le vinst voir ce jour là,
autrement qu'il estoit mort. Au mandement ledit Sieur va trouver
Membertou au fond du Port Royal à quatre lieuës loin de son fort, auquel
ledit Membertou conte son affaire, disant qu'il n'avoit point encore
envie de mourir. Ledit Sieur le console, & le fait enlever de la pour le
mener avec lui. Ce qu'ayant fait, & arrivé audit fort, il lui fait
preparer un bon feu, le couche aupres sur un bon lict, le fait frotter,
dorlotter & bien penser, lui fait prendre medecine, d'où s'ensuivit
qu'au bout de trois jours voila Membertou debout, prest à vivre encore
cinquante ans.

On ne peut arracher tout d'un coup les coutumes & façons de faire
invetérées d'un peuple quel que ce soit. Les Apôtres ni plusieurs
siecles apres eux ne l'ont pas fait, témoins les ceremonies des
chandeles de la Chandeleur, les Processions des Rogations, les Feuz de
joye de la sainct Jehan Baptiste, l'Eau benite, & plusieurs autres
traditions que nous avons en l'Eglise, lesquelles ont esté introduites è
bonne fin, pour tourner en bon usage ce que l'on faisoit par abus. Ainsi
bien que la famille de Membertou soit Chrétienne, toutefois elle n'avoit
esté encore enseignée qu'il n'est pas loisible aux hommes d'abbreger les
jours aux vieillars, ou malades, quoy qu'ilz pensent bien faire, mais
faut attendre la volonté de Dieu & laisser faire son office à la Nature.
Et de vérité un Pasteur est excusable qui manque à faire chose dont il
n'a connoissance.

Une chose de méme merite avint en la maladie de Martin. Car on lui jeta
de l'eau semblablement, pour ne le voir languir: & estant malade comme
ledit Patriarche, & un nommé de Montfort lui eussent pris à la chasse &
fait manger quelques tourtres, lesquelles il trouva bonnes, il demandoit
lors qu'on luy parloit de Paradis, si l'on y en mangeoit: A quoy on lui
répondit qu'il y avoit chose meilleure, & qu'il y seroit content. Voila
la simplicité d'un peuple plus capable de posseder le royaume des cieux
que ceux qui sçavent beaucoup, & font des oeuvres mauvaises. Car ce
qu'on leur propose, ilz le croyent & gardent soigneusement, voire
reprocher aux notres leurs fautes, quand ilz ne prient point Dieu avant
& apres le repas: ce qu'a fait plusieurs fois ledit Henri Membertou,
lequel assiste volontiers au service divin, & porte toujours le signe de
la Croix au devant de sa poitrine. Méme ne se sentant assez capable de
former des prieres convenables à Dieu, il prioit le Pasteur de se
souvenir de lui, & de tous les freres Sauvages baptizés. Depuis le
dernier bapteme duquel nous avons fait mention, il y en a eu plusieurs
autres du 14 & 16 d'Aoust, 8 & 9 d'Octobre, 1 de Décembre 1610. Et en
somme ledit Pasteur fait estat d'en avoir baptizé sept vingts en un an,
ausquels ont esté impozés les noms de plusieurs personnes signalées de
pardeça, selon l'affection de ceux qui faisoient l'office de parins, ou
marines, lesquels ont baillé des filleuls à ceux & celles qui ensuivent.

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                         _ET PREMIEREMENT,_

