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Title: Entretiens (1998-2001)
Author: Lebert, Marie
Language: French
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ENTRETIENS (1998-2001)


MARIE LEBERT


NEF, University of Toronto, 2001

Copyright © 2001 Marie Lebert

Quelle est leur activité sur l'internet? Quelle est leur opinion sur
l'avenir du réseau, l'avenir de l'imprimé, le livre électronique, le droit
d'auteur, le multilinguisme, le cyberespace, la société de l'information, etc.?
Entretiens avec des bibliothécaires-documentalistes, chercheurs, écrivains,
éditeurs, gestionnaires, journalistes, libraires, linguistes, professeurs,
traducteurs, etc., francophones et non francophones.

Il existe aussi une version anglaise partielle (avec de nombreux entretiens):
Interviews (1998-2001), et une version espagnole partielle (avec quelques
entretiens): Entrevistas (1998-2001). Les versions originales sont disponibles
sur le NEF: http://www.etudes-francaises.net/entretiens/index.htm


TABLE


(*) Entretiens traduits de l'anglais ou de l'espagnol.

Nicolas Ancion (Madrid) / Ecrivain et responsable éditorial de Luc Pire
électronique

Alex Andrachmes (Europe) / Producteur audiovisuel, écrivain et explorateur
d'hypertexte

Guy Antoine * (New Jersey) / Créateur de Windows on Haiti, site de référence sur
la culture haïtienne

Silvaine Arabo (Poitou-Charentes) / Poète et plasticienne, créatrice de la
cyber-revue Poésie d'hier et d'aujourd'hui

Arlette Attali (Paris) / Responsable de l'équipe "Recherche et projets internet"
à l'Institut national de la langue française (INaLF)

Isabelle Aveline (Lyon) / Créatrice de Zazieweb, site consacré à l'actualité
littéraire

Jean-Pierre Balpe (Paris) / Directeur du département hypermédias de l'Université
de Paris 8

Emmanuel Barthe (Paris) / Documentaliste juridique chez Coutrelis & Associés,
cabinet d'avocats, et modérateur de la liste de discussion Juriconnexion

Robert Beard * (Pennsylvanie) / Co-fondateur de yourDictionary.com, portail de
référence pour les langues

Michael Behrens * (Bielefeld, Allemagne) / Responsable de la bibliothèque
numérique de la Bibliothèque universitaire de Bielefeld

Michel Benoît (Montréal) / Ecrivain, utilise l'internet comme outil de
recherche, de communication et d'ouverture au monde

Guy Bertrand & Cynthia Delisle (Montréal) / Respectivement directeur
scientifique et consultante au Centre d'expertise et de veille inforoutes et
langues (CEVEIL)

Olivier Bogros (Lisieux, Normandie) / Créateur de la bibliothèque électronique
de Lisieux et directeur de la bibliothèque municipale

Christian Boitet (Grenoble) / Directeur du Groupe d'étude pour la traduction
automatique (GETA), qui participe au Universal Networking Language Programme
(UNLP)

Bernard Boudic (Rennes) / Responsable éditorial du serveur internet du quotidien
Ouest-France

Bakayoko Bourahima (Abidjan) / Documentaliste à l'Ecole nationale supérieure de
statistique et d'économie appliquée (ENSEA)

Marie-Aude Bourson (Lyon) / Créatrice de la Grenouille Bleue et de Gloupsy,
sites littéraires destinés aux nouveaux auteurs

Lucie de Boutiny (Paris) / Ecrivain papier et pixel. Auteur de Non, roman
multimédia publié en feuilleton sur le web

Anne-Cécile Brandenbourger (Bruxelles) / Auteur de La malédiction du parasol,
hyper-roman publié aux éditions 00h00.com

Alain Bron (Paris) / Consultant en systèmes d'information et écrivain.
L'internet est un des personnages de son roman Sanguine sur toile.

Patrice Cailleaud (Paris) / Membre fondateur et directeur de la communication de
HandiCaPZéro

Tyler Chambers * (Boston, Massachusetts) / Créateur de The Human-Languages Page
(devenue iLoveLanguages en 2001) et de The Internet Dictionary Project

Pascal Chartier (Lyon) / Créateur de Livre-rare-book, site professionnel de
livres d'occasion

Richard Chotin (Paris) / Professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de
Lille

Alain Clavet (Ottawa) / Analyste de politiques au Commissariat aux langues
officielles du Canada

Jean-Pierre Cloutier (Montréal) / Auteur des Chroniques de Cybérie, chronique
hebdomadaire des actualités de l'internet

Jacques Coubard (Paris) / Responsable du site web du quotidien L'Humanité

Luc Dall'Armellina (Paris) / Co-auteur et webmestre d'oVosite, espace
d'écritures hypermédias

Kushal Dave * (Yale) / Etudiant à l'Université de Yale

Emilie Devriendt (Paris) / Elève professeur à l'Ecole normale supérieure de
Paris et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne

Bruno Didier (Paris) / Webmestre de la bibliothèque de l'Institut Pasteur

Catherine Domain (Paris) / Créatrice de la librairie Ulysse, la plus ancienne
librairie de voyage au monde

Helen Dry * (Michigan) / Modératrice de The Linguist List

Bill Dunlap * (Paris & San Francisco) / Fondateur de Global Reach, société qui
favorise le marketing international en ligne

Pierre-Noël Favennec (Paris & Lannion, Bretagne) / Expert à la direction
scientifique de France Télécom R&D et directeur de la collection technique et
scientifique des télécommunications

Gérard Fourestier (Nice) / Créateur de Rubriques à Bac, bases de données
destinées aux étudiants du premier cycle universitaire

Pierre François Gagnon (Montréal) / Créateur d'Editel, pionnier de l'édition
littéraire francophone en ligne

Olivier Gainon (Paris) / Fondateur et gérant de CyLibris, maison d'édition
littéraire en ligne

Jacques Gauchey (San Francisco) / Spécialiste en industrie des technologies de
l'information, "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe, journaliste

Raymond Godefroy (Valognes, Normandie) / Ecrivain-paysan, publie son recueil
Fables pour les années 2000 sur le web avant de le publier sur papier

Muriel Goiran (Rhône-Alpes) / Libraire à la librairie Decitre

Marcel Grangier (Berne) / Responsable de la section française des services
linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse

Barbara Grimes * (Hawaii) / Directrice de publication de l'Ethnologue, une
encyclopédie des langues

Michael Hart * (Illinois) / Fondateur du LibraryBlog, qui est la plus
ancienne bibliothèque numérique sur l'internet

Roberto Hernández Montoya (Caracas) / Responsable de la bibliothèque numérique
du magazine électronique Venezuela Analítica

Randy Hobler * (Dobbs Ferry, New York) / Consultant en marketing internet,
notamment chez Globalink, société spécialisée en produits et services de
traduction

Eduard Hovy * (Marina del Rey, Californie) / Directeur du Natural Language Group
de l'Université de Californie du Sud

Christiane Jadelot (Nancy) / Ingénieur d'études à l'Institut national de la
langue française (INaLF)

Gérard Jean-François (Caen) / Directeur du centre de ressources informatiques de
l'Université de Caen

Jean-Paul (Paris) / Webmestre du site hypermédia collectif Des cotres furtifs

Anne-Bénédicte Joly (Antony, région parisienne) / Ecrivain auto-éditant ses
oeuvres et utilisant le web pour les faire connaître

Brian King * / Directeur du WorldWide Language Institute, qui est à l'origine de
NetGlos, un glossaire multilingue de la terminologie de l'internet

Geoffrey Kingscott * (Londres) / Co-directeur du magazine en ligne Language
Today

Steven Krauwer * (Utrecht, Pays-Bas) / Coordinateur d'ELSNET (European Network
of Excellence in Human Language Technologies)

Gaëlle Lacaze (Paris) / Ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un
institut universitaire professionnalisé

Hélène Larroche (Paris) / Gérante de la librairie Itinéraires, spécialisée dans
les voyages

Pierre Le Loarer (Grenoble) / Directeur du centre de documentation de l'Institut
d'études politiques de Grenoble et chargé de mission TICE (technologies de
l'information et de la communication pour l'éducation)

Fabrice Lhomme (Bretagne) / Créateur d'Une Autre Terre, site consacré à la
science-fiction

Naomi Lipson (Paris & Tel-Aviv) / Ecrivain multimédia, traductrice et peintre

Philippe Loubière (Paris) / Traducteur littéraire et dramatique, spécialiste de
la Roumanie

Pierre Magnenat (Lausanne) / Responsable de la cellule "gestion et prospective"
du centre informatique de l'Université de Lausanne

Xavier Malbreil (Ariège, Midi-Pyrénées) / Auteur multimédia, créateur du site
www.01.com, modérateur de la liste e-critures

Alain Marchiset (Paris) / Président du Syndicat de la librairie ancienne et
moderne (SLAM)

Maria Victoria Marinetti (Annecy) / Professeur d'espagnol en entreprise et
traductrice

Michael Martin * (Berkeley, Californie) / Créateur de Travlang, un site consacré
aux voyages et aux langues

Tim McKenna * (Genève) / Ecrivain, s'interroge sur la notion complexe de
"vérité" dans un monde en mutation constante

Emmanuel Ménard (Paris) / Directeur des publications de CyLibris, maison
d'édition littéraire en ligne

Yoshi Mikami * (Fujisawa, Japon) / Créateur de The Languages of the World by
Computers and the Internet, et co-auteur de Pour un web multilingue

Jacky Minier (Orléans) / Créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits
artistiques et littéraires

Jean-Philippe Mouton (Paris) / Fondateur et gérant de la société d'ingénierie
Isayas

John Mark Ockerbloom * (Pennsylvanie) / Fondateur de The On-Line Books Page,
répertoire de livres en ligne disponibles gratuitement

Caoimhín Ó Donnaíle * (Ile de Skye, Ecosse) / Webmestre du principal site
d'information en gaélique écossais, avec une section sur les langues européennes
minoritaires

Jacques Pataillot (Paris) / Conseiller en management chez Cap Gemini Ernst &
Young

Nicolas Pewny (Annecy) / Créateur des éditions du Choucas

Hervé Ponsot (Toulouse) / Webmestre du site web des éditions du Cerf,
spécialisées en théologie

Olivier Pujol (Paris) / PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre
électronique

Anissa Rachef (Londres) / Bibliothécaire et professeur de français langue
étrangère à l'Institut français de Londres

Peter Raggett * (Paris) / Directeur du centre de documentation et d'information
(CDI) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Patrick Rebollar (Tokyo) / Professeur de littérature française, créateur d'un
site web de recherches et activités littéraires, modérateur de la liste de
diffusion LITOR (littérature et ordinateur)

Jean-Baptiste Rey (Aquitaine) / Webmestre et rédacteur de Biblio On Line, un
site web destiné aux bibliothèques

Philippe Rivière (Paris) / Rédacteur au Monde diplomatique et responsable du
site web

Blaise Rosnay (Paris) / Webmestre du site du Club des Poètes

Jean-Paul Rousset Saint Auguste (Paris) / Journaliste spécialisé dans l'histoire
des techniques

Bruno de Sa Moreira (Paris) / Co-fondateur des éditions 00h00.com, spécialisées
dans l'édition numérique

Pierre Schweitzer (Strasbourg) / Architecte designer, concepteur d'@folio
(support de lecture nomade) et de Mot@mot (passerelle vers les bibliothèques
numériques)

Henri Slettenhaar * (Genève) / Professeur en technologies de communication à la
Webster University

Murray Suid * (Palo Alto, Californie) / Ecrivain, travaille pour EDVantage
Software, société internet de logiciels éducatifs

June Thompson * (Hull, Royaume-Uni) / Directeur du C&IT (Communications &
Information Technology) Centre, basé à l'Université de Hull

Jacques Trahand (Grenoble) / Vice-président de l'Université Pierre Mendès
France, chargé de l'enseignement à distance et des TICE (technologies de
l'information et de la communication pour l'éducation)

Paul Treanor * (Pays-Bas) / Gère sur son site personnel une section consacrée à
l'avenir des langues en Europe

Zina Tucsnak (Nancy) / Ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et
traitements informatiques du lexique français)

François Vadrot (Paris) / Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press),
société de cyberpresse

Christian Vandendorpe (Ottawa) / Professeur à l'Université d'Ottawa et
spécialiste des théories de la lecture

Robert Ware * (Colorado) / Créateur de Onelook Dictionaries, un moteur
permettant une recherche rapide dans 650 dictionnaires

Russon Wooldridge (Toronto) / Professeur au département d'études françaises de
l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement
accessibles en ligne

Denis Zwirn (Paris) / Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de
livres numériques

Index des entretiens par profession

Bilan, par Marie Lebert


NICOLAS ANCION (Madrid)


#Ecrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique

Lancé en février 2001, Luc Pire électronique est le département d'édition
numérique des éditions Luc Pire, créées à l'automne 1994 et basées à Bruxelles
et à Liège. Le catalogue de Luc Pire électronique, en cours de constitution,
comprendra les versions numériques des livres déjà publiés par les éditions Luc
Pire (300 titres au catalogue papier en juin 2001) et de nouveaux titres, soit
en version numérique seulement, soit en deux versions, numérique et imprimée.

*Entretien du 24 avril 2001

= Pouvez-vous vous présenter?

Je suis écrivain et, depuis 1997, je tente d'utiliser internet comme outil de
communication et de création. Depuis l'année 2000, je collabore également au
développement électronique des éditions Luc Pire, en tant que responsable
éditorial.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Ma fonction est d'une double nature: d'une part, imaginer des contenus pour
l'édition numérique de demain et, d'autre part, trouver des sources de
financement pour les développer.
En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

En tant qu'auteur, je publie des textes en ligne, soit de manière exclusive
(j'ai publié un polar uniquement en ligne et je publie depuis février deux
romans-feuilletons écrits spécialement pour ce support), soit de manière
complémentaire (mes textes de poésie sont publiés sur papier et en ligne). Je
dialogue avec les lecteurs et les enseignants à travers mon site web.

En tant que responsable éditorial au sein de Luc Pire électronique, je supervise
le contenu du site de la maison d'édition et je conçois les prochaines
générations de textes publiés numériquement (mais pas exclusivement sur
internet).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je pense que l'édition numérique n'en est encore qu'à ses balbutiements. Nous
sommes en pleine phase de recherche. Mais l'essentiel est déjà acquis: de
nouveaux supports sont en train de voir le jour et cette apparition entraîne une
redéfinition du métier d'éditeur. Auparavant, un éditeur pouvait se contenter
d'imprimer des livres et de les distribuer. Même s'il s'en défendait parfois, il
fabriquait avant tout des objets matériels (des livres). Désormais, le rôle de
l'éditeur consiste à imaginer et mettre en forme des contenus, en collaboration
avec des auteurs. Il ne fabrique plus des objets matériels, mais des contenus
dématérialisés. Ces contenus sont ensuite "matérialisés" sous différentes
formes: livres papier, livres numériques, sites web, bases de données,
brochures, CD-Rom, bornes interactives. Le département de "production" d'un
éditeur deviendrait plutôt un département d'"exploitation" des ressources. Le
métier d'éditeur se révèle ainsi beaucoup plus riche et plus large. Il peut
amener le livre et son contenu vers de nouveaux lieux, de nouveaux publics.
C'est un véritable défi qui demande avant tout de l'imagination et de la
souplesse.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Je suis un télétravailleur. J'habite Madrid et les éditions Luc Pire sont à
Bruxelles et Liège, en Belgique. En huit mois, j'ai reçu deux plis postaux
relatifs à mon travail et je suis resté plus de six mois sans imprimante. En
dehors des contrats, tout se passe sur l'écran. Pour mon travail, c'est donc
très clair, 99% de l'information passe par des fichiers informatiques sans
gaspiller de papier.

En tant qu'auteur, je continue à rédiger majoritairement à la main, au stylo sur
papier. Je ne tape le texte que dans une seconde étape sur mon ordinateur. En
réalité, même si je publie sur le web depuis 1998, je continue à travailler
comme au 19e siècle pour mon écriture. Tout à la main dans des petits cahiers
d'écolier. Sauf pour mes deux romans-feuilletons, précisément. J'ai décidé de
changer mon mode d'écriture pour ces deux textes et je les écris directement à
l'écran, comme ils seront lus, semaine après semaine. C'est un défi, une
contrainte que je me suis posée volontairement. Pour voir si ça change quelque
chose et pour répondre en détail à cette question souvent posée aux auteurs:
est-ce que vous écrivez à la main ou à la machine?

En tant que lecteur, bien que je lise presque exclusivement les journaux en
ligne, de même que les critiques littéraires et cinématographiques, je ne peux
pour autant me passer de la littérature imprimée. J'ai toujours de bon vieux
romans jaunis sur ma table de nuit et dans mon sac, où que j'aille. Dans le
train, le métro, je lis. De laids bouquins de poche, dont le papier ne sent pas
bon et dont les couvertures sont écornées, mais qui sont légers, résistants et
fourrables dans n'importe quel bagage.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je crois qu'il est fort imbécile de penser que l'arrivée du numérique va tuer le
papier. Comme si l'arrivée de la radio avait tué la presse écrite, ou la
télévision le cinéma. C'est une opinion tellement stupide que beaucoup de gens
la partagent. Pour ma part, je crois que l'arrivée du numérique grand public
offre une panoplie de nouveaux supports pour les contenus. Qu'elle ouvre de
nombreuses possibilités pour imaginer de nouveaux types de créations et de
produits culturels.

J'aime beaucoup le papier, j'adore les livres: ils m'accompagnent depuis
toujours, que ce soient des bandes dessinées, des romans, des dictionnaires. Je
pense qu'ils continueront à être présents pendant très longtemps. Mais qu'à
leurs côtés apparaîtront de nouveaux formats. Le roman, tel que nous le
connaissons, correspond très précisément à des contraintes techniques
d'impression et de reliure; si l'on change les supports, on provoque
l'apparition de nouvelles formes. La plupart des musiciens ont dû réinventer la
composition de leurs albums suite à l'arrivée du CD qui ajoute vingt minutes au
format 33 tours. Je me réjouis de lire ce qu'il y aura à lire dans dix ans. Mais
j'aurai toujours un Dumas ou un Michaux sur ma table de nuit.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Ces appareils ne me paraissent pas porteurs d'avenir dans le grand public tant
qu'ils restent monotâches (ou presque). Un médecin ou un avocat pourront adopter
ces plate-formes pour remplacer une bibliothèque entière, je suis prêt à le
croire. Mais pour convaincre le grand public de lire sur un écran, il faut que
cet écran soit celui du téléphone mobile, du PDA (personal digital assistant) ou
de la télévision. D'autre part, je crois qu'en cherchant à limiter les
fournisseurs de contenus pour leurs appareils (plusieurs types de e-books ne
lisent que les fichiers fournis par la bibliothèque du fabricant), les
constructeurs tuent leur machine. L'avenir de ces appareils, comme de tous les
autres appareils technologiques, c'est leur ouverture et leur souplesse. S'ils
n'ont qu'une fonction et qu'un seul fournisseur, ils n'intéresseront personne.
Par contre, si à l'achat de son téléphone portable, on reçoit une bibliothèque
de vingt bouquins gratuits à lire sur le téléphone et la possibilité d'en
charger d'autres, alors on risque de convaincre beaucoup de monde. Et de couper
l'herbe sous le pied des "serpent", "memory" et autres jeux qu'on joue sans
plaisir pour tuer le temps dans les aéroports.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Je ne vois pas de débat. Le droit d'auteur est un droit, il n'y a pas à revenir
là-dessus. La question intéressante est de savoir comment appliquer ce droit
inaliénable à la nouvelle réalité de diffusion des oeuvres.

Mon point de vue est très simple: l'auteur doit être rémunéré pour son travail.
Mais il reste maître de son oeuvre et peut aussi décider lui-même de céder ses
droits gratuitement (par exemple pour l'encodage en alphabet braille à
destination des malvoyants) ou de diffuser certains de ses textes gratuitement
(ce que je fais sur internet). Je tiens beaucoup au respect du droit de
paternité de l'auteur, mais je ne pense pas que tout échange sur cette planète
doive être monnayé. Je suis très heureux d'offrir des textes gratuitement. Mais
je ne tolère ni le vol ni la piraterie. Si quelqu'un vole un texte et le diffuse
sous un autre nom, il commet un délit grave, bien entendu.

= Comment définissez-vous la société de l'information?

Pour moi, la société de l'information est l'arrivée d'un nouveau clivage sur la
planète: distinction entre ceux qui ont accès au savoir, le comprennent et
l'utilisent, et ceux qui n'y ont pas accès pour de nombreuses raisons. Il ne
s'agit cependant pas d'une nouvelle forme de société du tout car le pouvoir de
l'information n'est lié à aucun pouvoir réel (financier, territorial, etc.).
Connaître la vérité ne nourrit personne. Par contre, l'argent permet de très
facilement propager des rumeurs ou des mensonges. La société de l'information
est simplement une version avancée (plus rapide, plus dure, plus impitoyable) de
la société industrielle. Il y a ceux qui possèdent et jouissent, ceux qui
subissent et ceux dont on ne parle jamais: ceux qui comprennent et ne peuvent
pas changer les choses. Au 19e siècle, certains artistes et certains
intellectuels se retrouvaient dans cette position inconfortable. Grâce à la
société de l'information, beaucoup de gens ont rejoint cette catégorie assise
entre deux chaises. Qui possède des biens matériels et a peur de les perdre mais
considère pourtant que les choses ne vont pas dans la bonne direction.

Mon opinion personnelle, par rapport à tout ça, c'est que ce n'est pas
l'information qui sauve. C'est la volonté. Pour changer le monde, commençons par
lever notre cul de notre chaise et retrousser nos manches.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Plusieurs fois, les réactions de lecteurs, notamment des adolescents qui
réagissent très spontanément et s'expriment sans détour, m'ont fait pleurer
devant mon écran. On passe sa vie à écrire des histoires pour donner des
émotions aux lecteurs et voilà que ce sont eux qui nous en renvoient de plus
fortes! Je n'ai jamais eu cet effet-là qu'avec des messages électroniques. En
face à face ou par courrier postal, l'émotion est bridée par les formules de
politesse et les circonlocutions en tous genres.

= Et votre pire souvenir?

A une époque où j'étais entre deux déménagements, que je n'avais plus ni adresse
fixe ni téléphone, je me connectais dans les bibliothèques. J'avais participé à
un concours sur internet pour être reporter radio pendant deux jours et gagner
un téléphone portable, ce qui m'aurait été bien utile. J'avais laissé les
coordonnées de mes parents. J'ai gagné, on a téléphoné pour me prévenir mais ma
mère a mal compris le message et n'a pas jugé bon de me mettre au courant. Quand
j'ai finalement appris ce qui était arrivé, il était trop tard. Internet va
vite, les possibilités sont fantastiques, mais il faut aussi que le reste de la
planète suive le mouvement, sinon on fabrique du vent. C'est une bonne morale.


ALEX ANDRACHMES (Europe)


#Producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte

L'auteur a choisi de participer à ces entretiens sous le pseudonyme d'@
Andrachmes (Alex Andrachmes).

*Entretien du 16 décembre 2000

= Pouvez-vous vous présenter?

La bio classique, un peu promotionnelle, rien de tel: né en 1959, ma découverte
du monde de la musique en 1980 passe par des productions audiovisuelles
underground, cold wave, new wave, ou world music... Sans sombrer, ni traîner
dans les pubs, c'est au cinéma que je consacre ensuite mon énergie, dans une
officine de coproduction soutenant des projets alternatifs qui rencontrent
pourtant un retentissement mondial, primés à Cannes, à Venise, aux Césars,
nommés aux Oscars... C'est au sein d'une télévision périphérique francophone,
diffusée en hertzien, par câble et satellite, que je renoue avec le monde de la
musique, en créant des structures qui permettent encore aujourd'hui de capter
des concerts live pour diverses chaînes, des plus connus des artistes, aux plus
pointus. Je propose aussi la mise en place de magazines en tout genre,
information en prime-time, sciences, modes de vie, nature sauvage, entretiens
littéraires, ou cybers... Pratiquement tout ce qui ne se fait plus ailleurs
parce que l'audience ne suivrait pas, je le défends. Et parfois ça marche,
d'autres fois... Et on me consulte de toute l'Europe, conseil en scénario, en
production, productions exécutives... Ce n'est pas pour autant que je néglige
l'écriture: pièces de théâtre, créations collectives, co-scénarisation, romans
et nouvelles, je me suis essayé à de nombreuses formes, depuis 1977.

= Avez-vous un site web?

De site personnel, point. Mais j'anime www.superfever.com, site d'un personnage
de fiction, Sadie Nassau, producteur au sein d'une société de divertissements
(STARTOP) produisant pour diverses chaînes francophones périphériques, pour le
net, et pour la convergence entre les deux, domaine que je connais bien, comme
vous vous en doutez... Nostalgie? En tant qu'auteur, @Andrachmes pourrait avoir
un parcours parallèle à celui de son personnage. Pourrait, car il est plutôt à
l'opposé. Voyez à cet égard la bio reprise sur le site superfever.com.
Personnage de fiction, donc, que j'anime au sein d'une expérience toute neuve:
www.thewebsoap.net. Lancé à titre expérimental le 22 septembre 2000, il est
officiellement en ligne depuis le 17 novembre 2000.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Elle me semble assez bien décrite dans ma bio... Comme j'écris sous un
pseudonyme d'auteur, ça dépersonnalise un peu. Curieuse sensation... Ceci dit,
je pourrais vous parler des nombreux sites web des émissions dont je m'occupe,
mais ce serait me dévoiler un peu trop.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

L'écriture. L'écriture de mail, même, principalement des mails fictifs....
Puisque le websoap a comme particularité d'utiliser exclusivement les moyens du
web pour raconter les récits, il se donne comme objectif de mettre en place. Le
défi que lance à ses auteurs notre réalisateur/intégrateur Olivier Lefèvre est
de taille. En effet, habituellement, l'écriture, qu'elle soit de roman, de
scénario ou de théâtre, implique des descriptions, des indications de mise en
scène (ou des didascalies pour le théâtre). Ici, rien de tout ça. Tout doit se
dire sous forme d'adresse à un autre personnage. Il faut ensuite rebondir sur la
ou les réponses, et s'arranger pour que le nécessaire soit dit. De plus,
logiquement, une adresse à un tiers est le plus souvent succinte, pleine de
référence et de sous-entendus, entre le ton parlé, un ton un peu littéraire, un
ton un peu dépersonnalisé par rapport à la parole, mais proche quand même de son
interlocuteur. On est plus proche du roman "épistolaire" du 19e (siècle, pas
l'arrondissement qui n'a rien à voir), que d'une continuité dialoguée... Donc,
exercice difficile pour tout "tchatcheur", être court, mais tout dire, tout en
restant léger... Heureusement, de temps à autre nous sommes aidés par un concept
qui nous vient droit du jeu de rôle (d'autres auteurs du websoap nous viennent
de ce secteur): le PNJ, le personnage non joué. Des adresses à ce personnage,
proche du second rôle d'une fiction classique, mais non joué par un des
"joueurs-auteurs", permet de préparer LE mail décisif à un autre personnage
principal, en mettant en place la situation. Attention tout de même: il faut
rester dans la cohérence du récit et assurer stabilité et visibilité! En fait,
un peu comme dans la dramaturgie cinématographique ou théâtrale, où l'importance
du hors champ n'est plus à inventer, le sens saute d'un mail à l'autre. Plus
clairement, un mail qui a un sens très positif en tant que tel, peut en prendre
un tout autre, lorsqu'il est complété par une information distillée par un autre
mail. Dans cette nouvelle forme d'écriture, tout s'invente en temps réel. Et
c'est ce qui est passionnant...

= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre mode
d'écriture?

On le voit, les possibilités de l'écriture spécifiques à l'internet sont
multiples (si pas infinies, on est en tout cas loin d'en avoir fait le tour).
L'hypertexte en est une, bien entendu. En effet, j'ai jusqu'ici beaucoup parlé
du mail. Si des renvois référentiels sont souvent fait d'un mail à l'autre, ils
ne sont renforcés d'un véritable lien que quand le sens du récit l'impose, ce
n'est pas la principale utilisation ici de l'hypertexte. Je ne vous ai pas
encore parlé de l'écriture spécifique du site web des personnages. Là aussi, une
idée originale très intéressante de notre réalisateur/intégrateur, c'est de
caractériser le personnage par son site web. Car qu'y a-t-il de commun, vous le
verrez si vous explorez la galaxie des sites du websoap, entre le site de Mona
(le soleil de la galaxie!), celui de Sadie Nassau (le trou noir, sans doute, de
cette galaxie, qui entraîne dans sa chute tout les autres...) et, à l'autre
extrême, celui d'Antonin, l'observateur patenté de cette galaxie. Pour ne parler
que de celui de mon personnage, le site se veut clinquant, vendeur, imitant
(jusqu'à la perfection?) ce qui se fait de pire dans le secteur du
"webtertainment", terme nouveau que je viens d'inventer. Pour cela, pas besoin
de chercher beaucoup, toutes les sociétés d'entertainment, des plus grosses
chaînes TV commerciales au plus petite start-up (STARTOP?), cherchent de nos
jours à décrocher le jackpot en attirant les "hits" de "prospects"... Je me suis
inspiré (!) au passage de tout ce qui fait la trash TV de nos jours, la télé
voyeuse où on enferme des quidams dans un lieu clos pour étudier leurs
réactions, concepts européens qui cartonnent dans le monde entier. Pas si loin
d'ailleurs de l'entomologie du site "Insectalia" animé par Mona Bliss, un des
personnages principaux du websoap. Pour la petite histoire, dans le nord de
l'Europe, les sites de ces émissions de trash TV changent complètement la donne
en matière de web, en faisant exploser le nombre de connexions, sur les réseaux
qui les accueillent (jusqu'à 700.000 pour le site big brother en Belgique...).
Pour revenir à l'hypertexte, dans de nombreux mails, je (le personnage) renvoie
à mon (son) site. Au fur et à mesure de la mise en ligne des éléments, Sadie
Nassau annonce triomphalement ses succès par mail, avec un lien vers la page
concernée du site... Mais lorsque la mécanique s'enraye, les renvois vers ce
site (effectués automatiquement par le serveur de sa société STARTOP) prennent
un tout autre sens. Et lorsque d'autres personnages découvrent la vérité cachée
du personnage de Sadie Nassau, et le lui signalent, ou préviennent d'autres
personnages de ne pas frayer avec lui, là aussi, les liens prennent encore un
autre sens... Inutile de vous préciser que je joue le rôle du mauvais...

= Comment voyez-vous l'avenir?

Comme vous avez pu le lire, je m'y intéresse de très près, puisque toutes les
activités que développe mon personnage ne parlent que de ça. L'ensemble du
websoap s'apparente d'ailleurs à une mise en abîme des tendances qui traversent
le net de nos jours. Le déchirent même. Alors l'avenir... Quand on observe, et
même qu'on joue, des personnages qui représentent des tendances à la manière
d'un soap, connaître le vainqueur à l'avance n'est pas simple. Selon le
personnage que j'anime, la réponse est différente. Et il y a des pièges. Dont le
principal me semble être celui-ci: si, à force de travail, c'est mon personnage
principal qui plaît au public, et non ses opposants, la réponse à votre question
pourrait être inquiétante... Je préférerais vous en donner une autre, celle que
je développe dans une autre oeuvre, Neiges d'anges (incluse dans Les yeux du
labyrinthe). J'y raconte le réseau projeté dans une vingtaine d'années, aux
mains de personnages comme ce Sadie Nassau qui tiennent le haut du pavé. Et sous
ces pavés, quelle plage? C'est toute la question.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, c'est un des questionnements de l'équipe du websoap. A l'heure actuelle, il
semble que l'internet soit encore considéré majoritairement comme un outil de
travail, ou au mieux, comme un outil de consultation de documentation, d'infos
en ligne, ou de services (réservations, prix, achats en ligne). Pas encore de
loisir proprement dit, à part pour une minorité d'addicts de jeux, de free TV,
de téléchargements musicaux ou de ... sexe virtuel... La principale raison à cet
état de fait est technique. La majorité des équipements se trouve dans les
bureaux, et les connexions permanentes (câble, ADSL...) sont loin d'être
majoritaires. Ce détour pour constater que le meilleur outil de lecture reste le
livre, qu'on peut emporter n'importe où. Dans ma pratique professionnelle, et
celle de la plupart de mes correspondants dans les médias, toute la création de
documents (projets, scénarios, contrats, devis...) passe par l'ordinateur, les
textes circulent par e-mail et attachements, mais leur lecture et/ou analyse
passe par les tirages papier. Rares sont ceux qui échangent directement les
infos sans ce passage obligé. Il faut une tournure d'esprit particulière pour
arriver à envisager globalement un document, l'analyser, le corriger, sans
l'imprimer. Par mon activité web, je m'y exerce, et ce n'est au fond pas
désagréable du tout.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Il n'est pas impossible que, si on assiste à une véritable généralisation de
l'e-book, ou à travers les Psion, Palm, Wap, UMTS (universal mobile
telecommunications system)... qui sait, le papier finisse par être détrôné. Mais
dans l'état actuel, le papier ne me paraît pas mort. Les premiers qui auront à
souffrir, me semble-t-il, ce sont les journaux. Puisque la fonction info et
service est déjà très répandue sur le net, via les sites des journaux eux-mêmes.
Les grands médias sont en train de s'embarquer dans ce train-là, voir les sites
de TF1, Canal+, etc... Les autres (l'édition principalement) passeront encore
longtemps par l'étape tirage papier... Mais il se passe quelque chose via les
sites de webtertainment dont je parlais plus haut, des habitudes se prennent,
surtout chez les jeunes. Et là, une initiative comme la nôtre pourrait
participer à un changement de la donne. En effet, l'activité proprement mail est
un phénomène sociologique incontestable qui s'explique par une certaine
dépersonnalisation des contacts permettant aux jeunes d'oser dire plus
facilement ce qu'ils ont à dire. Paradoxalement, le texte qu'ils ont écrit leur
paraît être une personnalisation de leur discours, puisqu'il existe sous forme
écrite. Enfin, les fonctions envoi et retour confirment l'existence de leur
discours, puisqu'il est lu, et qu'on y répond. Dans ces échanges là, le papier a
déjà complètement disparu. L'exploration de ces formes de discours par nos
personnages est donc en pointe. Et leur communication à un large public un réel
enjeu.

Enfin, je pense surtout que c'est l'arrivée du fameux "papier électrique" qui
changera la donne. Ce projet du MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui
consiste à charger électriquement une fine couche de "papier" - dont je ne
connais pas la formule - permettra de charger la (les) feuille(s) de nouveaux
textes, par modification de cette charge électrique. Un e-book sur papier, en
somme, ce que le monde de l'édition peut attendre de mieux.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Question épineuse s'il en est. Si c'est pour enrichir encore de grosses sociétés
multinationales et surtout leurs actionnaires (les fonds de pensions américains
que Beigbedder touche du doigt), de nombreux internautes dont je suis se
rebellent face au "copyright". Par contre, si c'est pour permettre à des
créateurs, des artistes ou des musiciens de vivre de leurs passions, le droit
d'auteur au sens noble me paraît légitime. Le débat est le même que celui de
l'exception culturelle face au GATS (General Agreement on Trade in Services).
Copyright contre droit d'auteur! Mais il règne dans le domaine une confusion
soigneusement entretenue, ou les deux sont amalgamés. "On" fait monter au
créneau des artistes pour défendre une liberté qui pourrait ne profiter
finalement qu'aux multinationales. Firmes qui s'empresseront d'étouffer ces
petits soldats de la liberté, si on leur en laisse le pouvoir, sur le net. Et
oui, contrairement aux droits d'auteurs qui sont incessibles, le système de
"copyright" permet à ses "propriétaires" de modifier les conditions
contractuelles aux moments qui les arrangent. On a vu plus d'un artiste parvenir
à la vice-présidence de l'une ou l'autre de ces firmes grâce à ses ventes
faramineuses, puis perdre jusqu'à leur nom dès que ces ventes ne suivent plus!
Il me semble qu'il faut surveiller de très près le fameux accord entre BMG et
Napster, par lequel, contre un abonnement assez minime somme toute, n'importe
qui pourra charger des fichiers en toute légalité. Certes BMG est une
multinationale, certes Napster est en passe de perdre son procès contre les
autres multinationales de la musique; mais ce système de forfait peut amener à
des solutions originales d'équilibre entre la liberté de l'internaute et la
rémunération légitime des artistes. Tenant compte de toutes ces contradictions,
valider un modèle économique, puisque c'est le dernier concept à la mode dans le
domaine du net, n'est pas des plus évidents...

= Quelles sont vos suggestions pour un véritable multilinguisme sur le web?

J'attends les fameuses traductions simultanées en direct-live... On nous les
annonce avec les nouveaux processeurs ultra-puissants, mais on nous les
annonçait déjà pour cette génération-ci de processeurs. Alors, le genre:
vous/réservé/avion/de le/november 17-2000... Non merci. Plus tard peut-être.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Je suis assez proche géographiquement de la société Lernout & Hauspie, qui est
tombée en faillite. C'était le leader en matière de reconnaissance vocale...
Donc, je ne suis pas très optimiste dans ce secteur non plus, pas avant de plus
larges bandes passantes et/ou les processeurs ultra-puissants qu'on nous annonce
donc pour très bientôt.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Lequel? Celui des Gibson, inventeur de la formule, des Spinrad ou des Clarke,
utopies scientifiques pas toujours traitées comme elles devraient l'être? Ou
celui des AOL/Time-Warner, des Microsoft ou des... J6M-Canal/Universal...

Tout ce qu'on peut dire à l'heure actuelle, c'est que ce qu'on peut encore
appeler le cyberspace est multiforme, et qu'on ne sait pas qui le domptera. Ni
s'il faut le dompter d'ailleurs... En tout cas, les créateurs, artistes,
musiciens, les sites scientifiques, les petites "start-up" créatives, voire les
millions de pages perso, les chats, les forums, et tout ce qui donne au net sa
matière propre ne pourra être ignoré par les grands mangeurs de toile. Sans eux,
ils perdraient leurs futurs "abonnés". Ce paradoxe a son petit côté subversif
qui me plaît assez.

= Et la société de l'information?

Dans l'idéal, un lieu d'échange, le fameuse agora du village global. Mais
l'idéal... Tant que le débat existe entre les fous du net, et les VRP de la VPC,
il y a de l'espoir. Le jour où les grands portails se refermeront sur la liberté
d'échanger des infos en ligne, ça risque plutôt d'être la société de la
désinformation. Ici aussi, des confusions sont soigneusement entretenues. Quelle
information, celles du 20 heures à relayer telles quelles sur le net? Celles
contenues sur ces fabuleux CD, CD-Rom, DVD chez vous dans les 24 h chrono? Ou
toutes les connaissances contenues dans les milliards de pages non répertoriées
par les principaux moteurs de recherche. Ceux qui ont de plus en plus tendance à
mettre en avant les sites les plus visités, qui le sont dès lors de plus en
plus. Là, on ne parle même plus de désinformation, de complot de puissances
occultes (financières, politiques ou autres...), mais de surinformation, donc de
lassitude, de non-information, et finalement d'uniformisation de la pensée. Sans
avoir de définition précise, je vois qu'une société de l'information qui serait
figée atteindrait le contraire de sa définition de base. Du mouvement donc...

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Incontestablement quand apparaissent mes propositions de mails ou de design de
site sur le web. Quand je revois les préparatifs, les brouillons, et que je vois
ce que ça donne, c'est comme un flash. Au fond, c'est le même plaisir lorsque
sur des Napster ou Gnutella, on trouve enfin LE morceau introuvable qu'on avait
perdu d'ouïe depuis dix ans, on le charge, on attend, 1%>50%>99%>file complete,
on le lance. Raaaah...

= Et votre pire souvenir?

C'était au tout début, une de mes premières utilisations du médium. Je
recherchais dans le cadre d'un projet des sites un peu rebelles, anarchisants,
des trucs comme ça. Je tape "cyberpunk" dans Yahoo!, s'affiche la classique
liste de sites. "Anarchy on the net, cyberpunk rock the web", ce genre...
J'essaye d'en ouvrir quelques uns... Surprise! Un banner "NetNanny" m'interdit
l'accès aux sites. Emanation d'un groupuscule de la "majorité morale"
américaine, ce "NetNanny" s'autorisait à interdire les sites qui ne lui plaisent
pas... Je ne l'ai plus jamais rencontré depuis, mais quelle saleté, ce truc.
Enfin, à l'autre extrémité, il y a bien le procédé dit de "l'exit console" où,
au moment de sortir d'un site, on vous "propose" une autre page, puis une autre,
puis une autre, impossible de sortir. Ça, je n'en ai pas fait l'expérience, mais
ça doit être hard. C'est d'ailleurs un procédé de site hard, ai-je lu quelque
part...

*Entretien du 25 janvier 2001

La totalité de cet entretien est consacrée à l'e-book.

= Quel est votre sentiment sur l'e-book?

E-book, e-book, ai-je l'air d'utiliser un e-book, avec ses grands yeux qui me
regarderaient dans la nuit? En voilà une accroche, isn't it? ("n'est-ce pas"
pour les non-polyglottes...). Pour répondre à toute question à propos d'e-book,
je n'ai qu'une seule envie, me laisser aller, j'écris sous pseudonyme...
D'accord, pas me laisser aller au point de cette intro, un peu, disons,
légère..., mais me laisser aller à un exercice auquel j'ai pris goût il y a peu,
genre "j'ai testé pour vous...". Encore faut-il pour cela disposer de l'appareil
dont on parle. Dites-moi donc, oui, vous aussi, là, ceux qui me lisez: qui
possède un e-book? A part peut-être les quelques journalistes qui ont pu
bénéficier des différents modèles quelque temps, au moment de leur sortie. Vous
voyez... Donc, rabattons-nous sur ce qu'on en dit sur internet (quelques pages
en français au hasard, ici, cette page assez bien faite, qui reprend tous les
intervenants du secteur, Olympio.com, CyLibris.com et bien sûr 00h00.com).
Examinons ce que j'en sais, et ce que je déduis des deux premiers, avec quelques
raccourcis, pas la peine d'allonger la sauce. Puis, mais soyons un peu créateur,
laissons-nous aller à quelques intuitions... Evidemment, cela va donner une
série d'impressions sans doute pas très scientifiques, ni très documentées. Mais
faute de grive, pour rester dans une comparaison avicole... Pourtant, cela fait
plus d'un an qu'il est sorti, non, l'e-book? Il a fait la vedette du salon de
Paris (oui, du livre, pas de l'automobile, qui s'appelle, lui, le mondial), il
s'est invité à la foire du livre de Bruxelles (une foire...), il a été un peu
éclipsé à celle de Francfort lors du rachat par Spielberg de l'idée du bouquin
de Marc Lévy Et si c'était vrai, paru chez Laffont. On attend le film... ou
l'e-book. A voir ce qui se vend sur le net, aux USA et en France, il doit y en
avoir des e-books, à moins que ce ne soit l'effet Nasdaq d'avant la chute, des
investissements en valorisation boursière, sur le futur, paraît-il. Qui pourrait
nous dire si ça se vend? La Fnac annonce pour 2000 un excellent chiffre pour les
e-books, Franklin aussi. Mais à voir les forums qui y sont consacrés (notamment
celui de 00h00), ce secteur n'a pas l'air de décoller franchement...

= Quelle est la problématique?

L'e-book, en fait, pose tout simplement la problématique du terminal dédié...
Sans être vraiment nouvelle, elle a été assez peu abordée pendant des années.
Pour le terminal de lecture, quelques lignes dans un bouquin de SF de 1977 (La
Stratégie Ender, de Orson Scott Card, prix Hugo 1986), sous forme d'ardoise
"magique" pour élève studieux, l'auteur appelait cet objet "bureau"... On vient
de loin. Pas la peine de faire de grandes recherches, le sujet a été assez peu
mis en scène, quoi qu'on en dise. On le rencontre dans les Star Trek et autres
Alien 4 où on montre des variantes de l'e-book, au milieu des années 90. Il faut
dire que le formidable développement de la micro (merci messieurs Jobs, Allen,
Gates et consorts) semblait avoir relégué la problématique du terminal dédié à
la période jurassique du développement technologique. A quoi bon inventer le
moindre de ces objets utiles à une seule application, alors que tout ce qu'il
peut contenir ne représente que le quart du tiers de ce qu'un micro peut faire.
Une seule application s'est imposée, liée à l'écran TV, c'est celle "dite" des
jeux vidéo qui, elle, s'est largement répandue. De toute façon, les réseaux ne
permettaient pas de charger de contenu... Et précisément, la problématique est
une question de contenu, mais pas encore. D'ailleurs, pendant des années, le
seul débouché des auteurs dans ce secteur a été... l'écriture de jeux vidéo!
Depuis dix ans au moins, la micro plafonne. Quelques renouvellements
d'appareils, toujours aussi peu pratiques sur les applications pointues
puisqu'elles doivent tenir compte de l'ensemble de leurs applications.
L'équipement des ménages s'essouffle, ceux qui se sont équipés le sont. Pour les
autres, on pénètre le marché, beaucoup plus lentement. Et voici que se gonfle la
bulle financière du Nasdaq... L'aubaine, les connexions permettent le contenu!
En plus, la com(.com) éclate, processeurs hyperboostés, modems à bande de plus
en plus large, start-up, téléphones portables... Tiens, le voilà enfin, le
premier terminal dédié qui a éclaté, dépassant même le succès des jeux vidéo! La
bulle financière, enfin, ce qu'il en reste, continue à l'exploiter jusqu'à la
corde son téléphone portable. Et il donne à réfléchir aux autres secteurs.
Organisateurs personnels, e-books, et autres lecteurs MP3 s'engouffrent dans la
brêche. Même les jeux vidéo se chargent par internet, de nos jours. Le Nasdaq
attend maintenant la langue pendante qu'on valide ces modèles économiques, qui
ont déjà englouti des tombereaux de capitaux. Je crains que si en juin, on ne
sent pas un sensible frémissement dans ces secteurs, ça ne chauffe sérieusement
dans les start-up. Or, sans contenu, pas de marché, c'est le serpent monétaire
qui se mord la queue. Tout le monde sait que le contenu met du temps à
s'imposer. Qu'il faut tester des idées, prendre des risques, et s'attendre à ne
pas s'attendre à celles qui s'imposeront. Qui avait prévu le boum du "texto"
(SMS en Belgique), à l'arrivée des téléphones portables? 2 millions de ces
petits messages qu'on envoie d'un téléphone portable à l'autre, ou depuis
internet, circulent chaque jour en Belgique. Un véritable phénomène de société!
Alors, qui va investir dans le contenu, ne fut-ce que pour tenter de reproduire
ce hit? La voilà la question du contenu... Mais d'abord, quelles applications
permettent de fréquenter des contenus sur les terminaux les plus adaptés? Cette
question a un petit parfum de dernière chance. C'est qu'il ne faut pas espérer
attirer Billancourt avec un soft inadapté. Je crois que voilà l'heure de mon
fameux "j'ai testé pour vous".

= Quels sont les logiciels?

Quels logiciels donc? L'Open eBook, bien sûr, le logiciel qui est censé avoir
mis d'accord la plupart des constructeurs, au début. Une manière de dérivé du
langage HTML (et XTML) principal langage d'internet (et des Waps et autres UMTS
pour l'autre, le x). Ce n'est pas trop la peine de développer, tous ceux qui me
lisent ici savent (sûrement mieux que moi) de quoi je parle. Petite remarque
fondamentale tout de même sur l'HTML. Pour une lecture classique, il y a une
particularité intrinsèque à ce langage. Il s'affiche page par page. Jusque-là,
ma foi... Un livre aussi, il n'y a qu'à la tourner, cette page. Seulement,
imaginez un livre où, pour tourner la page, il vous faut vous lever, aller
chercher la page suivante à la bibliothèque, vous rasseoir, et ne commencer à
lire cette page qu'après toutes ces manipulations... Ereintant, non? C'est la
démarche qu'effectue pour vous l'HTML. Et parfois, sur internet, c'est long,
long... Donc, solution, on allonge la page un maximum, vous permettant de faire
du "scrolling" par la barre de droite, ou directement par la souris (ah
l'intellimouse, quelle invention...). Autre solution, on crée des raccourcis
genre page suivante, qui a intérêt à ne pas être trop lourde à charger. Et
enfin, en droite ligne de ce qui précède, on crée les hyperliens, créant de ce
fait l'hypertexte. Drôle de détour, pour éviter de se déplacer de son fauteuil
virtuel à la bibliothèque tout aussi virtuelle, on invente un nouveau langage
qui révolutionne la pensée contemporaine. A quoi ça tient, tout de même, un peu
de paresse, un paradoxe, et voilà... Petite remarque complémentaire, comme ça,
en passant. Vu l'habitude des Américains de breveter les algorythmes, il semble
que BT (British Telecom) ait l'intention de breveter l'hypertexte qu'il aurait
inventé, ce qui provoquerait des situations inextricables. Une affaire à suivre
assurément! Les premières rencontres que j'ai eues avec l'HTML m'ont un peu
dérouté, il y a longtemps déjà. Pour la consultation, soit, mais pour la
lecture, la l-e-c-t-u-r-e! Puis, je suis tombé sur le site Anacoluthe.com, celui
où Olivier Lefèvre a mis en scène les fameuses Apparitions Inquiétantes
d'Anne-Cécile Brandenbourger. Réconciliation immédiate avec l'HTML. Enfin
quelque chose à faire avec la matière littéraire qui s'entassait depuis des
années dans mon ordinateur complètement autiste. On frise l'approche du contenu,
là...

= Et à part l'Open eBook et l'HTML?

Je ne vous ai pas encore parlé de Bill (hi Bill), un comble lorsqu'on aborde une
problématique de logiciel, quelle qu'elle soit... Il n'y a rien à faire, il ne
peut pas s'empêcher, dès qu'il y a un nouveau logiciel à mettre au point,
Microsoft se lance. Incorrigible... Et voici, mesdames et messieurs, "le"
logiciel de lecture sensé effacer tout les autres: j'ai nommé Microsoft Reader!
C'est quasi comme ça qu'il se présente, comme d'hab. Et comme d'hab, c'est top
cool ;-)... C'est qu'ils en ont des dollars, à Seattle. Téléchargez-le et
testez, vous verrez, en plus c'est gratuit. Vous aurez même droit à un (tout
petit) document de présentation. J'attends tout de même de voir tourner le truc
en réel, avec un bon gros bouquin bien lourd, plein de sens... Adobe,
l'acrobate, ex-Glassbook, qui, soit dit en passant, va changer de nom d'ici peu,
lui, ça fait longtemps qu'il officie dans les réseaux (le PDF, grand classique
du genre). C'est un assez bon format de chargement, d'impression, et de lecture.
Il est gratuit aussi, chez Barnes & Noble par exemple, qui diversifie ses
sources, en 2001. Pas comme Amazon.com qui reste Microsoft Reader pur et dur.
Encore qu'ils annonçaient pour janvier la possibilité de commander les eBookman
de Franklin. Ils y sont,mais il faut les trouver: rubrique "Electronics", et
browser le nom de l'objet. La référence e-book livre du Microsoft Reader, cqfd.
Mais tous ces logiciels manquent un peu de fantaisie, et de liberté de choix.
Plutôt le format page que le format plan ou normal, ce sont eux qui choisissent
pour vous. Or moi, j'aime choisir, varier selon ce que je lis, l'endroit où je
suis... Tiens, le Cytale me donne en prime le choix des caractères... Tandis que
l'Adobe m'offre un "rotating system", pour lecture sur "notebook computer".
Parce que les autres pas? Non, je n'ose l'imaginer. Et si, la plupart des
systèmes proposent du format "à la française", plutôt que celui "à l'italienne";
il paraît qu'on le préfère depuis les Egyptiens... Un seul document classique
aurait été publié "à l'italienne", en largeur donc, dans l'histoire de
l'édition. Mais pourquoi ne pas profiter de la nouveauté pour donner le choix?
Surtout si l'on pense aux nombreuses éditions autres que les livres classiques.
Livres d'architecture, plans, livres d'art, BD, livres pour enfants, et toute
autre application possible. Tiens, un exemple, comment fait-on pour avoir le
fameux "tube" éditorial 2000 en e-book: La terre vue du ciel? Il est bien
disponible en écran de veille à l'adresse Photoservice.com. Ce manque
d'ouverture risque de bloquer un certain nombre de possibilités. Ne dit-on pas
que le premier marché visé est celui des applications professionnelles,
éducatives ou de documentation? C'est justement dans ces domaines que des
demandes particulières peuvent surgir inopinément. Autant le prévoir. Allons
bon, nous voilà revenus aux ardoises magiques...

= Le e-book est-il une ardoise magique ou un soft?

Quand on fréquente tous ces softs, on s'aperçoit d'une confusion qui me semble
soigneusement entretenue. Qu'entend-on exactement par e-book? Personne n'est
capable de répondre à cette question toute simple. Personnellement, et j'ai
ouvert ma réflexion par ça, je voyais le petit objet portable sur lequel on lit
des livres numérisés. Sur le site Microsoft et celui d'Adobe c'est plutôt le
soft qui permet de lire ces livres, tandis que sur ceux d'Amazon.com, de Barnes
& Noble, et des autres vendeurs de "contenu" en ligne, l'e-book, c'est tout
simplement les livres qu'on vend. Et encore, Amazon.com ne vend son "contenu"
qu'en Microsoft Reader, et si chez d'autres le choix est plus grand, ces
"contenus" paraissent un peu "prétextes commerciaux". Chez 00h00, on ne vend que
du Rocket eBook, hormis bien sûr, le PDF dont ils sont les pionniers. Par
contre, chez PeanutPress.com, vendeurs d'ouvrages du commerce on a même droit
au... Peanut Reader! Et d'autres initiatives voient le jour, genre édition à
compte d'auteur chez Publibook.com, qui permet pour un forfait modique d'être
vendu sur le site en format papier et en format Palm Pilot et Rocket eBook.
Certes, ils allouent à l'auteur entre 18 et 36% des ventes, mais au milieu d'un
catalogue qui pourrait aller jusqu'à 6 millions d'auteurs, sans critères, sans
références, n'est-ce pas un peu une manière "d'arnaque classique" du compte
d'auteur adaptée au net? A voir. Initiative peut-être plus riche, celle
d'Olympio.com, initiée par Françoise Bourdin, qui suit un peu mieux les auteurs
qu'ils publient, mais dont le Reader Olympio (était-ce bien utile?) ne marche
pas si bien, dit-on. Quelle importance, me direz-vous? Tout d'abord, on constate
que des plus gros vendeurs aux initiatives marginales, tous ne s'intéressent
qu'assez peu à l'objet e-book. Ils ont l'air de se contenter de "vendre" du soft
et les livres qui vont avec... Certes les softs sont gratuits, mais est-ce
encore la tendance actuelle du Nasdaq? Dans la réalité actuelle du marché, cela
revient majoritairement à charger le livre choisi sur son ordinateur fixe. Or
qui va lire un livre pendu à son ordinateur fixe, à moins de l'imprimer, pendant
un temps plus ou moins long, selon le type d'installation et d'imprimante? Moi
quand je lis, j'aime lire n'importe où, dans n'importe quelle position, dans
l'escalier, dans le métro, aux... Partout quoi. Donc, pour vraiment démarrer,
les e-books devraient impérativement être portables. Et bien, figurez-vous que
ces portables ont chacun leurs softs (tous dérivés de l'Open eBook semble-t-il).
On ne choisit pas son application. Pour peu qu'elles soient trop rigides, et on
regrette son achat. Le seul fait de penser qu'on risque de regretter son achat
n'est pas très bon pour les chiffres de ventes... D'où l'importance de la
fluidité du soft. Et de sa compatibilité! On a l'air parti vers le terminal
dédié non seulement à la lecture exclusivement, mais à la lecture via un soft
dédié à l'appareil exclusivement. Donc, celui qui maîtrise le contenu sur le
soft qui se vendra le mieux (hi Bill)... On tourne en rond, voilà pourquoi je
pense la confusion soigneusement entretenue. Celui qui possède le plus grand
nombre de livres en "droits numériques" vendra le plus de soft, de books, et
d'appareils... La concurrence va bientôt faire rage dans le domaine des achats
de droits, si elle ne le fait pas déjà. Et le Rocket eBook de Gemstar, il
n'était pas sensé avoir rejoint l'Open eBook? Parce que la première pub, ici,
c'est "no scrolling!"... Or, sur 00h00, ceux qui ont essayé le Rocket eBook
expliquent comme il est agréable de faire défiler les pages du livre qu'ils
lisent. Ce mode "tourner la page", ressemble à une fonction hypertexte déguisée
en "la" fonction "livre" la plus classique. En fait, comme les autres, cet
e-book a son propre système de lecture (le RCA REB 1100) inclus dans la machine.
Moi, on l'a vu, je suis plutôt "scrolling"... Chez Microsoft (j'écris en Word,
et oui, personne n'est parfait...), je choisis plutôt la "view" normale plutôt
que celle à la "page", et je "scrolle", je "scrolle". Très souvent, en HTML,
plutôt que de cliquer l'hyperlien pour le chapitre suivant, je scrolle...
Peut-être est-ce que je trouve plus important de réserver les hyperliens à des
fonctions plus évoluées? Ou cela me permet-il de survoler le texte et
d'accrocher des mots au passage, comme une première familiarisation avec les
propositions de l'auteur? Je ne sais pas très bien. Evidemment si le texte nous
fait des centaines de pages... Tandis que dans tous ces logiciels, les
hyperliens nous sont présentés comme outils de navigation. Chapitres suivants,
mots-clés, notes de bas de page, même les signets en sont. Bien, très bien même,
pratique, ça roule, rien à dire. Mais un peu autiste, non? Dans les démos
téléchargeables, on finit très vite par tourner en rond. Chez Open eBook, outre
la navigation, chapitre, etc..., les liens sont présentés en plus comme des
références à des publications en ligne. Simplement, quand on lit sur un e-book
portable, on est censé être hors ligne, donc ces liens donnent sur... le vide!
Impressionnant! Un peu schizophrène aussi. Quelques systèmes plus intelligents,
comme le Franklin Reader, proposent des versions pour... Palm Pilot. Version qui
dans ce cas précis risque de concurrencer son propre eBookMan, dont le nom est
assez bien choisi, remember walkman, discman... Il est censé sortir en février,
mais les informations diffèrent selon les sources. Il est en tout cas en
précommande (voir Amazon.com). Quoiqu'il en soit, le gros avantage de charger
une version e-book sur son organisateur, c'est que dans un avenir très proche,
avec l'UMTS, il sera relié à un réseau fiable en permanence. Déjà, au Japon, la
génération actuelle de téléphone portable relié au réseau permet la lecture (par
i-mode l'intermédiaire entre le Wap et l'UMTS), et c'est un des "top succès
2000": 15 millions de Japonais l'utilisent. Par contre, nulle part ces
hyperliens ne sont présentés comme vecteurs de sens. Sans doute est-il trop
tôt... Et oui, c'est du contenu...

= Parlons maintenant du contenu.

Bon, ça va, on va en parler du contenu, je sens que vous insistez. Dans l'état
actuel des choses surtout telles qu'amorcées plus haut, le contenu, c'est "la"
killer application à trouver! C'est l'eldorado du 3è millénaire, dont on est sûr
qu'il durera mille ans, lui: c'est "le" millénaire du siècle! Tous ceux qui
s'occupent de contenu se regardent en chien de fusil, dans l'attente de la fin
de ce misérable "effet Bush" qui freine le Nasdaq. Et chacun d'être sûr qu'il la
détient, cette killer application. La concurrence! Les yeux braqués sur
l'immédiat, y en a-t-il un qui se penchera sur les véritables trésors entassés
depuis des millénaires dans les bibliothèques du savoir? Et qui cherchera à le
diffuser dans les réseaux? A voir les millions de pages non référencées par les
moteurs de recherche les plus courants, dont je parlais dans mon précédent
entretien, ça m'étonnerait. Quoique... Tous ce qui se dit dans les sites, forums
et actes de colloques autour du livre numérique depuis 1998, à l'initiative de
différents pouvoirs publics (ministère de la culture, mission
interministérielle), et de référents en la matière (00h00, Cytale...), tous
jurent la main sur le coeur avoir cette perspective comme but ultime. Et en
effet, il semble que la numérisation du domaine public soit en bonne voie. Mais
pour ceux qui cherchent à télécharger gratuitement ce type d'oeuvre, où sont les
références? Qui aura le courage d'inventer "le Napster, le Gnutella" de la
pensée? Et ce, en toutes les langues? Qu'on ne se laisse pas paralyser par les
actions d'une justice qui a montré ses limites en se choisissant souverainement
son dirigeant suprême, le procès Napster est bien celui de puissantes
multinationales et non celui de pauvres auteurs spoliés. Elles détiennent la
musique, le cinéma, mais pas la pensée... Les bibliothèques publiques peuvent
encore avoir leur mot à dire. Seulement, ils font peur ces quelques commerçants
défendant leur beefsteak - littéralement, leur morceau de boeuf - ici, leur part
de marché. Elle n'est pas si négligeable, si elle permet aux artistes actuels de
vivre de leur talent. Mais ça s'arrête là. Leurs actions deviennent écoeurantes
lorsqu'elles se mêlent de breveter le vivant. Les grands penseurs du passé
doivent pouvoir rester vivants. Il est donc hors de question de les nourrir de
leur propre chair, sous forme de farine littéraire, si vous voyez ce que je veux
dire... Surfez donc sur les sites de vendeurs de contenu: tous proposent de
télécharger gratuitement des "oeuvres", et quelles oeuvres! Si on aime les
petites nouvelles genre Reader's Digest, ou les vieux Sherlock Holmes à deux
sous... Bref, on devrait pouvoir se connecter pour capter ce que l'on veut des
grandes oeuvres de toujours. Dans ce cas, je ne vois pas ce qu'il y aurait de
rébarbatif à acheter les derniers trucs à la mode, ceux qui sont présentés dans
toutes ces libraires amazoniaques en ligne. Ces quelques envolées lyriques pour
signaler à qui de droit que l'ardoise magique peut toujours permettre d'éduquer
les masses, comme à l'époque glorieuse de la 3è (république, pas internationale,
ni millénaire d'ailleurs, ce serait "le"...). Qui aura le courage (financier) de
mettre en place une structure simple de contact entre ces applications e-book,
et ce contenu encore totalement libre de droit que constituent les millions de
pages littéraires, scientifiques, philosophiques disponible sur le net à qui
voudrait aller les chercher. Franchement, il faudrait les déboguer, ces pages,
c'est peut-être là qu'il se cache, le "bug" de l'an 2000, dont on a tous oublié
jusqu'à l'existence... Terra incognita, on parlait d'Eldorado, tout à l'heure...
C'est de ce genre de truc que je parle, quand je parle de killer application. En
ce sens, l'objet e-book aurait plutôt intérêt à bénéficier d'un disque dur
solide, sur le modèle du Juke Box Nomad MP3 de Creative, qui bénéficie d'un
disque dur de 6 giga, permettant de charger en MP3 environ 100 heures de musique
(70 CD!), une aubaine pour les adeptes du "peer to peer"; musical. Je ne sais
pas si les jeunes vont adorer, mais le genre "laisse tomber l'ordinateur de
papa, et grâce à ton ardoise magique, prépare ton cours par téléchargement
direct", ça devrait le faire... Question de communication intelligente. De toute
façon, si personne ne le fait, ça se fera tout seul, via le "peer to peer", ce
procédé mis au point justement par les "Napster" et autres "Gnutella". Et ce
sera pire pour les détenteurs de droits, tant pis pour eux... Que fait la
mission interministérielle? Si ce n'est pas de l'exception culturelle, ça...

= Comment sécuriser le contenu?

En matière de multilinguisme sur le net, ce sont surtout les traductions d'un
code d'identification à l'autre qui règnent. C'est à dire des trucs du genre
ISAN (international standard audiovisual number), UMID (unique material
identification) et surtout DOI (digital object identifier), qui a certainement
son utilité d'identification lorsqu'on charge le dernier truc à la mode. Ce type
de vente en ligne est censé faire fonctionner le bazar, on est bien obligé de le
constater, mais le côté policier de son identification devrait s'arrêter en même
temps que la notoriété du "tube littéraire". Question de choix de société. Texte
qui devrait être ensuite échangeable sous d'autres modalités financières, avant
d'entrer dans un domaine public plus ouvert. Les modalités proposées aujourd'hui
impliquent un vecteur de transmission de la culture qui identifie un peu trop
son consommateur. Ce qui représente un danger, quand on pense à l'utilisation
qui pourrait en être faite. C'est contraire à la Convention de Genève en matière
de droit de l'homme, et même à celle de Berne, en matière de droit d'auteur. Si
le droit d'auteur est un droit de l'homme comme le proclame la fondation
Beaumarchais de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques, ndlr),
ou plus simplement le salaire de l'auteur comme le disent les sociétés de droits
d'auteurs musicaux, il ne faudrait pas qu'il devienne un intégrisme trop
capitaliste. Comme le disait Patrick Altman dans Libération (du 6 avril 2000,
ndlr), ce système de mise au net totalement exclusive représenterait "la
première fois depuis la tradition orale, [qu']un vecteur de transmission de la
culture permet[trait] de donner sans être dessaisi de son don". Triste
constatation, non? La validation du modèle économique vaut-elle tous les
renoncements? Peut-on viser l'équilibre budgétaire sans vendre son âme? Que ne
ferait-on dire à Faust... Qu'il préfère Big Brother à Don Quichotte? Toujours
est-il que le principal reproche qu'on peut faire au système de téléchargement
d'e-book (qu'importe le logiciel), c'est qu'il faut s'identifier pour avoir
accès à la culture. Et qui pourra nous dire qui en sont les propriétaires, de ce
système, et qui en sera propriétaire demain? Celui qui utilisera de telles bases
de données à des fins commerciales ou politiques sera le "king" du siècle, et
plus s'il est assez puissant. C'est le 3è millénaire qui doit durer mille ans,
pas un autre 3è plus hypothétique, mais plus effrayant (dans ce domaine, ce
n'est pas vraiment ce que le 20è a inventé de mieux)... C'est, si on veut, un
retour à des pratiques obscurantistes plutôt sectaires que d'aucuns refuseraient
de cautionner. Quoique si on observe ce qu'il se passe dans les chats, jeux de
rôles, ou plus simplement identifications dans diverses applications, le pseudo
est roi! L'anonymat finit par supplanter l'identité, avec le cortège de
conséquence que cette formule charrie à tous niveaux... S'il est le plus souvent
possible de retrouver le demandeur, ce n'est pas sûr à 100%. Certains pourraient
craindre que cette faculté d'anonymat et de pseudonymes se développe et se
répande, annihilant ainsi les possibilités de traçabilité des oeuvres. Raison de
plus pour limiter ces facultés de traçabilité aux "oeuvres" qui en ont un réel
besoin économique, et d'empêcher que les autres ne soient captées par cette
logique. On peut s'en passer. D'ailleurs, le "peer to peer" (P2P), encore lui,
sera très bientôt trop compliqué à contrôler et il s'échangera très bientôt
toute oeuvre à la portée du premier utilisateur venu. Un des fondateurs de
Gnutella, Gen Kan, 24 ans, l'a déclaré récemment en mettant en route sa nouvelle
start-up de mécanique logicielle en vue du "peer to peer", Gonesilent.com, qui
sortirait du domaine musical. Pour lui, il faut s'attendre à voir circuler les
oeuvres, les citoyens le demandent. C'est aux détenteurs de droits de s'adapter
aux techniques de plus en plus pointues. Quant à savoir si ce contact direct
entre explorateurs d'hypertexte représente une plaie, un "forward" ou un
"save"...

= Qu'allez-vous lire sur votre e-book?

Bien, admettons donc que l'idéal se soit réalisé: via un forfait basique, j'ai
accès aux oeuvres de référence que je veux, j'ai parcouru ce dont j'avais
besoin, j'ai commandé les trois ou quatre bouquins dont au sujet duquel tout le
monde cause, ça balance pas mal à Paris, merci. Je les ai payés, puis les ai lus
dans toutes les positions du kamasutra, certains, missionnaires (!), d'autres,
dans le métro, dans l'ascenseur, sur le bureau. Dans un lit, même! Et quid? Je
m'ennuie à nouveau. L'application classique de l'e-book m'a permis d'acheter le
dernier Brett Easton Ellis, le dernier Beigbedder, le dernier Houellebecq
(quoiqu'il soit meilleur à réciter ses poèmes sur fond trip hop en MP3 en ce
moment, chez Tricatel.com), de trouver enfin le bouquin de William Gibson
(Neuromancien, 1986, ndlr) avec la fameuse formule impérissable sur le
cyberspace, j'y ai ajouté le 3001 de Clarke et quelques bons vieux Norman
Spinrad et Philip K. Dick pour faire bonne mesure... Et ce, sans les éternels
atermoiements: le "libraire de grande surface", débordé, qui doit le commander à
l'éditeur, qui en réfère plus haut avant d'envoyer le communiqué laconique:
produit épuisé... Ou le libraire.com qui envoie une réduction pour la prochaine
commande parce qu'il n'est pas sûr d'honorer celle-ci dans les dix jours, aveu
implicite qu'il ne comprend même pas de quoi on lui parle... Malheureusement ces
quelques caricatures représentent la majorité des cas, rien ne remplacera le
conseil d'un libraire érudit, mais il en reste si peu... En reste-t-il? (Don't
they, pour les non-polyglottes). S'il en restait, ils m'orienteraient vers la
recherche des grands classiques, il paraît qu'ils sont libres de droit, si on en
croit ma killer application (plutôt publique). Mais tout ça va-t-il faire
acheter Billancourt? L'e-book se situe dans une économie technique qui ne survit
que par l'écoulement de ses produits. A l'inverse de son contenu, qui lui
n'existe que dans une économie de prototype créatif qui ne répond qu'à la loi
des rendements décroissants. Fameux paradoxe, explosif... Et dire que c'est sur
cette pierre que certains fondent l'économie du prochain millénaire. Tant mieux.
La société de l'information a du bon finalement. Elle doit être informée, et les
informateurs, les créateurs, en sont la pierre angulaire. C'est sur les outils
de navigation que ça accroche. Non seulement, ils sont aux mains d'on ne sait
trop qui, voir plus haut, mais en plus, intrinsèquement, ils ont le pouvoir
culturel de fausser la pensée. Pas moins. C'est la faute à l'hypertexte, qui ne
fait pas que des bêtises, à vouloir être breveté, il en fait lire aussi, comme
dirait l'autre. Surtout lorsqu'il ne sert qu'à la recherche factuelle. Imaginez
un e-book d'enfer, "tout ce que tu aurais voulu savoir sur..." (de chez
Marabook), on n'entre dans les différents chapitres que par les liens du
sommaire, et "l'oeuvre" est tellement volumineuse que personne ne lit
l'ensemble. Ce qui ne dérange pas grand monde, au fond. Mais la voilà, la killer
application, l'édition "tout ce que tu aurais voulu savoir sur..."! Sauf que
notre chef de collection à la tête de l'équipe de rédacteurs (où est l'auteur?),
n'a voulu choquer personne. Et il a un peu mixé les concepts. Avec une qualité
de titre qui en étonnera plus d'un, il aura mis en place une idée sous un titre,
et son contraire sous un autre. Sans aucun point de vue. Toute la culture du
monde sur le même pied. Ca se vend, c'est donc excellent. Un peu comme si un
site aussi prestigieux que Yahoo se permettait de vendre, au milieu d'antiquités
communistes de l'ère de l'URSS, des objets de nostalgie nazie. Impensable au 21è
siècle? A voir ce que l'on voit en matière d'information sur les médias
internationaux... Quelle que soit la qualité des intervenants, un charnier à
10.000 morts dont on connaît les responsables (quand ils sont avérés), est sur
le même pied que le dernier battement de cil de la starlette du mois (du jour,
de la semaine, pas du siècle et encore moins du millénaire). C'est l'effet
zapping. S'il faut en passer par là, on peut le faire avec un peu plus de
panache. Voyez les mix que propose le MP3. Certes, c'est de la musique, et les
DJ sont à la mode... Mais au fond, que font-ils d'autre que ce qui est décrit
plus haut. Ils compilent des oeuvres, en font une bibliothèque (musicale),
qu'ils distillent à leur gré selon leur humeur, selon la demande de ceux qui
ravent avec eux, selon l'inspiration. C'est plus engageant que la culture
"Marabook", non? Demandez à votre libraire...

= Que pensez-vous du Cybook de Cytale?

Dans le genre, Cytale, au demeurant un projet très sympathique, a fait très
fort. La petite BD qui présente la journée d'un e-book addict est tordante! Que
va-t-il lire comme journal numérique du matin, le client qui a téléchargé le
Cytale? Le communiqué AFP à peine relifté par un journaliste stagiaire? Non
merci, il a déjà RTL. Par contre, peut-être si, à la manière d'Europe 1 grande
époque, on lui offrait un décodage de l'info façon "Pas vu à la télé", soit
quelques commentaires acides des communiqués de presse qu'il entend en direct
live, peut-être prendrait-il le temps, le soir, de se brancher pour charger ça.
Un peu comme Europe 2 qui diffusait les Guignols de l'info de Canal+ (version
grande époque aussi) le lendemain matin, à l'heure de l'info... Un truc qu'on
attend... Attention, objectivité journalistique: à la moindre citation, on met
le lien, et on diffuse! Le fameux communiqué AFP est accessible par un simple
click sur le titre. Qu'on voie ce que le type de la radio en a fait... Ca ferait
peut-être rire, et acheter... Petite killer application gratuite, bien plus
réjouissante que celles qui précèdent... A d'autres moments décrits dans la
journée d'un "cytalien", le besoin de l'apport de notre libraire pourrait se
faire sentir. Tiens, j'ai envie de l'appeler e-libraire, ou mieux, E-bJ
(l'équivalent au sein d'une rédaction e-book d'un disc-jockey, un E-book Jockey,
en somme [prononcez I-bjay au lieu de Di-Jay]). Cytale nous dit: "Midi : une
petite nouvelle, le temps de la pause déjeuner, ou un poème au soleil." Ils sont
trop cool chez Cytale, qui a le temps de télécharger quoi que ce soit comme
poème, la veille (même le dimanche)? Quant à la petite nouvelle, si c'est celle
qui est disponible gratuitement sur Amazon.com, j'hésite... Je corrigerais la
phrase en, au moins: "Midi : mon e-libraire, ou Eb-J, que m'a-t-il envoyé comme
petite nouvelle ou comme poème à lire au soleil, le temps de la pause déjeuner?"
J'espère qu'il en tient de bonnes, ce libraire érudit du 3è millénaire... Et
c'est reparti dans toutes les positions du kamasutra (certaines, missionnaires
(!), d'autres, dans le métro, dans l'ascenseur, sur le bureau. Dans un lit,
même!) On s'ennuie déjà beaucoup moins, non? Savez-vous que les nouveaux e-books
proposent des lecteurs MP3? C'était pour la lecture aux aveugles de leurs
oeuvres préférées, au départ, et c'est tant mieux, merci à eux. C'est peut-être
par là qu'on diffusera cet eBookman de chez Franklin, malgré ses mémoires un peu
faibles. Bref: "écouter le dernier Red Hot (Chilli Peppers pour les
non-polyglottes) téléchargé en P2P en étudiant le cours téléchargé de la même
manière, tout ça dans le métro; puis, dès la matière maîtrisée, passer plutôt à
la lecture du texte des Guignols de ce matin, et pourquoi pas, à la vision de
l'extrait en vidéo, et là, qu'est-ce qu'on rigole!" ressemble plus à l'avenir de
l'e-book comme outil éducatif que tout discours marketing. Et nous voilà reparti
vers un terminal multi-fonctions... C'est terrible, l'informatique, la vérité
absolue d'un paragraphe est démentie dans le paragraphe suivant...

= En bref, on peut passer d'un clic de Shakespeare à l'hypertexte.

En tout cas, à travers ce type de comportement, il est à parier que Shakespeare
soit définitivement aussi accessible que Britney Spears, entre deux "chat"
rappelant à ses connaissances où on est, dans le métro donc... Qu'on se méfie
quand même. L'expérience du "peer to peer" montre que le rôle du médiateur tend
à disparaître, ne devenant qu'une branche des métiers du marketing. Le
"consommateur" chargeant en majorité ce qui est le plus souvent référencé, qui
l'est donc de plus en plus. Adieu notre libraire, et revoici la ronde infernale
de l'oeuf du serpent qui se mord la queue...

Shakespeare, c'est le type qui a mis en scène Gwyneth dans Shakespeare in love.
A moins que ce soit celui qui ait inspiré Léonardo (Di Caprio) dans son Romeo &
Juliet, avant qu'il ne sombre dans une mer d'indifférence, noyé par une fiction
plus forte que lui. Titanic, on connaissait la fin, et il y avait même un
orchestre... Parce que dans son métro, là, notre Gwyneth du troisième millénaire
(celle des Red Hot), et son voisin, genre Billancourt post 2000 qui lit
Paris-Turf sur son e-book, ils utilisent l'e-book de la manière la plus basique,
et c'est ce qui devrait faire son succès, s'il doit être au rendez-vous.
Zapping, Deejaying, c'est la fast culture, si possible interactive et reliée au
réseau, en téléchargement permanent. J'en connais qui grimpent au plafond, au
simple énoncé de ces "mots" inexistants dans un vocabulaire normalement
constitué (même Microsoft ne les a pas dans son dico de correction). On oublie
trop souvent que notre ami Shakespeare justement a enrichi la langue anglaise de
nombreux mots nommant les techniques et innovations de son temps. Le plus
souvent, à part le latin et le grec, il s'est inspiré du français, une des
langues les plus vivantes du moment. C'était vers la fin des années 1500, il est
temps de renouveler, non? Alors n'y a-t-il pas autre chose à proposer? Vous
ai-je parlé de l'hypertexte? Normalement, là, on l'a bien préparé, notre cobaye
de Billancourt, il clique, il surfe, il lit. Si on ne veut pas qu'il ne charge
que ce qu'il connaît déjà, c'est le moment de lui présenter de nouvelles
dimensions. Si notre abonné suit le feuilleton, il finira bien par chercher
autre chose. Même ses mails l'ennuient, il en reçoit trop... Et s'il lisait ceux
des autres... Petite référence au bluemailer du websoap auquel j'ai participé,
qui n'échappera pas au lecteur attentif de notre précédent entretien. C'est à
mon sens ce type d'application, qui permettra bientôt d'anticiper en matière de
développement e-book et apparentés. Ce type d'outil de publication permettra
d'organiser les liens de ce qui sortira jour après jour sur un tel réseau: des
infos référencées, archivées, avec liens de l'une à l'autre, des choix de textes
choisis, liés à d'éventuels titres MP3 lancés dans l'application, liens à des
connexions permettant le téléchargement d'oeuvres dans le domaine public, liens
à d'éventuels extraits vidéos... Bref un e-book qui serait devenu plutôt "UMTS"
et enfin devenu un média à part entière. Notre animateur de réseau pourra à ce
moment-là penser à charger une fiction interactive qui contiendrait des liens
hypertextes, du type de ceux qui ont été mis en place dans le websoap. Ainsi, le
lecteur ou la lectrice, un(e) be(au)(lle) captif(ve), tournera dans le
labyrinthe d'une fiction organisée par un auteur ou une équipe d'auteur avec un
sentiment de liberté inconnu jusqu'ici. Pas mal de possibilités de ce type de
fiction ont été explorées dans le websoap, j'en parle plus longuement dans mon
précédent entretien. Je ne citerai ici que les abonnements aux mails des
personnages, permettant de suivre ceux qu'on préfère dans la fiction présentée.
Liaisons qui prendraient tout naturellement place dans le dispositif e-book plus
"UMTS" tel que je le décris plus haut. Si le domaine de la fiction suit le
mouvement de la convergence, on peut même imaginer des relais entre les
médias... Un websoap écrit en ligne repris sur cet e-book "UMTS", raconté en
télé d'une manière... télé, repris en MP3 pour sa partie musicale... Chaque
média complétant selon sa spécificité le puzzle de la fiction présentée sur un
même support. Il y a un travail passionnant d'exploration à faire, et personne
ne semble le faire. Je parlais dans mon dernier entretien d'un projet intitulé
Neiges d'Anges, qui est maintenant en ligne dans Les yeux du labyrinthe. Il est
lié par hypertexte à d'autres projets. Dans l'un d'eux, Elégance, une griffe de
félin, le héros est confronté à un bug de son papier électronique à encre
numérique qu'un pirate s'amuse à configurer de manière absurde... S'il s'agit
bien là de science-fiction, le papier et l'encre électronique sont déjà sur le
marché, de manière un peu rudimentaire. C'est la prochaine étape qui voit déjà
le jour, l'après e-book. Décidément l'inventivité s'accélère de plus en plus,
doit-on vraiment le regretter?


GUY ANTOINE (New Jersey)


#Créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne

*Entretien du 22 novembre 1999 (entretien original en anglais)

= Pouvez-vous décrire Windows on Haiti?

A la fin d'avril 1998, j'ai créé un site internet dont le concept est simple
mais dont le but est ambitieux: d'une part être une source d'information majeure
sur la culture haïtienne, d'autre part contrer les images continuellement
négatives que les médias traditionnels donnent d'Haïti. Je voulais aussi montrer
la diversité de la culture haïtienne dans des domaines tels que l'art,
l'histoire, la cuisine, la musique, la littérature et les souvenirs de la vie
traditionnelle. Le site dispose d'un livre d'or regroupant les témoignages
personnels des visiteurs sur leurs liens avec Haïti. Pour résumer, il ouvre de
nouvelles "fenêtres" sur la culture haïtienne.

= Quelle est exactement votre activité?

Depuis vingt ans, mon activité professionnelle a trait à l'informatique:
conception de systèmes, programmation, gestion de réseaux, localisation de
pannes, assemblage de PC et conception de sites web. De plus, depuis que j'ai
ouvert mon site, il est devenu du jour au lendemain un lieu de rassemblement de
divers groupes et individus intéressés par la culture haïtienne, ce qui m'amène
à effectuer des tâches quasi-professionnelles consistant à regrouper les
informations, écrire des commentaires, rédiger des textes et diffuser la culture
haïtienne.

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé cette activité?

L'internet a considérablement changé à la fois mon activité professionnelle et
ma vie personnelle. Etant donné le flux constant d'informations, je dors
beaucoup moins qu'avant. Le principal changement réside dans la multiplicité de
mes contacts avec les milieux culturels, universitaires et journalistiques, et
avec des gens de toutes origines dans le monde entier. Grâce à quoi je suis
maintenant bien plus au fait des ressources professionnelles existant de par le
monde dans ce domaine, et du réel engouement suscité à l'échelon international
par Haïti, sa culture, sa religion, sa politique et sa littérature. A titre
personnel, j'ai également davantage d'amis du fait de mes activités liées à
l'internet.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je vois mon avenir professionnel dans le prolongement de ce que je fais à
l'heure actuelle: utiliser la technologie pour accroître les échanges
interculturels. J'espère m'associer avec les bonnes personnes pour, au-delà de
Haïti, avancer vers un idéal de fraternité dans notre monde.
Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Ce sera un débat sans fin, parce que l'information devient plus omniprésente que
l'air et plus fluide que l'eau. On peut maintenant acheter la vidéo d'un film
sorti la semaine précédente. Bientôt on pourra regarder sur le net, et à leur
insu, des scènes de la vie privée des gens. Il est consternant de voir qu'il
existe tant de personnes disposées à faire ces vidéos bénévolement, comme s'il
agissait d'un rite d'initiation. Cet état d'esprit continuera de peser de plus
en plus lourdement sur les questions de copyright et de propriété
intellectuelle.

Les auteurs devront être beaucoup plus inventifs sur les moyens de contrôler la
diffusion de leurs oeuvres et d'en tirer des gains. Le mieux à faire dès à
présent est de développer les normes de base du professionnalisme, et d'insister
sur la nécessité impérative de mentionner pour toute oeuvre citée au minimum sa
provenance et ses auteurs. La technologie devra évoluer pour appuyer un
processus permettant de respecter le droit d'auteur.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Très positivement. Pour des raisons pratiques, l'anglais continuera à dominer le
web. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, en dépit des sentiments
régionalistes qui s'y opposent, parce que nous avons besoin d'une langue commune
permettant de favoriser les communications à l'échelon international. Ceci dit,
je ne partage pas l'idée pessimiste selon laquelle les autres langues n'ont plus
qu'à se soumettre à la langue dominante. Au contraire. Tout d'abord l'internet
peut héberger des informations utiles sur les langues minoritaires, qui seraient
autrement amenées à disparaître sans laisser de trace. De plus, à mon avis,
l'internet incite les gens à apprendre les langues associées aux cultures qui
les intéressent. Ces personnes réalisent rapidement que la langue d'un peuple
est un élément fondamental de sa culture.

De ce fait, je n'ai pas grande confiance dans les outils de traduction
automatique qui, s'ils traduisent les mots et les expressions, ne peuvent guère
traduire l'âme d'un peuple. Que sont les Haïtiens, par exemple, sans le kreyòl
(créole pour les non initiés), une langue qui s'est développée et qui a permis
de souder entre elles diverses tribus africaines transplantées à Haïti pendant
la période de l'esclavage? Cette langue représente de manière la plus palpable
l'unité de notre peuple. Elle est toutefois principalement une langue parlée et
non écrite. A mon avis, le web va changer cet état de fait plus qu'aucun autre
moyen traditionnel de diffusion d'une langue.

