Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: Hic et Hec
Author: Mirabeau, Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de, 1749-1791
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Hic et Hec" ***


[Transcriber's note: MIRABEAU (Honoré Gabriel Riquetti,
comte de Mirabeau) (1749-1791),
Hic et Hec (1798), édition de 1921

A French erotic novel of the 18th Century]



LES MAITRES DE L'AMOUR


L'oeuvre

du

Comte de Mirabeau


(...)


Hic et Hec, ou l'art de varier les plaisirs de l'amour


(...)


PARIS

BIBLIOTHEQUE DES CURIEUX

4, RUE DE FURSTENBERG, A

MCMXXI



Hic et Hec



Je dois le jour à une distraction d'un R. P. jésuite
d'Avignon, qui, se promenant avec ma mère, blanchisseuse de la
maison, quitta dans l'obscurité le sentier étroit qu'il
parcourait d'ordinaire en faveur de la grande route qui lui
était peu familière. A peine avais-je six ans que sa tendresse
paternelle me fit admettre par charité dans les basses
classes; j'y rendais tous les services qu'on pouvait attendre
de mon âge, et grâce aux heureuses dispositions dont la nature
m'avait doué, je profitai; à douze ans, je pus balayer la
troisième et faire les commissions du père Natophile, qui en
était régent. J'étais précoce en tout, ma taille était élancée
et svelte, mon visage rond et vermeil, mes cheveux châtain-brun
et mes yeux noirs, grands et perçants me faisaient
paraître plus âgé que je n'étais: on me prenait pour un enfant
de quatorze ans. La bassesse de mon origine, la pauvreté de ma
parure, m'avaient éloigné de toute intimité avec mes camarades
de classe, et par conséquent de la corruption, et je donnais
tout mon temps à l'étude. Le régent, satisfait de mes progrès,
me prit en affection, me chargea du soin d'arranger sa
chambre, de faire son lit et de lui porter tout ce dont il
avait besoin; et pour ma récompense, il me donnait des leçons
particulières après la classe, et me faisait lire dans sa
chambre des auteurs qu'on n'explique pas en public.

Un jour, j'avais plus de treize ans alors, il me tenait entre
ses jambes pour me suivre des yeux dans l'explication de la
satire de Pétrone; son visage s'enflammait, ses yeux
étincelaient, sa respiration était précipitée et syncopée; je
l'observais avec une inquiète curiosité qui, divisant mon
attention, me fit faire une méprise. -- Comment, petit drôle!
me dit-il d'un ton qui me fit trembler, un sixième ne ferait
pas une pareille faute; vous allez avoir le fouet. J'eus beau
vouloir m'excuser et demander grâce, l'arrêt était prononcé;
il fallut bien me soumettre. Il s'arme d'une poignée de
verges, me fait mettre culotte bas, je me jette sur son lit,
et de peur que je ne me dérobe au châtiment, il passe son bras
gauche autour de mes reins, de façon que sa main empoigne un
bijou dont j'ignorais encore l'usage, quoique sa dureté
momentanée, depuis plus d'un an, m'eut donné à penser. --
Allons, petit coquin, je vais vous apprendre à faire des
solécismes. Et il agite légèrement les verges sur mes
jumelles, de manière à les chatouiller plutôt qu'à les
blesser. La peur ou le doux frottement de sa main fit grossir
ce qu'il tenait. -- Ah! petit libertin, qu'est-ce que je sens
là? Ah! vous en aurez d'importance. Et il continuait la douce
flagellation et ses attouchements, jusqu'à ce que, enivré de
volupté, un jet de nectar brûlant couronnât ses efforts et
comblât ma félicité. Alors, jetant les verges: -- Ferez-vous
plus attention une autre fois? -- Ah! je ne le crois pas, mon
père, il y a trop de plaisir à être corrigé de votre main. --
Tu me pardonnes ma colère; eh bien, applique-toi, quand tu
feras bien, je te récompenserai comme je t'ai puni. Je lui
baisai la main avec transport, il m'embrassa, et passant ses
mains sur mes jumelles, il me couvrit de baisers. -- Puisque tu
es content de la correction, mon cher enfant, poursuivit-il,
tu devrais bien récompenser mes soins de même. -- Je n'oserais
jamais!... fouetter mon régent! -- Ose, il t'en prie, et, s'il
le faut, il te l'ordonne. J'allai, en rougissant, prendre les
verges, il découvrit son post-face; à peine osais-je toucher,
il s'enrouait à me crier: -- Fort, plus fort; on doit punir
plus rigoureusement les fautes des maîtres que celles des
écoliers. Enfin je m'enhardis, et, empoignant son sceptre
comme il avait fait du mien, je le fustigeai si vertement
qu'il versa des larmes de plaisir. Dès ce moment la confiance
s'établit; il prétexta un rhume qui le mettait dans la
nécessité d'avoir quelqu'un auprès de lui, et il fit mettre
mon lit dans un petit cabinet qui touchait au sien; mais ce
n'était que pour la forme, et, dès qu'il était couché, il
m'appelait et j'allais dormir ou veiller dans ses bras. Il fut
mon Socrate et je fus son Alcibiade. Tour à tour agent et
patient, il mit sa gloire à perfectionner mon éducation.

Ma quatorzième année finie, je possédais le grec, le latin, un
commencement de logique et de philosophie, je connaissais les
premiers éléments de la théologie. Mais pour approfondir cette
science qui tant de fois aiguisa les poignards du fanatisme,
il fallait passer dans d'autres mains, le père Natophile étant
livré presque exclusivement à la belle littérature, et je fus
obligé d'aller étudier sous le professeur Aconite. Je gardai
néanmoins mon lit chez Natophile, qui, sentant que pour faire
mon chemin dans cette nouvelle carrière je serais obligé
d'avoir les mêmes complaisances pour Aconite, le prévint en ma
faveur, et dressa lui-même les articles du traité de partage;
il fallait le consentement du supérieur pour mon admission au
cours de théologie. Natophile me présenta chez lui, ma figure
lui plut, et il fallut bien lui payer son droit.

Pendant l'année qui suivit, je passai les jours à l'étude et
les nuits à mériter les faveurs de mes professeurs. Mes
progrès m'avaient fait un nom qui me promettait les plus
brillants succès, quand arriva la catastrophe qui anéantit la
société. Accablés par ces revers, Natophile et Aconite prirent
le parti de se retirer en Italie, et le premier, pour ne pas
me laisser sans ressources me recommanda à Mme Valbouillant,
pour me charger de l'éducation de son fils, âgé de sept ans et
dont le professeur venait de mourir; ma réputation, le
témoignage de mes professeurs, me firent accepter malgré mon
excessive jeunesse. Mme Valbouillant pouvait avoir vingt-quatre
ans, les dents blanches, l'oeil noir, le nez en l'air,
les cheveux bruns et fournis, la peau superbe, la gorge et la
croupe rebondies, et la main d'une beauté ravissante; elle
n'avait d'enfant que mon élève, et son mari, depuis six ans,
était en Italie, à la suite d'une succession qui lui était
échue. Natophile me conduisit chez elle, y fit porter mon
attirail d'abbé et le petit trousseau que son amitié l'avait
engagé à me faire.

Cette dame me reçut avec une bienveillance attrayante et
promit à Natophile de me traiter de façon à établir entre elle
et moi la confiance réciproque qui devait assurer le succès de
mes soins auprès de mon élève. Quand mon introducteur fut
sorti, la dame me regardant d'un oeil fixe et animé, je baissai
les yeux et je rougis; j'avais bien la force de soutenir les
regards lascifs de mes instituteurs, mais ceux d'une femme
riche et d'un rang distingué, dont ma fortune allait dépendre,
m'en imposaient à un point que je ne puis exprimer. -- Que
vois-je, dit-elle, vous rougissez? Le père Natophile m'aurait-il
trompée? Vous avez bien les traits d'une jeune fille, vous
en montrez la timidité, n'en auriez-vous pas le sexe! Je
rougis encore plus fort. -- Ah! continua-t-elle en riant, je
placerais là un joli gouverneur auprès de mon fils; je veux
m'en assurer. Et passant la main dans le jabot de ma chemise,
elle eut l'air de chercher par mon sein si je n'étais pas une
fille; le sien, que je voyais presque en entier, me mettait
dans un état à détruire tous ses doutes; je perdis ma
timidité, et, prenant son autre main, je l'appuyai sur la
preuve palpable de sa méprise. -- Ah! dit-elle, que je m'étais
trompée! Pourquoi avoir une aussi jolie mine? Ma méprise est
bien excusable, mais si jeune... quelle grosseur! d'honneur,
l'abbé, vous êtes un monstre! -- Bien facile à apprivoiser,
dis-je en me jetant à ses pieds, et je donnerais ma vie pour
le bonheur de vous plaire. -- Ah! que je m'en veux de mon
erreur, sans elle il ne serait pas à mes pieds; levez-vous
donc, quelle audace! -- Non, madame, je n'en puis sortir que je
n'aie obtenu mon pardon, et je l'obtiendrai si vous considérez
l'empire de vos charmes et l'effet qu'ils font sur moi. -- J'en
conviens, il est presque incroyable!... Et ses yeux se
fixaient sur l'insolent dont l'orgueil augmentait à vue d'oeil;
il y a peu d'avocats aussi éloquents aux yeux d'une femme: je
vis le succès du plaidoyer muet, et reprenant sa main, je la
pressai contre l'orateur. -- Ah! fripon, s'écria-t-elle en
passant son autre bras autour de mon cou, et serrant ma tête
contre son sein. Je sentis l'énergie de cet "Ah! fripon!" et,
profitant de la circonstance et de l'heureuse attitude, je fis
tant des genoux et des mains qu'en quatre secondes tous les
obstacles furent écartés, et l'union la plus intime couronna
mes efforts; ses yeux humides et à demi fermés, son sein
haletant, sa bouche, collée contre la mienne, forcée au
silence par la volupté; nos langues trop occupées pour peindre
nos plaisirs; nous restâmes plusieurs moments dans cette
ivresse qu'on sent trop pour pouvoir l'exprimer. Sa dernière
période combla mes voeux sans affaiblir nos désirs, et le front
orné de myrtes, je ne me reposai point pour courir à une
nouvelle victoire.

Mon athlète, charmée de sa défaite et de ma valeur obstinée,
se livra avec transport à la nouvelle lutte, qui, moins rapide
et plus vivement sentie, nous plongea dans une mer de délices.
Remis de notre trouble, nous couvrîmes réciproquement de
baisers enflammés tous les charmes dont nous avions joui, et
nous convînmes de la réserve la plus sévère devant le monde et
les domestiques, et de l'abandon le plus parfait dans les
tête-à-tête. Chaque jour me découvrait de nouveaux charmes
dans ma conquête, qui, s'attachant de plus en plus par la
jouissance, m'aimait avec la tendresse d'une amante.
L'appartement de mon élève communiquait au sien par sa garde-robe;
et le soir, quand tout le monde était endormi, je
passais dans son alcôve chercher le délire dans ses bras, et
je rentrais chez moi avant le point du jour. Nous jouissions
sans trouble de cette félicité, quand Valbouillant revint de
son voyage, après avoir terminé ses affaires.

Je lui fus présenté; je lui parus bien jeune pour un
instituteur. Connaissant le tempérament de son épouse, il se
douta bien qu'elle ne me laissait pas donner exclusivement
tous mes soins à mon élève; mais il n'était pas jaloux, et le
séjour qu'il avait fait à Florence l'ayant accoutumé aux
plaisirs socratiques, et ma figure le séduisant, il crut faire
servir la faiblesse de sa femme pour moi à s'assurer de mes
complaisances. Il feignit le soir un mal de tête, s'excusa de
coucher seul dans son appartement, lui disant en l'embrassant
tendrement qu'il espérait s'en dédommager quand cette
indisposition imprévue ne le contrarierait plus. Elle me fit
alors un signe, que je compris à merveille. Quand je le crus
retiré, je m'introduisis dans le lit de ma belle, et nous nous
hâtâmes de profiter d'une occasion que nous craignions ne pas
retrouver de sitôt.

A peine étions-nous à l'oeuvre, que nous vîmes paraître
Valbouillant en chemise, un poignard à la main, qui, jetant la
couverture et me saisissant de la main gauche, me dit: -- On ne
m'outrage point impunément; mais je suis humain, choisissez
entre ces poignards. Et brandissant celui qu'il tenait, il me
montrait celui dont Jupiter frappait Ganymède. L'amour de la
vie ne rendit pas mon choix douteux; je cédai à l'impérieuse
circonstance, et Mme Valbouillant, trop heureuse d'en être
quitte à si bon marché, me retint assujetti dans la position
où je me trouvais; son mari devint le mien, et dans le fort de
ses transports, il prodiguait mille baisers à sa femme,
bénissant une infidélité qui lui procurait de si douces
jouissances. -- Tu me pardonnes donc, lui dit-elle en
l'embrassant. -- Comment rester fâché contre de si chers
coupables? Ce sein, dit-il en le baisant (elle l'avait
superbe), et ces jumelles, ajouta-t-il en frottant de la main
l'autel où il venait de sacrifier, attendriraient un tigre; de
plus, je n'ai pas compté que tu pusses rester fidèle pendant
une si longue absence. J'ai gagné dans mon voyage une bonne
succession et des cornes. La première me fait plus de bien que
les autres ne me feront de mal. Ne prêtons point à rire,
soyons discrets et jouissons sans scrupule de tous les
plaisirs que notre âge et notre fortune nous offrent; évitons
le scandale et moquons-nous du reste.

Mme Valbouillant, enchantée de la manière dont il avalait la
pilule, le comblait de caresses. -- Ah! mon ami, que de bonté!
Non, plus jamais tu n'auras de reproche à me faire! Je
renonce... -- Tais-toi, point de serment, je n'y crois point.
J'exige ta confiance et non ta fidélité; ce serait demander
l'impossible. Tiens, regarde notre abbé, comme il est radieux;
j'ai retardé ses plaisirs et les tiens, mais je ne veux pas
vous en priver; allons, Hic et Hec, reprenez votre besogne. --
La plaisanterie est trop amère, mon ami, quand tu vois mon
repentir. -- Je ne plaisante point, j'ai donné à l'abbé ce que
je te destinais, il est juste qu'il t'en dédommage; les
plaisirs que tu prendras devant moi ne peuvent m'offenser,
puisque c'est de mon aveu, et que mes yeux jouiront par ce
tableau. Et tenant sa femme dans l'attitude la plus commode,
il me pressa de me jeter dans ses bras. La singularité de tout
ce qui venait de se passer me fit hésiter: il insista; je
cédai, et j'avoue que j'en mourais d'envie. Alors, nous
serrant tous deux dans ses bras, il nous couvrit de caresses;
sa femme, d'abord embarrassée, se rassura et lui serrant la
main, se livra sans réserve à mes transports, et parvint au
but désiré en même temps que moi. -- Eh bien! mes amis, dit-il,
ne suis-je pas un complaisant? Des caresses furent notre
réponse. Regarde, dit-il à sa femme, l'effet du spectacle que
vous venez de me donner. Et il lui découvrit son sceptre dans
l'état le plus respectable. -- Qu'il est menaçant, s'écria-t-elle;
allons, mon pauvre Hic et Hec, vous allez être
poignardé. -- Non, madame, c'est sur vous cette fois que ma
fureur va tomber; si, par hasard, dans neuf mois vous me
rendez père, je ne veux pas avoir de certitude que l'enfant
n'est pas de moi. En disant ces mots, il use de tous ses
droits et s'empare de la place dont je venais de sortir.
Valbouillant était bien fait, il avait à peine trente ans, son
corps frais et rebondi était d'une blancheur éblouissante; la
vue de son post-face me rendit ma vigueur, je me précipitai
sur lui, je m'introduisis sans peine, et mes mouvements
secondant ses efforts, le faisaient pénétrer plus avant dans
la grotte de son épouse. -- Ah! cher abbé, s'écria-t-il, quel
plaisir! Tu doubles ma jouissance. Je continuai avec ardeur,
et bientôt une triple émission couronna notre félicité. Alors,
plus calme, il me baisa avec une tendre fureur, pour me payer
des délices que je lui avais fait éprouver. -- Vous m'étonnez,
dit sa femme, je pensais bien qu'en socratisant, l'agent
goûtait un plaisir vif par la pression qu'il éprouve dans la
voie étroite; mais je ne puis concevoir que le patient en
puisse ressentir; au contraire, la grosseur de ce qu'il admet
doit lui causer une sorte de douleur qui doit émousser toute
volupté. -- Ah! ma chère, que vous êtes dans l'erreur, le rôle
de patient est au moins aussi doux à jouer que celui d'agent,
le chatouillement intérieur est ravissant, et j'ai vu des
femmes qui préféraient recevoir leur ami de ce côté-là. --
C'est singulier, et pourquoi ne me l'avoir point fait essayer?
-- Je n'osais te le proposer, et sans les événements
d'aujourd'hui, je ne t'en aurais peut-être jamais parlé. -- Je
serais bien tentée d'en faire l'épreuve, si je ne craignais
pas que cela me fît beaucoup de mal. -- Nous l'avons bien
supporté votre mari et moi presque dès l'enfance; avec un peu
de pommade les obstacles disparaissent. -- Vous m'encouragez;
cependant comment est-il possible que ceci (touchant le
sceptre de son mari) puisse entrer dans un si petit réduit? --
Mon coeur, il faut choisir, pour commencer le défrichement, la
charrue dont le soc sera le plus aigu.

A l'examen, les proportions du mien parurent plus propres pour
entamer l'ouvrage, et après quelques moments de repos, mes
forces s'étant ranimées, Valbouillant resta dans le lit, nous
nous levâmes sa femme et moi; je lui fis courber le corps sur
le lit, son mari la retint, unissant sa bouche à la sienne et
l'animant par des baisers à la florentine. Cependant sa croupe
se levant, me présentait un double chemin au bonheur; je
choisis celui convenu; après avoir préparé la voie par un
liniment suffisant, la grosseur du soc lui fit d'abord jeter
un cri, je m'arrêtai et poussant avec ménagement quelques
secondes après, j'ouvris le sillon assez pour y cacher la
moitié du fer de la charrue; je m'arrêtai encore: -- Souffrez-vous?
lui dis-je. -- Encore un peu, mais moins. Alors, appuyant
sur les manchons, je fis le défrichement aussi profond qu'il
devait l'être, allant et venant, comme l'exige ce genre
d'agriculture. -- Ah! dieux! s'écria-t-elle; je ne sais où je
suis, la tête me tourne, je brûle; ah! quelle volupté, je
fonds! Ah!... ah!... je succombe... je pars encore...
Quartier! mon cher ami... je ne puis plus... Me sentant aussi
tout hors de moi, je retirai mon soc du sillon où il était, je
l'enfonçai profondément dans le voisin que je trouvai inondé
d'un déluge de larmes de volupté; les miennes s'y mêlèrent et
nous nous rejetâmes sur le lit dans un abattement délicieux
qui succède aux plaisirs satisfaits. -- Ah! mes amis, s'écriait
Mme Valbouillant, se peut-il que j'aie vécu jusqu'à présent
dans l'ignorance d'un bonheur aussi grand; bon Dieu, quelle
félicité, quelle douceur ineffable! Valbouillant, qu'elle
caressait en tenant ce discours, lui proposa de lui faire
répéter l'expérience dont elle s'était si bien trouvée. -- De
bon coeur, quand j'aurai pris quelques moments de repos; mais
laissez-moi respirer quelques instants, et me recueillir sur
une jouissance aussi parfaite et aussi nouvelle pour moi.