Monsieur le Prince de            M. le Prince de Tingry.
   Condé.                        M. de Praslain.
Monsieur le Prince de            M. Roger Baron de
   Conty.                           Chaource fils dudit sieur
M. le Comte de Soissons.           de Praslain.
M. le Duc de Nevers.             M. de Grieu Conseiller au
M. le Duc de Guise.                 Parlement de Paris.
M. Le Prince de Joinville.       M. Megard Chanoine &
M. Servin Advocat general           Thresorier de sainct
   du Roy audit Parlement.          Urbain audit Troyes.
M. de la Gueste Procureur        M. Megard Licentié és
   general du Roy audit             Droicts Chanoine en
   Parlement.                       l'Eglise sainct Estienne
M. le Comte de Tonnerre.            audit Troyes.
Messire Jeslé de Fleuchey,       M. Fombert Chanoine en
   Patriarche de Canada.            l'Eglise de Vienne.
M. Belot, dit de Monfort.        M. Guiller Chanoine audit
M. de Jouy.                         Vienne.
M. Bertrand natif de Sesane,     M. Bourguignon curé de
   presens & assistans              sainct Estienne au mont
   ausdits baptesmes.               à Paris.
M. de Villars Archevesque        M. Daviau Vicaire & receveur
   de Vienne en Daulphiné.           audit S. Estienne.
M. Descars Evesque & Duc         M. Rouvre curé de Lantage.
   de Langres.                   M. de Marquemont auditeur
M. de Gondy Evesque de Paris.       de Rothes à Rome.
M. Dormy Evesque de Boulogne.    M. de Savarre Conseiller
M. de Braslay Evesque de Troyes     au Parlement de Paris.
M. l'Abbé de saincte Geneviesve  M. Vigor Conseiller au
   fils de M. de Beauvais           grand Conseil.
   Nangis.                       M. de saint Just.
M. l'Abbé de Clernaux.           M. de Lantage-baratier
M. de Vausemain Baron de            sieur dudit Lantage.
   Chapleine, bailly de Troyes.  M. Edme baratier son fils.
Frere Claude de Vauvillier       M. de Lantage Montleliart.
   Penitencier de Molesme        M. de Sainct Simon.
M. Bareron Chanoine grand        M. de la Berge.
   Archidiacre & official        M. Auguste du Boullot,
   de Troyes.                       sieur de l'estain.
M. Dovynet Chanoine &            M. Regnard Secretaire de
   Promoteur audit Troyes.          la chambre du roy, &
M. Fombert Procureur en             de Monsieur le procureur
   Parlement                        general.
M. Davant President &            M. Simony Sieur de rouelle
   Lieutenant general à             Advocat à langres.
   Troyes.                       M. Belot Procureur au
M. de Bobus Lieutenant              grand Conseil.
   Criminel audit Troyes.        M. Hardy Receveur des
M. Bazin Procureur du               tailles au Mans.
   Roy audit lieu.               M. Matteau Secretaire du
M. Parmentier Lieutenant            sieur Prevost Mores.
   de robbe courte audit         M. Bajouë Greffier au
   Troyes.                          bailliage de Monfort
M. Jacquinet maistre des            Lamaury.
   eaux & forest audit           M. de Cresse Commis de
   Troyes.                          Monsieur Estienne
M. Megard Lieutenant des            Controleur des bastimens
   Chirurgiens audit Troyes.        du Roy.
M. Martin Lieutenant general     M. du Val Juge & Garde
   au Marquisat d'Isle.             de la Justice de Lantage.
M. l'Evesque Procureur           M. Jamin Greffier audit
   audit lieu.                      lieu.
M. de la Rue Vicaire de          M. de la Crause Secretaire
   Vitey soubs Bar.                 de Monsieur de Chastille.
M. Belot Thresorier              Jean, Mathieu & Gregoire
   extraordinaire des guerres       de Fleuchey freres dudit
   en Guienne.                      Patriarche.
M. Belot Commissaire des         Pierre Roussel son beau
   guerres.                         frere.
M. Belot Sieur du Pontor.        Robert Roy Sergent Royal
Ferry Roussel fils de Gabriel       Forestier de la forest
   Roussel dudit Lantage            de Romilly
Claude Jouguelat.


