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Title: Manuscrit de 1814, trouvé dans les voitures impériales prises à Waterloo, contenant l'histoire des six derniers mois du règne de Napoléon
Author: Fain, Agathon Jean François, 1778-1837
Language: French
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generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)



MÉMOIRES
DES
CONTEMPORAINS.
SE TROUVE AUSSI
A LA GALERIE DE BOSSANGE PÈRE
LIBRAIRE DE S. A. S. MONSEIGNEUR LE DUC d'ORLÉANS,
rue de Richelieu, n° 60.

       *       *       *       *       *

IMPRIMERIE DE LACHEVARDIÈRE FILS,
SUCCESSEUR DE CELLOT,
rue du Colombier, n. 30.


MÉMOIRES
DES
CONTEMPORAINS,
POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE FRANCE,
ET PRINCIPALEMENT A CELLE
DE LA RÉPUBLIQUE ET DE L'EMPIRE.

Deuxième livraison.

SECONDE ÉDITION.


PARIS,
BOSSANGE FRÈRES, LIBRAIRES,
RUE DE SEINE, Nº 12.

1824.



MANUSCRIT
DE
MIL HUIT CENT QUATORZE,
TROUVÉ DANS LES VOITURES IMPÉRIALES PRISES A WATERLOO,
CONTENANT
L'Histoire des six derniers mois du règne de NAPOLÉON

Par le Baron FAIN,

SECRÉTAIRE DU CABINET A CETTE ÉPOQUE,
MAÎTRE DES REQUÊTES, ETC.



AVERTISSEMENT
DES ÉDITEURS.


Cet ouvrage, terminé au commencement de 1815, avait été perdu avec
beaucoup d'autres papiers dans les voitures impériales prises à
Waterloo; et c'est sous le titre anonyme de _Manuscrit de mil huit cent
quatorze, trouvé à Waterloo_, qu'il nous a été présenté.

Occupés d'en donner une édition, nous avons mis tous nos soins à
chercher quel en était l'auteur, et voici ce que nous avons appris d'une
manière certaine.

Napoléon, en quittant Fontainebleau pour se rendre à l'île d'Elbe, avait
chargé le baron Fain, son secrétaire du cabinet, de préparer sur les
dernières années un relevé de faits et de dates qui pût lui servir de
canevas, selon son usage, lorsqu'il voudrait dicter cette partie de son
histoire. C'est en voulant s'acquitter de cette tâche que M. Fain a
rédigé le manuscrit perdu quelque temps après à Waterloo. Nous publions
cet ouvrage tel qu'il est sorti des mains de l'auteur à l'époque que
nous venons de citer. Cependant quelques aperçus qui ne sont qu'indiqués
dans le texte ont depuis été confirmés par des écrivains qu'on ne
saurait taxer d'être au nombre des partisans de Napoléon; et nous avons
cru devoir citer _en notes_ certains passages de leurs écrits, qui,
pouvant être considérés comme l'aveu de la partie adverse, sont de
nature à dissiper des incertitudes toujours fatigantes pour le lecteur.

Nous donnons à la fin de chaque partie un SUPPLÉMENT composé de pièces
que nous avons puisées dans des portefeuilles riches en matériaux
historiques, et qui complètent cet ouvrage dans les détails les plus
importants.



PRÉFACE.


Aussitôt après la chute du gouvernement impérial, les vainqueurs se sont
empressés de raconter les événements à leur manière. Toutes les
trompettes ont sonné pour eux: c'est l'usage!

Cependant les armées françaises avaient fait leur devoir, et la patrie
reconnaissante élevait la voix en leur honneur; mais celui qui pouvait
seul faire le juste partage de la louange et du blâme n'était plus là! A
son défaut, bien des gens ont cru devoir faire les parts eux-mêmes. On
s'est mis à l'ouvrage. Chacun a fait de l'histoire pour son compte;
chacun a voulu fixer l'attention du public sur le point où il s'est
trouvé. L'épisode est devenu le sujet principal; les papiers
d'état-major, les états de situation, ont été déployés, et tout le
fatras de la controverse militaire n'a fourni que trop de volumes! Sous
cette masse de détails, les grands traits de l'histoire courent risque
de disparaître, ou de n'être plus éclairés que par un faux jour! Mais
le temps roule dans sa marche sur les petites combinaisons de
l'amour-propre et de l'esprit de parti; il écrase avec indifférence les
pygmées comme les grains de sable, et ne laisse à la postérité que des
vestiges dignes d'elle!

De toutes les apologies auxquelles la grande catastrophe de 1814 pouvait
donner naissance, une seule eût été digne de passer aux siècles à venir:
elle manque, et ce sera la plus grande lacune de l'histoire de nos
jours. Ainsi, tout le monde a parlé, excepté celui qu'on avait besoin
d'entendre!

Il faut pourtant suppléer, s'il est possible, à son silence. En
attendant qu'une plume fidèle et exercée entreprenne cette tâche, les
faits parlent: ils suffisent déjà. On veut seulement essayer, dans
l'écrit qu'on soumet ici au lecteur, de rétablir les événements dans
leur ordre et dans leur véritable proportion.

L'auteur écrit dépourvu de matériaux; mais il était auprès de Napoléon:
le souvenir _de ce qu'il a vu, de ce qu'il a entendu et de ce qu'il a
senti_, sera son guide. Il a suivi les marches du grand quartier
général; il a été témoin des événements principaux; la position où il
était lui a permis de voir, du point le plus élevé, l'ensemble des
affaires et de les juger dans le rapport qu'elles avaient entre elles...
Il aura atteint le but qu'il se propose, s'il parvient à mettre un
moment le lecteur dans la même position.



  TABLE DES CHAPITRES.


  PREMIÈRE PARTIE.

  SÉJOUR DE NAPOLÉON A PARIS.

  Chap. Ier. Arrivée de Napoléon à Paris.--Ses premières dispositions 1
  Chap. II. Propositions de Francfort. 5
  Chap. III. Les alliés reprennent l'offensive. 12
  Chap. IV. Un parti d'opposition éclate à Paris.--Napoléon renvoie le
      corps législatif.--Conspiration intérieure. 17
  Chap. V. Invasion du territoire français. 25
  Chap. VI. Projets de Napoléon pour l'ouverture de la
      campagne.--Formation des réserves.--Coup d'oeil sur nos autres
      armées. 30
  Chap. VII. Reprise des négociations.--Progrès de l'invasion
      étrangère. 41
  Chap. VIII. Dernières dispositions.--Départ de Napoléon pour l'armée. 46
  Supplément à la première partie. 49

  DEUXIÈME PARTIE.

  JOURNAL DE LA CAMPAGNE.

  Chap. Ier. Arrivée de Napoléon à Châlons-sur-Marne. 83
  Chap. II. L'armée reprend l'offensive.--Bataille de Brienne. 88
  Chap. III. Retraite de l'armée française.--Conditions dictées par le
      congrès. 102
  Chap. IV. Seconde expédition contre le maréchal Blücher.--Combat de
      Champaubert.--Bataille de Montmirail.--Combats de Château-Thierry et
      de Fauchas. 113
  Chap. V. Retour sur la Seine.--Combats de Nangis et de
      Montereau.--Poursuite des Autrichiens jusqu'au-delà de Troyes. 125
  Chap. VI. L'armée française rentre dans Troyes.--Second séjour de
      Napoléon dans cette ville.--Négociation de l'armistice à Lusigny. 148
  Chap. VII. Troisième expédition contre le maréchal Blücher.--Retour de
      Napoléon sur la Marne. 160
  Chap. VIII. Excursion au-delà de l'Aisne.--Bataille de Craonne.--Combats
      de Laon et de Reims. 176
  Chap. IX. Napoléon ramène l'armée sur la Seine.--Combat d'Arcis. 196
  Chap. X. Marches et contre-marches entre Vitry, Saint-Dizier et
      Doulevent. 212
  Chap. XI. Retour sur Paris. 224
  Supplément à la deuxième partie. 235

  TROISIÈME PARTIE.

  SÉJOUR DE L'EMPEREUR A FONTAINEBLEAU.

  Chap. Ier. L'armée se range autour de Fontainebleau.--Nouvelles de
      Paris.--Succès du parti royaliste. 355
  Chap. II. Suite des nouvelles qu'on reçoit de Paris. 563
  Chap. III. Influence des événements de Paris sur Fontainebleau. 569
  Chap. IV. Suites de la défection du duc de Raguse. 379
  Chap. V. Traité du 11 avril. 390
  Chap. VI. Dispersion de la famille impériale. 398
  Supplément à la troisième partie. 408



MANUSCRIT
DE
MIL HUIT CENT QUATORZE.

       *       *       *       *       *



PREMIÈRE PARTIE.


SÉJOUR DE NAPOLÉON A PARIS.

(Du 9 novembre 1813 au 24 janvier suivant.)

        Bellum parare simul et ærario parcere, cogere ad
        militiam eos quos nolis offendere, domi forisque omnia
        curare, et ea agere inter invidos, occursantes et factiosos,
        opinione asperius est.

        SALLUST., Jugurtha

[Illustration: Fac similé de l'abdication de Napoléon. Voyez page 389.

«Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur était le seul
obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur, fidèle à
son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses enfants aux trônes de
France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice, même celui de la
vie, qu'il ne soit prêt à faire aux intérêts de la France.»

Calqué sur l'original et gravé par Pierre Tardieu.]



MANUSCRIT
DE
MIL HUIT CENT QUATORZE.

PREMIÈRE PARTIE.

       *       *       *       *       *



CHAPITRE Ier.

ARRIVÉE DE NAPOLÉON A PARIS.--SES PREMIÈRES DISPOSITIONS.

(Novembre 1813.)


On venait de perdre l'Allemagne; il ne restait plus qu'à sauver la
France, ou à succomber avec elle.

Napoléon est de retour à Paris le 9 novembre 1813. Il met toute son
activité à tirer parti des moyens qui lui restent.

Ses premiers mots au sénat sont ceux-ci: «Toute l'Europe marchait avec
nous il y a un an; toute l'Europe marche aujourd'hui contre nous.»

Une levée de trois cent mille hommes est aussitôt décrétée.

Des ingénieurs sont envoyés sur les routes et dans les places du nord.
Ils sont chargés de relever les vieilles murailles qui servaient de
remparts à l'ancienne France, de tracer des redoutes sur les hauteurs
propres à servir de point de ralliement dans nos retraites, de fortifier
les défilés où le courage national pourra disputer le passage; enfin de
tout préparer pour la coupure des digues et des ponts qu'il faudra
abandonner.

Des commandes sont faites aux dépôts de remontes, aux fonderies, aux
manufactures d'armes, aux ateliers d'habillement; partout.

Mais il faut de l'argent: la trésorerie n'en a plus. Napoléon en fait
prendre dans son trésor privé. En vain on propose de réserver cette
ressource pour des placements secrets qui assureraient le sort de sa
famille contre les grands revers dont elle est menacée: ces conseils
sont rejetés comme trop personnels, et le baron de La Bouillerie,
trésorier de la couronne, est chargé de porter trente millions en écus
dans les caisses de la trésorerie. Ce secours ranime le crédit. Tous les
services reprennent leur activité.

Des conseils d'administration, des conseils de guerre, des conseils de
finances, se succèdent d'heure en heure aux Tuileries. Les journées sont
trop courtes; mais Napoléon a la ressource des nuits. Il consacre ses
veilles à lire ce que les ministres n'ont pas eu le temps de lui dire, à
signer ce qui n'a pu être expédié dans la journée, et à méditer ses
plans.

L'armée d'Allemagne vient de rentrer dans nos limites par les ponts de
Mayence. Il faut lui assigner une position où elle puisse prendre le
repos dont elle a besoin. Dans ce moment, elle forme sa ligne derrière
le Rhin, et cette ligne, qu'elle prolonge chaque jour davantage, va
bientôt s'étendre depuis Huningue jusqu'aux sables de la Hollande; mais
l'affaiblissement de nos régiments et l'épuisement de nos magasins ne
permettent guère de penser à défendre un front de cette étendue. Déjà
ceux qui ne voient que la question militaire s'alarment de ce que nos
troupes vont être disséminées. Nous ne pouvons sérieusement songer à
défendre le Rhin: dès lors ils voudraient qu'on se hâtât de
l'abandonner. Napoléon se décide par d'autres considérations: nous
sommes faibles, mais cette faiblesse est un secret qu'il faut garder le
plus long-temps possible. Les alliés, étonnés de nous avoir vaincus,
viennent de s'arrêter à l'aspect de notre territoire, si long-temps
sacré pour eux. De son côté, la France semble avoir conservé, de la
longue habitude de vaincre, un reste de confiance qui la soutient contre
l'excès de ses revers. Il faut bien se garder de porter atteinte à ces
illusions protectrices. Quand l'ennemi attaquera, il sera temps de
reculer. Notre armée reçoit donc l'ordre de conserver ses quartiers le
long du Rhin. L'ennemi va respecter cette barrière assez long-temps pour
justifier la hardiesse qui s'y confie; et le prestige de nos aigles,
encore debout sur la rive gauche, prêtera un dernier appui aux
négociations qui vont être renouées.



CHAPITRE II.

PROPOSITIONS DE FRANCFORT.

(Suite de novembre.)


Des ouvertures pour la paix venaient d'être faites.

Le 5 novembre, le prince régent d'Angleterre avait déclaré dans le
parlement «qu'il n'était ni dans l'intention de l'Angleterre, ni dans
celle des puissances alliées, de demander à la France aucun sacrifice
incompatible avec son honneur et ses justes droits.»

Le 14 novembre, le baron de Saint-Aignan arrive à Paris, chargé par les
alliés de faire des communications qui confirment ces dispositions
pacifiques. M. de Saint-Aignan, écuyer de l'empereur,[1] était dans ces
derniers temps ministre de France à la cour de Weimar. Une bande de
partisans l'avait enlevé de sa résidence; mais sa réputation
personnelle, son alliance avec le duc de Vicence, et l'intérêt que lui
portait la cour de Weimar, avaient concouru à sa délivrance. M. de
Metternich avait pensé à profiter de son retour en France pour faire
parvenir des propositions à Napoléon. Il avait donc appelé M. de
Saint-Aignan à Francfort. Le 9 novembre, dans un entretien confidentiel,
auquel assistaient M. de Nesselrode, ministre de Russie, et lord
Alberdeen, ministre d'Angleterre, M. de Metternich avait posé les bases
d'une pacification générale; et M. de Saint-Aignan les avait recueillies
sous sa dictée. Ce sont ces bases que M. de Saint-Aignan apporte à
Napoléon[1].

[Note 1: Les pièces de cette négociation ont été imprimées dans le
numéro du Moniteur qui devait paraître le 20 janvier 1814, et qui a été
retiré après l'impression. Ces pièces sont dans le supplément de la
première partie.]

Les alliés offraient la paix à condition que la France abandonnerait
l'Allemagne, l'Espagne, la Hollande, l'Italie, et se retirerait derrière
_ses frontières naturelles_ des Alpes, des Pyrénées et du Rhin.

Après les conditions proposées à Prague quatre mois auparavant,
celles-ci devaient paraître bien dures. Abandonner l'Allemagne, ce
n'était que se soumettre à ce que les derniers événements de la guerre
avaient à peu près décidé; abandonner l'Espagne, ce n'était que
convertir en obligation formelle la disposition volontaire où l'on
était déjà de céder à la résistance des Espagnols: mais renoncer à la
Hollande, que nous possédions encore tout entière, et qui semblait nous
offrir tant de ressources; mais abdiquer la souveraineté de l'Italie,
qui était encore intacte, et dont les forces suffisaient pour faire
diversion à toute la puissance autrichienne, c'étaient des sacrifices
immenses, que Napoléon ne pouvait faire qu'à une paix prompte, franche,
et qui préservât la France de toute invasion étrangère. Cependant ce
n'était pas la cessation des hostilités qui était offerte à Napoléon
pour prix de son adhésion aux bases proposées; c'était seulement
l'ouverture d'une négociation. Ce point est important et mérite qu'on
veuille bien y faire attention. En effet, un dernier article dicté à M.
de Saint-Aignan portait que si ces bases étaient admises, on proposait
d'ouvrir la négociation dans une des villes des bords du Rhin, mais que
_la négociation ne suspendrait pas les opérations militaires_. Ainsi
Napoléon, en renonçant à l'Allemagne et à l'Espagne, en détachant de sa
cause la Hollande et toute l'Italie, n'obtenait pas même la certitude de
préserver la France d'une invasion; la paix définitive n'en restait pas
moins incertaine et flottante dans l'avenir des opérations militaires.

Ces propositions, apportées par M. de Saint-Aignan, étaient donc non
seulement dures et humiliantes, mais encore d'une franchise suspecte.
Cependant on ne les rejette pas.

Le 16 novembre, M. le duc de Bassano écrit à M. de Metternich qu'une
paix qui aura pour base l'indépendance de toutes les nations, tant sous
le point de vue continental que sous le point de vue maritime, est
l'objet constant des voeux et de la politique de Napoléon, et qu'il
accepte la réunion d'un congrès à Manheim.

Mais à Francfort on ne trouve pas que cette réponse soit assez précise.
M. de Metternich répond qu'on ne pourra négocier que lorsqu'on saura
avec plus de certitude que le cabinet des Tuileries admet les bases
précédemment communiquées.

Voilà donc le mois de novembre perdu en préliminaires! Certains salons
de Paris veulent en rejeter tout le blâme sur le duc de Bassano: on
l'accuse d'avoir répondu à Francfort d'une manière trop vague, et l'on
affecte de désespérer du succès de toute négociation tant que ce
ministre restera aux affaires étrangères. Ceci tient à des intrigues qui
commençaient à agiter la haute société, et qui n'ont eu que trop
d'influence sur les événements de 1814.

Quel que fût le crédit personnel du duc de Bassano, il n'allait pas
jusqu'à résoudre des difficultés d'une nature aussi grave; et dans de
telles circonstances, l'opinion du ministre devait toujours céder à la
détermination d'un prince «qui se servait des hommes de mérite sans les
associer à son autorité, qui leur demandait plus d'obéissance que de
conseils[2],» et dont tout le monde célèbre ou blâme l'immuable volonté.
Le duc de Bassano, «distingué par son mérite non moins que par son
intégrité, joignait à une fidélité incorruptible l'heureux talent d'ôter
à la vérité ce qu'elle avait de désagréable, sans jamais la
déguiser[3].» De son côté, Napoléon, loin de craindre la vérité,
l'attirait à lui par les voies les plus contradictoires, et par les
correspondances les plus confidentielles. On ne pouvait lui rien cacher;
on ne lui cachait rien.

[Note 2: Duclos.]

[Note 3: Portrait du ministre de Julien, par Gibbon, tome IV, chap. XIX,
pag. 351.]

Napoléon n'ignore pas que c'est contre sa personne que se dirigent les
censures qui semblent ne s'adresser qu'à son ministre; mais, dédaignant
d'approfondir les secrètes intentions des frondeurs, et ne voulant y
voir que les préventions d'un parti qu'on peut ménager, il croit devoir
y céder, et, par cette concession faite au retour de la confiance, il
prélude aux concessions plus importantes qu'il veut faire à la
pacification générale. Le 20 novembre, il rappelle le duc de Bassano au
ministère de la secrétairerie-d'état, et, dans le choix de celui qui le
remplace aux affaires étrangères, il donne une nouvelle preuve de ses
intentions conciliantes. Le duc de Vicence a mérité, dans sa brillante
ambassade de Pétersbourg, l'estime de l'empereur Alexandre; c'est lui
que l'empereur Alexandre et l'empereur d'Autriche semblent demander pour
négociateur; c'est à lui que Napoléon croit devoir confier son
portefeuille des relations extérieures.

Le nouveau ministre est chargé de rassurer entièrement les alliés sur
les dispositions pacifiques de Napoléon. Le 2 décembre, il écrit à M. de
Metternich que Napoléon adhère très positivement aux bases générales et
sommaires communiquées par M. de Saint-Aignan.

Le corps législatif était convoqué pour le 2 décembre; on l'ajourne au
19, dans l'espérance qu'à cette époque tous les délais préliminaires
seront épuisés, et même que le congrès de Manheim sera ouvert: mais
douze jours s'écoulent sans que la négociation fasse aucun progrès. On
reçoit enfin une lettre de M. de Metternich; elle est du 10 décembre, et
contient la nouvelle inattendue que les alliés ont jugé à propos de
consulter l'Angleterre, et que leur décision dépend de sa réponse.

La gazette de Francfort, du 7 décembre, avait déjà publié une
proclamation datée du 1er, qui aurait dû faire pressentir un changement
dans les intentions des alliés. On y faisait sérieusement un crime à
Napoléon des levées d'hommes qui avaient lieu dans toute la France:
parce que les souverains du Nord avaient parlé de paix, il semblait que
le gouvernement français n'eût plus de dispositions défensives à
prendre. A la suite de ces récriminations peu pacifiques, les alliés
promettaient ironiquement à la France de ne mettre bas les armes
qu'après avoir abattu sa prépondérance.

L'espoir d'une négociation franche et loyale s'affaiblissait donc de
plus en plus.

Le jour fixé définitivement pour l'ouverture du corps législatif
arrive..., et, dans son discours d'ouverture, Napoléon n'a rien à dire
sur la négociation qui est le sujet de l'attente générale, si ce n'est
que «rien ne s'oppose de sa part au rétablissement de la paix.»



CHAPITRE III.

LES ALLIÉS REPRENNENT L'OFFENSIVE.

(Décembre 1813.)


Il devient chaque jour plus évident que des changements sont survenus,
vers la fin de novembre, dans la politique des alliés.

C'était assez pour la Russie et pour l'Autriche de nous confiner
derrière le Rhin; mais cela ne pouvait suffire à l'Angleterre, qui ne
voulait pas nous laisser maîtres d'Anvers et de la côte Belgique.

Les Anglais sont bien informés du découragement contre lequel Napoléon
lutte à Paris, de la défection qu'il va éprouver en Hollande, et de la
vaste conspiration qui couve en France et travaille déjà les principaux
corps de l'état. Ils ont donc conçu l'espoir d'un succès plus complet
que celui dont on paraît vouloir se contenter à Francfort. En attendant
que l'inexorable histoire révèle les causes secrètes qui ont suggéré de
nouvelles prétentions aux alliés, contentons-nous de remarquer que
c'est bien certainement dans le court intervalle de temps écoulé entre
les ouvertures faites à M. de Saint-Aignan et la réponse définitive du
duc de Vicence que cette révolution s'est opérée... Tout-à-coup les
alliés se décident à reprendre l'offensive et à aller dicter au coeur de
la France la paix qu'ils avaient d'abord eu l'intention de négocier sur
les bords du Rhin.

Quels que soient cependant les encouragements et même les assurances que
donne l'Angleterre, il reste encore aux alliés une telle idée de nos
ressources, qu'ils pensent ne pouvoir entreprendre l'invasion du
territoire français qu'à l'aide d'un développement de forces immenses.
La seule opération du passage du Rhin les intimide au point qu'ils ne
voient d'autre parti à prendre que d'éluder la difficulté, en violant la
neutralité des Suisses.

Dès le 18 novembre, la diète helvétique avait réclamé le respect dû à
son territoire. Elle avait envoyé des députés extraordinaires porter à
Paris et à Francfort sa protestation contre toute violence qui lui
serait faite sur ses limites; elle avait placé des bataillons qui
formaient un cordon que M. de Watteville commandait...: mais M. Senft de
Pilsac était à Zurich, préparant au nom des alliés la révolution qui
devait _délivrer_ la Suisse, c'est-à-dire l'enlever à l'influence de la
France, pour la placer sous celle de la coalition. L'agent de M. de
Metternich n'était que trop secondé par l'impatience qu'avaient les
anciennes familles oligarchiques de rentrer dans la possession exclusive
du pouvoir.

Le 20 décembre au matin, le général Bubna n'hésite plus à se présenter
sur la frontière des Suisses; il est à la tête de cent soixante mille
hommes. Il déclare que cette armée va passer le Rhin dans la nuit, entre
Rhinfeld et Bâle. Aussitôt les bataillons du général Watteville se
replient; le mouvement général des alliés se démasque, et les opérations
militaires de la campagne commencent.

Trois grandes armées se présentent pour entrer en France.

C'est d'abord celle du prince de Schwartzenberg, qui vient de pénétrer
par la Suisse, sous la conduite du général Bubna: elle est composée
d'Autrichiens, de Bavarois et de Wurtembergeois; les gardes impériales
d'Autriche et de Russie s'y trouvent. On l'appelle _la grande armée_.
Les généraux Barclay de Tolly, Witgenstein, de Wrede, le prince de
Wurtemberg, le général Bubna, le prince de Hesse-Hombourg, les généraux
Gyulay, Bianchi, Colloredo, et le prince Lichtenstein, y ont les
principaux commandements. L'empereur Alexandre, le roi de Prusse et
l'empereur d'Autriche, suivent en personne les mouvements de cette
armée, qui doit commencer par envahir l'Alsace et la Franche-Comté.

La seconde armée est commandée par le maréchal Blücher: c'est l'armée
prussienne de Silésie; des divisions russes et saxonnes y ont été
ajoutées. Ces troupes, rassemblées autour de Francfort, attendent sur
les bords du Rhin que le prince de Schwartzenberg ait réussi dans son
entreprise sur la Suisse. Du moment que le maréchal Blücher recevra la
nouvelle que les Autrichiens ont surpris le passage du Rhin, il tentera
de son côté le passage à Manheim et se jettera sur la Lorraine.

Les généraux Saint-Priest, Langeron, York, Saken et Kleist, sont les
lieutenants de Blücher.

La troisième armée, composée des troupes du prince de Suède, des Russes
du général Voronzof et du général Wintzingerode, et des Prussiens du
général Bulow, vient de traverser le Hanovre et la Hesse; elle a détruit
le royaume de Westphalie. Renforcée par les Anglais du général Graham,
elle est destinée à prendre la Hollande, et doit ensuite pénétrer en
Belgique.

Il est convenu qu'on ne s'arrêtera pas devant les places de guerre, et
qu'on passera par-dessus toutes nos anciennes lignes de défense. C'est
un _hourra_ général qu'il s'agit de faire sur Paris.

Le 21 décembre, à Loerach, les souverains alliés publient les
proclamations qui donnent le signal des hostilités.



CHAPITRE IV.

UN PARTI D'OPPOSITION ÉCLATE A PARIS.--NAPOLÉON RENVOIE LE CORPS
LÉGISLATIF.--- CONSPIRATION INTÉRIEURE.

(Fin de décembre 1815.)


La nouvelle de l'entrée du prince Schwartzenberg en Suisse arrive à
Paris peu de jours après l'ouverture du corps législatif. Dès ce moment,
tout espoir de paix est perdu. Devant le développement de tant de
forces, le prestige des nôtres tombe; et désormais ce n'est plus qu'à
force de soumissions... ou d'énergie qu'on pourra sauver la France. Se
soumettre à tout, ou tout risquer! dans cette rigoureuse alternative, le
choix de Napoléon ne pouvait être douteux. Bien des gens ont regretté
qu'on n'eût pas cédé: bien des gens auraient regretté qu'on ne se fût
pas défendu. _Ne vaut-il pas mieux périr que de se soumettre au joug de
l'étranger?_[4] Est-ce d'ailleurs un moyen d'arrêter l'ennemi que de
montrer à quel point de faiblesse on est tombé? Enfin les souverains
resteront-ils sur nos frontières pour nous écouter, s'ils apprennent de
notre bouche même qu'ils sont les maîtres de venir dicter la loi dans
Paris?

[Note 4: Le sénateur Lambrechts, _Principes politiques_, 1815.]

Un beau désespoir peut encore nous secourir. Tout est donc mis en oeuvre
par le gouvernement pour porter les esprits à de grandes résolutions.
«Entourée de débris, la France lève une tête encore menaçante: elle
était moins puissante, moins forte, moins riche, moins féconde en
ressources en 1792, quand ses levées en masse délivrèrent la
Champagne!... en l'an VII, quand la bataille de Zurich arrêta une
nouvelle invasion de toute l'Europe!... en l'an VIII, quand la bataille
de Marengo acheva de sauver la patrie[5]!» Napoléon tient dans ses mains
les mêmes ressorts; mais, il faut en convenir, ils ont perdu leur trempe
républicaine. La plupart de nos chefs sont fatigués; cependant le feu
sacré anime toujours la jeunesse française et brille encore sur quelques
fronts chauves consacrés à la gloire: c'est le dernier espoir de la
patrie!

[Note 5: Discours du comte Regnault de Saint-Jean-d'Angely au corps
législatif.]

Napoléon veut, avant tout, se concilier la confiance des députés des
départements. Il n'a pu leur annoncer la paix, il veut du moins les
convaincre qu'il a fait ce qui dépendait de lui pour la négocier: mais
sa parole ne suffit plus; il se croit obligé de communiquer les pièces à
une commission tirée du sénat et de la chambre des députés. MM. de
Lacépède, Talleyrand, Fontanes, Saint-Marsan, Barbé-Marbois et
Beurnonville, sont les commissaires du sénat; MM. le duc de Massa,
Raynouard, Lainé, Gallois, Flaugergues et Maine de Biran, sont les
commissaires du corps législatif. Ils se réunissent, le 4 décembre, chez
l'archichancelier; les conseillers d'état Regnault de Saint-Jean-d'Angely
et d'Hauterive leur communiquent les pièces.

En prouvant que le gouvernement avait fait tout ce qu'il pouvait faire
pour négocier, Napoléon avait espéré qu'un cri d'honneur en appellerait
aux armes: mais le sénat, sur le rapport de ses commissaires, le prie de
faire un dernier effort pour obtenir la paix. «C'est le voeu de la
France et le besoin de l'humanité. Si l'ennemi persiste dans ses refus,
ajoute le sénat, eh bien! nous combattrons pour la patrie, entre les
tombeaux de nos pères et les berceaux de nos enfants!»

Dans sa réponse au sénat, Napoléon cherche à expliquer de nouveau ses
véritables dispositions: «Il n'est plus question, dit-il, de recouvrer
les conquêtes que nous avons perdues. Je ferai sans regret les
sacrifices qu'exigent les bases préliminaires proposées par l'ennemi, et
que j'ai acceptées; mais si l'ennemi ne signe pas la paix sur les bases
qu'il a lui-même offertes, il faut le combattre!»

Le corps législatif se prête encore moins que le sénat à donner son
assentiment au parti extrême vers lequel Napoléon semble pencher. Sur la
proposition du député Lainé, qui est rapporteur des commissaires,
l'assemblée exige que le gouvernement se lie pour l'avenir par des
engagements qui sont la censure du passé. On ne peut refuser ouvertement
de combattre pour l'intégrité du territoire; mais on profite de
l'urgence des besoins pour demander des garanties de liberté et de
sûreté individuelle, demande qui n'était autre chose qu'une accusation
indirecte de tyrannie.

Ainsi donc, au lieu d'un concert de zèle et de dévouement contre
l'ennemi commun, Napoléon n'entend que des murmures et des reproches!...
On savait que l'Angleterre pratiquait des intelligences dans nos
provinces, notamment à Bordeaux, et qu'elle s'efforçait de réveiller
partout les espérances des vieux partisans de la maison de Bourbon. Ces
renseignements rendaient l'opposition inopinée du corps législatif plus
grave et plus embarrassante. Le temps, qui éclaircit tout, et l'ivresse
du succès, qui est toujours indiscrète, nous révèleront un jour cette
conjuration[6]; alors la police ne la connaissait qu'imparfaitement.
Néanmoins Napoléon ne peut s'empêcher de reconnaître dans ce qui se
passe autour de lui une intrigue liée par des factieux. Cédant à ses
soupçons, il prend le parti de dissoudre le corps législatif; et, dans
l'audience de congé qu'il donne aux députés, il laisse échapper
l'expression de son vif mécontentement: «Je vous avais appelés pour
m'aider, leur dit-il, et vous êtes venus dire et faire ce qu'il
fallait pour seconder l'étranger: au lieu de nous réunir, vous nous
divisez. Ignorez-vous que, dans une monarchie, le trône et la personne
du monarque ne se séparent point? Qu'est-ce que le trône? Un morceau de
bois couvert d'un morceau de velours; mais, dans la langue monarchique,
le trône, c'est moi! Vous parlez du peuple; ignorez-vous que c'est moi
qui le représente par-dessus tout? On ne peut m'attaquer sans attaquer
la nation elle-même. S'il y a quelques abus, est-ce le moment de me
venir faire des remontrances, quand deux cent mille Cosaques
franchissent nos frontières? Est-ce le moment de venir disputer sur les
libertés et les sûretés individuelles, quand il s'agit de sauver la
liberté politique et l'indépendance nationale? Vos idéologues demandent
des garanties contre le pouvoir: dans ce moment, toute la France ne m'en
demande que contre l'ennemi... Vous avez été entraînés par des gens
dévoués à l'Angleterre; et M. Lainé, votre rapporteur, est un méchant
homme[7].»

[Note 6: Voici les détails qui ont été publiés à cet égard:

Depuis le mois de mars 1813, une confédération royaliste s'était
organisée au centre de la France. Les ducs de Duras, de La Trémouille et
de Fitz-James, MM. de Polignac, Ferrand, Adrien de Montmorency, Sosthène
de La Rochefoucauld, de Sesmaisons, et Laroche-Jaquelain, en étaient
l'âme. On se réunissait au château d'Ussé, en Touraine, chez M. de
Duras. Le préfet de Nantes lui-même était de ces conciliabules
(_Histoire de_ 1814, par M. Beauchamp, tom. II, pag. 45). La perte de la
bataille de Leipsick et l'évacuation de l'Allemagne avaient donné un
nouvel essor aux projets des royalistes de l'ouest et du midi. Le comte
Suzannet avait pris secrètement le commandement du Bas-Poitou, Charles
d'Autichamp s'était chargé du commandement d'Angers, le duc de Duras de
celui d'Orléans et de Tours, le marquis de Rivière de celui du Berry
(Voyez même histoire, tom. II, pag. 50). Sur ces entrefaites, le duc
d'Angoulême débarquait à Saint-Jean-de-Luz, et se rendait au quartier
général de Wellington. Toute la confédération de l'ouest devait se
déclarer au premier signal du duc de Berry, qu'on attendait impatiemment
à Jersey. M. Tassard de Saint-Germain était à Bordeaux à la tête d'une
association composée d'un grand nombre de personnes de toutes les
classes... M. le chevalier de Gombaut était aussi à la tête d'une
association pieuse qui avait le même but politique. Le marquis de
Laroche-Jaquelain était plus particulièrement attaché à l'association du
chevalier de Gombaut. L'ordre fut donné de l'arrêter: averti par le
comte de Lynck, maire de Bordeaux, il échappa aux recherches en se
réfugiant dans sa famille... Le comte de Lynck avait fait en 1813
(novembre) un voyage à Paris. Après s'être concerté avec M. Labarthe,
autrefois à la tête d'une association royaliste, et avec MM. de
Polignac, il était reparti pour Bordeaux, plein de la ferme volonté d'y
servir puissamment le roi... Depuis long-temps cette secrète intention
germait dans le coeur du comte de Lynck. (Voyez le même ouvrage, pag.
50.) Le député Lainé, lié avec le comte de Lynck, avait reçu ses
confidences et partageait ses projets (_Ibid_., tom. II, pag. 86 et
87).]

[Note 7: Tandis que Napoléon se livrait à cette conversation animée, un
auditeur était là, qui avait la prétention de la dérober pour
l'histoire. Ainsi des phrases échappées d'abondance, des expressions
hasardées dans la vivacité du dialogue, sont devenues des documents
authentiques, au gré de la mémoire d'un individu anonyme, ou plutôt au
gré de la partialité des écrivains. Quoi qu'il en soit, les pensées
grandes et fortes qui rendent cette conversation si remarquable n'ont pu
être entièrement dénaturées: elles percent dans le libelle à travers les
expressions triviales sous lesquelles l'affectation du mot à mot les a
travesties.]

Quelque vif que soit cet éclat, le député Lainé retourne dans ses
foyers, aussi libre que ses collègues.



CHAPITRE V.

INVASION DU TERRITOIRE FRANÇAIS.

(Janvier 1814.)


L'année 1814 commence au milieu de ces graves dissensions.

Les nouvelles les plus alarmantes arrivent des divers points de notre
frontière: le prince Schwartzenberg, maître des passages de la Suisse, a
d'abord jeté le gros de son armée sur Huningue et Béfort. Sa droite, qui
a voulu s'étendre trop vite dans la vallée d'Alsace, a éprouvé, le 24
décembre, un échec à Colmar; il a dirigé son aile gauche, à travers la
Suisse, jusque sur Genève. Cette place était une des portes de l'empire,
et de puissants renforts lui arrivaient de Grenoble; mais au premier
moment du danger le général Jordy, commandant la garnison, frappé d'un
coup de sang, tombe mort subitement sur la place d'armes: le préfet
Capelle prend la fuite; et les Genevois, devenus maîtres de leur
conduite, abaissent aussitôt leurs ponts-levis devant l'avant-garde
autrichienne. Le général Bubna a pris possession de Genève le 28
décembre. Les dernières dépêches annoncent que le prince Schwartzenberg,
après avoir laissé en arrière quelques détachements pour masquer
Huningue et Béfort, pousse ses colonnes du centre sur Épinal, Vesoul et
Besançon.

Le duc de Bellune est accouru de Strasbourg avec une armée qui n'est pas
de dix mille hommes! Il désespère d'arrêter les Autrichiens dans les
défilés des Vosges. Le 4 janvier, l'ennemi entre à Vesoul; le 9 janvier,
Besançon est investi.

De son côté, le maréchal Blücher a effectué le passage du Rhin dans la
nuit du 1er janvier, et sur trois points différents. Au centre, les
corps de Langeron et d'York ont passé le Rhin à Caub; arrivé sur la rive
française, le corps de Langeron s'est détaché pour aller bloquer
Mayence, et le corps d'York a pris la direction de Creutznach. Le corps
de Saint-Priest, formant la droite de l'armée de Silésie, a passé le
Rhin à Neuwied et vient d'occuper Coblentz. Enfin à l'aile gauche, les
corps de Sacken et de Kleist, qui ont passé le Rhin devant Manheim,
s'avancent sur le duc de Raguse. Celui-ci, qui n'a que les cadres d'une
armée, recule sur les places de la Sarre et de la Moselle.

Nos troupes sont en pleine retraite. Napoléon ne s'était pas flatté de
l'espoir d'arrêter long-temps les alliés sur la frontière: forcé de les
laisser s'avancer dans l'intérieur, il ne pense plus qu'à mettre de
l'ensemble dans nos mouvements rétrogrades, qu'il veut concentrer de
manière à couvrir Paris.

Il ordonne au duc de Bellune de disputer pied à pied les passages des
Vosges. Il lui envoie le duc de Trévise avec une division de la garde,
pour le soutenir sur la route de Langres. Il recommande au duc de Raguse
de s'appuyer le plus long-temps qu'il pourra sur les glacis des
nombreuses forteresses de la Lorraine. Enfin, le duc de Tarente, qui est
du côté de Liège, occupé à pourvoir à la sûreté des places du Bas-Rhin
et de la Meuse, a ordre de rentrer dans la vieille France par la porte
des Ardennes. Une instruction commune à tous les maréchaux leur
prescrit, à mesure qu'ils se retirent, de jeter dans les places les
soldats fatigués et ceux de nouvelles levées qui ne sont pas encore
habillés. On laisse donc partout de nombreuses garnisons que Napoléon se
réserve de réunir en corps d'armée, sur les derrières de l'ennemi.

Toutes les troupes ont ordre d'acculer leurs retraites sur la Champagne.
C'est aussi sur la Champagne qu'on va diriger les renforts qui arrivent
du fond de la France, et dont les maréchaux Kellermann et Oudinot sont
chargés de former de nouveaux bataillons.

Des commissaires extraordinaires sont envoyés dans les départements pour
présider aux levées d'hommes et aux mesures de défense. On distingue
parmi ces commissaires les sénateurs de Semonville, de Beurnonville,
Boissy-d'Anglas, etc. «Français,» dit Napoléon dans la proclamation dont
ces commissaires étaient porteurs, «Français, un dernier effort!
J'appelle ceux de Paris, de la Bretagne et de la Normandie, de la
Champagne, de la Bourgogne et des autres départements, au secours de
leurs frères de la Lorraine et de l'Alsace! A l'aspect de tous ces
peuples en armes, l'étranger fuira ou signera la paix.»

L'empereur ne veut négliger aucun moyen pour intimider l'ennemi dans sa
marche. Il connaît de longue main l'extrême circonspection des généraux
qui lui sont opposés, et il a deviné leurs irrésolutions. Il multiplie
les revues militaires dans la cour des Tuileries; et le lendemain les
journaux doublent ou triplent le nombre des troupes qui ont été passées
en revue. En moins d'un mois, plus de deux cent mille hommes sont
comptés comme ayant traversé Paris pour se rendre à l'armée.

Négligeons ces ruses de gazettes, et revenons à la vérité[8].

[Note 8: Quelques écrivains qui trouvent commode pour leur métier de
n'avoir à puiser les matériaux de l'histoire que dans les journaux, ne
peuvent pardonner à Napoléon de s'être servi des gazettes pour tromper
l'ennemi. Ils crieraient volontiers au sacrilège! Cependant les mêmes
écrivains conviennent que _les alliés, étonnés de la jactance de nos
journalistes, redoutaient une guerre nationale et même une bataille_.]



CHAPITRE VI.

PROJETS DE NAPOLÉON POUR L'OUVERTURE DE LA CAMPAGNE.--FORMATION DES
RÉSERVES.--COUP D'OEIL SUR NOS AUTRES ARMÉES.

(Janvier 1814.)


Quelque activité que Napoléon mette dans la réorganisation de l'armée,
il ne peut pas espérer d'entrer en campagne avant la fin de janvier, et
il ne peut compter sur plus de cent mille combattants. Cependant
l'ennemi développe autour de nous un cercle de plus de six cent mille
hommes. On en annonce même le double; mais ce dernier calcul est moins
celui des forces que les alliés ont amenées sur nos frontières, que
l'aperçu complaisant de toutes celles qu'ils pourraient faire arriver
peu à peu. Certes, quelque audace qu'on lui suppose, Napoléon n'aurait
pas entrepris de lutter contre de telles forces si elles avaient dû se
présenter à la fois; mais son oeil exercé a toisé le _géant_ qui
s'avance, et, dans son énorme stature, il a reconnu quelques parties
disjointes qui peuvent servir de point de mire à nos coups.

Les forces de la coalition sont échelonnées sur trois lignes principales
de communication, qui, de Berlin, de Varsovie et de Vienne, aboutissent
au Rhin. Ce n'est que successivement que les colonnes en marche peuvent
arriver et peser dans la balance des événements. D'ailleurs, ces forces
ne sont pas toutes mobiles; un grand nombre est arrêté dans la route par
des obstacles ou par des opérations qui ne peuvent cesser tout d'un
coup. Napoléon calcule que l'ennemi, qui dans trois mois aura cinq cent
mille hommes au centre de la France, n'a pu commencer les opérations de
cette campagne qu'avec deux cent cinquante mille hommes au plus; encore
ces forces sont-elles diminuées par de nombreux blocus, et se
trouvent-elles séparées sur différentes routes. Napoléon est donc fondé
à croire qu'en manoeuvrant avec vivacité au centre de leurs marches, il
pourra rencontrer les corps d'armée ennemis isolés les uns des autres.
Il médite de réunir ses troupes dans les plaines de Châlons-sur-Marne,
avant que les colonnes des ennemis puissent se joindre; de remédier de
cette façon à l'extrême disproportion du nombre, et de se ménager ainsi
quelque occasion brillante, où la victoire sera d'autant plus décisive
que l'ennemi se trouvera engagé plus avant au fond de nos provinces.
Tels sont ses projets pour le début de la campagne.

En même temps que l'on compose à la hâte une armée avec tout ce qu'on
pourra réunir à Châlons d'ici à la fin de janvier, on pense aussi à se
procurer des réserves pour soutenir les événements ultérieurs de la
campagne. Mais Napoléon peut-il rappeler à lui toutes les troupes qui
sont encore au dehors? Avant de considérer les immenses sacrifices et
les graves difficultés qu'un pareil parti comporte, jetons d'abord un
coup d'oeil sur les armées françaises dispersées loin du théâtre où la
lutte principale va s'engager.

Au nord, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, chargé de défendre Dresde avec
un corps de vingt mille hommes, avait fini par capituler le 4 novembre,
sous la condition de ramener ses troupes en France. Les alliés se
trouvant les plus forts ont cru que la bonne foi n'était plus
nécessaire, et ne se sont fait aucun scrupule de violer la capitulation
de Dresde. Gouvion Saint-Cyr et ses vingt mille hommes, retenus
prisonniers en Bohême, ne peuvent donc plus compter dans nos ressources;
mais, indépendamment de ce corps, plus de cinquante mille hommes restent
encore à Napoléon sur les bords de l'Elbe, depuis Dresde jusqu'à
Hambourg.

Le général Dutaillis, successeur du général Narbonne, défend la
forteresse de Torgau assiégée par le général prussien Taentzien.

Le général Lapoype et sa garnison se couvrent de gloire derrière les
pieux et les buttes de sable que le général prussien Dotschütz assiège à
Wittemberg: le général Lemarrois, avec deux divisions, est inattaquable
dans Magdebourg. Le prince d'Eckmühl tient son quartier général à
Hambourg; il y commande quatre divisions; les ordres de se retirer sur
la Hollande, qui lui avaient été expédiés pendant la retraite de
Leipsick, n'ont pu lui parvenir. Isolé aux bouches de l'Elbe, il a
réussi, à force de travaux et de fermeté, à convertir les comptoirs de
Hambourg en citadelles. Il résiste à la fois aux attaques combinées des
Suédois et des Russes, au ressentiment des habitants, et à la défection
de nos alliés les Danois. Au centre de l'Allemagne, nous avons encore,
sur les hauteurs d'Erfurt, des garnisons qui menacent à chaque instant
d'intercepter la grande route du nord. Une division des troupes alliées
est restée stationnaire devant Erfurt, pour en bloquer les deux
citadelles. Quant à la Hollande, depuis le mois de novembre nous
l'avons perdue. L'approche des corps d'armée de Bülow et de
Wintzingerode, qui, après avoir occupé le Hanovre et la Westphalie,
s'étaient avancés sur Munster, Wesel et Dusseldorf, avait fait éclater
subitement une révolution en Hollande. Les insurrections d'Amsterdam et
de La Haye, et la défection des bataillons étrangers qui composaient la
division du général Molitor, n'avaient laissé aux autorités françaises
aucun moyen de résistance; mais, tandis que Wintzingerode s'avançait sur
le Wahal, passait le Mordick, et que des troupes anglaises réunies aux
Bataves s'emparaient des bouches de l'Escaut, quelques troupes fidèles
s'étaient jetées dans les places de Devinter et de Naarden. L'amiral
Verhuel n'avait pas voulu oublier qu'il tenait son commandement de la
confiance de Napoléon; il avait refusé de recevoir les ordres des
partisans du prince d'Orange: son pavillon avait été abattu sur les
vaisseaux; il l'avait relevé sur les forts du Helder. Le sénateur Rampon
s'est renfermé avec une garnison de gardes nationales françaises dans
les digues de Gorcum. L'apparition des alliés devant Gertruydenberg et
Breda avait produit un moment de désordre, et l'on avait évacué trop
précipitamment Willemstadt et Breda; les ennemis en ont habilement
profité: le général Graham a débarqué les troupes anglaises à
Willemstadt; et dans les premiers jours de janvier, le général prussien
Bülow est venu se réunir, dans les environs de Breda, aux troupes du
général Wintzingerode. Après avoir ainsi franchi le Wahal et la Meuse,
les alliés n'ont plus qu'un pas à faire pour attaquer Anvers.

Au midi, Wellington a pénétré en France par la Navarre. Sa nombreuse
armée, composée d'Anglais, d'Espagnols et de Portugais, avait d'abord
forcé la Bidassoa et occupé Saint-Jean de Luz; mais pendant un mois
notre armée l'avait tenu arrêté devant les lignes de la Nivelle. Le 9
novembre, Wellington avait enfin forcé l'armée française à se replier
sur le camp retranché de Bayonne. Dans cette seconde position, nos
troupes avaient tenu encore pendant un mois les alliés en échec.
Cependant le 9 décembre, l'ennemi avait effectué le passage de la Nive;
mais, après quatre jours de bataille, et nonobstant la désertion des
troupes allemandes, qui, le 11 décembre au soir, ont passé en masse de
notre camp dans les lignes espagnoles, Wellington avait encore été
obligé de s'arrêter au pied des glacis de Bayonne. C'est ainsi que les
talents du maréchal Soult et la bravoure française opposent aux
étrangers, sur les bords de l'Adour, une barrière plus forte que n'a
été celle des Pyrénées.

Le duc d'Albuféra est le seul de nos maréchaux que l'adversité n'ait pas
encore atteint. Il s'est arrêté sur le Lobrégat, en Catalogne, étonné de
voir l'Espagne prendre une attitude victorieuse, et ne pouvant se
résoudre à reculer davantage devant un ennemi qu'il a toujours battu.
Son quartier général est à Barcelone.

En Italie, Rome est encore la seconde ville de l'empire français. Les
Autrichiens n'ont pu forcer le passage de l'Adige. Le prince Eugène est
à Vérone avec quatre-vingt mille hommes français et italiens, qu'il
oppose à l'armée autrichienne du général Bellegarde. Nos réserves se
réunissent à Alexandrie. En général, les peuples de l'Italie
septentrionale se montrent bien disposés pour nous. Si le roi de Naples
veut se rallier au prince Eugène, non seulement l'Italie est sauvée,
mais une imposante diversion peut descendre encore une fois du sommet
des Alpes juliennes jusqu'à Vienne.

Les intrigues et les séductions de l'ennemi semblent nous menacer de ce
côté de plus de dangers que ses armées. Des insinuations ont été faites
au prince Eugène, et n'ont pu l'ébranler. Les mêmes attaques assiègent
la vanité du roi de Naples. Les troupes dont il nous promet le secours
vont arriver à Bologne; Napoléon et le prince Eugène ne peuvent croire
que c'est un nouvel ennemi qui s'avance[9][10]!

[Note 9: Voir au supplément de la première partie, nº 13, la lettre de
M. La Besnadière, relative aux dépêches apportées par M. de Carignan.]

[Note 10: C'est le 11 janvier 1814 que le roi de Naples, Joachim Murat,
a signé son alliance offensive et défensive avec l'Autriche; mais cette
puissance lui a fait attendre la ratification jusqu'après la prise de
Paris. Voir le traité dans le _Recueil_ de Martens, tom. II (XII de
l'ouvrage), pag. 660, et dans le _Recueil_ de Schoels, tom. VI, pag.
332.]

Deux cent mille Français sont donc ainsi dispersés: cinquante mille sur
l'Elbe, cent mille au pied des Pyrénées, et cinquante mille au-delà des
Alpes. S'ils ne peuvent concourir à l'action principale, du moins
font-ils des diversions qu'on ne peut considérer comme inutiles. Sur
l'Elbe, nos troupes retiennent Benigsen et les réserves russes, ainsi
que les Suédois, le corps prussien de Tauentzien et de Dobschutz, et
toutes les milices insurgées de la Hesse et du Hanovre. En Hollande, nos
garnisons occupent les Anglais, impatients d'établir la maison d'Orange
d'une manière plus solide. Du côté des Pyrénées, nos deux armées
empêchent deux cent mille Espagnols, Anglais et Portugais, de déborder
sur nos départements du midi pour les mettre au pillage; et le prince
Eugène, sur l'Adige, oblige quatre-vingt mille Autrichiens de s'y
arrêter. Les armées lointaines retiennent dans notre alliance des
auxiliaires qui seront contre nous, du moment que nous sortirons des
places où nous les tenons renfermés avec nous. D'ailleurs les
négociations ne se nourrissent que de restitutions, de concessions et
d'échanges: peut-être ce qui nous reste de la possession de l'Europe
entrera-t-il en déduction des sacrifices qu'il nous faut faire à la
paix?

Maintenant il n'est plus possible d'évacuer les places de l'Elbe: depuis
deux mois, toutes communications nous sont interdites avec ces
garnisons. Peut-être serait-il temps encore de prendre le parti
rigoureux d'évacuer l'Italie, d'abandonner les places du Rhin, et de
tout concentrer sur Paris: Napoléon craint que les troupes ne soient
compromises dans leur retraite; qu'elles n'arrivent qu'après
l'événement, et qu'à des calculs militaires incertains on ne sacrifie
des compensations qui deviennent de jour en jour plus précieuses. On se
contente de demander des divisions d'infanterie et de cavalerie au
maréchal Soult et au prince Eugène: dans le second mois de la campagne,
nous verrons ces renforts entrer successivement en ligne. Pour se
ménager ces ressources, Napoléon a fait franchement le sacrifice des
prétentions qui, depuis quatre ans, ont nourri ses querelles avec le
pape et avec le prince Ferdinand d'Espagne. En calmant ainsi les
inimitiés du midi de l'Europe, il pense pouvoir, avec moins
d'inconvénients, affaiblir ses armées d'Italie et des Pyrénées. Le pape
n'est donc plus retenu à Fontainebleau; rendu à l'Italie, il est en
route pour remonter sur son siége épiscopal de Rome[11]. Quant au prince
Ferdinand d'Espagne, dès les premiers jours de décembre M. le comte de
La Forêt s'était rendu auprès de lui de la part de Napoléon; le 11
décembre, un traité avait été signé, dans lequel on n'exigeait du
prince, pour prix de son retour en Espagne, que trois choses, savoir, 1º
qu'il paierait exactement la pension du roi son père; 2º qu'il nous
rendrait nos prisonniers, échange qui assurait à l'Espagne la
restitution des siens, vingt fois plus nombreux que les nôtres; 3º
enfin, que, libre du joug de la France, il n'irait pas se mettre sous le
joug de l'Angleterre[12].

[Note 11: C'est le 23 janvier que le pape a quitté Fontainebleau pour
retourner en Italie.]

[Note 12: Voir le traité de Valençay, dans Martens, tom. V du
supplément, XII de l'ouvrage, pag. 654.]

Ferdinand avait souscrit avec empressement à ces conditions. Après avoir
écrit de sa main une lettre de remerciements à Napoléon, il s'était mis
en route pour la Catalogne. Le maréchal Suchet avait protégé sa marche
jusqu'aux avant-postes espagnols, et le 6 janvier il était arrivé à
Madrid.

Quelque tardive que puisse être cette satisfaction donnée aux troubles
de l'église et au ressentiment des Espagnols, deux avantages importants
sont le moins qui puisse en résulter: le retour du pape à Rome doit
préserver l'Italie méridionale de devenir la proie des Autrichiens, et
la restauration de Ferdinand doit mettre un terme à l'influence de
Wellington à Madrid.



CHAPITRE VII.

REPRISE DES NÉGOCIATIONS.--PROGRÈS DE L'INVASION ÉTRANGÈRE.

(Suite de janvier.)


Tandis que Napoléon passe les jours et les nuits à se créer une armée, à
se préparer des réserves et à diminuer le nombre de ses ennemis, il n'en
poursuit pas moins avec empressement les chances qui lui restent pour un
accommodement. Au milieu de tant d'adversités, le rôle commode, c'est de
conseiller la paix; le difficile, c'est de la faire.

Les négociations, qui avaient été interrompues pendant tout le mois de
décembre, avaient paru, au commencement de janvier, prêtes à se ranimer.
Lord Castlereagh, ministre des affaires étrangères d'Angleterre, avait
quitté Londres pour aller se réunir aux ministres des autres cabinets:
débarqué le 6 janvier près de La Haye, il avait aussitôt continué sa
route pour le quartier général des alliés. De son côté, Napoléon avait
pris le parti d'envoyer le duc de Vicence auprès des souverains[13];
mais notre ministre, retenu aux avant-postes ennemis depuis le 6
janvier, attendait avec inquiétude les passe-ports qu'il avait demandés
à M. de Metternich.

[Note 13: Voir les instructions du duc de Vicence, notamment la lettre
de l'empereur du 4 janvier. (Supplément de la première partie, nº 8.)]

Nous sommes arrivés à l'époque où commencent la dernière négociation et
la dernière campagne.

De jour en jour la situation de la France devenait plus critique.

Les alliés, en se décidant à entrer en France, avaient bien calculé que
l'immense supériorité de leur nombre devait les mettre suffisamment en
force contre les débris de nos armées; mais l'animosité avec laquelle
les paysans de l'Alsace et des Vosges disputent chaque village à leurs
détachements commence à leur faire craindre de rencontrer en France les
dangers d'une guerre d'insurrection; ils cherchent donc à désarmer
l'opinion. L'empereur de Russie fait une proclamation, le prince de
Schwartzenberg en fait une, Blücher en fait une troisième, de Wrede veut
faire la sienne: le général Bubna fait faire de son côté des
proclamations par le colonel Simbschen et par le comte de Sonnas. Chaque
commandant inférieur suit cet exemple. Jamais on n'a fait tant de
proclamations pacifiques au bruit du canon; jamais on n'a vu
l'infidélité des peuples provoquée par tant de souverains.

Mais tandis que les généraux font des harangues, les soldats pillent,
violent et tuent sans pitié; ces barbaries ont excité au plus haut degré
la résistance du peuple des campagnes, et le prince Schwartzenberg voit
qu'il n'est pas moins nécessaire d'intimider que de séduire: il menace
de la potence tout paysan français qui sera pris les armes à la main, et
du feu tout village qui résistera.

Ce que l'ennemi craint et défend est précisément ce que l'on doit
s'obstiner à faire. Napoléon ordonne la levée en masse des départements
de l'est. Le général Berckeim est donné pour commandant à ses
compatriotes de l'Alsace. Les Lorrains et les Francs-Comtois montrent le
même dévouement que les Alsaciens. Des corps de partisans s'organisent
dans les Vosges et s'annoncent par des succès. Sur les bords de la
Saône, les Bourguignons montrent la même assurance que si des armées
étaient derrière eux pour les soutenir. Les habitants de Châlons coupent
leur pont, et les Autrichiens disséminés dans la Bresse sont forcés de
s'arrêter.

Cependant l'alarme s'est répandue jusqu'au fond des vallées des Alpes:
Bubna a intercepté la route du Simplon, le Valais est enlevé à la
France, la Savoie est menacée d'être rendue au roi de Sardaigne.

De ce côté, c'est le duc de Castiglione qui est chargé d'organiser la
défense; il se rend à Lyon, où vont arriver les troupes qu'on tire à la
hâte de l'armée de Catalogne et des dépôts des Alpes. Le général Desaix
pourvoit pour quelque temps à la sûreté de Chambéry, et le général
Marchand organise les levées en masse du Dauphiné.

Bientôt l'invasion ennemie fait tant de progrès qu'il devient urgent d'y
opposer la présence de Napoléon. Schwartzenberg a forcé les passages des
Vosges; les combats de Rambervilliers, de Saint-Dié et de Charmes, ont
ensanglanté sa marche, mais n'ont pu l'arrêter: il étend sa gauche le
long de la Saône; il avance son centre sur Langres, et dirige sa droite
vers Nancy, qui est un rendez-vous assigné aux Prussiens. Blücher n'a
pas tardé à paraître au milieu des places de la Lorraine. York se
présente devant Metz, et Sacken arrive à Nancy. Depuis le 13 janvier,
les souverains alliés sont sur le territoire français; leur quartier
général suit la marche de l'armée autrichienne.

Le duc de Raguse, qui s'était arrêté sous le canon de Metz, se voyant
serré de trop près, vient d'abandonner ce boulevard de la France à ses
propres forces. Le général Durutte en a pris le commandement; et le
général Rogniat, l'un de nos plus habiles ingénieurs, s'y est renfermé.

Le 14 janvier, le prince de la Moskowa avait évacué Nancy; le 16, le duc
de Trévise avait évacué Langres; le 19, le duc de Raguse était en
retraite sur Verdun.



CHAPITRE VIII.

DERNIÈRES DISPOSITIONS.--DÉPART DE NAPOLÉON POUR L'ARMÉE.

(Fin de janvier.)


Avant de quitter Paris, Napoléon jette un dernier coup d'oeil sur la
Belgique.

Il avait organisé de ce côté une nouvelle armée du nord, et en avait
donné le commandement au général Maisons, que l'on distinguait déjà
parmi les jeunes généraux auxquels la succession des vieux maréchaux
était réservée. Le premier exploit du nouveau commandant en chef avait
été de dégager l'Escaut. Cette opération, soutenue le 11, le 12 et le 13
janvier, par une suite de combats honorables, avait procuré quelques
délais nécessaires pour perfectionner la défense de cette frontière.
Mais le général russe Wintzingerode, qui vient de passer le Rhin à
Dusseldorf, amène un nouveau corps d'armée contre nos provinces du nord.
Ainsi les Prussiens de Bülow, les Anglais de Graham, et les Russes de
Voronsof et de Wintzingerode, sont autant de corps d'armée que le
général Maisons doit contenir. Pour remédier à l'infériorité du nombre,
Napoléon confie Anvers au général Carnot.

Quant aux places de Wesel, de Juliers, de Maestricht et de Vanloo, le
duc de Tarente y a jeté des garnisons, en abandonnant la Basse-Meuse,
pour se replier sur les Ardennes. Le 18 janvier, ce maréchal était de sa
personne à Namur: Napoléon lui envoie courrier sur courrier pour qu'il
accélère sa marche sur Châlons.

A Paris, tous les hommes que les dépôts militaires environnants ont
habillés et armés, tous ceux que les garnisons de l'ouest et des côtes
du nord ont équipés, tous les détachements que les gardes nationales de
Bretagne et de Normandie, peuvent fournir, sont à mesure qu'ils
arrivent, passés en revue par Napoléon lui-même et dirigés aussitôt du
Carrousel sur Châlons.

Pour annoncer sa prochaine arrivée aux troupes, Napoléon fait partir le
prince de Neufchâtel: ce prince quitte Paris le 20 janvier[14].

[Note 14: Dans le nombreux état-major qui accompagne le prince de
Neufchâtel, on distingue le lieutenant-général Bailly de Monthion, le
maréchal de camp Alexandre Girardin, les colonels Alfred de Montesquiou,
Arthur de Labourdonnaye, Fontenille, Lecouteux, le commissaire
ordonnateur Leduc, secrétaire particulier du prince, et le capitaine
Salomon, chargé du détail du mouvement des troupes.]

Enfin, dans une dernière audience aux Tuileries, Napoléon rassemble les
chefs qu'il vient de donner à la garde nationale de la capitale. Il
reçoit le serment de MM. de Brancas, de Fraguier, de Brevannes, Acloque,
et de tant d'autres. «Je pars avec confiance, leur dit-il; je vais
combattre l'ennemi, et je vous laisse ce que j'ai de plus cher:
l'impératrice et mon fils!»

Le 23 janvier, Napoléon signe les lettres-patentes qui confèrent la
régence à l'impératrice; le 24, il lui adjoint le prince Joseph, sous le
titre de lieutenant-général de l'empire. Dans la nuit il brûle ses
papiers les plus secrets; il embrasse sa femme et son fils[15]; et le
25, à trois heures du matin, il monte en voiture.

[Note 15: Pour la dernière fois!...]

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.



SUPPLÉMENT A LA PREMIÈRE PARTIE.



PIÈCES HISTORIQUES.


(Nº 1.) _Rapport de M. le baron de Saint-Aignan_[16].

[Note 16: Extrait du Moniteur supprimé.]

Le 26 octobre, étant depuis deux jours traité comme prisonnier à Weimar,
où se trouvaient les quartiers généraux de l'empereur d'Autriche et de
l'empereur de Russie, je reçus ordre de partir le lendemain avec la
colonne des prisonniers que l'on envoyait en Bohême. Jusqu'alors je
n'avais vu personne, ni fait aucune réclamation, pensant que le titre
dont j'étais revêtu réclamait de lui-même, et ayant protesté d'avance
contre le traitement que j'éprouvais. Je crus cependant, dans cette
circonstance, devoir écrire au prince Schwartzenberg et au comte de
Metternich pour leur représenter l'inconvenance de ce procédé. Le
prince Schwartzenberg m'envoya aussitôt le comte de Parr, son premier
aide de camp, pour excuser la méprise commise à mon égard et pour
m'engager à passer soit chez lui, soit chez M. de Metternich. Je me
rendis aussitôt chez ce dernier, le prince de Schwartzenberg venant de
s'absenter. Le comte de Metternich me reçut avec un empressement marqué;
il me dit quelques mots seulement sur ma position, dont il se chargea de
me tirer, étant heureux, me dit-il, de me rendre ce service, et en même
temps de témoigner l'estime que l'empereur d'Autriche avait conçue pour
le duc de Vicence; puis il me parla du congrès, sans que rien de ma part
eût provoqué cette conversation. «Nous voulons sincèrement la paix, me
dit-il, nous la voulons encore, et nous la ferons; il ne s'agit que
d'aborder franchement et sans détours la question. La coalition restera
unie. Les moyens indirects que l'empereur Napoléon emploierait pour
arriver à la paix ne peuvent plus réussir; que l'on s'explique
franchement, et elle se fera.»

Après cette conversation, le comte de Metternich me dit de me rendre à
Toeplitz, où je recevrais incessamment de ses nouvelles, et qu'il
espérait me voir encore à mon retour. Je partis le 27 octobre pour
Toeplitz; j'y arrivai le 30, et le 2 novembre je reçus une lettre du
comte de Metternich, en conséquence de laquelle je quittai Toeplitz le 3
novembre et me rendis au quartier général de l'empereur d'Autriche à
Francfort, où j'arrivai le 8. Je fus le même jour chez M. de
Metternich. Il me parla aussitôt des progrès des armées coalisées, de la
révolution qui s'opérait en Allemagne, de la nécessité de faire la paix.
Il me dit que les coalisés, long-temps avant la déclaration de
l'Autriche, avaient salué l'empereur François du titre d'empereur
d'Allemagne; qu'il n'acceptait point ce titre insignifiant, et que
l'Allemagne était plus à lui de cette manière qu'auparavant; qu'il
désirait que l'empereur Napoléon fût persuadé que le plus grand calme et
l'esprit de modération présidaient au conseil des coalisés; qu'ils ne se
désuniraient point, parce qu'ils voulaient conserver leur activité et
leur force, et qu'ils étaient d'autant plus forts qu'ils étaient
modérés; que personne n'en voulait à la dynastie de l'empereur Napoléon;
que l'Angleterre était bien plus modérée qu'on ne pensait; que jamais le
moment n'avait été plus favorable pour traiter avec elle; que si
l'empereur Napoléon voulait réellement faire une paix solide, il
éviterait bien des maux à l'humanité et bien des dangers à la France, en
ne retardant pas les négociations; qu'on était prêt à s'entendre; que
les idées de paix que l'on concevait devaient donner de justes limites à
la puissance de l'Angleterre, et à la France toute la liberté maritime
qu'elle a droit de réclamer, ainsi que les autres puissances de
l'Europe; que l'Angleterre était prête à rendre à la Hollande
indépendante ce qu'elle ne lui rendrait pas comme province française;
que ce que M. de Mervelot avait été chargé de dire de la part de
l'empereur Napoléon pouvait donner lieu aux paroles qu'on me prierait
de porter; qu'il ne me demandait que de les rendre exactement, sans y
rien changer; que l'empereur Napoléon ne voulait point concevoir la
possibilité d'un équilibre entre les puissances de l'Europe; que cet
équilibre était, non seulement possible, mais même nécessaire; qu'on
avait proposé à Dresde de prendre en indemnité des pays que l'empereur
ne possédait plus, tels que le grand duché de Varsovie; qu'on pouvait
encore faire de semblables compensations dans l'occurrence actuelle.

Le 9, M. de Metternich me fit prier de me rendre chez lui à neuf heures
du soir. Il sortait de chez l'empereur d'Autriche, et me remit la lettre
de sa majesté pour l'impératrice. Il me dit que le comte Nesselrode
allait venir chez lui, et que ce serait de concert avec lui qu'il me
chargerait des paroles que je devais rendre à l'empereur. Il me pria de
dire au duc de Vicence qu'on lui conservait les sentiments d'estime que
son noble caractère a toujours inspirés.

Peu de moments après, le comte Nesselrode entra; il me répéta en peu de
mots ce que le comte Metternich m'avait déjà dit sur la mission dont on
m'invitait à me charger, et ajouta qu'on pouvait regarder M. de
Hardemberg comme présent et approuvant tout ce qui allait être dit.
Alors M. de Metternich explique les intentions des coalisés, telles que
je devais les rapporter à l'empereur. Après l'avoir entendu, je lui
répondis que, ne devant qu'écouter et point parler, je n'avais autre
chose à faire qu'à rendre littéralement ses paroles, et que pour en
être plus certain, je lui demandais de les noter pour moi seul et de les
lui remettre sous les yeux. Alors le comte Nesselrode ayant proposé que
je fisse cette note sur-le-champ, M. de Metternich me fit passer seul
dans un cabinet, où j'écrivis la note ci-jointe. Lorsque je l'eus
écrite, je rentrai dans l'appartement. M. de Metternich me dit: «Voici
lord Aberdeen, ambassadeur d'Angleterre; nos intentions sont communes,
ainsi nous pouvons continuer à nous expliquer devant lui.» Il m'invita
alors à lire ce que j'avais écrit; lorsque je fus à l'article qui
concerne l'Angleterre, lord Aberdeen parut ne l'avoir pas bien compris;
je le lus une seconde fois. Alors il observa que les expressions
_liberté du commerce_ et _droits de la navigation_ étaient bien vagues;
je répondis que j'avais écrit ce que le comte de Metternich m'avait
chargé de dire. M. de Metternich reprit qu'effectivement ces expressions
pouvaient embrouiller la question, et qu'il valait mieux en substituer
d'autres. Il prit la plume et écrivit que l'Angleterre ferait les plus
grands sacrifices _pour la paix fondée sur ces bases_ (celles énoncées
précédemment).

J'observai que ces expressions étaient aussi vagues que celles qu'elles
remplaçaient; lord Aberdeen en convint, et me dit «qu'il valait autant
rétablir ce que j'avais écrit; qu'il réitérait l'assurance que
l'Angleterre était prête à faire les plus grands sacrifices; qu'elle
possédait beaucoup, qu'elle rendrait à pleines mains.» Le reste de la
note ayant été conforme à ce que j'avais entendu, on parla de choses
indifférentes.

Le prince Schwartzenberg entra, et on lui répéta ce qui avait été dit.
Le prince Nesselrode, qui s'était absenté un moment pendant cette
conversation, revint, et me chargea, de la part de l'empereur Alexandre,
de dire au duc de Vicence qu'il ne changerait jamais sur l'opinion qu'il
avait de sa loyauté et de son caractère, et que les choses
s'arrangeraient bien vite s'il était chargé d'une négociation.

Je devais partir le lendemain matin, 10 novembre; mais le prince de
Schwartzenberg me fit prier de différer jusqu'au soir, n'ayant pas eu le
temps d'écrire au prince de Neufchâtel.

Dans la nuit, il m'envoya le comte Voyna, un de ses aides de camp, qui
me remit sa lettre, et me conduisit aux avant-postes français. J'arrivai
à Mayence le 11 au matin.

_Signé_ SAINT-AIGNAN.

       *       *       *       *       *


(Nº 2.) _Note écrite à Francfort, le 9 novembre, par le baron
Saint-Aignan_[17].

[Note 17: Extrait du Moniteur supprimé.]