Elle s'assoupit un moment la tête appuyée sur mon sein, je
m'endormis aussi une main sur ses reins, et l'autre
enveloppant un côté de son sein. Valbouillant suivit notre
exemple, nous dormîmes près de deux heures; un songe
intéressant occupait notre belle, elle agitait ses reins et
m'embrassait avec un transport qui m'éveilla tout à coup.
Valbouillant ouvrit aussi les yeux. -- C'est, dit-il, à mon
tour de lui faire la seconde expérience socratique. --
D'accord, répondis-je, mais si vous m'en croyez, nous pouvons
doubler pour elle la volupté. -- Comment? -- Je vais me coucher
sur le dos et l'établir sur moi tout physiquement, et vous
vous installerez ensuite dans la voie étroite. Tous deux
applaudirent à mon idée, et nous nous mîmes sans délai à la
réaliser. Je mis un coussin sous mes reins pour les élever
davantage, mon héroïne se mit à cheval sur moi, enfonçant mon
poignard dans sa blessure et collant sa poitrine sur la
mienne, de façon qu'elle offrait dans la position la plus
avantageuse le revers à son second athlète. Il ne tarda pas à
battre la muraille avec son bélier, qui bientôt s'y fit jour.
Enivrée de plaisir, elle me mordait, me pinçait, me baisait,
m'inondait et par-dessus m'étouffait: quelque volupté que
j'éprouvasse, je commençais à me repentir de mon invention,
quand par bonheur Valbouillant, dont le frottement de nos
chevilles ouvrières sur la mince membrane qui nous séparait
accélérait le triomphe, arrosa l'intérieur de l'arrière-temple,
et me débarrassa de son poids; alors je redoublai mes
mouvements, et, dardant le nectar dans le plus profond de
l'antre de la volupté, l'âme de ma belle et la mienne se
confondirent quelques moments. Elle avoua que de sa vie elle
n'avait conçu l'idée d'un plaisir aussi ravissant: elle nous
pressait sur son sein son mari et moi, et gémissait de ce que
la nature humaine accordait si peu de force pour savourer et
prolonger la volupté. Ce dernier combat ayant épuisé nos
ressources, nous nous retirâmes pour la laisser chercher, dans
les bras du sommeil, le repos que nous allâmes prendre, chacun
de notre côté, dans nos lits.

Le lendemain, je fus réveillé à onze heures par la jeune
Babet, filleule de Mme Valbouillant, qui vint me dire qu'elle
m'attendait pour déjeuner avec du chocolat, et que je vinsse
dans l'état où je serais. Comme j'aurai occasion de parler de
Babet, et, pendant qu'elle est dans ma chambre, j'en vais
crayonner le portrait. Elle avait à peine quatorze ans; sa
taille, haute et légère, aurait pu servir de modèle à l'Albane
pour peindre la plus jeune des Grâces; un sein petit et dur
commençait à s'arrondir autour de deux boutons vermeils et
frais comme la rose, et qui paraissaient à l'oeil comme deux
fraises appétissantes que le soleil n'a fait encore que rougir
légèrement; son front brillait du coloris de l'innocence; dans
ses yeux on commençait à entrevoir le plaisir d'aimer encore
méconnu, et la gaîté naïve, entr'ouvrant sa bouche de corail,
allait creuser dans ses joues deux fossettes charmantes.

Je l'avais peu remarquée jusqu'alors; malgré les fatigues de
la nuit, le démon du matin ne me laissa pas maître de voir
sans émotion tant de charmes. Je me fis répéter trois fois le
sujet de sa commission, quoique je l'eusse entendu dès la
première. -- Est-ce vous, charmante Babet, lui dis-je, en
jetant ma couverture pour me lever et me rendre aux ordres de
sa maîtresse, est-ce vous qui préparez cet excellent chocolat?
-- Oui, monsieur, c'est moi. -- Que je voudrais bien être à sa
place, comme je mousserais bien sous vos mains. -- Un abbé,
mousser, cela serait plaisant. -- Et très naturel. -- Vous
moquez-vous? comment cela se peut-il? -- Tu vas le voir, lui
dis-je en l'attirant sur mon lit; suppose que ceci est le
manche du moussoir. -- Ah! comme c'est fait; mais non, je veux
m'en aller, et feignant de vouloir sortir et de détourner la
tête, je l'aperçus cependant qui glissait un regard de côté
pour mieux détailler cet objet nouveau pour elle. -- On ne me
quitte pas ainsi, repris-je en la retenant avec un tel effort
qu'elle perdit l'équilibre et tomba de côté sur mon lit, de
telle sorte que voulant se retenir, ce fut directement au
manche du moussoir qu'elle s'accrocha.

Me trouvant bien du hasard de la chute, je la maintins dans
cette attitude. -- Ah! mon Dieu, que cela est dur! dit-elle, en
s'accoutumant à le considérer, et le touchant avec
complaisance; à quoi cela peut-il servir? -- A faire ton
bonheur et le mien. -- Cela serait drôle, et comment cela? -- En
le plaçant dans l'ouverture de la chocolatière. -- Elle est
chez madame, au coin du feu, je vais vous la chercher. -- Ne te
donne pas tant de peines, tu portes toujours avec toi celle
qu'il me faut. Je lui fis sentir par l'attouchement d'un doigt
caressant quel était le meuble qu'il me fallait. -- Comme vous
me chatouillez!... -- Comment? Quoi donc?... Ils sont faits
l'un pour l'autre, et c'est de leur union que naîtra pour nous
le plus grand des plaisirs. -- Ah! comme votre doigt seulement
m'en donne, ah! que cela est drôle! Et vous dites que ce que
je tiens là m'en donnerait davantage. -- Je t'en réponds, cela
ne se ressemble pas. -- Que je le baise donc? Et la pauvre
ingénue se mit à me le couvrir de baisers pendant que mon
doigt, continuant son office obligeant, la conduisit à la
dernière période de la volupté. -- Ah!... ah!... quelle
ivresse, s'écriait-elle, en roulant les yeux et agitant les
reins. Je n'en puis plus... Je meurs, ah!... ah!... je suis
toute mouillée. Je contemplais avec délices les effets du
plaisir sur sa mine innocente et candide; j'allais essayer de
lui donner des plaisirs plus solides, quand du bruit que
j'entendis dans le corridor me fit lâcher prise et remettre à
un autre temps la leçon de cette charmante écolière. -- A ce
soir, lui dis-je, quand tout le monde sera couché, j'irai
achever de t'instruire. Tu le veux bien? -- Si je le veux? Je
vous en prie. -- Ne dis rien à personne de ce que nous avons
fait, et laisse ta porte entr'ouverte. -- Je n'y manquerai pas.

A peine était-elle sortie que Valbouillant entra. -- Comment,
pas encore debout, paresseux!... Voilà ce que c'est que de
vous envoyer de si jeunes émissaires, monsieur songe moins au
message qu'à la messagère. -- Je dormais profondément, Babet a
eu de la peine à m'éveiller. -- Elle vous tenait pourtant par
l'endroit sensible. -- Que dites-vous? -- Mais vous n'étiez pas
ingrat. -- Quoi! vous pourriez penser? -- J'ai vu, fripon, mais
je me suis retiré pour ne pas être un trouble-fête, et j'ai
fait ensuite assez de bruit en revenant pour que vous ne
fussiez pas surpris de ma venue. La petite Babet est
charmante, j'en raffole depuis mon retour, et je ne vous
laisserai pousser tranquillement votre pointe qu'à condition
que quand vous l'aurez initiée, elle sera associée à nos
plaisirs. -- Soit, repris-je, laissez-moi huit jours pour la
disposer et je vous la donne après pour l'effet de la société
la plus aimable. -- Huit jours, ah! monsieur l'abbé, du train
dont vous y allez, le terme est trop long, la nuit prochaine
passée, celle d'après, il vous plaira que tout soit commun
entre nous.

Il fallut bien y consentir. Pendant ce colloque, j'avais passé
des bas, un caleçon et une robe de chambre, et il m'emmena
chez sa femme, où nous trouvâmes le chocolat tout préparé, qui
nous fut versé par les mains de Babet, qui, sans savoir
pourquoi, rougissait en emplissant ma tasse. Valbouillant lui
donna quelque ordre qui la fit sortir pour un quart d'heure,
et profitant de son absence, il conta à sa femme ce qu'il
avait surpris de mes arrangements avec sa filleule. -- Comment,
libertin, dit-elle, déjà une infidélité!... Mais je ne serai
pas si douce que mon mari, ou je dérange vos projets, ou je
repaîtrai mes yeux de vos succès. -- Comment voulez-vous qu'une
première fois cette jeune personne consente? -- Laissez-moi
faire, dit-elle, elle est parfaitement innocente, a pleine
confiance en moi, et si les exploits de cette nuit n'ont pas
mis l'abbé hors de combat... -- Hors de combat, repris-je en
lui faisant voir que j'étais dans toute ma gloire. -- Ah! ma
foi, l'abbé est un héros. Eh bien, j'entends que le pucelage
de Babet n'ait pas plus d'une heure à vivre et que nous
assistions à ses obsèques; j'en fais mon affaire. -- Comment
prétendez-vous?... -- Ne vous embarrassez pas, laissez-moi
conduire la chose et je réponds de la réussite.

Quelques moments après, Babet rentra. -- Qu'on dise là-bas que
nous sommes sortis et qu'on ne laisse monter personne, dit la
marquise d'un ton sérieux mais sans dureté; revenez aussitôt,
Babet, j'ai des choses importantes à vous apprendre. La
filleule obéit et rentra. -- Asseyez-vous, Babet, continua Mme
Valbouillant. L'innocente balançait. -- Obéissez. Elle céda. --
Je suis votre marraine, et trop instruite dans ma religion
pour ignorer qu'en vous tenant sur les fonts, j'ai pris
l'engagement de vous éclairer, de vous protéger et de pourvoir
tant que je pourrai à vos besoins. -- Vous l'avez toujours
fait, madame, et ma reconnaissance... -- Je veux continuer,
l'âge en amène de nouveaux. Depuis un temps, j'ai cru
remarquer que votre sein s'arrondit. -- Madame, ce n'est pas ma
faute. -- Je ne vous en fais pas un reproche, mais il faut que
je voie en quel état il est. La pauvrette rougit. -- L'abbé,
continua Mme Valbouillant, délacez son corset: comme vous
serez son directeur, il est bon que vous jugiez par vous-même
des secours dont elle peut avoir besoin.

Je me mis en devoir d'obéir; la petite, embarrassée,
interdite, ne savait s'il fallait résister ou céder. -- Vous
n'êtes plus une enfant, poursuivit la marraine, je vais à
présent vous parler comme à une grande fille, et vous devez
vous conduire de même; vous n'imaginez pas, je crois, que je
veuille faire, ni vous faire faire quelque chose qui ne soit
pas convenable. D'ailleurs la présence de mon mari devrait
vous rassurer; mais pour détruire votre timidité, je veux bien
vous montrer l'exemple. En disant cela, elle détacha son fichu
elle-même et découvrit cette gorge que nous avions tant fêtée
la nuit. Babet fit moins de résistance et me laissa tirer de
son corset deux petits globes naissants, blancs et fermes
comme l'albâtre; je fus ébloui de leur éclat. -- Bon, dit la
dame en les touchant légèrement, ceci annonce quelque chose,
voyez si le reste le confirme; vous étiez chauve, il y a
quelques années, au-dessous de votre buste, l'êtes-vous
encore? -- Madame... -- Eh bien? -- C'est que je n'ose. -- Dites,
dites, ne craignez rien... -- Depuis six mois... -- Après? -- Il
m'est venu... -- Voyons? -- Il est peut-être malhonnête. -- Bon,
ce qui est naturel peut-il l'être, regardez-y, l'abbé.

Babet, au mouvement que je fis, parut bien plus confuse et
résista machinalement. -- Quelle enfant, continua la maîtresse,
faut-il encore que je vous donne l'exemple? J'y consens. Et
elle leva ses jupes et nous fit voir la toison la plus brune,
la mieux frisée qu'on pût voir. Alors, imitateur fidèle,
j'exposai à la vue le duvet naissant qui ombrageait le
portique du plus joli temple que l'amour eût jamais formé; Mme
Valbouillant y porta le doigt, et son chatouillement y eut
bientôt causé les douces oscillations qui conduisent à la
volupté. -- Le moment du besoin est arrivé, et pour y pourvoir,
c'est, ma chère enfant, de l'abbé que j'ai fait choix. Allons,
Hic et Hec, conduisez-la sur ma chaise longue et donnez-lui
tous les secours qui dépendront de vous.

Valbouillant et moi brûlions de désirs à la vue de tant de
charmes; la petite n'était pas plus calme, mais la présence de
sa marraine et de Valbouillant la couvrait de confusion. Mme
Valbouillant, pour tirer parti de la circonstance, prenant son
mari par ce qui se révoltait en lui: -- Montrons à cette
enfant, dit-elle, comment il faut qu'elle fasse. Et, par cet
exemple, elle détermina bientôt l'innocente, que je plaçai
dans l'attitude convenable au sacrifice. -- Ah! mon cher abbé,
me dit-elle en se plaçant comme je voulais sur la chaise
longue, qui m'eût dit ce matin que, sans risquer d'être
grondée, je pourrais vous abandonner ce que vous chatouillez
si joliment et toucher ce qui, dites-vous, doit me donner tant
de plaisirs! Ce que c'est que d'avoir une bonne marraine!

Pendant qu'elle disait tout cela, je m'établissais, et la
pointe de mon dard s'efforçait de pénétrer dans le réduit
jusqu'alors insensible, dont la pudeur défend l'accès à la
volupté. Le spectacle de Mme Valbouillant qui, dans ce moment,
se pâmait sous les efforts de son mari, irritant ses désirs,
l'empêchait de s'opposer aux miens, quelque douleur que lui
causassent mes efforts. Je profitai de ce moment d'ivresse, et
passant mes mains autour de ses reins, j'appuyai si vertement
que, franchissant tous les obstacles, j'établis la tête de ma
colonne dans le retranchement de l'ennemi, qui céda à mon
effort. -- Ah! je suis morte, dit-elle, cruel! Sont-ce là les
plaisirs que vous me promettiez? Je ne lâchai pas prise. -- Le
plus fort en est fait, répondis-je, encore un peu de patience,
ma chère Babet, et tu verras que je ne t'ai point trompée.

Elle pleurait, gémissait, et moi je gagnais toujours du
terrain; cependant Valbouillant et sa femme ayant fini leur
besogne vinrent à notre secours; l'officieuse marraine,
glissant sa main dans le champ de bataille, chatouilla cette
voluptueuse excroissance qui, par sa dureté, annonce l'arrivée
de la volupté, et les lèvres de Valbouillant, serrant
amoureusement une des fraises de son sein, portèrent son
ivresse au comble; elle oublia sa douleur que le frottement
affaiblissait. -- Ah! dieux! s'écria-t-elle, qu'est-ce que je
sens?... qu'est-ce que j'éprouve?... ah!... ah! je me meurs...
serre-moi... j'expire... ah!... A ce mot elle ferma les yeux,
se raidit, et, par la plus copieuse éjaculation, me prouva le
plaisir qu'elle prenait, je ne fus pas longtemps à
m'acquitter, et l'abondante injection que je fis en elle du
baume de la vie compléta sa félicité. -- Ah! cher abbé, divin
abbé, quel délice, quel nectar!... Et elle perdit de nouveau
la voix en même temps que je perdais mes forces. Je me retirai
couronné de myrtes ensanglantés. -- Eh bien, dit la marraine,
comment t'en trouves-tu, Babet?... -- Il m'a fait bien du mal;
mais bien du plaisir. -- Va, le mal est passé et le plaisir se
renouvelle souvent; la friponne! avec quelle abondance elle a
versé les larmes de la volupté! Et, sous prétexte de réparer
le désordre de sa toilette, elle la déshabilla totalement et
nous fit voir un corps dont Hébé aurait été jalouse. Aux
caresses que Mme Valbouillant prodiguait à chacun des charmes
de sa filleule, à mesure qu'elle les découvrait, je reconnus
aisément que, quelque goût qu'elle eût pour le solide, elle
pouvait, voluptueuse émule de Sapho, savourer avec une jolie
nymphe les agréables dédommagements dont la Lesbienne usait en
l'absence de Phaon. Je vis son front s'animer, sa gorge se
gonfler et ses yeux pétiller à mesure que ses mains
parcouraient les charmants contours de ce corps pétri par les
Grâces. -- Qu'elle est jolie, quelle taille divine, quelle
fraîcheur! s'écria-t-elle en la serrant contre son sein; je
brûle... Ah! ma mignonne, prête-moi ta main. Et l'entraînant
sur la duchesse, elle ranima en elle tous les désirs pendant
que Babet, d'une main peu exercée, fourrageait le bosquet de
Vénus. -- Suspendez ces transports, leur dis-je, vos vêtements
sont un obstacle aux plaisirs que vous cherchez et à ceux de
nos yeux; dépouillez ces cruelles draperies qui contrarient
vos attouchements et nos regards.

Elle y consentit, et, avec mon aide, elle parut en deux
secondes comme Diane sortant du bain; et, se précipitant de
nouveau sur sa jeune proie, elle passa une jambe entre les
siennes, de façon que les temples des deux athlètes frottaient
voluptueusement sur la cuisse de leur adversaire, leurs bras
étaient entrelacés, leurs seins se touchaient, leurs bouches
collées l'une sur l'autre s'entr'ouvraient pour laisser
passage à l'organe de la parole qui devenait celui de la
volupté, leurs reins s'agitaient, leurs cheveux flottaient çà
et là sur leurs corps dont le mouvement animait le coloris;
des soupirs enflammés se faisaient entendre; on eût dit Vénus
se consolant dans les bras d'Euphrosyne de l'absence de Mars.
Tout à coup elles s'arrêtèrent, et cinq ou six mouvements
convulsifs et précipités nous annoncèrent qu'elles touchaient
au but, et bientôt nous vîmes les perles du plaisir couler sur
le champ de bataille. -- Ah! ma chère marraine, ah! mon cher
abbé, quel bonheur de ne plus être enfant. Après cette
exclamation et quelques caresses que la fatigue rendait plus
modérées, nos belles allaient reprendre leurs habits, quand
Valbouillant, que cette scène avait rendu plus brillant que
jamais: -- Quoi! dit-il, serais-je le seul qui n'aurait procuré
aucun plaisir à cette charmante enfant; non pas, s'il vous
plaît, et, la serrant dans ses bras, il la renversa de nouveau
sur le théâtre qu'elle allait quitter. -- Je ne puis le blâmer,
reprit sa femme, jamais objet ne fut plus séduisant, mais
nous, resterons-nous spectateurs oisifs? -- Non, ma reine, non,
permettez d'abord que ma bouche recueille le nectar que vous
venez de répandre, pour faire place à celui que je veux y
verser.