 _Quand aux femmes on a donné des filleules à celles qui ensuivent._


Madame la Princesse de           Mad. la Duchesse de Nevers.
   Condé.                        Mad. de Guise.
Madame la Princesse de           Mad. de Longueville
   Conty.                        Madam. Regnard femme
Mad. la Comtesse de Soissons.       dudit sieur Regnard.
Mad. de Praslain mere du         Mad. Belot Thresorier.
   Sieur de Praslain             Mad. de Praslain
Mesdamoiselles Catherine         Madame Simony veusve
   Blanche & Claude filles          de Monsieur Simony
   dudit sieur de Praslain.         Procureur en Parlement.
Mad. la Comtesse de Tonnerre.    Mad. de Beaulieu.
Mad. Anne de la Val Dame         Mad. Marguerite Simony.
   de Ricey.                     Mad. Hardy.
Mad. Françoise de Faulch         Mad. Belot femme de
   femme du sieur Delantage         Monsieur Belot Procureur.
   Baratier.                     Mad. Bajouë.
Mad. Charlotte leur fille.       Mad. Jeanne des Marets.
Mad. de Grieu.                      femme du sieur Megard
Mad. de la Berge.                   Chirurgien à Troyes.
Mad. de Savare.                  Mad. Ramin mere dudit
Mad. Anne Arlestain femme           Patriarche.
   du sieur de l'Estain.         Barbe de Fleuchey sa soeur.
Mesd. Philippes & Charlotte      Jeanne Clemence Roussel &
   de Arlestain ses                 Valentine Drouin femmes
   soeurs.                          desdits Fleuchey freres
                                    dudit Patriarche.


Voila ce que j'ai extrait d'un ordre confus des parins & marines,
lesquels j'ay voulu coucher icy pour les inviter à faire du bien à ceux
qui ont été baptizez soubs leurs noms, dont je veux bien esperer méme de
ceux de basse condition. Que si la conversion de ces peuples ne va par
milliers, il faut considerer l'estat du païs qui n'est si frequent en
hommes que noz villages de France. On pourroit faire plus grande moisson
qui voudroit passer plus outre: mais il faut vouloir ce que l'on peut, &
pre Dieu qu'il vueïlle faire le reste, puisque les hommes ont cette
entreprise tant à mépris.



                               _EXERCICES._


La pieté du sieur de Poutrincourt veut que le premier exercice de la
journée en ce païs là soit de prier Dieu, à l'imitation d'Abel, lequel
(ce dit Philon) offrit au matin son sacrifice. Ce que ne fit Cain. Et
les sages remarquent par la comparaison de Jacob qui receut la premiere
benediction d'Isaac, laquelle fut plus forte que celle qui fut donnée à
Esaü: que ceux qui prient du matin, recevans la premiere benediction de
Dieu, ont aussi plus grande part en ses graces. C'est pourquoy un
illustre personnage de notre temps entre ses preceptes moreaux &
sentences vrayement dorées, a écrit:

                 _Avec le jour commence ta journee_
                 _De l'Eternel le sainct nom benissant:_
                 _Le soir aussi ton labeur finissant,_
                 _Loue-le encor, & passe ainsi l'annee._

C'est ainsi que ledit Sieur en a fait, ayant exprés mené à ses dépens le
susdit Patriarche, lequel je voy par les memoires que j'ay ne s'estre
jamais épargné à ce que estoit de sa charge s'estant transporté
quelquefois quatre, quelquefois douze lieuës loin pour baptizer des
enfans de Sauvages, au mandement qu'ilz lui en faisoient, disans qu'ils
vouloient estre comme Membertou, c'est à dire Chrétiens. Quelquefois
aussi il a conduit sa troupe en procession sur une montagne que est au
Nord de leur habitation, sur laquelle y a un roc quarré de toutes parts,
de la hauteur d'une table, couvert d'une mousse épesse où je me suis
quelquefois couché plaisamment: j'ay appellé ce lieu le mont de la Roque
au pourtraict que j'ay fait du Port Royal en mon Histoire, en faveur du
mien amy nommé de la Roque Prevost de Mimeu en Picardie, qui desiroit
prendre là une terre, & y envoyer des hommes.

Le second exercice c'est de pourvoir aux necessitez de la vie, à quoy il
employa ses gens chacun selon sa vacation, estant arrivé à la terre, qui
au labourage, qui aux batimens, qui à la forge, qui à faire des ais, &c.
Le Patriarche susdit s'empara de mon étude, & de mes parterres &
jardinages, où il dit avoir trouvé arrivant là, quantite de raves,
naveaux, carottes, panais, pois, fèves, & toutes sortes d'herbes
jardinieres bonnes & plantureuses. A quoy s'estant occupé, il y a laissé
à son retour (qui fut le 17 de Juin dernier) un beau champ de blé à
beaux épics, & bien fleuri.

Plusieurs autres se sont occupés à la terre, comme estant le premier
métier & le plus necessaire à la vie de l'homme. Ils en ont (comme je
crois) maintenant recuilli les fruicts, hor-mis des arbres fruitiers
qu'ils ont plantés, lesquels ne sont si prompts à cela.