M. le comte de Metternich m'a dit que la circonstance qui m'a amené au
quartier général de l'empereur d'Autriche pouvait rendre convenable de
me charger de porter à S. M. l'empereur la réponse aux propositions
qu'elle a fait faire par M. le comte de Mervelot. En conséquence, M. le
comte de Metternich et M. le comte de Nesselrode m'ont demandé de
rapporter à S. M.:

Que les puissances coalisées étaient engagées par des liens
indissolubles, qui faisaient leur force, et dont elles ne dévieraient
jamais;

Que les engagements réciproques qu'elles avaient, contractés leur
avaient fait prendre la résolution de ne faire qu'une paix générale; que
lors du congrès de Prague, on avait pu penser à une paix continentale,
parce que les circonstances n'auraient pas donné le temps de s'entendre
pour traiter autrement; mais que, depuis, les intentions de toutes les
puissances et celles de l'Angleterre étaient connues; qu'ainsi il était
inutile de penser, soit à un armistice, soit à une négociation qui n'eût
pas pour premier principe une paix générale;

Que les souverains coalisés étaient unanimement d'accord sur la
puissance et la prépondérance que la France doit conserver dans son
intégrité, et en se renfermant dans ses limites naturelles, qui sont le
Rhin, les Alpes et les Pyrénées;

Que le principe de l'indépendance de l'Allemagne était une condition
_sine quâ non_; qu'ainsi la France devait renoncer, non pas à
l'influence que tout grand état exerce nécessairement sur un état de
force inférieure, mais à toute souveraineté sur l'Allemagne; que
d'ailleurs c'était un principe que S. M. avait posé elle-même, en disant
qu'il était convenable que les grandes puissances fussent séparées par
des états plus faibles;

Que du côté des Pyrénées, l'indépendance de l'Espagne et le
rétablissement de l'ancienne dynastie étaient également une condition
_sine quâ non_;

Qu'en Italie, l'Autriche devait avoir une frontière qui serait un objet
de négociation; que le Piémont offrait plusieurs lignes que l'on
pourrait discuter, ainsi que l'état de l'Italie, pourvu toutefois
qu'elle fût, comme l'Allemagne, gouvernée d'une manière indépendante de
la France, ou de toute autre puissance prépondérante;

Que de même l'état de Hollande serait un objet de négociation, en
partant toujours du principe qu'elle devait être indépendante;

Que l'Angleterre était prête à faire les plus grands sacrifices pour la
paix fondée sur ces bases, et à reconnaître la liberté du commerce et de
la navigation, à laquelle la France a droit de prétendre;

Que si ces principes d'une pacification générale étaient agréés par S.
M., on pourrait neutraliser, sur la rive droite du Rhin, tel lieu qu'on
jugerait convenable, où les plénipotentiaires de toutes les puissances
belligérantes se rendraient sur-le-champ, sans cependant que les
négociations suspendissent le cours des opérations militaires.

_Signé_ SAINT-AIGNAN.



A Francfort, le 9 novembre 1813.

(Nº 3.) _Lettre de M. le duc de Bassano_

_A M. le comte de Metternich_[18].

[Note 18: Extrait du Moniteur supprimé.]

Paris, le 16 novembre 1813.


MONSIEUR,

M. le baron de Saint-Aignan est arrivé hier lundi, et nous a rapporté,
d'après les communications qui lui ont été faites par votre excellence,
que l'Angleterre a adhéré à la proposition de l'ouverture d'un congrès
pour la paix générale, et que les puissances sont disposées à
neutraliser, sur la rive droite du Rhin, une ville pour la réunion des
plénipotentiaires. S. M. désire que cette ville soit celle de Manheim.
M. le duc de Vicence, qu'elle a désigné pour son plénipotentiaire, s'y
rendra aussitôt que votre excellence m'aura fait connaître le jour que
les puissances auront indiqué pour l'ouverture du congrès. Il nous
paraît convenable, monsieur, et d'ailleurs conforme à l'usage, qu'il n'y
ait aucune troupe à Manheim, et que le service soit fait par la
bourgeoisie, en même temps que la police y serait confiée à un bailli
nommé par le grand duc de Bade. Si l'on jugeait à propos qu'il y eût des
piquets de cavalerie, leur force devrait être égale de part et d'autre.
Quant aux communications du plénipotentiaire anglais avec son
gouvernement, elles pourraient avoir lieu par la France et par Calais.

Une paix sur la base de l'indépendance de toutes les nations, tant sous
le point de vue continental que sous le point de vue maritime, a été
l'objet constant des désirs et de la politique de l'empereur.

S. M. conçoit un heureux augure du rapport qu'a fait M. de Saint-Aignan
de ce qui a été dit par le ministre d'Angleterre.

J'ai l'honneur d'offrir à votre excellence l'assurance de ma haute
considération.

_Signé_ le duc de BASSANO.

       *       *       *       *       *



(Nº 4.) _Réponse de M. le prince de Metternich_

_A M. le duc de Bassano_[19].

[Note 19: Extrait du Moniteur supprimé.]


MONSIEUR LE DUC,

Le courrier que votre excellence a expédié de Paris le 16 novembre est
arrivé ici hier.

Je me suis empressé de soumettre à LL. MM. II., et à S. M. le roi de
Prusse, la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser.

LL. MM. ont vu avec satisfaction que l'entretien confidentiel avec M.
de Saint-Aignan a été regardé par S. M. l'empereur des Français comme
une preuve des intentions pacifiques des hautes puissances alliées.
Animées d'un même esprit, invariables dans leur point de vue, et
indissolubles dans leur alliance, elles sont prêtes à entrer en
négociation, dès qu'elles auront la certitude que S. M. l'empereur des
Français admet les bases générales et sommaires que j'ai indiquées, dans
mon entretien avec le baron de Saint-Aignan.

Dans la lettre de votre excellence, cependant, il n'est fait aucune
mention de ces bases. Elle se borne à exprimer un principe partagé par
tous les gouvernements de l'Europe, et que tous placent dans la première
ligne de leurs voeux. Ce principe, toutefois, ne saurait, vu sa
généralité, remplacer des bases. LL. MM. désirent que S. M. l'empereur
Napoléon veuille s'expliquer sur ces dernières, comme seul moyen
d'éviter que, dès l'ouverture des négociations, d'insurmontables
difficultés n'en entravent la marche.

Le choix de la ville de Manheim semble ne pas présenter d'obstacles aux
alliés. Sa neutralisation, et les mesures de police, entièrement
conformes aux usages, que propose votre excellence, ne sauraient en
offrir dans aucun cas.

Agréez, monsieur le duc, les assurances de ma haute considération.

_Signé_ le prince de METTERNICH.



Francfort, le 25 novembre 1813.

(Nº 5.) _Déclaration de Francfort._

Francfort, le 1er décembre 1813.


Le gouvernement français vient d'arrêter une nouvelle levée de trois
cent mille conscrits. Les motifs du sénatus-consulte renferment une
provocation aux puissances alliées. Elles se trouvent appelées à
promulguer de nouveau à la face du monde les vues qui les guident dans
la présente guerre, les principes qui font la base de leur conduite,
leurs voeux et leurs déterminations.

Les puissances alliées ne font point la guerre à la France, mais à cette
prépondérance hautement annoncée, à cette prépondérance que, pour le
malheur de l'Europe et de la France, l'empereur Napoléon a trop
long-temps exercée hors des limites de son empiré.

La victoire a conduit les armées alliées sur le Rhin. Le premier usage
que LL. MM. II. et RR. en ont fait a été d'offrir la paix à S. M.
l'empereur des Français. Une attitude renforcée par l'accession de tous
les souverains et princes d'Allemagne n'a pas eu d'influence sur les
conditions de la paix. Ces conditions sont fondées sur l'indépendance de
l'empire français comme sur l'indépendance des autres états de l'Europe.
Les vues des puissances sont justes dans leur objet, généreuses et
libérales dans leur application, rassurantes pour tous, honorables pour
chacun.

Les souverains alliés désirent que la France soit grande, forte et
heureuse, parce que la puissance française, grande et forte, est une des
bases fondamentales de l'édifice social. Ils désirent que la France soit
heureuse, que le commerce français renaisse, que les arts, ces bienfaits
de la paix, refleurissent, parce qu'un grand peuple ne saurait être
tranquille qu'autant qu'il est heureux. Les puissances confirment à
l'empire français une étendue de territoire que n'a jamais connue la
France sous ses rois, parcequ'une nation valeureuse ne déchoit pas pour
avoir, à son tour, éprouvé des revers dans une lutte opiniâtre et
sanglante où elle a combattu avec son audace accoutumée.

Mais les puissances aussi veulent être libres, heureuses et tranquilles.
Elles veulent un état de paix qui, par une sage répartition des forces,
par un juste équilibre, préserve désormais les peuples des calamités
sans nombre qui depuis vingt ans ont pesé sur l'Europe.

Les puissances alliées ne poseront pas les armes sans avoir atteint ce
grand et bienfaisant résultat, ce noble objet de leurs efforts. Elles ne
poseront pas les armes avant que l'état politique de l'Europe ne soit de
nouveau raffermi, avant que des principes immuables n'aient repris leurs
droits sur de vaines prétentions, avant que la sainteté des traités
n'ait enfin assuré une paix véritable à l'Europe[20].

[Note 20: «Personne ne fut entraîné ou séduit par cette proclamation de
Francfort, qui déclarait la guerre à une métaphysique appelée
prépondérance: aussi l'effet de cette proclamation fut-il manqué.»
Beauchamp, tom. I, liv. VIII, pag. 323.]



(Nº 6.) _Lettre de M. le duc de Vicence_
_Au prince de Metternich_[21].

[Note 21: Extrait du Moniteur supprimé.]

Paris, 2 décembre 1813.


PRINCE,

J'ai mis sous les yeux de S. M. la lettre que votre excellence adressait
le 25 novembre à M. le duc de Bassano.

En admettant sans restriction, comme base de la paix, l'indépendance de
toutes les nations, tant sous le rapport territorial que sous le rapport
maritime, la France a admis en principe ce que les alliés paraissent
désirer. S. M. a, par cela même, admis toutes les conséquences de ce
principe, dont le résultat final doit être une paix fondée sur
l'équilibre de l'Europe, sur la reconnaissance de l'intégrité de toutes
les nations dans leurs limites naturelles, et sur la reconnaissance de
l'indépendance absolue de tous les états, tellement qu'aucun ne puisse
s'arroger, sur un autre quelconque, ni suzeraineté, ni suprématie, sous
quelque forme que ce soit, ni sur terré ni sur mer.

Toutefois, c'est avec une vive satisfaction que j'annonce à votre
excellence que je suis autorisé par l'empereur, mon auguste maître, à
déclarer que S. M. adhère aux _bases générales et sommaires_ qui ont été
communiquées par M. de Saint-Aignan. Elles entraîneront de grands
sacrifices de la part de la France; mais S. M. les fera sans regret, si,
par des sacrifices semblables, l'Angleterre donne les moyens d'arriver à
une paix générale et honorable pour tous, que votre excellence assure
être le voeu, non seulement des puissances du continent, mais aussi de
l'Angleterre.

Agréez, prince, etc.

_Signe_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *



(Nº 7.) _Réponse de M. le prince de Metternich_
_A M. le duc de Vicence_[22].

[Note 22: Extrait du Moniteur supprimé.]


MONSIEUR LE DUC,

L'office que votre excellence m'a fait l'honneur de m'adresser le 2
décembre m'est parvenu de Cassel, par nos avant-postes. Je n'ai pas
différé de le soumettre à LL. MM. Elles y ont reconnu avec satisfaction
que S. M. l'empereur des Français avait adopté des bases essentielles au
rétablissement d'un état d'équilibre et à la tranquillité future de
l'Europe. Elles ont voulu que cette pièce fût portée sans délai à la
connaissance de leurs alliés. LL. MM. II. et RR. ne doutent point
qu'immédiatement après la réception des réponses, les négociations ne
puissent s'ouvrir.

Nous nous empresserons d'avoir l'honneur d'en informer votre excellence,
et de concerter alors avec elle les arrangements qui nous paraîtront les
plus propres à atteindre le but que nous nous proposons.

Je la prie de recevoir les assurances, etc.

_Signé_ le prince de METTERNICH.

Francfort, le 10 décembre 1813.


       *       *       *       *       *


(Nº 8.) _Lettre de Napoléon_
_Au duc de Vicence, ministre des relations extérieures._

Paris, le 4 janvier 1814.


Monsieur le duc de Vicence, j'approuve que M. de La Besnardière soit
chargé du portefeuille. Je pense qu'il est douteux que les alliés soient
de bonne foi, et que l'Angleterre veuille la paix: moi je la veux, mais
solide, honorable. La France sans ses limites naturelles, sans Ostende,
sans Anvers, ne serait plus en rapport avec les autres états de
l'Europe. L'Angleterre et toutes les puissances ont reconnu ces limites
à Francfort. Les conquêtes de la France en-deçà du Rhin et des Alpes ne
peuvent compenser ce que l'Autriche, la Russie, la Prusse, ont acquis en
Pologne, en Finlande, ce que l'Angleterre a envahi en Asie. La politique
de l'Angleterre, la haine de l'empereur de Russie, entraîneront
l'Autriche. J'ai accepté les bases de Francfort, mais il est plus que
probable que les alliés ont d'autres idées. Leurs propositions n'ont été
qu'un masque. Les négociations une fois placées sous l'influence des
événements militaires, on ne peut prévoir les conséquences d'un tel
système. Il faut tout écouter, tout observer. Il n'est pas certain qu'on
vous reçoive au quartier général: les Russes et les Anglais voudront
écarter d'avance tous les moyens de conciliation et d'explication avec
l'empereur d'Autriche. Il faut tâcher de connaître les vues des alliés,
et me faire connaître jour par jour ce que vous apprendrez, afin de me
mettre dans le cas de vous donner des instructions que je ne saurais sur
quoi baser aujourd'hui. Veut-on réduire la France à ses anciennes
limites? c'est l'avilir...............................................
......................................................................
....................... On se trompe si on croit que les malheurs de la
guerre puissent faire désirera la nation une telle paix. Il n'est pas un
coeur français qui n'en sentît l'opprobre au bout de six mois, et qui ne
la reprochât au gouvernement assez lâche pour la signer. L'Italie est
intacte, le vice-roi a une belle armée. Avant huit jours j'aurai réuni
de quoi livrer plusieurs batailles, même avant l'arrivée de mes troupes
d'Espagne. Les dévastations des Cosaques armeront les habitants, et
doubleront nos forces. Si la nation me seconde, l'ennemi marche à sa
perte. Si la fortune me trahit, mon parti est pris; je ne tiens pas au
trône. Je n'avilirai ni la nation ni moi, en souscrivant à des
conditions honteuses. Il faut savoir ce que veut Metternich. Il n'est
pas de l'intérêt de l'Autriche de pousser les choses à bout; encore un
pas, et le premier rôle lui échappera. Dans cet état de choses, je ne
puis rien vous prescrire. Bornez-vous pour le moment à tout entendre, et
à me rendre compte. Je pars pour l'armée. Nous serons si près, que vos
premiers rapports ne seront pas un retard pour les affaires. Envoyez-moi
fréquemment des courriers. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa
sainte garde.

Paris, le 4 janvier 1814.

_Signé_ NAPOLÉON.



(Nº 9.) _Lettre de M. le duc de Vicence_
_A M. le prince de Metternich_[23].

[Note 23: Extrait du Moniteur supprimé.]

Lunéville, le 6 janvier 1814.


PRINCE,

La lettre que votre excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 10 du
mois dernier m'est parvenue.

L'empereur ne veut rien préjuger sur les motifs qui ont fait que son
adhésion pleine et entière aux bases que votre excellence a proposées
d'un commun accord avec les ministres de Russie et d'Angleterre, et de
l'aveu de la Prusse, ait eu besoin d'être communiquée aux alliés avant
l'ouverture du congrès. Il est difficile de penser que lord Aberdeen ait
eu des pouvoirs pour proposer des bases, sans en avoir pour négocier. S.
M. ne fait point aux alliés l'injure de croire qu'ils aient été
incertains et qu'ils délibèrent encore; ils savent trop bien que toute
offre conditionnelle devient un engagement absolu pour celui qui l'a
faite, dès que la condition qu'il y a mise est remplie. Dans tous les
cas, nous devions nous attendre à avoir, le 6 janvier, la réponse que
votre excellence nous annonçait le 10 décembre. Sa correspondance et les
déclarations réitérées des puissances alliées ne nous laissent point
prévoir de difficultés, et les rapports de M. de Talleyrand, à son
retour de Suisse, confirment que leurs intentions sont toujours les
mêmes.

D'où peuvent donc provenir les retards? S. M., n'ayant rien plus à coeur
que le prompt rétablissement de la paix générale, a pensé qu'elle ne
pouvait donner une plus forte preuve de la sincérité de ses sentiments à
cet égard, qu'en envoyant auprès des souverains alliés son ministre des
relations extérieures, muni de pleins pouvoirs. Je m'empresse donc,
prince, de vous prévenir que j'attendrai à nos avant-postes les
passe-ports nécessaires pour traverser ceux des armées alliées, et me
rendre auprès de votre excellence.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 10.) _Réponse du prince de Metternich_
_A M. le duc de Vicence_[24].

[Note 24: Extrait du Moniteur supprimé.]

Fribourg, en Brisgau, le 8 janvier 1814.


MONSIEUR LE DUC,

J'ai reçu aujourd'hui la lettre que votre excellence m'a fait l'honneur
de m'adresser de Lunéville le 6 de ce mois.

Le retard qu'éprouve la communication que le gouvernement français
attendait, en suite de mon office du 10 décembre, résulte de la marche
que devaient tenir entre elles les puissances alliées. Les explications
confidentielles avec M. le baron de Saint-Aignan ayant conduit à des
ouvertures officielles de la part de la France, LL. MM. II. et RR. ont
jugé que la réponse de votre excellence, du 2 décembre, était de nature
à devoir être portée à la connaissance de leurs alliés. Les suppositions
que votre excellence admet, que ce soit lord Aberdeen qui ait proposé
des bases, et qu'il ait été muni de pleins pouvoirs à cet effet, ne sont
nullement fondées.

La cour de Londres vient de faire partir pour le continent le secrétaire
d'état ayant le département des affaires étrangères. S. M. I. de toutes
les Russies se trouvant momentanément éloignée d'ici, et lord
Castlereagh étant attendu d'un moment à l'autre, l'empereur, mon auguste
maître, et S. M. le roi de Prusse me chargent de prévenir votre
excellence qu'elle recevra le plus tôt possible une réponse à sa
proposition de se rendre au quartier général des souverains alliés.

Je prie votre excellence, etc.

_Signé_ le prince DE METTERNICH.


Hier, 18 janvier, c'est-à-dire dix jours après la réponse de M. le
prince de Metternich, M. le duc de Vicence était encore aux
avant-postes.

       *       *       *       *       *


(Nº 11.) _Lettre de M. de la Besnardière_
_A M. le duc de Vicence._

Paris, le 13 janvier 1814.


MONSEIGNEUR,

S. M. m'ordonne d'annoncer à votre excellence qu'elle a reçu votre
dépêche du 12, apportée par le courrier Simiame. Elle a daigné me
remettre cette dépêche et les pièces qui y étaient jointes, le rapport
de M. Cham excepté.

S. M. approuve que votre correspondance lui soit directement adressée;
mais son intention est d'y répondre par la voie du cabinet, auquel elle
veut remettre tout ce qui sera de l'essence de la négociation, et toutes
les pièces qui en constateront l'état à toutes les époques. Elle désire
en conséquence que toutes les dépêches de votre excellence soient
divisées en _officielles_ ou ostensibles, et en _confidentielles_, mot
dont elle autorise votre excellence à se servir pour les dépêches qui
contiendront des faits ou des particularités que S. M. devrait seule
connaître.

S. M. a recommandé que toutes les gazettes anglaises vous soient
envoyées; elle a ordonné au ministre de la police générale de les
adresser au ministère dans les vingt-quatre heures de leur arrivée à
Paris, et de manière à ce qu'il ne manque à votre excellence que celles
qui ne seraient pas arrivées ici.

S. M. approuve le parti que votre excellence a pris de rester à
Lunéville en attendant l'arrivée de lord Castlereagh à Fribourg; comme
il a mis à la voile le premier de ce mois, il est probable qu'il est
arrivé, ou sur le point d'arriver, à l'heure qu'il est.

S. M. m'ordonne encore d'informer votre excellence que la lettre de
l'empereur d'Autriche à son auguste fille est à peu près dans le sens de
celle de M. de Metternich; que l'empereur proteste de nouveau que, quels
que soient les événements, il ne séparera jamais la cause de sa fille et
de son petit-fils de celle de la France. Comme cela peut avoir trait à
des projets conçus par d'autres puissances en faveur des Bourbons, il
importe de ne montrer à cet égard aucune crainte, et de faire entendre
que les Bourbons, mis en avant, ne serviraient qu'à réveiller des
sentiments bien opposés aux espérances de leurs partisans, et que, si un
parti pouvait se former en France, ce serait uniquement celui de la
révolution, vulgairement appelé des _jacobins_.

Daignez, monsieur le duc, agréer l'hommage de mon respect.

_Signé_, LA BESNARDIÈRE.


       *       *       *       *       *


(Nº 12.) _Lettre de M. de la Besnardière_
_A M. le duc de Vicence._

Paris, le 16 janvier 1814.


MONSEIGNEUR,

S. M., après avoir dicté la lettre ci-jointe, et l'avoir relue et
corrigée elle-même, m'a ordonné de vous l'envoyer pour être écrite par
votre excellence au prince de Metternich.

Cependant S. M. subordonne cette démarche au jugement que vous en
porterez. «Envoyez, m'a-t-elle dit, cette lettre à M. le duc de Vicence,
pour qu'il l'écrive s'il l'approuve.» Ce sont ses propres expressions.
Daignez, etc.

_Signé_ LA BESNARDIÈRE.


       *       *       *       *       *


(Nº 12bis.) _Lettre dictée par S. M., pour être écrite par M. le duc de
Vicence_.
_Au prince de Metternich_[25].

[Note 25: Voir cette lettre telle qu'elle a été refaite par le duc de
Vicence, supplément de la seconde partie, nº 2.]


PRINCE,

Les retards qu'éprouve la négociation ne sont du fait ni de la France
ni de l'Autriche, et ce sont néanmoins la France et l'Autriche qui en
peuvent le plus souffrir. Les armées alliées ont déjà envahi plusieurs
de nos provinces; si elles avancent, une bataille va devenir inévitable,
et sûrement il entre dans la prévoyance de l'Autriche de calculer et de
peser les résultats qu'aurait cette bataille, soit qu'elle fût perdue
par les alliés, soit qu'elle le fût pour la France.

Écrivant à un ministre aussi éclairé que vous l'êtes, je n'ai pas besoin
de développer ces résultats; je dois me borner à les faire entrevoir,
sûr que leur ensemble ne saurait échapper à votre pénétration.

Les chances de la guerre sont journalières: à mesure que les alliés
avancent, ils s'affaiblissent, pendant que les armées françaises se
renforcent; et ils donnent, en avançant, un double courage à une nation
pour qui, désormais, il est évident qu'elle a ses plus grands et plus
chers intérêts à défendre. Or les conséquences d'une bataille perdue par
les alliés ne pèseraient sur aucun d'eux autant que sur l'Autriche,
puisqu'elle est en même temps la puissance principale entre les alliés
et l'une des puissances centrales de l'Europe.

En supposant que la fortune continue d'être favorable aux alliés, il
importe sans doute à l'Autriche de considérer avec attention quelle
serait là situation de l'Europe le lendemain d'une bataille perdue par
les Français au coeur de la France, et si un tel événement
n'entraînerait point des conséquences diamétralement opposées à cet
équilibre que l'Autriche aspire à établir, et tout à la fois à sa
politique et aux affections personnelles et de famille de l'empereur
François.

Enfin l'Autriche proteste qu'elle veut la paix; mais n'est-ce pas se
mettre en situation de ne pouvoir atteindre ou de dépasser ce but, que
de continuer les hostilités, quand de part et d'autre on veut arriver à
une fin?

Ces considérations m'ont conduit à penser que, dans la situation
actuelle des armées respectives et dans cette rigoureuse saison, une
suspension d'armes pourrait être réciproquement avantageuse aux deux
partis.

Elle pourrait être établie par une convention en forme, ou par un simple
échange de déclarations entre V. Exc. et moi.

Elle pourrait être limitée à un temps fixe, ou indéfinie, avec la
condition de ne la pouvoir faire cesser qu'en se prévenant tant de jours
d'avance.

Cette suspension d'armes me semble dépendre entièrement de l'Autriche,
puisqu'elle a la direction principale des affaires militaires; et j'ai
pensé que, dans l'une et l'autre chance, l'intérêt de l'Autriche était
que les choses n'allassent pas plus loin et ne fussent pas poussées à
l'extrême.

C'est surtout cette persuasion qui me porte à écrire confidentiellement
à V. Exc.

Si je m'étais trompé, si telles n'étaient point l'intention et la
politique de votre cabinet, si cette démarche absolument confidentielle
devait rester sans effet, je dois prier V. Exc. de la regarder comme non
avenue.

Vous m'avez montré tant de confiance personnelle dans votre dernière
lettre, et j'en ai moi-même une si grande dans la droiture de vos vues
et dans les sentiments qu'en toute circonstance vous avez exprimés, que
j'ose espérer qu'une lettre que cette confiance a dictée, si elle ne
peut atteindre son but, restera à jamais un secret entre V. Exc. et moi.

Agréez, etc.

       *       *       *       *       *


(Nº 13.) _Lettre de M. de la Besnardière_
_A M. le duc de Vicence._

Paris, le 19 janvier 1814.


MONSEIGNEUR,

Après m'avoir dicté pour votre excellence la lettre qu'elle recevra avec
celle-ci, S. M., qui avait du loisir, m'a fait l'honneur de m'entretenir
fort long-temps de la paix future. Je rapporterai à votre excellence,
aussi fidèlement que ma mémoire le permettra et aussi brièvement que je
le pourrai, la substance de cet entretien. La chose sur laquelle S. M. a
le plus insisté et _est revenue le plus souvent_, c'est la nécessité
que la France conserve ses limites naturelles. C'était là, m'a-t-elle
dit, une condition _sine quâ non_. Toutes les puissances et l'Angleterre
même avaient reconnu ces limites à Francfort. La France, réduite à ses
limites anciennes, n'aurait pas aujourd'hui les deux tiers de la
puissance relative qu'elle avait il y a vingt ans; ce qu'elle a acquis
du côté des Alpes et du Rhin ne compense point ce que la Russie, la
Prusse et l'Autriche, ont acquis par le seul démembrement de la Pologne;
tous ces états se sont agrandis. Vouloir ramener la France à son état
ancien, ce serait la faire déchoir et l'avilir. La France, sans les
départements du Rhin, sans la Belgique, sans Ostende, sans Anvers, ne
serait rien. Le système de ramener la France à ses anciennes frontières
est inséparable du rétablissement des Bourbons; parcequ'eux seuls
pourraient offrir une garantie du maintien de ce système: et
l'Angleterre le sentait bien: avec tout autre, la paix sur une telle
base serait impossible et ne pourrait durer. Ni l'empereur, ni la
république, si des bouleversements la faisaient renaître, ne
souscriraient jamais à une telle condition. Pour ce qui est de S. M., sa
résolution était bien prise, elle était immuable. Elle ne laisserait pas
la France moins grande qu'elle ne l'avait reçue. Si donc les alliés
voulaient changer les bases acceptées et proposer les limites anciennes,
elle ne voyait que trois partis: ou combattre et vaincre, ou combattre
et mourir glorieusement, ou enfin, si la nation ne la soutenait pas,
abdiquer. Elle ne tenait pas aux grandeurs, elle n'en achèterait jamais
la conservation par l'avilissement. Les Anglais pouvaient désirer de lui
ôter Anvers; mais ce n'était pas l'intérêt du continent, car la paix
ainsi faite ne durerait pas trois ans. Elle sentait que les
circonstances étaient critiques, mais elle n'accepterait jamais une paix
honteuse. En acceptant les bases proposées, elle avait fait tous les
sacrifices absolus qu'elle pouvait faire; s'il en fallait d'autres, ils
ne pouvaient porter que sur l'Italie et la Hollande: elle désirait
sûrement exclure le stathouder; mais la France conservant ses limites
naturelles, tout pourrait s'arranger, rien ne ferait un obstacle
insurmontable. S. M. a aussi parlé de Kehl et de Cassel: sans ces deux
têtes de pont, a-t-elle dit, Strasbourg et Mayence deviendraient nuls;
mais elle croit que les ennemis n'y attacheront pas une extrême
importance.

Monsieur le duc de Carignan est venu tantôt m'apporter une lettre du
roi, que j'ai portée à l'empereur. Cette lettre est remplie de
protestations de reconnaissance et de regrets, mais annonce que le roi
est forcé, par la nécessité, d'accepter les propositions de l'Autriche
et de l'Angleterre. La date de cette lettre est du 3; les traités
n'étaient pas alors signés: ils ne l'étaient pas encore le 6, mais M. de
Carignan ne dissimule pas qu'il croit qu'ils le sont maintenant. Le
vice-roi va se reporter sur les Alpes. Mantoue et les places fortes
seront gardées par les Italiens.

J'écris à la hâte, à traits de plume; il est minuit. Je prie votre
excellence de vouloir bien agréer, etc.

_Signé_ LA BESNARDIÈRE.

_P. S._ Victor vient d'arriver, et me remet le paquet de votre
excellence. J'envoie sa dépêche pour l'empereur, au cabinet. Une partie
de ses incertitudes est maintenant fixée; j'ose espérer que le reste
arrivera aussi à bien.

       *       *       *       *       *


(Nº 14.) _Lettre de M. de la Besnardière_
_A M. le duc de Vicence._

Paris, le 19 janvier 1814.


MONSEIGNEUR,

Une lettre du prince de Metternich, adressée à votre excellence, datée
de Bâle le 14, et venue je ne sais par quelle route, a été portée à S.
M., qui vous en envoie une copie par une estafette extraordinaire
expédiée ce matin à dix heures. S. M. m'ordonne d'en envoyer une autre
copie certifiée à votre excellence, qui la trouvera ci-jointe.

Votre excellence a maintenant la lettre que S. M. me dicta le 16 pour
elle, et qui s'est croisée avec celle qu'elle a elle-même écrite à S. M.
le 17.

Elle a vu que l'empereur sentait le besoin d'un armistice. Quant aux
conditions auxquelles il peut être conclu, S. M. m'ordonne de faire
connaître à votre excellence que, quelles que soient les circonstances,
elle ne consentira jamais à aucune condition déshonorante; et qu'elle
regarderait comme déshonorant au plus haut degré, de remettre aucune
place française ou de payer aucune somme d'argent quelconque: mais que
pour racheter de l'occupation de l'ennemi une portion quelconque du
territoire français, elle consentirait à remettre en Italie Venise et
Palma-Nova, et en Allemagne Magdebourg et Hambourg; bien entendu que les
garnisons reviendraient libres en France, et que les magasins,
l'artillerie que S. M. a mise dans ces places, et les vaisseaux de
guerre qui sont sa propriété, lui seraient réservés.

S. M. m'ordonne d'ajouter qu'elle n'a jamais exigé d'argent pour prix,
soit d'un armistice, soit de la paix: qu'elle a seulement exigé, en
signant la paix, le solde des contributions qu'elle avait frappées sur
les pays qu'elle avait occupés par ses armées; ce que l'ennemi ne
saurait demander, puisqu'il n'a point frappé de contributions en France.

Quant au traité de paix, l'empereur me charge de dire à votre excellence
que la France devra conserver ses limites naturelles sans restriction ni
diminution quelconque, et que c'est là une condition _sine quâ non_ dont
il ne se départira jamais.

Daignez agréer, etc.

_Signé_ LA BESNARDIÈRE.

       *       *       *       *       *


(Nº 15.) _Lettre du prince de Metternich_
_A M. le duc de Vicence._

Bâle, le 14 janvier 1814.


MONSIEUR LE DUC,

Lord Castlereagh étant sur le point d'arriver et LL. MM. II. et RR.
désirant éviter tout retard, elles me chargent de proposer à votre
excellence de se rapprocher dès à présent de l'endroit où, dans les
circonstances actuelles, il sera le plus convenable d'établir le siége
des négociations; c'est en conséquence sur Châtillon-sur-Seine que je
prie votre excellence de se diriger; je ne doute pas que lorsqu'elle y
sera arrivée, je ne sois à même de lui indiquer le jour et le lieu où
les négociateurs pourront se réunir.

_Signé_ le prince de METTERNICH.



SECONDE PARTIE.


JOURNAL DE LA CAMPAGNE.

(Du 24 janvier 1814 au 31 mars suivant.)

        Acer et indomitus, quò spes, quòque ira vocasset
        Ferre manum, et nunquam temerando parcere ferro,
        Successus urgere suos, instare favori
        Numinis....

        LUCAIN, Pharsale.



SECONDE PARTIE.



CHAPITRE Ier.

ARRIVÉE DE NAPOLÉON A CHÂLONS-SUR-MARNE.

(Fin de janvier 1814.)


Le comte Bertrand monte dans la voiture de Napoléon et prend place à
côté de lui; il réunit, en l'absence du duc de Vicence, les fonctions de
grand écuyer à celles du grand maréchal, et tous les services de voyage
sont sous ses ordres[26].

[Note 26: Les aides de camp qui accompagnent Napoléon sont les généraux
Drouot, Flahaut, Corbineau, Dejean.

Le général Drouot fait les fonctions de major général de la garde. Aux
aides de camp il faut ajouter les officiers d'ordonnance Gourgaud,
Mortemart, Montmorency, Caraman, Pretet, Laplace, Lariboissière,
Lamezan, et Desaix.

Les chefs des différents services de la maison impériale sont, pour
cette campagne:

  Le comte de Turenne, premier chambellan, et maître de la garde-robe;
  Le baron de Canouville, maréchal des logis;
  Le baron Mesgrigny, écuyer;
  Le baron Fain, maître des requêtes, premier secrétaire du cabinet;
  Le général Bacler-d'Albe, directeur du cabinet topographique;
  Et le baron Yvan, premier chirurgien.

On distingue encore parmi les autres personnes de la maison les
auditeurs Jouanne et Rumigny, premiers commis du cabinet; l'auditeur
Lelorgne-d'Ideville, secrétaire interprète; le lieutenant-colonel du
génie Athalin, et l'ingénieur-géographe Lameau, attachés au cabinet
topographique; les chevaliers Fourreau et Vareliand, médecin et
chirurgien de quartier; enfin les fourriers du palais Deschamps et
Jongbloëdt.

Le service personnel de l'empereur se réduit aux valets de chambre
Constant, Pelart et Hubert, au mameluck Roustan, au piqueur Jardin, et
au contrôleur de la bouche Colin, qui sont des hommes de confiance.

Presque tous se sont rendus d'avance à Châlons.]

Napoléon n'a avec lui que cinq voitures de poste. Il déjeûne à
Château-Thierry, et le soir du jour de son départ il arrive à Châlons
pour dîner.

L'approche de l'ennemi avait jeté sur la route une espèce de stupeur,
que le passage de Napoléon a suspendue tout-à-coup; c'est l'effet
ordinaire de sa présence. Dans le danger commun, son arrivée à l'armée
offre les seuls moyens de salut auxquels l'imagination des peuples
puisse se confier. A chaque relai, les femmes et les enfants se
groupaient autour des voitures; les hommes, formés à la hâte en garde
nationale, s'ajustaient de leur mieux sous les armes, et peignaient plus
vivement que tous les discours à quelles extrémités on était réduit.
Bientôt une confiance naïve et bruyante a succédé à l'inquiétude; et les
vignerons de Dormans, de Château-Thierry et d'Épernay, ne craignent plus
d'ajouter aux cris mille fois répétés de _vive l'empereur!_ cet autre
cri qui laisse échapper leurs voeux les plus secrets: _à bas les droits
réunis!_

Le quartier impérial à Châlons était marqué chez le préfet: en
descendant de la voiture, Napoléon fait appeler le prince de Neufchâtel,
le duc de Valmy, le duc de Reggio, le maire, etc. Le prince de
Neufchâtel arrive des avant-postes pour rendre compte de l'état dans
lequel il a trouvé l'armée; vingt ans auparavant le duc de Valmy a gagné
le titre de son duché dans ces mêmes plaines où nos bataillons vont
manoeuvrer de nouveau contre les Prussiens; le duc de Reggio connaît
parfaitement le pays, il est de Bar-sur-Ornain. Napoléon emploie donc la
plus grande partie de la soirée à recueillir, dans la conversation des
personnes qui l'entourent, les renseignements dont il a besoin.

Voici le résumé de ce qu'il apprend: la grande armée autrichienne du
prince Schwartzenberg, descendue des Vosges par plusieurs routes, dirige
sa plus forte colonne sur Troyes; elle pousse devant elle le corps de
vieille garde dont le duc de Trévise a le commandement. Celui-ci dispute
le terrain pied à pied; et, malgré les désavantages d'une retraite, les
combats de Colombey-les-deux-églises et de Bar-sur-Aube ont conservé
l'honneur de la garde dans tout son lustre; mais la ville de Troyes n'en
court pas moins un pressant danger.

Du côté des Prussiens, le maréchal Blücher a dépassé la Lorraine; il
vient d'occuper Saint-Dizier, et s'avance diagonalement sur l'Aube.

Le duc de Vicence, au milieu de ces grands mouvements de troupes, n'a pu
parvenir jusqu'au quartier général des alliés. Retenu d'abord à
Lunéville par les avant-postes qui lui barraient le chemin, il a été
forcé de rétrograder avec nos troupes jusqu'à Saint-Dizier; mais enfin,
dans cette dernière ville, les lettres du prince de Metternich lui
étaient parvenues: Châtillon-sur-Seine lui était indiqué comme lieu de
réunion du congrès, et aussitôt il avait quitté Saint-Dizier pour se
rendre à Châtillon.

Quant à nos troupes, elles sont autour de Châlons. Le duc de Bellune et
le prince de la Moskowa, après avoir évacué Nancy, se sont retirés par
Void, Ligny et Bar, sur Vitry-le-Français; le duc de Raguse est derrière
la Meuse, entre Saint-Michel et Vitry.

Nos avant-postes sont donc à Vitry. Déjà les fuyards commençaient à
paraître dans les rues de Châlons; mais ils s'y croisent avec les
troupes qui arrivent de Paris. Ces soldats, qui naguère étaient
disséminés le long du Rhin, depuis Huningue jusqu'à Cologne, après vingt
jours de retraite sur tant de routes différentes, se reconnaissent tous
dans la même plaine, ne formant plus qu'une seule armée réunie autour de
Napoléon. Aussitôt le mouvement rétrograde cesse, et l'ordre rentre dans
les rangs.

       *       *       *       *       *



CHAPITRE II.

L'ARMÉE REPREND L'OFFENSIVE.--BATAILLE DE BRIENNE.


C'est d'abord sur l'ennemi qui est le plus près que Napoléon veut
marcher; il ordonne dans la nuit que toute l'armée prenne la route de
Vitry.

Le duc de Valmy reste à Châlons pour y réunir les traînards et recevoir
le duc de Tarente, dont la marche a été retardée dans les Ardennes. Le
vainqueur de Valmy doit encore une fois défendre les gorges de l'Argonne
et la route de Paris.

Napoléon ne s'est pas arrêté plus de douze heures à Châlons: les
équipages de sa maison ont filé dans la nuit avec la garde impériale, et
le lendemain 26 janvier le quartier général s'établit de bonne heure à
Vitry.

Vitry est donc redevenu place frontière; on a relevé à la hâte les
brèches de ses vieilles murailles, et quelques canons protègent les
barricades qu'on a plantées devant les portes.

Napoléon, impatient de voir clair dans les mouvements qui
l'environnent, faisait courir de tous côtés aux nouvelles. A peine
arrivé à Vitry, il interroge le sous-préfet, le maire, le juge de paix,
l'ingénieur, les notables de la ville. On lui amène successivement tous
les gens de la campagne qui rentrent dans Vitry; quand ce n'est pas
Napoléon lui-même qui les questionne, c'est le général Bertrand:
Bacler-d'Albe et Athalin tiennent note de chaque rapport, et couvrent la
feuille de Cassini d'épingles qui indiquent les différents points de
l'horizon où les coureurs de l'ennemi se font voir. Le duc de Reggio
envoie par la traverse des émissaires à Bar-sur-Ornain sous prétexte de
savoir ce qui se passe chez lui. Le maire, le sous-préfet, envoient
d'autres émissaires dans la plaine qui s'étend entre la Marne et l'Aube.

On apprend que le duc de Trévise et la vieille garde se retirent de
Troyes par la route d'Arcis-sur-l'Aube: des officiers d'ordonnance sont
aussitôt envoyés de ce côté pour aviser ce maréchal de la marche de
Napoléon. Un pont est rapidement jeté sur la Marne à Vitry, et facilite
ces différentes communications.

Pendant la nuit nos troupes ont marché: le 27, au point du jour, elles
rencontrent, entre Vitry et Saint-Dizier, la tête des colonnes de
l'ennemi. Le général Duhesme engage le combat contre le général russe
Lanskoï; Napoléon y accourt, et, dès huit heures du matin, il rentre à
Saint-Dizier à la tête des premières troupes.

Cette ville n'avait été occupée que peu de jours par l'ennemi; mais,
dans ce court intervalle, les habitants n'avaient eu que trop le temps
d'apprendre, par les fanfaronnades des alliés, toute l'étendue des
dangers que courait la patrie. Ils avaient entrevu le cercle qui se
développait autour de la capitale; les maux que l'ennemi leur avait
apportés s'aggravaient encore par le désespoir du salut et de la
vengeance... Soudain ces mêmes alliés, la veille encore si confiants, se
retirent avec précipitation; ils fuient en criant que l'empereur
Napoléon les poursuit, qu'il arrive derrière eux, qu'il est là! A cette
nouvelle, les malheureux habitants de Saint-Dizier sortent de leur
abattement. Napoléon leur apparaît: ils ne peuvent en croire leurs yeux;
ils se précipitent autour de son cheval pour le toucher; la foule le
porte jusqu'à la maison du maire, où son logement est marqué. Désormais
c'est à qui poursuivra l'étranger, qu'on ne veut plus craindre;
l'enthousiasme gagne de proche en proche, et se répand dans les villages
du Barrois et de la forêt du Der. Partout les paysans déterrent leurs
armes, courent sur l'ennemi, et font à l'envi des prisonniers, qu'ils
amènent eux-mêmes à Napoléon.

Les déclarations des habitants et des prisonniers sont unanimes: le
corps ennemi auquel l'avant-garde française vient d'avoir affaire
appartient à l'armée prussienne; le maréchal Blücher et le corps du
général Sacken ont passé les jours précédents, et doivent être en ce
moment du côté de Brienne, marchant sur Troyes pour y donner la main aux
Autrichiens. Le corps du général Lanskoï, qui est celui que l'on vient
de combattre, suivait le corps de Sacken; enfin les troupes du général
York, restées un moment en arrière pour contenir la garnison de Metz,
étaient attendues à Saint-Dizier après celles du général Lanskoï. Tels
sont les renseignements que Napoléon recueille en mettant pied à terre.
Ainsi sa première marche a surpris l'armée de Blücher au moment où elle
passait de Lorraine en Champagne, et l'a coupée en deux parties.

Continuerons-nous notre route sur la Lorraine pour tenir tête à
l'arrière-garde prussienne? ou bien, traversant les colonnes de Blücher,
pousserons-nous jusqu'à Chaumont et Langres, pour couper aussi la marche
du prince de Schwartzenberg? ou bien enfin redescendrons-nous vers
Troyes, pour nous mettre sur les traces du maréchal Blücher?

Napoléon s'arrête à ce dernier parti, qui doit prévenir la jonction des
Prussiens avec l'armée autrichienne; qui peut sauver Troyes, et qui,
dans tous les cas, va faire tomber nos premiers coups sur l'ennemi le
plus acharné.

Le chemin le plus court, de Saint-Dizier à Troyes, est par la forêt de
Der; mais c'est une traverse très difficile en tous temps, et dans
laquelle il n'est pas présumable qu'une armée s'engage au mois de
janvier. Puisque cette route est à la fois la plus courte et la moins
prévue, Napoléon la préfère. D'ailleurs le trajet de Saint-Dizier à
Brienne par la forêt n'est que de deux marches, et à Brienne on
retrouvera la chaussée; l'armée est fraîche et animée, l'artillerie est
bien attelée, et le temps promet de la gelée.

Dans la soirée du 27, les têtes de colonnes qui s'étaient avancées
au-delà de Saint-Dizier se replient. La nuit, l'armée passe la Marne;
et, continuant ce mouvement rétrograde, se jette à droite dans la forêt
du Der. On ne laisse à Saint-Dizier qu'une faible arrière-garde pour
couvrir notre marche; et des officiers sont envoyés à Arcis-sur-Aube au
duc de Trévise, pour qu'il revienne sur Troyes, et concoure ainsi avec
sa vieille garde au mouvement que l'armée va faire de ce côté.

Le 28, il ne gèle pas; il pleut, et l'armée a grande peine à continuer
sa route; mais la joie des habitants, qui se croient sauvés en voyant
nos troupes sur les pas de l'ennemi, fait diversion à ces premières
fatigues et soutient les espérances. Napoléon s'arrête au petit bourg
d'Éclaron, pendant que les sapeurs en rétablissent le pont; les
habitants l'entourent; ils ont pris des Cosaques dans la nuit, ils
remettent leurs prisonniers à nos troupes; ils portent tout ce qui leur
reste de provisions sur le passage du soldat, et de tous côtés ils
allument des feux pour le sécher. En s'éloignant de ces braves gens,
Napoléon leur accorde des fonds pour le rétablissement de leur église,
et donne la croix de la légion au chirurgien du pays, qui a fait la
campagne d'Égypte.

L'armée s'enfonce de plus en plus dans les boues de la forêt. On arrive
très tard à Montier-en-Der. Le quartier général s'y établit chez le
lieutenant-général Vincent, retiré dans cette ville depuis plusieurs
années.

Napoléon passe la nuit à recevoir les habitants des environs qui
viennent lui apporter des nouvelles de l'ennemi. Il lui en arrive de
toutes les directions. Un habitant de Chavange se distingue par tant de
zèle et d'intelligence, que Napoléon veut en faire un notaire, et crée
pour lui un second notariat dans le canton. De leurs différents rapports
il résulte que Blücher a été retenu à Brienne par la nécessité de
rétablir le pont de Lesmont-sur-l'Aube, et que son arrière-garde n'est
qu'à trois lieues de nous. Au point du jour, on reprend le chemin de
Brienne; et le 29, dès huit heures du matin, la cavalerie du général
Milhaud rencontre l'ennemi dans les bois de Maiziéres. On délogeait les
hussards prussiens de ce village, lorsque le curé s'en échappe et vient
se jeter à la botte de Napoléon, qui retrouve en lui un de ses anciens
maîtres de quartier du collége de Brienne. Napoléon le prend aussitôt
pour guide; Roustan le mameluck met pied à terre, et cède son cheval au
curé.

A mesure qu'on approche de Brienne, le combat s'engage plus vivement.

Le maréchal Blücher, averti de notre marche, avait réuni ses forces;
quelque diligence que nous eussions faite, il était déjà en
communication avec les Autrichiens par Bar-sur-Aube. Il voulait tenir
dans la position de Brienne jusqu'à leur arrivée; et, dans tous les cas,
il avait fait ses dispositions pour se ménager une retraite vers eux
s'il y était forcé... Il occupait fortement la colline sur laquelle la
ville de Brienne est bâtie; ses troupes d'élite étaient rangées sur les
belles terrasses du château qui dominent la ville; les Russes, commandés
par le général Alsufief, étaient chargés de défendre les rues basses de
Brienne.

C'est sur les terrasses du parc que notre attaque la plus vigoureuse se
dirige; le général Château, chef d'état major, et gendre du duc de
Bellune, conduit les troupes. Il enlève la position si vivement, que le
feld-maréchal Blücher et son état major ont à peine le temps d'en
sortir. Sur ces entrefaites, le contre-amiral Baste forçait l'entrée de
la ville basse, au pied de la montée du château; il y reçoit la mort;
ses troupes n'en soutiennent pas moins vigoureusement le combat. En
montant la rue du château, nos tirailleurs se trouvent tête à tête avec
un groupe d'officiers prussiens, qui descendaient en toute hâte dans la
ville; on fait main-basse sur plusieurs: dans le nombre des prisonniers
se trouve le jeune d'Hardemberg, neveu du chancelier de Prusse; et l'on
apprend par lui qu'il vient d'être pris au milieu de l'état major
général prussien, à côté du maréchal Blücher lui-même. Notre vieil
ennemi l'a échappé belle! Ce n'est pas la dernière faveur de ce genre
que la fortune lui réserve dans cette campagne.

Le gros de l'armée ennemie sort enfin de Brienne pour se porter, sur la
route de Bar-sur-Aube, à la rencontre des Autrichiens; mais
l'arrière-garde prussienne, qui reste maîtresse d'une partie de la
ville, s'obstine à reprendre le château. Nos troupes s'y défendent avec
la même obstination, et la nuit qui survient ne peut mettre fin au
combat.

Tandis que cette position nous était ainsi disputée, l'armée française
établissait ses bivouacs dans la plaine qui est entre Brienne et les
bois de Maizières. Nos convois d'artillerie filaient dans la grande
avenue, pour aller prendre les positions qui leur étaient assignées; et
Napoléon, après avoir donné ses derniers ordres, retournait par cette
même avenue à son quartier général de Maizières; il précédait ses aides
de camp de quelques pas, écoutant le colonel Gourgaud, qui lui rendait
compte d'une manoeuvre; les généraux de sa maison suivaient, enveloppés
dans leurs manteaux. Le temps était très noir, et, dans la confusion de
ce campement de nuit, on ne pouvait guère se reconnaître que de loin en
loin, à la lueur de quelques feux. Dans ce moment, une bande de
Cosaques, attirée par l'appât du butin et le bruit de nos caissons, se
glisse à travers les ombres du camp, et parvient jusqu'à la route. Le
général Dejean se sent pressé brusquement, il se retourne, et crie _Aux
Cosaques!_ En même temps il veut plonger son sabre dans la gorge de
l'ennemi qu'il croit tenir; mais celui-ci échappe, et s'élance sur le
cavalier en redingote grise qui marche en tête. Corbineau se jette à la
traverse; Gourgaud a fait le même mouvement, et, d'un coup de pistolet à
bout portant, il abat le Cosaque aux pieds de Napoléon. L'escorte
accourt, on se presse, on sabre quelques Cosaques; mais le reste de la
bande, se voyant reconnu, saute les fossés et disparaît.

Il est dix heures du soir quand Napoléon est de retour à Maizières. Le
prince de Neufchâtel arrive après tout le monde. On le ramène couvert de
boue: il était tombé dans un fossé. Le curé de Maizières était également
méconnaissable sous la boue qui couvrait sa soutane; il avait eu son
cheval tué d'une balle derrière Napoléon.

Le 30, à la pointe du jour, l'armée française se trouve entièrement
maîtresse de la position de Brienne, et les Prussiens sont en pleine
retraite sur Bar-sur-Aube.

Tandis que nos forces se concentrent à Brienne, le duc de Trévise, qui
est revenu à Troyes, a ordre de couvrir cette ville, en se portant en
avant sur la route de Vandoeuvres.

C'est dans ce moment que le duc de Bassano, parti de Paris quelques
jours après Napoléon, rejoint le quartier impérial[27]. On venait de se
loger au château de Brienne: cette belle habitation était saccagée; les
balles avaient cassé toutes les vitres; les souterrains servaient encore
de retraite aux principaux habitants, que le concierge y avait cachés.

[Note 27: Il est accompagné de MM. Monnier et Benoît, chefs de division
de la secrétairerie d'état.]

Napoléon, élevé à Brienne, ne peut échapper aux souvenirs que ce lieu
lui rappelle; il reconnaît les principaux points de vue de la campagne,
et les retrouve en proie aux désastres de la guerre: il cherche du
moins, à force de libéralités sur sa cassette, à soulager les nombreuses
infortunes qui l'environnent. La dévastation du château et l'incendie de
la ville l'affligent au-delà de toute expression. Le soir, retiré dans
son appartement, il fait le projet de rebâtir la ville; d'acheter le
château, d'y fonder, soit une résidence impériale, soit une école
militaire, soit l'une et l'autre: le sommeil vient le surprendre dans
les calculs et les illusions de ce projet!

Cependant, à la nouvelle du combat de Brienne, le prince Schwartzenberg
était accouru à Bar-sur-Aube avec toutes ses forces, et la jonction de
la grande armée autrichienne avec celle du maréchal Blücher venait de se
faire. D'un autre côté, le général York était venu précipitamment à
Saint-Dizier pour rétablir sa communication avec son général en chef.

Le 31 janvier, le prince Schwartzenberg et le maréchal Blücher font
avancer leurs armées réunies, et viennent présenter la bataille dans la
plaine qui est entre Bar-sur-Aube et Brienne. Il ne dépend guère de nous
de la refuser: le pont de Lesmont, qui doit être notre principal moyen
de retraite, est rompu; il a été coupé pour arrêter Blücher lorsqu'il
marchait sur Troyes: cet obstacle nous arrête à notre tour dans les
manoeuvres que nous voudrions faire pour repasser l'Aube. On demande
encore vingt-quatre heures pour achever de le rétablir: nos sapeurs
redoublent d'activité; mais, en attendant, il faut se préparer à
recevoir l'ennemi. Le reste de la journée se passe de part et d'autre en
dispositions.

Nous sommes enfin à la veille d'un événement décisif; mais combien le
début de la campagne est déjà différent de celui qu'on s'était promis!
Au moment où nous croyions surprendre Blücher, coupé de son
arrière-garde et réduit à moitié de ses forces, il nous échappe, trouve
le secours de la grande armée autrichienne, revient sur nous, et c'est
lui qui nous engage dans une bataille où nos cinquante mille hommes vont
en avoir au moins cent mille à combattre.

La bataille se donne le 1er février: sur notre gauche, à Morvilliers,
est le duc de Raguse; il a devant lui les Bavarois, qui arrivent de
Joinville. Entre le duc de Raguse et le centre est le corps du duc de
Bellune, qui occupe Chaumenil et la Gibérie; il combat contre les
Wurtembergeois et le corps de Sacken.

La jeune garde impériale est au centre, à la Rothière; les troupes
d'élite du maréchal Blücher et de l'armée autrichienne, ainsi que la
garde russe, lui sont opposées.

Enfin sur notre droite, vers la rivière, est le corps du général Gérard,
qui défend le village de Dienville contre les attaques du corps
autrichien de Giulay.

Nos troupes ne sont pour la plupart que de nouvelles levées, conduites
par des vétérans; mais partout elles soutiennent le combat avec
intrépidité. C'est au centre, vers la Rothière, qu'on est le plus
acharné; Napoléon y commande, les souverains alliés y sont aussi. La
nuit seule met fin à l'action, et retrouve notre armée à peu près dans
les mêmes positions qu'elle occupait le matin; mais nous n'avons pu
enlever la victoire: l'ennemi a une supériorité marquée; plus d'audace
le rendrait entièrement maître du champ de bataille.

A huit heures du soir Napoléon revient au château, et de là il ordonne
la retraite sur Troyes par le pont de Lesmont, dont la réparation est à
peine terminée. Tandis que l'armée effectue ce mouvement à la faveur de
l'obscurité, Napoléon n'est pas sans crainte que l'ennemi, profitant de
ses avantages, ne fasse une attaque de nuit et ne vienne mettre de la
confusion dans nos marches. A chaque instant il demande s'il n'y a rien
de nouveau; il va lui-même à la fenêtre, d'où l'oeil domine sur toute la
ligne des bivouacs du champ de bataille. Les coups de fusil avaient
entièrement cessé; nos feux brûlaient tels que nous les avions allumés à
la fin de la bataille; l'ennemi ne faisait aucun mouvement; les collines
dont le rideau couvre la vallée de l'Aube, en arrière de Brienne,
masquaient parfaitement notre retraite, et ce n'est que le lendemain à
la pointe du jour que l'ennemi reconnaît l'abandon de nos lignes.
Napoléon avait quitté le château de Brienne à quatre heures du matin.

       *       *       *       *       *



CHAPITRE III.

RETRAITE DE L'ARMÉE FRANÇAISE.--CONDITIONS DICTÉES PAR LE CONGRÈS.

(Commencement de février 1814.)


Le 2 février, à onze heures du matin, l'armée française avait repassé
l'Aube; et le pont de Lesmont, coupé encore une fois, nous séparait de
l'ennemi; mais le duc de Raguse, resté sur l'autre rive pour protéger
notre mouvement, se trouvait dans une situation difficile. Le général
Wrède, à la tête des Bavarois, s'était chargé de le tourner et de lui
couper toute retraite: c'est la même entreprise, la même manoeuvre, le
même ennemi qu'à Hanau. Ce souvenir de Hanau ranime le courage des
troupes françaises: elles trouvent l'ennemi barrant le passage de la
Voire au village de Rosnay; le duc de Raguse met aussitôt l'épée à la
main; à sa voix, les braves s'élancent la baïonnette en avant; et tout
le corps d'armée passe sur le ventre des vingt-cinq mille Bavarois! Si,
de temps à autre, la muse de l'histoire croit devoir arracher quelques
feuillets de son livre, qu'elle conserve du moins pour l'honneur du duc
de Raguse la page où le combat de Rosnay se trouve inscrit! Cette
journée suffira pour justifier la confiance que Napoléon mettait dans
l'intrépidité de Marmont.

Tandis que ce maréchal effectue victorieusement sa retraite par la rive
droite de l'Aube vers Arcis, le gros de l'armée continue la sienne par
la rive gauche, sur la grande route de Troyes.

On couche au village de Piney. Le 3, de bonne heure, l'armée arrive à
Troyes: la vieille garde, commandée par le duc de Trévise, est sortie de
la ville pour venir au-devant de nous; elle prend position sur la route,
devient notre arrière-garde, et d'une main ferme arrête l'ennemi au
moment où il croyait entrer derrière nous dans Troyes.

Napoléon loge au centre de la ville, dans la maison d'un négociant nommé
Duchâtel-Berthelin: il y trouve quelques moments de repos dont il
profite pour lire ses courriers.

Depuis le départ de Paris, on n'avait pas encore envoyé de bulletin de
l'armée; l'espérance de débuter par une victoire avait fait différer le
départ des nouvelles jusqu'après l'issue de la marche entreprise contre
le maréchal Blücher. On ne peut plus retarder cet envoi davantage mais
la chance a tourné de telle manière que c'est le récit de la bataille
perdue à Brienne qui commence la série des bulletins de cette campagne.
Les premiers courriers qui partent de Troyes pour Paris en sont
porteurs.

Moins les événements militaires étaient favorables, plus on désirait
avoir des nouvelles du duc de Vicence: on en reçoit enfin; le congrès va
se tenir à Châtillon-sur-Seine, il doit s'ouvrir le 4 février: le comte
Stadion y représentera l'Autriche; le comte Razumowski, la Russie; le
baron de Humboldt, la Prusse; et lord Castlereagh, l'Angleterre. De
combien de délais cette forme de négociation nous menace encore!
Napoléon voudrait les abréger; il apprend que le sieur La Besnardière,
premier commis des affaires étrangères, arrive de Paris et va rejoindre
le ministre à Châtillon; il profite aussitôt de cette occasion pour
faire connaître au duc de Vicence les modifications que le mauvais début
de la campagne doit apporter à ses instructions. M. de La Besnardière se
remet en route dans l'après-midi même du 3 février; le 5, de nouvelles
instructions sont encore envoyées à Châtillon: ce dernier courrier porte
_définitivement carte blanche_ au duc de Vicence. Napoléon lui donne
tout pouvoir _pour conduire la négociation à une heureuse issue, sauver
la capitale et éviter une bataille où sont les dernières espérances de
la nation._

Les seules nouvelles de l'intérieur qui soient un peu rassurantes
viennent des bords de la Saône. Les Lyonnais ont fait bonne contenance
devant les troupes que le général autrichien Bubna avait fait avancer
jusqu'aux barrières de la ville; ils ont donné le temps à nos troupes du
Dauphiné d'arriver à leur secours, et l'armée autrichienne s'est repliée
sur la Bresse.

Après avoir donné au repos de l'armée les journées du 3, du 4 et du 5
février, Napoléon se décide à évacuer Troyes: les vieilles murailles de
cette ancienne capitale de la Champagne, et les nombreux canaux entre
lesquels la Seine y divise son cours, nous offraient à la vérité de
grands moyens pour tenir tête à l'ennemi; mais les alliés pouvaient
tourner cette position, et s'avancer de toutes parts sur Paris. Le temps
devenait trop précieux pour le perdre en opérations défensives; et une
résistance obstinée sur ce point pouvait n'avoir d'autres résultats que
l'incendie et la ruine de Troyes, dont toutes les maisons sont en bois.
D'ailleurs, les secours attendus des Pyrénées approchaient: la première
division, commandée par le général Leval, devait être le 8 à Provins: en
continuant sa retraite pour se rapprocher de Paris, l'armée allait en
même temps au-devant d'un précieux renfort.

Jusqu'au dernier moment, nos troupes ont fait une telle contenance en
avant de Troyes, que l'ennemi croit devoir se préparer à une seconde
bataille. Le corps de Lichtenstein, qui s'était avancé le 3 jusqu'au
pont de Cléry, y avait été battu par le duc de Trévise; le 4 février,
les généraux Colloredo, Nostiz et Bianchi, avaient été repoussés dans
une attaque qu'ils avaient risquée contre les ponts de la Barce; le
général Colloredo y avait été blessé. Enfin, le 5 février, Napoléon
ayant fait faire au-delà de la Barce une forte démonstration pour donner
le change à l'ennemi sur le mouvement de retraite que nous devions faire
le lendemain, les alliés avaient cru voir toute l'armée française
débouchant pour reprendre l'offensive; ils avaient aussitôt reculé d'une
marche, et leur quartier général, établi le 4 à Lusigny près
Vandoeuvres, avait été reporté, le 5 au soir, à Bar-sur-Aube.

Cette vigueur dans de simples opérations d'avant-poste est remarquable
après une bataille perdue. Ceux qui ont porté à quatre mille prisonniers
et à soixante-neuf pièces de canon les trophées de l'ennemi à Brienne,
et jusqu'à vingt mille le nombre des déserteurs de l'armée française
dans cette retraite, ont-ils réfléchi que plus ils exagéraient nos
pertes, plus ils augmentaient la gloire des chefs qui savaient lutter
avec cette énergie contre de telles circonstances?

Le 6, l'armée quitte Troyes et prend la route de Paris: après son
départ, les autorités municipales ne tiennent leurs portes fermées que
le temps nécessaire pour obtenir de l'ennemi la garantie d'une
capitulation.

Napoléon couche au hameau des Grès, qui est à moitié chemin de Troyes à
Nogent.

L'abandon de Troyes et la prolongation de notre retraite dissipaient nos
dernières espérances: le soldat marchait dans une tristesse morne qu'on
ne saurait décrire. _Où nous arrêterons-nous?_ Cette question était dans
toutes les bouches.

Le 7, on arrive à Nogent: on fait créneler les maisons qui donnent sur
la campagne; on prépare ce qu'il faut pour faire sauter le pont si l'on
est forcé dans la ville; en peu d'heures, Nogent est mis à l'abri d'un
coup de main. Pour plus de célérité, Napoléon a fait, de sa cassette,
l'avance des fonds nécessaires aux travaux. Dans cette position, on
s'arrête pour disputer le passage de la Seine au prince Schwartzenberg.

Les courriers qui viennent nous rejoindre à Nogent continuent
d'apporter des nouvelles défavorables: du côté du nord, les ennemis ont
occupé Aix-la-Chapelle et Liége, aussitôt après le départ du duc de
Tarente; l'armée anglo-prussienne bloque Anvers, mais le général Carnot
est arrivé à temps pour en prendre le commandement: il y est entré le 2
février, au moment où les portes se fermaient devant l'ennemi. Le
général Bulow, après avoir tenté une vaine attaque sur la place, y a
laissé en observation les Anglais et les Saxons; avec ses Prussiens et
ses Russes, il s'avance sur la Flandre: le 2, son avant-garde est entrée
à Bruxelles; la Belgique est perdue. Le général Maison effectue sa
retraite sur notre ancienne frontière.

Les lettres de Paris, et les aides de camp du duc de Tarente, viennent
annoncer un danger encore plus pressant: c'est la marche du maréchal
Blücher, qui s'avance sur la capitale par la grande route de Châlons.

Après la bataille de Brienne, Blücher s'est aussitôt séparé de l'armée
autrichienne; il a rallié à lui, entre Arcis-sur-Aube et Châlons, les
diverses parties de son armée, dont il avait été un moment coupé par
notre excursion de Saint-Dizier; et, toutes ses forces réunies, il s'est
chargé de descendre la Marne, tandis que les Autrichiens descendront la
Seine. Le général York est entré à Châlons le 5 février. Le corps du duc
de Tarente s'y trouvait, arrivant du pays de Liége; mais ce maréchal,
poussé par toute l'armée prussienne, n'avait pu opposer qu'une faible
résistance. Il se retirait sur Épernay, sans prévoir où il pourrait
s'arrêter, et demandait des ordres et des secours. Ainsi l'ennemi est
maître de Châlons et peut-être d'Épernay.

Ces nouvelles ajoutent à la stupeur qui s'est emparée des esprits;
Napoléon lui-même ne paraît pas inaccessible à l'inquiétude générale.
C'est dans ce moment qu'il reçoit de Châtillon le protocole du 7,
contenant[28] les conditions que les alliés prétendent lui dicter; elles
ne se ressentent que trop de l'influence des événements de Brienne. «Les
alliés disconviennent des bases proposées à Francfort... Pour obtenir la
paix, il faut rentrer dans les anciennes limites de la France.»

[Note 28: Voir au Supplément de la seconde partie, nº 14.]

Napoléon, après avoir lu ses dépêches, se renferme dans sa chambre et
garde le plus morne silence. Le prince de Neufchâtel et le duc de
Bassano arrivent jusqu'à lui, il leur tend le papier qu'on lui envoie de
Châtillon; ils lisent: un nouveau silence succède à cette pénible
lecture. Cependant il faut une réponse pour le duc de Vicence, les
alliés la demandent catégorique et prompte; le courrier l'attend!
Napoléon persistant à ne faire aucune réponse, le prince de Neufchâtel
et le duc de Bassano réunissent leurs instances; l'oeil humide, ils
parlent de la nécessité de céder... Napoléon est enfin forcé de
s'expliquer. «Quoi! leur dit-il avec vivacité, vous voulez que je signe
un pareil traité, et que je foule aux pieds mon serment[29]! Des revers
inouïs ont pu m'arracher la promesse de renoncer aux conquêtes que j'ai
faites; mais que j'abandonne aussi celles qui ont été faites avant moi;
que je viole le dépôt qui m'a été remis avec tant de confiance; que,
pour prix de tant d'efforts, de sang et de victoires, je laisse la
France plus petite que je ne l'ai trouvée: jamais! Le pourrais-je sans
trahison ou sans lâcheté?... Vous êtes effrayés de la continuation de la
guerre, et moi je le suis de dangers plus certains que vous ne voyez
pas. Si nous renonçons à la limite du Rhin, ce n'est pas seulement la
France qui recule, c'est l'Autriche et la Prusse qui s'avancent!... La
France a besoin de la paix; mais celle qu'on veut lui imposer entraînera
plus de malheurs que la guerre la plus acharnée! Songez-y. Que serai-je
pour les Français quand j'aurai signé leur humiliation? Que pourrai-je
répondre aux républicains du sénat, quand ils viendront me redemander
leurs barrières du Rhin!... Dieu me préserve de tels affronts!...
Répondez à Caulaincourt, puisque vous le voulez; mais dites-lui que je
rejette ce traité. Je préfère courir les chances les plus rigoureuses de
la guerre!»

[Note 29: Le serment que Napoléon avait prononcé à son couronnement
était ainsi conçu: «Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la
république... et de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur
et de la gloire du peuple français.» (Art. 53 du sénatus-consulte du 28
floréal an XII.)]

Après ce premier mouvement, Napoléon se jette sur un lit de camp, le duc
de Bassano reste auprès de lui, il passe une partie de la nuit debout, à
son chevet; et, profitant d'un moment plus calme, il obtient enfin la
permission d'écrire au duc de Vicence dans des termes qui lui permettent
de continuer la négociation[30].

[Note 30: Napoléon était à Nogent-sur-Seine: le grand maréchal Bertrand
et le duc de Bassano, qui se trouvaient près de lui, le pressèrent
d'accéder à la demande du duc de Vicence, en le laissant toutefois libre
de s'écarter de ses instructions, et d'user de la carte blanche qui lui
avait été donnée. Napoléon, rentré dans son cabinet, eut, avec son
ministre, une conférence qui dura fort avant dans la nuit. Il fut décidé
qu'on ne devait pas hésiter à abandonner la Belgique, et même la rive
gauche du Rhin, si l'on ne pouvait avoir la paix qu'à ce prix; mais que,
s'il était possible de traiter au moyen d'une seule de ces concessions,
il fallait commencer par l'abandon de la Belgique, quelque désir qu'eût
Napoléon de conserver cette belle province, parce que les ministres
anglais, dont le but principal aurait été atteint, pourraient craindre
d'exposer un résultat aussi national pour eux, en soutenant les autres
concessions qui seraient demandées, et que, d'un autre côté, dans des
temps plus prospères, on pourrait reprendre la Belgique, en ne
s'exposant qu'à une guerre maritime qui ne compromettrait pas le sort de
l'empire, tandis qu'on ne tenterait pas de reconquérir la rive gauche du
Rhin sans exciter une guerre continentale. Les instructions du
plénipotentiaire furent rédigées dans ce sens: offrir d'abord l'abandon
de la Belgique, ensuite celui de la rive gauche du Rhin, s'il était
reconnu indispensable. L'Italie, le Piémont, Gênes, l'état de possession
à établir en Allemagne, même les colonies, étaient des sacrifices faits
d'avance.]

Au surplus, Napoléon veut que les conditions de l'ennemi soient envoyées
à Paris; que tous les membres du conseil privé se réunissent pour en
prendre communication; que chacun donne son avis motivé, et qu'un procès
verbal recueille avec soin toutes les opinions.



CHAPITRE IV.

SECONDE EXPÉDITION CONTRE LE MARÉCHAL BLÜCHER.--COMBAT DE
CHAMPAUBERT.--BATAILLE DE MONTMIRAIL.--COMBAT DE CHÂTEAU-THIERRY ET DE
VAUCHAMPS.

(Du 9 au 15 février.)


La marche de Blücher à travers la Champagne avait jeté l'alarme dans la
capitale. D'heure en heure, les estafettes les plus inquiétantes
arrivaient de Paris. Blücher était entré dans la Brie champenoise; il
s'avançait à marches forcées; le duc de Tarente se retirait sur la
Ferté-sous-Jouarre; les fuyards arrivaient à Meaux.

Cette audacieuse incursion de l'ennemi ranime Napoléon; il veut du moins
faire payer cher aux Prussiens leur témérité, et il prend la résolution
de tomber sur leurs flancs à l'improviste. Napoléon était encore étendu
sur ses cartes, les parcourant le compas à la main, lorsque le duc de
Bassano se présente avec les dépêches qu'il a passé le reste de la nuit
à préparer pour Châtillon. «Ah! vous voilà, lui dit Napoléon. Il s'agit
maintenant de bien d'autres choses! Je battais Blücher de l'oeil; et je
le tiens s'il avance par la route de Montmirail: je pars; je le battrai
demain, je le battrai après-demain; si ce mouvement a le succès qu'il
doit avoir, l'état des affaires va entièrement changer, et nous verrons
alors! En attendant, laissez Caulaincourt avec les pouvoirs qu'il a.»

Aucune route de poste n'établit de communication entre la grande route
de Troyes, où se trouve l'armée française, et celle de Châlons, que les
troupes du maréchal Blücher parcourent avec tant d'assurance. Les vastes
plaines de la Brie champenoise séparent ces deux avenues de la capitale;
et de Nogent à Montmirail, par Sezanne, on ne compte pas moins de douze
grandes lieues de traverse, que les gens du pays s'accordent à regarder
comme très difficiles en cette saison. Un tel obstacle n'est pas
suffisant pour arrêter Napoléon. Il laisse à Nogent le général Bourmont,
sous les ordres du duc de Bellune; il laisse au pont de Bray-sur-Seine
le duc de Reggio; il leur recommande de retenir les Autrichiens le plus
long-temps qu'ils pourront au passage de la Seine; et aussitôt se
dérobant, avec l'élite de l'armée, derrière le rideau que forme notre
arrière-garde, il entreprend sa seconde expédition contre l'armée
prussienne. Dès le 8 au soir, la garde impériale avait fait une marche
vers Villenoxe; le 9, Napoléon part de Nogent, et va coucher, avec le
gros de ses troupes, à Sezanne.

Ce soir même, nos coureurs rencontrent quelques cavaliers prussiens sur
les bords de la rivière du Petit-Morin, entre Sezanne et Champaubert.

Les nouvelles des habitants sont que le duc de Tarente est en retraite
sur Meaux; que les Prussiens couvrent les routes depuis Châlons jusqu'à
la Ferté et au-delà; qu'ils marchent dans une sécurité parfaite.