Elle y consentit, et ma langue amoureuse, furetant les recoins
du parvis du temple, et savourant cette liqueur divine,
ralluma ses désirs et les miens; alors, l'entraînant sur moi à
l'instant qu'elle introduisait le véritable dans la route
ordinaire, j'insinuai mon doigt suffisamment mouillé dans le
réduit voisin, et doublant ainsi ses sensations, nous
arrivâmes ensemble au but désiré, à l'instant que Valbouillant
perdait ses forces à côté de nous sur le sein de la jeune
Babet. Nos soupirs se confondirent, nous restâmes quelques
moments immobiles et considérant d'un oeil calme et satisfait
la beauté des corps qui nous touchaient; la dame rompit le
silence qui succéda à la jouissance par ces mots: -- Ah!
Valbouillant, qu'est-ce que le mariage auprès des délices que
nous goûtons. -- Ah! ma chère, reprit-il en embrassant Babet,
elle, moi successivement, je ne puis trop remercier l'abbé de
m'avoir fait cocu.

Nous aidâmes nos belles à se rhabiller; la toilette fut plus
gaie que décente, et nous nous séparâmes après avoir bien
recommandé le secret le plus profond à Babet sur tout ce qui
venait de se passer. La pauvre petite avait pris tant de
plaisir que sans cette recommandation et la menace de n'en
plus goûter de pareil, elle aurait indubitablement été en
faire le récit à ses jeunes compagnes, mais la crainte de la
privation contint sa langue. Quand j'eus donné ma leçon à mon
élève, je le ramenai dîner avec ses parents; il y avait
plusieurs étrangers qui parurent surpris, à ma jeunesse, qu'on
m'eût choisi pour instituteur. -- Il a reçu une parfaite
éducation, dit Valbouillant, il est extrêmement instruit et
nous nous trouvons très bien, madame et moi, de la confiance
que nous avons mise en lui: sa jeunesse ne nous fait point de
peine. Cette réponse fit cesser les observations; j'eus
occasion de déployer un peu d'érudition et de développer des
connaissances en littérature et, avant la fin du repas, les
convives, charmés de mon goût, de la modestie et du ton de
vertu qui régnait dans tous mes propos, devinrent mes
partisans aussi zélés qu'ils avaient d'abord été prévenus
contre moi.

Quand tout le monde se fut retiré, nous fîmes un tour de
promenade; nous soupâmes, et, notre élève étant couché, nous
entrâmes chez Mme Valbouillant avec la jeune Babet, qui,
depuis la scène du matin, devait se trouver dorénavant de tous
nos plaisirs. Les travaux de la nuit et de la matinée
précédente nous avaient rendus un peu plus modérés sur
l'article des désirs. Valbouillant me demanda comment, si
jeune, je pouvais avoir si bien approfondi les diverses
ressources de la volupté. Je lui répondis par le récit de ce
qui s'était passé entre le père Natophile et moi. -- Comment,
s'écrièrent à la fois mes trois auditeurs, des coups de verges
ont allumé vos premiers désirs? -- Oui, certes, et à tel point
que je ne pouvais plus résister à leur vivacité. -- C'est un
phénomène. -- Phénomène qui ne manque jamais d'arriver, et dans
l'état où nous sommes tous à présent, il ne manquerait
sûrement pas son effet. -- Vous plaisantez, l'abbé? -- Non,
madame. Vous voyez mon humiliation. -- Fi donc, Hic et Hec,
cachez cette misère. -- Eh bien, madame, le secours d'un balai
de bouleau, en moins de deux minutes, lui rendrait toute sa
gloire. -- Croyez-vous que cela fasse le même effet sur mon
mari? -- J'en suis certain. -- Si nous en faisions l'épreuve? --
Volontiers, dîmes-nous ensemble Valbouillant et moi.

Et Babet en alla chercher un qu'on avait apporté tout frais
dans la soirée; je le partageai en plusieurs poignées; j'armai
de la plus menaçante la main de Mme Valbouillant, et
découvrant mon post-face: -- Je me livre à vos coups, lui
dis-je; commencez à demi-force et frappez aussi fort que vous
voudrez, et vous verrez. Elle se mit à la besogne, mais la
crainte de me blesser amortissait ses coups, au point qu'à
peine en sentais-je l'atteinte. -- Plus fort, m'écriai-je, mais
elle n'osait.

L'espiègle Babet lui ôtant le sceptre des mains: Laissez-moi
faire, dit-elle, il me dira bientôt assez. Et d'un bras
vigoureux, m'appliquant plusieurs coups précipités, les
esprits se portèrent dans les pays-bas, et je parus bientôt
dans l'état le plus superbe. Mme Valbouillant sauta sur ma
gloire, la pressa entre ses lèvres caressantes, et d'une
langue amoureuse, en chatouillant le contour, me causa un
plaisir si vif, que m'éloignant de la correctrice qui
s'attacha alors à Valbouillant, je conduisis la dame sur la
chaise longue, et, mettant mes pieds sous sa tête et ma bouche
sur son temple, je pompai avec ma langue le nectar du plaisir,
pendant que sa bouche me sollicitait à la volupté. Nous
savourâmes quelques minutes les délices de cette attitude, qui
nous procura bientôt une émission réciproque du baume
précieux, sans lequel la Providence trahie cesserait de voir
les espèces se reproduire; nous le bûmes l'un et l'autre avec
une ivresse qu'on ne peut exprimer. Revenus de notre trouble,
nous vîmes Valbouillant, sur qui la fustigation avait fait
l'effet désiré, soutenant sur ses mains les jumelles de la
jeune Babet, qui, les bras autour de son cou, les jambes
croisées sur ses reins, perforée par sa vigoureuse allumelle,
touchait au moment du bonheur dont nous sortions. Valbouillant
sentant le moment où il allait perdre ses forces, la porta
dans la même attitude sur le pied du lit, l'y renversa, et
presque aussitôt nous jugeâmes par leurs soupirs de la fin de
leur sacrifice. Je m'approchai de Babet et lui demandai
comment elle se trouvait des lumières que nous lui avions
procurées. -- Je végétais, j'existe, me répondit-elle. Adieu
tous autres soins, tous autres plaisirs; je voudrais pouvoir
doubler chaque jour la durée du temps et employer chaque
minute aux leçons que j'ai reçues. -- Parle-nous franc, lui dit
sa marraine, n'avais-tu jamais rien soupçonné qui en
approchât? -- J'avais, depuis un an, senti quelques
démangeaisons là; je le dis à ma tante, pour savoir si me
gratter, comme j'avais fait, ne me ferait pas de mal. -- C'est,
me répondit-elle, à ton âme que cela en ferait; si tu
continues, tu te damnes sans ressource. Et comme nous
approchions de Noël, elle en avertit le père Catonet, qui me
confessait. Quand j'allai lui dire ma râtelée, il m'ordonna
d'attendre, qu'il me confesserait la dernière, et que ce
serait dans une petite chapelle, derrière la sacristie, dont
il avait la clef. En effet, il m'y conduisit, quand il fut
quitte de ses autres pénitentes. Je commençai par les misères,
comme cela se pratique; puis, comme il voyait que j'hésitais,
il me questionna sur le sixième commandement. C'est à cet
examen que je dois le peu de lumières que j'avais au moment où
vous m'avez instruite. Quand je lui eus avoué l'article des
démangeaisons et du grattement: -- A quel endroit est-ce
précisément? demanda-t-il avec des yeux qui semblaient vouloir
me dévorer. -- Hélas! lui répondis-je, c'est là, un peu plus
bas que mon buste. -- C'est sûrement, dit-il, un tour de
l'esprit malin; mais je vais lui en jouer un autre. J'ai de
l'eau lustrale dans ce bénitier; il y mouilla son doigt, et,
me faisant asseoir sur son genou, sous prétexte de me
purifier, il me chatouilla pendant que, par son ordre, je
récitais mon chapelet. Je n'étais pas au milieu de la seconde
dizaine que la voix me manqua; je pris le plaisir que je
ressentis pour une bénédiction attachée à l'eau bénite: il me
dit de me mettre à genoux et d'achever ma confession.
J'aperçus sous sa robe quelque chose qui poussait, et auquel
il donnait avec sa main de fréquentes secousses; et l'instant
d'après, retirant cette main pour me donner l'absolution, je
la vis couverte d'une écume blanche et visqueuse dont une
goutte tomba sur ma main. Je n'osai lui demander ce que
c'était. Il me défendit de jamais mettre ma main là, m'ordonna
de me donner tous les jours, pendant la neuvaine, la
discipline avec un meuble de ce nom, en corde nouée, qu'il me
remit, de réciter pendant que je me fesserais cinq _Pater_ et
cinq _Ave_, et de revenir à confesse au bout de ce temps, qu'il
commencerait l'exorcisme. Vous savez à quel point va le zèle
de la religion quand on est jeune; je doublai la pénitence
qu'il m'avait imposée et je me fouettai aussi fort que je
pouvais le supporter; la douleur, à mesure que je m'y
accoutumais, se changeait en plaisir, et je sentais mes feux
souterrains augmenter à chaque coup de discipline, mais je
n'osais plus y porter le doigt. La neuvaine finie, je
retournai chez mon cafard qui, après ma confession entendue,
toujours dans la chapelle solitaire, me dit: -- Le démon est
plus tenace que je n'aurais cru; ce n'est pas assez du doigt
pour le chasser, je vois qu'il faut le goupillon; et, me
faisant mettre à genoux en baisant la terre, et m'ordonnant de
réciter le psaume _Miserere_, sans changer de position, il
voulut y introduire son énorme goupillon; mais la douleur fut
si vive, que, poussant un cri aigu, je me jetai de côté, et
mon cafard, ayant perdu son point d'appui, alla mesurer le
pavé avec son nez. Entendant du bruit dans la sacristie, il se
releva, me disant que puisque je ne pouvais souffrir un petit
mal pour l'amour de Dieu, il perdait l'espérance de me
soustraire au démon, que je revinsse cependant dans l'octave
et qu'il me confesserait dans sa cellule.

Ma tante, surprise de mes fréquentes confessions, me
questionna; je lui confessai naïvement tout ce qui s'était
passé; elle me défendit de retourner chez mon carme, et mon
ignorance durerait encore sans les soins que vous avez pris de
mon instruction.

Le récit de Babet nous fournit des réflexions sur la
papelardise des moines et des directeurs. -- Comment se peut-il,
dit sa marraine, que la discipline ne te blessât point; il
me semble que cela doit faire un mal affreux. -- Oui, madame,
les premiers coups, mais en les donnant doucement d'abord,
rien ne cause un feu plus vif, et les derniers, quelque forts
qu'ils puissent être, causent un plaisir si grand qu'il m'est
arrivé quelquefois de répandre en me flagellant des larmes
aussi abondantes par là, que madame vient de m'en faire
verser. -- As-tu la discipline? -- Elle est dans ma chambre,
vous allez la voir tout de suite.

Elle sortit, et pendant son absence nous ne tarîmes pas sur
son éloge; jamais personne n'avait montré de plus heureuses
dispositions pour tout genre de volupté. Elle rentra tenant en
main le dévot instrument. -- Comment fait-on? dit la marraine.
La petite, à ces mots, se déshabille entièrement et se met à
se discipliner d'importance; ses fesses rougies excitèrent la
pitié de la dame qui la priait de cesser, quand Babet lui dit:
-- Touchez, madame, où vous savez; vous verrez si je souffre.
Elle le fit, et à l'instant une copieuse libation se répandit
sur sa main. -- Ah! dit-elle, quel déluge, si jeune!... Je veux
essayer de ta recette. Elle se dépouilla aussitôt, et prenant
la discipline, les premiers coups, quoique légers, lui
faisaient faire la grimace. -- Laissez-moi faire, dit Babet;
quand, avec les verges, j'aurai doucement échauffé ce beau
derrière, vous verrez que tout de suite vous ne souffrirez
plus. Elle y consentit, et bientôt elle disait elle-même à sa
filleule de frapper plus fort, et un instant après: -- Je n'en
puis plus, s'écria-t-elle, je brûle; ah! quel délire... frappe
toujours, frappe...

Ce spectacle nous avait rendu notre vigueur à Valbouillant et
à moi; il y avait dans la chambre deux lits jumeaux, séparés
par un espace d'environ trois pieds. Mme Valbouillant, le
ventre et la poitrine couchés sur un des lits, présentait la
croupe à la fustigation de Babet; le mari, prenant la place de
la correctrice sans faire changer de position à la pénitente,
enfonce son aiguillon le plus avant qu'il peut dans le sentier
physique, et j'en fis autant à la jeune enfant, l'ayant placée
sur l'autre lit dans la même position, de sorte que nos
postérieurs, à chaque secousse, se rencontraient, et par ce
choc étant repoussés plus vigoureusement, allaient porter la
volupté plus profondément dans les sanctuaires de nos belles.
Mme Valbouillant, dont la fustigation avait rassemblé tous les
esprits dans la partie sensible, arriva trois fois au but
pendant que son athlète fournissait une seule carrière; pour
moi, je perdis mes forces en même temps que la chère Babet,
dont avec un doigt curieux je sondais cependant la voie
étroite. Elle me parut avoir le degré de sensibilité désirable
pour les plaisirs que j'en attendais dans un autre moment. La
pauvre petite, surprise à cette double intromission,
s'écriait: -- Bon Dieu! qu'est-ce donc que cela? que cela est
drôle! Aye, aye, cela ne me répond pas du tout; je n'y puis
plus tenir, je me meurs... Ce fut son dernier cri en finissant
le sacrifice. Nous nous étions si bien trouvés de cette
réjouissance en quadrille, que nous résolûmes bien d'en faire
usage. Mme Valbouillant ne cessait de faire l'éloge des verges
et jurait n'avoir jamais trouvé son mari si voluptueux. Pour
Babet et pour moi, qui avions de longue main contracté cette
habitude, nous étions charmés de les y voir prendre goût; le
résultat de cette apologie fut de nous armer tous d'une bonne
poignée de bouleau et de nous flageller réciproquement, de
telle force que le post-face de nos belles avait pris la
couleur de la cerise, et les nôtres, profondément sillonnés,
laissaient échapper le sang par quelques endroits; mais nous
étions dans un état de fureur érotique qui nous dédommageait
pleinement de cette petite souffrance. -- Tâchons, leur dis-je,
de profiter de cet état heureux et d'en prolonger la durée;
lorsque nous nous sentirons sur le point de terminer le
sacrifice, suspendons et retirons-nous tout doucement, nous
rentrerons bientôt en lice quand les esprits seront un peu
plus calmes.

Nos belles s'assirent l'une à côté de l'autre sur le bord d'un
des lits, et nous, restant debout, nous nous établîmes entre
elles; leurs jambes se croisèrent sur nos reins; dans cette
heureuse attitude, nous dominions leurs charmes, nos mains
pouvaient, sans se gêner, parcourir le sein de l'une et de
l'autre, et même nos bouches y pouvaient prodiguer des
baisers, en sucer les trésors, sans que les parties
essentielles fussent déplacées. Je m'arrêtais lorsque je
sentais le moment approcher, j'en faisais autant à
Valbouillant, que je tenais immobile, quand la fréquence de
ses soupirs m'annonçait qu'il touchait au terme. Après avoir
ainsi peloté avec le plaisir pendant un gros quart d'heure: --
Troquons, lui dis-je. Et il passa des bras de Babet dans ceux
de sa femme, que je quittai pour le remplacer dans ceux de sa
filleule.

Nos belles, cependant, moins économes ou plus en fonds que
nous, versaient fréquemment des larmes de volupté; enfin,
comme il faut que tout se termine, j'insinuai le gros doigt de
ma main gauche dans le post-face de Valbouillant, qui de sa
droite me rendit le même office; ce surcroît de chatouillement
nous conduisit bientôt au but désiré, mais comme elle avait
été suspendue, jamais éjaculation ne fut plus abondante; à
peine nous restait-il assez de force pour nous traîner chacun
dans notre lit, où nous allâmes chercher le repos dont nous
avions grand besoin.

Le lendemain, les restaurants, les cordiaux ne nous furent pas
épargnés; cependant le soir, au grand regret de nos belles,
accablés de sommeil, nous allâmes chercher le repos que nous
désirions, après n'avoir mis en jeu que de froids baisers et
quelques mouvements de doigts officieux qui leur paraissaient
de bien faibles dédommagements des services plus solides
auxquels nous les avions accoutumées.

Le troisième jour, deux courriers arrivant de Rome à nos
belles semblaient devoir prolonger le temps de notre repos;
mais Mme Valbouillant, que nous avions initiée aux plaisirs
d'arrière-main, nous observa qu'à défaut de la porte cochère
on pouvait entrer par le guichet; nous instruisîmes Babet dans
le même art et nous la formâmes à ce précieux genre de
volupté; mais la tante de Babet la voyant plus alerte, plus
spirituelle, moins embarrassée, n'en recevant plus de
confidences comme celle des démangeaisons, soupçonna en partie
la vérité, et comme elle avait l'entrée libre dans la maison,
elle se cacha près du lieu de nos orgies. Là, ses yeux et ses
oreilles ne lui laissèrent aucun doute. Elle était née
Italienne, partant superstitieuse, poltronne et vindicative.
Elle n'osait éclater contre Valbouillant, dont elle
connaissait les richesses et craignait le crédit; elle crut
qu'elle parviendrait à se venger en s'appuyant du prélat de la
ville, auquel elle demanda une audience particulière et
qu'elle instruisit de la communauté de nos plaisirs, s'offrant
de le rendre témoin oculaire de notre débauche. Son récit mit
en rut le papelard et piqua sa curiosité; elle l'introduisit
dans un cabinet près de la chambre de Valbouillant, dont une
porte vitrée laissait libre passage à ses regards avides.

C'était peu de jours après le rétablissement de la santé de
nos belles. Pour mieux célébrer la fête, nous nous étions
dépouillés de tous ornements superflus; il faisait chaud, nous
étions dans l'état de nos premiers pères dans l'Eden: nos
serpents orgueilleux levaient une tête altière, et l'aspect
des pommes que nous présentaient nos Eves nous faisait frémir
de désir; nous essayâmes mille attitudes diverses, et
suspendant le dernier terme de la jouissance, nous fixions les
désirs: Babet, renversée sur un lit les jambes croisées sur
mes reins, se pâmait voluptueusement en serrant dans son antre
brûlant le joyeux bourdon que je poussais et retirais avec une
agilité qui hâtait pour elle le moment décisif, tandis que
Valbouillant faisait avec sa femme, couchée sur le même lit,
une épreuve antiphysique dont il redoublait les délices par le
chatouillement d'un doigt obligeant à l'orifice du véritable
sanctuaire.