Quant aux Sauvages ils ne sçavent que c'est du labourage, & ne s'y
peuvent adonner, courageux seulement & penibles à la chasse & à la
pécherie. Toutefois les Armouchiquois & autres plus esloignés plantent
du blé & des feves, mais ils laissent faire cela aux femmes.

Nos gens outre le labourage & jardinage, avoient l'exercice de la
chasse, de la pécherie, & de leurs fortifications. Ils ne manquerent
aussi d'exercice à remettre & couvrir les batimens & le moulin delaissez
depuis notre retour en l'an 1607. Et d'autant que la fonteine estoit un
peu eloignée du Fort, ils firent un pui dans icelui fort, de l'eau
duquel ils se sont fort bien trouvez. De sorte que (chose emerveillable)
Ils n'ont eu aucunes maladies, quoy qu'il y ait eu beaucoup de sujet
d'en avoir par la nécessité qu'ils ont soufferte. Car le Sieur de Sainct
Just fils du dit Sieur de Poutrincourt ayant eu mandement de retourner
dans quatre mois (comme nous avons dit ci-dessus) on l'attendoit dans la
fin de Novembre pour avoir du rafraichissement, & toutefois il n'arriva
que le jour de Pentecoste, qui fut le 22 de May ensuivant. Cela fut
cause qu'il fallut retrencher les vivres qu'ils avoient en assez petite
quantité. De manger toujours du poisson (s'il n'est bon & ferme) ou des
coquillages seuls sans pain, cela est dangereux, & cause la dysenterie,
comme nous avons rapporté ci-dessus de quelques Sauvages qui en sont
morts, & pouvons en avoir autre temoignage par les gens du Sieur de
Monts, qui moururent en nombre de vingt la premiere année qu'ils
hivernerent à Kebec, tant pour la nouveauté de la demeure, que pour
avoir trop mangé d'anguilles & autres poissons. La chasse aussi ne se
trouve pas à foison en un lieu où il faut vivre de cela, & où l'on fait
une demeure arrestée. C'est ce qui rend les Sauvages vagabons, & fait
qu'ilz ne peuvent vivre en une place. Quand ils ont esté six semaines en
un lieu il faut changer de demeure. Ilz prindrent au terroir de Port
Royal six Grignaces ou Ellans, cet hiver, dont ils en apportoient un
quartier ou moitié aux notres. Mais cela ne va gueres loin à tant de
gens. Le jour de Pasques fleuries le fils ainé de Membertou dit Louis,
en poursuivoit un, que n'estant venu rendre au Port Royal passoit l'eau,
quand la femme dudit Louis vint faire une alarme en criant plusieurs
fois, _Ech'pada, Ech'pada_, c'est à dire, Aux épées, Aux épées. On
pensoit que ce fussent quelques ennemis, mais il fut le bien venu. Se
Sieur de Poutrincourt se mit dans une chaloupe pour aller au devant, &
avec un dogue il le fit tourner en arriere d'où il venoit. Il y avoit de
plaisir à le cotoyer si proche de sa ruine. Si-tost qu'il approcha de
terre, ledit Louïs le transperça d'une fleche, le Sieur de Jouy luy tira
une arquebusade à la téte, mais _Ætaudinech_ dit Paul fils puisné de
Membertou lui coupa dextrement une veine au col, que l'atterra du tout.
Ceci donna une curée & consolation stomachale aux notres. Mais cela ne
dura pas toujours. Il fallut revenir àl'ordinaire. Et faut penser qu'en
ce retranchement de vivres dont nous avons parlé il y eut de grandes
affaires pour le chef, car des mutineries & conspirations survindrent, &
d'un costé le cuisinier déroboit une partie de la portion des autres, &
tel crioit à la faim, qui avoit abondance de pain & de chair dans sa
cellule, ainsi que s'est veu par experience. Ceux qui portoient le blé
au moulin, de quinze boisseaux n'en rendoient que douze de farine au
lieu de dix-huict. Et de la necessité d'autrui ils troquoient avarement
des Castors avec les Sauvages. Néantmoins (par trop de bonté) tant de
fautes leur furent pardonnées apres visitation faite. Pauvre sots que
font des conseils si legers, & ne voyent point ce qu'ils deviendront par
apres, & que leur vie ne peut estre asseurée que par un perpetuel exil
de leur patrie, & de tout ce qu'ils ont de plus cher au monde.

