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Title: Gamiani - ou Une nuit d'excès
Author: Musset, Alfred de, 1810-1857
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Gamiani - ou Une nuit d'excès" ***


[Transcriber's note: Alfred de Musset (1810-1857)],
_Gamiani ou Une nuit d'excès_ (1833) édition de 1833

A French classic erotic story]



Opinion de l'auteur anonyme [peut-être Joris-Karl Huysmans] de
la préface de _Gamiani_ édition de 1876:

"Tout le monde sait que Musset se trouvant, une nuit, à souper
en joyeuse compagnie, paria - à l'heure où les bougies font
éclater leurs collerettes de cristal - qu'en évitant toute
expression crue ou érotique, il écrirait à l'encontre des
Anciens, le volume le plus _Cela_ que l'on pourrait rêver dans
ce genre! Inutile de dire qu'il gagna son pari."


Opinion de l'auteur anonyme [Jules Gay] de la _Bibliographie
des ouvrages relatifs à l'amour, aux femmes, au mariage et des
livres facétieux pantagruéliques, scatologiques, satyrique par
M. Le C. D'I***_:

"Dans _Gamiani_, la passion domine tout en souveraine, passion
complexe de l'esprit, du coeur et des sens arrivant au
paroxysme de la fièvre hystérique, à la folie et même jusqu'au
crime. Cette production étrange restera pour compléter la
littérature d'une époque qui a fourni tant d'oeuvres
excentriques dans tous les genres. Après avoir répétés les
on-dit sur l'auteur présumé de cet ouvrage, nous nous permettons
d'ajouter que la première partie nous parait écrite
d'abondances sous l'inspiration d'un récit ou d'un souvenir.
Il n'en est pas de la deuxième, dont le style est plus
travaillé, l'action plus extravagante, et semble tout à fait
rentrer dans le domaine de la collaboration; on y sent l'effet
de l'imagination qui cherche à s'échauffer et ne parvient à
produire que l'horrible. La première partie en question est
l'oeuvre de Musset; mais la seconde partie, celle qui concerne
les femmes, est attribuée à la personne à laquelle fait
allusion le roman de _Lui et Elle_ de M.  Paul de Musset [i.e.
George Sand]."


Opinion de l'auteur anonyme [PH. J. .G. B. i.e. Vital-Puisant]
de la _Notice anecdotico-bibliographique sur le Gamiani d'Alfred
de Musset_ (1874):

"Quelque temps après la Révolution de 1830, une dizaine de
jeunes gens, pour la plupart destinés à devenir célèbres dans
les lettres, la médecine ou le barreau, se trouvaient réunis
dans un des plus brillants restaurants du Palais-Royal. Les
reliefs d'un splendide souper et le nombre de flacons vides
témoignaient en faveur du robuste estomac, et partant, de la
gaieté des convives. On était arrivé au dessert, et tout en
faisant pétiller le champagne, on avait épuisé la conversation
sur la politique d'abord, et ensuite sur les mille sujets à
l'ordre du jour à cette époque. La littérature devait
nécessairement avoir son tour. Après avoir passé en revue les
divers genres d'ouvrages qui, depuis l'antiquité, ont tour à
tour été l'objet d'une admiration plus ou moins passagère, on
en vint à parler du genre érotique. Aussi, depuis les
_Pastorales_ de Longus, jusqu'aux cruautés luxurieuses du
Marquis de Sade, depuis les _Epigrammes_ de Martial et les
_Satires_ de Juvénal jusqu'aux _Sonnets_ de I'Arétin, tout fut
passé en revue. Après avoir comparé la liberté d'expression de
Martial, Properce, Horace, Juvénal, Térence, en un mot, des
auteurs latins, avec la gêne que s'étaient imposée les divers
écrivains érotiques français, quelqu'un fut amené à dire qu'il
était impossible d'écrire un ouvrage de ce genre sans appeler
les choses par leur nom; l'exemple de La Fontaine était une
exception; que, d'ailleurs la poésie française admettait ces
sortes de réticences et savait même, par la finesse et une
heureuse tournure de phrase, s'en créer un charme de plus,
mais qu'en prose on ne pouvait rien produire de passionné ni
d'attrayant. Un jeune homme qui, jusqu'alors, s'était contenté
d'écouter la conversation d'un air rêveur, sembla s'éveiller à
ces derniers mots, et prenant la parole: Messieurs, dit-il, si
vous consentez à vous réunir de nouveau ici, dans trois jours,
j'espère vous convaincre qu'il est facile de produire un
ouvrage de très haut goût sans employer les grossièretés qu'on
a coutume d'appeler des naïvetés chez nos bons aïeux, tels que
Rabelais, Brantôme, Béroalde de Verville, Bonaventure Des
Periers et tant d'autres, chez lesquels l'esprit gaulois
brillerait d'un éclat tout aussi vif, s'il était débarrassé
des mots orduriers qui salissent notre vieux langage. La
proposition fut acceptée par acclamation, et trois jours
après, notre jeune auteur apportait le manuscrit de l'ouvrage
que nous présentons aux amateurs. Chacun des assistants voulut
en posséder une copie, et l'indiscrétion de l'un d'entre eux
permit à un éditeur étranger de l'imprimer, en 1833, dans le
format in-4° et orné de grandes gravures coloriées. (...) A
l'époque de la publication de cet ouvrage, des gens de lettres
très-sérieux et à même de ne point se tromper, ont prétendu
que l'illustre romancière contemporaine, qui écrit sous le nom
de *** *** [i.e. George Sand], avait collaboré avec Alfred de
Musset à la rédaction de ce roman de _haut goût_. Nous ne sommes
guère compétent pour nous poser en juge dans cette
attribution; si pourtant nous en référant à ce que l'on ajoute
sur ce sujet (cette dame avait la passion de l'amour lesbien)
nous ne serions pas taxé de témérité en accordant un certain
degré de foi à cette allégation."



Observation: Les éditions ultérieures de _Gamiani ou une nuit
d'excès_ sont intitulées _Gamiani ou deux nuits d'excès_.


Note: l'orthographe de l'édition 1833 a été conservée.



Gamiani

ou

UNE NUIT D'EXCES


Bruxelles

1833



Gamiani.



Minuit sonnait, et les salons de la Comtesse Gamiani
resplendissaient encore de l'éclat des lumières.

Les rondes, les quadrilles s'animaient, s emportaient aux sons
d'un orchestre enivrant. Les toilettes étaient merveilleuses,
les parures étincelaient.

Gracieuse, empressée, la maîtresse du bal semblait jouir du
succès d'une fête préparée, annoncée à grands frais. On la
voyait sourire agréablement à tous les mots flatteurs, aux
paroles d'usage que chacun lui prodiguait pour payer sa
présence.

Renfermé dans mon rôle habituel d'observateur, j'avais déjà
fait plus d'une remarque qui me dispensait d'accorder à la
Comtesse Gamiani le mérite qu'on lui supposait. Comme femme du
monde, je l'eus bientôt jugée, il me restait à disséquer son
être moral, à porter le scalpel dans les régions du coeur; et
je ne sais quoi d'étrange, d'inconnu, me gênait, m'arrêtait
dans mon examen. J'éprouvais une peine infinie à démêler le
fond de l'existence de cette femme dont la conduite
n'expliquait rien.

Jeune encore avec une immense fortune, jolie au goût du grand
nombre, cette femme sans parens, sans amis avoués, s'était en
quelque sorte individualisée dans le monde. Elle dépensait
seule, une existence capable, en toute apparence, de supporter
plus d'un partage

Bien des langues avaient glosé, finissant toujours par médire:
mais, faute de preuve, la Comtesse demeurait impénétrable.

Les uns l'appelaient une _Foedora_ (1) [(1) _Foedora_ - La femme
sans coeur, Roman de Balzac.], une femme sans coeur et sans
tempérament; d'autres lui supposaient une âme profondément
blessée et qui veut désormais se soustraire aux déceptions
cruelles.

Je voulais sortir du doute: Je mis à contribution toutes les
ressources de ma logique; mais ce fut en vain, je n'arrivai
jamais à une conclusion satisfaisante.

Dépité, j'allais quitter mon sujet, lorsque, derrière moi, un
vieux libertin, élevant la voix, jeta cette exclamation: Bah!
c'est une Tribade.

Ce mot fut un éclair, tout s'enchaînait, s'expliquait, il n'y
avait plus de contradiction possible.

Une Tribade! Oh! ce mot retentit à l'oreille, d'une manière
étrange: puis, il élève en vous je ne sais quelles images
confuses de voluptés inouïes, lascives à l'excès. C'est la
rage luxurieuse, la lubricité forcenée, la jouissance horrible
qui reste inachevée.

Vainement j'écartai ces idées, elles mirent en un instant mon
imagination en débauche. Je voyais déjà la Comtesse nue, dans
les bras d'une autre femme, les cheveux épars, pantelante,
abattue et que tourmente encore un plaisir avorté.

Mon sang était de feu, mes sens grondaient, je tombai comme
étourdi sur un sopha.

Revenu de cette émotion, je calculai froidement ce que javais
à faire pour surprendre la Comtesse: il le fallait à tout
prix.

Je me décidai à l'observer pendant la nuit, à me cacher dans
sa chambre à coucher. La porte vitrée d'un cabinet de toilette
faisait face au lit. Je compris tout l'avantage de cette
position; et, me dérobant, à l'aide de quelques robes
suspendues, je me résignai patiemment à attendre l'heure du
Sabbat.

J'étais à peine blotti, que la Comtesse parut, appelant sa
Camériste, jeune fille au teint brun, aux formes accusées.

"Julie, je me passerai de vous ce soir. Couchez-vous.... ah!
si vous entendiez du bruit dans ma chambre, ne vous dérangez
pas, je veux être seule."

Ces paroles promettaient presque un Drame. Je m'applaudissais
de mon audace.

Peu-à-peu, les voix du salon s'affaiblirent, la comtesse resta
seule avec une de ses amies, Melle _Fanny_ B***. Toutes deux se
trouvèrent bientôt dans la chambre et devant mes yeux.

Fanny. Quel fâcheux contre-temps! la pluie tombe à torrents,
et pas une voiture.

Gamiani. Je suis désolée comme vous; par malencontre ma
voiture est chez le sellier.

"F. -- Ma mère sera inquiète.

"G. -- Soyez sans crainte, ma chère Fanny, votre mère est
prévenue, elle sait que vous passez la nuit chez moi. Je vous
donne l'hospitalité.

"F. -- Vous êtes trop bonne, en vérité. Je vais vous causer de
l'embarras.

"G. -- Dites, un vrai plaisir. C'est une aventure qui me
divertit...... je ne veux pas vous envoyer coucher seule dans
une autre chambre, nous resterons ensemble.

"F. -- Pourquoi? Je dérangerai votre sommeil.

"G. -- Vous êtes trop cérémonieuse.... voyons! Soyons comme
deux jeunes amies, comme deux pensionnaires."

Un doux baiser vint appuyer ce tendre épanchement.

"G. -- Je vais vous aider à vous deshabiller. Ma femme de
chambre est couchée, nous pouvons nous en passer....

"Comme elle est faite! heureuse fille! J'admire votre taille.

"F. -- Vous trouvez qu'elle est bien?

"G. -- Ravissante!

"F. -- Vous voulez me flatter....

"G. -- O merveilleuse! quelle blancheur! c'est à en être
jalouse.

"F. -- Pour celui-là, je ne vous le passe pas, franchement vous
êtes plus blanche que moi.

"G. -- Vous n'y pensez pas, enfant!... otez donc tout, comme
moi. Quel embarras! on vous dirait devant un homme. Là! voyez
dans la glace.... comme Pâris vous jetterait la pomme.
Friponne! elle sourit de se voir si belle. -- Vous méritez bien
un baiser sur votre front, sur vos joues, sur vos lèvres. Elle
est belle partout partout....."

La bouche de la comtesse se promenait, lascive, ardente sur le
corps de Fanny. Interdite, tremblante, Fanny laissait tout
faire et ne comprenait pas.

C'était bien un couple délicieux de volupté, de grâces,
d'abandon lascif, de pudeur craintive. On eut dit une Vierge,
une Ange, aux bras d'une Bacchante en fureur.

Que de beautés livrées à mon regard, quel spectacle à soulever
mes sens.

F. -- Oh! que faites-vous? laissez, Madame, je vous prie....

G. -- Non, non, ma Fanny, mon enfant ma vie, ma joie. Tu es
trop belle, vois-tu! je t'aime! je t'aime d'amour, je suis
folle!..."

Vainement l'enfant se débattait. Les baisers étouffaient ses
cris. Pressée, enlacée, sa résistance était vaine La comtesse
dans son etreinte fougueuse l'emportait sur son lit, l'y
jetait comme une proie à dévorer.

"F. -- Qu'avez-vous! O dieu! Madame; mais c'est affreux!.... Je
crie, laissez-moi.... vous me faites peur....."

Et des baisers plus vifs, plus pressés, répondaient à ces
cris. Les bras enlacaient plus fort, les deux corps n'en
faisaient qu'un.

"G. Fanny, à moi! à moi tout entière! viens! voila ma vie.
Tiens!.... c'est du plaisir.... comme tu trembles, enfant....
Ah! tu cèdes....