Nous n'avons plus que quatre lieues à faire pour les surprendre! mais
les coups de sabre qu'on vient de se donner aux avant-postes peuvent
avoir averti l'ennemi; l'escarpement de la vallée du Petit-Morin, les
marais de Saint-Gond, les bois et les défilés qui s'y trouvent, vont
peut-être offrir de grands obstacles à une armée embourbée, que
l'artillerie ne peut rejoindre... La vivacité et la hardiesse de notre
mouvement maîtrisent les hasards qui nous auraient été défavorables.
Nous ne trouvons devant nous qu'un petit corps de troupes, qui se garde
mal, et qui a pris nos sabreurs de la veille pour des maraudeurs
égarés.

Cependant le duc de Raguse, qui commande l'avant-garde, a trouvé les
chemins trop mauvais: il revient sur ses pas.........................
Napoléon le force aussitôt à recommencer son mouvement; on requiert des
chevaux de tous côtés, on double les attelages, et la volonté du maître
s'exécute...

Le 10 au matin, le duc de Raguse passe les défilés de Saint-Gond sous
les yeux de Napoléon, et enlève à l'ennemi le village de Baye. Dans
l'après-midi, l'armée parvient au village de Champaubert, débouche sur
la grande route de Châlons, et y bat à plate couture les colonnes que le
général Alsufief (le même qui défendait Brienne) a ralliées trop tard
contre nous. La déroute est telle que les forces de l'ennemi se
séparent: les uns fuient du côté de Montmirail, et sont poursuivis par
la cavalerie du général Nansouty, les autres fuient sur Étoges et
Châlons, et sont poursuivis par le duc de Raguse.

Maître de Champaubert, Napoléon s'y loge dans une chaumière qui est sur
la route, au coin de la grande rue du village. C'est là qu'on lui amène
les généraux ennemis qui viennent d'être pris: il les fait dîner avec
lui.

Depuis l'ouverture de la campagne nous avions toujours été malheureux;
avec quelle joie nous voyons enfin briller sur nos armes cette première
lueur de succès! Napoléon sent renaître bien des espérances. L'armée
prussienne, coupée encore une fois dans sa marche, n'oppose plus que
deux tronçons dont il compte tirer bon parti; et déjà il craint que le
duc de Vicence, usant de la latitude que lui donnent les pouvoirs qui
lui ont été expédiés de Troyes, ne mette trop d'empressement à signer le
traité. Il lui fait écrire qu'un changement brillant est survenu dans
nos affaires, que de nouveaux avantages se préparent, et que le
plénipotentiaire de la France peut prendre au congrès une attitude moins
humiliée.

Le maréchal Blücher, de sa personne, n'avait pas encore dépassé
Champaubert; il était avec son arrière-garde aux Vertus, entre nous et
Châlons. Le duc de Raguse reste chargé de le contenir, tandis que
Napoléon va se mettre sur les traces des généraux York et Sacken, qui
sont entre nous et la capitale.

C'était à qui seraient les premiers à Paris, des soldats de Blücher, et
de ceux de Schwartzenberg. Les Prussiens s'efforçaient de prendre les
devants sur tous; déjà le général York voyait les clochers de Meaux. Le
général russe Sacken, qui le soutenait, était à la Ferté. Deux marches
encore, et ils bivouaquaient au pied de Montmartre! Tout-à-coup les
Prussiens s'arrêtent; les Russes les rappellent à grands cris; la
nouvelle du combat de Champaubert leur est arrivée avec la rapidité de
la foudre; et toutes ces colonnes, reployées en grande hâte les unes sur
les autres, ne pensent plus qu'à se rouvrir un passage vers leur général
en chef. Notre armée, qui s'avançait au-devant d'elles, les rencontre le
11 au matin; notre avant-garde sortait de Montmirail par la route de
Paris; elle les arrête, et le combat s'engage aussitôt: il est sanglant.
A trois heures après midi le duc de Trévise, qui était resté en arrière
avec la vieille garde, rejoint l'armée par la route directe de Sezanne à
Montmirail. Napoléon ordonne alors une attaque générale et décisive. A
droite de la route, en regardant Paris, le maréchal Ney et le duc de
Trévise se mettent à la tête de la garde, et enlèvent la ferme des
Grénaux[31], autour de laquelle l'ennemi s'était établi en force; à
gauche, le général Bertrand et le duc de Dantzick vont mettre fin au
combat que le général Ricard soutient depuis le commencement de la
bataille au village de Marchais. Les Russes et les Prussiens renoncent
alors au projet de forcer le passage par Montmirail; ils se retirent à
travers champs sur Château-Thierry, dans l'espoir de rentrer en
communication avec le maréchal Blücher par la seconde route de Châlons,
qui côtoie la Marne.

[Note 31: Le bulletin dit: «La ferme de l'Épine-aux-Bois;» c'est une
erreur qui a été vérifiée. _La ferme des Grénaux_ autour de laquelle on
s'est tant battu, et où Napoléon a couché, appartenait à M. Paré, ancien
ministre de l'intérieur.]

Napoléon couche sur le champ de bataille, dans cette même ferme des
Grénaux où le combat a été si opiniâtre. Les valets de pied enlèvent les
morts de deux petites pièces où le quartier impérial s'établit; et ce
qui reste de paille et d'abri dans cette ruine est consacré à
l'ambulance.

Le 12, on poursuit les vaincus; notre cavalerie les disperse et les
sabre jusque dans les avenues de Château-Thierry; on leur coupe la
retraite sur laquelle ils comptaient par la route de Châlons: ils n'ont
alors d'autre parti à prendre que de se jeter dans la ville. Ils veulent
couper le pont, afin de mettre la Marne entre eux et nous; mais nos
troupes pénètrent pêle-mêle avec eux dans le faubourg de
Château-Thierry. Le duc de Trévise les poursuit au-delà du pont, sur la
route de Soissons. Pendant le combat, Napoléon arrive sur les hauteurs
qui dominent la vallée; il y passe la nuit dans une petite maison de
campagne isolée, qui dépend du village de Nesle.

Le 13 au matin, Napoléon descend à Château-Thierry, et prend son
logement dans le faubourg de Châlons, à l'auberge de la poste. Sept
Prussiens s'étaient cachés dans cette maison; on en trouve six; le
septième, blotti dans un grenier à linge, n'a été découvert que trois
jours après le départ du quartier impérial.

Les alliés s'étaient horriblement conduits à Château-Thierry; aussi,
dans leur retraite, l'acharnement des habitants contre eux était-il
extrême. La joie d'être délivrés, la présence presque magique de
Napoléon au milieu d'eux, tandis qu'ils le croyaient du côté de Troyes,
le tumulte du combat qui venait de se livrer dans les rues de la ville,
la confusion inséparable de tels événements, toutes ces circonstances
avaient jeté dans l'esprit des habitants une exaltation qui tenait du
délire: les hommes ne parlaient que par imprécations et par menaces; les
femmes riaient et pleuraient à la fois; on en a vu, dit-on, sacrifiant à
leur vengeance des blessés prussiens tombés sur le pont, et les jetant à
la rivière.

Les récits qu'on fait à Napoléon se ressentent de cette émotion
générale; ils sont fort exagérés. L'ignorance de la langue allemande, et
des marques distinctives des grades chez l'ennemi, ajoute encore aux
méprises; chacun, dans la déroute qu'il a vue sur le pont, voit encore
la destruction totale des alliés; chacun, dans sa liste particulière des
morts et des blessés, transforme innocemment les capitaines en colonels,
les colonels en généraux; et quiconque a logé un général blessé n'hésite
pas, d'après la consommation des domestiques, à croire que c'est le
général en chef.

Débarrassé pour le moment de cette partie de l'armée prussienne,
Napoléon songe aussitôt à se retourner contre l'autre, qu'il a laissée
entre Champaubert et Châlons. Le maréchal Blücher, contenu de ce côté,
avait appelé à son secours les corps de Kleist et de Langeron, que de
nouvelles troupes avaient relevés devant Mayence et devant les places de
la Lorraine; le duc de Raguse ne pouvait plus barrer le chemin à des
forces aussi disproportionnées.

Dans l'après-midi du 13, l'armée quitte Château-Thierry pour aller
rétablir l'équilibre de ce côté. Napoléon reste encore quelques heures
sur la Marne; il donne ses dernières instructions au duc de Trévise, qui
est sur la route de Soissons, poursuivant dans cette direction les
fuyards des corps de Sacken et d'York; il fait compléter l'armement des
gardes nationales de la vallée avec les fusils prussiens, dont les
routes sont couvertes; des officiers sont détachés pour réunir ces
braves gens en partisans; d'autres ont ordre d'établir des postes
d'observation le long de la rivière jusqu'à Épernay; des travaux
défensifs sont tracés à Château-Thierry, sur les hauteurs de l'ancien
château, qui dominent le pont; enfin, le brave général Vincent reste
chargé du commandement de cet arrondissement. Après avoir ainsi pourvu à
la défense de la Marne, Napoléon monte à cheval à minuit, pour suivre le
mouvement de sa garde, et rejoindre le duc de Raguse. Les demandes de
secours deviennent d'heure en heure plus pressantes de la part de ce
maréchal; il vient d'évacuer la position de Champaubert, et recule
encore.

Le 14 au matin, le maréchal Blücher était au moment d'arriver à
Montmirail, lorsque le duc de Raguse fait faire tout-à-coup volte-face à
son corps d'armée, et prend position dans la plaine de Vauchamps. Nos
troupes de Château-Thierry arrivaient; bientôt l'ennemi aperçoit
derrière le duc de Raguse toute l'armée française se déployant pour
livrer bataille. A huit heures du matin, les cris des soldats signalent
la présence de l'empereur lui-même, et la bataille commence.

Dans le premier moment, le maréchal Blücher avait voulu éviter le
combat; mais il n'était plus temps. En vain sa retraite est protégée par
d'habiles manoeuvres d'infanterie; les charges de notre cavalerie
culbutent tous les carrés qui nous sont opposés; chaque pas rétrograde
accélère la retraite de l'ennemi, et bientôt ce n'est plus qu'une fuite.
Dans la soirée, le maréchal Blücher, enveloppé plusieurs fois avec son
état major, ne parvient à se dégager qu'à coups de sabre, et ne nous
échappe qu'à la faveur de l'obscurité, qui n'a pas permis de le
reconnaître. Le duc de Raguse le poursuit toute la nuit.

Du champ de bataille de Vauchamps, Napoléon revient coucher au château
de Montmirail.

Six jours se sont à peine écoulés depuis qu'il a quitté Nogent; mais le
prince de Schwartzenberg, mettant à profit son absence, est parvenu à
passer la Seine; il est urgent de revenir de ce côté. Napoléon abandonne
donc les Prussiens aux ducs de Trévise et de Raguse; il se fait suivre
par son infatigable garde, et par le corps d'armée du duc de Tarente.
Tandis qu'on va chercher du côté de Meaux une route pavée qui nous
ramène plus facilement dans la vallée de la Seine, des officiers
d'ordonnance courent à franc étrier prévenir les ducs de Bellune et de
Reggio que le lendemain 16 Napoléon débouchera derrière eux par
Guignes.

Le quartier impérial arrive en effet le 15 au soir à Meaux, mais très
tard; et l'on ne s'établit que pour quelques heures à l'évêché.

Depuis le départ de Troyes, la rapidité des opérations militaires
n'avait pas permis d'envoyer à Paris des nouvelles officielles; la
proximité où l'on se trouve de la capitale permet de rendre aux
communications toute leur activité. On en profite pour expédier dans la
nuit les trois bulletins de cette glorieuse semaine; et bientôt on les
fait suivre par une colonne de huit mille prisonniers russes et
prussiens, que tout Paris voit défiler sur les boulevards.



CHAPITRE V.

RETOUR SUR LA SEINE.--COMBATS DE NANGIS ET DE MONTEREAU.--POURSUITE DES
AUTRICHIENS JUSQU'AU DELA DE TROYES.

(Du 16 au 23 février.)


Ces victoires, ces convois de prisonniers, ne peuvent plus rassurer les
Parisiens; de nouveaux sujets d'alarmes occupent les esprits. C'est
maintenant la grande armée autrichienne qu'on redoute: jamais
inquiétudes n'ont été mieux fondées.

L'armée de Schwartzenberg, après avoir forcé les ponts de Nogent, de
Bray et de Montereau, s'avançait sur Nangis. Les Bavarois du général
Wrède, et les Russes du général Vitgenstein formaient l'avant-garde
ennemie qui entrait dans la Brie; de l'autre côté de la Seine, Sens,
malgré la belle résistance du général Alix, avait été forcé. Le corps
autrichien de Bianchi marchait sur Fontainebleau, et les Cosaques de
Platow répandaient la désolation entre l'Yonne et la Loire.

Le 16 au matin, Napoléon quitte Meaux et se dirige sur Guignes, à
travers la Brie, par le chemin de Crécy et de Fontenay. Cette route est
couverte aussitôt de charrettes sur lesquelles les habitants des
villages voisins font doubler les étapes à nos soldats harassés. Le
bruit du canon se fait entendre du côté vers lequel on marche, et
redouble les efforts qu'on fait pour arriver. Notre artillerie court la
poste.

Depuis midi l'on se bat dans la plaine de Guignes. Les ducs de Bellune
et de Reggio, poussés toujours par l'ennemi, lui opposaient toujours la
plus vive résistance, cherchant à conserver jusqu'au soir le chemin de
Chaulnes, par lequel Napoléon a promis d'arriver; mais lorsque les têtes
de nos colonnes se présentent à Chaulnes, elles y trouvent les
tirailleurs de l'ennemi. Les bagages, pour parvenir plus sûrement
jusqu'à Guignes, sont forcés de faire un détour, et de descendre la
petite rivière d'_Yeres_ jusqu'au pont des _Seigneurs_; une heure plus
tard, la jonction de nos forces eût été compromise.

L'arrivée de Napoléon rend à l'armée de la Seine toute son énergie.

Dans cette première soirée, on se contente d'arrêter les alliés devant
Guignes; le quartier impérial passe la nuit dans ce village, toutes les
troupes qui le suivent défilent jusqu'au jour; et au même moment les
dragons du général Treillard, tirés de l'armée d'Espagne, se présentent
par la route de Paris; ce renfort de cavalerie ne pouvait arriver plus à
propos.

Pendant la nuit, les courriers se multiplient pour porter à Paris des
nouvelles rassurantes; ils entrent dans les faubourgs, escortés d'une
foule de curieux que l'inquiétude avait réunis à Charenton, autour des
voitures du grand parc; car les gros équipages du duc de Bellune et du
duc de Reggio avaient été poussés jusqu'à cette dernière position!

Le 17 au matin, toute l'armée quitte Guignes et se reporte en avant; par
la vigueur du choc, les alliés apprennent que Napoléon est de retour, et
tout cède à l'impulsion que donne sa présence. L'infanterie du général
Gérard, l'artillerie du général Drouot, la cavalerie de l'armée
d'Espagne, font des merveilles. Les colonnes de l'ennemi sont culbutées
les unes sur les autres, et leur déroute couvre les chemins de morts et
de débris, depuis Mormans jusqu'à Provins.

Les Russes se retirent sur Nogent, poursuivis par le duc de Reggio et le
comte de Valmy; le duc de Tarente poursuit l'ennemi dans la direction de
Bray, le général Gérard pousse les Bavarois l'épée dans les reins par
delà Villeneuve-le-Comte et Donne-Marie; enfin, le duc de Bellune
s'avance dans la direction de Montereau, avec ordre de s'emparer le soir
même du pont... La garde impériale bivouaque autour de Nangis.
L'empereur couche au château.

Dans la soirée, le prince de Neufchâtel vient lui annoncer qu'un
officier autrichien se présente de la part du prince de Schwartzenberg.
C'est le comte de Parr: sa mission a pour objet d'obtenir une suspension
des hostilités, et il attend réponse aux avant-postes. Napoléon,
encouragé par les avantages militaires qu'il vient d'obtenir, conçoit
l'espoir d'échapper enfin aux lenteurs d'un congrès; l'envoi d'une
lettre de l'impératrice à son père, et cette mission du comte de Parr,
lui offrent l'occasion d'écrire lui-même directement à l'empereur
d'Autriche: il la saisit. Le conseil privé, consulté à Paris sur les
propositions de Châtillon, a été unanimement de l'avis de s'y
soumettre[32]; mais Napoléon croit que le moment est venu de mettre de
côté des prétentions que notre échec de Brienne a pu seul inspirer aux
alliés. Dans cette lettre qu'il écrit lui-même de Nangis à l'empereur
d'Autriche, il parle vivement du désir qu'il a d'entrer promptement en
accommodement; mais il fait entendre qu'après les changements favorables
survenus dans l'état de ses affaires, il compte bien être traité sur des
bases plus conciliantes que celles qui ont été posées à Châtillon.
Napoléon fait écrire en même temps au duc de Vicence que, quand on lui a
donné carte blanche, c'était pour sauver la capitale, et que Paris est
sauvé; que c'était aussi pour éviter une bataille, mais que cette
bataille a eu lieu; qu'ainsi ses pouvoirs extraordinaires n'ont plus
d'objet, qu'on les révoque, et que désormais la négociation devra suivre
la marche ordinaire.

[Note 32: A une seule voix près, celle du comte Lacuée de Cessac, ancien
ministre de l'administration de la guerre.]

On voit que toutes les pensées de Napoléon se sont tournées entièrement
vers la négociation directe qu'il venait d'entamer avec son beau-père...
De nouveaux succès militaires vont encore ajouter à ses espérances...

Le 18 au matin, Napoléon, apprenant que le pont de Montereau n'est pas
encore occupé par le duc de Bellune, se porte aussitôt de ce côté; les
gardes nationales bretonnes, et la cavalerie du général Pajol, reçoivent
en même temps l'ordre d'arriver sur Montereau par la route de Melun.

Le duc de Bellune s'était présenté le matin devant Montereau; mais il
était déjà trop tard, les Wurtembergeois s'y étaient établis dans la
nuit. Pendant ce temps, le corps autrichien de Bianchi, avancé de
l'autre côté de la Seine jusqu'à Fontainebleau, et craignant de se
trouver compromis par les progrès de l'avant-garde française, s'était
hâté de rétrograder sur Fossard, Villeneuve-la-Guyard et Sens; les
Wurtembergeois couvraient ce mouvement.

Le duc de Bellune fait de vains efforts pour leur enlever la position.
Son gendre, le brave général Château, est mortellement blessé dans cette
première attaque. Cependant le général Gérard arrive à temps pour
soutenir le combat: bientôt après Napoléon arrive lui-même pour décider
la victoire.

On s'empare des hauteurs de Surville, qui dominent le confluent de la
Seine et de l'Yonne; on y place en batterie l'artillerie de la garde,
qui foudroie les Wurtembergeois dans Montereau. Napoléon pointe lui-même
les pièces, commande lui-même les décharges; l'ennemi fait de vains
efforts pour démonter nos batteries, ses boulets sifflent sur le plateau
de Surville comme les vents déchaînés: mais le soldat murmure de ce que
Napoléon, cédant à l'attrait de son ancien métier, reste ainsi exposé
aux coups de l'ennemi: c'est dans cette circonstance qu'il leur dit
gaiement ce mot que tous les canonniers de l'armée ont retenu: «Allez,
mes amis, ne craignez rien; le boulet qui me tuera n'est pas encore
fondu.»

Le feu de nos pièces redouble, et pas une des vitres du petit château de
Surville ne résiste à la commotion. Protégées par cette redoutable
artillerie, les gardes nationales bretonnes s'emparent du faubourg de
Melun; et le général Pajol enlève le pont par une charge de cavalerie
tellement vive, que l'ennemi n'a pas même le temps de faire sauter une
arche. Les Wurtembergeois appellent en vain les Autrichiens à leur
secours; entassés dans Montereau, ils y sont écharpés. Ce combat est un
des plus brillants de la campagne.

Tandis que nos succès réjouissent la constance infatigable des soldats,
redoublent l'ardeur civique des habitants des campagnes, et portent
jusqu'à l'exaltation le dévouement de nos jeunes officiers, on remarque
avec inquiétude qu'un retour d'espérance n'a pas encore pénétré dans le
coeur de la plupart des chefs de l'armée. Plus les événements viennent
de nous être favorables, plus ils craignent l'avenir. Chez eux, la
prudence a grandi avec la fortune: les plus pauvres sont au contraire
les plus confiants. Cette différence dans la résolution avec laquelle
chacun mesure ainsi les événements offre des contrastes pénibles pour le
_bienfaiteur_, et il en ressent toute l'amertume.

Il a se plaindre des plus braves!... Au combat de Nangis, un mouvement
de cavalerie, qui aurait été fatal aux Bavarois, a manqué, et on en a
fait reproche à un général connu par son intrépidité, le général
L'Héritier. La nuit dernière, l'ennemi nous a surpris quelques pièces
d'artillerie au bivouac, et elles étaient sous la garde du brave général
Guyot, commandant les chasseurs à cheval de la garde! A Surville, au
moment le plus chaud du combat, les batteries ont manqué de munitions;
et cette négligence, qui est un crime selon les lois rigoureuses de
l'artillerie, semble retomber sur un de nos officiers d'artillerie les
plus distingués, sur le général Digeon! La forêt de Fontainebleau vient
d'être abandonnée sans résistance aux Cosaques; et le général qu'on
accuse de n'avoir tiré aucun avantage, ni d'une pareille position, ni de
tels adversaires, c'est Montbrun! Enfin, peut-être le combat de
Montereau n'aurait-il pas été nécessaire, et tant de sang répandu
aurait-il été épargné, si la veille on eût marché assez vite pour
surprendre le pont; mais la fatigue a empêché d'arriver; et c'est le
duc de Bellune, autrefois l'infatigable Victor, qui a le malheur d'avoir
à donner cette excuse!

Napoléon ne peut plus contenir son mécontentement. Rencontrant en route
le général Guyot, il lui reproche, à la face des troupes, d'avoir si mal
gardé son artillerie. Non moins violent envers le général d'artillerie
Digeon, il ordonne qu'on le fasse juger par un conseil de guerre; enfin,
il envoie au duc de Bellune la permission de se retirer chez lui, et il
donne aussitôt son commandement au général Gérard, dont l'activité sait
surmonter toutes les difficultés de cette pénible campagne. C'est ainsi
que Napoléon s'abandonne à une sévérité qui l'étonne lui-même, mais
qu'il croit nécessaire dans des circonstances aussi impérieuses.

Le général Sorbier, commandant l'artillerie de l'armée, laisse passer le
premier mouvement de vivacité, et vient ensuite rappeler les bons et
anciens services du général Digeon. Napoléon l'écoute, et déchire
lui-même l'ordre qu'il avait dicté pour le jugement par un conseil de
guerre.

Le duc de Bellune a reçu avec la plus vive douleur la permission de
quitter l'armée. Il monte à Surville, et, les larmes aux yeux, il vient
réclamer contre cette décision. En le voyant, Napoléon donne un libre
cours à son mécontentement; il en accable le malheureux maréchal. Il lui
reproche de servir de mauvaise grâce, de fuir le quartier impérial, de
ne pas même dissimuler une secrète opposition, qui sied mal dans un
camp. Les plaintes s'adressent à la maréchale elle-même: elle est dame
du palais, et elle s'éloigne de l'impératrice, que la nouvelle cour
semble abandonner.

En vain le duc de Bellune veut répliquer; la vivacité de Napoléon lui en
ôte les moyens. Cependant le maréchal parvient à élever la voix pour
protester de sa fidélité. Il rappelle à Napoléon qu'il est un de ses
plus anciens compagnons, et qu'à ce titre il ne peut quitter l'armée
sans déshonneur. Les souvenirs d'Italie ne sont pas invoqués en vain; la
conversation se radoucit. Napoléon ne parle plus au duc que du besoin
qu'il semble avoir d'un peu de repos. Ses nombreuses blessures, et ses
souffrances, suites inévitables de tant de campagnes, ne lui permettent
peut-être plus l'activité de l'avant-garde, ni les privations des
bivouacs, et forcent trop souvent ses fourriers à s'arrêter de
préférence aux lieux où l'on trouve un lit.

Mais c'est inutilement que Napoléon entreprend de déterminer le maréchal
à se retirer. Celui-ci insiste pour rester, et paraît ressentir plus
vivement les reproches à mesure qu'ils sont plus adoucis. Il veut même
entamer sa justification sur les lenteurs de la veille: mais aussitôt
ses larmes l'interrompent; s'il a fait une faute militaire, il la paie
bien chèrement par le coup qui a frappé son malheureux gendre... Au nom
du général Château, Napoléon l'interrompt avec la plus vive émotion; il
s'informe si l'on conserve encore quelque espoir de le sauver; il
n'écoute plus que la douleur du maréchal, et la ressent tout entière. Le
duc de Bellune, reprenant confiance, proteste de nouveau qu'il ne
quittera pas l'armée: «Je vais prendre un fusil, dit-il; je n'ai pas
oublié mon ancien métier: Victor se placera dans les rangs de la garde.»
Ces derniers mots achèvent de vaincre Napoléon: «Eh bien, Victor,
restez, dit-il en lui tendant la main. Je ne puis vous rendre votre
corps d'armée puisque je l'ai donné à Gérard, mais je vous donne deux
divisions de la garde; allez en prendre le commandement, et qu'il ne
soit plus question de rien entre nous...»

Le lecteur vient d'assister à une de ces terribles scènes dont il a été
tant question dans les libelles. C'est ainsi que Napoléon se fâchait;
c'est ainsi qu'on l'apaisait.

On retrouve dans le bulletin daté de Montereau la teinte des sentiments
dont Napoléon vient d'être affecté. Les fautes des généraux L'Héritier
et Montbrun y sont consignées. Le passage relatif à la blessure mortelle
du général Château est surtout remarquable après ce que nous venons de
raconter: «Le général Château mourra! il mourra du moins accompagné des
regrets de toute l'armée! mort bien préférable pour un militaire à une
existence dont il n'aurait acheté la prolongation qu'en survivant à sa
réputation, ou en étouffant les sentiments que l'honneur français
inspire dans les circonstances où nous sommes!»

Napoléon couche le 18 au soir au petit château de Surville; il y passe
la journée du 19. Tous les maires des environs accourent au quartier
impérial; la plupart sortent des bois où ils se sont réfugiés, et parmi
eux on distingue M. Soufflot de Mercy, qui fait une vive peinture du
pillage auquel le prince de Wurtemberg laisse ses gens s'abandonner.
Bientôt on voit autour de Napoléon presque autant d'écharpes tricolores
que d'épaulettes. Une députation de Provins vient encore augmenter le
nombre des fonctionnaires fidèles qui s'empressent d'apporter à l'armée
des ressources de tous genres, et à Napoléon des renseignements
importants sur la fuite de l'ennemi.

La journée du 19 est employée à expédier des ordres pour que, sur toutes
les routes, les différentes colonnes de l'ennemi soient harcelées sans
relâche dans leur retraite, et qu'un mouvement général des nôtres les
poursuive sur Troyes. Le général Gérard se met en marche sur les pas de
la colonne autrichienne échappée de Fontainebleau, qui se sauve par la
route de Sens. La garde impériale chasse devant elle, entre la Seine et
l'Yonne, ce qui reste des corps ennemis qui ont défendu Montereau. Les
ducs de Tarente et de Reggio s'avancent sur Bray et Nogent, et nettoient
la rive droite de la Seine.

Napoléon pense que le moment est venu de faire entrer l'armée de Lyon
dans les combinaisons militaires. C'est cette armée qui doit achever la
campagne; elle peut couper la retraite à l'ennemi, et rendre nos
derniers succès décisifs. Désormais les espérances de Napoléon vont
reposer sur elle.

Déjà les levées en masse du Dauphiné sont venues au secours de celles de
la Savoie; elles combattent sous les ordres des généraux Marchand,
Desaix, Seras, et viennent de rétablir l'importante communication du
Mont-Cenis.

Le général Bubna a évacué Montluel et les environs de Lyon. Les rives de
la Saône sont libres; et les Autrichiens, réduits à garder la défensive,
se concentrent sur Genève. Après de tels commencements, obtenus par des
levées en masse, que ne doit-on pas attendre d'une armée de troupes de
ligne? Napoléon ordonne au duc de Castiglione de remonter la Saône, de
culbuter tous les détachements qu'il trouvera devant lui, de pénétrer
dans les Vosges, de s'y établir sur les derrières de l'ennemi; de faire
une guerre acharnée à ses convois, à ses bagages, à ses détachements
isolés; de soulever tous les habitants des campagnes, et de porter enfin
l'alarme chez les alliés, en menaçant leur ligne d'opérations et leur
route de retraite.

Mais cette armée de Lyon, qui doit se composer principalement de troupes
tirées de l'Italie et de la Catalogne, ne sera pas aussi nombreuse que
Napoléon l'avait d'abord calculé. Ce qui se passe en Italie dérange
cette importante combinaison. Le roi de Naples vient de lever le masque.
«Quoique uni à Napoléon par les liens du sang, et lui devant tout, il se
déclare contre lui: et dans quel moment? lorsque Napoléon est moins
heureux!» Ces reproches semblent échappés à la plume de l'histoire; ce
sont les dernières paroles d'une proclamation du prince Eugène; elles
retentissent dans toute l'Europe: Le jeune vice-roi, environné
d'ennemis, développe un caractère égal au danger; combat les Autrichiens
sur le Mincio, les Napolitains sur le Taro, et fait face à tout...; mais
il ne peut plus envoyer à Lyon les troupes promises, qui devaient donner
une supériorité décisive à l'armée du maréchal Augereau. C'est un
malheur; cependant la vigueur peut quelquefois suppléer au nombre: déjà
le maréchal Augereau a sous ses ordres deux divisions aguerries, venues
de Catalogne, et commandées par les généraux Musnier et Pannetier. On
espère que le duc de Castiglione, électrisé par l'importance du rôle
qu'il est appelé à jouer, retrouvera son ancienne audace, et fera
quelque exploit digne de son âge héroïque. Napoléon ne veut négliger
aucun moyen de stimuler l'énergie de son ancien compagnon; il charge
l'impératrice elle-même d'aller voir la jeune duchesse de Castiglione,
et de l'engager à concourir au salut public par toute l'influence
qu'elle a sur le coeur de son mari.

Pendant les vingt-quatre heures qu'on a passées au château de Surville,
on n'a cessé de rassurer Paris, où le canon de Montereau avait retenti.
D'abord des estafettes ont porté les premières nouvelles de nos succès;
aux estafettes a succédé le départ d'un bulletin; ce dernier envoi est
suivi de près par M. de Mortemart, l'un des officiers d'ordonnance les
plus distingués, qui va porter à l'impératrice les drapeaux de Nangis et
de Montereau.

Dans la journée du 20, Napoléon avec le gros de ses troupes remonte la
rive gauche de la Seine par la route de Montereau à Nogent; il déjeune à
Bray, dans la maison que l'empereur de Russie a quittée la veille; et le
20 au soir il se retrouve à Nogent, avec le corps d'armée du duc de
Reggio, qui arrive par la route de Provins. Nogent avait cruellement
souffert. Le général Bourmont et les braves troupes qu'il commandait y
avaient disputé, pendant les journées du 10, du 11 et du 12, le passage
de la Seine à toute l'armée du prince de Schwartzenberg; ils n'avaient
cédé qu'à la dernière extrémité. Aussi la ville n'offre-t-elle plus que
des débris d'incendie, des murs percés par des créneaux et des boulets,
et çà et là quelques habitants qui n'ont plus que la vie à perdre! Au
milieu de ce désastre, les soeurs de la charité de Nogent étaient
restées dans leur hôpital; elles avaient recueilli les blessés! Le
dévouement imperturbable de ces bonnes soeurs leur avait valu l'estime
et le respect des généraux ennemis, et nos blessés s'en étaient
ressentis. Napoléon veut voir les soeurs et le curé; il les fait
appeler, les remercie au nom de la patrie, et leur accorde, sur sa
cassette, un premier secours de cent napoléons.

Le 21, on envoie à Paris un nouveau bulletin, pour satisfaire, autant
que possible, à l'avidité avec laquelle on attend les résultats des
derniers combats. Napoléon passe la journée à faire avancer les troupes
qui défilent; et le 22 au matin, il se remet en marche pour suivre
l'ennemi vers Troyes. La retraite des alliés se changeait en déroute à
mesure que leurs colonnes venaient aboutir sur le grand chemin:
l'accroissement de leur masse dans ce défilé, au lieu de réunir plus de
forces, donnait lieu à plus d'encombrement et de désordre; l'effroi se
propage dans toutes les directions. La peur a des ailes, et bientôt les
routes des Vosges se couvrent de voitures, de charretiers, de blessés et
de fuyards, qui reculent jusqu'au Rhin! Cent mille hommes fuient devant
Napoléon, qui n'a pas quarante mille Français pour les poursuivre.

Cependant, sur la gauche, entre la Seine et l'Aube, un corps ennemi se
présente, qui ne paraît pas entraîné dans la retraite générale des
alliés. L'avant-garde de cette troupe vient se présenter aux portes de
la petite ville de Méry, au moment même que les fourriers y entraient
pour faire le logement du quartier impérial. Le général Boyer s'y porte
aussitôt avec une division de la garde; mais il trouve au pont une
résistance à laquelle il était loin de s'attendre. L'ennemi soutient
notre attaque pendant le reste du jour et une partie de la nuit. Il ne
se décide à abandonner la position qu'après que l'acharnement du combat
a réduit cette malheureuse ville en cendres.

Quel est cet ennemi si obstiné? D'abord on s'imagine que c'est
Witgenstein; qu'il veut rallier les Russes dans la presqu'île du
confluent de l'Aube, et que, dans ce dessein, il attache une grande
importance à rester maître du pont de Méry; mais pendant le combat on
apprend que c'est aux Prussiens qu'on a affaire, et ce n'est pas sans
quelque surprise qu'on retrouve si promptement les troupes du maréchal
Blücher. Les rapports étaient vagues. Ce mouvement de l'armée prussienne
semble n'être qu'une forte reconnaissance que Blücher inquiet a fait
faire pour savoir ce que devenait Schwartzenberg. Maintenant que les
Prussiens n'ont plus à douter du mauvais état de l'armée autrichienne,
on conjecture qu'ils vont s'abandonner à ce mouvement général de
retraite que leurs échecs de Montmirail et de Vauchamps ont commencé, et
que les combats de Nangis et de Montereau viennent de rendre également
nécessaire pour Schwartzenberg. On se garde donc bien de se laisser
détourner, par cette rencontre, du parti qu'on a pris de poursuivre les
Autrichiens à outrance. On se contente de faire observer les troupes de
Blücher dans leur retraite: bientôt on est certain qu'elles ont repassé
l'Aube à Baudemont et à Anglure. On croit qu'elles ne font ce détour que
pour reprendre plus sûrement la route de Châlons, et l'on ne pense plus
qu'à arriver promptement à Troyes.

Le quartier impérial, n'ayant pu s'établir à Méry, était revenu sur la
grande route, et s'était arrêté au hameau de Châtres. Napoléon y avait
passé la nuit du 22 au 23 dans la chaumière d'un charron.

Le 23 au matin, le prince Wenszel-Lichtenstein se présente de la part du
prince Schwartzenberg, dont il est aide de camp. Napoléon le reçoit
entre les quatre murs du charron. Cet envoyé apporte la réponse à la
lettre que Napoléon a écrite le 17, de Nangis, à son beau-père. Son
langage est pacifique. Il ne dissimule pas combien les plans des alliés
viennent d'être dérangés. Il avoue qu'on a reconnu de nouveau Napoléon
aux coups qu'il portait, et c'est de la bouche même de cet ennemi que
sortent les premiers éloges, peut-être les seuls que cette campagne
mémorable ait valus personnellement à son auteur! Napoléon, mettant à
profit les formes conciliantes que montre l'aide de camp autrichien,
engage avec lui une conversation assez longue. Il lui parle des bruits
qui se répandent depuis quelque temps sur un nouveau système qu'on prête
aux alliés: il lui demande s'il est vrai que la querelle que nous fait
l'Europe ait en effet changé de nature; si c'est maintenant à sa
personne, à sa dynastie qu'on en veut; et si, conformément au plan
favori de l'Angleterre, c'est maintenant de la famille des Bourbons
qu'on s'occupe. Le prince Lichtenstein rejette vivement ces bruits,
comme n'étant pas fondés: mais Napoléon lui fait sentir qu'ils n'ont que
trop de consistance par la présence du duc d'Angoulême au quartier
général des Anglais dans le midi; par l'arrivée du duc de Berry à
Jersey, dans le voisinage de nos départements de l'ouest; et surtout par
le voyage du comte d'Artois, qui est déjà en Suisse, et qui s'annonce
comme devant continuer sa route à la suite du quartier général des
alliés.

Napoléon témoigne combien il lui répugne de croire que son beau-père
puisse entrer dans de pareils projets: M. de Lichtenstein continue de
répondre par les protestations les plus tranquillisantes. Il ne veut
considérer le rôle qu'on fait jouer aux Bourbons que comme un moyen de
guerre, à l'aide duquel on espère opérer quelques diversions dans nos
provinces; mais il assure qu'il n'y a rien de sérieux à cet égard; que
l'Autriche d'ailleurs ne s'y prêterait pas;....
..........................................................
..................; et qu'enfin on n'en veut ni à l'existence de
l'empereur ni à sa dynastie; qu'on désire la paix, et que la preuve en
est dans la mission qu'il vient remplir.

Napoléon prévient M. de Lichtenstein qu'il compte coucher le soir même à
Troyes, et le congédie, en promettant d'envoyer dès le lendemain un
général français aux avant-postes pour négocier l'armistice.

Ces pourparlers sont l'heureux présage de la cessation prochaine des
hostilités; ils nous promettent une négociation plus franche, et des
conditions meilleures qu'à Châtillon: ils doivent réjouir tout le monde,
et cependant les flatteuses espérances, qui déjà se répandent dans
l'armée, ne dissipent pas les inquiétudes de ceux qui approchent
Napoléon! C'est peut-être l'effet d'une circonstance dont nous allons
rendre compte.

Le baron de Saint-Aignan, le même qui, au mois de novembre précédent,
avait été chargé des propositions de Francfort, venait d'arriver de
Paris. Napoléon le reçoit immédiatement après l'aide de camp autrichien,
et dès les premiers mots laisse échapper la confiance que cette démarche
des alliés lui inspire. M. de Saint-Aignan se trouvait chargé par divers
personnages de présenter à Napoléon le tableau vrai des angoisses que la
capitale éprouve encore. Les victoires de Montmirail et de Vauchamps
n'ont pas rassuré; celles de Nangis et de Montereau ne rassurent pas
davantage. On redoute de nouveaux revers; on redoute également de
nouveaux succès; on craint que, dans l'un et l'autre cas, Napoléon ne se
confie trop facilement à son épée; et ce qu'on voudrait surtout, c'est
qu'il employât davantage la voie des négociations. M. de Saint-Aignan
vient donc l'entretenir des voeux que l'on forme à Paris pour qu'il se
décide à des concessions. Une pareille conversation allait faire un
contraste assez brusque avec la précédente; mais cette considération,
loin d'arrêter M. de Saint-Aignan, l'encourage au contraire à parler,
puisqu'il va être entendu dans un moment décisif: il s'acquitte de sa
mission avec toute la franchise et toute la loyauté qui le distinguent.
Rien n'est négligé par lui pour faire sentir que, dans l'état actuel des
affaires, il y a nécessité de tout sacrifier à la conclusion de la paix.
«Sire, s'écrie en terminant M. de Saint-Aignan, la paix sera assez
bonne, si elle est assez prompte!--Elle arrivera assez tôt si elle est
honteuse!» réplique Napoléon. Son front se rembrunit, et M. de
Saint-Aignan est brusquement congédié. Bientôt ces derniers mots se
répètent. On monte à cheval, et chacun suit en silence la route de
Troyes[33].

[Note 33: _Lettre de Napoléon au duc de Feltre, du_ 22 _février_ 1814.

«Quant au conseil que vous me donnez de faire la paix, c'est trop
ridicule. C'est en s'abandonnant à de pareilles idées qu'on gâte
l'esprit public. C'est au reste me supposer bien fou ou bien bête, que
de croire que, si je pouvais faire la paix, je ne la ferais pas.

»C'est à cette opinion qu'on a propagée, que je peux faire la paix
depuis quatre mois, mais que je ne la veux pas, que sont dus tous les
malheurs de la France. Je pensais mériter qu'on m'épargnât au moins la
démonstration de pareils sentiments.»]

       *       *       *       *       *



CHAPITRE VI.

L'ARMÉE FRANÇAISE RENTRE DANS TROYES.--SECOND SÉJOUR DE NAPOLÉON DANS
CETTE VILLE.--NÉGOCIATION DE L'ARMISTICE A LUSIGNY.

(Du 23 au 27 février.)


L'armée arrive devant Troyes dans l'après-midi du 23 février; mais elle
trouve les portes fermées et barricadées. Les Russes, qui n'ont pas
entièrement évacué la ville, prétendent nous la disputer pour quelques
heures, et le combat s'engage. Cependant la nuit survient; l'ennemi en
profite pour demander, par un aide de camp, que la remise des portes
soit différée jusqu'au lendemain matin, à la pointe du jour. Napoléon
préfère le salut de Troyes à toute considération militaire; il fait
suspendre l'attaque, consent à l'arrangement proposé, et se retire, avec
ses principaux officiers, dans une maison du faubourg des Noues.

Malgré cette espèce de trève, le canon continue de se faire entendre de
temps en temps; les troupes, qui se sont répandues de nuit dans les
faubourgs de la route de Paris, dévastent les habitations et les
jardins; du côté opposé, l'ennemi met le feu au faubourg par lequel il
effectue sa retraite; plusieurs villages brûlent dans la campagne, et
l'horizon n'est éclairé de toutes parts que par la lueur des bivouacs et
des incendies. Dans l'intérieur de la ville, le départ nocturne de cette
foule de soldats de diverses nations donne un libre cours aux scènes de
désordre et de violence.

Le jour paraît enfin; l'avant-garde de l'armée française prend
possession des postes, et Napoléon entre avec les premières troupes dans
la ville. Avant de se rendre à son logement, il veut faire le tour des
murs, reconnaître en quel état la ville lui est rendue, faire occuper
les postes les plus importants, et présider lui-même au bon ordre,
pendant que l'armée traverse les rues; mais il peut à peine se faire
passage dans la foule qui se précipite autour de lui; on l'accueille par
les acclamations les plus vives; c'est à qui pressera ses bottes et
baisera ses mains: on dirait que la paix est signée, que tous les maux
de la guerre sont finis, et que Troyes, désormais affranchi de toute
crainte, improvise un triomphe à son libérateur!

Cependant, au milieu de l'expansion générale, des plaintes s'élèvent: on
parle de traîtres, on dénonce des coupables; et ces cris ne sont pas
seulement ceux du peuple, ils sont répétés par des personnes qui
paraissent appartenir aux classes les plus honorables du commerce et de
la bourgeoisie.

Les habitants de Troyes venaient de passer dix-huit jours sous le joug
des armées ennemies: quelque adoucissement que la présence des
souverains alliés eût apporté parmi eux au poids de la guerre, une telle
situation avait paru affreuse à de paisibles citoyens, pour lesquels
elle était si nouvelle et si imprévue. Ce peuple, exaspéré par les
violences et les humiliations, avait vu d'un oeil mécontent que quelques
uns de ses compatriotes ne partageassent pas son ressentiment contre les
étrangers; il allait jusqu'à comprendre dans ses soupçons ceux que des
circonstances particulières avaient mis dans le cas de reconnaître, par
des respects, les qualités personnelles des souverains alliés. La haine
publique poursuivait surtout quelques habitants qui, désavouant les
couleurs sous lesquelles la France combattait, avaient osé arborer la
cocarde blanche. L'indignation publique n'avait attendu que le retour de
nos troupes pour éclater. Napoléon, forcé par la foule de s'arrêter à
chaque pas, apprend ainsi, au milieu des rues, du haut de son cheval, et
de la bouche des principaux habitants dont il est entouré, le sujet du
mécontentement qui agite le peuple; il partage ce mécontentement, promet
hautement de faire prompte justice; et à peine est-il descendu à son
logement, que, jetant ses gants sur la table, et le fouet encore à la
main, il ordonne qu'on réunisse un conseil de guerre.

La tentative que quelques royalistes venaient de se permettre à Troyes
se rattachait aux menées secrètes par lesquelles les partisans de la
maison de Bourbon voulaient rappeler à la fois sur elle l'attention des
Français et celle des souverains alliés: des Français, en accréditant
dans nos provinces l'opinion que les couleurs blanches pouvaient seules
désarmer l'inimitié des alliés; des souverains, en leur présentant cette
ombre d'un parti royaliste comme un parti réel, et ces couleurs sous
lesquelles un petit nombre de gens intimidés couraient se réfugier,
comme un appel de l'opinion publique en faveur de l'ancienne famille. Ce
que la peur avait ainsi commencé dans quelques départements malgré les
peuples, une influence ennemie semblait vouloir l'achever malgré les
alliés eux-mêmes. Quoi qu'en ait dit le prince de Lichtenstein,
l'Angleterre avait entrepris sérieusement la restauration des Bourbons,
et de tous côtés les intrigues de ses agents prenaient un caractère plus
grave. Il devenait urgent d'intimider leur audace, en déployant contre
eux la sévérité des lois. Dans de pareilles circonstances, l'autorité,
toujours ombrageuse, punit quelquefois jusqu'aux apparences; dans
celle-ci, un prince faible ou cruel n'aurait eu que trop de prétextes
pour faire couler des flots de sang!.... Mais Napoléon s'était
jusqu'alors refusé à sévir, tant le remède des supplices lui inspirait
de dégoût! La raison d'état parle enfin si haut qu'il est forcé de
l'entendre. On vient d'apprendre l'entrée du comte d'Artois en
Franche-Comté. Non seulement ce prince et ses fils, placés sur les
frontières les plus opposées, semblent se présenter pour agiter la
France d'une extrémité à l'autre; mais le chef de leur maison, Louis
XVIII lui-même, est parvenu à faire circuler dans Paris ses paroles, ses
insinuations, ses pardons, et ses promesses. Du fond de sa retraite de
Hartwell, en Angleterre, il a écrit aux principaux fonctionnaires de
l'empire, aux sénateurs, aux membres du conseil et de la magistrature:
ses lettres viennent d'arriver mystérieusement à leur adresse; et déjà
quelques uns de ceux qui les ont reçues rêvent aux chances d'une
révolution nouvelle[34]! Des rumeurs souterraines commencent à se faire
entendre dans la capitale, tandis que la conjuration éclate dans les
provinces occupées par l'ennemi, et surtout dans le midi... Telle est la
substance des derniers rapports qu'on reçoit de toutes parts. Cet état
de choses n'aggrave que trop l'affaire des royalistes de Troyes. Il faut
se décider à punir; et peut-être, pour qu'on prenne ce parti, n'est-ce
pas trop de l'influence du champ de bataille qui nous environne. Chaque
jour, à chaque instant, quelques uns des nôtres tombent sous les coups
de l'ennemi: au milieu de cette destruction continuelle, la vie d'un
obscur conjuré pèse à peine dans les balances sanglantes de la guerre.
Parmi les noms des coupables que la clameur publique vient de désigner,
on a retenu ceux de deux anciens émigrés, que toute la ville accuse, non
seulement d'avoir porté la cocarde blanche et repris la croix de
Saint-Louis, mais encore d'avoir fait publiquement des démarches auprès
de l'empereur de Russie en faveur de la cause des Bourbons. Ce sont les
sieurs Gouaut et Vidranges; ce dernier s'est réfugié à Chaumont, mais
Gouaut est resté; la foudre qu'il a voulu braver tombe sur lui: il est
traduit au conseil de guerre, et servira d'exemple.[35]

[Note 34: Extrait d'une déclaration datée de Buckingham, le 1er janvier
1814.

«Une destinée glorieuse appelle le sénat à être le premier instrument du
grand bienfait qui deviendra la plus solide comme la plus honorable
garantie de son existence et de ses prérogatives...» (_Voir dans
l'ouvrage du sénateur Lambretchs_, pag. 69.)]

[Note 35: Il résulte de la note que M. Vidranges a fait insérer dans
l'ouvrage de M. Beauchamp, tome Ier, page 241 et suivantes, que «la
présence des alliés dans l'ancienne capitale de la Champagne avait
ranimé l'espoir des partisans des Bourbons; que l'un d'eux, M. de
Vidranges, gentilhomme lorrain, _résolut d'entraîner cette ville_; qu'il
fut secondé par M. Gouaut, chevalier de Saint-Louis; que le comte de
Rochechouart, et le colonel Rapatel, leur ayant donné la nouvelle de
l'arrivée des princes sur le continent, et leur ayant dit qu'il était
temps de se prononcer, ils s'étaient sentis électrisés; qu'ils avaient
rattaché la croix de Saint-Louis à leur boutonnière; que le prince de
Wurtemberg les ayant encouragés à s'adresser à l'empereur de Russie,
_ils étaient allés trouver ce prince au nom des principaux royalistes de
Troyes_, et qu'ils lui avaient présenté une adresse dans laquelle _ils
sollicitaient le rétablissement des Bourbons sur le trône de France_.»
M. de Vidranges finit par un aveu encore plus remarquable: c'est que
l'empereur de Russie ne put s'empêcher de leur dire «_qu'il trouvait
leur démarche un peu prématurée; que les chances de la guerre étaient
incertaines; et qu'il serait fâché de les voir sacrifiés..._»]

L'affaire de l'armistice emploie le reste de la matinée. Un autre aide
de camp du prince de Schwartzenberg arrive de Bar-sur-Aube, où le
quartier général des alliés s'est d'abord retiré. Il vient proposer le
village de Lusigny, près Vandoeuvres, pour la réunion des généraux qui
auront à négocier l'armistice. Il annonce que le général Duca est nomme
commissaire pour l'Autriche; que les autres commissaires sont, pour la
Russie, le général Schouvaloff, et, pour la Prusse, le général Rauch.

Napoléon de son côté désigne le général Flahaut, son aide de camp; il
s'occupe aussitôt de le faire partir, dicte ses instructions, et les lui
remet à la suite d'un long entretien.

Après le départ du général Flahaut, Napoléon, harassé de fatigues,
venait de se retirer dans sa chambre, lorsque la famille éplorée de
Gouaut se présente aux portes pour demander grâce. Napoléon ne savait
pas résister à ces cris de miséricorde; des rémissions éclatantes et
nombreuses attestent assez sa clémence: mais cette fois, déterminé à ne
pas se laisser fléchir, il avait pris des précautions contre lui-même,
et n'avait trouvé d'autres moyens que de ne pas se laisser approcher.
Cependant l'écuyer de service est des environs de Troyes, c'est
Mesgrigny. Il veut servir ses compatriotes; tout ce qui est de service
avec lui le seconde. A peine Napoléon est réveillé que le placet de
Gouaut est présenté; mais est-il encore temps de sauver ce malheureux.
On court à l'état major; le prince de Neuchâtel répond que la sentence
doit être exécutée. Napoléon veut du moins qu'on s'en assure. Un
officier d'ordonnance y court. Bientôt cet officier revient: il est trop
tard. Napoléon garde un long silence, et le rompt enfin en disant: «La
loi le condamnait!»

Pendant les journées des 25 et 26, l'attention est entièrement
concentrée sur les conférences de Lusigny. On reste dans une alternative
continuelle de craintes et d'espérances. Des courriers, des ordonnances,
des aides de camp, se succèdent incessamment sur la chaussée de
Vandoeuvres. Tantôt on croit voir arriver la nouvelle de la cessation
des hostilités, tantôt on entend parler de nouveaux combats. Le 27 au
matin, aucune nouvelle décisive n'était encore arrivée de la part du
général Flahaut: Cependant la question militaire était trop simple en
elle-même pour présenter de grandes difficultés; mais la politique
s'était emparée de la négociation et l'avait singulièrement compliquée.

Dans ces pourparlers, l'ennemi ne se proposait qu'une suspension
d'armes; mais Napoléon, portant ses vues plus loin, cherchait à profiter
de l'occasion pour poser les bases de la paix définitive. Il désirait
garder Anvers et les côtes de la Belgique: c'était le prix qu'il se
promettait de ses derniers succès. Mais Anvers était pour l'Angleterre
la négociation toute entière; et, par l'influence anglaise, cette
concession devait être obstinément refusée au congrès de Châtillon. Il
était dès lors indispensable de faire traiter ce point sur un autre
terrain. Anvers devait perdre de son importance aux yeux désintéressés
des généraux russes, autrichiens et prussiens: Napoléon s'était donc
proposé de faire préjuger la question dans la conférence militaire de
Lusigny; mais tant qu'elle serait indécise, il ne voulait pas se priver,
par une trêve prématurée, des avantages que la poursuite des Autrichiens
semblait lui promettre pour compléter la défaite des alliés. Aussi
l'armée française n'avait-elle pas cessé un moment de pousser les
Autrichiens l'épée dans les reins. Le quartier général ennemi
rétrogradait jusqu'à Colombey; la garde russe était en retraite sur
Langres; le corps de Lichtenstein, sur Dijon. Les souverains alliés
s'étaient retirés à Chaumont en Bassigny; nos troupes s'emparaient de
Lusigny au moment où les commissaires pour l'armistice s'y réunissaient.
Cette occupation militaire de Lusigny avait même donné lieu à des
difficultés dès les premiers pourparlers; mais de plus graves obstacles
s'étaient élevés bientôt après, lorsqu'on en était venu à disputer la
ligne de l'armistice.

Les généraux ennemis avaient proposé le _statu quo_ des deux armées.

Le général Flahaut, conformément à ses instructions, avait demandé que
la ligne s'étendît depuis Anvers, où nous avions le général Carnot,
jusqu'à Lyon, où nous avions le duc de Castiglione. Cette ligne devait
placer les forces de la France sur un seul front, depuis l'Escaut
jusqu'aux Alpes. Les commissaires russe et prussien, affectant de se
mettre hors de l'influence des derniers événements, trouvaient que
c'était payer trop cher quelques délais dont l'armée autrichienne avait
besoin pour reposer ses colonnes. Le général autrichien était plus
conciliant; mais, par suite de la forme diplomatique que les conférences
avaient prise, chaque commissaire s'était trouvé dans la nécessité de
demander de nouvelles instructions, et le temps se perdait à les
attendre.

Ce sont pourtant des moments bien précieux que ceux qui s'écoulent
ainsi: notre horizon s'est tout-à-coup chargé de nuages sombres qu'un
armistice seul aurait pu dissiper. Nous sommes arrivés à l'époque
critique de la campagne.



CHAPITRE VII.

TROISIÈME EXPÉDITION CONTRE LE MARÉCHAL BLÜCHER.--RETOUR DE NAPOLÉON SUR
LA MARNE.

(Fin de février.)


Lorsque Napoléon dictait ses prétentions au commissaire qu'il envoyait à
Lusigny, la suspension d'armes demandée par les alliés était
généralement considérée comme ne pouvant être profitable qu'à l'armée
autrichienne, dont elle aurait arrêté la déroute. On était loin de
penser que l'armistice pouvait offrir à l'armée française un avantage
équivalent, en suspendant les opérations du maréchal Blücher. On apprend
enfin, mais trop tard, la diversion que les Prussiens ont entreprise, et
dont il nous reste à rendre compte.

Pour conserver la liaison des faits, nous reviendrons un moment sur nos
pas.

Après le combat de Vauchamps, nous avons laissé le maréchal Blücher
séparé de ses lieutenants, battu comme eux, faisant en toute hâte
retraite vers Châlons-sur-Marne, et ne sachant trop où cette déroute
pourra le mener. La fortune ne lui a pas tenu long-temps rigueur. Dès le
lendemain, Napoléon, rappelé vers Nangis et Montereau, a cessé de peser
sur lui. Blücher n'a plus été poursuivi que par le duc de Raguse, et
bientôt ce dernier a été obligé lui-même de lâcher prise, pour revenir
sur Montmirail combattre un corps de troupes que le prince
Schwartzenberg avait fait avancer de ce côté au secours des Prussiens.
Tandis que le duc de Raguse, occupé à poursuivre cette troupe, est allé
prendre position à Sezanne, Blücher a mis les moments à profit, en
ralliant à lui les corps de Sacken et d'York.

Ceux-ci avaient échappé de leur côté à la poursuite du duc de Trévise,
par un concours de circonstances non moins heureuses que celles qui
avaient débarrassé leur général en chef. Les corps prussiens de Bülow et
les divisions russes de Wintzingerode et de Woronzoff, après avoir pris
possession de la Belgique, avaient franchi notre ancienne frontière du
nord. Leur avant-garde, pénétrant à travers les Ardennes, s'était
avancée jusqu'aux portes de Soissons. A défaut de bonnes murailles et
d'une nombreuse garnison, Soissons avait le général Rusca pour
commandant; mais ce brave officier avait été tué d'une des premières
décharges, et sa mort avait promptement livré la place au général
Wintzingerode. Les Russes y étaient entrés le 13 février, précisément
pour recueillir les fuyards de Sacken et d'York, qui s'échappaient du
combat livré la veille à Château-Thierry. Ces troupes ayant appris, en
se ralliant à Soissons, que leur général en chef, Blücher, ralliait
lui-même ses forces du côté de Châlons, s'étaient aussitôt mises en
marche pour aller le rejoindre par la route de Reims. Les Russes
auraient voulu se conserver la possession importante de Soissons; mais
dès le 19 février le duc de Trévise avait repris cette ville.

Le maréchal Blücher, peu de jours après ses défaites, était donc parvenu
à réunir toutes ses forces, et se voyait au moment d'en recevoir de
nouvelles qui lui arrivaient par les routes du nord et de la Lorraine.
Le 18 février, il s'était trouvé en état de courir à son tour au secours
de Schwartzenberg; des bords de la Marne, il était venu camper avec
cinquante mille hommes au confluent de l'Aube et de la Seine; il avait
reçu en route, le 19, au bivouac de Sommesous, un nouveau renfort de
neuf mille hommes appartenant au corps de Langeron: il espérait qu'une
réunion générale de toutes les forces des alliés en ayant de Troyes
arrêterait Napoléon, et produirait les mêmes résultats qu'à Brienne. Ce
n'était donc pas seulement un détachement de l'armée de Silésie que nous
avions rencontré à Méry, ainsi que nous l'avions cru pendant quelques
jours; c'était l'avant-garde de toute cette armée. Blücher s'était
trouvé de sa personne au combat du pont de Méry; il y avait été blessé à
la jambe. Il n'avait pris le parti de la retraite qu'après s'être
convaincu de ses propres yeux qu'il était impossible de rallier l'armée
de Schwartzenberg en avant de Troyes, et que la réunion projetée était
désormais inutile. Dès lors il s'était décidé à repasser l'Aube; mais sa
retraite cachait un des plus hardis projets de la campagne. Encouragé
par les renforts qui ne cessaient de lui arriver, soit qu'il eût reçu
des ordres de son cabinet, soit qu'il n'eût pris conseil que de son
audace, Blücher avait résolu de s'avancer encore une fois sur Paris,
pour tenter une grande diversion en faveur de l'armée autrichienne.
Ainsi, pendant que le gros de l'armée française était autour de Troyes,
occupée d'armistice et de paix, les troupes prussiennes descendaient
rapidement sur les deux rives de la Marne. Le duc de Raguse, forcé le 24
d'abandonner Sezanne, se retirait, par la Ferté-Gaucher, sur la
Ferté-sous-Jouarre. De l'autre côté de la Marne, le duc de Trévise,
après avoir laissé garnison dans Soissons, se retirait également sur la
Ferté-sous-Jouarre.

Napoléon ne reçoit ces nouvelles que dans la nuit du 26 au 27; en peu
d'heures, elles ont changé tous ses plans. Le 27 au matin, il quitte
Troyes précipitamment pour se porter, par Arcis-sur-Aube et Sezanne, sur
les traces de l'armée prussienne. Il ne laisse en avant de Troyes que
deux corps d'armée, celui du duc de Reggio et celui du duc de Tarente;
c'est le duc de Tarente qui commandera en chef. Au moment où ces deux
maréchaux sont ainsi abandonnés à eux-mêmes, le premier est engagé dans
un combat très vif sur les hauteurs de Bar-sur-Aube, le second est en
marche vers Châtillon. Mais il ne s'agit plus de poursuivre les
Autrichiens; désormais les troupes qui restent opposées à celles de
Schwartzenberg doivent borner leurs efforts à les contenir, et surtout à
masquer le grand mouvement que notre armée fait sur Blücher. Dans cette
intention, le duc de Reggio et le général Gérard, qui sont aux prises
avec l'ennemi, font faire sur toute la ligne les acclamations qui
signalent ordinairement l'arrivée de Napoléon. Ces cris sont entendus de
la ligne opposée; et tandis que Napoléon s'éloigne de Troyes à marche
forcée, Schwartzenberg croit qu'il est arrivé devant lui.

Le 27 février, Napoléon arrive vers midi à Arcis-sur-Aube; il s'y arrête
quelques heures dans le château de M. de La Briffe, son chambellan, pour
donner le temps aux troupes de défiler, et de passer l'Aube. En sortant
du pont d'Arcis, l'armée prend à gauche, et suit la route de traverse
qui conduit à Sezanne. Le soir, on bivouaque sur les confins des
départements de l'Aube et de la Marne, non loin de la Fère champenoise;
Napoléon entre chez le curé du petit village d'Herbisse, et y passe la
nuit.

Arrêtons-nous-y un moment avec le quartier impérial. Après les peines de
la journée, la gaieté française jetait encore de temps en temps quelques
lueurs sur le repos du soir: cette soirée d'Herbisse est peut-être la
dernière de ce genre que je puisse mettre sous les yeux du lecteur.

Le presbytère se composait d'une seule chambre et d'un fournil: Napoléon
se renferme dans la chambre, et y abrège la nuit par ses travaux
accoutumés. Les maréchaux, les généraux aides de camp, les officiers
d'ordonnance et les autres officiers de la maison, remplissent aussitôt
le fournil: le curé veut faire les honneurs de chez lui; au milieu de
tant d'embarras, il a le malheur de s'engager dans une querelle de latin
avec le maréchal Lefèvre; pendant ce temps, les officiers d'ordonnance
se groupent autour de la nièce, qui leur chante des cantiques. Le mulet
de la cantine se faisait attendre; il arrive enfin: on établit aussitôt
une porte sur un tonneau; quelques planches sont ajustées autour en
forme de bancs; les principaux s'y asseyent, les autres mangent debout.
Le curé prend place à la droite du grand maréchal, et la conversation
s'engage sur le pays où l'on se trouve: notre hôte a peine à concevoir
comment ces militaires connaissent si bien les localités; il veut
absolument que tout son monde soit Champenois. Pour lui expliquer ce qui
l'étonne, on lui présente des feuilles de Cassini, que chacun a dans sa
poche; il y retrouve le nom de tous les villages voisins, et s'étonne
encore davantage, tant il est loin de penser que la géographie s'occupe
de pareils détails: les naïvetés du bon curé égaient ainsi la fin du
repas. Bientôt après on se disperse dans les granges voisines: les
officiers de service restent seuls auprès de la porte de la chambre où
se trouve Napoléon; on leur apporte leur botte de paille; et le curé ne
pouvant aller coucher dans son lit, on lui cède la place d'honneur sur
le lit de camp. Le lendemain matin 28, le quartier impérial part de
très bonne heure: Napoléon était à cheval que le curé n'était pas encore
réveillé; il se réveille enfin; mais, pour le consoler de n'avoir pas
fait ses adieux, il ne faut rien moins qu'une bourse que le grand
maréchal lui fait remettre, et qui est l'indemnité d'usage dans toutes
les maisons peu aisées où Napoléon s'arrête. Quittons le bon curé
d'Herbisse, et remettons-nous à la suite du mouvement de l'armée.

Tandis que l'armée continue sa marche vers Sezanne, Napoléon se porte,
avec des troupes légères, sur un corps ennemi qui avait couché près de
nos bivouacs, à la Fère champenoise; il le chasse devant lui: c'était un
détachement de cavalerie que Blücher avait jeté de ce côté sous les
ordres du général Tettenborn, pour communiquer avec l'armée
autrichienne, et être averti de notre marche. Les colonnes de l'armée
française se réunissent, vers le milieu de la journée, à Sezanne; on ne
s'y arrête que pour prendre des renseignements: on apprend que les ducs
de Trévise et de Raguse se sont réunis le 26 à la Ferté-sous-Jouarre;
mais que, trop faibles encore malgré leur jonction, ils continuent de
reculer devant toutes les forces de Blücher, et doivent être à Meaux;
qu'il n'y a pas un moment à perdre pour sauver ce faubourg de la
capitale.

L'armée se remet aussitôt en marche; mais la journée étant déjà très
avancée, on ne peut faire que quelques lieues au-delà de Sezanne, et
l'on bivouaque à moitié chemin de la Ferté-Gaucher. Le quartier impérial
passe la nuit au château d'Estrenay, que les Prussiens avaient pillé le
matin.

Plusieurs officiers d'ordonnance, expédiés en toute hâte par les deux
maréchaux que l'on vient de laisser au-delà de Troyes, arrivent dans la
soirée, et sont porteurs de mauvaises nouvelles: les Autrichiens ne
reculent plus; ils ont repris vivement l'offensive à l'instant même que
Napoléon a quitté Troyes: le combat que les troupes du duc de Reggio et
du général Gérard ont eu à soutenir le 27, sur les hauteurs de
Bar-sur-Aube, a été sanglant; les généraux ennemis ont prodigué le
nombre des assaillants; la valeur personnelle des chefs n'a épargné
aucun effort pour ramener la confiance dans cette armée découragée, et
la décider à accabler de sa masse le petit nombre de Français qui lui
est opposé: Witgenstein et Schwartzenberg lui-même se sont fait blesser.
Les renforts qui arrivaient à chaque instant à l'ennemi rendaient cette
lutte de plus en plus disproportionnée; et le soir, les généraux
français s'étaient décidés à la retraite: ils reviennent sur Troyes. Le
duc de Tarente, qui a eu quelques avantages du côté de Mussy-l'Évêque,
et qui a même relevé un moment les troupes autrichiennes dans la garde
d'honneur du congrès de Châtillon, est entraîné par le mouvement de
retraite qui ramène le duc de Reggio sur Troyes. Les Autrichiens savent
maintenant que les troupes qu'ils ont devant eux ne sont qu'un rideau,
et que le gros de l'armée française a suivi Napoléon; ils se trouvent
eux-mêmes si nombreux, que déjà ils n'hésitent plus à détacher les
généraux Hesse-Hombourg et Bianchi contre le duc de Castiglione, qui
devient trop redoutable sur leurs derrières.

Ainsi peu de jours ont suffi pour dissiper nos avantages et déjouer nos
projets: les Autrichiens, qu'on croyait poursuivre jusqu'au Rhin, se
sont ralliés entre Langres et Bar, et maintenant reviennent sur nous; le
maréchal Augereau ne pourra plus opérer la diversion qui lui a été
prescrite sur la Saône; et Paris se voit menacé plus que jamais par
l'armée de Blücher, qui est aux portes de Meaux.

Napoléon, à force d'activité, espère encore ramener la fortune; il veut
d'abord se débarrasser de Blücher, et compte revenir sur la Seine assez
tôt pour sauver Troyes.

Le 1er mars, l'armée française arrive de bonne heure à la Ferté-Gaucher;
Napoléon s'y arrête un moment chez le maire, vieillard très âgé, que son
zèle rajeunit, et que Napoléon rajeunit encore en lui donnant la
décoration de la Légion-d'Honneur. Les nouvelles de Meaux sont
rassurantes: les Prussiens ont été arrêtés par la rupture des ponts de
Tréport et de Lagny; ils ont été également arrêtés la veille (le 28) sur
la ligne de l'Ourcq, au village de Lisy, par les troupes du duc de
Raguse; et sur la Térouenne, au gué du Trême, par les troupes du duc de
Trévise.

Ainsi les deux maréchaux tiennent toujours en avant de Meaux; Napoléon
arrive sans doute à temps; dans quelques heures, ses troupes vont se
trouver en ligne: si Blücher, surpris par leur brusque arrivée, fait
volte-face contre elles, un combat décisif va s'ensuivre, et les
affaires peuvent être promptement rétablies. Pleine de ces espérances,
l'armée continue, en toute hâté, sa marche par Rebais; elle est
harassée, mais l'ardeur de vaincre la soutient: de Rebais, elle se
dirige sur la Ferté. Arrivée enfin sur les hauteurs de Jouarre, elle
découvre à ses pieds la ville de la Ferté, les sinuosités de la vallée,
et, de l'autre côté de la Marne, l'armée prussienne qui nous échappe!

Le maréchal Blücher avait été informé sans doute, par les troupes
légères de Tettenborn, de l'approche de Napoléon; il avait évacué
aussitôt la rive gauche de la Marne: réuni à ses troupes de la rive
droite, il avait coupé les ponts, et venait de mettre la rivière entre
nous.

Napoléon ordonne qu'on se mette, sans perdre de temps, à rétablir un
pont à la Ferté; mais cette opération exigera au moins vingt-quatre
heures; on passe la nuit à Jouarre.

Le lendemain, 2 mars, Napoléon descend à la Ferté, pour être plus près
des travaux du pont; il s'établit dans la première maison qu'il trouve
au faubourg de Paris.

La plaine qui s'étend entre la Marne et l'Ourcq est couverte des
détachements de l'armée prussienne. On les voit qui mettent à profit le
temps que nous perdons à rétablir un pont: leur retraite se fait en
désordre dans la direction de Soissons. Le temps est affreux: ils ne
peuvent fuir que par des chemins de traverse, où leurs équipages restent
embourbés; les souvenirs de Montmirail et de Vauchamps se réveillent
parmi eux, et troublent leurs esprits. A chaque instant des paysans qui
échappent de leurs mains viennent à la Ferté raconter les embarras et
les terreurs de l'ennemi. Ces rapports ne font qu'ajouter à l'impatience
que Napoléon a de franchir la Marne.

Bacler-d'Albe est envoyé à Paris pour y porter la nouvelle de la
retraite des Prussiens. Rumigny, l'un des commis du cabinet, part en
courrier pour Châtillon, où il instruira le duc de Vicence de la
situation des affaires; des aides de camp sont expédiés aux ducs de
Trévise et de Bellune, pour qu'ils aient à reprendre l'offensive, et
leur donner avis qu'ils forment désormais la gauche du cercle dans
lequel on va renfermer Blücher.

Dans la nuit du 2 au 3 mars, nos troupes effectuent enfin ce passage de
la Marne si long-temps retardé: mais tout-à-coup le temps change; une
forte gelée succède à la pluie, et l'ennemi voit se convertir en routes
solides et faciles ces mêmes boues d'où quelques heures auparavant il
désespérait de sortir!

Malgré ce contre-temps, toutes les chances d'un grand succès ne nous
sont pas enlevées. Dans la direction que l'ennemi est forcé de suivre
pour opérer sa retraite, le cours de l'Aisne va lui barrer le passage.
Soissons est la clef de cette barrière; Soissons, dont les
fortifications ont été relevées, est à nous; quatorze cents Polonais en
forment la garnison: l'ennemi ne peut penser à l'enlever par un coup de
main. Blücher est à Beurneville, près la Ferté-Milon; ses soldats, épars
dans les plaines de Gandelu et d'Aulchy-le-Château, ayant devant eux
l'Aisne, derrière eux la Marne, pressés à gauche par les troupes du duc
de Trévise et du duc de Raguse, à droite par l'armée de Napoléon,
courent grand risque d'être acculés sur Soissons, et d'être forcés de
déposer armes et bagages aux pieds des vieux remparts de cette ville.

Plein de ces espérances, Napoléon débouche, le 3 mars, par le nouveau
pont de la Ferté; il porte rapidement ses troupes sur la grande route de
Châlons jusqu'à Château-Thierry; et là, trouvant à gauche la route de
Soissons, il la fait prendre à son armée, qu'il ramène ainsi sur les
flancs de l'ennemi. Quel que soit ce détour, nos troupes, en suivant une
chaussée, ont marché plus vite que les Prussiens, leur ont coupé le
chemin de Reims, et se trouvent en mesure d'arriver sur eux avant qu'ils
aient passé l'Aisne. Napoléon s'arrête la nuit à Bezu-Saint-Germain.