Dans Windows on Haiti, la langue principale est l'anglais, mais on y trouve tout
aussi bien un forum de discussion animé conduit en kreyòl. Il existe aussi des
documents sur Haïti en français et dans l'ancien créole colonial, et je suis
prêt à publier d'autres documents en espagnol et dans diverses langues. Je ne
propose pas de traductions, mais le multilinguisme est effectif sur ce site, et
je pense qu'il deviendra de plus en plus la norme sur le web.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Certaines personnes. Le web est un réseau de serveurs et d'ordinateurs
personnels reliés les uns aux autres. Derrière chaque clavier se trouve une
personne, un individu. L'internet m'a donné l'occasion de tester mes idées et
d'en développer d'autres. Le plus important pour moi a été de forger des amitiés
personnelles avec des gens éloignés géographiquement et ensuite de les
rencontrer.

= Et votre pire souvenir?

Certaines personnes. Je ne souhaite pas m'étendre sur ce sujet, mais certains
ont vraiment le don de vous énerver.

*Entretien du 29 juin 2001 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Depuis notre dernier entretien, j'ai été nommé directeur des communications et
des relations stratégiques de Mason Integrated Technologies, une société qui a
pour principal objectif de créer des outils permettant la communication et
l'accessibilité des documents créés dans des langues minoritaires. Etant donné
l'expérience de l'équipe en la matière, nous travaillons d'abord sur le créole
haïtien (kreyòl), qui est la seule langue nationale d'Haïti, et l'une des deux
langues officielles, l'autre étant le français. Cette langue ne peut guère être
considérée comme une langue minoritaire dans les Caraïbes puisqu'elle est parlée
par huit à dix millions de personnes.

Outre ces responsabilités, j'ai fait de la promotion du kreyòl une cause
personnelle, puisque cette langue est le principal lien unissant tous les
Haïtiens, malgré l'attitude dédaigneuse d'une petite élite haïtienne - à
l'influence disproportionnée - vis-à-vis de l'adoption de normes pour l'écriture
du kreyòl et le soutien de la publication de livres et d'informations
officielles dans cette langue. A titre d'exemple, il y avait récemment dans la
capitale d'Haïti un salon du livre de deux semaines, à qui on avait donné le nom
de "Livres en folie". Sur les 500 livres d'auteurs haïtiens qui étaient
présentés lors du salon, il y en avait une vingtaine en kreyòl, ceci dans le
cadre de la campagne insistante que mène la France pour célébrer la francophonie
dans ses anciennes colonies. A Haïti cela se passe relativement bien, mais au
détriment direct de la créolophonie.

En réponse à l'attitude de cette minorité haïtienne, j'ai créé sur mon site web
Windows on Haiti deux forums de discussion exclusivement en kreyòl. Le premier
forum regroupe des discussions générales sur toutes sortes de sujets, mais en
fait ces discussions concernent principalement les problèmes socio-politiques
qui agitent Haïti. Le deuxième forum est uniquement réservé aux débats sur les
normes d'écriture du kreyòl. Ces débats sont assez animés et une certain nombre
d'experts linguistiques y participent. Le caractère exceptionnel de ces forums
est qu'ils ne sont pas académiques. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs sur
l'internet un échange aussi spontané et aussi libre entre des experts et le
grand public pour débattre dans une langue donnée des mérites et des normes de
la même langue.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Aussi peu que possible, mais cela représente encore beaucoup de papier. Si je
vois un document que je souhaite conserver en tant que document de référence, je
l'imprime systématiquement et je le catalogue. Il peut ne pas être disponible
quand je suis en déplacement. Mais quand je suis dans mon bureau à la maison,
j'aime savoir que je peux y avoir accès d'une manière physique, sans devoir me
fier seulement à une sauvegarde électronique, au bon fonctionnement du système
d'exploitation, et à mon fournisseur d'accès internet. De ce fait, pour ce que
je considère utile de conserver, les documents sont souvent en double
exemplaire, imprimé et numérique. Le papier joue donc encore un rôle important
dans ma vie.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Désolé, je ne l'ai pas encore utilisé. Pour le moment, il m'apparaît comme un
instrument très étrange, rendu possible grâce à la technologie, mais pour lequel
il n'y aura pas de demande importante, hormis peut-être pour les textes de
référence classiques. Cette technologie pourrait être utile pour les manuels des
lycées et collèges, grâce à quoi les cartables seraient beaucoup plus légers.
Mais pour le simple plaisir de la lecture, j'imagine difficilement qu'il soit
possible de passer un moment agréable avec un bon livre électronique.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le cyberespace est au sens propre une nouvelle frontière pour l'humanité, un
endroit où chacun peut avoir sa place, assez facilement et avec peu de
ressources financières, avant que les règlements inter-gouvernementaux et les
impôts ne l'investissent. Suite à quoi une nouvelle technologie lui succédera.


SILVAINE ARABO (Poitou-Charentes)


#Poète et plasticienne, créatrice de la cyber-revue Poésie d'hier et
d'aujourd'hui

Silvaine Arabo est écrivain (à ce jour quinze recueils de poèmes publiés ainsi
que plusieurs recueils d'aphorismes et deux essais) et plasticienne (elle expose
à Paris et en province). En mai 1997, elle crée la cyber-revue Poésie d'hier et
d'aujourd'hui pour "diffuser la poésie auprès d'un maximum de personnes et lui
donner un coup de jeune dans l'esprit des gens, pour qui elle évoque souvent des
souvenirs scolaires - pas toujours agréables - ou qui en ont une image
stéréotypée et/ou ringarde." Quatre ans après, en mars 2001, elle crée une
deuxième revue, cette fois sur support papier, Saraswati: revue de poésie, d'art
et de réflexion.

*Entretien du 8 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Je suis poète, peintre et professeur de lettres (treize recueils de poèmes
publiés, ainsi que deux recueils d'aphorismes et un essai sur le thème "poésie
et transcendance"; quant à la peinture, j'ai exposé mes toiles à Paris - deux
fois - et en province). Pour ce qui est d'internet, je suis autodidacte (je n'ai
reçu aucune formation informatique quelle qu'elle soit). J'ai eu l'an passé
l'idée de construire un site littéraire centré sur la poésie: internet me semble
un moyen privilégié pour faire circuler des idées, pour communiquer ses passions
aussi. Je me suis donc mise au travail, très empiriquement, et ai finalement
abouti à ce site sur lequel j'essaye de mettre en valeur des poètes
contemporains de talent, sans oublier la nécessaire prise de recul ("Réflexions
sur la poésie") sur l'objet considéré.

= Quel est l'apport de l'internet pour vous en tant que poète?

Disons que la gestion d'un site internet - si l'on veut qu'il demeure vivant -
requiert beaucoup de temps. Mais je fais en sorte que ma création personnelle
n'en souffre pas. Par ailleurs, internet m'a mise en contact avec d'autres
poètes, dont certains fort intéressants... Cela rompt le cercle de la solitude
et permet d'échanger des idées. On se lance des défis aussi... Internet peut
donc pousser à la créativité et relancer les motivations des poètes puisqu'ils
savent qu'ils seront lus et pourront même, dans le meilleur des cas,
correspondre avec leurs lecteurs et avoir les points de vue de ceux-ci sur leurs
textes. Je ne vois personnellement que des aspects positifs à la promotion de la
poésie par internet, tant pour le lecteur que pour le créateur.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Ma vie professionnelle (en tant que professeur de lettres) n'en a pas été
bouleversée puisqu'elle est indépendante de cette création sur internet. Disons
que très récemment, dans le cadre de mon activité professionnelle, j'ai fait
avec mes élèves quelques ateliers de poésie et que, devant la pertinence de
leurs productions, j'ai décidé de leur consacrer une page sur mon site (rubrique
"Le jardin des jeunes poètes"). Je fais également un "appel du pied" aux
professeurs de lettres francophones pour qu'ils m'adressent des poèmes - qu'ils
estiment réussis - de leurs élèves. Disons que ce site pourrait servir, entre
autres, de motivation - donc de moteur - à la créativité des jeunes enfants ou
des adolescents.

*Entretien du 9 août 1999

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Mon site s'enrichit sans cesse de nouvelles rubriques, de nouveaux intervenants,
etc. Les mises à jour sont fréquentes et le site est dynamique. Bonnes
statistiques de visites. Par ailleurs, ce site a reçu plusieurs récompenses et
il a été salué par divers journaux francophones, dont Sud-Ouest, le magazine
Lire, La Quinzaine Littéraire, le magazine informatique Pagina, le journal belge
Park-e-Mail, etc.; par diverses personnalités aussi: l'écrivain et éditeur
Michel Camus, le physicien des particules élémentaires Basarab Nicolescu, qui
est maître de recherches au CNRS (Centre national de la recherche scientifique),
bien d'autres encore...

Il a également été sélectionné par Interneto (Le meilleur du net); sélectionné
par le journal L'officiel du net, qui lui a attribué 4 étoiles; sélectionné par
diverses universités francophones (Louvain, Toronto, etc.) qui lui ont attribué
de nombreuses étoiles. Ce site a en outre été répertorié par la Bibliothèque
nationale de France (signets informatiques).

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je pense qu'il est important qu'une législation se mette en place de toute
urgence... Au travail, les juristes!

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Il faudrait des équipes de traducteurs... mais comment mettre cela en place? Il
y a là une vraie question.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Les ami(e)s que ce mode de communication m'a permis de rencontrer dans la
francophonie ainsi que tous ceux et celles qui m'ont dit avoir, grâce à moi,
découvert ou redécouvert la poésie et avoir compris qu'il s'agissait là d'un
mode de fonctionnement majeur de l'esprit humain.

= Et votre pire souvenir?

Certaines mesquineries de webmasters, parfois un esprit de compétition et
d'arrivisme... On retrouve sur internet la société telle qu'en elle-même, ni
plus, ni moins.

= Vos citations préférées?

"Quand l'élève est prêt arrive le maître." (proverbe bouddhiste)

"Les hommes discutent, la nature agit." (Voltaire)

"La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil." (René Char)

*Entretien du 19 juin 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

La création de la cyber-revue Poésie d'Hier et d'Aujourd'hui m'a poussée par la
suite à créer en mars 2001 une revue sur support papier, Saraswati: revue de
poésie, d'art et de réflexion (BP 41 - 17102 Saintes cedex). Les deux créations
se complètent et sont vraiment à placer en regard l'une de l'autre.

= Que signifie "Saraswati"?

Saraswati est, dans la mythologie hindoue, la déesse de la connaissance, de la
sagesse, de la musique et des arts. Elle est souvent représentée avec une vina
(instrument à cordes), un bouton de lotus, un livre, un tambour...et elle
chevauche un cygne. Elle est l'épouse de Brahma, le dieu créateur, premier de la
trilogie Brahma/Vishnu (celui qui maintient les structures)/ Shiva (le dieu qui
détruit...pour reconstruire).


ARLETTE ATTALI (Paris)


#Responsable de l'équipe "Recherche et projets internet" à l'INALF (Institut
national de la langue française)

Laboratoire du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), l'INaLF a
pour mission de développer des programmes de recherche sur la langue française,
tout particulièrement son lexique. Les données, traitées par des systèmes
informatiques spécifiques et originaux, constamment enrichies et renouvelées,
portent sur tous les registres du français: langue littéraire (du 14e au 20e
siècle), langue courante (écrite, parlée), langue scientifique et technique
(terminologies), et régionalismes. Ces données, qui constituent un matériau
d'étude considérable, sont progressivement mises à la disposition de tous ceux
que la langue française intéresse (enseignants et chercheurs, mais aussi
industriels, secteur tertiaire et grand public), soit par des publications, soit
par la consultation de banques et bases de données.

Frantext est une des meilleures bases textuelles en langue française disponibles
sur l'internet. Elle rassemble un corpus de textes français du 16e au 20e siècle
numérisés (3.000 textes environ) et un logiciel d'interrogation (Stella) conçu
en vue de recherches littéraires, linguistiques, lexicographiques,
stylistiques... Rénovée courant 1998, elle présente notamment une interface plus
conviviale, une aide en ligne systématisée et surtout des outils informatiques
plus performants. Deux versions de Frantext sont proposées. L'une comporte
l'ensemble des textes de la base, l'autre une sous-partie composée de 400 romans
des 19e et 20e siècles qui ont fait l'objet d'un codage grammatical. Cette
sous-base est expérimentale.

*Entretien du 11 juin 1998

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Etant moi-même plus spécialement affectée au développement des bases textuelles
à l'INaLF, j'ai été amenée à explorer les sites du web qui proposaient des
textes électroniques et à les "tester". Je me suis donc transformée en "touriste
textuelle" avec les bons et mauvais côtés de la chose. La tendance au zapping et
au survol étant un danger permanent, il faut bien cibler ce que l'on cherche si
l'on ne veut pas perdre son temps. La pratique du web a totalement changé ma
façon de travailler. Mes recherches ne sont plus seulement livresques et donc
d'accès limité, mais elles s'enrichissent de l'apport des textes électroniques
accessibles sur l'internet.

= Quels sont vos projets pour l'avenir?

A l'avenir, je pense contribuer à développer des outils linguistiques associés à
la base Frantext et à les faire connaître auprès des enseignants, des
chercheurs, des étudiants et aussi des lycéens.

*Entretien du 17 janvier 2000

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Mon activité professionnelle a deux volets: d'une part recherche et projets
internet, d'autre part valorisation des ressources textuelles.

= Quels sont vos nouveaux projets?

- Le Catalogue critique des ressources textuelles sur internet (CCRTI), mis en
ligne en octobre 1999;

- Terminalf - Ressources terminologiques de la langue française, en cours de
réalisation.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Comme tous les débats, il s'agit d'un débat confus et sans issue.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Les Européens font quelques efforts pour adopter au moins le bilinguisme. Et les
Américains?

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La découverte de bons sites littéraires. Par exemple Zvi Har'El's Jules Verne
Collection, consacré à Jules Verne, ou le Théâtre de la foire à Paris (au 17e
siècle).


ISABELLE AVELINE (Lyon)


#Créatrice de Zazieweb, site consacré à l'actualité littéraire

"Zazieweb est un site libre et indépendant qui offre des espaces d'interactivité
à ses lecteurs actifs et communicants ! C'est aussi (depuis 1996!) un annuaire
des sites littéraires découverts avec passion sur le web et chroniqués, une
information littéraire au quotidien: Au fil du net: l'actualité du meilleur du
web littéraire; Agenda: toutes les manifestations en rapport avec le livre et la
littérature; TV/Radio: une sélection des émissions littéraires sur les deux
semaines à venir; Ebook: des informations et des dossiers sur le livre
numérique, les nouveaux objets de lecture...; et des choix de lectures
"Zazieweb" dans la rubrique Kestulizaz?

Né en 1996 sous la forme d'une page perso, Zazieweb est devenu en cinq ans un
site littéraire communautaire offrant à la fois des espaces d'échanges et
d'expression (les lectures des e-lecteurs, l'espace communautaire, les forums)
et un portail littéraire. Zazieweb, c'est aujourd'hui une association qui a pour
vocation la promotion et mise en avant des "petits éditeurs", la diffusion de la
littérature contemporaine indépendante, la mise en relation sur le mode
interactif du web des lecteurs/auteurs/éditeurs via les espaces persos... et
pleins d'autres choses en devenir!" (extrait du site web)

* Entretien du 8 juin 1998

= Quel est l'historique de Zazieweb?

Zazieweb est né il y a deux ans environ, en juin 1996. C'était à l'époque un
projet personnel qui entrait dans le cadre d'un master multimédia et que j'ai
essayé de "vendre" aux éditeurs.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Découvrir internet a ouvert d'autres possibilités et surtout maintenant je ne
conçois pas de ne pas travailler "on the Web".

= Comment voyez-vous l'avenir?

Grâce à internet, les choses sont plus souples, on peut très facilement passer
d'une société à une autre (la concurrence!), le télétravail pointe le bout de
son nez (en France c'est encore un peu tabou...), il n'y a plus forcément de
grande séparation entre espace pro et personnel.

*Entretien du 3 septembre 1999

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Aujourd'hui je cherche à développer une viabilité financière pour Zazieweb:
échange de bandeaux, partenariat, vente d'espace publicitaire ciblé, affiliation
à un programme de vente de livres.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Mon premier surf.

= Et votre pire souvenir?

Ma première connexion.


JEAN-PIERRE BALPE (Paris)


#Directeur du département hypermédias de l'Université de Paris 8

Jean-Pierre Balpe est directeur du département hypermédias et du laboratoire
Paragraphe de l'Université de Paris 8. Il est également secrétaire général de la
revue Action poétique. Chercheur, théoricien de la littérature informatique,
auteur de divers ouvrages scientifiques et techniques (dernier ouvrage paru:
Contextes de l'art numérique, Hermès, 2000), écrivain, après avoir très
longtemps écrit des poèmes et nouvelles publiés dans diverses revues, il
s'intéresse dès 1975 aux possibilités que l'informatique offre à l'écriture
littéraire. En 1981 il est un des cofondateurs de l'ALAMO (Atelier de
littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs) et, à ce titre,
conseiller auprès de la BPI (Bibliothèque publique d'information) pour les
expositions "Les Immatériaux" et "Mémoires du futur". En 1985 il conçoit pour
l'INA (Institut national de l'audiovisuel) et France Télécom le premier scénario
de télévision interactive, diffusé alors par Canal +. Depuis 1989, il réalise
des logiciels d'écriture principalement utilisés lors d'expositions ou de
manifestations publiques, notamment Un roman inachevé pour le stand du ministère
de la Culture au MILIA (Marché international du livre illustré et des nouveaux
médias) à Cannes et au MIM (Marché international du multimédia de Montréal) en
1995, Romans (Roman) pour l'exposition "Artifices" de novembre 1996 ou sous
forme de spectacles comme Trois mythologies et un poète aveugle, première oeuvre
générative collaborant avec un générateur musical. Il a actuellement en chantier
un opéra numérique, Barbe-Bleue, résultat de la collaboration de trois
générateurs: générateur de texte (le sien), générateur de musique (Alexandre
Raskatov) et générateur de scénographie (Michel Jaffrennou). Il est également
l'auteur de Trajectoires, un roman génératif en ligne.

*Entretien du 28 janvier 2001

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

La production d'oeuvres artistiques.

= Comment voyez-vous l'avenir?

De façon résolument optimiste.

= Les possibilités offertes par l'hyperlien ont-elles changé votre mode
d'écriture?

L'hyperlien: non; l'informatique: oui puisque j'utilise essentiellement des
générateurs d'écriture que j'ai créés moi-même.

= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?

Bien sûr, depuis le papier toilette en passant par le papier torchon, également
pour allumer ma cheminée car c'est un excellent combustible... Comme je voyage
beaucoup, il m'arrive aussi de lire un peu de tout mais personnellement, je ne
l'utilise guère dans mon travail personnel, j'ai vraiment l'habitude de tout
faire sur écran...

= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?

Très mitigé, j'attends de voir concrètement comment ils fonctionnent et si les
éditeurs sont capables de proposer des produits spécifiques à ce support car, si
c'est pour reproduire uniquement des livres imprimés, je suis assez sceptique.
L'histoire des techniques montre qu'une technique n'est adoptée que si - et
seulement si... - elle apporte des avantages concrets et conséquents par rapport
aux techniques auxquelles elle prétend se substituer. Je viens de publier deux
nouvelles sur ce sujet, une dans la revue La Mazarine intitulée justement Le
livre et une autre dans la revue Autrement consacrée au "livre de chevet" et
intitulée Les chambres, vous pouvez y trouver une réponse plus "étayée".

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Je ne suis pas cela de très près. Je crois que vouloir appliquer des lois faites
pour le papier à un autre médium est une erreur. Un peu comme si on voulait
facturer le téléphone en exigeant que les utilisateurs achètent des timbres pour
payer leurs conversations...

= Quelles sont vos suggestions pour un véritable multilinguisme sur le web?

Ah bon!... Ce n'est pas multilingue? Je croyais pourtant car il m'arrive de
naviguer en italien, français, espagnol, arabe, chinois, flamand, etc...
Voulez-vous dire francophone pour multilingue? Si c'est l'anglais que vous
visez, internet ne fait que reproduire sa situation de langue internationale
d'échange. Est-ce à dire qu'il n'en faudrait pas? Je n'en suis pas si sûr...

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Posez la question aux producteurs de cinéma et aux salles de projection... Le
son est une solution, les claviers adaptés en sont une autre, je ne sais s'il
existe des écrans spécialisés, mais peut-être... On peut aussi imaginer des
interactions sonores, Denize en a utilisé quelques-unes dans son cédérom
Machines à écrire (publié chez Gallimard en 1999, ndlr).

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Il y a tant de livres là-dessus, répondre en quelques lignes est une gageure ou
une marque de mépris ou un manque de sérieux ou une preuve d'inconscience ou une
manifestation d'orgueil...

= Et la société de l'information?

Je fais là-dessus un cours de 37 h 30...

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Pas un en particulier. Disons que je suis heureux chaque fois que ça marche...
et ce n'est hélas pas si souvent...

= Quel est votre pire souvenir lié à l'internet?

Même réponse qu'à la question précédente mais inversée...

*Entretien du 27 février 2002

Dernier-né de la cyber-littérature, le mail-roman utilise le canal du courrier
électronique. Cette expérience est tentée pour la première fois par Jean-Pierre
Balpe en été 2001 dans Rien n'est sans dire. Pendant très exactement cent jours,
il écrit un chapitre diffusé quotidiennement auprès de 500 personnes - ses
proches, ses amis, ses collègues, etc. - en y intégrant les réponses et les
réactions des lecteurs. Raconté par un narrateur, ce mail-roman est l'histoire
de Stanislas et Zita et de leur passion tragique déchirée par une sombre
histoire politique.

= Comment vous est venue l'idée d'un feuilleton par mail auprès de vos amis et
connaissances?

Tout naturellement, d'une part en me demandant depuis quelque temps déjà ce
qu'internet peut apporter sur le plan de la forme à la littérature (mais vous
savez que ce point-là est une de mes obsessions...) et, d'autre part, en lisant
de la littérature "épistolaire" du 18e siècle, ces fameux "romans par lettres".
Il suffit alors de transposer: que peut être le "roman par lettres" aujourd'hui?
Vous tirez un fil et le reste en découle tout naturellement...

Ceci dit, mes "amis et connaissances" sont le point d'entrée. Ensuite, le projet
s'est diffusé et je suis loin de connaître tous les lecteurs auxquels j'envoyais
ce roman journalier.

= Le déroulement de ce feuilleton a-t-il correspondu à vos attentes?

Ce n'est pas vraiment un feuilleton: un feuilleton aurait pu être écrit à
l'avance et diffusé au fur et à mesure, or, en m'obligeant à intégrer les
réponses ou les réactions des lecteurs, mon rythme d'écriture devait être
absolument quotidien. Or, pensez qu'il y a 10 puissance 30 lectures possibles de
ce roman...

Oui ET non: au départ je n'avais pas d'attente, donc oui... De plus, si je
n'avais pas d'attentes (un vieux cynique a toujours une vision pessimiste de la
nature humaine... ne parlons donc pas de sa créativité...) je savais jusqu'où
j'étais prêt à aller. Par exemple, je proposais aux lecteurs de participer au
roman mais je n'ai jamais proposé qu'ils me remplacent: je voulais rester le
maître (ah mais...). Ce qui m'amusait, c'était d'intégrer, dans une trame et une
visée que je m'étais à peu près données, les propositions, y compris les plus
farfelues, sans qu'elles paraissent comme telles et sans que je "vende mon âme
au diable".

NON car j'ai quand même été un peu surpris du "classicisme" des propositions de
lecteurs : on y retrouvait quand même assez massivement les lieux communs les
plus éculés (pardon pour le jeu de mot...) des feuilletons télévisés. Si je me
laissais faire, nous n'étions pas loin du loft. D'ailleurs, significativement,
parce que c'était la période de diffusion de cette émission, plusieurs lecteurs
y font référence dans leurs envois et essaient de m'entraîner sur ce terrain.
Autrement dit, le plus surprenant peut-être est que des lecteurs qui
s'inscrivaient volontairement à une expérience "littéraire" n'avaient de cesse
de regarder du côté de la non-littérature, de la banalité et du lieu commun...

= Le déroulement de ce mail-roman vous a-t-il réservé des surprises?

J'ai répondu en partie: peu de surprises car les lecteurs n'ont rien amené de
réellement original qui aurait pu me surprendre. Nous étions un peu sur le
territoire de l'attendu, du conventionnel, en gros d'un réalisme 19e siècle
(même si certaines propositions croyaient le fuir vers le provocateur... en gros
le cul...). Aucune proposition, par exemple, n'entraînait un changement de forme
alors que le projet était formel pour ne pas dire formaliste. La seule surprise
peut-être est venue d'un lecteur qui m'a, en échange, envoyé son propre roman
que j'ai intégré au mien...

= Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience?

Plusieurs:

- d'abord c'est un "genre": depuis plusieurs personnes m'ont dit lancer aussi un
mail-roman;

- ensuite j'ai aperçu quantité de possibilités que je n'ai pas exploitées et que
je me réserve pour un éventuel travail ultérieur;

- la contrainte du temps est ainsi très intéressante à exploiter: le temps de
l'écriture bien sûr, mais aussi celui de la lecture: ce n'est pas rien de mettre
quelqu'un devant la nécessité de lire, chaque jour, une page de roman. Ce
"pacte" a quelque chose de diabolique;

- le renforcement de ma conviction que les technologies numériques sont une
chance extraordinaire du renouvellement du littéraire.

= Pensez-vous renouveler cette expérience à l'occasion?

Oui... Mais il me faut du temps. Le principal problème (ne riez pas...) est que
c'est gratuit et qu'il n'y a aucun moyen de gagner de l'argent avec ce type de
travail. Il faut donc le faire "à temps perdu", c'est-à-dire quand on est ni
obligé de faire autre chose ni quand on est payé pour faire autre chose. J'y
pense donc, j'ai un certain nombre d'idées que je crois intéressantes, mais je
ne peux donner ni date ni certitude. En plus, j'ai un tempérament assez
"contextuel", j'aime bien les "commandes", les "contraintes" extérieures, je
n'aime pas me "répéter", faire un autre roman internet comme Trajectoires
(www.trajectoires.com) ou ce mail-roman ne me passionne pas, si je le fais, ce
sera sous une forme encore très différente, etc. Comme mes autres projets
fonctionnent bien et me prennent du temps... Mais je n'ai que 60 ans et donc
l'avenir devant moi. Dans les quarante ans à venir, je trouverai bien le moyen
de revenir au mail-roman d'une autre façon...


EMMANUEL BARTHE (Paris)


#Documentaliste juridique et responsable informatique chez Coutrelis & Associés,
cabinet d'avocats - Modérateur et animateur de la liste de discussion
Juriconnexion

* Entretien du 22 octobre 2000

= Pouvez-vous vous présenter?

Je suis documentaliste juridique et responsable informatique chez Coutrelis &
Associés, un cabinet d'avocats. Les principaux domaines de travail du cabinet
sont le droit communautaire, le droit de l'alimentation, le droit de la
concurrence et le droit douanier. Auparavant, j'ai été responsable pendant cinq
ans de la documentation du cabinet d'avocat Stibbe Simont Monahan Duhot &
Giroux, dont j'ai mis en place les structures et les collections. J'ai également
effectué une mission de six mois chez Korn/Ferry International, un important
cabinet de recrutement, à l'occasion de sa fusion avec Vuchot & Associés. J'ai
alors travaillé sur l'installation du nouveau système informatique et la fusion
des bases de candidats gérées par les deux cabinets.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je fais de la saisie indexation, et je conçois et gère les bases de données
internes. Pour des recherches documentaires difficiles, je les fais moi-même ou
bien je conseille le juriste. Je suis aussi responsable informatique et télécoms
du Cabinet: conseils pour les achats, assistance et formation des utilisateurs.

De plus, j'assure la veille, la sélection et le catalogage de sites web
juridiques: titre, auteur et bref descriptif. Je suis également formateur
internet juridique aussi bien à l'intérieur de mon entreprise qu'à l'extérieur
lors de stages de formation.

Membre du conseil d'administration de Juriconnexion, je m'y suis spécialisé dans
les CD-Rom puis l'internet juridique. Depuis l'automne 1999, je m'occupe de
modérer et d'animer la liste de discussion Juriconnexion.

= Quel est le rôle de l'association Juriconnexion?

L'association Juriconnexion a pour but la promotion de l'électronique juridique,
c'est à dire la documentation juridique sur support électronique et la diffusion
des données publiques juridiques. Elle organise des rencontres entre les
utilisateurs et les éditeurs juridiques et de bases de données, ainsi qu'une
journée annuelle sur un thème. Celle du 23 novembre 2000 portait sur les sites
juridiques francophones.

Vis-à-vis des autorités publiques, Juriconnexion a un rôle de médiateur et de
lobbying à la fois. L'association, notamment, est favorable à la diffusion
gratuite sur internet des données juridiques produites par le Journal officiel
et les tribunaux. Les bibliothécaires-documentalistes juridiques représentent la
majorité des membres de l'association, suivis par certains représentants des
éditeurs et des juristes. Juriconnexion a créé la liste de discussion du même
nom, qui traite des mêmes sujets mais reste ouverte aux non-membres.

= Quelles sont vos suggestions concernant le respect du droit d'auteur sur le
web?

À titre personnel, je pense que la propriété intellectuelle va devoir s'adapter
aux nouvelles conditions créées par internet, c'est-à-dire une copie à
l'identique et une diffusion à de très nombreux exemplaires, devenues très
faciles et d'un très faible coût, la difficulté d'un contrôle exhaustif et
systématique et l'existence d'un esprit internet défendant la gratuité et le
respect de la vie privée et de l'anonymat.

Dans ce contexte, pour préserver une rémunération des auteurs et des éditeurs,
il me semble qu'une des voies envisageables repose sur une baisse très forte des
prix unitaires en audio et vidéo. Il s'agit donc de maximiser le versement des
droits lors de la toute première diffusion. Vis-à-vis du grand public, une autre
possibilité consisterait en un cryptage fort des données et une vérification
automatique et obligatoire des licences. Les "majors" américaines et allemandes
s'orientent clairement vers une solution de ce type.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

Des signes récents laissent penser qu'il suffit de laisser les langues telles
qu'elles sont actuellement sur le web. En effet les langues autres que l'anglais
se développent avec l'accroissement du nombre de sites web nationaux s'adressant
spécifiquement aux publics nationaux, afin de les attirer vers internet. Il
suffit de regarder l'accroissement du nombre de langues disponibles dans les
interfaces des moteurs de recherche généralistes.

Il serait néanmoins utile (et bénéfique pour un meilleur équilibre des langues)
de disposer de logiciels de traduction automatique de meilleure qualité et à
très bas prix sur internet. La récente mise sur le web du GDT (Grand
dictionnaire terminologique, rédigé par l'Office de la langue française du
Québec) va dans ce sens.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Professionnellement, j'utilise encore beaucoup le papier, mais nettement moins
les ouvrages que la presse et les sorties papier de documents, de textes
officiels et de jurisprudence. Chez moi, j'ai un faible pour les beaux livres:
livres d'art et éditions originales de recueils de poésie.

= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?

Ce support a mieux que de beaux jours devant lui: il a un avenir. En effet, les
avantages du papier sont insurpassables:

- la facilité et le confort de lecture, bien supérieurs aux possibilités des
meilleurs écrans informatiques (21 pouces y compris);

- une visualisation tridimensionnelle des informations, qui entraîne une
meilleure représentation mentale des informations. Celles-ci sont alors plus
faciles à comprendre et à manipuler.

Pour bien me faire comprendre, je vais prendre l'exemple suivant que je connais
par coeur: un juriste travaille couramment avec quatre ouvrages ouverts sur sa
table et consultés en même temps ou immédiatement l'un après l'autre: un code
(recueil de textes officiels annotés), une revue juridique, un recueil de
jurisprudence et une encyclopédie juridique. Imaginons qu'il possède la version
électronique de chacune de ces publications ou leur réunion (ça existe). Afin de
ne pas compliquer la démonstration, je laisse de côté le fait que notre
professionnel du droit doit aussi avoir sous les yeux le dossier de son client
et la consultation ou la plaidoirie qu'il doit rédiger pour lui.

Sur écran, passer d'un ouvrage ou d'un document à l'autre impose à notre juriste
pressé de perdre de vue l'ouvrage ou le document précédent, sauf écran 21 pouces
(prix de départ: 5.500 FF HT, le prix d'un PC de base). L'écran d'ordinateur,
aussi grand soit-il, ne peut afficher, dans le meilleur des cas, que deux pages
A4 et ne permet pas de feuilleter le ou les ouvrages électroniques. Autant dire
que le juriste, même partisan de l'informatisation, a bien du mal à se repérer
dans un monde d'une surface de 21 pouces et sans profondeur.

Alors qu'avec le papier:

- il a à sa disposition la possibilité de feuilleter rapidement le contenu des
ouvrages quand (ce qui est fréquent) il ne sait pas encore exactement ce qu'il
cherche;

- il visualise les informations en trois dimensions partout dans son bureau,
donc dans un espace d'environ 10 m2 de surface et 2 m de haut, ce qui est
infiniment plus vaste que les 21 pouces maximum sans épaisseur de son écran;

- ça ne tombe jamais en panne!

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

A priori (puisque je ne possède pas de livre électronique) je n'ai pas un
enthousiasme délirant: le livre électronique n'offre en effet pas les avantages
du support papier et il implique l'achat d'un matériel supplémentaire. A la
limite, affichées sur un écran correct (17 pouces et une bonne carte graphique),
les capacités de mise en page du format HTML me semblent suffisantes. Et pour
une qualité de mise en page optimale, il existe déjà le format PDF d'Acrobat,
parfaitement lisible sur les PC et les Mac.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Je ne visualise pas le cyberespace comme véritable espace physique mais comme un
immense média néanmoins concentré en un lieu unique: l'écran de l'ordinateur. En
revanche, je conçois/pense le cyberespace comme un forum ou une assemblée
antique: beaucoup d'animation, diversité des opinions, des discours, des gens
qui se cachent dans les recoins, des personnes qui ne se parlent pas, d'autres
qui ne parlent qu'entre eux...

= Et la société de l'information?

Il s'agit nettement moins d'une "société" de l'information que d'une économie de
l'information. J'espère que la société, elle, ne sera jamais dominée par
l'information, mais restera cimentée par des liens entre les hommes de toute
nature, qu'ils communiquent bien ou mal, peu ou beaucoup.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Parmi mes bons souvenirs, je pense à ma première publication sur le web: celle
de mon bookmark sur le site ForInt Law (Foreign and International Law), en 1996,
grâce à la webmestre de ce site, une collègue bibliothécaire juridique dans une
université américaine. Je pourrais aussi citer les (trop rares) découvertes de
sites juridiques français dotés d'un réel contenu (un contenu inédit et de
valeur) et les remerciements que j'ai reçus pour la rédaction de la FAQ (foire
aux questions) de la liste de discussion de Juriconnexion que j'ai récemment
rédigée.

= Et votre pire souvenir?

Le pire, ce fut la destruction involontaire de mon fichier bookmark de Netscape,
à une époque où il était heureusement moins volumineux qu'aujourd'hui. À partir
d'une sauvegarde ancienne, j'ai dû retrouver, de mémoire, près d'un tiers des
URL et réécrire les descriptions des sites.

*Entretien du 4 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Rien de spécial, si ce n'est que le côté informatique et internet est maintenant
bien ancré dans mon travail. Le travail d'animation et de modération de la liste
Juriconnexion porte ses fruits puisque nous approchons les 400 membres.


ROBERT BEARD (Pennsylvanie)


#Co-fondateur de yourDictionary.com, portail de référence pour les langues

Créé par Robert Beard en 1999, dans le prolongement de son ancien site "A Web of
Online Dictionaries", intégré à celui-ci le 15 février 2000. Ce portail majeur
est consacré aux dictionnaires - 1.500 dictionnaires dans 230 langues - et aux
langues en général (vocabulaires, grammaires, apprentissage des langues, etc.).
En tant que portail de toutes les langues sans exception, il accorde une
importance particulière aux langues minoritaires et menacées.

*Entretien du 1er septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

En tant que professeur de langues, je pense que le web présente une pléthore de
nouvelles ressources disponibles dans la langue étudiée, de nouveaux instruments
d'apprentissage (exercices interactifs Java et Shockwave) et de test, qui sont à
la disposition des étudiants quand ceux-ci en ont le temps ou l'envie, 24 heures
/ 24 et 7 jours / 7. Aussi bien pour mes collègues que pour moi, et bien sûr
pour notre établissement, l'internet nous permet aussi de publier pratiquement
sans limitation.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

On a d'abord craint que le web représente un danger pour le multilinguisme,
étant donné que le langage HTML et d'autres langages de programmation sont basés
sur l'anglais et qu'on trouve tout simplement plus de sites web en anglais que
dans toute autre langue. Cependant, les sites web que je gère montrent que le
multilinguisme est très présent et que le web peut en fait permettre de
préserver des langues menacées de disparition. Je propose maintenant des liens
vers des dictionnaires dans 150 langues différentes et des grammaires dans 65
langues différentes. De plus, comme ceux qui développent les navigateurs
manifestent une attention nouvelle pour la diversité des langues dans le monde,
ceci va encourager la présence de davantage encore de sites web dans différentes
langues.

= Comment voyez-vous l'avenir?

L'internet nous offrira tout le matériel pédagogique dont nous pouvons rêver, y
compris des notes de lecture, exercices, tests, évaluations et exercices
interactifs plus efficaces que par le passé parce que reposant davantage sur la
notion de communication. Le web sera une encyclopédie du monde faite par le
monde pour le monde. Il n'y aura plus d'informations ni de connaissances utiles
qui ne soient pas diponibles, si bien que l'obstacle principal à la
compréhension internationale et interpersonnelle et au développement personnel
et institutionnel sera levé. Il faudrait une imagination plus débordante que la
mienne pour prédire l'effet de ces développements sur l'humanité.

*Entretien du 17 janvier 2000 (entretien original en anglais)

= En quoi consiste exactement yourDictionary.com?

"A Web of Online Dictionaries" (WOD) est maintenant intégré à
yourDictionary.com. Le nouveau site indexe 1.200 dictionnaires dans 200 langues
différentes. Outre le WOD, il comprend: le mot du jour, des jeux de mots, un
groupe de discussion sur les langues, des grammaires en ligne (incluant des
grammaires dans de nouvelles langues), des éléments de base sur la linguistique,
des dictionnaires multilingues, des dictionnaires spécialisés de langue
anglaise, des thésaurus et outils de vocabulaire, des outils permettant
d'identifier des langues, des index de dictionnaires, etc.

YourDictionary.com a pour objectif d'être le premier portail et la principale
ressource en langues sur le web. Nous sommes en train de rassembler des
dictionnaires et grammaires dans toutes les langues, avec un souci particulier
pour les langues menacées. Le site est supervisé par un comité d'experts
linguistiques du monde entier.

= Quelle est exactement votre activité?

Je suis le fondateur et le gérant du site, et je suis membre du conseil
d'administration de la société yourDictionary.com, Inc. Professeur à
l'Université de Bucknell, je prends ma retraite au printemps, date à laquelle je
dois retirer mes sites des serveurs de l'université. Je pense que la société
yourDictionary.com générera les ressources me permettant de continuer mon
travail.

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Nos nouvelles idées sont nombreuses. Nous projetons de travailler avec le
Endangered Language Fund aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne pour rassembler
des fonds pour cette fondation et nous publierons les résultats sur notre site.
Nous aurons des groupes de discussion et des bulletins d'information sur les
langues. Il y aura des jeux de langue destinés à se distraire et à apprendre les
bases de la linguistique. La page "Linguistic Fun" (éléments de base sur la
linguistique) deviendra un journal en ligne avec des extraits courts,
intéressants et même amusants dans différentes langues, choisis par des experts
du monde entier.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

L'accès libre n'est jamais gratuit, puisque ce sont des personnes salariées qui
développent les applications en accès libre appartenant au domaine public. Mon
site web est gratuit, et il n'était pas une affaire commerciale tant que
l'Université de Bucknell m'a versé un salaire et m'a fait bénéficier de ses
propres services d'accès à l'internet. Maintenant que je prends ma retraite et
que je dois retirer mes sites des serveurs de Bucknell, j'ai eu le choix entre
supprimer mes sites, les vendre ou générer des revenus permettant de continuer
cette activité. J'ai choisi la dernière solution. Les ressources disponibles
resteront gratuites parce que nous offrirons d'autres services qui seront
payants. Ces services seront basés sur les règles du copyright pour garantir le
versement des fonds à la bonne source.

En ce qui concerne le débat (et les actions judiciaires) sur les liens, je pense
qu'il y a excès dans l'application du copyright. Un lien vers un autre site
devrait appartenir au site qui crée le lien. Il est normal de créer des liens
vers d'autres sites web appartenant à un réseau public. Si des sites ne
souhaitent pas être sur un réseau public, ils peuvent créer un réseau privé.
Ceci mène à la conclusion que les sites pornographiques peuvent proposer des
liens vers d'autres sites du même type, conclusion qui peut en inquiéter
certains. Je ne vois toutefois pas de problème immédiat à cela dans la mesure où
les liens ne sortent pas de ce cadre.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Si l'anglais domine encore le web, on voit s'accentuer le développement de sites
monolingues et non anglophones du fait des solutions variées apportées aux
problèmes de caractères. Les langues menacées sont essentiellement des langues
non écrites (un tiers seulement des 6.000 langues existant dans le monde sont à
la fois écrites et parlées). Je ne pense pourtant pas que le web va contribuer à
la perte de l'identité des langues et j'ai même le sentiment que, à long terme,
il va renforcer cette identité. Par exemple, de plus en plus d'Indiens
d'Amérique contactent des linguistes pour leur demander d'écrire la grammaire de
leur langue et de les aider à élaborer des dictionnaires. Pour eux, le web est
un instrument à la fois accessible et très précieux d'expression culturelle.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Mon propre site web, dont la popularité continue de me stupéfier. Je reçois
quotidiennement une douzaine de lettres de visiteurs, dont la moitié au moins me
félicite pour mon travail. Je ne veux pas tomber dans une autosatisfaction
démesurée, mais ces compliments me font très plaisir. Je suis également
stupéfait du fait que, six ans seulement après les débuts du web, je puisse
dénombrer plus de 1.200 dictionnaires en ligne qui soient dignes d'intérêt, dans
plus de 200 langues différentes.

= Et votre pire souvenir?

Mon pire souvenir a été de voir mon site web copié sans mention de mon nom. Mais
j'ai toujours pu résoudre ce problème. En général, mes souvenirs liés à
l'internet sont positifs et ils le seront plus encore si yourDictionary.com a du
succès.


MICHAEL BEHRENS (Bielefeld, Allemagne)


#Responsable de la bibliothèque numérique de la Bibliothèque universitaire de
Bielefeld

*Entretien du 25 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quand votre bibliothèque numérique a-t-elle débuté?

Tout dépend de ce qu'on entend par ce terme. Pour certains de mes collègues,
"bibliothèque numérique" signifie tout ce qui, de près ou de loin, a trait à
l'internet. La bibliothèque a inauguré son propre serveur durant l'été 1995. Je
ne peux pas vous donner de date précise parce qu'il nous a fallu du temps pour
que tout fonctionne de manière satisfaisante. Auparavant, la plupart des
services était accessible par le biais de Telnet, qui n'était pas beaucoup
utilisé par nos clients, malgré le fait qu'ils y aient accès à domicile. A cette
époque, pratiquement personne n'avait d'accès internet chez soi... C'est en
novembre 1996 que nous avons commencé à numériser des livres rares provenant de
notre bibliothèque ou du prêt inter-bibliothèques.

= Combien d'oeuvres numérisées avez-vous?

Au cours de la première phase de nos essais - entre novembre 1996 et juin 1997 -
38 imprimés rares ont été numérisés en mode image pour consultation sur le web.
Au même moment, on a préparé aussi quelques documents numériques pour
accompagner des cours de l'université (des extraits de documents imprimés
numérisés en mode image). Pour des raisons liées au droit d'auteur, ces
documents ne sont pas disponibles hors du campus. L'étape suivante - que nous
venons de terminer - est la numérisation du Berlinische Monatsschrift (Revue
mensuelle de Berlin), un périodique allemand datant du Siècle des lumières, qui
représente 58 volumes, 2.574 articles et 30.626 pages. On prévoit maintenant une
numérisation à plus grande échelle de périodiques allemands des 18e et 19e
siècles, ce qui correspond à environ un million de pages. Ces périodiques ne
seraient pas seulement ceux de la bibliothèque, mais le projet serait coordonné
ici, et une partie de la réalisation technique serait également effectuée sur
place.


MICHEL BENOIT (Montréal)


#Ecrivain, utilise l'internet comme outil de recherche, de communication et
d'ouverture au monde

Michel Benoît écrit des nouvelles (polars, récits noirs, histoires
fantastiques). C'est un passionné de la vie, avec toutes ses contradictions.
Professeur de maths et de sciences, il aime - et pas nécessairement dans le bon
ordre - la course de Formule 1, la lecture, ses enfants, l'informatique, la
pêche, Rimbaud, la chasse, le jazz, et la nature sous toutes ses formes.

*Entretien du 29 juin 2000

= Pensez-vous créer un jour un site web?

Je ne sais pas si je créerai un jour un site web. Je pense que non. Tout comme
je sais que je ne ferai jamais de sculpture ou ne composerai jamais de
symphonie. Pour moi, la construction d'un site web est un art du type "arts
appliqués". Il y a des millions de sites qui sont créés en ce moment. La très
grande majorité prendra éventuellement le chemin de la poubelle de l'histoire.
Il est facile d'imaginer un web complètement saturé, et ça me devrait pas
tarder. Les fournisseurs pourraient décréter que tout site qui ne reçoit pas
plus de (xx) visites par mois soit éliminé. Un peu comme toutes ces oeuvres
d'art (???) des siècles passés qui ont disparu du paysage culturel, et on ne
peut pas dire que ça a vraiment changé le cours de l'histoire humaine. Donc
laissons aux futurs Rembrandt du clavier le soin de charmer nos yeux.
Personnellement, je me garderai de m'en mêler.

= Que représente l'internet pour vous?

J'écris. Donc naturellement l'internet s'est imposé à moi comme outil de
recherche et de communication, essentiellement. Non, pas essentiellement.
Ouverture sur le monde aussi. Si l'on pense: recherche, on pense: information.
Voyez-vous, si l'on pense: écriture, réflexion, on pense: connaissance,
recherche. Donc on va sur la toile pour tout, pour une idée, une image, une
explication. Un discours prononcé il y a vingt ans, une peinture exposée dans un
musée à l'autre bout du monde. On peut donner une idée à quelqu'un qu'on n'a
jamais vu, et en recevoir de même.

La toile, c'est le monde au clic de la souris. On pourrait penser que c'est un
beau cliché. Peut-être bien, à moins de prendre conscience de toutes les
implications de la chose. L'instantanéité, l'information tout de suite,
maintenant. Plus besoin de fouiller, de se taper des heures de recherche. On est
en train de faire, de produire. On a besoin d'une information. On va la
chercher, immédiatement. De plus, on a accès aux plus grandes bibliothèques, aux
plus importants journaux, aux musées les plus prestigieux. On pense à une toile
d'un grand peintre, un instant plus tard, on l'a devant les yeux, on peut
l'imprimer pour l'étudier plus en détail. Il y a une guerre quelque part dans le
monde, un instant plus tard, on lit les communiqués de propagande d'un côté et
de l'autre. La toile, le web, est en train de donner son vrai sens au village
global, Gaïa, la terre-mère.

= Comment voyez-vous l'avenir?

En ce moment, juin 2000, il est extrêmement difficile de faire quelque
prédiction que ce soit sur le futur d'internet. Toute prospective le moindrement
pointue, techniquement par exemple, sur l'évolution du net sera certainement
farfelue dans un futur plus ou moins rapproché. On peut y aller d'idées, encore
que ça doit être très général. Pas par crainte d'être ridicule, le ridicule ne
tue pas, c'est connu. Non, par souci d'honnêteté, tout simplement.

Mon avenir professionnel en inter-relation avec le net, je le vois exploser.
Plus rapide, plus complet, plus productif. Je me vois faire en une semaine ce
qui m'aurait pris des mois. Plus beau, plus esthétique. Je me vois réussir des
travaux plus raffinés, d'une facture plus professionnelle, même et surtout dans
des domaines connexes à mon travail, comme la typographie, où je n'ai aucune
compétence. La présentation, le transport de textes, par exemple. Le travail
simultané de plusieurs personnes qui seront sur des continents différents.
Arriver à un consensus en quelques heures sur un projet, alors qu'avant le net,
il aurait fallu plusieurs semaines, parlons de mois entre les francophones. Plus
le net ira se complexifiant, plus l'utilisation du net deviendra profitable,
nécessaire, essentielle.

Parenthèse: est-il si farfelu de penser que les historiens des années 2100
considéreront l'avènement du net comme un événement aussi, sinon plus, important
que la révolution industrielle? Le feu, l'agriculture, la révolution
industrielle, le net. On en est rendu à la "révolution continue de l'Evolution".

Ça me fait penser à ce merveilleux texte Desiderata, découvert dans l'église
Saint-Paul à Baltimore en 1693, je pense. J'en cite de mémoire une phrase qui me
hante: "Que vous le compreniez ou non, que vous le vouliez ou non (c'est
peut-être de moi), l'univers évolue comme il se doit." J'y crois. Je crois
sincèrement qu'au travers l'incroyable désordre de l'Evolution, il n'y a rien
qui soit soumis au hasard. "Dieu n'a pas créé un monde soumis au hasard", disait
Einstein à Bohr lors d'une de leurs homériques prises de bec.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Beau noeud de vipères, cette affaire. Non pas les débats sur la reproduction par
le net, mais la reproduction elle-même. La musique, le cinéma, la littérature,
tout va y passer. Peut-être suis-je trop optimiste, mais je crois que ce qui est
un problème aujourd'hui trouvera sa solution demain. Lors de l'avènement de la
photocopie, on s'est posé les mêmes questions. C'est évident qu'il y a eu des
abus. Beaucoup d'auteurs ont été joyeusement floués par des enseignants à la
moralité douteuse qui photocopiaient, sans vergogne, des textes protégés par des
droits d'auteur. Les choses se replacent et plusieurs pays ont voté des lois
sévères à ce sujet. Idem pour la reproduction électronique, soit d'oeuvres
musicales ou visuelles, on ne peut plus faire n'importe quoi sans qu'il en
coûte. Je pense qu'il en sera de même pour les documents informatiques,
programmes, textes, utilitaires ou autres. Les CD, jeux, musique ou vidéos
seront incopiables parce qu'ils auront des programmes autodestructeurs insérés
dans leurs trames numériques. Science-fiction? La science-fiction d'aujourd'hui
est la réalité de demain, demandez à vos grands-mères.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Lorsqu'un problème affecte une structure, quelle qu'elle soit, j'ai toujours
tendance à imaginer que c'est techniquement que le problème trouve sa solution.
Vous connaissez cette théorie? Si les Romains avaient trouvé le moyen d'enlever
le plomb de leur couvert d'étain, Néron ne serait jamais devenu fou et n'aurait
jamais incendié Rome. Escusi, farfelu? Peut-être que oui, peut-être que non. E
que save? L'internet multilingue? Demain, ou après demain au plus. Voyons,
pensez au premier ordinateur, il y a de cela un peu plus que cinquante ans. Un
étage au complet pour faire à peine plus que les quatre opérations de base. Dans
ce temps-là, un bug, c'était véritablement une mouche - ou autre insecte - qui
s'insérait entre les lecteurs optiques. De nos jours (2000), un carte de 3 cm x
5 cm fait la même chose. La traduction instantanée: demain, après-demain au
plus.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Les mails que j'échangeais avec les gens de B-52, la radio libre et clandestine
de Serbie, pendant le conflit du Kosovo. En 1978, j'ai visité cette région. Je
pouvais sentir leurs souffrances, leurs anxiétés, leurs espoirs. C'est vrai que
je me sentais impuissant devant le drame qui se jouait à des milliers de
kilomètres de chez moi, mais, au moins, je pouvais parler, témoigner.

= Et votre pire souvenir?

Les quelques rares visites que j'ai faites sur les chats. Le vide, l'ennui qui
s'y distille. L'inculture qui s'y exprime aussi. Désolant, en même temps
paniquant. Quelqu'un qui écrit: "Ya man, yyyyyyeeeeeeesssssss, j't'aim 4 ever my
luuuuuuvvvvvvvvvvvv" me semble incroyablement désespéré. Un jour, les
travailleurs de rue, qui s'occupent actuellement des itinérants et des drogués,
travailleront sur le net à récupérer cette humanité souffrante. Je pense
sincèrement que, avec la porno, le chat est la poubelle du net. C'est tout ce
que j'en pense, et c'est déjà trop.

= Une citation qui vous est chère?

Harlan Ellison a écrit ces mots magnifiques: "Écris. N'aie pas peur. Ne les
laisse pas t'effrayer. Ils ne peuvent rien te faire. Un écrivain écrit toujours.
Il est fait pour ça. Si on ne veut pas te laisser écrire ce que tu veux, si on
te démolit sur le marché, alors cherche un autre marché. Fais tout ce que tu
peux, mais écris. Si tu dis: 'ils me tuent', alors tu es foutu. Parce que tout
ce qu'un écrivain a d'essentiel à vendre, c'est son courage. S'il n'en a pas, il
est le plus minable des lâches. C'est un foireux et un hérétique, parce
qu'écrire est une tâche sacrée."


GUY BERTRAND & CYNTHIA DELISLE (Montréal)


#Respectivement directeur scientifique et consultante au CEVEIL (Centre
d'expertise et de veille inforoutes et langues)

Créé en 1995, le CEVEIL est un organisme québécois qui s'intéresse à
l'utilisation et au traitement des langues sur les inforoutes dans une optique
francophone, via des activités de veille et la création d'un réseau d'échanges
et d'expertise. Le CEVEIL s'intéresse également aux industries de la langue en
général (reconnaissance vocale, traduction automatique, reconnaissance optique
de caractères, etc.) et à des domaines d'activité connexes, tels la gestion
stratégique de l'information, la gestion des connaissances, la normalisation, la
standardisation, etc. Le CEVEIL fait partie du CEFRIO (Centre francophone
d'information des organisations).

*Entretien du 23 août 1998

= Quel est l'apport de l'internet pour votre organisme?

Mentionnons, tout d'abord, que l'existence du web constitue en soi une des
raisons d'être du CEVEIL, puisque nous concentrons nos activités principalement
autour de la thématique de l'utilisation et du traitement des langues sur
internet.

Par ailleurs, le web est notre principal terrain de cueillette d'information sur
les thématiques qui nous préoccupent. Nous procédons notamment à une
fréquentation assidue des sites abordant nos thématiques de travail - plus
particulièrement des sites diffusant des nouvelles quotidiennes et/ou
hebdomadaires. A ce niveau, on peut affirmer sans hésitation que nous exploitons
davantage internet que les diverses ressources écrites disponibles pour réaliser
nos activités.

Dans un ordre d'idées un peu différent, nous utilisons abondamment le courriel
pour entretenir des relations avec les intervenants du milieu et ainsi obtenir
des informations et mener à bien divers projets. Le CEVEIL est une
structure-réseau qui survivrait difficilement sans internet pour relier toutes
les personnes impliquées.

Enfin, il convient de signaler que le web constitue également notre plus
important outil pour la diffusion de nos produits aux clientèles-cibles: envoi
de bulletins électroniques de nouvelles à nos abonnés, création d'un périodique
électronique, diffusion d'information et de documents via notre site web, etc.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Le multilinguisme sur internet est la conséquence logique et naturelle de la
diversité des populations humaines. Dans la mesure où le web a d'abord été
développé et utilisé aux Etats-Unis, il n'est guère étonnant que ce médium ait
commencé par être essentiellement anglophone (et le demeure actuellement).
Toutefois, cette situation commence à se modifier et le mouvement ira en
s'amplifiant, à la fois parce que la plupart des nouveaux usagers du réseau
n'auront pas l'anglais comme langue maternelle et parce que les communautés déjà
présentes sur le web accepteront de moins en moins la "dictature" de la langue
anglaise et voudront exploiter internet dans leur propre langue, au moins
partiellement.

On peut prévoir que l'on arrivera sans doute, d'ici quelques années, à une
situation semblable à ce qui prévaut dans le monde de l'édition en ce qui
concerne la répartition des différentes langues. Ceci signifie néanmoins que
seul un nombre relativement restreint de langues seront représentées
(comparativement aux quelques milliers d'idiomes qui existent). Dans cette
optique, nous croyons que le web devrait chercher, entre autres, à favoriser un
renforcement des cultures et des langues minoritaires, en particulier pour les
communautés dispersées.

Enfin, l'arrivée de langues autres que l'anglais sur internet, si elle constitue
un juste rééquilibre et un enrichissement indéniable, renforce évidemment le
besoin d'outils de traitement linguistique aptes à gérer efficacement cette
situation, d'où la nécessité de poursuivre les travaux de recherche et les
activités de veille dans des secteurs comme la traduction automatique, la
normalisation, le repérage de l'information, la condensation automatique
(résumés), etc.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Internet est là pour demeurer. L'apparition de langues autres que l'anglais sur
ce médium constitue également un phénomène irréversible. Il sera donc nécessaire
de tenir compte de ces nouvelles réalités aux points de vue économique, social,
politique, culturel, etc. Des secteurs comme la publicité, la formation
professionnelle, le travail en groupes et en réseaux, la gestion des
connaissances devront évoluer en conséquence. Cela nous ramène, tel que nous
l'avons mentionné plus haut, à la nécessité de développer des technologies et
des outils vraiment performants qui faciliteront les échanges dans un Village
global terriblement plurilingue...

*Entretien du 13 mars 2000

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Le CEVEIL a cessé la production de ses clips d'information hebdomadaires et de
son périodique mensuel. Cette situation résulte moins d'un changement
d'orientation que d'un manque de ressources humaines et financières. La reprise
de ces activités, sans être impossible, n'est pas envisagée pour le moment.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Guy Bertrand: Il est très important de respecter le droit des auteurs et c'est
aux auteurs de décider de ce qu'ils veulent en faire. Le web accorde une place
de plus en plus grande à la gratuité des usages. Les auteurs ne sont pas tenus
de s'y plier, mais de plus en plus d'auteurs s'y adaptent volontairement et avec
profit. Les modèles d'affaires sur le web évoluent très rapidement et n'ont pas
fini de le faire. De nouveaux modèles d'affaires se développeront et la place de
la gratuité y sera forte, mais les droits des auteurs devront être respectés de
façon innovatrice de la part des auteurs et des fournisseurs de services et de
contenus.

Cynthia Delisle: Les droits d'auteur devraient idéalement faire l'objet du même
respect sur le web que dans d'autres médias, la radio ou la presse par exemple.
Cela dit, internet pose à ce niveau des problèmes inédits à cause de la facilité
avec laquelle on peut (re)produire et (re)distribuer l'information à grande
échelle, et aussi en raison de la tradition de gratuité du réseau. Cette
tradition fait, d'une part, que les gens rechignent à débourser pour des
produits et services qu'ils trouveraient tout naturel de payer dans d'autres
contextes et, d'autre part, qu'ils ont peut-être moins d'états d'âme, dans le
contexte du net, à utiliser des produits piratés. La problématique du respect
des droits d'auteur constitue, à mon sens, un des enjeux majeurs pour
l'évolution du réseau, et il sera certainement très intéressant de voir les
solutions qui seront mises de l'avant à cet égard.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Guy Bertrand: Depuis 1998, le commerce électronique international s'est beaucoup
développé et les vendeurs veulent de plus en plus communiquer dans les langues
préférées par les acheteurs, ce qui augmentera encore le caractère multilingue
du web. Le commerce électronique ne dominera pas le web, mais son importance
augmente ainsi que se marque le caractère multilingue du web. Les outils pour le
multilinguisme sur le web sont, hélas!, toujours en retard.

Cynthia Delisle: Je pense que la tendance déjà amorcée en 1998 s'est confirmée
depuis et que l'avenir d'internet passe irrémédiablement par le multilinguisme.
Internet s'internationalise, et on voit mal comment ce phénomène pourrait se
réaliser sans s'accompagner d'une diversification linguistique et culturelle du
réseau. Même si l'anglais demeurera sans doute toujours la langue la plus
utilisée sur internet, le pourcentage de sites et de documents offerts en
d'autres langues continuera régulièrement d'augmenter, jusqu'à ce qu'un certain
"équilibre" soit atteint.

Par ailleurs, je suis entièrement d'accord avec M. Bertrand lorsqu'il souligne
que les outils aptes à traiter cette diversité linguistique ne sont pas encore
au point. La traduction automatique, par exemple, piétine dangereusement depuis
nombre d'années... Pourtant, les besoins ne cesseront de croître, d'où la
nécessité de multiplier les efforts de R&D (recherche et développement) dans ces
secteurs.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Guy Bertrand: Ma première expérience avec le site www.neuromedia.com.

Cynthia Delisle: Le maintien régulier et à moindre coût, grâce au courriel, du
contact avec mes proches lors de séjours prolongés à l'étranger.

= Et votre pire souvenir?

Cynthia Delisle: D'avoir vécu des problèmes de harcèlement (envois répétitifs de
courriels personnels non sollicités... c'était il y a plusieurs années, avant
que les logiciels de messagerie ne soient équipés de fonctions de filtres!).

*Entretien du 4 juin 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Le CEVEIL termine présentement ses mandats des dernières années sur la promotion
des normes pour la francisation des technologies de l'information et des
communications (TIC). Actuellement, nous n'avons plus d'autres mandats à
réaliser par la suite. Le site du CEVEIL affiche, en ce moment, beaucoup de
nouveaux contenus (rapports, textes de vulgarisation, etc.) et demeurera en
ligne pour au moins une autre année.

Ceci étant dit, et bien que le comité de direction ne soit plus fonctionnel
depuis 1999, le CEVEIL demeure apte à remplir (sous la tutelle du CEFRIO)
différents mandats sur la thématique des inforoutes et des langues. Nous sommes
donc ouverts à toute proposition intéressante!


OLIVIER BOGROS (Lisieux, Normandie)


#Créateur de la bibliothèque électronique de Lisieux et directeur de la
bibliothèque municipale

Le site "La bibliothèque électronique de Lisieux" a été ouvert en juin 1996.
D'abord hébergé sur les pages d'un compte personnel CompuServe, il est depuis
juin 1998 installé sur un nouveau serveur où il dispose d'un espace disque plus
important (30 Mo) et surtout d'un nom de domaine. Comme l'explique Olivier
Bogros, directeur de la bibliothèque municipale de Lisieux (Normandie), "ce site
est entièrement consacré et exclusivement réservé à la mise à disposition sur le
réseau (librement et gratuitement) de textes littéraires et documentaires du
domaine public français afin de constituer une bibliothèque virtuelle qui
complète celles déjà existantes." Dès sa création, ce site pionnier suscite
beaucoup d'intérêt dans la communauté francophone parce qu'il montre ce qui est
faisable sur le web avec beaucoup de détermination et des moyens limités.

En 2000, la Bibliothèque électronique de Lisieux aborde une nouvelle étape.
LexoTor, lancé officiellement le 27 août 2000, est le résultat d'une
collaboration avec le site "Langue du 19e siècle" de l'Université de Toronto
(Canada). Il s'agit d'une base de données qui fonctionne sous le logiciel
TACTweb et qui permet l'interrogation en ligne des textes de la bibliothèque
classés en différentes rubriques: oeuvres littéraires, notamment du 19e siècle;
brochures et opuscules documentaires; manuscrits, livres et brochures sur la
Normandie; conférences et exposés transcrits par des élèves du Lycée Marcel
Gambier. L'interrogation permet aussi les analyses et comparaisons textuelles.
L'initiative du projet revient à Russon Wooldridge, professeur au département
d'études françaises de l'Université de Toronto, suite à sa rencontre avec
Olivier Bogros lors du colloque international relatif aux études françaises
valorisées par les nouvelles technologies d'information et de communication
(12-13 mai 2000, Toronto).

*Entretien du 18 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

J'ai déjà rapporté dans un article paru dans le Bulletin des bibliothèques de
France (1997, n° 3) ainsi que dans le Bulletin de l'ABF (Association des
bibliothécaires français) (1997, n° 174), comment l'envie de créer une
bibliothèque virtuelle avait rapidement fait son chemin depuis ma découverte de
l'informatique en 1994: création d'un bulletin électronique d'informations
bibliographiques locales (Les Affiches de Lisieux) en 1994 dont la diffusion
locale ne rencontre qu'un très faible écho, puis en 1995 début de la
numérisation de nos collections de cartes postales en vue de constituer une
photothèque numérique, saisie de nouvelles d'auteurs d'origine normande courant
1995 en imitation (modeste) du projet de l'ABU (Association des bibliophiles
universels) avec diffusion sur un BBS (bulletin board service) spécialisé.
L'idée du site internet vient d'Hervé Le Crosnier, enseignant à l'université de
Caen et modérateur de la liste de diffusion Biblio-fr, qui monta sur le serveur
de l'université la maquette d'un site possible pour la bibliothèque municipale
de Lisieux, afin que je puisse en faire la démonstration à mes élus. La suite
logique en a été le vote au budget primitif de 1996 d'un crédit pour l'ouverture
d'une petite salle multimédia avec accès public au réseau pour les Lexoviens
(habitants de Lisieux, ndlr). Depuis cette date, un crédit d'entretien pour la
mise à niveau des matériels informatiques est alloué au budget de la
bibliothèque qui permettra cette année la montée en puissance des machines,
l'achat d'un graveur de cédéroms et la mise à disposition d'une machine
bureautique pour les lecteurs de l'établissement.... ainsi que la création en ce
début d'année d'un emploi jeune pour le développement des nouvelles
technologies.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Internet est un outil formidable d'échange entre professsionnels (tout ce qui
passe par le courrier électronique, les listes de diffusion et les forums) mais
qui est un consommateur de temps très dangereux: on a vite fait si l'on n'y
prend garde de divorcer et de mettre ses enfants à la DASS (Direction de l'aide
sanitaire et sociale). Plus sérieusement, c'est pour les bibliothèques la
possibilité d'élargir leur public en direction de toute la francophonie. Cela
passe par la mise en ligne d'un contenu qui n'est pas seulement la mise en ligne
du catalogue, mais aussi et surtout la constitution de véritables bibliothèques
virtuelles. Les professionnels des bibliothèques sont les acteurs d'un enjeu
important concernant la place de la langue française sur le réseau.

*Entretien du 27 juillet 1999

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

En fait, et pour les deux années à venir, l'essentiel de notre temps est
consacré à la mise en place de la nouvelle médiathèque (avec une réelle
intégration des nouvelles technologies) qui ouvrira en janvier 2001. Nous
réfléchissons, toujours dans le domaine patrimonial, à un prolongement du site
actuel vers les arts du livre - illustration, typographie... - toujours à partir
de notre fonds. Sinon, pour ce qui est des textes, nous allons vers un
élargissement de la part réservée au fonds normand. Le catalogue en ligne n'est
pas une priorité.

= Comment choisissez-vous les textes de la bibliothèque électronique?

Les oeuvres à diffuser sont choisies à partir d'exemplaires conservés à la
bibliothèque municipale de Lisieux ou dans des collections particulières mises à
disposition. Les textes sont saisis au clavier et relus par du personnel de la
bibliothèque, puis mis en ligne après encodage (370 oeuvres sont actuellement
disponibles en ligne). La mise à jour est mensuelle (3 à 6 textes nouveaux). Par
goût, mais aussi contraints par le mode de production, nous sélectionnons plutôt
des textes courts (nouvelles, brochures, tirés à part de revues, articles de
journaux...). De même nous laissons à d'autres (bibliothèques ou éditeurs) le
soin de mettre en ligne les grands classiques de la littérature française,
préférant consacrer le peu de temps et de moyens dont nous disposons à mettre en
ligne des textes excentriques et improbables.

= Passez-vous beaucoup de temps à la maintenance du site?

La création et la maintenance du site ne sont encore que des activités
marginales de la bibliothèque municipale. L'essentiel de notre activité reste
l'enrichissement et la communication sur place des ressources locales
(c'est-à-dire des informations physiquement localisées à la bibliothèque), le
développement de la lecture dans les quartiers... La salle multimédia ouverte en
octobre 1996 doit encore trouver son rythme de croisière, la consultation des
cédéroms et la bureautique devançant souvent l'utilisation d'internet.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Effectivement tout cela est très important et la législation doit être
respectée. Mais n'accusons pas le réseau de tous les maux.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Que chacun s'efforce déjà de s'exprimer correctement dans sa langue.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Les courriers électroniques reçus, à propos des textes que nous mettons en ligne
et qui témoignent de la vivacité de la langue française sur le réseau.

= Et votre pire souvenir?

Deux jeunes collégiennes (4e ou 3e) faisant des recherches sur la Résistance en
France, à partir de la station internet de la bibliothèque, sont tombées sur un
site négationniste. Elles n'ont visiblement pas compris pourquoi nous leur avons
interdit toute copie papier ou disquette dudit site et avons effacé les pages à
l'écran. Tout simplement les mots "révisionnisme" et "négationnisme" leur
étaient totalement inconnus. Moralité: le libre accès au réseau, mais accompagné
d'une médiation par le personnel de la bibliothèque. Le pire des maux:
l'ignorance!

*Entretien du 17 août 2000

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

La médiathèque n'ouvrira ses portes qu'en janvier 2002 et ce chantier va encore
mobiliser l'essentiel de mon temps.

Nous poursuivons modestement l'enrichissement du corpus de textes de la
bibliothèque électronique.

Une collaboration vient de s'engager entre la bibliothèque électronique de
Lisieux et le site "Langue du 19e siècle" à l'Université de Toronto. Les textes
en ligne à Lisieux sont interrogeables en ligne à Toronto sous forme de bases de
données interactives. L'initiative de ce projet, baptisé LexoTor, revient à M.
Russon Wooldridge à la suite d'un colloque organisé en mai dernier par son
université. Le lancement "officiel" est prévu pour le 27 de ce mois.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Je ne crois pas à la mort annoncée du papier. Je l'utilise encore beaucoup sous
toutes ses formes. Mais, au contraire de beaucoup, mon rapport à l'informatique
n'a pas entraîné une augmentation de ma consommation de papier, bien au
contraire. Je suis dans ce domaine plutôt adepte du zéro papier.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

De quoi parle-t-on? Des machines mono-tâches encombrantes et coûteuses, avec
format propriétaire et offre éditoriale limitée? Les Palm, Psion et autres hand
et pocket computers permettent déjà de lire ou de créer des livres électroniques
et en plus servent à autre chose. Ceci dit, la notion de livre électronique
m'intéresse en tant que bibliothécaire et lecteur. Va-t-il permettre de
s'affranchir d'un modèle économique à bout de souffle (la chaine éditoriale
n'est pas le must en la matière)?

Les machines à lire n'ont de mon point de vue de chance d'être viables que si
leur utilisateur peut créer ses propres livres électroniques avec (cf. cassettes
vidéo).

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Autant que possible j'essaie de rendre accessible à tous la bibliothèque
électronique de Lisieux. Les recommandations du Consortium W3C ne sont pas
toujours évidentes à suivre. Les sites textuels ne requièrent pas une charte
graphique sophistiquée à base de Java et autres niaiseries (le summum a été
atteint cette année par le site officiel du Printemps des poètes).

*Entretien du 27 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

La base Lexotor devrait pouvoir bénéficier dès ce mois-ci de la dernière version
du logiciel TACTweb, ce qui rendra beaucoup plus riches et pertinentes les
interrogations faites.

Pour ce qui concerne Lisieux, le bâtiment de la médiathèque est sorti de terre,
le gros oeuvre sera fini fin juin, la livraison est prévue pour novembre. Par
contre l'ouverture initialement prévue pour janvier 2002 sera sans doute
effective fin mars.

Sur le site de la Bibliothèque électronique, le travail se poursuit chaque mois
avec la mise en ligne de textes. J'ai suspendu provisoirement la fabrication de
hiboux (e-books, ndlr) au format Microsoft Reader ou Mobipocket. Il faudrait que
je trouve un partenariat avec un autre site pour que les textes disponibles en
HTML sur notre bibliothèque électronique soient aussi proposés ailleurs dans un
format hiboux multi-plateforme.

A titre personnel j'ai ouvert une autre bibliothèque électronique, Miscellanées,
encore en devenir.


CHRISTIAN BOITET (Grenoble)


#Directeur du GETA (Groupe d'étude pour la traduction automatique), qui
participe à l'UNLP (Universal Networking Language Programme)

Au sein du Laboratoire CLIPS (Communication langagière et interaction
personne-système) de l'IMAG (Institut d'informatique et mathématiques appliquées
de Grenoble), le GETA (Groupe d'étude pour la traduction automatique), dirigé
par Christian Boitet, est une équipe pluridisciplinaire formée d'informaticiens
et de linguistes. Les thèmes de recherche du GETA concernent tous les aspects
théoriques, méthodologiques et pratiques de la traduction assistée par
ordinateur (TAO), et plus généralement de l'informatique multilingue.

*Entretien du 24 septembre 1998

= En quoi consiste l'UNLP (Universal Networking Language Programme), auquel le
GETA participe?

Il s'agit non de TAO (traduction assistée par ordinateur) habituelle, mais de
communication et recherche d'information multilingue. Quatorze groupes ont
commencé le travail sur douze langues (plus deux annexes) depuis début 1997.
L'idée est de:

- développer un standard, dit UNL (Universal Networking Language), qui serait le
HTML du contenu linguistique,

- pour chaque langue, développer un générateur (dit "déconvertisseur")
accessible sur un ou plusieurs serveurs, et un "enconvertisseur".

L'Université des Nations Unies (UNU) (Tokyo) finance 50% du coût. D'après notre
évaluation sur la première année, c'est plutôt 30 à 35%, car le travail
(linguistique et informatique) est énorme, et le projet passionnant: les
permanents des laboratoires s'y investissent plus que prévu.

Un énoncé en langue naturelle est représenté par un hypergraphe dont chaque
noeud contient une "UW" (universal word, comme match_with(icl>event) ou
match(icl>thing), formés à partir de mots anglais et dénotant des ensembles plus
ou moins fins d'acceptions), ou un autre graphe, le tout muni d'attributs
booléens (pluralité, modalité, aspects) - chaque arc porte une relation
sémantique (agt, tim, objs). On en est à la version 1.5 de ce standard, il reste
pas mal à faire, mais au moins douze groupes ont construit chacun une centaine
de graphes pour le tester.

La déconversion tourne pour le japonais, le chinois, l'anglais, le portugais,
l'indonésien, et commence à tourner pour le français, l'allemand, le russe,
l'italien, l'espagnol, l'hindi, l'arabe, et le mongol.

Chaque langue a une base lexicale de 30.000 à 120.000 liens UW - lexème.

L'enconversion n'est pas (si on veut de la qualité pour du tout venant) une
analyse classique. C'est une méthode de fabrication de graphes UNL qui suppose
une bonne part d'interaction, avec plusieurs possibilités:

- analyse classique multiple suivie d'une désambiguisation interactive en langue
source,

- entrée sous langage contrôlé,

- encore plus séduisant (et encore pas clair, au niveau recherche pour
l'instant), entrée directe via une interface graphique reliée à la base lexicale
et à la base de connaissances.

Les applications possibles sont:

- courriel multilingue,

- informations multilingues,

- dictionnaires actifs pour la lecture de langues étrangères sur le web,

- et bien sûr TA (traduction automatique) de mauvaise qualité (ce qu'on trouve
actuellement, mais pour tous les couples à cause de l'architecture à pivot) pour
le surf web et la veille.

On travaille actuellement sur les informations sportives sur le web, surtout sur
le foot. On construit une base de documents, où chaque fichier est structuré (à
la HTML) et contient, pour chaque énoncé, l'énoncé original, sa structure UNL,
et autant de traductions qu'on en a obtenu. Un tel document peut être recherché
dans une base en traduisant la question en UNL, puis affiché (le UNL viewer
existe depuis un an) dans autant de fenêtres d'un navigateur web que de langues
sélectionnées.

= Quelles sont les perspectives?

Le projet a un problème de volume: grande surface, pas assez d'épaisseur. Il
faudrait trois à cinq fois plus de monde partout pour que ça avance assez vite
(pour que Microsoft et d'autres ne finissent par tout reprendre et revendre,
alors qu'on vise une utilisation ouverte, du type de ce qu'on fait avec les
serveurs et clients web). Les subventions des sociétés japonaises à l'UNU pour
ce projet (et d'autres) se tarissent à cause de la crise japonaise. Le groupe
central est beaucoup trop petit (quatre personnes qui font le logiciel, le
japonais, l'anglais, l'administration, c'est peu même avec de la
sous-traitance).

De plus, le plan général est d'ouvrir aux autres langues de l'ONU en 2000. Il
faudrait arriver à un état satisfaisant pour les douze autres avant.

Du point de vue politique et culturel, ce projet est très important, en ce qu'il
montre pour la première fois une voie possible pour construire divers outils
soutenant l'usage de toutes les langues sur internet, qu'elles soient
majoritaires ou minoritaires. En particulier, ce devrait être un projet majeur
pour la francophonie.

Dans l'état actuel des choses, je pense que l'élan initial a été donné, mais que
la première phase (d'ici 2000) risque de retomber comme un soufflé si on ne
consolide pas très vite le projet, dans chaque pays participant.

L'UNU cherche donc comment monter un soutien puissant à la mesure de cette
ambition. Je pense que, pour la Francophonie par exemple, il faudrait un groupe
d'une dizaine de personnes ne se consacrant qu'à ce projet pendant au moins dix
ans, plus des stagiaires et des collaborateurs sur le réseau, bénévoles ou
intéressés par la mise à disposition gratuite de ressources et d'outils.


BERNARD BOUDIC (Rennes)


#Responsable éditorial du serveur internet du quotidien Ouest-France

Bernard Boudic, 51 ans, 32 ans de presse écrite régionale, a d'abord été
localier à Brest (1969-1978), puis secrétaire de rédaction au service économique
et social (1978-1984), puis chef-adjoint de ce service (1984-1987), puis chef de
service des informations générales (1987-1996), et enfin chargé de mission
internet auprès de TC-Multimédia, filiale d'Ouest-France. Il a mis fin à ses
fonctions en décembre 2000.

*Entretien du 17 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

A l'origine (en juillet 1996, ndlr), l'objectif était de présenter et relater
les grands événements de l'Ouest en invitant les internautes à une promenade
dans un grand nombre de pages consacrées à nos régions (tourisme, industrie,
recherche, culture). Très vite, nous nous sommes aperçus que cela ne suffisait
pas. Nous nous sommes tournés vers la mise en ligne de dossiers d'actualité,
puis d'actualités tout court.

= Quelle est son activité présente?

Aujourd'hui nous avons quatre niveaux d'infos: quotidien, hebdo (tendant de plus
en plus vers un rythme plus rapide), événements et dossiers. Et nous offrons des
services (petites annonces, guide des spectacles, presse-école, boutique, etc.).
Nous travaillons sur un projet de journal électronique total: mise en ligne
automatique chaque nuit de nos quarante éditions (450 pages différentes, 1.500
photos) dans un format respectant typographie et hiérarchie de l'information et
autorisant la constitution par chacun de son journal personnalisé (critères
géographiques croisés avec des critères thématiques).

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Internet a changé ma vie professionnelle d'abord parce que je suis devenu le
responsable éditorial du site... Les retombées sur le travail quotidien des
journalistes d'Ouest-France sont encore minces. Nous commençons seulement à
offrir un accès internet à chacun (rédaction d'Ouest-France = 370 journalistes
répartis dans soixante rédactions, sur douze départements... pas simple).
Certains utilisent internet pour la messagerie électronique (courrier interne ou
externe, réception de textes de correspondants à l'étranger, envoi de fichiers
divers) et comme source d'informations. Mais cette pratique demande encore à
s'étendre et à se généraliser. Bien sûr, nous réfléchissons aussi à tout ce qui
touche à l'écriture multimédia et à sa rétroaction sur l'écriture imprimée, aux
changements d'habitudes de nos lecteurs, etc.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Internet est à la fois une menace et une chance. Menace sur l'imprimé, très
certainement (captation de la pub et des petites annonces, changement de
réflexes des lecteurs, perte du goût de l'imprimé, concurrence d'un média
gratuit, que chacun peut utiliser pour diffuser sa propre info, etc.). Mais
c'est aussi l'occasion de relever tous ces défis et de rajeunir la presse
imprimée.

*Entretien du 19 janvier 2001

= Pouvez-vous décrire l'activité de TC-Multimédia?

TC-Multimédia a été créée en 1986. Elle prennait la suite de l'Association
télématique de l'ouest qui avait expérimenté le minitel (créé à Rennes). D'abord
spécialisée exclusivement dans les services vidéotex, elle a fait aussi de
l'internet à partir de juillet 1996. Elle est chargée d'exploiter sur ce média
l'ensemble de la production du journal Ouest-France.

TC-Multimédia exploite sept sites:

http://www.ouest-france.fr

http://www.maville.com

http://www.ouestemploi.com

http://www.ouestfrance-immobilier.com

http://www.ouestfrance-automobile.com

http://www.ouestfrance.affaires.com

http://www.abcvacances.com

Les deux premiers cités sont les plus fréquentés (environ quatre millions de
pages vues par mois) bien qu'ils ne proposent qu'une sélection de nos
informations.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

J'avais (jusqu'en décembre 2000) la responsabilité éditoriale des sites
d'information (www.ouest-france.fr et www.maville.com) et du développement
éditorial (accords extérieurs, partenariats).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Nous avons la chance de disposer d'un gisement d'informations déjà utilisées
pour le papier (Ouest-France publie dans ses 42 éditions 550 pages différentes
toutes les nuits) et de petites annonces. Nous avons une marque connue et
respectée. Mais le modèle économique n'est pas trouvé. Nous pensons développer
un service payant à destination des centres de documentation qui leur
permettrait de rechercher dans les 42 éditions n'importe quel article
correspondant à une requête par mots-clés.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Bien sûr!

= Les jours du papier sont comptés?

Mon avis est que le journal-papier est menacé à terme (vingt ans?) s'il ne se
renouvelle pas dans la forme et dans le fond. La prise en mains du journal se
fera de plus en plus tard (40-45 ans?). Il y aura des arbitrages avec la
télévision (satellite, câble, numérique hertzien), avec l'internet rapide (ADSL,
câble, boucle locale radio, satellite?). Il n'y aura pas de publicité disponible
pour faire vivre tout le monde.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Hors de prix!

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Les internautes ont tendance à penser que c'est un droit d'obtenir tout
gratuitement. Non! Le droit d'auteur doit être respecté.


BAKAYOKO BOURAHIMA (Abidjan)


#Documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et
d'économie appliquée)

L'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée)
d'Abidjan assure la formation des statisticiens pour les pays africains
d'expression française. Cette formation est délivrée à travers quatre filières
distinctes, conçues en fonction du niveau de recrutement des élèves: la filière
ISE (ingénieurs statisticiens économistes), la filière ITS (ingénieurs des
travaux statistiques), la filière AD (adjoints techniques) et la filière AT
(agents techniques). A ce jour, l'ENSEA est le seul établissement de formation
statistique en Afrique au Sud du Sahara qui délivre simultanément ces quatre
types de formation à tous les pays francophones de la région. L'ENSEA propose
par ailleurs des actions de recyclage et de perfectionnement destinées aux
cadres des administrations publiques et privées, et développe progressivement
des programmes d'étude et de recherche.

*Entretien du 12 juillet 2000

= Pouvez-vous présenter le site web de l'ENSEA?

Notre école a un site web depuis un peu plus d'un an. Le site a été créé à la
faveur d'un colloque international sur les "Enquêtes et systèmes d'information"
organisé par l'école en avril 1999. La conception et la maintenance du site ont
été assurées par un coopérant français, enseignant d'informatique. Le site est
actuellement hébergé par l'agence locale du Syfed (du réseau Refer de
l'AUPELF-UREF - Agence universitaire de la francophonie). Le site a connu
quelques difficultés de mise à jour, en raison des nombreuses occupations
pédagogiques et techniques du webmestre. A ce propos, mon service, celui de la
bibliothèque, a eu récemment des séances de travail avec l'équipe informatique
pour discuter de l'implication de la bibliothèque dans l'animation du site. Et
le service de la bibliothèque travaille aussi à deux projets d'intégration du
web pour améliorer ses prestations.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis le responsable du service de la bibliothèque. A ce titre, je m'occupe
donc de la gestion de l'information scientifique et technique et de la diffusion
des travaux publiés par l'école.

Mon activité professionnelle liée à l'internet, comme je le signalais plus haut,
est plus au stade de projet. En fait, j'espère à la rentrée prochaine pouvoir
mettre à la disposition de mes usagers un accès internet pour l'interrogation de
bases de données. Par ailleurs, j'ai en projet de réaliser et de mettre sur
l'intranet et sur le web un certain nombre de services documentaires (base de
données thématique, informations bibliographiques, service de références
bibliographiques, bulletin analytique des meilleurs travaux d'étudiants...) Il
s'agit donc pour la bibliothèque, si j'obtiens les financements nécessaires pour
ces projets, d'utiliser pleinement l'internet pour donner à notre école une plus
grand rayonnement et de renforcer sa plate-forme de communication avec tous les
partenaires possibles.

= Comment voyez-vous l'avenir?