"F: -- C'est mal! C'est mal! vous me tuez.. ah!.... je meurs.

"G. -- Oui, serres-moi, ma petite, mon amour. Serres bien; plus
fort. Qu'elle est belle dans le plaisir!... Lascive!... tu
jouis, tu es heureuse... oh! Dieu!

Ce fut alors un spectacle étrange. La Comtesse, I'oeil en feu,
les cheveux épars, se ruait, se tordait sur sa victime que les
sens agitaient à son tour. Toutes deux se tenaient,
s'étreignaient avec force. Toutes deux se renvoyaient leurs
bonds, leurs élans, étouffaient leurs cris, leurs soupirs dans
des baisers de feu.

Le lit craquait aux secousses furieuses de la Comtesse.

Bientôt épuisée, abattue, Fanny laissa tomber ses bras. Pâle,
elle restait immobile comme une belle morte.

La Comtesse délirait. Le plaisir la tuait et ne l'achevait
pas. Furieuse, bondissante, elle s'élança au milieu de la
chambre, se roûla sur le tapis, s'excitant par des poses
lascives, bien follement lubriques, provoquant avec ses doigts
tout l'excès des plaisirs....

Cette vue acheva d'égarer ma tête.

Un instant, le dégoût, l'indignation m'avaient dominé; je
voulais me montrer à la Comtesse, l'accabler du poids de mon
mépris. Les sens furent plus forts que la raison. La chair
triompha superbe, frémissante. J'étais étourdi, comme fou. Je
m'élançai sur la belle Fanny, nû, tout en feu, pourpré,
terrible. Elle eut à peine le temps de comprendre cette
nouvelle attaque que, déjà triomphant, je sentais son corps
souple et frêle trembler, s'agiter sous le mien répondre à
chacun de mes coups. Nos langues se croisaient brûlantes,
acérées, nos âmes se fondaient dans une seule.

"F. -- Ah! Dieu!.... on me tue....."

A ces mots, la belle se raidit, soupire et puis retombe en
m'inondant de ses faveurs.

Ah Fanny, m'écriai-je, attends... à toi... ah!....

A mon tour, je crus rendre toute ma vie.

Quel excès!.... Anéanti, perdu dans les bras de Fanny, je
n'avais rien senti des attaques terribles de la Comtesse.

Rappelée à elle par nos cris, nos soupirs, transportée de
fureur et d'envie, elle s'était jetée sur moi pour m'arracher
à son amie. Ses bras m'étreignaient en me secouant, ses doigts
creusaient ma chair, ses dents mordaient.

Ce double contact de deux corps suant le plaisir, tout
brulants de luxure, me ravivait encore, redoublait mes désirs.

Le feu me touchait partout. Je demeurai ferme, victorieux au
pouvoir de Fanny; puis, sans rien perdre de ma position, dans
ce désordre étrange de trois corps se mêlant, se croisant,
s'enchevêtrant l'un dans l'autre, je parvins à saisir
fortement les cuisses de la Comtesse, à les tenir écartées au
dessus de ma tête.

"Gamiani! à moi! portez-vous en avant, ferme sur vos bras!

Gamiani me comprit, et je pus à loisir poser ma langue active,
dévorante sur sa partie en feu.

Fanny insensée, éperdue, caressait amoureusement la gorge
palpitante qui se mouvait au dessus d'elle.

En un instant la comtesse fut vaincue, achevée.

"G. Quel feu vous allumez! C'est trop...... grâce!... oh!....
quel jeu lubrique! vous me tuez.... Dieu! j'étouffe."

Le corps de la Comtesse retomba lourdement de côté comme une
masse morte.

Fanny plus exaltée encore, jette ses bras à mon cou, m'enlace,
me serre, croise ses jambes sur mes reins.

"F. -- Cher ami! à moi... tout à moi. Modère un peu...
arrête.... là.... ah!..... va plus vite... va donc..... oh! je
sens!... je nage!.... je......"

Et nous restâmes l'un sur l'autre étendus, raides, sans
mouvement; nos bouches entrouvertes, mêlées, se renvoyaient à
peine nos haleines presque éteintes.

Peu à peu nous revînmes. Tous trois nous nous relevâmes et
nous fûmes un instant à nous regarder stupidement....

Surprise, honteuse de ses emportements, la Comtesse se couvrit
à la hâte. Fanny se déroba sous les draps; puis comme un
enfant, qui comprend sa faute quand elle est commise et
irréparable, elle se mit à pleurer: la Comtesse ne tarda pas à
m'apostropher.

"G. -- Monsieur, c'est une bien misérable surprise. Votre
action n'est qu'un odieux guet-à-pens, une lâcheté infâme....
vous me forcez à rougir."

Je voulus me défendre,

"G. -- Oh! Monsieur, sachez qu'une femme ne pardonne jamais à
qui surprend sa faiblesse."

Je ripostai de mon mieux. Je déclarai une passion funeste,
irrésistible; que sa froideur avait désespérée, réduite à la
ruse, à la violence....

"D'ailleurs, ajoutai-je,

"Pouvez vous croire, Gamiani, que j'abuse jamais d'un secret
que je dois plus au hasard qu'à ma témérité. Oh! non, ce
serait trop ignoble. Je n'oublierai, de ma vie, l'excès de nos
plaisirs, mais j'en garderai pour moi seul le souvenir. Si je
fus coupable, songez que j'avais le délire dans le coeur, ou
plutôt ne gardez qu'une pensée, celle des plaisirs que nous
avons goûtés ensemble, que nous pouvons goûter encore.

M'adressant ensuite à Fanny, tandis que la Comtesse dérobait
sa tête, feignait de se désoler

"Calmez vous, Mademoiselle. Des larmes dans le plaisir! oh! ne
songez qu'à la douce félicité qui nous unissait tout à
l'heure; qu'elle reste dans vos souvenirs comme un rève
heureux, qui n'appartient qu'à vous, que vous seule savez. Je
vous le jure, je ne gâterai jamais la pensée de mon bonheur en
la confiant à d'autres."

La colère s'apaisa, les larmes se tarirent insensiblement,
nous nous retrouvâmes tous les trois entrelacés, disputant de
folies, de baisers, de caresses.... "Oh! mes belles amies, que
nulle crainte ne vienne nous troubler. Livrons-nous sans
réserve..... comme si cette nuit était la dernière A la joie,
à la volupté.

Et Gamiani de s'écrier: "Le sort en est jeté, au plaisir.
Viens Fanny..... baise donc, folle!.. tiens!... que je te
morde.... que je te suce; que Je t'aspire jusqu'à la moëlle.
Alcide, en devoir... Oh! le superbe animal! quelle
richesse!....

Vous l'enviez, Gamiani, à vous donc. Vous dédaignez ce
plaisir, vous le bénirez quand vous l'aurez bien goûté. Restez
couchée Portez en avant la partie que je vais attaquer. Ah!
que de beautés! quelle posture! Vîte, Fanny, enjambez la
Comtesse, conduisez vous-même cette arme terrible, cette arme
de feu; battez en brèche, ferme!. trop fort, trop vîte....
Gamiani!... ah..... vous escamotez le plaisir...."

La Comtesse s'agitait comme une possédée, plus occupée des
baisers de Fanny que de mes efforts. Je profitai d'un
mouvement qui dérangea tout, pour renverser Fanny sur le corps
de la Comtesse, pour l'attaquer avec fureur. En un instant,
nous fûmes tous les trois confondus, abîmés de plaisir.......

.................................

"G. -- Quel caprice, Alcide. Vous avez tourné subitement à
l'ennemi...... oh! je vous pardonne, vous avez compris que
c'était perdre trop de plaisir pour une insensible. Que
voulez-vous? j'ai la triste condition d'avoir divorcé avec la
nature. Je ne rève, je ne sens plus que l'horrible,
l'extravagant. Je poursuis l'impossible. Oh! C'est bien
affreux. Se consumer, s'abrutir dans des déceptions. Désirer
toujours, n'être jamais satisfaite. Mon imagination me
tue..... C'est être bien malheureuse!"

Il y avait dans tout ce discours une action si vive, une
expression si forte de désespoir, que je me sentis ému de
pitié. Cette femme souffrait à faire mal. -- "Cet état n'est
peut-être que passager Gamiani; vous vous nourrissez trop de
lectures funestes"

"G. -- Oh! non! non! ce n'est pas moi....

"Ecoutez: vous me plaindrez, vous m'excuserez peut-être.

"J'ai été élevée en Italie, par une tante restée veuve de
bonne heure. J'avais atteint ma quinzième année et je ne
savais, des choses de ce monde, que les terreurs de la
religion. Toute en Dieu, je passais ma vie à supplier le Ciel
de m'éviter les peines de l'Enfer.

"Ma tante m'inspirait ces craintes, sans les tempérer jamais
par la moindre preuve de tendresse. Je n'avais d'autre douceur
que mon sommeil. Mes jours passaient tristes comme les nuits
d'un condamné.

"Parfois seulement, ma tante m'appelait le matin dans son lit.
Alors, ses regards étaient doux, ses paroles flatteuses. Elle
m'attirait sur son sein, sur ses cuisses et m'étreignait
tout-à-coup dans des embrassements convulsifs; je la voyais se
torde, renverser sa tête et se pâmer avec un rire de folle.

"Epouvantée, je la contemplais, immobile, je la croyais
atteinte d'épilepsie.

"A la suite d'un long entretien qu'elle eut avec un Moine
franciscain, je fus appelée et le révérend père me tint ce
discours:

"Ma fille, vous grandissez. Déjà le démon tentateur peut vous
voir. Bientôt vous sentirez ses attaques. Si vous n'êtes pure
et sans tache, ses traits pourront vous atteindre; si vous
êtes exempte de souillure, vous resterez invulnérable. Par des
douleurs notre Seigneur a racheté le monde; par les
souffrances vous racheterez aussi vos propres péchés.
Préparez-vous à subir le martyr de la rédemption. Demandez à
Dieu la force et le courage nécessaires: ce soir vous serez
éprouvée.... Allez en paix, ma fille."


"Ma tante m'avait déjà parlé depuis quelques jours, de
souffrances, de tortures à endurer pour racheter ses péchés,
je me retirai, effrayée des paroles du Moine. -- Seule, je
voulus prier, m'occuper de Dieu, mais je ne pouvais voir que
l'image du supplice qui m'attendait.

"Ma tante vint me retrouver au milieu de la nuit. Elle
m'ordonna de me mettre nue, me lava de la tête aux pieds et me
fit prendre une grande robe noire serrée autour du cou et
entièrement fendue par derrière. Elle s'habilla de même et
nous partîmes de la maison en voiture.

"Au bout d'une heure, je me vis dans une vaste salle tendue de
noir, éclairee par une seule lampe suspendue au plafond.

"Au milieu s'élevait un prie-Dieu environne de coussins.

"Agenouillez-vous, ma Nièce: préparez-vous par la prière, et
supportez avec courage tout le mal que Dieu veut vous infliger

"J'avais à peine obéi, qu'une porte secrète s'ouvrit, un
Moine, vêtu comme nous, s'approcha de moi, marmota quelques
paroles: puis, écartant ma robe et faisant tomber les pans de
chaque côté, il mit à découvert toute la partie postérieure de
mon corps.

"Un léger frémissement échappa au Moine, extasié sans doute à
la vue de ma chair; sa main se promena partout, s'arrêta sur
mes fesses et finit par se poser plus bas.

"C'est par là que la femme pêche, c'est par là qu'elle doit
souffrir, dit une voix sépulchrale...

Ces paroles étaient à peine prononcées, que je me sentis
battue de verges, de noeuds de corde garnis de pointes en fer.
Je me cramponnai au prie-Dieu, je m'efforçai d'étouffer mes
cris, mais en vain, la douleur était trop forte. -- Je
m'élançai dans la salle, criant: Grâce! grâce! je ne puis plus
supporter ce supplice -- Tuez-moi plutôt. Pitié! je vous
prie......

"Misérable lâche, s'écria ma tante indignée; Il vous faut mon
exemple!

"A ces mots, elle s'exposa bravement toute nue, écartant les
cuisses, les tenant élevées.

"Les coups pleuvaient; le bourreau était impassible. En un
instant les cuisses furent en sang

"Ma tante restait inébranlable, criant par moments "plus
fort... ah!.... plus fort encore!.

Cette vue me transporta, je me sentis un courage surnaturel,
je m'écriai, que j'étais préte à tout souffrir.

"Ma tante se releva aussitôt et me couvrit de baisers
brulants, tandis que le Moine liait mes mains, plaçait un
bandeau sur mes yeux.

"Que vous dirai-je enfin. Mon supplice recommença, plus
terrible: Engourdie bientôt par la douleur, j'étais sans
mouvement, je ne sentais plus. Seulement, à travers le bruit
de mes coups, j'entendais confusément des cris, des éclats,
des mains frappant sur des chairs. C'étaient aussi des rires
insensés, rires nerveux, convulsifs, précurseurs de la joie
des sens. Par moment, la voix de ma tante, qui râlait la
volupté, dominait cette harmonie étrange, ce concert d'orgie,
cette saturnale de sang.

