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Title: Aldo le rimeur
Author: Sand, George, 1804-1876
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Aldo le rimeur" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr



ALDO LE RIMEUR



PRÉFACE

Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman et le drame de
_Chatterton_, personne ne pensera que j'aie eu la prétention d'imiter ce
modèle, bien qu'une scène d'_Aldo le rimeur _présente quelques rapports
de situation avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a mis
dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas d'avoir été inspiré
par ce sujet, d'abord si le fait était vrai, ensuite si ma pensée eût
été la même. Mais elle était autre, et je ne songeais à peindre la
misère du poëte que comme un accident, un des malheurs passagers de
sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre le poëte
en général; une âme de poëte quelconque, mobile, généreuse, ardente,
susceptible, inquiète, fière et jalouse. Le second acte de ce petit
poème dialogué montre le même homme _non transformé_ qu'on a vu lutter
contre la faim et l'abandon au premier acte. De même qu'un nouvel amour
a été le dénoûment de cette première phase, l'amour de la science, ou
plutôt une soudaine et vague révélation de la science, arrache une
seconde fois l'âme curieuse et _ondoyante_ du poëte au dégoût de la
vie, à la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque je fis
paraître ce fragment dans une Revue, compléter la série d'expériences et
de déceptions par lesquelles, après avoir plusieurs fois rempli et vidé
la coupe des illusions, Aldo devait arriver à briser sa vie ou à
se réconcilier avec elle. De nouvelles préoccupations d'esprit
m'emportèrent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo oubliait la reine
Agandecca. Je n'ai jamais pensé que l'interruption de cette esquisse
fût offensante ou préjudiciable pour aucun lecteur; mais, avant de la
remettre sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est là
qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée, et beaucoup mieux
sans doute que je ne l'ai commencé.



ALDO LE RIMEUR

    Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son
    petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, le soir
    auprès de son feu, les pieds dans de très-bonnes pantoufles.
    _(Esprit des journaux.)_



PERSONNAGES.

ALDO LE RIMEUR
MEG, sa mère.
JANE, jeune montagnarde.
LA REINE AGANDECCA.
TICKLE, nain de la reine.
MAITRE ACROCÉRONIUS, astrologue de la reine.

La scène est à Ithona.



ACTE PREMIER.

Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait à une soupente;
au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait
nuit.



SCÈNE PREMIÈRE.

ALDO, TICKLE.
_(Aldo est assis le tête dans ses mains, les coudes sur la table. Un
frappe à la porte.)_


ALDO.

Qui frappe?


TICKLE, en dehors.

Votre très-humble serviteur.


ALDO.

Lequel?


TICKLE.

Votre ami.


ALDO.

Que le diable vous emporte! vous êtes un escroc.


TICKLE.

Non, je suis votre ami et votre serviteur.


ALDO.

Il est évident que vous venez me dépouiller; mais je ne crains rien de
ce côté-là. Entrez.


TICKLE.

Souffrez que je vous embrasse.


ALDO.

Permettez-moi de vous mettre sur la table.


TICKLE, _sur la table._

Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, depuis que nous ne
nous sommes vus?


ALDO.

Mais.... tantôt bien, tantôt mal. Il s'est passé beaucoup de choses
depuis que je n'ai eu l'honneur de vous voir.


TICKLE.

En vérité, mon cher monsieur?


ALDO.

Sur mon honneur! ce serait trop long à vous raconter. Il y a vingt ans
environ, car notre connaissance date de l'autre monde.


TICKLE.

Vraiment?


ALDO.

Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur de vous
rencontrer dans celui-ci.


TICKLE.

Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez jamais vu?


ALDO.

Non, sur mon honneur, mon cher ami.


TICKLE.

Eh! mais, d'où sortez-vous? où vivez-vous?


ALDO.

Je vis dans une taupinière; mais vous, il est certain que, si j'en juge
par votre taille, vous sortez d'un trou de souris.


TICKLE

Et c'est pour cela que vous devriez connaître, ne fût-ce que de vue, le
célèbre nain John Bucentor Tickle, bouffon de la reine.

ALDO.

Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; vous passez
pour un homme d'esprit.


TICKLE.

Je n'en manque pas, et vous pouvez déjà vous en apercevoir à ma
conversation.


ALDO.

Comment donc! j'en suis ébloui, stupéfait et renversé!


TICKLE.

Je vois que vous êtes un homme de goût pour un poëte.


ALDO.

Et vous un homme hardi pour un nain.


TICKLE.

Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: ceux-là ne
causent qu'avec les poings; et moi, ce n'est pas ma profession. Je porte
des manchettes de dentelle, c'est mon goût.


ALDO.

C'est un goût fort innocent.


TICKLE.

Et qui a le suffrage des dames, généralement. Avec les dames, Monsieur,
comme avec les gens d'esprit, j'ai six pieds de haut, parce que sur ce
terrain-là on se bat à armes égales.


ALDO.

Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je ne dis pas sur
mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je savoir ce qui me procure
l'honneur de votre visite?


TICKLE.

Me permettez-vous d'être assis?


ALDO.

De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de siège; car cet escabeau
est le seul que je possède, et mon habitude n'est pas d'écouter debout
ce que l'on vient me prier d'entendre.


TICKLE.

Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en faut pas
davantage pour être absolument à votre hauteur.


ALDO.

J'en suis intimement persuadé. (_Il s'assied; le nain se met à
califourchon sur la table, vis-à-vis de lui.)_


TICKLE.

Mon cher monsieur, vous êtes poëte?


ALDO.

Pas le moins du monde, Monsieur.


TICKLE.

Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais pour un certain
Aldo... _le rimeur_, comme on dit dans la ville, et _le barde_, comme on
dit à la cour. Vous avez peut-être entendu parler de lui? C'est un jeune
homme qui n'est pas sans talent.


ALDO.

Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme qui n'a pas plus de
talent que vous et moi.


TICKLE.

Réellement? Eh bien, j'en suis fâché pour lui. Je venais lui offrir mes
petits services.


ALDO.

Il vous offre les siens également; vous savez en quoi ils peuvent
consister, puisque vous connaissez sa profession. Veuillez lui faire
connaître la vôtre.


TICKLE.

Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain.


ALDO.

Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services Votre
Seigneurie peut daigner offrir à un misérable poëte.


TICKLE.

Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de très-larges poches à mon
pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, par suite d'une fantaisie
analogue, les poches dont j'ai l'honneur de vous parler sont toujours
pleines d'or.


ALDO.

C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de neuf.


TICKLE.

La vôtre me parait plus usée encore.


ALDO.

De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de ma poche.


TICKLE.

Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre bourse et de votre
crédit. Croyez-moi, c'est une habitude de mauvais genre que de n'avoir
pas le sou. Or donc, voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez
besoin.


ALDO.

Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure.


TICKLE.

Vous êtes trop modeste. Je connais votre position, le dénûment de
mistress Meg, votre mère, et son grand âge. Je connais votre activité,
votre dévouement, votre grandeur d'âme. Je vous offre un gain
légitime... Vous comprenez? Je ne viens pas faire ici le grand seigneur;
je viens vous proposer un échange, un marché qui ne peut qu'augmenter
votre gloire et vous mettra à même de secourir mistress Meg.


ALDO.

Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je fisse monter une
de vos jambes en flageolet, et me vendre l'autre pour en faire un
porte-crayon?


TICKLE.

Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur que la plus
chétive de mes jambes, je vous demande un petit drame de votre façon.


ALDO.

Pour qui, Monsieur? pour le théâtre de la reine?


TICKLE.

Pour moi, Monsieur.


ALDO.

Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la force de
l'emporter!


TICKLE.

J'allégerai mes poches d'une partie de l'or qui les charge, et je
prendrai votre manuscrit à la place.


ALDO.

Très-bien; et puis?


TICKLE.

Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le ferai jouer sur
le théâtre de la reine.