Le prélat crevait dans ses panneaux et la jalouse tante de
Babet, le tirant par la manche, lui dit: -- Monseigneur, que
d'horreurs! -- Que de volupté! répondit-il. Nous entendîmes ces
exclamations, et la circonstance nous inspirant, nous prîmes
de concert, sans nous être consultés, le sage parti de rendre
nos témoins nos complices; nos belles saisirent la vieille
tante, la renversèrent sur le lit de repos; je me jetai sur
elle; aussi brave que Curtius je me précipitai dans ce gouffre
pour le salut de la patrie. Le prélat était italien: mon
attitude, les deux globes que j'offrais à sa vue, ne lui
permirent pas d'hésiter; il se crut Jupiter et je fus
Ganymède; et Valbouillant, pour compléter le tableau, lui
rendit ce qu'il me prêtait; cependant Babet, voyant sa tante
assujettie par le poids de trois corps, de manière à ne
pouvoir se refuser à la bonne fortune imprévue qui lui
arrivait, se saisit d'une des poignées de verges dont nous
étions toujours pourvus, et en chatouilla le post-face de
Valbouillant, pendant que sa femme, renversée sur la partie
vide du lit, nous découvrant les trésors de sa gorge d'albâtre
et l'ivoire de ses cuisses, se prêtait à l'intromission d'un
doigt caressant que je glissai à travers l'ébène de son
taillis, sans cependant que je quittasse la brèche de
l'antique citadelle où j'étais logé. La vieille qui, tout
d'abord, voulait me mordre, me dévisager, prit enfin son mal
en patience. -- Bonté divine! s'écria-t-elle en remuant la
charnière, ah! chien... mon doux Jésus... quel dommage que ce
soit un péché... -- Dis plutôt quel bonheur! criait le prélat,
me rendant les mouvements de Valbouillant; va, rien ne vaut le
fruit défendu... -- Je me damne! reprit la vieille toujours
tordant le croupion.-- Va toujours, j'ai les cas réservés.

Sur la parole du saint prélat, la vieille se résigne, me
serre, s'agite et m'arrache une libation, qu'elle me rend avec
usure. L'évêque et Valbouillant arrivent au même instant au
comble du plaisir. Mme Valbouillant, qui nous avait précédés,
se lève alors, et va avec la jeune Babet féliciter la vieille
tante de la bonne fortune inattendue qu'elle venait d'avoir;
il y avait trop de témoins du plaisir qu'elle venait de
prendre pour qu'elle en pût disconvenir. Elle se prêta donc au
baiser que lui donna sa nièce, et borna ses remontrances à lui
dire: -- Tâche du moins que personne ne s'en doute. -- Ne
craignez rien, répartis-je, vous voyez comme nous traitons les
curieux. -- Je ne crois pas, dit le prélat, la méthode sûre
pour les corriger.

Dès ce moment la confiance s'étant établie entre nous, la
contrainte fut bannie; le prélat fut l'âme de nos orgies: le
long séjour qu'il avait fait en Italie lui avait donné une
profonde théorie de tous les genres de volupté, et joignant la
pratique à ses rares lumières, il nous fit essayer avec succès
trente attitudes dignes d'exciter le pinceau des Clinchet et
modernes. Valbouillant était dans l'ivresse et sa femme
proposa au saint homme de le réconcilier avec les plaisirs
naturels. La politesse l'empêcha de refuser; pour le
récompenser de sa complaisance, je le socratisai pendant sa
besogne, et Babet, couchée sur Valbouillant qui s'était jeté à
la renverse sur le lit à sa portée, offrait à son oeil lubrique
deux jumelles dont Ganymède aurait été jaloux. La tante, pour
ne pas rester oisive, d'une main chatouillait les témoins de
Monseigneur, et de l'autre s'escrimait à coups précipités
d'une poignée de verges, qui sillonnant le bas de mes reins
redoublaient ma vigueur. -- Eh bien, dit Valbouillant, à
l'instant qu'il touchait à la dernière période de la volupté,
que dites-vous de ma femme? -- Que dans le Paradis elle
enlèverait à Madeleine toutes ses pratiques.

La soirée s'avançait, le prélat se rhabilla et nous ayant
comblés de caresses, il retourna à son palais, remerciant la
tante de Babet des plaisirs que lui avaient procurés son
inquiétude et ses scrupules, et avant de nous quitter, il lui
fit présent d'un suppléant qu'une abbesse qu'il protégeait lui
avait envoyé pour modèle, le priant d'en faire faire une
douzaine pour le service de sa communauté. La bonne tante,
après quelques cérémonies, l'accepta et nous lûmes dans ses
yeux qu'elle en ferait plus d'usage que de son chapelet. Nous
fîmes un léger repas et nous allâmes nous coucher après avoir
bien ri de la fortune de la vieille.

Le lendemain, à peine étais-je éveillé, qu'on me remit une
lettre du prélat. La voici:

"Sur le compte avantageux qui nous a été rendu, monsieur, de
l'application que vous avez montrée pendant vos études, des
progrès que vous avez faits dans la philosophie, la physique
et la morale, des dispositions que vous avez à devenir profond
dans la théologie, nous croyons qu'il est de notre devoir
pastoral de retirer de dessous le boisseau une lumière
naissante telle que vous, et de la placer sur le chandelier.
Pour vous mettre à même de développer et d'accroître vos
talents, je vous offre auprès de moi la place de lecteur; je
me charge de votre sort jusqu'à ce que quelque bénéfice
honnête venant à vaquer soit votre récompense. L'éducation du
fils de M. Valbouillant peut être confiée à d'autres mains, et
ce serait un larcin fait à l'Eglise que de lui dérober un
sujet qui doit faire sa gloire, je ne vous renfermerai pas
dans le seul emploi de lecteur; j'ai fort à coeur un ouvrage
auquel je me livre avec un zèle ardent; vous serez mon
collaborateur. Je crois l'offre trop avantageuse pour que vous
la refusiez; vous pourrez toujours continuer vos bons offices
à M. et Mme Valbouillant: ce sont des gens estimables dont je
chéris les moeurs, et je vous seconderai de tous mes efforts."

L'offre, en effet, m'était avantageuse; mais je regrettais de
quitter la bonne Valbouillant, la petite Babet, le père de
famille même; ils m'aimaient tant, ils m'avaient procuré des
plaisirs si vifs, si variés... J'allai donc leur montrer la
lettre, m'en remettant à leur décision pour accepter ou
refuser le parti; ils furent aussi affligés que moi; mais
refuser à l'évêque dans un pays où les prêtres peuvent tout,
était trop dangereux; il fut donc arrêté que je me rendrais
auprès de Sa Grandeur et que je ferais mes efforts pour
m'échapper souvent et jouir avec eux des plaisirs que je leur
avais fait connaître. Je ne répondis donc point à la lettre du
prélat; je m'habillai avec soin, et les yeux baissés, le front
modeste, je me rendis chez le saint homme. Dès qu'il me vit,
d'un air grave il me dit de passer dans son cabinet intérieur;
et se hâtant de se débarrasser du promoteur et de l'official
qui l'entretenaient de quelques affaires de diocèse, il vint
me rejoindre, ayant défendu qu'on l'interrompît avant qu'il
sonnât. Dès que nous fûmes seuls, son visage perdit toute sa
gravité épiscopale, il m'embrassa avec transport: -- Eh bien,
mon ami! mon cher Hic et Hec, me dit-il, nous vivrons donc
ensemble, n'y consentez-vous pas? -- Les désirs de Monseigneur
sont des ordres pour moi. -- Bon, entrez donc en exercice de
vos fonctions de lecteur.

Il me remet la satire de Pétrone, ouverte à l'endroit qui a
fourni la jolie scène des amours d'été, me fait prosterner sur
une pile de carreaux, et pendant que je lis, réalise avec moi
la scène dont il entend le récit; il la pousse jusqu'au
dénouement, et prenant ensuite le livre, il se met à ma place
et je lui dis que je sais aussi bien attaquer que soutenir
l'assaut; nous nous rajustons et nous approchant d'un bureau,
sur lequel étaient amoncelés plusieurs casuistes, il me fait
asseoir, sonne, et dit au valet de chambre qui arrive, qu'il
peut laisser entrer, et pendant que plusieurs personnes,
grands vicaires et autres, sont introduites: -- Je suis
content, me dit-il, comme en continuant une conversation. Vos
principes sont les vrais, vous avez approfondi la matière et
quelques années de travail encore vous vaudrez Sanchez.
Messieurs, poursuivit-il, en s'adressant aux arrivants, voilà
un jeune homme qui me donne de grandes espérances, depuis une
heure que je l'examine pour m'assurer de ses talents, je ne
l'ai pas trouvé un instant en défaut! il pousse un argument
avec force, le soutient avec fermeté, et je crois qu'il fera
un grand honneur à l'Eglise. Je l'ai pris pour mon lecteur,
et, après notre dîner, je lui donnerai les quatre mineurs;
quand on trouve des sujets il ne faut pas les faire languir.

Tout le monde me combla d'éloges pour plaire à mon patron; je
me couvris du manteau de cette modestie hypocrite qu'on aime à
trouver dans un jeune homme, mais dont les gens instruits sont
rarement les dupes. En sortant de table, l'évêque me tint
parole, je me trouvai sous-diacre, sans avoir fait d'autre
séminaire que sur les coussins de Monseigneur et dans le
boudoir de Mme Valbouillant.

Le prélat me permit d'aller lui faire part de mon avancement,
et me rappelant, il me dit tout bas: -- J'irai chez eux quand
je serai débarrassé de nos importuns, prévenez-les pour que
nous puissions n'être qu'entre nous. Je m'inclinai avec
respect et je sortis.

Je fus reçu avec transport par mes amis; Valbouillant et sa
femme m'accablaient de questions; j'y répondis de mon mieux et
je leur dis par quelle voie j'étais entré dans les ordres,
ajoutant que l'évêque viendrait leur dire, dès qu'il serait
libre, ce qu'il avait fait pour leur protégé. Babet qui
survint me couvrit de baisers et si je m'en étais cru, je
n'aurais pas différé à leur marquer ma reconnaissance de la
part qu'ils prenaient à mon avancement; mais l'incertitude du
moment de l'arrivée du prélat, le désir de lui faire faire une
orgie complète, nous firent suspendre nos plaisirs. Il ne se
fit pas attendre; alors la porte fut fermée pour tout le
monde; on lui fit des remerciements et des reproches (ce qu'il
faisait pour moi ne dédommageait pas de ce qu'on perdait à mon
absence). Le saint homme promit que je pourrais les voir
souvent et qu'il joindrait ses efforts aux miens pour égayer
leurs moments.

Après ces premiers propos, on fit venir Babet, qui d'abord
s'était retirée par respect, et, profitant de la chaleur du
climat, sur l'avis du prélat, nous quittâmes les pompes du
luxe, et nous nous mîmes dans l'état où étaient nos premiers
parents dans l'Eden avant que la pomme fatale leur eût appris
qu'ils étaient sans vêtements. On eût dit, en regardant Mme
Valbouillant, que c'était la Volupté sous la livrée de la
Fraîcheur; ce qui manquait à la légèreté de sa taille était
bien compensé par la finesse de sa peau, la fermeté des
chairs, l'appétissant des formes arrondies et le tempérament
que ses yeux pétillants et l'humidité de ses lèvres vermeilles
annonçaient; pour Babet, l'Albane ou le Boucher l'auraient
prise pour la plus jeune des Grâces, sa taille svelte et
déliée n'avait pas encore la perfection des formes, mais on
voyait que deux ans encore leur donneraient cette rondeur
qu'on ne trouve point dans l'extrême jeunesse; des cheveux
d'un noir de jais, et tombant par grosses boucles au-dessus de
ses mollets, formaient autour d'elle un voile transparent qui
rendait encore plus touchants les charmes dont ils couvraient
une partie. Le prélat ne put tenir contre ce charmant objet;
elle fut la première à recevoir son hommage. -- Tâchons, dit
alors l'évêque, de remplir par quelque récit amusant
l'intervalle que la nature exige entre le plaisir et la
renaissance des désirs; je vais vous raconter une aventure qui
m'est arrivée quand j'étais au séminaire. -- Ecoutons. Et l'on
s'assit autour du prélat.

J'avais, dit-il, seize ans; j'étais assez joli, et ma tante,
chez qui je passais communément les vacances à sa terre,
s'amusait souvent à m'habiller en fille, et faisait prendre
mes habits à Faustine, sa fille; elle était de mon âge, avait
la taille élancée, et, pour la tournure et les grâces,
ressemblait beaucoup à la gentille Babet. Ces travestissements
avaient établi entre nous une liberté dont nous ne manquâmes
pas de profiter. Faustine avait du tempérament comme Babet;
j'étais ardent comme Hic et Hec. Ma tante n'était pas
ombrageuse; son directeur la consolait de l'ennui de son
veuvage, et quand il venait passer quelques jours au château,
nous étions encore plus libres, ma tante désirant jouir dans
la retraite des pieuses exhortations du saint homme. Nous
allions souvent nous promener en cabriolet, ma cousine et moi,
dans les maisons du voisinage: il nous était même permis de
découcher quelquefois, le voisinage étant habité par des amis
de ma tante. Un jour que le père en Dieu était à la maison, il
nous prit fantaisie d'aller nous promener, ma soeur et moi
(c'est ainsi que je nommais Faustine); la fontaine de Vaucluse
était l'objet de notre curiosité, et nous dîmes à ma tante que
nous reviendrions coucher à moitié chemin, chez une vieille
parente qu'elle aimait beaucoup. Nous nous arrêtâmes dans un
cabaret, à deux lieues de la route, pour déjeuner. Pendant
qu'on le préparait, l'idée me prit de troquer d'habits avec
Faustine, qui m'avait paru la veille charmante en abbé. --
Volontiers, si cela t'amuse, mon frère, me dit-elle; mais je
n'ai point ici ma femme de chambre, comment ferons-nous? -- Bel
embarras, je t'en servirai. -- Oui, mais la décence! -- Qui
est-ce qui le saura? tu ne te méfies pas de moi? -- Non, sans
doute; mais cependant je ne voudrais pas que tu visses tout à
fait... -- Comme tu es faite, n'est-ce pas? va, je m'en doute.
-- Je le crois bien; mais... -- Tu te doutes bien comme je suis.
-- J'en ai quelques idées, mais point de certitude. -- Et qui
nous empêche de satisfaire notre curiosité? -- Mais maman... --
Crois-tu qu'elle se gêne avec le révérend père Cazzoni! -- Oh!
je ne veux pas pénétrer ses secrets. -- Nous ne l'instruirons
pas non plus des nôtres; allons, quitte tes jupes et ton
corset. -- Au moins tu seras sage. -- Oui, mais je veux tout
voir. -- Soit, mais tu satisferas aussi ma curiosité? -- De
toute mon âme; mais tu n'en diras rien? -- Non, jamais, ni toi
non plus. -- Je te le jure!

Et nous voilà à nous déshabiller avec empressement; mon habit
était à bas, son fichu et son corset étaient enlevés, nous
commençâmes par comparer nos seins. -- Ah! Faustine, les deux
charmants hémisphères, que ces boutons qui représentent les
pôles sont frais et vermeils, que ces veines bleues relèvent
l'éclat de cet albâtre sur lequel elles sont tracées, et je
serrais ces charmantes fraises entre mes lèvres caressantes. --
Finis donc, mon frère; tu me jettes dans un trouble... je ne
pourrais pas finir de me déshabiller. J'obéis en la dévorant
des yeux. -- Mais travaille donc aussi, dit-elle, d'un ton
impatient: tu ne fais que me regarder, et je serai déjà toute
nue que tu auras encore ta culotte.

Je fis ce qu'elle ordonnait, et j'avais ôté mon caleçon qu'à
l'instant ayant enlevé ses jupes, elle se dépouillait de sa
chemise; nos yeux se portèrent simultanément vers le point
central. -- Ah! que c'est joli, m'écriai-je en portant une main
avide sur la mousse naissante qui commençait à couvrir le
portique du plus joli temple de l'amour! -- Ah! que c'est beau,
dit-elle en serrant dans sa main l'image brillante du serpent
qui tenta notre première mère; comme cela est dur! cela se
découvre, et ce qui est au-dessous, à quoi cela sert-il?

Ses attouchements me mettaient dans un état qui ne me
permettait pas de lui répondre. Et de mon côté j'examinai
l'objet intéressant qu'elle offrait à ma vue; j'avais commencé
par fermer la porte au verrou et je la décidai sans peine à se
placer sur le lit pour que nous puissions réciproquement
continuer notre examen. -- Cela, lui dis-je, est destiné par la
nature à s'ajuster dans la partie où je tiens mon doigt. -- Ah!
comme ce doigt me chatouille! regarde. -- En effet, veux-tu que
j'essaie?... -- Dam... je le voudrais bien, mais si maman le
savait!

-- Et qui le lui dira? ce ne sera pas moi, sûrement. -- Eh bien!
eh bien! essayons. -- Soit, essayons!

Alors, avec toute la gaucherie de l'ignorance et toute
l'ardeur de l'amour, nous cherchons à nous mettre en besogne;
la crainte de blesser Faustine arrêtait mes efforts dès
qu'elle témoignait de la douleur; elle me rappelait, mais
toujours la même difficulté se présentait. Enfin, je me
souvins qu'au collège mon régent de seconde, voulant badiner
avec moi, s'était mis en frais de satire et m'avait appris ce
proverbe: _Col patenzia et la supa si chiavarebbe una mosca_. Je
pris un morceau de beurre frais qu'on nous avait apporté avec
des radis, et grâce à ce secours, je renouvelai mes efforts.
Faustine s'arme de courage, résiste sans fuir; la tête de ma
colonne force la barrière; je redouble, le bélier pénètre, la
muraille s'entr'ouvre, les désirs escaladent la brèche et s'y
logent en arborant le drapeau des plaisirs. Nous trouvions ce
jeu si doux que nous avions de la peine à le quitter; mais la
crainte que la fille de l'auberge ne nous surprît en apportant
ce qu'on nous préparait pour déjeuner, nous força de nous
rhabiller.

Je pris la chemise de Faustine, qui s'affubla de la mienne;
elle se chargea de ma coiffure, moi de la sienne, et quand on
vint nous servir, elle offrait aux yeux un petit abbé, et je
paraissais une assez jolie fille. Faustine, pour se conformer
à son nouveau costume, prit l'air d'un jeune étourdi, et y
réussit mieux que moi quand je voulus prendre l'air de réserve
convenable à mon habit. La servante qui porta notre déjeuner
avait la gorge ferme, la jambe fine, le bas bien tiré et la
jupe courte, comme l'ont d'ordinaire nos jolies Venaissines.
Faustine la lutina; Javotte paya d'une tape l'agilité de ses
mains. Le nouvel abbé ne se rebuta pas, et levant sa jupe
par-derrière, toucha l'endroit sensible. -- Qu'est-ce donc? petit
fripon, sans le respect que j'ai pour mademoiselle votre soeur,
je vous corrigerais de la bonne façon; voyez un peu le beau
morveux! -- Ah! ne vous gênez pas, repris-je en riant, c'est un
petit libertin, je ne prendrai pas sa défense. Alors Javotte
vous l'empoigne d'un bras vigoureux, et en un clin d'oeil
déboutonne sa culotte, l'abat et lui donne deux bonnes
claques, et cherchant ce qui le rendait si insolent, elle
jette un cri de surprise en ne trouvant qu'une jolie grotte où
elle croyait trouver un rocher sourcilleux. -- Ah! pardon,
mademoiselle, si j'avais su ce que vous étiez, je n'aurais pas
fait la bégueule, et si cela vous amuse, vous êtes la
maîtresse. Faustine, pour ne pas la désobliger, consentit à
recevoir de bon gré ce qu'elle avait d'abord voulu ravir, et
d'un doigt obligeant lui rendit le même bon office qu'elle en
recevait.