"Plus tard, j'ai compris que le spectacle de mon supplice
servait à réveiller des désirs; chacun de mes soupirs étouffés
provoquait un élan de volupté.

"Lassé sans doute, mon bourreau avait fini. Toujours immobile,
j'étais dans l'épouvante, résignée à mourir, et, cependant, à
mesure que l'usage de mes sens revenait, j'éprouvais une
démangeaison singulière mon corps frémissait, était en feu. Je
m'agitais lubriquement comme pour satisfaire un désir
insatiable. Tout-à-coup deux bras nerveux m'enlacent; je ne
savais quoi de chaud, de tendu, vint battre mes cuisses, se
glisser plus bas et me pénétrer subitement. A ce moment, je
crus être fendue en deux. Je poussai un cri affreux que
couvrirent aussitôt des éclats de rire. Deux ou trois
secousses terribles achevèrent d'introduire en entier le rude
fléau qui m'abîmait. Mes cuisses saignantes se collaient aux
cuisses de mon adversaire; il me semblait que nos chairs
s'entremêlaient pour se fondre en un seul corps Toutes mes
veines étaient gonflées, mes nerfs tendus. Le frottement
vigoureux que je subissais, et qui s'opérait avec une
incroyable agilité, m'échauffa tellement, que je crus avoir
reçu un fer rouge.

"Je tombai bientôt dans l'extase, je me vis au Ciel. Une
liqueur visqueuse et brûlante vint m'inonder rapidement,
pénétra jusqu'à mes os, chatouilla jusqu'à la moëlle.... oh!
c'était trop.... je fondais comme une lave ardente.... Je
sentais courir en moi un fluide actif dévorant, j'en
provoquais l'éjaculation par secousses furieuses et je tombai
épuisée dans un abîme sans fin de volupté inouïe.

F -- Gamiani, quelle peinture! vous nous mettez le diable au
corps.

"G. -- Ce n'est pas tout.

"Ma volupté se changea en douleur atroce. Je fus horriblement
brutalisée. Plus de vingt Moines se ruèrent à leur tour en
cannibales effrénés. Ma tête retomba de côté, mon corps brisé,
rompu, gisait sur les coussins, pareil à un cadavre. Je fus
emportée morte dans mon lit.

"F. -- Quelle cruauté infâme!

"G. -- Oh! oui, infâme et plus funeste encore.

"Revenue à la vie, à la santé, je compris l'horrible
perversité de ma tante et de ses horribles compagnons de
débauche, que l'image de tortures affreuses aiguillonnaient
seule encore. Je leur jurai une haîne mortelle et cette haîne,
dans ma vengeance au désespoir, je la portai sur tous les
hommes.

L'idée de subir leurs caresses m'a toujours révoltée. Je n'ai
pas voulu servir de vil jouet à leurs désirs.

"Mon tempérament était de feu, il fallut le satisfaire. Je ne
fus guérie plus tard de l'onanisme que par les doctes leçons
des filles du couvent de la rédemption. Leur science fatale
m'a perdue pour jamais."

Ici les sanglots étouffèrent la voix altérée de la Comtesse.

Les caresses ne pouvaient rien faire sur cette femme. -- Pour
faire diversion je m'adressai à Fanny.

Al. -- A votre tour, belle étonnée! vous voilà, en une nuit,
initiée à bien des mystères. Voyons! racontez nous comment
vous avez ressenti les premiers plaisirs des sens.

F. -- Moi! je n'oserai, je vous l'avoue.

Al -- Votre pudeur est au moins hors de saison.

F. -- Non, mais après le récit de la Comtesse, ce que je
pourrais dire serait trop insignifiant.

Al. -- Vous n'y pensez pas, pauvre ingénu! Pourquoi hésiter? ne
sommes nous pas confondus par le plaisir et les sens. Nous
n'avons plus à rougir. Nous avons tout fait, nous pouvons tout
dire.

G. -- Voyons, ma belle, un baiser, deux, cent s'il le faut,
pour vous décider. Et Alcide, comme il est amoureux! vois! il
te menace.

F. -- Non, non, laissez, Alcide, je n'ai plus de force, Grâce!
je vous prie..... Gamiani que vous êtes lubrique..... Alcide
ôtez-vous.... oh!....

Al. -- Pas de quartier, morbleu! ou Curtius se précipite
tout-armé, ou vous allez nous donner l'Odyssée de votre pucelage.

F. -- Vous m'y forcez....

G. et Al. -- Oui. Oui.

F. -- Je suis arrivée à 15 ans, bien innocente, je vous jure.
Ma pensée même ne s'était jamais arrêtée sur tout ce qui tient
à la différence des sexes.

Je vivais insouciante, heureuse, sans doute; lorsqu'un jour de
grande chaleur, étant seule à la maison, j'éprouvai comme un
besoin de me dilater de me mettre à l'aise.

Je me deshabillai, je m'étendis presque nue sur un divan....
oh! j'ai honte!.... Je m'allongeais, j'écartais mes cuisses,
je m'agitais en tous les sens. A mon insu, je formais les
postures les plus indécentes.

L'étoffe du divan était glacée. Sa fraîcheur me causa une
sensation agréable, un frôlement voluptueux par tout le corps.
Oh! comme je respirais librement, entourée d'une atmosphère
tiède, doucement pénétrante. Quelle volupté suave et
ravissante! j'étais dans une délicieuse extase. Il me
semblait, qu'une vie nouvelle inondait mon être, que j'étais
plus forte, plus grande, que j'aspirais un souffle divin, que
je m'épanouissais aux rayons d'un beau Ciel!

Alc. -- Vous êtes poëtique, Fanny.

F. -- Oh! je vous décris exactement mes sensations Mes yeux
erraient complaisamment sur moi, mes mains volaient sur mon
cou, sur mon sein. Plus bas, elles s'arrêtèrent et je tombai
malgré moi dans une rêverie profonde.

Les mots d'amour, d'amant, me revenaient sans cesse avec leur
sens inexplicable. Je finis par me trouver seule. J'oubliais
que j'avais des parents, des amis, j'éprouvai un vide affreux.

Je me levai, regardant tristement autour de moi.

Je restai quelque temps pensive, la tête melancoliquement
penchée, Les mains jointes, les bras pendants. Puis,
m'examinant, me touchant de nouveau; je me demandai si tout
cela n'avait pas un but, une fin.... Jnstinctivement je
comprenais qu'il me manquait quelque chose, que je ne pouvais
définir, mais que je voulais, que je désirais de toute mon
âme.

Je devais avoir l'air égaré, car je riais parfois
frénétiquement; mes bras s'ouvraient comme pour saisir l'objet
de mes voeux; j'allais jusqu'à m'étreindre moi-même. Je
m'enlacais, je me caressais, il me fallait absolument une
réalité, un corps à saisir, à presser; Dans mon étrange
hallucination, je m'emparais de moi-même, croyant m'attacher à
un autre.

A travers les vitraux, on découvrait au loin les arbres, les
gazons, et j'étais tentée d'aller me roûler à terre, ou de me
perdre aërienne dans les feuilles. Je contemplais le Ciel, et
j'aurais voulu voler dans l'air, me fondre dans l'azur, me
mêler aux vapeurs, au Ciel, aux Anges.

Je pouvais devenir folle: mon sang refluait brûlant vers ma
tête.

Eperdue, transportée, je m'étais précipitée sur les coussins.
J'en tenais un serré entre mes cuisses, j'en pressais un autre
dans mes bras; je le baisais follement, je l'entourais avec
passion, je lui souriais même, je crois, tant j'étais ivre,
dominée par les sens. Tout-à-coup, je m'arrête, je frémis, il
me semble que je fonds, que je m'abîme. ah! m'écriai-je; mon
Dieu! ah! ah! et je me relevai subitement, épouvantée.

J'étais toute mouillée.

Ne pouvant rien comprendre a ce qui m'était arrivé, je crus
être blessée, j'eus peur. Je me jetai à genoux, suppliant Dieu
de me pardonner si j'avais fait mal.

Alc. -- Aimable innocente! vous n'avez confié à personne ce qui
vous avait si fort effrayée?

F. -- Non! Jamais! je ne l'aurais pas osé. J'étais encore
ignorante, il y a une heure; vous m'avez révélé le mot de la
Charade.

Alc. O! Fanny! cet aveu me met au comble de la félicité. Mon
amie, reçois encore cette preuve de mon amour. -- Gamiani,
excitez-moi, que j'inonde cette jeune fleur, de la rosée
Céleste.

G . -- Quel feu, quelle ardeur, Fanny, tu te pames déjà.... oh!
elle jouit.... elle jouit....

F. -- Alcide! Alcide!... J'expire,..... je.....

Et la douce volupté nous abîmait d'ivresse, nous portait tous
les deux au Ciel.

Après un instant de repos, calme des sens, je parlai moi-même
en ces termes:

Je suis né de parens jeunes et robustes. Mon enfance fut
heureuse, exempte de pleurs et de maladie. Aussi, des l'âge de
13 ans, étais-je un homme fait. Les aiguillons de la chair se
faisaient déjà vivement sentir

Destiné à l'état ecclésiastique, élevé dans toute la rigueur
des principes de chastete, je combattais de toutes mes forces
les premiers désirs des sens. Ma chair s'éveillait, s'irritait
puissante, impérieuse et je la macérais impitoyablement.

Je me condamnais au jeune le plus rigoureux. La nuit, dans mon
sommeil, la nature obtenait un soulagement, et je m'en
effrayais comme d'un désordre dont j'étais coupable. Je
redoublais d'abstinence et d'attention à écarter une main
funeste. Cette opposition, ce combat intérieur, finirent par
me rendre lourd et comme hébété. Ma continence forcée porta
dans tous mes sens une sensibilité, ou plutôt une irritation
que je n'avais jamais sentie.

J'avais souvent le vertige. Il me semblait que les objets
tournaient et moi avec eux. Si une jeune femme s'offrait par
hazard à ma vue, elle me paraissait vivement enluminée et
resplendissante d'un feu pareil à des étincelles électriques.

L'humeur échauffée de plus en plus, et trop abondante, se
portait dans ma tête et les parties de feu dont elle était
remplie, frappant vivement contre la vitre de mes yeux, y
causait une sorte de mirage éblouissant.

Cet état durait depuis plusieurs mois, lorsqu'un matin, je
sentis tout-à-coup dans tous mes membres une contraction et
une tension violentes, suivies d'un mouvement affreux et
convulsif pareil à ceux qui accompagnent ordinairement des
transports épileptiques...... Mes éblouissements lumineux
revinrent avec plus de force que jamais.... je vis d'abord un
cercle noir tourner rapidement devant moi, s'agrandir et
devenir immense: une lumière vive et rapide s'échappa de l'axe
du cercle et remplit de lumière toute l'étendue.

Je découvrais un horizon sans fin; de vastes cieux enflammés,
traversés par mille fusées volantes qui toutes retombaient
éblouissantes en pluie dorée, en étincelles de saphir,
d'émeraude et d'azur.

Le feu s'éteignit, un jour bleuâtre et velouté vint le
remplacer: Il me semblait que je nageais dans une lumière
limpide et douce, suave comme un pâle reflet de la Lune dans
une belle nuit d'été. et, voilà que du point le plus éloigné,
accourent à moi, vaporeuses, aëriennes comme un essaim de
papillons dorés, des myriades infinies de jeunes filles nues,
éblouissantes de fraîcheur, transparentes comme des statues
d'albâtre.

Je m'élançais devant mes Sylphides, mais elles s'échappaient
rieuses et folâtres. Leurs groupes délicieux se fondaient un
instant dans l'azur et puis reparaissaient plus vifs, plus
joyeux. Bouquets charmants de figures ravissantes qui toutes
me donnaient un fin sourire, un regard malicieux.

Peu-à-peu, les jeunes filles s'éclipsèrent. alors, vinrent à
moi des femmes dans l'âge de l'amour et des tendres passions.

Les unes vives, animées, au regard de feu, aux gorges
palpitantes: les autres pâles et penchées, comme des vierges
d'Ossian. Leurs corps frêles, voluptueux, se dérobaient sous
la gaze. Elles semblaient mourir de langueur et d'attente:
elles m'ouvraient leurs bras et me fuyaient toujours.

Je m'agitais lubriquement sur ma couche; je m'élevais sur mes
jambes et mes mains, secouant frénétiquement mon glorieux
Priape. Je parlais d'amour, de plaisir. dans les termes les
plus indécents,: -- mes souvenirs classiques se mêlant un
instant à mes rêves; je vis Jupiter en feu, Junon maniant sa
foudre; je vis tout l'Olympe en rut dans un désordre, un pèle-mèle
étranges; après, j'assistai à une orgie, une bacchanale
d'enfer: Dans une caverne sombre et profonde, éclairée par des
torches puantes, aux lueurs rougeâtres; des teintes bleues et
vertes se refluaient hideusement sur les corps de cent Diables
aux figures de bouc, aux formes grotesquement lubriques.