En cette disette on eut avis que quelques racines que les Sauvages
mangent au besoin, lesquelles sont bonnes comme Truffes. Cela fut cause
que quelques paresseux se mirent avec les diligens à fouiller la terre,
& firent si bien par leurs journées qu'ils en defricherent environ
quatre arpens, là où on a semé des segles & legumes. C'est ainsi que
Dieu sçait tirer du mal un bine; il chastie les siens, & neantmoins les
soutient de sa main.

Quand l'hiver fut passé, & que la douceur du temps allecha le poisson à
rechercher les eaux douces, on dépecha des gens le 14 Avril pour faire
la quéte de cela. Il y a nombre infini de ruisseaux au Port Royal, entre
lesquels sont trois ou quatre où vient à foison le poisson au renouveau.
L'un apporte l'Eplan en Avril en quantité infinie. L'autre le Haren,
l'autre l'Esturgeon & Saumon, &c. Ainsi furent lors deputez quelques uns
pour aller voir à la riviere qui est au profond du Port Royal, si
l'Eplan estoit venu. Ils y allerent, & leur fit Membertou (qui estoit
cabanné là) bonne chere, de chair & de poisson. Delà ils allerent au
ruisseau nommé Liesse par le Sieur des Noyers Advocat en Parlement, là
où ils trouverent tant de poisson, qu'il fallut envoyer querir du sel
pour en faire bonne provision. Ce poisson est fort savoureux & delicat,
& ne fait point de mal comme pourroient faire les coquillages: & vient
environ l'espace de six semaines en ce ruisseau: lequel temps passé il y
a un autre ruisseau audit Port Royal, où vient le Haren, item un autre
où vient la Sardine en méme abondance. Mais quant à la riviere dudit
Port, que est la riviere de l'Equille, depuis nommée la riviere du
Dauphin, au temps susdit elle fournit d'Eturgeons & Saumons à qui veut
prendre la peine d'en faire la chasse. Quand le Haren fut venu, les
Sauvages (selon leur bon naturel) firent des feuz & fumées en leur
quartier, pour en donner avis à nos François. Ce qui ne fut negligé. Et
est cette chasse beaucoup plus certaine que celle des bois.

                ------------------------------------------

                         _RETOUR EN LA NOUVELLE
                                  France._


IL estoit le 10 de May quand la derniere cuisson de pain faite, on tint
conseil de retourner en France si dans le mois n'arrivoit secours. Ce
qui fut prest d'estre executé. Mais le jour de la Pentecoste Dieu envoya
son esprit consolateur à cette compagnie ja languissante, qui lui
survint bien à propos, par l'arrivée du Sieur de Sainct Just, duquel il
nous faut dire quelque chose: car ci-devant nous l'avons laissé au port
de Dieppe, sans avoir veu ce qu'il a fait depuis. S'estant presenté à la
Royne; elle fut merveilleusement rejouie d'entendre la conversion de
plusieurs Sauvages qui avoient esté baptizés avant le depart dudit sieur
de Sainct Just, dont je fis un recit public que je presentay à sa
Majesté. La dessus les Jesuites se presentent pour aller au secours. La
Royne le trouve bon. Elle les recommande, l'eusse desiré qu'avant de
partir quelqu'un eust remontré À sa Majesté chose qu'elle n'eust fait
que trop volontiers: C'est d'envoyer quelque present de vivres &
d'habits à ces Neophytes & nouveaux Chrétiens qui portent les noms du
feu Roy, de la Royne Regente, & de Messeigneurs & Dames les enfants de
France. Mais chacun regarde à son profit particulier. Ledit sieur de
Sainct Just apres son rapport fait, pretendois obtenir quelques defenses
pour le commerce des Castors, cuidant que la consideration de la
religion lui pourroit faire aisément accorder cela. Ce qu'il ne peut
toutefois obtenir. Et voyant que cette affaire tiroit en longueur, &
qu'il falloit aller secourir son Pere, ayant mandement de faire en sorte
d'estre de retour dans quatre mois, il print congé de la Royne, laquelle
luy bailla de compagnie deux Jesuites pour la conversion des peuples
Sauvages de delà. Mais puisque le sieur de Poutrincourt avoit pris un
homme capable à son partement, il me semble que ceux-ci (qui peuvent
estre plus utiles par-deça) se hasterent trop pour le profit dudit
Sieur. Car le retardement écheu à leur occasion lui a prejudicié de
beaucoup, & causé la rupture de son association. Et faut en telles
affaires fonder la Republique premierement, sans laquelle l'Eglise ne
peut estre, ainsi que j'ay desja écrit ci-dessus. J'en avoy dit mon avis
audit sieur de Sainct Just, & qu'il falloit asseurer la vie avant toutes
choses, faire une cuillette de bledz, avoir des bestiaux, & des
volatiles domestics, devant que pouvoir assembler ces peuples. Or ceste
precipitation pensa, outre la perte susdite, reduire la troupe qui
estoit par dela à une miserable necessité, n'y ayant plus que la cuisson
de pain ja faite & distribuée.