Tandis que la droite de l'armée française s'avance ainsi par la route de
Château-Thierry à Soissons, les troupes des ducs de Trévise et de
Raguse tournent l'ennemi par notre gauche, et marchent également sur
Soissons; l'un en suivant la grande route de Villers-Cotterets, l'autre
en passant par Neuilly-le-Saint-Front.

Resserré ainsi de tous côtés, l'ennemi se croit perdu; mais dans ce
moment critique les ponts-levis de Soissons s'abaissent devant l'armée
prussienne étonnée!

Ce passage inespéré lui est ouvert par les généraux Bulow et
Wintzingerode, que le hasard vient d'amener sur l'autre rive de l'Aisne.

Le général Bulow, arrivant de Belgique, à travers la Picardie, avait
d'abord fait une incursion sur notre arsenal de la Fère; il s'était
ensuite réuni au général Wintzingerode; leur jonction venait de se faire
le 2 mars, dans les environs de Soissons. Ces généraux avaient entamé
des pourparlers avec le commandant français, et, dans cette négociation,
ils avaient réussi à lui persuader qu'il n'avait rien de mieux à faire
que de capituler.

Le 4 mars au matin, Napoléon, ignorant encore ce qui vient de se passer
à Soissons, continue son mouvement sur l'Aisne; l'armée impériale passe
au pied des ruines du château de Fère-en-Tardenois, et arrive à Fismes,
où elle coupe la route de Soissons à Reims. C'est là qu'on apprend la
perte de Soissons, et la fortune des Prussiens!...



CHAPITRE VIII.

EXCURSION AU-DELA DE L'AISNE.--BATAILLE DE CRAONNE.--COMBATS DE LAON ET
DE REIMS.

(Du 4 au 15 mars.)


Ces longues marches, devenues vaines par une suite de contre-temps
inouïs, ont éloigné l'armée de sa ligne d'opérations, renfermée
jusqu'alors entre la Seine et la Marne. On se voit avec inquiétude
transporté aux débouchés des Ardennes; les craintes sur ce qui se passe
derrière nous augmentent avec les distances qui nous séparent de la
Seine. On ne reçoit aucune nouvelle de Lusigny, on n'en reçoit aucune de
Châtillon: sans doute les alliés, revenus de leurs alarmes, auront eu
honte des avances qui ont failli leur coûter la suspension des
hostilités; sans doute le ministre anglais, mettant à profit l'assurance
que rend aux plus timides le retour de la fortune, n'aura pas manqué de
prendre des précautions contre les vicissitudes à venir! Ces conjectures
auxquelles on se livrait avec anxiété n'étaient que trop fondées;
l'Angleterre venait de faire signer le traité de Chaumont.

Par ce traité, qui porte la date du 1er mars, les souverains, resserrant
leur alliance, s'étaient engagés à ne pas se départir du projet de
renfermer la France dans ses anciennes limites. Il est même probable que
l'idée de renverser Napoléon du trône venait d'être agréée; mais, par
condescendance pour l'Autriche, on devait encore tenir quelques
conférences à Châtillon pour voir si le duc de Vicence pourrait se
résoudre à signer le traité.

Ces résolutions n'ont été connues que plus tard; mais déjà il est
évident que les affaires deviennent plus difficiles; de noirs
pressentiments commencent à se répandre, et Napoléon lui-même est plus
sombre!

Toujours sur les pas de l'ennemi, il ne voit de tous côtés que
dévastation et incendie. Il n'est entouré que de malheureux habitants,
qui, dans leur désespoir, poussent bien plutôt des cris de vengeance que
des cris de paix. «Vous aviez bien raison, sire,» lui disent dans les
termes les plus énergiques, et d'une commune voix, tous les habitants
des pays que nos armes délivrent un moment de l'ennemi, «vous aviez bien
raison quand vous nous recommandiez de nous lever en masse. La mort est
mille fois préférable aux vexations, aux mauvais traitements, et aux
cruautés qu'il faut endurer lorsqu'on se soumet au joug de l'étranger.»

Le désespoir général est devenu une arme contre l'ennemi: Napoléon s'en
saisit. Il entreprend de donner même aux plus faibles cette espèce
d'énergie que peut inspirer la peur. Il laisse un libre cours aux cris
de vengeance: le Moniteur se remplit de toutes les plaintes, de tous les
gémissements des malheureux habitants de Montmirail, de Montereau, de
Nangis; des souffrances de Troyes, et des horreurs plus récentes encore
dont les plaines de la Ferté-sous-Jouarre et de Meaux viennent d'être le
théâtre. Toutes les villes que la guerre a frappées de son fléau
envoient des députés à Paris pour y peindre leur situation et demander
des vengeurs! Partout des enquêtes sont faites: les maux sont si grands,
qu'on n'a pas besoin de les exagérer. Les ressentiments et l'effroi sont
donc mis en jeu dans toute leur vérité pour suppléer à l'ardeur que le
patriotisme seul aurait dû rallumer. On invoque les grands exemples de
l'antiquité: on rappelle ce que la France a fait en 1792; on s'anime
même par l'exemple de ce que l'Espagne, la Russie et la Prusse viennent
de faire contre nous! Dans ces circonstances extrêmes, on ne peut avoir
recours qu'aux mesures extrêmes; mais, il faut le dire, ces mesures
produisent à Paris et dans les grandes villes un effet tout contraire à
celui qu'on veut obtenir. On y est trop civilisé pour avoir la
résolution des Russes et des Espagnols. L'imagination des citadins
s'effraie de la violence du parti qu'on leur propose; ils reculent
devant le tableau trop hideux que la guerre leur présente: les récits de
tous ces députés, échappés de l'incendie et des ruines de leur province,
abattent les esprits au lieu de les relever; et l'on demande encore plus
hautement la paix, puisqu'elle doit mettre un terme à tant d'horreurs.

Dans les campagnes, au contraire, tous les hommes sont déjà soldats; il
ne s'agit plus que de les rallier.

Avant de quitter le bourg de Fismes, Napoléon signe un décret par lequel
non seulement il autorise, mais même requiert tout Français de courir
aux armes, à l'approche de nos armées, pour seconder nos attaques. Dans
un second décret du même jour, Napoléon prononce le supplice des
traîtres contre tout maire ou fonctionnaire public qui refroidirait
l'élan de ses administrés, au lieu de l'exciter.

Ces décrets reçoivent la plus grande publicité, mais aucune suite n'est
donnée à leur exécution.

On ne tarde pas à s'apercevoir que Napoléon, en les rendant, a moins
voulu se procurer une ressource militaire qu'un épouvantail politique.
Ces appels, ces démonstrations de levée en masse, dont nos journaux sont
devenus les trompettes, vont frapper l'attention des souverains alliés:
peut-être intimideront-ils la haine des rois en leur faisant entrevoir
jusqu'où peut aller cette guerre, si elle est poussée de part et d'autre
avec trop d'acharnement.

Plus les circonstances deviennent critiques, moins Napoléon voudrait
prolonger l'excursion dans laquelle il s'est engagé. Cependant il ne
peut se résoudre à renoncer à la poursuite des Prussiens sans les avoir
mis, du moins pour quelque temps, hors d'état de revenir sur nous.
Maintenant qu'ils sont derrière l'Aisne, et qu'ils ont pu se réunir aux
renforts que les armées du nord leur fournissent, on doit croire qu'ils
ne refuseront pas davantage le combat: Napoléon ne cherche plus qu'à
presser l'événement.

Dans la nuit du 4 au 5 mars, le général Corbineau est détaché de Fismes,
avec la cavalerie du général Laferrière-Lévêque, pour aller s'emparer de
Reims, dont la possession est trop utile en ce moment pour la laisser à
l'ennemi. Le général Corbineau reprend Reims le 5 à quatre heures du
matin. Tandis que cette opération s'effectue, Napoléon en médite une non
moins importante: il s'agit de surprendre le passage de l'Aisne.

Dans la journée du 5, il dirige son avant-garde sur Béry-au-Bac, où la
route de Reims à Laon traverse l'Aisne sur un pont récemment construit.
Toute l'armée s'y porte par la traverse. La cavalerie du général
Nansouty enlève le pont et jette l'ennemi en désordre sur Corbeny. Dans
ce léger combat, on fait prisonnier le colonel russe Gagarinn.

Napoléon reste cette nuit à Béry-au-Bac.

Le passage de l'Aisne étant effectué, il se décide à envoyer des
coureurs à Mézières, à Verdun et à Metz. Ces émissaires portent l'ordre
aux garnisons des Ardennes et de la Lorraine de se mettre en mouvement
pour fermer les routes, et seconder les opérations de l'armée impériale,
dont l'approche leur est annoncée.

Le 6 mars, l'armée s'avançait sur Laon; mais on s'arrête à Corbeny. Tous
les rapports annoncent que l'ennemi vient au-devant de nous: ce sont les
corps russes de Wintzingerode, de Woronzof et de Sacken; ils se
présentent seuls, pour donner le temps à l'armée prussienne fatiguée de
se rallier autour de Laon.

L'armée russe prend position sur les hauteurs de Craonne; cette montagne
est le commencement d'une chaîne de collines qui se prolonge à notre
gauche, entre le cours de l'Aisne et la route de Laon; l'ennemi, posté
sur l'arête de cette côte longue et étroite, paraît inaccessible sur ses
flancs, et presque inattaquable de front.

Le désir d'en finir diminue à nos yeux les obstacles; notre avant-garde
parvient à s'établir à Craonne, qui est à mi-côte; le maréchal Ney fait
monter ses troupes jusqu'à la ferme d'Urtubie; les officiers
d'ordonnance Gourgaud et Caraman vont reconnaître les défilés de la
montagne; ils s'emparent des plus importants: les troupes s'approchent,
et l'on se prépare à une bataille pour le lendemain.

Napoléon passe la nuit au village de Corbeny.

Les principaux habitants des villages voisins étaient accourus au
quartier impérial, pour donner des renseignements sur les localités.
Partout un même concours de Français zélés venaient entourer Napoléon;
il était dans l'habitude d'interroger lui-même tous ceux qui se
présentaient: cette nuit, il reconnaît dans le maire de Baurieux, M. de
Bussy, son ancien camarade au régiment de la Fère; cet officier avait
émigré, et, depuis son retour, vivait retiré dans son patrimoine, sur
les bords de l'Aisne. Napoléon le fait remonter au grade de colonel, le
met au nombre de ses aides de camp, et le désigne pour servir de guide
sur le terrain de Craonne.

Dans la même nuit, un émissaire parti de Strasbourg, et que le comte
Roederer envoie, parvient jusqu'à nous; il a traversé les départements
de la Lorraine et de la Champagne, que l'ennemi occupe; il nous confirme
que le mouvement général de retraite de l'armée de Schwartzenberg s'est
fait ressentir jusqu'au Rhin: on apprend par lui que les habitants des
Vosges, enhardis par la fuite des bagages autrichiens, se sont soulevés,
et ont fait éprouver à l'ennemi des pertes énormes sur toutes les
routes; que, dans le département de la Meuse, près de Bar-sur-Ornain,
les paysans ont tué un général russe et dispersé le régiment qui
l'escortait; que la garnison de Verdun pousse ses sorties jusqu'à
Saint-Mihiel; que celle de Metz envoie des patrouilles jusqu'à Nancy;
que nos places d'Alsace sont faiblement observées; que la garnison
française de Mayence montre journellement des partis du côté de Spire;
qu'enfin les garnisons et les habitants de cette partie de la France
sont plus que jamais disposés à seconder les projets que Napoléon a sur
eux. Cet émissaire se nomme Wolff; il se fait reconnaître pour avoir été
sergent d'artillerie dans le régiment où le colonel Bussy et Napoléon
lui-même ont servi. Il reçoit la décoration de la Légion-d'Honneur, et
repart pour l'Alsace avec des ordres.

Le 7, à la pointe du jour, la bataille de Craonne commence.

Nos troupes parviennent successivement sur le plateau; mais la grande
difficulté est de s'y établir. Le maréchal Ney et le maréchal Victor
combattent à la tête de l'infanterie; le maréchal Victor est blessé: le
général Grouchy commande la cavalerie de l'armée, le général Nansouty
commande la cavalerie de la garde; tous deux sont blessés. Le général
Belliard prend le commandement de la cavalerie; le général Drouot dirige
le feu de nos batteries: il parvient enfin à faire reculer celles de
l'ennemi; mais sur cette arête, on ne peut que marcher devant soi: les
Russes se retirent pied à pied, et aucun mouvement de flanc ne peut
précipiter leur retraite.

La victoire de Craonne, disputée une grande partie de la journée, ne
nous laisse pour trophées que les morts de l'ennemi.

On poursuit les Russes jusqu'à la grande route de Soissons à Laon; cet
embranchement de chemin s'appelle l'Ange-Gardien, du nom d'une auberge
qui s'y trouve placée: l'ennemi tient encore quelques heures sur ce
point, pour donner le temps aux Prussiens d'évacuer Soissons et de venir
le rejoindre.

A la nuit, le quartier impérial descend du champ de bataille dans la
vallée de l'Aisne pour y trouver un village: on passe la nuit dans le
petit village de Bray en Laonnais.

Napoléon, sortant de cette action meurtrière dont il a partagé tous les
dangers, encore ému des incertitudes du combat, harassé de fatigues,
entouré de blessés et de mourants, était dans un de ces moments où les
dégoûts de la guerre rassasieraient l'âme la plus belliqueuse: on lui
annonce des dépêches de Châtillon; c'est Rumigny, l'un des commis de son
cabinet, qui les apporte. Si ce sont des paroles de paix, Napoléon n'a
jamais été plus disposé à les écouter.

Le congrès de Châtillon, que les conférences militaires de Lusigny
avaient suspendu pendant quelques jours, a repris ses séances, et les
plénipotentiaires des alliés y déploient la rigueur de leurs nouvelles
instructions. Les prétentions que la France vient de montrer à Lusigny
sont qualifiées d'infraction aux bases de la négociation: on veut
maintenant que le duc de Vicence ne songe plus à discuter; il faut
qu'il souscrive à la condition des anciennes limites, ou bien qu'il
remette son contre-projet; et déjà l'on parle hautement de se séparer,
si la France représente des articles contraires aux bases dont on ne
veut plus se départir. Telle est la substance des dépêches qu'on remet à
Napoléon sur le champ de bataille de Craonne; le duc de Vicence demande
qu'on lui envoie des instructions définitives sur le contre-projet qu'il
doit remettre.

Napoléon ne s'attendait qu'à des conditions pénibles; il est résigné aux
plus grands sacrifices; les concessions auxquelles il se prépare sont
immenses: mais il ne veut pas ajouter à nos humiliations celle de les
provoquer par un acte émané de lui-même. «S'il faut recevoir les
étrivières, dit-il, c'est bien le moins qu'on me fasse violence.»
Rumigny ne remportera donc pas le contre-projet qu'il est venu chercher;
mais il a dû recueillir les paroles qui viennent d'échapper à Napoléon.

Au surplus, Napoléon voudrait que son plénipotentiaire fût en mesure de
connaître enfin les mesures qu'on ne peut éviter. Napoléon craint
surtout les inconvénients d'une précipitation qui, pour en finir plus
vite, nous ferait céder plus qu'on ne veut réellement obtenir.
L'empressement qu'on montre à conclure est si vif, que, jusqu'au
dernier moment, il croit devoir le contenir dans de justes bornes; cette
considération l'emporte sur toutes les autres et dicte sa réponse. Quant
aux dangers qu'il peut courir en s'abandonnant à de nouveaux hasards,
son âme se refuse à prévoir jusqu'où peut aller le ressentiment de ses
ennemis et l'indifférence de son beau-père.

Rumigny n'a pris que quelques heures de repos; au jour il monte à cheval
pour retourner à Châtillon. Après l'avoir expédié, Napoléon va rejoindre
la tête de ses colonnes.

Notre avant-garde avait dépassé l'Ange-Gardien; tandis qu'elle s'avance
sur Laon, on envoie prendre possession de Soissons, et notre jonction se
fait de ce côté avec le duc de Trévise, qui n'avait pas dépassé l'Aisne.

On espérait arriver le soir même aux portes de Laon; mais à deux lieues
de cette ville, la route est resserrée entre des marais qui forment un
défilé, dont l'ennemi profite pour arrêter notre marche.

Napoléon revient de sa personne jusqu'à Chavignon, petit village situé à
peu près à égale distance de Soissons et de Laon; il y passe la nuit, et
y est rejoint par le général Flahaut, qui arrive de Lusigny.
L'Autriche, n'ayant plus besoin d'armistice, a cessé de favoriser cette
négociation secondaire, et dès lors les commissaires de Lusigny se sont
séparés: depuis notre départ de Troyes on s'attendait à ce résultat.

Il fallait penser à forcer, pour le lendemain, les passages où l'armée
venait d'être arrêtée.

Dans cette nuit (du 8 au 9) le premier officier d'ordonnance, Gourgaud,
se met à la tête d'une entreprise qui doit favoriser notre attaque. Un
chemin de traverse tourne à gauche le défilé des marais; Gourgaud se
jette de ce côté avec quelques troupes choisies, et, à la faveur de
l'obscurité, surprend les grand'gardes des alliés; il jette l'alarme
chez l'ennemi, et parvient à faire une diversion complète, pendant
laquelle les troupes du maréchal Ney franchissent le défilé.

L'armée française arrive ainsi au pied des hauteurs de Laon. Le corps du
duc de Raguse, qui est venu passer l'Aisne au pont de Béry-au-Bac, a
couché à Corbeny, et débouche sur Laon par la route de Reims, en même
temps que le gros de l'armée arrive par la route de Soissons. Notre
ligne se forme; le 9 au soir, le reste de nos troupes est arrivé. Le
prince de la Moskowa, le duc de Raguse, le duc de Trévise, et la garde
impériale, occupent les positions qui leur ont été assignées. Tout est
prêt pour l'attaque, les ordres partent, et le lendemain, dès la pointe
du jour, l'affaire doit commencer.

Le maréchal Blücher, qui a rallié toutes ses forces russes et
prussiennes, vient en outre de faire sa jonction avec l'armée du prince
royal de Suède.

C'est pourtant avec répugnance que Bernadotte s'avance pour combattre
ses anciens compatriotes; il n'a franchi qu'à regret la limite du Rhin,
qu'autrefois ses services ont contribué à donner à la France;
l'animosité qu'il a contre Napoléon semble s'affaiblir à mesure que le
sort de la patrie en est plus compromis. Les méfiances dont la Russie et
la Prusse le fatiguent depuis quelque temps contribuent encore à
réveiller en lui des sentiments français; mais les événements vont trop
vite, ils entraînent. Le prince de Suède n'a pu se dispenser de faire
marcher son avant-garde au secours de Blücher.

Ainsi le général prussien, qui fuit devant Napoléon depuis dix jours, a
rencontré tant de monde arrivant derrière lui, que, malgré ses échecs,
il est encore plus fort que jamais. Il nous oppose au centre le corps de
Bulow, à notre gauche les corps de Langeron, de Sacken et de
Wintzingerode; et sur notre droite les corps de Kleist et d'York.
Toutes ces troupes ont pour centre la ville de Laon, située sur un pic
élevé qui domine les environs.

Dans les rangs français on ne se sent découragé ni par le nombre ni par
la position de l'ennemi. Tout présage donc une action sanglante et
décisive.

Le 10, à quatre heures du matin, Napoléon mettait ses bottes, et
demandait ses chevaux, lorsque deux dragons arrivant à pied dans le plus
grand désordre lui sont amenés. Ils disent qu'ils viennent d'échapper
par miracle à travers un _hourra_ que l'ennemi a fait cette nuit sur les
bivouacs du duc de Raguse, et que tout est perdu de ce côté. Ils croient
le maréchal pris ou tué. Napoléon fait aussitôt monter à cheval tous ses
officiers. Tandis que les uns courent aux nouvelles du côté du duc de
Raguse, les autres vont à l'avant-garde suspendre le mouvement général
d'attaque que l'armée commençait. Bientôt les renseignements arrivent,
et l'on ne tarde pas à acquérir la triste certitude que le corps d'armée
du duc de Raguse a été en effet surpris et dispersé dans une attaque de
nuit; que le désordre a été extrême, que le parc a perdu une grande
partie de ses canons; mais que le duc de Raguse n'est pas tué, et qu'il
est de sa personne du côté de Corbeny sur la route de Reims, cherchant
à rallier les fuyards.

Cet événement met le comble aux contrariétés qui depuis quelque temps
déjouent tous nos efforts.

Nous devions attaquer l'ennemi; c'est lui qui nous attaque, encouragé
par les avantages qu'il vient d'obtenir dans la nuit: mais il ne peut
parvenir à occuper le village de Clacy, où la division Charpentier fait
la plus belle contenance. Il est repoussé, et nos détachements le
poursuivent jusqu'aux portes de Laon. Cependant on ne peut plus penser à
le forcer dans cette position; il faut s'occuper de la retraite, et
Napoléon s'y résigne. Dans l'après-midi, les équipages commencent à se
mettre en route; et, pour masquer le mouvement, on continue pendant le
reste de la journée de faire diverses démonstrations contre l'ennemi. Ce
n'est que le 11 au matin que Napoléon quitte Chavignon. L'armée le suit,
et vient prendre position dans les défilés qui couvrent Soissons.

Cette ville, si souvent prise et reprise dans cette courte campagne, et
toujours jouant le rôle le plus important, se présente encore dans ce
moment comme le seul obstacle qui puisse arrêter l'ennemi. A peine
Napoléon est-il descendu à l'évêché, qu'il s'occupe de pourvoir à la
défense de la place. Il fait appeler les officiers du génie, les
officiers d'artillerie, le duc de Trévise. Il passe avec eux
l'après-midi du 11, et toute la journée du 12, tantôt au cabinet, couché
sur une carte et le compas à la main; tantôt à cheval, parcourant le
terrain et jetant partout son coup d'oeil.

C'est le duc de Trévise qui reste à Soissons: tandis qu'il y disputera
le passage à l'armée de Blücher, Napoléon tourne ses armes contre un
nouvel ennemi.

Dans la nuit du 12 au 13 mars, au moment où l'armée allait se mettre en
marche pour revenir sur la Seine par la route de Soissons à
Château-Thierry, Napoléon a reçu la nouvelle que le corps d'armée du
général russe Saint-Priest, qui manoeuvrait du côté de Châlons-sur-Marne,
vient de s'emparer de Reims. Le général Corbineau, aidé de la cavalerie
du général Defrance, avait d'abord repoussé l'ennemi jusqu'à Sillery;
mais les Russes étaient revenus au nombre de quinze mille hommes, et il
avait fallu céder. On croyait Corbineau pris ou tué.

L'occupation de Reims par l'ennemi rétablissait les communications de
Schwartzenberg avec Blücher; d'ailleurs cette entreprise tournait déjà
la position qui venait d'être assignée au duc de Trévise: Napoléon ne
peut négliger cet ennemi; il prend aussitôt le chemin de Reims, et le
soir même il arrive aux portes de la ville. Les Russes, quoique surpris,
n'en montrent pas moins la résolution de se défendre. On se bat toute la
soirée et une partie de la nuit. Enfin, le général ennemi est grièvement
blessé; on l'emporte, ses troupes le suivent, et Napoléon entre à Reims
à une heure du matin.

Les malheureux habitants avaient tout à craindre d'un tumulte que
l'obscurité de la nuit pouvait porter au comble. Cependant (et il faut
le dire à la louange des Russes et des Français) les uns ont évacué la
ville, les autres en ont pris possession, sans qu'il y ait eu d'autres
dommages que ceux qui sont inévitables dans un combat. Corbineau, qui
avait disparu au moment de l'occupation de Reims par l'ennemi, se
retrouve le 14, à la pointe du jour, parmi les bourgeois de Reims, qui
viennent faire foule devant le logis de Napoléon: il était resté déguisé
chez un habitant.

Les troupes du duc de Raguse, après s'être ralliées au pont de
Béry-au-Bac, étaient venues prendre part à l'attaque de Reims. Leur chef
est appelé pour rendre compte de son désastre; il se présente: à sa
vue, Napoléon s'emporte en reproches, qui n'entrent que trop avant
peut-être dans le coeur du maréchal. Cependant après les plaintes
viennent les explications: bientôt les sentiments que Napoléon a
toujours portés à son aide de camp prennent le dessus, et ce n'est plus
qu'un maître en l'art de la guerre qui relève les fautes d'un de ses
élèves de prédilection: Napoléon finit par le retenir à dîner.

Le même jour, 14, l'armée reçoit un renfort précieux dans la
circonstance: on le doit au zèle et à l'activité du général Janssens,
Hollandais, ancien gouverneur du cap de Bonne-Espérance, qui commande en
ce moment sur la frontière des Ardennes. Les émissaires qu'on lui a
envoyés pour le prévenir de l'arrivée de l'armée sur les bords de
l'Aisne lui sont parvenus. Il a tiré aussitôt tous les détachements
qu'il a pu des garnisons qu'il commande; et de ces détachements, réunis
à Mézières, il a formé en dix jours un corps de six mille hommes, qu'il
amène lui-même par la route de Rethel.

Tandis que le prince de la Moskowa s'avance vers Châlons, l'armée fait
halte dans les environs de Reims, et y passe les journées du 14, du 15
et du 16. Ces trois jours de repos sont indispensables pour se préparer
à de nouvelles marches. Napoléon les met à profit dans son cabinet, et
médite ce qui lui reste à faire.

Cette halte militaire est une des dernières dans lesquelles il trouve le
temps de signer le travail de ses ministres, et de mettre toutes les
affaires de l'empire au courant. Il passe une grande partie du jour avec
le duc de Bassano. Chaque semaine un auditeur du conseil d'état lui
apportait le travail de Paris: quelles que fussent les fatigues de la
guerre et la gravité des circonstances, il voyait tout, il pourvoyait à
tout, et jusqu'alors il avait pu suffire aussi bien aux affaires de
l'intérieur qu'à celles de l'armée.



CHAPITRE IX.

NAPOLÉON RAMÈNE L'ARMÉE SUR LA SEINE.--COMBAT D'ARCIS.

(Du 16 au 21 mars.)


Napoléon trouve dans la lecture de ses dépêches des renseignements qui
lui permettent de jeter un regard autour de lui.

Au nord, le général Maison continue de manoeuvrer entre Tournay, Lille
et Courtray, et contient l'ennemi.

Le général Carnot est resté maître de la campagne d'Anvers, et tient les
Anglais à distance. Ceux-ci, après avoir échoué dans la tentative d'un
bombardement dont notre flotte était le point de mire, viennent
d'éprouver un échec plus sanglant.

Leur général, Graham, avait des intelligences dans Berg-Op-Zoom; la nuit
du 8 au 9 mars, ses troupes surprennent l'entrée d'une porte; quatre
mille Anglais pénètrent dans la place; ils s'en croient maîtres: mais la
présence d'esprit du général Bizannet retourne le péril contre ceux qui
l'ont apporté: il rallie ses troupes, marche aux Anglais, les surprend
dans l'hésitation de la nuit, les chasse de rue en rue, les accule aux
portes qui se sont refermées sur eux; et tout ce qui est entré dans la
place y demeure mort ou prisonnier. Bayard n'aurait pas mieux fait!

Du côté de Lyon l'horizon s'est rembruni. Le duc de Castiglione, au lieu
de remonter la Saône, et de se porter franchement sur Vesoul, s'est
amusé à guerroyer avec le général Bubna, qu'il a renfermé dans Genève;
mais tandis qu'il avait son quartier général à Lons-le-Saulnier, les
généraux Hesse-Hombourg et Bianchi, détachés de la grande armée
autrichienne, arrivaient à marche forcée sur Dijon, pour occuper les
routes de la Saône, et préserver les alliés de la plus dangereuse
diversion qu'ils eussent à redouter.

Augereau surpris s'est vu forcé de faire une contre-marche vers eux. Le
7 mars, il a abandonné le pays de Gex et la Franche-Comté. Ses illusions
à l'égard de Bubna, qu'il croyait son seul ennemi, sont dissipées: mais
il est trop tard. Il a manqué l'occasion de sauver la France. Ses
efforts vont se borner à couvrir Lyon; et, dès ce moment, il cesse de
peser dans la balance des grands événements de la campagne. Napoléon se
décide à remplacer Augereau par un général plus actif et plus
entreprenant. Il jette d'abord les yeux sur son frère Jérôme; mais, pour
inspirer confiance aux troupes, il faut un général dont la réputation
soit populaire, et Napoléon arrête définitivement son choix sur le
maréchal Suchet.

Au pied des Pyrénées, tout annonce de la part de l'armée et de son chef
un dévouement qui semble défier même les revers. Le maréchal Soult,
après avoir tenu en échec, pendant près de deux mois, toutes les forces
de Wellington devant Bayonne, a dû abandonner la ligne de l'Adour. Il y
a été forcé le 27 février par la perte de la bataille d'Orthez. Sa
retraite se fait sur Toulouse dans un ordre admirable; et déjà le 2
mars, au combat de Tarbes, il vient de prendre sa revanche en taillant
en pièces les troupes portugaises du général d'Acosta. Mais cette brave
armée est affaiblie par les renforts qu'elle ne cesse d'envoyer sur
Paris; Bayonne est donc abandonnée à ses propres forces, et le chemin de
Bordeaux est ouvert.

A Paris, l'on tremble encore une fois. Les ducs de Tarente et de Reggio
n'ont pu conserver Troyes; ils l'ont évacué le 4 mars. Ils ont ensuite
essayé d'arrêter l'ennemi au passage de la Seine à Nogent: «Mais l'armée
de Schwartzenberg, écrivent-ils, s'avance avec assurance, et ils
prévoient qu'ils vont être forcés à continuer leur retraite.»

Les progrès de l'ennemi, par tant de routes différentes, commencent à
donner de la consistance aux espérances de la maison de Bourbon. Le duc
d'Angoulême étend ses intelligences jusqu'à Bordeaux et dans tout le
midi; M. le comte d'Artois se fait voir dans la Franche-Comté et la
Bourgogne.

On a signalé ses agents dans Paris [...] et les amis de la dynastie
impériale en ont pris l'alarme. Le prince Joseph, pour conjurer l'orage,
a risqué de donner à l'impératrice le conseil d'écrire secrètement à son
père; mais cette princesse s'est refusée à faire une pareille démarche
sans l'aveu de Napoléon.

La tentative du prince Joseph suffirait seule pour faire entrevoir à
Napoléon à quelles inquiétudes on s'abandonne. Décidé à combattre à
outrance, il n'a plus de temps à perdre; il veut porter un coup décisif,
et ce ne peut être qu'en risquant le tout pour le tout.

Il faut d'abord sauver Paris; l'ennemi peut y être le 20. C'est donc sur
Schwartzenberg qu'il faut marcher. Mais on a besoin d'un avantage
signalé, et ce n'est pas en attaquant de front qu'on pourra l'obtenir;
l'armée française est maintenant trop peu nombreuse: c'est en queue
qu'il faut aller prendre les Autrichiens. Cette manoeuvre offre la
chance de jeter le désordre dans l'arrière-garde ennemie, de faire des
prises importantes, de déranger les combinaisons de l'attaque
principale, et de placer les souverains alliés au coeur de la France
dans une position faite pour les inquiéter. Au pis aller, notre retraite
pourra toujours se faire sur les places de la Lorraine.

On suppose Schwartzenberg arrivé à Nogent. Pour déboucher sur le dos de
l'ennemi, l'armée française va donc se diriger sur Épernay,
Fère-Champenoise et Méry. Le corps du prince de la Moskowa, qu'il avait
été question de détacher en partisan sur la Lorraine, suspendra
l'exécution de ce plan pour venir prendre part aux efforts que toutes
nos forces réunies vont encore risquer. Ce corps d'armée suivra la
grande route de Châlons à Troyes, et gagnera l'Aube; le rendez-vous est
sur les bords de cette rivière.

Mais, pendant le mouvement, Paris va se trouver découvert. Déjà Blücher
pousse des partis sur Compiègne. L'impératrice et le roi de Rome
resteront-ils exposés à être renfermés dans la capitale, sous
l'influence des ennemis du dedans et du dehors? Napoléon veut avant tout
assurer la liberté de sa femme et de son fils. Il enjoint au prince
Joseph de les faire partir de Paris, à la moindre apparence de danger,
et de les envoyer avec les ministres sur la Loire.

En même temps Napoléon écrit à son plénipotentiaire à Châtillon, et,
dans ce dernier moment de la crise, il n'hésite plus sur les
concessions, quelles qu'elles puissent être, pourvu que l'évacuation
immédiate du territoire soit la première conséquence du traité. Les
dépêches sont expédiées par triplicata. Deux courriers partent ainsi que
M. Frochot, auditeur au conseil d'état, qui, né à Châtillon, connaît les
localités et doit plus facilement qu'un autre franchir les obstacles qui
peuvent retarder sa marche[36].

[Note 36: Voir la dépêche de Reims, du 17 mars, au supplément de la
seconde partie, nº 35.]

Toutes ces dispositions faites, l'armée se met en route le 17 au matin.
On ne laisse à Reims que le corps d'armée du duc de Raguse. Il doit
s'entendre avec le duc de Trévise pour disputer pied à pied le chemin de
la capitale aux masses de Prussiens, de Russes et de Suédois qui vont
les déborder.

Napoléon arrive de bonne heure à Épernay. Il descend chez M. Moitte,
maire de la ville. C'est là qu'il apprend les événements de Bordeaux.
Les Anglais y sont entrés; ils y ont été appelés par le maire lui-même,
par le comte de Lynch. D'abord les propositions de ce maire ont étonné
l'ennemi, qui a hésité à s'y confier. Les gazettes[37] retentissaient
encore de ses protestations de dévouement à Napoléon, et Wellington lui
faisait l'honneur de craindre un piége dans sa double conduite; mais le
duc d'Angoulême avait été entièrement rassuré à cet égard par les
missions de M. de la Roche-Jacquelin, qui, depuis quelques jours, allait
de Bordeaux chez le prince, et de chez le prince à Bordeaux.

[Note 37: En novembre, le comte de Lynch, accouru au pied du trône pour
y donner de nouveaux gages de sa fidélité, s'écriait: «Napoléon a tout
fait pour les Français; les Français feront tout pour lui.» (Voyez le
Moniteur du 28 novembre 1813.) Et le 29 février, en remettant les
drapeaux de la garde nationale de Bordeaux, il n'avait parlé à ses
administrés que de leurs devoirs «envers leur auguste souverain, dont
tous les soins avaient pour but de conquérir une honorable paix.» Il
avait traité de _téméraires les alliés, qui cherchaient à envahir notre
territoire_; et si le danger s'approchait de Bordeaux, «il promettait de
donner l'exemple du dévouement.» (Voyez le Moniteur du 6 mars 1814.) Il
est remarquable que c'est à ce même comte de Lynch qu'on a cru devoir
donner le premier cordon de la Légion-d'Honneur qui ait été distribué
après la restauration.]

Wellington, cédant aux instances du duc d'Angoulême, avait donc consenti
à détacher la division du général Béresford pour donner aux partisans de
la maison de Bourbon l'appui qu'ils réclamaient; et ceux-ci, dès qu'ils
s'étaient vus protégés par les baïonnettes anglaises, avaient proclamé
Louis XVIII. Cette résolution avait eu lieu le 12 mars. Le duc
d'Angoulême était attendu a Bordeaux pour y faire son entrée.

Cette défection n'étonne pas Napoléon; il semble s'attendre à de plus
douloureuses épreuves!

Les bons habitants d'Épernay avaient défoncé leurs cachettes pour faire
accueil à l'armée: pendant quelques heures, le vin de Champagne fait
oublier aux soldats leurs fatigues, et aux généraux leurs inquiétudes!

Le 18, l'armée continue sa marche vers l'Aube. On suit la lisière qui
sépare la Champagne de la Brie, et l'on s'arrête à Fère-Champenoise pour
y passer la nuit.

Dans la soirée, Rumigny arrive de Châtillon. Il annonce à Napoléon que
les temporisations diplomatiques touchent à leur terme. Les
plénipotentiaires des alliés, n'ayant plus d'inquiétude pour Blücher,
ont renfermé aussitôt le duc de Vicence dans un délai de trois jours
pour souscrire aux conditions proposées: pressé de cette façon, le
plénipotentiaire de France a remis le 15 un contre-projet; mais dans une
pareille démarche, et surtout lorsqu'il ne s'agit que de cessions et
d'humiliations, le duc de Vicence n'est pas homme à avoir dépassé ses
pouvoirs; il est donc probable que son contre-projet, quelque modéré
qu'il puisse être, va devenir le signal de la rupture. Tandis que nos
derniers courriers font mille détours au gré des caprices des
commandants de troupes alliées, le délai fatal doit avoir expiré: ainsi
le sort en est jeté.

La sensation qu'en d'autres temps cette nouvelle aurait pu faire va se
perdre dans la gravité des événements qui surviennent presque aussitôt.

Les renseignements que Napoléon reçoit sur l'ennemi sont de nature à le
faire persister dans sa marche sur Méry.

Schwartzenberg avait ces jours derniers son quartier général à Pont; il
y a passé la nuit du 13 au 14. Il paraît être en pleine marche sur
Paris; son avant-garde, commandée par Witgenstein, était le 16 à
Provins. Le duc de Tarente et le duc de Reggio ne cessent d'écrire
qu'ils sont poussés sur Paris par toute l'armée autrichienne. Tout
confirme donc Napoléon dans l'espoir qu'il va tomber sur l'arrière-garde
et sur les bagages de l'ennemi.

Le 19 au matin, on se hâte de partir de La Fère-Champenoise pour aller
passer l'Aube à Plancy, et dans la soirée notre avant-garde, débouchant
à travers les cendres de Méry, se retrouve au hameau de Châtres, sur la
grande route de Troyes à Paris. On intercepte des bagages, on culbute
des pontons, on fait quelques prisonniers, on recueille de nouveaux
renseignements, et la véritable situation des choses s'éclaircit.

Napoléon a été trompé par les alarmes de la capitale. Depuis cinq jours,
les ennemis ne marchent plus sur Paris. Ils sont revenus à Troyes; leur
avant-garde s'est en effet avancée jusqu'à Provins, mais le gros de
l'armée autrichienne est resté presque stationnaire pendant tout le
temps qu'a duré l'incertitude des alliés sur les événements de Laon et
de Reims. L'échec éprouvé par Saint-Priest et le séjour de Napoléon à
Reims ont encore ajouté à l'indécision des généraux ennemis. Ils avaient
d'abord fait dire à leur avant-garde de s'arrêter; ils lui avaient
ensuite ordonné de se replier sur Nogent et Villenoxe. La nouvelle que
Napoléon revenait sur la Seine, et qu'il était à Épernay, avait converti
soudain ce premier mouvement en une retraite générale. Platoff, qui
était à Sezanne avec tous ses Cosaques, était revenu le 17 sur Arcis;
les ponts de Nogent avaient été levés précipitamment; le grand quartier
général des alliés s'était replié sur Troyes; les gros bagages avaient
reculé plus loin. Il était même question chez l'ennemi de se retirer
jusqu'à Bar[38]. Les troupes que nous venons de surprendre à Châtres
sont l'arrière-garde de l'arrière-garde; elles appartiennent au corps de
Giulay, et ramènent les derniers bateaux du pont qui avait été jeté à
Nogent.

[Note 38: C'est dans cette terreur panique que l'empereur Alexandre fit
dire, à quatre heures du matin, au général Schwartzenberg qu'il fallait
envoyer un courrier à Châtillon pour qu'on signât le traité de paix que
demanderait le duc de Vicence. (Voyez Wilson sur la Russie, édition de
Paris, de 1817, page 90.) On assure que l'anxiété que l'empereur
Alexandre éprouva à cette époque fut si grande, qu'il disait lui-même
«que la moitié de sa tête en grisonnerait.» (Voyez l'ouvrage de M. de
Beauchamp, page 112, tome II.)]

Ainsi, plus de doutes; la grande armée autrichienne a rétrogradé; Paris
en est délivré, et le retour de Napoléon a suffi pour ce résultats.
Mais ici le succès tourne contre nous; il dérange nos plans, fait venir
l'armée, au pas de course, de Reims jusqu'à Méry, pour frapper sur le
vide, et nous rejette dans le cercle des incertitudes, en imposant à
Napoléon la nécessité d'entreprendre un nouveau système d'opérations. Le
seul avantage qu'on ait obtenu, c'est la jonction avec les corps des
ducs de Tarente et de Reggio. Ces maréchaux arrivent de Villenoxe à
Plancy, croyant suivre les traces de Witgenstein; malgré cette réunion,
nos forces sont encore tellement disproportionnées, qu'il est impossible
de se commettre aux hasards d'une bataille rangée. Les considérations
qui à Reims ont décidé à manoeuvrer sur les derrières de Schwartzenberg
se représentent avec les mêmes probabilités. Napoléon reprend donc son
premier plan. Nous avons tourné trop court en rabattant de
Fère-Champenoise sur Plancy; maintenant, pour nous replacer dans la
direction qui conduit sur les derrières de l'ennemi, nous allons
remonter l'Aube jusqu'à Bar s'il le faut.

Le 20 mars, toute l'armée était donc en marche pour remonter l'Aube: on
arrive de bonne heure à la hauteur d'Arcis. On ne devait pas s'y
arrêter; mais on aperçoit sur la route de Troyes quelques troupes
ennemies: des détachements vont les reconnaître; ils trouvent de la
résistance, l'avant-garde s'engage, le canon gronde. Napoléon accourt,
il appelle successivement toutes ses troupes; les forces de l'ennemi
s'accroissent aussi, mais dans une proportion bien plus forte; et
bientôt Napoléon, qui a eu l'espoir de tomber sur un corps isolé,
reconnaît que c'est l'armée de Schwartzenberg tout entière qu'il a
devant lui.

De nouvelles résolutions chez les alliés avaient amené de nouveaux
hasards.

Au moment où le prince Schwartzenberg se disposait à évacuer Troyes pour
continuer sa retraite, l'empereur Alexandre s'était opposé à ce
mouvement. Un conseil de guerre avait été convoqué dans la nuit, et l'on
avait avisé aux moyens de ne pas toujours reculer devant nos petites
armées. A cet effet, on était convenu de se procurer une masse de forces
telle que le nombre pût désormais l'emporter sur le courage, triompher
des manoeuvres et maîtriser toutes les chances. Le nouveau plan consiste
à réunir en une seule armée les forces immenses de Blücher et de
Schwartzenberg. Toute opération d'attaque ou de retraite doit être
ajournée jusqu'après cette grande concentration. Déjà l'ordre avait été
donné à Blücher de se rapprocher des bords de la Marne; en conséquence,
il n'y a plus qu'à se mettre en marche pour aller au-devant de lui. Le
rendez-vous général est donné dans les plaines de Châlons:
Schwartzenberg s'y rendait par la route d'Arcis.

Combien Napoléon, fatigué de conseils timides et de récits
décourageants, était loin de soupçonner qu'il pût encore intimider ses
ennemis au point de leur inspirer des marches d'une si haute prudence!
En cherchant à manoeuvrer sur leurs flancs, il est tombé dans la
nouvelle direction qu'ils viennent de prendre, et retrouve leur
avant-garde. Cette rencontre est extrêmement critique pour l'armée
française. Napoléon y court personnellement de grands risques. Enveloppé
dans le tourbillon des charges de cavalerie, il ne se dégage qu'en
mettant l'épée à la main. A diverses reprises il combat à la tête de son
escorte; et loin d'éviter les dangers, il semble au contraire les
braver. Un obus tombe à ses pieds; il attend le coup, et bientôt
disparaît dans un nuage de poussière et de fumée: on le croit perdu; il
se relève, se jette sur un autre cheval, et va de nouveau se placer sous
le feu des batteries!... La mort ne veut pas de lui.

Tandis que l'ennemi se développe et forme un demi-cercle qui nous
renferme dans Arcis, l'armée française se rallie sous les murs crénelés
des maisons des faubourgs. La nuit vient la protéger dans cette
position, mais on ne peut espérer de s'y maintenir long-temps; à chaque
instant l'ennemi nous resserre davantage. Les boulets se croisent dans
toutes les directions sur la petite ville d'Arcis; le château de M. de
la Briffe, où se trouve le quartier impérial, en est criblé. Les
faubourgs sont en feu, et nous n'avons qu'un seul pont derrière nous
pour sortir de ce mauvais pas. Napoléon met la nuit à profit; le 21 au
matin, un second pont est jeté sur l'Aube, et le mouvement d'évacuation
commence.

Cependant l'affaire s'est engagée de nouveau sur toute la ligne, et dure
une partie de la journée. On ne combat plus pour la victoire, mais on
fait tête à l'ennemi; on le retient, on l'arrête, quand il pouvait nous
écraser, et l'on repasse l'Aube avec ordre. Les ducs de Tarente et de
Reggio restent les derniers sur la rive gauche[39].

[Note 39: Avant de quitter Arcis, Napoléon envoie deux mille francs de
sa cassette aux soeurs de la charité, pour que, dans ce désastre, elles
aient de quoi pourvoir aux premiers besoins des blessés et des
malheureux. C'est le comte de Turenne qui est chargé de ce message.

Si Napoléon était mort sur le trône, combien de traits semblables,
révélés par la reconnaissance, auraient déjà fatigué l'éloquence des
panégyristes! (_Note de l'éditeur._)]

Cette affaire achève de convaincre l'armée qu'elle est trop faible pour
lutter corps à corps contre les masses de l'ennemi. N'ayant pu leur
barrer le passage de l'Aube, pouvons-nous penser à leur disputer le
chemin de la capitale? Napoléon ne veut point reculer devant
Schwartzenberg jusqu'aux barrières de Charenton. Il abandonne la route
de Paris, et opère sa retraite par les chemins de traverse qui
conduisent du côté de Vitry-le-Français et de la Lorraine.



CHAPITRE X.

MARCHES ET CONTRE-MARCHES ENTRE VITRY, SAINT-DIZIER ET DOULEVENT.

(Du 21 au 28 mars.)


Nous voici désormais séparés de la capitale: les avenues en sont
ouvertes à l'ennemi; mais aura-t-il la confiance d'y marcher?

Le parti que prend Napoléon menace les communications principales des
alliés, et va peut-être allumer un fatal incendie sur leurs derrières.
S'ils donnent à cette manoeuvre hardie l'attention qu'elle mérite, Paris
n'aura rien à craindre. Déjà ils semblent suivre nos traces avec
inquiétude; les ducs de Reggio et de Tarente, qui sont à
l'arrière-garde, font dire que toute l'armée ennemie est à notre
poursuite. Napoléon, en s'éloignant, emporte donc l'espoir d'attirer les
alliés dans un nouveau système d'opérations. Mais en même temps Napoléon
ne perd pas de vue la rive gauche de la Seine, que les alliés viennent
d'abandonner; il veut manoeuvrer de manière à rester toujours maître de
revenir sur Paris par cette route.

On passe la nuit du 21 au 22 au village de Sommepuis.

Le 22 on traverse la Marne au gué de Frignicourt. Un détachement va
sommer Vitry-le-Français d'ouvrir ses portes, et la journée finit par de
vaines démonstrations contre cette place. Napoléon s'arrête au château
de Plessis-ô-le-Comte, commune de Longchamps, entre Vitry et
Saint-Dizier. Il y dicte le bulletin d'Arcis et quelques dépêches pour
Paris; mais les courriers n'ont plus de route: on a recours à des
émissaires qui promettent de gagner Paris à travers champs[40].

[Note 40: Le bulletin d'Arcis a été perdu.]

Le 23, l'armée continue son mouvement. On couche à Saint-Dizier; c'est
dans cette ville que le duc de Vicence rejoint le quartier impérial. Il
a quitté Châtillon le 20 mars; les derniers ordres de l'empereur, dont
M. Frochot était porteur, ne lui sont parvenus qu'après la rupture. Le
duc de Vicence était même déjà à trois lieues de Châtillon; il arrive
accompagné du secrétaire de légation Rayneval; et pour arriver jusqu'à
nous, ils ont dû subir les nombreux détours que l'ennemi leur a
prescrits.

Ce retour du duc de Vicence sert de prétexte aux propos d'un sourd
mécontentement qui règne dans la plupart des états majors généraux. Il y
a autour de Napoléon lui-même trop de personnes qui s'éloignent de Paris
avec regret. On s'inquiète tout haut; on commence à se plaindre. Dans la
salle qui touche à celle où Napoléon s'est enfermé, on entend des chefs
de l'armée tenir des propos décourageants[41]. Les jeunes officiers font
groupe autour d'eux. On veut secouer l'habitude de la confiance. On
cherche à entrevoir la possibilité d'une révolution; tout le monde
parle, et d'abord on se demande: «Où va-t-on? Que devenons-nous? S'il
tombe, tomberons-nous avec lui?» Jamais Napoléon n'a eu plus besoin de
sa forte volonté pour lutter contre l'opposition qui l'entoure; mais,
pour la première fois, il ignore ce qui se passe chez lui... ou feint de
l'ignorer.

[Note 41: «Il y a des exemples qui sont pires que des crimes...»
Montesquieu, _Grandeur des Romains_, chap. 8.]

Après l'aveu qui vient de nous échapper, hâtons-nous de rendre justice à
l'armée. Officiers et soldats, tous ont conservé l'énergie et le
dévouement qui peuvent seuls faire réussir la campagne aventureuse à
laquelle on est près de s'abandonner.

Napoléon, avant de prendre un parti définitif, a besoin de recueillir
des renseignements plus certains sur celui auquel la grande armée des
alliés s'est elle-même décidée. Pour mettre le temps à profit, et
continuer l'exécution de ses projets, il fait attaquer toutes les routes
de l'ennemi; il envoie du côté de la Lorraine le duc de Reggio, qui
s'établit à Bar-sur-Ornain, et du côté de Langres le général Piré, qui
va courir jusqu'à Chaumont. Ces routes sont les lignes d'opération des
alliés; elles sont couvertes de leurs parcs, de leurs bagages, de leurs
voyageurs; on y trouvera des nouvelles, et il est possible d'y faire
d'importantes captures! En attendant, l'armée prend position sur la
route qui communique de Saint-Dizier à Bar-sur-Aube. Le 24 au soir, le
quartier impérial s'établit à Doulevent; nos ailes s'étendent, l'une
vers Bar, l'autre vers Saint-Dizier, prêtes à déboucher également sur
les routes de la Lorraine, sur celles de la Bourgogne, ou sur la route
de Paris par la rive gauche, suivant les avis qu'on recevra.

Dans la réception que l'empereur a faite au duc de Vicence à
Saint-Dizier, il lui a témoigné être toujours dans les dispositions
pacifiques qui ont dicté ses dépêches de Reims. Persistant dans ces
dispositions de la manière la plus franche et la plus positive, il
autorise le duc de Vicence à écrire à M. de Metternich pour reprendre
les négociations. C'est de Doulevent que les lettres du duc de Vicence
sont expédiées, et c'est le colonel d'état major Gallebois qui en est
porteur[42].

[Note 42: Voir les lettres de Doulevent, au supplément de la seconde
partie, nos 42 et 43.]

Napoléon reste toute la journée du 25 à Doulevent. Pendant ce repos la
cavalerie du général Piré entre à Chaumont, intercepte la route de
Langres, enlève des estafettes et des courriers, soulève les paysans, et
répand l'alarme depuis Troyes jusqu'à Vesoul. Mais le 26 au matin,
Napoléon est tout-à-coup rappelé sur Saint-Dizier; l'ennemi y attaque
vivement notre arrière-garde; il l'a forcée d'évacuer cette ville, et
s'avance avec une confiance dont Napoléon croit pouvoir profiter.
L'armée arrive donc inopinément au secours de l'arrière-garde, et
rétablit le combat. La cavalerie des généraux Milhaud et Sébastiani bat
l'ennemi au gué de Valcourt sur la Marne. Les alliés en désordre
abandonnent Saint-Dizier, et s'enfuient par les deux routes opposées de
Vitry et de Bar-sur-Ornain.

Napoléon rentre encore une fois à Saint-Dizier; il y passe la nuit.

Il croyait être poursuivi par l'armée du prince Schwartzenberg, et il
apprend par les déclarations des blessés que c'est à un corps détaché de
l'armée de Blücher qu'il vient d'avoir affaire: les rapports de
l'arrière-garde n'avaient cessé de répéter que toutes les forces de
l'ennemi couraient après nous, et il acquiert la certitude que le corps
d'armée de Wintzingerode est le seul qui ait été envoyé à notre
poursuite. Que devient donc Schwartzenberg? Comment les troupes de
Blücher, qui naguère menaçaient Meaux, se trouvent-elles maintenant aux
portes de la Lorraine? On se perd en conjectures.

Napoléon prend le parti de pousser une forte reconnaissance sur Vitry,
et le 27 au soir il recueille sous les murs de cette place des détails
qui lui donnent enfin l'explication des mouvements de l'ennemi. Les
dépositions des prisonniers, le rapport de quelques uns de nos soldats
échappés des mains de l'ennemi, les bulletins des alliés, leurs
proclamations imprimées, que les paysans des environs de Vitry nous
apportent, confirment la vérité sur les événements qui viennent de se
passer.

Tandis que Schwartzenberg forçait le passage de l'Aube à Arcis, Blücher
arrivait par la route de Reims sur les bords de la Marne. Il avait
rejeté du côté de Château-Thierry les corps du duc de Raguse et du duc
de Trévise. Le 23, la jonction des armées de Blücher et de
Schwartzenberg s'était opérée. Jamais, depuis Attila, l'immense plaine
qui s'étend entre Châlons et Arcis n'avait contenu plus de soldats!

Il restait aux alliés à décider s'ils marcheraient contre Napoléon, ou
s'ils s'avanceraient sur Paris; ils avaient long-temps hésité[44]. Les
chefs les plus prudents, craignant une _Vendée impériale_, avaient parlé
de se retirer sur le Rhin; et la réunion de toutes leurs forces ne leur
paraissait pas moins nécessaire pour effectuer une telle retraite que
pour marcher en avant: mais sur ces entrefaites, des émissaires secrets
étaient arrivés de Paris[43]; ils avaient apporté la nouvelle qu'un
puissant parti attendait les alliés; dès lors toute irrésolution avait
cessé. Certain d'avoir la trahison pour auxiliaire, l'ennemi avait
choisi, pour la première fois, le parti le plus hardi, et le 23 mars au
soir une proclamation qui annonçait à la France la rupture des
négociations de Châtillon, et la réunion des deux grandes armées
européennes, avait publié la résolution des alliés de s'avancer en masse
sur Paris.

[Note 43: Les alliés n'ignoraient pas que des instructions secrètes et
précises étaient parvenues aux garnisons des places du Rhin et de la
Moselle, à l'effet de se mettre en campagne à un signal convenu, et de
se réunir à l'armée qu'on promettait de faire manoeuvrer sur la
Lorraine... Mais ce qui méritait la plus sérieuse attention, c'étaient
les dispositions au soulèvement que manifestaient un grand nombre de
paysans de la Lorraine, de la Champagne, de l'Alsace, de la
Franche-Comté, et de la Bourgogne. Dans les Vosges et les départements
voisins, plusieurs insurrections partielles avaient entravé les
opérations des armées alliées, ainsi que la marche de leurs convois. Au
sein de l'Alsace, à Mulhausen, on avait découvert un complot tendant à
égorger la faible garnison, et à se porter aussitôt sur Huningue pour
attaquer les assiégeants, enclouer leurs canons, brûler le pont de Bâle
et piller cette ville. Les ramifications de cette trame s'étendaient à
plus de quarante paroisses. Ces dispositions hostiles étaient de nature
à inspirer de l'inquiétude aux souverains alliés. Ils ne se
dissimulèrent pas qu'ils ne pouvaient sans danger laisser manoeuvrer sur
leurs communications une armée aussi mobile et un chef aussi
entreprenant. Au moindre revers, la population entière des provinces
envahies pouvait se lever, couper les ponts et les routes, attaquer les
convois, brûler les magasins, harceler et affamer ses ennemis; en un
mot, transformer la guerre en une insurrection nationale, et répondre
ainsi aux provocations et aux efforts de Napoléon. Paris, cette ville
immense, n'était-elle pas en état de guerre, et disposée pour une
défense sérieuse? Presque tous les rapports, les journaux, les
bulletins, les proclamations étaient unanimes. (Voyez Beauchamp,
campagne de 1814, tome II, page 136 et suivantes.)]

[Note 44: Depuis la rupture des conférences de Châtillon, le czar avait
reçu du sein de Paris même la première communication un peu authentique
de la situation réelle de cette capitale, etc. (Beauchamp, tome II, page
139.)

Si les révélations historiques de M. Beauchamp ne suffisent pas, nous
pouvons y ajouter les aveux précieux échappés à M. l'abbé de Pradt: «Les
alliés, se sentant sur un terrain tout neuf, au milieu d'éléments
absolument inconnus, désiraient s'appuyer des connaissances des
personnes qu'ils supposaient être les mieux informées de l'état
intérieur de la France. MM. de Talleyrand et de Dalberg avaient fixé
leur attention d'une manière plus particulière... Quelque peu de titres
que je puisse avoir à partager cet honneur, il m'avait été accordé. _On
avait poussé l'attention jusqu'à pourvoir à notre avenir_, s'il eût été
compromis par les événements... Nos réunions avec les personnes
ci-dessus citées continuaient toujours, et souvent plusieurs fois par
jour. Le congrès de Châtillon était notre fléau. Nous n'avons pas laissé
passer un jour sans miner, sans ébranler la domination de l'empereur, et
sans chercher ce qu'il fallait lui susciter au jour de sa chute. Les
armées françaises se trouvaient interposées entre Paris et les alliés,
les communications avec eux étaient de la plus extrême difficulté. Le
premier qui ait triomphé des obstacles fut M. de Vitrolles, et c'est par
lui que les ministres des grandes puissances commencèrent à acquérir des
connaissances positives sur l'état des affaires intérieures, qu'ils
ignoraient tout-à-fait.» (Extrait du récit historique publié par M. de
Pradt sur la restauration de la royauté, pages 30, 31, 32 et 47.)

Pour achever d'éclaircir cette époque décisive de la campagne, nous
finirons par la déclaration que M. Wilson, témoin oculaire, a publiée,
page 91 de son écrit sur cette campagne. «Les alliés se trouvaient dans
un cercle vicieux, d'où il leur était impossible de se tirer, _si la
défection ne fût venue à leur secours._ Ils étaient hors d'état
d'assurer leur retraite, et cependant obligés de s'y déterminer. Cette
défection favorable à leur cause, et qui, à ce que l'on croit, était
préparée de longue main, fut consommée au moment même où les succès de
Bonaparte semblaient hors du pouvoir de la fortune; et le mouvement sur
Saint-Dizier, qui devait lui assurer l'empire, lui fit perdre la
couronne.»]

Les ducs de Trévise et de Raguse devaient présenter quelques obstacles à
la marche de l'ennemi; ils pouvaient du moins rallier à eux les renforts
et les convois qui sortaient chaque jour de la capitale pour aller
rejoindre Napoléon; multiplier, par une retraite digne de leur talent,
les fatigues de leurs adversaires, et se retirer enfin, sans avoir été
entamés, jusqu'aux barricades des faubourgs de Paris: mais tous les
malheurs devaient nous accabler à la fois. Les deux maréchaux, persuadés
que Napoléon faisait sa retraite sur eux, avaient cru devoir se porter
au-devant de lui. Ils n'avaient reçu aucun des officiers que l'état
major leur avait envoyés. A Château-Thierry, s'étant hasardés à marcher
sur Fère-Champenoise, ils étaient venus donner tête baissée sur la masse
dés alliés; aussi avaient-ils été écrasés. Ces événements avaient eu
lieu le 25 mars, et les alliés les proclamaient sous le titre de
_victoire de Fère-Champenoise_.

Le même jour 25, le convoi du général Pacthod, qui amenait de Paris de
l'artillerie et des munitions, avait été enlevé du côté de Sompuis;
cette file de canons augmentait encore la liste des pièces que l'ennemi
se vantait d'avoir prises au combat de Fère-Champenoise.

En résumé, le succès des alliés était complet; la fortune avait pris
plaisir à multiplier pour eux les fruits de la rencontre d'Arcis. Ils
s'avançaient sur Paris, n'ayant plus devant eux que des fuyards.

A peine le voile qui couvrait notre situation est-il tombé, que Napoléon
remonte à cheval, s'éloigne de Vitry, et fait rentrer tout son monde
dans Saint-Dizier. Il s'enferme dans son cabinet, et passe la nuit du 27
au 28 sur ses cartes.

Si les alliés profitent de leurs avantages en marchant sur Paris, il
nous reste à profiter des nôtres: nous sommes maîtres de nos
mouvements; rien ne nous empêche plus de rallier les garnisons, de
fermer les routes, et de faire payer cher l'audace avec laquelle cette
foule d'étrangers s'aventure au coeur de nos provinces! Que la capitale
suive ses destinées, mais que l'ennemi y trouve son tombeau. Depuis
l'ouverture de la campagne, on n'a cessé de prévoir cette extrémité;
Napoléon a fait tous ses efforts pour se familiariser avec les
résolutions qu'elle comporte; ses plans sont faits en conséquence, il
n'y a plus qu'à persister... Cependant, au moment d'agir, tout change;
la considération des dangers de Paris l'emporte! On fatiguait
continuellement Napoléon de ce tableau. Devenu malheureux, il craint de
paraître dur et absolu; il cède, et tout ce qui lui reste de ressources
est sacrifié au salut de la capitale!



CHAPITRE XI.

RETOUR SUR PARIS.

(Du 28 au 31 mars.)


Paris peut résister quelques jours; les Parisiens ont promis de se
défendre: mais Napoléon arrivera-t-il assez tôt à leur secours?

L'ennemi, marchant à travers des plaines ravagées, achève de les
épuiser; et nous ne pouvons suivre ses traces sans risquer d'aller nous
perdre dans les déserts. Il faut donc prendre une route moins fatiguée.
On a vu plus haut le soin que Napoléon a mis à se ménager celle de la
rive gauche de la Seine: notre arrière-garde est encore échelonnée entre
Saint-Dizier et Doulevent; qu'elle retourne vers Bar-sur-Aube. En
suivant ce mouvement, l'armée débouchera sur la route de Troyes; nous
aurons devant nous les avenues qui conduisent à Paris, et, la Seine nous
séparant désormais de l'ennemi, nos marches n'en seront que plus
assurées. C'est à ce parti que Napoléon s'arrête. Quelque avance que
l'ennemi ait sur nous, il espère arriver à temps pour rallier ses forces
sous le canon de Montmartre, et discuter en personne les dernières
conditions de la paix.

Les ordres sont donnés: l'armée se met en marche pour gagner la route de
Troyes par Doulevent.

Au moment où le quartier impérial allait quitter Saint-Dizier, on amène
sur des charrettes huit ou dix personnages dont les voitures ont été
enlevées entre Nancy et Langres; ce sont les paysans des environs de
Saint-Thibaut qui les ont prises. Parmi ces voyageurs, on distingue M.
de Weissemberg, ambassadeur d'Autriche en Angleterre, qui revient de
Londres; le général suédois de Brandt; le conseiller de guerre
Peguilhem; et MM. de Tolstoï et Marcoff, officiers russes. Si l'on en
croit les bruits que depuis l'on a fait courir, M. de Vitrolles, qui
avait été envoyé vers M. le comte d'Artois par M. Talleyrand, faisait
partie de cette capture; mais il était parvenu à s'échapper en se
glissant parmi les domestiques. Les paysans avaient cru prendre M. le
comte d'Artois lui-même, pour qui des relais avaient été commandés sur
cette route.

Ce qui, dans leur malheur, avait pu arriver de mieux à ces messieurs,
c'était d'avoir été conduits devant Napoléon. Il ne veut tirer de leur
accident d'autre avantage que celui d'essayer une démarche directe
auprès de son beau-père. M. de Weissemberg est appelé; il le fait
déjeuner avec lui, et bientôt après il ordonne qu'on le remette en
liberté ainsi que ses compagnons de voyage. Il leur fait rendre leurs
portefeuilles et leurs dépêches; le duc de Vicence leur procure des
chevaux, et M. de Weissemberg part chargé d'une commission
confidentielle pour l'empereur d'Autriche. Mais, par une fatalité qu'on
retrouve à chaque page de cet écrit, ce souverain avait été séparé de
ses alliés; l'alarme répandue sur les grandes routes par les coureurs du
général Piré avait gagné les équipages de l'empereur d'Autriche, et dans
ce moment même, où il était si désirable que M. de Weissemberg pût le
rejoindre, il était entraîné jusqu'à Dijon[45].

[Note 45: «L'empereur d'Autriche avait été forcé de s'enfuir, avec un
gentilhomme et un domestique, dans un droska allemand, et d'aller se
mettre en sûreté à Dijon, où il était resté trente heures réellement
prisonnier.» (Voyez l'écrit de sir Robert Wilson, page 90.)]

Il faut donc oublier cette tentative qui n'a pas eu de suite.

Peu d'heures après le départ de ces messieurs, on quitte Saint-Dizier.
La campagne de Napoléon avait commencé dans cette ville; elle vient d'y
finir. Désormais il ne va plus être question que du retour sur Paris.

Le 28, dans l'après-midi, on se retrouve à Doulevent. Un émissaire de M.
de La Valette y attendait Napoléon. Depuis dix jours on n'avait pas reçu
de nouvelles de Paris: avec quel empressement on attend le déchiffrement
du petit papier dont cet homme est porteur! Voici ce qu'on y trouve:
«Les partisans de l'étranger, encouragés par ce qui se passe à Bordeaux,
lèvent la tête; des menées secrètes les secondent. La présence de
Napoléon est nécessaire, s'il veut empêcher que sa capitale ne soit
livrée à l'ennemi. Il n'y a pas un moment à perdre.»

L'armée s'était déjà remise en marche.

Le 29 de grand matin, Napoléon part de Doulevent; on gagne par la
traverse le pont de Doulencourt, et là une troupe de courriers,
d'estafettes se présente: retenus long-temps à Nogent et à Montereau,
ils ont pu enfin nous rejoindre par Sens et Troyes. Les troupes ennemies
qui étaient de ce côté ont suivi le mouvement de Schwartzenberg sur la
Marne, et, comme Napoléon l'avait prévu, la route de Troyes est
maintenant dégagée.

Napoléon ordonne aussitôt au général Dejean, son aide de camp, de partir
à franc étrier pour aller annoncer son retour aux Parisiens.

Le général Dejean était en outre porteur du bulletin des événements de
Doulevent et de Saint-Dizier; mais il n'a pu arriver à temps. Le
Moniteur n'était plus à l'empereur. Les bulletins n'ont pu y être
insérés; on les retrouve dans la brochure de la régence à Blois.

Après cette halte de Doulencourt, on fait un effort de marche, et l'on
arrive à Troyes dans la nuit. La garde impériale et les équipages ont
fait quinze lieues.

A peine est-on arrivé à Troyes, que le prince de Neuchâtel dépêche son
aide de camp, le général Girardin, vers Paris, afin d'y multiplier les
avis du retour.

Napoléon n'a pris que quelques heures de repos, et le 30 au matin il est
en route. Il croit devoir marcher militairement jusqu'à
Villeneuve-sur-Vannes; n'ayant plus de doutes alors sur la sûreté de la
route, il se jette dans un carriole de poste. Il apprend successivement,
en changeant de chevaux, que l'impératrice et son fils ont quitté
Paris[46], que l'ennemi est aux portes et qu'on se bat! Jamais il n'a
mesuré plus impatiemment les distances; il presse lui-même les
postillons; les roues brûlent le pavé!

[Note 46: Au moment de monter en voiture, le jeune Napoléon, qui était
accoutumé de faire de fréquents voyages à Saint-Cloud, à Compiègne, à
Fontainebleau, etc., etc., ne voulait pas quitter sa chambre, poussait
des cris, se roulait par terre, disait qu'il voulait rester à Paris,
qu'il ne voulait pas aller à Rambouillet: sa gouvernante avait beau lui
promettre de nouveaux joujoux; dès qu'elle le voulait prendre par la
main pour l'entraîner, il recommençait à se rouler par terre en criant
qu'il ne voulait pas quitter Paris: il fallut employer la force pour le
porter dans une voiture. (Souvenirs de madame la veuve du général
Durand, tom. I, pag. 205.)]

Vers dix heures du soir, il n'est plus qu'à cinq lieues de Paris; il
relayait à Fromenteau, près les fontaines de Juvisy, lorsqu'il apprend
qu'il arrive quelques heures trop tard. Paris vient de se rendre, et
l'ennemi doit y entrer au jour.

Quelques troupes qui évacuent la capitale sont déjà arrivées dans ce
village. Les généraux se pressent autour des voitures, parmi eux se
trouve l'aide-major général Belliard, et bientôt les plus affligeants
détails mettent Napoléon au courant des événements qui ont accéléré
cette catastrophe.

Les ducs de Trévise et de Raguse, après le malheureux combat de
Fère-Champenoise, n'avaient plus pensé qu'à se retirer en toute hâte sur
Paris; mais à peine étaient-ils parvenus à la Ferté-Gaucher, que les
corps prussiens, arrivant par les routes de Reims et de Soissons,
étaient tombés sur eux. Dans cette situation, toute autre troupe aurait
succombé: les restes de l'armée française avaient forcé le passage. Le
28 mars au matin, l'ennemi, suivant leurs pas, était arrivé à Meaux; à
cette nouvelle, la régence avait cru devoir s'éloigner de Paris. Enfin,
le 29 au soir les alliés avaient vu les dômes de la capitale.

Depuis huit jours Paris était sans nouvelles. L'éloignement de Napoléon,
qu'on croyait du côté de Saint-Dizier, avait fait perdre tout espoir
d'être secouru. Le départ de l'impératrice et de son fils avait mis le
comble au découragement; et par suite de ce brusque départ, qui avait
entraîné les ministres et les principaux chefs du gouvernement, tout
était resté dans le désaccord et la confusion. A la vue de l'ennemi, le
riche avait pensé à capituler, et le pauvre à combattre; les ouvriers
avaient demandé des armes, et n'avaient pu en obtenir[47].

[Note 47: «Les alliés étaient devant Paris, et l'approche de ce moment
suprême ne nous avait pas trouvés endormis... Le jour de l'attaque, je
courus chez M. de Talleyrand; je trouvai chez lui le duc de Plaisance et
le baron Louis.» (M. de Pradt, pages 57 et 58.)]

Cependant les braves soldats des ducs de Trévise et de Raguse, avant de
céder la capitale aux ennemis, avaient voulu tenter un dernier effort:
quelques milliers d'hommes qui faisaient le fond des dépôts de Paris,
les élèves de l'école polytechnique formés en compagnie d'artillerie, et
huit à dix mille braves Parisiens fournis par la garde nationale,
étaient sortis des murs pour prendre part au combat. Ils n'étaient pas
en tout vingt-huit mille baïonnettes, et ils n'avaient pas désespéré de
faire tête à l'ennemi.

Ce matin même, 30 mars, la bataille s'était engagée dès cinq heures.

L'attaque avait été commencée sur le bois de Romainville par
l'avant-garde du corps d'armée du prince Schwartzenberg. Pendant toute
la matinée, on avait combattu sur ce point avec une grande ténacité. Les
villages de Pantin et de Romainville, pris et repris plusieurs fois,
étaient restés au pouvoir des troupes françaises, et les alliés avaient
été forcés de faire avancer leurs réserves pour soutenir le combat[48].
Mais à midi, le plan d'attaque des alliés s'était développé. Blücher,
arrivant sur la droite, s'était avancé à travers la plaine Saint-Denis,
et avait marché sur Montmartre: à gauche les colonnes du duc de
Wurtemberg s'étaient portées sur Charonnes et sur Vincennes.

Dès ce moment, nos braves, enveloppés de toutes parts et d'heure en
heure resserrés davantage, avaient perdu tout espoir, et ne combattaient
plus que pour mourir[49]!

[Note 48: «La résistance des troupes françaises multipliait les
obstacles à tel point qu'il devenait douteux qu'on pût s'emparer dans la
journée des hauteurs qui dominent Paris; dès lors tout devenait
problématique, car l'approche subite de Napoléon, au centre de tant de
ressources, pouvait changer en un moment l'état de la guerre.»
(Beauchamp, tome II, page 209.)]

[Note 49: On n'oubliera pas ces belles paroles d'un grenadier mourant:
_Ah! ils sont trop_.]

Le prince Joseph, commandant en chef l'armée parisienne, voyant les
flots de l'ennemi parvenus au pied de Montmartre, avait reconnu qu'on ne
pouvait davantage différer de capituler. Il en avait donné
l'autorisation au duc de Raguse, et était aussitôt parti pour aller
rejoindre le gouvernement sur la Loire.