Les uns lancés sur une escarpolette, superbement armés,
allaient fondre sur une femme, la pénétraient subitement de
tout leur dard et lui causaient l'horrible convulsion d'une
jouissance rapide, inattendue. D'autres, plus lutins,
renversaient une prude, la tête en bas, et tous, avec un rire
fou, à l'aide d'un mouton, lui enfonçaient un riche priape de
feu, lui martelant à plaisir l'excès des voluptés. On en
voyait encore quelques-uns, la mèche en main, allumant un
canon d'où sortait un membre foudroyant que recevait
inébranlable, les cuisses écartées, une Diablesse frénétique.

Les plus méchants de la bande attachaient une Messaline par
les quatre membres et se livraient devant-elle à toutes les
joies, aux plaisirs les plus expressifs. La malheureuse se
tortillait, furieuse écumante, avide d'un plaisir qui ne
pouvait lui arriver


Cà et là, mille petits Diabloteaux, plus laids, plus
sautillants, plus rampants les uns que les autres, allaient,
venaient, suçant, pinçant, mordant, dansant en rond, se mêlant
entr'eux. Partout, c'étaient des rires, des éclats, des
convulsions, des frénésies, des cris, des soupirs, des
évanouissements de volupté.

Dans un espace plus élevé, les diables du premier rang se
divertissaient jovialement à parodier les mystères de notre
sainte religion

Une Nonne toute nue, prosternée, l'oeil béatifiquement tourné
vers la voûte, recevait avec une dévotieuse ardeur la blanche
communion que lui donnait, au bout d'un fort honnête
goupillon, un grand diable crossé, mîtré tout à l'envers. Plus
loin, une Diablotine recevait à flots sur son front le baptême
de vie; tandis qu'une autre, feignant la moribonde, était
expédiée avec une effroyable profusion de Saint Viatique.

Un maître diable, porté sur quatre épaules, balançait
fièrement la plus énergique démonstration de sa jouissance
érotico-satanique et, dans ses moments d'humeur répandait a
flots la liqueur bénite. Chacun se prosternait à son passage.
C'était la procession du Saint Sacrement.

Mais voilà qu'une heure sonne, et aussitôt, tous les Diables
s'appellent, se prennent par la main et forment une ronde
immense.

Le branle se donne; ils tournent, s'emportent, volent comme
l'éclair.

Les plus faibles succombent dans ce tournoiement rapide, ce
galop insensé. Leur chute fait culbuter les autres, ce n'est
plus qu'une horrible confusion, un pèle-mèle affreux
d'enclavements grotesques, d'accouplements hideux. Cahos
immonde de corps abîmés, tout tâchés de luxure, que vient
dérober une fumée épaisse.

G. -- Vous brodez à merveille, Alcide, votre rève irait bien
dans un livre....

Alc. -- Que voulez-vous? il faut passer la nuit... Ecoutez
encore, la suite n'est plus que réalité.

Lorsque je fus revenu de ces accès terribles, je me sentis
moins lourd, mais plus abattu. Trois femmes jeunes encore et
vêtues d'un simple peignoir blanc, étaient assises près de mon
lit. Je crus que mon vertige durait encore, mais on m'apprit
bientôt que mon Médecin, comprenant ma maladie, avait jugé à
propos de m'appliquer le seul remède qui m'était convenable.

Je pris d'abord une main blanche et potelée que je couvris de
baisers. Une lèvre fraîche et rose vint se poser sur ma
bouche. Ce contact délicieux m'électrisa. J'avais toute
l'ardeur d'un fou égaré.

"O mes belles amies! m'écriai-je, je veux être heureux,
heureux à l'excès, je veux mourir dans vos bras. Prêtez-vous à
mes transports, à ma folie"

Aussitôt, je jette loin de moi ce qui me couvre encore, je
m'étends sur mon lit. Un coussin placé sous mes reins me tient
dans la position la plus avantageuse. Mon Priape se dresse
superbe, radieux.

"Toi, brune piquante, à la gorge si ferme et si blanche,
sieds-toi au pied du lit, les jambes étendues près des
miennes. Bien! porte mes pieds sur ton sein, frotte-les
doucement sur tes jolis boutons d'amour, -- à ravir! oh! tu es
délicieuse.

La blonde aux yeux bleus, à moi! tu seras ma reine.... viens
te placer à cheval sur le trône. Prends d'une main le sceptre
enflammé, cache-le tout-entier dans ton empire.... Ouf! pas si
vite. Attends... sois lente, cadencée, comme un Cavalier au
petit trôt. Prolonge le plaisir.

Et toi, si grande, si belle, aux formes ravissantes, enjambe
ici par dessus ma tête.... à merveille! tu me devines. Ecarte
bien les cuisses.... Encore! que mon oeil puisse bien te voir,
ma bouche te dévorer, ma langue te pénétrer à loisir. Que
fais-tu droite et debout? abaisse toi donc, donne ta gorge à
baiser.....

"A moi! à moi! lui dit la brune, (en lui montrant sa langue
agile, aigue comme un stylet de Venise) viens! que je mange
tes yeux, ta bouche. Je t'aime de la sorte. Oh! Lubrique...
Mets ta main là.... va! doucement! doucement!..

Et voilà que chacun se meut, s'agite, s'excite au plaisir.

Je dévore des yeux cette scène animée, ces mouvements lascifs,
ces poses insensées. Les cris, les soupirs se croisent, se
confondent: bientôt le feu circule dans mes veines. Je
frissonne tout-entier. Mes deux mains battent une gorge
brûlante, ou se portent frénétiques, crispées, sur des charmes
plus secrets encore. Ma bouche les remplace. Je suce
avidement, je ronge, je mords. On me crie d'arrêter, que je
tue, et je redouble encore.

Cet excès m'acheva. Ma tête retomba lourdement. Je n'avais
plus de force. "-- Assez! assez! criai-je: oh! mes pieds! quel
chatouillement voluptueux. Tu me fais mal...... tu me crispes
mes nerfs se tendent, se tordent.... oh. --"

-- Je sentais le délire approcher une troisième fois Je poussai
avec fureur. Mes trois belles perdirent à la fois l'équilibre
et leurs sens. Je les reçus dans mes bras, pamées, expirantes
et je me sentis abîmé, inondé.

Joies du Ciel ou de l'Enfer! c'étaient des torrens de feu qui
ne finissaient pas.

"G. -- Quels plaisirs vous avez goûtés, Alcide, oh! je les
envie -- Et toi, Fanny: l'insensible! elle dort, je crois.

F. -- Laissez-moi, Gamiani, ôtez votre main, elle me pèse. Je
suis accablée.... morte... Quelle nuit! Mon Dieu!...
Dormons.... je.....

La pauvre enfant baillait, se détournait, se dérobait toute
petite dans un coin du lit.

Je voulus la ramener

"Non, non, me dit la Comtesse; je comprends ce qu'elle
éprouve. Pour moi, je suis d'une humeur bien autre que la
sienne. Je sens une irritation.... Je suis tourmentée, je
désire! oh! voyez-vous! j'en veux jusqu'à rester morte......
vos deux corps qui me touchent, vos discours, nos fureurs,
tout cela m'excite, me transporte. J'ai l'enfer dans l'esprit,
j'ai le feu dans le corps. Je ne sais qu'inventer, -- oh! rage!

"Alc. -- Que faites vous, Gamiani? vous vous levez?

G. -- Je n'y tiens plus, je brule... je voudrais... Mais
fatiguez moi donc. Qu'on me presse, qu'on me batte.... Oh! ne
pas jouir......

Les dents de la Comtesse claquaient avec force: ses yeux
roulaient effrayants dans leur orbite. Tout en elle s'agitait,
se tordait, c'était horrible à voir.

Fanny se releva, saisie, épouvantée. Pour moi, je m'attendais
à une attaque de nerfs.

En vain, je couvrais de baisers les parties les plus tendres.
Mes mains étaient lasses de torturer cette furie indomptable.
Les canaux spermatiques étaient fermés ou épuisés. J'amenais
du sang, et le délire n'arrivait pas.

"G. -- Je vous laisse, dormez!"

A ces mots, Gamiani s'élance hors du lit, ouvre une porte et
disparait....

Alc. -- que veut-elle? comprenez-vous Fanny?

F. -- Chut, Alcide, écoutez.... quels cris!....

"Elle se tue.... Dieu! la porte est fermée.... Ah! elle est
dans la chambre de Julie. Attendez il y a là une ouverture
vitrée, nous pourrons tout voir. Approchez le canapé, voici
deux chaises, montez."

Quel spectacle! à la lueur d'une veilleuse pâle, vacillante,
la Comtesse, les yeux horriblement tournés de coté, une salive
écumeuse sur les lèvres, du sang, du sperme le long des
cuisses, se roulait en rugissant sur un large tapis de peaux
de chat (1) [(1) La peau du Chat, comme on le sait, excite
singulièrement, à cause sans doute de la grande quantité
d'électricité qu'elle contient. Les Femmes de Lesbos, s'en
servaient toujours dans leurs saturnales.]. Ses reins
frottaient le poil avec une agilité sans pareille. Par moment,
la Comtesse agitait ses jambes en l'air, se soulevait presque
droite sur sa tête, exposant tout son dos à notre vue, pour
retomber ensuite avec un rire affreux.

G. "Julie, à moi! viens! ma tête tourne.... Ah! damnée folle,
je vais te mordre,"

Et Julie nue aussi, mais forte, puissante, s'emparait des
mains de la Comtesse, les liait ensemble, ainsi que les pieds.

L'excès fut alors à son comble, la convulsion m'épouvantait.

Julie, sans marquer le moindre étonnement, dansait, sautait
comme une folle, s'excitant au plaisir se renversai pamée sur
un fauteuil.

La Comtesse suivait de l'oeil tous ses mouvements. Son
impuissance à tenter les mêmes fureurs, à goûter la même
ivresse, redoublait encore sa rage: C'était bien un Promethée
femelle déchiré par cent vautours a la fois.

G. -- Médor! Médor! prends moi! Prends!

A ce cri un chien énorme sort d'une cache, s'élance sur la
Comtesse et se met en train de lécher ardemment un clitoris
dont la pointe sortait rouge et enflammée.

La Comtesse criait à haute voix: hai! hai! hai! forçant
toujours le ton à proportion de la vivacité du plaisir. On
aurait pu calculer les gradations du chatouillement que
ressentait cette effrénée Calymanthe (1) [(1) Thyade fougueuse
que la Mythologie représente se livrant aux bêtes.]

G. -- Du lait! du lait! Oh! du lait!

Je ne pouvais comprendre cette exclamation, véritable cri de
détresse et d'agonie, lorsque Julie parut armée d'un énorme
godmiché rempli d'un lait chaud, qu'un ressort faisait à
volonté jaillir à six pas. Au moyen de deux courroies, elle
s'adapte, à la place voulue, l'ingénieux instrument. Le plus
généreux étalon, dans toute sa puissance, ne se fut pas
montré, en grosseur du moins, avec plus d'avantage. Je ne
pouvais croire, qu'il y aurait introduction, lorsqu'à ma
grande surprise, cinq ou six attaques forcenées, au milieu de
cris aigus et déchirants, suffirent pour engloutir et dérober
cette énorme machine. La Comtesse souffrait comme une damnée:
raide, sans mouvement, pareille à un marbre, on eut dit la
Cassandre de Casani (1) [(1) Statue qui représente Cassandre
violée par les soldats d'Ajax, et remarquable surtout par une
expression de douleur horrible.]

Le va-et-vient s'opérait avec une habileté consommée, lorsque
Médor dépossédé, et toujours docile à sa leçon, se jette
incontinent sur la mâle Julie, dont les cuisses entr'ouvertes
et en mouvement, laissaient à découvert le plus délicieux
régal. Médor fit tant-et-si bien, que Julie s'arrêta
subitement, se pâma abîmée de plaisir.

Cette jouissance doit être bien forte, car son expression chez
une femme, n'a rien de pareil.

Irritée d'un retard qui prolongeait sa douleur et différait
son plaisir, la malheureuse Comtesse jurait, maugréait comme
une perdue.

Revenue à elle, Julie recommence bientôt et avec plus de
force. A une secousse fougueuse de la Comtesse, à ses yeux
clos, à sa bouche béante, elle comprend que l'instant
approche, son doigt lache le ressort.

G. Ah! ah!... arrête... je fonds.... hai! hai! je jouis!....
oh!....................

....................................

Infernale lubricité!..... je n'avais plus la force de m'ôter
de ma place. Ma raison était perdue, mes regards fascinés.

Ces transports furibonds, ces volontés brutales me donnaient
le vertige. Il n'y avait plus en moi qu'un sang brûlant,
désordonné, que luxure et débauche. J'étais bestialement
furieux d'amour. La figure de Fanny était aussi singulièrement
changée. Son regard était fixe, ses bras raides et
nerveusement allongés sur moi. Les lèvres mi-entr'ouvertes et
ses dents serrées indiquaient toute l'attente d'une sensualité
délirante, qui touche au paroxisme de la rage du plaisir, qui
demande l'excès.

A peine arrivés près du lit, nous nous jetâmes bondissants
l'un sur l'autre. Comme deux bêtes acharnées. Partout nos
corps se touchaient, se frottaient, s'électrisaient
rapidement. Ce fut au milieu d'étreintes convulsives, de cris
forcenés, de morsures frénétiques, un accouplement hideux,
accouplement de chair et d'os, jouissance de brute, rapide,
dévorante, mais qui ne venait que du sang.