Ledit Sieur de Poutrincourt s'estoit associé de deux marchans de Dieppe,
lesquels voyans les susdits Jesuites, sçavoir le Pere Biard homme fort
sçavant Gascon de nation duquel Monsieur le premier President de
Bordeaux m'a fait bon recits; & le Pere Nemon prest à s'embarquer,
s'opposerent à cela, & ne voulurent permettre qu'ils fussent du voyage,
disant qu'ils nourriroient volontiers toute une sorte d'hommes,
Capucins, Minimes, Cordelier, Recollets, &c. mais quant à ceux-ci qu'ils
n'en vouloient point, & ne pouvoient tenir leur bien asseuré en leur
compagnie. Que si la Royne vouloit qu'ils y allassent, on leur rendist
leur argent, & qu'ils fissent ce que bon leur sembleroit. Là dessus
voila un retardement. Il faut écrire en Cour, remontrer à sa Majesté
l'occasion de cela, demander de l'argent pour rembourser lesdits
Marchans, faire des allées & venuës: cependant la saison se passe. La
Royne leur ordonna deux mille escus, outre lesquels ils firent des
collectes par les maisons des Princes, Seigneurs, & personnes devotes,
d'où ils tirent aussi bon argent. Bref ilz remboursent lesditz Marchans
de chacun deux milles livres, & se mettent en fin à la voile le 26 de
Janvier 1611. Le temps estoit difficile, la plus rude saison de l'hiver.
Ils furent quelque temps en mer pensans combattre le vent, mais ils
furent contraints de relacher en Angleterre, là où ils furent jusques au
16 de Février. Et le 19 Avril ils furent sur le grand Banc des Moruës,
où il trouverent des Navires de Dieppe & de Sainct Malo. Et le 29 estans
entre ledit Banc & l'ile de sable, ils cinglerent l'espace de douze
lieuës, parmi des glaces hautes comme montagnes, sur lesquelles ils
descendirent pour faire de l'eau douce avec icelles, laquelle se trouva
bonne. Au sortir desdites glaces, fut rencontré un Navire du Sieur de
Monts, auquel commandoit le Capitaine Champlein, duquel nous attendons
le retour, pour entendre quelque nouvelle découverte. Depuis lesdites
glaces, ils en rencontrerent d'autres continuellement l'espace de
cinquante lieuës, lesquelles ils eurent beaucoup de peines à doubler. Et
le cinquiéme de May, ils découvrirent la terre & port de Campseau,
duquel on peut voir l'assiette dans grande Table geographique de mon
Histoire. Là le dit Pere Biard chanta la Messe. Et depuis ils allerent
cotoyans la terre, en sorte que le 21 de May ils mouillerent l'ancre à
l'entrée du passage du Port Royal.