Pendant qu'elles s'occupaient, je pris la parole et je dis à
Javotte que nous étions soeurs et que nous allions voir une de
nos parentes dans l'intention de la divertir par ce
travestissement, et je lui donnai un écu pour nous garder le
secret. -- Ah! de bon coeur, dit-elle; mais vous êtes trop jolie
pour n'être que spectatrice, et elle voulait passer sa main
sous ma jupe. -- Non, Javotte, je vous remercie, il y a des
empêchements. -- Des nouvelles de Rome peut-être? --
Précisément. -- Qu'importe, j'ai là de l'eau, les mains sont
bientôt lavées. -- Oh! non, jamais dans cet état... -- Vous ne
me ressemblez guère, c'est le temps où je suis la plus
ardente.

Voyant qu'il n'y avait rien à faire avec moi, elle nous
servit. Nous mangeâmes à la hâte et nous partîmes. Nous rîmes
fort dans la voiture du succès de la témérité et de l'embarras
où m'avaient jeté les offres de Javotte; nous interrompions
nos rires par le tendre souvenir des caresses que nous nous
étions prodiguées, et des lumières que nous avions acquises.
Ces idées m'occupaient trop pour songer au chemin, et une
malheureuse ornière où la roue tomba pendant que j'embrassais
Faustine, donna une telle secousse qu'une de nos soupentes se
rompit. Force nous fut de nous arrêter, un baiser ne pouvait
pas rétablir la fracture. Nous ne savions à quel saint nous
vouer, et le plus petit sellier du village nous aurait été
plus utile que l'intercession de tous les bienheureux des
litanies. Nous grommelions entre nos dents, quand nous vîmes
se promener, sur la gauche, un châtelain du canton, en
perruque ronde, chapeau et souliers gris, une grande canne à
la main, surmontée d'un échenilloir; sa mine annonçait près de
cinquante ans. Sa moitié, la tête enfouie dans une énorme
calèche garnie de ruban coquelicot, s'avançait majestueusement
soutenue sur un bambou. Cette dame, majeure depuis dix ans,
s'efforçait depuis trois lustres de donner un héritier à
l'illustre famille Cornucio, dont son époux était le chef.
Mais la Providence se refusant à leurs désirs, n'avait point
étouffé dans son âme l'espoir de réussir en s'attachant un
collaborateur, quand l'occasion s'en présenterait.

Ce digne couple ayant aperçu notre accident, s'avança pour
nous offrir les secours qui dépendaient de lui: nous nous
trouvâmes heureux de leur zèle obligeant; leur domestique
conduisit au château notre cabriolet délabré, et nous, nous
nous joignîmes au couple Cornucio dans leur promenade: la dame
s'empara du bras du feint abbé et le mari saisit le mien; à
mesure que nous approchions du château, leurs yeux
s'animaient, leurs coudes pressaient nos bras sur leurs coeurs;
leurs voix devenaient agitées et leurs discours flatteurs.
Arrivés au castel on s'occupa de nous loger; ils n'avaient que
deux petites chambres à nous donner, l'une attenant à la
chambre de madame, l'autre à celle de monsieur; il paraissait
tout naturel de loger l'abbé près de celle du mari et la
prétendue demoiselle près de la dame, mais d'un commun accord
ils en décidèrent autrement, comptant chacun tirer parti du
voisinage. J'aurais pu, en changeant le soir de chambre avec
Faustine, contenter tout le monde et cacher le mystère de mon
travestissement; mais l'idée qu'elle serait dans les bras de
ce vieux satyre me révoltait trop; j'aimai mieux attendre
l'événement et prendre conseil des circonstances. Cornucio et
sa femme nous accablèrent de prévenances toute la soirée, et
après le souper qui fut arrosé de très bon vin, ils nous
menèrent dans nos chambres. -- Soyez bien sage, mon cher petit
abbé, dit la dame en embrassant Faustine, il n'y a qu'une
mince cloison entre votre lit et le mien, j'entendrai tout; et
puis, lui dit-elle à l'oreille, la porte qui nous sépare ne
ferme pas. Le mari me fit les mêmes confidences, et m'ajouta
qu'il était somnambule, en me serrant fortement la main, puis
il se retira. Je ris de sa méprise et je me couchai. Faustine
en fit autant dans sa chambre avec laquelle j'étais bien fâché
de n'avoir pas communication, car nos chambres étaient aux
deux bouts de la maison, il fallait traverser un corridor le
long de

l'appartement, de la salle à manger et de celui du maître.

A peine avais-je fermé l'oeil que j'entendis marcher dans ma
chambre, et s'avancer près de mon lit; je sentis que j'allais
avoir à combattre; je saisis le pot de chambre, dont j'avais
fait usage en me couchant, et quand Cornucio voulut ouvrir mon
lit pour s'y placer, j'avançai le bras et le coiffai du vase,
et, traversant à toutes jambes le corridor, j'arrivai à la
porte de Faustine, que j'enfonçai d'un coup de genou; je la
trouvai se débattant comme le chaste Joseph avec la femme de
Putiphar; elle était si bien enveloppée dans ses couvertures
que notre lascive hôtesse n'avait pas découvert son sexe. La
dame, à mon abord, parut médusée; je me plaignis amèrement de
la violence que son mari avait voulu me faire éprouver, et je
grondai mon soi-disant frère de l'impudeur avec laquelle il
osait abuser des bontés de notre respectable hôtesse. -- Moi,
ma soeur, s'écria le faux abbé, le ciel m'est témoin que c'est
madame qui voulait. -- J'ai cru vous entendre gémir; craignant
que vous ne fussiez incommodé, je suis vite accourue pour vous
donner les secours qui dépendaient de moi. -- Votre mari,
madame, ne vous le cède pas en charité; mais je ne désempare
pas de la chambre de mon frère, lui seul peut me protéger
contre l'impudicité de votre mari. -- Couche-toi, ma soeur, me
dit Faustine, je me mettrai dans un fauteuil près de ton lit
pour te défendre; j'espère que madame y voudra bien consentir,
et souffrir que nous reposions jusqu'au point du jour. Alors
nous quitterons une maison où l'innocence est si peu
respectée.

La dame, après quelques excuses maladroites, sortit et ayant
barricadé nos portes, nous nous jetâmes dans les bras l'un de
l'autre, et nous savourâmes à loisir l'ivresse des plaisirs
dont nous avions pris un échantillon dans l'auberge. Le
lendemain, à la pointe du jour, ayant repris les habits de
notre sexe, nous partîmes sans prendre congé de nos hôtes
libidineux, et notre soupente raccommodée nous ramena chez ma
tante, où j'achevai de passer voluptueusement la fin des
vacances, après avoir assisté aux noces de mon aimable
cousine, dont le mari, nerveusement conformé, ne s'aperçut
point que j'avais frayé le sentier qu'il parcourut encore avec
peine.

Nous avions repris nos forces pendant l'histoire du prélat, et
tour à tour pendant la soirée nous nous enivrâmes de tous les
plaisirs qu'offrent la nature et la débauche à des gens qui,
pleins de vigueur et vides de préjugés, loin de rien refuser à
leurs désirs, les irritent par la recherche de toutes les
possibilités voluptueuses.

A quelques jours de là, mon prélat, près duquel je remplissais
avec zèle les fonctions dont il m'avait chargé, m'avertit que
j'avais à me préparer à le suivre à Bédarrides, sa maison de
plaisance, à trois lieues d'Avignon, où il allait se reposer
pendant une quinzaine des travaux de l'épiscopat; que j'y
trouverais sa soeur, femme de qualité de Bénévent, et sa fille,
chanoinesse des plus hautaines, mais ayant toutes les grâces
de son état. Il me confia que sa soeur, femme de trente-cinq
ans, encore belle et fraîche, suivant toutes les apparences,
me trouverait à son gré, et qu'il espérait que je l'aiderais à
lui faire les honneurs de sa maison; que pour la fille, elle
avait la fraîcheur de ses dix-sept ans, le sourcil noir, l'oeil
vif, les lèvres humides et les plus heureuses dispositions
pour marcher sur les traces de sa mère, mais que la fierté de
ses soixante-quatre quartiers l'avait jusqu'alors empêchée de
céder, parce qu'elle avait toujours trouvé quelque lacune dans
l'arbre généalogique de ses soupirants; quoique l'état de
chanoinesse qu'elle avait embrassé, vu son peu de fortune,
l'eût fait renoncer au mariage, et que le manuel des
solitaires, ou les simulaires usités dans les couvents dussent
être son unique consolation. Je la plaignis d'un préjugé si
contraire au voeu de la nature, à l'humilité chrétienne. -- Je
compte sur vous, mon cher Hic et Hec, pour l'en guérir, me
dit-il; votre tournure, votre mine séduisante, vos profondes
connaissances dans l'art de la volupté, peuvent seules ramener
au bercail cette brebis égarée. -- Et comment y pourrai-je
parvenir? moi, sans nom, sans titres, sans aïeux, le mépris
sera le premier sentiment qu'elle éprouvera pour moi. -- J'en
fais mon affaire, j'ai mon roman tout prêt: c'est un jésuite,
missionnaire dans l'Inde, qui, revenant du royaume de Pégu,
vous aura ramené de ce pays par l'ordre d'un prince dont vous
êtes le fils naturel, pour être élevé dans la religion
chrétienne, que son éloquence lui a fait embrasser. -- Si cette
mystification amuse Monseigneur, je ne saurais qu'obéir. -- On
t'en devra de reste pour ta complaisance: Laure est faite au
tour et n'a contre elle que l'excès de l'orgueil; je te mets à
même de l'initier, mais c'est à la même condition que
Valbouillant a mise à l'éducation de Babet et que tout sera
commun entre nous quand tu l'auras guérie de ses préjugés.

Cela me parut plaisant, et je promis au prélat tout ce qu'il
voulut. -- Il me vient une idée originale, dit mon évêque; si
pour étayer notre ruse, je glissais dans la conversation que
tous les princes de sang de Pégu ont sur le corps un signe qui
prouve leur origine. -- Un signe, et lequel, s'il vous plaît,
Monseigneur? -- Parbleu! une tête d'éléphant blanc sur le
bas-ventre, au-dessous du nombril; le peintre qui vient de faire
mon portrait t'en dessinerait bien une là. -- Quelle folie! --
Je lui ferai naître le désir de voir ce phénomène, et je ne
doute pas que la trompe menaçante de l'animal, faisant
remarquer sa force et son élasticité, ne parvienne à
l'intéresser.

Ainsi dit, ainsi fait. Le peintre, dès le lendemain, se mit à
l'ouvrage, et deux jours après, mon ventre offrit la plus
belle tête d'éléphant qu'on pût voir, et monseigneur examinant
le chef-d'oeuvre du peintre et badinant avec la trompe de
l'animal, elle prit sous ses doigts sacrés une consistance qui
le ravit. Nous fîmes le soir une visite à Mme Valbouillant; on
admira la nouvelle peinture; heureusement elle était à
l'huile, sans cela, à l'usage répété que je fis de la trompe,
le tableau aurait disparu. La petite Babet, qui n'avait jamais
vu de pareils animaux, ne se lassait pas de l'examiner, et
trouvait qu'on en pouvait tirer aussi bon parti que du manche
du moussoir. La pauvre enfant, peu versée dans les arts,
ramenait tout à la nature. Le couple voluptueux, que le prélat
instruisit du motif de cette peinture et de la mystification
projetée, promit de la seconder et de nous suivre à cet effet
à la maison de campagne de Sa Grandeur, qui, depuis son
admission à nos orgies, ne pouvait se passer des plaisirs que
le libertinage de notre imagination variait sans cesse. Il fut
aussi décidé que la gentille Babet serait du voyage; chaque
jour développait en elle de nouveaux charmes, ses formes
s'arrondissaient, sa gorge se remplissait, et l'usage de la
volupté avait donné de la finesse et de l'énergie à ses
regards, d'abord incertains et timides. Ses mains, qu'on
n'employait plus aux travaux grossiers de sa première
jeunesse, avaient gagné de la blancheur; et la finesse de sa
peau, l'agilité de ses doigts délicats, lui donnaient plus de
grâce à manier le sceptre de l'amour que n'en montrait Hébé à
toucher la massue d'Hercule.

Le lendemain, nous partîmes, le saint prélat et moi: sa soeur
et sa nièce étaient arrivées deux heures avant nous, nous les
trouvâmes dans le salon; la mère couchée sur une ottomane,
lisait d'une main un petit in-16 qu'en nous apercevant elle
mit dans sa poche, et l'autre main reparut. La jeune
chanoinesse, courbée sur un métier, brodait sur un sac à
ouvrage le blason de ses armes, avec toutes les alliances
écartelées. L'évêque, les ayant embrassées, me présenta comme
un prince péguan, que le roi, mon père, nouveau converti,
faisait passer en Europe, pour s'instruire dans la foi et dans
les arts, qui font la gloire de notre heureuse patrie.

Ce titre de prince du bout du monde et cousin de l'éléphant
blanc, prévint en ma faveur l'auguste chanoinesse; mes yeux
vifs et pétillants, mes cheveux bruns et fournis firent aussi
leur effet sur la mère; l'une me demanda des lumières sur les
armoiries de Siam et du Pégu, l'autre sur le costume des
Bayadères et sur la forme des chaises longues de l'Inde. J'y
satisfis de mon mieux, d'après ce que j'avais lu dans les
_Voyageurs_.

Après le repas, pendant lequel on admira tout ce que je
disais, s'étonnant qu'un jeune homme né aux Indes pût
s'exprimer avec bon sens et facilité, on put se promener dans
un bosquet délicieux près du salon; la commission Magdalani me
choisit pour écuyer, et l'évêque prit le bras de la
chanoinesse, et lui parla de manière à la prévenir en ma
faveur.

La mère, cependant, me questionna sur les moeurs de Pégu, sur
la tournure des belles, sur les procédés qu'on y suivait en
amour; je l'assurai que les femmes grosses y étaient le plus
recherchées (elle l'était); que les hommes ne se permettaient
aucune avance vis-à-vis d'elles, de crainte d'être importuns;
mais qu'ils répondaient avec transport à celles que les belles
leur faisaient. -- Comment, si j'étais péguane, si vous me
trouviez aimable, vous ne me le diriez pas? -- J'aurais trop
peur de vous offenser. -- Comment donc faut-il que la femme se
conduise pour enhardir l'homme pour lequel elle se sent du
goût? -- Elle le regarde en baisant le bout du doigt de sa main
gauche, et le cavalier s'approche avec timidité. -- Et la dame
alors? -- Elle porte la main droite sur son coeur. -- Comme cela?
-- Précisément. -- Je fais donc bien? -- A ravir. -- Et le
cavalier? -- S'il est seul avec la belle, il se jette à ses
genoux, obéit à ses ordres sans oser les prévenir; mais s'il
est devant témoins, il feint de ne rien entendre, et gémit les
yeux baissés. -- Vous les avez à présent? -- Exactement de même.
-- Fort bien. Mon frère, dit-elle à l'évêque qui nous suivait
avec sa fille, que je ne vous empêche pas de vous promener, je
me sens un peu fatiguée, je vais me reposer sur ce gazon; le
prince Hic et Hec achèvera de m'instruire des coutumes de
l'Inde, vous nous retrouverez ici ou au salon. -- Soit, dit
l'homme de Dieu s'éloignant, en souriant, avec sa nièce. --
Reprenons notre leçon indienne, dit la signora. N'est-ce pas
comme cela? dit-elle en baisant son doigt gauche. -- Oui, si
j'ai le bonheur de vous plaire. -- Ne faut-il pas mettre la
main sur mon coeur? -- Oui, si vous voulez que j'ose beaucoup. --
Voyons. Et elle fait le signe encourageant, en se couchant sur
le gazon: je m'y précipite avec elle, mes mains actives
éloignent tous les obstacles, et bientôt nous ne faisons
qu'un. -- Vive la méthode indienne, comme elle abrège les
formalités! Et me serrant, me pinçant, me mordant, elle arrive
à la période désirée, et se pâme en bénissant Brahmâ, Vishnou
et tous les dieux de l'Inde; bientôt revenue à elle: -- L'abbé,
me dit-elle en me serrant contre son sein, cher abbé! comment
les femmes dans l'Inde prouvent-elles qu'elles sont
satisfaites? -- En recevant avec transport un nouvel hommage. --
Presque sans se reposer!... Ah! je retourne avec vous au Pégu,
dit-elle en s'arrangeant pour me témoigner sa reconnaissance.

Elle se trouvait bien des moeurs de l'Inde, et je lui parus
mieux valoir que le livre qui l'occupait lors de notre
arrivée; puis se relevant et rajustant le désordre de sa
toilette, elle s'appuya sur mon bras pour retourner au salon.
Elle avait été trop occupée des choses solides pour s'être
distraite au point d'observer la peinture éléphantine. Elle
m'entretint d'un ton plus calme des diverses religions de
l'Asie. Je lui parlai de la secte des multiplicantes et de la
communauté des plaisirs qu'on voit établie dans les familles
de cette caste. -- Comment, dit-elle, la mère dans les bras du
fils, la fille dans ceux du père!... -- Eh! madame, rappelez-vous
d'avoir lu quelque part: "Qui doit goûter des fruits d'un
arbre, si ce n'est celui qui l'a planté?" -- Il est vrai; mais
le préjugé! -- Tient-il contre la loi du créateur? -- En est-il
qui permette à un père, à une fille, à un frère, à une
soeur?... Fi donc; cela répugne.-- A qui donc a-t-il dit:
"Croisez et multipliez?" N'est-ce pas à Adam, à Eve, à ses
fils, à ses filles? il ne regardait donc pas l'inceste comme
un crime, puisqu'alors il le commandait. -- Comment? mais en
effet. -- La volonté du ciel peut-elle être versatile? Ce qui
fut un précepte dans un temps, peut-il être forfait dans un
autre? Disons plutôt, puisque la nature nous a donné du
penchant pour les êtres d'un autre sexe, sans égard à la
parenté, que c'est la politique seule, qui, pour faire
communiquer entre eux les hommes disposés par la nature à
prendre les plaisirs qu'ils avaient sous la main, et qu'ils
trouvaient au sein de leur famille, a interdit ces unions
rapprochées, pour réunir par le besoin du plaisir des êtres
qui sans ce besoin ne se seraient jamais rapprochés; que les
législateurs ont prohibé, par des vues humaines, des unions
qui tenaient les familles isolées les unes des autres et que
l'intérêt des gouvernants, et non le voeu du créateur et de la
nature, ont transformé en crimes des penchants naturels et par
conséquent innocents. Observez encore que suivant la loi du
peuple juif, il était ordonné au frère d'épouser la veuve de
son frère, et qu'ainsi la même femme devait passer de frère en
frère, tant qu'elle survivrait à son époux, et vous osez faire
un crime à présent à un cousin d'amuser sa cousine, si le
vicaire du Rédempteur ne lui accorde la dispense à prix
d'argent; mais ce Rédempteur n'a-t-il pas dit selon les livres
saints: "Je ne suis point venu pour changer la loi, mais pour
l'accomplir."