Le sommeil arrêta enfin toutes ces fureurs.

Après cinq heures d'un calme bienfaisant, je me réveillai le
premier.

Le soleil brillait déjà de tous ses feux. Les rayons percaient
joyeusement les rideaux et se jouaient en reflets dorés sur
les riches tapis, les étoffes soyeuses.

Ce réveil enchanteur, coloré, poëtique, après une nuit
immonde, me rendait à moi-même; il me semblait que j'échappais
à un cauchemar affreux, et j'avais près de moi, dans mes bras
sous ma main, un sein doucement agité, sein de lys et de
roses, si jeune, si frêle et si pur, qu'à l'effleurer
seulement du bout des lèvres, on eut pu craindre de le
flétrir. O la délicieuse créature! Fanny dans les bras du
sommeil, demi-nue, sur un lit à l'orientale réalisait tout
l'idéal des plus beaux rêves. Sa tête reposait, gracieusement
penchée sur un bras arrondi, son profil se dessinait suave et
pur comme un dessin de Raphaël; son corps dans chacune de ses
parties, comme dans son ensemble, était d'une beauté
prestigieuse.

C'était une volupté bien grande de savourer à loisir la vue de
tant de charmes, et c'était pitié aussi de songer que, vierge
depuis quinze printemps, une seule nuit avait suffi pour les
flétrir.

Fraîcheur, grâce jeunesse, la main de l'orgie avait tout sali,
tout souillé, tout plongé dans l'ordure et la fange.

Cette âme, si naïve et si tendre! cette ame, jusque là, si
doucement bercée par la main des Anges, livrée désormais aux
démons impurs; plus d'illusions, plus de rève, point de
premier amour, point de douces surprises; toute une vie
poëtique de jeune fille à jamais perdue!

Elle s'éveilla, la pauvre enfant, presque riante Elle croyait
retrouver son matin accoutumé. Ses doux pensers, son
innocence; hélas! Elle me vit. Ce n'était plus son lit, ce
n'était plus sa chambre. Oh! sa douleur faisait mal. Les
pleurs l'étouffaient. Je la contemplais ému, honteux de
moi-même. Je la tenais serrée dans mes bras. Chacune de ses
larmes, je la buvais avec ivresse.

Les sens ne parlaient plus, mon ame seule s'épanchait tout
entière, mon amour se peignait vif, brûlant dans mon langage
et dans mes yeux.

Fanny m'écoutait, muette, étonnée, ravie: elle respirait mon
souffle, mon regard, me pressait par moment et semblait me
dire: "-- Oh! oui, encore à toi! toute à toi!. -- Comme elle
avait livré son corps, credule innocente, elle livrait aussi
son ame confiante, enivrée. Je crus dans un baiser la prendre
sur ses lèvres, je lui donnai toute la mienne. Ce fut le Ciel,
et ce fut tout.

Nous nous levâmes enfin.

-- Je voulus voir encore la Comtesse. Elle était ignoblement
renversée: la figure défaite, le corps sale, taché. Comme une
femme ivre jetée nue, près d'une borne. Elle semblait cuver sa
luxure.

Oh! sortons, m'écriai-je,... sortons, Fanny! quittons cet
ignoble séjour.


Gamiani

ou DEUX NUITS D'EXCES.


Bruxelles

1833


Gamiani,

deuxième partie.


Je pensais que Fanny jeune encore, innocente de coeur, ne
conserverait de Gamiani qu'un souvenir d'horreur et de dégoût.
Je l'accablais de tendresse et d'amour, je lui prodiguais les
plus douces les plus enivrantes caresses: parfois je l'abîmais
de plaisir, dans l'espoir qu'elle ne concevrait plus désormais
d'autre passion que celle avouée par la nature, qui confond
les deux sexes dans la joie des sens et de l'âme. Hélas! je me
trompais. L'imagination était frappée, elle dépassait tous nos
plaisirs. Rien n'égalait aux yeux de Fanny les transports de
son amie. Nos plus forts excès lui semblaient de froides
caresses, comparés aux fureurs qu'elle avait connues dans
cette nuit funeste.

Elle m'avait juré de ne plus revoir Gamiani, mais son serment
n'éteignait pas le désir qu'elle nourrissait en secret.
Vainement elle luttait, ce combat intérieur ne servait qu'à
l'irriter d'avantage. Je compris bientôt qu'elle ne
résisterait pas. J'avais perdu sa confiance; il fallut me
cacher pour l'observer.

A l'aide d'une ouverture habilement pratiquée, je pouvais la
contempler chaque soir à son coucher La malheureuse! Je la vis
souvent pleurer sur son divan, se tordre, se rouler
désespérée, et tout-à-coup, déchirer, jeter ses vêtements, se
mettre nue devant une glace, l'oeil égaré, comme une folle.
Elle se touchait se frappait, s'excitait au plaisir avec une
frénésie insensée et brutale. Je ne pouvais plus la guérir,
mais je voulus voir jusqu'où se porterait ce délire des sens.

Un soir, j'étais à mon poste, Fanny allait se coucher, lorsque
je l'entendis s'écrier:

F -- Qui est là? Est-ce vous Angélique?... Gamiani... Oh!
madame, j'étais loin....

G -- Sans doute, vous me fuyez, vous me repoussez: j'ai du
recourir à la ruse. J'ai trompé, éloigné vos gens et me voici.

F -- Je ne puis vous comprendre, encore moins qualifier votre
obstination; mais si j'ai tenu secret ce que je sais de vous,
mon refus formel de vous recevoir devait vous dire assez que
votre présence m'est importune.... odieuse.... Je vous
rejette, je vous abhorre... Laissez-moi par grâce! éloignez-vous,
évitez un scandale.

G -- Mes mesures et ma résolution sont prises, vous ne les
changerez pas, Fanny. Oh ma patience était usée.

F -- Eh bien! Que prétendez-vous faire? Me forcer encore, me
violenter, me salir.... Oh! non madame, vous sortirez, ou
j'appelle mes gens.

G -- Enfant! nous sommes seules; les portes sont fermées, les
clefs jetées par la fenêtre. Vous êtes à moi.... Mais calmez-vous,
soyez sans crainte.

F -- Pour Dieu! ne me touchez pas.

G -- Fanny, toute résistance est vaine. Vous succomberez
toujours Je suis plus forte et la passion m'anime. Un homme ne
me vaincrait pas. Allons! Elle tremble.... elle pâlit.... mon
Dieu! Fanny! ma Fanny!.... Elle se trouve mal, oh! qu'ai-je
fait? Reviens à toi, reviens..... Si je te presse ainsi sur
moi, c'est par amour. Je t'aime tant, toi, ma vie, toi, mon
âme. Tu ne peux donc pas me comprendre.... Va! je ne suis pas
méchante, ma petite, ma chérie.... non, je suis bonne, bien
bonne, puisque j'aime. Vois dans mes yeux, sens comme mon
coeur bât. C'est pour toi, pour toi seule. Je ne veux que ta
joie, ton ivresse en mes bras. Reviens à toi, reviens sous mes
baisers. Oh! folie! Je l'idolâtre cette enfant.

F -- Vous me tuerez. Mon Dieu! laissez-moi. Laissez-moi donc
enfin; vous êtes horrible.

G -- Horrible! horrible! qui peut donc inspirer tant d'horreur?
Ne suis-je pas jeune encore? Ne suis-je pas belle aussi? On me
le dit partout. Et mon coeur! En est-il un plus capable
d'aimer? Le feu qui me consume, qui me dévore, ce feu brûlant
de l'Italie qui redouble mes sens et me fait triompher, alors
que tous les autres cèdent, est-ce donc chose horrible?
Dis..... un homme, un amant, qu'est-ce près de moi! deux ou
trois luttes l'abattent, le renversent; à la quatrième, il
râle impuissant et ses reins plient dans le spasme du plaisir.
C'est pitié! moi je reste encore forte, frémissante,
inassouvie. Oh! oui, je personnifie les joies ardentes de la
matière, les joies brûlantes de la chair. Luxurieuse
implacable, je donne un plaisir sans fin, je suis l'amour qui
tue.

F -- Assez, Gamiani, assez!

G -- Non, non, écoute encore, écoute Fanny. Etre nues, se
sentir jeunes et belles, suaves, embaumées, brûler d'amour et
trembler de plaisir; se toucher, se mêler, s'exhaler corps et
âme en un soupir, un seul cri, un cri d'amour.... Fanny!
Fanny! c'est le ciel.

F -- Quel discours! quels regards.... et je vous écoute, je
vous regarde... Oh! grace pour moi. Je suis si faible. Vous me
fascinez..... Quelle puissance as-tu donc?.... Tu te mêles à
ma chair, tu te mêles à mes os, tu es un poison.... oh! oui,
tu es horrible et.... je t'aime.....

G -- Je t'aime! je t'aime! dis encore, dis encore, mais c'est
un mot qui brûle.. -- Gamiani était pâle, immobile, les yeux
ouverts, les mains jointes, à genoux devant Fanny. On eut dit
que le ciel l'avait soudainement frappée pour la changer en
marbre. Elle était sublime d'anéantissement et d'extase.

F -- Oui! oui! je t'aime de toutes les forces de mon corps. Je
te veux, je te désire. Oh! j'en perdrai la tête.

G -- Que dis-tu, bien-aimée? Que dis-tu.... Je suis
heureuse!.... Tes cheveux sont beaux, qu'ils sont doux! ils
glissent dans mes doigts, fins, dorés comme de la soie. Ton
front est bien pur, plus blanc qu'un lys. Tes yeux sont beaux,
ta bouche est belle. Tu es blanche, satinée, parfumée, céleste
de la tête aux pieds. Tu es un ange, tu es la volupté. Oh! ces
robes! ces lacets! Sois donc nue.... Vite, à moi.... je suis
nue déjà moi... Tiens! ah! bien. Eblouissante!.... Reste
debout, Que je t'admire. Si je pouvais te peindre, te rendre
d'un seul trait... Attends que je baise tes pieds, tes genoux,
ton sein, ta bouche. Embrasse-moi. Serre-moi. Plus fort Quelle
joie! quelle joie! Elle m'aime... -- Les deux corps n'en
faisaient qu'un. Seulement les têtes se tenaient séparées et
se regardaient avec une expression ravissante. Les yeux
étaient de feu, les joues d'un rouge ardent Les bouches
frémissaient, riaient, ou se mélaient avec transport.
J'entendis un soupir s'exhaler, un autre lui répondre: après,
ce fut un cri, un cri étouffé et les deux femmes restèrent
immobiles.

F -- J'ai été heureuse, bien heureuse.

G -- Moi aussi, ma Fanny, et d'un bonheur qui m'était inconnu.
C'était l'âme et les sens réunis sur tes lèvres.... Viens sur
ton lit, viens goûter une nuit d'ivresse.

A ces mots, elles s'entraînent mutuellement vers l'alcove.
Fanny s'élance sur le lit, s'étend, se couche voluptueusement.
Gamiani à genoux sur un tapis l'attire sur son sein, l'entoure
de ses bras.

Silencieuse, elle la contemple avec langueur..... Bientôt les
agaceries recommencent. Les baisers se répondent, les mains
volent habiles au toucher. Les yeux de Fanny expriment le
désir et l'attente, ceux de Gamiani le désordre des sens.
Colorées, animées par le feu du plaisir toutes deux semblaient
étinceler à mes yeux, ces furies délirantes à force de rage et
de passion poëtisaient en quelque sorte l'excès de leur
débauche, elles parlaient à la fois aux sens et à
l'imagination.

J'avais beau me raisonner, condamner en moi ces absurdes
folies, je fus bientôt ému, échauffé, posséde de désirs. Dans
l'impossibilité où j'étais d'aller me mêler à ces deux femmes
nues, je ressemblais à la bête fauve que tourmente le rut et
qui des yeux dévore sa femelle à travers les barreaux de sa
cage. Je restais stupidement immobile, la tête clouée près de
l'ouverture d'où jaspirais, pour ainsi dire, ma torture, vraie
torture de damné, horrible, insupportable, qui frappe d'abord
la tête, se mêle ensuite au sang, dans les os, jusques à la
moelle qu'elle brûle. Je souffrais trop à force de sentir. Il
me semblait que mes nerfs tendus, irrités finissaient par se
rompre. Mes mains crispées s'accrochaient au parquet. Je ne
respirais plus, j'écumais. Ma tête se perdit. Je devins fou,
furieux, et m'empoignant avec rage, je sentis toute ma force
d'homme s'agiter furibonde entre mes doigts serrés,
tressaillir un instant, puis fondre et s'échapper en saillies
brûlantes comme une rosée de feu. Jouissance étrange qui vous
brise, vous renverse à terre.

Revenu à moi, je me vis énervé. Mes paupières étaient lourdes.
Ma tête se tenait à peine. Je voulus m'arracher de ma place;
un soupir de Fanny m'y retint. J'appartenais au démon de la
chair. Tandis que mes mains se lassaient à ranimer ma
puissance éteinte, je m'abîmais les yeux à contempler la scène
qui me jettait dans un si horrible désordre.