ALDO.

Sous quel nom, je vous prie?


TICKLE.

Sous le nom agréable de sir John Bucentor Tickle; c'est dans votre
intérêt que j'agirai ainsi et pour donner de la confiance au public. Si
l'autorité de mon nom ne suffisait pas à nous assurer sa bienveillance,
en cas de chute, nous réclamerions contre son injuste arrêt.


ALDO.

En lui livrant le nom du véritable auteur?


TICKLE.

C'est ainsi que cela se fait à la cour.


ALDO.

Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant de me laisser
travailler au drame que vous me faites l'honneur de me demander.


TICKLE.

Puis-je compter sur votre parole, Monsieur?


ALDO.

Je m'en flatte.


TICKLE.

Un mot de traité sera nécessaire.

ALDO.

De tout mon coeur, j'en sais la rédaction. (_Il écrit._) Voulez-vous
signer maintenant? moi, je signe.

TICKLE.

Permettez-moi d'en prendre connaissance. (_Il lit._) «Je m'engage, moi,
Aldo de Malmor, dit _le rimeur_ à la ville et _le barde_ à la cour, à
jeter par les fenêtres le très-illustre seigneur John Bucentor Tickle,
nain et bouffon de la reine, la première fois qu'il franchira le seuil
de ma maison. Fait double entre nous, etc.» Bravo! bravo! c'est la
première scène du drame!

ALDO.

Non, c'est un dénoûment tout prêt et que je vous offre gratis.

TICKLE.

J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter à la reine, qui en sera
charmée. (_Il saute en bas de la table et s'enfuit._) Tu me le paieras!

ALDO.

Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous ma main.



SCÈNE II.


ALDO, _seul._

Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque jour m'amène un
assassin ou un voleur. Misérables! vous me réduisez à l'aumône, mais
vous n'aurez pas bon marché de ma fierté. Allons! ce fat m'a fait perdre
une demi-heure, remettons-nous à l'ouvrage. La nuit s'avance; je ne
serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi.
Dévorons cette nouvelle insulte; quand le brodequin est bon, le pied ne
craint pas de se souiller en traversant la boue. Écrivons.

[Illustration: Mon cher Monsieur, vous êtes poëte?... (Page 54 )]

Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! lui donner mon
cerveau pour livre, mon coeur pour clavier, afin qu'il en joue à son
aise, et qu'il le jette après l'avoir épuisé en disant: Voici un mauvais
livre, voici un mauvais instrument. Écrire! écrire!... penser pour les
autres... sentir pour les autres... abominable prostitution de
l'âme! Oh! métier, métier, gagne-pain, servilité, humiliation!--Que
faire?--Écrire? sur quoi?--Je n'ai rien dans le cerveau, tout est dans
mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur à manger pour un
morceau de pain, public grossier, bête féroce, amateur de tortures,
buveur d'encre et de larmes!--Je n'ai dans l'âme que ma douleur; il faut
que je te repaisse de ma douleur. Et tu en riras peut-être! Si mon luth
mouillé et détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que
toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de vrai, que je ne sens
pas mon mal... quand je sens la faim dévorer mes entrailles! la faim, la
souffrance des loups! Et moi, homme d'intelligence et de réflexion, je
n'ai même pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que
toutes les voix de l'âme se taisent devant le cri de l'estomac qui
faiblit et qui brûle!--Si elles s'éveillent dans le délire de mes nuits
déplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces
souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi
seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosités qui
se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour
son cabinet. Il y a des boutiques où l'on vend des singes, des tortues,
des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'âme d'un poète est une
boutique où le public vient marchander toutes les formes du désespoir:
celui-ci estime l'ambition déçue sous la forme d'une ode au dieu des
vers; celui-là s'affectionne pour l'amour trompé, rimé en élégie; cet
autre rit aux éclats d'une épigramme qui partit d'un sein rongé par la
colère, d'une bouche amère de fiel. Pauvre poète! chacun prend une pièce
de ton vêtement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et
quand chacun a essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes
nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre avec quelques
pièces de monnaie pour dédommagement de ses insultes, et il s'en va,
se préférant à toi dans la sincérité de ses pensées insolentes et
stupides.--O gloire du poète, laurier, immortalité promise, sympathie
flatteuse, haillons de royauté, jouets d'enfants! que vous cachez mal
la nudité d'un mendiant couvert de plaies! Oh! méprisables! méprisables
entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que
celui-là, se font poètes pour le public! Misérables comédiens qui
pourriez jouer le rôle d'hommes, et qui montez sur un tréteau pour faire
rire et pleurer les désoeuvrés! n'avez-vous pas la force de vivre en
vous-mêmes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on
vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos puériles
grandeurs, pour compatir à vos douleurs vulgaires! Celui qui est né
fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcément la vocation
héréditaire; il accomplit sa triste et honteuse destinée. S'il en
triomphe, s'il s'élève seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il
soit loué et encouragé! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits,
hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la
science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de
ruine; et vous vous faites écrivains! et vous nous livrez les facultés
débauchées de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans
l'épanchement ignoble de la publicité! vous appelez la populace autour
de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu'elle vous juge,
pour qu'elle vous examine et vous sache par coeur! Oh! lâche! si vous
êtes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au
mépris! lâche encore plus si vous êtes beau et si vous cherchez dans la
foule l'approbation que vous ne devriez demander qu'à Dieu et à votre
maîtresse.... C'est ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham
qui me consultait sur ses vers.--Et il a tellement goûté mon avis qu'il
m'a mis à la porte de chez lui, et m'a fait retirer la faible pension
que m'accordait la reine en mémoire des services de mon père dans
l'armée.... Aussi, maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer,
chanter ... vendre mi pensée, mon amour, ma haine, ma religion, ma
bravoure et jusqu'à ma faim! Tout cela peut servir de matière au vers
alexandrin et de sujet au poème et au drame. Venez, venez, corbeaux
avides de mon sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt
de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller dans ses
entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: je vais vous
l'apprendre, afin que vous me donniez de quoi dîner demain.... O misère!
c'est-à-dire infamie!--(_Il s'assied devant une table._) Ah! voici des
stances à ma maîtresse!.... J'ai vendu trois guinées une romance sur la
reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en apercevra guère...
mais je puis le vendre trois guinées!... Le duc d'York m'a promis sa
chaîne d'or si je lui faisais des vers pour sa maîtresse.... Oui, lady
Mathilde est brune, mince: ces vers-là pourraient avoir été faits pour
elle; elle a dix-huit ans, juste l'âge de Jane... Jane! je vais vendre
ton portrait, ton portrait écrit de ma main; je vais trahir les mystères
de ta beauté, révélés à moi seul, confiée à ma loyauté, à mon respect;
je vais raconter les voluptés dont tu m'as enivré et vendre le beau
vêtement d'amour et de poésie que je t'avais fait, pour qu'il aille
couvrir le sein d'une autre! Ces éloges donnés à la sainte pureté de
ton âme monteront comme une vaine fumée sur l'autel d'une divinité
étrangère; et cette femme à qui j'aurai donné la rougeur de tes joues,
la blancheur de tes mains, cette vaine idole que j'aurai parée de ta
brune chevelure et d'un diadème d'or ciselé par mon génie, cette femme
qui lira sans pudeur à ses amants et à ses confidentes les stances qui
furent écrites pour toi, c'est une effrontée, c'est la femelle d'un
courtisan, c'est ce qu'on devrait appeler une courtisane!--Non, je ne
vendrai pas tes attraits et ta parure, ô ma Jane! simple fille qui
m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas même ce que c'est qu'on
poète. Tu me t'es pas enorgueillie de mes louanges, tu n'as pas compris
mes vers; eh bien, je te les garderai. Un jour peut-être... dans le
ciel, tu parleras ta langue des dieux!... et tu me répondras... ma
pauvre Jane!... (_L'horloge sonne minuit._) Déjà minuit!... et je n'ai
rien fait encore, la fatigue m'accable déjà! Cette nuit sera-t-elle
perdue comme les autres?.... non, il ne le faut pas... Je ne puis
différer davantage.... Il ne me reste pas une guinée, et ma mère aura
faim et froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-même...
et le froid me gagne... Ah! je sens à peine ma plume entre mes doigts
glacés... ma tête s'appesantit... Qu'ai-je donc?--Je n'ai rien fait
et je suis éreinté!... mes yeux sont troublés... Est-ce que j aurais
pleuré?... ma barbe est humide... Oui, voici des larmes sur les stances,
à Jane... J'ai pleuré tout à l'heure en songeant à elle... Je ne m'en
étais pas aperçu. Ah! tu as pleuré, misérable lâche? tu t'es énervé à te
raconter ta douleur, quand tu pouvais l'écrire et gagner le pain de ta
mère; et maintenant te voici épuisé comme une lampe vers le matin, te
voici pâle comme la lune à son coucher... C'est la troisième nuit que tu
emploies à marcher dans ta chambre, à tailler ta plume et à te frapper
le front sur ces murs impitoyables! O rage! impuissance, agonie! (_Se
levant._) Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis m'ont tourné
le dos, mon génie s'est couché paresseux et insensible à l'aiguillon de
la volonté, ma vie elle-même a semblé me quitter, mon sang s'est arrêté
dans mes veines, et la souffrance de mes nerfs contractés m'a arraché
des cris. Tout cela est arrivé souvent, trop souvent! Mais toi, ô
courage! ô orgueil! fils de Dieu, père du génie, tu ne m'as jamais
manqué encore. Tu as levé d'aussi lourds fardeaux, tu as traversé
d'aussi horribles nuits, tu m'as retiré d'aussi noirs abîmes... Tu sais
manier un fouet qui trouve encore du sang à faire couler de mes membres
desséchés; prends ton arme et fustige mes os paresseux, enfonce ton
éperon dans mon flanc appauvri...