En intégrant cet outil au plan de développement de la bibliothèque, j'espère
améliorer la qualité et élargir la gamme de l'information scientifique et
technique mise à la disposition des étudiants, des enseignants et des
chercheurs, tout en étendant considérablement l'offre des services de la
bibliothèque.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

J'avoue que ce débat suscite en moi quelques inquiétudes quant à mes attentes
légitimes vis à vis de l'internet. J'estime que, par rapport à ma vision
professionnelle, le grand espoir qu'apporte l'internet à l'Afrique, c'est de lui
permettre de profiter pleinement et à moindre coût du "brain trust" mondial et
de réduire sa marginalisation économique, technologique et culturelle.

La légitimité des droits d'auteur ne devra donc pas faire perdre de vue la
nécessité de prendre en compte les besoins et les contraintes particulières des
pays moins nantis. Autrement, dans ce domaine plus qu'ailleurs, on aboutira
fatalement et très vite sûrement à une situation de marginalisation et de
fronde, comme celle qui oppose actuellement les autorités sanitaires d'Afrique
du Sud à certaines grandes firmes pharmaceutiques, au sujet des licences des
thérapies contre le Sida.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Je pense que l'évolution vers un internet multilingue ne peut être qu'une source
réelle d'enrichissement culturel et scientifique sur la toile. Pour nous les
Africains francophones, le diktat de l'anglais sur la toile représente pour la
masse un double handicap d'accès aux ressources du réseau. Il y a d'abord le
problème de l'alphabétisation qui est loin d'être résolu et que l'internet va
poser avec beaucoup plus d'acuité, ensuite se pose le problème de la maîtrise
d'une seconde langue étrangère et son adéquation à l'environnement culturel. En
somme, à défaut de multilinguisme, l'internet va nous imposer une seconde
colonisation linguistique avec toutes les contraintes que cela suppose. Ce qui
n'est pas rien quand on sait que nos systèmes éducatifs ont déjà beaucoup de mal
à optimiser leurs performances en raison, selon certains spécialistes, des
contraintes de l'utilisation du français comme langue de formation de base. Il
est donc de plus en plus question de recourir aux langues vernaculaires pour les
formations de base, pour "désenclaver" l'école en Afrique et l'impliquer au
mieux dans la valorisation des ressources humaines.

Comment faire? Je pense qu'il n y a pas de chance pour nous de faire prévaloir
une quelconque exception culturelle sur la toile, ce qui serait de nature tout à
fait grégaire. Il faut donc que les différents blocs linguistiques
s'investissent beaucoup plus dans la promotion de leur accès à la toile, sans
oublier leurs différentes spécificités internes.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Mon meilleur souvenir lié à l'internet, c'est quand j'ai pu tirer d'embarras un
de mes amis, thésard en médecine, qui n'arrivait pas à boucler sa bibliographie
sur un sujet sur lequel il n'y avait pratiquement aucune référence au plan
local.

= Et votre pire souvenir?

Les méls indésirables, tous ces trucs bidons qu'on peut vous faire suivre, avec
cinq correspondants ou plus qui vous envoient le même message.

*Entretien du 16 janvier 2001

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, nous utilisons encore beaucoup de papier dans l'administration et notre
fonds documentaire est exclusivement "papier". Nous comptons bien y intégrer des
supports multimédia, dès que les moyens nous le permettront. Le service
informatique pense déjà à une numérisation partielle du fonds documentaire, mais
bon, le problème ici c'est que les idées vont nettement plus vite que les
moyens.

= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?

Pour ce qui est de l'Afrique en général, je pense que le papier a encore de
beaux jours devant lui. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir le
développement très marginal du multimédia surtout dans les institutions
productrices de papier (les administrations) et dans les institutions où, comme
on dit ici, on "fait papier" (les écoles). Par ailleurs, il faut compter aussi
avec la lente évolution des usages. Je me rappelle que, pour les travaux de
rédaction de ma thèse, après avoir stocké un certain nombre d'articles en ligne
sur mon ordinateur, j'ai jugé plus pratique pour moi de les imprimer
intégralement pour pouvoir les exploiter. J'ai donc eu l'impression de mieux
bosser en grattant du papier, habitude oblige.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je constate que c'est aujourd'hui une réalité. Il faut voir pour la suite
comment cela se développera et quelles en seront surtout les incidences sur la
production, la diffusion et la consommation du livre. A coup sûr cela va
entraîner de profonds bouleversements dans l'industrie du livre, dans les
métiers liés au livre, dans l'écriture, dans la lecture, etc.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Il y a encore un peu de fantasme autour de ce mot. Quand j'ai fait connaissance
avec ce mot (utilisé par Jean-Claude Guédon et Nicholas Négroponte), il m'avait
d'abord laissé l'illusion d'un espace extra-terrestre où les ordinateurs et
leurs utilisateurs se transportaient pour échanger des données et communiquer.
Depuis que je navigue moi-même, je me rends compte qu'il s'agit tout simplement
d'un espace virtuel traduisant le cadre de communication qui rassemble les
internautes à travers le monde.

= Et la société de l'information?

La société de l'informatique et de l'internet.


MARIE-AUDE BOURSON (Lyon)


#Créatrice de la Grenouille Bleue et de Gloupsy, sites littéraires destinés aux
nouveaux auteurs

*Entretien du 27 décembre 2000

= Pouvez-vous vous présenter?

Marie-Aude Bourson, 24 ans le 17 janvier 2001 ;o), vit à Lyon. Licence de
sciences économiques et gestion développeur internet. Ecrivain amateur ;o) J'ai
créé en septembre 1999 le site littéraire de la Grenouille Bleue, dans le but de
créer un jour une véritable maison d'édition dédiée aux jeunes auteurs
francophones. Il n'y a aucun organisme derrière le nouveau site Gloupsy.com
(continuation de la Grenouille Bleue): il s'agit d'un site géré à titre perso
;o)

= Pouvez-vous décrire la Grenouille Bleue et Gloupsy?

Grenouille Bleue: création le 3 septembre 1999. 1.950 lecteurs au 21 décembre
2000. Objectif: faire connaître de jeunes auteurs francophones, pour la plupart
amateurs. Chaque semaine, une nouvelle complète est envoyée par e-mail aux
abonnés de la lettre. Les lecteurs ont ensuite la possibilité de donner leurs
impressions sur un forum dédié. Egalement, des jeux d'écriture ainsi qu'un
atelier permettent aux auteurs de "s'entraîner" ou découvrir l'écriture. Un
annuaire recense les sites littéraires. Un agenda permet de connaître les
différentes manifestations littéraires. 18 décembre 2000: fermeture du site pour
problème de marque.

Janvier 2001: ouverture d'un nouveau site, Gloupsy.com, qui fonctionnera selon
le même principe que la Grenouille Bleue, mais avec plus de "services" pour les
jeunes auteurs ;o) Le but étant de mettre en place une véritable plate-forme
pour "lancer" les auteurs.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis chargée du développement de sites web. La littérature et l'écriture sont
des passions. En vivre serait un rêve ;o)

= Comment voyez-vous l'avenir?

Pour Gloupsy: en faire un jour une véritable maison d'édition avec impression
papier des auteurs découverts. Pour internet : une concentration des sites
commerciaux mais une explosion des sites persos qui seront regroupés par
communautés d'intérêt.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Je n'aime lire un roman que sur papier! On ne remplacera jamais un bon vieux
bouquin par un écran tout froid qui vous coupe votre lecture à cause d'une panne
de pile. Par contre, je lis la presse quotidienne presque uniquement sur le web.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Le support papier devrait être plus rationnalisé: tout ce qui est d'ordre
administratif devrait s'informatiser d'ici quelques années. Par contre, côté
littérature, je pense qu'on ne pourra remplacer le livre papier: facile à
transporter, objet d'échange, lien affectif, collection... Le livre électronique
sera plus utile pour des documentations techniques ou encore les livres
scolaires.

= Que pensez-vous des débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?

Ces débats sont nécessaires car il s'agit là d'une véritable question de fond.
Il est évident que toute création portée sur support électronique est copiable.
Malgré toutes les protections techniques qui seront inventées, il y aura
toujours un petit malin qui découvrira la clef pour copier le fichier. Aussi, je
ne crois pas qu'on puisse réellement protéger une oeuvre sur internet, qu'il
s'agisse d'un texte, d'une image ou d'une application. D'autre part, on assiste
à une réelle "révolution" dans le domaine informatique: l'avènement du logiciel
libre qui marque un changement dans les mentalités et qui s'étend au monde de
l'internet. Celui-ci se traduit à tous les niveaux: côté développeur de
logiciels et côté utilisateur. Les utilisateurs sont de plus en plus réticents à
payer un logiciel ou de l'info qu'ils peuvent trouver gratuitement ailleurs.

Le modèle économique est donc en train de changer: on ne paiera plus l'outil
mais le service... Malheureusement, ce système n'est valable que pour les
logiciels. Aussi, comment l'appliquer aux créations littéraires ou artistiques?
Seuls les droits moraux peuvent pour l'instant être reconnus (incrustation d'un
copyright sur les images, copyright moins évident pour les textes).

Conclusion : on ne peut pour l'instant que se reposer sur l'honnêteté de
l'homme... fragile, donc :o(

Une expérience intéressante existe concernant la littérature: le lyber. Il
s'agit de présenter une oeuvre en lecture complète sur le web. Libre ensuite au
lecteur d'acheter l'ouvrage papier qui pourra rémunérer l'auteur. On part du
principe que le lecteur voudra conserver chez lui une trace de sa lecture s'il
l'a jugée vraiment digne d'intérêt. C'est ainsi un bon moyen d'éliminer les
oeuvres de mauvaise qualité.

Pour ma part, je proposerais une solution intermédiaire: proposer à la lecture
sur le web le tiers du livre. Pour lire la suite, le lecteur commande l'ouvrage
papier. Car je crains qu'un lecteur ne veuille pas forcément acheter un ouvrage
qu'il a déjà lu entièrement... et l'auteur perd ainsi une partie de sa
rémunération, ce qui est dommage et n'encourage pas à la création littéraire.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

La Grenouille Bleue avait une partie destinée aux malvoyants: il suffit de créer
des pages sans images ni tableau. Uniquement du texte, et une structure de site
plus simple qui va droit à l'info. Ainsi les logiciels de reconnaissance/lecture
de pages web sont très efficaces. Il faut donc sensibiliser les webmestres.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Un espace d'expression, de liberté et d'échanges où tout peut aller très (trop)
vite.

= Et la société de l'information?

Une société où l'information circule très vite (trop peut-être), et où chaque
acteur se doit de rester toujours informé s'il ne veut pas s'exclure.
L'information elle-même devient une véritable valeur monnayable.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La rencontre avec des personnes qui sont devenues de vrais amis et que je
fréquente dans la "vie réelle" ;o)

= Et votre pire souvenir?

Pas vraiment de pire souvenir mais un ras-le-bol répété contre les lenteurs du
web et les déconnexions intempestives :o(


LUCIE DE BOUTINY (Paris)


#Ecrivain papier et pixel. Auteur de NON, roman multimédia publié en feuilleton
sur le web

Outre ses activités d'écrivain et l'animation de son site de cyberlittérature,
Lucie de Boutiny a participé en mai 2001 à la fondation de E-critures, une
association d'artistes multimédia créée en collaboration avec Gérard Dalmon et
Xavier Malbreil.

*Entretien du 17 juin 2000

= Pouvez-vous décrire votre site?

Mon site comprend diverses petites expériences de création hyperlittéraire dont
NON, un roman visuel publié en feuilleton sur le web, depuis septembre 1997,
dans l'e-revue d'art contemporain française, Synesthésie.

Pour faire sérieux, disons que NON prolonge les expériences du roman
post-moderne (récits tout en digression, polysémie avec jeux sur les registres -
naturaliste, mélo, comique... - et les niveaux de langues, etc.). Cette
hyperstylisation permet à la narration des développements inattendus et offre au
lecteur l'attrait d'une navigation dans des récits multiples et multimédia, car
l'écrit à l'écran s'apparente à un jeu et non seulement se lit mais aussi se
regarde.

Quant au sujet: NON est un roman comique qui fait la satire de la vie
quotidienne d'un couple de jeunes cadres supposés dynamiques. Bien
qu'appartenant à l'élite high-tech d'une industrie florissante, Monsieur et
Madame sont les jouets de la dite révolution numérique. Madame, après quelques
années de bons et loyaux services d'audit expatriée dans les pays asiatiques,
vient d'être licenciée. A longueur de journées inactives, elle se pâme d'extase
devant une sitcom sirupeuse et dépense sans compter l'argent du ménage dans des
achats compulsifs en ligne. Monsieur fait semblant d'aimer son travail de
vendeur de bases de données en ligne. Il cherche un sens à sa vie d'homme blanc
supposé appartenir à une élite sociale: ses attentes sont calquées sur les
valeurs diffusées par la publicité omniprésente. Les personnages sont des bons
produits. Les images et le style graphique qui accompagnent leur petite vie
conventionnelle ne se privent pas de détourner nombre de vrais bandeaux
publicitaires et autres icônes qui font l'apologie d'une vie bien encadrée par
une société de contrôle.

= Plus généralement, en quoi consiste exactement votre activité d'écrivain?

Je viens du papier (publication régulière de nouvelles classées "X" en recueil
collectif - Edition Blanche, La Bartavelle, La Musardine... - et un petit roman
urbain, N'importawaque, aux éditions Fleuve Noir). Mes "conseillers
littéraires", des amis qui n'ont pas ressenti le vent de liberté qui souffle sur
le web, aimeraient que j'y reste, engluée dans la pâte à papier. Appliquant le
principe de demi désobéissance, je fais des allers-retours papier-pixel.
L'avenir nous dira si j'ai perdu mon temps ou si un nouveau genre littéraire
hypermédia va naître.

L'un des projets qui me tient le plus à coeur s'appelle "Mes vrais petits
secrets et les secrets de tous mes amis". Il s'agit d'une borne interactive
ludique et j'espère un peu dérangeante. Les frères Simonnet - l'un
vidéaste-compositeur, l'autre ingénieur - ont à résoudre des problèmes
techniques, et il nous faut surtout trouver des moyens de financement qui
complètent la sympathique bourse reçue par la SCAM (Société civile des auteurs
multimédia). Avec le multimédia, nous sommes donc tributaires d'une organisation
proche de l'industrie du spectacle, même si les projets peuvent se développer en
interne, avec les moyens d'un "home studio".

D'une manière générale, mon humble expérience d'apprentie auteur m'a révélé
qu'il n'y a pas de différence entre écrire de la fiction pour le papier ou le
pixel: cela demande une concentration maximale, un isolement à la limite
désespéré, une patience obsessionnelle dans le travail millimétrique avec la
phrase, et bien entendu, en plus de la volonté de faire, il faut avoir quelque
chose à dire! Mais avec le multimédia, le texte est ensuite mis en scène comme
s'il n'était qu'un scénario. Et, si à la base, il n'y a pas un vrai travail sur
le langage des mots, tout le graphisme et les astuces interactives qu'on peut y
mettre fera gadget. Par ailleurs, le support modifie l'appréhension du texte, et
même, il faut le souligner, change l'oeuvre originale. Et cela ne signifie pas:
"the medium is the message" - je vous épargne le millionième commentaire sur
cette citation. Il n'y a pas non plus dégradation de la littérature mais
déplacement...

Par exemple un concert live de jazz ,écouté dans les arènes de Cimiez, n'est
plus le même une fois enregistré, donc compressé, puis écouté dans une voiture
qui file sur l'autoroute. Et pourtant, le mélomane se satisfait du formatage car
ce qui compte est: "j'ai besoin de musique, je veux l'entendre maintenant".
Notre rapport à la littérature évolue dans ce sens: il y aura de plus en plus
d'adaptations, de formats, de supports, de versions, mais aussi différents prix
pour une même oeuvre littéraire, etc. Comme pour la musique aujourd'hui, il nous
faut être de plus en plus instruits et riches pour posséder les bonnes versions.

= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre mode
d'écriture?

a) Ce qui a changé: l'ordinateur connecté

Ce qui a changé: le bonheur d'écrire autrement, car ce qu'il se passe, depuis
l'avènement d'ordinateurs multimédias, relativement peu coûteux, connectés au
web, est qu'un certain nombre d'artistes éclairés par la fée électricité ont
besoin d'être illuminés. Quelles que soient leurs confessions d'origine (arts
visuels, littérature, poésie sonore, expérimentale...), elles/ils utilisent le
média numérique comme un outil de création dont il faut découvrir les possibles.
Le net étant évolutif, les artistes proposent le plus souvent des tentatives,
c'est curieux, des works in progress, c'est opiniâtre, ou des pièces plus
ambitieuses qui se construisent dans le temps, en fonction de l'amélioration du
web (sa fluidité, sa résolution d'images, etc.). Ainsi le cyberartiste propose
souvent des actualisations et des versions O.x. Voilà qui est intéressant et qui
nous sort du marché. Pour l'anecdote: NON roman est diffusé gratuitement en
épisodes par Synesthésie, une revue d'art contemporain, et a été plusieurs fois
remanié au niveau de sa présentation. Pour toutes ces oeuvres, il n'y a pas de
légitimité ou de caution "Art", et pourtant il y a déjà une quarantaine d'années
d'expérimentation... Les observateurs les plus technophobes ne peuvent plus nier
qu'il existe des créations informatiques, et que le raz-de-marée bleu pixel est
irréversible.

b) Alors que faire avec l'HTX (HyperText Literature)?

Alors que faire, et comment, tout d'abord, appeler les e-arts visionnaires
émergents qui utilisent le web - je m'en tiens là pour n'évoquer que ce que je
connais concrètement.

(Nota Bene: le classique de demain est toujours visionnaire. Et ce n'est pas par
un trait de génie, n'abusons pas de ce gros mot; un écrivain traditionnel peut
s'adonner à l'écriture multimédia par lassitude de ce qu'est devenu le livre
papier.)

Mais alors, l'HTX - la littérature HyperTeXtuelle- qui place l'écrit sur un
ordinateur conçu par l'industrie du loisir planétaire, doit-elle être labelisée
Netart? Littérature numérique? Qu'importent les appellations contrôlées, ce qui
est irréversible est que cette redécouverte de la littérature, par exemple,
s'inscrit dans un contexte industriel dominé par une économie sauvage (du
logiciel libre au modèle de la start-up), par la guerre des monopoles (quel
format pour le livre électronique = qui va remporter le marché, etc.).
Conséquences: le cyberartiste le plus autiste ne crée pas hors du monde réel et
sa production, il me semble pour l'instant, répond à la prolifération des
images, la communication marchande, bref à des thèmes socio-contemporains. Cela
est une généralité, certes, mais on peut observer qu'on assiste à un renouveau
de l'engagement de fond et de forme, car fatalement, nous finissons, quelle que
soit notre irrécupérable indépendance d'esprit, par rejoindre quelques
collectifs d'internautes (via des listes de discussions, forums...) pour
défendre un certain usage arty qui pourrait être des technologies numériques.

c) Le marché littéraire producteur d'ennui

Et là, sur ce territoire vierge à conquérir, on se sent libre d'inventer autre
chose, on le doit puisqu'il n'y a pas vraiment de modèles ni références, et de
toutes les façons, on nous somme de nous justifier! Et revenons à nos petits
papiers: de quand datent les derniers débats littéraires: 1948, Qu'est-ce que la
littérature? 1956, L'ère du soupçon? Merci Sartre et Sarraute. Et après quoi,
fin 70, siècle XX? Ben, merci Deleuze et Lyotard. Depuis le rhizome, le
post-modernisme, et le féminisme appliqué à la littérature qu'il ne faut pas
oublier une fois de plus, rien sinon qu'aujourd'hui, de nombreux artistes ni
brimés ni frustrés mais lucides, ayant un certain sens de l'histoire des arts
littéraires, plastiques ou sonores, adoptent les nouveaux médias. Certains
diront que c'est par une séduction mode, une fascination pour les technologies,
allons bon. Personnellement, je dirais que c'est par ennui - ennui que le livre
papier ait perdu sa magie, ennui que l'art tourne en rond dans les musées et les
institutions, par exemple. Certes, ce désenchantement qui faisait très fin de
siècle est une dégénérescence de pays riches où le "spectacle" a atteint les
cimes du simulacre devant notre indifférence involontairement complice. Il faut
bien réagir au moment où le déluge numérique se répand: ainsi, pour certains,
connecter la littérature à la machine, c'est essayer de court-circuiter les
institutions culturelles et le marché.

d) L'écrit réconcilié avec l'écran

La lucidité nous a donc ouvert les yeux sur quoi: un écran. Dans ce rectangle
lumineux des lettres. Depuis l'archaïque minitel si décevant en matière de
création télématique, c'est bien la première fois que, via le web, dans une
civilisation de l'image, l'on voit de l'écrit partout présent 24 h /24, 7 jours
/7. Je suis d'avis que si l'on réconcilie le texte avec l'image, l'écrit avec
l'écran, le verbe se fera plus éloquent, le goût pour la langue plus raffiné et
communément partagé. Faudra-t-il s'en justifier encore longtemps devant les
éditeurs en papier mâché qui ont des idées de parchemin fripé? Faut-il les
consoler en leur précisant que la fabrique de littérature numérique emprunte les
recettes de la littérature traditionnelle (y compris celle écrite avec la voix,
ou transmise sur des tablettes, voire enregistrée sur des papyrus, etc.) et pas
seulement. Bref, il serait temps de rafraîchir cette bonne vieille littérature
franco-française en phase d'épuisement. Ce n'est pas si grave, notre patrimoine
nous sauve mais voilà la drôle de "mission" dont il convient de "acquitter";
ceci dit, les sermons, les positions qui risquent de se sanctifier en postures,
les bonnes résolutions moralisantes, je m'en tape, mais pour le coup, j'y cède
-, ou alors il faut s'arrêter de se plaindre de la désacralisation du livre
comme vecteur de la connaissance et de la culture, de la désertion des lecteurs,
de l'illettrisme rampant, de la tristesse désuète si austère du peuple des
écrivains, de leur isolement subi, de la pauvreté des moyens financiers qu'on
leur accorde, et cela face à une industrialisation concentrationnaire de
l'édition qui assomme le livre à coups de pilon, etc.

e) Techno-hyper-écrivain, c'est quoi?

Alors qui sommes-nous? Les hyperécrivains de demain (comment les nommer?) seront
peut-être les plasticiens qui utilisent le mot comme matière, les écrivains
sensibles aux sonorités de l'image, à la mobilité des mots vus autant que lus, à
l'objet texte, des graphistes qui ont le droit de faire de l'art, etc. Et ceux
d'après-demain, ceux de la génération numérique innée, ne se poseront plus la
question de savoir d'où tu parles, de quelle discipline artistique tu proviens,
et quel est ton combat, camarade, comme ils disent.

A moindre frais donc, sans compétences informatiques d'ingénieur diplômé (si
l'on compare l'exigeante programmation que demandaient les machines des années
70), l'apprenti techno-auteur peut aujourd'hui cumuler les casquettes de
créateur producteur diffuseur... C'est inouï, planétaire, du jamais vu.
Personnellement, par manque de mégalomanie ou par flemme (je n'ai jamais fait de
mailing list de ma vie ni rédigé des lettres d'information ni envoyé d'autres
types de faire-part aux e-communautés concernées, etc.), je préfère me soumettre
à l'organisation affective du réseau qui me met en lien, ce qui est l'occasion
de faire des rencontres, sympas. Cela pour dire que nous ne sommes pas forcément
esclaves de toutes les libertés qu'offre la machine.

Mais si les écrivains français classiques en sont encore à se demander s'ils ne
préfèrent pas le petit carnet Clairefontaine, le Bic ou le Mont-Blanc fétiche,
et un usage modéré du traitement de texte, plutôt que l'ordinateur connecté,
voire l'installation, c'est que l'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr)
nécessite un travail d'accouchement visuel qui n'est pas la vocation originaire
de l'écrivain papier. En plus des préoccupations du langage (syntaxe, registre,
ton, style, histoire...), le techno-écrivain - collons-lui ce label pour le
différencier - doit aussi maîtriser la syntaxe informatique et participer à
l'invention de codes graphiques car lire sur un écran est aussi regarder. De
plus, regarder n'est pas forcément contempler, soit rester passif car, par
idéologie empreinte dans l'interface même de tout ordinateur connecté ou du
CD-Rom (bientôt le DVD pour tous en attendant le reste), il y a cette contrainte
de l'interactivité.

Ce genre de création multimédia et hypertextuelle pose une série de questions:

1/ Peut-on lire sur écran de l'écrit qui ne soit pas mis en scène?
L'environnement visuel contribue-t-il à enrichir vraiment le propos d'une
fiction narrative?

2/ Est-ce que le techno-écrivain doit être l'auteur de la mise en écran de ses
écrits pour ne pas être dépossédé de ses intentions? Doit-il produire lui-même
ses images? Doit-il en mettre? Quel est leur statut par rapport au texte? Si un
graphiste compose des images, y aura-t-il collaboration ou trahison?

3/ L'apprentissage des logiciels d'images, de divers langages informatiques, des
limites et des possibilités du support choisi, ne peut être que non théorique,
empirique. Est-ce une perte de temps pour celui qui crée le fond de la fiction?
Et si l'auteur du texte ne réalise pas lui-même la mise en scène numérique,
quels types de document doit-il remettre au réalisateur multimédia? En plus du
texte, il devra concevoir un scénario non-linéaire, interactif, une arborescence
hypernarrative, un story board visuel, des notes d'intention esthétique? Quel
est son statut d'auteur dès lors: il devient scénariste?

4/ L'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr) qui passe par le savoir-faire
technologique rapproche donc le techno-écrivain du scénariste, du BD
dessinateur, du plasticien, du réalisateur de cinéma, quelles en sont les
conséquences au niveau éditorial? Faut-il prévoir un budget de production en
amont? Qui est l'auteur multimédia? Qu'en est-il des droits d'auteur? Va-t-on
conserver le copyright à la française? L'HTX sera publiée par des éditeurs
papier ayant un département multimédia? De nouveaux éditeurs vont émerger et ils
feront un métier proche de la production? Est-ce que nous n'allons pas assister
à un nouveau type d'oeuvre collective? Bientôt le sampling littéraire protégé
par le copyleft?

5/ Revenons à des questions de création: l'écran change la perception du texte,
peut imposer une vitesse de lecture, un environnement graphique frôle souvent le
piège décoratif. Résultat: la liberté imaginaire du lecteur serait dominée par
la machine et son joli petit écran fascinant le temps d'une mode permise par
quelques javatrucs ou par quelques logiciels Flash bientôt obsolètes? Nous
savons que la machine séduit, alors comment la trans-former pour qu'elle nous
émerveille sans artifices faciles? On le sait: le multimédia, livré à la guerre
économique des monopoles, produit des oeuvres instables mais l'intérêt arty n'en
est pas moins solide!

6/ Qu'en est-il du "montage" hypertextuel? Pour aller vite, disons que la
lecture sur écran impose d'écrire un livre ouvert à de nombreuses propositions
hypertextuelles? N'est-ce pas un gadget hyperaliénant, cette prétendue
interactivité? Est-ce que le cyberécrivain n'accorde pas trop de temps et
d'énergie à stimuler une collaboration interactive avec le lecteur? Le lecteur
n'aurait-il pas tendance à se perdre dans les intertextes et les possibles
narratifs? Voici le danger: l'hypertexte peut se transformer en "hypotexte".
Souvent, on peut observer que le lecteur novice clique de lien en lien pour
encadrer son territoire de lecture. Et lorsqu'il revient en arrière, il se perd
et perd son envie de lire sur écran. Mais n'est-ce pas par manque d'habitude
culturelle? Il faut donc réapprendre à écrire et à lire sur écran. Quant aux
questions de structure de récit ouverte, rien de nouveau car qu'est-ce qu'un
roman non-linéaire sinon les Essais de Montaigne? Et même la didactique
démonstration balzacienne? Le mémorable hypertexte proustien?... pour ne citer
que des classiques.

f) Changeons d'écran

Et voici le changement que j'attends: arrêter de considérer les livres
électroniques comme le stade ultime post-Gutenberg. Le e-book retro-éclairé pour
l'instant a la mémoire courte: il peut accueillir par exemple dix livres
contenant essentiellement du texte mais pas une seule oeuvre multimédia riche en
son et images, etc.

Donc ce que l'on attend pour commencer: l'écran souple comme feuille de papier
légère, transportable, pliable, autonome, rechargeable, accueillant tout ce que
le web propose (du savoir, de l'information, des créations...) et cela dans un
format universel avec une résolution sonore et d'image acceptable. Dès lors nous
pourrons nous repaître d'oeuvres multimédias sur les terrasses de café, alanguis
sur un canapé, au bord d'une rivière, à l'ombre des cerisiers en fleurs...

= Comment voyez-vous l'avenir?

Comme tous ceux qui ont surfé avec des modems de 14.4 Ko sur le navigateur
Mosaic et son interface en carton-pâte, je suis déçue par le fait que l'esprit
libertaire ait cédé le pas aux activités libérales décérébrantes. Les frères
ennemis devraient se donner la main comme lors des premiers jours car le net à
son origine n'a jamais été un repaire de "has been" mélancoliques, mais rien ne
peut résister à la force d'inertie de l'argent. C'était en effet prévu dans le
scénario, des stratégies utopistes avaient été mises en place mais je crains
qu'internet ne soit plus aux mains d'internautes comme c'était le cas.
L'intelligence collective virtuelle pourtant se défend bien dans divers forums
ou listes de discussions, et ça, à défaut d'être souvent efficace, c'est beau.
Dans l'utopie originelle, on aurait aimé profiter de ce nouveau média, notamment
de communication, pour sortir de cette tarte à la crème qu'on se reçoit chaque
jour, merci à la société du spectacle, et ne pas répéter les erreurs de la
télévision qui n'est, du point de vue de l'art, jamais devenue un média de
création ambitieux.

Sinon, les écrivains français, c'est historique, sont dans la majorité
technophobes... Les institutions culturelles et les universitaires lettrés en
revanche soutiennent les démarches hyperlittéraires à force de colloques et
publications diverses. Du côté des plasticiens, je suis encore plus rassurée, il
est acquis que l'art en ligne existe.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web véritablement mutilingue?

Puisque la France s'inscrit dans une tradition d'interventionnisme de la
puissance publique (l'Etat, les collectivités locales...) en matière de culture,
nos institutions devraient financer des logiciels de traduction simultanée - ils
seront opérants bientôt...-, et plus simplement, donner des aides à la
traduction, et cela dans le cadre d'une stratégie de développement de la
francophonie. Les acteurs culturels sur le web, par exemple, auraient plus de
facilité pour présenter leur site en plusieurs langues. Les chiffres de
septembre 2000 montrent que 51% des utilisateurs sont anglo-saxons, et 78% des
sites aussi. Les chiffres de cette prépondérance baissent à mesure qu'augmentent
le nombre des internautes de par le monde... L'anglais va devenir la deuxième
langue mondiale après la langue natale, mais il y aura d'autres. Un exemple:
personnellement, à l'âge de 4 ans, je parlais trois langues alors que je ne
savais ni lire ni écrire. Pour parler une langue, il peut suffire d'avoir la
chance de l'écouter. On peut espérer que le cosmopolitisme traverse toutes les
classes sociales en raison, par exemple, de l'Union européenne, du nomadisme des
travailleurs, de la facilité de déplacement à l'étranger des étudiants, de la
présence des chaînes TV et sites étrangers, etc.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le délire SF du type: "bienvenue dans la 3e dimension, payez-vous du sexe, des
voyages et des vies virtuels" a toujours existé. La méditation, l'ésotérisme,
les religions y pourvoient, etc. Maintenant, on est dans le cyberspace... Un
exemple: dans l'industrie, la recherche.

= Et la société de l'information?

Je préférerais parler de "communautés de l'information"... Nous sommes plutôt
dans une société de la communication et de la commutation. Il est très
discutable de savoir si nos discussions sont de meilleure qualité et si nous
serions plus savants... Etre informé n'est pas être cultivé.
Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

En 1997 ou 1998, j'ai eu droit aux honneurs de la censure. L'une de mes
nouvelles mises en ligne, aujourd'hui publiée honorablement sur support papier,
était censurée par mon hébergeur. Il était inexact que ma petite histoire noire
quoique teintée d'humour était un hommage rendu à un tueur en série pédophile,
et cela bien que ce soit en effet le sujet. Mais voilà, par un matin gris acier,
on apprit que quelques fournisseurs de services en ligne avaient été embarqués
au commissariat de police le plus proche. Ils étaient tenus pour responsables du
contenu des dizaines de milliers sites qu'ils hébergent! Et fatalement
quelques-uns étaient suspects d'invitation à la haine raciale, au non-respect de
la personne, etc. Ma petite nouvelle n'en faisait évidemment pas partie mais
j'étais très amusée du fait qu'un "robot trieur", le genre de nettoyeur
informatique qui obéit aux ordres des censeurs, ait attenté, par erreur, à ma
liberté d'expression.

= Et votre pire souvenir?

Il s'agit d'une vraie anecdote virtuelle: un soir, je reçois un mail sous
pseudonyme m'annonçant que NON, mon roman hypermédia, avait été éradiqué de la
planète net. Immédiatement, je me connecte sur mon site. Rien. Je me débranche,
ouvre mon disque dur à la recherche de NON. Rien. Je cherche mes disques de
sauvegarde. Volatilisés. Cinq ans de travail broyés par la masse des pixels!...
Et c'est à ce moment là que je me suis réveillée... Le mauvais rêve!


ANNE-CECILE BRANDENBOURGER (Bruxelles)


#Auteur de La malédiction du parasol, hyper-roman publié aux éditions 00h00.com

La malédiction du parasol a d'abord eu pour nom: Apparitions inquiétantes. La
version originale s'est développée sous forme de feuilleton pendant deux ans sur
le site d'Anacoluthe. Il s'agit d'"une longue histoire à lire dans tous les
sens, un labyrinthe de crimes, de mauvaises pensées et de plaisirs ambigus..."
Une histoire qui trouve son aboutissement en étant publiée le le 8 février 2000
aux éditions 00h00.com, en tant que premier titre de la collection 2003,
consacrée aux nouvelles écritures numériques.

Suite à son succès, le 25 août 2000, le roman est réédité en version imprimée
aux éditions "Florent Massot présente", avec une couverture en 3D. Pour marquer
l'événement, même si le texte n'a pas changé, un nouveau titre est donné au
livre.

La malédiction du parasol est "un cyber-polar fait de récits hypertextuels
imbriqués en gigogne, lit-on sur le site de 00h00. Entre personnages de
feuilleton américain et intrigue policière, le lecteur est - hypertextuellement
- mené par le bout du nez dans cette saga aux allures borgésiennes. (...) C'est
une histoire de meurtre et une enquête policière; des textes écrits court et
montés serrés; une balade dans l'imaginaire des séries télé; une déstructuration
(organisée) du récit dans une transposition littéraire du zapping; et par
conséquent, des sensations de lecture radicalement neuves. (A noter que la
version 'papier' adaptée de cette narration hypertextuelle restitue presque
exactement le rythme et le nerf de l'écran.)"

*Entretien du 5 juin 2000

= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre mode
d'écriture?

Les possibilités offertes par l'hypertexte m'ont permis de développer et de
donner libre cours à des tendances que j'avais déjà auparavant. J'ai toujours
adoré écrire et lire des textes éclatés et inclassables (comme par exemple La
vie mode d'emploi de Perec ou Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino) et
l'hypermédia m'a donné l'occasion de me plonger dans ces formes narratives en
toute liberté. Car pour créer des histoires non linéaires et des réseaux de
textes qui s'imbriquent les uns dans les autres, l'hypertexte est évidemment
plus approprié que le papier.

Je crois qu'au fil des jours, mon travail hypertextuel a rendu mon écriture de
plus en plus intuitive. Plus "intérieure" aussi peut-être, plus proche des
associations d'idées et des mouvements désordonnés qui caractérisent la pensée
lorsqu'elle se laisse aller à la rêverie. Cela s'explique par la nature de la
navigation hypertextuelle, le fait que presque chaque mot qu'on écrit peut être
un lien, une porte qui s'ouvre sur une histoire.

= Deux portraits de l'auteur

- sur le site d'Anacoluthe,

- sur le site des éditions 00h00.com.


ALAIN BRON (Paris)


#Consultant en systèmes d'information et écrivain. L'internet est un des
personnages de son roman Sanguine sur toile.

Après des études d'ingénieur en France et aux États-Unis et un poste de
directeur de grands projets chez Bull, Alain Bron est maintenant consultant en
systèmes d'information chez EdF/GdF (Electricité de France / Gaz de France).

Son deuxième roman, Sanguine sur toile (1999), est disponible en version
imprimée aux éditions du Choucas et en version numérique (format PDF) aux
éditions 00h00.com. Il a reçu le Prix du Lions Club International 2000.

Alain Bron est également l'auteur d'un autre roman, Concert pour Asmodée (publié
en 1998 aux éditions La Mirandole), et de plusieurs essais socio-économiques,
dont La démocratie de la solitude (avec Laurent Maruani, 1997) et La gourmandise
du tapir (avec Vincent de Gaulejac, 1996), parus chez DDB (Desclée de Brouwer).

*Entretien du 29 novembre 1999

= Quel est le thème de votre roman Sanguine sur toile?

La "toile", c'est celle du peintre, c'est aussi l'autre nom d'internet: le web -
la toile d'araignée. "Sanguine" évoque le dessin et la mort brutale. Mais
l'amour des couleurs justifierait-il le meurtre? Sanguine sur toile évoque
l'histoire singulière d'un internaute pris dans la tourmente de son propre
ordinateur, manipulé à distance par un très mystérieux correspondant qui n'a que
vengeance en tête.

J'ai voulu emporter le lecteur dans les univers de la peinture et de
l'entreprise, univers qui s'entrelacent, s'échappent, puis se rejoignent dans la
fulgurance des logiciels. Le lecteur est ainsi invité à prendre l'enquête à son
propre compte pour tenter de démêler les fils tressés par la seule passion. Pour
percer le mystère, il devra répondre à de multiples questions. Le monde au bout
des doigts, l'internaute n'est-il pas pour autant l'être le plus seul au monde?
Compétitivité oblige, jusqu'où l'entreprise d'aujourd'hui peut-elle aller dans
la violence? La peinture tend-elle à reproduire le monde ou bien à en créer un
autre? Enfin, j'ai voulu montrer que les images ne sont pas si sages. On peut
s'en servir pour agir, voire pour tuer.

= Quelle est la place de l'internet dans ce roman?

Dans le roman, internet est un personnage en soi. Plutôt que de le décrire dans
sa complexité technique, le réseau est montré comme un être tantôt menaçant,
tantôt prévenant, maniant parfois l'humour. N'oublions pas que l'écran
d'ordinateur joue son double rôle: il montre et il cache. C'est cette
ambivalence qui fait l'intrigue du début à la fin. Dans ce jeu, le grand gagnant
est bien sûr celui ou celle qui sait s'affranchir de l'emprise de l'outil pour
mettre l'humanisme et l'intelligence au-dessus de tout.

= Quel est le thème du dossier: Internet: anges et démons!, dont vous êtes à
l'origine?

La revue Cultures en mouvement, à laquelle je participe périodiquement, m'a
demandé en avril 1999 de diriger un dossier spécial sur la cyberculture. J'ai
donc réuni les spécialistes de disciplines très différentes comme un économiste,
un sociologue, un psychiatre, un artiste, un responsable d'association,... pour
parler d'internet. Nous sommes vite tombés d'accord sur un point essentiel:
internet apporte le meilleur comme le pire. Nous avons donc appelé le dossier:
Internet: anges et démons! L'ensemble des articles a été publié dans le magazine
et dans le même temps nous avons ouvert un site hébergé alors sur
place-internet.com. Des articles dans la presse ont salué ce site qui parle
d'internet sans frénésie et avec un recul salutaire.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

J'ai passé une vingtaine d'années chez Bull. Là, j'ai participé à toutes les
aventures de l'ordinateur et des télécommunications, j'ai été représentant des
industries informatiques à l'ISO(Organisation internationale de normalisation),
et chairman du groupe réseaux du consortium X/Open. J'ai connu aussi les tout
débuts d'internet avec mes collègues de Honeywell aux Etats-Unis (fin 1978). Je
suis actuellement consultant en systèmes d'information chez EdF/GdF où je
m'occupe de la bonne marche des grands projets informatiques dans ces
entreprises et dans leurs filiales internationales. Et j'écris. J'écris depuis
mon adolescence. Des nouvelles (plus d'une centaine), des essais
psycho-sociologiques (La gourmandise du tapir et La démocratie de la solitude),
des articles et des romans. C'est à la fois un besoin et un plaisir jubilatoire.

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Comme je suis tombé dans la marmite tout jeune, je n'ai pas l'impression d'avoir
été affecté par le phénomène. J'ai un recul suffisant pour reconnaître les
erreurs que j'ai pu commettre avec cet outil et pour prévenir de son usage en
évitant le syndrome de l'ancien combattant.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Ce qui importe avec internet, c'est la valeur ajoutée de l'humain sur le
système. Internet ne viendra jamais compenser la clairvoyance d'une situation,
la prise de risque ou l'intelligence du coeur. Internet accélère simplement les
processus de décision et réduit l'incertitude par l'information apportée. Encore
faut-il laisser le temps au temps, laisser mûrir les idées, apporter une touche
indispensable d'humanité dans les rapports. Pour moi, la finalité d'internet est
la rencontre et non la multiplication des échanges électroniques.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je considère aujourd'hui le web comme un domaine public. Cela veut dire que la
notion de droit d'auteur sur ce média disparaît de facto: tout le monde peut
reproduire tout le monde. La création s'expose donc à la copie immédiate si les
copyrights ne sont pas déposés dans les formes usuelles et si les oeuvres sont
exposées sans procédures de revenus. Une solution est de faire payer l'accès à
l'information, mais cela ne garantit absolument pas la copie ultérieure. Pour
les romans, je préfère de toute façon la forme papier.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Il y aura encore pendant longtemps l'usage de langues différentes et tant mieux
pour le droit à la différence. Le risque est bien entendu l'envahissement d'une
langue au détriment des autres, donc l'aplanissement culturel.

Je pense que des services en ligne vont petit à petit se créer pour pallier
cette difficulté. Tout d'abord, des traducteurs pourront traduire et commenter
des textes à la demande, et surtout les sites de grande fréquentation vont
investir dans des versions en langues différentes, comme le fait l'industrie
audiovisuelle.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

A la suite de la parution de mon deuxième roman, Sanguine sur toile, j'ai reçu
un message d'un ami que j'avais perdu de vue depuis plus de vingt ans. Il
s'était reconnu dans un personnage du livre. Nous nous sommes revus récemment
autour d'une bouteille de Saint-Joseph et nous avons pu échanger des souvenirs
et fomenter des projets...

= Et votre pire souvenir?

Virus, chaînes du "bonheur", sollicitations commerciales, sites fascistes,
informations non contrôlées, se développent en ce moment à très grande échelle.
Je me pose sérieusement la question: "Quel bébé ai-je bien pu contribuer à faire
naître?"


PATRICE CAILLEAUD (Paris)


#Membre fondateur et directeur de la communication de HandiCaPZéro

*Entretien du 22 janvier 2001

= Pouvez-vous décrire l'activité de HandiCaPZéro?

Permettre à la personne déficiente visuelle d'aborder de façon autonome sa vie
quotidienne en lui facilitant les accès à l'information, à la consommation, à la
citoyenneté. Porter cette aspiration et la conduire jusqu'à ce qu'elle trouve sa
légitimité auprès des acteurs de la vie socio-économique et de l'opinion
publique.

= Pouvez-vous décrire votre site web?

Réflexions, conceptions, tests ont longtemps été à l'étude pour donner aux
internautes aveugles et malvoyants un véritable outil doté d'informations
pragmatiques. Depuis le 15 septembre 2000, tous les services de l'association
dans des domaines comme les loisirs, la télé, la communication, la santé sont
accessibles sur le site www.handicapzero.org. Plus de barrage pour les
internautes aveugles: quel que soit le type de périphérique employé (synthèse
vocale, plage braille), la navigation se fait sans obstacle. Par exemple, les
images et illustrations qui abondent sur la toile et rendent les sites
inaccessibles à cette population sont légendées. Plus d'illisibilité pour les
internautes malvoyants: pour la première fois sur le web, le site dispose, dès
la page d'accueil, d'une interface "confort de lecture" qui permet, en fonction
de son potentiel visuel, de choisir la couleur de l'écran, la taille et la
couleur de la police. Les pages vues à l'écran sont également imprimables selon
le format défini.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Convaincre les décideurs socio-économiques de prendre en compte les besoins
spécifiques des usagers, clients et citoyens déficients visuels. Mettre en
oeuvre les dispositifs d'accessibilité.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

J'ai participé à la conception éditoriale et graphique du site. Aujourd'hui, mon
rôle consiste à développer de nouveaux services accessibles pour le site.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Internet n'est pas entré dans la majorité des foyers des personnes déficientes
visuelles. A cela, trois principales raisons:
- l'âge du public concerné, qui se situe au delà de la soixantaine (pour 70% du
public);
- le coût trop élevé pour une acquisition personnelle d'un matériel spécialisé;
- le nombre trop restreint de sites accessibles de façon autonome.

L'avenir de l'accès à l'information pour les personnes aveugles devrait passer
par le web. Ce support, à condition d'une responsabilité des développeurs de
sites sous l'impulsion d'une autorité qui commence à légiférer, donne un accès
instantané à une information actuelle au contraire des supports braille ou
caractères agrandis qui nécessitent des délais et des coûts d'adaptation, de
transcription et fabrication.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

L'essentiel de l'activité de HandiCaPZéro aujourd'hui reste l'impression de
documents papier braille et caractères agrandis. La majorité du public auquel
s'adresse l'association n'est pas encore internaute.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Non, au contraire. L'internet dope les ventes de livres, comme celles des
disques, quoiqu'en disent les éditeurs regroupés en association de défense de
leurs intérêts. Par ailleurs, les imprimantes des micro-ordinateurs, classiques
ou braille, n'ont jamais été autant sollicitées depuis l'accès au web.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il devrait s'imposer comme une nouvelle solution complémentaire aux problèmes
des personnes aveugles et malvoyantes.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Pour l'instant, les déficients visuels sont les grands bénéficiaires du manque
de législation sur la toile. Pourvu que ça dure! Les droits et autorisations
d'auteurs étaient et demeurent des freins pour l'adaptation en braille ou
caractères agrandis d'ouvrage. Les démarches sont saupoudrées, longues et
n'aboutissent que trop rarement.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Pour les développeurs de sites que ça intéresse, des recommandations sont
disponibles en nous contactant à [voir le courriel sur le site], ou sur des
sites comme VoirPlus ou BrailleNet. En règle générale, les dispositions à
prendre ne sont pas trop contraignantes. Il ne faudrait pas que le message pour
rendre un site accessible soit trop compliqué au risque de dissuader les bonnes
volontés.


TYLER CHAMBERS (Boston, Massachusetts)


#Créateur de The Human-Languages Page (devenue iLoveLanguages en 2001) et de The
Internet Dictionary Project

The Human-Languages Page (créée par Tyler Chambers en mai 1994) et le Languages
Catalog of the WWW Virtual Library fusionnent en 2001 pour devenir
iLoveLanguages, un catalogue détaillé de plus de 2.000 ressources linguistiques
dans plus de 100 langues différentes.

Tyler Chambers mène aussi un autre projet relatif aux langues, The Internet
Dictionary Project, débuté en 1995. Le projet a pour but de créer des
dictionnaires de langues en accès libre sur le web, grâce à l'aide des
internautes. Ce site permet donc aux cybernautes du monde entier de participer à
la traduction de termes anglais dans d'autres langues.

*Entretien du 14 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Ma vie professionnelle est en ce moment complètement distincte de mon activité
sur l'internet. Je suis programmeur/technicien informatique, je trouve cela
stimulant et cela me permet de payer les factures. Mon activité en ligne a
consisté à rendre l'information linguistique accessible à davantage de gens par
le biais de deux de mes projets sur le web. Bien que je ne sois pas multilingue,
ni même bilingue moi-même, je suis conscient du fait que très peu de domaines
ont une importance comparable à celle des langues et du multilinguisme.
L'internet m'a permis de toucher des millions de personnes et de les aider à
trouver ce qu'elles cherchaient, ce dont je suis heureux. Je suis devenu aussi
une sorte de célébrité, ou au moins quelqu'un de familier dans certains cercles.
Je viens de découvrir qu'un de mes projets est brièvement mentionné dans les
éditions asiatique et internationale de Time Magazine. Dans l'ensemble, je pense
que le web a été important pour la sensibilisation aux langues et pour les
questions culturelles. Dans quel autre endroit peut-on chercher au hasard
pendant vingt minutes et trouver des informations intéressantes dans trois
langues différentes sinon plus ? Les moyens de communication rendent le monde
plus petit en rapprochant les gens. Je pense que le web est le premier médium -
bien plus que le courrier, le télégraphe, le téléphone, la radio ou la
télévision - à réellement permettre à l'usager moyen de franchir les frontières
nationales et culturelles. Israël n'est plus à des milliers de kilomètres, mais
seulement à quelques clics de souris. Notre monde est maintenant suffisamment
petit pour tenir sur un écran d'ordinateur.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Le multilinguisme sur le web était inévitable bien avant que ce médium ne se
développe vraiment. Mon premier vrai contact avec l'internet date de 1994, un
peu après ses débuts mais bien avant son expansion. 1994 a été aussi l'année où
j'ai débuté mon premier projet web multilingue. A cette époque, il existait déjà
un nombre significatif de ressources linguistiques en ligne. Ceci était
antérieur à la création de Netscape. Mosaic était le seul navigateur sur le web,
et les pages web étaient essentiellement des documents textuels reliés par des
hyperliens. A présent, suite à l'expérience acquise par les internautes, et
suite à l'amélioration des logiciels de navigation, je ne pense pas qu'il existe
une langue vivante qui ne soit pas représentée sur le web, que ce soit la langue
des Indiens d'Amérique ou les dialectes moyen-orientaux. De même une pléthore de
langues mortes peut maintenant trouver une audience nouvelle grâce à des érudits
et autres spécialistes en ligne. A ma connaissance, très peu de jeux de
caractères ne sont pas disponibles en ligne : les navigateurs permettent
désormais la visualisation des caractères romains, asiatiques, cyrilliques,
grecs, turcs, etc. Accent Software a un produit appelé "Internet avec accents"
qui prétend être capable de visualiser plus de trente codages différents. S'il
existe encore des obstacles à la diffusion d'une langue spécifique sur le web,
ceci ne devrait pas durer.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Comme je l'ai dit plus haut, je pense que l'avenir de l'internet réside dans
davantage de multilinguisme et d'exploration et de compréhension
multiculturelles que nous n'en avons jamais vu. Cependant l'internet sera
seulement le médium au travers duquel l'information circule. Comme le papier qui
sert de support au livre, l'internet lui-même augmente très peu le contenu de
l'information. Par contre il augmente énormément la valeur de celle-ci dans la
capacité qu'il a à communiquer cette information. Dire que l'internet
aiguillonne le multilinguisme est à mon sens une opinion fausse. C'est la
communication qui aiguillonne le multilinguisme et l'échange multiculturel.
L'internet est seulement le mode de communication le plus récent rendu
accessible aux gens plus ou moins ordinaires. Il a un long chemin à parcourir
avant d'être omniprésent dans le monde entier, mais il est vraisemblable que
lui-même ou un médium de la même lignée y arrive. Les langues deviendront encore
plus importantes qu'elles ne le sont quand tout le monde pourra communiquer à
l'échelle de la planète (à travers le web, les discussions, les jeux, le
courrier électronique, ou toute application appartenant encore au domaine de
l'avenir), mais je ne sais pas si ceci mènera à un renforcement des attaches
linguistiques ou à une fusion des langues jusqu'à ce qu'il n'en subsite plus que
quelques-unes ou même une seule. Une chose qui m'apparaît certaine est que
l'internet sera toujours la marque de notre diversité, y compris la diversité
des langues, même si cette diversité diminue. Et c'est une des choses que j'aime
à son sujet, c'est un exemple à l'échelle mondiale du dicton: "Cela n'a pas
vraiment disparu tant que quelqu'un s'en souvient." Et les gens se souviennent.


PASCAL CHARTIER (Lyon)


#Créateur de Livre-rare-book, site professionnel de livres d'occasion

Gérant de la librairie du Bât d'Argent, librairie lyonnaise, Pascal Chartier a
créé dès novembre 1995 Livre-rare-book, site professionel de livres d'occasion.
Quadrilingue (français, anglais, italien, allemand), le site comprend un
catalogue de livres anciens et de livres d'occasion classé par sujets et par
librairie (environ 100 librairies et 300.000 livres en mai 2001) et un annuaire
électronique international des librairies de livres d'occasion.

En juin 1998, Pascal Chartier considérait que le web lui a ouvert "une vaste
porte", à la fois pour lui et ses clients. Il le considérait aussi "comme
peut-être la pire et la meilleure des choses. La pire parce qu'il peut générer
un travail constant sans limite et la dépendance totale. La meilleure parce
qu'il peut s'élargir encore et permettre surtout un travail intelligent!"

*Entretien du 15 janvier 2000

= Quoi de neuf?

La réalisation d'un module de gestion pour permettre aux libraires d'intégrer
leurs livres facilement sur Livre-rare-book, et la traduction en cours du site
en anglais, allemand, italien et portugais. Actuellement, nous avons 33
libraires sur le site et 85.000 livres (le chiffre a fortement augmenté depuis,
avec environ 100 librairies et 300.000 livres en mai 2001, ndlr).

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Un cercle vicieux.

= Que pensez-vous de l'évolution vers un internet multilingue?

Un sujet passionnant.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La lettre d'une vieille dame québécoise à qui j'ai pu faire retrouver un livre
de son enfance.

= Et votre pire souvenir?

Les injures gratuites.

*Entretien du 9 novembre 2000

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

C'est toujours un problème d'échelle, de lunettes ou de système de pensée: d'un
côté le papier a encore quelques siècles devant lui, de l'autre ses jours sont
effectivement comptés.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il ne me viendrait pas à l'idée de lire un livre ainsi, mais peut-être de
récupérer le texte et de l'imprimer?

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Le problème est l'argent. Nous avons les éléments techniques.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Du vent... ou de l'imaginaire?

= Et la société de l'information?

Une société humaine.


RICHARD CHOTIN (Paris)


#Professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de Lille

*Entretien du 4 septembre 2000

= Pouvez-vous décrire votre site web?

Il s'agit d'un site interne à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) qui ne
comprend que la biographie, la bibliographie et les enseignements de chaque
enseignant. Le mien n'échappe pas à cette règle.

= En quoi consiste votre activité professionnelle?

J'enseigne à l'université (essentiellement gestion et stratégie). Mon activité
liée à internet est marquée par l'importance de la recherche d'éléments sur
internet, mais surtout le croisement des données afin d'éviter la
désinformation.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Dans les trois années à venir, je compte développer cette activité. Après, la
retraite aidant, je compte diminuer sensiblement mes activités sur le net.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, je lis environ cinq à six journaux (quotidiens et hebdomadaires), deux à
trois livres papier par mois, et environ 3 à 4.000 photocopies par an.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il a une certaine utilité mais ne remplacera pas le livre papier, sauf à pouvoir
le tirer ultérieurement si l'intérêt est grand.

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

Et si l'on supprimait le droit d'auteur en ce qui concerne les livres?

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

Le problème est politique et idéologique: c'est celui de l'"impérialisme" de la
langue anglaise découlant de l'impérialisme américain. Il suffit d'ailleurs de
se souvenir de l'"impérialisme" du français aux 18e et 19e siècles pour
comprendre la déficience en langues des étudiants français: quand on n'a pas
besoin de faire des efforts pour se faire comprendre, on n'en fait pas, ce sont
les autres qui les font.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Là encore, il faudrait une réelle motivation des concepteurs de sites envers le
problème des aveugles et une volonté politique d'intégration des handicapés (et
pas seulement financière).

= Quel est votre pire souvenir lié à l'internet?

C'est lorsque j'ai découvert qu'il me faudrait plusieurs vies pour tenter
d'épuiser les possibilités de l'outil. Quand j'ai compris que je n'y arriverais
pas, je me suis remis à lire Le mythe de Sisyphe d'Albert Camus afin de ne pas
sombrer dans une mélancolie maniaco-dépressive due à l'absurdité de la
situation.

*Entretien du 5 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Une seule nouveauté, mais de taille, les conséquences de l'accessibilité du web
aux aveugles: ma fille vient d'obtenir la deuxième place à l'agrégation de
lettres modernes. Un de ses amis a obtenu la maîtrise de conférence en droit et
un autre a soutenu sa thèse de doctorat en droit également.

Outre l'aspect performance, cela prouve au moins que si les aveugles étaient
réellement aidés (tous les aveugles n'ont pas évidemment la chance d'avoir un
père qui peut passer du temps et consacrer de l'argent) par des méthodes plus
actives dans la lecture des documents, telles que celles que je décris
(obligation d'obtenir en braille ce qui existe en "voyant" notamment), le
handicap pourrait presque disparaître.


ALAIN CLAVET (Ottawa)


#Analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada

"Le mandat du Commissariat est le suivant: faire reconnaître le statut du
français et de l'anglais, les deux langues officielles du Canada; faire
respecter la loi sur les langues officielles; fournir de l'information sur les
services du Commissariat, les aspects de la loi sur les langues officielles et
son importance pour la société canadienne. Le Commissaire protège: le droit du
public d'utiliser le français ou l'anglais pour communiquer avec les
institutions fédérales et pour en recevoir les services là où la loi et le
règlement sur les langues officielles le prévoient; le droit des fonctionnaires
de travailler dans l'une ou l'autre langue officielle dans les régions désignées
à cette fin ; le droit de tous les Canadiens et Canadiennes d'expression
française ou anglaise de bénéficier des mêmes chances d'emploi et d'avancement
au sein des institutions fédérales." (extrait du site web)

Alain Clavet est analyste de politiques sur les questions relatives à la dualité
linguistique dans les domaines d'internet et de la radiodiffusion. En août 1999,
il a rédigé une étude spéciale intitulée Le gouvernement du Canada et le
français sur internet. Dans l'introduction de cette étude, il explique:
"Internet peut influencer profondément l'organisation du gouvernement du Canada,
sa façon de fournir des services et de communiquer avec les citoyens. La langue
anglaise est prépondérante dans l'ensemble des réseaux électroniques, y compris
sur internet. Il importe donc que la Commissaire veille à ce que le français
prenne toute sa place équitable dans les échanges reposant sur ce nouveau mode
de communication et de publication."

*Entretien du 3 septembre 1999

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Internet devient l'un de mes principaux secteurs de spécialisation. Le réseau me
permet de faire des recherches, de communiquer et d'élargir mes vues sur les
questions relatives aux langues officielles (l'anglais et le français, ndlr).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je donne présentement une série de communications suite à mon rapport: Le
gouvernement du Canada et le français sur internet. Je vais continuer dans les
prochaines années à développer cette expertise.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Des logiciels devraient permettre de tarifer l'usager lorsque nécessaire et les
gouvernements devraient libérer de frais le maximum de documents et services,
notamment en français.

= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour un internet véritablement
multilingue?

J'en suggère plusieurs dans mon rapport (voir le chapitre 5: Observations et
recommandations, ndlr).

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La découverte des toutes les possibilités du modem-câble. La très grande vitesse
du modem m'a permis de voir la puissance de ce mode de communication. Internet
comme encyclopédie universelle m'est indispensable.

= Et votre pire souvenir?

La lenteur, mais c'est réglé.

*Entretien du 4 septembre 2000

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

J'ai présenté une conférence à l'INET 2000 à Yokohama (Japon) (18-21 juillet
2000) sur la diversité linguistique dans le cyberespace. Je serai à Paris pour
la conférence Newropeans (5-7 octobre 2000).

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Un peu moins (qu'avant d'être connecté à internet). Le papier continuera d'avoir
un rôle complémentaire.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

La technologie devra s'améliorer encore de ce point de vue afin de devenir
vraiment populaire.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Un lieu de connaissances partagées non soumis aux contraintes du temps et de
l'espace.

= Et la société de l'information?

Le constat que la valeur ajoutée centrale (en référence à une notion économique,
celle de la valeur ajoutée) devient de plus en plus l'intelligence de
l'information. Ainsi, dans une société de l'information, la connaissance devient
la plus-value recherchée.

*Entretien du 3 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Le gouvernement du Canada a accepté l'ensemble des douze recommandations du
rapport: Le gouvernement du Canada et le français sur internet. Des
investissements importants ont été réalisés à cet égard cette année. Notamment
80 millions de dollars (canadiens, soit 62 millions d'euros, ndlr) pour la
numérisation des collections, 30 millions (23,3 millions d'euros, ndlr) pour la
constitution du Musée virtuel canadien et, le 2 mai 2001, l'annonce de 108
millions supplémentaires (83,7 millions d'euros, ndlr) afin d'accroître les
contenus culturels canadiens sur internet. Je représente également le Canada à
un comité d'experts de l'Unesco pour la promotion du multilinguisme et de
l'accès universel à l'internet.


JEAN-PIERRE CLOUTIER (Montréal)


#Auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de
l'internet

Jean-Pierre Cloutier, journaliste québécois, lance en novembre 1994 Les
Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, sous
la forme d'une lettre hebdomadaire envoyée par courrier électronique (5.000
abonnés en 2001). A partir d'avril 1995, on peut également lire les Chroniques
directement sur le web. Depuis bientôt sept ans maintenant, elles font référence
dans la communauté francophone, y compris dans le domaine du livre. Chroniqueur
à temps plein, Jean-Pierre Cloutier est également photographe.

*Entretien du 8 juin 1998

= En quoi l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Il y a deux choses ici, dans mon cas. D'abord une époque où j'étais traducteur
(après avoir travaillé dans le domaine des communications). Je me suis branché à
internet à la demande de clients de ma petite entreprise de traduction car ça
simplifiait l'envoi des textes à traduire et le retour des textes traduits.
Assez rapidement, j'ai commencé à élargir mon bassin de clientèle et à avoir des
contrats avec des clients américains.

Puis, il y a eu carrément changement de profession, c'est-à-dire que j'ai mis de
côté mes activités de traduction pour devenir chroniqueur. Au début, je le
faisais à temps partiel, mais c'est rapidement devenu mon activité principale.
C'était pour moi un retour au journalisme, mais de manière manifestement très
différente. Au début, les Chroniques traitaient principalement des nouveautés
(nouveaux sites, nouveaux logiciels). Mais graduellement on a davantage traité
des questions de fond du réseau, puis débordé sur certains points d'actualité
nationale et internationale dans le social, le politique et l'économique.

Dans le premier cas, celui des questions de fond, c'est relativement simple car
toutes les ressources (documents officiels, dépêches, commentaires, analyses)
sont en ligne. On peut donc y mettre son grain de sel, citer, étendre l'analyse,
pousser des recherches. Pour ce qui est de l'actualité, la sélection des sujets
est tributaire des ressources disponibles, ce qui n'est pas toujours facile à
dénicher. On se retrouve alors dans la même situation que la radio ou la télé,
c'est-à-dire que s'il n'y a pas de clip audio ou d'images, une nouvelle même
importante devient du coup moins attrayante sur le plan du médium.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Dans le cas des Chroniques de Cybérie, nous avons pu lancer et maintenir une
formule en raison des coûts d'entrée relativement faibles dans ce médium.
Cependant, tout dépendra de l'ampleur du phénomène dit de "convergence" des
médias et d'une hausse possible des coûts de production s'il faut offrir de
l'audio et de la vidéo pour demeurer concurrentiels. Si oui, il faudra songer à
des alliances stratégiques, un peu comme celle qui nous lie au groupe Ringier et
qui a permis la relance des Chroniques après six mois de mise en veilleuse. Mais
quel que soit le degré de convergence, je crois qu'il y aura toujours place pour
l'écrit, et aussi pour les analyses en profondeur sur les grandes questions.

*Entretien du 6 août 1999

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien (nouvelles réalisations, nouveaux
projets, nouvelles idées...)?

Projets et réalisations, non, pas vraiment. Nouvelles idées, oui, mais c'est
encore en gestation.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

Vaste question.

Il y a d'abord les droits d'auteurs et droits de reproduction des grandes
entreprises. Ces dernières sont relativement bien dotées en soutien juridique,
soit par le recours aux services internes du contentieux, soit par l'embauche de
firmes spécialisées.

Il est certain que la "dématérialisation" de l'information, apportée par
internet et les techniques de numérisation, facilite les atteintes de toutes
sortes à la propriété intellectuelle.

Là où il y a danger, c'est dans le cas de petits producteurs/diffuseurs de
contenus "originaux" qui n'ont pas les moyens de surveiller l'appropriation de
leurs produits, ni d'enclencher des mesures sur le plan juridique pour faire
respecter leurs droits.

Mais tout ça, c'est de l'"officiel", des cas de plagiat que l'on peut prouver
avec des pièces "rematérialisées". Il y a peut-être une forme plus insidieuse de
plagiat, celle de l'appropriation sans mention d'origine d'idées, de concepts,
de formules, etc. Difficile dans ces cas de "prouver" le plagiat, car ce n'est
pas du copier/coller pur et simple. Mais c'est une autre dimension de la
question qui est souvent occultée dans le débat.

Des solutions? Il faut inventer un processus par lequel on puisse inscrire sans
frais une oeuvre (article, livre, pièce musicale, etc.) auprès d'un organisme
international ayant pouvoir de sanction. Cette méthode ne réglerait pas tous les
problèmes, mais aurait au moins l'avantage de déterminer un cadre de base et qui
sait, peut-être, agir en dissuasion aux pillards.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue? Quelles solutions
pratiques suggérez-vous?

Cet été, le cap a été franchi. Plus de 50% des utilisateurs et utilisatrices du
réseau sont hors des États-Unis. L'an prochain, plus de 50% des utilisateurs
seront non anglophones. Il y a seulement cinq ans, c'était 5%. Formidable, non?

Mais voilà, c'est que l'internet est devenu multiforme et exige de plus en plus
des outils performants en raison de l'"enrichissement" des contenus (ou plutôt
des contenants, car sur le fond, le contenu véritable, rien n'est enrichi sauf
les entreprises qui les vendent). Il faut des systèmes costauds, bien pourvus en
mémoire, avec des microprocesseurs puissants. Or, s'il y a développement du web
non anglophone, il s'adressera pour une bonne part à des populations qui n'ont
pas les moyens de se procurer des systèmes puissants, les tout derniers
logiciels et systèmes d'exploitation, et de renouveler et mettre à niveau tout
ce bazar aux douze mois.

En outre, les infrastructures de communication, dans bien des régions hors
Europe ou États-Unis, font cruellement défaut. Il y a donc problème de bande
passante.

Je le constate depuis le tout début des Chroniques. Des correspondants (Afrique,
Asie, Antilles, Amérique du Sud, région Pacifique) me disent apprécier la
formule d'abonnement par courrier électronique car elle leur permet en
récupérant un seul message de lire, de s'informer, de faire une présélection des
sites qu'ils ou elles consulteront par la suite. Il faut pour eux, dans bien des
cas, optimiser les heures de consultation en raison des infrastructures
techniques plutôt faibles.

C'est dans ces régions, non anglophones, que réside le développement du web. Il
faut donc tenir compte des caractéristiques techniques du médium si on veut
rejoindre ces "nouveaux" utilisateurs.

Je déplore aussi qu'il se fasse très peu de traductions des textes et essais
importants qui sont publiés sur le web, tant de l'anglais vers d'autres langues
que l'inverse.

Je m'explique. Par exemple, Jon Katz publie une analyse du phénomène de la
culture Goth qui imprégnait les auteurs du massacre de Littleton, et de
l'expression Goth sur le web. La presse francophone tire une phrase ou deux de
l'analyse de Katz, grapille quelques concepts, en fait un article et c'est tout.
Mais c'est insuffisant pour comprendre Katz et saisir ses propos sur la culture
de ces groupes de jeunes.

De même, la nouveauté d'internet dans les régions où il se déploie présentement
y suscite des réflexions qu'il nous serait utile de lire. À quand la traduction
des penseurs hispanophones et autres de la communication?

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Ce n'est pas très gai, et ça n'a rien à voir avec le rayonnement important
qu'ont acquis Les Chroniques de Cybérie au fil des ans.

Début 1996, j'ai reçu un message qui disait à peu près ceci: "Mon fils, dans le
début de la vingtaine, était gravement malade depuis des mois. Chaque semaine,
il attendait avec impatience de recevoir dans sa boîte aux lettres votre
chronique. Ne pouvant plus sortir de la maison, votre chronique lui permettait
de 'voyager', d'ouvrir ses horizons, de penser à autre chose qu'à son mal. Il
est décédé ce matin. Je voulais simplement vous remercier d'avoir allégé ses
derniers mois parmi nous."

Alors, quand on reçoit un message comme ça, on se fout pas mal de parler à des
milliers de gens, on se fout des statistiques d'achalandage, on se dit qu'on
parle à une personne à la fois.

= Et votre pire souvenir?

Pas vraiment un seul "gros et méchant" souvenir. Mais une foule de petits
irritants. Le système est fragile, le contenu passe au second plan, on parle peu
du capital humain, on nous inonde de versions successives de logiciels, etc.
Mais c'est très vivable...

*Entretien du 5 août 2000

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Disons que fin juillet 1998, à peu près au moment où nous avions notre tout
premier entretien, j'écrivais: "Quelqu'un me demandait récemment quelles étaient
les grandes tendances d'internet et si quelque chose avait changé dans la
couverture journalistique de l'espace cyber. Après avoir feint de ne pas avoir
entendu la question, question de songer à une réponse adéquate, je lui ai
répondu qu'au début, un bon chroniqueur se devait d'avoir les deux pieds bien
ancrés dans le milieu des technologues et des créatifs. Maintenant, il importe
d'avoir un bureau à mi-chemin entre le Palais de justice et la Place de la
bourse, et de cultiver ses amis avocats et courtiers." (Chroniques de Cybérie,
28 juillet 1998)

Je constate que, depuis ce temps, mais surtout depuis un an, cette tendance
s'est confirmée. Les considérations financières comme les placements initiaux de
titres (les IPO - initial public offers), les options d'achat d'actions, la
montée fulgurante du Nasdaq fin 1999 et début 2000, puis la correction boursière
du printemps, bref, toute cette activité a dominé grandement l'actualité du
cyberespace.

Puis, sur le plan juridique, il y a eu l'affaire Microsoft (qui n'est pas encore
terminée en raison des appels). C'est la plus visible, celle qui a monopolisé
l'attention pendant des mois. Plus récemment, c'est l'affaire Napster qui
retient l'attention (là aussi, on attend les décisions en appel). L'affaire UEJF
(Union des étudiants juifs de France) - LICRA (Ligue internationale contre le
racisme et l'antisémitisme) - Yahoo! en France est aussi, à mon avis, éminemment
importante car elle implique le concept de censure "géographique", à partir d'un
territoire donné. Mais outre ces "causes célèbres", il ne se passe pas une
journée sans que les fils de presse ne rapportent des décisions de tribunaux qui
ont des incidences sur l'avenir d'internet.

Ce sont donc les manoeuvres boursières et les objets de litiges portés devant
les tribunaux qui façonnent le mode de vie en réseau, et ce au détriment d'une
réflexion et d'une action profonde sur le plan strict de la communication.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Disons que, dans mon cas, l'utilisation du support papier est plus sélective.
Pour mes besoins, j'imprime parfois un document récupéré en ligne car le papier
est une "interface de lecture" des plus portables. Sans connexion, sans piles,
sans attirail technique, on transporte le document où on veut, on l'annote, on
le partage, on le donne, on le récupère, puis il peut prendre facilement le
chemin du bac de recyclage.

Côté des journaux et périodiques, j'en consomme moins qu'avant mon utilisation
régulière d'internet (1991). Mais là encore, c'est sélectif. Le seul périodique
que j'achète régulièrement est le mensuel Wired. Je n'ai jamais été abonné, je
l'achète en kiosque, c'est comme voter avec son fric pour le changement.

Pour ce qui est des livres, comme je suis en guerre perpétuelle avec le temps,
j'ai peu l'occasion de lire. Au cours de mes vacances, cet été, j'ai acheté des
livres de cyberlibraires et je les ai fait livrer poste restante au bureau de
poste du village où j'étais. Entre trois à cinq jours pour la livraison, c'est
génial.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Le cinéma n'a pas sonné la mort des spectacles sur scène et des arts
d'interprétation, pas plus que la radio. La télévision n'a pas relégué aux
oubliettes le cinéma, au contraire, elle a contribué à une plus grande diffusion
des films. Même chose pour la vidéocassette. Les technologies se succèdent, puis
cohabitent.

Je crois qu'il en sera de même pour le papier. Il est certain que son rôle et
ses utilisations seront modifiés, que certains contenus demeureront plus
portables et conviviaux sur papier, il y aura des ajustements.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Curieusement, dans l'édition du 28 juillet 1998 des Chroniques de Cybérie que je
cite plus haut, je parlais du numéro 4 des Cahiers de médiologie ayant pour
thème "Les pouvoirs du papier", et aussi des premiers livres numériques.

Force est de constater que, deux ans plus tard, peu de choses ont évolué.
D'abord, sur le plan technique, les nouvelles interfaces de lecture n'ont pas
rempli leurs promesses sur le plan de la convivialité, de l'aisance et du
confort, du plaisir de l'expérience de lire.

D'autre part, les contenus proposés sont encore assez maigres. Je ne dis pas
qu'il n'y a rien, mais c'est peu varié, et encore peu de grands titres qui
permettraient des économies d'échelle.

Oui, Stephen King a fait un pied de nez aux éditeurs et publié des oeuvres
originales en ligne. Et alors? On peut difficilement, encore, parler d'une
tendance.

J'ai une théorie des forces qui animent et modifient la société, et qui se
résume à classer les phénomènes en tendances fortes, courants porteurs et
signaux faibles.

Le livre électronique ne répond pas encore aux critères de tendance forte. On
perçoit des signaux faibles qui pourraient annoncer un courant porteur, mais on
n'y est pas encore. Cependant, si et quand on y sera, ce sera un atout important
pour les personnes qui souhaiteront s'auto-éditer, et le phénomène pourrait
bouleverser le monde de l'édition traditionnelle.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et mal-voyants?

Mes suggestions s'adressent surtout aux diffuseurs de contenus qui ne respectent
pas les normes techniques. Je m'explique. Le Consortium W3C est un organisme de
normalisation des techniques du web. Ses comités étudient les nouvelles
techniques, et prescrivent des normes d'utilisation. Or les producteurs et
diffuseurs de contenus utilisent souvent des techniques propriétales, hors
normes, propres à un logiciel ou à une plate-forme, ce qui donne lieu, par
exemple, à des "sites optimisés" pour Netscape ou pour Internet Explorer.

Si ces sites soi-disant optimisés pour un fureteur ou un autre causent des
problèmes pour les utilisateurs ordinaires, imaginez la difficulté d'adapter des
contenus livrés hors normes à un consultation pour non-voyants.

Il y a des efforts énormes pour rendre accessible à tous le contenu du web, mais
tant et aussi longtemps que les diffuseurs utiliseront des technologies hors
normes, et ne tiendront pas leurs engagements pris, notamment, dans le cadre du
Web Interoperability Project (WIP), la tâche sera difficile.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Un monde parallèle, un espace où se déroule l'ensemble des activités
d'information, de communication, et d'échanges (y compris échanges commerciaux)
désormais permises par le réseau. Il y a un centre, autonome, très interconnecté
qui vit par et pour lui-même. Puis des collectivités plus ou moins ouvertes, des
espaces réservés (intranets), des sous-ensembles (AOL, CompuServe). Il y a
ensuite de très longues frontières où règne une culture mixte, hybride, issue du
virtuel et du réel (on pense aux imprimés qui ont des versions web, aux sites
marchands). Il y a aussi un sentiment d'appartenance à l'une ou l'autre de ces
régions du cyberespace, et un sentiment d'identité.

= Et la société de l'information?

Une société où l'unité de valeur réelle est l'information produite, transformée,
échangée. Elle correspond au "centre" du cyberespace. Malheureusement, le
concept a tellement été galvaudé, banalisé, on l'a servi à toutes les sauces
politiciennes pour tenter d'évoquer ce qu'on ne pouvait imaginer dans le détail,
ou concevoir dans l'ensemble, de sorte que l'expression a perdu de son sens.


JACQUES COUBARD (Paris)


#Responsable du site web du quotidien L'Humanité

*Entretien du 23 juillet 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Le site de L'Humanité a été lancé en septembre 1996 à l'occasion de la Fête
annuelle du journal. Nous y avons ajouté depuis un forum, un site (en
partenariat) pour la récente Coupe du monde de football, et des données sur la
Fête et sur le meeting d'athlétisme parrainé par L'Humanité. Nous espérons
pouvoir développer ce site à l'occasion du lancement d'une nouvelle formule du
quotidien qui devrait intervenir à la fin de l'année ou au début de l'an
prochain. Nous espérons également mettre sur site L'Humanité hebdo dans les
mêmes délais.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Jusqu'à présent on ne peut pas dire que l'arrivée d'internet ait bouleversé la
vie des journalistes faute de moyens et de formation (ce qui va ensemble). Les
rubriques sont peu à peu équipées avec des postes dédiés, mais une minorité de
journalistes exploite ce gisement de données. Certains s'en servent pour
transmettre leurs articles, leurs reportages. Il y a sans doute encore une
"peur" culturelle à plonger dans l'univers du Net. Normal, en face de l'inconnu.
L'avenir devrait donc permettre par une formation (peu compliquée) de combler ce
handicap. On peut rêver à un enrichissement par une sorte d'édition
électronique, mais nous sommes sévèrement bridés par le manque de moyens
financiers.


LUC DALL'ARMELLINA (Paris)


#Co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures hypermédias

*Entretien du 13 juin 2000

= Pouvez-vous présenter oVosite?

oVosite est un site web (mise en ligne: juin 1997) conçu et réalisé par un
collectif de six auteurs (Chantal Beaslay, Laure Carlon, Luc Dall'Armellina,
Philippe Meuriot, Anika Mignotte et Claude Rouah) - issus du département
hypermédias de l'Université Paris 8 - autour d'un symbole primordial et
spirituel, celui de l'oeuf. Le site s'est constitué selon un principe de
cellules autonomes qui visent à exposer et intégrer des sources hétérogènes
(littérature, photo, peinture, vidéo, synthèse) au sein d'une interface
unifiante.

Les récits voisins, la première cellule active, met en scène huit nouvelles
originales - métaphores d'éclosion ou de gestation - à travers des ancrages
variant selon trois regards: éléments de l'environnement (rouge), personnages de
l'histoire (violet), correspondances poétiques (bleu). L'interprétation de ces
regards, c'est-à-dire le choix des liens pour chaque élément de texte, incombe à
chaque auteur et dépend de sa perception individuelle du sujet au sein de son
univers intime. Les récits voisins est une oeuvre collective, un travail
d'écriture multimédia qui s'est étendu sur près de six mois.

Désirs est une proposition de fragmentation d'un poème anonyme (texte de 1692)
et qui occupe l'espace sur le mode de l'apparition des phrases reliées à des
mots qui s'affichent et disparaissent au gré d'un aléatoire mesuré.

De nouvelles cellules sont en couvaison...

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis enseignant en création numérique auprès d'étudiants des filières "arts"
et "design graphique" à l'Ecole régionale des beaux-arts de Valence (Drôme) et
chargé de cours en "création de site web" UFR6 (unité de formation et de
recherche 6) "Littérature et Informatique" auprès d'étudiants de DESS (diplôme
d'enseignement supérieur spécialisé) à l'Université Paris 8 -
Saint-Denis-Vincennes (Seine Saint-Denis).

J'exerce par ailleurs une activité de recherche (doctorant à Paris 8) faite de
création (sites web et dispositifs hypertextuels), de veille technologique
(outils de création et technologies) et d'un travail d'analyse des pratiques de
création numérique. Ces trois pôles servent la construction de ma thèse en cours
sur le thème: "Vers une écologie de l'écran".

= Comment voyez-vous l'avenir?

La couverture du réseau autour de la surface du globe resserre les liens entre
les individus distants et inconnus (c'est un peu notre cas lors de cet échange).
Ce qui n'est pas simple puisque nous sommes placés devant des situations
nouvelles: ni vraiment spectateurs, ni vraiment auteurs, ni vraiment lecteurs,
ni vraiment interacteurs. Ces situations créent des nouvelles postures de
rencontre, des postures de "spectacture" ou de "lectacture" (Jean-Louis
Weissberg). Les notions de lieu, d'espace, de temps, d'actualité sont
requestionnées à travers ce médium qui n'offre plus guère de distance à
l'événement mais se situe comme aucun autre dans le présent en train de se
faire.

L'écart peut être mince entre l'envoi et la réponse, parfois immédiat (cas de la
génération de textes). Mais ce qui frappe et se trouve repérable ne doit pas
masquer les aspects encore mal définis tels que les changements radicaux qui
s'opèrent sur le plan symbolique, représentationnel, imaginaire et plus
simplement sur notre mode de relation aux autres. "Plus de proximité" ne crée
pas plus d'engagement dans la relation, de même "plus de liens" ne créent pas
plus de liaisons, ou encore "plus de tuyaux" ne créent pas plus de partage.

Je rêve d'un internet où nous pourrions écrire à plusieurs sur le même
dispositif, une sorte de lieu d'atelier d'écritures permanent et qui
autoriserait l'écriture personnelle (c'est en voie d'exister), son partage avec
d'autres auteurs, leur mise en relation dans un tissage d'hypertextes et un
espace commun de notes et de commentaires sur le travail qui se crée. Je rêve
encore d'un internet gratuit pour tous et partout, avec toute l'utopie que cela
représente. Internet est jeune mais a déjà ses mythologies, ainsi Xanadu devait
être cette cité merveilleuse ou tout le savoir du monde y serait lisible en
toutes les langues. Loin d'être au bout de ce rêve, internet tient tout de même
quelques-unes de ces promesses.

= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre mode
d'écriture?

Non - parce qu'écrire est de toute façon une affaire très intime, un mode de
relation qu'on entretient avec son monde, ses proches et son lointain, ses
mythes et fantasmes, son quotidien et enfin, appendus à l'espace du langage,
celui de sa langue d'origine. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que
l'hypertexte change fondamentalement sa manière d'écrire, qu'on procède par
touches, par impressions, associations, quel que soit le support d'inscription,
je crois que l'essentiel se passe un peu à notre insu.

Oui - parce que l'hypertexte permet sans doute de commencer l'acte d'écriture
plus tôt: devançant l'activité de lecture (associations, bifurcations, sauts de
paragraphes) jusque dans l'acte d'écrire. L'écriture (significatif avec des
logiciels comme StorySpace) devient peut-être plus modulaire. On ne vise plus
tant la longue horizontalité du récit mais la mise en espace de ses fragments,
autonomes. Et le travail devient celui d'un tissage des unités entre elles.
L'autre aspect lié à la modularité est la possibilité d'écritures croisées, à
plusieurs auteurs. Peut-être s'agit-il d'ailleurs d'une méta-écriture, qui met
en relation les unités de sens (paragraphes ou phrases) entre elles.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

Le droit de l'auteur est celui d'un individu et celui de son oeuvre. L'individu
a le droit de disposer d'une garantie, celle que son oeuvre ne soit pas pillée
et/ou (pire?) détournée ou morcelée. La notion d'oeuvre est complexe, mais si
l'on accepte celle d'une production originale et personnelle comme ensemble
cohérent qui fait sens et système pour proposer un regard singulier - celui d'un
auteur - ce droit doit pouvoir être garanti.

Sans même évoquer les aspects financiers (royalties, etc.) qui sont bien réels,
un standard comme XML devrait pouvoir garantir l'indexation des oeuvres, des
artistes, et une signature numérique attachée à leurs productions en ligne.

Un autre standard d'autentification - de type PNG (portable network graphics)
pour l'image - devrait pouvoir permettre d'attribuer une clé numérique
infalsifiable à une production. Un exemple significatif: les éditions numériques
00h00.com ont édité un roman interactif, Apparitions inquiétantes, né sur le web
(donc en HTML) mais vendu au format Acrobat PDF qui permet de conditionner son
ouverture par un mot de passe donné lors de l'achat en ligne du roman.

On peut aisément imaginer que, si le WWW Consortium ne propose pas de système
d'authentification numérique des pages web, éditeurs et auteurs vont se tourner
vers des produits éditoriaux plus repérés (livre, cédérom) et pour lesquels
existe un circuit de distribution.

On peut imaginer qu'un auteur puisse faire enregistrer ses logiciels de création
auprès d'un organisme et obtienne en échange une clef numérique (signature
individuelle) qui soit automatiquement apposée dans ses fichiers. Une autre
solution consisterait en un dépôt - type SACEM (Société des auteurs,
compositeurs et éditeurs de musique) ou SCAM (Société civile des auteurs
multimédia) ou SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) ou SESAM
(Gestion des droits des auteurs dans l'univers multimédia) - qui fasse
antériorité, mais c'est une solution de protection et non pas un procédé de
signature...

Peut-être existe-t-il une question prélable cachée dans celle-ci: ne faut-il pas
à l'heure du numérique, et en regard de ce que Julia Kristeva a appelé
l'intertextualité, redéfinir la notion et le terme d'auteur?

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue? Quelles solutions
pratiques suggérez-vous?