Le sieur de Poutrincourt avoit cedit jour fait assembler ses gens pour
prier Dieu, & se preparer à la celebration de la féte de Pentecôte. Et
comme chacun s'estoit rangé à son devoir, voici environ trois heures
apres le coucher une canonade, & et une trompette, qui réveille les
dormans. On envoye au devant. On trouve que ce sont amis. La dessus
allegresse & Rejouïssance, & actions de graces à Dieu en procession sur
la montagne que j'ay mentionné ci-dessus. La premiere demande que fit
ledit Sieur à son fils, ce fut de la santé du Roy. Il luy fit réponse
qu'il estoit mort. Et interrogé de quelle mort, il lui en fit le recit
selon qu'il l'avoit entendu en France. Là dessus chacun se print à
pleurer, méme les Sauvages apres avoir entendu ce desastre, dont ils ont
fait le dueil fort long temps, ainsi qu'ils eussent fait d'un de leurs
plus grands Sagamos.

A peine fut arrivé le dit sieur de Sainct Just, que les Sauvages
Etechemins (qui ayment le sieur de Poutrincourt) lui vindrent annoncer
qu'il y avoit en leurs cotes trois Navires, tant Maloins que Rochelois,
lesquels se vantoient de le devorer ainsi que feroit le Gougou un pauvre
Sauvage. Ce qu'entendu par ledit sieur de Poutrincourt, il n'eut la
patience de faire descharger la vaisseau nouvellement arrivé ains à
l'instant méme alla ancrer au-devant desdits trois Navires,& fit venir
tous les Capitaines parler à lui, qui preterent obeïssance, & leur fit
ledit sieur renonoitre l'authorité de son fils, comme Vice Admiral
esdictes terres du Ponant. Un Navire Maloin voulant faire quelque
rebellion, fut prins, mais ledit sieur selon sa debonnaireté
accoustumée, le relacha, apres lui avoir remontré de ne plus venir en
mer sans sa Charte partie. Là le pere Briard dit la Messe, & fit ce
qu'il peut pour ranger un chacun è ce qui estoit du devoir. Et
particulierement il fit reconoitre sa faute à un jeune home qui avoit
passé l'hiver parmi les hommes & les femmes Sauvages, & receut la
Communion de sa main. Cela fait chacun revint au Port Royal en grande
rejouïssance.

Le retardement susdit est cause que lesditz navire & autres estans
arrivés devant ledit sieur de Sainct Just, ils ont enlevé tout ce qui
estoit de bon au païs pour le commerce des Castors & autres pelleteries,
lesquelles fussent venuës és marins du Sieur de Poutrincourt si son fils
fust retourné par-dela au temps qui lui avoit esté enjoint. Et davantage
one en eust sauvé pour plus de six mille escus que les Sauvages ont
mangées durant l'hiver, lesquelles ilz fussent venus troquer audit Port
Royal s'il y eust eu les choses qui leur sont necessaires. Un faute
aussi fut commise avant le partement de Dieppe par l'infidelité du
Contre-maistre de navire lequel ayant charge d'entuner (c'est à dire
mettre dedans) le blé, le détournoit à son profit. Ce qui ayda à la
disette que noz François ont par-dela soufferte. Et neantmoins Dieu les
a tellement sustentés, qu'il n'y a eu aucun malade: voire ceux qui en
sont de retour se plaignent à cela, & n'y en a pas un qui ne soit en
volonté d'y retourner.

                -------------------------------------------

                           _EFFET DE LA GRACE
                     de Dieu en la Nouvelle-France._


Nous pouvons mettre ce qui je viens de dire entre les effects de la
grace de Dieu: comme aussi les racines qu'il leur envoya au besoin, dont
nous avons parlé, & sur ce l'exercice des paresseux qui ne s'estoient
voulu occuper à la terre, lesquels sans y penser en cultiverent un beau
champ en cherchant desdites racines. Mais particulierement encore
l'exemption de maladies, qui est un miracle tres-evident. Car és voyages
precedens il ne s'en est jamais passé un seul sans mortalité, quoy qu'on
fust bien à l'aise. Et en cetui-ci non seulement les sains ont esté
preservez, mais aussi ceux qui estoient affligez de maladie en France
ont la receu guarison. Tesmoin un honnete personnage nommé Bertrand,
lequel à Paris estoit journellement tourmenté de la goutte, de laquelle
il a esté totalement exempt pardela. Mais depuis qu'il est de retour, le
méme mal est retourné avec plus d'effects de douleurs qu'auparavant,
quoy qu'il se garde sans aucun exercice.