J'étais lancé; et dans l'habitude de disputer sur les bancs,
j'aurais passé d'arguments en arguments, si le prélat n'était
rentré avec sa nièce, vis-à-vis de laquelle il avait je crois
soutenu la même thèse, si j'en juge par le feu de leurs yeux
et la rougeur de leur teint plus animé que de coutume. La
signora Magdalani s'en aperçut, et n'en osa rien témoigner, la
richesse et le crédit de son frère, les secours qu'elle en
recevait, la rendaient réservée, et elle savait que l'exemple
qu'elle donnait à sa progéniture ne l'autorisait pas à marquer
beaucoup de sévérité. -- Eh bien! dit le prélat, comment vous
trouvez-vous, ma soeur, de l'entretien du prince Hic et Hec?
Etes-vous bien instruite des coutumes et des moeurs de l'Inde?
-- Je suis très satisfaite de ses lumières, il est lucide,
précis et d'une philosophie... -- C'est un puits d'érudition,
et sa morale? -- Bizarre, fondée en principes: savez-vous bien
qu'il m'affranchit de bien des préjugés. -- C'est son fort;
mais, voyons lesquels? -- Je ne puis, devant ma fille... -- Quel
enfantillage! elle est d'âge à tout savoir, et je dis plus, il
peut être dangereux de ne pas l'éclairer; que de fautes
l'ignorance ne fait-elle pas commettre? Une jeune fille à qui
on ne cache rien est plus en état de repousser la séduction,
et, si elle y cède, du moins elle évite le scandale, qui, je
le dis entre nous, est le plus grand mal moral. Qu'importe à
la société que je satisfasse mes besoins physiques ou que je
m'en prive, pourvu que je ne nuise pas au bonheur d'autrui,
que je ne lui enlève pas sa propriété, que je n'altère pas ses
jouissances et que je ne lui cause ni chagrin ni douleur? --
Mon frère, dit-elle en souriant, diriez-vous cela dans vos
homélies? -- Oui, quand je parlerais à des gens que je voudrais
éclairer; mais en chaire, non, le peuple en masse veut être
trompé, l'ignorance aime les prodiges; une religion sans
miracles trouverait peu de sanctuaires, et les mystères qui
répugnent à la raison entraînent la crédulité du grand nombre;
je continuerai à jeter de la poudre aux yeux du peuple; mais
je serai loyal et sans scrupule avec mes amis. Laure a dix-sept
ans et n'ignore pas sûrement la différence de son sexe et
du nôtre; mais les détails lui sont peut-être inconnus, nous
nous gênons pour elle, nous affligeons sa curiosité, et
peut-être en nous quittant fera-t-elle des questions à sa femme de
chambre, qui, moins discrète et moins éclairée, en lui faisant
le tableau des plaisirs, ne lui en dépeindra pas les dangers.
-- Ah! dit Laure, que mon oncle est aimable! -- Quand elle voit
que nous ne lui cachons rien, elle sera sans dissimulation,
nous lirons dans son âme et nous pourrons écarter d'elle les
dangers sans en éloigner les plaisirs. Votre désir, je le
sais, n'est pas de la marier, elle se soumet à vos vues; mais
quand elle renonce à l'hymen, soyez sûre qu'elle ne renonce
pas aux dédommagements que se procurent tant de jolies
prébendières. Plus de gêne devant elle, tant que nous n'aurons
pas d'étrangers; quand il en viendra de suspects, remettons
vite le masque de la réserve.

La signora Magdalani, regardant sa fille d'un oeil caressant: --
Allons, je me rends, puisque mon frère le veut; mais, mon
coeur, dit-elle en la baisant au front, ne perds pas l'usage de
rougir. Rien ne fait plus d'honneur aux filles et surtout aux
mères. -- Allons, ma soeur, c'est convenu; mais voyons sur quoi
roulait la conversation avec Hic et Hec. La signora lui répéta
ce que je lui avais dit sur la secte des multiplicantes et sur
l'inceste. -- Eh bien! ma soeur, n'est-ce pas précisément ce que
je vous disais quand vous étiez si fâchée pour quelques
espiègleries, qui pourtant vous avaient fait grand plaisir. --
Oh! mon frère, devriez-vous dire cela devant ma fille encore.
-- Ah! maman, je m'en doutais, quoique sans oser vous en
parler.

Je ne pus me retenir à cette naïveté, et saisissant sa main,
je la baisai avec transport. La petite rougit. La maman me
jeta un regard sévère, qui ne m'en imposa pas. L'évêque, d'un
ton tranchant, termina la dispute en disant:-- Fi donc, ma
soeur, allez-vous y mettre de l'humeur, il est temps que la
petite goûte sa part de nos plaisirs; l'abbé est approchant de
son âge. -- Mais, mon frère... Songez-vous? -- Je sais qu'il
prendra toutes les précautions nécessaires pour prévenir
l'arrivée des petits indiscrets. -- Mais, mon oncle... -- Vas-tu
me montrer quelques doutes sur l'ancienneté de sa
généalogie?... Rassure-toi, tes soixante-quatre quartiers
doivent se trouver honorés de se joindre au cousin de
l'éléphant blanc. -- Si du moins je voyais son blason. -- Rien
n'est plus facile; les princes de la maison royale de Pégu le
portent toujours sur eux. -- Ah! voyons-le donc. -- Allons, Hic
et Hec, faites vos preuves.

Le baiser que j'avais collé sur la jolie main de la
chanoinesse m'avait mis en état de paraître avec gloire. Au
mouvement que ma main fit pour mettre en liberté la trompe
d'éléphant: -- Quelle indécence! s'écria la mère. -- Regardez
son cachet, répondit l'évêque, c'est une tête d'éléphant.
J'exhibais cependant mes armoiries. -- Comment, dit la signora,
je ne m'en étais pas aperçue. -- Ah! ma soeur, vous avez déjà
fourragé dans ce canton? Elle rougit en marmottant: -- Que je
suis étourdie. -- Eh bien! considérez plus à votre aise, et
vous, ma nièce, vîtes-vous jamais de plus belles armoiries? La
mère, surprise, convint que cela était merveilleux, et la
jeune Laure interdite et d'une voix syncopée par le désir: --
Cela est beau... le superbe écusson... -- Allons, prince,
initiez cette vierge; pendant que vous lui ferez chanter son
premier hymne à l'amour, nous battrons la mesure sa mère et
moi.

Je renversai ma chanoinesse sur le sofa; l'évêque dénoua les
cordons de son corset et découvrit à mes yeux éblouis deux
hémisphères d'albâtre où des veines azurées traçaient le cours
de mille rivières serpentantes; ma bouche en suivit les
contours, et en peu de temps parcourut bien du pays.
Cependant, de peur de faire fausse route, je mouillai l'ancre
dans une mer de délices; et le saint prélat ayant jeté sa soeur
sur l'ottomane voisine, s'aperçut de la double libation que
j'avais faite. -- Ah! ah! dit-il, ce temple a été souillé par
quelque profane; mais avec ce goupillon, je vais le purifier;
et rentrant dans le parvis après quelques allées et venues
dans la nef, il pénétra dans le sanctuaire, qu'il purifia par
une ample aspersion de son eau lustrale. La petite, en ce
moment, tourna la prunelle et se raidissant, s'écria: -- Ah!
roi de Pégu, que tu as bien fait de te convertir!

Quel que fût le délire que me causa son ivresse, la prudence
l'emporta sur mes transports, et, docile aux préceptes du
vénérable prélat, je répandis ma libation sur l'architrave du
portique du temple. La mère et l'oncle me félicitèrent de ma
sage retraite; mais Laure m'en paraissant moins satisfaite, je
me hâtai de la consoler en me replongeant de nouveau dans
l'antre brûlant, qui ne m'avait vu sortir qu'à regret, et je
lui procurai une nouvelle émission sans dépense de ma part.
L'évêque et sa soeur s'étaient cependant rapprochés de nous, et
la dame, baisant le front de sa fille, approchait de mes
lèvres une fraise de son sein, que je m'empressai de sucer,
pendant que le prélat, d'une main caressante, pressait mon
post-face, qu'il socratisait du doigt majeur.

Nous nous remîmes après en état décent, et les ablutions
nécessaires finies et les toilettes réparées, nous attendîmes
l'arrivée de Valbouillant, de sa femme et de Babet, qui ne se
firent pas longtemps désirer; les premiers moments de
l'entrevue se passèrent en compliments. -- Prince, me dit la
gentille Laure, pourquoi mon oncle a-t-il invité ces gens-là?
Cela va nous forcer à une gêne que je savais supporter avant
l'intimité de notre liaison, mais dont la connaissance des
plaisirs va me rendre incapable. -- Rassurez-vous, repris-je,
loin de contraindre notre élan vers la volupté, leur présence
en variera les formes. -- Mais un homme marié!... la présence
du mari doit bien en imposer à la femme. -- Bon, la présence
d'une mère doit bien gêner une jeune chanoinesse; cependant...
-- Ah! toutes les mères ne sont pas bonnes comme la mienne. --
Oh! tous les maris ne sont pas bons comme Valbouillant.

On s'était assis, on s'observait; tous avaient envie de voir
la confiance et la liberté s'établir, mais personne n'osait
rompre la glace. L'évêque sourit de l'embarras général, et,
prenant Laure par la main, la mena à Mme Valbouillant. --
Souffrez, dit-il, que je vous offre une jeune initiée; elle a
d'heureuses dispositions, et, docile à vos conseils, elle
saura respecter les préjugés en public et s'en dépouiller en
particulier. Je demande votre amitié pour elle; bannissant
entre nous tout respect humain, soyons dans ma retraite comme
nous étions dans votre retraite d'Avignon. -- Vous ne pouvez,
répondit Mme Valbouillant, me faire un plus grand plaisir:
vous n'attendez personne, je crois?

-- Non, et jamais aucun domestique n'entre dans ce corps de
logis, si je ne lui en donne l'ordre exprès. -- Bon, en ce cas,
et pour cimenter notre union et rendre notre connaissance plus
intime et plus prompte, que ne prenons-nous tout de suite
l'habit de la vérité? il sera très avantageux à madame et à
cette belle enfant.

La signora Magdalani feignit un instant d'hésiter; l'évêque la
décida en enlevant lui-même son fichu et dénouant son corset;
Mme Valbouillant en fit autant à la chanoinesse, dont elle
couvrit de baisers la gorge et les bras qu'elle avait d'une
rondeur et d'une forme ravissantes, et Monseigneur ouvrant une
petite armoire cachée dans le lambris, en tira quatre
peignoirs d'une gaze très claire, agréablement ajustés, dont
il couvrit nos nymphes, sans dérober leurs charmes à nos
regards avides. La signora Magdalani était grande, avait les
formes superbes, et semblait entourée des Grâces; on eût pris
l'évêque pour l'Apollon du Vatican: Valbouillant ressemblait
au dieu des jardins, et nos belles trouvèrent que j'avais
assez l'encolure de Ganymède.

Le prélat ne put voir sa charmante nièce sans désirer de
s'égarer dans le sentier que je venais de frayer; elle baissa
les yeux, regarda timidement sa mère dont le sourire la décida
à se résigner, et qui la suivit sur le canapé voisin, où elle
l'encouragea par son exemple, en se livrant aux transports de
Valbouillant qui, passant les jambes de la belle sur ses
épaules, s'introduisit très avant dans ses bonnes grâces. Je
m'insinuai dans celles de Mme Valbouillant qui, caressant d'un
doigt officieux le centre des voluptés de Babet, jouissait du
double plaisir qu'elle nous procurait. Six glaces
avantageusement placées à la hauteur des ottomanes, répétaient
les trois groupes voluptueux qu'elles multipliaient à
l'infini, et les sens irrités par ce spectacle enivrant
redoublaient l'ardeur de chaque combattant, qui aurait rougi
d'être vaincu dans cette érotique. Magdalani, par l'agilité de
ses reins, prouvait à Valbouillant que ses trente-cinq ans
n'avaient rien diminué de son ardeur, et que sa fille, malgré
sa jeunesse, ne la surpassait pas pour la prestesse et le
moelleux des mouvements.

Le saint homme applaudissait au zèle de la chanoinesse à
suivre l'exemple de sa mère. Mme Valbouillant, Babet et moi
n'avions pas besoin d'être encouragés, mais ce spectacle
nouveau nous rendait encore plus acharnés à fêter le dieu de
Lampsaque. Les trois groupes ayant consommé leur sacrifice,
nous nous réunîmes en rapprochant les trois sofas; on voyait
sur tous les sofas la gaîté succéder à la jouissance; point
d'air d'épuisement ni d'ennui; le fin sourire et le regard
malin promettaient le prochain retour des désirs. On félicita
la jeune Laure sur le courage qu'elle avait montré dans les
premiers combats; sa mère reçut nos éloges pour la philosophie
avec laquelle, s'élevant au-dessus des préjugés, elle avait
accéléré par son exemple la félicité de sa fille. La petite se
jeta dans les bras de sa mère qui la couvrit de baisers, et
d'un doigt curieux tâcha de reconnaître les dégâts que mes
efforts et ceux de l'évêque avaient faits. Cet attouchement
réveilla les sens de la chanoinesse qui versa presque aussitôt
des larmes de volupté sur la main de la signora qui reçut
d'elle le même service.

Mme Valbouillant, pour nous faire attendre sans impatience le
retour des plaisirs, nous proposa de nous lire une anecdote
qu'elle avait reçue de Paris; tout le monde y consentit, et
elle nous la lut.

On applaudit fort à cette anecdote, et l'évêque proposa du
sirop, du punch pour désaltérer la lectrice et rafraîchir ses
auditeurs. -- Volontiers, dit la signora Magdalani; mais ne
vaudrait-il pas mieux prendre auparavant le rafraîchissement
du bain, mon frère en a de charmants, la chaleur est si vive
que l'eau doit être assez échauffée par le soleil; nous
n'avons point de toilette à faire, nos peignoirs ne tiennent
qu'à un ruban. -- L'idée est charmante, dit Mme Valbouillant;
mais personne ne pourrait-il nous voir? -- Non, dit l'évêque,
le bassin touche à ce boudoir et personne n'y peut pénétrer;
j'en ai la clef, et nous porterons sur le bord le punch que
nous prendrons en nous baignant.

Tout le monde fut d'accord, et nous passâmes dans ce délicieux
bassin revêtu de stuc; il était ombragé par un grand platane,
deux sycomores et deux grands saules pleureurs; le jasmin et
le chèvrefeuille s'élevaient autour de leurs tiges, et,
s'étendant d'un arbre à l'autre, formaient des festons
parfumés; à quelques pas de là, des touffes de seringa
sortaient d'une haie de rosiers de diverses espèces auxquelles
se mêlaient l'aubépine, l'acacia rose et l'épinevinette; la
violette, la pensée, l'anémone et l'odorante jonquille
couvraient le gazon qui séparait la haie du canal; et les pois
de senteur se ramaient autour de la tige élevée de la
tubéreuse; plus loin, des bancs de mousse à travers laquelle
percent la pâquerette et l'armoise, offrent un siège doux et
frais à la nymphe qui, sortant de l'onde, veut se sécher et
s'essuyer avant de reprendre ses habits. C'est là que nous
allâmes chercher à nous délasser de nos agréables fatigues;
l'Albane et Boucher se seraient trouvés contents, s'ils
avaient été admis; quel travail pour leur ingénieux pinceau!
chacune de nos belles leur aurait fourni vingt académies; ils
auraient cru voir Thétis au milieu de ses naïades recevant
Phoebus, tandis que les heures détellent son char. Valbouillant
avait l'air de Comus chargé de préparer le festin, pendant
qu'en folâtrant près des belles nageuses, je ressemblais au
dieu dont les ailes aux talons annoncent l'emploi sur les pas
du prélat. Nous nous hâtâmes de nous plonger dans l'onde
limpide, qui ne faisait que rafraîchir les charmes de nos
nymphes sans les voiler; les peignoirs qu'elles avaient
quittés étaient remplacés par les boucles éparses de leurs
cheveux qui formaient un vêtement transparent aux contours
arrondis de leurs tailles élégantes; l'eau ne s'élevait qu'à
la hauteur de leur sein; elles se baissaient parfois pour en
avoir jusqu'au menton, et quand elles se relevaient,
l'humidité qui restait sur l'ivoire de leur gorge appétissante
ressemblait à ce frais duvet qu'on aperçoit sur la prune dans
la maturité et qu'on appelle la fleur. Avec quel empressement
nos lèvres enflammées couraient la recueillir; que de bonds,
que de folies nous fîmes dans ce délicieux bassin.

Nos quatre naïades étaient belles, mais toutes d'un genre de
beauté différent; la signora Magdalani, d'une taille au-dessus
de la moyenne, avait approchant les formes que nous fait
admirer Raucourt dans le rôle de Didon, et ses longs cheveux
châtains relevaient l'éclat d'une peau d'un blanc de lait,
sillonnée de veines d'azur; son embonpoint lui rendait la
fraîcheur que le grand usage des plaisirs lui aurait fait
perdre si elle avait conservé la taille svelte qu'elle avait à
vingt ans. Laure, plus petite, mais agréablement coupée,
voyait flotter sur sa gorge naissante une forêt de cheveux
blond cendré: ses yeux étaient bleus, ses longues paupières et
ses sourcils bien arqués étaient de la couleur de l'ébène; et
d'ailleurs elle méritait, mieux que jadis l'Athérenin, le beau
nom d'as de pique. Je ne répéterai point ici le tableau de Mme
Valbouillant, ni de la gentille Babet; la première, on le
sait, a des jumelles qu'on ne peut pincer, des dents de perles
et le regard humide de la volupté prête à toucher le but, et
Babet, avec ses yeux noirs, ses cheveux châtains, avait l'air
d'Hébé réveillant le dieu de la force.

Après mille agaceries réciproques, Mme Valbouillant,
poursuivant la jeune Laure en folâtrant comme Sapho le faisait
d'ordinaire avec ses compagnes, la renversa sur une touffe de
roseaux, et nous fit apercevoir le carmin et la rose au milieu
de son spadille. Pendant ce temps Valbouillant accourt, et
tournant la chanoinesse de côté, se coulant sur le dos,
s'insinue dans le losange vermeil, dont sa femme continuait de
chatouiller le sommet; l'évêque, à son tour, étend Babet à
côté des combattants, de manière que l'officieuse main de
Babet rendait à sa maîtresse tout ce que celle-ci prêtait à
Laure; et pour compléter le groupe, la signora Magdalani, se
courbant sur les reins de son frère, m'offrit une double route
aux plaisirs. Je commençai le sacrifice dans l'arrière-temple,
et j'achevai ma libation dans le vrai sanctuaire. La fraîcheur
de l'eau, l'ardeur de nos désirs, par leur contraste heureux,
aiguisèrent la volupté, et nous convînmes, d'une voix unanime
que jamais on ne pouvait éprouver d'ivresse plus délicieuse.

Nous sortîmes du bain aussi frais qu'en y entrant; nous
vidâmes sur le rivage le bol de punch qui s'y trouvait
préparé. Je fus l'échanson et l'on trouva que j'avais autant
de grâce à remplir mes fonctions que le prince phrygien qui
servait le nectar à Jupiter.