Dans l'espace de temps qui s'était écoulé en pourparlers pour obtenir
l'armistice, nous avions achevé de perdre nos positions les plus
importantes. L'ennemi s'était emparé des hauteurs de Mont-Louis, et du
Père-Lachaise...; au centre, il avait pénétré dans Belleville et
Ménilmontant; il s'était établi sur la butte Chaumont, qui domine tout
Paris. Sa droite s'était groupée en grandes masses autour de la
Villette, le duc de Raguse était acculé sur la barrière de Belleville;
Montmartre venait d'être forcé; Blücher enfin allait attaquer la
barrière Saint-Denis, lorsqu'on était convenu de suspendre les
hostilités. C'était vers cinq heures du soir; des officiers d'état major
des deux armées s'étaient aussitôt réunis. Les bases d'une capitulation
avaient été posées; mais dans la soirée, la rédaction n'était pas encore
terminée, et rien n'était signé.

Voilà ce qu'on raconte à Napoléon: dans cette extrémité, il envoie le
duc de Vicence à Paris pour voir s'il est encore possible d'intervenir
au traité; il lui donne tout pouvoir. Il expédie en même temps un
courrier à l'impératrice, et passe le reste de cette nuit à attendre des
nouvelles.

Dans ces moments d'anxiété, Napoléon n'est séparé des avant-postes
ennemis que par la rivière. Les alliés, descendus des hauteurs de
Vincennes, ont forcé le pont de Charenton, et se sont répandus dans la
plaine de Villeneuve-Saint-Georges; leurs bivouacs jettent des lueurs
d'incendie sur les collines de la rive droite, tandis que l'obscurité la
plus profonde protège, sur la rive opposée, le coin où Napoléon se
trouve arrêté avec deux voitures de poste et quelques serviteurs.

A quatre heures du matin, arrive un piqueur dépêché par le duc de
Vicence: il annonce que tout est consommé; la capitulation a été signée
à deux heures de la nuit, et les alliés entreront ce matin même dans
Paris.

Napoléon fait aussitôt rebrousser chemin à sa voiture, et va descendre à
Fontainebleau.

«C'est ici qu'il faut se donner le spectacle des choses humaines: qu'on
voie tant de guerres entreprises, tant de sang répandu, tant de peuples
détruits, tant de grandes actions, tant de triomphes, de politique, de
constance, de courage; à quoi cela aboutit-il?[50]»

[Note 50: Montesquieu, Décadence des Romains, chap. 15.]

FIN DE LA SECONDE PARTIE.



SUPPLÉMENT A LA SECONDE PARTIE.

PIÈCES HISTORIQUES.


(Nº 1.) _Lettre du duc de Vicence
Au prince de Metternich._

Châtillon-sur-Seine, le 21 janvier 1814, au soir.


PRINCE,

C'est de Châtillon-sur-Seine que j'ai l'honneur d'annoncer mon arrivée à
V. Exc. J'y attends les indications qu'elle a pensé que je pourrais y
trouver.

Je saisis avec empressement cette occasion de renouveler, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.



(Nº 2.) _Le duc de Vicence
Au prince de Metternich._

Châtillon-sur-Seine, le 25 janvier 1814, au soir.


PRINCE,

En mettant de l'empressement à m'engager à me diriger sur Châtillon, V.
Exc. me faisait espérer que la prompte réunion des négociateurs allait
mettre un terme aux délais toujours renaissants qui se succèdent depuis
près de deux mois. Dès le 6 décembre, l'acceptation formelle par la
France des bases de la paix était arrivée à Francfort, et a été aussitôt
communiquée par les alliés à la cour de Londres; et ce n'est qu'un mois
après, le 6 janvier, que son ministre est arrivé sur le continent. Le
14, après un délai plus que suffisant, il était attendu d'un instant à
l'autre. Nous voici au 26; et V. Exc., dont je suis si près maintenant,
ne m'a encore rien annoncé. Après une si longue attente, douze jours
viennent d'être perdus, dans un moment où, d'une minute à l'autre, le
sang de tous les peuples du continent va couler par torrent. Tous les
maux qu'entraîne la guerre sont cependant sans motifs comme sans
résultat, depuis que le voeu de la paix, exprimé par toutes les nations,
et les explications qui ont déjà eu lieu, ont levé toutes les
difficultés essentielles. Le destin du monde devra-t-il continuer à
dépendre indéfiniment des retards du lord Castlereagh, quand
l'Angleterre a déjà des ministres accrédités près de chacun des
souverains alliés? Sera-ce à une simple affaire de convenance qu'on
abandonnera les intérêts les plus sacrés de l'humanité?

Les retards qu'éprouva la négociation ne sont du fait ni de la France ni
de l'Autriche, et c'est néanmoins la France et l'Autriche qui en peuvent
le plus souffrir. Les armées alliées ont déjà envahi plusieurs de nos
provinces; si elles avancent, une bataille va devenir inévitable, et
sûrement il entre dans la prévoyance de l'Autriche de calculer et de
peser les résultats qu'aurait cette bataille, soit qu'elle fût perdue
par les alliés, soit qu'elle le fût par la France.

Écrivant à un ministre aussi éclairé que vous l'êtes, je n'ai pas besoin
de développer ces résultats; je dois me borner à les faire entrevoir,
sûr que leur ensemble ne saurait échapper à votre pénétration.

Les chances de la guerre sont journalières: à mesure que les alliés
avancent, ils s'affaiblissent, pendant que les armées françaises se
renforcent; et ils donnent, en avançant, un double courage à une nation
pour qui, désormais, il est évident qu'elle a ses plus grands et ses
plus chers intérêts à défendre. Or les conséquences d'une bataille
perdue par les alliés ne pèseraient sur aucun d'eux autant que sur
l'Autriche, puisqu'elle est en même temps la puissance principale entre
les alliés et l'une des puissances centrales de l'Europe.

En supposant que la fortune continue d'être favorable aux alliés, il
importe sans doute à l'Autriche de considérer avec attention quelle
serait la situation de l'Europe, le lendemain d'une bataille perdue par
les Français au coeur de la France, et si un tel événement
n'entraînerait pas des conséquences diamétralement opposées à cet
équilibre que l'Autriche aspire à établir, et tout à la fois à sa
politique et aux affections personnelles et de famille de l'empereur
François.

Enfin l'Autriche proteste qu'elle veut la paix de même que ses alliés;
mais n'est-ce pas se mettre en position de ne pouvoir atteindre ou de
dépasser ce but, que de continuer les hostilités, quand de part et
d'autre on veut arriver à une fin?

Toutes ces considérations m'ont conduit à penser que, dans la situation
actuelle des armées respectives, et dans cette rigoureuse saison, une
suspension d'armes pourrait être réciproquement avantageuse aux deux
partis.

Elle pourrait être établie par une convention en forme ou par un simple
échange de déclarations; elle pourrait être limitée à un temps fixe, ou
indéfinie, avec la condition de ne la pouvoir faire cesser qu'en se
prévenant tant de jours d'avance.

Cette suspension d'armes me semble plus particulièrement dépendre de
l'Autriche, puisqu'elle a la direction principale des affaires
militaires; et j'ai pensé que, dans l'une et l'autre chance, l'intérêt
de l'Autriche était que les choses n'allassent pas plus loin et ne
fussent pas poussées à l'extrême.

C'est surtout cette persuasion qui me porte à écrire aujourd'hui à V.
Exc.; si je m'étais trompé, si cette démarche, absolument
confidentielle, devait rester sans effet, je dois prier V. Exc. de la
regarder comme non avenue.

Vous m'avez montré tant de confiance personnelle, et j'en ai moi-même
une si grande dans la droiture de vos vues et dans les nobles sentiments
qu'en toute circonstance vous avez exprimés, que j'ose espérer qu'une
lettre que cette confiance a dictée, si elle ne peut atteindre son but,
restera entre V. Exc. et moi.

Veuillez agréer, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


_Lettre du prince Schwartzenberg
Au duc de Vicence._

A mon quartier général, à Langres, le 26 janvier 1814, à une heure du
matin.


MONSIEUR LE DUC,

Je m'empresse de vous prévenir que dans ce moment viennent d'arriver ici
S. M. l'empereur d'Autriche, le prince de Metternich et lord
Castlereagh. V. Exc. recevra dans les vingt-quatre heures des nouvelles
ultérieures.

Je me flatte que V. Exc. rencontrera toutes les prévenances de la part
de nos militaires; les ordres qu'elle a désirés relativement à
l'admission de ses secrétaires et de ses commis ont été donnés
sur-le-champ, et V. Exc. en aura senti le plein effet.

C'est avec bien des regrets que je me suis vu privé jusqu'à présent du
plaisir de la voir et de l'assurer de vive voix de ma haute
considération.

_Signé_ SCHWARTZENBERG.


(Nº 4.) _Lettre du prince de Metternich_
_Au duc de Vicence._

Langres, le 29 janvier 1814.


MONSIEUR LE DUC,

LL. MM. II. et RR., leurs cabinets, et le principal secrétaire d'état de
S. M. britannique ayant le département des affaires étrangères, se
trouvant réunis à Langres depuis le 27 janvier, LL. MM. ont choisi
Châtillon-sur-Seine comme le lieu des négociations avec la France. Les
plénipotentiaires de Russie, d'Angleterre, de Prusse et d'Autriche,
seront rendus dans cette ville le 3 février prochain.

Chargé de porter cette détermination à la connaissance de V. Exc., je ne
doute pas qu'elle n'y trouve la preuve de l'empressement des puissances
alliées à ouvrir la négociation dans le plus court délai possible.

Recevez, etc.

_Signé_ METTERNICH.


(Nº 5.) _Lettre du prince de Metternich_
_Au duc de Vicence_.

Langres, le 29 janvier 1814.


MONSIEUR LE DUC,

Je n'ai reçu qu'hier la lettre confidentielle que V. Exc. m'a adressée
le 25 au soir. Je l'ai soumise à l'empereur, mon maître; et S. M. I.
s'est déclarée être d'avis de ne pas faire usage de son contenu,
convaincue que la démarche proposée ne mènerait à rien. Elle restera
éternellement ignorée; et je prie V. Exc. d'être convaincue que, dans
une position des choses quelconque, une confidence faite à notre cabinet
est à l'abri de tout abus.

J'aime à vous porter cette assurance dans un moment d'un intérêt
immense pour l'Autriche, la France et l'Europe. La conduite de
l'empereur est et restera uniforme, comme l'est son caractère. Ses
principes sont à l'abri de toute influence du temps et des
circonstances. Ils furent les mêmes dans des époques de malheur; ils le
sont et le resteront après que des événements au-dessus de tout calcul
humain vont rassurer l'Europe dans la seule assiette qui puisse lui
convenir. L'empereur est entré dans la présente guerre sans haine et il
la poursuit sans haine. Le jour où il a donné sa fille au prince qui
gouvernait alors l'Europe, il a cessé de voir en lui un ennemi
personnel. Le sort de la guerre a changé l'attitude de ce même prince.
Si l'empereur Napoléon n'écoute, dans les circonstances du moment, que
la voix de la raison, s'il cherche sa gloire dans le bonheur d'un grand
peuple, en renonçant à sa marche politique antérieure, l'empereur
arrêtera de nouveau avec plaisir sa pensée au moment où il lui a confié
son enfant de prédilection; si un aveuglement funeste devait rendre
l'empereur Napoléon sourd au voeu unanime de son peuple et de l'Europe,
il déplorera le sort de sa fille, sans arrêter sa marche.

Je vous recommande beaucoup M. de Floret: si vous voulez m'écrire par
lui, j'entretiendrai avec plaisir des rapports confidentiels que la
circonstance rend possibles et dont le but sera l'accélération de la
grande oeuvre pour laquelle vous allez vous rassembler. Je ne vous
recommande pas moins le comte de Stadion, que l'empereur envoie comme
négociateur; il est impossible d'être plus unis que lui et moi le sommes
de pensées, de vues et de principes.

Il me serait difficile d'assurer V. Exc. combien je compte sur elle dans
ce moment, qui est celui du monde. Si l'Europe doit être plus
long-temps, que déjà elle ne l'est, la proie d'un terrible fléau, ni
elle ni moi en serons la cause.

Je compte de la part de V. Exc. sur la discrétion qu'elle est sûre de
trouver en moi, et je la prie d'agréer les assurances, etc.

_Signé_ METTERNICH.

       *       *       *       *       *

(Nº 6.) _Lettre du prince de Metternich_
_Au duc de Vicence._

Langres, le 29 janvier 1814.


Ma lettre officielle prouvera à votre excellence que les négociateurs
vous arrivent, et que le point où vous êtes dans ce moment a été choisi
par les souverains alliés. Si elle calcule que lord Castlereagh n'a vu
l'empereur de Russie pour la première fois que le 27, vous ne trouverez
aucun retard dans la fixation du 3 février pour l'arrivée des
négociateurs.

J'expédierai M. de Floret, dans le courant de la nuit prochaine, à
Châtillon. Il est chargé de choisir et de préparer des logements pour
les plénipotentiaires. Je n'ai pas besoin de le recommander plus
particulièrement à votre excellence.

Agréez, monsieur le duc, l'assurance de ma haute considération et de mes
inaltérables sentiments.

_Signé_ le prince de METTERNICH.

       *       *       *       *       *


(Nº 7.) _Lettre du duc de Vicence
Au prince de Metternich._

Châtillon, le 30 janvier 1814.


J'ai reçu la lettre par laquelle votre excellence me fait l'honneur de
m'informer que Châtillon-sur-Seine a été désigné par les souverains
alliés pour le lieu des négociations, et que les plénipotentiaires de
Russie, d'Angleterre, de Prusse et d'Autriche, seront rendus dans cette
ville le 3 février prochain.

Mon départ de Paris, depuis près d'un mois, et mon séjour même à
Châtillon, sont des preuves trop évidentes de l'empressement et du désir
sincère qu'a l'empereur, mon maître, de contribuer autant qu'il est en
son pouvoir au rétablissement de la paix, pour que j'aie besoin d'en
renouveler ici l'assurance. Votre excellence n'ignore point qu'il n'a
pas dépendu de nous d'accélérer un événement si long-temps attendu.

Recevez, prince, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 8.) _M. le duc de Vicence_
_A M. le prince de Metternich._

Châtillon-sur-Seine, le 31 janvier 1814.


M. de Floret m'a remis, mon prince, la lettre particulière que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire, en réponse à celle que j'ai adressée,
le 25 de ce mois, à votre excellence; ma confiance en elle avait devancé
celle qu'elle veut bien m'accorder, et lui est garant de ma discrétion.

Plus que jamais, les hommes animés d'un bon esprit ont le besoin de
s'entendre, pour mettre, s'il en est encore temps, un terme aux malheurs
qui menacent le monde. Je regrette que l'idée d'un intérêt général, que
j'ai soumise à votre jugement, et dont je crois l'adoption si nécessaire
pour arriver à ce but, ne vous ait pas paru pouvoir être admise; j'aime
à penser qu'elle n'est qu'ajournée, et que je trouverai votre
plénipotentiaire disposé à m'appuyer pour la reproduire dans
l'occasion.

Je ne puis que répéter à votre excellence ce que je lui ai déjà mandé.
L'empereur veut sincèrement la paix. Nous n'avons d'autres pensées,
d'autre vue, que de placer, comme votre excellence le dit si
judicieusement, l'Europe sur des bases qui assurent à tous les états une
longue tranquillité. Les difficultés ne viendront donc pas de nous, je
vous l'assure; mais les espérances que vous aviez conçues pourront-elles
se réaliser, si la modération, si la fidélité à des engagements pris à
la face du monde ne se trouvent que de notre côté? Après une si longue
attente, après tant d'efforts, et, je puis le dire, tant de sacrifices
personnels pour la cause sacrée à laquelle je travaille ainsi que vous,
je suis forcé d'avouer à votre excellence que j'avais espéré qu'elle me
seconderait personnellement dans une tâche aussi importante que
difficile, et qu'elle même voudrait achever son ouvrage. C'est M. de
Stadion qui remplace votre excellence. Comme _Autrichien_, les
véritables intérêts de nos deux pays doivent nous réunir. Comme _votre
ami_, ma confiance en lui sera entière, et, sous ce rapport, ce choix ne
peut que m'être agréable. Mais quelle autre influence que celle du
ministre qui dirige la politique de la puissance prépondérante sur le
continent, pourrait balancer celle de toutes les passions de l'Europe
réunies et placées, si on peut s'exprimer ainsi, dans la main d'un
négociateur anglais, pour s'en servir, s'il ne désire pas sincèrement la
paix, au gré de ses vues particulières? Quelques uns des choix qui ont
été faits, n'avertissaient-ils pas votre excellence qu'il faudrait tout
son crédit pour faire prévaloir même les idées les plus raisonnables?

Vous voyez, mon prince, avec quelle franchise je réponds à celle que
vous m'avez témoignée. Personne ne met une plus grande, une plus entière
confiance que moi dans le caractère de l'empereur, votre maître. La
constante invariabilité de ses principes peut seule nous donner la paix;
mais le moment de la faire ne nous échappera-t-il pas, si vous ne vous
prononcez pas fortement pour cette cause, dès l'ouverture des
négociations? C'est de l'énergie que vous mettrez à réprimer les
passions de tous les partis, et à modérer une ambition qui détruirait
d'avance l'équilibre que vous aspirez à établir, qu'en dépendra le
succès. La postérité, mon prince, ne nous tiendra nul compte de nos
efforts, si nous ne réussissons pas. Votre excellence, qui est si
convenablement placée pour être le régulateur de ces grands intérêts,
n'aura rien fait, si une paix qui assure à chaque état les limites et le
degré de puissance qui lui appartiennent, et qui porte ainsi en
elle-même la garantie de sa durée, ne met pas aujourd'hui un terme aux
troubles qui agitent, depuis si long-temps, la malheureuse Europe.

Quant à moi, mes voeux vous sont connus depuis long-temps, rien ne peut
les faire changer; vous pouvez donc compter sur moi, mon prince, comme
je compte sur vous pour tout ce qui pourra mener à ce noble but.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 9.) _Protocole des conférences de Châtillon-sur-Seine._

_Séance du 4 février 1814._


S. Exc. M. le duc de Vicence, ministre des relations extérieures et
plénipotentiaire de France, d'une part:

Et les plénipotentiaires des cours alliées, savoir:

S. Exc. M. le comte de Stadion, etc., pour l'Autriche;

S. Exc. M. le comte de Razoumowski, etc, pour la Russie.

LL. Exc. lord Aberdeen, lord Cathcart et sir Charles Stewart, etc., pour
la Grande-Bretagne;

Et S. Exc. M. le baron de Humboldt, etc., pour la Prusse, d'autre part;

S'étant acquittés réciproquement des visites d'usage dans la journée du
4 février, sont convenus en même temps, de se réunir en séance, le
lendemain 5 du mois de février.



(Nº 10.) _Lettre de Napoléon_
_Au duc de Vicence._

Troyes, le 4 février 1814.


Monsieur le duc de Vicence, le rapport du prince de Schwartzenberg est
une folie........................; la vieille garde n'y était pas; la
jeune garde n'a pas donné. Quelques pièces de canon nous ont été prises
par des charges de cavalerie, mais l'armée était en marche pour passer
le pont de Lesmont lorsque cet événement est arrivé, et deux heures plus
tard l'ennemi ne nous aurait pas trouvés. Il paraît que toute l'armée
ennemie était là...................................

Vous me demandez toujours des pouvoirs et des instructions lorsqu'il est
encore douteux si l'ennemi veut négocier. Les conditions sont, à ce
qu'il paraît, arrêtées d'avance entre les alliés. C'était hier le 3,
vous ne me dites pas que les plénipotentiaires vous en aient dit un mot.
Aussitôt qu'ils vous les auront communiquées, vous êtes le maître de les
accepter ou d'en référer à moi dans les vingt-quatre heures. Je ne
conçois pas en vérité cette phrase que vous me renvoyez de M. de
Metternich. Qu'entendent-ils par des ajournements, quand vous êtes
depuis un mois aux avant-postes? M. de la Besnardière que j'ai vu hier
au soir doit vous avoir rejoint. Le 2, un corps autrichien a été battu
à Rosnay; on lui a fait 600 prisonniers et tué beaucoup de monde. L'aide
de camp du prince de Neufchâtel a été pris le premier, au moment où il
faisait le tour de nos avant-postes. Sur ce, je prie Dieu, etc.

_Signé_ NAPOLÉON.

       *       *       *       *       *


(Nº 11.) _Protocole._

_Séance du 5 février, à une heure après midi._


Les plénipotentiaires ci-dessus désignés se sont assemblés en maison
tierce (dans celle de M. de Montmort), choisie pour le lieu des séances;
et après avoir indistinctement pris place à une table de forme ronde,
ils ont produit leurs pleins-pouvoirs respectifs en original et en copie
vidimée; lesquels ont été mutuellement acceptés.

Les plénipotentiaires des cours alliées ont remis ensuite la déclaration
suivante:

Les plénipotentiaires des cours alliées déclarent qu'ils ne se
présentent point aux conférences comme uniquement envoyés par les quatre
cours de la part desquelles ils sont munis de pleins-pouvoirs, mais
comme se trouvant chargés de traiter de la paix _avec la France au nom
de l'Europe_ ne formant qu'_un seul tout_; les quatre puissances
répondent de l'accession de leurs alliés aux arrangements dont on sera
convenu à l'époque de la paix même.

S. Exc. M. le duc de Vicence a répondu que rien n'était plus conforme
aux vues de sa cour que ce qui tendait à simplifier les négociations et
à en rapprocher le terme.

Après cette observation, les plénipotentiaires des cours alliées passent
à la détermination des formes des conférences, où ils déclarent à ce
sujet:

Qu'ils sont tenus à ne traiter que conjointement et à ne point admettre
d'autres formes de négociations que celles de séances avec tenue de
protocole.

S. Exc. M. le plénipotentiaire français a déclaré n'avoir rien à opposer
à cette forme.

Les plénipotentiaires des cours alliées déclarent ensuite:

Que les cours alliées adhèrent à la déclaration du gouvernement
britannique portant:

Que toute discussion sur le code maritime serait contraire aux usages
observés jusqu'ici dans les négociations de la nature de la présente;
que la Grande-Bretagne ne demande aux autres nations ni ne leur accorde
aucune concession relativement à des droits qu'elle regarde comme
réciproquement obligatoires et de nature à ne devoir être réglés que par
le _droit des gens_, excepté là où ces mêmes droits ont été modifiés par
des conventions spéciales entre des états particuliers;

Qu'en conséquence les cours alliées regarderaient l'insistance de la
France à ce sujet comme contraire à l'objet de la réunion des
plénipotentiaires, et comme tendant à empêcher le rétablissement de la
paix.

En recevant cette déclaration, S. Exc. M. le duc de Vicence a répondu
que l'intention de la France n'a jamais été de demander rien de
dérogatoire aux règles du droit des gens, et qu'il n'avait pas d'autre
observation à faire.

Les plénipotentiaires des cours alliées observent là-dessus qu'ils
prennent cette déclaration pour acceptation.

M. le duc de Vicence, après avoir dit que son gouvernement l'avait fait
partir depuis long-temps pour accélérer autant qu'il était possible
l'oeuvre de la paix, a demandé que l'on entrât à l'instant même dans le
fond de la négociation, protestant que la France n'avait d'autre désir
que d'arriver à connaître l'ensemble des propositions qui pouvaient
amener la cessation des malheurs de la guerre.

S. Exc. M. le comte de Razoumowski a dit qu'il n'avait point encore
l'expédition signée de ses instructions.

S. Exc. M. le duc de Vicence a observé qu'après le temps qui s'était
écoulé, M. de Razoumowski étant si près de son souverain, on ne pouvait
s'attendre à cet empêchement, et il a proposé de passer outre.

Mais LL. Exc. les plénipotentiaires des cours alliées ayant dit qu'elles
avaient pensé que la première conférence serait uniquement consacrée aux
objets rappelés ci-dessus, et sur l'observation qui a été faite que les
instructions de M. le comte de Razoumowski arriveraient très
probablement dans le jour, la conférence a été ajournée à demain.

Châtillon-sur-Seine, le 5 février 1814.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

_Signé_ comte A. de RAZOUMOWSKI, CATHCART, HUMBOLDT, ABERDEEN, J. comte
de STADION, Charles STEWART, lieutenant général.

       *       *       *       *       *


(Nº 12.) _Lettre de M. le duc de Bassano_
A M. LE DUC DE VICENCE.

Troyes, le 5 février 1814.


MONSIEUR LE DUC,

Je vous ai expédié un courrier avec une lettre de S. M.[51] et le
nouveau plein-pouvoir[52] que vous avez demandé. Au moment où S. M. va
quitter cette ville, elle me charge de vous en expédier un second, et de
vous faire connaître en propres termes que S. M. vous donne carte
blanche pour conduire les négociations à une heureuse fin, sauver la
capitale, et éviter une bataille où sont les dernières espérances de la
nation. Les conférences doivent avoir commencé hier. S. M. n'a pas voulu
attendre que vous lui eussiez donné connaissance des premières
ouvertures, de crainte d'occasionner le moindre retard.

[Note 51: Celle du 4 février, ci-avant, nº 10.]

[Note 52: Ces pleins-pouvoirs étaient l'instrument de chancellerie ou
lettres de créance sur parchemin, nécessaires pour accréditer le
plénipotentiaire au congrès.]

Je suis donc chargé, M. le duc, de vous faire connaître que l'intention
de l'empereur est que vous vous regardiez comme investi de tous les
pouvoirs nécessaires dans ces circonstances importantes pour prendre le
parti le plus convenable, afin d'arrêter les progrès de l'ennemi et de
sauver la capitale.

S. M. désire que vous correspondiez le plus fréquemment possible avec
elle, afin qu'elle sache à quoi s'en tenir pour la direction de ses
opérations militaires.

J'ai l'honneur, etc.

_Signé_ le duc de BASSANO.



(Nº 13.) LETTRE DU DUC DE VICENCE
_A Napoléon._

Châtillon, le 6 février 1814.


SIRE,

Un courrier parti de Troyes, le 5 février, m'a apporté une dépêche
chiffrée de M. le duc de Bassano, laquelle, tout en me commettant au nom
de V. M. les pouvoirs les plus étendus, me jette et me retient dans la
plus embarrassante perplexité.

Je me trouve ici placé vis-à-vis de quatre négociateurs, en ne comptant
les trois plénipotentiaires anglais que pour un seul. Ces quatre
négociateurs n'ont qu'une seule et même instruction, dressée par les
ministres d'état des quatre cours. Leur langage leur a été dicté
d'avance. Les déclarations qu'ils remettent leur ont été données toutes
faites. Ils ne font pas un pas, ils ne disent point un mot sans s'être
concertés d'avance. Ils veulent qu'il y ait un protocole; et si je veux
moi-même y insérer les observations les plus simples sur les faits les
plus constants, les expressions les plus modérées deviennent un sujet de
difficulté, et je dois céder pour ne pas consumer le temps en vaines
discussions. Je sens combien les moments sont précieux, je sens d'un
autre côté qu'en précipitant tout, on perdrait tout. Je presse, mais
avec la mesure que prescrit le besoin de ne pas compromettre les grands
intérêts dont je suis chargé; je presse autant que je puis le faire sans
me jeter à la tête de ces gens-ci, et sans me mettre à leur merci.

C'est dans cette situation que je reçois une lettre pleine d'alarmes.
J'étais parti les mains presque liées, et je reçois des pouvoirs
illimités. On me retenait, et l'on m'aiguillonne. Cependant on me laisse
ignorer les motifs de ce changement. On me fait entrevoir des dangers,
mais sans me dire quel en est le degré; s'ils viennent d'un seul côté ou
de plusieurs. V. M. d'abord, et l'armée qu'elle commande; Paris, la
Bretagne, l'Espagne, l'Italie, se présentent tour à tour, et tout à la
fois à mon esprit; mon imagination se porte de l'une à l'autre, sans
pouvoir former d'opinion fixe; ignorant la vraie situation des choses,
je ne peux juger ce qu'elle exige et ce qu'elle permet; si elle est
telle que je doive consentir à tout aveuglement, sans discussion et sans
retard, ou si j'ai pour discuter, du moins les points les plus
essentiels, plusieurs jours devant moi; si je n'en ai qu'un seul, ou si
je n'ai pas un moment. Cet état d'anxiété aurait pu m'être épargné par
des informations que la lettre de M. de Bassano ne contient pas.

Dans l'ignorance où elle me laisse, je marcherai avec précaution, comme
on doit le faire entre deux écueils; mais à toute extrémité, je ferai
tout ce que me paraîtront exiger la sûreté de V. M. et le salut de mon
pays.

Je suis, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 14.) _Protocole._

_Séance du 7 février 1814._


Les protocoles de la séance du 5 ayant été expédiés en _double_ et
collationnés dans la journée d'hier, MM. les plénipotentiaires, à
l'ouverture de la présente séance, ont muni ces expéditions de leurs
signatures, en observant l'alternative entre le plénipotentiaire de la
France d'un côté, et les plénipotentiaires des cours alliées de l'autre,
les derniers y ayant procédé entre eux en adoptant la voie de
_pêle-mêle_, tout préjudice sauf.

Cette formalité remplie, les plénipotentiaires des cours alliées
consignent au protocole ce qui suit:

«Les puissances alliées réunissant le point de vue de la sûreté et de
l'indépendance future de l'Europe, avec le désir de voir la France dans
un état de possession analogue au rang qu'elle a toujours occupé dans le
système politique, et considérant la situation dans laquelle l'Europe se
trouve placée à l'égard de la France, à la suite des succès obtenus par
leurs armes; les plénipotentiaires des cours alliées ont ordre de
demander:

»Que la France rentre dans les limites qu'elle avait avant la
révolution, sauf des arrangements d'une convenance réciproque sur des
portions de territoire au-delà des limites de part et d'autre, et sauf
des restitutions que l'Angleterre est prête à faire pour l'intérêt
général de l'Europe, contre les rétrocessions ci-dessus demandées à la
France, lesquelles restitutions seront prises sur les conquêtes que
l'Angleterre a faites pendant la guerre; qu'en conséquence la France
abandonne toute influence directe hors de ses limites futures, et que la
renonciation à tous les titres qui ressortent des rapports de
souveraineté et de protectorat sur l'Italie, l'Allemagne et la Suisse,
soit une suite immédiate de cet arrangement.»

Après que M. le duc de Vicence a entendu la lecture de cette
proposition, il s'établit de part et d'autre entre les plénipotentiaires
une conversation explicative de l'objet, à la suite de laquelle S. Exc.
le plénipotentiaire français observe que, la proposition étant de trop
grande importance pour pouvoir y répondre immédiatement, il désire à cet
effet que la séance soit suspendue.

Les plénipotentiaires des cours alliées n'hésitent pas à déférer à ce
désir, et l'on convient de continuer la séance à huit heures dû soir.

Les plénipotentiaires reprenant la séance à l'heure convenue, M. le duc
de Vicence déclare ce qui suit:

Le plénipotentiaire de France renouvelle encore l'engagement déjà pris
par sa cour de faire, pour la paix, les _plus grands sacrifices_,
quelque éloignée que la demande faite dans la séance d'aujourd'hui, au
nom des puissances alliées, soit des _bases proposées par elles à
Francfort_ et fondées sur ce que les _alliés eux-mêmes_ ont appelé les
_limites naturelles_ de la France; quelque éloignée qu'elle soit des
déclarations que toutes les cours n'ont cessé de faire à la face de
l'Europe; quelque éloignée que soit même leur proposition d'un état de
possession analogue au rang que la France a toujours occupé dans le
système politique, bases que les plénipotentiaires des puissances
alliées rappellent encore dans leur proposition de ce jour. Enfin
quoique le résultat de cette proposition soit d'appliquer à la France
seule un principe que les puissances alliées ne parlent point d'adopter
pour elles-mêmes, et dont cependant l'application ne peut être juste si
elle n'est point réciproque et impartiale, le plénipotentiaire français
n'hésiterait pas à s'expliquer sans retard de la manière la plus
positive sur cette demande, si chaque sacrifice qui peut être fait et le
degré dans lequel il peut l'être ne dépendaient pas nécessairement de
l'espèce et du nombre de ceux qui seront demandés, comme la somme des
sacrifices dépend aussi nécessairement de celle des _compensations_;
toutes les questions d'une telle négociation sont tellement liées et
subordonnées les unes aux autres, qu'on ne peut prendre de parti sur
aucune avant de les connaître toutes. Il ne peut être indifférent à
celui à qui on demande _des sacrifices_ de savoir _au profit de qui_ il
les fait et quel emploi on veut en faire, enfin si, en les faisant, on
peut mettre tout de suite un terme aux malheurs de la guerre. Un projet
qui développerait les vues des alliés dans tout leur ensemble remplirait
ce but.

Le plénipotentiaire renouvelle donc de la manière la plus instante la
demande que les plénipotentiaires des cours alliées veuillent _bien
s'expliquer positivement sur tous les points précités_.

Après avoir pris lecture de ce qui vient d'être inséré au protocole de
la part de M. le plénipotentiaire de France, les plénipotentiaires des
cours alliées déclarent qu'ils prennent sa réponse _ad referendum_.

Châtillon-sur-Seine, le 7 février 1814.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

_Signé_ le comte de STADION, ABERDEEN, HUMBOLDT, le comte de
RAZOUMOWSKI, CATHCART, Charles STEWART.

       *       *       *       *       *


(Nº 15.) _Lettre de M. le duc de Vicence
A M. le prince de Metternich._

Châtillon, le 8 février 1814.


PRINCE,

J'ai reçu le 30 la lettre par laquelle vous m'annonciez que Châtillon
serait le lieu des conférences. J'ai écrit tout de suite à Paris pour
faire venir ma maison et tout ce qui m'était nécessaire. Tout est arrivé
le 5 à vos avant-postes. Quoique muni d'un passe-port visé par le
général Herzenberg, on les a renvoyés, et je suis ici comme un courrier,
avec ce que j'ai porté pendant mon long voyage. Mes courriers, détournés
de leur route, font soixante lieues au lieu de vingt, sont maltraités,
retardés trois à quatre heures à chaque poste de Cosaques; et tout cela
depuis quatre jours. Cette manière d'être est si éloignée des procédés
et du noble respect de votre armée pour le droit des gens; elle est
d'ailleurs si contraire aux principes connus du prince de
Schwartzenberg, que je m'adresse avec toute confiance à V. Exc. pour que
mes courriers puissent être expédiés plus directement et plus sûrement.
Qu'on leur bande les yeux, qu'on les accompagne, je l'ai toujours
proposé. Quant à mes gens, effets et chevaux, ils viendront quand on
voudra faire prévenir à nos avant-postes de la route de Nogent, qu'ils
peuvent passer.

V. Exc. a-t-elle reçu la petite boîte pour l'archiduchesse Léopoldine?

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 16.) _Lettre de M. le duc de Vicence
A M. le prince de Metternich._

Châtillon-sur-Seine, le 8 février 1814.


Vous m'avez autorisé, mon prince, à m'ouvrir à vous sans réserve. Je
l'ai déjà fait, je continuerai; c'est une consolation à laquelle il me
coûterait trop de renoncer.

Je regrette chaque jour davantage que ce ne soit pas avec vous que j'aie
à traiter; si j'avais pu le prévoir, je n'aurais point accepté le
ministère, je ne serais point ici; je serais dans les rangs de l'armée,
et j'y pourrais du moins trouver en combattant une mort qu'il me faudra
mettre au rang des biens, si je ne peux servir ici mon prince et mon
pays. M. le comte de Stadion est digne sans doute de l'amitié qui vous
lie; il mérite la confiance que vous voulez que je prenne en lui; mais
M. de Stadion n'est pas vous; il ne peut pas avoir sur les négociateurs
l'ascendant qu'il vous eût appartenu d'exercer. Chargé de la
négociation, vous auriez empêché, j'aime à le croire, qu'on ne lui fît
prendre, comme aujourd'hui, une marche évidemment calculée pour consumer
le temps en interminables délais. A quoi ces délais peuvent-ils être
bons, si c'est uniquement la paix qu'on se propose? Ne suis-je pas ici
pour conclure, et demandé-je autre chose que de connaître les
conditions auxquelles on la veut faire? Les alliés veulent-ils se
ménager le temps d'arriver à Paris? Je ne vous dirai point, prince, de
songer aux conséquences d'un tel événement par rapport à l'impératrice;
sera-t-elle réduite à s'éloigner devant les troupes de son père, quand
son auguste époux est prêt à signer la paix? Mais je vous dirai que la
France n'est point tout entière à Paris; que la capitale occupée, les
Français pourront penser que l'heure des sacrifices est passée; que des
sentiments, que diverses causes ont assoupis, peuvent se réveiller; et
que l'arrivée des alliés à Paris peut commencer une série d'événements
que l'Autriche ne serait pas la dernière à regretter de ne pas avoir
prévenus; car, dussions-nous finir par être accablés, est-ce l'intérêt
de l'Autriche que nous le soyons? Quel profit a-t-elle à s'en promettre,
et quelle gloire même en peut-elle attendre, si nous succombons sous les
efforts de l'Europe entière? Vous, mon prince, vous avez une gloire
immense à recueillir; mais c'est à condition que vous resterez le maître
des événements, et le seul moyen que vous ayez de les maîtriser, est
d'en arrêter le cours par une prompte paix. Nous ne nous refusons à
aucun sacrifice raisonnable, nous désirons seulement connaître tous ceux
qu'on nous demande, au profit de qui nous devons les faire, et si en les
faisant nous avons la certitude de mettre immédiatement fin aux malheurs
de la guerre. Faites, mon prince, que toutes ces questions soient
posées d'une manière sérieuse et dans leur ensemble. Je ne ferai pas
attendre ma réponse. Vous êtes assurément trop sage pour ne pas sentir
que notre demande est aussi juste que nos dispositions sont modérées. V.
Exc. ne pourrait-elle pas venir avec M. de Nesselrode passer ici trois
heures chez lord Castlereagh? Il serait bien digne du caractère de
l'empereur d'Autriche, et du coeur du père de l'impératrice, de
permettre ce voyage qui pourrait finir en trois heures une lutte
maintenant sans objet et qui coûte à l'humanité tant de larmes.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 17.) _Lettre de M. le duc de Vicence_
_A Napoléon._

Châtillon, le 8 février 1814.


SIRE,

Je reçois seulement la lettre que V. M. m'a fait écrire par M. le duc de
Bassano. Je vais porter plainte des retards et des vexations
qu'éprouvent les courriers.

Les détails satisfaisants que me donne M. le duc de Bassano sur les
troupes que V. M. réunit auprès d'elle me font penser que je ferai bien
d'attendre les ordres que je lui ai demandés par ma lettre d'hier.

Je suis, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 18.) _Lettre du duc de Vicence_
_Au prince de Metternich._

Châtillon, le 9 février 1814.


MON PRINCE,

Je me propose de demander aux plénipotentiaires des cours alliées si la
France, en consentant, ainsi qu'ils l'ont demandé, à rentrer dans ses
anciennes limites, obtiendra immédiatement un armistice. Si par un tel
sacrifice, un armistice peut être sur-le-champ obtenu, je serai prêt à
le faire; je serai prêt encore, dans cette supposition, à remettre
sur-le-champ une partie des places que ce sacrifice devra nous faire
perdre.

J'ignore si les plénipotentiaires des cours alliées sont autorisés à
répondre affirmativement à cette question, et s'ils ont des pouvoirs
pour conclure cet armistice. S'ils n'en ont pas, personne ne peut
autant que V. Exc. contribuer à leur en faire donner; les raisons qui
me portent à l'en prier ne me semblent pas tellement particulières à la
France, qu'elles ne doivent intéresser qu'elle seule. Je supplie V. Exc.
de mettre ma lettre sous les yeux du père de l'impératrice: qu'il voie
le sacrifice que nous sommes prêts à faire, et qu'il décide.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 19.) _Note des plénipotentiaires alliés._

Châtillon-sur-Seine, le 9 février 1814.


Les soussignés, plénipotentiaires des cours alliées, viennent de
recevoir de S. Exc. M. le plénipotentiaire de Russie une communication
portant:

Que S. M. l'empereur de Russie ayant jugé à propos de se concerter avec
les souverains, ses alliés, sur l'objet des conférences de Châtillon, S.
M. a donné ordre à son plénipotentiaire de déclarer qu'elle désire que
les conférences soient suspendues jusqu'à ce qu'elle lui ait fait
parvenir des instructions ultérieures.

Les soussignés ont l'honneur d'en donner part à M. le plénipotentiaire
de France, en prévenant que les conférences ne peuvent rester que pour
le moment suspendues. Ils s'empresseront d'informer M. le
plénipotentiaire du moment où ils seront mis à même d'en reprendre le
cours.

Les soussignés ont l'honneur de présenter en même temps à S. Exc.
l'assurance de leur haute considération.

_Signé_ C. A. RAZOUMOWSKI, CATHCART, comte DE STADION, Humboldt,
ABERDEEN, Charles STEWART.

       *       *       *       *       *


(Nº 20.) _Lettre de M. le duc de Vicence_
_A Napoléon._

Châtillon, le 10 février 1814.


SIRE,

Je ne veux pas perdre un moment pour envoyer à V. M. l'étrange
déclaration que je viens de recevoir[53]. Je m'occupe de la réponse que
je dois y faire et que je transmettrai à V. M. par un second courrier.

[Note 53: Voyez cette déclaration au protocole.]

Le peu que je sais, sur tout ce qui s'est passé hier et même avant-hier
soir, prouverait que les plénipotentiaires alliés sont peu d'accord,
qu'il y a eu de grandes difficultés, et que ce n'est que ce matin
qu'ils ont tous consenti à faire remettre cette note; le
plénipotentiaire de Russie ayant déclaré qu'il ne pouvait continuer à
négocier, et les autres ne voulant pas avoir l'air de se séparer de lui.
Si l'Autriche a un but raisonnable, cette circonstance l'obligera à se
prononcer, s'il en est encore temps. Ma lettre d'hier à M. de Metternich
ne lui laisse pas de prétexte pour ne pas le faire. Le voyage de lord
Castlereagh peut même lui donner les moyens de s'expliquer franchement
et sans retard; car il me paraît que ce qui se passe depuis
quarante-huit heures tient à un motif auquel on n'était point préparé.
Au reste, cela ne peut tarder à s'éclaircir: la force des événements
prend un tel empire que la sagesse et la prévoyance humaine ne peuvent
plus rien.

S'il n'y a de salut que dans les armes, je prie V. M. de me compter au
nombre de ceux qui tiennent à honneur de mourir pour leur prince.

Lord Castlereagh est parti ce matin à neuf heures. Je joins ici copie de
la lettre que je crois à propos d'écrire à M. de Metternich.

Je suis, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 21.) _Note aux plénipotentiaires alliés._

Châtillon-sur-Seine, 10 février 1814.


Le soussigné, plénipotentiaire de France, ayant reçu seulement
aujourd'hui (dix, à onze heures du matin) une déclaration datée d'hier
9, et signée de LL. Exc. MM. les plénipotentiaires des cours alliées,
n'a pu qu'être très surpris qu'elle lui fût ainsi parvenue, après que
LL. Exc. elles-mêmes avaient, dès la première conférence, établi comme
un principe invariable que rien de relatif à la négociation ne pourrait
se traiter, ni conséquemment aucune délibération s'y rapportant être
remise ou reçue hors des conférences, et lorsqu'elle pouvait si bien lui
être remise dans la séance qu'il réclame depuis deux jours, et qu'il lui
semble encore impossible que MM. les plénipotentiaires ne lui accordent
pas, ne fût-ce que pour arrêter et signer le protocole de la dernière
conférence, lequel appartenant au passé ne peut plus dépendre des
déterminations présentes ou futures des cours alliées.

Mais l'étonnement du soussigné a été extrême en apprenant par la note de
MM. les plénipotentiaires que le seul désir d'une seule des quatre cours
alliées leur paraît à tous une cause suffisante pour suspendre
indéfiniment les négociations.

Quoiqu'on n'ait motivé ce désir qu'en alléguant l'intention de se
concerter avec ses alliés, et quoiqu'il ait été déclaré, à diverses
reprises et de la manière la plus solennelle, que les souverains alliés
et leurs cabinets se sont dès long-temps communiqué toutes leurs vues et
les ont arrêtées d'un commun accord;

Le soussigné regarde donc comme un devoir de protester contre la
détermination annoncée par LL. Exc. MM. les plénipotentiaires des cours
alliées, d'autant plus que, par une singularité de circonstances qu'il
ne peut s'empêcher de remarquer, il se trouve avoir à défendre, avec sa
propre cause, celle des puissances dont les ministres sont réunis au
congrès, et de toutes celles au nom desquelles ces mêmes ministres sont
chargés de traiter.

Quel que soit le résultat de la réclamation, les maux occasionnés par
l'interruption des négociations ne pourront du moins être imputés à la
France, qui, comme le soussigné l'a déclaré dans la réponse qu'il a
remise dans la conférence du 7, et le réitère ici, est prête à faire les
plus grands sacrifices pour mettre immédiatement un terme aux maux de la
guerre.

Le soussigné a l'honneur d'offrir à LL. EE. MM. les plénipotentiaires,
les assurances de sa haute considération.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *



(Nº 22.) _Lettre du duc de Vicence_
_Au prince de Metternich._

Châtillon-sur-Seine, le 10 février 1814, midi.


MON PRINCE,

Je reçois ce matin seulement, à onze heures, par un employé de votre
légation, la note dont copie est ci-jointe, sous la date du 9. Ma lettre
d'hier, remise le soir à M. de Floret, vous a dit tout ce que nous
sommes prêts à faire pour la paix. Cette note dit trop clairement tout
ce qu'on se propose contre, pour que j'ajoute aucune réflexion. Notre
cause devient celle de tous les gouvernements qui veulent la paix.

Agréez, etc.

       *       *       *       *       *


(Nº 23.) _Lettre du prince de Metternich_
_Au duc de Vicence._

Troyes, le 15 février 1814.


MONSIEUR LE DUC,

L'empereur m'ayant autorisé à faire usage de la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'adresser le 9 de ce mois, près des cabinets alliés,
les plénipotentiaires, réunis à Châtillon, ont reçu l'ordre d'entrer en
pourparler avec vous sur la proposition que renfermait la lettre de V.
Exc.

L'objet de la demande qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser, se
trouvant ainsi rempli, il ne me reste qu'à lui offrir l'assurance, etc.

_Signé_ le prince DE METTERNICH.

       *       *       *       *       *

(Nº 23bis.) _Lettre du prince de Metternich_
_Au duc de Vicence._

Troyes, le 15 février 1814.


Je n'ai pas répondu aux lettres confidentielles de V. Exc., parce que je
n'avais rien à lui dire. Nous venons de remettre en train vos
négociations, et je réponds à V. Exc. que ce n'est pas chose facile que
d'être le ministre de la coalition. Ce que vous m'avez dit de flatteur
sur vos regrets de ne pas me voir à Châtillon ne peut porter que sur des
sentiments personnels desquels vous m'avez donné tant de preuves. Croyez
que, sous le rapport des affaires, je suis plus utile ici que chez vous.
Je vous ai déjà recommandé M. le comte de Stadion; croyez-moi sur
parole. Mylord Castlereagh est également un homme de la meilleure
trempe, droit, loyal, sans passions, et par conséquent sans préjugés. Il
fallait une composition d'hommes comme le sont les ministres anglais du
moment, pour rendre possible la grande oeuvre à laquelle vous
travaillez, et qui, je me flatte, sera couronnée du succès. V. Exc. ne
doit pas regretter d'avoir accepté le ministère; il n'est beau que dans
des temps difficiles.

Le comte de Stadion vous parlera de la ligne de vos courriers. Ce n'est
pas seulement sous des points de vue militaires qu'il est impossible de
les faire passer par les armées; mais nous ne pouvons pas, avec la
meilleure volonté, répondre de nos hordes de troupes légères. Si vous en
avez de très pressés, et que la direction du quartier général de votre
empereur y prête, envoyez-moi des dépêches chiffrées, je les ferai
passer sur la route la plus directe, par les avant-postes.

Voici une lettre de la famille Mesgrigny à leur frère, fils, etc.,
veuillez la lui faire passer. Ce sont de braves gens qui ont le
_bonheur_ de me posséder dans leur hôtel; bonheur véritable, car je ne
les mange pas. C'est une vilaine chose, mon cher duc, que la guerre, et
surtout quand on la fait avec cinquante mille Cosaques ou Baskirs.

Recevez l'assurance de mes sentiments inviolables, etc.

_Signé_ le prince de METTERNICH.

       *       *       *       *       *


(Nº 24.) _Note des plénipotentiaires alliés._

Châtillon-sur-Seine, le 17 février 1814.


Les plénipotentiaires des cours alliées, aux conférences de Châtillon,
ont eu l'honneur de prévenir, par une note du 9 de ce mois, S. Exc. M.
le plénipotentiaire de France du motif pour lequel les conférences ne
pouvaient que rester pour le moment suspendues; se trouvant maintenant à
même d'en reprendre le cours, les soussignés ont l'honneur d'en informer
monsieur le plénipotentiaire de France.

Ils présentent en même temps à S. Exc. les assurances de leur haute
considération.

_Signé_ comte DE RAZOUMOWSKI, CATHCART, HUMBOLDT, ABERDEEN, STADION.

       *       *       *       *       *


(Nº 25.) _Continuation du protocole des conférences de
Châtillon-sur-Seine._

_Séance du 17 février 1814._


Les séances ayant été suspendues, d'après une note des plénipotentiaires
des cours alliées en date du 9, ont été reprises aujourd'hui 17 février.

Les plénipotentiaires des cours alliées commencent la conférence par
consigner au protocole ce qui suit:

Le plénipotentiaire de France a fait précéder sa déclaration renfermée
dans le protocole du 7 de ce mois, d'un préambule dans lequel il fait
des rapprochements entre les déclarations antérieures et les
propositions actuelles des cours alliées. Il leur serait aisé de
répondre à ces rapprochements, ainsi qu'aux autres réflexions contenues
dans ce préambule, et de prouver que la marche politique de leurs cours,
dans les transactions actuelles, a été constamment à la fois dirigée par
l'intention ferme et inébranlable de rétablir un juste équilibre en
Europe, et adaptée aux événements amenés par des opérations de leurs
armées; mais comme une pareille discussion serait entièrement étrangère
au but de la négociation dont les plénipotentiaires des cours alliées se
feraient scrupule de s'écarter; comme elle ferait dégénérer les
protocoles de leurs conférences en véritables notes verbales; et comme
ils sont fermement résolus de ne point se laisser détourner, pour quoi
que ce fût, de la marche simple qu'ils ont annoncée dès le commencement,
ils se bornent à déclarer, de la manière la plus positive, qu'ils
disconviennent entièrement de ce qui est énoncé dans le préambule de la
dite déclaration du plénipotentiaire de France, et ils passent ensuite
immédiatement à l'objet principal.

Le plénipotentiaire autrichien prend à cet effet la parole au nom de ses
collègues, et dit:

Qu'à la suite de la séance du 7 du mois, le plénipotentiaire français
avait, dans une lettre adressée le 9 au prince de Metternich, annoncé
l'intention de demander aux plénipotentiaires des cours alliées, si la
France consentant, ainsi que ceux-ci l'ont demandé, à rentrer dans ses
anciennes limites, obtiendra immédiatement un armistice: que, si par un
tel sacrifice un armistice peut être sur-le-champ obtenu, il serait prêt
à le faire; que de plus, il serait prêt, dans cette supposition, à
remettre sur-le-champ une partie des places que ce sacrifice devrait
faire perdre à la France;

Que le ministre des affaires étrangères de S. M. l'empereur d'Autriche,
ayant porté cette ouverture à la connaissance des cours alliées,
celles-ci ont autorisé leurs plénipotentiaires aux conférences à
déclarer:

Qu'elles estiment qu'un traité préliminaire qui serait fondé sur le
principe énoncé ci-dessus, et qui aurait pour suite immédiate la
cessation des hostilités sur terre et sur mer, en mettant par là un
terme également prompt aux maux de la guerre, atteindrait mieux et plus
convenablement qu'un armistice, au but généralement désiré; et que, pour
abréger davantage la négociation, les cours alliées ont transmis à leurs
plénipotentiaires le projet d'un traité préliminaire dont il allait être
donné lecture.

Le plénipotentiaire français observe qu'en faisant au prince de
Metternich la demande confidentielle qui lui a été adressée pour un
armistice, il était loin de s'attendre que les séances seraient aussi
inopinément suspendues, et la négociation interrompue pendant neuf
jours, ce qui avait changé l'état de la question et l'objet qu'il se
proposait; que des préliminaires, exigeant une discussion plus ou moins
longue, n'arrêtaient pas au moment même, comme un armistice, l'effusion
du sang.

Le plénipotentiaire autrichien lit ensuite le projet de traité
préliminaire suivant:

_Projet d'un traité préliminaire entre les hautes puissances alliées et
la France._

Au nom de la très sainte et indivisible Trinité.

LL. MM. II. d'Autriche et de Russie, S. M. le roi du royaume-uni de la
Grande-Bretagne et de l'Irlande, et S. M. le roi de Prusse, agissant au
nom de tous leurs alliés, d'une part, et S. M. l'empereur des Français
de l'autre, désirant cimenter le repos et le bien-être futur de
l'Europe, par une paix solide et durable sur terre et sur mer, et ayant,
pour atteindre à ce but salutaire, leurs plénipotentiaires actuellement
réunis à Châtillon-sur-Seine, pour discuter les conditions de cette
paix, lesdits plénipotentiaires sont convenus des articles suivants:

Art. 1er. Il y aura paix et amnistie entre LL. MM. II. d'Autriche et de
Russie, S. M. le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et de
l'Irlande, et S. M. le roi de Prusse, agissant en même temps au nom de
tous leurs alliés, et S. M. l'empereur des Français, leurs héritiers et
successeurs à perpétuité.

Les hautes parties contractantes s'engagent à apporter tous leurs soins
à maintenir, pour le bonheur futur de l'Europe, la bonne harmonie si
heureusement rétablie entre elles.

Art. 2. S. M. l'empereur des Français renonce, pour lui et ses
successeurs, à la totalité des acquisitions, réunions ou incorporations
de territoire faites par la France depuis le commencement de la guerre
de 1792.

S. M. renonce également à toute l'influence constitutionnelle directe ou
indirecte hors des anciennes limites de la France, telles qu'elles se
trouvaient établies avant la guerre de 1792, et aux titres qui en
dérivent, et nommément à ceux de roi d'Italie, roi de Rome, protecteur
de la confédération du Rhin, et médiateur de la confédération suisse.

Art. 3. Les hautes parties contractantes reconnaissent formellement et
solennellement le principe de la souveraineté et indépendance de tous
les états de l'Europe, tels qu'ils seront constitués à la paix
définitive.

Art. 4. S. M. l'empereur des Français reconnaît formellement la
reconstruction suivante des pays limitrophes de la France:

1º L'Allemagne composée d'états indépendants unis par un lien fédératif;

2º L'Italie divisée en états indépendants, placés entre les possessions
autrichiennes en Italie et la France;

3º La Hollande sous la souveraineté de la maison d'Orange, avec un
accroissement de territoire.

4º La Suisse, état libre, indépendant, replacé dans ses anciennes
limites, sous la garantie de toutes les grandes puissances, la France y
comprise.

5º L'Espagne sous la domination de Ferdinand VII, dans ses anciennes
limites.

S. M. l'empereur des Français reconnaît de plus le droit des puissances
alliées de déterminer, d'après les traités existants entre les
puissances, les limites et rapports tant des pays cédés par la France
que de leurs états entre eux, sans que la France puisse aucunement y
intervenir.

Art. 5. Par contre, S. M. britannique consent à restituer à la France, à
l'exception des îles nommées les Saintes, toutes les conquêtes qui ont
été faites par elle sur la France, pendant la guerre, et qui se trouvent
à présent au pouvoir de S. M. britannique, dans les Indes orientales, en
Afrique et en Amérique.

L'île de Tabago, conformément à l'article 2 du présent traité, restera à
la Grande-Bretagne, et les alliés promettent d'employer leurs bons
offices pour engager LL. MM. suédoise et portugaise à ne point mettre
d'obstacle à la restitution de la Guadeloupe et de Cayenne à la France.

Tous les établissements et toutes les factoreries conquises sur la
France, à l'est du cap de Bonne-Espérance, à l'exception des îles
Maurice (île de France), de Bourbon et de leurs dépendances, lui seront
restituées. La France ne rentrera dans ceux des susdits établissements
et factoreries qui sont situés dans le continent des Indes et dans les
limites des possessions britanniques, que sous la condition qu'elle les
possédera uniquement à titre d'établissements commerciaux; et elle
promet en conséquence de n'y point faire construire de fortifications,
et de n'y point entretenir de garnisons ni forces militaires quelconques
au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir la police dans lesdits
établissements.

Les restitutions ci-dessus mentionnées en Asie, en Afrique, et en
Amérique, ne s'étendront à aucune possession qui n'était point
effectivement au pouvoir de la France avant le commencement de la guerre
de 1792.

Le gouvernement français s'engage à prohiber l'importation des esclaves
dans toutes les colonies et possessions restituées par le présent
traité, et à défendre à ses sujets, de la manière la plus efficace, le
trafic des nègres en général.

L'île de Malte, avec ses dépendances, restera en pleine souveraineté à
S. M. britannique.

Art. 6. S. M. l'empereur des Français remettra, aussitôt après la
ratification du présent traité préliminaire, les forteresses et forts
des pays cédés, et ceux qui sont encore occupés par ses troupes en
Allemagne, sans exception, et notamment la place de Mayence dans six
jours; celles de Hambourg, Anvers, Berg-op-Zoom, dans l'espace de six
jours; Mantoue, Palma-Nuova, Venise et Peschiera, les places de l'Oder
et de l'Elbe, dans quinze jours, et les autres places et forts dans le
plus court délai possible, qui ne pourra excéder celui de quinze jours.
Ces places et forts seront remis dans l'état où ils se trouvent
présentement, avec toute leur artillerie, munitions de guerre et de
bouche, archives, etc.; les garnisons françaises de ces places sortiront
avec armes, bagages, et avec leurs propriétés particulières.

S. M. l'empereur des Français fera également remettre, dans l'espace de
quatre jours, aux armées alliées les places de Besançon, Belfort et
Huningue, qui resteront en dépôt jusqu'à la ratification de la paix
définitive, et qui seront remises dans l'état dans lequel elles auront
été cédées à mesure que les armées alliées évacueront le territoire
français.

Art. 7. Les généraux commandant en chef nommeront sans délai des
commissaires chargés de déterminer la ligne de démarcation entre les
armées réciproques.

Art. 8. Aussitôt que le présent traité préliminaire aura été accepté et
ratifié de part et d'autre, les hostilités cesseront sur terre et sur
mer.

Art. 9. Le présent traité préliminaire sera suivi, dans le plus court
délai possible, par la signature d'un traité de paix définitif.

Art. 10. Les ratifications du traité préliminaire seront échangées dans
quatre jours, ou plus tôt, si faire se peut.

En foi de quoi les plénipotentiaires de LL. MM. II. d'Autriche et de
Russie, de S. M. le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et de
l'Irlande, et de S. M. le roi de Prusse, d'une part, et le
plénipotentiaire de S. M. l'empereur des Français, de l'autre, l'ont
signé et y ont fait apposer le cachet de leurs armes.

Fait à Châtillon, etc., etc.

Cette lecture achevée, le plénipotentiaire de France prie les
plénipotentiaires des cours alliées de répondre à l'observation et aux
questions suivantes:

Il fait observer que le projet confond le titre de roi d'Italie avec
ceux de médiateur et de protecteur, qui en diffèrent essentiellement;
que le premier est un titre de souveraineté, ce que les deux autres ne
sont pas; qu'il est attaché à la possession d'un état, que cet état est
indépendant de la France, que les renonciations de celle-ci
n'entraîneraient nullement une renonciation à la couronne d'Italie, à
laquelle l'empereur des Français ne pourrait pas renoncer comme
empereur, mais uniquement en sa qualité de roi.

Les plénipotentiaires des cours alliées répliquent qu'assurément
l'intention des cours alliées est que le traité contienne la
renonciation de l'empereur Napoléon à la possession du royaume d'Italie,
et que puisqu'il paraît que le projet peut laisser des doutes là-dessus,
cette renonciation devra y être ajoutée en termes explicites.

Le plénipotentiaire de France a demandé ensuite si le roi de Saxe était
compris dans les arrangements que les alliés projetaient pour
l'Allemagne, et serait rétabli dans la pleine possession de son
royaume;

Si le roi de Westphalie, reconnu par toutes les puissances du continent,
recouvrerait son royaume ou obtiendrait une indemnité;

Enfin, si les droits du vice-roi, comme héritier du royaume d'Italie,
étaient reconnus pour le cas où le roi d'Italie renoncerait à la
couronne de ce royaume.

Les plénipotentiaires des cours alliées ont déclaré s'en tenir pour le
moment à leur projet.

Le plénipotentiaire français dit alors que la pièce dont il vient de lui
être donné lecture et communication est d'une trop haute importance pour
qu'il puisse y faire, dans cette séance, une réponse quelconque, et
qu'il se réserve de proposer aux plénipotentiaires des cours alliées une
conférence ultérieure lorsqu'il sera dans le cas d'entrer en discussion
sur ce qui forme l'objet des ouvertures faites dans la présente séance.

Châtillon-sur-Seine, le 17 février 1814.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence; ABERDEEN, CATHCART, le comte DE
RAZOUMOWSKI, HUMBOLDT, le comte de STADION, Charles STEWART,
lieutenant-général.

       *       *       *       *       *


(Nº 26.) _Lettre de Napoléon_
_Au duc de Vicence._

Nangis, le 17 février 1814.


Monsieur le duc de Vicence, je vous ai donné carte blanche pour sauver
Paris et éviter une bataille qui était la dernière espérance de la
nation. La bataille a eu lieu; la Providence a béni nos armes. J'ai fait
30 à 40,000 prisonniers. J'ai pris deux cents pièces de canon, un grand
nombre de généraux, et détruit plusieurs armées sans presque coup férir.
J'ai entamé hier l'armée du prince de Schwartzenberg, que j'espère
détruire avant qu'elle ait repassé nos frontières. Votre attitude doit
être la même, vous devez tout faire pour la paix, mais mon intention est
que vous ne signiez rien sans mon ordre, parce que seul je connais ma
position. En général, je ne désire qu'une paix _solide_ et _honorable_,
et elle ne peut être telle que sur les bases proposées à Francfort. Si
les alliés eussent accepté vos propositions le 9, il n'y aurait pas eu
de bataille, je n'aurais pas couru les chances de la fortune dans le
moment où le moindre insuccès perdait la France; enfin, je n'aurais pas
connu le secret de leur faiblesse. Il est juste qu'en retour j'aie les
avantages des chances qui ont tourné pour moi. Je veux la paix, mais ce
n'en serait pas une que celle qui imposerait à la France des conditions
plus humiliantes que les bases de Francfort. Ma position est
certainement plus avantageuse qu'à l'époque où les alliés étaient à
Francfort. Ils pouvaient me braver; je n'avais obtenu aucun avantage sur
eux, et ils étaient loin de mon territoire. Aujourd'hui c'est tout
différent; j'ai eu d'immenses avantages sur eux, et des avantages tels
qu'une carrière militaire de vingt années, et de quelque illustration,
n'en présente pas de pareils. Je suis prêt à cesser les hostilités et à
laisser les ennemis rentrer tranquilles chez eux, s'ils signent les
préliminaires basés sur les propositions de Francfort. La mauvaise foi
de l'ennemi et la violation des engagements les plus sacrés mettent
seuls des délais entre nous; et nous sommes si près, que, si l'ennemi
vous laisse correspondre avec moi directement, en vingt-quatre heures on
peut avoir réponse aux dépêches. D'ailleurs je vais me rapprocher
davantage. Sur ce, je prie Dieu, etc.

_P. S._ Comment arrive-t-il qu'aujourd'hui 18, je n'aie de dépêches de
vous que du 14? Nous ne sommes cependant éloignés de vous que de
vingt-cinq lieues.

_Signé_ NAPOLÉON.

       *       *       *       *       *


(Nº 27.) _Continuation du protocole des conférences de
Châtillon-sur-Seine._

_Séance du 28 février 1814._


Les plénipotentiaires des cours alliées déclarent au protocole ce qui
suit:

Plusieurs jours s'étant écoulés depuis que le projet des préliminaires
d'une paix générale a été présenté par les plénipotentiaires des cours
alliées à M. le plénipotentiaire français, et aucune réponse n'ayant été
donnée, ni dans la forme d'une acceptation, ni dans celle d'une
modification dudit projet, LL. MM. II et RR. ont jugé convenable
d'enjoindre à leurs plénipotentiaires de demander à M. le
plénipotentiaire français une déclaration distincte et explicite de son
gouvernement sur le projet en question. Les plénipotentiaires des cours
alliées pensent qu'il y a d'autant moins de motifs de délais de la part
du gouvernement français à l'égard d'une décision sur les préliminaires
proposés, que le projet proposé par eux était basé en substance sur une
offre faite par M. le plénipotentiaire de France, dans sa lettre au
prince de Metternich, datée du 9 de ce mois, que le prince a soumise aux
cours alliées.

De plus, les plénipotentiaires des cours alliées sont chargés de
déclarer, au nom de leurs souverains, qu'adhérant fortement à la
substance des demandes contenues dans ces conditions qu'ils regardent
comme aussi essentielles à la sûreté de l'Europe que nécessaires à
l'arrangement d'une paix générale de l'Europe, ils ne pourraient
interpréter tout retard ultérieur d'une réponse à leurs propositions que
comme un refus de la part du gouvernement français. En conséquence les
plénipotentiaires des cours alliées, prêts à se concerter avec M. le
plénipotentiaire français, à l'égard du temps indispensablement
nécessaire pour communiquer avec son gouvernement, ont ordre de déclarer
que, si à l'expiration du terme reconnu suffisant et dont on sera
convenu conjointement avec M. le plénipotentiaire français, il n'était
pas arrivé de réponse qui fût en substance d'accord avec la base établie
dans le projet des alliés, la négociation serait regardée comme terminée
et que les plénipotentiaires des cours alliées retourneraient au
quartier général.

Après s'être acquitté de cette déclaration, dont copie a été remise à M.
le plénipotentiaire de France, le plénipotentiaire autrichien, au nom de
ses collègues, ajoute verbalement que les plénipotentiaires des cours
alliées sont prêts à discuter dans un esprit de conciliation toute
modification que M. le plénipotentiaire français pourrait être autorisé
à proposer; mais que les cours alliées ne sauraient écouter aucune
proposition qui différât essentiellement du sens de l'offre déjà faite
par M. le plénipotentiaire de France, et que si pareille prétention
était mise en avant par la France, les alliés seraient obligés dans ce
cas, quoiqu'à regret, de remettre la décision au sort des armes.

Le plénipotentiaire de France répond que LL. Exc. MM. les
plénipotentiaires des cours alliées, après avoir eu tant de temps pour
préparer leur projet, ne peuvent se plaindre de celui qu'il met à
préparer sa réponse; qu'il en faut pour examiner un projet qui embrasse
tant de questions d'une si haute importance, et à la plupart desquelles
aucun antécédent n'avait préparé;

Que LL. Exc. connaissent par ses nombreuses réclamations les retards que
ses courriers ont éprouvés, par les détours qu'on leur a fait faire;

Qu'elles savent que, depuis la remise du projet, les armées n'ont pas
cessé d'être en mouvement, et que le projet par lequel on doit y
répondre ne peut pas être fait lorsqu'on change de lieu presque à toute
heure;

Qu'on est d'autant moins fondé à se plaindre des retards, que, dès
l'ouverture de la négociation, les séances ont été suspendues neuf jours
par les alliés sans qu'ils eussent donné aucun motif;

Enfin que la France a assez prouvé, par tout ce qui a précédé la remise
du projet, qu'elle veut la paix: que quant à ce qui est dit dans la
nouvelle déclaration de LL. Exc. d'une offre par lui faite dans une
lettre confidentielle au prince de Metternich, il doit répéter ce qu'il
a précédemment fait observer, que cette offre était subordonnée à la
demande d'un armistice immédiat, lequel a été refusé, et qu'on ne peut
conséquemment s'en prévaloir.

Les plénipotentiaires des cours alliées invitent M. le plénipotentiaire
français à indiquer le délai qu'il croit suffisant à la communication
ci-dessus annoncée.

Il répond que, dans une affaire si grave, on ne peut imposer ni prendre
l'obligation de répondre à jour fixe.

MM. les plénipotentiaires des cours alliées ayant insisté, d'après les
ordres formels de leurs cours, pour que le terme fût fixé, on s'est
réuni pour le fixer, de part et d'autre, au 10 mars inclusivement.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

_Signé_ Charles STEWART, comte DE STADION, CATHCART, HUMBOLDT, A. comte
DE RAZOUMOWSKI; ABERDEEN.

       *       *       *       *       *


(Nº 28.) _Lettre du duc de Vicence_
_A Napoléon._

Châtillon, le 5 mars 1814.


SIRE,

J'ai besoin d'exprimer particulièrement à V. M. toute ma peine de voir
mon dévouement méconnu. Elle est mécontente de moi; elle le témoigne et
charge de me le dire. Ma franchise lui déplaisant, elle la taxe de
rudesse et de dureté. Elle me reproche de voir partout les Bourbons,
dont, peut-être à tort, je ne parle qu'à peine. V. M. oublie que c'est
elle qui en a parlé la première dans les lettres qu'elle a écrites ou
dictées. Prévoir comme elle les chances que peuvent leur présenter les
passions d'une partie des alliés, celles que peuvent faire naître des
événements malheureux et l'intérêt que pourrait inspirer dans ce pays
leur haute infortune, si la présence d'un prince et un parti
réveillaient ces vieux souvenirs dans un moment de crise, ne serait
cependant pas si déraisonnable, si les choses sont poussées à bout. Dans
la situation où sont les esprits, dans l'état de fièvre où est l'Europe,
dans celui d'anxiété et de lassitude où se trouve la France, la
prévoyance doit tout embrasser, elle n'est que de la sagesse. V. M.
voudrait, je le comprends, vacciner sa force d'âme, l'élan de son grand
caractère, à tout ce qui la sert, et communiquer à tous son énergie;
mais votre ministre, sire, n'a pas besoin de cet aiguillon. L'adversité
stimule son courage, au lieu de l'abattre; et s'il vous répète sans
cesse le mot de paix, c'est parce qu'il la croit indispensable et même
pressante pour ne pas tout perdre. C'est quand il n'y a pas de tiers
entre V. M. et lui qu'il lui parle franchement. C'est votre force, sire,
qui l'oblige à vous paraître faible; tout au moins plus disposé à céder
qu'il ne le serait réellement. Personne ne désire, ne voudrait plus que
moi consoler V. M., adoucir tout ce que les circonstances et les
sacrifices qu'elles exigeront auront de pénible pour elle; mais
l'intérêt de la France, celui de votre dynastie, me commandent avant
tout d'être prévoyant et vrai. D'un instant à l'autre, tout peut être
compromis par ces ménagements qui ajournent les déterminations
qu'exigent les grandes et difficiles circonstances où nous sommes.
Est-ce ma faute si je suis le seul qui tiens ce langage de dévouement à
V. M.? si ceux qui vous entourent et qui pensent comme moi, craignant de
lui déplaire et voulant la ménager, quand elle a déjà tant de sujets de
contrariété, n'osent lui répéter ce qu'il est de mon devoir de lui dire?
Quelle gloire, quel avantage peut-il y avoir pour moi à prêcher, à
signer même cette paix, si toutefois on parvient à la faire? Cette paix,
ou plutôt ces sacrifices, ne seront-ils pas pour V. M. un éternel grief
contre son plénipotentiaire? Bien des gens en France, qui en sentent
aujourd'hui la nécessité, ne me la reprocheront-ils pas six mois après
qu'elle aura sauvé votre trône? Comme je ne me fais pas plus illusion
sur ma position, que sur celle de V. M., elle doit m'en croire. Je vois
les choses ce qu'elles sont; et les conséquences, ce qu'elles peuvent
devenir. La peur a uni tous les souverains, le mécontentement a rallié
tous les Allemands. La partie est trop bien liée pour la rompre. En
acceptant le ministère dans les circonstances où je l'ai pris, en me
chargeant ensuite de cette négociation, je me suis dévoué pour vous
servir, pour sauver mon pays; je n'ai point eu d'autre but; et celui-là
seul était assez noble, assez élevé pour me paraître au-dessus de tous
les sacrifices. Dans ma position je ne pouvais qu'en faire, et c'est ce
qui m'a décidé. V. M. peut dire de moi tout le mal qu'il lui plaira: au
fond de son coeur elle ne pourra en penser, et elle sera forcée de me
rendre toujours la justice de me regarder comme l'un de ses plus fidèles
sujets, et l'un des meilleurs citoyens de cette France, que je ne puis
être soupçonné de vouloir avilir, quand je donnerais ma vie pour lui
sauver un village.