Les poses étaient changées. Mes tribades se tenaient
enfourchées l'une dans l'autre, cherchant à mêler leurs duvets
touffus, à frotter leurs parties ensemble. Elles
s'attaquaient, se refoulaient avec un acharnement et une
vigueur que l'approche du plaisir peut seul donner à des
femmes. On aurait dit qu'elles voulaient se fendre, se croiser
tant leurs efforts étaient violents, tant leur respiration
haletait bruyante. Ai! ai! s'écriait Fanny, je n'en puis plus,
cela me tue. Va seule. Va!.... encore, répondait Gamiani Je
touche au bonheur. Pousse! Tiens donc! tiens.... Je m'écorche,
je crois. Ah! je sens, je coule.... Ah! ah! ah!... La tête de
Fanny retombait sans force. Gamiani roulait la sienne, mordait
les draps, mâchait ses cheveux flottant sur elle. Je suivais
leurs élans, leurs soupirs; j'arrivai comme elles au comble de
la volupté.

F -- Quelle fatigue! Je suis rompue; mais quel plaisir j'ai
goûté.....

G -- Plus l'effort dure, plus il est pénible, plus aussi la
jouissance est vive et prolongée.

F -- Je l'ai éprouvé J'ai été plus de cinq minutes plongée dans
une sorte de vertige énivrant. L'irritation se portait dans
tous mes membres. Ce frottement des poils contre une peau si
tendre me causait une démangeaison dévorante. Je me roulais
dans le feu, dans la joie des sens. O folie! ô bonheur!
jouir!..... Oh! je comprends ce mot.

Une chose m'étonne, Gamiani. Comment si jeune encore as-tu
cette expérience des sens? Je n'aurais jamais supposé toutes
nos extravagances. D'où te vient ta science? D'où vient ta
passion qui me confond, qui parfois m'épouvante? La nature ne
nous a pas faites de la sorte.

G -- Tu veux donc me connaître. Eh bien! enlace moi dans tes
bras, croisons nos jambes, pressons-nous. Je vais te raconter
ma vie de couvent. C'est une histoire qui pourra nous monter à
la tête, nous donner de nouveaux désirs.

F -- Je t'écoute, Gamiani.

G -- Tu n'as pas oublié le supplice atroce que me fit subir ma
tante, pour servir sa lubricite. Je n'eus pas plutôt compris
l'horreur de sa conduite, que je m'emparai de quelques papiers
qui garantissaient ma fortune. Je pris aussi des bijoux, de
l'argent et, profitant d'une absence de ma digne parente,
j'allai me réfugier dans le couvent des soeurs de la
rédemption. La Supérieure, touchée sans doute de mon jeune âge
et de mon apparente timidité, me fit l'accueil le plus propre
à dissiper mes craintes et mon embarras.

Je lui racontai ce qui m'était arrivé, je lui demandai un
asyle et sa protection. Elle me prit dans ses bras, me serra
affectueusement et m'appela sa fille. Après, elle m'entretint
de la vie tranquille et douce du couvent; elle réchauffa
encore ma haine pour les hommes et termina par une exhortation
pieuse, qui me parut le langage d'une âme divine. Pour rendre
moins sensible la transition subite de la vie du monde à la
vie du cloître, il fut convenu que je resterai près de la
Supérieure et que je coucherai chaque soir dans son alcove.
Dès la seconde nuit nous en étions à causer le plus
familièrement du monde. La supérieure se retournait, s'agitait
sans cesse dans son lit. Elle se plaignait du froid et me pria
de me coucher avec elle pour la réchauffer. Je la trouvai
absolument nue. On dort mieux, disait-elle, sans chemise. Elle
m'engagea à ôter la mienne; ce que je fis pour lui être
agréable. Oh! ma petite, s'écria-t-elle, en me touchant, tu es
brûlante. Comme ta peau est douce. Les barbares! oser te
martyriser de la sorte. Tu as dû bien souffrir. Raconte moi
donc ce qu'ils t'ont fait. Ils t'ont battue; dis. Je lui
répétai mon histoire, avec tous les détails, appuyant sur ceux
qui paraissaient l'intéresser davantage. Le plaisir qu'elle
prenait à m'entendre parler fut si vif qu'elle en éprouvait
des tressaillements extraordinaires. Pauvre enfant! pauvre
enfant! répétait-elle en me serrant de toutes ses forces.

Insensiblement je me trouvai étendue sur elle. Ses jambes
étaient croisées sur mes reins, ses bras m'entouraient. Une
chaleur tiède et pénétrante se répandait par tout mon corps.
J'éprouvais un bien-être inconnu, délicieux qui communiquait à
mes os, à ma chair je ne sais quelle sueur d'amour qui faisait
couler en moi comme une douceur de lait. Vous êtes bonne, bien
bonne, dis-je à la supérieure. Je vous aime, je suis heureuse
près de vous. Je ne voudrais jamais vous quitter. Ma bouche se
collait sur ses lèvres, et je reprenais avec ardeur, oh! oui,
je vous aime à en mourir.... je ne sais.... Mais je sens....

La main de la Supérieure me flattait avec lenteur. Son corps
s'agitait doucement sous le mien. Sa toison dure et touffue se
mêlait à la mienne, me piquait au vif et me causait un
chatouillement diabolique. J'étais hors de moi dans un
frémissement si grand que tout mon corps tremblait. A un
baiser violent que me donna la supérieure, je m'arrêtai
subitement. Mon Dieu! m'écriai-je, laissez-moi.... ah!....
Jamais rosée plus abondante, plus délicieuse ne suivit un
combat d'amour.

L'extase passée, loin d'être abattue, je me précipite de plus
belle sur mon habile compagne; je la mange de caresses. Je
prends sa main, je la porte à cette même place qu'elle vient
d'irriter si fort. La Supérieure me voyant de la sorte,
s'oublie elle même, s'emporte comme une bacchante. Toutes deux
nous disputons d'ardeur de baisers, de morsures.... quelle
agilité, quelle souplesse cette femme avait dans ses membres.
Son corps se pliait, s'étendait, se roulait à m'étourdir. Je
n'y étais plus. J'avais à peine le temps de rendre un seul
baiser à tous ceux qui me pleuvaient de la tête aux pieds. II
me semblait que j'étais mangée, dévorée en mille endroits
Cette incroyable activité d'attouchemens lubriques me mit dans
un état qu'il est impossible de décrire. O Fanny! que n'etais-tu
témoin de nos assauts, de nos élans. Si tu nous avais vues
toutes deux furibondes, haletantes, tu aurais compris tout ce
que peut l'empire des sens sur deux femmes amoureuses. Un
instant ma tête se trouva prise entre les cuisses de ma
lutteuse. Je crus deviner ses désirs. Inspirée par ma
lubricité, je me mis à la ronger dans ses parties les plus
tendres. Mais je répondais mal à ses voeux. Elle me ramène
bien vite sur elle, glisse, s'échappe sous mon corps et,
m'entr'ouvrant subtilement les cuisses, elle m'attaque
aussitôt avec la bouche. Sa langue agile et pointue me pique,
me sonde comme un stylet qu'on pousse et retire rapidement.
Ses dents me prennent et semblent vouloir me déchirer. J'en
vins à m'agiter comme une perdue. Je repoussais la tête de la
Supérieure, je la tirais par les cheveux. Alors elle lachait
prise: elle me touchait doucement, m'injectait sa salive, me
léchait avec lenteur, ou me mordillait le poil et la chair
avec une raffinerie si délicate, si sensuelle à la fois que ce
seul souvenir me fait suinter de plaisir. Oh! quelles délices
m'enivraient! quelle rage me possédait! Je hurlais sans
mesure; je m'abatais abîmée, ou je m'élevais égarée, et
toujours la pointe rapide, aigue m'atteignait, me percait avec
raideur. Deux lèvres minces et fermes prenaient mon clitoris,
le pincaient, le pressaient à me détacher l'âme. Non Fanny, il
est impossible de sentir, de jouir de la sorte, ce n'est
qu'une fois en sa vie. Quelle tension dans mes nerfs! quel
battement dans mes artères! quelle ardeur dans la chair et le
sang. Je brûlais, je fondais et je sentais une bouche avide,
insatiable, aspirer jusqu'à l'essence de ma vie. Je te
l'assure je fus desséchée et j'aurais dû être inondée de sang
et de liqueur. Mais que je fus heureuse! Fanny Fanny! Je n'y
tiens plus. Quand je parle de ces excès je crois éprouver
encore ces mêmes titillations dévorantes. Achève-moi.... Plus
vite, plus fort.... bien! ah! bien! las! je meurs....

Fanny était pire qu'une Louve affamée.

Assez, assez, répétait Gamiani. Tu m'épuises. Démon de fille!
Je te supposais moins habile, moins passionnée. Je le vois, tu
te développes. Le feu te pénètre.

F -- Cela se peut-il autrement. Il faudrait être dépourvue de
sang et de vie, pour rester insensible avec toi. -- Que fis-tu
ensuite?

G -- Plus savante alors, je rendis avec usure, j'abîmai mon
ardente compagne. Toute gêne fut désormais bannie entre nous
et j'appris bientôt que les soeurs du couvent de la Rédemption
s'adonnaient entr'elles aux fureurs des sens, qu'elles avaient
un lieu secret de réunion et d'orgie pour s'ébattre à leur
aise. Ce Sabbat infame s'ouvrait à complies et se terminait à
matines.

La Supérieure déroula ensuite sa philosophie. J'en fus
épouvantée au point de voir en elle un Satan incarné.
Cependant elle me rassura par quelques plaisanteries et me
divertit surtout en me racontant la perte de son pucelage. Tu
ne devinerais jamais à qui fut donné ce précieux trésor.
L'histoire est singulière et vaut la peine d'être contée.

La supérieure que j'appellerai maintenant Sainte était fille
d'un capitaine de vaisseau. Sa mère, femme d'esprit et de
raison, l'avait élevée dans tous les principes de la saine
religion, ce qui n'empêcha point que le tempérâment de la
jeune Sainte ne se développât pas de très bonne heure. Dès
l'âge de douze ans elle ressentait des désirs insupportables,
qu'elle cherchait à satisfaire par tout ce qu'une imagination
ignorante peut inventer de plus bizarre. La malheureuse se
travaillait chaque nuit. Ses doigts insuffisants gaspillaient
en pure perte sa jeunesse et sa santé. Un jour elle appercut
deux chiens qui s'accouplaient. Sa curiosité lubrique observa
si bien le mécanisme et l'action de chaque sexe, qu'elle
comprit mieux désormais ce qui lui manquait. Sa science acheva
son supplice. Vivant dans une maison solitaire, entourée de
vieilles servantes sans jamais voir un homme, pouvait-elle
espérer de rencontrer jamais cette flêche animée, si rouge, si
rapide qui l'avait si fort émerveillée et qu'elle supposait
devoir exister pareillement pour la femme. A force de se
tourmenter l'esprit, ma nymphomane se rémemoria que le singe
est de tous les animaux celui qui ressemble le plus à l'homme.
Son père avait précisément un superbe orang-outang. Elle fut
le voir, l'étudier et comme elle restait long-temps à
l'examiner, l'animal, échauffé sans doute par la présence
d'une jeune fille, se développa tout-à-coup de la façon la
plus brillante. Sainte se mit à bondir de joie. Elle trouvait
enfin ce qu'elle cherchait tous les jours, ce qu'elle rêvait
chaque nuit. Son idéal lui apparaissait réel et bien palpable.
Pour comble d'enchantement l'indicible joyau s'élançait plus
ferme, plus ardent, plus menaçant qu'elle ne l'eut jamais
ambitionné. Ses yeux le dévoraient. Le singe s'approcha, se
pendit aux barreaux et s'agita si bien que la pauvre Sainte en
perdit la tête. Poussée par sa folie, elle force un des
barreaux de sa cage et pratique un espace facile que la
lubrique bête met de suite à profit. Huit pouces francs, bien
prononcés, saillaient à ravir. Tant de richesse épouvanta
d'abord notre pucelle. Toutefois le diable la pressant, elle
ose voir de plus près; sa main toucha, caressa. Le singe
tressaillit à tout rompre. Sa grimace était horrible. Sainte
effrayée crut voir Satan devant elle. La peur la retint. Elle
allait se retirer, lorsqu'un dernier regard jeté sur la
flamboyante amorce reveille tous ses désirs. Elle s'enhardit
aussitôt, relève ses jupes d'un air décidé et marche bravement
à reculons, le dos penché contre la pointe redoutable. La
lutte s'engage, les coups se portent. La bête devient l'égal
de l'homme. -- Sainte est embestialisée, dévirginée,
ensinginée. Sa joie ses transports éclatent en une gamme de
oh! et de ah! mais sur un ton si élevé que la mère entend,
accourt et vous surprend sa fille bien nettement enchevillée,
se tortillant, se débattant et déjectant son âme

F -- La farce est impayable!

G -- Pour guérir la pauvre fille de sa manie singesque on la
place dans le couvent.

F -- Mieux eut valu la laisser à tous les singes.