Les systèmes d'exploitation se dotent peu à peu des kits de langues et bientôt
peut-être de polices de caractères Unicode à même de représenter toutes les
langues du monde; reste que chaque application, du traitement de texte au
navigateur web, emboîte ce pas.

Les difficultés sont immenses: notre clavier avec ses ± 250 touches avoue ses
manques dès lors qu'il faille saisir des Katakana ou Hiragana japonais, pire
encore avec la langue chinoise.

La grande variété des systèmes d'écritures de par le monde et le nombre de leurs
signes font barrage. Mais les écueils culturels ne sont pas moins importants,
liés aux codes et modalités de représentation propres à chaque culture ou
ethnie.

L'anglais s'impose sans doute parce qu'il est devenu la langue commerciale
d'échange généralisée; il semble important que toutes les langues puissent
continuer à être représentées parce que chacune d'elle est porteuse d'une vision
"singulière" du monde.

La traduction simultanée (proposée par AltaVista par exemple) ou les versions
multilingues d'un même contenu me semblent aujourd'hui les meilleures réponses
au danger de pensée unique que représenterait une seule langue d'échange.

Peut-être appartient-il aux éditeurs des systèmes d'exploitation (ou de
navigateurs?) de proposer des solutions de traduction partielle, avec toutes les
limites connues des systèmes automatiques de traduction...

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Je n'ai pas de souvenir unique mais plutôt des événements marquants: avoir pu
contacter et converser par e-mail avec des inconnus dont j'avais lu les travaux,
avoir vu des travaux d'amis publiés en livre alors qu'ils étaient écrits
initialement et après qu'ils aient existé d'abord pour le web, avoir échangé des
vidéos et des photos de famille à l'autre bout du monde en quelques secondes.
Quelques instants fugaces de babillard avec des Canadiens perdus dans les grands
froids.

= Et votre pire souvenir?

- L'arrivée de ce qu'on appelle l'e-business, pas l'arrivée du commerce qui est
une activité respectable (activité naturelle d'échange qui crée du lien), mais
celle du discours, du vocabulaire et de l'état d'esprit qui l'accompagne:
rentabilité, business plan, parts de marché, agressivité... et de toute
l'économie faite de flan, d'effets d'annonce et dont le paroxysme s'est appelé
Nasdaq.

- La mise à mort de Mygale par un système et sa récupération par un des acteurs
du marché a montré que la communauté de partage et d'intérêt avait elle aussi un
prix (élevé) en fonction de son potentiel d'acheteurs.

*Entretien du 14 novembre 2000

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

C'est toujours une question, une frustration, cette impossibilité du papier à
entrer dans la machine! Les dispositifs d'annotation informatique sont pourtant
loin d'égaler ceux, analogiques, de la lecture papier: post-it, pages cornées,
notes en marge, photocopies commentées, agrandies, modifiées, partagées... que
j'utilise - comme beaucoup - en nombre. Tous ces procédés sont des bricolages,
les morceaux de papier pris sur des nappes au déjeuner, dans les pages "notes"
des agendas, mais ils sont la base d'un processus de mémorisation,
d'appropriation personnelle. (Voir pour s'en convaincre la gestion archaïque des
signets sur les deux navigateurs les plus modernes. Il faut aller voir des
navigateurs de recherche comme Nestor de Romain Zeiliger pour voir pris en
compte l'annotation comme processus cognitif et la représentation spatiale comme
mode d'organisation des données complexes.) C'est là la question la moins bien
prise en compte dans les dispositifs numériques où la mémoire prise en compte
est celle de la machine et du logiciel, pas celle de nos cheminements intimes.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Les "outils numériques" deviendront peut-être peu à peu les objets banals de
notre quotidien; en attendant ce(s) jour(s), la souplesse des usages du papier
n'a pas encore son pareil, je crois. Les débuts des années 80 avaient annoncé la
mort du support papier: son usage - et sa consommation - se sont vus multipliés.
Le papier semble devoir être encore la surface-support de confort pour la
lecture séquentielle, mais pour l'écriture numérique ? On peut se poser la
question, l'évolution lente mais inexorable des pratiques - et des outils
d'écriture - entraîne forcément la lecture vers l'ailleurs des dispositifs
interactifs. La tendance qui s'amorce sur le web - mais est-ce que cela
dépassera le stade de tendance? - est la double écriture (et donc la double
lecture) proposée. De plus en plus de sites sont faits pour satisfaire une
expérience interactive mais proposent aussi leurs contenus "de fond" sous forme
de fichiers Acrobat, donc mis en forme, designés pour l'impression individuelle
sur papier. Une écriture interactive génère ses systèmes, dispositifs, mises en
relation, en espaces, en interaction... et ses appareils de lecture. Les
nouvelles oeuvres se lisent sur un micro-ordinateur - connecté ou non - pensons
à la spécificité des Machines à écrire de Antoine Denize, de Puppet Motel de
Laurie Anderson, de Ceremony of Innocence de Peter Gabriel/Nick Bantock. Mais on
peut aussi penser - et espérer - que J.M.G. Le Clézio continuera de nous
enchanter avec ses récits sur papier.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Ce n'est qu'un sentiment, je ne possède personnellement pas ce genre d'appareil,
ni de PDA (personal digital assistant) non plus même si j'en ai eu de nombreuses
fois entre les mains avec un mélange d'envie et de gêne. Il me semble que le
"fait" technologique de l'appareil nuit à une lecture un peu "engagée". Je lis
mes livres un peu partout, ils tombent parfois de mes mains et de mon lit, j'en
ai oublié dans le train, ils me suivent dans le bus, le métro, le train, en
vacances, sur la plage ou à la montagne. Ils sont autonomes, je peux les prêter,
les donner, je les biffe, corne, annote, bref je les lis. Avec une infinie
lenteur. Je me roule dans leurs plis. Il faudrait peut-être pouvoir plier ces
livres électroniques, ou qu'ils soient incassables? Mais la question est
peut-être qu'ils ne peuvent ni ne doivent remplacer le livre papier bâti dans un
système matériel et économique cohérent. Peut-être ont-ils une place à part à
prendre? En devenant les supports de l'hyperlecture peut-être?

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Jakob Nielsen évoque dans La Conception de sites web - l'art de la simplicité
(Campus Press, 2000) un système vocal basé sur la lecture de balises HTML ou XML
capables d'interfacer un synthétiseur vocal qui paraît convaincant. La WAI (Web
Accessibility Initiative) du W3C (World Wide Web Consortium) a publié, le 5 mai
1999, la première version des directives (téléchargeables) pour un accès web aux
personnes handicapées, accessible en français.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Ce pourrait-être quelque chose comme l'ensemble électrique mouvant, le système
invisible mais cohérent des êtres humains sensibles et des interfaces
intelligentes dont les activités sont tout ou en partie réglées, conditionnées
ou co-régulées à travers leurs machines connectées ensemble. Peut-être plus
simplement: la virtualisation sensible et numérique de l'inconscient
collectif... mais là je ne parle plus sous contrôle. :=)

= Et la société de l'information?

La nôtre, je pense? L'américano-nord-européenne. A la Bourse, les annonces ont
des effets mesurables en millions de dollars ou d'euros et déclenchent des
impacts économiques et humains parfois très violents: rachats, ventes, hausses
et baisses des valeurs, licenciements. C'est une société où la valeur absolue
est l'information et son contrôle, et la valeur relative l'humain. Et là, il n'y
a plus de "parole sous contrôle" mais une question de lecture, donc
d'engagement.


KUSHAL DAVE (Yale)


#Etudiant à l'Université de Yale

*Entretien du 1er septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?

Ce sont bien sûr des relations en pleine mutation. Ce que j'ai pu voir jusqu'à
présent, c'est que les médias électroniques sont en train de saper les médias
imprimés de deux façons:

a) en favorisant la création de maisons d'édition alternatives qui permettent de
se libérer de la main-mise des grandes maisons d'édition,

b) en forçant les publications imprimées à trouver les moyens nécessaires pour
contrecarrer cette tendance. Ces deux groupes de médias se critiquent l'un
l'autre et proclament chacun leur supériorité. Les médias de l'imprimé jouent la
carte de la crédibilité, alors que les médias électroniques pensent qu'ils sont
les seuls pourvoyeurs d'une vérité impartiale.

Il y a donc un problème de "créneau" à trouver, ainsi il existe aussi un
problème financier. Internet est certainement un médium plus accessible et plus
pratique. A long terme il serait préférable qu'il puisse bénéficier du
savoir-faire de l'imprimé, sans les coûts élevés et les problèmes de copyright.
Pendant la période de transition, il serait également souhaitable que les
maisons d'édition traditionnelles prennent progressivement en compte ce nouveau
médium. Dans les publications imprimées, on voit par exemple maintenant des
adresses électroniques à la suite des articles, ce qui permet aux lecteurs de
contacter directement les auteurs. Des forums de discussion présents dans
pratiquement toutes les grandes publications électroniques montrent qu'à
l'avenir nous n'aurons plus seulement l'opinion d'une personne, mais les
opinions de plusieurs personnes, et leur interaction entre elles. Le but de ces
forums est de procurer des informations supplémentaires en arrière-plan. De
même, on peut glaner des statistiques détaillées sur l'indice de consultation de
l'information ou des annonces, ce qui permettra à la publication de s'adapter et
de s'interroger sur ses objectifs. Le lecteur aura ainsi un contenu plus ciblé,
plus riche et davantage sur mesure.

= Que représente l'internet pour vous?

D'abord un moyen de distraction. ;) Et puis une énorme quantité d'informations
banales ou intéressantes glanées en surfant sans but précis.

= Comment voyez-vous l'avenir?

J'aimerais préparer une licence et une maîtrise en sciences, puis travailler
dans l'industrie pendant quelque temps avant d'écrire sur internet dans une
publication connue.

Quant à l'avenir d'internet en général, je pense que ce médium va se
populariser, tout en étant en prise avec le développement d'un réseau commercial
qui va contrecarrer l'esprit convivial du début. On aura également affaire à une
surabondance d'information, et les moteurs de recherche sont déjà en train
d'évoluer afin de proposer des portails offrant un meilleur service.


CYNTIA DELISLE (Montréal)


#Consultante au CEVEIL (Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues)

[Entretien conjoint avec Guy Bertrand. Voir: Guy Bertrand.]


EMILIE DEVRIENDT (Paris)


#Elève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris et doctorante à
l'Université de Paris 4-Sorbonne

Elève professeur à l'Ecole normale supérieure (ENS) de Paris et doctorante à
l'Université de Paris 4-Sorbonne, Emilie Devriendt anime le séminaire "Outils
informatiques pour l'analyse textuelle" de l'ENS pendant l'année universitaire
2001-2002.

*Entretien du 27 juin 2001

= En quoi consiste exactement votre activité?

Le fait d'être étudiante me permet d'emprunter librement les chemins de traverse
qu'il me tente d'explorer: psychologie cognitive, ingénierie linguistique,
internet sont autant de domaines qui m'intriguent et qui me permettent d'adopter
des points de vue différents sur le monde de la recherche et des études
littéraires où j'ai été principalement formée.

Mes travaux de recherche ont pour objet la culture écrite (literacy) et les
représentations linguistiques du seizième siècle français. Mon activité liée à
l'informatique et à internet s'inscrit en grande partie dans une réflexion sur
l'histoire des techniques intellectuelles. Elle intervient aussi dans mes
recherches.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Je suis avant tout une grande utilisatrice d'internet, pour mes recherches
essentiellement. Je compte aussi poursuivre une activité entamée depuis peu (en
collaboration avec Russon Wooldridge, professeur à l'Université de Toronto), qui
concerne la publication de ressources littéraires en ligne, notamment pour le
seizième siècle français.

D'autre part, le prosélytisme en matière d'outils informatiques pour la
recherche littéraire me semble indispensable. Ce qui me préoccupe aujourd'hui:
la diffusion de logiciels (d'analyse textuelle par exemple) menée parallèlement
à une réflexion méthodologique sur leur utilisation. Un séminaire devrait se
mettre en place à l'Ecole normale supérieure l'an prochain sur ces thèmes.

= Comment voyez-vous l'avenir?

L'avenir me semble prometteur en matière de publications de ressources en ligne,
même si, en France tout au moins, bon nombre de résistances, inhérentes aux
systèmes universitaire et éditorial, ne risquent pas de céder du jour au
lendemain (dans dix-vingt ans, peut-être?). Ce qui me donne confiance, malgré
tout, c'est la conviction de la nécessité pratique d'internet. J'ai du mal à
croire qu'à terme, un chercheur puisse se passer de cette gigantesque
bibliothèque, de ce formidable outil. Ce qui ne veut pas dire que les nouvelles
pratiques de recherche liées à internet ne doivent pas être réfléchies, mesurées
à l'aune de méthodologies plus traditionnelles, bien au contraire. Il y a une
histoire de l'"outillage", du travail intellectuel, où internet devrait avoir sa
place.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, beaucoup.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je suis loin de penser que le numérique doive ou puisse remplacer le papier,
tout au moins dans l'état actuel des technologies liées à internet. On a beau
parler d'une "ère de l'immatériel", d'une "virtualisation" du réel etc., je
reste persuadée que la trace écrite telle que le papier nous en permet la
perception et la conservation (relative si l'on veut, mais fortement
historicisée), n'a pas diminué, et n'est pas en passe de se voir remplacée par
des séquences invisibles de 0 et de 1. La pérennité du support numérique me
semble bien plus problématique que celle du papier: en termes techniques (et
économiques) d'une part, en termes de politiques de conservation d'autre part.
Par exemple, l'institution d'un dépôt légal sur le web pose d'immenses problèmes
(concernant la quantité comme la nature des publications).

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

S'il doit s'agir d'un ordinateur portable légèrement "relooké", mais présentant
moins de fonctionnalités que ce dernier, je n'en vois pas l'intérêt. Tel qu'il
existe, l'e-book est relativement lourd, l'écran peu confortable à mes yeux, et
il consomme trop d'énergie pour fonctionner véritablement en autonomie. A cela
s'ajoute le prix scandaleusement élevé, à la fois de l'objet même et des
contenus téléchargeables; sans parler de l'incompatibilité des formats
constructeur, et des "formats" maison d'édition.

J'ai pourtant eu l'occasion de voir un concept particulièrement astucieux,
vraiment pratique et peu coûteux, qui me semble être pour l'heure le support de
lecture électronique le plus intéressant : celui du "baladeur de textes" ou
@folio (conçu par Pierre Schweitzer, ndlr), en cours de développement à l'Ecole
nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg. Bien évidemment, les
préoccupations de ses concepteurs sont à l'opposé de celles des "gros"
concurrents qu'on connaît, en France ou ailleurs: aucune visée éditoriale
monopolistique chez eux, puisque c'est le contenu du web (dans l'idéal gratuit)
que l'on télécharge.

= Comment définissez-vous la société de l'information?

Pour moi, comme j'ai eu l'occasion de le dire ailleurs, le syntagme "société de
l'information" est plus une formule (journalistique, politique) à la mode depuis
plusieurs années, qu'une véritable notion. Cette formule tend communément je
crois, à désigner une nouvelle "ère" socio-économique, post-industrielle, qui
transformerait les relations sociales du fait de la diffusion généralisée des
nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).
Personnellement, je n'adhère pas à cette vision des choses. Si la diffusion
croissante des NTIC est indéniable et constitue un phénomène socio-économique
propre à l'époque contemporaine, je ne crois pas qu'il faille y voir la marque
de l'avènement d'une nouvelle société "de l'information".

La formule "société de l'information" est construite sur le modèle
terminologique (socio-économique) de la "société industrielle". Mais le
parallèle est trompeur: "société de l'information" met l'accent sur un contenu,
alors que "société industrielle" désigne l'infrastructure économique de cette
société. L'information en tant que produit (industriel ou service) apparaît
peut-être plus complexe que, par exemple, les produits alimentaires, mais cette
complexité ne suffit pas à définir l'avènement dont il est question.

D'autant plus que l'emploi inconditionnel de la formule a contribué à faire de
l'information un terme passe-partout, très éloigné même de sa théorisation
mathématique (Shannon), de sa signification informatique initiale. Elle traduit
uniquement une idéologie du progrès électronique mise en place dans les années
1950 et véhiculée ensuite par nos gouvernements et la plupart de nos
journalistes, qui définissent fallacieusement le développement des NTIC comme un
"nécessaire" vecteur de progrès social. Quelques analystes (sociologues et
historiens des techniques comme Mattelart, Lacroix, Guichard, Wolton) ont très
bien montré cela.


BRUNO DIDIER (Paris)


#Webmestre de la bibliothèque de l'Institut Pasteur

L'Institut Pasteur est une fondation privée dont la mission est de contribuer à
la prévention et au traitement des maladies, en priorité infectieuses, par la
recherche, l'enseignement, et des actions de santé publique.

*Entretien du 10 août 1999

= En quoi consiste le site web que vous avez créé?

Le site web de la bibliothèque de l'Institut Pasteur a pour vocation principale
de servir la communauté pasteurienne. Il est le support d'applications devenues
indispensables à la fonction documentaire dans un organisme de cette taille:
bases de données bibliographiques, catalogue, commande de documents et bien
entendu accès à des périodiques en ligne (un peu plus d'une centaine
actuellement). C'est également une vitrine pour nos différents services, en
interne mais aussi dans toute la France et à l'étranger. Il tient notamment une
place importante dans la coopération documentaire avec les instituts du réseau
Pasteur à travers le monde. Enfin j'essaie d'en faire une passerelle adaptée à
nos besoins pour la découverte et l'utilisation d'internet. Il existe dans sa
forme actuelle depuis 1996 et son audience augmente régulièrement.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je développe et maintiens les pages du serveur, ce qui s'accompagne d'une
activité de veille régulière. Par ailleurs je suis responsable de la formation
des usagers, ce qui se ressent dans mes pages. Le web est un excellent support
pour la formation, et la plupart des réflexions actuelles sur la formation des
usagers intègrent cet outil.

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

C'est à la fois dans nos rapports avec l'information et avec les usagers que les
changements ont eu lieu. Nous devenons de plus en plus des médiateurs, et
peut-être un peu moins des conservateurs. Mon activité actuelle est typique de
cette nouvelle situation: d'une part dégager des chemins d'accès rapides à
l'information et mettre en place des moyens de communication efficaces, d'autre
part former les utilisateurs à ces nouveaux outils.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je crois que l'avenir de notre métier passe par la coopération et l'exploitation
des ressources communes. C'est un vieux projet certainement, mais finalement
c'est la première fois qu'on dispose enfin des moyens de le mettre en place.

En ce qui concerne mon propre avenir professionnel, j'espère surtout qu'internet
me permettra un jour de travailler à domicile, au moins partiellement. Ce qui
m'éviterait 2 heures 30 de transport par jour...

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je ne suis pas ces débats. Mais je pense qu'on va avoir du mal à maintenir
l'esprit communautaire qui était à la base de l'existence d'internet.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Je vois cela tout à fait positivement. Internet n'est une propriété ni
nationale, ni linguistique. C'est un vecteur de culture, et le premier support
de la culture, c'est la langue. Plus il y a de langues représentées dans leur
diversité, plus il y aura de cultures sur internet. Je ne pense pas qu'il faille
justement céder à la tentation systématique de traduire ses pages dans une
langue plus ou moins universelle. Les échanges culturels passent par la volonté
de se mettre à la portée de celui vers qui on souhaite aller. Et cet effort
passe par l'appréhension de sa langue. Bien entendu c'est très utopique comme
propos. Concrètement, lorsque je fais de la veille, je peste dès que je
rencontre des sites norvégiens ou brésiliens sans un minimum d'anglais.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le jour où j'ai gagné une boîte de chocolats suisses sur le site de Health On
the Net (ne vous précipitez pas, le jeu n'existe plus...).

= Et votre pire souvenir?

Les dérives du courrier électronique: des mal élevés qui profitent de la
distance ou d'un certain anonymat pour dire des choses pas très gentilles, ou
adopter des attitudes franchement puériles, avec, hélas, des conséquences qui ne
sont pas toujours celles d'un monde d'enfant... Par exemple, une personne a un
jour profité de ce que je lui avait fait copie d'un message, pensant que le
sujet l'intéresserait, pour intervenir entre mon interlocuteur et moi, et me
discréditer.


CATHERINE DOMAIN (Paris)


#Créatrice de la librairie Ulysse, la plus ancienne librairie de voyage au monde

Située au coeur de Paris, dans l'île Saint-Louis, la librairie Ulysse est la
plus ancienne librairie de voyage au monde, avec plus de 20.000 livres neufs et
anciens, cartes et revues sur tous les pays et pour tous les voyages. Elle a été
créée en 1971 par Catherine Domain, membre du SLAM (Syndicat national de la
librairie ancienne et moderne), du Club des explorateurs et du Club
international des grands voyageurs, et fondatrice du Cargo Club (un club de
rencontre pour les passionnés de la mer) et du Club Ulysse des petites îles du
monde.

Catherine Domain a visité à ce jour 141 pays et les voyages la tenaillent
toujours. En 1998, elle a exploré à la voile les îles du Kiribati et les
Marshall, au milieu du Pacifique. En 1999, en tant que membre du jury du Prix du
livre insulaire, elle a fait une escale à Ouessant, puis elle a fait le tour de
la Sardaigne à la voile en septembre. En l'an 2000, toujours à la voile, elle a
visité la Croatie pendant un mois. Comme elle était de nouveau membre du jury du
Prix du livre insulaire, elle a refait escale à Ouessant et aussi à l'île de
Sein.

*Entretien du 10 novembre 2000

= En quoi consiste votre site web?

Mon site (créé en 1999, ndlr) est embryonnaire et en construction, il se veut à
l'image de ma librairie, un lieu de rencontre avant d'être un lieu commercial.
Il sera toujours en perpétuel devenir!

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Internet me prend la tête, me bouffe mon temps et ne me rapporte presque rien
mais cela ne m'ennuie pas... Pour qu'internet marche, il faut ne faire que ça ou
avoir des "esclaves". Je ne veux ni l'un ni l'autre. Je n'ai pas une âme de
patron mais d'artisan, et j'attrape vite la bougeote et mal aux yeux.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Extrêmement mal, internet tue les librairies spécialisées. En attendant d'être
dévorée, je l'utilise comme un moyen d'attirer les clients chez moi, et aussi de
trouver des livres pour que ceux qui n'ont pas encore internet chez eux! Mais
j'ai peu d'espoir...

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

J'avoue être plus concernée par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) que
par les droits d'auteur.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Est-ce qu'il n'est pas multilingue? Je vois qu'il va tuer aussi la langue
française et bien d'autres (suppression des accents, négligence due à la
rapidité, etc.).

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Un dialogue quotidien avec ma soeur qui habite Sri Lanka et mes potes mexicains,
américains, anglais, sud-africains, etc., car j'ai beaucoup voyagé, longtemps et
partout.

= Et votre pire souvenir?

Ma première année ordinateur-internet: une longue souffrance technique!


HELEN DRY (Michigan)


#Modératrice de The Linguist List

Le site de la Linguist List donne une série complète de liens sur la profession
de linguiste (conférences, associations linguistiques, programmes, etc.), la
recherche (articles, résumés de mémoires, projets, bibliographies, dossiers,
textes), les publications, la pédagogie, les ressources linguistiques (langues,
familles linguistiques, dictionnaires, information régionale) et les ressources
informatiques (polices de caractères et logiciels).

La Linguist List est modérée par Helen Dry (Eastern Michigan University),
Anthony Aristar (Wayne State University) et Andrew Carnie (University of
Arizona). Helen Dry, qui est interviewée ici, est professeur de linguistique à
la Eastern Michigan University. Ses principaux domaines de recherche sont la
stylistique linguistique, la linguistique de corpus, la pragmatique et l'analyse
du discours.

*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)

= La Linguist List est-elle multilingue?

La Linguist List, que je modère, a pour politique d'accepter les informations
dans toutes les langues, puisque c'est une liste pour linguistes. Nous ne
souhaitons cependant pas que le message soit publié dans plusieurs langues, tout
simplement à cause de la surcharge de travail que cela représenterait pour notre
personnel de rédaction (nous ne sommes pas une liste fourre-tout, mais une liste
modérée: avant d'être publié, chaque message est classé par nos
étudiants-rédacteurs dans une section comprenant des messages du même type).
Notre expérience nous montre que pratiquement tout le monde choisit de publier
en anglais. Mais nous relions ces informations à un système de traduction qui
présente nos pages dans cinq langues différentes. Ainsi un abonné ne lit
Linguist en anglais que s'il le souhaite. Nous essayons aussi d'avoir au moins
un étudiant-éditeur qui soit réellement multilingue, afin que les lecteurs
puissent correspondre avec nous dans d'autres langues que l'anglais.

*Entretien du 26 juillet 1999 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Nous commençons maintenant à rassembler un grand nombre de données. Nous gérons
plusieurs bases de données avec moteur de recherche: résumés de thèses de
linguistique, informations sur les programmes universitaires de linguistique,
informations professionnelles sur les linguistes, etc. A ma connaissance, le
fichier des résumés de thèses est la seule compilation électronique qui soit
disponible gratuitement sur l'internet.


BILL DUNLAP (Paris & San Francisco)


#Fondateur de Global Reach, société qui favorise le marketing international en
ligne

Fondateur de Global Reach, Bill Dunlap est spécialiste du marketing en ligne et
du commerce électronique international. Sa clientèle est essentiellement
américaine. Global Reach est une méthode permettant aux sociétés d'étendre leur
présence sur l'internet en leur donnant une audience internationale, ce qui
comprend la traduction de leur site web dans d'autres langues, la promotion
active de leur site et l'accroissement de la fréquentation locale au moyen de
campagnes promotionnelles.

Diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Bill Dunlap a toujours
consacré son activité professionnelle à trouver des marchés internationaux pour
des produits et services liés à la haute technologie. A l'apparition de
l'industrie informatique au début des années 80, il crée une société afin
d'exporter sur le marché européen les logiciels pour PC et Apple, ce qui lui
fait connaître les principaux marchés de distribution de PC en Europe et l'amène
à devenir le premier directeur commercial de AST Research. Il est ensuite le
premier directeur commercial au nouveau siège parisien de Compaq Computer, puis
il poursuit son activité au siège européen de Compaq à Munich en tant que
directeur commercial pour la Scandinavie.

En 1985, Bill Dunlap crée Euro-Marketing Associates, une société internationale
de consultation en marketing basée à Paris et à San Francisco. En 1995, il
restructure cette société en une société de consultation en ligne dénommée
Global Reach, qui regroupe des consultants internationaux de premier plan, le
but étant de promouvoir les sites web de leurs clients dans chaque pays choisi,
afin d'attirer plus de visiteurs, et donc d'augmenter les ventes.

*Entretien du 11 décembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?

Depuis 1981, début de mon activité professionnelle, j'ai été impliqué dans la
venue de sociétés américaines en Europe. Ceci est pour beaucoup un problème de
langue, puisque leurs informations commerciales doivent être disponibles dans
les langues européennes pour être prises en compte ici, en Europe. Comme le web
est devenu populaire en 1995, j'ai donné à ces activités une dimension "en
ligne", et j'en suis venu à promouvoir le cybercommerce européen auprès de mes
compatriotes américains. Récemment, lors de l'Internet World à New York, j'ai
parlé du cybercommerce européen et de la manière d'utiliser un site web pour
toucher les différents marchés d'Europe.

= En quoi consiste Global Reach?

Promouvoir un site est aussi important que de le créer, sinon plus. On doit être
préparé à utiliser au moins autant de temps et d'argent à promouvoir son site
qu'on en a passé à l'origine à le créer. Le programme Global Reach permet de
promouvoir un site dans des pays non anglophones, afin d'atteindre une clientèle
plus large... et davantage de ventes. Une société a de nombreuses bonnes raisons
de considérer sérieusement le marché international. Global Reach est pour elle
le moyen d'étendre son site web à de nombreux pays, de le présenter à des
visiteurs en ligne dans leur propre langue, et d'atteindre le réseau de commerce
en ligne présent dans ces pays.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme?

Il y a très peu d'Américains des Etats-Unis qui sont intéressés de communiquer
dans plusieurs langues. Pour la plupart, ils pensent encore que le monde entier
parle anglais. Par contre, ici en Europe (j'écris de France), les pays sont
petits, si bien que, depuis des siècles, une perspective internationale est
nécessaire.

*Entretien du 23 juillet 1999 (entretien original en anglais)

= Quelles sont vos suggestions pour le développement d'un site web multilingue?

Une fois que la page d'accueil d'un site est disponible en plusieurs langues,
l'étape suivante est le développement du contenu dans chaque langue. Un
webmestre notera quelles langues attirent plus de visiteurs (et donc plus de
ventes) que d'autres. Ce seront donc dans ces langues que débutera une campagne
de promotion multilingue sur le web. Parallèlement, il est toujours bon de
continuer à augmenter le nombre de langues dans lesquelles un site web est
disponible. Au début, seule la page d'accueil traduite en plusieurs langues
suffit, mais ensuite il est souhaitable de développer un véritable secteur pour
chaque langue.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le fait de travailler avec des centaines de personnes tout en évitant la
pression. Cela rend la vie vraiment agréable.

= Et votre pire souvenir?

J'ai plusieurs fois mis en place un forum en ligne, et plusieurs individus
animés de mauvaises intentions ont commencé à envoyer des messages injurieux à
l'ensemble du forum. Ces messages ont atteint des centaines de personnes qui ont
à leur tour répondu par des messages injurieux, avec un effet boule de neige. Je
me rappelle m'être réveillé un matin avec plus de 4.000 messages à télécharger.
Quelle pagaille!


PIERRE-NOEL FAVENNEC (Paris & Lannion, Bretagne)


#Expert à la direction scientifique de France Télécom R&D et directeur de la
collection technique et scientifique des télécommunications

Ingénieur, Pierre-Noël Favennec est expert-coordinateur à la direction
scientifique de France Télécom R&D pour les télécommunications optiques et
hertziennes (mobiles). Directeur de la collection technique et scientifique des
télécommunications (CTST), il est l'auteur de deux livres scientifiques,
Implantation ionique pour la microélectronique et l'optique (Masson, Paris,
1993) et Technologies pour les composants à semiconducteurs (Masson, Paris,
1998). Il est membre du comité consultatif pour la recherche et le développement
de la technologie pour la région Bretagne.

*Entretien du 12 février 2001

= Pouvez-vous décrire l'activité de France Télécom R&D?

France Télécom R&D est le centre de recherche et développement de France
Télécom. Ce centre de R&D de près de 4.000 ingénieurs et chercheurs est basé à
Issy-les-Moulineaux, Lannion, Rennes, Caen, Grenoble et Belfort. Il a en charge
toutes les études utiles pour France Télécom, études allant du court terme
jusqu'au long terme et touchant aux télécommunications (usages, services,
réseaux et technologies). La mobilité, l'internet et l'international sont les
grands axes d'activités.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis expert-coordinateur à la direction scientifique de France Télécom R&D
(FTR&D) pour les télécommunications optiques et hertziennes: maîtrise d'ouvrage
des recherches amont relevant de mon domaine d'expertise (télécoms optiques et
radio), coordination, orientation, animation, financement...

J'assure également la direction de la collection technique et scientifique des
télécommunications. La collection est publiée sous l'égide FTR&D. Elle réunit
des ouvrages rédigés en langue française par des spécialistes de centres de
recherches, de l'université et de l'industrie des télécommunications. La
collection comprend principalement des livres traitant des sciences et
technologies de base utiles aux télécommunications modernes, des réseaux et
services. Les ouvrages se situent au niveau de l'enseignement de 3e cycle. La
collection contient aussi des ouvrages sur des aspects économiques, sociaux,
juridiques et politiques des télécommunications. Ils s'adressent aux ingénieurs
et scientifiques soucieux de l'impact socio-économique de leurs réalisations et
aussi aux gestionnaires et décideurs politiques... Leur qualité technique et
scientifique est garantie par un comité scientifique composé d'experts des
différents domaines couvrant les sciences et les technologies des
télécommunications. Plusieurs éditeurs collaborent à l'édition des ouvrages
labellisés par la collection (Masson, Dunod, Eyrolles, La Documentation
française, Hermès, Springer et Presses polytechniques universitaires romandes).

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Je n'ai pas d'activité spécifique liée à l'internet mais, France Télécom étant
la net-compagnie, toutes nos activités sont concernées par l'utilisation, la
mise en place des réseaux ou le futur de l'internet. La collection édite de plus
en plus d'ouvrages dont le sujet touche directement ou indirectement l'internet
(par exemple Des télécoms à l'internet: économie d'une mutation, d'Etienne
Turpin, Eyrolles, 2000).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Le mariage des télécommunications et de l'informatique font de l'internet une
technologie extrêmement puissante et très riche d'avenir. Mais l'internet n'est
qu'une technologie, puissante certes, qui vient s'ajouter à celles existantes;
elle ne les remplace pas, elle apporte autre chose: de l'information potentielle
supplémentaire, de la communication virtuelle où il n'y a plus de distance, un
accès potentiel à de la culture venant de partout...

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Le papier est de plus en plus utilisé. Personnellement je suis de plus en plus
inondé de paperasses:

- avec l'e-mail, les collègues n'hésitent plus à envoyer de gros fichiers qu'il
faut ensuite imprimer pour lecture;

- la lecture est plus agréable sur papier;

- les fichiers reçus peuvent n'être que des projets et on peut recevoir "n"
épreuves successives que l'on imprime nécessairement;

- on imprime les mèls pour les lire tranquillement plus tard ou parce que c'est
plus agréable de les lire sur papier.

Etc. Il y a beaucoup de raisons pour utiliser toujours plus de papier.

= L'imprimé a-t-il encore de beaux jours devant lui?

Les livres "d'études", comme ceux de notre collection, ont une durée de vie
longue et ne seront pas remplacés par un e-book, sauf si ce livre n'est utilisé
que pour une étude particulière et pour un temps court (quelques semaines). Les
livres à durée de vie courte tels que les romans, journaux, magazines peuvent
effectivement être un jour remplacés par des e-books. Les livres scolaires
pourront être (seront) sur e-book. Les encyclopédies volumineuses dont la
consultation n'est qu'épisodique seront sur le web.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Si l'invention du livre-papier avait été faite après celle du e-book, nous
l'aurions tous trouvé géniale. Mais un e-book a un avenir prometteur si on peut
télécharger suffisamment d'ouvrages, si la lecture est aussi agréable que sur le
papier, s'il est léger (comme un livre), s'il est pliable (comme un journal),
s'il n'est pas cher (comme un livre de poche)... En d'autres mots, l'e-book a un
avenir s'il est un livre, si le hard fait croire que l'on a du papier imprimé...
Techniquement, c'est possible, aussi j'y crois. Au niveau technologique, cela
exigera encore quelques efforts (chimie, électronique, physique...). Les
avantages sont le volume réduit, le téléchargement et le document personnalisé
en lecture.

= Quelles sont vos suggestions pour un véritable multilinguisme sur le web?

Les recherches sur la traduction automatique devraient permettre une traduction
automatique dans les langues souhaitées, mais avec des applications pour toutes
les langues et non les seules dominantes (ex: diffusion de documents en
japonais, si l'émetteur est de langue japonaise, et lecture en breton, si le
récepteur est de langue bretonne...). Il y a donc beaucoup de travaux à faire
dans la direction de la traduction automatique et écrite de toutes les langues.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Des études sont faites en Californie, et sûrement ailleurs, pour l'utilisation
de l'informatique et des télécoms (donc le web) par les malvoyants. Je connais
trop mal le sujet pour avoir un avis.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le cyberespace est un monde où je suis relié par l'image et le son et sans fil
avec qui je veux, quand je veux et où je veux, où j'ai accès à toutes les
documentations et informations souhaitées, et dans lequel ma vie est facilitée
par les agents intelligents et les objets communicants.

= Et la société de l'information?

Une société dans laquelle tout membre de cette société a accès immédiatement à
toutes les informations souhaitées.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Les premiers méls.

= Et votre pire souvenir?

Le temps passé à la réception d'images.


GERARD FOURESTIER (Nice)


#Créateur de Rubriques à Bac, bases de données destinées aux étudiants du
premier cycle universitaire

Oeuvre de Gérard Fourestier, professeur de français et diplômé en science
politique, Rubriques à Bac (RaBac) propose deux bases de données (accessibles
par souscription, avec version démo en accès libre) à destination des étudiants
du Bac au Deug et de leurs professeurs, et à tous ceux que le sujet intéresse.
ELLIT (Éléments de littérature) est une base de données sur la littérature
française du 12e siècle à nos jours regroupant plus de 350 articles liés entre
eux par 8.500 liens, ainsi qu'un répertoire de 450 auteurs (y compris en
sciences et philosophie) qui ont joué un rôle majeur dans la formation de cette
littérature. RELINTER (Relations internationales depuis 1945) propose plus de
2.000 liens sur l'évolution de la situation du monde contemporain de la deuxième
guerre mondiale à nos jours. Gérard Fourestier est aussi l'auteur de Bac-L
(baccalauréat section lettres), un site en accès libre lancé en juin 2001 dans
le prolongement d'ELLIT.

*Entretien du 9 octobre 2000

= Pouvez-vous décrire Rubriques à Bac?

Rubriques à Bac est une branche des activités du GRIMM (Groupe de recherche et
d'information sur le multimédia), un groupement associatif de personnes
physiques et morales qui pratiquent la recherche et l'information sur
l'informatique, le multimédia et la communication.

Cependant, les perspectives ouvertes par une fréquentation du site en
progression rapide, et compte tenu de la mission que j'ai assignée aux recettes
de cette activité, à savoir la réalisation de projets éducatifs en Afrique,
Rubriques à Bac se constituera prochainement en entité juridique propre.

= En quoi consiste le site web?

Le site de Rubriques à Bac a été créé il y a deux ans pour répondre au besoin de
trouver sur le net, en un lieu unique, l'essentiel, suffisamment détaillé et
abordable par le grand public, dans le but:

a) de se forger avant tout une culture tout en préparant à des examens
probatoires à des études de lettres - c'est la raison d'ELLIT (Eléments de
littérature), base de données en littérature française;

b) de comprendre le monde dans lequel nous vivons en en connaissant les tenants
et les aboutissants, d'où RELINTER (Relations internationales).

J'ai développé ces deux matières car elles correspondent à des études que j'ai,
entre autres, faites en leur temps, et parce qu'il se trouve que, depuis une
dizaine d'années, j'exerce des fonctions de professeur dans l'enseignement
public (18 établissements de la 6e aux Terminales de toutes sections et de tous
types d'établissements). Faute de temps, je n'ai pu réaliser que ces deux
thèmes, mais je ne désespère pas de développer aussi d'autres sujets qui font
partie de ma panoplie universitaire et d'autodidacte curieux de tout comme la
philosophie, l'analyse sociétale, l'analyse sémantique ou encore l'écologie, et
que je tiens "au chaud dans mes cartons". Ceci étant, je suis à l'affût de
toutes autres idées, venant d'ailleurs, pour ne me réserver alors que la
supervision du contenu mis en forme, la dernière main dans la réalisation
informatique et la gestion en tant que site spécialisé.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Pour l'instant et faute de mieux, en raison de mon âge, la cinquantaine, et non
de mes compétences, je m'occupe de mes élèves en les préparant à leurs examens
tout en leur donnant envie d'être utiles, ne serait-ce que pour eux-mêmes et en
leur apportant le sens des responsabilités, en un mot un message humaniste.
J'aime ce métier car, pour moi, le savoir, ça se donne, et le maître, comme en
boudhisme, ne peut avoir qu'un seul but: que son élève le dépasse. En outre,
alors que j'ai eu dans le passé d'importantes fonctions de fondé de pouvoir, et
que j'ai dirigé pour mon compte quelques entreprises, je suis maître à bord dans
mes classes et j'organise mon travail comme je l'entends. C'est pour moi
essentiel.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Comme je l'ai laissé entendre tout à l'heure, mon initiative à propos d'internet
n'est pas directement liée à mes fonctions de professeur. J'ai simplement voulu
répondre à un besoin plus général et non pas étroitement scolaire, voire
universitaire. Débarrassé des contraintes du programme, puisque j'agis en mon
nom et pour mon compte et non "es-qualité", mais tout en en donnant la matière
grise qui me paraît indispensable pour mieux faire une tête qu'à la bien
remplir, je laisse à d'autres le soin de ne préparer qu'à l'examen. Pour
répondre plus précisément, peut-être, à votre question, mon activité liée à
internet consiste tout d'abord à en sélectionner les outils, puis à savoir les
manier pour la mise en ligne de mes travaux et, comme tout a un coût et doit
avoir une certaine rentabilité, organiser le commercial qui permette de dégager
les recettes indispensables; sans parler du butinage indispensable pour la
recherche d'informations qui seront ensuite traitées.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je le vois en Afrique, là où je suis certainement plus utile, par égard à ce que
je m'estime redevable en tant que nanti et parce que je suis aussi spécialiste
de ce que l'on nomme les bouts de ficelles. Pour des raisons particulières, aux
conséquences coûteuses pour mes finances, je n'ai pu mener à bien cette année
mon projet d'un centre culturel au Sénégal au profit d'une communauté de
villages en Casamance. Mais je ne désespère pas!

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Oui, mais beaucoup moins qu'avant!

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Un plus, mais il faudra encore du temps et, pour l'instant, le prix, comme pour
la "voiture propre", n'est pas très attractif. Ceci dit, j'accepte qu'on m'en
offre un, j'en ferai la pub :-) Quoi qu'il en soit, si la chose devait prendre
de l'ampleur, j'ai sous la main, si je puis dire (dans des cartons), une petite
fortune de toutes sortes en "produits Gutenberg" Avis aux collectionneurs qui,
comme chacun sait, sont pour le progrès!.... et pour cause!

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

Les mesures de respect: oui, mais de protection: non! Et, quoi qu'il en sera,
que cela n'aboutisse pas à freiner la création, tant il est vrai que chaque
auteur en a digéré d'autres.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

Je suis de langue française. J'ai appris l'allemand, l'anglais, l'arabe, mais je
suis encore loin du compte quand je surfe dans tous les coins de la planète. Il
serait dommage que les plus nombreux ou les plus puissants soient les seuls qui
"s'affichent" et, pour ce qui est des logiciels de traduction, il y a encore
largement à faire. Je ne sais quoi suggérer au juste sinon, pour l'instant, de
connaître suffisament d'anglais et de créer beaucoup plus encore en français.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Ils ont aussi droit de cité dans le cyberspace à la république des lettres et à
la démocratie du savoir et, bien qu'ils soient encore loin de nos technologies,
n'oublions pas les dizaines de millions d'aveugles et de malvoyants du sud.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Un espace sans odeurs mais pour tous les goûts.

= Et la société de l'information?

Un espace où l'esprit d'examen et le sens critique sont particulièrement de
mise.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Quand j'ai sorti mon premier ordinateur de son emballage.

= Et votre pire souvenir?

Cet été, à la plage: mes ordinateurs étaient en panne :-)

*Entretien du 3 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

La routine d'un travail de plus en plus prenant et qui, faute de vivre une vie
tranquille en m'attelant à des entreprises pour le moins accaparantes, me laisse
peu de temps à me prélasser sur le sable.

Alors, quand je le peux et pour respirer autre chose, je m'évade vers d'autres
horizons si le prix du billet me le permet, ne serait-ce que pour retrouver ma
compagne qui enseigne à l'étranger, dans son pays, et qui, comme bien d'autres,
se demande pourquoi je ne me range pas bien sagement dans la carrière.

Comme je vous le disais il y a déjà quelque temps, je suis professeur mais j'ai
fait bien d'autres choses dans ma vie professionnelle, et je ne peux m'empêcher
de suivre autant que je le peux ce qui me passionne - et j'ai bien peur que tout
me passionne - passant le plus clair de mon temps à découvrir ce que je ne sais
pas encore.

Faute d'avoir une famille dont il faudrait que je m'occupe quotidiennement là où
je vis en France, je peux consacrer le temps que je veux à développer mes
projets... et la seule écriture sur mon clavier m'occupe déjà pas mal. Mais tout
n'est pas vain et je peux me vanter en toute modestie :-) et sans ego démesuré
que ce que j'entreprends me procure la satisfaction de le voir grandir sans le
devoir à personne.

Rubriques à Bac est le prototype de ce genre de phénomène chez moi et,
précisément pour parler du net, je constate tous les jours que ce que j'y fais
est utile, si j'en juge d'après la fréquentation presque frénétique du site. Il
est vrai que, les échéances s'approchant, il est bien normal que le nombre des
visites s'accroisse à deux mois du Bac ou des examens d'une manière générale;
cela relève du bouche à oreilles - bien sûr avec un travail de marketing
derrière - mais au bout du compte cela paye. Ceci dit je ne suis pas riche, loin
de là, et ce n'est peut être pas le moment. Pour l'heure, ce qui rentre, quand
ce n'est pas réinvesti, va dans ce que j'ai décidé de faire en Afrique.

A ce propos, je vous avais dit combien j'étais comme aimanté par ce continent et
en particulier par le Sénégal où je me suis découvert de nombreuses attaches au
point que, si Dieu le veut - mais il est grand et miséricordieux :-), je me suis
proposé en personne pour concourir à un projet social, éducatif et de
développement. En partenariat avec quelques-uns de mes amis indigènes, j'ai mis
au point un système d'organisation qui permette, par contrat, la réalisation de
projets individuels où chacun, par synergie, à la manière d'une tontine - pour
faire court, apporte ce qu'il a de savoir-faire et de "pouvoir le faire" pour
l'édification d'une maison commune ouverte à la réunion d'humains qui cherchent
le bonheur dans la solidarité. Cela prend plus de temps que prévu mais ça
avance, puique nous voilà déjà avec un toît là-bas et que, dans quelques mois,
un jeune Sénégalais qui n'a pas envie de vider les poubelles chez nous va
pouvoir, grâce à Rubriques à Bac, venir en Europe quelques mois, recevoir une
formation dans le domaine de l'informatique, la stratégie d'organisation et
repartir en Casamance avec un ordinateur pour la création d'un relais internet
(un nom de domaine est déjà déposé) au bénéfice de la population locale pour
m'aider à assurer ma disponibilité en dispense de cours et de savoir-faire en
élaboration de projets d'intérêt local.

J'enrage que les choses n'aillent pas plus vite, oh... pas pour moi! mais bien
pour eux, quand on sait de quoi, comment et où vivent ces gens-là.
Tiers-mondiste? Oui, quelque part et sans illumination ou parti-pris
idéologique, lucide simplement sur ce que j'ai à faire et... dois le faire parce
que il y a une demande de savoirs en face et que le savoir-faire dont ils ont
besoin souvent en procède ou y contribue... n'en déplaise à l'un des mots fameux
de Figaro dans la réplique célèbre que lui fait dire Beaumarchais. :-)

Tout cela peut paraître presque simplet, mais qu'en ai-je à faire de ce que l'on
pourrait penser, je ne cherche pas de médailles...ça déséquilibre les
funambules! :=) En revanche je recherche toujours des sponsors qui pourraient
faire que les choses aillent plus vite et je renouvelle mon appel; pourquoi pas
pour plusieurs ordinateurs dont un au moins qui soit portable? Neufs ou
"d'occase" et qui marchent avec modem de connection, le tout gratos bien sûr,
car je n'ai toujours pas les moyens de tout faire!... et j'ai même déjà fort à
faire pour me sortir de ce que l'on nomme un revers de fortune. Moyennant -
pourquoi pas - de la pub à finalité culturelle via Rubriques à Bac, et sans que
ça me prive du fruit de mon travail ou le dénature pour le transformer en banal
produit marchand.

Et puisque voilà la chose dite, et pour ne pas passer éventuellement pour un
bonimenteur, je tiens, à qui voudrait faire le geste qu'ils attendent, les
statistiques de fréquentation du site de Rubriques à Bac pour continuer plus
vite l'aventure africaine.


PIERRE FRANCOIS GAGNON (Montréal)


#Fondateur d'Editel, pionnier de l'édition littéraire francophone en ligne

Pierre François Gagnon, éditeur en ligne québécois, vit dans l'agglomération
montréalaise depuis plus de vingt ans. Ardent défenseur de la langue française,
il est un des pionniers de l'internet littéraire francophone. Dès avril 1995, il
crée Editel, le premier site web d'auto-édition collective de langue française,
devenu ensuite un site de cyberédition non commerciale en partenariat avec les
auteurs maison.

*Entretien du 14 juillet 2000

= En quoi Editel est-il pionnier?

En fait, tout le monde et son père savent ou devraient savoir que le premier
site d'édition en ligne commercial fut Cylibris (fondé par Olivier Gainon en
août 1996, ndlr), précédé de loin lui-même, au printemps de 1995, par nul autre
qu'Editel, le pionnier d'entre les pionniers du domaine, bien que nous fûmes
confinés à l'action symbolique collective, faute d'avoir les moyens de déboucher
jusqu'ici sur une formule de commerce en ligne vraiment viable et abordable,
bien qu'il n'existe toujours pas de support de lecture "grand public" qui soit
crédible pour la publication payante de livres numériques. Nous l'attendons
toujours dans le courant de l'an 2000!

= En quoi consiste exactement votre activité?

Nous sommes actuellement trois mousquetaires (Pierre François Gagnon, Jacques
Massacrier et Mostafa Benhamza, ndlr) à développer le contenu original et inédit
du webzine littéraire qui continuera de servir de façade d'animation gratuite,
offerte personnellement par les auteurs maison à leur lectorat, à d'éventuelles
activités d'édition en ligne payantes, dès que possible au point de vue
technico-financier. Est-il encore réaliste de rêver à la démocratie économique?

= Comment voyez-vous l'avenir?

Tout ce que j'espère de mieux pour le petit éditeur indépendant issu, comme
Editel, directement du net et qui cherche à y émerger enfin, c'est que les
nouveaux supports de lecture, ouverts et compatibles grâce au standard OeB (Open
eBook), s'imposeront d'emblée comme des objets usuels indispensables,
c'est-à-dire multifonctionnels et ultramobiles, intégrant à la fois
l'informatique, l'électronique grand public et les télécommunications, et pas
plus dispendieux qu'une console de jeux vidéo: le concept d'origine d'un Marc
Poret chez General Magic en 1994, poignardé dans le dos par cet avorton de
Newton d'Apple!

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le web doit ouvrir toute grande pour les auteurs une nouvelle fenêtre
d'exploitation de leurs droits exclusifs, et j'ose croire qu'est concevable une
solution de chiffrement qui soit étanche, non propriétaire, mais transparente et
sans douleur pour l'utilisateur final.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Je pense que, si les diverses langues de la planète vont occuper chacune le net
en proportion de leur poids démographique respectif, la nécessité d'une langue
véhiculaire unique se fera sentir comme jamais auparavant, ce qui ne fera
qu'assurer davantage encore la suprématie planétaire de l'anglais, ne serait-ce
que du fait qu'il a été adopté définitivement par l'Inde et la Chine. Or la
marche de l'histoire n'est pas plus comprimable dans le dé à coudre d'une
quelconque équation mathématique que le marché des options en bourse!

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La découverte de quelques amitiés affinitaires, indéfectibles, m'enchante
encore, tandis que l'étroitesse de vision, le scepticisme négatif qu'affichait
la vaste majorité des auteurs de science-fiction et de fantastique vis-à-vis du
caractère pourtant immanent et inéluctable de ce qui n'est après tout qu'un
fantasme à la Star Trek, qui hante depuis longtemps l'imaginaire collectif, soit
l'e-book tout communicant qui tienne dans le creux de la paume, ne cesse pas de
m'étonner et de me laisser pantois rétrospectivement.

= Une conclusion?

Je dirai, pour conclure, que je me trouve vraiment fait pour être "éditeur en
ligne, poète et essayiste, et peut-être même un jour, romancier"! Fait à noter,
c'est curieusement de la part des poètes, toujours visionnaires quand ils sont
authentiques, que le concept de livre numérique a reçu le meilleur accueil!


OLIVIER GAINON (Paris)


#Fondateur et gérant de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne

Créé en août 1996 à Paris par Olivier Gainon, CyLibris (de Cy, cyber et Libris,
livre) utilise l'internet et le numérique pour s'affranchir des contraintes
liées à l'économie traditionnelle du livre. L'éditeur peut ainsi se consacrer à
la découverte et à la promotion de nouveaux auteurs littéraires francophones, et
à la publication de leurs premières oeuvres (romans, poésie, théâtre, policier,
science-fiction, fantastique, etc.). Si CyLibris est avant tout un tremplin pour
les nouveaux talents, les auteurs confirmés y ont aussi leur place (voir à ce
sujet l'entretien avec Emmanuel Ménard, directeur des publications, qui expose
en détail la procédure éditoriale de Cylibris).

Vendus uniquement sur le web (avec des extraits en téléchargement libre au
format texte), les livres (52 titres en juin 2001) sont imprimés à la commande
et envoyés directement au client, ce qui permet d'éviter le stock et les
intermédiaires. Le site web procure des informations pratiques à destination des
auteurs en herbe: comment envoyer un manuscrit à un éditeur, ce que doit
comporter un contrat d'édition, comment protéger ses manuscrits, etc. Depuis le
printemps 2000, CyLibris est membre du Syndicat national de l'édition (SNE).

Par ailleurs, l'équipe de CyLibris lance en mai 1999 une lettre d'information
électronique sur le monde de l'édition francophone. Souvent humoristique et
décapante, la lettre, d'abord mensuelle, paraît deux fois par mois à compter de
février 2000. Elle change de nom en février 2001 pour devenir Edition-actu.
Depuis ses débuts, son objectif n'est pas tant de promouvoir les livres de
l'éditeur que de présenter l'actualité du livre tous azimuts.

*Entretien du 23 décembre 2000

= Quelle est l'activité de CyLibris?

CyLibris a été créé d'abord comme une maison d'édition spécialisée sur un
créneau particulier de l'édition et mal couvert à notre sens par les autres
éditeurs: la publication de premières oeuvres, donc d'auteurs débutants. Nous
nous intéressons finalement à la littérature qui ne peut trouver sa place dans
le circuit traditionnel: non seulement les premières oeuvres, mais les textes
atypiques, inclassables ou en décalage avec la mouvance et les modes littéraires
dominantes.

Ce qui est rassurant, c'est que nous avons déjà eu quelques succès éditoriaux
(grand prix de la Société des gens de lettres (SGDL) en 1999 pour La Toile de
Jean-Pierre Balpe, prix de la litote pour Willer ou la trahison de Jérôme Olinon
en 2000, etc.).

Ce positionnement de "défricheur" est en soi original dans le monde de
l'édition, mais c'est surtout son mode de fonctionnement qui fait de CyLibris un
éditeur atypique. Créé dès 1996 autour de l'internet, CyLibris a voulu
contourner les contraintes de l'édition traditionnelle grâce à deux innovations:
la vente directe par l'intermédiaire d'un site de commerce sur internet, et le
couplage de cette vente avec une impression numérique en "flux tendu".

Cela permettait de contourner les deux barrières traditionnelles dans l'édition:
les coûts d'impression (et de stockage), et les contraintes de distribution.
Notre système gérait donc des flux physiques: commande reçue par internet -
impression du livre commandé - envoi par la poste. Je précise que nous
sous-traitons l'impression à des imprimeurs numériques, ce qui nous permet de
vendre des livres de qualité équivalente à celle de l'offset, et à un prix
comparable. Notre système n'est ni plus cher, ni de moindre qualité, il obéit à
une économie différente, qui, à notre sens, devrait se généraliser à terme.

Aujourd'hui, CyLibris développe une activité de distribution de "livres
numériques", c'est-à-dire de fichiers téléchargeables. Nous n'avons pas lancé
cette activité au départ car il nous semblait que les outils de sécurisation
(c'est-à-dire permettant une réelle prise en charge des droits d'auteur)
n'existaient pas il y a quatre ans. Les technologies évoluent, et nous sommes en
train de tester plusieurs technologies pour lancer une réelle activité de livres
numériques en 2001.

Nous quittons donc notre métier d'éditeur pur pour nous intéresser de plus en
plus aux technologies autour du livre sur internet. Bien entendu, nous pensons à
faire bénéficier d'autres éditeurs de ce savoir-faire que nous sommes en train
d'acquérir.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis le créateur et le gérant de CyLibris. Je décrirais donc mon activité
comme double. D'une part celle d'un éditeur traditionnel dans la sélection des
manuscrits et leur retravail (je m'occupe directement de la collection
science-fiction), mais également le choix des maquettes, les relations avec les
prestataires, etc.

D'autre part, une activité internet très forte qui vise à optimiser le site de
CyLibris et mettre en oeuvre une stratégie de partenariat permettant à CyLibris
d'obtenir la visibilité qui lui fait parfois défaut.

Enfin, je représente CyLibris au sein du SNE (Syndicat national de l'édition).

= Comment voyez-vous l'avenir?

CyLibris est aujourd'hui une petite structure. Elle a trouvé sa place dans
l'édition, mais est encore d'une économie fragile sur internet. Notre objectif
est de la rendre pérenne et rentable et nous nous y employons. Je pense que les
choses changent et j'espère qu'en 2002 nous aurons doublé notre taille et que
nous serons proche de l'équilibre.

Mon avenir personnel sur internet est cependant légèrement distinct de celui de
CyLibris, au sens où même si CyLibris disparaît, je resterai actif sur
l'internet à l'avenir, cela ne fait pas de doute pour moi. Sous quelle forme et
pour faire quoi? On verra bien...

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, pour lire des textes, etc. Cela dit, je lis de plus en plus sur écran, mais
dans un cadre professionnel (par exemple les lettres d'information auxquelles je
suis abonné, etc.), dès que l'on parle de lecture-plaisir (roman, détente,
etc.), je ne lis pas sur écran, j'imprime (si ce n'est pas déjà le cas), et je
lis sur papier.

Je me rends également compte que j'ai du mal à lire sur écran un document long
et complexe. Bref, je lis des informations brèves et ponctuelles, mais pas
véritablement des dossiers complexes.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Tout dépend de quoi l'on parle. Le papier comme support simple de document écrit
est un peu limité: texte et image simplement / pas d'évolution en temps réel /
reproduction complexe / etc. L'électronique offre beaucoup plus d'avantages.

En revanche, sur les aspects plus "pratiques" ("la valeur d'usage"), le papier
reste aujourd'hui imbattable: peu cher, léger, on peut le plier, le déchirer, le
tordre, le laisser tomber, il peut en plus être physiquement agréable,
esthétiquement beau, etc. Sans même parler du confort de lecture qui, pour moi
aujourd'hui, donne un grand avantage au papier...

Bref, tout cela pour dire que je pense que le papier va décroître dans son
utilisation à terme - mais que ce sera un processus long, et plutôt une question
de génération, quand nos enfants n'auront plus la même relation que nous pouvons
avoir avec le papier...

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je ne crois pas trop à un objet qui a des inconvénients clairs par rapport à un
livre papier (prix / fragilité / aspect / confort visuel / etc.), et des
avantages qui me semblent minimes (taille des caractères évolutifs / plusieurs
livres dans un même appareil / rétro-éclairage de l'écran / etc.).

De même, je vois mal le positionnement d'un appareil exclusivement dédié à la
lecture, alors que nous avons les ordinateurs portables d'un côté, les
téléphones mobiles de l'autre et les assistants personnels (dont les pocket PC)
sur le troisième front.

Bref, autant je crois qu'à terme la lecture sur écran sera généralisée, autant
je ne suis pas certain que cela se fera par l'intermédiaire de ces objets. On
verra si on en parle encore dans un an, mais je peux me tromper - et j'espère me
tromper, comme éditeur sur internet, CyLibris bénéficierait forcément d'un
développement de ce type d'appareil.

= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour le respect du droit d'auteur
sur le web?

Il faut distinguer deux aspects: le droit d'auteur et l'application de ce droit.

Pour moi, il ne fait aucun doute que le droit d'auteur s'applique sur internet
(peu de gens le contestent désormais d'ailleurs), ce qui signifie que ce n'est
pas parce qu'une création est mise en libre disponibilité sur le réseau que
n'importe qui peut venir la copier, la commercialiser, etc. Et là, on touche
surtout à de la pédagogie: je crois que les internautes ne sont pas sensibilisés
à ces questions et qu'une première démarche pédagogique peut permettre de régler
un certain nombre de problèmes. Autre démarche, il me semble nécessaire pour les
auteurs d'indiquer les droits qu'ils laissent à une oeuvre en libre accès sur
internet: si je peux télécharger une création visuelle sur un site, il vaut
mieux que l'auteur indique, par exemple, s'il laisse la libre réutilisation de
cette image du moment que ce n'est pas une démarche commerciale et sous réserve
que son nom soit cité, s'il est contre toute réutilisation de cette image, etc.
Là, tout est possible. A mon sens, sur trop de sites, on trouve des créations
librement téléchargeables, et rien n'indique ce que l'on peut faire ou non avec.

La vraie difficulté aujourd'hui réside dans l'application du droit d'auteur dans
un contexte international face à des actes de piratages manifestes (c'est-à-dire
la réutilisation à des fins commerciales de l'oeuvre d'un ou plusieurs artistes
sans que ces derniers ne perçoivent quoi que ce soit). Et là, ce sera forcément
plus lent parce qu'il faut définir des modes de coopération internationale,
s'entendre sur des règles et mettre en place des procédures judiciaires
adéquates. C'est un processus lent qui prendra plusieurs années, mais je suis
optimiste.

Finalement, tout cela est assez classique: pédagogie d'un côté, réglementation
de l'autre.

= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour une meilleure répartition des
langues sur le web?

Première étape: le respect des particularismes au niveau technique. Il faut que
le réseau respecte les lettres accentuées, les lettres spécifiques, etc. Je
crois très important que les futurs protocoles de transmission permettent une
transmission parfaite de ces aspects - ce qui n'est pas forcément simple (dans
les futures évolutions de l'HTML, ou des protocoles IP, etc.). Donc, il faut que
chacun puisse se sentir à l'aise avec l'internet et que ce ne soit pas
simplement réservé à des (plus ou moins) anglophones. Il est anormal aujourd'hui
que la transmission d'accents puisse poser problème dans les courriers
électroniques. La première démarche me semble donc une démarche technique.

Si on arrive à faire cela, le reste en découle: la représentation des langues se
fera en fonction du nombre de connectés, et il faudra envisager à terme des
moteurs de recherche multilingues.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Pas de définition particulièrement. Pour moi, c'est plutôt un concept pour nos
auteurs de science-fiction.

= Et la société de l'information?

Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est la mise en réseau de notre société, au
sens où, à terme, beaucoup des objets quotidiens seront connectés au Réseau
(avec un grand R, qui sera lui-même composé de dizaines de réseaux différents).
Bref, c'est une nouvelle manière de vivre et, à terme, certainement une nouvelle
société. S'agit-il d'une société de "l'information", je n'en suis pas certain.
Faut-il que nous définissions collectivement ce que nous voulons dans cette
société, cela me semble urgent, et c'est un débat qui concerne tout le monde,
pas uniquement les "connectés"? Bref, sur quelles valeurs de société fonder
notre action future? Voilà un vrai débat.

J'en profite d'ailleurs pour faire un peu de pub pour un auteur CyLibris: La
Toile de Jean-Pierre Balpe me semble aujourd'hui la meilleure illustration de ce
débat. La société qu'il décrit au travers de ce roman est à mon sens la plus
probable à court terme (l'action se passe en 2015). Est-ce cela que nous
voulons? Est-ce ce type d'organisation? Peut-être, mais mon souci, c'est que ce
choix soit conscient et non subi.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La première fois que des étudiants dans une école d'ingénieurs m'ont montré le
web. C'était en 1992, et j'ai trouvé cela génial. D'où la création de CyLibris
en 1996 (j'ai quand même mis quatre ans).

= Et votre pire souvenir?

La disparition progressive de CyLibris dans certains moteurs de recherche parce
que, soit nous ne voulions pas payer, soit des accords d'exclusivité avaient été
signés avec des libraires en ligne et que nous étions déréférencés brutalement
(passer de la première page à la cinquième page est une forme de déréférencement
brutal). Bref, aujourd'hui plus rien ne me trouble et on a appris à vivre avec
ce genre de phénomène. Il n'empêche qu'une structure comme CyLibris qui se
créerait juste aujourd'hui aurait les pires difficultés pour être visible sur
internet.


JACQUES GAUCHEY (San Francisco)


#Spécialiste en industrie des technologies de l'information, "facilitator" entre
les Etats-Unis et l'Europe, journaliste

Jacques Gauchey est l'auteur de La vallée du risque - Silicon Valley, paru fin
1990 chez Plon. Son métier - "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe -
est très lié à ses relations personnelles. En 1993, grâce au réseau qu'il a
constitué de part et d'autre de l'Atlantique, il crée la société G.a
Communications, qui aide les sociétés américaines spécialisées en technologies
de l'information à définir et mettre en place leur politique européenne,
particulièrement en matière de stratégie, de partenariat et de visibilité.

Ses activités dans le domaine des nouvelles technologies sont multiples:
directeur du Multimedia Development Group (MDG) en 1996-1997; responsable du
International Group du MDG de 1994 à 1996, avec des activités allant de la
conférence M3 du MDG (1994) à la publication des éditions 1995 et 1996 du guide
Going Global: Multimedia Marketing & Distribution; président de manifestions
telles que les "only-for-CEOs IT conferences"; ETRE (en Europe) et ATRE (en
Asie) (1990, 1991 et 1992), le "World Multimedia: A Mosaic of Markets" du MDG
(San Francisco, 1994), Multimedia Live! (San Francisco, 1995), le séminaire des
AI (Artificial Intelligence) Soft International Partners (Tokyo, 1996), etc. Il
préside régulièrement des groupes de travail en industrie des technologies de
l'information.

Entre 1985 et 1992, Jacques Gauchey a été le correspondant de la côte ouest des
Etats-Unis pour La Tribune, quotidien parisien économique, financier et
boursier. Auparavant, il a travaillé pour Le Figaro et Le Point.

*Entretien du 31 juillet 1999

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Complètement. Le monde entier est sur mon écran d'ordinateur. Chaque individu a
maintenant accès à une base de données globale. A cet individu d'apprendre à y
naviguer ou de s'y noyer.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Mes clients sont tous maintenant des sociétés internet. Mes outils de travail
sont ou seront bientôt tous liés à l'internet que ce soit mon téléphone mobile,
mon PDA (personal digital assistant) et mon PC.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le droit d'auteur dans son contexte traditionnel n'existe plus. Les auteurs ont
besoin de s'adapter à un nouveau paradigme, celui de la liberté totale du flot
de l'information. Le contenu original est comme une empreinte digitale: il est
incopiable. Il survivra et prospérera donc.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

La technologie résoudra le problème éventuellement. Et que le meilleur gagne.
L'internet a vraiment décollé aux Etats-Unis à cause d'un concept
révolutionnaire: une langue unique - l'anglais. Le mouvement "politically
correct" pour l'enseignement obligatoire multi-linguistique dans les écoles
américaines et le respect des différentes sous-cultures est un désastre pour
l'avenir de ce pays (comme il l'est déjà en Europe). Aux individus de décider,
chez eux, s'ils veulent apprendre une autre langue.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

J'ai publié quelques numéros d'une lettre d'information en anglais gratuite il y
a quatre ans sur internet. Une dizaine de lecteurs par numéro jusqu'au jour (en
janvier 1996) où l'édition électronique de Wired Magazine créa un lien. En une
semaine j'ai eu une centaine de courriers électroniques - y compris de lecteurs
francais de mon livre La vallée du risque - Silicon Valley, contents de me
retrouver.

= Et votre pire souvenir?

L'internet est un médium et comme tout médium un facteur d'éclatement du pire.
La fusillade d'Atlanta fin juillet 1999 par un "day trader". La pornographie. La
vente libre des armes en ligne. Les mails non sollicités.


RAYMOND GODEFROY (Valognes, Normandie)


#Ecrivain-paysan, publie son recueil Fables pour les années 2000 sur le web
avant de le publier sur papier

Né en 1923 dans une famille rurale d'Octeville-l'Avenel (Cotentin, Normandie),
Raymond Godefroy obtient en 1938 son brevet d'ajusteur mécanicien à l'Ecole
pratique de Cherbourg. Il parcourt ensuite pendant seize ans tout le nord du
Cotentin en tant que conducteur d'une entreprise de battage.

Marié en 1953 - son épouse est également de souche paysanne - il fait valoir à
partir de cette année-là le domaine de la Cour de Lestre. A partir de 1966, il y
pratique l'agrobiologie, une forme de culture pour laquelle il ne cessera de
militer. Partageant ses loisirs entre la mécanique et l'écriture, il dépose
plusieurs brevets de machines agricoles et il écrit de nombreux articles dans la
revue Agriculture et vie. Il s'oriente ensuite vers la fiction, sous forme de
contes et nouvelles.

Raymond Godefroy est membre de l'Association internationale des écrivains
paysans (AIEP), fondée en 1972 dans le but de rassembler et promouvoir les
auteurs servant la pensée paysanne. A sa retraite, il déménage à Valognes, et
l'exploitation du domaine de la Cour de Lestre est reprise par son fils Pierre.

*Entretien du 23 décembre 1999

= Pouvez-vous vous présenter?

Je suis né dans le Nord Cotentin de vieille souche paysanne. Je suis âgé de 77
ans. J'ai quitté l'école primaire à 12 ans avec le certificat d'études et, trois
ans plus tard, l'Ecole pratique de Cherbourg avec un brevet d'ajusteur
mécanicien. Je suis rentré à la ferme paternelle pour pratiquer l'agriculture
avec mes parents. Je me suis marié à 30 ans. Six enfants sont nés de ce mariage.
J'ai pratiqué l'agrobiologie sur cette ferme pendant 17 ans en militant pour
cette agriculture nouvelle. J'ai écrit des articles sur ce sujet, puis des
contes et des nouvelles du genre fantastique, enfin à 70 ans mes premiers poèmes
et fables.

= Comment vous est venu le désir d'écrire?

Mon désir d'écrire s'est manifesté très tard dans la vie et très lentement. J'ai
publié mes premiers articles dans Agriculture et vie entre 40 et 50 ans,
découvrant là une façon de m'exprimer différente de la parole, qui m'obligeait à
affiner ma pensée pour transmettre un message clair et agréable à lire.

Pour attirer l'attention des lecteurs j'ai inventé des histoires courtes à
morale écologique mais aussi fantastique. Ainsi sont nées toutes ces histoires
publiées ensuite sous le titre de Contes écologiques et fantastiques (Caen,
Editions Charles Corlet, 1988 - réédités en 1995 à la suite des Extravagantes
histoires de Graundaru, ndlr).

A 60 ans j'ai souffert d'une crise aiguë de polyarthrite. Ne pouvant plus
travailler ni me déplacer, j'ai écrit le Couguard et d'autres nouvelles,
publiées sous le titre: Trois histoires étranges (Marigny, Editions Paoland,
1995, ndlr) (prix Octave Mirebeau 1997). La même année sont parues Les
extravagantes histoires du Graundaru (Marigny, Editions Paoland, 1995, ndlr).

Mais il me restait quelque chose d'inassouvi: la poésie. Tous les essais
s'étaient soldés par un échec, blocage au deuxième vers et pas d'inspiration
sauf des banalités, je n'étais pas mûr pour le faire. Puis un jour - j'avais
alors 70 ans - grattant un plafond, travail ingrat, j'eus subitement une
inspiration, c'est ainsi qu'est né Les fleurs de mon jardin (poème qui n'est pas
encore publié, ndlr). D'autres ont suivi presque dans interruption. C'est après
l'avoir écrite que j'ai découvert que Les peupliers et le saule pleureur était
une fable. Les autres ont été voulues. Ainsi sont nées Fables pour l'an 2000,
entre septembre 1996 et avril 1999.

= Pourquoi des fables? Pourquoi l'an 2000?

Je m'explique dans la préface de mon recueil:

"Trois siècles après le grand La Fontaine, que peut-on ajouter à une oeuvre
aussi pleine de nuances et de richesse psychologique?

Si depuis tous les temps, la nature humaine est restée toujours la même, par
contre la connaissance et la vision du monde ont beaucoup changé. Et le rôle des
fables est de révéler aux hommes, un peu comme un miroir fantastique, cette
image d'eux-mêmes que leurs habitudes journalières dissimulent à leur vue. La
fable permet aussi d'aborder les problèmes de société, comme de courtes comédies
très proches de la nature. Mais depuis peu les hommes ont acquis un immense
pouvoir: celui de détruire le monde, soit d'une façon violente, soit petit à
petit en l'empoisonnant et le surexploitant.

Arrivés en l'an 2000, après plus de cinq siècles d'humanisme rationnel et
scientifique cherchant à faire reculer le mystère, voilà qu'ils découvrent (...)
qu'ils n'en viendraient jamais à bout et qu'il fait partie de leur propre
nature. (...) Le prochain millénaire sera-t-il celui de la révélation mystique
comme certains l'ont prédit? Ou bien, la violence destructrice l'emportant, le
monde pourrait-il être détruit par les hommes eux-mêmes?

C'est peu probable, si chacun peut s'exprimer sans provoquer d'intransigeantes
réactions et qu'enfin arrivés à la tolérance, les fabulistes puissent à leur
manière - sans être rejetés comme des moralistes démodés - contribuer à travers
l'humour, à une meilleure connaissance les uns des autres. N'oublions pas que La
Fontaine a reçu les honneurs du Roi, qu'il n'avait pourtant pas plus ménagé que
les autres dans le personnage du Lion.

Les éditeurs ont aussi leur rôle à jouer afin que la culture soit la plus
diversifiée possible, pour repousser le mythe de la culture unique et mondiale
qui nous menace.

Le troisième millénaire c'est demain. C'est une page blanche dont le début est
déjà écrit, mais où le présent n'étant toujours qu'un court passage entre deux
infinis, rend si difficile la réflexion humaine."

= Avez-vous une fable préférée?

Ma fable préférée est Les borgnes. Puis viennent La République des grenouilles
et Les animaux malades de la violence. Mais à chacun de retirer la conclusion
qui lui convient à chacune des fables, car toute opinion est respectable. Seul
est intolérable de vouloir l'imposer aux autres d'une façon contrainte ou
détournée.

= Que représente l'internet pour vous?

Internet représente pour moi un formidable outil de communication qui nous
affranchit des intermédiaires, des barrages doctrinaires et des intérêts des
médias en place. Soumis aux mêmes lois cosmiques, les hommes, pouvant mieux se
connaître, acquerront peu à peu cette conscience du collectif, d'appartenir à un
même monde fragile pour y vivre en harmonie sans le détruire.

Internet est absolument comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des
choses, selon l'usage qu'on en fait, et j'espère qu'il ne permettra de
m'affranchir en partie de l'édition et de la distribution traditionnelle qui,
refermée sur elle-même, souffre d'une crise d'intolérance pour entrer à reculons
dans le prochain millénaire (voir à ce sujet la fable Le poète et l'éditeur,
ndlr).

= Quel est votre meilleur souvenir de l'année 1999?

La démonstration faite par vous de la possibilité de publier les Fables pour
l'an 2000 sur internet (publiées sur le site des éditions du Choucas en décembre
1999, avec un design de Nicolas Pewny, ndlr). Mes meilleurs instants de bonheur
sont aussi ceux qui naissent après avoir terminé l'écriture d'une fable ou d'un
poème.

= Et votre pire souvenir?

Mon pire souvenir est celui de ma post-réanimation après un pontage coronarien
en juillet.

= Quels sont vos souhaits pour l'an 2000 et les années suivantes?

Une meilleure tolérance et une plus grande pluralité des cultures.

*Entretien du 26 janvier 2001

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

J'ai rencontré le président du Centre régional des lettres de Basse-Normandie,
qui s'est vivement intéressé aux Fables pour les années 2000. Il a proposé une
aide de la région Basse-Normandie pour une édition imprimée sous forme de
recueil. Le travail est très avancé et la publication pourrait avoir lieu au
printemps.

= Pourquoi avoir modifié le titre, devenu Fables pour les années 2000 au lieu de
Fables de l'an 2000?

Tout simplement parce que, les ayant écrites avant l'an 2000, je pensais
qu'elles seraient publiées avant le changement de millénaire, et que maintenant
en voilà pour mille ans avant le prochain. Cela donne le vertige au-delà de
toute imagination.

= Avez-vous quelque chose à ajouter à vos propos de 1999 relatifs à l'internet?

Non. Sauf qu'il serait indispensable pour moi d'y être raccordé le plus vite
possible pour mes besoins en documentation et aussi pour la communication.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Non, pas du tout! Le papier est un support qui va subsister encore très
longtemps et qui garde certains avantages. Il est cependant gourmand en matière
première, le bois. Les autres supports sont complémentaires, et présentent des
avantages, surtout pour la circulation et la reproduction à longue distance.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je ne l'ai pas encore utilisé. Je pense qu'il a cependant beaucoup d'intérêt. Il
économise le papier. Je l'imagine dans les bibliothèques pour la lecture au
public. L'usage et le temps nous apporteront une réponse, mais l'informatique
n'a pas fini de nous étonner.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le cyberespace est un moyen pour supprimer l'espace.

= Et la société de l'information ?

La société de l'information est un moyen de satisfaire l'appétit de
connaissances et de curiosité qu'ont les hommes de par le monde.


MURIEL GOIRAN (Rhône-Alpes)


#Libraire à la librairie Decitre

En région Rhône-Alpes, les huit librairies Decitre sont particulièrement
dynamiques dans le domaine des nouvelles technologies et de l'internet. Decitre
propose aussi une librairie en ligne de 430.000 titres.

*Entretien du 8 juin 1998

= Que représente l'internet pour vous?

C'est pour l'instant juste un moyen de communication de plus (mail) avec nos
clients des magasins et nos clients bibliothèques et centres de documentation.
Nous avons découvert son importance en organisant DOCForum, le premier forum de
la documentation et de l'édition spécialisée, qui s'est tenu à Lyon en novembre
1997 (la prochaine édition est fixée en novembre 1999). Il nous est apparu
clairement qu'en tant que libraires, nous devions avoir un pied dans le Net.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Internet est très important pour notre avenir. Nous allons mettre en ligne notre
base de 400.000 livres français à partir de fin juillet 1998, et elle sera en
accès gratuit pour des recherches bibliographiques (l'achat des livres sera
payant bien sûr!). Ce ne sera pas une n-ième édition de la base de Planète
Livre, mais notre propre base de gestion, que nous mettons sur internet.


MARCEL GRANGIER (Berne)


#Responsable de la section française des services linguistiques centraux de
l'Administration fédérale suisse

*Entretien du 14 janvier 1999

= Quel est l'apport de l'internet dans un service de traduction?

Travailler sans internet est devenu tout simplement impossible: au-delà de tous
les outils et commodités utilisés (messagerie électronique, consultation de la
presse électronique, activités de services au profit de la profession des
traducteurs), internet reste pour nous une source indispensable et inépuisable
d'informations dans ce que j'appellerais le "secteur non structuré" de la toile.
Pour illustrer le propos, lorsqu'aucun site comportant de l'information
organisée ne fournit de réponse à un problème de traduction, les moteurs de
recherche permettent dans la plupart des cas de retrouver le chaînon manquant
quelque part sur le réseau.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Le multilinguisme sur internet peut être considéré comme une fatalité heureuse
et surtout irréversible. C'est dans cette optique qu'il convient de creuser la
tombe des rabat-joie dont le seul discours est de se plaindre d'une suprématie
de l'anglais. Cette suprématie n'est pas un mal en soi, dans la mesure où elle
résulte de réalités essentiellement statistiques (plus de PC par habitant, plus
de locuteurs de cette langue, etc.). La riposte n'est pas de "lutter contre
l'anglais" et encore moins de s'en tenir à des jérémiades, mais de multiplier
les sites en d'autres langues. Notons qu'en qualité de service de traduction,
nous préconisons également le multilinguisme des sites eux-mêmes.

La multiplication des langues présentes sur internet est inévitable, et ne peut
que bénéficier aux échanges multiculturels. Pour que ces échanges prennent place
dans un environnement optimal, il convient encore de développer les outils qui
amélioreront la compatibilité. La gestion complète des diacritiques ne constitue
qu'un exemple de ce qui peut encore être entrepris.

*Entretien du 25 janvier 2000

= En quoi consiste votre site web?

Conçu d'abord comme un service intranet, notre site web se veut au service
d'abord des traducteurs opérant en Suisse, qui souvent travaillent sur la même
matière que les traducteurs de l'administration fédérale, mais également, par
certaines rubriques, au service de n'importe quel autre traducteur où qu'il se
trouve. Les dictionnaires électroniques ne sont qu'une partie de l'ensemble, et
d'autres secteurs documentaires ont trait à l'administration, au droit, à la
langue française, etc., sans parler des informations générales. Le site abrite
par ailleurs les pages de la CST (Conférence des services de traduction des
états européens).

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis responsable de la section française des services linguistiques centraux
(SLC-f) de la Chancellerie fédérale suisse, c'est-à-dire en charge des questions
organisationnelles de la traduction pour l'ensemble des services linguistiques
du gouvernement suisse.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le problème est réel même si la solution n'est pas évidente. On peut toutefois
regretter que la lutte contre ce genre de fraude finira par justifier, avec
d'autres dérives, une "police du WWW" malheureusement bien éloignée de l'esprit
dans lequel la toile a été créée.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Nous y sommes, à l'internet multilingue: reste à le consolider et à veiller à
l'égalité des chances d'accès, ce qui prendra probablement un peu plus de temps.


BARBARA GRIMES (Hawaii)


#Directrice de publication de l'Ethnologue, une encyclopédie des langues

Cette encyclopédie très documentée, qui en est à sa 14e édition, existe en
version web, sur CD-Rom et en version imprimée. Elle répertorie 6.700 langues,
avec de multiples critères de recherche. Barbara F. Grimes en est la directrice
de publication.

*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

L'internet nous est utile, c'est un outil pratique qui apporte un complément à
notre travail. Nous l'utilisons principalement pour le courrier électronique.
C'est aussi un moyen commode pour mettre notre documentation à la disposition
d'une audience plus large que celle de l'Ethnologue imprimé.

D'un autre côté, l'Ethnologue sur l'internet n'atteint en fait qu'une audience
limitée disposant d'ordinateurs. Or, dans les personnes que nous souhaitons
atteindre, nombreux sont ceux qui n'ont pas accès à des ordinateurs. Je pense
particulièrement aux habitants du dit "Tiers-monde".

= Envisagez-vous des pages web multilingues?

Les pages web multilingues sont de plus en plus utiles, mais elles sont plus
onéreuses à gérer. Nous avons eu des demandes nous demandant l'accès à
l'Ethnologue dans plusieurs autres langues, mais nous n'avons pas le personnel
ni les fonds pour la traduction ou la réactualisation, indispensables puisque
notre site est constamment mis à jour.

*Entretien du 15 janvier 2000 (entretien original en anglais)

= En quoi consiste exactement l'Ethnologue?

Il s'agit d'un catalogue des langues dans le monde, avec des informations sur
les endroits où elles sont parlées, une estimation du nombre de personnes qui
les parlent, la famille linguistique à laquelle elles appartiennent, les autres
noms utilisés pour ces langues, les noms de dialectes, d'autres informations
socio-linguistiques et démographiques, les dates des Bibles publiées, un index
des noms de langues, un index des familles linguistiques et des cartes
géographiques relatives aux langues.

= Quelle est exactement votre activité?

Je suis la directrice de publication de l'Ethnologue, depuis 1971 et jusqu'en
2000 (8e-14e éditions).

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Tous les copyrights doivent être respectés, de la même façon que pour l'imprimé.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le fait de recevoir des corrections et de nouvelles informations fiables.

= Et votre pire souvenir?

Des critiques peu aimables sans proposition de corrections.


MICHAEL HART (Illinois)


#Fondateur du Projet Gutenberg, la plus ancienne bibliothèque numérique sur
l'internet

Créé par Michael Hart en 1971 alors qu'il était étudiant à l'Université
d'Illinois (Etats-Unis), le Projet Gutenberg s'est donné comme mission de mettre
à la disposition de tous le plus grand nombre possible d'oeuvres du domaine
public. La plus ancienne bibliothèque numérique sur l'internet est aussi la plus
importante puisqu'elle propose en téléchargement libre et gratuit 3.700 oeuvres
(chiffres de juillet 2001) patiemment numérisées en mode texte par 600
volontaires de nombreux pays. Un total de 1.000 nouveaux livres devrait être
traité en 2001. Si certains documents anciens sont parfois saisis ligne après
ligne, le plus souvent parce que le texte original manque de clarté, les oeuvres
sont en général scannées en utilisant un logiciel OCR (optical character
recognition), puis elles sont relues et corrigées à double reprise, parfois par
deux personnes différentes. D'abord essentiellement anglophones, les collections
deviennent peu à peu multilingues. Michael Hart se définit lui-même comme un fou
de travail dédiant toute sa vie à son projet, qu'il voit comme étant à l'origine
d'une révolution néo-industrielle.

*Entretien du 23 août 1998 (entretien original en anglais)

= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?

Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable
relation avec le papier. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes
oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte
électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les
établissements d'enseignement.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Ma carrière n'aurait pas existé sans l'internet, et le Projet Gutenberg n'aurait
jamais eu lieu... Vous savez sûrement que le Projet Gutenberg a été le premier
site d'information sur l'internet.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Mon projet est de mettre 10.000 textes électroniques sur l'internet. Si je
pouvais avoir des subventions importantes, j'aimerais aller jusqu'à un million
et étendre aussi le nombre de nos usagers potentiels de 1,x% à 10% de la
population mondiale, ce qui représenterait la diffusion de 1.000 fois un
milliard de textes électroniques au lieu d'un milliard seulement.