Je suis, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.



(Nº 29.) _Lettre de M. le duc de Vicence
A Napoléon_.

Châtillon, le 6 mars 1814.


SIRE,

La question qui va se décider est si importante, elle peut, dans un
instant, avoir tant de fatales conséquences, que je regarde comme un
devoir de revenir encore, au risque de lui déplaire, sur ce que j'ai
mandé si souvent à votre majesté. Il n'y a pas de faiblesse dans mon
opinion, sire, mais je vois tous les dangers qui menacent la France et
le trône de V. M., et je la conjure de les prévenir. Il faut des
sacrifices; il faut les faire à temps. Comme à Prague, si nous n'y
prenons garde, l'occasion va nous échapper; la circonstance actuelle a
plus de ressemblance avec celle-là que votre majesté ne le pense
peut-être. A Prague, la paix n'a pas été faite, et l'Autriche s'est
déclarée contre nous, parce qu'on n'a pas voulu croire que le terme fixé
fût de rigueur. Ici les négociations vont se rompre, parce que l'on ne
se persuade point qu'une question d'une aussi grande importance puisse
tenir à telle ou telle réponse que nous ferons, et à ce que cette
réponse soit faite avant tel ou tel jour. Cependant, plus je considère
ce qui se passe, plus je suis convaincu que si nous ne remettons pas le
contre-projet demandé, et qu'il ne contienne pas des modifications aux
bases de Francfort, tout est fini. J'ose le dire comme je le pense,
sire, ni la puissance de la France, ni la gloire de V. M., ne tiennent à
posséder Anvers ou tel autre point des nouvelles frontières.

Cette négociation, je ne saurais trop le répéter, ne ressemble à aucune
autre; elle est même totalement l'opposé de toutes celles que V. M. a
dirigées jusque ici. Nous sommes loin de pouvoir dominer: ce n'est qu'en
suivant avec patience et modération la marche établie que nous pouvons
espérer d'atteindre le but; nous écarter de cette marche serait tout
perdre. Les Anglais, à cause de leur responsabilité, et les hommes
haineux qui sont ici, pour satisfaire leur passion, aimeront
certainement mieux rompre que d'entamer la discussion en partant de ce
point.

Les négociations une fois rompues, que V. M. ne croie pas les renouer,
comme on a pu le faire dans d'autres occasions. On ne veut qu'un
prétexte; et faute de nous décider à prendre le parti qu'exigent les
circonstances, tout nous échappera sans que l'on puisse prévoir quand et
comment on pourra revenir à des idées de conciliation.

Je supplie V. M. de réfléchir à l'effet que produira en France la
rupture des négociations, et d'en peser toutes les conséquences. Elle me
rendra encore assez de justice pour penser que, pour lui écrire comme je
le fais, il faut porter au plus haut degré la conviction que ce moment
va décider des plus chers intérêts de V. M. et de ceux de mon pays.

Je suis, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 30.) _Lettre du prince de Metternich_
_Au duc de Vicence_.

Chaumont, le 8 mars 1814.


La petite boîte que vous m'avez envoyée, monsieur le duc, pour madame
l'archiduchesse Léopoldine, lui a été envoyée sur-le-champ; j'espère
être à même incessamment de faire passer à V. Exc. une réponse de S. A.
I. à son auguste soeur.

Vous avez rendu de si grands services, jusqu'à présent, à la cause de la
France, qui assurément est inséparable de celle de l'Europe, que je me
flatte de vous voir couronner bientôt la grande oeuvre. Que l'empereur
se convainque bien qu'il n'aura rien fait, s'il n'arrive pas à la paix
générale. Des années de troubles succéderaient à des années de
calamités. Je ne doute pas que vous êtes journellement dans le cas de
vous convaincre, monsieur le duc, que l'Angleterre va rondement en
besogne; le ministère actuel est assez fort pour _pouvoir vouloir la
paix_. Si elle ne se fait pas dans ce moment, nulle autre occasion ne se
présentera plus dans laquelle il puisse être permis à un ministre
anglais de proposer même une _négociation_; le triomphe des partisans de
la guerre à extinction contre l'empereur des Français sera assuré; le
monde sera bouleversé, et la France sera la proie de ces événements.

Je vous tiendrai toujours le même langage: il doit être compris par des
hommes sages et voulant le bien. Nous ne formons qu'un voeu, celui de la
paix; mais cette paix est impossible sans que vous ne fassiez celle qui
doit vous rendre vos établissements d'outre-mer. Pour arriver à cette
paix, il faut également en vouloir les moyens, et ne pas oublier que
l'Angleterre dispose _seule_ de toutes les compensations possibles, et
qu'en se dépouillant, en faveur de la France et d'autres états
indépendants, de la presque totalité de ses conquêtes, elle ne fait
qu'exciper l'admission d'une juste compensation, en demandant que la
France se replace au niveau des plus grandes puissances sur le
continent.

Si l'empereur Napoléon entre dans ce point de vue, comme déjà il en
avait fait le sien, l'Europe est pacifiée; vingt années de troubles
l'attendent dans la supposition contraire.

Recevez, etc.

_Signé_ METTERNICH.



(Nº 31.) _Continuation du protocole des conférences de
Châtillon-sur-Seine_.

_Séance du_ 10 _mars_ 1814.


Le plénipotentiaire de France commence la conférence par consigner au
protocole ce qui suit:

Le plénipotentiaire de France avait espéré, d'après les représentations
qu'il avait été dans le cas d'adresser à MM. les plénipotentiaires des
cours alliées, et par la manière dont LL. EE. avaient bien voulu les
accueillir, qu'il serait donné des ordres pour que ses courriers pussent
lui arriver sans difficulté et sans retards. Cependant le dernier qui
lui est parvenu, non seulement a été arrêté très long-temps par
plusieurs officiers et généraux russes, mais on l'a même _obligé à
donner ses dépêches, qui ne lui ont été rendues que trente-six heures
après, à Chaumont_. Le plénipotentiaire de France se voit donc à regret
forcé d'appeler de nouveau sur cet objet l'attention de MM. les
plénipotentiaires des cours alliées, et de réclamer avec d'autant plus
d'instance contre une conduite contraire aux usages reçus et aux
prérogatives que le droit des gens assure aux ministres chargés d'une
négociation, qu'elle cause réellement les retards qui l'entravent.

Les plénipotentiaires des cours alliées n'étant point informés du fait,
promettent de porter cette réclamation à la connaissance de leurs cours.

Le plénipotentiaire de France donne ensuite lecture de la pièce
suivante, dont il demande l'insertion au protocole, ainsi que des pièces
y annexées nº 1, 2, 3, 4 et 5.

_Le plénipotentiaire de France a reçu de sa cour l'ordre de faire au
protocole les observations suivantes_:

«Les souverains alliés, _dans leur déclaration de Francfort_, que toute
l'Europe connaît, et LL. EE. MM. les plénipotentiaires, dans leur
proposition du 7 février, ont également posé en principe que la France
doit conserver par la paix la même puissance relative qu'elle avait
avant les guerres que cette paix doit finir; car ce que dans le
préambule de leur proposition MM. les plénipotentiaires ont dit du désir
des puissances alliées de voir la France dans un état de possession
analogue au rang qu'elle a toujours occupé dans le système politique,
n'a point et ne saurait avoir un autre sens. Les souverains alliés
avaient demandé, en conséquence, que la France se renfermât dans les
limites formées par les Pyrénées, les Alpes et le Rhin, et la France y
avait acquiescé. MM. leurs plénipotentiaires ont au contraire, et par
leur note du 7 et par le projet d'articles qu'ils ont remis le 17,
demandé qu'elle rentrât dans ses anciennes limites. Comment, sans cesser
d'invoquer le même principe, a-t-on pu, et en si peu de temps, passer de
l'une de ces demandes à l'autre? Qu'est-il survenu depuis la première,
qui puisse motiver la seconde?

»On ne pouvait pas le 7, on ne pouvait pas plus le 17, et à plus forte
raison ne pourrait-on pas aujourd'hui la fonder sur l'offre
confidentielle faite par le plénipotentiaire de France, au ministre du
cabinet de l'une des cours alliées; car la lettre qui la contenait ne
fut écrite que le 9, et il était indispensable d'y répondre
immédiatement, puisque l'offre était faite sous la _condition absolue
d'un armistice immédiat_, pour arrêter l'effusion du sang, et éviter une
bataille que les alliés ont voulu donner; au lieu de cela, les
conférences furent, par la seule volonté des alliés, et sans motifs,
suspendues du 10 au 17, jour auquel la condition proposée fut même
formellement rejetée. On ne pouvait, on ne peut donc en aucune manière
se prévaloir d'une offre qui lui était subordonnée. Les souverains
alliés ne voulaient-ils point, il y a trois mois, établir un juste
équilibre en Europe? N'annoncent-ils pas qu'ils le veulent encore
aujourd'hui? Conserver la même puissance relative qu'elle a toujours eue
est aussi le seul désir qu'ait réellement la France. _Mais l'Europe ne
ressemble plus à ce qu'elle était il y a vingt ans_: à cette époque le
royaume de Pologne, déjà morcelé, disparut entièrement, l'immense
territoire de la Russie s'accrut de vastes et riches provinces. Six
millions d'hommes furent ajoutés à une population déjà plus grande que
celle d'aucun état européen. Neuf millions devinrent le partage de
l'Autriche et de la Prusse. Bientôt l'Allemagne changea de face. Les
états ecclésiastiques et le plus grand nombre des villes libres
germaniques furent répartis entre les princes séculiers. La Prusse et
l'Autriche en reçurent la meilleure part. L'antique république de Venise
devint une province de la monarchie autrichienne; deux nouveaux millions
de sujets, avec de nouveaux territoires et de nouvelles ressources, ont
été donnés depuis à la Russie, par le traité de Tilsitt, par le traité
de Vienne, par celui d'Yassi, et par celui d'Abo. De son côté, et dans
le même intervalle de temps, l'Angleterre a non seulement acquis, par le
traité d'Amiens, les possessions hollandaises de Ceylan et de l'île de
la Trinité; mais elle a doublé ses possessions de l'Inde, et en a fait
un empire que deux des plus grandes monarchies de l'Europe égaleraient à
peine. Si la population de cet empire ne peut être considérée comme un
accroissement de la population britannique, en revanche, l'Angleterre
n'en tire-t-elle pas, et par la souveraineté et par le commerce, un
accroissement immense de sa richesse, cet autre élément de la puissance?
La Russie, l'Angleterre, ont conservé tout ce qu'elles ont acquis.
L'Autriche et la Prusse ont, à la vérité, fait des pertes; mais
renoncent-elles à les réparer, et se contentent-elles aujourd'hui de
l'état de possession dans lequel la guerre présente les a trouvées? Il
diffère cependant peu de celui qu'elles avaient il y a vingt ans.

Ce n'est pas pour son intérêt seul que la France doit vouloir conserver
la même puissance relative qu'elle avait: qu'on lise la déclaration de
Francfort (voyez pièce jointe, nº 4), et l'on verra que les souverains
alliés ont été convaincus eux-mêmes que c'était aussi _l'intérêt de
l'Europe_. Or, quand tout a changé autour de la France, comment
pourrait-elle _conserver la même puissance relative en étant replacée au
même état qu'auparavant?_ Replacée dans ce même état, _elle n'aurait pas
même le degré de puissance absolue quelle avait alors_: car ses
possessions d'outre-mer étaient incontestablement un des éléments de
cette puissance; et la plus importante de ces possessions, celle qui par
sa valeur égalait ou surpassait toutes les autres ensemble, lui a été
ravie; peu importe par quelle cause, elle l'a perdue. Il suffit qu'elle
ne l'ait plus, et qu'il ne soit pas au pouvoir des alliés de la lui
rendre.

Pour évaluer la puissance relative des états, ce n'est pas assez de
comparer leurs forces absolues, il faut faire entrer dans le calcul
l'emploi que leur situation géographique les contraint ou leur permet
d'en faire.

L'Angleterre est une puissance essentiellement maritime, qui peut mettre
toutes ses forces sur les eaux. L'Autriche a trop peu de côtes pour le
devenir; la Russie et la Prusse n'ont pas besoin de l'être, puisqu'elles
n'ont pas de possessions au-delà des mers; ce sont des puissances
essentiellement continentales. La France est, au contraire, à la fois
essentiellement maritime, à raison de l'étendue de ses côtes, et de ses
colonies, et essentiellement continentale. L'Angleterre ne peut être
attaquée que par des flottes. La Russie, adossée au pôle du monde, et
bornée presque de tous côtés par des mers ou de vastes solitudes, ne
peut, depuis qu'elle a acquis la Finlande, être attaquée que d'un seul
côté. _La France peut l'être sur tous les points de sa circonférence, et
à la fois du côté de la terre, où elle confine partout à des nations
vaillantes, et du côté de la mer, et dans ses possessions lointaines._

Pour rétablir un véritable équilibre, sa puissance relative devrait donc
être considérée sous deux aspects distincts: pour en faire une
estimation juste, il la faut diviser, et ne comparer ses forces absolues
à celles des autres états du continent, que déduction faite de la part
qu'elle en devra employer sur mer; et à celles des états maritimes, que
déduction faite de la part qu'elle en devra employer sur le continent.

Le plénipotentiaire de France prie LL. EE. MM. les plénipotentiaires des
cours alliées de peser attentivement les considérations si frappantes de
vérité qui précèdent, et de juger si les acquisitions que la France a
faites en-deçà des Alpes et du Rhin, et que les traités de Lunéville et
d'Amiens lui avaient assurées, suffiraient même pour rétablir entre
elles et les grandes puissances de l'Europe l'équilibre que les
changements survenus dans l'état de possession de ces puissances ont
rompu.

Le plus simple calcul démontre jusqu'à l'évidence que ces acquisitions,
jointes à tout ce que la France possédait en 1792, seraient encore
_loin_ de lui donner le même degré de puissance relative qu'elle avait
alors, et qu'elle avait constamment eue dans les temps antérieurs; et
cependant on lui demande, non pas d'en abandonner seulement une partie
quelconque, mais de les abandonner toutes; quoique, dans leur
déclaration de Francfort, les souverains alliés eussent annoncé à
l'Europe _qu'ils reconnaissaient à la France un territoire plus étendu
qu'elle ne l'avait eu sous ses rois_.

Les forces propres d'un état ne sont pas l'unique élément de sa
puissance relative, dans la composition de laquelle entrent encore les
liens qui l'unissent à d'autres états, liens généralement plus forts et
plus durables entre les états que gouvernent des princes d'un même sang.
L'empereur des Français possède, outre son empire, un royaume; son fils
adoptif en est l'héritier désigné. D'autres princes de la dynastie
française étaient possesseurs de couronnes ou de souverainetés
étrangères. Des traités avaient consacré leurs droits, et le continent
les avait reconnus. Le projet des cours alliées garde à leur égard un
silence que les questions si naturelles et si justes du plénipotentiaire
de France n'ont pu rompre. En renonçant cependant aux droits de ces
princes, et à la part de puissance relative qui en résulte pour elle,
ainsi qu'à ce qu'elle a acquis en-deçà des Alpes et du Rhin, la France
se trouverait avoir perdu de son ancienne puissance relative maritime et
continentale, précisément en même raison que celle des autres grands
états s'est déjà ou se sera accrue à la paix par leurs acquisitions
respectives. La restitution de ses colonies, qui ne ferait alors que la
replacer dans son ancien état de grandeur absolue (ce que même la
situation de Saint-Domingue ne permettrait pas d'effectuer
complètement), ne serait point, ne pourrait pas être une compensation de
ses pertes: seulement ses pertes en seraient diminuées, et ce serait
sans doute le moins auquel elle eût le droit de s'attendre; mais que lui
offre à cet égard le projet des cours alliées?

Des colonies françaises tombées au pouvoir de l'ennemi (et les guerres
du continent les y ont fait tomber toutes), il y en a trois que leur
importance, sous des rapports divers, met hors de comparaison avec
toutes les autres; ce sont la Guadeloupe, la Guiane, et l'île de France.

Au lieu de la restitution des deux premières, le projet des cours
alliées n'offre que des bons offices pour procurer cette restitution, et
il semblerait d'après cela que ces deux colonies fussent entre les mains
de puissances étrangères à la négociation présente et ne devant point
être comprises dans la future paix. Tout au contraire les puissances qui
les occupent sont du nombre de celles au nom de qui et pour qui les
cours alliées ont déclaré qu'elles étaient autorisées à traiter: n'y
sont-elles donc autorisées que pour les clauses à la charge de la
France? cessent-elles de l'être dès qu'il s'agit de clauses à son
profit? s'il en était ainsi, il deviendrait indispensable que tous les
états engagés dans la présente guerre prissent immédiatement part à la
négociation et envoyassent chacun des plénipotentiaires au congrès.

Il est en outre à remarquer que la Guadeloupe n'étant sortie des mains
de l'Angleterre que par un acte que le droit des gens n'autorisait pas,
c'est l'Angleterre encore qui, relativement à la France, est censée
l'occuper, et que c'est à elle seule que la restitution en peut être
demandée.

L'Angleterre veut garder pour elle les îles de France et de la Réunion,
sans lesquelles les autres possessions de la France, à l'est du cap de
Bonne-Espérance, perdent tout leur prix; les Saintes, sans lesquelles la
possession de la Guadeloupe serait précaire; et l'île de Tabago;
celle-ci sous le prétexte que la France ne la possédait point en 1792,
et les autres quoique la France les possédât de temps immémorial,
établissant ainsi une règle qui n'a de rigueur que pour la France, qui
n'admet d'exception que contre elle, et devient ainsi un glaive à deux
tranchants.

Une île d'une certaine étendue, mais qui a perdu son ancienne fertilité,
deux ou trois autres infiniment moindres, et quelques comptoirs auxquels
la perte de l'île de France forcerait de renoncer, voilà à quoi se
réduisent les grandes restitutions que l'Angleterre promettait de faire.
Sont-ce là celles qu'elle fit à Amiens, où pourtant elle rendait Malte,
qu'elle veut aujourd'hui garder et qu'on ne lui conteste plus?
qu'aurait-elle offert de moins si la France n'eût eu rien à céder qu'à
elle? Les restitutions qu'elle promettait avaient été annoncées comme un
équivalent des sacrifices qui seraient faits au continent. C'est sous
cette condition que la France a annoncé qu'elle était prête à consentir
à de grands sacrifices. Elles en doivent être la mesure. Pouvait-on
s'attendre à un projet par lequel le continent demande tout,
l'Angleterre ne rend presque rien, et dont en substance le résultat est
que toutes les grandes puissances de l'Europe doivent conserver tout ce
qu'elles ont acquis, réparer les pertes qu'elles ont pu faire, et
acquérir encore; que la France seule ne doit rien conserver de toutes
ses acquisitions et ne doit recouvrer que la part la plus petite et la
moins bonne de ce qu'elle a perdu?

_Après tant de sacrifices demandés à là France, il ne manquait plus que
de lui demander encore celui de son honneur!_

Le projet tend à lui _ôter le droit d'intervenir en faveur d'anciens
alliés malheureux._ Le plénipotentiaire de France ayant demandé si le
roi de Saxe serait remis en possession de ses états, n'a pu même obtenir
une réponse.

On demande à la France des cessions et des renonciations, et l'on veut
qu'en cédant elle ne sache pas à qui, sous quels titres et dans quelle
proportion appartiendra ce qu'elle aura cédé! _On veut qu'elle ignore
quels doivent être ses plus proches voisins_; on veut régler sans elle
le sort des pays auxquels elle aura renoncé, et le mode d'existence de
ceux avec lesquels son souverain était lié par des rapports
particuliers; on veut _sans elle_ faire des arrangements qui doivent
régler le système général de possession et d'équilibre en Europe; on
veut qu'elle soit étrangère à l'arrangement d'un tout dont elle est une
partie considérable et nécessaire; on veut enfin qu'en souscrivant à de
telles conditions, elle s'exclue en quelque sorte elle-même de la
société européenne.

On lui restitue ses établissements sur le continent de l'Inde, mais à la
condition de posséder comme dépendante et comme sujette ce qu'elle y
possédait en souveraineté.

Enfin, on lui dicte des règles de conduite pour le régime ultérieur de
ses colonies et envers des populations qu'aucun rapport de sujétion ou
de dépendance quelconque ne lie aux gouvernements de l'Europe, et à
l'égard desquelles on ne peut reconnaître à aucun d'eux aucun droit de
patronage.

Ce n'est point à de telles propositions qu'avait dû préparer le langage
des souverains alliés, et celui du prince régent d'Angleterre lorsqu'il
disait au parlement britannique qu'aucune disposition de sa part à
demander à la France aucun sacrifice incompatible avec son intérêt comme
nation ou avec son honneur, ne serait un obstacle à la paix.

Attaquée à la fois par toutes les puissances réunies contre elle, la
nation française sent plus qu'aucune autre le besoin de la paix et la
veut aussi plus qu'aucune autre; _mais tout peuple comme tout homme
généreux met l'honneur avant l'existence même_.

Il n'est sûrement point entré dans les vues des souverains alliés de
l'_avilir_; et quoique le plénipotentiaire de France ne puisse
s'expliquer le peu de conformité du projet d'articles qui lui avait été
remis avec les sentiments qu'ils ont tant de fois et si explicitement
manifestés, il n'en présente pas moins avec confiance au jugement des
cours alliées elles-mêmes et de MM. les plénipotentiaires des
observations dictées par l'intérêt général de l'Europe autant que par
l'intérêt particulier de la France, et qui ne s'écartent en aucun point
des déclarations des souverains alliés et de celle du prince régent au
parlement d'Angleterre.

_Pièces jointes._

Nº 1. Note écrite à Francfort, le 9 novembre 1813, par M. le baron de
Saint-Aignan.

Nº 2. Lettre du prince de Metternich au ministre des relations
extérieures de France, datée de Francfort, le 25 novembre 1813.

Nº 3. Lettre de M. le duc de Vicence au prince de Metternich, datée de
Paris, le 2 décembre 1813.

Nº 4. Déclaration de Francfort, extraite du journal de Francfort du 7
décembre 1813, et datée du premier dudit mois.

Nº 5. Extrait du discours du prince régent au parlement d'Angleterre.

Les plénipotentiaires des cours alliées répondent que les observations
dont ils viennent d'entendre la lecture ne contiennent pas une
déclaration distincte et explicite du gouvernement français sur le
projet présenté par eux dans la séance du 17 février, et par conséquent
ne remplissent pas la demande que les plénipotentiaires des cours
alliées avaient formée dans la conférence du 28 février, d'obtenir une
réponse distincte et explicite dans le terme de dix jours, duquel ils
étaient mutuellement convenus avec M. le plénipotentiaire de France. Ils
déclarent au surplus que, par l'admission de ces observations au
protocole, ils ne reconnaissent point un caractère officiel à toutes les
pièces qui y sont annexées.

Le plénipotentiaire français répond que celles de ces pièces qui ne sont
point proprement officielles sont au moins authentiques et publiques.

Les plénipotentiaires des cours alliées se disposant là-dessus à lever
la séance, M. le plénipotentiaire de France déclare verbalement que
l'empereur des Français est prêt à renoncer, par le traité à conclure, à
tout titre exprimant des rapports de souveraineté, de suprématie,
protection, ou influence constitutionnelle, avec les pays hors des
limites de la France;

Et à reconnaître

L'indépendance de l'Espagne dans ses anciennes limites, sous la
souveraineté de Ferdinand VII;

L'indépendance de l'Italie, l'indépendance de la Suisse, sous la
garantie de grandes puissances;

L'indépendance de l'Allemagne;

Et l'indépendance de la Hollande, sous la souveraineté du prince
d'Orange.

Il déclare encore, que, si, pour écarter des causes de mésintelligence,
rendre l'amitié plus étroite et la paix plus durable entre la France et
l'Angleterre, des cessions de la part de la France au-delà des mers
peuvent être jugées nécessaires, la France sera prête à les faire
moyennant un équivalent raisonnable.

Sur quoi la séance a été levée.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

_Signé_ le comte DE STADION, ABERDEEN, HUMBOLDT, le comte de
RAZOUMOWSKI, CATHCART, Charles STEWART.

       *       *       *       *       *


(Nº 32.) _Continuation du protocole des conférences de
Châtillon-sur-Seine._

_Séance du 13 mars 1814._


Les plénipotentiaires des cours alliées déclarent au protocole ce qui
suit:

Les plénipotentiaires des cours alliées ont pris en considération le
mémoire présenté par M. le duc de Vicence, dans la séance du 10 mars, et
la déclaration verbale dictée par lui au protocole de la même séance.
Ils ont jugé la première de ces pièces être de nature à ne pouvoir être
mise en discussion sans entraver la marche de la négociation.

La déclaration verbale de M. le plénipotentiaire ne contient que
l'acceptation de quelques points du projet de traité remis par les
plénipotentiaires des cours alliées dans la séance du 17 février; elle
ne répond ni à l'ensemble ni même à la majeure partie des articles de ce
projet, et elle peut bien moins encore être regardée comme un
contre-projet renfermant la substance des propositions faites par les
puissances alliées.

Les plénipotentiaires des cours alliées se voient donc obligés à inviter
M. le duc de Vicence à se prononcer s'il compte accepter ou rejeter le
projet de traité présenté par les cours alliées, ou bien à remettre un
contre-projet.

Le plénipotentiaire de France, répondant à cette déclaration des
plénipotentiaires des cours alliées, ainsi qu'à leurs observations sur
le même objet, a dit:

Qu'une pièce telle que celle qu'il avait remise le 10, dans laquelle les
articles du projet des cours alliées qui sont susceptibles de
modifications étaient examinés et discutés en détail, loin d'entraver la
marche de la négociation, ne pouvait au contraire que l'accélérer,
puisqu'elle éclaircissait toutes les questions, sous le double rapport
de l'intérêt de l'Europe et de celui de la France;

Qu'après avoir annoncé aussi positivement qu'il l'a fait par sa note
verbale du même jour, que la France était prête à renoncer par le futur
traité à la souveraineté d'un territoire au-delà des Alpes et du Rhin,
contenant au-delà de sept millions, et à son influence sur celle de
vingt millions d'habitants, ce qui forme au moins les six septièmes des
sacrifices que le projet des alliés lui demande, on ne saurait lui
reprocher de n'avoir pas répondu d'une manière distincte et explicite;

Que le contre-projet que lui demandent les plénipotentiaires des cours
alliées se trouve en substance dans sa déclaration verbale du 10, quant
aux objets auxquels la France peut consentir sans discussion; et que
quant aux autres, qui sont tous susceptibles de modifications, les
observations y répondent, mais qu'il n'en est pas moins prêt à les
discuter à l'instant même.

Les plénipotentiaires des cours alliées répondent ici:

Que les deux pièces remises par M. le plénipotentiaire de France, dans
la séance du 10 mars, ne se référaient pas tellement l'une à l'autre
qu'on pût dire que l'une renfermait les points auxquels le gouvernement
français consent sans discussion, et l'autre ceux sur lesquels il veut
établir la négociation; mais que, tout au contraire, l'une ne contient
que des observations générales ne menant à aucune conclusion, et que
l'autre énonce tout aussi peu d'une manière claire et précise ce que M.
le plénipotentiaire de France vient de dire, puisque, pour ne s'arrêter
qu'aux deux points suivants, elle n'explique pas même ce qu'on y entend
par les limites de la France, et ne parle qu'en général de
l'indépendance de l'Italie. Les plénipotentiaires ajoutent ensuite que,
ces deux pièces ayant été mises sous les yeux de leurs cours, ils ont eu
l'instruction positive, précise et stricte, de déclarer, ainsi qu'ils
l'ont fait, que ces deux pièces ont été tenues insuffisantes, et
d'insister sur une autre déclaration de la part de M. le
plénipotentiaire de France, qui renfermât ou une acceptation ou un refus
de leur projet de traité proposé dans la conférence du 17 février, ou
bien un contre-projet. Ils invitent donc de nouveau M. le
plénipotentiaire de France à leur donner cette déclaration.

Le plénipotentiaire de France renouvelle ses instances pour que l'on
entre en discussion, observant que MM. les plénipotentiaires des cours
alliées, en déclarant eux-mêmes, dans la séance du 28 février, qu'ils
étaient prêts à discuter des modifications qui seraient proposées,
avaient prouvé, par cela même, que leur projet n'était pas un
_ultimatum_; que, pour se rapprocher et arriver à un résultat, une
discussion était indispensable, et qu'il n'y avait réellement point de
négociation sans discussion, etc.

Les plénipotentiaires des cours alliées répliquent qu'ils ont bien
prouvé qu'ils ne voulaient point exclure la discussion, puisqu'ils ont
demandé un contre-projet, mais que leur intention est de ne point
admettre de discussion que sur des propositions qui puissent vraiment
conduire au but.

Ayant en conséquence insisté de nouveau sur une déclaration catégorique,
et ayant invité M. le plénipotentiaire de France à donner cette
déclaration, il a désiré que la séance fût suspendue et reprise le soir
à neuf heures.

Après avoir délibéré entre eux, les plénipotentiaires des cours alliées
ont dit à M. le plénipotentiaire de France que, pour le mettre mieux en
état de préparer sa réponse pour le soir, ils veulent le prévenir, dès à
présent, qu'ensuite de leurs instructions, ils devront l'inviter (après
qu'il se sera déclaré ce soir s'il veut remettre une acceptation ou un
refus de leur projet ou un contre-projet) à remplir cet engagement dans
le terme de vingt-quatre heures, qui a été fixé péremptoirement par
leurs cours.

Sur quoi la séance est remise à neuf heures du soir.

_Continuation de la séance._

Les plénipotentiaires des cours alliées ayant renouvelé, de la manière
la plus expresse, la déclaration par laquelle ils avaient terminé la
première partie de la séance, le plénipotentiaire de France déclare
qu'il remettra le contre-projet demandé demain soir à neuf heures;
toutefois, il a observé que, n'étant pas sûr d'avoir achevé jusque là le
travail nécessaire, il demandait d'avance de remettre dans ce cas la
conférence à la matinée du 15.

Les plénipotentiaires des cours alliées ont insisté pour que la
conférence restât fixée à demain au soir, et ne fût remise qu'en cas de
nécessité absolue à après demain matin, à quoi M. le plénipotentiaire de
France a consenti.

Châtillon-sur-Seine, le 13 mars 1814.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

_Signé_ ABERDEEN, comte de RAZOUMOWSKI, HUMBOLDT, CATHCART, comte de
STADION, Charles STEWART, lieutenant-général.

       *       *       *       *       *


(Nº 33.) _Continuation du protocole des conférences de
Châtillon-sur-Seine._

_Séance du 15 mars 1814._


M. le plénipotentiaire français ouvre la séance en faisant lecture du
projet de traité qui suit:

_Projet de traité définitif entre la France et les alliés._

S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la
confédération du Rhin, et médiateur de la confédération suisse, d'une
part; S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, S. M.
l'empereur de toutes les Russies, S. M. le roi du royaume uni de la
Grande-Bretagne et d'Irlande, et S. M. le roi de Prusse, stipulant
chacun d'eux pour soi, et tous ensemble pour l'universalité des
puissances engagées avec eux dans la présente guerre, d'autre part:

Ayant à coeur de faire cesser le plus promptement possible l'effusion du
sang humain et les malheurs des peuples, ont nommé pour leurs
plénipotentiaires, savoir:......

Lesquels sont convenus des articles suivants:

Art. 1er. A compter de ce jour, il y aura paix, amitié sincère et bonne
intelligence, entre S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie,
protecteur de la confédération du Rhin, et médiateur de la
confédération suisse, d'une part; et S. M. l'empereur d'Autriche, roi
de Hongrie et de Bohême, S. M. l'empereur de toutes les Russies, S. M.
le roi du royaume uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, S. M. le roi
de Prusse, et leurs alliés d'autre part, leurs héritiers et successeurs
à perpétuité.

Les hautes parties contractantes s'engagent à apporter tous leurs soins
à maintenir, pour le bonheur futur de l'Europe, la bonne harmonie, si
heureusement rétablie entre elles.

Art. 2. S. M. l'empereur des Français renonce pour lui et ses
successeurs à tous titres quelconques, autres que ceux tirés des
possessions qui, en conséquence du présent traité de paix, resteront
soumises à sa souveraineté.

Art. 3. S. M. l'empereur des Français renonce pour lui et ses
successeurs à tous droits de souveraineté et de possession sur _les
provinces illyriennes_ et sur les territoires formant les départements
français _au-delà des Alpes, l'île d'Elbe exceptée_, et les départements
français au-delà du Rhin.

Art. 4. S. M. l'empereur des Français, comme roi d'Italie, renonce à la
couronne d'Italie en faveur de son héritier désigné, le prince
Eugène-Napoléon, et de ses descendants à perpétuité.

L'Adige formera la limite entre le royaume d'Italie et l'empire
d'Autriche.

Art. 5. Les hautes parties contractantes reconnaissent solennellement,
et de la manière la plus formelle, l'indépendance absolue et la pleine
souveraineté de tous les états de l'Europe, dans les limites qu'ils se
trouveront avoir en conséquence du présent traité, ou par suite des
arrangements indiqués dans l'art. 16, ci-après.

Art. 6. S. M. l'empereur des Français reconnaît:

1º L'indépendance de la Hollande, sous la souveraineté de la maison
d'Orange.

La Hollande recevra un accroissement de territoire.

Le titre et l'exercice de la souveraineté en Hollande ne pourront, dans
aucun cas, appartenir à un prince portant ou appelé à porter une
couronne étrangère.

2º L'indépendance de l'Allemagne, et chacun de ses états, lesquels
pourront être unis entre eux par un lien fédératif.

3º L'indépendance de la Suisse, se gouvernant elle-même, sous la
garantie de toutes les grandes puissances.

4º L'indépendance de l'Italie, et de chacun des princes, entre chacun
desquels elle est ou se trouvera divisée.

5º L'indépendance et l'intégrité de l'Espagne, sous la domination de
Ferdinand VII.

Art. 7. Le pape sera remis immédiatement en possession de ses états,
tels qu'ils étaient en conséquence du traité de Tolentino, le duché de
Bénévent excepté.

Art. 8. S. A. I. la princesse Élisa conservera pour elle et ses
descendants en toute propriété et souveraineté Lucques et Piombino.

Art. 9. La principauté de _Neufchâtel_ demeure en toute propriété et
souveraineté au prince qui la possède et à ses descendants.

Art. 10. S. M. le roi de Saxe sera rétablie dans la pleine et entière
possession de son grand-duché.

Art. 11. S. A. R. le grand-duc de Berg sera pareillement remise en
possession de son grand-duché.

Art. 12. Les villes de Bremen, Hambourg, Lubeck, Dantzick et Raguse
seront des villes libres.

Art. 13. Les îles Ioniennes appartiendront en toute souveraineté au
royaume d'Italie.

Art. 14. L'île de Malte et ses dépendances appartiendront en toute
souveraineté et propriété à S. M. britannique.

Art. 15. Les colonies, pêcheries, établissements, comptoirs et
factoreries que la France possédait avant la guerre actuelle dans les
mers ou sur le continent de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie, et
qui sont tombés au pouvoir de l'Angleterre ou de ses alliés, lui seront
restitués, pour être possédés par elle aux mêmes titres qu'avant la
guerre, et avec les droits et facultés que lui assuraient, relativement
au commerce et à la pêche, les traités antérieurs, et notamment celui
d'Amiens; mais en même temps la France s'engage à consentir, moyennant
un équivalent raisonnable, à la cession de celles des susdites colonies
que l'Angleterre a témoigné le désir de conserver, à l'exception des
Saintes, qui dépendent nécessairement de la Guadeloupe.

Art. 16. Les dispositions à faire des territoires auxquels S. M.
l'empereur des Français renonce, et dont il n'est pas disposé par le
présent traité, seront faites; les indemnités à donner aux rois et
princes dépossédés par la guerre actuelle seront déterminées; et tous
les arrangements qui doivent fixer le système général de possession et
d'équilibre en Europe seront réglés dans un congrès spécial, lequel se
réunira à... dans les... jours qui suivront la ratification du présent
traité.

Art. 17. Dans tous les territoires, villes et places auxquels la France
renonce, les munitions, magasins, arsenaux, vaisseaux et navires armés
et non armés, et généralement toutes choses qu'elle y a placées, lui
appartiennent, et lui demeurent réservées.

Art. 18. Les dettes des pays réunis à la France, et auxquels elle
renonce par le présent traité, seront à la charge desdits pays et de
leurs futurs possesseurs.

Art. 19. Dans tous les pays qui doivent ou devront changer de maître,
tant en vertu du présent traité, que des arrangements qui doivent être
faits en conséquence de l'art. 16 ci-dessus, il sera accordé aux
habitants naturels et étrangers, de quelque condition et nation qu'ils
soient, un espace de six ans, à compter de l'échange des ratifications,
pour disposer de leurs propriétés acquises, soit avant, soit depuis la
guerre actuelle, et se retirer dans tel pays qu'il leur plaira de
choisir.

Art. 20. Les propriétés, biens et revenus de toute nature que des
sujets de l'un quelconque des états engagés dans la présente guerre
possèdent, à quelque titre que ce soit, dans les pays qui sont
actuellement, ou seront, en vertu de l'art. 16, soumis à un autre
quelconque desdits états, continueront d'être possédés par eux, sans
trouble ni empêchement, sous les seules clauses et conditions
précédemment attachées à leur possession, et avec pleine liberté d'en
jouir et disposer, ainsi que d'exporter les revenus, et, en cas de
vente, la valeur.

Art. 21. Les hautes parties contractantes, voulant mettre et faire
mettre dans un entier oubli les divisions qui ont agité l'Europe,
déclarent et promettent que dans les pays de leur obéissance respective,
aucun individu, de quelque classe ou condition qu'il soit, ne sera
inquiété dans sa personne, ses biens, rentes, pensions et revenus; dans
son rang, grade ou ses dignités; ni recherché, ni poursuivi en aucune
façon quelconque pour aucune part qu'il ait prise ou pu prendre, de
quelque manière que ce soit, aux événements qui ont amené la présente
guerre, ou qui en ont été la conséquence.

Art. 22. Aussitôt que la nouvelle de la signature du présent traité sera
parvenue aux quartiers généraux respectifs, il sera sur-le-champ expédié
des ordres, pour faire cesser les hostilités, tant sur terre que sur
mer, aussi promptement que les distances le permettront; les hautes
puissances contractantes s'engagent à mettre de bonne foi toute la
célérité possible à l'expédition desdits ordres, et de part et d'autre
il sera donné des passe-ports, soit pour les officiers, soit pour les
vaisseaux qui sont chargés de les porter.

Art. 23. Pour prévenir tous les sujets de plainte et de contestation qui
pourraient naître à l'occasion des prises qui seraient faites en mer
après la signature du présent traité, il est réciproquement convenu que
les vaisseaux et effets qui pourraient être pris dans la Manche et dans
les mers du Nord, après l'espace de douze jours, à compter de l'échange
des ratifications du présent traité, seront de part et d'autre
restitués; que le terme sera d'un mois, depuis la Manche et les mers du
Nord jusqu'aux îles Canaries inclusivement, soit dans l'Océan, soit dans
la Méditerranée; de deux mois, depuis lesdites îles Canaries jusqu'à
l'équateur, et enfin de cinq mois dans toutes les autres parties du
monde, sans aucune exception ni autre distinction plus particulière de
temps et de lieu.

Art. 24. Les troupes alliées évacueront le territoire français; et les
places cédées, ou devant être restituées par la France, en vertu de la
présente paix, leur seront remises dans les délais ci-après: le
troisième jour après l'échange des ratifications du présent traité, les
troupes alliées les plus éloignées, et le cinquième jour après ledit
échange, les troupes alliées les plus rapprochées des frontières,
commenceront à se retirer, se dirigeant vers la frontière la plus
voisine du lieu où elles se trouveront, et faisant trente lieues par
chaque dix jours, de telle sorte que l'évacuation soit non interrompue
et successive, et que, dans le terme de quarante jours au plus tard,
elle soit complètement terminée.

Il leur sera fourni, jusqu'à leur sortie du territoire français, les
vivres et les moyens de transport nécessaires; mais sans qu'à compter du
jour de la signature du présent traité elles puissent lever aucune
contribution, ni exiger aucune prestation quelconque, autre que celle
indiquée ci-dessus. Immédiatement après l'échange des ratifications du
présent traité, les places de Custrin, Glogau, Palma-Nova et Venise
seront remises aux alliés; et celles que les troupes françaises occupent
en Espagne, aux Espagnols. Les places de Hambourg, de Magdebourg, les
citadelles d'Erfurt et de Wurtzbourg seront remises lorsque la moitié du
territoire français sera évacuée.

Toutes les autres places des pays cédés seront remises lors de
l'évacuation totale de ce territoire.

Les pays que les garnisons desdites villes traverseront leur fourniront
les vivres et moyens de transport nécessaires pour rentrer en France, et
y ramener tout ce qui, en vertu de l'art. 17 ci-dessus, sera propriété
française.

Art. 25. Les restitutions qui, en vertu de l'art. 15 ci-dessus, doivent
être faites à la France, par l'Angleterre ou ses alliés, auront lieu,
pour le continent et les mers d'Amérique et d'Afrique, dans les trois
mois, et pour l'Asie, dans les six mois qui suivront l'échange des
ratifications du présent traité.

Art. 26. Les ambassadeurs, envoyés extraordinaires, ministres, résidents
et agents de chacune des hautes puissances contractantes, jouiront, dans
les cours des autres, des mêmes rangs, prérogatives et priviléges
qu'avant la guerre, le même cérémonial étant maintenu.

Art. 27. Tous les prisonniers respectifs seront, d'abord après l'échange
des ratifications du présent traité, rendus sans rançon, en payant de
part et d'autre les dettes particulières qu'ils auraient contractées.

Art. 28. Les quatre cours alliées s'engagent à remettre à la France,
dans un délai de... un acte d'accession au présent traité de la part de
chacun des états pour lesquels elles stipulent.

Art. 29. Le présent traité sera ratifié, et les ratifications seront
échangées dans le délai de cinq jours, et même plus tôt si faire se
peut.

Après avoir achevé la lecture du projet qui précède, et avoir pris acte
de son insertion au protocole, M. le plénipotentiaire de France déclare
verbalement qu'il est prêt à entrer en discussion dans un esprit de
conciliation sur tous les articles dudit projet.

Les plénipotentiaires des cours alliées disent que la pièce dont il
vient de leur être donné lecture et communication est d'une trop haute
importance pour qu'ils puissent y faire dans cette séance une réponse
quelconque, et qu'ils se réservent de proposer à M. le plénipotentiaire
français une conférence ultérieure.

Châtillon-sur-Seine, le 15 mars 1814.

_(Suivent les signatures.)_

       *       *       *       *       *


(Nº 34.) _Lettre de Napoléon_
_Au duc de Vicence._

Reims, le 17 mars 1814.


Monsieur le duc de Vicence, j'ai reçu vos lettres du 13. Je charge le
duc de Bassano d'y répondre avec détail. Je vous donne directement
l'autorisation de faire les concessions qui seraient indispensables pour
maintenir l'activité des négociations, et arriver enfin à connaître
l'ultimatum des alliés; bien entendu que le traité aurait pour résultat
l'évacuation de notre territoire, et le renvoi de part et d'autre de
tous les prisonniers. Cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu
qu'il vous ait en sa sainte garde.

_Signé_ NAPOLÉON.

       *       *       *       *       *


(Nº 35.) _Lettre de M. le duc de Bassano_
_A M. le duc de Vicence._

Reims, le 17 mars 1814.


MONSIEUR LE DUC,

S. M. a lu avec intérêt la note que vous avez remise le 10 aux
plénipotentiaires alliés.

L'abandon de tout ce que les Anglais nous ont pris pendant la guerre est
une véritable concession que S. M. approuve, surtout si elle doit avoir
pour résultat de nous laisser Anvers.

S. M. aurait désiré, comme elle le désirerait encore, si les
circonstances le permettent lorsque cette lettre vous parviendra, que
vous remissiez une nouvelle note pour demander aux alliés de s'expliquer
d'une manière précise sur les questions suivantes: 1º le traité
préliminaire, ou définitif, à conclure aura-t-il pour résultat immédiat
l'évacuation de notre territoire? 2º Le projet remis par les
plénipotentiaires alliés est-il leur _ultimatum_?

Vous feriez sentir, sur la première question, que tout traité qui ne
serait pas immédiatement suivi de l'évacuation de notre territoire, mais
qui remettrait entre les mains des alliés les places des pays qui ne
sont pas cédés, ne serait pas en réalité un traité de paix, et qu'il
nous serait impossible de conclure à de telles conditions: vous
citeriez l'exemple développé dans ma lettre du 2, de ce qui se passa à
la fin de la seconde guerre punique, dont la conséquence fut la ruine de
Carthage; vous insisteriez sur la seconde question, en déclarant que, si
le projet des alliés est leur _ultimatum_, nous ne pouvons pas traiter;
ce qui obligera les alliés à répondre que leur projet n'est pas leur
_ultimatum_, et vous mettra dans le cas de le leur demander. Il doit
être facile de leur faire entendre que c'est à eux à donner leur
_ultimatum_, puisqu'ils veulent reprendre ce que les traités nous ont
assuré.

Si les alliés répondent que l'évacuation du territoire suivra
immédiatement la signature du traité, et renoncent en conséquence à la
prétention d'avoir des places en dépôt, ce sera déjà un grand pas de
fait.

Si la négociation doit être rompue, il convient qu'elle se rompe sur la
question de l'évacuation du territoire, et de la remise des places; et
si la négociation doit continuer, il est également utile de la commencer
en obtenant des alliés des concessions sur ces points. S. M. pense donc,
monsieur le duc, qu'il est nécessaire, avant de rompre, que vous ayez
fait par une note ces questions.

Toutefois, monsieur le duc, S. M. ayant pris en considération vos deux
lettres du 13, dont elle a reçu le duplicata hier soir, et le primata ce
matin, vous laisse toute la latitude convenable, non seulement pour le
mode de démarches qui vous paraîtront à propos, mais aussi pour faire,
par un contre-projet, les cessions que vous jugerez indispensables pour
empêcher la rupture de la négociation. L'empereur, qui vous écrit
lui-même, ne croit pas nécessaire de répéter que la condition
indispensable de tout traité est l'évacuation de notre territoire. Un
acte qui porterait le contraire, qui stipulerait la remise de nos
forteresses, et qui s'opposerait à ce que les prisonniers de guerre
fussent réciproquement remis, n'obtiendrait pas en France l'assentiment
des hommes même les plus timides. S. M. pense que la latitude qu'elle
vous donne vous fournira les moyens de parvenir à connaître
l'_ultimatum_ des alliés, et quels sont les sacrifices que la France ne
peut éviter de faire.

La cession de la Belgique est sans doute un des premiers objets qui
seront mis en discussion; mais il n'est pas le seul, et il ne peut pas
être isolé. On viendra ensuite aux départements des bords du Rhin, à
l'Italie, etc. Toutes ces questions se tiennent et dépendent, jusqu'à un
certain point, les unes des autres. Celle de la Belgique est d'elle-même
complexe; car il serait très différent, au lieu de la céder au prince
d'Orange, c'est-à-dire à l'Angleterre, d'en faire un état indépendant
qui appartînt, à titre d'indemnité, à un prince français; ou de la
donner à la république de Hollande, telle qu'elle était à la paix
d'Amiens. Si l'on est dans le cas de s'éloigner des bases de Francfort
et d'abandonner Anvers, l'empereur juge convenable, non seulement que
l'on maintienne autant que possible les principes de Francfort
relativement à l'Italie, mais qu'on s'autorise de ce sacrifice pour
demander que toutes nos colonies nous soient rendues, même l'île de
France; à moins que l'on n'obtienne pour celle-ci des compensations.

Agréez, etc.

_Signé_ le duc de BASSANO.

       *       *       *       *       *


(Nº 36.) _Continuation du protocole des conférences de
Châtillon-sur-Seine._


_Protocole de la séance du 18 mars 1814, et la continuation de cette
séance le 19 mars._

Les plénipotentiaires des cours alliées, au nom et par l'ordre de leurs
souverains, déclarent ce qui suit:

Les plénipotentiaires des cours alliées ont déclaré le 28 février
dernier, à la suite de l'attente infructueuse d'une réponse au projet du
traité remis par eux le 17 du même mois, qu'adhérant fermement à la
substance des demandes contenues dans les conditions du projet de
traité, conditions qu'ils considéraient comme aussi essentielles à la
sûreté de l'Europe, que nécessaires à l'arrangement d'une paix générale,
ils ne pourraient interpréter tout retard ultérieur d'une réponse à
leurs propositions que comme un refus de la part du gouvernement
français.

Le terme du 10 mars ayant été, d'un commun accord, fixé par MM. les
plénipotentiaires respectifs, comme obligatoire pour la remise de la
réponse de M. le plénipotentiaire de France, S. Exc. M. le duc de
Vicence présenta ce même jour un mémoire qui, sans admettre ni refuser
les bases énoncées à Châtillon, au nom de la grande alliance européenne,
n'eût offert que des prétextes à d'interminables longueurs dans la
négociation, s'il avait été reçu par les plénipotentiaires des cours
alliées, comme propre à être discuté. Quelques articles de détails, qui
ne touchent nullement le fond des questions principales des arrangements
de la paix, furent ajoutés verbalement par M. le duc de Vicence dans la
même séance. Les plénipotentiaires des cours alliées annoncèrent en
conséquence, le 13 mars, que si, dans un court délai, M. le
plénipotentiaire de France n'annonçait pas, soit l'acceptation, soit le
refus des propositions des puissances, ou ne présentait pas un
contre-projet renfermant la substance des conditions proposées par
elles, ils se verraient forcés à regarder la négociation comme terminée
par le gouvernement français. S. Exc. M. le duc de Vicence prit
l'engagement de remettre dans la journée du 15 le contre-projet
français; cette pièce a été portée, par les plénipotentiaires des cours
alliées, à la connaissance de leurs cabinets; ils viennent de recevoir
l'ordre de déposer au protocole la déclaration suivante:

«L'Europe, alliée contre le gouvernement français, ne vise qu'au
rétablissement de la paix générale, continentale et maritime. Cette
paix seule peut assurer au monde un état de repos, dont il se voit privé
depuis une longue suite d'années, mais cette paix ne saurait exister
sans une juste répartition de forces entre les puissances.

»Aucune vue d'ambition ou de conquête n'a dicté la rédaction du projet
de traité remis au nom des puissances alliées, dans la séance du 17
février dernier; et comment admettre de pareilles vues, dans des
rapports établis par l'Europe entière, dans un projet d'arrangement
présenté à la France, par la réunion de toutes les puissances qui la
composent? La France, en rentrant dans les dimensions qu'elle avait en
1792, reste, par la centralité de sa position, sa population, les
richesses de son sol, la nature de ses frontières, le nombre et la
distribution de ses places de guerre, sur la ligne des puissances les
plus fortes du continent; les autres grands corps politiques, en visant
à leur reconstruction sur une échelle de proportion conforme à
l'établissement d'un juste équilibre, en assurant aux états
intermédiaires une existence indépendante, prouvent par le fait quels
sont les principes qui les animent. Il restait cependant une condition
essentielle au bien-être de la France à régler. L'étendue de ses côtes
donne à ce pays le droit de jouir de tous les bienfaits du commerce
maritime. L'Angleterre lui rend ses colonies, et avec elles son commerce
et sa marine; l'Angleterre fait plus, loin de prétendre à une domination
exclusive des mers, incompatible avec un système d'équilibre politique,
elle se dépouille de la presque totalité des conquêtes que la politique
suivie depuis tant d'années par le gouvernement français lui a valu.
Animée d'un esprit de justice et de libéralité digne d'un grand peuple,
l'Angleterre met dans la balance de l'Europe des possessions dont la
conservation lui assurerait, pour long-temps encore, cette domination
exclusive, en rendant à la France ses colonies, en portant de grands
sacrifices à la reconstruction de la Hollande, que l'élan national de
ses peuples rend digne de reprendre sa place parmi les puissances de
l'Europe; et elle ne met qu'une condition à ces sacrifices: elle ne se
dépouillera de tant de gages qu'en faveur du rétablissement d'un
véritable système d'équilibre politique; elle ne s'en dépouillera
qu'autant que l'Europe sera véritablement pacifiée, qu'autant que l'état
politique du continent lui offrira la garantie qu'elle ne fait pas
d'aussi importantes cessions à pure perte, et que ses sacrifices ne
tourneront pas contre l'Europe et contre elle-même.

»Tels sont les principes qui ont présidé aux conseils des souverains
alliés, à l'époque où ils ont entrevu la possibilité d'entreprendre la
grande oeuvre de la reconstruction politique de l'Europe; ces principes
ont reçu tout leur développement, et ils les ont prononcés le jour où le
succès de leurs armes a permis aux puissances du continent d'en assurer
l'effet, et à l'Angleterre de préciser les sacrifices qu'elle place dans
la balance de la paix.

»Le contre-projet présenté par M. le plénipotentiaire français part d'un
point de vue entièrement opposé: la France, d'après ses conditions,
garderait une force territoriale infiniment plus grande que le comporte
l'équilibre de l'Europe; elle conserverait des positions offensives et
des points d'attaque au moyen desquels son gouvernement a déjà effectué
tant de bouleversements; les cessions qu'elle ferait ne seraient
qu'apparentes. Les principes annoncés à la face de l'Europe par le
souverain actuel de la France, et l'expérience de plusieurs années, ont
prouvé que des états intermédiaires, sous la domination de membres de la
famille régnante en France, ne sont indépendants que de nom. En déviant
de l'esprit qui a dicté les bases du traité du 17 février, les
puissances n'eussent rien fait pour le salut de l'Europe. Les efforts de
tant de nations réunies pour une même cause seraient perdus; la
faiblesse des cabinets tournerait contre eux et contre leurs peuples;
l'Europe et la France même deviendraient bientôt victimes de nouveaux
déchirements; l'Europe ne ferait pas la paix, mais elle désarmerait.

»Les cours alliées, considérant que le contre-projet présenté par M. le
plénipotentiaire de France ne s'éloigne pas seulement des bases de paix
proposées par elles, mais qu'il est essentiellement opposé à leur
esprit, et qu'ainsi il ne remplit aucune des conditions qu'elles ont
mises à la prolongation des négociations de Châtillon, elles ne peuvent
reconnaître dans la marche suivie par le gouvernement français que le
désir de _traîner en longueur_ des négociations aussi inutiles que
compromettantes; inutiles, parce que les _explications de la France sont
opposées aux conditions que les puissances regardent comme nécessaires_
pour la reconstruction de l'édifice social, à laquelle elles consacrent
toutes les forces que la Providence leur a confiées; compromettantes,
parce que la prolongation de stériles négociations ne servirait qu'à
induire en erreur et à faire naître aux peuples de l'Europe le vain
espoir d'une paix qui est devenue le premier de leurs besoins.

»Les plénipotentiaires des cours alliées sont chargés en conséquence de
déclarer que, fidèles à leurs principes, et en conformité avec leurs
déclarations antérieures, les puissances alliées regardent les
négociations entamées à Châtillon comme _terminées par le gouvernement
français_. Ils ont ordre d'ajouter à cette déclaration celle que les
puissances alliées, indissolublement unies pour le grand but qu'avec
l'aide de Dieu elles espèrent atteindre, _ne font pas la guerre à la
France_; qu'elles regardent les justes dimensions de cet empire comme
une des premières conditions d'un état d'équilibre politique; mais
qu'elles ne poseront pas les armes avant que leurs principes aient été
reconnus et admis par son gouvernement.»

Après lecture de cette déclaration, MM. les plénipotentiaires des cours
alliées en ont remis une copie à M. le plénipotentiaire de France, qui a
témoigné désirer que la séance fût suspendue jusqu'à neuf heures du
soir.

A la demande de MM. les plénipotentiaires des cours alliées, la séance,
qui avait été remise à neuf heures du soir le 18, a été ajournée au
lendemain 19 à une heure après midi.

       *       *       *       *       *


(Nº 37.) _Lettre du prince de Metternich
Au duc de Vicence._

Troyes, le 18 mars 1814.


Je ne crois pas, monsieur le duc, que la déclaration qui vous aura été
faite puisse vous surprendre, quand, après plus de six semaines de
réunion, le premier contre-projet présenté par la France diffère
totalement de l'esprit qui a dicté le projet des puissances; elles n'ont
pu entrevoir dans ce fait qu'une recherche, de la part de votre cabinet,
de traîner des négociations en longueur, dont la simple existence lui
est utile.

Nous ne poserons pas les armes sans avoir atteint le seul fruit de la
guerre que nous croyons digne de notre ambition, la certitude de jouir
pendant des années d'un état de repos qui ne vous est pas moins
nécessaire qu'à nous. Nous ne croyons pas que la pièce que vous avez été
dans le cas de présenter le 15 mars soit l'_ultimatum_ de votre cour.
Pourquoi, dans cette supposition et dans un moment où chaque jour coûte
des sacrifices énormes à la France, ne vous a-t-on pas mis dans le cas
de suivre la marche la plus conforme à vos intérêts? Pourquoi ne vous
a-t-on pas donné des explications franches et précises, les seules qui
pouvaient vous mener au but dans le plus court délai possible? Si les
conditions du contre-projet sont l'_ultimatum_ de l'empereur; je dirai
plus, si l'esprit qui règne dans cette pièce est celui qui préside
encore à vos conseils, toute paix est impossible; les armes décideront
du sort de l'Europe et de la France.

Il serait difficile, monsieur le duc, que je vous retrace les pénibles
sensations qu'éprouve l'empereur mon maître. Il aime sa fille, et il la
voit exposée à de nouvelles inquiétudes, et elles ne pourront
qu'augmenter. Plus les questions politiques se compliqueront, plus elles
deviendront personnelles. L'empereur Napoléon a bien mal reconnu les
bonnes intentions que l'empereur François n'a cessé de lui indiquer si
clairement.

Peut-être sommes-nous plus près de la paix, à la suite de la rupture
d'aussi stériles négociations; elle seule remplira tous nos voeux.

Recevez, etc.

_Signé_ le prince de METTERNICH.

       *       *       *       *       *


(Nº 38.) _Lettre du prince de Metternich
Au duc de Vicence._

Du 18 mars.


Les affaires tournent bien mal, monsieur le duc.--Le jour où on sera
tout-à-fait décidé pour la paix, avec les sacrifices indispensables,
venez pour la faire, mais non pour être l'interprète de projets
inadmissibles. Les questions sont trop fortement placées pour qu'il soit
possible de continuer à écrire des romans, sans de grands dangers pour
l'empereur Napoléon. Que risquent les alliés? En dernier résultat, après
de grands revers, on peut être forcé à quitter le territoire de la
vieille France. Qu'aura gagné l'empereur Napoléon? Les peuples de la
Belgique font d'énormes efforts dans le moment actuel. On va placer
toute la rive gauche du Rhin sous les armes. La Savoie, ménagée jusqu'à
cette heure pour la laisser à toute disposition, va être soulevée; et il
y aura des attaques très personnelles contre l'empereur Napoléon, qu'on
n'est plus maître d'arrêter.

Vous voyez que je vous parle avec franchise, comme à l'homme de la paix.
Je serai toujours sur la même ligne. Vous devez connaître nos vues, nos
principes, nos voeux. Les premières sont toutes européennes, et par
conséquent françaises; les seconds portent à avoir l'Autriche comme
intéressée au bien-être de la France; les troisièmes sont en faveur
d'une dynastie si intimement liée à la sienne.

Je vous ai voué, mon cher duc, la confiance la plus entière: pour mettre
un terme aux dangers qui menacent la France, il dépend encore de votre
maître de faire la paix. Le fait ne dépendra peut-être plus de lui sous
peu. Le trône de Louis XIV, avec les ajoutés de Louis XV, offre d'assez
belles chances pour ne pas devoir être mis sur une seule carte. Je ferai
tout ce que je pourrai pour retenir lord Castlereagh quelques jours. Ce
ministre parti, on ne fera plus la paix.

Recevez, etc.

_Signé_ le prince de METTERNICH.

       *       *       *       *       *


(Nº 39.) _Continuation de la séance, le_ 19 _mars, à une heure._


M. le plénipotentiaire de France demande l'insertion au protocole de ce
qui suit:

Le plénipotentiaire de France, forcé d'improviser une réponse à une
déclaration que MM. les plénipotentiaires des cours alliées ont eu
plusieurs jours pour préparer, repoussera, autant que la brièveté du
temps le lui permet, les accusations dirigées contre sa cour, et que
l'on fonde en partie sur des faits et en partie sur des raisonnements
de l'exactitude desquels il ne peut en aucune façon convenir.

Il est dit dans cette déclaration que l'unique but des cours alliées est
le rétablissement de la paix générale continentale et maritime;

Que cette paix ne peut exister sans une juste répartition de forces
entre les puissances;

Que cette juste répartition se trouve établie par leur projet du 17
février;

Qu'aucune vue d'ambition ne peut avoir dicté ce projet, puisqu'il est
l'ouvrage de l'Europe tout entière;

Que les observations de la France remises dans la séance du 10 mars ne
sont point une réponse à ce projet, et ne peuvent être un sujet de
discussion;

Que la note verbale du même jour ne touche nullement au fond des
principaux arrangements proposés par les alliés;

Que la France, rentrant dans ses anciennes limites et recouvrant les
colonies que l'Angleterre lui rend, sera sur la ligne des plus fortes
puissances de l'Europe;

Que, d'après son contre-projet présenté le 15, la France garderait une
étendue de territoire beaucoup plus considérable que ne le comporte
l'équilibre de l'Europe;

Que les membres de sa dynastie conserveraient des états qui, entre leurs
mains, ne seraient qu'une dépendance de la France;

Que le contre-projet est donc essentiellement opposé à l'esprit du
projet des cours alliées, et qu'attendu qu'il ne remplit aucune des
conditions qu'ils ont mises à la prolongation des conférences de
Châtillon, par leurs déclarations du 28 février et du 13 mars, elles
regardent les négociations comme terminées par le gouvernement français.

Le plénipotentiaire de France répond:

Que la France, sur qui pèsent tous les maux de la double guerre
continentale et maritime, doit désirer et désire plus que qui que ce
soit la double paix qui doit la finir, et que son voeu sur ce point ne
peut pas être l'objet d'un doute;

Que la volonté de la France de concourir à l'établissement d'un juste
équilibre en Europe est prouvée par la grandeur des sacrifices auxquels
elle a déjà consenti; qu'elle ne s'est pas bornée à invoquer ou à
reconnaître le principe, mais qu'elle agit en conformité;

Que le projet des alliés ne parle que des sacrifices demandés à la
France, nullement de l'emploi de ces sacrifices; qu'il ne donne aucuns
moyens de connaître quelle sera la répartition des forces entre les
puissances, et qu'il a même été rédigé dans le dessein formel que la
France ignorât cette répartition;

Que, sans taxer d'ambition aucune des cours alliées, il ne peut
cependant s'empêcher de remarquer que la plus grande partie des
sacrifices que la France aura faits devra tourner à l'accroissement
individuel du plus grand nombre d'entre elles, sinon de toutes;

Que si, pour donner une preuve de plus de son esprit de conciliation, et
pour arriver plus promptement à la paix, la France consentait à ce que
les quatre cours alliées négociassent tant pour elles-mêmes que pour
l'universalité des états engagés avec elles dans la présente guerre,
elle ne peut néanmoins admettre ni de fait ni de droit que la volonté de
ces quatre cours soit la volonté de toute l'Europe;

Que les observations remises dans la séance du 10 mars, embrassant
l'ensemble et tous les détails du projet des alliés, examinant le
principe sur lequel ils reposent et leur application, étaient une
véritable réponse à ce projet; réponse pleine de modération et d'égards,
et qu'il était d'autant plus nécessaire de discuter, que ce n'est
qu'après être demeuré d'accord sur les principes qu'on peut s'accorder
sur les conséquences;

Que la note verbale du même jour touchait si bien au fond des
arrangements des alliés, qu'elle était un consentement à plus des six
septièmes des sacrifices qu'ils demandaient;

Que la déclaration de ce jour dit et répète que l'Angleterre rend à la
France ses colonies; mais que par le projet du 17 février l'Angleterre
garde et ne rend point les seules qui aient quelque valeur;

Qu'en affirmant que la France veut garder une étendue de territoire plus
grande que ne le comporte l'équilibre de l'Europe, on pose en fait ce
qui est en question, et l'on affirme sans preuve le contraire de ce que
les observations du 10 mars établissent et prouvent par des faits et des
raisonnements qu'on a refusé de discuter, et contraires encore à ce que
les souverains alliés pensaient et déclaraient au mois de novembre
dernier;

Que si l'Angleterre prouve sa modération par la restitution qu'elle
promet à la Hollande, la France ne prouve pas moins son désir sincère de
la paix en promettant aussi pour la Hollande un accroissement de
territoire;

Qu'on a sûrement oublié que le prince vice-roi, en faveur de qui
l'empereur des Français renonce à un royaume indépendant de la France,
appartient par des liens de famille à l'Allemagne autant qu'à la France;

Que le grand-duché de Berg appartient tout entier au système fédératif
de l'Allemagne proposé par les alliés; et que, quant à Lucques et
Piombino, on peut à peine leur donner le nom d'états;

Qu'ainsi, loin d'être essentiellement opposé à l'esprit du projet des
cours alliées, le contre-projet français est plus conforme à cet esprit
qu'il n'était peut-être même naturel de le penser lorsqu'il ne
s'agissait encore que d'un premier pas vers le but de la négociation;

Qu'en effet le projet des cours alliées et le contre-projet français
n'ont pu être considérés autrement que comme établissement, de part et
d'autre, des points de départ pour arriver de là au but qu'on se
propose réciproquement d'atteindre par une gradation de demandes et de
concessions alternatives et mutuelles, soumises à une discussion
amiable, sans laquelle il n'existe point de véritable négociation;

Qu'une preuve du désir bien sincère qu'a la France d'arriver à la paix,
c'est que, par le contre-projet du 15 mars, elle s'est d'elle-même
placée du premier mot bien en-deçà de ce que les bases proposées par les
cours alliées, il y a quatre mois, et qu'elles déclaraient alors être
celles qui convenaient à l'équilibre de l'Europe, l'autorisaient à
demander;

Qu'il s'attendait à voir dans la séance de ce jour commencer cette
discussion qu'il n'a cessé d'offrir ou de réclamer, et qu'au lieu de
cela on lui annonce une rupture comme pour prévenir toute discussion.

Il déclare en conséquence que, bien loin que la rupture puisse être
imputée à son gouvernement, il ne peut encore considérer sa mission de
paix comme terminée; qu'il doit attendre les ordres de sa cour, et qu'il
est, comme il l'a précédemment déclaré, prêt à discuter dans un esprit
de conciliation et de paix toute modification des projets respectifs qui
serait proposée ou demandée par MM. les plénipotentiaires des cours
alliées; qu'il espère qu'ils voudront bien en rendre compte à leurs
cabinets, et que, pour donner un témoignage de leurs dispositions
personnelles pour arriver à une paix qui est le voeu du monde, ils
attendront les réponses de leurs cours respectives. Il déclare en outre
que son gouvernement est toujours prêt à continuer la négociation ou à
la reprendre de la manière et sous la forme qui pourra amener le plus
promptement possible la cessation de la guerre.

MM. les plénipotentiaires des cours alliées observent ensuite que, par
une faute du copiste, il y a dans la déclaration qu'ils ont dictée hier,
au protocole, une omission des deux paragraphes suivants, dont ils
demandent l'insertion au protocole, pour compléter la pièce précitée.

1º Après ces mots, _de la part du gouvernement français_, ils y ont
ajouté verbalement «qu'ils étaient prêts à discuter, dans un esprit de
conciliation, toute modification que M. le plénipotentiaire français
pourrait être autorisé à proposer, et qui ne serait pas opposée à
l'esprit des propositions faites par les cours alliées;» le terme du 10
mars ayant été, etc., etc.

2º Après les mots _qu'elle place dans la balance de la paix_, «ces
principes paraissent avoir été trouvés justes par le gouvernement
français, à l'époque où il croyait sa capitale menacée par les armées
alliées, à la suite de la bataille de Brienne...»

Le plénipotentiaire français n'admit pas seulement, par une démarche
confidentielle, les limites de la France, telles qu'elles avaient été en
1792, comme bases de pacification; il offrit même la remise immédiate de
places, dans les pays cédés, comme gages de sécurité pour les alliés,
dans le cas que les puissances voulussent accéder sur-le-champ à un
armistice.

«Les puissances donnèrent une preuve de leur désir de voir l'Europe
pacifiée dans le plus court délai possible, en se prononçant pour une
signature immédiate des préliminaires de la paix.

»Mais il avait suffi de quelques succès apparents pour faire changer les
dispositions du gouvernement français.» Le contre-projet présenté par M.
le plénipotentiaire français porte:

Le plénipotentiaire de France observe qu'il paraît au moins
extraordinaire qu'on ait oublié deux paragraphes dans une pièce préparée
depuis plusieurs jours par les cabinets, et il répond ensuite à la
nouvelle déclaration qui lui est faite.

Quant au premier point:

Qu'il doit regretter vivement que la conduite de MM. les
plénipotentiaires des cours alliées, en refusant constamment, malgré ses
instances réitérées, d'entrer en discussion avec lui, tant sur leur
propre projet que sur le contre-projet qu'il leur a remis, ait été,
jusqu'à ce moment même, si complètement en opposition avec la
déclaration qu'ils relatent.

Quant au second:

Que ce qui y est dit relativement à la démarche _confidentielle_ faite
par lui, le 9 février, a été suffisamment réfuté, quant au fait, dans
les précédentes conférences; et quant aux nouvelles réflexions qui sont
mises en avant, que l'Europe jugera qui de son gouvernement ou des
souverains alliés l'on peut, à juste titre, accuser d'avoir manqué de
modération en suspendant, sans cause avouée, la négociation à l'époque
même dont il est question, en rejetant avec la condition qui y était
mise, la proposition. Les puissances alliées n'ont-elles pas prouvé que,
dans cette circonstance, comme dans tout ce qui a suivi le jour où les
bases d'une négociation ont été posées à Francfort par leurs ministres,
elles ont placé constamment leurs vues sous l'influence illimitée des
événements, loin de tendre, comme elles le disent, avec justice et
modération, au rétablissement d'un véritable équilibre de l'Europe?

Après cette réponse, dont copie a été remise à MM. les plénipotentiaires
des cours alliées, ceux-ci ont déclaré que leurs pouvoirs étaient
éteints, et qu'ils avaient ordre de retourner aux quartiers-généraux de
leurs souverains.

Châtillon-sur-Seine, le 19 mars 1814.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence; ABERDEEN, CATHCART, le comte de
Razoumowski, HUMBOLDT, le comte de STADION, Charles STEWART,
lieutenant-général.

Les soussignés, plénipotentiaires des cours alliées, en voyant avec un
vif et profond regret rester sans fruit, pour la tranquillité de
l'Europe, les négociations entamées à Châtillon, ne peuvent se dispenser
de s'en occuper encore avant leur départ, en adressant la présente note
à M. le plénipotentiaire français, d'un objet qui est étranger aux
discussions politiques, et qui aurait dû le rester toujours. En
insistant sur l'indépendance de l'Italie, les cours alliées avaient
l'intention de replacer le saint-père dans son ancienne capitale; le
gouvernement français a montré les mêmes dispositions dans le
contre-projet présenté par M. le plénipotentiaire de France: il serait
malheureux qu'un dessein aussi naturel, sur lequel se réuniraient les
deux partis, restât sans effet par des raisons qui n'appartiennent
nullement aux fonctions que le chef de l'église catholique s'est
religieusement astreint d'exercer. La religion que professe une grande
partie des nations en guerre actuellement, la justice et l'équité
générales, l'humanité enfin, s'intéressent également à ce que sa
sainteté soit remise en liberté; et les soussignés sont persuadés qu'ils
n'ont qu'à témoigner ce voeu, et qu'à demander, au nom de leurs cours,
cet acte de justice au gouvernement français, pour l'engager à mettre le
saint-père en état de pourvoir, en jouissant d'une entière indépendance,
aux besoins de l'église catholique.