G -- Tu vas mieux juger combien tu as raison. Mon tempérament
s'accommodait volontiers d'une vie de fêtes et de plaisirs. Je
consentis joyeusement à être initiée aux mystères des
Saturnales monastiques. Mon admission ayant été adoptée au
chapitre, je fus présentée deux jours après. J'arrivai nue
selon la règle. Je fis un serment exigé et, pour achever la
cérémonie, je me prostituai courageusement à un énorme Priape
de bois disposé à cet effet. J'achevais à peine une
douloureuse libation que la bande des soeurs se rua sur moi
plus pressée qu'une troupe de cannibales. Je me prétai à tous
les caprices, je pris les poses les plus lubriquement
énergiques, enfin je terminai par une danse obscène et je fus
proclamée victorieuse. J'étais exténuée. Une petite nonne,
bien vive, bien éveillée, plus raffinée que la supérieure,
m'entraina dans son lit: C'était bien la plus damnée Tribade
que l'enfer put créer. Je conçus pour elle une vraie passion
de chair et nous fumes presque toujours ensemble pendant les
grandes orgies nocturnes.

F -- Dans quel lieu se tenaient vos Lupercales?

G -- Dans une vaste salle que l'art et l'esprit de la débauche
s'étaient plu à embellir. On y arrivait par deux grandes
portes fermées à la façon des orientaux avec de riches
draperies, bordées de franges d'or, ornées de mille dessins
bizarres. Les murs étaient tendus en velours bleu foncé
qu'encadrait une large plaque en bois de citronnier habilement
ciselée. A distance égale de grandes glaces partaient du
plafond et touchaient au parquet. Dans les scènes d'orgie les
grouppes nuds des nonnes en délire se réflétaient sous mille
formes, ou bien se détachaient vifs ou brillans: Sur les
panneaux tapissés. Des coussins, des divans tenaient lieu de
sièges et servaient mieux encore les ébats de la volupté, les
poses de la lubricite. Un double tapis, d'un tissu délicat,
délicieux au toucher, recouvrait le parquet. On y voyait
représentés avec une magie surprenante de couleurs vingt
groupes amoureux dans des attitudes lascives bien propres à
rallumer les désirs éteints. Ailleurs, sur des tableaux, dans
le plafond, la peinture offrait à l'oeil les images les plus
expressives de la folie et de la débauche. Je me rappelle
toujours une thyade fougueuse que tourmentait un corybante. Je
ne regardais jamais ce tableau sans me provoquer aussitôt au
plaisir.

F -- Ce devait être délicieux à voir!

G -- Ajoute encore à ce luxe de décoration l'enivrement des
parfums et des fleurs. Une chaleur égale, tempérée, puis une
lumière tendre, mystérieuse qui s'échappait, de six lampes
d'albâtre, plus douce qu'un reflet d'opale. Tout cela faisait
naître en vous je ne sais quel vague enchantement, mêlé de
désir inquiet, de rêverie sensuelle. C'était l'Orient, son
luxe, sa poësie, sa nonchalante volupté. C'était le mystère du
harem. Ses secret délices et par dessus tout son inéfable
langueur.

F -- Qu'il eut été doux de passer là des nuits d'ivresse près
d'un objet aimé.

G -- Sans doute, l'amour en eut fait volontiers son temple, si
la bruyante et sale orgie ne l'avait transformée chaque soit
en repaire immonde.

F -- Comment cela?

G -- Dès que minuit sonnait, les nonnes entraient vêtues d'une
simple tunique noire, pour faire ressortir la blancheur des
chairs. Toutes avaient les pieds nuds, les cheveux flottans,
Un service splendide paraissait bientôt comme par
enchantement. La supérieure donnait le signal et l'on y
répondait à l'envi. Les unes se tenaient assises, les autres
couchées sur les coussins. Les mets exquis, les vins chauds
irritans étaient enlevés avec un appétit dévorant. Ces figures
de femmes usées par la débauche, froides, pâles aux rayons du
jour, se coloraient, s'échauffaient peu-à-peu. Les vapeurs
bacchiques, les apprêts cantharidés portaient le feu dans le
corps, le trouble dans la tête. La conversation s'animait,
bruissait confuse et se terminait toujours par des propos
obscènes, des provocations délirantes lancées, rendues au
milieu des chansons, des rires, des éclats, du choc des verres
et des flacons Celle des nonnes le plus pressée, le plus
emportée tombait tout-à-coup sur sa voisine et lui donnait un
baiser violent qui électrisait la bande entière. Les couples
se formaient, s'enlaçaient se tordaient dans de fougueuses
étreintes. On entendait le bruit des lèvres s'appliquant sur
la chair, ou s'entremelant avec fureur. Puis partaient des
soupirs étouffés, des paroles mourantes, des cris d'ardeur ou
d'abattement. Bientôt les joues, les seins, les épaules, ne
suffisaient plus aux baisers sans frein. Les robes se
relevaient ou se jetaient de côté. Alors, c'était un spectacle
unique que tous ces corps de femmes, souples, gracieux,
enchainés nuds l'un à l'autre, s'agitant, se pressant avec la
raffinerie, l'impétuosité d'une lubricité consommée. Si
l'excès du plaisir différait trop au gré de l'impatient désir,
on se détachait un instant pour reprendre haleine. On se
contemplait avec des yeux de feu, et on luttait à qui rendrait
la pose la plus lascive la plus entrainante. Celle des deux
qui triomphait par ses gestes et sa débauche, voyait tout-à-coup
sa rivale éperdue fondre sur elle, la culbuter, la
couvrir de baisers, la manger de caresses, la dévorer jusqu'au
centre le plus secret des plaisirs, se plaçant toujours de
manière à recevoir les mêmes attaques. Les deux têtes se
dérobaient entre les cuisses, ce n'était plus qu'un seul
corps, agité, tourmenté convulsivement, d'où s'échappait un
râle sourd de volupté lubrique suivi d'un double cri de joie.

Elles jouissent! elles jouissent! répétaient aussitôt les
nonnes damnées. Et les folles de se ruer égarées les unes sur
les autres plus furieuses que des bêtes qu'on lache dans une
arène.

Pressées de jouir à leur tour, elles tentaient les efforts les
plus fougueux. A force de bonds et d'élans, les groupes se
heurtaient entr'eux et tombaient pêle mêle à terre, haletans,
rendus, lassés d'orgie et de luxure; confusion grotesque de
femmes nues, pamées, expirantes, entassées dans le plus
ignoble désordre et que venait souvent éclairer les premiers
feux du jour.

F -- Quelles folies!

G -- Elles ne se bornaient point là: elles variaient encore à
l'infini. Privées d'hommes, nous n'en étions que plus
ingénieuses à inventer des extravagances. Toutes les priapées,
toutes les histoires obscènes de l'antiquité et des temps
modernes nous étaient connues. Nous les avions dépassées.
Elephantis et l'Arétin avaient moins d'imagination que nous.
Il serait trop long de dire nos artifices, nos ruses, nos
philtres merveilleux pour ranimer nos forces, éveiller nos
désirs et les satisfaire. Tu pourras en juger par le
traitement singulier qu'on faisait subir à l'une de nous pour
aiguillonner sa chair. On la plongeait d'abord dans un bain de
sang chaud pour rappeler sa vigueur. Après elle prenait une
potion cantharidée, se couchait sur un lit et se laissait
frictionner par tout le corps. A l'aide du magnétisme, on
tachait de l'endormir. Sitôt que le sommeil l'avait gagnée, on
l'exposait d'une manière avantageuse, on la fouettait jusqu'au
sang, on la piquait de même. La patiente s'éveillait au milieu
de son supplice. Elle se relevait égarée, nous regardait d'un
air de folle et entrait aussitôt dans les plus violentes
convulsions. Six personnes avaient peine à la comprimer. Il
n'y avait que la léchement d'un chien qui put la calmer. Sa
fureur s'épanchait à flots; mais si le soulagement n'arrivait
pas, la malheureuse devenait plus terrible et demandait à
grands cris un ane.

F -- Un âne, misérable!

G -- Oui, ma chère, un âne. Nous en avions deux bien dressés,
bien dociles. Nous ne voulions le céder en rien aux dames
Romaines qui s'en servaient dans leurs saturnales.

La première fois que je fus mise à l'épreuve, j'étais dans le
délire du vin. Je me précipitai violemment sur la selette,
défiant toutes les nonnes. L'âne fut à l'instant dressé devant
moi, à l'aide d'une courroie. Son braquemarre terrible,
échauffé par les mains des soeurs, battait lourdement sur mon
flanc. Je le pris à deux mains, je le plaçai à l'orifice: et,
après un chatouillement de quelques secondes, je cherchai à
l'introduire. Mes mouvements aidant, ainsi que mes doigts et
une pommade dilattante, je fus bientôt maîtresse de cinq
pouces au moins. Je voulus pousser encore, mais je manquai de
forces, je retombai. Il me semblait que ma peau se déchirait,
que j'étais fendue, écartelée. C'était une douleur sourde,
étouffante, à laquelle se mêlait pourtant une irritation
chaleureuse, titillante et sensuelle. La bête remuant toujours
produisait un frottement si vigoureux que toute ma charpente
vertébrale était ébranlée. Mes canaux spermatiques s'ouvrirent
et débondèrent. Ma Cyprine brûlante tressaillit un instant
dans mes reins Oh! quelle jouissance! Je la sentais courir en
jets de flamme et tomber goutte à goutte au fond de ma
matrice. Tout en moi ruisselait d'amour. Je poussai un long
cri d'énervement et je fus soulagée.... Dans mes élans
lubriques j'avais gagné deux pouces; toutes les mesures
étaient passées, mes compagnes étaient vaincues. Je touchais
aux bourrelets, sans lesquels on se serait éventrée.

Epuisée, endolorie dans tous les membres, je croyais mes
voluptés finies lorsque l'intraitable fléau se roidit de plus
belle, me sonde, me travaille et me tient presque levée. Mes
nerfs se gonflent, mes dents se serrent et grincent. Mes bras
se tendent sur mes deux poings crispés. Tout-à-coup un jet
violent s'échappe et m'inonde d'une pluie chaude et glueuse,
si forte, si abondante, qu'elle semble regorger dans toutes
mes veines et toucher jusqu'au coeur. Mes chairs lachées,
détendues par ce baume exubérant, ne me laissent plus sentir
que des félicités poignantes qui me piquent les os, la moelle,
la cervelle et les nerfs, dissolvent mes jointures et me
mettent en fusion brûlante.... torture délicieuse! intolérable
volupté qui défait les liens de la vie et vous fait mourir
avec ivresse.

F -- Quels transports tu me causes, Gamiani. Bientôt je n'y
tiens plus.... Enfin, comment es-tu sortie de ce couvent du
diable?

G -- Le voici: après une grande orgie, nous eumes l'idée de
nous transformer en hommes, à l'aide d'un godemiché attaché,
de nous embrocher de la sorte à la suite les unes des autres;
et de courir ensuite comme des folles. Je formais le dernier
anneau de la chaîne, j'étais la seule par conséquent qui
chevaucha sans être chevauchée. Quelle fut ma surprise lorsque
je me sentis vigoureusement assaillie par un homme nu qui
s'était, je ne sais comment, introduit parmi nous. Au cri
d'effroi qui m'échappa, toutes les nonnes se débandèrent et
vinrent s'abattre incontinent sur le malheureux intrus:
Chacune voulait finir en réalité un plaisir commencé par un
fatigant simulacre. L'animal trop fêté fut bientôt épuisé. Il
fallait voir son état de torpeur et d'abattement, son
elytroïde flasque et pendant, toute sa virilité dans la plus
négative démonstration. J'eus grande peine à ravitailler
toutes ses miseres quand mon tour fut venu de goûter aussi de
l'élixir prolifique. J'y parvins néanmoins. Couchée sur mon
moribond, ma tête entre ses cuisses, je suçai si habilement
messer Priape endormi qu'il s'éveilla rubicond, vivace à faire
plaisir. Caressée moi-même par une langue agile, je sentis
bientôt approcher un incroyable plaisir que j'achevai, en
masseyant glorieusement et avec délices sur le sceptre que je
venais de conquérir. Je donnai et je reçus un déluge de
volupté.

Ce dernier excès acheva notre homme. Tout fut inutile pour le
ranimer. Le croirais-tu? Dès que les nonnes comprirent que ce
malheureux n'était plus bon à rien, elles décidèrent sans
hésiter qu'il fallait le tuer et l'ensevelir dans une cave, de
peur que ses indiscrétions ne vinssent à compromettre le
couvent. Je combattis vainement ce parti criminel; en moins
d'une seconde, une lampe fut détachée et la victime enlevée
dans un noeud coulant. Je détournai la vue de cet horrible
spectacle.... Mais voilà, à la grande surprise de ces furies,
que la pendaison produit son effet ordinaire. Emerveillée de
la démonstration nerveuse, la Supérieure monte sur un
marchepied et, aux applaudissemens frénétiques de ses dignes
complices, elle s'accouple dans l'air avec la mort et
s'encheville à un cadavre. -- Ce n'est pas la fin de
l'histoire. Trop mince ou trop usée pour soutenir ce double
poids, la corde cède et se rompt Mort et vivant tombent à
terre et si rudement que la nonne en a les os rompus et que le
pendu dont la strangulation s'était mal opérée revient à la
vie et menace dans sa tension nerveuse d'étouffer la
supérieure.