J'ai entendu gémir là-haut! sur ma tête!... c'est ma mère!... Elle
souffre, elle a froid peut-être. J'ai mis mon manteau sur elle pour
la réchauffer. Il ne me reste plus rien... Ah! mon pourpoint pour
envelopper ses pieds. (_Il monte dans la soupente et revient en chemise
et en grelottant._)

Froid maudit! ciel de glace!

Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer quelque
chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et les frileux. (_Sa voix
s'affaiblit._) Une satire sur les nez rouges... (_Une pause._) Une
épigramme sur le nez de l'archevêque qui est toujours violet après
souper... (_Une pause._) Unes chanson, cela me réveillera; si je viens à
bout de rire, je suis sauvé... Ah! le damné manteau de glace que minuit
me colle sur les épaules!... rimons... charmante bise de décembre qui
  souffles sur mes tempes, inspire-moi... Monseigneur...Monseigneur de Cantorbery...

  (_Une pause_.)
  Est toujours vermeil après boire.,.

Vermeil ne me plaît pas...

  Est toujours charmant...

Charmant... hum!

  Est toujours superbe..
  Est toujours superbe après boire...

(_Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse_.)

  Monseigneur de Cantorbery...

  (_Il s'endort tout à, fait_.)

[Illustration: Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.., (Page 63.)]

(_Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est enveloppée à demi
dans les couvertures de son lit, et se traîne le long des murs._)


MEG.

Je crois qu'il y a enfin de la lumière ici... Je vois une lueur
faible... (_Elle se heurte contre la table._)


ALDO.

Qui va là?... vous ne répondez pas?... bonsoir... Si vous êtes un
voleur, l'ami, passez votre chemin, vous perdez votre temps ici... (_Il
se rendort._)


MEG.

Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis encore plus sourde
aujourd'hui qu'à l'ordinaire... et je ne sais pas si le temps était plus
sombre, mais il m'a semblé que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est
pas rentré, à ce qu'il paraît!... (_Elle-se heurte encore._)


ALDO.

Encore! Ami voleur, mon cher frère en diable, vous ne vous en rapportez
pas à moi?... Cherchez à votre aise... si vous pouviez trouver ma rime
dans un coin de la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant.
Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez...

  Monseigneur de Cantorbery
  Est, ma foi! superbe....

(Il se rendort.)


MEG, _qui s'est égarée, à tâtons dans la chambre._

Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici que dans mon
lit.... Dieu de bonté, j'espérais trouver le poêle ... mais y a-t-il
du bois seulement? Si mon pauvre enfant était là, du moins il me
consolerait.... Mais il est allé me chercher quelque chose sans
doute.... Je ne vois plus du tout. Je n'entends rien nulle part....
Froid, nuit, silence, solitude, vieillesse, que vous êtes tristes! Je ne
me soutiens plus, une étrange défaillance me saisit....

(_Aldo rêvant._)

Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!...


MEG.

Mes genoux vont se casser si je marche encore: où m'asseoir dans ces
ténèbres?... (_Elle se laisse tomber._)


ALDO.

Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je t'avais donné à
Oscar, mais il parait que tu veux jeûner avec ton maître ... où es-tu, ô
le meilleur des hommes, je veux dire des caniches?...


MEG.

Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, sainte Vierge
... je meurs catholique ... mon enfant! mon enf.... Aldo! (Elle meurt.)


ALDO, _se relevant à demi._

Pour le coup, on a parlé.... Mon nom est parti de ce coin.... Je n'ai
pas rêvé peut-être.... Voleur ou chien! qui que tu sois.... C'était la
voix de ma mère.... Ma mère, allons donc! elle dort là-haut.... Je n'ai
pas la force d'y aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur!
Misère, tu m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer près de moi dans
mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait sortir de la tombe.
Fantômes évoqués par la faim, terreurs imbéciles, laissez-moi!...
Murailles imprudentes qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car
s'il est en vous un écho bavard qui répète les paroles de ma peur, je
vous démolirai pierre à pierre jusqu'à ce que je l'aie arraché de vos
entrailles, fût-il caché dans le ciment et scellé dans le granit....
Ma mère, m'avez-vous appelé? (_Il se lève tout à fait et se frotte
les yeux._) Meg, ma mère! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je
divague.... J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse semble me
demander ce que j'ai fait du temps! Tu as dormi, bête stupide!... Tu
n'as pu lutter une heure ... comme les disciples du Christ, tu as mal
gardé le jardin des Oliviers.--Jésus! tu bois en vain l'éternel calice
des douleurs humaines; ton père est sourd, ton frère l'esprit saint a
perdu ses ailes de feu. Le cerveau du poëte est aride comme la terre, et
le coeur des riches est insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif
aura plus de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (_Il se fait
une incision à la poitrine; étouffe un cri et jette le canif._) Votre
leçon est incisive, mon bon ami, elle creusera en moi.... Passez-moi le
calembour, mon esprit ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite
lame!... Ah! me voici bien éveillé, Dieu merci! cette charmante plaie
me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... Mais qui donc a
ainsi bouleversé ma table?... Quelqu'un est entré ici.... Est-ce que
j'aurais encore peur?... Imbécile! tu es poltron, et pour te guérir,
tu répands deux onces de ton sang comme si tu en avais de reste! et tu
gâtes ta chemise comme si tu en avais une autre! Faquin! perdras-tu tes
habitudes de grand seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans
cette plaie comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir
travailler. (_Mettant ses deux bras sur se tête._) Mon courage, mon
Dieu! ma mère!... Il faut que j'aille embrasser ma mère sans la
réveiller, cela me portera bonheur. (_Il prend sa lumière et sort._)
(_Il redescend de la soupente d'un air effaré._) Mais où est donc la
vieille femme? Ma mère! ma mère! Qu'est-ce qui a pu me voler ma mère?
Je n'avais qu'elle au monde pour causer mon désespoir et conserver mon
héroïsme. (_Il trouvera sa mère sous l'escalier._) Ah!... ma mère est
morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin!--Comment! vous
êtes morte, ma mère? (_Il la retire de dessous l'escalier et la
regarde._) Oui, bien morte! Froide comme la pierre et raide comme
une épée. Ah! ma mère est morte!... (_Il rit aux éclats et tombe en
convulsion._) (_Après un silence._)