*Entretien du 23 juillet 1999 (entretien original en anglais)

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Les débats actuels sont totalement irréalistes. Ils sont menés par
"l'aristocratie terrienne de l'âge de l'information" et servent uniquement ses
intérêts. Un âge de l'information? Et pour qui? J'ai été le principal opposant
aux extensions du copyright (loi du 27 octobre 1998, ndlr), mais Hollywood et
les grands éditeurs ont fait en sorte que le Congrès ne mentionne pas mon action
en public.

= En quoi consiste exactement cette loi?

Le copyright a été augmenté de 20 ans. Aupararant on devait attendre 75 ans, on
est maintenant passé à 95 ans. Bien avant, le copyright durait 28 ans (plus une
extension de 28 ans si on la demandait avant l'expiration du délai) et il avait
lui-même remplacé un copyright de 14 ans (plus une extension de 14 ans si on la
demandait avant l'expiration du délai). Comme vous le voyez, on assiste à une
dégradation régulière et constante du domaine public.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

J'espère que nous aurons un jour un bon Babelfish (le service de traduction
automatique d'Altavista, ndlr). Pour notre bibliothèque numérique, j'introduis
une nouvelle langue par mois maintenant, et je vais poursuivre cette politique
aussi longtemps que possible.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le courrier que je reçois me montre combien les gens apprécient que j'aie passé
ma vie à mettre des livres sur l'internet. Certaines lettres sont vraiment
émouvantes, et elles me rendent heureux pour toute la journée.

= Et votre pire souvenir?

Etre convoqué par le président de l'Université d'Illinois suite à une plainte
déposée par l'Université d'Oxford. Mais j'ai été défendu par une équipe de six
avocats, la moitié étant de l'Université d'Illinois, et j'ai gagné le procès. On
pourrait voir cela comme un bon souvenir, mais je hais ce genre de politique
politicienne... Le président de l'université se trouvait être l'oncle de Tom
Cruise, amusant, non?


ROBERTO HERNANDEZ MONTOYA (Caracas)


#Directeur de la bibliothèque numérique du magazine électronique Venezuela
Analítica

Roberto Hernández Montoya est licencié ès lettres de l'Université centrale du
Venezuela. Il publie des articles dans El Nacional, Letras, Imagen et
InternetiWorld Venezuela. Il est membre de l'équipe éditoriale de Venezuela
Cultural, Venezuela Analítica et Imagen. Il a fait des études d'analyse du
discours à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Il a
été le président fondateur de l'Association vénézuélienne des éditeurs, et le
rédacteur en chef de l'Ateneo de Caracas.

Magazine électronique conçu comme un forum public pour l'échange d'idées sur la
politique, l'économie, la culture, la science et la technologie, Venezuela
Analítica a créé en mai 1997 BitBlioteca, une bibliothèque numérique en
espagnol, qui comprend aussi quelques titres en anglais, français et portugais.

*Entretien du 3 septembre 1998

= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?

Je crois qu'ils sont complémentaires. On ne peut pas remplacer le texte imprimé
sur papier, au moins dans un futur proche. Le livre en papier est un objet
formidable. On ne peut pas feuilleter un texte électronique de la même façon
qu'un livre en papier. Mais un texte électronique permet de localiser beaucoup
plus rapidement un mot ou un groupe de mots. D'une certaine manière on peut le
lire avec plus de profondeur, même avec l'incommodité que représente la lecture
sur écran. Le texte électronique est moins cher et peut être distribué plus
facilement au monde entier (si on ne prend pas en ligne de compte le coût de
l'ordinateur et de la connexion à l'internet).

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

L'internet a été très important pour moi personnellement. Il est devenu ma
principale activité. Il a donné à notre organisme la possibilité de communiquer
avec des milliers de personnes alors que ceci aurait été impossible du point de
vue financier si on avait publié un magazine sur papier. Je crois que, dans les
années à venir, l'internet va devenir le médium primordial de communication et
d'échange d'information.


RANDY HOBLER (Dobbs Ferry, New York)


#Consultant en marketing internet, notamment chez Globalink, société spécialisée
en produits et services de traduction

Randy Hobler a été successivement consultant en marketing et internet chez IBM,
Johnson & Johnson, Burroughs Wellcome, Pepsi, Heublein, etc. En 1998, il était
consultant en marketing internet chez Globalink, société spécialisée en produits
et services de traduction. "J'aime pouvoir combiner ensemble mes compétences en
tant que formateur en haute technologie et en marketing avec ma passion pour les
langues, écrivait-il. Aimer ce que je fais et faire ce que j'aime." Globalink a
été racheté par Lernout & Hauspie en 1999.

*Entretien du 3 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?

En 1998, 85 % du contenu du web est en anglais, et ce chiffre est à la baisse.
Il y a non seulement plus de sites web et d'internautes non anglophones, mais
aussi une localisation plus grande de sites de sociétés et d'organismes, et un
usage accru de la traduction automatique pour traduire des sites web à partir ou
vers d'autres langues.

Comme l'internet n'a pas de frontières nationales, les internautes s'organisent
selon d'autres critères propres au médium. En termes de multilinguisme, vous
avez des communautés virtuelles, par exemple ce que j'appelle les "nations des
langues", tous ces internautes qu'on peut regrouper selon leur langue maternelle
quel que soit leur lieu géographique. Ainsi la nation de la langue espagnole
inclut non seulement les internautes d'Espagne et d'Amérique latine, mais aussi
tous les hispanophones vivant aux Etats-Unis, ou encore ceux qui parlent
espagnol au Maroc.

= Comment voyez-vous l'avenir de la traduction automatique?

Nous arriverons rapidement au point où une traduction très fidèle du texte et de
la parole sera si commune qu'elle pourra faire partie des plate-formes ou même
des puces. A ce point, quand le développement de l'internet aura atteint sa
vitesse de croisière, que la fidélité de la traduction atteindra plus de 98% et
que les différentes combinaisons de langues possibles auront couvert la grande
majorité du marché, la transparence de la langue (toute communication d'une
langue à une autre) sera une vision trop restrictive pour ceux qui vendent cette
technologie. Le développement suivant sera la "transparence transculturelle et
transnationale" dans laquelle les autres aspects de la communication humaine, du
commerce et des transactions au-delà du seul langage entreront en scène. Par
exemple, les gestes ont un sens, les mouvements faciaux ont un sens, et ceci
varie en fonction des sociétés. La lettre O réalisée avec le pouce et l'index
signifie "OK" aux Etats-Unis alors qu'en Argentine c'est un geste obscène.

Quand se produira l'inévitable développement de la vidéoconférence multilingue
multimédias, il sera nécessaire de corriger visuellement les gestes. Le Media
Lab du MIT (Massachussets Institute of Technology), Microsoft et bien d'autres
travaillent à la reconnaissance informatique des expressions faciales,
l'identification des caractéristiques biométriques par le biais du visage, etc.
Il ne servira à rien à un homme d'affaires américain de faire une excellente
présentation à un Argentin lors d'une vidéoconférence multilingue sur le web,
avec son discours traduit dans un espagnol argentin parfait, s'il fait en même
temps le geste O avec le pouce et l'index. Les ordinateurs pourront intercepter
ces types de messages et les corriger visuellement.

Les cultures diffèrent de milliers de façons, et la plupart d'entre elles
peuvent être modifiées par voie informatique lorsqu'on passe de l'une à l'autre.
Ceci inclut les lois, les coutumes, les habitudes de travail, l'éthique, le
change monétaire, les différences de taille dans les vêtements, les différences
entre le système métrique et le système de mesure anglophone, etc. Les sociétés
dynamiques répertorieront et programmeront ces différences, et elles vendront
des produits et services afin d'aider les habitants de la planète à mieux
communiquer entre eux. Une fois que ceux-ci seront largement répandus, ils
contribueront réellement à une meilleure compréhension à l'échelle
internationale.

*Entretien du 10 septembre 2000 (entretien original en anglais)

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Les livres électroniques continueront de se développer avec l'amélioration de
l'affichage sur écran et d'un matériel plus polyvalent et plus léger. Les
premiers utilisateurs seront notamment les établissements d'enseignement, du
fait de tous les avantages que peuvent procurer les livres électroniques aux
étudiants: téléchargement des lectures de tout un trimestre, investissement peu
coûteux, liens avec les examens et les dissertations, informations aisément
transférables, équipement léger au lieu de piles de livres à transporter.


EDUARD HOVY (Marina del Rey, Californie)


#Directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud

Le Natural Language Group de l' USC/ISI (University of Southern California /
Information Sciences Institute) traite de plusieurs aspects du traitement du
langage naturel: traduction automatique, résumé automatique de texte, accès
multilingue aux verbes et gestion du texte, développement de taxonomies de
concepts (ontologies), discours et génération de texte, élaboration d'importants
lexiques pour plusieurs langues, et communication multimédias.

Son directeur, Eduard Hovy, est docteur en informatique (spécialité:
intelligence artificielle) de l'Université de Yale (doctorat obtenu en 1987). Il
est membre des départements informatiques de l'Université de Californie du Sud
et de l'Université de Waterloo. Ses recherches concernent principalement la
traduction automatique, le résumé automatique de texte, l'organisation et la
génération de textes, et l'élaboration semi-automatique d'importants lexiques et
banques terminologiques. Tous ces thèmes sont des sujets de recherche au Natural
Language Group.

Eduard Hovy est également l'auteur ou le directeur de publication de quatre
ouvrages et d'une centaine d'articles techniques. Il a fait partie des comités
de rédaction de Computational Linguistics et du Journal of the Society of
Natural Language Processing of Japan. Il est actuellement le président de
l'Association of Machine Translation in the Americas (AMTA, et le vice-président
de l'Association for Computational Linguistics (ACL).

*Entretien du 27 août 1998 (entretien original en anglais)

= Le multilinguisme sur le web est-il un atout ou une barrière?

Dans le contexte de la recherche documentaire et du résumé automatique de texte,
le multilinguisme sur le web est un facteur qui ajoute à la complexité du sujet.
Les gens écrivent dans leur propre langue pour diverses raisons : commodité,
discrétion, communication à l'échelon local, mais ceci ne signifie pas que
d'autres personnes ne soient pas intéressées de lire ce qu'ils ont à dire ! Ceci
est particulièrement vrai pour les sociétés impliquées dans la veille
technologique (disons une société informatique qui souhaite connaître tous les
articles de journaux et périodiques japonais relatifs à son activité) et des
services de renseignements gouvernementaux (ceux qui procurent l'information la
plus récente, utilisée ensuite par les fonctionnaires pour décider de la
politique, etc.). Un des principaux problèmes auquel ces services doivent faire
face est la très grande quantité d'informations. Ils recrutent donc du personnel
bilingue "passif" qui peut scanner rapidement les textes afin de mettre de côté
ce qui est sans intérêt et de donner ensuite les documents significatifs à des
traducteurs professionnels. Manifestement, une combinaison de résumé automatique
de texte et de traduction automatique sera très utile dans ce cas. Comme la
traduction automatique est longue, on peut d'abord résumer le texte dans la
langue étrangère, puis effectuer une traduction automatique rapide à partir du
résultat obtenu, en laissant à un être humain ou un classificateur de texte (du
type recherche documentaire) le soin de décider si on doit garder l'article ou
le rejeter.

Pour ces raisons, durant ces cinq dernières années, le gouvernement des
Etats-Unis a financé des recherches en traduction automatique, en résumé
automatique de texte et en recherche documentaire, et il s'intéresse au
lancement d'un nouveau programme de recherche en informatique documentaire
multilingue. On sera ainsi capable d'ouvrir un navigateur tel que Netscape ou
Explorer, entrer une demande en anglais, et obtenir la liste des documents dans
toutes les langues. Ces documents seront regroupés par sous-catégorie avec un
résumé pour chacun et une traduction pour les résumés étrangers, toutes choses
qui seraient très utiles.

En consultant MuST (multilingual information retrieval, summarization, and
translation system), vous aurez une démonstration de notre version de ce
programme de recherche, qui utilise l'anglais comme langue de l'utilisateur sur
un ensemble d'environ 5.000 textes en anglais, japonais, arabe, espagnol et
indonésien.

Entrez votre demande (par exemple, "baby", ou tout autre terme) et appuyez sur
la touche Retour. Dans la fenêtre du milieu vous verrez les titres (ou bien les
mots-clés, traduits). Sur la gauche vous verrez la langue de ces documents: "Sp"
pour espagnol, "Id" pour indonésien, etc. Cliquez sur le numéro situé sur la
partie gauche de chaque ligne pour voir le document dans la fenêtre du bas.
Cliquez sur "Summarize" pour obtenir le résumé. Cliquez sur "Translate" pour
obtenir la traduction (attention, les traductions en arabe et en japonais sont
extrêmement lentes! Essayez plutôt l'indonésien pour une traduction rapide mot à
mot).

Ce programme de démonstration n'est pas (encore) un produit. Nous avons de
nombreuses recherches à mener pour améliorer la qualité de chaque étape. Mais
ceci montre la direction dans laquelle nous allons.

*Entretien du 8 août 1999 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Durant les douze derniers mois, j'ai été contacté par un nombre surprenant de
nouvelles sociétés et start-up en technologies de l'information. La plupart
d'entre elles ont l'intention d'offrir des services liés au commerce
électronique (vente en ligne, échange, collecte d'information, etc.). Etant
donné les faibles résultats des technologies actuelles du traitement de la
langue naturelle - ailleurs que dans les centres de recherche - c'est assez
surprenant. Quand avez-vous pour la dernière fois trouvé rapidement une réponse
correcte à une question posée sur le web, sans avoir eu à passer en revue
pendant un certain temps des informations n'ayant rien à voir avec votre
question? Cependant, à mon avis, tout le monde sent que les nouveaux
développements en résumé automatique de texte, analyse des questions, etc.,
vont, je l'espère, permettre des progrès significatifs. Mais nous ne sommes pas
encore arrivés à ce stade.

Il me semble qu'il ne s'agira pas d'un changement considérable, mais que nous
arriverons à des résultats acceptables, et que l'amélioration se fera ensuite
lentement et sûrement. Ceci s'explique par le fait qu'il est très difficile de
faire en sorte que votre ordinateur "comprenne" réellement ce que vous voulez
dire - ce qui nécessite de notre part la construction informatique d'un réseau
de "concepts" et des relations de ces concepts entre eux - réseau qui, jusqu'à
un certain stade au moins, reflèterait celui de l'esprit humain, au moins dans
les domaines d'intérêt pouvant être regroupés par sujets. Le mot pris à la
"surface" n'est pas suffisant - par exemple quand vous tapez: "capitale de la
Suisse", les systèmes actuels n'ont aucun moyen de savoir si vous songez à
"capitale administrative" ou "capitale financière". Dans leur grande majorité,
les gens préféreraient pourtant un type de recherche basé sur une expression
donnée, ou sur une question donnée formulée en langage courant.

Plusieurs programmes de recherche sont en train d'élaborer de vastes réseaux de
"concepts", ou d'en proposer l'élaboration. Ceci ne peut se faire en deux ans,
et ne peut amener rapidement un résultat satisfaisant. Nous devons développer à
la fois le réseau et les techniques pour construire ces réseaux de manière
semi-automatique, avec un système d'auto-adaptation. Nous sommes face à un défi
majeur.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

En tant qu'universitaire, je suis bien sûr un des parasites de notre société, et
donc tout à fait en faveur de l'accès libre à la totalité de l'information. En
tant que co-propriétaire d'une petite start-up, je suis conscient du coût que
représente la collecte et la présentation de l'information, et de la nécessité
de faire payer ce service d'une manière ou d'une autre.

Pour équilibrer ces deux tendances, je pense que l'information à l'état brut -
et certaines ressources à l'état brut: langages de programmation ou moyens
d'accès à l'information de base comme les navigateurs web - doivent être
disponibles gratuitement. Ceci crée un marché et permet aux gens de les
utiliser. Par contre l'information traitée et les systèmes vous permettant
d'obtenir et structurer très exactement ce dont vous avez besoin doivent être
payants. Cela permet de financer ceux qui développent ces nouvelles
technologies.

Prenons un exemple: à l'heure actuelle, un dictionnaire n'est pas disponible
gratuitement. Les sociétés éditrices de dictionnaires refusent de les mettre
librement à la disposition des chercheurs et de toute personne intéressée, et
elles avancent l'argument que ces dictionnaires ont demandé des siècles de
travail (j'ai eu plusieurs discussions à ce sujet avec des sociétés de
dictionnaires). Mais de nos jours les dictionnaires sont des instruments
stupides: on doit connaître le mot avant de le trouver! J'aimerais avoir un
outil qui me permette de donner une définition approximative, ou peut-être une
phrase ou deux incluant un espace pour le mot que je cherche, ou même
l'équivalent de ce mot dans une autre langue, et que la réponse me revienne avec
le(s) mot(s) que je cherche. Un tel outil n'est pas compliqué à construire, mais
il faut d'abord le dictionnaire de base. Je pense que ce dictionnaire de base
devrait être en accès libre. Par contre on pourrait facturer l'utilisation du
moteur de recherche ou du service permettant d'entrer une information -
partielle ou non - qui soit très "ciblée", afin d'obtenir le meilleur résultat.

Voici un deuxième exemple. On devrait avoir accès librement à la totalité du
web, et à tous les moteurs de recherche "de base" du type de ceux qu'on trouve
aujourd'hui. Pas de copyright et pas de licence. Mais si on a besoin d'un moteur
de recherche qui procure une réponse très "ciblée" et très fiable, je pense
qu'il ne serait pas déraisonnable que ce service soit facturé.

Le créateur d'une encyclopédie ne va naturellement pas aimer ma proposition.
Mais je lui suggérerais d'équiper son encyclopédie d'un système d'accès
performant. Sans ce système, l'information brute donnée par cette encyclopédie
n'est qu'un stock d'informations et rien d'autre, et ce stock peut aisément se
perdre dans une masse considérable d'informations qui augmente tous les jours.

*Entretien du 2 septembre 2000 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Je vois de plus en plus de petites sociétés utiliser d'une manière ou d'une
autre les technologies liées aux langues, pour procurer des recherches, des
traductions, des rapports ou d'autres services permettant de communiquer. Le
nombre de créneaux dans lesquels ces technologies peuvent être utilisées
continue de me surprendre, et cela va des rapports financiers et leurs mises à
jour aux communications d'une société à l'autre en passant par le marketing.

En ce qui concerne la recherche, la principale avancée que je vois est due à
Kevin Knight, un collègue de l'ISI (Institut des sciences de l'information de
l'Université de Californie du Sud), ce dont je suis très honoré. L'été dernier,
une équipe de chercheurs et d'étudiants de l'Université Johns Hopkins (Maryland)
a développé une version à la fois meilleure et plus rapide d'une méthode
développée à l'origine par IBM (et dont IBM reste propriétaire) il y a douze ans
environ. Cette méthode permet de créer automatiquement un système de traduction
automatique, dans la mesure où on lui fournit un volume suffisant de texte
bilingue. Tout d'abord la méthode trouve toutes les correspondances entre les
mots et la position des mots d'une langue à l'autre, et ensuite elle construit
des tableaux très complets de règles entre le texte et sa traduction, et les
expressions correspondantes.

Bien que la qualité du résultat soit encore loin d'être satisfaisante - personne
ne pourrait considérer qu'il s'agit d'un produit fini, et personne ne pourrait
utiliser le résultat tel quel - l'équipe a créé en vingt-quatre heures un
système (élémentaire) de traduction automatique du chinois vers l'anglais. Ceci
constitue un exploit phénoménal, qui n'avait jamais été réalisé avant. Les
détracteurs du projet peuvent bien sûr dire qu'on a besoin dans ce cas de trois
millions de phrases disponibles dans chaque langue, et qu'on ne peut se procurer
une quantité pareille que dans les parlements du Canada, de Hong-Kong ou
d'autres pays bilingues. Ils peuvent bien sûr arguer également de la faible
qualité du résultat. Mais le fait est que, tous les jours, on met en ligne des
textes bilingues au contenu à peu près équivalent, et que la qualité de cette
méthode va continuer de s'améliorer pour atteindre au moins celle des logiciels
de traduction automatique actuels, qui sont conçus manuellement. J'en suis
absolument certain.

D'autres développements sont moins spectaculaires. On observe une amélioration
constante des résultats dans les systèmes pouvant décider de la traduction
opportune d'un terme (homonyme) qui a des significations différentes (par
exemple père, pair et père, ndlr). On travaille beaucoup aussi sur la recherche
d'information par recoupement de langues (qui vous permettront bientôt de
trouver sur le web des documents en chinois et en français même si vous tapez
vos questions en anglais). On voit également un développement rapide des
systèmes qui répondent automatiquement à des questions simples (un peu comme le
populaire AskJeeves utilisé sur le web, mais avec une gestion par ordinateur et
non par des êtres humains). Ces systèmes renvoient à un grand volume de texte
permettant de trouver des "factiodes" (et non des opinions ou des motifs ou des
chaînes d'événements) en réponse à des questions telles que: "Quelle est la
capitale de l'Ouganda?", ou bien: "Quel âge a le président Clinton?", ou bien:
"Qui a inventé le procédé Xerox?", et leurs résultats obtenus sont plutôt
meilleurs que ce à quoi je m'attendais.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je ne crois pas au livre électronique. Encore plus que d'assister à un concert
en public ou d'aller voir un film au cinéma, j'aime l'expérience physique
d'avoir un livre sur les genoux et de prendre plaisir à son odeur, son contact
et son poids. Les concerts à la télévision, les films à la télévision et les
livres électroniques font qu'on perd un peu de ce plaisir. Et, pour les livres
particulièrement, je ne suis pas prêt à cette perte. Après tout, dans mon
domaine d'activité, il est beaucoup plus facile et beaucoup plus économique de
se procurer un livre qu'une place de concert ou de cinéma. Tous mes souhaits
vont aux fabricants de livres électroniques, mais je suis heureux avec les
livres imprimés. Et je ne pense pas changer d'avis de sitôt, et me ranger dans
la minorité qui utilise les livres électroniques. Je crains beaucoup moins la
disparition des livres que je n'ai craint autrefois la disparition des cinémas.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Pour moi, le cyberespace est représenté par la totalité des informations
auxquelles nous pouvons accéder par l'internet et les systèmes informatiques en
général. Il ne s'agit bien sûr pas d'un espace, et son contenu est sensiblement
différent de celui des bibliothèques. Par exemple, bientôt mon réfrigérateur, ma
voiture et moi-même seront connus du cyberespace, et toute personne disposant
d'une autorisation d'accès (et d'une raison pour cela) pourra connaître
précisément le contenu de mon réfrigérateur et la vitesse de ma voiture (ainsi
que la date à laquelle je devrai changer les amortisseurs), et ce que je suis en
train de regarder maintenant.

En fait, j'espère que la conception de la publicité va changer, y compris les
affiches et les présentations que j'ai sous les yeux en marchant, afin que cette
publicité puisse correspondre à mes connaissances et à mes goûts, tout
simplement en ayant les moyens de reconnaître que "voici quelqu'un dont la
langue maternelle est l'anglais, qui vit à Los Angeles et dont les revenus sont
de tant de dollars par mois". Ceci sera possible du fait de la nature dynamique
d'un cyberespace constamment mis à jour (contrairement à une bibliothèque), et
grâce à l'existence de puces informatiques de plus en plus petites et bon
marché.

Tout comme aujourd'hui j'évolue dans un "espace social" (socialspace) qui est un
réseau de normes sociales, d'expectations et de lois, demain, j'évoluerai aussi
dans un cyberespace composé d'informations sur lesquelles je pourrai me baser
(parfois), qui limiteront mon activité (parfois), qui me réjouiront (souvent,
j'espère) et qui me décevront (j'en suis sûr).

= Et la société de l'information?

Une société de l'information est une société dans laquelle la majorité des gens
a conscience de l'importance de cette information en tant que produit de base,
et y attache donc tout naturellement du prix. Au cours de l'histoire, il s'est
toujours trouvé des gens qui ont compris combien cette information était
importante, afin de servir leurs propres intérêts. Mais quand la société, dans
sa majorité, commence à travailler avec et sur l'information en tant que telle,
cette société peut être dénommée société de l'information. Ceci peut sembler une
définition tournant un peu en rond ou vide de sens, mais je vous parie que, pour
chaque société, les anthropologues sont capables de déterminer quel est le
pourcentage de la société occupé au traitement de l'information en tant que
produit de base. Dans les premières sociétés, ils trouveront uniquement des
professeurs, des conseillers de dirigeants et des sages. Dans les sociétés
suivantes, ils trouveront des bibliothécaires, des experts à la retraite
exerçant une activité de consultants, etc.

Les différentes étapes de la communication de l'information - d'abord verbale,
puis écrite, puis imprimée, puis électronique - ont chaque fois élargi (dans le
temps et dans l'espace) le champ de propagation de cette information, en rendant
de ce fait de moins en moins nécessaire le réapprentissage et la répétition de
certaines tâches difficiles. Dans une société de l'information très évoluée, je
suppose, il devrait être possible de formuler votre objectif, et les services
d'information (à la fois les agents du cyberespace et les experts humains)
oeuvreraient ensemble pour vous donner les moyens de réaliser cet objectif, ou
bien se chargeraient de le réaliser pour vous, et réduiraient le plus possible
votre charge de travail en la limitant au travail vraiment nouveau ou au travail
nécessitant vraiment d'être refait à partir de documents rassemblés pour vous
dans cette intention.


CHRISTIANE JADELOT (Nancy)


#Ingénieur d'études à l'INaLF (Institut national de la langue française)

Laboratoire du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), l'INaLF a
pour mission de développer des programmes de recherche sur la langue française,
tout particulièrement son lexique. Les données, traitées par des systèmes
informatiques spécifiques et originaux, constamment enrichies et renouvelées,
portent sur tous les registres du français: langue littéraire (du 14e au 20e
siècle), langue courante (écrite, parlée), langue scientifique et technique
(terminologies), et régionalismes. Ces données, qui constituent un matériau
d'étude considérable, sont progressivement mises à la disposition de tous ceux
que la langue française intéresse (enseignants et chercheurs, mais aussi
industriels, secteur tertiaire et grand public), soit par des publications, soit
par la consultation de banques et bases de données.

Le domaine de compétence de Christiane Jadelot est la lexicographie
informatisée. Elle est actuellement chargée de la mise en ligne de la huitième
édition du Dictionnaire de l'Académie française (1932-1935).

*Entretien du 8 juin 1998

= Quel est l'historique du site web de l'INaLF?

Les premières pages sur l'INaLF ont été mises sur l'internet au milieu de
l'année 1996, à la demande de Robert Martin, directeur de l'INaLF. Je peux en
parler, car j'ai participé à la mise sous internet de ces pages, avec des outils
qui ne sont pas comparables à ceux que l'on utilise aujourd'hui. J'ai en effet
travaillé avec des outils sous Unix, qui n'étaient pas très faciles
d'utilisation. Nous avions peu d'expérience de la chose, à l'époque, et les
pages étaient très verbeuses. Mais la direction a senti la nécessité urgente de
nous faire connaître par l'internet, que beaucoup d'autres entreprises
utilisaient déjà pour promouvoir leurs produits. Nous sommes en effet "Unité de
recherche et de service" et nous avons donc à trouver des clients pour nos
produits informatisés, le plus connu d'entre eux étant la base textuelle
Frantext. Il me semble que la base Frantext était déjà sur internet (depuis
début 1995, ndlr), ainsi qu'une maquette du tome 14 du TLF (Trésor de la langue
francaise, dictionnaire en 16 volumes publié par le CNRS entre 1971 et 1994, et
dont le 14e volume a été consultable en ligne pendant quelque temps, ndlr). Il
était donc nécessaire de faire connaître l'ensemble de l'INaLF par ce moyen.
Cela correspondait à une demande générale.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

J'ai commencé à utiliser vraiment l'internet en 1994, je crois, avec un logiciel
qui s'appelait Mosaic. J'ai alors découvert un outil précieux pour progresser
dans mes connaissances en informatique, linguistique, littérature... Tous les
domaines sont couverts. Il y a le pire et le meilleur, mais en consommateur
averti, il faut faire le tri de ce que l'on trouve. J'ai surtout apprécié les
logiciels de courrier, de transfert de fichiers, de connexion à distance.
J'avais à cette époque des problèmes avec un logiciel qui s'appelait Paradox et
des polices de caractères inadaptées à ce que je voulais faire. J'ai tenté ma
chance et posé la question dans un groupe de News approprié. J'ai reçu des
réponses du monde entier, comme si chacun était soucieux de trouver une solution
à mon problème! Je n'étais pas habituée à ce type de solidarité. Les habitudes
en France sont plutôt de travailler avec des cloisons étanches.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je pense qu'il faut équiper de plus en plus de laboratoires avec du matériel de
pointe, qui permette d'utiliser tous ces médias. Nous avons des projets en
direction des lycées et des chercheurs. Le ministère de l'Education nationale a
promis de câbler tous les établissements, c'est plus qu'une nécessité nationale.
J'ai vu à la télévision une petite école dans un village faisant l'expérience de
l'internet. Les élèves correspondaient avec des écoles de tous les pays, ceci ne
peut être qu'une expérience enrichissante, bien sûr sous le contrôle des adultes
formés pour cela. Voilà ma petite expérience. Je me suis équipée maintenant à
domicile dans un but plus ludique, en espérant convaincre ma fille d'utiliser au
mieux tous ces outils.

*Entretien du 10 août 1999

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

L'INaLF est au coeur des problèmes de droits d'auteur et d'éditeur avec sa base
de textes Frantext. Il me semble que les règles devraient s'assouplir, car pour
le moment cette base a un accès restreint, ce qui est dommageable pour sa
diffusion et la diffusion de la langue française en général.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Personnellement je n'ai pas d'état d'âme par rapport à l'usage de la langue
anglaise. On doit la prendre comme un banal outil de communication. Cela dit,
les sites doivent proposer un accès par l'anglais et par la langue du pays
d'origine.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Mon meilleur souvenir est celui évoqué en 1998, lorsque, pour mon problème de
polices de caractères, qui était très local, j'ai reçu des réponses du monde
entier!

= Et votre pire souvenir?

Celui d'avoir envoyé un courrier électronique à une personne qui n'était pas
destinataire. Ce mode de communication doit être utilisé avec prudence parfois.
Il va plus vite que la pensée elle-même, et peut être utilisé de manière très
perverse, après coup, par le destinataire.


GERARD JEAN-FRANCOIS (Caen)


#Directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen

Directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen (CRIUC),
Gérard Jean-François est chargé de l'exploitation et du développement des
technologies de la communication pour la recherche et la pédagogie.

*Entretien du 13 mars 2001

= Pouvez-vous décrire l'activité de votre organisme?

L'Université de Caen Basse-Normandie compte 24.000 étudiants. Elle est unique,
donc pluridisciplinaire pour la région. De ce fait, elle est répartie sur une
douzaine de sites. Les activités principales sont évidemment l'enseignement et
la recherche.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Mon activité professionnelle consiste à effectuer la veille technologique et à
mettre en place les moyens nécessaires à l'activité de l'établissement. Ces
moyens sont essentiellement le réseau de communication, les serveurs et les
équipements individuels. Sur ces équipements sont mis en place les services
(messageries, bases de données, visioconférence...) nécessaires aux utilisateurs
(étudiants, enseignants/chercheurs, personnels techniques et administratifs).

= Et votre activité liée à l'internet?

Par rapport à internet, je me dois de fournir l'accès internet à l'ensemble de
l'établissement mais également de rendre visible l'établissement sur internet,
ceci dans le strict respect de la législation en appliquant toutes les mesures
de sécurité qui incombent à mon rôle de responsable sécurité du système
informatique.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Pour l'avenir, les évolutions suivantes se précisent à l'horizon :

- les développements techniques pour la prise en compte des différents médias,

- la "démocratisation" de l'internet, qui amènera la mise en place de réseaux
professionnels,

- la multiplication des problèmes de sécurité liés à la dématérialisation de
l'information.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Pour mon activité professionnelle, j'utilise encore le papier pour travailler
hors de mon bureau, de même que pour des livres autres que techniques. En effet,
si des documents techniques (qui sont des bases de données) sont facilement
consultables sous forme électronique, il n'en est pas de même pour des ouvrages
de fond. Au sujet de la presse, il est hors de question de la supprimer pour la
lecture, mais pour l'archivage oui.

= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?

La réponse est oui mais les usages changeront.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Le livre électronique, c'est quoi? Le livre électronique tel qu'il existe
actuellement est une base de données documentaires qui permet si on le souhaite
de télécharger le contenu et ensuite de l'éditer. Les écrans étant ce qu'ils
sont et ce qu'ils resteront longtemps, on ne peut pas espérer lire n'importe où
et n'importe quand un texte de quelque difficulté qu'il soit. Pour des documents
ne comportant que des images, cela peut en être autrement.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

A mon avis, il n'y a pas de débat. Si on met quelque chose sur le web,
c'est-à-dire ouvert à tout le monde, cela signifie qu'on l'offre gratuitement à
tout le monde. Si on veut en faire du commerce, les moyens existent pour
sécuriser les accès et les copies, il faut tout simplement les mettre en oeuvre.
A l'heure actuelle (et c'est peut-être une bonne chose) on n'a que deux
alternatives, ou bien on met ses créations dans un tiroir et on vend, ou bien on
offre.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et mal-voyants?

Les progrès techniques concernant les réseaux devraient permettre de mettre sur
le web davantages de documents sonores. Une piste qui peut avoir de l'avenir:
prendre les textes des pages web et les synthétiser sous forme sonore sur son
propre PC.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le cyberspace peut être considéré comme l'ensemble des informations qui sont
accessibles sans aucune restriction sur le réseau internet.

= Et la société de l'information?

Il n'y a pas de société de l'information particulière. De tout temps, elle a
toujours existé. Ce qu'il faut noter, c'est son évolution continue. Gutenberg
l'a fait évoluer, de même internet.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La remarque faite par un internaute d'Outre-Atlantique qui, ayant examiné une
photo, nous a averti qu'elle était à l'envers.

= Et votre pire souvenir?

Pas vraiment de mauvais souvenirs, simplement une amertume envers les mauvais
usages qui en sont faits.


JEAN-PAUL (Paris)


#Webmestre des cotres furtifs, un site hypermédia qui raconte des histoires en
3D

Webmestre des cotres furtifs, Jean-Paul - qui a choisi son prénom comme
pseudonyme - s'est toujours intéressé à l'écriture, imprimée ou chantée, avant
de centrer son intérêt sur les nouvelles formes qu'annoncent le numérique et la
technique de l'hyperlien, l'architecture par liens, le système des
correspondances dans un réseau où sinon les parfums du moins "les couleurs et
les sons se répondent"... Depuis 1999, il anime des soirées publiques sur le
thème de l'hypertexte à La Maroquinerie (Paris). En 2000, il fait partie de la
grande aventure du Samarkande: www.thewebsoap.net, un feuilleton hypermédia
collectif de onze auteurs diffusé en direct sur la toile.

Les cotres furtifs (un cotre est un bateau à voile) ont commencé à émettre le 20
octobre 1998. "L'image et le son font partie intégrante de chaque récit, avec un
système d'échos de l'un à l'autre, mais le parti-pris est de laisser la priorité
aux mots." Ils en sont à leur version 2, offrant "deux entrées sur deux
histoires qui se croisent comme le ruban de Möbius". La version 3 est en vue,
"consacrée à un avatar de Clément Ader".

*Entretien du 5 août 1999

= Comment voyez-vous l'avenir?

L'internet va me permettre de me passer des intermédiaires: compagnies de
disques, éditeurs, distributeurs... Il va surtout me permettre de formaliser ce
que j'ai dans la tête (et ailleurs) et dont l'imprimé (la micro-édition, en
fait) ne me permettait de donner qu'une approximation. Puis les intermédiaires
prendront tout le pouvoir. Il faudra alors chercher ailleurs, là où l'herbe est
plus verte...

Pour s'en tenir à la cyber-littérature, ou littérature numérique ou comme on
voudra l'appeler, son avenir est tracé par sa technologie même : il est
maintenant impossible à un(e) auteur(e) seul(e) de manier à la fois les mots,
leur apparence mouvante et leur sonorité. Maîtriser aussi bien Director,
Photoshop et Cubase, pour ne citer que les plus connus, c'était possible il y a
dix ans, avec les versions 1. Ça ne l'est plus. Dès demain (matin), il faudra
savoir déléguer les compétences, trouver des partenaires financiers aux reins
autrement solides que Gallimard, voir du côté d'Hachette-Matra, Warner,
Pentagone, Hollywood.

Au mieux, le statut du... écrivaste ? multimédiaste ? sera celui du vidéaste, du
metteur en scène, du directeur de produit : c'est lui qui écope des palmes d'or
à Cannes, mais il n'aurait jamais pu les décrocher seul. Soeur jumelle (et non
pas clone) du cinématographe, la cyber-littérature (= la vidéo + le lien) sera
une industrie, avec quelques artisans isolés dans la périphérie off-off (aux
droits d'auteur négatifs, donc).

= Qu'est-ce exactement qu'un cotre?

Il est ainsi appelé parce qu'il semble couper l'eau : "Cotre, Cutter, s.m. Petit
bâtiment de guerre à un mât, fin dans ses formes de l'arrière, fortement épaulé
& portant bien la voile (...). Les navires de cette sorte, très bien gréés &
voilés pour le plus près et pour louvoyer, peuvent, en outre, naviguer avec
avantage vent arrière (...). Un côtre porte environ 6 à 8 bouches à feu."
(Bonnefoux et Pâris, Dictionnaire de la marine à voile)

Les cotres (héritiers des bateaux rapides des côtes de la Manche et de la mer du
Nord) remontent donc très bien au vent. Souvent survoilés, rapides et maniables,
les cotres étaient un élément important des flottes de guerre. Pour les mêmes
raisons, ils furent avec les lougres les bateaux préférés des pirates,
contrebandiers et... postiers maritimes (facteurs, en somme...).

"Aujourd'hui que la terre est plate et les mers dessalées, il est temps que nos
cotres se faufilent entre les 6 milliards d'étoiles que nous sommes (bientôt
6,5). Et que de cotre à cotre se tissent nos liens." (Le cotre courant)

= Vous préférez signer de votre prénom, plutôt que de l'habituel prénom et nom
de famille. Pour quelle raison?

Ce qui me motive, c'est que tout est à faire, sur la toile. A part le CERN
(Laboratoire européen pour la physique des particules) et le Pentagone (qui vont
s'en faire une autre, de toile, limitée à leur désir), personne ne sait
exactement ce qu'elle nous offre. On peut donc travailler librement en acceptant
avec vraisemblance l'idée que tout est ouvert. Utiliser le plus largement, le
plus vite possible cet espace d'autant plus illimité qu'il est intérieur, le
temps que nous rattrape et nous double le vol rapace des bannières étoilées de 0
et de 1.

Mais si c'est pour répéter les mêmes gestes qu'avant, à quoi bon?

Or cette histoire du nom (directement liée au problème du droit d'auteur)
renvoie au pilier fondamental, tabou, de notre globe: la propriété privée. Rien
que ça: en quelques siècles, on nous a réduit à un nom, un seul, d'autant plus
"propre" maintenant qu'il a été nettoyé de toute humanité et réduit à un
code-barre SS (Sécu Soc) (sécurité sociale, ndlr). Ce n'est pas un phénomène
naturel : c'est un choix de civilisation, voulu par les gestionnaires, car
comment faire fonctionner une société moderne, comment obtenir que soit rendu à
César ce qu'il s'approprie, si on laissait chaque individu modifier son
apparence administrative plusieurs fois dans sa vie, passant de "Casse-cou des
Patins (à roulettes)" à "Le 68tard qui fume sous la véranda" après avoir été
"Mob dans les virages" (alors que vous savez comme moi qu'un programme simple
suffirait pour "gérer" ça)? "La nature humaine est foncièrement mauvaise et tous
les maffieux en abuseraient. Mais nous sommes là pour vous protéger, protéger
votre identité." (Le Pentagone) Et le premier acte d'affirmation du plus démuni,
celui dont les papiers ne sont jamais en règle, c'est d'abord de tagger son nom
sur les affiches signées "© Grande Marque".

Aux cotres, nous essayons furtivement autre chose.

Nous existons, nous avons une adresse. Nous savons qu'il est difficile de se
parler dans l'anonymat ou le collectivisme, alors nous gardons certains points
de repère: il y a le facteur temps, il y a le facteur humain, et chez les
cotres, il y a le cotre facteur, qui répond souvent au nom de Jean-Paul. Un
prénom qui n'est pas un nom propre puisque justement le propre d'un nom est
qu'il ne nous est pas propre: c'est celui d'une dynastie, d'une série de pères
déposée chez notaires.

Pas question de renier nos ancêtres: ils ont fait le monde que nous appelons
réalité. Mais nous levons la toile pour un autre rêve. Et nous lançons nos
cotres dans toutes les directions, pour les contacts.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Nous ne nous sentons pas concernés.

a) - S'il s'agit de "respect", c'est une question de morale et d'élégance, qui
n'est pas suceptible de débat: sur la toile comme ailleurs, on cite ses sources.
Total respect. Pour la plupart d'entre nous.

b) - S'il s'agit de "droit d'auteur", on est dans le domaine juridique, instable
par essence. Le "droit" d'auteur est une notion récente -- que les Français
attribuent à Beaumarchais, homme d'ombres, d'affaires, trafiquant d'armes et
grand auteur. L'apparition du numérique, et donc du clonage (qui pose un autre
problème que celui de la copie, résolu depuis longtemps), oblige à reconsidérer
cette notion.

c) - S'il s'agit de "droitS d'auteur" (au pluriel, donc), on est dans la sphère
de l'économie, dont la logique est connue: concurrence et rétention: devenir le
premier de la classe, empêcher les autres de le devenir. Et pas vu, pas pris.

Sony est éditeur de CD (audio et Rom) parce que ça rapporte. Et il fabrique des
graveurs (qui permettent de cloner ses propres CD, comme ceux de la concurrence)
parce que ça rapporte. Philips faisait de même, jusqu'au jour où il a vendu sa
division Polygram (que les lois de l'économie lui permettront de racheter le cas
échéant).

"Il ne suffit pas d'être grand pour être performant, mais, dans un monde
financier totalement mondialisé, ça aide. Surtout si on a l'ambition de jouer
les premiers rôles." (Hervé Babonneau, Ouest-France du 6 août 1999). "Drôle
d'ambition" dit le cotre carré. Jurassic Games et tyrannosaures plus ou moins
rex.

Bien que tangent à la sphère économique (il faut payer le nom de domaine, et
l'abonnement au serveur), notre cotre-espace ne s'y réduit pas, notre esprit
n'est pas celui de la concurrence. Notre site est en téléchargement libre, et
nous téléchargeons les sites que nous trouvons créatifs.

C'est normal de cloner une oeuvre d'autrui pour en faire cadeau; c'est partager.
Ce qui est dégueulasse, c'est de vendre ce clone.

La fonction des juristes est de donner raison aux puissances du jour: hier
guillotine pour les faiseuses d'anges, aujourd'hui remboursement des avortements
par la Sécu (sécurité sociale, ndlr) (en France, pas en Pologne).

Copyright ou droit d'auteur, vision européenne ou vision américaine, qui va
l'emporter? Le principe de propriété privée. La propriété tabou de ceux qui ont
les moyens de la faire garder. Par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) par
exemple, chargée de régler la question des "droits" partout dans le monde (même
virtuel) et, espèrent-ils, pour toujours.

Ceux dont la maison est sur le tracé d'une future autoroute savent le prix réel
d'un tabou.

Alors les droits des auteurs, créateurs, inventeurs...

Mais si Orson Welles s'est fait bouffer par les studios, Kubrick s'est
méthodiquement rendu indépendant des mêmes. Peu importe la loi que se fera
tailler sur mesure Onc' Picsou. Les petits mammifères ont bouffé les
tyrannosaures, avec le temps. Et les anciens rois, qui tenaient pourtant leur
pouvoir des dieux, nous leur avons coupé la tête. En moins de temps.

"Maxim's pour un temps / Le reste jambon-beurre et kir / Pour tenir Juliette"
(Rimes féminines, CD MT 104, Le Rideau Bouge)

= Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

"Donner un sens plus pur aux mots de la tribu", disait S. Mallarmé. Et quand les
cartes bancaires auront gagné (dans trois ans, paraît-il), inventer d'autres
cartes vers un autre cap de Bonne-Espérance pour aller voir monter "du fond de
l'horizon des étoiles nouvelles", comme J.M. 2 Heredia.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Votre livre (vraiment bon. Et utile. Gagne à chaque relecture. Adresses
précieuses) fait le tour de la question: "Tôt ou tard, la répartition des
langues sur le web correspondra à leur répartition sur la planète". En fonction
du dynamisme de ceux qui les parlent.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le vertige qui nous a pris à la réception du premier message... venant du
Canada. 10.000 (?) ans après les Inuits, des cotres venaient de découvrir
l'Amérique!

= Et votre pire souvenir?

Tout ce sommeil en retard...

*Entretien du 25 juin 2000

= Les possibilités offertes par l'hyperlien ont-elles changé votre mode
d'écriture?

La navigation par hyperliens se fait en rayon (j'ai un centre d'intérêt et je
clique méthodiquement sur tous les liens qui s'y rapportent) ou en louvoiements
(de clic en clic, à mesure qu'ils apparaissent, au risque de perdre de vue mon
sujet). Bien sûr, les deux sont possibles avec l'imprimé. Mais la différence
saute aux yeux: feuilleter n'est pas cliquer. L'internet n'a donc pas changé ma
vie, mais mon rapport à l'écriture. On n'écrit pas de la même manière pour un
site que pour un scénario, une pièce de théâtre, etc...

En fait, ce n'est pas sur la toile, c'est dans le premier Mac que j'ai découvert
l'hypermédia à travers l'auto-apprentissage d'Hypercard. Je me souviens encore
de la stupeur dans laquelle j'ai été plongé, durant le mois qu'a duré mon
apprentissage des notions de boutons, liens, navigation par analogies, par
images, par objets. L'idée qu'un simple clic sur une zone de l'écran permettait
d'ouvrir un éventail de piles de cartes dont chacune pouvait offrir de nouveaux
boutons dont chacun ouvrait un nouvel éventail dont... bref l'apprentissage de
tout ce qui aujourd'hui sur la toile est d'une banalité de base, cela m'a fait
l'effet d'un coup de foudre (il paraît que Steve Jobs et son équipe eurent le
même choc lorsqu'ils découvrirent l'ancêtre du Mac dans les laboratoires de Rank
Xerox).

Depuis, j'écris (compose, mets en page, en scène) directement à l'écran. L'état
"imprimé" de mon travail n'est pas le stade final, le but ; mais une forme parmi
d'autres, qui privilégie la linéarité et l'image, et qui exclut le son et les
images animées.

J'ai cru un certain temps que le CD-Rom était le but à atteindre, la forme la
plus achevée de ces nouveaux outils extraordinaires.

Mais le CD-Rom, c'est encore la galaxie Gutenberg. Il fixe, fige (et permet de
vendre) l'état, le dispositif, la version d'un travail à l'instant T. Il est
ainsi soumis aux mêmes contraintes. Tout comme l'arrivée de l'écriture avait
appauvri la culture orale (l'aède-musicien-comédien-metteur-en-scène remplacé
par l'écrivain immobile), la technologie de l'imprimerie a "plombé" l'écriture,
induisant rapidement l'idée qu'il y a une version finale, ©, TM & intouchable.
Masquant ainsi la nécessité technique ("On ne va pas refaire un tirage juste
pour changer un §!..., à moins que les commerciaux l'exigent, bien sûr"), sous
la théorie de la forme parfaite, celle de l'ultime brouillon, publiable. C'est
Valéry parlant de la forme achevée des vers de Racine, c'est Flaubert dans son
gueuloir. A l'opposé de maître Frenhofer qui modifia jusqu'à la mort son
Chef-d'oeuvre inconnu (dans l'incompréhension générale); à l'opposé de je ne
sais plus quel peintre qui allait au Louvre avec sa mallette pour retoucher ses
tableaux.

C'est finalement dans la publication en ligne (l'entoilage?) que j'ai trouvé la
mobilité, la fluidité que je cherchais. Le maître mot y est "chantier en cours",
sans palissades. Accouchement permanent, à vue, comme le monde sous nos yeux.
Provisoire, comme la vie qui tâtonne, se cherche, se déprend, se reprend.

Avec évidemment le risque souligné par les gutenbergs, les orphelins de la
civilisation du livre: plus rien n'est sûr. Il n'y a plus de source fiable,
elles sont trop nombreuses, et il devient difficile de distinguer un clerc d'un
gourou. Mais c'est un problème qui concerne le contrôle de l'information. Pas la
transmission des émotions.

Bref, pour répondre à votre question: oui, l'hypermédia a changé mon "écriture".
Et c'est sur la toile mouvante que je trouve plaisir et sens à participer au
site des cotres. A rouler mon hyper-caillou de facteur Sisyphe dans le grand
fleuve de l'hyper.

= D'autres remarques à ajouter?

Le réseau dominant est celui de l'e-bizz : information, données, rationalité,
ca$h. Illusionisme. C'est la marge, l'ourlet de la toile qui m'intéresse,
l'enchantement, la magie : "Achète-moi, je ne vaux rien puisque l'amour n'a pas
de prix" (Léo Ferré). Et il n'y a évidemment aucun avenir professionnel dans la
gratuité.

Il faudrait aussi revenir en détail sur la question de la "lecture" sur un
écran. Ce sera (peut-être) pour les prochains épisodes de notre grand
hyper-feuilleton: Nasdaq & boutons.

*Entretien du 3 décembre 2000

= Comment se portent les cotres furtifs?

Les cotres roulent doucement sous la lune. Ils contemplent les constellations de
la Toile, en attendant leur prochain décollage, dans la version 3.

= Quoi de neuf à titre personnel?

A titre personnel, je participe à un jeu de rôles hypermédia dont l'avenir me
paraît prometteur, parce qu'il est en rapport étroit avec les lois de
fonctionnement du "cyberespace": www.thewebsoap.net. Cette @dresse renvoie à une
constellation de sites centrés chacun sur un individu. Ils communiquent et
interagissent par leur boîte à lettres, ouverte au public. L'internaute a ainsi
accès à plusieurs portes d'entrée dans l'histoire. La nouveauté du feuilleton
est qu'il se déroule en "temps réel" (ce qui est impossible dans le monde de
l'imprimé; quant aux séries télé, elles aussi sont cantonnées à la forme de
l'épisode à horaire fixe).

Les personnages correspondent quotidiennement, en quasi-direct, ce qui instaure
pour les auteurs un rapport presque journalistique à leur imaginaire et à leur
écriture. L'internaute suit, à son propre rythme, libre de s'intéresser ou non à
l'intégralité des différentes intrigues (amours, galères, showbiz, ombres
maléfiques, mystères et rebondissements) ou à l'ensemble de tous les
personnages. C'est avant tout cette fluidité générale (apparente! c'est en fait
un sacré travail!) qui m'a fait y participer. Elle permet de garder le côté
impro-jazz que j'aime dans la mise en net.

= Quoi de neuf pour la création en ligne?

Elle sera de plus en plus collective, donc chère. Or le public n'existe pas
encore, ni donc les droits d'auteurs. La question centrale pour les "créateurs
en ligne" sera alors celle du mécénat ou, plus généralement, des subventions.
Jusqu'à ce qu'une masse critique de public se soit constituée, que ses goûts
culturels se soient affirmés au point qu'il soit prêt à payer (sous la forme de
péages ou de DVD). Alors les créateurs en ligne pourront affiner leurs propres
recherches.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Je lis autant d'imprimés qu'avant. La lecture sur écran s'y est rajoutée. D'où
des problèmes de temps: ces machines qui sont censées travailler à notre place
contribuent en fait à nous bouffer le temps libre qu'elles nous ont dégagé.

= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?

Ses jours sont encore longs avant que la lecture sur écran présente la même
souplesse que celle d'un livre ou d'un magazine que l'on peut lire n'importe où,
dans la position que l'on veut, et ranger, rouler, plier, déchirer facilement
(allez envelopper les pelures de pomme de terre dans un 15 pouces!).

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il a fallu inventer la hache de pierre avant de construire la Tour Eiffel. Le
but des dinosaures industriels qui s'entretuent pour imposer leur format de
livre électronique est de détourner vers eux la partie rentable du contenu des
bibliothèques (rebaptisé "information"). Ils travaillent aussi pour nous, en
contribuant à banaliser l'usage de l'hyperlien.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

L'ordinateur qui parle et obéit à la voix de son vis-à-vis?

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Un lieu isotrope en expansion pour l'instant infinie. Un modèle de la vision que
nous avons aujourd'hui de l'univers. Jusqu'à l'invention du clic, le savoir
humain était senti comme un espace newtonien, avec deux repères absolus: le
temps (linéaire: un début, une fin) et l'espace (les trois dimensions du temple,
du rouleau, du volumen). Le cyberespace obéit aux lois de l'hypertexte. Deux
temps simultanés: le temps taxé (par le fournisseur d'accès ou par les
impératifs de productivité, égrené par l'antique chrono), et le temps aboli, qui
fait passer d'un lien à l'autre, d'un lieu à l'autre à la vitesse de l'électron,
dans l'illusion du déplacement instantané.

Quant aux repères, quiconque a lancé une recherche dans cet espace sait qu'il
doit lui-même les définir pour l'occasion, et se les imposer (sous peine de se
disperser, de se dissoudre), pour échapper au vertige de la vitesse. A cause de
cette "vitesse de la pensée", nous trouvons dans cet espace un "modèle" de notre
cerveau. "Ça tourne dans ma tête", à travers 10, 20, etc... synapses à la fois,
comme un fureteur archivant la toile. Bref les lois du cyberespace sont celles
du rêve et de l'imagination.

*Entretien du 3 juin 2001

= Comment définissez-vous la société de l'information?

Plus, plus vite. Mais les données ne sont pas l'information. Il faut les liens,
c'est-à-dire le temps. Plus d'évènements, plus d'écrans pour les couvrir. Plus
vite: l'évènement du jour est liquide. Effacé, recouvert par la vaguelette du
lendemain, la vague du jour d'après, la houle de la semaine, le tsunami du mois.
Cycles aussi "naturels" que les marées estivales du Loch Ness. Pas "effacé",
d'ailleurs, l'évènement d'hier (qui n'est pas "tous les évènements d'hier"):
déjà archivé, dans des bases de données (INA (Institut national de
l'audiovisuel), Gallica, INSEE...), qui donnent l'illusion d'être exhaustives,
facilement accessibles et momentanément gratuites.

Mais les données ne donnent rien par elles-même. S'informer, c'est lier entre
elles des données, éliminer celles qui ne sont pas pertinentes (quitte à revenir
sur ces choix plus tard), se trouver ainsi obligé de chercher d'autres données
qui corroborent ou infirment les précédentes... L'information naît du temps
passé à tisser les liens. Or le temps nous est mesuré, au quartz près.
Productique ou temps libre, nous passons de plus en plus de temps à raccrocher
au nez de spammeurs qui nous interrompent pour nous revendre nos désirs (dont
nous informons les bases de données qui les leur vendent). Ce qui est
intéressant dans ce bonneteau est que les infos que nous fournissons sur
nous-mêmes, nous les truquons suffisamment pour que les commerciaux n'arrivent
pas à en tirer les lois du succès: Survivor II est un bide, après le succès de
la version I. De cette incertitude viennent les trous dans le filet qui laissent
parvenir jusqu'à nous certaines infos.

Bref la "société de l'information", c'est le jeu des regards dans le tableau de
de La Tour: "La diseuse de bonne aventure". Le jeune homme qui se fait
dépouiller en est conscient, et complice. Il a visiblement les moyens de
s'offrir les flatteries des trois jolies filles tout en exigeant de la vieille
diseuse qu'elle lui rende l'une de ces piécettes dont il a pris la précaution de
gonfler ostensiblement la bourse qu'on lui coupe.


ANNE-BENEDICTE JOLY (Antony, région parisienne)


#Ecrivain auto-éditant ses oeuvres et utilisant le web pour les faire connaître

*Entretien du 18 juin 2000

= En quoi consiste votre site web?

Mon site (mis en ligne le 17 avril 2000) a plusieurs objectifs: présenter mes
livres (essais, nouvelles et romans auto-édités) à travers des fiches
signalétiques (dont le format est identique à celui que l'on trouve dans la base
de données Electre) et des extraits choisis, présenter mon parcours (de
professeur de lettres et d'écrivain), permettre de commander mes ouvrages,
offrir la possibilité de laisser des impressions sur un livre d'or, guider le
lecteur à travers des liens vers des sites littéraires.

= Quel avantage voyez-vous à utiliser l'internet?

Je suis écrivain. Créer un site internet me permet d'élargir le cercle de mes
lecteurs en incitant les internautes à découvrir mes écrits. Internet est
également un moyen pour élargir la diffusion de mes ouvrages. Enfin, par une
politique de liens, j'espère susciter des contacts de plus en plus nombreux.

= Pourquoi ce choix d'auto-éditer vos oeuvres?

Après avoir rencontré de nombreuses fins de non-recevoir auprès des maisons
d'édition et ne souhaitant pas opter pour des éditions à compte d'auteur, j'ai
choisi, parce que l'on écrit avant tout pour être lu (!), d'avoir recours à
l'auto-édition. Je suis donc un écrivain-éditeur et j'assume l'intégralité des
étapes de la chaîne littéraire, depuis l'écriture jusqu'à la commercialisation,
en passant par la saisie, la mise en page, l'impression, le dépôt légal et la
diffusion de mes livres. Mes livres sont en règle générale édités à 250
exemplaires et je parviens systématiquement à couvrir mes frais fixes.

= A l'heure de l'internet, pensez-vous que les auteurs aient encore besoin des
éditeurs?

Je pense qu'internet est avant tout un média plus rapide et plus universel que
d'autres, mais je suis convaincue que le livre "papier" a encore, pour des
lecteurs amoureux de l'objet livre, de beaux jours devant lui. Je pense que la
problématique réside davantage dans la qualité de certains éditeurs, pour ne pas
dire la frilosité, devant les coûts liés à la fabrication d'un livre, qui
préfèrent éditer des livres "vendeurs" plutot que de décider de prendre le
risque avec certains écrits ou certains auteurs moins connus ou inconnus.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Encore une fois internet devra me permettre d'aller à la rencontre de lecteurs
(d'internautes) que je n'aurai pas l'occasion en temps ordinaire de côtoyer. Je
pense à des pays francophones tels que le Canada qui semble réserver une place
importante à la littérature francaise. Je suis déja référencée dans des
annuaires et des moteurs de recherche anglo-saxons, et en passe de définir des
accords d'échange de liens avec des sites universitaires et littéraires
canadiens.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le respect du droit d'auteur, c'est la survie de la création. Le web, de par son
universalité et la grande facilité avec laquelle quiconque peut s'approprier ou
copier ce qu'il souhaite, constitue à n'en pas douter une limite à la diffusion
de toute création. Je suis réticente à l'idée de placer mes textes en
exhaustivité sur la toile car je crains les copies et plagiats. Je pense qu'il
serait sans doute astucieux de présenter par exemple les premiers chapitres d'un
livre ou un extrait puis d'inciter le lecteur à acquérir l'ouvrage sous forme
papier ou sous forme électronique grâce à une gestion sécurisée des moyens de
paiement.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Je crois que, par nature, la langue devra être universelle et l'anglais semble
le mieux placé pour gagner cette bataille. Cependant, les auteurs francophones
devront défendre la langue sur le net. Nous pourrions fort bien envisager, pour
un livre écrit en français, de prévoir un synopsis de type quatrième de
couverture en deux langues: français et anglais. Ainsi les lecteurs étrangers
prendront connaissance des grandes lignes du livre et sauront faire les efforts
nécessaires pour le lire dans une langue étrangère à la leur. S'agissant de
littérature ou de belles lettres, il paraît réaliste de défendre un bastion
linguistique.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le franchissement de la barre des 200 visiteurs sur mon site.

= Et votre pire souvenir?

Je n'en ai pas encore...

*Entretien du 22 novembre 2000

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Mon site a considérablement évolué: ajout des caractéristiques de mon nouveau
roman (Singulière), création d'une rubrique "Vu dans les médias" à partir de
chaque fiche de livres concernés, création d'une page "Mise à jour" recensant
les modifications apportées au site, et aussi de nombreux nouveaux liens vers
des sites littéraires. J'ai mis en ligne la version 2 de mon site le 3 septembre
2000.

= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?

Oui, je dois avouer que le passage par l'écrit m'est encore nécessaire. Comme
tout écrivain je conserve et souhaite conserver une relation privilégiée avec
l'écrit, la plume, le crissement du stylo sur une feuille blanche. Par ailleurs,
je note, je rature, je corrige, je développe... bref mes premières phases de
création passent encore systématiquement par le papier avant la phase de saisie
de mes textes. Par ailleurs, j'entretiens une relation sentimentale avec l'objet
"livre".

= Le papier a-il encore de beaux jours devant lui?

Je pense que le support papier a encore beaucoup de beaux et longs jours devant
lui. Ne serait-ce que pour des raisons de contacts affectifs avec l'objet livre,
mais aussi de par la faible montée en puissance (actuelle) des solutions
électroniques. Je pense que l'informatique est un moyen performant et totalement
nécessaire pour fabriquer des livres mais je suis une fervente défenseur du
plaisir de tenir un livre dans sa main, de l'emporter partout avec soi, de
l'annoter, de le prêter, de le reprendre, de le feuilleter, de glisser page 38
mon marque-page préféré... J'aime cette relation privilégiée que le lecteur noue
avec un livre. J'aime voir vivre l'objet... Pour toutes ces raisons, non
seulement je pense que le livre a encore de beaux jours devant lui, mais au
fond, je le souhaite de tout coeur!

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Le livre électronique est avant tout un moyen pratique d'atteindre différemment
une certaine catégorie de lecteurs composée pour partie de curieux aventuriers
des techniques modernes et pour partie de victimes du mode résolument
technologique. C'est aussi sans doute le moyen de diffusion actuel le plus
universel (dès lors que l'on peut se promener sur la toile!) qui puisse
repousser à ce point les limites de distances. Par rapport à mes remarques
précédentes, je suis assez dubitative sur le "plaisir" que l'on peut retirer
d'une lecture sur un écran d'un roman de Proust. Découvrir la vie des
personnages à coups de souris à molette ou de descente d'ascenseur ne me tente
guère. Ce support, s'il possède à l'évidence comme avantage la disponibilité de
toute oeuvre à tout moment, possède néanmoins des inconvénients encore trop
importants. Ceci étant, sans se cantonner à une position durablement ancrée dans
un mode passéiste, laissons à ce support le temps nécessaire pour acquérir ses
lettres de noblesse. Pour faire un lien avec votre question suivante, comment
intéresser les personnes malvoyantes à un tel support?

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Je pense que nous devrions voir apparaître des sites disposant de modes
d'emplois ou de guides de découverte sonores. L'idéal serait de pouvoir guider
un internaute malvoyant, depuis la mise en route des navigateurs (pour taper
l'adresse du site ciblé), jusqu'à l'arrivée sur un site. Sur un site équipé, un
assistant guide l'internaute en lui exposant les fonctionnalités du site.
L'accès aux rubriques se fait via des codes alphanumériques (sur le même
principe que les serveurs téléphoniques à fréquence vocale). Le code d'accès à
la rubrique est possible grâce à un clavier adapté (touche possédant des
caractères braille). Puis l'assistant propose des choix: téléchargement des
rubriques pour éditions sur imprimante braille ou lecture de la rubrique sous
forme d'extraits sonores. Il faudra se montrer vigilants face au temps de
chargement du son. Puis, pour favoriser les échanges, prévoir la possibilité de
déposer des témoignages vocaux (voire des images via des webcams) sur le serveur
du site.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le domaine virtuel créé par la mise en relation de plusieurs ordinateurs
communiquant et échangeant entre eux.

= Et la société de l'information?

Permettre l'accès au plus grand nombre de la plus grande quantité d'information
possible tout en garantissant la partialité de l'information et en fournissant
les clefs de compréhension nécessaires à sa bonne utilisation.

*Entretien du 6 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Mon site internet n'a cessé de subir des évolutions et améliorations. En voici
les principaux points classés sous forme de rubriques:

1) Home page - Accueil: Mon site vient de souffler sa première bougie (le 17
avril 2001). Le cap des 4.000 visiteurs a été franchi. Mise en ligne (nouvelle
charte de couleurs, nouvelle navigation...) de la version 3 en janvier 2001.
Insertion d'une citation. Insertion d'un espace nouveautés (affichage tournant).

2) Livres: Ajout des couvertures scannées de mes livres. Création d'une page
spécifique (Textes ailleurs) recensant les autres sites littéraires publiant
certains de mes textes. Ajout des présentations audio de mes livres. Pages à
chargement automatique depuis les fiches signalétiques de mes ouvrages.

3) Bon de commande: Ajout des référencements de librairies en ligne proposant
mes livres à la vente et offrant un moyen de paiement sécurisé.

4) Parcours: Ajout d'une biographie. Ajout de photos. Ajout d'une séquence audio
(reprise de la biographie).

5) Médias: Parution de la dédicace de l'auteur sur le site "La Radio du Livre"
(Radio France).

6) Liens: Création de nombreux liens littéraires. A ce jour, j'ai créé un
échange réel avec plus de 100 liens actifs.

Comme vous pouvez le constater, j'ai été très active ces derniers temps sur ce
nouveau vecteur qu'est l'internet. J'ai beaucoup échangé avec des internautes
(e-mail, messages sur le livre d'or, rencontres...). Je confirme mes précédents
propos: si l'internet et le livre électronique ne remplaceront pas le support
livre, je reste convaincue que disposer d'un tel réseau de communication est un
avantage pour des auteurs moins (ou pas) connus.

Par ailleurs, et comme vous l'avez également sans doute remarqué, certains
éditeurs on line tendent à se comporter comme de véritables éditeurs en
intégrant des risques éditoriaux comme le faisaient au début du siècle dernier
certains éditeurs classiques.

Les techniques modernes (édition numérique, e-book...) sont accessibles,
n'exigent pas (ou de moins en moins) de moyens financiers importants et peuvent
donc être au service de ces éditeurs. Ils jouent aujourd'hui le rôle de
découvreur de talents. Il est à ma connaissance absolument inimaginable de
demander à des éditeurs traditionnels d'éditer un livre en cinquante
exemplaires. L'édition numérique offre cette possibilité, avec en plus réédition
à la demande, presque à l'unité.

En résumé, je souhaite que l'objet livre continue de vivre longtemps et je suis
ravie que des techniques (internet, édition numérique, e-book...) offrent à des
auteurs des moyens de communication leur permettant d'avoir accès à de plus en
plus de lecteurs.

Pour illustrer mes propos: j'ai tissé des relations lecteur-auteur avec une
internaute résidant en Belgique. Cette dernière m'a adressé un bon de commande
pour deux de mes ouvrages. Depuis lors nous communiquons régulièrement et
échangeons bien volontiers sur le thème de la lecture et de l'écriture. Sans
internet, sans cette technique, sans le travail que je réalise sur ces nouveaux
médias, il m'aurait été impossible (ou tout le moins hautement improbable) de la
rencontrer. C'est en cela que je considère que ces outils modernes offrent un
élargissement sans fin à la vision créatrice et aux échanges.

C'est sur ce mot que je souhaiterais conclure: l'échange. Grace à internet,
j'échange des idées et je vis une expérience tellement enrichissante. Enfin,
comme je vous l'avais également dit, le travail que je réalise avec
l'association culturelle littéraire que j'ai créée avec mon époux (Editions de
l'Avenue) est formidable.


BRIAN KING (monde)


#Directeur du WorldWide Language Institute, qui est à l'origine de NetGlos,
glossaire multilingue de la terminologie de l'internet

Depuis 1995, à l'initiative du WorldWide Language Institute, NetGlos (The
Multilingual Glossary of Internet Terminology) est réalisé en commun par un
certain nombre de traducteurs et linguistes, dans les langues suivantes:
allemand, anglais, chinois, croate, espagnol, français, grec, hébreu,
hollandais/flamand, italien, maori, norvégien et portugais.

*Entretien du 15 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans l'activité de votre organisme?

Le principal service que nous offrons est l'enseignement des langues par le
biais du web. Notre organisme est dans la position unique d'en être venu à
exister du fait de l'internet!

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Bien que l'anglais soit la langue la plus importante du web et de l'internet en
général, je pense que le multilinguisme fait inévitablement partie des futures
orientations du cyberespace.

Voici quelques-uns des éléments qui, à mon sens, permettront que le web
multilingue devienne une réalité:

1. La popularisation de la technologie de l'information

La technologie des ordinateurs a longtemps été le seul domaine d'une élite
"technicienne", à l'aise à la fois dans des langages de programmation complexes
et en anglais, la langue universelle des sciences et techniques. A l'origine,
les ordinateurs n'ont jamais été conçus pour manier des systèmes d'écriture ne
pouvant être traduits en ASCII (American standard code for information
interchange). Il n'y avait pas de place pour autre chose que les 26 lettres de
l'alphabet anglais dans un système de codage qui, à l'origine, ne pouvait même
pas reconnaître les accents aigus et les trémas, sans parler de systèmes non
alphabétiques comme le chinois.

Mais la tradition a été bouleversée, et la technologie popularisée. Des
interfaces graphiques tels que Windows et Macintosh ont accéléré le processus.
La stratégie de marketing de Microsoft a consisté à présenter son système
d'exploitation comme facile à utiliser par le client moyen. A l'heure actuelle
cette facilité d'utilisation s'est étendue au-delà du PC vers le réseau
internet, si bien que, maintenant, même ceux qui ne sont pas programmeurs
peuvent insérer des applets Java dans leurs pages web sans comprendre une seule
ligne de programmation.

2. La compétition des grandes sociétés pour avoir une part du "marché global"

L'extension de cette popularisation locale est l'exportation de la technologie
de l'information dans le monde entier. La popularisation est maintenant
effective à l'échelon mondial, et l'anglais n'est plus nécessairement la langue
obligée de l'utilisateur. Il n'y a plus vraiment de langue indispensable, mais
seulement les langues personnelles des utilisateurs. Une chose est certaine : il
n'est plus nécessaire de comprendre l'anglais pour utiliser un ordinateur, de
même qu'il n'est plus nécessaire d'avoir un diplôme d'informatique.

La demande des utilisateurs non anglophones et l'effort entrepris par les
sociétés high-tech se faisant concurrence pour obtenir les marchés mondiaux a
fait de la localisation un secteur en expansion rapide dans le développement des
logiciels et du matériel. Le premier pas a été le passage de l'ASCII à l'ASCII
étendu. Ceci signifie que les ordinateurs commençaient à reconnaître les accents
et les symboles utilisés dans les variantes de l'alphabet anglais, symboles qui
appartenaient le plus souvent aux langues européennes. Cependant une page ne
pouvait être affichée que dans une seule langue à la fois.

3. Innovation technologique

L'innovation la plus récente est Unicode. Bien qu'il soit encore en train
d'évoluer et qu'il ait tout juste été incorporé dans les derniers logiciels, ce
nouveau système de codage traduit chaque caractère en 16 bits. Alors que l'ASCII
étendu à 8 bits pouvait prendre en compte un maximum de 256 caractères, Unicode
peut prendre en compte plus de 65.000 caractères uniques et il a donc la
possibilité de traiter informatiquement tous les systèmes d'écriture du monde.

Les instruments sont maintenant plus ou moins en place. Ils ne sont pas encore
parfaits, mais on peut désormais naviguer sur le web en chinois, en japonais, en
coréen, et dans de nombreuses autres langues qui n'utilisent pas l'alphabet
occidental. Comme l'internet s'étend à des parties du monde où l'anglais est
très peu utilisé, par exemple la Chine, il est naturel que ce soit le chinois et
non l'anglais qui soit utilisé. La majorité des usagers en Chine n'a pas d'autre
choix que sa langue maternelle.

Une période intermédiaire précède bien sûr ce changement. Une grande partie de
la terminologie technique disponible sur le web n'est pas encore traduite dans
d'autres langues. Et, comme nous nous en sommes rendus compte dans NetGlos,
notre glossaire multilingue de la terminologie de l'internet, la traduction de
ces termes n'est pas toujours facile. Avant qu'un nouveau terme ne soit accepté
comme le terme correct, il y a une période d'instabilité avec plusieurs
candidats en compétition. Souvent un terme emprunté à l'anglais est le point de
départ et, dans de nombreux cas, il est aussi le point d'arrivée. On assiste
finalement à l'émergence d'un vainqueur qui est ensuite utilisé aussi bien dans
les dictionnaires techniques que dans le vocabulaire quotidien de l'usager non
spécialiste. La dernière version de NetGlos est la version russe et elle devrait
être disponible dans deux semaines environ (fin septembre 1998, ndlr). Elle sera
sans nul doute un excellent exemple du processus dynamique en cours pour la
russification de la terminologie du web.

4. La démocratie linguistique

Dans un rapport de l'Unesco du début des années 50, l'enseignement dispensé dans
sa langue maternelle était considéré comme un droit fondamental de l'enfant. La
possibilité de naviguer sur l'internet dans sa langue maternelle pourrait bien
être son équivalent à l'âge de l'information. Si l'internet doit vraiment
devenir le réseau mondial qu'on nous promet, tous les usagers devraient y avoir
accès sans problème de langue. Le considérer comme la chasse gardée de ceux qui,
par accident historique, nécessité pratique ou privilège politique, connaissent
l'anglais, est injuste à l'égard de ceux qui ne connaissent pas cette langue.

5. Le commerce électronique

Bien qu'un web multilingue soit souhaitable sur le plan moral et éthique, un tel
idéal ne suffit pas pour en faire une réalité dépassant les limites actuelles.
De même que l'utilisateur non anglophone peut maintenant avoir accès à la
technologie dans sa propre langue, l'impact du commerce électronique peut
constituer une force majeure qui fasse du multilinguisme la voie la plus
naturelle vers le cyberespace.

Les vendeurs de produits et services dans le marché virtuel mondial que devient
l'internet doivent être préparés à faire face à un monde virtuel qui soit aussi
multilingue que le monde physique. S'ils veulent réussir, ils doivent s'assurer
qu'ils parlent bien la langue de leurs clients!

= Comment voyez-vous l'avenir?

Comme l'existence de notre organisme est liée à l'importance attachée aux
langues, je pense que son avenir sera excitant et stimulant. Mais il est
impossible de pratiquer l'autosuffisance à l'égard de nos réussites et de nos
réalisations. La technologie change à une allure frénétique. L'apprentissage
durant toute la vie est une stratégie que nous devons tous adopter si nous
voulons rester en tête et être compétitifs. C'est une tâche qui est déjà assez
difficile dans un environnement anglophone. Si nous ajoutons à cela la
complexité apportée par la communication dans un cyberespace multilingue et
multiculturel, la tâche devient encore plus astreignante. Probablement plus
encore que par le passé, la coopération est aussi indispensable que la
concurrence.

Les germes d'une coopération par le biais de l'internet existent déjà. Notre
projet NetGlos a dépendu du bon vouloir de traducteurs volontaires de nombreux
pays: Canada, Etats-Unis, Autriche, Norvège, Belgique, Israël, Portugal, Russie,
Grèce, Brésil, Nouvelle-Zélande, etc. Je pense que les centaines de visiteurs
qui consultent quotidiennement les pages de NetGlos constituent un excellent
témoignage du succès de ce type de relations de travail. Les relations de
coopération s'accroîtront encore à l'avenir, mais pas nécessairement sur la base
du volontariat.


GEOFFREY KINGSCOTT (Londres)


#Co-directeur du magazine en ligne Language Today

Geoffrey Kingscott est le directeur général de Praetorius, société britannique
de traduction et de services d'expertise dans les langues appliquées. Il est
aussi l'un des deux directeurs de publication de Language today, un magazine en
ligne de référence pour les linguistes: traducteurs, interprètes, terminologues,
lexicographes et rédacteurs techniques. Ce magazine est hébergé par Logos,
société de traduction italienne.

*Entretien du 4 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans l'activité de votre société?

L'internet n'a pas apporté de changement majeur dans notre société. C'est un
médium de plus plutôt qu'un médium visant à remplacer les autres.

Nous continuerons d'avoir un site web pour notre société, et de publier une
version de notre revue sur le web, mais ceci ne sera qu'un secteur de notre
travail. Nous utilisons l'internet comme une source d'information que nous
distillons ensuite à nos lecteurs, qui autrement seraient confrontés au problème
majeur du web: faire face à un flux incontrôlé d'informations.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Les caractéristiques propres au web sont la multiplicité des générateurs de
sites et le bas prix de l'émission de messages. Ceci favorisera donc le
multilinguisme au fur et à mesure du développement du web. Comme celui-ci a vu
le jour aux Etats-Unis, il est encore principalement en anglais, mais ce n'est
qu'un phénomène temporaire. Pour expliquer ceci plus en détail, je dirais que,
quand nous comptions sur l'imprimé ou l'audiovisuel (films, télévision, radio,
vidéos, cassettes), l'information ou le divertissement que nous attendions
dépendait d'agents (éditeurs, stations de télévision ou de radio, producteurs de
cassettes ou de vidéos) qui devaient subsister commercialement et, dans le cas
de la radiotélédiffusion du service public, avec de sévères contraintes
budgétaires. Ceci signifie que la quantité de clients est primordiale, et
détermine la nécessité de langues autres que l'omniprésent anglais. Ces
contraintes disparaissent avec le web.

Pour ne donner qu'un exemple mineur tiré de notre expérience, nous publions la
version imprimée de Language Today uniquement en anglais, dénominateur commun de
nos lecteurs. Quand nous utilisons un article qui était originellement dans une
langue autre que l'anglais, ou que nous relatons un entretien conduit dans une
langue autre que l'anglais, nous le traduisons en anglais et nous ne publions
que la version anglaise, pour la raison suivante: le nombre de pages que nous
pouvons imprimer est limité, et déterminé en fonction de notre clientèle
(annonceurs et abonnés). Par contre, dans notre version web, nous proposons
aussi la version originale.


STEVEN KRAUWER (Utrecht, Pays-Bas)


#Coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language
Technologies)

Financé par la Commission européenne, ELSNET (European Network of Excellence in
Human Language Technologies) regroupe 135 universités et sociétés. L'objectif
technologique commun aux participants d'ELSNET est de construire des systèmes
multilingues pour la parole et la langue naturelle.

Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET, est professeur et chercheur en
linguistique computationnelle à l'Institut de linguistique d'Utrecht. Ses
recherches portent principalement sur la traduction automatique et les
technologies d'évaluation de la langue et de la parole.

*Entretien du 23 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?

L'internet est l'instrument que j'utilise le plus pour communiquer avec les
autres, et c'est ma source principale d'information. Je compte passer le reste
de ma vie professionnelle à utiliser les technologies de l'information pour
supprimer ou réduire les barrières des langues.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

En tant que citoyen européen, je pense que le multilinguisme sur le web est
absolument essentiel. A mon avis, ce n'est pas une situation saine à long terme
que seuls ceux qui ont une bonne maîtrise de l'anglais puissent pleinement
exploiter les bénéfices du web.

En tant que chercheur (spécialisé dans la traduction automatique), je vois le
multilinguisme comme un défi majeur: pouvoir garantir que l'information sur le
web soit accessible à tous, indépendamment des différences de langue.

*Entretien du 4 août 1999 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Je suis de plus en plus convaincu que nous devons veiller à ne pas aborder le
problème du multilinguisme en l'isolant du reste. Je reviens de France, où j'ai
passé de très bonnes vacances d'été. Même si ma connaissance du français est
sommaire (c'est le moins que l'on puisse dire), il est surprenant de voir que je
peux malgré tout communiquer sans problème en combinant ce français sommaire
avec des gestes, des expressions du visage, des indices visuels, des schémas,
etc. Je pense que le web (contrairement au système vieillot du courrier
électronique textuel) peut permettre de combiner avec succès la transmission des
informations par différents canaux (ou moyens), même si ce processus n'est que
partiellement satisfaisant pour chacun des canaux pris isolément.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le point de départ est évidemment: "on ne doit pas voler, même si c'est facile".
Il est intéressant d'observer que, aussi complexe que soit la définition légale
de "vol", dans la plupart des cas les gens arrivent très bien à la cerner:

- si je copie une information du web et que je l'utilise à des fins
personnelles, je ne commets pas de vol, parce que cette information a été mise
sur le web dans le but premier d'être utilisée;

- si je la copie à partir du web et que je la transmets à d'autres en précisant
le nom de l'auteur, je ne commets pas de vol;

- si je la copie à partir du web et que je la transmets à d'autres en prétendant
que j'en suis l'auteur, je commets un vol;

- si je la copie à partir du web, et que je la vends à d'autres sans avoir
l'autorisation de l'auteur, je commets un vol.

Je réalise qu'il existe de nombreux cas situés dans les zones limites de ces
quatre ensembles et pour lesquels il serait difficile de préciser s'il y a vol
ou non, mais ces précisions sont du ressort des juristes.

= Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

Je préconiserais les règles suivantes:

- la liberté totale pour la copie de l'information à usage personnel;

- la retransmission de l'information uniquement avec l'accréditation de l'auteur
(à moins qu'il ne soit bien précisé que cette information est du domaine
public);

- la revente de cette information uniquement avec l'accord de l'auteur (à moins
que celle-ci ne soit du domaine public).

Pour faire respecter ces règles, on pourrait envisager:

- l'introduction d'"étiquettes normalisées" indiquant si l'information est du
domaine public et, si elle ne l'est pas, renvoyant à l'auteur;

- la lecture de ces "étiquettes" par les navigateurs, qui les afficheraient en
même temps que le document: texte, image, film, etc.;

- l'adoption d'une convention ou d'une règle selon laquelle l'information ne
peut être copiée sans l'"étiquette" correspondante;

- (idée plus audacieuse) la mise en place d'un ISPN (international standard
person number), similaire à l'ISBN (international standard book number) ou
l'ISSN (international standard serial number), qui identifierait une seule
personne, si bien que les références aux auteurs contenues dans les "étiquettes"
seraient moins dépendantes des changements d'adresses électroniques ou
d'adresses de pages web (à condition bien sûr que les gens mettent à jour leurs
coordonnées dans la base de données ISPN).

= Quelles solutions pratiques suggérez-vous pour un véritable multilinguisme sur
le web?

- En ce qui concerne l'auteur: une meilleure formation des auteurs de sites web
pour exploiter les combinaisons de modalités possibles afin d'améliorer la
communication par-delà les barrières des langues (et pas seulement par un vernis
superficiel);

- en ce qui concerne l'usager, des logiciels de traduction de type AltaVista
Translation, dont la qualité n'est pas frappante, mais qui a le mérite
d'exister;

- en ce qui concerne le navigateur, des logiciels de traduction intégrée,
particulièrement pour les langues non dominantes, et des dictionnaires intégrés
plus rapides.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Une nuit, j'ai entendu le fragment d'une chanson sur une station de radio
étrangère, ainsi que le nom d'une personne, et par le seul biais de l'internet
j'ai été capable de:

- trouver que ce nom était celui du compositeur de la chanson,

- trouver le titre de la chanson,

- vérifier qu'il s'agissait bien de la chanson dont j'avais entendu un fragment,

- découvrir qu'elle faisait partie d'une comédie musicale,

- trouver le titre du coffret de CD de cette comédie musicale,

- acheter le coffret de CD en question,

- trouver le site web de la comédie musicale,

- trouver le pays et l'endroit dans lesquels cette comédie musicale était
toujours à l'affiche, y compris le détail du programme avec les jours et heures
des représentations,

- trouver le numéro de téléphone et les heures d'ouverture du bureau de
location,

- me procurer un plan de la ville et les indications nécessaires pour trouver le
théâtre.

J'aurais pu également réserver mon hôtel et mon vol par l'internet mais, dans ce
cas précis, cela n'a pas été nécessaire. La seule chose que je n'ai pas pu faire
fut la réservation elle-même parce que, à l'époque, les réservations par
l'internet venant de l'étranger n'étaient pas acceptées, pour des raisons de
sécurité. J'ai passé un très bon moment au théâtre, et je ne pense pas que ceci
aurait été possible sans l'internet!

= Et votre pire souvenir?

Rien de vraiment spécifique, mais plutôt des choses répétitives comme:

- les courriers électroniques non sollicités à caractère commercial,

- les pages web remplies de publicités,

- les pages surchargées de graphiques inutiles et dont le téléchargement prend
du temps,

- les liens cassés.

*Entretien du 1er juin 2001 (entretien original en anglais)

= Utilisez-vous encore des documents papier?

J'utilise le papier en grande quantité. J'imprime tous les documents importants,
parce qu'ils sont beaucoup plus faciles à consulter de cette façon (plus faciles
à parcourir, et jamais de batterie en panne). Je ne pense pas que ceci change
avant longtemps.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il y a encore un long chemin à parcourir avant que la lecture sur écran soit
aussi confortable que la lecture sur papier.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Pour moi, le cyberespace est la partie de l'univers (incluant personnes,
machines et information) que je peux atteindre "derrière" ma table de travail.

= Et la société de l'information?

La société de l'information est une société dans laquelle:

- l'essentiel du savoir et de l'information n'est plus stocké dans des cerveaux
ou des livres mais sur des médias électroniques;

- les dépôts d'information sont distribués et interconnectés au moyen d'une
infrastructure spécifique, et accessibles de partout,

- les processus sociaux sont devenus tellement dépendants de cette information
et de son infrastructure que les citoyens non connectés au système d'information
ne peuvent pleinement participer au fonctionnement de la société.