Mais qui ne recognoistra une speciale grace de Dieu en la personne dudit
Sieur de Poutrincourt & les gens, lors qu'il fut porté par un vent de
terre à la haute mer en danger d'aller voir la Floride, ou d'estre
accablé des ondes, au retour de la conduite de son fils, ainsi que nous
avons rapporté ci-dessus.

J'appelle aussi miracle de voir que les pauvres peuples de delà ont
conceu telle opinion de la Religion Chrétienne, que si-tost qu'ilz sont
malades ilz demandent estre baptizez, voire encore qu'ilz soient sains,
ils y vont avec une grande Foy, & disent qu'ilz veulent estre semblables
à nous recognoissans fort bien leur defaut en cela. Membertou grand
Sagamos exhorte un chacun des Sauvages à se faire Chrétiens. Et
tesmoignent tous que depuis qu'il ont receu le baptéme ils ne craignent
plus rien, ilz vont hardiment de nuict, le diable ne les tourmente plus.

Quand le Sieur de Sainct Just arriva à Campseau, les Sauvages non
baptizez s'enfuioient de peur. Mais les baptizés en nombre d'environ
cinquante s'approcherent hardiment disans, Nous sommes tes freres
Chrétiens comme toy, & tu nous aymes. C'est pourquoy nous ne fuyons
point, & n'avons point de peur: Et porterent ledit Sieur sur leurs bras
& épaules jusques en leurs cabannes.

Sur la fin du Printemps les enfans de Membertou estans allés à la
chasse, en laquelle ilz firent long sejour, avint que ledit Membertou
fut pressé de necessité de vivres, & en cette disette il se souvint de
ce qu'il avoit autrefois oui dire à noz gens que Dieu qui nourrit les
oiseaux du ciel, & les bétes de la terre, ne delaisse jamais ceux qui
ont esperance en lui, selon la parolle de notre sauveur.

En cette necessité donc il se met à prier Dieu, ayant envoyé sa fille
voir au ruisseau du moulin s'il y auroit point apparence de pouvoir
faire pecherie. Il n'eust esté gueres long temps en prieres que voici
sadite fille arriver criant à haute vois, _Nouchich', Beggin pech'kmok
Beggin ëta pech'kmok_: c'est à dire: Pere, le haren est venu; le haren
certes est venu. Et vit par effect le soin que Dieu a des siens, à son
contentement. Ce qu'il avoit une autrefois eprouvé, ayant eu (ou les
siens) à tel besoin la rencontre d'un Ellan, & encore une autrefois une
Baleine échouée.

Qui voudra nier que ce ne soit un special soin de la providence de Dieu
envers les siens, quand il envoya au Sieur de Poutrincourt le secours
désiré le jour de la Pentecoste derniere, duquel nous avons fait mention
cy-dessus?

Je ne veux rememorer ce que j'ay écrit en mon Histoire dela
Nouvelle-France, livre 4, chap. 4, de la merveille avenuë au premier
voyage du Sieur de Monts en la personne de Maitre Nicolas Aubri Prestre
d'une bonne famille de Paris, lequel fut seze jours perdu dans les bois,
& au bout dudit temps fut trouvé fort extenué, à la verité, mais encore
vivant, & vit encore à present, aymant singulierement les entreprises
qui se font pour ce païs là, où le defit le porte plus qu'il ne fit
jamais, comme aussi tous autres qui y ont fait voyage, lesquels j'ay
presque tous veux desireux d'y hazarder leur fortune, si Dieu leur
ouvrait le chemin pour y faire quelque chose. A quoy les grans ne
veulent point entendre, & les petits N'ont les ailes assez fortes pour
voler jusques là. Neantmoins c'est chose étrange & incroyable de la
resolution tant dudit Sieur de Monts, que dudit Sieur de Poutrincourt,
le premier desquels a toujours continué depuis dix ans d'envoyer par
delà: & le second, nonobstant les difficultez que nous avons récitées
ci-dessus, n'a laissé d'y renvoyer nouvellement, attendant ici le
renouveau pour aller revoir les gens. Dieu donna à l'un & à l'autre le
moyen de faire chose qui reüsisse à la gloire de son nom, & au bien des
pauvres peuples que nous appellons Sauvages.


                            A DIEU SEUL HONNEUR
                                 ET GLOIRE.





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