Nos belles reprirent leurs peignoirs et nous de légères robes
de taffetas. Rentrés au salon, nous échangeâmes les plus
douces caresses. La signora Magdalani observa que la société,
toute charmante qu'elle fût, péchait en ce qu'il y avait plus
de consommatrices que d'objets de consommation, et que d'après
toutes les proportions physico-mathématiques, tout serait plus
dans l'ordre s'il se trouvait six hommes et quatre femmes, et
qu'il fallait, pour le bien de la paix, doubler le nombre des
collaborateurs.

L'évêque, tout en reconnaissant l'évidence du principe, opposa
la difficulté de faire cette opération sans compromettre sa
réputation, qui était la base de l'aisance de sa famille. La
signora, confuse, ne savait que répondre, quand Laure élevant
la voix rappela à son oncle les bijoux qu'il avait eu la
complaisance de lui faire passer de la part de sa tante la
Visitandine. Le bon prélat sourit, la société le pressa, et il
dit à sa nièce de produire ces bijoux si elle les avait
encore. -- Si je les ai! ils ont été ma consolation depuis que
vous me les avez donnés. Et elle tire de sa poche les deux
plus beaux simulacres que l'art ait produits pour suppléer à
la faiblesse humaine. Des tubes d'étain, rivaux de la nature,
recouverts d'un velours incarnat, garnis d'un piston pour
lancer à volonté du lait chaud. La pieuse abbesse des
Visitandines, empressée de fournir à leurs besoins, avait prié
le prélat, son cousin, de lui en procurer de différents
calibres pour les postulantes, les novices et les professes,
et pour être assurée que sa communauté ne chômerait point,
elle en avait mis un nombre en réserve, qui, le fanatisme
religieux se ralentissant, et chaque nonne en étant fournie,
lui restait en magasin. Le prélat, voyant les besoins de sa
nièce chérie, en avait demandé deux, et la bonne religieuse,
pleine de zèle pour le salut de sa parente, avait garni les
ceintures auxquelles ils étaient attachés, d'_agnus dei_, de
bois bénit et de bois pourri, qu'elle avait honoré du nom de
bois de la vraie croix, pour élever vers Dieu ses idées quand
elle ferait usage de ce consolateur des recluses.

La lubrique assemblée admira le génie de l'inventeur et le
talent supérieur de l'ouvrier dans l'exécution. L'espiègle
Babet voulait à l'instant entourer ses reins de la sacrée
ceinture; mais sur la représentation de la chanoinesse, elle
en différa l'usage jusqu'à ce que le lait nécessaire fût
préparé et parvenu à la chaleur convenable.

Pour attendre patiemment que tout fût prêt, on proposa que nos
belles fissent le récit fidèle de leurs aventures. La
proposition fut généralement acceptée, et la signora
Magdalani, comme la doyenne, commença en ces termes:

"Ma mère perdit la vie en me donnant le jour; mon père
m'envoya près de ma tante, dans son petit castel aux environs
de Nice. Ma tante, n'ayant rien de mieux à faire, s'était
jetée dans la dévotion et passait la journée à l'office ou à
médire avec ses voisines. On m'avait appris les litanies de la
Vierge, et je prononçais avec toute l'emphase convenable:
'Tour d'ivoire, priez pour nous; rose mystique, priez pour
nous.' Mais, de bonne foi, je n'attachais aucune idée à ces
vocatifs décousus. Ma tante cependant s'applaudissait de ses
talents pour enseigner, et de mes dispositions à m'instruire,
parce qu'à douze ans je savais par coeur les sept psaumes en
latin, le _Salve Regina_ et l'_Angelus_. Quand ma tante était
sortie, dès que j'avais fini l'ourlet qu'elle m'avait donné à
faire, -- car j'apprenais aussi la couture, -- je courais dans
le jardin pour m'amuser avec les enfants du jardinier. Marcel,
l'aîné, était un petit polisson d'environ quinze ans, au teint
animé, aux yeux vifs, aux reins souples et à l'épaule large.
La gouvernante du curé, veuve du sonneur, femme entre quarante
et cinquante ans, avait pris soin de l'instruire et s'était
fait payer ses leçons. Mais je parus, et mes appas naissants
piquèrent sa curiosité plus que les charmes surannés de son
institutrice; il cherchait impatiemment l'occasion de me faire
part des connaissances qu'il avait acquises et je volais
au-devant de l'instruction. Un soir que je me promenais dans le
jardin où il plantait une planche d'escarole, je l'observais
fourrant dans les trous qu'il avait faits avec le plantoir les
racines des légumes qu'il venait d'arracher. Je lui fis
quelques questions, il y satisfit avec la simplicité de son
âge et de son éducation; puis me regardant avec feu, quoique
les yeux à demi baissés: -- J'ai, dit-il, un autre plantoir,
qui vaut bien mieux. -- Eh bien, voyons, comment t'en sers-tu?
-- Oh! ce n'est pas en pleine terre, c'est dans les serres
chaudes qu'on en fait usage. -- Eh bien! nous sommes tout
auprès, voyons. -- Volontiers, dit-il, suivez-moi. L'ardeur de
m'instruire m'y fit consentir. Y étant entrée: -- Voyons ton
plantoir? -- Soit. Il me renversa sur une couche, et d'une main
découvrant le terrain qu'il voulait cultiver, de l'autre il
découvrit ce merveilleux plantoir. Surprise, j'y portai la
main: -- Qu'il est ferme, lui dis-je, il doit entrer bien
avant. Mais où est le plant? -- Tout, dit-il, est renfermé dans
ce plantoir, il perce, il plante, il arrose. -- Eh bien! voyons
comment tu t'y prends.

"Je croyais qu'il allait l'enfoncer dans le terreau de la
couche; mais le fripon, profitant de ma position, se précipite
dans mes bras, passe mes pieds sous les siens, m'attire à lui,
et, rassemblant tous ses efforts, pénètre, en renversant les
obstacles, dans le réduit où dormait encore la volupté; il la
réveille, précédée par la douleur. Je fais des efforts pour
m'échapper, mais ses bras nerveux les rendent vains. Je reste
clouée sur la couche, me résignant à souffrir quoique
impatiemment; mais bientôt la douleur s'affaiblit et disparut
par degrés. Cet hôte qui m'avait paru si terrible dès l'abord,
devint à mes yeux un commensal dans la société duquel on
pouvait se plaire, et je désirais moins sa retraite. Petit à
petit, je pris mon mal en patience et je craignis qu'il ne
quittât le brûlant séjour dont il faisait alors mes plus
chères délices; mon ivresse s'accrut et ne se calma que par la
voluptueuse émission d'un baume qui, soulageant mes blessures,
me fit aussi répandre intérieurement les larmes les plus
douces. Sa fureur étant calmée, le plantoir sortit dans un
état moins menaçant; je fus surprise de la souplesse qu'il
avait acquise, je le touchai avec étonnement et je vis avec
effroi qu'il était teint de mon sang; mais je lui pardonnai sa
barbarie, et j'étais affligée de l'état d'abattement dans
lequel il se trouvait.

"Marcel examina le ravage qu'il avait causé chez moi; cet
examen et la chaleur de ma main qui n'avait pas quitté prise,
ranimèrent son orgueil, et je l'aurais abattu de nouveau sans
du bruit que nous entendîmes auprès de la serre. C'était ma
tante qui rentrait du salut, et qui était passée par la petite
porte du jardin: ma jupe fripée et salie par le terreau de la
couche, ma rougeur et mon embarras lui donnèrent des soupçons.
Une vieille dévote qui l'accompagnait les aggrava par ses
pieuses remarques: on visita mon linge, et le résultat de
cette enquête fut un prompt départ pour un couvent, où je
demeurai jusqu'à quinze ans, époque où je fus mariée et prise
pour vierge par mon époux."

-- Comment, maman, il ne s'aperçut pas... -- Non, mon coeur. Le
petit Marcel, quoiqu'il m'eût blessée, était trop jeune pour
être bien terrible, et ton père crut qu'étant restée trois ans
au couvent, j'avais usé des ressources d'usage dans les
cloîtres; et je confirmai son opinion par un adroit aveu, pour
détourner les idées plus désavantageuses qu'il aurait pu se
former.

La belle Italienne achevait à peine son récit, quand Babet
nous annonça que le lait avait acquis la chaleur convenable,
et, apportant la cafetière, remplit les deux suppléments, se
mit la ceinture du plus gros, et proposa à la belle Laure d'en
subir l'épreuve. La chanoinesse le désirait, mais l'idée que
la gentille Babet était simple et roturière la faisait
hésiter. -- Belle délicatesse, dit le prélat; si Babet n'est
pas d'une naissance illustre, elle est anoblie par ses
alliances, elle peut embellir son blason de mes armoiries, de
celles du prince Hic et Hec, et de Valbouillant. Laure se
résigna. Me collant sur le dos de Babet, je lui rendis le même
office naturellement; ma bouche faisait un suçon sur l'épaule
de Babet, pendant que ma main gauche prenait les reins de la
belle Laure, et que ma main droite, glissée entre les deux
nymphes, en palpait voluptueusement les contours élastiques.
Cependant la signora s'insinua le second supplément pendant
que Valbouillant s'avançait dans ses bonnes grâces par la
route détournée; pour l'évêque, d'une langue caressante, il
cherchait le nectar de la volupté dans la grotte étroite et
complaisante de Mme Valbouillant, qui de son côté couvrait de
baisers le bâton augural du pontife.

Les belles firent tour à tour l'épreuve des bienfaisants
simulacres, et l'immense cafetière était presque épuisée,
quand notre ingénieux prélat voulut faire un nouvel essai; il
prit le plus gros des suppléments et s'en ceignit à rebours,
de sorte qu'il avait l'air de sortir du bas des reins, comme
la queue d'un cheval, coupée à l'anglaise, puis il se plaça
debout entre deux lits d'une hauteur suffisante, séparés par
une ruelle étroite, et plaçant sa nièce sur l'un et sa soeur
sur l'autre, et de manière que leurs jambes portaient sur un
lit et leur corps sur l'autre, il établit le naturel dans le
temple de sa nièce et l'artificiel dans celui de sa soeur, et
par ses mouvements rapides il occupait utilement l'une et
l'autre, et lâchant le piston mécanique en même temps qu'il
faisait physiquement sa libation, toutes les deux jouirent
simultanément d'un déluge de voluptés.

Cet essai fut le dernier de la soirée; quelques fruits
délicieux et d'agréables liqueurs les rafraîchirent et les
restaurèrent, et l'on alla se coucher séparément, pour qu'on
pût se livrer sans trouble au repos que la répétition des
plaisirs nous rendait si nécessaire. D'ailleurs, le prélat
était un homme d'ordre dans ses plaisirs; il avait des statuts
qu'on observait religieusement dans ses orgies. La communauté
des jouissances était établie entre tous les membres de la
société, on n'en pouvait dérober aucune aux regards lascifs
des autres, et c'était une faute digne d'exclusion d'en
frustrer la voluptueuse curiosité; il était également défendu
aux femmes de faire des pensionnaires en leur particulier,
parce que c'était priver d'autant la communauté des plaisirs
qui devaient être partagés; mais tout était permis, en
prévenant la société de ce qu'on allait faire, pour que les
membres en fussent les témoins, s'ils en étaient tentés.

Le lendemain matin, après neuf heures d'un sommeil tranquille,
nos belles quittèrent le lit.


Alors belles sans art, dans le simple appareil

De beautés que l'on vient d'arracher au sommeil.

(Racine, _Britannicus_.)


Elles courent de chambre en chambre; Laure, levée la première,
était déjà dans la chambre de sa mère, qu'elle serrait dans
ses bras, pour lui peindre sa joie de la liberté qu'elle lui
avait accordée la veille, et lui dérobant quelques caresses: --
Ah! maman, que tu es belle, ce n'est que d'hier que je connais
tes charmes; le respect, jusqu'à présent, m'inspirait plus de
crainte que d'amour; depuis que tu m'as associée à tes
plaisirs, mon âme nage dans l'ivresse, et je sens qu'il me
serait plus doux de t'en procurer que d'en recevoir, même de
l'homme le plus séduisant; tiens, regarde l'effet du baiser
que je viens de prendre sur ton beau sein. -- J'en éprouve un
pareil, ma chère enfant, mais... -- Quoi, mais?... qui nous
empêche de profiter de nos désirs mutuels? -- Et nos
règlements? Elle instruisit Laure de la nécessité de ne
dérober aucun plaisir à la vue de la société... -- Eh bien!
maman, descendons, nous leur dirons ce que nous allons faire,
qu'ils soient les témoins s'ils veulent; mais je jure que je
ne recevrai de caresses et n'en ferai à personne avant de
t'avoir fait partager mes transports.

Valbouillant et l'évêque arrivèrent alors. Laure leur déclara
ses intentions, et comme je survenais avec Mme Valbouillant et
Babet, je me hâtai de presser la maman de céder aux transports
de sa fille, pour se rendre ensuite aux voeux de la société. --
Eh bien! maman, que tardons-nous? Viens sur ce sofa. Comme
elle hésitait: -- Retirons-nous, dit Valbouillant, ce sont des
affaires de famille, ne les troublons point; allons au salon,
nos belles amies nous rejoindront quand elles voudront de
nous. -- Y consentez-vous? nous dit alors l'évêque. --
Assurément, dîmes-nous à l'unisson; mais comme c'est une
assemblée de parents, Monseigneur en devrait être. -- Non, dit
Laure vivement, nous vous rejoindrons tout de suite. -- A votre
aise, reprit l'évêque en souriant, nous avons de quoi nous
occuper sans vous, et allons faire préparer le déjeuner.

Nous descendîmes, la mère et la fille restèrent dans leur
appartement, et l'ardente Laure menant la maman sur le lit
qu'elle venait de quitter, s'y précipita dans ses bras. Rien,
ni jupes ni corset, ne s'opposa à leur fureur érotique. --
Quelles superbes formes, s'écriait la chanoinesse, en couvrant
sa mère de baisers enflammés. -- Quelle fraîcheur, quelle
fermeté, disait la maman caressant les charmes les plus
secrets de Laure; et leurs jambes de s'enlacer, leurs seins de
se presser, leurs lèvres de s'entr'ouvrir et leurs langues de
s'unir; leurs yeux se ferment, leurs mains s'égarent, leurs
sens s'allument, leurs lèvres humides exhalent de tendres
soupirs, leurs reins s'agitent convulsivement, leurs cons
agités sont inondés de volupté. -- Ah! ma Vénus, ah! mon Hébé,
s'écrièrent-elles ensemble, en se serrant amoureusement. Ah!
dieux!...

Et la parole leur manque... O Sapho! ô Raucourt! éprouvâtes-vous
des transports aussi vifs? Les sentiments de mère et de
fille semblaient ajouter au délire de leurs sens que la plus
abondante effusion du nectar du plaisir ne pouvait calmer.
L'évêque, qui était monté sur la pointe du pied avec
Valbouillant et moi, après avoir joui de leur ivresse en
silence, le rompit en chantant ce fragment de _Lucile_:


Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?


-- Eh bien! dit la mère sans se déconcerter, vous voyez,
mortels présomptueux, qu'on peut se passer de vous, et que ma
Laure et moi savons nous suffire à nous-mêmes. -- D'accord,
belle dame, lui dis-je, mais puisque la source du vrai bonheur
est en vous, convenez que vous seriez barbares, si vous nous
refusiez de nous y désaltérer. -- Nous ne refusons rien, dit
Laure, pourvu que vous ne nous forciez pas à nous désunir.

Alors elles se serrèrent de nouveau, couchées de côté sur le
lit; l'évêque et Valbouillant, lestes comme des lévriers,
s'élancent sur la couche et, à l'instar de ces animaux, se
mettent à fêter nos belles. Je fus un instant spectateur; mais
bientôt, lassé de ce rôle, je pris mon évêque à revers, ses
mouvements m'apprirent qu'il m'excusait de le prendre en
traître, et bientôt les soupirs entrecoupés, les doux
gémissements prolongés de la mère et de la fille, et de
légères convulsions nous annoncèrent qu'elles continuaient de
répandre des larmes de volupté. Nous redoublâmes d'ardeur et
les retînmes dans leur ivresse jusqu'à ce que nous eussions
nous-mêmes consommé le sacrifice.

Mme Valbouillant et Babet, qui étaient survenues pendant le
combat, pour ne pas rester oisives, s'étaient armées des
suppléments, dont elles s'obligeaient réciproquement, en se
réglant sur les mouvements du groupe principal.

Le sacrifice terminé, on se relève, on se félicite, et l'on
redescend dans la salle à manger; de bons consommés,
d'excellentes truffes à l'huile vierge, et des canapés
d'anchois rétablirent les forces de nos belles et aimables
athlètes; les vins les plus doux et les plus fins y furent
joints; quelques chansons folles égayèrent le déjeuner; et
l'évêque proposa d'aller folâtrer dans quelques bosquets de
l'Averne, son jardin délicieux: tout le monde applaudit, et
tous, d'un pied léger et d'un front riant, suivirent le saint
prélat et sa superbe soeur.

Rien n'égale le goût et la variété de ces jardins enchanteurs;
l'acacia rose, le mélèze fleuri unissent leurs rameaux au
cèdre du Liban; plus loin le catalpa, le platane dépouillé de
son écorce, ombragent de leur cime élevée le limpide ruisseau
qui serpente à travers le gazon fleuri, tandis que le saule
pleureur courbe vers l'onde fugitive ses rameaux minces et
pendants; la violette, la rose, l'oeillet, le thym, l'iris
émaillant la prairie, fournissent un riche butin à l'abeille
laborieuse qui vient cueillir le baume vivifiant dont elle
compose son miel; les arbustes odorants, le jasmin parfumé, le
rampant chèvrefeuille, s'élevant le long de la tige du
citronnier, et se liant aux branches de l'oranger, charment la
vue par leurs guirlandes naturelles et l'odorat par leur douce
saveur. Un sentier serpentant à travers un fort de noisetiers
et de mûriers sauvages, conduit à la plus charmante des
grottes; les rocailles les plus artistement posées, les
coraux, les madrépores, l'éclatant burgau, la nacre brillante
en tapissent les parois; l'onde fraîche et limpide, filtrant à
travers le rocher, se rassemble dans des conques superbes,
d'où elle tombe par cascades dans des bassins de granit, qu'on
croirait creusés par les mains de la nature; l'art partout est
caché, et n'en a que plus de succès; sur l'entrée on lit: ICI
L'ON S'EGARE. Au fond de la grotte, éclairée par une ouverture
pratiquée pittoresquement dans la voûte, une mousse épaisse et
fleurie offre des lits commodes au promeneur fatigué; au-dessus
on lit: ICI L'ON SE RETROUVE.