GAELLE LACAZE (Paris)


#Ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un institut universitaire
professionnalisé

Ethnologue, Gaëlle Lacaze est spécialiste de la Mongolie. Professeur dans un
institut universitaire professionnalisé (IUP), elle enseigne l'écrit
électronique à des étudiants qui se destinent au métier d'éditeur, de
bibliothécaire et de libraire. Elle effectue aussi des recherches informelles
sur la place du visuel dans la communication, notamment dans l'information
électronique.

*Entretien du 7 décembre 2000

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

En tant qu'ethnologue, je développe une méthodologie d'utilisation de l'image
dans le cadre de l'étude du corps. J'enseigne aussi l'écrit électronique,
principalement HTML.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Non, les deux supports ne se superposent pas. Le papier possède des qualités et
l'édition électronique en possède d'autres.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

C'est un outil de travail intéressant. Reste le problème des droits de propriété
intellectuelle sur certains documents. C'est un outil indispensable pour les
bibliothèques, mais la version papier des livres disponibles sur internet ne
doit pas disparaître. Il importe aussi de ne pas oublier les "infos-pauvres"
dans l'avancée de ces super-technologies.

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

L'éducation du netizen; la formation des intermédiaires servant à l'utilisation
des NTI (nouvelles technologies de l'information) à la nettatitude; l'analyse du
rapport entre droits d'auteurs / diffusion du savoir / honnêteté scientifique.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Une visuelle en trois dimensions: superposition de lignes droites mouvantes
selon des directions multiples où les rencontres de lignes créent des points de
contact.

= Et la société de l'information?

Une société où l'information est reçue et digérée, sans être étouffée par la
profusion.


HELENE LARROCHE (Paris)


#Gérante de la librairie Itinéraires, spécialisée dans les voyages

Située au coeur de Paris dans l'ancien quartier des Halles, la librairie
Itinéraires rassemble tous les ouvrages permettant de préparer, accompagner et
prolonger un voyage: guides, cartes, manuels de conversation, reportages, récits
de voyage, livres de cuisine, livres d'art et de photographie, ouvrages
d'histoire, de civilisation, d'ethnographie, de religion et de littérature
étrangère, et cela pour plus de 160 pays et 250 destinations.

*Entretien du 11 juin 1998

= Comment votre librairie en est venue à utiliser le minitel puis l'internet?

Dès 1985, nous avons créé une base de données avec classement des ouvrages par
pays et par thèmes. Il y a un peu plus de trois ans (1995), nous avons rendu la
consultation de notre catalogue possible sur minitel et nous effectuons
aujourd'hui près de 10% de notre chiffre d'affaires avec la vente à distance.

Passer du minitel à internet nous semblait intéressant pour atteindre la
clientèle de l'étranger, les expatriés désireux de garder par les livres un
contact avec la France et à la recherche d'une librairie qui "livre à domicile"
et bien sûr les "surfeurs sur le net", non minitélistes. La vente à distance est
encore trop peu utilisée sur internet pour avoir modifié notre chiffre
d'affaires de façon significative. Internet a cependant eu une incidence sur le
catalogue de notre librairie, avec la création d'une rubrique sur le web,
spécialement destinée aux expatriés, dans laquelle nous mettons des livres, tous
sujets confondus, qui font partie des meilleures ventes du moment ou/et pour
lesquels la critique s'emballe. Nous avons toutefois décidé de limiter cette
rubrique à 60 titres quand notre base en compte 13.000. Un changement non
négligeable, c'est le temps qu'il faut dégager ne serait-ce que pour répondre au
courrier que génèrent les consultations du site. Outre le bénéfice pour l'image
de la librairie qu'internet peut apporter (et dont nous ressentons déjà les
effets), nous espérons pouvoir capter une nouvelle clientèle dans notre
spécialité (la connaissance des pays étrangers), atteindre et intéresser les
expatriés et augmenter nos ventes à l'étranger.

*Entretien du 16 janvier 2000

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Peu d'actualisation à nos renseignements antérieurs. Des projets certes qu'il
est trop tôt de préciser. Cependant un net regain de personnes qui viennent à
notre librairie après nous avoir découvert sur le web. C'est donc plutôt une
clientèle parisienne ou une clientèle venue de province pour pouvoir feuilleter
sur place ce que l'on a découvert sur le web. Mais l'expérience est très
intéressante et nous conduit à poursuivre.


PIERRE LE LOARER (Grenoble)


#Directeur du centre de documentation de l'Institut d'études politiques de
Grenoble et chargé de mission TICE (technologies de l'information et de la
communication pour l'éducation)

*Entretien du 5 février 2001

= Pouvez-vous vous présenter?

Professionnellement, actuellement, je suis chargé de mission TICE (technologies
de l'information et de la communication pour l'éducation) et directeur du centre
de documentation de l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble, qui est un
organisme d'enseignement supérieur. Je suis également webmestre du site web de
cette institution.

Mon parcours professionnel m'a permis de travailler à la fois dans le secteur
public et dans le secteur privé. Et je considère cela comme un grand avantage.
Le passage de l'un à l'autre (et dans les deux sens) devrait être davantage
favorisé.

= Pouvez-vous décrire le site web de votre organisme?

Conçu dès février 1998, il a ouvert en mai 1998. J'étais le chef de projet,
d'autant que j'ai une formation multimédia, outre ma formation initiale en
philosophie, documentation-bibliothèques et informatique.

Il y avait un comité de pilotage (au sein de notre Institut) et également
plusieurs partenaires:

- un graphiste (qui venait de créer le logo de l'Institut) à qui j'ai demandé de
décliner des éléments cohérents pour le site, en liaison avec la société de
multimédia,

- une société de création multimédia à qui j'ai demandé de créer une "maquette"
de page d'accueil et deux modèles de pages (page de rubrique principale, page de
sous-rubrique) pour disposer d'une ligne graphique,

- une ergonome qui avait pour objet de tester et surtout de faire tester la
version 1 (maquette) du site, pour ensuite réaliser une version 2
opérationnelle, ce qui a été fait,

- une rédactrice qui, avec moi-même, a repris, sélectionné les informations et
même partiellement réécrit certains textes et surtout organisé avec moi les
rubriques et sous-rubriques, créé les libellés d'intitulés, etc., ce travail
étant soumis au comité de pilotage,

- le CRI (centre de recherche en informatique) de l'université pour réaliser les
pages HTML en suivant les modèles, une fois validés, des pages de différents
niveaux et également pour héberger le site.

Dans un second temps, un professeur d'anglais m' a aidé à créer quelques pages
en anglais. Aujourd'hui, le site est maintenu à jour par moi-même et une
personne qui m'aide grandement pour cette tâche. Pour le mettre à jour, nous
travaillons avec un outil d'édition en ligne.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Elle est très variée. Je ne reviens pas sur mes fonctions de directeur d'un
centre de documentation, sinon pour insister sur:

- l'importance de la formation des étudiants à la recherche documentaire, à la
connaissance des sources d'information, imprimées et électroniques, et à la
production de documents sous forme numérique,

- la conception, que je reprends à mon compte, de la "bibliothèque hybride" qui
gère, donne accès à la fois aux documents imprimés et aux documents
électroniques. Il me semble que l'on peut même parler de "lecture hybride" où
l'on passe de l'écran à divers supports imprimés et l'inverse.

Mes fonctions de chargé de mission TICE (technologies de l'information et de la
communication pour l'éducation) visent à mettre ces TICE au service de la
stratégie de l'Institut, pour son développement, pour renforcer encore la
qualité de son enseignement, faciliter des accompagnements pédagogiques, aider
au développement des relations internationales grâce aux facilités de l'échange
électronique. Les TICE ne sont pas un but en soi, mais bien un outil au service
d'objectifs stratégiques. Ceci passe, entre autres, par la création d'intranets
pédagogiques, un renforcement de la formation en bureautique communicante pour
les étudiants, les enseignants et le personnel administratif.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Elle a divers aspects, qui sont assez différents: gestionnaire de site,
formateur pour un usage à la fois réfléchi et professionnel du web, animateur,
participant à des séminaires, réunions diverses sur l'internet (et l'éducation,
les collectivités territoriales, etc.). Membre de l'ISOC (Internet Society), je
participe aux rencontres d'Autrans.

= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?

Oui. Et également beaucoup l'écran.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Le papier a encore de beaux jours devant lui, même si le support électronique va
continuer à beaucoup se développer et se diversifier.

= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?

Je préfère vous renvoyer à deux écrits récents. Pour information, le texte que
j'avais écrit sur "Lecteurs et livres électroniques" pour le Bulletin des
Bibliothèques de France (de juillet 2000, paru en décembre 2000, ndlr) est
aujourd'hui disponible au format pdf. Un autre article, mettant à jour un grand
nombre d'informations, va paraître dans Documentaliste-Sciences de l'information
d'ici quelques jours (paru depuis: "Les livres électroniques ou le passage",
vol. 37, n° 5-6, 2000, ndlr).

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Meilleur, je ne sais.

Quand j'ai pu aider tel(le) internaute à l'autre bout du monde (Australie, par
exemple) sur une question précise, via le hasard du questionnement. Mais ce
n'est pas si fréquent (manque de temps, participation aujourd'hui plus que
limitée aux listes et forums).

Quand j'ai pu échanger des propos avec tel ou tel chercheur de l'autre bout du
monde et avoir ensuite le plaisir de le rencontrer in situ.

Etc., etc.

= Quel est votre pire souvenir lié à l'internet?

Pire, je ne sais.

Mais l'avalanche de messages "spam" a le don de m'agacer, voire de m'irriter. De
même, je n'apprécie guère (euphémisme) certain(s) fournisseur(s) d'accès qui
rédui(sen)t la vision de l'internet à l'espace de leurs propres sites et
ressources, et exigent l'utilisation de leur seul logiciel de messagerie
(propriétaire) pour communiquer par mél. Une tromperie quant à la vision et aux
potentialités de l'internet.


FABRICE LHOMME (Bretagne)


#Créateur d'Une Autre Terre, site consacré à la science-fiction

Fabrice Lhomme a créé Une Autre Terre - site personnel - par passion pour la
science-fiction. Il est technicien en informatique, et son activité principale
est la création de serveurs internet au sein d'une petite société informatique.

*Entretien du 9 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Le serveur a vu le jour fin novembre 1996. J'ai commencé en présentant quelques
bibliographies très incomplètes à l'époque et quelques critiques. Rapidement,
j'ai mis en place les forums à l'aide d'un logiciel "maison" qui sert également
sur d'autres actuellement. Depuis la page réalisée pour le premier anniversaire
du serveur, le phénomène le plus marquant que je puisse noter, c'est la
participation de plusieurs personnes au développement du serveur alors que
jusque-là j'avais tout fait par moi-même. Le graphisme a été refait par un
généreux contributeur et je reçois régulièrement des critiques réalisées par
d'autres personnes. Pour ce qui est des nouvelles, la rubrique a eu du mal à
démarrer mais, une fois qu'il y en a eu un certain nombre, j'ai commencé à en
recevoir régulièrement (effet d'entraînement). Actuellement, j'ai toutes les
raisons d'être satisfait car mon site reçoit plus de 2.000 visiteurs différents
chaque mois et toutes les rubriques ont une bonne audience. Le forum des
visiteurs est très actif, ce qui me ravit.

= Quels sont vos projets?

J'envisage pour très bientôt d'ouvrir une nouvelle rubrique proposant des livres
d'occasion à vendre avec l'ambition de proposer un gros catalogue.
Eventuellement j'ouvrirai aussi une rubrique présentant des biographies car je
reçois pas mal de demandes des visiteurs en ce sens. Si l'activité de vente de
livres d'occasion se montre prometteuse, il est possible que j'en fasse une
activité professionnelle sous la forme d'une micro-entreprise.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Il faut d'abord préciser qu'Une Autre Terre est un serveur personnel hébergé
gratuitement par la société dans laquelle je travaille. Je l'ai créé uniquement
par passion pour la SF et non dans un but professionnel même si son audience
peut laisser envisager des débouchés dans ce sens. Par contre internet a bel et
bien changé ma vie professionnelle. Après une expérience de responsable de
service informatique, j'ai connu le chômage et j'ai eu plusieurs expériences
dans le commercial. Le poste le plus proche de mon domaine d'activité que j'ai
pu trouver était vendeur en micro-informatique en grande surface (je dois
préciser quand même que je suis attaché à ma région et que je refusais de
"m'expatrier"). Jusqu'au jour donc où j'ai trouvé le poste que j'occupe depuis
deux ans. S'il n'y avait pas eu internet, je travaillerais peut-être encore en
grande surface. Actuellement, le principal de mon activité tourne autour
d'internet (réalisation de serveurs web, intranet/extranet,...) mais ne se
limite pas à cela. Je suis technicien informatique au sens large du terme
puisque je m'occupe aussi de maintenance, d'installation de matériel, de
réseaux, d'audits, de formations, de programmation, etc.

= Comment voyez-vous l'avenir?

J'ai trouvé dans internet un domaine de travail très attrayant et j'espère
fortement continuer dans ce segment de marché. La société dans laquelle je
travaille est une petite société en cours de développement. Pour l'instant je
suis seul à la technique (ce qui explique mes nombreuses casquettes) mais nous
devrions à moyen terme embaucher d'autres personnes qui seront sous ma
responsabilité.

*Entretien du 26 juillet 1999

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Le projet que j'avais de vendre des livres d'occasion par ce média a abouti
(ouverture de la CyberBouquinerie SF en août 1998). De ce côté-là, le résultat
n'est pas à la hauteur de mes espérances. Faute de moyens, je n'ai pas pu
constituer un stock de livres suffisamment important pour satisfaire la
clientèle potentielle. Malgré tout, j'ai régulièrement des commandes. Ça me paie
mes propres livres mais il faudra attendre encore pour en faire une activité
professionnelle...

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

De par mon travail, je fais plus attention aux aspects techniques du web qu'aux
débats qui s'y rapportent. Il me semble quand même qu'il y a incompatibilité
entre internet et la notion de droits d'auteur. Internet est un espace ouvert et
il me semble impossible d'empêcher quelqu'un d'y diffuser des documents
protégés.

Le fait d'en parler est tout de même important car ça pourra peut-être
sensibiliser certaines personnes qui n'avaient pas pensé au problème. Mais cela
n'arrêtera jamais quelqu'un qui le fait en connaissance de cause. La seule
solution qui me semble plausible serait que les hébergeurs surveillent un peu
plus le contenu des pages qu'ils hébergent.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Dans un article "spécial science-fiction" de Club-Internet, Jacques Sadoul
(auteur, directeur de collection, anthologiste...) a parlé de mon site comme
faisant partie des meilleurs sites francophones traitant de SF. Quand ça vient
d'une personne telle que lui, on ne peut qu'être ravi...


PHILIPPE LOUBIERE (Paris)


#Traducteur littéraire et dramatique, spécialiste de la Roumanie

*Entretien du 24 mars 2001

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis traducteur littéraire en français (ma langue maternelle) à partir
principalement du roumain (et aussi de l'espagnol). Ayant traduit et adapté de
nombreuses pièces de théâtre, j'ai également eu l'occasion de m'impliquer dans
la mise en scène, et pas seulement des pièces que j'ai pu traduire ou adapter.
Je fais des piges également pour plusieurs revues sur la Roumanie, sur le monde
arabe et sur la langue française (notamment sur le site de l'Association pour la
sauvegarde et l'expansion de la langue française - ASSELAF). Il m'arrive
également de donner des cours d'arabe, langue que j'ai enseignée plusieurs
années pour l'Éducation nationale française, pour ne pas perdre la main dans
cette langue.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Les contacts amicaux et professionnels, par courrier électronique donc, ainsi
que la transmission de documents écrits ou d'images, mais assez peu de
navigation.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Sans grand changement, je crois, en ce qui me concerne (mais sait-on jamais?).

= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?

J'utilise beaucoup le support papier car, quoique j'écrive la plupart du temps
sur ordinateur, j'ai besoin d'imprimer pour me relire. Je lis les journaux. Je
suis très attaché au livre comme objet et comme support de connaissance. Et en
tout cas je fais partie de la chaîne qui les édite. Je viens même d'en publier
un: Cîntece de alchimist / Chants d'achimiste de Teodor Mazilu, édition bilingue
de poésie, traduite par mes soins (publiée aux éditions Crater à Bucarest).

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je pense que le papier a encore de très beaux jours devant soi. Mais il va
resserrer une partie de sa gamme, naturellement, c'est-à-dire la recentrer. Je
suis ravi que l'on économise ainsi la vie de milliers d'arbres, pour que
certaines données d'intérêt variable ou à rotation rapide soient déviées sur les
divers supports numériques. Par ailleurs, les journaux (non nécessairement les
quotidiens) restent un moyen dit d'"information" plus digne de foi que la presse
audio-visuelle: leur lecture est le moyen d'essayer de s'informer le moins
passif, celui qui permet la meilleure distanciation par rapport à l'information
(on se fait moins piéger par le matraquage télé). Il y a ensuite plus de
diversité dans les titres, dans les opinions, et surtout il y a des journaux
spécialisés (c'est même le seul moyen d'information susceptible d'être
spécialisé). Le livre, enfin, me paraît aujourd'hui le lieu idéal de refuge des
valeurs de l'esprit, celles qui ne sont pas frappées d'obsolescence par le
progrès technique ou par les modes. Bref, le papier, c'est la lecture, et c'est
la lecture libre.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Mon opinion, que je garde la plus éloignée possible de tout sentiment, est assez
réservée. La lecture sur écran est moins confortable que dans un livre
traditionnel. Le seul intérêt (à long terme) serait, me semble-t-il, de trouver
à l'état numérique des livres épuisés, lorsqu'on ne peut se rendre dans une
bibliothèque.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Le débat sur le droit d'auteur sur le web me semble assez proche sur le fond de
ce qu'il est dans les autres domaines où le droit d'auteur s'exerce, ou devrait
s'exercer. Le producteur est en position de force par rapport à l'auteur dans
pratiquement tous les cas de figure. Les pirates, voire la simple diffusion
libre, ne menacent vraiment directement que les producteurs. Les auteurs ne sont
menacés que par ricochet. Il est possible que l'on puisse légiférer sur la
question, au moins en France où les corporations se revendiquant de l'exception
culturelle sont actives et résistent encore un peu aux Américains, mais le mal
est plus profond. En effet, en France comme ailleurs, les auteurs étaient
toujours les derniers et les plus mal payés avant l'apparition d'internet, on
constate qu'ils continuent d'être les derniers et les plus mal payés depuis. Il
me semble nécessaire que l'on règle d'abord la question du respect des droits
d'auteur en amont d'internet. Déjà dans le cadre général de l'édition ou du
spectacle vivant, les sociétés d'auteurs - SACD (Société des auteurs et
compositeurs dramatiques), Société des gens de lettres, SACEM (Société des
auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), etc. - faillissent dès lors que
l'on sort de la routine ou du vedettariat, ou dès que les producteurs abusent de
leur position de force, ou tout simplement ne payent pas les auteurs, ce qui est
très fréquent. Il est hypocrite dans ce cas-là de crier haro sur le seul
internet.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web véritablement multilingue?

La langue unique est à l'évidence un système totalitaire. Tout ce qui peut
contribuer à la diversité linguistique, sur internet comme ailleurs, est
indispensable à la survie de la liberté de penser. Je n'exagère absolument pas:
l'homme moderne joue là sa survie. Cela dit, je suis très pessimiste devant
cette évolution. Les Anglo-saxons vous écrivent en anglais sans vergogne.
L'immense majorité des Français constate avec une indifférence totale le
remplacement progressif de leur langue par le mauvais anglais des marchands et
des publicitaires, et le reste du monde a parfaitement admis l'hégémonie
linguistique des Anglo-saxons parce qu'ils n'ont pas d'autres horizons que de
servir ces riches et puissants maîtres. La seule solution consisterait à
recourir à des législations internationales assez contraignantes pour obliger
les gouvernements nationaux à respecter et à faire respecter la langue nationale
dans leur propre pays (le français en France, le roumain en Roumanie, etc.),
cela dans tous les domaines et pas seulement sur internet. Mais ne rêvons pas...

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

L'accompagnement acoustique, mais je n'ai pas de suggestions techniques.

= Comment définissez-vous la société de l'information?

Il n'y a pas, je crois, de société de l'information. Internet, la télévision, la
radio ne sont pas des moyens d'information, ce sont des moyens de communication.
L'information participe d'une certaine forme de savoir sur le monde, et les
moyens de communication de masse ne la transmettent pratiquement pas. Ils
l'évoquent dans le meilleur des cas (ceux des journalistes de terrain par
exemple), et la déforment voire la truquent dans tous les autres. Et (pour
autant qu'il le veuille!) le pouvoir politique n'est hélas plus aujourd'hui
assez "le" pouvoir pour pouvoir faire respecter l'information et la liberté.
L'information, comme toute forme de savoir, est le résultat d'une implication
personnelle et d'un effort de celui qui cherche à s'informer. C'était vrai au
Moyen-Âge, c'est encore vrai aujourd'hui. La seule différence, c'est
qu'aujourd'hui il y a davantage de leurres en travers du chemin de celui qui
cherche.


TIM McKENNA (Genève)


#Ecrivain, s'interroge sur la notion complexe de "vérité" dans un monde en
mutation constante

*Entretien du 17 octobre 2000 (entretien original en anglais)

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

J'enseigne les mathématiques. En ce moment, je suis en disponibilité pour
préparer une maîtrise en gestion des télécommunications.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

J'utilise l'internet principalement comme outil de recherche.

= Comment voyez-vous l'avenir?

J'aimerais que l'internet devienne davantage un outil d'accès à l'information et
aux médias non contrôlé par les multinationales.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le droit d'auteur est une question difficile. Le détenteur de la propriété
intellectuelle pense que ce qu'il a créé lui appartient. Quant au client, il
achète un morceau de plastique (dans le cas d'un CD) ou un ensemble de pages
brochées (dans le cas d'un livre). Les commerçants n'ont pas encore réussi à
faire comprendre au client la notion de propriété intellectuelle. Le
consommateur ne pense pas de manière très abstraite. Quand il télécharge des
chansons par exemple, c'est simplement pour les écouter, non pour les posséder.
L'industrie musicale et le monde de l'édition doivent trouver des solutions pour
que le consommateur prenne en considération la question du copyright lors de ces
téléchargements.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?

Quand la qualité des logiciels sera suffisante pour que les gens puissent
discuter sur le web en temps réel dans différentes langues, nous verrons tout un
monde s'ouvrir à nous. Les scientifiques, les hommes politiques, les hommes
d'affaires et bien d'autres groupes seront à même de communiquer immédiatement
entre eux sans l'intermédiaire de médiateurs ou traducteurs.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Le papier joue encore un rôle vital dans ma vie. Pour moi, la lecture est une
question de fierté culturelle. J'ai des origines irlandaises (Tim est américain,
ndlr). Pour paraphraser Thomas Cahil, en Irlande la spiritualité a toujours été
étroitement liée à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Ne pas
pouvoir lire sur le papier me manquerait, et la lecture à l'écran est trop
fatigante pour les yeux.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je ne pense pas que le livre numérique séduise vraiment les amoureux des livres.
Si l'internet est un excellent moyen d'information, les livres ne se bornent pas
à cela. Ceux qui aiment les livres ont une relation personnelle avec eux. Ils
les relisent, notent leurs commentaires sur les pages, s'entretiennent avec eux.
Tout comme le cybersexe ne remplacera jamais le fait d'aimer une femme, le livre
numérique ne remplacera jamais la lecture d'un beau texte en version imprimée.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Les concepteurs de logiciels doivent développer des logiciels activés par la
voix, en ayant à l'esprit les aveugles en ce qui concerne la qualité, et
l'ensemble des utilisateurs en ce qui concerne la rentabilité. Ceci est bien
préférable que de limiter l'utilisation d'une technologie à la communauté des
aveugles. Il existe d'innombrables exemples de technologies développées à
l'origine pour des personnes ayant une déficience donnée et qui ont été
profitables à tous.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Pour moi, le cyberespace est l'ensemble des liens existant entre les individus
utilisant la technologie pour communiquer entre eux, soit pour partager des
informations, soit pour discuter. Dire qu'une personne existe dans le
cyberespace revient à dire qu'elle a éliminé la distance en tant que barrière
empêchant de relier personnes et idées.

= Et la société de l'information?

Je considère la société de l'information comme la forme tangible de la
conscience collective de Jung. L'information réside essentiellement dans notre
subconscient mais, grâce à l'existence de navigateurs, l'information est
désormais plus facile à récupérer. Cette information favorise une meilleure
connaissance de nous-mêmes en tant qu'individus et en tant qu'êtres humains.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

L'utilisation du courrier électronique pour rester en contact avec mes amis.

= Et votre pire souvenir?

Apprendre à utiliser l'internet, avant que la technologie n'apporte les
améliorations me permettant de ne plus me préoccuper de mon inaptitude dans ce
domaine.


PIERRE MAGNENAT (Lausanne)


#Responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de
l'Université de Lausanne

*Entretien du 27 octobre 2000

= Pouvez-vous vous présenter?

Mathématicien de formation, je me suis ensuite orienté vers la recherche en
astrophysique à l'Observatoire de Genève, domaine dans lequel j'ai obtenu mon
doctorat en 1982. Le sujet en était l'étude de la stabilité des orbites dans des
modèles numériques de galaxies, ce qui m'a conduit à développer un usage intense
de l'informatique, et m'a peu à peu dirigé totalement vers cette branche encore
neuve à l'époque. En 1985, j'ai accordé mes actes à mes préférences et suis
parti travailler chez un constructeur informatique. J'ai rejoint l'Université de
Lausanne en 1990 pour occuper le poste où je suis encore.

= Pouvez-vous décrire l'activité de votre organisme?

L'Université de Lausanne est une université généraliste fondée en 1537
(théologie, droit, lettres, sciences sociales, HEC (hautes études commerciales),
sciences (maths, physique, chimie, biologie, sciences de la terre, pharmacie) et
médecine. Elle comprend environ 10.000 étudiants et 2.200 chercheurs.

= Pouvez-vous décrire son site web?

Dès le début du web, un premier site a été créé par le personnel du centre
informatique (en 1995). Chaque faculté, section ou institut s'y est mis par la
suite, sans réelle unité et cohérence. Par la suite, certaines règles d'édition
ont été établies, et le site remanié à plusieurs reprises avec l'aide de
graphistes et d'une personne en charge de fédérer les informations. Nous avons
été la première université suisse (voire européenne?) à permettre
l'immatriculation des nouveaux étudiants par le web. Depuis, les applications
administratives (ressources humaines, finances, grades, etc.) sont les unes
après les autres adaptées à un usage par le web. Pour le futur proche, nous
étudions la mise en place d'un portail dont l'accès sera personnalisé et adapté
aux tâches et désirs de chacun, étudiants, personnel ou visiteur. Il permettra
également un accès authentifié aux applications administratives.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je dirige la centrale d'achats informatiques de l'université. A ce titre, je
définis des normes techniques, je procède aux appels d'offres et gère
l'entretien du parc, ainsi que les contrats de licences de logiciels. Je suis
également responsable de l'établissement et de la gestion des budgets
informatiques centraux. Une bonne part de mon activité est ainsi liée à des
aspects de prospective et de veille technologique.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Bien avant l'arrivée du web, internet était déjà un outil essentiel à mon
activité: courrier électronique, information par Usenet News puis gopher. Chaque
développement nouveau de l'internet nous a permis de mettre en place des outils
facilitant la vie de nos utilisateurs (listes de prix et configurations,
formulaires de commandes, inventaires en ligne, etc.) tout comme la nôtre
(contacts fournisseurs, informations techniques, etc.). Par ailleurs, cet usage
a déteint dès le début sur mes activités personnelles (IRC, news, etc.), pour
aboutir à un usage fréquent du commerce électronique et de la bourse en ligne.

= Comment voyez-vous l'avenir?

L'usage de l'internet va encore s'intensifier, tout comme ses aspects intranet
au sein de notre institution. En particulier, l'apparition des "campus virtuels"
proposant des enseignements à distance et/ou collaboratifs va bouleverser
l'usage que l'on en fait jusqu'à maintenant, exigeant des bandes passantes
considérablement plus grandes. La téléconférence, déjà mise en place par ATM
(asynchronous transfer mode) entre les universités de Lausanne et Genève, va
également s'étendre, exigeant elle aussi des moyens considérables et très
sécurisés (par exemple pour les diagnostics médicaux à distance, voire la
téléchirurgie).

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, hélas. Nous continuons à devoir imprimer beaucoup de choses, ne serait-ce
que pour des raisons administratives. Par contre, pour tout ce qui est
information, je ne la prends plus que sur internet.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Comme pour toute nouvelle technologie, je m'y mettrai avec joie dès que son
usage sera plus pratique et/ou agréable que la méthode traditionnelle. Il faut
donc un support léger et petit, avec un écran parfaitement stable et précis. Il
faudra de plus qu'il nous procure des avantages: possibilité de copier/coller
des passages sur son poste de travail, accès à des bases de données
bibliographiques, etc. Tant que c'est moins agréable qu'un livre, et sans
avantage notable, je reste au livre. C'est comme pour l'agenda/PDA (personal
digital assistant): je ne me suis pas encore résolu à passer au Palm, car mon
vieux time-system est encore beaucoup plus pratique et rapide. Lors d'une séance
de groupe où nous devons convenir d'une prochaine réunion, je suis toujours le
premier à pouvoir dire si telle date me convient, alors que mes collègues
"palmés" en sont encore à tapoter au stylet pour trouver la bonne page...

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

Je n'ai pas de suggestion, mais plutôt une interrogation: que cherche-t-on par
là? Les évènements récents dans le monde musical ont montré que de grosses
entreprises prennent prétexte du droit d'auteur pour en fait protéger leur
profit. Je ne me fais aucune illusion sur la probabilité qu'a et aura un auteur
peu médiatisé, dans un pays autre que les Etats-Unis, de recevoir des royalties
sur un texte ou une musique diffusés sur le web, même si des dispositifs de
mesure sophistiqués sont mis en place. Par ailleurs, ces dispositifs existent,
permettant donc théoriquement un contrôle, alors que ça n'est pas le cas sur les
photocopieurs ou les enregistreurs de cassettes. A cet égard, le web n'amène
donc pas vraiment de problème supplémentaire.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

La seule solution que je vois serait qu'un effort majeur et global soit
entrepris pour développer des traducteurs automatiques. Je ne pense pas qu'une
quelconque incitation ou autre quota pourrait empêcher la domination totale de
l'anglais. Cet effort pourrait - et devrait - être initié au niveau des états,
et disposer des moyens suffisants pour aboutir. Concernant le français, il
existe un groupement de pays francophones dont des délégués se réunissent
régulièrement. Le résultat de ces réunions ne m'est jamais apparu clairement;
l'économie réalisée en supprimant un ou deux de ces raouts permettrait peut-être
de financer le projet...

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Pas vraiment d'idée particulière autre que ce qui existe déjà, comme les
synthétiseurs vocaux.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

L'ensemble des ressources et acteurs connectés et accessibles à un moment donné.

= Et la société de l'information?

Un mot à la mode, qui ne veut rien dire. Une société est par essence
communicative, et donc caractérisée par des échanges d'informations. Les seules
choses qui ont changé, c'est la quantité et la vitesse de ces échanges.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Lorsqu'en 1995, je me suis retrouvé à mon premier GT (Get Together) en
Californie, une party à laquelle participaient plus de cinquante personnes que
je n'avais jamais vues, mais que je connaissais déjà bien pour avoir "chatté"
avec elles pendant deux ans sur IRC (Internet relay chat).

= Et votre pire souvenir?

Lorsque je me suis fait avoir par une fausse information concernant une société
dont je possédais des actions. C'est un mauvais souvenir mais une bonne leçon.


XAVIER MALBREIL (Ariège, Midi-Pyrénées)


#Auteur multimédia, créateur du site www.0m1.com, modérateur de la liste
e-critures

Auteur multimédia, Xavier Malbreil est le créateur du site www.0m1.com et le
modérateur de la liste e-critures. Son roman Je ne me souviens pas très bien est
une expérience d'écriture mise en ligne en temps réel. Par ailleurs, certains
des ouvrages de Xavier Malbreil sont publiés par les éditions www.manuscrit.com:
Des corps amoureux dans quelques récits, recueil de quinze nouvelles autour des
nouvelles limites du corps amoureux, et Les prisonniers de l'internet, épisode I
et II, début d'une saga "jeunesse" sur l'imaginaire lié à l'internet.

*Entretien du 28 mars 2001

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je fais plusieurs métiers de plume comme: traducteur, rédacteur publicitaire,
concepteur de sites internet.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Je suis modérateur de la liste e-critures. Webmaster du site www.0m1.com.
Intervenant sur le site www.e-critures.org. Créateur de plusieurs sites.

= Les possibilités offertes par l'hyperlien ont-elles changé votre mode
d'écriture?

Oui: j'ai développé une écriture hypertextuelle spécifique sur mon site
www.0m1.com dans les rubriques "10 poèmes en 4 dimensions" et "Formes libres
flottant sur les ondes".

Non: mon écriture traditionnelle (roman, nouvelles) n'a pas été modifiée par
l'hyperlien.

= Comment voyez-vous l'avenir?

J'ai plusieurs projets en cours de développement destinés à l'internet.
Concernant l'avenir de l'internet, je le crois illimité. Il ne faut pas
confondre les gamelles que se prennent certaines start-up trop gourmandes, ou
dont l'objectif était mal défini, et la réalité du net. Mettre des gens éloignés
en contact, leur permettre d'intéragir, et que chacun, s'il le désire, devienne
son propre fournisseur de contenu, c'est une révolution dont nous n'avons pas
encore pris toute la mesure.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Dans mon travail d'écriture traditionnelle, je me sers du papier comme d'une
étape intermédiaire. En imprimant ce que j'ai tapé sur l'ordinateur, je
visualise mieux (mets à distance) le premier jet, afin de mieux le retravailler.
Puis retour sur écran, et re-impression sur papier, autant de fois qu'il le
faut.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Il y a beaucoup de choses qui pourront se passer du papier, comme les annuaires,
les guides, etc...

Le livre-papier reste encore un objet désirable (oui, il faut mettre en avant ce
concept d'avoir du désir pour un livre et toujours se poser la question "depuis
combien de temps n'ai-je pas eu du désir pour un livre?"). Par contre, ce qui a
été créé pour et par ordinateur ne gagnera rien à être transféré sur papier. Il
ne sert à rien d'opposer les deux médias. On élève toujours des chevaux, même si
la voiture rend des services plus performants. Feuilleter un livre, c'est une
impression physique, dans laquelle la performance n'a rien à voir.

Explorer ludiquement un écran, c'est une joie également.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Pour l'instant, je trouve ça moche, et peu pratique. Nous n'en sommes qu'au
début. L'argument selon lequel on pourrait disposer de plusieurs livres
simultanément me semble un peu fallacieux. Quand on est un lecteur, on veut lire
UN livre et pas trente-six à la fois. Ce livre, on l'a choisi, on le désire.
Quand on en veut un autre, on en prend un autre. Il y a le cas des expéditions
lointaines. Oui... mais est-ce vraiment un argument? Il ne faut pas se laisser
prendre aux arguments des vendeurs de gadgets électroniques.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Il y a deux choses.

Le web ne doit pas être un espace de non-droit, et c'est un principe qui doit
s'appliquer à tout, et notamment au droit d'auteur. Toute utilisation
commerciale d'une oeuvre doit ouvrir droit à rétribution.

Mais également, le web est un lieu de partage. Echanger entre amis des passages
d'un texte qui vous a plu, comme on peut recopier des passages d'un livre
particulièrement apprécié, pour le faire aimer, cela ne peut faire que du bien
aux oeuvres, et aux auteurs. La littérature souffre surtout de ne pas être
diffusée. Tout ce qui peut concourir à la faire sortir de son ghetto sera
positif.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Une interconnexion de tous, partout. Avec le libre accès à des banques de
données, pour insuffler également du contenu dans les échanges interpersonnels.

= Et la société de l'information?

La circulation de l'information en temps réel. La connaissance immédiate.
L'oubli immédiat. L'espace saturé d'ondes nous entourant, et nous, corps
humains, devenant peu à peu un simple creux laissé par les ondes, une simple
interconnexion. Corps humains devenant instants de l'information.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Une rencontre amoureuse. La rencontre de plusieurs communautés d'écrivains.

= Et votre pire souvenir?

Au tout début, ne pas avoir maîtrisé les codes de communication liés à
l'internet. M'être laissé entraîner dans des polémiques vaines.


ALAIN MARCHISET (Paris)


#Président du Syndicat de la librairie ancienne et moderne (SLAM)

En France, le SLAM (Syndicat de la librairie ancienne et moderne) est le seul
syndicat professionnel des libraires de livres anciens, livres illustrés,
autographes et gravures. Créé en 1914, il regroupe aujourd'hui quelque 220
membres.

*Entretien du 7 juillet 2000

= En quoi consiste le site web du SLAM?

L'Association des libraires de livres anciens - le Syndicat national de la
librairie ancienne et moderne (SLAM) - avait déjà créé un premier site internet
il y a trois ans, mais ce site ne nous appartenait pas et la conception en était
un peu statique. Ce nouveau site plus moderne de conception a été ouvert il y a
un an.

Il intègre une architecture de type "base de données", et donc un véritable
moteur de recherche, qui permet de faire des recherches spécifiques (auteur,
titre, éditeur, et bientôt sujet) dans les catalogues en ligne des différents
libraires. Le site contient l'annuaire des libraires avec leurs spécialités, des
catalogues en ligne de livres anciens avec illustrations, un petit guide du
livre ancien avec des conseils et les termes techniques employés par les
professionnels, et aussi un service de recherche de livres rares.

De plus l'Association organise chaque année en novembre une foire virtuelle du
livre ancien sur le site, et en mai une véritable foire internationale du livre
ancien qui a lieu à Paris et dont le catalogue officiel est visible aussi sur le
site. Le SLAM est membre de la Ligue internationale de la librairie ancienne
(LILA), qui est une fédération d'associations professionnelles de libraires de
28 pays dans le monde.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Les libraires membres proposent sur le site du SLAM des livres anciens que l'on
peut commander directement par courrier électronique et régler par carte de
crédit. Les livres sont expédiés dans le monde entier.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Les libraires de livres anciens vendaient déjà par correspondance depuis très
longtemps au moyen de catalogues imprimés adressés régulièrement à leurs
clients. Ce nouveau moyen de vente n'a donc pas été pour nous vraiment
révolutionnaire, étant donné que le principe de la vente par correspondance
était déjà maîtrisé par ces libraires. C'est simplement une adaptation dans la
forme de présentation des catalogues de vente qui a été ainsi réalisée. Dans
l'ensemble la profession envisage assez sereinement ce nouveau moyen de vente.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Ce problème ne nous concerne guère étant donné que nous vendons surtout des
livres anciens et donc des textes qui sont dans le domaine public.

= Et en ce qui concerne un internet multilingue?

Notre site internet est déjà bilingue anglais-français. Bien entendu l'anglais
semble incontournable, mais nous essayons aussi de maintenir le français autant
que possible.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Notre étonnement initial face aux premières ventes réalisées. Nous avions en
effet du mal à imaginer des personnes pianotant sur un clavier pour faire leurs
achats.

= Et votre pire souvenir?

Tous les messages publicitaires dont nous sommes inondés.

*Entretien du 11 juin 2001

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Après une expérience de près de cinq années sur le net, je pense que la
révolution électronique annoncée est moins évidente que prévue, et sans doute
plus "virtuelle" que réelle pour le moment. Les nouvelles technologies n'ont pas
actuellement révolutionné le commerce du livre ancien. Nous assistons surtout à
une série de faillites, de rachats et de concentrations de sociétés de services
(principalement américaines) autour du commerce en ligne du livre, chacun
essayant d'avoir le monopole, ce qui bien entendu est dangereux à la fois pour
les libraires et pour les clients qui risquent à la longue de ne plus avoir de
choix concurrentiel possible. Les associations professionnelles de libraires des
29 pays fédérées autour de la Ligue internationale de la librairie ancienne
(LILA) ont décidé de réagir et de se regrouper autour d'un gigantesque moteur de
recherche mondial sous l'égide de la LILA, à partir du site www.ilab-lila.com.
Cette fédération représente un potentiel de 2.000 libraires indépendants dans le
monde, mais offrant des garanties de sécurité et de respect de règles
commerciales strictes. Ce nouveau moteur de recherche de la LILA (en anglais
ILAB) en pleine expansion est déjà référencé par AddAll.com et Bookfinder.com.
Voilà donc pour les nouveautés et les dernières orientations stratégiques qui
semblent se dessiner sur la toile...


MARIA-VICTORIA MARINETTI (Annecy)


#Professeur d'espagnol en entreprise et traductrice

Maria Victoria Marinetti, de nationalités mexicaine et française, est docteur en
ingénierie. Elle est professeur d'espagnol dans plusieurs entreprises du bassin
annécien, et traductrice.

*Entretien du 25 août 1999

= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?

J'ai accès à un nombre important d'informations au niveau mondial, ce qui est
très intéressant pour moi. J'ai également la possibilité de transmettre ou de
recevoir des fichiers, des lettres, des photos, etc., dans un va-et-vient
d'information constant.

L'internet me permet de recevoir ou d'envoyer des traductions générales ou
techniques du français vers l'espagnol et vice versa, ainsi que des textes
espagnols corrigés. Dans le domaine technique ou chimique, je propose une aide
technique, ainsi que des informations sur l'exportation d'équipes de haute
technologie vers le Mexique ou d'autres pays d'Amérique latine.

L'internet me donne également la possibilité de faire des opérations
commerciales en ligne, même si j'hésite parfois à cause du peu de sécurité
offert par ce type de paiement. Les abus sont nombreux, on vend des choses qui
n'existent pas - je considère cela comme du vol - c'est la raison pour laquelle
les gens ne sont pas très confiants dans ce type de commerce.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je pense que le droit est maintenant dépassé par la technologie, et qu'il n'y a
pas de protection possible au niveau juridique. Il serait souhaitable de créer
une véritable législation de l'internet.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Il est très important de pouvoir communiquer en différentes langues. Je dirais
même que c'est obligatoire, car l'information donnée sur le net est à
destination du monde entier, alors pourquoi ne l'aurions-nous pas dans notre
propre langue ou dans la langue que nous souhaitons lire? Information mondiale,
mais pas de vaste choix dans les langues, ce serait contradictoire, pas vrai?

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le fait que je puisse communiquer avec ma famille et mes amis partout dans le
monde.

= Et votre pire souvenir?

Quelquefois ça ne marche pas, c'est lent, imprécis, l'information est énorme et
peu structurée, et en plus c'est très cher (en France, nldr).

*Entretien du 11 août 2001

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Depuis notre premier entretien, j'utilise beaucoup l'internet pour des échanges
avec ma famille du Mexique et mes amis d'un peu partout dans le monde, c'est un
outil de communication rapide, agréable et fantastique pour moi.

Par contre, dans l'utilisation d'internet comme outil de télétravail, très peu
d'entreprises ont le matériel et l'expérience nécessaires pour utiliser les
échanges de données dans le travail de tous les jours, notamment pour la voix et
l'image (par exemple pour la formation via le net ou pour des conférences à
plusieurs via le net).

Pour ma part, je rencontre ce problème car je souhaite faire de la téléformation
en langue espagnole, en utilisant la voix et l'image, et mes entreprises
clientes ne sont pas habituées à utiliser facilement ces moyens de communication
malgré leur caractère pratique (pas de déplacements à faire) et malgré la
fiabilité accrue de ces nouveaux moyens de communication par l'internet.

En conclusion, les sociétés de conseil informatique ont encore beaucoup à faire
pour familiariser les entreprises à l'utilisation des nouvelles technologies
liées aux transferts de données par l'internet.

En ce qui concerne la recherche d'une information précise (technique, juridique
ou liée à un domaine particulier), les moteurs de recherche donnent très
rarement des réponses pertinentes. D'une manière générale, le problème reste
donc qu'il est très difficile d'obtenir une réponse précise à une question
précise.


MICHAEL MARTIN (Berkeley, Californie)


#Créateur et président de Travlang, un site consacré aux voyages et aux langues

En 1994, alors qu'il est étudiant en physique, Michael Martin crée une rubrique
intitulée Foreign Languages for Travelers sur le site de son université à New
York. Cette rubrique s'étoffe rapidement et rencontre un grand succès. L'année
suivante, il décide de créer Travlang, devenu depuis un site majeur dans le
domaine des voyages et des langues, et nommé meilleur site de voyages en 1997.
Michael C. Martin est maintenant chercheur en physique au Lawrence Berkeley
National Laboratory (Californie), et il continue d'actualiser son site. Travlang
est acquis en février 1999 par GourmetMarket.com, puis racheté en janvier 2000
par iiGroup. En juillet 2000, le site atteint les 2 millions de visiteurs par
mois.

Les deux principales rubriques de Travlang sont: a) Foreign Languages for
Travelers, qui donne la possibilité d'apprendre 70 langues différentes sur le
web, et b) Translating Dictionaries, qui donne accès à des dictionnaires
gratuits dans diverses langues (afrikaans, allemand, danois, espagnol,
espéranto, finnois, français, frison, hollandais, hongrois, italien, latin,
norvégien, portugais, suédois et tchèque). On peut aussi réserver son hôtel, sa
voiture ou son billet d'avion, connaître les taux de change, consulter une
rubrique de 7.000 liens vers d'autres sites de langues et de voyages, etc.

*Entretien du 25 août 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?

Et bien, nous avons fait de Travlang une petite société! L'internet est vraiment
un outil important pour communiquer avec des gens avec lesquels vous n'auriez
pas l'occasion de dialoguer autrement. J'apprécie vraiment la collaboration
générale qui a rendu possibles les pages de Foreign Languages for Travelers.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Je pense que le web est un endroit idéal pour rapprocher les cultures et les
personnes, et ceci inclut le multilinguisme. Notre site Travlang est très
populaire pour cette raison, car les gens aiment être en contact avec d'autres
parties du monde.

A mon avis, la traduction informatique intégrale va devenir monnaie courante, et
elle permettra de communiquer à la base avec davantage de gens. Ceci aidera
aussi à amener davantage l'internet au monde non anglophone.


EMMANUEL MENARD (Paris)


#Directeur des publications de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne

Cet entretien expose en détail la procédure éditoriale de CyLibris, en
complément de la présentation de CyLibris par Olivier Gainon, son fondateur et
gérant.

*Entretien du 19 février 2001

= Pouvez-vous décrire en détail la procédure éditoriale de CyLibris?

Si la démarche de commercialisation et de fabrication de CyLibris tranche
nettement avec le modèle couramment appliqué dans l'édition française, notre
procédure éditoriale est en revanche beaucoup plus classique. Tout au moins dans
ses principes, sinon dans sa mise en oeuvre.

Rappelons tout d'abord que la ligne éditoriale de CyLibris repose sur deux axes
forts:

(a) Tout d'abord, la découverte, la publication et la promotion de "jeunes
auteurs". La notion de "jeune auteur" ne fait bien sûr pas appel à l'état civil,
mais désigne plutôt des écrivains qui font leurs premières armes, soit qu'il
s'agisse de premières oeuvres, soit qu'ils n'aient jusqu'alors pas été publiés.
Naturellement, ce choix littéraire n'a rien d'exclusif; en effet, un auteur déjà
publié chez nous et qui souhaite nous proposer un second texte est le bienvenu
(Jean Pailler en littérature générale, Jérôme Touzalin en théâtre, Philippe Ward
en fantastique pour ne citer que quelques exemples) de même qu'un auteur
"reconnu" et déjà édité par ailleurs qui désire travailler avec nous (à titre
d'exemple, à nouveau, on peut citer Philippe Raulet, Eyet-Chékib Djaziri ou Jean
Millemann entre autres).

(b) Ensuite, étant affranchi d'un certain nombre de contraintes strictement
économico-commerciales du fait de son modèle original, CyLibris s'est donné
comme vocation de s'intéresser à des textes atypiques, inclassables, hors
normes. C'est ainsi que notre catalogue compte aujourd'hui des exemples:

- de mélange des genres (La Table d'Hadès, policier fantastique, ou La Toile
(prix 1999 de la Société des gens de lettres), roman policier et de
science-fiction, mais aussi réflexion socio-technologique sur l'internet),

- de textes originaux dans leur forme (Racontez!, suite d'hilarantes fausses
rédactions, Bruits de Chute, succession de monologues acides ou drôles ou encore
Le Style Mode d'Emploi, sur le modèle des Exercices de Style de Queneau),

- de genres délaissés ou peu répandus (Artahé, exemple de "fantastique à la
française" résolument démarqué du modèle américain ou La Zone du Dehors,
science-fiction politique et philosophique),

- de textes violents et résolument "anti-commerciaux" (comme Journal de
l'Apocalypse, récemment racheté et republié par les éditions Baleine, ou Nux
Vomica).

On verra par la suite l'impact de cette politique éditoriale sur le
fonctionnement pratique de CyLibris.

Le trajet d'un manuscrit envoyé chez CyLibris est le suivant:

(a) La première lecture est assurée par notre comité de lecture, regroupant une
quinzaine de lecteurs aux goûts aussi variés que possible. Cette première
lecture, éventuellement suivie d'une seconde en cas d'hésitation du lecteur,
donne lieu soit à un refus (signifié par lettre et systématiquement argumenté),
soit à un premier accord à valider par le directeur des publications. Il nous
faut signaler ici les critères d'évaluation du comité de lecture, car elles
tranchent ouvertement avec ceux qui sont appliqués dans certaines autres
structures. Dès la création de CyLibris, nous avons affiché notre volonté d'être
en phase avec l'attente du lectorat, et cela a eu deux conséquences notables:
tout d'abord, notre comité de lecture est constitué de lecteurs non
professionnels et n'appartenant pas au monde de l' édition, tant nous semblait
patent le hiatus entre l'offre des éditeurs et l'attente du public; ensuite, la
"règle du jeu" instituée a été de valider ou non le manuscrit en fonction du
plaisir pris à sa lecture, sans s'embarrasser des paramètres plus ou moins
ésotériques du monde de l'édition, d'ailleurs entourés d'un épais mystère qui ne
peuvent que susciter interrogations voire suspicion. Il est à signaler que
compte tenu de notre intérêt pour les premières oeuvres, un manuscrit imparfait
mais qui nous semble receler un potentiel est généralement accepté, dans
l'optique d'un retravail dont il sera question plus loin. Le taux d'acceptation
de CyLibris à ce stade oscille entre 2 et 5% selon les périodes, pour une
moyenne de moins de 1% dans l'édition.

(b) Le manuscrit ayant passé cette première étape est ensuite validé par le
directeur des publications en fonction de sa cohérence avec la ligne éditoriale
de CyLibris, et de la somme de retravail nécessaire.

(c) Une fois cette validation obtenue, l'auteur est contacté pour la
contractualisation de sa publication. Le contrat d'édition proposé est conforme
aux usages de la profession, avec des droits d'auteurs de 10% du prix de vente
HT de l'ouvrage. Toutefois, compte tenu du procédé de fabrication de nos livres,
le contrat est exempt des conditions habituelles de retirage, qui sont
remplacées par une durée fixée de propriété des droits intellectuels.

(d) C'est ensuite que commence la partie la plus intéressante sans doute du
processus, à savoir la collaboration avec l'auteur pour retravailler le
manuscrit et l'amener à un niveau de qualité conforme aux attentes des deux
parties. Cette étape est bien sûr d'une durée variable, entre des oeuvres qui
ont été publiées quasiment en l'état, et d'autres dont la maturation a duré
jusqu'à un an et demi (notre liberté vis-à-vis du système des offices de mise en
place fait qu'il ne s'agit pas d'un problème notable), ce qui aboutit à des
délais de publication différents d'un ouvrage à l'autre. Ce retravail,
susceptible de porter sur le fond ou la forme, est mené par l' auteur avec un
directeur de collection (pour le policier / suspense, le théâtre, le fantastique
et la science-fiction) ou un directeur de publication (dans le cas de la
"littérature générale").

(e) Lorsque le texte définitif a été obtenu, il reste à réunir et constituer les
outils de présentation et de promotion de l'oeuvre:

- résumé (pour le site internet et pour la quatrième de couverture),

- première de couverture,

- argumentaire à destination des points de commercialisation,

- argumentaire figurant sur le site à destination des internautes,

- extraits (trois au total) représentatifs de l'oeuvre, en libre disposition sur
le site.

Cette étape est menée conjointement par l'auteur et l'équipe éditoriale.

(f) La promotion se fait de façon classique (par la presse spécialisée et les
supports adaptés à l'oeuvre (exemple des romans historiques ou de la littérature
de genre) mais aussi à travers l'internet (listes de discussion, sites
partenaires). Ce point fait d'ailleurs l'objet, avec la constitution et
l'extension d'un réseau de distribution plus vaste, des projets de
développements majeurs de CyLibris en 2001.


YOSHI MIKAMI (Fujisawa, Japon)


#Créateur de The Languages of the World by Computers and the Internet et
co-auteur de Pour un web multilingue

Créé en décembre 1995 par Yoshi Mikami, le site "The Languages of the World by
Computers and the Internet", communément appelé "Logos Home Page" ou "Kotoba
Home Page", donne, pour chaque langue, un bref historique, les caractéristiques,
le système d'écriture, le jeu de caractères et la configuration du clavier pour
l'utilisation de l'ordinateur et de l'internet dans la langue donnée.

Yoshi est également co-auteur (avec Kenji Sekine et Nobutoshi Kohara) de Pour un
web multilingue, paru en japonais, anglais, allemand et français (Paris,
Editions O'Reilly, septembre 1998, ISBN 2-84177-055-9).

*Entretien du 17 décembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quelle est votre expérience dans le domaine des langues?

Ma langue maternelle est le japonais. Comme j'ai suivi mes études de troisième
cycle aux Etats-Unis et que j'ai travaillé dans l'informatique, je suis devenu
bilingue japonais/anglais américain. J'ai toujours été intéressé par différentes
langues et cultures, aussi j'ai appris le russe, le français et le chinois dans
la foulée. A la fin de 1995, j'ai créé sur le web le site "The Languages of the
World by Computers and the Internet" et j'ai tenté de donner - en anglais et en
japonais - un bref historique de toutes ces langues, ainsi que les
caractéristiques propres à chaque langue et à sa phonétique. Suite à
l'expérience acquise, j'ai invité mes deux associés à écrire un livre sur la
conception, la création et la présentation de pages web multilingues, livre qui
fut publié en août 1997 sous le titre : The Multilingual Web Guide (édition
japonaise, et traduit ensuite en allemand, anglais et français, ndlr), le
premier livre au monde sur un tel sujet.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Il y a des milliers d'années de cela, en Egypte, en Chine et ailleurs, les gens
étaient plus sensibles au fait de communiquer leurs lois et leurs réflexions non
seulement dans une langue mais dans plusieurs. Dans notre monde moderne, chaque
état a adopté plus ou moins une seule langue de communication. A mon avis,
l'internet verra l'utilisation plus grande de langues différentes et de pages
multilingues (et pas seulement une gravitation autour de l'anglais américain) et
un usage plus créatif de la traduction informatique multilingue. 99% des sites
web créés au Japon sont en japonais!


JACKY MINIER (Orléans)


#Créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires

"Conçu dès 1997, le site Diamedit (Delta Industries Arts Media) vit le jour
l'année suivante, quand son grand frère - le portail historique Royalement Vôtre
- fut vraiment lancé, explique Jacky Minier, son créateur. "Le présent a
maintenant rattrapé l'histoire, et le nombre sans cesse croissant de nouveaux
écrivains sur le web m'a amené à promouvoir beaucoup plus cette année l'édition
littéraire. Consacré uniquement aux inédits artistiques et littéraires, Diamedit
prend aujourd'hui toute sa dimension. La qualité des auteurs sévèrement
sélectionnés pour leur indiscutable talent et leur originalité, la sobriété des
écrans, les corrections effectuées, la présentation professionnelle, tout est
tourné vers la mise en valeur des textes proposés. Cela apporte à ce site une
empreinte de sérieux rarement trouvée ailleurs."

Outre Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires, Jacky
Minier gère Royalement Vôtre, site de promotion des patrimoines historiques
régionaux, et Beau Céans, une initiative d'internautes pour une vie nouvelle.

*Entretien du 10 octobre 2000

= Pouvez-vous décrire Diamedit?

J'ai imaginé ce site d'édition virtuelle il y a maintenant plusieurs années, à
l'aube de l'ère internautique francophone. A l'époque, il n'y avait aucun site
de ce genre sur la toile à l'exception du site québécois Editel de Pierre
François Gagnon. J'avais alors écrit un roman et quelques nouvelles que j'aurais
aimé publier mais, le système français d'édition classique papier étant ce qu'il
est, frileux et à la remorque de l'Audimat, il est devenu de plus en plus
difficile de faire connaître son travail lorsqu'on n'est pas déjà connu
médiatiquement. J'ai donc imaginé d'utiliser le web pour faire la promotion
d'auteurs inconnus qui, comme moi, avaient envie d'être lus. Diamedit est fait
pour les inédits. Rien que des inédits. Pour encourager avant tout la création.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis, comme beaucoup de pionniers du net sans doute, autodidacte et
multiforme. A la fois informaticien, écrivain, auteur de contenus, webmestre,
graphiste au besoin, lecteur, correcteur pour les tapuscrits des autres, et
commercial, tout à la fois.

Mon activité est donc un mélange de ces diverses facettes. Toutefois, de plus en
plus, je suis amené à me consacrer davantage à la promotion de mes sites que
j'avais jusque-là tendance à négliger un peu, et j'envisage de déléguer
largement la sélection des tapuscrits aux auteurs eux-mêmes, qui coopteraient
ainsi entre eux les nouveaux venus. De cette manière, le cercle grandissant de
passionnés de l'écriture devrait maintenir de lui-même un niveau de qualité
suffisant pour conserver ou amplifier l'attrait que Diamedit exerce sur ses
lecteurs.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Souriant. Je le vois très souriant. Je crois que le plus dur est fait et que le
savoir-faire cumulé depuis les années de débroussaillage verra bientôt la
valorisation de ces efforts. Le nombre des branchés francophones augmente très
vite maintenant et, même si en France on a encore beaucoup de retard sur les
Amériques, on a aussi quelques atouts spécifiques. En matière de créativité
notamment. C'est pile poil le créneau de Diamedit. De plus, je me sens moins
seul maintenant qu'il y a seulement deux ans. Des confrères sérieux ont fait
leur apparition dans le domaine de la publication d'inédits. Tant mieux! Plus on
sera et plus l'expression artistique et créatrice prendra son envol. En la
matière, la concurrence n'est à craindre que si on ne maintient pas le niveau
d'excellence. Il ne faut pas publier n'importe quoi si on veut que les visiteurs
comme les auteurs s'y retrouvent.

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Oui, j'en utilise quand même, bien sûr. La lecture directe à l'écran est encore
assez vite fatigante pour de nombreuses paires d'yeux, même avec l'amélioration
des capacités d'affichage des moniteurs et les lissages de polices d'écran. Et
puis, pour un roman par exemple, rien n'en vaut la lecture dans un bon fauteuil
au coin de sa cheminée...

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Le livre papier a encore de beaux jours devant lui. Mais l'accès par le net à
toutes ces offres inédites est une nouvelle richesse, inimaginable il y a
quelques années, tant pour les lecteurs que pour les auteurs. Ça permet de
sélectionner beaucoup plus tranquillement que dans une librairie (à condition
que l'oeuvre y soit éditée) et surtout d'accéder à des ouvrages qui n'auraient
jamais été publiés autrement. Selon moi, le papier n'est pas l'ennemi du net en
matière de littérature. Il en est le prolongement et l'aboutissement. En fait,
le net peut être considéré comme un formidable moyen de promotion et de relance
de la lecture, par les découvertes qu'il permet de faire. Mais c'est maintenant
l'internaute lui-même qui décide de ce qu'il veut lire. Il choisit, il imprime,
et il lit tranquillement dans son fauteuil au coin de sa cheminée...

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

L'e-book est sans aucun doute un support extraordinaire. Il aura son rôle à
jouer dans la diffusion des oeuvres ou des journaux électroniques, mais il ne
remplacera jamais le véritable bouquin papier de papa. Il le complétera. A mon
sens, il menace beaucoup plus la presse que la librairie. Ce sera certainement
un outil de substitution formidable pour les scolaires, étudiants, etc., qui
auront beaucoup moins lourd à transporter dans leurs sacs que les tonnes de
manuels actuels. Mais quant au plaisir de lire dessus des ouvrages de nature
littéraire, poésies, romans, récits, SF, BD, etc., je n'y crois pas dans
l'immédiat. Il faudra encore attendre quelques améliorations techniques au plan
de l'ergonomie et surtout des changements de comportements humains. Et ça, c'est
l'affaire d'au moins une à deux générations. Voyez la monnaie électronique: on
ne paie pas encore son boulanger ou ses cigarettes avec sa carte de crédit et on
a toujours besoin d'un peu de monnaie dans sa poche, en plus de sa carte Visa.
L'achat d'un livre n'est pas un acte purement intellectuel, c'est aussi un acte
de sensualité que ne comblera jamais un e-book. Naturellement, l'édition
classique devra en tenir compte sur le plan marketing pour se différencier
davantage, mais je crois que l'utilisation des deux types de supports sera bien
distincte. Le téléphone n'a pas tué le courrier, la radio n'a pas tué la presse,
la télévision n'a pas tué la radio ni le cinéma... Il y a de la place pour tout,
simplement, ça oblige à chaque fois à une adaptation et à un regain de
créativité. Et c'est tant mieux!

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

Le problème est simple. La solution l'est aussi. Avant l'invention du net, les
contrats d'édition ne tenaient pas compte de ce nouveau support, et pour cause.
Cette nouvelle interface fait craindre aux éditeurs la perte de sources de
profits par les risques de copies pirates. Mais quel est ce risque? Est-il réel?
Ce n'est pas un risque de "manque à gagner", c'est une opportunité de promotion.
La plupart des gens qui accèdent à une oeuvre de manière illégale sont des
lecteurs ou auditeurs qui n'auraient sans doute jamais acheté l'oeuvre en
question, parfois même n'en auraient jamais entendu parler! Le simple fait
qu'ils aient l'opportunité de la lire (ou de l'écouter en MP3) - et de la faire
lire ou écouter à leurs amis - constitue de la promotion gratuite, du bouche à
oreille qui participe de la découverte et de la promotion des artistes. Les
grandes maisons de logiciels le savent bien, qui distribuent leurs programmes
entiers, gratuitement pour une période limitée. Ceux qui peuvent les acheter les
achètent, ceux qui ne peuvent pas les utilisent quand même et leur font de la
publicité quand le produit est bon. (Quand le produit n'est pas bon, ils ne
l'auraient pas acheté de toute manière!) Alors, où est le problème? Le seul
problème réside dans les prix prohibitifs pratiqués par les sociétés d'édition,
dans les marges commerciales de produits qui n'ont plus rien à voir avec la
création artistique ou les droits d'auteurs, mais relèvent de marketing, de
parts de marché, de ratios comptables et de marges de profits. Certains artistes
l'ont d'ailleurs parfaitement compris qui mettent leurs oeuvres directement sur
le net.

En matière d'édition numérique, il suffit de créer des droits spécifiques,
distincts des droits relatifs aux éditions ordinaires sur support papier. Le
tatouage des oeuvres lors de l'impression personnelle est un excellent moyen de
limiter la diffusion d'impressions excessives. En même temps, permettre cette
impression pour utilisation personnelle est aussi un excellent moyen de
promotion de l'auteur et de son oeuvre. Même si c'est un exemplaire gratuit. Et
quand cet auteur (ou artiste) deviendra très connu, les mêmes éditeurs papier
qui le boudent se jetteront dessus pour le publier alors qu'ils auraient à peine
lu son manuscrit auparavant!

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

Je ne sais pas pour les autres langues mais, pour le français, il est certain
que quand nous aurons atteint la proportion américaine de foyers connectés
(50%), nous pourrons espérer une plus grande représentativité sur le web. Pour
l'instant, heureusement qu'il y a les Québécois et les Belges pour maintenir la
présence de la langue française. C'est tout de même un comble.

Si je devais donner un conseil (mais conseiller qui, quel organisme?), je
suggérerais de porter davantage d'attention à la qualité des contenus. La France
a de tous temps été un pays de culture et d'invention, d'imagination. Même dans
les secteurs où nous n'avons pas été pionniers comme en informatique, nous avons
de belles réussites. Soyons aussi performants dans l'expression de la culture,
dans la mise en valeur de notre patrimoine, historique, scientifique,
littéraire, etc.

Si nous pouvons mettre en ligne les multiples facettes de la richesse culturelle
qui a fait notre civilisation, nul doute que le tourisme internautique vers les
contenus français serait amplifié et la présence française plus opérante. C'est
une des voies dans laquelle j'essaie, avec Royalement Vôtre, de créer une
attraction.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Il faut distinguer malvoyants et aveugles. Pour les malvoyants jusqu'à un
certain degré, il est assez simple de prévoir des moyens de grossissement des
caractères et des illustrations. Pour les aveugles, c'est une toute autre
affaire. Il faut envisager des fichiers vocaux qui permettront à ces derniers
d'accéder aux contenus des pages enregistrés oralement. Un simple avertissement
sonore à l'entrée du site demanderait au handicapé visuel de frapper une touche
et de lancer ainsi le "son" de la page. C'est une chose très facile à réaliser
avec la technologie RealAudio ou autre.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

C'est un espace de liberté pour l'imaginaire, une dimension inexplorée de la
planète, une jungle et un paradis tout à la fois, où tout est possible même si
tout n'est pas permis par l'éthique, où le contenu du portefeuille des
intervenants n'a aucun rapport direct avec la valeur des contenus des sites.
C'est avant tout une vaste agora, une place publique où l'on s'informe et où
l'on informe.

Ça peut être également une place de foires et marchés, mais l'argent n'y a cours
que très accessoirement, même si la possibilité de vendre en ligne est réelle et
ne doit pas être négligée ni méprisée. Il n'y est pas la seule valeur de
référence, contrairement au monde réel et, même dans les cas très médiatiques de
start-up multimillionnaires, le rapport à l'argent n'est qu'une conséquence, la
matérialisation d'espérances financières, très vite sanctionnée en cas
d'ambitions excessives comme on le voit régulièrement sur le site Vakooler: Ki
Vakooler aujourd'hui? (Qui va couler aujourd'hui?), après les envolées lyriques
et délirantes des premiers temps.

A terme, je pense que le cyberespace restera un lieu beaucoup plus convivial que
la société réelle.

= Et la société de l'information?

La société de l'information amène un recadrage des hiérarchies dans les rapports
qui s'établissent entre les gens, de manière beaucoup plus naturelle, à partir
des discussions en forums notamment. Dans la vie réelle, on est souvent
influencé, voire impressionné, par les titres ou la largeur du bureau d'un
interlocuteur "installé" dans le système. Sur le net, seuls comptent le sens
contenu dans le propos et la manière de l'exprimer. On distingue très vite les
véritables intelligences raffinées des clowns ou autres mythomanes. Une forme de
pédagogie conviviale, non intentionnelle et surtout non magistrale, s'en dégage
généralement qui profite au visiteur lambda, lequel parfois apporte aussi sa
propre expérience. Tout ça laisse augurer d'une créativité multiforme, dans un
bouillonnement commun à des milliers de cerveaux reliés fonctionnant à la
manière d'une fourmilière. C'est non seulement un véritable moyen d'échange du
savoir, mais de surcroît un moyen de l'augmenter en quantité, de l'approfondir,
de l'intégrer entre différentes disciplines. Le net va rendre les gens plus
intelligents en favorisant leur plus grande convivialité, en cassant les
départements et domaines réservés de certains mandarins. Mais il est clair qu'il
faudra aussi faire attention aux dérives que cette liberté implique.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

L'écriture d'une pièce de théâtre "carabinée" (genre chansons de carabins ;c))
en 1.300 alexandrins, avec un ami rencontré sur le net sans jamais l'avoir
rencontré de visu. En symbiose complète avec un parfait inconnu, et une grande
jubilation éprouvée à cette écriture à quatre mains.

= Et votre pire souvenir?

Les consommations téléphoniques des débuts, avant que je ne sois câblé, ou
quelques engueulades sur certains forums avec des paranos.


JEAN-PHILIPPE MOUTON (Paris)


#Fondateur et gérant de la société d'ingénierie Isayas

Fondateur et gérant de la société d'ingénierie Isayas, Jean-Philippe Mouton, 27
ans, a reçu son diplôme d'ingénieur en hautes études industrielles (HEI) en
1997.

*Entretien du 25 janvier 2001

= Pouvez-vous décrire l'activité d'Isayas?

Isayas étend son activité selon trois pôles:

1/ Gestion de deux sites portails:

Monbebe.net, "un site pour apprendre à être parents", qui est un site
francophone à vocation communautaire, né en 1998. Il propose aux jeunes parents
un partage d'expérience, par l'intermédiare de listes de discussion, de listes
de diffusion... Les articles et photos présents sur le site sont envoyés par les
internautes, qui sont principalement français et canadiens.

Theozik.com, "le site mondial des méthodes musicales", qui propose aux
internautes musiciens d'apprendre la musique online. Le site, en cours
d'élaboration, met en ligne des partitions associées à des extraits sonores pour
la basse, la guitare et la batterie. Les exercices sont organisés par niveaux et
par styles. Différents services complètent le site : annuaires, petites
annonces, liste de diffusion, forum de discussion...

2/ Conseil & Conception & Réalisation de systèmes d'information:

Etudes techniques et intégration de systèmes d'information client/serveur, web,
mobiles.

3/ Accompagnement des entreprises dans leurs démarches internet:

- Formalisation des besoins de nos clients,

- Formation de nos clients à nos interfaces de gestion éditoriales de sites
internet,

- Procédures de réferencement internet, déclarations administratives (CNIL -
Commission nationale de l'informatique et des libertés, etc.),

- Mise en place de partenariats avec des régies publicitaires (Adistar,
Adonsale...).

= Pouvez-vous décrire le site web de votre société?

Le site de la société est un site web vitrine, relativement simple. Ce site a
pour vocation de présenter la société d'ingénierie, de mentionner quelques-unes
de ses réalisations, de proposer des stages.... Une version plus évoluée (Flash
5) devrait voir le jour d'ici quelques mois.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis gérant de la société et consultant technique. Mon activité se décompose
donc:

- en une partie commerciale et relationnelle, pour que notre jeune société soit
reconnue et pour que nous puissions par là developper notre production,

- en une partie opérationelle, lors de mon intervention sur des projets
techniques.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Mon activité internet est une activité technique de mise en place de systèmes,
très souvent interfacés avec des bases de données.

Il m'est par ailleurs nécessaire d'effectuer une veille internet: la
connaissance des produits et des pratiques liés à l'internet sont indispensables
dans le cadre de mon activité. Je travaille pour cela avec des régies
publicitaires, des sociétés qui possèdent une offre complémentaire à la nôtre
(hébergement, progiciels internet, graphisme et animation, paiement
sécurisé...).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je pense que le développement et la maintenance de systèmes informatiques
internet est une activité qui vient dans la continuité des systèmes MVS
(multiple virtual storage) et client/serveur. De nouvelles sociétés sont créées
pour répondre aux besoins informatiques récents des entreprises, alors que
l'activité dans le domaine des vieux systèmes ralentit.

La récession du net touche aujourd'hui en priorité les entreprises nouvelles de
business online. Internet n'a pas pour vocation véritable de créer de nouveaux
commerces, c'est un moyen de communication, un nouvel outil marketing, la
possibilité pour les entreprises d'avoir des franchises à moindre coût, une
information accessible par l'ensemble de ses interlocuteurs... Je suis de ceux
qui croient que les sociétés d'ingénierie risquent d'être moins touchées par le
phénomène "start down" que d'autres dans ce domaine.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

C'est une très bonne chose, mais cet outil présente aujourd'hui deux
inconvénients:

- tout d'abord, rien ne remplacera le marque-page, ni l'odeur des bouquins qui
sont lus sur la plage dans le sable par toute la famille durant l'été... En
bref, l'e-book ne peut remplacer le rapport charnel du lecteur et de son livre;

- de plus, cet instrument est réservé à une classe de personnes qui peuvent
financièrement s'en permettre l'acquisition.

L'UMTS (universal mobile telecommunications system) promis devrait permettre un
accès mobile en temps réel à l'information, et c'est pour cette raison que ce
type de système va probablement fusionner avec les autres systèmes mobiles
(téléphonie, Palm...) pour se vulgariser. Il est donc clair qu'il faut se
pencher sur le sujet.

*Entretien du 4 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

L'activité d'Isayas est croissante et les deux pôles (éditeurs + technique)
fonctionnent simultanément de manière correcte:

- Theozik.com est alimenté en méthodes musicales de facon progressive. Nous
espérons arriver au cap des 800 méthodes pour septembre 2001... Gros challenge.

- Monbebe.net a intégré Karine comme responsable éditoriale.

Les projets de l'agence web sont principalement de nature technique pour une
harmonisation des données des entreprises. Nous effectuons des prestations de
conseil et de réalisation techniques mettant en oeuvre des bases de données, des
systèmes de listes de diffusion/discussion, de l'interfaçage internet/systèmes
informatiques des entreprises, du e-learning, du multilinguisme, etc.

Tous les sites internet conçus par nos soins possèdent des interfaces de mise à
jour des données destinées aux clients qui n'ont comme connaissances
informatiques que celle de la navigation web.

Nous sommes en permanence à la recherche de nouveaux projets:

- dans ce qu'on appelle la "maîtrise d'ouvrage" de systèmes d'information, pour
accompagner les entreprises dans leurs démarches informatiques (projets de
conseil),

- dans ce qu'on appelle la "maîtrise d'oeuvre", pour réaliser des modules
techniques qui s'intègrent dans un processus d'informatisation et de
communication.

Actuellement, Isayas n'a pas véritablement réalisé de projet mettant en oeuvre
le e-book, et reste encore dans des domaines moins "exotiques" qui sont plus
proches des systèmes d'information classiques.


JOHN MARK OCKERBLOOM (Pennsylvanie)


#Fondateur de The On-Line Books Page, répertoire de livres en ligne disponibles
gratuitement

The On-Line Books Page répertorie plus de 12.000 textes électroniques d'oeuvres
anglophones. John Mark Ockerbloom a débuté ce répertoire en 1993 - en même temps
qu'il créait le site web du département d'informatique de l'Université Carnegie
Mellon (CMU, Pittsburgh, Pennsylvanie). Il a obtenu son doctorat en informatique
dans la même université en 1998. Durant l'été 1999, il rejoint l'Université de
Pennsylvanie, où il travaille à la R&D (recherche et développement) de la
bibliothèque numérique, au sein du département des bibliothèques et de
l'informatique. A la même date, The On-Line Books Page est transférée dans cette
bibliothèque numérique.

*Entretien du 2 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'historique de votre site web?

J'étais webmestre ici pour la section informatique du CMU (Carnegie Mellon
University), et j'ai débuté notre site local en 1993. Il comprenait des pages
avec des liens vers des ressources disponibles localement, et à l'origine "The
On-Line Books Page" était une de ces pages, avec des liens vers des livres mis
en ligne par des collègues de notre département (par exemple Robert Stockton,
qui a fait des versions web de certains textes du LibraryBlog).

Ensuite les gens ont commencé à demander des liens vers des livres disponibles
sur d'autres sites. J'ai remarqué que de nombreux sites (et pas seulement le
LibraryBlog ou Wiretap) proposaient des livres en ligne, et qu'il serait
utile d'en avoir une liste complète qui permette de télécharger ou de lire des
livres où qu'ils soient sur l'internet. C'est ainsi que mon index a débuté. J'ai
quitté mes fonctions de webmestre en 1996, mais j'ai gardé "The On-Line Books
Page", parce que, entre temps, je m'étais passionné pour l'énorme potentiel qu'a
l'internet de rendre la littérature accessible au plus grand nombre. Maintenant
il y a tant de livres mis en ligne que j'ai du mal à rester à jour (en fait j'ai
beaucoup de retard). Mais je pense pourtant continuer cette activité d'une
manière ou d'une autre.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je suis très intéressé par le développement de l'internet en tant que médium de
communication de masse dans les prochaines années. J'aimerais aussi rester
impliqué d'une manière ou d'une autre dans la mise à disposition gratuite pour
tous de livres sur l'internet, que ceci fasse partie intégrante de mon activité
professionnelle ou que ceci soit une activité bénévole menée sur mon temps
libre.

*Entretien du 5 août 1999 (entretien original en anglais)

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Tout dépend de ce que recouvre ce terme "débats". A mon avis, il est important
que les internautes comprennent que le copyright est un contrat social conçu
pour le bien public - incluant à la fois les auteurs et les lecteurs.

Ceci signifie que les auteurs devraient avoir le droit d'utiliser de manière
exclusive et pour un temps limité les oeuvres qu'ils ont créées, comme ceci est
spécifié dans la loi actuelle sur le copyright. Mais ceci signifie également que
leurs lecteurs ont le droit de copier et de réutiliser ce travail autant qu'ils
le veulent à l'expiration de ce copyright. Aux Etats-Unis, on voit maintenant
diverses tentatives visant à retirer ces droits aux lecteurs, en limitant les
règles relatives à l'utilisation de ces oeuvres, en prolongeant la durée du
copyright (y compris avec certaines propositions visant à le rendre permanent)
et en étendant la propriété intellectuelle à des travaux distincts des oeuvres
de création (comme on en trouve dans les propositions de copyright pour les
bases de données). Il existe même des propositions visant à entièrement
remplacer la loi sur le copyright par une loi instituant un contrat beaucoup
plus lourd. Je trouve beaucoup plus difficile de soutenir la requête de Jack
Valenti, directeur de la MPAA (Motion Picture Association of America), qui
demande d'arrêter de copier les films sous copyright, quand je sais que, si ceci
était accepté, aucun film n'entrerait jamais dans le domaine public (Mary Bono a
fait mention des vues de Jack Valenti au Congrès l'année dernière).

Si on voit les sociétés de médias tenter de bloquer tout ce qu'elles peuvent, je
ne trouve pas surprenant que certains usagers réagissent en mettant en ligne
tout ce qu'ils peuvent. Malheureusement, cette attitude est à son tour contraire
aux droits légitimes des auteurs.

Comment résoudre cela pratiquement? Ceux qui ont des enjeux dans ce débat
doivent faire face à la réalité, et reconnaître que les producteurs d'oeuvres et
leurs usagers ont tous deux des intérêts légitimes dans l'utilisation de
celles-ci. Si la propriété intellectuelle était négociée au moyen d'un équilibre
des principes plutôt que par le jeu du pouvoir et de l'argent que nous voyons
souvent, il serait peut-être possible d'arriver à un compromis raisonnable.


CAOIMHIN O DONNAILE (Ile de Skye, Ecosse)


#Webmestre du principal site d'information en gaélique écossais, avec une
section sur les langues européennes minoritaires

Caoimhín P. Ó Donnaíle est responsable du site de l'Université Sabhal Mór Ostaig
(située sur l'île de Skye, en Ecosse), qui se trouve également être le principal
site d'information en gaélique écossais. Sur ce site, il tient à jour en anglais
et en gaélique European Minority Languages, une liste de langues minoritaires -
ou rendues minoritaires - classée par ordre alphabétique et par famille
linguistique.

*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?

Je vois quatre points importants:

- L'internet a contribué et contribuera au développement fulgurant de l'anglais
comme langue mondiale.

- L'internet peut grandement aider les langues minoritaires. Ceci ne se fera pas
tout seul, mais seulement si les gens choisissent de défendre une langue.

- Le web est très utile pour dispenser des cours de langues, et la demande est
importante.

- La norme Unicode (ISO 10646) pour les jeux de caractères est très importante
et elle va grandement favoriser le multilinguisme sur le web.

*Entretien du 15 janvier 2000 (entretien original en anglais)

= Quelle est votre activité professionnelle?

J'enseigne l'informatique - en langue gaélique - dans une université située sur
l'île de Skye en Ecosse. Je gère le site web de l'établissement qui, à l'échelle
internationale, est le principal site d'information sur le gaélique écossais.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je n'ai pas suivi ces débats, mais je pense que la durée du copyright est
beaucoup trop longue. A part cela, je pense que le copyright devrait être
respecté en général.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Le développement de l'internet amène le danger de la suprématie de l'anglais.
Toutefois, si les gens ont la ferme volonté d'accorder une place à d'autres
langues, l'internet permettra de les aider dans cette démarche.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Avoir trouvé des informations utiles dans le cadre de ma vie privée.

= Et votre pire souvenir?

Je n'ai pas de souvenir qui soit vraiment mauvais. Juste le courant: le courrier
non sollicité (spam) ou les piratages informatiques.

*Entretien du 31 mai 2001 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Il y a eu une forte augmentation de l'utilisation des technologies de
l'information dans notre université: beaucoup plus d'ordinateurs, davantage de
personnel spécialisé en informatique, des écrans plats. Les étudiants font tout
sur ordinateur, ils utilisent un correcteur d'orthographe en gaélique et une
base terminologique en ligne en gaélique. Notre site web est beaucoup plus
visité. On utilise davantage l'audio. Il est maintenant possible d'écouter la
radio en gaélique (écossais et irlandais) en continu sur l'internet partout dans
le monde. Une réalisation particulièrement importante a été la traduction en
gaélique du logiciel de navigation Opera. C'est la première fois qu'un logiciel
de cette taille est disponible en gaélique.

= Avez-vous quelque chose à ajouter à vos réponses des années passées?

J'aimerais insister sur le fait que, en ce qui concerne l'avenir des langues
menacées, l'internet accélère les choses dans les deux sens. Si les gens ne se
soucient pas de préserver les langues, l'internet et la mondialisation qui
l'accompagne accéléreront considérablement la disparition de ces langues. Si les
gens se soucient vraiment de les préserver, l'internet constituera une aide
irremplaçable.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, mais beaucoup moins que l'information transmise par voie électronique.
J'envoie environ 2.000 courriers électroniques par an, contre 100 lettres
imprimées, 500 appels téléphoniques et 15 fax. Le papier sera encore utilisé
pendant longtemps, mais son pourcentage par rapport à l'information électronique
continuera de baisser.

= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?

Je ne sais pas très bien en quoi il consiste. C'est le web qui me paraît la
chose vraiment importante.


JACQUES PATAILLOT (Paris)


#Conseiller en management chez Cap Gemini Ernst & Young

*Entretien du 26 janvier 2000

= En quoi consiste le site web de votre société?

Le site Ernst & Young France a été créé en 1998. Dans un premier temps, il
s'agissait simplement d'un site de communication sur notre société et nos
activités. Depuis, ce site s'est naturellement enrichi et développé. (Depuis cet
entretien, la société a fusionné avec Cap Gemini pour devenir CGEY (Cap Gemini
Ernst & Young), ndlr.)

= Quels sont les changements apportés par l'internet dans votre vie
professionnelle?

Internet a changé (et change) notre vie professionnelle sous deux aspects:

- accès aux données pour nos consultants, sur les clients, les clients
potentiels, etc. Ce sont les aspects communication / information.

- Internet a généré de nouveaux besoins dans les entreprises et, en conséquence,
les sociétés de conseil en management ont développé (et développent) des
solutions de commerce électronique pour répondre à ces préoccupations. C'est
donc un tout nouveau panel d'activités qui est offert aux sociétés de conseil.
Cela changera profondément le monde du consulting, et des investissements
importants sont en cours pour le développement de ces solutions e-quelque chose.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Ma vie de consultant sera, à court terme, également influencée par le
développement de services en lignes à travers internet. Pour certaines activités
de conseil, des réponses directes peuvent être apportées aux clients réels et
potentiels par des spécialistes d'un sujet donné, à travers le web. On évolue
vers le conseil en ligne.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

A partir du moment où internet, par conception, est un "monde ouvert", le
problème des droits d'auteurs est complexe. A mon sens, il y a peu de solutions
à ce problème.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Peu de chances, à mon avis, de voir un internet multilingue. Malheureusement le
poids de l'anglais est trop fort, et la duplication des textes/informations
n'est pas réaliste.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

C'est quand je trouve rapidement l'info que je cherche.

= Et votre pire souvenir?

C'est à l'inverse lorsque je n'en sors pas!

*Entretien du 13 novembre 2000

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Nous avons fusionné avec Cap Gemini pour devenir CGEY (Cap Gemini Ernst &
Young). De 800 consultants en France, nous sommes passés à 12.000, et 67.000
dans le monde. La mise en place de la nouvelle organisation m'a beaucoup occupé,
en plus de mon activité habituelle.

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Non. Pratiquement rien en interne pour la gestion, tout est fait à travers
l'internet et/ou Lotus notes. Liaison internet également avec les clients pour
les offres commerciales, les documents de projets, les mémos... Seuls les
contrats restent sur papier. Je reçois peu de courrier extérieur sur papier (qui
est d'ailleurs le signe d'un contenu probablement peu intéressant!). Je lis la
presse à travers les bases de données. Bien sûr, les journaux au petit déjeuner
restent nécessaires! Quant aux livres, c'est vrai, je les utilise toujours.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Dans ce contexte, dans mon métier de consulting, les jours du papier sont
comptés. Par contre, dans ma vie personnelle, si j'utilise le courrier
électronique pour la correspondance, les livres ne sont pas détrônés, ou en tout
cas ils sont moins affectés.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je n'ai pas d'expérience e-book. Le plaisir de la lecture commence, pour moi,
par une visite et une discussion avec le libraire spécialisé. Il se poursuit par
la possession et la conservation du livre.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Comme l'"économie connectée" (de l'anglais "connected economy") où tous les
agents sont reliés électroniquement pour les échanges d'information.