Les soussignés saisissent cette occasion pour réitérer à S. Exc. M. le
plénipotentiaire de France leur haute considération.

Châtillon, le 19 mars 1814.

_Signé_ Charles STEWART, comte de STADION, CATHCART, Humboldt, A. comte
de RAZOUMOWSKI, ABERDEEN.



(Nº 40) _Lettre du duc de Vicence
Au prince de Metternich_.

Châtillon, le 20 mars 1814.


MON PRINCE,

Je commence par vous assurer que M. de Floret fait parfaitement vos
commissions. Je ne saurais convenir que la déclaration qui m'a été
remise ne m'a pas surpris. Je devais penser qu'on entrerait en
discussion, ou bien qu'on remettrait un contre-projet, ou même un
_ultimatum_, puisque le projet du 17 février n'en était pas un, pas plus
que celui du 15 mars.

Votre excellence sait aussi bien que moi que les lenteurs, les embarras,
les difficultés de tout genre, étaient inhérents au mode de négociation
adopté par les alliés. Si les intentions pacifiques de votre maître,
l'ascendant de votre bon esprit, et toute la prépondérance de la
puissance principale de la coalition, n'ont pu faire accepter, dans le
seul moment et sous la seule condition où elle pouvait l'être, ma
proposition confidentielle du 9 février, jugez s'il y avait ici un moyen
quelconque de faire faire un seul pas à la négociation. Vous voulez que
nous cédions tout, et vous ne voulez pas nous dire ce que vous comptez
faire de ce que vous nous demandez. Pour s'entendre, encore faut-il se
parler: l'a-t-on voulu? l'a-t-on pu? Peut-être, comme vous le dites,
sommes-nous plus près de la paix, après cette rupture, qu'auparavant.
J'aime à le croire, et il ne dépendra pas de moi que ce dernier espoir
ne se réalise; je n'en aurais même nul doute si j'avais la certitude que
vous et lord Castlereagh soyez les instruments de cette oeuvre aussi
glorieuse que désirable. Il ne faut pas se le dissimuler, la paix ne
peut se faire que par les hommes qui ont tout entière la pensée de leur
cabinet.

Je m'afflige comme vous, mon prince, de la situation de l'impératrice;
elle montre un courage qui la rend aussi digne du tendre intérêt de son
auguste père, que de l'affection du peuple qu'elle a adopté.

Tant qu'il sera question de paix, les difficultés ne me rebuteront pas;
comptez donc sur moi: mais veuillez vous rappeler, prince, que je dois
aussi compter sur vous; car, comme vous en paraissez convaincu, trop
d'intérêts sont communs à la France et à l'Autriche pour que vous
puissiez vouloir les séparer dans la grande question européenne.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.



(Nº 41.) _Lettre du duc de Vicence_
_Au prince de Metternich._

Joigny, le 21 mars 1814.


MON PRINCE,

Je ne veux pas laisser partir M. le comte de Wolffenstein sans prier
votre excellence de mettre aux pieds de l'empereur l'expression de ma
respectueuse reconnaissance pour toutes les attentions dont cet officier
m'a comblé.

Je me hâte de rejoindre notre quartier-général, afin de vous revoir plus
tôt. Veuillez ajouter aux témoignages de confiance que vous avez bien
voulu me donner l'obligeante attention de m'éviter tous retards à vos
avant-postes quand je m'y présenterai.

Je mets sous votre couvert plusieurs lettres que j'ai reçues en chemin
par un courrier qui a augmenté tous mes regrets; ce qu'il m'a apporté ne
me laisse pas de doute sur la possibilité qu'on aurait eue à s'entendre,
même à Châtillon. Je vous le répète, mon prince, c'est sous vos auspices
que la paix est faisable; n'en laissez pas le soin et la gloire à
d'autres, et je vous assure que le monde jouira, avant peu, du repos qui
lui est si nécessaire.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 42.) _Le duc de Vicence_
_Au prince de Metternich._

Expédiée de Doulevent, le 25 mars, par M. de Gallebois, officier du
prince de Neufchâtel, au quartier général impérial.


Arrivé cette nuit seulement près de l'empereur, S. M. m'a sur-le-champ
donné ses derniers ordres pour la conclusion de la paix. Elle m'a remis
en même temps tous les pouvoirs nécessaires pour la négocier et la
signer avec les ministres des cours alliées, cette voie pouvant
réellement mieux que toute autre en assurer le prompt rétablissement. Je
me hâte donc de vous prévenir que je suis prêt à me rendre à votre
quartier-général, et j'attends aux avant-postes la réponse de votre
excellence. Notre empressement prouvera aux souverains alliés combien
les intentions de l'empereur sont pacifiques, et que, de la part de la
France, aucun retard ne s'opposera à la conclusion de l'oeuvre salutaire
qui doit assurer le repos du monde.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.

       *       *       *       *       *


(Nº 43.) _Lettre du duc de Vicence_
_Au prince de Metternich._

Expédiée de Doulevent, le 25 mars, par un officier du prince de
Neufchâtel, au quartier général, 1814.


MON PRINCE,

Je ne fais que d'arriver, et je ne perds pas un moment pour exécuter les
ordres de l'empereur, et pour joindre confidentiellement à ma lettre
tout ce que je dois à la confiance que vous m'avez témoignée.

L'empereur me met à même de renouer les négociations, et de la manière
la plus franche et la plus positive. Je réclame donc les facilités que
vous m'avez fait espérer, afin que je puisse vous arriver, et le plus
tôt possible. Ne laissez pas à d'autres, mon prince, le soin de rendre
la paix au monde. Il n'y a pas de raison pour qu'elle ne soit pas faite
dans quatre jours, si votre bon esprit y préside, si on la veut aussi
franchement que nous. Saisissons l'occasion, et bien des fautes et des
malheurs seront réparés. Votre tâche, mon prince, est glorieuse: la
mienne sera bien pénible; mais, puisque le repos et le bonheur de tant
de peuples, en peuvent résulter, je n'y apporterai pas moins de zèle et
de dévouement que vous.

Les dernières lettres de l'impératrice nous donnent la certitude que la
santé de S. M. est fort bonne.

Agréez, etc.

_Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence.



TROISIÈME PARTIE.

Opus aggredior et ipsa etiam pace sævum.



TROISIÈME PARTIE.



CHAPITRE Ier

L'ARMÉE SE RANGE AUTOUR DE FONTAINEBLEAU.--NOUVELLES DE PARIS.--SUCCÈS
DU PARTI ROYALISTE.

(Du 31 mars au 1er avril.)


Le 31 mars, à six heures du matin, Napoléon se retrouve à Fontainebleau.
On ne prend dans le château qu'un logement militaire; les grands
appartements restent fermés; Napoléon s'établit dans son petit
appartement, situé au premier étage, le long de la galerie de François
Ier.

Dans la soirée et dans la matinée du lendemain, on voit arriver par la
route de Sens la tête des colonnes que Napoléon ramène de la Champagne,
et par la route d'Essonne l'avant-garde des troupes qui sortent de
Paris. Ces débris se groupent autour de Fontainebleau.

Le duc de Conegliano, qui commandait la garde nationale de Paris; le duc
de Dantzick, qui, malgré son grand âge, vient de faire la campagne; le
prince de la Moskowa, le duc de Tarente, le duc de Reggio et le prince
de Neufchâtel, qui arrivent de Troyes; les ducs de Trévise et de Raguse,
qui sortent de Paris, rejoignent successivement le quartier impérial.

Le duc de Bassano est le seul ministre qui soit en ce moment auprès de
Napoléon; le duc de Vicence est en mission auprès des alliés, les autres
ministres sont sur la Loire avec l'impératrice.

A mesure que les troupes défilent, on leur fait prendre position
derrière la rivière d'Essonne. Le duc de Raguse place son quartier
général à Essonne, le duc de Trévise établit le sien à Mennecy. Ce qui
vient de Paris est rallié derrière cette ligne, ce qui arrive de la
Champagne prend une position intermédiaire du côté de Fontainebleau; les
bagages et le grand parc d'artillerie sont dirigés sur Orléans.

Napoléon a donc encore une armée dans sa main... Tandis qu'il médite sur
les ressources de sa position militaire, l'attention autour de lui est
entièrement absorbée par tout ce qui se passe à Paris. On recueille avec
avidité les moindres détails qui arrivent de ce côté, et c'est d'abord
du succès de la mission du duc de Vicence que l'on s'informe avec le
plus d'inquiétude. Ce ministre s'était présenté, dans la nuit même du 30
au 31, aux avant-postes des alliés: il était parvenu jusqu'à l'empereur
Alexandre, il en avait reçu un accueil honorable: mais ce souverain
tenait dans ses mains les clefs de Paris qu'on venait de lui apporter,
il était occupé à donner des ordres pour son entrée, qui devait avoir
lieu à dix heures du matin; avant de parler d'affaires, il voulait être
à Paris: tout ce qu'avait pu obtenir le duc de Vicence, c'était la
promesse qu'on lui donnerait les premiers moments dont on pourrait
disposer après l'occupation militaire de la capitale.

Cependant les chefs de l'armée ennemie avaient commencé à s'expliquer
contre le gouvernement de Napoléon; le général en chef autrichien, qui,
en l'absence de son maître, devait montrer le plus de circonspection
dans cette grande circonstance, avait été des premiers au contraire à
prendre l'initiative avec un empressement tout-à-fait inexplicable.
«Parlant au nom de l'Europe sous les armes au pied des murs de Paris,
Schwartzenberg venait de proclamer que les souverains alliés cherchaient
de bonne foi une autorité salutaire en France pour traiter avec elle de
l'union de toutes les nations et de tous les gouvernements;» et,
méconnaissant déjà les droits et l'autorité de Napoléon, il avait
indiqué aux Parisiens non seulement l'exemple de Lyon[54], qui venait de
se rendre, mais encore celui de Bordeaux, qui avait reconnu les
Bourbons[55].

[Note 54: Les alliés avaient occupé Lyon le 21 mars.]

[Note 55: «Le 31 mars, le prince Schwartzenberg articula expressément à
M. le duc Dalberg que lui et M. le prince de Metternich pensaient que la
continuation de l'existence souveraine de Napoléon en France était
incompatible avec le repos de l'Europe, et que, Napoléon vivant, il n'y
avait rien de mieux à faire que de se fixer au retour de l'ancienne
dynastie en France.» (Voir les révélations de l'abbé de Pradt, page
63.)]

A ce signal, les agents que la maison de Bourbon entretenait à Paris
n'avaient plus craint de se montrer; ils avaient compris que tout allait
dépendre de la manière dont Paris aurait l'air de se prononcer.
L'importance du moment les avait fait redoubler d'efforts. Le peuple
était dans la stupeur; il n'y avait plus ni administration ni police;
le pavé était au premier occupant, les royalistes n'avaient plus qu'à
s'en emparer.

Le 31, à midi, l'empereur Alexandre et le roi de Prusse avaient fait
leur entrée: cette marche militaire, d'abord paisible, avait fini par
devenir bruyante; des cris en faveur des Bourbons s'étaient fait
entendre, des cocardes blanches avaient été arborées; et les Parisiens
étonnés, cherchant des yeux l'empereur d'Autriche, avaient appris avec
inquiétude qu'il était encore bien loin.

C'était chez M. de Talleyrand que l'empereur Alexandre était allé
descendre. Cet ancien ministre aurait dû suivre l'impératrice sur la
Loire, il en avait reçu l'ordre; mais il s'était fait arrêter à la
barrière et ramener dans Paris pour en faire les honneurs aux alliés.

A peine le czar était-il installé dans son logement, qu'il avait tenu un
conseil sur le parti politique que les alliés devaient adopter. M. de
Talleyrand et ses principaux confidents n'avaient pas manqué d'être
appelés à la délibération.[56]

[Note 56: Suite des révélations de M. l'abbé de Pradt: «Une conférence
entre M. de Talleyrand et M. de Nesselrode avait précédé de quelques
heures la tenue de ce conseil. On y avait préparé ce qui devait être dit
dans celui-ci.» (_Ibid._, page 63.)

«L'empereur Alexandre, après l'ouverture du conseil, dit qu'il y avait
trois partis à prendre: 1º faire la paix avec Napoléon, en prenant
toutes ses sûretés contre lui; 2º établir la régence; 3º rétablir la
maison de Bourbon. M. de Talleyrand s'attacha à faire sentir les
inconvénients des deux premières propositions, et à les réunir dans
l'esprit du conseil devant lequel il parlait; il passa ensuite à
l'établissement de la troisième, comme la seule chose qui convînt et qui
fût désirée. On ne lui contesta pas les convenances, mais bien
l'existence d'un désir dont on n'avait pas trouvé la manifestation sur
toute la route traversée par les alliés, dans laquelle au contraire la
population s'était prononcée d'une manière hostile. On appuyait sur la
résistance de l'armée, qui se retrouvait au même degré dans les troupes
de nouvelle levée et dans les vétérans. On résistait donc à l'idée que
le rappel de la maison de Bourbon ne fût pas contrarié par les
dispositions d'un très grand nombre de personnes. L'empereur demanda à
M. de Talleyrand quel moyen il se proposait d'employer pour arriver au
résultat qu'il annonçait... Quelque solides que fussent les raisons
qu'il allégua, cependant la résistance durait encore, et ce fut pour la
vaincre qu'il crut devoir s'étayer du témoignage de M. le baron Louis et
du mien... M. de Talleyrand nous introduisit dans la salle où se
trouvait le conseil; on se trouva rangé de manière à ce que, du côté
droit, le roi de Prusse et le prince Schwartzenberg se trouvassent les
plus rapprochés du meuble d'ornement qui est au milieu de l'appartement;
M. le duc Dalberg était à la droite du prince Schwartzenberg; MM. de
Nesselrode, Pozzo di Borgo, le prince de Lichtenstein, suivaient; M. de
Talleyrand se trouvait à la gauche du roi de Prusse, M. le baron Louis
et moi placés auprès de lui. L'empereur Alexandre, faisant face à
l'assemblée, allait et venait. Ce prince, du ton de voix le plus
prononcé, débuta par nous dire qu'il ne faisait pas la guerre à la
France, et que ses alliés et lui ne connaissaient que deux ennemis,
l'empereur Napoléon et tout ennemi de la liberté des Français...; que
les Français étaient parfaitement libres; que nous n'avions qu'à faire
connaître ce qui nous paraissait certain dans les dispositions de la
nation, et que son voeu serait soutenu par les forces des alliés...
J'éclatai par la déclaration que nous étions tous royalistes et que la
France l'était comme nous... «Eh bien, dit alors l'empereur Alexandre,
je déclare que je ne traiterai plus avec l'empereur Napoléon...» On
obtint de ce monarque que cette déclaration fût rendue publique: deux
heures après elle couvrait les murs de la capitale, par les soins de MM.
Michaud, qui se trouvaient dans les appartements voisins de la salle du
conseil.» (Voyez page 62 [Nº page??] et suiv.)]

Vainement le duc de Vicence s'était présenté pour obtenir l'audience
qu'on lui avait promise; la cause de son prince était déjà perdue,
qu'il n'avait encore pu se faire entendre[57].

[Note 57: «A la fin du conseil nous mîmes tous nos soins à empêcher
l'effet des représentations que les négociateurs de Napoléon pouvaient
chercher à produire; si nous ne pûmes les empêcher d'arriver, on parvint
du moins à abréger leur séjour et à en atténuer l'effet.» (Voy. page 62
des révélations de l'abbé de Pradt.)]

Au surplus le public n'avait pas tardé à être mis dans la confidence;
déjà M. de Nesselrode avait écrit au préfet de police de mettre en
liberté tous les individus détenus pour attachement _à leur légitime
souverain_, et bientôt après les murs de Paris avaient été placardés
d'une déclaration de l'empereur Alexandre, faite tant en son nom qu'en
celui des alliés, portant qu'on ne voulait plus traiter des intérêts de
la France avec Napoléon ni avec aucun membre de sa famille.

        Les vainqueurs ont parlé: l'esclavage en silence
        Obéit à leur voix dans cette ville immense.
                             VOLTAIRE, Orphelin de la Chine.



CHAPITRE II.

SUITE DES NOUVELLES QU'ON REÇOIT DE PARIS.

(Du 1er au 2 avril.)


Cependant les alliés voulaient avant tout assurer la vie de leurs
soldats. Depuis deux mois, quinze à vingt mille étaient tombés sous les
coups des paysans français; il était urgent de désarmer cette animosité.

On désirait le rétablissement des Bourbons; mais on ne voulait pas que
cette révolution parût être commandée par la force des armes; il fallait
aller doucement, ménager l'opinion, faire parler des voix françaises, et
ne paraître accéder qu'au voeu national. Tel était le plan des alliés;
leur langage était devenu celui de la générosité, les partisans des
Bourbons faisaient le reste. Au dehors ils provoquaient le retour de
leurs princes avec tout l'essor d'un zèle long-temps comprimé; on ne
voyait qu'eux allant, venant à travers les bagages et les bivouacs
ennemis, qui encombraient nos ponts, nos quais et nos boulevards. Ils
s'agitaient dans tous les sens, frappaient à toutes les portes; tout ce
qui les écoutait leur était bon. Ils trouvaient d'utiles auxiliaires
dans cette foule de gens en place qui ne pensent qu'à conserver leur
emploi; ils recrutaient surtout des prosélytes actifs parmi tous ces
ambitieux que les honneurs et les grâces n'avaient pu encore atteindre
depuis quinze ans qu'ils les sollicitaient. Déjà tout ce qui était
mécontent du sort avait battu des mains à la nouvelle d'un revirement
dans les fortunes; déjà toutes les familles qui avaient perdu à la
révolution avaient calculé tout ce qu'une contre-révolution pouvait leur
rendre. L'oreille des vieillards se prêtait volontiers à d'anciens noms,
à d'anciens droits qui réveillaient les souvenirs de leur jeunesse;
l'imagination des femmes se laissait séduire par l'intérêt romanesque de
quelques grandes infortunes; la population des boutiques, inquiète au
bruit du sabre étranger qui battait le pavé, s'empressait de renier le
souverain qu'elle admirait hier: en un mot, les passions jalouses, le
ressentiment des ambitions trompées, des vanités blessées, des torts
justement punis; les lâchetés de l'ingratitude et même celles de la
peur, tout concourait à seconder les ennemis de Napoléon[58].

[Note 58: «La plupart des conjurés avaient été comblés de bienfaits par
l'empereur; ils avaient trouvé de grands avantages dans ses victoires;
mais plus leur fortune était devenue brillante, plus ils s'occupaient
d'échapper au malheur commun... Comblez un homme de bienfaits, la
première idée que vous lui inspirez, c'est de chercher les moyens de les
conserver.» (Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, chap. 11 et
13.)]

En général, l'idée de la conquête était insupportable aux Parisiens; on
voulait à tout prix échapper à cette situation, et l'on courait se
réfugier dans l'idée plus tolérable d'une restauration. Les chefs de
parti avaient saisi habilement ce retour de l'amour-propre national sur
lui-même. La volonté des alliés n'était présentée que comme l'appui de
la nôtre, et l'oppression que six cent mille étrangers exerçaient sur
notre malheureux pays commençait à s'appeler _la délivrance de la
France_[59].

[Note 59: «Je dois sans doute au sang français qui coule dans mes
veines, cette impatience que j'éprouve quand on me parle d'opinions
placées hors de ma patrie; et si l'Europe civilisée voulait m'imposer la
Charte, j'irais vivre à Constantinople.» (Chateaubriand, page 118, De la
monarchie selon la Charte.)]

Mais il fallait un organe à cette opinion publique qu'on voulait faire
parler, et l'on n'avait pas eu de peine à le trouver[60]. «Le sénat
était en possession du droit de suppléer, dans toutes les circonstances
imprévues, à l'absence du pouvoir populaire. A ce titre, le gouvernement
de Napoléon lui avait donné l'initiative dans les plus grandes
affaires[61].» Le sénat avait donc été choisi pour prendre encore
l'initiative dans celle-ci. Dès le 31 au soir, l'empereur Alexandre
avait invité ce corps à pourvoir aux besoins des circonstances et au
salut de l'état; il lui avait commandé de s'occuper d'une nouvelle
constitution et de la composition d'un gouvernement provisoire.

[Note 60: «L'empereur Alexandre ayant demandé à M. de Talleyrand quel
moyen il se proposait d'employer, celui-ci répondit que ce serait les
autorités constituées, et qu'il se _faisait fort du sénat_.» (Suite des
révélations de l'abbé de Pradt, page 67.)]

[Note 61: M. Lambrechts.]

Le sénat, habitué à obéir, s'était rassemblé le 1er avril, sous la
présidence de M. de Talleyrand, et avait accepté, pour composer le
gouvernement provisoire, MM. de Talleyrand, de Beurnonville, de
Jaucourt, de Dalberg, et l'abbé de Montesquiou[62].

[Note 62: «Dans cette séance le gouvernement provisoire fut nommé, ou
plutôt confirmé; car les choix qui avaient été arrêtés entre nous ne
souffrirent pas une contradiction.» (De Pradt, page 72.)]

Au même moment le conseil général du département de la Seine, convoqué
illégalement par son président Bellard, avait déclaré que le voeu de
Paris était pour le rappel des Bourbons.

Telles sont en substance les nouvelles de Paris que l'on reçoit à
Fontainebleau dans les trois premiers jours. Elles font une grande
sensation parmi les chefs de l'armée[63], mais elles ne peuvent
distraire Napoléon de ses dispositions militaires. Il est au moment de
se retrouver à la tête de cinquante mille hommes; c'est sur Paris qu'il
veut marcher. Il espère que le bruit de son canon réveillera les
Parisiens et ranimera l'amour-propre national, comprimé un instant par
la présence de l'étranger. L'ennemi est fatigué; il vient de perdre
douze mille hommes dans les fossés de Paris. Depuis quelques heures il
se repose dans la sécurité du succès; ses généraux sont dispersés dans
nos hôtels; ses soldats s'égarent dans le dédale des carrefours de la
capitale; un coup de main sur Paris peut avoir le plus grand résultat;
le mouvement des troupes commence!

[Note 63: «Dès que nous fûmes sortis du conseil (31 mars), M. le baron
Louis et moi, nous travaillâmes à nous assurer d'un des généraux les
plus influents, et nous dépêchâmes vers lui.» (De Pradt, page 72.)]



CHAPITRE III.

INFLUENCE DES ÉVÉNEMENTS DE PARIS SUR FONTAINEBLEAU.


Sur ces entrefaites M. le duc de Vicence arrive, c'est dans la nuit du 2
au 3 avril qu'il se présente à Napoléon.

Si les alliés se sont déclarés contre la personne de Napoléon, cependant
tout espoir ne semble pas encore perdu. Le duc de Vicence est parvenu à
se faire entendre; il a obtenu un retour favorable aux intérêts de la
régente et de son fils. Ce parti, qui a aussi sa légitimité, réunit de
grands moyens d'opinion; il balance maintenant dans l'esprit des
souverains les résolutions opposées qu'on leur suggère en faveur des
Bourbons: mais une prompte décision est nécessaire de la part de
Napoléon; et c'est son abdication que le duc de Vicence vient
demander[64].

[Note 64: Voyez l'histoire de M. Beauchamp, page 363, tome II. Le duc de
Vicence n'avait rien négligé pour faire prévaloir la régence...;
l'empereur Alexandre paraissait ébranlé... Schwartzenberg s'était refusé
à faire marcher sur Fontainebleau... L'Autriche inclinait pour la
régence... «Et, ajoute-t-il, page 367, malgré la déchéance, la régence
pouvait encore prévaloir, sept jours après l'entrée des alliés à
Paris!»]

Napoléon ne pense pas qu'un pareil parti puisse se prendre à
l'improviste; il résiste aux instances du duc de Vicence et refuse de
s'expliquer. Le jour vient, et il monte à cheval pour visiter la ligne
de ses avant-postes. La journée du 3 se passe ainsi en inspections
militaires.

Le soldat était bien disposé, et accueillait par des cris de joie le
projet d'arracher la capitale à l'ennemi; les jeunes généraux
n'écoutaient que leur ardeur guerrière, redoutant peu de nouvelles
fatigues; il n'en était pas de même dans les rangs plus élevés, et nous
en avons assez dit pour faire voir l'influence de Paris.

On frémissait à l'idée des malheurs particuliers qu'une seule marche
pouvait attirer sur les hôtels où l'on avait laissé femmes, enfants,
parents, amis, etc. La disposition que montrait la troupe à s'élancer
dans ce grand désordre achevait de jeter l'effroi; on tremblait aussi de
perdre, par ce que l'on appelait un coup de tête, la fortune et le rang
qu'on avait si péniblement acquis, et dont on n'avait pas encore pu
jouir en repos. Peut-être Napoléon a-t-il déjà parlé à trop de personnes
de l'abdication qu'on lui demande; cette question délicate est livrée au
public; on l'agite dans la galerie du palais, et jusque sur les degrés
de l'escalier du cheval blanc. Malheureusement l'abdication convient à
bien du monde; c'est un moyen qui s'offre de quitter Napoléon sans trop
de honte; on se trouve ainsi dégagé par lui-même, on trouve commode d'en
finir de cette façon; et si Napoléon se refusait à ce grand parti,
quelques uns parlent déjà de briser le pouvoir dans sa main.

C'est dans ces dispositions que l'on apprend que le sénat a proclamé la
déchéance. Napoléon a reçu le sénatus-consulte, dans la nuit du 3 au 4,
par un exprès du duc de Raguse. La nouvelle est connue presque en même
temps de tous les personnages marquants qui sont à Fontainebleau, et
c'est le sujet général des conversations.

Cependant le 4 les ordres étaient donnés pour transférer le quartier
impérial entre Ponthiéry et Essonne. Après la parade, qui avait lieu
tous les jours à midi dans la cour du cheval blanc, les principaux de
l'armée avaient reconduit Napoléon dans son appartement. Le prince de
Neufchâtel, le prince de la Moskowa, le duc de Dantzick, le duc de
Reggio, le duc de Tarente, le duc de Bassano, le duc de Vicence, le
grand-maréchal Bertrand, et quelques autres, se trouvaient réunis dans
le salon; on semblait n'attendre que la fin de cette audience pour
monter à cheval et quitter Fontainebleau. Mais une conférence s'était
ouverte sur la situation des affaires; elle se prolonge dans
l'après-midi, et lorsqu'elle est finie on apprend que Napoléon a
abdiqué.

Une seule chose a frappé Napoléon, c'est le découragement de ses vieux
compagnons d'armes, et il a cédé à ce qu'on lui a dit être le voeu de
l'armée.

Mais s'il abdique, ce n'est qu'en faveur de son fils et de sa femme
régente. Il en rédige l'acte de sa main et en ces termes:

«Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le
seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur
Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre du
trône, à quitter la France et même la vie pour le bien de la patrie,
inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence de
l'impératrice, et du maintien des lois de l'empire.

«Fait en notre palais de Fontainebleau le 4 avril 1814.

«NAPOLÉON.»


Un secrétaire transcrit cet acte, et le duc de Vicence se dispose
aussitôt à le porter à Paris. Napoléon lui adjoint le prince de la
Moskowa... Il voudrait aussi lui adjoindre le duc de Raguse; c'est le
plus ancien des compagnons d'armes qui lui restent, et dans une
circonstance aussi grave, où les derniers intérêts de sa famille vont
être décidés, il croit avoir besoin de s'appuyer sur le dévouement de
son vieil aide-de-camp. On allait donc dresser les pouvoirs du duc de
Raguse, lorsque quelqu'un représente à Napoléon, que dans cette
négociation, où l'armée doit intervenir et être représentée, il serait
utile d'employer un homme comme le duc de Tarente, qui apporterait
d'autant plus d'influence, qu'il est connu pour avoir vécu moins près de
la personne de Napoléon, et pour être entré moins avant dans ses
affections. Le duc de Bassano, interrogé à ce sujet par Napoléon, lui
répond que quelles que puissent être les opinions du maréchal Macdonald,
il est trop homme d'honneur pour ne pas répondre religieusement à un
témoignage de confiance de cette nature; Napoléon nomme aussitôt le duc
de Tarente pour son troisième plénipotentiaire. Mais il veut encore
qu'en traversant Essonne, les plénipotentiaires communiquent au duc de
Raguse ce qui vient de se passer; qu'on le laisse maître de voir s'il
ne sera pas plus utile en restant à la tête de son corps d'armée, et que
s'il tient à remplir la mission que la confiance particulière de
Napoléon lui destinait, on lui enverra à l'instant des pouvoirs.

Les trois plénipotentiaires, après avoir reçu ces dernières
instructions, montent dans la voiture qui les attend au pied de
l'escalier; MM. de Rayneval et Rumigny les accompagnent comme
secrétaires.

Immédiatement après leur départ, Napoléon envoie un courrier à
l'impératrice; il a reçu de ses lettres datées de Vendôme; elle doit
être arrivée le 2 à Blois; il faut bien l'informer de la négociation à
laquelle on est réduit. Dans une telle extrémité, l'absence de son père,
l'empereur d'Autriche, est un malheur qui grandit d'heure en heure!
Notre marche sur Fontainebleau ayant coupé les routes, a prolongé le
séjour de ce souverain en Bourgogne. Napoléon autorise l'impératrice à
lui dépêcher le duc de Cadore pour le presser d'intervenir en faveur
d'elle et de son fils... Mais il est bien tard.

Succombant à l'agitation de cette journée, Napoléon s'était enfermé dans
sa chambre; il lui restait à recevoir le coup le plus sensible qui eût
encore été porté à son coeur.

Dans cette nuit du 4 au 5, le colonel Gourgaud, qui avait été porter des
ordres, revient d'Essonne en toute hâte: il annonce que le duc de Raguse
a quitté son poste, qu'il est allé à Paris, qu'il a traité avec
l'ennemi, que ses troupes, mises en mouvement par des ordres inconnus,
traversent en ce moment les cantonnements des Russes, et que
Fontainebleau reste à découvert.

Napoléon ne peut croire d'abord à cette inconcevable défection:
lorsqu'il ne lui est plus permis d'en douter, son regard devient fixe,
il se tait, s'assied, et paraît livré aux idées les plus sombres.
_L'ingrat!_ s'écrie-t-il en rompant un douloureux silence, _il sera plus
malheureux que moi!_

Napoléon avait le coeur oppressé par des sentiments trop pénibles pour
n'avoir pas besoin de les épancher; c'est à l'année elle-même qu'il veut
confier ses peines: laissons-le parler.


ORDRE DU JOUR.
A L'ARMÉE.

Fontainebleau, le 5 mars 1814.

«L'empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et
principalement parcequ'elle reconnaît que la France est en lui, et non
pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et
l'infortune de son général, son honneur et sa religion. Le duc de Raguse
n'a point inspiré ce sentiment à ses compagnons d'armes; il a passé aux
alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a
fait cette démarche; il ne peut accepter la vie et la liberté de la
merci d'un sujet. Le sénat s'est permis de disposer du gouvernement
français; il a oublié qu'il doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse
maintenant, que c'est l'empereur qui a sauvé une partie de ses membres
des orages de la révolution, tiré de l'obscurité et protégé l'autre
contre la haine de la nation. Le sénat se fonde sur les articles de la
constitution pour la renverser; il ne rougit pas de faire des reproches
à l'empereur, sans remarquer que, comme premier corps de l'état, il a
pris part à tous les événements. Il est allé si loin, qu'il a osé
accuser l'empereur d'avoir changé les actes dans leur publication[65].

[Note 65: On a fait aussi ce reproche à César, et l'on ne voit guère que
cela l'ait déshonoré dans l'histoire. «J'apprends quelquefois, dit
Cicéron, qu'un sénatus-consulte, passé sur mon avis, a été porté en
Syrie et en Arménie avant que j'aie su qu'il ait été fait; et plusieurs
princes m'ont écrit des lettres de remercîments sur ce que j'avais été
d'avis qu'on leur donnât le titre de roi, que non seulement je ne savais
pas élus rois, mais même qu'ils fussent au monde.» (Cicéron, Lettres
familières, lettre 9.)]

Le monde entier sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices. Un
signe était un ordre pour le sénat, qui toujours faisait plus qu'on ne
désirait de lui. L'empereur a toujours été accessible aux remontrances
de ses ministres, et il attendait d'eux, dans cette circonstance, la
justification la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si
l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et les discours publics,
alors l'empereur a été trompé; mais ceux qui ont tenu ce langage doivent
s'attribuer à eux-mêmes les suites de leurs flatteries. Le sénat ne
rougit pas de parler de libelles publiés contre les gouvernements
étrangers, il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein! Si long-temps
que la fortune s'est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont
restés fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus de
pouvoir. Si l'empereur avait méprisé les hommes, comme on le lui a
reproché, alors le monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des
raisons qui motivaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de
la nation; eux seuls pouvaient l'en priver; il l'a toujours considérée
comme un fardeau, et lorsqu'il l'accepta, ce fut dans la conviction que
lui seul était à même de la porter dignement. Le bonheur de la France
paraissait être dans la destinée de l'empereur; aujourd'hui que la
fortune s'est décidée contre lui, la volonté de la nation seule pourrait
le persuader de rester plus long-temps sur le trône. S'il se doit
considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait volontiers le
dernier sacrifice à la France. Il a en conséquence envoyé le prince de
la Moskowa et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris, pour entamer la
négociation. L'armée peut être certaine que l'honneur de l'empereur ne
sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France.»



CHAPITRE IV.

SUITES DE LA DÉFECTION DU DUC DE RAGUSE.


Les trois plénipotentiaires de Napoléon, arrivés à Paris dans la soirée
du 4, se présentent aussitôt chez les souverains alliés. Ils ne tardent
pas à s'apercevoir du terrain que leur cause a perdu pendant l'absence
du duc de Vicence. Les hommes du gouvernement provisoire n'ont pas cessé
d'obséder les souverains pour en obtenir l'exclusion définitive de la
régente et de son fils[66].

[Note 66: Voyez l'histoire de Beauchamp, tome II, pages 363 à 367. «Aux
négociateurs de Fontainebleau, les membres du gouvernement provisoire
succédèrent chez l'empereur Alexandre... Tous leurs efforts portèrent
sur un seul objet, celui de détourner la régence... Il y allait, pour
ainsi dire, de leur tête... Ils se surpassèrent dans cette
conjoncture... M. de Talleyrand prononça un discours plein de vigueur...
Il fut puissamment secondé par le général Dessoles... Le général
Beurnonville courut chez le roi de Prusse; ce prince, aisément
convaincu, décida l'empereur de Russie à éloigner toute idée de
régence...» Voyez aussi les révélations de M. l'abbé de Pradt, page
75... «De grands efforts furent tentés auprès des souverains alliés pour
les porter à la substitution du fils au père... Mais cette entreprise
échoua. Le général Dessoles signala sa rentrée dans les affaires par la
plus vigoureuse résistance à l'adoption des demandes de Napoléon.»]

La peur qu'ils ont du père ne leur permet d'espérer désormais quelque
sûreté que par la chute de la famille entière. Ils ne quittent donc pas
les salons des princes alliés. Les plénipotentiaires les ont trouvés à
ce poste; ils ont vu avec inquiétude l'air de contentement qui règne sur
leur visage... Un personnage survient, et l'inquiétude des
plénipotentiaires est au comble... Le duc de Raguse à qui ils venaient
de parler en changeant de chevaux à Essonne, ils le voient entrer la
tête haute dans le salon des alliés; bientôt tout s'explique; ils
apprennent de la bouche de l'empereur Alexandre que les troupes du
maréchal ont été conduites par le général S****[67] à Versailles, et que
la désertion du camp d'Essonne laisse la personne de Napoléon à la
discrétion des alliés[68].

[Note 67: On avait vu la veille, à Fontainebleau, ce même général
puisant deux mille écus dans la bourse de Napoléon.]

[Note 68: Convention de Chevilly, village situé à deux lieues sud de
Paris, et à une lieue est de Sceaux, signée le 4 avril entre le maréchal
Marmont, duc de Raguse, et le prince de Schwartzenberg, commandant en
chef les troupes des alliés.

Art. 1er. Les troupes françaises qui, par suite du décret du sénat du 2
avril, quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, pourront se
retirer en Normandie avec armes, bagages et munitions, et avec les mêmes
égards et honneurs militaires que les troupes _alliées_ se doivent
réciproquement.

Art. 2. Si, par suite de ce mouvement, les événements de la guerre
faisaient tomber entre les mains des puissances alliées la personne de
Napoléon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seront garanties dans un
espace de terrain et dans un pays circonscrit au choix des puissances
alliées et du gouvernement français. (Revue chronologique de l'Histoire
de France, pag. 590, édit. de 1820.--Le Moniteur, nº 97, de 1814.)]

Jusqu'ici les souverains avaient cru devoir user de ménagements envers
Napoléon, qui s'appuyait sur les voeux et les affections de l'armée.
Tant qu'on l'avait vu à la tête de 50,000 hommes d'élite postés à une
marche de Paris, les considérations militaires l'avaient emporté sur
bien des intrigues. Maintenant que Fontainebleau a cessé d'être une
position militaire, et que l'armée semble abandonner la cause de
Napoléon, la question a changé de face; le temps des ménagements est
passé: l'abdication en faveur de la régente et de son fils ne suffit
plus à un ennemi rassuré; on déclare aux plénipotentiaires qu'il faut
que Napoléon et sa dynastie renoncent entièrement au trône.

Il faut donc aller chercher de nouveaux pouvoirs à Fontainebleau, et
c'est le duc de Vicence qui remplit encore cette pénible mission.

Le premier mouvement de Napoléon, en le voyant, est de rompre une
négociation qui devient si humiliante. Poussé à bout, il veut secouer
les entraves dont on l'embarrasse depuis quelques jours. La guerre
n'offre plus rien de pire que la paix; c'est un fait qui doit être clair
maintenant pour tout le monde, et il espère que les chefs de l'armée
sont désabusés de leurs chimères. Il reporte toutes ses pensées vers les
opérations militaires. Peut-être peut-on encore tout sauver; les
cinquante mille soldats du maréchal Soult qui sont sous les murs de
Toulouse, les quinze mille hommes que le maréchal Suchet ramène de
Catalogne, les trente mille hommes du prince Eugène, les quinze mille
hommes de l'armée d'Augereau, que la perte de Lyon vient de rejeter sur
les Cévennes, enfin les nombreuses garnisons des places frontières et
l'armée du général Maisons, sont encore des points d'appui redoutables
sur lesquels Napoléon peut manoeuvrer avec ce qui lui reste autour de
Fontainebleau... Il parle de se retirer sur la Loire[69].

[Note 69: Napoléon, à Fontainebleau, avait encore autour de lui:

  25,000 hommes de sa garde, etc. Rien ne s'opposait à ce qu'il ralliât
  les 25,000 de l'armée de Lyon,
  les 18,000 que le lieutenant-général Grenier ramenait d'Italie,
  les 15,000 du maréchal Suchet,
  les 40,000 du maréchal Soult, et reparût sur le champ de bataille à la
  tête de plus de 100,000 combattants.
     123,000

Il était maître de toutes les places fortes de France et d'Italie. Il
aurait long-temps encore entretenu la guerre, et bien des chances de
succès s'offraient aux calculs; mais ses ennemis déclaraient à l'Europe
qu'il était le seul obstacle à la paix: il n'hésita pas sur le sacrifice
qui semblait lui être demandé dans l'intérêt de la France. (Mémoires de
Napoléon; Montholon, tome II, page 275.)]

A ce cri de rupture, l'alarme se répand de nouveau dans les quartiers
généraux de Fontainebleau et dans les galeries du palais. On s'unit pour
rejeter toute détermination qui aurait pour résultat de prolonger la
guerre. La lutte a été trop longue, l'énergie est épuisée; on le dit
ouvertement: on en a assez! On ne pense plus qu'à mettre à l'abri des
hasards ce qui reste de tant de peines, de tant de prospérités, de tant
de naufrages; les plus braves finissent par attacher quelque prix à la
conservation de la vie qu'ils ont réchappée de tant de dangers!
Peut-être aussi se sent-on entraîné par une vieille aversion contre la
guerre civile. Tout enfin devient contraire à ce qui ne serait pas un
accommodement. Non seulement la lassitude a dompté les esprits, mais
chacun des chefs qui en valent la peine a déjà reçu de Paris des paroles
de conciliation et des promesses pour sa paix particulière. On se plaît
à envisager la révolution nouvelle comme une grande transaction entre
tous les intérêts français, dans laquelle il n'y aura de sacrifié qu'un
seul intérêt, celui de Napoléon. C'est à qui trouvera donc un prétexte
pour se rendre à Paris, où le nouveau gouvernement accueille tout ce qui
abandonne l'ancien. On ne voudrait pas pourtant être des premiers à
quitter Napoléon. Mais pourquoi tarde-t-il si long-temps à rendre chacun
libre de ses actions? On murmure hautement de ses délais, de ses
indécisions, et des projets désespérés qu'il conserve. Depuis qu'il est
malheureux, on ne le croit plus capable que de faire des fautes, et déjà
plusieurs tacticiens de fraîche date s'étonnent de l'avoir si long-temps
reconnu pour leur maître. Enfin, petit à petit, chacun a pris son
parti: l'un va à Paris parce qu'il y est appelé, l'autre parce qu'il y
est envoyé, celui-ci parce qu'il faut se dévouer aux intérêts de son
arme ou de son corps, celui-là pour aller chercher des fonds, cet autre
parce que sa femme est malade; que sais-je encore? Les bonnes raisons ne
manquent pas, et chaque homme un peu marquant qui ne peut aller lui-même
à Paris y a du moins son plénipotentiaire.

Tandis que les gens de Fontainebleau mettent tant d'intérêt à connaître
ce qui se passe à Paris, de leur côté les alliés n'en mettent pas moins
à savoir ce qui se passe autour de Napoléon; depuis qu'ils sont maîtres
de la capitale, ils ont toujours eu les yeux fixés sur lui. Ils n'ont
cessé de se tenir en garde contre un de ces coups hardis auxquels il a
accoutumé l'Europe. Toutes précautions ont paru bonnes; aucune des
heures qui se sont écoulées n'a été perdue. On a accumulé des troupes
sur toutes les avenues. Une armée russe est entre Essonne et Paris; une
autre est portée sur la rive droite de la Seine, depuis Melun jusqu'à
Montereau; d'autres corps ont marché par les routes de Chartres et
d'Orléans; d'autres encore, accourues sur nos pas par les routes de la
Champagne et de la Bourgogne, se sont répandues entre l'Yonne et la
Loire. Sans cesse on resserre Fontainebleau dans un blocus plus étroit.

Ces mouvements de troupes de la part de l'ennemi secondent admirablement
les conseillers qui veulent que Napoléon n'ait plus d'autre parti à
prendre que de briser son épée. «Où irons-nous chercher, disent-ils, les
débris d'armée sur lesquels on semble compter encore? Ces différents
corps de troupes sont tellement dispersés, que les généraux les plus
voisins sont à plus de cent lieues l'un de l'autre: quel ensemble
pourra-t-on jamais mettre dans leurs mouvements? Et nous qui sommes ici,
sommes-nous bien sûrs de pouvoir en sortir pour aller les rejoindre?»
Venaient ensuite les nouvelles de la nuit, l'apparition des coureurs de
l'ennemi sur la Loire, Pithiviers occupé par eux, notre communication
avec Orléans interceptée, etc., etc.

Napoléon écoutait froidement les propos, il faisait apprécier à leur
véritable valeur les forces inégales de ce réseau qu'on affectait de
voir tendu tout autour de lui, et promettait de le rompre quand il en
serait temps. «Une route fermée à des courriers s'ouvre bientôt devant
cinquante mille hommes,» disait-il; et pourtant, quelle que soit la
confiance de son langage, on le voit qui hésite dans l'exécution de son
projet, retenu sans doute par un secret dégoût dont il ne peut se rendre
maître. Il ne sent que trop combien sa position va devenir différente:
lui qui n'a jamais commandé que de grandes armées régulières, qui n'a
jamais manoeuvré que pour rencontrer l'ennemi, qui, dans chaque
bataille, avait coutume de décider du sort d'une capitale ou d'un
royaume, et qui, dans chaque campagne, a su jusqu'à présent renfermer et
finir une guerre, il faut maintenant qu'il se réduise au métier d'un
chef de partisans; il faut se résoudre à courir les aventures, passant
de province en province, guerroyant sans cesse, portant le ravage
partout, et ne pouvant en finir nulle part!... Les horreurs de la guerre
civile viennent encore rembrunir le tableau, et on ne lui en épargne pas
les peintures. Mais abrégeons ces heures d'hésitation et d'angoisse.
Hâtons-nous de dire que ceux qui ont parlé à Napoléon des chances
possibles d'une guerre civile ont porté à sa résolution les coups les
plus sûrs... «Eh bien, puisqu'il faut renoncer à défendre plus
long-temps la France, s'écrie Napoléon, l'Italie ne m'offre-t-elle pas
encore une retraite digne de moi? Veut-on m'y suivre encore une fois?
Marchons vers les Alpes!» Il dit, et cette proposition n'est suivie que
d'un profond silence. Ah! si dans ce moment Napoléon indigné fût passé
brusquement de son salon dans la salle des officiers secondaires, il y
aurait trouvé une jeunesse empressée à lui répondre! Quelques pas
encore, et il aurait été salué au bas de ses escaliers par les
acclamations de tous ses soldats! leur enthousiasme aurait ranimé son
âme!... Mais Napoléon succombe sous les habitudes de son règne: il
croirait déchoir en marchant désormais sans les _grands officiers_ que
la couronne lui a donnés; il lui semble que le général Bonaparte
lui-même ne saurait recommencer sa carrière sans le cortége obligé de
ses anciens lieutenants; et il vient d'entendre leur silence! Il faut
donc qu'il cède encore une fois à leur lassitude; mais ce n'est pas sans
leur adresser ces paroles prophétiques: «Vous voulez du repos, ayez-en
donc! Hélas! vous ne savez pas combien de chagrins et de dangers vous
attendent sur vos lits de duvet! Quelques années de cette paix que vous
allez payer si cher en moissonneront un plus grand nombre d'entre vous
que n'aurait fait la guerre, la guerre la plus désespérée[70]!» A ces
mots Napoléon se rassied; il prend la plume, et, se reconnaissant
vaincu, moins par ses ennemis que par la grande défection qui l'entoure,
il rédige lui-même en ces termes la seconde formule de l'abdication
qu'on attend:

«Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur était le seul
obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur, fidèle à
son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses enfants aux trônes de
France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice, même celui de la
vie, qu'il ne soit prêt à faire aux intérêts de la France.»

[Note 70: Que sont devenus, en moins de sept années, Berthier, Murat,
Ney, Masséna, Augereau, Lefebvre, Brune, Serrurier, Kellermann,
Pérignon, Beurnonville, Clarke, et tant d'autres?]



CHAPITRE V.

TRAITÉ DU 11 AVRIL.


Les alliés osaient à peine se flatter qu'on pût amener Napoléon à un
sacrifice aussi absolu. Le duc de Vicence leur présente l'acte que
Napoléon vient de signer, et les hostilités sont aussitôt suspendues.
Rien ne doit plus interrompre la négociation entamée.

Les souverains alliés avaient déclaré dès les premiers moments que
Napoléon conserverait le rang, le titre et les honneurs des têtes
couronnées. On avait promis de lui assigner une résidence indépendante;
ces dispositions n'éprouvent aucune difficulté. Quant au choix de la
résidence, on balance entre Corfou, la Corse, ou l'île d'Elbe; les
souverains se décident pour l'île d'Elbe. Sous le rapport pécuniaire, on
veut traiter Napoléon et sa famille avec la plus grande générosité; on
va même au-devant de ce que les plénipotentiaires de Napoléon croient
devoir demander. Un établissement en Italie est assigné à l'impératrice
Marie-Louise et à son fils; on accorde des revenus à tous les membres de
la famille impériale; on n'oublie ni l'impératrice Joséphine, ni le
prince Eugène, fils adoptif de Napoléon: plus les dispositions sont
libérales, plus l'orgueil des princes alliés semble s'y complaire.
L'empereur Alexandre pousse la générosité jusqu'à s'occuper du petit
nombre d'aides de camp, de généraux, et de serviteurs qui composent la
maison militaire et la famille domestique de Napoléon. Il veut que
Napoléon, comme à son lit de mort, puisse dicter un testament
rémunératoire en leur faveur[71].

[Note 71: Il faut tenir note ici, à la honte de la diplomatie
européenne, que cette générosité est restée sans effet. Les legs que
Napoléon a distribués autour de lui sur la foi du traité n'ont pas été
acquittés; et les légataires n'ont pu trouver dans la signature des plus
grands princes cette garantie irrévocable que la simple signature de
deux notaires donne entre particuliers aux moindres dispositions de
cette nature.]

Tandis qu'on prépare à Paris le traité qui doit contenir ces différents
arrangements, Napoléon envoie courrier sur courrier pour redemander au
duc de Vicence le papier sur lequel il a donné son abdication.

Depuis qu'il a souscrit à cet acte, il est resté mécontent de lui-même,
cette négociation diplomatique lui déplaît, elle lui paraît humiliante,
il la croit inutile. Survivant à tant de grandeurs, il lui suffit de
vivre désormais en simple particulier, et il a honte qu'un si grand
sacrifice offert à la paix du monde soit mêlé à des arrangements
pécuniaires. «A quoi bon un traité, disait-il, puisqu'on ne veut pas
régler avec moi ce qui concerne les intérêts de la France? Du moment
qu'il ne s'agit plus que de ma personne, il n'y a pas de traité à
faire... Je suis vaincu, je cède au sort des armes. Seulement je demande
à n'être pas prisonnier de guerre; et pour me l'accorder, un simple
cartel doit suffire!...»

Napoléon ayant réduit sa position en des termes aussi simples, on
prévoit les nouvelles difficultés qui attendent la ratification de
l'acte que les plénipotentiaires ont mis tant de soin à conclure. Leur
traité a été signé à Paris le 11 avril; le duc de Vicence le porte
aussitôt à Fontainebleau: mais les premières paroles de Napoléon sont
pour redemander encore l'abdication qu'il a donnée.

Il n'était plus au pouvoir du duc de Vicence de rendre ce papier, les
affaires étaient trop avancées. L'abdication, servant de base à la
négociation, avait été la première pièce communiquée aux alliés. Elle
était devenue publique, on l'avait insérée dans les journaux.

D'ailleurs les alliés, les plénipotentiaires eux-mêmes, et la plupart
des serviteurs du gouvernement impérial, voyaient dans cette grande
transaction autre chose encore que les intérêts personnels de Napoléon.
On attachait généralement une haute importance à ce qu'il y eût
_abdication_, parcequ'un tel acte devait être la base du nouvel ordre de
choses qui se préparait en France; et les alliés pensaient que les
Bourbons ne sauraient payer trop cher la renonciation formelle de la
dynastie précédente. Cependant il est remarquable que l'empereur
Napoléon et la famille des Bourbons voyaient avec un même mécontentement
cette renonciation, et s'accordaient à prétendre n'en avoir pas besoin,
celui-là pour descendre du trône, ceux-ci pour y monter[72].

[Note 72: M. de La Maisonfort reproche aux alliés d'avoir admis Napoléon
à traiter comme souverain. «Condamné par la fortune, dit-il, pourquoi
fut-il absous par la politique?»]

En vain Napoléon repousse ce traité.

Fontainebleau est maintenant une prison, toutes les issues en sont
soigneusement gardées par les étrangers; signer semble être le seul
moyen qui lui reste pour sauver sa liberté, peut-être même sa vie! car
les émissaires du gouvernement provisoire sont aussi dans les environs
et l'attendent[73]. Cependant la journée finit et Napoléon a persisté
dans son refus; comment espère-t-il échapper à la nécessité qui le
menace?

[Note 73: Voyez les révélations de Maubreuil et son procès.
(Quotidienne, fin d'avril 1817.)]

Depuis quelques jours, il semble préoccupé d'un secret dessein. Son
esprit ne s'anime qu'en parcourant les galeries funèbres de l'histoire.
Le sujet de ses conversations les plus intimes est toujours la mort
volontaire que les hommes de l'antiquité n'hésitaient pas à se donner
dans une situation pareille à la sienne; on l'entend avec inquiétude
discuter de sang-froid les exemples et les opinions les plus opposés.
Une circonstance vient encore ajouter aux craintes que de tels discours
sont bien faits pour inspirer. L'impératrice avait quitté Blois; elle
voulait se réunir à Napoléon; elle était déjà arrivée à Orléans, on
l'attendait à Fontainebleau: mais on apprend de la bouche même de
Napoléon que des ordres sont donnés autour d'elle pour qu'on ne la
laisse pas suivre son dessein. Napoléon, qui craignait cette entrevue, a
voulu rester maître de la résolution, qu'il médite.

Dans la nuit du 12 au 13, le silence des longs corridors du palais est
tout-à-coup troublé par des allées et des venues fréquentes. Les garçons
du château montent et descendent; les bougies de l'appartement intérieur
s'allument; les valets de chambre sont debout. On vient frapper à la
porte du docteur Yvan, on va réveiller le grand maréchal Bertrand, on
appelle le duc de Vicence, on court chercher le duc de Bassano qui
demeure à la chancellerie; tous arrivent et sont introduits
successivement dans la chambre à coucher. En vain la curiosité prête une
oreille inquiète, elle ne peut entendre que des gémissements et des
sanglots qui s'échappent de l'antichambre, et se prolongent sous la
galerie voisine. Tout-à-coup le docteur Yvan sort; il descend
précipitamment dans la cour, y trouve un cheval attaché aux grilles,
monte dessus et s'éloigne au galop. L'obscurité la plus profonde a
couvert de ses voiles le mystère de cette nuit. Voici ce qu'on en
raconte:

A l'époque de la retraite de Moskou, Napoléon s'était procuré, en cas
d'accident, le moyen de ne pas tomber vivant dans les mains de l'ennemi.
Il s'était fait remettre par son chirurgien Yvan un sachet d'opium[74],
qu'il avait porté à son cou pendant tout le temps qu'avait duré le
danger[75]. Depuis, il avait conservé avec grand soin ce sachet dans un
secret de son nécessaire. Cette nuit, le moment lui avait paru arrivé de
recourir à cette dernière ressource. Le valet de chambre qui couchait
derrière sa porte entr'ouverte l'avait entendu se lever, l'avait vu
délayer quelque chose dans un verre d'eau, boire et se recoucher.
Bientôt les douleurs avaient arraché à Napoléon l'aveu de sa fin
prochaine. C'était alors qu'il avait fait appeler ses serviteurs les
plus intimes. Yvan avait été appelé aussi; mais apprenant ce qui venait
de se passer, et entendant Napoléon se plaindre de ce que l'action du
poison n'était pas assez prompte, il avait perdu la tête et s'était
sauvé précipitamment de Fontainebleau. On ajoute qu'un long
assoupissement était survenu, qu'après une sueur abondante les douleurs
avaient cessé, et que les symptômes effrayants avaient fini par
s'effacer, soit que la dose se fût trouvée insuffisante, soit que le
temps en eût amorti le venin. On dit enfin que Napoléon, étonné de
vivre, avait réfléchi quelques instants: «Dieu ne le veut pas!»
s'était-il écrié; et, s'abandonnant à la providence qui venait de
conserver sa vie, il s'était résigné à de nouvelles destinées.

[Note 74: Ce n'était pas seulement de l'opium; c'était une préparation
indiquée par Cabanis, la même dont Condorcet s'est servi pour se donner
la mort.]

[Note 75: «Frédéric-le-Grand, entouré d'ennemis, apprenant la prise de
Berlin, porte long-temps du poison sur lui.» (L'épître à d'Argens,
Ségur, tome 1, page 205.)]

Ce qui vient de se passer est le secret de l'intérieur. Quoi qu'il en
soit, dans la matinée du 13, Napoléon se lève et s'habille comme à
l'ordinaire. Son refus de ratifier le traité a cessé, il le revêt de sa
signature[76].»

[Note 76: Voyez supplément de la troisième partie, nº 1.]



CHAPITRE VI.

DISPERSION DE LA FAMILLE IMPÉRIALE.


Ceux qui approchent de Napoléon apprennent de lui-même qu'il a cessé de
régner. Il les engage à se soumettre au nouveau gouvernement, non pas au
gouvernement provisoire, dans lequel il ne voit qu'un comité de traîtres
et de factieux; mais aux Bourbons, dans lesquels il consent à
reconnaître désormais le point de ralliement des Français.

Bientôt la foule s'écoule de Fontainebleau; il en est de même à Orléans
et à Blois: l'impératrice voit presque tout ce qui l'entoure se mettre
en route pour Paris. Le petit nombre qui reste encore dans le vaste
palais de Fontainebleau ne s'occupe plus que de l'île d'Elbe, et des
arrangements à prendre pour s'y rendre. Napoléon fait mettre à
contribution la bibliothèque, et s'enferme avec les livres et les
cartes, où il peut prendre une idée de la nouvelle résidence qui
l'attend.

Le grand-maréchal Bertrand, le général Drouot, le général Cambrone, le
payeur des voyages Peyrusse, les fourriers Deschamps et Baillon,
obtiennent la permission de suivre Napoléon. On compose pour l'île
d'Elbe une maison domestique peu nombreuse. On ne peut emmener que
quatre cents hommes de la garde, et presque tous ces vieux compagnons de
Napoléon se présentent; on n'a que l'embarras du choix[77].

[Note 77: «Celui qui persiste à suivre avec fidélité un maître déchu est
le vainqueur du vainqueur de son maître.»
                       (SHAKESPEARE, _Antoine et Cléopâtre_, acte III.)]

Il avait été convenu que chaque grande puissance enverrait près de
Napoléon un commissaire qui lui servirait de sauvegarde, et
l'accompagnerait à sa nouvelle destination. Il faut attendre ces
commissaires, et huit jours s'écoulent encore.

Dans cet intervalle, la dispersion de la famille impériale est
consommée. L'impératrice et son fils sont tombés au pouvoir des
Autrichiens. Cédant aux ordres de son père, qui lui ont été portés à
Orléans par le prince d'Esterhazi, l'impératrice s'est laissé conduire à
Rambouillet, où l'empereur d'Autriche doit venir la consoler.

Madame mère et son frère le cardinal Fesch ont quitté Orléans pour
prendre le chemin de Rome.

Le prince Louis, ci-devant roi de Hollande, est parti pour la Suisse.

Le prince Joseph, ci-devant roi d'Espagne, et le prince Jérôme,
ci-devant roi de Westphalie, sont encore dans les environs d'Orléans, et
se disposent à se retirer du même côté que leur frère Louis.

A Fontainebleau, le prince de Neufchâtel, qui avait envoyé son adhésion
au gouvernement provisoire, continua de remplir les fonctions de
major-général de l'armée; mais bientôt il demanda à Napoléon la
permission de se rendre à Paris, pour des détails relatifs à ses
fonctions, disant qu'il reviendra le lendemain, et part sans s'expliquer
davantage. «Il ne reviendra pas,» dit froidement Napoléon au duc de
Bassano.--«Quoi! sire, seraient-ce là les adieux de Berthier?--Oui, vous
dis-je; il ne reviendra pas!»

Napoléon n'est déjà plus qu'un simple particulier. Il vit retiré dans le
coin du palais qu'il habite. S'il quitte quelques instants sa chambre,
c'est pour se promener dans le petit jardin qui est renfermé entre
l'ancienne galerie des cerfs et la chapelle. Toutes les fois qu'il
entend une voiture rouler dans les cours, il demande qui ce peut être.
Malgré le pressentiment qui a d'abord affligé son âme, il demande même
si ce n'est pas Berthier qui revient, ou quelques uns de ses anciens
ministres qui arrivent pour lui faire leurs adieux. Il s'attend à revoir
Molé, Fontanes, et tant d'autres qui lui doivent un dernier témoignage
d'attachement: personne ne vient; Napoléon reste seul avec le petit
nombre de serviteurs qui ont résolu de rester auprès de sa personne
jusqu'au dernier moment. Le duc de Vicence s'occupe avec son activité
ordinaire des préparatifs du voyage: on le croirait toujours grand
écuyer. Le duc de Bassano ne quitte pas Napoléon un seul instant.
Celui-ci, dans ses épanchements avec le ministre de son intime
confiance, conserve cette sérénité qui régnait sur son visage aux plus
beaux jours de sa gloire. A voir les manières du ministre, on ne
croirait pas que ces jours sont passés. Le respect, les soins, les
égards, ont la même simplicité. C'est encore le devoir et l'affection
qui les commandent; et s'ils prennent parfois un caractère touchant et
presque solennel, ils le reçoivent d'une âme forte et d'un coeur
attendri.

Dans un de ces moments où Napoléon attendait encore les consolations de
quelques amis, le colonel Montholon se présente. Il arrive des bords de
la Haute-Loire, où il a été chargé de faire une reconnaissance
militaire. Il rend compte des sentiments dont les populations et les
soldats sont animés; il parle de rallier les troupes du midi... Napoléon
sourit au zèle de ce fidèle serviteur. «Il est trop tard, répond-il; ce
ne serait plus à présent que de la guerre civile, et rien ne pourrait
m'y décider.» Ces derniers témoignages de fidélité semblent consoler
Napoléon des coups que l'ingratitude s'efforce de lui porter. Il lit
exactement les journaux de Paris; des torrents d'injures y découlent
contre lui: il ne s'en affecte que médiocrement; et lorsque la haine
exagère au point de devenir absurde, elle lui arrache un sourire. Un
article signé Lacretelle lui tombe sous la main: «Il y a deux
Lacretelle, dit-il; celui qui a fait cette méchanceté, est-ce le
mien[78]?»

[Note 78: Il est juste de dire que l'article dont il s'agit ici n'est
pas de M. Lacretelle _aîné_.]

Ces injures et la conduite de tant de gens dont il a achevé ou commencé
la fortune lui inspirent un dégoût qui tourne sans doute au profit de sa
résignation.

De toutes les nouvelles qu'il reçoit de Paris, celle qui lui fait le
moins de peine, c'est l'arrivée de M. le comte d'Artois, puisque sa
présence va mettre fin à l'autorité du gouvernement provisoire.

Napoléon n'entretenait plus de communication qu'avec Rambouillet. Le
général Flahaut, le colonel Montesquiou et le baron de Beausset allaient
et venaient sans cesse, chargés de commissions de Napoléon pour
l'impératrice, et de l'impératrice pour Napoléon.

Marie-Louise avait reçu la visite de son père à Rambouillet; celui-ci
n'avait pu retenir ses larmes en embrassant cette fille chérie; il avait
vu pour la première fois son petit-fils, aimable enfant, qui déjà avait
porté le titre de roi, et qu'on ne savait plus comment appeler. Il avait
reconnu, avec une vive émotion, dans cette physionomie enfantine tous
les traits distinctifs de la famille autrichienne; mais pour en arracher
un sourire il avait fallu promettre de revenir avec des joujoux, et
cette promesse du moins il l'a pu tenir.

Dans cette première entrevue avec l'impératrice, l'empereur d'Autriche
lui avait fait entendre qu'elle devait se considérer comme séparée pour
un temps d'avec son mari; que plus tard on verrait à les réunir; qu'en
attendant elle ferait bien de se distraire, en faisant avec son fils un
voyage à Vienne, où elle trouverait quelque repos et quelques
consolations dans le sein de sa famille.

L'empereur d'Autriche était revenu le lendemain, amenant avec lui
l'empereur Alexandre, qui avait désiré faire une visite à l'impératrice.
Cette singulière politesse ne pouvait qu'aigrir encore les chagrins de
Napoléon. Les dernières nouvelles qu'il reçoit de Rambouillet sont, que
l'impératrice partira pour Vienne au moment où il quittera
Fontainebleau; qu'elle emmènera son fils avec elle, et qu'elle y sera
accompagnée par madame la duchesse de Montebello, par mesdames les
comtesses de Montesquiou et de Brignolet, par le général Caffarelli, par
le baron de Beausset et par le baron Menneval.

Il est temps de finir le récit de cette grande catastrophe; déjà ma
plume fatiguée s'est plusieurs fois arrêtée malgré moi; je la reprends
pour remplir ma tâche.

Les commissaires des alliés[79] étant tous arrivés à Fontainebleau, le
départ est fixé au 20 avril. Dans la nuit du 19 au 20, Napoléon éprouve
une dernière défection; son valet de chambre de confiance Constant et
son Mameluck Roustan disparaissent.

[Note 79: Les commissaires des alliés étaient le général russe
Schouwaloff, le général autrichien Koller, le colonel anglais Campbell
et le général prussien Valdebourh-Truchsels.]

Le 20 à midi, les voitures de voyage viennent se ranger dans la cour du
cheval blanc au bas de l'escalier du fer à cheval. La garde impériale
prend les armes et forme la haie; à une heure Napoléon sort de son
appartement, il trouve rangé sur son passage ce qui reste autour de lui
de la cour la plus nombreuse et la plus brillante de l'Europe: c'est le
duc de Bassano, le général Belliard, le colonel de Bussy, le colonel
Anatole Montesquiou, le comte de Turenne, le général Fouler, le baron
Mesgrigny, le colonel Gourgaud, le baron Fain, le lieutenant-colonel
Athalin, le baron de la Place, le baron Lelorgne-d'Ideville, le
chevalier Jouanne, le général Kosakowski et le colonel Vonsowitch; ces
deux derniers, Polonais[80].

[Note 80: Le duc de Vicence et le général Flahaut étaient en mission.]

Napoléon tend la main à chacun, descend vivement l'escalier, et,
dépassant le rang des voitures, s'avance vers la garde. Il fait signe
qu'il veut parler; tout le monde se tait, et dans le silence le plus
religieux on écoute ses dernières paroles.

«Soldats de ma vieille garde, dit-il, je vous fais mes adieux. Depuis
vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et
de la gloire. Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre
prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure et de
fidélité. Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue;
mais la guerre était interminable: c'eût été la guerre civile, et la
France n'en serait devenue que plus malheureuse. J'ai donc sacrifié tous
nos intérêts à ceux de la patrie; je pars: vous, mes amis, continuez de
servir la France. Son bonheur était mon unique pensée; il sera toujours
l'objet de mes voeux! Ne plaignez pas mon sort; si j'ai consenti à me
survivre, c'est pour servir encore à votre gloire. Je veux écrire les
grandes choses que nous avons faites ensemble!... Adieu, mes enfants! Je
voudrais vous presser tous sur mon coeur; que j'embrasse au moins votre
drapeau!...»

A ces mots, le général Petit, saisissant l'aigle, s'avance. Napoléon
reçoit le général dans ses bras, et baise le drapeau. Le silence
d'admiration que cette grande scène inspire n'est interrompu que par les
sanglots des soldats. Napoléon, dont l'émotion est visible, fait un
effort et reprend d'une voix plus ferme: «Adieu encore une fois, mes
vieux compagnons! Que ce dernier baiser passe dans vos coeurs!»

Il dit, et, s'arrachant au groupe qui l'entoure, il s'élance dans sa
voiture, au fond de laquelle est déjà le général Bertrand.

Aussitôt les voitures partent; des troupes françaises les escortent, et
l'on prend la route de Lyon. Partout sur son passage, Napoléon recueille
des témoignages touchants d'amour et de regrets... «On peut contester
les louanges, mais jusqu'ici, ce me semble, on n'a pas contesté les
regrets; et quand les peuples pleurent un souverain, il faut les en
croire[81]!»

[Note 81: La Harpe.]

FIN DE LA TROISIÈME PARTIE.



SUPPLÉMENT A LA TROISIÈME PARTIE.

PIÈCES HISTORIQUES.


(Nº 1.) _Traité du 11 avril 1814, connu sous le nom de traité de
Fontainebleau._

Sa majesté l'empereur Napoléon d'une part; et leurs majestés l'empereur
d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, l'empereur de toutes les
Russies, et le roi de Prusse, stipulant tant en leur nom qu'en celui de
tous leurs alliés, de l'autre; ayant nommé pour leurs plénipotentiaires,
savoir:

Sa majesté l'empereur Napoléon, les sieurs Armand-Augustin-Louis de
Caulaincourt, duc de Vicence, son grand écuyer, sénateur, ministre des
relations extérieures, grand aigle de la Légion-d'Honneur, chevalier des
ordres de Léopold d'Autriche, de Saint-André, de Saint-Alexandre-Newski,
de Sainte-Anne de Russie, et de plusieurs autres; Michel Ney, duc
d'Elchingen, et maréchal de l'empire, grand aigle de la
Légion-d'Honneur, chevalier de la Couronne-de-Fer et de l'ordre du
Christ[82]; Jacques-Étienne-Alexandre Macdonald, duc de Tarente,
maréchal de l'empire, grand aigle de la Légion-d'Honneur, et chevalier
de la couronne-de-Fer.

[Note 82: Il est remarquable que le maréchal Ney ne prend pas ici le
titre de prince de la Moskowa, par ménagement pour l'empereur
Alexandre.]

Et sa majesté l'empereur d'Autriche, le sieur
Clément-Wenceslas-Lothaire, prince de Metternich;
Winebourg-Schsenhausen, chevalier de la Toison-d'Or, grand'croix de
l'ordre royal de Saint-Étienne, grand aigle de la Légion-d'Honneur,
chevalier des ordres de Saint-André, de Saint-Alexandre Newski, et de
Sainte-Anne de Russie, de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge de Prusse,
grand'croix de l'ordre de Saint-Joseph de Wurtzbourg, chevalier de
l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et de plusieurs autres, chancelier
de l'ordre militaire de Marie-Thérèse, curateur de l'académie impériale
des beaux-arts, chambellan, conseiller intime actuel de sa majesté
impériale et royale apostolique, et son ministre d'état des conférences
et des affaires étrangères.

(Dans le traité avec la Russie sont les titres du baron de Nesselrode,
et dans le traité avec la Prusse sont les titres du baron de
Hardemberg.)

Les plénipotentiaires ci-dessus nommés, après avoir procédé à l'échange
de leurs pleins pouvoirs respectifs, sont convenus des articles
suivants:

ARTICLE PREMIER.

Sa majesté l'empereur Napoléon renonce, pour lui et ses successeurs et
descendants, ainsi que pour chacun des membres de sa famille, à tout
droit de souveraineté et de domination, tant sur l'empire français et le
royaume d'Italie que sur tout autre pays.

ARTICLE II.

Leurs majestés l'empereur Napoléon et l'impératrice Marie-Louise
conserveront ces titres et qualités pour en jouir leur vie durant.

La mère, les frères, soeurs, neveux et nièces de l'empereur conserveront
également, partout où ils se trouveront, les titres de princes de sa
famille.

ARTICLE III.

L'île d'Elbe, adoptée par sa majesté l'empereur Napoléon pour le lieu de
son séjour, formera, sa vie durant, une principauté séparée, qui sera
possédée par lui en toute souveraineté et propriété.

Il sera donné en outre en toute propriété à l'empereur Napoléon un
revenu annuel de deux millions de francs en rente sur le grand-livre de
France, dont un million réversible à l'impératrice.

ARTICLE IV.

Toutes les puissances s'engagent à employer leurs bons offices pour
faire respecter par les Barbaresques le pavillon et le territoire de
l'île d'Elbe, et pour que dans ses rapports avec les Barbaresques elle
soit assimilée à la France.

ARTICLE V.

Les duchés de Parme, de Plaisance, et Guastalla, seront donnés en toute
propriété et souveraineté à sa majesté l'impératrice Marie-Louise. Ils
passeront à son fils et à sa descendance en ligne directe. Le prince son
fils prendra dès ce moment le titre de prince de Parme, Plaisance, et
Guastalla.

ARTICLE VI.

Il sera réservé, dans les pays auxquels l'empereur Napoléon renonce,
pour lui et sa famille, des domaines, ou donné des rentes sur le
grand-livre de France, produisant un revenu annuel, net, et déduction
faite de toutes charges, de deux millions cinq cent mille francs. Ces
domaines ou rentes appartiendront en toute propriété, et pour en
disposer comme bon leur semblera, aux princes et princesses de sa
famille, et seront répartis entre eux, de manière à ce que le revenu de
chacun soit dans la proportion suivante:

Savoir:

  A madame mère, trois cent mille francs;
  Au roi Joseph et à la reine, cinq cent mille francs;
  Au roi Louis, deux cent mille francs;
  A la reine Hortense et à ses enfants, quatre cent mille francs;
  Au roi Jérôme et à la reine, cinq cent mille francs;
  A la princesse Élisa, trois cent mille francs;
  A la princesse Pauline, trois cent mille francs.