La foudre tombant sur une foule produirait moins d'effet que
cette scène, sur les nonnes. Toutes s'enfuirent épouvantées
croyant que le diable était avec elles; la supérieure resta
seule à se débatte avec l'intempestif ressuscité. L'aventure
devait entrainer des suites terribles, pour les prévenir je
m'echappai le soir même de ce repaire de débauche et de
crime..... Je me réfugiai quelque-temps à Florence, pays
d'amour et de prestige. Un jeune Anglais, Sir Edward,
enthousiaste et rêveur comme un Osvald, concut pour moi une
passion violente. J'étais lasse de plaisirs immondes. Jusques-là
mon corps seul s'était agité, avait vécu; mon âme
sommeillait encore. Elle s'éveilla doucement aux accents purs,
enchanteurs d'un amour noble et élevé. Dès lors, je compris
une existence nouvelle; j'éprouvai ces désirs vagues
ineffables qui donnent le bonheur et poëtisent la vie... Les
corps combustibles ne brûlent pas d'eux-mêmes: qu'une
étincelle approche, et tout part. Ainsi prit feu mon coeur aux
transports de celui qui m'aimait. A ce langage nouveau pour
moi, je sentis un frémissement délicieux. Je prêtai une
oreille attentive, mes avides regards ne laissaient rien
échapper. La flamme humide qui sortait des yeux de mon amant
pénétrait dans les miens jusqu'au fond de mon âme, y portait
le trouble, le délire et la joie. La voix d'Edward avait un
accent qui m'agitait, le sentiment me semblait peint dans
chacun de ses gestes; tous ses traits animés par la passion,
me la faisaient ressentir. Ainsi la première image de l'amour
me fit aimer l'objet qui me l'avait offerte Extrême en tout,
je fus aussi ardente à vivre du coeur que je l'avais été à
vivre des sens. Edward avait une de ces âmes fortes qui
entrainent les autres dans leur sphère. Je m'élevai à sa
hauteur. Mon amour s'exalta: d'enthousiaste il devint sublime.
La seule pensée du plaisir grossier me révoltait. Si l'ont
m'eut forcée, je serais morte de rage. Cette barrière
volontaire irritant l'amour des deux côtés, il en devint plus
ardent par la contrainte. Edward succomba le premier. Fatigué
d'un platonisme dont il ne pouvait deviner la cause, il n'eut
plus assez de force pour combattre les sens. Il me surprit un
jour endormie et me posséda.... Je m'éveillai au milieu des
plus chaudes étreintes: éperdue, je mêlai mes transports aux
transports que je causais; je fus trois fois au ciel, Edward
fut trois fois dieu, mais quand il fut tombé, je le pris en
horreur; ce n'était plus pour moi qu'un homme de chair et
d'os, c'était un moine!.... Je m'échappai subitement de ses
bras avec un rire affreux. Le prisme était brisé; un souffle
impur avait éteint ce rayon d'amour, ce rayon des cieux qui ne
brille qu'une fois en la vie; mon âme n'existait plus. Les
sens surgirent seuls et je repris ma vie première.

F -- Tu revins aux femmes?

G -- Non! je voulus auparavant rompre avec les hommes. Pour
n'avoir plus de désir ou de regret, j'épuisai tout le plaisir
qu'ils peuvent nous donner. Par le moyen d'une célèbre
entremetteuse, je fus exploitée tour-à-tour par les plus
habiles, les plus vigoureux hercules de Florence. Il m'arriva
dans une matinée, de fournir jusqu'à trente deux courses et de
désirer encore. Six athlètes furent vaincus et abîmés. Un soir
je fis mieux. J'étais avec trois de mes plus vaillans
champions. Mes gestes et mes discours les mirent en si belle
humeur, qu'il me vint une idée diabolique, pour la mettre à
profit je priai le plus fort de se coucher à la renverse et
tandis que je festoyais à loisir sur sa rude machine, je fus
lestement gomorhisée par un second: ma bouche s'empara du
troisième et lui causa un chatouillement si vif qu'il se
demena en vrai démon et poussa les exclamations les plus
passionnées Tous trois à la fois nous éclatames de plaisir en
roidissant nos quatre membres. Quelle ardeur dans mon palais!
quelle jouissance délicieuse au fond de mes entrailles!....
Conçois-tu cet excès? Aspirer par sa bouche toute une forme
d'homme: d'une soif impatiente la boire, l'engloutir en flots
d'écume chaude et âcre et sentir à la fois un double jet de
feu vous traverser dans les deux sens et creuser votre
chair.... C'est une jouissance triple, infinie qu'il n'est pas
donné de décrire. Mes incomparables lutteurs eurent la
généreuse vaillantise de la renouveler jusqu'à extinction de
leurs forces.

Depuis, fatiguée, dégoutée des hommes, je n'ai plus compris
d'autre désir, d'autre bonheur, que celui de s'entrelacer nue
au corps frêle et tremblant d'une jeune fille timide, vierge
encore, qu'on instruit, qu'on étonne, qu'on abîme de plaisir,
qu'on assouvit de volupté.... Mais!.... Fanny qu'as-tu donc?
que fais-tu?

F -- Je suis dans un état affreux. J'éprouve des désirs
horribles, monstrueux, Tout ce que tu as senti de plaisir ou
de douleur, je voudrais le sentir aussi, de suite, à
présent.... Tu ne pourras plus me satisfaire.... ma tête
brûle.... elle tourne... Oh! j'ai peur de devenir folle.
Voyons! que peux-tu? Je veux mourir d'excès, je veux jouir
enfin!..... jouir!.... jouir!

G -- Calme-toi, Fanny! calme-toi! tu m'épouvantes par tes
regards. Je t'obéirai, je ferai tout;: que veux-tu?

Eh bien! que ta bouche me prenne, qu'elle m'aspire.... là!
fais-moi rendre l'âme. Je veux te saisir après, te fouiller
jusqu'aux entrailles et te faire crier.... Oh! cet âne! il me
tourmente aussi. Je voudrais un membre énorme, dut-il me
fendre et me créver.

G -- Folle! folle! tu seras satisfaite. Ma bouche est habile et
j'ai de plus apporté un instrument.... Tiens! regarde.... Il
vaut bien l'action d'un âne.

F -- Ah! quel monstre! donne vite, que je tente..... ai!
ai!..... ouf! impossible! cela m'étouffe.

G -- Tu ne sais pas le conduire. C'est mon affaire. Sois ferme
seulement.

F -- Quand je devrais y rester, je veux tout l'engloutir; la
rage me possède.

G -- Couche toi donc sur le dos, bien étendue, les cuisses
écartées, les cheveux au vent laisse tes bras tomber
nonchalamment. Livre toi sans crainte et sans réserve.

F -- Oh! oui, je me livre avec transport. Viens dans mes bras,
viens vite.

G -- Patience, enfant! Ecoute: pour bien sentir tout le plaisir
dont je veux t'enivrer il faut t'oublier un instant; te
perdre, te fondre en une seule pensée, une pensée d'amour
sensuel, de jouissance charnelle et délirante; quels que
soient mes assauts quelles que soient mes fureurs, garde-toi
de remuer ou dagir. Reste sans mouvement, reçois mes baisers
sans les rendre. Si je mords, si je déchire, comprime l'élan
et la douleur aussi bien que celle du plaisir jusqu'au moment
suprême ou toutes deux nous lutterons ensemble pour mourir à
la fois.

F -- Oui! oui! je te comprends, Gamiani. Allons! Je suis comme
endormie, je te rève à présent. Je suis à toi, viens!....
Suis-je bien? attends, cette pose sera je crois plus
lubrique.....

G -- Débauchée! tu me dépasses. Que tu es belle, exposée de la
sorte.... impatiente! tu désires déjà, je le vois....

F -- Je brûle plutôt. Commence, commence, je t'en prie.

G -- Oh! prolongeons encore cette attente irritée, c'est
presque une volupté. Laisse-toi donc aller d'avantage. Ah!
bien! bien! Je te voulais ainsi; on la dirait morte.....
délicieux abandon.... C'est cela! Je vais m'emparer de toi, je
vais te réchauffer, te ranimer peu-à-peu, je vais te mettre en
feu, te porter au comble de la vie sensuelle. Tu retomberas
morte encore, mais morte de plaisirs et d'excès. Délices
inouies! à les goûter seulement la durée de deux éclairs ce
serait la joie de Dieu.

F -- Tes discours me brûlent: A l'oeuvre, à l'oeuvre, Gamiani! A
ces mots Gamiani noue précipitamment ses cheveux flottans qui
la gênent. Elle porte la main entre ses cuisses, s'excite un
instant, puis, d'un seul bond, elle s'élance sur le corps de
Fanny qu'elle touche, qu'elle couvre partout. Ses lèvres
entr'ouvrent une bouche vermeille, sa langue y pompe le
plaisir. Fanny soupire; Gamiani boit son souffle et s'arrête.
A voir ces deux femmes nues immobiles, soudées, pour ainsi
dire, l'une à l'autre, on eut dit qu'il s'opérait entre elles
une fusion mystérieuse, que leurs âmes se mêlaient en silence.

Insensiblement Gamiani se détache et se relève. Ses doigts
jouent capricieusement dans les cheveux de Fanny qu'elle
contemple avec un sourire ineffable de langueur et de volupté.
Sa main se promène indiscrète, elle touche, caresse, manie
chaque trésor. Les baisers, les tendres morsures volent de la
tête aux pieds qu'elle chatouille du bout de ses mains, du
bout de sa langue. Elle se précipite ensuite à corps perdu, se
redresse, retombe encore haletante, acharnée. Sa tête, ses
mains se multiplient. Fanny est baisée, frottée, manipulée
dans toutes ses parties, on la pince, on la presse, on la
mord. Son courage cède: elle pousse des cris aigus; mais un
toucher délicieux vient calmer à l'instant sa douleur et
provoque un long soupir. -- Plus ardente, plus empressée
Gamiani jette sa tête à travers les cuisses de sa victime. Ses
doigts écartent, violentent deux nymphes délicates. Sa langue
plonge dans le calice et lentement elle épuise toutes les
raffineries du chatouillement le plus irritant qu'une femme
peut sentir. Attentive aux progrès du délire qu'elle cause,
elle s'arrête ou redouble selon que l'excès du plaisir ou
s'éloigne ou s'approche. Fanny nerveusement saisie, part
tout-à coup d'un élan furieux.

F -- C'est trop! oh!... je meurs... heu!....

G -- Prends! prends!.... lui crie Gamiani, en lui présentant
une fiole qu'elle vient de vuider a moitié. Bois! c'est
l'elixir de vie. Tes forces vont renaître. ---- Fanny sans
forces, incapable de résister avale la liqueur qu'on verse
dans sa bouche entr'ouverte.

Ah! ah! s'écrie Gamiani? d'une voix éclatante, tu es à moi.
Son regard avait quelque chose d'infernal.

A genoux entre les jambes de Fanny, elle s'attachait son
redoutable instrument et le brandissait d'un air menaçant.

A cette vue les transports de Fanny redoublent plus violents,
il semble qu'un feu intérieur la tourmente et la pousse à la
rage. Ses cuisses écartées se prêtent avec effort aux attaques
du simulacre monstrueux. L'insensée! elle eut à peine commencé
cet horrible supplice qu'une étrange convulsion la fit bondir
en tous sens.

F -- Oi! oï! Ta liqueur brûle, oi! mes entrailles. Mais cela
pique, cela perce... oh! je vais mourir.... Vile et damnée
sorcière tu me tiens.... Tu me tiens.... ah!.... -- Gamiani
insensible à ces cris d'angoisse et de torture, redouble ses
élans. Elle brise, déchire et s'abime à travers des flots de
sang; mais voilà que ses yeux tournent. Ses membres se
tordent, les os de ses doigts craquent. Je ne doute plus
qu'elle n'ait avalé et donné un poison ardent. --Epouvanté je
me précipite à son secours. Je brise les portes dans ma
violence, j'arrive. Hélas! Fanny n'existait plus. Ses bras ses
jambes horriblement contournés s'accrochaient à ceux de
Gamiani qui luttait seule encore avec la mort.

Je voulus les séparer.

Tu ne vois pas, me dit une voix de râle que le poison me
tourmente.... mes nerfs se tordent.... Va-t-en!...... Cette
femme est à moi.... oi! oi!

C'est affreux, m'écriai-je, transporté.

G -- Oui! Mais j'ai connu tous les excès des sens. Comprends
donc, fou! il me restait à savoir si dans la torture du
poison, si dans l'agonie d'une femme mêlee à ma propre agonie,
il y avait une sensualité possible!.... Elle est atroce!
Entends-tu? Je meurs dans la rage du plaisir, dans la rage de
la douleur....... Je n'en puis plus...... heu!...... A ce cri
prolongé venu du creux de la poitrine, l'horrible furie
retombe morte sur son cadavre.





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