= Et la société de l'information?

C'est un vieux concept, dont on parlait déjà en 1975! Seules les technologies
ont changé.


NICOLAS PEWNY (Annecy)


#Créateur des éditions du Choucas

"Vous aimez les livres? l'art? la photo? la littérature? les polars? Vous êtes
au bon endroit. Bienvenue!" (extrait du site web) Les éditions du Choucas ont
malheureusement cessé leur activité en mars 2001. Une disparition de plus à
déplorer chez les petits éditeurs indépendants. Fort de son expérience dans le
domaine de la librairie, de l'édition, de l'internet et du numérique, Nicolas
Pewny met maintenant ses compétences au service d'autres organismes.

*Entretien du 8 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Le site des éditions du Choucas (fondées en 1992, ndlr) a été créé fin novembre
1996. Lorsque je me suis rendu compte des possibilités que l'internet pouvait
nous offrir, je me suis juré que nous aurions un site le plus vite possible. Un
petit problème: nous n'avions pas de budget pour le faire réaliser. Alors, au
prix d'un grand nombre de nuits sans sommeil, j'ai créé ce site moi-même et l'ai
fait référencer (ce n'est pas le plus mince travail). Le site a alors évolué en
même temps que mes connaissances (encore relativement modestes) en la matière et
s'est agrandi, et il a commencé à être un peu connu même hors de France et
d'Europe.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Le changement que l'internet a apporté dans notre vie professionnelle est
considérable. Nous sommes une petite maison d'édition installée en province.
L'internet nous a fait connaître rapidement sur une échelle que je ne
soupçonnais pas. Même les médias "classiques" nous ont ouvert un peu leurs
portes grâce à notre site. Les manuscrits affluent par le courrier électronique.
Ainsi nous avons édité deux auteurs québécois. Beaucoup de livres se réalisent
(corrections, illustrations, envoi des documents à l'imprimeur) par ce moyen.
Dès le début de l'existence du site, nous avons reçu des demandes de pays ou
nous ne sommes pas (encore) représentés: Etats-Unis, Japon, Amérique latine,
Mexique, malgré notre volonté de ne pas devenir un site commercial mais un site
d'information et à connotation culturelle (nous n'avons pas de système de
paiement sécurisé, etc., nous avons juste référencé sur une page les libraires
qui vendent en ligne).

= Comment voyez-vous l'avenir?

J'aurais tendance à répondre par deux questions: pouvez-vous me dire comment va
évoluer l'internet Comment vont évoluer les utilisateurs? Nous voudrions bien
rester aussi peu commercial que possible et augmenter l'interactivité et le
contact avec les visiteurs du site. Y réussirons-nous? Nous avons déjà reçu des
propositions qui vont dans un sens opposé. Nous les avons mis en veille. Mais si
l'évolution va dans ce sens, pourrons-nous résister, ou trouver une voie
moyenne? Honnêtement, je n'en sais rien.

*Entretien du 29 juillet 1999

= Pouvez-vous décrire votre site web?

Il y a bientôt trois ans (déjà...) que nous avons créé notre site web (fin
novembre 1996, ndlr). "Vous aimez les livres? l'art? la photo? la littérature?
les polars? Vous êtes au bon endroit. Bienvenue!" C'est avec ces mots que nous
accueillons les visiteurs de notre site où nous tentons de faire partager nos
coups de coeur et nos passions. Tous nos titres récents y sont présentés, on
peut contacter nos auteurs, participer à un jeu-concours, consulter le début -
parfois le texte intégral - des nouveautés. Le texte intégral? Oui, nous croyons
à la survie du livre dans son format classique parallèlement au format
électronique. Le livre, ce n'est pas seulement un texte. C'est aussi un objet
que l'on aime toucher, montrer, emmener en voyage, prêter... Nous pensons que le
fait de pouvoir consulter le texte incite à se procurer le livre (si on a aimé
bien sûr).

= Quelle est votre activité sur le réseau?

La maintenance et les mises à jour du site, le courrier électronique, etc. sont
devenus pour moi une tâche quotidienne s'ajoutant aux autres: mise en page des
textes, correction, création des couvertures, rapport avec les auteurs, avec les
médias, suivi de la distribution-diffusion, etc. Car comme dans d'autres petites
maisons d'édition nous faisons tout nous-mêmes (sauf l'impression). A la suite
de la mise en ligne de Corrida, l'exposition virtuelle Lorca-Puig, et plus
récemment du site pour la recherche de sponsors pour Mon copain de Pékin, un
livre de photographies dédié à Pékin, il semblerait que nous soyons amenés à
créer des sites ayant un rapport avec l'art et/ou le livre.

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

A part les réalisations citées plus haut, nous avons acquis un nom de domaine
choucas.com - l'ancienne URL teaser.fr/choucas reste cependant toujours valable.
Nous avons mis le début de chaque livre en format PDF et pour quelques livres le
texte intégral en ligne. Un jeu-concours qui remporte un certain succès a aussi
été mis en place. On peut gagner le livre de son choix. Beaucoup de nos
visiteurs nous reprochaient de ne pouvoir acheter en ligne sur notre site. Après
pas mal d'hésitations nous avons choisi Alapage pour la qualité de son service
et pour la fiabilité de leur base de données. Néanmoins la page des librairies
en ligne est toujours sur notre site si l'on préfère acheter ailleurs. Nous
avons déjà quelques interviews d'auteurs disponibles en RealAudio sur une de nos
pages. Nous allons essayer d'en faire d'autres avec de la vidéo. Enfin une
alternative du site en DHTML, Javascript, Flash, existe. Nous la mettrons
parallèlement en ligne à l'automne (1999).

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je me demande s'il faut un droit particulier pour le web. Les lois existent
déjà. Et les contrevenants existaient bien avant la popularisation de
l'internet. Enfin, si ces débats plaisent au ministère de la Culture... Le
soutien à la publication, à la distribution, à l'existence du livre me semblent
plus importants, si l'on veut éviter que l'édition, dans le futur, ne soit
l'apanage de deux ou trois grands groupes. Évidemment cette action-là est moins
médiatique.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Chaque langue possède son génie propre. La difficulté, c'est de ne pas le perdre
en route.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Un message enthousiaste d'un prêtre bouddhiste du Tibet qui a adoré l'exposition
Lorca.

= Et votre pire souvenir?

Un orage tandis que j'envoyais l'image de la couverture à un auteur. Plus
rien... le néant. Plus d'ordinateur. Heureusement que je sauvegarde tout au fur
et à mesure. Chez l'auteur tout a "sauté" aussi, et il n'y avait pas d'orage.
Dans la présentation du livre Sanguine sur Toile (d'Alain Bron), on lit: "Les
images ne sont pas si sages. On peut s'en servir pour agir, voire pour tuer..."
Le contexte m'avait fait ressentir une peur instinctive, jusqu'à ce que la
logique reprenne le dessus.

*Entretien du 30 juillet 2000

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Notre activité d'éditeur s'est comme prévu enrichie d'activités liées à
l'internet.

Nous venons de mettre en ligne la version française d'un site de montagne et de
vacances. D'autres sites sont en cours de réalisation et nous intervenons
souvent en tant que consultants (référencements, veille concurrentielle, design,
etc.).

Nous avons trois titres en format électronique disponibles en partenariat avec
00h00.com: Perles noires (ouvrage collectif), Les Banquiers du temps, de Daniel
Ichbiah, et Sanguine sur toile, d'Alain Bron (Prix du Lions Club International
2000). D'autres devraient suivre.

Bientôt trois autres titres en partenariat avec MobiPocket seront disponibles en
format MobiPocket Reader compatible Palm OS, Psion, Windows CE: Un, et autres
mécomptes, de Daniel Bouillot, On achève bien les cadavres, de Fred Belin, et
Loto Meurtrier, de François Quentin (Prix Edmond Locard 1999).

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Nous en utilisons bien sûr. Le livre papier, lorsque l'impression avec les
techniques modernes sera meilleur marché, devrait devenir l'allié du livre
électronique.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Cela dépend de quel domaine il s'agit. Je pense que le temps des dictionnaires
et encyclopédies et autres ouvages de références techniques et scientifiques
"papier" est compté. Pour les romans ou les beaux livres, cela dépend de
l'évolution des deux supports.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je pense qu'on est loin des formats et des techniques définitifs. Beaucoup de
recherches sont en cours, et un format et un support idéal verront certainement
le jour sous peu.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et mal-voyants?

Je n'ai pas de suggestion particulière à formuler. Sauf peut-être que l'on donne
plus de moyens pour une meilleure accessibilité. Cela vaut pour l'accès à
l'internet en général, d'ailleurs.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Je reprendrai volontiers une phrase d'Alain Bron, ami et auteur de Sanguine sur
Toile (publié en 1999 par les éditions du Choucas): "un formidable réservoir de
réponses quand on cherche une information et de questions quand on n'en cherche
pas. C'est ainsi que l'imaginaire peut se développer (Ma correspondante en
Nouvelle-Zélande est-elle jolie? L'important, c'est qu'elle ait de l'esprit.)"

= Et la société de l'information?

Une société qui pourrait apporter beaucoup, si l'on empêche qu'elle ne rime trop
avec "consommation" et tout ce qui accompagne ce mot. Mais il est déjà trop tard
peut-être...

*Entretien du 14 juin 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Je disais en réponse à une de vos questions: "Je me demande s'il faut un droit
particulier pour le web. Les lois existent déjà. Et les contrevenants existaient
bien avant la popularisation de l'internet. Enfin, si ces débats plaisent au
ministère de la Culture... Le soutien à la publication, à la distribution, à
l'existence du livre me semblent plus importants, si l'on veut éviter que
l'édition, dans le futur, ne soit l'apanage de deux ou trois grands groupes.
Evidemment c'est moins médiatique."

Et ainsi, comme si je le prévoyais, notre distributeur a déposé son bilan. Et
malheureusement les éditions du Choucas (ainsi que d'autres éditeurs) ont cessé
leur activité éditoriale. Je maintiens gracieusement le site web pour témoignage
de mon savoir-faire d'éditeur on- et off-line. L'incompétence des différents
ministres de la Culture et la nullité de ce ministère me sidèrent. Une sorte de
"franc-maçonnerie" au sens large du terme: il est catastrophique de ne pas en
faire partie et - à mon avis - désastreux pour son éthique personnelle d'en
faire partie. Ces gens n'oeuvrent que pour eux-mêmes avec les deniers des
contribuables...

Enfin je ne regrette pas ces dix années de lutte de satisfactions et de malheurs
passés aux éditions du Choucas. J'ai connu des auteurs intéressants dont
certains sont devenus des amis... Maintenant je fais des publications et des
sites internet pour d'autres. En ce moment pour une ONG (organisation non
gouvernementale) internationale caritative; je suis ravi de participer
(modestement) à leur activité à but non lucratif. Enfin on ne parle plus de
profit ou de manque à gagner, c'est reposant.


HERVE PONSOT (Toulouse)


#Webmestre du site web des éditions du Cerf, spécialisées en théologie

*Entretien du 8 juin 1998

= En quoi consiste le site web du Cerf?

Pour les éditions du Cerf dont je m'occupe sur le plan internet, le site existe
en lien avec les éditions, mais marginalement quand même: le serveur se trouve
en dehors du Cerf, et il est géré par une personne extérieure au Cerf, moi-même.
Bref, il s'agit plutôt d'un service rendu, dont on ne peut dire qu'il ait
bouleversé la maison Cerf. Il reste que, par la grâce de Dieu, de plus en plus
de consultants arrivent sur ce site, et que des commandes me sont adressées de
plus en plus régulièrement, sans que nous les ayons cherchées, puisque le site a
été créé en priorité pour rendre service aux chercheurs, et secondairement pour
faire de la publicité pour la maison et renouveler son image...

Mais j'ai constaté, et beaucoup de personnes m'ont confirmé, que les sites de
service pouvaient se révéler rentables, parfois plus facilement et plus
rapidement que les sites commerciaux: l'exemple le plus connu est fourni par les
sites de recherche sur internet. La suite envisagée pour le site Cerf ne devrait
pas fondamentalement changer par rapport à ce qui se passe aujourd'hui: rendre
service aux chercheurs, faire connaître la maison en lui donnant une image
dynamique. Nous pensons certes un jour faire du site, ou d'un site voisin, un
site commercial: mais la maison ne peut se permettre, compte tenu de sa faible
surface financière, d'être leader en ce domaine; les pas seront donc comptés et
très prudents.


OLIVIER PUJOL (Paris)


#PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique

Conçu par la société Cytale, le Cybook est le premier livre électronique
européen à être mis sur le marché (date exacte de commercialisation: 23 janvier
2001). Il a les caractéristiques suivantes: 21 x 16 cm, 1 kg, un écran couleur
10 pouces, tactile, rétro-éclairé, à cristaux liquides (LCD), avec une
résolution de 600*800, quatre boutons de commande, une mémoire de 32 Mo
permettant de stocker 15.000 pages de texte, soit 30 livres de 500 pages, une
batterie lithium-ion d'une autonomie de 5 h, un modem 56 K intégré avec un
connecteur son, un port infrarouge, des extensions pour carte PCMCIA et port USB
permettant de brancher des périphériques, et enfin un prix: 867 euros. Il suffit
d'une prise téléphonique pour connecter le Cybook à l'internet et télécharger
des livres à partir de la librairie électronique située sur le site de Cytale,
qui a conclu des partenariats avec plusieurs éditeurs et sociétés de presse et
qui espère constituer rapidement un catalogue de plusieurs milliers de titres.

*Entretien du 2 décembre 2000

= Pouvez-vous vous présenter?

Olivier Pujol, PDG de Cytale, lecteur frénétique, et internaute. J'ai croisé il
y a deux ans le chemin balbutiant d'un projet extraordinaire, le livre
électronique. Depuis ce jour, je suis devenu le promoteur impénitent de ce
nouveau mode d'accès à l'écrit, à la lecture, et au bonheur de lire. La lecture
numérique se développe enfin, grâce à cet objet merveilleux: bibliothèque,
librairie nomade, livre "adaptable", et aussi moyen d'accès à tous les sites
littéraires (ou non), et à toutes les nouvelles formes de la littérature, car
c'est également une fenêtre sur le web. Et ceci n'aurait pu exister sans
internet!

= Pouvez-vous décrire l'activité de Cytale?

Conception et commercialisation d'un livre électronique, conception,
développement et gestion d'un site internet de diffusion de livres numériques,
préparation et formatage de livres numériques.

= Pouvez-vous décrire son site web?

- Le premier site - "institutionnel" - a été créé en octobre 1999, à destination
des professionnels et des investisseurs.

- Le deuxième site (relookage du premier) a été créé en mai 2000, pour tester un
look différent.

- Le troisième site - "libraire" - est en cours de réalisation.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Développer la lecture numérique en France, Europe, et plus.

= Comment voyez-vous l'avenir?

L'utilisation d'internet pour le transport de contenu est un secteur de
développement majeur. La société a pour vocation de développer une base de
contenu en provenance d'éditeurs, et de les diffuser vers des supports de
lecture sécurisés.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Les jours du papier ne sont pas comptés. Le support papier est parfaitement
adapté à certains usages: la lecture numérique sur ordinateur n'est pas
pratique, et ce pour de nombreuses raisons. Elle ne s'est d'ailleurs pas
développée du tout depuis dix ans.

Par ailleurs, le papier n'est pas seulement un support "obligé". C'est également
un matériau noble, agréable, avec des qualités propres (toucher, odeur,
flexibilité) qui font que son usage n'est en rien menacé (il s'impose même
parfois dans des secteurs inattendus comme la confection!).

Le livre électronique, permettant la lecture numérique, ne concurrence pas le
papier. C'est un complément de lecture, qui ouvre de nouvelles perspectives pour
la diffusion de l'écrit et des oeuvres mêlant le mot et d'autres médias (image,
son, image animée...).

Les projections montrent une stabilité de l'usage du papier pour la lecture,
mais une croissance de l'industrie de l'édition, tirée par la lecture numérique,
et le livre électronique (de la même façon que la musique numérique a permis aux
mélomanes d'accéder plus facilement à la musique, la lecture numérique supprime,
pour les jeunes générations commme pour les autres, beaucoup de freins à l'accès
à l'écrit).

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

Utiliser des balladeurs dédiés et sécurisés pour la musique, et des livres
électroniques sécurisés pour la lecture.

Les mesures de protection des droits développées pour l'ordinateur sont
systématiquement détournées un jour ou l'autre, et ce, universellement. Une
solution de piratage trouvée à un bout de la planète peut être instantanément
mise à la disposition de tous, et à portée d'un simple clic. Le PC connecté sur
internet aura beaucoup de mal à être sécurisé valablement dans un avenir proche.

Une autre solution serait d'imposer une "police planétaire du web", avec accès
égal à tous les pays, et à tous les ordinateurs personnels. C'est orwellien, et
un peu inquiétant, mais heureusement peu facile à mettre en place.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

Le concept même de répartition des langues est absurde. Par sa nature ouverte,
le web est déjà aujourd'hui le meilleur outil de propagation et donc de
préservation de langues qui, sans le web, pourraient être menacées d'extinction.
La seule solution pour qu'une langue accroisse sa présence sur le web est que
ses promoteurs aient vraiment envie de se bouger!

Il faut se souvenir que l'imprimerie avait été accusée de sonner le glas de
toutes les langues autres que le latin! La réalité a été que l'imprimerie, en
permettant à toutes les langues de se transmettre plus facilement, a provoqué la
mort du latin.

Une suggestion? Les moteurs de recherche multilingues et les traducteurs
automatiques.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Le développement des moteurs de type BrailleSurf associés à de la synthèse
vocale, et le respect par les concepteurs de sites de quelques règles
(documentation des images, ou association de commentaires textuels à certaines
applications telles que les animations flash). Dès que notre site atteindra un
niveau opérationnel suffisant, il sera entièrement adapté à cet effet (voir les
directives du gouvernement dans ce sens).

= Comment définissez-vous le cyberespace?

J'ai beaucoup de mal à le définir. C'est un fourre-tout qui englobe des machines
électroniques interconnectées et des sources d'informations.

= Et la société de l'information?

Une société où l'accès à l'information, l'information elle-même et la capacité à
bien utiliser l'information sont des biens plus précieux que les biens
matériels. Il faut noter que l'information a toujours été un avantage
professionnel considérable. Il fut un temps où un avantage concurrentiel pouvait
exister sur un territoire limité, et être protégé pour un temps long, par le
secret, ou l'ignorance des autres. Les voyages, la mondialisation des échanges,
la performance de la logistique ont énormément affaibli la notion de protection
"géographique" d'un avantage concurrentiel. La société de l'information est une
société où la protection de l'information est presque impossible, et où son
usage devient donc la valeur essentielle.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Pas de "meilleur souvenir". Découvrir instantanément une réponse à une question
qui m'aurait demandé des heures de recherche il y a quelques années est un
"meilleur souvenir" quotidien, et recevoir un mail d'un ami brésilien ou
hongrois en est un autre.

= Et votre pire souvenir?

De tomber systématiquement sur des sites pornos ou de pédophilie en faisant
certaines requêtes anodines.


ANISSA RACHEF (Londres)


#Bibliothécaire et professeur de français langue étrangère à l'Institut français
de Londres

L'Institut français de Londres est un organisme officiel français destiné à
faire connaître la langue et la culture françaises dans la capitale britannique.
5.000 étudiants environ suivent les cours de langue chaque année, ce qui fait de
cet institut l'un des plus importants instituts français au monde. Le centre
culturel inclut une bibliothèque multimédia, un cinéma, une salle de conférence
et un restaurant. Le site web de l'Institut est mis en ligne en 1998, et les
pages consacrées à la médiathèque en 2000.

*Entretien du 22 avril 2001

= Pouvez-vous vous présenter?

Je suis bibliothécaire à la médiathèque de l'Institut français de Londres. Je
suis chargée du catalogage du fonds documentaire qui est constitué de livres, de
vidéos, de disques compacts et de disques optiques ainsi que de périodiques.
Avant mon installation à Londres, soit de 1980 à 1983, j'ai travaillé à la
bibliothèque universitaire d'Alger en qualité d'attachée de recherche. C'est
d'Alger et en deux ans que j'ai préparé le DSB (diplôme supérieur des
bibliothèques), diplôme de conservateur assimilé à celui de l'ENSB de Lyon
(Ecole nationale supérieure des bibliothèques, devenue ensuite l'ENSSIB - Ecole
nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques).
Recrutée selon un statut local depuis septembre 1987 à l'Institut français de
Londres, j'y exerce le métier de bibliothécaire au sein d'une équipe de huit
membres. Par ailleurs, titulaire d'un diplôme de FLE (français langue
étrangère), j'assure des heures d'enseignement de français dans le même
institut.

= Pouvez-vous décrire l'activité de la médiathèque?

La médiathèque de l'Institut français de Londres fut inaugurée en mai 1996
(ainsi que la connexion à l'internet pour le personnel et les usagers, ndlr).
L'objectif est double: servir un public s'intéressant à la culture et la langue
françaises et "recruter" un public allophone en mettant à disposition des
produits d'appel tels que vidéos documentaires, livres audio, CD-Rom. La mise en
place récente d'un espace multimédia sert aussi à fidéliser les usagers.
L'installation d'un service d'information rapide a pour fonction de répondre
dans un temps minimum à toutes sortes de questions posées via courrier
électronique, ou par fax. Ce service exploite les nouvelles technologies pour
des recherches très spécialisées. Nous élaborons également des dossiers de
presse destinés aux étudiants et professeurs préparant des examens de niveau
secondaire.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je m'occupe essentiellement de catalogage, d'indexation et de cotation. Je suis
chargée également du service de prêt inter-bibliothèques. J'anime des ateliers
in situ de catalogage UNIMARC (MARC: machine readable catalogue) ainsi que des
ateliers d'indexation RAMEAU (répertoire d'autorités matières encyclopédique et
alphabétique unifié). J'élabore ponctuellement des aménagements de vedettes
matières propres à notre catalogue.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

J'utilise internet pour des besoins de base. Recherches bibliographiques,
commande de livres, courrier professionnel, prêt inter-bibliothèques. C'est
grâce à internet que la consultation de catalogues collectifs, tels SUDOC
(Système universitaire de documentation) et OCLC (Online Computer Library
Center), a été possible. C'est ainsi que que j'ai pu mettre en place un service
de fourniture de documents extérieurs à la médiathèque. Des ouvrages peuvent
désormais être acheminés vers la médiathèque pour des usagers ou bien à
destination des bibliothèques anglaises.

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Le papier est encore présent dans la médiathèque. Cependant l'introduction de
documents électroniques, tels que le CD-Rom du Monde par exemple, a permis une
épuration de la collection papier.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

C'est assez révolutionnaire, avec un gain de place considérable. Je trouve cela
très futuriste.

= Comment définissez-vous la société de l'information?

Actuellement l'information est le produit que la société consomme le plus.


PETER RAGGETT (Paris)


#Directeur du centre de documentation et d'information (CDI) de l'OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques)

"L'OCDE rassemble 30 pays membres au sein d'une organisation qui, avant tout,
offre aux gouvernements un cadre pour examiner, élaborer et perfectionner les
politiques économiques et sociales. Ils y comparent leurs expériences
respectives, s'y efforcent d'apporter des réponses aux problèmes qui leur sont
communs et s'y emploient à coordonner des politiques intérieures et
internationales qui, dans le contexte actuel de mondialisation des économies,
doivent former un ensemble de plus en plus homogène. (...) L'OCDE est un club de
pays qui partagent les mêmes idées. C'est un club de riches en ce sens que ses
Membres produisent les deux tiers des biens et services du monde, mais ce n'est
pas un club privé. En fait, l'exigence essentielle pour en devenir Membre est
qu'un pays soit attaché aux principes de l'économie de marché et de la
démocratie pluraliste. Au noyau d'origine, constitué de pays d'Europe et
d'Amérique du Nord, sont venus s'ajouter le Japon, l'Australie, la
Nouvelle-Zélande, la Finlande, le Mexique, la République tchèque, la Hongrie, la
Pologne et la Corée. De plus, l'OCDE a établi de nombreux contacts avec le reste
du monde dans le cadre de programmes avec des pays de l'ancien bloc soviétique,
d'Asie et d'Amérique latine, contacts qui pourraient, dans certains cas,
déboucher sur une adhésion." (extrait du site web)

Réservé aux agents de l'OCDE, le centre de documentation et d'information (CDI)
a pour but de leur procurer les informations nécessaires à leurs recherches. Les
collections imprimées comprennent environ 60.000 monographies et 2.500
périodiques. Le CDI fournit aussi nombre de documents électroniques émanant de
CD-Rom, de bases de données et du web.

Peter Raggett, son directeur, est bibliothécaire professionnel depuis vingt ans.
Il a d'abord été en poste dans les bibliothèques gouvernementales du Royaume-Uni
avant de devenir fonctionnaire international à l'OCDE en 1994, comme
sous-directeur puis directeur du CDI. Il utilise l'internet depuis 1996. Les
pages intranet du CDI, dont il est l'auteur, sont devenues une des principales
sources d'information du personnel de l'organisation.

*Entretien du 18 juin 1998 (entretien original en anglais)

= En quoi consiste votre activité liée à l'internet?

Je dois filter l'information pour les usagers de la bibliothèque, ce qui
signifie que je dois bien connaître les sites et les liens qu'ils proposent.
J'ai sélectionné plusieurs centaines de sites pour en favoriser l'accès à partir
de l'intranet de l'OCDE, et cette sélection fait partie du bureau de référence
virtuel proposé par la bibliothèque à l'ensemble du personnel. Outre les liens,
ce bureau de référence contient des pages de références aux articles,
monographies et sites web correspondant aux différents projets de recherche en
cours à l'OCDE, l'accès en réseau aux CD-Rom, et une liste mensuelle des
nouveaux titres. Le catalogue de la bibliothèque sera lui aussi bientôt
disponible sur l'intranet.

= Comment voyez-vous l'avenir?

L'internet offre aux chercheurs un stock d'informations considérable. Le
problème pour eux est de trouver ce qu'ils cherchent. Jamais auparavant on
n'avait senti une telle surcharge d'informations, comme on la sent maintenant
quand on tente de trouver un renseignement sur un sujet précis en utilisant les
moteurs de recherche disponibles sur l'internet. A mon avis, les bibliothécaires
auraient un rôle important à jouer pour améliorer la recherche et l'organisation
de l'information sur l'internet.

Je prévois aussi une forte expansion de l'internet pour l'enseignement et la
recherche. Les bibliothèques seront amenées à créer des bibliothèques numériques
permettant à un étudiant de suivre un cours proposé par une institution à
l'autre bout du monde. La tâche du bibliothécaire sera de filtrer les
informations pour le public.

Personnellement, je me vois devenir de plus en plus un bibliothécaire virtuel.
Je n'aurai pas l'occasion de rencontrer les usagers, ils me contacteront plutôt
par courrier électronique, par téléphone ou par fax, j'effectuerai la recherche
et je leur enverrai les résultats par voie électronique.

*Entretien du 4 août 1999 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Notre site intranet va être complètement remanié d'ici la fin de l'année, et
nous allons y mettre le catalogue de la bibliothèque, ce qui permettra à nos
usagers d'y avoir accès directement de leur écran. Ce catalogue sera conforme à
la norme Z39.50. (Z39.50 est une norme définissant un protocole pour la
recherche documentaire d'un ordinateur à un autre. Elle permet à l'utilisateur
d'un système de rechercher des informations chez les utilisateurs d'autres
systèmes utilisant la même norme sans devoir connaître la syntaxe de recherche
utilisée par ces systèmes, ndlr.)

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Le problème du droit d'auteur est loin d'être résolu. Les éditeurs souhaitent
naturellement toucher leur dû pour chaque article commandé alors que les
bibliothécaires et usagers veulent pouvoir immédiatement télécharger
(gratuitement si possible) le contenu intégral de ces articles. A présent chaque
éditeur semble avoir sa propre politique d'accès aux versions électroniques. Il
serait souhaitable qu'une politique homogène soit mise en place, de préférence
en autorisant largement le téléchargement des documents électroniques.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Je pense qu'il appartient aux organisations et sociétés européennes d'offrir des
sites web si possible en trois ou quatre langues. A l'heure de la mondialisation
et du commerce électronique, les sociétés ont un marché potentiel sur plusieurs
pays à la fois. Permettre aux francophones, germanophones ou japonais de
consulter un site web aussi facilement que les anglophones donnera une plus
grande compétitivité à une firme donnée.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Avoir trouvé en dix minutes les informations biographiques et les articles d'un
professeur reçu par l'OCDE.

= Et votre pire souvenir?

Les problèmes de lenteur pour la connection à l'internet et le transfert des
données.

*Entretien du 31 juillet 2000 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Le catalogue du CDI est disponible sur l'intranet de l'OCDE depuis octobre 1999,
si bien que les fonctionnaires peuvent désormais le consulter depuis leur
bureau.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Nous fournissons toujours des photocopies d'articles de périodiques, un peu
moins cependant que par le passé parce que le texte intégral de nombreux
articles est maintenant disponible sur l'internet en format PDF. En revanche le
prêt des monographies en version imprimée n'a pas diminué depuis que l'OCDE
utilise l'internet.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je pense que le papier aura toujours sa place, et ce malgré l'arrivée du livre
numérique. Mais, quand les gens s'y seront accoutumés, l'utilisation du papier
décroîtra.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il est intéressant d'observer combien la présentation du livre électronique
copie celle du livre traditionnel, à l'exception du fait que la page papier est
remplacée par un écran. A mon avis, le livre électronique va permettre de
remplacer certains documents papier, mais pas tous. J'espère aussi qu'ils seront
imperméables à l'eau, pour je puisse continuer à lire dans mon bain.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Je préconise une augmentation du nombre d'enregistrements sonores, qui
permettraient aux aveugles et malvoyants d'écouter les textes du web au moyen
des haut-parleurs de leurs ordinateurs ou bien d'écouteurs.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le cyberespace est cette zone "extérieure" qui se trouve de l'autre côté du PC
lorsqu'on se connecte à l'internet. Pour ses utilisateurs ou ses clients, tout
fournisseur de services internet ou serveur de pages web se trouve donc dans le
cyberespace.

= Et la société de l'information?

La société de l'information est cette société dont le produit le plus précieux
est l'information. Jusqu'au 20e siècle, ce sont les produits manufacturiers qui
ont été les plus considérés. Ils ont ensuite été remplacés par l'information. En
fait, on parle maintenant davantage d'une société du savoir, dans laquelle, du
point de vue économique, le produit le plus prisé est le savoir acquis par
chacun.


PATRICK REBOLLAR (Nagoya & Tokyo)


#Professeur de littérature française, créateur d'un site web de recherches et
activités littéraires et modérateur de la liste de diffusion LITOR (littérature
et ordinateur)

Professeur de français, de littérature française et d'applications informatiques
dans des universités japonaises, à Tokyo et Nagoya, Patrick Rebollar utilise
l'ordinateur pour la recherche et l'enseignement depuis plus de dix ans. En
1994, il voit apparaître internet "dans le champ culturel et linguistique
francophone" et il débute un site web de recherches et activités littéraires en
1996. Il est le modérateur de LITOR (Littérature et ordinateur), liste de
diffusion francophone créée en octobre 1999 par l'équipe de recherche Hubert de
Phalèse (Université Paris 3).

*Entretien du 17 juillet 1998

= Quel est l'historique de votre Chronologie littéraire?

Pour la Chronologie littéraire (1848-1914), cela a commencé dans les premières
semaines de 1997, en préparant un cours sur le roman fin de siècle (19e). Je
rassemblai alors de la documentation et m'aperçus d'une part que les diverses
chronologies trouvées apportaient des informations complémentaires les unes des
autres, et d'autre part que les quelques documents littéraires alors présents
sur le web n'étaient pas présentés de façon chronologique, mais toujours
alphabétique. Je fis donc un document unique qui contenait toutes les années de
1848 à 1914, et l'augmentais progressivement. Jusqu'à une taille gênante pour le
chargement, et je décidai alors, fin 1997, de le scinder en faisant un document
pour chaque année. Dès le début, je l'ai utilisé avec mes étudiants, sur papier
ou sur écran. Je sais qu'ils continuent de s'en servir, bien qu'ils ne suivent
plus mon cours. J'ai reçu pas mal de courrier pour saluer mon entreprise, plus
de courrier que pour les autres activités web que j'ai développées.

= Et pour vos Signets?

Animant des formations d'enseignants à l'Institut franco-japonais de Tokyo, je
voyais d'un mauvais oeil d'imprimer régulièrement des adresses pour demander aux
gens de les recopier. J'ai donc commencé par des petits documents rassemblant
les quelques adresses web à utiliser dans chaque cours (avec Word), puis me suis
dit que cela simplifierait tout si je mettais en ligne mes propres signets, vers
la fin 1996. Quelques mois plus tard, je décidai de créer les sections finales
de nouveaux signets afin de visualiser des adresses qui sinon étaient fondues
dans les catégories. Cahin-caha, je renouvelle chaque mois. Mais les quantités
de travail entraînées par le Salon du livre de Tokyo (et les interviews
d'écrivains), en janvier 1998, et le Festival de Yokohama (juin 1998), font
qu'il y a bien longtemps que je n'ai pas fait sérieusement mon travail de veille
techno-culturelle...

= Quel est l'impact de l'internet sur votre vie professionnelle?

Mon travail de recherche est différent, mon travail d'enseignant est différent,
mon image en tant qu'enseignant-chercheur de langue et de littérature est
totalement liée à l'ordinateur, ce qui a ses bons et ses mauvais côtés (surtout
vers le haut de la hiérarchie universitaire, plutôt constituée de gens âgés et
technologiquement récalcitrants). J'ai cessé de m'intéresser à certains
collègues proches géographiquement mais qui n'ont rien de commun avec mes idées,
pour entrer en contact avec des personnes inconnues et réparties dans différents
pays (et que je rencontre parfois, à Paris ou à Tokyo, selon les vacances ou les
colloques des uns ou des autres). La différence est d'abord un gain de temps,
pour tout, puis un changement de méthode de documentation, puis de méthode
d'enseignement privilégiant l'acquisition des méthodes de recherche par mes
étudiants, au détriment des contenus (mais cela dépend des cours).
Progressivement, le paradigme réticulaire l'emporte sur le paradigme
hiérarchique - et je sais que certains enseignants m'en veulent à mort
d'enseigner ça, et de le dire d'une façon aussi crue. Cependant ils sont obligés
de s'y mettre...

= Comment voyez-vous votre avenir professionnel?

Mon avenir professionnel, qui sera de toute façon en liaison directe avec
l'internet, n'est pas plus clair que mon avenir lui-même. J'attends les
opportunités professionnelles car l'enseignement universitaire n'est pas assez
dynamique dans ce domaine, et je ne suis pas sûr d'y rester - pourtant j'aime
enseigner et j'aime les étudiants.

= Et l'avenir du réseau?

Trouble. Entre ceux qui cherchent à gagner de l'argent à tout prix, et ceux qui
en font une banque d'images pornographiques, ceux qui cherchent des amis pour
pallier un manque et ceux qui cherchent du travail. Ceux qui... et ceux qui...
le réseau devient progressivement une projection du monde lui-même, plus précise
et exacte chaque jour.

*Entretien du 27 janvier 2000

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Mon activité s'articule désormais autour de trois pôles:

- veille technologique et culturelle,

- enseignement assisté par ordinateur,

- création de pages littéraires pédagogiques (mise en ligne en février ou mars
2000 d'une oeuvre de Balzac, L'Illustre Gaudissart, avec notes de lecture
préparées par des étudiants japonais en doctorat pendant l'année universitaire
1999).

Pour réaliser ce document balzacien, nous avons travaillé dans une salle
entièrement informatisée de l'Université Gakushuin (Tokyo) et nous avons utilisé
majoritairement des données en ligne (Dictionnaire de l'Académie française,
index de Balzac, cédérom Littré, etc.)

Autre nouvelle réalisation, à l'actif de l'équipe de recherche Hubert de Phalèse
(Université Paris 3) à laquelle j'appartiens : la création d'une liste de
diffusion francophone nommée LITOR (Littérature et ordinateur), en octobre 1999,
dont je suis le modérateur et qui compte actuellement près de 180 membres,
majoritairement des universitaires d'une douzaine de pays.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Je pense que le droit d'auteur doit être défendu, tout en étant redéfini et
uniformisé au niveau international, ce qui n'est pas évident.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Il s'agit d'abord d'un problème logiciel. Comme on le voit avec Netscape ou
Internet Explorer, la possibilité d'affichage multilingue existe. La
compatibilité entre ces logiciels et les autres (de la suite Office de
Microsoft, par exemple) n'est cependant pas acquise. L'adoption de la table
Unicode devrait résoudre une grande partie des problèmes, mais il faut pour cela
réécrire la plupart des logiciels, ce à quoi les producteurs de logiciels
rechignent du fait de la dépense, pour une rentabilité qui n'est pas évidente
car ces logiciels entièrement multilingues intéressent moins de clients que les
logiciels de navigation.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

L'écoute de radios françaises. Dès qu'elle a été possible, en 1997, puis
améliorée jusqu'à aujourd'hui, elle m'a permis de rester en contact étroit avec
l'actualité culturelle et politique françaises. De même, la possibilité
d'acheter des livres et des disques, et d'être livré dans des délais
raisonnables à des prix normaux.

*Entretien du 14 décembre 2000

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Autant qu'avant, mais je n'imprime pas beaucoup à partir de mon ordinateur, sauf
pour des préparations de cours à distribuer aux étudiants.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je ne vois pas de problème pour les "jours du papier" dans l'avenir, alors que
justement, il faudrait en diminuer la consommation. Je crains d'ailleurs que
bien des gens n'impriment tout et n'importe quoi avec leur ordinateur,
consommant ainsi bien plus de papier qu'ils ne le faisaient avant.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

N'ayant pas encore eu l'objet en main, je réserve mon avis. Je trouve
enthousiasmant le principe de stockage et d'affichage mais j'ai des craintes
quant à la commercialisation des textes sous des formats payants. Les chercheurs
pourront-ils y mettre leurs propres corpus et les retravailler? L'outil
sera-t-il vraiment souple et léger, ou faut-il attendre le développement de
l'encre électronique? Je crois également que l'on prépare un cartable
électronique pour les élèves des écoles, ce qui pourrait être bon pour leur
dos...

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Améliorer les logiciels de lecture orale de l'écrit. Créer des écrans tactiles
qui affichent le texte en braille et développer des logiciels de traduction
automatique et d'affichage sur écran braille (sous l'égide d'une fondation
internationale subventionnée par les gouvernements, l'Unesco, etc., et qui
lèverait des fonds auprès des entreprises intéressées).

= Comment définissez-vous le cyberespace?

La réplique virtuelle et très imparfaite du monde des relations humaines,
sociales, commerciales et politiques. En privant partiellement les utilisateurs
de la matérialité du monde (spatiale, temporelle, corporelle), le cyberespace
permet de nombreuses interactions instantanées et multi-locales. A noter que les
êtres humains se montrent aussi stupides ou intelligents, malveillants ou
dévoués dans le cyberespace que dans l'espace réel...

= Et la société de l'information?

Une grande mise en scène (mondialisée) qui fait prendre les vessies pour des
lanternes. En l'occurrence, les gouvernants de toutes sortes, notamment sous le
nom de "marché", diffusent de plus en plus de prescriptions contraignantes
(notamment commerciales, politiques et morales) qu'ils réussissent, un peu grâce
aux merveilles technologiques, à faire passer pour des libertés. Notons que
"cybernétique" et "gouvernement" ont la même racine grecque...


JEAN-BAPTISTE REY (Aquitaine)


#Webmestre et rédacteur de Biblio On Line, un site web destiné aux bibliothèques

*Entretien du 8 juin 1998

= Quel est l'historique de Biblio On Line?

Le site dans sa première version a été lancé en juin 1996. Une nouvelle version
(l'actuelle) a été mise en place à partir du mois de septembre 1997. Le but de
ce site est d'aider les bibliothèques à intégrer internet dans leur
fonctionnement et dans les services qu'elles offrent à leur public. Le service
est décomposé en deux parties:

1) une partie "professionnelle" où les bibliothécaires peuvent retrouver des
informations professionnelles et des liens vers les organismes, les institutions
et les projets et réalisations ayant trait à leur activité,

2) une partie comprenant annuaire, mode d'emploi de l'internet, villes et
provinces, etc... permet au public des bibliothèques d'utiliser le service
Biblio On Line comme un point d'entrée vers internet.

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Personnellement internet a complètement modifié ma vie professionnelle puisque
je suis devenu webmestre d'un site internet et responsable du secteur nouvelles
technologies d'une entreprise informatique parisienne (QuickSoft Ingénierie). Il
semble que l'essort d'internet en France commence (enfin) et que les demandes
tant en matière d'informations, de formations que de réalisations soient en
grande augmentation.


PHILIPPE RIVIERE (Paris)


#Rédacteur au Monde diplomatique et responsable du site web

Le site du Monde diplomatique permet l'accès à l'ensemble des articles de la
revue depuis 1998, par date, sujet et pays. L'intégralité du mensuel en cours
est consultable gratuitement pendant les deux semaines suivant sa parution. Un
forum permanent de discussions en ligne lui permet d'échanger avec ses lecteurs.

*Entretien du 17 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Monté dans le cadre d'un projet expérimental avec l'INA (Institut national de
l'audiovisuel), début 1995, le site était le premier site d'un journal français.
Depuis il a bien grandi, autour des mêmes services de base: archives et annonce
de sommaire.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Grâce à internet, le travail journalistique s'enrichit de sources faciles
d'accès, aisément disponibles. Le travail éditorial est facilité par l'échange
de courriers électroniques; par contre, une charge de travail supplémentaire due
aux messages reçus commence à peser fortement.

*Entretien du 26 juillet 1999

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

Notre site a bien grandi depuis, autour des mêmes services de base: archives et
annonce de sommaire. Des services complémentaires viennent s'y ajouter: bases
documentaires comprenant des textes de référence (cas du cahier Irak), dossiers
d'actualité permettant au journal d'intervenir en dehors de son cadre mensuel,
etc.


BLAISE ROSNAY (Paris)


#Webmestre du site du Club des poètes

Fondé il y a quarante ans par Jean-Pierre Rosnay, le père de Blaise Rosnay, le
Club des Poètes propose une découverte de la poésie de tous les temps et de tous
les pays depuis les origines jusqu'à aujourd'hui.

*Entretien du 8 juin 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Le site du Club des Poètes a été créé en 1996, il s'est enrichi de nombreuses
rubriques au cours des années et il est mis à jour deux fois par semaine.

= Quel est l'apport de l'internet dans votre activité?

L'internet nous permet de communiquer rapidement avec les poètes du monde
entier, de nous transmettre des articles et poèmes pour notre revue, ainsi que
de garder un contact constant avec les adhérents de notre association. Par
ailleurs, nous avons organisé des travaux en commun, en particulier dans le
domaine de la traduction.

= Quels sont vos projets?

Nos projets pour notre site sont d'y mettre encore et toujours plus de poésie.
Ajouter encore des enregistrements sonores de poésie dite ainsi que des vidéos
de spectacles.

*Entretien du 16 janvier 2000

= En quoi consiste exactement votre activité sur l'internet?

Je mets en page des poèmes, je modère modérément le forum des poètes, j'anime
une rubrique d'actualité poétique ("Etat d'urgence poésie"), je rédige des notes
de lecture sur les sites poétiques de l'internet francophone, et je dialogue
avec les internautes curieux de poésie. Le site du Club des Poètes est mis à
jour deux fois par semaine au moins.

= Quelles sont vos nouvelles réalisations et vos nouveaux projets?

Nous sommes en train de réaliser une version animée (utilisant la technologie
Flash) de la rubrique "La poésie et l'enfant".

Dès que nous aurons un peu plus de moyens, nous nous connecterons par le câble
au Club des Poètes et nous retransmettrons nos spectacles à l'aide d'une webcam.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

La diffusion de la culture doit être facilitée sur l'internet. Les éditeurs et
les pouvoirs publics doivent encourager tous les projets réalisés par des
passionnés de tel ou tel auteur qui partagent leur passion avec les autres sur
internet sans en faire profit.

Exemple: il serait absurde qu'un jeune homme qui aime Le Petit Prince de
Saint-Exupéry ne soit pas encouragé à partager son amour et à l'illustrer par
quelques extraits de cette oeuvre qui, soit dit en passant, est un beau
plaidoyer pour le coeur contre les raisons de l'argent. En résumé, il me semble
que l'internet peut encore devenir un moyen de partage de la culture et de la
beauté à condition que la culture et la beauté ne soient pas considérées comme
des biens de consommation. C'est la moindre des choses, car, justement, la
poésie et la beauté véhiculent d'autres valeurs morales et spirituelles.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Dans la mesure où la culture française, y compris contemporaine, pourra être
diffusée sans obstacles, la langue française aura la possibilité de rester
vivante sur le réseau. Ses oeuvres, liées au génie de notre langue, susciteront
nécessairement de l'intérêt puisqu'elles sont en prise avec l'évolution actuelle
de l'esprit humain. Dans la mesure où il y aura une volonté d'utiliser
l'internet comme moyen de partage de la connaissance, de la beauté, de la
culture, toutes les langues, chacune avec leur génie propre, y auront leur
place. Mais si l'internet, comme cela semble être le cas, abandonne ces
promesses pour devenir un lieu unique de transactions commerciales, la seule
langue qui y sera finalement parlée sera une sorte de jargon dénaturant la belle
langue anglaise, je veux dire un anglais amoindri à l'usage des relations
uniquement commerciales.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

D'innombrables rencontres avec des poètes du monde entier que nous avons
découverts sur internet et qui sont venus nous rendre visite au Club des Poètes.
D'innombrables messages de soutien et d'encouragement.

= Et votre pire souvenir?

Le constat que, faute d'une volonté politique de partage culturel, les
initiatives les plus belles sont le plus souvent découragées par la logique
marchande et que l'internet risque de se transformer peu à peu en vitrine de
supermarché.

*Entretien du 9 novembre 2000

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Le moins possible: en fait nous apprenons les poèmes par coeur et ce que nous
aimons le mieux, c'est de transmettre la poésie dans sa tradition orale. Mais en
vérité l'internet aussi nous paraît un peu vieillot. C'est d'un coeur à l'autre,
en passant par les lèvres et l'oreille, que la poésie se propage à la vitesse de
la pensée.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Cela n'a qu'une importance relative. On imprime beaucoup de bêtises sur du
papier et le paysage de l'internet commence aussi à se dégrader sérieusement.
Les marchands de papier (lisez "éditeurs") laisseront-ils place au marchands
d'électrons par internet interposé (lisez "producteurs de contenus sur internet"
(sic))? Peu nous importe. La poésie poursuit son voyage pour l'éternité.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Je n'ai aucun sentiment pour les machines. Elles ne sont même pas douces à
caresser.
Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

L'usage de la voix bien sûr. Notre site propose bien sûr de nombreux poèmes dits
et chantés à écouter.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Une toile irisée où se reflètent nos désirs insensés.

= Et la société de l'information?

Une société de plus en plus mal fréquentée. Quand donc les humains associés
apprendront-ils à converger vers la beauté?

*Entretien du 3 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Dans le cadre des nouveautés, nous avons créé cette année Poésie vive qui nous
permet d'offrir un espace aux internautes-poètes qui nous intéressent.

Cela complète gracieusement Poésie.net dont la vocation est davantage de
présenter un très large panorama des grandes voix de la poésie de tous les pays
et de tous les temps.

Nous allons créer (il sera en ligne la semaine prochaine, à savoir le 8 mai
2001, je pense) "Nouvailes, le site des nouvelles qui vous donnent des ailes",
qui offrira tous les jours une bonne nouvelle (une nouvaile!) à ses visiteurs,
ce qui les changera des informations télévisées, radiodiffusées, et maintenant
internétisées, qui sont bien faites pour briser le moral des plus résistants des
coeurs sensibles.

Nous allons en profiter pour redonner aussi un coup de jeune à "Ulysse,
chercheur de connaissances", un beau site de partage de la culture, répertoire
des plus belles ressources culturelles sur l'internet.

Voilà. En d'autres termes, nous travaillons toujours ardemment à donner un peu
d'âme au monde virtuel aussi bien que réel.


JEAN-PAUL ROUSSET SAINT AUGUSTE (Paris)


#Journaliste spécialisé dans l'histoire des techniques

*Entretien du 28 mai 2001

= Pouvez-vous vous présenter?

J'ai une formation d'historien. Je suis de très près et depuis longtemps le
développement de la micro-informatique. J'exerce plusieurs activités, dont
certaines sont liées aux produits high-tech (PDA, e-books).

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Commercialisation de produits techniques (mon principal employeur distribue des
produits culturels et techniques). Et aussi journalisme.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Usage privé, et usage comme outil professionnel (utilisation intensive de
l'e-mail, et des ressources documentaires du web ou des newsgroups).

= Comment voyez-vous l'avenir?

J'espère un internet toujours plus ouvert et dense en informations, où le
principe d'échange et de gratuité prévaut. Ce modèle a de grandes chances de
perdurer, sans pour autant être le modèle dominant. Un sub-internet pourrait
bien s'instaurer, né des communautés virtuelles très attachées aux principes
sus-cités.

= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?

Oui. Il a encore de longs jours devant lui.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Intéressant, mais la route sera longue: la technologie utilisée ne peut pas
autoriser une diffusion de masse aujourd'hui. Parier à long terme sur l'avenir
de ces produits ne fait pas courir beaucoup de risque. Mais les produits qui
enterreront le livre-papier ne sont pas nés (et pas même conçus, juste rêvés).

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Toutes les publications du web ne valent pas forcément des droits d'auteur! Plus
sérieusement, dès lors qu'une publication est diffusée aussi bien sur le web que
d'autres médias, ou bien qu'elle relève de principes comparables à une
publication papier, je ne vois pas de raison de distinguer les deux (un article
commandé pour publication sur le web doit être soumis aux mêmes règles de
rémunération qu'une publication papier).

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Un lieu d'échange particulièrement vaste.

= Et la société de l'information?

Un mythe.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Dans un newsgroup, la rencontre d'un Japonais qui devait venir en France, et qui
préparait son voyage. Après quelques échanges de messages, j'ai appris qu'il
allait être hébergé chez une de ses connaissances... à 200 mètres de chez moi.

= Et votre pire souvenir?

Ma boîte à e-mails inondée de messages de pubs (argent, voyance, sexe...) après
un simple passage sur un forum de discussions... sur le Mac.


BRUNO DE SA MOREIRA (Paris)


#Co-fondateur des éditions 00h00.com, spécialisées dans l'édition numérique

Créées par Jean-Pierre Arbon, ancien directeur de Flammarion, et Bruno de Sa
Moreira, ancien directeur de Flammarion Multimédia, les éditions 00h00.com
(prononcer: zéro heure) débutent leur activité le 18 mai 1998. "La création de
00h00.com marque la véritable naissance de l'édition en ligne. C'est en effet la
première fois au monde que la publication sur internet de textes au format
numérique est envisagée dans le contexte d'un site commercial, et qu'une
entreprise propose aux acteurs traditionnels de l'édition (auteurs et éditeurs)
d'ouvrir avec elle sur le réseau une nouvelle fenêtre d'exploitation des droits.
Les textes offerts par 00h00.com sont soit des inédits, soit des textes du
domaine public, soit des textes sous copyright dont les droits en ligne ont fait
l'objet d'un accord avec leurs ayants-droit." (extrait du site web)

*Entretien du 31 juillet 1998

= Quel est l'historique de votre site web?

Le site a ouvert le 18 mai dernier, la gestation du projet: brainstorming,
faisabilité, création de la société et montage financier, développement
technique du site et informatique éditoriale, mise au point et production des
textes et préparation du catalogue à l'ouverture a duré un an.
Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Radicalement, puisqu'aujourd'hui mon activité professionnelle est 100% basée sur
internet. Le changement ne s'est pas fait radicalement, lui, mais
progressivement (audiovisuel, puis multimédia, puis internet).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Difficile de répondre, il s'agit du présent, nous faisons un pari, mais cela me
semble un média capable d'une très large popularisation, sans doute grâce à des
terminaux plus faciles d'accès que le seul micro-ordinateur.

[NDLR: Les 600 titres du catalogue - inédits ou rééditions électroniques
d'ouvrages publiés par des éditeurs français - sont disponibles sous la forme
d'un exemplaire numérique et d'un exemplaire papier. Les exemplaires numériques
représentent 85% des ventes. Les collections sont très diverses: 2003 (nouvelles
écritures), actualité et société, communication et NTIC (nouvelles technologies
de l'information et de la communication), poésie, policiers, science-fiction,
etc. Pas de stock, pas de contrainte physique de distribution, mais un lien
direct avec le lecteur et entre les lecteurs. Sur le site, les
cybernautes/lecteurs peuvent créer leur espace personnel afin d'y rédiger leurs
commentaires, recommander des liens vers d'autres sites, participer à des
forums, etc. "Internet est un lieu sans passé, où ce que l'on fait ne s'évalue
pas par rapport à une tradition, lit-on sur le site. Il y faut inventer de
nouvelles manières de faire les choses. (...) Le succès de l'édition en ligne ne
dépendra pas seulement des choix éditoriaux: il dépendra aussi de la capacité à
structurer des approches neuves, fondées sur les lecteurs autant que sur les
textes, sur les lectures autant que sur l'écriture, et à rendre immédiatement
perceptible qu'une aventure nouvelle a commencé."]

*Entretien du 18 janvier 2000

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Nous allons développer notre outil d'édition en ligne pour permettre d'étendre
nos activités: produire et distribuer nos oeuvres dans plusieurs formats (avec
le PDF, systématiser l'offre au format Rocket eBook, au format Palm Pilot, au
futur format Microsoft Reader, etc.), ainsi que développer une offre éditoriale
en ligne en plusieurs langues (à commencer par l'anglais). [fin]

[NDLR: Le 15 septembre 2000, 00h00.com est racheté par Gemstar, société
américaine leader dans le domaine des technologies et systèmes interactifs pour
les produits numériques. Gemstar s'était engagé sur le nouveau marché de
l'édition numérique dès janvier 2000 en acquérant NuvoMedia et Softbook Press,
les deux sociétés américaines à l'origine des premiers modèles de livres
électroniques (e-books), respectivement le Rocket eBook et le Softbook Reader.
Selon Henry Yuen, président de Gemstar, cité par l'AFP, "les compétences
éditoriales dont dispose 00h00.com et les capacités d'innovation et de
créativité dont elle a fait preuve sont les atouts nécessaires pour faire de
Gemstar un acteur majeur du nouvel âge de l'édition numérique qui s'ouvre en
Europe". 00h00 est maintenant un partenaire déterminant dans le développement
sur le marché de l'édition française et européenne des nouveaux modèles de
livres électroniques, produits et commercialisés par Thomson Multimédia, sous
licence de Gemstar.]


PIERRE SCHWEITZER (Strasbourg)


#Architecte designer, concepteur d'@folio (support de lecture nomade) et de
Mot@mot (passerelle vers les bibliothèques numériques)

*Entretien du 21 janvier 2001

= Pouvez-vous décrire @folio?

@folio est un support de lecture nomade. J'hésite à parler de livre
électronique, car le mot "livre" désigne aussi bien le contenu éditorial (quand
on dit qu'untel a écrit un livre) que l'objet en papier, génial, qui permet sa
diffusion.

La lecture est une activité intime et itinérante par nature. @folio est un
baladeur de textes, simple, léger, autonome, que le lecteur remplit selon ses
désirs à partir du web, pour aller lire n'importe où. Il peut aussi y imprimer
des documents personnels ou professionnels provenant d'un CD-Rom. Les textes
sont mémorisés en faisant: "imprimer", mais c'est beaucoup plus rapide qu'une
imprimante, ça ne consomme ni encre ni papier. Les liens hypertextes sont
maintenus au niveau d'une reliure tactile.

Le projet est né à l'atelier Design de l'Ecole d'architecture de Strasbourg où
j'étais étudiant. Il est développé à l'Ecole nationale supérieure des arts et
industries de Strasbourg avec le soutien de l'Anvar-Alsace.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Mon projet de design est à l'origine du concept, en 1996. Aujourd'hui, je
participe avec d'autres à sa formalisation, les prototypes, design, logiciels,
industrialisation, environnement technique et culturel, etc., pour transformer
ce concept en un objet grand public pertinent.

Nous développons aussi Mot@mot, une passerelle entre @folio et les fonds
numérisés en mode image, chez les éditeurs numériques ou dans les bibliothèques
numériques, comme Gallica à la Bibliothèque nationale de France (35.000 ouvrages
en ligne).

= Pouvez-vous présenter Mot@mot?

La plus grande partie du patrimoine écrit existant est fixé dans des livres, sur
du papier. Pour rendre ces oeuvres accessibles sur la toile, la numérisation en
mode image est un moyen très efficace. Le projet Gallica en est la preuve. Mais
il reste le problème de l'adaptation des fac-similés d'origine à nos écrans de
lecture aujourd'hui: réduits brutalement à la taille d'un écran, les fac-similés
deviennent illisibles. Sauf à manipuler les barres d'ascenseur, ce qui nécessite
un ordinateur et ne permet pas une lecture confortable.

La solution proposée par Mot@mot consiste à découper le livre, mot à mot, du
début à la fin (enfin, les pages scannées du livre...). Ces mots restent donc
des images, il n'y a pas de reconnaissance de caractères, donc pas d'erreur
possible. On obtient une chaîne d'images-mots liquide, qu'on peut remettre en
page aussi facilement qu'une chaîne de caractères. Il devient alors possible de
l'adapter à un écran de taille modeste, sans rien perdre de la lisibilité du
texte. La typographie d'origine est conservée, les illustrations aussi.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Internet pose une foule de questions et il faudra des années pour organiser des
réponses, imaginer des solutions. L'état d'excitation et les soubresauts autour
de la dite "nouvelle" économie sont sans importance, c'est l'époque qui est
passionnante.

= Il existe deux modes de numérisation des textes: le mode image et le mode
caractère. Lequel préconisez-vous?

Le mode image permet d'avancer vite et à très faible coût. C'est important car
la tâche de numérisation du domaine public est immense. Il faut tenir compte
aussi des différentes éditions: la numérisation du patrimoine a pour but de
faciliter l'accès aux oeuvres, il serait paradoxal qu'elle aboutisse à focaliser
sur une édition et à abandonner l'accès aux autres.

Chacun des deux modes de numérisation s'applique de préférence à un type de
document, ancien et fragile ou plus récent, libre de droit ou non (pour l'auteur
ou pour l'édition), abondamment illustré ou pas. Les deux modes ont aussi des
statuts assez différents: en mode texte, ça peut être une nouvelle édition d'une
oeuvre; en mode image, c'est une sorte d' "édition d'édition", grâce à un de ses
exemplaires (qui fonctionne alors comme une fonte d'imprimerie pour du papier:
une trace optique sur un support, numérique, c'est assez joli à réaliser).

En pratique, le choix dépend bien sûr de la nature du fonds à numériser, des
moyens et des buts à atteindre. Difficile de se passer d'une des deux façons de
faire. Mot@mot essaie de rendre le dilemme moins crucial.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, encore trop. J'ai renoncé au papier de mon agenda depuis le début de
l'année... Ça ne se passe pas trop mal. L'organiseur de poche est un substitut
du papier pour ce qu'il y a de plus primitif dans l'écriture: tenir des listes.
Efficace. Jack Goody m'a fait voir ça cet été dans La raison graphique (éditions
de Minuit, 1978, ndlr), un bouquin écrit à la fin des années 70!

Et puis j'aime bien emprunter mes livres en bibliothèque. Ça consomme aussi
moins de papier! J'y lis volontiers mes livres: les salles de lecture, leur
silence, leur lumière sont des havres de sérénité dans la fureur des villes.

Avec le web et internet, le pronostic sur la consommation de papier est
incertain. D'un côté, la logique du réseau et la dématérialisation des supports,
e-mail, documents à jour exclusivement en ligne, leur accessibilité à distance,
le déclin de la paperasse, etc. Mais d'un autre côté, il y a le besoin trivial
d'imprimer pour lire. Parce que la lecture s'accomode assez mal du nez collé sur
un tube cathodique.

Avec ou sans papier, l'évolution de la lecture est une chose remarquable avec
internet. Même les radios et les télés qui s'installent sur le web donnent des
contenus à lire et des espaces pour écrire. L'air de rien, c'est une sacrée
innovation.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Fabriquer une encyclopédie nécessitait, il y a peu, des dizaines de kilos de
papier, des kilos d'encre. Aujourd'hui, ça tient sur une galette optique de 15
grammes et coûte environ 10 fois moins cher que l'"ancien modèle" en papier.

Un stick de mémoire flash (pour la photo numérique, du MP3 ou @folio) pèse 2
grammes et contient aujourd'hui jusqu'à 120 millions de caractères, l'équivalent
de 5 volumes Petit Robert, soit 10 kilos de papier environ... et contrairement
au papier, le stick est réinscriptible à l'infini, c'est mieux qu'un palimpseste
;-)

Mais il y a plus de papier dans le secteur de l'emballage que dans celui de
l'édition (journaux, livres) et le développement du e-commerce ne réduira pas
les besoins d'emballage. L'atelier Design de l'Ecole d'architecture de
Strasbourg a produit l'an dernier un superbe projet de mobilier urbain, un totem
à l'échelle du quartier, hors gel, qui fonctionne comme une poste automatique,
ouverte 7 jours/7 et 24 heures/24, où l'on vient retirer ses paquets, muni d'un
code d'accès envoyé par e-mail.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

C'est un terme un peu obscur pour moi. Mais je déteste encore plus "réalité
virtuelle". Bizarre, cette idée de conceptualiser un ailleurs sans pouvoir y
mettre les pieds. Evidemment un peu idéalisé, "sans friction", où les choses ont
des avantages sans les inconvénients, où les autres ne sont plus des "comme
vous", où on prend sans jamais rien donner, "meilleur" - paraît-il. Facile quand
on est sûr de ne jamais aller vérifier. C'est la porte ouverte à tous les excès,
avec un discours technologique à outrance, déconnecté du réel, mais ça ne prend
pas.

Dans la réalité, internet n'est qu'une évolution de nos moyens de communication.
Bon nombre d'applications s'apparentent ni plus ni moins à un télégraphe évolué
(Morse, 1830): modem, e-mail... Les mots du télégraphe traversaient les océans
entre Londres, New-York, Paris et Toyo, bien avant l'invention du téléphone.
Bien sûr, la commutation téléphonique a fait quelques progrès: jusqu'à
l'hypertexte cliquable sous les doigts, les URL (uniform resource locator) en
langage presqu'humain, bientôt accessibles y compris par les systèmes d'écriture
non alphabétiques...

Mais notre vrai temps réel, c'est celui des messages au fond de nos poches et de
ceux qui se perdent, pas le temps zéro des télécommunications. La segmentation
et la redondance des messages, une trouvaille d'internet? Au 19e siècle, quand
Reuters envoyait ses nouvelles par pigeon voyageur, il en baguait déjà
plusieurs. Nos pages perso? Ce sont des aquariums avec un répondeur, une radio
et trois photos plongés dedans. Tout ce joyeux "bazar" est dans nos vies
réelles, pas dans le "cyberespace".

= Et la société de l'information?

J'aime bien l'idée que l'information, ce n'est que la forme des messages. La
circulation des messages est facilitée, techniquement, et elle s'intensifie. Et
désormais, le monde évolue avec ça.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Au tout début, quand vous réalisez le système: le matin, à l'heure où vous vous
levez, les derniers messages arrivent de la côte ouest de l'Amérique. Le jour se
passe et le soir, quand vous allez vous coucher, ce sont les tous premiers
messages qui arrivent des Dragons. C'est comme la lumière autour de la nouvelle
lune.

= Et votre pire souvenir?

Je ne l'ai pas gardé comme souvenir.


HENRI SLETTENHAAR (Genève)


#Professeur en technologies de la communication à la Webster University

Henri Slettenhaar est spécialiste des technologies de la communication. En 1958,
il rejoint le CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules) pour
travailler sur le premier ordinateur numérique, et il participe au développement
des premiers réseaux numériques du CERN. Son expérience américaine débute en
1966 quand il rejoint pendant 18 mois une équipe du Stanford Linear Accelerator
Center (SLAC) pour créer un numérisateur de film. De retour au SLAC en 1983, il
conçoit un système numérique de contrôle qui sera utilisé pendant dix ans.
Depuis près de vingt ans, il est professeur en technologies de l'information à
la Webster University de Genève. Il est le directeur du nouveau programme de
gestion des télécoms (Telecom Management Program) créé à l'automne 2000. Il est
également consultant auprès de nombreux organismes.

En 1992, Henri Slettenhaar crée la Silicon Valley Association (SVA), une
association suisse qui organise des voyages d'étude dans des pôles de haute
technologie (Silicon Valley, San Francisco, Los Angeles, Finlande, etc.). Outre
des visites de sociétés, start-up, universités et centres de recherche, ces
voyages comprennent des conférences, présentations et discussions portant sur
les nouvelles technologies de l'information (internet, multimédia,
télécommunications, etc.), les derniers développements de la recherche et de ses
applications, et les méthodes les plus récentes en matière de stratégie
commerciale et de création d'entreprise.

*Entretien du 21 décembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

Je ne peux pas imaginer ma vie professionnelle sans l'internet. Cela fait vingt
ans que j'utilise le courrier électronique. Les premières années, c'était le
plus souvent pour communiquer avec mes collègues dans un secteur géographique
très limité. Depuis l'explosion de l'internet et l'avènement du web, je
communique principalement par courrier électronique, mes conférences sont en
grande partie sur le web et mes cours ont tous un prolongement sur le web. En ce
qui concerne les visites que j'organise dans la Silicon Valley, toutes les
informations sont disponibles sur le web, et je ne pourrais pas organiser ces
visites sans utiliser l'internet. De plus, l'internet est pour moi une
fantastique base de données disponible en quelques clics de souris.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je vais encore renforcer l'utilisation de l'internet dans mes activités
professionnelles. En ce qui concerne les langues, je suis enchanté qu'il existe
maintenant tant de documents disponibles dans leur langue originale. Je préfère
de beaucoup lire l'original avec difficulté plutôt qu'une traduction médiocre.

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Je vois le multilinguisme comme un facteur fondamental. Les communautés locales
présentes sur le web devraient en tout premier lieu utiliser leur langue pour
diffuser des informations. Si elles veulent également présenter ces informations
à la communauté mondiale, celles-ci doient être aussi disponibles en anglais. Je
pense qu'il existe un réel besoin de sites bilingues.

*Entretien du 23 août 1999 (entretien original en anglais)

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

C'est un débat important et, comme par le passé, des solutions doivent être
trouvées dans les nouvelles technologies.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

A mon avis, il existe deux catégories sur le web. La première est la recherche
globale dans le domaine des affaires et de l'information. Pour cela, la langue
est d'abord l'anglais, avec des versions locales si nécessaire. La seconde, ce
sont les informations locales de tous ordres dans les endroits les plus reculés.
Si l'information est à destination d'une ethnie ou d'un groupe linguistique,
elle doit d'abord être dans la langue de l'ethnie ou du groupe, avec peut-être
un résumé en anglais. Nous avons vu récemment l'importance que pouvaient prendre
ces sites locaux, par exemple au Kosovo ou en Turquie, pour n'évoquer que les
événements les plus récents. Les gens ont pu obtenir des informations sur leurs
proches grâce à ces sites.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La vision d'images venant directement de l'espace, et particulièrement de
Jupiter.

= Et votre pire souvenir?

La surcharge d'information. Je suis submergé par toutes ces informations et je
ne dispose pas encore des outils qui me permettraient de ne trouver que ce que
je cherche.

*Entretien du 30 août 2000 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

L'explosion de la technologie du mobile. Le téléphone mobile est devenu pour
beaucoup de gens, moi y compris, le moyen de communication personnel vous
permettant d'être joignable à tout moment où que vous soyiez. Toutefois
l'internet mobile est encore du domaine du rêve. Comme expliqué dans un article
sur la téléphonie mobile en Finlande, les nouveaux services offerts par les
téléphones GSM sont extrêmement primitifs et très chers, si bien que le Wap a
reçu le sobriquet de "Wait And Pay".

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

Le multilinguisme s'est beaucoup développé. De nombreux sites de commerce
électronique sont maintenant multilingues, et il existe maintenant des sociétés
qui vendent des produits permettant la localisation des sites (adaptation des
sites aux marchés nationaux, ndlr).

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

J'ai difficulté à croire que les gens sont prêts à lire sur un écran. En ce qui
me concerne, je préfère de beaucoup toucher et lire un vrai livre.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Le cyberespace est notre espace virtuel, à savoir l'espace de l'information
numérique (constitué de bits, et non d'atomes). Si on considère son spectre, il
s'agit d'un espace limité. Il doit être géré de telle façon que tous les
habitants de la planète puissent l'utiliser et en bénéficier. Il faut donc
éliminer la fracture numérique.

= Et la société de l'information?

La société de l'information est l'ensemble des personnes utilisant
quotidiennement le cyberespace de manière intensive et qui n'envisageraient pas
de vivre sans cela, à savoir les nantis, ceux qui sont du bon côté de la
fracture numérique.

*Entretien du 8 juillet 2001 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Ce qui me vient à l'esprit est le changement considérable apporté par le fait
que j'ai maintenant une connexion à débit rapide chez moi. Le fait d'être
constamment connecté est totalement différent du fait de se connecter de temps à
autre par la ligne téléphonique.

Je reçois maintenant mes messages dès leur arrivée dans ma messagerie. Je peux
écouter mes stations radio préférées où qu'elles soient. Je peux écouter les
actualités quand je veux. Et aussi écouter la musique que j'aime à longueur de
journée.

Aujourd'hui par exemple j'ai suivi les commentaires et le score du championnat
de tennis de Wimbledon en temps réel. La seule chose qui manque est une vidéo de
bonne qualité en temps réel. La largeur de bande est encore insuffisante pour
cela.

Mon domicile est maintenant équipé d'un réseau local avec et sans fil. Je peux
utiliser mon ordinateur portable partout à l'intérieur et à l'extérieur de la
maison, et même chez les voisins, tout en restant connecté. La même technologie
me permet maintenant d'utiliser la carte de réseau local sans fil de mon
ordinateur quand je voyage. Par exemple, lors de mon dernier voyage à Stockholm,
je pouvais être connecté à l'hôtel, au centre de conférences, à l'aéroport et
même au pub irlandais!


MURRAY SUID (Palo Alto, Californie)


#Ecrivain, travaille pour EDVantage Software, une société internet de logiciels
éducatifs

Murray Suid vit à Palo Alto (Californie), une ville située au coeur de la
Silicon Valley. Il est l'auteur de livres pédagogiques (par exemple Ten-Minute
Grammar Grabbers), de livres pour enfants (par exemple The Kids' How to Do
Almost Everything Guide), de réalisations multimédia (par exemple The Writing
Trek) et de scénarios (par exemple Summer of the Flying Saucer - produit par la
société irlandaise Magma Films en 2001).

*Entretien du 7 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel est l'apport de l'internet dans votre vie professionnelle?

L'internet est devenu mon principal instrument de recherche, et il a largement -
mais pas complètement - remplacé la bibliothèque traditionnelle et la
communication de personne à personne pour une recherche précise. A l'heure
actuelle, au lieu de téléphoner ou d'aller interviewer les gens sur rendez-vous,
je le fais par courrier électronique. Du fait de la rapidité inhérente à la
messagerie électronique, j'ai pu collaborer à distance avec des gens,
particulièrement pour des scénarios. J'ai par exemple travaillé avec deux
producteurs allemands.

Cette correspondance est également facile à conserver et à organiser, et je peux
donc aisément accéder à l'information échangée de cette façon. De plus, le fait
d'utiliser le courrier électronique permet aussi de garder une trace des idées
et des références documentaires. Ce type de courrier fonctionnant bien mieux que
le courrier classique, l'internet m'a permis de beaucoup augmenter ma
correspondance. De même le rayon géographique de mes correspondants s'est
beaucoup étendu, surtout vers l'Europe. Auparavant, j'écrivais rarement à des
correspondants situés hors des Etats-Unis. C'est également beaucoup plus facile,
je prends nettement plus de temps qu'avant pour aider d'autres écrivains dans
une sorte de groupe de travail virtuel. Ce n'est pas seulement une attitude
altruiste, j'apprends beaucoup de ces échanges qui, avant l'internet, me
demandaient beaucoup plus d'efforts.

= Comment voyez-vous la relation entre l'imprimé et l'internet?

Tout d'abord, l'internet est au service de l'imprimé. Je n'aurais jamais pu
préparer mon dernier livre publié, The Kids' How to Do (Almost) Everything
Guide, sans utiliser le courrier électronique parce que cela m'aurait coûté trop
de temps et d'argent pour localiser les experts. L'internet est un outil de
recherche majeur pour les auteurs de livres, d'articles, etc.

De même, à notre époque qui bouge si vite, de nombreuses données ne restent pas
valables longtemps, si bien que le contenu des livres devient vite obsolète.
Mais un livre peut avoir un prolongement sur le web - et donc vivre en partie
dans le cyberespace. L'auteur peut ainsi aisément l'actualiser et le corriger,
alors qu'auparavant il devait attendre longtemps jusqu'à l'édition suivante,
quand il y en avait une.

En termes de marketing, le web devient également indispensable, particulièrement
pour les petits éditeurs qui ne peuvent se permettre de publicité dans les
principaux magazines ou émissions de radio. Bien que les grandes maisons
d'édition aient toujours l'avantage, grâce au cyberespace les petits éditeurs
peuvent mettre en place une stragégie de marketing efficace.

Les livres sur support papier seront encore disponibles pendant quelque temps,
parce que nous avons l'habitude de ce support. De nombreux lecteurs aiment le
toucher du papier, et le poids du livre dans les mains ou dans un sac. Je n'ai
pas encore eu l'occasion d'utiliser un livre numérique, mais j'aimerais faire
cette expérience, à cause de la facilité de recherche, des possibilités de
couleur et de son envisagées à l'avenir, etc. De toute évidence les livres
multimédia peuvent être facilement téléchargés à partir du web et, même si ce
n'est pas encore le cas, de tels livres domineront à l'avenir le marché de
l'édition.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je ne sais pas très bien, parce que ne suis pas très au fait des aspects
techniques de l'internet. J'aimerais avoir directement accès à des oeuvres
numériques de la Library of Congress, par exemple, de la même façon que les
archives de journaux, que je lis maintenant en ligne. Pour le moment, je trouve
bien des livres en ligne (en mode image, ndlr), mais j'ai besoin d'avoir une
version imprimée pour les utiliser. Je préférerais avoir accès en ligne à une
version en mode texte et copier les parties dont j'ai besoin pour mon travail,
au lieu d'avoir à photocopier ou scanner les pages qui m'intéressent.

J'espère que l'internet proposera bientôt la téléphonie avec vidéo, ce serait un
progrès vraiment appréciable.

Je ne sais pas si je publierai des livres sur le web, au lieu de les publier en
version imprimée. J'utiliserai peut-être ce nouveau support si les livres
deviennent multimédias. Pour le moment je participe au développement de matériel
pédagogique multimédia. C'est un nouveau type de matériel qui me plaît beaucoup
et qui permet l'interactivité entre des textes, des films, des documents audio
et des graphiques tous reliés les uns aux autres.

*Entretien du 3 août 1999 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre entretien de 1998?

En plus des livres complétés par un site web, je suis en train d'adopter la même
formule pour mes oeuvres multimédia - qui sont sur CD-Rom - afin de les
réactualiser et d'enrichir leur contenu.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

Je pense que la solution est de créer des unités d'information ne pouvant être
volées. En d'autres termes, l'oeuvre qui est vendue doit avoir plus de valeur
que sa copie. Par exemple, il est pour le moment plus facile et meilleur marché
d'acheter un de mes livres que de le photocopier dans son intégralité. J'essaie
donc de concevoir mes livres de telle façon que toutes les pages aient leur
utilité, et non seulement quelques-unes.

J'aimerais vendre mes livres en ligne - au format PDF - mais je n'ai pas encore
étudié la manière d'empêcher les acheteurs de redistribuer les fichiers. Ceci
est peut-être possible par le cryptage. Mais je ne connais pas cette technique.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

La rencontre avec des experts et des auteurs qui ont participé à mes projets de
publications.

= Et votre pire souvenir?

Avoir été insulté par une personne que je ne connaissais pas, et qui avait très
mauvaise opinion de moi alors qu'elle ne savait absolument rien à mon sujet.

*Entretien du 11 octobre 2000 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre entretien de 1999?

EDVantage Software, notre société, est maintenant une société internet et non
plus une société multimédia (CD-Rom). Nous procurons du matériel pédagogique en
ligne aux étudiants et aux professeurs.

= Utilisez-vous encore beaucoup le papier?

Non, nous utilisons très peu de papier. Nous faisons cependant quelques
impressions, surtout pour les réunions au cours desquelles nous discutons des
manuscrits.

= Pensez-vous que le papier sera encore utilisé à l'avenir?

J'espère que non.

= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?

Je n'ai pas encore eu l'occasion d'en utiliser un.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Il est n'importe où, c'est-à-dire partout. L'exemple le plus simple est ma boîte
aux lettres électronique, qui me suit où que j'aille.

= Et la société de l'information?

Une société dans laquelle les idées et le savoir sont plus importants que les
objets.


JUNE THOMPSON (Hull, Royaume-Uni)


#Directeur du C&IT (Communications & Information Technology) Centre, basé à
l'Université de Hull

Depuis ses débuts en 1989, le C&IT Centre fait partie de l'Institut des langues
de l'Université d'Hull (Royaume-Uni), et vise à promouvoir l'utilisation des
ordinateurs dans l'apprentissage et l'enseignement des langues. Le Centre donne
des informations sur la manière dont l'apprentissage des langues assisté par
ordinateur peut être effectivement intégré à des cours existants en offrant un
soutien aux professeurs qui utilisent l'informatique dans l'enseignement qu'ils
dispensent (par exemple dans la rubrique: Internet Resources for Language
Teachers and Learners).

Hébergé par le C&IT Centre, EUROCALL (European Association for Computer Assisted
Language Learning) regroupe des professeurs de langues exerçant en Europe et
dans le monde entier. L'association a pour but de promouvoir l'utilisation des
langues étrangères en Europe, l'utilisation de la technologie pour
l'apprentissage des langues à l'échelon européen, et l'élaboration et la
diffusion d'un matériel de qualité. Un congrès annuel fait le point sur les
recherches et les applications dans ce domaine.

EUROCALL a contribué à la création de WELL (Web Enhanced Language Learning).
Destiné à l'enseignement supérieur au Royaume-Uni, ce programme vise à
développer l'utilisation du web pour l'apprentissage des langues et à
sensibiliser les professeurs sur les possibilités offertes par le web et les
nouvelles technologies. Le site permet l'accès à des ressources web de qualité
dans douze langues différentes. Sélectionnées et décrites par des experts, ces
ressources sont complétées par des informations et des exemples sur la manière
de les utiliser pour l'enseignement ou l'apprentissage d'une langue.

*Entretien du 14 décembre 1998 (entretien original en anglais)

= Quel a été l'apport de l'internet dans votre activité?

L'utilisation de l'internet a apporté une nouvelle dimension à notre tâche, qui
consiste à aider les professeurs de langue à utiliser les nouvelles technologies
dans ce domaine.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?

Avec l'internet, on a la possibilité de davantage utiliser les langues
étrangères, aussi notre organisation ne soutient absolument pas la suprématie de
l'anglais en tant que langue de l'internet. A ce sujet, une intéressante
conférence a été donnée par Madanmohan Rao à la Conférence WorldCALL de
Melbourne en juillet 1998.

A mon avis, dans un avenir proche, l'utilisation de l'internet pour les langues
va continuer à se développer en même temps que d'autres supports (par exemple
l'utilisation de CD-Rom - certains établissements n'ont pas suffisamment de
matériel informatique en réseau), dans le cadre d'activités à caractère
pédagogique. Dans cette optique, notre organisme travaille étroitement avec le
projet WELL (Web Enhanced Language Learning).


JACQUES TRAHAND (Grenoble)


#Vice-président de l'Université Pierre Mendès France, chargé de l'enseignement à
distance et des TICE (technologies de l'information et de la communication pour
l'éducation)

*Entretien du 17 décembre 1999

= Pouvez-vous présenter le site web de votre université?

Ce site a été restructuré depuis 1996 pour éviter une trop grande hétérogénéité
des présentations des différentes unités et équipes de notre université. Il vise
entre autres à donner une meilleure information aux étudiants français et
étrangers qui envisagent de venir étudier dans notre université.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis vice-président chargé de l'enseignement à distance et des technologies
de l'information et de la communication pour l'éducation. A ce titre je
supervise le déploiement des technologies permettant d'améliorer les services
aux étudiants (et donc aux enseignants, aux personnels administratifs et à tous
les acteurs et partenaires).

= Dans quelle mesure l'internet a-t-il changé votre vie professionnelle?

Internet est un nouveau type de ressource utilisable pour chercher, produire et
stocker des connaissances, à ce titre les activités de formation et de recherche
ne peuvent l'ignorer. Ce nouveau média modifie les contraintes liées à l'espace
(présentiel versus distant) et au temps (synchrone versus asynchrone).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Il va falloir inventer et organiser les nouveaux métiers de la formation
(éditeur, médiateur, tuteur, évaluateur...) et les faire prendre en compte dans
les institutions de formation.

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?

Ces problèmes me semblent voisins de ceux du photocopiage. Il faut développer un
code de bons usages et tenter de le faire respecter.


PAUL TREANOR (Pays-Bas)


#Gère sur son site personnel une section consacrée à l'avenir des langues en
Europe

Créé en 1996 par Paul Treanor, ce site web est divisé en six parties: idéologie
de l'internet et du cyberespace, géopolitique et nationalisme, avenir de
l'Europe, théorie et planification urbaines, libéralisme et éthique, et
questions académiques. Certaines pages - dont le contenu prêtant à controverse
pourrait donner lieu à des poursuites judiciaires - ne se trouvent que sur le
site dupliqué. Ainsi, au cas où celui-ci serait fermé, le premier site se
trouverait toujours disponible. Paul Treanor écrit également des articles pour
le magazine en ligne allemand Telepolis.

*Entretien du 18 août 1998 (entretien original en anglais)

= Comment voyez-vous l'expansion du multilinguisme sur le web?

Vous parlez du web au singulier. Comme vous l'avez sans doute lu (sur mon site,
ndlr), je pense que "le web" est un concept politique, non technologique. Une
civilisation est possible avec des ordinateurs très sophistiqués mais pas
d'interconnexion. L'idée qu'il devrait exister "un web" est dérivée de la
tradition libérale du marché unique ouvert, de préférence mondial.

L'internet devrait être tout simplement découpé en nets multiples, et l'Europe
devrait couper ses liens avec les Etats-Unis et construire un autre Net
spécifique et incompatible avec le premier. (...) Rappelez-vous qu'il y a quinze
ans tout le monde pensait qu'il n'y aurait qu'un émetteur de télévision à
l'échelle mondiale, CNN. Or il existe maintenant des chaînes de télévision
nationales françaises, allemandes ou espagnoles.

La réponse à votre question est donc que l'entité "un web" sera de toute manière
divisée, probablement en quatre parties:

1. un internet propre aux Etats-Unis et au Canada, avec nombre des
caractéristiques actuelles;

2. des internets nationaux séparés, avec des liens limités avec l'extérieur;

3. un nouvel internet général pour relier entre eux les nets de la catégorie 2;

4. et peut-être un internet spécifique à l'Union européenne.

Comme vous le voyez, cette structure est parallèle à celle qui existe en
géopolitique. Toute l'infrastructure des télécommunications a suivi des modèles
similaires. (...)

La politique actuelle de l'Union européenne prétend être neutre, mais en fait
elle soutient le développement de l'anglais comme langue de contact pour
communiquer.

*Entretien du 25 juillet 1999 (entretien original en anglais)

= Quoi de neuf depuis notre premier entretien?

La nature de l'internet a profondément changé durant ces deux dernières années.
Il n'est désormais plus possible de parler de manière idéaliste de son impact
social ou politique: l'internet est devenu entièrement commercial, ce qui était
aisément prévisible. Je l'ai toujours décrit comme une structure libérale et
comme un marché de l'information. Cette main-mise du commerce est donc logique.

On dit souvent que l'internet s'apparente maintenant à la télévision. Son
contenu est certainement déterminé par les forces du marché, et il consiste de
plus en plus en un certain nombre de sites très volumineux qui proposent une
quantité considérable d'informations. D'une certaine manière ceux-ci ressemblent
à des chaînes de télévision, bien que cette métaphore ne soit pas tout à fait
exacte.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?

Le multilinguisme futur de l'internet est déterminé par les forces du marché. A
présent il n'existe pas de volonté politique d'imposer le multilinguisme. Le
fait d'avoir des informations dans plusieurs langues correspond à un intérêt
commercial, au moins pour l'Europe. Par contre, pour les différentes langues de
l'Afrique, il n'existe pas de potentiel économique.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Je ne me fais aucune illusion sur l'internet. Il ne me vient à l'esprit aucune
exception à citer.

= Et votre pire souvenir?