Les princes et princesses de la famille de l'empereur Napoléon
conserveront en outre tous les biens meubles et immeubles, de quelque
nature que ce soit, qu'ils possèdent à titre particulier, et notamment
les rentes dont ils jouissent, également comme particuliers, sur le
grand-livre de France, ou le Monte-Napoleone de Milan.

ARTICLE VII.

Le traitement annuel de l'impératrice Joséphine sera réduit à un million
en domaines ou en inscriptions sur le grand-livre de France. Elle
continuera à jouir en toute propriété de tous ses biens meubles et
immeubles particuliers, et pourra en disposer conformément aux lois
françaises.

ARTICLE VIII.

Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d'Italie, un établissement
convenable hors de France.

ARTICLE IX.

Les propriétés que sa majesté l'empereur Napoléon possède en France,
soit comme domaine extraordinaire, soit comme domaine privé, resteront à
la couronne.

Sur les fonds placés par l'empereur Napoléon, soit sur le grand-livre,
soit sur la banque de France, soit sur les actions des forêts[83], soit
de toute autre manière, et dont sa majesté fait l'abandon à la couronne,
il sera réservé un capital qui n'excédera pas deux millions, pour être
employé en gratifications en faveur des personnes qui seront portées sur
l'état que signera l'empereur Napoléon, et qui sera remis au
gouvernement français[84].

[Note 83: Lisez des canaux: actions des forêts est évidemment une erreur
matérielle du copiste, puisqu'il n'a jamais existé d'actions des
forêts.]

[Note 84: État des gratifications accordées par l'empereur Napoléon
conformément à l'article IX ci-dessus; savoir:

  AUX GÉNÉRAUX DE LA GARDE

  Friant.                                                 50,000
  Cambrone.                                               50,000
  Petit.                                                  50,000
  Ornano.                                                 50,000
  Curial.                                                 50,000
  Michel.                                                 50,000
  Lefebvre-Desnouettes.                                   50,000
  Guyot.                                                  50,000
                                                         --------
  A reporter.                                            400,000


  Suite de l'état de l'autre part.                       400,000
  Lyon.                                                   50,000
  Laferrière.                                             50,000
  Colbert.                                                50,000
  Marin.                                                  50,000
  Boulard.                                                50,000

  AUX AIDES DE CAMP.

  Drouot.                                                 50,000
  Corbineau.                                              50,000
  Dejean.                                                 50,000
  Caffarelli.                                             50,000
  Montesquiou.                                            50,000
  Bernard.                                                50,000
  Bussy.                                                  50,000

  Au général Fouler, écuyer de l'empereur.                50,000
  Au baron Fain, secrétaire du cabinet.                   50,000
  Au baron Menneval, secrétaire des commandements de
  l'impératrice Marie-Louise.                             50,000
  Au baron Corvisart, premier médecin.                    50,000
  Au colonel Gourgaud, premier officier d'ordonnance.     50,000
  Au chevalier Jouanne, premier commis du cabinet.        40,000
  Au baron Yvan, chirurgien ordinaire.                    40,000
  A trente officiers de la garde (état A).               170,000
  Au service de la chambre (état B).                     100,000
  Au service des écuries (état C).                       130,000
  Au service de l'impératrice et de la bouche (état D).  140,000
                                                      ----------
  A reporter.                                          1,870,000

  Tous les diamants de la couronne resteront à la France.

  Suite de l'état ci-dessus.                           1,870,000
  Au service des fourriers et du roi de Rome (état E).    70,000
  Au service de santé de l'empereur (état F).             60,000

  Total.                                               2,000,000]

ARTICLE XI.

L'empereur Napoléon fera retourner au trésor et aux autres caisses
publiques toutes les sommes et effets qui auraient été déplacés par ses
ordres, à l'exception de ce qui provient de la liste civile.

ARTICLE XII.

Les dettes de la maison de sa majesté l'empereur Napoléon, telles
qu'elles se trouvent au jour de la signature du présent traité, seront
immédiatement acquittées sur les arrérages dus par le trésor public à la
liste civile, d'après les états qui seront signés par un commissaire
nommé à cet effet.

ARTICLE XIII.

Les obligations du Monte-Napoleone de Milan envers tous ses créanciers,
soit Français, soit étrangers, seront exactement remplies sans qu'il
soit fait aucun changement à cet égard[85].

[Note 85: Cet article est la seule condition que Napoléon ait mise à son
abdication du trône d'Italie, et n'a pas été respecté.]

ARTICLE XIV.

On donnera tous les sauf-conduits nécessaires pour le libre voyage de sa
majesté l'empereur Napoléon, de l'impératrice, des princes et
princesses, et de toutes les personnes de leur suite qui voudront les
accompagner, ou s'établir hors de France, ainsi que pour le passage de
tous les équipages, chevaux, et effets qui leur appartiennent.

Les puissances alliées donneront en conséquence des officiers et
quelques hommes d'escorte.

ARTICLE XV.

La garde impériale française fournira un détachement de douze à quinze
cents hommes de toute arme pour servir d'escorte jusqu'à Saint-Tropez,
lieu de l'embarquement.

ARTICLE XVI.

Il sera fourni une corvette armée et les bâtiments de transport
nécessaires pour conduire au lieu de sa destination sa majesté
l'empereur Napoléon, ainsi que sa maison. La corvette demeurera en toute
propriété à sa majesté.

ARTICLE XVII.

Sa majesté l'empereur Napoléon pourra emmener avec lui, et conserver
pour sa garde, quatre cents hommes de bonne volonté, tant officiers que
sous-officiers et soldats.

ARTICLE XVIII.

Tous les Français qui auront suivi sa majesté l'empereur Napoléon et sa
famille seront tenus, s'ils ne veulent perdre leur qualité de Français,
de rentrer en France dans le terme de trois ans, à moins qu'ils ne
soient compris dans les exceptions que le gouvernement français se
réserve d'accorder après l'expiration de ce terme.

ARTICLE XIX.

Les troupes polonaises de toute arme qui sont au service de France
auront la liberté de retourner chez elles, en conservant armes et
bagages, comme un témoignage de leurs services honorables. Les
officiers, sous-officiers et soldats conserveront les décorations qui
leur ont été accordées et les pensions affectées à ces décorations.

ARTICLE XX.

Les hautes puissances alliées garantissent l'exécution de tous les
articles du présent traité. Elles s'engagent à obtenir qu'ils soient
adoptés et garantis par la France.

ARTICLE XXI.

Le présent traité sera ratifié et les ratifications en seront échangées
à Paris dans le terme de deux jours, ou plus tôt si faire se peut.

Fait à Paris, le 11 avril mil huit cent quatorze.

        _Signé_ CAULAINCOURT, duc de Vicence;
        Le maréchal duc de Tarente, MACDONALD;
        Le maréchal d'Elchingen, NEY.
        _Signé_ le prince de METTERNICH.

Les mêmes articles ont été signés séparément, et sous la même date, de
la part de la Russie par le comte de Nesselrode, et de la part de la
Prusse par le baron de Hardemberg.



(Nº 2.) _Déclaration du gouvernement provisoire de France._


Les puissances alliées ayant conclu un traité avec sa majesté l'empereur
Napoléon, et ce traité renfermant des dispositions à l'exécution
desquelles le gouvernement français est dans le cas de prendre part, et
des explications réciproques ayant eu lieu sur ce point, le gouvernement
provisoire de France, dans la vue de concourir efficacement à toutes les
mesures qui sont adoptées, se fait un devoir de déclarer qu'il y adhère
autant que besoin est, et garantit, en tout ce qui concerne la France,
l'exécution des stipulations renfermées dans ce traité, qui a été signé
aujourd'hui entre MM. les plénipotentiaires des hautes puissances
alliées, et ceux de sa majesté l'empereur Napoléon.

Paris, le 11 avril 1814.

_Signé les membres du gouvernement provisoire._



(Nº 3.) _Déclaration au nom de S. M. Louis XVIII._


Le soussigné, ministre secrétaire d'état au département des affaires
étrangères, ayant rendu compte au roi de la demande que leurs
excellences messieurs les plénipotentiaires des cours alliées ont reçu
de leurs souverains l'ordre de faire relativement au traité du 11
avril, auquel le gouvernement provisoire a accédé, il a plu à sa majesté
de l'autoriser de déclarer en son nom que les clauses du traité à la
charge de la France seront fidèlement exécutées. Il a en conséquence
l'honneur de le déclarer par la présente à leurs excellences.

Paris, le 31 mai 1814.

_Signé_ le prince de BÉNÉVENT.



(Nº 4.) _Lettre de lord Castlereagh_
_A lord Bathurst, relative au traité de Fontainebleau._

Paris, le 13 avril 1814.


Je me borne, en conséquence, pour le moment, à vous expliquer ce qui
s'est passé par rapport à la destinée future et à l'établissement de
Napoléon et de sa famille.

V. S. connaît déjà, par lord Cathcart, l'acte d'abdication signé par
Bonaparte le 4 de ce mois, et l'assurance qui lui a été donnée par
l'empereur de Russie et par le gouvernement provisoire d'une pension de
six millions de francs, avec un asile dans l'île d'Elbe. Bonaparte avait
déposé cet acte entre les mains de M. de Caulaincourt, et des maréchaux
Ney et Macdonald, pour l'échanger contre un engagement formel de la
part des alliés, relatif à l'arrangement proposé. Les mêmes personnes
étaient autorisées à consentir à un armistice et à déterminer une ligne
de démarcation qui puisse en même temps être satisfaisante pour les
alliés, et prévenir l'effusion inutile du sang humain.

A mon arrivée, je trouvai cet arrangement sur le point d'être adopté. On
avait discuté une convention qui aurait dû être signée le jour même, si
l'on n'avait annoncé l'approche des ministres alliés. Les motifs qui
portaient à hâter la conclusion de cet acte étaient l'inconvénient,
sinon le danger, qu'il y avait à ce que Napoléon demeurât à
Fontainebleau, entouré de troupes qui lui restaient toujours fidèles; la
crainte d'intrigues dans l'armée et la capitale, et l'avantage qu'avait,
aux yeux de beaucoup d'officiers, un arrangement favorable à leur chef,
qui leur permît de l'abandonner sans se déshonorer.

Dans la nuit après mon arrivée, les quatre ministres eurent une
conférence sur la convention préparée avec le prince de Bénévent. J'y
fis connaître mes objections, en exprimant en même temps le désir qu'on
ne crût que j'y insistais, au risque de compromettre la tranquillité de
la France, que pour empêcher l'exécution de la promesse donnée, à cause
de l'urgence des circonstances, par la Russie.

Le prince de Bénévent reconnut la solidité de plusieurs de mes
objections; mais il déclara en même temps qu'il croyait que le
gouvernement provisoire ne pouvait avoir d'objet plus important que
d'éviter tout ce qui pouvait, même pour un instant, prendre le caractère
d'une guerre civile; et qu'il pensait aussi qu'une mesure de ce genre
était essentielle pour faire passer l'armée du côté du gouvernement,
dans une disposition qui permît de l'employer. D'après cette
déclaration, et celle du comte de Nesselrode, portant qu'en l'absence
des alliés, l'empereur son maître avait senti la nécessité d'agir pour
le mieux, en leur nom aussi bien qu'en son propre nom, je m'abstins de
toute opposition ultérieure au principe de la mesure, me bornant à
suggérer quelques modifications dans les détails. Je refusai cependant,
au nom de mon gouvernement, d'être plus que partie accédante au traité,
et déclarai que l'acte d'accession de la Grande-Bretagne ne s'étendrait
pas au-delà des arrangements territoriaux proposés dans le traité. On
regarda comme parfaitement fondée mon observation, qu'il n'était pas
nécessaire que nous prissions part à la forme du traité, nommément pour
ce qui regardait la reconnaissance du titre de Napoléon, dans les
circonstances actuelles. Je joins maintenant le protocole et la note qui
déterminent le point d'extension auquel j'ai pris sur moi de faire des
promesses au nom de ma cour.

Conformément à mes propositions, la reconnaissance des titres impériaux,
dans la famille, fut limitée à la durée de la vie des individus, d'après
ce qui s'est observé lorsque le roi de Pologne devint électeur de Saxe.

Quant à ce qui fut fait en faveur de l'impératrice, non seulement je n'y
fis aucune objection, mais je le regardai comme dû à l'éclatant
sacrifice des sentiments de famille que l'empereur d'Autriche fait à la
cause de l'Europe. J'aurais désiré substituer une autre position à celle
de l'île d'Elbe pour servir de retraite à Napoléon; mais il n'y en a pas
de disponible qui présente la sécurité sur laquelle il insiste, et
contre laquelle on ne pourrait faire les mêmes objections; et je ne
crois pas pouvoir encourager l'alternative dont, d'après l'assurance de
M. de Caulaincourt, Bonaparte avait plusieurs fois parlé d'avoir un
asile en Angleterre.

La même nuit, les ministres alliés eurent une conférence avec M. de
Caulaincourt et les maréchaux; j'y assistai. Le traité fut examiné et
accepté avec des changements; depuis il a été signé et ratifié, et
Bonaparte commence demain, ou après-demain, son voyage au midi.

_Signé_ CASTLEREAGH.

       *       *       *       *       *



TABLE
ALPHABÉTIQUE ET RAISONNÉE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME.


ABDICATION. Le duc de Vicence vient demander à Fontainebleau que
Napoléon abdique en faveur de son fils, 369.--Première rédaction de
l'abdication, 372.--Napoléon annonce à l'armée son abdication par un
ordre du jour, 375.--Les alliés ayant demandé que l'abdication fût
complète, entière et absolue, le duc de Vicence revient à Fontainebleau,
382.--Seconde rédaction de l'abdication, 389.--Napoléon changeant d'avis
fait redemander son abdication au duc de Vicence, 391.--Traité
d'abdication du 11 avril, 408.

AISNE. Passage de l'Aisne par l'armée française à Béry-au-Bac, 181.

ALBUFERA (le maréchal Suchet, duc d'), arrête les Espagnols sur la ligne
de Lobrégat, 36.--Est appelé à remplacer le maréchal Augereau dans le
commandement de l'armée de Lyon, 198.

ALEXANDRE (l'empereur). _Voyez_ RUSSIE.

ANGLETERRE. Déclaration du prince régent sur les intentions pacifiques
de l'Angleterre, 5.--Lord Castlereagh, son ministre des affaires
étrangères, se rend au quartier général des alliés, 41.--Fait signer le
traité de Chaumont, 177.

ANGOULÊME (le duc d'). Présence de ce prince dans le midi, 144.--Il
arrive à Bordeaux, 203.

ANVERS. Les alliés s'approchent d'Anvers, 35.--Napoléon confie la
défense de cette place au général Carnot, 47.--Les Anglais échouent
dans leurs attaques, 197.

ARCIS-SUR-AUBE. Rencontre et bataille d'Arcis, les 20 et 21 mars, 207.

ARMÉES FRANÇAISES. La grande armée, en se retirant d'Allemagne, prend
ses cantonnements derrière le Rhin, 3.--Situation et force des diverses
armées françaises, 32.--Revue des armées françaises encore employées au
dehors, en Allemagne, en Espagne et en Italie, 32.--Ressources que les
armées françaises offrent encore à Napoléon à l'époque de son
abdication, 382.

ARMÉES ENNEMIES. Force des armées ennemies employées à l'invasion de la
France, 31.--Armée anglo-espagnole, _voyez_ Wellington.--Armée
autrichienne sur l'Adige, _voyez_ Italie.

ARMISTICE. Le prince Wentzel-Lichtenstein, aide de camp du prince
Schwartzenberg, vient au hameau de Châtres proposer un armistice,
143.--Le village de Lusigny est fixé pour la négociation de l'armistice,
155.--Le général Flahaut est nommé commissaire de l'empereur pour cette
négociation, 155.--Napoléon demande que la ligne de démarcation de
l'armistice soit tirée d'Anvers sur Lyon, 158.--Rupture des conférences
de Lusigny.--Le général Flahaut vient rejoindre l'empereur le 8 mars à
Chavignon, 187.

ARTOIS (le comte d'). Voyage de ce prince en Suisse.--Il doit venir au
quartier général des alliés, 144.--Les paysans des environs de
Saint-Thibaut croient le faire prisonnier, 225.--Napoléon apprend avec
plaisir l'arrivée de ce prince à Paris, 402.

ATHALIN, lieutenant-colonel du génie, adjoint au directeur du cabinet
topographique, marque sur la carte, par des épingles, tous les lieux que
les rapports du jour indiquent, 89.--Reste jusqu'à la fin à
Fontainebleau, 405.

AUGEREAU (le maréchal). _Voyez_ CASTIGLIONE (le duc de).

AUTRICHE (l'empereur d') entre en France, 15.--Est entraîné par les
fuyards du côté de Dijon, tandis que les autres souverains marchent sur
Paris, 226.--L'impératrice est autorisée à lui dépêcher le duc de Cadore
pour le presser d'intervenir en faveur d'elle et de son fils, 374.


BACLER-D'ALBE, directeur du cabinet topographique, marque sur la carte,
par des épingles, tous les points que les rapports du jour indiquent,
89.--Est envoyé à Paris pour y porter la nouvelle de la retraite des
Prussiens, 172.

BAILLON, fourrier du palais, suit Napoléon à l'île d'Elbe, 399.

BARBÉ-MARBOIS (le comte) est commissaire du sénat pour l'examen des
pièces de la négociation de Francfort, 19.

BASSANO (M. Maret, duc de), ministre des affaires étrangères, répond aux
propositions apportées de Francfort par le baron Saint-Aignan, 8.--Il
est rappelé au ministère de la secrétairerie d'état, 10.--Il rejoint
Napoléon à Brienne, 98.--Son travail journalier avec Napoléon, 195.--Sa
belle conduite auprès de Napoléon à Fontainebleau, 401 et 405. (Voir
dans le supplément sa correspondance avec le duc de Vicence,
relativement aux négociations de Châtillon.)

BASTE (le contre-amiral) est tué à l'attaque de Brienne, 95.

BEAUSSET (le baron), préfet du palais, vient de Rambouillet à
Fontainebleau, chargé de commissions de l'impératrice, 403.--Suit
l'impératrice à Vienne, 404.

BELGIQUE. La Belgique est enlevée à la France, 108.

BELLART (M.) convoque illégalement le conseil général de Paris, dont il
est président, 367.

BELLIARD (le général comte) remplace le général Grouchy blessé à la
bataille de Craonne, et commande la cavalerie, 184.--Se présente à
Napoléon à Fontainebleau, après la capitulation de Paris, 229.--Reste à
Fontainebleau jusqu'à la fin, 405.

BELLUNE (le maréchal Victor, duc de) se retire de Strasbourg par les
Vosges, 26.--Et de Nancy sur Vitry-le-Français, 87.--Combat à Brienne,
100.--Reste chargé de la défense de la Seine pendant les affaires de
Montmirail, 114.--Recule jusqu'à Guignes, 126.--Combat à Nangis, et
poursuit l'ennemi dans la direction de Montereau, 128.--Combat à
Montereau, 128.--Sa querelle avec Napoléon, à Surville, 134.--Il est
blessé à Craonne, 184.

BÉNÉVENT (M. de Talleyrand, prince de), est commissaire du sénat pour
l'examen des pièces de la négociation de Francfort, 19.--Il envoie,
dit-on, M. de Vitrolles à M. le comte d'Artois, 225.--Reste à Paris pour
en faire les honneurs aux alliés, 359.--Assiste au conseil des alliés,
_ibid._--Est nommé président du gouvernement provisoire, 366.

BÉNIGSEN (le général russe). Son armée est retenue sur l'Elbe par nos
garnisons, 37.

BERG-OP-ZOOM. Surprise de cette place par les Anglais.--Belle action du
général Bizannet, 197.

BERCKHEIM (le général), écuyer de Napoléon, est mis à la tête de la
levée en masse de l'Alsace, 43.

BERNADOTTE, prince de Suède. L'armée qu'il commande s'avance sur la
Hollande et la Belgique, 15.--Elle passe le Wahal et la Meuse et
s'approche d'Anvers, 35.--Combat sous les murs d'Anvers, 46.--Nous
enlève la Belgique, 108.--Son avant-garde s'avance jusqu'à Soissons,
161.--Reprend une seconde fois cette ville et sauve l'armée de Blücher,
174.--Protège la retraite de Blücher sur Laon, en livrant la bataille de
Craonne, 181.--Se retire elle-même sur Laon, 184.--Bernadotte n'a
franchi qu'à regret la limite du Rhin, 189.

BERRY (le duc de). Arrivée de ce prince à Jersey, 144.

BERTHIER (le maréchal). _Voyez_ NEUFCHATEL.

BERTRAND (le général comte), grand maréchal du palais, monte dans la
voiture de Napoléon partant pour l'armée, 83.--Interroge les gens du
pays qu'on amène à Napoléon, 89.--Commande, à la bataille de Montmirail,
l'attaque du village de Marchais, sur la gauche, 118.--Accompagne
Napoléon à l'île d'Elbe, 399.

BÉRY-AU-BAC. Napoléon y établit son quartier général, et y passe l'Aisne
le 5 mars, 181.

BEURNONVILLE (le comte de), sénateur, est commissaire du sénat pour
l'examen des pièces de la négociation de Francfort, 19.--Est commissaire
extraordinaire de Napoléon pour les mesures de défense dans les
provinces, 28.--Est nommé membre du gouvernement provisoire, 366.

BEZU-SAINT-GERMAIN, village entre Château-Thierry et Soissons.--Napoléon
y établit son quartier général le 3 mars, 173.

BIZANNET (le général), commandant de Berg-op-Zoom. Belle action de ce
brave, 197.

BLÜCHER (le général prussien). L'armée qu'il commande passe le Rhin à
Manheim, 15.--S'avance sur la Lorraine, 26.--Arrive devant Metz et
Nancy, 44.--Traverse la Marne à Saint-Dizier, et se dirige sur Brienne,
86.--Est coupée en deux parties par l'arrivée de Napoléon à
Saint-Dizier, 91.--Blücher manque d'être pris au combat de Brienne,
95.--Il fait sa retraite sur l'armée autrichienne, vers Bar,
97.--Revient avec elle sur Brienne et y livre bataille, 99.--De Brienne,
Blücher se porte sur Châlons, et de là descend la Marne vers Paris,
108.--Son avant-garde est arrivée à La Ferté-sous-Jouarre, 115.--Le
combat de Champaubert la sépare de Blücher, resté du côté de Châlons,
116.--La bataille de Montmirail rejette le corps d'Yorck et de Sacken
sur Château-Thierry, 117.--Le combat de Château-Thierry achève de les
séparer de leur général en chef Blücher, et les force de se jeter dans
Soissons, 119.--De son côté, Blücher, ayant reçu des renforts, s'est
reporté en avant; il est prêt d'arriver sur Montmirail, 122.--Battu à
Vauchamps, il manque encore une fois d'être fait prisonnier,
123.--Napoléon retrouve Blücher et ses troupes sur la Seine à
Méry.--Blücher y est blessé, 142, 160 et 162.--Il se retire de Méry pour
marcher sur Paris, 163.--Atteint par Napoléon, qui s'est remis à sa
poursuite, il lui échappe en passant la Marne et se retirant sur
Soissons, 170.--Les Russes le sauvent en lui ouvrant les portes de
cette ville, 174.--Napoléon le poursuit au-delà de l'Aisne,
181.--Blücher, après avoir fait sa jonction avec l'armée du prince de
Suède, se retrouve plus fort que jamais, 189.--Après le combat de Laon
il reprend l'offensive, 191.--Il pousse des partis jusqu'à Compiègne,
200.--Rappelé par Schwartzenberg sur Épernay et Châlons, il fait sa
jonction avec la grande armée autrichienne, 218.--Il détache
Wintzingerode à la poursuite de Napoléon du côté de Saint-Dizier,
219.--S'étant, de sa personne, avancé vers Paris, il prend Saint-Denis
et les hauteurs de Montmartre, 232.

BOISSY-D'ANGLAS (le sénateur comte) est nommé par Napoléon commissaire
extraordinaire pour les mesures de défense, 28.

BONAPARTE. _Voyez_ NAPOLÉON.

BORDEAUX. Événements de Bordeaux; les Anglais y sont entrés, 202.

BOURBON (la maison de). Conversation de Napoléon avec un aide de camp du
prince Schwartzenberg, sur les projets qu'on suppose aux alliés, en
faveur de cette maison, 144.--L'Angleterre a entrepris sérieusement la
restauration de la maison de Bourbon, 152.--Démarches des royalistes de
Troyes auprès de l'empereur Alexandre, 153.--Les succès des alliés
donnent de la consistance aux projets des royalistes, 199.--Louis XVIII
est proclamé à Bordeaux, 203.--Les généraux alliés, en entrant dans
Paris, donnent pour exemple à suivre la conduite de Bordeaux et de Lyon,
qui viennent de reconnaître les Bourbons, 358.--M. de Nesselrode fait
mettre en liberté les individus détenus _pour leur attachement à leurs
souverains légitimes_, 362.--Soins que se donnent à Paris les partisans
de la restauration, 563.--Ils finissent par l'emporter, 379.--Napoléon
engage lui-même ses serviteurs à se rallier au gouvernement du roi Louis
XVIII, 398.

BOURMONT (le général comte) reste chargé de la défense de Nogent,
114.--Est blessé au combat de Nogent, 140.

BRAY, en Laonnais, village du champ de bataille de Craonne.--Napoléon y
passe la nuit qui suit la bataille, 185.

BREDA. Évacuation trop prompte de cette place, 34.

BRIENNE. Combat de Brienne, le 29 janvier, 94.--Napoléon y établit son
quartier-général le 30, 97.--Bataille de Brienne le 1er février, 100.

BRIGNOLET (la comtesse) suit l'impératrice Marie-Louise à Vienne, 404.

BUBNA (le général autrichien) viole la neutralité des Suisses à la tête
de l'avant-garde des alliés, 14.--S'empare de Genève, 25.--Du Valais et
de la route du Simplon, 44.--Se présente devant Lyon, 105.--Et se
concentre sur Genève, 138.

BULOW (le général prussien). Le corps d'armée qu'il commande fait partie
de l'armée du prince de Suède. _Voyez_ BERNADOTTE.

BUSSY (M. de), maire de Baurieux, ancien officier d'artillerie, se
présente à Corbeny, et est reconnu comme un ancien camarade du régiment
de La Fère, par Napoléon, qui lui rend le grade de colonel, et le fait
son aide de camp, 182.--Reste à Fontainebleau jusqu'à la fin, 405.


CAMBRONE (le général) suit Napoléon à l'île d'Elbe, 399.

CAPELLE (le baron), préfet à Genève, s'éloigne à l'approche des
Autrichiens, 25.

CARAMAN (M. de), officier d'ordonnance, va reconnaître la position des
ennemis à Craonne, 182.

CASTIGLIONE (le maréchal Augereau, duc de), est chargé du commandement
de l'armée qui se réunit à Lyon, 44.--Reçoit, après le combat de
Montereau, l'ordre de remonter la Saône et de tomber sur les derrières
de la grande armée autrichienne, 138.--Manque cette occasion de sauver
la France, 169.--Il est remplacé par le maréchal Suchet, 198.

CASTLEREAGH (lord), ministre des affaires étrangères d'Angleterre, se
rend au quartier général des alliés, 41.

CAULAINCOURT. _Voyez_ VICENCE (le duc de).

CHÂLONS-SUR-MARNE. Toutes les troupes font leur retraite sur Châlons,
27.--La nouvelle armée est dirigée sur ce point, 32.--Les dernières
ressources des dépôts de l'intérieur y sont également envoyées,
47.--L'empereur y arrive, 85.

CHÂLONS-SUR-SAÔNE (belle conduite des habitants de), 43.

CHAMBÉRY. Le général Desaix pourvoit à la sûreté de cette ville, 44.

CHAMPAGNY (duc de Cadore). L'impératrice Marie-Louise est autorisée à
l'envoyer prier l'empereur d'Autriche d'intervenir en faveur de la
régence et des droits de son fils, 374.

CHAMPAUBERT (combat de). Napoléon établit son quartier général dans ce
village le 10 février, 116.

CHARPENTIER (le général). La division soutient glorieusement l'attaque
de l'ennemi devant Laon, 191.

CHATEAU (le général), gendre et chef d'état major du duc de Bellune,
Victor, se distingue à l'attaque de Brienne, 95.--Blessé mortellement au
combat de Montereau, 130.--Regrets de Napoléon, et phrases du bulletin
sur sa mort, 135 et 136.

CHATEAU-THIERRY (combat de), le 12 février, 119.--Le 13, Napoléon
établit son quartier général dans cette ville, 120.

CHÂTILLON-SUR-SEINE est indiqué pour la tenue du congrès, 87.--Le duc de
Tarente y relève un moment les troupes autrichiennes dans la garde du
congrès, 169. (Pour ce qui regarde le congrès, _voyez_ NÉGOCIATION.)

CHATRES, hameau près de Méry-sur-Seine. Napoléon y établit son quartier
général le 22 février, 143.

CHAUMONT (Haute-Marne). Les alliés y signent le traité du 1er mars qui
resserre leur alliance, 182.--Expédition du général Piré sur cette
ville, 216.

CHAVIGNON, village entre Soissons et Laon. Napoléon y établit son
quartier général le 8 mars, 188.

CONEGLIANO (le maréchal Moncey, duc de), après la prise de Paris, se
rend à Fontainebleau, 356.

CONSTANT (le sieur), valet de chambre de confiance de Napoléon,
disparaît la nuit du départ pour l'île d'Elbe, 404.

CORBENY. Napoléon y porte son quartier général le 6 mars, 181.

CORBINEAU (le général) se jette entre des Cosaques et l'empereur, 97.
S'empare de Reims le 5 mars, 181.--Après avoir passé pour mort, se
retrouve déguisé parmi les habitants de Reims, 193.

CORPS LÉGISLATIF. Ouverture de la session de 1814, 10.--Opposition qui
se déclare dans l'assemblée, 19.--Dissolution du corps législatif, et
discours de Napoléon à cette occasion, 22.

CRAONNE (bataille de), 182.


D'ALBE. _Voyez_ BACLER.

D'ALBERG (le comte), nommé membre du gouvernement provisoire, 366.

DALMATIE (le maréchal Soult, duc de), arrête Wellington sur la ligne de
l'Adour, 35.--Envoie des détachements au secours de Paris, 38.--Est
forcé de se retirer sur Toulouse, 198.

DANTZICK. (le maréchal Lefèvre, duc de), commande à Montmirail l'attaque
du village de Marchais sur la gauche, 118.--Se trouve à Fontainebleau,
356.

DAVOUST (le maréchal). _Voyez_ ECKMULH (le prince d').

DÉCHÉANCE. La déchéance de Napoléon, prononcée par le sénat, arrive à
Fontainebleau, 371.

DEJEAN (le général), aide de camp de Napoléon, sabre des Cosaques aux
côtés de Napoléon, 97.--Est dépêché du pont de Doulencourt, pour
annoncer à la capitale le retour de Napoléon, 228.

DESAIX (le général) pourvoit à la sûreté de Chambéry, 44.

DESCHAMPS, fourrier du palais, suit Napoléon à l'île d'Elbe, 399.

DIJEON, général d'artillerie de la garde. Napoléon veut le faire juger
par un conseil de guerre. Le général Sorbier arrange cette affaire, 133.

DOULEVENT. Napoléon y établit son quartier général le 24 mars,
216.--Napoléon y revient le 28 mars, 227.

DRESDE. Violation de la capitulation de Dresde, 32.

DROUOT (le général), aide de camp de Napoléon, se distingue à la tête de
l'artillerie au combat de Nangis, 127.--A la bataille de Craonne,
184.--Suit Napoléon à l'île d'Elbe, 399.

DURUTTE (le général) est chargé de la défense de Metz, 45.

DUTAILLIS (le général) défend Torgau sur l'Elbe, 33.


ECKMULH (le maréchal Davoust, prince d') commande à Hambourg, 33.

ÉCLARON, près Saint-Dizier. Les habitants de ce bourg ont pris des
Cosaques; Napoléon les récompense par diverses faveurs, 93.

ELBE (l'île d') est désignée pour le séjour de Napoléon,
390.--Indication des personnes qui l'y accompagnent, 399.

ÉPERNAY. Napoléon y établit son quartier général le 17 mars, 202.

ESPAGNE. Napoléon laisse le roi Ferdinand y retourner, 40.

ESTERNAY (le château d'). Napoléon y établit son quartier général le 28
février, 168.

EUGÈNE-NAPOLÉON (le prince). _Voyez_ ITALIE.


FAIN (le baron), secrétaire du cabinet, reste à Fontainebleau jusqu'à la
fin, 405.

FÈRE-CHAMPENOISE. Napoléon y établit son quartier général le 18 mars,
203.--Désastre de Fère-Champenoise, 222.

Fesch (le cardinal) se retire à Rome, 400.

FISMES. Napoléon y établit son quartier général le 4 mars, 180.

FLAHAUT (le général comte), aide de camp de Napoléon, est envoyé à
Lusigny pour la négociation de l'armistice, 155.--Cette négociation
ayant été rompue, il revient auprès de Napoléon, 187.--Est envoyé à
Rambouillet, chargé de commission pour l'impératrice Marie-Louise, 403.

FLAUGUERGUES (M.) est commissaire du corps législatif pour l'examen des
pièces de la négociation de Francfort, 19.

FONTAINEBLEAU. L'avant-garde du prince Schwartzenberg y arrive,
130.--Napoléon, venu trop tard pour secourir Paris, s'établit à
Fontainebleau, 234.--Cette ville est entourée par les troupes alliées,
385.

FONTANES (le comte) est commissaire du sénat pour l'examen des pièces de
Francfort, 19.

FORTIFICATIONS. Napoléon fait réparer les forteresses de l'ancienne
France, et fait faire tous les travaux défensifs qui peuvent arrêter
l'ennemi, 2.

FRANCFORT (Proposition de). _Voyez_ NÉGOCIATION.--(Déclaration de).
_Voyez_ au Supplément de la première partie.

FROMENTEAU, près les fontaines Juvisy. Napoléon apprend à ce relai la
capitulation de Paris, 234.

FOULER (le comte), écuyer de Napoléon, reste à Fontainebleau jusqu'à la
fin, 405.


GALLOIS (M.) est commissaire du corps législatif pour l'examen des
pièces de la négociation de Francfort, 19.

GENÈVE est prise par le général autrichien Bubna, 25.

GÉRARD (le général) se distingue au combat de Nangis, 127.--Reçoit à
Montereau le commandement du corps du duc de Bellune, 133 et
135.--Poursuit l'ennemi sur la route de Sens, 137.--Commande avec le duc
de Reggio au combat de Bar-sur-Seine, 164.

GIRARDIN (le comte), lieutenant-général, aide de camp du prince de
Neufchâtel, est dépêché de Troyes pour annoncer le retour de Napoléon
dans la capitale, 228.

GORCUM est défendu par le général Rampon, sénateur, 34.

GOUAUT, habitant de Troyes, est traduit devant un conseil de guerre, 154
et 155.

GOURGAUD (le colonel d'artillerie), premier officier d'ordonnance de
Napoléon, tue un Cosaque aux côtés de Napoléon, 97.--Va reconnaître la
position des Russes à Craonne, 182.--Est chargé de faire une surprise de
nuit sur le camp ennemi devant Laon, 188.--Reste à Fontainebleau jusqu'à
la fin, 405.

GOUVION-SAINT-CYR (le maréchal) est retenu prisonnier de guerre par
suite de la violation de la capitulation de Dresde, 32.

GRAHAM (le général anglais) descend à Wilhemstadt, et s'y joint aux
Prussiens de Bulow et aux Russes de Vintzingerode, 34.--Essaie de
surprendre Berg-op-Zoom, et y perd 4000 hommes, 197.

GRÈS (le hameau des), près de Troyes. Napoléon y établit son
quartier-général le 6 février, 107.

GROUCHY (le général), blessé à Craonne, où il commandait la cavalerie,
184.

GUIGNE, en Brie. Napoléon y établit son quartier général le 16 février,
126.


HARDENBERG (le jeune baron de), neveu du chancelier de Prusse, est fait
prisonnier au combat de Brienne, 95.

HAUTERIVE (le comte d'), conseiller d'état, est chargé de communiquer
les pièces de la négociation de Francfort, 19.

HELDER (le), défendu par l'amiral Verhuel, 34.

HERBISSE (le village d'), près Fère-Champenoise. Napoléon y établit son
quartier général le 27 février, 165.

HOLLANDE (la) est enlevée à la France par l'arrivée des Russes du
général Wintzingerode, 34.


IMPÉRATRICE (l'). _Voyez_ MARIE-LOUISE.

INVASION (l') de la France se fait par trois grandes armées, 14 et 25.

ITALIE. L'armée des alliés sur l'Adige est commandée par M. de
Bellegarde, 36.--Le prince Eugène, vice-roi, est à Vérone, 36.--On lui
écrit d'envoyer des troupes à l'armée de France, 38.--La défection du
roi de Naples ne permet pas d'affaiblir l'armée d'Italie, 138.--Belle
conduite du vice-roi au milieu des embarras qui se multipliaient autour
de lui, 139.--Napoléon, abdiquant à Fontainebleau, veut se retirer en
Italie, et demande qu'on l'y suive, 387.--Le sort du vice-roi est assuré
par le traité d'abdication, 391.


JANSSENS (le général), ancien général hollandais, amène à Reims une
division de six mille hommes qu'il a tirés de Mézières et autres places
des Ardennes, 194.

JAUCOURT (le comte de), nommé membre du gouvernement provisoire, 366.

JÉROME (le prince), ci-devant roi de Westphalie, se retire en Suisse,
400.

JOSEPH (le prince), ci-devant roi d'Espagne, reste auprès de
l'impératrice, avec le titre de lieutenant-général de l'empire,
48--Donne à l'impératrice le conseil d'écrire secrètement à son père
pour obtenir la paix, 199.--Reçoit ordre de faire partir de Paris
l'impératrice et son fils, à la moindre apparence de danger, 201.--Donne
au duc de Raguse l'autorisation de négocier la capitulation de Paris,
232.--Et va rejoindre le gouvernement de la régence sur la Loire,
_ibid._--Se retire en Suisse, 400.

JOUANNE (le chevalier), premier commis du cabinet, reste à Fontainebleau
jusqu'à la fin, 405.

JOUARRE, près la Ferté. Napoléon y établit son quartier général le 1er
mars, 171.

JOURNAUX. On ne néglige pas le moyen qu'ils offrent d'exagérer nos
ressources et nos moyens de défense aux yeux de l'ennemi, 28.


KELLERMANN (le maréchal). _Voyez_ VALMY (le duc de).

KOSAKOWSKI (le général polonais) reste à Fontainebleau jusqu'à la fin,
405.


LABESNARDIÈRE, conseiller d'état, premier commis aux affaires
étrangères. Napoléon travaille avec lui à Troyes, 104. (Voir au
supplément de la première partie sa correspondance avec le duc de
Vicence.)

LABOUILLERIE (le baron), trésorier de la couronne, est chargé de verser
30 millions des caves des Tuileries dans les caisses vides du trésor
public, 2.

LACÉPÈDE (le comte de) est commissaire du sénat pour l'examen des pièces
de la négociation de Francfort, 19.

LACRETELLE, journaliste. Napoléon à Fontainebleau remarque un de ses
articles, 402.

LAFERTÉ-SOUS-JOUARRE. Napoléon y fait rétablir le pont sur la Marne, et
vient, le 2 mars, avec son quartier général dans cette ville, 171.

LAFOREST (le comte) signe à Valençay le traité qui permet au roi
Ferdinand de retourner en Espagne, 39.

LAINÉ (M.), membre du corps législatif. Mécontentement de Napoléon
contre lui, 20.

LANNES (madame la maréchale). _Voyez_ MONTEBELLO (duchesse de).

LAON. Napoléon se porte sur Laon, 187,--et se retire sur Soissons, 191.

LAPLACE (le capitaine), officier d'ordonnance, reste à Fontainebleau
jusqu'à la fin, 405.

LAPOYPE (le général) défend Wittemberg sur l'Elbe, 33.

LAVALETTE (le comte), directeur général des postes, envoie une dépêche
qui est reçue à Doulevent, 227.

LEFÈVRE (le maréchal). _Voyez_ DANTZICK (le duc de).

LELORGNE-D'IDEVILLE (le baron), secrétaire interprète de Napoléon, reste
à Fontainebleau jusqu'à la fin, 405.

LEMARROIS (le général) défend la place de Magdebourg sur l'Elbe, 33.

LESMONT-SUR-L'AUBE. La rupture du pont de Lesmont arrête Blücher à
Brienne, 94.--La même cause nous y arrête deux jours après, 99.--Après
la réparation du pont, notre armée fait sa retraite sur Troyes, 101.--Le
pont est coupé de nouveau derrière nous, 102.

LEVAL (le général). Sa division arrivant des Pyrénées rejoint l'armée de
Napoléon, 105.

LICHTENSTEIN (le prince Wentzel), aide de camp du prince Schwartzenberg,
vient trouver Napoléon au hameau de Châtres, 143.

LOIRE (la). Ordre au prince Joseph d'envoyer la régente et le
gouvernement sur la Loire à la moindre apparence de danger qui
menacerait Paris, 201.--Cet ordre est exécuté, 228.--Napoléon parle à
Fontainebleau de se retirer sur la Loire, 383.

LOUIS (le prince), ci-devant roi de Hollande, se retire en Suisse, 400.

LUSIGNY-PRÈS-DE-VANDOEUVRES. Ce village est fixé pour la négociation de
l'armistice, 155. _Voyez_ ARMISTICE.

LYNCH (le comte), maire de Bordeaux, reçoit les Anglais, 202.

LYON. Bonne contenance des Lyonnais devant le général Bubna, 105.--Armée
qui se réunit à Lyon. _Voyez_ CASTIGLIONE (le duc de).


MACDONALD (le maréchal). _Voyez_ TARENTE (le duc de).

MADAME (mère de Napoléon) se retire à Rome avec son frère le cardinal
Fesch, 399.

MAINE-DE-BIRAN (M.), commissaire du corps législatif pour l'examen des
papiers de Francfort, 19.

MAISON (le général comte), chargé du commandement de l'armée du Nord et
de la défense de la Belgique. Ses opérations sur l'Escaut, 46.--Évacue
la Belgique, 108.--Manoeuvre entre Lille, Tournay et Courtray, 196.

MAIZIÈRES (le village de), près de Brienne. Napoléon y établit son
quartier général le 29 janvier, et prend le curé pour guide au combat de
Brienne, 94.

MARCHAND (le général) organise la levée en masse du Dauphiné, 44.

MARET (M.). _Voyez_ BASSANO (le duc de).

MARIE-LOUISE (l'impératrice). Napoléon lui confie la régence et
l'embrasse pour la dernière fois, 48.--Quitte Paris pour se retirer sur
la Loire, 201 et 228.--La régente et son fils sont sacrifiés, 369.--Ils
sont conduits à Rambouillet, 399.--Y reçoit la visite de son père et de
l'empereur Alexandre, 403.--Est emmenée à Vienne. Personnes de sa suite,
404.

MARMONT (le maréchal). _Voyez_ RAGUSE (duc de).

MASSA (le comte Regnier, duc de), est commissaire du corps législatif
pour l'examen des pièces de Francfort, 19.

MEAUX. Napoléon y établit son quartier général le 15 février, dans
l'évêché, 124.

MENNEVAL (le baron), secrétaire des commandements de l'impératrice, la
suit à Vienne, 404.

MÉRY (combat de), 142.

MESGRIGNY (le baron de), écuyer de Napoléon, fait parvenir le placet de
la famille Gouaut, 155.--Reste à Fontainebleau jusqu'à la fin, 405.

METTERNICH (le prince de). Voir aux suppléments sa correspondance avec
le duc de Vicence.

METZ. Le duc de Raguse se retire des environs de Metz. Le général
Durutte reste chargé de la défense de cette place, 45.

MOLITOR (le général) commande en Hollande; se voit abandonné par les
bataillons étrangers, 34.

MONCEY (le maréchal). _Voyez_ CONEGLIANO (duc de).

MONITEUR supprimé du 20 janvier 1813, 49.

MONTEBELLO (madame la maréchale Lannes, duchesse de), dame d'honneur de
l'impératrice, la suit à Vienne, 404.

MONTEREAU. Combat de Montereau le 18 février, 130.

MONTESQUIOU (le comte Anatole de) va à Rambouillet, chargé de commission
de Napoléon pour l'impératrice, 403.--Se retrouve à Fontainebleau au
départ de Napoléon pour l'île d'Elbe, 405.

MONTESQUIOU (madame la comtesse de), gouvernante du roi de Rome,
accompagne son élève à Vienne, 404.

MONTESQUIOU (M. l'abbé de), nommé membre du gouvernement provisoire,
366.

MONTHOLON-SEMONVILLE (le comte) arrive de la Haute-Loire à Fontainebleau
après l'abdication; sa conversation avec Napoléon, 401.

MONTIER-EN-DER. Napoléon y établit son quartier général le 28 janvier,
93.

MONTMIRAIL (bataille de), 11 février, 118.--Napoléon y ramène son
quartier général après le combat de Vauchamps, 123.

MORTEMART (M. le comte de), officier d'ordonnance, porte à l'impératrice
les drapeaux de Nangis et de Montereau, 140.

MORTIER (le maréchal). _Voyez_ TRÉVISE (le duc de).

MOSKOWA (le maréchal Ney, prince de la), évacue Nancy, 45.--Se retire
sur Vitry, 87.--Combat à Brienne, 96; à Montmirail, 118; à Nangis, 127;
à Craonne, 182; devant Laon, 188.--De Reims est dirigé par Châlons sur
Méry, 194 et 200.--Se trouve à Fontainebleau, 356.--Est nommé
commissaire de Napoléon pour le traité de l'abdication, 373.

MURAT (le prince), roi de Naples. Il marche vers la haute Italie: on ne
sait encore si c'est un ennemi de plus qui s'avance, 37.--Il lève le
masque.--Proclamation du vice-roi, 138.


NANGIS (combat de), le 17 février, 127.--Napoléon établit son quartier
général au château de Nangis, 128.

NANSOUTY (le général comte), commandant la cavalerie de la garde, est
blessé à Craonne, 184.

NAPLES (le roi de). _Voyez_ MURAT (le prince).

NAPOLÉON. De retour à Paris le 9 novembre 1813; ses premières
dispositions, 1.--Il fait prendre dans son trésor privé l'argent dont le
trésor public a besoin, 2.--Il brûle ses papiers et part pour l'armée,
48.--Sa première expédition est contre le général Blücher, du côté de
Brienne, 88.--Est assailli le soir par des Cosaques dans l'avenue de
Brienne, 96.--Retenu par la réparation du pont de Lesmont, est forcé de
recevoir la bataille de Brienne, 98.--Se retire sur Troyes et sur
Nogent, 102.--Il entreprend une deuxième expédition contre Blücher, qui
menace Paris par la vallée de la Marne, 113.--Après les victoires de
Champaubert, de Montmirail et de Vauchamps, il se retourne du côté des
Autrichiens et revient sur la Seine. Combat de Nangis et de Montereau,
125.--De retour à Nogent, il donne 2000 fr. de sa bourse aux soeurs de
la charité qui soignent les blessés, 141.--Il poursuit le général
Schwartzenberg au-delà de Troyes, 148.--Il quitte encore une fois les
bords de la Seine pour courir sur ceux de la Marne, à la poursuite de
Blücher, qui s'avance de nouveau sur Paris, 160.--Il poursuit Blücher
au-delà de la Marne, au-delà de l'Aisne, et gagne la bataille de
Craonne, 176.--Arrêté devant Laon, il se retire sur Soissons,
187.--Reprend Reims, 193.--Revient sur l'Aube et sur la Seine, dans
l'intention de prendre en queue Schwartzenberg, qui marche sur Paris,
199.--Rencontre toute l'armée autrichienne à Arcis, par suite d'un
changement survenu dans la marche des alliés, 207.--Court
personnellement de grands dangers au combat d'Arcis, 210.--Abandonne un
moment la route de Paris pour essayer d'attirer l'ennemi à sa suite en
Lorraine, et prend position à Doulevent entre Saint-Dizier et
Bar-sur-Aube, 212.--Revient sur Paris par la route de Troyes; mais il
est trop tard: il descend à Fontainebleau, 224.--Veut tenter une
surprise sur Paris, 367.--Se laisse persuader d'abdiquer, 372.--Change
d'idée et parle de se retirer sur la Loire, 383.--Veut ensuite se
retirer en Italie, et demande qu'on l'y suive, 387.--Enfin, vaincu par
la défection qui l'entoure, il signe une seconde rédaction de son
abdication, 389.--Après une nuit pénible, il se résigne à signer la
ratification du traité, 397.--Il reste encore huit jours à
Fontainebleau, vivant en simple particulier, 400.--Son départ pour
l'Ile-d'Elbe. Allocution à sa garde, 405. (Voir, au supplément de la
première partie, sa correspondance avec le duc de Vicence pendant la
négociation de Châtillon.)

NÉGOCIATION. Propositions de Francfort apportées à Paris par M. le baron
de Saint-Aignan, 5.--Réponse du duc de Bassano, 8.--Continuation de
cette négociation par le duc de Vicence, 10.--Communication des pièces
aux commissaires du sénat et du corps législatif, 18.--Moniteur supprimé
contenant ces pièces, 49.--Lord Castlereagh se rend au quartier-général
des alliés, 41.--Le duc de Vicence se met en route également pour s'y
rendre, 41. (Voir au supplément les instructions que Napoléon lui donne
par sa lettre du 4 janvier.)--Le duc de Vicence ne peut parvenir au
quartier-général des alliés. Après avoir été retenu à Lunéville, il se
rend à Châtillon, lieu qui lui est indiqué pour la tenue du congrès, 86.
Voir dans le supplément les lettres du duc de Vicence au prince de
Metternich, les réponses de ce prince, et les lettres écrites de Paris,
par M. de La Besnardière, qui appartiennent à cette époque de la
négociation.--Le congrès se réunit le 4 février. Noms des
plénipotentiaires. Nouvelles instructions et pleins pouvoirs envoyés au
duc de Vicence après la bataille de Brienne, 104.--Les alliés demandent
que la France rentre dans ses anciennes limites, 109.--Opposition de
Napoléon: il veut qu'on envoie cette demande à Paris pour avoir l'avis
motivé et séparé de chacun des membres du conseil privé,
113.--Victorieux à Champaubert, Napoléon fait recommander au duc de
Vicence de prendre une attitude moins humiliée, 117.--Victorieux au
combat de Nangis, il écrit directement à l'empereur d'Autriche, et
suspend les pouvoirs indéfinis du duc de Vicence, 129.--Les alliés lui
font demander un armistice, 143.--Négociation de l'armistice à Lusigny.
(_Voyez_ ARMISTICE.)--Le 1er mars les alliés resserrent leur alliance
par le traité de Chaumont, 177.--La condition des anciennes limites
devient l'_ultimatum_ des alliés. Rumigny vient chercher les derniers
ordres de Napoléon à cet égard, 185.--Les plénipotentiaires des alliés
n'ayant plus d'inquiétude pour Blücher, renferment le duc de Vicence
dans un délai de trois jours pour signer le projet proposé, 204.--Le
congrès se sépare: le duc de Vicence quitte Châtillon le 20 mars et
vient rejoindre Napoléon à Saint-Dizier, 213. (Voir au supplément la
correspondance du duc de Vicence avec M. de Metternich, avec Napoléon et
avec le duc de Bassano, relativement à la négociation de
Châtillon.)--Démarche directe de Napoléon auprès de l'empereur
d'Autriche, par M. de Weissemberg, 226.--Le duc de Vicence est envoyé
auprès de l'empereur Alexandre sous les murs de Paris, 233.--Il n'avait
pas encore été entendu que la cause de son maître était déjà perdue,
362.--Pour décider les souverains alliés en faveur de la régente et de
son fils, le duc de Vicence vient proposer à Napoléon d'abdiquer,
369.--Napoléon s'étant laissé persuader d'abdiquer, envoie le duc de
Vicence, le duc de Tarente et le prince de la Moscowa pour négocier à
Paris le traité qui doit décider du sort de la famille impériale,
373.--L'impératrice Marie-Louise est autorisée à dépêcher le duc de
Cadore à l'empereur d'Autriche pour le prier d'intervenir, 374.--La
défection du duc de Raguse achève de décider les souverains pour
l'exclusion entière de la famille impériale, 380.--Le duc de Vicence
revient à Fontainebleau demander une abdication pure et simple.
Résistance de Napoléon.--Le traité est signé à Paris le 11 avril, mais
Napoléon se refuse à le ratifier, 393.--Enfin, après une nuit pénible,
Napoléon ratifie le traité, 397.--Texte du traité du 11 avril, et pièces
accessoires, 408.

NESLE, près Château-Thierry. Napoléon y établit son quartier-général le
12 février, 119.

NEUFCHATEL (le maréchal Berthier, prince de), quitte Paris pour se
rendre à l'armée, 47.--Rend compte à Napoléon de la situation de l'armée
à Châlons, 85.--Après l'abdication de Fontainebleau, il conserve le
commandement de l'armée, et va prendre les ordres du gouvernement
provisoire à Paris, 400.

NEY (le maréchal). _Voyez_ MOSCOWA (le prince de la).

NOGENT-SUR-SEINE. Napoléon y établit son quartier général le 7 février,
107.--Le général Bourmont reste chargé de la défense de cette ville
pendant l'excursion sur Montmirail, 114.--Napoléon revient à Nogent le
20 février, 140.


ORLÉANS. Les bagages et le grand parc de l'armée sont dirigés sur
Orléans, 356.--L'impératrice Marie-Louise arrive à Orléans, 394.

OUDINOT (le maréchal). _Voyez_ REGGIO (le duc de).


PAJOL (le général comte) enlève le pont de Montereau, 131.

PAPE (le) retourne à Rome, 39.

PARIS. Serment des chefs de la garde nationale parisienne au moment où
Napoléon quitte la capitale pour se rendre à l'armée, 48.--Paris, menacé
par la première marche de Blücher, est sauvé à Montmirail, 113.--Menacé
une seconde fois par la marche du prince Schwartzenberg, qui s'avance
vers Provins, est sauvé à Nangis et à Montereau, 125.--Menacé ensuite
par le retour de Blücher sur Meaux, est sauvé par l'excursion de
Napoléon au-delà de la Marne et de l'Aisne, 160.--Menacé une quatrième
fois par le prince Schwartzenberg, qui s'avance encore au-delà de la
Seine, est sauvé par la contre-marche qui ramène Napoléon de Reims sur
Plancy, 198.--Paris est menacé plus que jamais après la bataille d'Arcis
par les forces réunies de Schwartzenberg et de Blücher, qui s'avancent
ne formant plus qu'une seule armée, 218.--Et cette fois Napoléon accourt
trop tard, 222.--Bataille et capitulation de Paris, 231.--Le
conseil-général de la Seine déclare que le voeu de Paris est en faveur
des Bourbons, 367. Napoléon veut tenter une marche de Fontainebleau sur
Paris, 367 et 370.--La plupart des chefs de l'armée reviennent à Paris,
384.

PARR (le comte), aide de camp du prince de Schwartzenberg, se présente
aux avant-postes français, 128.

PAYSANS FRANÇAIS. Résistance et petite guerre qu'ils font aux soldats de
l'ennemi, 42, 43, 179 et 363.

PETIT (le général), de la garde impériale. Napoléon, en quittant
Fontainebleau, embrasse en lui toute la garde, 406.

PEYRUSSE (le chevalier), payeur de la couronne, suit Napoléon à l'île
d'Elbe, 399.

PINEY (le village de), près Troyes. Napoléon y établit son quartier
général le 2 février, 103.

PIRÉ (le général) fait une excursion sur Chaumont, 216.--Répand l'alarme
depuis Troyes jusqu'à Vesoul, _ibid._--Fait prisonniers plusieurs
personnages importants, 226.

PITHIVIERS. Est occupé par les alliés, 386.

PLANCY-SUR-L'AUBE. Napoléon y établit son quartier-général le 19 mars,
205.

PLESSIS-Ô-LE-COMTE (le château du), commune de Long-Champs, entre Vitry
et Saint-Dizier. Napoléon y établit son quartier général le 22 mars,
213.

PROCLAMATION DES ALLIÉS, du 1er décembre 1812, 11; de Lowach, le 21
décembre, 16; de l'empereur Alexandre, du généralissime Schwartzenberg,
du général Wude, du général Bubna, etc., 42.

PRUSSE (le roi de) entre en France, 15.--(les armées de). _Voyez_
BLÜCHER.

PYRÉNÉESs (armée des). _Voyez_ DALMATIE (le duc de). RAGUSE (le
maréchal Marmont, duc de), se retire sur Metz, 26; sur Verdun, 45; sur
Saint-Mihiel et Vitry, 87.--Combat à Brienne, 100; et le lendemain à
Rosnay, 102.--Marche sur Champaubert, 116.--Poursuit Blücher sur
Châlons, _ibid._--Recule sur Montmirail, 122.--Combat à Vauchamps et
poursuit de nouveau Blücher sur Châlons, 123.--Recule sur Sezanne et La
Ferté-Gaucher, ensuite sur Meaux, 167.--Arrête les Prussiens à
Lisy-sur-Ourcq, 170.--Forme l'aile gauche du cercle qui pousse Blücher
sur Soissons, 173.--Arrive devant Laon par Corbeny, 188.--Est mis en
déroute dans la nuit du 9 au 10 mars, 190.--Rallie son monde à
Béry-au-Bac et vient prendre part au combat de Reims, 193.--Reste à
Reims pour contenir Blücher, 201.--Recule sur Château-Thierry,
217.--Vient donner dans la grande armée des alliés à Fère-Champenoise,
221.--Se retire sur Paris et combat sous les murs de Paris, 231.--Il est
autorisé à négocier la capitulation de Paris, 232.--Se retire par la
route de Fontainebleau et prend position derrière la rivière d'Essone,
356.--Envoie par un exprès à Napoléon le sénatus-consulte de la
déchéance, 371.--Est désigné par Napoléon pour aller stipuler les
intérêts de la famille impériale au traité de Paris, 373.--Traite avec
les alliés, lève le camp d'Essone et laisse Fontainebleau à découvert,
375.--Ordre du jour de Fontainebleau, par lequel Napoléon annonce à
l'armée la défection du duc de Raguse, _ibid._


RAMPON (le général) défend les digues de Gorcum, 34.

RAYNEVAL (le chevalier), premier commis des affaires étrangères, se rend
à Paris comme secrétaire des plénipotentiaires chargés de négocier le
traité de l'abdication, 374.

RAYNOUARD (M.), commissaire du corps législatif pour l'examen des pièces
de Francfort, 19.

REGGIO (le maréchal Oudinot, duc de), organise les nouveaux corps qui se
réunissent à Châlons-sur-Marne, 28.--Donne à Châlons des renseignements
sur les localités, 85.--Envoie des émissaires à Bar-sur-Ornain,
89.--Combat à Brienne, 99.--Reste chargé de la défense de la Seine du
côté de Bray, 114.--Recule devant Schwartzenberg jusqu'à Guignes,
126.--Combat à Nangis, et poursuit Wittgenstein dans la direction de
Nogent, 127.--Reste chargé de couvrir Troyes. Combat à Bar-sur-Aube,
164.--Se retire sur Troyes et ensuite sur Nogent, 198; et enfin de
Nogent sur Provins, 204.--Se reporte en avant et rejoint l'empereur à
Plancy, 207.--Combat devant Arcis et couvre la retraite, 210.--S'avance
un moment vers Bar-sur-Ornain, 214.--Se trouve à Fontainebleau, 356.

REGNAUT-DE-SAINT-JEAN-D'ANGELY (le comte), conseiller-d'état. Son
discours au corps législatif, 18.--Communique les pièces de Francfort à
la commission du sénat et du corps législatif, 19.

REGNIER. _Voyez_ Massa (le duc de).

REIMS. Le général Corbineau s'empare de Reims le 5 mars, 180.--Le
général russe Saint-Priest reprend Reims, 192.--Napoléon s'y porte,
_ib._--Combat et reprise de Reims; Napoléon y établit son quartier
général le 13 mars, 193.

RESTAURATION. _Voyez_ BOURBON (la maison de).

RHIN. L'armée française arrivant d'Allemagne prend ses quartiers d'hiver
derrière ce fleuve, 3.

RICARD (le général) défend le village de Marchais à la bataille de
Montmirail, 118.

ROEDERER (le comte) envoie des nouvelles d'Alsace qui parviennent à
Corbeny, 183.

ROGNIAT (le général) reste dans Metz, 45.

ROUSTAN (le mameluck) disparaît la nuit du départ de Fontainebleau, 405.

ROYALISTES. _Voyez_ BOURBON (la maison de).

RUMIGNY (le chevalier), l'un des premiers commis du cabinet, est envoyé
en dépêches de La Ferté-sous-Jouarre à Châtillon, 172.--Revient à Bray
en Laonnais, 185; et repart aussitôt pour Châtillon, 187.--Il est
définitivement de retour auprès de Napoléon à Fère-Champenoise, le 18
mars, 203.--Il va de Fontainebleau à Paris, comme secrétaire des
plénipotentiaires chargés de négocier le traité de l'abdication, 374.

RUSCA (le général), commandant de Soissons, est tué par les premiers
coups de feu de l'ennemi, 161.

RUSSIE (l'empereur de) entre en France, 15.--Sa proclamation,
42.--S'oppose à la retraite que Schwartzenberg propose, 208.--Entre à
Paris, 359.--Montre de la générosité dans les dispositions du traité qui
règle le sort de la famille de Napoléon, 391.


SAINT-AIGNAN (le baron de), écuyer de l'empereur, ministre
plénipotentiaire à Weimar, reçoit à Francfort les propositions des
alliés et les rapporte à Paris, 5.--Son rapport à ce sujet, 49.--Sa
conversation avec Napoléon au hameau de Châtres, 146.

SAINT-DIZIER. Premier combat de Saint-Dizier. Napoléon rentre dans cette
ville le 27 janvier, 94.--Il y revient le 23 mars, 213.--Le 26 il y
revient encore, 216.

SAINT-MARSAN (le comte) est commissaire du sénat pour l'examen des
pièces de Francfort, 19.

SAINT-PRIEST (le général russe), blessé mortellement à Reims, 193.

SAINT-THIBAUT (les paysans de) font prisonniers plusieurs personnages,
225.

SCHWARTZENBERG (le prince), généralissime des alliés, et commandant de
l'armée autrichienne. L'armée qu'il conduit pénètre en France par la
Suisse, 14.--Marche sur Huningue, Béfort, Vesoul et Besançon, 26.--Force
le passage des Vosges et s'avance sur Langres, 44.--Réuni à Blücher, il
marche sur Brienne, 98.--Il entre à Troyes, 107.--Passe la Seine à
Nogent, 123.--S'avance dans la Brie et pousse une avant-garde sur
Fontainebleau, 125.--Se retire sur Troyes, 137.--Les fuyards de son
armée courent jusqu'au Rhin, 141 et 183.--Son quartier général
rétrograde sur Bar, sur Colombey et sur Langres. Il reprend l'offensive
et se fait blesser au combat de Bar-sur-Aube, 168.--Il revient sur
Troyes, 169; et s'avance encore une fois sur Paris, 198.--A l'approche
de Napoléon, il recule sur Troyes, 200.--L'arrivée de Napoléon sur
l'Aube change ce mouvement en une retraite générale, 206.--Nouveau plan:
Schwartzenberg se porte de Troyes sur Châlons pour se réunir à Blücher,
189.--Après la bataille d'Arcis il fait sa jonction avec Blücher,
209.--Il se porte sur Paris, 221.--Sa proclamation sous les murs de
Paris, 258.

SÉMONVILLE (le comte) est commissaire extraordinaire pour les mesures de
défense, 28.

SÉNAT (le), chargé de faire une nouvelle constitution et de nommer un
gouvernement provisoire, 366.--Proclame le déchéance de Napoléon,
371.--Napoléon répond au sénat, 375.

SENFT DE PILSAC (M. de) est envoyé par M. de Metternich à Zurich, pour
rompre l'alliance des Suisses avec les Français, 13.

SEZANNE. Napoléon y établit son quartier général le 9 février, 115.--Il
y passe une seconde fois le 28 février, 167.

SOISSONS est pris par les généraux Wintzingerode et Woronzow le 13
février, 161.--Repris par le duc de Trévise le 19 février, 162.--Tombe
une seconde fois dans les mains des Russes et l'armée de Blücher y
trouve son salut, 174.--Napoléon, après avoir échoué à Laon, fait sa
retraite sur Soissons, 191.

SOMMEPUIS (le village de). Napoléon y établit son quartier général le 21
mars, 213.

SOULT (le maréchal). _Voyez_ DALMATIE (le duc de).

SUCHET (le maréchal). _Voyez_ ALBUFERA (le duc d').

SUISSE. Les alliés violent la neutralité des Suisses, 13; envoient M. de
Senft de Pilsac, pour les détacher de l'alliance de la France, 13.

SURVILLE (le château de), près Montereau. Napoléon y fait placer les
batteries de la garde, 130.--Il y établit son quartier général, 136.


TALLEYRAND (M. de). _Voyez_ BÉNÉVENT (le prince de).

TARENTE (le maréchal Macdonald, duc de), se retire de Liège, par le
département des Ardennes, sur Châlons, 27.--Arrive à Namur,
47.--Arrive à Châlons et se retire devant Blücher, 108.--Se retire sur
Meaux, 113.--Après l'affaire de Vauchamps, suit Napoléon sur la Seine,
123.--Combat à Nangis; poursuit l'ennemi dans la direction de Bray,
127.--Entre à Châtillon, 164.--Se retire sur Troyes, 168; sur Nogent,
198; sur Provins, 204.--Se reporte en avant à l'approche de Napoléon,
207.--Couvre la retraite d'Arcis, 212.--Se trouve à Fontainebleau,
356.--Napoléon le nomme son plénipotentiaire pour négocier le traité
d'abdication, 371.

TRÉVISE (le maréchal Mortier, duc de), se porte dans les Vosges au
secours du duc de Bellune, 27.--Évacue Langres, 45.--Se retire sur
Troyes, 86.--Évacue Troyes et reçoit l'ordre d'y rentrer, 89.--Se porte
en avant de Troyes sur Vandoeuvres, 97.--Couvre la retraite de Brienne,
103.--Combat à Montmirail, 118; à Château-Thierry, 119.--Poursuit
l'ennemi sur la route de Soissons, _ibid_.--Revient de Soissons sur La
Ferté-sous-Jouarre, 164.--Recule sur Meaux, 167.--Arrête les Prussiens
au gué de Trême, 170.--Pousse Blücher sur Soissons, 173.--Vient
rejoindre Napoléon à Laon, 187.--Reste chargé de contenir Blücher,
192.--Est rejeté sur Château-Thierry, 218.--Va donner dans la grande
armée des alliés à Fère-Champenoise, 221.--Se replie sur Paris,
230.--Combat sous les murs de Paris, _ibid._--Après la capitulation se
retire sur Fontainebleau et place son quartier général à Mennecy, 356.

TROYES. Napoléon y établit son quartier général le 3 février, 87.--Il
évacue Troyes le 6 février, 103.--Il rentre dans Troyes le 24 février,
147.--Il repasse une troisième fois par Troyes, 228.

TURENNE (le comte de), premier chambellan, maître de la garde-robe,
reste à Fontainebleau jusqu'à la fin, 405.


VALMY (le maréchal Kellermann, duc de), chargé d'organiser les troupes
qui arrivent à Châlons-sur-Marne, 28.--Travaille avec Napoléon à
Châlons, 85.--Reste chargé du commandement de Châlons, 88.

VAUCHAMPS (combat de), le 14 février, 122.

VERRHUEL (l'amiral). Belle conduite de cet amiral au Helder, 34.

VICENCE (M. de Caulaincourt, duc de), grand-écuyer, est nommé ministre
des affaires étrangères, 10.--Se rend à Châtillon, 87. (Voir au
supplément de la deuxième partie sa correspondance relative au congrès
de Châtillon.) Il rejoint Napoléon à Saint-Dizier après la rupture du
congrès, 213.--Est envoyé de Fromenteau auprès de l'empereur Alexandre,
233.--Va et vient de Paris à Fontainebleau, 357.--Reste auprès de
Napoléon après l'abdication, 401.

VICTOR (le maréchal). _Voyez_ BELLUNE (le duc de).

VIDRANGES (le sieur de) est compromis à Troyes, 154.

VITRY (le Français). Nos avant-postes sont à Vitry, 87.--Napoléon y
porte son quartier général le 26 janvier, 88.--Il se présente devant
Vitry, 213.--Il s'y présente une seconde fois, 217.


WATTEVILLE (le général) commande le cordon des Suisses pour la
neutralité, 13.

WEISSEMBERG (M. de), ambassadeur d'Autriche à Londres. Enlevé par les
habitants de Saint-Thibaut, est conduit à Napoléon, qui lui donne une
mission pour l'empereur d'Autriche, 225.

WELLINGTON (le général) est entré en France et s'est avancé sur Bayonne,
35.--Ses troupes entrent à Bordeaux, 202.

WESTPHALIE (le royaume de) est détruit par l'avant-garde de l'armée de
prince de Suède, commandée par les généraux Bulow et Wintzingerode, 15
et 34.

WILHEMSTADT. Évacuation trop prompte de cette place, 34.

WINTZINGERODE (le général russe). Son corps d'armée fait partie du
commandement du prince de Suède. (_Voyez_ BERNADOTTE.)

WOLFF, émissaire du comte Roederer, apporte à Napoléon des nouvelles de
l'Alsace, 183.

WONZOWITCH, officier polonais, interprète de Napoléon, reste à
Fontainebleau jusqu'à la fin, 405.

WORONZOFF (le général russe). Son corps d'armée fait partie du
commandement du prince de Suède. (_Voyez_ BERNADOTTE)


YVAN (le baron), chirurgien ordinaire de Napoléon, quitte Fontainebleau,
395.


FIN.


[Illustration: CAMPAGNE DE 1814--Carte et légende.

Napoléon part de Paris le 25 janvier à 3 heures du matin, il va coucher
et établir son Quartier Général le 25 Janvier à Châlons.

           26...........à Vitry
           27...........St. Dizier
           28...........Montierender
           29...........Maizières
           30...........Château de Brienne
           31...................Séjour
        le 1er Février..........id.
           2............Piney
           3............Troyes
           4....................Séjour
           5....................id.
           6............aux Grés
           7............Nogent
           8....................Séjour
           9............Sézanne
          10............Champaubert
          11............Ferme des Grenaux
          12............Nesle
          13............Château-Thierry
          14............Montmirail
          15............Meaux
          16............Guignes
          17............Nangis
          18............Château de Surville
          19....................Séjour
          20............Nogent
          21....................Séjour
          22............Châtres
          23............Faubourg de Noës devant Troyes
          24............Troyes
          25....................Séjour
          26....................id.
          27............Herbisse
          28............Château d'Esternay
        le 1er Mars.....Jouarre
           2............la Ferté
           3............Beau St. Germain
           4............Fismes
           5............Béry au Bac
           6............Corbeny
           7............Bray
           8............Chavignon
           9....................Séjour
          10....................id.
          11............Soissons
          12....................Séjour
          13............Rheims
          14....................Séjour
          15....................id.
          16....................id.
          17............Epernay
          18............Fère Champenoise
          19............Plancy
          20............Arcis
          21............Sommepuis
          22............Chateau du Plessis
          23............St. Dizier
          24............Doulevent
          25....................Séjour
          26............St. Dizier
          27....................Séjour
          28............Doulevent
          29............Troyes

Le 30 Mars, Napoléon part de Troyes pour Paris à 10 heures du matin avec
sa Garde; il prend la poste à Villeneuve-sur-Vannes et arrive à minuit à
Fromenteau où il couche.

Le 31 Mars, Napoléon revient à Fontainebleau où il arrive à six heures
du matin.]





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Manuscrit de 1814, trouvé dans les voitures impériales prises à Waterloo, contenant l'histoire des six derniers mois du règne de Napoléon" ***

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