La signora Magdalani s'y couchant, dit en souriant: -- Qui veut
se retrouver avec moi? Je me présentai le premier. -- J'admire
son zèle pour la famille, il vient de rendre service à mon
frère, il veut m'obliger et je parie qu'avant de rentrer au
château il voudra se rendre utile à ma fille: le charmant
enfant! Mais je ne veux pas qu'il s'épuise; jouons avec la
volupté, mais rendons-nous-en maîtres, et sachons reculer
l'instant de la conclusion. Mme Valbouillant et Babet n'ont
point goûté de plaisirs solides aujourd'hui, que mon frère et
Valbouillant les occupent; ma fille et moi, nous nous
contenterons de Hic et Hec; il a de l'esprit jusqu'au bout des
doigts, j'en veux faire plus d'usage que de la trompe de son
éléphant. Viens, ma Laure, mets-toi à mes côtés, ouvre ton
peignoir comme j'ai fait du mien; que ses mains caressent nos
deux portiques, que sa bouche se colle alternativement sur les
nôtres, se promène sur ton sein et sur le mien, et soyons
économes du baume précieux qu'il voudrait nous prodiguer.

Je consentis au joujou qu'elle proposait, et quand la volupté
se faisait sentir trop vivement, elle me faisait suspendre,
pour reprendre, après une courte trêve. Laure fit une si jolie
mine, en arrivant au but désiré, que je ne pus résister au
désir de porter la bouche sur la fontaine dont mon doigt
venait de faire jaillir les eaux enflammées; le mouvement que
je fis ayant découvert la trompe dans l'état le plus brillant,
la signora la saisit entre ses lèvres ardentes, et par la
succion la plus voluptueuse, me fit faire une libation plus
abondante que celle que je recevais de sa fille, et ma main
gauche, qui n'avait pas quitté son poste, reçut des preuves
liquides de l'attendrissement de la mère.

Cependant Mme Valbouillant et Babet s'étant adossées l'une à
l'autre recevaient debout l'évêque, et Valbouillant, dont les
coups repoussés par l'athlète opposé, causait une réaction
vive et singulière. L'acte fini, après quelques moments de
repos et quelques verres de punch, on demanda quelque anecdote
à Valbouillant. -- Je n'en sais point, dit-il, si ce n'est le
désespoir de la vieille Sara. -- Je ne la connais point, dit
l'évêque. -- Oh! que si, Monseigneur, elle a la pratique de
presque tout votre chapitre, c'est la grosse marchande de
plaisir! -- Elle vend du croquet? -- Non, mais c'est la plus
adroite pourvoyeuse du Comtat; peu de femmes ont une famille
aussi étendue, elle a toujours deux ou trois nièces qui
l'accompagnent aux promenades, au spectacle, et quand elles
sont un peu trop connues, elles se retirent vers Orange ou
Carpentras, où elles portent l'instruction qu'elles ont reçue
chez Sara, qui les remplace par de nouvelles parentes, qui lui
viennent des villages d'alentour, et qu'elle forme avec le
même soin. -- Oh! oui, je me rappelle, dit l'évêque, elle est
grosse, courte, elle a le front étroit, l'oeil en dessous, le
crin roux et le nez un peu bourgeonné. -- Précisément, et
sûrement vous avez été plus d'une fois son neveu. -- Je n'en
disconviens pas; que lui est-il donc arrivé? -- Hier, se
promenant sur le rempart avec Justine, la nièce du moment, un
négociant de Bâle est venu l'accoster: on a lié conversation,
elle a d'abord été galante, puis elle s'est animée et le bon
Bâlois a proposé de lui donner à souper. Sara, toujours prête
quand il s'agit d'un repas, s'accorde à tout, et l'on convient
que le négociant partagerait ensuite le lit de Justine en
déposant dix louis sur la table de nuit, dont il aurait droit
d'en reprendre un à chaque politesse qu'il ferait à la
gentille nièce. Sara, qui n'avait guère vécu qu'avec
d'élégants Français ou de bons citadins, croyait que les
Suisses ne pouvaient l'emporter en civilité sur ses
compatriotes, et se hâta d'accepter le marché. On a soupé
gaîment, le bourgogne et le montrachet n'ont pas été ménagés,
la vieille s'est bien repue, bien égayée, puis a présidé au
coucher; on a vu poser l'or sur la table de nuit et le Suisse
a prétendu qu'elle lui devait deux louis. Justine, interrogée
sur le fait des articles, a confirmé par son aveu les
prétentions du Bâlois; Sara a redoublé ses cris, et
l'Helvétien, pour l'apaiser, l'a renversée sur le lit et lui a
fait cadeau du treizième; elle a pris son mal en patience,
mais en jurant ses grands dieux qu'elle ne ferait plus de
pareil marché qu'avec des Français. -- La nièce, observa
l'évêque, avait moins d'humeur que la tante. Mme Valbouillant
remarqua que le bon Bâlois s'était sans doute ainsi comporté
pour honorer les saints apôtres, et avait réservé le Judas
pour Sara. -- Quoi qu'il en soit, dis-je alors, je voudrais me
faire naturaliser suisse, si j'étais sûr que le droit de
bourgeoisie chez eux me procurât d'aussi rares talents. -- Ce
n'est pas quand on vous ressemble, l'abbé, qu'on doit former
de pareils voeux, et vous prouvez que l'état théocratique
fournit les plus précieux sujets pour la volupté.

Ce propos valait bien un remerciement, j'embrassai la belle
Valbouillant, sa main chercha si j'étais digne de l'éloge
qu'elle venait de me prodiguer; l'état où elle me trouva la
fit soupirer; les réflexions sur l'aventure de Sara terminées,
on avisa aux amusements qu'on pourrait se procurer jusqu'à
l'heure du dîner. -- L'abbé, dit Mme Valbouillant, devrait nous
indiquer quelques-uns des jeux qui l'occupaient au collège. Je
lui dis que les plus usités étaient le cheval fondu, la main
chaude et le pet-en-gueule. -- J'ai, dit Laure, joué
quelquefois à la main chaude au couvent, j'étais quelquefois
un demi-quart d'heure sans désemparer, cela m'ennuyait fort,
et j'en avais la main toute engourdie. -- N'y aurait-il pas,
dit l'évêque, un moyen de rendre ce jeu plus piquant? -- En
décidant que celle qui devinerait disposerait à son gré pour
ses plaisirs de la personne devinée. Sans doute, dit la
signora Magdalani, mais cependant nous y gagnerons peu de
chose, nos volontés ne sont-elles pas la règle des désirs des
hommes de la société? On disserta ensuite sur le cheval fondu,
et l'on trouva du danger pour les reins de celui qui portait
le principal fardeau, et on le rejeta; quand on détailla le
pet-en-gueule, il trouva plus de partisans; mais il n'y avait
que trois hommes pour quatre femmes; c'était un inconvénient,
mais la signora Magdalani, s'excusant avec grandeur d'âme,
s'offrit à juger des coups. -- Soit, dit l'évêque; vous
recevrez pour épices les caresses du couple qui aura le mieux
réussi.

Les choses ainsi convenues, tous les peignoirs et lévites
furent quittés; le prélat prit la fraîche Valbouillant, dont
le mari choisit la jeune Laure, et j'eus en partage ma
gentille Babet, tantôt sur mes mains, tantôt sur mes pieds;
j'avais toujours les yeux fixés sur les contours arrondis de
ses jumelles appétissantes, et sur le joli bosquet qui
couvrait les bords de la fontaine de Jouvence; quelquefois, en
faisant la roue, j'y collais des baisers brûlants; le prélat
était aussi enchanté des charmes antérieurs et postérieurs de
la fraîche Valbouillant, qui tour à tour sur les mains, sur
les pieds, à chaque repos, appuyait ses lèvres caressantes sur
le _lubinis angularis_ du saint pasteur. Valbouillant et la
chanoinesse faisaient la double roue avec la même ardeur; nous
fîmes trois fois le tour de la grotte en dedans, et nous nous
arrêtâmes en trois couples aux pieds de la signora Magdalani,
soit dessus, soit dessous nos belles, et profitant de
l'attitude, nous répétions la scène voluptueuse du jeune
Saturnin avec madame d'Inville.

Ce fut Babet et moi que la belle Magdalani reçut dans ses
bras, couchée sur le côté, et Babet ceignant un supplément le
glissa à l'endroit que fait admirer Vénus Callipyga. Les
autres, se groupant autour de nous, cherchèrent le plaisir
dans des attitudes variées au gré de leurs caprices; pour moi,
cueillant avec ma langue amoureuse le miel de la volupté entre
les dents entrouvertes de la belle Magdalani, de ma main
passée sur sa cuisse, j'atteignis le sommet du joli buisson de
l'espiègle Babet au-dessous du simulacre qu'elle avait
introduit dans le sentier étroit et détourné de la déesse que
nous servions, les caresses de mon doigt ranimèrent son zèle,
elle mit plus d'activité dans ses mouvements. -- Ah! Dieu,
s'écria la signora, quelle volupté, quelle ivresse... je
fonds! Et elle m'inonda; je ne ralentis pas mes efforts. --
Ciel! s'écria-t-elle, je brûle, mon ardeur ne fait que
s'accroître par la jouissance, ah! que ne puis-je aussi baiser
cette adorable Babet qui me donne tant de plaisirs. -- Si vous
voulez, nous allons troquer de poste, elle et moi? --
Volontiers, mon divin ami.

En un instant l'échange fut fait, ce fut le supplément qui
remplit l'échange frayé, et je me plongeai dans le sentier.
Que son dos était blanc, uni et potelé, que la chute de ses
reins était arrondie, quelle fermeté, quelle fraîcheur, les
épaules les plus fines, les bras de la plus belle forme, les
mains les mieux effilées; mes lèvres brûlantes parcouraient
ces charmants contours, pendant que mes mains pressaient
amoureusement son beau sein et se trouvaient pressées par
l'ivoire de celui de Babet, qui recevait des attouchements
lascifs de la belle Magdalani une ivresse égale à celle
qu'elle procurait. Nos transports devinrent trop vifs pour
pouvoir les prolonger, notre bonheur fut au comble, nous
perdîmes en même temps nos forces et nous restâmes quelques
instants sans mouvement à jouir de notre abandon voluptueux.
L'évêque et Valbouillant nous versèrent à chacun un verre de
vieux vin d'Alicante, qui répara nos forces, et nous étant
rhabillés, nous engageâmes Valbouillant à nous raconter
quelqu'une de ses aventures, en attendant que l'heure du dîner
nous rappelât au château.

"J'avais vingt ans, dit-il; j'étais capitaine de dragons, et
mon régiment, cantonné dans la Lorraine, y goûtait toutes les
douceurs dont ce charmant pays abonde; dans la petite ville où
ma troupe était en quartier habitait la jeune épouse d'un
vieil officier général qui était en tournée pour une
inspection dont le gouvernement l'avait chargé; elle était
musicienne, chantait bien, jouait agréablement la comédie,
dansait avec grâce et légèreté; cette conformité de talents la
disposait en ma faveur et me faisait désirer de me lier avec
elle; je l'accompagnai avec mon violon dans une ariette
italienne, et mes applaudissements parurent la flatter; je
demandai et j'obtins la permission de lui faire ma cour chez
elle, mais la présence d'une vieille belle-soeur, qui restait
toujours au salon, me gênait dans l'aveu que je voulais lui
faire de ma tendresse; elle s'en aperçut, sourit
malicieusement, mais elle n'éloignait pas le témoin importun.
Je lui donnai des billets, des vers passionnés, elle les
recevait, en paraissant satisfaite, mais elle n'y répondait
jamais. Vous savez que je suis ardent, et même impatient, et
j'avais peine à supporter cet état; je m'ennuyais de rester
toujours au même point. Pour en sortir et pouvoir m'expliquer
librement sans la compromettre, je supposai un voyage que je
devais faire à Nancy, où elle avait des parents; je m'offris
de me charger de ses dépêches et je demandai qu'elle me permît
de venir le lendemain les prendre à son lever. -- Vous êtes
bien obligeant, me dit-elle, mais je ne sais si j'y dois
consentir, je suis extrêmement paresseuse et je fais ma
toilette tard, et vous me verriez trop à mon désavantage. --
Ah! madame, quand on doit tout à la nature, c'est l'art seul
qui peut nuire, et je ne vous trouverai que trop charmante
dans l'heureux désordre du matin. -- Vous croyez?... Moi j'en
doute et j'exige pour prix de ma complaisance que vous me
disiez, sans déguisement, si je perds beaucoup à me laisser
sans parure: venez sur les dix heures, mes lettres seront
prêtes. Un coup d'oeil d'intelligence dont elle accompagna ce
propos remplit mon coeur de l'espoir le plus doux. Le
lendemain, ponctuel au rendez-vous, j'arrive, je m'adresse à
Marton, sa suivante, pour être introduit. -- Madame, me
dit-elle, n'a pas dormi de la nuit, elle a eu une migraine
affreuse, elle est encore couchée. -- Dieux! m'écriai-je,
encore couchée, une migraine, quel contretemps, je m'étais
flatté du bonheur de la voir. -- Elle s'en flattait aussi. -- Et
il faut que je me retire... -- Je ne dis pas cela; si vous
voulez monter, vous êtes le maître, mais ne faites pas de
bruit, parlez bas de peur d'ébranler sa tête.

Alors elle sort, je la suis et je monte sur la pointe du pied;
elle ouvre la chambre de sa maîtresse, m'introduit, se retire
et emporte la clef. A la faible clarté que laissaient pénétrer
les persiennes aux trois quarts fermées, j'aperçus la belle
Adèle, mollement étendue sur un lit élégant; un corset
négligemment noué par une échelle de rubans gris de lin
renfermait à demi la neige élastique de son sein, son mouchoir
transparent, dérangé par les mouvements de la nuit, laissait
voir une fraise vermeille; des cheveux s'échappant de dessous
un bonnet en dentelle tombaient en boucles flottantes sur son
cou d'ivoire, avec lequel leur couleur d'ébène contrastait
merveilleusement; une légère couverture de soie avec draps de
Frise, se collant sur son beau corps, en dessinait les
agréables contours. Je m'approchai d'elle avec tout
l'empressement de l'amour et de la timidité qu'inspire le
respect (j'étais novice encore). -- Ah! c'est vous, monsieur,
me dit-elle d'une voix qu'elle s'efforçait de rendre faible;
convenez que j'ai bien peu de coquetterie de vous recevoir
dans l'état d'abattement où je me trouve. -- Ah! madame, il
ajoute le plus vif intérêt à l'ivresse que vos charmes sont
sûrs d'inspirer. -- Vous me flattez, voyez comme j'ai les yeux
battus. Je saisis sa main que je couvris de baisers, et fixant
ses yeux soi-disant battus: -- Ce n'est pas le cas, lui dis-je,
où les battus payent l'amende, mon coeur qu'ils ravissent en
est la preuve. Et je dérobai un baiser. -- Finissez donc,
monsieur, n'abusez pas de la confiance que j'ai dans votre
sagesse. Et elle se débattit avec une charmante maladresse qui
me découvrit de nouveaux charmes. -- Si quelqu'un entrait,
qu'est-ce qu'on penserait. Marton! Marton! Comment, elle n'est
pas là?... elle est redescendue! l'imprudente... mais si
quelque autre... elle a emporté la clef. Ah! comme je la
gronderai!... quelle idée lui a pris! en vérité, elle me met
dans une position bien étrange. -- Elle vous met à même de me
rendre le plus heureux des hommes, si vous êtes sensible à
l'amour le plus tendre. Et je voulus prendre quelques
libertés. -- Ah! monsieur, il serait atroce d'abuser de la
faiblesse où me jette ma migraine; je suis presque mourante,
et vous... laissez-moi donc, je sens bien votre main. -- Oh!
l'heureuse migraine! qu'elle vous sied bien! elle ajoute
encore à votre fraîcheur. -- Ah! quelle audace! je suis presque
toute découverte... Non, monsieur, arrêtez... je ne suis pas
femme à souffrir... Je n'écoutais plus rien et mes mains
actives parcouraient les plus rares trésors; j'avais déjà un
genou dans le lit et j'allais m'élancer pour le partager avec
elle, quand me repoussant et se retournant vivement, elle
saisit le cordon de la sonnette; effrayé et craignant de
l'offenser, je fis un saut du lit à la cheminée pour réparer
le désordre de ma toilette, en cas que ses gens arrivassent et
je proférai selon l'usage, les mots: d'ingrate, de cruelle,
etc., quand, partant d'un éclat de rire, elle dit: -- Bon, je
suis sauvée, il ne sait pas que ma sonnette est rompue. Je ne
fis qu'un saut pour aller reprendre ma place dans le lit; elle
ne fit plus de résistance que pour la forme, j'usai
d'autorité, elle se soumit à l'impérieuse nécessité, et
bientôt nos soupirs confondus exprimèrent la vivacité de nos
plaisirs. À peine eus-je atteint le but, que je fournis une
nouvelle carrière, et avant de nous séparer je la rendis six
fois heureuse et je l'avais été cinq. J'obtins le nom de son
aimable dragon, et elle me remit une clef de son appartement
dont je faisais usage toutes les nuits jusqu'à ce que de
nouveaux ordres nous firent quitter ces délicieuses contrées.

Nous applaudîmes au récit de Valbouillant, et ils exaltèrent
sa valeur; la signora Magdalani lui demanda quelles limites il
croyait qu'on devait fixer aux exploits amoureux. -- Je ne puis
les assigner avec précision, et des traits comme les vôtres
sont bien faits pour les reculer. -- Cela est bien honnête,
mais quel est le plus grand effort que vous ayez fait? -- C'est
à Bruxelles, dit-il, je revenais de l'armée, j'avais fait une
longue abstinence, et je m'adressai à un honnête domestique de
louage, qui m'avait servi de bonneau, lors de mon dernier
voyage; il me fit connaître une danseuse, nommée Aurore, qui
ne pouvait pas me recevoir chez elle, étant entretenue par un
vieil officier autrichien fort jaloux, mais qui vint souper
avec moi chez un traiteur. Nous n'avions pour meuble qu'un
grand fauteuil à crémaillère, comme il s'en trouve quelquefois
dans le corps de garde; je convins de deux louis pour la
soirée: nous fîmes un assez bon repas, on nous servit plat à
plat et nous faisions un entr'acte sur le fauteuil à chaque
mets qu'on nous enlevait, et en quatre heures et demie nous
avions mangé neuf plats et aucun entr'acte n'avait manqué;
aussi la généreuse fille voulait-elle me rendre mon argent.
L'évêque s'écria: -- Voilà le désintéressement le plus marqué,
ou le triomphe du tempérament sur l'avarice; il contraste
merveilleusement avec le désespoir de la vieille Sara. -- La
grosse marchande de plaisir? dit Valbouillant. -- Précisément.

L'approche de sa main allait me rendre ma gloire, quand la
cloche du dîner nous rappela dans la salle à manger. Le repas
fut gai, l'évêque y établit une table mécanique comme celle
que Louis XV, de lubrique mémoire, avait fait faire à Choisy,
pour éloigner des yeux des domestiques le cynisme de ses
orgies; au dessert, sur l'avis de l'évêque, renonçant aux
pompes humaines, nous quittâmes tous les ornements de luxe, et
nous achevâmes le repas en peau, de la manière que Ravennes
nous dit qu'il s'en faisait chez le régent.


Ici se trouve une lacune très longue dans le manuscrit de
cette édifiante et véridique histoire; si nous pouvons la
combler, nous nous hâterons d'en faire part au public.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Hic et Hec" ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home