La pire chose que j'aie vue récemment sur l'internet est le fait que des
milliers de personnes aient ajouté le logo de la radio B92 de Belgrade sur leur
site, sans se poser de questions sur la nature de cette radio ni sur la
politique qu'elle représentait. En fait cette radio émettait déjà d'un avion de
l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). La campagne menée montre
combien il est facile de manipuler le public de ce nouveau médium.


ZINA TUCSNAK (Nancy)


#Ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et traitements
informatiques du lexique français)

L'ATILF a développé des programmes de recherche sur la langue française,
principalement son vocabulaire. Traitées par des systèmes informatiques
spécifiques, les données (lexicales et textuelles) portent sur divers registres
du français : langue littéraire (du 14e au 20e siècle), langue courante (écrite
et parlée), langue scientifique et technique (terminologies), et régionalismes.

Les bases de données de l'ATILF comprennent notamment: (1) Frantext, un corpus à
dominante littéraire constitué de textes français qui s'échelonnent du 16e au
20e siècle. Sur l'intégralité du corpus, il est possible d'effectuer des
recherches simples ou complexes (base non catégorisée). Sur un sous-ensemble
comportant des oeuvres en prose des 19e et 20e siècles, les recherches peuvent
également être effectuées selon des critères syntaxiques (base catégorisée); (2)
l'Encylopédie de Diderot et d'Alembert, en collaboration avec l'ARTFL (American
and French Research on the Treasury of the French Language) de l'Université de
Chicago. Il s'agit de la version internet de la première édition, à savoir 17
volumes de texte et 11 volumes de planches; (3) Dictionnaires d'autrefois
(16e-19e siècles): Dictionnaires de l'Académie française, 1re (1694), 5e (1798),
et 6e (1835) éditions, Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne, Thresor
de la langue françoyse (versions ancienne et moderne) de Jean Nicot,
Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle; (4) le Catalogue critique
des ressources textuelles sur internet (CCRTI), un ensemble de sites qui
diffusent des ressources textuelles en ligne sur le web, sélectionnés en
fonction de leur sérieux sur le plan du traitement éditorial et du traitement
numérique des textes; (5) le Dictionnaire de l'Académie française, 8e édition
(1932).

*Entretien du 23 octobre 2000

= Pouvez-vous présenter votre organisme?

Je fais partie du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), plus
précisément du département des Sciences de l'homme et de la société (SHS).
L'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français) participe
activement à la valorisation des innovations scientifiques et techniques et au
rayonnement de la culture française à l'étranger.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Je suis ingénieure informaticienne. Mon travail s'articule autour de deux axes
principaux: gérer des bases textuelles informatisées (Encyclopédie Diderot,
Dictionnaires d'autrefois) et assurer l'administration des serveurs de notre
laboratoire. Je gère plusieurs sites internet: Encyclopédie Diderot,
Dictionnaires d'autrefois, Webcourrier et Ressources informatiques à l'INaLF.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je ne conçois pas l'avenir sans internet. C'est une évolution constante.

= Utilisez-vous encore des documents papier?

Non, pas personnellement. Les dictionnaires électroniques et autres e-books
révolutionnent l'accès à la culture. En quelques clics, l'utilisateur peut
trouver l'information recherchée.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

L'e-book offre une combinaison d'opportunités: la digitalisation et l'internet.
Les éditeurs apportent leur titres à tous les lecteurs du monde. C'est une
nouvelle ère de la publication.

= Quelles sont vos suggestions pour un meilleur respect du droit d'auteur sur le
web?

Le droit en informatique et en particulier le droit d'auteur sur la toile est
une discipline de plus en plus développée et recherchée. Malgré quelques cas qui
ont fait jurisprudence, le législateur n'est pas en mesure de solutionner toute
la problématique actuelle. L'absence des frontières est un gros handicap.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure répartition des langues sur le
web?

C'est un vaste problème. Le meilleur moyen sera l'application d'une loi par
laquelle on va attribuer un "quota" à chaque langue. Mais est-ce que ce n'est
pas une utopie de demander l'application d'une telle loi dans une société de
consommation comme la nôtre?

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Il faudrait fournir des alternatives équivalentes au contenu visuel et auditif:
le texte peut être expédié directement à des synthétiseurs vocaux et à des
générateurs de braille et peut être représenté sur du papier.La voix synthétique
et le braille sont indispensables aux individus non voyants et mal entendants.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Je crois que, dans le cyberespace, l'information et la quantité de l'information
sont gouvernées par des lois mathématiques. Mais les modèles mathématiques n'ont
pas trouvé encore leur solution, un peu comme le mouvement perpétuel ou la
quadrature du cercle.

= Et la société de l'information?

La société de l'information peut être définie comme un milieu dans lequel se
développent la culture et la civilisation par l'intermédiaire de l'informatique,
qui restera la base et la théorie de cette société.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Mon meilleur souvenir est lié à la mise en oeuvre d'un serveur qui permet la
lecture de son courrier depuis n'importe quel ordinateur muni d'une connexion
internet. Le principe d'un tel serveur existait déjà, surtout sur des grandes
sites américains. Mais rien ne remplace la sensation du devoir accompli.

= Et votre pire souvenir?

Ce sont les CV bidons, publiés sur des pages personnelles. Surtout quand les
auteurs s'appropient des réalisations ou des activités qu'ils n'effectuent pas.
Mais cela ouvre un débat plus large sur la répression des fraudes sur internet.


FRANCOIS VADROT (Paris)


#Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press), société de cyberpresse

*Entretien du 20 mai 2000

= Pouvez-vous présenter FTPress?

FTPress (French Touch Press) est une société française de cyberpresse. Elle a
donné naissance aux sites suivants:

- www.ftpress.com, le site de la société de presse "maîtresse", qui présente le
concept, les produits, l'organisation... et les membres de l'équipe, sous forme
de portraits très personnels;

- www.internetactu.com, le site d'Internet Actu, consacré à l'actualité
d'internet et des nouvelles technologies, créé le 9 septembre 1999 sous cette
forme-là (mais successeur de LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu), qui se trouvait
au sein de la Délégation aux systèmes d'information (DSI) du CNRS (Centre
national de la recherche scientifique));

- www.pixelactu.com, le site de Pixel Actu, consacré à l'actualité de l'image
numérique, créé le 31 janvier 2000;

- www.esanteactu.com, le site de eSanté Actu, consacré à l'actualité de la
eSanté, à savoir le croisement de la santé (vue par les professionnels du
secteur) et d'internet, lancé le 16 mai 2000;

- www.lafontaine.net, le site de Jean de la Fontaine, qui présente l'intégralité
de son oeuvre, ainsi que plein de dessins, pastiches, enregistrements, et publie
quotidiennement "La fable du jour";

- www.commissairetristan.com, le site des Aventures du Commissaire Tristan, le
premier cyberpolar online (gratuit), coproduit par FTPress et AlloCiné, lancé à
mi-juin 2000.

Les projets sont nombreux pour les prochains mois.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

En (très) résumé, cela consiste à développer une société, FTPress, spécialisée
dans la presse online (enfin pour l'instant, car tout bouge tellement vite que
ce pourrait bien ne plus être le cas dans quelques mois). Le concept de FTPress
est de réaliser des médias professionnels spécialisés chacun dans un secteur
économique: la santé, l'automobile, l'image numérique, les ressources humaines,
la logistique, etc. Chaque média traite de l'économie, de la technologie, des
aspects politiques et sociaux, d'un secteur modifié par l'arrivée des nouvelles
technologies et d'internet. Le premier a été Internet Actu, créé au CNRS en
février 1996, suivi de Pixel Actu (février 2000), puis de eSanté Actu (mai
2000). Nous sommes partis de l'écrit, mais nous allons maintenant vers le
multimédia, avec prochainement des émissions de télévision. FTPress réalise
aussi des médias pour des tiers.

= Comment voyez-vous votre avenir professionnel?

Mon avenir professionnel, je le vois comme un présent professionnel. Si vous
m'aviez posé cette question il y a deux ans, je vous aurais répondu qu'à force
de travailler avec internet (en tant que directeur aux systèmes d'information du
CNRS) et à propos d'internet (en tant que directeur de la publication LMB Actu),
je rêvais de créer une entreprise internet. Mais je me demandais alors comment
m'y prendre. Si vous me l'aviez posée il y a un an, je vous aurais répondu que
j'avais fait le saut, que les dés étaient jetés, et que j'avais annoncé mon
départ de l'administration... pour créer FTPress. Je ne pouvais plus supporter
de rester où j'étais. Je devenais aigre. C'était créer mon entreprise ou bien...
prendre une année sabbatique à ne rien faire. Et aujourd'hui je suis en plein
dedans. J'ai l'impression de vivre les histoires que l'on lit dans la presse sur
les start-ups. C'est dur à supporter physiquement, tant le développement est
rapide. Alors, mon avenir, je le vois à la plage, sans internet, pour me reposer
avec ma femme ;-)

= Que pensez-vous des débats liés au respect du droit d'auteur sur le web?
Quelles solutions pratiques suggérez-vous?

Ces débats sont fondés. Certaines personnes, souvent d'ailleurs celles qui ont
le pouvoir donné par une institution d'appartenance, s'assoient sur le droit
d'auteur, n'hésitant pas à apposer leur nom sur un texte écrit par un autre.
Chez FTPress, nous appliquons grosso modo le principe de la GPL (general public
licence, licence publique qui sert de fondement à Linux, ndlr) pour les
logiciels libres. Nos textes sont reproductibles gratuitement dans la mesure où
ce n'est pas fait dans des fins commerciales, et bien sûr sous réserve que la
source soit mentionnée. Quant aux auteurs des dits textes, ils sont rémunérés
normalement, avec un statut de journalistes, et également intéressés dans
l'entreprise, par le jeu de bons de souscription (alias stock options). Cet
intéressement aux résultats et à la valeur de l'entreprise complète la
rémunération traditionnelle du journaliste pour un texte destiné à une
publication déterminée. En contrepartie, FTPress ne paie plus les auteurs si le
texte est revendu à un tiers (qui en fait un usage commercial). Je pense que
c'est une solution à cette question dans le domaine de la presse. Mais c'est un
problème complexe et varié, qui ne peut trouver une seule réponse.

= Comment voyez-vous l'évolution vers un internet multilingue?

Je ne sais pas répondre, sinon une banalité, comme: "chacun gardera son langage
privilégié, avec l'anglais comme langue d'échange". Mais peut-on réellement
penser que toute la population du monde va communiquer dans tous les sens?
Peut-être? Via des systèmes de traduction instantanée, par écrit ou par oral?
J'ai du mal à imaginer qu'on verra de sitôt des outils capables de translater
les subtilités des modes de pensée propres à un pays: il faudrait pour lors
traduire, non plus du langage, mais établir des passerelles de sensibilité. A
moins que la mondialisation n'uniformise tout cela? En résumé, je pense que la
bonne question est celle d'un internet multiculturel.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Quand nous avons franchi la barre des 10.000 abonnés à LMB Actu, début 1998.

= Et votre pire souvenir?

Une fois, quand nous avons écrit une bêtise dans Internet Actu, et que les
messages incendiaires des abonnés ont commencé à arriver en trombe, dans les dix
minutes suivant l'envoi. On a tous commencé à paniquer, car on venait de
basculer LMB Actu dans le privé et la société FTPress ne reposait que sur le
successeur, Internet Actu. Un désabonnement massif et c'en était fini de nous.
Mais finalement, toutes ces réactions nous ont permis de démarrer la tribune des
lecteurs, qui a été bien appréciée! Souvent, les erreurs ont du bon, du moment
qu'on les avoue, et qu'on l'affiche ouvertement: ces échanges créent des liens
entre les lecteurs et les auteurs.

*Entretien du 25 novembre 2000

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Plein de choses! De nouveaux magazines (DRH Actu, NetLocal Actu, Automates
intelligents dans quelques jours, Correspond@nces avec la Fondation la Poste,
etc.), de la TV (avec un studio propre), un nouveau système d'information (ou de
production) très puissant (Reef.com), le kiosque de presse (avec des partenaires
presse externe, à commencer par Diora), etc.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Ça n'a pas changé: j'imprime souvent nos propres publications pour les lire dans
les transports en commun. Je n'ai pas beaucoup le temps de lire, hormis des
romans.

= Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui?

Oui, il a encore de l'avenir, il y aura toujours du papier, ou si ce n'est pas
le papier (matériau) que l'on connaît, ce sera un support souple, léger et fin
comme lui (pour dans dix ans en principe).

= Quel est votre sentiment sur le livre électronique?

Ce n'est rien d'autre qu'un ordinateur portable dédié. Je ne vois pas bien
pourquoi on se priverait des autres fonctions de l'ordinateur, quitte à
transporter un écran.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Ne pas abuser des interfaces purement graphiques, et conserver une distribution
en texte simple (il n'y a d'ailleurs pas que les aveugles qui apprécient).

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Rien d'original... Je ne vois pas très bien quoi rajouter au sens des deux mots
qui composent ce terme.

= Et la société de l'information?

Une société dont l'information est le moteur, dans tous les sens du terme.


CHRISTIAN VANDENDORPE (Ottawa)


#Professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture

Professeur à l'Université d'Ottawa (Canada) et sémioticien spécialisé dans les
théories de la lecture, Christian Vandendorpe est l'auteur d'un essai intitulé
Du papyrus à l'hypertexte (La Découverte, Paris, 1999).

*Entretien du 21 mai 2001

= Pouvez-vous vous présenter?

Je suis professeur à l'Université d'Ottawa. Intéressé par la sémiotique (théorie
générale des signes et des systèmes de significations linguistiques, ndlr), j'ai
fait une thèse sur la lecture de la fable. J'ai découvert l'hypertexte comme
outil de rédaction à partir de la réalisation d'une grammaire sur disque compact
pour mes étudiants, Communication écrite (Didascom, Kingston, 1999). C'est pour
raffiner ma réflexion sur ce nouvel environnement d'écriture et de lecture que
j'ai rédigé un essai, Du papyrus à l'hypertexte.

= Comment voyez-vous l'avenir de l'imprimé?

Le papier est un support remarquable: léger, économique, polyvalent, et dont les
diverses textures en appellent non seulement au sens de la vue, mais aussi au
toucher et à l'odorat. Il a encore de beaux jours devant lui, surtout pour les
ouvrages de luxe ou de prestige et que l'on voudra pouvoir manipuler et
conserver pour leur valeur en tant qu'objets. Le papier va aussi rester comme
support pour des textes d'une certaine ampleur que l'on voudra pouvoir lire à
loisir. L'impression sur demande va répondre à cette demande. En même temps, les
textes destinés à la lecture courante vont de plus en plus être appréhendés sur
des supports numériques. C'est déjà le cas pour le courrier électronique et les
activités de lecture sur le web. Mais l'ordinateur n'est pas un support idéal
pour la lecture, en raison de la position qu'il impose au lecteur. En outre, la
technologie de l'hypertexte encourage une lecture ergative, tournée vers
l'action et la recherche de réponses brèves et rapides plutôt que vers la
lecture de fiction ou d'essais.

= Comment voyez-vous l'avenir de l'internet?

Cet outil fabuleux qu'est le web peut accélérer les échanges entre les êtres,
permettant des collaborations à distance et un épanouissement culturel sans
précédent. Mais cet espace est encore fragile. Il risque d'être confisqué par
des juridictions nationales. Ou il peut être transformé en une gigantesque
machine à sous au moyen de laquelle la quasi-totalité de nos activités entrerait
dans le circuit économique et ferait l'objet d'une tarification minutée. On ne
peut pas encore prédire dans quel sens il évoluera. Le phénomène Napster a
contribué à un début de prise en main par les juges, qui tendent à imposer sur
cet espace les conceptions en vigueur dans le monde physique. On pourrait ainsi
en étouffer le potentiel d'innovation. Il existe cependant des signes
encourageants, notamment dans le développement des liaisons de personne à
personne et surtout dans l'immense effort accompli par des millions
d'internautes partout au monde pour en faire une zone riche et vivante. Il faut
aussi saluer la décision du MIT (Masachusetts Institute of Technology) de placer
tout le contenu de ses cours sur le web d'ici dix ans, en le mettant
gratuitement à la disposition de tous. Entre les tendances à la privatisation du
savoir et celles du partage et de l'ouverture à tous, je crois en fin de compte
que c'est cette dernière qui va l'emporter.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Le livre électronique va accélérer cette mutation du papier vers le numérique,
surtout pour les ouvrages techniques. Mais les développements les plus
importants sont encore à venir. Lorsque le procédé de l'encre électronique sera
commercialisé sous la forme d'un codex numérique plastifié offrant une parfaite
lisibilité en lumière réfléchie, comparable à celle du papier - ce qui devrait
être courant vers 2010 ou 2015 -, il ne fait guère de doute que la part du
papier dans nos activités de lecture quotidienne descendra à une fraction de ce
qu'elle était hier. En effet, ce nouveau support portera à un sommet l'idéal de
portabilité qui est à la base même du concept de livre. Tout comme le codex
avait déplacé le rouleau de papyrus, qui avait lui-même déplacé la tablette
d'argile, le codex numérique déplacera le codex papier, même si ce dernier
continuera à survivre pendant quelques décennies, grâce notamment au procédé
d'impression sur demande qui sera bientôt accessible dans des librairies
spécialisées. Avec sa matrice de quelques douzaines de pages susceptibles de
permettre l'affichage de millions de livres, de journaux ou de revues, le codex
numérique offrira en effet au lecteur un accès permanent à la bibliothèque
universelle. En plus de cette ubiquité et de cette instantanéité, qui répondent
à un rêve très ancien, le lecteur ne pourra plus se passer de l'indexabilité
totale du texte électronique, qui permet de faire des recherches plein texte et
de trouver immédiatement le passage qui l'intéresse. Enfin, le codex numérique
permettra la fusion des notes personnelles et de la bibliothèque et accélérera
la mutation d'une culture de la réception vers une culture de l'expression
personnelle et de l'interaction.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

En gros, je suis assez favorable aux positions défendues aux États-Unis par
l'Electronic Frontier Foundation (EFF). D'abord, il me paraît prématuré de
légiférer en cette matière, alors même que nous sommes au milieu d'un changement
de civilisation. Il faudrait sans doute revoir les principes philosophiques sur
lesquels repose la législation actuelle au lieu de prendre pour acquis qu'ils
sont valides, tels quels et sans plus d'examen, dans le nouvel environnement
technologique en train de se mettre en place. Plusieurs arguments militent en
faveur d'une telle révision. D'abord, l'expérience de la lecture et
l'appréhension du texte ne sont pas du même ordre selon qu'elles s'effectuent à
partir d'un livre, d'un écran d'ordinateur, d'un livre électronique ou, demain,
d'un codex numérique. Il y aurait donc lieu de faire des distinctions au plan du
droit de citation ou du droit de lecture. Si, sur un écran, la valeur d'usage du
texte n'est pas la même, ni sa pérennité en tant qu'objet, les droits ne
devraient pas s'appliquer non plus de la même façon.

Idéalement, l'ensemble de la production intellectuelle devrait être accessible
sur le web après dix ans (et même sans aucun délai en ce qui concerne les
articles scientifiques). On ne paierait pour lire que si l'on choisissait de
faire imprimer un texte donné en format codex dans une librairie agréée ou si
l'on choisissait de le télécharger sur son livre électronique ou son codex
numérique. Évidemment, le fait qu'un texte soit accessible gratuitement sur le
web ne signifierait pas que l'on ait le droit de se l'approprier. La paternité
intellectuelle est un droit inaliénable. Et la piraterie resterait un délit: il
ne serait pas permis à un éditeur d'éditer à son profit un texte qu'il aurait
"trouvé" sur le web.

Un autre argument à considérer est que la nouvelle technologie accélère la
globalisation des échanges et que les conditions d'épanouissement de la culture
sont en train de changer. On invoque généralement à l'appui du droit d'auteur le
fait que l'absence de rétribution des artistes aurait un effet négatif sur la
création. Mais est-ce vraiment le cas dans la situation actuelle? On voit en
effet des auteurs très créatifs qui ne retirent guère de droits par manque d'une
commercialisation adéquate; en revanche, des auteurs qui bénéficient d'une
position dominante dans la distribution commerciale amassent des fortunes avec
des productions insignifiantes. Le mouvement de globalisation va renforcer à
l'extrême cette inégalité. En bref, on peut se demander si, au lieu de favoriser
la diversité culturelle, le droit d'auteur ne sert pas principalement à la
constitution d'immenses conglomérats de distribution qui imposent des produits
standardisés. Au lieu de renforcer ce phénomène de commercialisation de la
culture, et de criminaliser les comportements de millions d'usagers, il serait
plus intéressant, d'un point de vue culturel, de faire du web une zone franche,
à l'égal de la bibliothèque publique, où chacun peut être en contact avec la
rumeur du monde, tant et aussi longtemps que l'on ne fait de celle-ci qu'un
usage privé.

Surtout, il faut craindre les effets pervers d'une juridiction "dure" en matière
de droits d'auteur. Pour en gérer l'application, les empires commerciaux vont
exiger la mise en place de mécanismes de traçabilité des oeuvres qui
transformeront le web, et donc notre principal instrument d'accès à la culture,
en un immense réseau grillagé où seront entièrement placées sous contrôle non
seulement nos habitudes de consommation, mais aussi nos habitudes de lecture.
Une perspective qui fait peur et qui marquerait la fin de la bibliothèque.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

C'est le nouveau territoire de la culture, un espace qui pourrait jouer le rôle
de l'Agora dans la Grèce ancienne, mais à un niveau planétaire.


ROBERT WARE (Colorado)


#Créateur de OneLook Dictionaries, un moteur permettant une recherche rapide
dans 650 dictionnaires

Créé par Robert Ware, OneLook Dictionaries est un moteur de recherche puisant
dans les quelque 3 millions de mots de 750 dictionnaires (chiffres 2001)
traitant de sujets divers (affaires, argot, généralités, informatique et
internet, médecine, religion, sciences, sports, technologie, etc.) dans diverses
langues (en anglais, français, allemand, italien et espagnol). Son correspondant
français est Dicorama.

*Entretien du 2 septembre 1998 (entretien original en anglais)

= Comment voyez-vous l'évolution vers un web multilingue?

A titre personnel, je suis presque uniquement en contact avec des gens qui ne
pratiquent qu'une langue et ne sont pas très motivés pour développer leurs
aptitudes linguistiques. Etre en contact avec le monde entier change cette
approche des choses. Et la change en mieux! J'ai été long à inclure des
dictionnaires non anglophones (en partie parce que je suis monolingue). Mais
vous en trouverez maintenant quelques-uns.

Un fait intéressant s'est produit dans le passé qui a été très instructif pour
moi.

En 1994, je travaillais pour un établissement scolaire et j'essayais d'installer
un logiciel sur un modèle d'ordinateur particulier. J'ai trouvé une personne qui
était en train de travailler sur le même problème, et nous avons commencé à
échanger des courriers électroniques. Soudain, cela m'a frappé... Le logiciel
avait été écrit à 40 km de là, mais c'était une personne située de l'autre côté
de la planète qui m'aidait. Les distances et les considérations géographiques
n'importaient plus!

En effet c'est épatant, mais à quoi cela nous mène-t-il? Je ne puis communiquer
qu'en anglais mais, heureusement, mon correspondant pouvait utiliser aussi bien
l'anglais que l'allemand qui était sa langue maternelle. L'internet a supprimé
une barrière, celle de la distance, mais il subsiste la barrière de la langue,
bien réelle.

Il semble que l'internet propulse simultanément les gens dans deux directions
différentes. L'internet, anglophone à l'origine, relie les gens dans le monde
entier. Par là même il favorise une langue commune pour communiquer. Mais il
crée aussi des contacts entre des personnes de langues différentes et permet
ainsi le développement d'un intérêt plus grand pour le multilinguisme. Si une
langue commune est appréciable, elle ne remplace en aucun cas cette nécessité.

L'internet favorise ainsi à la fois une langue commune et le multilinguisme, et
ceci est un facteur qui aide à trouver des solutions. L'intérêt croissant pour
les langues et le besoin qu'on en a stimulent de par le monde la création de
cours de langues et d'instruments d'aide linguistique, et l'internet fournit la
possibilité de les rendre disponibles rapidement et à bon marché.


RUSSON WOOLDRIDGE (Toronto)


#Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto et
créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne

Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, Russon
Wooldridge est créateur de sites dans le domaine des études françaises (voir son
site professionnel, notamment "Summary of electronic publications"), dont le Net
des études françaises. Il est également éditeur en ligne (revue, actes de
colloques) et chercheur (histoire de la langue, évolution des médias du papier
et du web).

*Entretien du 8 février 2001

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Aider les étudiants à vivre en français (cours de langue de première année du
1er cycle d'études, par exemple), à perfectionner leurs compétences
linguistiques (cours de traduction de quatrième année du 1er cycle, par
exemple), à approfondir leur connaissance de domaines spécifiques du savoir
exprimés en français (cours et thèses de 2e et 3e cycles) et, à tous les
niveaux, à se servir des outils appropriés. Mes activités de recherche,
autrefois menées dans une tour d'ivoire, se font maintenant presque uniquement
par des collaborations locales ou à distance.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

Pour moi, c'est presque la même question. Tout mon enseignement exploite au
maximum les ressources d'internet (le web et le courriel): les deux lieux
communs d'un cours sont la salle de classe et le site du cours, sur lequel je
mets tous les matériaux des cours. Je mets toutes les données de mes recherches
des vingt dernières années sur le web (réédition de livres, articles, textes
intégraux de dictionnaires anciens en bases de données interactives, de traités
du 16e siècle, etc.). Je publie des actes de colloques, j'édite un journal, je
collabore avec des collègues français, mettant en ligne à Toronto ce qu'ils ne
peuvent pas publier en ligne chez eux. En mai 2000 j'ai organisé à Toronto un
colloque international sur "Les études françaises valorisées par les nouvelles
technologies". Tout cela se trouve sur mon site.

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je me rends compte que sans internet mes activités seraient bien moindres, ou du
moins très différentes de ce qu'elles sont actuellement. Donc je ne vois pas
l'avenir sans. Mais il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des
connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu,
par les intérêts commerciaux. Ce qui se passe dans l'édition du livre en France,
où on n'offre guère plus en librairie que des manuels scolaires ou pour concours
(c'est ce qui s'est passé en linguistique, par exemple), doit être évité sur le
web. Ce n'est pas vers les amazon.com qu'on se tourne pour trouver la science
désintéressée. Sur mon site, je refuse toute sponsorisation.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

J'imprime de moins en moins. Alors qu'il y a trois ans je distribuais encore
beaucoup de papier à mes étudiants, depuis quelque temps je mets tout sur le web
et c'est à eux d'imprimer, s'ils le souhaitent! Je n'envoie plus de papier à mes
correspondants; je leur écris par courriel et, si j'ai un document à leur
transmettre, je l'envoie en fichier attaché en format html. Je n'écris plus pour
le papier mais uniquement pour le web. Je prends toujours plaisir, quand même, à
lire un roman relié ou un journal sur papier, bien que je consulte régulièrement
la presse en ligne.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Dangereux de jouer aux prophètes! Le sort de l'imprimé dépendra peut-être plus
de facteurs écolo-économiques que de facteurs humains ou sociaux. Que peut faire
en général le goût ou l'habitude face aux forces économiques? On peut constater
que le coût du papier va en augmentant, que le nombre d'arbres va en diminuant,
que la pollution croît tous les jours, qu'un ordinateur utilise de moins en
moins d'électricité avec chaque nouveau modèle. La fabrication du papier
est-elle, sera-t-elle, plus ou moins polluante et consommatrice de sources
naturelles que la fabrication de l'électricité?

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Il est certain que le livre électronique devient de plus en plus attrayant avec
les progrès techniques, tout comme les jeux électroniques. Je dois avouer que je
ne m'intéresse de près ni aux livres électroniques, ni aux jeux électroniques.
Je lis en ligne pour mon travail, mais je préfère quitter mon ordinateur quand
il s'agit de lire pour le plaisir.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

C'est une question importante, qui est loin d'être résolue. Je préfère parler de
la propriété intellectuelle. On a le modèle du livre imprimé: si un auteur
universitaire publie un livre sur papier, son institution n'en réclame pas la
propriété, alors qu'il arrive qu'un livre publié sur un serveur institutionnel
soit considéré comme appartenant à l'institution en question, ce qui est, à mon
avis, injuste. A part cela, tout ce que l'auteur peut faire est de mettre un
copyright à son nom sur les textes qu'il a écrits et qu'il publie en ligne et
puis compter sur sa réputation pour que ses lecteurs "sérieux" en sachent la
provenance. Le piratage a toujours existé: Voltaire voyait ses livres publiés
anonymement en Hollande au 18e siècle, par exemple.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

Je n'ai pas de compétence pour répondre à cette question. La technologie
trouvera sûrement un moyen de rendre l'accès possible par chacun des cinq sens,
l'odorat y compris.

= Comment définissez-vous le cyberespace?

Je travaille dans la même université que Marshall McLuhan autrefois (nos
carrières se sont un moment croisées). Le "village global" qu'il entrevoyait à
l'époque de la radio et de la télévision est devenu une réalité dans l'ère
d'internet. Mais un village sans classes sociales (il n'y a pas de châtelain).

= Et la société de l'information?

Si on veut parler de "société" il ne peut pas être question d'une opposition
"haves" vs. "have-nots" (munis vs. démunis), sauf dans la mesure où l'accès à
l'information est plus ou moins libre ou limité d'un point de vue technologique
ou économique, voire politique. Par exemple, l'accès à l'information en ligne
est plus libre au Canada qu'en France, plus libre en France qu'en Algérie, etc.
Internet est potentiellement un moyen pour que chacun puisse s'approprier son
propre contrôle de l'information, qui n'est plus diffusée par les seuls canaux
dirigistes, comme l'Edition ou l'Université, entre autres.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Une lettre que j'ai reçue par courriel à propos de mon site sur le Dictionnaire
de l'Académie française. Je la cite intégralement:

"Sujet: 'Bravo! mais encore un effort' / Bonjour, Je m'appelle Sophie, j'ai 10
ans, et je suis contente de trouver un dictionnaire sur internet. Mais je
voudrais tout trouver, j'ai un exposé à faire sur la Fête du travail (1er mai)
et ma requête n'a pas abouti... L'on voudrait tout trouver... Merci encore.
Sophie"

= Et votre pire souvenir?

Voyons... (j'ai tendance à évacuer les mauvais souvenirs). Je pense ne pas avoir
vraiment de "pire souvenir" en fait. Disons plutôt quelques déceptions quand je
donne à X, Y et Z (et à d'autres) et que X, Y et Z ne donnent rien en retour. Je
connais pas mal de "chercheurs" carriéristes. Stoïque et un peu cynique,
j'observe d'un oeil désabusé, mais quand même dégoûté, le détournement
mercantile de matériaux créés en premier lieu dans le but de les mettre
librement en ligne (un cas particulier est documenté sur le site du projet
d'informatisation du Dictionnaire de l'Académie française). La nature humaine
est partout la même: la soif de pouvoir chez certains vs. le partage et le
pouvoir individuel.

*Entretien du 15 mai 2001

= Quoi de neuf depuis notre dernier entretien?

Un pas de plus vers l'autonomisation de l'usager comme créateur de ressources en
ligne: la dernière version de TACTweb, récemment installée sur un serveur de
l'Université de Toronto, permet dorénavant de construire des bases interactives
importantes comme les dictionnaires de la Renaissance (Estienne et Nicot; base
RenDico), les deux principales éditions du Dictionnaire de l'Académie française
(1694 et 1835), les collections de la Bibliothèque électronique de Lisieux (base
LexoTor), les oeuvres complètes de Maupassant, ou encore les théâtres complets
de Corneille, Molière, Racine, Marivaux et Beaumarchais (base Théâtre 17e-18e).
À la différence de grosses bases comme Frantext ou ARTFL (American and French
Research on the Treasury of the French Language) nécessitant l'intervention
d'informaticiens professionnels, d'équipes de gestion et de logiciels coûteux,
TACTweb, qui est un gratuiciel que l'on peut décharger en ligne et installer
soi-même, peut être géré par le chercheur individuel créateur de ressources
textuelles en ligne.


DENIS ZWIRN (Paris)


#Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques

*Entretien du 19 février 2001

= Quelle est l'origine de Numilog?

Dès 1995, j'avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques
permettant d'emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de
poche. Début 1999, j'ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création
de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des
appareils de lecture électronique mobiles et le développement d'internet, qui
permet d'acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les
coins du monde.

= Pouvez-vous décrire l'activité de la société?

Numilog est d'abord une librairie en ligne de livres numériques. Notre site
internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par
courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il
permet également de vendre des livres par chapitres.

Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques:
aujourd'hui, les livres numériques n'existent pas chez les éditeurs, il faut
donc d'abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de
contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les
convertir à des formats convenant aux différents "readers" du marché: Acrobat
Reader, Acrobat eBook Reader (que nous sommes les premiers en France à
diffuser), et bientôt Microsoft Reader et les lecteurs électroniques du type
Rocket eBook. Ce qui signifie également soigner leur mise en page numérique: la
mise en page d'un livre numérique ne doit pas être la même que celle du livre
papier correspondant si on veut proposer au lecteur une expérience de lecture
confortable qui ne le déçoive pas.

Enfin, Numilog devient progressivement un diffuseur car, sur internet, il est
important d'être présent en de très nombreux points du réseau pour faire
connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux
différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d'intérêt
correspondent à leur sujet (sites de fans d'histoire, de management, de SF...).
Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples "boutiques de livres
numériques" thématiques.

= Pouvez-vous décrire le site web?

Le site www.numilog.com présente un catalogue thématique de livres numériques.
Le site a été ouvert au public en septembre 2000 et propose 500 titres à la
mi-février 2001 (et près de 650 en juin 2001, ndlr). Chaque mois, 50 à 100
titres nouveaux devraient y être ajoutés. Cette base de livres est accessible
par un moteur de recherche. Chaque livre fait l'objet d'une fiche avec un résumé
et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte
bancaire, puis reçu par e-mail ou téléchargement. Début mars 2001, le site de
Numilog sera relooké et présentera des fonctionnalités nouvelles, comme
l'intégration d'une "authentique vente au chapitre" (les chapitres vendus
isolément seront traités comme des éléments inclus dans la fiche-livre, et non
comme d'autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture
multiples. (Toutes ces fonctionnalités sont maintenant opérationnelles, ndlr.)

= Comment voyez-vous l'avenir?

Le développement attendu d'internet est une panacée qui possède suffisamment
d'évidence pour ne pas y insister: il ne s'agit pas d'une mode, mais d'une
révolution des moyens de communication qui présente des avantages objectifs
tellement forts qu'on ne voit pas, sauf nouveau saut technologique inattendu,
comment elle pourrait ne pas se répandre.

En ce qui concerne les livres numériques, selon Dirk Brass (Microsoft), dans les
trente ans qui viennent, ils devraient représenter 90% des livres. Ce pari est
moins certain que le précédent, mais ce n'est que parce qu'il indique une date.
Je vois donc l'avenir de mes activités comme lié à ces deux anticipations: il
s'agit de permettre à un public d'internautes de plus en plus large d'avoir
progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que
celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse
d'utilisation et à moindre prix.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Numilog en tant qu'entreprise utilise encore beaucoup le papier dans la mesure
où nous scannons de nombreux livres pour les numériser, mais il s'agit là d'une
activité ayant pour but de faire disparaître la nécessité du papier!

A titre personnel, j'utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où de
nombreux documents ne sont pas encore disponibles sous forme numérique, la
presse hebdomadaire notamment... et les livres, puisque le volume de titres
disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport
aux quelques 600.000 titres existant en français. Pour écrire et envoyer du
courrier ou des documents, par contre, j'utilise très peu le papier: le couple
traitement de texte / courrier électronique en a fait disparaître quasiment
totalement l'utilité.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je pense sincèrement que l'usage du papier devrait fortement régresser dans les
dix à quinze ans qui viennent, grâce à toutes les techniques de rédaction, de
lecture, et de communication numérique. Et cela aura un impact positif sur les
forêts! Cela ne signifie pas qu'il disparaîtra, notamment si on parvient à
réaliser des hybrides papier / numérique, grâce à des techniques telles que
l'encre électronique. Mais il se peut dans ce cas qu'il soit concurrencé par
d'autres types de matières souples présentant des qualités de robustesse et
d'agrément tactile équivalente ou supérieure.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Le concept de livre électronique représente une extraordinaire avancée
technologique et culturelle. Il doit permettre de faciliter la lecture et
l'accès aux livres d'un très large public dans les années à venir. Ses
principaux atouts sont la possibilité de transporter avec soi des dizaines de
livres, de les lire dans des conditions de très bonne ergonomie en reproduisant
l'agrément des livres traditionnels, tout en bénéficiant de nombreuses
fonctionnalités de lecture absentes des livres traditionnels. Pour qu'il
devienne un produit de consommation de masse, il faudra toutefois qu'il perde
encore du poids et surtout que son prix soit attractif. En effet, le livre
électronique stricto sensu est aujourd'hui concurrencé par des appareils que les
gens achètent déjà massivement pour d'autres raisons que la lecture, mais qui
peuvent servir de lecteurs électroniques grâce à des logiciels dédiés à la
lecture: les assistants personnels (PDA) et les ordinateurs ultra-portables. Le
coût marginal de la fonction "livre électronique" dans ces appareils est nul.
Pour cette raison, je crois que l'avenir est à l'usage de plate-formes
diversifiées selon les profils et les besoins des utilisateurs, et à une
convergence progressive entre les lecteurs électroniques stricto sensu (qui
intégreront des fonctions d'agendas) et les PDA (dont certains auront des écrans
plus grands).

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur
le web?

Sur le plan juridique, une confusion est souvent faite entre la diffusion des
oeuvres en réseau, l'accès à des sources d'information gratuites en ligne (mais
qui ne sont pas des livres) et la vente d'exemplaires individuels de livres
numériques. Il est de la responsabilité de chaque acteur du web de ne pas
diffuser d'oeuvres sans l'accord de l'auteur, le web n'étant qu'un support de
diffusion parmi d'autres. Dans une librairie en ligne, on achète un livre
numérique comme un livre papier: après paiement et pour un usage individuel.
Après le téléchargement, le code de la propriété intellectuelle s'applique à la
version numérique au même titre qu'à la version papier de l'oeuvre: la
reproduction n'est autorisée que pour l'usage privé de l'acheteur.

Le problème est donc exclusivement d'ordre technologique (....et civique):
comment faire pour que ces droits soient effectivement respectés, compte tenu de
la possibilité de copier un livre numérique et de l'envoyer à des amis?
Plusieurs réponses sérieuses existent déjà. Les livres destinés aux lecteurs
électroniques peuvent être cryptés de telle manière que seul un appareil désigné
(ou plusieurs) puisse les lire. Ils ne peuvent en général pas être imprimés et
sont donc en ce sens bien plus protecteurs que les livres papier, en évitant
tout "photocopillage". En ce qui concerne les livres numériques pour
ordinateurs, des solutions logicielles comparables ont été développées, par
exemple par Adobe et par Microsoft, qui permettent de désigner un ordinateur ou
un PDA comme support de lecture unique d'un livre. Des logiciels tels que Adobe
Content Server proposent déjà des solutions plus sophistiquées, telles que la
possibilité de définir un temps de lecture autorisée ou de prêter un livre
numérique comme on prêterait un vrai livre.

= Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux
aveugles et malvoyants?

L'usage de logiciels de reconnaissance vocale et la conception de sites web
adaptés à ces logiciels est sans doute à terme la meilleure solution. En ce qui
concerne les malvoyants, les livres numériques présentent l'intérêt de pouvoir
agrandir fortement la police de caractères.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le jour de ma première connexion à domicile, le 31 décembre 1995: c'est un de
mes plus beaux souvenirs de réveillon!


INDEX DES ENTRETIENS PAR PROFESSION


[Auteurs "classiques" / Auteurs hypermédias et multimédias /
Bibliothécaires-documentalistes / Concepteurs d'appareils de lecture / Créateurs
de sites littéraires / Editeurs / Gestionnaires / Journalistes / Libraires /
Linguistes (langue française) / Linguistes (toutes langues) / Professeurs]

(*) Entretiens traduits par Marie Lebert

= Auteurs "classiques"

Silvaine Arabo (Poitou-Charentes) / Poète et plasticienne, créatrice de la
cyber-revue Poésie d'hier et d'aujourd'hui

Michel Benoît (Montréal) / Ecrivain, utilise l'internet comme outil de
recherche, de communication et d'ouverture au monde

Alain Bron (Paris) / Consultant en systèmes d'information et écrivain.
L'internet est un des personnages de son roman Sanguine sur toile.

Raymond Godefroy (Valognes, Normandie) / Ecrivain-paysan, publie son recueil
Fables pour l'an 2000 sur le web avant de le publier sur papier

Anne-Bénédicte Joly (Antony, région parisienne) / Ecrivain auto-éditant ses
oeuvres et utilisant le web pour les faire connaître

Tim McKenna (Genève) / Ecrivain, s'interroge sur la notion complexe de "vérité"
dans un monde en mutation constante

= Auteurs hypermédias et multimédias

Alex Andrachmes (Europe) / Producteur audiovisuel, écrivain et explorateur
d'hypertexte

Lucie de Boutiny (Paris) / Ecrivain papier et pixel. Auteur de NON, roman
multimédia publié en feuilleton sur le web

Anne-Cécile Brandenbourger (Bruxelles) / Auteur de La malédiction du parasol,
hyper-roman publié aux éditions 00h00.com

Luc Dall'Armellina (Paris) / Co-auteur et webmestre d'oVosite, espace
d'écritures hypermédias

Jean-Paul (Paris) / Webmestre du site hypermédia collectif Des cotres furtifs

Naomi Lipson (Paris & Tel-Aviv) / Ecrivain multimédia, traductrice et peintre

Xavier Malbreil (Ariège, Midi-Pyrénées) / Auteur multimédia, créateur du site
www.0m1.com, modérateur de la liste e-critures

Murray Suid (Palo Alto, Californie) / Ecrivain, travaille pour EDVantage
Software, société internet de logiciels éducatifs

= Bibliothécaires-documentalistes

Emmanuel Barthe (Paris) / Documentaliste juridique chez Coutrelis & Associés,
cabinet d'avocats, et modérateur de la liste de discussion Juriconnexion

Michael Behrens * (Bielefeld, Allemagne) / Responsable de la bibliothèque
numérique de la Bibliothèque universitaire de Bielefeld

Olivier Bogros (Lisieux, Normandie) / Créateur de la bibliothèque électronique
de Lisieux et directeur de la bibliothèque municipale

Bakayoko Bourahima (Abidjan) / Documentaliste à l'Ecole nationale supérieure de
statistique et d'économie appliquée (ENSEA)

Bruno Didier (Paris) / Webmestre de la bibliothèque de l'Institut Pasteur

Michael Hart (Illinois) / Fondateur du LibraryBlog, la plus ancienne
bibliothèque numérique sur l'internet

Roberto Hernández Montoya (Caracas) / Responsable de la bibliothèque numérique
du magazine électronique Venezuela Analítica

Pierre Le Loarer (Grenoble) / Directeur du centre de documentation de l'Institut
d'études politiques de Grenoble et chargé de mission TICE (technologies de
l'information et de la communication pour l'éducation)

John Mark Ockerbloom (Pennsylvanie) / Fondateur de The On-Line Books Page,
répertoire de livres en ligne disponibles gratuitement

Anissa Rachef (Londres) / Bibliothécaire et professeur de français langue
étrangère à l'Institut français de Londres

Peter Raggett (Paris) / Directeur du centre de documentation et d'information
(CDI) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Jean-Baptiste Rey (Aquitaine) / Webmestre et rédacteur de Biblio On Line, un
site web destiné aux bibliothèques

= Concepteurs d'appareils de lecture

Olivier Pujol (Paris) / PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre
électronique

Pierre Schweitzer (Strasbourg) / Architecte designer, concepteur d'@folio
(support de lecture nomade) et de Mot@mot (passerelle vers les bibliothèques
numériques)

= Créateurs de sites littéraires

Isabelle Aveline (Lyon) / Créatrice de Zazieweb, un site consacré à l'actualité
littéraire sur l'internet

Fabrice Lhomme (Bretagne) / Créateur d'Une Autre Terre, site consacré à la
science-fiction

Blaise Rosnay (Paris) / Webmestre du site du Club des Poètes

= Editeurs

Nicolas Ancion (Madrid) / Ecrivain et responsable éditorial de Luc Pire
électronique

Marie-Aude Bourson (Lyon) / Créatrice de la Grenouille Bleue et de Gloupsy,
sites littéraires destinés aux nouveaux auteurs

Pierre-Noël Favennec (Paris & Lannion, Bretagne) / Expert à la direction
scientifique de France Télécom R&D et directeur de la collection technique et
scientifique des télécommunications

Pierre François Gagnon (Montréal) / Créateur d'Editel, pionnier de l'édition
littéraire francophone en ligne

Olivier Gainon (Paris) / Fondateur et gérant de CyLibris, maison d'édition
littéraire en ligne

Emmanuel Ménard (Paris) / Directeur des publications de CyLibris, maison
d'édition littéraire en ligne

Jacky Minier (Orléans) / Créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits
artistiques et littéraires

Nicolas Pewny (Annecy) / Créateur des éditions du Choucas

Hervé Ponsot (Toulouse) / Webmestre du site web des éditions du Cerf,
spécialisées en théologie

Bruno de Sa Moreira (Paris) / Co-fondateur des éditions 00h00.com, spécialisées
dans l'édition numérique

= Gestionnaires

Patrice Cailleaud (Paris) / Membre fondateur et directeur de la communication de
HandiCaPZéro

Gérard Jean-François (Caen) / Directeur du centre de ressources informatiques de
l'Université de Caen

Pierre Magnenat (Lausanne) / Responsable de la cellule "gestion et prospective"
du centre informatique de l'Université de Lausanne

Jean-Philippe Mouton (Paris) / Fondateur et gérant de la société d'ingénierie
Isayas

Jacques Pataillot (Paris) / Conseiller en management chez Cap Gemini Ernst &
Young

= Journalistes

Bernard Boudic (Rennes) / Responsable éditorial du serveur internet du quotidien
Ouest-France

Jean-Pierre Cloutier (Montréal) / Auteur des Chroniques de Cybérie, chronique
hebdomadaire des actualités de l'internet

Jacques Coubard (Paris) / Responsable du site web du quotidien L'Humanité

Jacques Gauchey (San Francisco) / Spécialiste en industrie des technologies de
l'information, "facilitator" entre les Etats-Unis et l'Europe, journaliste

Philippe Rivière (Paris) / Rédacteur au Monde diplomatique et responsable du
site web

Jean-Paul Rousset Saint Auguste (Paris) / Journaliste spécialisé dans l'histoire
des techniques

François Vadrot (Paris) / Fondateur et PDG de FTPress (French Touch Press),
société de cyberpresse

= Libraires

Pascal Chartier (Lyon) / Créateur de Livre-rare-book, site professionnel de
livres d'occasion

Catherine Domain (Paris) / Créatrice de la librairie Ulysse, la plus ancienne
librairie de voyage au monde

Muriel Goiran (Rhône-Alpes) / Libraire à la librairie Decitre

Hélène Larroche (Paris) / Gérante de la librairie Itinéraires, spécialisée dans
les voyages

Alain Marchiset (Paris) / Président du Syndicat de la librairie ancienne et
moderne (SLAM)

Denis Zwirn (Paris) / Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de
livres numériques

= Linguistes (langue française)

Arlette Attali (Paris) / Responsable de l'équipe "Recherche et projets internet"
à l'Institut national de la langue française (INaLF)

Guy Bertrand & Cynthia Delisle (Montréal) / Respectivement directeur
scientifique et consultante au Centre d'expertise et de veille inforoutes et
langues (CEVEIL)

Alain Clavet (Ottawa) / Analyste de politiques au Commissariat aux langues
officielles du Canada

Marcel Grangier (Berne) / Responsable de la section française des services
linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse

Christiane Jadelot (Nancy) / Ingénieur d'études à l'Institut national de la
langue française (INaLF)

Philippe Loubière (Paris) / Traducteur littéraire et dramatique, spécialiste de
la Roumanie

Zina Tucsnak (Nancy) / Ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et
traitements informatiques du lexique français)

= Linguistes (toutes langues)

Guy Antoine (New Jersey) / Créateur de Windows on Haiti, site de référence sur
la culture haïtienne

Robert Beard (Pennsylvanie) / Co-fondateur de yourDictionary.com, portail de
référence pour les langues

Christian Boitet (Grenoble) / Directeur du Groupe d'étude pour la traduction
automatique (GETA), qui participe au Universal Networking Language Programme
(UNLP)

Tyler Chambers * (Boston, Massachusetts) / Créateur de The Human-Languages Page
(devenue iLoveLanguages en 2001) et de The Internet Dictionary Project

Helen Dry * (Michigan) / Modératrice de The Linguist List

Bill Dunlap (Paris & San Francisco) / Fondateur de Global Reach, société qui
favorise le marketing international en ligne

Barbara Grimes (Hawaii) / Directrice de publication de l'Ethnologue, une
encyclopédie des langues

Randy Hobler (Dobbs Ferry, New York) / Consultant en marketing internet,
notamment chez Globalink, société spécialisée en produits et services de
traduction

Eduard Hovy (Marina del Rey, Californie) / Directeur du Natural Language Group
de l'Université de Californie du Sud

Brian King * / Directeur du WorldWide Language Institute, qui est à l'origine de
NetGlos, un glossaire multilingue de la terminologie de l'internet

Geoffrey Kingscott * (Londres) / Co-directeur du magazine en ligne Language
Today

Steven Krauwer (Utrecht, Pays-Bas) / Coordinateur d'ELSNET (European Network of
Excellence in Human Language Technologies)

Michael Martin * (Berkeley, Californie) / Créateur de Travlang, un site consacré
aux voyages et aux langues

Yoshi Mikami * (Fujisawa, Japon) / Créateur de The Languages of the World by
Computers and the Internet, et co-auteur de Pour un web multilingue

Caoimhín Ó Donnaíle (Ile de Skye, Ecosse) / Webmestre du principal site
d'information en gaélique écossais, avec une section consacrée aux langues
européennes minoritaires

June Thompson * (Hull, Royaume-Uni) / Directeur du C&IT (Communications &
Information Technology) Centre, basé à l'Université de Hull

Paul Treanor (Pays-Bas) / Gère sur son site personnel une section consacrée à
l'avenir des langues en Europe

Robert Ware * (Colorado) / Créateur de Onelook Dictionaries, un moteur
permettant une recherche rapide dans 650 dictionnaires

= Professeurs

Jean-Pierre Balpe (Paris) / Directeur du département hypermédias de l'Université
de Paris 8

Richard Chotin (Paris) / Professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de
Lille

Kushal Dave * (Yale) / Etudiant à l'Université de Yale, devenu professeur depuis

Emilie Devriendt (Paris) / Elève professeur à l'Ecole normale supérieure de
Paris et doctorante à l'Université de Paris 4-Sorbonne

Gérard Fourestier (Nice) / Créateur de Rubriques à Bac, bases de données
destinées aux étudiants du premier cycle universitaire

Gaëlle Lacaze (Paris) / Ethnologue et professeur d'écrit électronique dans un
institut universitaire professionnalisé

Maria Victoria Marinetti (Annecy) / Professeur d'espagnol en entreprise et
traductrice

Patrick Rebollar (Tokyo) / Professeur de littérature française, créateur d'un
site web de recherches et activités littéraires, modérateur de la liste de
diffusion LITOR (littérature et ordinateur)

Henri Slettenhaar (Genève) / Professeur en technologies de la communication à la
Webster University

Jacques Trahand (Grenoble) / Vice-président de l'Université Pierre Mendès
France, chargé de l'enseignement à distance et des TICE (technologies de
l'information et de la communication pour l'éducation)

Christian Vandendorpe (Ottawa) / Professeur à l'Université d'Ottawa et
spécialiste des théories de la lecture

Russon Wooldridge (Toronto) / Professeur au département d'études françaises de
l'Université de Toronto et créateur de ressources littéraires librement
accessibles en ligne


BILAN, par Marie Lebert


[Genèse / Les débuts / Pourquoi par courriel? / Pourquoi ces questions? /
Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres? / Pourquoi sur plusieurs
années? / Pourquoi en plusieurs langues? / Tentatives auprès des "canaux
dirigistes" / Publication sur le Net des études françaises / Bilan sur les
questions posées, et leurs réponses / Quelques chiffres / Le Livre 010101 / Les
Entretiens sont eux-mêmes un réseau / La suite des Entretiens / Publications
issues des Entretiens]

Profession: traductrice-éditrice pour gagner ma vie, chercheuse, écrivain et
journaliste le reste du temps. Comme tant d’autres, je suis une adepte de
l’internet. Je m’intéresse aux bouleversements apportés dans le monde du livre
par le réseau et les technologies numériques. Entre 1998 et 2001, je conduis des
entretiens par courriel avec une centaine de professionnels du livre et de la
presse, et apparentés, souvent à plusieurs reprises (une fois par an environ)
avec les mêmes correspondants. En 2001, je rassemble le tout dans un livre
d’enquête. En 2002, j’en fais une synthèse. Récit. [14 septembre 2002]

= Genèse

Mon premier contact avec le web date d’avril 1996. Je commence à m’y intéresser
de près en décembre 1997. A l’époque le réseau est en pleine expansion. On
assiste aux prémices de ce qu’il va rapidement devenir, soit, entre autres, une
formidable encyclopédie, une gigantesque bibliothèque, une immense librairie, un
organe de presse des plus complets, et plus important encore, un nouveau moyen
de faire circuler l’information et le savoir. De plus, au cours de l’année 1998,
d’embryonnaire avec quelques dizaines de sites québécois, le web francophone
devient progressivement l’oeuvre de toute la communauté francophone. On devine
aussi les débuts de fortes secousses numériques dans l’industrie du livre
imprimé. Le tout forme un sujet passionnant, insaisissable, avec de mois en mois
des éléments nouveaux dans un domaine jusque-là relativement statique. Ce sujet
m’intéresse. Je décide de lui consacrer du temps.

= Les débuts

Entre décembre 1997 et juin 1998, je me promène sur la toile à la recherche de
sites et de ceux qui les font. Recherche de lien en lien, école buissonnière,
utilisation des moteurs de recherche existants, surtout AltaVista pour le web
international et Yahoo! pour le web francophone. A l'époque il est encore
possible - mais plus pour longtemps - de faire le tour de la toile sur un sujet
donné sans trop se perdre dans ses multiples méandres. Sous-entendu: la quantité
de pages web est encore lisible par un seul individu. En bref, je me fais ma
propre culture du réseau (une expression un peu pompeuse peut-être...) avant de
contacter les gens.

En juin 1998, en utilisant les adresses électroniques trouvées sur les pages
d’accueil, je contacte par courriel une cinquantaine de professionnels du livre
et de la presse particulièrement actifs sur le réseau, l’expression
"professionnels du livre et de la presse" étant à prendre au sens large
puisqu’elle englobe écrivains, journalistes, éditeurs, libraires,
bibliothécaires, documentalistes, professeurs, traducteurs, linguistes,
spécialistes du numérique, etc. Presque tout le monde répond à la parfaite
inconnue que je suis, alors que je n'enquête ni pour Le Monde ni pour Libé. Le
web des débuts, coopératif, participatif et solidaire, me diront les
nostalgiques, et ils ont raison. C’est comme cela que les Entretiens ont débuté.

= Pourquoi par courriel?

Tout d’abord parce que le courriel abolit le temps, les distances et les
frontières. Reste le problème de la langue, on y reviendra plus loin. Ensuite
parce que répondre par écrit est censé être relativement facile pour les
professionnels du livre et de la presse, dont le métier est justement l’écrit.
Et enfin parce que cela permet au correspondant d’avoir tout à la fois le temps
de réfléchir, de répondre quand il veut, de se relire, de reprendre ses réponses
dans les jours qui suivent, et d’en garder une trace.

D’emblée, la "règle du jeu" est que les participants répondent à leur guise à
tout ou partie des questions, dans leur délai qui leur convient, qui va du jour
suivant à plusieurs mois après. Je suis souvent séduite par leur disponibilité
malgré une activité professionnelle prenante. Je suis souvent séduite aussi par
la qualité de leurs réponses. Réponses courtes ou longues, envoyées toutes
ensemble ou en plusieurs fois, sans discussion ou avec. Pour certains, il s’agit
d’une simple réponse à un questionnaire, pour d’autres il s’agit d’un échange
sur plusieurs courriels, d’où le terme "entretiens". Beaucoup me disent que ces
questions leur donnent l’occasion de réfléchir sur des thèmes essentiels, par
exemple la place que conserve l’imprimé dans leur vie, les avantages qu'ils
voient au numérique, ou encore ce qu’ils entendent par société de l’information.

Point important, les professionnels sollicités ont des profils variés. Il se
trouve que, sur les 97 participants, les différents corps de métiers sont à peu
près correctement représentés: 14 écrivains, 7 journalistes, 10 éditeurs, 12
bibliothécaires-documentalistes, 12 professeurs, etc. Point tout aussi
important, les participants ne sont en aucune façon choisis en fonction de leur
notoriété. Ils sont choisis en fonction de leur expérience du numérique et de
l’intérêt de celle-ci. Si certains ont de gros moyens financiers et bénéficient
de l’appui des médias, d’autres se débrouillent avec conviction et sans moyens
dans un anonymat relatif ou total, et il est grand temps de leur donner aussi la
parole.

Entre 1998 et 2002, au fil de mes voyages, ou dans le but précis de faire leur
connaissance, je rencontre plusieurs correspondants, à Paris, en Normandie, à
Genève, à Montréal, à San Francisco ou ailleurs. A la date d'aujourd'hui, j’ai
rencontré 32 correspondants sur les 97 interviewés, et j'ai l'intention d'en
rencontrer encore quelques autres. Mais, même dans les rares cas où il m'est
arrivé de rencontrer un correspondant en personne avant de lui proposer un
entretien, l’entretien véritablement dit a toujours eu lieu par courriel. J'ai
refusé les propositions d’entretiens verbaux, non pas pour m'éviter la fatigue
de les retranscrire, mais pour les raisons évoquées plus haut.

= Pourquoi ces questions?

Je voulais absolument éviter tout ce dont j’ai moi-même en horreur, c’est-à-dire
les questionnaires à trous, les réponses par oui ou par non, les réponses dans
les huit jours, les réponses où on vous demande d'emblée de faire court même si,
pour une fois, vous avez des choses à dire, les réponses à but uniquement
statistique où on vous considère non pas comme une personne mais comme un
numéro, etc.

Je voulais offrir à chacun une certaine liberté. Liberté de choix: chacun répond
uniquement aux questions jugées intéressantes. Liberté de temps: pas de délai.
Quand les gens prennent le temps de vous répondre sur des sujets relativement
difficiles, la moindre de choses est de ne pas "leur mettre la pression".
Liberté de parole: les réponses sont toutes publiées dans leur intégralité, et
les correspondants qui le souhaitent peuvent les modifier dans les jours suivant
publication. Liberté d’exploitation (quel horrible mot...): chacun peut bien sûr
réutiliser son texte à sa guise.

En 1998, les questions concernent l’activité de chacun: aussi bien l'activité
professionnelle que l'activité liée à l’internet, qui sont parfois différentes.
Si possible aussi un descriptif du site web ainsi qu'un historique, tout comme
une description rapide de l’organisme émetteur s’il y a lieu. Eventuellement une
courte biographie de l’auteur, pour expliquer comment il en est venu à
l’internet. Et enfin la vision que chacun a de l’avenir, soit pour son activité,
soit pour l'activité de l'organisme dont il relève, soit pour l’internet lié au
livre, soit pour l’internet en général.

Un an après, j’envoie de nouvelles questions aux personnes interviewées en 1998.
Nous sommes dans un domaine qui évolue très vite, et il se passe tellement de
choses d’une année sur l’autre qu’il m’apparaît plus important de contacter les
mêmes personnes que de multiplier à l’infini le nombre des participants (je
limite ce nombre à cent). Dans les 47 personnes interviewées en 1998, 14 s’en
tiennent à un seul entretien et 33 poursuivent les années suivantes, une ou
plusieurs fois de suite. Parallèlement, je contacte aussi d’autres personnes, le
plus souvent par le même biais, à partir de leur site web. Les nouveaux
participants venant s’ajouter aux "anciens" sont au nombre de 9 en 1999, 25 en
2000 et 16 en 2001.

En 1999, les nouvelles questions posées ont trait au multilinguisme, au droit
d’auteur, à l’accessibilité du web pour les aveugles et malvoyants, et aux
souvenirs personnels (meilleur et pire souvenir) liés au réseau. En 2000, elles
concernent l’imprimé, le livre électronique et, pour les auteurs hypermédias, le
rôle que joue l’hyperlien dans leur écriture. En 2001, les questions envoyées
visent essentiellement à actualiser et compléter les réponses des années
précédentes, et poser à nouveau les questions laissées de côté jusque-là.

Certains ne sont pas intéressés par les questions proposées telle ou telle
année, et me disent préférer "passer leur tour" jusqu’à l’année suivante. Ou
alors ils me disent ne rien avoir à ajouter pour le moment, y compris pour
l'actualisation des informations, les choses n’avançant souvent pas aussi vite
qu’ils l’auraient souhaité. Sur les 97 personnes ayant participé aux entretiens
entre 1998 et 2001, 48 personnes participent une fois, 32 personnes participent
à deux reprises (et pas toujours d’une année sur l’autre, pour les raisons que
je viens d'évoquer), 13 personnes participent à trois reprises, et 4 personnes
participent à quatre reprises.

Les questions ont un effet de cumul d’une année sur l’autre, si bien que les
personnes contactées en 2000 ou 2001 se trouvent avoir des questionnaires
nettement plus longs que les personnes contactées en 1998 et 1999.

= Pourquoi les mêmes questions aux uns et aux autres?

Si je décide de poser les mêmes questions aux uns et aux autres, ce n’est bien
sûr ni par souci de rapidité, ni pour éviter de me fatiguer, ni parce que je
manque d’imagination. C’est le meilleur moyen que j'aie trouvé de rassembler de
nombreux avis sur le même sujet, pour pouvoir ensuite juxtaposer et
éventuellement recouper ces réponses. Ceci m'est notamment très utile pour
écrire certains passages du Livre 010101 sans me contenter de généralités un peu
faciles, sinon de platitudes. De plus, comme, à partir de 1999, les Entretiens
sont disponibles en ligne, plusieurs correspondants me disent avoir plaisir à
lire les différentes réponses aux questions sur lesquelles ils ont eux mêmes
"planché". Ils me disent aussi être souvent surpris par la diversité de ces
réponses, par exemple, en 2000, le sentiment de chacun sur le livre électronique
(e-book), qui vient de faire son apparition.

= Pourquoi sur plusieurs années?

Comme dit plus haut, je préfère interviewer les mêmes participants sur plusieurs
années, à raison d'un entretien par an environ, plutôt que de multiplier le
nombre des participants. A la réflexion, je suis heureuse d’avoir adopté cette
démarche, qui était au début un peu intuitive.

Chose qui était pressentie par beaucoup dès 1998, les années 1998-2001 s'avèrent
bien des années charnières pour le développement de l’internet et des
technologies numériques dans le monde du livre et de la presse. Ces années
apportent des changements considérables, à savoir en 1998 la création de
nombreux sites, en 1999 le développement d’un web à la fois francophone et
multilingue, en 2000 le passage du papier au numérique et les perspectives du
tout numérique, et en 2001 des pronostics revus à la baisse pour le numérique
qui, plutôt que de faire cavalier seul, semble parti pour cohabiter avec
l’imprimé pendant pas mal d’années. Les réponses des uns et des autres sur
plusieurs années permettent de mesurer cette évolution de l’intérieur.

A titre individuel aussi, l'actualisation des entretiens d'une année sur l'autre
a un réel intérêt puisque, pour chaque participant, les choses bougent souvent
de manière significative pendant ce laps de temps. Pour plusieurs participants,
une actualisation est même nécessaire au bout d'un trimestre ou d'un semestre,
ce qui explique que les dates de certains entretiens soient assez rapprochées
dans le temps.

= Pourquoi en plusieurs langues?

Il est évident que, même si ce travail est d’abord destiné à prendre le pouls de
la communauté francophone, ceci ne doit pas être un carcan, d’autant que, pour
des raisons à la fois historiques, géographiques et techniques, l’internet est
d'abord anglophone avant d’être multilingue. Des pionniers comme Michael Hart,
fondateur du LibraryBlog en 1971, ou encore John Mark Ockerbloom,
fondateur de The Online Book Page en 1993, ont tous deux participé à "mes"
entretiens. Sur les 97 personnes qui participent, 72 personnes sont francophones
ou considérées comme telles puisque totalement bilingues, 23 personnes sont
anglophones et 2 personnes sont hispanophones. Je traduis systématiquement en
français les entretiens reçus en anglais et en espagnol, et les mets (presque)
immédiatement en ligne dans les deux langues, qui sont donc - comme chacun l'a
déjà compris - la langue originale et le français.

Je traduis aussi plusieurs entretiens du français vers l’anglais (avec l’aide de
Greg Chamberlain qui vérifie et améliore mes traductions) et du français vers
l’espagnol (avec l’aide de Maria Victoria Marinetti pour la même raison). Si
tous les entretiens reçus en anglais et en espagnol sont traduits en français,
je considère que les participants anglophones et hispanophones ne comprenant pas
le français ont eux aussi le droit de savoir ce que pensent les francophones,
d'où l'intérêt de ces traductions. Les remerciements de correspondants
anglophones à ce sujet - à commencer par les participants anglophones aux
entretiens - me montrent que je n’ai pas perdu mon temps. Plus généralement,
comme le multilinguisme sur le web me paraît essentiel, ainsi que la nécessité
de multiplier les traductions, cela m'a permis de mettre ces idées en pratique à
mon très modeste échelon.

Point de détail qui a son intérêt, certains participants appartenant aux
communautés non francophones et ne maîtrisant pas parfaitement le français font
de réels efforts pour répondre en français, ce qui est méritoire, mais qui
enlève aux réponses une partie de l’intérêt qu’elles auraient pu avoir si le
correspondant s’était exprimé dans sa langue maternelle. J’ai pu en juger en
comparant les réponses lorsque le correspondant change de langue d’une année sur
l’autre. Ceci montre une fois de plus l’avantage de s’exprimer dans sa propre
langue et l’intérêt de traductions professionnelles, on ne le répétera jamais
assez. Mais j'ai été touchée par cette attention, et j'ai bien aimé aussi les
commentaires du genre : "Surtout n'oubliez pas de corriger mes fautes..."

Quelques chiffres maintenant. L’intégralité des 97 entretiens est proposée en
français, avec 72 entretiens originaux et 25 traductions. Sur les 39 entretiens
en anglais, 24 sont des textes originaux et 15 des traductions. Sur les 12
entretiens proposés en espagnol, 2 sont des textes originaux et 10 des
traductions (j'explique dans le paragraphe suivant la raison des dix
traductions). Par ailleurs, sur les 97 entretiens, 57 entretiens sont unilingues
(à savoir uniquement en français), 31 entretiens sont bilingues (30 bilingues
français-anglais et un bilingue français-espagnol) et 8 entretiens sont
trilingues (français, anglais, espagnol). Un entretien est quadrilingue, celui
de Bruno Didier, grâce à la traduction en allemand faite par sa collègue Monika
Wechsler.

En fait j’aurais souhaité que la série soit intégralement trilingue, et j’y
crois encore en 1999-2000. A cette date, j'ai aussi pour projet de contacter
plusieurs hispanophones, d'autant que le web hispanophone est en pleine
expansion, particulièrement en Amérique latine. Il me faut donc montrer aux
hispanophones unilingues en quoi consiste "mon" projet, non pas en théorie, ce
qui ne sert pas à grand chose, mais en leur donnant la possibilité de lire une
douzaine d’entretiens. Voici la raison pour laquelle je traduis en espagnol dix
entretiens francophones et anglophones. Mais, une fois de plus, je place la
barre un peu haut. Les traductions du français vers l’anglais et l’espagnol
restent malheureusement trop peu nombreuses pour des raisons de temps (les
journées n'ont que vingt-quatre heures et je dois gagner ma vie par ailleurs) et
pour des raisons financières (je rémunère bien sûr Greg et Maria Victoria pour
leur travail). Quant aux quelques contacts pris en vue de trouver un financement
pour ces traductions, ils échouent tous lamentablement, aussi bien en Europe
qu’en Amérique du Nord.

= Tentatives auprès des "canaux dirigistes"

Comme nombre de ceux qui poursuivent contre vents et marées une activité
bénévole pendant plusieurs années, je fais également quelques tentatives auprès
des "canaux dirigistes" pour les intéresser à mon travail et obtenir un
financement tant en gardant le même esprit et toute liberté de manoeuvre. J’y
mets vraiment du mien puisque je prends à plusieurs reprises mon bâton de
pèlerin pour sillonner la France, le Québec, la Belgique et la Suisse, en
suivant les conseils de certains disant que, dans ce domaine, le contact "réel"
est préférable au contact "virtuel".

Je contacte des organismes en tous genres, traditionnels et numériques, y
compris des éditeurs et sociétés de presse qui, à priori, sont censés
s'intéresser au livre, et qui s'y intéressent, mais uniquement pour couvrir le
travail d'organismes "reconnus" et donner la parole aux directeurs et
responsables de ceci ou de cela. On n'a donc pas vraiment la même optique. On me
propose aussi de monter un projet (une expression qui semble vraiment à la
mode...) alors que le projet est non seulement monté mais aussi réalisé, et
qu'il marche très bien, merci pour lui. On me propose encore de remplir des
dizaines sinon des centaines de paperasses pour un résultat tout à fait
hypothétique, une chose que j'ai faite par le passé à l'ère du papier mais qui
me paraît passablement ringarde à l'heure de l'internet.

Pour résumer, encore du temps perdu pour un résultat nul, mais au moins, comme
tant d'autres, j’aurais essayé.

= Publication sur le Net des études françaises

Dès 1999, la série des Entretiens est disponible en ligne, afin que les
participants potentiels sachent à quoi s’en tenir sur l’esprit du travail et
puissent lire ce qui a déjà été écrit sur tel ou tel sujet. Autre avantage de la
mise en ligne, les participants peuvent retrouver leurs propres textes pour les
relire s'ils en ont envie, ou encore pour créer un lien vers eux à partir de
leur propre site, ou encore pour les actualiser et les compléter l'année
suivante. Avant la mise en ligne, j'archivais toutes les réponses et j’envoyais
à chacun un copier-coller avec son texte de l’année précédente, au cas où il ne
l’aurait pas conservé, ce qui s'est avéré plus d'une fois fort utile.

Avant de trouver leur place définitive en juillet 2001 sur le Net des études
françaises (NEF), les Entretiens déménagent malheureusement un peu trop souvent,
à mon corps défendant. Une première série trouve place sur Biblio On Line (merci
à Jean-Baptiste Rey), puis sur le site du CEVEIL (merci à Cynthia Delisle). De
courts extraits de versions anciennes et actualisées depuis sont publiés dans
E-Doc, une rubrique d’Internet Actu que j’anime pendant cinq mois, entre juin et
octobre 2000 (merci à François Vadrot). Je décide ensuite de poster les
Entretiens sur mon site personnel CompuServe en attendant la possibilité de les
publier sur le même site pendant de nombreuses années, sans craindre une
fermeture de rubrique et un changement d'URL.

Enfin la lumière après les errements... Quelques mois après avoir interviewé
Russon Wooldridge, professeur au département d’études françaises de l’Université
de Toronto, notre correspondance se poursuit de manière informelle. En été 2001,
je lui demande s’il accepterait de publier la série des entretiens sur le Net
des études françaises (NEF), créé à son initiative et dont l’esprit me séduit.
Le NEF se veut d’une part "un filet trouvé qui ne capte que des morceaux choisis
du monde des études françaises, tout en tissant des liens entre eux", d’autre
part un réseau dont les "auteurs sont des personnes oeuvrant dans le champ des
études françaises et partageant librement leur savoir et leurs produits avec
autrui". Deux belles définitions qui s’appliquent aussi aux Entretiens. Il était
donc normal qu’il y ait synergie puis fusion. Les Entretiens sont intégrés au
NEF en juillet 2001, tout comme Le Livre 010101: enquête, qui rassemble les
réponses de manière thématique (voir ci-dessous un descriptif plus détaillé du
Livre 010101). En mai 2002, Russon crée une base interactive sous TACTweb qui
permet des recherches textuelles dans l'ensemble du travail.

= Bilan sur les questions posées, et leurs réponses

Revenons de manière plus détaillée sur les questions posées. Elles sont parfois
liées aux préoccupations du moment, par exemple le droit d’auteur ou le
multilinguisme. Certaines sont intemporelles, par exemple la définition par
chacun du cyberespace ou de la société de l’information. Certaines sont beaucoup
plus profondes qu’elles n’en ont l’air, par exemple le meilleur et le pire
souvenir de chacun sur le réseau.

Demander à chaque participant de se présenter et de décrire son activité et/ou
l’activité de son organisme va de soi avant d’aller plus avant. L’actualisation
d’année en année montre que les choses avancent à la fois vite et pas vite
(comme diraient mes amis normands…). Chose qui s'avère aussi vraie dans la vie
cyber que dans la vie réelle, l'enthousiasme et la ténacité à titre individuel
sont souvent contrés par des problèmes financiers ou des problèmes de
"reconnaissance" par l’organisme ou la structure.

Certaines questions visent à entraîner une prise de conscience. La question sur
le multilinguisme - qui a suscité quelques remous - est censée faire toucher du
doigt plusieurs problèmes à la fois: nécessité d’un web multilingue (en 1998,
c’était moins évident que maintenant), nécessité de défendre la place du
français sur le réseau (idem), et enfin importance de la traduction dans les
deux sens: vers le français, et à partir du français. Plus généralement, on
n'insiste peut-être pas assez sur le fait que l’internet et les technologies
numériques ne nous offrent pas seulement l'e-book mais aussi la possibilité d’un
meilleur échange entre les différentes communautés linguistiques. De plus, au
lieu de vilipender les anglophones, certains francophones devraient plutôt
reconnaître que, pour la première fois peut-être, grâce au réseau, et pas
seulement pour des raisons commerciales, la communauté anglophone s’intéresse au
multilinguisme. Un sujet qu'il serait intéressant de creuser.

Autre question visant à entraîner une prise de conscience, celle sur
l’accessibilité du web aux personnes aveugles et malvoyantes. Les réponses
montrent la nécessité d'une véritable sensibilisation des personnes voyantes (y
compris les professionnels du livre...) au fait que les personnes handicapées
visuelles ont elles aussi droit à deux modes de connaissance - la lecture et
l’écoute - tout comme les personnes voyantes. Si les professionnels interrogés
suggèrent presque tous le développement de documents audio, beaucoup ne pensent
pas à la conversion désormais possible des documents numériques en braille.
Pourquoi les personnes aveugles devraient-elles se limiter à l’écoute, alors que
le développement du numérique leur ouvre enfin largement accès à la lecture?

Plus généralement, nombre de passages des entretiens sont à mon humble avis de
petits chefs-d’oeuvre, dans l’esprit et/ou le style, et je les ai relus
plusieurs fois au fil des années. Entre autres, j’ai beaucoup aimé les réponses
sur le meilleur et pire souvenir de chacun. J’ai d’ailleurs regroupé ces
réponses sur une page web spécifique. J’ai beaucoup aimé aussi les définitions
personnelles des uns et des autres sur le cyberespace et la société de
l’information, qui pourraient faire l’objet d’une étude, pourquoi pas, si
l'étude en question veut bien ne pas se limiter à les gloser. Comme le dit très
justement un de mes correspondants à qui je m'ouvrais du problème, les réponses
se suffisent sans doute à elles-mêmes, d’où l’intérêt de tout simplement les
rassembler, ce qui donne là aussi une très belle page web. De par son contenu
bien sûr. Pour le graphisme, je laisse aux auteurs hypermédias le soin de se
pencher sur la question.

= Quelques chiffres

Bien que n’aimant pas trop les statistiques - qui deviennent vite réductrices -
je regroupe ici quelques chiffres (pour la plupart déjà cités), et laisse aux
spécialistes le soin d’aller plus avant s’ils le souhaitent (conversion en
tableaux et analyses de tous ordres).

Etablie à titre purement indicatif - puisque de nombreux participants ont en
fait plusieurs casquettes - la liste par professions donne les chiffres
suivants: 14 auteurs, dont 6 auteurs "classiques" et 8 auteurs hypermédias, 12
bibliothécaires-documentalistes, 2 concepteurs d'appareils de lecture, 3
créateurs de sites littéraires, 10 éditeurs, 5 gestionnaires, 7 journalistes, 26
linguistes, dont 8 francophones et 18 non francophones, et enfin 12 professeurs.
En fait, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les linguistes ne sont pas
sur-représentés. Il s'agit plutôt d'une erreur de ma part. D'une part, le terme
est utilisé faute de mieux pour tous ceux qui s'intéressent de très près aux
langues. D'autre part j'aurais dû faire éclater cette catégorie en plusieurs
catégories: traducteurs, concepteurs de dictionnaires et d'encyclopédies,
spécialistes de la traduction automatique, etc. Cette dernière précision est à
destination des chercheurs qui vont se pencher sur le problème, puisque certains
m’ont déjà dit vouloir étudier cette série d'entretiens. Ils peuvent d'emblée
indiquer que, si j'ai réussi un relatif équilibre entre les divers corps de
métiers, j'ai complètement raté la parité, puisque, sur les 97 participants, 77
sont des hommes et 20 sont des femmes. A tort ou à raison, je n'ai pas utilisé
le sexe comme critère de choix des correspondants.

Les langues maintenant. Les 97 entretiens ont une version française. Ce sont
soit des textes originaux (72) soit des traductions (25). Les 39 entretiens en
anglais sont soit des originaux (24) soit des traductions (15). Les 12
entretiens en espagnol sont soit des originaux (2) soit des traductions (10).
Dans les 97 entretiens, 57 entretiens sont unilingues (français), 31 entretiens
sont bilingues (français-anglais, sauf un français-espagnol), 8 entretiens sont
trilingues (français, anglais, espagnol) et un entretien remporte la palme du
multilinguisme puisqu’il est quadrilingue (français, anglais, espagnol,
allemand).

La répartition sur plusieurs années enfin. 47 personnes participent aux
entretiens en 1998. 14 s’arrêtent là et 33 poursuivent les années suivantes.
Viennent s’ajouter ensuite 9 nouveaux participants en 1999, 25 nouveaux
participants en 2000 et 16 nouveaux participants en 2001. Sur les 97
participants, 48 participants répondent une fois, 32 participants répondent à
deux reprises, 13 participants répondent à trois reprises, et 4 participants
répondent à quatre reprises. Précision qui a son importance, ces derniers
chiffres ne peuvent être exploités tels quels puisque, contrairement à ceux qui
ont participé à l’aventure dès ces débuts, les participants qui n’ont été
contactés qu’en 2000 ou 2001 n’ont évidemment pas eu le loisir de répondre sur
plusieurs années. Cependant, que ce soit dans un seul questionnaire (en 2000 et
2001) ou dans plusieurs questionnaires (1998, 1999, 2000 et 2001), tous ont reçu
à peu près les mêmes questions.

= Le Livre 010101

Au printemps 2001, forte d'une centaine d'entretiens, je rassemble les réponses
par thèmes, en y ajoutant des informations techniques sur le développement de
tel ou tel secteur: édition électronique, bibliothèque numérique, librairie en
ligne, livre numérique, livre électronique, référence en ligne, logiciels de
traduction, etc. Cela donne Le Livre 010101: enquête, publié en juillet 2001.

Le deuxième semestre 2001 marque la fin d’une époque (la préhistoire du
numérique peut-être...) avant le début d’une autre, et ceci vaut non seulement
pour la "nouvelle" économie dans son ensemble mais aussi pour le livre
numérique. Après les nombreuses initiatives individuelles et collectives des
années 1998-2001 et l’enthousiasme qui va avec, on assiste à un ralentissement
accompagné d'une certaine lassitude, avant un nouveau départ sans doute.

Si, en 2001, j’avais l’impression que ce n’était pas "mûr" pour une synthèse sur
le sujet, le premier semestre 2002 me paraît la période opportune pour l'écrire.
Je m'appuie sur les trois sources que sont les entretiens, les enquêtes et le
suivi de l'actualité pendant cinq ans. Cela donne une nouvelle version du Livre
010101, distribué par Numilog au format PDF en septembre 2002. Sous toutes
réserves, le livre devrait être régulièrement actualisé selon une périodicité
qui reste à déterminer. Une version imprimée serait également bienvenue, mais à
ce jour mes démarches n'ont (encore) rien donné pour trouver un partenaire qui
prenne en charge la fabrication (de qualité) et la distribution (efficace).

= Les Entretiens sont eux-mêmes un réseau

Dès 1999, les Entretiens agissent comme un réseau, les participants se
contactant ensuite directement, parfois à mon initiative, parfois en consultant
tout simplement la liste des entretiens. Il arrive aussi que des participants
soient contactés par des organismes ayant trouvé "leur" entretien par le biais
de moteurs de recherche. C'est le cas de certains auteurs hypermédias. J’aime en
tout cas cette idée d’un réseau aux multiples ramifications.

Pour moi aussi les Entretiens ont agi comme un réseau.

En février 2001 je prends contact avec Russon Wooldridge, créateur du Net des
études françaises (NEF), grâce à Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque
électronique de Lisieux, qui participe régulièrement aux Entretiens depuis 1998
et qui est lui-même membre du NEF. Russon participe d’abord aux Entretiens avant
de les publier sur le NEF en juillet 2001.

Je prends ensuite contact avec Emilie Devriendt grâce à Russon. Emilie participe
aux Entretiens en juin 2001 avant que je ne lui propose l’année suivante de
poursuivre ce travail. Elle décide de former équipe avec Russon Wooldridge et
Dominique Scheffel-Dunand.

Olivier Gainon, fondateur de CyLibris, participe aux Entretiens en décembre
2000. Pionnier de l'édition en ligne, CyLibris publie une lettre d’information
électronique volontairement décalée et souvent humoristique, dont le ton me
plaît, et à laquelle je contribue à partir d'octobre 2001.

Denis Zwirn, co-fondateur et PDG de Numilog, participe aux Entretiens en février
2001. En septembre 2002, Numilog distribue la nouvelle version du Livre 010101
au format PDF.

Quelques exemples parmi d’autres, sans parler de la trentaine de rencontres
"virtuelles" qui sont ensuite devenues réelles.

= La suite des Entretiens

En janvier 2002, je décide de repasser le flambeau à une nouvelle équipe. Tout
bénévole "fatigue" au bout de quelques années, surtout quand il s’agit d’un
travail très prenant en plus de l’activité professionnelle habituelle, limitée
au minimum vital pour avoir justement du temps pour l'animation des entretiens
et le travail de recherche qui l'accompagne. Lors du colloque du Net des études
françaises en mai 2002 à Lisieux (Normandie), trois membres actifs du NEF
composent une petite équipe pour reprendre le flambeau. Ce sont Emilie Devriendt
(Ecole normale supérieure de Paris), Dominique Scheffel-Dunand (Université de
Toronto) et Russon Wooldridge (Université de Toronto). La nouvelle série
d’entretiens débute en juin 2002. Elle est intitulée Entreliens. Nouveau
souffle, nouvelles personnes, nouvelles questions, nouvelles idées... le réseau
continue de s'étendre.

= Publications issues des Entretiens, ou qui en citent des extraits

2003 [en projet]: Le Livre 010101 (1993-2003). Deux volumes publiés en ligne sur
le Net des études françaises (Université de Toronto).

2002: Littérature et internet des origines (1971) à nos jours: quelques
expériences, communication lors du 2e colloque international "Les études
françaises valorisées par les nouvelles technologies d'information et de
communication", Lisieux (Normandie), mai 2002.

2001-2002: Articles dans Edition Actu, la lettre d'information électronique de
CyLibris (Paris).

2001: Le Livre 010101: Enquête. Publié en ligne sur le Net des études françaises
(Université de Toronto).

2001: Entretiens / Interviews / Entrevistas (1998-2001). Série trilingue
(français, anglais, espagnol) publiée sur le Net des études françaises
(Université de Toronto).

2000: Série d'articles (E-Doc, 1-20, juin-octobre 2000) dans Internet Actu,
publié par FTPress (French Touch Press, Paris).

2000: "L'impact des NTIC [nouvelles technologies de l'information et de la
communication] sur les auteurs, les éditeurs et les libraires", dans: La
publication en ligne, Les cahiers du numérique, I/5 (Hermès Science, Paris).

1999: "Les cyberbibliothèques" et "Sélection de sites web", dans: "L'information
scientifique et technique et l'outil internet", Le Micro Bulletin Thématique, n°
1, publié par la Délégation aux systèmes d'information du CNRS (Centre national
de la recherche scientifique, Paris).

1999: De l'imprimé à internet. Publié en version PDF et en version imprimée par
les Editions 00h00 (Paris) entre avril 1999 et décembre 2002. Publié ensuite en
ligne par le Net des études françaises. Disponible aussi en anglais avec un
texte différent.

1999: Le multilinguisme sur le web. Publié en ligne par le CEVEIL (Centre
d'expertise et de veille inforoutes et langues, Montréal) entre février 1999 et
décembre 2002. Publié ensuite par le Net des études françaises. Disponible aussi
en anglais.

Copyright © 2001 Marie Lebert





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