Mais pourquoi êtes-vous déjà morte? Vous étiez bien pressée d'en finir
avec la misère! Est-ce que je ne vous soignais pas bien? Étiez-vous
mécontente de moi? Trouviez-vous que j'épargnais ma peine et que je
ménageais mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, et les
critiques de mes envieux vous faisaient-elles rougir d'être la mère
d'un si méchant rimeur? Vous étiez un _bas-bleu_ autrefois dans votre
village!... Aujourd'hui vous n'êtes plus qu'un pauvre squelette aux
jambes nues. Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppés encore
ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la doublure était usée
et l'étoffe mince? C'est comme l'étoffe dont vous m'avez fait, ô
vieille Meg! J'étais votre septième fils; tous étaient beaux et grands,
musculeux et pleins d'ardeur, excepté moi le dernier venu. C'étaient de
vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches aux flancs bruns;
et pourtant, depuis Dougal le Noir jusqu'à Ryno le Roux, tous sont
partis sans songer à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté
que le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit débile
de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire pour vous de plus qu'il
n'a fait? que ne lui donniez-vous comme à vos autres fils une large
poitrine et de mâles épaules! Cette petite main de femme que voici
pouvait-elle manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier?
Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et boxer avec l'esturgeon? Vous
n'aviez rien espéré de moi, et, me voyant si chétif, vous n'aviez même
pus daigné me faire apprendre à lire!--Et quand tous vous ont manqué,
quand vous vous êtes trouvée seule avec votre avorton, n'avez-vous pas
été surprise de découvrir que je ne sais quel coin de son cerveau avait
retenu et commenté les chants de nos bardes! Quand cette voix grêle a su
faire entendre des mélodies sauvages qui ont ému les hommes blasés
des villes, et qui leur ont rappelé des idées perdues, des sentiments
oubliés depuis longtemps, vous avez embrassé votre fils sur le front,
sanctuaire d'un génie que vous aviez enfanté sans le savoir. Eh bien! ne
pouviez-vous attendre quelques jours encore? La richesse allait venir
peut-être. Votre vieillesse allait s'asseoir dans un palais, et vous
êtes partie pour un monde où je ne puis plus rien pour vous. Tâchez, si
vous allez en purgatoire, que les bras de mes frères vous délivrent et
vous ouvrent les portes du ciel.... Pour moi, je n'ai plus rien à faire,
ma tâche est finie. Toutes les herbes de la verte Innisfail peuvent
pousser dans mon cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est
temps que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille femme,
spectre blême, dont le souvenir sacré m'a fait accomplir de si rudes
travaux, apprendre tant de choses ardues, passer tant de nuits glacées
sans sommeil et sans manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour
toi, je n'aurais jamais été rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au moment où
j'allais être quelque chose? Tu m'ôtes une récompense que je méritais; c
était de te voir heureuse, et tu meurs dans le plus odieux jour de notre
misère, dans la plus rude de mes fatigues! O mère ingrate, qu'ai-je fait
pour que tu m'ôtes déjà mon unique désir de gloire, ma seule espérance
dans la vie, l'honnête orgueil d'être un bon fils!... Vieux sein
desséché qui as allaité six hommes et demi, reçois ce baiser de
reproche, de douleur et d'amour.... ( _Il se jette sur elle en
sanglotant._)--Hélas! ma mère est morte!



SCÈNE III.

JANE, ALDO.


JANE.

Est-ce que votre mère est morte! Hélas! quelle douleur!

ALDO.

Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois la bienvenue! Mon âme
est brisée, je n'espère plus qu'en toi.


JANE.

Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis pas rendre la
vie à votre mère.


ALDO.

Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et silencieuse
compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait de moi, le devoir qui
m'attachait à elle et à la vie. Hélas! il y a eu des jours où, dans mon
découragement, j'ai souhaité que la pauvre Meg arrivât au terme de ses
maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux miens! Tout
à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui amèrement d'être enfin
délivré de mon pieux fardeau. Je me suis assis en blasphémant au bord du
chemin. Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.--Mais je suis bien jeune
encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est peut-être pas fini
pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus beau que le passé. Je veux
devenir riche et puissant; si je trouve une douce compagne, tendre et
bonne comme ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter les
mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer comme un doux breuvage
d'oubli au milieu de mes détresses, je puis encore voir la verte
espérance s'épanouir comme un bourgeon du printemps sur une branche
engourdie par l'hiver.


JANE.

J'aime beaucoup les choses que vous dites, ô mon bien-aimé! Quoique vos
paroles ne soient pas familières à mon oreille, vos compliments me font
toujours regretter de n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je
suis belle autant que vous le dites.


ALDO.

Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas, pourvu que je vous
voie ainsi et que je vous aime telle que vous êtes à mes yeux et dans
mon coeur!


JANE.

Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent quand on les
écoute; mais quand on y songe après, on ne les comprend plus et on sent
de l'inquiétude.


ALDO.

En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. Eh quoi! vous
gardez un compte exact de mes paroles et vous les commentez en mon
absence? Il faut prendre garde à ce que l'on vous dit!


JANE.

N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?


ALDO.

Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; je suis amer:
j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras, toi, n'est-ce pas?


JANE.

Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé.


ALDO.

Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une parole étrange dans
votre bouche!


JANE.

Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler? C'est vous, Aldo, qui
me semblez étrange!


ALDO.

En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades, c'est malgré moi
qu'elles me viennent. Je ne veux pas m'y livrer. Donnez-moi votre main,
Jane, et donnez-moi aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma
pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour moi, pour moi
seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de trouver un appui ou de mourir.
Vous êtes mon seul et dernier espoir; m'accueillerez-vous?


JANE.

Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous de
m'épouser?


ALDO.

Vous en doutez?


JANE.

Non, je n'en doute pas.


ALDO.

Mais vous en avez douté..


JANE.

Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous de moi d'un
air sombre? Est-ce que je vous ai offensé?


ALDO.

Non.


JANE.

Vous ne vous voulez pas me regarder?


ALDO.

Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure qui m'occupe, c'est
au fond de votre coeur que mon regard plonge.


JANE.

Voilà que vous me dites des choses que je n'entends plus; et, comme vous
froncez le sourcil en me les disant, je dois croire que ce sont
des choses dures et affligeantes pour moi. Vous avez un malheureux
caractère, Aldo, un sombre esprit, en vérité!


ALDO.

Vous trouvez?


JANE.

Oui, et j'en souffre.


ALDO.

Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.


JANE.

Je vous pardonne.


ALDO, _avec amertume_.

Vous êtes bonne!


JANE.

C'est que je vous aime; tâchez de m'aimer autant, et nous serons
heureux.


ALDO.

J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté d'appeler les
voisines pour qu'elles viennent ensevelir le corps de ma mère?


JANE.

J'y vais. Donnez-moi un baiser. (_Aldo la baise au front avec
froideur._)


ALDO, _seul_.

Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle me blesse et me
choque sans s'en douter, elle m'accorde mon pardon quand c'est elle qui
m'offense, et elle reçoit mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes
lèvres que c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien lâche
et bien borné! Je croyais celle-ci plus naïve, plus abandonnée à ce que
la nature leur inspire parfois de beau et de généreux! Mais il y a dans
le coeur un fonds d'égoïsme plus dur que le diamant, et aucun grand
sentiment n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue des cieux pour
nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même dans le partage que tu veux
établir entre nos destinées et les tiennes! Tu promets ton dévouement,
tes caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable.
Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui était sur mes lèvres,
et que j'aurais voulu offrir et non céder. C'est ainsi que tu nous
sauveras, ange équitable et prudent. Tu tiens une balance comme la
justice, mais tu as soulevé le bandeau de l'amour, et tu vois clairement
nos défauts pour nous les reprocher sans pitié. Rien pour rien, c'est ta
devise! Où est ta miséricorde, où est ton pardon, où donc tes ineffables
sacrifices? Femme! mensonge! tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre,
un rêve. Les poëtes t'ont créée, ton fantôme est peut-être au ciel. Il
m'a semblé parfois te voir passer dans mes nuées. Insensé que j'étais,
pourquoi suis-je descendu sur la terre pour te chercher?

Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire. Ma mère, je ne te pleure
plus, nous ne serons pas longtemps séparés. Je laisse à d'autres le soin
d'ensevelir ta dépouille, je vais rejoindre ton âme... J'ai bien assez
tardé, mon Dieu! il y a assez longtemps que j'hésite au bord du gouffre
sans fond de l'éternité! Pourquoi ai-je tremblé?... tremblé! Est-ce
que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... Non, c'est le devoir.--Et
pourtant tout à l'heure que faisais-tu lorsque tu priais, à genoux,
cette jeune fille de conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne
devais plus rien à personne, et tu voulais vivre pourtant! lâche enfant!
tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, tu demandais l'amour avec
des larmes! Tu les demandais à une paysanne imbécile, quand c'est dans
un monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrête? est-ce
le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le désespoir? Là-haut
l'incertitude, ici la réalité. Le choix peut-il être douteux? Va donc,
Aldo! descends dans ces vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces
insaisissables. Que Dieu te protège, si tu en vaux la peine; qu'il te
rende au néant, si ton âme n'est qu'un souffle sorti du néant!...

Adieu, grabat où j'ai si mal dormi! adieu, table dure et froide où j'ai
tracé des vers brûlants! adieu, front livide de ma mère, où j'ai tant
de fois interrogé avec anxiété les ravages de la souffrance et les
dernières luttes de la vie prête à s'éteindre! Adieu, espérances de
gloire; adieu, espérances d'amour, vous m'avez menti, je romps les
mailles du filet où vous m'avez tenu si longtemps captif et ridicule!
je vais me relever à mes propres yeux, je vais briser un joug dont je
rougis... Adieu. (_ Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur
le fleuve et descend les degrés. Une barque pavoisée passe au même
moment._)


AGANDECCA, _sur la barque_.

Quel est ce jeune homme si pâle et si beau qui descend vers le fleuve et
semble vouloir s'y précipiter?


TICKLE, _sur la barque_.

C'est un homme de rien, un rêveur, un fou, un misérable.


AGANDECCA.

Je veux savoir son nom.


TICKLE.

C'est Aldo le rimeur.


AGANDECCA.

Aldo le barde! ses chants sont inspirés, sa voix est celle d'un poète
des anciens jours. La beauté de son génie ne le cède qu'à celle de son
visage. Je veux lui parler.


TICKLE.

C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui répondra fort mal aux
bontés de Votre Grâce.


AGANDECCA.

N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. Faites aborder
la barque au bas de cet escalier. ( _Tickle donne des ordres en
grommelant. La barque vient aborder aux pieds d'Aldo._)


ALDO.

Qui êtes-vous, et que demandez-vous à la porte de cette pauvre maison?


AGANDECCA.

Je suis la reine, et je viens te voir.


ALDO.

Votre Grâce arrive une heure trop lard, la maison est déserte. Ma mère
est morte, et je ne repasserais pas le seuil que je viens de franchir,
fut-ce pour la reine Mab elle-même.


AGANDECCA.

Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma barque.


ALDO.

Madame, où me menez-vous?


AGANDECCA.

A la promenade.


ALDO. Votre promenade sera-t-elle longue?


LA REINE.

Que sais-je?



ACTE SECOND.

Dans une galerie du palais de la reine.



SCÈNE PREMIÈRE.

LA REINE, TICKLE.


LA REINE.

Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fâche, et je ne veux pas
entendre de mal de lui.


TICKLE.

Comment Votre Grâce peut-elle me supposer une si coupable intention! Le
seigneur Aldo est un si grand poëte et un si noble cavalier!


LA REINE.

Oui, c'est le plus beau génie et le plus grand coeur! Je ne lui reproche
qu'une chose, son invincible orgueil.


TICKLE.

Sous une apparence d'humilité, je sais qu'il cache une épouvantable
ambition...


LA REINE.

Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que l'ambition d'être
aimé.


TICKLE.

C'est une belle et touchante ambition!


LA REINE.

Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. Un mot
l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une ombre; il n'y a pas
de calme possible dans son amour.


TICKLE.

Cet amour-là est une tyrannie, une guerre à mort, un combat éternel!


LA REINE.

Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur des hommes.
Je lui reproche, au contraire, de trop renfermer au dedans de lui les
chagrins que je lui cause. Au lieu de s'en plaindre franchement, il les
concentre, il les surmonte, et, avec toute cette résignation, tout ce
courage, toute cette douceur, il dévore sa vie, il use son coeur, il est
malheureux.


TICKLE.

Infortuné jeune homme! Votre Grâce devrait avoir plus de compassion, lui
épargner...


LA REINE.

Mais de quoi se plaint-il, après tout? Son coeur est injuste, son esprit
est plein de travers, d'inconséquences, de souffrances sans sujet et
sans remède. Que puis-je faire pour un cerveau malade? Je l'aime de
toute mon âme et lui épargne la douleur tant que je puis; mais le mal
est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pâle et sombre, à mes
côtés, je l'ai pris pour l'ange de la douleur.


TICKLE.

Le spectacle d'un homme toujours mécontent doit être un grand supplice
pour une âme généreuse comme celle de Votre Grâce.


LA REINE.

Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me blesse et m'irrite.
Quoi de plus décourageant que de vouloir consoler un inconsolable? C'est
se consumer jeune et pleine de santé auprès du lit d'un moribond qui ne
peut ni vivre ni mourir.


TICKLE.

Votre Grâce a fait pourtant bien des sacrifices pour lui. De quoi
pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracié pour lui le duc de
Suffolk, l'astre le plus brillant de la cour?


LA REINE.

Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus!


TICKLE.

Il n'avait jamais d'ailleurs été bien aimable.


LA REINE.

Il ne faut pas dire cela; c'était un homme d'esprit et plein de nobles
qualités.

TICKLE.

Oh! oui, généreux, brave, désintéressé!...


LA REINE.

Ceci est faux; il était plus épris de mon rang que de ma personne.


TICKLE.

C'est le malheur des rois.


LA REINE.

Et c'est ce qui me fait chérir l'amour de mon poëte: lui du moins m'aime
pour moi seule. Il sait à peine si je suis reine. Il n'en est point
ébloui; même il en souffre, et je crois qu'il me le pardonne.


TICKLE.

Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de poëte il ne
préfère point sa condition à celle d un roi?


LA REINE.

S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poëte est la plus belle des
couronnes, la plume d'un grand écrivain est un sceptre plus puissant que
les nôtres. Moi, j'aime qu'un esprit supérieur sache ce qu'il est et ce
qu'il peut être; c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions.


TICKLE.

Aussi je crois que le poëte Aldo est réservé à de hautes destinées. Il
est digne de commander aux hommes, et un mot de Voire Grâce pourrait
l'élever au véritable rang qu'il est né pour occuper....


LA REINE.

Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher Tickle, je le
dirais que tu es parfaitement imbécile. Qui? lui! être mon époux!
régner! D'abord le sceptre jusqu'ici ne m'a pas semblé trop lourd à
porter; ensuite Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais
supposer capable de me seconder. Personne ne connaît moins les
autres hommes, personne n'a d'idées plus creuses, de sentiments plus
exceptionnels, de rêves plus inexécutables. Vraiment! mon peuple serait
un peuple bien gouverné! il pourrait chanter beaucoup et manger fort
peu, ce qui ne laisserait pas que d'être fort agréable, le jour où
le poëte-roi aurait découvert le moyen de placer l'estomac dans les
oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu n'as pas le sens commun aujourd'hui.


TICKLE, _sortant_.

Fort bien, j'ai réussi à la fâcher; j'étais bien sur qu'en disant comme
elle, je l'amènerais à dire comme moi.



SCÈNE II.


LA REINE, seule.

Ce Tickle est un fâcheux personnage; il a une manière d'entrer dans mes
idées qui m'en dégoûte sur-le-champ. Ces prétendus bouffons, que nous
ayons autour de nous, sont comme nos mauvais génies, laids et méchants;
ils tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la vérité qui nous
blesse,. et de nous taire celle qui nous serait utile. Quand ils ne
mentent pas, c'est que leur mensonge pourrait nous épargner une douleur
ou nous sauver d'un péril; c'est alors seulement qu'ils se refusent
Je plaisir de nous tromper. Il faut que je voie mon poëte, je me sens
attristée et prête à douter de tout. L'homme aux illusions me consolera
peut-être. (_Elle siffle dans un sifflet d'argent suspendu à son cou_.)
(_Tickle rentre_.) Nain, envoyez Aldo près de moi, je l'attends ici.


TICKLE.

J'y cours avec joie.


LA REINE.

Après tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit que cet amour nuit
à ma gloire. Le duc de Suffolk m'était moins cher, je l'estimais moins,
j'étais moins touchée de son amour; mais son esprit, moins élevé, était
plus positif; c'était un ambitieux, mais un ambitieux qui secondait
toutes mes vues. J ai aimé autrefois le brave Athol. Celui-là était un
beau soldat, un bon serviteur, un véritable ami; du reste, un montagnard
stupide; mais il était l'appui de ma royauté, il la rendait redoutable
au dehors, paisible au dedans; c'était comme une bonne arme bien trempée
et bien brillante dans ma main. Ce poëte est dans mon palais comme un
objet de luxe, comme un vain trophée qu'on admire et qui ne sert à rien.
Un vêtement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? On aime à respirer les
roses de la vallée, mais on est à l'abri sous les sapins de la montagne.

Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! Qu'il est doux de
se reposer des soucis de la vie active sur un coeur sincère et fidèle!
Qu'ils sont rares, ceux qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes
toujours embrasés, ils se consument en montant vers le ciel. Nous
pouvons à toute heure chercher sur leur autel la chaleur qui manque à
notre âme épuisée, nous la trouvons toujours vive et brillante. Leur
sein est un mystérieux sanctuaire où le feu sacré ne s'éteint jamais;
s'il s'éteignait, le temple s'écroulerait comme un monde sans soleil.
L'amour est en eux le principe de la vie. Ils pâlissent, ils souffrent,
ils meurent, si on froisse leur tendresse délicate et timide. Dites un
mot, accordez un regard, ils renaissent, leur sein palpite de joie,
leur bouche a de douces paroles de reconnaissance pour bénir, et leurs
caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi qui saches aimer, et
pourtant il est des jours où tu m'ennuies mortellement.



SCÈNE III.

LA REINE, ALDO.


ALDO.

Que veux-tu de moi, ma bien-aimée?


LA REINE.

Je voulais te voir et être avec toi.


ALDO.

Êtes-vous triste, êtes-vous fatiguée? Voulez-vous que je chante? Que
puis-je faire pour vous?


LA REINE.

Êtes-vous heureux?


ALDO.

Je le suis, parce que vous m'aimez.


LA REINE.

Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me répondez pas? Déjà votre
visage est changé, des larmes roulent dans vos yeux, ma question vous a
offensé?


ALDO.

Offensé?--Non.


LA REINE.

Affligé?


ALDO.

Oui.


LA REINE.

Si vous êtes triste, vous allez me rendre triste.


ALDO.

J'essaierai de ne pas l'être; mais, quand vous avez besoin de
distraction et de gaieté, pourquoi me faites-vous appeler? Ce n'est pas
ma société qui vous convient dans ces moments-là. Votre nain Tickle a
plus d'esprit et de bons mots que moi.


LA REINE.

Mais il est méchant et laid. J'aime la gaieté, mais c'est un banquet où
je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives dignes de moi. Pourquoi
méprisez-vous le rire? Vous croyez-vous trop céleste pour vous amuser
comme les autres hommes?


ALDO.

Je me sens trop faible pour professer le caractère jovial. Quand je
semble gai, je suis navré ou malade; le bonheur est sérieux, la douleur
est silencieuse. Je ne suis capable que de joie ou de tristesse. La
gaieté est un état intermédiaire dont je n'ai pas la faculté, j'y arrive
par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, commandez le
souper, faites danser sir John Tickle sur la table; en voyant ses
grimaces, en buvant du vin d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en
convulsion. Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir? Je vous
regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous me regardez avec
bonté, je suis heureux; vous me raillez, et je suis triste.

LA REINE.

Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on toujours vivre
replié sur soi-même? L'amour est-il la seule passion digne de vous?


ALDO.

C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable.


LA REINE, _impatientée_

Alors vous êtes un pauvre sire; moi, je ne peux pas toujours parler
d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets de joie ou de tristesse que
le nuage qui passe dans le ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de
grands intérêts dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais
des lois, je récompense la valeur, je punis le crime; j'inspire la
crainte, le respect, l'amour, la haine peut-être; tout cela m'occupe; je
vais d'une chose à une autre, je parcours tous les tons de cette belle
musique dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; mais
votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. Vous êtes beau et
monotone comme la lune à minuit, mon pauvre poëte.


ALDO.

La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de fermer les fenêtres
et d'allumer les flambeaux quand sa lueur blafarde vous importune.
Pourquoi allez-vous rêver dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la
brume et le froid rayon des étoiles n'iront pas vous attrister dans vos
salles pleines de bruit et de lumière.


LA REINE.

J'entends: je puis m'étourdir dans de frivoles amusements et vous
laisser avec votre muse. C'est une société plus digne de vous que celle
d'une femme capricieuse et puérile. Restez donc avec votre génie, mon
cher poëte. Les étoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre
doucement parmi les fleurs: rêvez, chantez, soupires. La façade de mon
palais s'illumine, et le son des instruments m'annonce le repas du soir.
J'y vais porter votre santé à mes convives dans une coupe d'or,
et parler de vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici,
penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous avec les sylphes.
S'ils ne me trouvent pas indigne d'un souvenir, parlez-leur de moi; et
si, malgré cette nourriture céleste, il vous arrive de ressentir la
vulgaire nécessité de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. Au
revoir.--Mais qu'est-ce donc? Vous avez baisé bien tristement ma main,
et vous y avez laissé tomber une larme! Quoi! vous êtes triste encore?
je vous ai encore blessé? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon
cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous aime tendrement,
je vous préfère aux plus grands rois de la terre. Faut-il vous le
répéter à toute heure? ne le savez-vous pas? Venez, que je baise votre
beau front. Séchez vos larmes et venez me rejoindre bientôt.



SCÈNE IV.


ALDO, _seul_.

Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu et devant les
hommes! Moi, je n'ai raison que devant ma conscience. Je ne puis avoir
d'autre juge que moi-même, et ne puis me plaindre qu'à moi-même.--Car,
enfin, il ne dépend pas de moi d'être autrement. Tout m'accuse
d'affectation; mais on n'est pas affecté, on n'est pas menteur avec
soi-même. Je sais bien, moi, que je suis ce que je suis. Les autres sont
autres, et ne me comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car
moi je ne nie pas leur sincérité; ils me disent qu'ils sont courageux,
je pourrais leur répondre qu'ils sont insensibles. Mais j'accepte ce
qu'ils me disent, je consens à les reconnaître courageux. Mais s'ils le
sont, pourquoi me reprochent-ils impitoyablement de ne l'être pas? Si
j'étais Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfants
que je trouverais haletants et pleurants sur la route, je les prendrais
sur mes épaules, je les porterais, une partie du chemin, dans ma peau de
lion. Que serait pour moi ce léger fardeau, si j'étais Hercule?--Voua
ne l'êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. Elle ne
vous révolte pas, elle vous effraie. Vous craignez d'être forcés de la
secourir, et, comme vous ne le pouvez pas, vous l'humiliez pour lui
apprendre à se passer de vous.

Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de corps, faible
d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; je préfère ce que j'aime
à moi-même.--Quand je veux suivre la chasse, j'en suis vite dégoûté,
parce que je suis vite fatigué.--Quand on me raille, ou me blâme, je
suis effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont je ne
puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu, et que j'ai
trop de candeur pour me réhabiliter en me vantant. Avec les hommes,
il faudrait être insolent et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes
faiblesses et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses des
autres et n'en suis pas révolté. Je les supporte tels qu'ils sont. Je ne
repousse pas les plus méprisables, je les plains, et, tout faible que
je suis, j'essaie de soutenir et de relever ceux qui sont plus faibles
encore. Pourquoi ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la
pareille?

--Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne te nie pas;
peut-être te manifesteras-tu à moi dans une autre vie. J'espère en la
mort.

Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir et crier en
vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprimé, tu ne punis pas le
méchant. J'accepte tout, mon Dieu! et je dis que c'est bien, puisque
c'est ainsi. Suis-je impie, dis-moi?

Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie de moi-même.
Conscience, voix du ciel cachée en moi, comme le son mélodieux dans les
entrailles de la harpe, je te prends à témoin, je te somme de me rendre
justice. Ai-je été lâche? ai-je lutté contre le malheur? ai-je supporté
la misère, la faim, le froid? ai-je abandonné ma mère lorsque tout
m'abandonnait, même la force du corps? ai-je résisté à l'épuisement et à
la maladie? ai-je résisté à la tentation de me tuer?--Où est le mendiant
que j'aie repoussé? où est le malheureux que j'aie refusé de secourir?
où est l'humilié que je n'aie pas exhorté à la résignation, rappelé à
l'espérance? J'ai été nu et affamé. J'ai partagé mon dernier vêtement
avec ma mère aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec mon
chien efflanqué. J'ai toujours pris en sus de ma part de souffrances
une part des souffrances d'autrui; et ils disent que je suis lâche, ils
rient de la sensibilité niaise du poëte! et ils ont raison, car ils sont
tous d'accord, ils sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les
autres.

Je suis seul, moi! et j'ai vécu seul jusqu'ici. Suis-je lâche? J'ai eu
besoin d'amitié, et, ne l'ayant point trouvée, j'ai su me passer d'elle.
J'ai eu besoin d'amour, et, n'en pouvant inspirer beaucoup, voilà que
j'accepte le peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. Je
pleure tout bas, et l'on me méprise.

C'est donc une lâcheté que de souffrir? C'est comme si vous m'accusiez
d'être lâche parce qu'il y a du sang dans mes veines et qu'il coule à la
moindre blessure. C'est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous
tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris mon parti sur
les railleries de mes compagnons? N'avais-je pas consenti à montrer mon
front pâle au milieu de leurs fêtes et à passer pour le dernier des
buveurs? N'avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien que deux
ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux ou trois mille qui me
traiteraient de rêveur et de fou? Après avoir souffert du métier de
poëte en lutte avec la misère et l'obscurité, j'avais souffert plus
encore du métier de poëte aux prises avec la célébrité et les envieux!
Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne trouvant pas le
bonheur dans la richesse et dans ce qu'on appelle la gloire, je
m'étais réfugié dans le coeur d'une femme, et j'espérais. Celle-là, me
disais-je, est venue me prendre par la main au bord du fleuve où je
voulais mourir. Elle m'a enlevé sur sa banque magique, elle m'a conduit
dans un monde de prestiges qui m'a ébloui et trompé, mais où, du moins,
elle m'a révélé quelque chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si
les vains fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c'est qu'elle
était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges et des
merveilles, mais elle est une divinité bienfaisante, cette fée qui me
promène sur son char. Elle m'a leurré de cent illusions pour m'éprouver
ou pour m'éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son nuage
de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j'ai cherchée, que j'ai
adorée à travers tous les mensonges de la vie, et dont le rayon
éclairait ma route au milieu des écueils où les autres brisent le
cristal pur de leur vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que
nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites courir après
vous sans regarder où nous mettons les pieds, pourquoi revêtez-vous des
formes sensibles, pourquoi vous déguisez-vous en femmes? Appelez-vous la
vérité, appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie; ne vous appelez
pas Jane, Agandecca, l'amour.

Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour être mieux traité que
les autres? Pourquoi cette insolente ambition d'être heureux? Pourquoi
n'es-tu pas fier de ton laurier de poëte et de l'amour d'une reine? Et
si cela ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la réalité
d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk était aimé de la reine;
il voulait plus que partager sa couche, il voulait partager son trône.
Athol fut aimé de la reine; il s'ennuyait souvent près d'elle, il
désirait la gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui
semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez des ambitieux,
mais vous n'étiez pas des fous; vous désiriez ce que vous pouviez
espérer; la puissance, la victoire, l'argent, l'honneur, tout cela est
dans la vie; l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La reine
a chassé Suffolk; mais il règne sur une province, et il est content.
Athol a été disgracié; mais il commande une armée, et il est fier.

Moi, que puis-je aimer après elle? rien. Où est le but de mes
insatiables désirs? dans mon coeur, au ciel, nulle part peut-être?
Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable au mien, qui me réponde; ce
coeur n'existe pas. On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me
le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s'amuse de ma
passion comme d'une chose singulière, on la regarde comme un spectacle,
et quelquefois l'on s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus
souvent on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On m'admire,
on me recherche et on m'écoute, parce que je suis un poëte; mais quand
j'ai dit mes vers, on me défend d'éprouver ce que j'ai raconté, on me
raille d'espérer ce que j'ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, et
gardez vos églogues pour les réciter devant le monde; soyez homme avec
les hommes, hissez donc le poëte sur le bord du lac où vous le promenez,
au fond du cabinet où vous travaillez.--Mais le poëte, c'est moi! Le
coeur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis l'arracher de
mes entrailles. Je ne puis étouffer dans mon sein l'ange mélodieux qui
chante et qui souffre. Quand vous l'écoutez chanter, vous pleurez; puis
vous essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon rôle cesse
avec votre émotion: aussitôt que vous cessez d'être attentifs, il faut
que je cesse d'être inspiré. Qu'est-ce donc que la poésie? Croyez-vous
que ce soit seulement l'art d'assembler des mots?

Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous avez raison! vous
êtes reine, vous êtes belle, vous êtes ambitieuse et forte. Votre âme
est grande, votre esprit est vaste. Vous avez une belle vie; en bien!
vivez. Changez d'amusement, changez de caractère vingt fois par jour;
vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blâme pas; et, si je vous
aime, c'est peut-être parce que je vous sens plus forte et plus sage
que moi. Si je suis heureux d'un de vos sourires, si une de vos larmes
m'enivre de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des
bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez me refuser.
Moi, quel mérite ai-je à vous aimer? je ne puis faire autrement. De quel
prix est mon amour? l'amour est ma seule faculté. A quels plaisirs, à
quels enivrements ai-je la gloire de tout préférer? Rien ne m'enivre,
rien ne me plaît, si ce n'est vous. La moindre de vos caresses est un
sacrifice que vous me faites, puisque c'est un instant que vous dérobez
à d'autres intérêts de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous
êtes mon autel et mon Dieu, et je suis moi-même l'offrande déposée à vos
pieds.

Si je suis mécontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en prendre de mes
souffrances? Si je pouvais me plaindre, m'indigner, exiger plus qu'on ne
me donne, j'espérerais. Mais je n'espère ni ne réclame; je souffre.

Eh bien, oui, je souffre et je sais mécontent. Pourquoi ai-je voulu
vivre? Quelle insigne lâcheté m'a poussé à tenter encore l'impossible?
Ne savais-je pas bien que j'étais seul de mon espèce et que je serais
toujours ridicule et importun? Qu'y a-t-il de plus chétif et de plus
misérable que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui souffre est un
fléau! c'est un objet de tristesse et de dégoût pour les autres! c'est
un cadavre qui encombre la voie publique, et dont les passants se
détournent avec effroi. Etre malheureux, c'est être l'ennemi du genre
humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur compte, et celui
qui ne sait pas vivre pour lui-même est un voleur qui dépouille ou un
mendiant qui assiège.

Meurs donc, lâche! il est bien temps d'en finir! tu t'es bien assez
cabré sous la nécessité! Tes flancs ont saigné, et tu n'as pas fait un
pas en avant! Résigne-toi donc à mourir sans avoir été heureux!...

Hélas! hélas! mourir, c'est horrible!... Si c'était seulement saigner,
défaillir, tomber!... mais ce n'est pas cela. Si c'était porter sa tête
sous une hache, souffrir la torture, descendre vivant dans le froid
du tombeau! mais c'est bien pis: c'est renoncer à l'espérance, c'est
renoncer à l'amour; c'est prononcer l'arrêt du néant sur tous ces rêves
enivrants qui nous ont leurrés, c'est renoncer à ces rares instants de
volupté qui faisaient pressentir le bonheur, et qui l'étaient peut-être!

Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas assez, n'est-ce
pas trop! Agandecca, vous m'avez dit des mots qui valaient une année de
gloire, vous m'avez causé des transports qui valaient mieux qu'un siècle
de repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui effacera
toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi un instant le roi de
la terre et du ciel!

Mais pourquoi retomber toujours dans l'abîme de douleur? pourquoi
chercher ces joies si elles doivent finir et si je ne sais pas y
renoncer? Les autres se lassent et se fatiguent de leurs jouissances:
moi, la jouissance m'échappe et le désir ne meurt pas! O amour! éternel
tourment!... soif inextinguible!

Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, si je le
puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra plus malheureux. Je ne
saurai pas vivre sans aimer. L'amour ou l'amitié ne me paieront pas ce
que je dépenserai de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je pu
vivre jusqu'ici? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus courageux ou
le plus lâche de tous les hommes?--Je ne sais pas; et comment le
savoir?--Celui qui souffre pour donner du bonheur aux autres... oui,
celui-là est brave... mais celui qui souffre et qui importune, celui qui
veut du bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! décidément je suis
un lâche! comment ne m'en suis-je pas convaincu plus tôt? (_Il tire son
épée_). Lune... brise du soir!... Tais-toi, poëte, tu n'es qu'un sot.
Qu'est-ce qui mérite un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un
regret? (_Il va pour se tuer._)



SCÈNE V.


LE DOCTEUR ACROCERONIUS, _entrant_.

Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude singulière?


ALDO.

Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.


ACROCERONIUS.

En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas déranger pour moi.
Puis-je vous rendre quelque service après votre mort?


ALDO.

Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir.


ACROCERONIUS

Je suis fâché que vous preniez cette résolution avant le coucher de la
lune.


ALDO.

Pourquoi?


ACROCERONIUS.

Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez une des plus
belles éclipses de lune que nous ayons eues depuis longtemps.


ALDO.

Il y a une éclipse de lune?


ACROCERONIUS.

Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera tellement
visible, que je m'étonne de rencontrer un homme aussi indifférent que
vous à cet important phénomène.


ALDO.

En quoi cela peut-il m'intéresser?


ACROCERONIUS.

Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous le ferai comprendre.


ALDO.

Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas disposé à marcher, et
j'aime mieux me passer mon épée au travers du corps.


ACROCERONIUS.

Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant moi. Cependant
j'aurais été flatté d'avoir votre compagnie durant ma promenade.


ALDO.

En quoi pourrais-je vous être utile! La solitude convient mieux à vos
savantes élucubrations. Je ne suis qu'un pauvre poëte, peu capable de
raisonner avec vous sur d'aussi graves matières.


ACROCERONIUS.

La société des poëtes m'a toujours été fort agréable. Les poëtes sont de
très-intelligents observateurs de la nature. Ils sont faibles sur les
classifications, mais ils ont beaucoup de netteté dans l'observation.
Ils possèdent l'appréciation juste de la couleur et de la forme, et
quelquefois ils remarquent des rapports qui nous échappent; des nuances
presque insaisissables leur sont révélées par je ne sais quel sens qui
nous manque. Je suis sûr que vous me feriez voir des choses dont je sais
l'existence, et que pourtant je n'ai jamais pu observer à l'oeil nu.


ALDO.

Les savants sont poëtes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont pas besoin,
comme nous, d'observer pour voir. Ils savent tant de choses, qu'ils
peuvent peindre la nature sans la regarder, comme on fait de mémoire le
portrait de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d'un mystère
dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche vêtement qui couvre
les beautés nues sous l'oeil de la science. Je suis fâché, mon cher
maître, d'avoir vécu longtemps sous le même toit que vous, sans avoir
songé à profiter de votre entretien.


ACROCERONIUS.

Si vous n'êtes pas forcé absolument de vous tuer ce soir, vous pourriez
venir avec moi sur la montagne de Lego. Nous observerions l'éclipse de
lune, nous causerions sur toutes les choses connues; vous pourriez être
revenu et mort avant le lever de la reine.


ALDO.

Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons cette promenade
ensemble. Vous m'apprendrez beaucoup de choses que j'ignore. Je vous
interrogerai sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles,
sur l'écume que la lune répand à minuit dans les herbes, sur les bruits
qu'on entend la nuit... Avez-vous remarqué cette grande voix aigre qui
crie incessamment autour de l'horizon, et qui est si égale, si continue,
si monotone, qu'on la prend souvent pour le silence?


ACROCERONIUS.

J'ai écrit précisément un petit traité in-4° sur ce dont vous parlez;
mais, pour bien vous le faire comprendre, il faudrait sortir un peu du
monde visible, et nous aventurer dans des questions d'astrologie pour
lesquelles vous auriez peut-être quelque répugnance.


ALDO.

L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maître. Je serais
très-curieux d'avoir quelque notion sur cette science étonnante. J'y ai
songé quelquefois, et si les préoccupations de mon esprit m'en avaient
laissé le temps, j'aurais pris plaisir à soulever un coin du voile qui
me cache cette mystérieuse Isis. Qui sait si la faiblesse de l'homme ne
peut trouver dans ces profondeurs ignorées le secret du bonheur qu'elle
cherche en vain ici-bas? On est bientôt las et dégoûté d'analyser et
d'interroger les choses qui existent matériellement. Le monde invisible
n'est pas épuisé... et si je pouvais m'y élancer...


ACROCERONIUS.

Venez avec moi, mon cher fils, et nous tâcherons de bien observer la
lune.


ALDO, _remettant son épée dans le fourreau_

Allons-nous bien loin sur la montagne?


ACROCERONIUS.

Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez de l'écume que
répand la lune, voyez-vous, mon cher fils, le règne végétal d'après
toutes les classific.... (_ils sortent en causant_.)


GEORGE SAND



FIN D'ALDO LE RIMEUR.





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